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Full text of "Mémoires de Weber, concernant Marie-Antoinette, archiduchesse d'Autriche et reine de France et de Navarre"

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J<P. c. s- 



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COLLECTION 

DES MÉMOIRES 



RELATIFS 



A LA RÉVOLUTION FRANÇAISE. 



MÉMOIRES DE WEBER. 



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• 






MÉMOIRES 

DE WEBER, 



COVCSRVAVT 



MARIE- ANTOINETTE , 

ARCHIDUCHB88X d'aTJTRXCHS 

ET REIPΠDE FRANCE ET DE NAVARRE; 



ATSC 



DES 50TES ET DES ÉCLAIRaSSEMBirS HISTORIQUES ^ 



rAB 



MM. BERVILLE «t BARRIÈRE 



TOME SEœND 



PARIS. 

BAUDOUIN FRÈRES, IMPRIMEURS-LIBRAIRES, 

Unt DK TAD6IIU1D , N* 36. 

1822. 



f 



7^. 



a. S- 



4 MÉMOIRES DE WEBER. 

M. de La Fayette était respo^isable alors à la 
France et à l'Europe de la sécurité de la famille 
royale qui s'était remise entre ses mains. Cepen- 
dant il ne se dissimulait pas qu'aussi long-temps 
que le duc d'Orléans résiderait dans la capitale , la 

joumée y fit oublier que c'était lui qui avait fait le rapport dans 
lequel on proposait à la noblesse française un sénat à yie. 

« Ni cette ville coupable (Paris), ni cette Assemblée, encore 
» plus coupable , ne méritent que )e les iustiûe. Il a été au^lessus 
» de mes forces de 'supporter plus long-temps l'horreur que me 
» causaient mes fonctions. Ce sang , ces têtes , cette rvine presque 
» égorgée , et ce roi amené esclave en triomphe à Paris , au' milieu 
)> des assassins , et précédé dies têtes de ses malheureux gardes- 
» du-corps; ces perfides )ani»saires , ces femmes cannibales, ces 
» cris : Tous les éuéquesà la lanterne! dans le moment oii le roi 
» est entré dans sa capitale avec deux archevêques de son conseil 
» dans sa voiture de suite ; un coup de fusil que î'ai vu tirer dans 
» les voitures de la reine , M, Bail^y appelant cela un beau jour ; 
» TAssemblée ayant déclaré froidement, le matin, qu'il n'était pâs 
» de sa dignité d'aller tout entière environner le roi; M. le comte 
» de Mirabeau disant impunément dans cette Assemblée que le' 
» vaisseau de l'État , loin d'être arrêté dans sa marche , s'élançait 
» avec plus de rapidité que jamais. vers la régénération; .M.. Bar- 
» nave riant avec lui , quand des flots de sang coulaietit autour 
» de nous ; le vertueux Mounier échappant par miracle à dix- 
». neuf assassins , qui voulaient faire de sa tête un trophée de plus : 
» voilà ce qui me fait jurer de ne plus remettre' le pied dans cette 
» caverne d'anthropophages, moi et tous les honnêtes gens qui ont 
» vu que ledernier effort à faire pour le bien était'd'en sortir. On 
» brave une seule mort ; on en brave plusieurs quand elles peu- 
y> vent être utiles; mab aucune puissance sous le ciel, maisau- 
» cune opinion publique ou privée n'a le droit de me condamner 
» à soufi^r mille supplices par minute , et à périr de désespoir et 
» de rage au milieu du triomphe du crime. Ils me. proscriront, ils 
» confisqueront mon bien. Je. labourerai la ter te y et je ne les ver-- 
» rai plus, » W . 



CHAPITRE IV. 5 

populace, que la faction de ce prince e'tait toujours 
prête à mettre en mouvement, tiendrait la ville 
dans un état d'agitation perpétuelle , et la famille 
royale dans des inquiétudes toujours croissantes. 
D'ailleurs , il ne pouvait laisser ce prince à Paris , 
sans partager en cpielque sorte l'autorité avec lui , 
ou voir continuellement la garde nationale aux 
prises avec la populace et les brigands. Il y eut à 
ce sujet une négociation entre eux; la chronique 
du temps a cité plusieurs détails de cette négocia- 
tion, que je ne répéterai point, ne les trouvant 
point suffisamment avérés. Le. duc d'Orléans hési- 
tait à céder aux désirs , ou , si l'on veut , aux me- 
naces de M. de Là Fayette; le roi le décida , en 
lui disant qu'il était impossible que M. de La 
Fayette et lui restassent en même temps à Paris ; 
que les événemens qui venaient de se passer, et la 
confiance qu'inspirait ce général, rendaient sa pré- 
sence nécessaire à la tranquillité de la capitale et 
à celle de la famille royale ; qu'il était indispen- 
sable que l'un des deux se retirât; et que c'était 
en conséquence à lui à céder. 

M. de Montmorin écrivit à l'Assemblée natio- 
nale, que le roi avait donné à M. le duc d'Or- 
léans une mission pour l'Angleterre, et que ce 
prince, prêt à partir , n'attendait qu'un passe-port 
des représentans de la nation. On ne se méprit pas 
à l'importance de cette mission ; le passe-port fut 
accordé , non sans beaucoup de remarques de la 
part de ses amis de la veille , et notamment sur le 



6 MÉMOIRES DE WEBER^ 

peu d'énergie qu'il témoignait dans cette occasion 
critique; et Philippe d'Orléans partit le i4 octobre, 
se jugeant lui-même indigne des criinçs qu'il 
payait y renonçant f^u succès à cause de la peine , 
et mettant , connue on le dit alors , conjuration a 
bas. Il se fît accompagner du sieur Choderlos-La- 
clos et de madame de Bufibn ; et par-là , il fit voir 
à l'Angleterre et à toute l'Europe , le mépris qu'il 
faisait de l'opinion publique. 

Dès ce moment, plusieurs amis du duc d'Or- 
léans , voyant combien il y avait peu de sûreté à 
compter sur lui , voulurent se retourner vers la 
cour. Mirabeau ne fut pas des derniers à exprinjer 
le désir d'être utile au roi , moyennant des arran- 
gemens pécuniaires et honorifiques. Cette négocia- 
tion, entre Mirf^besiu et la cour , iiurait été con- 
due beaucoup plus tôt qu'elle ne le fut, si l'j^ssem- 
blée nationale n'eût pas rejeté avec obstination 
toutes les mesures que Mirabeau proposait, lors- 
qu'on soupçonnait qu'elles tendaient à l'introduire 
d^uis les conseils du roi. 
' La reine ayant vu Mirabeau fibandonner le duc 
d'Orléans après son départ pour l'Angleterre, 
pensa , avec raison , qu'il ne fallait rien négliger 
pour s'assurer de cet homme énergique et influent , 
et l'empêcher de se livrer aux partis qui allaient se 
former des débris du parti orléanique. INJ^. de La, 
F^jette , qui connaissait fort bien la très-n:iince 
opinion que Mirabeau avait de lui , ainsi qujB 
de M. Necker , s'y opposa constamment à cette 



CHAPITRE IV, 7 

ëpoque. Il se coutenta de lui faire dôtlhér ^ soujï la 
forme d'un prêt y quelque aiigent par tin intermé- 
diaire ; et il resta dans la possession paisible de 
premier conseiller y gouverneur et commandant en 
chef de la fahiille royale ,- pendant son Séjour aui 
Tuileriies. 

Marie^Antoinette , qui n'apercevait presque plus 
autour d'elle et du roi que des figures inëônnués y 
que des honmies qui n'avaient d'énergie que pour 
les insulter , ou au moinâ les bràtei* , et trjês-peil 
qui en eussent pour la protéger èfficàCenient y 
avait toutes les peines à dissiniUldt* le Chagrin 
profond ^ui lui navrait le cœur. 

Pour doniter une idée de sa dttfatiôil y et des 
efibrts qu'elle faisait sur elle-même y je vais citer 
une anecdote y qui fera connaître en méttié^ témp^ 
l'esprit et la sensibilité de M. le dauphin. 

Les femmes de chambre dé la reittè s'dîitrete- 
naient i» jour de la bienfaisance ' de Sst Majesté y 
qui venait de donner une dot à une deili^iselle 
bien née y afin de la mettre à portée d'épomier un 
honnête homme peu fortuné , qui la récherchait de- 
puis long**-temp6. Gette conversation àyaM été 
continuée en présence du dauphin : Jlhl que dette 
demoiselle va être contente , dit une d'éiitré éîlès , 
quand elle stiura cette bonne- nowelle! Elle sera 
heureuse comme une reine. L'application de ce 
proverbe ajant frappé le daupàîn^ lui fit faire un! 
mouvenietit trè»*vif ; et jetant hs^ jett^F si\)F la' p'ci*- 
sonne qjii venait :de; prononcer ces mots ,'ii lui dit 



8 MEMOIHES DE WEBER. 

les larmes aux yeux : Ce n^est certainement pas de 
maman que vous voulez parler ^ lorsque vous vous 
exprimez ainsi. Toutes ces femmes , étomiées de la 
réflexion de ce jeune prince , baissèrent les yeux ; 
il n'y eut que la dame de Neuville, première 
f enmie de chambre , qui osa prendre la parole , en 
disant : Eh ! pourquoi la maman de monseigneur 
n* est-elle pas heureuse ? Le jeune prince poussa 
un profond soupir y en serrant les deux mains de 
cette danie ; et regardant mystérieusement autour 
de lui , pour voir s'il n'y avait pas d'étrangers , il 
ajouta d'une voix entrecoupée : Non^ vousdis^je y 
maman ne peut pas être heureuse , elle pleure tou^ 
jours. Ce récit fit verser des larmes à toutes ces 
dames, f^oilà donc y se disaient-elle^ , /a cause des 
yeux rouges de notre malheureuse maîtresse. 
Quelle grandeur d^ame , de passer ainsi la nuit 
dans les pleurs y et d^ avoir la force de conserver 
pendant le jour la sérénité sur le front ^ et le sou^ 
rire sur les lèvres ! 

Mais revenons à la suite des attentats de la fac- 
tion révolutionnaire- 

La disette des subsistances cessa du moment que 
les complots du 5 octobre eurent échoué. Chacun 
se procura sans peine le pain qui lui était néces- 
saire , pendant les huit jours qui suivirent l'arrivée 
du roi à Paris. Mais lorsqu'on vit le duc d'Orléans 
paçtij?: d'un,e manière aussi imprévue et au^si équi- 
voqi^,,: ses agens secrets, rçcommenoèreht «à agiter 
laipopulace^ Il se forma des^atlràupeméii^ à (la 



CHAPITRE IV, g 

porte des boulangers; et la vie de ces nialheurçux , 
à la cupidité desquels on feignit d'attribuer la 
cherté des subsistances (i), ne fut pas en sûreté. 
Un d'entre eux , nommé François , qui avait cuit 
toute la nuit , fut accusé d'accaparement ; en con- 
séquence y il fut pendu par la populace à la même 
lanterne où Foulon l'avait déjà été , et sa tête fiit 
portée au bout d une pique^ devant les fenêtres des 
Tuileries. 

Cet événement engagea l'Assemblée nationale à 
décréter la loi martiale contre les attroupemens fu- 
turs. Un des coupables du meurtre fut saisi, jugé et 
exécuté. C'était un des porte- faix de la Halle-au-Blé, 
connu sous le nom de fort de la Halle. Ceux qui 
avaient été témoins du supplice, plus étonnés 
qu'effrayés , disaient ingénuement : w Mais quelle 
>j liberté avons-^nous ? On ne peut donc plus pendre 
» personne ! w On fit un service solennel pour le 
malheureux boulanger ; on constata publiquement 
son innocence , et même sa moralité ; on accorda 
une indemnité, sur le trésor public , à sa veuve et 
à sa famille , et Marie-Antoinette y ajouta une pe- 
tite pension sur sa cassette. 

L'Assemblée nationale se transporta à Paris , le 



(i) On est aussi ëtonné qù'indîgnë de voirie continuateur de 
V Histoire de France , de Tabbé Millot , ouvrage estimé , dire que 
la disette factice qu'éprouvait alors la ville de Paris était TefTet 
des machinations de la cour de Londres. Comment peut-on répé- 
ter , long-temps après que Jes jugeméns ont dô s'épurer, des ab- 
surdités que la Sottise dictait alors à la fureur ? W'. 



lO ttÉMOIRES DB MfEBER. 

ig octobre. Elle y tint ses séances , pendant vingt 
jours , à l'archevêché y jusqu'à ce que le manège 
des Tuileries y qu'elle avait choisi y fût prêt à la re- 
cevoir (i). 

Un homme à tête ardente , M. le marquis de 
Favras y s'ima^na alora qu'il serait possible de faire 
]fii coutre-srévolution. Il ne s'agissait y dans sob plan, 
qu^ d'enlever le roi > de le conduire à Përoime y 
de s'assurer des personnes du marquis de La 
Fayette et de M • Necker ; de réuair douze mille 
hommes à cheval dans Pàiis^ et d^ les faire soute- 
, nir par une armée composée de vingt mille Suisses, 
vingt mille Sardes y et douaie mille Allemands. Il 
CQonmuniqua son plan à quelques personnes qui 
avaient l'honneur d'approcher S. A. R. Monsieur. 
■^^^■■■^■■■^■■^'^■^■■■■■—^■^——■■—i——^—— —————— ■ < ■ » Il ■ I ■ Il I «1 ■ —I. 

(i) Ga chott fut l'objet de beaucoup de plaisanteries , et donna 
lieu à plusieurs pamphlets , parmi lesquels on en distingue uu en 
trois parties , intitulé : Les Chevaux au manège , que nous ferons 
connaître à la fin de ces Mémoires {Note A). Ce qui rend cet opus- 
cule remarquable , c'est que Fauteur ne ménage aucun parti et ne 
fait exception de personne. Ainsi Mirabeau , sous le nom du Piiu- 
lanty est représenté comme vicieux et n* ayant rien de sacré; Tabbé 
Maury , comme honteusement fameux par une basse complaisance et 

des faiseurs déshormétes; Tabbé de M^.. , oomnie un ambitieux , 

dont Al. manche fut toujoun tortueuse et ambiguë ^ d'Ëprémesnil 3, 
comme un énergumène; le chevalier de Boufflers, comme utt^étre^ 
pul; Gazalès enfin , à qui ses ennemis teèmes ne pouvaient con- 
tester un beau talent , Gazalès offre , selon Fauteur, un mélange 
ç^ultèr& de philosophie et de pusillanimité y tt éloquence et de ba-^ 
vapdage, de rigidité et de ^xibilité de principes y d^oigueil et det. 
popularité. Quelquues-uns de ces.traits sont exacts , beaucoup sont 
injustes; mais la brochure n'en eut pas moins le succès qu*obtîen% 
toujours la malienité„ {Note des nouv, édit, ) 






ï 



GHAPITRB IV. II 

Ce projet leur parut extravagant > et ils n*y firent pas 
plus d'attention qu'à cent autres de la même espèce 9 
qu'imaginaient tous ceux q^i yqulaient se donner 
quelque importance ; mais les s^rviteursi du prince 
auraient rougi d'être les délateurs de ce^ malheu-^ 
reux. U résulta de leiir silence , en cette occasion | 
que le marquis de {^avras ayant sondé sur son plan 
quelques sol,dats de la troupe de M. de I^a Fs^ettc, 
et' ayant osé leur faire entendre que ce projçt avait 
la i^auctiqu 4e quelques grs^nds persom^iges ^ Favras 
fut dénoncé au marquis de La Fayette ^ puis arrêté 
çt enyoyé au Cbâtelet pour y être jugé. Le nom de 
Monsieur se trouvant impliqué dans la dénoncia- 
tion , c^. prince sç hâta d'aller s'en disculper au- 
près du roi , et çn reçut ordre 4'allçr sur^lerchamp 
à la conxmune de Paris , afin de pipévenir , sans pep^ 
dre un moment y tous les soupçons qui allaient 
circuler y et que la méchanceté ne manquerait pas 
d'envenimer. L'apparition de ce prince à la com- 
mune , le ton de franchise et de dignité avec le- 
quel il y parla , eurent le succès, qu'il pouvait es- 
pérer de cette démarche. M. de La Fayette mit à 
la poursuite du malheureux Favras un acharne- 
ment qui lui sera toujours justençient reproché. 
Le rapporteur du procès y M. Quatremère y enten-' 
dit de sa bouche ces paroles funestes : (c Si M. de 
» Favras n'est pas condamné ^ je ne réponds paçi. 
>^ de la garde nationale. » 

Favras fut pendu en place de Grève , pour avoir 
yévé une bonne action. Il excita beaucoup d'înté-t 



12 MÉMOIRES D£ WEfiER. 

rét , par la fermeté avec laquelle il soutînt son 
procès et sa condamnation , et par le courage avec 
lequel il sut mourii' ( i ) . 

On sent dans quelles alarmes continuelles ces 
différentes scènes sanc^lantes faisaient vivre le roi 
et la reine. Leurs Majestés eurent la douleur de 
voir , à là suite de l'exécution de Favras , M. de La 
Fayette placer un énorme canon en batterie, sur le 
parapet de la partie du Pont-Neuf où était la 
statue de Henri IV : ce canon , ainsi placé , sem- 
blait menacer leur demeure (2). 

Il avait été créé des comités des recherches dans 
l'Assemblée nationale et dans la commune de Pa- 
ris, qui déjà était une autorité rivale formidable. 
Elle le devint bientôt davantage , après la forma- 
tion du club des patriotes , qui se rassembla dans 
le couvent des Jacobins de la rue Saint-Hônoré ., 
par les soins de M. le duc d'Aiguillon, de MM. de 

(i) Thomas Màhy , marquis de Favras, était un homme d'une 
iraaginittion ardente et fertile en projets. Avant la révolution , il 
en avait proposé plusieurs qui ne furent point accueillis. Celui 
dont il est question n'a pas été prouvé, quoique Tauteur des 
Mémoires paraisse n'admettre aucun doute sur son existence. Les 
détails qu'il donné se trouvent dans les dépositions de trois hommes 
ohscurs , sur le témoignage desquels Favras fut condamné. Au 
moment de l'exécution il persista dans ses dénégations , disant 
seulement qu'un grand seigneur de la cour l'avait chargé de sur- 
veiller le faubourg Saint-Antoine. "Voyez les Mémoires de Fer- 
rières. {Note des nouu. édii,) 

(a)C« canon avait été placé sur le lerre-plein du Pont-Neuf, pour 
donner ou répéter le signal des fêtes , et suppléer au canon de la 
Bastille qui avait eu la même destination. {Note des nout^, édit) 



w 



CHAPITRE IV. l5 

Lameth et des députés du tiers-état de Bretagne , 
qui furent les fondateurs de cette société ter- 
rible . 

Ces comités se livrèrent à des recherches si ri- 
dicules , sur les dénonciations les plus extrava- 
gantes , qu'ils furent l'objet des sarcasmes du pu- 
blic. M. Charles de Lanieth. alla lui^^même visiter 
un couvent de filles , k la tête d'un détachement 
de la garde nationale , dans resp6I;r d'^ trouver , 
et de faire patriotiquement mettre à mort le garde- 
des-sceaux , M. de Barentin. Les curie vix conser- 
vent un joli petit poëme, intitulé : les yinhànciadeSy 
auquel cette ridicule expédition donna' lieu*. Chaque 
jour on imaginait des conspipation^' de ^espèce la 
plus ridicule , afin de tenir con§tan>ment la popu- 
lace en mouvement. 

La situation dans laquelle le i^oi et sa famille se 
trouvaient , avait causé u,ne vive sensation et 
développé une certaine énergie. Déjà il s'était élevé 
plusieurs écrits périodiques en faveur de la com* j 
et en opposition à la démagogie. Les uns osèrent 
appeler l'intérêt public sur le monarque , en s'in- 
titulant les aniis du roi (i) , et d'autres bravèrent 
la mort plus immédiaten\ent , en couvrant de sar- 
casmes les articles de la nouvelle' constitution , les 

(i) Je ne puis m*empêcher de transcrire ici quelques couplets 

de la romance du Troubadour béarnais, chantés partout ûii Ton ne 

chantait pas Tair sauvage de çà ira. La douceur de Tair, qui était 

' celui d'un ancien chant languedocien, correspondait parfaitement 

au sentiment que les paroles exprimaient : 



î4 IfÉMOlRES DE WEËER* 

(5ohtîfuans ef ceux qui disposaient de la lanterne 
et des coupe-têtes. 

LE TROUBADOUR BÉARNAIS. 

Uff troubadour béarnais ^ 
Les yeux inondes de larmes , 
A ses montagnards chantait 
Ce refrain , source d'alarmes : 
Louis , le fils de Henri , 
Est prisonnier da&s'Paiis. 

Il a TU couler le sang 
De cette' g&rJé fidèle , 
Qui vient d'ofinr en mourant 
Aux Français un beau modèle } 
Mais Louis , fils de Henri 4 
En priMnikièr âatisf Paîis. 

H a trefinij]^ pàiit lès jouAl 

De sa compagne chérie , 

Qui nV trouvé de secours 

Que dans sa propre énergie^ 

Elle suit le fils de Rénri 

bans les plisoùs de Paris. | 

Le daup1)in , ce fils chéri , 
Qui seul fait notre espérance^ 
De pleurs sera donc nourri ! 
Le bercekti qtf on donné en France 
Alix enfans de notre Henri , 
Sont les prisons de Paris. 

O nVst si triste appareil , 
Qui du respect nous dégagé ; 
Les" feux ardens du soleil 
Savent percer le nuage ; 
Lt prisonnier dans Paris 
Est toujours fils de Henri* 

Ftançais, ttop ingrats Français, ^ 

Kendez le roi , sa compagne; 



CHAPITRE ÏV. t5 

TcmCes les fois que Marie-Antoinette Èe fyrëdeti* 
tait en publia y le peuple , mà\gré Pefiferveseetice 



Ceêi \e bien du Béarnais, 
CdC réÉiaat de là Montagne : 
Le boubeAHr t^^avml Hepri , 
Nous rassurons à Louis. 

iCheB'i^<ii|9 , l!lM>aime « dv set'dMriti 
Kecouvrë le noble usage» ' i 

' " ' 'fît vous opprimez tos rAisf 

All'^ qtJél i&jii^ partiige! 

Est prisonnier dans Paris. 

trait charmant de madame .Éliftal^dt^ (*!)^Xotti le monâ^la elMiiIsi 
sur TailT du pauvre Jiaicques. 

PaiiTHBk p)to{il« ,* i|iiaiid tu-n'aTaiç quktii' ffoi , 

Xu ne, sentais pas la misère: 
" Mais à 'prëseM'aTeo douze cenU rois 

Ttlfttttqttetid(^UMit*sarla^tArrè;etc. 

(''') Voici Tanecdote qui donna lij?u à cette romance. 

Tous lis inembi'esdela famille royale avaient dès i&aisôffà de cairipa- 
gne partifcuUèileSy'pour s'j délasser de9 litiguel delalrepi^ëtttlttiffiiV 
tSétirU-CJoud était^à la- reine, BnuMy à Monsieur, <i?â^ate//e à M. le' 
c«mte dlÀttois , Béllevûe- aux tantes du roi. Madame Elisabeth n^eu 
deoiavdiMi pas J'ornais ëtâttf veaite A Mcmtttiuil par hasard dsAS'uné mai- 
son charmante appartenant à madame de Gnémenée , le roi lui dit : 
f^ovs êtes chez vous, En effet, il venait secrètement de Facquërir pour 
la lui donner. G^est. là que niadàra« Éiisabeth pésM lés plà^ doux* nfc^ 
mens, de sa vie dans les soins chaitopétrea , iabieiàfiMCtce' et les sènti-^ 
mens donxgu'inspirêleBpectaole'deU natnrb. Peurforîàiermwlaitérte 
elle ^t' venir de/8uts8e quatre génisses «uparber^ et une jêoi^e filk' dn 
Valais pour en prendre soin< Cette dernière s^appelait Mkrie. Belle, 
naïve , mais toujours mélancolique , sa nouvelle place ne ' pouvait Itiî 
faire oublier ses montagnes , et surtout Ifacques à qui elle avait été pro- 
mise. Elle confia sa peine à madame de Tkepenet'yqm composa aussitôt 



l6 MÉMOIRES DE WEBER.* 

qu'on cherchait toujours à exciter contre elle , lui 
témoignait, par son empre^ement et ses acclama- 
tions , le respect et l'attachement qu'on lui témoi- 
gnait encore. Al'Opéra, le chœur d'Iphigénie : 
Chantons y célébrons notre reine , occasionait les 
mêmes applaudissemens et les mêmes transports , 
qiie lorsque Marie-Antoinette parut à ce spectacle 
pour là première fois après^ son ayènement au 
trône. Un four que Sa Majesté assistait au Théâtre 
Italien y à une représentation des Événémens im— 
préims y une actrice d'une grande • célébrité (i), 
qui jouait un rôle de soubrette , ayant à dire , 
dans un passage de son rèle 9 ces mots' : Ah! que 
j'^me tnà matti^sef s^e'i'etùiithsité'rs la loge où 
était la reine , avec une grâce et une adresse qui 
lui étaient particulières. Lés bravos réitérés du par- 
terre et des loges témoignèrent qu il n'était per- 
sonne dans la salle qui n'éproavàtle.fpème senti- 
ment. 

Ces petites scènes fournirent quelquefois, à: Ma- 
rie-Antoinette l'occasion de 'donner des' leçons 
irigénîeuèes et délicates à ceux qui s'étaient faits , 
de gré oi^rde force y les instrumens -^s passions^ - 



les paroles et Tair de la jolie romance : Patwre Jacques ^ quand j'étais " 
près de toi, eto< Maiîe l'apprit , et la chanta au moment où madame Eli- 
sabeth passai tw Touchée de la flexihiKtë «de 4a Vdii: de la jeude fille ,' la 
princesse s^iatëressa à son sort, et,* apprenant qae la romatice d^peî> ' 
gnait sa véritable situation , elle fit y enir Jacques de Suisse à' Mon treuil, 
et Punit pour toujours h Marie, 

( I ) La dame Dugazoo . W. 



CHAPITRE IV. 17 

des factieux. Elle accompagnait le roi dans une 
visite que la famille royale faisait à la célèbre 
manufacture des glaces du faubourg Saint-An- 
toine. Le peuple se précipitait de toutes parts pour 
jouir de la vue du monarque, (c Voyez , madame , 
» dit alors M. de La Fayette à la reine , voyez 
i) comme ce peuple est bon quand on va au-de- 
>} vaut de lui ! — Oui , Monsieur , lui répondit la 
» reine ; mais vous savez bien qu'il n'en est pas 
j) tout-à-fait de même , quand il vient au-devant 
» de nous. » M. de La Fayette sentit l'application 
et ne répliqua rien. 

L'anarchie qui résultait de la décomposition to- 
tale du royaume et de la captivité du roi , occa-^ 
sionait en tous lieux des scènes sailglantes. Lès 
ministres du roi lui persuadèrent que , s'il fai- 
sait auprès de l'Assemblée nationale une démarche 
prononcée, cela pourrait rassurer les esprits au de- 
dans , et en même temps calmer les mécontente- 
mens des cours étrangères , qui déjà murmuraient 
hautement de la détention de la famille royale. Le 
roi se prêta à faire tout ce que ses ministres lui 
dictaient , croyant que , quand bien même il ne fe^ 
rait par là que sauver la vie d'un seul de ses sujets , 
sa conscience l'absoudrait de cette démarche , et 
que la postérité saurait lui rendre justice. 

Le roi se rendit en conséquence à l'Assemblée 
nationale , le 4 février à midi , accompagné de ses 
ministres et de quelques officiers de sa maison , 
mais sans aucune garde militaire. On avait préparé 



II. 



l8 MÉMOIRES DE WEBER. 

pour Sa Majesté un fauteuil à droite , mais au ni- 
veau de celui du président de- l'Assemblée y qui y 
ce jour-là, était M. Bureau de Pusjr. Après de 
longs applaudissemens , le roi parla debout. Il rap- 
pela d'abord la situation effrayante de la France , 
et ses soins pour écarter les troubles tant intérieurs 
qu'extérieure. 

« Il est temps, dit Sa Majesté:, que je m associe 
» plus intimement , et d'une manière encore plus 
)) expresse et plus manifeste , à l'exécution et à la 
» réussite de tout ce que vous avez concerté pour 
» l'avantage de la France. » 11 cita , en peu de 
mots , ce qu'il avait fait dix ans auparavant , pour 
l'établissement d'un ordre de choses plus favorable 
à la liberté nationale , par la formation des Assem- 
blées provinciales. Il ^mnonça l'engagement de £aL— 
voriser'et.de seconder, de tout son pouvoir, le 
succès de la nouvelle organisation d'où devait dé- 
pendre la félicité publique. 11 invita au sacrifice 
de tous souvenirs pénibles , ceux que leurs pertes 
récentes ou des privations inattendues pouvaient 
armer contre un ordre de choses devenu le seul 
moyen de salut. Il finit par cette phrase tou- 
chante : 

(( Vous, qui pouvez influer par tant de moyens 
» sur la confiance publique , éclairez sur ses véri- 
» tables intérêts ce peuple qui m'est si cher, et 
» dont on m'assure que je suis aimé quand on 
» veut me consoler de mes peines. » A ces mots , 
il éclata de toutes parts, dans la salle, des acclama*- 



CHAPITRE IV. ^^9 

lions et des applaudissemens. J'étais présent à cette 
séance dans la tribune située yis-à-vis du fauteuil 
du roi. Au milieu des témoi^ages de la sensibi- 
lité publique , je n'oubUerai jamait» que je ris le 
député Barrère fondant en larmes , en disant hau- 
tement : « Ah I quel bon roi y quel bon roi I oui y 
n il faut lui élever un trône d'or et de diamans. » 
Le roi ayant fait la promesse de maintenir la 
constitution y il fut décrété sur-le--champ que nul 
ne serait admis à une fonction publique sans avoir 
fait le serment civique , ainsi conçu : « Je jure d'être 
» fidèle à la nation ^ à la loi et au roi y et de main- 
» tenir de tout mon pouvoir la constitution dé- 
n crétée par l'Assemblée nationale y et acceptée par 
» le roi. » Alors commença la longue comédie de 
' ces prestations de sermens^ qui ont^té si souvent 
renouvelés et violés depuis y et qui ne paraissent 
pas encore près d être terminés. Tous les membres 
de l'Assemblée nationale prêtèrent ce serment l'un 
après l'autre , à l'exception du vicomte de Mira- 
beau , de trois autres membres de la noblesse y 
MM. de Chailloué^ de BoinviUe et de Belbeuf, 
et de M. Bergasse , député du tiers. Ce fut à la fin 
de cette séance que le vicomte de Mirabeau brisa 
son épée sur ses genoux , dans les corridors de la 
salle y en disant ces mots célèbres : Lorsque le roi 
brise son sceptre y ses sen^iie^rs dois^nt briser leur 
épée (i). 



(i) Le TÎcomte de Mirabeau était en opposition directe avec son 
frère lis comte. Autant Tun était factieux, autant Tautre était pro- 



SO MEMOIRES 1)K WEBER. 

Comme il reprochait a labbe' Maury d'avoir fait 
sa déclaration comme tous les autres ^ ce député ^ 
qui ne croyait pas qu'une promesse extorquée par 
la violence engageât sérieusement la personne 
qui promettait , et qu'il ne fallait pas , par la con- 
sidération contraire , renoncer à, la possibilité de 
pouvoir faire du bien ou prévenir du mal , répon- 
dit plaisamment par ce vers d'une tragédie : 

Le parjure est vertu quand le serment fut crime. 

L'application eut son effet ; car les quatre mem- 
bres de la noblesse que j'ai déjà cités, rentrèrent 
bientôt dans le sein de l'Assemblée nationale , à 
l'exception du seul Bergasse , qui s'opiniâtra jus- 
qu'à la fin à avoir raison contre toute l'Assemblée. 

Dans son discours , Louis XVI parla du jeunq 
dauphin de la manière suivante : (( Je préparerai 
» de , bonne heure , dit-il , l'esprit et le cœur de 
» mon fils au nouvel ordre de choses que les cir- 
» constances ont amené : je l'accoutumerai, dès 
)) ses jeunes années, à être heureux dans le bon- 
» heur des Français ; je l'accoutumerai à recon- 
» naître , malgré le langage des flatteurs , qu'une 
» sage constitution le préservera des dangers de 
» l'inexpérience , et que la liberté ajoute un non- 

nonce et même violent dans le parti royaliste. L'Assemblée offrait 
alors le spectacle de plusieurs frères qui siégeaient dans les deux 
côtés opposés de la salle , entr'autres le comte et le vicomte de 
Beaubamais. C'est ce qui fit dire avec assez de justesse , dans le 
temps, qu'un pays oii l'on voyait tant àt frères ennemis ne deuait 
pas tarder à devenir une T/iébaïde, W 



CIIAPITRK IT. 21 

» veau prix aux sentiniens d'amour et de fidélité 
f) dont la France , depuis tant de siècles y donne à 
» ses rois des preuves si touchantes. » 

Il avait été nommé une députation pour aller 
sur-le-champ présenter au roi une adresse de re- 
mercîmens. Elle s'empressa de venir rendre compte 
de sa mission dans la même séance . (( Nous avons 
» rencontré, dit M. Target, la famille royale qui 
» venait au-devant de Sa Majesté. La reine nous 
» a adressé ces paroles précieuses : Je partage tous 
» les serUîmens du roi , et je m'unis de cœur et 
» d'esprit à la démarche que son amour pour son 
» peuple vient de lui dicter: voici monjilsj je l'en- 
» tretiendrcU sans cesse des vertus du meilleur 
i) des pères y et je lui apprendrai de bonne heure à 
» respecter la liberté publique y et à maintenir les 
» lois y dont j'espère qu'il sera le plus ferme sou* 
» tien. » 

Ce discours et ces démarches avaient amolli le 
cœur des anthropophages. On aurait cru, après 
cette séance , que l'Assemblée nationale se serait 
empressée d'entourer son roi et sa famille de toutes 
les marques de respect , d'amour , au moins de dé- 
férence ; bien loin de là , ce fut le moment qu'elle 
choisit pour ordonner la publication du //f re rouge 
ou des dépenses secrètes (i) , et cela , afin d'in- 
sulter le monarque , et de rendre la couronne 
odieuse au peuple. On se garda bien de faire cou- 

(j) Voyez, à la fin du Yolume, quelques détails sur ce livr« 
ioug« [note B). (No/e des nouu. étiit.) 



\ 



J 



22 MÉMOIRES DE WEBER. 

naître à la nation les motifs des bienfaits accordes^ 
et de lui expliquer ceux qui l'avaient ëte au ser- 
vice y. au besoin ^ à la naissance ^ à la faveur ^ à la 
reconnaissance. On ne voulait qu'exciter des mé- 
contentemens et des murmures. Cependant on ne 
fut pas médiocrement surpris^ de trouver les deux 
frères Lameth y deux dès principaux démagogues 
de l'Assemblée ., portés pour soixante mille francs 
dans ce même Iwre rouge. C'était la somme que 
Marie-Antoinette avait consacrée à leur éducation. 
Ces Messieurs y pesant leurs sentimens au poids 
de IW, se crurent quittes de toute gratitude en- 
vers la reine ^ en empruntant cette somme de 
M. Laborde^ et en la faisant verser au trésor 
royal. 

La liste des pensionnaires de l'État fut imprimée 
et distribuée successivement. Sa publication dura 
six mois. M. le duc de Polignacy parut pour une 
soàmie de quatre-viùgt mille francs. Les débats , 
dans lesquels il fut) outragé de la manière la plus 
scandaleuse^ lé contraignirent à publier, à Venise, 
un mémoire justificatif y dans lequel il prouva que 
tous les bienfait» y appointemens et places dont il 
jouissait , pour pouvoir soutenir à la cour l'état de 
premier écùyer de la reine , et madame de Poli- 
gnac , celui de gouvernante des enfans de France ^ 
se montaient à deux cent quatre-vingt-onze mille 
francs , dont une partie encore leur avait été accor- 
dée comme indemnité, pour réparer les brèches 
qu'ils avaient faites à leur fortune particulière, afin 



\ 



CHAPITRE IV. 35 

de pouvoir soutenir leur état à la cour y avant d'a- 
voir obtenu les places et les pensions que la mali- 
gnité leur reprochait avec tant d'acharnement (i). 

Ce fut à peu près dans ce temps que mourut Jo- 
se{^ II. L'attachement que la reine portait à son 
auguste frère avait été dénoncé comme un crime. 
Elle fut obligée de dévorer en secret la douleur 
que lui causa la perte d'un parent aussi cher. 

L'anniversaire du 1 4 juiUet , jour de la prise de 
la Bastille , avait été fixé par un décret, rendu le 
27 mai , pour une fédération générale de tous les 
Français > et il avait été ordonné à toutes les gardes 
nationales de toute la France , et à tous les corps 
de l'armée , d'assister, par députation , à cette fête 
civique . 

Le duc d'Orléans clioisit cette époque pour re- 
tourner d'Angleterre , sans permission du roi , 
quoiqu'il n'eût passé dans ce pays que par ordre de 



(i) État des revenus de M. le duc et de madame la duchesse de 
Polignac pendant le temps de leur plus haute faveur. 

1°. }ja place de premier ëcuyer de la reine , chevaux , livrées et 
appoin temens . 80 , 000 fr . 

2°. Le domaine de Fenestranges. 70,000 

3°. La place de gouvernante des enfans de France.' 5o,ooo 
4*^. Pension sur le Trésor royal. 80,000 

5**. Direction générale des haras. ia,ooo , 

\^ 393,000 fr. 

Sur quoi il faut observer que ces bienfaits n'avaient «té accordés 

^ la maison de Polignac que depuis 1783 jusqu'en 1786 , et qu'elle 

avait engagé précédemment pour 800,000 francs de ses biens. 

W. 



^4 MÉMOlAtS DE WEBER. 

Sa Majesté. 11 prit la fédération pour prétexte de 
sa rentrée en France; sa qualité de député lui 
imposant , disait-il , le devoir d'y assister. Avant 
de quitter Londres , il adressa à M* de La Touche, 
son chancelier, aussi membre de l'Assemblée, un 
mémoire qu'il lui Ordonna de lire à là tribune : il 
y exposait que son séjour était désoïmais inutile 
en Angleterre pour le service du roi , et qu'il ne 
pouvait avoir égard aux représentations faites par 
un aide^de^camp envoyé par M. de La Fayette 
pour lui faire entendre que les motifs qui avaient 
rendu son\ voyage nécessaire subsistaient encore, 
et que sa présence servirait de prétexte aux gens 
mal intentionnés pour exciter les* plus grands 
troubles. Après la lecture de cette lettre , M. de 
La Fayette répéta ce que son aide-de-camp /avait 
dit de sa part au duc d'Orléans. L'Assemblée , qui 
n'avait pas de raisons pour tenir le duc d'Orléans 
éloigné , passa à l'ordre du jour. Le prince arriva^ 
et bientôt l'Assemblée nationale et toute la France 
furent plus agités que jamais. Le parti révolution- 
naire lui-même se divisa , et forma deux nouveaux 
partis , qui , malgré qu'ils ne fussent séparés que 
par quelques nuances d'opinion , furent toujours 
par la suite plus acharnés l'un contre l'autre , que 
contre les partisans de l'ancien régime. 

Je vis le duc d'Orléans aux Tuileries , le premier 
jour qu'il reparut à la cour, à son retour de Lon- 
dres. Dans sa première entrevue avec le roi. Sa 
Majesté lui dit ces paroles qui peignent si bien son 



CHAPITRE IV. 25 

cœur : Prenez , Monsieur ^ vous apprendtez à être 
bon Français. 

Certes , Louis XVI avait bien raison ; si jamais 
il y eut une occasion de se convaincre que le gros 
de la nation , loin d'être factieux , n'était composé 
que de bons Français , ce fut à cette fête nationale 
de la Fédération. Tous ces fédérés , à leur arrivée 
des provinces , demandaient à être présentés au roi; 
et témoins des vertus de ce monarque et de son au- 
guste compagne^ ils rivalisaient d'empressement 
à leur payer un juste tribut d'admiration et d'é- 
loges, M- de La Fayette , qu'on accusa dans le temps 
d'avoir provoqué cette fête pour s'y faire déclarer 
généralissime de toutes les gardes nationales du 
royaume, M. de^ La Fayette conduisait souvent 
desdéputations de ces fédérés , pour présenter leurs 
bommages au roi et à la reine ( i V Un chef des fé- 
dérés d'Anjou, M. Delaunay d'Angers, profita de 
la circonstance pour adresser à cette princesse un 
compliment très-flatteur. Ce M. Delaunay fut, 
dans la suite , membre de la Convention , où il 
oublia sou compliment à la reine , pour se mettre 

(i) Il est nécessaire de relever rinexactitude de ces assertions. 
Il est bien vrai que les i4 mille hommes envoyés par les quatoize 
millions de gardes nationales étaient chargés de nommer M. de La 
Fayette généralissime des gardes nationales du royaume -, les dis- 
cours de ces fédérés ne laissent auéun doute à cet égard. Mais 
comme M. de La Fayette avait provoqué un décret, qui fut en effet 
rendu sur sa proposition, et d*après lequel on ne pouvait comman- 
der la garde de plus d'un département, il ne peut être accusé d*a-; 
voir voulu les commander toutes. ( Note des nouv. édit, ) 



ff 

26 MÉMOIRES DE WEBER. 

daiis les rangs de ses plus impitoyables persécu- 
teurs. 

Je fus témoin de cette cérémonie. Je n'en ferai 
point la description; on la trouve partout. Je vis 
cinq cent mille personnes réunies dans un cirque 
imposant y lever le bras au même moment pour ju- 
rer d'être fidèle à la loi et au roi. Il faisait un temps 
horrible ; mais plus la pluie tombait avec force y 
plus les éclats de }oie et les danses semblaient se 
ranimer. Enfin les nuages se dissipèrent, la céré- 
monie religieuse s'exécuta avec ordre et calme ; 
le roi s'avança d'un pas majestueux vers l'autel de 
la patrie, au,x acclamations de vive le roi (1)! 
M. le duc d'Orléans , qui était dans l'enceinte des 
députés , dut s'apercevoir , au silence qui régnait 
autour de lui, et à celui avec lequel il avait ^té ac- 
cueilli à la procession de l'Assemblée , depuis les 
Tuileries jusqu'a^u Champ-de-Mars , qu'il n'était 
pas populaire dans cette journée. Déjà , à son ap- 
parition au château, le dimanche précédent, il 
avait eu des preuves non équivoques , dans les ap- 
partemens qui précédaient ceux de Sa Majesté , 
que sa présence, dans ces lieux, n'était pas 
agréable. 

Cependant , sur la dénonciation des crimes des 

^1) C'est une erreur. Le roi prêta serment de sa place , sur un 
signal fait de l'autel. Les députés le prêtèrent pareillement de leur 
place. Bd. de La Fayette fit le sien sur Tautel , au nom des gardes 
nationales , et ce serment fut répété par les fédérés et tous les 
spectateurs. (Note des noup.édit,) 



CHAPITRE IV. 27 

5 et 6 octobre , par le comité des recherches de la 
commune , de concert avec le coihité des recherches 
de r Assemblée nationale , tout composés de pa-- 
triâtes et de rés^olutionnaires y l'Assemblée avait 
institué depuis six mois le Châtelet , pour informer 
des crimes qui avaient été commis , les juger et les 
faire punir. L'instruction se suivait , lorsque le duc 
d'Orléans revint à Paris. Ce fut dans cet intervalle 
que Marie-Antoinette dit à la députation qui était 
venue aux Tuileries poiu* recueillir de sa bouche 
les informations qu'elle pouvait donner sur ces jour- 
nées : « Je ne serai jamais délatrice d'aucun de mes 
» sujets ; j'ai tout vu, j'ai tout su , et j'ai tout ou- 
» blié. » Tout ce que l'antiquité nous a conservé de 
réponses magnanimes est à peine comparable à cet 
acte de générosité. 

Le Châtelet ayant acquis un corps de preuves, qui 
lui parut suffisant pour mettre en accusation le duc 
d'Orléans et Mirabeau , envoya un de ses membres 
en faire le rapport à l'Assemblée ; ime loi nou- 
velle , portant qu'aucun des députés ne pourrait 
être mis en jugement sans lin décret exprès. Le 
ton emphatique Avec lequel M. Boucher d'Argis , 
rapporteur du Châtelet , commença son rapport , 
par un vers d'une tragédie (i) : 

Le yoilà donc connu ce secret plein d'horreur ! 

indisposa contre lui l'Assemblée et les tribunes. 

(1) Comme les résultats ne répondirent pas à l'annonce de 
M. Boucher d'Argis , et que ce secret plein d' horreur coniiaw^ d'être 



28 >1KM01R£S DE WEBER. 

Le rapport étant imprime, ainsi que les déposi- 
tions , l'Assemblée crut y apercevoir seulement un 
projet de faire déclarer le duc régent du royamne : 
mais la liaison de ce projet avec l'irruption des 
brigands du 6 octobre au matin , et le massacre 
des gardes-du-corps , ne lui parut pas suffisamment 
démontrée pour laisser mettre ces deux députés en 
accusation. D'ailleurs, Mirabeau ne manqua pas 
d'observer que ce il'était pas le procès du 6 oc- 
tobre qu'on voulait faire , que c'était celui de la 
révolution; qu'on se proposait d'entretenir les 
haines et les vengeances, de provoquer les alarmes, 
les soupçons dans le royaume entier , en lui pré- 
sentant la révolution conmie liée à toutes sortes 
de crimes ; de répandre enfin dans l'Europe une 
profonde horreur pour une révolution ■ qui serait 
peut-être un jour celle du monde entier. 

La majorité de^ l'Assemblée nationale , effrayée 
par le mot seul de procès fait à la révolution , mit 
promptement fin aux débats de cette procédure , 
en déclarant qu'il n'y avait pas lieu à accusation 
contre le duc d'Orléans et Mirabeau ; et les révo- 
lutionnaires n'oublièrent pas le rôle que M* Bou-^ 
cher d'Argis avait joué dans cette affaire ; car il fut , 
par la suite , un des premiers qui tomba sous la 
hache de la terreur. 

couvert d'un voue épais , on fut généralement indisposé contre lui. 
On Taccusa d'avoir parlé avec trop de légèreté. Mais son courage 
et son caractère bien connu font présumer qu'on changea de sys- 
tème, qu*on fut|effrayé de la vérité , et qu'on prit une niaiche dif- 
férente de celle que d'abord on avait adoptée. (JVo/e desnouu. éd.) 



CHAPITRE IT. 39 

Ainsi se termina cette procédure , sollicitée par 
des hommes qui, eux-mêmes, étaient du parti 
qu'on appelait le parti du Palais-Royal , qui étaient 
du nombre de ceux qui avaient poussé la populace 
de Paris à Versailles , corrompu le régiment de 
Flandre , et insulté les gardes-du-corps , et qui 
depuis s'en sont vantés , comme d'autant d'actes de 
patriotisme. Le Châtelet n'ayant point voulu agir 
selon leurs vues , ils le firent considérer comme un 
tribunal infâme dévoué à l'aristocratie ; ils l'accu- 
sèrent d'avoir voulu faire le procès a la révolution, 
lui imposèrent silence , et l'anéantirent. Mais la 
majorité de l'Assemblée n'ensevelit ces crimes dans 
l'oubli que par intérêt ou par peur, et Marie-An- 
toinette eut la gloire de les avoir oubliés par gran- 
deiiir d'ame. Et comment n'auraient-ils pas dé- 
fendu cette révolution, et' les crimes qu'elle 
enfantait? La révolution était, pour tous ces légis- 
lateurs-pirates , une prise d'une valeur sans bornes. 
Depuis les terres jusqu'aux plus petits emplois, 
tout allait être partagé. Chacun en attendait une 
part , proportionnée à l'acharnement qu'il mettrait 
à la préserver de toute attaque. Déjà les mots éga- 
lité et les droits de r homme étaient abandonnés à 
quelques fanatiques.de philosophie; les vrais révo- 
lutionnaires avaient commencé le pillage. 

Du moment que les biens du clergé eurent été 
déclarés nationaux, il fallut s'occuper .^ur-le- 
champ du moyen de les vendre,. afin d'en partager 
aussitôt la valeur. Mais comme cette vente devait 



5o MÉMOIRES DE WEBER. 

entraîner des longueurs y on prévint les détails ; 
on créa un papier-monnaie ^ ayant un cours forcé^ 
dont le remboursement était hypothéqué sur la 
vente des biens dits nationaux. Ces mêmes hom- 
mes , qui devaient faire oublier les Colbert et les 
Sully , n'imaginèrent rien de mieux pour remédier 
au désordre des finances, que de créer quatre cents 
millions d'assignats. En vain on leur représenta de 
tous côtés , que c'était renouveler le système qui 
avait manqué perdre la France au conunencement 
du siècle ; qu'on allait faire disparaître le numé- 
raire , et écraser le change de la France avec l'é- 
tranger ; qu'une fois le papier-monnaie dans la cir- 
culation au lieu des espèces y on ne pourrait plus 
s'arrêter; qu'une émission en amènerait une autre; 
que ce système produirait infailliblement des ban- 
queroutes continuelles , et enfin une catastrophe 
générale : on représentait comme ennemis de l'É- 
tat y tous ceux qui osaient faire la plus légère op- 
position aux volontés d'un des côtés de l'Assemblée 
nationale. Ce même Mirab^iu, qui avait dit, au 
commencement de l'Assemblée , que des énûssions 
de billets de caisse , de faibles emprunts , de mé- 
diocres anticipations étaient autant d'impôts mis le 
sabre à la main , disait alors fièrement , au sujet 
de ce nouveau papieivmonnaie : w Que partout où 
» se placerait un assignat,- il se placerait un ami 
» de la révolution. » Il aurait pu dire', avec plus 
de vérité encore , que partout où se placerait un 
ami de la révolution , les assignats viendraient se 



CHAPITRE IV. 5l 

placer en foule. En effet, peu de temps après la pre- 
mière émission de ce papier révolutionnaire , Ton 
vit une pluie d'or tomber de cet homme, dont tous 
les partis courtisèrent la cupidité. Ce fut à qui l'au- 
rait. On ne lui donnait pas la peine de préparer 
ses inotions et ses harangues , on les lui fournissait 
toutes faites ; il n'avait qu'à les lire à la tribune ( i ) . 
Les juifs , la cour d^Espogue , les agioteurs , les 



(i) «Le comte de Mirabeau, dit M. de Lévis , prononça à 
» la tribune de rAssembl^e nationale un assez grand nombre de 
» discours écrits : plusieurs rapports sur des objets intéressant 
» portent aussi stm nom. Thest certain que la |4upart de ces pièces 
» ne sont pas de lui : on nomme l'auteur de l'Adresse aux troupes, 
» du Discours sur le péto , du Rapport sur les monnaies. Il y a 
» apparence 'qu'il corrigeait ces morceaux comme lés grands 
» peintres retouchent ceux qui sortent de leurs ateliers. Dans 
» tous les cas , rien ne prouve mieux , à mon gré , la supériorité 
» de cet bonmie extraordinaire, que ce nombre d'écrivains distin- 
7> gués qui s'empressaient de lui prêter leurs plumes. Les talent 
» s'attachent au génie par un attrait semblable à celui qui, dans 
» la nature, retient les satellites dans l'orbite des< grands astres. » 

Dès le commencement de la tenue des états , on envoyait à Mi- 
rabeau des Mémoires. Nous en trouvons la preuve dans la Tactique, 
des assemblées léigislatipes , par Dumont (T. I , p. 19 ). Yoici ce que 
dit ce publiciste : « L'Assemblée nationale , ayant reconnu par 
expéri^ace l'impossibilité de marcher avec les vieilles formes , et 
la nécessité de se donner un règlement de police , chargea un co- 
mité de rédiger à la hâte cette législation qui devait régler les pro- 
cédés des législateurs eux-mêmes. Le comte de Mirabeau présenta 
à ce comité un Mémoire qu'on lui avait envoyé de Londres. C'était 
un simple narré des faits , un simple exposé des formes suivies par 
le parlement britannique , sur la manière de proposer les ma- 
tières , de les accorder , de délibérer , de recueillir les votes , de 
créer des comités, etc. Ce Mémoire fut admis sur le Bureau, mai» 



32 MÉMOIRES DE WEBER. 

compagnies de commerce , la cour elle-même , à 
la fin , tous achetèrent et payèrent fort cher l'élo- 
quence et l'influence de Mirabeau (i). 

un de? membres , croyant l'honneur national blessé par cette ins- 
truction étrangère, répondit à M. de Mirabeau : Nous ne voulons 
rien des Anglais , nous ne devons imiter personne. » 

Ce serait manquer de bonne foi que de tirer de faits pareils des 
inductions contre le talent de Mirabeau , qui ne parut jamais 
avec plus d'éclat que lorsque , dans des momens d'inspiration , il 
s'appropriait les idées qu'il avait recueillies , sur différentes ma- 
tières y dans la conversation des hommes les pJus éclairés ; et 
quoique , parfois , on lui fournît des discoui^ tout feits , on ne 
lui donnait souvent que des notes , et ces notes même, on 
les lui faisait passer pendant qu'il était à la tribune, ce J'ai vu sou- 
vent M. de Mirabeau ^ dit l'auteur de ia Tactique des Assemblées 
législatives y allant à la tribune et dans la tribune même, recevoir 
des notes, qu'il parcourait de l'œil sans s'interrompre, et qu'il 
enchâssait quelquefois avec de plus grandes et dans la suite de son 
discours. Un homme d'esprit le comparait à ces charlatans qui 
coupent un ruban en pièces , les mâchent un moment , et font, sor- 
tir de leur bouche le ruban tout entier. » 

{Note des nôuv. édit, ) 

(i) Les libéralités de la cour mettaient le comte de Mirabeau en 
état de faire les dépenses dont parle Weber avec humeur. Il acheta 
la bibliothèque de Buffon , cent mille écus ; un hôtel situé dans le 
quartier de la Chaus3ëe-d'Antin,et la terre du Marais , près d'Ar- 
'genteuil. C'est là qu'il réunissait ceux qui voulaient réaliser avec 
lui la grande idée d'une monarchie constitutionnelle. Celte terre 
est devenue depuis la propriété de M. le duc Dccrès qui y a fait 
beaucoup d'embellissemens. La succession de Mirabeau fut, inal^ 
gré tous les- dons qu'il avait reçus , entièrement absorbée paroles 
dettes. « Les passions violentes , dit l'auteur de sa notice dans la 
Biographie universelle , avaient saisi Mirabeau dès son enfance. 
Les besoins de l'amitié , les transports de la gloire , le délire des 
sens , se disputèrent son ame énergique. Des rigueurs multipliées 
le révoltèrent et l'auraient pei'verti, si une bonté de cœur innée 



CHAPITRE IV. 55 

Je vis alors cet homme qui y avant la révolution^ 
était obéré de dettes^ acheter un fort bel hôtel dans 
le quartier le plus à la mode dp I^aris , le meubler 
magnifiquement, devenir propriétaire de la riche 
bibliothèque du comte de BufFon > et se livrer à des 



n'eût tempéré les effists de cette haute énergie, et si des mouTemens 
droits et généreux ,dont il était facile de faire des vertus | ne l'eus- 
sent ramené des nombreux écarts qu'il appelait lui-même Vinfamié 
de sa jeunesse. Doué d*une audace persévérante > il apporta aux 
ëtats-généraux une volonté forte de limiter l'arbitraire dont il avait 
été victime. Le mépris avec lequel les minis rei avaient accueilli 
ses ouvertures , le jeta dans des voies hostiles.'Peu scrupuleux sur 
les moyens , il effrayait par son immoralité ceux à qui ses éton-» 
nantes facul es donnaient déjà de l'ombrage. La petite morale tue 
la grande, répétait- il souvent , et , dans sa conduite , la grande cé- 
dait presque toujours à ses calculs personnels. M. Malouetprélend 
qu'il voulait une constitution libre , mais en même temps fortes 
ment prouoncée dans les principes monarchiques , et que Téloi- 
gnement que lui montrèrent les ministres et les préventions qu'oa 
avait contre lui, Tentraînèrent à beaucoup d'excès. Ses intentions 
furent enQn révélées dans une. lettre qui devait ^re mise sous les 
yeux de Louis XVX. Il y dit qu'il ne vou irait pas avoir travailla 
seulement à une vaste de truction. Puisqu'il ne lui fut pas donné 
de montrer sa force en luttant contre la tendance factieuse qu'il 
avait autrefois suivie , et d'appliquer les ressources de son génie à 
un système de stabilité , on peut dire qu'on ne le connaît point 
tout entier. » 

On voit que si les ministres n'avaient pas reçu ses avances avec 
mépris , Mirabeau aurait défendu le trône au lieu de l'ébranler. On 
eut recours à lui quand il n'était plus temps , et quand il fallait , 
non plus prévenir le mal, mais le réparer. M. le duc de Lévis observe 
Judicieusement /dans ses Souvenirs, que le gouvernement, avec sa 
maladresse ordinaire, voulait forcer Mirabeau à se ranger ouuefte^ 
ment de son côté ; et que c*était lui faire perdre inutiiemeni son 
ascendant et sa popularité. {Note des nouu. éditJ) 

II. 3 



54 MÉMOIRE» DE WEBEH. 

dépenses extravagantes, sans qu'aucun des puri- 
tains de la réyolution le trouvât mauvais, ce U a 
» bien vole , disait ' le bas peuple , mais il Fa bien 
» gagné. » 

La suppression totale de l'ordre de la noblesse > 
et des titres qui décoraient et distinguaient les an^- 
ciennes familles de la monarchie^ suivit de près la 
confiscation des biens du clergé y et précéda de peu 
la confiscation des terres des nobles. M. Necker 
essaya en vain d'élever encore la voix contre cette 
suppression qui fut décrétée dans une orgie noc- 
turne : il parla dans le désert. Le roi fut obligé de 
kl sanctionner , et de signer de sa main royale que 
hiî-même n'était plus noble . Ceux des membres de 
l'Assemblée qui détruisaient ainsi l'ordre le plus 
illustre de l'État, savaient bien qu'un grand pays ne 
peut se passer d'une noblesse : mais ils prévoyaient 
que, tôt ou tard, ce seraient eux qui se substitue-»- 
raient à la caste qu'ils anéantissaient ; qu'une noii- 
velle ère daterait de la révolution , et que formant 
entre eux une confraternité de criminels, ils forme- 
raient incessamment une nouvelle pairie de France; 
et l'événement a justifié leur prévoyance (r). 



(i ) Tl règne, dans ce passage, de Taigreur et de Fîniustice. Ceux 
«(ui contribuèrent à la destruction de Tordre de h noblesse ne 
pdiiraient alors songer k former incessamment une nouvelle pairie. 
Une institution de ce genre suppose une monarchie , et Ton ne 
pensait qii*à renverser celle qui existait à Tëpoque dont il est ques- 
tion. Prétendre ensuite que lorsqu'on forma long-temps après une 
pairie, clk fut composée à' une confraternité de criminels y c'est 



GKÀPtTftB tV. SS 

Tandis (juer Assemblée uatiooale détruisait aiasi 
la pairie et la noblesse de France ^ les soldats ^ 
agissant sur le même principe^ se mirent partout 
en insurrection contre leurs officiers. La sédition 
éclata dans la ville de Nancy avec un caractère 
effrayant. 

' Trois régimens se révoltèrent à la fois : les 
régimetis du roi , de Château vieux , suisse^ et 
d^ mestre-de-camp , cavalerie. Le roi fit mar- 
cher, au nom de la loi , M. le marquis de Bouille 
avec huit mille hommes , tant de troupes de ligne 
que de la garde nationale de Metz , pour réprimfer 
les séditieux. Les portes de Nancy étaient gardées 
par le régiment de Châteauvieux qtd osa faire une 
décharge de mousqueterie sur les troupes du roi. La 
petite armée de M. de Bouille rî|>osta par un feu 
terrible, et fondit sur les soldats de Châteauvieux, 
qui furent forcés de plier. C'est à cette affaire 
qu'on vit un jeune officier breton , du nom de Dé- 
silles , voulant empêcher l'effusion du sang et ra- 
mener lés esprits à la subordination, se jeter au- 
devant de la bouche d'un canon auquel lès fac- 
— — - |-- *- ■ ■ ■ — — • — ' — • 

heurter le bon s^ns et la vérité. Parmi ceux à qui elle Tut dontiée , 
11^*611 â^t presque aueun qui ne se racommandât , soit par de bril* 
laïufaitsdannfs:., sait par des services administratifs > soit en tm 
par une célébrité justement acquise dans les lettres ou dans. la 
magistrature. S'il est juste et prudent d'accorder, dans Ih pairie » 
n^û pftrt aux anciens sDuvemra , il n'est pas moins équitable el 
moins sage d^élir^hSiArtout , à celj€ haute -digûité*, œux que dis-" 
tingUent personnellement un ^rand mérite et de grandes aciions 

{ No/e des nom», édit. ) 



36 «ÉMOIRES DE WEBER. ^ 

lieux allaient mettre le feu^ et racevoir la mort 
pour prix de son zèle et de sa loyauté. On vit, par 
la' suite , ces soldats rebelles conduits en triomphe^ 
et la famille entière du brave Dësilles^rter la tête 
sur l'échafaud. 

M. Necker avait fait encore un léger effort pour 
détourner le coup qu'on voulait porter à la mo- 
narchie par la publication du livre rouge : il pu- 
blia un livre 9 pour démontrer Tinconvenance et 
la futilité de cette publicité; mais toutes ses tenta- 
tives n'aboutissant plus qu'à lui faire voir son im- 
puissance; honteux 9 mortifié ^ désabusé sur son 
influence ^ il prit la détermination de quitter le 
théâtre de la révolution. Il disparut sans bruit y en 
écrivant à l'Assemblée nationale qu'il lui laissait 
pour otage une flonune de deux millions tournois ^ 
qu'il avait autrefois déposée au trésor royal comme 
un cautionnement de sa probité et de sou désin- 
téressement. Il se contentait de redemander une 
somme de quatre cent mille francs^ qui lui était 
nécessaire pour arranger ses affaires. L'Assemblée 
nationale la lui accorda sans hésiter y se regardant 
fort heureuse d'être débarrassée à jamais des le- 
çons de morale que cet homme morose et incon- 
séquent venait lui offrir de temps en temps avec 
respect. M. Necker^ en laissant ainsi une proie à 
piller après son départ y témoignait aux brigands de 
la révolution qu'il connaissait fort bien leur^ carac- 
tère. C'est ainsi que l'on voit y dans certains pays y 
les voyageurs faire y avant de partir ^ la bourse des 



y » CHAPITRE IV, 57 

Toleurs de grand chemin. M. Necker , pour assu- 
rer son émigration > jeta sa bourse aux enrages et 
put partir en paix. Il quitta Paris; et son départ 
ne fît pas même une nouvelle. 

Pour revenir à Mirabeau , le comte de La Marck 
et le comte de Montmorin consommèrent > pour 
la cour y l'acquisition de ce héros populaire. La 
reine eut une très-grande part à cette importante n^ 
.gociation(i). Convaincue de l'impuissance des gens 
honnêtes et vertueux pour rétablir la monarchie > 
dans les circonstances extraordinaires où l'on était 



(i) La cour et Mirabeau , ayant un dgal intérêt à ne pas laissor 
trace de ces négociations , on sent qu'il eût été impossible d*ea 
donner des preuves positives sans les pièces trouvées dans Tax^ 
moire de fer. Cependant ceux qui ont Joui de la confiance et ds 
Taniitid du célèbre orateur , ont gardé le souvenir d'une anecdote 
qu'ils lui ont entendu raconter à lui-même. La voici : A l'époque 
oii Mirabeau entra en pourparler avec la cour ^ il obtint une aur 
dience de la reine. Après avoir fait part à cette princesse de ses 
tues , de ses espérances yàe ses moyens de succès, au moment de 
la quitter , il lui dit : a Madame , quand l'impératrice votre au- 
» guste mère admettait un de ses sujets à Tbonueur de sa présence, 
» elle ne le congédiait jamais sans lui donner Sa main à baiser.» 
A ces mots , la reine , d'elle-même et avec cette grâce qui accom** 
pagnait toujours ses moindres gestes , lui présenta sa main. « Ce 
9 baiser- là sauve la monarcbie , » s'écria fièrement Mirabeau, 
transporté de l'honneur qu'il venait d'obtenir. 

Quant aux pièces trouvées dans l'armoire de fer , celles qui sont 
relatives à cet homme d'£tat dont le gouvernement appréciait 
l'importance, ainsi que tous les partis, ne peuvent entrer dans une 
note. Nous etf parlerons dans les pièces justificatives. Fb/. la 
NôteC. 

{Note des nouç» édit.) 



S b t 



38 MÉMOIRES DE WEBER. . ^ 

placc.9 elle pensa , avec raison , que les mêmes scé- 
lérats qui avaient eu le talent et l'audace de faire 
le mal , connaissaient seuls les moyens de le guérir, 
et en auraient peut-être la faculté. Elle détermina 
donc le roi à recevoir et à bien payer les secours 
de Mirabeau. L'on avait droit d'en attendre d'heu- 
reux résultats , lorsque la mort imprévue de ce cé- 
lèbre orateur vint, au bout de trois mois, détruire 
toutes les espérances qu'il avait fait concevoir. 
Déjà il avait affronté les fureurs populaires, en sou- 
tenant les principes de la monarcHie , lors de la 
discussion sur Je droit de faire la guerre et la paix . 
Déjà il avait vu sur la terrasse des Feuillans la 
corde destinée à le pendre à un arbre des Tuileries, 
sll ne votait pas pour donner ce droit au peuple ; 
et cette menace ne l'avait pas empêché de voter 
contre , après avoir proféré cette phrase mémora- 
ble : (c Qu'il savait bien qu'il n'y avait qu'un pas du 
» Capitole à la roche Tarpéïenne.» Une autrefois, 
montrant du geste lés grands révolutionnaires, 
assis du côté gauche de l'Assemblée , dans la partie 
qu'où appelait , tantôt le Palais-Royal , tantôt l'Eu- 
fer, tantôt la Montagne, il ne craignit pas de dé- 
clarer , sur un débat qui s'était élevé à l'occasion 
d'une phrase du président , dans laquelle on pré- 
tendait qu'il distinguait le serment constitutionnel 
de celui fait au roi : (c Qu'il combattrait toute es- 
» pèce dé factieux qui voudraient porter atteîuté 
» aux principes de la monarchie , dans quelque sy&- 
» tème que ce fut, et dans quelque partie du 



CHAPITRE IV. $9 

») royaume qu'ils osassent se montrer (i). » Il vou«- 
lait absolument que le roi s'éloignât de Paris ; il 
avait fait plusieurs plans k ce sujets et il en ga- 
rantissait la réussite ; mais y soit que sa constitu- 
tion y altérée par des débauches sans nombre ^ ne 
pût pas résister aux orgies auxquelles sa fortune 
nouvelle lui permit de se livrer , soit que les fac- 
tieux qu'il avait dénoncés , craignissent de lui voir 
réunir les fragmens de la couronne qu'ils avaient 
brisée ensemble^ et qu'en conséquence sa fin eût 
été avancée par le poison ^ ainsi que le docteur Ca- 
banis^ son médecin, le dit hautement (2); il com- 
mençait son œuvre de la restauration du pou- 
voir monarchique : sa pompe funèbre offrit le plus 
singulier des spectacles de la révolution (5) . Ce 



(1} Mirabeau n'avait jamais fait un j^rand cas des talens des 
membres de l'Assemblée nationale. Un jour, se trouvant chez un 
libraire avec un ami qui invectivait une tierce personne , en lui 
disant qu'elle était stupide comme l'Assemblée nationale de ce ma- 
tin, il lui réppndit en présence d'un nombre de personnes : « De 
«e matin ! et pourquoi dater ? » W. 

(a) Le docteur Cabanis n'a jamais tenu un pareil propos, et 
J'ouverture du corps de Mirabeau a démenti ces bruits calomuieuit, 
dont Weber se fait l'éclio avec une inconcevable légèreté. 

( Noie des BOUif. édit. ) 

(5) Le cortège occupait plus d'une lieue , et Cérutti prononça 
l'oraison funèbre de Mirabeau. Son dernier triomphe à l' Assemblée 
avait été le décret relatif À l'exploitation des mines , qu'il enleva 
«près avoir parlé cinq fois pendant la discussion . L'effort qu'il fit 
l'épuisa « parcft qu'il était à peine convalescent. H tomba gravumenl 
tn^Ude. Sa porte fut assiégée par des hommes de toutes les opi~ 
uiou!». O'heure en heure on publiait un bulletin. On «eutail la 



4o MEMOIRES DE WEBBR. 

qui la distingua fut moins la clôture des spectacles 
que Ton ayait ordonnée, et la magnificence du cor^ 
tège qui accompagna ses restes au Panthéon, que 
la réunion de tous les partis qui marchaient pêle- 
mêle à sa suite , le regrettant tous , les uns , pour les 
services qu'il at ait rendus à la révolution, les au- 
tres , pour le bien qu'ils en attendaient; On eût dit 
que tout le monde prévoyait l'anarchie que de- 
vaient causer les petites passions de ses succes- 
seurs , et qu'oa sentait alors le besoin d'une tête 
et d'une main puissante qui aurait pu la prévenir. 
Quelques semaines de dévouement et de retour à la 
loyauté , effacèrent sur-le-champ quarante-six an- 
nées de scandale de tout genre , de mêmt qu'un 

perte que Ton allait faire , parce que celle d'un grand talent fait 
taire les passions. L'amitië , les affaires publiques occupèrent ses 
derniers momens. L'intérêt qu'il inspirait généralement lui don- 
nait un noble orgueil. « Il avait, dit le'duc de Lévis , la conscience 
de sa supériorité, et quelquefois il s*exprimait avec une naïveté qui 
choquait la médiocrité etTenvie. Dans ce moment solennel oii la 
vérité recouvre tous ses droits , au lit de la mort , il dit à son 
valet de chambre qui lui soutenait la tête : Hélas ! tu portes la 
plus forte tête de France ! Et cette phrase qui paraît si orgueilleuse, 
était accompagnée de regrets sincères sur la triste situation oii il 
laissait sa patrie. Peu de temps auparavant, je lui avais entendu 
dire^ avec l'expression de la douleur la plus vraie : « Nous péris*^ 
sons, et; nous n'aurons pas même les triistes honneurs de la guerre 
civile : la France meurt par la dissolution. » 

Étant à lextrémité , il fit venir M. de Talleyrand avec lequel il 
s'était brouillé p; r sa fauta. Ils se réconcilièrent. Mirabeau mourut 
le 5» avril 1791: Son corps fut ouvert, et Ton n'y trouva aucune 
tratce de poison. H étiiit épuisé par l'excès des plaisirs et par les fa- 
tigue» de la vie la plus agitée. Il n'avait que quarante-deu:^ ans. 

{Note des nouv. édit.) 



CHAPÎTRE IV • 4^ 

instant de cainie fait oublier les plus horribles 
tempêtes. Telle est la force de la fidélité, telle est 
riufluence des vrais principes ! La mort servît heu- 
reusement la gloire de Mirabeau. Le moment était 
arrivé où il allait opposer sa popularité et son 
énergie au torrent qu'il avait lui-même fait débor- 
der sur la France. Il est douteux qu'il eût eu assez 
de forces pour pouvoir lui mettre un frein ; mais 
il l'avait entrepris, et cela lui suffit (i). 

La cour n'avait plus pour soutien et protecteur 
que M. de La Fayette et l'état-major de la garde 
nationale. Mais le zèle de ces Messieurs était si 
tiède , et leurs prétentions si exclusives , qu'ils ne 
pouvaient inspirer une grande confiance aux amis 
durci. Plusieurs de ceux-ci s'étaient rassemblés, au 
commencement de 1 790 , dans une espèce de club 
ou société littéraire, qu'ils avaient formé sous le 

nom de salon français. La populace et la garde na- 

'^— ■ — 

(1) Yoîci quel était le projet de Mirabeau, si Ton en croit de» 
tërooÎDs bien inst uits. Le roi , sorti de Paris et rendu vers la fron- 
tière, y aurait trouvé une armée française rassemblée par les soins 
cle M. de Bouille ou de tout autre général. Après avoir annulé la 
constitution de 1791 , Louis 'XVI en eût accordé ijne autre dont 
Mirabeau lui-même eût posé les bases. De nouveaux états-gé* 
néraux auraient été convoqués, et Ton eût proclamé Mirabeau 
premier ministre. « Qu'ils partent , disait-il, moi, je reste à Paris 
» pour leur en ouvrir le chemin , s'ils tiennent leur serment. — 
» Mais s'ils y manquent, lui dit un de ses amis , que ferez-vous? 
» — S'ils y manquent , je les f..s en république. » Oa trouvera , 
dans les Ëclaircissemens et pièces justificatives, plus de dévelop- 
pement sut ses projets et sur ses négociations avec la cour. (Note D.) 

\Note desnoui*. édii*) 



43 MKMOIR'BS DE WEBER. 

tionale les accablèrent de persécutions et d mjures; 
et , malgré les grands principes de liberté , les for^ 
cèrent de se séparer y après les avoir assiégés dans 
le local qu'ils avaient choisi pour lire les feuilles pu- 
bliques. Un autre club^ formé par les députés du 
parti intermédiaire de l'Assemblée , qu'on appelait 
les impartiaux , les indépendans , ou les monar^ 
chistesy et dont M. de Clermont-Tonnerre était 
président , fut encore dénoncé , poursuivi et dis- 
sous par les jacobins qui montrèrent plus de haine 
pour ce club que pour la réunion des royalistes 
francs dont je viens de faire mention. La garde 
nationale laissa encore la populace chasser à coups 
de pierres les membres de ce club du lieu de 
leurs séances. 

Lorsque le chef de la garde nationale avait si 
peu d'influence sur sa troupe y il était tout naturel 
que les amis du roi y que d'anciens serviteurs de la 
famille royale, des gentilshommes accourus à Paris 
pour éviter les persécutions auxquelles ils étaient 
en butte dans leurs pix)vinces , il était tout naturel, 
<Us-je,que ces loyaux royalistes conçussent d.es 
inquiétudes sur la sûreté du château. On en voyait 
ordiiiairepient un grami nombre dans les apparte- 
mens. Il était difficile qu'un rassemblement pareil 
se fit sans qu'il se commit quelque indiscrétion. 
Je dois ici donner quelques détails sur l'origine de 
la dénomination des chewiliers du poignard y qui 
-fut donnée aux personnes qui allaient faire leur 
cour au château. 



CHA7ITBE lY. 4^ 

Un gentilhomme de province , âgé de plus de 
soixante ans , le chevalier ZJét Court , étant allé , 
très-simplement vêtu , faire sa cour au roi , ca-^ 
chait sous son habit un petit couteau de chasse j 
qu'il était accoutumé à porter ainsi de tout temps 
au lieu d'épée. Un honmie de la garde nationale 
soldée , ayant aperçu le bout de ce couteau de 
chasse , arrêta ce gentilhomme , sous prétexte qu'il 
portait un poignard ; et cette méprise , qui fut re- 
connue dans l'instant y donna néanmoins lieu y aux 
ennemis de la cour y de dire qu'il existait une com- 
pagnie de chevaliers du poignard. Telle fut l'ori- 
gine et la cause de l'événement qui suit : 

Au mois de février 1791 , des bruits sourds , des 
attroupemens journaliers , des propos des clubisles^ 
firent connaître aux amis du roi que les jacobins 
méditaient quelque grand coup^ et cherchaient 
encore à soulever le peuple. On savait qu'ik se 
plaignaient de ce que , non-seulement les jours de 
cour , qui étaient les jeudis et les dimanches > il y 
avait une très-grande aflluence de personnes en 
habit noir au château des Tuileries , mais qu'il y 
en avait mêmeles autres jours de la semaine. Leurs 
émissaires ajoutaient que^si ces personnes étaient 
toutes de service, le roi avait beaucoup trop de ser- 
viteurs, et que si c'était des étrangers, cette exacti- 
tude à s'y rendre^aux mêmes heures , avec le même 
habillement , et en si grand nombre , cachait quel- 
que projet. Ils cherchaient ainsi ^à donner le change 
sur les desseins sinistres qu'ils méditaient eux-mêmes . 



44 . MÉHOIIIES DE >^BEA. 

En effet > nous avions connaissance d'un complot 
pour enlever la personne de la reine , la séparer 
du roi y renfermer au Luxembourg , et faire sanc- 
tionner ensuite cet attentat par l'Assemblée natio- 
nale y au moyen d!xme insurrection populaijre^ ainsi 
qu'on lui avait déjà fait sanctionner les attentats 
du 5 octobre. Nous avions soin de nous rendre 
auprès de la famille royale y pour prévenir , au- 
tant qu'il dépendrait de nous , cette nouvelle atro- 
cité. Les jacobins y irrités des précautions que nous 
prenions pour faire échouer leur projet , résolurent 
de dissiper nos rendez-vous y et répandirent dans 
cette intention les bruits dont j'ai déjà parlé. 

Danç le courant de la journée du 28 février , 
une multitude innombrable , rassemblée par San-r 
terre y le héros du faubourg Saint-Antoine y s'étant 
portée le matin au donjon de Vincennes pour le 
détruire, et M. de La Fayette ayant marché à la 
tête de la garde nationale pour arrêter ce dé- 
sordre ( I ) ; nous conçûmes les plus vives inquié- 
tudes pour le moment du retour de ce double as- 
semblage de factieux. Nous crûmes que Iç mo- 
ment où la conjuration devait éclater était ar- 
rivé; nous nous trouvâmes au nombre d'envi- 
ron trois cents au château. A huit heures du 



(1) Nou5>ûines depuis que cette insurrection , dirigée par la fiio- 
lion d'Orléans, avait pour bu^ de faire mettre par le peuple le 
brasseur Santerre à la tête de la garde nationale, à la place de M. de 
La Fayette. W. 



CHAPITRE lY. ^ 

soir^ la garde soldée revint deVincennes, après 
avoir arrêté plasieurs mutins et dissipé le rassem- 
blement. Comme nous la vîmes reprendre ses 
postes pour la garde du château y nous nous reti- 
râmes tranquillement; mais à mesure que les per-^ 
sonnes qui étaient chez le roi sortirent des apparte- 
mens ^ elles furent arrêtées y visitées y désarmées , 
frappées, et jetées au bas de Tescalier par les gre- 
nadiers de cette même garde soldée (i). 

Quelques ofEciers de la garde nationale bomw 
geoîse, ayant vu maltraiter plusieurs persomies de 
la cour, furent indignés de la brutalité de cette 
garde soldée , et allèrent sur-le-champ en informer 
le duc de Brissac , ancien gouverneur de Paris , et 
capitaine-colonel des cent-suisses , et M. le duc de 
Villequier^Tun des quatre premiers gentilshommes 



(i; Voici quelques circonstances omises par Wieber et qu*il est 
bon de rappeler. Ai. de Villequier , en sa qualité de premier gen- 
lilhomrae de la chambrâ , avait la faculté de distribuer des cartes 
d'entrée pour le château des Tuileries. Des cartes , dans tous les 
temps , se sont toujours délivrées avec légèreté et sans précautions. 
Trois cents personnes munies de cartes , pénétrèrent dans Tinté- 
rieur du cbâteau. La plupart étaient venues des dcpartemens. Ce 
gii|pd nombre de visages inconnus causa de Tinquiélude à la garde 
nationale. Les trois cents porteurs ilc cartes lurent obligés de 
sor ir, après avoir déposé leurs armes dans des armoires. Le général 
La ^a^ette était alors à Yincennes. A son retour, on lui apprit ce 
qui is'était passé. Il adressa des reproches à ceux qu'il appela» dans 
Bon ordre du jour, les chefs de la domesticité , et se fit apporter les 
firmes parmi lesquelles il y avait des couteaux de chasse et quelques 
poignards : ce qui fit désigner les trois cents par la dénomination 
^ tk^oUên du poignard. {Note de» nouu. édii.) 



46 MÉMOIRES XïE W£BËft. 

de la chambre du roi , loyal chevalier , qui , depuis 
le commencement de la révolution jusqu'à ce jour, 
ti a cessé , ainsi que M. le duc de Piennes , sou fils, 
de donner des preuves de fidélité et de dévoue- 
ment à ses maîtres. Ces deux seigneurs allèrent 
aussitôt faire part au roi de ce qui se passait. 

Sa Majesté s'empressa de sortir de son apparte- 
ment, et dit à ceux qui étaient encore dans le salon 
des nobles : « Messieurs , je suis vivement touché 
D de l'intérêt sincère que vous prenez à ma per- 
H sonne, et je vous remercie du fond de mon 
» cœur; mais votre présence donne de l'inquiétude 
» à la garde nationale ; elle ne veut plus souffrir 
» auprès de moi d'autres défenseurs ; conune elle 
> pourrait redouter que vous soyez armés, et 
» même que vous sortiez du château avec vos ar- 
» mes , vous n'avez qu'a les déposer ici. » 

Le roi s'étant retiré , le . duc de Villequier , au 
nom de Sa Majesté, donna brdre au valet de cham- 
bre ordinaire , de vider deux commodes près de 
l'appartement, afin d'y mettre les armes. Les choses 
ainsi disposées , tout le monde se retira , non sans 
àVoir été fouillé par la garde soldée. 

Vers les onze heures du soir, une nouvelle 
troupe de soldats ivres de cette même garde , se 
présenta dans les appartemens , força le valet de 
chambre du roi de lui remettre les armes qui ve- 
naient d'être déposées, les emporta toutes, et les 
vendit le lendemain à vil prix. Les journaux ^es 
jacobins publièrent, le jour suivant, que les cAé- 



CRAl^rTRE IT. 47 

sfaliers du poignard avaient été chassés du château 
à coups de crosse et à coups de pied. 

J'étais chez le roi à l'heure de cette expédition 
scandaleuse. La forme de mes pistolets m'ayant 
permis de les cacher dans ma ceinture y je sortis par 
le petit escalier de la reine , avec le chevalier de 
Ste.-Preuve, capitaine de dragons , M. de Gasville, 
exempt des gardes de la porte , et quelques autres 
personnes qui prirent la même précaution. 

Nous fûmes arrêtés par douze chasseurs de la 
garde soldée. L'officier s'avança, et nous demanda 
poliment si nous avions des armes. D'après notre 
réponse , qui fut négative , il nous dit qu'il n'en 
doutait point , mais qu'il avait ordre de nous visiter. 
Dans le même instant, sans attendre notre réponse, 
il se baissa , eut l'air de tâter nos poches , et nous 
laissa passer au travers de deux rangs de soldats , 
qui ne se permirent ni gestes ni propos outrageans. 
Le roi tomba dangereusement malade , quelques 
Jours après que cet outrage eut été commis dans 
son palais. Les coeurs ji'étaient pas tous gangrenés. 
Les expressions de l'intérêt qu3 la nation prit à 
la santé de son roi furent si vives et si multipliées y 
que l'Assemblée nationale , qui ne désapprouvait 
aucune des insultes que la populace et les jour- 
naux faisaient à ce prinice , crut devoir décréter 
qu'il serait chanté un Te Deum solennel pour sa 
fconvalescence , et qu'elle y assisterait en corps. Le 
ynaire de Paris et le président de l'Assemblée vin- 
rent féliciter Sa Majesté a cette occasion. 



48 MÉMOntES DE VmEBER. 

^ La cause de la maladie du roi provenait autant 
de l'excès du chagrin que lui causaient tous les 
malheurs qu'il ne pouvait empêcher^ que par la 
stagnation des humeurs y engendrée par le défaut 
absolu de mouvement; ce prince ^ qui avait été 
accoutumé toute sa vie à des exercices violens 
que sa constitution nécessitait , n'en faisait plus 
d'autre,, depuis six mois, que d'aller dès le matin ^ 
le long de la terrasse de l'eau, voir son fils. Ce 
jeune prince passait toutes les matinées chez Fabbé 
Davault son institulfur , pour lequel ou avait ar- 
rangé un petit appartement, dans celui des pa- 
villons des aiigies des Tuileries qui termine cette 
terrasse. C'était là la promenade ordinaire du roi; 
encore fallait-il qu'elle fût terminée avant midi, 
parce qu'à cette heure les portes des Tuileries 
étaient ouvertes au public. 

Les médecins du roi lui ayant conseillé d'aller , 
pendant sa convalescence, prendre l'air de la cam- 
pagne , la cour fît ses dispositions pour aller passer 
à St.-Cloud les premiers jours du printemps. Tous 
les préparatifs de ce voyage furent publics ; mais la 
faction qui ne négligeait aucune occasion d'alamier 
le peuple,, et d'entretenir la fermentation , répandit 
le bruit que ce voyage cachait un pro j et d'émigration 
de la famille royale. On alla jusqu'à dire que 
l'indisposition que le roi venait d'essuyer, n'é- 
tait qu'une feinte pour prétexter la nécessité d'un 
changement d'air , et fournir à la famille royale 
des moyens plus sûrs de fuir; que ce n'était 



CHAPITRE IV. 49 

pas pour Saint-Cloud qu'était projeté ce voyage , 
niais pour Metz ou quelque autre ville fortifiée ; et 
que , dans le doute , il convenait de s'opposer à 
tout déplacement de la famille royale (i). Les ja- 
cobins , informés par les bas-officiets de la bouche 
et des écuries de l'heure du départ du roi , firent 
attrouper la multitude dans la matinée du i8 avril , 
et excitèrent la garde soldée à maltraiter les per- 
sonnes de service. et à s'opposer à ce voyage. 

L'heure fixée pour le départ étant arrivée , la 
famille royale se présenta ; les voitures partirent , 
mais^ne purent faire que quelques pas dans les cours. 
Les rebelles y postés le sabre à la main devant la 
porte, empêchèrent l'avant-garde , les écuyers et 



(i) On imprima , dans les journaux du temps , a que ce fut un 
» scrupule du roi qui occasiona cet événement fâcheux* pour sa 
)> tranquillité ; que Sa Majesté , après avoir sanctionné tous les 
» décrets relatifs à la constitution civile du clergé , avait écrit à 
» Tévéque de Glermont, qui passait pour le plus orthodoxe de tous 
» les prélats , pour lui demander si cet acte de condescendance à 
» cet égard était contraire à ses devoirs; que ce prélat lui avait 
» répondu que , quelque purs qu'eussent été les motifs de cette 
» sanction , elle était cependant répréhensible aux yeux de Dieu , 
» et qu'il conseillait à Sa Majesté de suspendre la communion pas- 
» cale, etc.; que ce fut en conséquence de cette décisiûSQ que le 
» roi , dont toutes les actions étaient surveillées , appréhendant de 
» causer du scandale en ne recevant pas les sacremens dans le 
» temps de Pâques , voulut passer cette quinzaine à Saint-Cloud. » 
Je ne sais sur quel fondement on débita cette histoire ; ce qu'il y 
a de certain , c'est que le 18 avril, jour oii cette insurrection eut 
< Heu , était le lundi de la semaine sainte , et qu'alors il était permis 
en France d'être de toute religion , à Texception de la religion ca- 
tholique, apostolique et romaine , dans laquelle on était né. W. 
n. '4 



5o VÉMOiRES tm WBBBB. 

toute la suite de passer outre. On entendait mille 
clameurs^ telle que celle-ci : /< A bas les^ valets ! 
i> à bas les chevaux ! Ou ne doit pas sortir de Pa*^ 
» ris avant la fin de la constitution ! » 

Dans cette position, le roi ayant aperçu, à quel- 
que distance de sa voiture , un de ses maltres-d'hô- 
tel y le sieur Gougenot , régisseur géne'ral , lappela 
pour lui dire de faire revenir les premiers offi- 
ciers , ainsi que tout le service du château qui at* 
tendait la cour à Saint-Clbud. 

Les chefs de la cabale avaient toujours soin 
d'enivrer les grenadiers de la garde soldée , quand 
il s'agissait de quelque émeute. Ces derniers , voyant 
un homme en fvac parler au roi , le maltl^aitèi^ent à 
deux pas de la voiture , di^chirèrent son habit à 
force de le pousser et de le frapper , et finirent par 
l'enti^alner dans un' coin de la cour du château , où 
ils se proposaient de le pendre, disant que céXmlun 
aristocrate , un espion à qui le roi a\*ait donné des 
ordres contre-révolutiomiaires. 

Témoin de cette avanie , la reine , dont Tame 
compatissante s^intéressait à chaque individu atta- 
ché à la rmaison royale , et à plus forte raison aux 
servitetirs victimes de leur fidélité , s'élance à nii- 
. corps hors de la poitière , en criant aux grenadiers : 
Jouissez cet homme ^ Messieurs ^ il est fait pour par^ 
1er aurais iV a drmt de prendre hs ordres du roi; 
il wt à nous. 

La reine , qui s'était aussi adressée aux olEciecs 
de la garde nationale bourgeoise , pour les prier 



CHAPITRE IV. 5l 

de vouloir bien «ecourir le maître-d'hôtel du roi , 
eut enfin la satisfaction d apprendre par eux y que 
Ion était pai^euu à le sauver en lui ménageant «ne 
retraite dans le château. 

Le jeune duc Amédée de Duras , premier gen- 
tilhomme de la chambre , et le sieur de Mondrji- 
gon y maltre-d'hotel du roi , furent également mal- 
traités par les grenadiers. 

M. de La Fayette , toujours timide et toujours 
mené par les événemens , se contenta de haran- 
guer les hordes à la place du Carrousel y «n dehors 
des cours du château y et de demander au roi ses 
ordres pour repousser la multitude. 11 fit semblant 
de vouloir protéger le départ de la oom*^ malgré 
la résistance unanime de la populace ; mais celle^ 
ci ne fut pas effrayée de ses meisiaces ç <ellè lui rap^ 
pelait quil avait dit le premier^ que lUj^surrecUçn 
était le jjùds sa/ni des devoirs-. 

h^ xçi y après avoir été dans cette situation pen- 
dant uae heure , desoenait enfin de toiture et re- 
monta au château j le cœur brisé du nouvel outrage 
qu'il venait de necevoir ( i )- 



(i) L'émeute qui eut lieu k l'occasion du voyage de St.-Gloud , 
pa$se pour avoir été provoc^uëe dans le but de prouver la xsaptivitë 
du roi.et de iustifier son évasion , si plus tard .elle .popvait avoir 
lieu. M de La Fayette pria d*abord Loiii^ XVi ^t la reine de,|ie 
pas monter en voiture que tout ne fût tranquille ; quand Leurs Hljlft- 
jestés y furent une fois montées, M. de X4a Fayette les priait 4e 
n'en pas descendre, voulant leur ouvrir passage ;,inais le roi et la 
reine remontèrent dans leurs àppartemens. M. de La Fayette, doat 
Vautorité fut, pour la première fois, méconnue de la garde nationale, 

4* 



À 



5:2 MÉMOIRES DE WEBER. 

U se rendit à l'Assemblée y se plaignît de l'oppo- 
sition qu'on avait mise à son voyage k Saint-Cloud, 
et déclara que , pour dissiper les bruits qu'on ré- 
pandait dans l'Europe , sur la contrainte qu'on di- 
sait exercée à son égard , il était nécessaire que ce 
voyage ne fût pas diiSFéré. Il protestait en même 
temps de son attachement k la constitution. Il re- 
çut beaucoup d'applaudissemens ; mais cependant 
l'Assemblée ne prit aucune délibération sur l'é- 
meute qui avait empêché Sa Majesté départir. Seu- 
lement y l'administration départementale^ composée 
de membres de l'Assemblée y se plaignit y dans 
une proclamation^ de l'excès du patriotisme des ha- 
bitans de Paris ; elle leur déclara qu'ils n'avaient 
aucun droit de s'opposer aux volontés du mo-' 
Barque y et que c'était à la ville de Paris y surtout y 
à prouver que le roi était parfaitement libre. 

Depuis six mois il avait été présenté au roi plu- 
sieurs plans pour s'échapper de Paris. Mirabeau 
lui-même y quelque temps avant sa mort^ en avait 
remis un à M. de Montmorin^ par lequel il con- 
seillait au roi de se transporter subitement ou à 
Compiègne^ ou à Fx>ntainebleau ; de s'y entou- 
rer de quelques troupes fidèles , pour lui fournir 



donna sa démission, et ne reprit le commandement que sur les ins- 
tances de la municipalité , et de tous les bataillons qui lui jurèrent 
une obéissance à laquelle ils n'avaient manqué qvie ce jour-là. 
Quant au culte , il avait offert au roi son appui pour le libre exer- 
cice de sa religion; mais les évéques consultés par le prince lui con- 
seillèrent , dit-on 9 de s'en abstenir. ( Note des houp. édit. ) 



CHAPITRE rv. 55 

les moyens de faire entendre sans risque ses obser^ 
varions paternelles sur les défauts de la constitu- 
tion j et de faire de là un appel à la loyauté des 
départemens. Mirabeau répondait à' la cour de la 
majorité de l'Assemblée nationale. M. le comte de 
La Marck , qui était dans la confidence de ce pro-* 
jet , fit , par ordre du roi , quelques voyages auprès 
de M. de Bouille ^ pour s'assurer de la possibilité 
de son exécution (i). Jusque-là Louis XVI avait 
toujours hésité de prendre ce parti dangereux.; 
mais après la journée du 1 8 avril y il s'y détermina 
enfin y convaincu que même sa non-réussite ne 
ferait qu'avancer de peu de temps les derniers 
malheurs dont il était menacé ; que son succès y au 
contraire , lui rendrait la première de ses préroga-* 
tives , la liberté , et le mettrait à même de réta- 
blir d'autorité le calme dans son royaume. Il en di-* 
rîgea lui-même tous les préparatifs avec une acti- 
vité , une prudence et mie discrétion qui donnent 
la plus haute idée de son excellent jugement. 

J'arrive enfin à cet événement déplorable , à ce- 
lui qui, après douze années, excite encore les 
émotions les plus viveis dans tous les cœurs dé- 
voués à la famille royale de France , qui cause tour 
à tour l'inquiétude , l'espérance , la crainte et le 
désespoir , suivant que l'on en parcourt les diffé* 
rentes époques ; à ce court , mais important intei>* 



(i) Voir, sur cet événement , les Mémoires de M. de Bouille. 

{Note des noup* édit. 



