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HARVARD
COLLEGE
LIBRARY
MÉMOIRES.,
DU
CARDINAL DE RICHELIEU,
SUR LE RÉGNE DE LOUIS XIU ,
DEPUIS 1610 jdsqd'a i638.
PUBLIÉS PAR M. PETITOT.
TOME VII.
7
Jy
PARIS,
FOUCAULT , UBRAIRE , RUE DE SORBONNE , N*. 9.
i8a3.
3
Frlh(>^J!l>
MRViWB C«UEfi€ LIMURV
aiFi of
MARY E. NAVCN
JULY2|1t14.
.»
MÉMOIRES
DU
CARDINAL DE RICHELIEU.
LIVRE XXIIL
[i63a] IjA première action que le Roi fit ea cette
année, après avoir demandé à Dieu , le premier jour ,
la continuation de sa bénédiction en ses justes des-
seins, fut d'aller, dès le lendemain, visiter Moyen-
vie, sa nouvelle conquête, où elle traça elle-même
de sa main le projet des nouvelles fortifications qui
depuis y furent faites, et donna le gouvernement de
cette place au sieur de Feuquières, qu'elle honora
aussi de la charge de son lieutenant général dans le*
gouvernement des Trois-Évêchés , de Metz , Toul et
Verdun, et Pays Messin. La prise de cette place , for-
tifiée en tant de temps, et conquise en si peu de jours,
donna une grande réputation à Sa Majesté.
Il restoit à savoir comme Sa Majesté se devoit gou-
verner avec le duc de Lorraine.
Il étoit certain qu'en Tétat où le duc de Lorraine
s^étoit mis, il n'y avoit que le Roi qui , après Dieu ,
pût le protéger et empêcher qu'il ne fût dépouillé de
0
ses Etats.
L'état présent des affaires du monde faisoit trop con-
nottre cette vérité pour quil fût besoin de la prouver.
T. ÎÎ7. I
1 [l63a] MÉMOIRES
La misère de l'Empereur, la foiblesse d'Espagne , la
ruine des électeurs et de la ligue catholique , la perte
que ledit duc avoit faite de toutes ses forces, en fai-
soieut une démonstration évidente, principalement si
Ton considéroit les prodigieux progrès du roi de
Suède, le mal qu il lui vouloit, les prospérités du Roi,
et le juste sujet qu'il avoit de se plaindre de sa con-
duite, si Ton considéroit que présentement il n'y
avoit rien en terre qui pût résister à ces deux puis-
sances jointes ensemble en un même dessein , ■ ni
qui put arrêter le cours de l'une que l'opposition de
l'autre. Il y avoit beaucoup à dire pour savoir si le
Roi devoit entreprendre la protection du duc de Lor-
raine *, plusieurs raisons l'en pouvoient détourner : sa
mauvaise conduite en son endroit , le juste sujet qu'il
lui avoit donné d'entreprendre contre lui , et l'occa-
sion qu'il avoit d'augmenter l'étendue de son royaume
sans rien commettre à la fortune , la considération
qu'il devoit faire du roi de Suède , avec lequel il fau-
droit peut-être convertir l'intelligence qu'on y avoit
en une ouverte rupture , dont il pouvoit arriver beau-
coup d'inconvéniens , n'étoient pas de foibles motifs
il cette fin.
Mais le cardinal représenta à Sa Majesté que,
comme la générosité est le plus puissant aiguillon des
grands rois, plus il y avoit de difficultés en cette af-
faire et moins de raison en certain sens , plus sem-
bloit-il que le Roi la dut entreprendre ;
Que cependant, comme il y avoit gloire très-
grande à faire une telle entreprise , il y auroit foi-
blesse si celui qui en xecevroit le fruit n'y convioit
le Eoi par tous moyens convenables , et ne faisoit con-
DB RICHEUBU. [l63a] 3
nollre qa*il en vouloit avoir à jamais la reconnotssance
qu'on en devoit attendre ;
Qae pour cela deux choses ëtoient requises : la
première ëtoit qu*il se départit de tont ce qui oflen-
soit et dëplaisoit justement au Roi , et de tontes les
liaisons qu'il avoit eues jusqu'à présent contre son
gré et ses intérêts , et qu'il s*attachât à Sa Majesté
contre qui que ce pût être.
La seconde consistoit à donner des preuves non
douteuses d'une telle afTection et liaison , et de la
durée d'icelle ; ce qui se pouvoit faire par deux voies :
par quelque action extraordinaire qui le rendit irré-
conciliable avec les ennemis de la France et du règne
du Roi , et par le dépôt de quelques places que M. de
Lorraine ne pouvoit refuser sans dessein de trom-
perie, tant parce qu'il ne lui en pouvoit arriver d'in-
convénient, étant clair que Sa Majesté ne sauroit
désirer un tel dépôt pour s'agrandir, puisque s'il
avoit ce dessein il ne devroit se coulenter d'une
petite partie par dépôt lorsqu'il peut avoir le tout,
et a droit de le faire , et qu'il sait bien que le Roi
ne peut par autre voie s'assurer que , le péril étant
passé, il ne se portât pas de nouveau à suivre les
desseins de Monsieur et de l'Espagne , avec qui il
a liaison très-étroite, comme il a déjà £ût par deux
fois. ^
Il y avoit plus : qu'un tel dépôt n'étoit pas seule-
ment nécessaire au Roi pour son assurance , mais il
l'étoit pour que Sa Majesté la put donner au roi de
Suède, qsi, ne s'assurantpas même de ses plus prochei
parens par autre voie , comme ce qu'il avoit fait avec
l'électeur de Brandebourg , son beau-frère , dont il
I.
4 [l632] MÉMOIAES
tenoit les meilleures places , le jastifioit , crôiroit tou-
jours que M. de Lorraine favoriseroit ses enneroitf
quand il auroit le dos tourné , si le Roi , qui étoit sou
allie, ne le tenoit en bride, et n'en vouloit répondre
avec des précautions autres que des paroles, aux-
quelles on ne se fie point en matière d'État.
Outre ces deux conditions requises pour un tel
dessein, le Roi en devoit désirer une troisième, qui
étoit que , s'il se faisoit quelque chose entre lui et
M. de Lorraine, il se fit si promptement que Sa Ma-*
jesté eût temps d'envoyer vers le roi de Suède devant
qu'il eût commencé l'attaque de ses États , qu'il vou-
loit défendre , tant parce qu'il étoit raisonnable de
tâcher d'arrêter son cours par négociation devant
que rompre avec lui , que parce aussi qu'au cas que
Sa Majesté s'engageât de parole au duc de Lorraine,
dès cette heure il se disposeroit h vingt mille hommes
de nouvelles levées pour rendre sa défense infaillible;
ï Que si 1\{. de Lorraine se pouvoit garautir sans
f assistance du Roi , il ne lui conseilleroit pas d'entrer
en ces conditions; mais s'il jugeoit que la protection,
du Roi lui fût nécessaire , il lui devoit avoir grande
obligation de n'en point désirer d'autre , puisque
c'étoient les moindres qui se pussent proposer , et
qu'il n'y avoit rien qui intéressât son honneur et ses
États, et dont il n'eût les âumples devant les yeux,
et, de nouveau, celui de M. de Savoie, qui avoit
sauvé ses Étals par ce moyen , et qui se repenloit
tous les joufs de ne l'avoir pas fait plus tôt ;
Que si M. de Lorraine n'acceptoitces conditions ,
il falloit conclure , ou qu'il étoit aveugle et insensible
en ses intérêts , ce qu'on ne pouvoit croire avec rai-
DE RIGHELIBU. [l632] 5
80D , oa qull avoit quelque secrète révélation qui lui
promettoit un secours du Ciel , ou que la mauvaise
volonté qu'il avoit pour la France étoit extraordinaire;
auquel cas ceux qui lui seroient les plus affection-
nés jugeroient si la prudence du Roi ne Tobligeoit pas
à y pourvoir, et s'il en devoit perdre l'occasion, prin-
cipalement puisque ce prince étoit autant ulcéré de
la prise de Moyenvic , où il n'avoit point d'intérêt, et
de ce que le Roi ne souffroit pas les entreprises qu'il
vouloit faire sur ses droits , comme si l'on lui avoit
pris tous ses États ;
Qu'il étoit à désirer qu'il se mit à la raison avec le
Roi , mais qu'il étoit certain que si l'on ne prenoit le
temps de l'y contraindre , au cas que volontairement
il ne le fit, on s'en repentiroit, et mériteroit-pn
d'être blâmé d'avoir perdu une occasion qui ne se
recouvreroitpas une autre fois.
