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Full text of "Mémoires de Monsieur Claude, chef de la police de Sûreté sous le second ..."

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HARVARD LAW LIBRARY 



ReœivedJAN 6 1922 



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MÉMOIRES 



DB 




CHEF DE LA POLICE DE SÛRETÉ 

sous LB SECOIHIX EMPIRE 



TOME TROISIÉMB 




PARIS 

JULES ROUFF, ÉDITEUR 

14, CLOITRE SA.INT-BONOR]£, 14 

1881 

Droits do tradactioQ et de reprodactioa réservés 



'^6 



MÉMOIRES 



DE 



MONSIEUR CLAUDE 



CHAPITRE PREMIER 



LA PRÉFECTURE DE POLICE ET SA RÉORGANISATION SOUS 
LE SECOND EMPIRE 



La préfecture de police est tout un monde. Quoi- 
que son fonctionnement soit vertigineux, il s'o- 
père régulièrement, dans un silence intérieur et 
mystérieux. 

L'œuvre la plus complète du règne de Napo- 
léon m a été la réorganisation de la préfecture de 
police. 

Ancien carbonaro, ancien policeman, le Préten- 
dant, une fois empereur, appliqua ses soins à réfor- 
mer la préfecture de police. 

m. 1 



2 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Il était compétent, puisqu'il passa une partie de sa 
vie à être fileur ou fllé^ lui qui connaissait le mé- 
tier à fond et tous les moyens de s'en servir. 

Dès le coup d'État, ce coup de ^oWcq réussi^ 
Napoléon III n'hésita pas à rappeler les décrets du 
Directoire et du premier empire ayant pour but de 
fortifier l'action de la police du département de la 
Seine. 

Après les événements de décembre 1851, le mir 
nistère de la police générale^ créé en 1804, fut ré- 
tabli en faveur de M. de Maupas. Il fut supprimé 
quelques mois plus tard pour devenir Direction de 
la sûreté générale^ puis Direction générale de la 
sûreté publique^ confiée à M. Collet-Meygret, an- 
cien secrétaire de la préfecture. 

Par cette organisation, qui releva, dès le coup 
d'Etat, de l'administration de M. de Morny, l'em- 
pereur fit de la police une puissance et un corps 
constitué. 

Durant les premières années du second empire, 
par sa réorganisation, empruntée aux traditions 
de Napoléon I", la préfecture devint, je l'ai dit, 
l'annexe des Tuileries. 

L'empereur, en communication journalière avec 
le directeur de la sûreté générale, fut le véritable 
chef de la police. De Maupas, Pietri, Collet-Mey- 
gret en étaient les commis, Alessandri, Ru mini et 
leurs Corses en étaient les hommes d'action. 

Une fois l'empire bien constitué, il fallait, dans 
l'intérêt public, ne pas donner à la préfecture <ie po- 
lice un caractère trop personnel, trop arbitraire et 
trop agressif. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 3 

La préfecture reprit, en apparence, son fonc- 
tionnement d'autrefois. La politique y figura au 
second plan, la sûreté générale s'effaça. Le service 
municipal parut y régner en maître. 

Ce n'était qu'un trompe-l'œil. Le préfet de police 
n'avait que peu de rapport avec une municipalité 
illusoire. Il était surveillé par la police du château, 
dont M. d'Hirvoix, aux Tuileries, était le trait d'u- 
nion réglé par Napoléon III et ses Corses. 

La préfecture de police comprit dans son organi- 
sation, outre le préfet et le secrétaire général, un 
secrétaire particulier, deux chefs de division, un chef 
de comptabilité, un caissier, quinze chefs de bu- 
reau; vingt-sept sous-chefs, soixante-quatre com- 
mis de première classe et cent quatre-vingt six com- 
mis de deuxième classe, plus vingt commis auxi- 
liaires et cinquante et un garçons de bureaux. 

Dans cette organisation, les Corses' primaient, 
en surveillant, par une volonté supérieure, des 
chefs qu'ils étaient cependant appelés à servir. 

Cet ensemble de quatre cents employés, à l'épo- 
que de la réorganisation de la préfecture, c'est-à- 
dire en septembre 1854, coûta à la ville de Paris 
près de 800,000 francs. 

Dès cette réorganisation, la division politique ab- 
sorba une partie des fonds consacrés aux quatre bu- 
reaux indépendants de la préfecture : les bureaux des 
recherches^ de la sûreté^ des mœurs et des f/nrais. 

Ces bureaux comptaient une centaine d'einj loyés 
divisés en quatre brigades, la première consacrée 
aux jeux de hasard, les autres aux recherches^ à 
la sûreté et aux mœurs» 



A MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Ni la division politique, du domaine de M. La- 
grange, ni la sûreté générale, du domaine de Col- 
let-Meygret, ne figuraient dans les dépenses, parce 
qu'elles dépassaient de beaucoup les frais d'admi- 
nistration de la police municipale. 

Les nombreux services extérieurs qui relèvent en- 
core aujourd'hui de la préfecture de police lui 
donnaient en 1854 l'importance d'un véritable mi- 
nistère. 

Sous le second empire comme maintenant, les 
services extérieurs de la préfecture avaient des at- 
tributions multiples et diverses concernant les qua- 
rante-huit commissaires de Paris, les trente et un 
commissaires de police de la banlieue, les commis- 
saires de police spéciaux, les contrôleurs des halles 
et les inspecteurs de marché, la police des théâtres, 
les travaux de voirie, d'architecture, de salubrité, 
de voitures, de navigation, d'éclairage, des services 
devérificateurs desboissons, des vidanges, des égouts, 
des établissements insalubres, de la Morgue, des 
dispensaires, des bureaux de secours, etc. 

Alors les attributions infinies de la préfecture de 
police relevaient moins de la ville que d'un groupe 
de personnages très influents au château, mais très 
ÎDdifTérents aux exigences de la municipalité. 
' cl ies actes les plus scai? aïeux, les concussions 
ûe vo*j-ôé sortes, les pots» Je- vin de toute nature 
<w^ or-.,duisaient dans l'aci .ninislration municipale, 
San. 'contrôle. 

Une place d'inspecteur, d3 contrôleur ou de vé- 
rificateur de n importe: quoi, m se donnait qu'à la 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 5 

personne bien pensante dont la bourse était aussi 
lourde que la conscience était légère. 

Depuis le porteur des halles jusqu'au décrotteur, 
depuis l'ouvreur de voitures jusqu'aux ouvreuses 
de loges, on exigeait des cautionnements qui 
payaient la place du postulant et donnaient une 
garantie de sa moralité. 

C'était une nouvelle manière de consolider l'édi- 
fice impérial, et d'associer à ses intérêts les em- 
ployés les plus humbles achetant de ses dispensa- 
teurs le droit de vivre I 

Ces cautionnements servaient à payer encore les 
indicateurs et les inspecteurs secrets dont la préfec- 
ture ne pouvait avouer les services, dont la ville se 
refusait à subvenir aux dépenses. 

Cependant, en dehors des |800,000 francs affectés 
au service intérieur de la préfecture de police, 
4,917,295 francs étaient déjà engloutis en 1855 
pour le service extérieur de la préfecture. 

Ni les indicateurs ni les inspecteurs n'étaient 
€ompris dans la répartition de ce chiffre assez res- 
pectable. 

Je cite à l'appui une liste de cette époque. Les 
fiommes allouées à tous les employés de la préfec- 
ture, y compris le plus haut grade, sans y mention- 
ner les indicateurs et inspecteurs anont/mes^ y figu- 
rent par l3s chiffres suivants : 

i chef de police municipale, commissaire de police , 

ci 10,000 fr. 

i sous-chef. , 5.000 

a commis en écriture ••.••• 24,000 



6 MÉMOIRES DE MONSIEUR GLAUDR. 

i commissaire de police chargé de la surw 

Teillance des maitons impérialet , . 

(Chiffre laissé en blanc.) 
23 officiers de paix, savoir : 
12 pour les arrondissements, à 3,000 f. 36,000 
4 pour brigades centrales, à 3,5C0 f. 

6 pour la sûreté 

(Chiffre non détaillé), . 

Pour allocation due au service person- 

nel du château 01,QGO 

12 inspecteurs principaux 26jOOO 

54 brigadiers, à 1,800 fr 97,200 

319 sous-brigadiers, à 1,000 fr 510,000 

1 brigadier pour le contrôle 1^800 

2 60U9-brigaidien id«m 3,200 

2,876 sergents de ville, 3,811,200 

261 auxiliaires, à 1.093 fr 286,795 

13 médecins de service 22,700 

Diverses du contrôle général des ser- 

vkes extérieurs de la préfecture 3&,00O 

3,600 hommes, dont les traitements fixes 



sont de 4,917,203 fr. 

Il faut ajouter ce que coûtaient en France les 
hommes non mentionnés sur la liste, dont les émo- 
luments ont été laissés en blanc, dont les noms 
même supposés n'ont pu être retrouvés aux archi- 
ves brûlées à dessein sous la Commune. 

Veut-on connaîlre exactement le chiffre des fonds 
secrets réglés par Napoléon III, sur les rapports 
du directeur de la police politique et sur le rap- 
port de M. B***, le Lebel des Tuileries? Ils étaient 
de 14,000,000 de francs. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 7 

Ces fonds secrets étaient ainsi employés : 

1° A préparer des ovations sur le parcours de 
Leurs Majestés ; 

2* A payer les brigades des Corses chargés de 
veiller sur les émissaires de Mazzini, prêts à venger 
les cent cinquante mille républicains déportés ; 

3® A réchauffer le zèle des provocateurs : 

4° A doubler les milliers d'oreillçs tendues vers 
tout ce qui se disait, tout ce qui se faisait, tout ce 
qui se passait. 

Le cabinet politique, relevant de la première di- 
vision du parquet, avait non seulement son action 
à Paris, mais en province ; il agissait sur tous les 
commissaires de la France, qui rendaient compte 
du mouvement politique de leur département. 

Chaque commissaire central était tenu, par le 
ministre de Tintérieur, de signaler à Sa Majesté les 
hoipmes influents, bien pensants ou les hommes 
dangereux de leur localité, et d'en donner une bio- 
graphie détaillée. 

Grâce à ces indiscrétions, lorsque Leurs Majestés 
faisaient une tournée en province, elles avaient en 
main la vie intime et dévoilée de tous les person- 
nages qui pouvaient leur être présentés pendant le 
cours de leur voyage. 

Plus d'un commissaire central, comme le com- 
missaire d'Orléans, par exemple, débuta par être 
un agent provocateur. On sait comment M. La- 
grange, l'organisateur des blouses blanches, dut sa 
position, après le complot de l'Opéra-Comique. 

J'ai signalé, à propos des indicateurs, leurs 
qualités et leurs noms de guerre; voici de quelle fa- 



8 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

çon ils devenaient, d'agents indicateurs, agents pro- 
vocateurs. 

Par ordre, ces agents se faisaient agréer dans 
une grande fabrique comme ouvriers sous des noms 
d'eni|niint. Ils avaient pour consigne d'être d'une 
exacl..iide modèle dans leur travail. Ils ne devaient 
faire de la politique que pendant les repas et les 
jours de fête. Ils ne se rendaient à la préfecture 
que les dimanches soir, après minuit, pour y re- 
cevoir de nouvelles consignes, de l'argent et y don- 
ner leurs renseignements. Ils payaient à boire à 
tous ceux qui se laissaient embaucher. Une fois 
qu'ils avaient sous la main un certain nombre de 
dupes, ils leur donnaient rendez-vous le lendemain, 
jour fixé pour la ^r a wc?« révolution ou V enlèvement 
de Tempereur. 

Cinquante-sept ouvriers furent arrêtés de la sorte 
par la police, au complot de TOpéra-Comique. Dès 
rinstallalion de V Internationale^ rue des Gravil- 
liers, la composition de son bureau fut dénoncée 
par plusieurs de ses membres. 

Quelquefois, comme à TafTaire des bombes, la 
police de l'empereur était jouée par la police d'Or- 
sini, où les femmes, d'un côté comme de l'autre, 
ne restaient pas au dernier plan, témoins M"* de 
X***, la princesse de G***, l'amante d'Orsini, et les 
deux Anglaises de Mazzini. 

La division politique de la pt'éfecture était, je le 
répèle, en relation constante avec le cabinet se- 
cret des Tuileries. On y apportait les dossiers des 
adversaires de l'empereur qui savait aussitôt leurs 
noms et leurs ambitions. 



HÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 9 

Après l'affaire des bombes, Tempereur, qui con- 
naissail son Machiavel, employa une nouvelle tac- 
tique pour capter ses ennemis qu'il ne pouvait pas 
toujours condamner à mort par les Corses. 

Dans une fabrique, et dans une caserne, il se fit 
conduire vers ces sujets dangereux^ il les décora 
aux yeux de leurs camarades ! Il joua deux fois 
cette comédie, une fois dans une usine de Saint- 
Denis ; une autre fois, à la caserne Saint-Eugène, 
après le vote du plébiscite. 

^ Des facteurs de la poste étalent aussi enrôlés 
dans la police secrète. Leur service consistait à li- 
vrer à des concierges, indicateurs comme eux, les 
correspondances qui leur étaient recommandées. A 
chaque distribution, ils pénétraient dans la loge in- 
diquée, y laissaient les lettres pour ne les reprendre 
qu'à la distribution suivante. 

Dans l'intervalle , le concierge les portait à un 
inspecteur qui les ouvrait, les lisait, les copiait 
pour l'instruction de Sa Majesté. 

A l'aide du secret des lettres violées, tous les 
conspirateurs de Londres, tels que Kelche et d'au- 
tres, en accourant vers la France pour tuer l'empe- 
reur, furent tués tous les premiers par les Corses 
mis en éveil par ce décachetage de lettres. 

Lorsque la préfecture de police , sous le règne 
de M. de Maupas, devint le ministère de la po- 
lice, U y fut joint un bureau spécial et permanent 
de correspondances politiques. 

Les correspondants étaient payés sur les fonds 
secrets. Il étaient chargés de faire passer aux jour- 
naux étrangers des nouvelles qui, par leur impor- 
lu. 1. 



iO MÉMOIKES DE MONSIEUR CXAUI>6. 

tance, ne pouvaient figurer du premier coup dans 
les journaux français. 

là' Indépendance Belge et d'autres feuilles rece* , 
vaient, par voie indirecte, les nouvelles de ces ré- 
dacteurs Policiers, 

j C'étaient autant d'indiscrétions imaginées par 
l'esprit inventif de l'Empereur pour tâter l'opinion. 

Je me rappelle l'indignation d'un rédacteur can- 
dide, qui s'était rallié à cette époque à l'Empire 
naissant, moins par conviction que par force ! 

Il s'indigna dans sa feuille des indiscrétions du 
Château ! Il cria à la trahison sans se douter du 
subterfuge de César se trahissant lui-même ou se 
faisant trahir par sa police pour mieux tâter l'opi- 
nion. 

M. de Maupas, furieux contre ce rédacteur de 
bonne foi, le prit pour un traître dénonçant la po- 
lice. Il le fit appeler et il faillit le faire déporter. 

Par l'organisation de cette surveillance taquine» 
ombrageuse et défiante, les fidèles soutiens de l'em- 
pire n'avaient pas leurs aises. Eux-mêmes étaient 
filés. 

C'était l'opposition qui profitait de ce double 
espionnage exercé contre ses ennemis. 

Une fois , c'était Persigny surpris doimaiit sa ' 
main à GJais-Btzoin, en haine de M. Ro^iher. 

Une autre fois, c'était Rouher recevant les con- 
fidences de Vermorel, en haine de Persigny rallié 
aux ministres de la nouvelle cause impérialiste. 

Le directeur de la sûreté générale fut lui-même 
filé, quand ^ après l'affaire des bombes, les Corses 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 11 

de Piétri durent céder le pas à ceux qui les avaient 
délogés de la préfecture. 

A ce sujet, on vit Griscelli n'échapper aux repré- 
sailles impériales dont il avait été rinstrument, 
qu'en se sauvant en Italie, en se ralliant à TAu- 
triche pour esquiver, lui un Corse, la vendetta de 
ses anciens soldats. 

C'est assez m*occuper des abus de la police se- 
crète que les gouvernements précédents avaient 
pris à tâche de faire disparaître, et que i*empire 
rendit plus odieux par la faute, et la très grande 
faute de sa sanglante origine. 

Pour ma part, je ne cesserai de le répéter, quoi- 
que j'aie été plus atteint que les antres par les ad- 
versaires de Tempire, j'ai toujours été innocent de 
ces violences, de ces vilenies, de ces lâchetés. 

Chef de la police de la sûreté, je suis resté 
dans la sûreté pour n'y voir d'autres ennemis que 
les voleurs et les assassins, pour ne considérer 
l'homme politique, que j'étais chargé d'arrêter, 
que comme un adversaire de l'ordre, de la lib^erté 
ou du repos public. 

Dans mon administration, je n'ai eu qu'un souci « 
l'épurer, afin de répondre à tous ceux qui ju- 
gent la police coorme l'empereur l'a toujoors ju- 
gée, avec l'esprit de Vidocq ! 

Les lecteurs ont pu se convaincre, par m^ réfor^ 
mes, comme par mes actes, que j'ai tenu à faire 
oublier à la sûreté son origine, que je me «nis tou- 
jours appliqué à me rendre digne des services que 
la société est en droit d'attendre d'elle. 

Par mes efforts, par ceux de mes devanciers, la 



12 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

police de sûreté n'est pas ce qu'elle était, c'est au- 
jourd'hui une vaste et active administration unis- 
sant la droiture à Thabileté. 

Exercée par des gens aussi honorables que dé- 
voués, elle est la sauvegarde, Thonneur et la sécu- 
ri lé lies familles ; elle continue, malgré l'empire, 
les saines traditions d'Allard et de.Ganler qui avaient 
fait justice, avant moi, des errements et des odieux 
eopliismes de Vidocq I " 

Autant que possible j'évitai, dans mon service, 
la provocation; cette arme perfide et lâche engen- 
dre les plus terribles colères; elle fait de ses victi- 
mes d'implacables vengeurs pour l'avenir. 

Les horreurs de la Commune ne l'ont que trop 
prouvé ! 

EL si moi, chef de lu. police de sûreté, j'ai été 
sous la Commune l'objet des représailles des ad- 
versaires de l'empire, c'a été parce que l'on ne sut 
pas faire la différence entre un palicier comme 
moi et un policier purement politique. 

La police de sûreté dont j'ai été le chef pendant 
plus de vingt ans est de date si récente qu'on l'as- 
simile encore à la police pure et simple. Il n'en 
Cât rien. 

Créée en 1817, la police de sûreté n'est instituée 
que pour réunir en un seul corps des brigades qui 
n^ont qu'une spécialité : poursuivre le vol, le crime* 
et déjouer toutes leurs ruses. 

La police de sûreté reste immuable dans les ré- 
volutions qu'elle traverse uniquement pour veiller 
à la sécurité des citoyens, protéger leurs biens et 
sauvegarder leur existence- 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 13 

Un chef de la sûreté doit ètrb maitre de tout» ses 
hommes. Il doit surtout s'appliquer a centraliser 
leurs actions pour mieux tirer profit de leurs ren- 
seignements. 

Il faut qu'il joigne, à une vive imagination, un 
coup d'œil sûr afin de diriger d'une manj^ère triom- 
phante les chasseurs lancés sur un gibier. 

Il faut qu'il inspire, ce qui semble impossible, au- 
tant de sympathie à l'inspecteur qui lui rabat son 
criminel, qu'au bandit dont la capture est appelée 
à lui amener celle de tous ses complices. 

Ces qualités, je me suis efforcé de les acqué- 
rir dans mon service si fatalement réorganisé par 
l'empire personnel. 

Je le puis dire avec orgueil, à l'exemple d'un 
préfet républicain qui surgit également d'une révo- 
lution : Dans mon service, j'ai fait aussi de l'ordre 
avec du désordre I 



CHAPITRE II 



LE NABAB AUX CINQ FEMMES 



Un jour, j'élais invité par un étrange^^ archî- 
millionnaire, à servir de témoin au mariage qu'il 
contractait avec une jeune fille de Saint-Germain. 

Cet étranger, de retour d'Egypte et des Indes, 
ne connaissait personne en France. Agé de près 
de cinquante ans, il épousait une demoiselle de 
dix-sept ans, dont l'éclatante beauté avait séduit 
mon nabab. 

La mère de cette enfant était la veuve d'un homme 
qui n'avait jamais eu plus de préjugés que son 
épouse et son enfant. 

Cet homme , un ancien saint- simonien, avait été 
très lié avec le père Enfantin et des rédacteurs du 
Siècle, Malgré la courte échelle que lui avaient 
faite ses amis arrivés, il était mort dans la misère. 

La passion du jeu l'avait jeté à la dérive pen- 
dant que l'état-major du père Enfantin, dont il 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 15 

avait fait partie, était parvenu, sous Fempire et par 
le patronage du* plus utopiste des empereurs^ au 
faîte de la richesse et des honneurs. 

La veuve du saint-simonien, pour ne pas mourir 
de faim, avait consenti à sacrifier au nabab et sur 
Tautel de sa fortune, son enfant qu*un amour con- 
trarié obligeait du reste à ce sacrifice. 

Il fallait que le nabab fût bien étranger à nos 
préjugés, à nos usages pour me prendre comme té- 
moin de son mariage. 

Il est vrai que j'étais devenu son ami après un 
immense service que je lui avais rendu. 

Voici dans quelle circonstance : 

Mon nabab, un des favoris du vice-roi d'Egypte, 
exploitait au compte de son fils plusieurs fabriques 
en Italie et en France. Il possédait, entre autres, en 
Alsace une filature modèle, qui avait été régie par 
un Allemand très rangée originaire de Bade. 

Le parquet avait reçu une plainte du nabab con- 
cernant son allemand, un nommé M**'^, qui s'était 
enfui à Paris, après avoir laissé dans la fabrique 
d'Alsace un déficit non motivé de plus de 350,000 fr. 

Aussitôt, je m'étais mis en campagne pour faire 
filer le nommé M***. 

Après avoir envoyé en Alsace un de mes adroits 
limiers chargé de faire la liquidation de la fabrique 
ravagée par ce commis infidèle, je n'avais rien né- 
gligé à Paris pour constater son identité, pour con- 
naître les antécédents de ce voleur, avant de le rat- 
traper moi-même. 

Je ne tardai pas à connaître que le nommé M*** 
était un récidiviste^ employé cinq ans auparavant 



46 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

chez un négociant en soieries, de Paris, comme 
comptable, et qu'il avait déjà fait parler de lui. 

A cette époque. M*** était chargé pendant Theure 
des déjeuners de son patron de recevoir le recou- 
vrement opéré par les garçons de recette. Il ac- 
jcusait alors sur les livres des sommes inférieures à 
celles reçues; le reste, il le mettait dans sa poche I 

Ce ne fut qu'en vérifiant les livres du compta- 
h\e qu'on s'aperçut, longtemps après, de toutes ses 
soustractions volontaires. 

Quand on s'en aperçut, le comptable avait eu l'art 
de détourner une somme de vingt mille francs. Un 
mandat d'arrêt ayant été lancé contre lui, il avait 
'été arrêté à Tun des deux domiciles qu'il occupait. 

Gomme M. M*** n'était encore qu'à son coup 
■d'essai; comme il avait rendu une partie des fonds 
soustraits, il n'avait pas été chargé par son patron , 
et il n'avait eu que le minimum de la peine. 

Il se réservait pour un coup de maître. 

Très actif, très adroit et très laborieux. M***, 
qui ne pouvait plus exercer à Paris, se rendit en 
Alsace ; là il se fît agréer auprès du nabab, étran- 
ger au passé de ce commis infidèle. 

De comptable, à la maison de soieries de Paris, 
M*** passa caissier à la maison d'Alsace, où il em- 
ploya divers procédés pour masquer ses nouveaux 
détournements. 

D'abord il antidatait les payements et placements, 
et n'inscrivait que très tard les rentrées. Il forçait 
les chiffres des dépôts à la Banque. Il avait, en ou- 
tre, tout un roulement de billets de complaisance, 



MI^rjOIUES DE MONSIEUR CLAUDE. 17 

avec lesquels il remplaçait les valeurs dont il tou- 
chait le montant. 

Gomme il possédait la signature sociale du na- 
bab que son auguste associé ne pouvait avouer au- 
trement que sous un nom d'emprunt, il en abusait 
pour lancer sur les capitales de TEurope des trai- 
tes fausses. Il couvrait un faux par un autre, à me- 
sure qu'il fallait combler un déficit qu'il aggravait 
toujours I 

Quand le nabab s'en aperçut, il y avait près de 
600,000 francs de fausses traites en circulation. 

Alors, mon étranger signala au parquet l'abus 
de confiance de son caissier. 

Sur le reçu de sa plainte, j'envoyai, comme je l'ai 
dit, un de mes agents, très bon comptable, en Al- 
sace. Il fut chargé de compulser les livres et la 
comptabilité, pendant que je mettais la main , à 
Paris, sur le caissier en train de placer en lieu sûr 
350,000 francs absolument disparus de la caisse de 
son patron. 

Cette somme importante retourna au nabab, 
lorsque son voleur croyait à jamais en rester pos- 
sesseur. Les six cent mille francs en circulation, 
que mon agent arrêta à temps au profit de la 
caisse du nabab, devinrent des titres suffisants pour 
que je possédasse la reconnaissance et l'amitié du 
/nillionnaire, futur mari de la belle fille de Saint- 
Germain. 

Je me rappelle encore à Saint-Germain les sin- 
gulières impressions que fit sur moi le tableau du 
mariage de cette jeune fille et du nabab, étrangers 



13 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

l'un à J'aulre, unis par le hasard, par le caprice et 
la cupidité. 

Le mariage se fît dans un temple protestant; 
le nabab, pressé de convoler avec la jeune per- 
sonne, n'avait pas eu le temps, disait-il, de faire 
venir ses papiers d'Angleterre par l'intermède de^ 
son 'consul en Egypte. 

La demoiselle, de son côté, qui se mariait par dé- 
pit, n'avait pas attendu la cérémonie civile à la 
mairie. Elle s'était contentée de la cérémonie reli- 
gieuse, réduite, à l'autel protestant, à sa plus sim- 
ple expression. 

Les quelques invités de la noce assistèrent à une 
messe dite en anglais par un ''prêtre tout botté, 
recouvert d'une étole d'une fantaisie plus que gro- 
tesque. 

Le repas se fit au Pavillon Henri IV. 

Le marié était grave et silencieux comme un 
brahmine; la jeune épouse était triste comme une 
veuve du Malabar. 

Les parents du nabab : une Anglaise rogue, 
sa mère , puis deux vieilles filles, sèches et lon- 
gues, avec des allures de quakeresses et de femmes 
de chambre, complétaient le tableau que dominait 
la mère de la jeune sacrifiée, une sorte de bas-bleu 
doublé de cocotte ! 

Aucun entrain, même au Champagne, ne se ma- ' 
nifesta dans ce repas qui avait plutôt l'air de pro- \ 
venir d'un enterrement que d'une noce. 

Après le festin qui se termina à la hâte comme 
la cérémonie au temple, les voitures vinrent cher- 
cher les invités pour faire le tour de la forêt; je de- 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 19 

vinai bientôt les causes de toute cette tristesse. 

La mère de la jeune épouse essuyait en cachette 
les larmes de sa fille, qui regrettait vivement un 
autre, au moment de se jeter dans les bras du for* 
tuné ou de l'infortuné nabab. 

Je n'étais pas au bout de mes surprises, en assis- 
tant à ce singulier mariage. 

Il est vrai que si j'avais accepté de figurer à cette 
cérémonie par trop irrégulière, c'était uniquement 
dans un intérêt professionnel. 

Les vols qui gravitaient autour de ce nabab ro- 
manesque en faisaient pour moi l'objet d'une cu- 
rieuse étude . 

Je me doutais bien que cet étrange mariage ne 
pouvait avoir que des péripéties aussi origirjales 
que scandaleuses qui sont le but de la vie d'un 
policier comme d'un romancier. 

Une fois enfoncé dans la forêt, en compagnie de 
la mère du marié et de ses deux aimables An- 
glaises , froides et guindées comme des horse- 
guards, je fus abandonné dans la calèche à la 
merci de mon automédon. 

Les trois dames, d'après ce que j'en avais jugé 
durant le cours de la cérémonie et du repas, n'a* 
vaient pas l'air ravi du mariage de leur fils et 
frère. Elles avaient hâte de se communiquer leurs 
impressions, loin d'un importun , d'un étranger 
comme moi. 

Une fois engagées, dans la forêt, elles s'étaient 
empressées de me lâcher pour donner un libre cour» 
à leurs doléances. 

Je me trouvai donc seul dans la voiture que 



:20 MEMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

mon malin cocher semblait avoir pris plaisir de 
Jtenir à distance du cortège. 

Moi qui, par état et par goût, ai toujours aimé la 
solitude, j'étais heureux du volontaire abandon 
dans lequel on me laissait. 

Encore une fois, comme il m'est arrivé souvent 
•dans mon métier, dont les résultats heureux ont été 
jdus bien plus au hasard qu'à mon esprit d'analyse 
«fit d'investigation, le hasard me servit merveilleu- 
sement. 

Dès queje fus livré à mul-mème, je levai par dis- 
traction les yeux sur le cocher qui me conduisait. 

Que reconnus-je bientôt? un tout jeune homme, 
un affreux voyou, qui d'abord chercha à me dissi- 
muler son visage, ce qui lui était facile dans sa po- 
sition de cocher. 

Mais celte persistance, cette affectation même 
à me tourner constamment le dos n'avait fait qu'ir- 
riter ma curiosité. 

Impatienté déjà des mystères dans lesquels je 
ji'étais que trop plongé, je m'étais levé de ma ban- 
quette pour me précipiter de côté contre mon co- 
cher pour bien le dévisager. 

Que vis-je? un mauvais garnement que quinze 
jours auparavant j'avais trouvé à la Permanence^ 
aramassé par un sergent de ville , et conduit au 
Dépôt en état de vagabondage. 

Ce petit misérable qui, plus tard, à Saint-Ger- 
main, couronna sa détestable existence par un 
«crime qui l'envoya àl'échafaud, n'était, à cette épo- 
que, qu'à l'état rudimentaire du vice et du crime. 

A cette époque, il n'avait encore été condamné 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 2f 

qu'à huit jours de prison pour vagabondage, après 
s'être obstiné à nier son nom et sa profession. 

Quand il devina que je Tavais reconnu, il me sup- 
plia de garder le secret, d'être généreux vis-à-vis de 
lui dans l'intérêt de sa place. 

Je le lui promis. Du reste, il avait fait son temps, 
il avait payé sa dette à la justice, je ne me com- 
promettais pas beaucoup en lui faisant cette pro- 
messe. 

Lorsque je la lui eus faite, lesj dames ne revin- 
rent pas, il me dit, à la suite de notre reconnais- 
sance : 

— Monsieur le policier, si vous êtes venu ici pour 
savoir ce que vaut l'aune de ce Mariage à la 
colle^ je puis vous servir, échange de bons pro- 
cédés. 

J'étais trop intrigué par tout ce que je voyais 
pour ne pas répondre à sa proposition qui me pro- 
mettait, de la part de ce chenapan, de précieux dé- 
tails sur cette union qu'il qualifiait dans son langage 
aussi expressif que trivial de : mariage à la colle. 

Voici ce qu'il m'apprit I 

Le garnement, attaché les jours fériés à un loueur 
de calèche, remplissait aussi à Saint-Germain de- 
puis quelque temps l'emploi de domestique et de 
palefrenier, auprès du nabab. 

Un mois ne s'était pas écoulé depuis que son maî- 
tre faisait un cour assidue à la jeune fille de la veuve 
du saint-simonien, qu'il avait reçu la visite d'une 
dame italienne. 

Le domestique du nabab avait écouté dans une 
pièce à côté le curieux entretien qjie le riche mil- 



22 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

lionnaire avait eu avec cette dame inconnue, deux 
jours auparavant. 

Mon autooiédon eut tout le temps de me rappor- 
ter cet entretien, pendant que les dames qui m'a- 
vaient abandonné s'entretenaient sans doute, vu la 
circonstance, d'un sujet à peu près semblable. 

La visiteuse était tout simplement, selon mon 
cocher, la seconde femme du nabab. Mariée depuis 
vingt ans avec cet homme, elle l'avait quitté lors- 
qu'elle avait appris qu'il avait abandonné l'Angle- 
terre en fuyant déjà sa première femme. 

Dans cette entrevue, mon cocher avait distincte- 
ment entendu cette seconde délaissée dire au na- 
bab, « qu'elle aurait agi volontiers comme sa pre- 
mière femme, ne désirant jamais entendre parler de 
lui, si ellp n'avait pas eu deux enfants de lui.» 

Le nabab n'avait pu se débarrasser de cette 
gêneuse^ qu'en sortant deux bourses de ses coffres, 
car, selon l'habitude orientale, sa fortune, ses biens 
les plus précieux étaient renfermés dans des coffres 
qui voyageaient toujours avec lui. 

A la vue des deux bourses d'une dimension respec- 
table, la seconde délaissée s'était calmée, non sans 
avoir raconté à son infidèle une partie de sa vie 
aventureuse qui ne devait pas être d'un heureux 
augure pour la nouvelle femme de ce Barbe-Bleu. 

D'après le dire de mon cocher qui n'avait pas 
perdu un mot de r^iiZ/îawt récit de la seconde dé- 
laissée, ;"mon nabab n'en était pas, en convolant 
avec la jeune fille du saint-simonie n, à son troi- 
sième mariage pour rire. 

Après avoir alors abandonné l'Angleterre et sa 



HÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 23 

première femme, il éliait allé convoler en Italie ; Ut 
il a'avait pas tardé, après avoir fait tous les rné* 
tiers, en Italie, à partir pour TEgypte en abandon- 
nant sa nouvelle famille *à la garde de Dieu. 

C'était ici, d*après les révélations de Tltalienne, 
que la destinée du nabab prenait une tournure 
tout à fait fantastique. 

Arrivé en Egypte, sans ressources, comme il était 
parti d'Angleterre, laissant deux femmes et deux 
enfants derrière lui, il n'avait pas perdu Tespoir de 
faire fortune, ni de les partager avec une autre 
femme. 

On était à Fépoque où la photographie tour- 
nait la tète à tout le monde, quoique en la fixant 
sur un objectif. Notre nabab se fît photographe. 

Il alla au Caire porter le fruit de l'art perfectionné 
par Niepce de Saint-Victor, il y fonda un .établis- 
sement qui fit l'admiration universelle. La vieille 
terre des Pharaons tressaillit sous les pas de cet 
ami du soleil. Il fut appelé à la cour du vice-roi où 
il eut l'insigne honneur de faire le portrait de 
l'auguste prince, de son fils et de toute sa cour. 

Après la cour, ce lut au tour des monuments. 
Le nabab fut comblé de présents en raison de ses 
services aussi ingénieux qu'attrayants. 

L'Anglais tenant cette fois la fortune ne la lâcha 
pas. 

Non content avec l'or du vice-roi dont il était 
devenu le favori, de fonder en Egypte des établis- 
sements industriels, des forges, des filatures, des 
usines dont la fumée vînt sécher les sphinx et 
noircir les pierres du tombeau de Sésostris, il 



24 KÉHOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

acheta au compte du fils du vice-roi, des établisse- 
ments en France, en Grèce, en Italie. Il remua des 
millions. 

On a vu en Alsace ce que devint Fun de ses éta- 
blissements exploités par Tallemand M***, delui-ci 
abusa de la signature sociale en opérant à son pro- 
fit un détournement de six cent mille francs. 

Le misérable se croyait sûr de Timpunité parce 
qu'il espérait que son Anglo-Egyptien n'avouerait 
jamais qu'il faisait travailler la France au compte 
du vice-roi d'Egypte ! 

Il comptait sans la police de sûreté qui, an pro- 
fit de rhonnèteté absolue, respecte toutes les déli- 
catesses et tous les secrets. 

Tout est heur et malheur dans la vie des aven- 
turiers. 

Quelques années avant le tour du coquin que j> 
remis entre les mains de la justice, le nabab, qui 
s'éprenait autant de la beauté que de la fortune, 
aussi capricieuse qu'une fille d'Eve, s'éprenait en 
Egypte d'une jolie esclave. 

Il l'associa à son opulence. Elle fut la reine de 
ce favori des descendants des Pharaons ! 

Par malheur, le vice-roi s'éprit de sa nouvelle 
femme. 

Pour éviter une disgrâce, il abandonna l'Egypte 
avec la souveraine de ses pensées. Il laissa cette 
dernière à son souverain, pour ne garder que les 
millions de son pays hospitalier. 

Plus fidèle à la fortune qu'à ses femmes, il ga- 
gna les Indes. 

La il entreprit en grand le commerce des thés. Il 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 25 

tripla, quadrupla ses millions pendant que ses deux 
veuves, l'anglaise et Titalienne, mouraient presque 
de misère, Tune à Londres, Fautre dans une petite 
ville d'Italie. 

Aux Indes, il épousa une Indienne d'une mer- 
veilleuse beauté. Las de la vie morne et endormie 
des Asiatiques, il s'embarqua pour lEurope. 

En route son Indienne mourut de la nostalgie de 
r Orient. 

Un moment il pensa retourner en Angleterre ; il 
se rappela sa première femme. Il préféra gagner 
Marseille. 

A Marseille, son Italienne, avertie de son retour 
par les journaux, lui opposa une de ses filles qui 
lui tendit les bras ; il détourna la tête. 

11 quitta aussi Marseille, après y avoir traité- 
des intérêts qu'il avait, soit en Italie, soit en Grèce 
et en France. 

Puis il se dirigea sur Paris pour jouir en paix de 
ses trésors et les partager, si le cœur lui en disait^ 
avec une cinquième épouse I 

Après avoir mené à Paris la vie la plus fastueuse 
au milieu des hétaïres les plus à la mode, il se re- 
tira à Saint-Germain. 

Il y rencontra la fille du saint-simonien. Elle 
exerça une nouvelle influence sur cette organisation 
inquiète, puissante, active dont la fixité n'était pas 
plus possible que la découverte du mouvement 
perpétuel dont sa nature était l'image. 

Voilà ce que j'appris en partie du cocher de Saint- 
Germain. 

Il tenait ces détails, comme je l'ai dit, de l'Ita* 

IIL 2 



26 MÉMOIRES DE MONSIE^JR CLAUDE. 

lien ne qni^ au nom de ses enfants, Favait pourchassé 
de la ville des Phocéens jusqu'à Saini-Oermain, en 
apprenant encore la nouvelle de son cinquième ma- 
riage. 

Mais le nahab, pour la faire taire, sortit de ses 
coffres les deux bourses, Tltalienne se résigna. 

Et en partant elle avait dit au nabab, toujours 
d'après le dire de mon cocher : 

— J'accepte votre aumône ! Ce que je tiens à 
posséder, c'est moins votre personne, que le pain 
que je ne puis donner à mes enfants ! Car vivre avec 
vous, c'est vivre avec la colère de Dieu. Vous ai- 
mer n'est qu'un châtiment ! Je plains donc votre 
nouvelle victime ! 

Mon automédon ne put m'en dite plus long, les 
trois Anglaises qui m'avaient abandonné, revenaient 
vers la calèche. 

Elles avaient le teint animé par une longue con- 
versation qui, j'en étais sûr, avait dû rouler sur 
le sujet dont j'avais été moi-même entretenu par 
le traître. 

Je devinais à l'air placide et guindé que respi- 
raient mes Anglaises, en se plaçant à côté de moi 
dans la voiture, qu'elles étaient à cent lieues de 
penser que j'étais au courant du fantastique passé 
du nabab, grâce à son cocher dont je connaissaiis 
également les débuts peu édifiants 1 

Je dirai bientôt ce qu'était aussi ce jeune in- 
discret. 

Il devait devenir par la suite un des types les pluv 
curieux et les plus célèbre des héros de cour d'as4 
sises; Encore une fois c'était. le hasard qui me l'a- 



MÉMOIRES I>B MONSIEUR CULUm. 27 

\raît fait rencontrer au profit de ma réputation 
et, ce qui valait imeux, dans Fintérèt de la société. 

D après ce que j'avais appris sar le compte du na- 
bab, je ne tenais pas à rester plus longtemps au 
milieu de cette noce où je faisais, à Texempie de 
tous les assistants, une assez triste figure. 

Insupportable aux invités comme les invités l'é- 
taient à eux-mêmes, je quittai Saint-Germain de 
bonne heure, laissant cet heureux couple aux joies 
de leur nouvel hyménée. 

Pendant six mois je n'entendis plus parler du na- 
bab, ni de sa cinquième épouse. 

Je devais en entendre parler une dernière fois par 
la mère de la nouvelle épouse. 

Un jour elle vint me trouver à mon cabinet; elle 
était tout éplorée. 

Devant sa douleur, je me rappelai les confidences 
que m'avait faites mon automédon de Saint-Ger- 
main; je m'attendis à entendre la suite du récit 
des drames de ce Barbe-Bleu oriental. Je me trom- 
pais. 

La veuve du saint-simonien venait simplement à 
)|moi pour se plaindre d'an vol dont elle avait été 
ffytciime dans sa maison de Saint-Germain. 
V) — Et qui soupçonnez-voos? lui demandai-je, fort 
contrarié, car ma curiosité était déçue, 
f — Celui qtie je soupçonne, me répondit-elle, est 
précisément le vaurien qui a été un moment le do- 
mestique du premier époux de ma pauvre fille l 

— Gomment! m'écrîai-je, heureux de revenir sur 
la voie de mes informations tant désirées, le premier 
époux de mademoiselle votre fille? Il est donc 



^8 MÉMOIRES D£ MONSIEUR CLAUDE. 

mort? mais, s'il est mort, votre demoiselle, au bout 
de six mois, n'a pas pu déjà le remplacer? 

— Mais, me répondit avec vivacité cette nouvelle 
Épicharis, ma filJe n'a jamais été mariée à ce na- 
bab, comme on l'appelle! C'est un intrigant, un 
monstre qui se plaît, depuis vingt ans, fort de ses 
millions, à courir les cinq parties du monde pour 
abuser les familles, pour ruser avec les lois de tous 
les pays. Ah ! monsieur, j'en ai appris de belles 
sur son compte! Ses épouses, dont il a soin de ne 
jamais faire légaliser l'union, m'ont révélé trop 
tard ses épouvantables menées! Elles ne pouvaient 
abuser que moi, une veuve sans expérience, sans 
conseils ! Ma fille a bien souffert pendant six mois 
•qu'elle a attendu en vain la consécration légale de 
son mariage! Durant ces six mois, luiena-t-il fait 
voir, l'infâme ! Il a battu ma fille, oui, monsieur, 
il l'a battue! Vous croyez peut-être qu'elle trou- 
vait une compensation dans sa richesse ? Eh bien ! 
non ! L'infâme, dès le second mois de son union, 
lui a refusé jusqu'au nécessaire ! Par un raffinement 
•de cruauté, il sortait de ses coffres ses étoffes les 
plus précieuses, ses bijoux les plus Jrares, unique- 
ment pour les lui montrer, et pour la narguer 
avant de les donner à des filles! 

— Peut-être, lui répondi^rje oubliant à dessein 
l'objet de la visite de la mère de cette infortu- 
née, peut-être le nabab, pour tenir une semblable 
conduite vis-à-vis de votre enfant, avait-il un motif 
de jalousie. Il n'y a pas d'effet sans cause. 

— Peut-être, monsieur, vous avez raison, car il 
'est jaloux, ce tigre! Il ne pardonnait pas à ma fille le 



HÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 29 

rival qu'il avait supplanté. Cependant, je vous le 
jure, il n'y avait rien entre ce jeune homme, le 
fils de Tami de mon mari, et ma fille, une vierge, 
avant qu'elle devienne la martyre de ce monstre I 
Enfin, Dieu merci, tout cela a fini comme un mau- 
vais rêvel Mon enfant n'étant pas wari^^ avec cet 
ogre orientai, a pu le quitter quand lui-même s'est 
•décidé à quitter la France. Maintenant mon enfant 
€st mariée, bien mariée avec le fils de l'ami de mon 
pauvre mari. Les époux sont passés en Afrique ! Et 
«Qoi, hélas I isolée à Saint-Germain dans une maison 
doublement vide, vous me voyez en butte à de nou- 
veaux malheurs. Je suis obligée de recourir à la 
police pour me préserver d'un malfaiteur d'un nou- 
veau genre. Le nabab a déshonoré ma fille, son 
palefrenier, sans place depuis le départ de ce mons- 
tre, n'a rien eu de plus pressé que de me dévaliser 
pour se payer des gages que lui devait le nabab. 
Car ce Sardanapale n'est pas que libertin, malgré 
âa fortune et 'quand ses passions ne sont pas en jeu, 
c'est le plus cancre des hommes. 

Je congédiai bientôt la dame en lui assurant que 
sur une plainte qu'elle devait adresser elle-même au 
procureur impérial, je ferai ce que ma sympathie 
pour ses malheurs, ce que mes devoirs me com- 
mandaient pour avoir raison de son dernier voleur 
comme le vengeur de sa fille avait eu raison de son 
suborneur. 

La dame me quitta en me faisant, à travers des 

larmes, le plus gracieux sourire. Cette Ariane était 

encore très séduisante; elle n'avait pas abdiqué ses 

droits de jolie femme. Nature intrigante, exaltée, 

III. 2. 



30 KÉHOIRES DE MONSIEtR CLAUDE. 

très âpre au gain, malgré ses excentricités de carac* 
tère, elle avait sacrifié naguère Tamour de sa lille* 
pour le fils de Yami de son mari, en vue de Tim- 
mense fortune de nabab. Dès qu'elle avait compris 
qu'elle s'était grossièrement trompée, elle avait tout 
fait pour renouer tme union brisée par elle. Le na- 
bab s'en était aperçu , il avait usé de représail- 
les. Encore une fois, il était parti en oubliant le 
ehemîn [de la mairie ; i! s'était arrêté sur la route 
du temple .qui lui avait suffi pour posséder sa 
femme sans en être le véritable mari... devant la 
loi. 

Un autre, trop épris pour n'être pas encore très 
heureux de son sacrifice, avait achevé ce qu'avait 
commencé le nabab. 

Cependant ce galant vengeur n'avait pas poussé 
l'héroïsme jusqu'à braver Topinion. Il avait em- 
mené sa nouvelle épouse, échappée des bras du na- 
bab, jusqu'en Afrique, honteux de sa belle-mère, 
responsable de tous les malheurs, de tous les ou- 
trages, de toute la honte de sa fille. 

La veuve du saint-simonien, frappée par l'aban- 
don de son enfant et par le mépris de son gendre^ 
n'était pas assez punie. 

Un voleur était venu jeter le trouble dans sa soli- 
tude pour lui voler ses objets les plus pré3ieux ! 

Voilà ce que j'appris quand le parquet me fit re- 
mettre, par le ministère du substitut du procureur 
impérial, la plainte de la mère de Vex-épouse du 
nabab. 

Cette mère, celte ex-saint-simonienne, malgré 
les excentricités qu'elle tenait de sa nature et da 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLVUDE. 3f 

fmilieu dans lequel elle vivait, était restée d'une 
très grande naïveté. 

Elle avouait, sans s'en rendre compte , tant elle 
était imbue des doctrines matérialistes de ses amis , 
les relations intimes qu'elle avait pu avoir avec 
l'entourage de son mari, aux mœurs faciles et an- 
tibourgeoises. 

Je compris que le nabab devait avoir eu facile- 
ment raison de cette mère jetant sa fille dans ses 
bras dans l'unique intérêt de son avenir. 

Je compris aussi que devant une pareille belle- 
mère, le nouvel époux de sa fille sacrifiée mit entre 
elle et lui les Pyrénées, les Espagnes et jusqu'à la. 
Méditerranée 1 

Quant à moi, personnellement, je n'avais pas à 
me plaândre d'avoir connu la saint-simonienne et 
le Qabab aux cinq femmes. Ils allaient lu'aider dans 
mes recherches sur l'homme qui, jusqu'alors, n'a- 
vait joué qu'an rôle secondaire dans toute cette his- 
toire : le cocher de Saint-Germain, le palefrenier 
du nabab, qui devint * plus tard un assassin fa-> 
meux. 



CHAPITRE m 



LES CHEYAUERS D INDUSTRIE ET LES PICKS-POCKETS ; 
LES ASSOMMEURS ET LES TOUCHEURS 



J*ai déjà parlé, au sujet des voleurs, de leurs di- 
verses catégories; je crois qu'il est utile d'étudier 
de plus près leurs subdivisions. 

Il est un fait à constater, depuis que le progrès 
marche et que le doute met de plus en plus Tanar- 
chie dans les esprits, c'est cfae le criminel prend une 
place plus grande et plus dangereuse dans la so- 
ciété . 

Les voleurs de bonne compagnie s'implantent 
presque avec impunité dans le monde légal, les 
bandits vulgaires atteignent un degré de férocité 
qui indique que l'extrême civilisation touche à l'ex- 
trême barbarie. 

L'Empire n'a fait que précipiter, par ses débor- 
dements, l'élan donné à la corruption contre la- 
quelle on tonnait déjà sous le règne du plus honnête 
des r^is. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

En ma qualité de chef de la police de sûreté, j'ai 
été à même de constater Timportance que prend la 
classe si nombreuse des chevaliers d'industrie, de- 
puis que les auteurs des coups d'État sont sortis 
de la légalité pour consacrer les droits des crimi- 
nels ! 

Ce n'est plus que dans les bas-fonds de la société 
qu'on retrouve des forcenés habitués, depuis 1848, 
à considérer les gens de la police comme des bour- 
reaux qu'il faut tuer pour ne pas être tués. 

Au bas de l'échelle sociale, les bandits assomment 
les soutiens de l'ordre par vengeance, tandis que 
les chevaliers d'industrie achèvent de corrompre 
les hautes classes en se mêlant à leurs vices pour 
s'en faire une égide et se protéger de leurs infamies. 

En 1860, il suffît'de parcourir les journaux pour 
cortstater que tous les criminels de la rue se tour- 
nent contre les sergents de ville, quand ils ne peu- 
vent exercer leurs férocités contre leurs victimes 
défendues par les agents . 

Il est vrai qu'à cette époque, les sergents de ville 
étaient pour la plupart des Corses, étrangers à Pa- 
ris, et très antipathiques à la population. 

C'est aussi dans ce temps-là qu'on vit certains dé- 
fenseurs de l'ordre, représentés par des gens titrés 
«t tarés, qui devaient figurer plus tard en cour d'as- 
sises. 

Quelle que soit l'opinion de tel ou tel parti, il est 
un fait incontestable, c'est que depuis vingt ans le 
nombre des scélérats s'accroît dans des proportions 
inouïes, c'est que le rôle du bandit prend une im- 
portance inquiétante. 



34 MÉMOIRES DE! MONSIEUR CLAUDE* 

Le chevalier d'iadustm est devenu aujourd'hui 
un homme du oaoade. 

Les aalon«^ parisiei» ont beaucoup de peine à s'en 
purifier; les e«rcles étrangers, les villes d'eaux, où 
se porte la ha»te sc^iétéy. ne peuvent déjà plus en 
combattre la fâcheuse contagion. 

Quant aux pkks-poehets qui, maintenant, fran- 
chissent les mers pour se rendre, à un moment 
donné, sur les lieux les plus propices à leurs opé- 
rations, ce sont presque des industriels autorisés, 
légalisés par des sociétés étrangères que les bandits 
ont formées au delà de la Manche, jusqu'en Amé- 
rique. 

Si la moralité ne met un frein à Timportance des 
chevaliers d'industrie et des picks-pockets, la police 
sera impuissante à les traquer, grâce à leur cosmo- 
politisme que favorise la facilité et la rapidité de 
nos moyens de transport. 

Quant aux bandits les plus redoutables des bar- 
rières, les assommeurs^ les terreurs et les tau^ 
eheur& comme on les a^ppelle aujourd'hui, leur nom- 
bre s'est tellement augmenté avec l'accroissement 
de Paris-, îi» se confondent si bien avec la basse 
classe faubourienne que la police ne peut plus en 
avoir raison que par brigades l 

J'ai dit précédemment que les voleurs d'élite 
étaient principalement des étrangers. En effet, les 
voleurs les plus habile» sont généralement des An- 
glais ; les assassins le» i^iis féroces, des Allemands. 
Les f«ts le pfoovenl. 

Quels sont, dès 1860, les vols les plus connus, 
les crimes les plus odieux» sans compter, plus- 



MÉHOIBES DE HONSIEUK CLàUDB. 35 

tard, le crime de Troppmann ou le Toi de Ben- 
son? c'est d'abord le vol de 250,000 fr. de dia- 
mants commis au préjudice de Fontaaa, le hijou- 
tier du Palais-Royal, dont la vitrine, comme le 
miroir aux alouettes, a le pouvoir d'attirer les 
voleurs des cinq parties du monde; c'est ensuite le 
meurtre d'un beau-fils sur sa bélle-mère. 

Quels sont les auteurs de ce vol et de ce meur- 
tre? des Anglais d'un« part, des Allemands de 
l'autre. 

Pour le vol de diamants, c'est, <en IMO, un no- 
mmé Stuard qui répond à quatre autres noms difiTé- 
rents , selon les besoins de son infatigable métier : 
Harry, EdmundSy WijLliaYns et Brand; c'est Jac- 
kson qui se fait tantôt appeler Spuller et M{io^ 
donald. 

Ces escrocs sont associés à une femme d'une 
mise et d'un langage très corrects. 

Quoique âgée de plus de cloquante ans, elle pos- 
sède cette troisième jeunesse que la dame du 
monde, par l'art de la toilette et une exquise dis- 
tinction, sait se donner à rencontre des femmes du 
vulgaire. C'est une nommée Nathan. Elle a con- 
quis ses chevrons dans le monde de l'escroquerie 
et de la galanterie sous les noms les plus variés, 
dont le dernier est très caractéristique; on l'a 
connue, tour à tour, sous les sobriquets de Fillette^ 
Léon, de M"* Georges, enfin de M"* Dollard. 

Pour le meurtre d'une belle-mère par son gendre 
qui, en 1860, expia son crime sur l'échafaud, c'est 
encore un Strasbourgeois, un nommé Aider, qui^ 
comme tous les Allemands, feint le plus profond re- 



30 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

pentir, après avoir commis le plus lâche des crimes- 
Les picks-pockets, comme Stuard et Spuller, ont 
plus d'effronterie. Ainsi que la dame Nathan, ils se 
défendent énergiquement devant les juges en gens 
d'affaires. 

Lorsque le président demande à la dame Nathan 
pourquoi elle n'a pas avoué les divers faux noms 
sous lesquels elle a commis SCS nombreuses escro- 
queries, elle répond tranquillement : 

— Qu'elle a caché ses noms d'emprunt, parce 
qu'ils sont désagréables à la justice. 

Et Stuard, condamné, répond : 

— Nous avons été des maladroits! Nous tâche- 
rons de ne pas l'être une autre fois. 

Pour le pick-pocket, le vol est une affaire! 

Gomme les picks-pockets, les chevaliers d'in- 
dustrie ne sont pas très mortifiés quand on leur ar- 
rache leurs masques ou quand on les surprend la 
main dans le sac. Très souvent les chevaliers d'in- 
dustrie, gens aussi aimables que les picks-pockets 
sont adroits, très souvent ces chevaliers d'industrie 
sont regrettés du monde qu'ils ont exploité. 

Je me rappelle un de ces faux élégants que j'avais 
mission, dans une ville d'eaux, de reconduire à Pa- 
ris pour s'expliquer auprès du procureur impérial. 

Ce gentleman, que la haute société de la ville 
s'arrachait, était poursuivi pour avoir commis à 
Paris, en sa qualité de caissier dans une maison 
importante, de nombreux détournements. 

Dans la ville oii je le surpris, muni contre lui d'un 
mandat d'amener, il se déguisait sous im nom no- 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 37 

ble. Il joiiait gros jeu avec Fargent «oustraît à la 
caisse de son patron. 

Lorsqu'il me vit, suivi de mes agents, lorsque je 
lui donnai son véritable nom, loin de partager l'in- 
dignation générale que ma présence causait après 
avoir apostrophé cet imposteur ,il me dit de son air 
le plus gracieux : 

— Comme cela se rencontre, j'allais moi-même 
vous prier de m'arrèter pour confondre mes en- 
nemis. Suivez-moi^ monsieur l'inspecteur. 

L'adroit fripon enjamba mes agents, ce fut lui 
qui me conduisit au chemin de fer l 

Son aplomb en imposa à mes agents; en route, 
il se dit la victime d'une ressemblance fatale avec 
celui dont il se prétendait le sosie. 

11 fut d'une si grande amabilité que, bien malgré 
moi, mes agents, captés par ses façons engagean- 
tes, lui laissèrent une liberté relative. 

Mon chevalier d'industrie en abusa pour prendre 
la clef des champs. 

Dans la ville où il se réfugia, il se fît passer pour 
un négociant en tournée. Il y arrivait, disait-il, 
pour chercher des employés. 

Il reçut, à ce sujet, plusieurs visiteurs accourus 
sur une annonce qu'il fit, sous un nom supposé, 
dans le journal de la localité. 

L'un de ses futurs employés lui ayant confié 
ses papiers, il s'en empara, puis continua sa fuite. 

Rattrapé deux jours après par un inspecteur qui 
avait aussi le signalement de mon escroc, il s'é-| 
chappe de ses mains en lui disant : 

— Vous prétendez que je m'appelle un tel? Si 

m. 3 



:I8 MÉUOia&S &E HONSmUR giaiide- 

\Qu» aaai€i& Ure^ meUez le nez dans mes papiera^ 

Il exhibe les papiers de sa nouvelle dupe. L'a- 
genti s*6S0uaat ^^ ^''^^i^ Mpan repsend le chemin de 
fier. 

Moi cpii a^raiis su à me» dépens* me méfier de ce 
drôle, j'apprenda le- nouveau tour qu'il a joué 
dans les dilTérentes stations qu'il a parcourues du- 
rant sa fuite* 

Pour ne piue^ le raanqtKry j'emmène avec moi 
l'employé' dont il a extorqué les papiers. 

J'arrive troi» jour» après avec sa nouvelle victime 
à l'endroit où il a refait un autre agent» 

C'était dans une petite localité voisine de la fron- 
tière. 

Déjà mon homme se dîspoi^e à la passer ; il est 
en train de faire légaliser son passeport. 

Je me dispose, sur les renseignements des habi- 
tants, à me rendre à la sous-préfecture, où mon 
chevalier d'industrie se fait signer sur les papiers 
de sa dupe un certificat d'identité. 

Pendant que le secrétaire lit, relit, compulse les 
papiers de mon chevalier d'industrie, lui ne cesse de 
regarder par la fenêtre. Il m^aperçoit, ainsi que 
l'homme dont il a pris le nom et les agents qu'il 
a roulés le long de son trajet. 

Alors il n'attend pas- que le secrétaire ait fini de 
lui rendre ses feuilles. Il feint un besoin pressant, 
prend son chapeao, s'excuse et dit qu'il va revenir. 

L'employé, sur sa mimique expressive, com- 
prend l'impérieuse nécessité q»i force le quidam à 
lui brûler la politesse. 



Il se remet au: traval, confiant &a la parole de 
rinconnu très pressé. 

' Alor» j« tombe caimne ime bonbe dan^ le cabinet 
du soBB-préM afvec l'jndmdu fnistïé â9^sB9 papiers 
qu'il revoit sur le hureatt'dti'seraba'. 

J'explique raflaiw. 

Il est) trop tard. 

n a suffi à mon chevalier d'industrie de quel- 
ques enjambées pour mettre la France entre lui et 
nous, et se soustraire de nouveau à la cour d'as- 
sises! 

J'ai dit précédemment, en parlant de la haute 
pègre, que le monde n'était plus assez giand pour 
ses exploita. Il suffit d& lice les comptes rendus 
des. tribunaux^ de parcourir les faits divers pour se 
convaincre que la frontière devient le trait d'union 
qui sépare les grand» voleurs des pelits». 

Les premiers ont pour refuge l'Allemagne ou 
l'Angleterre, en guettant de la frontière l'heure de 
faire un bon coup^ dans notre fortuné pays. Les se- 
Gond& se tiennent cachés dacs^ les replis de la 
ceinture de boue et d'infamie de la capital e^ où ils 
alleadent un bourgeois au passage pour le dévali- 
ser aux portes, de ses repaires. 

La haute pè^a Sh'afârnie par une adresse incom- 
parable ; la basse pègre, par une férocité qui ne 
se retrouve que dans le ps^s des: cannibales. 

L'assassinat de Belleville, qui eut lieu, rue des 
Rigoles^ sur une vieille femme de 70 ans,, à l'épo- 
que où les bandits anglais et américains opéraient 
le vol de diamants de Fontana,, inaugura l'ère des 



40 MÉMOIRES de: monsieur CLAUDE. 

vols, des assommades, sous la conduite d'un pé^ 
griot. 

Ces vols se sont continués depuis dans les mêmes 
circonstances. Us ont été imaginés, en 1860, par 
Poirely le pégriot, ils ont été perpétués et perfec- 
tionnés par Mailloty dit le Jaune. 

Ce vol s'est toujours opéré de la même façon ! Au- 
jourd'hui, c'est le pégriot, c'est-à-dire le plus jeune 
de la bande, qui relance ses victimes dans leur do- 
micile ou dans leur boutique ; c'est le pégriot qui 
commande, à l'heure de la fermeture des bouti- 
ques, un meurtre accompagné de vol, dont les as- 
sommeurs , tous de vieux fagots^ ne sont que les 
comparses. 

Jadis, c'étaient les vieux qui donnaient le plan, le 
scénario des vols ou des meurtres à commettre ; 
aujourd'hui, ce sont les jeunes qui, pour bénéficier 
de la loi , tranchent le nœud gordien des affaires 
sanglantes se tramant journellement aux portes 
de Paris. 

L'assommeur n'esta je le répète , que l'aide du 
pégriot. Son chef d'attaque, c'est le toucheur. On 
qualifie de toucheur celui qui, après avoir donné le 
premier coup à la victime, est aussi le premier à 
faire sauter le tiroir et à toucher la monnaie. 

Le premier toucheur de ce genre, Poirely dans 
l'affaire de la rue de "la Rigole, eut pour com- 
plice un nommé Chamberlant, un assommeur, et 
Charlemagne, un fouinard! 

Si ce Gharlemagne ne porta pas le premier coup 
à la veuve de la rue des Rigoles, quoiqu'il eût fait 
ainsi un fort bon toucheur, c'était parce qu'il était 



MÉMOIBES DE MONSIEUR CLAUDE. 41 

SOUS la surveillance de la police, parce que, à Pa- 
ris, il était dans un faux centre. 

La principale qualité du toucheur^ c'est moins 
d'être un habile assassin qu*un bon grime. Il lui 
faut, comme Cartouche, et récemment comme Mail- 
lot, un art particulier pour se camoufler (changer 
de tête). 

Toujours le premier sur le terrain du meur- 
tre, il y reste le dernier. Il faut qu'il joigne à une 
grande présence d'esprit un coup d'œil sûr et une 
ndresse infinie. 

Il y avait à Lyon un nommé Gauthier, un tou- 
cheur d'une grande habileté. ;Doué d'une force her- 
culéenne, ce qui eût fait de lui un assommeur puis- 
sant, il était d'une adresse incomparable. 

Quand il était en campagne, il défendait bien 
à ses assommeurs de tuer leurs victimes. Il enlevait 
un tiroir du comptoir avec une facilité merveil- 
leuse. L'argent venait, pour ainsi dire, au bout de 
ses doigts sans le chercher. Il entrait dans les bou- 
tiques les mieux fermées, les mieux défendues» 
sans opérer la moindre effraction. 

Lorsqu'il fut pris , lorsque l'avocat général ex- 
posa ses innombrables forfaits au tribunal, Gauthier 
haussa les épaules et murmura : 

— Ce -bavard-là ne sait ce qu'il diti J'ai pris du 
poignon tant que j'ai pu, c'est vrai I Jamais je n'ai 
commis de fraction! Pour me juger selon mon 
mérite, il faut des gens qui savent faire sauter le 
tiroir. 

Les toucheurs sont rares. 

Us ont le droit d'être orgvieilleux comme Gau- 



42 MÉMOIRES DÉ MONSlEUIl CLAUMî. 

thier qui, une fois, au bagne, eut l'art de prouver 
une fois de plus son adresse en se sauvant des yow- 
you (gardiens) 1 

Les assommeurs, soldats des toucheurs, sont 
moins intéressants. Terreurs des barrières, lorsqu'Fk 
ne sont pas, la nuit, embrigadés par leur pégridt, 
ils sont, de leur métier, maquignons ou mangeurs 
de blanc. 

On les voit rôder, durant le jour, de la barrière 
de Pantin à la barrière du Trône et de Montpar- 
nasse. Ici débardeurs, là conducteurs de gayeis 
(chevaux). C'est dans la 2one qui borne l'espace le 
plus misérable et le plus populeux de Paris que 
grouillent ces êtres dégradés, homm^ 6i femmes, 
dont l'âge varie.de quatorze à vingt ans. 

Celte population flottante, où le toucfieur recrute 
ses assommeurs^ «n^a le plus souvent d'autre do- 
micile que la plaine, les chemins creux, les excava?- 
!ions de terrain. Les mieux 'partagés sQtft ceux qui 
nichent dans des bîeraqufeç; aux toitures en toile 
cirée, ou dans des débris de vieux 'wagons. 

Les femmes de ces bandits exercent, quand 
elles ne partagent pas le produit d'un coup fait 
par leur mâle, le métiOT de filles publiques. Elles 
composent le plus bel ornement des musettes. Elles 
donnent à leur mâle le produit nocturne* de leur 
recelte. 

Halheur à elles si elles ne rapportent pas intact 
le gain de la nuit. Elles sont balayées par leurs 
souteneurs, qui leur donnent , comme elles disent, 
des châtaignes (des volées). 