54 MÉMOIASS HE W£BBR. 

Valle de quelques heures , où Ton voit l'auguste fa- 
mille commencer avec succès ce voyage , partir 
sous d'heureux auspices , franchir les premières 
distances et les premiers périls , s'cloîgner de la 
capitale et des provinces les plus voisines comme 
les plus dangereuses; où l'on voit cette voiture , 
qui renferme des têtes si augustes et si chères , et 
de si hautes destinées , s'avancer vers le but de ses 
Vœux. L'on se peint , en quelque sorte, tant d'il- 
lustres voyageurs fixant leure regards vers ce point 
désiré, vers cette place de Montmédy, où ils 
de\'aient trouver la sûreté , la dignité , le trône et 
la gloire } où l'on voit tant de pereonnes si chères , 
BÏ cruellement arrêtées , si outrageusement traitées, 
et. reconduites ", à travers tous les blasphèmes et 
toutes les angoisses , au cachot dent elles ne sorti- 
ront que pour. 

Mais je dois , avant tout , placer ici un nouvel 
hommage de. respect , de reconnaissance , de dé- 
vouement, quelques pages que je n'ai pu transr 
crir^ sans ressentir les émotions les plus déchi- 
fânt^fi. Elle ont été confiées à mes vives et res- 
pei(>tcieuse^ instances par la seule personne , hélas ! 
àt faugustë ^famille , qui ait survécu à ce déplo* 
Vàble yoyk^ê. Avec quel intéi-êt religieux ne Hra- 
t-^û pââ un pareil fragment,, qui binlle k la foid 
dit triplé ckfudtkr^ dé k candeur , de U piété fi- 
liale, et de la vérité de l'histoire-I 



CBAPiTRB lY. 55 

(i) RELATION du Voyait de Varenms^ par 
Marie-Théièse-Chatiotte de FraneCj^ S. À. R. 
Madame la Duchesse d*Angouléine. 

.Pendant toute la journée du 20 juin 1791 , nion 
père et ma mère me parurent très-agités et occu- 
pés , sans que j'en susse les raisons. Après le dîner , 
ils nous renvoyèrent , mon frère et moi , dans une 
chambre, et s'enfermèrent seuls avec ma tante, 
Jai su depuis, que c'est dans ce moment-là qu'ils 
informèrent ma tante du projet qu'ils avaient de 
s'enfuir. A cinq heures , ma mère alla se promener 
avec mon frère et moi , madame de Maillé , sa 
dame du palais , et madame de Soùcy , sous-gou- 
vernante de mon frère , à Tivoli , chez M. Boutin, 
au bout de la Chaussée-d'Antin. 

Dans la promenade , ma mère me prit à part , 
me dit que je ne devais pas ni'înquiéter de tout ce 
que je verrais, et que nous ne serions jamais sé- 
parées long-temps ; que nous nous retrouverions 
bien vite. Mon esprit était bouché, et je ne com- 
pris rien du tout à tout cela : elle m'embrassa , et 

■ 

(1) Ce morceau précieux m'a é\é confié en 1796 lorsque madame 
Royale aniva des prisons du Teniple 4 la cour de Vienne. S* A. R. 
avattatot> 17 ans*. W. 

*Toii^ rapide (fu*ii est, le morceau qu^oo ra |ir*e donne, en cflbt^^ 
l^rand prix aux Mémoires de Weber ; il en reçoit ira nouveau quan' ^^ 
compare le sort actui-l delà priocesse, avec celui qu'elle éprouvait'^l^^''*' 
Eien n^^ale l'intérêt cpiHnspiraient des malheorviuoois, si oe^^^ 
<suixage ayec lequel ils furent supportés. {Nfit/^4ifs tfpuf édi&V ; 



56 MÉMOIRES DE WEBER. 

me dit que si ces dames me demandaient pourquoi 
j'étais si agitée, je devais dire qu'elle m'avait gron- 
dée , et que je m'étais raccommodée avec elle. Nous 
rentrâmes à sept heures; je retournai chez moi 
bien triste , ne comprenant rien du tout à ce que 
ma mère m'avait dit. , 

J'étais toute seule : ma mère avait engagé ma- 
dame de Mâckau d'aller à la Visitation , où elle 
allait souvent , et elle avait envoyé à la campagne 
la jeune personne qui était d'ordinaire avec moi. 
J'étais à peine couchée que ma mère vint; elle 
m'avait ordonné dfi renvoyer tous mes gens , et de 
ne garder qu'une femme près de moi , sous pré- 
texte que j'étais incommodée. Ma mère vint, et 
nous trouva seules; elle dit à ce^tte femme et à 
moi, qu'il fallait partir sur-le-champ , et ordonna 
comment il fallait s'arranger. Elle dit à madame 
Brunyer , qui était cette femme qui était avec moi, 
qu'elle désirait qu'elle nolis suivît; mais que ce- 
pendant , connue elle avait son mari , elle pouvait 
rester. Cette femme dit tout de suite, sans balan- 
cer , que ma mère faisait très-bien de partir ; qu'il 
\ y avait trop long-temps qu'elle était malheureuse, 
\ et que , pour elle , elle quitterait tout de suite son 
\mari pour la suivre où elle voudrait. Ma mère fut 
es - touchée de cette marque d'attachement . 
e redescendit chez elle, et souhaita le bonsoir à 
M^sieur et à Madame, qui étaient venus, comme à 
1 ordinaire , souper avec mon père. Monsieur était 
instruK du voyage. En rentrant il se coucha , mais 



/ 




CHAPITRE IV. 5j 

se releva sur-le-champ, et partit avec M. d'Ava- 
raj , jeûne homme qui le fit sortir de tous les pé- 
rils de sa route, et qui est encore avec lui. Pour 
Madame , elle ne savait rien 4^ voyage ; ce ne 
fut que quand elle fut couchée , qu'une madame 
Gourbillon, qui était sa lectrice, vint lui dire 
qu'elle était chargée , de la part de la reine et de 
Monsieur, de Tenmiener hors de France. 

Monsieur et Madame se . rencontrèrent à une 
poste, où ils ne firent pas semblant de se connaître, 
et arrivèrent heureusement à Bruxelles. Mon frère 
avait été aussi réveillé par ma mère , et madame de 
Tourzel le conduisit à Tentre-sol de ma mère. Je 
descendis aussi avec lui. Nous trouvânies là un 
garde-du-corps, nommé M.deMaldan, qui devait 
nous faire partir; ma mère vint plusieurs fois nous 
voir î on habilla mon frère en petite fille ; il était 
charmant : comme il tombait de sommeil, il ne 
savait pas ce qui se passait. Je lui demandai ce 
qu'il croyait qu'on allait faire? Il me dit qu'il 
crojait qu'on allait jouer la comédie , parce que 
nous étions déguisés, A dix heures et demie, quand 
nous fumes tous prêts , ma mère nous conduisit 
elle-même à la voiture, au milieu de la cour, ce qui 
était beaucoup s' exposer . Nous nous mimes en voi- 
ture , madame de Tourzel , mon frère et moi. 
M. dé Fersen était le cocher. Pour dérouter , on 
nous 'fit faire plusieurs tours dans Paris. Enfin nous 
retournâmes au petit Girrousel , qui est très-près 



\ 



» 



58 MÉMOIRES DE YTEBER. 

des Tuileries. Mon frère était couché dans le fond 
de la voiture y sous les robes de madame de Tour- 
ael. Nous vîmes passer M. de La Fayette , qui était 
au coucher de mon père ; et lious restâmes là à 
attendre au moins une grande heure y sans savoir 
ce qui se passait. Jamais le temps ne ma paru 
plus long. 

Madame de Tourzel voyageait sous le nom de 
madame la baronne de KorfT; ma m^re était la 
gouvernante de ses enfans y et s'appelait madame 
Rochet ; mon père , le valet de chambre Durand j 
ma tante 9 uue demoiselle de compagnie ^ Rosalie ; 
mon frère et moi ^ les deux filles de macramé de KorfT^ 
sous les noms d'Anlélieet d'Aglaé. Enfin ^ au bout 
d'une heure , je vis une femme qui tournait autour 
de la voiture. J'eus peur qu'on ne nous découvrit; 
mais je fus. rassurée en voyant que le cocher ou- 
vi'ait la portière, et que c'était ma tante. Elle s'é- 
tait enfuie seule avec un de ses gens. En entrant 
dans la voitui'e, elle marcha sur mon frère qui 
était dans le fond , et il eut le courage de ne pas 
se plaindre. Elle nous assura que tout était tran*^ 
quille y et que mon père et ma mère viendraient 
bientôt. En efi*et, mon père arriva peu après, et 
puis ma mère avec le garde-du-corps qui devait 
nous suivre. Nous nous mimes en chemin , et il 
ne nous arriva rien jusqu'à la barrière. Là, il y 
avait une voiture de poste qui devait nous cau«- 
diiire : M. de Fersen ne savait pas où elle était. 



1 

CBAPTTBE IT. Sq 

Il fallut attendre long-teinf» là , et mon père même 
descendit , ce qui' nous donna beaucoup d'inquië*- 
lude ; enfin , M. de Fersen revint après avoir 
trouvé l'autre cant)sse. Nous changeâmes de voi- 
ture ; M. de Fersen souhaita le bonsoir à mon 
pèrç et s enfuit( i ).Les trois gardes-du-corps étaient 
MM. de Maldan , Dumoutiér et Valory, Ce der- 
nier faisait le courrier ; les autres y les domestiques, 
Tuu à cheval, l'autre assis sur la voiture. On avait 
changé leurs noms; le premier s appelait Saint- 
Jeam:; le second ^Melchior; l'autre, François. Les 
deux femmes de chambre qui étaient parti^îs avant 
nous , nous retiT>uvèrent à Bondy ; elles étaient dans 
une petite voiture; nous nous* mimes en marche. 
Le jour commençait à venir. Dans la matinée, il 
ne se passa rien de remarquable ; cependant, à dix 
lieues de Paris on rencontra un bonmie à cheval, 
qui suivait toujours la voiture. A Etoges on crut 
être reconnu. A quatre heures on passa la grande 
ville de Chàlons-sur-Marne. Là, on fut reconnu 
tôui-à'^fait. Beaucoup de monde louait Dieu de 
voir le nn, et faisait des rctnx pour sa fuite. lia 
poste après Chalons , on devait trouver des trou- 
pes à cheval pour entourer la voiture jusqu'à ÏMont- 
médy ; arrivé là , personne ne s y trouva. Nous 
resÉàmes dans l'attente d'en trouver jusqu'à huit 
héured. Nous passâmes à la fin du jour*à Clermoqt. 



(i) Il alla jiisqu à Bondi , où Tattendait une voiture de retour. Il 
partît diiti» ta journée pour retourner en Suéde. W . 



6o MÉMOIRES DE WEBEB. 

Là , on vit des troupes , mais tout le village était 
ameuté , et ne voulait pas les laisser monter à che- 
val. Un officier reconnut mon père, s'approdia de 
lui , et lui dit tout bas qu^il était trahi. Nous 
vîmes là aussi M. Charles de Damas, mais il n'y 
' pouvait rien. Nous continuâmes notre route j la 
nuit était tout-à-fait venue , et .malgré l'agitation 
et l'inquiétude où l'on était , tout le monde s'en- 
dormit dans la voiture. Nous fumes réveillés par 
•un cahot affreux , et en même temps on vint nous 
dire qu'on ne savait pas ce qu'était devenu le cour- 
rier qui allait devant la voiture. On peut juger de 
la peur qu'on eut ; on crut qu'il avait été reconnu . 
et pris. Enfin nou^ étions au commencement du 
village de Varennes. Il y a à peine une centaine 
de maisons. Dans ce lieu,' point de poste; et d'or- 
dinaire , les personnes qui voyagent font venir des 
chevaux. Nous en avions , mais ik étaient au châ- 
teau , de l'autre côté de la rivière , et personne ne 
savait oit les trouver. Enfin le courrier revint ; il 
amena avec lui un homme qu'il croyait qui était 
dans le secret; cet homme, je crois, était un es- 
pion de La Fayette. U vint à la voiture en bonnet 
de nuit et en robe de chambre ; il se jeta presque 
tout entier dedans; il disait qu'il avait tm secret, 
mais qu'il ne voulait pas le dire. Madame de Tour- 
zel lui demanda s'il connaissait madame de Korff ; 
il dit que non ; depuis , je n'ai plus revu cet hom- 
me. On vint à bout de persuader aux postillons 
que les chevaux étaient au château ; ils se mirent 



CHAPITRE IV. 61 

à marcher 9 mais bien doucement. Arrivés au vil- 
lage y nous entendîmes des cris affireux autoiu* de 
la voiture : Arrête y arrête ! On s'empara des pos- 
tillons ^ et en im moment la voiture fut environnée 
de tout plein de monde armé et de flambeaux. Ils 
nous demandèrent qid nous étions ? On leur ré- 
pondit madame de Korffet sa famille. Ils prirent 
des lumières^ les mirent justement devant mon 
père y et nous signifièrent qu'il fallait descendre. 
On leur dit que non ; que nous étions de simples 
voyageurs , et • que nous devions passer. Ils nous 
sommèrent de descendre y ou qu'ils nous tueraient 
tous ; au même instant tous les fusils se tournèrent 
contre la voiture. Nous descendîmes , et en tra- 
versant la rue^ nous vîmes passer six dragons à 
cheval. Il n'y avait malheureusement pas d'officiers; 
car y sans cela y six hommes bien déterminés au- 
raient pu faire peur à tous ces gens y et sauver le 
roi. 



Maintenant , après avoir rapporté ces souvenirs 
naïfs et tpuchans de l'innocence et de la vérité , 
s'exprimant par la bouche de la plus intéressante 
princesse de l'Europe, je v.ais offi^ir un récit plus 
détaillé de ce même voyage , des causes qui le mo- 
tivèrent , et des circonstances qui l'accompagnèrent 
«t le suivirent. Je le dois aux bontés d'un ministre 
de Louis XVI , en pays étranger, le marquis de 
Bombelles. Il lui fut adressé par un prélat distin- 



6a MÉMOimES.OB wbber. 

• 

gué qui a joui y peodaut plus de deux années , 
d*uae grande confiance de la part du roi et de la 
reine. L'habitude que ce prélat eut de voir Leurs 
Majestés dans leur intimité, en 1791 et en 179^ y 
donna de fréquentes occasions d'apprendre de leur 
bouche les détails / qu'il confia ensuite à l'amitié. 
J'ose croire que ce morceau d^histoire mérite infi- 
niment plus de croyance que les relations de c^ 
événement qui ont été publiées jusqu'à ce -jour , 
lesquelles sont presque toutes .défigurées et alté- 
rées y soit par la partialit é y soit par des motifs per^ 
sonnek. 



RELATION du f^ojrnge de Varermejs y adressée 
par wi Prélat , m&tnùre de VJsseinbtée consfi- 
Uimtie y à un Ministre en pays étranger (1). 

Il n'a fallu rien moins que le désir que vous 
m'avez montré, pour me déterminer à mettre par 
écrit les douloureux détails venus à ma connais- 
sance du voyage de Varennes. Il y aura sans doute 
beaucoup de relations de cet événement, l'un de 



(i) Le prëlat est, suivant toute apparence ^ M. de Fontanffes, 
ardievêque de Toulouse; le ministre, M. le marquis de Bombelles. 
N^iis «omparerons te récit intéressant avec les deux narrations 
pi^bliées par-d/eHiis des trois npcde^duneorps qui acoompagaaient 
)a famille royale. L'élendue de ce parallèle nous force à Je renvoyer 
& la fin du volume , avec les pièces justificatives (Note E}. 

( Notç des nouv, édii, ) 



CHAPITK^ IV. 65 

ceux qui ont le plus influé sur le sort de la révo- 
lution et du roi. Il y a à parier qu'elles ne s'accor- 
deront point entre elles ^ soît parce que de toutes 
les personnes qui ont été à portée de tout con-* 
naître par elles-mêmes j il n'existe plus que\ Ma- 
dame y fille du roi , alors bien jeune , et madame 
de Tourzel ( i ) ; soit parce que les autres acteurs 
n'ont vu qu'une partie de l'événement , et ont quel- 
que intérêt à présenter les faits, même ceux qu'ils 
ont pu le mieux savoir y un peu autrement qu'ils 
ne se sont passés. Je n'ai pas la prétention de vous 
faire une relation exempte de toute erreur , j'ai 
seulement celle de vous reti^acer fidèlement y et 
sans partialité , ce qui est resté grayé dans ma mé- 
moire y des conversations que j'ai eues avec la reine 
elle-même y ensuite avec M. de Bouille , et avec 
d'autres personnes qui m'ont paru très*bien ins- 
truites de toutes les particularités de cet événe- 
ment. 

Le roi s'était constamment ré fusé à sortir de 
Paris ^ pendant les années 1789 et 1790, malgré 
les ^ instances de ses serviteurs les plus dévoués y 
l'évidence des raisons qui devaient l'y déterminer , 
et les facilités que plusieurs circonstances lui ont 
quelquefois présentées y surtout pendant le séjour 

(t) Cette dame joaissait 4lana le monde de la coosidëration la 
mieux mëritëe; lorsqu'elle fut nommée gouvernante des'enfans de 
France , la reine lui dit avec sensibilité : a En vous confiant mes 
en&nSy madame y je suis sûre de les mettre entre les mains de la 
venu même. » ^- 



64 MEMOIRES DE WEBER. 

assez long qu'il fit à Saint-Cloud, durant l'été de 
1790. J'en raisonnai plusieurs fois avec la reine : 
elle me répondit constamment que le roi avait pris 
son parti là-dessus y qu'il était inutile de lui en 
parler ; et quand j'insistais , elle me fermait la bou- 
che en me disant : « Que ♦ voulez-vous que le roi 
» fasse loin de Paris y sans argent y sans moyens 
» personnels pour rappeler l'armée à la fidélité , 
» sans lumière pour se diriger , sans conseil pour 
» suppléer à ce qui lui manque ; et outre cela 
» avec son horreur pour la guerre civile ? n'en 
» parlons plus. » 

Je crois en effet que ces raisons auraient cons- 
tamment retenu le roi auprès de l'Assemblée, si 
elle se fat tenue dans les bornes de la modération y 
et d'une sorte d'égards pour sa personne, qui 
sembla diriger la majorité pendant l'été de 179a; 
mais le projet presque hautement avoué, de s'em- 
parer du pouvoir exécutif, et de l'exercer jusque 
dans ses moindres détails ; le renvoi des anciens 
ministres , pour y substituer des ministres révolu- 
tionnaires , et surtout l'atroce persécution contre la 
religion et ses ministres fidèles, dont le roi sem- 
blait être complice, furent , je crois, les véritables 
motifs qui , en lui rendant sa situation absolument 
intolérable , lui firent naître , vei*s la fin de 1 790 , 
le désir de se soustraire à l'empire que l'Assem- 
blée avait pris sur lui. La reine fut d'abord la seule 
persoun|B à laquelle il s'ouvrit de ce projet: soit 
qu'elle fut frappée des raisons que j'ai indiquées 



CHAPITRE IV- 65 

pius hmxt^mÀt que ^ par pressentiment ou par une 
sagacité dont je lui ai vu des exemples ëtomiâus y 
elle prévit les malheurs qui arriveraient y nonKseu- 
lement elle ne cbercha pas à l'affermir dans l'idée 
de fuir ^ mais elle ne voulut s'en occuper sériea-^ 
sèment ^'à ses instances réitérées ^ «t lorsqu'elle 
se fut bien eonvaineùe que son parti était pris ii»^ 
variablement. 

Les circonfiTlamces étaient teUies qu'il ner fallait 

songer k sortir die Paris que par adresse. La 

force aurait été inutile et du phfis. grand àsÈtt^ 

ger : Fadresse même n^'était pas sans d& grandes 

diffieultés». Quoique le roi se fèt procla(ii$é \khre 

dans toutes les occasions^ depuis que quinsee mille 

baâoiuiettes et vingt pièces de canon l'avaient CM^ 

duit de Yetsailies aux Tuîlems; quoique l'Assem*^ 

Uée se mit eu fnvenr toùtest le» fois qu'il échâip-^ 

paôt^ devaiit elle le pJtaB pefcît doute sur k Mberlé dA 

roi / il n'eii était pas nvoîns» vrai que- Lauis XVl 

et totite sa famille étaient- pnsomikeTs y et'piistm^ 

niera gard^ à vueavec la^plim grande sùri^illèiftie; 

Tous lies jouris six. cents gaordës nârtion&uxy tir^s^de; 

sections de Paris y montaient la gdrde aux Tuila» 

ried. DcsiDc gsaarâes à ehe^ai étaient eoiiitimiment . 

devant bi porte extmeurev Tous les |^ostes db de^ 

bars, c'ést-à^dâre les postes* du cbàtea« et des 

ciouiti; étaient partagé» aux gùdas stdssies et 2[uic 

gardes nationales. Deux corpEMle-^garàe dé tes 

txoupes étaient postés? au PontH-Touîrnaiïf y- et des 

sentinelles à toutes* les< arut^ès j^brbes àa jardiW des 

n. 5 



66 MÉMOIRES DE WEBER. 

Tuileries. La terrasse sur la riyière était garnie de 
sentinelles de cent en cent pas. 

Dans l'intérieur, les gardes et les sentinelles 
étaient encore plus multipliés que les gardes*du* 
corps à Versailles. On en trouyait jusque dans les 
issues qui conduisaient aux cabinets du roi et de 
la reine 9 et jusque dans un petit corridor noir> pra- 
tiqué dans les combles , où étaient des escaliers 
dérobés pour le service de Leurs Majestés. Les offi- 
ciel^ de la garde nationale .faisaient le service des 
officiers des gardes-du-corps. Ni le roi ^ ni la reine 
ne pouvaient sortir qu'ils ne fussent accompagnés 
d'un certain nombre d'eux. Outre cette surveil- 
lance stricte et puUique , il y en avait une autre 
qui n'était pas moins- difficile à tromper y c'était 
celle dtes valets de l'intérieur ; presque tous étaient 
des espions. J'ai vu la reine convaincue que y sur 
toutes les personnes de son intérieur y elle ne pou- 
vait compter que. sur ses premières femmes de 
chambre; et parmi ses gens^ sur un ou. deux va-^ 
lets de pied. Quant au roi , je crois que ses quatre 
premiers, valets de chambre étaient les seuls 'aux-^ 
quels il pût se fier^ 

Avant de penser aux moyens d'échapper à tant de 
surveillans et de les combiner, le roi et la reine 
s'occupèrent .du lieu de leur retraite , et de s'assu-^ 
rer.uaie force militaire capable de les Aiettre à 
l'abri du danger du premier moment. ' 

Ik jetèrent, pour ces deux objets^ leô yeux sur 
M. le marquis.de Bouille; ils ne {>ouvaient mieux 



CHAPITRE IV : 67 

choisir : une grande réputation , le premier talent 
militaire du royaume , de la hardiesse uni^ à la 
prudence , l'estime des troupes , M, de Bouille 
réunissait tout cela. Il commandait en chef à Metz> 
en Lorraine , en Alsace. Sa constance à se tenir 
dans son commandement avait conservé là plus 
de troupes fidèles qu'ailleurs , et il venait tout ré-^ 
cemment d'ajouter à sa gloire et à la terreui* 
que son nom inspirait aux factieux ^ en forçant ^ 
avec une poignée de monde ^ la garnison rebelle 
de Nancy à se soumettre à un ordre du roi et de 
l'Assemblée. Il restait toujours à Metz, ou dans 
son commandement qu'il n'avait pas quitté depuis 
le commencement de la révolution. 

Le roi lui écrivit pour lui faire l'ouverture dcf 
son projet, et l'engager à le seconder. Sa première 
réponse fut de tâcher de détourner Sa Majesté 
d'une résolution dont le danger^ pour le roi , le 
frappait bien plus que les avantages qui pouvaient 
en résulter pour la chose publique. Mais le roi 
ayant insisté , avec une volonté qui lui parut aussi 
réfléchie que déterminée , M. de Bouille se livra 
avec tout le courage , la hardiesse et la sagesse 
qui font la partie brillante de son caractère , ht 
combiner les moyens qui dépendaient de lui. 

Le lieu de retraite fut déterminé à Montmédy : 
c'est une ville très-forte , sur les confins de la 
Champagne, l'endroit des frontières le plus rap- 
proché de Paris , touchant les terres de l'empereur , 

et très à portée de Luxembourg. En cas de mal-j 

5* 



68 MÉMOIRES DE WBBER. 

heur , La retraite dans ce boulevard , estimé le plus 
fort de l'Europe , était facile. Un autre avantage 
était de pouvoir recevoir facilement des secours d'une 
armée autrichienne , si on en avait besoin. Ce cas 
étant possible , et même probable y il fut convenu 
de mettre l'empereur dan^ la confidence y et de l'en- 
gager à envoyer dans Luxembom^g y sous le pré-* 
texte des troubles de Flandre y im corps de vingt- 
cinq mille honunes qui serait aux ordres du roi. 
Cétait Léopold qui était depuis un an sur le trône 
des Césars. Il promit tout ce qu'on devait attendre 
de sa générosité ; il fit ses dispositions avec un se-* 
cret digne de sa sagesse y et il attendit avec anxiété 
l'événement duquel allait dépendre le salut de sa 
sœur et de son beau-frère y la tranquillité de ses 
Etats et celle de l'Europe. 

M» de Bouille proposa d'abord la route de Flandre, 
conmie la plus courte et la plus sûre pour sortir 
du royaume y et venir à Montmédy par l'extmeur. 
Ce projet fut rejeté , parce que^ sous aucun pré- 
texte > le roi ne voulait sortir du royaume* Sa rai- 
son était de ne pas donner lieu k la déchéance 
prononcée par un décret contre le roi qui quitte- 
rait le royaume. Alors M. de Bouille conseilla la 
route de Reims pour aller à Montmédy ; elle pres- 
sentait l'avantage d'avoir pefu de villes à traverser, 
et d'être aisée à couvrir^ mais la figure du roi était 
trop connue dans Reims. Cette objection fit reje- 
ter cette route , et on convint de celle de Châlons , 
par Clermont et Varennes. Il fut convenu que 



CHAPITRE IV* 69 

M- de Bouille ne viendrait pas à Paris, afin d'é- 
carter tout soupçon y et aussi pour que sa présence 
continuelle dans son commandement lui donnât 
plus de facilité à combiner tous les moyens directs 
ou indirects d'assurer la réussite du projet. Il se 
chargea de tout, depuis Châlons-^ur-Mame , la 
première ville de son commandement en venant 
de Paris ; et la reine se chargea , de son côté , de 
préparer tout pour la sortie de Paris , et pour la 
route jusqu'à Chàlons. 

Voilà où en étaient les choses à la fin de 1 790 
et dans les premiers mois de 1791 • La reine m'en 
fit une demi"^confidence vers ce temp^là, sans me 
dire cependant le fond du projet. Un jour qu'elle 
me parlait avec amertume de quelque nourelle 
insulte que le roi avait reçue de l'Assemblée ou 
du peuple de Paris , elle me dit qu'il ne pouvait 
plus y tenir , et que son parti était pris de quitter 
Paris , au risque de tout ce qui pouvait arriver. Je 
ne manquai pas de lui rappeler alors les objections 
qu'elle m'avait faites elle-même l'été précédent, 
tirées du caractère personnel du roi, si peu préparé 
à soutenir un parti aussi tranchant , devenu 
alors bien plus périlleux. Elle me répondit ces 
propres paroles : « U ne s'agit que de lancer le 
» roi ; quand une fois il le sera , je vous réponds 
» qu'il ira. » 

Quelque déterminé que fut le roi , à la fin de 
1 790 , j'ai lieu de croire que le parti de fuir éprouva 
quelques variations dans le cours de l'hiver suivant. 



^O MÉMOIRES DE WEBEB. 

Ce plan était le fruit des nouveaux rapports de 
M. de Mirabeau avec la cour. Cet homme paraî&<- 
sait alors être de bonne foi. Sa gloire, son amour- 
propre, son intérêt surtout, étaient les liens qui 
l'avaient entièrement dévoué à employer ses grands 
talens à réparer une partie du mal que lui et les 
factieux avaient fait. Autant qu'on pouvait juger 
des dispositions d'une Assemblée si mobile et si 
orageuse , il semblait avoir acquis dernièrement 
sur elle un grand ascendant. Il avait rompu pres- 
que ouvertement, non-seulement avec cette fac- 
tion du côté gauche qui a formé dans la suite le 
parti républicain; non-seulement avec M. de La 
Fayette, qu'il avait nommé Croniwel- Grandissons 
et qu'il eut pour suijTeillant et pour adversaire dans 
tous les rôles qu'il joua ; mais il avait même fait 
scission avec les Duporty les Lameth, les SieyeSy 
qui n'étaient alors que des constitutionnels exaltés; 
il cherchait surtout à se rapprocher des plus mo- 
dérés du côté droit , et voulait , sans qu'ils s'en 
doutassent , faire servir l'influence de leur parti à 
l'exécution de ses plans. 

Sa mesure fondamentale , pour le rétablissement 
d'un ordre de choses raisonnable, était la liberté 
du roi ; il l'avait promise pour le mois de mai ou 
de juin, et il prétendait avoir, dès le conamence- 
ment de l'hiver , mis en mouvement une machine 
assez compliquée , dont le premier résultat était de 
faire demander, par les sections de Paris , que le 
roi eût la liberté d'aller dans un de ses châteaux . 



CHAPITRE IV. 71 

Cent mille écus lui avaient été promis le jour où 
le roi sortirait de Paris (i). Je ne doute pas que 
cette espérance , qui n'était qu'une chimère , n'ait 
fait varier le roi sur son projet de fuite ^ tant qu'il 
a pu la conserver. 

Deux événemens inattendus fixèrent ses irréso- 
lutions , et déterminèrent invariablement le parti 
de la fuite. Le premier fut la mort de Mirabeau^ 
vers les {Premiers jours d'avril 1 791 ; il ne laissait 
personne qui pût suivre ses plans , personne même 
qui les connût autrement que par ce qu'il en di* 
sait : ainsi il fallut y renoncer , après avoir dépensé 
ou plutôt laissé gaspiller près de six millions , que 
les Sainte-Foix, les Dandré^ les Chapelier y les 
Danton (2) , les Beaumetz, les Talon , les Emery ^ 
se sont partagés. Le second événement fut ro{^>o- 
sition que le roi trouva^ de la part du peuple de 
Paris et de la garde nationale y pour aller passer la 
semaine sainte à Saint-Cloud : cette insulte j celle 
peut-être qui a le plus vivement affecté le roi, ne lui 
permit plus de balancer sur le projet de fuite y et 
il ne s'occupa que des moyens de l'exécuter. 



(1) Il recevait dix raille francs le premier de chaque mois , et le 
roi avait mis pour lui entre les mains de M. de Montmorin, qui la 
montré à plusieurs personnes , un bon de deux millions pAJrabksIe' 
jour du succès complet de celte entreprise. W. 

(d) M. de Montmorin a conserve long-temps une quittance de 
cent mille franco , signée par Danton qui les avait reçus. H avait 
d'abord refusé de petites sommes ; et puisqu'on finit par lui en 
donner de plus considérables, il aurait bien fait de commencer 
par là. (Note des nout". éM.) ' 



7^ MEMOIRES Dfi WEBER. 

Je reçus peu de jours après , c'est-à-dire dans les 
premiers jours de mai) une lettre de la reine , qui, 
après m'ayoir parlé de je ne sais plus quelle affaire, 
m'annonçait « qu'environ dans six semaines , il ar- 
» riverait peut-être des ëvénemens qui pourraient 
» compromettre ma sûreté ; qu'elle me priait <le 
» songer à me mettra à l'abri , et à m'éloigner de 
» Paris , et même du royaume ; et qu'elle m'enga- 
» geait à y déterminer également les évêques de 
» l'Assemblée , qui , peut-^tre , ne couraient pas 
» moins de danger. » Cette lettre ne me laissa plus 
de doute sur le projet de fuite, et je m'occupai à 
prendre mes arrangemens pour aller attendre , . 
dans, le fond du Bourbonnais , l'orage qui m'était 
annoncé. M^dgré l'intention que m'avait marquée 
la peine, je crus ne devoir donner le conseil 
de quitter Paris, qu'à deux ou trois de mes con- 
frères avec qui j'étais le plus lié , et qui encore n'en 
firent pas. grand cas. 

i J'ai dit plus haut que la reine s'était chargée de 
la sortie de Paris et de l'arrivée à Chàlons. Cette ' 
besogne présentait de grandes difficultés. Il fallait 
échapper à la garde et à la surveillance intérieure , 
et , de Fautre côté , faire préparer au-dehors tout 
çç qui était nécessaire pour im voyage d'environ 
soixante lieues. Si on se rappelle ce que j'ai dit 
du scrupule avec lequel étaient gardés ces augustes 
prisonniers , la sortie du roi et de toute la famille 
royale hors du château présentait des difficultés 
presque insurmontables. 



eHAPITRE IV. 75 

A force de chercher où l'on pourrait sortit* du 
château avec le moinfi de risque ^ la reiue décou^ 
vrit qu'une de ses femmes occupait unie petite 
chambre où il y avait une porte qui donnait dans 
l'appartement de M. le duc de Villequier , situé au 
rez-de-chaussée , et ayant une issue sur la côul* 
royale des princes , et de l'autre sur la coiur royiale. 
M. le duc de Villequier , premier gentilhomme de 
la chambre , ayant été , comme tous les grands of- 
ficiers , .obligé de cesser ses fonctions , avait émi- 
gré à cette époque y et son appartement n'était plus 
occupé. La chambi^e de cette femme était à la 
portée de celle de Madame y fîUe^du roi ; sous le 
prétexte d'agrandir le logement de sa fille , la reine 
s'empara de cette pièce y en faisant placer ailleurs 
la fenune de service qui Toccupait. Pour mieux 
détourner les soupçons , elle fit en même temps 
d'^autres cbangemens^ aous le même prétexte. La 
première femme de chambre^ fut déplacée , tou- 
jours pour agrandir le logement de Madame , et 
mise au rez-de-chaussée ^ dans l'appartement de 
madame la princesse de Chimay, dame d'hon- 
neur. 

Ces arrangemens faits ^ on comprend qu'il était 
aisé de; passer sans être aperçu jusque dans l'ap- 
partement de M. de Villequier, dont la reine s'é- 
tait procuré la clef : de là, il n'y avait plus de 
grandes difficultés pour sortir du château , malgré 
les nombreuses sentinelles qui garnissaient les 
cours , parce qu'il n'y en avait point dont le poste 



74 MÉMOIRES DE WEBER. 

fût à la porte de M. de Villequier; et aussi , parce 
qtie^ à certaines heures , les sentinelles des cours 
étaient accoutumées à voir sortir du château beau- 
coup de monde à la fois, en particulier vers les 
onze heures du soir , lorsque le service du château 
était fini. 

Il fallait 'bien mettre quelquuti dans la confi- 
dence ,> pour faire lès préparatifs nécessaires en 
chevaux et voitures. La reine jeta les yeux pour 
cela sur le comte de Fersen (i) , jeune seigneur 
suédois au service de France, dévoué à Sa Ma- 
jesté depuis long-temps , et sur la fidélité , la dis- 
crétion et le courage duquel elle pouvait entière- 
ment compter. M. de Fersen se chargea de faire 
trouver, auprès de la barrière Saint-Martin, une 
voiture à six chevaux et à six places pour aller 
jusqu'à Claye , qui est la deuxième poste sur la 
route de Châlons ; il se chargea aussi de recevoir 

- (i) On va voir dans ce récit que le comte de Fersen servit lui- 
même de cocher à la famille royale. M. le duc de Lëvis piëteod^ 
dans ses Souuenirs , que. son rôle ne consista que dans les prépara- 
tifs du voyage et dans la direction du départ. « Le comte de Fer- 
sen , dit-il^ était assez avant dans la confiance du roi et de la 
reine pour avoir eu , dés Torigine, le secret du mémorable voyage 
de Yarennes. Ce fut lui qui en dirigea les apprêts ; ce fut son co- 
cher qui conduisit la voiture de place dans laquelle Louis XVI et 
sa famille quittèrent Paris. Le comte les accompagna à cheval jus- 
qu'à la première poste , d'oii il regagna la route de Flandre par 
lin chemin de traverse. Il était inconvenant, sous plus d*un rapport^ 
que M. de Fersen occupât , dans cette occasion périlleuse , un 
poste qui devait appartenir à un grand seigneur français. » Nous 
pensons que la narration de Tarchevêqae de Toulouàe doit être 



CHAPITRE rv. 75 

tous les voyageurs près des Tuileries, et de les 
conduire jusqu'à la voitujre. Comme il fallait que 
cette voiture fût grande , commode et sûre , il prit 
le parti d'en faire faire une neuve , comme pour 
lui, qui réunît tous ces avantages. 

Ces dispositions préliminaires faites, le départ 
fut fixé a la nuit du dimanche au lundi, ig et :30 
juin. M. de Bouille en fut instruit assez à temps 
pour qu'il pût faire ses dispositions , depuis Châ- 
lons jusqu'à Montmédy,et avoir le temps d'en ins- 
truire la reine avant le départ de Paris. Sous le 
prétexte d'arrangemens militaires^ M. de Bouille 
fit placer, à portée de Montmédy, les régimens sur 
lesquels il pouvait le plus compter. 

Il fut contrarié dans ces arrangemens par un or- 
dre du ministre de la guerre. Ce n'était plus ce 
brave et loyal comte de La Tour-du-Pin , duquel 



prëférëe h celle-là , puisque le prélat tenait de la reine les détails 
qu'il donne. Quant à la contenance dont parle M. de Lévis , Tes» 
3Cntiel était de sauver la famille royale, et un postillon qui eût Lien 
connu les chemins eût mieux valu qu'un gi and seigneur qui, 
comme M. de Fersen , n'aurait pas connu les rues de Paris. Le gé- 
néral suédois prit par les boulevards , ce qui retarda beaucoup , et 
Ton verra que le succès ne manqua que par les délais. Si l'on eût 
ëlé plus exact et plus diligent, le roi accomplissait son projet, et 
les destinées de la France dépendirent de quelques heures de re- 
tard ! Le comte de Fersen sut échapper aux orages delà révolution 
française; mais il fut victime en iS 10 d'une fermentation qui s'ëlevft 
à Stockholm à la mort^e Charles-Auguste. Pendant le convoi de 
ce prince, le peuple assaillit le comte à coups de pierres > et lu^i 
donna la mort au milieu de traitemens barbares. 

> . ( Note des nouu> édit, ) 



y6 MEMOIRES DE WEBER. 

les Mémoires de M. de Bouille ont rendu un té- 
moignage si honorable ^ et dont le fils eût encore 
éiéf dans cette occasion , comme dans l'afTaire de 
Nancy , combattre à coté de ce général. Au lieu 
de cela, M. de Bouille se vit ôter successivement 
les carabiniers f ' rojal^liégeois y et Vigiers. Un 
nouvel ordre , encore plus douloureux , vînt éloi- 
gner dé lui saxe^hussards et rojral-normandie , 
dont il était très-sûr, et qu'il comptait employer. 
Il fut contraint de se servir d'autres moins bons; 
il ne faut cependant pas comprendre dans ces der- 
niers, rojral^allemand y le plus brave et le plus sûr 
de l'armée , et qui heureusement était en garnison 
à Stenay , et y resta. 

M. de Bouille annonça d'avance une tournée 

• 

dans son commandement , pour pouvoir, sans être 
soupçonné , sortir de Metz , et se rendre du côté 
où le roi devait arriver. Il fit en même temps ré- 
pandre le bruit de l'arrivée d'mi convoi d'argent 
pour la solde des troupes ; il se servit de ce pré- 
texte , pour envoyer quelques détachemens sur la 
route que le roi devait prendre, et il colora l'ar- 
rivée des autres , dans les points dont il voulut s'as- 
surer , en ordonnant quelques mouvemens de trou- 
pes , et en combinant leur marche et leur séjour 
dans ces points avec le jom' oii le roi devait 
passer. 

Sous le prétexte de la sûreté de la frontière , il 
fit tracer un camp sous Montmédy , et donner des 
ordres pour y faire arriver, le :20, le 21 et le 23 



CHAPITRE IV* '77 

juin y nenf bataillons et vingt-six escadrons y fai- 
sant environ dix mille hommes* L'artillerie y était 
plaçëedès le 19, ainsi que les effets de campement; 
les approvisioimemens eu grains et en munitions 
étaient faits d'avance pour trois mois dans le plus 
grand secret. M. de Bouille se rendit à Montmédy 
et à Stenay, quelques jours avant le 20 > pour faire 
ses dernières dispositions. 

Avant de dire quelles furent ces dispositions y il 
est nécessaire y pour être entendu y de donner une 
idée de la route que le roi avait à stiivre après 
Qiàlons. 

A trois lieues de cette ville y on trouve Ponà-de-- 
Sommei^elle y sur une petite rivière qu'il faut iie«- 
cessairement passer y soit qu'on aille à Verdun par 
la grande route y soit qu'on veuille gagner Karènnes 
par la traverse ; de Pont*^de-^ommeuellc y la gnuodr 
route mène à SeUnie^énekould y viUe qui en est 
k quatre lieues; ensuite o» trouve la ville de 
Clermont en Argoftne ', à quatre lieues de Sainler 
Ménehould. Après Clermont y le cheimn se paiv 
tage en deux; celui de la drc»te est la grande 
route de Verdun ; celui de La gauche y sur lequel 
il n'y a point de poste y conduit à Yai^eimes qui 
est à trois ou quatre lieues de Clermmit ; de Vor- 
rennes y un chemin assez mauvais conduit à Dun y 
qui en est à cinq Ueues : là, on passe la Mense sur 
lan pont, et on gagne la grande toilte de Vetdmi 
à MontmédjTy en laissant Stenaj sur lai gauche.; la 
distance de Dun à Mantmédy est de cinqàsix lieues. 



78 MÉMOIRES DE WEBER. 

Voici à présent les dispositions que fît M. dé 
Bouille. Quarante hussards de Lauzùrij avec un offi- 
cier nommé M. Boucfety eurent ordre d'aller, le ig 
juin, à Sainte-Ménehould, et.de se rendre de honne 
heure, le 20, à Pont-de-Sommevelle , à trois lieues 
de Cliâlons, et 4'y attendre le roi jusqu'au soir, de 
l'escorter jusqu'à Sainte-Ménehould, et de reve- 
nir ensuite garder le passage de Somnievelle, 
pendant dix-huit où vingt heures après le passage 
du roi , pour ne laisser passer qui que ce soit : 
M. le duc de Choiseuly dont le régiment était 
dans ces cantons, et M. de Goguelas y officier de 
l'état-major, devaient accompagner ce détache- 
ment; le roi et la reine, dont ces officiers étaient 
particulièrement, connus, avaient porté à M. de 
Bouille l'ordre du roi, de leur communiquer le 
secret, et de les employer à ce premier poste qui 
devait donner l'impulsion à tous les autres. 

M. Z?n/ir/oiw»v, capitaine de royal-dragons ^ eut 
ordre d'être à Sainte-Ménehould le 20 , pour y re- 
cevoir le roi et l'escorter jusqu'à Clermont. 

Là , cent dragons du régiment de Monsieur , 
€t soixante de royal y commandé par M. le comte 
Charles de Damas y devaient arriver le 19, sous 
prétexte d'aller cantonner à Mouzon et ayant sé- 
jour à Clermont; le 20 , cette escorte devait con- 
duire le roi à ï^arennes , où M, de Bouille donna 
ordre à soixante hussards de Lauzun de se porter 
le 19 au soir. 

Cent hussards du même régi^iént , sous les or-^ 



CHAPITRE IT. 79 

dres de M. Deslon , furent placés à Dun y sur la 
Menscy passage très-important, à cause du pont 
et de la rue étroite qui y conduit. 

A Mouza , petit village entre Dun et Sienajr y 
M. de Bouille envoya cinquante cavaliers de rojal" 
allemand y qui devaient escorter le roi jusqu'à 
Montmédjr en laissant à gauche Sienajr , ville très- 
révolutionnaire . 

Enfin , le général lui-même devait se tçnir entre 
Stenajf et Dun y à peu près au centre de ses can^ 
toauemens, pour être promptement informé et 
donner ordre à tout. 

Tou3 ces différens commandans n'étaient pas 
instruits du véritable but de ces préparatifs. M. dé 
Goguelas fut chargé de reconnaître toute la route 
d'une manière spéciale , d'aller à Paris en rendre 
compte au roi et à la reine y ainsi que de toutes les 
dispositions de M. de Bouille y et d'en rapporter les 
ordres de Sa Majesté par écrit pour les troupes , 
au moment où iL faudrait . leur faire connaître le 
roi. A ces ordres, furent joints des blancs-seings 
du roi , pour que M. de Bouille pût s'en servir dans 
les cas imprévus. 

M. de Choiseul, qui faisait souvent des voyages 
à Paris y se chargea d'y aller vers le temps du dé*^ 
part; il fut convenu* qu'il précéderait le roi dé 
<{uek|uéÊs:heures , et l'attendrait à Pont-rde-^Somme-* 
veUe avec M; de Goguelas.^ L'un ou l'autre devait 
eu partir dès que le roi y serait . arrivé , après avoir 
pm ses jdçmiers ordres , pour les donner successi-i 



8o MÉMOIRES DE WEBER. 

vement k tous les dëtachemens smyans; Taufre re^ 
tant pour accompagner le roi et prendre le com^ 
mandement de FescoTte , jusqu'à ce qu'il eut trouye 
M. de Bouille. Le secret fut aussi confié à MM. de 
Damas , d'Hoffelheyde KUnglm et Hejmmi au 
moment de l'exécution ; les autres commandans 
surent seuliement qn'il s'agissait d'escorter un 
trésor. 

Yacemues est une petite* yûke sur une rivière pro- 
6mdey divisée par m» pont en hsmte et basse 
ville ; elle n'est pas soir la ligne des postes. Ou avait 
prévu que les chevaux de poste qmi y conduiraient, 
pourraient ne pas aller pkis h>in ; pour pansi? à cet 
inconvénienli , il fut eônveHa que M. le èmc de 
ClMMÎseul y ferait trouver un^ relais, de six dbevaux , 
cpiL attendrait le roi dans u»e maison fort appa- 
rente du c&té de Glermont. Gomme les cbemîm 
étaient maurais du coté de Dun , M. dei Bonsllé 
eut encore la pmçattftiiHi de faire tenir un WBitpe. wb^ 
kiis' de ses proipres cbsvauai. à Dim.i 

Quokpie. tout fut picèt pûiur la nuit du 19 au .ia, 
Scum pour le départ,, un événement inopréinile .fit 
retarder de vingt-quatre heures. L'usage éèaii qasé 
le service des femmes^ de quartier didiige&t. tous 
les dimanches matin : quoique la reine n'eu* côH-^ 
fié son seci^l. qa'à la seule madame Thiftaut-^^ao 
pvenôève femnae: de joanfiance^ qui déviât, partîv 
pGff une autre rouie em meme^ temple qnveUe:^ i} 
était difficile tfpcy le^ jeiH* même du d^fiart^ ikn^jr 
eut pas des usKrwvemens dans Fintérieur*^ quiileb^ 



CHAPITRE IV. ' 8l 

liassent des soupçons à celles dçs femmes de son 
service, et surtout de celui de ses enfans qui auraieut 
(fuelque disposition à la trahir. Elle avait, en consé- 
quence, pris ses arrangemens pour que la nuit de son 
dëpaii: coïncidât avec le service des femmes qui 
fussent tellement sûres , que , sans leur confier son 
secret , elle n'eût pas à craindre , même d'indis- 
crétion de leur part, si elles avaient des soupçons. 
Le hasard fit qu'une femme de chambre de mon^ 
seigneur le dauphin, personne sûre ^qui devait 
prendre le service ce jour-là , ayant été indisposée , 
sa camarade , qui était très-^suspecte de démocratie, 
continua jusqu'au lundi/ La reine ne ci*ut pouvoir 
remédier à cet inconvénient qu'en différant le dé- 
part de vingt-quatre heures ; mais elle eut soin de 
le faire savoir à M. de Bouille par un courrier ex- 
près , qui arriva le 1 5 au doir. M. de Bouille eut le 
temps de changer ses ordres ; et les diffétetis dé- 
tachemens , au lieu d'aniver à leur destination le 
19 ou le 20 au matin , n'arrivèrent que le 20 ou le 
21. M. l'officier, à qui M. de Choiseul avait confié 
le soin de faire partir et de placer son relais^ négli** 
gea de changer ses pi*emiers ordres ; il arriva à 
Varennes le ïgausoir. 

Deux précautions dont je n'ai pas encore parlé 
avaient été prises avant le départ. 

La première eut pour objet de se pourvoir d'un 

passe-port en cas d'événement. 11 en fallait ua qui 

pût servir pour le roi, la reine , madame Elisâbetfa, 

les deux enfans et madame de Tourzel qui de- 

II. 6 



8:2 MÉMOJRES DE WEBER. 

yaient voyager ensemble. La reine avait proposé 
d'envoyer les enfans avec leur tante par la route 
de Flandre , et de s'en aller tous deux seuls par 
celle de Montmédy ; quelque raisonnable que fut 
cette idée , et quelque fortes que fussent les rai- 
sons par lesquelles la reine l'appuya, le roi ne vou- 
lut jamais consentir à séparer son sort de celui de 
ses enfans . Monsieur et Madame furent les seuls qui 
prirent la route de Flandre. L'événement a prouvé' 
que les enfans auraient passé aussi facilement 
qu'eux , et que l'idée de la reine avait été juste. 

C'était encore le ministre des affaires étranigères 
qui délivrait les passe-ports pour sortir du royaume. 
Ils étaient signés par le roi et contresignés par le 
ministre ; mais ils ne contenaient que le nom des 
personnes sans leur signalement. M. le comte de 
Montmorin était alors ministre des affaires étran- 
gères ; il était certainement, à cette époque, très- 
dévoué au roi , et le roi n'en doutait pas. La reine 
n'y avait pas la même confiance , quoique ses pré- 
ventions contre lui fussent alors beaucoup moins 
fortes qu'elles n'avaient été. Le roi se sentait porté 
à lui faire la confidence ; la reine s'y opposa. 
M. de Fersen se chargea d'en obtenir les passe- 
pprts qu'on voulait , sans qu'il ne put rien soup- 
çonner. Une femme de qualité de Russie , amie 
de M. de Fersen , nommée la baronne de Korff, 
était sur le point de partir de Paris pour retourner 
dans son pays ; elle avait une suite assez considé- 
rable, composée de deux enfans, im garçon et 



CHAPITRE IV. ^85 

une fille , un valet de chambre et deux femmes. 
Elle avait fait demander à M. de Montmorin y par 
M. de Simolin^ ministre de Russie à Paris, un 
passe-port pour elle et sa suite. M. de.Fersen con~ 
vint d'abord avec elle , que dès qu'elle aurait passe 
la frontière , elle lui renverrait ce passe-port dé- 
sormais inutile à elle ; mais réfléchissant ensuite' 
qu'un accident imprévu pouvait empêcher ce passe- 
port de lui parvenir au temps précis où il était 
indispensablement nécessaire y il pria madame de 
KorfFde feindre que ce passe-port avait été jeté au 
feu par mégarde, et de prier M. de Simolin d'en 
demander au ministre un second qu'elle remettrait 
à lui , Fersen ; ce qui fut fait. 

La seconde précaution fut d'avoir trois hommes 
sûrs qui pussent servir de courriers : le roi et la 
reine pensèrent que trois gardes-du-corps seraient 
ce qui coBviendrait le mieux dans cette circons- 
tance , et , pour cette espèce de service, ils en- 
voyèrent chercher le comte d'Agoult , aide-major 
de cour , pour le charger de la commission de trou- 
ver ces trois hommes. La leine, sans lui confier le 
secret du voyage , lui demanda trois gardes^ù- 
corps ponr porter des dépêches , comme il en avait 
donné en d'autres occasions ; ajoutant que tout ce 
quelle demandait, c'était qu'ils fussent fidèles ;9 et! 
assez robustes pour soutenir cette espèce de fa- 
tigue de courir à franc étrier ; mais qu'elle n'avait 
pas besoin qu'ils fussent remarquables par leur in- 
telligence. 

6* 



84 MÉMOIKES DE WEBER. 

Le comte d'Agoult , trompé sur Tobjet de cette 
oon\raission y s'attacha principalement aux qualités 
que demandait la reine ; cependant , entre les trois 
garde&-du-rCorps qu'il choisit , il s'en trouvait un 
qui possédait de plus beaucoup d'intelligence et 
d'activité^ mais aucun des trois ne connaissait 
^aris* U les mena au château pour les faire voir au 
roi et à la reine y afin que l'un et l'autre pussent 
ooHnaltre leurs noms et leur figure. Le jour du 
départ^ ils eurent ordre de se tenir dans les courfe k 
l'heure convenue^ pour accompagner la fsimille 
royale jusqu'à la voiture, où ils trouveraient ce 
qui était nécessaire pour partir en courriers. 

Enfin tous les obstacles levés et les préparatifs 
fait&, la nuit du 20 au 21 juin , le roi et la famille 
roiyale ayant soupe comme à l'ordinaire , se reti- 
rfsrent vers les dix heures et demie comme pour se 
coucher. Peu de temps après ils se rendirent dans 
l'appartement de mtadame Royale , où madame de 
Tourna porta le jeune prince , et on se prépara à 
sortir par la chambre dont j'ai parlé, et dont la 
reine: avait secrètement ouvert la communication 
qui dennait dans l'appartement vide de M^ le duc 
de Villequier. Le roi, qui devait passer pour le va- 
let de chambre de madame de Rorff , avait un ha- 
bit grîst et une perruque qui le déguisait assez bien ; 
le reste était mis très-simplement. J'ai ouï dire,, 
miaiis je ne sai? plus à qui , que quelques jours au- 
pamvant on faisait sortir, les soirs , le chevalier de 
Coigny par la porte de la cour qui donnait près de 



CHAPITRE IV. 85 

rappartément de M. de Vilkquier. Uavait la même 
perruque et le même habit qu ayait le roi à son dé- 
part ; comme sa taille ressemblait assez à celle du 
roi , cela a pu servir à empêcher que le roi ne fût 
recoimu en traversant les cours le 21 juin. 

Madame Elisabeth sortit la première avec ma^ 
dame Royaley suivie à peu de distance de madame 
de Tourzel emmenant monseigneur le dauphin. 
L'un des trois gardes-du-corps raccompagnait. 
Soit hasard y soit fait exprès , une des sentinelles 
des cours > qui , en se promenant , croisait le die- 
min par où les deux princesses devaient passer ^ 
tourna lé dôs au moment où il était près d'elles et 
allait les renconti'er. Madame Royale le remarqua, 
et dit bas à madame Elisabeth : Ma tante y nous 
sommes reconnues. Cependant elles sortirent des 
cours sans être remarquées , et se rendirent sui- 
vies y comme je l'ai déjà dit y de madame de Tour^- 
zel et du jeune prince , sur le petit Carrousel , au 
coin de la rue de l'Echelle, où M. de Fersen les atteti^ 
dait avec mie voiture. C'était un carrosse de remise , 
ressemblant assez , par sa forme et les chevaux qui 
le menaient , à ce qu'on appelle à Paris un fiacre i il 
l'avait loué dans un quartier éloigné ; et c'était lui 
qui servait dé cocher , habillé comme le sont ces 
espèces de cochers. Il était si bien déguisé, que 
pendant qu'il attendait, ayant déjà dans sa voiture 
les. deux princesses , monseigneur le dauphin et 
madame de Tourael , un fiacce vkle s'étant arrêté 
près ^ lui > le cck>her , qui croyait parler à l'un de 



86 MÉMOIRES DE WEBER. 

ses camarades , Fattaqua de conversation sur ce qui 
peut en faire le sujet ordinaire entre gens de cette 
espèce : elle dura assez long-temps , et M. de Fer- 
sen la soutint avec assez de présence d'esprit y dans 
le jargon de cocher de remise , pour ne donner 
aucun soupçon à son confrère. Il s'en débarrassa 
après lui avoir donné une prise (}e tabac dans une 
mauvaise tabatière qu'il avait : peu de temps après, 
le roi arriva accompagné du second garde-du- 
corps ; il y eut un assez long intervalle entre sa 
sortie et celle de la première bande , mais elle ne 
jfùt pas moins heureuse , quoique une de ses bou- 
cles de souliers s'étant cassée y assez près d'une sen- 
tinelle de la porte du Carrousel, il fut obligé de la 
raccommoder presque sous ses yeux. La reine, 
qui devait sortir la dernière, se fit attendre plus 
d'une demi-heure , et donna bien des inquiétudes 
aux voyageurs. On bii avait laissé le troisième 
garde-du-corps pour l'accompagner et lui donner 
le bras. Tout alla bien jusqu'à là grande porte de 
la cour royale ; mais au moment où elle sortait, elle 
voit venir la voiture de M, de La Fayette , avec des 
flambeaux et ses gardes ordinaires ; il rentrait chez 
lui, et traversait le Carrouselpour gagner le Pont- 
Royal. La reine avait un chapeau qui lui couvrait le 
visage; la nuit était fort obscure; elle se rangea près 
de la muraille , pour laisser passer la voiture de 
M. de La Fayette. Après avoir échappé à ce d n-^ 
ger , elle dit à son garde-du-corps de la conduire 
$ur le Petit-^Carrousel , au coin de U rue de l'E^ 



- - CHAPITRE IV. 87 

chelle , c'est-à-dire à deux cents pas de l'endroit 
où ils étaient ; son guide connaissait encore moins 
Paris qu'elle ; il était trop dangereux de demander 
le chemin si près dé la porte des Tuileries; ik 
tournèrent au hasard à droite , tandis qu'ils devaient 
prendre à gauche , passèrent les guichets du Lou- 
vre , traversèrent le Pont-Roy$il , et errèrent asseï 
long-temps sur les quais et dans la rue du Bac. Il 
fallut enfin se résoudre à demander leur chemin. 
Une sentinelle du pont le leur indiqua : il leur 
fallut revenir sur leurs pas , repasser sous les gui-» 
chets , et longer les cours des Tuileries pour arri- 
ver à la rue de l'Echelle. Ils parvinrent enfiii à là 
voiture , sans autre accident que du temps perdu ; 
mais c'en était un trop réel ; le prix de chaque 
minute était incalculable. 

Toute l'illustre caravanne étant réunie , on se 
mit en route pour aller joindre la voiture qui at- 
tendait au-delà de la barrière Saint-Martin.' EDe 
était attelée dé six chevaux , avec un postillon de 

• • • 

M. de Fersen qui était un étranger , ne sachant pas 
un mot de français , et ignorant qui il devait con- 
duire. M. dé Fersen n'osa mener son carrosse de 
remise par le plus eoigi: chemin , parce qu'il ne 
connaissait pas assez les rues de Paris, pour ha- 
sarder .de traverser la nuit cette ville immense , 
dans la plus grande partie de sa largeur \ il crut 
plus sur de descendre par la rue Saint-Hônoré , et 
de faire le tour par les vieux boulevards ; il arriva 
heureusement au rendez-vous. Tout le monde 



68 MEMOIHES DE WEBER. 

p^i^a du carrosse de remise d^s la voiture d^ 
voyage , les gardes-du-corps sur le si^e ou der- 
rière. M. de Fersen servit ericore de cocher, les 
deux premiera chevaux étant conduit3 par son pos- 
tillpn. Quant au carrosse de remise, il fut laissé 
tout attelé dans la grande rue> sans personne pour 
le garder ou le ramener che« ^on maître. 

Dans moins de deux heiu'QS on arriva à Claye , 
qui est le second relais de ' poste çur la route de 
Çhàlons k environ six lieues de Paris. Là, un des 
gpçi;§ de M. de Fersen l'attendait avec un cabriolet 
et deux chevaux pour le ramener à Paris. Quoique 
la voiture du roi fut neuve , il fallut y faîrç à 
Clay e quelques réparations qui fîreïit perdre encore 
du, temps. ; on verra dans la suite de quelle con- 
séquence furent tous ces retards. 

ïlfp chevaux de postç furiçut.niis à la voiture du 
rqi, ejt fournis au3: trois caunriers sans difficulté. 
l,^iînpsqf:j.e M. de Perçeipi. Feut vu^ .partir, il monta dans 
sop^abriol^t ppur retourner; à Paris. Uy .rriva 
IpçTf qu'il' était déjà grand JQi|r*; Toi^^ .ç^, préparatifs 
étaient faits pour partir su}:'-le-champ , afin de 
gagner Bruxelles , où il devait attendre des nou^* 
ve^es des voyageurs; mais auparavant il alla a 
l'Hôtel-rde- Ville , à la mairie où logeait M^^^Bailly > 
et à l'hôtel de M. de La Fayette , , ppur s'assurer 
par lui-même si le départ du roi était (çncore 
ignoré. Tout lui parut tranquille dans ces trois^ 
endroits, et il en. conclut qu'il ny avait eûcore 
aucun soupçon i en revenait de ses cwrs^e^ , il 



CHAPITRE lY. 89 

monta en voiture et prit la route de Flandre. 
■ Ce ne fut guère en eflTet que vers les huit heures 
du matin qu'on s'aperçut à Paris de la fuite du roi. 
Il parait que le premier avis en fut donne à M. de 
La Fayette ou à M. de Gouyion > par cette femme 
de garde-robe dont la reine avait pris la chambre. 
Il y a eu une grande obscurité dans l'espèce de dé- 
position que fit M. de Gouvion^ à la barre de l' As- 
semblée y ce jour là même ; et beaucoup de choses 
inconciliables avec les faits certauïs que j'ai ra- 
contes. 

Il dit que > depuis plusieurs jours y il avait entendu 
parler de projet dejuite du roi : jusque-là il a rai- 
son I quelque secret qu'on eût mis ^ il avait transpiré 
d'une manière vague que le roi songeait à fuir^ 
on l'avait annoncé dans quelques-uns des journaux 
des jacobins du temps ^ plu de quinze jours avant 
l'événement; mais les auteurs de ces libelles étaient 
tellement décriés par les faussetés notoires et les 
absurdités dont ils remplissaient leurs journaux ^ 
qu'ils ne devaient pas faire plus d'impression sur les 
gens sensés cette fois-K:i que les autres. Il est même 
bien difficile de savoir si^ dans cette . occasion > ils 
parlaient d'après des notions vagues du secret du 
roi, qui auraient pu aller jusqu'à eux!, ou si c'était 
une de ces choses qu'ils inventaient tous les jours au 
hasard ^ et qui s'est trouvée fortuitement vérifiée par 

réyénement. ; 

. Àiais dans son rapport M.deGouvion articulé 
que plusieurs jours agsparavant une personne crojra^ 



go MÉMOIRES DE WEBER. 

ble ( qu'il fait entendre être une femme du château 
des Tuileries ) avait averti du projet de fuife , et 
Vas>ait annoncé pour la nuit du 20 au m y dune 
manière assez précise pour désigner jusqu'à la 
porte par laquelle elle devait s'effectuer ( qui est 
celle par laquelle le roi passa effectivement ) ; que 
sur cet avis , lui M. de Gouvion ne voulut s'en rap- 
porter qu'à lui-même pour la surveillance de ce 
jour^là , et qu'il passa ^ avec d'autres officiers y la 
nuit à observer cette porte sans s'apercevoir de 
rien; que cependant le lendemain la même personne 
qui l'avait prévenu , vint lui apprendre que le roi 
et la famille rojale s'étaient échappés par cette, 
porte. C'est ce récit, à tous égards inconcevable, 
qui a sans doute fait croire à quelques personnes 
que M. de La Fayette savait la fuite et l'avait se- 
crètement favorisée (i). Il est certain que le roi et 
la reine non-seulement n'avaient pas confié leur 
secret à M. de La Fayette , mais qu'ils avaient tou- 
joiurs cru avoir le plus grand intérêt à le lui cacher. 



(1) M. de Gouvion et M. de La Fayette furent accusés de négli- 
gence ou de connivence. Si le premier en eût été coupable , il n'au- 
rait pas fait le récit qu'on Tient de lire. Quant au second , il n'ins- 
pirait aucune confiance à la famille royale. S'il avait voulu la laisser 
passer, c'eût donc été pour la faire arrêter ensuite. Mais dans cette 
supposition , il l'aurait fait avant que les princes n'arrivassent à 
Varennes, oii ses émissaires ne parvinrent qu'au moment du retour 
des illustres voyageurs ; il n'aurait pas pris sur lui de donner des 
ordres d'arrestation avant la réunion de l'Assemblée. Il n'ajqprit 
l'évasion que par M. Dandré, en même temps que M. de Mdnt- 
morin. ' (Notedesnouy.édii, ) 



CHAPITRE IV. 91 

Le peu de personnes à qui il avait fallu le confier , 
étaient tellement sures qu'il est encore certain qu'au- 
cune d'elles ne l'a trahi. Il n'est cependant pas ab- 
solument impossible qu'il eut été pénétré , du moins 
en partie , par quelques autres qui ont pu trans- 
mettre à M. de La Fayette ou à M. de Gouvion ce 
qu'elles savaient et ce qu'elles conjecturaient ^ et 
qu'ainsi l'un et l'autre en ayent eu quelques notions 
plus ou moins précises. Eux seuls auraient pu dire 
jusqu'à quel point ils étaient instruits et par quel 
motif ^ supposé qu'ils le fussent , ils n'ont pas pris 
plus de précautions qui auraient suffi pour empêcher 
la fuite . 

La reine m'a paru croire quelquefois qu'ils con- 
naissaient le pro j et y mais elle ne m'a pas dit sur quoi 
elle fondait cette conjecture. Quoi qu'il en soit de ce 
point qui probablement sera toujours dans le nuage, 
M. Dandré, qui marquait alors beaucoup dans l'As- 
semblée et qui avait fini par se donner secrètement au 
roi de qui il recevait mille écus par mois , par l'entre* 
mise de M. de Montmorin, fut instruit de la fuite le 
premier de tous. Je n'ai jpas su parqui ; mais dès six 
heures du matin il se rendit chez M; de Montmorin 
pour lui apprendre cet événement : ce ministre 
était dans la plus grande sécurité sur ce point 
là. Le roi 9 qui avait alors en lui une confiance qui 
lui paraissait entière y ne lui avait rien laissé entrer 
voir.de son ptojet. Son premier mouvement futde 
ne pas croire à l'avis , parcequ'il se citoyait trop sûr 
de l'amitié du roi pour penser que Sa Majesté ne l'eut 



93 MÉMOIKE8 DE MTEBEK. 

pBLS prévenu d'une chose qui pouvait compromettre 
très-«ériéusement sa sûreté y comme Tévénement Fa 
prouvé ; mais il ne put en douter long-temps en 
recevant une lettre que le roi avait laissée pour lui. 
Elle lui fut apportée de très-bonne heure , lorsque 
M. Dandré était encore chez lui ou ne faisait que 
d'en sortir. Cette lettre était simplement pour lui 
apprendre le départ du roi et lui dire d'attendre ses 
ordres. Je dois à M. de Monlimorin la justice de 
consigner ici qu'il oublia dans ce momentses propres 
périls , pour se livrer avec la plus grande sincérité 
à là joie de savoir son roi édiappé aux dangers de la 
sortie de Paris qui paraissaient le plus à craindre. 

Cette lettre n'était pas le seul écrit que le roi eût 
laissé. Il y avait une autre lettre pour les ministres, 
qui leur défendait de rien signer et de rien expédier 
3ans de nouveaux ordres de sa part ; il y avait une 
déclaration contenant les motifs de son départ, toute 
écrite de sa main , faite par lui et qui n'était connue 
que de la reine. Cet écrit et les lettres furent en- 
voyés ou remis cachetés à M. de La Porte , intendant 
de là liste civîl^> arec ordre d'envoyer les lettres à 
leur adresse, dans lamatinée du 21 y et de faire lire 
la déclaration à l'Assemblée dans le même temps. 
On trouvera-, dans les papiers publics du temps , la 
manière courageuse dont M. de La Porte s'acquitta 
de cette cmùmissidn périlleuse. 

Lés autres précautions que le roi et la reine avaient 
prises avant leur départ, avaient été, i**de faire 
Ipartir Mtm$ieur, frère du rqi, et Madame, dans la 



CHAPITRE IV. 95 

nuit où eux-mêmes s'ëloignaîent , en leur faisant 
prendre la route de Flandre, a"". La reine avait br&lé 
tous les papiers qu'elle avait et qui pouvaient com- 
promettre les personnes avec qui elle avait été eu 
relation; le roi avait de même brûlé une grande 
partie des siens et mis les autres en sûreté. S"". Le roi 
et la reine avaient emporté une assez petite somme 
en or et six cent mille francs en assignats. Ces 
sommes étaient indépendantes des fonds mis à la 
disposition de M. de Bouille^ soit pour prendre des 
mesures^ soit pour les besoins du premier moment. 
Je n'ai pas su de combien elles étaient; mais il parait 
qu'à l'époque de la fuite du roi ^ il restait dans les 
mains de ce général environ un million dont il a 
rendu, compte . 

Je ne sacbe pas qu'on eût porté la précaution 
jusqu'à s'assurer d'avance de fonds plus considéra- 
bles. On avait calculé avec assez de raison que si le 
projet réussissait^ on serait assez à temps de s'en 
procurer y soit par des emprunts dans les pays étran-^ 
gers y soit par les recettes des provinces que le roi 
devak sie flatter de voir se déclarer pour lui. 

Je ne parlerai pas de ce qui se passa à Paris y au 
moment oit la fuite du roi fut connue. On en trouve 
le récit dans tous les papiers du temps ; et étant 
alors fort éloigné du lieu de la scène ^ je n'ai pas eu 
là-dessus des notions particulières. Je me borne à 
une seule remarque sur cet objet , qui pourra paraître 
singulière y mais qui n'en est pas moins vraie y. c'est 
que, malgré la fermeté que montra l'Assemblée 



94 MÉMOIRES DE WEBER. 

dans cette circonstance^ les ordres donnés et les 
précautions prises par elle pour faire arrêter le roi 
et le ramener à Paris y la très*grande majorité y du 
moins ceux qui avaient une opinion à eux^ regardait 
cet événement comme heureux , et faisait des vœux 
secrets pour qu'il réussit y mais par des motifs diffé- 
rens. Le côté droit entier , qui faisait près du tiers de 
rAssemblée,y voyaîtla fin d'un ordre de choses dont 
il était la victime , et l'espérance d'une contre-révo- 
lution. Le côté gauche était divisé en trois séctioiis 
bien marquées^ dont deux voyaient la fuite du roi 
aVec plaisir. La première, très-peu nombreuse, 
était composée de républicains qui espéraient , dans 
cet événement, trouver le moyen de détruire la 
monarchie , et qui croyaient parvenir plus aisttnent 
à leur but, si le roi sortait une fois du royiaume. 
La seconde, diamétralement opposée à celle-là, 
assez nombreuse et assez influente par les talens 
des personnes qui la composaient , voulait une ré- 
volution , mais trouvait que celle-ci avait déjà outre- 
passé les bornes. La constitution qu'ils adoptaient, 
quant au fond , leur paraissait vicieuse en plusieurs 
points importans, et peu solide, soit par les contra- 
dictions dont elle fourmillait, soit encore plus par 
le défaut de liberté daiis l'acceptation du roi. La 
fuite du monarque , si elle réussissait , amenait né- 
cessairement les choses à une négociation que sa 
modération connue faisait regarder comme facile , 
lorsqu'on voudrait s'entendre de bonne foi; et cette 
négociation , en faisant disparaître le défaut de U- 



CHAPITRE IV. 95 

berte y aurait donné le moyen de corriger ce qu'il 
y avait de plus vicieux dans la constitution. Le 
troisième parti du côté gauche était composé de 
tous ceux qui^ ne voyant pas si loin 5 n'envisageaient 
que la crainte que pouvait inspirer le roi libre à la 
frontière , et entouré d'une armée , et les dangeis 
personnels que cet événement pouvait leur faire 
courir au milieu de la populace de Paris y alors en 
grande fermentation y parce que tout ce qui tenait 
à la révolution cherchait à l'animer contre le roi. A 
la tête de ce parti était M. de La Fayette à qui l'on 
s'en prenait principalement de la fuite du roi , ou 
pour l'avoir favorisée ou pour ne l'avoir pas empê- 
chée y et qui y dans le premier moment ^ faillit à 
être la victime de la fureur aveugle du peuple. 

Tout son parti dans l'Assemblée y qui était alors 
nombreux 9 se joignit sincèrement à lui, ainsi que 
tous les membres du côté gauche y que la peur y le 
défaut de lumières et l'habitude de se laisser mener 
réunissaient toujours au parti dominant. Quoique 
ce parti fut iréellement le moins nombreux y du moins 
quant aux membres influens y ce fut cependant celui 
qui donna l'impulsion à toutes les mesures qui furent 
prises par l'Assemblée , et cela sans presque éprouver 
de contradiction. 

La raison en est que l'opinion de la populace de 
Paris était si bien prononcée contre la fuite du roi , 
et sur la nécessité de le ramener à Paris , que tout 
ce qui n'était pas du côté droit, accoutumé à se 
laisser dominer par la populace, n'osa manifester 



96 MÉMOIRES DE WEBER. 

ses sentmiens, ni contrarier en quoi que ce fut tout 
ce qui tendait à suivre les mouvemens qu'elle 
donnait. 

A la première nouvelle de la fuite du roi^ M. de 
La Fayette , de concert avec leâ membres de l'As- 
semblée qui étaient venus l'en instruire , établit la 
fiction que h roi ei la famille rojrale étaient enlevés 
par les ennemis du bien public* Ce premier point 
convenu , il crut ou parut croire que le roi allait à 
Valenciennes , et il dépêcha sur la route un de ses 
aides^e-'Camp de confiance , qu'il avait particulier 
rement attaché au service de la reine , et que Sa 
Majesté avait comblé de bontés. En lui remettant 
son ordre , il lui dit : Ils ont trop d'avance sur nous 
pour que nous puissions les atteindre y mais il faut 
que nous fassions quelque chose* Du reste ^ l'ordre 
était conçu en ces termes : M\ de Romeufj ^non 
aide-de-camp y est chargé d* apprendre partout sur 
sa route que les ennemis de* la patrie ont emmené 
le roi , et d'ordonner à tous les amis du bien public 
de mettre obstacle à son pasiage. Je prends sur moi 
toute la responsabilité de cet avis. La Fayette (i). 



(1) C'est avec M. Bailly , maire de Paris, et M. Alexandre de 
Beauhamaisyprësidexitde T As semblée, que M. de La Fayette prit 
les premières mesures. Non-séulement on expédia M. deRomeuf, 
mais on envoya des officiers sur toutes les routes. Les paroles -que 
Vauteurpiête plus bas à M. de Romeuf n'ont rien d'authentique, 
et , dans une pareille mission , le jeune officier devait dire à la reine 
ce qui pouvait le moins déplaire à cette princesse. Quant à Tordre 
rappoité d«is ce paragraphe , il est etact. Le général l'avait pris 



CHAPITRE IV. 97 

L'Assemblée réunie conrnletiça par adopter la 
fiction de Fenlèvement. AnssitAt un décret ordonne 
aux corps administratifsL, aux gardes nationales, 
aux troupes de ligne , d'arrêter ou de faire arrêter 
toute personne sortant du royaume y d^intercepter 
tout convoi d'armés et de munitions ou argent , es- 
pèce et effets quelconques ; en un mot de prendre 
toutes les meiàures possibles pour mettre obstacle à 
l'entlèvement du roi : il fut enjoint au ministre de 
rintériéur d'expédier à l'ins^tant même des cour- 
riers chargés- de porter ce décret dans tous les dé- 
parteMens.* 

Gomme cette première délibération finissait y on 
annonça qu'un aide-de-camp de M. de La Fayette, 
envoyé par lui p6ùr découvrir la route que le roi 
avait prise , venait d'être amené par le peuple à la 
porte de l'Assemblée , qu'il demandait a entrer et à 
être etotetidu. C'était le jeune Bomeuf qu'une po- 
pulace furieuse avait arrêté , comme il partait de 
I^airis. Elle l'avait tiré à bas de son cHeval, l'avait 
d'abord traîné à la section des Feuillans , puis à 
l'Assemblée nationale pour rendre compte de sa 

sur sa responsàlHlitë ; et il fut approuvé par l'Assemblée. Le com- 
mandant de bataUloB, M. Bâillon, avait été chargé de Miiyrela 
route de Sainte-Ménehould. M. de Homeuf , indiqué pour parcou- 
rir une autre route . fut arrêté à la barrière , et ramené à FAssem- 
blée qui le chargea de son décret. H ne prit cette direction que 
parce que plusieurs avis firent soupçonner que le roi l'avait prise, 
n fut accoitipaginé de Bâillon. Yojez le parallèle entre cette narra-» 
tion et celle des deux gardes-du-corps à la fin du volume ( JHoie E ). 

( JVb/e des noup» édU, ) 
II. f 7 



gS MÉMOIRES DE WEBER. 

conduite . Entendre ce ] eune officier y Tàpplaudir y lui 
remettre le décret qu^veaait de rendre rAssemblëe, 
pour qu'il le joignit à l'ordre deson général^iionimer 
deux commissaires et un huissier pour délivrer un 
de ses camarades qui était en proie aux insultes et 
aux menaces du peuple > et pour assurer leur sortie 
de Paris^ tout cela^quoique rapidement exécuté^ con- 
suma encore plus d'une heure; en approchant de 
la barrière^ les deux officiers furent encore entourés 
par le peuple. Une clameur publique annonçait que^ 
la nuit^ deux voituresiisix chevaux avaient traversé 
la ville de Meaux. On demandait que M. de Romeuf 
prît la route de cette viUe, Il se repdit à ç^^ yceu 
populaire. 

Cependant le roi et la famille royale continuaient 
leur route vers Châlons « sans obstacle .et sans s'aiv- 
rêter même pour manger ^ ayant empôi1:é dans k 
voiture ce qui suffisait pour cela- On ne.leur de- 
ipîanda leurs passer ports nulle part^ du; ne leur 
fit nuUp difficulté pour leur fournir des chevaux; 
ils arrivèrent ainsi à Chalôns vers les qiiatre idu cinq 
heures de l'après midi du 2i. Là un. honutie de la 
ville ^qui se trouva par.hasard à la poste lorsque la 
voiture changeait de chevaux ^ crut Teconnaitre le 
roi : tourmenté de cette idée, il va tt'outer lé'maire 
avec qui il a quelque liaison , liii cônmiunique sa 
décQuverte, et lui prpposp de faire arrêter layçfiture- 
Le maire, ijui étaittrèsrf^eu révolutionn«Lire> eiitl'air 
de donner entièrement dans le seiKs de fcét homme'; 
mais il mît tant d'adresse à l'éffi'àyer sur les coiisé- 

I 



CTAPITRE IV. 99 

ijuences ^ pour l'un et pour Tautre y d'une pareille 
démsffche y si par malheur il s'était trompé sur un 
fait aussi invraisemblable que celui de la pr^ence 
du roi dans la voiture' qu'il avait vue et qui venait 
de partir y que le pauvre homme finit par convenir 
qu'il était très-possible qu'il eut mal vu , et que le 
plus sage était de se tenir tranquille et de garderie 
silence. 

Échappé à ce danger y le i^oi avait passé Chàlons , 
lorsque la voiture étant arrêtée un moment 'sur la 
grande route, un inconnu y vêtu comme un boui^ 
geois y s'en approche y met la tète à unedesportières 
auprès 4e laquelle était madame de Tourzel ^ >êt dit 
assez haut : « Vos mesures sont mial prisés, vbâs s^es 
arrêtés.» Il s éloigna tout -déduite, sans qu^ôneùt 
le temps de ^avoir^ni sou nom nîce qu'il était. 

C'était à Chàlons-sur*-Mamô que finissaient les 
arrangemens que la reiisi^ s^était ^chargée de prendre 
pour le voyagé, et^'on^voit quie jusqu^îcitoui'avait 
heureusement réussi. -^ - 

J^ai dit ci*dessùs les dispositions qu'avait faites 
Mi. de Bouille pour la sùrété dti reste de la rbûtei • 
La première escorte devait se trouver à Pont-de^ 
Sommevelle. Cétait.là ou devait se trouver MM: de 
C3ioiseul et de Goguelas y char^s désordres; particu- 
liers du roi et'de 3VI. de ^Bouille, et c'est de la que de- 
vaient partir Fimpulsioh et les ordres à donner à tous: 
les postes suivans. Le roi y arriva 'vers les six heures 
du soir, sans rien apercevoir sur la grande route 
ni à portée d'elle b Ce premier coïïtre-temps , joint 



lOO MÉMOIRES DE WEBER. 

k Ce qu ayait dit l'inconnu en sortant de Çhàlons^ 
frappa ainguUèrement la reine. EUe ne. put s'em- 
pêcher de se pencher vers madame Élizabetfa et de 
lui dire que tout était perdu et qu^ils siéraient arrêtes. 
Voici ce qui fit manquer cette- prenûère esa>rte« 
• M. de Goguelas, instruit par M* de Bâuillé du 
retard de vingt-quatre heures:^ le quitta. à $ten>ay 
le 1 7 , pour aller prendre le détachement des qua- 
rante liussards commandés par M • de Boud^t^ et pour 
arriver de bonne heure le. 31 kFont'^TSonmwî^Ue, 
où il devait être joint pa^ M. de CSiois^uIet attendre 
Le roi. Q çoueha le ioà Sainte^Ménehould. ^ Le com- 
mandaiït n'avait malheureusement pas prévenu 
la munkipalîité ni de son passage ni de ses ordres 
ostensible > ce qui commença a mettre la fexînènr 
tation dans k yitte. CiependwitMt de GogueUs paiCtit 
le 2 1; au : matin av;ec tout son mond^ > et se trouva 
rendu, de howie heurei k sa station de Pcnt^e^Samr 
îriei^lky où il fut joint xjomme il devait l'être par 
M. de Choiseul. 

Tout iay^t été calculé .4 la minute dans le VQjfîage 
du Toi y frt $ou pacage à Sont-^ds-Soifim^nfeUe avait 
été Uiarqué pour trois heures apsès midi. Cette 
heure é&it dépassée de beaucoup , et nôn-seulement 
le roi ne paraissait pas , mais l un deôîrois courriers 
qui devait toujours , i^s les arrangemeas convenus ; 
précéder la voiture de deux heures^ :ne s'était point 
montré. / D'après. Cûtte dernière circonstance ^ une 
heure d6.r>etard.dansl'apparition du roieaannônçait 
trois! dans, sa marche. Entre cinq^t six heures ^ il 



CHAPITRE lY. lOI 

était en arrière de quatre à cinq , et on ne pouvait 
plus l'attendre qu'à huit. MM. de Choiseul et de 
Goguelas étaient non-^eulemeht dans les plus vives 
inquiétudes ^ mais dans la plus terrible position. La 
vue de ces hussards attendant si long-temps à poste 
fixe, avait causé un attroupement à Pont^e-Somme" 
scelle. On murmurait hautement que l'arrivée du 
prétendu trésor qu'il s'agissait d'^corter, n'était 
qu'un prétexte. Châlonsy qui était au-dessous de 
Pont'^e^SommePeUe ^ envoya des gardes nationales 
demander la cause de ces détachemens. Sainte-Mé- 
nehould, qui était au-dessus, et où la fermentation 
s'était, depuis la veille, accrue d'heure en heure, 
envoya de son «côté une députation. On parla de 
sonner le tocsin pour appeler les campagnes, et 
déjà quelques cloches avaient frappé les premiers 
coups. MM. de Choiseul et de Goguelas consul- 
tèrent ensemble, à demi-voix, en présence de la 
multitude qui épiait tous leurs mouvemens. Le 
roi qui , déjà une première fois, avait différé de vingt- 
quatre heures son départ de Paris, s'était-il porté 
à un nouveau délai? Etait-il parti, et avait-il été 
arrêté en route? Alors il ne fallait pas en pure perte 
exciter une sédition et sacrifier un détachement. 
Était-il possible que le roi arrivât encore dans la 
soirée? Alors c'était rendre son arrestation certaine , 
é'était le livrer au lieu de l'escorter , que d'attifer 
sur son passage toutes les communes des environs 
appelées par le tocsin et armées par la méfiance qui 
dégénérerait bientôt en fureur. Cîomme les deux 



I;Oa MÉMOIRES DE ^VEBER. 

chefs étaient frappes de cette idée^ un homme ap- 
partenant à la foule qui touchait à leurs chevaux ^ 
observe que le matin il a passe une diligence cpii 
paraissait bien pesante et lourdement chaînée; un 
autre répond qu'elle portait beaucoup d'argent : 
M. de Choiseul s'empare de cette parole et demande 
à celui qui vient de la proférer sUl est sûr de ce 
qu'il dit ? Celui-ci répond à l'alfirmative. Plusieurs 
tànoins vrais ou faux se présentent pour garantir 
l'assertion. (( Que ne me disiez-vous cela depuis trois 
heures^ )> réplique M. de Choiseul; puis s'adressant 
à M» de Goguelas^ toujours à haute voix : (c II est 
» clair ^ » lui dit-il , « que la diligence nous a de- 
» vancés. L'argent que nous devions escorter est 
}) passé y nous n'avons plus rien à faire ici. » Ces 
mots ont un effet magique ; les esprits se calment^ 
le tocsin cesse , l'attroupement se dissipe; MM. de 
Choiseul et de Goguelas sortent paisiblement de 
Pont^er^ommeyelle avec leur troupe. 

Ils s'éloignent au plus petit pas possible et en 
faisant des haltes^ pour conserver toutes leurs chances 
jusqu'au dernier moment. Enfin, ayant marché ainsi 
pendant un assez long temps sans être atteints ni 
par la voiture du roi , ni par son courrier , ils ne 
doutent pas que le projet ne soit au moins renvoyé 
à un autre jour. Alors, craignant de renouveler le 
tumulte que leur présence avait excité la veille à 
à Sainte-Ménehould , sachant d'ailleurs ce, poste et 
celui de Clermont suffisamment gardés s'il ne sur- 
vient pas de crise extraordinaire, ils se décident à 



CHAPITRE IV. I05 

tourner cette ville au lieu de la traverser, et à ga- 
gner Varennes par le plus court chemin à travers 
les bois du Clermontois. 

La vérité oblige de dire que M. le marquis de 
Bouille reproche à M. de Goguelas de n'être pas 
resté de sa personne, déguisé, pour avertir les autres 
détachemens en cas d'arrivée du roi , ainsi que ce 
général dit lui en avoir donné Tordre secret; mais 
la même vérité oblige aussi d'observer que l'objet 
des détachemens était d'assurer le passage du 
roi dans le poste où chacun d'eux était placé , que 
le roi a traversé Pont^de^Somnievelle confié à 
MM. de Choiseul et de Goguelas , Sainte-Ménehould 
confié à M. Dandoins , Clermont confié à M. de 
Damas , et qu'il n'a été arrêté qu'à Varennes. 

Il y avait environ une heure que le détachement 
de Pont^de^Sommeuelle s'était mis en marche , 
lorsque la voiture du roi y arriva presque en même 
temps que son courrier, qui, dans toute la route , 
ne le précéda jamais déplus de cinq minutes , faute 
capitale ; le roi relaya paisiblement et gagna Sainte- 
Ménehould. 

Le courrier, toujours si tardif, arriva trop tôt 
dans cette dernière ville; car pendant les cinq mi- 
nutes qu'il y fut avant le roi , il se trompa sur le 
lieu de la poste } fut obligé de revenir sur ses pas 
dans la ville, questionna de côté et d'autre pour 
apprendre son chemin, et excita l'attention publique 
déjà trop éveillée. 

Le peuple de Sainte-Ménehould était très-mau- 



' 



I04 MÉMOIRES DE MTEBER. 

vais. Les dragons de M. Dandoîns^ en succédant 
immédiat ement^ dans ce poste ^ aux hussards de 
M. de Goguelas, avaient perpétué et augmenté les 
ombrages. On ne les perdait pas de vue une minute. 
M* Dandoins^ pour éteindre un peu la chaleur des 
esprits^ avait pris le parti de ne point tenir sa troupe 
sous les armes. Il se promenait dans la rue avec 
plusieurs de ses dragons^ ^ lorsque la voitu|[« qui ren- 
fermait la famille royale vint à passer; les dragons 
portèrent la main à la visière de leur cÂsque pour 
saluer les personnes qui étaient dans la voiture y et 
la reine leur rendit ce salut avec son air de grâce 
et de bonté ordinaires. Etait-ce politesse de la part 
des dragons? Etait-ce quelque chose.de plus» et 
commençaient-ils à pénétrer le secret? On rie leur 
avait point dit quelles étaient les personnes qu'ils 
saluaient ? Quoi qu'il en soit , cet ensemble de cir- 
constances irrita l'inquiétude populaire qui com- 
mençait à se manifester fortement. Quelques mo- 
mens de plus , et le roi eut eu de la peine à sortir 
de cette ville ; mais la présence des dragons en im- 
posait encore; les relais étaient attelés ^ la voiture 
partit. 

Ce fut pendant qu'elle était arrêtée , que le roi , 
mettant trop fréquemment la tête à la portière y 
fut aperçu par le fils du maître de posste , très- 
chaud patriote^ nommé Drouet. Ce Drouet avait 
vu le roi à la fédération , l'année précédente ; pour 
mieux s'assurer qu'il ne se trompait pas , il prit im 
assignat où la figure de Louis XVI était assez res- 



CHAPITRE IV. I05 

semblante y et la coinpara quelque temps avec celle 
qu'il avait sous ses yeux : l'attention qu'il y mit fut 
si marquée^ qu'elle n'échappa point à la reine, et 
qu'elle redoubla ses inquiétudes. Il était alors huit 
heures moins un quart. 

Quelque assuré que Drouet crut être que le roi 
était dans la voiture y il n osa sonner l'alarme à 
Sainte-Ménehould y soit crainte des dragons y soit 
que le départ de la voiture l'en empêchât ; mais il 
prit la résolution de la suivre, pour la faire arrêter 
lorsqu'il en trouverait la possibilité. Il commu- 
niqua sa découverte et sa résolution à sa femme > 
qui fit et dit inutilement tout ce qu'elle put pour 
l'en empêcher; il monta achevai et suivit Ja voi-^ 
ture. 

M. de Damas, posté à Oermccnt, avait reçu 
l'ordre de M. de Bouille de faire monter sa troupe 
à cheval , une heure après le passage des voitures , 
et de se rendre par Varenncs à Montraédy. Il avait 
su y par un valet de chambre de la reine, nommé 
Léonard y que M. de Choiseul avait amené avec 
lui , et qu'il avait fait repartir à quatre heores- et 
demie de Pont^e^Sommevelle , pour se rendre à 
Stenay-y le retard considérable dans Tarrivée de la 
voiture , et l'inquiétude que la non-arrivée du pre- 
mier courrier occasiônait. Il voyait apfaraidiër 
l'heure de la retraite qui ne permettait plus de 
tenir les chevaux sellés , surtout dans un temps de 
révolution , où tout donne lieu à une émeute dans 
une ville naturellement mauvaise , qui muarmurait 



I06 , MÉMOIRES DE WEBER. 

des dispositicms qu^elle voyait faire dans ses murs. 
M* de^Damafô , livré à toutes ces idées , se prome- 
nait sur la placé ^ lorscpi'il vit arriver la voiture « IL 
s'en aj^roclia^ causa un inistant avec Leurs Majestés, 
et le roi lui ordonna y en peu de mots y de faire ce 
qu'il pourrait pour le suivre avec ses dragons , et 
de laisser partir sans rien dire; 
îi Lorsque. la voiturfe eut rfelayé, ce qui fut trèsr 
prômptexxient fait y M. de Dàma&alla donner l'ordre 
à ses cavaliers de monter à cheval pour se mettre 
en bataillé :sur lai place, et se rendre de là à Mou- 
zon. L'ordre fut exécuté assez vite ; mais, quoique 
la voiture du roi fut déjà loin , et que , par consé- 
quent , ce mouvement ne parut pas avoir de rap- 
port à elle , le peuple , qui était en assez grand 
nombre sur la place , sembla s'opposer au départ : 
M. de Damas. domid ërdre à ses cavaliers de mettre 
lefiabre à la m^in et de partir ; au lieu d'obéir, ils 
firent presque tous un mouvemoit comme pour 
l'enfbncçr davantage daiis le fourreau , et restèrent 
à /leur place. £n ce moment, les officiers munici- 
jpaux parurent (pt requirent eh; forme M. de Damas 
de renvoyer ses cavaliers dans leurs casernes , et de 
dîflferer leur départ jusqu'au lendemain matin. 
Mi de Damas voyant qu'il ne pouvait plus rien, 
abandonna sia troupe en criant: Qui m^ aime me 
suwe! et prit la .route pour tâcher d'atteindre. la 
voitiM^e. Il ne fut suivi que de deux ou trois per- 
sonnes. 
Il y a lieu de croire que ce qui se passa à Cler- 



CHAPITRE IV. ÏO7 

mont , après le départ du roi , fut moins l'effet des 
circonstances que celui de l'arrivée de Drouet qui 
suivit de près le départ de la voiture. Il y a appa- 
rence qu'il fit part de sa découverte à la niunicipa*- 
lité, et qu'il vint à bout d'empêcher, par-là, la 
troupe de M. de Damas de partir pour suivre le 
roi. Il parait , en effet, qu'il arriva à Qermont au 
moment où Sa Majesté en partit ,. ou peu dé temps 
après. Il prit un cheval frais pour courir après la 
voiture du roi et le prévenir à Verdun , où il 
croyait qu'il allait. Il fut observé par un maréchal- 
des-logis de royal-dragons , homme de confiance , 
qui monta à cheval à Sainte-Mériehould , lorsque 
l'émeute y éclata. Ce brave homme pénétra le 
dessein du perfide Drouet. Résolu de faire tous sêô 
efforts pour l'empêcher, il s'échappa adroitement 
de la surveillance de ses camarades et du peuple, et 
se mit à le suivre. Le désir de ménager son cheval , 
qu'il croyait avoir une longue course à fournir, le 
fit d'abord aller trop lentement ; ensuite Drouet 
s'étant jeté dans les bois , à gauche de la grande^ 
route , il perdit ses traces et ne put l'atteindi^e. 