Si l'on disoit que , quand on s'étoit avancé pour
l'entreprise de Moyenvic , on avoit mandé à M. de
Lorraine qu'on n'avoit aucun dessein contre lui , et,
partant, qu'on ne devoit pas. entreprendre contre ses
États, la réponse étoit aussi aisée que raisonnable :
qu'on n'avoit nul dessein de rien faire contre lui ,
pourvu qu'il voulût se désister d'offenser le Roi , se
séparer des liaisons contraires , et en donner assu-
rance; mais que quatre choses faisoient voir claire-
ment qu'il n'étoit pas en 9s termes : la première, le
secours que le gouverneur de Marsal avoit donné en
ce qu'il avoit pu à Moyenvic par bateaux , et le déni
d'assistance qu'il avoit fait au maréchal dtLa Force en
termes iriisolens , ce qui ne se pouvoit dénier que des
ennemis déclarés.
6 [lÔSaJ MÉMOIRES
La seconde , la lettre du commissaire , qui faisoit
connoître au gouverneur de Moyenvic que c'étdit à
M* de Lorraine qu*il devoit avoir recours.
La troisième, qu'il avoit joint ses troupes avec celles
des Espagnols.
La quatrième, qu'il ne vouloit faire aucune action
ouverte qui le rendit irréconciliable avec ceux qui
en vouloient au règne du Roi ; ce qui montroit bien
que son dessein étoit d'éviter l'occasion présente , et
conserver sa mauvaise volonté pour une autre fois.
Le Roi, pour ces raisons, se résolut de traiter
avec lui , et conserver son Etat.
Le duc, qui avoit, l'année précédente, fait tant
de remises de le venir trouver, et qui avoit en cela
raanq.ué à l'attente qu'il en avoit ensuite des pro-
messes qu'il lui en faisoit faire par les siens, après
être venu à Metz le 26 décembre, se rendit à Vie ,
qui n'est distant de Moyenvic que d'une demi-lieue ,
le soir du second jour de janvier. Sa Majesté traita
avec lui, et, lui pardonnant royalement le mauvais
procédé dont il avoit jusques alors usé envers elle ,
non-seulement ne voulut pas se servir de la facilité
qu'elle avoit de se saisir de tous ses Etats , Sa Majesté
y étant puissamment armée , et lui ayant perdu toutes
ses troupes par la déroute qu'il avoit reçue des Sué-
dois , mais le voulant encore garantir de l'orage pro-
chain dont il étoit menacé^r le roi de Suède , qui
ne pouvoit souffrir d'avoir été , de gaîté de cœur, at-
taqué par un si petit prince qu'est le duc de Lor-
raine.
Le traité fut fait et BÎgné entre Sa Majesté et ledit
duc le 6 janvier.
DB RICHELIEU. [l63a] ^
Le duc promettoit de se départir dès lors de toutes
intelligences , ligues , associations et pratiques qu'il
aoroit eues, ou pourroit avoir, avec quelque prince
ou Etat que ce put être , au préjudice du Roi , de
ses Etals, pays de son obéissance et protection; pro-
mettoit de ne rien faire contre les traités d'alliance
et confédération faits entre le Roi et le roi de Suède ,
et entre Sa Majesté et le duc de Bavière , pour la
conservation de la liberté d'Allemagne , de la ligue
catholique , défense et protection des princes amis et
alliés de la France.
Par un article seqret , signé le même jour du traité,
ledit duc déclaroit qu'il entendoit renoncer à toute
alliance et confédération qu'il pourroil avoir, soit avec
l'Empereur, le roi d'Espagne et tous autres princes de
la maison d'Autriche.
Il promettoit en outre qu'à l'avenir il ne traiteroit
ai feroit aucune alliance avec quelque prince et Etat
que ce put être, sans le su et consentement du Roi;
Qu'il feroit retirer de ses Etats tous les ennemis
de Sa Majesté et tous ses sujets qui étoient sortis hors
du royaume contre son gré , et ne leur donneroit ci-
après aucun passage ou sûreté dedans iceux.
Pac le même article secret, ledit sieur duc enten-
doit s'obliger , par la clause générale contenue ci-des-
sous , de ne donner retraite ni assistance dans ses
Etats, ni à Monsieur, ni.à la Reine-mère, ni à aucun
des leurs ;
Qu'il ne permettroit plus qu'il se fit aucunes le-
vées de gens de guerre dans ses Etats contre le ser-
vice de Sa Majesté , ni qu'aucun de ses sujets servit
ou assistit ses ennemis, ains feroit retirer tous ceux
8 [l632J MÉMOIRES
qui pourroient être engages au service de quelque
prince que ce pût être contre Sa Majesté ;
Qu'il donneroit toute liberté et pouvoir à ceux qui
seroient envoyés de la part de Sa Majesté, de se
saisir, dans ses Etats, de tous les sujets rebelles de
Sa Majesté , prévenus et accusés de crimes d*£tat ou
lèse-majesté , après etai avoir averti ledit sieur duc ^
Qu'il donneroit non-seulement libre et sûr passage
par ses Etats aux armes de Sa Majesté qui pour-
roient entrer en'AUemagne pour secourir messieurs
les électeurs catholiques et plusieurs autres princes
alliés de la France, leur fourniroit de vivres et toutes
choses nécessaires pour le maintien d'icelles qui dé-
pendroient de lui , aux frais de Sa Majesté , mais en
outre y joindroit ses forces, qui nepourroient être
moindres que de quatre mille hommes de pied et de
deux mille chevaux , qu'il entretiendroit à ses frais
et dépens tant que le Roi tiendroit son armée en Al-
lemagne.
Sa Majesté promettoit aussi au duc de protéger sa
]>ersonne et défendre ses Etats envers tous et contre
tous ceux qui voudroient les attaquer ou envahir ,
en tout ou en partie , pour quelque cause ou sous
quelque prétexte que ce pût être, comme les siens
propres.
Mais, parce qu'il avoit manqué souvent de parole
à Sa Majesté , elle ne voulut pas se fier à lui , qu'il
ne lui donnât en dépôt, pour trois ans, la ville de
Marsal *, et bien qu'il n'y eût point de justes droits, et
qu il ne la possédât que par la connivence du feu car-
dinal de Lorraine son oncle , qui la donna au duc
son père par un échange prétendu et saus aucune
DE RICHELIEU. [l63ll] 9
proportion , auquel aussi le chapitre de Metz 8*op-
posa formellement, le Roi néanmoins ne vouloit pas
réveiller cette difficulté , mais se contenta de rece-
voir ladite place en simple dépôt pour trois ans , à
condition de la lui rendre ce temps expiré, s*il ob-
tervoit les choses qu^il promettoit dans le traité.
Elle Alt mise es mains de Sa Majesté le i3 dudit
mois.
Ce traité ne fut pas plutôt exécuté par la déli-
vrance delà place de Marsal , que le duc de Lorraine
mît es mains du Roi , que Sa Majesté , jugeant y pou-
voir prendre conûance , le voulut employer pour ra-
mener Monsieur à son devoir. Four cet effet elle lui
envoya Breval, pour lui faire savoir en général son
intention, et lui donner lieu d'en avertir Monsieur
devant qu'il partit de Nancy pour aller en Flandre ,
afin que par ce moyen le Roi le pût divertir d'un si
mauvais dessein. Sa Majesté pria le duc qu'il le pût
voix* le lendemain , pour lui faire entendre particu-
lièrement la grâce qu'il désiroit faire à Monsieur. Le
dnc fît ce qu'il put pour arrêter Monsieur à Nancy ;
mais son conseil ne lui voulut pas permettre , mais
bien seulement de promettre au duc qu'il ne sorti-
roit point de ses Etats sans savoir les intentions du
Roi par son moyen.
Comme il partit de Nancy le.... janvier 163a, le
doc vint trouver le Roi à Esme; mais, au lieu d'y
traiter de l'accommodement proposé , un accident
inopinément arrivé lui donna bien une autre occu-
pation. Monsieur, ayant fait au partir de Nancy une
grande traite , rencontra dans Conflans, petite ville
do doc de Lorraine, une voiture de 5oo,ooo livres
lO [l63a] MÉMOIRES
qu'on amenoil à Tarmée du Roi pour la montre de la
cavalerie légère , laquelle il arrêta. L'avis qu'en eut
le duc auprès du Roi Fempécha de parler d'autre
chose que du déplaisir qu'il avoit de cette action faite
dans ses Etats, et du désir qu'il avoit d'y mettre or-
dre. Pour cet effet il partit en toute diligence pour
aller trouver Monsieur en quelque lieu qu'il fût; mais
le Roi ayant eu avis , quatre heures après son dé-
part, qulaprès que Monsieur eut bien consulté s'il
devoit prendre cet argent, il s'étoit résolu, par con-
seil, de ne le faire pas, parce que c'eût été mal
payer son hôte qu'en sortant de ses Etats lui laisser»
par une telle action , une querelle à démêler avec le
Roi, qui eût eu tout sujet de croire que ce dessein se
fût exécuté de son consentement *, ayant su en outre
qu'il avoit permis aux commissaires qui avbient la
conduite de cette voiture de continuer leur chemin ,
leur disant expressément qu'il vouloit bien qu'on sût
que la seule considération du duc de Lorraine (ai^oit
qu'il en usât ainsi , lui dépêcha toute la nuit p«ur le
faire revenir et lui confier l'ouverture qu'il lui vou-
loit faire. Après qu'il lui eut témoigné le déplaisir
qu'il avoit de celui qu'il avoit reçu par l'accident
passé, il lui donna pouvoir d'assurer Monsieur qu'il
vouloit oublier tout le passé , pourvu que le présent
et l'avenir fussent comme ils dévoient être par raison.