Entre Fassom^meur et sa largue, c'est on échange 



MÉMOIRES I>E MONSIEUR GIAtnyE. 43 

-continuel de bons procédés. Une fois un «oop faii 
«ous la direction du toucheur^ Tassommeur donne 
aussi sa douille à sa Ménesse. 

Dans le monde des aseommeors, pour le pe griot 
<;omme pour le beau sexe, ce soitl les plus vigou- 
reux qui sont les plus influents. Solides ou non, 
il faut qu'à un temps donné tous jouent du biceps. 

Car il y a toujours de la hûcJie dans celte coq)0- 
ralion-là. 

Quand ce n'e^ pas pour une affaire commencée 
par le pégriot, c'est pour une affaire de femmie. 

C'est lorsque- la marmite n*a pas donné son fade 
au harbijlon^ ou quand un pante refuse ^e payer 
rfaeureux moment qu'il doit à la daone de l^asBom- 
meur! 

Alors il y a une bûchade générale. 

Dès qu'un assommeur a attaqué ou est attaqué, 
les autres se mettent de la partie pour le soutenir. 

On est admis sans noviciart dans la bande des a«- 
^ommeurs. La force musculaire est le senl titre 
<}u'on exige de l'associé. îl est reçu avec tous les 
honneurs dus à la corporation lorsqu'il a subi de la 
prison, ou lorsque sœ états de «ervice «mît signa- 
lés par quelque acte de rébellion envers l'autorité. 

Alors il devient d'emhléd chef d'attaque. 

Il est appelé, soit par la raison du plus fiort, soit 
par son passé, à devenir le premier lieutenant du 
toucheur, le chef d'Attaque qui donne ses ordre& 
-et les transmet à la bande des assommeurs. 

En temps ordinaire, ce bon premier dans la cor- 
poration des assommeurs, est la .terretti* Âe «on 
iquartier. 



Ai MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Chaque quartier, aux portes de Paris, possède sa 
terreur, 

La terreur de Pantin n'est pas la terreur de Mé- 
niimontant ni de Montparnasse. 

Il n'est pas rare, quand les affaires chôment par 
Tabsence du toucheur, de voir les assommeurs uti- 
liser leurs loisirs en excl^nt leur terreur contre la ' 
terreur du quartier voisin. 

Désormais Thonneur de la voyoucratie des barriè- 
res est en jeu. Les champs clos des terreurs ou 
chefs d'attaque de tel ou tel quartier se lient aux 
voisinages de la Roquette et du Père Lachaise, rue 
de la Plaine ou rue des Rats, rues, par amplifi- 
cation, bordées par des masures en bois qui sortent 
à peine de leur terrain fangeux. 

Là, celui qui a tombé son adversaire a le droit de 
lui retirer son titre de Terreur dès qu'il parvient à 
lui manger une partie du nez, à lui supprimer un 
œil ou la moitié de la mâchoire. 

La lutte finie, la terreur s'en va célébrer son 
triomphe avec la gouape à un cabaret fameux de la 
barrière du Trône, à Y Assurance contre la soif. 

Les gonesses lui préparent une ovation aux mw- 
settes de la Folie du 2rône, au Bal de V Union, 
deux bals qui se touchent pour la facilité des ral- 
liements. 
/ C'est à V Assurance contre la soif, c'est aux ww- 
set tes que le toucheur sait découvrir sa terreur, 
le chef d'attaque dont il a besoin quand il a une 
affaire. 

D'ordinaire, le toucheur est un gamin de dix-sept 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 45 

à dix-huit ans, aussi grêle, aussi chétif que son 
assommeur est d*aspect redoutable. 

C'est, comme Poirel, comme Maillot, un^uic^^, 
c'est-à-dire un jeune homme, aux mains blanches, 
à Faccroche-cœur, l'Adonis des nymphes des mu- 
settBs, quand ce n'est pas une tante! 

La moitié des crimes qui se commettent à Paris 
est conçue par les cerveaux des guiches^ exécutés 
par les bras des chefs d'attaque et finie par des as- 
sommeurs. 

La plupart du temps , le chef d'attaque est seul 
en relation avec son guichCy il ne s'adjoint pour 
chaque affaire qu'un ou deux assommeurs^ sans 
leur donner la clef du mystère qui le fait agir. 

Le guiche qui parait être l'àme du complot, vol 
et assassinat, n'est le plus souvent que l'instru- 
ment des bandits étrangers. 

C'est toujours du côté de l'Angleterre que s'en- 
fuient les voleurs pour mettre en sûreté leur bu- 
tin ; c'est toujours du côté de l'Allemagne que s'en 
fuient les assassins. 

Pourquoi? 

Parce que pour les assassins, la frontière alle- 
mande leur offre un lieu de refuge, parce que la po- 
lice française n'y a aucune action, défendue comme 
elle l'est par nos récents envahisseurs, qui voient 
dans le mal que l'on peut faire à la France un défi 
jeté à notre nation. 

Il est vrai que l'autorité allemande réprime cet 
étrange droit d'asile. Elle est impuissante elle-même 
à le détruire. 

Quant aux voleurs, pourquoi les voit-on prendre 
m. 3. 



46 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLàUDE. 

invariablement la route de Londres après leur mé- 
fait? 

Parce qu'à Londres, les voleurs trouvent au mi- 
lieu de la Cité une ressource pour ainsi dire pro- 
videntielle. Elle s'appelle le Safe Deposit Corn- 
pany limited [Compagnie de Dépôt sûr). Là, on 
apporte 4 la compagnie un paquet bien ficelé, on 
renferme dans un coffre dont la clef est remise au 
porteur. Moyennant un léger droit annuel, le dé- 
pôt y reste autant qu'on le veut à l'abri du feu et 
surtout de la police. 

La Campagme- de Dépôt de Londres déjoue 
forcément toutes les recherches. Le voleur n'a plus 
en sa possession qu'une feuille de papier facile à 
dissimuler; il ne craint plus de visite domiciliaire. 
Au bout de quelques années, s'il en est besoin, il re- 
tire son dépôt et il se débarrasse facilement de son 
butin, une fois l'ardeur des premières poursuites 
calmée. 

J'ai dit que le toucheur ou le guiche n'était en 
France, le plus souvent, que l'instrument des bandits 
de Londres. Il est facile de s'en convaincre par les 
pérégrinations continuelles que font lesioucheurs 
sur la côte d'Angleterre après leurs crimes. Car Lon- 
dres, sans attaquer ici la partie saine de la popula- 
tion, ne reste pas moins la capitale des voleurs et 
des escrocs. 

Les picks-pockets n'y forment pas une bande, une 
association de hasard, comme à Paris, mais une 
véritable société bien constituée, avec sa hiérarchie, 
ses règlements, ses troupes, ses finances et son 
matériel. 



MÉMOIRES mi momusmi cuanm. 47 



Ils ont leurs hommes d'affitmB,'B%tfta9EitphBfEiFtB 
qu'ils ont moins de scrupc^les/lemvsvocato-^iii -tra- 
vaillent dn msttin au soir les Im CTiiimi«31eipe«r an 
faire saillir les cMés f&iiiilaB. 9k fntlMnrB<c(mniiis 
voyageurs qui descendent da 'Mord sn midi -ée la 
France pour récolter'lexrrs renseignements «vant d'à* 
gir au nom de la Grande Compagnie. 

Souvent il arrive que TAn^lais vole, dons 'on in« 
tér^t tout national, le ioacbeiir français, Tàme de 
son expédition. 

Je vais citeruu exempleà Tappui de ctitle assertion. 
La cour d'assises venait de voir défiler devatft elle 
une bande de coquins qui, sous Hlnspiraiion britan« 
nique ) avaient fait aussi du vol une affaire, et aux- 
quels la justice reprochait un nombre de crimes in» 
eommensurables . 

Un nommé Becker était descendu de Londres pour 
embaucher uu nommé Jaccal, un ta%œh€%tr.Celm^^ 
devait opérer un vol de bijoux chez «on ancien {patron 
où il avait été employé comme homme de peme. 

ije Jaccatl s'était adjoint deux assommeiin^ ancienB 
repris de justice, pourMre le coup, Tun «umemmé 
Coupe-en-Deuœ, l'autre le Zouane. 

Tous les trois, après avoir une nuit fracturé la 
porte, pénétrèrent dans un magarân de 'bijouterie etj 
firent main basse sur toutes les mnrchoi&dises re*. 
présentant la valeur ûe fiO{OQO francs; ils prirent 
ensuite dans 'la caisse, le coffns-fort et leiîrair d*un 
meuble une somme de f$,080irsBSB« 

Une partie de ces objets fut expédiée «i Angleterre 
parldecker, puis consignée par lui à la tCompa^te 
des dépôts de Londres, Une-atrtre paitief«t cauhéo 



48 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

dans le domicile de Jaccal. Elle était cachée dans une 
boite placée dans la cheminée à une hauteur telle 
qu'on ne pouvait Tatteindreque hissé sur une échelle. 

Mais Becker qui, par patriotisme autant que par 
intérêt, tenait à posséder tous les produits du vol 
commis par son toucheur français, dénonça Jaccal 
à la police. 

Pendant qu'on était sur ses traces, Becker engagea 
vivement Jaccal, à quitter son domicile afin de dé- 
jouer la rousse. 

Jaccal n'avait pas plutôt écouté les conseils de soa 
perfide compagnon qu'il était dévalisé, d'après les 
avis de l'Anglais, par Coupe-en-Deuœ et par le 
Zouave. Ceux-ci, sous prétexte de mettre les piè- 
ces à conviction en sûreté, les sortirent de la chemi- 
née de Jaccal. Ils les rendirent à Becker, et l'An- 
glais les renvoya suivre le reste à la compagnie des 
dépôts de Londres. 

Lorsque les assommeurs Coupe-en-Deuao et le 
Zouave, se rendaient auprès de Becker pour deman^ 
der leur part dans les objets mis en sûreté à Londres, 
Becker n'était plus là. Ils ne trouvaient à sa place, 
que des agents appelés par un anonyme pour les 
pincer. 

Sur ces entrefaites, Jaccal qui, grâce à la ru^e de 
Becker, avait pu se soustraire à la police, se douta 
qu'il avait été victime de l'Anglais. 

En ne retrouvant plus sa part du butin dans la 
cheminée, en apprenant que ses deux complices 
étaient coffrés au moment où Becker, libre comme 
l'air, prenait la clef des champs, Jaccal ne douta 
plus de la ruse infernale de son Anglais. 



MÉMOIBES DK MONSIEUR CLAUDE. 49 

Plus de doute, le perfide voulait le magot pour lui 
tout seul. 

Alors il n'hésite pas à courir sur les traces de l'An- 
glais. Il parvient à le rattraper, à lui dire son fait. 
Il ne le lâche plus, il le suit jusque sur le paquebot 
qui fait la traversée de Dieppe à Newhaven. 

Dans la traversée, Jaccal a le mal de mer. 

Becker en voyant son ancien toucheur rouler 
sur le pont, dans un état de malaise impossible à 
décrire, conçoit l'infernale pensée de se débar- 
rasser à tout jamais de son gêneur. 

C'était le soir, il ne fait ni une, ni deux, il pousse 
du pied Jaccal qui est radicalement guéri du mal de 
mer, et jeté par-dessus bord. 

Tout l'équipage croit à un accident. 

Le rusé Becker est le premier à regretter la perte 
de son ami vers lequel, disait-îl, « il n'était accouru 
que pour l'arrêter, au moment de rouler vers les 
flots ! » 

Enfin il est maître de la fortune du bijoutier que 
Jaccal, le Bertrand français a soustrait au profit de 
Becker, le Raton anglais I 

Jaccal est mort ; les deux assommeurs Coupe- 
en'Deuœ et le Zouave sont des brutes qui ne se 
douteront jamais d'où provient leur arrestation qui 
les prive de leur part légitime. 

Un an après, Becker, qui a touché à la Compa- 
gnie des dépôts les 20,000 francs soustraits par Jac- 
cal, éprouve quelques remords. Il cegarde avec re- 
gret à son doigt une chevalière qui a appartenu à 
Jaccal I 

Alors il se décide à en faire la restitution. Il re- 



SO MÉTMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

vient en T'rance, il revoit la maîtresse fle Jaecd ^m 
pleure son amant, Becker lui raconte par quelle fa- 
talité son met fleur amî a Tait un plongBon élans la 
mer! 

La maîtresse du toucheur et TAniglais pleurent 
ensemble la fin tragique fle*3aceal. 

Becker, pour consdler cette -maîtresse inconsola- 
ble, lui offre la chevalière de son ami qu'il porte en- 
core au doigt. 11 dît qull ne ^en dessaisirait pas 
pour un empire mais qùll rabandonneraît cepen- 
dant à la maîtresse de son plus cher et de son 
meilleur ami. 

La femme est touchée delà délicatesse du gentle- 
man. Pour que la perte de ce joyau ne lui soit 
pas trop sensible, elle lui offre enreflour, sa main, 

«on cœur et le reste Un bienfait ri*e^t jamais 

perdu I 

Quand les exploits des guiches, terreurs et as- 
f^ommeurs inquiètent trop les quartiers ercenftri- 
ques, la j[)olîce sait où trouver les meneurs de ces 
toucheurs ; au cabaret de T Assurance contre ta 
soif, aux musettes du trône renversé «te. 11 n'e^ 
pas rare d'y relever des gardes de Paris tissassinés, 
des soldats frappés de coups de cotfteau, des ser- 
gents de ville et des bourgeois laissés pour morts. 

Dans ces terribles moments qui se renouvelllent 
chaque jour, la Préfecture envoie du renfort parce 
que la police locale n'aurait pas assez d'agents pour 
avoir raison de cette popùlaticm de bandits in- 
domptables, toujours renaissants. Pourtant nos co-', 
lonies manquent de bras l 



CHAPITRE IV 



jm DUEL AU yiTRIOL ET UNE 5ÉBUGTI05 
AU CHLOROFORME. 



A pea près à la même époqm où a^ait ea iieu, à 
Belleville, l'asBasanal de fai rue des Rigoles sor 
tme femme de floixanie-dix ans, par le nommé Poi- 
rel, je TequB la nouvelle d'un attentat presque aussi 
horrible. 

TJiie jeune femme T^SBait d*ètre tiRou^e à demi 
brûlée par le ^riol dans nm atelier de p'hoieçra- 
phie. 

Voici les droonëtances qui aYaient amené cet 
odieux attentat. 

Un photoj^pÉie, le sieur D..., entretenait depuis 
qndques mois 4es relations intimes avec une jeune 
personne, Léonide, qui sevait ^é professeur de piano 
de la dame de Tadepteân BAilodion et de «es en- 
fanfts. 

M. d... était 4m hoiome ^jenne «ncore , d*an 



S2 hi-;moires de monsieur claude. 

tempérament ardent, d'une liberté d'allures répon- 
dant trop bien aux conditions indépendantes de 
sa profession. 

Il n'avait pas tardé, pendant que sa femme suivait 
les leçons de M"® Léonide, de se faire aussi le profes- 
seur en galanteries de la jeune maîtresse de piano. 

M"*' Léonide avait autrefois abandonné sa famille 
après avoir eu, durant le cours accidenté de sa car- 
rière libérale , plusieurs amours contrariées. 

Elle avait répondu avec d'autant plus d'em- 
pressement à son séducteur, que le don Juan photo- 
graphe lui avait juré qu'il n'était pas marié, qu'il 
était las de supporter ses chaînes en compagnie 
d'une femme qui n'était pas plus légitime que ses 
enfants. 

M'^' Léonide, déjà lasse de §on existence irrégu- 
lière, fut heureuse de répondre à la passion* se* 
rieuse de son séducteur, de s*attacher un homme 
qui ne craignait pas, par un mensonge, de lui offrir 
la position de celle dont elle n'était encore que la 
subordonnée. 

Par malheur, la dame du photographe, que la 
jalousie rendit clairvoyante, s'aperçut des intri- 
gues de sa maîtresse de piano avec son mari. 

Un jour, elle la chassa de chez elle. Elle lui fit 
connaître en termes très énergiques qu'elle savait 
tout. Elle lui montra son acte de mariage pour 
mieux la désespérer, pour bien lui prouver qu'elle 
nourrissait, en espérant la supplanter» un espoir 
aussi coupable que chimérique. 

La malheureuse rivale s'enfuit du ^oit conjugal 
dont elle avait déjà troublé la quiétude, en ver- 



MÉMOIRES DE MOÎÏSIEUR CLAUDE. 53 

sant d'abondantes larmes, le cœur aussi brisé que 
Tesprit. 

Son ambition était à jamais détruite puisqu'elle 
ne s'était donnée qu'à un homme marié. 

Elle jura de ne plus le revoir, moins dans l'inté- 
rêt de sa rivale que pour punir le trompeur et 
pour échapper aux vindications de M"* D... et de sa 
famille. 

Car cette dame n'était pas seule à défendre son re- 
pos, à sauvegarder l'avenir de ses enfants. Elle 
avait un frère, un frère d'autant plus dévoué aux 
intérêts de sa sœur qu'ils étaient liés aux intérêt» 
de rétablissement très prospère de ce mari. 

Et c'était lui qui avait donné le premier l'éveil 
des intrigues de son beau-frère avec la fille Léo* 
nide. 

Wais le beau-frère, en apprenant ce qui s'était 
passé, n'eut que plus de regret de l'absence de 
la maltresse de piano à son foyer. 

Il fit tant pour découvrir la retraite de la biche 
égarée qu'il la retrouva au moment où le prix de 
son sacrifice dépassait ses forces. 

Léonide était sans ressources. 
^Pendant qu'elle s'était laissé aller sur la pente 
de l'adultère, elle avait oublié le chemin de sea 
anciennes élèves. Lorsqu'elle voulut le reprendre, 
il n'était plus temps, le chemin était battu par 
d'autres. 

Le photographe D... retrouva Léonide juste au 
moment où elle allait mourir de faim. Il se jeta à 
ses pieds, il lui demanda pardon de son mensonge 
inspiré par une passion irrésistible, éternelle. Il lui 



54 HÉMOmES DE MONSIEUR CLAUDE. 

offrit, à la place deBon nom dont il ne pcavait dis- 
poser, un atelier de photographie avec son cœur 
qm, ajontait-il, lui appartenait tout eiïtier. 

Entre IVimour et Taisance qui lui revenaient tout 
à coup, la bcUe Léonide crut -ëeToir accepter les 
offres du galant impofirteur« 

Le lendemain, sous sonnani, elle posséda en col- 
laboration de Tépoux infidèle, un atelier d'épreuves 
photograpliriques qui, à Bellevîlle, devint Tannexe 
de Fatelier «entrai du pfhdtographe©,.. 

Les choses allèreiit ainsi quelques mois, D*** à 
Bellevîlle comme à I*tftélier centraB, passait égale- 
ment pour le mari des deux rivales qui, sans plus 
se connaître, travaillaient avec une égale ardeur à 
la prospérité conmierciale du galant paladin. 

Si la fortune est aveugle, si Tamour Test autant 
que la fortune, l'intérêt qui les conduit ne Test 
pas. 

Encore une îoh la belle Léonide comptait sans le 
frère de madame B***. 

Un jaur que ce frère élaît à Belleville en partie 
de plaisir chez un sculpteur de see amis, il apprît 
par cet artiste qui méprisait profondément, en sa 
qualité d'artiste, les photographies, qu'il avait un 
voisin photographe , M. D*** dont il enviriît la 
femme. 

— Une jolie î)londe, afjoutaît-^il, idont les formes 
•eussent fait envie à Jean Guy on et que le maître 
-eni certainement pris pour modèle dans Fun de ses 
séduisaiït %as«reliefs de la fontaine des Innocents, 
comme naiade! Et Irii-mfême, terminait-il, la rêvait 
pour ridédiser dans la même aflégorie. 



MÉMOIRES DE «ONSIEUH CLAUI^ 55 

— Une blonde, nm ^Bœnr? «esdan» le frère de 
madame D...irottB êtes ifou. Va ssœur estJnnme! 
Et c'est injurier ma sœur que de la croire capa- 
ble de pœer ^ans le -decibaiiâlé dHine oaaiiade. 

Tout à coup le frère se frappa le front. Il pmwa 
à Léonide, à la belle blonde, le démon dn fojer 
des époux D.... Un liorrible soupçon traversa son 
esprît. 'Pour l'y fixer., îl demanda de noa^veaox 
détails au sculpteur qui, tout en se repentamrt d'en 
avoir trop dit, ne pouvait re^r court devant le 
frère de la femme outragée. 

Le sculpteur raconta ce que tout le monde savait 
dans Belle ville, que la belle Léonide recevait cbez 
elle des clients qui tous la saluaient du nom de ré- 
poux de sa sœur, même en la présence du perfide 
beau-frère. 

Le soir, le frère de M"*!)*** instruisait sa sœur 
du nouveau commerce établi entre son beau-frère et 
la dangereuse Léonide. 

A cette révélation, M"* D... . entra dans une vio- 
lente fureur. Elle résiodut de tirer vengeance d'un 
^root ausai.sanglanL 

jymfi ^0*Mr ^^ j^ ^Yut» tune iemme, ce fui une fu- 
rîe. Elle demanda l'adresse de sa rivale, .après ^'é^ 
^re jetée ^fiixr un .flacon fd'atâde^aullaiâque. 

-Bon frè^, q^ni «commeiiçait à se repentir, comme 
l'artiste, <dkfB mw trop dit, demanda avec in- 
"qniélnde œ qu'elle prétendait faire .: 

— Me venger, s'écria-t-elle en gnnçant des»di^ts, 
me venager sur i^lieure. 

Elle prit son châle, son chaipean, après «voir 



56 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

tàté fébtilement sa fiole dans sa poche. Elle bon- 
dit tîomme une lionne jusqu*à la porte. 

Son frère la suivit. 

Il arriva en même temps qu'elle à Tatelier de Bel- 
leville. 

Lorsque M"* D... y pénétra, qui trouva- t-elle ? 

La belle Léonide en train de préparer des épreu- 
ves photographiques en compagnie de son mari qui, 
dans rintérêt de sa passion et de son second éta- 
blissement, délaissait de plus en plus son foyer. 

Sans prononcer une parole devant les coupables^ 
interdits, immobiles comme la Loth changée en 
sel, M"* D..., son flacon à la main, s'élança contre 
sa rivale. 

Elle lui jeta au visage Tacide sulfurique contenu 
dans le flacon. 

Léonide poussa un cri aff'reux, quoique légère- 
ment atteinte par le liquide corrosif, grâce à un 
mouvement de tète préservateur. 

Alors le mari, devant le danger que courait sa 
maîtresse , voulut bondir sur sa femme, lui faire 
expier les premiers eff'ets de sa vengeance. 

Deux bras de fer lui empoignèrent les bras, les lui 
retournèrent derrière le dos, il ne put faire aucun 
mouvement. 

C'était le frère de M"* D*** qui, n'ayant pas 
perdu de vue sa sœur depuis qu'elle était partie 
de chez elle pour se transporter à Belleville, pa- 
raïysait le retour o^ensif du vengeur de son amante 
contre sa femme. 

Un duel horrible, digne des sauvages, eut lieu en- 
tre ces deux femmes. 



HÉMOiRES DE MONSIEUR CLAUDE. 57 

Léonide, exaspérée par la douleur, folle de déses- 
poir et de rage, se jeta sur un flacon d*acide placé 
là pour les besoins de sa profession. A son tour, 
elle en jeta le contenu au visage de l'épouse ou- 
tragée. 

Darfs ce mouvement aussi prompt que Téclair, le 
frère de M"* D..., qui retenait le mari des deux 
femmes se défigurant pour lui, le frère eut la pen- 
sée de lâcher un moment le beau-frère pour cou- 
rir préserver sa sœur. 

Celle-ci n'eut pas besoin de son secours pour 
remettre les chances de son côté. 

M™* D... était upe robuste femme; son tempé- 
rament répondait à sa mâle énergie. Dès que Léo- 
nie eut commencé de lui jeter son vitriol à la tète, 
M'^'^D..., aussi légèrement atteinte que sa rivale, 
s'élança contre elle. 

Dans un puissant effort, elle lui arracha la fiole 
des mains ; puis la terrassant, elle lui déchira ses 
vêtements de ses mains, de ses dents. Elle la mit 
presque nue. 

Pendant que le mari essayait de se débattre con- 
tre les étreintes du frère de M°" D..., celle-ci, affo- 
lée, répandait sur toutes les parties du corps de sa 
rivale le vitriol contenu dans le flacon. 

Elle la brûlait, sans se soucier des cris de sa vic- 
time. Dans sa rage féroce, ses cris l'excitaient en- 
core. 

Elle s'acharnait à répandre sur son corps la li- 
queur corrosive. Elle trépignait avec joie sur la 
femme terrassée, épuisée, à demi évanouie sous 



58 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

des convulsiona qui témoignaient de ses souf- 
frances. 

Quant au. malheureux D...^ témoin des représail- 
les de safemmCj il poussait des cris de dégoût et d'é- 
pouvante, Il restait impuissant à secourir la vic- 
time, puisque le frère de ce bourreau femelle, le 
retenait par les poignets. 

Enfin ces cris désespérés furent entendus quand 
rimplacable vengeresse essayait encore de lui ou- 
vrir les yeux pour les lui brûler avec le reste du 
vitriol, pour la rendre aveugle, après lui avoir fait 
mille cicatrices sur toutes les parties dHi corps. 

Lorsque les voisins accoururent à son secours, Ik 
malheureuse Léonide, les membres couturés parla 
liqueur: corrosive^ ne donnait presque plus signe de 
vie ! 

Quand, sur les déclarations du commissaire, par 
Tordre du parquet, je me rendis au domicile de la 
victime de M"* D***, je la trouvai dans le même état. 

La vue de ce corps brûlé des pieds à la tête-, 
dont le» plaie» à viP témoignaient de la barbarie'd^ 
son bourreau, n'inspira pas, aux yeux des magis- 
trai»^ une bien vive sympathie en faveur des époux 
D... 

L'instruction de cette scandaleuse affaire^ dur» 
longtemps. 

La victime placée entre la vie et la mort, ne put 
d'abord dévoilée les: mystères de. ce singulier et 
horrible duel. 

Lorsque la pauvre Léonide put parler, elle ne 
sut éclairer les juges sur la conduite du mari. L'é- 
poux n'osant charger sa femme, dans la position dé- 



MÉMQlftËS DS KâNSlfiUft GLAIHIK. 50 

Ucaia où il sa tBoy vaM, chargea son frère qui avait 
essayé, après son imprudence, d'arrêter les eouafr- 
q,uences de Thomble vengeance de Tépouse ou- 
tragée. 

Au tribunal, ce fut le frère qjui fut considéré 
comaue le plus coupable, par une tactîcpie du mari, 
regrettant le mal qu'on avait fait à sa maîtresse. 

Ce fut la sœur qui préserva son frère de la ven- 
geance de son mari dont les dépositions firent d*a- 
bord une vive impression sur les jurés. 

HTais madame D***", d'un air inspiré; couvrit son 
frère par ces parolesr, adressées aux juges : 

— Que Te ciel se déchire donc pour imposer la 
vérité puisque le cœur déchiré d'une mère est 
impuissant à vous persuader. 

La fouguetise éloqu^encc de cette lionne contrasta 
avec Tair de souffrance de la vietîme, à peine remise 
de ses blesffliites^, parlant d'une* VJoiâL faible, dans une 
attitude qui ÎBàwà pîlsé | 

Ce fut madamaiy**^ q^ domina lesdébats, Gommev 
par sa cruelle énerg^, elle avait dominé. 1^ héros 
de ce drame aoUiitérinv 

L'énergiff* de la aosuar aauiva le fcàre, malgré les 
lâches allégations du. mari. Son: hean-fpèiie* i ut mis 
hors de eause, mais la protestation de la saur ne 
préserva pas les époux û*^de la responaaèiUié de 
cet attentat. 

Ils furent condamnés k aufavenûr à resâstenee 
compromise de la malheureuse Léonide.. Malgré se» 
antécédents, qui n'étaient pas irréprochables,, en sa 
qualité de coureuse de cachet, Léonide sut se faire 
payer une pension par celui qui avait été la cause 



60 MÉMOIRES D£ MONSIEUR CLAUDE. 

de la cruelle punition de'la rivale de la femme 
légitime. 

Ce fut monsieur D***, qui eut la honte, tout en 
payant les frais de la vengeance de sa femme. La 
Llessée qui avait failli mourir de ses blessures parut 
au tribunal en martyre; celle qui l'avait blessée 
en héroïne sachant venger ses injures ; le mari 
forcé de payer pour tous, assuma sur lui l'odieux' 
de ce procès. Ainsi finit ce duel au vitriol. 

L'art etla science en offrant aux industriels des in- 
grédients aussi 'dangereux qu'utiles, placèrent plus 
d'une fois des armes abominables dans des mains 
criminelles. 

On peut se rappeler le scandale épouvantable 
qui, longtemps auparavant avait été causé par l'em- 
ploi du chloroforme. 

Tout Paris fut ému de l'étrange façon avec la- 
quelle un dentiste du passage Véro-Dodat, opéra à 
Taide du chloroforme, sur la fille du charcutier dont 
la boutique faisait l'angle de la rue Montesquieu 
et de la rue Croix-des-Petits-Champs. 

La belle charcutière demeurait en face du den- 
tiste. Ses charmes qui n'étaient pas la moindre 
amorce de son établissement, étaient aussi con- 
voités par le galant dentiste. 

Un mal de dent de celle qui avait su toucher son 
cœur et émouvoir ses sens vint en aide à ses hor- 
ribles desseins pour posséder la belle charcutière. 

Il l'endormit au moment de l'opération, en pré- 
textant que la dejit qui faisait souffrir sa cliente, 
ne pouvait être arrachée qu'après de violents efi*ort3 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 61 

qui, éveillée, lui aurait causé des souffrances trop 
insu portables. 

La belle charcutière consentit à se faire chloro* 
former par son dentiste I 

Dans* son sommeil, ce fut moins la dent rebelle 
qu*il lui arracha que la couronne virginale que 
ia belle et vertueuse charcutière réservait à son fu- 
tur époux. 

Dans son somâeil, il la déshonora. 

Elle se réveilla, trop tard, séduite par son lâche 
suborneur. Le misérable alla expier aux galères 
sa façon odieuse d'opérer sur ses clientes. 

Toutes les dames de ce temps-là se méfièrent alors 
du chloroforme et de ses terribles conséquences. 

On parla longtemps de la belle charcutière de 
la boutique Yéro-Dbdat, déshonorée par son den- 
tiste. 

Cette affaire dont le dentiste fut le mauvais mar- 
chand ne contribua pas peu à accroître la vogue 
de rétablissement de la belle charcutière chloro' 
(ûi^mée. 

A quelque chose, malheur est bon l 



lU, 



CHAPITRE V 



LES GENS DE. THÉÂTRE ET LES GENS DE LBTTBES. 



J'ai toujours recherché la société cbea gêna de 
théâtre et des gens de lettres. Leur esistence, en 
dehors, a été pour moi un délassement à mon 
existence concentrée qui, par certains points, pour 
Tobservation et pour l'imprévu, ressemble tant à 
celle de l'artiste. 

Un bon policier, tout en se mettant en garde 
contre les passions afin d'être toujours de sang- froid 
pour en analyser les efîets, n'est pas moins un 
curieux. 

Quel sujef d'études pour le policier que l'érat 
d'artiste, appelé à rendre ou à reproduire toutes les 
folies de l'espèce humaine. 

Seulement notre rôle est beaucoup moins envia- 
ble que celui de l'artiste, car le policier est appelé 
à se mêler aux mille drames que l'artiste, lui, n'a- 
nfalyse que pour en jouir. 



HÉffOHfflS IME 'KOSSIEUR GIATJXl:. G3 

€ett€ aîfinîté entre ces deux vocations 6*acciffie 
cepenéaffit d'une façon bien différente : l*une par 
Tadresse jointe à Tactivité, Taulre par la paseion 
miie à la ^phis complète insoueianqe 0t à la phis 
grande naïvcn^é. 

CeÉi peut-être ftour cette raison que j*»î toujours 
redterdhé, moi, Tiiomme du devoir, esclave de 
mon état, les homrmes qui affectent le pi as grave 
dédacin pour les conditions sociales et les règles 
ordinaires de îa vie. 

L'esprit de la gent lettrée et artistique rac délas- 
sait agréablement ; sa naïveté m'étonnait, elle me 
faisait du bien une fois échappé des centres du crime 
et des enfers de la corruption et de la duplicité ! 

J'ai dit qu'après avoir été nommé qpmmissaîre 
de police une seconde fois, après les événements 
de 4848, je m'étais installé, loin de mon bureau, 
rue Notre-Dame de Lorette. 

Ce fut pour la même raison et dans l'intérêt de 
mes études professionnelies que, bien a\'ant d'être 
chef de la sûreté, je pris au boulevard du Tem- 
ple un appartemerft en dehors de mes bureaux, 
dès que je fus nommé commissaire de cet arron- 
dissement, dhargé de la surveillance des théâtres. 

Je puis dire qu'une fois installé à mon nouveau 
poste 'pour assister à toutes les représentations de 
Paris, la cométfie qm m'intéressait le plus était 
moins celle qui se jouait sur la scène que dans la 
salle. 

De *848 jusqu'en t858, c'est-à-dire durant dix 
ans que j'ai été chargé de l'inspection des théâtres, 
j'afûcme que j'ai «vu défiler devant moi, en même 



64 MÉMOffiES DE MONSIEUR CLAUDE. 

temps que les artistes et les hommes de lettres les 
plus célèbres, les comédiens politiques les plus fa- 
meux ! 

J'ai vu, après les événements de juin de mes 
yeux vu, le prince Louis-Napoléon Bonaparte, as- 
pirant à la pourpre impériale, paraître dans une 
loge de théâtre la figure et les mains sales pour 
être plus agréable au peuple souverain du paradis. 

J'ai vu Victor Hugo sur un pied, refuser un stra- 
pontin que lui offrait obstinément, au-dessous de 
lui, le malin Béranger, pour bien rester en évi- 
dence aux regards de la foule idolâtre qui l'accla- 
mait des galeries. 

J'ai vu la plus grande tragédienne des temps 
modernes, qui avait eu pour Mécènes les courtisans 
de la plus libérale des royautés, chanter la Mar- 
seillaise pour monter plus tard dans les carrosses 
des césars qui la conduisaient aux palais impériaux. 

J'ai vu un petit auteur, qui ne pouvait payer sa 
choppe au café des Mousquetaires^ qui, en 1848, 
tombait mort de peur en entendant la fusillade du 
boulevard des Capucines, signer, trois jours après 
à l'Hôtel de Ville, comme secrétaire du gouver- 
nement provisoire, la proclamation annonçant au 
peuple la nomination de ses nouveaux souverains. 

J'ai vu des cabotins de troisième ordre, la veille 
de 1848, le lendemain, devenir officiers des ga^ 
des du corps de Caussidière. 

J'ai vu des actrices, ayant chanté les Giron- 
dinsy le Chant du départ, s'en aller dans les cou- 
pés de l'empire qui, invariablement, stationnaient 
de onze à minuit aux portes des petits théâtres 



HÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 63 

pour la très grande joie des souteneurs du coup d'É- 
tat et de ces actrices changées en Belles de nuit des 
orgies impériales I 

J'ai vu la^femme d'un memore du gouvernement 
provisoire, qui la veille ne pouvait payer la note 
de son charbonnier, se faire conduire au théâtre 
dans un des carrosses de Tex-roi, . après avoir eu 
la précaution de descendre chez son charbonnier 
pour s*y faire orgueilleusement acquitter sa note ! 

Que n'ai-je pas vu? Tout ce que la folie humaine 
peut imaginer, jusqu'à Lucien de la Hode acclamé, 
le lendemain de 1848, par la foule enthousiaste 
du théâtre de la Porte-Saint- Martin, avant d'être 
condamné à mort par ses frèies qu'il avait toujours 
vendus à la préfecture de police. 

Ces folies se sont renouvelées d'une façon aussi 
grotesque, mais autrement sanglante à l'avènement 
de la Commune. 

Où s'arrôteront-elles, quand le remous des ré- 
volutions nous ramènera encore les épaves de no- 
tre société en décomposition? 

Ces disgressions rétrospectives m'entraîneraient 
trop loin et elles sortiraient de mon cadre. 

Sitôt nommé commissaire des théâtres, chargé 
delà surveillance d'un monde qui ne se réveille^qu'à 
la nuit, je mis tous mes soins à favoriser mes opé- 
rations. 

Ce n'était pas facile à cette époque, le boule- 
vard du Temple n'était pas le vaste et insignifiant 
quartier que l'on tonnait, en vertu du coup de pio- 
che de l'édilité impériale représentée jadis en une 
seule perr.onne : « Haussmann. » 

m. 4 



66 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Non, c'était tout un monde , mais un mondB 
déjà à son déclin. La préteation y avait déjà ohassé 
la farce; le gros drame y avait été liétrôné .par les 
pièces à deux journées du Théâtre - Historique 
changé en Théâtre-Lyrique, d'où, sortirent des chan- 
teurs qui, après 1848, s'impravisèrent capitaines de 
la ^arde républicaine à Taide des costumes de leui«s 
scènes respectives. 

Je savais, à cette époque, que Tancien café des 
Mousquetaires, à Textrémité de la denad-biBe for- 
mée par tous les théâtres du «boulevard idu Tem- 
ple, avait tété le rendez- vous de toutes les Théf^oi- 
gneSiSii de tous les ù'ÉglantinesiéelQ. Constituante 
de 1848, qu'il était encore le «café ^à .la «mode pa- 
tronné par la galanterie et la politique. J'Cn fis mon 
quarlier,général. 

Jusqu'à l'époque de la démolition vdu boulevard 
du Temple, je fréquentai ce café. 

Paur le commun des mortels, marchands/de billet*, 
coulissiers, pour tous les subalternes du théâtre, 
je ne me laissais appeler qjue par mon nom de 
bi^tôme, je n'étais que M. Auguste; je :n'étai6 
qu'un modeste employé retraité des finances, savou- 
rant le soir son moka à la porte des théâtres. 

Il est vrai que bien des habitués de. ce café qui, à 
certains moments, voyaient venir à moi certains 
inspecteurs à col de crin pour me causer à voix 
basse, ne se fiaient que médiocrement à mes ap- 
parences inoffensivea. 

Peu m'importaient leurs suspicions, mon but, en 
cachant mon nom et ma qualité, était de n'effrayer 
personne. 



MÉttOIRES DE MONSIEUR CLA.UDE. 67 

Le«6oret que je gardais pour rester libre de mes 
allures n'en tétak .pas un pour les directears de 
spectacles qiû avaient joatmftiteBnieat i>eBftifl de mes 
services. 

Peur les artistes, «t 1» auleurs, je restais auaai 
M. Claude, ils ^e^éraieai, on me fréquentant par 
intérêt, tirer de moi quelques indiscrétions dont ils 
eussent ^tiré parti pour un scénario oort ^ au profit 
de leurs directeurs. Mais j^étais muet comme le 
sphinx, -et coauaae doivent Téire les gens de police 
dont le premiûr devoir est de ne pas entraver, par 
des révélations prématurées, Faction de la justice. 
«le n'étais pas moins iieureux .d*amorcer mes 
sympathiques .compagnons par des indications lé- 
gères qui ne dépassaient pas les «bornes de la dis- 
crétion. Je passais ainsi des moments agréables 
avec des gens qui me faisaient oublier, par leurs 
saillies dans un monde imaginaire, les^drames hor- 
rihles on répu^aots que j'étais obligé de enivre 
dans la vie réelle. 

Je me relimnayaai dsos ik vie ifolle et insouciante 
de Ja horhème artistique *et littéraire groupée au- 
tour de m(M, 4ontt les soènes^ toujours variées, se 
renouvelaient ecMnme un séduisant panorama à 
mes yeux étonméa. 

11 faut dire ique les véritables artistea, les vérita- 
bles écrivains oiii des manières de voir qui n'appar- 
tiemnent qu'à eux. Ils ert^upéâent même le policier 
habitué à vivre avec des scélérats qpvieaque aussi 
forts que iui paur ruser avec le droit et la loi. 

Aussi, à ^s excepiions piès, les gens delthé&tre, 
les gens de lettres sont-ils 4es derniers Irommes ap- 



()8 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

pelés à devenir l'objet d'une instruction criminelle. 
Leur légèreté, leur absence de logique, leur incons- 
tance sont autant de sauvegarde contre eux-mêmes. 

Pour un Scribe qui n'a jamais rien sacrifié au ha- 
sard ; pour un Hugo qui, comme Scribe dans un au- 
tre ordre plus élevé, n'a jamais plaisanté avec la 
fortune, vous trouverez cent Gringoires et autant 
d'Alexandre Dumas... père. 

Inconstance et légèreté, voilà l'apanage du ta- 
lent, voilà ce qui caractérise les enfants de génie. 

Je vois encore Alexandre Dumas père, ce grand 
enfant, à la face de mulâtre, sympathique et sou- 
riante, entrer à son Théâtre-Historique, la veille 
de sa faillite, et demander au contrôleur : 

— Combien de recettes ? 

— Deux cents francs I répond le contrôleur ; mais 
le Gaz refuse de nous fournir, et voilà pour dix 
mille francs de billets protestés I 

— Bah I prenons les deux cents francs, répond- 
il. Demain, il fera jour I En attendant les huis- 
siers, allons boire un punch sur la recette I 

Je dus moi-même agir contre Alexandre Dumas 
père qui jamais n'eut le temps de faire une ad* 
dilion, tant il avait le besoin d'accumuler des li- 
gnes pour combler le déficit de ses soustractions. 

Voici en quelles circonstances I Après la faillite 
du Théâtre-Historique , Alexandre Dumas était si 
oublieux des lois, qu'il portait encore la croix de la 
Légion d'honneur. 

Alors la police ne tenait pas à inquiéter un 
homme de cette valeur et de cette importance 
comme un simple malfaiteur; et je fus chargé par 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 69 

le parquet d'engager Alexandre Dumas, un failli, 
à ne plus porter de décorations. 

Je me présentai chez Tillustrc écrivain. Je lui ren- 
dis compte de la mission désagréable dont j'étais 
chargé. Je le priai, pour ne pas s'exposer à un scan- 
dale, de se soumettre à la loi, en privant sa bou- 
tonnière de son liséré rouge, puisqu'il était rayé 
provisoirement de Tordre de la Légion d'honnenr. 

— Très bien , papa Claude, me dit ce grand 
enfant, avec son balancement de itète et son haus- 
sement d'épaules qui lui étaient familiers , — on se 
conformera à la loil 

Puis, avançant à lui un tiroir au-dessous de son 
bureau sur lequel s'étalait un cahier de papier il- 
lustré de sa l^rge et magnifique écriture, ce colosse 
du Feuilleton me montra une collection de croix de 
tous les ordres de la terre ! 

Il me dit de son large sourire : 

— Combien me donnez-vous de cette quincail- 
lerie ? 

J'allais me retirer, peiné et J confus pour ce mer- 
veilleux écrivain dont les mérites avaient été si 
glorieusement consacrés par les récompenses de 
toutes les cours de l'Europe, quand un témoin 
de cette scène, un monarchiste, boudant la Répu- 
blique, lui riposta: 

— C'est pourtant sous la République que l'on 
vous traite de cette façon I Pourquoi, diable' aussi, 
mon cher Dumas), vous, un homme intelligent, 
ètes-vous républicain? 

— C'est pour avoir sur vous quinze jours d'a- 
vance! lui riposta-t-il en me reconduisant^ pressé 



70 MénOIRI^ BE MOIfSlEim CLAU^l« 

d'«^n BrHT avec moi et m Msitewr ■paor lucè^srer 
sa copie , la seule dwrae , Itii «qui oirtAiait tout, 
qu'il n'oublia «jamais! 

Les ïhomraes'de lettres «ennt ôe gi^Hmds enfants. 

fesouoieux des chc^es de la -vie, ib ne sont pas 
changés depuis k Poutame. Le docteur Véron cons- 
tate daus «es mémoii'es que jamais un écrivain ne 
sut meffJtre de date à «es lettres. Boger-de ©eauvoir, 
le poète ie p^ius saisi de 'France, oublia, un înet^t, 
jusqu'à 'Yvtn de ses fils danfi unae de ses proprié- 
tés de Passy d'où il «vait -été chassé par exploit 
d'huissier. 

'Ge fut Facteur Delaunay qui le lui Tamena. 

En ti)6D, l'empire, qui n'était pourtant régi que 
par des bâtards, fît un mauvais parti à ce dis- 
trait qui avait oublié de faire légitimer sa parti- 
cule nobiliaire, autrement que par trente années de 
succès. 

Il démontra à ses JTiges qu'il n'avait pris la qua- 
lité de Beauvoir que pour n'être pas confondu avec 
tous les Roger de l'almanacfh IBottin. 

— Enfin, lui objecta-t^on au tribnnd, à défaut 
d'un nom qui n'est pas le vôtre, vou« auriez pu, de 
préférence, vous qualiirer de Bully^ nom qui a ap- 
partenu à l'un de vos ontîlesl 

— De Bully ? Jamais I reprit Beauvoir avec indi- 
gnation, on aurait pu -me confondre avec son vi- 
naigre I 

Avec les gens fie lettres, fe 'ju«!ice n'a jamais le 
dernier mot. 

J'ai dit que les artistes, gens 'de letta^es gens de 
théâtre, peintres, musiciens, etc., sont les gens le= 



n^OIRBS DÉ MON&IEUR GLAIJDfi. 71 

pjii» naJB^ dnf mxiiidr. ILes caîsslerfr infidèles qai 
frostrmit l«urs as9Gci«(tîons en escomptant leur» fai- 
blesses^ e» sont la preuve. 

€)t» le» compte, les assefoiaiions^ artistiques et lit- 
téraires dont les délégués, agents ou caissier» ne 
sn Sailli pbft^bpùié la.Ger>^lle. 

LauS«oiété:dfiSr eompositeurs et éditeurs de musi- 
<{Uiâ:£uiii Urusirée, dès- sa fondadion,.de 48,QÛG francs 
par son. Êcnidateui:. La. Société des auteurs dramati- 
ques a connu, un. drame de banque dont son fbn- 
daieur, M. Scribe,, sauva la situation autrement que 
par ua truc de comédie. La Société des gens de 
lettres fut obligée d'envoyer à. Mazas un de ses cais- 
siers au cœur léger. 

Sans Nadar, le grand et généreux Nadar, qui se 
souvînt, quand il fedsait encore son stage de bo- 
hémien, des secours qu'il reçut de cet imprévoyant 
caissier, plus imprévoyant que coupable, sans Na- 
,dar, ce caissier eût passé* en justice. 

Nadar tira le caissier du guêpier où il s'était en- 
gagé ; il cautionna de sa bourse celui qui Tavait au- 
trefois obligé de la sienne. 

Pour le montrer aussi innocent qu'on avait voulu 
le montrer coupable, il l'improvisa caissier dans 
sa maison de photographie. Il en fit son homme 
de confiance; mais il ne le garda pas. Toujours 
spirituels, les gens de lettres I 

Je reviens au café des Mousquetaires, où, dès 
mon installation dé commissaire de la section des 
théâtre?, j'établis mon quartier général. 

Tant que je restai dans cette fonction, ce fut à ce 
café qu^ je centralisai mes renseignements. Là un 



72 MÉMOIBES DE MONSIEUR CLAUDE. 

inspecteur venait m*apprendre chaque soir le crime 
qui avait été commis, le repris de justice qu'on 
avait vu, les malfaiteurs qui rôdaient à la queae des 
théâtres, et mille faits qui m'étaient aussi précieux 
qu'utiles. 

I Gomme la sûreté ne m'allouait aucune indemnité 
pour stimuler le zèle des indicateurs et des agents, 
j'avais trouvé un moyen pour trouver, au [boule-', 
vard du Temple, des auxiliaires honorifiques. 

Ces nouveaux agents, je les pris dans ceux-là 
même qui, jusqu'alors, avaient été l'objet des inves- 
tigations de la police municipale. C'étaient des 
marchands de billets, marchands de contremar- 
ques, ouvreurs de portières, contrôleurs, machinis- 
tes, habilleuses et ouvreuses de loges, etc. 

La plus grande partie de ce personnel des théâ- 
tres n'avait pas été très difficile à placer sous ma 
direction. Grâce à ma surveillance de tous les ins- 
tants, de sept à neuf, au" café des Mousquetaires^ 
je n'étais pas en peine de les mettre en contraven- 
tion -et de les consigner au poste pour les faire- ve- 
nir, le lendemain, à mon bureau. 

Dès le lendemain de leur arrestation, je leur li- 
sai un procès-verbal qui entrainsdt l'amende et la 
prison. Je trouvai le moyen, en les exonérant, de 
les soumettre, de les tenir à ma dévotion, sans qu'il 
en coulât un sou â la police. 

Je puis dire que ces indicateurs d'un nouveau 
genre me rendirent les plus grands services. Et en 
dénonçant eux-mêmes leurs camarades, marchands 
de billets ou marchands de contremarques et ou- 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 73 

Treurs de portières, ils se débarrassaient de concur* 
rents qui gênaient leur commerce. 

Les sergents de ville, qui, avant moi, ne toléraient 
sur la voie publique que de telle heure à telle heure 
les marchands de billets, les vendeurs de contre- 
marques ou les camelots, eurent la consigne de 
les laisser en paix sur ce boulevard du Temple, jus- 
tement nommé le boulevard du Crime. Dès lors je 
pus obtenir de précieux renseignements que ces bo- 
hémiens du pavé étaient seuls à même de me 
fournir. 

Parmi les auxiliaires que je m'attachai pour 
avoir raison des malfaiteurs qui pullulaient sur le 
boulevard du Temple, je dois citer Tamerlatiy dit 
le Marqueur, Petit-Suisse, surnommé encore la 
Petite-Gouape, i^uis les époux 3iaW/n, malhonnêtes 
israélites qui tenaient le café dit des Trois-Bil- 
lards, 

Tamerlan, comme son sobriquet l'indiquait, était 
un marchand de billets, ancien marchand de con- 
tremarques. Il était d'une intelligence peu com- 
mune. Ancien repris de justice, il possédait une mé- 
moire aussi lucide que son coup d'œil était prompt 
à découvrir un de ses anciens copains. 

Petit-Suisse était un jeune et fort gaillard, 
court et trapu, dont Tagilité et l'adresse répon-' 
daient à la force. 

Resté pour la frime vendeur de contremarques,» 
un jour je Tavais fait arrêter, en train de bar- 
boter dans les poches d'un de ses clients. Petit-' 
Suisse, quand il empoignait un de ses anciens con- 
disciples, le rivait au sol de ses mains de fer, tant 
m. 5 



74 MÉMOIRES DR MONSIEUR GIAUDE. 

qu'un sergent de \ille tardait à le condaîre au 
poste. 

Il faia&it bea« voir crier chaque soir le corpulent 
Tamerlan^ à la porte de son soupirail» entre la bou- 
tique de VÉpi-Scié et du café des Trois-Billards : 

•^ DemandeZyraessieurs^ des billets I billets moins^ 
chers qu'au bureau! On entre de suite I Fauteuil» 
d'orchestre, de balcon, très bien placé 1 Demandes 
des billets^ moins cher qu'au bureau l 

De sa face de Kalmouck, ruisselant de graisse^ 
aux joues avinées, sortait une voix de basse*taille 
tonnante qui retentissait jusqu'au café Turc. 

Petit'^Suisse, au contraire,, séparé de Tàmerlaiï 
par le ruisseau, pour vendre ses contr6marques> 
avait une voix grêle et flûtée. 

Sa voix était aussi trompeuse que la corpulence 
de Tamerlan. 

Les muscles d'acier de Petit-Suisse auraient fait 
plier cent fois contre une le groa Tamerlan qui, 
dans son jeune temps, avait été pourtant lutteur 
forain. 

Petit-Suisse et Tamerlan étaient les habitués du 
café des Trois-Billards, dont ils étaient aussi les 
77ioutons, 

A cette époque, le café des Trois-Billards s'ac- 
*\)udait en rectangle contre le café de TÉpi-Scié 
qui fermait l'hémicycle des théâtres% du côté du 
café des Mousquetaires. 

C'était un bouge souterram placé dujpis le rez-de- 
chaussée d'une petite maison de marionnettes dites 
les Maaionnettes amusantes* 

La porte du café des Trois^Biilards était encla- 



UÉMOiaSS lis MONSIEUR GULUDE. 75 

vée dans un doable esealier de pierre coûduisanl à 
la porte d'entrée des marionnettes. Sar la droite 
de la maison s'élevait une fenêtre d'où sortait la 
tête d'un pitre qui, par ses lazz&s, attirait les curieux. 

Cette encoignure du boulevard du Temple ser- 
vait de refuge aux marchands de contremarques, 
ouvreurs de voiture», ramasseurs de mouchoirs, de 
bout de cigares et escamoteurs de bourses. 

Le café des Troîs-Billards, tenu par les époux 
Martin, était le rendea-vous de ces escarpes et bo- 
bénies du ruisseau. 

Les époux Martin tenaient le comptoir du café 
des Trois-BlUards, lieu de recel où, après la queue 
faite ^ les voleurs venaient cacher leurs larcins dans 
la salle attenant à celle où se tenait Tamerlan le 
Marqueurquï^ de sept à neuf heures, criait ses billets 
debout près d'une table entre une bouteiilQ et deux 
verres. 

Depuis un temps immémorial, le café des Trois- 
Billards^ au boulevard du Temple, comme la Ga^ 
Uote, au boulevard Beaumarchais, servait de dépôt 
aux objets volés. La nuit, ils étaient transportés par 
leurs voleurs aux four gâta des alentours pour être 
démarqués ou fondus, Selon la nature de ces objets, 

La police, depuis longtemps, opérait chez les 
époux Martin des descentes imprévues. Si elle ne 
fermait pas leur souricière, c'est qu'elle lui était 
utile pour surveiller les bandits qui, la casquette 
sur les yeux, les mains sous la blouse, venaient, 
sous prétexte de faire une poule, déposer au fond 
du café des TroisBillards, le produit des vols opé- 
rés à la queue d'un théâitre* 



76 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Une fois que M. Auguste, votre serviteur, fut 
installé à côté de ce bouge, au café des Mousquetai- 
res , pour avoir un œQ sur tous ses voisins , il 
laissa carte blanche aux époux Martin. 

Grâce à Tamerlan et à Petit-Suisse, qui devin- 
rent de nouveaux ennemis dans la place, j*eus 
bien vite raison d'une bande d'escarpes qui, avant 
moi, opérait d'une façon permanente au boulevard 
du Temple. 

Cette bande qui, tous les soirs, à l!heure des spec- 
tacles, descendait des carrières d'Amérique, était 
composée de repris de justice et d'assassins les plus 
dangereux. 

Depuis nombre d'années, ils faisaient dans les po- 
ches des ravages considérables pour la très grande 
fortune des fourgats et des revendeurs du quartier. 

Quelquefois même, après l'heure des spectacles, 
ils ne se contentaient pas de voler, ils assassinaient. 

Il se passa une nuit, au café des Trois-Billards, 
une scène atroce, épouvantable. Un étranger à la 
mine élégante, au portefeuille bien garni, avait fait 
connaissance, au théâtre de la Gaité, d'un aimable 
voisin qui, durant les entr'actes, lui avait énuméré 
avec complaisance tous les plaisirs de la capitale. 

Cet inconnu n'était autre qu'un repris de justice 
affilié à la bande des carrières d'Amérique. 

11 proposa à son compagnon, après la soi lie des 
théâtres, de prendre un punch au café des ïrois- 
Billards, seul café du boulevard, disait-il, ouvert 
toute la nuit. 

L'étranger accepta. 

A peine l'imprudent fut-il entré dans ce bouge 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 77 

qu'il se repentit d'avoir trop facilement accédé aux 
propositions de cet inconnu. 

L'aspect sinistre de ce lieu ne lui dît rien de bon. 

Après avoir descendu une dizaine de marches de 
cette caverne, il se vit dans une longue salle, noire 
et fétide^ éclairée par deux quinquets accrochés à 
des parois zébrées de crasse. 

Les quinquets répandaient une lumière louche 
et suspecte sur trois billards boiteux dont les tapis 
étaient maculés et déchirés. Quelques tables en 
bois étaient rangées des deux côtés des billards. 
Dans le fond, une tribune, en forme de comptoir, 
s^élevait contre une cloison séparant la salle som- 
bre et fétide de l'arrière-boutique . 

Les époux Martin, l'un vieil Israélite, à la figure 
d'aigle, l'autre vieille juive, à la tète de chouette^ 
dormaient ou paraissaient dormir dans leur tribune 
comptoir. 

Deux individus, en haillons, couchés à demi sur 
les tables, semblaient imiter, par leurs ronflements, 
les maîtres de l'établissement. 

A peine l'étranger fut-il en cet endroit sinistre 
qu'il comprit qu'il était tombé dans un guet-apens. 

Il engagea son cicérone, qu'il n'osait soupçonner, 
à revenir sur ses pas, à sortir aveeluî de ce bouge. 
Il était trop tard, son guide avait disparu. 

En levant les yeux, avant de revenir à l'escalier 
d'où il était descendu, il aperçut au haut du sou- 
terrain cinq ou six gaillards qui en bouchaient 
l'entrée. 

Il voulut appeler, crier, s'élancer vers la porte* 
Il fut retenu, bâillonné, étouffé par les deux pré- 



78 MÉMOIRES DE MOIfSIi:CR CLAUiit:. 

tendus iormeurs. Ils s'élancèrent sur lui, le ter- 
rassèrent, et le dévalisèrent de pied en cap. 

L'étranger était doué d'une force peu commune; il 
résista tout en se sentant terrassé et volé. 

Les bandits qui avaient veillé à la porte, depuis 
que leur allumeur leur avait amené leur mické, 
étaient descendus. Maintenant ils prêtaient main- 
forte aux prétendus endormis. Ils avaient sauté sur 
les queues de billard accrochées au mur. Ils en me- 
naçaient le malheureux s'il ne voulait pas s'exécu- 
ter de bonne grâce pendant que les deux premiers 
qu'il avait vus dans la «die continuaient de har^ 
boter dans ses poches. 

Une fois qu'il fut complètement dévalisé, un des 
plus chétifs de la bande tira la planche d'un judas 
qui se trouvait sous Tun des billards que Ton avait 
dérangé pendant la lutte. 

L'étranger, les yeux hagards, aperçut à ses pieds 
un gouffre béant, prêt à l'engloutir. 

De nouveau, Teffroi dans l'àme, la rage dans le 
cœur, il essaya, par des efforts déses^pérés, de s'ar- 
racher des mains de ses bourreaux; ne pouvant y 
parvenir, il se mit à crier au secours. 

Les misérables, pour étouffer sa voix, frappèrent 
«n mesure sur le plancher avec le gros bout des 
queues de billard. Ils entonnèrent d'une a^oîx una- 
nime le chœur alors si populaire du chant des Gi- 
rondins. 

Les cris, les chants, les coups frappés sur le plan- 
cher, étouffèrent les cris désespérés du malheureux 
qui tomba dans la trappe. 

Cinq minutes après, on n'entendit plus rien. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 79 

Alors les époux Martin avaient dormi durant cette 
épouvantable scène, et Tamerlan et Petil-Suis«e, 
qui étaient de TafTaire, m*adressèrent un rapport 
«ur ce qui venait de se passer au café des TroiS'Bil- 
lards. 

Avant la fin des spectacles, je connaissais le 
drame du café des Trois^Billards. 

Au moment où, dans Tarri^re-boutique, la bande 
^e partageait les richesses du malheureux étranger, 
l2| garde cernait le café ; elle ramassait les bandits, 
•sauvait l'étranger, tombé à demi mort dans la cave. 

Ce fut le dernier et tragique événement qui se 
passa au café des Trois-Billards. 

Mon voisinage permanent au café des Mous- 
quetaires empêcha la nouvelle représentation de 
ce drame sinistre qui, avant mon apparition au bou- 
levard du Temple, se renouvelait presque tous lei 
soirs. 

J'appris par Tamerlan qu'avant d'être soutenu 
par la police, plus d'un mouton, avant lui, avait 
été exécuté à ce café mystérieux. 

Plus d'un bandit qui avait voulu vendre la flotte 
avait été fourré sous l'un des trois billards avant 
<i'être achevé par les camarades. 

Un soir, Tamerlan, qui était soupçonné, avait 
été engagé par un des siens à pousser une espèce do 
tiroir à roulettes se trouvant sous l'un des billards. 

Il avait vu, dans des guenilles ensanglantées, une 
face pâle, ayant de gros favoris noirs et les yeux 
fermés. 

C'était bien un mort. Il gisait dans l'étrange cer- 
cueil que lui ivalent fait la veille ses camarades 



80 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

trahis par lui. 11 avait expiré sous les massés et les 
carambolages des habitués du café. 

La nuit, à l'heure où descendaient de la Villelte 
les lourdes voitures de la Con)pagnie Richer, trois 
individus à grandes bottes descendaient dans ce re- 
paire. Ils prenaient la boite fermée où était ren- 
fermé le cadadre ; puis une des voitures affectées 
au service Richer recevait le cadavre pour le trans- 
porter jusqu'au fond des carrières de Montfaucon. 

Quant aux produits des vols et assassinats opé- 
rés par la bande, ils allaient enrichir des fourgats 
qui revendaient les bijoux à des industriels du quar- 
tier aussi peu scrupuleux que les receleurs. 

Un des bijoutiers du quartier du Temple dut à 
son prédécessejar qui faisait fShdre dans ses creu- 
sets les bijoux volés aux queues des théâtres, la 
source de la grande fortune qu'il possède aujour- 
d'hui. 

Lorsque cet établissement de lugubre mémoire 
fut purifié par ceux-là mêmes qui avaient contri- 
bué à sa triste réputation, il ne devint pas plus res- 
pectable pour cela. 

Les époux Martin étaient des Israélites qui, ea 
ne pouvant plus nager dans le sang, ne tenaient pas 
moins à finir comme ils avaient commencé, c'est- 
à-dire à nager en eau trouble. Ils livrèrent leur éta- 
blissement à des brocanteurs qui pratiquaient sur 
une \a8te échelle \t revidage. 

Voici en quoi consiste le re vidage. Après faUlite 
ou après décès, lorsqu'un magasin est mis à l'en- 
can, des Auvergnats, toujours les mêmes, se grou- 
pent pour empêcher, par une hausse surfaite, les 



HÉMOIBES DE MONSIEUR CLAUDE. 8t 

étrangers à bénéficier de cette vente publique. Ils 
donainent, par une enchère factice, la vente, et, 
bon gré mal gré, ils s'en rendent maîtres. Vient 
après le revidage . 

Alors 0^ se donne rendez-vous dans un endroit 
clandestin pour se partager les bénéfices et les^per- 
tes de &on paniot^ c'est-à-dire de sa part indivi- 
duelle. 

Le cabaret des Trois-Billards, un souterrain, était 
admirablement approprié pour perpétuer entre tous 
les brocanteurs du Temple l'usage du panïot. 

Lorsque j'appris quelle nouvelle clientèle fré- 
quentait l'établissement des époux Martin, je la fis 
également cerner par la police. Les revtdeurs s'ex- 
pliquèrent devant les juges en cherchant à faire 
passer leur malhonnête commârce sur le compte 
de l'usage. 

Le tribunal leur répondit : 

« — Les voleurs ont aussi l'usage de voler, mais 
la justice a l'usage de les punir. » 

Tous les vols, tous les méfaits que je surveillais, 
en ma qualité de commissaire de la section des 
théâtres, au café des Mousquetaires, n'étaient pas 
d'une gravité aussi sinistré que ceux que j'ai signa- 
lés au café des Trois-Billards. 

Je me rappelle une petite vieille qui, au jardin 
Turc, avait causé longuement avec un grand gail- 
lard qui n'était autre qu'un repris de justice. 

U ne fut pas parti que la petite vieille voulut 
l'imiter, mais elle ne trouva ni sa monnaie, ni sa 
l)Ourse, ni sa tabatière. 

Elle court pour sortir du café et courir après 
m. 5. 



82 HÉKOIRES DE MONSIEUR GL4UDS. 

son voleur. Un garçon Tarréte au passage ; il lui de- 
mande le prix de sa consommation. 

— Mais, imbécile, lui répond-elle en le bouscu- 
lant avec une force incompatible avec son âge, pour 
te payer, il faut d'abord que je rattrape celui qui 
m'a volé? 

Le garçon qui, lienrté de la belle façon, doute 
de la véracité de la femme, court après elle quand 
elle, de son côté, court après son Toleur. 

Sur le point de le saisir, elle dit au garçon mar- 
chant sur ses talons : 

— Au lieu de m'empoigner, empoigne mon bri- 
gand. 

Elle lui désigne son filou. 

Le garçon, qui tient avant tout à ne pas perdre 
sa consommation, tombe sur le bandit que la petite 
vieille empoigne en même temps que lui. 

Sans attendre le commissaire, elle rattrape dans 
les poches de son voleur son argent et sa tabatière 
que le voleur avait fait sortir des siennes. 

Le garçon, qui ne demande que son argent, veut 
se retirer. La petite vieille Tentraine aussi pour lui 
servir de témoin. 

Aux applaudissements de la foule, la dame triom- 
phante conduit à mon bureau et le garçon récalci- 
trant et le bandit plus récalcitrant encore. 

Ce dernier était un récidiviste que la police cher- 
chait depuis longtemps .sans succès. 

La petite vieille avait été vivandière du temps 
de Vautre. Elle m'avoua que, de son temps, c'était 
Tarmée qui faisait la police et, ajoutait-elle, en sa 



MÉMOIRES DE HONSIBUB CUUDE. 83 

qualité de veuve de la gfrande arméC; elle savait 
son métier et le prouvait. 

Après minuit, après mon inspection, durant la- 
quelle mes indicateurs ne me laissaient jamais cti6'- 
mer, je revenais quelquefois souper au café des 
Mousquetaires. 