A une certaine, distance de Glérmont où le che-* 
min se sépare en deux , dont l'un mène à Verdmi 
et l'autre à Varennes , le roi donna . l'ordre d^ 
prendre le second ;, il l'avait passé depuis assez long- 
temps , lorsque Dyouet arriva au même endi*oit. 
Celui-ci ne doutant;pas que le roi allât à Verdun , 
prit , sans balancer,, la route qui y mène. Vraiseni- 
blablement il ne se serait pas aperçu assez à temps 



I08 MÉMOIRES DE WEBER. 

de son erreur^ si le hasard ne lui avait fait rencon- I 
trer un postillon qui revenait de conduire un.cour- 
rier à Verdun. Il lui demanda s'il n'avait pas trouvé 
ime berline a six chevaux allant à Verdun, et si elle 
était encore bien éloignée. Sur la réponse du pos- 
tillon y qu'il n'avait rien vu , il ne douta plus qu elle 
n'eût pris la route de Varennes , et que c'était là où 
il fallait tâcher d'arriver avant elle : au lieu de re- 
venir sur ses pas , il prit un chemin de traverse qpi 
menait à Varennes assez directement , et fit tant de 
diligence , qu'il y arriva avant le roi* 

J'ai dit plus haut que le roi devait trouver dans 
cette ville un relais et une escorte de soixante hus- 
sards. Le relais était arrivé le :2i ; il appartenait à 
M. de Choiseul, et devait être placé par M. de 
Gk)guelas. Les hussards n'y étaient arrivés que dans 
la soirée du 20 , sous le prétexte du convoi qu'ils 
devaient escorter. La municipalité , qui avait déjà 
conçu des soupçons à l'arrivée et au séjour du re- 
lais, en prit encore de plus grands , en voyant en- 
trer le: détachement. Les hussards furent casernes 
par elle à Fancien couvent des Cordeliers, situé 
en deçà du pont j et le commandant , M. Rod^rell, 
jeune homme de dix-huit ans , fut logé chez un 
bourgeois, du même côté de la ville. Le relais qui 
devait être placé dans une espèce de ferme, 
à Centrée de Varennes du côté de Qermont , 
s'arrêta dans une auberge de^ l'autre côté du pont, 
c'est-à-dire à l'extrémité contraire à celle où le roi 
devait le trouver. 



CHAPITRE rv. jog 

M. de Bouille 9 â^ès^le 21 au matin, envoya son 
second fil&, le chevalier de Bouille, et M* de Rai-, 
gecourt 9 dont les uniformes ressemblaient à celui 
de Lauzun , avec l'instruction dç faire pla€^ le ter 
lai^ tout disposé pour l'arrivée du roi , et ji^ venir, 
l'avertir de tous les événemens. 

La fermentation qui régiiait dans Yarenne& 
leur. fit penser qu'il serait prudent de ne faire aii.«r 
cun mouvement, jusqu'au signal qui devait: leuv 
être donné a^ez, à l'avance par M- de Goguejbs 'ou 
par un courrier, Ils se JbQ]:^èreiit à dire à. M, de 
Rodwell, qu'ils ne crui^entpas^diev^r mstniire' de la 
vérité , de faire tenir ses genspvètsà.partiraaiprèr 
mier ordre ; il paraît que celui-ci négligea entiè- 
rement cet avi$ , ignorant de quelks grandes dés^ 
tinéès il était en ce moment le dépositaire. 

Le roi arriva vep» onze heures, du^ aoir.. La mai-, 
son où devait être le relais luiétnit si biendésâ^ée^ 
quî'il la connut aiaém^nt , et jr frstppa po«ir denuai^ 
der ses chevaux : on ne put lui ea dosaator. a^cuim 
nouvelle. Ne voyant personne qui- put l!instriixre;> 
il entra dans la ville haute , et mit pied à teinrei aivec 
la reine. CeUer^i frappa à plusieuiB pojçtea:, sons 
le prétexte de< dem^ander dés nonvelles. <^e son te^^ 
lais , mais en effet pour voir si le hasard ne lui. fe- 
rait pas rencontrée quelques-unes: jdes peisoinnes 
qui devaient l'atfendve aVamnnfesu Toutes ses^rer 
dtejrches fitrent.vaines ^ personne deicenx^qiû étaient 
employés dans . cette petite ville n'^aryanb. saxigé k 
fai» tenir quelqu'un du côté: on le roî devait ar^ 



IIO « MÉMOIRES I» WEBER. 

river afin de l'instruire. Leurs Majestés > après 
s'être promenées quelque temps dans la ville haute> 
proposèrent aux postillons de passer outre. Ils s'en 
défendirent ^ parla raison que leurs chevaux étaient 
excédés y et qu'ils ne pouvaient aller plus loin sans 
se reposer et manger. Après cette contestation ^ 
qui dura assez long-temps 9 le roi obtint qu'ils le 
conduiraient de l'autre côté du pont. Il remonta en 
voiture avec la reine. 

Cependant Drouet , qui était à Varennes un peu 
avant la voitua*e y n'avait pas perdu un moment 
pour mettre des obstacles à leur passage. Son pre- 
mier soin avait été d'instruire le procureur de la 
comniune y nommé Sausse y et de le déterminer à 
faire arrêter le roi. Il n'eut pas de peine à le lui 
persuader ; ce Sausse était une espèce de fanatique 
de révolution y mais qui ne manquait pas d'adresse. 
Il expédia sut-le-diamp des ordres pour rassem- 
bler la garde nationale de Varennes y et faire en- 
tourer le couvent des Cordeliers où étaient les 
soixante hussards. Il envoya en même temps des 
émissaires avertir dans les bourgs, et villages des 
environs , pour? faire arriver à Varennes les gardes 
nationales de ces endroits^ et dépécha des courriers 
à Vdrdun et à Sedan pour le m^me objet. 

Pendant cetemps-lày Drouet y aidé de deux ou 
trois hommes:' déterminés y dont l'un se nommait 
Billaud y le même qui a été si connu depuis par 
ses'jfureuirs dans la G)nvention-5 -renversait de 
grosses/ voitures pour barrer le pont , et mettre 



CHAPITRE nr. III 

ainsi un obstacle invincible au passage du roi ^ s'il 
le tentait par la force ; cela fait ^ lui et ses cama- 
rades y bien armés , allèrent se placer en embus- 
cade sôus une voûte j par laquelle il fallait néces^ 
sairement passer avant d'arriver au pont ^ et dans 
le lieu le plus propre à arrêter la voiture. Toutes 
ces dispositions furent faites dans un si grand si-^ 
lence , que ni les hussards y ni leurs officiers ^ ni les 
personnes envoyées par M. de Bouille , ne s'aper- 
çurent de rien. 

Lorsque la voiture fut engagée sous la voûte ^ 
elle fut arrêtée par Drouet et ses gens y sous pré- 
texte de faire viser les passe^ports des voyageurs 
par la municipalité de Varennès , et d'y faire re- 
connaître leurs personnes . ' 

Dbouet ne laissa pas échapper un mot qui pàt 
faire croire que c'était le roi : deux fusils firmes 
se ermsaient dans la voiture par chacune des por- 
tières. Drouet enjoi^it assez brutalemeipt : :«nx 
voyageiirs de venir chez le procureur de la:com- 
mune dont la maison était tofut proche. On dit 
même' qu'il ports^^la main sur le roi. Sa Majesté 
crut :què. toute résistance serait inutile y et éspérarit 
encone qu'il n'ét^it^ ou^u'ilinèseîfait pas reconnu^ 
oa qUe9du;m6i»95il{ij>urrâit être arpacbépar La forû» 
au danger que couraient lui.^t.sa f/wiiUfl.>il.:f[iOi)T 
sentit à|$uivi^e.I>?Qiiet. Si(ufiSi9 eiA ]^'i|ir4e)es{$rendre 
pour 4e^,sitapl(^ vojfagWn* ,il l^m^etoandaléurs 
pusse^pplrts 9 çt j>ajrut/l^ tr^Viei; c» "r^lei. Il le*r 
dit oi^uUa.que ]le^r$i^yat|X)iie.pau.vMQnt^ pjl^r jjus 



112 MÉMOIBES 06 MfBBER. 

loin . sans, rafcaicfair ; mais .coxome <^la sentit un 
pen long^ il les priait de se reposer daups sa naaison 
mi ils seraient xnieiix que dans leur yoiture «. Il n'y 
-avait pas mojén de reculer. Toute lat fanai41e fut 
reçue dans une salle basse , de la porte de laquelle 
on pouvait voir tout ce qui se passait dans la rue : 
ce fut là que se plaça la reide ; eHe.ne tarda pas à 
s'apercevoir^ que de momeixt en moment ^ la foule 
S' augmentait en : dehors , et qa& la maison était in- 
vestie. Elle ne put plus douter alors qu'ils, m 
fussent reconnus et arrêtes. 
- Cependant la politesse et la dissimulation de 
M. Sausse, cachëessous le masque de la bonho* 
mie ^ se; soutenait toujours : il qmttaitde tcmotps*^ 
temps ses hôtes ^ sous le. p^texte de faire. hâter les 
jikevaux .^ ou de voir s'ils étaient prêlis ; mais ai 
^etpour donner les ordres néeessaires dans les 
circonstanciés. Lorsqu'il se trouva asses» de monde 
réunil pour gaffder la mai^a.où était le roi et les 
casernes où étaient les dragons^ deS) barricades 
furenft faiticss dans^ les rues ; le tocsin? fut sonné dans 
Yarennes ^ et répandu dans les paroisses voisines. 
A ce signal^ les gardes natixmale^ arrivèr^rait de 
|ouB c6tés y et Vactbrité fut telle ^ qu'en moins'de 
deux heures iLy en avait d^à plusieitns milii^s 
rétiuis datos Varennes. 

Ëe^fiit-ïé bruit du tocsiiu et le^ tuhioH» qu'itoc- 
casiôna^ qui donnèrent à* M;, de Raigecourt et- au 
di^ vâtier d^ Bouille k noûveUe > db malhetxr qui 
était arrivé: Voyant qu^ilâ» al&ient être arrêtés^ ils 



montèrent 4 cheval , percèrent à travers quelques 
gens armés , sortirait de Varenlies au milieu de 
quelques coups cle fusils ^ et prirent le chemin da 
Stenay pour aller instruire M. de Bouille : ils 
furent joints quelque temps après par M. de RocU 
Tell y commandant des hus^anfe y et arrivèrent chez 
M. de Bouille à quatre heures passées ^ cfesl^h^ 
dire près de^ cinq heures après l'arrestation du txâ. 

Il parait que le jeune commandant des hussards 
était tranquillement chez lui à Farrivée du roi, 
et qu'il y fut gardé d'une manière à ne pouvoir 
communiquer avec ses gens , qui , comme je l'ai 
dit, étaient casernes aux Cordeliers. L'arrivée dé 
MM. de Choiseul y de Goguelas et de Boudet fut 
l'occasion qui lui rendit la liberté. Il y avait-déjà 
une heure que le roi était arrêté , lorsque ces mes- 
sieurs parurent aux portes de Varenn^ atee té 
détachenïent de -quarante hussards qu'ils ramé^ 
naient de Pont-de-4ottimevelle. Ils trouvèrent 
quelques pièces de canon et une foulé de gardes 
nationales qui voulurent leur disputer l'entrée. 

Ils demandèrent à être reconnus par les huS* 
sards qui étaient dans la ville y et dont ils faisaient 
partie. On alla chercher le commandant, qui, en 
eflFet > les reconnut comme étant de sa troupe. 

M. de Boudet lîonna Tordre à M. de R<Jdvefl 
de tenter tout ce qui serait en son pouvoir pour 
la sûreté et k défense du roi et de sa famille ; mais 
ce jeune homme , soit quil eût perdu k tête , soit 
qu'a vH l'impossibilité-.de riejn faire , n'eut rien de 

H. 8 




Il4 MÉMOIRES DS WE8ER. ^ 

plus presse que de sortir de Y arexmes \ sous pré- 
texte d'aller avertir M. de Bouille , sans donner au- 
cun ordre k sa troupe y et en laissant le comman- 
dement à un mareçhal-des-logis connu pour sa 
démocratie. 

Cependant le détachement de Pont-de-Somipe- 
vêlle parvint à la maison où était le roi , devant 
laquelle il Se forma en bataille, Elle était inv^tie 
d'une garde nationale nombreuse. M. de Choiseul, 
M. de Gogûelas et M. de Damas entrèrent dans 
la maison pour prendre les ordres du roi , et M. de 
Gogilelas ressortit bientôt après , et dit aux hussards 
et au peuple que c'était le roi et la reine qui 
étaient arrêtés. Ces paroles produisirent peu d'effet 
sur les premiers. Le peuple n'y répondit que par 
des cris de fureur. M. de Gogûelas ordonna néan- 
moins aux hussards de mettre le sabre à la main y 
et leur demanda s'ils étaient pour le roi ou pour la 
nation : ils répondirent : f^ive la nation ! nous te- 
nons et nous tiendrons toujours pour elle. Cette ré- 
ponse ) qui ne laissait plus à M. de Gogûelas l'es^ 
poir d'employer la force , le détermina à feindre 
d'entrer dans les mêmes sentimens^ et dans les 
dispositions qu'on^ ferait contre les sedours qui 
étaient annoncés y afin de donner au roi le temps 
de les recevoir. Les patriotes ne furent pas les 
dupes de cette feinte j ils voulurent l'arrêter ; il 
échappa de leurs mains y fut blessé d'un coup de 
pistolet y rentra dans la maison de Sausse y et après 
le départ du roi il gagna ^ déguisé ^ Mézières où 



CHAPITRE IT. Il5 

U fut arrêté ^ et d'où il fut ensuite conduit à Or- 
léans. . , 

M. de Boudet fut plus heureux ; il se sauva et 
joignit M. de Bouille. Quant à M. de Choiseul , il 
resta dans la maison de Sausse ^ déterminé à suivre 
le sort du roi. 

Lorsque Sausse fut assuré que les gardes natior 
nales étaient assez nombreuses pour ne plus laisser 
échapper leur proie , il leva, le masque , et dit tout 
haut au roi qu'il- le connaissait pour ce qu'il était. 
Il lui fit des reproches très-amers sur sa-fuite^ contre 
sa parole d'honneur^ pour aller ^ ditr-il,. dans les 
pays étrangers, et pour faire la guerre au peuple. 
U lui déclara ensuite qu'il l'arrêtait au nom de la 
nation, et qu'il allait le faire . reconduira à Paris 
sous bonne garde. 

Le roi chercha d'abord à se défendre d'être le 
roi , ce qui entraîna une altercation dans laquelle 
Sausse et ceux qui étaient avec lui s'éloignèrent 
de plus en plus dei^ bornes du respect. La reine se 
rapprocha alors , et la fit cesser en disant d'une voix 
ferme : Si vous le connaissez pour votre roi y par- 
lez-^lui donc avec le respect que vous lui devez. 

Le roi, voyant que la feinte était désormais inu-^ 
tile , reprit alors le caractère de dignité , de fran- 
chise, et même de bonhomie qui lui convenait. 
La chambre était pleine de monde : il fit faire si- 
lence, et , s'adressant à tout ce qui était là, il leur 
exposa le but et les motifs de son voyage , ses pro- 
jets, ses bonnes intentions, son ardent désir de 

8* 



]i6, mÈHontss œ visser. 

eoimaltre le véritable vmn de ses peuples ^ que la 
captivité où on le tenait à Paris , empêchait de psi^ 
venir jusqu^à lui ; sa ferme r&olution Ae tout faire 
pour leur bonheur y quelques sacrifices qu'il en 
coûtât des droits de sa naissance , de son autorité 
et de ses intérêts particuliers. Il finit en proposant 
de se remettre volontairement entre les mains de 
la garde nationale réunie à Varennes ^ ^'être con^* 
duit par elle à Montmédy , ou à telle autre ville 
qu'elle choisirait , pourvu que ce ne fût pas à Paris> 
afin d'avoir la faculté d'examiner mûrement la cons*- 
titution , de s'assurer du véritable voeu de ses peu- 
ples y et de concourir librement à toilt ce qui pour* 
rait faire leur bonheur. Le roi mit dons ce petàt 
discours ^ de la majesté ^ de la bonté^ de la simpli* 
cité , et même ime chaleur et une éloquence fort 
au-dessus de ce qu'on aurait' pu attendre de lui ; il 
fit la plus grande impression sur ceux qui l'enten- 
dirent y et Sausse lui-même en parut tellement 
frappé et attendri qu'il dit à Aemi-voix : « Que 
» rien n'était plus raisonnable que ce qu'il propo- 
w sait ; mais qu'il était trop tard , et qu'il y allait 
» de sa tête si le roi ne reprenait pas la route de 
^ Paris. » Il n'était plus, en effet , le maître dans ce 
moiiient4à. Drouet et Billaud y et cette foule de 
gardes nationales qui remplissaient Varennes, n'au*» 
raient certainement pas souffert que leur proie leur 
échappât ; ces ame&-là étaient peu faites pour se 
laisser toucher par les discours du roi y quand mém^ 
elles, auraient été à portée de l'etitendre. 



GOAPITRK IV. I ly 

Ëâ sWurarU du roi et de «a famille > on ne Daaifr 
^a pas d'arrêter ea même temps les trois gardes»- 
du'Gorps qui les avaient accompagnes. MM. de 
Damas et de Qioiseul y qui ne s'étaient plus séparés 
dû roi après l'avoir rejoint y furent arrêtes aussi*- 
tOit que Leurs Majestés furent parties ; et après 
avoir ëprouté les plus grands dangers y ils furent 
conduits dans les prisons de Verdun y d*où y un mois 
après y l'Assemblée nationale envoya M. de ChoL*- 
seul à la haute cour nationale d'Orléans y et M. de 
Damas en arrestation k la prison de la Mairie y à 
Paris. 

U restait encore l'espérance d'être secouru p^r 
M. de Bouille. Le roi et la reine se flattaient de le 
voir arriver à tous les momens. Dïouet et Saosse le 
craignaient y et prenaient toutes les précautions qui 
dépendaient d'eux. Ils avaient fait des dispositions 
militaires assez bien entendues y qui y sans doute y 
leur avaient été suggérées par un M. de Sigemont^ 
dievalier de Saint«Louis y commandant de la garde 
nationale. Des postes avancés avaient été placés 
hors de Varennes ; le pont et les rues adjacentes 
étaient fermés de barricades; il y avait même 
quelques mauvais canons. Une troupe nombreuse 
de gardes nationales avait été placée de ce coté là ; 
mais la principale de toutes les précautions était 
d'accélérer le départ du roi pour Paris. De proche 
en proche y tous les tocsins des environs assem- 
blaient les milices nationales qui recevaient en- 
suite l'ordre d'aller à Varennes en toute hâte. Dès 



K 



Il8 MEMOIRES DE WSBER* 

qu*îl j eut de quoi fournir une forte escorte , indé- 
pendamment de ce qui devait fermer l'entrée de 
Varennes à M. de Bouille , on établit une double 
file , depuis la maison de Sausse jusque sur l'ayenue 
de Paris. Ce fut alors seulement que l'aide-de-camp 
Roraeùf arriva à Varennes , sur les six heures du 
matin , par conséquent sept heures ajSrès l'arresta- 
tion du roi. Il entra dans la ville à travers la 
double haie des gardes nationales , qui se prolon- 
geait sur les deux côtés de la route , et s'étendait 
à chaque minute par l'arrivée de nouveaux renforts. 
Il trouva à la porte de Sausse la voiture du roi , 
qu'on attelait de six chevaux , tournée vers l'ave- 
nue de Paris, et environnée de l'escorte qui allait 
• reconduite lé monarque prisonnier. Entré dans la 
maison, il remit avec honte et douleur le décret 
de l'Assemblée nationale entre les m'ajns de Sausse, 
qui l'avait prévenu , et il se flatta d'éviter les re- 
gards dé la reine. Madame Elisabeth l'aperçut ; la 
reine l'appela , lui demanda comment il avait pu se 
charger d'ime pareille commission , et imputa tous 
ses malheurs à M. de La Fayette: 

Epîs de bonne foi des chimères constitution- 
nelles de son général, enthousiaste de lui et 
comme lui , le jeune Romeuf avait cependant con- 
servé la candeur de son âge et la pureté d'un 
heureux naturel. Il répondit à la reine qu'il n'a- 
vait jamais cru l'atleindre, et que c'avait été 'le 
premier mot que lui avait adressé M. de La Fayette 
en lui donnant l'ordre d'aller à la découverte ; niai* 



cHÀPitRB rr* 119 

que 5 dans tous les cas , ils avaient pensé y l^un et 
l'autre y qu'il serait moins douloureux pour la reine 
de voir auprès d'elle un homme sur le respect de 
qui elle devait compter. Il chercha ensuite à justi- 
fier son général ^ observant que ^ loin d'avoir été 
l'auteur de la catastrophe actuelle^ M. de La 
Fayette avait été au moment de s'en trouver la vic- 
time j que la fureur populaire l'avait rendu respon* 
sable de l'évasion du roi ; et que sur la place de 
Grève on avait descendu la lanterne fatale pour l'y 
ati^ljj^er. Il parla des dangers auxquels la reine s'ex- 
posait en donnant sa confiance aux ennemis de M* de 
Lia Fayette , lequel ^ sans dou^e passionné pour là 
liberté nationale , n'était cependant rien moins que 
l'ennemi du roi et de sa famille . // Vesty dit la reiiie, 
i7 n^a en tête que ses Ètats^ Unis et la république 
américaine. Il verra ce que c'est qu'une république 
française. Eh bien. Monsieur, poursuivit-elle,, 
montrez-le moi donc ce décret dont vous êtes por^- 
£ei/r. Romeuf en remit une copie. Les insolens! 
dit la reine en le lisant , et elle lé rejeta sans avoir 
été jusqu'à la fin. Le papier tomba sur le lit où 
dormaient le dauphin et sa sœur. La reine le re- 
prit avec vivacité , et le jeta par terre , en disant : 
// souillerait le lit de mes enfans. Romeuf lui dit 
à demi-voix , avec des larmes qui roulaient dans 
ses yeux : La reine aimerait^elle mieux qu'un au^ 
ire que moi fût témoin de tous ces mouyemens ? Lçi 
reine fut frappée : j4u moins , Monsieur y je. vous 
recommande MMé de Damas* de Choi^eul.etfd^^ 



laO MÉMOiaKS DR WSBER. 

Goguelas , t^and nous serons partis. Roroe|uf > es 
effet , sauva leurs vies en exposant la sienne. 

Cependant M* de Bouille ^ qui avait passé la nuit 
auprès dé Dun ^ était dans les plus mortelles in** 
tjuiéfudes dé ne, point voir arriver de courrier, et 
de ne rien apprendre sur le sort du roi; craignant 
•quelque malheur, ilae porta , à la pointe du jour, 
^ côté de Stenay , centre de ses quartiers , pour 
donner à tout événement des ordres qui pussent 
ptomptement remédier au mal s'il y en avait , et 
e^il était encore temps. A quatre heures passép , il 
idiatriver à kû, à toute. bride, son fils, M. de 
Raigecourt , et , ce qui le surprit le plus , le C(mi- 
'laandant des hussards de Varennes , qui lui annon- 
.eèrent la catastrophe qui était arrivée. Sans 
perdre un moment , il donna sur-le-champ Vordre 
à royal-^allemand de le joindre ; à M. Klinglin de 
marcher sur Stenay avec. deux escadrons pour con- 
tenir la ville, et d'envoyer un bataillon de Nassau 
à Dun pour garder^ le passage de la Meuse ; au 
Tjé^iment dé Çastelk de se porter à tire d'aile sur 
Mqiitmédj ; et aïKt détachemens de Mouzon et de 
Dmi , djavancer sur Varennes et d'attaque^' en y 
arrivant» L^s disfKmtions faites^ il attendit royat- 
allemànd yqui , malgré l'ordre qu'il Jui avait donné 
d-ètre prêt à monter k cheval à la pointe du jour, 
«te le joignit quW bout d'une heure. M. de Bouille 
lîd dit en peu de ^mots : « Que le roi était arrêté 
» à Varennes ; qu'il comptait sur ce brave régiment 
» ppur arracher le roi des mains des patriotes. » Lrc 



cri uaanime de vwe le roi! fut la répons* àë ce» 
brares gens. Le gênerai angmenta encore ces 
bonnes dispositions ^ en leur distribuant trois on 
quatre cents louis qu'il avait sur lui. 

M. Deslon^ qui commandait les cent hussards 
de Dun ^ n'avait pas attendu les ordres de M. de 
Bouille pour remplir ses intentions. U apprit l'arw 
restation du roi à Varennes ^ par les officiers qui en 
allaient porter la nouvelle au général ; il partit sur^ 
le-champ pour tenter de le délivrer, laissant seule- 
méat vingt -quatre hommes et un officier pour 
garder le passage de la Meuse à Dun. U fit une telle 
diligence, que dans une heure et demie il fît, avec 
les hussards, un trajet de cinq lieues, de Dun à 
Varennes : à cinq heures, il était devant cette àev*- 
nière ville . Son prq j et était d'attaquer sur-le-diamp • 
La vue des barrières le força d'y renoncer : le poste 
avancé de la garde nationale offiît de le conduire k 
la mmiicipalité; il s'y refusa, et demanda k entrer 
dans la ville pour rejoindre les hussards qui y 
étaient : on lui dit que le roi le lui défendait. Cer- 
tain alors que le roi était encore dans la ville , il 
demanda à lui aller rendre ses hommages. M. de 
Sigemont,qui comman4ait la garde nationale, y 
consentit, mais pour sa personne seulement : il lui 
engagea sa parole qu'il serait en sûreté ; qu'il pour*- 
rait parler seul au roi, et lui donna mèïM un 6t|ige : 
ie but de M. Deslon était de faire connaître au 
roi les secours qui allaient arriver, de reconnaître 
les barricades en dedans , et de savoir s'il pourrait 



1212 MÉMOIRES DB WEBBR. 

être fiecondé par les hussards qui ëtaient dans ht 
TÎUe. Il désespéra de tout secours de ce cètë-là, et, 
par conséquent , de pénétrer de force dans Va- 
rennes y lorsqu'arrivé près de la maison du roi y il 
vit près de trente hassards à cheval : c'était ceux 
qu'avaient amenés MM. de Choiseul ^ de Goguelas 
et de Boudet. 

Cependant^ M. de Sigemont l'introduisit près du 
roi et lui permit même y. après quelques diifficultés, 
de lui parler sans témoins. M. Deslon expliqua 
en peu de mots à Sa Majesté l'obstacle que les 
barricades mettaient à son zèle ^ mais lui annonça 
l'arrivée prochaine de M. de Bouille aveé royal- 
allemand que cet obstacle ne pouvait arrêter; il 
répéta cela trois fois ; mais tel était l'accablement 
de ce malheureux prince, que M. Deslon a, cru 
qu'il ne l'avait pas entendu : il lui demanda enfin 
ce que Sa Majesté lui ordonnait de dire à M. de 
BouiUé* ((Vous pouvez lui dire, reprit le roi, que 
A) je suis prisonnier, que je crains bien qu'il ne 
» puisse rien faire pour moi; mais que je lui de- 
» mande de faire ce qu'il poun'a, » M. Deslon parla 
aussi à la reine; mais cbmme elle était près de 
M. deSigemont, illui aijressa la parole en alle- 
mand. Cette princesse se plaignit avec amertume 
des duretés qu'elle éprouvait , et lui dit : (c Qu'on 
>; ne voulait pas même la mener à Verdun pour s'y 
».ireposer,. » Le roi fit cesser •.promptement cet en- 
tretien, qui sans doute paraissait suspect. M. Des- 
lon prit congé , et demanda tout haut les ordres 



CHAPITRE IT. laS 

du roi. c< Je suis prisonnier,.répondit le monarque , 
)• je n'en ai plus à donner. » 

M, Deslon ayant rejoint son détachement sans 
être inquiété, voulut encore faire une tentative } il 
envoya ordre aux hussards qui étaient dans Va- 
rennes et qui étaient restés fidèles, d'attaquer en 
dedans tandis qu'il attaquerait en dehors. Un bri- 
gadier se chargea de cet ordre , mais il ne put par- 
venir jusqu'à M. de Boudet,qui était enfermé et 
bloqué aux Cordeliers avec ceux des hussards qui 
n'avaient pas manqué . 

M. Deslon fut donc obligé de rester dans l'inac- 
tion et d'attendre l'arrivée de M. de Bouille. Vers 
les huit heures , il %'aperçut que le roi et la famille 
royale sortaient de Varennes avec une grosse es- 
corte pour reprendre la route de Paris. Eu ce mo- 
ment M. Deslon venait d'être joint par M. le 
comte Louis de Bouille. Ils crtirent pouvoir trouvtr 
là une occasion favorable de délivrer le roi. Il fal-^ 
lait pour cela passer la rivière à gué ; ils traversèrent 
avec les hussards^un premier bras , mais un canal 
profond et impossible à franchir ne leur permit 
pas d'aller plus loin. Désespérés de l'inutilité de 
leurs efforts , ils se déterminèrent à aller au-devant 
du marquis de Bouille. Ils le rencontrèrent très- 
près de là, à la tête du détachement de Mouzon, 
qu'il avait trouvé arrêté dans un bois par quelques 
gardes nationales qui le fusillaient. Après avoir dis* 
perse les patriotes, il marcha en avant avec le déta- 
chement, suivi à peu de distance par, royal-aile- 



ia4 MÉMOilBf M iraBER. 

mmâp qm eoxidimedt M. d'Haff^liw* U ÙJS9itàé^ 
ses dispositions pour attacper Vareiuiea , lor»fue 
M. DeisloQ lui apprit que le roî était parti depuis 
ui^ heure et demie. 

M» de Bouille alla rejoindre sur^le-^ebamp rojaï»- 
idlentaod et M. d'Hoffelize; il proposa de suivre 
toujours sa route et de teuter mi dernier efibrU Le 
régiment 9 quoique harassé par un trajet de neuf 
1 eues fait en quatre heures et demie ^ montra les 
meilleures dispositions y et offrit de mettre pied à 
terre pour enlever les barricades de Varennes } mais 
on représenta au général ^ qu'outre les barricades , 
le pont se trouvait rompu en quelques endroits ; 
que personne ue connaissait de ^ué; qu il était tout 
au plus possible de faire quatre lieues avec les di&- 
vaux harassés d'une x^ourse de neuf lieues qu'ils ve- 
naient de faire ; que ces quatre lieues ne suifisaiemt 
pas pour atteindre le roi qui avait une heure et 
demie d avance^ qu'enfin on allait être ooupé par la 
garnison de Verdun » qui niarcfaait avec du canon. 
Elle arriva en effet à Varennes ^ une demi ^ heure 
i^rès que M. de ]BouiUé eu fut parti. TeUes furent 
les raisons invincibles qui déteipmînèrent le marquis 
de Bouille à renoncer à tout projet de tentative 
pour sauver le roi. Oies u'aumient^ en efieti abouti 
k jsutre chose qu'à verser le âang inutile^ient ^ et à 
mettre la famille royale dans un péril imminent 
d'être massacrée ^11 est évident , pour quiconque a 
connu ce général ^ qu'étant un des hommes les plus 
hardis^ les plus entreprmians et les {dus courageux 



csAPiTRB rr. lâS 

de son siècle > îi n'a pu renoncer k k gloire d'être le 
libérateur de son roi , que parce que l'impossibilité 
hd en était démontrée. 

Croyant tout perdu sans ressources y il ne songea 
plus qu'à s'occuper de sa sûreté et de celle des 
braves gens qui , comme lui ^ étaient embarqués 
dans cette malheureuse affaire. H ramena prompte- 
memt son régiment à Stenajr, et sortit de la ville 
arvec ses compagnons d'armes , au moment où U 
municipalité délibérait de le faire arrêter. L'ordre 
en était déjà même donné à la frontière. Ils se 
firent jour le sabre à la main, et essuyèrent quel-» 
ques coups de fusil. Ils gagnèrent Luxembourg , 
d'où le marquis de Bouille écrivit cette fameuse 
lettre à l'Assemblée, qu'on lui a reprochée comme 
une fanfaronnade. Sa véritable intention était dé 
détotifner sur lui la ftireur où il supposait l'As- 
semblée y et de disculper le roi de tout ce qu'elle 
pourrait lui reprocher à l'oecasîon de sa fuite ^ en 
s^avouant hautement l'auteur de tout. 

La retraite du marquis de Bouille ne laissait 
plus d'obstacles à craindre pour le retour du roi à 
Paris. On l'avait fait partir de Varennes, ainsi que 
je l'ai déjà dit plus haut y vers les huit heures du 
matin, dans la même voiture qui l'avait amené. 
Les trois gardes-du-corps étaient attachés et liés 
sur le siège. MM. de Choiseul et de Damas, restés 
en prison à Varennes, furent conduits le lende- 
main dans les prisons de Verdun, après avoir été 
dans le plus innninent péril de leur vie, et après 



1:26 MÉMOniES DB WEBEB. 

avoir du leur salut à M. de Romeuf qui fut pen- 
dant quelques heures emprisonné avec eux. 

La voiture du roi était escortée par trente des 
gardes nationales qui avaient été rassemblés à Va- 
rennes. Celles des villes et villages par lesquels on 
passait ou qui étaient à portée de la grande route, 
augmentaient le cortège et remplaçaient les corps 
qui retournaient chez eux. On estime à huit ou dix 
mille honunes l'escorte qui fit constamment ce long 
et pénible voyage jusqu'à Paris. Presque toute cette 
nombreuse milice était à pied y aussi la voiture ne 
pouvait aller qu'au petit pas dès chevaux. 

Le voyage jusqu'à Paris fut de huit jours : pour 
concevoir combien iLdut être pénible pour le roi 
et sa famille, il faut se peindre les circonstances 
où ils étaient; leurs inquiétudes pour l'avenir, les 
insultes atroces qu'ils entendaient autour d'eux, et 
y joindre la chaleur excessive qu'il faisait alors , et 
les nuages de poussière qu'une si grande multitude 
occasionait. Les premiers momens passés, et lorsque 
toute espérance de secours fut perdue , le roi et la 
reine reprirent tout leur courage et se mirent au- 
dessas de l'affreux pialheur qui devait les accabler. 
Le calme , la douleur, la sérénité même régnaient 
également sur leurs visages , dans leurs paroles et 
dans toutes leurs actions. Leur tranquillité ne fut 
troublée que par un événement atroce dont ils 
furent les témoins. Auprès de Sainte-Ménehould , 
un gentilhomme qui avait une terre près de cette 
ville, nonimé M. Duval, comte de Dampierre, 



CHAPITRE rr. 127 

trouva le moyen de pénétrer jusqu'à la voiture , et 
de témoigner aux illustres captifs son respect, 
son attachement et sa douleur. Ses larmes, qui 
coulaient en abondance , accompagnaient le peu 
de paroles qu'il eut le temps de prononcer. Il fut 
arraché violemment de la portière du carrosse , et 
massacré sous les yeux du roi et de sa famille, qui 
entendirent ses cris et virent son sang répandu. 

Ils arrivèrent k Châlons le second ou troisième 
jour. Dans cette ville, ou un peu avant d'y arriver, 
ils rencontrèrent trois commissaires dô l'Assemblée 
nationale. 

Du moment que le roi avait été arrêté à Va- 
rennes, Sausse et Drouet avaient envoyé un cour- 
rier porter en diligence cette grande nouvelle à 
l'Assemblée nationale. 

Le courrier arriva dans la soirée du mercredi , 
au moment où tout le monde et tous les partis , 
sans savoir précisément de quel côté le roi avait 
tourné , commençaient à croire qu'il avait échappé 
et qu'il était en sûreté. 

Malgré la bonne contenance que faisait l'Assem- 
blée, les membres les plus influens du côté gauche 
songeaient déjà à tirer parti de cet événement pour 
finir la révolution par un accommodement solide 
avec le rcÀ. Ils avaient même déjà été jusqu'à se 
rapprocher de quelques membres principaux du 
côté droit, et jusqu'à proposer à MM. de. Cazalès 
tt Malouet d'être du nombre de quatre députés 



laS HÉMoniEd m wbber. 

qu'ils projetaient d'envoyer au voi pour trûferr 
avec! lui. 

La nouvelle de son arrestation détruisit toutes 
ces mesures y et les jacobins y ainsi <jae le peuple 
de Paris y qui se livra y en l'apprenant y k une joie 
insensée et féroce , ne permirent plus de regarder 
le roi sous un autre point de vue y que sous celui 
d'un prisonnier livré sans défense à son vainqueur^ 
et qui n'a plus rien désormais à attendre que de sa 
politique ou de sa générosité. Sans arrêter encore 
le sort qui lui était réservé y les chefs de l'Assem'* 
blée ne songèrent d'abord qu'à le faire arriver en 
sûreté à Paris. Cest principalement dans cette vue, 
qu'ils commencèrent par faire nommer trois com* 
missaires de l'Assemblée, pour aller te recevoir 
des mains' de ceux qui l'avaient arrêté, et pour 
l'accompagner jusqu'à Paris , avec pleins pouvoirs 
pour ordonner ce qu'ils jugeraient convenable 
dans les circonstances. Le choix des commissaires 
tomba sur messieurs de Latour-Maubourg , Bar* 
nave et Pétian. Ils appartenaient aux trois sec* 
tions qui , à cette époque , divisaient le côté gau- 
che. Le premier, homme de qualité , était un ami 
et un partisan zélé de M. de La Fayette, adora- 
teur, comme lui, de la constitution, jusque dam 
ses défauts ; le secoiid , jeune avocat de Grenoble, 
était du parti qui commençait à sentir que la ré- 
volution avait été trop loin, et qui aurait été 
charmé de pouvoir la faire rétrograder un peu ; il 



CHAPITRE IV. 129 

est c^p^ndant vrai de dire que Baniava léuit alor^ 
plutôt l'ami de ceux qui avaient cette opiaioit., 
qu'il ne l'avait lui-même; le troisième, auaû 
avocat > était ua républicain fanatique. 

lis partirent peu d'heures après leur nomination^ 
pour aller à Cbàlons et se rendre à la fen<;ontre 
dû roi. Du moment qu'ils l'eurent trouvé, tow 
les ordres émanaient d'eux. 

Madame de Tourzel quitta la voiture du roi 
pour aller ayec un des commissaires dans celle qui 
les avait amenés. Les deux autres montèrent danB 
le carrosse du roi. La reine semblait désirer que 
M. de Latour-t-Maubouiç fut un de ceuxAky parce 
que , du moins, sa figura ne lui était pas ineonnuCi. 
M. da Latour qui s'en aperçut, lui dit en particu* 
lier : K Qu'il n'avait accepté cette tiiste commis* 
»} sien que pour tâcher 4'ètre utile à son roi; 
» qu'elle pouvait compter sur Lui , comme $ur le 
>j j^us fidèle de ses sujets j mais qu^'l n'en était 
>) peut-^tre pas de même de Barnave, qui était un 
» membre très^pprtant dans l'Assemblée par son 
» influence 1 que sa vanité s'était flattée d'être dans 
» la voiture du roi j qu'il était important pour le 
» service di^ Sa Majesté qu'il y fut, et qna la reine 
h aurait une occasion de le connaître plus particqr 
» lièrement ; qu'il la suppliait écmc de trouyer bon 
» qu'il lui cédât la place qu'elle désirait qu'il prit^ 
» ^t qu'il montât dans l'autre voiture ayec madam» 
» de Tourzel. » 

I^es chos^ furent donc ainsi arrangées. Bamave, 

IK 9 



À 



l50 MÉM0IBE8 DE WEBER. 

qui était assez mince, se mit dans le fond de la 
voiture entre le roi et la reine ; Pétion sur le de- 
vant , entre madame Elisabeth et la jeune prin- 
cesse ; le dauphin , sur les genoux de sa mère , de 
sa tante ou de sa sœur. 

L'arrivée de ces nouveaux compagnons de voyage 
mit d'abord du sérieux et de l'embarras dans la 
carrossée. La reine , dans le premier moment, ne 
se souciait nullement de se lier avec eux; elle prit 
même le masque de l'humeur , laissa tomber son 
voile sur son visage , et résolut de ne pas ouvrir lia 
bouche , pendant toute la route , pour adresser la 
parole aux commissaires. Bamave débuta par une 
chose que la reine prit pour de l'insolence , ce fut 
de jeter les yeux alternativement sur l'un des gardes- 
du-corps qui étaient sur le siège, et sur la reine, en 
se permettant un sourire imperceptible, malin et 
presque sardonique. Comme le bruit s'était ré- 
pandu que le comte de Fersen était un des trois 
hommes arrêtés avec le roi , et que là reine n'igno- 
rait pas ce que la méchanceté avait dit de ses liai- 
sons avec ce seigneur suédois, elle crut deviner 
que c'était ce qui occupait les pensées et l'attention 
de Bamave. Elle se hâta de le détromper, sans 
qu'il pût deviner que c'était son but, en faisant 
connaître , sans affectation , quelles étaient les trois 
perspnnes qui étaient sur le siège. Excepté dans 
cette circonstance , Bamave, non-seulement ue s'é- 
carta pas des égards qu'il devait au roi et à la reine , 
mais il eut même pour eux toutes les attentions 



CHAPITRE IV. l3l 

respectueuses que les circonstances purent lui per- 
mettre , et , loin d'abuser de leur position et de la 
sienne , son respect et son intérêt semblaient s'ac- 
croître à mesure qu'il eut plus d'occasion de les 
connaître. 

Le roi, de ce premier moment , prit avec lui* le 
ton simple et bon qui faisait le fond de son carac- 
tère ; il ne parut point embarrassé du rôle nouveau 
que la fortune avait assigné à lui et aux commis- 
saires; il attaqua, le premier, Bamave de conver- 
sation , le mit sur ce qu'il devait mieux savoir , sur 
la révolution , sur la constitution , sur l'Assemblée. 
L'avis et la façon de penser de Barnave ne pou- 
vaient être les siens. Une petite dispute s'engagea; 
Barnave la soutint avec la politesse d'un homme de 
bonne compagnie , et les nuances de respect qu'exi- 
geait la distance des rangs. Le tour que prenait la , 
conversation , amena naturellement le départ du 
roi de Paris ; il s'exprima là-dessus avec la même 
franchise et la même simplicité, en développant 
son but , ses intentions et le désir le plus sincère 
de chercher tout ce qui pourrait faire le bonheur 
du royaume plutôt que le sien propre. 

La reine, malgré l'humeur qu'elle avait et 
qu'elle prenait à tâche de montrer , ne perdit rien 
de cette conversation à laquelle elle semblait 
ne v^ouloirpas prendre part. Elle fut frappée de l'es- 
prh , de la modération et du ton convenable quie 
faisait paraître Barnave : de nouvelles réflexions la 
déterminèrent à abandonner sa première résolu- 

9* 



iSs MÉMOIRES DE WEBER. 

tion. Elle crut qu'il serait utile > pour les circons- 
tances^ daccrpltre l'intérêt que Barnave semblait 
prendre à leur malheiu* , et de confirmer^ d'aug-* 
menter même l'opinion que cette première con- 
versation paraissait lui donner des lumières , de la 
bonté et de la candeur du roi. Peu à peu elle se 
mêla à leur entretien ; elle y mit cette grâce , ce 
charme , cette présence d'esprit et cette aisance 
que personne n'a su mieux qu'elle mêler avec cette 
espèce de fierté majestueuse qui convenait à son rang 
et à sa naissance. Cet entretien augmenta^ dans Bar- 
nave, le sentiment de respect et d'intérêt pour le roi 
et pour la reine, et changea les idées fausses qu'il s'é- 
tait faites de leur caractère, n'ayant guère pu les 
connaître jusque-là que par ce que la méchanceté et 
l'esprit de parti en avaient publié. C'est de là qu'il 
faut dater l'espèce de confiance que la reine a tou- 
jours eue depuis eu Barnave. Non-seulement il avait 
effacé les impressions que ses écarts fougueux dans 
les commencemens de la révolution avaient don- 
nées à Sa Majesté contre lui, mais sa conduite, pen- 
dant le retour de Varennes, détermina la reine à 
prendre plus tard ses conseils dans des circonstances 
difficiles.Cette sorte d'attraitqui l'avait rapprochée de 
Barnave, n'a jamais eu lieu pour ses amis, tels que 
Lameth et Duport , même dans le temps où les cir- 
constances la forcèrent de les voir et d'avoir des 
rapports avec eux. 

Pétion , qui avait moins de tact, moins d'esprit , 
et bien plus d'exaltation que Barnave , n'imita pas 
sa conduite dans la voiture du roi. Quoique né d'un 



CHAPITRS IV. l53 

caractère assez doux ^ et même sensible ^ à ce qu'eu 
ont dit ses amis , il y porta la grossièreté , l'inso- 
lence et la dureté de ce qu'on a appelé ensuite un 
sans^culotte y qu'il prenait sans doute alors pour la 
liberté et la franchise républicaines. « Pour moi , 
» je n'aime que la république , » furent les seules 
paroles qu'il sut dire, et répéter, lorsque 
la coirversation générale tourna sur la politique 
et le gouvernement. Jamais il ne lui échappa la 
plus légère marque d'intérêt pour les malheurs de 
ses compagnons de voyage ; pas même de ces sim- 
ples politesses qu'un homme qui a reçu quelque 
éducation se fait un devoir de rendre à des femmes 
de bonne compagnie. 

J'ai dit qu'il était sur le devant du carrosse , 
entre madame Elisabeth et madame Royale. Quoi- 
qu'il ne put pas ignorer la haute vertu et l'extrême 
piété de la première y il se permit de lui adresser 
quelquefois des propos équivoques qui eussent 
été déplacés dans une personne ordinaire, mais 
bien élevée. Madame Elisabeth fit semblant de ne 
pas les entendre, et n'y opposa que le silence et le 
mépris. Mais Pétion ayant ose se permettre quel- 
ques-unes de ces plaisanteries triviales sur la dévo- 
tion et la religion , madame Elisabeth le releva 
avec beaucoup de force et de vivacité. Une dis- 
pute sur la religion s'engagea entre elle et lui. La 
reine , en me contant cette anecdote , me dit qu'elle 
avait été étonnée de l'éloquence , de la logique et 



l34 MÉMOIRES D£ WEBER. 

de la force de raisonnement que montra sa belle- 
sœur dans cette occasion ; elles furent telles que 
l'avantage de la conversation ne fut pas pour Pé- 
tion. Afin de ne plus revenir sur cet odieux per- 
sonnage, je finirai par un trait qui prouve jusqu'à 
quel point il poussa la familiarité et le défaut d'é- 
ducation. Il y avait dans la voiture une carafed'eau 
avec im verre , qui se trouvaient placés près de 
madame Elisabeth. Il arriva que Pétion eut soif; 
sans excuses y et sans ces formes de politesses usi- 
tées, même entre égaux, il demanda brusquement 
le verre à madame Elisabeth , et se fit verser l'eau 
par elle , sans se donner seulement la peine de la 
remercier. 

Jusqu'à l'arrivée des commissaires ,. toutes les fois 
qu'on s 'était arrêté pour dîner ou pour souper , 
le roi et la famille royale avaient mangé seuls ; 
leurs gardes restaient, ou dans la pièce où ils 
étaient, ou à la porte. Dans la première auberge où 
l'on s'arrêta, après que les commissaires Içs eurent 
joints, le roi et la reine remarquèrent que l'on n'a- 
vait rien changé à l'ordre précédent, et qu'il iij 
avait que le nombre ordinaire de couverts pour la 
famille royale. Ils crurent devoir engager les com- 
missaires à se mettre à table avec eux. MM, de 
Latour-Maubourg et Bamave s'en défendirent 
long-^temps par respect : j'ai même ouï dire que 
Bamave insista pour que le roi lui permit de le 
servir derrière son fauteuil; il céda cependant à la 



CHAPITRE IV. l35 

fin aux invitations réitérées du roi et de la reine , 
et ^jusqu'à la fin. du voyage , les trois commissaires 
mangèrent constamment avec le roi. 

Il ny eut rien de remarquable pendant le reste 
de la route j sinon une occasion dans laquelle la 
reine eut lieu d'être satisfaite de la conduite de 
Bamaye. Entre Chàlons et Meaux , un malheureux 
pi:être voulut s'approcher de la voiture du roi : il 
en était assez près y lorsque les gardes nationales se 
jetèrent avec furemrsur lui , et l'entraînèrent pour 
l'égorger à quelque distance. La reine , qui par ha-- 
sard regardait de ce côté la ^ fît un cri , et pria Bar- 
nave de sauver la vie à ce malheureux. Bamave 
s'élance de la voiture comme un trait , arrache le 
prêtre des mains de ces furieux , et , après l'avoir 
niis en sûreté et en liberté, revient prendre sa place. 

Le cinquième jour, le cortège arriva à Meaux. 
Un fort détachement de la garde de Paris 
attendait le roi dans cette ville pour le ramener 
dans la capitale. Soit que ce fut la marche toute 
naturelle, soit que les choses eussent été arrangées de 
manière que le roi et toute sa famille, ramenés 
prisonniers , pussent servir de spectacle à tous les 
habitans de cette immense cité, ils amvèrent à 
Paris au milieu du jour. On fit passer Sa Majesté 
par, la grande avenue des Champs-Elysées, sans 
doute pour donner plus de solennité à ce triste 
spectacle ; car le cortège aurait dû arriver par le 
faubourg SaintrMartin. Pour gagner la route de 
Normandie, on avait allongé le trajet de plus d'une 



l36' MÉMOIRES DE WEBER^ 

Uene. li faisait utre chaleur dévorante : tme pou»^ 
aère enflammée ^ qu'occasionait la marche d'un si 
grand nombre de personnes, oouTrait Tatmo»^ 
]^ère ; la voiture du roi paraissait comme au mi- 
lieu d'une forêt de baïonnettes; l'année d'escorté 
était commandée par M. Dumas , militaire connu , 
qui depuis a joué un r61e remarquable» On fit èn« 
trer le cortège par le Pont-Toumant dans le jar- 
din des Tuileries qui était resté otarvert à tout le 
monde. Des ordres sévères avaient été domiés pour 
que le roi rencmitràt partout star son passage un 
silfflice morne et lugubre. La garde nationale, qui 
bordait le boulevard, avait le fosil renversé 
comme dans un jour de deuil. Le peuple, qui était 
deirière > restait muet le chapeau sur la tête. On 
avait affiché dans plusieurs endroits : Celui qm 
applaudira le toi aura des coups de bdton^^ celui qui 
Vinsultera sera pendu. Tel était le renversement de 
toutes les idées , que cette proclamation grossière 
était regardée comme un acte de magnanimité. 
Au surplus , si cette espèce de plébiscite fut obéi 
pendant la traversée de Paris , sur le boulevard , 
on l'oublia complètement lorsque le cortège appro- 
cha du château des Tuileries. Alors les impréca- 
tions , les injures , les menaces les plus atroCeS y 
retentirent de toutes parts. La reine surtout parut 
être l'objet de la fareur populaire. Sans là garde 
nationale, elle, les trois gardes-du^orps, et peut- 
être le roi en auraient été probablement les victimes 
avamt de pouvoir entrer au chftteau. Cette garde 



GHâPITRE IV. iSj 

même «tait 9sa&t peu rassurante^ «oit parce que 
beaucoup de ceux qui la composaient partageraient 
les idées de la populace ^ soit parce qu'elle avait 
prouvé^ en plusieurs occasions , qu'elle ne savait 
pas résister. Quoique la reine ne se dissimulât pas 
ses pct)pres dangers ^ elle ne montra pas la plus p^ ' 
tite altération y et elle ne fut occupée que de ceux 
du roi et des trois malheureux garde&<iu^<:orp6 enr' 
cbainés sur le siège (i). 

En approchant du château, elle recommanda vi**- 
vement le sort de ces derniers à Barnave. Il lui pn>* 
mit qu'il périrait plutcA que de souffiir qu'il leur 
anivât du mal ; et , en effet, il tint parole. C'est à 
lui Seul que ces trois fidèles serviteurs durent de 
n'être pas lès victimes de la rage populaire à la« 
queUe ils faillirent d'être livrés , lorsque la voiture 
du roi fut arrêtée auprès des trois marches de la 
longue et large terrasse qui sépare le château des 
Tuileries du jardin. M. de La Fayette et toute 
sa garde, n'étaient occupés qu'à arrêter de tous 
côtés les flots du peuple , et à protéger le court, 
mais effi*ayiant trajet qu'avaient à faire le roi et sa 
Êunille pour gagner la grande porte du diâteau^ 
Les tirois gardes-du-corps restaient attachés sur le 
^ge, presquie sansprotectîoïi; la populace demAiOH- 

(i) Les trois gàrdes-dn-corpft l^*ëtaieiit poti&t, à et qu'il ptratt, 
«bchakiëfi sur le Mge. M. de Ltilour-Maubourg avait offert de le» 
prendre dans sa voiture^ Ce fut la reine qui les fit rester sur le siëge 
de la sienne. Voy. le$ éclaircissemens historiques {noie Ë). 

[NoêedâêffoitP^édU:) 



l38 MÉMOIRES DS VTEBER. 

dait leurs tètes avec fureur; ce fut Barnave qui s'oo 
cupa de leur sort , et qui les fît conduire en sûreté 
au château y pour y attendre ce que rAssemblëe 
ordonnerait d'eux. 

La reine exigea que le roi et ses enfans descen- 
dissent les premiers; elle ne voulut sortir que la 
dernière. M. de La Fayette était parvenu à former 
des deux côtés une double haie de gardes natio- 
nales > depuis la portière jusqu'à la porte du châ- 
teau. Le. roi ^ sa sœur^ sa fille et le dauphin portés 
sur leurs bras y la traversèrent assez eh sûreté et 
fort rapidement. Lorsque la reine voulut descendre 
de la voiture, le vicomte de Noailles. et le duc 
d'Aiguillon se présentèrent pour la recevoir, et lui 
donnèrent la main : la présence de ces messieurs^ 
dans une pareille circonstance , n'était pas rassu-r 
rante ; outre la part qu'ils avaient prise à la révo- 
lution , la reine n'ignorait pas qu'elle était l'objet 
de leur haine personnelle. Sa première pensée fut 
qu'ils étaient là pour la livrer au peuple , ou du 
moins pour la conduire dans une pri^n séparée : 
elle y fut confirmée lorsqu'elle se sentit enlevée 
par eux et conduite , ainsi presque en courant , du 
côté du château. Ils ne lui dirent pas un mot pen- 
dant tout ce temps4à, elle n'entendit que les impré- 
cations horribles que vomissait contre elle la po- 
pulace, que ce spectacle avait rassemblée. Leur in- 
tention cependant, loin d'être mauvaise, leur fait 
honneur. L'Assemblée, quoique prévenue de l'ar- 
rivée du roi^ avait cru de sa dignité de paraître 



CHAPITRE lY. iSq 

s'occuper peu de ce grand événement. Elle daigna 
cependant envoyer une députation de ses membres 
pour protéger l'arrivée du roi dans son palais. 
MM, d'Aiguillon, de Noailles et quelques autres , 
soit curiosité , soit désir d'écarter le danger dont 
ils prévoyaient que la vie du roi et de là reine pou- 
vait être menacée à leur débarquement, allèrent les 
atteudre sur la terrasse. La popularité dont leurs 
opinions connues les faisaient jouir, leur permit de 
pénétrer, et ils pensèrent sans doute qu'elle pour- 
rait les mettre à portée d'-être plus utiles que d'au- 
tres. Lorsqu'ils eurent mis la reine en sûreté dans 
le château, ils prirent congé d'elle. Là, il lui survint 
une autre inquiétude, l'une des plus déchirantes 
qu'elle eût éprouvées jusque-là : arrivée chez le roi, 
elle n'aperçut pas son filsj elle fut assez long-temps 
avant d'en recevoir des nouvelles et de le revoir : 
elle eut le tourment de craindre qu'il n'eût été 
étouffé dans la bagarre, ou qu'on eût eu la barbarie 
de le séparer d'elle. Il parait tout simplement qu'on 
l'avait porté à son appartement pour le faire repo- 
ser, car il lui fut rendu dans la journée. 

Pendant ce temps-là, l'Assemblée délibérait sur 
ce qu'elle avait à faire dans les circonstances. Dès 
le matin, elle avait rendu un décret dont le premier 
article était ainsi conçu : 

a 

« Aussitôt que le roi sera arrivé au château des 
i) Tuileries, il lui sera donné provisoirement une 
» garde qui, sous les ordres du commandant général 



/ 



l4o MÉMOIRES DE WEBER. 

» de la garde parisienn^e , veillera à sa sûreté et 
» pondra de sa personne, a 

Deux autres artides avaient décrété de même 
tf une garde particulière pour l'héritier présomptif 
» de la couronne^ et une pour la reine, n 

Le troisième avait ordonné que « tous ceux qui 
)) avaient accompagné la faixiille royale dans sa 
» fuite ^ seraient ^is en état d'arrestation et in* 
» terrogés; » que « le roi et la reine seraient eu- 
)) tendus dans leurs déclarations y et le* tout sans 
» délais pour être pris par l'Assemblée les résolu- 
» tions qui seraient jugées nécessaires. » 

Par les cinquième et sixième articles y u le roi 
» avait été suspendu provisoirement des fonctions 
» de la royauté, m Ënfib^ le septième et dernier 
article avait enjoint au ministre de l'intérieur « de 
» faire publier ce décret à l'instant même, à son de 
» trompe^ dans tous les quartiers de la capitale. » 

Cette responsabilité publiée avec tant d'éclat, 
cette responsabilité tjui ne se bornait plus au seul 
commandant y mais qui était étendue par un décret 
sur toute la garde particulière, fit perdre la tète aux 
trois quarts de la milice parisienne qui devait former 
oette garde, et même àla plus saine partie de cette mi^ 
lice 9 officiers et soldats. Ils avaient vu tout à l'heure 
M. de La Fayette entouré sur la place de l'Hôtel- 
de-Ville, et la fatale lanterne descendue pour lui; 
ils lui déclarent qu'ils ne veulent pas courir le même 
risque que 



CHAPITRE IV. l4l 

Pendant plusieurs jours on ne peut pas trouver 
un seul officier qui veuille se charger de la garde 
particulière de la reine, sans veiller dans la chambre 
même de Sa Majesté. 

M* de Gouvion, lui-même ^ commandant en 
second de la garde nationale , sur lequel le roi et la 
reine croyaient avoir beaucoup plus d'ascendant 
que sur M. de La Fayette , M. de Gouvion déclare 
H qu'il ne continuera pas son service aux Tuileries , 
» si on ne le laisse pas le maître absolu d'employer 
» toutes les précautions qu'il voudra ^ e t n otamment 
» de faire murer plusieurs portes de l'intérieur. » 
Le roi y consentit pour conserver M. de Gouvion. 

Chaque jour on voyait arriver dans le château 
des députations de sections soupçonneuses qui 
voulaient s'assurer elles-mêmes des précautions pri- 
ses. Dans le même instant où l'on réveillait le roi 
et la reine pour vérifier s'ils ne s'étaient pas enfuis^ 
on réveillait M. de La Fayette pour l'informer qu^ 
le roi et la reine s'enfuyaient. Enfin > l'on sait tout 
ce que le peuple avait rêvé de projets de complots 
et d'évasion avant le voyage de Varennes : qu'on 
juge ce que ce devait être après ; et combien le$ 
méchans avaient beau jeu pour séduire les faibles. 

M. de La Fayette était-il l'un ou Vautre? Faut-il 
en croire ses amis qui l'ont peint entraîné malgré 
lui par une nécessité aâreuse^ et préoccupé du salut 
de la famille royale jusque dans les rigueurs ap- 
parentes par lesqueUesil voulait calmer les ombrages 
populaires ? Faut41 penser , avec des juges plus se- 



14^ MÉMOIRES DE AVEBER. 

vères ^ qu'infatué de sa chinière patriotique y il osa 
croire le roi coupable d'avoir fui, et se regarder 
comme le ministre de la justice nationale; ou, 
qu'assez injuste pour diriger le reproche contre le 
prince envers qui l'on avait violé tant de sermens , 
il fut assez peu généreux pour vouloir se venger 
des périls que lui avaient fait courir les augustes 
prisonniers en trompant sa vigilance? C'est une ques- 
tion que je m'abstiens de décider , et sur laquelle la 
reine n'hésitait pas. 

Quoi qu'il en soit du motif , voici dans le fait les 
précautions inouïes qui furent le fruit de cette fer- 
mentation générale , et qui semblaient calculées , 
non-seulement pour prévenir tous les moyens de 
fuite , mais encore pour faire sentir à ces illustres 
captifs toute l'horreur de leur prison. 

Une nombreuse garde fut établie dans les cours : 
un vrai camp dans les jardins, avec des tentes et tout 
ce qui est nécessaire pour faire camper des soldats. Le 
jardin fut hermétiquement fermé au public et même 
aux députés de l'Assemblée; M. de La Fayette pré- 
tendant qu'il ne pouvait exclure les sections dont les 
irruptions seraient terribles, qu'en excluant les dépu- 
tés dont les visites seraient inutiles. L'entrée du châ- 
teau fut interdite à tout ce qui n'était pas du service 
indispensable , ceux même qui en faisaient partie 
étaient fouillés en entrant et en sortant. Des senti- 
nelles furent établies jusque sur les toits ; mais tout 
cela n'était rien en comparaison de la surveillance 
intérieure. Voici comme elle était exercée chez la 



CHAPITRE IT. 143 

reiae: les pièces extérieures de son appartemeat 
étaient autant de corps-de-garde . A côté de sa chambré 
était une garde-robe si obscure, qu'en tout temps il 
fallait l'éclairer par des bougies : elle était précédée 
d'un petit carré qui aboutissait à un escalier dérobé, 
séparé de son unique garde^robe par une simple 
porte vitrée. Deux gardes restaient continuellement 
dans sa chambre à coucher, pièce où elle se tenait 
toujours , avec ordre de ne la perdre de vue ni jour 
ni nuit. Ces gardes étaient à la vérité des gardés 
nationales, maison sait de quelle espèce étaient la 
plupart. 

Dans les premiers jours la reine était obligée de s 
se coucher , de se lever et de s'habiller devant ses 
gardes; ils passaient à la lettré les nuits dans sa 
chambre. Ensuite , soit que M. de La Fayette sentit 
de lui-même l'indécence de ces ordres , ou qu'il eût 
en effet travaillé à calmer les têtes de sa garde , soit 
que le ix)i lui en eût parlé , il adoucit la sévérité de 
ses dispositions , mais voici comment. Les gardes 
restaient dans la chambre de la reine tant qu'elle 
était levée; mais lorsqu'elle jugeait à propos de se 
coucher , et pour tout le temps qu'elle restait dans 
son lit, les gardes se retiraient. Alors l'un d^eux 
s'établissait dans cette espèce de tambour que for- 
maient les deiix portes de la chambre dans l'épais^ 
seur du mur, de nianière cependant que, la porte 
qui donpait dans la chambre restant toujours en- 
tr'ouverte , il pût voir ce qui se passait. Ce tempé- 
rament était un peu moins choquant , mais il ne 



À 



l44 MÉMOIRES 0B Mr£B£R. "^ 

mettait pas la reine à l'abri de la familiarité insul- 
tante de ses gardes. Un jour qu'étant couchée^ elle 
ne pouvait pas dcnmir, elle alluma une bougie à 
une lampe de nuit qui était à côté d'elle ^ et' se mit 
à lire. Son garde qui s'en aperçut entre dans la 
chambre y ouvre les rideaux et s'assied familièrement 
sur son lit en lui disant : (f Je vois que vous ne 
pouvez pas dormir ^ causons ensemble ^ cela vous 
vaudra mieux que de Ure. d La reine contint son in- 
dignation et lui fit comprendre avec douceur qu'il 
devait la laisser tranquille. Résignée a son sort et 
déterminée à dissimuler jusqu'à la fin , elle ne dai- 
gna, ni se plaindre de cette sévérité outrée et humi- 
liante, ni la reprocher à M. de La Fayette. Elle le 
voyait assez souvent. Il«afiectait même de venir chez 
elle plus souvent que les circonstances ne l'exi- 
geaient. La reine était polie aveclui,quoiquefroide: 
elle lui parlait nonnseulement sans aigreur, mais 
même toujours avec aisance de choses indifférente^ 
ou de ce qui intéressait le roî. 

Malgré la vigilance dont ils jetaient s^^aillis , le 
roi et la jeine trouvèrent les moyens «d'entretenir 
des correspondances ijm les tinrent toujours au cou-* 
rant de ce qui se passait relativement! eux : Taffidre 
de leur fuite prit , peu de jours après le retour à 
Paris , im tour plus bem*enx qu'on n'aurait osé l'e»* 
parer de la fen»bmtation des esprits et des disposi* 
tions que l'Assemblée avait montrées jusque-là b 
pousser les avantages qu'elle avait sur le roi aussi 
kâa qu'ils pourraient aller. Ce morceau d'histoire 



CHAPITRE IV. 145 

qui doit être trè&-piquant, s'il est écrit par quelqu'un 
bien instruit,' n'entre pas dans mon dessein: Je ter- 
minerai le récit du voyage de Varennes en disant 
que y malgré les clameurs des jacobins et la conduite 
presque entièrement passive du côté droit, les me- 
neurs de la majorité du côté gauche finirent cette 
grande affaire aussi promptement et aussi habile- 
ment que les circonstances pouvaient le leur per- 
mettre : ils virent clairement que le but des jacobins 
était de profiter de cette occasion , non-seulement 
pour perdre le roi , mais encore pour détruire la 
royauté, et établir la franche république sur ses 
ruines; ils en furent effrayés: et pour éviter cet 
abîme , ils tournèrent court à ce qu'ils appelaient 
le parti de l'indulgence; en conséquence ils firent 
faire un rapport par leurs comités , dont le sens fut 
que le roi n'était point coupable pour avoir voulu 
s'enfuir , et que quand il le serait , il ne pouvait être 
mis en jugement à raison de son inviolabilité ; que 
dès que la constitution serait totalement achevée 
( alors elle tirait à sa fiba) , il fallait la lui faire ac- 
cepter , et le mettre en possession effective de toutes 
les prérogatives du pouvoir exécutif; que le seul 
coupable de la fuite du roi était M. de Bouille qui 
en paraissait être le principal agent , comme il l'a- 
vouait lui-même dans la fameuse lettre qu'il avait 
écrite à l'Assemblée après sa sortie deFranc^; que 
M. de Choiseul qui l'avait secondé, et M. de Go- 
guelas'seraient envoyés à Orléans pour y être jugés 
par la haute cour nationale ; que M. de Damas res-: 

II. lO 



\ 



l4$ MÉHOnEa 0E WBBER. 

teiraît en arrestation a Paris; que quant aux gardes- 
durcorps qui avaient accompagné le roi, on ne pou-- 
Tait leur impu^r à crime lemr obéissance à ses 
afdrQS> et qu'en conséquence ils seraient mis en hr 
harté, MM. de Choiseul et de Goguelas furent trsn^ 
feorés à Orléans et y subirent quelques interroga-^ 
toires : mais leur affaire fut exprès traînée en Ion* 
gueur jusqu'à l'acceptation de la constitution. 

On saisit cette occasion pour proclamer une am*- 
nistie générale de tous les délits révolutionnaires , 
«n conséquence de laquelle ces deux messieurs 
eureuYla liberté avec tous les autres prisonniers (t ). 

Marie-Antoinette ne démentit point son grand 
caractère pendant son emprisonnement. Lorsque 
les trois commissaires que TAssemblée avait chargés 
de i*ecevoîr les déclarations du roi et de la reine se 
présentèrent devant Leurs Majestés, le roi ajouta à 
sa déclaration que la gouvernante de son fils et les 
femmes de suite n'avaient été averties de son dé- 
part que peu de temps avant qu'il fut effectué. 
Cette observation fut faite pour sauver ces dames 
du danger auquel elles étaient exposées. Voici la 
déclaration pleine de noblesse que fît la reine . 

Déclanaiim de la Reine* 

Je déclare que le roi, désirant partir avec ses 
en&ns, rien dans là nature n'aurait pu m'empécber 
de le suivre. J'ai assez prouvé , depuis deux ans , 

(i) lei se termine le rëcit de M. de Fontanges. Weber continue 
^ 8wn . {Note des noup. éditJ) 



CHAPITRE IV. 1.47 

dans piasieurs circonstances^ que je youlak ne le 
quitter jamais. Ce qui m'a encore pins déterminée, 
ces* l'assurance que j'avais que le roi ne voulait 
pas quitter le royaume : s'il en avait eu le désir, 
toute ma force eut été employée pour l'en em- 
pêcber* 

lia gouvernante de naon Gïb était malade depuis 
trois semaines , et n'a reçu les ordres que peu de 
temps avant le voyage ; elle en ignorait absolu- 
ment la destination. £Ue n'a emporté avec elle au- 
cune espèce de barder, et j'ai été obligée moi-même 
de lui en prêter. 

Les trois courriers n'ont pas su la destination ni 
le but de leur voyage. Sur le chemin on leur don^- 
nait de l'argent pour payer leurs chevaux ; ils re- 
cevaient l'ordre pour la route. Les deux femmes 
dç chambre ont été averties dans l'instant même 
du départ , et l'une d'elles , ^i a son mari dans le 
château , n'a pu le voir avant le départ. 

Monsieur et Madame devaient venir nous joindre 
en France ; ils ne sont passés dans le pays étranger 
que pour ne pas nous embarrasser et ne pas faire 
manc^er les chevaux sur la route. 

Nous sommes sortis par l'appartement de M. de 
Villequier^ en prenant la précaution de ne sortir 
<]ue séparément et à plusieurs reprises. 

Signe y Marie-Antoin£ttE4 

Ce fut un ami de Bamave, M. Muguet de Nan- 

thou t qui fît le rapport sur l'événement relatif à la 

10?* 



I ^.8 MÉMOIïlES ■ DE WEBEB . 

fuite de Leurs Majestés , et qui proposa la question 
de savoir si le roi pouvait être mis en cause. Il 
conclut a la négative, en rejetant tout l'odieux 
qu'il voyait dans cette fuite , sur M. de Bouille et 
les autres personnes qui- avaient servi le roi -dans 
cette occasion , et il demanda que leur procès fut 
fait à tous ; il nomma MM. de Bonillé, de Heyman, 
de Rlinglin, Charles de Damas, de Choiseul, de 
Êersen, de Bouille fils, d'Hofflize, Dandoins, de 
Goguelas , Desoteux , de Raigecourt , de Mandel , 
Talon , de Maldan , de Valory , Dumoutier , 
Mainesen. 

On vient de voir ceux que l'Asseitiblée mit en 
jugement. Dans la discussion qui s'éleva sur 
l'inviolabilité du roi , Louis XVI n'eut pour ad- 
versaires que Pétion , Prieur, Vadier, le curé Gré- 
goire , Robespierre et Hébrard. 

Pendant cette discussion , les jacobins voulurent 
faire une insurrection populaire pour demander la 
déchéance du roi. Un militaire, nommé Achille 
Duchâtçlet, rédigeait alors un journal dans lequel 
il invoquait, d'un style d'énergumène , la répu- 
blique, le jugement de Louis XVI et celui de 
Marie-Antoinette. Laclos, secrétaire du duc d'Or- 
léans , rédigea une pétition demandant la dé- 
chéance (i). Le joui> était pris pour faire signer 
cette pétition au peuple , au Champ-de-Mars , sur 



(i) Voyez , à ce sujet, les Mëmoires de madame Roland, tom. I 

(Note des nouv. édit. ) 



CHAPITRE IV. l49 

Tautel de la patrie. L'on avait choisi un dimanche 
pour que Taflluence fût plus grande. Il fallut em- 
ployer la force armée pour dissiper les attroupemens 
que cette réunion de factieux avait formés. Il y 
eut une trentaine d'hommes tués au Champ-de-p 
Mars par la garde nationale. Les jacobins ne par- 
donnèrent jamais cette journée ht Tétat-major de 
cette garde , à Bailly qui proclama la loi martiale, 
et aux membres du comité de constitution. Ils les' 
firent presque tous^ périr sur l'échafaud , deux ans 
après cette catastrophe , comme auteurs de Tassas^' 
sinat des patriotes. La vérité m'oblige de dire que 
la garde nationale fit, en cette occasion , tout ce 
qui dépendait d'elle pour éviter l'effiision du sang ; 
mais elle fut assaillie à cbups de pierres (i.)', et si 
elle tira , ce fut plutôt étant sur la défensive que 
sur l'offensive. La première décharge £ssipa en un 
clin-d'œil tous ces attroupemens. Je me trouvais' 
alors du côté de la rivière , opposé à l'Ecole-Mili- 
taire ; j'y fus témoin de la dispersion de cette vile 
populace. Abreuvée de dégoûts et d'humiliations 
de la part du peuple , honteuse du mal qu'eille avait 
fait , poursuivie par ses remords , l'Assemblée na-- 
tionale décréta enfin qu'elle se séparerait le 3o sep* 
tembre. Elle avait décrété im comité de révision 
qu'elle avait chargé de revoir les articles de la consti- 

.1^ Il ■! Il ■ I I II ■ I II .. Illl 

(]) M. de La Fayette y fut manqué d'un coup de pistolet, que 
lui tira le nommé Foumièr, Américain , qui fut depuis un de_s au- 
teurs du massacre des prisonniers d'Orléans. La garde l'avait saisi y 
M. de La Fayette le fit relâcher. W . 



l5o MÉMOIRES im WEBER. 

tution ; ce comité ne révisa presque rien : on était 
si honteux de l'ouvrage ridicule qu'on avait fait ^ 
qu'on ne mit nul intérêt à le conserver. On cûn«- 
voqfia une nouvelle assemblée législative^ dans la*^ 
quelle il ne fut permis à aucun des membres de 
réassemblée nationale de siéger. Ces secondes élec- 
tions eurent lieu sous les plus défavorables aus** 
pices. La piajorité des choix faits et coxmus ànnoiif* 
çait dé)à^ dans la prochaine assemblée, un esprit 
détestable: et c'était à ce nouveau sénat , ainsi 
composé , qu'on livrait le roi et la cour, sans dé* 
f ense et sans précaution ! ... La constitution fut pré- 
sentée au roi ; le roi accepta purenaenl et simple- 
ment 9. sans faire aucune remarque sur ses nom* 
breux défauts. La première sorties que le roi fit 
depuis son retour de Varennes > fut pour se rendre 
k l'Assemblée, afin d'y porter de vive voix son 
acceptation, et apposer sa signature ht l'acte dit 
constitutionneL 11 fut placé sur une estrade aseea 
pompeuse , mais sur la même ligne que le président 
de l'Assemblée , M. Thouret, dont on remarqua la 
posture peu décente , dans une ciixonstance où il 
était si important de rendre à la majesté rojale 
tous les égards et le respect qu'on avait cessé d'a- 
voir pour elle. Louis XVI demanda un décret 
d'amnistie pour toutes les personnes qui avaient 
aidé sa fuite à Varennes , et il l'obtint au milieu 
des acclamations générales. Un Tt Deum solennel , 
des illuminations brillantes , des fêtes pompeuses 
célébrèrent cet événement ; le roi et la reine s j 



CHAPITRE lY. l5l 

montrèrent et recueillirent beaucoup d'applaudi»- 
semens ; mais Robespierre et Pétion^ leurs ennemis 
les plus acharnés y furent portes en triomphe par 
la populace y en sortant de la dernière séance ; ils 
en obtinrent la dénomination l'un d! incorruptible , 
l'autre de vertueux : c'était annoncer assez les dis- 
positions de la multitude pour le malheureux 
prince , et le sort que les démagogues lui réservaient 
ainsi qu^à sa fannlle. 



A I 



CHAPITRE V. 



''Là faihîlîe royale pendant la révolution. — Seconde époque , As- 
• «sèxiiblée législative. — Êvénëipens principaux depuis le i*' octo- 
, .Jsre ^^91 }u^u>'aja so septembre 179a. -—Déclaration de guerre i 
S. M. rEmppj:,eur. , — ^^ Journée du ao juip 1793. — Fédéra tioa 
du i4 juillet. — Arrivée des Marseillais à Paris. — Journées et 
inassacres du 10 août. — Emprisonnement de là famille royale. 
— Massacres du a septembre. — L'auteur de ces Mémoires empri- 
sonné à lliôtel de la Force est sauvé des mains des assassins. — 
n quitte la France et passe en Angleterre. 



Quelle douloureuse impression s'empare de moi , 
au moment de commencer cette partie de l'histoire 
de mon auguste bienfaitrice ! Il semble que cette 
idée devienne plus douloureuse et plus pénible , à 
mesure que je m'enfonce plus avant dans le récit 
des époques les plus déchirantes d'une si illustre et 
si malheureuse destinée. Combien ils m'étaient 
' plus doux à décrire ces temps que mon premier vo- 
lume devait traverser ! Ces jours de l'enfance heu- 
reuse, chérie, honorée de Marie-Antoinette; ces 
touchans et délicieux souvenirs de ses talens, de 
ses grâces et de ses vertus naissantes ; ces fidèles 
peintprés de sa brillante jeunesse; de ces scènes 
enivrantes d'hommage, de charme, d'entraînement, 
de culte , d'idolâtrie , qui se succédèrent et for- 
mèrent comme la chaîne de sa destinée, de- 



CHAPITRE y. i53 

puis l'époque de sa naissance auprès du trône de 
Marie-Thérèse , jusqu'à celle qui la vit s'asseoir isur 
celui de son auguste époux , au milieu des regrets 
de TAutriche , des cris de joie de la France , des 
bénédictions et dès vœux portés à l'envi jusqu'au 
ciel 9 par les peuples réunis de ces deux grands 
empires ! Ces souvenirs,- plus près de ma pensée et 
de maiplmue qui devait d'abord les retracer, ra- 
nimaient mes forces au commencement de cette 
pémbla et honorable carrière ! Tout m'abat ,tout 
me décourage , tout m'anéantit aujourd'hui. J'ai 
déjà parcouru trois années d'injustices , de priva- 
tions , de sacrifices , d'insultes , d'infortunes , et 
cependant, .tous ces malheurs ensemble dispa- 
raissent et s'effacent , en quelque sorte , auprès de 
ceux dont l'effi'ayant aspect me presse , me me- 
nace , et qu'il est cependant encore commandé 
à mes pieux efforts de retracer et de ressentir, 
poiu' ainsi dire , une seconde fois en les décrir 
vaut. 

L'Assemblée nationale avait paru vouloir s'ar- 
retier , effrayée de ses propres excès ; et repoussant 
de toutes ses craintes et de ses trop faibles efforts 
ce monstre de républicanisme y déjà trop excité 
par d'imprudentes clameurs, et par l'anéantisse- 
ment ëuccessâf de tous les. droits et de tous les ap»- 

^uis de la couronne On voulait cependant rei- 

fevei* sur 4ce. saUe mouvant .le trône ébranlé de 
Lotus XVI. Les- plus fiuieuxjacobins avaient payé 
^e leurs' tètes, au Champ^de-Mars , l'erreur qui 



l54 MÉMOIRKS DE WEBER. 

lem fiaisait méconnaître ^ quand ils ordonnairait 
l'obéissance anx lois ^ * les si^anx de ces mêmes 
Jiommesqui les avaient trouvés si dociles aux con- 
seils de révolte et de destruction. Le fantôme 
d'une constitution s'était élevé k côté du trône ^ et 
loin de se soutenir^ ils s'affaiblissaien^ mtituelle-^ 
ment. La nouvelle Assemblée commença y par des 
oiitrages envers la royauté y cette prétendue mis- 
sion de conservation^ de restauration > d'affermis- 
sement, qui lui était transmise par ses devanciers; 
las tempêtes se formaient déjà sourdement, et gron* 
datient de temps en temps pendant l'hiver, pour écla- 
ter pendant l'été avec la plus épouvantable fureur. 

Cette partie de mon ouvrage commence au pre- 
mier octobre lygi et s'arrête au 20 septembre 1792. 
Les dix premiers mois de cette .époque semblent 
a*être que les préliminaires du 10 août, et les qua- 
rante jours suivans le prélude du triple régicid* 
qu'ils enfantèrent. 

L'Assemblée constituante avait renversé le roi 
dtt trône de sesj)ère8, qu'elle avait abattu; I'AlS- 
semblée législative le renversa du troue constitu- 
tionnel où l'Assemblée constituante venait de l'as» 
SMir avec si peu de précaution . 

M.^ Baillj avait cédé la surveillance et radntinis»- 
tratbn de la capitale au factieux et républicam 
Pétion. Le commandant de la garde nationale , far 
ligué de sa longue insurrection, et honteux d'avoir 
été penifaoït deux ans le geôlier de ses maîtres , 
«vait rësigaé ^on commiandement et remis les au-* 



CHAPITRE V. ï55 

gustes prisonniers à six nouveaux généraux natio* 
naux(i). Des membres de T Assemblée nationale 
qui avaient présidé à la formation et à la révision 
de la constitution , il ne resta à Paris que les hommes 
les plus cupides et les plus déboutés, qui ne cessè^ 
rent d'assiéger, le château de leurs conseils et do 
leurs demandes ; te matin à la porte du trésorier de 
la ligte civile, et le soir occupés à perdre au jeu le 
honteux produit de lexurs intrigues, de leurs avis, 
de leuis menaces. Ce furent eux qui dirigèrent la 
plupart des choix des ministres qui se succédèrent 
en foule dai^ ce court intervalle • Lorsque Louis XVI 
en nonuna quelques-uns de son propre choix , la 
faction les mit presque aussitôt en accusation ; lorsh- 
que ce prince en prit d'autres sous le bonnet rouge, 
ce furent ceux-ci qui l'accusèrent, La conspiration 
contre le trône se montra à découvert dès les pre- 
miers jours de la réunion de TAssemblée législa- 
tive ; son premier acte fut de vouloir retirer au 



(i) C'étaient des cheb de bataillon que M. de La Fayette fit 
nonimer lul-roéme. Il pi^éféra diyîser ce commandement et en di* 
minuer la force, plutôt que d'avoir un successeur qui eût plus 
d'autontë ou plus de popularité que luLCetlç basse )alousîe de fa 
part compromettaU la sûretë de la famille royale. Heureusemdttt 
ces chefs de bataillon ne furent point de malhonnêtes gens *. 

* i« init sur lequel W«ber hasarde ocs conjectures nVst pas ékionc^ 
parlai d^iae «nnèro et^olè , eVst-4-diiv que léguerai La Fayette na 
rfêigna pas 9on ^ommemâernent h d* gé^Urmûx naUmuaix, Il proToqua 
un décret diaprés lequel le coaMaandament de la garde nalîoAala devait 
éUtemer entre le$ chefs des légions* {JYoie des nov». édit,) 



l56 MÉMOIBES DE WEBER. 

monarque les dénominations de Sire et de V^otre 
Majesté y et de remplacer ces titres antiques et sa- 
crés par l'ajppellation brusque (i) de roides Fran-' 
gais; mais dès le lendemain le cri de l'indignation 
piiblique obligea le corps législatif de révoquer cet 
odieux arrêté. De fréquentes députations de l'As- 
semblée se rendaient auprès du roi pour lui porter 
dès décrets à sanctionner ; elles s'étudiaient à se 
présenter à la cour dans le costume le plus négligé, 
et quelquefois le plus indécent, et à adresser au 
roi lui langage digne des halles (3). 
* Cependant les partis étaient balancés dans l'As- 
semblée. Elle renfermait un grand nombre de 
gens de bien qui voulaient de bonne foi qu'on fit 
l'essai de la constitution nouvelle; mais malheu- 



(1) A propos de cette dénomination , il estbon de remarquer qut 
Weber tient un autre langage, T. I, p. a 54, lorsqu'il rappelle 
que ce fut le clergé qui donna le premier le titre de roi des Fran- 
paiiS à Louis XYI ,-dan^ le mois de juin 17S8, avant la conYoaation 
des états-généraux. Le décret qui prescrivait ce titre est du 
5 octobre 1791. H fut en eflfet rapporté le lendemain , après une 
discussion très-animée. Mais ce qui choqua partictilièremeAt le 
public , est moins le titre de roi des Français que Tarticle du dé- 
cret qui désignait la place de Louis XYI à côté du président , sur la 
même ligne et sur un fkufeuil semblable ^ cérémonial qui n'était pas 
fait sans intention , et qui blessait toutes les convenances. 

( Note des nouu. édit. ) 

(i) Dans cette effronterie générale , le capucin Chabot , membre 
de cette Assemblée, osa. un jour se plaindre aux jacobins de ce 
qu^étant arrivé quelque temps après la dëputation dont il fiaiisait 
partie , en redin|[ote , en chapeau rond , en bottes , les huissiers 
de laichambre dû Conseil ne lui avaient ouvert qu'un des battans 
de la porte. - . W. 



CHAPITRE V. 167 

reusement ce parti *n*avait ni l'activîté, ni fe cou- 
rage^ ni l'esprit de suite ^ ni l'obstination > ni la 
tactique du parti républicain ; aussi sa lutte im- 
puissante contre ce dernier ne. servit-elle qu'à lui 
faire augmenter la liste des aristocrates et des roya- 
listes que l'on proscrivit. 

Les. premiers promoteurs de la république à cette 
époque furent les deux législateurs Brissot, Con- 
dorcet, et le nouveau maire de Paris, Pétion. Le 
parti désorganisateur, qui présida à toutes les insur- 
rections, fut également dirigé par trois législateurs. 
Chabot , Bazire et Merlin; car c'est une chose digne 
de remarque, que dans ces deux premières assem- 
blées les principes affichés par un parti furent pres- 
que toujours propagés , et les mouveçiens révo- 
lutionnaires inspirés par une espèce de triumvi- 
rat (i). 

Ce parti se rapprochait et se séparait parfois 
d'un club nouveau qui venait de se former dans 
l'ancienne église des Gordeliers, et dont les prin- 
cipaux chefs furent Danton et Camille Desmoulins, 
deux des plus audacieux scélérats que la révolution 



N 



(1) Ainsi Ton avait reprësentë et dénoncé prëcëdemment la 
haute aristocratie sous les noms de Maury , Cazalès et Malouet; 
les monarchistes anglicans avaient ëtë Lally , Bergasse et Mounier ; 
les constitutionnels moitié anglicans , moitié américains , étaient 
rangés sous les drapeaux de Bailly, La Fayette et Necker ; une au- 
tre classe de constitutionnels avait pour chefs Iiameth , Duport 
etBarnave; enûnles républicains étaient rangés sous les drapeaux 
de Pétion y Buzot et Robespierre. W. 



\ 



z58 MÉMOIRES ras WEBER. 

ait enfantés ^ et qui y maigre lés crimes et les vio* 
lences qu'Us excitèrent ^ finirent cependant par être 
susceptibles de remords et capables d'indulgence ^ 
ce qui les perdit. C'est dans ce club que se réfugia 
ce qui restait de la faction d'Orléans. Quant au 
chef de cette faction , il serait fcwt difficile de dire 
à quel point il participa aux mouyemens révolution- 
naires de cette époque. Ses manœuvres et ses hhé^ 
ralités furent assez obscures^ et l'on serait tenté de 
le croire personnellement étranger aux manoeuvres 
de ces dix mois ^ si l'on ne le voyait^ aussitàt après 
le I o août y reparaître triomphant à la tête de sa 
faction. 

Les vrais royalistes s'étaient divisés alc^rs en deux 
partis ; les yns avaient cru devoir rester auprès de 
la personne du roi constitutionnel^ afin de défen- 
dre, au péril de leurs jours , le chef et les individus 
de la famille royale qui étaient a Paris^, exposés 
aux coups des factieux. L'autre partie s'était crue 
obligée par devoir, par honneur, par l'exemple, à 
se réunir à l'armée que les deux princes , frères du 
roi, organisaient dans les électorats ecclésiastiques. 
Toute la noblesse française accourait auprès des 
princes , du fond même des provinces les plus éloi- 
gnées. Quelque chose qu'on ait pu dire, après Tëvé- 
nennenty sur l'imprudence et la mauvaise coxor* 
binaison de ces rassemblemens , on ne peat 
s'empêcher de convenir qu'ils avaient quelque 
chose de brillant et digne de l'ancienne chevalerie; 
que ce sera , pour tous les temps et pourtoutes les 



CHAPITRE y. iSç 

monarchies ^ un bel exemple à citer^ un magnifique 
trait historique à présenter^ que celui de la forma*- 
tion d'une pospoUte de quinze mille hommes ^ por» 
Unt les premiers noms du royaume , conduits par 
quatre fils de France et trois héros de la maison de 
Condé^ croyant > dans l'ardeur qui les animait^ 
pouvoir renverser toutes les légions de factieux, 
de brigands, de sans-culottes et de soldats re- 
belles ^ que les clubs vomissaient contr<î eux, tirer 
le roi de sa prison , le remettre sur le trône de ses 
pèreS , et reconquérir eux-mêmes sur trente mil* 
Uons d'hommes, leur état, leurs distinctions héré- 
ditaires , et les biens dont ils étaient dépouillés dès 
qu'ils sortaient de France. Comme il ne fut pas 
donné à cette redoutable cavalerie d'agir active- 
ment, on ne peut dire si elle aurait réussi dans ses 
nobles et audacieux projets ; mais la gloire dont se 
couvrirent par la suite les diverses légions qui &e 
formèrent de ses débris, prouve que les espérances 
qu*elle avait conçues n'étaient pas aussi chiméri- 
cpies qu'on l'a supposé f et que le sacrifice de leur 
personne et l'abandon héroïque de leurs propriétés, 
^i composaient les trois quarts des terres du 
royaume , méritaient un meilleur traitement que 
celui qu'ils éprouvèrent dans plusieurs Etats mo-* 
Mrchi^es , après la ruine de leurs ei^péranees. 

Le parti des royalistes de l'iiïtérieur se vit av^c 
plaisir fortifié de la garde que k constitution «rait 
accordée au xci pour remplacer les gardesrdurcorp&f 
quQ^ue cette garde ne consistât qu'en six cents 



M 



\ 



l6o MÉMOIRES DE 1¥EBER. 

hommes , et que Ton eût eu soin d'obliger le mi- 
uistère à la former principalement de militaires <jui 
avaient déjà donnée dans leurs corps respectifs, 
quelques gages à la révolution : cependant aussitôt 
qu'elle fut rassemblée , elle montra les meilleures 
dispositions pour la défense de ses maîtres. Les 
excellens chefs que le roi lui donna dans la personne 
de M. le duc de Brissac, leur colonel^ et de 
MM. d'Hervilly et de Pont-l'Abbé , leurs lieute- 
nans- colonels, leur inculquèrent un dévouement 
aussi parfait que celui des gardes-du-corps leurs 
prédécesseurs. Il suffisait, d'ailleurs, d'approcher un 
instant du roi et de la reine , d'être témoin de leur 
noble douleur, de leur amour pour le peuple , de la 
pureté de leurs vœuxpour le bonheurde leurs sujets, 
pour être pénétré d'indignation contre leurs enne- 
mis, et être prêt à verser pour eux jusqu'à la der- 
nière goutte de son sang. 

Malheureusement cette garde fut punie des pre- 
miers symptômes de fidélité qu'elle manifesta. Elle 
était à peine formée , qu'un décret du corpi légis- 
latif vint la dissoudre. Dans le nombre des comités 
qui donnaient des conseils secrets à la cour , il s'en 
trouvait quelques-uns composés de membres de. 
l'Assemblée constituante , d'autres de ministres re- 
tirés qui avaient conservé la confiance du roi. Les 
conférences des uns et des autres , leurs manœuvres, 
leurs allures furent plus ou moins connues : aussi 
furent-elles dénoncées vaguement dans les jour- 
naux, sous le nom général des menées du comité 



CHAPITRE Y. l6l 

autrichien. L'on disait que le projet de comité , à la 
tête duquel on ne manquait pas de placer Marie" 
Antoinette , était de livrer les patriotes de la France 
à r Autriche. Une lettre par laquelle un ancien mi- 
nistre fut invité, au nom du sieur Regnault-de-Saint- 
Jeaii-d'Angéljr , membre de l'Assemblée consti- 
tuante y k assister chez la princesse de Lamballe à des 
conférences dont l'objet serait de réunir les difiéréris 
chefs de parti, afin de se concerter et de s'entendrô 
pour sauver la constit ution^l'Etat, et le roi ; cette lettre 
insignifiante serrât de signala une attaque brusque et 
imprudente dont la réaction fut temble. L'ex-mi- 
nîstre qui avait reçu cette lettre, imagina, ainsi que 
ses collègues, de profiter de cette occasion pour 
mettre la constitution à l'épreuve, en faisantlutter le 
pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire contre le 
pouvoir législatif • Ils calculaient qu'en opposant deux 
potivoirs à un seul, s'ils n'anéantissaient pas ce dernier 
pouvoir, ils le forcerai ent au ïnoins à capituler .Vaines 
espiérances ! tous les pouvoirs étaient concentrés dans 
le club des jacobins qui dominait la majorité de l'As- 
semblée législative. L'attaque fut commencée par un 
juge de paix nommé Larivière , qui paya ensuite de 
sa tête l'énergie qu'il mit dans la procédure. Il 
somma le journaliste Carra de donner les preuVes 
qu'il avait que telles ou telles personnes , qu'il avait 
indiquées comme membres de ce comité autrichien ^ 
formaient des projets contre-révolutionnaires et 
faisaient partie d'un comité semblable . Le journaliste 
invoqua le témoignage de trois membres de FAs- 

U. I I 



102 MÉMOIRES DE WEfiER. 

semblée législative y desquels il prétendit avoir reçu 
les renseignemens qu'il avait publiés dans sa feuille : 
ces trois législateurs étaient précisément les plus 
adiamés des démagogues de l'Assemblée : Cliabot y 
Bazire et Merlin. Ils furent sommés de comparaître 
devant le magistrat^ afin de donner leurs dépositions. 
L'Assemblée regarda leur assignation comme un 
affront fait à sa dignité ; son courroux s'allumant par 
degrés^ eUe se constitua pendant huit jours en état 
de permanence , ce qui était une manière d'indiquer 
un grand danger pour la chose publique. Dans cet 
espace de temps le juge de paix fut envoyé à la haute 
cour , pour y être jugé comme criniinel d'Ëtat ; la 
garde constitutionnelle fut licenciée , et son ver- 
tueux et loyal chef, envoyé lui-même aux pnsons 
d'Orléans , d'où il ne sortit que pour recevoir 
la mort. Enfin, la malheureuse princesse de Lam- 
balle , dont il n'aurait peut-être été jamais question 
sans cette imprudence, fut, depuis ce temps, en btttte 
atix dénonciations des ennemis de la cour , et finit 
par être mise en pièces. Triste fruit d'une levée de 
boucliers sans motif raisonnable , et dont on ne 
pouvait espérer aucun résultat utile. 

Ainsi fut cassée criminellement la dernière garde 
du roi; celle qui avait remplacé les bataillons sa* 
crés des intrépides défenseurs du trône, et qui était 
empreinte, en dépit des factieux , de cet es[Mit de 
royialisme qui restait la pensée, lé sentiment, et, 
pour ainsi dire, le culte de la France . Elle fut comme 



CHAPITRE V. l63 

le dernier rempart eu état de défendre ce trône qui 
sembla enfin n'avoir plus d'appui. 