Et, venant au particulier, Sa Majesté s'engagea à
donner une abolition générale à tous ceux qui au-
roient suivi Monsieur , excepté au Coigneux et à
Monsigot, que Sa Majesté savoit être déjà hors de sa
grâce. Elle promit aussi rétablir ceux qui étoient près
de sa personne en tous leurs biens , qui jusqu'alors
DE BICU£L1£U. [iGBs] II
n'avoient point encore été donnes. Quoique Sa Ma-
jesté dût avoir de grandes méfiances des conseils
qu'ils donnoient à Monsieur, elle ne laissa pas de
trouver bon qu'il revînt à la cour avec tous ses do-
mestiques , excepté les deux dont il s'étoit privé de
lai-méme , lui promettant non-seulement toute sûreté
pour lui , mais pour les siens qu'il verroit de bon œil \
cependant que , si ce séjour ne lui plaisoit pas , il lui
permettoit de demeurer hors du royaume , en quel-
que lieu non suspect, comme la Lorraine, Mont-
belliard ou Bâle; auxquels lieux il lui donneroit
5o,ooo livres par mois , et le laisseroit jouir en outre
du bien de mademoiselle sa fille.
Sa Majesté, offrant ces conditions avantageuses à
Monsieur, ne désiroit autre chose de lui sinon qu'il
se départit de tous les desseins qu'il avoit contre lui-
même , en tant qu'ils étoient contre le Roi et son Etat,
et qu'il ne se fit point ce déshonneur que d'être en
intelligence avec ceux qui étoient ses mortels enne-
mis, puisqu'ils l'étoient de ce royaume.
Le duc envoya faire cette ouverture à Monsieur par
Jeannin, l'un de sessecrétaires, qui le trouva àLongwy,
ville de son maître, oùilattendoitdeses nouvelles; il
n'oublia rien de ce qu'il put pour le porter à l'accep-
ter; mais, après qu'il eut tenu conseil sur ce sujet avec
le duc d'Elbeuf et Puylaurens sans aucun autre , il
répondit qu'il ne le pouvoit faire, et passa le lende-
main dans les états d'Espagne -, ce qui montra bien
que son dessein étoit formé auparavant, et que lors-
qu'il avoit témoigné au duc désirer rentrer en la grâce
de Sa Majesté , ce n'avoit été que pour se décharger
du blâme de sa mauvaise conduite , faisant croire
la [l63!l] MÉMOIBBS
qu'il ne teuoit pas à lui qu'il ue fût bien auprès du
Roi , mais que les portes de ses grâces lui ëtoient
fermées, et qu'il lui éloit impossible d'y rentrer.
Sa Majesté eut beaucoup de déplaisir de voir que
le duc d'Elbeuf et Pnylaurens eussent assez de force
et de malice pour porter Monsieur à mépriser les té-
moignages de la bienveillance qu'il avbit pour lui, et
jugea qu'il y a voit une partie liée entre la Reine sa
mère et les Espagnols pour entreprendre quelque
chose contre son Etat. Outre ce fondement, divers
avis de ses ambassadeurs lui donnoient lieu d'avoir
cette créance 5 le voyage que fit inopinément en
Flandre le marquis de Mirabel , ambassadeur d'Es-
pagne, qui étoit demeuré à Paris , où il agissoit per-
pétuellement pour troubler le repos de la France , y
confirma Sa Majesté , qui n'eut plus de lieu d'en dou-
ter lorsqu'elle eut vu, par un paquet que la Reine sa
mère avoit adressé au parlement de Paris, qu'elle con-
tinuoit en son aveuglement, et défendoit et promou-
voit les intérêts d'Espagne contre ceux de la France et
les siens propres. Deux jours auparavant, le Roi avoit
reçu une lettre de ladite dame Reine par la duchesse
deChevreuse, qui Tavoit reçue du duc de Montbazon
son père, à qui ladite Reine en avoit fait l'adresse ^
mais il fut surpris d'une telle colère quand il vit
qu'au lieu de rechercher les légitimes moyens de se
bien remettre avec lui comme il le désiroit, elle con-
tinuoit ses mauvaises procédures , qui n'avoient autre
fin que de décrier son gouvernement , qu'il la jeta
au feu dans la chambre de la Reine sa femme en pré-
sence de toute la cour.
Il eut fait le même du paquet qu'elle avoit adressé
DB RICHELIEU. [l632] l3
au parlement , lorsque le sieur de La ViUe-aux-Clercs,
qui Tavoit reçu du président de Noviou , à qui elle
Tavoit adresse , le lui présenta , si le cardinal qui se
trouva lors auprès de lui ne Fen eût empêché par
très-humbles supplications, et ne l'eût conjuré de
vouloir voir ce qui étoit dedans et en ouïr la lecture.
Ce paquet contenoit deux lettres , Tune au Roi et
Tautre au parlement ; toutes deux étoient pleines de
la répétition des impostures plusieurs fois rebattues
contre le cardinal.
En ce môme temps, Dieu permit qu'un médecin,
nommé Bénard , étant condamné à mort pour la fausse
monnoie, déclara , par le remords de sa conscience,
comme, k la sollicitation qu'un nommé Espagnet, fils
d'un président de Bordeaux, lui avoit fait faire , il
avoit préparé trois différentes sortes de poisons qui
furent trouvés chez lui pour empoisonner le cardinal;
que, pour l'induire 2i ce mauvais dessein , ou luiayoit
fait espérer de grandes récompenses de la part de
Monsieur, lui représentant que quand même on ne
pourroit faire finir ce personnage par ce détestable
moyen, il y avoit plusieurs personnes liées ensemble
qui le dévoient entreprendre par vive force. Ce mal-
heureux fit cette découverte de son propre mouve-
ment, n'en paroissant aucun indice auparavant l'ou-
verture qu'il en fit. Il soutint à la question qu'elle étoit
très-véritable, et lorsqu'il fut à la potence, il conjura
son confesseur d'en donner avis au cardijgial afin qu'il
se pût mieux garder de pareils accidens.
Cet avis £ut accompagné de divers autres de pa-
reille nature , dont les circonstances étoient si parti-*
colières qu'il n'y avoit pas lieu d'en douter. Tous en-
l4 [l63a] MÉMOIRES
semble furent suivis de plusieurs autres beaucoup
pires, puisqu'ils aboutissoient aux mauvais bruits
qu'on faisoit croire de la mauvaise santë du Roi y et
de Tespérance qu'on donnoit de ce qu'on de voit
craindre.
Le Roi conçut de nouveau tant d'indignation , et
de la malice qui paroissoit es lettres écrites sous le
nom de la Reine-mère , et des diaboliques desseins
que ce médecin et quelques autres avoient décou-
verts, et des mauvais bruits qu'on épandoit de sa
santé , qu'ils donnèrent lieu à sa bonté de rendre
de nouveaux témoignages de sa protection an car-
dinal.
Le principal déplaisir qu'il eut de la continuation
de telles procédures, fut parce qu'il vit clairement
qu'elles l'empéchoient de protéger la religion catho-
lique et les princes de la ligue en Allemagne , aussi
puissamment qu'il eût pu faire sans les traverses qui
lui étoient faites par les siens à la suscitation des Es-
pagnols , auxquels ce n'étoit pas assez d'avoir mal
défendu ces princes catholiques, comme il paroissoit
par la prise de Mayence qu'ils avoient lâchement
abandonné après avoir fait un grand butin dans la
ville, qu'ils avoient pillée au lieu de la garder, mais
ils vouioient empêcher, par toutes sortes d'artifices,
que l'assistance du Roi ne leur fût plus utile que la
leur.
Si le duc d'Elbeuf et Puylaurens , et principale-
ment le premier , qui n'espéroit pas rentrer en son
gouvernement , persuada , pour son intérêt, à Mon-
sieur de refuser les offres que le Roi lui faisoit par le
duc de Lorraine, ce duc aussi n'y cheminoit pas d'un
DE RICHELIEU. [lôâl] l5
boo pied, d'autant qu'en même temps qu'il traitoit
avec le Roi il faisoit le mariage de sa sœur avec
Monsieur, nonobstant qu'il sût bien que Sa Majesté
ne l'avoit pas agréable et ne le permettroit jamais^ et
ne remit pas , ainsi qu'il l'avoit promis au Roi , Le
Coigneux et Monsigot entre les mains du sieur de
Beaaregard , capitaine de chevau-légers et autres de
ses compagnons , qui se rendirent à Nancy pour cet
effet , mais les en avertit et les fit sauver la nuit pré*
cédeote , leur faisant faussement dire que s'il les eût
voulu livrer on lui eût rendu Marsal.