Là, Je dois Tavouer à la honte de bien des nota- 
bles habitants du Marais, je rencontrais parfois quel- 
ques-uns de ces messieurs en tète à tète avec des 
étoiles des Folies-Dramatiques, des Délassements ou 
du Cirque, dont ils contribuaient à Téclat. 

Toujours économes, toujours' réguliers jusque 
dans leurs irrégularités, ces bourgeois conseillaient 
à ces dames, qui s*en moquaient, de ne pas trop 
salir leurs jupons pour n'avoir pas. à payer une 
trop grosse note de blanchisseuse. 

J'assistais aussi au rendez-vous des jeunes pre- 
miers qui, dans un souper à trois francs, se mon- 
traient les présents qu'ils avaient reçus, dans la soi- 
rée, des plus ardentes et des plus opulentes mar* 
chandes du Temple. 

Il faut bien que tout le mondeivive. 

Les appointements de M. Mouriez, pas plus que 
les émoluments fictifs des Dumas et des Mirecourt, 
ne permettant pas aux étoiles de Tart dramatique de 
ne vivre que de leur éclat, c'était à Mercure à en- 
tretenir Apollon. 

M. Auguste était heureux , après avoir vécu à 
côté du meurtre et du vol, de se délasser à côlé de 
l'esprit qui se moquait de la sottise et des préjugés 
en les exploitant. 

Le§ goûts que j'avais contractés au frottement des 



8^ MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

gens de lettres et des gens de théâtre ne se modi- 
fièrent pas quand je devins chef de la police de sû- 
reté. 

Dans les théâtres, quand le boulevard du Tem- 
ple fut démoli, je restai, pour me dérober aux sou- 
cis de mon dur métier et pour m*oubIier moi- 
même, M. Auguste I comme devant. 



CHAPITRE VI 



lA TANTE MALAGA 



C'est le privilège da policier, et un triste privi- 
lège, de pénétrer dans les bas-fonds de la société 
pour en écumer la lie. 

J*ai rencontré dans le monde des théâtres une 
femme-homme que Tancienne génération des auteurs 
a aussi bien connue. C'était un usurier ou plutôt 
une usurière. Sous des habits d'homme qu'elle n'a- 
vait pas quittés depuis sa tendre jeunesse, elle 
avait exercé d'abord le double emploi de chef de 
claque et de marchand de billets. 
\ On l'appelait la tante Malaga, Je ne me sou- 
I viens que de son sobriquet, plus en usage chez ses 
complices que chez ses clients. Son principal métier 
était d'escompter, à gros intérêts, les effets en souf- 
,france. 

La tante Malaga était riche. Elle avait abdiqué 
son sexe au profit de son triple métier de chef de 



86 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

* claque, de marchand de billets et de prêteur d'ar- 
gent. 

Dès que cette femme-homme avait été chef de 
claque, elle avait commencé avec les auteurs ses 
relations usuraires. Elle les avait étendues plus tard 
dan5 tout le monde artiste. 

Les gens de théâtre, d'ordinaire, ne comptent pas, 
et la tante Malaga g'ea éiaiJ; faite la prêteuse, un 
peu comme la fourmi. 

Malgré les gros intérêts que la famille impré- 
voyante des artistes payait à sa tante, elle ne. 
lui en était pas moins très reconnaissante. Elle la 
considérait comme sa providence ; elle était à tu et 
à toi avec les célébrités qu'elle traitait avec une 
aisance et un sans-façon patriarcal. 

« Les auteurâ, disait la Malaga, étaient ses en- 
fants. » 

Quant aux actrices, elle les aimait avec passion, 
avec délire* Elle se vantait d'avoir fait donner aux 
plus célèbres leur premier rôle, qui léSir avait per- 
mis de placer plus tard leurs noms en vedette^ 
grâce à ses relations avec tous l^s auteurs, qui lui 
devaient aussi, avec leurs premiers applaudisse- 
ments, leur première pièce de cent sous. 

La tante Malaga, dans le Théâtre, était une 
puissance. 

Pour se distinguer du vulgaire , jamais elle ne 
parlait aux auteurs qu'à la seconde personne du sin- 
gulier; jamais elle ne les désignait autrement que 
par leur nom de famille, souvent très différent de 
leur nom d'écrivain. 

Le procès qu'on fit en 1861 à Roger de Beauvoir 



XtMOIKES DE XOr^SIEUR CLAUDE. 87 

démontra an tribunal que cet auteur n'avait pas été 
le seul à se faire baptiser par le public d'un autre 
nom que par son nom de famille. 

On sut par ce procès que Dennery s'appelait Phi- 
lippe; EmpiSj Stmontt; Laurencîn, Chapelle; Mon- 
lîgny , Lemoine ; Nadar, Tournachon ; fiavarni. 
Chevalier^ etc. 

Or, la tante Malaga eonnaissait tout son monde 
sous son vrai nom, elle qui avait assisté aux débuts 
des auteurs les plus célèbres, elle qui avait patronné 
leur succès aussi bien en battant des mains qu'en 
battant monnaie à leur profit. 

Pour elle ils étaient tous restés ce qu'ils avaient 
été à leur début : le.petit Philippe ou le ^amîn Le^ 
moiney etc. Bile eût tutoyé Scribe et Victor Hugo 
si elle les eût connus. Elle tutoyait Dunias. 

Jusque-là, les allures de la tante Malaga n'a- 
vaient rien d'extraordinaire. Le sans- façon avec 
lequel elle traitait acteurs, auteurs et directeurs 
était expliqué par le fait de son ancienne profession 
et de son commerce intime avec la plupart d'entre 
eux. 

Mais où ces fréquentations commençaient à deve- 
nir suspectes, à inquiéter le bureau des mœurs, c'é- 
tait lorsque la tante était en relation avec des ac- 
trices qui, par leur conduite scandaleuse, n'avaient 
de l'actrice que le nom ; c'était lorsqu'on la voyait, 
les jours des grandes représentations dans une salle 
de spectacle, en compagnie d'une jeune femme ha- 
billée en homme comme elle, lorsqu'elle manifestait 
pour sa compagne des complaisances qu'un amou- 
reux peut seul avoir vis*à-vis de sa maîtresse. 



88 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

La médisance ne Tavait pas surnommée en vain la 
tante Malaga. Mais cette femme- homme était trop 
adroite pour donner aux apparences l'ombre de la 
réalité. 

Sa compagne, habillée comme elle, était, au dire 
de Malaga, une nièce appelée à lui succéder. Elle 
avait obtenu de la police un permis pour que sa 
jeune parente pCit avoir accès dans le monde des 
comédiens, sans être un objet de scandale. 

Gomme la tante Malaga, par sa fortune et par ses 
relations, jouissait d'une notoriété relative, la po- 
lice n'avait pas vu si loin que voulait voir la médi- 
sance. 

Cependant la tante Malaga ne craignait pas de 
s'enfoncer jusqu'aux coudes dans la boue de Paris, 
où le bureau des mœurs Test toujours si occupé à 
balayer et à ramasser le rebut de la population pa- 
risienne. 

Bien des fois on avait surpris la Malaga descen- 
dre les degrés de la prostitution en tout genre. 

Un inspecteur l'avait rencontrée courant avec un 
souteneur dont elle connaissait les hétaïres les plus 
effrontées, pour relancer son troupeau féminin jus- 
que da^ns les sphères de la corruption la plus raffinée ! 

Un agent des mœurs l'avait, un jour, vue, au Pa- 
lais-Royal, s'approcher d'un monsieur bien mis, dé- 
coré, et lui désigner de l'œil de petits jeunes gens 
frisés et pommadés, au corps flétri', serré à la taille, 
aux mains blanches et aux regards plus efl'ronlés' 
que ceux des filles. I 

Une fois la tante partie, le monsienr entrait cnj 
relations avec ces petits jeunes gens aux mouve- 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. . 89 

ments ondulés et que la tante venait de rabattre 
comme la paysanne rabat au pré une bande d*oiesI 

Mais dans les coups de balai que la police donnait 
parfois à celte tourbe ébontée et infâme, Malaga, 
tout en cautionnant les propagateurs du vice pour 
spéculer sur leur troupeau, n'était jamais pincée. . 

Elle avait Fart de se tenir derrière le rideau. Tou- 
jours à l'écart d'une razzia opérée par les agents, 
elle savait tirer, enGn, son épingle du jeu l 

C'étaient, les souteneurs, c'étaient les messieurs 
bien mis qui payaient pour la tante lorsqu'ils étaient 
surpris dans leurs plaisirs organisés par cette Mes- 
saline d'un nouveau genre^ 

Elle avait un moyen infaillible pour *e tenir e» 
dehors des raffles de la police ; ce moyen, c'était 
de dénoncer à la préfecture les individus, acheteurs 
et .vendeurs, qu'elle avait elle-même trouvés pour le 
trafic de son vicieux bétail. 

Si quelquefois le client et l'intermédiaire se plai* 
gnaient en vendant aussi Malaga qui les avait dé- 
noncés, ils ne donnaient jamais suite à leurs plain- 
tes. Un billet de mille francs passé à l'entremetteur 
le consolait de la nécessité qui avait forcé Malaga à 
le trahir. Quant à l'homme du monde, il se taisait 
parce que Malaga avait des clients jusque dans le 
Palais, parce que la tante avait de puissantes rami* 
fications qui sauvaient sa victime de la dangereuse 
passe où elle l'avait engagée ! 

Deux fois cependant, dans des circonstances bien 
différentes, Malaga faillit être prise par la police. 

Un jour, un jeune auteur, plus riche d'espérances 
que de droits littéraires, sollicitait de Malaga ua 



90 MEMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

prêt d'argent sur une pièce de théâtre dont la fu- 
ture représentation était plus que problématique. 

Malaga, qui ne prétait qu*à bon escient, mais 
qui ne savait cependant rien refuser à la jeunesse, 
répondit au naïf jeune homme : 

— Je ne doute pas que vous ayez du talent, je 
ne doute pas que vous ayez de la probité. Tout cela 
n'est pas une garantie pour la somme que vous me 
demandez à emprunter. Si, cependant, ajouta-t-elle 
d'un air de bonhomie, vous voulez entrer en colla- 
boration avec M. *** pour votre pièce, je consens 
encore à vous obliger. Car vous savez, mon jeune 
ami, que je suis l'obligeance même et que tous 
les auteurs sont mes enfants f 

La tante Malaga n'achevait pas un discours sans 
placer ce dernier membre de phrase, sa réclame 
à l'adresse de tous les emprunteurs. 

Pour prouver qu'elle était l'obligeance même, 
Malaga, qui savait juste assez écrire pour signer son 
nom, fit donner par son secrétaire, sa nièce. en ha- 
bits d'homme, un mot très favorable qui recoija- 
mandait le jeune auteur à M. •**. Celui-ci était un 
vieux routier dans l'art théâtral, collaborateur de 
Scribe dans un quart de vaudeville, et qui avait, 
à rencontre de se» confrères, la réputation d'encou- 
rager et d'aimer tous les jeunes auteurs. 

Quoique, depuis dix ans, ce vaudevilliste eût 
quitté le théâtre pour entrer dans le commerce 
et devenir homme d'affaires, M. *** ne négligeait 
pas, à ses loisirs, de faire encore, en collaboration 
avec la jeunesse, des pièces de théâtre. D'ordinaire, 
«lies se transformaient en un boniment ayant rap- 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 1)1 

porta sa marâon d^aflaires, quand elles ne se termi- 
naient pas, de la part de son coUaboraienr, par une 
rupture subite et eoinplète I 

On devine la cause de cette rupture par la passion 
qui excitait ce Taudeviiliste retraité à attirer la jeu- 
nesse sous prétexte de collaboration f 

^ On voit dans quel but infâme la tante envoyait 
encore ce jeune auteur plein d'espérances cbez ce 
vieux satrape plein de vices! Il arrive à la porte de 
Tex- vaudevilliste et de Tagent d'affaires, l'esprit* 
partagé entre la crainte et le désir d'une collabo- 
ration qui lui promet la gloire et la fortune. 

Il est reçu dans le cabinet de l'ex-vaudevilliste 
par un jeune homme qui le regarde d'abord d'un 
air de malice dégénérant ensuite en une expression 
«hagrine. 

De son c6té, le jeune auteur, tout en expitquant 
à ce jeune homme, secrétaire de rex-vaudevilliste, 
i'objetde sa visite, observe bien celui qui l'écoute. 

Il croit le reconnaître sous son air efféminé, sous 
«on maintien qui affecte tonte la tenue, toute la 
tournure d'une femme. 

Enfin le secrétaire, lorsque le recommandé de 
ia tante Malaga lui a dit son nom, se fait reconnaî- 
tre à lui. 

Il se trouve que les deux jeunes gens sont d'an- 
ciens camarades de collège. 

Dans une bonne intention, le secrétaire de l'ex- 
vaudeviiliste agent d'affaires engage vivement, sans 
s'expliquer davantage, son ancien copain à ne pas 
donner suite à son projet de collaboration et à 
partir au plus vite de cette maison. 



92 MÉMOIRES DR MONSIEUR CLAUDE. 

Notre auteur en herbe , pressé par le besoin 
autant que par la gloire, met sur le compte de 
la rivalité le conseil de son copain. 

De son c6té, le vieux vaudevilliste, qui a entendu, 
d*une chambre voisine, l'entretien des deux jeunes 
gens» sort comme un furieux de son cabinet par- 
ticulier. 

Il admoneste son secrétaire Intime. Il lui demande 
de quel droit il évince un jeune littérateur plein 
d'avenirque lui recommande sa chère Malaga. 

Il ouvre la lettre, pendant que le secrétaire in- 
time pousse un soupir en faisant le gros dos. 

L'ex-vaudevilliste la lit avec une expression de 
satisfaction qui fait frotter les mains au jeune néo- 
phite; et le secrétaire, l'oreille basse, le nez sur 
son papier, parait de plus en plus contristé. 

A peine le vieux satrape a-t-il fini sa lecture qu'il 
dit au jeune homme que, pour donner une leçon 
à son employé, pour réparer surtout son acte d'in- 
fidélité, il lira dans la journée son manuscrit. 

Il nç s'arrête pas là; il engage le soir même le 
jeune homme à dîner chez lui pour lui dire au 
dessert ce qu'il pense de son élucubration. 

— Car, ajoute-t-il, son besoin d'argent l'excite 
à concourir à la bonne œuvre de sa chère Malaga, 
aussi bien disposée que lui en faveur de la jeunesse 
littéraire, etc. 

Le jeune homme sort enchanté, ravi. Il accepte 
l'invitation à dîner du satrape qui lui ouvre si com- 
plaisamment les portes de la renommée et de la for- 
tune. 

Avant de sortir du bureau de l'ex-vaudevilliste , 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 93 

il embrasserait ses pas, il se jetterait dans ses bras, 
ce qui aurait bien fait Taffaire de ce satrape. 

Car, tout en lisant la lettre de recommandation 
de la tante, les yeux pleins de convoitise du vieil* 
lard n'avaient cessé de dévorer le visage de son 
futur collaborateur. 

C'était un très beau garçon, dont la figure imberbe 
gardait le prestige séduisant de Tadolescence naïve 
et tendre. 

Le soir, notre auteur en herbe ne manque pa& 
l'heure du rendez-vous. 

Il est reçu par le vieux vaudevilliste qui, dans la 
journée, a lu consciencieusement sa pièce, il ne 
tarit pas de compliments sur l'imagination de l'au- 
teur. 

Il lui dit qu'avec des retouches commandées par 
l'expérience de la scène, son œuvre deviendra un 
chef-d'œuvre, que lui-même est très honoré de de- 
venir son collaborateur uniquement pour le lancer 
dans la carrière dramatique dont il deviendra la 
gloire. 

La vanité , notre satrape le savait, était le plus 
sûr moyen d'attirer une victime dans son piège et 
de l'attacher à sa glu. ' 

Notre auteur en herbe est au septième ciel. 

Il savoure comme le corbeau les éloges de maître 
renard qui, pour fêter par avance le brillant avenir 
de son néophyte, lui fait boire Pomard sur Gham- 
bertin, suivis de tous les crus du clos de la veuve 
Clicquot ! 

Le diner se prolonge. Il est deux heures du ma- 
^in. Notre auteur, à cette heure indue, ne peut ren- 



94 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

trer chez lui, au risque de payer une amende à son 
portier, qui aurait pu le laisser à la porte, vu que 
notre auteur en était au deuxième terme qu'il de - 
vait à son propriétaire. 

C'était là où Tattendait le misérable. Il lui offre 
de partager son lit; son collaborateur accepte. 
Enfin l'œuvre de la tante Malaga, payée par cet 
agent d'aflaîres, va être consommée! 

Par un bonheur inouï, l'ivresse a gagné aussi 
celui qui lui a tendu cet infâme guet-apens. 

Il dort. 

Mais le matin, le misérable se révèle. Le jeune 
homme indigné , honteux et colère , injurie > 
frappe l'odieux vieillard. 

Il le menace d'un scandale, devant lequel sod 
protecteur recule, en traitant de fou celui qui ne 
veut être ni son complice ni sa dupe. 

Et le soir, le jeune homme envoyjait au parquet 
une plainte contre l'agent d'aifaires et son entre- 
metteuse Malaga. 

Mais il n'y avait pas flagrant délit. L'agent d'af- 
faires profita de la lacune que la législation n'a pas 
osé remplir entre l'accusation d'un acte de ce genre 
et son accomplissement. 

L'ex-vaudevilliste esquiva donc Taccusation por- 
tée contre lui par le jeune auteur. 

Malaga, objet depuis longtemps des griefs de ce 
genre, sortit moins facilement du cabinet du juge 
d'instruction. Cette fois, ce fut le hasard qui la 
servit autant que son adresse. 

Elle apparut devant.le juge dans l'attitude d'une 
personne indignée. Elle dit que le jeune homme a 



• MÉMOIKES DE M0:7S[EUR CLàUDG. 05 

voulu exercer un odieux chantage , qu'après lui 
avoir donné, par manière d'acquit, une lettre de 
recommandation pour un auteur, son client, lui- 
même, a failli , co.nme elle être la dupe de ce 
petit scélérat I 

Abusant de sa bonté, ajoutait- elle, il avait tenté 
de lui soutirer de l'argent ! Et c'était parce que 
M. ***, auteur très connu, personnage très hono- 
rable, n'avait pas voulu consentir, à la suite de son 
invitation, à lui donner de Targent, que son pro- 
tégé avait, le lendemain, imaginé cette comédie 
infâme, odieuse, invraisemblable. 

Elle terminait : 

->• Du reste, je ne suis pour rien dans ce qui 
s'est passé entre M. ***, si connu pour sa sympathie 
pour les débutants, et ce jeune drêle qui, pour 
arriver à entrer dans l'intimité de M. ***, prépara ce 
chantage, grâce à sa camaraderie de collège avec 
un employé de M. ***. 

On interrogea le secrétaire de Tagent d'affaires 
qui, partageant les goûts de son patron et pour 
ne pas se perdre lui-même, parla comme Malaga. 

Encore une fois, elle put glisser entre les mailles 
de la justice*. 

Une seconde fois, l'accusation qui pesa contre 
Malaga fut plus terrible et plus grave I 

Il y allait de l'échafaud, car il y avait meurtre. 

Malaga avait placé sur sa route ténébreuse deux 
cadavres. Ce n*était plus Tintérôt qui était en jeu, 
c'était la passion. 

tJn matin, à Asnières, la f olice découvrit, dans 
une propriété déserte, dans une habitation appar- 



^6 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

tenant àMalaga, le corps d'une femme assassinée, 
et près d'elle, un homme fracDé d'un coup de pis- 
tolet, gisait à ses pieds. ( 

La femme qu'on avait vue autrefois en habit 
d'homme, à tous les théâtres, en compagnie de 
Malaga, cette femme qui, longtemps, lui avait servi 
de secrétaire en passant pour sa nièce, c'était elle 
qui était trouvée morte dans la maison de Malaga. 

Et l'homme étendu sans vie, près du divan où 
gisait la première victime, fut reconnu pour être 
un jeune homme qui, durant les absences dé Ma- 
laga, était reçu par la prétendue nièce de la tante! 

Lorsque je fus appelé par le parquet à faire 
une descente de police dans la maison de la Ma- 
laga, à constater, avec le commissaire de l'endroit, 
l'identité des deux victimes , je vis un corps de 
femme dont Je sein était déchiqueté à coups de poi- 
gnard. 

L'appartement dans lequel se trouvaient les deux 
<;adavres était teint de sang de place en place. 

La femme était tordue sur elle-même. Ses che- 
veux étaient arrachés. Elle était couverte de bles- 
sures au sein par un poignard dont la main indiquait 
la rage avec laquelle elle avait frappé. Tout déno-/ 
tait que cette femme était morte en se débattantj 
dans une lutte acharnée entre elle et son amant! | 
J L'amant était étendu dans la même pièce , la 
bouche ouverte, à quelque distance de la victime, 
frappé par une balle en pleine poitrine. 

A première vue , il était clair que c'était cet 
homme qui avait assassiné cette femme, excité par 
la jalousie. Puis, épouvanté sans doute du meurtre 



MÉMOWES DE HONSIBUR CLAUDE. 97 

qu'il avait commis, il s'était fait justice à côté de 
sa victime. 

La Malaga fat appelée par le juge d'instruction 
pour avoir Texplication de ce double meurtre dans 
8a maison. 

Elle l'expliqua, les larmes dans les yeux, avec 
les signes d'un violent désespoir, tel que les faits 
se présentaient d'eux-mêmes. 

Elle fut crue d'autant plus volontiers que lors- 
qu'on la conduisit dans sa propriété pour la con- 
fronter avec les cadavres, elle se jeta avec des 
démonstrations de douleur sur le corps de sa pré- 
tendue nièce. 

Elle embrassa le cadavre avec frénésie. Elle 
tourna autour de la victime comme une bête fauve, 
défiant du regard ceux qui la regardaient, et qui 
auraient voulu la lui enlever. 

Puis elle alla droit au jeune homme frappé d'une 
balle; elle ramassa l'arme, à ses pieds, d'un air 
triomphant, cet air semblait dire: 

« — S'ii m'a ravi celle que j'aimais autant que 
lui, celle qui ne voulait plus vivre que pour lui, 
quand moi je ne voulais vivre que pour elle, je n'ai 
pas manqué non plus l'homme qui m'a ravi mon 
bonheur I » 

Mais Malaga savait trop se posséder pour laisser 
lire longtemps, dans ses regards et dans ses gestes, 
la vérité d'une situation atroce qij^elle tenait à ca- 
cher à la justice. 

Elle dit à tout le monde ce que tout le monde 
savait. 

« En son absence, sa nièce, trompant sasurveil- 
m. a 



98 MÉMOIBES Dfi MONSIEUR CLAUDE. 

lance, avait reçu qq jeune homme. Ce jeune 
homme, furieux de ne pas obtenir de la tante 
an acquiescement à leur union , avait tué son 
amante pour qu'elle ne fût pas à un autre. Puis, 
accablé de remords, il s'était tué sur le eorpa de 
sa victime. » 

II était impossible de ne pas accepter cette ver- 
sion, malgré les mauvais antécédents de Malaga. 

H fut prouvé, dans le cours de l'instruction, 
qu'au moment de ce double meurtre, Malaga n'é* 
tait pas dans sa propriété. Personne ne l'avait vue, 
ni dans le jardin, ni dan» les environs. Durant son 
absence, sa nièce ne sortait pas de la maison 
d'Asnières. Elle donnait chaque soir des rendez- 
vous au jeune homme venant de Paris. 11 était 
averti de sa présence dans la maison déserte par 
le signal d'une lampe placée en face de la fenêtre, 
faisant face au divan où gisait le cadavre, à vingt 
pas de celui de son prétendu assassin I 

La justice, qui ne procède que par des preuves 
matérielles et non par des ccmjectures, après«avoir 
arrêté d'abord Malaga, la laissa libre. Et rien, dans 
l'instruction, ne vint donner raison aux soupçons- 
que son caractère très peu honorable fit d'abord- 
peser sur elle. 

On crut désormais, à Asniéres, à un drame d'a- 
mour dont la jalousie de l'amant de la nièce de 
Mataga avait amené le terrible dénouement déclaré 
par la justice. 

Il n'en fut rien. 

J'appris plus tard, bien plus tard, lorsque Malaga 
n'existait plus, l'horrible mystère de celte histoire. 



MÉMOIBES DE MOTTSIDUR CLAUDE. 90 

Malaga , malgré ce qu'on put croire, n'avait 
cessé, depuis longtemps, d'épier sa nièce. Une fois, 
eUe s'était aperçue qu'elle aimait quelqu'un. Ins- 
truite par le jardinier de sa propriété que, depuis 
plusiem^ mois, sa irîèoe recerait son rival, elle 
s'était fait creuser par ce complice une sorte de 
souterrain ou de tunnel, de façon à passer dans sa 
propriété sans être vue de personne. 

Dès ce souterrain fait, Malaga était montée un 
soir à la chambre où sa nièce attendait son 
amant. Elle ne lui avait pas donné le temps de 
placer sa lampe à la fenêtre. Un poignard à la 
main, elle s^était jetée sur elle, la frappant partout 
où elle avait cherché un refuge, partout où elle s'é- 
tait défendue, à en juger par l'empreinte de ses 
mains sur les meubles, sur le divan où la victime 
était tombée après un long, inégal et horrible 
combat. 

Une fois que Malaga avait pris la vie de celle 
qui était aussi chère à un autre qu'à elle, elle s'était 
emparée de la lampe, elle l'avait placée à la fe- 
nêtre de laquelle son rival attendait un signal. 

Armant le pistolet dont elle s'était munie -après 
le poignard, qui avait eu raison de la nièce, Malaga 
attendit. 

Dès que l'amant parut à la porte de la chambre, 
il n'eut pas le temps de reconnaître le corps de sa 
maîtresse nageant dans son sang. 

Malaga le visa à la poitrine, elle l'é tendit raîde 
mort. 

Après avoir placé à côté de ce second cadavjc 
l'arme qui l'avait frappé, elle avait repris le chemin 



100 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

du souterrain, laissante la justice le soin de con- 
tresigner, par son enquête, l*erreur qu'elle avait 
préparée pour s'assurer l'impunité de la vengeance. 

Elle réussit au gré de ses désirs. 

Nul ne connut, me soupçonna le mobile de ce 
double meurtre. 

Son secret fut bien gardé tant qu'elle vécut. 
Ce ne fut que lorsque Malaga fut morte que le 
jardinier parla, pressé par ses remords. 

Les passions bors nature sont des passions ter- 
ribles. Le temps, loin de les affaiblir, ne les rend 
que plus vivaces. Malbeur à ceux qui veulent les 
contrarier ou les contraindre; ils sont broyés par 
l'impétuosité de leurs courants indomptables. 

Elles sont aussi, en raison de leur violence, 
l'objet des spéculations de certains chanteurs. 

Renouvelant la scène de Gil Blas déguisé en in- 
quisiteur, que de fois de faux agents ont spéculé 
sur la peur des coupables pris en flagrant délit, 
pour les rançonner ! 

Ce genre de vol d'une espèce particulière, basé 
sur une passion inavouable, aura lieu tant que 
durera .cette passion. 

Elle s'étend de plus en plus avec la satiété qui est 
le résultat d'une civilisation en décadence, avec la 
séquestration et Tisolement auxquels sont condam- 
nés les prisonniers, les bommes de guerre et les 
marins, partout où l'homme est privé. de relations 
avec des êtres d'un autre sexe. 

Dans la société ordinaire où ce penchant contre 
nature est en quelque sorte inné chez certains indi- 
vidus, ces antiphysiquts s'appellent tantes; chez 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 10! 

les marins, corvettes ; dans l'ariîiée, étendards. 

Partout ils sont 1 objet du plus profond mépris. 

Cependant ces courtisanes , hoiûmes* femmes , 
sont plus nombreuses qu*on ne le pense dans tous 
les rangs de la société. Elles forment une francma- 
çonnerie qui part du sommet de l'échelle sociale 
pour se perdre jusque dans ses bas-fond^. 

Elles ont entre elles une sorte de solidarité qui, 
malgré le huis clos des débats judiciaires, transpire 
encore dans le public. 

On se rappelle, sous Tempire, Fhistoire de cette 
prétendue conspiration militaire. Un jour la police 
avait surpris de nombreux zouaves et un grand 
nombre de cent-gardes se donnant rendez-vous dans 
une maison de Tavenue Marbeuf. 

Des officiers, des gens très haut placés avaient 
été vus, se rendant à heure fixe dans cette maison, 
en compagnie de zouaves et cent-gardes , cons- 
pirant , sans aucun doute , contre Tempereur et 
rÉtat. 

Lorsqu'une descente de police fut ordonnée dans 
cette maison suspecte, on trouva, au lieu de cons- 
pirateurs, des antiphysiques dans une situation 
rien moins.. • que guerrière 1 

Il est inutile de m'étendre sur cette plaie sociale I 
Je ne l'ai signalée avec l'histoire de la tante Ma- 
îaga, ce type monstrueux de la dégradation hu- 
maine, que pour la jnontrer telle qu'elle est : 
cynique, astucieuse, criminelle. 

La société doit d'autant plus se mettre en garde 
contre les atteintes de cette maladie, qu'elle prend 
de plus en plus racine dans la population, 
nu 6. 



102 HÉMOIBIIS ]>E MONSIEUB OiÂUDE. 

Prenons garde : sa racine est mortelle ; les fleurs 
du mal s'épanouissent trop déjà sur notre 6ol où 
sont en train de fleurir toutes les libertés • même 
celle de Tordorci 



CHAPITRE vn 



UNE ARRESTATION DU CITOYEN BLANQUI. 



L*empire , après la guerre d'Italie , était déjà 
bien malade. Il n'avait fait cette guerre que poussé 
par les bombes Orsini. Il n''avait fait la paix que 
lorsqu'il avait vu poindre derrière Taîgle de FAu- 
tricbe les casques prussiens. 

Et rhomme-destin , une fois parti en guerre, ne 
fiut satisfaire ni le pape, ni lltalie, ni les catholi- 
ques, ni les 13>éranx, il avoua lui-même son împuiô- 
saace quand il dit en fuyant TAdriatique : 

« Pour servir l'indépeûdance italienne, j'ai fait la 
guerre contre le gré de l'Europe. Dès que les des- 
tinées de mon pays ont pu être en péril, j'ai fait la 
paix. :» 

HélasI notre souverain ne faisait en réalité que le 
jeu de Bismarck; il préparait déjà sa chute I 

A l'arrivée des glorieux débris de Magenta et de 



104 MÉMOmES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Solférino, un observateur eût pu constater que Tor- 
gueil et la joie du triomphe n'étaient plus dans le 
cœur des Français, et que le retour de Tarmée vic- 
torieuse ne ressemblait plus à son départ plein d'en- 
thousiasme. 

Le jour de la rentrée des troupes à Paris, les 
équipages armoriés du faubourg Saint-Germain 
préférèrent le Bois de Boulogne aux boulevards. La 
révdlution, aussi bien en France qu'en Italie, s'ap- 
prêtait à profiter des rancunes de Taristocratie. 

Napoléon III, poussé en Italie par le poignard du 
carbonaro, en sortit par la lance du lansquenet et 
le poignard d'un catholique ! 

Aussi notre souverain, qui n'avait plus d'appui 
parmi ceux qui avaient contribué à son élévation, 
chercha-t-il sa force chez ceux-là même qui ne 
pouvaient lui pardonner son élévation : dans les 
vaincus de la démocratie I 

Il fit l'amnistie, il rappela les proscrits de décem- 
bre qui, sous le ministère Espînasse, avalent res- 
senti, six mois auparavant, un redoublement de 
rigueur ne s'apaisant tout à coup que pour donner 
plus d'espoir à leur revanche longtemps attendue. 

Un homme, la terreur des rois et de leurs adver- 
saires assermentés, le citoyen Blanqui avait aussi 
profité de l'amnistie générale pour rentrer en 
France, 

Blanqui revenait d'exil après avofr été condamné 
sous tous les gouvernements, tant par la monarchie 
et l'empire que par la seconde république. ^- 

Dès sa rentrée en France , il avait été signalé 
à la police comme venant de Belgique et de 



HÉHOIRES DE MONSIEUR CLAUDE» 105 

Londres pour recommencer à Paris ses intaris- 
sables complots. 

Vu rimportance de ce dangereux adversaire de 
tous les pouvoirs qu'il avait successivement com- 
battus , c'était encore aux Corses qu'était écbu 
l'honmur de sa capture. 

. Si leA Corses sont intrépides , ils ne sont pas 
adroits. 

Blanqui, après avoir été signalé à Paris, ne put 
y êlre découvert par la brigade chargée spéciale- 
ment de surveiller le conspirateur incorrigible. 

Quoique l'on fût certain à la préfecture que 
Blanqui était à Paris, aucun agent ne sut indiquer 
sa retraite. On sait que ce conspirateur éternel était 
passé maître dans l'art de dérouter toutes les pistes, 
Il sentait toujours de loin son mouchard, ce qui lui 
permettait, après l'avoir flairé, de le devancer au 
moment où son fîleur prenait ses mesures pour le 
traquer. 

En vain, à cette époque, mit-on sur ses traces 
les Corses les plus intrépides, les agents de l'on - 
cienne brigade Bertoglio qui avaient brillé autre- 
fois en cernant la Chambre, au coup d*Élat ; rien 
n'y fit, Blanqui resta introuvable. 

Blanqui avait alors pour gardes du corps deux 
dames d'un dévouement à toute épreuve et d'une 
activité infatigable : c'étaient M"" Antoine, sa sœur, 
puis la citoyenne Fremeau, très disposée à faire 
à Blanqui, en cas d'attaque, un rempart de sa 
personne. 

Ces deux gardes féminins inventaient chaque 
jour de nouvelles roses, de nouveaux détours pour 



106 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

rendre impuissants les Gorets» acbarnés à sa p ottrsuîte* 
Un jour, les inspecteurs de M. Lagrange appri- 
rent enfin que Blanqui logeait, près de Montpar- 
nasse , dans une [maison à d>euK étages, a^ec sa 
sœur et la citoyenne Fremeau. Ils rapportèrent que 
tous les soirs, de minuit à deux heures du matin, les 
fenêtres du logement de Blanqui étaient brillamment 
éclairées et que sans doute ces lumières servaient de 
signaux aux conspirateurs, que le ténébreux cons- 
pirateur devait recevoir à cette heure avancée. 

Le lendemain matin, de très bonne heure, des of- 
ficiers depaix^ conduits par un inspecteur, partirent 
sous la direction du commissaire du quartier. Ils 
arrivèrent dans la maison indiquée par les agents. 
Ils montèrent un escalier assez étroit et parvinrent 
dans les chambres où devait se trouver Blanqui. 

Ils ne rencontrèrent que deux femmes vaquant 
aux soins du ménage. Llntérieur de ces pièces res- 
semblait à un intérieur d'ouvrier. Dans la dernière, 
ils virent les deux dames, dont Tune était la sœur 
de Blanqui, M"** Antoine, et l'autre, la citoyenne 
Premeau, puis un ouvrier déjà âgé. 

Cet homme était assis à un établi, il était occupé 
à ciseler une pièce d'orfèvrerie. Lorsque les dames 
devancèrent le commissaire, les officiers de paix et 
le brigadier pour avertir l'ouvrier de cette visite 
domiciliaire, celui-ci parut très surpris. 
Aux questions du commissan^, il répondit : 
— Je suis ciseleur. M"' Antoine, la sœur de mon 
ami Blanqui, et W^ Premeau me louent ces cham- 
bres pour les besoins de mon état. îe suis chez ces 
dames comme locataire et rien de plus. 



MÉMOIBSS DB MONSIEUR CLAUDE. 107 

fi était évident que Blanqui avait eu vent de cette 
perquisition, il n'était déjà plus ehez sa sœur, cet 
ouvrier n'était placé là que pouF dérouter la poUee. 

Lorsque le commissaire eut demandé à cet ou- 
vrier et à ces dames si Blanqui ne venait pas souvent 
les voir. 

L'ouvrier répondît : 

— Le citoyen Blanqui ne vient que rarement ici, 
Je ne sai& quand il reviendra; mais, reprit-il d'un 
ton narquois, si vouis avez quelque chose à lui faire 
dire, je me charge de le lui faire transmettre. 

Pour toute réponse, l'inspecteur se jeta sur l'ou- 
vrier, le commissaire et les officiers de paix tinrent 
en même temps en respect M""' Antoine et la 
citoyenne Premeau. 

Après avoh* fouillé le prétendu ciseleur, Tins- 
pecteur et les officiers de paix trouvèrent sur lui 
un papier assez insignifiant qu'ils remirent au com- 
missaire de police. 

Ce papier contenait ces mots formant l'ana- 
gramme de-BIanqui 

Le voici avec sa teneur : 

y onheur, 
|H Oi, 
{> mour, 
5^ ont 

H nstant! 

Quoique ce papier ne signifiât rien à première 
Tue, il fut gardé précieusennnt par le commissaire. 



108 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDF,. 

L*ouvrier ciseleur fut emmené, à défaut de Blanqui, 
à la préfecture où cet individu fut de nouveau inter- 
rogé par le juge d'instruction. 

A la préfecture comme à son domicile, le ciseleur 
fut impénétrable comme l'anagramme qu'on avait 
saisie sur lui. 

La police, après avoir relâché l'ouvrier, en fut 
pour l'insuccès de ses démarches. 

Le préfet de police, après avoir rendu compte 
en haut lieu de la non-réussite de son information, 
reçut l'ordre de poursuivre ses démarches. 

Alors on me fit appeler ; et comme cela arrivait 
souvent lorsque la corserie éprouvait un échec, on 
m'ordonna de le réparer. 

Pour m'aider dans mes recherches, il me fut 
donné le papier trouvé chez le frère du conspira- 
teur et qui, pour ses fileurs, n'était que de Thébreu. 

Lorsque j'eus en main cette affaire, je» la repris 
au point où elle avait été commencée par les Corses. 
Je fis venir dans mon cabinet l'ouvrier ciseleur. 

Après lui avoir demandé aussi l'explication de 
son anagramme, il me répondit qu'il n'avait d'autre 
explication à me donner que celle qui s'y trouvait; 
et que si celte explication n'était pas suffisante, ilnc 
fallait s'en prendre qu'à son instruction qui n'était 
pas aussi solide que celle de son ami filanqui. 

J'étais désarmé. 

Je le congédiai, après avoir épuisé vis-à-vis de 
lui tous les moyens de persuasion allant de la 
douceur à la menace» et essayant d'acheter son 
secret, mais il me répondit encore : 

— Je comprends, maintenant, pourquoi Blanqui 



MÉMOIRES DE H0N8IE0R CLAUDE. 109 

86 défie de tout le monde, même de moi qui ne me 
mêle pas de politique ; car la police , je le vois, ne 
recule devant rien pour faire des traîtres I 

Malgré Tinsolence de cet ouvrier qui, par sa ré- 
ponse imprudente , s'avouait être . .un plus chaud 
partisan de Blanqui qu'il ne le prétendait, je le lais> 
sai libre. 

Il n'était pas sorti de mon cabinet que je le £s 
filer. Un de mes agents ne le perdit pas de vue 
jusqu'à son domicile. 

Cette fois, son chemin n'était plus celui que je 
lui connaissais Et dès que mon agent revint de son 
exploration, il me dit où il avait laissé l'ouvrier, 
à la porte d'une maison de la rue des Tfoù- 
Bornes^ 

Le nom de cette rue fut pour moi un trait de lu- 
mière. Je consultai le papier où était écrite l'ana- 
gramme de l'ouvrier ciseleur, Elle devenait pour 
moi un nouvel indice. J'y devinai ce que mes collè- 
gues n'avaient pu y trouver. 

L'anagramme, formant le nom de Blanqui, com- 
mençait à la première ligne, à la preijiière lettre, 
par un B. Plus de doute, là était le nouveau do- 
micile où l'ouvrier s'était rendu pour y retrouver 
Blanqui, et pour l'engager , depuis que la police, 
était en éveil, à déguerpir de sa seconde retraite. 

Alors je me rendis à la rue des Bornes. 

Api es avoir été de maison en maison, je décou- 
vris un portier qui me dit que le monsieur, dont je 
lui donnai le signalement, habitait un appartement 
situé au troisième, mais que le matin ce monsieur 
était parti après la visite d'un- ouvrier qui, précisé- 
III. 7 



iiO MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

ment par la peinture qu*il m*en fit, était mon 
ouvrier ciseleur. 

Je fis part de ma découverte au parqueA. 

Sur les avis que je donnais d'après mes conjec- 
tures basées sur cette découverte, on rechercha les 
noms de rues dont la première lettre commençait 
par la lettre de Tanagramme. 

Vingt inspecteurs furent sur pied pour courir 
dans les rues dont les noms avaient pour première 
lettre, la lettre composant le nom de filanquî.' 

Certes le champ eût été trop vaste pour y décou- 
vrir le conspirateur, toujours averti à la moindre 
alerte par la veuve Antoine, par la citoyenne Pre- 
meau et par ses amis s4ntîtulant alors : ses croco* 
diles. 

Mais Targent ouvre bien des portes, il donne la 
clef de bien des mystères, les crocodiles ne sont 
pas eux-mêmes incorruptibles. 

Après un mois de recherches, mes inspecteurs 
découvrirent à la quatrième lettre de Tanagramme, 
la rue des Nonandières et , dans cette rue, le nu- 
méro de la maison oùfilanqui y avait installé en« 
core un de ses centres politiques. 

En apprenant quel était le propriétaire de celte 
maison qui n'était rien autre qu'un indicateur^ je 
pensai, avec raison, que je tenais le mystérieux et 
redoutable tribun. 

Blanqui, malgré sa méfiance, était tombé dans la 
gueule du loup. 

Il ne pouvait croire que le propriétaire de la rue 
des Nonandières qui, par un commerce indigne, 



HÉMOIRES DE MONSfEUR CLAUDE. Hf 

frustrait la société, n'était pas aussi un ennemi de 
Tordre établi. 

Ce "propriétaire de la rue des Nonandières était 
un faux pauvre. Depuis trente ans, il tressait à la 
porte d*une église des paniers pour déguiser son 
appel à la charité publique. 

Depuis trente ans qu'il exerçait son bumble et 
lucratif métier, la piété des fidèles lai avait fait 
encaisser une somme assez rondelette dont il avait 
su faire fructifier par l'usure les intérêts des in- 
térêts. 

Ce propriétaire, sur ses économies, avait acheté 
cettemaison de la rue des Nonandières, sans comp- 
ter deux autres maisons qu'il possédait dans la ban- 
lieue. 

En dehors de son commerce de mendiant, de tres- 
seur de paille à la porte des églises, il faisait le 
commerce de vin, et dans les deux maisons de la 
banlieue qu'il louait à des filles, le pieux person- 
nage couronnait sa laborieuse existence par son* 
emploi de mouchard. 

Ce faux pauvre , ce mouton indicateur était par- 
venu, en se moquant devant Blanqui des âmes^ 
charitables qui avaient contribué à sa fortune, à 
posséder sa confiance. 

Ce fut par ce misérable que la police parvint à 
mettre la main sur le conspirateur incorrigible. 
Elle coûta quelques billets de banque à la police,^ 
parce que le faux pauvre ne tressait pas plus pour 
rien les fils de sa trahison que ses paniers. 

Blanqui, qui se méfiait de tous ses frères, fut ce^ 
pendant sacrifié par ce nouveau Caïn. Il parut pour 



112 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

la sixième fois en justice, et pour reprendre la seule 
route qu'il avait battue toute sa vie, celle de l'exil 
et de la prison. 

Certes, Blanqui était bien fait pour se méfier de 
«es frères autant que de ses ennemis politiques ; et 
les deux républiques pour lesquelles il avait cons« 
tammeot travaillé ne lui furent guère plus favo» 
rables que la monarchie de juillet et Tempire. 

Jusque sous le ministère de Ledru-RoUin, le mal- 
heureux Blanqui, qui sur la fin de sa vie avait bien 
assez souffert pour être un monomane , fut in- 
quiété, poursuivi, traqué comme une béte fauve. 

En 1848, la prison ne s'ouvrit pour lui que pour se 
refermer sur sa personne avec plus de fracas et 
d'impétuosité. 

Gaussidière lui dépêcha jadis le même Bertoglio 
qui, trois ans plus tard, devait en emprisonner bien 
d'autres. Ce fut Carlier qui, avec Thiers, avait conçu 
d'abord l'idée d'emprisonner la Chambre, avant de 
JNIorny et Maupas, et qui fournit à Ledru-Rollin le 
moyen d'emprisonner Blanqui. En 1848, Blanqui 
faisait déjà trembler Ledru-Rollin ; comme sous la 
Commune, il faisait trembler M. Thiers. 

Et en 1861 comme en 1848, ce fut encore au 
moyen de l'argent que l'on eut raison de l'indomp- 
table tribun, usant ses forces à lutter dans une 
cage pour la liberté qu'il* ne connut pas, qu'il tenta 
toujours de donner aux autres 1 

Et l'on parle de la barbarie et des tortures du 
moyen âge I 

— Si vous y tenez beaucoup? — dit un jour 
Carlier, chef de la police, à Ledru-RoUin, ministre 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE, 115 

de Tiiïtérieur, — je vous ferai arrêler Blanqui, 
mais cela coûtera de Vargent. 

— Qu'à cela ne tienne, répondit le citoyen mi- 
nistre. 

Trois jours après, Blanqui était arrêté, refourré 
en prison comme sous la monarchie. 

Voici le procédé que les républicains modérés 
avaient employé : 

Us avaient fait venir un chef de club, un blan- 
quisle ; par leurs ordres, Carlier lui avait dit : 

— Vous êtes un exalté blanquiste, parce que vous 
n'avez pas le sou ? 

— Mais, monsieur! se récria le clubiste d'un air 
indigné. 

— Pas de phrase I lui riposta-t-il. La ver lu est 
une marchandise qui se paye comme autre chose. 
Combien mettez-vpus à la vôtre? Dites un mot, le 
marché est fait? Voici six mille francs, vous n'avez 
qu'un mol à dire pour qu'ils soient à vous? 

— Non! balbutia le clubiste, jamais, même, pour 
six mille francs, je n'arrêterai Blanqui. Songezdonc? 
quelle honte pour moi ! 

— Qui vous parle de l'arrêter vous-même ? s'écria 
Carlier; c'est notre métier et non le vôtre. Vous 
n'avez pour ces six raille francs qu'à nous dire^ ^ 
vous qui le savez, où va Blanqui, d'où il vient et ce 
qu'il fait? 

Ce mot, le traître le prononça. 

Et en 1848 comme en 1861, Blanqui fut vendu 
par ses frères: le premier était un frère socialiste; le 
second fut un frère mendiant. 



114 MÉMOIRES DE MONSIEUR GLAUDK. 

Le malheureux apôtre de la liberté, fanatique et 
tnonomane, n'était pas si fou sur la fin de sa vie en 
voyant partout des mouchards; il était payé par 
les.siensy pour se méfier de Ic^ police I 



CHAPITRE VIII 



LE FIACRE 2,525 



J'ai dit que le hasard fut pour beaucoup dans la 
réussite de mes incessantes recherches. Je vais le 
prouver par la rencontre que je fis d'un cocher qui 
cette fois, n'était ni le cocher CoUignon ni le pale- 
frenier du nabab de Saint-Germain. 

C'était en 1862. J'étais à la poursuite d'un faus- 
saire qui, par son habileté à contrefaire les billets 
de banque, causait un déficit énorme au Trésor. 

Des plaintes avaient été déposées contre ce faus- 
saire inconnu. Elles émanaient du ministère des 
finances. Le parquet m'avait chargé de courir à la 
poursuite de ce malfaiteur. 

En moins de six mois, six cent mille francs de bîl 
îets faux circulaient dans toute la France. Un 
moment la Banque avait été prise à ces billets 
dont elle avait aussi facilité la circulation, tant ils 
étaient bien imités. 



116 MÉiMOïRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Le déficit que causaient les opérations de cet 
habile faussaire, menaçait de devenir un véritable 
fléau. 

Pour en arrêter les dangereust^s conséquences, 
je mis sur pied toutes mes brigades. 

J'envoyai en province quelques-uns de mes agents 
les plus adroits. Je ne tardai pas à apprendre qu'aux 
environs du département de la Seine, un proprié- 
taire d'une habitation dite de Gatebourse, après 
avoir mené un train plus que modeste, avait étonné 
tout à coup ses voisins par sa vie opulente et las-' 
tueuse. 

Depuis six mois, Gatebourse ne cessait d'être en 
fête. Son propriétaire, un nommé Giraùd, qui se. 
faisait appeler Giraud de Gatebourse^ non content 
d'étonner sa localité par sa prodigalité, allait à 
Paris pour continuer ave<s«la« 4'éclat son existence 
princière. 

L'agent qui découvrit ce personnage apprit, dan* 
sa localité même, qu'on ne lui connaissait pas, de 
près comme de loin, de parenté dont Théritage eût 
pu lui permettre cet éclat aussi inattendu qu'ex- 
traordinaire. 

A Paris, je sus par un agent de la brigade de& 
voitures que ce Gatebourse, chaque fois qu'il se 
rendait dans la capitale, prenait, pour aller à la 
Banque, toujours le même fiacre conduit, par le 
même cocher. 

Ce fiacre portait le numéro 3,5Sfô. Il était conduit 
par un individu d'un certain âge, très connu dans 
le quartier Montmartre par tous les gens de la 
presse et des théâtres. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 117 

G*éiiit on brave homme assez naïf. Il se nommait 
Antoine. Par sa monomanie dont s amusaient ton» 
les bonlevardiers, il en était devena le bouffon. 

Le cocher Antoine était un philosophe. Il avait 
traversé en curieux et en observateur toutes les 
époques terribles d« Février, de Juin et du coup 
J'Élat. Il prétendait en connaître les héros, mieux 
que tous les journalistes dont il était par état Tau* 
tomédon. 

Il avait la prétention de connaître les hommes 
et les choses de son temps; il offrait aux journa- 
listes la primenr de ses mémoires. 

— Tout le gouvernement de 48, disait-il, a passé 
dans ma voiture, et mon fiacre en sait plus long que 
le cabinet noir et le cabinet des ministres. 

Malgré les prétentionsde ce cocher monomane, les 
journalistes, en s'amusant de ses prétentions d'his- 
torien,, se privaient de ses précieux m(^moire8. 

Et notre cocher, quand il s'apercevait, malgré 
sa naïveté , que ses bourgeois le gouaiilaient , 
s'écriait en fouettant Cocotte : 

— Ils ne veulent pas de mes écrits par jalousie! 
Tant pis. L'avenir n'aura pas mes révélations. On ne 
vSaura jamais Thistoire de notre temps I 

A part cette raonomanie , le cocher du nu- 
méro 2,525 était l'homme le plus régulier, le plus 
rangé de cette profession si indisciplinée. 

Il était aussi confiant en lui-môme qu'il était 
confiant vis-à-vis des autres. Les boule vardiers, 
quand ils étaient à court d'argent, n'avaient qu'à 
.flatter la manie du cocher Antoine pour être '^éhi^ 
culès aux frais de sa compagnie. 

m. 7. 



il8 HÉMOIAES De monsieur CLAUDE* 

Et si notre homme était refait si souvent par les 
bohèmes, à plus forte raison devait-il Tètrc par les 
escrocs et les bandits de la force d'un Giraud de 
Gatebourse. 

J'appris que dans chaque voyage que ce faussaire 
faisait à Paris, il ne prenait pas une autre voiture . 
que le fiacre au numéro 2,525, qu'il se faisait ton* 
jours conduire parle cocher Antoine. 

Celui-ci n'avait pas manqué, dès sa première 
course avec le nouveau client, de lui parler de ses 
fameux mémoires. Gatebourse, qui avait à placer 
partout ses faux billets comme Antoine avait à 
placer son manuscrit, n'avait pas manqué de flatter 
sa manie, afin de lui demander de la monnaie en 
échange d'un de ses faux billets. 

Antoine, enchanté d'avoir trouvé un client qui le 
comprit, s'empressait, à chaque voyage, de vider 
.>on sac dans la main de celui qui lui offrait, le plus 
souvent, un billet de banque de sa fabrique. 

Tous ces détails, je les recueillis à la préfecture, 
d'un inspecteur de la brigade des voitures. Ils me 
donnèrent l'idée de faire connaissance avec ce mo- 
dèle des cochers. 

Pour moi, j'étais certain d'être déjà sur la piste de 
mon faussaire. 

Après l'avoir relancé jusque dans sa propriété, je 
le tenais à Paris. Pour couronner mon œuvre, et 
mettre la main sur mon bandit, je n'avais plus qu'à 
faire connaissance avec le cocher Antoine. 

Muni de son numéro, je ne tardai pas à le rencon- 
trer à sa place habituelle , à l'angle de la rue 
Montmartre et du boulevard. 



HÉMOIRES OB HORSIEUR GULUDE. 119 

Alors, les mains dans les poches, de Tair le plus 
naturel du monde, j'interpellai mon Antoine, de- 
4>out sur la chaussée en train de donner de l'avoine 
à sa bète. 

C'était un gros homme, trapu, au gilet rouge, 
à face de même, portant le carrick traditionnel. 
11 ne répondit pas d'abord à mon interpellation. 
Je la lui réitérai en lui frappant sur Tépaule : 

— Cocher, lui dis-je, étes-vous retenu? 

— Oui, bourgeois, me répondit-il. 

— Pourtant, repris-je sévèrement, vous êtes sur 
la place ? 

— Je suis retenu, fît-il d'un air inquiet et en 
ouvrant une large bouche qui accusa un air de sur- 
prise bien plus désagréable pour moi que sa ré- 
ponse. Je suis retenu et pas retenu t 

~~ Ah I ajoutai je , expliquez-vous , car je suis 
pressé autant que vous ne paraissez guère Fétre. 

— Voilà! fît-il. J'attends un bourgeois qui, à deux 
heures, se rend à la Banque. Comme il ne tient pas 
à se faire remarquer, mon bourgeois désire que je 
ne stationne pas. Pour lors et pour la frime, je me 
mets à la file comme les autres guimbardiers. Voilà 
pourquoi, termina-t-il d'un air goguenard en me 
dévorant des yeux d'une façon qui m'impatienta, 
je suis retenu et pas... retenu. 

— Alors, vous êtes en contravention, si vous ne 
me conduisez pas : luirépliquai-je impérieusement. 

— Oh! exclama mon cocher qui me dévisagea, 
en dessinant sur ses lèvres un gros sourire, sourire 
qu'il chercha à rendre fin, oh! vous ne ferez pas 
cela pour moi, Monsieur Claude! 



120 MÉMOIRES DE MOUSIBUR CLAUDE. 

— Hein! exclamai-je d'tia âir destopenr».. tu me 
connais? 

La foudre aurait éclaté sur ma tête que je n'au- 
rais pas été plus pétrifié. 

Mon impitoyable cocher, jouissant de son triom- 
phe, ne me laissa pas le temps de me remettre, il 
ajouta : 

— Pardîne! Est-ce qu*Antoine ne connaît pas son 
monde ? Est-ce que je ne tous ai pas conduit comme 
les autres? Vous m'avez pris en 48, puis en 1851, au 
coup d'État. Oh! votre figure est làl ajouta-t-il en 
se frappant triomphalement le front, comme celles 
ëe mes clients que je trimbale depuis trente ans 
par la pluie, par le vent, par le soleil. Gomme les 
cochers, mes clients, les hommes de lettres surtout^ 
n'ont pas toujours eu du beau temps pour se con- 
duire I Tenez, prenons Timothée Trimm I Y a-t-il 
longtemps qu'il use ma guimbarde et qu'il fait tri- 
mer mes chevaux? Eh bien I lui non plus ne veut pa& 

N de mes Mémoires I Pourtant il sera bien aise de les 
avaler quand il ne pourra plus donner dô la bière à 
boire à mes chevaux I Quel malheur l faire bmre de 
ia bière à Cocotte? Il n'aura peut-être pas, un joor, 
jde quoi payer ia sienne! C'est ce que j'ai dit hier à 
M. de Villemessant, En voilà un qui est la Provi- 
dence des cochers et qui ne marchande pas le pour^ 
boire de l'amitié I Pas fier, lui, pas plus que M. le 
vicomte Ponson du Terrai! . Par exemple, il pèse 
trop dans ma guimbarde, M. de Villemessant; c'est 
pas comme le vicomte. En voilà un fluet I Mais il ne 
la prend plus, ma berline, depuis qu'il a son panier 
d'osier. Pas fier non plus, le vicomte, nous avonft 



UÉMOIBES DE MONSIEUR CLAUDE. 12 1 

bu ensemble plus d'un petit verre ! Alors, il est vrai, 
il n'était pas arrivé^ je ne pouvais pas lui confier 
mes Mémoires, Il n'avait pas fait son Rocamhole! 
En voilà un roman qui est chouette I et qui fait la 
joie des cuisinières et des cochers! Ponson, c'est 
mon homme l Décidément, il aura mes Mémoires! 

J'avais eu le temps, dans son déluge de paroles^ 
de me remettre de ma surprise et de ma stupeur. 

Moi qui m'entourais de tant de mystère pour 
surprendre un bandit de la pire espèce, moi qui avais 
besoin de mon incognito vis-à-vis de ce cocher pour 
m'aider dans mes recherches, il se trouvait qu'au 
lieu de l'intriguer, d'être le maître delà situation, 
c'était ce cocher qui, par une reconnaissance que 
je ne pouvais m'expliquer, me tenait à sa merci. 

Pendant qu'il bavardait et qu'il me rappelait la 
date du coup d'État, les faits revenaient enfin plus 
précis à ma mémoire avec la figure de mon homme. 

Je me rappelai en effet qu'au coup d'État j'avais^ 
été dépêché rue Saint-Martin avec un piquet de gen- 
darmerie pour rattraper un député ie la Montagne, 
fuyant son domicile, après l'arrestation de ses collé* 
gués. 

Ce représentant était aussi, en vertu d'urt mandat 
d'amener, destiné à Mazas. Il m'avait été désigné 
par M. de Maupas. Je me souvins que je rejoignis- 
mon représentant au momentoù il prenait un fiacre, 
malgré la force armée qui le rattrapait en voiture. 

Dans la résistance de ce représentant arrêté par 
im gendarme qui le lâcha après avoir été blessé par 
lui, je me souvins aussi que je le forçai à descendre 
de voiture et que je mis à sa place le gendarme 



422 MÉMOIRKS DE MONSIEUR CLAUDE. 

blessé dans le fiacre, pendant que je m*emparaî 
de mon prison nier en le confiant à la force armée. 

Alors une autre voiture emmenait mon représen* 
tant à Mazas, et le premier fiacre, qui avait reçu le 
représentant, recevait le gendarme blessé qu'il con- 
duisait au Val de Grâce. 

Ce fiacre, en détaillant alors la physionomie de 
son cocher, ne pouvait être, en effet, que le 
fiacre 2,525, conduit toujours, comme dix ans au- 
paravant, par maître Antoine. 

Cet épisode de ma vie devait d'autant moins 
s'effacer de ma mémoire qu'à la suite d^ cette dan- 
gereuse arrestation, il m'était arrivé un désagrément 
qui aurait pu m'être très funeste. 

Dans la lutte que j'avais eu à subir pour faire 
changer les rôles, expulser le voyageur de son fiacre 
pour y installer à sa place le gendarme blessé, 
j'avais perdu la lettre du préfet de police qui m'a- 
vait appelé dans son cabinet pour m'investir de mes 
pouvoirs. 

Ces incidents très sérieux , mais oubliés à la 
longue dans mon active carrière, s'étaient profondé- 
ment gravés dans la mémoire de mon cocher , 
puisqu'il se les rappelait, avec ma physionomie, dix 
ans après. 

Et j'avais eu le temps, pendant qu'il m'avait 
étourdi de ses paroles, de recomposer, avec la phy- 
sionomie de mon personnage, les péripéties de cet 
épisode de ma vie . 

Gomme j'avais besoin de mon cocher dans la cir- 
constance présente, je lui dis, lorsqu'il eut fini ses 
doléances, que je le reconnaissais également. Je lui 



MÉMOIRES DE UONSIËUR GIJkUDE. 123 

racontai « à mon tour, l'expulsion du représentant 
dans son fiacre , renlèvement du gendarme qu'il 
avait conduit au Yal de Grâce. 

Une fois la reconnaissance faite, je lui expliquai 
franchement pourquoi je le retenais toute la jour- 
née, quoique retenu par son bourgeois, parce que 
ce bourgeois était sous la surveillance de la police. 

— Compris! me dit mon honnête automédon; 
c'est comme au temps du gendarme pour coffrer 
l'autre? 

— Précisément, lui murmurai-je à voix basse, et 
pour la peine que je vais tous donner en m'em- 
ûienant tantôt avec votre voyageur non plus à la 
Banque , mais chez le juge d'instruction , voilà, 
ajoutai-je en sortant un billet de banque de ma 
poche, cent francs qui sont de meilleur aloi que les 
billets qu'il confectionne lui-même I 

— Ah! le brigand! exclama le cocher en se ravi- 
sant. Potence de chance, mille millions de ton- 
nerres du diable, mais c'est moi qui lui donne la 
monnaie conlre ses chiffons de contrebande? Alors, 
c'est moi qui suis volé! Ah! tu me le payeras, 
faussaire, bandit, canaille! Quanta vous, monsieur 
Claude, comptez sur moi; et si Cocotle, ma guim- 
barde et moi nous ne conduisons pas aujourd'hui 
même le paroissien à Mazas, c'est que je perdrai 
mon nom d'Antoine, dit le modèle des cochers ! Le 
brigand va venir! et je réponds que le banquisle ne 
roulera plus la Banque ! Cocotte a son avoine. 
Quand Cocotte a son avoine, elle défierait le chemin 
de fer Ah ! brigand, tu me donnes des faux papiers 
contre du bon argent ! Tu vas voir ! Et moi qui le 



124 MÉMOUtHS I^B MONSIEUR CLAUDE. 

roulais à grande vitesse, parce qu'il donnait de bons 
pourboires. Je crois bien, il pouvait m'en donner de» 
pourboires, le scélérat? Il me les payait avec ma 
monnaie! Canaille! val 

f Mais j'arrêtai à dessein, par prudence, le trop 
véhément cocher ; je le priai de ne pas prononcer 
mon nom en public, ni de ne pas s'épancher si 
librement dans Fintérêt et Dour la réussite de notre 
entreprise. 

Je savais ce que je faisais, dès que j'étais reconnu 
par ce gêneur, en lui avouant la vérité. 

L'inspecteur, sur son rapport, m'avait signalé lé 
cocher de fiacre 2,525, comme ayant échangé plu- 
sieurs fois de la monnaie avec son faussaire. 

Dès que cet Antoine n'était pas la dupe de ce Gi- 
raud de Gatebourse, il devait en être la victime. 

J'avais maintenant en lui un auxiliaire précieux ; 
car en vengeant la justice, mon cocher se vengeait 
personnellement. 

Il fut convenu que sitôt notre homme arrivé, je 
me placerais avec lui dans sa voiture et que nous 
roulerions ensemble vers la préfecture. 

— Soyez tranquille , termina Antoine, dont la 
langue trop bien pendue ne me rassurait que médio- 
crement^une fois mon bandit coffré, une fois vengé 
vous n'aurez pas affaire à un ingrat. Je vous rendra 
un petit papier qui, dans les temps, a dû bien vous 
faire faute. 

Alors je pensais à ma lettre du préfet de police. 
Comme le temps pressait , comme mon Gate- 
bourse pouvait paraître d'un moment à l'autre, 



MÉMOIRES BE MOKSIEVR CLAU0B. i2$ 

Je ne tenais pas à engager mon bavard sur le ter- 
rain d'une nouvelle reconaaissaneè. 

Il était près de deux heuras, je fis signe au ce- 
cher d'avancer son fiacre, attendant mon Gato- 
bourse» 

Antoine s'avança du côté du café de Madrid, de 
façon à ce que moi, placé vis-à-vis de son fiacre, 
attablé à une table de ce café, je n'eusse qu'à tra- 
verser la chaussée pour le rejoin^^»*» au moment où 
mon faussaire s'y installerait. 

Mais, à cette heure, les boulevardiers commen- 
cçnt leur apparition ; un nouvel incident faillit com- 
promettre mon plan. 

Il n'y avait pas dix minutes qu'Antoine, sur son 
siège, et moi, au café de Madrid, nous attendions 
silencieusemeut notre bandit, qu'un jeune homme, 
que je connaissais pour l'avoir vu dans le cabinet du 
directeur delà Galté, vint à moi; il se plaça sans 
façon à ma. table. 

C'était le jeune Ponson du Terrail déjà célèbre, 
faisant, entre deux ou trois feuilletons laissés ina- 
chevés k »oïi observatoire de la rue Vivien ne, sa 
correspondance quotidrenne au café de Madrid. 

De son côté, mon cocher Antoine, qui grillait 
du désir de confier la rédaction de ses mémoires 
à l'illustre auteur de Rocamholey se trémoussait 
sur son siège^ aiguillonné par l'ardent désir de solli- 
citer l'appui et la plume de son auteur adoré. 

Je pestai de cette rencontre d'autant plus fâ- 
cheuse que je voyais mon Antoine oublier Gâte- 
bourse et son argent volé, descendre déjà de son 



426 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

siège, prêt à se mêler à Fentretien que le jeune 
Ponson échangeait avec moi, à ma table. 

Pour compliquer la situation, cet écrivain n'était 
pas plus t6t près de moi qu'un gros monsieur, flan- 
qué d'un homme jeune encore, très maigre, s'a- 
vançait de notre c6té pour nous parler. 

L'un ressemblait, par sa physionomie tourmentée 
etsatanique, au diable de Gœthe; Fautré, par sa 
bonhomie narquoise, mais aussi endiablée, rappe- 
lait Sancho Pansa, matamore. 

Ces messieurs qui me connaissaient ou qui ne me 
connaissaient pas, mais qui connaissaient certai- 
nement Ponson, c'étaient Rochefort et de Ville* 
messant. 

A peine ce dernier eut-il aperçu le jeune vicomte, 
que son esprit mystificateur fut mis en éveil. 