Il n'entre pas dans le plan de ces Mémoires de 
raconter avec détail tous les éyénemens qui prépa- 
rèrent les derniers crimes par une rapide et sjstf- 
matique dégradation des dernières ombres de la ma* 
jesté royale. Le trône constitutionnel avait bien 
moins été laissé au malheureux monarque comme 
un honneur^ que comme un péril et un piège où les( 
fureurs de ses ennemis voulaient le faire périr avec 
son auguste famille. Ils ne cessèrent pendant huit 
mois de travailler à l'avilir et à l'ébranler ^ pour le 
livrer enfin au i o août ^ sans défenseurs et sans ap- 
pui, aux assauts des scélérats accourus de toutes les 
extrémités de la France. 

Les angoisses et les insultes se succèdent rapi«- 
dément. Le roi et la reine ont la douleur de voir 
naître ces troubles terribles de laVendée où le roya- 
lisme y la fidélité et l'attadiement au trône et à l'autel 
commencent à être trsutés de crime y et le nom 
même du prince placé en tête de proclamations qui 
menacent de punir les vertus transformées en forfaits • 
Ik voient les factieux de la première Assemblée, qui 
avaient au moins du talent l'insuffisante gloire y ren>- 
placés par une majorité d'hommes sans esprit, sans 
mœurs , sans décence , sans éducation, et qui joi-* 
gnaient les formes de la grossièreté aux intentions 
de la haine. Le roi et la reine sont forcés de blâmer 
ceux qtie l'attachement à leur cause a poussés loin 
delà France à la suite des princes. Les insurrections 



II* 



l64 MÉMOIRES DE WEBER. 

m 

se multiplient^ les arrestations nombreuses peuplent 
les prisons de royalistes; Louis XVI voit. les biens 
de ses augustes frères confisqués^ les têtes de ses plus 
fidèles partisans mises à prix par des lois^ par des actes 
rendus en son nom ; il voit partout cette liberté des 
cultes, proclamée avec tant d'emphase et dTiypo- 
crisie y réduite dans la pratique à la persécution des 
prêtres et des fidèles qui restaient en communion 
avec Rome ; on fait au plus religieux des princes 
un crime de ne pas éloigner de son auguste personne 
ceux qu'il a préférés pour ministres de son culte et 
dépositaires des secrets de sa conscience; ce droit 
dérisoire du veto , ce dernier simulacre dé l'autoritc 
monarchique n'est plus, dès que le prince l'exerce, 
qu'une preuve de son esclavage et de l'impuissance 
des lois qui lui en confient l'usage ; des actes d'ac- 
cusation sans motifs et même sans prétextes , en- 
gloutissent dans les cachots d'Orléans les infortunées 
victimes du royalisme , qui n'en sortaient que pour 
être riiassacrées. La reine, au milieu de ce cruel 
hiver où tout annonçait l'approche des dernières 
tempêtes et des derniers bouleversemens , toujours 
héroïquement dévouée à ses devoirs, imite constam- 
ment son auguste époux , et accomplit, de concert 
avec lui , cette résolution si magnanime d'ôter aux 
crimes toute excuse et tout prétexte par toutes les 
p;récautions de la sagesse. Elle parait une fois à l'O- 
péra , dans cette.même loge où elle avait si. souvent 
reçu l'hommage et ces adorations de la France dont 
elle n'a pas un moment cessé d'être digne, et, comme 



CHAPITBE V. l65 

si ses ennemis avaient un jour oublié le soin de coiv 
rompre et de dépraver Topinion , l'illustre princesse 
retrouve ces signes de l'amour imiversel auquel elle 
n'était plus accoutumée , et revient dire à son époux^ 
au milieu dé l'émotion de la plus vive sensibilité ^ 
qu'elle a été applaudie comme iljr a dix ans. La co- 
lonie de Saint-Domingue , dévastée par les Nègres , 
envoie une députation de ses habitans solliciter 
des secours auprès du roi; elle se rend un instant 
auprès de Marie- Antoinette , et son président lui 
adresse ce peu de mots remarquables : (c Madame^ 
dans un grand malheur ^ nous avons besoin d'un 
grand exemple; nous venons chercher celui du 
courage auprès de Votre Majesté. » 

Mais tout-à-coup des hurlemens de fureur et de 
rage s'élèvent de toutes parts pour arracher la sanc- 
tion royale en faveur de deux lois de sang ; l'une 
contre les émigrés et les prêtres ; l'autre pour un 
rassemblement de vingt mille bandits que la faction 
veut avoir sous sa main campés près Paris ^ afin 
d'intimider , de corrompre ou même de combattre 
la garde nationale qui montrait un excellent esprit. 
On veut rendre Louis XVI le bourreau de ses ser- 
viteurs^ de ses défenseurs les plus fidèles; mais on 
trouve dans son invincible résistance le religieux 
héroïsme du digne fils de saint Louis. 

Le conseil mênàe du prince est souillé par la pré- 
sence de ministres choisis parmi les brigands ( i ) ; et 

(i) V7eber s'exprime souvent avec toute Tinjustice et tout Vaveu- 
glement de la passion : la dénomination de brigands en est une 



l66 MÉMOIRES DE WEBER. 

qui n'en sortent , après avoir insulté sa bonté et fci-* 
tigué sa patience , que pour le dénoncer aux scé- 
lérats par toutes les révélations de la calomnie et 
pour le montrer aux poignards. Le sobriquet plat 
et injurieux de I^éto est répété avec un redouble- 
ment d'acharnement dans les journaux, inscrit sur 
les murailles , répété sous les ifenêtres de la reine ; 
d'infâmes galériens sont rappelés du bagne , conduits 
en triomphe dans les rues de Paris , et admis aux 
honneurs de la séance du corps législatif; un mas^ 
sacre Jiorrible est commis dans Avignon; les corps 
des victimes sont jetés et murés dans une glacière. 
Cependant la voix de leur sang perce cette voûte et 
demande vengeance à l'Assemblée , et l'Assemblée, 
qui le croira ! non-seulement amnistie les assassins, 
mais encore les invite à se rendre auprès d'elle, 
les reçoit dans son sein , et les appelle la prosddence 
du midi (i). Louis XVI est forcé de déclarer la 
guerre au sang de son beau-frère , à l'auguste fils 
du sage Léopold. Marie- Antoinette a la douleur 

preuve dans cette circonstance , oii ceux dont il veut parler sont 
Roland^ Oavières^ et le général Dumottriez. {Note des noup. édii.) 

(i) Les scènes affreuses dont Avignon fVit le théâtre , ont un ca- 
ractène particulier qui les distingue des autres scènes de la révolu- 
tion par la réunion du ^natisme religieux et politique. H est donc 
nécessaire d'y jeter un coup-d'œil^ c'est ce que nous faisons dans 
les éclaircissemens ( note F ) ; mais il importe de remarquer en 
passant que ViTeber n*est pas exact. «Le décret du 19 mars 1793 por- 
» tait amnistie pour tous les crimes et délits relatifs à la révolution, 
» commis dans la ville d'Avignon et le comtat Yenaissin jusqu'à 
» l'époque du 8 novembre ,1791 , date delà promulgation du dé- 
» crel de réunion de ces pays à l'empire français, du i4 septembre 



CHAPITRE V. 167 

d'apprendre y presque dans le même mois, la mort 
de son frère, celle de cette auguste victime de l'a-* 
mour conjugal , Marie-Louise 5 qui suivit bientôt 
son ëpoux au tombeau ; la déclaration de guerre à 
son neveu , et l'assassinat de ce héros du Nord qui 
lui avait promis d'être son chevalier , et qui périt 
victime du régicide , au moment où il se préparaît 
à venger la cause des rois (i). 

Les furies ont secoué leurs torches, et nous 
alloîas voir se lever le jour afiîreux du 20 ^mik* 

Pour mieux représenter cette journée , je la ré- 
prendrai d'unpeuloin, en résmnant les circonstances 
qtii l'amenèrent. 

Insurrection du 20 juin ijg2. 

Pour ne pas scandaliser les âmes honnêtes , je ne 
me permettrai pas de citer toutes. les espèces de 
libelles «t de caricatures que les jacobins et leurs 
affidés firent pleuvoir à cette époque sur la famille 

I I I > I ■ I I I ■ W^— ^ — Il I 

» même année.» Amnistier les crimes ce n'était pas les approuyer, 
et les expressions dont on s'est servi prouvent qu'on avait une es- 
pèce de pudeur. De plus , lliistorien aurait dû dire que, le 18 août 
suivant , M.deVaublanc parla avec énergie contre ce décret, dont 
il provoqua le rapport. (Noie des nçiw. édU.) 

(i) S. M. l'empereur Léopold mourut au commencement <ia 
mois de mars 179a; le 39 du même mois, Gustave III, roi de 
Suède , fut assassiné par Ankastroom ; le ao avril la guerre fut 
déclarée au roi de Bohème et de Hongrie , et qudc[ue temps après 
mourut r.impératrice Marie- Louise, veuve >de Léopdid I. 



z68 MÉMOIRES DE WEBER. « 

royale. La décence exige que je passe aussi sous 
silence les déclamations de leurs orateurs dans les 
lieux publics y pour animer de plus en plus la po* 
pulace contre la cour. Je me bornerai seulement à 
exposer les moyens qu'ils employèrent pour faire 
naître une nouvelle insurrection qui devait les 
conduire au but qu'ils s'étaient proposé depuis le 
commencement de la révolution, c'est-à-dire au 
massacre de la famille royale dans une émeute. 

L'Assemblée nationale , les jacobins qt la muni- 
cipalité firent publier, de concert , dans les jour- 
naux démocratiques , différentes lettres , pour pen- 
suader à toutes les puissances que le roi constitu- 
tionnel jouissait de toute sa liberté. 

Louis XVI , pour ne pas exposer sa famille et 
les gens de bien à de nouveaux outrages , se vît 
forcé de signer l'espèce de proclamation qu'on lui 
présenta sur cette prétendue liberté. Chaque ligne 
de cette déclaration était démentie par le fait. Peu 
de temps après. Sa Majesté fut également contrainte 
de sanctionner le décret qui ordonnait aux ecclé- 
siastiques de prêter un serment contraire à la dis- 
cipline et aux lois de l'Eglise , ou de quitter le 
' royaume. 

Le roi s'y était long-temps refusé; mais pour l'y 
déterminer, les jacobins eurent recours à leurs 
moyens ordinaires, les ^ttroupemens sous les fe- 
nêtres du château des Tuileries. Les soudoyés y 
venaient crier « qu'ils se livreraient à tous les excès 
» contre les prêtres , si le roi refusait plus long- 



CHAPITRE Y. 169 

)) temps de sanctionner le décret sur la constitution 
)) civile du clergé ; ils ajoutaient que la cour ne se- 
n rait jamais en sûreté tant qu elle ne bannirait pas 
f) les prêtres réfractaires, » 

Moins touché des injures et des menaces d*une 
populace sans frein , qu efirayé du danger d*exposer 
le clergé à un massacre général ^ le roi sanctionna 
le décret , mais il garda les prêtres de sa maison pour 
le service d'instruction et pour le sersâce divin (i). 

On fit un crime à Sa Maj^esté de cet acte de piété 
et de justice , et les satellites de la faction firent 
tant, qu'ils forcèrent Louis XVI de renvoyer les 
ecclésiastiques attachés à la cour. 

Le plan des factieux tendait évidemment à effacer 
tout sentiment de religion , d'obéissance et de res- 
pect dans l'esprit du peuple , pour le conduire au 
régicide, seul but de leurc manœuvres. 

Peu satisfaits de ces premiers succès , ou plutôt 
enhardis par la facilité de réussir dans leurs entre- 
prises , les jacobins forcèrent le roi de déclarer la 
guerre à l'empereur. 

Ce fut d'une voix entrecoupée , et les larmes aux 
yeux , que ce bon prince démontra l'injustice et 
les dangers de cette guerre ; mais il eut beau re- 
présenter qu'elle ne pouvait avoir que des suites 
funestes pour le peuple qu'il aimait toujours, malgré 
son égarement , il fallut céder et signer, parce que 

(1) Les Mémoires de Dumouriez offriront des détails fort curieux 
sar les circonstances et sur les résultats du refus que fit le roi de 
sanctionner le décret relatif au clergé. {Note des noup. édii,) 




170 MÉMOIRES DE WKBER. 

les jacobins l'avaient ainsi résolu. Us avaient eu k 
précaution de placer leurs créatures ( i ) dans les 
emplois ministériels y pour 6ter toute ressource an 
roi ; quelque temps après^ ce monarque infortuné 
fiit forcé de sanctionner un décret de proscription 
contre les émigrés et contre les princes ses frères, 
r Qu'cm se représente la douleur de ce prince , 
koonête homme , bon mari^ bon père^ bon parent, 
excellent ami^ lorsqu'il se vit contraint de signer le 
décret qui punissait de mort et se$ fr^es et tous 
ces gentilshommes si fidèles , qui n'avaient aban- 
donné leurs familles et leur fortune que pour tenter 
de briser ses fers! 

■" . La guerre ayant commencé à cette époque y il 
ne resta à ce souverain d'autre moyen que d'ap- 
prouver les résolutions de ses ministres, seuls res- 
ponsables, dfaprès les lois de la constitution. 
. Malgré ces sacrifices, les jacobins continuaient 
de déclamer contre lui ; ils l'accusaient d'être d'in- 
telligence avec les puissances étrangères; et chaque 
fois que l'année française essuyait quelque échec, 
ils HB'eifiËbrçaienl de prouver que ce prince trahissait 
la patrie ; lui qui ne pouvait articuler une phrase , 



..{.«^ 



(1) ^Roland , Servân et Clavières. Ce dernier signala son entrée 
kû^^RiJai^tèFe desIF^ianees par le i«aToi des adminîs^trateurs ^éoé- 
isatixde^ postes, etpax c^hî de tous les employés qu'il soupçon- 
nait d'être attiichës a la famille royale *. W. 

* Goimiltez 0ur QaTiôres les Mémoires de madame Roland, T> i ; la 
Théorie ^e Himpôt de M. Henoet , et la Biographie «jÛTeittelLe, oaCSa- 
▼ièreç est )u^ moina sévèrement. {JYote des nouu. édU.) 



CHAPITRE V. 171 

ni écrire une iigae sans qu'elles ne fussent' connues 
et rendues publiques. 

Telle fut constamment la a>nduite des jacobins, 
pour ctouflfer tout sentiment de respect et d'atta«i- 
chement dans le cœur des sujets restes fidèles ; par 
ce manège , ils achevèrent de corrompre le peuple, 
qui jusqu'alors ne s'était permis que des extrava- 
gances envers le roi et sa famille , et qui , enfin 
rendu furieux par ces machinations infernales ^ se 
livra aux plus grandes cruautés. 

Une fois sûr de la multitude , le club des jaco- 
bins ne fit plus mystère de ses vues scélérates, et il 
déclama hautement , dans sa frénésie , qu'il evct*- 
{doterait tous les moyens imaginables pour dé^ 
trôner, faire assassiner ou empoisoimer tous les 
rois , et Louis XVI fut désigné pour la première 
victime. 

Une multitude innomlnraMe de tout sexe et de 
tout âge , armée de piques et de fusils , sortie en 
plus grande partie du faubourg Saint-Antoine , se 
porta à l'Assemblée nationale, et cria : « La patrie 
» est en danger ; le roi n'a pas voulu sanctionner 
» les décrets qui ordonnent l'exportation des prêtres 
» non sermentés, et le camp de vingt mille hommes 
» autour de Paris : il faut faire couler du sang. » 

L'Assemblée nationale , dont la majorité était 
complice des jacobins^ envoya , pour la forme, ua 
ordre au maire de {Rendre les mesures que lescixv- 
constances exigeraient; elle savait que ce jbui^là 
^n 'Célébrait à dessein une fête nationale à Ver^- 



1J2 MÉMOIRES DE WEBER. 

sailles y afin dé donner un prétexte à rabsencé de 
Pétion , et que par conséquent celuî-ci ne pouvait 
se porter dans les faubourgs. Elle ne fît aucune 
autre démarche pour détourner ou arrêter les sédi- 
tieux qui, ayant pris Santerre pour chef, se mirent 
en marche y déclarant , à leur sortie de la salle du 
manège y qu'ils allaient attaquer l'asile du roi. • 

La garde nationale non soldée y avertie de leur 
projet, avait eu la précaution de fermer lés portes 
des cours du château, et le roi, sachant que lahorde 
en voulait à tout le service de la famille royale , 
ordonna aux personnes qui le composaient et qui 
s'étaient réunies pour partager ses dangers , de se 
retirer. Il les fit conduire, six à six, à toutes les 
portes, par les huissiers de sa chambre , avec ordre 
aux suisses-portiers de les laisser sortir. 

Cependant le rassemblement qui avait été grossi 
dans sa marche de tous les brigands de chaque 
qiîartier de la ville, s'avançait vers les Tuileries , 
précédé d'une députation à écharpe tricolore, pour 
se faire ouvrir par ruse les portes qu'il craignait 
ne pouvoir emporter de vive force. 

Dès que lés portes s'ouvrirent, les factieux se 
précipitèrent en même temps dans les cours > sur 
les escaliers et dans les appartemens ; la salle des 
gardes fut investie : les assassins se jetèrent sur les 
portes de l'intérieur, que les valets de pied avaient 
fermées aux verroux. Toutes, jusqu'à celle de l'antî^ 
chambre du roi , furent enfoncées à coups de haches 
et de piques , et la famille royale aurait été cer^ 



CHAPITRE V. iy5 

tainement perdue y sans la présence d'esprit d'Aclo- 
que y commandant le bataillon du faubourg Saint-» 
Marceau y de Joly et CauoUe y canonuiers de la 
garde nationale non soldée de la section des Filles- 
Saint-Thomas y et surtout des bl^ves grenadiers de 
cette section^ qui, s'étant doutés du projet des assas- 
sins, eurent la précaution de se tenir dans la der- 
nière pièce. 

Le maréchal de Mouchy, le sieur Septeuil ,. pre< 
mier valet de chambre du roi, receveur général 
des finances , trésorier de la liste civile , et Gentil, 
premier valet de garde-robe du roi et de mon^^ 
seigneur le dauphin, ayant fait part à Sa Majesté 
de ce qui se passait dans Tantichambre, le roi sortit 
sur-le-champ , et alla dans cette pièce où se te- 
naient quelques oi&ciers et grenadiers. des Filles* 
Saint-Thomas. 

Le calme dans le cœur, seul bien d'une vie irré- 
prochable, ce prince, en arrivant, vit enfoncer un 
panneau de porte d'un coup de pique qui faillit le 
blesser; voyant tomber, à coups de. haches, un 
second panneau à ses pieds, il ordonna tranépiille- 
ment d'ouvrir, et alla au-devant des rebelles, en 
disant : « Que me voulez-vous? Je suis votre roi.» 

L'apparition subite de la divinité , environnée de 
foudres et d'éclairs, n'aurait pas fait plus d'imprefir 
sien sur cette foule de brigands qu'en prodtiisit la 
présence du roi , seul , sans gardes et sans suite. 

'Ces hommes armés parurent comme pétrifiés ; 
plusieurs reculèrent d'étonnement, et il régna peu-: 



1*^4 MÉMQIKBS 0E WEBER. 

dant quelque temps un profond silence , tant la. sé^ 
Fenitë et la vertu du roi leur avaient imposé ! 
. Quelques raconens après^ le tumulte recommença^ 
et l'on entendit y de tous,c6tÀ> les cris de 
u La sanction ou la mort; 

- » Lie camp autour de Paris } 

» Chassez les prêtres ^ chasses les aristoarates. » 
On vit en même temps un brigand en unifcmu^ 
de la garde nationale soldée du faubourg Saint- 
Antoine ^ s'avancer pour porter un coup de baïon- 
nette au roi , mais là Providence permit que Joly 
foafidk comme un éclair sur ce forcené et le teirasr 
sât; au même instant^ un second leva sa pique, et 
en allait percer le roi ; le nommé CanoUe eut le 
bonheur de détourner le coup mortel. 

- iinfîn , le brave Acloque et les grenadiers de la 
section des Filles-Saint-Thomas, saisirent avec rar 
pidité le moment ^entourer le roi, et l'éloignèrent 
un peu des assaillans. 

V Ils le supplièrent de monter sur mie banquette 
près d'une croisée, et ayant mis une table trè&-large 
devant lui, ils sie rangèrent autour, sur trois hommes 
de hauteur, afin de rendre impossibles, par cette 
distasice, les attentats des gens à piques. 

- Le maréchal de jMbuchy se tint constanunent 
derrière le roi , pour prévenir 1^ daagf rs qui la 
menaçaient du côté de la cour. 

D autres grenadiers, apercevant madame £lisa- 
betik, se rangèrent pour la laisser approcher. Cette 
porincesse, qui versiait un torrent de larmes, de- 



CHAPITRE Y. 175 

mandait à toutes les personnes qu elle jugeait hon- 
nêtes des secours y non pour elle y mais pour le 
roi : eu arrivant à lui , elle le serra dans ses bras 
en sanglottant y et L'assura « qu elle ne voulait pas 
» lui survivre un instant j » niais cette vile popu** 
lace^ excitée encore par son commandant Santerre^ 
ne fit aucune attention à la douleur profonde de 
cette princesse > et l'insulta sans ménagement ^ 
croyant que c'était la reine. Ce fut en ce moment 
qu'un furieux voulut la frapper y en s'écriant :> 
« Voici l'Autrichienne qu'il faut tuer. » Un officier 
de la garde se hâta de la nommer. « Pourquoi, lui 
» dit madame Elisabeth y ne pas leur laisser croire 
» que je suis la reine y vous auriez peut-^tre évité 
>i un -pkus grand crime. » 

J'ai à peine le courage d'achever ce triste récit : 
les rebelles mirent le comble à leurs outrages en 
forçant Loiiîs XVI à se couvrir du bonnet des ja^ 
cobins, qu'ils lui présentèrent au bout d'une 
pique. 

Pendant ce tenips, l'auguste fille de Marie-Thé- 
rèse n'avait pas des momens moins cruels à passer; 
et y sans les tendres soins du roi et le secours des 
grenadiers des Pilles-Saint-Thomas, elle aurait été 
la victime de cette populace effrénée qui denriaur 
dait sa tête avec -mille imprécations. 

Tranblante pour les jours de son époux, elle 
chercha d'abord à se rendre auprès de lui ; mais la 
communication était interceptée par les factieux. 
La reine s^enferme avec madame la princesse de 



176 MÉMOIRES DE WEBER. 

Lamballe, madame la duchesse de Luynes et le 
duc de Choiseul^ qui restèrent avec elle daùs la 
chambre de monseigneur le dauphin y et ne la 
quittèrent pas pendant tout le temps que durèrent 
ces scènes affreuses. 

Aubier ( i) et Pannelier (2), se trouvant en ùiéme 
temps auprès de Sa Majesté, la conjurèrent aussi 
de. ne pas s'exposer inutilement à une mort cer- 
taine y puisqu'elle ne pouvait traverser les appar» 
temens qu'au milieu des assassins. 

(1) Aubier de la MontîUe , gentilhomme servant du roi , et très* 
considère de LL. M.H. Il était de Clermont en Auvergne; cette 
province a fourni a Tarmce des princes une foule de militaires de 
toutes tes armes, et entre autres pUis de trois cents gentilhommes, 
montés, armés et équipés à leurs dépens, qui ont fait la' campagne 
de 179a *. W. 

(a) Administrateur de la forêt de Compiègne. Son costume de 
garde national de cette ville le fit respecter des brigands. Il eut 
le bonheur, dans ces momens critiques, de faire beaucoup de rap- 
ports à la reine, et de lui rendre, ainsi qu'à monseigneur le dau- 
phin y différens services. W. 

^ Fmmanucl D'Aubier, dont Webcr parle dans oelte note, était 
gentilhomme ordinaire de Louis XVI. C'est un de ceux qui montrèrent 
pour défendre le malheureux prince le jilus de courage et d'énergie. II 
•uivit la famille royale au ro août, et tout le temps qu''elle resta àata 
Tcnccinte de l'Assemblée il coudia dans raotichambre. £n se séparant 
du roi, il offrit A ce prince tout ce qu'il posse'd«iiteii numéraire , et partit 
pour TAllemagoe. A Tapproche du jugement de Louis XVI , il adi^ssa 
à l'envoyé diplomatique de France à La Haye une demande pour être 
reçu comme prisonnier , et conduit é la Convention afin de déposer so- 
lennellement dansje procès. Il eut recours ensuite , pour le m^me objet, 
à M. de Malesherbes qui l'engagea à ne pas s'exposer. Frédéric Guil- 
laume , pour le récompenser de son dévouement, le fit chambellan. 
S. M. Louis XVUI l'a réintégré dans la place de gentilhomme ordinaire. 

( IVote des noup. édU. ) 



CHAPITRE V» 177 

Maigre ces raisons > la reine insistait. « Quat-j^ 
» à craindre , disait-elle , d'être tuée ! Autant vaut 
)i aujourd'hui que demain I Que peuvent-ils faire 
« de plus ? Laissez-moi me rendre auprès du roi j 
a c'est là ma place; mon devoir m'y appelle; et 
)) s'il faut que je périsse ^ c'est à côté de lui ^ c'est 
)» à ses pieds que je veux expirer ! » Mais au même 
instant elle fut entourée par les grenadiers des 
FiUes-Saint-Thomas que le roi avait envoyés à son 
secours et à celui de ses enfans. 

Pendant que ces scènes se passaient ^ une parties 
des séditieux, mécontens d'avoir cherché inutile^- 
ment des victimes ^ se portaient dans tous les coioA 
des appartemens du château pour trouver . la 
reine. 

N'ayant pu découvrir cette princesse , et ne sa^- 
chant pas que la demeure de Sa Majesté était au 
rez-de-chaussée^ ils arrivèrent à l'appartement de 
monseigneur le dauphin^ dont ils brisèrent les 
portes, à coups de haches^ croyant j trouver son 
auguste mère. 

Elle iétait parvenue , dans l'intervalle , à se retirer 
avec ses enfaus, sous l'escorte des grenadiers y dans 
les appartemens du roi, où les brigands la forcè- 
rent aussi de recevoir la cocarde nationale que des 
poissardes lui présentèrent. 

Que Marie-Antoinette fut magnanime dans ce 

moment d'horreur! Quoique accablée de douleur, 

la grandeur de son ame lui donna la force de parler 

avec calme à tout ce qui l'entourait , de ne penser 

ti. 1 ^ 



t*j9 MÉMoiKEs ns >nCBBR. 

^'à-sés enfans , de ne s'occuper que du scnrt.de son 
jpotbtf et dé ^elui de madame Élisebedi (i)^ cet 
atige dont le ciel leur avait fak piiésèi^t , pour les 
donsolek* dans leiïp malheur ei^me. 

Parmi une foule de tMits^ dis magtaanimrté qui 
Monorèrent à jamais la reine ^ en yoitn un que je 
«e* dois 'plas passer sous le silence^ ^ parce qull peint 
Pâme de cette princesse. 

' Après que la reine eut échappé', comme par mi- 
racle, aux dangers dont elle et le roi furent envi- 
fdnn^ dans cette journée, les officiers dubatlaîllon 
des FîUes-Saînt-Thomas, qui avaient pénétré et 
j^révenu te dessein des conjurés , en* furent si ré- 
t<Àltés^ iqu'fls résoluiteit de tuer Santferre, t^econnu 
chef des assassins, que l'espoir de consommer son 
crime' i*etaiait encore dans l'appartement 'j un des 
officiers^ voulait le percer de son épée, lorsque là 
mme, qui s'aperçut- de son mouvement, l'arrèts 
et demanda grâce pour lui. Retrait de gmndeur 
d'ame émut tellement les assistaus , <|ue plusieurs 
en répandirent des larmes. 

Pour Santerre , plus humilié que touché de cet 
acte' de générosité, il perdit la tête fk untel point, 
que se croyant seul au milieu de mille spectateurs. 



(i) BsnMldg'grai&âès acndétéfr, elle toixraarit ses y«ittvrei^îa^de 
lavm€s:furliveiiiieiit vers le ciel ^ el jpi^naAt et toi^an^ ses maîas^ 
rindignation et le désespoir n'arrachèrent jamais- d'autres expres- 
sions à la piété de sa belle ame que celles , JSo/ué dwine ! Bènié 



CHÀPITRB V. . ï>7g 

il s'écria av^<î Tachent du désespoir , le coup est 
moi^^sûe* Al yilistaiit le seéléri^ -s'esquiva. 

Je trouTe dsâois xass uotes une' relation dçs^évé-» 
neiriens de cette jousnee, écrite par uti autre -Aé-^ 
moin ocKilMfe>; )& GXY)is devoii^ l'ajmrter à ceUie que 
j« rédigeai mbÎHfnême y d'après me& propres obsbr^ 
vations (i). Cette relation est extraite d'une* letti^e 
d'un ancien- membre des états-généraux. £lle ren^^ 
ferme plu^ws- faiâts nouveaux qu'il sera intérés^ 
sant de coniiœdtre. 

. « Depuis plusieurs jours^ une extrême fermai-^ 
» dation y qui était évidemment l'effet dîun oom?^ 
)) plbty annonçait que lés factieux allaient frapper 
n uh' grand coup. La terreur de» jacobins les pôr- 
>) tsât au désespoir et à la fureur. L'expulsion des 
>i trois' ministres ^ leurs favoris; la Ifetti'e de Teîié- 
» crablé (3) Roland^ qui était ime provocation au* 



(1) Cette relation se ressent, au moins autant que celle de We- 
ber, âe Tesprit dans lequel l'une et Tàutre furent rédigées. Quel- 
quefois les deux hi^oricAS ne gardent aucune inesurç , et n'écûu* 
teut alors que leur passion. Aveuglés par elle » ils ne font aucune' 
distinction entre le crime et l'erreur, n'admettent aucune nuance, 
et prodiguent des ëpitb^6s indigneis du style de l'histoire, lûéme 
quand eilçs aéraient mëritëes. 

' (Noie des nouv. édii.) 

. (a) L*odâasi6n de proruTer l'observation faite datis la note pfé- 
cédente ne tarde pas à se présenter. Nous invitons les lecteurs à 
lire, dans les Mémoires de madame Roland, la lettre dont Weber 
parle comme prouoquarU au régicid4. 

(Note dès jiouv. édii.) , 

12* 



l8o M£MOI>£S DB WEBER. 

» régicide, envoyée à tous les départemens; celle 
M de M. de La Fayette, arrivée dans Tîntervalle, et 
n à laquelle, on a attaché une importance que mal- 
» heureusement elle n'avait pas; le projet, annoncé 
M de la part du roi, de refuser sa sanction aux deux 
n décrets sur la déportation des prêtres et sur le 
n camp de vingt mille hommes; la démission de 
A) Dumouriez : tout se combinait poiu* mettre le 
a tràne et le républicanisme en présence, et les for- 
» cer à un combat. Je vins à Paris le 19 (i); j'aUai 
M ^ux Tuileries , et je m'y perdis dans les groupes. 
» Lajettre de M. de La Fayette venait d'être lue 
» à l'Assemblée. J'entendais dire , d'un -côté , il est 
» des^&UÀ fou; de l'autre, c^est un traître: ici, 
» il va venir avec son armée , et je disais . tout 
a bas rplût à Dieu! Là, il va partir pour CoMentz; 
>> des^ femmes décriaient : il a violé les droits de 
» V homme ; des hommes répondaient : // parle en 
» maître n F rassemblée > Le plus grand nombre ce- 
» pendant prétendait que la lettre ji^ était ;pas de 
^ lui y' qu^ il fallait savoir <jui l'avait écrite , et le 
» traiter connue îi le méritait* On arrivait ensuite 
» au roi. J'ai entendu dij^e de ce prince y si probe, 
» si jiumain , que c'était un coquin , un voleur , 
» un assassin. On ne peut répéter ce qui se vomis- 
» sait d'outrages de toutes parts contre la reine. 



(1) C'est le 18, puisque rëTëneniçnt n'est que le so, mer 
erediy et que Tauteur du récit parle du dîner du mardi au Jardin- 
Royal. (Noie des nouu. édU, ) 



CHIPITRB V. ï8t 

» Des injures on passait aux menaces; il fallait ^ 
» disait^-on , créer uh autre pouvoir exécutif. Il 
#) fallait faire un exemple terrible de celui qui, en 
>) ayant été revêtu par la bonté de la nation, en 
» avait fait un abus si coupable. On annonçait le 
w mercredi suivant comme le jour* décisif où le 
» faubourg Saint -Antoine et le faubourg Saint- 
» Marceau auraient raison de la perfidie de cet 
a homme et de cette femme. Tel était Tétat des 
» choses le lundi au soir. 

» Le mardi , les symptômes se multiplièrent 
» avec un caractère plus aggravant encore. Le roi 
« se hâta d'eqvoyer son veto sur les deux décrets , 
» afin que ce fut une chose faite pour le lendemain. 
)) Une partie du bataillon de Saint-Marceau alla 
)» trouver son chef, le comédien Saint-Prix , et le 
» reqi^t de marcher à sa tête pour accompagner 
« avec armes et canons les. citoyens que ceux du 
)> faubourg Saint- Antoine devaient venir chercher 
>ï le lendemain avec leurs armes , leurs canons , leur 
« commandant Santerre , et le projet d'aller tous 
» ensemble présenter une pétition au' roi, et une à 
» l'Assemblée nationale. Saint-Prix répoadit qu'il 
» ne marchait que quand il était requis ; que la 
» loi défendait les attroupemens en armes; et que , 
j) quant aux canon$, il se coucherait dessus, s'en- 
» velopperait du drapeau,, et atteindrait ainsi qu'ils 
» le fusillassent, 

» 11 y eut ce n^nie jour un dîner soleiineliinnç 
» auberge appelée le Jardin^Roycd. Il consistait en 



lS2 MÉMOIRES rm WEBER. 

» quatre a ciaq cenjts couvierts^ les pririeipaux 
» convives étaient Comlorcet , Brissot, Gensonné 
}} et ies trois ministres populaires renvoyés. Les 
» saosrrculottes y reçuBèiil; ( i ) ^u pain , de la via^ade^ 
» du vin y de ^argent et des ordnes pour le lende- 
». niain. On aUa du .dîner à la séance, .du soir de 
» l'Asseinlilée. 

» Un secrétaire £t lecture d'une lettre écrite 
i> aux législateurs par l'armée * marsSeillaise (2) . 
» Voici plusieurs phrases de cette lettre : £.es 
ju hommes du Midi sent armés pour la liberté.... 
» Le jour de la colère dit peuple estanriifé.,... Le 
» peuple est las de parer les coups ^ il veui en por^- 
» ter.... £mplajre;s la force populaire»... Plus de 
» quartier.... Qu un décret nous autorise à mar^ 



(1) Janiais on ne fit à cette époque de semblables distributions ; 
le narrateur est le seul qui en ait parlé. Son témoignage a besoin, 
daQ3 cette^circo|}Sta|ice, 4e<:on$u:7)a9tioiK 

{Note des nouu, édit,) 

(3)Gf ne fiit point une leltre , mais bien un discoui^s qui iut pro- 
noncé à la barre par une députation de Marseillais. Ce discours 
n'est pas assez étendu pour qu*on ne puisse en faire l'insertion 
daiiç une note. Le Toici textuellement: <c La liberté française est en 
p^ril ; l9s gommes lib7:es du Midi ^n^ prêts à Do!irc}ier pour U dé- 
fei^dre ; Je jour de la colère du peuple est en|in arrivé. Ce peuple , 
que l'on a toujours voulu égorger ou combattre , est las de parer 
les coups; il veut en porter, et anéantir les conspirateurs. U est 
temps quele|>ekiple selève.Celion géaéceax ,niais trop4M>uiToacë, 
va sortir de son repos pour s'élancer sur la meute des conspirateurs. 
La force populaire fait votre force; employez-la. Ppdnt de quartier, 
puisque vous n'en avez point à espérer. Le peuple français vous 
demandé un décret qui l'autorise à marcher avec des forces plus 



2) . cher vers ta capitale.... Le peuple u^ii çbsoluw' 
M ment finir la révokuion... Des^eir^Mus ^ pouvez^ 
#) vous Ven\pêcher ? Approbation ^ applaudisse^ 
» «sens foroeiiés, vaines rédan^tioiis du c6te 
M droit; •décaret qui ordonne Tin^essioiî ^ la men«<- 
*> tio4i honorable et l'envoi aux quatre-vingt-trois 
^) départemens^ Le cpté droit prit sa stérile, »evanr 
j» chie , «en couvrant des mêmes applfsmdîssaoaens 
» un arrêté sage et farine j pour lequel le direc-- 
>» t<i^re Am département avertissait les citoyens du 
>) projet des factieux de se porter à de s^o^veaux 
^ attejat^dis .9 et enjoignait au maire 1 à la ^mimicif*- 
^ palité 9 au coaiimajadant-général de prendrjB sans 
» d^M toutes les mesures qui étaient à leur dis-' 
^ position pour empêcher tous rassembUiH&is il^ 
» légaux y et défaire toutes les dispositions de la 
» force publique 9 nécessaires pour contenir et re-*- 
» priM^ les perturbateurs du repos.puèlic. 

» Hier matin, mercredi 20 juin ^^ wi airete s^est 
» trouvé ajQSché partout à la pointai <iu jour. Mais 



I* t I f 



ê 

imposantes que celles q[ue tous ayez dëcrëlëes. Ordonnez, et nous 
marchons avec la capitale sur les frontières. Le peuple veut ab- 
solument Çi^ir une rëvt)lutîon qui doit assurer son bonheur , son 
salut et sa gloire ; U vc!ut vous sauver en se sauvant lui-même : tous 
ne refuserez pas l'autorisation de la loi à cens qui veulent mourir 
pour la défendre. » L'iiiipression de Ce discours, et l'envoi aux 
quatre-Tingt-trois départemens fureht mis anx toîx. lia première 
épreuve fut incertaine , et ce n'est qu'à la seconde qu'ils passèrent, 
ce que l'historien aurait dû faire remarquer. Il semble, d'après son 
récit , que le décret eut une grande majorité. 

( Note des nouu. édit ) 



ll34 MÉMOIRES DE WEBER. 

» rinfàmePëtion et rimbécîlle Romainvilliers na- 
» valent- garde de le mettre à exécution. On s'est 
>» mbcjué du département et les deux faubourgs se 
» sont mis enmarcbe.L'Assetnblée aouvert saséaace 
» par un ballet pantomime que les jeunes garçons 
I) et les jeunes filles de Saint-Denis,, formés en 
» groupe^ fieuris et jolis , suivant l'expression 
j) d'un orateur , sont venus danser devant les légis- 
» lateurs ( i ) . Les groupes fleuris sont invités aux 
« honneurs de la séance. Arrive ensuite le direc- 
n toire du département. Rœderer annonce, au 
» nom de tous ses collègues, que la loi est vio- 
» lée, que les autorités constituées sont mé- 
^) connues , qu'un rassemblement d'hommes ar- 
)) mes a lieu en ce moment , qu'ils marchent vers 
» * l'Assemblée et le château , voulant ajçuyèr une 
w pétition par la force des armes ^2), Le dirtc- 
» toire demande quje la loi reste intacte , et que 
» l'Assemblée n'admette pas dans sa présence des 
» citoyens rebelles. On délibère : M. Vei^niaud 
» s'écrie : Qu'on injurie le peuple en lui supposant 
n de mauvaises intentions^ qu'à la iwrité une loi 



, (1] Si jamais des plaisanteries furent Replacées , c'est particu- 
lièrement dans le récit de cette journée, qui figure au nombre de 
celles 011 la révolution n'eut rien que de hideux. Beaucoup de rela- 
tions furent publiées ,. et toutes sont rem'arquables par beaucoup 
d'exactitude dans les faits ^^ mais aussi par l'esprit de parti qui 
caractérise les réflexions de leurs auteurs. Nous rappoiterons quel- 
ques passages de, ces relations dans la note G. {Noie des nouv. édit. } 
(2) M. Rœderer ,v procure ur-sjndic du département de, Paris , 
a'exprima avec une gran le énergie. 11 termina son discours par 



CHAPITRE V. l85 

» défend de déphjrer Vappareil des armes dans le 

» Sanctuaire de la législation y métis que VAssem-^ 

» blée a déjà tant de fois enfreint cette loi par 

» des contrai^erUionSj sans doute bien excusables y 

M qu'elle peut bien l'enfreindre une fois de plus. 

>) DeS' commissaires de police font dire , qu'ib ne 

n peuvent contenir le peuple attroupé ^ armé y sur 

M le boulevard de V Hôpital. Une lettre de Santerre 

» arrive. Les habitans des fauboui^s Saint-An- 

jj toine (i) célèbrent aujourd'hui l'anniversaire 

yy du jeu de paume ; ils demandent à défiler de- 

>) vant l'Assemblée. M. Raniond demande (fu'ils 

^) soient tenus de déposer leurs armes avant d'en- 

» trer/ Le président annonce que la réunion n'est 

» que de huit mille hommes, et qu'ils demandent à 

» entrer. M. Ramond iùsiste sur le désarmement. 

» On met aux voix s'ils entreront. Un huissier 

» ouvre la barre , ils entrent y des membres se ré- 

M crient; l'huissier dit qu'il a cru le décret rendu.- 

» On le rend en présence des pétitionnaires, et on 



exhorter l'Assemblée i ne pas admettre ces députa lions en masse. 
« Comment' pourrions-nous , lui disait-il , répondre de votre sû- 
» reté, si la loi ne nous en donnait le moyen, ou si le moyeu 
» était affaibli danis nos mains par votre condescendance à recevoir 
y> dans votre sein des multitudes armées? Nous demandons i éire 
» chargé» de tous nos devoirs , à être chargés de toute notre respon- 
y saèilité, Noua demandons que rien ne diminue 1 obligation oii 
» nous sommes de mourir pour le maintien de la tranquillité pu- 
» blique. » [Note des nouu,édit.) 

(i) El Saint-Maroeau (évi^i^mment oublié dans le récit). 

( Note des noup, édU*J 



I<8^ MEMOIRES JiE W^BER. 

» àécf:ète ^'ils ^erojA ^daûsk après qu'ils sont enr 
» tris. Le peuple est prêt à se venger y ^ l^ôra- 
}) tejij^y et si le roi s'écarte de la constitution ^ H 
» n^,est plus rien* On .dçfil^ depuis on^e beurçs 
» |iisqxLa quatre. heiire^ et dexnie, hoaim^e, jEerU'*- 
^j nues ^. ouvrière^ nieadîan^ ^ visages noiircis avec 
» du charbon pour se rendre plus hideuic ^ les uii^ 
)i k moitié ivres , les autres à demi {luds j poiu* 
» armes ^ des piques^^ des fourches , -des faiû^ de^ 
^ broches 9 des tenailles , des crocs y des n^s&ues., 
» des guillotines (i); pour drapeaux des.haiUons^ 
i> des torchons sanglans ^ des . culotte^ (excepta 
» les pelotons de gardes nationales semés parmi eux^ 
^} qui avaient leurs fusils et leuts drapeaux) ; des 
^ fifres p dés tambpurs y des chants y des cris y des 
>i hurlemens y des applaudissemens continuels d^ 
>) l'Assamblée et des tribunes y formaient une mur 
» siquedigAe de cette séance et de ce théafa?c in- 
» fernaj. Enfin ^ M. Sa^teire a fini par ofirir à 
» rAssenibUée ^ au nom des deux faubourgs réunis^ 
» un drapeau; l'Assemblée l'ia accepté, et le pi*é- 
>» sident a invité ces messieurs à respecter la lôî 
i) dans lemrs plaisirs. Voilà pour l'Assemblée ; 
» passons au château. 

» A onze heures, le roi avait ordonné qu'on 
>^ fermât les Tuileries. A midi et demi on est 

O . ■ . 

(i) Une guillotine pour arme est peu facile a concevoir. H est 
probable que si , comme Thistorien le, prétend dans s^n ënumëra- 
tion , lefijneste instrument flgurak lÀ', c'était «orame enseigne et 
comme épOUTàntail. ( JVo/e des nouif. édit. ) 



CHAPITRE V. ï8^ 

» venu de la part du roi owlanner à M. deChamp- 
)i cenetfiB.de faire ouvrir les portes. H ne connaissait 
» pas 4e porteur de ce prétendu ordre ; il n'a pas 
)) imaginé de concevoir 4a înoindre méfiance , et a 
» fait ouvrir les porte$. Entre une heure et deux 
» heures, j^ai passé sur la place de Louis XV; j'ai 
)) vu peu^de monde sur la place; le Pont-Tournant 
» occupé par un fort détachement de la garde na- 
» tionale , du canon braqué ; un bataillon de 
M troupe de ligne rangé près de la statue , et j'ai 
» cru à la tranquillité. Revenant le long du quai> 
» j'ai vu la porte vis-à-vis le Pont-Royal ouverte ; 
» et tout le monde y entrant , je suis descendu de 
» VA>iture et me suis mêlé à la foule , ne doutant 
» pas qu'il n'y eàt là beaucoup d%onnêtes gens 
M prêts à se jeter dans le château pour défendre 
)» les jours du roi, s'ils étaient menacés ; et en effet, 
» j'en ai trouvé un grandnombre. Ils m'ont dit que 
>> le roi avait prié tous ceux qui étaient' chez lui 
» de se retirer, ne voulant pas , disait-il , renou- 
» vêler la scène du 28 février. J'ai demandé à 
» plusieurs, combien ils étaient? ils m'ont répondu, 
xt six à sept cents : il y avait quarante mille ban- 
» dits ! Au reste , à peine entré dans le jardin, je 
» n'ai plus vu l'image du danger. Un triple rang 
>i de gardés nationales , les deux damiers ayant la 
W' baïonnette au bout du fusil, {tordait la tçrrasse, 
tt depuis la porte du Poiit-Royal jusqu'à celle vis- 
» à-vis Saint-Roch. Les bandits défilaient assez pai- 
» siblement.; <|uelques pelotons seulement s'arré-^ 



l88 MÉMOIRJBS DE WEBEA. 

» taient de . temps en temps sous les fenêtres des 
» appartemens royaux y agitant leurs armes et 
» criant : ^ bas veto ! vwe la nathn ! J'ai, entendu 
» un de ceux qui portaient les, armes les plushor-r 
» ribles^ et dont la bonne physionomie contrastait 
w singulièrement avec son costume féroce, dire 
» en voyant les fenêtres du roi fermées ; Mais 
» pourquoi donc ne se montre^t^il pas ?^ De qwn 
» a-t' a peur ce pauvre cher horwne ? Nous ne 
i) voulons pas lui faire du mal. J'ai entendu ré- 
» péter cet ancien propos , on le trompe ; un autre 
>y répliquait i^Mais aussi pourquoi croit^H plutôt six 
h hommes que sept cent quarante-^inq ? On lui a 
» donné un veto , il ne sait pas le gom^emer I Une 
» machine énorme y taillée comfne les tables de la 
>i loi de Moïse , et sur laquelle était écrite en lettres 
» d'or la déclaration des droits de l'homme , était 
n la grande relique de la procession. A côté des 
» femmes qui portaient des sabres et des broches , 
» on yoyait des hommes porter des branches d'oli- 
» vier. Les bonnets rouges étaient\par milliers , et 
M à chaque fusil ou à chaque pique pendait une 
>ï banderollé sur laqueUa on lisait: La constitution 
» pu la mort* Ainsi , chacun portait sa condanina- 
» tion au-dessus de sa tète ! Enfin , après avoir 
}} rodé depuis dev^ heures jusqu'à quatre , n'ayant 
» vu que quelques m^cfaans isolés , qui ne j^farais- 
>y saient pas devoir être craints y et une masse 
» d'hommes faisant une. procession dégoûtante et 
H ridicule, j'ai cru pouvoir aller diner au Luxem- 



CHÀPITRR Y. 189 

à) l)ourg y me promettant de revenir encore au soir; 
^ mais pat curiosité seulement , et sans aucune des 
>) idées qui m'y avaient fait descendre le matin. Je 
» dînai avec un membre de l'Assen^blée nationale^ 
» un des bons qui croyait , ainsi que moi^ la jour-* 
» née à sa fin > lorsqu'on est vanu nous avertir que 
i) l'élite des faubourgs avait tourné les Tuileries ^ 
» s'était présentée à côté duCarrousel, et avait forcé 
)} la porte et le château. J'ai couru aux Tuileries; 
^ voici ce qui s'était passé: du coté du jardin^l'ordre 
» n'avait pas été troublé ; du côté de la cour^ les 
>) officiers municipâuk avaient ordonné à vingt- 
>%. trois gardes nationaux excellens y qui à eux seuls 
>^ contenaient toute la colonne y de laisser passer 
» ce que ces messieurs appelaient les j96^^{Vû>7im}ire5; 
n alors y tou les bandits enragés avaient couru au 
M château^ s'étaient emparés d'une partie des ca- 
» nous des gardes nationales y et l'avaient braquée 
» contre le palais ^ ainsi qi^e celui qu'ils avaient 
M amené avec eux. La garde nationale 9 moitié 
M bonne ;^ moitié mauvaise^ disposée de manière 
}} qu'elle se • serait entretuée si elle -avait voulu 
» tirer,, et d'ailleurs ne recevant ni réquisition du 
» magistrat y ni ordre du commandant y était de- 
n venue spectatrice . Les grenadiers pleurant sur 
» leurs fasik chargés qu'ils niaient pas tirer ; 
>i d'autres indifférens ; plusieurs y et beaucoup trop, 
» prenant la main de tous ces gueitx. Parvenus a 
» la porte de l'appartement , un cri universel avait 
n retenti de ' toutes parts : Enfonçons y enjon^ 



igO MÉMOIRES DE WBBER. 

» çons ! Le premier coup avait été donné par 
)) un garde national eh fadtimi'; un grena- 
» dier ayak arrêté le secotid y en lui* cësant : 
» Malheureux 1 eu déshonores VhabU que tu portes. 
u Oà avait hisoé un . canon démonté de son affîlt , 
>> à fbree'de bras ^dansla- salle desganiesi Le roi^ 
>; après aivoiit exannné de chez $on premiep Talel 
>» de: chambre V M. àe Septeuil^ ce cpii se passait 
>» dana le^ cours y entendant leô coups redouMés 
I» qu'on .dionsiaife à la porte de roeil-Hie-bœuf , s^é- 
j» tait arraché d^atvec la reine y av^ancé vers la porte 
a aiscem'pagâé du maréchal de Mouchy^et avait dît : 
j» Jem'en vcUsà ewc^ à moi cpiatre grenadiers; qù*on 
n om^re. On avait ouvert; un coup de baïonnette 
>» dirigé sur kt porte pour l'enibncer^ allait at-^ 
)»' teindre le mi^ un grenadier l'avait èétouvùé. Le 
» digne Acloque s'était mis aurdevant du roi y en 
>) leur ctriant : Respectez voire ma&re; vous n'ar^ 
>i rismrez k lui qu après ayoir passé, sur mon corps. 
»s Un autre grènailier avait dit au' garde national 
>» ^ui avait porté le premier coup à la porte y et 
>i qui' en. entrant ouvrait la bouche poiu* maudire 
». le rOi : Crie vive, le roi^fmalheureuxl £t le mal^ 
>} heureux avait crié vwe le roi y et ce. cri avait été 
>» répété par les bandits donf la première sensation, 
» en voyait le roi^.avait étéla surprise et le sai^ 
» si^ément* Le maréchal de Mouchy, Acloque, 
» lefr quatjre grenadiers avaient entraîné le roi 
>i d|uas la troisième travée y pour qu'il he put pas 
». être touraé ; là il était monté sur un gradin y leur 



€HAPITRÈ T. t^r 

» dëifàaftdi(nt ce qu'ils Votdaient; enfiti un furibond 
n nommé Legefidte , à'etait avàîicé au mflî^u d urf 
n groupe d'assassins > avait' offert au ror te bonnet 
» rôUge ; un atttrcr lui a?vait présentera boire. Le 
)i roi avait bu et avai< ac<*^té le bonnet' rouge. 
» Voilà où en éHait cet horrible événement lon^rpié 
» je suis entré aux Tuileries, ta grillé du milîieU 
>» était fermée. Unedéputation de rAssenibïée'étkit 
* chefij le vùi y plùsîéuw députés y étaient pbnr ïéur 
» propre' compte. Dumas , ancien majôt* général de 
» là garde nationale sôuâ La Fayette , avait coulru 
w pôurdk-e à T Assemblée : Le roi est dans le plu:^ 
» grand dmûger , insulté^ menticé/ W fie^ peut se 
>» faire entendre ni donner de^ ordres; je Fat i)ù 
» avilir sous un' bonnietf de laine rouge: Plusieurs 
» voix s'étaient écriéés^: Eh bien! Mi Thuriot avait 
» demandé qu'on rappelât à Tbrdi^-^ux qui in- 
» sullaient le peuple* Isiiârd et Vergrriaud criaient 
)) dans Teâ^ appartemens : Rèspeetéz' i>otrt foi cons- 
» titutro7metIJiez-^ou3ràF./éssembtée7iationale . Le 
» peuple criait au roi : vive la nation!' et le roi 
>i répondit par le même cri. Mais lorsqu'on lui 
» demandait la lévoeationidui iii^oet le retour de» 
» ministres renvoyés, il rap|)elâit l'é peuple k la* 
» constitution , professait un attacïiement invio- 
» > lablfe {iour elle y . et répondait toujpurs que ri^si? 
» ne rèmpècherait de se servir, pour le bien delà 
M nation^ du pouvoir qu'elle lui avait confié. La^. 
» députation > arrivée jusqu'au roi , lui a |»?pposé 
» de passer au milieu d'elle dans une chambre où 



A 



ig^ MÉMOIRES DE WEBEH. 

n l'aiSuence serait moins grande ; il y a passe. 
n Depuis ce moment le danger a beaucoup di- 
» mii^uë. De demi-beure en demi*heure 9. les dé- 
>i putations se relevaient auprès de lui. J'en ai vu 
» entrerquatre. Pétion ëtaitarriyëpour jpuirdeson 
^> triomphe. Applaudi' d^ns les cours ^ il avait dit 
» à tous ces misérables ^ , ^u'{7 n^avcdtfait que son 
n devoir; qn^il était bien sensible a leur amitié. 
» Près du roi , il a voulu haraïiguer Sa Majesté y 
» ce qi^i a occasioné une espèce de. tumulte* Un 
>i garde national ^ dit ^lors à ce malheureux prince 
» de ne rien craindre et d être tranquille ( i ) . Tranr 
>\ quille^ a repris le roi y je le suis; quand On a la 
w conscience pure on n'a rien à craindre; et praiant 
h la main du grenadier le plus proche^ il lui a dit 
x en la posant sur son cœur : ^mi, sens s'il bat 
» plus vite qu'à Vordiruiiré ^ et dis si je suis tran-- 
n quille. Ce mot a produit un- effet merveilleux. 

» Les brigands eix pnt été frappés. L'^^^^^b^^^ 

■ ' ■■—■■■ « ..Il I I ■ ■■ Il III I III I 1 1 1 ■ I I I I I ■ 1 1 I 

(1) Ce n'est point un garde national, mais Pëlion lui-m^me, qui, 
sWressant au roi, dit -à ce prince qu'il n*ayait rien à craindre. 
« S n^y a que ceux qui ont quelque chose à se reprocher qui peu- 
» vfent avoir peur,i» répondit Louis XYI; et prenant la main d'un 
grenadier, qu'il plaça sm* son Qoeur : « Dites à cet homme, ajouta- 
» t-4l , s'il bat plus vite qu'à l'ordinaire. » Cette version me paraît 
préférable , quoique le trait soit k même. Le mouvement et la ré- 
ponse du roi on£ quelque chose de sublime, et un' mot suffit pour 
gâter le sublime : nou« ne faisons que rétablir la ^erïion publiée, 
à l'époque même I dans la plupart des relations de cette journée. 
Nous avons supprimé celle de W^ër, qui a dénaturé le fait , ou 
du moins qui , dans son récit', lui ôte de sa simplicité. 

' ( Noie '<ies nouvyédit.) . 



CHAJPITRE V. Iq5 

») Fa. couvert d'applaudisseinens quand il lui a et^ 
M rapporté par la seconde deputatîon ; et ayed le 
)) secours de Santerre dont on a été obligé d'invo- 
M quep la .protection, on est parvenu à faire sortir 
n la foule. 

» Lorsque le roi s'était avancé pour Quvrir les 
» portes , madame Elisabeth, seule de sa famille , 
)) lavait- suivi , et elle était toujours restée à la 
» première travée ; moins effrayée peut-être de 
» cette scène que les autres , parce que dans ce 
» moment le roi lui paraissait un martyr. Ces ti- 
M grès s'étaient attendris malgré eux en la voyant, 
yi et leur fureur était un peu amortie avant d'ar- 
i) river jusqu'au roi^ Pour la reine , sept a huit 
» personnes , parmi lesquelles étaient le vicomte 
)) de Monteil et le duo de Choiseul , l'avaient 
)) environnée, et malgré ^es cris l'avaient entrainée 
» dans la chambre du conseil. On avait mis la ta- 
)) ble en travers. Des gardes nationales faisaient 
» le fer a cheval , depuis les deux extrémités de 
>y cette table jusqu'aux deux portes* 

» Là reine était de l'autre .côté de la table avec 
» ses dames et quelques serviteurs. Elle ne voit 
î) pas son fils , elle le demande. Une femme de 
)) chambre accourt et s'écrie : Af. le dauphin est 
» enlevé. La reine tombe évanouie. Ui^e autre 
i) femme lui ramène son fils et l'homme qui l'a 
» défendu ;. Madame , dit-:elle > voilà l^ homme à 
n qui vous devez le salut de votre Jils. %^ reine lui 
j) exprime sa vive reconnaissance. Les, brigands 

. H. , 1 3 

i 



« dëâlent pfet là chambre 4ti cônsefl ; oto jcfttc uâ 
if) botiviet rotige pour le dauphin. On demandé 
» qu'il soit monté _sur la table ; il y reste pen^ 
» dant une demi-heure ; . il se familiarise avec Ce 
» spectacle et finit par rire en tenant ce vil bonnet 
)) roiige. La reine avait un maintien foïl: digne ; 
» les uns en étaient frappés , les autres restaient 
^ insensibles. Ici , on criait : P^we la reine ! là , 
» on vomissait des horreurs. Les députés de l'As»- 
» semblée , qui étaient auprès d'elle, sont sortis pé*- 
1) nétrés de respect , et plusieun; attendris maigre 
^) eux. Enfin à neuf heures et demie tout a été 
» dissipé. Le roi est rentré chez lui ; la reine e^ 
M venue se Jeter à ses genoux et l'a pressé dans ses 
» bras , non pas en pleurant , mais en criant. 

» Ce matin tout t^aris d'eist trouvé plongé dans la 
D consternation ; rAssâhibléë dans la hoiite , la 
1) garde nationale dans le remords et dans la rage. 
» Le roi a fait venir un juge de paix pour consta*- 
n ter lés traces de la violence , et les vols commis 
» dans le château. On a volé dans les appartemens 
» des meubles et des ferrure? , à un détachement 
<» des gardes nationales soixante-quinze fusils y à 
t) un autre quarante-deux. Le département a fait 
4} ^commencer hier soir une information. M. Pétion, 
)) et uîi autre municipal nommé Sergent , ont été 
>) ce matin hués , menacés , lapidés , dans la <x)ur 
i) du château , par les gardes nàtionak^ et le 
'» peuple. Le département songe à suspendre ou 
» it^me casser là itmnicipàlité ; l'Assemblée à dé- 



CÏÏAPITRB V- 1^5 

» trétë quffttctme troupe armée ne-serarît admise 
» à se présenter à la barre , m à défiler devaiït elle , 
» ^ que les citoyena ne pourraient se réunir en 
1) armes sons prétexte de présenter des pétitions. 
» Merlin ( de Thîon ville ) et Conthon ornt fait les 
» motions de décréter cpi^ le roi ne put apposer 
^ son veto sur les décrets de circonstance : on n'a 
^ seulement pas voulu les entendre. Le roi a éci'ît 
« il l'Assemblée une lettre très-sage et très-cou- 
» rageuse , par laquelle je terminerai ma longue 
» narration. U Assemblée nationale a ééjà con^ 
^i naissance des événemens de la journée d'hier ; 
•» Paris est sans doute dans lacanstemation , et ta 
j» Frimce ne les apprendra pas sans douleur, ^e 
» laisse à la prudence de V Assemblée à maintenir 
» la constitution ^t la liberté individuelle du re^ 
» présentant •héréditaire du peuple. 

» P. S. J'ouMie de rôtè dire que )e suis allé 
•j* bier au soir à l'Assemblée , entendre le rapport 
» de Pétion. Il a suî^ssé tou*e expression pour 
^) Faizdace et La bé^ise. Il ose commettre des cri- 
i> ^mes ^mais il n'a pas^assez d'esprit pour les pallier, 
ao il avait «dît arux brigands dans les appàrtemens : 
» Amis et'amies^ citoyens et cilojrennes y fmissez 
« la fournée tiuec autant de cnlme comme votis 
m r.oi^ez commencée, f^ous i>ous ^es montrés û ta 
3) baùteut de la liberté , faites Comme moi* et alkz 
^ i) vous fcoucher^ » 

L'année témoigna son 'mécontenteteeïit y La 

Ftt)rette <0sa^'ea séparer et venir à Paris- La guerre 

i3* 



iq6 hémoibbs ob w^ber. 

se poussait assez nipllement aux frontières > pouf 
que l'absence du général ne dérangeât rien aux 
opérations insignifiantes qui s'y faisaient , depuis 
les échauflFourées honteuses de Toumay et de Mons. 
Lorsqu'il arriva à Paris , les grenadiers de la garde 
nationale vinrent encore entourer leur ancien chef, 
et lui firent une garde d'honneur à son hôtel. Il se 
présenta à, la barre de l'Assemblée. Il y dénonça 
les jacobins , il s'en déclara l'ennemi , il les menaça 
de la vengeance de l'armée. Les jacobins ,. à leur 
tour , l'accusèji'ent d'être l'auteur des ms^^sacres du 
Qiamp-de-Mars , de calomnier l'armée , d'être 
membre du comité autrichien qui donnait des con- 
seils secrets à la cour , de s'entendre avec la reine 
pour livrer la France aux ennemis. Le lendemain 
de son arrivée , on avait annoncé une revue de 
toute la garde nationale parisienne , aUx Œamps- 
Elyséeç , par ce général des constitutionnels ; mais 
il ne s'y rassembla qu'un petit nombre des batail- 
lons. La cabale , qui avait imaginé d'appeler M. de 
La Fayette à Paris , désirait que là cour parut à 
cette revue ; ma;s le roi méprisant les petits moyens 
de cette cabale., et voyant que rien n'était ni assez 
prêt , ni assez fortement combiné pour un mou- 
vement véritablement grand et utile , refusa de se 
prêter aune démonstration dangereuse. La Fayette 
se sauva le surlendemain à son armée. Un jour de 
plus à Paris ^ sa personne n'y eût pas^été en suinté yé 
tant les jacobins et la faction d'Orléans mirent 
d'activité et d'audace ds^ns leurs manœuvres , soit 



CHAPITRE V. 197 

dans l'Assemblée , soit dans les clubs , soit dans 
les faubourgs. Son effigie fut brûlée au Palais-Royal 
le lendemain de son départ. 

Le directoire du département de Paris , tout 
composé de partisans de La Fayette , à la tête de 
qui se trouvait alors le malheureux duc de La Ro- 
chefoucauld , honnête homme , à petites vues ( i ) ; 
ne pensant pas très-juste , et parlant plus mal en- 
core qu'il ne pensait ; le directoire prit un arrêté 
solennel qui suspendait le maire Pétion de ses 
fonctions. Le roi confirma cet arrêté quelques jours 
après. L'Assemblée législative leva cette suspension 
du département confirmée par le roi , la veiB 
même du jour de la fédération. Quelques jours au- 
paravant , elle avait licencié l'état-major de la 
garde nationale de Paris et de celle de toutes les 
villes du royaume dont la population excédait cin- 
quante mille âmes. Pendant ce temps tous les bour- 
geois de Paris se portaient en foule chez lesdifférens 
notaires de la capitale ; ils y signèrent , au nom- 
bre de vingt mille , une pétition relative aux évé- 
nemens du 20 juin , qui avait été rédigée par un 



(i) Weber fait voir ici ce que peuvent produire l'aigreur et Tes- 
prit de parti. Le Ion dédaigneux avec lequel il parle de l'un des 
plus verttieux citoyens qui aient honoré la France , est d'autant 
plus révoltant, qu'il écrivait après la mort du duc de La Roclie'- 
foucauld , massacré le 8 septembre 179a ; circonstance qui aurait 
dû le désarmer. Les prisonniers égorgés étaient au nombre de 
cinquante-trois, et La Rochefoucauld fut le quatrième de son nom 
qui périt dans ces détestables journées* {Noie des noup» édiL) 



XgÔ MÉMOIRES JOE YTESEVi. 

eX'ConsIltuaiit nomme Guillaume . La cour ^ Les 
coDStitutiomaiels y les jacobins y. toiis étaient efirajës 
les un§ des autres. Les constitutionnels se ralliaient 
t|int qu'ils pouvaient à la cour ; mais ik avaient 
donné tant de preuves d'hypocrisie , de perfidie , 
d'insolence dans le triomphe , qu'on semblait pré- 
férer de périr plutôt que de contracter des obU-» 
gâtions envei's d'anciens scélérats^ qui ne prenaient 
un masque de loyauté que pour cac^ier leur frayeur, 
car ils n'ont jamais eu un instant de remords. Leur$ 
moyens étaient si faibjies, qu'on s'exposait à toutes 
sortes de dangers en les adoptant. D'ailleurs ^ si 
l'g^ succombait avec eux, on succombait sans gloire) 
s'ils eussent triomphé , le premier usage qu'ils eus-» 
sçnt fait de leur victoire , aurait été de remettre U 

■ 

cour dans les fers , dans la honte , dans la sou^ 
mission^ hun^iiliante où ils l'avaient déjà tenue. Lç 
roi levait chaque jouç les mains au ciel , et se y^^ 
signait k son sort. 

Je fus témoin d'une scène originale qui se pass^ 
vers ce,temp3-là dans le sein de l'Ass/eniblée natio^ 
nale. A la suite d'un discom's qui fut prononcé par 
un évêque constitutionnel , nommé Lamourette y 
on vit soudain le côté droit et le côté gauche de 
l'AssèmWée quitter leure sièges avec précipitation , 
et se jeter dans Jes bras les uns des autres , pouç 
se d(Wï^er le iiîti^er 4e p^iit, d'union et de con^eorde, 
désavouant pewr Fav^uir toute idée de république , 
toute quefrellè , toute itnimôsité politique. Qn fît 
veoir Iç ro| pç^^r être t^ijnjÇMA 4? 'ǧ «ip^çt^ls tof^ 



ÇHAWTBE y, i»99 

ap^. C<^ prinqe eadiorta> en ]^^ pèrq > \es^ législar^ 
^t^ qui v€jQai60t 4? frat^niser ^ de QOAtwu^iF k 
f^e. €<i( 1k>ii^ frères > à donner l'ea^eupirple; de. Vwioft 
^Qttt. $a^ peuple ^ et à secoi¥iler «iosi, Iqs >çqeu^ 
r j^jos ch^ers de son cceujf » Q SiexipA^lsvit V^ir dif t 

iipae dajQ^ Atha^e : 

i 

Enfans, ainsi toujours puissiea^Tous être unis. 

Cependant, ee& frère» si bien vwtb allièrent Aneii 
«e^nkle y buirent copieusement y et vinrent dana 
séstnce du soir reprendre leurs aaoîeuue& places 
;, leurs anci^iwea haines > et ia sçissioa en deYÛ^ 
^core plus ^te entre \e^ jacobina et le$ coos^H 
(tionuels.. 

' V^i^versairer de lia fédération du 1 4 )uillet 1 700 

' ayaitpu être célébré da^s l'année 1791 y paruno 

ti^ pub^iqu;^ y à cause de l'anT^station de la fa-r 

liUe roj'ale el; de ^ détes^tion a^ château dea Tw-r 

^s ,,)à cette i^aUieurei;ise époque* Il fut décrété 

{u'il sellait célébré cette année pour la 9econd^ 

bi^ ^ çt qu'çji;^ JT renouvellerait encore y sur l'autel 

iie, la patrie, les sermens du patriotisme. Maiss^w 

pie^ au^picç^ diSerens se ppeis^ntait cette foisi Vanr 

.^.ûiveifç^re de cette pr^ii»ère fédération qui avaî$ 

:A: ét^a, çn ^79^», $>. gMi> > si enjouée > si iwxnbreusa , 

< ^ t\ ep . géoéir^^l », loijalV ! i'e ministre des afiaiires 

ace- a^Tait mÇn ai3^no^ la n%Eirche de M. le due de 

)}'jc Brunswick et du roi de Prusse , sur la frontière de 

7c France , avec une armée composée de Prussiens , 

/. (T Autrichiens et d'émigrés français • £ci];maAt ea-r 



200 MÉMOIRES DE WEB£|l. 

semble plus dé soîxante-dix mille homm%s. Trois 
jours avant la fédération , on avait décrété <ïii'il y 
Aurait dans Paris une cérémonie lugubre, effrayante, 
où Ton' proclamerait que la patrie était en danger. 
Des pétitionnaires en guenilles , sortis des mêmes 
égoûts que ceux qui avaient vomi les brigands du 
20 juin , s'étaient répandus la veille au soir dans 
toutes les rues de Paris et autour de l'Assemblée 
législative , hurlant avec affectation d'un ton de voix 
sé{>ulcral , les uns viue Pétion ! les auti^es Pétion 
ou la TTiôrt I (i ), d'autres enfin vwe la mort ! et leurs 
vociférations avarient arraché à l'Assemblée la rein- 
tégration du maire dans ses fonctions. Comme ce 
magistrat orgueilleux et vindicatif devait jouer uu 
d^S' principaux rôles à cette fédération , et xjue , 
d'ailleurs , on le savait dévoué à la faction d'Or- 
léans , tous les amis de la famille royale tremblè- 
rent ce jour-là pour la vie du roi et de la reine : 
des placards invitaient les citoyens et le bon peu- 
ple à ne pas sortir le lendemain du Champ-de-^ 
Mars , san§ avoir vengé le sang qu'on y avait ré- 
paôdu le 17 juillet de l'année précédente* ; et l'on 
voyait dans les boutiques des armes qu'une inia^ 
gination féroce s'était plue a inventer , et qui fai- 
saient frémir. Mille avis perfides ou sincè^eé-, par- 
tant d'un zèle inquiet ou d'une rage'atroce , arri- 
vaient au roi et à là reine ; on les prévenait de 



« 1 



(1) La plupart de ces pëtitlonnaîres avaient ces mots écrits avec 
de la craie sur leurs chapeaux. ' W. 



CHAPITRE Y. :iOI 

toutes parts , que ce jour était inaixjué pour Fexé- 
cution des derniers forfaits , et que , du milieu de la 
foule, des assassins s'élanceraient sur leurs personnes 
sacrées, des balles se dirigeraient sur leurs voitures. 
Les gardes-suisses çt quelques bataillons de gardes 
nationales étaient destinés à protéger le cortège de 
la femaille royale contre la bande de Pétion. 

Les grenadiers des différentes sections avaient 
brigué l'honneur d'escorter la voiture du roi ce 
jour-là. Le bataillon des Filles-St. -Thomas fut dé- 
signé le ^3. J'appris cette décision dans la soirée ^^ 
je courus aussitôt pour en informer madame Cam- 
pan , première femme de chambre de la reine. 
Je l'attendais dans un appartement voisin de celui 
àe Sa Majesté, lorsque la reine, ouvrant elle- 
même une porte de l'intérieur , et surprise de me 
voir î J^oiis voilà y Weber^ me dit-elle avec bonté , 
vous cherchez aussi madame Campan ? Je me hâtai 
d'instiniire Sa Majesté de l'objet de ma venue , et 
de lui apprendre que les grenadiers des Filles-*St.- 
Thomas étant destinés à servir le lendemain de 
cortège à la famille royale , j'aurais le bonheur 
d'être de ce nombre. Toudaée de mon dévouement 
et des larmes dont , malgré moi , mes yeux étaient 
alors remplis , la reine, préoccupée aussi sans douté 
des approches çle cette périlleuse journée., et CQUime 
oppressée par son trouble , détourna de moi son 
visage et me {)érrtiit de baisèt sa main. Je ne pré- 
voyais pas alors que le i8 juillet 1792 serait le 



aoa HÉMOI&E» DE WnER. 

dernier jour ou U me sev^t permis^ jtie m^ jettt à 
«9S. pieds. 

Description de ta Fédération de 1 792 . 

te: ^4 i^îll^t F790 ^ ke Gh%ni|>rde^Mara était 
rempti dès quatre heures dui luaJtift (i). Au. lieu da 



■ ^ ■< 11» I I ) I n I » ; ■ 



(i) Les détails donnés par Weber sur cette fédération soft ^ en 
général , conformes à ceux qui ont été publiés dans les relations 
du temps. Mais il est besoin de quelques éclati'cissemens préUmi- 
naires po^r expliquer ce qui se pi^aa le 1^4 juillet 1793. Laauspeioh 
tion tardive de Pétion , prononcée le 6 juillet par le départemen.ta, 
et motivée par le» troubles du ao juin , fut déaoncée ^omme na 
attentat par les sections , et devint une àflEkii*e de salut public. Ma- 
nuel , procureur de la comnaune , destitué pareillement^ vint à. 
lIAsseAiblée redemander son honneur et 9a place, <t Pétion (dit uii 
» auteur contemporain) avait juste assez d'esprit, de talent et de 
9 caractère pour dire ce qu*on lui faisait penser , et faire ce qu'on 
ik lui disait'. Il sut se tenir à sa place, au second rang, instrumevt 
» docile de ceux qui étaient au premier. On Ie> doi^aa à aimer aa| 
» peuple, parce qu'il était beau et bicn-disant. » Sa destitution^ 
iut confirmée le 11 juillet par une proclamation du roi. La veille,, 
tous les ministres , après un compte de leut gestion et de Té ta t de 
UurdépartemeBt, avaient donn^ aimullian/émenA leur ^mission ^ 
^ de^ $uite étaient sortis brusquement de (la salVe-^Un. lon^ sij|^:(|0t 
accueillit cette mesure qui , quoique imprévue , ne Qtpas la sensa* 
ttôn à laquelle on pouvait s'attendre. Le roi resta sans ministres , 
ooAMne aa^ premier i4 juillet. On opposa à leur démission oom* 
^^é des p^ti^ions par lo^ueltes on demand^Mtl^ ^^^ ^^ acct^, 
satipn de La Fayette , et la réintégration du maire Pétion , dont )%. 
suspension venait d*étra approuvée par le roi. Le i5 , TAsseiùblée 
par un décret leva cette suspension. C*étaifc blâmer la conduite du 
département et rapprcèalion doonéo par k prisée. Biais telles 
ijt^v^x^t ^ 4'u» côté ,,rçxaJltaûon, 4c^ ejsjprits,. çtdç, Vai^l^e , la c^aÂ9t% 
et les inquiétudes, que l'on .trouva dans cette mesure de la pru* 
àsaaS, et qu'on alla manie jusqu'à ia croire indispensable. On 



GBAPI,TR£ T. AOS 

cet empressement simultané de la part des naticv* 
nau3j[ et des étrangers, cette année il n'offrait , à 
huit heures ^ qu'un désert y un champ vaste y aride j 
sablonneiuc > tel qu'un lac dont les eaux auraient 
trouvé une issue et se seraient entièrement retirées. 
Sur des monticules dé sable étaient placées circu-» 



voulait d'ailleurs llssurçr, par tous les moyens possibles^ la tran- 
quillité de la fédëiatioD qui devait avoir lieu le lendemain. Déjà 
le 3 juillet , le ministre de l'intérieur Terrier-de-Montciet , qui ie< 
disliaguait par la fermeté de son caractère , avait écrit aux direc- 
toires de départemen s une circulaire par laquelle. il les sommait, 
au nom de la loi , de dissiper les attroi^mens qui se formeraient 
pour se rendre en armes à Paris à Tépoque du i4 juillet. Cetta 
mesure vigoureusf! en imposa. L'Assemblée, sentant les motifs qui 
s'qpposaient à un rassemblement dans la capitale, n'osan,t blâjoer 
le ministre parce qu'il agissait d'après la loi, ni cependant empê- 
cher l'arrivée des patriotes , autorisa les permissions individuelles , 
etj^écféta la formation d'un camp de 56 ,000 bommes , fprmé pi:ès 
de SoissonSyde tous les Français qui se seraient rendusà Paris poi^r 
la fédération. Par un autre décret , \& pouvoir exécutif fut teiVA 40i 
faire sortir, sous trois jours ^ de Pai:is les troupes de ligue ,. et de ks. 
employer à trente mille toises au moins de la résidence du corps, 
législatif. Enfin ^on licencia^ les états-majors delà gardç n^tionala 
et ies compagnies do grenadiers et de cb^sseurs. A. peine ces me^ 
sures étsûent-eUes prises ^ qu'on vÂt paraître une partie ^s fédéra 
annoncés sous le nom de Marseillais. Ils. étaient buit cents, m^ii 
presque tous sàn^ armes \ lies «autres «rrivère^t succej^sivemeiiit v^ 
assc^ ^rand, nouibre. Ainsi,. à l'approcbe du i4 juillet, çn 9V^( 
pri!^lç3,di$|>Qsitious qui liyraientau premier 9)puv.çni»ent d'émeute 
le corps Vigislatif çiéuie qui les aiyaU rendues ou provoquées, Iq^ 
dçpojs publics, le trésor > enBn^e gouvçifueiuent;. I^'éloigneugie^t 
dc§ troupçs dtî liguç , U désorganisation de la g«trdç natipuçile , Ia* 
prés(mçp 4^4 nouveaux fédérés, tout semblait fa^vorablea^^xproiçt^^ 
deçagitatçi^r§,çU'Q^*4rpitde,s'^loiwcrducMl9(içdf l^JQUi'OéÇjCgiU'^ 
paj?^tivej«\eut. i cç qu'elle devait, èj^rç ,. mvw».^ towtCî^ If s prqbiJwr 



204 MÉMOIRES DE WEBER. 

laîrement quatre-vingt-trois petites tentes, et devaiit 
chs^que tente un peuplier, mais si petit , si frêle , 
qu'un souffle paraissait devoir tout renverser, et que 
chacun avait peine à résister au jeu de la bande- 
rolle tricolore dont on les avait tous chargés. Cet 



UL. 



lités. Ce résultat fut l'efifet d'une démarche imprévue et pronoucée 
du roi. Il écrivit à i** Assemblée une lettre dans Ijiquelle on lit ces 
passages : a Nous touchons à cette époque fameuse oii les Français. 
» vont , dans toutes les parties de l'empire, célébrer la mémoire du 
» pacte d alliance contractésur l'autel de la patrie, le i4 juillet 1790. 
» La loi ne permet qu'un renouvellement annuel du serment fé- 
» dératif dans le chef-lieu. Mais nous avons une mesure qui , sans 
» porter la moindre atteii||p au texte de la loi , me paraît être au 
» niveau des grands événemens qui se pressent de toutes parts.... 
» J*aivu qu'il n'y avait pas de garantie plus sûre que la réunion 
» des deux pouvoirs, renouvelant le même vœu, celui de vivre 
» libre ou mourir.... Un grand nombre de Français accourent de 
» tous les départemens ; ils pensent doubler leurs forces , si , près 
» de partir pour nos frontières , ils sont admis à la fédération avec 
» leurs frères de la ville de Paris. Je vous exprime le désir d'aller 
» au milieu de vous recevoir leur serment, et de prouver aux mal- 
» veillans , qui cherchent à perdre la patrie en nous divisant , que 
» nous n'avons qu'un même esprit , celui de la constitution , et que 
» c'est principalement par la paix intérieure que nous voulons 
» préparer et assurer nos victoires. » Cette lettre fut lue et ap- 
plaudie à diverses reprises. Elle ût une impression fayorable , dis- 
posa les esprits au rapprochement qui eut lieu dans la séance du 
7 juillet , oîi le roi vint et confirma tout ce qu'il avait écrit. Quoi- 
que, entre le 7 et le i4, les impressions causées par ces deux démar- 
ches fussent efiàcées en partie , il n'est pas douteux qu'elles n'aycnl 
contribué à la tranquillité du i4 qui , sans ces circonstances , au- 
rait été très-orageux. Ces détails étaient nécessaires pour bien 
comprendre l'historien, qui n'explique point pourquoi cette fédé- 
ration ne fut point ce qu'elle devait être , d'après les apparences. 
Sans la lettre de Louis XVI, elle eût été tcrrÂle , et sans la sus- 
pension de Pétion , entièrement cahne. ' (Noie desnouv. édU.) 



CHAPITRE Y. 205 

appareil puéril signifiait les quatre-^vîngt-trois dé*- 
partemens. On observait autour de moi que, 
comme les départemens n'étaient pas en faveur, il 
était étonnant qu'on n'eût pas mis quarante-quatre 
mille peupliers , comme signes représentatifs des 
quarante-quatre mille municipalités. Dans lé milieu 
du Champ-de-Mars étaient couchés par terre quatre 
châssis de toiles peintes en grj^, qui eussent fait 
une mauvaise décoration pour un spectacle des 
boulevards , et qui devaient former un tombeau 
pour tous ceux qui étaient niorts ou mourraient à 
la frontière . On lisait sur un des côtés : Tremblez y 
tyrans ! nous les vengerons! Il y avait de quoi 
s'indigner, en songeant tout à la fois à la prodiga- 
lité barbare avec laquelle on dévouait ^es milliers 
de victimes au trépas , et à cette ridicule parci- 
monie qui croyait consoler leurs mânes avec une 
toile de théâtre. L'autel de la patrie était imper- 
ceptible et formé d'une colonne tronquée , plantée 
sur le haut de ces gradins innombrables élevés 
en 1790- Sur les quatre petits autels angulaires, on 
brûlait des parfums. A cent toises derrière l'autel , 
on avait élevé un grand arbre, appelé l'arbre de la 
féodalité , aux branches duquel étaient suspendus 
des écussons , des casques , des cordons bleus entre- 
lacés avec des «haines; et cet arbre sortait du mrî-^ 
lieu d'un. bûcher sur lequel étaient amoncelés des 
couronnes , des tiares , des chapeaux de cardinaux, 
les clefs de saint Pierre , des manteaux 4'hermine , 
des bonnets de docteurs, des titres de noblesse , des 



90Ô MÊMOtKSS ce MfJSBEK. 

sacs de procès* Parmi les comronneâ, en ëtait niie 

royale ; parmi les écussons étaient celui 4e FraiïC^, 

ceux de Provence ^ d'Artois et Coiidé, et Van 4evait 

;|)roposer au roi de mettre le feu au bûcher. Une 

.figure de la Loi et une autre figure de la l4il>crté, 

étaient placées sur des roulettes, à l'aide desquelle» 

oft devait faire mouvoir ces deux divinités. Utte 

grande tente à droite , était destinée àl'AsseniMée 

nationale et au roi ; une à gauche , aux corps adxni- 

kkistratifs de Paris : elles s'élevaient de beaucoup 

4am-des8us des autres , ce qui était une infraction à 

l'égalité constitutionnelle. Enfin > cinquante-quatre 

pièces de canon bordaientle champ du côté de larî- 

^ère,ct le bonaiet rouge couronnait tons les arbres. 

Tont c^a 'était désert , et le pcftit nombre d'hfi- 

4ividus errans dans cette enceinte immense^ loin 

d'être enthousiastes, avaient à peine l'air de cbh 

Tieus. On disait que le peuple était k la Bastille , 

pour y voir poeer, par soixante membres de Tite*- 

«embléé législative, la première pierre delà colonne 

'qui devait être érigée sur les mines àe ce fameiK 

château. Aucun maréchal de France m'était venu 

a 

-cette fois à la 'cérémonie , parce que > fe veille-, te 
"xxiinistre de la guerre les avait invités, ^ nom de 
•la «lunicipalité , à figurer dans la marche, ^n les 
âveriissaixt que lee maréchaux ^(» France étaient 
^destinés à porter l'oriflamme , et qu'il fàHait qu'ik 
.9e:rendissent à six heures du matin sur la place -dfe 
la Bastille, lls^ref usèrent tous de se fréter à tëtte 
«dicule m^iscarade. 



tHAPItRB t. 307 

Ott àVaSt àiinôlifcé cpie le setmcfnt =sc prêterait à 
tâidi. Le roi arriva à onze heures. Le cortège était 
très*-iinposant : tan détachement de cavalerie ouvrait 
k marche^ puis un autre d'infanterie de troupe de 
ligne. Lies pages^ les éouyere , et un grand nombre 
de palfreniers suivaient. Il y avait trois voitures : 
dans la première étaient M. le prince de Poix, 
M. de Brézé , le jeinifi de Touï*zel , M. le comte de 
Saiût-Priest ^ etc.; dans la seconde, les dames de 
la rein^ , mesdames de Tarente , de La Roche** 
Aymmi , de Maillé et de Mackau ; dans la troî ' 
sièniê , le roi , toute 'sa famille, et madame la prin*- 
cesse de Lamballe . Cinq cents grenadiers, volon-^ 
taires nationaux, escortaient les voitures; et lés 
ministres étaient à pied auH poitières de cejle du 
roi. Quatre compagnies de grenadiers suisses fer-^ 
maient ia marche. Les trompettes, les tàmboui^s, 
et une salve d'artillerie , annoncèrent la présence 
dijroi. Il se présenta dans les appartemeiis, aVeè 
cet air calme d'une bonne conscience , qui ne le 
quitta jamais. La reine avait sa dignité accoutumée; 
anais on voyait sur son visage l'empreinte du mialf 
hevar que son courage cherchait à dominer. Ma- 
dame Elisabeth avait toujours l'air d'un ange. 
Madame Royale présentait une tristesse intérès*?- 
^ante , et le daxiphin était hes^ comme l'amoisp. 
Us saluèrent avec sensibilité tout ce qui s'ofliùt II 
eiER. Une pallie des *roupes traversa l'Ecole-Milî*- 
taire sous le portique du milieu , ^ alla se formel 
en bataillfe sur île Champ^e-Mars , tandis qioe 



:20d MÉMOIHES DB WEBER. 

Tautre occupait les aventiçs du côté du boulevard. 

Le plus excellent esprit animait les grenadiers 
des volontaires nationaux : ils remplissaient Tanti- 
chambre de l'appartement où se tenait le roi. La 
reine parut avec le dauphin en uniforme national. 
« Il n'a pas encore mérité le bonnet , dit-elle 
» aux grenadiers ! — Madame , dit l'un d'eux , 
» il y en a beaucoup ici à son service , » et les cris 
d'enthousiasme recomniencèi*ent : enfin , le canon 
annonça que le cortège national débouchait dans 
le champ de la Fédération. Le roi et sa famille se 
placèrent au balcon qui était couvert d'un riche ta- 
pis de velours cramoisi brodé d*or , et tout ce qui 
était là l'entoura et se rangea à ses côtés. 

Le cortège national entra dans le Champ-de* 
Mars par la grille de la rue de Grenelle , défila 
sous le balcon du roi et se porta vers l'autel de la 
patrie , de droite et de gauche ; à la suite de cin- 
quante gendarmes nationaux , venait un groupe 
d'hommes , de femmes , d'enfans armés de piques , 
de haches et de bâtons. Une musique analogue 
jouait le fameux air : Çà ira ; des gueux faisaient 
des gestes et montraient des écriteaux irlsolens au 
roi. Les cris de vwe P et ion ! la mort ou Pélionl 
commencèrent à se faire entendre - Des bandes de 
la lie du peuple , tantôt de mendians , tantôt d'as- 
sassins , dd moins à en juger par leurs aimes , des 
fenunes ivres mortes , couronnées de fleurs , toute 
la canaille des faubourgs ayant écrit sur le derrière 
de leurs chapeaux^ avec de la craie : vive Pétion ! 



caiÀprrRB t. 209 

lei^six légions parisiennes déshonorées de se trouvei* 

Ut y ayant pêle-mêle dans lemrs rangs des femmes , 

des sans^culottes , ici des bonnets rouges ^ là des 

pftifts 5 ailleurs des morceaux de viande au bout 

de leurs fusils ; des aumôniers qui dansaient à la 

tête des réginiens ; des chansons infâmes chantées 

par des espèces de furies qui s'arrêtaient . sous le 

balcon du roi ; des écriteaux au bout des bâtons ^ 

les uns atroces j les autres bétes comme celui qui y 

au milieu des tambours y avertissait que c'étaient 

leê tambours y comme celui sur lequel on lisait : 

vivent les braises gens qiù sont morts au siège de lu 

Bastille I le mépris de toute honnêteté y de toute 

prudence ^de toute raison ; la confusion des langues y 

des hommes et des choses. Voilà tout ce que pré- 

sentait cette auguste solennité ! . 

On remarquait que les cris de s^ive Pétion ces^ 

soient lorsque les troupes 'armées défilaient ^ sur-^ 

tout led grenadiers des légions ^ et les troupes de 

Ëgne* Le 104* régiment succéda à un groupe 

Ibrmé de brigands et vomissant des infamies. Ce 

régiment s'arrêta sous le balcon ^ et sa musique 

jouà ^ au miliet) des applaudissemens des specta->- 

feurs: où. peut-- on être mieux quau sein desafa^ 

mille ; le fo5« en fit autant y jusqu'à la section du 

fauboui^ Saint-^Marceau. Il était même aisé de 

i^'eniàrqber que les cris séditieux étaient toujours 

pMférés par les mêmes voix et par des gens apos* 

tés« he brave Acloque étant venu faire écarter la 

£tMile> on fespirà pendant quelques instans ; et en«- 
n. i4 



a 10 MÉMOrRES DE WEBER. 

fia , à la suite des tables de la loi , dun petit relief 
Je la Bastille y d'une petite machine que tout le 
monde prenait pour la guillotine et que quelques- 
uns soutenaient être une imprimerie , l'Assemblée 
nationale parut et s'arrêta sous le balcon pour at- 
tendre le roi. 

Lé roi descendit pour la joindre ; ce qui apparte- 
nait au service du roi le suivit ; le reste entoura la 
reine et le dauphin. Le président de l'Assemblée ^ 
M. Auhert Dubayet , jeune officier d'infanterie , 
auquel la révolution avait tourné la tête , reçut 
le roi à sa gauche , avec, un maintien respectueux 
et une tenue décente. De l'autre côté était le vice- 
président Delacroix, les cheveux roulés et en digne 
accoutrement de jacobin. 11 y eut une petite alter- 
cation pour le service du roi. M. Dubayet insis— 
feiit pour que tous ceux qui le composaient al- 
lassent en avant. On le vit aussi haranguer un 
huissier pour qu'il se tînt derrière lui , et non der- 
rière le roi , rappelant ensuite le mot du bourgeois 
gentilhomme, tenez-vous bie7i près de moi y afut 
qii^on \}oie que vous êtes ma livrée. Une triple haie 
de grenadiers nationaux et de Suisses enfermait le 
• roi et l'Assemblée ; mais le roi , les députés , les- 
i?ôldats \ la foule , tout se touchaif , tout se pressa it,^ 
il n'y avait point d'espace vide ; on voyait une onr^ 
duialion continuelle. Enfin la cavalerie se portant 
en avant, et nettoyant le terrain > on distingua 
de l'École-Mili taire le roi dans uiie espèce de carré 
vide formé par les troupes. Pendant qu'il mar-^ . 



chalt vers l'autel , la cinquième légion ou section 
commença à défiler. Jusque-là les cris de wVe Pé-^ 
tiôn avaient paru achetés , parce que les mêmes 
voix donnaient toujours le signal , et se faisaient 
souvent entendre sans être répétées. Ici ils devinrent 
plus universels. On ne sait où s'était fomié tout ce» 
râmas; mais les awnes , les visages, les hurleméns, 
le costume , tout était efTrayaht. Une chose reraar- 
<|uable, c'est qu'ils se faisaient justice eux-mêmes, 
en criant sans interruption : vivent les gueux ! 
vivent les brigands ! vive Pétion ! des groupes 
de prostituées enchérissaient encore sur ceux qui 
avaient précédé , et chantaient , en les adressant à 
la reine , des couplets plus obscènes , plus atroces 
qu'on ne se permettrait de les imaginer. On criait : 
à bas Vjiutrichienne ! à bas M. et Madame P^éto ! 
Pétion ou la mort!. 

Enfin , ce niaire , réintégré de la veille , parut 
à la tête de la municipalité. Les cris , les blas- 
phèmes redoublèrent à sa vue. On aurait presque 
cru, dans ce moment, qu'il avait une conscience. 
Embarrassé , pâle , tremblant , la tête baissée , il 
n'osa pas lever les yeux sur le balcon , il osait à 
peine les lever sur cette populace , partie sou- 
doyée , partie enivrée , qui insultait en son hon- 
neur à la famille royale. La jreine était cruellerhent 
distraite de ces insolences par la crainte qui l'obsé-' 
dait. Quand il ne fut plus possible de suivre le roi 
des yeux , elle le suivit 'avec une longue-vue , et' 
resta immobile pendant une heure entière , tenant ' 



,4* 



y 



X\% MÉMOIRES DB WEBEfi. 

dfta&ses bras le dauphin, et de l'autre^ oteudi», soiote*^ 
ojiod; la, lunette avec laquelle elle ne-quitt^poa U 
ixutrctie du roi. Il y eut im instant où elle a'écm. » 
U, Q de^endtA deux marches. Ce cri fit fcissfoamr 
tput. le mande autour d'elle. liCt rot n^ put e^ ^ 
(et gagner* Je haut de l'autel y pajrce que^ la foui» ^ 
etootamment les gens à demi-aud^^ s'étaient cw»» 
p^céa de U partie «upérieure.. U y eut, atoaRS^ ua 
TQiQuvcunent alarmant. ^Le déput<^ Dumas civt W 
prépuce d'esprit de crier : Grenadiers y ppen€% 
f^rde CL i^ous , haut les^ armes l et le$> sails-*^uliQitt« 
%'arrêtèrent et s^ replièrent sui? la ibule« {^'instant 
<icL serment > au bruii dies; cinquanjte-quatre t&mvafk 
tang^ du, côté de la rivière y £ut assesr ixnpowuii 
pQui: QeUfX^ qui étaient près de l'auAeL La rifcxîènift 
légiqt^ uJétait, pa& encore d6(filee > ku^i^ la;^ «a-^ 
Valérie* annonça le retour du roi. Cette sisxièmet 1^ 
g^ion. y marchant! au pas. redoublé y, ivi. coupée^ par 
l'esapite du roi y et presque culbutée pai! le peup^q^ 
qui entj;a ,,de toutes parts, dans les rang^« Ia pwfe^ 
sideu.t: avait proposé a^ roi de descendre, du; CQt 
die la nvière y et de mettre le feus à l'arbra* 4e; \a 
féodalité auquel pendait l'écusson. de Fraucc^i. //. 
n^ a plus de féodalité » s^était écrié le^ ijoi , et il^ 
s'èu. retourua par le même, chen^in qu'il: était venii. 
Quand k reiue le vit appijoçbei: ^ elle se l^vapoux 
allejR au-devant de lui ,, et toute la fionuille rojali^ 
ajila attendre. Sa. Majesté au bas de VescaUepc. h» 
roi , toujpurs. calme , prit la main de la reine aviec 
tendresse: Madame elle dauphia sei jj^rient.aw 



Chapitre v. ai5 

la main de leur père^ qu'ils baisèrent^ Tune en 
pleurant y l'autre en jouant. Il est impossible de se 
faire une idée de l'ivresse qui s'empara alors de 
tout re qui e'taît dans la cour de l'École-Mîlitaire : 
gardes nationaux y troupes de ligne > Suiâseâ , 
peuple y dans la cour y aux fenêtres y au^ balcôiâ y 
grimpés suY les grilles ; tous criaient : mô tè Tùll 
vive la reine ! À Feutrée des Tuileries • Teuthôû- 
Siasme ' était encore centuplé ; depuis la cotCf 
toyâle jusqu'à l'escalier , les grenadiers hors d*eu2r- 
mêmes y de plaisir d'avoir ramené le roi sans tfaib 
le moindre danger l'eût approché , avaient l'ait 
tfégarés , dans la crainte que ce court trajet ne 
î«ur enlevât toute leur gloire et tout le fruit de 
leurs soins. Obligés de laisser passer la voiture 
seule par la porte trop étroite , ils se précipitèrent 
avec une fureur d'intérêt et de fidélité pour for- 
mer la haie d'une porte à l'autre. Aux bénédiction!^ 
données au roi ^ se joignaient ^ de toutes parts ^ den 
imprécations contre les jacobins. 