Le Coigneux (0 n'avoit pas été , de premier abord ,
d'avis dudit mariage , et le déconseilloit à son maî-
tre, non tant pour le détourner de commettre contre
le Roi une si grande offense , comme étoit celle
de se marier contre sa volonté avec une étrangère
et de maison suspecte , au moins pour lors, à cet
État, que d'autant qu'il prévoyoit que, si cette
alliance se faisoit , le duc de Lorraine , qui hasardoit
tout son État pour s'unir à Monsieur , auroit désor-
mais toute l'autorité, ce qui ne pouvoit être qu'à
son préjudice. Mais il se relâcha bientôt après ,
d'autant qu'il vit que s'il s'affermissoit en l'opinion
contraire , et que le duc de Lorraine voulût achever
de le perdre , il couroit fortune de périr par les mains
de ses ennemis , étant tous unis contre lui.
Le Roi, incontinent après, retourna à Metz, où
quelques ambassadeurs des princes d'Allemagne Tat-
(i) L€ Coigneux : Ce fut Pnjlaureiit qui difcida Monsieur à épouser la
lirinftMii Margoerite , s«ar do doc de Lorraine : loi-même ëtoit poussé
par b princesse de Phabbourg , tœnr atnce de Marguerite, dont il ëtoit
l6 [1632] MÉMOIRES
tendoient, et autres étoient prêts de Vy venir trouver ;
car le passage du roi de Suède , qui , comme un
éclair, avoit traversé toute rAUemagne depuis la mer
Baltique jusques à Mayence , le ravage qu'il avoit fait
dans tous les États de ses ennemis , et la ruine de
toutes les puissances qui s'étoient opposées à lui,
avoient porté un tel effroi dans les cœurs de tous les
peuples de ladite Allemagne , que la plupart des villes
et des princes se déclarèrent pour lui de tous côtés,
presque en même temps contre l'Empereur , qui ne
sembloit pas être assuré dans sa ville de Vienne ni
dans ses provinces héréditaires, tant à cause de la
grande quantité d'ennemis qui étoient élevés contre
lui , que pource que ses peuples ne lui étoient pas af-
fectionnés.
En cette extrémité on lui donna conseil de se re-
tirer à Gratz en Styrie, tandis qu'il assembleroit de
nouvelles forces pour opposer à celles qui venoient
fondre sur lui; et plusieurs encore furent d'avis que
lui-même ou le roi de Hongrie, son fils, se missent
à la tête de cette armée pour montrer qu'ils vou«
loient à l'avenir prendre soin de leurs propres affaires
et ne les négliger pas ,- et les remettre entièrement
à ses odlciers, comme il avoit fait auparavant, don-
ner , par ce moyen , espérance de meilleur traite*^
ment à ses sujets, qui se plaignoient de l'avarice de
ses ministres, de leur rigueur et des exactions qu'ils
leur faisoient souffrir à son insu ^ mais le conseil de
se retirera Gratz lui semblant trop honteux, ei celui
de commander lui-même à son armée trop hasar-
deux , il se résolut de demeurer à Vienne, de la faire
fortifier en diligence , et faire la guerre par ses lieu-
DE nicHEUEU. [i63aj 17
lenans y comme il avoit toujours fait jusques alors,
preoant pour prétexte de n'aller pas lui-même à lar*
mëe, que la majesté de loia étoit plus vénérable, et
que c'étoit un dernier remède qui lui resteroit à ten-
ter pour l'extrémité. Cette résolution prise, il pensa à
faire un autre général d'armée outre Tilly , pource
qu'ayant deux ennemis en tête , le Suédois et le Saxon ,
il loi falloit deux armées commandées par deux géné-
raux , pour s opposer à eux.
Pour cet effet il jette les yeux sur Walstein pour
Thonorer de^cette charge, dont il s'étoit autrefois ac-
quitté si glorieusement et utilement pour son service;
mais il Tavoit indisposé k la diète de Ratisbonne, sur
les plaintes, ou véritables ou envieuses , qui lui furent
lors faites par les états de TEmpire , pour les extor-
sions intolérables qu'il faisoit pour Tentretènement
de ses gens de guerre.
Ledit Walstein fait le renchéri, et „ soit qu'il veuille
faire acheter la nécessité qu'il voit qu'on a de lui, soit
que véritablement le mauvais traitement qu'il a reçu
par le passé, et le repos qu'il a commencé à goûter,
lui fassent désirer de jouir le reste de sa vie des
richesses et de la gloire qu'il a acquises, il propose la
foiblesse de son âge qui entroit dans la vieillesse,
l'incommodité de ses gouttes qui le travailloient ordi-
nairement, et surtout la haine qu'on lui porte en
FEmpire ; mais, voyant que l'Empereur ne reçoit point
ses excuses «n paiement , et que plus il recule plus
ilIepiMse d'accepter cette charge et l'y servir, il
consent à sa volonté , mais il stipule qu'il aura seul la
puissance souveraine, non-seulement en Tarmée,
mais en la guerre, sans être obligé d'envoyer à Vienne
T. ^7. 2
l8 [l63â] MÉMOIRES
au conseil de guerre de TEmpereur, pour recevoir
ses ordres en toutes occasions , comme il avoit tou-
jours ëté pratiqué jusques alors \ qu'il donueroit des
quartiers d'hiver à ses soldats , tels et où bon lui sem-
bleroit , pourroit lever des contributions d'argent et
de vivres comme il jugeroit à propos , disposeroit de
toutes les charges del'armée , étne pourroit être cassé
par l'Empereur qu'il ne lui en eût donné avis six mois
auparavant, et ne seroit point obligé de rendre compte
de ce qu'il auroit fait en sa charge. Il seroit difficile
déjuger si ces conditions étoient insolentes pour un
serviteur envers un maître , ou nécessaires au service
de l'Empereur en l'extrémité où se trouvoient ses af-
faires, en laquelle il a toujours été jugé absolument
nécessaire que le prince qui n'agit pas immédiate-
ment par lui-même , se remette entièrement de toutes
choses à un seul , se confiant en lui totalement. Quoi
qu'il en soit, on peut bien dire absolument que les-
dites conditions furent la cause de sa ruine et de
sa mort, car l'Empereur , ou jaloux de sa nature, ou
se laissant aller à la jalousie des grands de sa cour ,
ne les voudra pas observer, Walstein en témoignera
du mécontentement, sur lequel on lui fera croire
qu'il est traître , et on le traitera avec toute la cruauté
que peut mériter la plus infâme et la plus avérée tra-
hison qui puisse tomber en l'esprit du plus méchant
homme du monde.
Cette extrémité en laquelle étoient les afiaires de
la maison d'Autriche en Allemagne, faisoit cpe tous
les princes et Etats catholiques jetoient les yeux sur
Sa Majesté pour en être protégés.
Les sieurs baron de Fenf et Kutner , envoyés vers
DÉ RICHELIEU. [l63'2] I9
Sa Majesté par les électeurs de Bavière et de Cologne,
pour demander protection et secours contre le roi de
Suède, étoient arrivés le 3 janvier, eurent favorable
audience, et retournèrent avec promesse de Sa Ma-
jesté de tâcher , nonobstant les refus de Bavière quon
a vus ci-devant , à moyenner entre eux quelque ac-
commodement équitable pour les préserver de la
fureur des armes victorieuses du Suédois.
Peu de jours après , arrivèrent l'ambassadeur de
Trêves et Tévéque de Wurtzbourg, en qualité d'am-
bassadeur de la ligue catholique , pour laquelle il lui
fil la même demande.
L'archevêque de Mayence lui dépécha aussi un des
siens pour la supplier de le faire rétablir en son ar-
chevêché, etarrêterle cours des cruautés des Suédois.
La désolation des États de ces princes, qui étoit
représentée au Roi par leurs ambassadeurs , bien que
leurs maîtres en fussent en partie cause, d'autant
qu'auparavant les derniers progrès de ce Roi ils n'a-
voient jamais voulu entendre à une neutralité raison-
nable qu'il leur eût lors accordée, touchoit néan-
moins son cœur de compassion , et lui faisoit redou-
bler ses offices vers ce Roi, par toutes les raisons
qu'il lui pouvoit représenter que c'étoit le propre
bien de ses aflaires de trouver quelque juste accom-
modement avec cçs princes; et, afin que cette neu-
tralité d'entre la ligue catholique et le roi de Suède
ne pût un jour venir à trop d'élèvement de ce Roi et
du parti huguenot, avec oppression du parti catho-
lique , Sa Majesté , en cas que cette neutralité réus-
sit, en disposoit une autre plus grande entre le susdit
roi de Suède d'une part, et la ligue catholique, le
2.