Et regardant, de ses yeux calmes mais fouilleurs, 
mon Antoine au carrick, sur le trottoir, grillant 
d'envie de parler au vicomte, de Villemessant inter- 
pella de cette façon mon compagnon : 

— Ponson, j'ai un feuilleton à vous commander ? 

— A votre, service répondit-il en sortant de ma 
table avec empressement pour saluer le futur pa- 
tron de Rochefort. 

Puis Villemessant appela Antoine, le fouet à la 
main, le dos courbé respectueusement : 

— Tenez, ajouta-t-il, voici Antoine. Il a fait se9 
mémoires, je vous charge de les rédiger. Us passe-» 
ront, sous votre signature, à la quatrième page du 
Figaro j à la place de mes annonces, entre la prose 
des Biberons Darho, le style de Rocamhole^ mes 
lecteurs ne perdront rien. 



MÉMOrnSS DE HOaSIBUB CLàCDB. 1^7 

Le vicomte fit noe grimace, pendanl qoe Roche* 
fort se tordait la barbiche et qu'AntoiDC s'iocliDait 
4 en faire relever les étages de son canick se héris- 
sant comme la carapace d*an porc-épic. 

La fouie des boolcYardiers s'était amassée devant 
Fimpitoyable goaailleur rasant Ponson qui lui ré* 
pondit : 

— Monsieur de Yillemessant» chacun a son niveau; 
Rocambole est le mien? Je tâcherai cependant de 
i*élever au niveau de M. Antoine. Après tout, ce 
sera pour moi un feuilleton de plus I 

Pour un romancier pris au dépourvu, la riposte 
n'était pas trop mauvaise. Les rieurs se partageaient 
entre Fauteur de Rocambole et le directeur du 
Figaro. 

Mais ces apostrophes ne faisaient pas du tout 
mon affaire. 

Je voyais rheure s'avancer, mon'Giraud deGate- 
bourse pouvait apparaître d'un instant à l'autre. Je 
payai la consommation ; et pour ébranler la mu- 
raille humaine placée sur le trottoir devant les deux 
gouailleurs, je tournai d'abord autour d'elle. 

Puis m'avançant dans le groupe, je tirai AiTtoine 
par son carrick, saluant déjà l'illustre auteur de 
Rocambole. 

Averti par mon signal, il dit à Ponson qui, très 
mystifié, ne demandait qu'à reprendre sa corres- 
pondance : 

— Monsieur Ponson, j'ai à conduire un bour- 
geois. Sitôt libre, je suis à vous pour vous com- 
muniquer mes mémoires. 

Ponson haussa les épaules et ne répondit rien. 



1*28 MÉMOIRES DE MO^YSItUR CLAUDE. 

Villemessant reprit le bras de Rochefori. 

En un instant, le trottoir redeyint libre. Il était' 
temps. 

Un homme de trente-cinq ans parut, cherchant 
autour de lui son cocher qui n'était plus, d'après 
mon désir, à la place qu'il lui avait assignée. 

Cet homme dont j'avais le portrait photographié, 
avec le mandat d'amener qui m'en rendait maître^ 
c'était Giraud de Gatebourse. 

Antoine, malgré les fumées de gloine qoi lui 
étaient montées à son cerveau, par la mystificaticHL 
du plus grand gouailleur de cette époque, avait 
repris son sang-froid à la vue de son faussaire et d& 
son voleur. 

Il s'empressa d'aller à la portière pour la lui 
ouvrir. 

Il n'était pas plutôt assis sur la banquette en 
criant à son cocher : « A la Banque 1 » que je mon* 
tai sur le marchepied, pour me placer en faee de lui. 

A mon tour, une fois installé en face de mon 
Giraud, je criai à Antoine : 

— A la préfecture I 

Le monsieur voulut protester, se récrier, tempê- 
ter, je le calmai en lui disant : 

— Monsieur Giraud de Gatebourse , n'ameutez, 
pas les passants. Nous sommes sur le boulevard 
Montmartre, devant tous les rédacteurs^de la presse. 
Un mot , un geste, je vous fais connaître pour ce 
qu'on vous soupçonne, pour un voleur et un faus- 
saire. 

— Monsieur, se récria t-il , mais la voix déjà 
tremblante, pâle comme un mort, vous vous mé- 



HÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 123 

prenez. Par yespect pour moi je me tairai; mais où 
me conduisez- vous? ajouta-t-il. 

— A la préfecture. 

— En avez-vous le droit? Êtes-vous muni d'un 
mandat? me demanda cet homme qui, sous les 
allures d*un gandin, avait une attitude énergique 
qui s'accusait par sa physionomie, dont les regards 
scrutateurs avaient des feux sinistres. 

J'exhibai un mandat d'amener, je lui déclinai 
mon nom et ma qualité. 

Deux jours après la première entrevue de Gîraud 
de Galebourse avec le juge d'instruction et qui mit 
fin aux exploits de ce trop ingénieux faussaire, 
Antoine me remettait ce qu'il m'avait promis et 
<;e que j'avais perdu dix ans auparavant. CVtait 
l'avis du préfet de police qui, au coup d'État, sus- 
pectant mon dévouement , m'avait spécialement 
convoqué dans son cabinet, c'était cet avis auquel 
je serais resté sourd sans les sages conseils de 
M. Thiers. 

Je donne dans sa teneur cette lettre qui devient 
un document historique et que le cocher du tiacn 
2,525 garda longtemps comme une relique. La voir 
telle qu'elle est : 



130 Hi^MOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 



CABINET 

j1„ le préfet de police 

PRÉFET DE POLICE învite M. Claude, 

♦commissaire de police, 

à se rendre (4) 

immédiatement et sans retard, muni 
de son écharpe , dans le cabinet du 
chef du cabinet du préfet. 

Paris, le 2 décembre 1851. 



Eq me rendant par reconnaissance cette pièce 
qui me fît faute, dix ans auparavant, devant les 
Corses tout-puissants, mon cocher de fîacre 2,525 
m'avoua qu'il en avait la copie pour s'enjservir la 
jour où il publierait ses mémoires. 

Je ne sais si je T^i devancé? 

(I) Rayé à dessein. (Note de l'éditeur.) 



CHAPITRE IX 



SINGULARITÉS, MANIES, MANIÈRES I>*0PÉRE1I 
DE CERTAINS VOLEURS ET ASSASSINS 



En parlant des nombreux vols opérés à la quen» 
des spectacles, j*ai dit qae des maisons de com- 
merce, aujourd'hui réputées très honorables, ont 
étayé leur fortune sur le recel de ces vols. 

Mercure n'est pas en vain le dieu du négoce. Je 
vais le prouver par cet épisode. Il y avait en 1362, 
rue Pagevin, une forte maison de bijouterie, tenue 
par les époux D*** Père et Fils et C\ 

Ces fabricants français n'étaient que les gérants 
d'une compagnie de bandits italiens dont le véri- 
table chef se nommait Francioni. 

Ce Francioni était un FraDiavolo. 

Au delà des Alpes, fidèle aux traditions du bri» 
gandage, ce bandit jouait du couteau sur les grandes 
routes, tout en menant, sur le produit de ses ex-» 
ploits, un train de grand seigneur. 



132 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Il cautionnait, à Paris, une fabrique de bijouterie 
artistique, sous la raison sociale D*^ Père et Fils 
et G*'. Cette fabrique s'alimentait de tous les bijoux, 
broches, agrafes, pendants d'oreille, etc., etc., volés 
par les ouvriers de cette maison, tous Italiens, tous 
faisant partie de la bande cosmopolite. • 

Eni leur qualité d'Italiens, les ouvriers de la mai- 
son D*** joignaient encore à leur état de brigands 
l'art de Benvenuto. 

Les bijoux volés , pour la plupart, à la queue 
des spectacles, dans les endroits les plus fréquentés 
de la capitale, n'étaient pas plutôt fondus au creu- 
set de leur maison, qu'ils en ressortaient trans- 
formés en véritables chefs-d'œuvre. 

Par le triple talent des ouvriers de la mai- 
son D***, par les bénéfices considérables de leur 
fabrique dont les modèles étaient réputés aussi 
inimitables que leur prix de revient était chimé- 
rique, la maison D*** parvint, en peu d'années, à ' 
une fortune, à une réputation très enviée de la 
fabrique de Paris. 

Les maisons les plus importantes auraient bien 
voulu s'approprier le personnel des patrons D*** 
Père et Fils, mais ce personnel, malgré les olfres 
qui lui étaient faites, était d'une fidélité exemplaire 
pour ses patrons dont il contribuait à la fortune. 

On conçoit pourquoi ces Italiens ne tenaient pas 
à changer de maîtres qui, pour eux, n'étaieni que 
des intermédiaires, des associas relevant, comme 
ces bandits, du fameux Francioni. 
Un jour, je me rappelle qu'étant au café dps Mous- 
quetaires en compagnie d'une jeune actiice qui 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 133 

doublaii, à la Gailé, le rôle de Léontine dans les 
Sept châteaux du diable, je fus ac&osté par ua 
étranger. 

Il était porteur de plusieurs bagues dont la mon- 
ture, d'un travail exquis, enchâssait des pierres 
d'un certain prix. 

Mon Piémontais ou Italien, en me voyant avec 
une jeune dame, n'avait pas hésité à m'aborder, à 
faire miroiter les bijoux dont il se disait le mar- 
chand. 

L'étranger avait jugé du premier coup d'œil ma 
jeune actrice dont la coquetterie ne cédait en rien 
à l'orgueil, et qui jouait au naturel son rôle de 
Régaillette. 

Sans me consulter, elle se précipita, en véritable 
fille d'Eve, sur une des bagues, naturellement sur 
la plus jolie et la plus chère, enchâssant une pierre 
violette d'un éclat tentateur. 

Je ne pus résister aux désirs de ma Régaillette. 
J'y accédai d'autant plus volontiers qu'en consi- 
dérant le marchand, sa figure louche, ses yeux 
creux qui illuminaient sa face brune aux longs 
cheveux noirs, je devinai un gibier de prison. 

J'achetai sans marchander la bague de lltalien, 
je lui demandais toutefois l'adresse de la maison. 
Il me la donna de mauvaise grâce, pendant que 
mon actrice battait des mains de joie, en con- 
templant la pierre violette; elle paraissait aussi 
heureuse de ma galanterie que le marchand, en 
nous quittant, semblait mécontent de ma précau- 
tion. 

III. 8 



134 MÉMOIRES DE MONSIEUR OAUDE. 

Il ne se passa pas deux jours sans que j'eusse 
à me féliciter de cet achat intéressé. 

J^étais encore au café de; Mousquetaires, toujours 
en compagnie de la pensionnaire du théâtre de la 
Gaité, heureuse et fière de sa bague qu^elle mon- 
trait avec ostentation à toutes ses camarades. 

Mon actrice voyant passer M"* L***, célèbre 
duègne du Gymnase, Tinterpelle tout à coup pour 
lui montrer son bijou. 

A peine eelle^d 8*est-elle rapprochée de sa cama- 
rade, à peine mon actrice eut-elle échangé avec 
j^me i*** quelques paroles amenant la conversation 
sur le bijou en question que M"* L^^, au comble de 
la surprise, s'écrie : 

— C'est mon améthyste I D'où tenez-vous cette 
bague, ma chère, Il y a huit jours qu'elle m'a été 
volée. J'avoue cependant qu'elle n'avait pas cette 
monture. Cependant je la reconnais, oui, c'est bien 
ma pierre! 

On juge de la stupéfaction de la pauvre Régail- 
Ictte. 

Elle me presse de dire à M"* L*** que j'ai acheté 
cette bague, et que, par conséquent, elle est deve- 
nue légitimement sa propriété. 

j|me L*** réplique : 

« Qu'il est possible que j'aie acheté cette bague, 
maïs que ce n'est pas moins une bague volée. » 

Indignation de mon actrice, fureur et récrimina- 
tion de sa camarade. Je n'ai pas assez de toute 
mon autorité pour apaiser la véhémence de ces 
dames. 

Comme mon incognito au café des Mousquetaires 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 135 

n'était que trop transparent, je fais cesser le débat. 
Je donne par écrit Tadresse du marchand à M"« L***; 
je la prie de se trouver le lendemain au bureau de 
M. Auguste qui, pour ces deux actrices, était ail- 
leurs qu'au ministère des finances. 

Immédiatement, je quitte, au café, les deux 
actrices. J'avise un inspecteur de planton, en face 
de rétablissement où j'avais établi mon poste d'ob- 
servation. 

Je lui donne l'adresse du marchand qui m*a 
vendu la bague d'améthyste avec le signalement 
détaillé de son vendeur. 

Je lui dis que le lendemain, à l'heure que j'avais 
assignée aux deux actrices, il faut qu'il m*amène 
à mon bureau l'ouvrier ou le placier de la mai- 
son D*** Père et Fils de la rue Pageviii. 

C'était en effet le complice de ces voleurs qui, en 
excitant la convoitise de ma jeune actrice, était venu, 
sans s'en douter, se placer dans la gueule du loup. 

Le lendemain, à mon bureau, tout s'expliqua 
en présence de mon Italien, très penaud, de ma 
Régaillette, très sotte, et de M"* L***, du Gymnase, 
fort triomphante en reprenant une revanche de sa 
mésaventure à la suit3 de sa rencontre avec son 
Italien, huit jours auparavant. 

Gomme je l'appris sur l'heure, l'étranger n'avait 
pas été qu'un vendeur, pour M"* L*** il avait été un 
voleur des plus courtois et des plus galants. 

Voici comment ce dernier vol s'était opéré au 
profit de la maison de bijouterie de la rue Pagevin. 

M"* L***, duègne du Gymnase, revenait avec sa 
bonne de la Foire aux pains d'épices. Elle y avait 



/ 



136 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

fait la rencontre d*un jeune garçon très intelligent 
et très aimable. C*était lltalien qu'elle reconnut à 
mou bureau et qui vendit plus tard son améthyste 
à Tactriee de la Gaité. 

La rencontre se fit de cette manière. Le jeune 
bomme^ dans la foule, avait ramassé le mouchoir 
de M"® L*** au moment où elle allait le perdre. Il 
s'était empressé de le lui remettre avec tant de 
grâce que M"® L*** n'hésita pas, pour l'en récom- 
penser, de remmener avec sa boane jusqu'au café 
do théâtre Beaumarchais. 

Là, comme il faisait très chaud, et que la course 
avait altéré aos personnges, la reconnaissante 
]y|me L*** n'avait pas hésité à offrir un rafraîchisse- 
ment à l'Italien. 

Le jeune homme avait bien fait des façons ; mais 
^fme L*** avait le double de l'âge de l'étranger. 
Malgré cela, le garçon ne parai3S£M.t pas moins 
attiré par les dernières séductions de cette duègnej; 
et l'actrice, encore coquette, avait insisté d'autant 
plus auprès du galant cavalier. 

ËUe tenait à lui témoigner sa reconnaissance , 
disait-elle, et, d'une autre part, quoique duègne par 
son emploi au théâtre, elle n'était pas fâchée de se 
rappeler le succès qu'elle avait obtenu autrefois 
dans un autre emploi. La femme, terminait-elle en 
souriant, jusqu'à ses derniers moments, n'abdique 
qu'avec regret tous ses droits. 

Elle eut le sujet de s'en repentir. 
" Après avoir sorti de son porte-monnaie rempli 
d'or une pièce de monnaie pour payer la consomma- 
tion, elle sentit, en le remettant dans sa poche, un 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 137 

léger frôlement. Elle le mit sur le compte d'un 
imprudent mouvement de son cavalier, devenu de 
plus en plus hardi auprès d'elle. 

Quelques secondes après, elle quitta le jeune 
homme sur le passage de Fomnibus; mais le jeu- 
ne homme ne l'abandonna qu'après lui avoir pressé 
la main, avec des regards expressifs qui pouvaient 
faire rêver... même une duègne I 

M»e L*** retira vivement sa main d'un air iro- 
nique. Elle excusa d'abord cet étranger, peu an fait 
de nos usages moins démonstratifs. 

Elle était déjà loin du café Beaumarchais, instal- 
lée avec sa bonne dans l'omnibus, lorsqu'elle mit de 
nouveau la main à sa poche pour payer le conduc- 
teur. 

déception! sa poche était coupée. 

Elle poussa un cri de stupeur. Un affreux soupçon 
traversa son esprit, qui n'était plus à l'avantage de 
son galant ramasseur de mouchoir; 

Pour que Tadministration des omnibus ne fût pas 
victime de sa mésaventure, elle voulut offrir au con- 
dueteur, en garantie du prix de sa place et de celle 
de sa bonne, la bague qu'elle portait au doigt. 

Hélas! sa bague était allée rejoindre son porte- 
monnaie. Elle était complètement dévalisée. 

Elle allait avouer publiquement sa triste et ridi- 
cule situation, lorsque, par une nouvelle fantasma* 
gorie, elle retrouva dans la seconde poche de sa 
jupe, douze soua. C'était son obligeant voleur qui 
les lui avait remis, pour ne pas, après l'avoir volée 
avec tant de galanterie, se donner, aux yeux dje sa 
dupe, un lOle de voleur par trop mal élevé, 
m. 8. 



138 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

On ne pouvait être plus prévoyant. 

Le galant Italien, coupeur de poches, finissait 
comme il avait commencé, en lui ramassant son 
mouchoir, qu'un sien filou avait eu la maladresse 
de mal prendre. 

j^me L*** devinait tout. 

Lltalien ne lui avait rendu son premier objet 
volé que pour mieux Y allumer. 

Ce qu'elle regrettait le plus, c'était moins son 
porte-monnaie et son or perdus que sabague d'a- 
méthyste Elle n'espérait plus la retrouver et elle 
la retrouvait cependant, huit jours après, au doigt 
d'une de ses jeunes camarades. 

Devant cette déposition toute naturelle de M^^L... 
que ne peut contredire le filou italien, la jeune ac- 
trice de la Gaité dut rendre, séance tenante, sa 
bague à celle qui n'avait cessé d'en être la légitime 
propriétaire. 

Je fus quitte pour la remplacer par une autre 
bague. I 

Quant à mon gredin,il put d'autant moins se dé- 
fendre que je lui remis sous leâ yeux les pièces de 
conviction qui le confondaient et qui résultaient des 
premières perquisitions faites dans sa maison. 

L'inspecteur remit à M"' L... son portermonnaie 
vide. 

Je pus lui montrer l'instrument qui avait facilité 
l'aimable Italien à lui couper sa poche : un canif à 
deux lamés. 

Dès le jour même , cet habile ouvrier de la 
maison D... Père et Fils, lieutenant du Fra-Dla- 
volo, fut envoyé à la Conciergerie. 



MÉMOIRES DE. MONSIEUR CLAUDE. 139 

Le lendemain, sur les révélations de ce bandit, 
une saisie fut opérée dans la maison de bijouterie 
de la rue Pagevin. Peu de temps après, quand on 
en connut le véritable propriétaire , elle fut mise 
sous séquestre» 

La justice apprit tout ce que j'ai expliqué au 
début de ce chapitre. 

En effet, la fabrique de bijouterie de la rue 
Pagevin, comme bien d'autres fabriques du Marais, 
ne prenaient leurs matières premières que des mains 
de certains fourgats en rapport avec des voleurs du 
boulevard du Temple, en faction à la porte des théâ- 
tres dont j'avais la clef à mon café des^ Mousque- 
taires. 

L'instruction qui fut laite à la suite du vol commis 
au préjudice de la, duègne du Gymnase, amena de 
curieuses révélations sur la maison de bijouterie de 
la rue Pagevin. 

Elle démontra que les époux D... et leur fils 
n'étaient que les gérants du fameux bandit Fran- 
cioniy l'homme aux coups de couteau. 

Quant aux ouvriers des époux D***, des Italiens 
comme leur chef répondant aux noms de Folliani, 
Mariani et Francint, ils n'étaient en réalité que 
les soldats du Fra Diavolo. 

Dans les grandes occasions, ces bandits s'adjoi- 
gnaient une pick-pocket anglaise, une nommée Jeny. 
Elle avait la spécialité, à l'exemple de l'Italien de 
la duègne, d'allumer les riches dupes désignées 
aussi pour alimenter les ressources de ces bandits. 

Le vol, pour les Anglais comine4)our les Italiens^ 
s'opère toujours sur une vaste échelle. 



140 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

A rencontre des Anglais, pour lesquels le vol est 
une affaire^ le vol, chez les Italiens, est un art, 

A peu près à la même époque, un nommé Polak, 
un Anglais qui parlait si;c langues, n'était entré dans 
la maison d'un photographe célèbre, uniquement 
que pour s'y faire Tintroducleur des plus riches 
étrangers de la capitale. 

Mais Polak, qui se réservait de porter les épreuve» 
photographiques au domicile des riches étrangères^ 
n'en sortait jamais les mains vides. 

Il n'y déposait les épreuves de son patron que 
pour y prendre la bourse de ses clients. 

J'ai dit qu'en France l'artiste est rarement voleur. 
Il n'en est pas de même auand il s'agit d'un artiste 
italien. 

On se rappelle la scandaleuse histoire de GaJzado, 
de ce directeur du théâtre des Italiens qui perdait 
au jeu six cent mille francs en une demi-heure et 
huit cent mille francs en un quart d'heure. 

On se souvient de la fameuse Garcia qui rabat- 
tait chez la Baruchi tous les gentilshommes mi« 
neurs dont les hauts faits n'avaient plus d'autres 
champs de bataille pour illustrer leurs blasons que 
le tapis vert de la Baruchi ou l'alcôve d'une dan- 
seuse de la Scala volant à Tune de ses compagnes 
une rivière de diamants de la valeur de 10,000 fri 
Il est vrai que tous ces scandales, tous ces vols 
opérés par des grecs et des proxénètes sur les plus 
grands noms de France, se passaient après l'é- 
poque du joyeux avènement de l'empire I 

On ferait un volume rien qu'en énumérant les 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. lU 

singularités, les manies, les naanières d'opérer des 
voleurs et des assassins. 

Ces manies, ces singularités prouvent que Tespèce 
humaine, au point de vue même du policier, n'est 
pas absolument mauvaise. J'ai connu un voleur de 
la pire espèce, un bandit qui avait la spécialité de 
voler dans les églises. 

Chaque fuis qu'il se mettait en mesure de forcer 
les troncp ou de dépouiller les saints, il se mettait 
à genoux au pied des autels pour demander à Dieu 
défaire réussir le vol qu'il allait commettre. 

Giraud de Gatebourse, que j'arrêtai , m'avoua 
qu'il n'osa jamais mettre sur se» faux billets le 
chiffre 500/persuadé que ce chiffre lui serait fatal. 
Il s'arrêtait dans l'émission de ses billets au chiffre 
1,000, convaincu que le cinq cent et le deuof mill€ 
lui seraient funestes. 

— Et, en effet, me dit-il, c'est le fiacre 2,525 
qui m'a conduit chez le juge d'instruction. 

Le voleur comme le joueur est essentiellement su- 
perstitieux. Un bandit, quelque intelligent qu'il soit, 
recommence souvent son même vol, malgré les res- 
sources de son esprit et de son adresse, parce que ce 
premier vol lui a réussi. 

Il craindrait , en changeant sa laçon d'opérer, 
d'être moins heureux quoique, logiquement, c'est 
le contraire qui se produit. 

Cette superstition du voleur offre au policier la 
garantie certaine de sa capture. En se classant lui- 
même dans sa catégorie, le bandit se met ainsi dans 
la main du policier. 

Le mérite d'an ciief de la sûreté e&t de bien 



142 méuoibës de uonsibur glaubb. 

connaître les diverses catégories des voleurs et as- 
sassins qu'il a chaque jour à pourchasser. 

A la première réquisition, s'il connaît hien sa table 
de brigandage, il sait à quel genre de coquin a af- 
faire sa brigade, si c'est à un poivrier y à un amé' 
ricain^on à un voleur au bonjour^ etc., etc. 

Depuis Vidocq et Canler, les voleurs de profes- 
sion ont un code qui ne varie pas depuis près 
d'un demi-siècle. Leurs tours se sont perfectionnés, 
ils se ressentent encore de leur origine. La tra- 
dition de Cartouche n'eét pas morte. 

Je vais en citer plusieurs exemples. 

Il y avait autrefois un charrieur^ voleur à l'amé- 
ricaine, qui, quoique très habile dans toute espèce 
de vols, n'aurait jamais, par superstition, changé 
sa manière d'opérer, quoique vieille comme le 
monde. 

Seulement, par les ressources de son esprit aussi 
ingénieux qu'audacieux, il avait donné à son vol à 
l'américaine, qui lui avait toujours réussi, une tour- 
nure très ingénieuse. 

Voici de quel façon il abordait ses dupes pour 
changer son fer ou son plomb en or, pour battre 
monnaie sur ses dupes qu'il choisissait de préfé- 
rence parmi le beau sexe. 

Il se disait le fils du gouverneur de la Californie. 

Décoré de ce titre alléchant et pompeux, il abor- 
dait une personne assez bien mise dont l'allure in- 
dépendante répondait à ses brûlants désirs. 

Il lui disait qu'en sa qualité d'étranger, il ne con- 
naissait pas une seule rue de la capitale. 

Débarqué depuis cinq minutes du chemin de fer, 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 143 

il demandait de préférence son chemin à une jolie 
personne dont la riche parure répondait à sa mise. 

En route, la connaissance est bientôt faite. 

Le prétendu fils du gouverneur de la Californie, 
Srès beau garçon du reste, ne manque pas de dire en 
montrant des rouleaux de métal débordant de sa 
poche, qu'il est très inquiet, en sa qualité d'étran-. 
ger, sur le sort des échantillons de sa patrie ; des 
lingots d'or au premier titre. 

La jeune personne partage les appréhensions du 
timide Californien. Le jeune homme, heureux de la 
sympathie qu'elle lui témoigne, découvre au milieu 
de la rue un de ses rouleaux, en sort un louis qu'il 
donne à son obligeante cicérone. 

Elle se récrie en disant qu'elle ne le conduit dans 
son chemin que par pure obligeance. Il insiste en 
disant que dans son pays un service se paye quel- 
que minime qu'il soit. 

Puis, comme il a appris que Paris est infesté de ban- 
dits, il supplie la jeune dame de lui garder deux 
de ses rouleaux qui offrent trop de tentation aux 
passants. 

La jeune dame hésite encore ; comme dans le pays, 
peu écossais, du fils du gouverneur de la Californie 
rien ne se donne, il lui offre en échange de ce nou- 
veau service une bague de prix. 

Il a soin de faire arriver la fin de la conversation, 
au moment où tout deux se trouvent [en face d'un 
joaillier et d'un bijoutier. 

Arrivé à la porte, le fils du gouverneur de la Ca- 
lifornie, aussi délicat que généreux, prie la dame de 



144 MÉMOmËS DE MONSIEUR CLAUDE. 

lui confier sa bague pour ue pas la compromettre en 
allant avec lui chez le bijoutier. 

Il lui dit de marcher devant pendant qu'il va en- 
trer dans la boutique. La dame, confiante et oui a 
en poche les lingots d'or du riche Californien, lui 
abandonne volontiers la bague ou tout autre objet 
de prix. 

Fidèle aux instructions du généreux et discret 
Californien, elle marche sans détourner la tête jus- 
qu'à une certaine distance. 

Mais elle n*est pas éloignée de quelques pas que 
mon filou prend une rue transversale sans entrer 
dans la boutique; il court à toutes jambes avec le 
bijou soustrait à la belle et il court encore. 

Quand elle est lasse d'attendre son galant Cali- 
fornien, la belle est bientôt convaincue que son in- 
connu ne s'est pas perdu, que c'est au contraire 
son bijou qu'elle lui a confié qui est perdu pour elle! 

En ouvrant, par appréhension, l'enveloppe des 
lingots du prétendu nabah, elle voit avec stupeur 
que l'enveloppe du lingot d'or ne contient qu'un 
morceau de fer. 

Dépitée, anxieuse, elle s'assure aussi de la valeor 
du louis ; elle s'aperçoit trop tard que le lonis d'or 
n'était qu'un louis en plomb doré par le procédé 
Ruolz ! 

En moins d'une semaine, cinq jeunes femmes 
apprirent ce qu'il en coûte à montrer le chemin à 
ce soi-disant flis du goa^erneur de la Californie ; 
une couturière, une rentière, une modiste, une épi- 
leuse et une confectionneuse furent jouées par le 
même tour. 



HÉHOIBES DE MONSIEUR CLAUDE. 145 

Ces dames retrouvèrent plus tard sur les bancs 
du tribunal ce charrieur mystificateur. Elles le 
virent, pour leur honte et la sienne, prendre un tout 
autre chemin que celui qu'elles lui avaient indiqué. 

Les rieurs furent pour le charrieur, les belles vo- 
lées jurèrent, pour leurs péchés, de reprendre en- 
semble le chemin de Damas. 

Veut-on savoir d'où vient l'origine de cette locu- 
tion : Une farce de fumiste? 

Elle provient de la manière d'opérer d'une bande 
de voleurs, fumistes de profession. Profitant du 
départ des propriétaires ou locataires des plus ri- 
ches hôtels de Paris, ils montaient dans les chemi- 
nées pour dévaliser les appartements déserts et en 
faire sortir les objets les plus précieux par les 
toits. 

Le voleur, malgré son audace, malgré son dédain 
des préjugés, est aussi maniaque que superstitieux. 
Tel grinche s'arrêtera à \faire le harhot dans une 
cambriolle (à voler dans une chambre) s'il a oublié 
^di Joséphine (sa fausse clef), jamais il ne se servira 
de Ja Joséphine [d'un autre de peur 6*attraper des 
punaises, c'est-à-dire de manquer son coup ou d'a- 
voir affaire à un mouchard. 

Tel escarpe ou assassin ne commettra pas un 
crime un vendredi, ou s'il s'est cassé le mufle de- 
vant un ratichon (un prêtre.) 

Si le voleur, par goûtet par intérêt professionnel, 
est un élégant, il en remontre pour la distinction 
des manières, par les soins de sa toilette à un 
sportsman. 

Les voleurs de distinction sont généralement des 
III. 9 



146 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. " 

Anglais. Benson, Tescroc du turf, ne s'habillaii ja- 
mais que chez les tailleurs de la pairie. Quand il 
voyageait , sa caisse était pleine d'effets du plus 
grand prix et de Télégance la plus exquise. Elle 
provenait des magasins de Renard; elle ne' conte- 
nait que 'des chemises de soie et des cravates du 
dernier goût, digne du brillant personnage qu'il re- 
présentait : le marquis de Montgoméry, Il portait 
y à sa chemise, d'une éclatante blancheur, des dia- 
' mants qui valaient des prix fous et qui certes n'a- 
vaient pas appartenu, dès l'origine, au criminel qui 
se les était appropriés. 

Le voleur est ingénieux, ses tours le prouvent; il 
est aussi diplomate et retors. Lorsque l'éducation 
l'a formé, il peut figurer à côté du plus parfait gen- 
tilhomme dans un cercle ou sur le turf. 

Toujours en évidence dans les théâtres, dans les 
concerts, sur les promenades publiques , il connaît, 
sans s'y mêler, toutes les grandes familles de l'Eu- 
rope. Il serait au besoin, si sa profession ne le lui 
défendait, le guide le plus sûr de l'étranger dans 
Paris. 

Si le voleur n'est qu'un ouvrier, il n'est pas moins 
ingénieux que l'homme du monde. 

Gomme mécanicien, il en remontre au plus ha- 
bile ouvrier pour la confection de ses outils de 
travail. Il est aussi habile qu'adroit. Avec un 
simple levier il soulève le monde ; avec un fil d'a- 
cier, le plus fin qu'il soit possible de trouver, un 
voleur de grand chemin se charge d'enfoncer les 
rjortes les plus solides et les coffres-forts les pljis re- 
belles. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 147 

J'ai ra la^ Joséphine d'un certain cambrio leur ; c'é- 
tait un chef-d'œuvre de fausse -clef ; elle s'allon- 
geait, se rétrécissait à la volonté dans la main de 
son propriétaire ; elle s'adaptait par sa forme di- 
verse et changeante à toutes les serrures ; sur dix 
«errures, Joséphine n'en manquait pas trois. 

Pas une devanture de boutique ne peut résister 
au vilebrequin du voleur; ce vilebrequin est géné- 
ralement agrémenté d'une petite roue. L'escarpe 
applique les pointes de son instrument sur une pla- 
que de fer dur de plusieurs centimètres ; il tourne 
ensuite la petite roue, au bout de dix minutes le 
voleur a fait sur la plaque un trou assez large 
pour pouvoir permettre à un pégriot d'y passer. 

Les voleurs les plus habiles au vilebrequin sont 
encore des voleurs anglais. 

Les vols et les crimes les plus audacieux se con- 
çoivent, se méditent, se mûrissent généralement au 
fond des prisons. 

Le voleur solitaire ou les voleurs par bandes ne 
rêvent la liberté que pour tenter un coup de maître 
et se préparer une éclatante revanche. Jud, échappé 
de prison, après son meurtre sur un médecin mili- 
taire russe, tue en chemin de fer le magistrat Poin- 
sot de la même façon, et par le même procédé. On 
«ait s'il a réussi la seconde fois. 

Wilson, ce nouveau Jack Scheppart, combine au 
fond des tavernes de la Cité des crimes qui ont pour 
-auxiliaires, dans les bibines de Paris, les plus redou- 
tables guicAes des barrières. 

Depuis vingt ans, Benson et "Wilson, ces Napo- 
léons de l'escroquerie, du vol et de l'assassinat, ont 



148 MÉMOIRES DE MONSIEUR CUUDE. 

imaginé au delà du détroit ces vols suivis de meur- 
tres commis par des assommeurs dont les capi- 
taines sont aujourd'hui nos pégriots. 

Ce sont ces Anglais qui, une fois TafTaire faite à 
Paris, ramènent le plus souvent leur toucheur à la 
Cité de Londres pour y déposer en lieu sûr, le pro- 
duit de leurs crimes et de leurs larcins. 

Les grands vols, je le répète, partent des bords 
de la Tamise ; les grands meurtres, des bords du 
Rhin. 

Singulière particularité que la psychologie dé- 
montre sans Texpliquer, les assassins sont, en dehors 
de leur horrible fonction, les gens les plus gais du 
monde. 

La société qu'ils recherchent de préférence, c'est 
celle des comédiens. Voilà pourquoi, de mon côté, 
j'ai tant fréquenté les artistes. 

Un directeur du Théâtre-Historique et de la Gaîté 
eut longtemps pour ami et pour commensal un 
élégant Mexicain, la providence de ses plus jolies 
pensionnaires. 

Il connaissait toutes les habitudes du directeur; 
il flattait ses goûts, ses préférences pour mieux les 
satisfaire. Il avait une libéralité qui ravissait son 
personnel féminin. 

Un jour il disparut, après avoir connu tous les 
êtres de l'administration de son ami. 

Une nuit, lorsque ce directeur l'attendait le moins, 
il retrouva son Mexicain dans son cabinet en train 
de travailler, à l'aide d'un vilebrequin,* la serrure de 
sa caisse. 

Le directeur et son commensal se reconnurent 



MÉMOIRES DB MONSIEUR CLAUDE. 149 

lorsque le premier eut crié au voleur, lorsque le se- 
cond eut levé le poignard sur lui pour Tempêcher 
de crier. 

Le directeur ne dut son salut qu^au saisissement 
de l'assassin ne croyant pas avoir afiaire à son ami . 
qu'il voulait bien dévaliser, non assassiner. 

Le scrupule de ce bandit lui valut cependant les 
travaux forcés. 

U est incontestable que si le Mexicain n'eût pas 
passé d'aussi bonnes soirées avec son ex-ami , il 
l'eût tué pour lui apprendre à mettre tant de mau- 
vaise grâce à se laisser dépouiller. 

On sait que Tacteur Albert, de l'Ambigu, n'avait 
pas de meilleur ami jet de plus grand admirateur que 
Lacenaire. U ne connut quefort tard son véritable 
nom. 

Au moment du procès de cet assassin, la curiosité 
porte, un jour, Albert à aller voir juger le criminel 
dont s'occupait tout Paris. 

Que reconnaît-il dans l'assassin de la veuve 
Chardon, dans le complice d'Avril ? qui? Son ami 
d'autrefois 1 

L'acteur pousse un cri; il chancelle, il se trouve 
mal en songeant qu'il a pressé tant de fois la main, 
à un homme dont la main est couverte de tant de 
sangl 

Cet acteur, le plus honnête homme du monde, 
revit longtemps Lacenaire en rêve. Il devint son 
cauchemar. 

L'assassin n'avait recherché sa société que par op- 
position à celle qu'il fréquentait. La nature ne vit 
que de contraste. 



150 liÉMOIRES DE MOÎfSlEUR CLAUDE. 

Les voleurs, les assassins sont les plus grands 
comédiens du monde. Ils recherchent ceux qui sont 
appelés, comme eux, à diversifier leurs types. Ne 
sont-ils pas, après tout, les originaux des artistes 
appelés à perpétuer leurs copies? 

Un assassin fut pris, un jour, en train d*ap- 
plaudir la pièce de Robert-Macairc ; et Lacenaire, 
après ses crimes, n'avait rien de plus pressé que 
d'aller aux Variétés applaudir Odry dans la pièce 
des Saltimbanques! 



CSAPITRE X 



Xm MARI EN PARTIE DOUBLB 



Un jour je reçus dans mon cabinet une dame 
dont le nom m'avait frappé dès qu'elle s'était annon- 
cée par sa carte à mon secrétaire. 

Je m'empressai de la recevoir. 

C'était une dame à Faccent méridional; elle était 
d'une remarquable beauté. 

C'était une dame mariée, doublement mariée, 
comme on va le voir. 

Cependant elle avait toute l'allure de la cour- 
tisane. 

Elle paraissait avoir trente ans. Elle avait des 
cheveux d'un noir tirant sur le bleu, épais et crépus. 
Son visage éblouissant de blancheur avait l'éclat de 
a pêche. Ses grands yeux aux longs cils se tenaient 
le plus souvent à demi ouverts pour les rendre plus 
langoureux. Ses lèvres voluptueusement épaisses 



152 HÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

8*ouvraieDt sur deux magnifiques rangées de dents 
blanches et brillantes. 

En voyant cette femme imposante comme une 
déesse, provocante comme une bacchante^ le cœur 
bondissait dans la. poitrine. Elle répandait autour 
d'elle un parfum de volupté. On voyait comme 
jaillir de sa personne, aussi caressante qu'enchan* 
teresse, une clarté qui vous embrasait. 

Dès que je Taperçus, larmoyante et douloureuse 
comme une Madeleine, je sentis que j'avais affaire 
k une sirène. 

Comme Hercule, que je n*avais pourtant pas la 
prétention dlmiter auprès de cette Déjanire, je me 
défiai de la tunique de Nessus. 

Je n'avais pas eu besoin de la voir pour me tenir 
en garde contre elle. Son nom venait de me re- 
mettre en mémoire un rapport qui la concernait. Et 
sa personne me prouvait encore les dangers qu'il y 
avait à s'attacher au char de cette voluptueuse 
déesse. 

Pour mettre l'avantage de mon côté, après avoir 
subi les premiers feux de ses incomparables séduc- 
tions, je lui den^iandai froidement ce qui me pro- 
curait l'honneur de sa visite. 

Elle me répondit, les larmes aux yeux, avec un 
air de victime éplorée : 

— Monsieur, vous voyez en moi la plus malheu- 
reuse des femmes. Je suis poursuivie, depuis un 
mois, par un fou qui m'accable de ses outrages. 
Dans sa folie, il se prétend mon mari I II dit que ' 
l'homme qui perte mon nom n'est qu'un impos- 
teur, et qu*il le prouvera devant les tribunaux. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 153 

Aussi, naon mari et moi, obsédés par cet extrava- 
gant prions-nous la police de le faire enfermer. Je 
viens moi-même vous supplier, monsieur, en votre 
qualité de chef de la sûreté, de mettre un terme à 
ses obsessions qui, pour mon mari et pour moi, 
deviennent un supplice de tous les instants. 

La sirène, en terminant ces mots, m'avait lancé 
des yeux si langoureux, si fascinateurs, que je fus 
obligé de baisser les miens pour ne pas me laisser 
aller à ses éblouissements. 

Décidément cette femme voulait me capter; et 
elle s'attaquait à moi, le chef de la sûreté, parce 
qu'elle sentait que sa cause était mauvaise. 

La dame ne me connaissait pas ou plutôt elle ne 
connaissait que M. Auguste, le débonnaire petit 
employé des finances [et non le M. Claude de la 
sûreté. 

A peine avait-elle achevé son discours aussi bien 
étudié que ses œillades, que je lui dis :. 

— Madame , je regrette sincèrement la fausse 
démarche que vous faites. Si vous avez à vous 
plaindre, comme vous le prétendez, d'un misérable, 
d'un fou, adressez-vous au commissaire de votre 
quartier. Si la plainte est sérieuse, le parquet, par 
le ministère du procureur impérial, agira; mais, 
d'ici-là, je le répète, je n'ai rien à faire et je n'ai 
même pas le droit de vous entendre. 

Et je congédiai la dame qui, à ma réponse, bondit 
comme une panthère blessée ; elle prit la porte et 
me dit assez sèchement : 

— C'est bien, monsieur, j'agirai d'après vos 
conseils. Peut-être trouverai-je plus de complai- 

w. 9. 



154 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE.. 

sance, plus de sympathie, en raison de mes infor- 
tones, auprès de vos supérieurs. 

Et la dame offensée partit en iQje lançant de» 
regards qui n'étaient plus tendres. 

Sa sortie ne fit que me convaincre de la véracité 
du rapport que j'avais encore sur mon bureau au 
moment où je recevais la dame. 

Si j'avais été dur, presque grossier vis-à-vis de 
cette personne, c'est que sa visite, au moment où 
une grave présomption pesait sur elle, me prou- 
vait que l'homme qu'elle accusait n'était pas aussi 
fou qu'elle le prétendait 

Voici ce dont il s'agissait, au dire de la victime de 
cette beauté se croyant si sûre de son pouvoir. 

Dix ^^ans auparavant, deux, jeunes gens de Tou- 
louse partaient de France, après le coup d'État, pour 
aller chercher fortune en Californie. Ils étaient 
cousins, ils portaient le même nom. 

Ces deux Toulousains, dont l'un venait d'être 
marié avec la jolie personne que je venais de re- 
cevoir, avaient été fort compromis par leurs opi- 
nions et par leurs allures républicaines. 

En quittant la France, ils obéissaient aussi bien au 
désir de faire fortune qu'à la crainte d'être jagés, 
déportés en vertu d'un arrêt des commissions 
mixtes. 

Une fois en Californie, les deux coiusins ne tardè- 
rent pas à trouver dans lesplaoers une fortune con- 
sidérable. La dame de l'un d'eux, dont les ardeurs 
amoureuses rivalisaient avec la fièvre d'ambitioia 
des jeunes gens, ne tarda pas à se lasser de son 
mari. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 155 

Elle le trouva trop occupé de sa forlune, pas 
assez d'elle- môme. Elle s'en plaignit au cousin qui' 
la consola en laissant de côté son vif désir de thér' 
sauriser pour le remplacer par le plus vif désir de 
plaire à la belle cousine ! 

Du reste, il ressemblait tant à son mari, en sa 
qualité de cousin germain, que pour la fenwne qui 
le trompait avec lui, c'était encore, de la part de la 
belle, un hommage rendu à l'époux... trompé. 

Le mari s'aperçut de ce culte... in partihus. Il 
ne fut pas, à ce sujet, tout à fait de l'avis de la 
dame. 

. Comme celui qui le coiffait était son plus proche 
parent, il se résigna, il se tut. 

Mais pour couper court à cette liaison à trots, il 
ordonna à sa femme de repartir sans lui pour la 
France. Il prétexta que, personnellement, il avait 
des intérêts à soigner à Toulouse, Il dit que, vu le 
décret de bannissement qui le frappait et qui l'em- 
pêchait de rentrer dans sa patrie, il la chargeait, en 
son nom, de le représenter. 

La dame se trouvait fort bien en Californie. Elle 
feignit de vouloir rester pour lui, en dépit de tous 
les intérêts toulousains. 

L'époux jaloux, qui savait à quoi s'en tenir, in- 
sista; il prétexta que le climat californien était 
meurtrier pour sa femme. 

Elle dut partir, quoique à regret, pour ne pas 
éveiller les soupçons de son mari. 

Une fois l'épouse envolée, ce fut au tour de 
Famant à être inquiet. Il connaissait le caractère 
aussi volage qu'ardent de la femme de son cousin , 



156 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Il eut, à ce sujet, une explication avec le mari 
qu'il ne soupçonnait pas être très perspicace en sa 
qualité de... mari. 
Celui-ci le railla, poussé à bout, il riposta : 
« — Que si son cousin avait tant de soucis de la^ 
vertu de sa femme, c'était parce qu'il savait par 
lui-môme qu'elle était très fragile. 

D'explications en explications ^ le mari avoua à 
son rival le véritable motif qui l'avait décidé à faire 
partir son épouse. Il termina en disant : 

« — Qu'il défendait à son cousin, quand il revien- 
drait à Toulouse, de revoir sa femme et de repa- 
raître à son foyer. 

Gela' se passait quelques jours après l'amnistie 
générale 

Le cousin qui, au contraire, désirait profiter de 
cette amnistie, pour renouer ses relations avec l'é- 
pouse de son parent, ne seposséda pas de rage. 

Il se démasqua. Il s'en suivit une explication qui 
ne fut pas du goût du mari. 

Celui-ci trouva qu'il ne pouvait pousser plus 
loin la condescendance et la délicatesse vis-à-vis 
d'un parent qui allait jusqu'à lui avouer cyni- 
quement son amour pour sa femme. 

Le mari ne se gêna plus pour accabler d'injures 
celui qu'il n'avait que trop ménagé. 

Une lutte s'en suivit. 

Le lieu du combat fut aux placers même. 

Les deux chercheurs d'or, armés chacun d'une 
pioche, fondirent l'un sur l'autre. 

Après une lutte acharnée, l'avantage tourna au 
profit de Tamant. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 157 

Le mari battu reçut à la tête un coup de pioche. 

Le cousin,épouvanté des conséquences de ce duel, 
s'enfuit du placer en laissant pour mort son pa- 
rent. 

Gomme il craignait d'être accusé d'un meurtre, 
puisque ce duel avait eu lieu sans témoins, il repa- 
rut à son habitation en se faisant passer pour celui 
qu'il venait de frapper. 

Grâce à sa ressemblance avec son cousin perdu 
dans une fondrière, il eut le temps de prendre les 
papiers de sa victime, son or et le sien. Puis il 
partit de la Californie sur le premier paquebot fai- 
sant voile pour la France. 

Gomme il était certain d'avoir tué son cousin, 
comme il redoutait personnellement d'être accusé 
par le consulat, de meurtre sur un compatriote qu'il 
n'avait déjà que trop outragé, il n'hésita pas à 
faire la traversée sous le nom de l'homme qui, 
pour lui, n'existait plus. 

Il arriva à Marseille, jusqu'à Toulouse. On le 
pense, sa première visite fut pour la dame de ses 
pensées. 

Il se rendit donc chez la belle. 

Gomme ses relations avec ses deux cousins 
avaient transpiré jusque dans sa ville natale, chez la 
belle, le remplaçant du mari se fit annoncer com- 
me étant son époux. 

Il était si ressemblant avec lui que l'épouse, 
au premier abord, se méprit ou feignit de se mé- 
prendre sur son identité. 

L'amant, en présence de témoins, n'eut garde 
de la contredire. 



158 MéMOfRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Lorsque, dans le téte-à-lête, le cousin voulut lui 

dire la vérité, elle lui ferma la bouche par un baiser. 

Elle traita de mauvaise plaisanterie l'histoire vé- 

ridique de son époux frappé à coups de pioche par 

son rival. 

Le lendemain de cette entrevue suivie d'une 
nuit pleine d'enchantements et de volupté, la 
belle Toulousaine défendit à son amant , qu'elle 
s*obstinait à regarder comme son mari, de racon- 
ter cette histoire qu'elle traita de fable. 

Le cousin, qui n'avait consenti à cette substi- 
tution de personne que forcé parla nécessité, s'enga- 
gea à se taire dès que cela plaisait à la dame. 

Du reste, le cousin était bien mort, et. il en était 
Tunique héritier. 

En lui prenant son nom, ses papiers, sa femme 
jusqu'à son or gagné ensemble, rien ne sortait de 
la famille dont il était le dernier rejeton. 

Tout alla donc pour le mieux dans le meilleur des 
mondes. 

Le cousin éprouvait bien,de temps en temps, quel- 
ques remords lorsqu'il se rappelait son duel aux 
placers, lorsqu'il se rappelait ce qu'il étaii vis-à- 
vis des lois et de sa conscience. 

Sa femme^ qui n'était pas légiste, qui avait un tem- 
pérament de feu, étouffait, par ses attentions pas- 
sionnées, les cris timides d'une conscience trou- 
blée. 

Et le faux mari oubliait tout dans les bras de sa 
sirène. 

Les rares instants de crainte et de remords s'envo- 
laient bien vite sous les ailes de Tamour, 



MÉMOIBÈS DE MONSIEUR CLAUDE. 159 

Le temps avait fini par ratifier un mensonge 
que la prudence avait imaginé dans l'esprit de l'a- 
mant, que Tamour avait fini par consacrer chez 
•l'amante si heureuBe d'ôtre la femme de celui qu'elle 
aimait moins en épouse qu'en amoureuse 1 

Hélas! le bonheur n'a qu'un temps. Lorsqu'il 
n'est pas détruit par ceux-là même qui en jouis- 
sent, il est détruit par L« destin, jaloux du bonheur 
des humains. 

En vain la ville entière de Toulouse, grâce à la 
ressemblance du faux mari avec le vrai, soutenait- 
elle le mensonge de cet heureux couple; en vain 
la femme elle-même le propageait-elle avec une 
évidence qui donnait plus de poids à ce mensonge. 
Un homme vint un jour détruire ce bonheur écha- 
f^âé sur l'imposture. 

Cet homme qui prit la place du destin vengeur 
parce que l'on avait pris sa place, ce fut le vérita- 
ble mari de la belle Toulousaine. 

Il n'était pas mort en Galifbrnie. 

Le coup de pioche qull avait reçu à la tête ne 
l'avait qu'entamée sans le guérir de la bles.Mure 
faite à son front. 

Un jour, il reparut aux yeux de ceux qui lui 
avaient tout pris, son bien et sa personne. 

Le spectre de Banco né produisit pas un efiet 
plus terrible sur les coupables. 

Le faux mari, déjà tourmenté parle remords, se 
serait volontiers jeté aux pieds de sa victime, si la 
femme n'avait été là pour le forcer à soutenir son 
mensonge criminel. 

Du reste, Taspect misérable du véritable mari, 



160 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

son air aussi piteux que rébarbatif n*était pas fait 
pour éclairer la vérité, pour dessiller les yeux des 
pUis clairvoyants. 

Le malheureux époux, qui avait gagné la France * 
en mendiant, qui en avait les allures, fut chassé 
de son logis comme un malfaiteur, conspué par ses 
anciens valets I 

Mais Tépoux légitime avait trop souffert pour 
n'être pas aguerri à ces coups du sort. 

L'époux trompé ne se tint pas pour battu ! 

Chassé de chez lui sans un sou, sans papiers, le 
vagabond, ou du moins celui qui était traité com- 
me tel, s'en vint à la préfecture. Il raconta ce qui 
lui était arrivé. On traita d'abord son histoire de 
roman; on lui montra des lettres du Mexique, de 
la Californie et qui lui prouvèrent qu'il était bien 
mort ! 

Ce furent ces lettres qui mirent un doute sur sa 
disparition définitive et qui placèrent les autorités 
sur la trace de la vérité. 

Le mari trompé, battu, subtilisé, prouva que les 
lettres étaient de l'écriture de celui qui avait tant 
d'intérêt à lui prendre son bien et sa femme. Il 
démontra qu'elles avaient été mises, après coup, 
à la poste dans une localité voisine ne répondant 
pas au timbre de la région d'où ces lettres 
avaient été écrites. 

Les faux époux, en prenant trop de précautions^ 
s'étaient vendus eux-mén^es. 

Les parents,* les amis qui, dans l'origine, avaient 
reconnu le cousin suspecté comme véritable époux 



HÉUOIHES DE MONSIEUR CLAUDE. 161 

de la bigame^ revinrent sur leurs premières appré- 
ciations. 

L'opinion se déclara en faveur du véritable 
mari. 

' Les faux époux n'attendirent pas le moment 
^d'être démasqués par la justice. lis partirent de 
Toulouse et ils allèrent cacher à Paris leur adul- 
tère. 

Cette fois, la justice toulousaine avait com- 
mencé son instruction. 

Le véritable époux, fort de Tappui de la justice, 
les avait suivis, il n'avait pas hésité à recommencer 
à Paris ce qu'il avait tenté à Toulouse. 

Lorsque je reçus dans mon cabinet la belle 
pourchassée, j'étais instruit par le parquet de tous 
ces détails. 

Mais ce qui m'étonna fort, après la visite de cette 
dame, ce fut de n'entendre plus parler d'elle, ni 
du mari en partie double. 

Je m'attendais tous les jours à recevoir de la ma- 
gistrature un mandat d'arrêt contre cette femme, 
que je considérais déjà comme une future pension- 
naire de Saint-Lazare , contre le faux mari, meur- 
trier et voleur, que je voyais aussi à Mazas ou à la 
Conciergerie. 

Le mandat ne vint pas. 

Le rapport, concluant à des poursuites, resta 
indéfiniment dans mon tiroir. J'appris, un jour, 
qu'un pauvre diable, considéré comme fou, avait été 
arrêté sur la voie publique, amené au Dépôt, puis 
transféré, sur les rapports des médecins, à Bicètre. 

L'officier de paix avait agi d'après les ordres su- 



102 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

périeurs en traînant chez le commissaire le pauvre 
insensé. 

Je ne connus son nom que quand jl fit partie 
des pensionnaires de Bicêtre. 

Ce nom me frappa. C'était celui qui, selon le rap- 
port rédigé à Toulouse, était le véritable mari de 
la belle Toulousaine. 

Alors, je m'informai de ce que cela voulait dire 
auprès du directeur de la sûreté. Il me dit qu'à pro- 
pos de ce mendiant toulousain, un ancien con- 
damné politique,nl avaitreçu des ordres émanant 
des bureaux de la première division. 

Je m'inclinai. 

Je compris que la belle Toulousaine n'avait pas 
perdu de temps, après avoir été brutalement con- 
gédiée par moi. 

Comme elle me l'avait promis, elle avait mis à 
profit mes conseils. 

Grâce à ses beaux yeux, elle avait trouvé en eifet 
plus de complaisances, plus de sympathie auprès de 
mes supérieurs. 

L'adroite méridionale , qui était payée pour se 
méfier de moi, avait eu l'art de faire passer, en de- 
hors de mon ministère, un acte d'arrestation, dont 
l'apparence légale déguisait la plus lâche et la plus- 
criminelle des infamies. 

Comme l'instruction judiciaire à Toulouse n'avait 
pas eu d'exécution, elle ne put avoir de suite après 
Tattestatian légale des médecins de Paris consta- 
tant l'ancien condamné politique comme fou. 

Du reste , il était indûment rentré en France. 

Lors de l'amnistiée, cet homme n'avait pas eu la 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. JG3 

précaution, comme le faux mari, de faire sa de- 
mande en grâce. 

Le bureau de M. Lagrange n'était donc que trop 
disposé à écouter la dame dont le mari, avant la 
lettre^ était considéré comme un ennemi de TEm- 
ipire. 

' Ces considérations politiques appuyées par les 
♦)eaux yeux de la dame firent que le mari spolié, 
Mttu, qui espérait reprendre en France la jouis- 
sance de ses biens et de ses droits sur sa femme, 
n'eut à Paris qu'un cabanon î 

Il fut arrêté, laissant sa femme dans les bras de 
son cousin; il en fut séparé à jamais pour finir ses 
jours à Bicôtre où, avant de mourir de rage, il 
s'éteignit fou 1 

Une fois le véritable mari mort, le faux mari 
alla en Suisse faire légaliser son mariage de la 
main gauche; plus tard, il put soutenir en France 
une vérité qui longtemps avait élé un mensonge, et 
qui, pour être une vérité, avait coûté la mort d'un 
homme, la captation de sa, femme et le vol de sa 
fortune I 

De pareils drames n'étaient pas rares sous l'Em- 
pire. Un homme suspect au gouvernement, ou qui, 
par sa femme, contrariait le bon plaisir des sou- 
tiens de Velu de la nation, était volontiers enlevé 
pour disparaître à la frontière ou dans les cabanons 
de Bicêtre. 

Cette histoire n'est pas la seule ; elle a eu de nom- 
breux pendants que j'ai esquissés à la hâte en si- 
gnalant les crimes de V Empire, 

Si dans la vie civile, ces crimes étaient moins 



164 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

fréquents, ils étaient dans la vie militaire presque 
passés en habitude. L*épaulette d'or se permettait 
des licences qui rappelaient celles des Néron et des 
César. Tel maitre, tel valet. 

Les actions d'éclat de certains officiers de TEoi- 
pire, qui avaient commencé par les fusillades du 
boulevard de Montmartre, par des déportations 
en masse, s'achevaient comme elles avaient com- 
mencé. 

Aux actions honteuses delà vie publique, suc- 
cédaient les actions honteuses de la vie privée. 

En ce temps-là, le gouvernement, issu d'un 
parjure, ne demandait à ses complices que de, sau- 
ver les apparences de la légalité... afin de ne pas 
eflrayer le bourgeois. 

Avant tout, pour les subalternes du maître^, il 
s'agissait de réussir pour èlre encouragé par celui 
qui réussit si bien son coup d'État. 

Le plus grand malheur d'un employé con- 
sciencieux c'était de servir un gouvernement sans 
conscience. Cette histoire le prouve. 

L'affaire que je vais raconter, dans laquelle un 
sous-lieutenant de la garde ne réussit pas, et qui 
fut puni pour n'avoir pas réussi, le prouve encore. 



CHAPITRE XI 



LA NOUVELLE MANON LESCAUT 



C'était un vendredi, au mois d'avril 1863, jour de 
Yénus, quoique fatal aux amoureux, gens les plus 
superstitieux du monde, un jeune et beau sous* 
lieutenant entrait en relations avec une aimable et 
séduisante blanchisseuse. 

Voici comment se fît la connaissance des amants 
dont la fin fut aussi tragique que le dénouement du 
roman de Tabbé Prévost. 

Un sous-lieutenant de la garde impériale, très fier 
de ses nouvelles épaulettes qui rehaussaient Téclat 
de sa bonne mine, se promenait d'un air vainqueur 
dans le passage Cherbourg. . 

Tout en se frisant la moustache, il lançait adroite 
et à gauche des œillades aux devantures des bouti- 
ques où il entrevoyait de jolis minois. 

Son attitude, semblait dire aux jolies filles qui le 
regardaient : 



!CG MÉMOIHGS DE MONSIEUR CLAUDE. 

— Qui veut mon cœur? il est à la plus belle. 

Il n'était pas au milieu du passage que son choix 
était fait, qu'il était accepté par une belle, incen- 
diée sous le feu de ses persistantes œillades. 

C'était, comme on l'appelait, la jolie blanchisseuse 
du passage Cherbourg, M™« P***, dont les pratiques 
ne se comptaient plus dans la garde où le jeune 
sous-oiBcier Fleury venait d'être promu au grade 
de sous-lieutenant au 4® régiment de chasseurs. 

Si la connaissance se fit si vite entre la jolie blan- 
chisseuse et le beau sous-lieutenant, ce fut proba- 
blement parce qu'ils n'en étaient pas à leur première 
entrevue. 

Et Fleury avait déjà peut-être fait son choix, 
comme le fils de Priam, en quittant la caserne pour 
se rendre au passage de Cherbourg. 

En tous les cas, Paris n'eût pas mieux choisi en 
«'arrêtant à la Vénus de ce passage. 

C'était une jolie femme, petite et replète, aux 
yeux bleus, sa prunelle avait des ardeurs incom- 
mensurables; sa bouche rose, en arc, avait des re- 
plis sensuels et elle était délicieusement faite; sa 
gorge s'arrondissait amoureusement sur une taille 
élancée; et ses joues étaient aussi fraîches, aussi épa- 
nouies que ses épaules étaient potelées. Elles dessi- 
naient des contours qui étaient des trésors d'amour 
cacliant autant d'abîmes de délices. 

Le beau Fleury, jusqu'alors n'avait fait qu'en- 
trevoir à la caserne cette souriante créature. Il 
avait [)U , ce jour-là, se bien pénétrer de ses 
char mes. 

ll« pondant en tout à ce qu'il avait rêvé, à tout ce 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 1G7 

qu'il .n*avait fait qu'entrevoir, le sous-lieutenant 
n'avait pas hésité, sous le prétexte mercantile de 
lui donner sa pratique, d'entrer chez la séduisante 
blanchisseuse. 

Entourée de ses nymphes, naïades du battoir^ mais 
qui étaient loin de ressembler à la divinité, le beau 
sous-lieutenant ne tarda pas à laisser percer que 
le but de sa visite n'était pas le but prosaïque in- 
diqué par sa première démarche. 

Les yeux rayonnants, la bouche souriante de la 
belle avaient déjà aussi bien parlé que les regards 
du séduisant lieutenant. 

Cependant, lorsqu'il fit cet aveu trop direct, la 
dame le tira à part ; elle lui dit devant les sourires 
moqueurs de ses nymphes : 

— Parlez plus bas, je suis mariée. 

Et le soir, la belle, avec un abandon que le sous- 
lieutenaht mit sur le compte de ses avantages, lui 
donnait rendez-vous pour le lendemain matin. 

Le lendemain, M"^ P***, sous prétexte de porter 
du linge fin en ville, déjeunait en téte-à-tête avec le 
militaire. 

Le lendemain de sa présence à la boutique de la 
jolie blanchisseuse, Fleury était aussi mari que le 
mari de la belle. 

Hélas I ce commencement de bonheur mutuel de- 
vait devenir la source de tous les maux de cet 
expéditif conquérant. 

^me p***^ iQ^i Q^ aimant à la folie son lieute- 
nant, son bébé^ comme elle le désignât, était la 
plus despote et la plus coquette des femmes. 

Elle mit son orgueil à jouer auprès de son vain- 



168 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

queur le rôle d'Omphale. De son côté, le nouveau 
conquérant fut si vite enveloppé par ses invincibles 
séductions qu'il se plia à tous ses caprices. 

Elle voulut que les jours où il était de garde au 
château, il passât d'abord devant sa boutique, pour 
bien voir son bébé, pour bien en jouir dans son uni- 
forme de grande tenue ! 

Quand il n'était pas de service, elle exigeait qu'il 
fit sa partie de cartes avec son époux. 

— Mon mari, lui disait-elle, est un simple qui ne 
voit pas plus loin que son nez. Cependant pour évi- 
ter ses soupçons, il vaut mieux aller à lui que d'a- 
voir l'air de l'éviter. 

Grisé par la passion, le sous-lieutenant n'hésita 
pas à se faire l'ami du mari et à le tutoyer. 

Il ne se contenta pas de fumer dans ses pipes , 
de boire à la même chope, non; après lui avoir 
pris sa femme, il lui mit jusqu'à ses paletots. 

Eugène-Napoléon P..., un nom prédestiné comme 
on voit, était le mari complaisant de la blanchis- 
seuse, il était de son état peintre décorateur. 

Il l'avoua devant les juges militaires : 

— Pendant huit mois qu'il connut Fleury, il l'aima 
comme son enfant, il l'appela bébé, comme ?a femme 
qui, du reste, ajouta-t-il, était aimée de toutes ses 
pratiques, les officiers de la caserne d'en face. 

Cet aveu plein de candeur, de la part du mari de 
cette coquette, n'était pas aussi naïf qu'il paraissait 
l'être. 

Si la belle M"' P*** avait le tempérament de la 
courtisane, le mari était un être abject qui avait le 
flair d'un proxénète et l'instinct d'un taitufe. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. iGO 

Le plus dupé des trois n'était pas celui qu'on 
pense. 

Fleury, en couronnant le front de l'époux qui fei^ 
gnait de ne pas s'en apercevoir, ne lui préparaitpa» 
moins ses foudres. 

Quant à la belle blanchisseuse, si elle aimait son 
bébé, elle aimait plus encore le plaisir. 

Forte d'elle-même, fière de sa beauté, elle prenait 
autant de soins à avilir son amant qu elle avait 
avili son époux qui, par intérêt, s'était prêté et se 
prétait de plus en plus aux complaisances de sa 
femme pour ses pratiques. 

Or, comme bébé, l'ami de la maison, ne rappor- 
tait pas assez au mari, le mari qui, dans sa partie 
de peintre en bâtiment, avait trop de jours de chô- 
mage, cherchait à les combler en favorisant les nou- 
velles intrigues de sa femme. 

Il n'y avait pas quinze jours que le beau Fleury 
était devenu l'ami de la maison, partageant le tabac 
de l'amitié cimentée par l'amour, qu'un troisième 
larron vint lui disputer sa place. 

Il fut accueilli par le mari comme l'avait été 
Fleury, mais Fleury n'était pas d'aussi bonne com- 
position que lui; il trouva mauvaise l'hospitalité 
accordée à son rival. 

Ce rival était pourtant un camarade de régiment, 
un sous-officier corse. A cette époque, les Corses 
étaient partout, surtout où l'on péchait en eau 
trouble 1 Et Dieu sait si l'on y péchait sous l'em- 
pire I 

Ce rival, c'était un nommé Guiangenti. 

Le 17 avril, c'est-à-dire quinze jours après la pre- 
III. 10 



MÉMOIRES DE MONSIEUH CLAUDE. 

mière relation de la belle M""* P*** avec Fleury, ce 
dernier est de garde au château. 