Le lendemain un décret a été rendu pour éloi^ 
gner les troupes de ligne et les Suisses. Projet an»- 
ikOncé de détruire les grenadiers dans la garde na-* 
tionale y pétition pour demander la suspension dû 
foi et l'accusation de La Fayette. Un membre à 
proposé d'accuser toute l'armée y et il a été ap^ 
plaudi. 



ai^ MÉMOIRES DE WEHER. 

c 

Journée du lo ctoût 179a. 

Tout le mois de juillet s'était passé dans la plus 
affreuse agitation. Desmouvemens chaque jourplu* 
séditieux , des rumeurs plus alarmante&^ entrete- 
naient la fureur du peuple et son aveuglement. Les 
factieux ne cessaient de lui répéter , et ce bruit 
allait partout s'accréditant* , qu'un dépôt de cocaiv 
des blanches , d'armes et de munitions de toute 
,espèce avait été formé aux Tuileries. Ils ajoutaient 
, qu'un parti redoutable était prêt à se déclarer pour 
la famille royale ; que l'avant-garde du dilc de 
.Brunswick ( ils nommaient ainsi le rassemblement 
.des émigrés ) était déjà parvenue à entrer furtive- 
ment dans Paris , et qu'aussitôt que les armées en»r 
nemies seraient aux portes de cette ville , le roi , 
assuré de leurs secours , se mettrait à la tête des 
^royalistes dont elle était remplie , fondrait avec 
eux sur l'Assemblée , et, ressaisissant son pouvoir , 
jpxercerait sur le peuple la plus terrible des ^en- 
geances. 

Le roi fut à peine instruit de ces clameurs sé- 
ditieuses et du trouble qu'elles excitaient , qu'il 
écrivit au maire pour l'engager ( car ce malheureux 
.pripce n'osait plus employer le mot d'ordre ) à ve^ 
nir faire la visite du château , et se convaincre par 
lui-même de la fausseté de ces imputations. 

Pétion rie se rendit point à cette, invitation pres- 
sante : il ne daigna pas même envoyer au château 



CHAPITRE t. 2l5 

tiiie deputatîoa municipale , comme il Favait pro- 
mis dans la réponse familière qu'il fit au roi. 
Sa Majesté adressa la même sollicitation à F As- 
semblée nationale ; mais elle ne crut pas de sa di- 
gnité de lui répondre , et bien moins encore lie sa 
politique iief'se prêter à aucun des moyens qui au- 
raient pu détromper le peuple. 

Cependant l'aspect de la capitale devenait à toute 
lieure plus efïrayant et plus tumultueux ; des plà-^ 
cards insolens , affichés dans tous les lieux publics 
et jusque sous les murs -du palais ; les Marseilliais 
et les fédérés errant continuellement autour de son 
enceinte ; les cris furieux d'une populace mutinée 
appelant de toutes parts le son du tocsin , et me-* 
naçant d'une insurrection formidable , si l'Assem- 
blée nationale ne se hâtait de satisfaire au vœu de 
la nation, en prononçant la déchéance du monar- 
que ; tout annonçait que le coup fatal allait être 
porté. 

Telle était la situation des choses aux premiej% 
jours d'août. 

Le bataillon des Filles-St. -Thomas était celui 
qui , dans tous les jours d'alarme , s'était constam- 
ment montré le plus attaché à la famille royale : 
son ardeur parut redoubler dans ces momens ex- 
, trêmes. On le vit chaque soir , soit en patrouille , 
soit en renfort , veiller sur la demeure de ses 
maîtres. 

J'avais, avec un détachement de ce bataillon, passé 
aux Champsr-Elysées la nuit du 8 au 9 août. A deux 



3IÔ MÉMOIRES DE WBBER. 

heures du matin nous y arrêtâmes et réussîmes à 
de'sarmer une trentaine de Marseillais , vomissant 
contre le roi et contre la reine les plus exëcrable« 
impre'cations. Vers les six heures , à peine étai&-jç 
rentré chez moi que je reçus l'avertLs^ment de Qie 
rendre sur-le-champ au quartier-généraL Ceiit 
honunes venaient d'être consignés aux maisons dd 
la caisse d'escompte , de la caisse de l'extraordi- 
naire et de la trésorerie , pour les protéger contre 
les excès à craindre d'une insurrection générale. Je 
devais être de ce détachement i mais à dix heurç^ 
le commandant ayant reçu l'ordre d'envoyer promp* 
tement un renfort aux Tuileries , je sollicitai viye^ 
ment et j'obtins la permission dç préférer ce der* 
uier poste. 

DifFérens émissaires^ que nous avions députés dap^ 
les faubourgs St.-Marceau et St.-Autcibe ^ nous 
rapportèrent dans la journée que les factieux cour 
raient de maison en maison pour forcer les habi*^ 
tans à les joindre. Us annonçaient que l'armée des 
rebelles serait infailliblement au château la nuit 
suivante (i). 

(i) I^es lieux ayant chaiigë de face, il est indispensable, pour 
l'intelligence du récit, d'en faire connaître la topographie. Uo 
témoin oculaire , dans la relation qu'il a publiée récemment sur 
la journée du lo sfoût, donne sur cette topographie des détails 
fort exacts. On les retrouvera dans les écUircisseineqs ( Not$ H \^ 
Pour mieux peindre encore Taspect et la disposition des lieuic , 
nous publierons dans le Recueil desporiraits , fac simile , etc.| un 
plan du château des Tuileries et une vue de Tattaque, d'après un 
t«ibleau du tempf .( {Noie des hquv^ édil») 




CHAPXTHE y. ;ii7 

• Tous les postes y furent triplés ; huit à neuf cents 
hommes des gardes-suisses y étaient arrivés depuis 
deux jours. L'état-major de la garde nationale j 
avait envoyé environ quatre mille six cents hom« 
mes. Les mesures, pnses d'ailleurs pour la défense 
de l'intérieur , se réduisirent à placer à la hâte des 
barrières à l'entrée des cours , et à ranger en ha^ 
taille vis-à-vis la grande porte quarante grenadiers 
des Filles-St .-Thomas et autant de gendarmes. 
Les gardesHSuisses ( i ) furent postés au bas des es^ 
c^liers du roi et de la reiae. Trois cents personnes» 
environ j parmi lesquelles d'anciens militaires dis** 
tingués par leur rang et par leur bravoure , étaient 
distribuées dans les appartemens où elles s'étaient 
empressées de se rendre dans la soirée , à la pre^ 
mière nouvelle des nouveaux dangers que courait 
la famille royale. 

Pétion parut à minuit : sa visite avait pour objet 
apparent de rassurer la cour sur les préparatifs de 
Tiasurrection , et pour objet réel de connaître ceux 
qu'elle avait faits pour sa défense. Quelques gre- 
nadiers dfis Filles-St.-Thomas , dont il fut à l'ins- 
tant entouré*, avaient résolu de le retenir en otage» 
Un décret de l'Assemblée l'appela dans son sein » 
et aussitôt les passages liii furent ouverts pour ne 



(i) Les Suisses ne s'abusaient pas sur le danger de leur position» 
y^uteurdes Déiaih pariicuUers 9urlaJQum4û du lo awt rend 
eompte à ce sujet d'une conversation qu'il eut avec M. de Luze, 
officier suisse. Nous en donnons un extrait dans les places justifia 
catives ( NqU H). {Nou des nouv. édU.) 



!2l8 MÉMOIRES D£ WKBEK. 

pas donner, par sa détention , un prétexte aux re- 
belles de commencer les hostilités. 

Vers cinq heures du matin Sa Majesté se montra 
sur son balcon (i) pour marquer à la garde et aux 
renforts placés dans l'enceinte des cours , sa siatiî*- 
faction du zèle qu'ils témoignaient pour sa défense ; 
« sa vue il s'éleva un cri presque général de iwe 
le roi ! Il descendit alors dans la cour royale , pour 
y faire la revue des troupes dont elle était rem- 
plie ; les acclamations redoublèrent. Il nous était 
i^ependant impossible de croire à la sincérité de 
toutes. Dès la veille, plusieui's canonniers s'étaient 
permis , en notre présence , les menaces les plus 
effroyables contre la cour. Demain , disaient-ils , 
-en. montrant avec des gestes furieux le balcon du 
x:hâteau , demain nous f^oris justice de tous ; nous 
épargnerons peut-être le roi , mais le reste , tout 
je reste sera exterminé. 

■■''■ " ■ I I ■ I I ■! I I I I — ^— — ^— ^— ■ 11,1 P 

(ijUn témoin oculaire, dont le récit s'accorde a.vec celui de 
Weber , ne cessa de considérer le roi pendant qu'il était sur le- 
l>a]con. Voici le portrait qu'il a fait de ce malheureux prince : ail 
était revêtu d'un habit violet uni , conservant encore sa coiffure 
de la veille, dont un côté seulement paraissait 4^rangé; le teint 
îinimé; les yeux gros et rouges: On jugeait à son extérieur qu'il 
fi^ s'était pas déshabillé* de toute la nuit, mais que, appuyé 
^ur un coussin , il avait pu prendre quelques instans d'un som- 
meil, hélas! irop souvent interrompu. » (2>eVa//5 sur le lo août, 
p. 66) Le roi fut applaudi avec enthousiasme pendant tout W 
4em[3s qu'il' resta sur le balcon. Les soldats mirent leurs cha- 
'peaux sur la pointe des sabres ou des baïonnettes. Les applau- 
dissemens continuèrent encore quelques moniens après qu'il 
^e fut retiré. Ce sont les defrniers que rinfoirtuné prince nii 
reçus.... [Note des 7ioui^\ édit.) 



CHAPITRÉ V. . 219 

Nous nous flattions pourtant encore que le plus 
grand nombre des gardes nationaux ferait son de* 
voir , et nous avions pris des précautions pour 
surveiller et contenir les plus suspects. Nous réso-^ 
lûmes , en outre , que quatre de nos greliadiers se'^ 
raient placés à chacun des canons pour assurer le 
service. Mais,, au moment même où nous arrê-* 
tions cette mesure , nous discernâmes à travers les 
XTis répétés de vii^e le roi ! une foule de traîtres 
parmi les gendarmes ^ et surtout parmi les canon- 
Jîiers des diflerens corps. F'we , vwe la nation ! 
s'écriaiént-ils avec fureur ; nous n'avons , nous ne 
reconnaissons d'autre maître que la nation. Oui, 
•mes enfans , disait le roi y avec un accent qui eût 
pénétré les cœurs les plus féroces , oui , la nation 
jet votre roi ne font et ne feront jamais qu'un. 

Après cette scène, d'autant plus pénible pour sort 
îcœur qu'elle avait plus cruellement tronipé son at- 
tente , à peine Louis XVI était-il entré dans* ses 
appartémens ^ que plusieurs gendarmes et gardes 
nationaux commencèrent à nous provoquer par 
leurs insultes ; d'un autre côté , les canonniers ; 
çn tirant leurs sabres, nous qualifiaient, avec déri- 
sion , de grenadiers royaux , et tournant à dix pas 
.leurs canons contre nous , criaient avec rage , 
« qu'il n'y avait parmi les grena'diers des Filles- 
» St.-Thomas que des hommes vendus à la cour, 
>> que le commandant Mandat n'avait envoyé au 
J). château que des aristocrates , )) et en même temps 




.200 MÉMOIBES DE WEBER. 

ils proféraient contre Itii les injures et les menaces 
les plus atroces. 

Tandis que nous nous efforcions de les apaiser, 
remontrant aux plus forcenés d'entre eux y « qaifa 
^ se trompaient y qae notre conduite était irre«- 
» procfaable ; que l'Hôiel-de-Ville ayant demande 
A vingt hommes de renfort de chaque bataillon 9 
nous étions venus y ainsi qu'eux y pour défendra 
D Tasile du roi ; que ce n'était pas le moment -da 
» se quereller et de s'aigrir sur des mal-entendus; 
D que nous étions tous camarades y et qu'il fsiUait 
» se secourir mutuellement au lieu de s'entr ego^» 
fi ger, )) nous observâmes un mouvement extraor- 
dinaire dans un attroupement qui venait de se Ibiv 
mer derrière nous. 

Les mêmes gardes soldées y qui y un instant avant^ 
avaient vomi mille injures contre M. Mandat > me- 
naçaient de massacrer le fils y qui n'ayant pu^ sans 
indigDation y entendre maltraiter ainsi son père \ 
avait pris vivement sa défense. 

Je . connaissais ce brave jeune homme ; il avait 
servi dans la garde constitutionnelle du roi ; je la 
dis à mes camarades y et secondés des grenadiers 
de St.-Roch y nous nous précipitâmes au milieu da 
.la foule y pour nous réunir à un chassetir (1} d^ 
4)0tre section qui , seul et les yeux pleins de laiw 
mes y représentait à ces furieux , ' que ce jeune 
» homme ne s'était pentads aucun propos y ni con^- 



mmmmm 



(i) M. Mignot , agent de cliange. W. 



»• tne kt garde mlioital'e ^ ni contre la coMtltiztioik j 
n rp£'û n'avait cédé qu'à l'inslinct de la nature eu 
> dbiciilpant sou père, /i Notre imiptiou soudaine 
s^ofra le jeune MarultiÈ ^ et continuant nos efforts^ 
poor calmer ses erineinis y nous l'entraînâmes în-« 
sesisiUement du coté de l'escalier du cfaàteau €XL 
xmms le fîmes enferer pour le mettre plus k Fabri de 
Les» £«ereiirs. 

Il était aise de remarquer que la défection daat 
la garde natîoDale croissait à mesure que les g6u- 
dasmes et les fédérés, en parcoiu^aioit les nngs ; 
leurs menaces y leurs, caresses , diminuaient ainsi ^k 
chaque instant y le nombre des. prétendus amis du 
roî ; beaucoiop d'entre eux^ séduite ou intimidés ^ 
SB nstirèrcsit entre 4^7 heures du matin -y ptur** 
sieurs même se réunirent aux rebelles sur la jdace 
du Carrousel. 

On prît alors la re^solutîon d*adresser sm^-le- 
cbamp une pç'titibn à rassemblée y au nom de la 
garda iiiationa>le y pour lui demander le renvoi defr 
fédS^résr. M. Dlipont de Nemours , un des mem- 
bres de fiissemblée constituante , se trouvant de 
ga^ade au château avec son batailloa y se chargea de 
laradactidn (r). Telle elaitla terreur que ceshoo»» 



framims hc^rëdl? avec œli^i de Weber , ce ne fut pas M. Dupont <U 
I4bflK>iir9, mai» M. Dubut de Langcbarap, colon de Saint^Do^- 
iiiki£^ et' grenadier de k ganrdc nationsle* Parlant avec beaucoup' 
derllbtr, iliproposa d<& se rendre àja barre de l'Assemblée , et là dW. 
sistec avec dlatèur peur obtenir le renvoi des fédérés. « Leur arrî> 



333 MLMOIBES TSK WEBER. 

mes avalent jetée parmi les Parisiens , par le meiïr- 
tre de quelques-uns de nos camarades , et par tous 
les excès auxquels ik s'étaient livrés depuis le pre-» 
mier instant de leur arrivée dans la capitale , que 
différentes sections se réunirent aussitôt , et la pé- 
tition iu\ dans un tnoment couverte dé signatures. 
L'Assemblée nationale, en écoutant ce vœu , qui 
était évidemment celui de la majorité des citoyens, 
passa froidement à l'ordre du jour. 

La désertion continuelle de la garde nationale^ 
et les renforts qui arrivaient sans cesse aux rebelles, 
augmentaient à chaque instant le péril , et avec lui 
mes inquiétudes sur le sort de la famille royale. 
Nous étions encore rangés en bataille devant^ la 
gmnde porte des cours , lorsque le bruit se répandit 



vëe , disait-il dans cette pétition , a été le signal de désordres et 
d'attentats multipliés. Que font ici ces étrangers , dont la prc'sence 
alarme nos familles? Nous demandons que , séance tenante , il soit 
rendu un décret qui ordonne le départ imroédiatde ces artisans de 
discorde et de trouble. Nous le déclarons hautement: s'il arrivait , 
contre notre attente, qu'une réclamation si légitime ne fût point 
écoutée, notre résolution est prise d'obtenir justice par nos pro- 
pres moyens. Au sortir de la salle, noMS marcherons contre ces en- 
nemis de la paix publique. » Cette pétition fut couverte de signa- 
tures. Elle venait trop tard. Quinze jours plus tôt , cette mesure , si 
elle eût été obtenue de l'Assemblée (ce qui est douteux), eût sauve 
la France. Mais ces fédérés , dont on demamdait le renvoi , mar- 
chaient en force au moment même. Il n'est pas imitile de remar- : 
quer que l'auteur des Détails rapporte que c'est M. Peltier qui 
nomma M. IJupont de Nemours comme auteur de l'adresse^ et., 
qa'il n'en persiste pas moins à désigner M. Dubutd<; Ltongchamp^. 

{Note des nquv. édit^) 




CHAPITllE V. ^25 

Jusqu'à nous qu'une députation du département, et 

une autre de la municipalité' , devaient se réunir 

pour engager le roi àse rendre seul à l'Assemblée na^ 

tionale. Je vis dans la séparation de Leurs Majestés. 

un danger plus imminent encore pour la reine/ 

Résolu de voler à son secours , et de contribuer ^ 

aux -dépens de mes jours , à l'arracher des mains 

des assassins , je quittai mon poste pour me rendre 

dans les appartemens , disant à mes camarades que 

je m'empresserais de revenir les instruire de la si-r 

tuation de la famille royale. En arrivant au palais 

jevislareine tenant monseigneur le dauphin dans ses 

bras , le pressant contre son cœur , et le baignant 

de ses larmes : k Weber, medit-elle en venant ^ moi, 

» aussitôt qu'elle m'aperçut , que faites-vous ici ? ce 

» n'est pas là votre poste ; vous ne pouvez y rester ; 

» vous êtes le seul de la garde nationale. — ■ 

» Madame , je supplie Votre Majesté de vouloir 

>ï bien considérer que mon poste est partout où sa 

» vie est en danger. — Je reconnais* bien là 

» votre attachement pour nous , me répondit-elle 

» avec sa bonté ordinaire , mais je ne veux pas 

)i que vous soyez seul ici ; allez rejoindre vos ca- 

» marades , je l'exige. » Je retournai aussitôt 

vere eux , mais dans le dessein de revenir avec eux 

le plus promptement possible, au poste que je ve-«, 

nais d'être forcé d'al»ndonner. « Il est vrai , leui* 

» dis-jc , qu'il y a dans les appartemens un grand 

» nombre de gentilshommes , et tous dévoués; jus-? 

» qu'à la mort , n^ais mal armés-, et vus avec niçw 



224 MÉMOIRES XfB WBBER, 

il cdntcntifnient par la miiltitixde ; il est k cràînâre 
H qa'eux^mémes ils ne (oienl assaillis y et que les 
1^ datigera de la famille royale n'en deviennent plot 
M- grands. Ne âerait-ce pas pour nous une honte, 
V an crinie ^ que de perdre une telle occasion de 
u prouver notre fidélité et notre zèle? Que ceut; 
m ceux qui sont de mon avis me suivent , ajou^ 
* tai-îe avec une sorte d'emportement : lorsque 
» notis fixerons plusieurs y la reine ne nous renverra 
ir pas ; >9 huit seulement se présentèrent , et je me 
bâta» de les conduire à la porte de rappartemoat 
do roir 

La reihe m'apercevaot de nouveau y fit un geste 
comme pour me renouveler son dernier ordre : 
» Madame y lui di&-je y voici mon excuse y des 
}% hommes qui sentent et pensent comme moL n 
Un le'ger mouvement de tête , un signe d'appro- 
bation fut ma récompense. 

Ce premier succès m'encouragea à faire une 
suive tentative auprès de mes autres camarades; 
^ quelques minutes après j'amenai encore dix gre- 
nadiers qui furent accueillis , par tous les gentik- 
bommes, assemblés au château ^ avec les plus vifs 
tilmoîgiiages d'empressement et d'estime. Khent 
les grenadiers des FillesSaint-Thomas ! s'écriaientf 
tk avec enthousiasme y et en nous serrant la maias 
fi^i^e cette fidèle garde nationale t « Camarades > 
» BÈOus défendrons ensemble nosniaitres , nous les 
i) défendrons jusqu'à notre dernier soupir. » Leurs* 
tfi^eslésr^ s^approi^tant de nou^^ et^noos audressani 



CHAPITRE Y. aa5 

la parole avec autant de grâce que de ' dignité et 
d'énergie : « Braves grenadiers, nous disait la reine, 
» tout ce que vous avez de plus cher, vos enfans , 
» vos propriétés, tout est Ij^ aujourd'hui» à notre 
» existence ; notre intérêt est le même , j'esp^ 
» en vous. 

>» Oui, grenadiers, nous ajoutait le roi, courage, 
» ayons-en tous dans un danger qui est égal pour 
» tous. » Et d'un ton plus ferme encore : « Courage , 
>» grenadiers, courage; je compte sur votre fidé- 
» lité. » A cet instant , et tous ensemble , nous 
nous précipitâmes vers M. d'Hervilly , -et prêtâmes 
le serment de périr à cette même porte, avant qu'un 
seul des rebelles y pût pénétrer. 

Il était alors sept heures et demie du matin, et 
d'une minute à l'autre l'attaque était attendue. On 
annonce une députation du directoire du dépar- 
tement. 

Elle viçnt peindre au roi ses dangers , et le près* 
ser de se rendre dans l'enceinte de VAssemblée 
avec la reine , ses enfans , et madame Élisabetli. 
Le procureur-syndic Rœderér porte la parole* : il 
déclare que le département , malgré les mesures 
qu'il a prises , ne peut plus répondre de la multi- 
tude; que le péril est à son comble, qu'enfin il ne 
reste à la famille royale aucun autre moyen de 
salut. Ce discours, deux fois interrompu par Top- ' 
position fortement prononcée d'un des ministres 
présens , mais repris avec plus de véhémence en- 
core par Rœderer, l'emporte à la fin ^ et détermine 

H. i5 



À 



226 MEMOIRES DE WEBER. 

le départ du roi et de sa famille vers la salle de 
r Assemblée. Ce prince , mains occupé en cet ins- 
tant du soin de sa sûreté personnelle y qu'animé 
du désir^oujours si puissant sur son cœur> de pré- 
voir l'effusion du sang y crut éyidetnment y par sa 
retraite j enlever aux factieux tout prétexte de 
poursuivre le cours de leiu^ attentats. 

Les commissaires j s'apercevaiît que tomte& les 
personnes qui y par devoir ou par zèle y s'étaient 
réunies dsgis les appartemens de Leurs Majestés y 
résolues de les défendre ou de périr avec elles , se 
disposaient À les accompagner y firent tous leurs 
efforts pour s'y opposfer. — Grenadiers y vous- allez 
faire tuer le roi , criait Rœderer; et s'adressaht 
tantôt au roi, tantôt à la reine y il leur représentait 
avec chaleur qu'un tel cortège , irritaj]it encore plus 
la fureur du peuple , ne pouvait qu^ ajouter à leurs 
dangers. Leurs Majestés .ne songèrent qu'à celui 
auquel se dévouaient leurs servitem's fidèles ; et ne 
prévoyant point le péril plus grand encore auquel 
ils allaient rester exposés y nous priaient tous avec 
instance de ne pas les suivre. 

Nous étions restés jusque-là, mes dix-huit. ca- 
marades et nu>i , à ce même poste où nous avions 
jur,é, entre les mains de M. d'Hervilly , de mourir 
pour nos maîtres. Nous crames donc que les cir- 
constances nous faisaient un devoir indispensable 
de désobéir pour cette fois aux ordres du roi , et 
les cris véhémens du procureur-syndic n'eurent pas 
Teffet que s'en promettait sa perfidie.. La famille 



CHAPITBE V. . ;227 

rojale eut a peii^q ouvert sa marche, quie noite nous, 
attachâmes à ses pas. Réunis , en descendant l'esca-^ 
lier , à un grand nombre de nos camarades , nous 
escoartâmes sur la droite. Leurs Majestés jusqu'à la 
porte de l'Assemblée. Cent grenadiers suisses pri- 
rent la gauche ; pour moi , mé trouvant au milieu 
(le mes camarades , je réussis à me placer le plus 
près possible de madame Elisabeth- Arrivés dans 
le jardin des Tmleries , nous le traversions à pas 
lents. L'excès de mon trouble , la pâleur d# mon 
visage frappèrent la reine ; ellç me fixa attentive- 
ment , et se penchant vers sa sœur pour lui parler 
à l'oreille , elle lui transmit pour moi ces paroles 
qtii me font encore tressaillir : « Weber , la reine 
)) vous fait dire de vous posséder. » Derniers ga- 
rans de cette même bonté dont elle m'honora de- 
puis les jours de mon enfance y dernier regard 
qu'elle ait jeté sur moi, vous setez à jamais présens 
â ma pensée ; dans tous les instans de ma vie vous 
vous retracerez à ma reconnaissance et a ma dou- 
leur I S'aperçevant ensuite qu'une nouvelle larme 
décelait , malgré moi , l'anxiété et la profonde 
douleur auxquelles j'étais en piroîe , et que je cher- 
chais à lui' cacher, madame Elisabeth eutJl'extréme 
bonté d'ajouter, en me saisissant le bras : Calmez^ 
vous y PF^eber,,,. , soj-ez raisonnable! 

La terrasse des Feuillans était, depuis trois heu- 
res du matin , couverte de la populace, anpée des 
faubourgs et de la troupe choisie dqs scélérats les 
plus déterminés. Elle refusa au roi le passage , et 

i5* 



L 



:2i8 MEHOTBES DE WEGRR. 

re ne fut qu'après un quart d'heure des plus gros- 
sières^ injures et des menaces les plus atroces , qu'îl 
lui fut enfin ouvert par les efforts du procureur- 
syndic et des membres du département. Pendant 
que le roi franchissait l'escalier , les imprécations 
redoublèrent , des cris de mort se firent entendre : 
l'eflfroi était dans toutes les âmes. L'Assemblée , 
à la réquisition d'un officier municipal , se décida 
enfin à envoyer une députation pour recevoir la 
famillt royale à l'entrée du lieu de ses séances. Il 
fut décidé que son escorte resterait au dehors. 
L'espèce de co;rridor qui conduisait à l'enceinte 
était aussi étroit qu'obscur , embarrassé. Une mul- 
titude épouvantée , ou complice des massacres qui 
déjà s'étaient commis et se commettaient dans le 
passage des Feuillans y traversait au même instant 
cette ténébreuse avenue. LL. MM. furent obligées 
de s'y arrêter long -temps. Un grenadier de la 
garde nationale , craignant le danger d'une telle 
foule pour monseigneur le dauphin , le prit dans 
ses bra&, et, l'élevant au-dessus des têtes, le porta 
ainsi jusque dans la salle de F Assemblée : en re- 
venant à nou$ ^ « Je viens , dit-il avec enthousiasme , 
») dp porter le fils de mes maîtres , l'univers entier 
» dans mes bras ; vive monseigneur le dauphin ! » 

Ce peu de mots fit couler les larmes de tous les 

... « 

yeux. 

La famille royale entra dans le même temps 
dans la salle , annoncée par un des officiers muni- 
cipaux , accompagnée paîr les ministres , précédée 



CHAPITRE V. !}39 

par Les membres du département y et reçue par la 
députatioa nommée pour aller au-* devant d^ell^ 
jusqu'à la porte. Le& ministres la conduisirent aux; 
sièges qu'ils occupaient dans l'Assemblée • La reine y 
madame Elisabeth et le reste de la famille ro jale 
s y assirent. Le roi monta au fauteuil plitcé pour 
lui à la gauche du président. « Messieurs y dît-il 
» à haute Toix, ( en fixant les tribunes et l'Assem- 
» blée > ) jç suis venu ici pour épargner un grand 
» crime à la France ; j'ai cru nç pouvoir être, plus 
» en sûreté avec ma famille qu'au milieu des re- 
» présentans de la nation , et je me propose d'y 
/. passer la journée. » 

La famille royale , madame la princesse de Lara- 
balle , madame de Tourzel , gouvernante des en-- 
fans de France , les ministres et quelques person- 
nes de la suite du roi y furent alors relégués ^ou^ 
pour npiieux dire y enfermés d^ns la logé du logo-r 
graphe sitR<5e derrière le fiiuteuil du président. 

Le reste du cortège^ dans le jardin des Tuile-r 
ries y ap bas de l'escalier dç la terrasse des Fèuil- 
lans , attendait le jrésultat de cette afireuse^^éance. 
Le roi avait obtenu à peine la permission de conti- 
nuer sa marche que les menaces s^ dirigèrent con^- 
tre nous. Nous nous attendions à tout moment à 
être obligés d'en venir aux mains avec ces êtres 
furieux. Tout-à-coup nous voyons s'élever sur la 
terrafee , du côté du nuanège , un énorme tourbillon 
de poussière y et une foule prodigieuse de peuple 
accourir au milieu de l'armée des piques , poiis- 



À 



\ 



3S0 MÉMOIRES DE W£BER. 

saat des cris ou plutôt des hurlemens de joie. Cette 
t\)Uie s'avança jusqu'à la porte de F Assemblée , et 
& arrêta devant nous pour nous montrer les têtes 
de deux de nos camarades (i) ( Suleau et Vigîer) , 
portées sur des piqufes , et pour nous tnenacer du 
même sort. Ce spectacle dliorreur nous inspira 
moints d'effroi que de rage ; et nous nous serions 
tous précipités Sur eux , si nous li'eussions craint 
d'e3q>pser encore plus les précieux ôtagefe que rete- 
nait VA sseitlblée . Dahè le même temps, un des Sidsses 
de la garde du château vint ajouter à notre fureur 
et 'à nôtre consternation j les Marseillais, noqs criait- 
il avec l'accent du désespoir , informés que Jes 
trois quarts du renfort de la garde nationale se 
sont retirés et ratigés du parti des factieux , ont 
sur-le-K:hamp forcé la porte de la gratide cour , et 
y ont déjà tué pluisîeui^ pfersoùnes. Un bruit af- 
freux , qui retentissait jusqu'à nous., le feu rou- 
lant de I2 rittJtiSquetèrie , et , peu de momens après, 
les coups de canôii ; tout nous prouva qu'en ëfiet le 
palais de nos maîtres avait été attaqué , qu'on y 
était aux prises avec les rebelles , et que tout y 
était à feu et à sang. A l'instant la populace , qui 
était vis^à-vis de nous isur la •terrasse ^ met ea pie- 



. . ous eûmes beaucoup de peine à retenir un de nos cama- 
rades , devenu furieux àVaspect de Ik tôle du^brave Suleau : il 
criait sans discontinuer, en sangbttant et se débattant dans sa 
ra^c : Ne m* au (f adonnez pas; tuons ces assassins; vengeons nos 
camarades. W. 



CHAPITRE y. aSt 

ces les garde-fous , et s'en fait des armes } les gens 
à piques et à fourches menacent de fondre snr 
nous ; les gardes soldées paraissent avec des canons 
et tirent à cartonches. Nous ranger en bataille sur 
deux cplonnes , accourir sur les escaliers de la ter- 
rasse , nous emparer dti passage de la porte de 
FAssemblë^ nationale que lamiée des piques dé- 
fendait , futfdej:totre côté l'affaire d'un moment. 
Arrivés à ce passage , nous tentons de ^pénétrer 
dans la salle , dans le dessein d'entourer la fa- 
mille royale et de la sauver , en nous assurant de 
tous les membres de l'Assemblée ; nous crions aux 
deux gendai^ies d'ouvrir , ils nous répondent que 
la ehode est impossible ; que les portes sont barri- 
cadées au-oedans depuis l'arrivée de la cour , et 
ils finissent parimplorer notre protection i Le dan- 
ger pressant de la famille royale anim^et double 
nos efforts. Nous nous jetons une douzaine à laLfois 
sur la grande porte; ellecommençajtr^Jéjààployer, 
mais , faute de sapeurs , toutes nos peines furent in- 
fructueuses. Dans ce moment^ délibérant sur le parti 
que nous avions à prendre dans une position aussi 
,terrible, j'aperçus Içs canonniers du corps-de-garde 
de la cour des Feuillans courir cà et là • le sabre 
à la main , avec beaucoup d'agitation. Les gestes et 
les mouvemeys convulsifs de ces canonniers m'ayant 
donné de la méfiance ^ je criais et démontrais à 
mes camarades que le passage où nous étions 
^ étant trop étroit ^ nous ne' pourrions nous retour- 
ner , si nous étions attaqués des deux côtés , ainsi 



M 



2^2 MÉMOIRES DE WEBER. 

<|iie les manœuvres de ces canonniers le faisaient 
présumer. Nous n'eûmes en effet que le temps de 
sortir et de nous serrer contre le mur , pour faire 
place à la multitude qui traînait une pièce de canon 
avec tant de vitesse , que les roues passèrent sur 
la poitrine d'un canonnier qu'on en retira pour 
mort. Ce canon j chargé à mitraille , fut aussitôt 
braqué à ce même poste, pour ext^yminer, disaient- 
ils , tout ce qui avait osé suivre la famille royale , 
contre la défense de la députation du département 
et de celle de la commune. 

Je n'entreprendrai point de décrire toutes les 
Horreurs dont je fus témoin , depuis dix heures du 
mittin jusqu'à trois de l'après-midi y que nous sof^ 
tinies enfin de ce lieu de carnage. Il me suffira de 
dire que je vis apporter et distribuer à la vile po- 
pulace les armes des officiers suisses y de beaucoup 
de gardes nationaux , et de presque tous les roya- 
listes qui , s'étant rendus au château pour y défen- 
dre les jours de leurs maîtres ^ y avaient été mas- 
sacrés ; que je vjis désarmer et déshabiller quatre- 
vingt-six grenadiers suisses, quatorze autres ayant été 
tués pirécédemment à coups de piques et de baicm- 
nettes dans le jardin > sm^ l'escalier de la terrasse y 
et à la porte des passages dont nous nous étions 
emparés. ^ 

Je fus forcé d'accepter six cartouches qu'un 
garde soldé distribua à chacun de nous pour fu- 
siller , nous disait-il y les Suisses de la caserne de 
Courbevoie y que l'armée des piques devait ame- 



CHAPITRE y. :235 

ner à quatre heures. Enfin , épuisés, éperdus, fré- 
missant d'horreur et de rage , à la vue de tant et 
de si exécrabl^ forfaits , sans espoir désormais 
de secourir nos maîtres , nous parvînmes , à la fa- 
veur du tumulte , à sortir de ce lieu infernal , au 
risque d'être reconnus et poursuivis , plutôt que 
d'être condamna par les assassins à nous mêler 
aux meurtriers de ces malheureux Suisses dont le 
beau régiment périt , presque en totalité , victime 
de son devoir ^ de 5on zèle , de sa fidélité. 

.Dès que nous famés sortis de la cour des Feuil- 
lans , plusieurs de mes camarades ( i ) s'esquivèrent 
de différéns côtés , et nous ne restâmes que cinq 
à l'entrée de la rue Saint-Honoré. Pour être 
moins remarqués par les assassins soudoyés dont 
cette rue et la place Vendôme étaient remplies , 
nous les traversâmes, en affectant un air d'indiffé- 
renca qui pût faire prendre le change^ et faire 
croire que nous venions d'être relevés d'un poste. 
Nous feignions , presque à chaque pas , d'essuyer 
notre visage , pour l'exposer le moins possible à 
leurs regards. Nous parvînmes ainsi peu à peu a 
gagner la rue de^ Çetits-Champs. 

Mes camarades m'ayant quitté dans la rue de 
Gaillon , je continuai mon chemin avec l'intention 
de regagner mon domicicle , rue Sainte- Anne ; 
en approchant de la rue Saint- Augustin , par la- 
quelle je devais {ftsser , j'entendis la femmç d'un 

( I ) Dupont de Nemours et son fils. W. 



^34 MÉMOIRES DE WEfiËR. 

ouvrier de ma section , crier à sa voisine ; « Tenez, 
» ma commère , voyez ce coqtdn d'aristocrate , 
j) ils ne l'ont pas tue ; mais va ,«<gijouta-t-elle en 
» me montrant le poing , mon mari saura te trou- 
n ver ; tu nous échapperas aussi peu que tes 
» chiens de camarades. » ^ 

Je fis semblant de ne pas entendte cette tnégère , 
et je continuai ma vâate ; mais un peu plus loin je 
fus accosté par deux inconnus qui me dirent à de- 
mi-voix , en passant près de moi et regardant du 
côté opposé : (c Monsieur, nous savons qui vous 
» êtes ; nous craignons pour vous , on vous cherche 
» ainsi que tous les -grenadiers des Filles-Saint- 
» Thomas ; on veut vous tuer comme les Suisses ; 
» ne rentrez pas chez vous^ans ce moment , car 
» vous indiqueriez votre demeure par votre cos- 
)i tume. » 

Je profitai du conseil de ces messieurs , en en- 
trant sup-le-champ dans l'hôtel de Choiseul. Je fis 
part à madame la comtelsse de Qioiseul^d' Aille- 
court du danger que je courais en me rendant 
chez moi avec le costume d'un bataillon proscrit. 

* 

Cette dame, dont ma conduite avait obtenu l'es- 
time, envoya chercher le chevalier Guibert , ma- 
jor de la garde constitutionnelle du roi , qui lo- 
geait dans le même hôtel , et le pria de me donner 
de quoi changer j il me conduisit dans son apparte- 
ment,:- j'y déposai panache , fusil, giberne, jus- 
qu'à mes guêtres , dans la jcrainte que la populace , 
-ou les gendarmes qui étaient en sentinelle à l'hètel 



CHAPITRE V. J255 

de la régie , en face dfe l'hôtel Ghoiseul , ne vinssent 
à me reconnaître pour un grenadier des Filles-Saint- 
Thomas y et ne se saisissent de moi , comme ayant 
été de service au château. 

Arrivé chez moi , je me travestis de mon nûeux, 
et après avoir sollicité en vain un asile pour moi 
et mon fidèle domestique chez plusieurs personnes 
de ma connaissance y je fus enfin assez heureux 
pour obtenir de M. Arcambal , premier secrétaire 
du département de la guerre y de pouvoir passer 
là nuit dans sa maison. 

J'appris le lendemain qu'on avait publié et affi*- 
ché la cassation et la proscription du bataillon des 
Filles^Saint-Thomas. Ne sachant plus où me retirer, 
désespérant , d'après l'épreuve que j'en avais faite 
la veille , de trouver quelqu'un d'assez courageux 
pour m'accorder l'hospitalité , je me déterminai à 
me rendre à l'hôtel de mylord Gower, alors am- 
bassadeur du roi d'Angleterre a la cour de France, 
qui est aujourd'hui revêtu du titre de marquis de 
Staflbrd , pour lui peindre toute l'horreur de ma 
situation , et pour me hasarder de lui demander un 
asile jusqu'au moment de son départ cpie je pré- 
voyais n'être pas bien éloigné. Je fis encore cette 
dénnarche dans l'espérance qu'il pourrait me faire 
passer dans son pays comme une des perscmnes de 
sa suite. . . 

M. l'ambassadeur étant malade , je ne pus pas 
avoir ^honneur de lui être présenté ; mais madame 
l'ambassadrice me fît l'accueil le plus flatteur. 



^36 MÉMOIRES D£ WEBER. 

Guidée par sa générosité ukturelle , elle eut la 
bonté de m'oflfrir tout l'argent qui pouvait 
m'être nécessaire dans les circonstances où je me 
trouvais. Je m'empressai de lui en témoigner ma 
vive et respectueuse reconnaissance ; je l'assurai 
que je n'étais pas dans le besoin y ayant encore 
plus de cent louis en or sur moi. Ces preiniers té- 
moignages d'intérêt m'inspirèrent un surcroît de 
confiance : sur-le-champ j'osai la prier dé m'ac- 
corder un. asile momentané dans son hôtel y de me 
comjprendre , s'il était possible , dans le nombre 
des personnes qui auraient le bonheur de sortir de 
France, avec elle. 

Madame l'ambassadrice m'exprima avec beaucoup 
de bonté les regrets de ne pouvoir m'accorder la 
grâce que je sollicitais. Elle me dit qu'il y avait chez 
elle y comaïie chez tous les ambassadeurs , deux ou 
trois espèces de jacobins dont il ne lui était pas 
j>os£;ible de se défaire ; que je risquerais de m'y 
faire prendre , ce qui lui ferait in^nimént plus de 
peine que de voir piller son hôtel par la populace. 
A toutes ces marques de bonté , elle voulut bien 
ajouter celle d'envoyer chercher le secrétaire 
d'ambassade ( i ) ? afin de se concerter avec lui 
sur ce que. je de^^^^ faire dans un moment aussi 
critique. Après qu'ils eurent raisonné ensemble 
sur ma situation ^ madame l'ambassadrice me con- 



(i)M. Huskisson, depuis premier secrétaire de la Trésorerie, 
sous M. Pitt, et aujourd'hui membre du parlement. W. 



CHilPITRE T. 2iy 

seilla de me rendre chez un Allemand ( i ) , maître 
delà manufacture deporcelaine d'Angoulême , rue 
du Temple , et de m'y présenter, de sa part. Elle 
voulut bien m'assurer de plus qu'elle ne doutait 
pas que le dévouement connu de cet homme pour 
fe famille royale , ne l'engageât à contribuer de 
tout son pouvoir à ma sûreté personnelle. 

Je n'eus rien de plus pressé que de prendre congé 
de madame l'ambassadrice pour me rendre chez 
la personne qu'elle venait de m'indiquer. En pas- 
sant près de l'hôtel de M. de Mory , fils du cais- 
sier de la compagnie des Indes , j'y entrai pour 
lui faire part de mon projet. Il fut sensible à la 
confiance que je venais de lui témoigner , et après 
m'avoir donné des conseils sur ce qu'il croyait que 
j'avais de mieux à faire , il m'apprit que* la famille 
royale devait être enfermée au Temple ; puis 
ayant réfléchi que la garde nationale aurait alors 
un corps-de-garde en face de la manufacture de po»- 
celaine , qu'elle me reconnaîtrait infailliblement à 
la longue ; que d'ailleurs -un ouvrier suffirait pour 
me dénoncer y il m'ofirit aussitôt un asile dans sa 
maison , et me pria , au nom de l'amitié qui nous 
liait y de ne pas le refuser. 

J'acceptai les offres de M. de Mory, avec d'autant 
plus d'empressement que je croyais par là mettre 
ma vie à l'abri de tout danger , sans crainte de le 
compromettre. Je savais qu'il avait la confiance de 

" ' !■ . - 1.^ Il I . I I ■ I I ■ ■■ ■ Il > 

(i)M. Dhill. W. 



238 MÉMOIRES DE WEBER. 

sa section ( i ) ; il faisait d'ailleurs beaucoup de 
bien aux pauvres ; il était sincèrement aimé ; j'étais 
donc bien sur qu'il ne pouvait rien lui arriver de 
fâcheux. 

En me rendant à l'invitation obligeante de cet 
honune généreux 9 j'avais le projet d'attendre chez 
lui l'ouverture des barrières , et de tâcher d'obte- 
nir , par sou moyen , un passe-port de l'Hôtel-de- 
Ville pour sortir du royaume ^et me réfugier à 
Londres le plus tôt possible. 

Je passai cinq jours chez mon nouvel hètd dans 
la plus parfaite sécurité. La pureté des principes 
de M. de "Miory et sa probité m'étaient trop bien 
connues y pour avoir le moindre doute sur l'honnê- 
teté denses procédés à mon égai^. Mon domestique' 
était^d'ailleurs^ la seule personne qui connût le lieu 
de ma retraite. Je n'avais pas balancé à*kii c(mfîer 
ce secret important 9 d'après la longue expéti&àcç 
qpe j'avais de sa fidélité et de son attachement; il 
n'eût en effet jamais été capable de me trahir , si 
les démagogues n'eussent eu recours aux ipoyens 
lès plus eflfrayans pour le forcer à leur indiquer 
ma nouvelle demeure. 

Je lui avais ordonné d'aller s'informer tous les 
jours 9 de ma part y auprès de certaines personnes 
du service de la* reine y de ce qui se passait dans la 



(1) De la Croix-Rouge. Ce fut dans cette section que le comte 
de Glennont-Tonnerre fut massacré par son cuisinier qu'il ayah 
congédie quelques jours auparavant. W.. 



C9APITHE V. 230 

ville y à l'Assemb^^! et surtout au Texx^>le y ^t de 
venir rnea rendre compte tous les soirs. Mais s'é- 
tant aperçu , dès le premier jour , qu'on observait 
ses démarches ^ et que des mouchards le suivaient 
partout , il crut devpir employer la ruse pour se 
rendre auprès de moi sans se compromettre. Il' se 
servit à cet effej du moyen le plus capable de 
donner le change aux malveill^ns ; lorsqu'il sortait 
de mon appartement dont il était resté gardien, 
il se rendait d'abord dans un quartier éloigné ; là 
il prenait un fiacre qui le conduisait à une certaine 
distance , et il faisait ensuite à pied le reste du che- 
min pour arriver jusqu'à moi. Je lui avais recom- 
manda dès le premier jour dé dire à tous ceux qui 
pourraient demander de mes nouvelles, que j'étais 
à une campagne dont il ignorait le nom. ^ 

Cette conduite > que la prudence commandait 
dans un moment où }e savais que tous ceux de 
mon bataillon (i) , échappés 4e lo août, étaient ou 
arrêtés ou en fuite y nous réussit jusqu'au 1 8 ; mais 
à cette époque les jacobins y furieux de ne pouvoir 
découvrir ma retraite , résolm'ent de se saisir de 
mon domestique. 

Après avoir épuisé en vain tous les genres de 
séduction , ils usèrent de rigueur. Accablé de mau- 
vais traitemens, menacé même de la guillotine 
s'il n'indiquait le lieu de ma retraite, il se vit dans 
la cruelle nécessité de le découvrir. 

(i) Tassin , commandant de bataillon; "Wermaring^ capitaine ; 
Guischer, Keutenant ; Heck , .sergent. W. 



a4o MÉMOIBKS BE WEBER. 

Sur^le-cliamp , six hommes armés de piqiies fu- 
rent envoyés par ma section pour s'assurer de ma 
personne. Mais les hommes à piques étaient dans 
un tel embarras , ils étaient saisis d'une si grande 
frayeur lorsqu'il s'agissait d'arrêter un grenadier 
de mon bataillon y que les six en question crurent 
q^'il était prudent de demander un renfort de six 
de leurs camarades de la section où je m'étais ré- 
fugié. 

Ils arrivèrent donc au nombre de douze chez 
M. de Mory , mon respectable hôte , comme nous 
allions nous mettre à table, au moment où nous 
étions loin de nous attendre à une pareille viske. 
Ils s'emparèrent de moi , et sans me laisser^ pour 
ainsi dire , le temps de prendre congé de M. de 
IVIory que cet événement avait jeté dans la plus 
grande consternation , ils me conduisirent d'abord 
au bureau de la section de la Croix-Rouge pour 
faire insérer dans le protocole du jour le procès- 
verbal du secours que cette section avait prêté à la 
mienne pour mon arrestation , et lui promettre aide 
en pareille circonstance. 

Cette cérémonie d'usage finie ,• on me fit mon- 
ter en voiture ; le renfort se retira , et les six hom- 
mes de ma section , seulement , m'escortèrent en- 
suite jusqu'à mon corps-de-garde , rue Favart , où 
l'on me retint quelque temps , et d'où j'arrivai enfin 
au couvent des Filles-St.-Thom«s , rue Vi vienne , 
pour y subir un premier interrogatoire. 
' En passant rue de Richelieu devant la boutique 



CHAPITRE V. 541 

de mon marchand de linge > je me rappelai qtie 
j'avais sur moi un rouleau de quarante doubles 
louis. Assuré que j'allais être dévalisé en prison , 
je demandai aux gens de l'escorte éPentrer un ins- 
tant dans la boutique. Ils me l'accordèrent sous 
la condition que je ne m'y arrêterais qu'un moment. 

Je me hâtai de faire à la marchande un court ex- 
posé de lïia situation ; je lui dis à voix basse , que 
je venais d'être arrêté , que l'on me conduisait 
en prison^ et que j'y serais vraisemblablement dé- 
pouillé ; je la priai de tenir en dépôt ces qua- 
rante doubles louis , et de me donner seulement 
cent livres en assignats pour ma dépense journa- 
lière. ^ 

JSans attendre sa réponse je jetai ôur le comp- 
toir le rouleau, que je pris la précaution de couvrir 
de linge à la vue de son beau - frère et de deux 
j eunes personnes qui travaillaient à côté d'elle . 

La marchande me répondit qu'il ne lui était pas 
possible de me donner des assignats ; que son mari 
était à la campagne , et qu'il avait emporté , par 
distraction, la clef de son armoire. 

Je m'en consolai facilement , ayant encore quinze, 
doubles louis dans ma bourse ; et m^estimant assez 
heureux d'avoir sauvé mon rouleau , je rejoignis 
mes conducteurs. 

Arrivé à ma section > j'y fus interrogé par le pré- 
sident (i ) de la manière la plus vétilleuse , et d'après 



(i) GoUot-d^Uerhois , mauvais comédien de province. W, 
II. 16 



2/^2 MÉMOIRES DE WBBER. 

les instigations de plusieurs jacobins que je con^ 
naissais pour être aussi furieux que bornés y et qui 
ne cessaient de. lui parlera voix basse contre moi; 
ce qu'il m'étaiPfacile de juger d après leurs gestes 
et leurs coups-d'onl menaçans. 

Comme j'étais occupé à répondre à une infinité 
de questicHis ^ le beau-frère de la marchande de 
linge arriva ; il demanda la parole , et dit en pré- 
sence de tout le comité : a Je suis trop bon patriote 
» pour ne pas dénoncer le citoyen lyeber; je dé- 
« clare qu'il a quitté son escorte pour entrer dans 
>i la boutique de mon frère , et qu'il a déposé sur 
» le comptoir un rouleau de doubles louis ; il 
» voulait que ma belle-sœur tînt en dépôt cette 
n somme. Mais nia famille ne voulant avoir rien de 
» commun avec un homme en état d'arrestation y 
» je m'empresse de r^nettre cet or sur le bureau 
» du citoyen président. » 

Après m'avoir demandé d'où provenait cette 
somme y et ce que je comptais ea faire ( question 
qui fut couverte de huées de la part de tous les 
assistans ) ^ le président y accoutumé à obtenir sur k 
théMre des applaudisseiBens de ce genre y décida 
sans se déconcerter que le rouleau serait consi^^é 
à la trésorerie de la section ; il m'interrogea «n^ 
suite sur le lieu de ma naissance , sur mon âge , 
^ur mon état. Dès que j'eus satisfait à sies ques- 
tions , il ajouta : « Étiea-vous du nombre de ceux:' 
» qui tirèrent le sabre contre les Marseillais à la 
» place Louis XV ? » Ma réponse fut affirmative , 



ëh ajotitatkt tfût )t f àYâfe felt trtirqtiefnëhf j)iiUi* iîiâ 
dëfefisc? petsonnellé. . ' 

Il continua : a Là Ifèitîù à-<-êflé pi\à tiè'aucôup 
» d'intérêt à votre situation ? Où vous efes-votis 
}> retiré ensuite avec lés âutréâ grenadiers t » 

Je répondis î (( Ni lé rôi tii U reine; ii'Bnt eh- 
>) tendu parlef de ttàné ; fi^tiùté te ^iie mes ça- 
>9 malades blessés totft déVeWuè de jôùr-!a ; pour 
» moù compte je sttis re^té diiëz uïi ôfeder* de ser-' 
» vice jusqu'à la nuit. » * 

« Vous êtes trè^-at^èbé , m^ (fit-il ^ àù roi et 
}) k ÏSL reine, -^^ Î]è sont ihéô Bienfaiteurs , le me 
» fais gloire de lértw* être dévoué à la vie et à Ja 
» mort. )ï 

Plusieurs perèonties , reraâr^îpïaiit àVéc cpietle 
animôsîté le présideniî faisait insérer dans lé pi*oc^ 
verbal (i) la dernière déclaration que je venais de 
faire , et croyatit y âpëfcévo'ïf mon arrêt de mort, 
s*écrîèréïit : a Mon IfiôU ! qu'il est maladroit î' 
» Mon Diçù ! qtïé Cet âveû est déplace f le voiïà 
» ;pérdû ! D 

Ehfin , afprës^itt'a^tfîf tettu , tantôt a la barre, et 
tantôt çnfemle dàilà ttùt diâ^éllé grîfifé^e , depuis 
rfaatre jusqu'à neuf Étéùféâ dtt soif , et m avoir fkit 
signer le pfocès-^él^baî dé 1 inferfôgàtotré que je 
v^ËfïsàÉ de éu1)ît', il Aie tètïvôyà àû çofp*^e-garde 
pùttt y passer la nuit , âans i^embarràsser ni dés 



«•. 



n 



«< 



(1 ) Ce procès-verbal du 18 août doit âtre sur le registre ou dâus 
lesrafcl1ii)v<i»dtklMtk>ilde i-tc^. W. 

i6* 



:i44 UÉMOIRjSS DE WEBER. 

murmures ni des cris d'improbatiou qui partaieni^ 
de toutes parts , contre les sentimens de préven- 
tion et de. haine qui perçaient dans sa conduite à 
mon égard. 

Le lendemain, à dix heures du matin, on me con- 
duisit en voiture, sous la même escorte, à THôtel- 
de-ViUe : là., u^. commissaire de ma section , après 
avoir vérifié l'interrogatoire que j'avais subi la veille, 
lut à haute voix les quatre crimes de lèse-nation 
dont j'étais accusé : , 

w 1 * D'être •Autrichien : 2** d'être frère de lait 
» de la reine ; 3® d'avoir été du nombre des gre- 
» nadiers des Filles-St .-Thomas qui avaient tiré 
» le sabre contre les fédérés ; 4** d'avoir escorté la 
>) famille royale , malgré l'ordre de M. Rœderer, 
}} jusqu'à 1^ porte de l'Assemblée nationale ^ le lO 
)) août à neuf heures du matin. » 

Ce même commissaire y ajouta une nouvelle dé- 
position , signée de mon propriétaire et de mon 
portier ; elle était conçue en ces termes : 

a Nous félicitons la section et le comité ,de sur-: 
;t) veillance d'avoir pu se saisir d'un aristocuate 
)) aussi dangereux que le citoyen Weber : nous 
» .prévenons et nous certifions qu'il n'y a pas un 
» homme plus habile dans le maniem^t des armes 
» à feU j que de plus il a appris^ à tous les aristo- 
» crates ses amis à tirer au pistolet ; et qu'enfiur 
w il a fait venir de son pays et leur a distribué une 
» quantité de ces armes. ^> . , 

Sur cette nouvelle déposition je demandai la pa- 



t , • 



CHAPITRE V. 2^5 

». • 

rôle pour me justifier , mais je fus interrôn^pu par 
' les huées de toutes les tribunes , ou la populace se 
reléguait jour et nuit , depuis le lo août , pburfor- 
■ gerdes dénonciations et y applaudir. Un canonnier 
du faubourg St .-Antoine , ayant deriiandé la pa- 
role un instant après , me dénonça de* la manière 
suivante : « Je connais beaucoup ce citoyen ; je 
» l'ai vu entouré d'officiers suisses et de tous ceux 
» de l'état-major de la garde nationale qui .firent 
» les insolens lorsque les aristocrates daublerent 
» la garde du château. Je Fai entendu haranguer 
M ce JQur-là, et promettre fomiellement^le g août, 
» de faire tomber dans une demi-heure lés têtes 
w de Pétion et de Manuel. » 

Ce canonnier, qui ne m'avait jamais ni viini en- 
tendu , peu content de me charger dé ces calom- 
nies, prit à témoin de la vérité de sa dénonciation 
un vieillard en uniforme national assis à côté de 
lui : celui-<îî attesta les faits sans jamais m'avoir 
vu , sans même se donner la peine de chercher des 
yeux celui à qui on les imputait. 

Pétion et Manuel , du haut de leur trôn,e , spitrî- 
Tent avec complaisance au canonnier , et après 
avoir donné à l'élaii de son patriotisme lés éloges 
qu'il méritait, et l'avoir remercié surtout des pibyiîns 
qu'il leur fournissait d'immoler une victime de plus, 
ils lui expédièrent l'ordre de me conduire , accom- 
pagné de quatre gendarmes , au comité de surveil- 
lance , et de là à l'hôtel de la Force. ' 
La joie de la populace , lorsqu'elle me vît pour 



2^^ MÉMQ^RÇS PP WEBER. 

ainsi dire à s^ dispositiou ^ dçyijit généraLç ^ et cette 
çajiaille n'ai:p*ait pas sitèf; mi^ fiu à ses menaces et 
à sjBs injurêys ^ si Mamiçl p avait dejnandé Ift parole, 
pour VjËfmu^er d'une manière miUe fois plus déchi- 
rante pour moi , puisque U famille royale était 
1 objet de seç grossières plais^nteriesi. 

Ce scélérat, pour égî^ye:p gpa gimi Pétioxj,, ainsi 
que le Jçste de Taspemblée | ?'ég^y9. partiçqUère- 
nient sur Iç compte de la jerne de U manière la 
plus iQdéçentp. Ypiçi. comme il §.'expj:im9L - 

« Il fa^t convenir qu'il n'y ^ yiçu 4e si emhar- 
>) i^assanf dans le monde qu'm^ç famiBe royaLç €|t 
» spn fi^ttirail. Il es^ temP3 eîjfin dfi t^JajCT ce cor- 
» tége , d'arracher à la reine toutes ces femmes qiji 
» l'entourent , et de les mettre, en lieu de sûreté , 
» pour les empççhçr de i^ouisi ijmiyp à V?*venir, n 

Ces paroles excitèrent, Ufie approbation géné^aiei. 
Sur-le-champ Iqs cris « £^ l'AbMye , à U Force 1^^ 
n femmes de la rçii::^e.;(x)« retwtifçirt 4^ toiîf 
côtés. îl cqntinua : u J'ai yu hier la fema;ae du rqi ^ 
» ce n était plus cette fçiïm^Ç litière que ci Wi pe 
>i pouvait fléchir } je l'ai péellement vu^ ple^ifen; je 
»! lui ^i beaucoup pfirl^. et à SPP fife a^issi ;, je po^ 
» dire qvie le p^tit m'a fort ipt^ssé; J'^i^it^^p^ç 
M "autres choses à 1^ p]mi^M W , <^^']i^ ^i)!»!» 
M liu 4onmr pour çpjp^ ^e]f^<;e, 4ç§ li^WJiai?^ i^, wa 

r(>)< Mfidaibe Ib LâinbaUer, stl^iëtendai^ âe \k inàlàôii ^ U 
reine ; madame la jpf^if^Sf^ d^ l^t^lck/ gouvernail to dc^ « ^ 
de France, ; W 



Il •■ 1 T r 7 • » » 

• > « »A 



CHAPITRE V. ' ' 3 4*7 

» connaissance, : elle m'a répondu qu'elle n'en àvah 
» pas besoin ; qu elle et sa soeur sauraient se ser-^ 
» vir réciproquement ; k cela j'ai répondu à la 
M femme, du roi : Fort Bien y Madame , puisque 
^ vous ne roulez pas accepter de ma main ded f em- 
w mes pour votre service , vous n'avez qu'à vous 
» servir vous--même y vous ne serez pÀs embar- 
n rassée sur ie cboix. » 

En débitant de pareilles indécences contre la 
fille de Marie-Thérèse , Manuel fut souvent inter- 
rompu par les appkudissemens de Pétion et dé 
tout son auditoire. 

Sur ces entrefaites y le canonnier qui n'avait pas 
. perdu de vue ses projets contre moi , arriva , accom- 
pagné de deux commissaires y pour me remettre 
entre les mains de quatre gendarmes , avec ordre 
de me conduire au comité de surveillance . 

Une troupe de poulardes , accompagnées d^autres 
aâsassms soldés ^ir la faction , s'empressa de me 
sunrre y et dit à haute voix k ceux qui tachaient de 
les retenir : (c Nous ne sortons que pour un ins- 
>i. tant , ce n-'est que pour faire voir du pays au 
» frère de lait de la reine qui a voulu faire sauter 
» la tête Me M, Manuel et de M. le maire. » 

D'après ces propos dont je ne dissimule pas que 
}e fus très-^épouvanté ^ je m'attendais à être assas- 
siné^ comme l'avaient été MM. Foulon et de Lau- 
nay, sur les marches de l'escalier par lequel je de- 
vais passer pour me rendre au comité. 

Le ciel , qui voulait me conserver , m'inspira 



^43 MÉMOIRES DE WEBER. 

danff le moinent Fidëe de m adresser k l'officier (i) 
du corpfr-dergarde qui avoisiuait le fatal escalier. 
Cet officier m'écouta avec .intérêt , et ayant ap- 
pris de moi le sort dont j'étais menacé , il me re- 
tint quelques instans , penda];it que la populace al- 
lait voir l'installation de Santerre que la faction 
venait de faire nommer commandant général de la 
garde nationale de Paris , place à laquelle il visait 
depuis long-temps. 

Effectivement les assassins se dispersèrent pour 
assister à cette cérémonie. L'officier saisit cet ins^ 
tant pour me faire conduire au comité de surveil" 
lance dans une voiture de place , qui me déroba à 
tous les regards. 

C'est ainsi que j'échappai à ces assassins y dont 
un des plus déterminés avait , m'a-t-on dit, préparé 
son sabre pour porter le premier coup ^ les autres 
n'auraient pas manqué alors de se jeter. sur moi ; 
ils m'auraient déchiré , et auraient fini, comme -de 
coutume , par porter en triomphe ma tête au bout 
d'iftie pique. 

Arrivé au comité de surveillance , le canonnier 
fit de nouveau sa déposition , après quoi on ren- 
voya les gendaniies , et je fus enfermé ^ans une 
chambre où il me fallut rester depuis midi jusc[u'à 
sept heures du soir. Ce fut alors que deux commis* 



(i) C'était un chevalier de Saint-Louis , dont malheureusement 
je n'ai pu savoir le nom. 



CHAPITRE Y. ^49 

saires (i)y arrivèrent pour me conduire en fiacre 
à rhôtel de la Force. 

J'y fus enregistré , selon l'usage } le sieur Le 
Beau , concierge de cette prison , me promit de me 
traiter avec tous les égards possibles , et me fit 
mett^'e dans la chambre appelée la chambre de 
Cpndé , où étaient déjà les chevaliers de Rfiu- 
lières (2) ( commandant de» la garde à cheval dç 
Paris ) et de La Chesnaye ( commandant de la 
garde nationale , et de service auprès de la per- 
sonne du roi, le 10 août ); MM. Jurien ( pre- 
mier commis de la maison du roi et de la liste ci- 
vile ) , Vochel ( prernier commis du département 
de la gueire et du bureau d'artillerie ) , et Des- 
niarest (académicien). Ces trois derniers furent 
élargis quelques jours après et remplacés par 
MM. Le Fauchet ( l'administrateur des poudres et 
salpêtres : son père, au moment de son arrestation , 
se brûla la cervelle d'un coup de pistolet ) , Saint- 
Brice ( brigadier des gardes-du-corps de Mon- 
seigneur le comte d'Artois ) , baron de Batten<?ourt 
( officier-général ) , Poupard de Beaubourg ( garde 
de Monsieur) , de La MerKère ( conunissaire de 
la comptabilité ) , et Magontier ( premier valet de 
chambre de Monsieur ) . 

(1) L'un d'eux était probablement le bourreau, car il dit à sor^ 
camarade, en traversant la place de Grève : « J ai eu hier beaucoup 
» à travailler ici. » . W. 

(2) Ce n'est point Tauteur de V Histoire de V Anarchie dePologne; 
celui-ci était mort d'un squirrhe^ en 1791. {Note des noup. édif^) 



:250 MÉMOIRES DE WEBEK. 

La fenune 'du concieiçe ayant appris des deux 
commissaires que j'étais arrêté pour la journée du 
I G août y en témoigna la plus grande satisfaction , 
en disant : cr Fort bien , çà ira ^ çà ira. » 

Le Beau ^ s^étant aperça que les eiqpressions de sa 
fenune m'avaient affligé^ chercha^ aussitôt après le 
départ des commissaires , à me consoler ; il me re- 
présenta que je ne devais pas m'atfecter de ces dé- 
monstrations politiques conunandées par les cir- 
constances. 

Les guidietiers, suivis de deux gros chiens , ve- 
naient régulièrement à sept heures du matin ouvrir 
les portes des prisons y et nous laissaient la liberté 
de tious promener à l'ombre de deux rangs d'arbres 
qui se trouvaient dans notre grande cour. 

Ils revenaient à huit heures du soir avec la 
même escorte j et à grands cris , et aux coups re- 
doublés d'une sonnette , ils nous avertissaient de 
rentrer i ils renfermaient ensuite tous les prison- 
niers : nous étions obligés de pourvoir à notre sub- 
sistance et d'en payer les frais. Il se trouva, au 
nombre des personnes en état d'arrestation , deux 
cuisiniers détenus comme suspects : ils se char- 
gèrent de notre table a raison de 5 fr. par tête. 

Je passai dans cette prison treize jours qui me 
parurent autant de mois , et , j'ose l'assurer, les in- 
quiétudes qui me consumaient , provenaient au- 
tant de l'ignorance où j'étais du sort de la famille 
royale, que de mon incertitude sur celui qui ni'at- 
teiidait. 



CHAPITRE y. 25l 

Les chevaliers de Rhulières et de La Chesnaye 
me parurent également navrés de douleur; 

Us Qu'apprirent que M. de La Porte ( ministre 
de la maison du roi et intendant de la liste civile )y 
le l)rave Durozoi ( l'auteur de la gazette de Paris ) y 
et M. le baron Backmann ( major -général des 
gardesHsuisses ), avaient été successivement guillo- 
tinés. M. Durozoi fut guillotiné le a5 août ^ à la 
place du Carrousel y dite Égalité ^ en criant a qu'il 
il se fai3ait gloire de mourir le jour de la Saint-*- 
» Louis y jtonr la cause de la religion et pour celle 
» de son roi. » M. Baclunana mourut en héros. 
Cx>ii)mQ ce^ trois victimes de leur fidélité n'étaient 
pas pJdis coupables que moi y et qu'aux yeux des 
factieux nous l'étions autant qu'eux y nous nous 
^ttendlion^ à chaque instant k nous voir arracher des 
pri^onis pour subir le vmne sort. 

Cepeniâant j'échappai encore à ce danger, tandis 
que mes deux compagnons de captivité y succom- 
bèreobt , comme je l'exposerai ci-^près. 

J'étais en prison depuis neuf jouffs^ sans pot^ 
VW deviner le sort qui m'attendait ; tout ce que j« 
voyais y tout ce que j'entendais^ y n'était pas fait 
poi^r nie: tranquilliser. 

Massacre dçs prisonniers dans toutes les prisçns 
de Paris, au mois de septembre 1792. 

P^nd^^t }a n^it du ^^ du même m»» > nous 
aviom wt6nd^^ d^ notre ]»!!isD«L> beattcojtp de 
bruit 4w0^^b^ qow4^.)a Forç^^et dama ks cèamfaref 



^5^ MÉMOIRES DE WÏ:BER. 

qui étaient au-<lessus de la nôtre. Ce bruit nous 
avait fort inquiétés ; nous apprîmes le lendemain , 
de grand matin , que notre concierge avait été 
enlevé par la force armée , et traîné à la barre de 
l'Assemblée nationale pour se justifier d'avoir en- 
voyé au comité de surveillance un des prison- 
niers qui avait été mandé à ce tribunal et qui se 
trouva pris de vin. Dans l'état oii était cet homme ^ 
personne ne sera surpris qu'il ne se soit pas servi 
d'expressions bien mesurées dans ses réponses. L'As- 
semblée , qui s'arrogeait le droit de juger même 
des intentions^ prétendait que ceci était un coup 
prémédité de la part du concierge ; il parvint ce- 
pendant à se disculper ; mais le prisonnier y pour 
expier une faute qui ^ dans tous les cas y ne pou- 
vait mériter une punition bien grande y s'il eût eu 
des hommes honnêtes pour juges y fut condamné 
par le comité de surveillance à être mis au pilori. 

Ce malheureux , devenu furieux de cet acte de 
despotisme ^ entra dans la plus grande colère . Il 
se répandit en invectives contre l'Assemblée natio- 
nale , contre ses comités et contre la popiilace 
que l'on avait, payée pour le bafouer , et il fit, 
^ en descendant de l'échafaud , un geste qui expri- 
mait énergiquement la rage et le mépris. 

Cette scène avait été préparée par Robespierre ; 
cet homme sanguinaire cherchait à exciter le 
peuple contre les prisonniers , et à le porter à les 
massacrer tous , et faire place ainsi à de nouveaux 
proscrits , sens paraître encombrer les prisons. 



CHAPITRE V. ^55 

Lès satellites de ce scélérat s'écriaient avec fu- 
reur : « Il faut la tête du prisonnier qui a osé in- 
» sulter la nation ; » et ils se portèrent ver^ la pri- 
son pour en faire justice eux-mêmes. 

Le lendemain , ce malheureux fut jugé , con- 
damné et conduit au supplice ; mais on l'assura se- 
crètement , un moment avant l'exécution , qu'il ob- 
tiendrait sa grâce s'il voulait dire et soutenir avec 
fermeté , a que tous les prisonniers étaient armés 
>J d'une manière formidable ; qu'ils étaient en état 
^> de. faire dans peu la contre - révolution ; que 
» pour lui, il abandonnait la vie sans regret, parce 
» qu'il était sûr que ses camarades ne manqueraient 
>> pas de venger bientôt sa mort. » 

Cet infortuné n'eut rien de plus pressé que de 
vociférer ces menaces contre la populace , et de 
1 accabler de toutes ces prédictions ; niais les jaco- 
bins, qui ne voulaient se servir de ce prisonnier que 
pour donner à leurs brigands soldés et à la multitude 
un prétexte de tomber sur les prisons, ne le firent pas 
moins guillotiner aussitôt qu'il eut fini sa harangue. 
Tel fut toujours le sort de ceux que Robespierre 
se trouvait forcé de mettre dans ses secrets. 

Animé de plus par les satellites de Marat et de 
Robespierre , le peuple devint tout-à-fait furieux; 
et ne trouvant plus les tribunaux assez çxpéditifs , 
d proclama , le 28 , dans les sections , sa «ouve- 
raineté , et il se disposa , tout à la fois , à l'aide de 
l'armée des jacobins , à remplir les fonctions d'ac- 
cusateur , de juge et de bourreau. 



^54 . MÉMOIRES DE ^BBER. 

Pendant ce temps ^ les malheureux prisontiiers , 
ayertis du plan de Robespierre^ s'attendaient d'un 
moment à l'autre k être massacrés ^ sans pouvoir 
opposer la plus légère résistance. Ils passaient les 
nuits à écrire les lettres les plus touchantes à leur 
famille , à leurs amis , et à toutes leurs connais- 
sances y pour leur dire un dernier adieu ^ ou les 
engager à travailler à leur élargissement. 

, JPlusieurs de ces^ infortunés cherchèrent atiss^ les 
moyens de s'évader, et eurent l'imprudence de dire 
assez haut pour être entendus , qu'il serait facile 
d'enfoncer, avec les poutres cpii se trouvaieM au 
milieu de notre cour, le mur de la petite rue du 
Théâtre de Beaumarchais. 

Soit que des espions eussent été chargée de nous 
guetter, ou que les gendarmes, qui avaient tme gué- 
rite au premier étage, eussent entendu ce profk>s; y 
la municipalité en fut avertie , et les poutres furent 
enlevées, le même jour, par une vingtaine ifo*- 
vriers du faubourg Saint-Antoine qui, pendant tout 
le temps que dura leur expédition , M>tiis lancèrent 
des regards terribles, et nous parurent ^ dans leur 
pantomime, conxme ces m^iets qtti précèdeiït le 

fatal cordon. 

Le 3o ao4t, les conseils officieux que nOtrï «viôns 
demandés , d'après la loi qui en accordait à cette 
époque à tous les détenus , nous apprirent qtfe les 
lettres à nos pao^ens et à nos amis n'avaient servi 
qn^à allumer la pipe du concierge ; ik nous infor- 
mèrent aussi que la guillotine avait été déclarée 



CHAPJTRE V. 255 

permanente sur la place du Carrousel ; que cette 
place venait d'être nommée place de l'Égalité; qu'on 
était convenu de l'étrenner par l'exécution du prince 
de Poix , capitaine des garde^-du^ycorps et gouver- 
neur de Yersailles , cherché partout à cet effet, et 
qui eut le' bonheur de se soustraire à toutes lés re- 
cherches ; qu'enfin les détenus pour la journée du 
lo août devaient tous y subir le même sort^ 

Privé par là de toute consolation , et presque 
sans espoir d'échapper à la fureur des jacobins , 
j'écrivis mon procès d'après les deux interrogatoi- 
res que j'avais déjà subis, et je composai les réponses 
à toutes les questions qui pouvaient m'être faites 
dans les interrogatoires que je devais encore subir. 

Rassuré un peu par cette précaution, et plus en- 
core par ma confiance en l'Etre-Suprême, j'attendis 
avec résignation le moment redoutable de paraître 
devant les juges du nouveau tribunal populaire. 

Nous plissâmes plusieurs jours dans une situation 
qu'il serait impossible de décrire. 

Le ^ septembre, à quatre heures de l'après^ner, 
les guichetiers appellent les prisonniers sous pré- 
texte d'aller parler aux commissaires , ou de se faire 
inscrire pour les frontières. 

Câ appel continua jusqu'au soir , et on nous dit 
que les prisonniers qui ne rentraient plus avaient 
été transférés dans une autre maison d'arrêt. 

L'air inquiet , le ton sérieux et embarrassé des 
guichetiers qui allaient et venaient continuellement, 
accompagnés de gendarmes ou de gardes nationaux y 



À 



:256 MÉMOIRES DE WEBER. 

nous donnèrent assez d'inquiétude pour ne pas nôu^ 
déshabiller; enfîn^ fatigués d'entendre du bruit daLns 
la rue sans pouvoir distinguer ce que c'était , nous 
nous jetâmes , vers une heure du matin , sur nos 
lits pour prendre un peu de repos. 

J'étais à peine ]sur mon grabat , en face de là 
croisée , que mes yeux furent éblouis tout-à-coup 
par une grande clarté , produite par une grande 
quantité de flambeaux qui précédaient une horde 
armée. Cette troupe, conduite par les guichetiers, 
se porta avec rapidité vers le corridor de nôtre 
prison. 

La porte fut ouverte avec fracas ; six hommes 
à piques se présentèrent et demandèrent M. de 
Rhulières , mi de ceux qui se trouvaie;it dans ma 
chambre. 

Ce prisonnier s'étant mis sur son séant , répéta 
deux fois : « C'est moi , Messieurs , c'est moi . w 

Un officier municipal prit alors la parole , et 
élevant la voix de manière à être entendu des hom- 
mes armés qui l'accompagnaient , et dont les gui- 
chetiers pouvaient à peine contenir l'impatiente 
fureur, dit : « Vous êtes accusé, M. de Rhulières , 
» d'être un des conspirateurs du lo août ; je viens 
» vous dire de recommander votre ame à Dieu , 
» car le peuple demande votre tête ^ Je suis fâché 
» d'être chargé d'une semblable mission , mais 
» mon devoir m'y oblige. » 

Le chevalier de Rhulières répondit avec calme : 
(( Il y à déjà long- temps que je m'attendais au 



CHAPltRE V* ^èj 

«sort que vous m'annoncez ; j'aurais seulement 
») cru, ajouta-t-il , qu'on m'aurait interrogé. » 

Sur cette réponse , l'officier municipal s'appro- 
cha de la porte, et apercevant que le peuple ne vou- 
lait pas attendre , il lui rappela w qu'il avait pro- 
M mis d'obéir à la loi , qu'il l'avait juré , « et il 
demanda à cette horde affamée de sang , s'il pou- 
vait compter sur sa promesse ? Il ajouta , pour la 
disposer à l'écouter : « Voulez-vous permettre , mes 
» camarades , mes concitoyens , que M. de Rhu- 
» lières se rende au greffe pour être interrogé ? » 
Ils se mirent à hurler tous ensemble : Oui , otâ , 
^u'il vienne , mais qu'il se dépêche. 

Le chevalier de Rhulières fut donc emmené à 
deux heures du matin , le 5 septembre , pour subir 
son interrogatoire devant le tribunal populaire éta-t 
bli dans la chambre du concierge. 

Une heure après , on vint chercher de la même 
manière le chevalier de la Chesnaye. Inquiets sur 
le sort du chevalier de Rhulières , nous nous hasar- 
dâmes de demander au guichetier ce qu'il était 
devenu ? « N'ayez aucune inquiétude à son égard , 
w nous répondit-il , il y a déjà long-temps qu'il 
» est à l'Abbaye. » 

Ne sachant pas que cette phrase signifiait que 
l'infortuné avait été massacré à la porte de l'hô- 
tel y aucun de nous ne s'en affligea ; nous nous 
félicitions au contraire d'apprendre que le ciel avait 
conservé les jours d'un homme aussi intéressant que 

le chevalier, de Rhulières ; et nous conçûmes dès 

II. 17 



j58 mémoires ftE lYEBER. 

lors bien moins d'inquiétudes sur le chevalier de 
la Chesnaye qui avait dans sa poche , pour sa jus- 
tification particuli^e , les réquisitions de THôtel- 
de- Ville , du comité de surveillance et de la com- 
mune 9 par lesquelles on lui ordonnait, le lo août , 
de repousser , en cas d'événement , la force par la 
force. Nous étions loin d'imaginer que ce qui de- 
vait le justifier serait au contraire le signal de sa 
mort. 

Ayant vu enlever ainsi ces deux braves et loyaux 
gentilshommes , accusés du crime de lèse-nation , 
et sachant que j'étais détenu pour la même cause , 
je m'attendais à chaque instant au même sort. 

Je pris sur-le-champ le cahier qui contenait 
mon procès et les réponses de toutes Içs questions 
et inculpations que l'on pouvait me faire ; je le 
relus avec la dernière attention , afin d'être prêt à 
tout événement. 

Le départ des chevaliers de Rhulières et de 
la Chesnay e avait réduit notre chambrée à MM . de 
Saint-Brice , Karon de Battencourt , Poupart-de- 
Beaubourg et moi ; MM. Le Fauchet^ de La Meu- 
lière et Magontiér ayant été élargis queli^^ues jours 
auparavant. 

A quatre heures du matin , le chevalier de 
la Chésnaye que nous attendions avec la plus 
grande impatience pour savoir enfin de quoi il s'a^- 
gissait , n'était pas de retour ; les cris continuaient 
dans la rue sanà interruption ; les prisonniers lo- 
gés à côté , au-dessus et £^u-dessous de notre cbam- 



CHAPITRE t. aSg 

bre y jetaient sam cesse arraches de la leur^ et *trair- 
nés avec la dernière violence devant le. tribunal re* 
dotttable; ce bruit extraordinaire redoublait nos 
inquiétudes; il nous fut impossible jusqu'à huit 
heures de nous arrêter à aucune idée. Ce fut dans ce 
moment que nous vîmes entrer une foule d'hommes 
armés dans la cour. Ils se mirent à regarder aux fe- 
nêtres^ dans toutes les chambres^ aurez-de-chaussée^ 
et apercevant quatre prisonniers tout habillés sur 
leur Ut, ils ordonnèrent au geôlier d'ouvrir la porte 
de C0tte chambre. 

Ils entrèrent comme des furibonds, nous prirent 
au collet, nous secouèrent vivement , en nous trai*^ 
tant de Coquins , d'aristocrates , et nous repro*- 
chant de vouloir nous cacher ; ils ajoutèrent en 
prof éran^ mille blasphèmes : « Qu'ils ne nous quit- 
» teraienjt plus , et qu'ils allaient s'y prendre de 
» manière à savoir qui nous étions. » Ck)mme j'igno- 
rais qu'il s'agissait, en ce n^oment , de marcher k la 
mort , je m'abandonnai à toute l'indignation que 
ce traitement m'inspirait : je saisis un deoes hom-> 
mes armés à la poitrine , j'en pris un autre au col^ 
let , et, en les secouant à mon tour de la manière 
la plus vigoureuse, je leur dis : « Le guichetier a dû 
» vous apprendre que nous ne sommes ni- des co-^ 
» quins, ni des g^ns à nous cacher ; vous devriez 
» respecter le malheur si vous aviez de l!an^e , et 
» surtout vous rappeler que la loi défend tiemal^ 
» traiter les prisonniers sans savoir s'ils sont côo^ 
» pables* >i 

17* 



:260 MÉMOIRES DE VTEBER. 

Stupéfaits de ma hardiesse , ik se regardèrent 
un moment et me lâchèrent. Je continuai : « Ur 
)» honnête homme ne connaît pas la résistance quand 
>} il s'agit d'obéir à la loi ; mais vous n'êtes que de 
» vils oppresseurs ; vous êtes armés et je ne le suis 
» pas ; votre conduite n'annonce que des lâches ; 
>i je sers comme vous dans la garde nationale ; je 
>} peux comme vous reprendre d'un instant à l'au- 
» tre mes armes , et c'est alors que je vous invite 
» à m'attaquer . » 

Les guichetiers leur ayant parlé à notre avan- 
tage , ces satellites commencèrent à nous traiter 
avec un peu plus d'égards ; ik nous ordonnèrent 
néanmoins de les suivre , parce qu'il était, dirent- 
ils y de leur devoir de nous conduire devant le tri- 
bunal établi dans la chambre du concierge. 

Dès que nous fûmes sortis de la cour , escortés 
chacun de deux hommes armés , je perdis de vue 
mes compagnons d'infortune , et ne pouvant alevi- 
ner ce que signifiait la quantité de sabres nus en* 
sanglatités que j'àVâis sous les yeux , et les cris y 
à V Abbaye ^ à Coblentz y à V Abbaye , avec les- 
quels on accompagnait de temps en> temps un pri- 
sonnier à l'entrée de la rue , j'attendais mon tour 
avec résignation à la porte de la salle d'audience. 

Il était dix heures du matin lorsque je fus intro- 
duit; je vis un homme fort replet , en unif<)rnae de 
garde national y et décoré d'une édiarpe tricolore , 
asns près d'une grande table sur laquelle étaient 
placés les registres de la prison de l'hôtel : à coté, de 



CHAPITRK ¥. Jl6l 

l'homme à ëcharpe , qui faisait les fonctioiis de pré- 
sident du tribunal populaire J siégeait le commis 
des prisons, et, autour de la table, deux grenadiers, 
deux fusiliers , deux chasseurs et deux forts de la 
Halle. Voilà qu^ls étaient les personnages qui com«* 
posaient ce tribunal; enfin beaucoup de Marseillais 
et d'autres fédérés remplissaient la chambre d'au**- 
dience comme spectateurs. 

Le président commença ainsi son interrogatoire : 
tt Votre nom, votre âge, votoe pays? » Il se mit 
ensuite à regarder dans le registre l'article qui me 
concernait, appelé, en terme de prison, l'écrou. Le 
cùminis de l'hôtel le lui montra du doigt; il me 
parut contenir une vingtaine de lignes. ' 

Après Tavoir parcouru des yeux , et trouvé que 
l'étais détenu pour quatre crimes de lèse-nation , 
et surtout pour avoir passé la nuit du i o août au 
château , il se borna ( je ne sais encore aujourd'hui 
par quel motif) à me faire cette question : « Pour- 
« quoi avez-vous été, le 9 et le 10 août, aux Tui- 
» leiies ? » Je répondis : cr J'ai servi dans la garde 
» nationale de Versailles ; mais depuis quelque 
» temps méfe affaires m'ayant empêché de fair« 
» mon service , f ai payé exactement quarante sous 
» tous les jours au citoyen qui me remplaçait. 
n L'Assemblée nationale ayant décrété ensuite que 
>i tout homme dans ses meubles serait regardé 
» comme propriétaire, et à ce titre obligé de 
» monter dorénavant sa garde en personne , je me 
» suis fait inscrire dans la section de ma demeure 



À 



:i63 MÉMOIRES DE WEBER. 

w et y ai fait exactement le service. » J'ajoutai : 
H Depuis trois mois j'ai monté la garde ^ deux fois 
j» à l'Assemblée nationale et autant de fois au châ- 
D teau. Ayant reçu > le 9 à sept heures du matin ^ un 
M billet imprimé de la part dé M. Tassin (com- 
>i -mandant de bataillon) pour me rendre sur-4e- 
» champ au corps-de-garde, j'ai été envoyé comme 
» renfort avec dix-neuf de mes camarades , dans 
j»' les cours du château sous le commandement de 
D* MM. Guîcher (lieutenant) et Laurent (sous- 
j» lieutenant)^ et j'y suis resté par ordre de mes 
;>. cbefis jusqu'au dernier moment. » 
'>riie président, m'ayant écouté aveebeaucoup'd'àt- 
tention , adressa aux assistans les paroles suivantes : 
ec (^elqu'un de vous, citoyens, a-t-îl connaissance 
p des faits que le cif oy«i Wéner vient d'énoncer 
n pour sa justification? » DifiFérentes personnes sele- 
vèrent pour attester « qu'elles étaient parfaitement 
» instruites de tout ce que je venais d'avancer y et 
» que je n'avais rien dit que de trèsTConfoniie à la 
» vérité. » Un petit î chasseur surtout confirma 
par ses paroles et par ses gestes l'exactituderde toutes 
mes réponses. • 

« Je ne vois donc plus , dit le président , en se 
» * levant de son siège et en ôtant son chajieau , la 
B moindre difficulté de proclamer l'innocence de 
» Monsieur; » et il se mit à crier avec tous les spec- 
tal-eurs , vive la nation ! D m'ordonna d'en faire 
autant; j'obéis et je criai comme eux vive ia nation! 
Cette, seconde cérémonie terminée , le président pro^ 



CHAPITRE T. 205 

clama moa innocence en ces ternies : « Vous êtes 
M libre > citoyen , mais la patrie est en danger ; il 
n faut VOUS faire enrôler , et partir sous trois jours 
M pour les frontières. » 

Comme je me croyais, d'après ce prononcé, 
entièrement hors de danger , je répondis : « Il m'est 
» absolument impossible , citoyen président , de me 
» conformer à ce dernier ordre ; j'ai une mère âgée 
w et infirme , une sœur malheureuse ; Tune et l'autre 
» ont besoin de mes secours ; elles n'ont que moi 
» pour appui , il faut que je retourne auprès d'elles ; 
j) je ne puis les abandonner, n 

Les deux hommes plac^ derrière moi répondent 
tôut-à-coup avec une espèce de fureur : « Citoyen , 
)) ce n'est pas le moiâent de donner de pareilles 
)) raisons ; il faut du monde pour faire la guerre ; 
>) la patrie a besoin de soldats : nous-mêmes, en 
» bons patriotes , nous avons oublié que nou$ 
» sommes époux et pères ; oubliez, à notre exemple, 
» que vous avez une mère et une sœur. » 

Le président , après avoir jeté un coup-d'œil sur 
le commis des prisons , comme pour lui faire en- 
tendre que ce serait ma faute si je périssais, me 
fixa attentivement en me disant avec une sorte 
d'humeur : w Je vous préviens , Monsieur , qu'il 
» faut vous faire enrôler, qu'il faut partir sans délai 
n pour les frontières; je ne vois d'autres moyens 
>j pour vous... » Il fit ensuite une pause. 

Ses regards, ses gestes, et le son de sa voix 
m'ayant fait soupçonner quelque mystère^ je pris 



a64 MÉMOIRES DE WEBER. 

mon parti sur4e-champ , et dans Tespoir de leur 
échapper bientôt ( car j'eusse mieux aimé mourir 
que de porter les armes contre mon souverain ou 
contre les intérêts de mes bienfaiteurs ) , je répondis 
avec une sérénité affectée : w Puisque vowaves besoin 
» de moi , Monsieur y j'irai aux frontières quand il 
» vous plaira. » 

Cette réponse excita de nouveau dans la salle de 
grands cris vive la nation. Le président se hâta 
d'expédier nion enrôlement et me fit signer le pro- 
tocole et ma cartouche. 

Je reçus alors ^ selon la coutume ^ l'accolade du 
président et de quelques assistans. Un fort des halles 
s'empressa de fendre la foule pour arriver jusqu'àmoi ; 
mais ce; qui me siuprit beaucoup, et ce qui surprendra 
également mes lecteurs , c'est qu'il m'embrassa après 
m'en avoir demandé la permission que je n'avais 
garde y comme on le pense bien , de lui refuser : il 
me dit ensuite : <( Citoyen y c'est à moi que vous 
a aurez affaire dorénavant ; vous n'avez qu'à me 
» suivre, » 

Deux hommes armés y au fait de la cérémonie y 
m'ayant donné le bras, me conduisirent avec force, 
aux cris de vive la nation y à la porte qui. aboutit 
sur la rue. Là ils me firent faire halte et passèrent 
les premiers par le petit guichet : telle était la con- 
signe donnée aux assassins qui se tenaient en dehors, 
pour épargner celui qui venait d'être jugé ; ceux au 
contraire que ce tribunal envoyait à TJlbbajre ou à 
Coblentz passaient les premiers, et étaient assommés 



CHAPITRE V. i65 

à ce fatal passage. Lorsque je fus dans la rue^ ils 
me prirent de nouveau par le bras et continuèrent, 
en élevant et en tournant leurs chapeaux sut la 
pointe de leurs sabres , leurs cris de vive la nation; 
après quoi nous continuâmes notre route par la 
ruelle ( appelée cul^e-sac des Prêtres ) qui donne 
dans la rue Sairil-Antoine , au milieu des satellites 
du même faubouiç et des Marseillais. 

Ensuite le fort de halle qui nous précédait com- 
manda une seconde halte. 

Il se mit devant moi et cria : «A bas les chapeaux. » 
Des milliers de spectateurs se découvrirent avec la 
j^us grande rapidité ; alors on fit silence pour écouter 
le serment que j'allais prononcer d'après son ordre, 
le bras droit et la main tendus au niveau de Té- 
paulé : il était conçu en ces termes : 

« Je jure d'être fidèle à la nation et de mourir 
» à mon poste en défendant le nouveau système 
>j de liberté et d'égalité. » 

Après la prestation de ce serment, auquel il m'é- 
tait impossible de me refuser , le même homme s'é- 
tant tourné de mon côté pour me montrer un tas 
de cadavres percés et hachés à coups de sabres , me 
dit d'un air hagard et féroce : « Vous voyez , citoyen 
» soldat, que nous punissons les traîtres comme ils 
>) le méritent, w 

Je reçus encore Y aLCColade fraternelle. Je passai 
ensuite de bras en bras à plus de cent pas , toujours 
embrassé par les gardes nationaux du faubourg 
Saint- Antoine , et par une infinité d'autres gens 



:366 MÉMOIRES DE WEBER. 

presque tous ivres j délivre' enfin de toutes ces ca- 
resses^ les deux hommes armés qui me donnaient 
le bras y me conduisirent dans une église ( i ) oii se 
trouvait réuni le petit nombre de personnes que le 
tribunal populaire avait épargnés. 

Deux commissaires 9 après avoir examiné atten- 
tivement ma cartouche y me dirent : ce Nous avons 
w ordre de vous retenir jusqu'à ce que vous soyez 
» réclamé par quelqu'un de bien connu. » 

Induit en erreur par les papiers publics que nos 
conseils officieux et le limonadier nous apportaient 
tous les jours y je croyais la plus grande partie de 
mes camarades sauvés ; en conséquence j'écrivis 
sur-le-champ au commandant^ et en son absence 
au lieutenant ou au sous-lièutenant du poste de 
mon corps-de-garde , pour prier celui qui s'y trou- 
verait d'envoyer quelques-uns de mes camarades 
pour me réclamer, le prévenant que le tribunal pio- 
pulaire m'avait déclaré innocent. En vérité, quand 
on réfléchit à ce que ces brigands appelaient un in- 
nocent, l'on rougit d'avoir été trouf é tel à leurs 
yeux!— Quel afireux abus de mots et de choses! 

Je remis, en présence des commissaires , ce billet 
à un jeune garde national du faubourg Saint-An- 
toine; j'y joignis un assignat de cent sous , en le 
priant de faire cette commission en fiacre et d'a- 
mener, le plus tôt possible, trois ou quatre de mes 



(i) L'ëgUse de Culture-^inte-Catherine , dans la section de 
r Arsenal f homme par le peuple dépôt des innocens. ' W. 



CHAPITRE V. 267 

camarades , auxquels je voulais épargner ^ ainsi qu'à 
lui ^ la peine de faire à pied un aussi long trajet. 

La jeune homme en unifoime fut conduit «vec 
ma lettre à la section. 