210 [l632] MÉMOIRES
duc de Wurtemberg, Venise et les états des Provinces-
Unies, avec l'intervention de Sa Majesté et du roi de
la Grande-Bretagne, à ce que, pendant un temps,
lesdils princes et Etats demeurassent unis et* en neu-
tralité les uns avec les autres, à condition de n'entre-
prendre rien , durant ledit temps , sur les États des
uns et des autres , ne donner aucune assistance di-
rectement ni indirectement aux ennemis de Tun des
collègues, et autres conditions dont on fût convenu ;
ce qui eût ôté d'une part la crainte , le soupçon et la
jalousie que plusieurs princes voisins et particuliers
pouvoient concevoir des armes du roi de Suède, et
de Tautre eût donné plus de liberté audit Koi de
s'opposer aux entreprises de la maison d'Autriche ,
et , pour comble de bien , eût rendu par force l'Em-
pereur plus facile à entendre à' une bonne paix et à
l'accommodement général de toutes les affaires d'Al-
lemagne , ce qui a toujours été le principal but et
l'intention de la France , et le désir de toute la chré-
tienté.
Pour parvenir à cette fin, le Roi entreprenoit
avec grande passion la neutralité de Bavière et de
la ligue catholique avec le roi de Suède. La maison
d'Autriche, cause de tous les troubles de la chrétienté,
s'opposa à la neutralité que le Roi proposoit pour la
paix commune , et fit une autreJîgue entre l'Empe-
reur et le roi d'Espagne, par laquelle ils s'obligeoient
chacun d'entretenir un certain nombre de gens de
guerre pourchasser les ennemis qui entreprendroieut
d'attaquer les Etats de l'un ou de Tautre, etinvitoient
tous les rois , princes et républiques chrétiennes d'y
entrer. Le Roi même y fut convié par l'Empereur ,
DE RICHKLIEU. [1682] 21
li loi eD écrivit le 3 mars , ne considërant pas que
uiîqae moyen de faire entrer les autres Etats en
lociation , étoit d'ôter les jalousies qu'on avoit à
»n droit de leur grandeur, condescendant de rendre
qu'ils avoient ces dernières années usurpé sur
ax qui, pour leur foiblesse , n'avoient pu résister à
ir puissance ; car le sujet de la méfiance et la se-
ration des intérêts continuant, il n'y avoit point
liens assez forts pour les unir à une ligue.
On remarquoit une chose bien extraordinaire en
tte poursuite , qui étoit qu'au lieu qu'auparavant
Ispagnol n'envoyoit ses résolutions qu'en termes
pératifs aux plus puissans princes d'Italie , il re-
inoissoit aujourd'hui les moindres pour ses égaux ,
les recherchoit assez honteusement de s'unir avec
. pour la défense de leurs intérêts communs et la
erté de l'Italie , à quoi il convioit le Pape , non-
ilement de s'intéresser , mais d'en être le promo-
ir.
Et le roi d'Espagne parloit comme étant un d'entre
( princes dltaiie, qui n'avoit autre considération
e de conserver le sien et défendre celui de ses
iës, et les prioit de faire une ligue défensive avec
y qui ne refuseroit point de s'unir avec tous les
nces qui le désireroient ; ce qui étoit proprement
e ligue contre la France , qu'il représentoit vou-
r troubler le refbs d'Italie.
Qs envoyèrent pour ce sujet à Venise, Lucques ,
!ne$ , Florence , aux Suisses et en Pologne , de tous
quels lieux ils ne reçurent pas les réponses qu'ils
léroient. On ne s'unit point à eux ; le seul duc de
>rence promit un secours effectif seloa que ses
!I2 [1632] MÉMOIRES
forces le pourroient porter ; les autres états d'Italie
s'excusèrent sur la guerre de Mantoue. Les Suisses
refusèrent formellement de s'unir à eux , et au con-
traire acceptèrent la neutralité avec le roi de Suède.
Us eurent du roi de Pologne une permission secrète de
faire des levées clandestines et les faire filer en Silésie.
Quand ils virent ne pouvoir attirer les Vénitiens
à leur ligue, ils les sollicitèrent de vouloir au moins
entrer en neutralité a.vec les Espagnols et nous , en
cas de guerre en Italie, ce qui nous eut été de grand
préjudice , pource qu'ayant toujours été les plus
échauffés aux affaires d'Italie , ils eussent donné à
penser à tous les autres princes italiens ; mais ils n'en
purent venir à bout , non plus que de Sa Sainteté ,
qu'ils espéroient bien néanmoins devoir être le chef
de leur ligue, et étoient assez présomptueux pour se
persuader qu'elle y étoit obligée , joint qu'ils espé-
roient de l'emporter, à cause de la mauvaise posture
en laquelle ils s'imaglnoient que notre ambassadeur
étoit en l'esprit du Pape, pour l'opposition qu'il
avoit commencée, et qu'il continuoit constamment, à
la préséance que don Tadée , neveu de Sa Sainteté,
pourvu de la charge de préfet de Rome , prétendoit
en cette qualité sur tous les ambassadeurs des têtes
couronnées.
Il est certain que cette charge a été autrefois en
très-grande considération , ]ors(^e les empereurs y
pourvoyoient 5 mais depuis qu'ils ont cessé de com-
mander à Rome, et que le pape s'en est dit souve-
rain, le sujet de l'estime de cette charge a changé;
outre que depuis que les papesse sont accrus dedans
ntalie, jaloux de l'autoritc de cette charge , ils n'ont
DE KICHBLIEU. [l63a] 23
fias seulement diminué son pouvoir, mais le lui ont
ôtë toni-à*fait: quelques-uns, ayant voulu agrandir
leurs neveux , Tout remise en sa première splendeur ;
et ainsi ensuite, selon les diverses passions des papes,
ou elle a eu vigueur ou a été supprimée.
Sa Sainteté prétendoit cette charge être si grande,
que celui qui en étoit pourvu devoit immédiatement
suivre les cardinaux , sans qu'aucun se pût mettre
entre eux , et soutenoit même qu'autrefois , dans la
fleur de la monarchie française , ils avoient précédé
Fambassadeur en chapelle , en cavalcade , à Tencens ,
et à toutes autres rencontres, tant publiques que
particulières.
Les ministres du Pape rapportoient , pour preuve
de leur dire , quelques autorités tirées de la vie de
Jules II et de celle de Paul m.
A quoi nous répondions que , quant au premier ,
il étoit ennemi de la France , et que par conséquent
ce qu'il avoit fait à son désavantage ne devoit pas
passer pour autorité , et de plus , que c'étoit une
chose qu'on tenoit certaine dans Rome, que ledit
Jules u n'ayant pu faire que son neveu eût la pré-
séance qu'il désiroit, outre la charge de préfet qu'il
lui avoit donnée , le fit duc d'Urbin , laquelle qualité
de duc lui donnoit les avantages qu'il n'avoit pu
avoir avec l'autre ^ outre qu'il se lit dans la vie de
Jules II j que le t(n Louis xii avoit , dès le commen-
cement de son pontificat, envoyé près de lui pour
ambassadeur un Robertus Brito , évéque de Nantes ,
lequel , pour avoir mal servi le Roi son maître , et
même trahi en toutes les grandes affaires qui se pas-
sèrent , fut condamné , tous ses biens confisqués , et
24 [l(>32j MEMOIHES
contraint de demeurer à Rome en perpétuelle igno-
minie. Et davantage , que les allégations qu'ils fai*
soient toraboient presque toutes dans Tannée 1 5o5, au
commencement de laquelle le roi Louis xii , ne con-
noissant pas encore ledit Robertus, le fit cardinal,
si bien qu'il n'eut plus rang d'ambassadeur, quoiqu'il
fît toujours les aâaires > et qu'ainsi il étoit clair que
ce qui s'étoit passé en cette année i5o5 ne devoit
faire aucun préjudice au Roi ni à son ambassadeur,
d'autant que ledit Robertus , s'étant relâché de ce
qu'il ne devoit pas étant ambassadeur, se relâcha
beaucoup davantage étant cardinal.
Quant à Paul m , qu'on tenoit à Rome par tradi-
tion pour constant qu'il ne prétendit pas de mettre
auprès ni au-dessus des ambassadeurs son neveu,
préfet de Rome, mais seulement le faire asseoir à ses
pieds en chapelle , encenser le premier et précéder
aux cavalcades, à quoi les ambassadeurs ne voulurent
jamais consentir, et ne se trouvèrent plus en chapelle
tant qu'il y fut.
Ils apportoient aussi des preuves tirées de leurs
rituels ou diaires manuscrits ; ce que notre ambassa-
deur leur répondit n'être pas pièces authentiques ,
d'autant qu'ils sont faits à la fantaisie de quelques-
uns de leurs domestiques, qui n'y avoient pas tant re-
présenté les choses comme d'antiquité elles avoient
accoutumé d'être , que comme ils vouloient qu'elles
fussent.