Il se présente en grande tenue dans la boutique 
de sa maîtresse ; elle le voit si beau qu'elle veut le 
retrouver au poste; mais au poste, elle rencontre le 
sous-JieutenantGuiangenti; elle le trouve non moins 
séduisant que son bébé. 

Pour rester fidèle à la mémoire de Tabsent, elle 
n'hésite pas, pendant que Fleury est de garde, à 
le remplacer par le beau Corse. 

Le lendemain, Fleury qui sait qu'elle a passé 
la nuit dans les bras d'un autre, court chez sa mai- 
tresse. 

Elle n'est pas encore rentrée, tant le Corse s'est ac- 
quitté en conscience de son rôle de remplaçant. 

Fleury ne trouve à la boutique que les nymphes 
de sa divinité. 

Ellesle gouaillent. Les femmes sont impitoyables! 
Elles lui disent que cette absence de leur maîtresse 
doit lui servir de leçon, et qu'il n'y a que le pre- 
mier pas qui coûte sur le chemin de l'adultère l 

Etait-ce bien le premier pas? 

Les nymphes devaient être très indulgentes pour 
leur maîtresse. 

En tous les cas, le beau Fleury est furieux. En- 
fin M"' P*** arrive. Il l'accueille par des injures. 
Elle lui en répond. 

Le mari intervient sur ces entrefaites. 

Gomme il est pour un peu dans le scénario de 
cette immorale comédie, il prend le rôle de tempo- 
risateur. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 171 

Il demande d'abord, d*un>^ir niais, ce qu'a le cher 
bébé. 

Avec un cynisme qui aurait dû éclairer un homme 
moins possédé par l'épouse de cet être immonde, 
le mari ajoute : 

— Il paraît que cela ne va pas dans le ménage. 
Qu'y a-l-il donc? 

— Il y a, reprend M"* P***, qui, pour son amour- 
propre, ne veut pas montrer devant son amant ^ 
son mari aussi vil qu'elle l'a fait elle-même, il y a 
que M. Fleury est grisl 

- De peur que le mari en dise trop long, ce qui au- 
rait pu nuire à sa passion très véritable pour son 
cher bébé, elle le pousse hors de sa boutique. "Là, 
elle essaye de redevenir tendre envers celui quVl.e 
ne vient pas de ménager. 

Fleury, qui a sur le cœur la nuit passée avec le 
Corse, lui demande en partant : 

— A quelle heure puis-je régler mon compte 
de blanchissage? 

— Quand monsieur Fleury voudrai réplique- 
t-elle sèchement. 

Mais l'amour est lâche. 

Après cette riposte de la belle blanchisseuse, 
Fleury lui fait un pressement de main significatif; il 
a des larmes dans les yeux. 

M"« P*** a pitié de la douleur de son cher bébé. 
^ Elle lui donne rendez-vous chez elle pour le len 
'demain. 

Le lendemain, comme son mari est absent pour 
quelquesjours, comme le raccommodement qui suit 
cette brouille de vingt-quatre heures, est très long à 



i7â MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

se faire, ce n'est qu*à deux heures du matin qu'il e^t 
définitif. 

A cette heure, le beau Fleury ne peut réveiller la 
concierge sans compromettre une femme mariée. 

Pour être tout à fait dans le rôle du mari absent, 
c'est dans sa chambre à coucher que se termine le 
raccommodement. 

C*est répoux de la belle blanchisseuse qui paie 
rinfidélité de sa femme avec le rival du beau 
fleury. 

Celui-ci est aux anges ! 

Il n'y a pas que le mari qu*il a trompé. Ainsi 
est faite notre imperfection ! 

Mais légalement, un amant ne peut pas toujours 
usurper la place du mari. 

Il est convenu entre les deux amoureux qu'ils 
prendront un appartement rue Saint-Nicolas. 

Gependantfdans la garde impériale comme dansle 
service de l'Autriche, le militaire n'est pas riche. 

Un sous-lieutenant a lui-même beaucoup à faire 
pour subvenir à ses propres besoins. 

Alors M"* P*** prend sur elle de payer le loyer 
de l'appartement de la rue Saint-Nicolas et de met- 
tre son amant dans ses meubles. 

Encore une fois la dignité du sous-lieutenant de 
la garde regimbe. Il s'explique jusqu'à un certain 
point les toilettes de la jolie blanchisseuse, quoi- 
qu'elles soient au-dessus de sa condition. 
' Son mari, au besoin, quand la peinture ne 
chôme pas, peut lui payer ses toilettes ; mais un 
loyer, des meubles dont l'achat devient le prix de 
l'adultère, un mari, malgré toute la complaisance 



MÉMOIRES DE MONSIEUR GUIUDE. 173 

qu'il pourrait y mettre, ne peut en être le pour- 
voyeur. 

Alors M'"«P..., qui est une fine mouche, conte 
une histoire au beau sous-lieutenant. 

Pour la croire, il faut qu'il soit bien amoureux. 

La jolie blanchisseuse lui avoue qu'elle est la 
fille naturelle du duc de Praslin , et que la famille 
de son père, tout en ne pouvant la reconnaître, ne 
Ta pas complètement abandonnée. C'est d'elle , 
ajoute-telle, que lui viennent des envois d'argent 
qui lui permettent de mettre dans ses meubles son 
cher bébé. 

Elle termine en disant que son mari, qu'elle 
méprise pour son indélicatesse, ne l'a épousée 
précisément que parce qu'il savait ce qu'elle était à 
cette noble famille. 

Mais elle dédaigne tellement son époux qu'elle 
a juré que jamais il ne profitera de ses ressources. 

— Hélas! ajoute-t-elle, sans les odieux calculs 
de cet homme, j'eusse été le modèle des épouses! 
et peut-être n'aurais-je pas même connu mon bébé. 

Fleury est au septième ciel, quoique son amour- 
propre 80ufi*re un peu d'être dans les meubles de sa 
maîtresse, mais il voit encore dans cet acte une ga- 
rantie de son amour pour lui. 

Il est surtout bien aise d'entendre mal parler de 
Napoléon P*** ; car il soupçonne, malgré son aveu- 
glement, que l'indélicat époux est pour beaucoup 
dans les infidélités de sa maltresse. 

Avec le caractère de la jolie blanchisseuse, les 
jours se suivent mais ne se ressemblent pas. 

Autant le beau Fleury est la constance même, 
III. 10. 



174 MÉMOIBES DE MONSIEUR CLAUDE. 

comme Desgrieax , autant la jolie blanchisseuse 
est la légèreté en personne, comme Manon Lescaut, 
dont elle est le prototype. 

Huit jours ne se sont pas écoulés depuis la location 
de l'appartement de .la me Saint Nicolas que la 
ï^lanchisseuse n'y fait que de courtes apparitions. 

Quand elle y parait, elle est toujours pressée. 

En vain son amant la supplie de lui consacrer 
tous ses instants, elle lui répond qu'elle se doit 
à ses pratiques et que son mari, par un retour 
qu'elle ne s'explique pas, est devenu tout à coup 
jaloux d'elle. 

Il la suit, s'il les trouvait ensemble il les tuerait* 

Gomme Fleury est excité par ces manèges qui le 
privent de plus en plus de l'objet de son adoratioo, 
M"e P*** ne craint pas de lui avouer, un autre jour, 
le but de son irritante comédie : 

— Vois-tu, bébé, lui dit-elle, si je te cédais toutes 
les fois quft tu le désires, tu ne m'aimerais pas au- 
tant ! C'est moi qui souffrirais ce que tu souffres. 
Mais tu es l'idole de mon cœur ; il n'y a que toi au 
monde que j'aime, malgré mes caprices I 

— Et cependant, lui répond-il en soupirant^ ta 
m'as été infidèle, et qui me dit que tes absences, ne 
cachent pas de nouvelles infidélités ? 

— C'est une sotte vertu que la fidélité, répond la 
cynique blajichisseuse, qui lui répond encore comme 
Manon à son Desgrieux. 

A. ees mots, Pleury est au paroxysme de la rage* 

Il ferme au verrou la porte de sa chambre. Il 

menace de tuer sa maîtresse, il dit qu'il la tuera» 



BTÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 175 

un jour, si jamais un autre Guîangentî se présente 
entre lui et son époux. 

La jolie blanchisseuse se jette à son cou et Teni- 
brasse avec transport. 

Elle lui laisse à peine achever ses reproches 
lorsqu'il lui dit : 

— Que me reste-t-il donc à fkire pour toi lorsque 
je t'ai tout sacrifié?*Ne déchire pas à plaisir un cœur 
qui est tout entier à toi. Tu m'as rendu lâche en 
acceptant tes bienfaits, ne te rends pas ingrate, ne 
te découvre pas comme un monstre, après m'avoir 
rendu presque aussi méprisable que ton mari. 

La belle blanehisseuse est heureuse et fîère de 
son esclave ; elle lui prouve cette fois qu'elle n'est 
pas un monstre d'ingratitude. 

Elle passe la journée et la nuit avec loi. 

Le lendemain, le mari qui, en amour , a les 
mêmes principes que sa digne moitié, lui fait une 
scène affreuse. Il lui dit que si elle s'abandonne 
ainsi à elle-même, la clientèle de sa maison Taban- 
donnera. 

Les affaires sont les affaires. Et de nouveau le 
tendre Pleury, dans l'appartement de la rue Saint- 
Nicolas, passe une partie de ses rendez- vous donnés 
à la belle , dans Tisolement et le silence. 

Il a le temps de méditer sur les dangers de son 
amour, il s'aperçoit de l'abîme ouvert sous ses pas. 
j II écrit à son père. Honteux de sa passion, plus 
honteux des dédains de la perfide, il demande à 
sa famille une somme de cinq cents francs pour 
payer le loyer de sa maîtresse et pour n'être plus 
à sa charge. 



176 MÉMOIBES DE MOrTSIEUR CLAUDE. 

Sa famille qui, par voie indirecte, a appris les 
égarements de Fieury, est heureuse de ses bonnes 
résolutions. Elle s'empresse de lui remettre la 
somme désirée. 

G*était, de la part de sa famille, une grave impru- 
dence; mieux eût valu se mettre en lieu et place 
de l'enfant prodigue et payer pour lui. 

Voici ce qui arrive. Une fois le beau Fleury en 
possession de cet argent, il écrit à sa maîtresse. Fier 
de dominer la situation, Fleury ose lui dire que tout 
est rompu entre eux. Il ajoute : 

— J'étais fou, j'étais lâche. La raison rend enfin 
au devoir. Je donne congé de votre lupanar. 

La belle blanchisseuse, qui croit tenir perpétuel- 
lement son amant, est furieuse de cette lettre si 
injurieuse pour elle. 

Et dans son dépit, elle la montre à son mari qui, 
en ces sortes d'affaires, est toujours de très bon 
conseil. 

L'odieux époux lui répond : 

— Si vous êtes adroite, ma chère, c'est vous qui 
aurez l'argent du terme. 

M"« P*** suit si bien les leçons de son mentor vi- 
eieux que, en accordant une nouvelle journée de 
délices à son cher bébé, l'argent destiné au pro- 
priétaire passe aussitôt dans la poche de la nou- 
velle Gircé. 

Et le soir, M"« P*** rentre triomphalement sous le 
toit conjugal avec les cinq cents francs de la fa- 
mille de son bel amoureux. 

Le digne époux, enchanté de sa femme, non 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 177 

moins ravi de son Desgriéux, dit qu'il veut revoir 
son cher bébé. 

Celui-ci ne tarde pas à rentrer à la maison. 

Avec les cinq cents francs du beau Pleury, on tue 
le veau gras. [ 

Le mari, qui tient autant que sa femme à avoir 
fious sa dépendance le sous-lieutenant dont la fa- 
mille peut disposer de cinq cents francs, recom- 
mence à faire de lui son commensal. 

Le jeune homme s*y prête volontiers, parce 
qu*il peut voir et surveiller de plus près celle qui 
devient sa vie, son âme, et sans laquelle, désormais, 
Texistence est intolérable. 

De son côté, le mari trouve une âpre volupté à 
ravaler Fesclave absolu de sa femme. Si le beau 
Fleury ne file pas à ses pieds, il fait les commis- 
sions, coule la lessive et il s'habille jusque dans les 
vieux paletots de Tépoux de sa maîtresse. 

M"* P***, qui ne sait aimer qu'en faisant souffrir, 
recommence ses coquetteries sous les yeux de son 
cher bébé. Car elle a autant besoin d'adorateurs 
que de toilettes. Son mari ne lui suffit plus pour 
lui rabattre des amoureux. 

C'est le Corse, c'est le sous-lieutenunt de la garde, 
Guiangenti, qui, sans respect pour l'amour de son 
ami, amène ses supérieurs à la boutique de la jolie 
blanchisseuse. Un officier de la garde nommé R... 
supplante le Corse qui avait, pour un moment, sup- 
planté Fleury. Le Corse ne s'en plaint pas, le mari 
non plus. 

Il n'en est pas de même de Fleury qui, chez sa 
maîtresse, tourne à l'état d'Othello. 



178 MÉMOIRES DE HONSIBXm CLAUDE. 

Les incidents ne manquent pas à Pleury pour res- 
ter dans son rôle désagréable de second mari l 

Un jour qu'il faisait une scène à sa coquette s'a- 
musant toujours de ses fureurs, Guiangenti passe. A 
la vue de Fleury, le Corse ne s'arrête pas. 

La jolie blanchisseuse, pour bien faire enrager son 
bébé, crie de sa boutique à Guiangenti, les bras 
tendus vers lui : 

— Tu passes bien fier. Viens m'embrasser. 

Et Fleury sort comme un fou furieux. Mais il re- 
vient de lui-même et dit à sa maîtresse. 

— Je suis parti, après ta sotte bravade, pour ne 
pas souffleter ce Guiangenti, que je méprise autant 
que ton mari, parce que, lui aussi, se ligue contre 
moi pour te prostituer. 

— Vous êtes en verve de galanteries, ce soir, ri- 
poste M"' P***, dont chaque réponse était autant 
d'aiguillons pour exciter sa jalousie. Si c'est pour 
me faire entendre vos injures que vous êtes re- 
venu, vous pouvez me tourner les talons. 

— Non I se récrie le Sôus-lieutenant en grin- 
çant des dents, non, je ne m'en irai pas,, parce que 
je sais que, ce soir, Guiangenti vous a ménagé un 
rendez-vous avec son officier. 

— Est-ce que cela vous regarde? répond la Circé. 
Vous n'êtes pas mon mari, vous n'êtes pas chiargé 
de veiller sur ma conduite ? Mêlez-vous de vos af- 
faires et laissezHnoi aux miennes. 

Si le beau sous-lieutenant n'eût pas été possédé 
par cette femme, son cynisme eût achevé de le dé- 
goûter d'elle. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 179 

Hélas ! Fleury ne s'appartenant plus, il appartenait 
à cette sirène, comme Desgrieuxà sa Manon. 

Son insolence, au lieu de le ramener à la dignité 
de lui-même, ne fit que le terrasser, Tavilir de plus 
en plus. 

Et les larmes dans les yeux il répondit : 

— Ahl perfide, quand cesserez-vous de me percer 
le cœur de la douleur de vos trahisons ? Vous me 
portez des coups qu'on ne porte qu*à un. amant 
dont on a résolu la mort 1 

La belle blanchisseuse aimait son bébé. Pour 
toute réponse, elle se contenta de se jeter à son cou 
et de Tembrasser bien fort. 

Il suffisait d*une caresse de la belle pour calmer 
ses transports de jalousie ou pour les changer tout 
au moins en transports d'amour« 

Lorsqu'elle eut guéri la blessure de son amant 
par un baiser bien tendre, elle lui répliqua : 

— Que tu es bétel Est-ce que Je puis aimer les 
autres comme je t'aime *^ Ne sommes-nous pas du 
même pays, presque parents? N'avons-nous pas du 
sang bourguignon dans les veines? Nous nous con- 
naissons bien. Si nous avona la tête près du bon- 
net, le cœur n'est pour rien dans nos querelles. 
Reviens demain, tu ne t'en repentiras pas. 

En effet, l'adroite et passionnée M"*' P***, pour 
lui complaire , lui avait fait accroire qu'elle était 
de la même contrée qUe lui et qu'ils étaient presque 
cousins. 

En dépit de ces titres, Fleury, qui plus que 
jamais ne tenait à les partager avec personne, insiste 
pour qu elle ne reçoive pas l'officier de Guiangenti* 



480 MÉMOmES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Mais la belle persiste. 

Pour se délivrer de ses obsessions, elle dit à soa 
esclave, en lui jetant une pièce de monnaie : 

— Tiens, bébé, voilà pour ton tabac! Pile! 
Cette fois, c'est trop d*outrage, la mesure est 

comble. 

Il rejette, la rougeur au front, la pièce de mon- 
naie delà prostituée. Il s'écrie en voyant plus rouge 
encore : 

— Oh! misérable I tu ne m'aviliras pas plus long- 
temps, c'est ton arrêt de mort et le mien que tu 
viens de prononcer. 

La jolie blanchisseuse rit aux éclats. 

Elle ne croit pas à ses menaces. Elle le laisse 
partir et reçoit, devant ses ouvrières, le Corse qui lui 
^annonce que son officier l'attend, et qu'il est en 
faction près de la boutique. 

La blanchisseuse va s'élancer sur le seuil pour 
courir au-devant de son nouveau conquérant. Un 
homme l'arrête ; c'est Fleury, armé , d'une main 
d'un revolver, de l'autre d'un poignard. 

Aussitôt il tire un coup de pistolet dans la figure 
de sa maltresse ; elle se recule, pousse un cri, ses 
mains en avant, jusqu'à l'arrlère-bou tique. Fleury 
la poursuit, il lui plonge son poignard dans le 
cœur. 

Les ouvrières de la blanchisseuse étaient là, mais 
le mouvement a été si rapide, le coup de poignard 
a suivi de si près le coup de revolver, que les fem- 
mes n'ont pu, paralysées par la surprise et par l'ef- 
Iroi, se jeter entre la victime et l'assassin. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 181 

Guiangenti, qui était là pour presser la blan- 
chisseuse à suivre son officier, manque de cœur 
jusqu'au bout. 

Il ne prend aucune résolution lorsque les femmes 
affolées crient de tous côtés au secours. 

Fleury a accompli sa promesse. Il a le temps, 
après son meurtre, de se présenter à un servent de 
ville de ronde dans la rue du Rocher. 

Il est emmené chez le commissaire de police qui 
se rend sur les lieux du crime dont le bruit a mis en 
émoi toute la caserne de la garde impériale. 

Lorsque le beau Fleury est traduit en conseil 
de guerre, il répond à ses juges qui lui demandent : 

-^ Pourquoi avez-vous tué cette femme ? 

— Parce que, répond -il, elle m'avait trop tor- 
turé. Elle m'avilissait, j'étais honteux d'elle et de 
moi. 

— Reigrettez-vous ce que vous avez fait? ajoute 
le président du 'tribunal. 

— Non, répond-il; ce serait à refaire que je re- 
commencerais peut-être. Je n^étais pas maître de 
moi, je ne savais ce que je faisais : je l'ai tuée, sans 
le vouloir, j'étais foui Je l'ai aimée et je l'aime en- 
core ! 

Pour l'honneur du corps, on essaya de faire 
passer Fleury pour un monomane dont la folie,dans 
sa famille, était héréditaire ; mais il fallut compter 
avec l'opinion moins Indulgente que la justice. 

Fleury fut condamné à vingt ans de travaux for- 
cés, à la dégradation militaire et à la surveillance 
perpétuelle. 

in, 11 



182 MÉMOIRES BE MONSIEUR CLAUDE. 

11 en coule aux gens faibles de se laisser prendre 
aux c&armes desManons. 

Le beau Pleury dut regretter plus tard sa ren- 
contre du mois d'avril, un vendredi, ^vec la jolie 
blanchisseuse du passage Cherbourg t 



CHAPITRE XII 



LES DIAMANTS DU DOC DE B 



On se rappelle sans doute dans Tancien quartier 
Beaujon , une habitation bariolée dont Taspect 
étrange était d'une irritante oiîginalîté. 

Peintes en rouge, ses murs s'ouvraient ou plutôt 
ne s'ouvraient pas sur des portes massives surmon- 
tant des jardins suspendus. Dans Tangle de ces jar- 
dins s'élevait un bâtiment à l'italienne, non moin» 
fardé, que son propriétaire, le duc de B***. 

L'illustre duc, dont la très noble souche a donné 
des rais à TAngleterre, n'était pas moins excen- 
trique que la conôguration de son hôtel. 

Si le style peint l'homme, on poavait dire, avec 
autant de raison, que le duc de B*** était peint 
par sa maison. • 

C'était un personnage aussi mystérieux, aussi 
fnrdé, aussi sinistre que la façade éeariate de sa 
singulière habitation. 



iSi MKMOIRES DE MONSIblUR CLAUDÇ. 

Ce duc possédait dans son hôtel, ressemblant à un 
immense cofTre-fort, pourquinze millions trois cent 
mille francs de diamants. 

Il était aussi avare que riche, tout en continuant 
les galantes traditions de ses ancêtres. 

S'il recherchait les plaisirs, il recherchait les 
plaisirs à bon marché. Il n'ouvrait son coffre-fort, 
qui pourtant était bondé de joyaux comme la ca- 
verne d'Ali -Bdba, que pour sa satisfaction person- 
nelle. 

Peut-être n'avait-il pas tort, ce noble duc, de se 
retrancher dans sa maison comme dans une caverne 
ou une forteresse. 

Sa famille ne lui pardonnait pas sa fugue, lorsque 
chassé de son duché, il avait eu la précaution, 
comme Bilboquet, de mettre à l'abri sa malle de 
voyage contenant pour quinze millions de diamants 
appartenant bien plus à la couronne qu'à lui-même, 
un personnage... découronné. 

En cette circonstance, dans un sens inverse, le 
noble duc avait parodié le mot de Louis XIV. En 
emportant les diamants de l'Etat, il s'était dit : 
L'Etat^ c'est moi. 

Aussi n'était-ce pas sans dessein que ce duc avait 
fait de son hôtel un épouvairtail, à l'exemple des 
Chinois qui, pour se faire craindre de leurs adver- 
saires, se cachent derrière des monstres fantas- 
tiques. 

C'était parce que le noble duc redoutait tout le 
monde qu'il se barricadait dans sa maison, aussi 
repoussante parla couleur que sinistre par l'aspect. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 485 

Ce n'était pas tout; pour arriver à son apparte- 
ment, il fallait affronter mille carillons. 

Il y avait des sonnettes à toutes les portes, elles 
convergeaient vers le cabinet de travail et la 
chambre à coucher du noble duc. 

Derrière ces pièces, se tenait le coffre-iort aux 
diamants. 

Là, des sonneries électriques correspondaient par 
des fils perfides à une rangée de revolvers. 

A une pression insolite, ces revolvers pouvaient 
éclater dans une décharge qui, si elle n'eût fait sau- 
ter la maison, eût fait sauter inévitablement Tira- 
prudent visiteur. 

Quoique le duc fût un excentrique, citait aussi 
un homme de précaution. Ombrageux, avare comme 
Louis XI, luxurieux comme le Régent, il croyait que 
tout le monde en voulait à sa caisse. Il n'en exemp- 
tait ni ses serviteurs ni ses maîtresses^ 

Sur ce dernier point il n'avait pas tort, pas plus 
qu'il n'avait tort en considérant sa noble famille 
comme intéressée à encourager la cupidité de ses 
ennemis intimes. 

L'ombrageux, l'avaricieux, le voluptueux due 
de B*** avait à citer un grand nombre d'exem- 
ples justifiant sa monomanie, ses excès de précau- 
tions qui faisaient la joie des serruriers et des^ 
fabricants de machines infernales en miniature. 

Si le duc de B*** couchait sur des millions, il ne 
couchait pas pour cela sur un lit de roses, et il avait 
encore raison de voir tout... couleur de sang ! 

Je me rappelle ce singulier personnage que je 
rencontrai souvent aux petits théâtres dans une 



186 MÉMOniES DE MONSIEUB CLAUDE. 

loge d'avant-scène, en compagnie d'une dame du 
quart du monde, maîtresse éphémère qu'il chan- 
geait aussi souvent que de diamants. 

Placé derrière sa dame, dans une pénombre dis- 
zrèle, à côté d^un serviteur majordome, le dac 
le B*^ ne bougeait pas plus qu'un terme. Il était 
impossible de deviner ses traits, ni son âge, derrière 
le masque vermillonné de sa face impassible. 

Tout était faux chez cet individu énigmatiqae 
tenant de l'automate. 

Fausse était sa barbe, fausse sa chevelure, faax 
étaient ses favoris, jusqu'à ses mouvements, quand 
d en faisait, et qui étaient réglés comme par des 
ressorts. 

Lorsqu'il se levait, il faisait entendre un bruit 
étrange. 

On eût dit le claquement des os que le vent met 
en mouvement sur un squelette. 

Cet homme, mannequin vivant et squelette, par- 
lant, était horrible à voir sur sa face immobile et 
empourprée. 

Il n'y avait pas que son côté plastique qui é4ait 
arrangé, réglé par compas et par mesure. Son exis- 
tence était aussi composée que sa personne. 

L'Empereur ne donna pas plus de tracas à la police 
qu'il n'en donnait lui-même! 

Des inspecteurs étaient payés pour ne jamais le 
perdre de vue, pas plus que son entourage dont il 
se méfiait comme les rois fainéants se méfiaient 
des gens de leurs palais. 

11 fallait toujours veiller sur ce cadavre qui ne 
vivait que pour s'isoler de sa famille qu'il avait 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 137 

frustrée, et des inconnus parmi lesquels il prenait ses 
familiers pour qu'ils n'eussent aucune attache a«^ec 
sa parenté. 

Avec lui, la police était sur les dents, parce qne 
le noble duc, qui s'était aliéné Tespiit de sa caste, 
était le point de mire do tous les intrigants et 
intrigantes de la terre, attirés par Téclat de ses dia- 
mants. 

Aussi avare que soupçonneux, sa monomanie, 
souvent très justifiée, était de croire que tout le 
genre humain en voulait à sa bourse. 

Un jour, il commande le catalogue de ses riches- 
ses à un nommé W***. Celui ci est obligé de plaider, 
une fois le catalogue fait, pour obtenir un prix rai- 
sonnable de son travail. Une autre fois, c'est une 
dame C*** qui tire sur sa cassette et lui demande, à 
raison de son titre de fille naturelle, une forte pen- 
sion alimentaire. 

Les journaux de cette époque sont remfrfis des 
procès intentés par des inconnus au malheureux 
richard, toujours sur le qui vive, toujours dans 
Fattente de voir quelqu'un lui crier : La bourse ou 
la vie. 

Rien n'étaitdonc plus naturel, malgré les bizar^ 
reries de son ex istence^ qu'il prit tant de précau* 
lions pour se défendre contre tant d'ennemis. 

Si sa maison était une~ forteresse, si son jardin 
était rempli de pièges à !onp> si son intérieur était 
défendu par des revolvers et des- sonnettes électri- 
ques, c'était parce que sa maison et son individn 
étaient cernés par tous les bandits du globe. 

Les picks-pockets anglais, passés maîtres dans 



i83 HÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Tart du vol, lui dépêchèrent, un jour^ un de leurs 
voleurs les plus effrontés. 

Voici à quelle occasion : 

Le duc de B*** avait à son service une jeune femme 
anglaise, aussi probe, aussi jolie que sage. Il la ren- 
voya, parce qu'il ne put obtenir d'elle, ce qu'il obte- 
nait de tous ses serviteurs, des complaisances qui 
ne figuraient pas dans le service ordinaire. 

La femme de chambre, outrée et de l'insolence et 
de l'avarice de son maître qui l'avait chassée sans 
lui donner ses huit jours, résolut de se venger. 

Elle trouva sous sa main un vengeur tout prêt. Ce 
vengeur, c'était le valet de cjiambre, l'homme de 
confiance du duc, qui feignit d'être outré de la con- 
duite du duc à son égard. 

Ce valet de chambre, nommé Henri Schaw, était 
un compatriote de la femme de chambre ; il avait 
vingt-six ans, il était de Newcastle. 

Lui aussi avait, disait-il, à se venger de l'ingrati- 
tude et delà dureté du duc. Il lui offrit de mettre en 
commun le bénéfice qu'ils pourraient tirer de leurs 
représailles. 

La femme de chambre y consentit. 

Voici en quoi consistait cette vengeance : Le valet 
de chambre et l'ex-servante écrivirent une lettre 
adressée à un prince d'Angleterre; dans cette lettre, 
les serviteurs du duc s'engageaient, moyennant cent 
mille francs, à rendre à sa maison les millions de 
diamants dont le duc leur avait fait faute. 

La femme de chambre consentit, non sans répu- 
gnance, à écrire cette lettre avec son complice. 

Aussi honnête que vindicative, elle mit en post- 



MEMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 189 

scriptura qu'elle refusait pour sa part la récom- 
pense stipulée par le valet de chambre, qui, ajoutait- 
elle , se chargeait seul , par des moyens qu'elle 
désirait ignorer, de rendre à qui de droit les dia- 
mants détenus par son ex-maître. 

C'était tout ce que voulait le voleur pour entourer 
son méfait d'une apparence chevaleresque. 

Une fois en possession de la lettre, il se mit à 
l'œuvre pour s'approprier les diamants du duc, son 
rêve depuis qu'il était entré chez lui, comme y en- 
trait, la plupart de ses domestiques, par Tentre- 
mîse d'un bureau de placement. 

Il n'y avait pas un an que Henri Schaw était chez 
le duc que par son instruction, par ses manières, ses 
complaisances, il était devenu l'homme indispen- 
sable de la maison. 

Mais si notre rusé voleur avait bien étudié son 
maître pour mieux le capter, il n'avait pas moins 
étudié les abords de son coffre-fort pour en tourner, 
à un moment donné, les menaçantes difficultés. 

Ce coffre- fort, couronné de sonneries comme un 
chapeau chinois, de revolvers comme la crête d'un 
château fort, était scellé dans la muraille de la 
chambre à coucher attenant au cabinet de travail. 
Il était dissimulé par une porte en fer^ placée à la 
tête du lit et recouverte par la tenture en soie capi- 
tonnée qui tapissait la chambre. 
1 Ce ooffre, véritable maison dans la maison même, 
'était défendu, comme je l'ai dit, par un arsenal de 
I revolvers également dissimulés dans la boiserie du 
mur. 

Donc il était impossible à une main qui ignorait 
m. 11. 



190 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

le secret qui le fermait, de Touvrir une fois fermé 
par son propriétaire. 

Or, le 7 décembre i863, le noble duc attendait 
son bijoutier pour faire paonter plusieurs de ses 
diamants , il avait négligé, contre son habitude, de 
refermer la porte de son coffre-fort. 

Schaw, qui n'était entré au service du duc que 
pour épier ce roonaent d*oubli de la part de sg|i 
soupçonneux maître, remarqua avec joie que le 
duc, en ne fermant pas son coffre, laissait en repos 
son mécanisme si compliqué, si renforcé de canons 
on miniature. 

Aloi s, le duc de B*** n'avait fermé que la porte 
sous tenture dont la clef ne lo quittait jamais. 

Après avoir attendu en vain son bijoutier, îe ûuc 
partit en priant Schaw qui avait sa confiance, de le 
recevoir pour lui. 

Une fois seul, notre bandit n'a qu'une pensée, 
mettre à profit l'occasion qu*il guettait depuis 
longtemps. 

Muni d'une lim« qui ne le quittait pas depuis 
qu'il était au service du duc , il fait sauter la ser- 
rure de la première porte, tire à lui la seconde porte 
qui n'a plus la puissance de faire jouer sa batterie 
contre le voleur. 

Le voici dans la place, il a devant lui, rangée 
dans, des tiroirs, sur des tablettes, toute la fortune 
de son maître : diamants, bijoux, décorations, sacs 
pleins d*or, pour la somme de plus de quinze mil- 
lions I 

Il en remplit ses poches. 

Comme une première fois ne suffît pas à soa 



HÉMOIRES DK MOIfSIEUR CLAUDE. fôî 

abondante récolte, il fait deux vayages de la cham- 
bre à coucher à la sienne. 

Après avoir refermé la porte sous tenture, dont 
la draperie dissimule l*eiffraction, il remonte à sa 
chambre et remplit son sac de voyage. 

Sans attendre le rel^ur du txrattre, il ^agtfele 
chemin de fer, après avoir eu le soin de prévenir on 
domestique de le remplacer quand le duc serait de 
i^etour, sons prétexte qullest très souffrant. 

Lorsque le duc revient, et il trouve chez lui, au 
lieu de Schaw, son remplaçant qui lui annonce sa 
maladie prétendue. Le duc a des soupçons. 

Il court à ia porte de la boiserie masquant son 
coffre-fort, il trouve sa serrure forcée, la porte à 
demi brisée. Plus de doute, ii est volé. 

Il ouvre son secrétaire, ii s'afjerçoit que son vo^ 
leur lui a pris pour près de deuK millions en dia^ 
mants et en billets. 

On court dans sa chambre, son intérieur trahit Je 
eoupable. Sur le plancher, quelques diamants cou» 
rent encore, délaissés ou dédaignés par le bandit eu 
fuite. 

Immédiatement une plainte est portée par le 
noble duc. 

Gomme la plainte de ce g^re, alléguée par ce 
personnage, m'arrivait presque aussitôt qu'elle était 
déposée au parque t, je reçois Tordre d'aviser au 
plus vite. 

. Cette fois, la police de Londres, conjointe à la 
police française, me rendit la besogne très facile. 

On se rappelle que ce Schaw, en voleur avisé, 
pour colorer son larcin et lui donner un relief 



1^2 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

moins indigne, en avait fait un objet de vengeance 
par une femme qui avait à se plaindre du duc, son 
maître. 

C'était précisément ce qui devait le sauver qui le 
perdit. 

Cette lettre, envoyée à un prince du sang, n'avait 
fait que soulever Tindignation de la cour étran- 
gère. 

Pour qu'elle ne fût ni un prétexte à scandale, ai 
une sauvegarde pour son misérable auteur, elle 
étaitretournée, comme la plainte|du duc, au parquet 
deParis. 

Pour ma part, en ma qualité de chef de la sû- 
reté, je reçus cette plainte presque en même temps 
que la déposition du duc de B***, victime cette fois 
de sa confiance pour un voleur anglais qui, du reste, 
n'en était pas à son coup d'essai. 

Je le répète, l'excès de précaution de Schaw 
devait le perdre. Dans la lettre qu'il avait fait par- 
venir à l'étranger; lui aussi, comme la femme de 
chambre, avait mis un post-scrîptum . Dans ce 
post-scriptum, il disait qu'il attendrait deux heures, 
à Boulogne, un envoyé du prince pour lui remettre 
une partie des diamants du duc de B*** sur lequel 
il ne réclamait, qu'une somme de cent mille francs. 

Ainsi, j'étais averti du vol commis chez le duc 
et du trajet qu'avait fait le voleur pour échapper à 
sa poursuite et à celle de la justice. 

Les deux heures qu'il donnait à l'envoyé de 
Londres n'étaient qu'un temps illusoire ; car c'était 
juste le temps qu'il faut pour attendre le paquebot 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 103 

qui, de Boulogne, embarque ses voyageurs pour 
Falkslone. 

En cette circonstance, le Schaw ne faisait que ce 
que font tous les voleurs de qualité en France, il 
prenait le paquebot pour déposer à Londres le pro- 
duit de son larcin, à la compagnie du dépôt sûr. 

Non seulement il se mettait par cette compagnie 
à Tabri de la police, mais il s'assurait encore la 
protection d'un prince contre le duc qu'il dévalisait. 

Là» du moins, il s'était grossièrement trompé. 

Sa lettre envoyée à la police me servit à prendre 
immédiatement le train de Boulogne, à courir sus 
à mon Scbaw qui ne s'attendait à rien moins qu'à 
ma visite. 

Les deux heures qu'il accordait au prince étaient 
le temps qu'il me fallait pour rejoindre mon voleur 
avant qu il pût gagner le paquebot. 

Je pris le train de nuit. J'arrivai à Boulogne au 
petit jour. Connaissant par expérience les habitudes 
des voleurs de l'espèce de ce Schaw, je fis visiter 
dès le matin les plus riches hôtels de la ville par 
deux inspecteurs que j'avais amenés avec moi. 

En moins d'une heure, avant que le paquebot 
eût donné le signal du départ, je savais où ^ ^eaît 
Schaw, dont j'avais la photographie en poche. 

Je me présentai à Yhôtel d'Angleterre^ je de- 
mandai à parler à Schaw. 

Je Tabordai en lui présentant sa lettre adressée 
au prince étranger et en me disant envoyé de sa 
part. 

Je vis un homme fort déconfit. 



194 HÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

11 voulait bien être couvert par la famille dû dac; 
il ne tenait pas à se découvrir lui-même. 

Depuis deux heures qu'il possédait ses deux mil- 
lions, moins les cent mille francs qu'il avait mis ea 
réserve en cas de surprifie, il toe tenait phis à ftàre 
aucune restitution. 

Sa déconfiture fut autrement sérieuse lorsque mes 
deux agents m'eurent rejoint, et lorsque je lui exhi- 
bai un mandat d'amener. 

Il lui fallut boD gré maJ gré, entre deux gendar- 
mes, reprendre avec moi le chemin de fer et laisser 
partir, sans lui, sans ses millions, le paquebot en 
route pour Folkstoue. 

Henri Schaw était en réalité un voleur de profes- 
sion, dans le genre des Benson et des Wilson. 

Il n'en était pas à son coup d'essai. 

Anglais d'origine, il avait habité successivement 
la Prusse, la Pologne, l'Angleterre, changeant de 
nom aussi aisément que de résidence. 

Il avait commis un vol considérable, à Varsovie, 
«ur un de ses oncles. 

Arrivé en France en 1863, il n'y était venu que 
oans l'intention de voler le duc de B*** qui, à cette 
époque, était le point de mire des bandits cosmo- 
polites, comme l'était et comme l'est encore la 
maison Fontana I 

Henri Schaw, alors âgé de vingt-six ans, était le 
type de ces voleurs intéressants dont j'ai parte à 
propos des picks-pockels et des chevaliers d'indus- 
trie, voleurs sans vergogne, unissant l'adresse, 
à l'audace, et qui ne sont nullement mortifiés quand 
on les surprend la main dans le sac. 



MÉMOIRES BE ttONSlEVR ClAUDE. i05 

Schaw était tin jcane hoiwa^ de haate taille, 
xnaigre, élancé, toujours d'hutte (êfme irréprochable. 

Il avait le teint pâle, les joiies^nftwôeset osseoses: 
«es grands yeux proéunin^nts sor ^ face glauque 
avaient une expression de malice empreinte d'i- 
ronie. 

Lorsqu'il se présenta devant la cour d'assises, le 
duc de B***, qai avait eu connaissance de la lettre 
écrite à un prioce d^Angieterre, ne se présenta pas à 
Taâidience oomme témoin. Il eut peur du scandale. 

Il prétendit être malade. 

Rentré en possession de ses diamants, il ne char- 
gea Schaw que d'une façon obscure par l'organe de 
fion aide de eamp. La cour étant ^ue éetalrée que 
les jurés, le président demanda an «oapable : 

— Schaw, expliquez-vous, car MM. les jurés ne 
savent pas pourquoi vous êtes ici? 

— RhWenl qu'tLs m'acquittent I rèpotidit41 îm- 
perturhablement. 

— Ne faites rien, reprend le président, par ves 
plaisanteries déplacées, pour aggraver votre si- 
tuation, 

~ Je ne plaisante pas, ajouta-1>il; si je sjuis con- 
damné, je ne demande qu*à m'en aller. 

— Auparavant, riposte le juge, répondez-noos? 

— Je n'ai rien à répondre, dès que mon ac&u^a- 
leur n'ose venir m'aceuser. 

— Il ne peut pas, continme le président. 

— Parce qu'il n'a riea à répoadre I l'interrempl 
Schaw. 

— Est-ce que je vous parle? reprend le juge. 

— Et moi donc? riposte Schaw. 



196 MÉMOmES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Le reste de l'interrogatoire est sur ce ton. 

Lorsque le président lui demande pourquoi il a 
donné quatorze cents francs à une fille chez laquelle 
il a passé une heure de la nuit après son vol, il ré- 
pond : 

— Dame, on ne gagne pas tous les soirs deux 
millions ! 

Lorsqu'il le questionne sur les cent mille francs 
qu'il a mis en réserve, Schaw répond : 

— Ils sont probablement tombés dans la chambre 
de cette fille et je ne les ai pas ramassés. 

^ Pourquoi ? 

— J'en avais assez. 

— Et, continue le président, gagné par l'ironie de 
l'accusé, vous ne vouliez plus vous baisser pour 
en prendre. 

— Pourtant, reprend Schaw qui ne veut pas avoir 
le dernier mot, si vous m'assurez que cette fille ne 
sera inquiétée pour ces cent mille francs en ques- 
tion, je vous la ferai connaître. 

— Votre demande est impossible ! 

— Je n'en suis pas juge, reprend le voleur en 
s'inclinant ironiquement. 

— Mais moi, je le suis, jugel termine le président 
au milieu d'une hilarité dont le prétoire n'est guère 
habitué. 

Et l'avocat Lachaud donne une autre tournure à 
ce procès qui, dès le début, a été aussi burlesque 
que l'étrange personnage qui l'a provoqué. 

Le président, qui n'a pu faire parler le voleur, est 
obligé de faire taire maître Lachaud qui menace 
d'en trop dire : 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 107 

— M. le duc, s'écrie-WI, au lieu de venir, a en- 
voyé son aide de camp. Mon client se tait. Je m'y 
attendais bien... 

— Il ne faut pas, Tinterrompt le président, en 
dire si long sous prétexte que vous avez la langue 
liée. Vous en dites beaucoup trop, en prétendant 
que vous ne pouvez rien dire... 

— Le silence de Taccusé, reprend son défenseur, 
est motivé par des considérations que vous compre- 
nez à demi-mot; elles vous permettront d'être plus 
clément que ne Ta cru le ministère public. 

Le voleur qui n'a rien dit n'est pas moins con- 
damné à vingt ans de travaux forcés ; niais il a le» 
cent mille francs qui ne doivent plus rien au duc, 
dès que le duc ne les réclame pas, par peur de M* La- 
chaud qui en dit trop long, tout en prétendant ne 
rien dire. 

Par les conclusions de ce jugement, on ne sut 
lequel des deux était le plus à plaindre : ou du voleur 
qui avait gagné cent mille francs en volant son 
maître, ou du volé qui fuyait un tribunal devant 
lequel il redoutait les moindres indiscrétions. 

Bien mal acquis ne profite jamais, dit le pro- 
verbe. 

Les diamants du duc de B***, sortis d'une cassette 
royale où ils auraient dû rester, enrichirent une 
république qui n'en avait que faire l 

Il fallait être un duc de B**^ qui teignait son hôtel 
en rouge, qui donnait sa confiance à un voleur, 
pour faire héritière la Suisse de ce qui appartenait 
au Hanovre. 



198 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Il fallait aussi pour que le duc fût en butte à des 
procès si burlesques, qu'il vécût sous un règne 
comme celui de TEmpire, le règne des contresens 
«t des malentendus I 



CHAPITRE XIII 



l'assassin POîïCET et son AMf <*'inAUD DE GATEBOUiiSB 



Dans la matinée du 6 octobre 1865, deux indi- 
vidus traversant le bois d'Orgeniont, commune d'Ar- 
genteuil, virent sur le bord d'un taillis, un homme 
•étendu, dont Timmobilité leur parut suspecte. 

Us s'approchèrent «t se trouvèrent en présence 
d'un cadavre. 

C'était le corps d'un vieillard dont la tête baignait 
dans une mare de sang. Le corps était couché sur 
le dos, la tète dans l'intérieur dix taillis et les pieds 
sur le talus du chemin. 

A la partie antérieure .du cou, une plaie profonde 
s'étendait à droite jusqu'à la colonne vertébrale, 
■elle avait été faite avec un insirumént tranchant et 
avait dû produire une mort presque instantanée, 
La main droite tenait une canne , le petit doigt de 
cette main avait été coupé dans le mouvement fait 



200 MÉjiOlRES DE MONSIEUR CIAUDB. 

sans doule par la victime pour parer les coups de 
Tassassin. 

Sur les déclarations des tardifs témoins de cet at- 
tentat, sur les premières recherches de la police, il 
fut constaté que la victime s'appelait Thomas La- 
vergne, âgé de 78 ans, demeurant rue de la Made- 
leine 54, hôtel Buckingham, et que son assassin 
probable^ celui qui ne Tavait pas quitté de Londres 
à Paris, était un jeune homme d^ 25 ans environ, 
répondant au nom de Gabriel. 

Lorsque je reçus Tordre du parquet de m'occuper 
immédiatementde cette affaire, je me rendis àThôlcl 
de la Madeleine. Je commençai par interroger son 
propriétaire, puis un nommé Bica^y^ domestique de 
M. Lavergne. 

Le propriétaire de Thôtel Buckingham, nommé 
Barrât, et le domestique de M. Lavergne qui ne sa- 
vaient rien encore de Taffreuse nouvelle, n'hésitè- 
rent pas à porter leurs soupçons sur le jeune conai- 
pagnon du vieillard qui avait été entraîné, la veille, 
par lui, à Argenteuil, dans une partie de plaisir. 

Ib me désignèrent Tindividu; c'était encore le 
nom de Gabriel que je devais mettre sur mon rap- 
port. 

Ce jeune homme venait de faire le voyage de 
Londres à Paris avec le vieillard ; il s'était lié d'a- 
mitié avec lui, quoiqu'il ne fût ni de sa condition, 
ni de son âge. Depuis leur arrivée à Paris, le jeune 
homme venait rendre souvent visite au vieillard à 
son hôtel. Mais le propriétaire, autant que possible, 
le renvoyait ainsi que le domestique de M. Lavergne, 
un nommé Bicary. 



v 
MÉMOIRES I>Ë MONSIEUR CLAUDE. 201 

Ge Gabriel avait des allures de barrière et un 
langage cynique; son air était aussi faux vis-à-vis 
de M. Lavej'gne qu'il était effronté vis-à-vis de ses 
subalternes. 

Le serviteur et le maître de Fhôtel Buckingham 
savaient depuis longtemps que M. Lavergne avait 
le cerveau très faible. Us savaient, en outre, que 
méfiant, comme tous les vieillards, il portait les 
titres de sa fortune et son or sur lui, surtout lors- 
qu'il se déplaçait pour aller de Londres à Paris. 

Je fus frappé, en prenant avec soin mes rensei- 
gnements, des détails qu'ils me donnèrent sur le 
nommé Gabriel. 

Ce nom, quoique très vulgaire, était resté dans 
ma mémoire avec le signalement de l'individu. 

Depuis six ans, j'étais au courant de ses menées, 
de ses prouesses qui Tavaient mené loin. 

Ge qui m'étonnait, ce qui ébranlait mon opinion 
sur l'auteur probable de l'assassinat d'Argenteuil, 
c'était que le Gabriel en question qui, pour moi, ne 
s'appelait pas Gabriel, ne pouvait séjourner en 
France, puisque depuis trois ans il expiait ses crimes 
à Gayenne. 

En mars 1862, ce faux Gabriel avait été con- 
damné avec un nommé Marjotte pour vol et émis- 
sion de fausse monnaie. 

Depuis il avait été dirigé sur le pénitencier de 
Gayenne. 

Il était très probable, maigre le signalement qui 
se rapportait à mon individu, qu'il achevait son 
temps dans un pénitencier où il était fort difficile 
de s'évader. 



902 MÉMOIRISS DE MONSIEU& CLAUDE. 

Ce préteodu Gabriel appartenait à cette catégorie 
des hirondelles de nuit qui couchent sous les pools 
en attendant le moment d*ètre le pégriot d'une 
bande d'escarpes, d'y emplir son rôle de ioucheur^ 
soit sur une vieille femme, soit sur un vieil- 
lard, dont l'isolement promet toujours rimpunité à 
son bourreau qui n'a pas l'âge pour aller à l'écha- 
faud. 

Je reconnaissais dans la manière d'opérer de 
l'assassin du vieillard d'Argenteuil, la m^in d'an 
pégriot touche ur, 

La blessure qu'il avait reçue à la partie anté- 
rieure du cou, et qui s'étendait jusqu'à la colonne 
vertébrale, m'annonçait que ce toucheur s' éiàii servi 
d'une lame d'acier fortement aiguisée^ dont la 
flexibilité permet aussi bien d'ouvrir une porte ou 
une caisse que de perforer un individu sans faire 
gémir l'une, sans faire crier l'autre. 

L'instrument m'était aussi connu que le genre 
d'individu qui s'en servait 

Comment le prétendu Gabriel quejesoupçonnais» 
;>ar son signalement et par la façon dont il avait tué 
sa victime, pouvait-il être cependant de retour en 
France? Gomment avait-il pu s'échapper de 
Cayenne ? 

J'étais payé pour connaître à la fois l'adresse et 
l'énergie de l'habile toucheur 'qui, jusqu'alors^ 
n'avait été, pour moi, qu'un voleur et un faussaire^ 
je devais tout attendre de lui. 

Mes soupçons, malgré tes faits qui venaient les 
détruire, me revenaient sans cesse, lorsque je me 
rappelai ce qu'avait été encore ce faux Gabriel 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE; 20^ 

avant d'être un voleur émérite; un rusé et dange- 
reux vagabond quand je le rencontrai, pour la se- 
conde fois, à la forêt de Saînt-Germain . 

En effet, le faux Gabriel que je n'osais accuser 
du meurtre du vieillard d'Argenteuil, n'était pas 
pour moi un inconnu ; c'était déjà un criminel en- 
durci. 

Très habile dans l'art de se substituer à un autre, 
aussi audacieux qu'hypocrite dans l'exercice de se& 
crimes, je Tavaîs rencontré trois fois sur ma route. 

On se rappelle dans quelle circonstance j'avais 
renouvelé connaissance à la forêt de Saint Germain 
avec un cocher palefrenier qui, par exception, con- 
duisait une calèche de noce, lors du mariage d» 
nabab avec cinq femmes. 

A cette époque, cet apprenti du crime -venait 
d'être condamné, après être sorti d'une maison cor- 
rectionnelle, pour vagabondage et pour vol. 

Son temps expiré, il s'hélait réfugié à Saint-Ger- 
main où il était resté, après le départ du nabab,, 
pour dévaliser la mère de la victime de cet archi- 
mîllionnaii*e. 

Lorsque je reçus la platate de la dame, qui n'a- 
vait pas plus â se louer de son gendre ^owr rire 
que de son palefrenier, cette plainte n'eut aucune 
suite, parce qu'elle fut aussi vite retirée qu'elle avait 
été faite. 

Mon rusé bandit avait trouvé un moyen ingé- 
nieux pour en détruire les effets. ïl était parvenu,, 
malgré ses mauvais antécédents, à se faire recom- 
mander pour entrer à la maison de l'empereur à 
Sàint-Cloud, â la porte Jaune. Là, il avait été ad- 



204 MÉMOIRES DE MONSIEUR CL4UDE. 

mis, en sa qualité de palefrenier, aux soins des ju- 
ments de la ferme de ChAlons. 

La dame de Saint-Germain très mal vue du châ- 
teau, redoutait, par son dernier scandale, de voir 
mettre en regard du présent du voleur, son passé 
de femme libre et elle avait prié le parquet de ne 
pas donner suite à sa déposition. 

Le faux Gabriel n'avait donc eu qu'à s'applaudir 
de s'être mis sous l'égide du neveu du grand homme, 
lui, dont le père avait été. à Saînt-Cloud, un offi- 
cier du premier empire. 

Il est vrai que le soi-disant Gabriel n'était que le 
fils naturel de cet officier. Pour un garçon aussi as- 
tucieux, aussi énergique que cet enfant précoce, 
tout était bon pour se mettre à l'abri de la justice. 

Et s'il avait voulu tourner au bien ses facultés 
intellectuelles et son énergie, elles n'auraient pas 
abouti au plus terrible des résultats. 

De la maison de l'empereur, il passa, toujours 
pour soigner les chevaux, dans la maison du prince 
Jérôme ; il ne la quitta, après avoir eu le soin de se 
faire donner les meilleurs certificats, que lorsque 
le prince supprima ses écuries de l'avenue Mon- 
taigne. 

Afin d'effacer un passé trop compromettant il 
donne à son zèle à servir ses augustes maîtres un 
motif très intéressant. 

11 travaillé, dit-il, pour son pauvre père, c'est-à- 
dire pour rhomme qui l'a adopté en épousant sa 
mère. Afin de mettre bien en relief sa bonne con- 
duite plus apparente que réelle, il prête à sa mère 
un rôle odieux. . 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 205 

C'est elle qui l'avait abandonné comme elle avait 
abandonné son père, après lui avoir mangé son 
bien, après Tavoir réduit, lui son fils, à avoir pour 
berceau le cacbot des jeunes détenus I 

Ce vagabond, par la faute des^ mère, consent de 
temps en temps à travailler pour nourrir son vieux 
père, aussi abandonné que lui. 

Au besoin, tant il est tendre pour l'infortuné qui 
aurait pu être Tauteur de ses jours, il vole et fait 
l'émission de la fausse monnaie. 

Il se livre à ce dernier commerce lorsque, parti 
des écuries de l'avenue Montaigne, il rencontre, par 
hasard^ des camarades de sa première prison, entre 
autres le nommé Marjotte. 

Selon lui, il est innocent des vols commis par la 
bande Marjotte; s'il est pris avec elle, c'est parce 
que son ancien compagnon Ta rencontré dans le 
même hôtel où il lui a soustrait son livret. 

Quand il est conduit pour la seconde fois à la 
Préfecture de police, sous l'inculpation des méfaits 
dont il fait peser la responsabilité sur Marjotte, le 
faux Gabriel s'arrange de telle façon que les dix- 
huit ou vingt personnes appelées à être confron- 
tées avec lui, ne le reconnaissent pas, toutes ne re- 
connaissent que Marjotte. 

Moi, présent à cette confrontation, moi qui sui- 
vais depuis Saint-Germain mon repris de justice, 
je le reconnus bien. 

Alors je lui rappelai notre dernière entrevue 
dans la forêt, lorsqu il était sorti à peine de la mai- 
son centrale de Gaillon. 

Comme raoji devoir était d'éclairer la justice,- dès 
iiî. 1^ 



206 MÉlfOIBES I^E MONSIEUR CLAUDE. 

que ce misérable se mettait de nouveau en dehors 
de la loi, je rappelle ses antécédents* 

A 14 ans, à Gennevilliers, il fait partie d'une 
bande de jeunes drôles qui laenaieint ks chevaux à 
Tabreuvolr et les û\\^9 au eabarei. 

Condamné pour vol, sa mère refuse de le réela*^ 
mer ; il entre dans une maison centrale, il en sdit 
en 1858. 

Sou» un faux nom, il est pris sous les ponts» aprè» 
avoir commis plusieurs méfaits^ éoi^ileB hirondeile» 
du pont d'Iéna étaient eoutumiers. 

Il sort de prison ; il se réfugie à Saint-Germain^ 
avant d'entrer à la maison de Tempereur à Saint- 
Cloud. 

C'est en quittant la porte Jaune qu'il renoue 
connaissance avec Màrjotte, une ancienne hiron 
délie. 

Une fois remercié à la maison du prince, il re- 
commence sa série de vols et son émission de fausse 
monnaie sous le nom de Gabriel. 

Comme depuis longtemps je ne perdais pas de 
vue mon palefrenier, comme lui-même s'était vendu 
par les confidences qu'il m'avait faites à Saint-Ger- 
main, je pus dire au parquet son véritable nom qui 
n'était pas Gabriel, mais Barthélémy Ponget, con- 
damné à huit années de travaux forcés pour vol. 

Maintenant ce Poucet était-il l'auteur du meurtre 
commis au 6 octobre 1863, à Argenteuil, sur la 
personne du vieillard Lavergue? Gela était probable 
puisque ce Poncet devait avoir l'âge de mon ancie» 
palefrenier, puisqu'il avait repris pour son Anglais 
et pour tous ceux qui l'approchaient, le nom sous 



MÉMOIUES DE MONSIEUa CLAUDE. 207 

lequel il s'était dérobé une première fois à la 
justice. 

Comment, lui qui devait être à Cayenhe, avait-il 
pu cependant s'échapper pour venir commettre un 
crime aussi terrible dans sa patrie qui l'avait déjà 
condamné? 

La logique se refusait à adoxeUre une pareille 
supposition. 

Maïs j^e connaissak m<^n faux Gabriel ; je savais' 
que les coups les plus audacieux étaient ceux qu'il 
préférait, que le mot impossible^ dans son voca- 
bulaire de scélérat, n'était pas français I 

Or, après avoir pris mes renseignements à rh6tel 
Baekingham, après m'étre résida sur le lieu du 
crime, mes soins tendirent à savoir ce qu'avait pu 
faire ce Gabriel depuis le 6 oetobre. 

J'envo^'ai mes inspecteurs daas toni^ les direCf- 
tions de Paris, pour visiter les bals et ies garnis.. 

Jappris du propriétaire de Tbôt-el Buckingfeam 
que le Gabriel «n question logeait dans une maison 
de la rue Saint-Honoré, de. 

Persuadé que le meurtrier n'o'serait s y présenter 
après son crime, je me contentai d'y placer un de 
mes inspecteurs qui, si, par aventure, retrouvait là 
mon assassin, devait m'avertir sur le champ. 

On vint aussi m'annoncer qti*on avait vu au bal 
FaTier, de Belleville, un individu qui le 5 octobre 
s^étaît fait remarquer par sa eonduite exeentrique ; 
il répondait au signalement de mon Oabriel. 

A la sortie du bal Favier, le môme individu avait 
conché rue du Vert Bois chez des filles à qui il avait 



208 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

doniié beaucoup d'argent. Il avait payé en schel- 
lîngs. 

Plus de doute, mon Gabriel éiaii mon Poncet. 

Les divers rapports de mes inspecteurs, s'accor- 
dantavec le signalement que je tenais du proprié- 
taire de rhôtel Buckingham, un mandat d^arrèt fut 
lancé contre l'évadé de Cayenne, accusé d'être le 
meurtrier de M. Lavergne. 

Gomme Poncet n'avait pas payé le loyer du loge- 
ment qu'il occupait rue Saint-Honoré, huit jours 
après son meurtre il revenait à son premier domi- 
cile ; il venait s'acquitter envers son propriétaire et 
reprendre certains papiers indispensables à sa 
fuite. 

Il n'était pas plus tôt retourné à la rue Saint-Ho- 
noré que j'en étais averti. 

Je le surpris au moment où Poncet, en honnête 
homme, acquittait la note de son logeur avec l'ar- 
gent de sa victime. 

Dès qu'il me vit, il me reconnut. 

Après un mouvement de terreur bien légitime, 
il pensa que j'ignorais son meurtre à Argenteuil . 
Il crut que la justice ne le traquait que comme un 
transfuge de Gayenne. Je le laissai dans son er- 
reur. 

Il m'aborda comme une vieille connaissance, 
il me rappela notre rencontre à Saint-Germain. Il 
me dit avec beaucoup de sang-froid que s'il était 
revenu en France, c'était pour prouver qu'il n'était 
pour rien dans le vol de Marjotte, enfla pour pro- 
tester contre son bannissement, bien pénible pour m\ 
patriote comme lui, un admirateur eniho sîasfe de 



MblMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. !209 

TEmpire que sa famille avait servi, de père en fils. 

Je lui donnai le change. 

Je le laissai croire qu'il ne s'agissait que de son 
évasion de Gayenne. J^étais persuadé du contraire, 
depuis que je 1 avais revu et qu'il m'avait été signalé 
par le propriétaire de l'hôtel de Buckingham. 

Avant de suivre b-s péripéties qui amenèrent Pon- 
cet à consommer son meurtre sur M. Lavergne, je 
dois signaler un autre personnage dont j'ai parlé 
précédemment : Giraud de Gatebourse que j'arrêtai 
à Paris et devenu plus tard Tami de Poncet. 

Pris par moi en même temps que je faisais arrê- 
ter le faux Gabriel, Poncet, au moment d'être di- 
rigé sur le pénitencier à Gayenne, avait fait la con- 
naissance de Gatebourse. 

Giraud, le faussaire, et Poncet qui ne faisait 
encore que l'émission de la fausse monnaie, de- 
vaient s'entendre. 

L'un, d'un âge mûr, avait déjà connu la fortune ; 
l'autre, très jeune encore, la rêvait par les mêmes 
moyens; ils devinrent donc, par intérêt, les 
meilleurs amis du monde. 

C'étaient, du reste, deux natures aussi remuantes, 
aussi ambitieuses. 

En unissant, en décuplant leurs facultés, ils es* 
péraientbien ne pas rester à Gayenne. 

Poncet, en recouvrant sa liberté, voulait jouir 
de tout le luxe qu'avait connu Gatebourse. Gate- 
bourse, aidé de Poncet, homme d'action, espérait 
reconqjérir, en peu de temps, ce qu'il avait déjà' 
perdu. 

J'ai ndiqué dans un précédent chapitre, la posi- 
m 12. "" 



210 MÉMOIRKS DE MOKSIKCR CLAUDE. 

lion de fortune dont jouissait GaleiK>urfie, au mo- 
ment de son arrestation. 

Il possédait deux propriétés de Gatebonrse, ro«e 
dans la Charente, Tautre aux envînms du dépar- 
tement de la Seine ; elles portaient toutes les deux 
le nom de leur opulent propriétaire. 

Dans Tune, occupée par sa femme, ne se trou- 
vait aucune trace de la coupable industrie de son 
propriétaire, dans l'autre, beaucoup plus fastueuse, 
où entraient, in petto, les dames les plus en renom 
du demi-monde, Gatebourse avait établi un atelier 
où la chimie et la gravure se faisaient artistique- 
ment et scientifiquement les complices de son mé- 
tier illicite. 

Gatebourse avait appris à ses dépens qu'on ne 
peut pas travailler tout seul ;il avait compris aussi 
qu'il était très dangereux de mettre daas son jeu 
des innocents. Il avait donc jeté les yeux sur Poncet. 

Il s*en était fait Tami, pour s'en faire plus tard 
un utile complice, une fois qu'ils auraient eu la 
chance de fuir Cayenne. 

Gatebourse n'avait pu réaliser son rêve. 

Après plusieurs tentatives d'évasion, Poncet seul 
était parvenu au but de ses désirs. II s'était évadé 
de Qayenne, en laissant derrière lui le cadavre de 
sou ami. 

Poncet qui, avant l'heure de son exécution, a 
écrit ses méfnoireSy raconte lui-même les détails de 
ses tentatives d'évasion en compagnie de Gate- 
bourse. 

Après ayoir tué le gardien placé sur un pont 



MÉMOIRES DE HONSïETR CLAUDE. 211 

limitant leur pénitencier, fls s'aventurent dans les 
savanes. 

Ils sont arrêtés par une barrière de feu. 

Après avoir erré sur des sables brûlants, ils sont 
aux prises avec des fauves, des araignées crabes, 
monstres velus, gros comme des œufs de poule, 
dont les pattes ont six pouces de long. Elles courent 
sur eux en gardant, comme les monstres des Hes- 
péridesjles forêts de la savane. Pour les franchir, 
ils n'ont qu'un seul moyen : y mettre le feu. 

Ils marchent devant Tincendie, en s'y brûlant les 
pieds, comme ils avaient marché sur le sable brû- 
la: it. Quand ils croient parvenir au but de leur 
voyage, meurtris, aveuglés, Galebourse, épuisé, 
tombe sur le sable ; il succombe. Poncet s'affaisse 
à côté de lui. Il ne meurt pas. Il est repris par un 
gardien. Toujours adroit, il ne se désigne que par 
le numéro qu'il porte. 

Gatebourse, mort, est seul accusé du meurtre du 
gardien tué sur Le pont. 

Revenu à son péniteacier^ Poncet retombe du 
haut de ses rêves. Privé de la liberté qu'il achetait 
pourtant si cher, il est privé aussi d'un ami précieux 
dont l'adresse et Tart.lai promettaient une fortune 
assurée. 

Il ne renonce pas à la liberté et à la fortune. 

Il recommence une nonvelle évasion, cette fois 
elle est couronnée de succès. 

Il gagne rAmérique septentrionale par la Florid3. 

C'est à l'époque de la guerre entre les Etats du 
nord et les Etats du sud. 11 s'engage dans les 



212 MEMOIRES DK MONSIEUR CLAUDE. 

troupes fédérales ; il vend son bras à la cause de la 
liberté. 

La guerre cesse. Les Etats-Unis, après avoir payé 
le courage de ce voleur qui n'a pas eu le temps de 
se changer en héros, le remercient en le rapa- 
triant. 

Poncet pense que la patiie n'est pas chère qu'aux 
âmes bien nées. 

Il se propose d'y retourner en faisant d'abord un 
léger détour. Il s'embarque pour Londres, rêvant 
toujours la fortune. Une veut revenir dans sa patrie 
que pour marcher de pair avec l'opulence. 

Ne pouvant la posséder par les procédés de gra- 
vure perfectionnés, il veut la forcer par des procé- 
dés plus vulgaires, par ceux qu'il tient de son an- 
cien éidii de pé griot. 

A Texemple des voleurs d'élite, il choisit une vic- 
time digne de lui, capable de le faire riche pour le 
restant de ses jours, au moyen d'un bon coup de 
couteau I 

Cette victime, il la rencontre à Londres, dans la 
capitale du pays de l'or ; cette victime, c'est ou plu- 
tôt ce sera Thomas Lavergne. 

Ce \ieiilard, dont l'Angleterre avait reconnu lar- 
gement les services, recevait une pension de vingt 
mille francs, comme commissaire civil de l'île Mau- 
rice. Il revenait en France, après ses longs et loyaux 
services, à l'âge de 78 ans pour jouir en paix de son 
honnête aisance, dans sa première patrie. 

Il était accompagné de son frère, un fou, d'un do- 
mestique, un éclopé. Lui-même, quoique très valide 
en apparence, avait le cerveau très affaibli. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 213 

A l'Lôtel Buckingham oCi il descendait régulière- 
ment depuis un an qu'il allait de Londres à Paris, 
pour régler ses intérêts d*ôutre-mer, il était sous la 
surveillance de son maître d*hôtel, M. Barrât. 