Chénier ( i ) , nouveau président de cette sectiôn> 
était convenu avec G)llot-d'Herbois de me faire 
périr; en conséquence il eut à peine fini la lecture de 
ma lettre qu'il écrivit à la section de l'Arsenal a de 
» bien se garder de me lâcher , et de me livrer k 
» la section de 179^1 (2) sous bonne escorte. » Il 
finissait son billet par prévenir qu'il envoyait cinq 
hommes à cet efiet. 

Il serait difBcUé de rendre lu surprise du prési- 
dent de la section de l'Arsenal , celle des commis-* 
saires du dépôts et surtout la mienne à la lecture 
de ce billet; on ne cessait de se le passer de nftain. 
en main et de. le relire, a Comment donc a-t-il^w 
)i nous rievenir ? se disaient-ik les uns aux autres > 
)> c'est incroyable, incompréhensible, le style de 
» cette lettre démontre qu'il est plus coupable que 
n nous ne l'avions cru. » Mais ce qui ajoutait au 
danger de ma situation , c'est que la populace es- 



(1) Auteur d'une tragédie qui prêchait le régicide. W. 

(3) Ma section des Filles-Saint-Thomas , après avoir perdu la 
plus grande partie de ses grenadiers royalistes, le lo août, prit , 
comme on l'a déjà vu , le nom de la section de la Bibliothèque , 
qu elle conserva jusqu'au a septembre , jour du massacre des pri~ 
sonnîers; elle prit alors le titre de section de fy(p, qu'elle chanta 
encore depuis peu pour prendre celui de^section Le Pelletier. 

W. 



a68 MÉMOIRES DE WSBER. 

caladait les fenêtres de l'église pour demander « que 
i) les commîssaires lui livrassent le royaliste qui , 
}} dîsait--elle^ avait offert de l'or k la garde nationale 
)} pour défendre le roi et sa famille , distribué des 
D feuilles contre-révolutionnaires > et qui n'avait 
n pu échapper que par surprise à la vengeance du 
Il tribunal. » 

Ce portrait me désignait un peu ^ je vis en même 
temps les gens du peuple grimper sur les fenêtres 
de la chapelle y qui semblaient m'indiquer et me 
menacer par leurs gestes furieux. J'allais faire part 
de mes alarmes aux commissaires , lorsque quatre 
gardes nationaux arltivèr^it et dirent a un honnne 
assis sur une marche de l'autel y à côté de moi , 
M qu'ils étaient venus pour le reconduire chez lui , 
i> et qu'il ne devait pas avoir la moindre inquié- 
» tude.» Cet homme^ dont on ne put me dire le 
nom (i), était de la plus belle figure ; il ne ces- 
sait de représenter aux commissaires que le tribu- 
nal populaire l'avait proclamé innocent ; il in- 
sista surtout pour ne pas quitter notre salle ; mais^ 
sans égard pour ses prières y il fut aussitôt em- 
mené. 

» 

Dès qu'il fut partie la populace , ou, pour mieux 
dire , les cannibales descendirent des fenêtres; 

(i) L'ahbë Bardy, vivement soupçonné d'avoir été Fassassin de 
son frère. Il fut renfermé à la Force et massacré le 3 septembre 
1799. n avait été condamne à être pendu le 10 janvier ; mais son 
îugement avait été suspendu par appel à d'autres tribunaux. 

W. 



CHAPITRE V. 2k6g 

tout devint calme dans la cour; je commençai à 
croire que je m'étais trompe^ et que ce n'était pas 
a moi qn'ils en youlaient. 

Un instant après M. Tréfontaine (i) vint dans la 
chapelle pour s'informer si le citoyen Chamilly , 
un des quatre premiers valets de chambre du roi, 
était parmi nous. 

Il apprit d'un petit garçon^quî frottait tranquille* 
ment, au pied du maltre-^autçl de l'église , des bas 
bleuâtres tout ensanglantés , que M. de Chamilly 
avait été tué à huit heures du matin : « Ces bas , 
» ce chapeau , ajouta-t-il , sont de ce monsieur- 
» là ; on vient de m'en faire présent. » 

Après ces éclaircissemens , M, Tréfontaine s'en 
retournait sans m'avoir aperçu ; je l'arrêtai pour 
lui représenter qu'ayant été réclamé par ma section 
et devant y être reconduit en plein jour par des 
hommes à jpiques , je pouvais être reconnu et tom- 
ber entre les mains du peuple qui , vu ses dispo- 
sitions , et dans l'éloignement où je me trouvais de 
ma section, s'embarrasserait fort peu de la loi du 
jour qui défendait de faire le moindre mal à un 
homme acquitté par le tribunal populaire. 

M. Tréfontaine était plein d'am^ et d'huma- 
nité ; il avait d'ailleurs beaucoup d'amitié pour 
moi : il sentit toute l'horreur de ma position , et 

«^^i,.^— I— il II " I I I I 1 ■ I M I I I - I, li n ,1, 

(i) Gommiusaire de là comptabilité^ grenadier des Filles-Saint-. 
Thomas^ ayant donné sa démission au mois de juin 179a. Il fut. 
élu officier municipal après le 10 août, et guillotiné en 1794. 

. ^ ' W. ' 



îà^O MÉMOIRES DE VT^BER. 

ne aie quitta qU après, m avoir donné ràsstirsmcd 
qu'il allait 9 sans retard^ employer ^ en honnête 
homme y ses amis et tout son crédit pour veiller à 
ma sûreté personnelle , et me faire réclamer avec 
la plus grande célérité ^ sans aucun danger pour 
moi. 

Vers les quatre heures et demie^ je fus instruit de 
Vaffreux traitement qu'avait essuyé le bel homme 
qui était assis a côté de moi dans la chapelle y et 
que quatre gardes avaient emmené sous le pré- 
texte de le conduire à sa maison. 

Un membre du comité , qui arrivait du dehors , 
nous dit : « L'homme que la garde nationale a 
» voulu conduire chez lui , n a été qu'à la dis- 
» tance de quatre rues ; la populace l'a massacré 
» au milieu de l'escorte , en disant que c'était ua 
)i abbé attaché au service de la cour- » 

Ce récit me fît renouveler mes instanjees aux 
gens à piques , pour les engager à différer mon dé- 
part. 

Il s'était écjiHilé plusieurs heures depuis le dé- 
part de M. Tréfontain^ : je crus que d'autres af- 
faires lui avaient fait oublier les miennes ; déses- 
pérant enfin de parvenir à déterminer les gens de 
mon escorte à attendre jusqu'à la nuit^ je me pro- 
posai de m'adresser à tout hasard à la députation 
qui venait de se faire annoncer, pour la prier de 
répondre de moi et de me conduire htwatsccàoa f 
mais quelle fut ma jpîe , lorsque je vis entrer dan» 
la salle y e%Jhabits bourgeois y ceux des grenadiers 



CflAPlTBE T. !kJlL 

de mon bataillon que j'aimais le plus y tant pour 
leur zèle et leur bravoure , que pour l'attachement 
sans bornes qu'ils avaient toujours témoigné à la 
famille royale. 

Que ce moment fut heureux pour moi ! j'oubliai 
toutes mes peines y tous mes dangers. 

L'orateur de cette députation , tenant un pa- 
pier à la main ( i ) , adressa au président les paroles 
suivantes : w La section de 1 792 vient d'apprendre 
» qu'un citoyen Weber a été proclamé inno- 
» cent par le tribunal populaire de l'hôtel de la 
» Force . Elle nous envoie vers vous , citoyen pré- 
» sident , pour vous remercier , ainsi que le 
» comité de la section de l'Arsenal , de l'asile que 
» vous avez bien voulu accorder au milieu de vous 
» à un citoyen de son arrondissement. La section 
» de 1792 nous a chargés du présent certificat ^ 
» par lequel vous verrez qu'elle réclame le citoyen 
>) Weber , et qu'elle désire le revoir dans son 
)) sein. » 

(1) Premier sergent, nommé Heck. C'était un Allemand , aussi 
brave qu'il était éloquent ; son opinion , dans les affaires de notre 
bataillon , prévalait presque toujours.^ On l'employa avec succès 
daus toutes les circonstances critiques. ^ 

Le 9 août , à minuit, lorsque nous étions rangés en bataille en 
face de la grande porte qui donne sur le Carrousel , il fat chargé y 
en sa qualité de sergent , de passer dans les rangs- pour mettre les 
cartouches dans les gibernes ; arrivé à moi , il me poussa plusieurs 
fois pour me faire tourner la tête , puis il me montra , en levant 
les yeux au ciel avec douleur , les deux cartouches qu'il avait k 
distribuer par homme. ^ W. 



^2^^ MÉMOIRES DB WEBER. 

Le président y s'étant tourné vers moi , ine dit à 
demi-voix : i< Je suis charmé y Monsieur , cpie votre 
» section vous réclame d une manière si authen- 
» tique et si flatteuse pour vous. Je connais par- 
» faitement votre conduite^ et je ne suis point du 
» tout étonné des procédés de vos bi^ves cama- 
» rades envers vous , surtout d'après Imtérêt hon- 
^ néte qu'a fait paraître à votre égard l'officier mu- 
» nicipal Tréfôntaine ; les deux commissaires 
» m'en ont rendu un compte exact.» Il ajouta : «Je 
» vous prie même de croire cpie j'aurais fini par 
» réporidre de vous ; je vous connais par la famille 
» de M. de Simonin (i) > avec laquelle j'ai passé 
h chez vous , à Versailles , une soirée agréable en 
» 1 788 9 et je me serais fait un vrai plaisir de vous 
» reconduire à votre section. » 

LfC président y après avoir visé mon enrôlement 
du tribunal populaire y le remit aux commissaires 
du dépôt des imiocens/a). Il y ajouta une espèce 
de rapport de toute l'afiFaire , qu'il rédigea , le plus 
que possible , à mon avantage y et fit escorter les 
gens à piques de toute la députation , pour em- 
pêcher ces derniers de dire au peuple qu'on ve- 
nait de sauver un royalisfte ; il me fit ensuite sortîr 
du côté opposé , par la troisième cour , avec les 
deux commissaires dont j'ai déjà parlé ^ et qui m'a- 

(1) Premier comi](iis du dépôt des affaires étrangères, et admi- 
nistrateur-général de la loterie. W. 

(3) Les sieurs Le Rouge, yalet de chambre; Fay, marchand 
du faubourg Saint-Antoine. W. 



Valent dottûé y k onze heures du matin , letir j^a-^- 
rôle de ne me quitter que lorsqu'ils me safttfaîent 
tout-à-^fait en sûreté. * . 

Dans la crainte que. je ne fusse reconnu , me^v 
braves^ " conducteurs me firent faire plusieurs dé- 
tours , pour éviter les rues et les places où nous 
pouvions apercevoir des attroupemens j nous ar- 
rivâmes enfin ^ à sept hetires du soir, dans ma sec-, 
tion où il y avait un monde étonnant. 

La députation , qui m'y avait précédé , aVaît an- 
nonce naon arrivée : dès que je parus dans la salle^ 
elle retentit d'applaudissem-ens ; tous les assistans me 
témoignèrent la pJu» vive satisfaction *de revoituàn 
hommie qui n*avait échappé au massacre général que 
par une espèw de miracle ; ils me félicitèrent de la 
mam,èipe la plus: touchante mr mon heureiA retour. 

Les^ ^ommisçaires du dépôt des înnocens de- 
mandèrent au- Comité de ma section le récépissé 
de tous les papiers qui me concernaient , et se retî- 
pèrent. — .;/ 

Li€ 'comité, ayant trouvé mon enrôlement paiini 
fes pièces^ qui lili avaient été remises , délibéra 
aussi tôl sur cette a^ire, et un des memlïres, ayant 
demandé la parole > fit cette motion. 

« Lie dtoyen Weber âiété assez heiiretrfc aujoup- 
» d'hui pour être déclaré innocent, pa* jugement 
ïT du tribunal poptilaire ; il s'est- enrôlé par recon- 
>^ tiaîsdance, et a pris l'engagement d^alle^ aux 
» frontières ; mais connue il est Autrichien , nous 
f) ne pouvons exiger de lui ce sacrifice, et nous de- 
u. 18 



^ 



274 MÉMOIRES DE WEBER. 

}) YODS nous montrer aussi généreux que lui ; le 
M comité vous propose de refuser les services mili- 
» taires du citoyen Wêber, et de déchirer sa car- 
» touche. » 

De nombreux applaudissemens partirWt de 
toutes parts , et servirent de réponse à cette mo- 
tion. Toutes les personnes de ma connaissance^ une 
infinité d'autres qui m'étaient- absolument incon- 
nues , se réunirent pour me compUmienter sur mon 
heureuse étoile ; et après m'avoir félicité de nou- 
veau du bonheur que j'avais eu d'échapper à la 
mort, ils s'avancèrent avec moi vers le président ( i ), 
pour lui faire signer nK)n élargissement. 

Celui-ci , à la vue de mon nom et de ma .qualité 
d'étranger, se rappelant la pron^esge qu'il avait faite 
à son ami CoUot-d'Herbois de me livrer à la guil- 
lotine ou au fer des assassins , révoqua tout ce que 
le comité avait décidé en ma 'faveur, et dit à haute 
voix : (( Le cas est trop grave pour prononcer dans 
» un moment sur une affaire de cette importance. 
» Le citoyen - Weber est accusé de. crimes de lèse- 
» nation : il est inconcevable qji'il. ait été acquitté 
>) et déclaré innocent par jugeipent-du tribunal 
» populaire ; ce tribinnal a été certaintpient surpris: 
» je ne prendrai jamais sur moi d^ me mêler de 
n son élargissement. » 

Plusieurs membres du comité 5 ayant pris ma dé- 
fense , essayèrent de démontrer a^ président que 



(i) M^J. Ghënîer. 



CHAPITRE V. • 2n^ 

je devais avoir ma liberté ; ils s'en tinrent , pour 
cet effet, à ce simple raisonnement : « Citoyen 
» président , dirent-ils , c'est le peuple souverain 
» qui a reconnu et proclamé l'innocence du citoyen 
» Weber ; le peuple est en^ plein exercice de sa 
» puissance ; c'est lui-même qui a créé le tribunal, 
» qui a prononcé l'élargissement de ce citoyen ; et 
» il ne vous appartient pas de le différer d'un seul 
» instant, sous quelque prétexte que ce puisse 
» "être. » 

Chénier ne pouvant rien répondre à un argu- 
ment qui, dans ses principes, était de la plus 
grande solidité , entra dans une fureur homble ; il 
écuraait de rage , et comme on insistait toujours, 
il finit par déclarer a qu'il aimait mieux donner sur- 
» le-champ sa démission de sa place , que de con- 
)) sentir à mon élargissement( i ) : v puis interprétant 
à son gré le silence qui régnait dans l'assemblée, 
comme s'il l'avait maîtrisée par son éloquence , il 
ordonna que , jusqu'à l'arrivée de la garde , je serais 

(i) Nous n'avons point parlé , jusqu'à présent, du rôle que fait 
jouer Weberà Chénier qui, d'après ce qu'a dit précédemment l'hiislo- 
rien ,aurait été rinstrument de CoUot-d'Herbois . Nos recherches pour 
obtenir des données propres à conErmer ou à détruire cette accusa- 
tion^sont restées sans aucun résultat. Jusqu'alors, Chénier, occupé de 
littérature, se distinguait par des pièces républicaines. A cette épo- 
que même , on mettait sur la scène Caius Gracchus , dont je sort 
devait réclamer l'emploi de ses momens. La conduite de Chénier 
suppçsaitune haine personnelle et de Tachamement : or, il ne 
connaissait pas Weber; et cette circonstance, jointe à celles que 
nous avons indiquées , peut ôter quelque force au témoignage de 
l'hisf orien . ( Note des nouu, édit^ ) 

i8* 



2j6 MÉMOIRES DE WEBER. 

enfenpé dans une chapelle qui se trouvait en face 
de la table du conseil ^ et décida que je serais cou* 
duit à onze heures ou minuit à l'HÀtel-de-Y i) le , 
pour y réinstruire mon procès. 

La garde nationale arriva à cet effet , une demi- 
heure après ; n^ais le président s'étant aperçu que 
tous lesassistans étaient indignés du jugement qu'il 
tenait de rendre contre moi , et que la rumeur de- 
venait générale^ se hâta y par prudence , de changer 
Tordre , et se contenta , en attendant , de nie faire 
conduire au corps-de-garde. 

A peine y étais-je arrivé , que le commandant du 
poste me présenté l'ordre qu'il venait de recevoir 
de mé mettre en liberté • 

Ne concevant pas d'où provenait un changement 
si subit y j'en depiandai la cause et les motifs à tout 
le monde ; chacpn voulait avoir le plaisir de me 
l'apptendre : enfin , le commandant ayant obtenu 
un moment de silence y me dit : « La section s'est 
>> révoltée contre le président qui a employé > en 
» vrai jacobin, toutes ses ruses pour vous faire 
» conduire à THôtel- de-Ville ; le comité et quel- 
» < ques-uns de vos camaxades ,. x^egardant votre 
>^ mort commô certaine si l'on vous traduisait de- 
» vaut ce tribunal, la seconde nuit des massacres, 
» s'y sont opposés avec beaucoup de fermeté ; un 
H garde nationial( i )^ prêt à partir pour les frontières, 
» a combattu le président ûrtd la plus grande «] 



(OGofBnë. ^ W. 



CHAPITRE T. , ' 377 

» quence^ par les lois du- jour, en lui prouvant que 
n la Tolonté du peuple, une fois manifestée, devait 
» être sacrée pour lui comnie pour tous : le prési-^ 
» dent a sué sing et eau; il a voulu se démettre 
j» trois fois de sa place avant de signer votre ëlar- 
M gissement; mais se sentant serré de près et 
» voyant le garde national, ain^i que ses amis, 
» entrer en. fureur , il s'est décidé à me donner 
» l'ordre de votre mise en liberté : je pense aussi 
H que les murmures de la section entière, qui mar^ 
n quait le plus grand mécontentement , ont beau^ 
H coup contribué k déterminer cet homme, si 
» acharné à votre perte , à signer ce qu'on exigeait 
» de lui. » 

Dès que le comrqandant eut fini son récit *, ]€ 
m'empressai de payer à mes nouveaux libérateurs 
le tribut de la vive reconnaissance dont j'étais pé-«- 
nétré ; ils voulurent absoltinient m'accompagner et 
m'installer dans mon hôtel ; ils m'y condi^isirenf , 
en efiet , dans la crainte que je ne tombasse dans la 
main des Marseillaas ou de quelques autres assassins. 
On avait annoncé au propriétaire , ainsi qu'a tous 
les autres locataires de la maison , que le tribunal 
populaire de l'hôtel de la Force , la section de I'Àt- 
senal et celle de 1793 , m'avaiefft proclanté iniio- 
cent ; ils dirent en particulier, à mon pf oprîétaine , 
fr que s'il s'avisait de me dénoncer tine seconde 
» fois, il aurait affaire a toute la section. » 

Après avoir rempli les devoirs qu'exigeaient de 
moi les circonstances où je me trouvais , et l«s 



278 MÉMOIRES DE'WEBER. 

vœux de toutes les personnes qui s'étaient intéres- 
sées a mon sort, je partis à onze heures du soir pour 
aller demander un lit à M. Autran, agent de change. 
Celui-ci, après m avoir comblé d'amitiés, m'accorda 
la plus généreuse hospitalité, etm'oflErit ensuite, ainsi 
que toute sa faniille, tous les services dont je pou- 
vais avoir besoin. Un de ses neveux , M, Perrier, 
qui connaissait le danger attaché k ma qualité d'Au- 
trichien , et surtout à celle de frère de lait de la 
reine , me pressa de quitter Paris le plus promp- 
tement possible : M /Perrier avait, à cette époque, 
quelques liaisons avec plusieurs membres de l'Hôtel- 
de-Ville ; je le priai d'en profiter en ma faveur , 
l'assurant que je me mettrais en route pour l'An- 
gleterre , aussitôt qu'il me serait possible d'entre- 
prendre ce voyage sans m' exposer de nouveau. 
. J'employai sur-le-champ tous mes soins à faire 
lever les scellés qui avaient été apposés chez moi, 
et à me procurer ensuite une quittance de capitation 
pour me faciliter le moyen d'obtenir del'Hôtel-de- 
Ville un passe-port sans lequel je ne pouvais sortir 
de Paris. 

La plupart des royalistes qui se trouvaient au 
château le 10 août n'existaient plris ; quantité d'au- 
tres avaient été massacrés dans les prisons les 2 et 5 
septembre. (i ) : en conséquence, les jacobins^ satîs- 

- t . ^ 

(1) Voyez note ( I) des détails intéressans sur les victimes du 
10 août et du 2 septembre , ainsi que sur les personnes qui eu- 
rent le bonheur d*ëchapper à ces journées. Ces détails sont fournis 
par Weber. _ {^ate des.nouv, édii.) 



CHAPITRE V. ' 279 

faits de leur triomphe , et ne croyant plus néces- 
saire d'attiser la fureur populaire ^ sous leur étemel 
prétexte d'une contre-révolution , firetit décréter 
par l'AssemLlée nationale , « l'ouverture des bar- 
» rières , et aussi ., pour ne pas entraver le com- 
» naerce , la liberté de voyager sans passe-port 
» dans toute l'étendue de la France, à condition, 
M toutefois , de nef pas approcher de dix lieues des 
» frontières ni de l'amiée. » 

Le 1 1 de ce mois , les Marseillais , informés que 
lé frère de lait de la reine avait été non-seulement 
épargné à l'hôtel de la Force , mais encore que sa 
section l'avait protégé , et avait même employé la 
violence pour l'arracher des mains du président 
( Chénier ) et le i remettre en liberté , s'occupèrent 
sur-le-champ de la recherche des personnes qui 
avaient parlé en faveur de cet aristocrate ; ils en 
découvrirent quelques-uns , les maltraitèrent , et 
jurèrent publiquement au café du sieur Martin(place 
du Théâtre-Italien) «qu'ils feraient l'impossible pour 
^) rencontrer cet Autrichien , et qu'ils lui flanque-^ 
?) raient l'ame à l'envers » ( expression de ces ga- 
lériens pour dire massacrer ). C'était l'expression 
favorite de ces forcenés dont le plus grand nombre 
avait été aux galères. Les termes ordinaires de tuer ^ 
assassiner, massacrer, ne remplissaient pas assez leur 
bouche ; ils ne frappaient plus afesez fortement 
leur oreille pour en faire usage . . Ah \ . il ^ est que 
trop vrai , et ils l'ont senti les premiers , que tou-r 
tes les langues sont en défaut , lorsqu'on veut pein- 



2&0 , MEMOIRES 0B WEBER. 

dre la méchanceté et la noirceur dû caractère de 
ee^ hommes de sang ; il est certain que les expresr- 
sioos noÉanquent y lorsqu'on est forcé de rappeler 
ces féroces exploits qui ont porté l'épouvante sur 
toute k terre. 

Ce fut dans la matinée du 1 1 septembre (i) , 
que là section ine fit remettre mes quarante dou- 
blés louiâ y et que je parvins aussi y k forcé d'amis y 
d'argent et de démarches , à faire lever les scellés 
mis chez moi par l'huissier du quartier. J'eus à peine 
maia-Jevae de mes effets y que je me hâtai de pren«« 
dre quelques bijoux y un. peu de linge et les pa- 
piers qui m'intéressaient le plus : il j avait parmi 
ces papiers deux lettres que j'avais traduites de 
l'alletaiand en français par ordre de la reine ; elles 
étaient à la vérité très-insignifiantes ; elles pou«- 
vaiçnt néanmoins me compromettre dans ce mo« 
ment de crise ; mais je réfléchis peu au danger ath- 
quel elles m'exposeraient. 

Muni de ce peu d'elBfets^ j'allai rejoindre M. Per- 
rier qui > après m'avoir fait sentir la nécessité 
de quitter Paris , me fit partir sur •* le •- dbamp , 
avec deux de ses enfans y pour sa, terre de 
Stînt^ubin y à vingt lieues de Paris^ sur la route 



(i ) Nous avons cru devoir couserver le récit de la fiûte.de Weber, 
parce qu'il fait connaître l'état des campagnes à cette épocjue , Tln-^ 
quisition exercée par les municipalités sur les voyageurs , et les 
](m4cxi$itms dcm les {«4ti«s réfractairoB ^ieal l'objet. 



CHAPITRB Y. a8l 

du Havre ; son épouse y était depuis quelques 
jours. " ' - 

Je ne m'y arrêtai que quelques heures , dans la 
crainte d'être poursuivi , et plus encore pour ne 
pas compromettre cette respectable dame et sa fa** 
mille. Après le dîner ^ je pris congé d'elle malgré 
ses instances y et me mis en route pour Honfleur. 
Il était près de six heures lorsque je montai en 
voiture. J'étais adressé, dans celte dernière ville , 
à M. de La Coudrais y à qui madame Perrier me 
reconunandait dans une lettre dont j'étais porteur, 
comme l'ami intime de sa famille. 

J'arrivai vers les huit heures du soir à DamviUe , 
village éloigné de Saint^Lubin de quatre fortes 
lieues , et je repartis sur-'le-<iiamp. 

A peine avais-je fait quelques pas , que je me 
trouvai devant l'Hôtel-de-Vîlle où la milice bouiw 
geoise avait un corps-de-garde. Je me vis tout-à- 
coup arrêté par des paysans armés. Je leur de* 
mazide poliment ce qu'ils veulent : ils me répcm- 
dent qu'ils veulent vérifier mes passe-*poits et sa^ 
voir qui je suis ? Aussitôt je me mets en devoir de 
leur expliquer les décrets de l'Assemblée natioaiale' 
qui supprimaient 1^ passe-ports , et permettaient 
de voyager librement dam l'intérieur du royaume. 
Mais toutes mes repi^ésentartions furent inutiles ; 
ils me répondireiit que ces décrets n'étaient pas e»^ 
core arrivés à leur municipalité; qu'ils n'en avaient 
aocittie connaissance, et suivJkeK^hamp ik me signifie- 
iwit ds descendre de iFoitsire, poair leur âuôHterla 



282 MÉMOIRES DB WEBER. 

visite de mes effets et s'assurer si j'étais réellem€nt 
un négociant allemand tel que je voulais le pa- 
raître. 

Après une recherche très-scrupuleuse , faite dans 
la salle de l'Hôtel- de -Ville , quelques patriotes, 
étonnes de l'espèce de mes bijoux et de la finesse 
de mon linge , s'écrièrent : « Oh ! pour celui-ci , 
M c'est un aristocrate ; il faut le reconduire à THô- 
)) tel-de-Ville de Paris , où l'on reconnaîtra l'oi- 
» seau. » D'autres s'y opposèrent , et crièrent à 
leur tour : « Non y non. » Ce mot^ prononcé avec 
tant de force , et d'un ton si décisif , me donna 
l'espoir que j'allais être relâché : mais quelle fut ma 
surprise , ou, pour mieux dire, nia frayeur j lors- 
qu'un instant après j'entendis donner à ce non un 
sens si contiraire à celui* que j'avais cru en ma fa- 
veur ! (fil faut en faire justice sur-le-champ, ajou- 
M tèrent-rils , iljaut le tuer , c'est un prêtre ^ c'est 
» un non-^jureur. » 

. Ce qid donnait une apparence de vérité à cette 
méprise , c'était une gravure du cœur cfe Jésus 
qu'ils venaient de trouver dans un livre de piété 
que je portais sur moi. Cette image avait été en- 
voyée, quelque temps auparavant, par les jacobins à 
toutes les municipalités du royaume , comme le 
signal de ralliement d'un parti contre-révolution- 
nuire à la tête duquel étaient , disaient-ils, les prê- 
tres réfractaire^. 

Cette découverte était d'autant plus fâcheuse 
pour moi, que la haine des jacobins contre les 



CHAPITRE V. 285 

prêtres qui avaient refusé le serment était alors à 
son comble i 

Un jeune homme qui me parut animé d'un très- 
ardent patriotisme , s'empara de mon porte-feuille 
anglais , et essaya de l'ouvrir , imaginant sans doute 
qu'il y trouverait des renseignemens sur mon état 
et ma qualité. 

Me rappelant qu'il contenait la traduction des 
deux lettres allemandes dont je viens de parler,* il 
me vint sur-le-champ à l'esprit im moyen de les 
soustraire ; je profitai de la difficulté qu'il avait à 
l'ouvrir pour lui dire: « Permettez, mon camarade , 
» que je vous ouvre moi-même ce porte-feuille , 
» • afin de vous convaincre que je ne suis rien moins 
» qu'un prêtre , comme vous vous l'imaginez. » 

Effectivement je tirai, du côté le plus rempli , un 
petit cahier contenant des notes et quelques extraits 
des ouvrages les plus célèbvs de Sterne , d'Addisson 
et de Richardson. 

Comme je m'aperçus que ce jeune homme voulait 
faire le bel esprit , et qu'il paraissait avoir la con- 
fiance de la mul^tude , je lui indiquai les passages 
les plus touchans ; et voyant qu'il déchiffrait mon 
écriture avec peine , je commençai à lire moi-mê- 
me ,' tandis que ces paysans bataillaient entre eux 
pour savoir si Je serais reconduit à Paris connue 
aristocrate, ou égorgé sur-le-champ comme prêtre. 

Le calme apparent avec lequel je lui parlai de 
ces extraits, l'enthoiLsiasme que j'affectai en lui li- 
sant quelques morceaux , tout cela joint à l'air, de 



284 MÉMOIRES DK W£BER. 

confiance avec lequel je lui reniis mon portefeuille , 
lui fit dire « qu'il répondait de moi j que j'étais 
M plutôt un comédien qu'un prêtre ; mais qu'en 
» tout cas y on n'avait qu'à me bien garder jusqu'au 
» retour d'un exprès qu'on enverrait ii Paris pour 
il savoir à quoi s'en tenir. » 

Cependant les débats continuaient, tantôt pour 
m'égorger comme prêtre , tantôt pour me recon- 
duire comme noble à l'Hôtel-de- Ville de Paris. Ne 
redoutant pas moins l'un que l'autre y je deman- 
dai la parole pour tacher de me tirer encore de ce 
mauvais pas ; elle nie fut accordée , et voiâ ma 
harangue : 

If J'avoue y mes camarades (i)», que les appa- 
}> rences sont contre moi ; mais comme il n'y a 
w pas de règles sans exception , je prétends vous 
9 démonter sans réplique y que nonnseulement 
jti vous vous meprentfk étrangement sur mon 
» compte y mais que vous violez même y dans ma 
D personne y le droit sacre des nations que je ré- 
n clame autant de votre raison que d:e votre jus- 
• ticè ; je vous présente y premièi:|iinent , le certi«* 
M ficat de ma capitation pour toute l'année , et 
M dont je ne devais que la moitié ; secondement y 
y un autre certificat, qui prouve que j'ai prêté le d 
I» septembre lé serment civique de liberté et d'é* 



(i) C'était le titr« qa*il fallait donner à la populace arroée pour 
Tempêcher de crier â Taris tocra lie , et s^eii faire écouter avec in- 

iMt. W. 

I 



M galitë à la sectiou de 1 792 ; troifiièmement y pour 
u vous convaiocre , mes braves^ citoyens y que je 
}) mérite de trouver en vous des setttimens hospi-* 
» taliers et fraternels y je yous présente aussi le 
V certificat de ma section qui constate que j'ai servi 
}} dans la garde nationale y et que ne pouvant plus 
» continuer mon service y j'ai fait hommage à la 
}) nation de mon costume militaire et de toutes mes 
w armes , pour les volontaires qiu doivent marcher 
i) aux frontières pour la défense de ht patrie : 
>* voyez , lise» , et je me flatte qu'alors vous ne 
n balancerez pas un instant à me laisser continuer 
» ma route j d'ailleufô je suis en état y mes cama-*- 
» rades , de vous donner encore une nouvelle 
» preuve de la vérité de ce que je viens d'avancer : 
^i vous serez pleinement convaincus y je l'espère y 
» des différentes erreurs dans lesquelles vous êtes 
>) tombés à mon égard y lorsque vous aures lu ce 
w que je vais écrire, )) 

Dès que j'eus fini ma lettre à madame Perrier 
que je venais de quitter , je la présentai au maire 
qui y pendant tout le temps qae j'étais occupé à la 
faire, y avait eu la. précaution de se tenir deincmt y 
devant les plus échauffés y pcmr les emipècker de me 
porter quelques coups ; ce doiit jje lui saurai gré 
toute ma vie. U fit faire sile;nce et lut à haute 
voix. 

De la municipalité de Damville , le 1 1 septembre. 

ji madame Perrier. 

• * * 

u Je viens d^être arrété^Madame^ à la municipalité 



286 MÉMOIRES DE WÉBER. 

» deDamville , faute de passe-port. Il s'agit ^ dans ce 
y} moment^ de confirmer ce que j'ai dit à M. le 
» maire, et de savoir si j'étais chez vous aujour- 
» d'hui ; si je • suis parti de votre maison après le 
n dîner; si vox^ avez fait^écrire par M. MoUien (i) 
» la lettre de recommandation dont je suis por- 
» teur pour M. de La Coudrais, à Honfleur , et si 
» je suis réellement connu de votre famille ? 

» Je vous supplie , ' Madame , d'avoir la bonté 
>) d'ajouter aux obligations que je vous ai déjà , 
» celle de m'envoyer une seconde lettre écrite par 
» M. Mollien, et dan^ les mêmes formes ; je serai 
» sûr alors d*obtenir de la cofnplaisance de M. le 
)) maire et de MM, les officiers municipaux, non- 
» seulement la permission de continuer mon 
i) voyage , mais encore un passe-port , pour n'a- 
)) voir plus à craindre d'être arrêté dans un autre 
>} endroit , où les décrets de l'Assemblée nationale, 
» rendus à ce sujet , pourraient n'être pas parve- 
» nus. » 

Les municipaux , après la lecture de ma lettre , 
parurent extrêmement contens , et, tout fiers de se 
voir traiter avec autant d'égards et de politesse , ils 
me dirent tous à la foi» dans leur patois : « Eh bien! 
» oui , Monsieur , nous ^ consentons ; ,nous vou- 
» ' Ions faire ce que vous nous demandez; c'est juste: 
» voilà ce jeune homme qui va partir pour Saint- 



, (i) Premier commis de la ferme générale, beau>frère de ma- 

dame Perrier. W. 



ghapitKe V. 287 

» Lubin y à trois heures du matin ; et aussitôt ce 
» certificat arrivé à notre satisfaction , vous pour- 
» suivrez votre chemin > comme notre 'maire l'a 
» dit. » Ces dernières paroles jointes à ma lettre , 
rétablirent entièrement le calme à ma grande satis- 
faction. 

Dès que j^ me vis seul ^ auissi content que sur- 
pris d'avoir pu sortir si heureusement de ce cruel 
embarras , et ne sachant à quelles recherches sé- 
vères je pourrais être encore exposé le lendemain , 
je tirai de mon portefeuille les lettres et traduc- 
^tions , qui m'auraient infailliblement perdu si Ton 
était parvenu à s'en saisir ; je les j^etai au feu ^ non 
sans regrets. 

Lc' lendemain ,12 septembre , le courrier rap- 
porta à dix heures du matin une seconde lettre 
écrite au tK>m de madame Perrier ; elle fut à peine 
lue de tous les assesseurs , qu'ils voulurent sur-le- 
champ me mettre en liberté; mais le jeune homme 
dont j'ai parlé y qui avait travaillé dans la ferme 
générale sous les ordres de M. Mallien , voulut au- 
paravant aller chercher des- liasses de papier pour 
confronter les 'écritures y afin de s'assurer que la 
main qu'il connaissait avait écrit la lettre qui venait 
d'être apportée en ma faveur. Ils s'occupèrent pen- 
dant une heure à comparer les mots et les traits de 
plume ; enfin tous les assistans et le jeune homme 
s'avouèrent convaincus de la vérité de tout ce que 
j'avais avancé , et donnèrent leur consentement à 
mon départ. 



288 mémoires' DE WËBER. 

Le maire et les officiers municipaux ajoutèrent, à 
beaucoup d'excuses , des félicitations sur mon 
voyage, et me délivrèrent une espèce de passe-port 
qui ne laissa pas de -me calmer et de m-être utile 
dans la suite. 

Muni de ce signalement civique , je partis pour 
Honfleur ; je n'étais pas encore à quatre lieues de 
Damville , que je fus de nouveau arrêté dans un 
petit village ; l'on me fit descendre de voiture et 
entrer au corps-de-garde pour exhiber mon passe- 
port ; tout le monde l'ayant trouvé en règle , je 
m'empressai de continuer ma BOute ; mais le pos- 
tillon m*ayant prévenu que deux paysans armés , 
qu'il me montra , venaient de m'enlever mes pisto- 
lets, sous prétexte que personne n'avait te droit de 
faire sortir des armes du pays , je me hâtai de les 
réclamer. Les gens du corps-de-garde se joignirent 
à moi à cet effet. Je représentai à ces éeux paysans 
qu'Honfleur n'était pas hors de France ; que tout 
voyageur avait le droit de porte? , dans sa voiture , 
xme arme quelconque pour sa défense. J'employai 
infuCilennent un quart d'heure à les pérorer , 3$ 
^obstinèrent à garder mes pistolets ; je leur fis voir, 
aifisi qu'aux municipaux , qui pendant ce temps là 
s^^aient rendus sur la place, le certificat de ma 
section qui prouvait « que j'avais fait hommage de 
n mes armes à la nation , et que n'ayant.ni sabr« 
» ni épée , il me fallait des pistolets comme seul ^ 
» moyen de défense. »' Ces paysans persistèrent 
dans leur résolution avec la dernière opiniâtreté ; 



CHAPITRE V. 289 

à la fin cependant ils furent forcés de les remettre 
au maire qui les replaça lui-^méme dans ma voiture . 
Quel fut mon étonnement lorsque je vis ces deux 
furieux , parvenus par un chemin plus court , sai- 
sir la bride des chevaux , arrêter ma voiture , et 
vouloir se jeter de nouveau sur mes pistolets , en 
criant : « Tout ce verbiage du maire a été bel et 
» bon y mais nous allons reprendre les pistolets ; 
» oui y oui y il peut partir y mais nous voulons les 
» garder et nous les aurons. » 

Pendant que je défendais mes armes, arriva de- 
rechef le maire , et grâce aux bons services des 
officiers municipaux qui entourèrent ces mutins , 
j'ordonnai au postillon d'avancer ; et j'arrivai enfin 
sans autre obstacle à Honfleur. 

J'allai, sans perdre de temps, chez M. de La Cou- 
drais, pour lequel j'avais, comme on sait> ime 
lettre de madame Perrier qui le priait de me 
rendre tous les services qui seraient en son pouvoir. 
Je reçus de M. de La Coudrais l'accueil le plus hon- 
nête et le plus aflfectueux. 

Je rencontrai chez lui le chef de division à qui 
la reine avait parlé quelques momens avant l'insur- 
rection du 20 juin ; je le reconnus, et il se souvint 
de m'avoir vu ce jour-là auprès de LL. MM. ; il 
me témoigna infiniment d'intérêt; m'ofint entre 
autres choses de m'accompagner jusqu'au Hâvre- 
de-Grâce , et il employa tous ses amis dans les 
deux ports poui* faire réussir mon évasion. M. de 
La Coudrais avait eu la bonté de me remettre deux 



II. 



^gO MÉMOIRES SB WK6ER. 

lettres cpii ne contribuèrent pas peu au bon 
que me fit la municipalité du Hàyre-de-Orâce ; 
mais le che£ de diyision> qui m'avait accompagné 
par /amitié de Honfletur jusque 4ans cette Tille 
où il était trèsH^onnu ^ m'âyant présenté à la mu- 
nicipalité comme un de ses amis , et assuré que 
j'étais effectivement un négociant allemand y j'ob* 
tins dèsJors , sans difficulté ^ le visa suivant y avec 
' la permission de m'embarquer. 

« Vu au bureau municipal de cette viHe , avec 
>) permission de s'embarquer pour l'Angleterre. 

n Au Havre, i8 septembre 179^* 

^ Rh(^sr y officier municipal. » 

Je ne songeai plus qu'à faire les préparatiÊ 
de mon départ : je courus sans délai m'informer 
du premier bâtiment qui devait partir pour l'An- 
gleterre 5 et y retenir ma place ; j'eus le bonheur 
d'en trouver un qui devait mettre à la voile le len- 
demain dans la matinée. 

Lé vaisseau sur lequel je m'embarquai mît à 
la voile le 1 8 septembre : notre traversée du Ha- 
vre à Portsmouth fut un peu orageuse. Je ti^uvai 
sur le bâtiment plusieurs ecclésiastiques français 
qui, comme moi, allaient chercher un asile en . 
Angleterre. Enfin, j'arrivai le :20 dudit mois k j 
Londres. 

On se persuadera peut^tre que j'éprouvai tme 
grande satisfaction en m'éloignant d'un pays si 



\1 

I 



CHAPITRE Y. agi 

agitée où j^avais été témoin de tant 4e forfaits y et où 
je venais de courir moi-^méme des dangers si iainii* 
nens ; je devais bieat6t presser contre mon cœnr 
une mère tendrement aimée , et dont j'étais séparé 
depuis si long-temps. Il semble, au premier aspect, 
que cette perspective Rêvait me mettre au comble 
de la joie. La vérité est que je fus pénétré d'une 
profonde douleur au moment de m'embairquer. 
L'idée de quitter un royaume où je' laissais mes 
bienfaiteurs en proie à l'ingratitude d'une nation 
égarée , et plus encore à la scélératesse des jaco-^ 
bins , remplit mon ame d'amertume ; les pressenti- 
mens, qui me poursuivaient sans relâche depuis tant 
de jpaois ^t même tant d'années, m'affectèrent telle- 
ment, lorsqu'il fallut m'éloigner des côtes de 
France, que je sentis tout-à-coup mes facultés 
comme paralysées; heureusement un torrent de 
larmes vint soulager mon cœur oppressé. Je n'igno- 
rais pas qu'un individu tel que moi ne pouvait être 
d'aucun secours à la famille royale dans son 
affreuse captivité. Hélas! des milliers de serviteurs 
fidèles n'avaient pu la sauver dans des circonstances 
moins difficiles et moins orageuses ; mais la recon- 
naissance que je devais aux bontés du roi et de la 
reine , m'aurait fait répandre avec plaisir jusqu'à 
la dernière goutte de mon sang pour les délivrer. 
Si j'avais été à Paris lorsque l'on commit l'atrocité 
de transférer la reine à la Conciergerie , je me se- 
rais laissé emporter à l'attachement et au respect 
que j'avais voués à sa personne auguste , et j'aurais 

'9* 



2g2 lUÉMOIRES DB WEBER. CHAPITRE V. 

perdu la vie , après avoir cherché à purger la terre 
des monstres qui l'ont si indignement traitée. Le 
ciel en a disposé autrement; il a voulu sauver un 
témoin de ses vertus y de sa magnanimité y de son 
courage et de sa noble résignation au milieu des 
plus épouvantables malheurs , pour faire connaître, 
autant que mes faibles moyens me le permettent , 
combien cette princesse, si indignement calomniée, 
fut grande , combien elle fut courageuse , bienfai- 
sante, charitable, compatissante, et digne de la 
plus heureuse destinée ( i ) . ^- 



(i) Nous terminons ici les Mémoires de Webér qui , n'étant plus, 
dans les évënemens dont il continue le récita ni acteur, ni même 
témoin oculaire , n'écrit que sur des documens ou douteux ou con- 
nus. Quant à Tafifreuse destinée de la reine , dont il raconte les mal- 
heurs, nous possédons des renseignemens plus précieux que nous 
publierons avec les Mémoires sur le Temple. 

Une pièce dont nous ne saurions ajourner la publication , parce 
qu'elle est rare en France , et parce qu'elle se lie aux détails don- 
nés par W^eber sur le lo août , c'est le récit de la conduite tenue 
dans cette journée par le régiment des gardes-suisses : nous don- 
nons sous la lettre ( J ) cette pièce importante qui nous est par- 
venue trop tard pour être rangée , dans les éclairctssemens , à la 
place qu'elle devait occuper. (Note des nout^, édU. ) 



FIN DU DEUXIÈME ET DERNIER VOLUME. 



ÉCLAIRCISSEMENS HISTORIQUES 

ET PIÈCES OFFICIELLES. 

Note {k)^page lo. 
Les chepaux au manège, 

JjB choix du Manëge pour le lieu des séances de VAssemblëe 
constituante fit faire beaucoup de plaisanteries et publier plusieurs 
pamphlets dont le plus remarquable porte le titre suivant : ce Les 
» chevaux au manëge, ouvrage trouvé dans le porte-feuille de 
» monseigneur le prince de Lambesc , grand écuyer de France , » 
avec cette épigraphe : 

^ Leur orgueil foule aux pieds rcrgueil du diadème , 
» Ils Ont brisé le joug pour Timposer eux-mêmes : 
» De notre liberté ces illustres vengeurs , 
» Armés pour la défendre en sont les oppresseurs ; 
]» Sous les noms séduisans de patrons et de frères , 
» Us affectent des rois les démarches altières. » 

In-8°j aux Tuileries, 1789. 

n y a trois parties qui parurent successivement et dans un 
court espace de temps. Voici les noms des députés dont il est 
question dans cet opuscule. 

Le Pétulant, le comte de Mirabeau; — Y Ombrageux ^ le comte 
de Clermont-Tonnerre ;. —la Rusée , Tabbé de Montesquiou ; — la 
Cabreuse , Tabbé Maury y — la Nonchalante , Tarchevêque d'Aix 
(fioisgelin); — le Terrible, le duc du Châtelet; — Y Inconstant, 
le comte d'Entraigues ; — le Foudroyant , Thouret ; — Y Heu- 
reux , Bailly ; — Y Indocile , Target ; -. — le Bon , Eabaut de Saint- 
Etienne ; — Y Intraitable , Duval d'Eprémesnil 5 — le Rétif, Té- 
vêque de Langres { La Luzerne ) ; — le Mignon , le duc de Coi- 
gny ; — Y Intrépide , Tabbé Grégoire ; — le Joyeux , le chevalier 
de Boufflers; — le Rhinocéros, Moreau de Saint-Merry; — le^ 
Somnambule, Cazalès; — Y Impayable, Lameth; — le Sur, Ma- 
louet; le Chancelant, le duc d'Aiguillon; — le Beau, le prin^;» 
de Poix; — le Superbe, le marquis de Montesquiou. 



2^4 iCLAIRGISSEMENS HISTORIQUES 

Tjes d^st^alioÉSBe trouvent à la fin de la troisième et demièt« 
partie. Ce pamphlet dut son succès à celui qu'obtient toujours la 
méchanceté , qu'elle soit calomnie ou médisance. Aujourd'hui il 
a perdu tout le piquant qu'il pouvait avoir alors. Tantôt il n'y a 
point de rapport entre la dénomination et le personnage auquel 
elle est donnée; souvent, quand ce rapport existe , les détails l'al- 
tèrent ensuite ou le détruisent. 

Ainsi , c'est sans doute par ironie qu'on prétend que la Rusée 
est fringante, 

La triste fin de Bailly , que ne pouvait prévoir le pamphlétaire , 

* démenti cruellement le surnom àHHeureux, 

L'àutetir maltraite également tous les partis ? Miral)eau , Maurj, 
Grégoire et d'Ëprémesnil, Cazalès et M. de Lameth, d'Entraigue5 et 
Thouret , sont tour à tour l'objet de ses injures ou de sa critique. 
Pour justifier la nôtre, nous allons citer l'article d'un député à 
qui l'on a rendu plus de justice que ne le fait l'auteur. 

Le Somnambule (Cazalès. ) <c Cet animal s^est fait une repu ta- 
1»^ tion effrayante. Il se cabra contre de fameux scélérats , qu'à la 
3» honte des mœurs et de Thumanité on laissa jouir paisiblement 
D du fruit de leurs forfaits inouïs : il suiEt de nommer Beaumar- 
» chais et Lenoir . Ces malheureux occupèrent les premiers momens 
}> de gloire du Somnambule. 11 était alors étroitement lié avec son 
4» camarade V Inimitable, Tous deux , entièrement consacrés au 

* culte d'une nouvelle religion , d'un, nouveau Dieu , se firetit 
» des partisans dans les plus hautes classes de la société. On re^ 
«> marque dans le Somnambule un mélange adultère de philoso- 
^ phie et de pusillanimité , d'éloquence et de bavardage , de rigt- 
%) dite de principes , d'orgueil cl de popularité. On le vit se vant^ 

* hautement de sa vanité , comme d'autres profanent la modestie. 
% n «'enthousiasme surtout bien facilement. ^ 

Note (^B)^ page m, 

La. dénominatioii donnée à ce regittre de dépense lui vient àt 
«a touleur. Il est relié en maroquin rouge , et compose de ceût 
vingt-deux feuillets d'un papier de Hollande fort beau^ dont la 
devise estpwpâind 9t libertate. Les dix preaûers feuillets renfer- 



JBT FliOBS OFFJOIBI.LES. ^1^ 

ment des d^p^iMs de la fia du règne de Louis XV| les trente-deux 
•uivans , celles de Louis XV ly et le sufplus est en blanc. Chaque 
article est écrit de la main du contrôleur-général et ordinairement 
paraphé de celle du roi. Ce paraphe est une L avec une barre au 
dcàsous. La première communication en fut donnée au comité dds 
pensions le i5 mars 1790 par M. Necker,el chez ce ministre, en pré- 
sence de M. de Montmoiin. Louis XVI ajant désiré qu'on ne prit 
pas connaissance des dépenses de son aïeul , la portion du règne 
de Loub XY fut scellée d'une bande de papier. Le livre fut ensuite 
envoyé au lieu des séances du comité , pour y être examiné libre- 
ment , et pour que les membres de ce comité pussent prendre toutes 
les notes qui leur étaient nécessaires. Après un examen attentif et 
sévère , le dépouillement en fut fait et publié. C'est un volume qui 
n'a que trente-neuf pages et^auquel sont ordinairement réuni;» , 
1^ une addition relative à une réclamation du maréchal de Ségur : 
a** un coup-cCœil séuère mah juste sur le Hure rouge ^ de quatre-vingt- 
trois pages : 3° des observations de M« Necker , trente-deux pages^ 
4** et une réponse à ces observations aussi de trentenleux pages. 

L'auteur du coup-d'œil séuère mais ju^te, est moins juste que 
sévère , et cependant il est forcé de convenir que le livre rouge, 
fia pas répondu à ridée qu'il s'en faisait. En effet, le total des. 
sommes portées sur ce registre , depuis le 19 mai 1774 jusqu'au 
16 août 1789, monte à deux cent vingt-sept millions peuf cen^ 
quatre-vingt-cinq mille £.; ce qui fait environ i& millions d'extràor-r 
dinaire par an ; sous un gouvernement non représentatifs c'était en, 
être quitte à bon marché. Le livre rouge es* donc infiniment au-^ 
dessous de sa réputation. Dans le chapitre x. et dernier sont portées^ 
les dépenses personnelles au roi et à la reine ; elles se montent à 
onze millions quatre cent vingt-trois mille francs pendant l'es-^ 
pace indiqué ( de quinze aimées ) : encore une grande partie de 
cette somme a-t-elle été employée en acquisition de fondd. Le livre 
rouge, comme on voit , trompa les vues de ceux qui en demandè- 
rent la publicité ; mais le conùté des pensions , k propos des obser- 
vations de M. Necker, profita de l'occasion pour a^moncer^ quant 
âux dépends non portées sur ce registre^ qu'en moins de seize 
ans« elles 0'élèvent à deux milliards cent soixante-quinze millions 
au-delà des revenus ordinaires^ et les mttnbres de cecomjité s'en- 
gagèrent à le prouver. 



296 ÉGLiIRGISSEMENS HISTORIQUES 

Weber est exact dans ce" qu'il dit des gratifications accordées à la 
famille de M. de Lameth. Elles se montent à la somme de soixante 
mille francs que cette famille fit verser ensuite au Trésor. Mais 
l'article qui concerne la famille des Polignacs a besoin de quelque 
éclaircissement. Dans le second ehapitre du livre rouge^ le prix de 
la Comté de Ferustmnge est fixé à 1,300^000 francs, et cette somme 
est accordée à M. le duc de Polignac par une ordonnance au porteui*. 

L'auteur du coup-d' œil sépère ïaii un parallèle assez curieux entre 
tous les ministres des finaàces, dont les opérations ont un td 
rapport entre elles, que le plus économe de ces ministre» a de 
grands points de rapprochement avec le plus dissipateur. L'année 
1779 , oii M. Necker était ministre , est même chargée de cinq mil- 
lions de plus que Tannée 1784, pendant laquelle les finances furent 
confiées à M. de Galonue. "* 

Voici les articles du livre rouge qui ont plus particulièrement 
excité la rigueur du critique. ' 

« La princesse Christine de Saxe qui reçoit cinquante mille écus 
» pour arranger ses afikires. 

» La comtesse d'Albany , femme du dernier des Stuarts, une pen- 
D sion de soixante mille livres. 

» Le rhin grave de Salm un don de quatre cent mille livres. 

» M. de Sartine , après avoir été douze ans lieutenant de police ^ 
y> quatre ans au ministère de la marine , et s'être retiré avec une 
» pension de quatre-vingt-neuf mille livres , reçoit une somme de 
» deux cent mille livres à titre de secours pour l'aider à se li- 
» bérer de ses dettes. 

» Le prince des Deux-Ponts reçoit neuf cent quarante-cinq 
)> mille livres pour l'acquittement des siennes , etc. » 

Un article , peu considérable en lui-même , mais remarquable 
par ses motifs, ne pouvait échapper à la critique ; c'est celui-ci : A 
M. FurtA , pour retirer l'édition d'un libelle et pour une hotte eTor 
dont on lui a faitpiésent, 2 a, 680 livres. 

Nous avons rapporté, d'après M. Senac deMeilhan, l'anecdote de 
la suppression d^une des deux places de trésorier-général des 
guerres , M. de Boulogne. Mais on voit inscrites sur le livre rouge 
pour indemnités de cette perte, madame de Laval, fille de M. de 
Boulogne , et madame de Magnanville sa nièce , chacune pour une 
pension de quatre-vingt mille francs. 



ET PIKGES OFFICIELLES. ^397 

Les observations de M. Necker ont pour objet des plaintes sur la 
publicité donnée au liure rouge, malgré U promesse du contraire, 
et des explications sur plusieurs dépenses et sur la différence qu'M 
y avait entre les ordonnances au comptant et les ordonnances oomp^ 
tables. Les premières n'étaient Jamaîa examinées ni vérifiées , et la 
cbambre des comptes n*avait aucune action sur celles*là , tandis 
que les autres étaient de son ressort. Ges ordonnances au comptant 
furent adoptées pour les dépenses qui y par ie^r nature, devaient res^ 
ter secrètes. Ce qu'il y a de bizarre , c'est qu'on les déposait au Lou- 
vre pour y être compulsées au besoin^ tandis que les ordonnances 
apurées par la cbambre des comptes étaient brûlées ensuite ; de 
manière qu'on risquait d'avoir un résultat contraire à celui qu'on 
se proposait ( ce qui est en effet arrivé ) ; c'est-à-dire que Ton con- 
servait les moyens de publier ce qu'on ne voulait pas faire con- 
naître , et qu'on renonçait à la possibilité de rendre public ce qui 
pouvait se divulguer sans inconvénient ! 

Il nous reste à dire un mot du marécbal de Ségur. Les membres 
du comité, dans leur préambule, s'expriment ainsi : «Un ministre^ 
» comblé des grâces du roi et jouissant déjà de g8,6âa livres de 
» traitemens et de pensions^ après avoir obtenu^ Ire 17 mars 1785, 
» des pensions pour dix personnes de sa famille, après avoir ajouté, 
» de son autorité , \me onzième pension en faveur d'un parent ou- 
» blié , demandait ensuite un ducbé héréditaire , 60,000 francs de 
» pension, et i5 mille réversibles à chacun de ses deux enfans^ et 
» une somme pour l'aider à arranger ses affaires. » On ne nommait 
point ce ministre , et il faut avouer qu'au premier aperçu , les onze 
pensions, pour des membres de sa famille, font croire que celui qui 
les demande et les obtient , doit être insatiable. Mais il y avait de la 
méchanceté à taire la quotité de ces pensions ; or , la plus considé- 
rable est de douze cents livres , les autres sont de cinq cents , et le 
tout s'élève à «ix mille francs ! Indigné de cette perfide réticence , 
le ministre qu'on ne nommait point , se nomma , réclama dans les 
journaux, et fit voir qu'il n'était pas de ceux qui avaient obtenu le 
plus de faveura , et qu'il avait des droits réels à celles que le roi lui 
avait accordées. En effet , il avait servi pendant cinquante ans , 
reçu des blessures graves et perdu un bras sur le champ de bataille, 
etdepuis sept ans il était ministre. Si Ton compare ces titres à ceux 
de M. de Sartine à qui l'on donna quatre-vingt-neuf miUe francs de 



298 ÉGLAlMGiaSBVSKS HISTORIQUES 

|iaiwioD> et deux cent mille iraoc» pouf payer ses dettes ^ aux 
droiu de beaucoup d'autres ,.pour de plus grandes faveurs moias 
montées esoore , Tavautage du parallèle restera au vieux marécbaL 
L'aîné de ses «ufaus avait conclu un traité très-&vorable k la 
France après une QégocIatiQn l4^gue et difficile , et n'avait point 
été récompensé ; il entrait dans les demandes du ministre, Bemar- 
quons enfin, en terjninant, que le duché n'ayant pdnt été accordé, 
ni la pension , c'était une méchanceté gratuite d'en rappeler 
la demande 9 puisqu'elle ne faisait point partie du livre rouge. 

Notes ( C , /;. 37 , D , />. 4 ï • ) 

Sur Mirabeau ^ ses ptvjets , ses plans et les pièces qui le conoêr^ 
. noient, et qui furent trouvées dans l'armoire de fer. 

• La supériorité des talens de Mirabeau, l'influence entraînante 
qu'elle lui donnait sur les esprits , nous forcent à parler encore de 
cet homme célèbre , pour compléter les renseignemens qui pcu^est 
le n^ieux faire connaître. La publication des pièces trouvées dans 
l'afmoke de fer prouva jusqu'à l'évidence qu'il avait abandonné 
le parAi démocratique pour embrasser celui de la monarchie , et 
changea en certitude le soupçon qu'on en avait eu. S.^>étons pour 
«on excuse , avec le duc de Léyis , que ^s'il manquait à in déli- 
catesse en recevant l* argent de la cour, du moine il ne trahieseit 
jptis sa cûfiscience^ puisqu'il était attaché par principes è la 
royauté, a. Au commencement. des états-^énéf aux , dit le même 
» auteur, il 'fut l'idole du peuple en même temps que l'objet de 
» la terreur et du ressentiment de son ordre. Mais bientôt on 
to ceoonnut qu'ennemi du despotisme ministériel^ dont il avait 
» f>waonnel]j»nent à se plaindre , il n'en était pas moins attaché, 
« d^its le Ibnd > à la monarchie. Sa popularité en dimipiua 5 les 
» démagogues se crurent trahis ^ et les royalistes sensés espé- 
to jèrent que e^s talens 9 qui avaient contribué à ébranler le trône, 
» pouiraieiNt lexaff(Qrmî#'« Mais dan$ cette fluctuation de l'opinion 

# t«r sel principes et ses wni$,,wm génie «upériour «t l'asoeodant 
m d« «oa âoquenee commandera»! louiouars l'admiratios des 

• ptuti» 4fj^B4ê^ rt â% mort prématui?ée excita des regréti uai- 



ET PIÈGES OFFICIELLES. AQQ 

• v«rscis» Bersôime n'ëuit certes pins en état que lui dedëjoa«r 
» les horribtes complots conçus pour dëraster la France k cetlt 
tt désastreuse époque i et sous ce rapport , sa mort que beaucoup 
» de gens , quoiqu'è tort , croient avoir été arancée par le crime, 
» 4\it une calamité publique. U âiimait la liberté par sentiment , la 
» monarchie par raison, et la noblesse par vanité. Il avait la 
» conscience de sa supériorité , et quelquefois il s'exprimait avec 
> und naïveté qui choquait la médiocrité et l'envie. Il dissimulait 
» son attachement k la monarchie avec adresse , parce que le 
» parti populaire ïic le lui eût point pardonné ; et je l'entendis ré- 
» pondre à des députés , républicains alors , mais qui depuis ont 

* bien changé , et qui le consultaient sur les moyens de détruire 
» la noblesse : Cela ne sera pas difficile ; mais songez , Messieurs , 
» qu'il faudra toujours un patriciat en France (i). » 

Lorsqu'on publia les pièces contenues dans l'armoire de fer , 
Mirabeau n'existait plus depuis près de deux ans. Cette publicité 
fût ca«ise de l'outrage que l'on fit à ses cendres en les enlevant du 
Panthéon pour y placer celles de Marat. 

L'examen des pièces qui le concernaient , du plan qu'il se pro- 
posait d'adopter et du nouveau rôle qu'il eût joué, si la mdrtne l'en 
eût empêché , ne saurait être dénué d'intérêt. 

La collection des pièces trouvées , soit dans le secrétaire du roi, 
soit chez M. de La Porte, soit enfin dans l'armoire de fer, au 
1^ août et depuis cette journée, forme trois volumes, dont les 
deux derniers sont entièrement consacrés à l'inventaire des pa- 
piers que contenait cette armoire. C'est dans le second et le troi- 
eième que se trouvent les pièces relatives au comte de Mi- 
rabeau (â). • 

Il est question de lui pour la première fois , dans la pièce n^ t. 
C'est un écrit de M. Talon ^ lieutenatit «ivil de Paris , magistrat 
établi alors pour juger les affaires civiles en première instaiice. H 

(i) Som^eiûrs et Portraits par M, U duc de Léuis; p, ai3 c< ai4 » 
passim, 

(q) La Collection entière se compose, comme nous l'avons dit, de trois 
volumes. Dans le premier sont, i^ les pièces troii^véei aux Tuileries» le 
10 août, et reeueillies par le comité de surveillance; a* celles i^emîies 
è la conunission des vingt-quatre par le coiçité de sorveillanoo de la 



500 éCLAlRCISSEMENS HliSTORIQUfiS 

rend compte au roi des opérations qu'il a faites pour rexëcutioii 

du plan dont lé but ëtait d'arrêter la marche de la rëyolution. 

M. Talon , que les fonctions de sa place mettaient habituellement 

en rapport avec une classe de citoyens nombreuse et influente; 

avait habilement ménagé le crédit que lui donnaient ces fonctions, 

et conservait cetie espèce de patronage qui pouvait devenir utile. 

^ « C'est ce patronage, dit-il , qui parut à Mirabeau une des bases 

» sur lesquelles il pouvait appuyer l'exécution du plan qu'il avait 

» formé. M. de Montmorin le chargea de me déterminer à impri- 

» mer dans la capitale le mouvement par lequel il fallait corn- 

» mencer. Le travail des provinces que Mirabeau s'était réservé, 

» et qui devait marcher de front avec le mien , n'a pas même été 

y> entamé. Au moment de sa mort , les iacobins étaient discrédités 

» et marchaient à leur décadence r le parti des Lameth était en 

» déroute. Mirabeau, fort du surcroit de partisans que je lui 

» avais assurés dans l'Assemblée , en était au point d'aller traiter 

3X. hautement de factieux les Lameth et leurs amis. Sa perte fit 

» croire que le grand plan ne pouvait plus être suivi. On pensa 

» qu*il convenait de se borner à exercer une influence modifiée 

» dans la capitale. Les pensionnaires de l'Assemblée furent con- 

•» serves. Je continuai de les diriger par cet appât toujours re- 

» naissant (les pensions), méthode que j'estime la meilleure de 

» toutes : ce qui nous conduisit jusqu'à l'époque du départ de 

» Leurs Majestés. Ce moment fut dur à passer à cause de là ces^ 

» sation de tout secours ; ce qui nous mit à découvert, vis-à-vis 

» beaucoup de nos sujets , de la manière la plus dangereuse. » 

La pièce n** ii , datée du i3 mars 1791 et non signée, est un 

rapport sur la conférence autorisée par le roi avec M. de M 

n n'est désigné que par- la lettre initiale de son nom , mais plu- 
sieurs particularités le font reconnaître. Le rapporteur parle de 



Ville. Les pièces de l'armoire de fer sont imprimées sous ce titre : 
Troisième Recueil: P^ces imprimées diaprés le décret de la ConventuM 
nationale du 5 décembre 1 79a ; déposées a la commission extraorduuàn 
des douze , établie pour le dépouillement des papiers troupes dans tat' 
moire de fer au chduau des Tuileries, et cotées par le ministre de Cinté- 
Heur et les secrétaires , lors de la remise qtCil en fit sur le bureau de h 
CoMfention* a vol. in-8*'. 



ET PIÈGES OFFICIELLES, 3oi 

son talent , de son caractère , et les réponses de son interlocuteur 
semblent appartenir à Mirabeau. « La position du roi , dit-il , est 
» d'autant plus critique que Sa Majesté est trahie par les trois 
1) cinquièmes des personnes qui l'approchent. Elle exige de la 
D dissimulation , non celle à laquelle on accoutume les princes , 
» mais la dissimulation eu grand , qui , ôtant toute prise aux 
» malveillans , acquît au roi et à la reine une grande popularité. 
Tk J'ai saisi cette phrase pour dire que le premier service et le plus 
» grand serait un plan de conduite , et cela m'a été promis. La 
» conférence a fini par des protestations de dévouement. Je suis 
» porté , a-t-on dit , à servir le roi par attachétnent à sa personne , 
» par attachement à la royauté^ mais également pour mon propre 
» intérêt. Si je ne sers pas inutilement la monarchie , je serai , k 
» la fin de tout ceci, dans le nombre des huit ou dix intrigans qui, 
» ayant bouleversé le royaume, en deviendront l'exécration et 
» auront une fin honteuse , quand ils auraient, pendant un mo- 
» ment , fait ou paru faire une grande fortune. J'ai à réparer des 
» erreurs de jeunesse , une réputation peut-être injuste. Je ne 
» puis y parvenir, je ne puis me faire un ,nom que par de gi*ands 
» services. Il fallait peut-être une révolution. Elle est laite. Il 
» faut détruire le mal, il faut rétablir l'ordre. La gloire sera 
» grande. » Aucune note n'indique de qui est cette pièce , et ce 
n'est que par des conjectures, qui paraissent probables , que nous 
présumons que c'est de Mirabeau qu'il est question. Mais , vers 
la fin du second volume et sous les nos 3io etSii^ sont deux 
lettres de M. de La Porte , intendant de la liste civile, qui tient un 
langage précis sur Mirabeau. Dans la première, datée du a mars 
1791 , il s'exprime ainsi : « Ses demandes sont claires. M. de 
» Mirabeau veut avoir un revenu assuré pour l'avenir , soit en 
» rentes viagères constituées sur le Trésor public , soit en im- 
D meubles. Il ne fixe pas la quotité du revenu. S'il était question 
» de traiter cet objet dans ce moment , je proposerais à Votre 
» Majesté de donner la préférence à des rentes viagères. Votre 
» Majesté approuvera-t-ellê que je le voie? Que me prescrira- 
» t-elle de lui dire? Faudra-t-il le sonder sur ses projets ? Quelle 
» assurance de sa conduite devrai-je lui demander ? Que puis-je 
» lui promettre pour le moment^ quelle espérance pour Ta- 
» venir ? Si, dans cette conduite, il est nécessaire de mettre de 



^02 ÉGLitRGISSBMBNS HISTORIQUES 

9 Tadrase» je •croîs, Sîre^ qu'il faut eneora plus de fraBc)iîs««t 
» de bonne fi>i. M. de Mirabeau a déjà été trompé. Je suis sâr 
» qu'il di^aîi, il y a un «a , que M. Necker lui ayait manque de 
» parole deux fois. Au surplus , ]e suis convaincu que t'est le 
» seul homme qui , dans les circonstances actuelles^ qui sent 
» très-cntiques , puisse réellement servir Votre Majesté. G'eat 
V un homme violent z il est aujourd'hui en fureur contre W 
» triumvirat qu'il affile le tnumgueusat* Je pense qu'il (aot 
» saisir le moment pour le^porter & des démarches qui ne lui pep- 
» mettent plus de s'y rallief . » Il ne faut pas oublier de dire que 
M. de La Porte n'écrivait ainsi au roi que d'après une visite que 
lui avait faite M. de Luchet envoyé par Mirabeau. Louis XYÏpar* 
tageait la confiance et l'espoir de M. de La Porte. Ce prioce , pour 
plus de certitude» aurait pu , sans le dire à M. de La .Porte » faire 
sonder l'homme d'Etat dont le génie et les talens pouvaient êtte 
utiles à la monarchie. 

Le lendemain, 3 mars, l'intendant écrivit au roi un billet 
(n** 3t 1 ) qui prouve que la négociation marchait rapid^nent. «La 
» rupture est déclarée, dit-*il, entre M. d« Mirabeau et les cheiî 
u des jacobins. Ceux-ci paraissent décidés à le pousser â bout , 
» dans lespérance de le regagner en l'effrayant. Cet avis me 
» vient de leur directoire secret. U n'est donc question que de 
» soutenir M. de Mirabeau dans la résolution qu'il parah avoir 
«> prise , de son côté , de rompre toutes les mesures de ces for- 
» ceoés. » 

On voit que déjà il y avait eu, une année auparavant, des 
jpour-parlers entre M. Neckër et Mirabeau , et que le premier avait 
deux fois manque de parole au second. La méfiance de celui-ei 
le trouvait donc fondée, et les renseigneraens, que nous aUoui 
bientôt offrir, prouvent qu'elle n'était point dissipée. 

Les deux lettres , quoiqu'autérieures de din jours k 1» pièee 
no 11 que nous avons rapportée, peuvent se ooneilier avec aette 
pièce qui n'est pas de M. de La Porte , mais de quelqu'un m^Aotîaé 
par Louis XYJ à voir Mirabeau* U ne peut dono exister èm doule 
«nr le projet qu'avait celui-^ de cesser d'attaquer la monarchie et 
de devenir un de ses défenseurs. Mais il séparait le monarque de 
oa cour ; et comme le premier paraissait à.ses yeux subir le joug de 
lu saeopde» ou du Rnoi^s vivre soii» son influence, il aurait voulu 



ST PliCBS OFFICIELUSS. 3o5 

timitisr VB moyen de 1*^ afiranchir , ou de suttre un plan que le 
prince aurait adopte , et dans lequel le roî n'aurait joué que le ae- 
coad rôle. C'est ce plan que nous allons faire connaître d'après 
un ^erivain distingué qui a rëceq||aient publié un ouvrage sur les 
dvënemens de cette époque (i). Il s'appuie sur les mêmes autorités 
qaenous. 

c Mirabeau , dit-il , résolut de sauver un roi constitutionnel de 
la monarchie absolue. Il fit demander une entrevue à Necker : 
Malouet l'obtint; le ministre repoussa les secours de l'orateur, et 
Mirabeau , sortant de son cabinet, dit à ses amis : Necker aura de 

mes nouvelles Mirabeau connaissait trop bien l'influence de la 

noblesse de cour sur des rois qui , sans cesse renfermés dans leur 
palais *^.^. peuvent rien voir, rien entendre, rien apprendre que 
par elle , pour se fier à des promes^s faites sans doute avec bonne 
foi| mais dont les courtisans eussent rendu l'accomplissement 
impossible. Il voulait tout faire pour le roi , mais rien par le 
la roi. Sollicité par Montmorin, il refusa de s'aUier avec Louis XYI 
à cause de la faiblesse de son caractère. H voulait toutefois sauver 
la royauté, et il crut que Monsieur, dé)à secrètement nommé par 
le ro^ lieutenan^^énéral du royaume , lui offrait^ un caractère 
plus ferme ,.une volonté plus indépendante , des principes moins 
ennemis des idées de liberté que la France avait accueillies' avec 
transport, et qu'elle voulait impérieusement réaliser par la cons^ 
titution. La note suivante , écrite de la main de Mirabean , nous 
donne son opinion sur l'état de l'Assemblée et sur lés moyens de 
^lut qu'espérait ce grand homme d'État. 

a Si Ton entend par ce mot pam une coalition systépaatique 
» d'hommes -qui , d'accord sur les bases principales , marchent 
a solidairement et fidèlement k un même hut , il n'y a de parti m 
» dans l'Assemblée , ni dans la nation. Si l'on entend paï* ce mot 
» pyZfti les amis ou les ennemis de la révolution , on se tromperait 
» de n'en compter que deux , ii en est quatre. 

» Cenx qni veulent la révolution sans boi'nes- et sans mesure , 
» &ute d'tBstriKstîan et die ptinoipos , et qui transportent dans la 
» constittt^oa toutes les méfiances nées d'tin ordi^e de choses 
^ tans cemtitutien. 



*^'' iii'. 



(i^ Fastes ciuUs de la France ^ T. II, page 191 et suiv. 



5o4 ÉGLAIRCiSSEMEMS HISTORIQUES 

» Ceux qui , sans bonne foi comme sans esprit , croient ou fei- 
)) gnent de croire au rëtablissement de Tanciten système. 

» Ceux qui ne voulaient pas de révolution , mais qui aujour- 
» d'hui comprennent qu'elle est faite et veulent de bonne foi 
» la circonscrire et la consolider. 

» Ceux enfin qui ont toujours voulu la révolution , mais sans 
» être envieux du temps et en désirant de la mesure , des gra- 
)) dations et une hiérarchie pour l'intérêt même de la liberté. 

» Cette dernière classe gouvernera à la fin les opinions et les 
» affaires ^ du moins si la décomposition générale ne range pas ses 
» vœux et ses projets parmi les nombreux rêves des gens de bien. 
» Elle peut aisément se coalitionner avec la précédente jamais il 
» n'existe pas de point central. .tm^ 

» Tous les liens de l'opinion sont dissous ; elle ne sait fdus oii 
» se rallier. Les excès des ministres ont travaillé si long-temps à 
» démonarchiser la Franae qu'ils y sont parvenus. Pour pallier 
» tous les manques de respect , toutes les indécences de l'indisci- 
» pline , toutes les orgies de la licence , on isole de l'autorité 
» royale Tindividu du monarque ; et au moyen de cette fiction , 
T» Tautorité royale et la monarchie avec elle , sont en péril , et le 
» roi lui-même n'est pas en sûreté.... 

ï> Mais dans toute société oii il y a des restes d'organisation , on 
» trouve toujours une grande ressource : c'est que les gens qui ont 
» quelque chose à perdre ou à conserver sont de beaucoup les plus 
» nombreux. Cette ressource a chez nous un puissant auxiliaire : 
» c'est notre mobilité prodigieuse , mère de cette impatience cor- 
v rosive qui fait que jusqu'ici il n'y a en France ni mal ni bien 
» durable ; disposition toute particulière à notre nation qui ne 
» changera que par la Jente influence de l'instruction et d'un bon 
» système d'éducation. publique. 

» Profitons de l'inquiétude des honnêtes gens et de l'amour des 
» nouveautés. On se sépare du roi parce que l'on voit qu'il s'a- 
» bandonne lui-même , et que ses ministres ne pensent qu'à eux 
» et à échapper, comme ils pourront, à l'agonie générale sans 
» mort violente; et que l'autorité royale , trop faible pour lutter 
» contre l'anarchie, paraît la favoriser pour se ressaisir d'une 
» plénitude de prétentions et de prérogatives que l'on sent très- 
» bien qu'elle ne recouvrera jamais. 



£T PIÈGES OFFiCtELLES. 3o5 

» Que k roi s'aonooce de bonne foi pour adhérer à ht révolu- 
» lion , à la seule condition d'en être le chef et le modérateur y 
» qu'il oppose à Tégoïsme de ses ministres un représentant de sa 
» famille dispersée , qui ne soit pas lui, parce que son métier de 
» roi est et doit être exclusif de l'esprit de famille , et , en quelque 
» sorte son otage et lo.rgane non ministériel de la volonté des chefs 
» delà nation. Aussitôt Ton verra la confiance ou du moins 1 es* 
M poir renaître, le goût de la monarchie reparaître, et les pailis, 
» qui veulent de bonne foi que Tempire français ne se décompose 
» pas, ou ne devienne pas pour un demi-siècle larène des jeux 
» sanglaBLS de quelques ambitieux subalternes ou de quelques dc- 
» mngogues insensés, se rallier autour d'un Bourbon devenu le 
» conseil du roi et le chef, des amis de Tautontc lov'de, légler 
» 1 opinion et dompter les factieux. Le choix de ce Bouibon est 
» indiqué, noorSieulement par la nature , mais parla nécessité des 
» choses, puisque tous les princes du sang , excepté un seul , sont 
» en conspiration réelle ou présumée , et regardés comme les en-* 
22 nemisdela nation, si universellement, qu'il est douteux qu'ils 
» puissent êtie sauvés par l'avènement de Monsieur, mais qu'il 
» e&t certain qu'ils ne peuvent l'être que par la. 

)> Pour peu que c^t événement tarde, il ne paraîtra plus qu'une 
^ i9|rigue » tandis que lié^révénementoii Monsieur ik eu le cou4- 
j» rage de placer, dans son discours populaire, k roi à la tête de la 
» révolution , il aurait l'incalculabk avantage d'être l'adhésion du 
V roi; et en réch^uffiint toutes ses ressources dans l'opinion^ /es 
j», $ei4h^ sur lasqueliffi il puisse compt^Jç^àe^ lui préparer des 
» inoyeps de renouvekr sans secousse et sans difficulté sou conseil 
n c|ui n*cs( aujourd'lmi que k plu3.emfoafrassa]»4 à^ ses bagage* 
9 otkpreinière^makdiedeVÉtal. x| 

D Cette pièce fu( pvé^e^téo à Lofûs XVI , et aujlna se trouva b 
Q^oie s^iv9nte., éçrito par une maip auguste^, et spprouvi^ jpUr la 
«Igaature^u roi.. Elfe est aussi signée par IVtirabvau. 

« \ Q. ïvQ rqi, dojp^^ç ^ M. de MirabeP u k pro wcftS9 d' u«ç Hmb*5Si»dm 
^ celte promes^ >$era. annoncée pa^ MoM4i(^r^ luirlPçiviQ à iV|, dQ 
i> Mirabeau ; a9 k KW fera SiiMrrleTC:b^mp ».f A a.tteadj^Dl re£3^,da 
1^ çe^e promesse, up traileineqt particulier à Mk d<9, Mirabeau; d4 
p, cinquante mille livres par moiHy kq.U|eljfffii|emetit dUJDet» au 

u. ao 



3o6 ÊCLAIRCI5SEMENS OISTORIQUBS 

» M. de Mirabeau s'engage à aider le roi de ses lumières, de ses 
» forces et de son éloquence dans ce que Monsieurîa^en utile au 
1» bien de l'État et à Tintërét du roi, deui^ choses que les bons 
» citoyens re|^ardent sans contredit comme inséparables ; et dans 
» le cas oii M. de Mirabeau ne serait pas convaincu de la solidité 
» des raisons qui pourraient lui être données , il s'abstiendra de 
» parler sur cet objet. » 

» Ce premier traité fut sans effet : on ne voulut point placer le 
gouvernement entre les mains de Monsieur. Long-temps après , et 
deux mois avant la mort de Mirabeau , le roi traita directement 
avec l'orateur. Il s'acquit l'appui de son éloquence , et l'on se bâta 
de l'annoncer confidentielleinent. On a trouvé dans l'armoire de 
fer le projet d'une lettre que le roi avait eu le dessein d'écrire à La 
Fayette. « Il faut se servir , disait le prince , d'un homme qui ait 
du talent ^ de l'activité , et qui puisse suppléer à ce que , faute de 
temps , vous ne pouvez faire. Nous sommes fortement persuadés 
que Mirabeau est celui qui conviendrait le mieux par sa force, ses 
talens et l'habitude qu'il a de manier les affaires dans l'Assem- 
blée. Nous désirons , en conséquence , et exigeons du zèle et 
de l'attachement de M. de La Fayette qu'il se prête à se con- 
certer avec Mirabeau sur les objets qui intéressent le bien, de l'É- 
tat, celui démon service et de ma personne. Je crois^, écrit encore 
le roi au marquis de Bouille , que Mirabeau peut me rendre ser- 
vice. Dans son projet vous trouverez peut-être des choses utiles. 
Écoutez-le sans trop vous y livrer. » La cour connut bientôt ce 
traité secret , et soudain elle mit tout en œuvre pour perdre Mi- 
rabeau. Auprès du peuple , on divulguait le secours qu'il prêtait 
au trêne et qu'on appelait vénalité ; auprès du roi , on l'accusait 
de trahison , et , si l'orateur eût possédé moins d'audace que de 
génie , la tribune se fermait à jamais pour lui. » 

On voit qu'à diverses leprises , il y eut des négociations entre 
Louis XVI et Mirabeau. Les époques ne peuvent, feiute de date 
dans les pièces , être désignées que par les circonstances dont il y 
est question. Ainsi ^ le discours populaire dont il est parlé dans la 
note de Mirabeau , et qui fut prononcé par Monsieur, avait précédé 
la remise de cette note. H est clair dès^lors qu'elle est postérieure 
au a6 décembre 1789 , jour oii ce discours fut prononce , mais 
de très-peu de temps , puisqu'il fallait que le t>rojet^/ lié à cette 



ET PIÈCES OFFiaEIXES. Soj 

GÎroonstaiioe sans laquelle , si l'on tardait trop , Une paraftraitplus 
qu*une intrigue. Cette première négociation devait donc avoir eu 
lieu dans le mois de janvier 1790. Elle fut sans résultat. 

Les pièces qui constatent la dernière sont , ainsi que nous l'a- 
vons remarqué , du a , du 3 et du 1 3 mars 1791. D'après la lettre 
de M. de La Porte , en date du a mars , il semblerait que la négo- 
ciation n'eût été renouée que de la veille. C'est, en efièt, le 
1^' mars que parait , pour la première fois , M. de Luchet qui ne 
s'explique pas sur le véritable objet de sa visite. Il ne put vaincre 
l'embarras qu*il éprouvait qu'en écrivant ; ce qu'il fit dès le léi^ 
demain. M. de La Porte envoya sa lettre au roi, avec un rapport 
dont nous avons extrait ce qui concerne Mirabeau , et qui seul s'est 
trouvé dans l'armoire de fer. 

U importe de faire observer , soit à la gloire de Mirabeau , soit 
|>our l'intérêt de la vérité, que le célèbre orateur avait déjà donné 
gratuitement et sans intérêt des gages qui ne permettaient pas de 
douter de sa sincérité. Dans la séance du fi5 février 1791 , sur un 
débat qui s'était élevé À l'occasion d'une phrase du président 
(M. Du Port), Mirabeau prit la parole pour déclarer «qu'il combat- 
» trait toute espèce de factieux qui voudraient porter atteinte aux 
» principes de la monarchie , dans quelque système que ce soit, et 
• » dans quelque partie du royaume qu'ils osent se montrer (1). » 

' L'indiscrétion . des négociateurs ou de leurs confidens avait 
ébranlé . pendant quelque temps le crédit de Mirabeau. Peu de 
: jours après le duel de MM. de Casfries et Lameth (s), il fut hué 
à la tribune dans une discussion sur les duels ; mais avec sa pré^ 
sence d'esprit ordinaire , il ramena les applaudissemeus et reprit 
bientôt son empire , au point que^ le 3o janvier 1791 , il fut élu 
président de l'Assemblée. C'est quinze jours après cette prési- 
dence que Louis XYI traita directement avec lui ; mais il n'était 
plus temps , et Mirabeau ne survécut que de quelques jours à cet 
événement qui devait changer ses destinées et peut-être celles de la 
France. H mourut le a avril , et sa mort fut regardée comme une 

(i) BAomteor , n. 791 , n» 58 , et Journal de Paris, n» gS. 
(a) Il eut lieu le la novembre 1790, et le lendemain l'hôtel de Castriet 
fut pillé. 

ao* 



So8 ÊCLAIRGIâSBKfiNS HISTORIQUES 

calamité publique. L'Assemblée décida que tous ses membres 
aasisteraient à ses funérailles ; les spectacles fut'eiit fermés ; le dé«> 
partement de la Seine arrêta qu'on porterait son deail , et \eA dent 
fasiis sentirent également sa perte. L'un regrettait son appui, ne 
aaohant pa» qu'il allait en être abandonné ; l'autre voyait sel 
espérances détruites. 

. Weber le juge avec une sévérité trop grande dans ce qvte nous 
avons laissé de ses Mémoires; avec une injustice révoltante dans 
ce que nous atons retrancbé» H le * traite d'^espèce à^étre mans^ 
iru^x qu'on appelle U maut/aiê principe ; ayant le goût et la fat' 
€ulté du mal dane toute son honihle perfection \ capable de tout 
poUr laplus coupable ou la plus ignoble des pasèions; calomnier 
teur de tout ce qui était grand , et il lui prodigue des itt)ures in- 
dignes dé l'histoire. La. haine Tavéugleâ un tel point qu*îl dit 
^ue Mirabeau donne pendant quarante-^ix année» des scandaUs 
de tout genre y et il n'en vécut pas quarante-deuit! Qdant à l'envie 
qu'il: lui suppose en raccusantde calomnier ce qui était grande 
Mifabeau s'est montré toujours excAipt de cette passion basse. 
Parmi les nombreux témoignages qu'A nous serait fecilé d*inv<K 
^l^r en preuve , nous nous bornerons à ceux de M. de Levis > et 
d'un écrivain qui s'exprime ainsi (l) : <t II avait plutâitles babi- 
1» tudes que le fond des vices ^ et encore 'faut-41; en jskcepter l'en* 
r» vie. Tons les vrais talens , tontes les bonnes: réputations lui 
'» étaient honorables et iiàviobbles. H ne cédait rîenà ses rivaux» 
v tnais , hors rd»iet de la . concurrence , personne qn'tl aimât 
n mieux embrasser , pcAncr et servir. » 



1 ■ • 1 ., 



Note ( É ) , page 62. 



Êv'aiion de là famille royale. Parallèle entre les diverses relations 

' publiées sur cet événement* 



>i «. '. .> . I 



Outre la relation que tVebêr a insérée dans ses Mémoires , Q en 
existe deux autres de cet événement mémorable.- €elle que l'on 



^ft^mmmm^m^^^k^aÊ,^^ 



(1) M. Lacretelle atnë» dans ses Fragmens politiques et littéraite^ , 
p. 317. 



ET PliCES OFFJCIEliLES. Sog 

▼ient de Ure pa»se pour être de H* de Fontaages , archevêque dH) 
Toulouse y qui l'adressa dans le temps k M. le marquis, de fiomr- 
belles. Elle est le résultat des conversations que le prélat eut avec 
la reine et ^L de JBouillé. Le plan y est développé d'une manière 
plus que dramatique ; il y règne une simplicité touchante, etrinté- 
ret va toujours croissant. 

Parmi les autres relations, les seules qui sont, ainsi que ceUe4i ,« 
revêtues de tf»^^ l'authenticité désirable , oi^t été faites par deux 
des gardes-du^corps à qui le sort de la famiUe royale était confié. 

La première parut en 181 5 ; elle est intitulée : Frécis àiUorique , 
du poyag^ entrepris p<^r S. M. J40UU JK7^/, le a/ Juin f^gt ; dû Var^. 
restQiion de la famille royale à P^arerniee^ et d» st>fi refour è Pa^» 
fie$ par le comte de Valory. In-S**. 

La seconde, publiée la même année et^peu de temps après» a. 
pour titre : Helaiion du f^oyage de S, itf, Loui» XV f ^ lQr% de eon, 
départ pour Montmédy y et de son arreatation à Varennes, le at 
Juin /7p/> ppr M. le comte de M.oustier,.a Tu» des trois gatdçs-du^ 
» corps honorés de la confiance de .se9 s^ugustes et infwtunés- mat-* 
2) très dans ce i^uneste voyage , ^aii^tenant colonel au service de 
)» S. M. lle^ï^ereur de toutes les B^u$sies. » In-8«. > 

On regrette que le troisième gard^e-du-corps, appelé H. an 
Malden, au service «de Russie comme Je précédent, n'ait rien écrit, 
ou du moins rie^ publié spr cet événev^eut dans lequel il était ae-« 
teur, ainsi que les deux autres. 

Nous allons OHilironter l'une avec Ji'autre les relations des deux 
ga;:des-du-corps , et toutes les deux avec ceUe de IM. de FontÉogeAf 

n ne ferait pas étonnant que celle-ci diffi^ât des deux autres, 
puisque lauteur n'était ni témoin ,. ni acteur ; mais toute dissenvr 
bl^uce dans le récit des deux premiers aurait dequoi nous suih 
prendre. No^is allons voir si elle existe. 

D'abord il. est lyéçqssiûre de rappeler que M., d^ ValOny a p«tiu 
Sfi première narratip^, faite peu de jo.urs après ) pv^eilient,.tt 
que ce n'est qu\auec ^jff^'S, comme il le dit lui-iuéme , qu'il ja pu 
se ressouvenir . des di^vers^ particularités qu'il jep^dmif : ce qu'^ 
3n> fait qw*en ^8i5, c'est-^i^'^ viugttquatre ans après V^^éne^ 
npt^t- ïi« r^citideJVL de .}^pusti^, au contraire , fut êçm àl'Ab^ 
baye ; du moins ^'édit^prr^^ure d^ns ^ pr^aA^^»^ Xlue kctuce at*r 
j(çT]ti|?e pourcaijt fo^rn h* «qM^^ue^.rfpar^rqH^^pi^I^resÀiaire douter 



3lO ÉCLAIRGISSEMENS HISTORIQUES 

de la vérité de cette amertion ; mais nous ne devons que les mdiqaef ^ 
sms entamer une discussion qui serait beaucoup trop longue. La 
première remarque a pour objet le style de Tauteur^qui se sert fou- 
jours de la forme usitée quand on raconte long-^temps après t'évé^ 
nement. La seconde naît de la position oii se trouvait M. de 
Moustier à T Abbaye. Blessé, pansant ses blessures, menacé cha- 
que jour d'être égorgé par la populace ; accusé , subissant des in- 
terrogatoires , occupé du soin de se défendre , accablé d*inquiétudes 
sur le sort de la famille à laquelle il s'était dévoué, il n'a pu jouir 
du repos et de la liberté d'esprit nécessaires pour écrire. Après 
avoir exprimé des doutes que nous conservons , nous allons pro- 
céder comme s'ils n'existaient pas , nous occupant des faits prin- 
cipaux, de manière à compléter le récit de M. de Fontauges , que 
nous préférerons à celui des deux autres écrivains , malgré quel- 
ques erreurs que ceux-ci nous mettent à même de rectifier. * 

M. de Fontanges suppose , par exemple , que ni le comte d'A- 
goust, à qui le roi demanda trois gardes -du -corps dignes de 
confiance , ni ces trois officiers n'étaient dans le secret du projet. 
La confidence leur en fut faite trois jours avant le départ. Les 
deux gardes-du-corps sont d'accord sur ce point. Remarquons 
une circonstance qui eut un grand résultat. La connaissance des 
rues de Paris était indispensable au succès de l'évasion. Personne 
cependant ne savait le chemin qu'il fallait prendre en quittant les 
Tuileries , pas même le comte de FerSen qui servait de cocher, 
n fut obligé de descendre toute la rue Saint-Honorë jusqu'à la 
Madeleine , et de remonter les boulevards jusqu'à la porte Saint- 
Martin , pour se trouver au rendez-vous. M. de Malden , qui don- 
nait le bras à la reine , pour aller à pied du palais dans un angle 
du GfiVrousel , conduisit la malheureuse princesse dans la rue du 
Bacoii ils furent obligés de demander leur chemin. 
> Une particularité donnée seulement par M. de. Yalory , mérite 
d*être notée , pour éclairer ce que dit M. de Fontanges sur M. de 
Gouvion. La reine craignait que ce dernier ne soupçonnât , ainsi 
que M. de La Fayette, le projet d'évasion : pour tranquilliser cette 
princesse , M. de Valory fit deux visites à M. dé Gouvion , qui lui 
parla du roi avec une émotion remarquable ^ et lui dit , qu'il j^orfe- 
raitqueSa Majesté n*auait aucune envie de quitter Paris, M. de 
Yalory s'assura pareillement de la sécurité de M. de La Fayette, et 



BT PIÈCES OFFICIELLES. 3ll 

paratt persuadé que ce général ne se doutait pas du projet ; ce dont 
réyénement parait aToir donné la preuve. 

Une autre particularité ne doit pas être passée sous silence. Deux 
femmes de chambre avaient précédé la famille royale à Bondi et Vy 
attendaient. Le postillon, qui les avait conduites, vit M. de Fersen 
changer de rôle , descendre de son siège et monter dans une voi- 
ture qui Tattendait pour retourner à -Paris. Ce postillon y revint 
lui-même aussitôt, bien en état de donner de» i^nseignemens 
propres à diriger dans la poursuite qu'on ne manquerait pas de 
faire. 

Les deux gardes-du-corps ne s'accordent pas dans les circons- 
tances relatives à la manière dont on- sortit des Tuileries. Suivant 
M. de Valory : ce M. de Moustier donnait le bras à la reine , M. de 
» Malden donnait le sien à madame Elisabeth, et M. de Yalory sui- 
» vait le roi ; Ton observa des distances suffisantes , afin de ne pas 
» faire groupe. » 

M. de Moustier prétend que : « M. de Malden seul resta au châ- 
» teau pour accompagner le roi, la reine, monseigneur le dauphin, 
» madame Royale, madame Elisabeth et la marquise de Tourzel ; 
» ce qui, pour éviter des groupes, exigea trois voyages consécutifs 
» du château jusqu'à la place du Carrousel oh la £imille royale 
» fut réunie. Dans le moment oii la reine, qui s'y rendait , se sou- 
» tenait sur le bras de M. de Malden , elle aperçut La Fayette ; la 
» frayeur qu'elle en eut détermina Sa Majesté k faire éloigner 
» d'elle pour un moment M. de Malden. » • 

D'après M. de Fontanges qui tient de la reine les détails qu'il 
transmet : « Madame Elisabeth sortit la première avec madame 
» Royale , suivie à peu de distance de madame de Tourzel emme- 
» nant le dauphin. L*undes trois gardes-du-corps les accompagnait; 
D le roi le fut du second garde-du-corps. La reine, qui devait sortir 
» la dernière , se fit attendre , et donna bien des inquiétudes aux 
» voyageurs. Cette princesse s'était rangée pour laisser passer la 
» voiture de M. de La Fayette. Elle dit à son garde-du-corps de la 
» conduire sur le petit-Carrousel. Son guide, qui ne connaissait 
» pas mieux Paris qu'elle , tourne au hasard , prend les guichets 
» du Louvre , passe le Pont-RoyaL Tous les deux errent assez 
y> long-temps sur les quais et dans la rue du Bac. » 

Le récit de M.^e Moustier parait bien invraisemblable. Supposer 



5X2 ÉCLAIRCfSSBMBNS HISTOEIQ€ËS 

que le même garde-du-corps fait trois voyages , entre dans le pa-^ 
lais , en sort ti^ois fois , quand on devait prendre tant de prffeau- 
lions pour n*être pas reconnu; cest donner lieu d'accuser ^les 
voyageurs de manqiier de prudence , ou L'historien d'exactitude* 
Comment oublier qu'il accompagnait, on la reine ou Louis XVI, on 
madame Elisabeth? Car, d'api*ès les deux autres récits dans lesquels 
les tr )is gardes*<lu-corps jouent Tun de ces trois rôles , M., 'de 
Aioustier devait être présent. Nous n'entreprendions point de con- 
cilier sa narration avec les deux autres que nous préférons à la 
sienne. Remarquons que d'après le récit de Madame , cette prin- 
cesse et son frère ttai. xt dans la voiture long-temps avant l'arrivée 
de madame Elisabetli, qui précéda de quelques instans celle de 
Louis XVI , et de beaucoup de temps celle de la reine. 