Et pource qu'ils faisoient instance sur quelque pas-
sage du journal de Paris de GrafHs, qui rapportoit
que le préfet avoit précédé l'ambassadeur de France,
le nôtre lui en rapporta un autre du même de Graf-
I>K HICIIKLIEU. [itiJaJ 35
is qui tëmoigooit le contraire \ car il dit que , du
temps de Sixte iv , le goofalonier voalul précéder le
préfet de Rome son neveu , comme étant le plus
iBciea en charge; ce que ledit Sixte voyant qu'il ne
MjQVoit empêcher , il fit sondit neveu duc de Sore ,
!t ces mots mêmes y sont : Prœfecto dignitatem
noforem videlicet ducalem adjedt , par laquelle il
irécéda le gonfatonier. Or il est très-certain qu'il
l'y a point de duc , s'il n'est souverain , qui ne cède
i un ambassadeur de roi dans son logis même.
L'ambassadeur remontra que cette affaire n'étoit
[MU de peu d'importance, tant pour la nouveauté qae
[Mnrce qu'un autre pape ne souffriroit peut-être pas
lisément que son neveu fiit précédé par celui de son
prédécesseur ; et ainsi il lui donneroit, par exemple,
la fJurge de gonfalonier que tenoit lors le duc de
E^ume , s'il venoit à mourir, ou remettroit sus celte
de sénateur, ou quelque autre semblable, qui sont
lo-dessns de ta préfecture , et en moins de quatre
pontificats , l'ambassadeur de France , qui a déjà ce-
lai de FEmpereur qui le précède, seroit hors des
degrés du soglio en chapelle , oiî il n'y a place que
ponr quatre ou cinq personnes.
L'ambassadeur d'Espagne , qui ne va point en cba-
ptlle , et à qui parlant cela n'importe de rien , ne s'y
opposoit point; celui de l'Empereur, qui étoit le pre-
mier , et partant non si près de sortir du soglio, nous
bîasùt iàire; peut-éire aussi remettoit-it à nous it
vider ce différend , croyant que , comme nous y étions
l«t plus intéressés, nous ne souffririons pas cette entre-
prise , et ainsi se déchargeroient de t'envie et rejelle-
roient sur nous ta mauvaise volonté de Sa Sainteté.
26 r^^^^] MÉMOIRES
Cela donupit espérance aux ministres d'Espagne
que plus facilement ils porteroient Sa Sainteté à en-
trer en ligue avec eux.
Ils se plaignoient à elle du traité que Sa Majesté
avoitfaitavecleroi de Suède, demandoient de grands
secours d'argent ati Saint-Siège et une croisade contre
leurs ennemis -, le cardinal Borgia en parla en plein
conclave avec tant d'insolence , que Sa Sainteté s'en
sentit à bon droit offensée, et attribua les termes
dont il avoit usé à la violence de son naturel, non à
aucun ordre qu'il eut reçu de son maître de parler
ainsi ; dont il protesta néanmoins toujours du con-
traire , disant que , si le Roi son maître le vouloit
désavouer, il feroit imprimer et publier partout les
ordres qu'il en avoit reçus de lui.
Il parla aussi nommément contre le cardinal, lequel
il appela fauteur d'hérétiques , puisqu'il conseilloit le
Roi de Ifes favoriser, dit et pressa par plusieurs au-
diences qu'il avoit encouru l'excommunication de la
bulle in cœnd Domini^ et que Sa Sainteté lui devoit
faire ressentir particulièrement puisqu'il étoit du
collège des cardinaux.
Ils n'eurent autre réponse de Sa Sainteté , sinon
qu'il étoit père commun; qu'il assisteroit l'Empereur
en la nécessité présente de ses affaires, mais non
d'une subvention telle qu'il eût pu faire , si les trésors
de l'Eglise n'eussent été épuisés par la guerre de
Mantoue, et accorda un jubilé pour l'exaltation de
l'Eglise, les nécessités présentes de celles d'Allemagne,
l'union des princes chrétiens et l'extirpation de l'hé-
résie.
Quant au sujet du cardinal, il lui répondit que les
DE RICHELIEU. [l63'2] 27
paroles qu'il lui disoit ëtoierit bien contraires aux
preuves qu'on en avoit, et avec témoignages et assu-
rances que Tarabassadeur lui donnoit tous les jours
de la sincérité des intentions et conseils de Sa Ma-
jesté , à quoi les choses passées donnoient beaucoup
d'apparence , et que , lorsqu'il étoit question de pa-
roles et d'effets , il falloit avoir plutôt égard aux effets
qui étoient exposés aux yeux de tout le monde qu'aux
prësuppositions desquelles il ne paroissoit rien , et qui
étoient souvent controuvées par pure passion.
Le cardinal , ayant su ce qui s'étoit passé en ce fait-
ci, écrivit à Sa Sainteté, et lui manda qu'entre les
déplaisirs dont la piété du Roi étoit touchée , voyant
les malheurs que souffroit l'Eglise par la division et la
discorde des princes chrétiens , Sa Majesté avoit reçu
un mécontentement sensible du mauvais procédé de
quelques-uns des ministres d'Espagne vers Sa Sain-
teté , et du peu de respect qui lui avoit été rendu
par un de ceux qui étoient les plus obligés à Thono-
rcr; qu'il ne pouvoit assez s'étonner qu'il se fût tant
oublié que d'avoir usé de plaintes et de termes en-
core moins décens , au lieu des éloges et des très-
humbles remercimens qui étoient dus à la singulière
bonté et prudence de son gouvernement ^ que Sa
Sainteté avoit toujours paru si clairement désirer le
repos de la chrétienté, et vouloir apaiser les différends
qui la pouvoient troubler, qu'il n'y avoit personne,
sll n'étoit prévenu de passion , qui ne reconnût
qu'elle n'avoit rien omis de ce qu'elle avoit estimé
convenable pour parvenir à une si bonne fin -, que si,
entre tous ceux qui étoient contraints de voir cette
vérité, quelques-uns vouloicnt professer le contraire,
28 [l63'2j MEMOIRES
chacun verroit clairement que leur seul intérêt, qui
leur faisoit fermer les yeux à la justice , leur faisoit
ouvrir la bouche pour parler contre le sentiment de
leur propre conscience ^ qu il sembloit que Dieu eût
permis ce qui s'étoit passé depuis quelque temps en
ce genre, afin que Sa Sainteté reçût de nouveaux
témoignages du zèle du plus pieux et du plus gn^od
prince de la chrétienté , qui tiendroit toujours à gloire
singulière d'embrasser tous ses intérêts , et se joindre
aux soins et aux bonnes résolutions qu elle avoit tou-
jours eues à Tavancement de la religion et raffermis-
sement de la tranquillité publique , à laquelle il n'es-
timeroit pas peu contribuer en faisant connottre la
déférence que Ton devoit au Saint-Siège, et celle que
méritoit singulièrement la personne d'un pape si re-
commandable pour ses rares vertus comme étoit Sa
Sainteté -, que pour lui, il s'estimeroit du tout indigne
et de rhonneur qu'il avoit en l'Eglise, et des grâces
qu'il recevoitd'un si vertueux prince comme est celui
au service duquel il étoit attaché par toutes sortes de
respects , s'il ne désiroit ardemment le repos que Sa
Sainteté et Sa Majesté souhaitoient av^c tant de pas-
sion en la chrétienté, et qui jusqu'à présent n'avoît
été troublé que par ceux qui affectionnoient de pa-
roitre contraires à l'un et à l'autre; qu'il espéroitque
Dieu feroit voir de plus en plus cette vérité à tout
le monde , et que Sa Sainteté auroit lieu d'avouer
qu'ainsi que le Roi emploieroit toujours volontiers
tout ce qui étoit de sa puissance pour la gloire de
Dieu , le bien de l'Eglise et la tranquillité publique , il
ne perdroit aucune occasion de lui donner des preuves
de la sincère affection qu'il avoit pour les intérêts de
DE RICHKMKIJ. ("l()3'>J 'IÇ)
sa maison, auxquels, suivant ses intentions et les
très-grands mérites de Sa Sainteté , il seroit toujours
aussi étroitement lié qu'il le devoit être.
Sa Sainteté se trouva si offensée du procédé du
cardinal Borgia , qu'elle lui commanda absolument de
sortir de Rome pour aller en sa résidence. Il s'excusa
sur la charge qu'il dit qu'il exerçoit d'ambassadeur
ordinaire de son maître, que Sa Sainteté lui commanda
de quitter, et ne lui donna plus depuis d'audience
réglée ; et ainsi ne réussit à rien la ligue qu'ils a voient
faite entre eux en haine de la neutralité que le Roi
proposoit pour leur bien propre et l'utilité commune,
ainsi que nous avons dit ci-dessus; mais la mauvaise
fortnnedes princes catholiques ne permit pas, quelque
soin que le Roi en put prendre, qu'ils en tirassent
ravantage que Sa Majesté leur y moyennoit.