Ce dernier veillait avec une sollicitude toute pa- 
ternelle sur ces trois personnages, sur les deux 
frères, dont la vieillesse touchait à l'enfance, et sur 
le domestique éclopé. 

On comprend quelle bonne proie était pour Pon- 
cet Thomas Lavergne. 

Il fît connaissance avec lui, au moment où il s'em- 
barquait avec le bourgeois pour retourner, en- 
semble, dans leur patrie. 

Le faussaire, le voleur Poncet qui n'avait encore 
que vingt-huit ans, n'avait pas moins élé frappé 
trois fois par la justice. A 15 ans, il avait élé con- 
damné à cinq ans ^ correction, à 20 ans, à trois 
ans de prison, à 25 ans, à huit années de travaux 
forcés. 

Lorsqu'il abordait sur le paquelDOt l'opulent vieil- 
lard, il était dans les dispositions que j'ai indiquées 
précédemment; ou faire fortune par un coup de 
maître, ou porter sa tète à l'échafaud pour couron- 
ner son existence déjà si bien remplie. 

Poncet était un véritable parisien, très entraînant, 
très communicatif à la surface, très amusant par 
ses saillies, par son entrain et une énergie en- 
diablée. 

Il plut au vieillard dont l'anglomanie n'était pas 
assez invétérée pour ne pas dépouiller le vieil 
homme devant ce séduisant compatriote. 

Lavergne arrive à Paris, à l'hôtel Buckingham, 



211 MÉMOIRES DE MOTiSICCR CLAUDB« 

M. Barrai veut éloigner Poocet de son débonDaire 
et confiant locataire ; il ne peat y parvenir, maigié 
la disproportion d*âge et de position qui exkte 
entre eux. 

Le pégriot s^acerocha à loi pour «m faire son 
cicérone, pour le conduire h. travers tous les délices 
offerts par la ca^ntale. Car il oonuaiasait» disait il, 
tous les bons endroits de Paris. 

Le vieiliaM encore vert, malgré se«78 ans^ se 
laissa entraîner, malgré les représealatioasde ses 
amis, par ce dangereux compagnon. 

Ponr ne pas avoir suivi le conseil delà pradecce, 
Thomas Lavergne paya cher, dans «ne partie de 
plaisir à ArgenteaiU la confiance qu'il avait placée 
dans la personne d'un pégôot comme Poucet qui 
avait subi trods condamnations pour voL 

Geloi-d, après s'être bien nssuro q«e Lavergne 
portait to«te sa fortune sur lui, le grisa à Argeu- 
teuil, avant de lui faire son affaire à la lisière do 
bois. 

Poncct partit un jour de Paris avec Lavergne, 
qui possédait en dehors de nombreux Mlets 4e 
banque cousus dans la do«obhire de «wi Induit, Irais 
mille francs mis «en réserve dans uif étui à lor- 
gnette. 

Quanta Poncet, bien résolu à tuer son nabab en 
route, il avait sur lui deux 'oouleaux dans sa dou- 
blure ; un couteau catalan et un couteau lime : ses 
instnimeMs d-e travail qui ne Tavaient pa« <!fuilté 
depuis qu'il avait exercé le triple emploie pégriot, 
de guiche et de ioucheur dans lu bande Marjotte. 

Le lendemain matin de cette partie de campagne, 



MÉMOIBES SE MONSIEUR CUUDE. 315 

dans laquelle Poncel avait grisé son vieillard, pour 
mieux Tachever, les habitants d'A^rgenteiiiL ne trou- 
vaient plus qu'un cadavre au bord d'un taillis ! 

Dévaliser sa victime, après les coups de surin qni 
en finirent avec elle, fat pour Poncet raffaire d'un 
BDonaent. 

Il savait d'avance où Lavergrie cachait son or et ses 
bilietsde banque ; et le soir de son crime, il retour- 
nait à Paris; Il se faisait conduire au bal Favier, 
pour y dépenser avec des filles, de vieilles connais- 
sances datant de son départ pour Gayenne, Tor du 
bon Lavergne. 

U n'attendit pas au lendemain pour échanger ses 
vêlements plus que sordides contre des habits 
presque neufs qu'il achetait chez un marchand de 
confections, nommé Géranton. 

Il reparût ainsi transformé, habillé en gahidin, au 
bal Pavier, pour plaire à ses connaissances, deux 
filles sous la surveillance de la police, nommées 
ïune Félicia, 1 autre Julia. 

Lorsque ces détails me furent donnés par les ins- 
pecteurs que j'avais dirigés dans tous les bals de 
barrière, je me fis conduire chez le marchand 
d'habits qui me confia le paletot et le gilet quittés 
la veille, par mon Poncet, filé par mes brigadiers. 

Quand, bien cerné par mes hommes, je le sur- 
pris à son domicile de la rue Saint-Honoré, je lui 
dis, sans lui parler de son meurtre d'Argenteuil : 

— Diable ! pour un évadé de Gayenne, vous êtes 
bien mis ? 

£t le toisant des pieds à la tète, j'examinai avec 
fioin ses nouveaux elTetSj puis j'ajoutai ; > 



216 MÉMOIRlilS DE MONSIEUR CL^^UDS. 

— Où avez-YOus acheté ces babils? 

— A New- York, me répondit-il. 

Sa réponse ne fit que confirmer mes soupçons, 
puisque je savais qu'il mentait. 

Ce mensonge n'avait sans doute qu'un but, éloi- 
gner les suppositions qui pesaient sur lui, au sujet 
du meurtre d'Argenté uil. 

Lorsque je conduisis Poncet chez le juge d'ins- 
truction, lorsqu'il apprit par le magistrat qu'il était 
accusé du meurtre d'Argenteuil, son attitude et ses 
allures ne le trahirent pas un instant. 

Il feignit l'indignation ; il dit qu'il était aussi in- 
nocent de ce meurtre que des nombreux vols de la 
bande Marjotte. 

Transféré à la maison de justice de Versailles, il 
reste dans le même système de défense. 

Il nie tout, malgré les accusations du maître 
d'hôtel de la Madeleine et du domestique Bicary. 

On pouvait bien le reconnaître pour avoir été 
avec Lavergne à Argenteuil, mais personne ne l'a- 
vait vu frapper sa victime, personne n'avait donc 
été témoin de son crime. 

A l'audience, rien dans sa démarche, rien dans 
son attitude ne le trahit encore. 

Il porte la tête haute, il se tient droit, il regarde 
tout le monde avec une assurance qui frise Teffron- 
terie. Il a le front développé que couronnent des 
cheveux châtains, lissés avec coquetterie. Ses yeux 
sont petits, mais très expressifs. 

L'ensemble de sa physionomie, hardie et gouail- 
leuse rappelle le type le plus complet de l'enfant 
de Paris. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 217 

Lorsque le président Fînterroge de façon à ra- 
mener sur le terrain du meurtre où il ne s'aventure ? 
jamais, il répond par de faux-fuyants qui, bien 
souvent, égarent le tribunal sans, cependant Tin- 
fluencer. 

A chaque réponse qu'il fait, il se tourne avec 
complaisance vers son avocat, comme s'il voulait 
lui dire : 

— Hein, comme c'est ça? 

Durant le cours du procès, il ne répète que la 
même phrase devant tous les arguments qu'on lui 
oppose : 

— J'ai à dire que je n'ai rien à dire et que je 
suis innocent. 

J'ai été à même de converser avec luiplusieurs fois 
à Versailles dans son cachot. Un jour il me dit avec 
aplomb : 

— Je suis aussi peu de l'affaire de M. Lavergne que 
je n'ai été des affaires de Marjotte. Si j'étais cou- 
pable, est-ce que je n'aurais pas changé encore de 
nom ? Car ce nom de Gabriel avait été donné depuis 
longtemps à la police et il ne me couvrait pas mieux 
que celui de Poncet. Est-ce que je serais enfin re- 
tourné à la rue Saint-Honoré? 

Gomme je ne lui répondais pas, comme mon si- 
lence accusateur l'irritait, il répliqua après une 
pause : 

— J'ai été calomnié, j'ai des ennemis 1 Mes enne- 
mis, ce sont mes camarades de jeunesse. Autrefois, 
ils m'ont confondu avec Marjotte en me volant mon 
livret, pour le couvrir. Maintenant ils me perdent, 
en se mettant derrière moi, eux qui ont fait le coup 

m. 13 



218 MÉMOIRES DB MONSIEUR CLÂtll^. 

sur le TÎeax. Car, c'est la Flotte qui a fait le coup 
îe le répète. 

— Oai, lai répon4»-je en Boarîant fTun air dln- 
crédulité. Et la fatalité qai voas poursuit voas a 
mis dans la poche For de la Flotte et de ce TÎeîl- 
lard. 

— Cet or proyenûl, rae répondit-il, da prix de 
mon engagement dans les troupes fédérales, en 
Amérique. 

— Trois mille francs? faii dis-je, c*était payer 
cher 1 engageUMnt d'un volontaire. 

— L'étranger, me répondil-il avec Qerté^ ne 
paiera jamais Irop cher un Français. 

— Vous êtes chauvin? lui ripostai-je, 

— Sans doite^ m*objecta4-il, puisque je sois fils 
d'un soldât qui a servi Vauire* 

— En revanche, lui ripostai-je, avouez, Poncet, 
q«e vous n*ave2 guère respecté là mémoire de votre 
père. 

— C'est la favte de mu mère, répondit-il en sou- 
pirant hypomtemeni, elle «qui m'a abandonné, elle 
qui m'a forcé à faine de manivaise» fréquentations. 

— Si mauvatsesy lui népondis-je en iicchant la 
tète, qu'elles vdus ont conduit au crime. 

— Encore I s'écria Foiîcet en me regardant d'un 
air sombre et en frappant du poing avec colère. Je 
vous dis que mon cœur est net, sans cela, est-ce 
que je me serais fait prendre comme un lapin ? Ah I 
tenez, ce que v<ni$ me dites là, monsieur Claude, 
me fait bien du mal ,tous surtout, une vieille connais- 
sance I Tout ce que i'ai à me reprocher vis-à-vis de 
ce bon M. Lavergne, que je / connaissais depuis 



MÉMOIRES DE MONSÏETJR CLAUDE. 219 

peu, ce sont les blagues que j'ai pu lui conter, his- 
toire de l'amuser. îl m*allait, cet aimable vieillard^ 
et quand j'ai appris qu'on l'avait assassiné, cela 
m'a Fait bien de la peine. Je le comiaîssais depuis 
peu, c'est vrai, mais je le répète, il m'allaitî 

— Et, dis-je, c'était sans doute pour le «àéieudre 
que vous portiez sur vous deux couteaux ? 

— Je ne voyage jamais sans être armé, me ré- 
pondit-il impêrturbabiement. C'est une habitude 
que j'ai contractée en Amérique. Si mon ami Gâte- 
bourse vivait encore, il vous dirait ce que je vous 
dis 1 Ah ! l'Amérique, termina-t-il avec enthou- 
siasme, quel beau pays pour la jeunesse ! 

— Et vous la regrettez, ajoutai je, comme vou» 
regrettez votre anii Gatebourse ? 

— Sans doute, reprit-il, heureux de détourner la 
conversation sur le meurtre d'Argenteuil. Si Gate- 
bourse vivait, je ne serais pas dans ce cachot. 

— Yous l'auriez secondé dans ses travaux de 
gravure? 

— Un peu, continua-t il, nous serions restés en 
Anaérique où l'on n'a pas de préjugés comme ici. 

— C'est-à-dire que vous auriez fait ensemble de 
faux billets et de la fausse monnaie? 

-— Gatebourse me répondit Poucet, a été calom- 
nié, comme je le suis moi-même, calomnié jusque 
dans sa famille qui, comme le gouvernement, n'a 
pajs su apjH^écier ses talents. Gatebouiise était un 
ariisse. Il sortait de la voie ordinaire, la routine Va 
broyé ! 

— C'est en effet, bien malheureux, lui dis-je en 
souriant de nouveau. 



^20 MÉMOIRES UË MONSIEUR CLAUDE. 

— Oh ! continua Poncet, il a payé cher la jalousie 
de la Banque de France qui avait de Vomhrage 
pour lui ; car c'est elle qui l'a empêché de travailler. 
Après tout, ne faut-il p ^* aue le soleil luise pour 
tout le monde ? 

— Même pour les faussaires! Tinterrompis-je. 

— Tenez, monsieur Claude, me dit -il en haus- 
:sant les épaules, vous me faites de la peine. Vous 
ne comprenez pas le talent I Je vous dis que Gate- 
bourse, le grand Gatebourse était un arttsse. Je 
«uis sûr, moi, que TAmérique aurait apprécié autre- 
ment son génie que la France I Moi et Gatebourse, 
nous serions aujourd'hui millionnaires à New-Yckk. 
11 est inort, ce cher amil C'est sa perte qui est 
cause de la mienne. S'il n*avait pas été mangé 
par les crabes, je n'aurais pas eu la malechance 
de revenir en France pour me réhabiliter I C'est 
ma trop grande confiance, c'est ma naiveté qui m'a 
^té funeste. Que voulez-vous I Je suis né sous une 
mauvaise étoile. Ah ! termina-t-il, de ce ton nasil- 
lard et pleurard particulier au Parisien matois, si 
j'avais eu une mère, au lieu d'avoir une marâtre, 
on aurait vu en moi autre chose qu'un criminel; 
on aurait vu un fils dévoué jusqu'à voler pour nour- 
rir un malheureux beau-père, que ma gueuse de 
mère a ruiné, avant d'abandonner 1 Et ce n'est plus 
ce sournois de Chariot qui me réclamerait, non ! 
Ce serait Monthyon, ce serait saint Vincent-de- 
Paul I Voilà mon opinion sur moi, ce n'est peut- 
être pas la vôtre, j'en suis fâche, pour vous. 

Comme il ne convenait pas à ma dignité de le 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 221 

suivre sur un pareil terrain, je pris congé de Tim- 
pudent criminel. 

J'avais hâte d'abréger un entretien que, par pitié 
pour un condamné qui n'avait que quelques jours à 
vivre, je ne voulais plus rétorquer. 

Deux jours avant son exécution, j'allai le trouver 
encore une fois dans son cachot, je le surpris écri- 
vant; il était penché sur sa table devant un manus- 
crit à peu près terminé. 

A ma vue, il s'élança vers moi avec un air d'é- 
panchement que je ne lui connaissais pas. 

Il me dit : 

— Ah ! monsieur Claude, je suis heureux de vous- 
revoir, à la veille de dire adieu à tous mes amis. 
Je me rappelais notre rencontre à Saint-Germain.. 
C'était le bon temps! Je n'en ai pas connu d'autre, 
excepté celui que j'ai connu avec mon pauvre ami 
Gatebourse. 

— Vous le regrettez ? lui demandai-je. 

— Je crois bien, fît-il d'un air sombre. Et c'est ce- 
qui me console de faire le grand voyage. J'espère 
bien le rencontrer là-haut 1 Et s'il y a un là-haut^ 
j'y serai avec mon ami Gatebourse, un martyr 
comme moi. 

— Ainsi vous vous obstinez à proclamer votre in- 
nocence ? 

— Voyons, monsieur Claude, reprit Poncet d'un- 
air plein d'assurance, je viens de voir tout à l'heure 

I l'abbé Falletz, mon confesseur. Je lui ai dit, ce que 

' je n'ai cessé de dire à vous et à tous mes juges ! Là^ 

vrai, cet homme noir m'a remué! 'Ah! si ma mère 

m'avait appris à aimer la religion! Mais non, ma 



I 

( 



2â2 MÉMOUtES Wù MOISSilûUa GLALftS. 

mère avait bien d'autres ap6lres à aimer l ËnÛQ.je 
suis empoigné, quoi! Et j'ai dit tous mes péchés à 
ce saint abbé. Oojez-vous donc que si x'étals ce 
que la société fait de mor» firaiê blaguer le bon 
Dieu? Je suis ioDO^ent, ooil Et je Técris à Tem- 
pereur. 

— Quoi, lui demaiidai-je>ee <|ae vous écrivez.»* 

— Soat mes mémoires (1). Et puisqu'on Vaa. tait 
la vérité à mon empereur, il faut biea que je la Lui 
dise. Une foi» mori, on me croira peai*ètce. On 
veut ma tètel Eh bien, qu'on la prenne, c'est 
malheureux pour« moi d'abord et pouir la sociélé 
qui aurait reçu de moi les plus graada seirvioes. 

— Ah 1 exclamai^e, très, étovdi p«r la vanité de 
ce criminel qui, si prè» de Véehafaud, n'était occupé 
que du brmt causé par soa odieuse pet*sonnalité. 
Ah! vauacroyea... 

— Oui, monsieur Claude, m'interronpii-t-il, et je 
vois comme toujours, que tous paraissez douter de 
ce que j'avance... 

— J*avoue,r Ini répondis-jte, que je ne vois pas ce 
qu'il peut y avoir de commun eatre Sa Majieâté et 

VOOSw 

— Parce que, me riposta- t-il avec fatuité,, vous 
n'avez pas voyagé comme moi, parce que vous n'a- 
vez pas fréquenté comme moi les Angiaiâ et les 
Américains, gens pratiques par excellence. £h 



1. Mémoiret authentiques de Barthélémy Foncei, faits dans 
!a celtale des condamnés à mort, à la maieon de juatke de 
Versailles,, te 39 jamyier 1866, rédigés et mis en ordre s«r la 
co^ie de Poncet, déposée au parquet par Jules BeaujoinU 



MÉMOIRES ME MOKSlSUft CXAUBfi. 223 

bien, savez-vous ce qoe je pro«ve dans ces mé- 
moires ? 

— Non, ma foi. . 

— Je prouve qae si tous les prisonniers,, occu- 
pant sans profit pour la société les prisons cen- 
trales, étaient incorporés dans Tannée, iis feraient 
de lameuai soldats. Il y aurait alors, avec ces 
martyrs y Bix mille hommes de pins sons les dra- 
peaux, dévoués ftussi bien à rempereur qu*^à la 
patrie. Ali l si Tempereur savait ! 

Je l'arrêtai dans son exclamation bnrlesqtie, pro» 
voquée par son utopie. Je trouvai que le . temps 
était l»en mal choisi pour développer une thèse 
plus que puérHe au mofsent où venait d*ôtre rejeté 
son pourvoi en grâce. 

Je l'informai sur lelmt de ma visite, je lui annon- 
qu'il n'avait plus que deux jours à vivre. 

— C*est bien, je m'y attendais, me répondit-il. 
Bt malirisant une violente émotion, il se jeta 

dans mes bras, pour déguiser son anxiété qui dé- 
mentait sa réponse. 

U m'embrassa. 

Deux jours après, il mozkla sur Téchafaud. 

Gomme devant le tribunal^ Poncet parut sur la 
fatale machine, le front faamt, affectant un calme 
qui n'était que dans ses aMufes» mais qui n^étaît 
pas dans son lune. 

Avide de succès, mène en face de la mort, il 
voulut faire un discours. ît s'éeria, en parodiant les 
derniers moments d'un roi bourbonnien : 

^— Adieu, mes amis, jemenrs innocent^ je pap- 
4omie à.«« 



224 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Les aides du bourreau le prirent, ils -s'emparè- 
rent de lai pour le coucher dans la lunette. L'exé- 
cution s'accomplit avec la rapidité de Téclair. 

Le meurtrier du vieillard d'Argenteuil avait payé 
sa dette à la justice. 

Poncet, malgré son odyssée, malgré sa fin théâ- 
trale, n'était qu'un de ces nombreux voyous pari- 
siens qui se façonnent au paradis des petits théâtres. 

C'est un de ces êtres qui poussent et grandissent 
sur le fumier de la capitale ou à la porte de ses sen- 
tines, ici débardeurs, là conducteurs de Gayets et 
héros de barrières dont ils sont les terreurs. 

Les Poncets n'engendrent que des pégriots dont le 
rôle est devenu très important dans le monde des 
voleurs depuis que les vieux fagots ne sont plus que 
les soldats de ces jeunes capitaines. 

Si ce toucheur est devenu si célèbre dans les an- 
nales des crimes c'est parce qu'il a agi surtout sans 
complice dans l'affaire d'Argenteuil,c'est parce que, 
jusqu'au dernier moment, son sang-froid ne s'est 
pas démenti pour essayer de prouver son inno- 
cence lorsque, malgré son attentat, aucun fait pal- 
pable ne pouvait le prouver. 

Poncet est un loustic, un hâbleur, un malin al- 
lant au-devant de toutes les probabilités de son 
crime, pour mieux faire croire à son innocence. 

Ce sont ces probabilités qui ne s'appuyaient que 
sur les conséquences qui l'ont fait condamner. 

Jusqu'au dernier moment, Poncet espéra en son 
recours en grâce ; parce qu'il avait su tirer le meil- 
leur parti possible de sa situation exceptionnelle. 

N'ayant aucun complice pour le vendre, n'ayant 



MÉMOIKES DE MONSIEUR CLAUDE, 225- 

aucun témoin pour l'accuser, Poncet espérait, en 
vertu de la législation criminelle, malgré les appa- 
rences qui le condamnaient, se jouer de toutes ces 
apparences. Ce furent elles qui le perdirent autant 
que son aplomb, son orgueil et son adresse. 

Il avait jeté un défi à la justice, la justice répon- 
dit à son déû en faisant rouler sa tète sur Técha- 
faud. 

Poncet, à rencontre de Maillot, un pégriot dont 
je donne la lettre qu'il m'adressa, avant de partir à. 
son pénitencier, Poncet n'avoua jamais ses crimes. 

Poncet, payé par Marjotte, ne voulut plus avoir 
de complices pour ne pas être dénoncé, comme le 
fit Maillot pour les siens. 

Quant à moi, malgré mon zèle, malgré mon ex- 
périence, le hasard ne me servit pas toujours aussi 
heureusement pour découvrir les nombreux assas- 
sins que fournissent les bandes de toucheursy as^ 
sommeurs et tueurs formant la ceinture crimi- 
nelle qui entoure la capitale. 

Le tableau comparatif des affaires de courd'assisesN 
que je publie à la fin de ce volume, où les assassin» 
condamnés sont en minorité en présence des assas- 
sins disparus, non jugés, le prou ve péremptoirement. 

Je donne ce tableau, tel qu'il était hier, depuis 
mon entrée en fonction comme chef de la police de 
sûreté, jusqu'à l'année où l'âge me força à donner 
j ma démission. 

Tel qu'il était hier, ce tableau, tel il est aujour- 
d'hui, tel il restera dans l^avenir, peut-Z^'lre I 



III 13. 



CHAPITRE XIV 



ENCXAE LE lOXGSABD BB B&AZaOIft 



Le duel se continuait entre Napoléon III et Maz- 
zîni. L'avaiktagey entre lea deux duellistes ei cou- 
spirateurSy restait, en seeret, à l'Italien. 

Tromper la France, une bonne et généreuse fille, 
qui se moque d'eUe-mème, avait été chose facile 
pour le carbonaro français. Tromper Iltalie^ avait 
été plus difficile pour loi, si engagé vis-à-vis d'une 
nation eselave, ausai ombrageuse que vindicative. 

£ki 18d4, ritàlis qui n'avait été qu'afifrancbie par 
le sectaire impérial, se souvenait depuis le recom- 
• mencement de son unité, qu'elle avait été, sous Cé- 
sar, la reine du monde. 

Dès 1863, Mazzini préparait un vaste mouvement 
révolutionnaire dont le signal, en France, devait 
être l'assassinat de l'empereur. 

L'affaire des bombes de 1858, était donc à re- 
commencer. 



KÊKOIBES DR VOVSOSUR GIACMU 227 

J'ai raconté dans se» moindre» détails les intri- 
gues de 1858^ coneernant le complot d'Of sioL 

Ge eomiilot Q'éehouâ que parce que (ksini, Ta- 
pètre du prophète, n'svait pas été d'aceord avec lui 
pour le préparer, ni le mûrir. 

Le eoioploide iS^ dans L^oeLGreeo remplaça 
Oraiiiiy n'aboutit pas, parce que cette fois la police 
française était payée pour ne plus être aussi négli- 
geâtes aussi oAaladroita <|u'ea 185â. 

Le conspirateur Greco (Pasquale) et aea trois su- 
bordonnés, TralHicco, Ii&peralori, Scaglioni. furent 
enle'vés aux abords de rOpéra, au moment où ils se 
«disposaient à lancer leurs bombei perfectionnées^ 
dans la salle et non pas dans la rue« 

Gomme toujours, c'était de Londres que partait 
le comptofi ; c'était à Lugano, cet Ëden de la Suisse 
italienne, que Pasquale Greco, le séide de Mazzini, 
avait reçu du prophète, huit mois auparavant, les 
instructions et les subsides que Greco transmettait 
à ses complices, tant bien que mal. 

Les complices de Greco étaient de pauvres hères, 
illuminés ou fantoches* 

Greco, étudiant en niédeeine,. professeur de mu- 
sique, était un séide dilettante. 11 rationnait triste- 
ment, très peu fraternellement ses compagnons, 
pendant qu'il menait, lui, une vie de grand sei- 
gneur. 

Il jouait de la guitare et rêvait amour aux pieds 
de sa fiancée, tout en recevamt les bombes de Mazr 
zini. 

Trabucco, son lieutenant, en obéissant à Greco^ 



228 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

an poignard dans la ceinture, ne cessait de porter 
avec lui un cor de chasse' et d'en jouer I 

Quand il ne conspirait pas, ce Trabucco, il s'eni- 
Trait d'harmonie, comme Greco s'enivrait d'a- 
mour. 

Quant à Imperatori, lithographe ou zouave, à 
Scaglioni, Tétudiant-soldat, c'étaient des aventu* 
riers que Garibaldi, inoccupé, avait livrés à l'ombre 
invisible et terrible de leur chef, caché derrière 
Greco : Mazzini, le vieux! 

J'ai vu de près cette nouvelle recrue de conspi- 
rateurs venue d'Italie, dépêchée par le vieux de la 
montagne, qui, à cette époque, pouvait également* 
s'appeler le vieux de la Grande-Bretagne. 

J'avoue que rien en France ne s'est vu de pareil, 
en fait de conjurés. Pour moi, c'était une troupe 
de comédiens. 

Greco eii était le jeune premier, Trabucco le fort 
comique. 

Sacripants, aventuriers grotesques ou terribles, 
musiciens ambulants, donneurs de coups de sabre, 
de coups de poignard et lanceurs de bombes, ces 
conspirateurs appartenaient plus au théâtre qu'à la 
politique. 

Il n'y a que l'Italie pour produire de pareils fan- 
toches qui jouent du couteau comme de la guitare. 

Ces personnages étaient bien dans la donnée de 
la tragédie burlesque que jouèrent toujours dans 
l'ombre ces deux carbonarî : Napoléon et Mazzini. 

Depuis que notre souverain s'était échappé de 
Ham par l'appui de Mazzini, depuis que celui-ci 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 229 

était persuadé que Tempereur ne lui obéissait plus 
que le poignard dans les reins, Mazzini était devenu 
la menace vivante de fîapoléon III. 

Ce qui se passait aux Tuileries, dans les voyages 
officiels, à travers les villes acclamant le passage 
de Leurs Majestés, paraîtrait incroyable si ce n'était 
constaté par tous les familiers du château. 

Souvent, dans Talcôve du souverain, un poignard 
italien se trouvait placé à son chevet, où était écrit ^ 
sur la lame ces mots : Souviens^toi. 

En voyage, un militaire se dressait devant Sa Ma- 
jesté comme le spectre de Banco ; c'était Mazzini 
traversant la France, déguisé en gendarme, au mo* 
ment d'armer contre Bonaparte ceux que le sort 
avait désignés pour le bombarder ou le poignar- 
. der I 

Plus d'une fois, à Bade ou à Vichy, l'empereur, 
de sa fenêtre, voyait à la croisée d'en face,un étran- 
ger qui l'imitait, soit en essayant une paire de 
gants, soit en prenant sa canne ou son chapeau, 
comme pour partir en même temps que lui. 

Cet étranger, cet inconnu, c'était encore lui, 
Mazzini, toujours Mazzini le préparant à un 
nouveau coup qui allait bientôt le frapper! 

Mazzini, c'était l'épée de Damoclès suspendue sur 
la tète de l'impérial carbonaro, condamné à mort 
par les ventes depuis qu'il n'agitait plus la France, 
depuis que son frère l'avait lancé à son tour sur un 
trône, que Mazzini lui avait ordonné de renverser 
avec tous les trônes de l'Europe. 

Mazzini, c'était la punition faite homme de Napo- 
léon III condamnant alors, lui^ l'ancien agitateur. 



230 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

tous ceux voulant se touroAr^. à aoa exemple» contre 
les lois du payai 

Alors, tous les cinq ans, Maxzini revenait pour 
lui rappeler son ancienne dette ;. il groupât à ses 
e6tés des jeunes hammea ardents, exeités par sa 
parole, par sa passion, enivrés par son fanaiisme 
dont Taceent mystique coloré n'était inspiré que 
par une idée : celle de ne faire autour de lui que 
des rsixies pour y étayer le nouveau berceau de 
' ritalie et le nouveau temple de la liberté univer- 
selle. 

Mazzini était, pour Bonapacte, le iuif errant qui, 
forcé de marcher en avant, par la démocratie ven- 
geresse, ordonnait à son complice de marcher avec 
loi sous peine de mortl 

Depuis 1830, Napoléon III, élevé à Técole de la 
reine Eortense, c'est-à-dire à Técole de la duplicité, 
ne s'était fait le frère de Mazzini que pour le trom- 
per. 

Mais Mazzini, dès qu'il avait été trompé par Bo- 
naparte, après l'avoî]: tant servi de son poignard, 
avait tourné son arme contre lui.. Napoléon en avait 
itcnti la pointe, dès qu'il était parvenu à s'asseoir, 
par un faux serment, sur le tr6ne du plus pacifique 
des rois. 

Depuis qu'il était empereur, sa position était in- 
tolérable. U voyait de pins en plus s*abaiâser sur sa 
tète le poignard sur lequel il avait juré obéissance 
à la jeune Italie. 

' U crut UQ moment, après avoir été fodrcé de pas- 
ser les Alpes pour donner l'Italie à Victor-Emma- 
nuel, que Mazzini serait satLsfaiL 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 231 

Mais, au coalraire, pour n avoir réDc^pU que ia 
moitié de sa promesse, le ^cdmd patriote italien 
n'était que plus exigeant envers, un frère, son ancien 
complice qui loi devait une partie de, sa puissance. 

La police corse n'avait pas assez de ses sbires 
pour le défendre contre le poignard mazzini^n. 

L'empereur, pour me pas, étire frappé par les 
séides de ce frère exigeajal, était obligé de U^iX \m 
sacrifier. 

Avant de reparler de ce complet avorté de J^laz- 
zini et de ses aéïdes Greco, Trabueco, Imperatori et 
Scaglioni, il m'est impossible de passer sous silence 
un fait qui dessina encore la situation de ces deux 
conspirateurs : Napoléon III et Mazzini. 

Un Jour, peu de temps aprè» l'avèJiemeni de 
l'Empire, un jeune bomme, le parent d'un capi- 
taine de vaisseau en retraite, avait été compromis 
dans une affaire de faux dont la gravité pourait 
être funeste à la réputation de sa trèS' honorable 
famille. 

Avant que l'instruction ne commençât sur cette 
triste affaire, je reçus la visite du malheureux père 
de ce jeune homme. Il me fit cette confidence : 

— Monsieur Claude, l'Empire, après avoir brisé 
ma carrière, veut me perdre en s'attaquant à ma 
famille I Savez- vous pourquoi ? Parce que je possède 
certain secret concernant le passé de Sa Majesté. 

— Mais, lui objectai-je, ce n'est pourtant pas 
l'Empire qui a fait de votre parent un faussaire ? 

— Non, me r^ondit-il,,maia c'est un complaisant 
de l'Empire, un infâme qui a grisé mon jeune pa- 
rent pour liii faire signer des papiers qui mettent 



232 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

notre honneur enjeu, parce que je possède certaines 
lettres qui font de Napoléon III ce qu'il voudrait ne 
plus être, Tobligé de Mazzinil 

— Et ces papiers, lui diîmandai-je, vous les avex 
toujours? 

— Oui, me répondit-il. Je les gardais pour ex- 
pliquer plus tard ma retraite forcée. Maintenant, 
comme le désire le ciiàteau, je suis prêt à les 
rendre à Tempereur, si le château consent à ne pas 
me déshonorer dans la personne de mon parent. Je 
sais, monsieur Claucje, termina-t-il, qu'en m'adres- 
sanl à vous, je ne m'adresse pas à un homme poli- 
tique. C'est précisément parce que vous êtes un 
honnête homme, parce que vous n'êtes pas un 
homme politique que j'espère en vous, et que je 
vous mets dans l'affaire que je propose au château. 
La voici : Que l'on me rende l'honneur et je rends 
à l'empereur ce qu'il désire. Et si vous êtes avec 
moi dans cette affaire, je sais que Sa Majesté et 
son entourage n'oseront plus, malgré la haine 
qu'ils m'ont vouée, revenir sur leur parole. 

Cette fois je fus intrigué par ce début, par le peu 
de confiance que ce malheureux père avait person- 
nellement dans l'engagement de Sa Majesté. Je le 
priai encore de s'expliquer. 

Voici ce qu'il m'appr*- »e traduis littéralement 
ses paroles : 

— Vous savez, monsieur Claude, qu'après l'é- 
chauffourée de Strasbourg, le roi Louis-Philippe fut 
très embarrassé de la capture de Louis Bonaparte. 
Il se résigna, forcé un peu par l'opinion, à le faire 
partir pour l'Amérique. Pour mon malheur, 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 233 

ce fut sur mon bâtiment, faisant voile vers les 
Etats-Unis, que le futur empereur fut embarqué. 
Malgré la clémence du roi, le prérendant qui, à 
bord d'un vaisseau de TEtat, n'était pas moins mon 
prisonnier, se conduisit moins en captif qu'en 
prince. Il ne cessa,'durant la traversée, d'embau- 
cher mes matelots et mes officiers. Il leur promit, 
au retour du régime impérial, des grades, des pen- 
sions, des faveurs qui ne firent que m'irriterl Je 
connaissais la longanimité du roi pour ce jeune 
prince qui prétendait déjà être rejeté par le roi sur 
la terre d'exil comme Napoléon I" avait été porté 
à Sainte-Hélène par tous les rois conjurés. Obsédé 
par ses lamentations qui exerçaient une influence 
délétère sur les gens du bord, j'ordonnai à un de 
mes officiers de mettre aux arrêts le neveu du 
grand homme. Gomme il me paraissait plus que 
suspect, j'ordonnai qu'on le fouillât. Que trouva- 
t-on sur lui? Une somme de 15,000 francs qu'il de- 
vait à la générosité du roi pour ne pas mourir de 
faim en exil I On saisit aussi sa correspondance 
avec des carbonari italiens, prêts à organiser, dès sa 
descente en Amérique, une conspiration interna- 
tionale qui devait reprendre en sous-œuvre la con- 
spiration avortée de Strasbourg. Une fois maître 
de ces papiers, j'assemblai mes officiers pour juger 
la conduite d'un prince répondant si mal à la 
clémence royale. Mon dessein, après un jugement 
rendu par mon conseil, était de déposer Louis-Bo- 
naparte dans une île déserte, avant d'instruire le 
gouvernement des menées d'un conspirateur si peu 
digne de sa clémence. Plus d'un officier était indigné 



234 MÉKOIRES DE K(»fSI£UB CLAUDE. 

de riagratitude de Louis Bonaparte ; quelques-uns 
ne parlaient rien moina que de le jeter à la. mer l Un 
mfôsionnaire* de passage sur mon bàtinieait, calma 
cette efTervescence. U ne- dissuada Bu>i*Bièaifi de 
former un tribunal militaixe four juger le prince, 
trompant la clémence royale. Lorsque j'objeeiaî 
que laisser en paix, on pareR agitateur éiait un 
danger pour la France, le saiftt homme m& ré- 
pondit : <c Le plus grand danger s^a. po«kr lui. Qsi 
grandit dans riniquité est puni par riaiqukté. Croyez- 
moi, par voire justice irréfléchie , par votre zèle 
«xagéré envers le roi et la patrie, ne d&vaneez 
pas la justice de Dieu ! » Je suivis les conseils dn 
«aint homme. Si ma conscience fui satisfiake, m^on 
avenir en souffrit. L'empereur se souvint plus tard 
de mes intentions hostiles contre lui quand il n'était 
qu'un conspirateur. Gomme j'ai gardé par dev^s 
moi ses correspondances avec les carhooari, il 
agit en conséquence pour me forcer aies hii rendre. 

Je répondis à cet ex-capifeaine de vaisseau, vic- 
time d'une rancune souveraine : 

— Qu'il ne fallait voir dans ce qui lui acrivaii que 
les basses et viles complaisances de quelques coia- 
tisans et que j'étais âûr, en s'amendant comme il 
voulait le faire^ qu'il ne serait pas donné suite à. ce 
fâcheux événement. 

En effet, par mon intermédiaire, l'honneur du 
capitaine fut sauf diès que le château posséda les 
papiers compromettants que cet orléaniste avait 
toujours gardés contre Napoléon. 

Pour cela, l'empereur en fut-il plus heureux? 

N'était-il pas sans cesse menacé par le poignard 



KÊMOIBES DE M(N7SIEU1l CLAUDE. 235 

de Maizini, coname Tétait GaQQ, pourchassé après 
la mort d'Abel^ par Le glaive de la justice divine? 

Le missionnaire ayait eu raison. 

En i864, on ne les comptait plus, tant ils étaient 
nombreux, ces ténébreux régicides descendant de 
Londres, armés par le dictateur de rassassioat po- 
liliqae. 

La libre Anglelerre n'^t pas que le berceau des 
plus grands voleurs de la terre, cîle est restée le 
repaire des plus terr&les régicides. 

Comme pour le complot d'Orsini, ce fut de Lon- 
dres que se fît sentir la main de Mazxioi dans Fat- 
tentat, heureusement avorté^ de Greco, de Trabucco, 
dlmperatori et de Seaglioni. 

11 fut prouvé dans le cours du procès que c*était 
de Londres que Mazzini envoyait à Lugano, cm se 
tenaient ces quatre eonspiraibeurs, les poignards 
empoisonnés, les revolvers, l«s bombes, et qu'il 
(ransmettut aussi les ordres et les bank-notes à 
ces sieaires. 

Heureusement, le cabinet noir récent quoti- 
diennement lies correspondances de Mazzixd dont 
récriture due & sa main tremblante et fébrile, était 
bien connue de tous les experts en écriture. 

Ainsi que le père; d'Orsini, le père de Greco avait 
été sous le premier empire, un fidèle sujet de la 
France,, comme peut Tétre. . . un Italien. 

Le père de Greco avait aidé autrefois le roi Murât 
à débarquer dans son royaume de Naples,. après en 
avoir été chassé. 

Lorsque Greco vint en France, muni des instme- 
tionft de Maziini et porteur de ses revolvers^ de ses 



236 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

poignards ou de ses bombes, il s*empressa de les 
abandonner provisoirement à ses sicaires. 

Fidèle à sa nature italienne, il s'en vint droit à 
rhôtel du prince Murât, pour rappeler à son secré- 
taire Rufoin les services que son père avait rendus à 
la famille de son maître. 

Sa démarche faillit un instant dérouter la police, 
instruite cependant des menées de ces régicides. 

Gomment pouvait-on supposer qu'un homme si 
bien vu par le prince fût un affilié deMazzini ? 

Mais la police, payée pour savoir ce dont était 
capable l'astuce italienne, ne se laissa pas long- 
temps influencer par ces beaux semblants de fidélité 
rétrospective, surtout de la part d'un Italien. 

Du reste les menées des quatre conspirateurs 
n'étaient que trop visibles par leurs allures in- 
quiètes, par leurs précautions trop prudentes pour 
ne pas être suspectes. 

Sitôt sortis du chemin de ter, nos quatre Italiens 
se divisent comme s'ils ne se connaissaient pas. 

Greco va se loger séparément hôtel Sainte-Marie, 
rue de Rivoli, 83. A peine à cet hôtel, il revient 
trouver Trabucco pour le recommander à l'hôtel de 
la rueSaint-Honoré, 198. Afin de dérouter la police, 
Greco et Trabucco quittent ces hôtels pour rejoindre 
à l'hôtel de Naples, rue Saint-Honoré, 176, leurs 
complices, Imperatori et Scaglioni, et ceux-ci, à 
l'avance, ont loué un appartement qui ne tarde pas à 
recevoir Greco et Trabucco. 

Nos Italiens, depuis leur départ de Lugano, n'a- 
vaient cessé, d'être l'objet d'une surveillance active 

A leurs allures mystérieuses, à leurs démarches 



UÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 237 

indécises et craintives, la police devina qu'à ce der- 
nier hôtel de Naples, les quatre conspirateurs ca- 
chaient leur arsenal. 

Une lettre, timbrée de Londres, adressée à Greco, 
écrite en chiffres, mais en chiffres connus par les 
allumeurs politiques, ne laissa plus de doute sur 
les ramifications des Italiens avec Mazzini. 

Cette lettre était signée d*un banquier, fîls de 
l'une des deux épouses de Mazzini, la belle Sur ah. 

La lettre fut interceptée. 

Nos conspirateurs attendaient les fonds néces- 
saires pour agir. Ils devaient lancer leurs bombes, 
non plus cette fois aux abords de FOpéra, mais dans 
rintérieur de la salle. 

Il était convenu, d'après les ordres de Mazzini 
qui leur envoyait l'argent, nécessaire, que les quatre 
conspirateurs occuperaient une loge, vis-à-vis de la 
loge impériale. 

Au moment le plus intéressant d'un ballet, ils de- 
vaient lancer leurs bombes perfectionnées dans la 
loge impériale, puis profiter du désarroi causé par 
le sinistre, pour se faire jour à travers la foule, au 
moyen de leurs poignards empoisonnés. 

Les fonds retenus avec la lettre du banquier 
causèrent un certain mécompte chez les conspira 
teurs^ Trabucco, Imperatori et Scaglioni. 

Ils accusèrent Greco, un dépensier, un grand sei- 
gneur, d'avoir mis dans sa poche l'argent si attendu, 
retenu par la police qui ne cessait d'organiser contre 
eux une telle surveillance qu'aucun des mouve- 
ments, qu'aucun des actes ne lui échappa. 



238 HÉMOIBfiS HE MOKSIE^Em dJLOIE. 

Trabucco. le lieateaaiit de Greco, leixmflmdela 
troupe se fit prendre Je preaiîer au Irébuehet. 

Dans rintérèt de ses projets, il arait fait oonnaù- 
saoce, AUX abords de l'ûpéra. avec un perruquier. 
Il &y reodait tous les «oirs, muni de son eor de 
chasse, sous prétexte de lui donner de« leçons 
i harmonie. 

£n réalité, c'était pour bien oounaitre les as et 
coutumes du théâtre, pour étudier de prèele terraia 
sur lequel il allait opérer. 

Ce perruquier, épié par nos agents, fut sommé 
de renseigner la police sur les faits et gestes de oe 
singulier professeur d^harmonle dont le corde chasse 
était plus que suspect. 

Le perruquier n'hésita pas à renseigner la police 
lorsqu'il apprit que ce Trabucco avait un autre 
compagnon qne son cor de chasse, un dossier 
judiciaire très corsé. 

Si Pasquali Grepo, âgé de 28 ans, leau garçon» 
dont la tête brune, les cheveux noirs fièrement re- 
levés, offrait le type du don Juan grand seigneur, 
Trabucco, avec ses petits yeux pétillants de malice, 
les Jones au teint échaqffé, et sa crinière épaisse, 
était le portrait du bouffon sacripant. 

Ancien lazzarone, soldat des Bourbons, déser- 
teur patriote, et toujours musicien ambulant, 
Trabucco avait longtemps parcouru le monde sous 
le pseudonyme mélancolique de Belisario, 

La seule passion qui ne l'abandonna pas dans ses 
palinodies, c'était celle du cor de chasse. 

Dans ses voyages, toujours modeste quoique 
bruyant , il ne s'était jamais séparé de scm cor; 



guerrier ou conspirateur, il le portait tDU3<o«rs sâr 
son ccemr et en sautoir. 

Il ne le quitta même paB à ÎULsz^ls lorsqu'il y fat 
un jour incarcéré comme accusé ; devant le tri* 
bunal, son cor de chasse M eneore sa Providence. 

11 fit apitoyer ses juges sur son sort par Torgane 
de son avocat, qui d'il cinq ans auparavant : 

« Pendant un an, Trabucco étonna de ses acoords^ 
mélodieux les murs aHencieux de Mazas, où il avait 
obtenu la permission de donner des concerts •cel-- 
lulâtires à ses compagiions de captivité. » 

Mais le perruquier, moins charmé de l'art de 
Trabucco que ses compagnons de cellute, n'bésita 
pas à le dénoncer quand il put se convaincre de 
la mauvaise foi de son professeur. Voici à quelle 
occasion. 

Greco, pour sa belle, avait «scompt-é jusqn^aux 
avances de fonds de son banquier ; il laissait man* 
qmer de tout à ses séides. Trabucco, par compensa- 
tion^ ne payait qoe par des leçons d'harmonie, les 
repas qn^l allait prendre diez son élève. 

Ce fut pour couper court â ce régime musical 
que son élève, le perruquier, dénonça Trabucco sur 
des indices qui auraient ét-é insignifiants pour tout 
autre que pour la police et le barbier renseigné sur 
les faits et gestes des Itaiia^s. 

Tons furent pris, cernés, enveloppés, au moment 
où, conseillés par ta néoessHé, ils hÀtaient le 
moment réglé par Marairâ pour frapper l'empereur 
dans sa loge. 

Les régicides étaient cueillis devant l'Opéra avant 
d'avoir le temps d'en franchir le péristyle. 



240 MÉMOIRES DE MONSIKUR CLAUDE. 

Pendant qu'ils étaient arrêtés par les agents de 
M. Lagrange, la police de sûreté faisait aussi son 
devoir. De mon côté, j'envoyai mes agents à Tiiôtei 
de Naples. 

Us ne tardèrent pas à découvrir tout un arsenal 
de poignards et de projectiles dans des armoires 
dont les serrures n'étaient pas des serrures d'iiôtel 
garni. 

Ces poignards, ces projectiles étaient conformes 
à ceux que l'on trouva sur les conspirateurs. La 
lame de ces poignards était construite de telle sorte 
que sortie de la plaie, la plaie se refermait en for- 
mant une hémorragie intérieure. Quant aux bom- 
bes, tout à fait semblables à celles trouvées dans 
les poches de Trabucco, de Scaglioni et d'Impera- 
tori, on en fit bientôt l'expérience. En éclatant, 
•elles fournirent quarante morceaux dont quelques- 
uns percèrent une douve très épaisse. 

Si la bande Greco eût pu pénétrer dans la salle 
■de l'Opéra , si la police de M. Lagrange, secondée 
par la police de sûreté, n'eût pas prévenu cet atten- 
tat, le bâtiment de l'Opéra sautait presque en entier 
Avec le souverain. 

On a voulu, à cette époque, traiter de chimère 
^e crime politique avorté. 

Les journaux anglais, aussi intéressés que l'op- 
position, n'ont cessé de l'appeler : le prétendu com- 
plot contre la vie de l'empereur. 

Mais parce que Greco était un homme autrement 
prudent que le chevaleresque Orsini, parce que ses 
soldats étaient des soldats aguerris qui n'en étaient 
pas à, leur coup d'essai, parce que, à rencontre 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE, 24i 

d'Orsini, ils recevaient de Mazzini des leçons de 
prudence, tout cela, au contraire, ne prouvait-il 
pas l'existence de ce complot sans fin, tramé par 
Mazzini contre Napoléon III ? 

Et Mazzini n*avoue-t-il pas, ce qui, pour moi, 
était du reste indéniable, Texistence très sérieuse 
de ce complot qui, s'il n'avait pas été* arrêté dans 
son germe, aurait eu des conséquences bien plus 
terribles que celles des bombes Orsini. 

Malgré son habileté, Mazzini lui-même, forcé de 
se prononcer sur ce complot, n'écrit-il pas à cette 
époque : 

« Cédant aux sollicitations d'amis anglais que 
j'aime^ je déclare que^ JAMAIS^ je n'ai poussé 
personne à tuer Louis Napoléon. GrecOj je le con- 
nais. C'est un patriote enthousiaste qui a pris une 
part active aux entreprises de 1860 et 1861, dans le 
midi de l'Italie. 

« toute note écrite par moi en sa possession doit 
remonter a neuf ou dix mois en arrière. 

. « Mazzini. » 

Ainsi Mazzini se dément jusque dans sa déclara- 
tion. 

Il avoue qu'il a écrit à Greco juste à l'époque où 
Greco embauche ses soldats de l'assassinat. Jamais^ 
il n'a poussé personne, écrit-il, à tuer Louis-Napo- 
léon ; et c'est lui qui, par son banquier, envoie 
l'argent nécessaire pour faire agir ses frères, por- 
teurs de bombes de sa fabrique I 

lu. 14 



242 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLACOE. 

Pour écrire une pareille lettre, pour qu'elle 
ait été acceptée autrefois comme de Targent comp- 
tant, il fallait s'adresser à des Français, gens aussi 
spirituels que crédules, ou à des esprits bien pré- 
venus. 

Oui, la main de Mazzini était évidente dans Tal- 
teutat avorté, nié uniquement parce qu'il a*aTait 
pas eu de résultat. 

'^Oui, c'était encore de rAngleterre, de Londres 
que le dictateur patriarche, ûgmsait et empoison- 
nait son poignard sur lequel l'empereur avait jvié 
autrefois de le servir, avant de le combattre l 

Quant aux comparses de Mazzini, ils furent sacri 
fiés comme Orsini et les siens l'avaient été six ans 
auparavant. Ils furent déportés à Gayenne. 

Lorsque le tribunal demanda à Trabocco s'il avait 
des observations à présenter an sujet de l'applica- 
tion de sa peine, lorsque le président Ivà dit : 

— Qu'avez-vous à demander ? 
Il répondit : 

— Qu'on me rende mon cor de chasse i 

Le grotesque mêlé à l'horrible. Voilà l'Empire l 



CHAPITRE XV 



LES ALLUMEURS 



On appelle allumeurs^ en termes de police, les 
^genii provocateurs chargés par la division poNti'- 
que de se mêler aux sociétés secrètes, aux manifes- 
tation^ populaires pour jouer, au profit du gouver- 
nement, les rôles les plus divers. 

Dans les ovations préparées aux souverains comme 
dans les manifestations qui leur sont hostiles, les al- 
lumeurs figurent au premier rang. Ils exaltent ou 
menacent le pouvoir à volonté et selon les besoins 
de la cause. 

Les allumeurs furent créés sous l'empire ; ils de- 
vinrent» sous la direction de M. Lagrange, la fleur 
du panier de la préfecture. 

Ce fonctionnaire fut lui-même, comme je Tai 
déjà dit dans Taffaîre René-CaîIIe, avec un nommé 
P..., le metteur en œuvre du complot de VOpéra* 
Comique. 



244 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

MM. Lagrange et P... durent à la réussite de cette 
amorce Tun la place de commissaire de police' à 
la préfecture, Tautre la place de commissaire cen- 
tral à Orléans. 

Ce vaste coup de filet, qui aboutit à cinquante- 
sept arrestations, redonnant un nouveau contingent 
de proscrits, contribua à peupler de plus en plus 
Lamhèse et Cayenne et finit par mettre sur la dé- 
fensive tous les républicains. 

Les allumeurs de Tempire provoquèrent Torga- 
nîsation des contre-allumeurs^ dont le siège mysté- 
rieux occupa plus tard les tables des cafés de Suède 
et de Madrid. 

La revanche de décembre commença en 1863 au 
boulevard Montmartre pour aboutir au 4 sep- 
tembre. 

La Marseillaise^ entonnée par les policiers, par 
les cocottes et les proxénètes, lorsque Tempire 
avait tant besoin, par sa déclaration de guerre à la 
Prusse, du patriotisme français, se continua plus 
tard, pour venger Sedan, pour fustiger les sou- 
doyeurs des blouses blanches ; allumeurs qui, les 
premiers, avaient crié : A Berlin ! à Berlin t 

Les allumeurs donnent raison à nos adversaires. 
La police, instituée pour préserver la partie saine 
de la population, ne doit pas songer à faire des 
victimes ou à provoquer des larmes ! Il faut qu'elle 
reste uniquement la sentinelle du devoir; de la 
paix et dé la concorde. 

Les allumeurs sont appelés à être rayés du cadre 
de la préfecture. 
Autant je défends la police des mœurs, au nom 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUnE. 215 

de la morate publique et du respect du foyer, au- 
tant je condamne la police politique et ses allu^ 
meurs. 

Ceci peut paraître un paradoxe, c'est Tempereur, 
par ses allumeurs , qui a travaillé le plus à la 
Cofnmune, en la propageant d'une part et en la 
combattant de Tautre. 

L'Internationale, sortie du cerveau de Mazzini, 
s'organisa définitivement après l'exposition univer- 
selle de Londres en 1862. 

Et veut-on connaître celui qui approuva le pre- 
mier ses statuts? Ce fut le frère en carbonarisme de' 
Mazzini. 

Oui, V Internationale fut appuyée par Napoléon III, 
parce que l'Internationale avait dans son sein, dès sa 
formation des allumeurs^ envoyait à la préfecture 
et au ministère de l'intérieur tout ce qui se disait, 
soit en anglais , soit en français , à son bureau 
central. 

Ce bureau se tenait rue des Gravilliers, 44. 

Gbose incroyable, les premiers délégués chargés 
à l'exposition de Londres de représenter moins 
l'industrie française que le socialisme cosmopolite, 
furent patronnés par le gouvernement. 

Ace sujet, je fus témoin d'une conversation entre 
M. Boitelle et Tolain. 

Ce pré et n!avait pas, en fait d'organisation poli- 
cière, les idées des Corses, il dit un jour à Tolain : 

« J'aimerais mieux voir abolir la loi contrôles as- 
sociations que de voir s'effectuer ce voyage à Lon- 
dres !» 

Mais le gouvernement impérial, qui aimait pôn 
m. 14. 



246 HÉMOIBES DE MONSIEUR GLAUI>fi. 

cher ea eau trouble pour mieux y surprendre seg 
adversaireSfeQCOuragea iesGravilliers qui, parleurs 
allumeurs^ lui rabattirent ses ennemis les plus 
forcenés. 

La rue des Gravilliers ne tarda pas, grâce aux 
allumeurs, à devenir le rendez-vous des limiers. de 
la préfecture. 

Exagérer la haine des ennemis de la société, la 
pousser à ses dernières limites pour forcer les classes 
dirigeantes à se courber sous la toute-puissance 
d'un sabre» voilà le rôle qu'a joué toujours Tallu- 
meur dans lei sociétés secrètes. 

Habitué à manier la parole, le discours de Yallu^ 
meur^ pour plaire à ses prétendus coreligionnaires, 
ne varie pas. 

Le voici selon la formule : 

a Si vous n'êtes pas athée, vous êtes logiquement 
« despote. Si vous êtes despote, vous êtes appelé à 
« laisser répandre le sang du peuple par la troupe, 
« comme en juin, comme en décembre. Plutôt pour 
« noua Vinvasion des barbares I Si vous voulez la 
A paix, c'est que vous ne voulez pas la dernière 
« guerre; la guerre définitive pour avoir la repu- 
« blique définitive que vous n'aurez jamais avec 
« la bourgeoisie qui n'a rien dans la tête, rien dans 
« le cœur! La république définitive s'élèvera non sur 
« les ruines de la bourgeoisie, — il y a longtemps 
« que ses ruines ne tiennent plus, — non sur son 
« sang, il y a longtemps qu'elle n'en a plus ! — 
a mais sur ses détritus accumulés! C'est sur 
« cette charogne que nous planterons le drapeau 
41 ionffiant de la révolution sociale 1 » 



MÉMOIBE& »E MONSIEUR CLAUDE. 247 

Tel était, dès 1862, le langage de V allumeur 
socialiste aux Onwiliters, pour permettre, six ans 
après, à la magistrature de dissoudre une société 
secrète dcTenue une menace permanente et une 
école de régicides! 

Bien avant 186^, le même allumeur était le sol- 
dat vigiiant de Go}let-Meygret, directeur des ova- 
tions impériales* L'allumeur suivait alors à la file 
sa brigade. Moyennant un supplément de solde 
de 10 fr. par jour, Tallumeor était appelé à exagé- 
rer en province les adorations des paysans en brail- 
lant sur le passage de Leurs Majestés : 

« Vive Vempêreurl vive Vimpératrice ! vive le 
pvince impérial t » quand il n'ajoutait pas, comme 
un allumeur ivre, à Moulins : et vive toute la sa- 
crée boutique t » 

Caméléon politique, Tallameur change de cou- 
leurs aussi vite, on France, que l'opinion publique. 

Menaçant ici, enthousiaste là, Fallumeur est le 
porte-voix de tous les triomphateurs. On Ta vu, à 
la fin de l'empire, après le meurtre de Victor Noir, 
quitter la carmagnole de 1862 pour {»*endre la 
blouse blanche de i869, puis le drapeau tricolore 
4e 1870. 

Insurgé la veille, héros le leac^emain, toujours 
avec un supplément de solde, et avec la garantie 
du gouvernement, l'allumeur est prêt à crier: vive 
l'empereur, vive la Commune l 

Les allumeurs les plus intelligents n'étaient pas, 
sous l'empire, que des crieurs publics et des ora- 
teurs de club, j'en ai connu qui étaient journa- 
listes. 



248 M^.MOIBES Dr MONSIEUR CLAUDE. 

Le plus fameux était ce Ch. M*** dit de P***. Cet 
écrivain, fils naturel d*un célèbre et important ma- , 
gistrat, s'était rendu, par sa conduite scandaleuse, 
odieux à tous ses protecteurs comme à tous les 
partis! 

Proxénète passionné et cynique, Ch. M*** avait 
ua tempérament ardent. Il le mettait au service 
de qui voulait se réchauffer à sa plume ; et sa plume 
était toujours à vendre. 

Comme la préfecture ne payait pas assez ses rap- 
ports, comme elle se méfiait aussi de cet allumeur 
qui, en 1848, s'était très compromis avec les orléa- 
nistes, Ch. M*** resta à la préfecture en disponibi- 
lité d'emploi. Il fît du journalisme indépendant^ 
du journalisme à scandales I 

Longtemps il se contenta de servir de loin la po- 
lice que son nom trop connu déshonorait ! 

Mais déjeuner de l'injure, souper de l'éloge, sous 
prétexte que la faim justifie les moyens, ne pouvait 
suffire à cet ancien allumeur. Il avait des appétits 
trop violents pour que son métier de journaliste à 
scandales le satisfit. 

Lorsque l'empire, après la guerre d'Italie, com- 
mença à être attaqué par l'Eglise italienne comme 
il l'était par le pontife italien de la démocratie, 
Ch. M*** s'offrit au ministère de l'intérieur pour 
remplir, dans le monde des journalistes bien pen- 
sants^ le rô'e de franC'tireur catholique. 

Il ne demanda, avec l'appui du gouvernement, 
que la permission, moyennant finances, d'aboyer 
haut et ferme contre ceux qui criaient haro sur 
l'empire 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE* 

Ch. M*** devint un allumeur libel liste. Il s'aposla, 
avec sa plume pleine de fiel et d'injures, derrière 
une casse d'imprimerie , comme Gil Blas s'apostait 
au coin d'un bois avec son escopette. 

Sa mission de reître insulteur était de provoquer 
les ramasseurs d'épaves qui se faisaient de l'empire 
une amorce pour s'attirer une bonne proie au bou^ 
de leur plume. 

La police politique fut obligée de se servir de 
Ch. M***, un condottiere à l'abri de toutes les souil- 
lures, parce qu'il était couvert d'ignominies, parce 
qu'il n'avait qu'à rejeter sa fange à la face de ses 
confrères. 

Après la guerre d'Italie, Ch. M*** dit de B***, qui 
n'avait pas reparu depuis dix ans dans la presse 
militante, s'improvisa un jour rédacteur en chef 
d'un nouveau journal, le Drapeau catholique. 

Cette chrysalide de l'orléanisme sous le gouver* 
nement de Ledru-Rollin, se trouva papillon de 
l'impératrice sous, l'empire. 

Comme ce sacripant des lettres ne croyait ni à 
Dieu ni au diable, il cracha avec trop d'acrimonie 
sur les bonzes du Vatican. L'orléaniste changé en 
sacristain, fut désavoué par ses augustes patrons. 

Son journal fut supprimé. On paya ses invectives, 
mais on en arrêta le cours, sauf sur l'argent cau- 
tionnant encore le Drapeau catholique, à lui trou- 
ver un autre organe pour recommencer le feu dans 
un monde plus digne de lui. 

L'occasion ne manqua pas pour lancer Ch. M*** 
dit de B*** contre le bataillon de plus en plus corn- 



250 MBKMRES D6 MONSIEUR CIAUDfi. 

pact et serré des ennemis deTempire... encore au- 
toritaire l 

L*alluineur n^eat besma que de ehauffer la haine 
pour rabattre de tous côtés des adversaires bons 
à taer dès qu'il n'étaient bons à capter. 

L'allumeur, très apte à allumer les feux, fut 
lancé plus tard contre les républicains. Gh. M*^ 
dit de B*** prit la plume pour faire des trous là 
où les adversaires de l'empire avaient fait des 
taches. 

Son journal fut la torche à l'aide de la- 
quelle les écrivains de la rue de Jérusalem brûlè- 
rent les lanternes de l'ancien chroniqueur du 
Figaro, Ils parviiyent à les éteindre par le système 
homœopalhique de Ch. M***, après y avoir mis 
le feu ! Puis ces allumeurs journalistes les balayè- 
rent à grands -coups de gourdin, que reçut leur 
imprimeur! 

Mais les lanternes éteintes, balayées par les allu- 
meurs formant bientôt rat?aw/-^arcf<? des blouses 
blanches, se rallumèrent plus ardentes. 

Elles alimentèrent le foyer incandescent du jour- 
nal la Marseillaise, 

Les coups de goilrdin provoqués par les allumeurs 
de la presse policière, préparèrent le coup de pisto- 
let qui, en tuant Victor Noir, acheva l'empire. 

Voilà Fœuvre des allumeurs/ 

Il ne faut pas jouer avec le feu. 

La police ne doit avoir qu'un but : l'éteindre. 

Dès qu'elle l'allume, c*est pour s'y brûler. 

Depuis la chute de l'empire, la police secrète a 
renoncé, par respect pour elle, pour la dignité des 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 251 

citoyens, à employer les allomeure. Leur emploi est 
resté vacant avec le départ de M. Lagrange et la 
disparition de son type le plus éhonté et le plus cy- 
nique, Gh. M*** dit de B*^, 

Pour donner une idée de ia moralité de cet allu- 
meur politique dont la grossièreté de langage ré- 
pondait à Teffronterie du personnage, je dois indi- 
quer la source la plus claire sinon la plus limpide 
de ses revenus. 

Ce proxénète en tous genres entretenait dans le 
quartier Montmartre, sur le boulevard des Italiens, 
dans la rue de la Victoire et le quartier Notre-Dame 
de Lorette, des relations avec des établissements in- 
fâmes tentts par différentes procnreuses ou trot- 
teuses ! 

Il prélevait sur ces femmes qui , la plupart , 
avaient été ses maîtresses, un droit qu'elles s'em- 
pressaient de payer très fidèlement à ce nouveau 
roi des rïbattds. 

Elles s'exécutaient de bonne grâce envers ce lan- 
ceur allumeur^ nlgnorant pas de quel pouvoir 
il était investi, en vertu de ses relations constantes 
avec les bureaux des mœurs. 

L'allumeur Gh. M*** ne tenait pas qu'à la politi- 
que par son titre de journaliste Franc-tireur*; il te- 
nait aux mœurs par sa vie privée. 

En raison des épisodes de son existence galante, 
dont Brantôme lui-même «eût rougi, il était conn: j 
de tous les agents secrets. 

« — Je suis Itomme des feuilles et des filles de 
joie ! » disait-il effrontément en pénétrant dans les 
établissements de ses procurenses dont les pension- 



252 MEMOIRES DE MONSIËUH CLAUDE. 

naires étaient sans cesse renouvelées, parce qu'elles 
étaient pour la plupart des filles mineures. 
\ En effet, ce proxénète fondait aussi facilement 
/des lupanars que des journaux. 

Il lança, entre diverses procureuses, une nom- 
mée S***, ancienne portière ; elle monta en moins de 
deux ans sept appartements meublés, tous destinés 
à des mineures. 

Grâce à ses accointances avec Ch, M***, cette an- 
cienne portière eut bientôt équipage pour visiter, 
pour passer en revue ses différents établissements et 
étendre de plus en plus ses relations. 

Par son esprit d'intrigues uni à un grand fonds de 
cupidité, la matrone eut pour bailleur de fonds 
des gens très importants, anciens copimanditaires 
des journaux de Gh. M***. 

Elle eut Tart de les associer à son malhonnête et 
productif commerce, ce furent eux qui fournirent 
le^ meubles et les toilettes des jeunes pensionnaires 
de la matrone. 

Par malheur, lorsque M°* S*** se crut suffisam- 
ment riche, elle crut devoir se dispenser d'être re- 
connaissante envers celui qui Tavait lancée sur la 
voie de la fortune. 

Notre allumeur lui fit payer cher son ingrati- 
tude. 

Il la dénonça comme excitant à la débauche des 
mineures; Elle fut l'objet des recherches de la po- 
lice et de l'indignation de toutes les mères de fa- 
mille. Elle alla expier à Saint-Lazare son ingrati- 
tude vis-à-vis de son allumeur qui, à cette époque, 
rédacteur d'une feuille morale et conservatrice, 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 253 

nomma en toutes lettres, pour mieux la ruiner, la 
procureuse sortie pourtant de ses mains et faite à 
son image. 