11 y eut bien peu d'accord dans l'exécution des mesures arrêtées 
avec le marquis de Bouille. Les diffiérens chefe s'excusent par la 
défection des troupes ; mais elle n'aurait pas eu lieu si l'on était 
arrivé aux heures indiquées , puisque ce fut la prolongation du 
séjour de cei troupes qui inquié a le peuple. Si l'on n'avait pasprb 
cette précaution , que la prudence cependant et la sûreté dictaient 
impérieusement, la famille royale serait arrivée à sa destination. 
■Tout manqua par le délai de trois heures que firent perdre et M. de 
Fersen et le garde qui avait égaré la reine. Les trois historiens sont 
d'accord sur ce point. 

Les deux gardes-du-corps diffèrent dans leur langage sur MM. de 
Préfontaine, Sausse, procureur de la commune de Varennes^ 
etsur la conduite de cette commune. La justice et la vérité exigent 
légalement. que les faits soient rétablis ou dégagés de leur obscu- 
rité. 

M. de Préfontaine , ancien militaire et chevalier de Saint-Louis, 
habitait une maison construite sur une chaussée près de la rivière 
'd'Aire qui passe à Yarennes. C'est devant cette maisoiiqtM s'ai^ 
rêta la voiture. Le relais qui devait attendre de ce câté de la ri* 
vlire les voyageurs , ne s'y trouva point. La méfiance du peuple, 
jqu'alors un rien alarmait , avait foroé de modifier les dispoaitioBS 
convenues. Mais on négligea de iaâsser quelqu'un pour eninstniiie 
le roi. Les postillons ne voulaient pas laire un pas de plus. Onavait 
encore un pont à. passer et la ville basse à traverter. On* conçoit 
T'cmbark^s et les inquictudes de la fiintUe royale^' «t l'on ^sent de 



£T. PliCËS OFjriCIEX.LES . 5 1 S 

quelle utilité pouTait être M., de Prëfontaîne. Voyons le rôle que 
lui font jouer les deux gardes-du-corps dan$ leur récit. Gmimençont 
par celui de M. de Moustier : 

ce II avait été , dit-il , expédié pour demander des renseigneniens 
» dans une maison sur la droite , presqu'en face de laquelle était 
» arrêtée la voilure, et la seule où Ton eût aperçu de la lumière 
» et qui fut ouverte* Mais la porte s'en referma au moment oit il j 
» entrait , ce qui le mit dans le cas de la repousser avec foroe« 
» Alors un particulier se. présenta en robe de chambre et lui de- 
» manda, d'un ton ferme , ce qu'il voulait? Vous prier, répondit-il, 
» de m'indiquer le chemin pour sortir de la ville du côté de Sier- 
» nay. A quoi celui-ci répliqua : Je le feiais bien, mais je serais 
» pendu si l'on venait à le savoir. M de Moustier lui ayant fait ob«> 
» server qu'il était trop honnête homme pour ne pas s'empresser 
» d'obliger une dame : Nous savons bien ceque c'est, répondit-il, 
» ce n'est point une dame. Sur quoi M. de Moustier alla rendre 
» compte au roi qui lui ordonna de retourner dire au particulier 
» de venir lui parler. M. de Moustier. revint et lui dit: Ma Hiair 
» tresse m'a chargé de vous prier de venir lui parler. Celui-oi 
)> n'osant pas absolument désobéir , se rendit k la voiture , et cela 
» sans souliers , afin de faire moins de bruit. Il monta à la portière, 
» et après avoir causé un moment avec Sa Majesté , il conduisit 
» M. de Moustier chez le commandant du détachement de» husr 
» sards de Lauzun. Ce particulier se nomme Préfontaine , major 
» de cavalerie. Comme on assure qu'il s'es^ depuis vanté que, si ]fi 
y> roi eût voulu suivre ses conseils, il l'aurait sauvé , M. de Mousr 
» tier doit à ia vérité d'aifirmer que l'unique service que M, d^ 
» Préfontaine ait rendu ou voulu rendre à ses infortunés maîtres,, 
» s'est boi-nc à le mener , lui comte de Moustier , à la demeure du 
» commandant des hussards de Lauzun. Il ajoutera que jamaj^ 
» homme ne lui parut plus pusillanime,; que dans le très-M^r ^ 
,» très-inutile bon office qu'il ne pouvait ^ufre se dispenser d^ 
» rendre à ses souverains, il poussa les psécautiops Jq^^gpC^tqc 
» dernières extrémités , et qu'il ne cessa.de Tcoommaxi^dw ^u.ix>int^ 
»-4c MoHSticp: le,se<aret sqr^a démarche^, laquelle ^ dîs^itnil^ t^ 
» compromettrait, l'exposerait, le perdrait, si l'on^^enj^itii» ^n^4^ 
;» . informé^ Au ri^te, de of m^en^t jus^qu'à qelui dp 4f^p9i^^ dPii^î 
p de ce détectable Varennes;, qe monsie^ur n'a ^^^paru de¥»^t lie 



3l4 ÉCLAIRGISSEMBlfS HISTORIQUES 

» roi. On fera observer que la reine n'est pas descendue de voiturt 
» et n'est point entrée chez M. de Préfontaine. » 

D'après cette version , M. de Préfontaine savait quels étaient les 
voyageuiY, puisqu'il répondit qu'il serait pendu si l'on apprenait 
qu'il leur avait donné des renseignemens. Il épiait donc le passage 
de la famille royale. Le costume que lui donne l'historien , la 
précaution de le faire aller à pied-nu(i, pour faire moins de bruit, 
près de plusieurs voitures dont une était attelée de six chevaux^ 
sont des circonstances de détail , sur lesquelles il ne faut pas s'ar- 
rêter , et que j'indique en passant à la sagacité du lecteur , pour 
arriver au récit de M. le comte de Yalory. Après avoir exposé les 
causes qui désorganisèrent les mesures militaires dont on était 
convenu , M. de Yalory ajoute qu'il était encore possible de sauver 
les voyageurs. « La rivière de Yarennes , dit-il , était guéable. 
» Hélas ! ni Sa Majesté , ni personne de sa suite ne le savait ! Un 
» homme respectable , M. de Préfontaine , anciennement attaché 
s> à M. le prince de Gondé , riche alors , dont la maison , bâtie sur 
» la pente de la chaussée, pouvait avec sûreté servir de refuge 
x> aux relais préparés pour Leurs Majestés , n'avait été ni prévenu 
d ni mis dans le secret ! Ce secret pouvait être confié à sa foi ; et il 
» est sans aucun dcmte qu'alors il aurait indiqué les gués et fourni 
» même au besoin des chevaux pour passer la rivière/ Ce fut de- 
» vaut sa maison que les voitures s'arrêtèrent. La reine descendit 
» de la sienne et s'y fit conduire par M. de Malden ; elle y resta un 
» moment.;... Le roi, étonné de ne pas trouver les relais oii ils de- 
» vaient être , avait dépêché M. de Moustier dans Yarennes , avec 
» Qtdre d'y chercher et de lui amener l'officier qui commandait le 
s> détachement de hussards ; et M. de Malden était entré chez 
» M. de Préfontaine avec notice malheureuse reine qui s'appuyait 
» sur son bras. Pendant ce temps Drouet passe , intimide les pos- 
» tillons , entre au grand galop dans la ville. La reine revient et 
» remonte dans la voiture. Alors le chevalier de Malden est 
y> réuni au comte de Yalory. Ensemble ils forcent les postillons à 
» remonter à cheval , et , mettant à côté de vives menaces les pro- 
» messes de beaucoup d'argent , ils les gagnent et les décident à 
» tout tenter. » 

On voit la différence qui existe dans les deux narrations. M. de 
Moustier nie positivement que la reine soit descendue de voiture 



ET PIÈGES OFFICIELLES. 3l5 

et entrée chez M. de Préfontaine. M. de Yalorj prétend le con- 
traire. M. de Malden n'ayant point écrit de narration, nous 
ne pouvons invoquer son témoignage. Mais, si nous consultons 
l'auteur du récit inséré dans les Mémoires de 'W^ber , il nous 
dira que le roi mU pied à terre avec la reine pour demander des 
namHftits ^u relais : et M. de Bouille dans ses Mémoires dit et 
répète (p. 349 et 419 ) que la reine elle-même descendis de voiture 
pour prendre des informations. Tous les deux désignent la maison 
de M. de Préfontaine , mais se taisent sur la conduite de celui-ci. 
Le témoignage contradictoire de M. deMoustier et de M. de Yalory 
nous laissent donc dans le doute sur cette circonstance du voyage. 
- La même incertitude règne sur la conduite de M. Sausse et de la 
commune de Yarennes. <c Malgré Drouet et ses sicaires , dit M. de 
B Yalory , le ma ire, appelé M . Sausse, vint se présenter à la voiture et 
M dit à Leurs Majestés avec des formes honnêtes : « Le conseil muni- 
» cipal délibère sur les moyens de permettre aux voyageurs de 
» passer outre ; mais le bruit s'est répandu que c'est le roi et sa 
B famille que nous avons le bonheur de posséder dans nos murs. 
» J'ai l'honneur de les supplier de me permettre de leur offrir ma 
» maison, comme lieu de sûreté pour leurs personnes , pour éviter 
» des avapies que nous ne pourrions prévenir et qui nous accable- 
1» raient de chagrin, d La commune envoie une députation pour 
» prendre les ordres du roi qui demande à continuer sa route 
» jusqu'à Montmédy . M. Sausse part et revient avec une délibéra- 
B tion d'après laquelle la commune ordonnait d'atteler les che- 
» vaux et de conduire Sa MsPJesté qu'elle priait de prendre pour 
)> escorte la garde nationale , ce qu'accepte Sa Majesté. La muni- 
» cipalité se voit bientôt forcée de révoquer ces mesures, parce que 
» le peuple insurgé s'opposait au 4épart , et d'arrêter qu'on enver'- 
» rait un courrier à l'Assemblée constituante pour en obtenir des 
» instructions. » Dans ce récit on n'a pas de reproches à faire à la 
commune ni au maire. M. de Moustier présente au contraire 
M. Sausse comme se targant de son autorité , puis repentant , puis 
enfin désobéissant avec audace. L'auteur du récit rapporté par 
Wi^r se rapproche plus de M. de Moustier que de M. de Ya- 
lory, quand il est question de M. Sausse. M. de Boiiillé, sans n<Mn- 
mer le maire ni les officiers municipaux, prétend qu'aucun ne 
manqua de respect à la famille royale , la plupait lui marquant 



3l6 ÉCLAïaÇiSSSMEIfâ lilSTOlilQUES 

d«s égards, et quelqae9-utis même de la sensibilitë, aoit réelle^ 
soit apparente. 

Deux autres personnages sont maltraités pcir M. de Moustier , 
tandis que M. de Vaiory fait l'éloge de l\in , el<se tait sur l'autre ; 
ce sont MM. Deslon et Mathieu Dumas. Ce dernier est représenté 
par M. de Moustier comme un énei^gumène qui v.eut faire assaMÎr-. 
nerles trois gardes-^u-corps. M. Deslon est vengé- par Mlf. de 
BouiUé et Valory. Il sei^ait fticile d'augmenter la série de contrat- 
dictions qu'ofifient les rapports des deux gardes-durcoqps , mai» 
oet examen suffit. Les partisans du scepticisme en histoire pour- 
raient faii*e servir ces deux versions à l'appui de leur système : cas 
si la certitude hisiorique.ne résulte pas du double récit de deux 
acteurs toujours piésens, qui ont tout vu, tout entendu dans un 
événement ; si même elle est ébranlée , oii peut-on se flatter de la 
trouver ? M. de Moustier a publié sa narration peu de. temps aprèé 
celle de M. de Yalory $ l'éditeur le fait remarquer dans la préface , 
^1 annonçant quelques dissemblances, qu'il explique par le défaut 
de mémoire de M. de Yalorj. Cette remarque est bonpe pour les 
omisfiions^et les excuse. Mais quand Thistorien serappelle un fait, 
on ne conçoit plus que sa mémoire le lui retrace avec des circon»- 
tances opposées à celles dont se souvient M. de Moustier, et celui- 
ci , puisqu'il écrivait après son camarade , devait , lorsqu'il s'élofr* 
.gnede son récit., donner quelques éclaircissemens à l'appui du 
sien. An reste^ la narration de M. ^e Yalory est ,• en général , con* 
forme i celle de M. de Fontanges. Mais tous les deux sont d'aooord 
aur tm. point , c'est sur l'iesprit du peuple à cette époque. 

Oa a toujours cru que les trois gardes*duroorps avaîeirt été liés, 
-|K>ur le retour, sur le; siège de la voiture ; c'est une erceurl «Deux 
» grenadiers, raconte M. de Yalory , furent placés , la baïonnette 
-9» au bout du £usil, aux côtés de l'avant-train de la voiture, un 
13» peul{]dits bas que le siège ,au moyen d'une planche attachée par 
JB dossoNS oeluÎH-cis et cette mesure , donnant aux >trois gardes-do^ 
"» 00^ l'apparence de criminels gardés à vue , a peut-être causé la 
». persoa^ipon oti l'oa-a été qu'ils étaient garotlés stur Icinr^iége. filais 
» ils m'ont pas;éfc liés une minute. » Ils firent «aB9qx.crueUeflQenC 
^naîAésrsan^ oétte circonstance. Il est vrai qu'ils refusèrent 4''e»tnr 
dbinsrnne des voitures ^e* suite «et de cluuvger de costwne , mettant 
Â. conserver:] eâfr mnifprme , «et 4 rasier «ur le-siëge.deiaivoitiiiiedn 



BT PtÈlGBS OFFICIELLE». \ 3 17 

m, ttDe dëlkatetôe peut-être mal cakuléc',' si l'on songe qu'ielU 
les exposait i emi aux {unèiHPS de la populace , et la famille royale 
au triste spectacle de voir leurs fidèles gardes accables sans cesse 
d'injures et de mauvais trâitemens : ce qui n'eât point eu lieu s'ils 
étaient montés , comme on le leur a^it proposé, dans la voiture 
de M tf dé Latour-Maubonvg .' 

Cette évasion , dont le succès eût changé tant de destinées , de^ 
vait échouer par un ooncom^ de circollarstances pKls ou moins grat- 
tes. Ce'sont, i^la remise* du départ aulebdemain à cause d'une 
femme de ehambre dont on h'ét£lit pas sûr ; 9'^ le désoiijre que 
efet ajournement mit dans l'exécution des mesures militaires; 3** le 
peu de connaissance qu'avaient M. de Ferseti et l'un des gardes- 
du-corps des passages et des rues de Paris; 4f**ie retard qui en ré- 
sulta ; 5** Fétiquette', qui ertipécha de remplatef' madnmede Toui^ 
a*l pàï M. d*Agoust, homme courageux et détei^mlné ( vb^feï Me- 
Moiréi de Bouille , p. 356) ; 6* rihconcevâblè' négligence t^xii fit 
oublier de placer le relais en-deçà de Varennes ; 7* enfin , plus que 
toute autre cause ,' l'împafience dit rôi qui , mettant trop fréqufinjh 
meta ta tête à la porHète , Va/ recàhnU par Dftuét, Sans cette dëi"- 
mère'l»rcohstà1!ice , là famille royale ëtàit sauvée! 

Nous ne'parlerons pas des bruits qui circulèrent ensuite subies 
prétendus' retards causés par Louis XVI qui , dans cette supposi- 
tion injurieuse , serait souvent descendu de voiture pour prendre 
des repas. La précision des dates démontre leur absurdité. 0>u était 
parti'à une heure , et Ton arriva le soir à onze heures à Varennes. 
On fit donc cinquante-six lieues en vingt-deax heures , dont il 
faut retrancher deux heures perdues en route pour raccommoder 
la voiture. 



i I 



■ • j . ■ • ■ - 1 t . ..■II 

Note {E bis] ^ page g3^ f ligne d^rn/èrc^ i . 

. M. de Fon^nges , dans spn récit , parle de M. bonne contenance 
del^Ae&emblée ^prè^ Je dépcirt deia famiUejroyade » etidu'€hoix 
qu^pll^ofait des trQis 4:ommis9airaS'fri8ràam$ son sein^ et qu'il sup»- 
pose, appartenir aux trois partis qui divisaient' lé côté gattchq. 
CeSrAS^^ion^ OAt besoia d'édaincissemensy eMe, double spectacle 
i^ueipfé^plaieçften Jneme tempt utie'graBdoiÀtasémbléeidontlie yoî 



3l8 ÉGLÀIRGISSEMEIfS mSTORIQUES 

venait de se séparer, et ce prince raraeiië dans son palais , est assex 
intéressant pour qu'il soit permis d'en rappeler quelques circons- 
tances. 

On devait craindre o^ présumer que T Assemblée, dont les séan- 
ces avaient été tant de fois orageuses pour de moindres causes , re- 
cevrait de celle-là un haut degré d'agitation. Mais il n'en fut rien, et 
jamais peut-être aucune séance n'offrit autant de calme et de ma- 
jesté. Les passions se turent ; les partis semblèrent se fondre et les 
nuances s'efifacer entièrement. (dL' Assemblée, dit M. de Touloogeon, 
» témoin oculaire, fut véritablement à la hauteur de sa mission et 
» des circonstances. L'événement était absolument imprévu , et la 
» plus grande partie des députés entrèrent sans en être instruits. 
» Ainsi rien ne. pouvait être prévu , ni concerté d'avance. Chaque 
» individu y fut livré à son opinion , à son caractère : il y eut pea 
» de discussions oii plus de membres prissent part : chacun se crut 
» comptable de ses moyens et de ses forces : ceux mêmes qui avaient 
» le plus d'influence sur l'Assemblée j ne s'emparèrent point de la 
» tribune : jamais il n'y eut moins de discours : tout fut proposé , 
» discuté , adopté sans formes oratoires. On fit les afi&ires comme 
» les eût laites un conseil de ministres , et Ton pourvut à tout sans 
» déclamation et sans embarras. Il n'y eut ni animosité ni crainte. 
» Cette attitude étonna beaucoup et contribua à déjouer les spécu- 
» lations que l'on pouvait avoir faites sur. la consternation pré- 
» sumée. Le départ ne causa aucune émotion ; le retour ne pro- 
y> dîiisit aucune joie indécente ; les tribunes prirent aussi une 
» contenance froide et tranquille. Jamais elles ne donnèrent plus 
» dé silence et d attention. Les ministres furent accueillis avec 
» égards et considération : leur place n'était même pas désignée : 
» on leur en assigna une dans l'intérieur de la salle , et personne 
» ne se permit une interpellation embarrassante. Elnfin la vé- 
» rite est que jamais nation ne fut plus dignement représen- 
» tée. » 

Cette conformité dans les éfiets produits , khi vérité , par une 
ihêine i^ulbe , mais qui agissait iur tant d'esprits ,' de caractères , 
4'intérêts différens' , pipouve combien on sentait de qudle im- 
.portance était l'événement, et quelle inflttenceil devait avoir. 

Le président ( M. de'Beaiabamais } comipMnce' par annoncer 
»que le maire de Paris venait de l'instruire du "départ du roi , et 



ET PltoSS OFFICIELLES. Sig 

(ait obsenrer k l'Assemblëe que , dims une conîoncture aussi im- 
prévue , elle aura sans doute des mesures à prendre et des ordres à 
donner. Les ministres sont mandés , et celui de Imtérieur est 
chargé d'expédier des courriers dans tous les départemens pour 
faire arrêter toutes personnes sortant du royaume. M. Rebwel fait 
une proposition tendante à rendre suspect M. 4c La Fayette. Bar- 
nave interrompt Torateur , demande à l'Assemblée qu'on ne lui 
laisse pas achever son discours , parce qu'il ne devait pas être per- 
mis d'élever des doutes injurieux contre des hommes qui n'avaient 
pas cesse de donner des marques de patriotisme , et que la con- 
duite du commandant de la garde naltonale prouvait qu'il méri- 
tait toute confiance et qu'on devait le lui montrer hautement , 
bien loin de le soupçonner. Cet incident est remarquable parce que 
Barnave était brouillé avec M. de La Fayette , et que même il gar- 
dait peu de mesure envers ce général. Sa rupture avait eu de l'é-^ 
dat et n'était ignorée de personne. La iustice que rendait Barnave 
était, en même temps, un acte de générosité qui influa sur l'Assemr 
blée, en arrêtant toute accusation du même genre qu'on n'aurait 
pas manqué de renouveler, si la première eût été accueillie. Cette 
conduite loyale contribua sans doute à le faire nommer l'un des 
trois commissaires qu'on envoya vers le roi, lorsqu'on sut que ce 
prince et sa famille revenaient à Paris. 

L'Assemblée , sur la motion de Barnave , déclara qu'elle allait , 
sans interruption dans ses séances , employer tous les moyens pout 
que la chose publique ne souffrît pas de l'événement ; qu'elle avei^ 
tissait tous les citoyens que le salut public n'avait jamais demandé 
plus impérieusement la conservation de Tordre, et qu'il leur 
était prescrit de se tenir prêts à agir pour la défense de lu 
patrie. 

M. de Montmorin étant assailli par le peuple , l'Assemblée l'en- 
voya délivrer. Accusé d'être au moins dans le secret du roi , il ré- 
pondit ces mots au président : « Il y a à parier que si j'avais donné 
» au roi le conseil de partir , je l'aurais précédé ou suivi. » Cette 
réponse produisit son effet , et M. de Montmorin fut invité à pren'- 
dre sa place f^rmi les ministres. 

On s'occupa des formalités qu'on devait adopter pour la publi- 
cation des lois etdes décrets, et qu'il était nécessaire de modifier ou 
ait changer à cause de Tabsence du roi dont l'intervention avait 



320 ÉCLAIRC£SeEai£NS HISTORIQUES 

4u8qu'alon été mdispeBsabtef Xhi autorisa les membres' du dépar* 
lemeot de Paris à se réunir près de TAssemblée afin de bâter 
i exécution des arrêtés qu'e»geiail la circonstance pour la tnin- 
quilUlé de cette capiule. En un mot , on prit des mesures sages et 
prudentes , puis on passa à Tordre du jour. A cet e occasion M. de 
J'oulongeon fait une remarque qu'il est bon de rapporter. « Il y 
» eut bien, dit-il , un peu d affectation à passer ainsi k Tordre du 
4> )0^r ^ pour reprendre les ,afiaires couiantes , comme si celles 
«r du moment n'eussent été qu'un incident accessoire : mais cette 
» afiectation même supposait du calme et de la présence d'esprit 
» publie^ Après un ou deux décrets on revint au yériiable nrdre 
». du )Our. Cette séance fut déclarée permanente , mais seulement 
» pour la forme , et les délibérations ne se prolongèrent fias dans 
J». la. nuit. On repoussa même quelques motions d'alarmes. Le 
«/peuple fut paifaitemeni tranquille après la proclamatîoiir de 
^ l'Assembl<!ie qui Tinvitait à Tétre , et si une invasion avaif été 
4). tenfé^ yiarasiis la. gu^re ne se fût faite sous de plus beauxaus- 

Pt picea.» . r I • 

'^ Xe soir, du mercredi :»a puin , pendant que l'Assemblée ëtaken 
j^Ace , et comroeon venait' de: lire une^adrease aux Français , une 
^rsup^de' 9git9tiqn se manifesta .tout-à-^coup' : les cris répétés de i/ 
est arrêté en indiquèrent la cause. C'est aloi^ que , sur la proposi- 
tion deM«Alexandres4c Lametb , on noBunales trois commissaires 
•pour, ofisunr h reieuf^ du im. Ensuite on Tendit un décret par 
lequel on déclarait tiHûiixs 'à la patri}» eeuxqui avaient oontribaé à 
f.€Mlhfemtni du /»/., et Ton ordonniit dp saisir tous ceux q -i os*^ 
DAÎçnjt ppror ,at eiii^e au sespeot du à la dignité royale. Par ces 
•liiotft etUèùenifinl du roi on décidait , comme on l!a fait souvent , ce 
qui devait être en question, ou plutôt ce qui n'en pouvait faire Uaf . 
■Jamais les conditions requises ]^ur caractériser uli enlèvement , 
.ne se trouvèrent moin» que dans eetta évasion.' Lmtei*vention 
même de Al. de Bouille qui la protégeait^ è la distance bù les 
•)piFobabilités paraissaient en devoir assurer le suècès , n'était potnt, 
en. quelque sorte , une participation à Tènlèvement prétendu. Le 
danger le plus imminent était à la sortie du palais, àcellede Paris, 
.ÎlUx premiej?f relab'y et plus ron.s'élôignait de la. capitale , plus ce 
d^ng^]^ dimitiuait» Oi? ydiculft<^ mesure' n'ilàit 'prise, peur' ^parintir 
: à» ce- danger » Ai :cei «n'est le déguiaemcinti de k famîHe royale . ^ax 



. ET P1ÈC6S OFEICISUSS . 5 2 1 

prouva qu'il n'y avait pas d'eulèvement* Le roi voulait sortir de 
Paris : il donna des ordres en conséquence : les trois garde»-du~ 
coips, dont il se servit pour favoriser sa fuite, ne pouvaient se^dts- 
penser d'obéir : leur jeunesse prouvait le rdie qu*ils jouaient dans 
cet événement^ et les accuser , comine on le fit , d'avoir 0nUvé\%. 
famille royale , c'était se refuser k l'évidence et dire une ab^ 
surdité. ^ • 

Jetons maintenant un coup-d'œil sur la société des jacobins , et 
voyons quelle fut son attitude le . jour oix se répandit lu nou- 
velle du départ du roi. Cette société ne se réunissait qXie le soîr ; 
mais plubieurs membres se rassemblèrent dans la matinée , et 
contre Vusa^ , ainsi que le constate le procès-verbal , la iéance 
commença à midi. Le président et les secrétaires ne s'y Irouvakit 
pas y furent provisoirement remplacés. On écrivit aux présidais 
de chaque section pour les inviter à publier que la société avait 
ouvert sa séance, et Ton déclara qi^e, pendant sa durée, les porties 
resteraient ouvertes. Les membres se jEoriiièrent en conité pernMiT 
nent, sur la demande de la section de Saini-Eoch* Ol» devait 
communiquer, de deu^ en deux heui'es, à toutf^sies sections, le ré^ 
sultat des délibérations de la société. La pr!Q9iière niiesure que l'on 
prit fut relative aux moyens d*assui^r les .subifisU^acçs. Juaquerlà 
la cause pour laquelle on se raasen4)lait- ainsi extraordinaiivnenit 
n'avait pqini, été éupncé^i et l'on ne parlait pas de l'événeinent dont 
tous les esprits é;aient occupés. Voici comment il en fut question, 
d'après le procès-verbal que nou3 prenons poyir guide. aU^e dé- 
» putation de la société des amis de la . constitution de Saint- 
» Germain^n-Laye a dit que ceftç société , in$t)i*uite dè^ Le matin 
» du départ du, premier fonctionnaire pub}ic , et afifi 4*3gir de con- 
» cert avec la société-mèie , désirait connaître Içs mesuiies <|[ue pou- 
» vaient exiger les circonstances. Cette députation a été, invitée à 
» atfendre le résultat des délibérations et à prendre part à la 
» séance.» Le comité des recherches fait inviter la société, i pie pas 
suspendre ses travaux jusqu'à ce que la tranquillité publique fût 
rétablie. La société arrête que les membres qui sortir^iient de son 
sein, se répandraient dans les divers quartiers de la capitale ^ et y 
porteraient l'esprit de paix, de fraternité et de respect pour. Ites 
lois. Elle nomma ensuite des commissairesà l'Assemblée nationale,' 
au département de Paris ^ enfin au conseil général de la commune ^ 

II. 21 



32â ÉGLAIIK3ISSEMENS HISTORIQUES 

le0qiièls seront relevés d'heure eh heare , e^ vîéadront rehare 
compte h la société déls ti^avaux et des lumières de ces diverses 
assemblées. « M. Robespiéire motite à la tribune et fait en peu de 
» mots le détail de ce qui s'était pa^é à rAssemMée nationale. Il 
» énonce son opinion k ce sujet. H finit son discoitrs , qui a été foi*t 
» 4kpplaudi , par cette réflexion sur hii-mème : Peut-être en vous 
» parlant avec %ette franchise , vais-je attirer sur moi les haines de 
là tous le& partis : ils sentiront bien qu'ils ne viendront jamais à 
» bout de leurs deit^ems , tant qu*il restera parmi eux Un seul 
» faomme juste et courageux ^ui déjouera continilellemeijt leurs 
» projets, et qui , méprisant la vie , ne redoute ni le fer ni le poison, 
» et serait trop heureux si sb. mlort-poûvait être utile à la liberté dé 
«•la'patne. * 

y> Ibe ' saint enfhousiasmie de la vertu 's'esf'eih{>aré de toute Fas- 
»• semblée, et chaque membre a juré, au nom de la* liberté, de'dé- 
»' fendre M. Robespierre au péKlinême de sa vie. 
^ 1» 'Ai.. Robespierre a ajouté que l'a réunion dès membres de 
» r Assemblée nationale , que Ton venait d^nnoncer , ainsi que 
» la réunion des ministres à la société, allait avoir Heu à l'instant 
x^ raëmQ: Alors' M. Danton a 'dit :' Me^sieur^ , si les traîtres se pré- 
» sentpiit'icr, je* prends r«?rigagcment formel avec vous de porter 
» ma té(e sur un échafsfùd , où de prouver que laleurdoit tom- 
I» ber'aupied de la nation qulls ôUt 'trahie. A i^eiïïe ^M. Dantoii 
» a va4t*il' prononcé ces patôlescju'un grand nombre de niembres 
» de i*:^semb)ée nationale est entré dans le seiti de • la société. 
» M. Danton, ayant âpei*çuM.La Fayette, est monté à la tribune, 
» et prénattt la parole a dît : Au moment oîi le premier fonction- 
» nàire publie vient dé disparaître , ici se réunissent ces hommes 
» chargés de -régénérer la France , dont les uns sont puiséans par 
» leur génie , lès autres par leur grand pouvoir.... je dois parler 
» et je parlerai, comme si je burinais Thistoire pour leS siècles if ve- 
* nir. D'abord,' j'interpelle M. lia Fayette de me dire pourquoi lui, 
» s&gnajtairé du système des deux chambires, de te sj^slè'me destruc- 
j» teuvdtela constitution , vieil t-il se réjunir aux amis de la consti- 
» tulion , dans lés malheureuses circonstances oii le roi fuit, pour 
» changer , dit-il la face de l'empire. » Ici l'orateur du club fait 
l'énùmération de plusieurs reproches qii*il adresse à *M. de La 
Faiyette, et de plusieurs faits à sa charge. Il terihitie éûsuîie son 



ET PIÈGES OFFICIELLES. 325 

discours de cette manière : «Ne nous faisons pas d'illusion , Mes- 
» sieurs; la fuite du roi. n'est que le résultat d'un Taste complot. 
» Des intelligences avec les premiers fonctionnaires publics ont 
» pu seules assurer l'exécution. Et vous , Monsieur La Fayette , 
y> vous qui nous répondiez encore dernièrement de la personne du 
» roi sur votre tête; paraître dans cette assemblée , est-ce avoir payé 
v votre dette ? Vous avez juré que le roi ne partirait pas. Ou vous 
» avez- livré votre patrie , ou vous êtes stupide d'avoir répondu 
s> d'une personne dont vous ne pouviez répondre. Dans le cas le. 
» plus favorable^ vous vous êtes déclaré incapable de nous com- 
» mander. Mais je veux croire qu'on ne peut vous reprocher que 
» des eiTcurs : s'il était vrai que la liberté de la nation française 
v) dépendit d'un seul homme , elle mériterait l'esclavage et l'abjec- 
» lion. La France peut être libre sans vous : votre pouvoir pèse 
» sur les quatre-vingt-trois départemens ': votre réputation a volé 
» d'un pôle à l'autre. Voulez-vous être véritablement grand*? 
» redevenez simple citoyen , et n'alimentez pas plus long-temps 
» la juste défiance d'une grande portion du peuple. » 

Danton ayant sommé les membres de la société de déclarer ce 
qu'ils savaient sur les faits qu'il venait d'articuler contre M. de La 
Fayette, M. Alexandre de Lameth monte à la tribune pour le dé- 
fendre , fait voir qu'on ne devrait s'occuper que des choses et non 
des personnes, exhorte à faire cesser toute division et à abjurer toute 
haine. 

ce M. La Fayette , est-il dit dans le procès-verbal , appelé à la 
» tribune par un grand nombre de voix qui l'invitaient à répondre 
» à M. Danton , y est monté ; il a dit à peu près : Messieurs , l'un 
» des préopinans me demande pourquoi je viens me réunir à cette 
» société; j'y viens parceque c'est dans scm sein que tous les bons 
» citoyens doivent se trouver dans les circonstances oii il faut plus 
» que jamais combattre pour la liberté , et l'on sait que j'ai dit 
» le premier que lorsqu'un peuple voulait être libre , il le d^ve- 
» nait. » 

M. Sieyes , inculpé pareillement par Danton , paraît et se 
justifie par des explications qui paraissent satisfaire l'assem- 
blée. 

Bàmave prononce anathême contre ceux qui refuseraient de se 
réunir aux amis de la constitution, et dévoue à l'infamie ceux qui 

21* 



5^4 ÉCLAIRCISSKMKNS HISTORIQUES 

ne sauraient pas sacrifier leur lialne et leurs opinious pai*ticulières 
à rintërêt public. Ce langage est en hannonie avec celui qu'il avait 
teuu à l'Assemblée lorsqu'on accusait M. de La Fayette. Celui-ci 
est de nouveau interpellé par un député qui fait la motion expresse 
d'inviter ce général à répondre aux accusations de Danton : mais 
l'assemblée n'étant plus assez nombreuse , cette motion ne f^t pas 
mise en délibération. 

Tel est l'aperçu exact de cette séance que deux circonstances 
rendent remarquable. La première est le rôle que joue Robespierre 
qu'on Jure de défendre au péril de la vie même •' exemple qu'on 
n'avait point encore vu et qui ne s'est pas renouvelé depuis , quelr ' 
que empire qu'aient exercé les membres les plus influcns d'une as- 
semblée. Il fallait que cet empire fût au dernier degré pour con- 
8igner dans un procès-verbal que le dévouement pour cet homme 
fut inspiré par le saint enhousiasme de la vertu ! La seconde cir- 
constance est l'attaque de Danton contre M. de La Fayette , et dans 
cette attaque l'énoncé de principes qui détruisaient l'inviolabilité 
des députés et provoquaient l'expulsion de ceux qui, ne marchant 
pa^ avec la majorité , se rendaient coupables du crime de lèse- 
nation. Ces principes germèrent, et Danton qui les avait mis en 
aVaut, ainsi que Robespierre, en furent les victimes. C'estdece jour 
que date l'importance désastreuse de cette société. Elle accueillit 
les dénonciations que Barnave était parvenu à faire repousser de 
l'Assemblée nationale à qui cette conduite ût prendre une attitude 
imposante. Quand il arriva aux jacobins il n'était plus temps. Du 
moment ou Danton fut écouté, les passious. haine uses parurent, et 
la séance changea de caractère. 

Noie (F), page i66. 
Ttx}ublfis du Comtat et massacres d'jipignon. 

Les troubles du Comtat Yenaissin ,les ixiassacres qui les accom- 
pagnèrent ou les suivirent, ont plusieurs cajgscs dont on ne peut 
se faire une idée précise qu^en comparant les. djvers rapports offi- 
ciels ainsi que les récits qu'on en publia. Encore la différence de 
ces récits y produite par celle des intérêts , rend-elje; la vérité dif- 
ficile à connaître. La religion , mêlant ses fureurs à celles delà po- 



ET PIÈCES OFFICIELLES. 5^5 

Ihique , donna à là rëvoUition française, lorsqu'elle atteignit ces 
conirées, un caractère qu*elle 9'avait point eu trance. Des 
causes locales exercèrent encore une grande influence :lcs habi- 
lâns d'Avignon et ceux du Cointat se sont fait remarquer a 
diverses époques antérieures par des antipathies, des haines, 
des jalousies réciproques. Carpentras auait été pendant* long- 
temps la capitale de la proi'ince , et , lorsqu'Avignon le devint 
à soîi tour, il y eut entre ces deux villes une rivalité nuisible à 
toutes les- deux. Des nuances flans rattachement au pape, sou- 
verain de ce pays , étaient encore une cause de discorde. En 1789, 
lorsque les Avignonais et les Comtadîns demandèrent la convoca- 
tion des états-généraux et la constitution française , Carpentras , 
plus dévouée au souveraîn-pontife que les autres villes du Comtat , 
déclara à Pie VI qu'elle le conserverait pour prince s'il voulait 
consentir à l'adoption des lois françaises ; et que le silence seul 
de sa part serait pour elle le signal de son indépendance. Enfin la 
présence d'un grand nombre d'Italiens , et leur conduite dans une 
province qu'ils traitaient comme un pays conquis , sont au nom- 
bre des causes qui agirent dans les événemens que nous allouai 
indiquer. • 

Au mois d^août 1^89, les Comtadîns et les Avignonai^ voulu- 
rent , comme on vient de le voir, participer aux améliorations 
annoncées par l'Assemblée nationale, et s'adressèrent au pape. 
Le vice-légat promit au nom de Sa Sainteté , révoqua bientôt 
sa promesse , la renouvela , puis , lançant des décrets de prise- 
de -corps contre ceux qui en réclamèrent l'exécution, il prit 
des mesures sévères , et déploya l'appareil du supplice. jVIais il 
l'ut bientôt forcé, par des insurrections, à consentir qu'Avi- 
gnon formât une municipalité, suivant la constitution française, k 
la place des consuls chargés jusqu'alors de la police et de ladmi- 
iiistratibu. 

De son côté^ Carpentras , à qui le Saint-Père n'avait pas répon- 
du , agit conformément à sa déclaration , et confia à trois conser- 
vateurs le pouvoir exécutif, qui l'avait été provisoirement aux 
agens de la cour de Rome. Mlais , par une contradiction digne de 
remarque, continuant toujours de reconnaître le pape, les Car- 
pentrassiens accusent les Cavaillonnais d'abandonner trop promp- 
Icment ce souverain, les combattent , arrachent dans les villages 



%2& ËGLAIRGISSËMËNS HISTORIQUES 

les armes de France qu'on y avait arborées , et correspondent en 
même temps* avec les clubs* et la société populaire de Paris, afin 
d'entretenir leur amour pour la constitution , et d'en assurer réta- 
blissement parmi eux. Tout en agissant Contre les intérêts de leur 
prince , ils conservent pour son pouvoir une sorte d'attachement, 
combattent ceux qui ne veulent plus le reconnaître , et ne Taban- 
donnent enfin que lorsque l'Assemblée nationale les a crus déliés 
du serment de fidélité au souverain-pontife. 

Gavaillon, divisée par les deux «partis ^ sous la domination des 
Garpentrassiens , oblige à sortir de ses murs celui qui voulait 
adopter les principes de la révolution française, et bientôt est 
punie de cet excès. Les bannis crient vengeance , intéressent à 
leur cause l'armée d'Avignon, la conduisent sous les remparts de 
leur ville , Tassiégent , la prennent de vive force , et la livrent au 
pillage. 

Avignon crut devoir donner l'exemple , et prendre des mesures 
vigoureuses. La municipalité de cette ville fit, en conséquence, une 
proclamation par laquelle elle annonça auxGomtadins qu'elle était 
prête à voler au secours de ceux qui Tondraient achever de secouer 
le ioug de Rome , etjkire de ne poser les amies qu'api'ès apoir établi 
la liberté sur des bases inébranlables. L'insurrection devient alors 
générale ; partout les armes de France remplacent celles du pape , 
et les Italien^ disparaissent; Carpenti*as seule résiste, et, se voyant 
menacée par les Avignonais, implore les secours des départemens 
voisins , entre autres* de celui de la Ûrôme qui prend fait et cause 
pour cette ville. Sur ces entre&ites, la municipalité d'Avignon invite 
toutes'l(s communes duGomtat à se réunir, par députés, dans la ca- 
pitale, pour s'occuper des moyens les plus convenables et les* plus 
sûrs de rétablir et d'assurer la paix et la tranquillité. Garpeatras 
refuse de répondre à cette invitation , et entraîne dans son refus 
plusieurs communes; mais le plus grand nombre, adhérant à la 
proposition des Avignonais , envoie des députés dans leur ville. 
De cette assemblée résulte un pacie fédéraiif adopté le 7 février , 
et dont le principal objet était la réunion à la France du Gondtat 
Yenaissin. Les villes et* les campagnes devaient être organi^ 
sées sous la dénomination de département de Yaudusê. La ville 
de Garpenlras ,. combattue par son amour pour la constitution 
française et sa hai^e contre Avignon , n'écouta que ce dernier seQ- 



ET PIÈGES OFFICIELI^ES. Siy 

Ûment , et nç voulut point accepter le pacte. Elle ne céda q<u'après 
beaucoup de négqciations , d'instances et rintervêution de*média-« 
tfeurs envoyés d'Arles et de Valence. Son adhésion eut li«« Ici aSifé» 
yii^ 17,91-9 elle ^u, fit part le a4 à. la commune d'Avignon , e^ lei- 
pacte y, fut solenne^ement signé le même jour. Mais la paît, n'y- 
fut pas de longue durée* L'asseml^lée électorale s'organisa : 'trois, 
familles se partagèrent les places les |dus inifortante& , èt'don*-< 
nèrent les autres à leurs amis , conduite qui répandit la disoorde 
au sein même d'Avignon. Les ennemis delà révolution , ipo^ouFs 
très-nombreux à Cai*pentras^ font des dispositions- pour sedëgager* 
de la fédération . avignonaise ^ forment une coalktion. à Sainte-rGé- 
cile, village du haut Gomtat. Leur but était de parvËpôrÀ porter' 
le peuple à révoquer la délibération prise pourla.réuiiipn'de la 
province à la France. Deux électeurs, Anaekne et Lavillasse^ qui 
avaient -beaucoup de crédit , et dont on craignait l'influeDce ,' sont 
assassinés. Ce dernier était maire de Yaison ; il fut tué à coups de 
f^sil par des fédérés de Sainte-Cécile, qui , la nuil , s'introduisirent» 
dans sa ipaison. Ce crime inspire une, indignation générale atuc» 
Avignonais ; on court aux armes , et l'on marché vers Saixite-Cé- 
cile. Les deux troupes , également animées^ se rencontrent dans* les 
plaines de Sarians, et se ba tient avec acharnement. L'armée avi->- 
gnonaiseï , quoique^moins nomlN^euse , vemiporte I9 viotoire', mais 
la flétrit aussilô.t. ^Q «vait nommé pour son général un ^ partir 
cuiier du Roussillon, appelé Patrix, établi à Avignon depuis 
plusieurs années. On l'appelait le chevalier Patrix. On pen- 
sait qu'il s'était retiré à Avignon par suite' de quelques procès 
qu'il avai:t eus avec la ferme générale , pour afiEaires de Contre- 
bande^ 

Lorsque l'armée avignonaise se trouva en présence de l'armée 
du Comtat , les Avignonais demandèrent à grands cris qi^'on fît 
avancer quelques mauvaises pièces de canon qu'ils avaient.traî'- 
nées avec eux. Au lieu d'être en tête de l'armée , elles étaient à la 
queue. Ace moment elles étaient dans un chemin assez profond ^ 
et comme on ne put à l'instant ep faire usage, on se mit à crier 
qu'on était trahi par le général , et on le cribla de plusieurs coups 
de fusil. On lui coupa la tête et on l'envoya à Avignof^. JLa mur 
nicipalité ne voulut pas laisser entrer dans ^a vijlle celjai .qui; ^J^ 
était porteur ; elle fut enterrée à côté de la porte St.^jLa;^^^^ «... 



.y 

i 



528 éCLAlRCIS8EME9S HISTORIQUES 

les pttpalt un nom souillé . par tant de crimes ^qu'on a droit de 
douter qu'un seul homme ait pu tes commettre : c'est Jourdan (i). 
Voici le portrait qu'en fait l'un des plénipotentiaires dans son 
riîppert du 19 novembre 1791 , à l'Assemblée nationale : «c Jour- 
dan , homme nul par lui-même, sans principes, sans connaissances, 
sans éducation, grossier comme les mules qu'il conduisait, tiré du 
Diilitu d'elles poun^tre capitaine avignonals , ^t de capioiine tieu- 
tenantHgénéral , pais général , est un être sans caractère. Quand on' 
l'excite, il est féroce , et dès qu'il a vu le sang , c'est un bourreau, 
c'est un tigre. » 

- M. Mulot & qui nous empruntons ce portrait , et M. Le Scène- 
deS'Maisons, tous deux plénipotentiaires dans le Gomtat Yenaissin, 
assurent positivement que ce « Jourdan n'est pas le Coup^Téte y 
» malheureusement trop fameux dans l'histoire de notre ré- 
» volution. » ' ' 

Us distinguent deux personnages dans l'assassin du 6 octobre, 
et le général commandant l'armée du Gomtat , qu'ils font moins 
cruel que le premier. Leur témoignage est contredit par tous les 
biographes du temps qui ne font des deux Jourdan - qu'un seul 
individu. Gmame leur assertion n^est point appuyée de, preuves 
suffisantes ^ nous nous contentons de l'indiquer sans l'admettre , 
ni lu combattre (s). Quoi qu'il en soit , le Jourdan d'Avignon , dès 
qu'il eut le commandement de cette troupe indisdplinée, ruina le 



(t) Lôrsqiie Jourdap entra dnot Avignon , il avait beaucoup d'argent. 
Il fut bientôt nommé capituine de la garde nationale. C'est en eette qua- 
lité qu'il marcha avec les Avigaonais castre les Comtadins. Après lanaort 
de Patriz, Mainvielle , Duprat et Rovére, ses lieutenans-généraux , re- 
fusèrent le généralat. Ccst alors que Jourdan s'écria : Puisque penofutu 
ne veut êlre général^ eh bien! je le serai* Les soldats crièrent /^û^ 
Jourdan f notre générai! Cest ainsi qu'il fut nommé. 

.(a) Cependant M. Le Scène- dès-Maisons, dans son raipport ( Moniteur 
du 18 avril 179a ) , dit qu'il fit arrêter Jourdan. C'était, suivant lui , un 
cabaretier qui avait été condamné à mort à Valence, et qui fut ensuite 
p6ursuîvi par un marchand de vin à qui il devait trente-six mille 
ffa'nctf. Il'o^est pas inutile de rémarquer que , lorsque les deux plénipo- 
tentiaires s'exprimaient ainsi, Jourdan vivait, et qu'il ne fut condamné 
i mort et exécute qu'au mois de mai 1794* 



ET PIÈCES OFFICIELLES. 52g 

pays par ses exactions. Voici un ordre donne par lui y et d'après 
lequel on pourra juger de sa conduite : «De Tordre du gënëraf , il 
est enjoint à la municipalité d&,Caderoi|sse , pour la dernière fois , 
de venir au camp, au nombre de cent hommes, avec ses munitions 
de boucke ; il ne peut y avoir des excuses aujourd'hui. Si vous 
n'exécutez cet ordre sur-le-champ , je vous enverrai six cents hom- 
mes à discrétion. » 

Des bandes parcouraient le pays. Clément , déserteur, et chef de 
Tune de ces bandes , fit fosiller onze jeunes gens , et força leurs 
mères à assister à cet horrible spectacle. Chaque parti , ayant une 
influence passagère, offre une vicissitude de succès et de défaites 
dani lesquels les persécuteurs et les victimes changent dé rôle tour 
à tour. Une ville , dont ro]^ion n'était pas bien arrêtée , fournit 'à 
des troupes ennemies des détachemens dans lesquels on voyait des 
pères armés contre leurs enfans, et des frères contie des frères , 
sans aucun sujet de querelle entre eux , et sans même qu'ils con- 
clussent leur position. • 

Fendant cette guerre civile, qui se subdivisait à l'infini , la dis- 
corde n'a vait point encore pénétré dans Avignon. Mais elle y parut 
bientôt, et cette ville , jusqu'alors unie, se vit, par la faute de sa 
municipalité, déchirée par deux factions. Cette municipalité , no- 
vice dans ses fonctions , et ne connaissant point les limites de ses 
attributions , prétendit avoir le droit de siéger en corps au sein 
de l'assemblée électorale , prétention qui fut repoussée par cette 
assemblée. La municipalité fut soutenue par le peuple dont elle 
était l'ouvrage "immédiat, et qui Itii avait donné sa confiance, tan- 
dis que le corps électoral , nouvellement créé,*n'était point reconnu 
par plusieurs communes qui avaient refusé d'y envoyer des dé- 
putés. Les électeurs abandonnèrent Avignon, et choisirent une 
autre résidence. Cette querelle mit la division entre la garde na- 
tionale du Comtat et celle du camp. Des taxes arbitraires , des actes 
de violence, des mesures vexatoires furent le résultat de ces divi- 
sions. Tel était l'état des choses , et les hostilités allaient com- 
mencer lorsqu'on vit arriver dans le ComtatVenaissin trois minis- 
tres plénipotentiaires chargés d'une mission dont il faut indiquer 
la cause et Fobjet* •. • 

La guene civile qui désolait le Comtat détermina rAs^erabléè 
constituante à l'envoi d'une commission médiatrice pour rétablit- 



33o ÉCLA.IRCISSE1IIENS HISTORIQUES 

la paix dans ce pays. Le 35 mai 1791 > elle rendit donc un décret 
pour que le roi fût prié, « 1° dévoyer des médiateurs qui interpo- 
» sassent les bcms offices de la France entre les Avignonais et les 
» Gointadins,et fissent tous leurs effi>rts pour les amener à la ces- 
V sation de toute hostilité, comme un provisoire nécessaire, avant 
». de prendre aucun parti ultérieur relativement aux droits de la 
». France sur ce pays; a° d'employer toutes les forces possibles pour 
if empêcher que les troupes armées dans le Gomtat Yenaissin £is- 
» sent aucune irruption, sur le territoire de France; 3? de £airt 
» poursuivre et punir comme embaucheur tout homme qui ferait 
» des recrues, soit pour un parti, soit pour l'autre. x> Ge décret 
sanctionné le surlendemai;n fut proclamé comme loi. Le roi dési^ 
pour plénipotentiaires , sur la demande du ministre de rifitérieur, 
MM. Veminac-iSt.-Maur, Tabbé Mulot, et sur celle du garderies- 
sceaux (Duport- du-Tertre), M . Le Scène-des-Maisons . 

Ces médiateurs choisirent pour le lieu de leur i^ésidence une ville 
qui pouvait être considérée comme neutre, puisqu'elle n'avait pris 
aucune part aux divisions : c'était Orange. Hs commencèrent par 
se faire édairer sur Tétat du pays. Bientôt ils' furent frappés delà 
grandeur du mal occasioné par une combinaison de discordes 
religieuses, civiles j militaires et politiques. Dans le haut Gomtat, 
une assemblée représentative cumulait tous leâ pouvoirs f et agis- 
sait en sens inverse de l'assemblée électorale. Celle-ci; à son tour, 
était divisée en deux parties , dont l'une et la plus nombreuse sié- 
geait d^ns un bourg voisin d'Avignop, tandis que l'autre, restée 
dans la ville , s'était réunie 4 la municipalités Cette municipalité 
avait rappelé le détachement fourni par elle, refusé son contin- 
gent , banni de son sein Mainvielle , Duprat , Lescuyer, Tournai , 
et destitué quelques autres fonctionnaires qui figuraient parmi les 
chefs âe l'assemblée électorale ou de l'armée de Jourdan. Main- 
vielle et Tournai , députés par leur parti , avaient parcouru les 
départemens voisins pour demander du secours. Arrêtés, pub 
relâchés , ils furent obligés d'ajourner une vengeance qui , pour 
être retardée , n'en fut que plus terrible. 

Ce fut/lans ces circonstances que les médiateurs appelèrent toos 
les partis, et prirent feus les moyens de neutraliser les prétentions 
réciproques. Us reçurent les députés d'Avignon, de Carpentras , de 
rassemblée électorale de Vauoluse et de l'armée cantonnée à 



ET PIÈCES OFFICIELLES. ' P 55l 

Monteux , dopt Jôuixlan était le général ostensible , mais rinstru- 
ment réel du parti. L'assemblée électorale fut reconnue comme 
légale. Sur iquatre-vingt-quatre communes, soixante-huit avaient 
voté^la réunion; les procès-verbaux le constataient. Cette assem-. 
blée fut désignée comme uii point central, mais on réduisit les 
pouvoirs illimités dont elle avait fait abus. 

Après de longues conférences prolongées dans la nuit^ après 
beaucoup de peines et de travaux, les trois médiateurs parviennent 
à faire signer pardevant eux des préliminaires de paix et de con- 
ciliation par les députés de l'assemblée électorale , des municipa- 
lités d'Avignon et de Carpentras, enfin par lôs commissaires de 
l'armée de Vaucluse. Ces préliminaires , signés le i4 juin 1791 , 
furent confirmés, le 4 juillet suivant^ par un décret de T Assemblée 
nationale que le roi sanctionna le même jour. Ce décret contenait 
en même temps l'approbation de la conduite des médiateurs et l'au- 
torisation nécessaire pour employer les mesures d'exécution. 

En conséquence de ce décret , les trois plénipotentiaires se sépa- 
rent , parcourent leComtat et s'arrêtent dans les lieux oii leur pré- 
sence était le plus nécessaire. Mais ils durent bientôt s'apercevoir 
que la paix n'était qu'illusoire. A Caromb , le détachement qui , 
conformément au traité, rentrait dans ses foyers, est égorgé; à 
Carpentras , l'agitation des esprits sp renouvelle ', et ne se cali;feie un 
peu que sur la déclaration faite par les médiateurs de frapper, dé 
nullité tous les actes qui sprtaient des préliminaires ; à Avignon 
devenue le centre des affaires , ceux dont la municipalité avait ré- 
primé les excès crient vengeance , et désignent leurs victimes. 
Devant M. Le Scène-des-Maisons, Jourdan fait briser les portes 
de l'arsenal pour, en enlever les canons. Les commandansde la 
garde nationale de cette ville, qui l'avaient été , la plupart , de 
l'armée vauclusienne, rentrant pour y consommer le licenciement 
ordonné par la loi , avaient décoré leurs soldats , leurs chevaux , 
leurs propres têtes de cette incroyable inscription ; Braue brigand 
de r armée de f^aûcluse. La force militaire accuse et veut punir la 
municipalité. Les médiateurs appellent successivement des troupes 
de ligne et des gardes nationales de France , pour empêcher le 
mal , mais sai^ pouvoir y parvenir. Les premières sont bientôt 
envoyées pour éviter les querelles avec les secondes ; ce qui fait 
que les &ctieux s'emparent des forts , des prisons , de Tarsenal, du 



552f ÉCLAIRCÎSSEMENS HISTORIQUES 

magasin à poudre. Le ai août, Duprat, colonel de la garde na- 
tionale, se présente à la inunicif alite, pour soutenir les prétentions 
de Tournai et Mainyielle , enlève les registres , les montre au peu- 
ple, les porte au palais, et fait sonner le tocsin avec la cloche 
d'argent spécialement destinée à Tannoncedes grands ércneniens. 
IjCS portes do la ville se ferment; l'autorité des trois médiateurs 
est méconnue, et leur liberté menacée. M. Yeminac est retenu 
dans le palais ; il parvient à faire avertir ses collègues qui le récla- 
ment. Réunis tous les trois , ils Requièrent les administrateurs pro- 
visoires de faire mettre en liberté les citoyens qu'on avait illéga- 
lement jetés dans lés prisons ; mais ils n*obtiennent la liberté que 
des moins notables. M. Le Scène-des-IMaisons partit le a5 août, 
^)our retourner à Paris , voyant que son caractère n'était plus rei- 
peclé. M. Veraînac le suivit de près, et se mit en route avec les 
députés de l'assemblée électorale. On lui a reproché la conduire 
qu'il a tenue, et qui était plus propre à encourager les agitateurs 
qu^à les arrêter (i). M. labbé Mulot, resté seul, dit que ses ré- 
flexions ne purent retenirlSl. y erninsiC; ce qui fait voir qu'il n'ap- 
prouvait pas son départ. Il avltit consenti à celui de M. Le 
Scène dcs-Maisons. 

U y avait quelque courage à continuer , dans de pareilles cir- 
constances, l'exercice de ses fonctions. C'est cependant ce que 
fit l'abbé Mulot , qui ne devait pas espérer qu'on aurait plus de dé- 
férence pour lui qu'on n'en avait eu pour la commission « Appelé 
sur pUisieurs points *du Cômtat, toujours parle parti le plus 
faible , il parvient encore à rendre des services importans, empêche 
des révoltes , sauve des gens qu^on allait égorger^ prend quelques 



(i) M. Verninac parut bient'ôtse séparer de ses coitëguet», et se lu 
avec les Duprat, les MainYidle et les Hovère. Lorsque ces révolutiAn- 
naires eureut fait désarmer leurs adversaires, et incarcérer ta miiotci- 
)^>aUié et ses partisans, M. VerniDac accompagna leurs députés à ParL:»; 
cl, anus un rapport lu à TAssembWe constituante , le loscptembre 1791,. 
il, pallia leurs projets et les malheurs qui devaient en résulter, aflaiblis^ 
sant ainsi Timpression qiravait produite, dans la même séance ,' îe 
compte c{u''avait rendu suncollcgne, LeSccne^des-Maisoïfe, au nom de la 
commission mélliatrice. » Biographie tfes hommes vi^'ans , de xM. Mi- 
chaud /T. V, p. 5o2. 



ET PIECES OFFICIELLES. ^55 

bonnes mesures, mais ne peut exercer à lui seul une influence 
que n'avait point obtenue la commission dont il était membre. 
Pendant qu'il poursuivait avec zèle le cours de ses opérations , 
lin athlète vigoureux le dénonçait à TAssemblée nationale. C'était ' 
Tabbé Maury . Le 1 3 septembre , il paraît à la tribune , ce demande, 
à ses risqi^s et périls , à poursuivre les trois médiateurs qu'il ac- 
cuse de s'être faits vice-rois , et de s'être mis à la tête d'un parti , 
au lieu, de lès concilier tous. » Il les traite de commissaires exter^ 
minateurs , de missionnair-es de la révolution d'Avignon , et , s'a- 
chamant plus particulièrement sur l'abbé Mulot, assaisonne <%a 
dénonciation d'épigrammes sanglantes. L'Assemblée agitée der 
mande que l'abbé Maury signe et dépose son accusation ; ce qu'il 
lit le lendemain. M. Le Scène-des^Maisons répondit victorieuscr 
ment, et le i4 septembre, après un grand nombre de séances sur ^ 
les troubles du Comtat Yenaissin et d'Avignon , ce pays est léunj 
à la France par un décret. L'abbé Mulot fut çlénoncé une seconde 
fois par M. Tissot, député d'Avignon. Il se justifia devant l'As- 
semblée législative. IL est facile de voir par la nature , par la va^ 
riété , la confusion des troubles du Comtat, que la condinte.des 
médiateurs devait, quelque parfaite qu'on la suppose , prêter aux 
dénonciations. 

Les discussions eurent le plus désastreux résultat, en ce qu'elles 
retardèrent Tenvoi d'une nouvelle commission. Cependant ce^f: 
nouvelle commission serait arrivée assez à temps pour prévenir 
ces nouveaux malheurs , si l'abbé Mulot , le seul des anciens com- 
missaires conservés dans cette nouvelle commission, n'avait juaé 
à propos , on ne sait pourquoi, de s'arrêter à Courtai3Q^ pi^d«ant 
quelques jours, au lieu de se rendre directement à Avignon. 

On a vu qu'il s'était formé une divbion parmi les patriotes avi- 
gnonai's. Les plus sages d'entre eux ne voulaient, point la guerre 
côntve Carpentras. Ce parti ^vait à sa tête le maire (M. Richard), 
et la majorité des oiiiciers municipaux. Le^parti qui avait voulu 
et fait la guerre avait à sa tête les deux frères 3fainuielle^ les dçux 
i'xkves DuprcUy Rouère et le notaire Lescuyer, secrétaire ;g^pf^€pL' 
de la municipalité. Ce diernier, né à Amiens , établi à.Avignoi^ de- 
puis plusieurs années, était un homme d.e* beaucoup ci'espri{,.de 
beaucoup de sang -froid, et avec raison regardé çoi^me rauteur 
de la révolution avignonaise. 



354 ÉGLÂIRGISSEMEIVS HISTORIQUES 

Le parti dç l'armëe accusait celui -de la municipalité d'avoir 
empêché la* prise de Carpentras , de n^avoir pas fourni à Farmée 
les choses nécessaires ; des reproches on en vint aux voies de fait, 
et les soldats finirent par renverser la municipalité , emprisonner 
•ceux des officiers municipaux qu'ils purent saisir, entre autres 
MM. Lami, avocat y Grirard «t Coulet , négodans ,• e% Mouvans , 
prêtre et supérieur de la maison de TOratoire. dette municipalité 
fut remplacée par quatre adrainiàtrateurs provisoires. 

La municipal itéqui venait d'être renversée, mise en fuite, ou em- 
prisonné^ , avait des partisans. Le 16 octobi-e 1791, )our de funeste 
mémoire, ils.se réunirent dans la vaste église des Cordeliei-s ; ils 
firent courir le bruit que le Mont-de-piété avait été spolié par les 
meneurs du parti contraire , et l'assemblée des Cordelîers envoya 
quatre de ses membres armés chercher Lescuyer, pour qu'il ren- 
dit compte des efiîets prétendus enlevés au Mont-de-pîété. Cette dé- 
'putation allait droit à la maison de Lescuyer; elle le rencontra comme 
il en sortait pour se rendre à son poste de secrétaire à la ma bon com- 
mune, n hésita d'abord à obéir , cependant il marcha sans trop 
de contrainte. Il était tout au plus midi quand il entra dans l'église 
des Cordelîers. Des cris, de^ vociférations affreuses se firent en- 
tendre contre lui. Instruit qu'on l'accusait d'avoir détourné les 
^ges déposés aii Mont-de-piété , il monta à la tribune qui était 
la chaire de cette église ; il conserva le plus grand sang-froid , et 
vint à bout de se justifier de la spoliation du Mont-de-piété ; le 
peuple aimait cet homme. Mais aux partisans de la municipalité , 
qui étaient /patriotes , s'étaient mêlés des papistes , c'est-à-dire 
des Avignonais qui voulaient rétablii* à Avignon la domination 
papale. Ceux-ci excitaient les partisans de la municipalité à le 
charger de nouveaiix griefs : il répondait toujours avec succès, 
et c est alors que ceux qui voulaient sa mort s'écrièrent que 
Lescuyer ne disait que des mensonges, et tels qu'une vierge 
de bois qui était exposée dans une chapelle venait d'en rou- 
gir. On crie au miracle , on poussé des cris de mort contre Les- 
cuyer; on Tarrache de la chaire, il se débat, fuit et tomSë au 
pied du grand autel , meurtri de coups de bancs , et surtout criblé 
de coups de ciseaux , instrument des femmes ; il ne reçut pas un 
coup de baïonnette. 
Cependant Mainvielle , Duprat aîné , Jourdan , de ]eur côté , 



ET PIÈGES OïlPICIEtLES . 335 

faisaient scoinér le tocsîu , et se ralliaient au fort ; ils marchent 
aTee une pièce de canon â quatre heures et cleniie du soir, à la tête 
d'environ 3oo hommes, sur Tëglise desCordeliers ; à leur approche, 
les personnes attroupées se dis|)ersent ëpouvantëes. Lescuyer est 
trouvé baigné dans son sang sur les marches de Tautel ; il respirait 
encore, avait conservé sa connaissance, mais il ne pouvait parler, et 
il semblaitvouloir exprimer de violens reproches de ce qu'on Ta vait 
la»sé si long-^emps sans venir à son secours. Oh le mit sur un 
brancard qui fut porté, par Mainvielle lui-même, et promené par 
les rues d'Avignon, comme le corps de César. A ce spectacle , le 
(iteuple manifesta le plus sensible intérêt en sa faveur. Pour aller 
à l'hôpital , où l'on dit qu'on trouverait à l'instant'tous les chirur- 
giens et tous les secours réunis , le cortège passa devant la maison 
de hesûVLjtr ; là il fit entendre qu'il voulait qu'on le portât chez 
lui; mais Mainvielle continua sa marche , et Lescuyer, une demi- 
heure après , rendit le dernier soupir. 

Le parti , resté maître du champ de bataille , à cinq heures du 
soîr, fit aussitôt fermer les portes de la ville , arrêter et mettre en 
prison , avec ceux des officiers municipaitx qui y étaient déjà 
depuis plusieurs jours , des femmes et des hommes qui étaient 
désignés comme ayant assisté à l'assemblée des Cordeliers^ et 
par là. même comme auteni's ou complices de l'assassinat de Les- 
cuyer; et dans la nuit de ce même jour, tous ces prisonniers furent 
impitoyabkmen t ■ et hotiibléihen t massacrés . 

Jburdan présida à èe massacre. Le nombre des morts fut de 61 , 
fMintti lesquels i3 îémtûea, 

La prison ou ce hiassacre eul lieu est attenante au palais. Ce 
palais bâti par les papes, sur le penchant et au pied d'Un monti* 
ccde, auhaut duquel se trouve la métropole sotts l'invocation de 
Notre-Banie-des-'DôB^s , est construit sans ordre; il se compose de 
sept tottrs liées* entre elles sans symétrie. 

On y entrait par une grande salle ornée de plusieurs inscrip- 
tions, d'oii'ron passait dans celle oii les papes donnaient audience. 
h y avait une cloche d'argent qu'on ne sonnait jamais qu'à la 
mort d'un pape ou à l'élection de son successeur. Cette courte des- 
cription était nécessaire pour mettre lé lecteur à même de se faire 
une idée du théâtre sanglant oii se commirent les massacres. 

Deux de ces fours servaient de glacière. 



536 ÉGLÀIRCI^EMBNS HISTORIQUES 

Quand les bourreaux eurent assassiné leurs yictiinefl , ib son- 
gèrent à faire disparaître les cadavres. Au pied d'un grand escalier 
par lequel on monte aux prisons , se trouve la muraille mëridio- 
nale de la plus haute et de la plus grande de ces tours; on rap- 
pelle la tour de Tournas, ou casa-major^ei par corruption ou abré- 
viation la casama. Elle ne servait point de glacière. C*€9t dans la 
profonde cavité de jcette tour que les cadavres furent précipités ; 
les bourreaux y jetèrent plusieurs tombereaux de chaux vive et des 
tonneaux d'eau, et murèrent l'ouverture qu'ils avaient pratiquée 
à la muraille de cette tour. 

Le père Nolhac , curé de la paroisse de Saiut^Sympbonen , périt 
aussi, mais non pas dans la même nuit. Trois ou quatre mons- 
tres , teints du sang des victimes du 16 octobre , lui firent sous- 
crire diverses obligations, se partagèrent ses dépouilles, le mas- 
sacrèrent et firent disparaître^son ca avre. 

Le 17 octobre, un autre citoyen fut encore assassiné dans le fort, 
il s'appelait Rey. Ainsi le nombre des morts fut réellement de 
soixante-trois. Le fils de ce Rey , dernière victime des assassins , 
ji été condamné à mort en 1816. Le roi a commué sa peine eu dix 
ans de travaux forcés. 

Les nouveaux commissaires, parmi le^uels ne se trouva -plus 
alors l'abbé Mulot qui retournait à. Paris mandé à la barre poiur 
rendre compte de sa conduite , entrèrent à Avignon , le 1 1 do- 
vembre , à la tête d'une force-aimée imposante. Dès leur arrivée, 
ils rallièrent les membres survivans de la municipalité , chassè- 
rent l'administration provisoire , et réintégrèrent dans leurs fonc- 
tions les anciens officiers municipaux. Ib nommèrent des juges 
provisoires qui firent arrêter Jourdan , les deux frères MainvieUe, 
le fils Lescuyer, les administiateui's , Tournai , rédacteur du Coui- 
ner d'Avignon, Loubet, son secrétaire, et une vingtaine d'autxes 
individus plus ou moins prévenus d'avoir pris part au massacre 
du 16 octobre. 

Le trou qui avait été pratiqi^é dans la grande tour pour y jeter 
les cadavres était fraîchement muré ; cet indic0 fit présumer qu'ils 
y avaient été ensevelis, on le rouvrit, et Todeui'qui s'en exhala 
confirma le soupçon. 

La municipalité fit pratiquer du coté du nord, à la base de la 
tour, une nouvelle ouverture ; les cadavres en furent extraits, le» 



ET PlèCES OFFICIELLES. ^Zj 

ossemens dëcharnës par la chaux furent mis sur des chariots 
couverts de draps morfuaîres , sur lesquels on plaça les ëcharpes 
tricolores des officiers municipaux assassines. Après avoir ainsi 
promené leurs restes mutiles dans la ville , ils furent conduits à 
la métropole ûii leurs collègues ,les officiers municipaux survivans, 
firetft célébrer solennellement en leur mémoire un service funMire. 
Un tribunal , composé de juges étrangers, fut bient6t' régulière- 
,roent organisé à Avignon» peur juger le» auteurs des assassinats 
joonlmis dans la nuit du 16 octobre. 

Les frères Duprat , les frères Rapbel et plusieurs autres per** 
•sonnes » pr^évenues d'avoir participé à ce forfait , prirent la 
fuite. 

r Kovère, qui avak obtenn le rappel de Fabbé Mulot, et l'avait 
£iit mander k la barre pour'y rendre compte de sa conduite , finît 
par obtenir un décret d'amnistie en faveur des glaciaristes , le 
19 mars de Tannée suivante; la conduite des papistes avignonafis 
y contribua , parce qu'ils manifestèrent leurs projets à découvert. 
l4ea.affîGierset lés nouveaux commissaires du roi (sauf M. Le Scène- 
dès-Maisons) , qui d'abord avaient paru vouloir faire triompher le 
parti patriote , vaincu dan^ la soirée du 16 octobre par le parti de 
l 'armée,!* abandonnèrent , et lorsque le moment d'élire une nou* 
«v^lJe municipalité fut arrivé , la mnmicipalité dont une partie des 
membres avait péri dans la nuit du 16 octobre fut repoussée en 
«ntier, et remfdacée par les citoyens qui avaient opposé le phis de 
résistance à la réunion d'Avignon à la France. Alors les persécu- 
tions commencèrent contre les amis de la France, et des citoyens 
i^i avaient éch^p|>é aux poignards des glaciaristes furent persé-^ 
<^tés comme glaciaris/es^ par cela seul qu'ils étaient patriotes. 

Duprat jeune et Main vielle aîné, députés à ki Convention , et 
Jourdan ont péri sur l'échafaud , Révère k Sinamary. Duprat Taifté 
a été tué à la bataille d'Ësling, étant adjudant-général ; un nommé 
Blanié , un des plus forcenés assassins de la glacière, qui s'était 
couvert du sang, des patriotes, après le 9 thermidor, est mort dans 
un cachot du château d'If. Mainvielle jeune s'est brûlé la cervelle 
en l'an 9. H ne reste plus d'auteurs ni d'acteni^ du m ag s éo re de k 
glacière» 



II. 17. 



338 ÉCLAIRCISSKMKRS HISTORIQUES 

Note (G ) , page. 1 84 • 
Sur la journée du so juin. 

« 
I 

Dans cette ioumëe funeste , prélude de celle du lo août, le roi 
fut admire de tous les partis , non sans crainte et sans dépit de la 
part des ennemis du trône , parce que Louis XYI rallia , pour un 
moment, toutes les opinions, et qu'il aurait pu profiter habile- 
ment de l'impression que produisit sa conduite héroïque. Sa ré* 
ponse à Pétion qui paraît si petit en sa présence ; celle qu'U fit aux 
hommes cyii demandaient la sanction des décrets refusée la veille 
"* {ce n*est ni le temps, ni la forme / } ; le calme avec lequel il but 
sans hésiter le breuvage qu'on lui présenta ; le courage et la pré- 
sence d'esprit qu'il montra pour défendre sa famille, quelques 
mots heureux prononcés au milieu de scènes horribles (i) , le ren- 
dirent en effet sublime. 

Quant aux détails de ce qui se passa dans l'intérieur des Tuile- 
ries oii tous les intérêts de cette )Oumée étaient concentrés , on 
sent combien le désordre de scènes aussi tumultueuses doit nuire 
à l'exactitude des rapports, et combien les récits pourraient offrir 
de différences sans offenser la vérité, puisqu'il serait possible que 
ces différences fussent expliquées par le lieu, le moment et le rôle 
de rhistorien. Mais , ainsi que nous l'avons fait remarquer, elles 
n'existent pas , ou sont peu importantes dans les diverses relations 
qu'on a publiées. Il n'y a que quelques omissions peu importantes. 
Dans la plupart des récits on parle peu de Pétion , parce qu'il ne 
parut que vers six heures. Yoici en quels termes s'exprime un té- 
moin oculaire , dont M. de Touloogeon a conservé le rapport: a Un 
moment de silence est interrompu par les cris de : F^ive Pétion! 

(i) Entre autres celui-ci que Tirome rend remarquable. Le roi, qui 
•avait qu'on Tappelait le représentant héréditaire, dit à des membres de 
TAssemblée qu'il avait prés de lui : « Il se pourrait bien que le représen- 
tant héréditaire et même quelques-uns des représentans temporaires ne 
vissent pas la fin de la journée. » 11 y a dans ce mot une sorte de gaieté 
qui contraste avec raflrense position dans laquelle était le roi, et qui 
montre en même temps la courageuse résignation de ce prince. 



i 



ET PIÈCES OFFIGIECtES. 35^ 

yive le bon Péiion ! Il sortait de chez lui tranquillement^ H pouvait 
être alors six^heures. Le bon Pçlion parle au roi : Le peuple y dit-il, 
9* eH présenté avec dignilé\ le peuple sortira de même. Après avoir 
quitlë Louis XVI , il s*esJt retire du château , et , au bas de l'escalier, 
il a dit au peuple : Mes amis, mes frères , vous venez de prouver que 
pous êtes un peuple libre et sage , retirez-vous , et moi-même Je vais 
vous en donner l* exemple. Il parlait, moins en magistrat charge du 
maintien ou du rétablissement de Tordre , qu'en chef de parti qui 
parle à des geûs dont il est sûr. 

» Le lendemain , il reparut aux Tuileries , mais il fut maltraité 
dans la cour par la garde Nationale. Sur les sept heures du soir 
on'craignit une nouvelle attaque au château. Pétion y vint, se fit 
annoncer chez le roi qui le reçut aussitôt , et dit au prince : « Sire , 
nous avons appris que vous aviez été prévenu d'un rassemblement 
qui se portait sur votre demeure. Nous venons vous informer que 
ce rassemblement est composé de citoyens sans armés, qui veulent 
planter un mai. Je sais,. Sire, que l'on a calomnié la conduite de la 
municipalité. Cependant sa conduite sera connue de Votre Ma- 
jesté. — Elle doit l'être de la France entière , répondit le roi ; je 
n'accuse personne : j'ai imit vu. — Sans les mesures de précau-^ 
tion que le corps municipal a prises , il serait arrivé des événemens: 
beaucoup plus fâcheux, non pas contre votre personne; vous 
devez savoir que votre personne sera toujours respectée. ( Ici 
Pétion a l'air de désigner la reine. ) — Est-ce me respecter, reprit 
Louis XVI , que d'entrer en armes chez moi, de briser mes portes ? 
Ce qui s'est passé. Monsieur, est un sujet de scandale pour tout 
le monde. Vous répondez de la tranquillité de Paris. — ^ Jecon-n 
nais l'étendue des devoirs que m'impose ma responsabilité, — 
Retirez-vous , dit le roi. » 

Pétion sortit humilié. Quinze jours après ( le 6 juillet ) , le dé- 
partement de Paris prit un arrêté par lequel il le suspendait de ses 
fonctions pour n'avoir pas empêché les désordres du ao juin. 
Cette mesure devint , co^ime on le verra dans le récit de la fédé- 
ration du 1 4 juillet , une pomme de discorde. 

Lorsque les Tuileries furent évacuées , on fit venir des jugbs.de 
paix pour verbaliser et constater les dégâts. La reine ^ se prome-r^^ 
nant avec eux , leur montrant les portes brisées et les meubles 
cassés, ileur dit en souriant: Tout ceci n'est pas trop t&nstkutionnel^ 



aa* 



340 ÉGLAlRCJSSEITEfïS UISTORIQVES 

Cette princesse donna dans cette joumëe de nouvelles preuves de 
son courage. Elle ne fut abattue un moment que lorsqu'on la sé- 
para du dauphin , .et tant qu'elle ignora ce que ce jeune prince 
était devenu. Quand on lui présenta le bonnet rouge ^ die le tint 
à sa main sans vouloir, malgré le danger , en salir sa tète. 

<c Les jacobins ne purent s'empécber d'estimer « dit M. de 
Toulongeon , le courage du roi ; et le parti opposé » qui croyait 
que le défaut de courage l'avait seul empêché de «'unir à lui , es- 
péra tout d'un homme qui savait braver le péril. Nous le rendrons 
ie plus puissant roi de la terre , disaient-ils. Us oubliaient ce qui 
lui manquait , l'ambition de le devenir. Toutes ses vertus étaient 
passives : son courage était de la patience ; sa tranquillité , rési- 
gnation ; sa fermeté I motif de conscience , et son humanité , pnn- 
cipe de religion. Il aurait pu régner oii les mœurs eussent régne 
avic lui. n eût été à la fois la loi et le modèle , le précepte et 
l'exemple. Ce jour fut la dernière chance que lui présenta la for- 
tune; éoonduite et refusée , elle se retira rebutée et confuse. » 

11 paraît, en effet, que le roi pouvait profiter de la supériorité 
que lui donnait une victoire remportée dans une lutte oii ce 
prince , ayant contre lui sa position , sm conserver'sa dignité. Ge 
fut le triomphe de la force morale. Sa vie fut exposée vingt fiHS : 
«lie dépendait de gens qui étaient venus pour la lui àisr , et dont 
les bras et la volonté furent paralysés par l'amendant de k 
Vertu* S'ils ressentirent ces effets, que ne dut point produire la 
même cause sur l'esprit public ? Aussi , pendant quelque temps , 
l'intérêt fut-il général , et même il s'accrut par l'indiffifrence dé 
ceux à qui il appartenait de connaître et pnnir les délits commis 
le ao juin. Aucim moyen de répression, aucune enquête be sui- 
virent cet événement. Le corps législatif se contenta d'un décret 
ponr défendre les attroupemens > et fit voir par^là qu'il avait bien 
moine l'intention d'agir que de sauver les apparences. 

Plusieurs^ partis fufeiit proposés an ivi; mai&ils furent aussîtêt 
ahaadonnés. O aurait fallu, près de sa personne, un honune de tête 
qui eût mis de la suite dans les. projet» , du calcul et de la ténactté 
dans l'esoéctttion. Un exemple suffit pour montrer et qui manK]<iait. 
On rassembla près du prioet une ftiroe oomposée de la garde na- 
tionale» On en fit bientôt l'esiai. Une iMwrelle attaque ^t «f* 
noneéa On battit la générale , et trente^ mille citoyens nhoée se 



ET PIÈCES officiellus. 341 

'1 

réunirent pour défendre Louis XVI et sa constitution. Ce n'était 
qu'une fausse alerte. On aurait dû prendre des moyens effîcacef 
pour retrouver cette ressource au besoin : mais on ne le iit pas , et 
l'attentat du 10 août ne trouva plus d'obstacles. . 

Note {^)jpage 216. 
#0 aouf. 

PouB compléter, autant qu'jU est en notre pouvoir^ le récit de 
Weber , pu le rendre plus intelligible , nous croyons qvi'il est 
utile de placer ici plusieurs détails qui ne sont pas dénués d'in- 
térêt . 

Les premiers ont rapport aux localités qui ne sont plus ce qu'el- 
les étaient du temps de Tbistorien et lors de l'événement. Nous ez^ 
trouvons la description dans une relation récemment publiée par 
un témoin oculaire (1). 

<c La place du Carrousel , à présent si spacieuse , ne comprenait 
pas même la moitié du terrain €[u'elle offre en ce moment. On fi^ 
démoli^ pour l'agrandir, une multitude de maisons plus ou 
moins élevées, qui formaient des rues avec divers détours, et qui ^ 
par conséquent, rendaient beaucoup plus facile l'approcbc du 
château. C'étaient en quelque sorte autant de chemins couverts 
par lesquels on pouvait aniver impunément jusqu'à portée de 
pistolet de l'enceinte des bâtimens et des cours. L'espace ren- 
fermé aujourd'hui entre là grande grille et les murs du pa- 
lais était aussi moins vaste, parce que, du côté de la place, on^ 
reculé cette grille au-delà de l'ancienne clôture. Au lieu d'une seule 
cour, divisée par des bornes et par de grosses chaînes , telle qu'on 
la voit maintenant (1 83 â}, il y en avait alors trois d'inégale dimen- 
sion. La plus grande, celle du milieu, s'appelait la Cour royale; 
celle qui était à gauche, en venant du Carrousel , se nommait \fL 
Cour des Princes; on arrivait par là au pavillon de Flore. La 
troisième enûn , celle qui se trouvait à droite , était la Cour des 
îSuisses ou la Cour des Ecuries* Elle conduisait au pavillon 

■ " '■ ' ' I II ■ ■■ >■ » ^»— ^— I ■ ■! — ^^^-1 II ■ I III ■. ■■ III t 

( r) Détails paHicuUers sur ta journée du 10 4itjidi 1 793, par ua boargccnj^ 
de Paria, témoin oculaire; Paris, 183a , 10-8^.-^*- Pages 6 et tuivanl^fl. 



54^ ÉGLiIRGISSEMENS HISTORIQUES 

Manan, C'est dans cette demlèi-e caur , la moins grande des trois, 
qu'était la porte d'entrée de la salle de la comédie^ Je ne parle 
pas d'une quatrième cour fort petite appelée , je crois , la Cour de 
Manan , qui se trouvait à droite de la cour des Suisses , à peu près 
sur le terrain qu'occupe maintenant la nouvelle galerie , et qui 
servait de passage pour aller des Tuileries ^ l'iiôtel de Brienne. 
Du reste , ces trois cours étaient séparées les unes des autres par 
des murs et par des bâtimens de peu d'élévation , oii logeaient 
diverses personnes attachées au service du château ; chacune des 
trois avait son entrée par une simple porte-cochère très-peu so- 
lide , donnant sur la place du Carrousel. Le suisse, chargé de 
garder la principale de ces portes , y tenait un petit établissement 
de traiteur , d'après une permission encore d'usage à présent danâ 
plusieurs maisons royales. Du côté du jardin , les arcades des ga- 
leries inférieures qui longent la terrasse , à droite et à gauche d» 
l'entrée du vestibule , étaient fermées dans presque toute leur hau- 
teur par des barreaux de fer qu'on a supprimés depuis pour m.ettre 
une statue sur chacune. Eûfin, au lieu des grilles qui bordent la 
terrassé des Feuillans , il y avait, d'tin bout à l'autre, un mur peu 
ëlèvé, servant de séparation entre cette terrasse et la cour du ma- 
nège, aujourd'hui la rue de Rivoli. La salle oii s'assemblaient les 
députés (l'ancien manège) occupait le fond de ladite cour, et se 
trouvait' placée environ à une portée de fusil de la riie du Dauphin. 
Dans sa longueur, le mur dont je viens de parler était percé de 
deux QU trois petites porteâ pratiquées pour le service des cafés 
qui s'y trouvaient adossés , et dont le devant donnait sur la cour 
du manège. A l'extrémité du même mur, cii revenant vers le cbâ* 
teau, et tout près du pavillon Marsan , était iîne porte-cochère en 
bois, faisant face à celle du Pont-Royal, et servant d'entrée prin* 
çipale de la cour du manège dans le jardin. » 

Les détails que nous ajouterons concernent les Suisses placés on 
bas des escaliers du roi et de la /i?//?e. L'auteur que nous avons cite 
s'accorde avec Weber, et rapporte (p. a^) un entretien qui prouve 
que les officiers suisses ne s'abusaient pias sur leur position. 
""«'À leur tête, dit-il, je distinguais surtout un officier qui me 
paraissait un peu plus âgé que les autres^^ il avait l'air de s'ex- 
primer au nom de tous ses camarades* Voici en substance la 
discours qu'il nous tint^ Je venais d'exprimer ma ferme con* 



ET PIÈCES OFFlGIEtLES. 34? 

fiance dans Tefficacitë des mesures prises pour la défense du châ- 
teau. J'annonçais hautement Tespoir d'un succès de notre côté , 
•i les jacobins se hasardaient à faire une attaque. « Monsieur , 
» me répliqua lofficier dont ]e parle (i), ne vous abusez pas sur 
3» la réalité de notre situation^ elle est plus critique que voud ne 
» pensez. A la Térité, Ton doit compter sur le dévouement des 
» gardes -suisses et de beaucoup de fidèles sujets du roi qui sont 
D venus se ranger ici autour de sa personne. Mais il fiiut consi- 
3f> dérer en même temps que nous ne sommes tous ensemble, ni 
9 assez nombreux , ni dans une position assez forte pour résister k 
» une attaque dans laquelle , soit par sédition , soit par violence , 
9 on entraînera sans doute un grand nombre d'habitans des fau-^ 
j> bourgs et des quartiers les plus peuplés de la ville. Remarquez, 
» Monsieur, combien il est facile de s'approcher impunément de 
y> l'enceinte et même des murs du palais; par quelle quantité de 
9 rues et de passages on y aboutit à couvert de tous côtés. Assaillis 
» par des masses qui se renouvelleront de moment en moment , 
» comment défendrons-nous à la fois tant de points accessibles? Si 
-» notre régiment était en rase campagne , qu'il pût former un 
» carré au centre duquel serait placée la famille royale , certaine- 
» menton n'oserait pas de même s'approcher de nous, et du moins, 
9 avant de nous laisser aborder, serions-nous sûrs de faire bien 
» du chemin. Cependant une chose essentielle nous manque, c'est 
» du canon. Nous en avions douze pièces. On est venu à bout , 
» sous de vains prétextes , de les enlever au régiment. A ce sujet , 
» Monsieur, voyez de quel esprit sont animés les hommes qui ont 
» fait adopter une pareille mesure , et qui aujourd'hui ameutent 
» contre nous le peuple de la capitale. N'est-il pas démontré jus- 
» qu'à l'évidence que, depuis trois ans, un plan infernal à été conçu 
n par eux pour détrôner les Bourbons, et pour établir je ne sais 
9 quelle nouvelle forme de gouvernement sur les ruines de la mo- 

(i) n 8*appe1ait M. de Luze, famille de Neufchâtel, qui jouit d'uD8 
égale considération dans le coramerce et dans les aroies; Jean -Jacques 
Rousseau était très-lië avec un monsieur de Lnze, qni l'accompagna 
jusqu'à Londres î . lorsqu'il passa en Angleterre. Il y a , dans la Corres- 
pondance de l'auteur d'Émiie, plusieurs lettres adressées à M. de Lus* 
«t à madame de Luze Wamey. 



^ 



344 ÉGLAIRCISS£H£jXS fllSTORIQOES 

» Aarchie? L'exécutîoa de ce -pLnï Mpoarsuit tans relâche aves' 
» une audace et une perfidie rema^^bles. C'est ainsi que d'à- 
» bord, au i4 juiUet , on a débauche le régiment des gard«s-firan-' 
)> çaiaes , dont la disparition affiiiblit d'autant la maison militatre 
» idu roi ; qu'ensuite, au 6 octobre , les quatre oon^gnles des 
u gardes-du-corps ont été anéanties ou licenciées d'un seul coup* 
» U n'y a pas enoore deux mois , la garde appelée, constitution^ 
» Mlle, qui venait seulement d'être organisée , a ^(é également 
)> dissoute. Le malheureux monarque «^ est donc réduit à n'avoir,^ 
» pour sa défense, d'autre troupe réglée que la nôtre; etzious- 
» mêmes n'avons^nous pas été en butte à toutes sortes de pièges % 
5> On a cherché , sous diffîrens prétextes , à nous éloigner de la 
» penM>nae du roi. Mous nous y sommes constamment refusés. 
» Nos eapUidatioM k la main, nous avons prpuvé que, du moment 
» oii Ton nous séparait de lui , nous cesserions d'exister comme 
» régiment; que par ce seul &it notre corps sentit dissous. En. 
r^ dernier lieu, une condescendance déplacée et toutr-à-fait impeii-K 
)> tique a permis que 3oo hommes fussent détadiés pour aller en' 
T» Normandie , avec la mission vraie ou fausse de protéger la circu* 
» lation des grains. H est bien certain qu'une telle mesure a eu 
» piincipalement pour but de diminuer notre force disponible en 
» cas d'événement. C'est , dans la position oii nous sommes , une 
n circonstance très-fâcheuse ; et auîourd*hui ce même détachement, 
» réuni à ce que nous avons encore de soldats k la caserne de 
» Courbevoie , nous aurions quelques moyens de plus de lutter 
» contre les factieux , et de leur faire du mpins acheter chèrement 
» la victoire qu'ils se flattent de remporter sur nous. Cependant , 
» Monsieur, n'allez pas conclure de tout cela, que ni moi, ni aucun 
» de mes camarades, nous ayons l'idée de céder sans combat...*. 
» Nous serons fidèles è nos engagemens. Quelque infériorité que 
» présenle la position oii nous sommes , peut<4tre y suj^lëerons* 
» nous par notre courage , par notre résolution et par Thabileté de 
» nos manœuvres, Jç vous faisais observer tout à l'heure que, de- 
» puis un certain temps, le régjment n'a plus d'artillerie à sa dis- 
» position ; m^is le commandant de votre garde nationale a iait 
» entrer ici une demi-douzaine de pièces de campagne qui déjà 
« sont placées dans les cours. Si vos canonniers, dont le corps en 
» général est mal dbposé , ne se conduisent pas comme ib doivent 




Et PIÉGÉS PFFICIELLES. 545 

» i« faire ,iious nous c[ëcidercHl8 k employer la fbrce pour leur ôter 
3> le maniement des pièces , et nous-mêmes nous nous chargeons 
» de les diriger. Les artilleurs qui servaient les nôtres sont encore 
» tous 9tL régiment. Nous saurons au besoin les retrouver. . . En un 
» mol , nous connaissons nos devoirs ; nous les remplirons tous 
» dans toute leur étendue. Nous nous ferons tuer jusqu'au dex^ 
» nier plutôt que de manquer à l'honneur et de trahir la sainteté 
» de nos sermens. » 

Dans toutes les reliations de cette fatale journée , on représente 
le proeureCir sjndicdu département, M. Rœderer, faisant seulement 
une visite au roi. On a vu que Wéber le fait paraîti*e avec deux 
autres administrateurg. L'anfeur des Détails , qui était au nombre 
des gardes nationaux postés dans l'une des cours , pour la défense 
du châtea^i , s'exprime ainsi : <c Nou^ étions au repos , dit-il , lors- 
n que Rœderer ariive dans notre cour , ceint de son écharpe , et 
» tenant un papier & la main. On nous fait remettre sous les armes 
n et serrer nos rangs .'H se place devant le centre de la compagnie; 
n d'une voix altérée et peu propre à encourager ses auditeurs , il 
» nous lit une proclamation conçue en ces termes : Gitoyens-sol- 
p dats Français et Suisses , un grand rassemblement se présente , il 
i> «aenace la personne du chef du pouvoir exécutif. Au nom de la 
>> loi f il vous est défendu d'attaquer/ mais vous êtes autorisés à 
» repousser la force par la force. » Au lieu de ne paraître que«le 
matin, le procureur syndic avait. passé la nuit près de ]fiL famille 
royale. Il en donne des preuves dans les Mémoires qu'il a rédigés 
sur lesévénemensdu lo aoAt, Mémoires dont nous avons l'espoir 
d*earichir cette collection. On a beaucoup blâmé le (conseil qu'il 
donna au roi de se réfugier avec sa famille au sein de l'Assemblée. 
La reine repoussa constamment ce conseil : l'événement a dû 
beaucoup influer sur le jugement qu'on en a porté depuis. Ce con- 
seil ne peut être apprécié que d'après l'intention de celui qui le 
donna (i). Supposons que l'Assemblée , imitant au moins la con^ 
duite de celle qui la précéda lors dû retour de Yarennes , eût reçu' 



Tt^rr^^ . 



(i) Aussitôt après cette jouraëe, M. Rœderer fut accusé par les ré- 
voivtiofiiieires qui mirent les iscelléâ sur ses papiers ; il se cacha jus- 
qu'«a^9 thermidor. 



346 ÉGLAIRGISSEMEN5 HISTORIQUES 

le roi avec dignité et respect , et q«e le prince eût trouvé dans son 
seinl'appui sur lequel il devait compter , on portera un jugement 
tout différent. 