Dès le 7 janvier elle avoit principalement pour ce
sujet envoyé vers le roi de Suède, avant qu'elle partit
de Vie, le marquis de Brezé en qualité d'ambassadeur
extraordinaire; elle lui commanda de donner avis à
ce prince du traité qu'elle avoit fait avec le duc de
Lorraine , qu'il l'avoit pris en sa protection à condi-
tion qu'il ne feroit rien directement ni indirectement
an préjudice du parti suédois , et que pour gage de
sa foi , Sa Majesté avoit reçu en dépôt une des prin-
dpales places de son Etat.- En second lieu , elle lui
donna charge de faire de nouvelles instances très-
pressantes au Roi de condescendre à une équitable
neutralité avec les électeurs et toute la ligue catho-
lique.
Le roi de Suède , ayant avis qu'il lui étoit dépéché
par Sa Majesté , envoya quérir le sieur de Charnacé ,
3o [l63'2] MÉMOIRES
et lui dit qu'il le prioit qu'il ne lui parlât point de res-
tituer Wurlzbourg, Bamberg et Mayence , qui par
droit de guerre lui appartenoient, et qu'il avoit peur
que cela nous mit mal ensemble. Charnacé parlant de
la neutralité de Trêves, le roi de Suède ne vouloit
■a
point qu'il lui parlât de lui rendre aucune des places
qu'il lui avoit gagnées -, ce qui est à remarquer, parce
que le Roi n'emporta ce point-là du depuis qu'avec une
très-grande difficulté. Peu après , le baron Gustave
Horn , ambassadeur extraordinaire dudi t r^de Suède ,
étant arrivé le i4 à Metz, Sa Majesté , après l'avoir
reçu magnifiquement , le chargea , très-particulière-
ment, defaireconnoUreauRoi son maître qu'il ëtoit
glorieux pour sa personne et avantageux à ses affaires
de ne point refuser cette proposition , puisque , d'un
côté , par ce moyen il aflbiblissoit l'Espagne et la mai-
son d'Autriche , et de l'autre , il témoignoit ne vou-
loir avoir affaire qu'aux invaseurs des biens et de la
liberté d'autrui, sans , sous ce prétexte , vouloir faire
invasion lui-même des États des princes plus foibles ,
sur lesquels la victoire , quand ils eussent été ses prin-
cipaux ennemis, ne lui pouvoit pas tourner à grande
gloire.
Le marquis de Brezé étant arrivé près dudit Roi,n'eut
pas de difficultéà lui faire trouver bon tout ce queSaMa.
jesté avoit traité avec ledit duc de Lorraine 5 il eut un
peu plus de peine à lui faire consentir de n'entrer pas
plus avant dans l'Alsace , à cause que le roi de Suède
lui dit que ses armes étoient non-seulement portées
en Alsace, mais engagées *, et il connut bien que la ville
de Strasbourg, sur laquelle il avoit dessein, en ëtoit
la principale cause ^ néanmoins il condescendit à lais-
DE RIGHELmU. [1682] 3l
ser les choses en Tëtat qu'elles étoient, et se contenta
de tenir dans Strasbourg un des siens pour lâcher,
(lar négociation, de la réduire à ce qu'il en désiroit.
Quant à ce qui étoit de la neutralité, le roi de
Suède lui témoigna (|u il connoissoit les artifices des
princes de la ligue par leurs propres lettres inter-
ceptées , par lesquelles il se voyoit que le duc de Ba-
vière , au fort des protestations qu il faisoit de se dé-
porter de tous actes d'hostilité , ne laissoit pas de faire
le contraÛM, ne désirant que pousser le temps à l'é-
paule et prendre ses mesures plus à propos ; que ,
pour ce sujet, il ne pouvoit accepter.le projet de la
neutralité que ledit duc avoit enfin tracé et signé en
paroles générales , et que le baron de Charnacé lui
avoit apporté deux jours avant l'arrivée dudit mar-
quis à Mayence , et lui proposa d'autres conditions
$ous lesquelles, et non autrement, il consentiroit à la
neutralité, les principales desquelles étoient que les
princes de la ligue restitueroient aux princes et États
protestans tout ce qu'ils avoient occupé sur eux de-
puis le commencement de cette guerre, et remet-
troient les choses au même état qu'elles éloieqt aur
para van t ; retireroientau plus tôt leurs gens de guerre
de toutes les terres desdits évangéliques, etlesferoient
vivre sur les leurs -, réduiroient leur armée à dix ou
douze mille hommes, dispersés dans leurs villes pour
leur défense , sans les tenir en corps d armée; ne per-
mettroient aucunes levées de gens de guerre pour le
service de la maison d'Autriche , et accorderoient ou
refuseroient également aux deux partis le passage sur
leurs terres ;
Que le roi de Suède, de sa part, nentreprendroit
SsL [l63a] MÉMOIRES
rien sur aucun prince de la ligue, excepte Tévéquede
Bamberg qui Tavoit trop oflensé; qu'hormis la ville
de Spire qui lui avoit été laissée, il restitueroit au
duc de Bavière tous les lieux qu'il tenoit au bas Pa-
latinat jusques à la cèmposidon amiable; qu'il seroit
traité entre lui et le comt^^alatin par l'entremise
des rois de France et d'Angleterre, et qu'il rendroit
aussi ^emblablement tout ce qui avoit été ôté aut
archevêques de Trêves et de Cologne.
Ces conditions sentoient bien leur princaflktorieux,
qui vouloit donner et non recevoir la loi^niais l'opi-
niâtreté du di^de Bavière y avoit donné lieu , quel-
que effort que le Roi eût essayé de faire en son esprit
pour le persuader au contraire ; car cette fermeté qu'il
avoit eue de demeurer uni aux intérêts de l'Empereur
avoit détourné, en i63i , les armes du roi de Suède,
contre sa propre intention, des États héréditaires delà
maison d'Autriche où elles étoient destinées ; ce qui
eût mis fin à la guerre, forçant l'Empereur à consentir
à des conditions raisonnables de paix.
Le roi de Suède de temps en temps en ^crivoit
:^ ^1^ 6t s'en plaignoit, mais particulièrement étant
arrîW à Mayence , où Sa Majesté envoya le sieur de
L'Isle pour lui faire quelque plainte de ce qu'il avoit
attaqué les États des princes catholiques contre le des-
sein de leur alliance , dont il verroit par expérience
qu'il ne recevroit pas tant d'avantage que s'il eût suivi
ce qui avoit été convenu entre eux. Il manda à Sa Ma-
jesté que la suite des affaires , à qui la considéreroit,
portoit en soi une évidente preuve qu'il y avoit été
forcé, et ,que les affaires l'y avoient plutôt conduit
qu'il ne les y avoit acheminées , d'autant que , bien
DE RICHELIEU. [l632] S3
e dès le commencement de la guerre il eût témoigné
sirer vivre en bonne intelligence avec la ligue ca-
ntique , et pris soigneusement garde qu^elle ne re-
t aucun véritable sujet d'ofHMie de sa part , néan-
uns il Favoit toujourf^trouvée en tête ^ les princes
celle, et particulièrement le duc de Bavière , ayant
lu si peu de compte de son procédé amiable envers
X , que , méprisant la tranquillité publique , le droit
s f ens et la neutralité qu'il leur avoit si souvent
erle , îlV^avoient joint toutes leurs forc0| à celles
s ennemis, se jetant en une guerre étrangère sans
filles y eût provoqués par aucune flijure, ni quils
[eussent dénoncé la guerre , et ne s'étoient abstenus
lucune sorte d*hostilité et de cruauté contre lui , et
§me que leurs troupes ayant été défaites à Leip-
Jl, ils les avoient rassemblées, eu avoient levé de
mvelles et continué eu leur mauvaise volonté^ ce
li Tavoit obligé de porter ses armes dans les pro-
oces de leur obéissance pour les empêcher de lui
ire davantage de mal \ qu'il s'étoit néanmoins retenu
.sques alors d'entrer dans les Etats du duc de Ba-
ère pour le respect de Sa Majesté, qui lui'itvoit
auvent écrit en sa faveur , et pour voir s'il déféreroit
Fautorité de Sadite Majesté , et se voudroit enfin
iparer de ses ennemis et cesser de lui faire la guerre ,
9 qail n'espéroit pas qu'il fit, tant pour la connois-
Loce qu'il avoit de son union coufirmée avec la mai-
>a d'Autriche, et pource qu'il savoittqu'il continuoit
mjours le même train avec plus de passion qu'au-
aravant. Sa Majesté avoit aussi sollicité le duc de
axe et les autres protestans d'AllemagneMe s'unir
troitement avec la ligue catholique, et avoit fait la
T. ^7. 3
3i( [1682] MEMOIRES
même instance auprès du duc de Bavière : il en fut
parlé en l'assemblée de Francfort -, le duc de Saice ne
s'en éloignoit pas, et le manda au Roi dès le 3 sep-
tembre ; le roi de SÉ^e même promettoit non-seu-
lement de Tagréer, mais de Iftj^promouvoir s'il accep-
toit la neutralité à de telles conditions que son parti
n'en reçût point de désavantage, et pussent juste-
ment être acceptées*, lui seul faisoit difficulté d'y
condescendre ^ et le duc de Saxe voyant ses troupes
jointes aiéec celles de l'Empereur, lui servil^ii faire la
guerre , il fut contraint , au mois de décembre , de l'at-
taquer dans le haut Palatinat , et le roi de Suède en-
voya aussi faire quelques courses dans le bas Palatinat;
ce qui enfin le contraignit, à la fin de décembre, de
donner l'acte de neutralité , lequel arriva trop tard
pour en recevoir le fruit que le Roi eût désiré.