Et il eut Faudace d*écrire, pour donner le change 
à ceux qui pourtant le connaissaient bien : 

« Voilà les femmes que fréquentent nos adver- 
saires politiques I Ils se prétendent des purs, ils 
livrent à de vieilles libertines Thonneur de nos fa- 
milles, la vertu de nofe vierges I Non, non, ces 
prétendus purs ne sont que des pourris. C'est la lie 
de la fange! » 

L'audace de ce proxénète n'avait d'égale que son 
cynisme. 

Cet allumeur se faisait le défenseur delà morale, 
le champion des mères de famille et des honnêtes 
épouses, et il ne vivait que de prostitution. 

Avant de cautionner de son crédit infâme les éta- 
blissements de beautés à vendre, lui-même avait été 
le berger d'un troupeau de trotteuses. 

Chaque soir, comme ce proxénète n'avait alors 
qu'une médiocre confiance dans la probité de ses 
filles, il les faisait déshabiller devant lui pour voir 
si elles ne lui dérobaient pas une partie de leur 
recette ! 

Tel était l'homme, Yallumeur que la police poli- 
tique était obligée d'employer contre les adver- 
saires de l'empire. 

— A pourri, pourri et demi I disait-il à ses chefs 
qui ne le recevaient qu'avec dégoût. 

Lorsqu'on lui reprochait sa vie ignoble, scan- 
daleuse, pleine d'ignominie, il répondait en haus- 
sant le3é[)aules ; 

m. i5 



2ol Mr:MOiur:s de monsieur clalûe. 

— Que voulez-vous? je suis né souBun fumier, je 
mourrai comme j'ai vécu, sur un las de fange! 

En effet, il y mourut ! 

Cet homme, malgré son cynisme, avait des ré- 
volles étranges contre lui-même, en faveur de la 
droiture et de la vertu. 

Ces retours étaient aussi singuliers que son cy- 
nisme. Ils se traduisaient, dans sa nature malsaine, 
par des actes étranges. 

Un jour qu'il était gris, il battit son fils, parce 
que son fils était un honnête homme et qu'il lui fai- 
sait honte I 

Il s'indigna devant moi, en présence d'o-n jeune 
débutant littéraire qu'un de ses confrères faisait ^o- 
ser en lui refusant son article, en l'engageant à le 
porter à la Revue des Deux-Mondes parce que son 
écrit, prétendait-il, était indigne de son journal. 

— Pourquoi, exclama Gh. M***, induire en er- 
reur ce jeune homme ! J'ai lu son article. Ce garçon 
a du talent. C'est vous qui êtes un idiot en le bernant 
comme s'il était un crétin ! 

Ce proxénète, qui envoyait à Saint-Lazare une 
procureuse qui ne le payait pas, s'indigna contre 
une autre matrone qui voulait retenir de force une 
jeune fille refusant de se vendre à un vieux céladon. 

Gh. M*** prit par la main la jeune fille; il la re- 
conduisit jusqu'à la porte fermée derrière elle ; ii 
la rouvrit, en apostrophant sa procureuse : 

— N. do D... ! exclama-t-il, est-ce qu'il n'y a pas 
assez de filles de bonne volonté sans commettre, 
pour nos polissons, une pareille infamie! Allez, 



MI-MOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 255 

mon enfant ! termina-t-il en reconduisant la jeune 
fille jusqu'à la porte, allez, vous êtes libre 1 

"Et cet homme, qui vendait toutes ses maîtresses, 
faillit encore tuer une nommée Pauline qui lui fut 
infidèle! Et ce fanfaron de vice était si jaloux qu'il 
battait son fils dont la grande probité l'irritait 1 

Explique qui pourra ces contrastes chez de pa- 
reils monstres. 

Heureusement que, jusque dans la police, de 
semblables auxiliaires sont rares ! 

Ils ne se rencontrent que dans la catégorie la 
moins recommandable de la police : les allu- 
meurs ! 

Je n'ai pas fini avec cette catégorie. 

On retrouvera un autre type de cette subdivision 
policière dans le chapitre suivant; ce type, pour 
n'être pas aussi violent que Gh. M***, n*a pas moins 
été très funeste à ceux qui l'ont fréquenté et ac- 
cueilli. 

Ce nouvel allumeur que je vais présenter à mes 
lecteurs, n'était pas un brutal, un cynique comme 
Ch. M*** dit de B***; non, il était au contraire lont 
sucre et tout miel. C'était un légitimiste. Il n'en était 
jque plus dangereux 1 



CHAPITRE XVI 



CE QUIL EN COUTE SOUS L EMPIRE POUR DONNER 
UN TOMBEAU A JACQUARD. 



Un jour, un monsieur Germain (de Lyon), en se 
rendant, par hasard, au cimetière d'Ouliins où repo- 
sent les restes de Jacquard, fut douloureusement sur- 
pris devoir que Thomme qui avait enrichi Lyon, la 
France, le monde, de son laborieux génie, n'avait sur 
«a tombe qu'une modeste croix de bois 1 

Pour l'honneur de son département, de la ville 
de Lyon dont chaque métier bat sous l'impression 
donnée par l'immortel mécanicien, M. Germain 
proposa d'élever, à la place de la modeste croix 
de bois, un monument. 

Il envoya une cotisation de vingt francs à lacham- 
bre de commerce de Lyon pour qu'elle s'associât 
à son œuvre de réparation. 

La chambre de commerce refusa sa cotisation sous 
prétexte qu'elle avait bien d'autres dépenses à faire. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 257 

Alors un journaliste de Paris, fondateur de la re- 
vue I/'ar< au XIX"»® siècle^ organe des travailleurs ar- 
tistes de ce temps-là, répondit pour la chambre de 
commerce de Lyon. 

Il accepta les vingt francs de monsieur Germain ; 
il fit immédiatement un appel à tous les fabricants 
de Paris qui doivent au métier Jacquard leur in- 
dustrie et leur fortune. 

En moins d*un mois, des commissions pour la 
souscription Jacquard furent organisées à Paris. 

La chambre de commerce de Lyon trouva'enfin 
naturel que Thonneur et la consolation de remplir 
un pieux devoir fussent réservés pour elle seule qui 
personnifiait la gloire de Jacquard et Tindustrie 
lyonnaise. 

Il est vrai que la chambre de commerce avait mis 
trente ans à s'apercevoir de Toubli de ce pieux de- 
voir ! 

Gomme il fallait une victime à la rancune des 
prud'hommes pris en flagrant délit d^égoïsme, ce 
fut sur rhomme de lettres qui avait répondu à l'ap- 
pel de monsieur Germain, que Ton tomba ! 

Dans l'intention sans doute d'envoyer au bagne 
celui qui avait rappelé la Patrie à la reconnaissance, 
on s'enquit de ce que pouvait être l'écrivain de la 
revue : L^art au xix°»« siècle; l'homme de lettres qui 
dans son recueil s'efforçait à déplacer les bornes, à 
échauffer les glaçons, à exalter le progrès, pour 
créer ce qui existe aujourd'hui : Les expositions des 
beaux-arts appliqués à V industrie^ les écoles pro- 
fessionnelles et les musées d'art décoratif. 

Et cet homme de lettres qui, à cette époque, de- 



258 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUBE. 

mandait tant de choses à la fois, indépendamment 
d'un tombeau à Jacquart, ne pouvait ètic qu^un 
fou ou un gpedin, ne méritant qwe la corde, le bagne 
ou Charenton. 

Dans ttne société avancée comme la- n6tre, parler 
de reconnaissance à des ingrats, d'art à des mâaoea- 
vres, de sincérité à des fourbes, de^nérosité à des 
vieillards, n'est-ce pas le .comble de la démence? 

Gomme M. Germain ne pouvait être attaqué, à 
Lyon, par des Lyonnais, ce fut le Parisien qu'ooi at- 
taqua pour avoir osé relever le gant de monsieur 
Germain contre la chambre de commerce. 

Partout on cria haro sur le baudet I On résolut 
de lui faire porter le plus lourdement possible les 
plus riches reliques qu'on était obligé d'offrir à 
Jacquard. 

Je reçus, comme chef de la sûreté, des instructions 
partant de la préfecture du Rhône, par le ministère 
de rintérieur, pour bien connaître l'homme de let- 
tres qui se permettait de donner des leçons à 
Monsieur Dimanche ! 

Le malheureux commençait à recevoir ha. récom- 
pense de sa générosité ; il était déjà dénoncé à la 
police. 

Gomme cet écrivain, fondateur de la revue Vart 
xix"»® au siècle, était aussi le fondateur delsi Société 
du Progrès et de Vart Industriel^ il était égale- 
ment devenu l'objet des recherches du deuxième 
bureau de la division politique. .' 

Ge fut sur les indications du secrétaire de M. La-j 
grange que je dépêchai un de mes agents pour sur-' 
Veiller ce fou, cet intrigant, ce crinïineJ, d^appès les 



MÉMOIRES DE MONSIEUR GLAUOE. 259 

dénonciations particulières du président de la 
chambre de commerce de Lyon. 

Cependant comme le casier judiciaire de cet écri- 
vain était vierge, mon devoir fut d'agir envers 
celui que l'on me donnait à filer avec la plus grande 
circonspection, s 

Je lui donnai comme fileur un de mes plus hon- 
nêtes brigadiers, ancien sous-officier dont la fidélité 
était bien plus recommandable que Tintelligence. 
On le surnommait le capitaine. 

Le capitaine avait fait les premières campagnes 
du second empire ; c'était un homme inflexible sur 
la discipline, ayant le plus profond mépris pour 
l'homme qu'il filait, et qu'il considérait à l'avance 
comme un coupable, surtout lorsque c'était un 
pékin. 

Il trouvait l'empereur trop bon, trop généreux. 
Il regrettait le temps de Vautre où le sabre était 
tout. Il voyait l'empire dans le Deux-Décembre ; il 
disait hautement que Tempire ne marcherait pas, 
tant qu'il ne reviendrait pas au bon temps dee 
Saint- Arnaud, des Espinasse et des Maupas. 

Pour complaire à mes chefs, je ne pouvais pas 
mettre un plus redoutable bouledogue aux trousse? 
de cet homme de lettres. 

Mais en raison de la blancheur immaculée de son 
casier judiciaire, j'ordonnai au capitaine de ne rien 
brusquer, de prendre son temps pour posséder les 
renseignements désirables sur un homme que la loi 
et son passe protégeaient tout autant que sa méri- 
tante initiative. 

Le capitaine agit en cette circonstance en cons- 



200 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

dence. Il loua, près du boulevard Bonne-Nouvelle 
où se tenaient les bureaux du journaliste suspecté, 
un appartement au-dessus du sien ; cette brute se 
fit pnsser pour un officier en retraite. 

Un^ fois installé dans la place, il ne quitta pas 
d'un instant mon homme de lettaes, il s'informa 
auprès de la concierge de la manière de vivre, des 
relations qu'il pouvait avoir au dehors. 

Cotait un écrivain, par conséquent c'était un 
homme de plaisirs, un sacripant, etc., etc., qui 
devait faire du jour la nuit et changer de maîtresses 
comme de chemises. 

Cette opinion bien arrêtée dans cç qui servait de 
cervelle à mon capitaine, il la traduisit en forme de 
questionnaire auprès de la concierge qui ne cessa 
de lui répondre. 

— Mais, monsieur, mon locataire est marié. Il ne 
reçoit pas de femmes I 

— Alors, répondit-il, puisqu'il est marié, si toute- 
fois ces gens-là se marient ! alors, s'il ne reçoit pas 
de femmes chez lui , il en reçoit ailleurs I 

— Mais, monsieur, il se couche tous les soirs à 
huit heures I 

— C'est impossible I exclama mon inspecteur 
poussé à bout. Je vous dis que votre locataire est 
un sacripant ! Il vous paye sans doute pour que vous 
n'en disiez pas du mal ! 

Alors ce fut au tour de la concierge à se fâcher, 
à lui demander de quel droit il la questionnait 
d'une façon aussi inconvenante sur son locataire. 

Ma brute, exaspérée de n'entendre que des éloges 



MÉHOIRBS DE MONSIEUR CLAUDE. 261 

d'un homme qu'elle avait mission de montrer plus 
noir que le diable, perdit la tête , et s'emporta. 

Mon inspecteur dit à la concierge qu'il n'était pas 
plus capitaine que le Grand Turc ; qu'il était chargé 
par la préfecture pour prendre des renseignements 
sur cet homme de lettres qu'on lui avait nignalé 
comme très dangereux. 

La concierge poussa un violent éclat de rire, elle 
s'écria : 

— Mon locataire ?un personnage dangereux I lui 
qui se couche à huit heures ; lui, un distrait, qui 
oublie son chapeau et sa cravate quand il sort en 
visite! Ah 1 non, elle est forte I Alors voilà un scélérat 
qui sait joliment dissimuler. 

— Je vous dis, madame, hurla l'inspecteur, hors 
de lui et en se démasquant de plus en plus, je vous 
dis que cet homme est un enragé... 

— Alors, riposta-t-elle, en se tenant les côtes ; 
alors c'est donc un mouton... enragé ? 

Mon capitaine, très mécontent, prit son chapeau. 
Une reparut plus dans la maison, ni dans les envi- 
rons, où il n'avait pu recueillir aucun sujet de blâme 
sur celui qui lui avait été signalé comme un coquin. 

Quand le capitaine me remit son rapport, il me 
dit, très peu édifié des bons renseignements qu'il 
avait été forcé d'enregistrer : 

— Voilà un lapin qui peut se vanter d'être un fa- 
meux intrigant I Pas moyen de lui trouver un point 
véreux. Mauvaise campagne, c'est à recommencer I 

Pour cet inspecteur à l'esprit obtus, tout homme 
nié était un homme condamné ; et ses supérieurs qui 
in, 15. 



262 MÉUOIBES DE MONSIEUR CLAUDE. 

avaient, à ses yeux, un pouvoir de sultan, étaient 
des êtres prédestinés, ne se trompant jamais. 
. Huit jours après la déposition du rapport sur celui 
qui avait osé, malgré la chambre de Lyon, forcer sa 
freconnaissance, Tborame de lettres était appelé 
à la piéfecture, dans le bureau de M. de La- 
grange. 

Il lui était signifié de faire suspendre, à P-aris, la 
souscription pour Térection du tombeau de Jac- 
quard, la chambre de commerce de Lyon se char- 
geant exclusivement de l'édifier. 

Alors il se passa entre Thomme de lettres et le se- 
crétaire de M. Lagrange une «eène tragi-comique. 

L'homme de lettres, dans ce rapport, était quali- 
fié de sieur ; chaque fois que le qualificatif passait 
sur les lèvres de l'employé, M. X*** l'arrêtait et lui 
disait : 

« — Pardon ! Monsieur? » 

Le secrétaire reprenait jusqu'au nouveau sieur. 

Là, monsieur X*** l'arrêtait encore pour lui répé- 
ter : 

« ^—Pardon! Monsieur? » 

Ce chassé - croisé entre le mot sieur et le mot 
monsieur dura tant et si bien que le secrétaire ne 
put achever la lecture de son rapport. * 

Le fonctionnaire exaspéré autant que l'incriminé 
finit par le menacer. Il lui dit que s'il lui manquait 
plus longtemps de respect, il le ferait empoigner. 

— Parbleu I — exclama l'homme de lettres, — ce 
serait le couronnement de l'édifice ! Après m'avoir 
traqué, filé comme un bandit, il ne vousre^ plus 
4[u'à agir vis^vis de moi comme ont agi jadis ceux 



MÉMOIHES DK MONSIEUR CLAUDE. 263 

qui jetèrent Jacquard à l'eau! Calomnié comme lui, 
vilipendé comme lui, il ne manque plus que de me 
mettre les menottes pour me jeter en prison. Vous 
trouvez vous que je vous manque de respect? je 
trouve que ce sont vos maîtres qui en manquent 
en me qualifiant de sieur ! 

— Mais^ monsieur — se récria le bureaucrate — 
c'est la formule ! ' j 

— Elle est belle, votre formule I — riposta-t-il en 
haussant les épaules, pour un citoyen comme mai, 
qui s'est refusé à porter votre livrée ! De quel droit 
me Tappliquez-vous, votre formule ? Est-ce parce 
que je n*ai eu qu'un but : m'attirer la considéra- 
tion publique, en n'obéissant qu'à ma conscience I 
Est-ce pour cela que je ne suis pas même un sujet, 
moins qu'un citoyen, un sieur ? 

— Mais, monsieur! me laisserez-vous continuer... 
exclama le fonctionnaire, hors de lui. 

— Et Jacquard — continua vivement M. X*** 
sans l'entendre — Jacquard qui consacra son sang, 
son intelligence, son cœur, sa vie à la patrie, était 
sans doute aussi un sieur vis-à-vis de ces beaux mes- 
sieurs qui le faisaient jeter dans le Rhône, qui le fai- 
saient condamner comme escroc, comme vous vou- 
liez, en obéissant aux mêmes rancunes, me faire 
passer, moi, pour un voleur? 

— Miiis monsieur, objecta le secrétaire de plub 
en plus offensé. 

— Il n'y a pas de mais ! s'écria l'homme de let- 
tres. Et si vous n'obéissiez pas à une conspiration 
sourde, je ne serais pas ainsi traité dans votre rap- 
port ; je ne serais pas traîné à la préfecture de 



264 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

police pour m'entendre qualifier d'une façon aussi 
cavalière. 

— Encore une fois — grinça des dents le fonc- 
tionnaire. — Voulez-vous me laisser lire ? 

— Merci, pour entendre vos amabilités, — ter- 
mina rhomme de lettres dont la patience était à 
bout. — 11 n'y a rien de pressé I Après tout suis-]e 
coupable, oui ou non ? 

-— Non 1 tonna le fonctionnaire, devant cet en- 
têté, en repliant son papier. 

— Ëh ! bien, moi, continua Timpitoyable hom- 
me de lettres, je vous dis que si I Oui, je suis coupa- 
ble, de m'être assis à ma table pour rêver art et 
travail, au lieu de ne m'êlre pas assis comme vos 
maîtres à la table de leurs orgies. Oui, je suis 
coupable d'avoir cru que votre gouvernement me 
tiendrait compte de mes eflorts, de mes sacrifices, 
oui, je suis coupable d'avoir donné mon intelli- 
gence, mon argent à la nation, au lieu de les donner 
à votre boutique. 

— Monsieur l plus un mot! exclama le fonction- 
naire outré, et qui s'était levé de son bureau, prêt 
à sonner un garçon. 

— Si, monsieur — riposta l'homme de lettres en 
s avançant vers la porte — je dirai encore un mol ! 
Croyez-le bien , je ne serais pas pour vous un 
sieur^ si autrefois au coup d'Etat j'avais suivi le 
flot des courtisans valets qui m'accablent aujour- 
d'hui I Un sieur ! moi ! moi ! 

Répéta l'homme de lettres descendant quatre à 
quatre l'escalier du bureau de la deuxième division, 
sans attendre d'être reconduit par le secrétaire 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 2(55 

de M. Lagrange. Celui-ci, debout, furieux, exas- 
péré , se demandait déjà s'il (ne devait pas faire 
reconduire par ses gendarmes ce citoyen par trop 
susceptible, par trop fougueux et par trop mal élevé. 

En tous les cas, bien lui en prît, dans Taccès de sa 
colère, d'abandonner le terrain sur lequel ses enne- 
mis l'avaient placé. Un mot de plus, il était coffré. 

Une fois sorti du cabinet du secrétaire de M. La- 
grange, mon homme de lettres qui connaissait, par 
rinconcevable aveu de mon inspecteur, ce que la 
Sûreté avait tenté contre lui, tomba comme un fou 
dans mon bureau. 

Il était tout tremblant de colère par la scène 
qu'il avait eue avec le secrétaire. 

11 pénétra dans mon cabinet comme un ouragan. 
J'essayai de le calmer. Je le connaissais d'après le 
rapport du capitaine ; et je puis dire que je le 
connaissais bien mieux que son fileur. 

Habitué à fréquenter les gens de lettres et les ar- 
tistes, c'est-à-dire les gens les plus fous et les plus 
honnêtes de la terre, je le laissai déblatérer d'a- 
bord contre la police et ses chefs. 

Lorsqu'il me dit qu'il savait qu'il avait été filé 
par un soi-disant capitaine avouant le but qu'il 
poursuivait, je ne fus pas peu stupéfait de l'inquali- 
fiable bêtise de mon inspecteur. 

— Excusez-le, cher monsieur I ripostai -je à 
l'homme de lettres : cet employé est si simple ! 
et il est si mal payé 1 

Mon homme de lettres était aussi sensible aux 
excuses qu'aux outrages. U fut ravi de mon entre- 



26Ù MÉMOIRES DB MONSIEUR CLAUDE. 

vue avec moi qui ne rappelait en rien celle du se- 
crétaire du bureau de la division politique. 

Je savais comme cet écrivain que, hors de V Em- 
pire^ il n*y avait pOrS de salut ; et je me doutais 
bien que mon homme était condamné, depuis qu'il 
avait été désigné à la vindicte publique par lapru- 
d'homie lyonnaise. Pour cette raison je résolus 
de ne le pas perdre de vue. 

Du reste, cet homme était un caractère I 

Et les caractères sous l'Empire devenaient de plus 
en plus rares. Je n'étais pas Caché de connaître com- 
ment on s'y prendrait pour en finir avec ce naïf qui 
ne demandait rien à personne, qui donnait à tout le 
monde son temps, son talent, jusqu'à son mo- 
deste patrimoine, uniquement pour courir là où D 
croyait rencontrer le juste, le vrai et le bien. 

Je ne le perdis plus de vue grâce aux gens que, 
forcément, il agitait autour de lui. 

La seconde aventure qui lui arriva après Finci- 
dent provoqué par la souscription Jacquard, eut 
trait à propos de V exposition des heauœ^arts ap- 
pliqués à V industrie dont il était aussi rinitiatem*. 

Ce fut une nouvelle pensée généreuse qui le per- 
dit. 

Voici dans quelle circonstance ; le baron Taylor, 
• Vami des hommes que j'avais entrevu, il y avait 
bien longtemps , qui à cette époque , eût sacri- 
fié sa famille au profit de ses cinq associations de 
charité, avait consenti à faire obtenir à cet homnie 
de lettres et à SDn président le palais de Plndustrie 
pour y installer leur exposition des arts décoratifs. 

Le baron n'ivait pas offert sa protection pour 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 267 

rien. Au nom de ses pauvres, toute la recette de 
celte exposition lui revenait quand ses charges 
retournaient à la société organisatrice de cette ex- 
position. 

Mais le président trouvé parnotre homme de let- 
tres étail umnalin. 

Aussi ambitieux qu'adroit, il avait un double but: 
évincer Fhomme de lettres qu'il avait choisi pour 
l'aider dans son œuvre , évincer le baron Taylor, 
une fois son but atteint , pour fonder une autre 
société afin d'attirer sur lui les faveurs de l'admi- 
nistration impériale. 

L'homme de lettres qui avait donne un tombeau 
à Jacquard devait être visé' le premier par les pru- 
d'hommes blessés autrefois par lui et représentés par 
son président. 

Pour perdre de nouveau notre homme de lettres, 
on aigrit son caractère ; on le montra aux yeux 
du baron sous les couleurs les plus sombres. 

Le baron, habitué à ne courtiser que la fortune au 
' profit de ses infortunés, s'empressa de lâcher notre 
homme de lettres. 

Un an après, le baron était lâché à son tour par 
tous les prud'hommes. 

La première phalange s'était d'abord tournée con- 
tre l'homme de lettres qui ne pouvait être absous 
de la souscription Jacquard, 

La seconde phalange se tourna contre le baron. 

Ce fut le président trouvé par l'écrivain qui orga- 
nisa cette double campagne. 

Pendant ce temps-là le baron s'endormait sur 
Tâutorisation qui lui donnait le palais de l'Industrie 



2GB HÉMOIAES DE MONSIEUR CLAUDE. 

occupé par ses locataires. Mais ces locataires, ae 
leurs côtés, s'étaieot pourvus ailleurs, une fois ins- 
tallés au palais. 

Ils avaient été trouver le ministre qu'ils avaient 
convié à leurs agapes et ils. lui avaient dit : 

Est-il juste que le baron Taylor ait les bénéfices 
de notre œuvre quand nous en faisons tous les frais? 

Le ministre, pour rendre plus libres, plus forts 
ces maires du palais... de V Industrie^ s'empressa de 
leur signer un acte d'autorisation qui les rendait les 
égaux de leur dur et absorbant protecteur. 

Q^nd le baron voulut rester dans son droit vis-à- 
vis des prud'hommes, ils se refusèrent à souscrire à 
ces conditions léonines. 

— Eh bien, messieurs, leur répondit-il, vous ne 
ferez pas votre exposition. 

— C'est-à-dire, répondirent les malins prud'hom- 
mes, — que nous ferons la nôtre et que nous vous 
défions de faire la vôtre. 

Us lui montrèrent la signature du ministre, le phi- 
lanthrope était joué. Le gentilhomme humanitaire 
était roulé aussi par M. Dimanche ! 

Malgré ces escobarderies, la Société du progrès 
de l'art industriel et son homme de lettres exis- 
taient toujours. I 

Maintenant les prud'hommes étaient forts. Ils 
avaient fondé une nouvelle société ; il était temps [ 
d'en finir avec un écrivain qui avait dit son fait à 
la police. 11 fallait surtout en terminer avec sa so- 
ciété-mère, proclamant l'indépendance du travail, 
le progrès de l'art et toutes sortes d'hérésies et d'a- 
bominations désagréables au capitall 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE, 2G9 

L'administration trouva dans Tancienne société, 
bien ébranlée, un certain comte de la D***, qui n'é- 
tait, sous les apparences du gentilhomme, qu'un 
allumeur de la rue de Jérusalem !... 

Tl s'offrit à perdre l'écrivain qui n'avait amassé 
tant de rancunes que parce que, à force d'avoir 
raison contre tout le monde, tout le monde n'était 
pas fâché de lui donner tort. 

Cet allumeur commença par exalter bien haut 
l'homme de lettres qui n'avait écouté que les cris 
de sa conscience indignée pour soutenir les droits de 
sa société spoliée. Le comte de la D***, Son nouveau 
président, découvert comme le premier par l'homfne 
de lettres, fit perdre au baron, dépossédé déjà de 
3on exposition, les bénéfices qu'il en avait obtenus 
autrefois. 

Contre son habitude le baron quêteur fut obligé 
de rendre C argent à une société rivale de ses asso- 
ciations. Il perdit son procès par la faute d'un 
premier président qui n'avait cessé de le jouer avant 
de l'abandonner. 

L'allumeur profita de sa victoire pour parvenir 
au but de sa mission policière. 

Après avoir conquis les suffrages des survivants, 
restés fidèles à l'homme de lettres, l'allumeur eut 
l'art d'attribuer à sa victime toutes les aventures 
fâcheuses de la société. 

u C'était, disait-il tout bas, la faute de son mau- 
vais caractère, si violent, si personnel I Puis n'a- 
vait-il pas toujours contre lui la souscription Jac- 
quard? » 



270 MÉMOIRKS DE MONSIEUR CLAUDE. 

Au fond, il n'était pas prouvé que la chambre 
de commerce de Lyon eût tout à. fait tort ! 

Conserver un pareil homme dans la société, c'é- 
tait un danger ! 

On le savait mal noté pour ses opinions subver- 
sives. C'était parce qu'il n'avait voulu faire aucune 
concession à ses principes subversifs que la société 
du progrès de fart industriel avait été abandon- 
née de tous les gens éminents qui l'avaient traver- 
sée! etc., etc. 

De nouveau , les plaintes à la Basile arrivèrent 
contre mon homme de lettres à mon bureau. 

Comme elles n'étaient basées que sur des faits 
connus, elles restèrent sans effets. 

Ces calomnies parvinrent cependant aux oreilles 
de l'écrivain qui, cette fois, était las de faire et de 
défaire des présidents qui étaient pour lui autant 
d'épées de Damoclès 1 

Gomme la calomnie avait fini par l'entamer jus- 
que dans le camp de ceux qu'il avait défendus, il 
ne se posséda plus de rage. 

Un jour, il pénétra dans la salle de l'Hôtel de 
Ville au moment où Tallumeur- président vantait 
bien haut les droits de la société, au détriment de 
son fondateur. 

L'homme de lettres à bout de courage dépensé 
en pure perte, déclara la société dissoute. Il en 
chassa les membres ; il éteignit les quinquets de la 
salle des conférences, en s écriant : 

— Décidément vous êtes trop bêtes I 

Mais la société ne fu^, pas dissoute. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR- CLAtJBE. 271 

Seulement, le gentilhomme de la police, l'allu- 
meur-tartnfe, fut heureux du scandale provoqué 
par celui qui Pavait mis à même de tirer sur lui. 
Tartufe le força de sortir de sa maison I 

Cette punition fut sa récompense. 

L'allumeur avait débarrassé la prud'homie im- 
périaliste de son gêneur, c'était bien. 

Maintenant il exigeait un salaire en rapport du 
service rendu. 

La police ne pouvant le payer, ce fut la société 
dont il était le président qui le paya. 

D'après son droit , la société dépossédée eut 
aussi son exposition au Palais dont le baron 
Taylor n'ouvrait pas plus les portes pour elle que 
pour l'autre association. 

Cette revanche, l'allumeur la fit payer cher à 
la société, un instant galvanisée par lui. 

L'allumeur et son conseil sauvèrent la caisse. 

Les membres de la société du progrès indus- 
triel furent solidaires des dettes laissées par son 
récent vengeur 1 

L'association, cette fois, fut dissoute et ruinée, 
pour laisser la place à la société rivale sortie de son 
sein : ï Union centrale des beaux-arts appliqués à 
V industrie, » 

L'allumeur avait enfin atteint le but désiré. 

Il avait fait disparaître à jamais le fondateur des 
expositions d'art industriel . 

Tout cela s'était produit par la faute d'un homme 
de lettres qui avait eu la pensée de donner un tom- 
beau à Jacquard ! 



La dL^penioa de cette société par la police, après 
la disparitioD de son fondatear, csl. en terme de 
métier, ce que nous appelons : 

Le coup du lapin t 



CHAPITRE XVII 



LA FIN d'un Sénateur 



Un jour, en 1866, je vis entrer chez moî, au mo- 
ment où je m'apprêtais à me rendre à mon bureau,, 
le valet de chambre de mon ancien protecteur, le 
sénateur de L***. 

Ce domestique de confiance n'avait pas quitté 
M. de L*** depuis trente ans. Il avait un profond 
attachement pour son maître ; et moi qui avais au- 
trefois vécu dans Tintimité de ce vieux garçon, j'a- 
vais pu apprécier jusqu'à quel point ce serviteur lui 
était attaché. 

Lorsque je le revis, les traits bouleversés, la pâ- 
leur au visage, les yeux rougis par les veilles et 
par les larmes, je devinai qu'un grand malheur 
venait de frapper mon ancien protecteur. 

Je ne me trompai pas. 

Ce valet m'apprit que M. deL*** était f-appé par 
une seconde attaque de paralysie ; que le côté 



274 MÉMOir.i:» de mo.nsieur Claude. 

droit avait été atteint par cette attaque, et que le 
ïjj< îi*cia prévoyait une rechute pouvant être mor- 
telle. 

— Mon pauvre maître, ajouta ce fidèle serviteur, 
ne s'illusionne pas sur son état 1 Cependant, mon- 
sieur a tout fait, acheva-t-il, pour se laisser envahir 

)ar la maladie, malgré nos conseils. 

Je priai vivement ce domestique, guidé par ma 
profonde amitié pour son maître, de s'expliquer 
sur-le-champ. 

Il m'apprit que mon sénateur, quoique touchant 
à la vieillesse, n'avait pas renoncé à sa vie de 
galanteries. 

Il m'avoua que, depuis un an qu'il avait eu un 
premier accès de paralysie, loin de régler son exis- 
tence trop compromise, il n'avait cessé d'obéir à 
ses surexcitations séniles. 

Il me dit que, forcé de rester à son hôtel, de ne 
plus courir comme autrefois les boudoirs et les 
ruelles, son maître s'était fait accaparer par une 
servante, une femme qui, tout en le trompant, avec 
son amant, un sergent de la garde, caressait toutes 
ses passions pour l'achever depuis qu'elle savait 
qu'elle était couchée sur son testament. 

— Et, terminait ce serviteur, ce qui arrive à mon 
pauvre maître est d'autant plus malheureux, qu'il 
sak comme nous que cette femme est une gueuse ! 
Cependant, il est tellement ensorcelé par elle, qu'il 
ne lui est plus permis d'écha >per à son pouvoir, 
ni au pouvoir de ses complices qu'elle a amenés 
chez, lui pour le piller à l'heure de sa mort ! 

— Je comprends, m'écriai-je, prêt à suivre ce 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 275 

serviteur, M. de L*** succombe comme il a vécu,, 
parles femmes. 

— Cependant, reprit le valet de chambre qui avait 
tant de respect pour son maître qu'il ja*aimait pas 
entendre dire par d'autres tout le mal qu'il en pen- 
sait, mon maître n'est pas encore assez fasciné par 
cette misérable créature pour ne s'être pas souvenu 
die son plus vieil ami. Les mourants ont une double 
vue. Sans doute, Monsieur, qui est tout-puissant à 
la préfecture, débarrassera mon maître de cette 
harpie, de ce vampire dont il n'a plus la force 
de se débarrasser lui-mênae. C'est dans cette inten- 
tion, je crois, que mon maiLie envoie chercher 
Monsieur. 

— C'est bien, lui répondis-je en prenant mon 
chapeau, je vous suis. 

Excité par cette malheureuse nouvelle, par le 
danger que courait ce mourant, mon meilleur ami, 
je m'élançai vers la porte pour aller au Cours-la- 
Reine qu'habitait le sénateur de L***. 

En pénétrant dans l'hôtel du sénateur, je fus té- 
mioin du désordre scandaleux qui y régnait. 

A part le domestique de confiance, dont cette ser- 
vante maîtresse n'avait pu se débarrasser, je dé^ 
couvris dans le personnel de la maison des figures 
nouvelles qui ne rappelaient plus celles que je con* 
naissais autrefois. 

C'étaient des tètes de sacripants et de bandits, ne 
se donnant pas la peine de feindre la douleur, mal- 
gré le malheur qui frappait un moribond. 

Lorsque je fus introduit dans le vestibule par le 
valet de chambre, j'aperçus des laquais en manche 



276 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

de chemise, fumant sans façon, fredonnant des airs 
d^opérette. 

A peine s'ils sortirent leur pipe de leur bouche, 
s'ils s'arrêtèrent dans leurs chants, à ma vue et à 
celle du valet de chambre qui leur lança des re- 
gards de courroux. 

Après m'avoir conduit avec discrétion, en amor- 
tissant le bruit de ses pas, jusqu'à l'antichambre de 
l'appartement du sénateur, mon guide m'intro- 
duisit. 

Mon indignation égala la sienne lorsque j'aper- 
çus dans un salon attenant à la chambre à coucber, 
une femme, jeune encore, aux traits effrontés. Elle 
était assise en face d'une tasse de café, occupée à 
tourner tranquillement sa cuiller dans son moka 
qu'elle s'apprêtait à savourer avec béatitude. 

C'était la servante maîtresse de M. de L***. 

A ma vue, cette femme, à la figure bohémienne, 
aux yeux noirs, aux formes puissantes, admirable- 
ment découplées, daigna s'arrêter dans son agréable 
occupation. 

Comme elle savait tout ce qui pouvait intéresser 
son maître, comme elle avait lu dans mon regard 
mon indignation, comme elle n'ignorait pas, dès 
que j'étais accompagné par le vieux serviteur, que 
je ne devais guère bénir sa présence, elle me fil 
un grand salut. Elle prit un air paterne en rou- 
lant des yeux qui cherchaient des larmes absen- 
tes. Elle me demanda, eh regardant le valet de 
chambre haussant les épaules de pitié : 

— Monsieur Claude, n'est-ce pas ? L'ami que 
notre pauvre mcîlre attend! Ah! qu'il serahcureux, 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 277 

le cher homme, de vous voir I II a bien demandé 
après vous. J*en sais quelque chose, moi qui le 
veille jour et nuit ! moi qui serais déjà morte à la 
peine sans ce café qui me soutient et qui double 
mes forces consacrées à ce bon maître ! Dire que 
ce*"brave homme va mourir, quand tant d'autres 
qui ne le valent pas, sont si bien portants, enfin ! 

Et eette espèce de gîtana, en prononçant cette 
litanie, regardait avec défi mon valet de cbambre. 

Mais celui-ci, qui la méprisait, ne Fentendait 
plus. 

Il m'entraîna dans la cham];>re à coucher du mal- 
heureux de L***. 

Après m'avoir introduit, il referma la porte du 
dehors, probablement pour que la servante mai- 
tresse ne pût, devant lui, coller l'oreille contre le 
panneau pour écouter et entendre notre conversa- 
tion. 

Je m'approchai du chevet du mourant. 

Devant" ce paralytique, dont- les derniers souffles 
de vie s'accusaient à peine sur ses lèvres décolo- 
rées, en présence de ce moribond, au visage violacée 
amaigri, aux yeux atones, un monde de pensées 
remplit mon âme. attristée. 

Je me rappelai avec amertume cet homme si bril- 
lant d'autrefois, au caractère insouciant et scepti- 
que, pour qui la vie n'avait eu qu'un but, le plaisir^ 
et qui succombait pour l'avoir cherché encore à 
l'âge où le plaisir nous fuit I 

Je contemplai avec amertume ce don Juan qui, 
pour ne pas vieillir, avait demandé à la mort la fa- 
ux, iô 



278 MÉMOIRES BE MONSIEUR CLAUDE. 

veur d'abréger ses derniers moments, dès-qu>*îine 
pouvait plus les consacrer à la volupté. 

Je contemplai avec commisération cette victime [ 
de l'amour qui trouvait la mort dans ce qui est, pour 
le commun des êtres , la source de la vie ! Je 
plaignais cet homme qui, pour rester jeune, mal* 
gré sa vieillesse, s'était révolté contre les lois de la 
nature et qui cherchait le trépas dans Tamourl 

Tout aux paroles que m'avait dites son serviteur, 
tout au désordre navrant qui avait frappé mes re- 
gards avant de pénétrer chez le moribond, je lui 
dis : 

— Je devine, monsie\ir de L***, le pénible devoir 
qui vous force à recourir à ma profession, vous sa- 
vez si je vous suis dévoué. Le mal qui vous frappe, 
qui me frappe presque autant que vous, parce que 
je vous aime, m'ordonne de vous obéir. Si vos lor- 
^es vous permettent d'éclairer la justice pour punir 
ceux qui abusent lâchement de votre état, parlez, 
vous verrez que vous n'êtes pas tout à fait aban- 
donné. 

A ces paroles, qui, pour M. de L***, étaient une 
véritable énigme, il ouvrit de grands yeux dont la 
fixité m'effraya. 

Il fit de sa main libre un geste négatif comme 
pour me faire entendre qu'il ne me comprenait as. 

Aussi étonné que lui, je lui parlai de la leinine 
que j'avais rencontrée dans le salon, du dt's»>nir0 
qui régnait dans sa maison, par Tascendanl nei >te 
sans doute, d'une créaluïe faisant pe.-er sur u- un 
pouvoir troublant ses derniers momc;nts et iii^uxé- 
tant ses amis. 



MÉMOIRES BE M0NS£P:UR CLAULE. 271^ 

Lorsque j'eus aciievé, le . moribond dessina sur 
ses lèvres décolorées un triste et dédaigneux sourire ; 
il agita de nouveau la main comme pour me dire : 

~ Non, ce n'est, pas pour cela que je vo*is ai fait 
venir. 

Puis, après un violent ewDrr, il se mit sur son 
séant, il fit sortir de sa poitrine oppressée des pa- 
roles que je dérorais et que j'entendais à peine, en 
sortant de sa gorge embarrassée et râlante. 

— 'Mon ami, me dit-il, les sentiments que vous 
m'exprimez me prouvent l'attachement que vous 
avez pour moi. Ce n'est pas au moment où jo 
vais mourir, que je veux que vous vous arrêtiez à 
des propos de domestiques. Un motif plus grave, 
plus sérieux m'a forcé de vous quérir. 

Il s'arrêta, comme essoufflé par les efforts qu'il 
venait de faire pour me dissuader. 

Je me tus, car je devinais que le vieux serviteur 
avait eu raison ; M. de L*** ne voulait pas qu'un lui 
parlât de la femme qui le faisait mourir. 

Je m'assis avec une sollicitude mêlée de pitié* à 
son chevet pour recueillir, sans faire d'observation, 
ce qu'il pourrait avoir à me communiquer, 
j Enfin, après de nouveaux efforts pour rassembler 
toutes ses forces, il continua : 

— Mon ami, je vais mourir I Et je n'aurais qu'un 
regret en mourant, ce serait de ne pas finir comme 
j'ai commencé, de ne pas consacrer ma dernière 
heure à ce que j'ai le plus aimé au monde : La 
femme ! 

Il s'arrêta pour reprendre de nouvelles forces. 



280 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Je le priais de bien prendre son temps ; j'attendis 
qu'il se remit. 
Enfin il dit : 

— Le seul regret que j'éprouve en mourant, mon 
ami» c'est de quitter un prince, un homme de plaisir 
comme moi, presque aussi malade que je le suis, 
en un mot : mon empereur! Je sais que le jour est 
proche où l'empereur qui tient encore la France 
dans ses mains, la laissera échapper. Ce sera là 
faute des hommes nouveaux qu'il groupe autour de 
.lui, dès que la mort a fauché ceux qui ont fait exi- 
ler les pères de ces hommes dont l'empereur est 
obligé de devenir l'allié I 

Ces mots m'étonnèrent dans la bouche d'un per- 
sonnage que j'avais considéré comme très frivole; 
je me reculai, frappé de surprise et de stupeur. 

Gomment? C'était ce personnage, réputé par tous 
pour un égoïste, absorbé par l'amour des sens, qui, 
à l'heure de la mort, ne songeait qu'à celui qui, 
jusque dans ses plus heureux jours, ne lui était 
apparu que pour les troubler. 

Malgré le voile que le trépas étendait sur ses 
yeux affaiblis, il remarqua mon étonnement. 

Il me sourit tristement et me dit : 

— Je vous surprends; souvenez- vous donc de 
1848? 

— C'est vrai, lui dis-je en courbant la tète. Puis 
me ravisant et reprenant la parole pour ne pas 
épuiser les forces du mourant, je m'écriai : Mais 
votre fidélité à l'empereur vous donne trop d'om- 
brage. Dans l'état où vous êtes... 

— Dans l'état où je suis, m'interrompit-il, on voit 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 281 

ce que le commuQ des hommes ne voit pas. La 
mort est clairvoyante. C'est un moribond qui vous 
fait cette prophétie : L'empereur, sorti de la démo- 
cratie, périra par la démocratie ! 

Ne voulant pas discuter en ce moment avec un 
malade qui n'était presque plus de ce monde, dont le 
dévouement! hélas! n'était plus de notre temps, je 
l'arrêtai, et répliquai : 

— Que voulez-vous, mon ami, l'empereur a pu, 
un jour, remonter le courant du progrès ! Mainte- 
nant, il faut qu'il le suive ! 

— Ah I oui, ricana le moribond avec des yeux 
brillants dont l'éclat était emprunté à la flamme 
qu'il entretenaitjusqu'à son dernier soupir pour le 
prince, son idole, Ah ! oui, le progrès, parlons-en ! 
Mon père qui, au commencement de ce siècle, sui- 
vait les armées de Napoléon P', lorsque les Français 
occupaient Rome, a vu de près, comme moi, le pro- 
grès I Vous croyez faire merveille quand vous re- 
commencez ce que faisaient vos pères jusque dans 
leurs sottises. Quand vous voulez donner aux 
autres ce qui peut être fort bon pour vous, mais, 
qui n'est ni. dans le goût, ni dans le tempérament 
de vos voisins. Tenez, au commencement de ce 
siècle, lorsque les Français occupaient Rome, ils 
crurent faire merveille en arrosant les places pu- 
bliques. Aussitôt on vit surgir, comme par enchan- 
tement, une foule d'animaux au milieu desquels 
se prélassait le scorpion î On jeta des hauts cris. Il 
y avait de quoi. Les Français, un peu confus, ces- 
sèrent l'arrosement. Le progrès qu'ils voulaient in- 
troduire à Rome, n'était qu'un fléau de plus 1 Eh 

m. 10. 



282 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDi:. 

I»ien, mon prince qui, pourtant, a été à Rome, ne se ! 
méfie pas assez du scorpion !.. Le passé, pourtanl. 
devrait lui servir de leçon I... 

Cet effort d'esprit pour combattre, par lepi- 
gramme mes idées, avait fatigué horriblement le 
paralytique. 

Il fut obligé de s'arrêter, la voix brisée, hale- 
tante. 

Alors il fei-ma les^yenx en laissant retomber sa 
tête alanguie et amaigrie sur Foreiller. 

Je me précipitai vers lui, je lui pris la main. Je 
lui dis, en cherchant à le ranimer : 

— Ne pariez plus, ou dites-moi en deux mots ce 
que vous exigez de moi. 

— Un serment ! 

— Lequel? 

— Jurez-moi, vous que j'ai attaché forcément à 
la fortune de l'empereur, de ne pas l'abandonner 
dans ses jours d'infortune. 

— Je vous le jure. 

— Merci, vous êtes un homiête homme*; je sais 
que vous tiendrez votre serment ; je sais que vous 
«l'imiterez pas mes collègues qui ont tous juré de 
^servir l'empire et qui Tabandouneront, dès quil 
jae pourra plus les gorger d*or ni ^e .place... 
Merci, mon ami ; maintenant, laissez-moi mourir, 
adieu !... 

Et M. de L*** ferma les yeux, sa tète retomba 
g»r roreilier,/l resta dans une^immobilité qui m'in- 
quiéta . 

J'allais vers loi, je me penchais sur son Ut; car 



MÉMOihES DE MONSIEUR CLAUDE. 285 

s'il avait tout dit, moi je n'avais pas parlé dans 
rintérêt de sa vie en danger. 

Durant cinq minutesde silence, je lui pris les 
mains en cherchant à galvaniser ce corps décharné, 
en le disputant pour ainsi dire à la mort. 

Monsieur de L*** r'ouvrit les yeux. 

Il me regarda avec égarement comme un homme 
qui sort d'un rêve et qui ne se rappelle plus ce qui 
s'était passé un instant auparavant. 

Puis, me reconnaissant, il me sourit tristement ; 
il me serra la main; il me regarda d'un air étrange 
qui semblait me dire : 

« — Que me voulez-vous, maintenant que j'ai 
obtenu de vous ce que je désirais ?.)> 

Je lus dans sa pensée. Et devinant qu'il était trop 
faible pour l'exprimer, Je pris la parole et j'osai 
m'écrier : 

— Mais n'aviez-vous.pasà me parler aussi delà 
femme... que J'ai vue, là... tout à l'heure... dans le 
salon... 

— Mon ami, me répondit-il en me serrant une 
dernière fois la main, et les lèvres contractées d'une 
façon nerveuse qui accusait le mal que je lui cau- 
sais. — Mon ami, ne vous ai-je pas dit que je vou- 
lais finir comme j'avais commencé ? Que vous 
importe cette femme ! Elle est ce que valent toutes 
les femmes quand elles ne sont pas dupes de leurs 
sens 1 Je paye cette maîtresse, comn e les autres, 
plus chère que les autres peut-être parce que je lui 
devrai ma dernière heure de bonheur... Adieu ! 

Et le moribond laissa retomber sa tête sur l'oreil- 
ler. 



284 MÉMOIRES DIS MONSIEUR CLAUDE. 

IL ne me paria plus , couché sur son lit comme un 
cadavre. 

Je le quittai, péniblement affecté de cette réponse; 
et parce que celte réponse, je Tavais provoquée ma- 
ladroitement. 

Je n'avais pas refermé la porte de la chambre à 
coucher que je revis le vieux serviteur, resté en sen- 
tinelle. 

Il me demanda à voix basse : 

— Et bien? 

— Il ne veut rien entendre ! lui répondis-je. 

— Ah ! je m'en doutais ! — soupira-t-il, cette 
femme l'a ensorcellée I Mon pauvre maître ! jus- 
qu'à la dernière heure, il sera incorrigible ! oh ! 
cette femme le tuera I 

A peine avait-il murmuré ces mots que la servante 
maîtresse qui avait quitté le salon pour nous écou- 
ter par un corridor secret, derrière l'alcôve, repa- 
rut aussi menaçante; qu'elle m'était apparue, hum- 
ble d'abord. 

Certaine d'avoir en face d'elle un adversaire, et 
un adversaire vaincu par son pouvoir iirrésistible 
sur son vieillard, elle me toisa des pieds à la tète. 

Je m'arrêtai devant cette virago. Je la dévisageai, 
les yeux dans les yeux. L'effrontée messaline ne 
baissa pas les siens. 

Outré, exaspéré, j'allais l'interpeller comme le 
méritait cette intrigante qui prenait trop vis-à-vis 
de moi, son rôle au sérieux, mais j'aperçus encore 
derrière elle le vieux serviteur. 

Il me fît des gestes pour me supplier de ne pas 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 285 

faire de scandale dans une pièce si voisine de celle 
du moribond. 

Les supplications muettes du serviteur me rappe- 
lèrent à la raison, et à la convenance. 

Je sortis de Thôtei, en laissant derrière moi le 
désordre que j'avais signalé en entrant, désordre 
impie , sacrilège qui sentait Torgie , au rez- 
de-chaussée, quand la mort régnait au premier 
étage. 
■ Celui qui se mourait le voulait ainsi ! 

Ce sénateur qui s'éteignait, vaincu par la débau- 
che, regrettant de ne pouvoir plus vivre pour re- 
commencer la même existence, n'était-il pas l'image 
du régime qui succombait avec lui ? N'était-il pas 
l'image du maître qui se mourait aussi, de la même 
façon, dont la fin devait être bien plus lamentable 
quoique aussi dégradante!? 

J'appris huit jours après la mort du sénateur 

Sa mort ne fut pas celle que racontèrent les jour- 
naux de l'époque. 

Il finit en digne petits-fils de Barras, en digne 
adepte du Directoire. 

Sa fin eût pu figurer dans les chroniques de la 
régence. 

Elle me fut racontée par le vieux serviteur de M. 
de L***. 

Le jour qui précéda son trépas, sa maîtresse était 
à son chevet. 

Gomme tous les gens à la veille de mourir, jamais 
il ne s'était senti si bien. M. de L***, malgré les 
représentations vraies ou fausses de sa maîtresse, 



286 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

voulut lui donner de nouveaux gages de sa passion 
sénile. 

La bonne résista, non par affection pour son maî- 
tre qu'elle avait tué par les excès, mais parce qu'elle 
redoutait la jalousie de son amant, un serger.t de la 
garde. 

Celui-ci ne quittait plus le salon, depuis que la 
servante soignait son maître dans sa chambre à 
coucher. Il trouvait que le sénateur ne mourait pas 
assez vite depuis qu'il savait la part qui revenait à 
sa maîtresse dans le testament du sénateur. 

Aussi cupide que jaloux, il rugissait comme un 
lion en courroux, chaque fois que, de la pièce voi- 
sine, il entendait le vieux céladon prier ou com- 
mander sa maîtresse pour qu'elle accédât à ses 
désirs. 

Un jour, le jour de la mort du sénateur, le ser- 
gent était dans le salon. 11 n'y tint plus en enten- 
dant sa maîtresse, crier et se débattre entre les fai- 
bles étreintes du satrape moribond. 

Le sergent ouvrit la porte. 

^n spectacle étrange, -hideux, qui ne fit que 
l'irriter outre mesure, s'offrit aux yeux du jaloux. 

M. de L***, qui ne pouvait marcher, se traînait à 
genoux hors de son lit, à quatre pattes, pour sup- 
plier la belle, à demi nue, de répondre à sa pas- 
sion. 

A la vue du moribond, le sergent, excité par 
la jalousie, et par les désirs que réveillaient les 
charmes de la maîtrese , n'hésita pas une se- 
conde. 

11 priMe vieillard par le bras, le souleva comme 



mî'::joires de monsieur claude. 287 

une plume , le rejeta violemment dans un pla- 
card ouvert devant lui. 

Après l'avoir refermé sur le vieillard qui n'eut 
pas la force de jeter un cri, il s'élança vers sa maî- 
tresse, il Tembrassa avec transport I 

Pour rendre plus cruelle la situation de son rival 
refoulé au fond d'un placard, il ne se gêna pas pour 
provoquer dans les bras de son amante, ses amou- 
reux soupirs, arrachés au plaisir qu'elle éprouvait 
avec ce remplaçant. 

Lorsque les amants eurent épuisé toutes les délices 
de leur ignoble vengeance, ils""pen8èrent au supplicié 
abandonné dans une armoire. 

Lorsqu'ils le sortirent de sa prison, il était trop 
tard, il était mort étouffé par la rage et asphyxié 
dans ce cabinet san& air. 

M. de L*** n'était plus qu'un cadavre l 

Ainsi finit un sénateur de l'Empire, dans un pla 
cardi 

Le couronnement de l'existence amoureuse de 
M. de L'** n'est-il pas en miniature le pendant de la 
fin non moins funeste de son maître ? 

Après avoir été dévoré aussi par un mal de liber- 
tin, l'empereur n'abandonna-t-il pas le trône comme 
son serviteur avait quitté la vie , par un chemis 
aussi dégradant? 

Après tout, le chemin deCythère ne pouvait con- 
duire... qu'à Sedan. 



CHAPITRE XVIII 



LES DEUX CHEFS DE LA SÛRETÉ 



En 1867, Tannée de l'exposition, de l'entrevue 
des deux empereurs et du roi de Prusse, le soleil 
d'Austerlitz brillait pour la dernière fois au ciel du 
second empire. 

Napoléon III, convoquant l'Europe à ses fêtes, 
était réveillé dans sa gloire théâtrale par le spectre 
de Maximilien. 

Les Prussiens s'en retournaient dans leur pays, le 
cœur rongé d'envie. 

L'Europe, vierge et barbare, n'emportait de ses 
fêtes qu'un pénible sentiment inspiré par les orgies 
du nouvel Empire. 

Un jour, je me promenais dans les galeries cylin- 
driques du palais de l'exposition, en quête de nom- 
breux picks-pockets, descendant pacifiquement de 
Londres, à la conquête de toutes les poches. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 289 

Après avoir franchi les nombreux et splendides 
cafés de toutes les nations, tenus par les hétaïres 
échevelées des cinq parties du monde, j*étais arrivé 
à une espèce de hangar. 

Son aspect sévère, presque misérable, jurait avec 
les merveilles de luxe et les chefs-d*œuvre de Tart 
que je venais de comparer de rond en rond. 

J'étais dans le comoartiment réservé à l'industrie 
allemande. 

Là, il n'y avait rien qu'une gigantesque cou- 
leuvre en bronze, étendue le long d'une planche et 
luisant au soleil. 

C'était le canon Krupp. 

Je ne sais comment, ce grand canon gisant à 
terre, qui m'ouvrait sa gueule comme une menace, 
me rappela le sénateur de L***, que j'avais vu, un 
an auparavant, étendu sur son lit, presque à l'état 
de cadavre. 

Alors je me rappelai les prophétiques paroles de 
mon ancien protecteur, désespérant de son empe- 
reur et de l'empire, et me les montrant menacés 
par les foudres de la démocratie et les foudres de 
l'étranger. 

Je ne sais pourquoi, j'eus peur. 

11 me seihblait que cet engin de guerre, aux pro- 
portions phénoménales, dans le temple de la Paix, 
était là comme le Mané, Thecel, P^aré^, annonçant 
à notre nouveau Balthasar sa punition et sa mort I 

La solitude qui m'entourait devant cette cou- 
leuvre de bronze, à la teinte sévère et verdâtre, 
n'avait rien qui pût m'arracher de ma sombre rê- 
verie. 

m. 17 



290 MâlI0iB£6 DE KœïmEUR GIAUBE. 

A i^ioe ^'U y Avait là quelgues .boas Parkiens, 
ayant le mot pour rire. Ils traitaient le canon 
Kru{^, doat n'avait pafi voulu notre armée, de mir- 
liton d'un autre âge. Ils riaient d'un canon qui se 
chargeait par Ja cuiAfise, ils prétendaient que ce 
n'était qu'un grand joujou de Nuremberg que le 
bon roi Quiiiamne envoyait pour «es étrennes à 
son char petitHcou&in. 

Us riaient, moi je ne riais pas. 

Je me jap^pelai, de plu^ en plna, mon ^entretien 
avec le sénateur de L***. 

Pendant que ces badauds se moquaient de ce 
mirliton de cuivre, j'aperoevais dans un coin du 
hangar deux Allemands , droits comme des halle- 
bardes et à la figure de reître. Ile riaient aussi eux, 
mais en ouvrant une bouche pantagruélique qui 
ressemblait, dans leur épanouissement formidable^ 
à la gueule du canon Krupp I 

Pris de vertige , en proie À un preeaentiment 
indérmissable, comme si un nouveau Dasniel m'eût 
annoncé, en lettres de feu, la fin de eette splendeur 
asiatique, je m'apprêtai à sortir de oe .hangar. Je 
voulus fuir cette menaçante couleuvre , encore 
inerte, qui faisait tant rire les bons Parisiens, et qui 
me faisait sipeui' I 

Knq.uittant.ee hangar, u uc tache dans œ cara^ 
vansérail de toutes les industries du .monde, j^ 
heurtai un monsieur. 

Ge monsieur m'Avait observé pendant que j'étais 
plongé dans mes iriistes pensées. 

Après m'avoir coudoyé avec intent'on, comn^e je 
rappris dès ses premiers mots d'entret^ea ûvec moi^ 



MÉÏÏOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 291 

je me mis à étudier mon personnage au moment 
où il me parlait. 

C'était un.;grand diable, à la figure de bélier, à la 
bârb£ rousse, aux larges épaules et aux longues 
jambes. 

Tout dans ses allures, plus raîdes que guindées^ 
tout dans sa physionoanie placide, jnais très ôae, 
djccusait un Jsabltant de. la Grande-Bretagne. 

— Monsieur, me dit-il, eKousez-moi de m'étre 
mis sur votre passage. Je n'avais que ce moyen 
pour vous aborder, quand j'ai tant besoin, comme 
étranger, de votre appui, de vos conseils et de 
votre concours. Vous m'eis^cuserez, j'en suis certain, 
quand vous saurez .que j*ai à peu près la même 
profession que vous. Je suis, ici, dans un pays étran- 
ger, pour essayer de l'exercer comme vous l'exer- 
cez si bien dans votre patrie. Je me nomme Clars- 
covich, attaché au chef supérieur de la police 
anglaise, je viens de Londres à sa place, en ma 
qualité de chef de la police anglaise, afin d'arrê- 
ter les nombreux picks-pockets qui infestent votre 
Exposition. Si vous doutez de ma qualité, voici 
ma carte. 

Et le.grand Anglais m'allongea de sa large main, 
aux doigts longs et osseux, un carton non moins 
démesuré, sur lequel je lus, en grosses lettres, son 
nom et et sa qualité. 

A demi vaincu par cette, conversation entamée 
avec un collègue, d'une façon peut-être un peu 
trop britannique, très intrigué de savoir comment 
îl avait pu me connaître moi, qui ne le connaissais 
pas, je lui demandai, en lui rendant sa carte : 



20i MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

— Veuillez, monsieur, me dire ce que je puis 
faire pour vous êtes agréable, après m'avoir dit 
toutefois comment vous me connaissez ? 

— Oh ! yes, très bien ! me répondit l'Anglais. A 
Londres, à Scolland-Yard, nous ne possédons pi' 
que la photographie des grands voleurs, nous pos- 
sédons les portraits des plus célèbres policier. 
C'est vous dire, monsieur, que vos traits sont par- 
ticulièrement gravés dans notre mémoire. 

— Parfait, répliquai-je à l'Anglais d'un ton ans 
aimable que lui, dès qu'il me flattait, parfait, e; 
que désirez- vous de moi ? 

— Un échange de services que vous ne pouiez 
refuser à un collègue, me faire connaître vos ban- 
dits qui peuvent inquiéter nos nationaux, pendan. 
que de mon côté, je vous signalerai les nôtres qui 
ne s'attaquent que trop à vos Français. 

Dans la situation nouvelle où je me trouvais, la 
rencontre de ce M . Glarscovich était pour moi une 
Providence. 

N'avais-je pas reçu du parquet de nombreuses! 
plaintes de visiteurs de l'Exposition qui avaient 
dénoncé au procureur impérial de nombreux voi 
dont ils avaient été victimes par les picks-pocke:- 
les plus audacieux? 

Entre autres tours de ces indignes insulaires, oc 
venait de me signaler celui d'un bandit qui, d'accori 
avec sa belle Anglaise, était parvenu à soustrain 
un portefeuille contenant des billets de banque 
pour la valeur de dix mille francs . 

J'avais apprispar les explications d'une des victimcj 
de l'Exposition que, venue de la province pourvi- 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 293 

siter le palais, cette dupe avait été tellement char- 
mée par le personnel féminin de ses cafés, qu'elle 
s'était contentée de. s'arrêter à sa première et at- 
trayante limite ! 

A peine avait-elle élu domicile dans une taverne 
anglaise, captivée par ses sirènes, qu'elle n'avait 
pas tardé à être dévâtlisée par un bandit dans un 
repas copieux qui, après la fermeture du palais, 
avait dégénéré pour elle en orgie au détriment de 
ses dix mille francs. 

J'étais donc accouru au palais pour me mettre à 
la recherche du portefeuille de celle victime. 

Avant de me rendre à la région étrangère où 
s'était passé ce vol récent, je m'étais égaré dans 
le hangar allemand, moins pour admirer le canoa 
Krupp que pour me consulter, avant d'opérer une 
nouvelle campagne contre des picks-pockets^ l'élite 
de tous les voleurs du monde. 

Je le répète, dans la mission difficile qui m'était 
imposée, la rencontre d'un chef de la police an- 
glaise devenait pour moi une bonne fortune. 

Je bénissais de nouveau mon étoile qui m'avait 
conduit à*la section allemande pour rencontrer 
^ette seconde Providence dans la personne de 
M. Glarscovich. 

Entre collègues, on est confiant. Je ne tardai 
pas à lui avouer le but qui m'avait amené à l'Expo- 
sition, but aussi intéressé que sa rencontre. 

Mon collègue, pour mieux cimenter notre union, 
basée sur les mêmes intérêts professionnels, m'en- 
gagea à déjeuner dans la taverne anglaise où s'était 
commis le vol que je lui avais signalé. 



29 i IvIîlilOlBES DE MONSIEUR CLACOÏBL 

— Venez avec moi, me ditril, je croid'.qiie je.tianfr 
votre voleuse. (Test une nommée Palnier; unegeJÎA 
fike, aux cheveux ardents a&mm^ L*or qu'eâlet 
sait si bien soutirer de toutes les pooke&. 

En raison du servietB qu'il allait m©: rendue,, je 
voulus être moi-même son amphitryon. Il s!y refusa 
avec ténacité, en me disant que dans J a?* taverne 
anglaise il était dans sa palria; que c'étaii à lui 
d'y remplir le devoir d^unei hospilsaJité toudf.éeos- 
saise I 

Par politesse, je n'osai : insfater; 

Nous entrâmes au café des Anglaî&i 

Bien dfes gens se rappellent lapceimi^ pouFtour 
du palais de l'Es portion dé 18671^ II' étaiti<soiapQsé 
d'uner série aussi variée qu'înterminahie d^iteos les 
cafés et restaurants du globe. 

Dfepuis" la brune Mauresque j^aqulà. la. hiende 
fille d'Albion, on voyait défiter, dansuif aééoisant 
panoramai, ces échantillons^ de^ toutes- \m beautés 
de la' terre. 

Le cafë où ce? d%es9es> êlaient en piti» graol 
nombre, c'était lé café des^^ Anglaî». Plus-ii(ïlanGK.de 
ses demoiselles de comptoir ne rentrèrent pasdsns 
leur patrie après rBxposition. Le sultan Abdul-^Azis 
fît passer plus d'une de ces sirènes'de lB\m comp- 
toir daTO son harem où elieâ ne firent que changer 
de... trône. 

J'avoue que, tout en n'étant pas venu avec mon 
collègue pour admirer les formes plastiqu^eset les 
visages éblouis des belles Anglaise», je fus; frappé 
' d'admiration par les essaims de Vénus qui garnis- 
saient les comptoiri de ce restaurant café'^ 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 205 

On ne pouvait dire si c'était un café ou une Faphos. 
En tous les cas, c'était bien un paradis perdu où 
toutes les filles d'Eve, blondes comme Eve, joignaient 
à cet air candide des anges à demi déchus, cette dé- 
sinvolture de bacchante si particulière aux A^i- 
glaises où la gaucherie est encore un moyen d^alf- 
traction. 

A peine fûmes-nousr à laoïo, moi et mon GllarsTîO- 
vich, qu'il me désigna au comptoir, parmi svx (fcr* 
mois€lle» servant le Champagne à des buveurs dé»* 
bout, \k plus belle dfes six. 

— Voilà, me dit-il à voix basse, miss Palmer J« 
la soupçonne d'avaoar pris les dix inille ft»»ûc» de 
votre Prançaïff. Du rente, elle. H^en sérails paspà soit 
coup d'essai. Quand il y aar» moins de monde^ 
je la ferai venir. Il itodra bien qu*elle n^uB^riafiCon^er, 
devant vous, son passé. Et de son passée vâu^poxtr' 
rez augurer de son avenir. 