L'auteur dont nous suivonsle récit croit que, si le roi n'eût pas 
donné Tordre de cesser le feu , les assaillans eussent été vaincus, 
a n n'est que trop prouvé maintenant , dit-il, qu'à cette époque 
le gouvernement succomba, yài//e d*auoir connu sa fotx>e. Le feu 
roulant d'une ou de deux compagnies sorties des étages inférieurs 
du château , réussit a mettre en fuite toute la populace ramassée 
autour des Tuileries. Qu'eût~ce été si, au lieu d'évacuer les cours 
et d'entasser la garnison dans les appartemens supérieurs, où le dé^ 
sordrc et le défaut d'espace paralysèrent complètement ses moyens, 
on eût conservé seulement le& positions occupées depuis la veille, 
si l'on se fût ainsi mis eu. état de coordonner les mouvemens des 
divers corps, et de les faire agir au besoin sur tous les points à la 
fois?... Au bruit des premières décharges qui jetèrent l'épouvanU 
jusque dans le sein de l'Assemblée, notre infortuné roi , toujours 
guidé par les mêmes sentimens de douceur et d'humanité , mais 
éloigné du théâtre de l'affaire , et par conséquent hors d'état d'en 
juger avec discernement, s'empressa, au préjudice de sa prc^re 
cause et du salut de ses fidèles défenseurs ,. de faire usage de la seule 
portion du pouvoir qui restât entre ses mains. Son dernier acte 
d'autorité fut un acte f(»*mcl signifié en son nom aux oiliciers 
suisses, Dour qu'immédia tendent ils eussent k faire cesser le feu. 
Cette injonction à laquelle ilsn'obéirent qu'avec trop deponctualité, 
inspirant avx factieux une entière sécurité, fit revenir ceux-ci 
k la charge avec d'autant plus d'ardeuï* qu'ils étaient certains de 
ne plus éprouver d'obstacles. Tous les massacres > toutes les hor- 
reurs qui suivirent ce fatal moment furent la conséquence néces- 
saire d'un pareil ordre. » 

Louis XVI a donné trop de preuves de courage et de résignation 
pour qu'il y ait le moindre doute sur le motif qu'eut ce malheureux 
prince en faisant cesser le feu. C'était l'horreur du sang et le 
désir qu'il éprouvait d'en arrêter l'effusion , qui lui firent donner 
cet ordre (i). 

(]) Cet ordre sera rapporté plus ba» dans la note (J). l^ous en donne- 
rons plus tard un fac-similé dans la collection des Portraits et gravures. 



ET PIÈGES OFFICIELLES. S^J 

La pièce qu'on trouvera pins bas, et qui est intitulée : Relation 
de la conduite du régiment des gardes-suisses à la journée du 10 août^ 
ajoutera des détails pleins d'intérêt à ceux qu'on a déjà* 

'Note (I), page 2']8. 

Les notes jointes par Weber à ses Mémoires , contiennent sur 
le 10 août, sur les massacres de septembre , et sur l'infortuné* 
princesse de Lamballe , des particularités qui nous ont paru mé* 
riter qu*on les ^conservât. 

«c La jeune comtesse Pauline de Tourzel , dit-il , la comtesse de 
Soucy, mesdames Thibault, Terrasse , Lemoine , Bazire, deSt.- 
Brice et mademoiselle Ernestine Lambriquet , ont été épargnées el 
sauvées le 10 août , par la présence d'esprit de l'une des quatre 
premières femmes de la reine, qui, s'avaoçant sur les marches de 
leur porte , à la rencontre des assassins , dit à haute voix t 
Mes braves gens, n'aurez-vous pas pi lié des pauvres servantes ? 
Les tueurs se regardèrent et dirent à là fois : Elle a raison cette 
femme , il faut les sauver , nous vous jurons de vous ramener chei 
vous Saines, et sauves : et ils tinrent parole. Ils sauvèrent non*seu- 
lement toutes les femmes qui appartenaient au château, mais aussi 
M. le Monnier , médecin du roi. 

» La manière dont il échappa ce jour-là aux massacres commis 
dans l'iutérieur des Tuileries , mérite détre rapportée. 

» Pendant l'attaque du château , il n'était pas sorti de son cabi- 
net, et n'avait pas changé de costume. Des hommes, les bras teints 
de sang) heurtèrent rudement à sa porte ; il ouvrit : a Que fais-tu 
» là , dirent-ils , tu es bien tranquille 1 -;- Je suis à mon poste , 
» répondit Je vieillard. — Qui es-tu dans ce château ? — Je. suvf 
» le médecin du roi. — Et tu n'as j^s peur t — Et de quoi 1 je 
j> suis sans armes : fait-on du mal à qui n*en peut faire,? t- Tu 

» es un bon d : tu n'es pas bien ici., d'autres moins raisonna- 

» ^bies pourraient te confondre avec le reste. Oix veux-tu aller? — 
» Au Luxembourg. — Viens, suis-nous, et ne crains rien. » On 
le ût traverser des haies de baïonnettes et de piques , etc., etc. 
a Camarades, criait-on devant lui^, laissez passer cet homme^i 
» c'est le médecin çlu roi; mais il n'a pas peur ,. c'est, un bon 



348 ÉGLIIRGISSEMENS HISTORIQUES 

» d $ et il arriva ainsi sain et sauf au faubourg Saint-Ger- 
main. )» 

En parlant ensuite de ses propres dangers pendant les massacres 
des prisons , Weber ajoute dans ses notes. 

tt Le massacre des prisonnier» , qui commença le a septembre, 
avait attiré, autour des maisons de force , mille et mille specta- 
teurs de tout sexe et de tout âge ; ils applaudissaient tantôt aux 
«teassins qui portaient le dernier coup aux victimes condamnées 
pur le tribunal populaire , tantôt au petit nombre des personnes 
qu'il avait épargnées. 

» J'étais du nombre des dernières ; dès que les gardes eurent fait 
tourner leurs chapeaux sur la pointe de leur sabre, en criant:, 
Yive la nation ! nous fûmes applaudis à outrance j des femmes ^ 
me voyant en bas de soie blancs, arrêtèrent avec violence les deux 
gardes qui me donnaient le bras pour leur dire : Prenez donc 
garde, pous faites marclier monsieur dans le ruisseau. Elles avaient 
raison, car il était rempli de sang. L'attention de ces mégères m'é* 
tonna d'autant plus qu'elles avaient battu des mains, avec fureur, 
lorsqu'on avait égorgé ceux qui me précédaient.» 

Il rapporte dans un autre endroit les détails suivans : 

«c Le sieur Grétu , pensioonalre du roi et grenadier des Filles- 
Saint-Thomas, se glissa derrière la garde pour m'offrir ses services, 
au moment oit j'étais enfermé dans la chapelle en face de la 
table du président , qui m'avait fait subir mon premier interroga- 
toire. 

» Le même camarade m 'ayant rencontré , après ma délivrâinoe 
de l'hôtel de la Force, s'employa encore pour me faire avoir un 
pâsse-port , ainsi que pour me faire restituer les quarante doubles 
louis en dépôt chez CoUot - d'Herbois , et me proposa, k cet 
eîSet , de nie mener chèt celui*ci. 

' » Il nous reçut poliment, parce que le stenr Grétu avait été régis- 
seur, pour lé comte de la Montansier, dans une troupe de comé- 
diens de province dont le susdit président était un acteur trè»^ 
iùédiocre. 

» n nous dit que l'argent réclamé était entre les mains d.u corn- 
in&saiïc^ du quartier , â qui on avait fait parvenir, en même temps , 
Tordre de lever le scellé. Aptes mille jactances sur le rôle impor- 



V 



ET PIÈGES OFFIG1ELLE5. 349 

tant qu'il jouait, et fturles grands talens qu'il comptait déployer à 
l'avenir, il ajouta que tout ce qui s'ëtait passé depuis le lo août, 
n'était rien en comparaison de ce que Ton devait faire ; il se plai- 
gnit amèrement de n'ayoir pas été consulté sur la manière d'ap- 
prendre à la reine la mort de la princesse de Lamballe. 

» Ce monstre, soit pour me déchirer le cœur, soit qu'entraîné 
par sa fureur jacobine , il ne fît pas attention à moi, raconta, avec 
la joie et le sang-froid d'un scélérat consommé , que cette infortu- 
née princesse avait été assassinée en sortant du guichet de l'hôtel 
de la Fôrec ; que son corps avait été livré aux poissaides; que ces 
infâmes créatures s'étaient amusées à se faire des ceintures de ses 
entrailles ; qu'elles avaient traîné le cadavre nu dans tous les prin- 
cipaux endroits de la ville , et qu'elles avaient fini par guetter le 
moment oii la reine s'approcherait de la fenêtre pour hausser la 
pique et lui montrer la tête de son amie. U ajouta , en soupirant de 
regret, que , s'il avait ét( consulté, il aurait fait servir, dans un 
plat couvert , la tête de madame de Lamballe pour le souper dç 
la reine. 

» J'étais sans armes ; mes genoux fléchirent ; je frémis d^indir 
gnation et d'horreuï' , et Crétu, qui s'aperçut de mon état et du 
nouveau péril que je courais , me prit sous le bras et m'aida à sor- 
tir de cette maison jLnfemale. » • 

Weber ajoute ensuite : 

« Je ne puis me refuser au pénible devoir de rapporter ici plu- 
sieurs circonstances peu connues qui accompagnèrent et qui sui- 
virent la fin lamentable de la plus digne et de la plus chère amie 
de la reine. 

I» Troislettres €[tti avaient été trouvées dans le bonnet de madame 
et Lambtthe au moment de son premier interrogatoii^ , rendaient 
m perte presque certaine. Une de ces lettres était de la reine. 

» Ce iilit, do&t il n'est question dans aucun des Mémoires du 
tenvps , a été certifié parun oftcier de Mgr. le duc de Penthièvre , 
qmk avait , par l'ordre de ce prince , suivi la princesse k l'Hôtel^e*» 
YiUe. û entendit diflifietetneiit un des commissaires dénoncer ces 
■sdhenreusesilettt^s quf ^ en cfibt, furent d^^uvertes. Cet inâme 
drftwnôatstttf Êcwdétè «itachë huttansÀ ht prittcesse, m comblé 4ê 
ibîenfaitlk « 



4 



35o ' ÉCLAIRCISSEMENS HISTORIQUES 

» A^cette nouvelle , S. A. Mgr. le duc dePenthièvre écrivît le billet 
•uivant à Tun des admimistrateurs de ses domaines '\ 

« Je vous prie , mon cher de ***, s'il arrive malheur à ma belle^ 
9 fille , de faire suivre son corps partout oii il sera porte , et de le 
» faire enterrer au plus prochain cimetière , jusqu'à ce qu'on puisse 
» le transporter à Dreux. » 

I) Cet administrateur fit venir un officier duprince, lui donna com- 
munication du billet de son altesse, et a jouta : «Je vous charge, Mon- 
» sieur> de faire remplir les intentions du pnnce.» C*étail le i*^** sep- 
tembre , et il y avait une extrême fermentation. M. de ***^ fit venir 
trois hommes , dont deux ëlaient attaches au prince , et le troisième 
à sa belle-fille , et leur faisant prendre un costume qui les rendît 
méconnaissables pour les brigands qui se portaient déjà aux pri- 
sons , il leur donna une somme assez forte en petits assignats , et leur 
recommanda de ne rien épargner pour remplir les intentions de 
leur auguste maître, si le malheur voulait que Ion ne pût sauver 
la princesse. 

» Cependant elle avait échappéii la journée du 2, et l'on commen- 
çait à espérer, quand, le 3 , on fut informé que les massacres conti- 
nuaient; enfin, on vintdireà M.de'^** que ces scélérats avaient ter- 
miné les jours de l'amie de la reine , et qu*ili paraissaient décidés à 
assouvir sur ses restes palpitans leur iufemale rage. Ce fut alors 
que ces trois fidèles serviteurs, surmontant Thorreur que ces canai- 
bales leur inspiraient , se mêlèrent à eux , pour tâcher de leur en- 
lever le corps de cette infortunée. Les cannibales voulurent le poi^ 
ter d'abord à Thôtel Toulouse. On en vint prévenir les officiers du 
prince, qui frémirent à cette seule idée; cependant on ne voulut 
pas y opposer de résistance, on ouvrit les galeries , et on attendit 
en tremblant l'affreux cortège. Déjà ils étaient dans la rue de Clé- 
ry , lorsqu'un homme , frappé de la douleur que les officiers du 
prince allaient éprouver si leurs yeux étaient forcés de contempler 
cet horrible spectacle, s'approcha de Charlat qui portait sa tête, 
et lui demanda oii il allait? — Faire baiser à cette....... ses beaux 

meubles. — Vous vous trompez , ce n'est pas ici chez elle, elle n'y 
demeure plus, c'est à l'hôtel de Louvois ou^ux Tuileries. En 
effet , la princesse avait ses écuries rue de Richelieu et un apparie* 
ment au châtAu , ce qui n'empêchait pas que sa véritable habita-^ 
tion ne fût à l'hôtel Toulouse; mais heureusement , le» brigands 



ET PIÈGES OFFICIELLES. 55 1 

crurent cet homme sensible , qui épargna ainsi cette profonde dou- 
leur aux serviteurs fidèles du prince. Cette horde de barbares ne 
s'arrêta donc pas k lliôtel , et alla aux Tuileries ; mais on ne les 
y laissa pas etatrer; alors ils revinrent au coin de la rue des B&Uets , 
faubourg Saint- Antoine , en face du notaire , entrèrent dans un ca« 
baret ou on espérait leur arracher ce cadavre meurtri ; mais ils le 
reprirent et jetèrent le corps sur un monceau de cadavres près le 
Ghâtelet. Les émissaires de Mgr. le duc de Penthièvre se flattaient 
de l'y retrouver facilement, et ils ne s'occupèrent plus que d'avoir 
la tête. 

A Sa belle chevelure l'ornait encore y lorsque les monstres prirent 
une nouvelle résolution , celle de faire revoir à cette infortunée les 
lieux oii elle avait cessé d'être ; car , dans leur horrible délire , ils 
croyaient que les restes insensibles de leur victime pouvaient encore 
sentir leurs outrages. Au moment oii la tête passait sous la porto 
de la Force , un perruquier s'élança, et , avec une dextérité inima- 
ginable , il coupa les ti-esses des cheveux. 

» Les émissaires de Monseigneur le duc de Pcpthièvre en furent 
vivement affligés : car ils savaient que le prince aurait tenu infini- 
ment à conserver les cheveux de la princesse ; mais ils n'en devinrent 
que plus empressés à se saisir de ce qui restait; et, après avoir 
troublé entièrement la raison de Charlat^ ils le déterminèrent à 
laisser la pique à la porte d'un cabaret , oii deux entrèrent avec 

lui. On dit que le nommé P saisit cet instant pour arracher 

le fer qui transperçait cette tête; et, la mettant dans une servilette, 
dont il s'était pourvu à dessein, il avertît ses camarades, et se 
rendit avec eux à la section de Popincourt, oii il déclara qu'il 
avait, dans ce linge, une tête qu'il demandait à déposer dans le 
cimetière des Quinze- Vingts , et que, le lendemain, il viendrait 
avec deux autres de ses camarades pour la reprendre, et donnerait 
cent écus en argent aux pauvres de la section. 

» Ils rendirent compte à M. de *** de ce qu'ils avaient fait ; celui-ci 
leur recommanda d'aller le lendemain de grand matin à la section ; 
et, d'un autre côté, il fit des dispositions pour retrouver le corps. 
Une maison à moitié démolie avait servi à recevoir les restes de 
ces trbtes victimes. M. de ^'^^ n'épargna ni soins ni argent pour y 
trouver ceux de madame de Lamballe, sans pouvoir y réussir; il 
fit fouiller dans les décombres, mais sans aucun succès. Cependant 



35a ÉGLA.IRCISSEMENS HISTORIQIJES 

M. de *** y ne voyant pas revenir ceax qn'il avait envoya , com- 
mençait à suspecter leur fidëlitë , car il leur avait compté tout 
l'argent qu'ils avaient demande, quand on vint lui dire que ces 
trois hommes étaient arrêtés , comme ayant assassiné madame de 
Lamballe. 

• »M. de"^*"^, sans perdre de temps, courut à la section » et rendit 
hommage à la vérité d'une manière si persuasive , quâ les commis- 
saires de la section, non -seulement accordèrent la liberté aut 
serviteurs du prince , mais l'autorisèrent à enlever la tête de iti^~ 
dame de Lamballe. M. de *** se rendit au cimetière des Quinze- 
Vingts avec un plombier , fit mettre dans une boîte de plomb tout 
ce qu'on avait pu bonsérver de ces restes précieux , et les ût partir 
pour Dreux , oii ils furent places dans le même caveau qui attendait 
M. de Penthièvre. » 

Noie (3}j page 29a. 

\ Récit de la conduite du régiment des gardea^euiêeee à la journée 
du 10 août /79a y par M, le colonel Ffyffer d*Mtiahoffen , che»^ 
lier des ordre^nilitairee de Saint-Louis ^ de Saint-^Mauricê et de 
Sain^Lazare ; publié à Luceme eni8i^. 

On élève un monument à la mémoire des Suisse^ du 10 août; 
cet hommage leur était dû par des compatriotes qui ont le droit 
d'honorer leurs vertus. Il est juste qu'en même temps une plume 
fidèle retrace avec simplicité les faits héroïques de ces incorrup- 
tibles soldats qui ont péri sur les degrés du trône qu'ils avaieBl 
)uré de défendre ; leur courage aurait sauvé le monarque s'il avût 
pu l'être. 

Le titre seul de ce récit indique, l'intention de ne parler directe- 
ment que du régiment des gai des-suisses ; et Ion )ustifiera ce titre , 
en écartant autant que possible des souvenirs amers ; mais roubli 
du passé n'exclut pas la mémoire des grands services ; et si l'éloge 
du plus noble dévouement annonce qu'il y eut des coupables , cette 
condamnation muette n'altère point la paix publique/ eUe est sous 
un double rapport une dette acquittée envers la postérité. 

On a comparé la journée du 10 août à celle des Thermopyles. 
Les Spartiates combattaient pour leurs femmes, leurs enï&ns^ 



ET PIÈCES OFFICIELLES. ,355 

pour leur gloire , pour leur, patrie , pour les autels de leurs dieux; 
les Suisses, pour le sentiment du devoir , de la foi au» sermens, de 
l'honneur* de leur pays. Les Spartiates et les Suisses savaient 
d avance qu'ils marchaient à une mort inévitable ; ils l'ont ac^ 
ceptée de sang-froid , sans délibérer ni se plaindre. Mais les Spar- 
tiates avaient leur roi à leur tête , et ce roi n'avait pas ses propres 
sujets pQur ennemis. 

Pourquoi l'admirable dévouement des Suisses du lo août n'a-t-il 
pas eu le succès pour récompense? Dieu le sait : mais ce n'est |)oint 
murmurer contre la Providence, que de gémir sur une catas- 
trophe dont les suites ont si cruellement pesé sur la Suisse et sur 
l'Europe, . 

Dès le commencement de la révolution , la situation du régiment 
des gardes -suisses fut singulièi^ement pénible ; il était placé au 
fojer de Tanarchie ; les scènes les plus désastreuses se succédaient 
rapidement autour de lui. Les journées de Réveillon , des Champs- 
Ëlysées , des 5 et 6 octobre , n'étaient que les faibles préludés 
d'événemens encore plus sinistres et suirtout plus décisifs. Le régi- 
ment , environné de périls et harassé de fatigues , déploya , dans 
toutes ces circonstances, un caractère inaltérable de sang-froid, 
d'ordre et de discipline. Il conserva dans le service la ponctualité 
des temps calmes : on n'épargna rien pour en corrompre les sol- 
dats ; promesses , menaces , séduction de principes , exemple des 
autres troupes , tout fut employé ; rien ne les ébranla : leur fidélité 
jeta l'ancre au milieu de la tempête politique qui les investissait de 
toutes parts. Un décret de l'Assemblée constituante avait anéanti la 
discipline ; il n'eut jamais aucune influence sur le régiment : ce 
furent les soldats eux-mêmes qui réclamèrent le maintien de leurs 
antiques règlemens : le corps entier ne formait qu'une famille 
dont le çort et les intérêts occupaient également les chefs et les 
subalternes. Le major , baron de Bachmann , était l'ame du ré- 
giment. 

n est un genre de récompense qu'une conduite noble, ûère, 
conséquente, obtient toujours : partout oii un détachement des 
gardes-suisses se présentait , il était respecté , quelque faible qu'il 
fût. 

Cependant , la gravité des circonstances de la révolution allait 
toujovirs croisant, et chaque )Our augmentait^ les fatigues des 



354 ikCLÀlRCISSEMEIIS HISTORIQUES 

troupes fidèlet (;i) : une catastrophe inëTitable et prochaiiie ëtaic 
prévue de tout le monde> Cette considération détermina les offi-* 
diers, qui étaient autorisés à aller jouir de leur semestre en Suisse , 
à y renoncer pour rester auprès de fe personne du roi (a) , afin de 
partager le sort de leurs camarades ; mais on leur fit connaître que 
Tintentlon formelle de Sa Majesté s'y opposait : ce malheureux 
prince cherchait à éviter l'ombre même de ce qui aurait pu donner 
du soupçon. A mesure que le danger devenait imminent, et que 
]?on approchait de* la crise , le caractère de loyauté du régiment se 
prononçait davantage (3) : le sort qui l'attendait était connu de 



^ (i) Depuis loQg^terops on o^avait plus fait de nomîn!«tions dans le re- 
giftieot des gardes^ los olBciers morts, retirés ou démissionnaires nM» 
liaient pas remplacés ^ ce qui rendait le service excessivement fatigant. 
U est arrivé plusieurs fois qu'un oi&cier, sur un mois, était trois se* 
ipaines de garde. 

• (à) Tous les offieiers du corps avaitfnt résolu de rester auprès de la 
personne du roi. M. le comte d'Aflfry, chargé par rassemblée des capi- 
taines d'émettre ce. vœu au ministre de la guerre, crut devoir insister, 
inalgré les représentations de M. Dumourtez ; mais il reçut de S. M. 
rordré formel que tous les officiers portés sur-lti liste des semeslrien 
eussent à partir. 

(S) Lettre de MM. de Durler et de Pfyffer i Tancien goi^vememeak 
^e la ville et république de Luceme . 

<c Souverains seigneurs , un décret rendu le i5 de ce mois, par lecpid 
Xe pouvoir exécutif était chargé d'éloigner de PAssemblée nationale, 
au moins à la .distance de trente mille toises, les troupes de ligne en 
garnison à Paris et dans les environs , nous donne quelque soupçon qu^il 
serait possible que Ton entendit nous comprendre dans c^tte détennir 
nation , quoique fausse à ndtre égard. 

» Aujourd'hui il ne nous reste plus un doute sur tout cela ; nous som- 
mes prévenus des ordres que nous allons recevoir, de nous porter ail- 
leurs ; mais nous ignorons encore en quel endroit, et si cela regarde la 
totalité du régiment.' Nous supplions VV. £E. de vouloir bien nous 
donner les instcuctions les plus promptes et les plus positives , sur la 
conduite que nous avons à tenir dans les deux cas , dont Tun va arriver, 
et que voki : on le régiment aura ordre de marcher en totalité et d'à- 
hflndoimer.par conséquent la garde- du rpi| ou de .ne* marcher qn^urec 



ï:T PitCES OFFICIELLES» 355 

^Katun ; mais tous Voulurent mourir plutôt que de (x>»i)pr6mettre 
rhonnbur et h réputation des Suisses , et de souiller des drapeaûic 
sans tache. 

De tous c6tés il arrivait des rapports sur les intentions hostiles 
des Marseillais , et Ton manquait de munitions (i). Depuis long- 
temps , les canons du régiment avaient été livrés sur Tordre supé- 
rieur, contre lequel le coi-ps des officiers avait en vain protesta 
Les menaces des fédérés obligèrent les chefs à consigner les soldats 
dans les casernes ^ on voulait éviter des querelles particulières qui 
pouvaient avoir des suites fâcheuses , et fournir des prétextes k lai 
malveillance. Les officiers profitèrent de ce temps de retraite pour 
retracer aux soldats leurs devoirs ; ils le firent avec confiance et 
simplicité ; ils leur montrèrent Tapproche de Torage ; ils leur dirent, 
que le temps était yemi oii leur fidélité serârit mise à la plus rude 
épreuve. Il faut le dire à l'honneur de ces braves , les exhortations 
étaient superflues; pas un seul n'hésita. 



Hl* 



les deuX'tiers oa )a moitié du régiment ^ dans te premier cm, nous som« 
mes décaraëlérisés en perdant la garde da roi; dans le second, nous 
faisons ce que nous avons souvent fait, làais dans des cas absolument 
4i4<ir^os en tout point. Kotre ét^t était certain et assuré; aujourd'hui il> 
est purement précaire, et déjà prononcent tenir plus h la tnaiton du roi! 

V l^ous pensons que citait \cà,,et nullement ailleurs, que nous, de- 
vions attendre la finale de notre «ort, que nos souverains, de cpnc^rl 
avec le i-oi, auraient dunnée à notre corps. 

» V V. £Ë. voient le malheur et Tembarras de notre situation j leur^ 
bontés accoutumées nous en tireront, d'une manière ou d'autre > par 
«les ordres positifs que nous exécuterons sur-le-champ , et que nous 
|>'renons la liberté de leur detadander ici avec instance , en les priant de 
continner a nous honorer de leur protection et bieâveiltance. 

» ]Soa9 sommes avec re^ect, etc, J. de Dukler , capitaine; 

L, Pft7fc;r D*Ai.TisfiOPFEv , capitaine, te 

(i) Le dénuement absolu de tous moyens de défense, engagea les of- 
ficiers à demander des munitions au comte d'Affry, leur colonel ; ce- 
lui-ci , trom|)é sans doute par les {iroînesses astncieuisés des chefs de 
j^^i^l i répondit que lé régiment ne saufrait courir aucun rièqiîé , et que 
Vàh devait être trânquUlë ^ùr le conipte des MairseillaisY éq èorté que 
cette detbàttdé tirent ]|(f'oiàt' d'antre suite. 

a3* 



S56 ÉCLAIRCISSEMiSNS HISTORIQUES 

Cette situation , que les âmes gënëreuses peuvent seulesçbteii 
comprendre, dura plusieurs jours. Le 4 août, le régiment reçut 
ordre de se porter sur Paris. (L'on savait que les fédérés et les fau- 
bourgs devaient attaquer le château des Tuileries.) Le régiment 
partit la nuit des caserne^ de Courbevoie et de Ruelle , après avoir 
enterré une partie des drapeaux (i). Le marquis de Maillardoz> 
lieutenant-colonel , et le baron de Bachmann , major, vinrent au- 
devant de lui jusqu'au pont de Neii^Hy ; le corps marchait dans lé 
plus grand silence, avec leâ mêmes précautions qu'on prend en 
temps de guerre, en pays ennemi. Ce silence, un ordre admira- 
ble , la contenance ferme et froide des soldats en imposèrent sans 
doute aux factieux , et comme tout fut tranquille au château , la 
mênf e nuit , le régiment retourna aux casernes ; le lendemain 
on en détacha trois cents hommes qui fusent envoyés en. Nor- 
mandie (a). 

Depuis le 4 août jusqu'au 8 ,1a fermentation se développa ; dans 
tous les carrefours les émissaires des conspirateurs ameutaient et 
soulevaient le peuple ; on les entendait provoquer publiquement 
au meurtre , au siège des, Tuileries , au châtiment du tyran. 

On s'arrête à ce mot de tyran. • 

Le meilleur des rois a été le plus malheureux des hommes ; 
doué d'un esprit juste et même d'une raison supérieure, étranger 
aux passions qui égarent la jeunesse , inaccessible à tous les genres 
de corruption des cours , bon , simple , économe , religieux, sévère 
envers lui-même , indulgent pour les autres , Louis XVT porta sur 
le trône toutes les vertus d'un magistrat et d'un sage ; il aima son 
peuple comme un père , et tous ses devoirs comme un chrétien. 
Mais Thistoire de sa vie ofire, dans plus d*un sens , des leçons à 

tous les princes ; plus confiant dans son opinion personnelle , plus 

* 

(i) M. de Gibelin , aîde-major , et le soldat Koliker, enterrèrent les 
drapeaux des compagnies dans les caves de Courbevoie. Ils doivent s*j 
trouver encore. On ne garda qu'un drapeau par bataillon , et le drapeau 
blanc de la générale. 

(a) Le détachement de trois cents hommes dont il est question était 
commandé par M. de Karrer \ les of&ciers qui s'y trouvaient étaient 
MM. deRusconi, de Hertenstein, de Blumentbal, de. Mercier, le ba- 
ron de Billieux, le comte Charles d'Aifry, etLendy, adjudant. 



ET I^IÈGES' OFFICIELLES. 357 

capable d'une volonté constante , plus énergique contre le crime , 
mieux soutenu par son caractère contre les séductions de sa bonté, 
Louis eût yécu long-temps pour le bonheur de la France ; la puis, 
sance d'un grand caractère est le premier besoin des rois. 

Le 8 août, sur les dix heures du soir, M. d'Erlach, capitaine 
de garde ^ remit à M. Glutz , aide-major, un ordre conçu en ces 
termes : « M. le colonel ordonne que le régiment soit rendu de- 
» main , à Xxo\s heures du matin , aux Tuileries. » 

MM. de Maillardoz et de Bachmann avaient reçu cet ordre de 
M. Mandat , alors commandant-général de la garde nationale de 
Pans. On fit le partage des cartouches aux casernes, et l'on ne 
put en distribuer trente par hommes ; tout le monde marcha : ceux 
que leur âge exemptait du service voulurent le faire ce jour-là ^il 
ne resta aux casernes que les malades et les fourriers. A la porte 
Maillot , une ordonnance, venant de Paris, remit au commandant 
un passe^port signé Pétion (i). ' ' 

La nuit suivante , celle du 9 au 10 août, MM. Mandat, de Màil-r 
iatdoz et de Bachmann fifentoccuperks divers postes du château 
par les gardes 'nationales et par les Suisses; on en plȍa dans la 
cour, dans la chapelle et à la porte royale. Le baron -Henri de 
Salis, comme le plus ancien capitaine du' régitnent, eommandah 
les postes de$ escaliers et de la cour de la reine. U avait sous ses 
ordres le chevalier de Gibelin, sous«*aide-major. La réserve de 
3oo hommes, commandée par M. le capitaine de Durler, ayant 
so)is ses ordres M. de Pfyffer-d'Altishofièn y capitaine, et M. de 
Glutz ^ aide^major, était placée dans la cour des Suisses, pour se 
porter oii l'on aurait besoin d'elle. 

La gendarmerie à pied avec une partie de la gendarmerie à 
cheval vint se ranger dans la cour; ne s'y ti'ouvantpas placée 
commodément, ils allèrent se mettre en bataille près du Palais^ 
Royal, et une partie d'entre eux finit par charger les Suisses dans 
leur retraite. 

Des genlilshommcs et des personnes attachées au roi s'étaient 
rendus en grand nombre au château, armés d'épées et de pistolets. 
On ne peut que louer leur intention ; elle était excellente ; on doit 



>*♦* 



(0 ^(crte JupaMe-port: te Laissez passer les' Saisses, pour renforcer 
|et postes des Tuileries. Pétion, maire. » 



359 ÉCLAlBGI9S£M£r«$ 9iSXQ«IQUES 

dësapproaverl^ur démarche etayouer qu*araiés comme ikrétiil«i^(, 
fis ne pouvaient qu'embarrasser la défense , en même temps qu'ib 
inspiraient de la méfia noç à la garde nationale. 

A onze heures du soir, on avait reçu l'avis que le tocsin sérail 
sonné â minuit , et bieni6t on eut connaissance au château de 
Tarrâté du iaubourg Saint-Antoine , dont voici les principaux 
articles i 

<c Assiéger le château , y exterminer tout le monde et surtout 
» les Suisses; forcer le roi à abdiquer, le conduire avec la reine 
» et la famille royale â Yincennes^ pour s'en servir comme otages^ 
» dajAS le cas oii les étrangers se. porteraient aur Paris (i). ï> 

A mimiit, on entendit sonner le tocsin et battre la générale. 
M. de Bachmann s'assura que tout était en ordre ;< il donna des 
instructions aux officiers $ il envoya les ofiloiersrmaiors visiter les 
postes* Qlepidâ ce moment , ce bmve efficier ne quitta pas le roi un 
seul instant, et l'Europe sait qu'il a eu le laeme sort que œ 
prince^ ' 

Le son lugubre du tocsin, loin de décourapr kà soldats., lei 
aidimait davantage. A deux heures du matin, quatre l^a taillons 
des. faubourgs étivient déjà arrivés sbr la plaoe du Carix>usel; ils 
«'attendaient que. leurs complices « peur «xéoàter' kiun «ho^ible 
projet») 

' Entré quatre et cinq heures'». Mi Mandat reçut l'otdsè • de se 
rendre à la commune. On l'attendait pour l'égorger sitrles degréi 
de l!Uôtel-die<' Ville; on savait qu'A avait dans'sa poohe l'ordre signé 
Péiioni de repousser la foreë poil fat fo/ce, et l'oii voulalit par ce 
meurtre soustraire cette pièce écrite à k publicité. 



{}) Afïp de. se mettre ^ cçmvçrf,,^nçl}c,que.f0t ri^snp^.dç.la.ioiii^çe, 
Pëtjon s^e'tait rendu au château ; mais rhenre cù Ip to.cçm devait soQ" 




ter. Celui-ci, a la tôte d*un détacnçinent , le p|*it soùsie bfas; les gardes 
^'atiôtiàiix mètiaçaietit I^étiôÂ iqiii était (rembtant, pâle et défait. M: de 



Salii Y cherchant a le raoîmer, lui dit avec bcmhomie : « Soyes tran- 
» quille y M. Pétion, j^i^vous proip^M ^^ If prevpier qui voi^s.tuera sera, 
V tc^ le rnoment après. » 



ET PIÈGES OFf'iGIELLËS. ' SSq 

Vers les six heures du matin, le roi, tenapt par la iBaîn monsel"- 
. gaeur le dauphin, descendit dans la cour royaJe , accompagiië de 
quelques chefs de division et commandans de bataillon de la garée 
nationale, et de MM. de Maillardoz et de Bachsiann (i); il passa 
d'abord devant la garde nationale , ppis devant les Suisses qui 
crièrent : P^iue le ixù/ Un bataillon armé de piques, qui entrait eti 
ce moment dans la cour, criait à tue tête : Pîpe îa nation! Il en 
résulta une discussion assez vive , à laquelle les canonniers de la 
garde nationale surtout prirent beaucoup de part. M. de Durler 
parvint uëanmoii^s à les calmer, en leur représentant dans son 
singulier langage que le roi «t la nation ne faisaient qu'un. Gepexi- 
dant le bataillon , qui venait d'entrer dans la cour, reconnut 
qu'il n'était pas à sa place, et alla se ranger parmi ses pareils. 

Un moment après, M. Rœderer, procureur-général syndic-, en 
écharpe tricolore, ainsi qu'un autre memhje de. la commune, et 
M. de Boissieux , oificier-général, parco,Mrui;ent les.postes; ils pro- 
clamèrent verj3alement l'ordre quel'oaavait déjàjreçu par éciit (s), 
de défendre le château , et de repousser la.fonce.fMur la forœ. Alovs 






(i) Ce même cortège milita ire recotiduisit le roi au château.* S$a Màf- 
j«^té j rentrait, iorsqu'une'drputatioa'dela garde nationale, qui aurait 
à sa tête M« Hcs^erer, M« de BeaunKtze^ un autre membre 4u déparM- 
ment, vînt sollicilef le roi de se rendre dans ]<* seio.de i'Asserablée na- 
tionale. M. de Gibelip ^ qui .cpjinaissaitJM^ ..dfi Beaumetz , ancien. prési- 
deot du conseil d^Artois, lui dit : « Monsieur, croyez-YQUS sauver les 
» jours du roi en le menant àrAssemble'e?») — M. de Beaumetz répon- 
dit : <t Si je croyais le roi plus en sûreté' ici, je me mettrais dans .TOJf( 
» rangs, afin d y mourir pour lui. » A Tinstant, M. de Bachmann se. re- 
tourna vers M. de Gibelin et lui dit : u Si le roi va à PAssei^blée, il est 
j» perdu. 3) Ce sont les dernières paroles que les camarades de ce ver- 
tueux chef aioot recueilli de sa bouche. , 

(a) Texte 4ie ta pratlemiaiioni « Soldats, an attroupement va 8e|>Ttf- 
M vscnt(|r ^ il est enjoint :è nous , officiers de 4a loi , par 1« déoret du 3 oc- 
»4pbre, de requérir la garde nationpjU, et a vous, troupes. de 'ligne, de 
■ » vo))[^ .opposer, à c^t atlroupement , c5t de repousser la forée parki 
» force. » Cette .proclaaa^^oo a^été >Gommtinii|uéa au rédaoteiir.tMi'âe 
J>fyfijs|r d'A^islàf^iTen ) par 4e brave Dfm, stngettl-m«|dr dés gardes- 
fj^itfe^ y 4iyp4|rd'buJL ^fllcier, pensionné. ÂSolount«. . 



36o éCLAIRGISSEMENS HISTORIQUES 

des gardes nationales,* qui n'avaient pas chargé , chargèrent leurs 
fusils, et les canonniers leurs pièces (i). A sept heures les mur- 
mures recommencèrent , et des bataillons entiers de gardes natio- 
nales allèrjent re)oindre les séditieux. 

Entre huit et neuf heures, le roi se détermina à se rendre dans 
le sein de T Assemblée nationale avec toute la famille royale et 
quelques gentilshommes. Il était escorté de deux bataillons de 
gardes nationales et des gardes-suisses de garde, avec MM. de 
Maillardoz,de Bachmann , de Salis-Zizers , aide-major (2), Ghollet 
et Allimann , ad)udans. La reine fit d'inutiles efforts pour empê- 
cjier ce funeste départ , après lequel la résistance la plus héroïque 
ce pouvait plus avoir un heureux résultat. M. de Bachmann 
l'avait prévu et L'avait dit. 

'Ce départ fut décisif pour les gardes nationales qui occupsûent 
rii^térieur du château et les cours. La plus grande partie aban- 
dojjina les Suisses ; les uns allèrent joindre les bataillnns des faii- 
boui*g9, d'autres se dispersèrent. Tous, cependant, ne partagèrent 
pas cette, défisction. Parmi ceux qui restèrent fidèles , il faut citer 
la presque totalité des grenadiers des Filles-St. -Thomas. 

L'armée de Santerre se mit en mouvement, ses canons en tête, 
et bientôt on la, vit s'avancer vers les portes du château^ 

Le maréchal-de-k^mp de )Our, se voyant presque seul avec les 
Suisses, jugea* qu'il ne pourrait conserver les cours avec si peu 
de monde ; il cria : « MM. les Suisses , retirez-vous au château (3^. » 

(i) Il y eut un grand nombre de canonniers qui refusèrent de char- 
ger leurs pièces. Un officier suisse, M. Taide-major Glutz, proposa de 
s'en emparer, en faisant observer qu'on s'en servirait probablement con- 
tre les troupes fidèles^ des volontaires se présentèrent pour faire ce coup 
de main: On crut impolitique et dangereux d'y consentir ; l'événement 
prouva qu'on n'aurait pas dû hésiter. 

(3) M. de Salis-Zizers fit former les troupes en bataillon carré autour 
delà fapille royale, pendant qu^on traversait diagonalement le jafrdin 
pour se rendre a l'Assemblée ; une horde de canhib^les ,* portant la tête 
'àe.ïSi, Mandat au bout d'uile xitqae, força' la porte du. côté de la ter- 
rasse, prés du café de Floré< M. de Salis fit faire' halte. La contéôance 
du]>ataillon en imposa aux brigafïds ,et ih te retirèrent.' 

(3) A la célétbre retraite de Meaux , les Suisses purent çaieux et plus 
librement dbposer de leur courage. Le colonel L<Miis P^yfier entra an 



Et PIÈCES OFFICIELLES. 56 1 

Il fallut obéir , laisser six pièces de canon au pouvoir de l'ennemi , 
et abandonner les cours. On aurait dû prévoir qu'il faudrait les 
reprendre , sous peine A'étre brûlé dans le château ; de simples 
soldats le disaient très-haut. Cependant Ton obéit , et Ton prit les 
dispositions que le temps et les localités pouvaient permettre ; on 
garnit de soldats les escaliers et les croisées du château ; le premier 
peloton fut placé à la chapelie , c'est-à-dire un peloton de grena- 
diers des Filles-St. -Thomas en première ligne, et les Suisses eii 
seconde (i). 

M. le capitaine de Durler trouva au premier appartement , en 
face du grand escaRer , M. le maréchal de Mailly qui était avec 
M. de Zimmermann, lieutenant de grenadiers et officier-général'. 
M. le maréchal ayant annoncé à M. Durler qu'il était chargé , de 
la part du roi , de prendre le commandement du château , M. de 
Durler lui demanda ses ordres: de ne pas ifous laisser forcery repar- 
tit le maréchal. M. de Durler répondit qu'on pouvait y compter.Ge 
fut le seul ordre queles Suisses reçurent de ce maréchal de France, 
et l'on ne saurait leur reprocher de ne l'avoir pas suivi à la lettre. 

Pendant que M. de Durler parlait avec M. le duc de Mailly, il 
yit distinctement par la fenêtre le portier du roi ouvrir la porte 
royale aux Marseillais; ils entrèrent peu à peu, élevant leurs cha- 
peaux, et faisant signe aux Suisses de venir les joindre. Un de la 
bandé, plus hardi que les autres , s'approcha d'une fenêtre et lâcha 
un coup de pistolet. Le sergent Lendi allait répondre à cette inso- 
lente' provocation ; les officiers le retinrent; 'mais cet acte de modé- 
ration ne servit, comme à l-ordinàire, qb'à énhardii: lès assail- 
lans (a). 



coinyeil et y parla avec fermeté :.8on •avi9 devint celui do conseil qui 
confia le roi à ses fidèles alliés^ CbaKes IX fut sauvé* Ce- prince avoua 
« que sans ses bons compères les Suisses, sa vie et sa liberté étaieirt en 
» grand branle* » . . tt .. 

(0 Les:coimpagnies d^Âffry,. Salis, Dliesbach et. Pfyffer, prirent poste 
dans, la grande gali^rie j en face du Carrousel '; les grenadiers sur le grand 
escalier.: 

(3) Les officiers firent des efforts incroyables pour empêcher tonte 
agression ; les soldats» outrés de tant d^in|ures, étaient très «difficiles è 
contenir. 



56a ÉCL41RGiSS£M£KS HJ(STORIQUES 

£Infin toute la colonne ennemie entra et pkçjÉ ï«es canons ca 
batterie ; on égorgea des sentinelles suisses qui étaient placées au 
pied du grand escalier o\\ les premiers Marseillais reontérent au 
pQSte delà chapelle, le sabre à la main, MM- de Durler, de Beding, 
Joseph de Zimmermann,et de Glutz,aide-ma}or, aecoumrent pour 
faire placer une barre en bois en travers de l'escaUer. M. de Boisr 
sieux voulut haranguer les assLtllans , mais d'afireux hurlemens 
couvrirent sa voix; enfin quand ceux-ci virent que leur tentative 
était inutile , ils se retirèrent en accablant les Suisses d'in- 
jures (i), 

Yoici quel était Tétat des choses ab momeiltèii le combat allait 
commencer. Sept cent cinquante Suisses répartis sur plus de vingt 
postes; deux cents gentilshommes sans armes, «{uelques gardes 
nationales restées Hdèles, toas sans commandans en chef, sans mu- 
nitions , sans canons , attaqués de toutes parts par près de cent 
mille hommes d'une populadie furieuse , ayant avec ell6 5o pèces 

4 ' ' I T ' - - - ■ . , - : .. . i t i i , , .. à M , m I ■ 

(i) L'adjudant sirisse, Hôufih, qui sVtail avancé pour tâcher de cal- 
mer les assaillans , fut siiisi et dépouillé tic ^és habita : on allait lui tran- 
cher la tête, an moment où \\ fut délivré par ses camarades. Un des 
commandahâde la troupe de Satit^rre , acieién garde^française, s^ap- 
prochade la barre ^ et demanda à parler au commandant des Suisses. 
M. de X)urler sVtant présenté) il voulut rengager à se joindre à eux, 
lui prorpettaxit qu'il serait hÎQii traité.; mais voyant qiie ses paroles 
ét^lic^nt ^ns .eflet sur cet «çflicier , il tira* son saln*^^ en l'accablant d*itf> 
jiires; au.oiârpe instant', un autre ancien gacde-fraoçaise darda un coup 
de pique contre M. de Durler qui le para froidement avec la muin. 

On avait assuré aux soldats que Tintention des Marseillais se bornait 
à les désarmer. Le sergent Blaser s'ava^ice vers caz avec quinze grena- 
diinrs, etieuf dit : a Qu'ils ^vaimit qu'on voulait tes désarmer ; qu'ils 
» ne croyaient pas «jue Ih coinduite du régiment pentiani la révolutioB 
« put mériter UB tel afirout.; q^ie, si Ton ire voulait plus du régiment, 
» on pouvait le renvoyer légalement; mais qu'ils ne 'H|uitlcrairiit pas 
» ieor )ioste^et ne se laisseraient pas désarmer j qu'ils étaient Suisses , 
]» etque les Suisse» n'abandonneraient leurs armes qu^avecla vîeé » Ces 
paroles généreuses agirent no instant sur l'imagination mobile dé6 M.ir* 
scellais; ils 'enétent : f^iptniiêV iSuUics! notai hé les iléitifmêroku pas. 
Mais etft-^aft Ae dura guère; «ar^ oli mottthii apV*éf« /t>n déitiriiia de 
force douze factionnaires. 



d'artillerie. C^te populace se sentait encouragée par le corps lé- 
gislatif, et disposait de la ^uaicipalité, 

La troupe de Santerre fit une décharge qui blessa plusieurs sol < 
dats. Les grenadiers des Filles-St.-Thomas ripostèrent , et les 
Suisses suivirent leur exemple. Les Marseillais répondirent par 
une décharge générale d'artillerie et de raousqueterie, qui coAta 
k yie à beaucoup de monde. M. Philippe de Glut2, lieutenant des 
grenadiers, fut tué , et M. de Gastelberg eut la cherille du pied 
fracassée (i). ^ 

L'action dwint générale; elle se r.écîda bientôt en faveur des 
Suisses. Le feu des croisées et celui de la rései*ve de M. de Durler 
lurent très-meùrtriers. EnpeU de temps la cour se trouva évacuée; 
elle était jonchée de morts , de mourans , de blessés. 

MM. de Durler et de Pfyfler firent du château une sortie de cent 
vingt hommes ; ils prirent quatre pièces de canon , et redevinrent 
maîtres de la porte royale. Pendant qu'ils traversaient le Carrou- 
sel , un autre détachement , sous les ordres du capitaine Henri de 
Salis , s'empara de trois canons qui étaient à la porte du manège , 
et les amena jusqu'à la grille du château; de-là , ce second déta- 
chement alla rejoindre le premier, sous le feu de l'artillerie qui , 
de la porte de la cour de là reine , tirait sur eux à mitraille. Les 
Suisses réunis portèrent l'épouvante et là mort parmi les asââil- 
lans ; la cour royale fut couverte de morts ; ils enlevèrent une partie 
des canons de leurs adversaires, et réussirent à les conserver; mais 
ils nq parvinrent pas à f^iire t^ire un feu à ii^itrallle qui, d'une 
petite terrasse placée vis-à-vis clu corps-de-garde des Suisses, ploUf 
geait sur la oour, Royale. Cçs braves, soldat^ çssjuyaite^.t;^ un, feu 
i:pQurtijLpr,.av,ec le s^ng-fjcoid, ^t la tranqu^li]^ di^ çpur^ge^ L^ 
détacI^^i^^.étaientiCiûblés, n^is se ralliaient toii^joiu^.de «^uyeaiA. 
Après d£> . effi) ris presque , diraillfiurcttt , leBi . S utsdsa . reslièretll lès 
ikMUktrea du champ de bataille; le» aoiklat8< traîhèiieiitleé.easiovls 
pm-auaèBsemis; les officiers yicontribuèfteni; paHctoton débattit 
areo 'ufir égal acharnement ) partout rennënii ébit repouif&i^ , et les 



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(i) M. de Castèlberg, massacre sur lès degrés Bu grand iescaliler^ fen- 
dit ïkit\e h un M<4r8èillats d^dn coup de sabfe, un moment avant a^'eir 



pircr. 



364 ÉCLA^lRCISSËMENii HISTORIQUES 

Marseûlais, qui formaient les têtes des colonnes d'attaque, sonf-^ 
fraient prodigieusement (i). 

Mais les Suisses voyaient avec anxiété approcher le moment oii 
Vépuisement des munitions allait les laisser exposés au ieu de l'en- 
nemi^ sans aucun moyen d'y répondre. 

Dans cet instai^t critique, M. d'Hervilly (tué depuis pour la cause 
Royale à Quiberon) arrive sans armes , sans chapeau , à travers des 
coups de fusil et de canon. On voulait lui montrer la dispositioi^ 
qu'on venait de faire du côté du jaixlin. a II ne s'agit pas de cela , 
» dit-il , il faut vous porter à l'Assemblée ». On crut pouvoir ^or- 
core être utile à cet infortuné monarque , et une voir (c'était celle 
du baron de Yiomesnil, frère aîné du maréchal de ce nom) , une 
voix qui cria : Oui , braves Suisses , allez trouver le roij pos aurt 
céires Vonifait plus d*une fois , confirma cette trompeuse espé- 
rance. • 

Il fallait chercher à se rallier ; on réunit les tambours qui n'a- 
vaient pas péri. On fit'battre l'assemblée , et malgré la grêle de 
balles qui tombaient de toutes parts , on parvint à ranger les sol- 
dats comme 4 un jour de parade (a). Pour couvrir la retraite (3), 

(i) Quinze Marseillais qui feignaient d^étre morts, vnjrant les Suisses 
s^aTancer vers eux, se jetèrent à genoux en demandant la vie. M. de 
Durler fut oblige de se précipiter au-devant des soldats, pour soustraire 
ces Marseillais a leur vengeance. 

(a) Un témoin oculaire m^a assuré qu'il n'avait pu se lasser d'admirer 
le sang-froid du capitaine Pfy fier qui allignait ses soldats comme àPexer- 
éice. 

' ' (3)' Les officiers i^iii se trouvèrent alors réunis étaient MM. de Salis- 
Zizers, de Dnrler, 4e Pfyfier, capitaines^ de Zimmermann, maréchal de 
eamp^et lieutenant de grenadier», Alexandre deZimmermann,deGlatzet 
àé Gibelita, offieier» majors^ Joseph de Zimmermann, de Luze^ de Gross, 
Ignace de Matttardoz, lieutenan»; de Itv Cbrbière et de Ga^tella , ensei- 
gnes 4 d'Ernest, de Diesbach de Steinbrugg et Deville , sbos-lieutenans. 

(Pendant que Ton battait l'assemblée , Fridolin Hefllli , de Enoetbuel, 
Canton de Glaris , sergent de la compagnie de Besenval, homme d'une 
force prodigieuse, fut blessé d^un boïilet dé canon qiii lui fracassa k 
cuisse^ ses camarades accoururent à son secours : au moment où les 
tambours battirent il leur dit : a N'entendez-vous pas qu'on rappeUff 
> Allez à votre devoir et laissez-moi mourir, a 



' ET PIÈCES OFFICIELLES. 565 

on ipointa deux des pièces enlevées aux assaiUans,.et qui se trou * 
vèrent encore cbargdes contre le yestibule , à côté de la grille. 
M. de Durler y plaça deux hommes , avec ordre de lâcher leurs 
coups de fusil sur la lumière, si l'on était poursuivi (i). MM.deRe- 
ding , de Glutz et de Gibelin aidèrent quelques soldats à trans- 
porter une pièce de canon sous le vestibule. Ce fut dans ce mo- 
ment que M. de Reding eut le bras cassé d'un coup de cara-» 
bine (a). 

• La traversée du jardin fut excessivement meurtrière ; il fallut 
soutenir un feu très-vif de canon et de mousqueterie qui partait 
de trois points diûerens,la porte du Pont-Royal, celle de la cour 
du manège et la terrasse des Feuillans. M. de Gross eut la cuisse 
cassde d*une balle ; il tomba près du bassin , auprès du groupe 
d'Aria et de Poe tus. 

EnBn, Ton arriva dans les corridors de TAssemblde nationale. 
Le baron de Salis , emporté par son ardeur, entra dans la salle du 
corps législatif, Tépéenue à la main , au grand effroi du côté gau- 
che de l'Assemblée ; les députés qui le composaient crièrent : Les 
Suisses y les Suisses; et plusieurs cherchaient à se sauver par les 

fenêtres. 

-■ - ■ ■ I ' ■ I I <i» 

(i) Au momept où M. de Durler donnait cet ordre, un grenadier le 
poussa rudement de côté en criant : On pointe surnous. En effet, le bou- 
let viot frapper le degré sur lequel ce capitaine était placé auparavant 

(a) On cotieha le mieux qne Ton put M. de Aeding sur les sacs des 
soldats morts ; il fut reconnu par un tailleur.de Paris qui Taffubla d'une 
redingote, et le transporta chez un chirurgien \ malheureusement 
une lettre interceptée fit découvrir son asile et il fut transféré à FAbbaye 
où il a été massacré de la manière la plus cruelle. (Voir Tagonie de 36 
heures). 11 était frère d'Aloys de Reding, landamann de Schwyz, dont 
le nom et les services seront immortels dans les Annales de la Suisse j de 
Théodore de Reding, qui acquit tant de gloire en défendant Tindépen- 
dance nationale de TEspagne, et de. Lazare de Reding , lieutenant -gé- 
néral et ancien gouverneur de Majorque. Aux Champs-Elysées , quand 
le peuple assaillit à coups de pierres le régiment royal-allemand, M. ^e 
Reding arracha vivement la mèche des mains d'un canonnier qui allait 
mettre le feu à la pièce. Il faut louer ce trait indélibéré d'humanité , et 
avouer en même temps que , si ce coup eût été tiré, il aurait pu produire 
de grands changemens. 



366 ÉcLAiRaâSEifieirs jaistobiques 

Un député Tint ordonner au commandant de faire mettre Kaslei 
armes à sa troupe; celui-ci refusa de le faire. On conduisit M. dé 
Durler auprès de Sa Majesté. Il dit au roi : Sire, on peut que je mette 
bas les arme*. Le roi lui dit : a Posez-les entre [es mains de la 
» garde nationale; )e ne veux pas que de braves gens comme 
» vous périssiez. » Un moment après , le roi lui envoya un billet 
de sa propre main conçu eu ces termes : Le roi ordonne aux 
Suisses de poser les armes et de se retirer aux casernes (i). Cet 
érdre fut un coup de foudre pour ces braves soldats; ils criaient 
^'ils pouvaient encore se défendre avec la baïonnette; plusieurs 
pleuraient de ragej mais dans bette affreuse extrémité, la discipliné 
et la fidélité prévalurent , tous obéirent. 

Cet ordre de quitter leurs armes et de se livrer ainsi sans défense 
à des tigres altérés de leur sang , fut le dernier sacrifice que Ion 
exigea des Suisses. 

On sépara les officiers d'avec le» soldats ; ceux-ci furent con- 
duits à l'église des Feuillans ; les officiers furent déposés dans la 
salle dos inspecteurs ; les députés y entrèrent pour les voii* , non 
sans manifester des craintes qui, dans quelques-uns, étaient accom- 
pagnées de férocité et de bassesse, et dans les autres de piti^. 

Vers le soir, un député, nommé Bruat , de Tun des départemens 
français oii Ton parle allemand (a), vint trouver les officiers et leur 
dit en cette langue i « Qu'il tallait faire tout ce qui dépendrait de 

• 

» lui pour les svuver. » En effets il leur procura' des redingotes et 
la facilité de sortir; aloi*s, chacun isolément chercha k se tirer d*af- 
fiiire comme il put. Ces officiers fidèles eiTaient dans Paris, pros^ 
érits par la fureur populaire, an moment même oii un décret du 
Cdrps législatif venait de mettre les Suisses sbus la sauve-garde de 
k loi (3). * 



(i) Le billet du roi se trouve enéore entre les œainl» de madame la gé* 
nërale de Durler , née Zurlaaben , veuve du g^éral *: 
(a) DuHant^Khin^ {Note dès haatf,Mt.) 

(3) Je prieM^ Bruat, sHl existe encore, de me pardonner de rontpre 
le Mkttce auquel »'éttlieÉPt engagés aved hri les officiers qui lai ont dft ht 

* On trouvera^ dans le reç^ieUdçs Portraits giii font partie 4® la Collection 49* 
Mémoires , le fac-similé de cet ordre ëcrit en entier de la main de Louis XVI 

( Note des notttf, édiLj 



ET PIÈGES OFFICÎBLLBS . ' ^Qj 

hb cbâttau n'étant plus dëfendn , Tarmëe de Santérré y entra , 
massacx'ant lâchement les blessas et tous ceux qui s'ëtaient per- 
dus dansTimmensitë du palais (i). Une partie des Suisses qui oc- 
cupaient les appartemens n'avait pu se joindre an détache- 
ment qui se retirait sur L'Assemblée nationale. Us descendirent au 
nioinent où les Marseillais entraient dans Is château , et ayant 
trouvé chargées les deux pièces que M. de Durler avait laissées, 
ils y mirent le feu , ce qui leur donna le temps d'opérer leur 
retraite par le jardin. Avec enx se trouvait le père Second-Lo« 
rettaB(a), capucin et anmonier du régiment; il fallut traverser' 
une grêle de coups de fusil et de coups de canon. Là périrent M. le 
baron de Waldener, M. Simon de Maillardoz, M. de Millier 
et beaucoup de soldats. Cette petite troupe s'était d'abord di- 
rigée sur r Assamblée , et y fut reçue à coups de fusils ; elle se. 
porta au pont tournant et le trouva feimé; enfin elle put sortir par 

' ■ ■ I '■ ■.!■■. I ■ I I ■■ 

vie : le temps est venu y où ce n^est plus accuser quelqu^uu , que de pu* 
blier une bonne action. M. Coquet, alors lieutenant de la garde na- 
tionale de rOratoire, sauva près de deux cents Suisses, et en nourrit 
douze pendant prés de trois semaines. 

M. Desault, chirurgien en chef de THôtel-Dieti , reçut plusieurs sol- 
dats blessés, et d^autres qai sMtaient sauvés , et' les fit cacher dans des 
lits de malades. Une troupe de furieux se porta à THôtel-Dicu, et de- 
manda qu'ion les leur livrât ? « J^en ai fait jtrter par les fenêtres une dou- 
» zaine» et j''en ferai autant de tons ceux qui se présenteront. » Il ne 
lut contredit par aucun des aides-chirurgiens qui étaient présens. Les 
Marseillais se retirèrent* 

(i) Tons les ciEciers blessés ont été massacrés, excepté M. de Re* 
pond qui a pu sVchapper, malgré un coup de feu reçu à la jambe. 

(a) Le respectable et eourageox pire Lorettan allait aru milieu du feu 
porter auxjÉÉ[|^ans les secours de la religion. Ce fut bien malgré lui , et 
par obéUMBJPKi qu'il quitta le matin même Thabit de son ordre , et il 
dut la vie à un habit dé M. Simon de Maillardoz, qu'on lui fit endosser. 
Ubonnéte et brave Beckin , ahirurgien-major du régiment , et son aide , 
M. Kicbler, pansaient les blessés au milieu du feu'le plus vif ; ils furent 
massacrés tous deux en exerçant leurs fonctions, n'ayant pas voulu 
abandonncÉr pos blesséa , même aprèa la retraite de M. d^Durler. M. Beo- 
kin a laisse un & i qui il ne reste que l'honorable souvenir de son père. 
Calta>£Bnâlle.a>tMit perdu par l<e j^lage des casernes de Courbevbie. 



368 ÊCLAIRCISSEMENS HISTORIQUES 

le jardin du dauphin. Arrivée à la place Louis XY, la gendarmerie 
à cheval chargea les Suisses; la plupart furent massacrés. Le père 
Second fut sauvé par son déguisement. Un moment après , le ser- 
gent Stofel , de Mels , canton de St.-Gall , commandant quinze 
hommes qu'il avait ramassés de divers postes , se ût jour jusque 
sous le vestibule où se trouvaient les canons qui venaient d'être 
abandonnés et que les Marseillais gardaient. Il s'empara de trois ; 
un quatrième était encloué ; il les défendit encore quelque temps , 
et fit enfin sa retraite sur T Assemblée. 

Accablés par le nombre , les Suisses n'ont pu laisser d'autres 
trophées que les cadavres de leurs ennemis. Mille traits particu- 
liers d'héroïsme et de dévouement se sont perdus dans la gloire 
générale de cette journée (i). Nous ^regrettons surtout de ne pou- 
voir citer le nom de tous les hommes généreux qui, au péril de leur 



(i) Les Suisses, «'pars dans les divers postes du château et dans les 
cours , n^ayaicnt pas été prévenus de la retraite qui venait d^étre or- 
donnée ; entendant les derniers coups de canon qui furent tirés sous 
le vestibule I ils se replièrent la pUipart sur le grand escalier. Quatre- 
vingts Suisses environ défendirent ce poste contre la foule innombrable 
des assaillans ; ils en tuèrent quatre cents avant de céder. Us soutinrent 
le choc pendant vingt minutes, et tous furent massacrés : aucun n'^e»- 
saya de se sauver par la fuite. 

M. Forestier d^ Saint- Venant se dirigea avec trente hommes vers les 
Champs-Elysées} il chargea Tépée à la main un corps posté à la statue 
de Louis XV , et le força trois fois ; mais , ayant perdu la moitié de son 
monde , le reste du détachement fut désarmé , et lui-même fut tué d^un 
coup de pistolet par un gendarme à cheval. M. Joseph de Forestier, 
quartier-maître, qui avait assisté au combat comme volontaire, par- 
vint à se sauver à travers la foule, après avoir accompagné le roi à TAs- 
semblée. XV^'^ 

M. de la Corbière était entré au régiment la veille dn.t[9.4flAt : dans 
la retraite il fut d'abord renversé d^un coup de hache ^ mais un garçon 
de bureau de FAssemblée , M. d'Aigremont , le releva et le sauva. Ce fut 
le même M. d^ Aigrement qui sauva aussi M. le capitaine d^Erlacii, mas- 
sacré depuis,, et M. Ignace de Maillardoz. 

MM. Henri de Salis- Zizers, de Pfyfier, de Durier, capitaines; de 
Glutz, de Gibelin, et Alexandre de Zimmermann,- aidfi-major&; Em- 
inannel de Zimmermann r Joseph de Zimmernumn , •d'Emest , 



ET PIÈCES OFFIGIELIiES. ^69 

vie , ont sauTë le petit nombre d'officiers et de soldats échappes au 
massacre. 

M. de MontmolUn, qui venait d'entrer au régiment, emprunta un 
uniforme à M. de Forestier, pour pouvoir assister au combat; il était 
enseigne de bataillon, et a conservé, jusqu'à son dernier soupir, 
le drapeau qui lui a coûté la vie. A la tête de quelques soldats, il 
était parvenu k se faire jour jusqu'au pied de la statue de la place 
Vendôme. Là , ne pouvant plus avancer , après s'être battu en 
héros, et avoir tué de sa main plusieurs ennemis, percé enfin par 
derrière , il tomba dans les bras d'un caporal qui se perdit sans 
pouvoir le sauver. « Laissez-moi périr, lui dit-il , et ne songez qu'à 
» sauver le drapeau. » Le caporal qui le soutenait ayant lui-même 
reçu un coup mortel, M. de Montmollin s'enveloppa dans son 



de DiefbachdeSteinbrogg, et deCastella, ont dû la vie aux soins de 
M. Bruat, député; mais les trois derniers ayant été arrêtés dans des vi- 
sites domiciliaires , ont été massacrés à la conciergerie. 

M. Hubert deDicsbach, lieutenant des grenadiers, dont la compa- 
gnie avait été de'truite sur le grand escalier, dit aux sept hommes qui 
lui restaient encore, en patois fribourgeois : a Que ce n*étalt pas la peina 
» de survivre à de si bravés gens. » H prit alors le fusil d^un soldat tué , 
et se jeta dans la foule la baïonnette en avant ; il y trouva la mort, ainsi 
que six à sept hommes qui Pavaient suivi. Un seul fut sauvé. 

Le baron Constant de Rebecque, aujourdliui lieutenant-général au 
service de S. M. le roi des Pays-Bas , commandait un détachement de 
trente hommes dans la salle des Cent-Suisses , lorsque le feu commença : 
il fit répondre tant qu'il eut des cartouches à brûler. Le feu ayant cessé, 
il réussit, par miracle, à se sauver à travers la foule. MM. de Gottreau, 
Jeaù de Maillardoz, de Gapretz ont été tués à la place Royale et dans 
la rue Verte , en se retirant avec leurs détachemens. 

Il m'a été impossible d'apprendre par qui M. de Répond, lieutenant , 
et Deville, sous-lieutenant, ont été sauvés. 

Le fusilier Millier, de Luceme , soldat de la compagnie de Durler , 
reçut un coup de feu à travers le corps; un bourgeois qui le connaissait 
le fit transporter à THôtel-Dieu , où on le coucha à côté d'un Marseillais 
blessé mortellement. Ce dernier, dans le paroxysme de la fièvre, profé* 
rait d'horribles imprécations contre les Suisses ; il mourut au bout de 
trois jours. Joseph Miiller guérit, et parvint à gagner ses foyers oà il 
▼it encore. 

H. ^4 



5jO ÉGLAIRCISSI^IIElfS HISTORIQUES 

drapeau. Ses meurtriers ne purent s'en emparer après sa mort 
qu'en le déchirant. 

Une sentineUe suisse, attaquée par une foule de Marseillais, en 
tna sept , et, n'ayant plus de cartouches , elle se servit de son sâbrc, 
et tua encore plusieurs ennemis avant de succomber. 

Ainsi finit le régiment des gardes-suisses du roi de France , 
comme Tun de ces ohânes robustes dont Texiatence séculaire a af- 
fronté cent orages , et qu'un tremblement de terre a pu seul dé- 
raciner. 

. H est tombé le jour même où Tantique monatchk française s'est 
éirroulée. Il comptait un siècle et demi de services fidèles rendus 
à la France. 

Pour dé^ir^ QQ corps respectable, il ^ ^aQula réunion d'une 
foule d'événemens malheureux ; il a fallu que les Suisses fussent 
privés de leur artillerie,de leurs munitions , de leur état-major, de 
la présence du roi ; il a fallu les afikiblir cinq jours avant le com- 
bat , par un détachement de 5oo hommes ; il a fallu que les soo 
hommes qui accompagnèrent le roi à l'Assemblée ne pussent pas 
tirer un coup de fusil ; qu'au moment de l'attaque, un ordre mal 
calculé rendît inutiles les sages dispositions de MM. Mailla rdoz et 
de Bachmann ; qu'au moment d'unS victoire dont on devait pour- 
suivre les avantages , M. d'Hei^villy vînt diviser et affîiiblir la dé- 
fense ; il a fallu enfin , pour anéantir ce corps , éternel honneur de 
notre pays ^ qu'on réunit contre lui cent mille hommes et une ar- 
tillerie immense. 

. U y a une modestie de nation qui interdit à un Suisse ds faû«, 
autrement que par le récit des faits, l'éloge de la fidiftité de ses 
cpi^pat^ioteA ; n»ais il lui esl permis de rappeler que les Suisses 
se sant battus à la Bérézina , comm* à Mogarten , et que ks Suisses 
du 20 mars ont été fidèles comme ceux du 10 août. 

Bien peu de Suisses du 10 août ontsurvécuà cette fsitale journée; 
l'approbation de leur patrie et l'admiration de l'Europe les dédom- 
magent de la peiie de leur état et de leur fortune (1). Us n'atten- 
daient plus de récompense delà France, lorsque le roi a Bien voulu, 
l^r un décret du io août 1816 , leur donner des témoignages de sa 



(i) Le pillage de3 casernes de Courbevoic et. celui delà caisse du 
régiment sont une perte immense. Jamais propriétés ne furent plus lé- 



KT PliCBS OFFlGIEtitiEâ. Syt 

satîi&cti(MQ ) ils ont alors connu des espërânees qui seront rëalisééi 
sans doute , car ils ne peuvent avoir compté en vain sur Ift parole 
d'un roi juste (i). 

Les officiers qui accompagnèrent le roi k l'Assemblée , et qu'on 
transféra dans les prisons de F Abbaye, ceut qi:^i furent pris à PafiS^ 
datn les visites domiciliaires > ont tous été massacrés (a)i le baron 

gitimeft; si elles eussent été respectées ou restituées par un équivalent, 
quelques hommes ^ débris vivans du régiment des gardes, auraient au- 
jonrd*bui nue existence modeste , mais assurée et suffisante. 

(«) Copié d'une ieUre dé Sa Majesté Louiâ XVHI à M. àé Dutlët, 
iieuienanueoionel au réginkênt reyal étranger, au séfuiee de Sm Me^étêé 
[firUannufUe , datée du 6 septembre 1 796. 

« J^ai reçu avec grand plaisir , Monsieur , TexpressioB de vos sentimens 
» et de ceux des officiers du régiment royal étranger. Je savais la oon- 
» duite que vous avez tenue le 10 août 1 79a , journée aussi mémorabW, 
i> quoique Tissue en ait été bien différente dans les fastes de votre brave 
i> et loyale nation, que celle de Meaux et d'Yvry, et j'acquitte une dette 
1) sacrée , en vous disant , pour vous et pour tous vos compatriotes , que 
» jamais les rois de France n^oublieront ce que les Suisses ont fait dans 
» cette funeste occasion. Je reconnais bien votre digne chef, le baron 
» de Roll, aux ordres qu'il vous a donnés ; il sait aussi à qui il les adresse. 

» Soyez auprès, des officiers de votre régiment l'interprète de mes sen- 
» timens pour eux, et ne doutez jamais, Monsieur, de tous ceux que 
» j^ai pour vous. >t 

M. de Durler alla rendre ses hommages à Sa Majesté Louis XVlII. 
Ce prince Taccueillit de la manière la plus flatteuse, lui rappela la con- 
duite énergique et loyale qu'il avait tenue le 10 août, et lui dit, en lui 
remettant un brevet de marécbal^de-camp : «cJe ne suis ici que le comte 
» de Lille , mais c'est sur les marches des Tuileries que le roi de France 
» vous remet ce brevet. » 

(a) IVoms des officiers massacrés : 

A P Abbaye , MM. Joseph de Reding , de Ôiberegg , capi taine. A ta 
Conciergerie , le marquis de Maillardoz , lieutena ut- colonel , de Salis- 
ZiXéfs , aide-major, de Wilcf , aide -major, Alliman , adjudant , Choltet , 
adjudant, de Zimmermann, lieutenant; d'Ernest, dé Diesbach, de 
Stelilbragg, déCastelh d^Orgemô>«t, sotrs-Keufenans, et Chollet, tài*- 
bonr-major. L^aideHttajor de SaHi, au momeilt oft dn 1^ )etàif! hofê de 
ia^orfi* d« ^Mee, pour le Hvver «m assUMhift, |mt arraefaer une 
baïonnette à un garde national, et en perça un des brigands. 



37^ ÉCLÀIRGISSEMEZ9S HISTORIQUES 

de Bachmann seul a përi, le 3 septembre, sur Téchafaud ^i atten- 
dait le vertueux Louis XYI. 

On a dît que le baron de Bacbmann était Tame du régiment des 
gardes-suisses y remarquable même entre les plus braves par son 
sang-froid dans le danger, bon sans faiblesse, loyal et simple 
comme un ancien cbevalier, militaire instruit , véritable ami de son 
pajs^ religieux observateur de tous ses devoirs, sévère par principe 
pour le maintien de la dis<iipline , père des soldats , usant avec eux 
de cet te popularité noble qui ajoute à Tamour sans altérer le respect, 
tel était le baron de Bachmann. H unissait à toutes ces qualités une 
taille^imposante, une figure mâle et noble, et une contenance mar- 
tiale ; en sorte que, sous le double rapport des avantages physiques 
et du caratère moral , on pçuvait le considérer comme le modèle 
des guerrieis de notre nation. 

n fut grand et nobl)e à sa mort , comme il llavait été toute sa vie. 
n avait vu approcher avec sang-froid le lo août ; il contempla sans 
émotion le 3 septembre. Il ne s^abaissa point à discuter son inno- 
cence devant des juges criminels ; il demanda la mort et la reçut en 
héros. 3es dernières paroles furent : Ma mort sera pengée. 



i 

•wi 



Etat nominatif de MM. les officiers de T ancien régiment des gardes- 
suisses , qui se sont troupes à f attaque du château des Tuileries ^ 
le w août /79d. 

« De V état-major. 

Le marquis de Maillardoz , de Fribourg , lieutenant - général , 
grand-<;roix , lieutenant-colonel du régiment, massacré à la 
Gonciergene. 

Le baron de Bachmann y de Glaris, lieutenant-général , grand- 
croix , major du ré^ment , guillotinée 

liC baron Rudolf (/e Salis-Zizers , des Grisons, aide-ma|or, mas- 
sacré à la Conciergie. 

De GlutZy de Soleure , aide-major, aujourd'hui colonel fédéral, 
et colonel par Tordonnance du roi du lo août 1817. 

Ve fTildy àe Fribourg, sou»«ide-major, massacré à la Gmcier- 
gerie. 



' ET PIÈGES OFFICIELLES. 5jS 

Le comte Alexandre de Zimmermann^ de Luceme , sous-aide- 
major, aujourd'hui colonel au Service de Naples. 

De Gibelin , de Soleure , sous-aide-major, aujourd'hui lieutenant- 
colonel. 

AUimann , de Soleure , adjudant, massacre à la Conciergerie. 

Chollety du y allais , adjudant , massacre à la Conciergerie. 

Bekin , chirurgien-major, tuë sur le champ de bataille. 

Le père Lorettan , capucin , du Vallais, aumônier du régiment , a 
suryëcu. 

Joseph ûfe Forestier^ de Fribourg , trésorier. 

Jean Lacaze-Pelarnty ^ chirurgien-major. 

Pierre-Antoine Jdorisot, d'Avallon ( France] , chirurgien-major., 

Antoine Legros, de Marquois ( France ) , aide-chirurgien. 

Jean Deèriouse, de Saint-Georges ( France ), idem, 

Pierre-Marie-Joseph Ordinaire , de Couyet , idem, 

Etienne Laymeries^ de Porcntruy, idem, 

Charles-François Boumonuille , de Versailles (France), premier 
commis du bureau des Suisses. 

Nicolas-Albert-Michel Mandevapre , de Frutigen , maître de ma- 
thématiques. 

Ckollei , du Yallais , tambour-major. 

Joseph-Bernard Herlobig, de Schwyz « sous-tambour-ma)or. 

Officiera des compagnies. 

Le baron Henri de Salis-Zizers, des Grisons , capitaine, aujour- 
d'hui chef de la brigade des gardes-suisses, mort en 1819. 

De Durier, de Luceme , capitaine , a suryéca ; mort depuis , en 
Egypte , lieutenant*colonel du régiment royal-étranger, et ma- 
réchal-de-camp, . 

De Pfxffèrd'MûslioSlsïï , de Luceme , capitaine, mort depuis en 
Suisse. 

Le baron de Reding , de Sch'wyz, capitaine , blessé pendant Taf- 
Êiire , massacré ensuite» 

Le chevalier dMrlach , de Berne , capitaine , tué. 

Le comte Emmanuel de Zimmermann , de Luceme, premier lieu- 
tenant , maréchal-de-camp , sauvé , mort depuis. 



374 ÉCLAIRCUSSMEVS HISTORIQtJES 

Joseph de Zimmêrmann, de Luceme , premier lieutenftiit , mré- 

ckal-de-camp , lieutenant-général par le dëeretau lo août i9i6, 

mort en ^819. 
De Repond , de Fribourg , premier lieutenant , blesse , mort de- 
puis. 
Hubert de Diesbach , de Fribourg^ premi<^r Ueutenant ^ tuë Aur le 

champ de bataille. 
De Gottreau , de Fribourg , (M^emier lieutenant , tué sur le diamp 

de bataille. > 

Louis de Zimmêrmann , de Luceme , pnmier lieutenant , mas-* 

sacré à la Conciergerie. 
De Casfelberg , des Grisons , second lieutenant des grenadiers ; 

tué sur le champ de bataille. 
Gros , de Fribourg , second sous-'lleutenant , tué sur le <^mrp de 

bataille. 
Frédéric de Luze , de Neufchâtel , second sous-lieutcna&t , aufour* 

^d'hui colonel par le décret du 10 août iBi6. 
Phîlipps de Glutz , de Soleure , second sous-^lientenant , tvé anr le 

champ de bataille. 
Simon de Maillardoz y de Fribourg, second sous-lieutenast^ tué 

sur le champ de bataille. 
D'Erneaffde Berne , premier 80U8«-Ueuteiiant ^ repris dan» wm 

yisite domiciliaire , massacré à la Conciergerie^ 
Ignace de Maillardoz , de Fribourg , premier sous-lieutenant , au- 
jourd'hui lieutenant-colonel. 
De Forestier, de Fribourg, premier sous-lieutenant, tué sur4e 

champ de bataille. 
Le cotûXe Dietèach. de Steimbrugg^ deFsibo«rg, premier eons- 

lieutenaht , npri» dan» une vinte domicilknre y massacre à Ja 

Gohciargerie. .... 

Le comte de Waldner, premier sous-lieutenant, tué snr le»clMaip 

debetâtlle» 
^^dji ^^ Maillardoz , de Fribourg, second sous-lieutenaAi ^ tué 

surle ehain^de bsitMtte. 
De Millier, d'Uri, second sous-lieutenaat, toé sur le eh^mp^ie 

bataille. . . 

De MoMimoiimf de Meui»hâlel ^ feeond sous^lieoienant, tmà*we^ 

le champ de bataiMi. 



ET PIÈGES OFFICIELLES. 375 

J>e Consiant de Rebecque , de Yaud, second 8ous4ieûtenaiit> au- 
jourd'hui lieutenant-gëkiëral au service deâ Pays-Bas. 

De VUle^ de Neufchâtel, second sous-lieutenant, aujourd'hui 
lieutenant-colonel par l'ordonnance du lo août 1816. 

Casiella d*OrgemojUy de Fribourg, second sous-lieutenant, mas- 
sacre à la G>nciergerié. 

j9e la Corbière , de Genève , second sous^lieutènant , aujourd'hui 
lieuienant-cdlohel . 

De CapreZy des Grisons , second sous4ieutenant , tué sur le 
champ de bataâle. 

Et<U mominatifdes sous^-qfiçiers et soldats de l'ancien régiment des 
gardes-suisses , . qui se sont trouvés à r attaque du château des 
Tuileries , le io août ^7^2 ; par ordre de canton. 

» 

( Cet ëtat e9t trés-incomplet ^ les livres des compagnies et les rôles 
ajant été perdus. Le nombre des sous-ofilciers et soldats tués peut se 
monter entre six et sept cents hommes. La plus grande partie de ceux 
qui ont: été sauvés , se sont trouvés avec le roi à l'Assemblée nationale.) 

ZxTRiCH. Jacques Rinderknecht , Jean Theiler ^ Jean StapCbr , 
Jacques Stapfer , Salomon Simmler , tués; Jean Bauragarten ^^ Fé- 
lix Bourkard, Jean-Marie BrakinanUy ont survécu. 

Behne. Abraham Baumann, André Dsennler, Abraham Eatzer, 
Jean Jaun, tnés ; Jean-Emmanuel Suter, Samuel Gnsegi, Magnus 
Cattin , Balthasar Frossard , ^an--François Girard in , André 
Gaonmenthaler , Louis Eckemann , Michel Deboià , Antoine Yai- 
saÉPd, Frédénb Schnieider, sergent, Abraham Hory, Jacques-* 
Marie Dupierge , Pierre Paunier, Frauaçois Frézard , Jean-Fré- 
ckéne Sglese., fourrier, Jacques Buchwalder, Françoû-Joseph 
MasUttty Aàaim-Louis Degoiunois, Claude Landi^y ^ Étîenoe 
Pièche>, Fraaiçeis-Jbaspb Maillât, Jean-Pierre Mellbt,. Josepb-^ 
IiaiiireBt !&aipMiier , Joseph^Laiurent Crembtany Jean Guillacd,. 
AntoÛM: CaJUiii, Jean Yaumonfoit, Joseph-^Auguste Lemalure, 
IiOiaiaEriÂi!d^ Henri-Aubiiii. Ëirard, Jacques Giraidin, l^^olas. 
Mathey, Denis Pasquié , Piérré-Giermaiii Sannier , Jacques Ver- 
nioa^, Pimnre Scherer , Chade» Brian, Bx)dolf Gasser, Geor^ 






576 ECLAIRCISSEMENS HISTORIQUES 

Bkniechet> François BroDg, Antoine Vaisard, Jean -Baptiste 
Gigon , Joseph-Biaise Masson , ont sunrëcu. 

LucERNE. Joseph- Antoine Schwsegler, sergent-major, Gaspard 
Stalder , sergent , Fridolin Bueler , Joseph Lustcnberger , Joseph- 
Jost Hueber , Pfister, Jean Albot, Jean Dader, Xavier Singer, 
Aloïs Tschopp, tues; Antoine Bueler, Joseph Bueler, Joseph 
Millier , Joseph Uofstetter , Pierre-Joseph Weibel , Jacques- Aloïs 
Gotty , Joseph Rolly , Jean Millier , Xavier Sigerist , Benoît De- 
prez , Jean-Paul Amrein , Jean Kling , Xavier-Jacques-Arobroise. 
Lotscher, Maurice Barth, Cristoph Pfyffer, Frédéric Kling, 
Joseph Ehrenbolger , ont survécu. 

ScHWYZ. Joseph- Bal thasar Niderist, sergent, Jean Ehrier, 
François Schwiter, Louis-Jérome Schwiter, Joseph-Bal thasar 
Gwerder , Joseph-Balthasar Studiger, Joseph -Sébastien Ulrich, 
Aloïs Rieter , Jean Erler , Jean-Dominique Frischherz , Joseph et 
Charles Stossel, Charles Aufdermauer, Charles Abegg , Jean 
Abegg, Joseph-Antoine Kœlin , Nicolas Abegg, Charles Schwiter, 
Joseph Kailly, Etienne Schonbachler, Joseph Marty, Jean 
Imhof , ont survécu. 

Unterwald le haut. Jacques Yonmatt, Gaspard Kunz, Joseph 
Zysat, Joseph- Maria Huber, François-Joseph Bûcher , Joseph- 
Maria Ebli , tués. 

Unterwald LESAS. Nicolas Odermatt, Michel Zimmermann, 
Nicolas Niederbei'ger, tués; François^oseph Schmitter a sur- 
vécu. 

Glaris. Charles Leuw, caporal, Baptiste Leuw, Fridolin 
Hefti , Jean Luschinger , tués. 

Zno. Joseph- Antoine Dosenbach , Biaise-Antoine Klotter , ser- 
gent , Joseph-Gerold Bûcher , Balthasar Gattiker , Gaspard Gat- 
tiker, Beat-Charles Iten , tués ; Dosenbach, tambour, a survécu. 

Frtbouro. Noé Gavillot, sergent, Jean Jungo, Antoine 
Delley , Louis Cosandey , Joseph Bertschi, Christe Haymoz, Jo- 
seph Roulin, Jean Menoud, Joseph Niquillé, Claude Roux, 
Joseph Menoud, François Sensonens, Jean Bertschi, Jacques 
Gotschmann , Jean Lehmann , Louis Progin , Claude Chaumàrtin, 
Joseph Perrîn , Joseph Genoud , Jacques SiiTert , sergent , Nicolas 
Rippoux , Antoine Deforel , Jean Moettrau , Jacques Dorand , Ni- 
eolasDucret , Etienne Gendre , François Thorin, Baptiste Ptoge, 



ET PI£qE3 OFnCIELLES. 3y<j 

Nicolas Rosset , Claude Pithou, Joseph Schodelet, Jean Schodelet, 
Pierre Castella, François Genilloud, Jean Peissard, Antoine 
Vient,, François Gobet, Claude B^pst, Pierre Deschoux, Jean 
Jekelmanu, sergent-major, tués; Claude-Joseph Roulin, Jean- 
Joseph Bays ^ François Dudin, Vincent Jaquet, Joseph Schnewli, 
sergent, Pierre Cachet, PieiTC Morel , Jean Pillioud, Jean- 
François Cupill£|rd , Pierre Moutet , Maurice Moutet, sergent , 
Jean Grosset, François Progin , Joseph Chenaux , Pierre 
Chassot , Claude Jolion , Christe Lehmann , Jean Reynold , Ni- 
colas Levet , Jacque L*homme , Joseph L*honime , Jean Pain- 
blanc, Jeaiji Bruker^ Joseph Gobct, Pierre Barbey, François 
Gendre , morts depuis ; François- Vincent !Noël , Jean Fassnacht , 
Jacques Perny , Jean-Jacques Fassnacht , Paul Crëmaud , Jean, 
Louis-François Derron, Claude Volery, Jean Dubey, Denis 
Çudan, François Mouttet, Jean-Joseph ËcofFey , Louis Gendre, 
Georges Page, Antoine Roulin, Françoi&-Xavier-Nicolas Schaeffer, 
i^rançois Beaudevin , Jacques Egger , Jean Joseph Michel , Pierre- 
Louis Perny , Jean-François Vicl , Louis Ecoffay , Jean Bcaud , 
Jficquçs Roulin, Jean Hayot, Jean-François Chassot, Jacques 
Villaifd , Antoine Thomas , Joseph Badoud , François-Joseph 
Sterreau:^ , Joseph Vial , Louis Criblet , Joseph Godet , Nicolas 
Corpataux , Pierre-Joseph Overny , Jean Riedot , Georges Cachet', 
Jacques Salin , François Sugneaux , Jean Seillaz , Jean Deforell , 
Jemi-Baptiste VeiUard, Joseph Brulhart, ClaudeJoseph Sauge, 
Nicolas Berroux , .Claude-Joseph Sudan , JeanJacques Egger , 
Josep)i Aiiningau ^ Gabriel Savary, Jean-Baptiste Thùrler, 
Jacques flodolf Bersy , Pierre Joseph Minguet « Antoine Pas- 
choi^d , Jean*Baptiste Mayeux , Auguste de Forestier , volontaire , 
Jaqcjnes CoUand^, volontaire , Jean-François-Martin ^ottaz, vo- 
ÎQntaire , Jean-Théodor Bresy , ont survécu. 

SouEUiLE. Joseph Vogeslang , sergent-major, Jean Bemhard , 
sergent-major , Urs Wâlker , sergent-major , Jacques Stuber, ser- 
gent; , .Charles Lambart , Jean Kaufmann , Sébastian OUenbach , 
Frédéric Jec]ier , TJrs Schulep, Joseph Hugy , Urs Hugy , tJrs- 
Joaeph Koc)iar , XJrsJoseph Halbenleib , Dominique Halbenleib , 
Pienre Fluely., Joseph Hofer, Urs Ruefi, Jean. Afibher, Jean 
QegWr» Joseph Wdty, Joseph Meyer, François Mikllo", Jean 
As§fic, ÇsSnTosiBph Piemand , Joseph Wys , Joseph K»ch, Joseph 

II. 25 



SyS ÉCLAIRGISSEMEKS UISTORIQUBS 

Strausak , Joseph Glutz , Jean Spùty , Josepli Kayser , Antoine 
Oyerly, Jean Sœssely^ David Miiller, Benoît KuUy, Rodolf 
pernhard , Léonce Baumann^ Urs Baumann , Urs-Joseph Yoland, 
Jacques Genny , Joseph Brunuer, Joseph Wittmer , Jean-George 
Meyec, Jean Scherrer, Pierre Bachmann, Jean-George Freyer, 
Urs Rothy Joseph Gerber, Joseph Kuntner, Urs Walker, Nicolas 
Bernhard , tués : Ferdinand Moll , Urs-Joseph Meyer , Joseph 
Bloch , Jean-Etienne Borrer , Jean Affolter , Jenn-Joseph Wînis- 
torfer , Urs-Joseph Berger , Jean Burkart , Urs-Joseph-Thomas 
Henzcroi , Jean Rauber , Jean- Joseph Meyer , Rodolf Grutter , 
Joseph Gibier, Jean Hassenfratz^ Jacques Pfister, Jean Moll, Jean 
Wysser , Jean Meyer , mort depuis , Jean-Pierre Din , Nicolas 
Schenker, Jean-Ulrich Schreiber, Jean Stockli, Jean Yogtli, 
François Burry , Joseph Zenner, Léonard Zenner, Lotiis Chibler, 
Joseph KoUiker, Philippe Ditz , Daniel-Georges Koliker , Jaeques 
Guisiger , Jacques Kœch , Jean-Clément Abourg , Joseph Fegly , 
Soutter, Jean Isch, Joseph Widmer, Jean Kœch,Urs Bloch, Joseph 
Relier , Jacques Borner, Urs-Joseph Rohn , Martin Borner, Joseph 
Grimm , Martin. Michel , Joseph-von Dasniken « Léonce Pitterli , 
Jean Felzhalb , Joseph Gutzwyler , Urs-Joseph Doppler , Fran- 
çois Wohlgemuth , Jean Kohler , Jean Fellmann , Jean Borrer , 
ont survécu. 

Basle. Thadé Rueffli , Etienne Fohs , Livin Leeman. 

St.-Gaix. Bartholomé Pfiffner, Conrad Lendy, Bartholomé 
Broder , Paul Wachter , Joseph Glamer , Jacques Maffle , Jean- 
George Messmer, tués; Jacques StoflFel, Pierre Pfiffner, Pierre 
Guntli, Oswald Broder, Joseph Nick , Jacques^Brunner , Jac- 
ques Albrecht , Boniface Nick, Adam Wagner , Pierre Schmiz , 
Jacques Faigle , Lons le Grand, Henri Kuhn, Georges Rohner, 
Théodore Gobel, Nicolas Prudent Eglez, volontaire, Louis Lendy, 
sergent , ont. survécu. 

Grisons. Philippe Lo'renz , Jacques Bossi , Etienne Hoffler, 
Georges Niggli , Jacques Truog, Pierre Haertli , tués. Chrétien 
Florin, Philippe Luzi , Franz Schmidt , Joachim-Raguettly , 
Georges Camenisch , Jean-Pierre Canthieni , Jaëques Capeter^ 
Pierre Thienni, Jean Sprecher, Luce Ehrhard , . Jean Bertsch, 
Chrétien Sprecher, Nicolas Waldner, Pierre Meissen , Jean Wolf , 
Crispia Yos , Silvestre Winkler, André Truog } Chrétien Bdikâft 



y' 



ET PIÈŒS OFFiaELLBS. 379 

Jean Badrann , Chrétien- Antoine Cadufs , Jean^-Julien Tschurr , 
Gotifred Holzbecker. Charles-Antoine Malbach , Ferdinand-Henlt 
Ë^y^ Charles Trévary, Jean-Antoine Joos , Martin Cackenny^ 
JeaihiBaptisK-Maric Schueller^ Joseph Yos, Jean-Pierre Clavin , 
lpominic[ue-Marie Barbërisse , volontaire , ont survécu. 

Ahoovie. Gaspard- Antoine Herzog , tué. Christophe Berner , 
Henri Meyer, David Wys , Léonard Oelhafen , Gaspar Bader , 
Jacques - Léonce Stierli , Jacques Bœrtschi , Rodolf Liischer , 
Georges-Nicolas-Denis Steiner, Frédéric Luxembourg , ont sur- 
vécu. 

TuaGoviE. Georges Schmid , tué. 

Tessin. Joseph Caglieri , Piehe-François- Antoine Chiodi. 

Yatjd. David Peylard , Pierre Dulhevoz , Jeàn-Louis Falconnet; 
Charles Minod , François-Moïse Minod , Pierre Manusson , Jac- 
ques-David Vallotton , Jérôme-David Vallottbn , tués. MarC- 
François Viande , Henri Pinget , François Rogelet , Louis Amey, 
François Johannot , Georges Larpin , André Ogiez , Charles Pa- 
villard , Daniel-François Chapuis, Jean-Louis Guery, Jean-Isaac 
Chevalley, Frédéric-Emmanuel Duperthui , Pierre Magnin , Jean- 
Antoine Grangier , Marc-Antoine Monasson , François Truan , 
David Jaquet , Benjamin Truan , Abraham-Jérémie Jaquet , Jean-' 
Jacques Vullien , Jéan-Pierre'Arthand , Pierre Roch^l /Pierre* 
Louis Jaccard , Abraham Pigneron , Pierre-David Cornu , Pierre- 
Louis Vuichoud , Jacques - François Bumier , Josué - David 
Pilet, Jean-Louis-Mathias Merminod, Abraham Jenner, Pierre 
Rochty^ Pierre-Louis Locker, Salomond Junod , Jacques-Antoine 
Boraley, Vincent Dufour, Jacques Dufour, David Bugnon , Pierre 
Plet , David Thévenaz , Jacques Gommai ier Fonjalaz , Joseph 
Monasson^ ont survécu. 

Vallais. François Clausen , François Glaisen , tués. Pierre- 
Joseph Biollet , Joseph Aubret, ont survécu. 

Neuchatel; François-David Clerc , Jean-David Junod , Henri- 
Louis Sandoz , Jean-Pierre Favre, Pierre-Simon Jaccot , Jean-Jo- 
seph Diacdn , Louis Perret , Biaise-Modeste Tissot , François-Ga- 
briel Dornier, Louis-Marie-Noël Dornier, Antoine-André-Louis de 
Raynaud, ont survécu. 

Genève. Jacques Begoulle , Moïse Guy, Jean-Antoine Choisy, 
Jean-Daniel Besançon , Pierre Dorsival , tués. Abraham Mermil- 



S8o ÉCLÂIRCIS3eii8N9 ill9T. CT PIÈCISS OFFIG. 

lod f JFflàn-iFfftaçoiA Ctergioii Hudry, Miabel^François Gajr, 9hir 
lippt Albert, Jo$e|di Exartier, Claude Cusin, JeaxirMan« Del- 
dMmj^y Lfturent Beccard, J«an*Michel Mugnier, Maurice Veyrati 
^mtoukà Morieri Ren^ Sorei , voloQUire , ont suirëcui 

^t§â d09 sôU9''qfi{3iârs pi. soldait de l'ancien réigiment de» gardes 
. ntisâes qui (fut.droiià la médaillâ , ei dQnt le lieu de naissance 
. i»Wi?«« ÇQiInu 9 OIS qui eofU née cm régimeatou ea fronce. 

Laurent Bernugjy François RoU , Madet , Delpire , Jacques 
Holtzenbecker , Louis (Foax, David Goulon, Gouzin, JosepI^ 
Barbey^ Jaccpies £snoU| Jean- Charles Martenat, Coulon, Théodore 
Chaudron , Joacbim Kainic , Abegg , Pierre-Antoine Morier, Jo- 
sqpb Déployer, François Nick, Qëment Alexis Schnider, AdïM 
Fjuscber, François Brong* 



siK^^B icM^neiaminNs rxstovi^ywiit ro» fxâçss oFKcuuxa 



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