Gomme je m'étonnai qu'âne pareille' fille^ une 
voleuse reconnue comme telle, pût encoure exeme» 
un métier relativement honnôtôi. mon Glarâcovieli 
médit 

— heureusement v«u wialheureusemenit, leâ^cRimi- 
nels, en Angleterre, ne sont pas comme Lea vôtre» 
soumis à une réprobation élornelle. Dès qu'ils ant 
fini leur temps, la société les acquitte définitive- 
ment. L'infamie ne dure pas, pour eux, au delà de 
leur condamnation. Un voleur, chez nous,, s'il n'est 
plus reconnu voleur, est comme vous et moi.!! Nous 
avons des exemples de prostituées qui sont deve- 
nues de très bonnes mères de famille. Un policier 
vit avec son criminel avec autant de laissei*-alTer 



296 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

qu'avec son collègue. Dès que le criminel a fait son 
temps ^ il n'est plus un criminel. La fille, elle-même, 
dès qu'elle n'est plus fille^ considère l'agent qui l'a 
poursuivie naguère comme son égal et non comme 
son ennemi. Vous allez le voir, tout à l'heure, 
quand je vais prier miss Pal mer de s'asseoir à notre 
table. 

Autant pouïMîonnaître les mœurs anglaises si dif- 
férentes des nôtres, autant pour jouir de près de la 
beauté de miss Palmer que pour éclaircir mes soup- 
çons, je n'étais pas fâché d'entendre cette belle pé- 
cheresse. 

De plus en plus, je bénissais la rencontre de mon 
agréable collègue qui, avec une urbanité rare chez 
un habitant de la Grande-Bretagne, me facilitait 
mes recherches en me conduisant, pour ainsi dire» 
sur un chemin de fleurs. 

Nous avions à peine achevé notre repas, copieux 
comme tous les repas anglais, nous en étions au 
Champagne, que mon aimable collègue fit un signe 
impératif à la Vénus du comptoir. 

Aussitôt, elle quitta ses nymphes ; elle obéit au 
geste de mon Anglais comme un Horse-Guard obéit 
au commandement de son chef. 

Sur un nouveau signe de M. Clarscovich, elle 
s'assit à côté de moi, après avoir eu le soin de se 
munir d'un nouveau verre à Champagne. 

Alors je pus envisager à mon aise cette beauté 
dont le visage, encadré de cheveux d'or, avait une 
incarnation splendide. 

Ses grands yeux presque noirs, frangés de longs 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 297 

sourcils , donnaient à sa physionomie rêveuse un 
charme étrange. 

Ses traits aquilins étaient d'une perfection de 
contours qu'on ne retrouve d'ordinaire que dans les 
Keepsack. Sa bouche n'était pas plus grande que 
ses yeux, elle avait des lèvres dont l'éclat tenait 
de la cerise. Quant à son corps, au port de reine, 
il était beau comme celui de la Vénus de Milo. 

Etait-ce possible que tant de perfections physi- 
ques cachassent tant de laideurs morales? 

Hélas I il ne me fut plus permis d!en douter 
lorsque sur les ordres de mon collègue, M. Clarsco- 
vich, elle me raconta l'histoire de sa jeunesse. 

« Elle avait passé, disait-elle, une partie de son 
enfance au quartier Wite-Chapel où elle était née. 
Sa mère y tenait le café du Prince-Régent. A 
15 ans, elle y avait fait la connaissance d'un gentle- 
man qui l'avait enlevée, et soustraite ainsi aux 
brutalités de sa mère. Ne voulant pas être ven- 
due aux matelots qui fréquentaient son établis- 
sement, elle s'était donnée à ce gentleman. Par 
malheur, son amant, sous des dehors élégants, 
n'était qu'un bandit. Un jour, elle fut prise avec lui, 
comme receleuse. Sortie de prison, ne voulant pas 
', retourner chez sa mère qui l'aurait tuée de coups, 
I ni servir les matelots, parce que l'un d'eux, en co- 
jlère, avait crevé, d'un coup de poing, l'œil de sa 
sœur, elle était partie pour la France, comme de- 
• moiselle de comptoir dans cet établissement. 

Puis, de l'air le plus naturel du monde, avec 
cette absence de pudeur des filles et surtout des 
lu. 17. 



298 MÉMOlRtiS DE MONSIEUR CLAUDE. 

fillea de la Graude-Bretagae, elle ayait terminé 6b 
disant : 

— Je auis suce, maintenantr de: ne. pas^reairair ma 

mère qui a été la cause de mea infortunes ; j^'ai 

trouvé en France des gens tiès comme il. fau^ 

très disposéa à m*ofIrir une position tout à fait 

; confortable. 

Pendant que la> belle Anglaisa parlait, aiasi,. es 
s'adressant plutôt à. moi qu'à ce Clarscovich qui 
connaissait par cœur. son. cpnte, elle se penchait 
agréablement de mon côté. 

Elle mettait tant d'expression dans sa pantomiioae 
et dans son langage, que son bras potelé touchait le 
mien. Je sentais son corps frémir près de moi" 

Je mettai»sur le compte de don émotion^ cet at- 
touchement persistant. Du reste, cette femme était 
si touchante, si belle dans le récit' de? seafntïBÎheurfr, 
que je ne songeai pas à me plaindre de notre inti- 
mité passagère. 

Quant à mon colîègne, il restait fboiï, dîsti^t au 
discours de la belle, comme doit l''ètre un éîief cfe 
police éclairé sur les prétendues infortunes iote se» 
monde de scélérats. 

Moi, au contraire, fidèle à mon r61e à?'étrâng«T 
qui s'accommodait volontiers de l'atlitttdfe de dupe 
que je me donnai, pour mieux étudier cette eu rieuse 
créature, j'avais l'air d'être très pénétné de ses 
malheurs. 

Je l'avoue, je ne croyais pas un mot de son» his- 
toire, je n'étais pas moins fasciné par sa beadté qui, 
un moment, me fît' oublier sa notiveHe conditioii ré- 
pondant bien! à son. triste passé». 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 298^ 

Lorsqu'elle eut fini, elle vida d'un Irait le Cham- 
pagne que je lui avais versé ; puw, après avoi-r re-*- 
posé son verre sur la table, elle feignit de se trouver 
mal, brisée par Témotion concentrée qu'elle' avait 
éprouvée au récit de ses infortunes'. 

Passant la main sur son front, elle se plaignit de 
la chaleur, elle me p» '^ frôuvrirla» gila^e contre te- 
quelle j'étais adossé, notre taMe* donnaiit sur le 
parc de TExposilion. 

Je m'empressai de me lever et ie inï rendre ce 
léger service. 

La belle Anglaise se confondit en remerciements. 

Puis apercevant le comptoir encombré d'étran- 
gers réclamant sa présence, elle nous^ quitta. 

D'un air particulièrement gracieux pour moi, elle 
me dit avec un ravissant sourire : 

a — Good Evening, sir, bonsoir, monsieur ! >? 

Elle s'était à peine éloignée, qu'un homme, à 
mine rébarbative vint parler bas, les traits agités, 
à mon chef de la police anglaise. 

A peine l'eut- il entendu que celui-ci se leva à son 
tour ; il me dit en me tendant la main : 

— Pardon, collègue, il faut que je vous quitte. 
Une affaire des plus importantes m'est signalée par 
mon détective. A demain; du reste, vous n'avez pas 
perdu votre temps avec moi. Car sachez, raprit-i^ 
en se penchant à mon oreille, tout eu payant notre 
dépense, sachez que cette Palmer a été, et est encori3 
une pick-pocket. Elle n'est dame de comptoir que 
pour signaler à son amant les pigeons qu'il doit plu- 
mer. Je suppose que c'est elle qui a volé' votre Fran- 
çais. L'affaire pour laquelle je suis appelé concerne 



300 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

un autre vol où vous pouvez être de moitié avec 
moi... A demain, vous saurez tout, si vous ne le savez 
pas ce soir ; au revoir, cher confrère. 

Et mon émule exotique, sans qu'il me laissât le 
temps de lui demander quelle était cette affaire qui 
l'appelait, et dans laquelle je pouvais être de moitié 
avec lui, avait gagné Textrémité de la salle. 

Quand je fus seul, je jetai les yeux sur le comptoir 
où trônait auparavant la belle Anglaise. 

Je m'aperçus qu'elle était partie comme mon col- 
lègue. 

D'abord je ne pris pas garde à ce détail. J'avoue, 
malgré la défiance inhérente à mon caractère, que 
je m'attachai peu à cette particularité. 

Ce ne fut que lorsque je regagnai les galeries de 
l'Exposition que je me rappelai avec un certain dé- 
goût la figure particulière du détective. 

Il faut, me disais-je, que la police anglaise soit 
bien au dépourvu, pour posséder des inspecteurs 
qui ressemblent tant à des filous ! 

Je ne m'arrêtai pas à cette observation ; elle ne 
m'inspira d'abord aucun soupçon. 

Je savais que la police anglaise en est à l'état 
rudimentaire, que, comme du temps deVidocq, la 
police anglaise a des limiers qui ne font la chasse à 
un gibier que pour se faire graisser la patte par la 
proie qu'ils courent, souvent en sens contraire, afin 
de n'atteindre... que sa bourse ! 

Hélas ! je ne pus rester longtemps sur cette ap- 
préciation. 

Un quart d'heure après ma sortie du café anglais, 
encore ému par l'image de l'Anglaise, encore ravi 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 301 

de ma nouvelle connaissance avec le prétendu at- 
taché au chef de la police de Londres, j'avisai un 
fabricant de bijouterie. 

Un objet de cet industriel m'ayant tenté, je fouil- 
lai à ma poche pour Tacheter. 

Alors je m'aperçus de la disparition de mon 
porte-monnaie contenant une assez forte somme. 

Plus de doute, la belle Anglaise était toujours 
une voleuse ! Je me souvins que, pendant que je 
baissais la glace pour lui donner de Tair, la jeune 
femme, feignant de se trouver mal, s'était for- 
tement appuyée sur moi. C'était, en ce moment^ 
sans doute, qu'elle avait dû commettre son vol I 

Mes présomptions ne s'arrêtèrent pas en si bon 
chemin, je me rappelai la figure de l'homme qui 
prétendait remplir à Londres et à Paris une fonc- 
tion semblable à la mienne. 

Connaissant de vieille date la ruse des picks- 
pockets qui, à Londres, se jouent de la police quand 
ils ne font pas, de ses agents, leurs complices, j'eus 
de nouveaux soupçons. 

Us pesèrent sûr mon obligeant Anglais qui, peut- 
être, avait pris ma quahté pour mieux me jouer. 

Mais si cet homme n'était pas un commis supé- 
rieur de Scotland Yard, comment avait-il pu me con- 
naître pour m'altendre, m'aborder et me duper? 

— Comment ? — me répondis-je dans mon dé- 
sespoir. — Mais par sa contre-propre police qui 
déroute la police de la Cité, et qui est aussi bien 
renseignée à Londres que l'administration de Scot- 
land-Yard. 

La rougeur au front, je me mordis les poings de 



302 MÉMOIRES DE MONSIEUR" CLAIÏDE. 

rage en pensant que ce hardi vofeur qui avait fhit 
le coup avec sa coquine, était en droit de bien rire 
de moi en ce moment, 

Sans doute, ce pick-pocket qui devait' être une 
célébrité criminelle, avait fait la gageure de voler 
un policier français^, par amour- propre national. 

Pour bien réussir il avait pris une qualité semBla^ 
ble à la mienne. Il* avait endbimi ma défiance au 
moment où elle devait être le plus eti éveil, lors* 
•que j'étais envoyé par la préfecture au' sujiet du' vol 
de dix mille francs dont û était peui^être- l'au- 
teur ? 

J'avais été joué, bafoué, par celUi qui se préten- 
dait, comme moi, un employé de la police. 

Ce qui me prouvait que j'avais été le jouet de- 
mon amphitryon, c'étaient ses dernières paroles. 

Ne m'avait-il pas dit eiî me quittant : 

« — Que l'afTaire pour laquelle il était appelé, 
concernait un vol auquel je devait être intéressé 
-et que j'étais appelé bientôt à connaître^!' » 

Ces paroles, n'étaient-elles pa^ un sarcasme, un 
défi jeté parce bandit mystificateur à son policier 
mystifié ? 

La rage dans lé cœur, la honte au ftont, j'avisai 
dans l'Exposition un inspecteur. 

Je le pris à part, je lui dis, sans me' nommer bien 
entendu, qu'un personnage dfe Ta préfecture venait 
d'être vole par un pick-pocket, et qu'iïftillait, à tout 
prix, le prendre ce soir même poui' rhonireur de la 
préfecture. 

Je donnai à cet inspecteur le signalement cPa 
faux détective qui était venu' causer à mon faux 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 303 

chef de la police anglaise et qui, pour moi, était la 
troisième personne de-cette trinité de voleurs. 

Lorscpué lapbysHoiiômifedVnpereoTmagB qtie j'a- 
vàia rintention.'de filcD on de ftiire frler; frappait 
mon optique, elle yi*estaft graivëc <50!nme dans Toeil 
d'un bœuf ou dans une lentille de verre ; elle ne 
sortait plus- de* ma mémoirsi 

Je dépeigoiâ si bien, mon troisième laritrn que mon 
in«pecteur Tavait à son tour comms photographié 
dans aa cervelle; 

Je lui dis de micttre sur-lô-ethamp en' réquisition 
tous les brigadiers qui se trouvaienl dan» le palais-, 
d'en cerner les abords, de n'épargner aucune visite 
dans le» cafés- du pourtoui:.. 

Je leur accordai jusqu'au soir pour rattraper mon 
homme; 

Si je donnai si scrupuleusement le sigimlement 
du faux détective au lieu du hardi litou: qui m'avait 
si habilement joué avec^s» coquine , c'était avec 
intention. 

Je me doutais bien , après lemr tour infernal, 
qu'ils étaient déjà loin, tandis que leur complice 
était resté peut-être mailrff di'un. terrain* qui n'était 
plus sûr pour ses associés. 

Le troisième Ifficron, non moins béâiile, non* moins 
effronté que les deux autres, comptait sans doute, 
par le rôle ; seconds ire qu'il, avmt joué dans raffàiie 
des deuco c^/fe^ de Im sûreté^ que je ne l'aurais pas» 
pemarqué", ii pouvait espénar* què^je' ne l'avais pas 
dévisagé comme mon mystificateur qui m'avait pris< 
à. sa glu, comme labeller A>nglaise qui ne m'avait pas^ 
moins englué l 



304 HÉMOIBES DE MONSIEUR CLAUDE. 

Le fatix détective devait s*abuser. 

S'il savait son métier, je savais à fond le mien. 

Je savais que dans les scènes à trois Jouées par les 
voleurs, c'est celui qui remplit, en apparence^ le 
rôle de comparse, qui est le Deus ex Machina de 
leur intrigue. 

Le faux détective fut pris au café des Anglais, une 
heure après le départ du prétendu attaché au chef 
de la police anglaise. 

J*appris sa capture, le soir même, par l'inspec- 
teur chargé de le filer. Il vint me retrouver au 
café du théâtre du Ghàtelet, où, depuis la réédifi- 
cation des théâtres, j'avais repris mes anciennes ha- 
bitudes contractées au café des Mousquetaires du 
boulevard du Temple. 

— Ëhbien, demandai-je à cet agent, dès que je 
r aperçus. Et notre homme? 

— 11 est au dépôt. 

— A-t-iWait des aveux f 

— Oui. 

— Alors c'est un grînche ? 

— Oui. 

— C'est bien ! m'écriai-je, furieux contre moi- 
même, je suis volé ! •- 

L'agent ouvrit une large bouche, il ne pouvait 
comprendre mon dépit, ni le sens de mes paroles. 

C'était naturel, il n'était pas au courant de la 
mystification des deux chefs de la sûreté. 

Ce qui me consola, ce fut d'apprendre que le trop 
fameux bandit et sa complice avaient fait bien 
d'autres entreprises, autrement sérieuses que celle 
de mon porte-monnaie. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 305 

Les deux picks-pockels ne m'avaient volé, moi, 
un policier, que pour Vart ; mais ils avaient volé, 
pour voler ^ tous les cafés des environs. 

Quand ils quittaient l'Exposition à la suite de leur 
mystification sur un chef de la sûreté, ils empor- 
taient de tous les comptoirs de ses établissements 
un somme qui s'élevait au chiffre de trois cent mille 
francs ! 

Ces vols opérés par ces termites de White-Gha- 
pel, s'étaient tellement multipliés dans les cafés de 
l'Exposition que la plupart, à la fermeture du palais, 
ne purent payer leurs frais de location et firent fail- 
lite 1 

Quant à moi, j'appris, par mon troisième larron^ 
ce que valaient ses complices, mon mystificateur ef 
son Anglaise. 

C'étaient deux aventuriers célèbres pratiquant le 
vol sur une vaste échelle, prenant tous les rôles, 
sur tous les théâtres, et pour les jouer dans les cinq 
parties du monde ! 



GHÂfilïiiË. mx 



L ART DE VOLER EN TRENTE LEÇONS. 



J'ai signalé^ en ciryDsigaant: les faiteh et gest^ des 
Toleurs, leurs dififérentea manières» de voler; Pour 
ne plus y rev^oir,. je. tùna à» indiipssn d'une façon 
moins succincte, pins précise tous* les- gens* de vols 
qui composent les trente articles d\i Manuel du 
parfait escarpe, 
. Ce manuel peut se diviser ainsi : 

Le vol au colis : Un individu dépose un panier 
dans un établissement quelconque, il engage la 
personne qui le reçoit à ne le remettre qu'au com- 
missionnaire qui lui remettra quinze ou vingt francs 
de transport. Cet individu cherche un commission- 
naire assez simple pour payer les frais, après lui. 
■avoir remis le prix de sa course. Pendant que ce 
dernier va chercher son monsieur pour lui remettre 
son colis, celui-ci revient chez le maître de l'établis- 



MÉMomES De monsieur CLÂUÛË. 307 

tsement et empoohe !«» fraisi payés par le oommi»- 
sionnaire. 

Le vol à la gîh r IV se? ppietiqne dan^ Ifes ÉgKseç, 
lorsque le volear «rmè d^ùn* Bâton- englué sou- 
lire par sa- glu, les pièces' WaDMîhes' et te^ sous 
déposés dans le» troncff. 

Le vol au tiroir : C'est le vol praticpué pai* exciel- 
lence par Gauthier, de Lyon. Depuis un temps im- 
mémorial il s*exerce à Paris chez tous les petits 
boutiquiers, marchands de tabacs, débitants liquo- 
ristes etc., etc. Un monsieur entre, prend' un cigare 
ou un verre, il donne une.pièce^ dont il demand'e la 
monnaie et au moment où le débitant ouvre son 
comptoir, le voleur se jette sur Ik recette, soit en 
frappant sa dupe à la tète, soit en Tàveuglànt, par 
le contenu de sa tabatière qu^îi lui lance* dans les 
yeux. 

Le val à la tire : C'est le vol classique d'ans, le- 
quel excellait Cartouche, il consiste,, à Taide de 
ciseaux,, ou d'un, canif à deux lames,, à tirer les 
chaînes dia montra et Fargenl des goussets les plus 
récalcitrants. , 

. L&noluiApoivvier*: Il nlest qjae: la répétition du 
voLà Ja tire» Il scpcatique par les novices du vol 
q^i n'ont, pas besoin d'avoir la main sûre pour sou- 
tirer, de la poche et du gousset d'un ivrogae.tout ce 

Jqu'il n'a pas laissé encore au cabaret. 

^ Le vol à. Ves^rouffe : Gamme le voL à la tire, c'est 
le volenCaveur chezles picks-pocketsanglai»vils ont 
un art tout particulier pour se heurter et s'accrocher 
en courant àun quidam qui r^pit.un. choc dont la 



308 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

conséquence est la disparition subite de sa montre, 
de sa bourse ou de son portefeuille. 

Le vol au rigolo : Ce genre de vol a pris son nom 
du délicat instrument qui permet d'ouvrir toutes les 
portes et tous les tiroirs ; Le Pince-Monseigneur 
perfectionné, se porte aujourd'hui dans un étui à 
cigan s et dans un porte-monnaie, il n'en sort que 
pour avoir raison des serrures les plus difficiles. 
Les voleurs au rigolo ouvrent aujourd'hui toutes les 
caisses. Devant le rigolo, ce Sésame ouvre-toi de» 
voleurs, les coffres-forts des Huret et des Fichet» 
n'ont plus de secret. 

Le vol au raton : Il s'opère à l'aide d'un moutard» 
le rc tm est uq enfant mince et fluet qui passe par le 
trou d'une cave ; il se glisse dans un sous-sol pour 
entrer dans l'intérieur d'une boutique afin d'ouvrir 
sur la rue aux voleurs qui l'attendent à la porte. 

Le vol au grimpant : C'est encore un enfant 
qui joue le premier rôle, il monte au faite d'une 
maison, grimpe aux étages supérieurs, à l'aide 
d'une échelle de corde jetée du toit parun complice. 
Une fois sur le faite, les chevaliers de l'échelle se 
mettent en mesure de dévaliser les chambres des 
domestiques qui, le jour, restent généralement vi- 
des. Ces chevaliers de l'échelle opèrent de préfé- 
rence dans les maisons en réparation ; ils passent 
pour des maçons et des fumistes dans l'exercice de 
leurs fonctions. 

Le vol aux timbres : Ce vol est assez ingénieux ,' 
c'est encore le marchand de tabac qui est d'ordinaire 
la victime. Un monsieur se présente au buraliste ; 
il demande pour dix, quinze ou vingt francs de 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 30'J 

timbres-posie qu'il met précieusement dans une en- 
veloppe. Tout à coup, au moment de payer, il s'a- 
perçoit qu'il n*a pas de monnaie. Il s'excuse auprès 
du buraliste, et remet Tenveloppe qu'il avait déjà 
mise dans sa poche. 11 dit qu'il va revenir pour 
donner l'argent nécessaire. Le buraliste ne le 
voyant pas revenir, se dispose à reprendre les 
timbres qu'il a livrés au distrait. En r'ouvrant 
l'enveloppe, il s'aperçoit que les timbres n*y sont 
plus. L'enveloppe que le voleur a laissée n'est 
que la fidèle copie de l'enveloppe qui a emporté les 
timbres demandés ; le voleur t^n avait deux pareilles 
pour faire le tour l 

Le vol à Vaméricaine : Je l'ai indiqué. Il est 
aussi vieux que le monde. Il a été raconté mille fois. 
Les journaux le signalent tous les jours ! C'est le 
voyageur abordant le paysan pour lui changer son 
sac d'écus contre sa sacoche pleine de vieux 
plomb I Ce vol suranné réussit toujours I il réus- 
sira tant qu'il y aura des simples, jusqu'à la 
consommation des siècles. Cependant il a des 
variantes, je les ai indiquées ; ce sont ces varian- 
tes qui le font encore réussir. Les phases nouvelles 
par lesquelles l'ont fait passer les filous qui le pra- 
tiquent, sont autant de circonstances atténuantes 
pour les niais qui s'y laissent prendre. 

Le vol au gayet ou à la roulante : C'est aux mar- 
chands de chevaux et aux loueurs de voiture à s'en 
méfier. Il est pratiqué d'ordinaire par les conduc- 
teurs de chevaux. Ils forcent la nuit la porte des 
écuries pour choisir à leur convenance le meilleur 
poney;le jour,ils passent sous le ventre des chevaux, 



310 MÉMOIRES DE MQNSIEUIl GI.AUOË. 

coupent les longes, eafourchent la ;hê4e et pk|ueiâ; 
des deux. Les terreurjs de labamèrje du Trône -soût 
fort experts dans le vol au gayet. qu'ils pratiqujeat le 
plus communément au marché auac chevaux, Le ^^oâ 
à la roulante n'eàt pas moins aussi audacieux Bieift 
souvent on a vu une voiture stationnant sane-aan 
cocher à la porte d'une maison particulière, accu- 
pée tout à coup par un cocher imjprovieé qui JDrûle 
le pavé pour ne pas attendre raatom4doa jqu'll 
a remplacé et dépossédé. 

Le vol à la reconnaissance» Daux handils, J'an 
faux cocher, Tautre commissionnaire pourrira ^HNi- 
sent un provincial dans les gares, après avoir au l^^ain 
de lire sur sa malle le nom de sa province. Le com- 
missionnaire Taccoste en se disant de jsa contrée;. Il 
lui propose, en sa qualité de pays, de le piloter dans 
Paris. Si le malheureux ae laisse prendre à cet obli- 
geant commissionnaire, eelui-.ci ne tarde pas de le 
confier, lui et ses bagages, à uiifaux cocher, sonjcam- 
plice, qui Tattire dans un coupe-gorge où il est cona- 
platement voté quand il n'est pas tué. Le volàlare- 
connaissance ne se pratique yas toujours d'une fa- 
çon aussi tragique. Un voyageur descend de wagon, 
il se voit accosté par un monsieur qui s'écrieen «e 
jetant dans ses bras : 

« — Ah ! c'est toi, quel ionlieur I Enfin tu te dé- 
cides donc à venir à Paris ! » 

Le voyageur efTarouché et qui, ne reconnaît pas 
cet ami, se reMffe et proteste. L'ami reconnaît son 
erreur, après avoir serré ma peu trop fort son bon- 
homme. Il se retira en iiisanl force excuses ; lors- 
que le voyageur se remet après avoir pardonné à ce 



Mli^MOIHËS DE M.ON&IËUR aU.UJ)£. dA4 

distrait son erreur involontaire) il s'apej:çoât, par 
l'absence de «a montre, et de son porte-monnaie, 
qoe celte erreur n'était pas du tout involontaire. Il 
- ^t victime d'un jwoI gui, par «es cffate^ rs^ppelle, du 
tout ail tout, le.vcl Vesbrouffei, . 

JjGvol à la détourne est celui que j'ai indiqué pré- 
cédemment; il s'opère d'ordinaire dans les grands 
magasins de nouveautés, .à ïa^dede robes à longues 
poches qui premiâfit toute la jupe de$ voleuses ; oes 
voleuses sont d^ élégantes qui ne tardent pas à 
être ^nalées à la «police. Elles n'ont pas que le 
truc des grandes poches. On en n vu qui.se faisaient 
accoiâpagner par une nourrice portant un enfant 
dont les langes traînaient Jusqu*à terre. C'était dans 
ces langes que les voleuses fourraient le produit de 
leur vol. Quand le vol était fait, la nourrice pinçait 
l'enfant pour le faire crier. Ladame ordonnait alors 
à la nourrice de la rejoindre avec le bébé à la porte 
du magasin ^pour ne .pas importuner ]a .foule. On 
était sûr que le vol à la détourne était fait et qu'il 
était allé se nicher- dans les plis de la robe de l'inno- 
cence. 

Le vol au radin est le t/eau des marchands de 
vin; il s'opère à l'aide du radin, c'est-à-dire du 
comptoir du mastroquet. Un voleur .bon drille de- 
mande une bouteille dej)remier choix. Pendant que 
le patron descend à la cave, le voleur pousse le ra- 
din sur la trappe ; il enferme la victime dans sa 
cave. Gomme le bandit n'e&t, jamais seul, pour me- 
ner à bonne fin le vol au radin, deux, trois ou qua- 
tre lurons se mettent de la partie. Ils dévalisent en- 
semble la maison du mastroquet bloqué, fit que le 



312 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

premier meg n'a bloqué que lorsqu'il s'est bien 
assuré de la solitude de son débit' de vin. 

Le vol à repaie , c'est l'escroquerie dans le 
grand chic. Les étrangers et particulièrement les 
Anglais , offrent de nombreux types d'épateui's 
dont j'ai déjà esquissé les traits. Ils pratiquent sur 
une vaste échelle le hrodage^ le chantage, le né" 
goce et le vol au cautionnement. 

Le brodagey c'est un sous-genre du vol à l'épate. 
On appelle broder, en terme d'escroquerie, écrire. 
Des chevaliers d'industrie montent des maisons de 
crédit pourfavoriser le commerce. Des négociants can- 
dides viennent chercher une ouverture de crédit au- 
près de ces coquins ; ils signent des valeurs en échange 
des leurs, sur lesquelles ils mettent encore leur en- 
dos. A l'échéance, les billets de ces escrocs, des bro- 
dages, n'étant pas payés, les négociants sont forcés 
de les rembourser en môme temps que leurs pro- 
pres valeurs faite* à. la jmajaaa de crédit de ces fli- 
bustiers ! 

Le vol au cautionnement. C'est le cas d'un grand 
nombre d'cigents d'affaires. D'ordinaire, ils deman- 
dent, au compte d'une maison importante, une lé- 
gion d'employés possédant un cautionnement dont 
ils réclament le quart, payable au comptant, pour 
entrer dans la maison indiquée. Si l'employé con- 
sent à verser ce quart, il entre en effet dans la mai- 
son montée sur une grande échelle, mais qui n'at- 
tend que le contingent voulu d'employés à caution- 
nements pour fermer boutique. Comme on le conçoit, 
cette maison n'est créée que par l'agent d'affaires 
partageant, avec le maître de cette souricière, les 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 313 

cautionnements par quart exigibles d'abord parce 
complice. C'est à l'adresse du maître de la maison 
de compléter sa recette avant de mettre tout à fait 
la ciel sous la porte. 

Le négoce est pratiqué par les Anglais. Il marche 
de parallèle avec le vol au cautionnement, la spé- 
cialité des voleurs français. Les Anglais envoient de 
Londres en France des lettres portant l'en-tète 
d'une raison sociale très connue. Ils demandent, 
comme commissionnaires, aux négociants du con- 
linerft, des marchandises contre traite. Les mar- 
chandises sont expédiées , quand les traites arri- 
vent, la maison de commission chargée de pouvoirs 
par une importante maison de Londres, n'existe déjà 
plus! 

Le chantage. J'ai indiqué ce genre de vol qui se 
pratique sous mille formes. Les journalistes à scan- 
dales, les faux agents de police ont la spécialité de 
ce vol en terrifiant les consciences et en exploitant 
ceux qui ont la conscience aussi large que la 
bourse ! 

Le vol au suif. Il s'opère par un grec qui rôde 
chez les marchands de vin, dans les cafés borgnes, 
pour dégotter, en bon suiffeur^ une frimousse de 
pante ou de daim. Quand le grec possède son sujet, 
il lui propose, histoire de tuer le temps, entre plu- 
sieurs consommations, de les jouer avec des cartes... 
préparées parlui. On joue; plus on joue, plus on boit. 
Après des alternatives de gain et de perte, le suiffé 
n'a plus que de la perte ! Une fois que le suiffeur lui 
a dégarni son gousset, il le quitte en délaissant le 
m. 18 



314 iiÉuoiaES us .noissiËua claudë. 

mxVSé, encore très hèareax s-ii lui reste assez d'ar- 
^eot pour payer le !marcha&â de vins. 

Le vol M Vétourneau^ €\est ordtaairei&ent le coa- 
ronnement de l'œuvre d'un bandit qui a fuit le 
comptoir d'un marchand de vjns et d'un débit de 
tabac. Pendant qu'il se sauve en emportant la ro- 
xîette, un de sefi complices est en vedette à la porte! 
An moment où le pramier ^agne en courant le trot- 
toir, la victime, pendant qu'elle crîe au valeur^ voit 
celui qui était à la porte se sauver sur un trottoir 
opposé, dans le sens contraire de son compagnon. 
Une fois que le marchand est sorti pour courir après 
son voleur, les passants donnent des renseignements 
différents sur la fugu6 prise par ces deux bandits. 
Pendant ce temps, ils ont gagné du terrain. 

Ces tours divers complètent la série des vols dont 
j'ai donné la première nomenclature en signalant 
précédemment.: Je» fourïineurs, les charrieurs, les 
cambrioleurs^ lesrouletiers, les sionneurSj le t?o- 
• leur aie boDJoury le voleur à la ballade et le voleur 
à V opium. 

Cette nomenclature ne peut être définitive car 
l'imagination du voleur est d'une fécondité mtaris- 
sable. En tous les cas, en donnant ici le complén^ent 
de la méthode pratique du voleur, en trente leçons, 
je crois être utile à ceux qui voudront bien se dé- 
fier des tours que je viens d'indiquer. 

Pour prouver que le champ du voleur est sens 
limite, je n'ai qu'à raconter un autre tour qui pour- 
rait s'appeler le vol à T amour ; il était pratiqué par 
le voleur anglais dont je fus victime à l'expoâtion 
de 1867. 



CHAPITRE XX 



LE VOLEUR LOVELACE 



Quelque» mois a^Tès^ ma mèsaveùtare, un monr 
sieur mis avec la dernière élégance, dont les hn\^ 
lant^euâsesfcfait paJir réclat. aies dicunaois' de la 
couronne, descendait dans up' hôtel de la. Ghaussée- 
d'Antiiï. 

Il se faisait.appeler le eomte de Montgomniêrj.. 

^une» diuqe tourniire dââtinguée^ dépenarer et 
chevaleresque^ il. ne taj>da pas à plaire à son hé- 

l'69Se« 

De3pn côté, elle était une aimable dame qui me 
laait la vie à grandsi guidas. 

Cette dam& jeune encore, belle,, aussi légère que 
belle, était depuis quolque^hannée» aépairée de son 
mari. 

, Possédant une fortune aussi indépendante que 
soncaractère,foctuaequina répondait pas eacoKa 
à ses caprices , cette dame quoique femme du 



316 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

monde, avait consenti pour doubler ses revenus, ^ 
se faire maîtresse d'hôtel. 

Elle n'avait pas tardé d'envoyer au diable le mé- 
tier,dès que sous les traits du brillant comte de Mont- 
gommery, le diable lui était apparu pour lui faire 
reprendre la vie qu'elle aimait par dessus-tout, la 
vie galante. 

Le comte était habitué à mener les amours comme 
les voyages,à grande vitesse; iln'eût pas plu tôt parlé 
à sa belle hôtesse de ses intentions de l'emmener 
avec lui en Italie, qu'il obtint une réponse favora- 
ble. 

La dame aimait les grands seigneurs ; quoi- 
que aussi galante que les dames de Brantôme, elle 
avait gardé de sa famille bourgeoise certains 
principes qui ne l'avaient pas abandonnée jusque 
dans ses dérèglements. 

Il fut convenu entre Thôtesse et le comte de Mont- 
gommery que la dame, tout en chevauchant avec 
son séducteur, réaliserait une certaine somme qui 
devait suffire à^ses besoins particuliers. 

— Nos amours seront en commun, lui dit-elle, 
mais nos dépenses particulières ne seront pas 
comme nos amours. Je ne veux pas qu'on dise que 
je me fais entretenir. « 

Si la dame n'était pas tout à fait une honnête 
femme, elle était comme Ninon, un honnête homme. 
D'ailleurs elle avait un mari qu'elle ne voulait que 
faire rougir qu'a demi. 

Le comte, pour sa part, était trop galant homme 
pour combattre les susceptibilités de cette belle pas- 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 317 

sionnée qui ne voulait Tâimer que pour lui-même. 

Ils partirent donc pour Tltalie . 

Nos amoureux ne devaient pas y arriver, A la 
deuxième étape, un événement vint brusquer le 
dénouement de ce roman à peine ébauché. 

TTne nuit, dans une auberge, une dame, une An- 
glaise se présente en réclamante grands cris son 
mari voyageant avec sa maîtresse. 

Cette dame, c'était la femme du noble comte. 

Le maître d'hôtel qui avait déjà en grande con- 
sidération les deux étrangers se disant époux et 
femme, vint annoncer cette visite malencontreuse 
à ses hôfes. 

A la suite d'un copieux souper, le galant couple 
s'était mis au lit. 

Le maître d'hôtel, en vue du danger que couraient 
ses importants clients, n'avait pas craint de venir 
les déranger au plus doux moment de leurs rela- 
tions nocturnes. 

Une chaise de poste était à la porte de son hôtel ; 
et l'Anglaise, la femme du noble comte n'avait plus 
que quelques ordres à donner à ses postillons, avant 
de faire rentrer son infidèle dans le devoir. 

A cette malencontreuse nouvelle, le comte expri- 
me une stupéfaction qui égale le dépit de sa mat- 
tresse. 

Le gentilhomme, pour éviter un scandale, aussi 
préjudiciable à son honneur qu'à l'honneur de sa 
belle qui avait aussi un mari, la supplie, pour cette 
nuit, de dépister la comtesse jalouse et qui, sans 
aucun doute, ajoutait-il, avait soudoyé des gens, 
pour les épier depuis leur fugue de Paris. 

ni. 18. 



318 MÉMOIBES De monsieur CUkUDE. 

La dame comprend ua peu tard soa imprudeoce. 
Elle n*hésite pas, moin» pour elle que pour sa 
famille et pour rhouneur de soa époux, à suivre 
^?s conseils de son séducteur.. 

Elle s*habiile à la hâte, et toute tremblante elle 
s'esquive de riiôtel, à demi habillée par une porte 
secrète, tandis que la £èmme légitime entre par 
la grande porte pour traquer son mari. 

La belle voyageuse aux. amours interroiupues, 
avant de se remettre en route,, et pour cootirmer sa 
nuit, prend Le chemin d^unautre h6tel. 

Mais arrivée à cette seconde station d& son voyage, 
elle s'aperçoit dans la précipitation qu'elle a 
mise à reprendre ses effets , qu'elle a oublié la 
partie la plus secrète de ses ajustements, son corset 

Elle pousse un cri de terreur, elle a le vertige ; 
dans ce corset elle avait fourré tous, ses billets de 
banque, il y en avait pour la valeur de trente mille 
francs. 

Un soupçon envahit son âme. 

Son séducteur n'est-il qu'un odieux filou ? 

Un moment, elle voulut revenir à l'hôtef? Ce- 
pendant si ce n'était pas une comédie jouée entre 
cette Anglaise et cet Anglais, quelle figure ferait- 
elle? 

Le danger qu'elle voulait éviter à tout prix, repa- 
raîtrait plus terrible pour elle, pour sa famille, 
pour l'honneur de son mari. 

Elle se résigne à attendre jusqu'au lendemain. 
Elle passe dans cette nouvelle auberge une nuit 
pleine d'agitation et d'angoisses. 

Le lendemain, n'y tenant plus, elle résolut de s' as- 



MÉHOniES DE MONSIEUR CLAUDE. 319 

surerdela vérité. Avant de retournera Paris, elle 
revint à Tbôtel où elle avaât passé une si délicieuse 
soirée trop tôt interrompue. Elle apprit par Thôte- 
lier que, la nuit, la dame anglaise avait exigé que 
son volage époux reprît Ife chrermin- de sa patrie. 

Sur ces renseignements, qui laissèrent froide l'a- 
imante du comte, elle demanda à Phôtelier s'il n'a- 
vait pas trouvé son corset que, d'ans sa fuite, elle 
était sûre d'avoir laissé. 

— Oh ! si fait, madame, reprit Taubergiste. Et 
je n'ai pas eu la peine de le chercher. M. le comte, 
en acquittant sa note, me Fa remis secrètement, à 
rinsu de sa dame. Le voici. 

La damoest aux anges, heureuse d'avoir eu affaire 
à un véritable gentilhomme, de n'avoir pas été la 
dupe de sa passion. 

Hélas l elle a'élait pas rentrée à l'auberge, 
pour remettre son corset perdu et retrouvé, qu'elle . 
s'apercevait qu'elle, avait été doublement trompée. 
La remise de cet objet secret n'était qu'un, nou- 
veau sarcasme de la part de son Lovelace. 

Ce n'étaii qu'un, audacieux filou I Sa prétendue 
fenMDie n'avait. éié> daam eettfô aiffaire que sa com- 
plice. 

En consrdécaaat avec plus d'atlention. son corset, 
elle s'aperçut qoe les bonrrelet&qni= en remplissaient 
les contours^ avaient éta déCDUsus à la place où elle 
avait mis ses billets de ,j3a>nque. 

La dame', honteuse et conftisc, s'en reliourna à 
Paris, désabusée de son amonr, déposséd»ée" de ses^ 
trente mi^le francs. 



320 MÉMOIRES De monsieur CLAUDE. 

Une fois à Paris, la dame trompée et dévalisée 
porta *une plainte au parquet. 

Sur le signalement de la dame, je reconnus sans 
peine, dans la personne de mon noble comte de 
Montgommery et de sa belle Anglaise, mon faux 
chef de la sûreté et sa miss Palmer dont j'avais été 
aussi la dupe, quelques mois auparavant. 

Je mis d'autant plus d'empressement à mettre 
mes limiers en campagne contre ces dangereux 
filous, que mon honneur était aussi un peu engagé 
dans cette nouvelle affaire. 

Du reste, depuis ma mésaventure de l'exposition, 
j'avais déjà pris tous mes renseignements sur ce 
filou qui, nouveau Joconde, avait parcouru le monde 
en laissant partout des traces de ses exploits, où l'a- 
mour jouait un jeu aussi grand que Mercure. 

Le faux comte de Montgommery s'appelait 
Danthall, il était né à Ambourg. en 1839. Il possé- 
dait un véritable arsenal de lettres de tous les pays, 
des cartes de visites de tous les noms. 

A l'aide de ces lettres signées des plus riches 
maisons d'Angleterre, à l'aide de ses cartes blason- 
nées à tout l'armoriai de l'Europe, il commettait 
presque impunément de nombreuses escroqueries. 

Ma rencontre au palais de l'Industrie, l'enlève- 
ment de sa belle hôtesse, n'étaient que jeux d'en- 
fant pour ce faux comte de Montgommery. 

On peut en juger par ces hauts faits : A New- 
York, il écrit à la maison Ancel pour lui annoncer 
la consignation de deux chargements de cacao. Il a 
affrété le navire, le John-Newton, Il fait traite sur 
la maison Ancel. La maison paie. Elle apprend trop 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. ' 321 

tard que le chargement de cacao est aussi chimé- 
rique que le navire John-Newton. 

Fort de sa première traite payée, Danthall se fait 
ouvrir un crédit chez tous les banquiers de New-York 
et il part pour Londres avec une somme de cent 
mille francs. Il n'arrive en Angleterre qu'après avoir 
dévalisé les hôtels d'Espagne, de Monaco, et négocié 
des traites fausses dont miss Palmer est Tentremet- 
teuse. Il se rend à Londres pour mettre en lieu sûr, 
à la caisse des Dépôts, la somme de cent mille 
francs. Il se réserve avec miss Palmer, de trouver 
d'autre argent dans les hôtels de France. Le tour 
qu'il joue à la belle*hôtelière de la Chaussée d'An- 
tin, a précédé celui qu*il a joué à un hôtelier d'A- 
miens où il a escroqué une somme de huit cents 
francs, sur ses malles qu'il y a laissées, dans les- 
quelles on n'a trouvé que de vieux effets de rebut. 

Depuis, il avait quitté la France, à la suite de sa 
dernière aventure avec la belle hôtelière, la femme 
au corset. Jugeant prudent de quitter un mo- 
ment l'Europe, le comte de Montgommery était 
parti pour Tunis. Avec une fausse lettre du cham- 
bellan du prince de Galles, tous les palais lui avaient 
été ouverts. Il organisait alors une banque à Tunis 
et s'abouchait à un riche financier qui le créditait de 
trois cent mille francs, pour opérer des opérations 
sur l'unification de la dette tunisienne. 

Ces derniers renseignements m'arrivèrent bien 
longtemps après l'escapade de la dame au corset. 

Lorsque cette dame se présenta au parquet pour 
savoir, par moi, ce qu'était devenu son voleur, je 
ne pus lui donner que les renseignements que la 



police française tenait de la police de Lamires. 

Désormais, le faux comte de Montg^ommery était 
à l'abri des lois anglaises et françaises. 
. La seule vengeance que put firer la dame, de son 
Lovelace voleur, ce ftit celle-ci : Le financier qui 
créditait notre fîteu, ayant demandé des renseigne*- 
menl? à Lontfres et à Paris sur* le comte de Mont- 
gommery, les deux polices- Favaient démasqué. 
Grâce à miss Paumer, toute dévouée à son complice, 
le faax comte, cependant, ea^ avait été quitte pour 
donner SE démission de directeur de Fa banque tuni- 
sienne en emportant une assez jolie somme. 

Alors il quitte Tunis. 

Sou» un autre titre nobiliaire, il gagne la Suisse ; 
ta il fart lar rencontre d'une vieille Française que 
l'âge n'a pas rendne plus raisonnable. 

Cette femme, plus que sur le retour, ^'amourache 
de l'adroit Lovelace, aussi fort en banque qu'en 
amour. Cette dame qui porte aux oreilles des dîa^ 
mants d'utt prix considérable, fait un jour, avec 
son nouTcl adorateur, une excursion dans 1 e Mont- 
Blanc. 

Comme cette Putiphar veut jouir seule avec son 
amant des beautés de la nature, elle prie l'es guides 
de ïes laisser ou de ne îes suivre que^ de très loin. 

Près d'un précipice, le misérable saute sur la 
vieille dame et s'empare de ses» pendants d'oreilles : 
la femme se raidit, se débat. Alorâ son pied va 
dans le vide ; elle tombe dans le précipice. Quand 
les guides arrivent, il est trop tard, la femme n'est 
plus qu'un cadavre gisant dans l'abîme. Ce criminel 
qui a en poche les diamants de sa victime, gour- 



XÉMOIBES DE Hûfi^SIEUR CLAUBE. 333 

mande les guides d'avoir écoulé les recommanda- 
tions dune vieille folle , en ne la suivant pas 
.d'<a£sez près sur le bord d'un abime où il B^apa» eu 
la force, prétend-il, de la retenir ! 

Lorsque les Journaux de l'époque relatèrent ce 
fait, je trouvai les circonstances, qui l'avaient «me- 
né, si bizarres, qu'un soupçon me vint : Je -me dis, 
qjue l'homme quil'avait provoqué pouvait ibien être 
l'aventurier de la dame au corset, le banquier ^de 
Nice, mon faux comte deMontgommery. 

Je fîs un rapport à ce sujet, qui émut le parquet, 
mais il fut impossible de retrouverce touriste de 
Suisse. Une fois la dame morte, il avait quitté le 
pays et on ne savait plus ee qu'il était devenu. 

Un an après, ce fut moi-même qui ireçuB de 
miss Palmer une lettre, m'informant que mou to- 
leur de l'exposition, mon voleur au corset, mon 
faux banquier tunisien, mon faux comte de Mont- 
gommery, mon assassin de la fename aux diamants 
était de retour à Paris. 

Et qui m'informait de cette .nouvelle, qui m'ém- 
vait cette lettre ? IVliss PaUner, oelle qui m'avait 
volé au compte de son amant. 

Elle disait dans cette lettre que, trompée par 
celui qu'elle aimait, elle préférait la mort à «on 
abandon . 

Elle terminait en me donnant l'adresse de son 
bôtel, situé aux environs de la gare du Nord. 

— Demain, écrivait-elle, trouvez-vous avec vos 
agents à mon hôtel, c'est moi qui livrerai mon 
amant à la justice, dût-elle me frapper avec lui. 

Lelendemain, je n'eus garde de me présenter. 



324 MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 

suivi discrètement de mes plus fins limiers, àThâtel 
indiqué. 

Je n'étais pas arrivé à cent pas de Tendroit dési- 
gné par la dénonciatrice du faux comte de Mont- 
gommery, que j'aperçus un grand rassemblement, 
formé à la porte de Thôtel de la Palmer. 

Avant que je fusse arrivé, un de mes brigadiers 
qui avait pris les devants, revint vers moi, il avait 
Tair effaré, les traits bouleversés. 

Il m^annonça qu*à la chambre où je devais me 
présenter, on venait de trouver une femme morte 
depuis la veille. 

Je m'élançai en fendant la masse des curieux, vers 
rh6tel, je montai quatre à quatre Tesealier sans 
tenir compte des doléances de Thôtelier et de ses 
gens. Que vis-je dans la chambre de mon ancienne 
voleuse ? une femme étendue sans vie sur le par- 
quet. 

J^appris que la veille, un monsieur très bien mis 
était venu voir cette étrangère et qulJ ne Pavait 
quitée qu^après avoir fait avec elle, dans sa cham- 
bre, un dîner au Champagne. 

Le monsieur était parti très tard. 

Gomme les murs de cet hôtel ne sont que des 
cloisons, un voisin avait entendu le monsieur dire à 
la dame avant de la quitter : 

— On dit que tu m'as dénoncé, mais je n'en crois 
rien. En tous les cas, si cela était, ce serait tant pis 
pour toi. 

Puis, une demi-heure après son départ, le voisin 
avait entendu la femme râlant et criant dans son 
râle: 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 325 

— Âh I le misérable I il m*â empoisonnée ! 

El le matin, le voisin tourmenté par ce qu'il avait 
entendu, n*avait pas hésité de frapper à la porte de 
sa voisine. N^ayant pas eu de réponse, il était venu 
avertir Thôtelier qui n'avait pas attendu la visite 
de la police pour prévenir le cornmissaire. 

Encore une fois mon voWr mystificateur m'é- 
chappait I CeLovelace, jcr^ avait failli être vaincu 
par l'amour, tournai* <^s armes contre sa complice 
devenue sa vicj^®* 

Le faux ç^^^ de Montgommery m'échappait 
encore e^p^î^sant un nouveau cadavre derrière luil 



FIN DU TOME TROISIÈME. 



iir. 19 



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^-^ -*&-*-<^ «•«sP^^ jf '^^^:;/' *^iî2L.^ ^^^^ ^ «af— 



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^ V-^y^-^ ^^ -^"^ ^^^^-;;^ *-^.*^ 






O^^-'iV^ 






^^ r^-<- ^-^ ^>^i^ ^^a,9 ^^^uZ. 







RELEVE DES 
dont s*est occupé M, Claude, Commissaire de police. 



. 2 



10 



VICTIMES 



M. PomsoTfpréfident de cham- 
bre 



Lebrun, femme BormsTi fille 
soumise, rue Neuve-Coque- 
napd, 14 



Jbdlin, garde champêtre à 
Bouneville (Seiae-et-Oise]... 

Veuve Salmon, née Chavard, 
marchande de vin, rue De- 
noyez, 6. • 

Veuve ( Lapon, rentière*, rue 
Charles V, 23 

Assassinat à Chevilly» près Or- 
léans. 



Époux Garnibr et femme Subo, 
à Lurs 



Fallrt et Angle, boulevard 
de Clichy, 10 



Assassinat d*une domestique^ à 
Mauriac (Cantal) 



Veuve Percheron, marchande 
de charbon, rue du Grand- 
Prieuré, 33, et son fils 



mcuLPts 



JuDT , Charles , né à Ferrette 
(Haut-Rhin) 



Inconnu. 



MuLTON , Pierre-Fran çois- Al 
phonse, dit Durget 

Fênrret, Ray, fille Eugénie 
et Nêcolt, Mariette. . . . < 



Inconnu 

Un ez-zouave. 
Inconnu 



Debost, Charles, Albert, Emi- 
le, André-Marie, ou Pio, Ju< 
les 



Dubois, Pierre • • 

Cbeminbt, scieur de bois. 



ASSASSINATS 

ex-Chef du Service de la sûreté (de 1871 à juillet 1875). 



S=-5 


< 


DATES 




OBSERVATIONS. 


y 


de 
r assassinat. 


de 
l'arrestation. 


delà 
condamnation 


-de 

Texéculion. 




dans un wa- 


» 


.\ mort. 


» 


Mon arrêté. 




gon, 5 au 6 
àéz, 1860. 












15 juin 1866. 


» 


» 


» 


» 




. 1871 


» 


» 


x> 


Non arrêté. 




3 mai 1871. 


» 


» 


» 


» 




14 juillet 1871 


» 


»- 


» 


» 




12 août 1871. 


» 


» 


» 


» 




3 sept. 1871. 


» 


» 


» 


» • 




19 idem. 


• 


Debost, cond. 
T.F.lîsept, 
187î,p'cont. 


» 


Non arrêtés. 




1« nov. 1871. 


» 


> 


» 


» 




25 idem. 


h'déc.l871.. 


» 


» 


Relaxé. 



328 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 




11 
13 
13 
14 
15 

16 
17 

18 
19 
20 
21 

22 



187â 



Qréoo • n(»gocîant à Mar- 
seille 

£a.iMÉ, garçon boucher, rue de 
La Harpe, 17 

DUt Cousin, femme Bvlpalmb, 
rue Eamey, 38. 

CoLLiN, homme d'affaires, rue 
de Rivoli, 122 

Dame Martel, née Barrault, 
concierge, rue de Grenelle» 
Saint-Germain, 67 

Dame Riel, née Besson, à 
Londres...» 

Dame *Dubouro, née Denise 
MAC-LË0DE,rue Pasquier, 41. 

Olive, Augustine, femme Le- 
CLBBC.rue de la Fromagerie, 10 

Garmibr, Zoé, fille publique.. 

Toussaint , Joséphine , rue 
d*Enfer, 119 

Fille Domas, rue Saint-Domi- 
nique Saiot-Germain, 5 

DaiÛe JKAïf, concierge, rue de 
Richelieu, 54 



SiTBON, Isaac. 



Lasnë , Henri - Napoléon et 
Roussel, Alfred 



Inconnu. 



VlVIÉS.., 

Inconnu. 



DiBLANO, Marguerite, née en 
Belgique 

Dubourg^ Charles 



Deryilie, Louis 

MoREUX, Jean -Baptiste. 
Santot, Atfred-Ernèst. 

Inconnu 

Inconnu 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 



32: 



DATES. 



de . 
l'assa&siaat. 



de 
rarxû&tation. 



delà 
condamnation . 



de 
rexécution. 



OBSERVATIONS. 



» janv. f872 

33 idem, 

16 févp. 187» 
8 mars 1872 
davrU 4872 

7 idem. 
32 idem. 
39 idem. 

» 1872 
26 mai 187i 

3 juin 1872 

7 idem. 



» mars 1872 



13 avril 1772 
s'est constituai 
29 avril 1872 

» 
26 mai 1872 






14 juin 187 i, 
cond. à mort 



à moit le 13 
mai 1872 



Arrêté à Lon 
dres. 



rincu)pé s'est 
suicidé. 



17 juin i87i 



330 



HÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 



VICTIMES 



INCULPÉS. 



23 
24 
25 
26 

27 

28 

29 
30 

31 

32 

33 

34 
35 



Haiîikîi, Marie, rue de Pi*o- 
veuce, vv« ••••••••••••••••• 

Lebrau, garçin boacher, à 
Passy . . . . ' 

vASTRO, journalier, à Gous- 
saiQvill î (S«»ine*et-Oise) 

Assassinats de Limours (arron- 
dissement de Rambouillet).. 

D"« Tatat, modiste, rue Saint- 
Lazare, y 

Infanticide. Enfant de 10 jours 
jeté dans la Seine 

Mart, à Thionville 

Assassinat à Sedan 

Vi GUEUX, inspecteur principal 
au cbemin de fer de Sceaux.. 

Lallemand, fille publique, bou- 
levard Montrouge, 65 

Meurtre à Douai (Nord). . ..... 

Havenil:i, gardien au déiôi 
des condamnés 

Époux PouLiN , aubergiste à 
Sancey, près Mâcon (Saône- 
et- Loire) . 



Laoobcs, Henri 

Lebbux, Alfred, bijoutier.... 

DsLAiB , Joseph et Edouard, 
Cartier, François...... 

Bru NET, Adolphe et Lebœuf, 
Alexandre et autres soup 
çonnés. (Bande Maillard}... 

Inconnu 



BORDELOUP, Léontine. 



Mary, Pierre. 
Denis, Emile. 



Jahbe^. Isidore, chef de gare.. 

Inconnu 

DfîLANNOY» Jean-Baptiste, con- 
trebandier •*..«• 

JoLY, Alphonse, vidangeur,,.. 

MoNTi, Jean, et 1^ Grand-Phi- 
lippe (dit) « . . • 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE 



33 



DATES 



de 
l'assassinat. 



7juiUetl872 
23 idem. 

août 1872 
Idem. 

U idem. 

29 idem. 

Il sept 1872 
6octob.i872 

7 idem. 

19 idem. 

idem. 

Idem. 
ilnoY. 1872 



de 
rarrestation. 



de la 
condamnation, 



27 juillet 1872 
Arrêté. 



9 août 1872 

(«roctobi872 

» 

7 idem. 



de 
l'exécntion. 



Janvier 1873 



condamné à 
la peine de 
mortp'cont 

29 octob.i872 



OBSERYATtOMS. 



Vainement 
recherchés. 



Vain, recher 



18 dée. I87S 



Tué par u; 
gendarme. 



HÉMOniES DE HOVSIBUH CLAlfiNT. 



t1 



WICTWES. 



IICULPËS. 



36 



37 



38 



39 



40 



41 



42 



43 



44 



45 



46 



Double assassinat à panteleu, 
près Rouen 



NetWi. 



Sermantin, lieutenant de gen- 
darmerie 4 



Inconnu. 



Femme Coutubisb, marchande 
de vjjn, boulevard de Yaugi- 
gard, 49 

Jeune IDrien, Thérèse, 7 ans, 
passafge Deligny, 8 

Triple Assassinat^ Rbtel , per- 
<:eptQur, et ses deux servan- 
tes, à la Rochette (Savoie).. 

CouRTiOL, femme Robet, cou 
turière, rue Myrrha, 60. ... , 



CouiruRiERy Antoine. 



fncqnnu. 



Inconnu. 



RoRET, Auguste. 



CoQUEUiN et GoJART^ Cultiva- 
teur^ à Flini (Seine-et Oise). 
(Crimes de Limoursf) 



Ddval^ cultivateur et ForgaBS- 
les-Bains. (Crimes de Li- 
mowrs) « „ 



Faaïh, brocanteur, nie A*. 
dran, 9, à Montmartre 



GNON, rue Soulanges, 23, à 
Bercy • ^ . 

Onfroy, directeur de la Na- 
tionale ....r. 



1873 

Dedinger, dit la, Saucisse et 
autres» •..<•« ««..••• ...•••«>••« 



DuVAL, fils de la Victime...... 



Boudas, Charles. 



Femme Skttexsx , pée Moi- Moignon, Pierre, frère de la 



victime, forçat libéré. 
[SNARD, Jear-Jos€fph. . . . 



MÉMaiftEâ DE liI»r5IEUB GLAUDB. 



333 



ss 


DATES 


OBSEftVATIQIIS. 




de 


ée 


fie la 


de 




l'assassinat 


l'arrestation. 


condamnation . 


l'exécution. 






n nov. 1872 


» 


A. mprfc. 


• 


Commué. 




déû. idem. 


» 


» 


» 


» 




11 idem. 


s'est consti- 
tue. 


15 avril 1873 


«4 mai -1878 


» 




15 idem. 




» 


» 


» 




29 idem. 




» 




» 




Idem. 


s'est coDsli 


» 


» 


» 






tué 


1 1 






l>éc. 1872 et 


» 


9 


» 


Relaxés. 




janvier 1873 












13 nov. 187;- 


» 


» 


» 


Relaxé. 




30 idem. 


S pi. «674 


M sept. è8{74 


43 oct tô74 


» 




5 oct. 1873 


20 oct. 1773 


» 


» ' 


» 




l'9 janv. 1873 


19jaav. 187? 


27 awril 1873 




Réclusion 
, pwppétuelle. 



334 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 



47 
48 

49 

50 
81 
8S 

53 

54 
55 

56 
57 



WICTIMES. 



INCULPÉS. 



Payie» io ans, à Saint-Onen. 

Simon et Dbslandbs, garçons 
nourrisseurs , à Fontenay- 
sous- Bois ••••••••••••. • 

SufON, vidangeur, passage Sau- 
vage (ViUette) 



DtJRMissEAU, Alexandre, et Al- 
phonse DUBEAUX 



LsPAUCHBDX, Pierre, quartier- 
maître da marine 



Desimde, Charles. 



AuBRT , femme Moreau , à 
Saint-Denis 



Femme Baudimot, rue Alain- 
Chartier, iS 



Bbaufils, sergent-major au 
9S« de ligne à Aurillac (Can- 
Ul) 

Femme Bezard, cabaretière^ 
hameau de la Charbonnière 
(Eure-et-Loir) 



Veuve Pélissier, brocanteusd, 
rue Blondel 



Femme Bhbffbil, marchande 
à la halle, faubourg Saint- 
Denis, Il 



Patois, inspecteur au service 
de sûreté (Ternes) 



Pille GoTARD, domestique, rue 
Cujas, 7 



1874 

MoREAU, Pierre, herboriste, à 
Saint-Denis , 

Forestier, Louis 

Inconnu , 



Poirier. 



Inconnu 

Breffeil, Thomas. 



BluoiER, Jein 

Thouyiot, Henri. 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 



335 



DATES 



de 

l'assassinat. 



24 mars 1873 
129 sept. 1873 

13 nov. i873 



d6 

l'arrestation. 



29 sept. 1873 



s'est constitué 
le lendemain 



de la 
condamnation. 



de 
Texécution. 



OB ERYATigNS. 



Non arrêtés. 



18741 
6 août 1874. 
|l«' oct. 1874 

8 janv, 1874 

2 mars. 1874 
4 juin 1874 

10 idem. 
12 idem. 



6 août 1874 



10 sept. 1874 



4 juin 1874 



10 idem. 



i7 août 1874 
peine de mort 



13 oct. 1874 



336 



HÉMOIHES DE MONSIEUR CLAUDE. 



VICTIMES. 



INCULrtS. 



58 

59 

60 

61 

62 

63 
64 
65 

66 

67 
68 
69 
70 



Prévost, tourneur sur métaux, 
route de Paris à Jouy 

Maillot, peintre en bâtiment!^, 
à Trèbes (Aude) 

Veuve RouGiER^ rentière, rue 
de Vaugirard, 242 

Veuve Chéde VILLE, rue Straté- 
gique 25, à Jouy 

Caissier au Havre 

Demoiselle Oueryal 

BoBiN, armurier, rue Borda, i 

Veuve Plbt, rentière & An- 
!ony (Seine) 

RoscHER, commissionnaire en 
marchandises , rue Haute 
ville, 51 

Femme Couturteb, concierge, 
faubourg du Temple, 129. .. . 

Époux Bênard, brocanteur, rue 
Belleyme, 36 

BiLBAULT, pensionnaire de Bi' 
cêtre <, 

SÉBASTIAN!, à Viroflay (Seine- 
etOIse)... 



Inconnu... , ,.,, 

Parras et Babdi 

Maillot, Georges et Chauvin. 

Lefèvre, Élisa 

Jandon, Hippolyte , caporal 
fourrier au 87* de .ligne 

MicHAUD, Emile.. , 

Avxsalâne, FiernesJean , 

Inconnu 

Bacquet, Pierre-Louis 

1875 

Inconnu.. 

Inoonnu ,• 

LEHiKaRB,Édouard-Louis dit le 
Lutteur et Buttner.. .. 

Leroux, terrassier. . . . .' 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE. 



33T 



DATES 



de 
rassassinat. 



8 juillet 1874 
Ift août 1874 
S oct. 1874 
2 idem. 
nOY. 1874 

Idem. 

2 idem. 

3 déc. 1874. 



de 
rarrestation. 



39 idem. 

16 janY. 1873 

17 féY. 1875. 
i9 mars 1875. 
10 mars i875 



26 janv. 1875. 

2 oct. 1874.. 

3 déc. 1874. 

29 nov. 1874. 
5 idem. 
» 

31 déc. 1874 



delà 


de 


condamnation 


l'exécution. 


]ft 


f 


» 


» 


A mort le 31 


Commué. 


avril 1875 




9 


» 


A mort. 


Fusillé. 


» 


y> 


» 


» 


» 


» 


25 févr. 1875 


3 mars 1875 



OBSERYAT.ONS. 



Travaux for- 
cés à perpét 



Lehingre ar- 
rêté. 

Arrêté. 



14 juillet 1878 



10 ans de tra 
vaux forcés et 
10 a. de surv 



338 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE 



71 

7t 
73 



VICTIMES. 



Po BICHON, rue Rodier, 6 bu... 

Veuve Roques, rentière, rue 
Saint-Jacques, IS5 

IsÂCNÂS, nég^ociant, cour Boni, 



INCULPÉS. 



Blànchàrt, Henri, et Rodant, 
François 



RoQCBS, Aug^nste-Célestin. 
Inconnu. . 



MÉMOIRES DE MONSIEUR CLAUDE 



33» 



DATES. 



de 
l'assassinat. 


de 
l'arrestation. 


delà 
condamnation. 


d3 
l'exécution. 


23 mai 1875 


» 


» 


» 


5 juin 1875 

•• 




12 août 1875. 


» 


Idem. 


» 


» 


7> 



OBSERVATilNS. 



Travaux for- 
cés à perpét< 



NOTE DE L'EDITEUR. 

C'est par erreur que dans les éditions précédentes 
nous avons elle le nom de S*** dans le chapitre 



LES ALLUMEURS 



TABLE DES MATIERES 

DU TOME TROISIÈME 



CvAP. î* La préfecture de police et sa réorganisa* 

tion sous le second empire i 

— fi. Le nabab aux cinq femmes 14 

— fil. Les chevaliers d^industrie et les picks- 

pockets; les assommeurs et les toucbeurs 32 
•— IV, Ua duel au vitriol et une séduction au chlo- 
roforme. . ; 51 

— V. Les gens de théâtre et les gens de lettres. . 62 

— VI. La tante Malaga 85 

• "^ VII. Une arrestation du citoyen Blan qui 103 

"- nn. L9fiacre2,525 113 

-— Ia. Singularités, manies, manières d'opérer de 

'^ettains voleurs et assassins 131 

— X, Un mia.i ^n partie double 151 

— XL La nouvelle Manon Lescaut 163 

— XIL Les diamants du duc de B*** 183 

— XIII. L'assassin Poncet et aon ami Giraud de Ga- 

tebourse 1 99 

— XIV. Encore le poignard de Mazzini. . . , 226 

-~ XV. Les allumeurs 243 



% 



342 TABLE DES MATIÈRES. 

Chap. XM. Ce qu*il ea coAte soas Tempire pour donner 

on tombeau à Jacquard 255 

— XVII. La fin d*un sénateur 273 

^ XVIII. Us deux chefs de la sûreté 288 

— XIX. L'art de voler 306 

i— XX. Le Toleur lovelace 31S 



FIN DB LA TABLE DO TROISlÈBfB VOLUMB. 



Imprimerie D. BARDIN, i Saint Gorma'm,