Sa Majesté en ayant eu avis par le marquis de Brezé
en reçut du déplaisir, et fut en peine de la {^solution
qu'elle devoit prendre en cette occasion: elle pouvoit
espérer de grands avantages de la continuation des
troubles universels d'Allemagne \ si on n'y apportoit
aussF quelque retenue, elle craignoit le préjudice
que la religion en pouvoit recevoir , et quelque con-
seil qu'elle pût prendre en cette conjoncture , elle
prévoyoit qu'il en pouvoit arriver de grands biens
et de grands maux. Mais le pire conseil qui puisse
être étant de ne s'arrêter à aucun , et cette affaire ne
pouvant souffrir de délai , le cardinal dit au Roi que
pour se résoudre promptement, il falloit considérer
qu'en l'état présent des affaires d'Allemagne , elle ne
pouvoit agir qu'en l'une de ces quatre manières :
i^. Ou se joindre avec le roi de Suède pour faire
DE RICHELIEU. [l632J 35
la guerre ouvertement à la maison d'Autriche;
a*. Ou s'accommoder avec TEmpereur et TEspagne
pour faire conjointement la guerre au roi de Suède
et aux princes protestans ; %
3«. Ou essayer de fiire accepter la neutralité aux
trois électeurs catholiques es termes qu'elle étoit
proposée par le roi de Suède , s'il ne vouloit consen-
tir à d'autres meilleurs , et le laisser continuer la
guerre en Allemagne sans s'en mêler , mais seulement
tenir qu^nes troupes sur la frontièce pour^jlm servir
en tout événement ;
'^•. Ou bien , avec ladite neutralité , se rendre en
outre maître de l'Alsace, de Brisach et des passages
do Rhin qu'y tenoieut les électeurs catholiques , et
avoir lii une armée pour s'en servir aux occasions ; ce
qui se pouvoit, ou en faisant un trai0 avec le roi de
Suède qui olnigeât le Roi à faire cette conquête , en
sorte que l'un ne pût poser les armes sans l'autre ;
ou sans s'obliger par traité à aucunes conditions , afin
d*avoîr toujours le pouvoir de prendre des avantages
qae le temps, et les occasions pourroieot offrir ; ^^
Que chacune de ces façons d'agir avoit ses avan-
tages et set inconvéniens.
Que les avantages de la première étoient que l'on
poovoit ruiner absolument toutela maison d'Autriche,
être délivré pour jamais de la crainte , de la jalouse
et de la dépense auxquelles sa grandeur obligeoit il
y a long-temps la France, profiter de tk dépouille, et
le Roi se rendre le chef de tous les princes catholiques
de la chrétienté, et par conséquent le plus unissant
de l'Europe, le roi de Suède, qui alors pourroit en-
trer en compétence avec Sa Majesté , n'y étant en
3.
36 [l63a] MÉMOIRES
rien comparable , U|nt parce que de soi il n'ëtoit pas
fondé et n'avdit point de ressources pareilles à celles
delà France, que parce qu'étant sans suite et sans
appui il ne seroit pft tant considérable , et que res-
tant d'autres rois protestans ies voisins et ses anciens
émulateurs , il pourroit être empêché en ses progrès.
Que les inconvéniens étoient une guerre éter-
,^. nelle , peu de sûreté de la fidélité et constance du roi
de Suède et de sa vie même, après laquelle, son parti
étant edKèrement ruiné , la France restéroit seule
contre la maison d'Autriche ^ la facilité que les &-
pagnols et autres voisins du royaume avoient, pln-
dant une telle entreprise, de se joindre aux mauvais
Français et entreprendre contre nous, particulière-
ment s'il arrivoit quelque mauvais succès; la haine
qu'on encourriit indubitablement de^us les catho-
liques , voyant le Roi allié avec un prmcaJiérétique
pour la ruine d'une maison si pieuse.
Que les avantages de la seconde étoient l'appa-
rence qu'il y avoit qu'on conserveroit la religion
%n Allemagne, et peut-être en toute la chrétienté;
on acquerroit grande réputation parmi les catho-
liques , l'on rabaisseroit la puissance d'un prince
# dont l'ambition et le courage étoient grandement i
craindre , puisqu'il y avoit lieu de croire, que seul il
A^it capable de plus nuire en un an que n'a voit fait
la maison d'Autriche en cent 5 qu'on pourroit en outre
profiter. 4^ la H^ine des protestans.
Que les inconvéniens de ce dessein étoient le pé-
ril qu'il y auroit que le roi de Suède, découvrant ce
dessein , ne s'accommodât , même à son désavantage,
avec la maison d'Autriche , pour ensuite nous faire la
DE RiGUKybu. [i63d] 37
guerre ; le peu d'assurance que Von devoit prendre à
la foi des Espagnols , le danger de laisser tellement
accroître la maison d'Autriche ^elle lut formidable
à la France , et nous obligeât à une guerre ëternelle
pour nous défendre contre elitfbu contre les ailles
ennemis du dehors ou du dedans qu'elle pouvoit en
ce cas nous susciter.
Que les avantages de la troisième ëtoient de de-
meurer présentement sans guerre, empêcher l'effet
des mauvais desseins des ennemis de la France , être W
en état de porter ses armes en tous les lieujj^où on le
«eroit nécessaire , se rendre considérable à tous
deur partis qui craindroient de nous avoir pour
ennemis, et pouvoir prendre l'occasion telle que le
temps la pourroit présenter , de profiter par accom-
modement ou par guerre de la mauvaise fortune
d'autrui* ^ 0
Que ]iif inconvéniens étoient la ruine presque iné-
vitable des princes catholiques et de la religion en
Allemagne, par la facilité qu'auroit le roi de Suède de
rompre la neutralité avec eux , après avoir occupé
toutes les entrées du Rhin et des Grisas ^ l'impossi-
bilité de secourir lesdits princes selon la promesse
qu'on ledt* en avoit faite ; le peu de réputation qu'ac*
qoerroil le Roi de laisser périr la religion catholique.
en Allemagne et les pfeinces qui la professent , après
avoir promis de les défendre; la crainte que le |rop
grand accroissement du roi de Suède ne fût préju-
diciable à la France , dont il seroit#bisin s'il se reu*
doit maître de l'Allemagne, et l'apparence qti'il y avoit
qu'après la conquête de la Germanie , la France res-
tant le seul Etat qu'il dût considérer et qu'il pût
#
38 [ibSaJ MEMOIRES
craindre , il emploieroit toute sa puissance pour la
ruiner , soit par soLmi par les mauvais Français , ou
par tous les deux ensemble \ la crainte qu on devoit
avoir qu'il portât ses armes en Italie contre le Saint-
Si^ , et ruinât absolument partout la religion catho-
lique, comme on savoit qu'il en avoit dessein , joint
l'extrême dépense qu'apporteroit l'entretien d'une ar-
mée inutile sur la frontière , avec perte de réputation.
Que les avantages de la quatrième et dernière fa-
çon étoient la facilité de secourir l'Allemagne toutes
fois et quintes qu'elle seroit attaquée ; le moyen in-
faillible de faire observer la neutralité aux uns et ai)|;
autres quand ils en seroient convenus ; l'autorité
qu'un tel dessein donneroitau Roi dans l'Allemagne,
où il auroit infailliblement tous les princes catholi-
ques sous sa protection , et les protestans mêmes, s'il
mésarrivoit du loi de Suède , ou si Vfjgi avoit mé-
contentement de lui ; le moyen de résister, f<iire don-
ner la loi à la maison d'Autriche , quoi qui pût arriver
au roi de Suède *, la disposition entière des sufl^ges
des quatre électeurs catholiques , et le soulagement
des provinces ëe France par l'éloignemenl des troupes
du Roi , avancées dans l'Alsace et sur le Rhin , où Ton
pouvoit trouver moyen de les nourrir sans incommo-
jydité de la France , outre qu'il y avoit grande appa-
rence que le roi de Suède, voyant l'entrée ouverte
veii la France , perdroit le dessein du Tyrol et dlta-
lie, craignant qu'on lui empêchât le retour*, finale-
ment on^pignéfoit Suède des frontières de France ;
et si l'on retiroit IVIayence cela donneroit grande
réputation aux armes et à la piété du Roi.
Que les inconvéniens étoient que, quelque pré-
DE nicHEU£U. [i63'%] ^ 39
texte qu on prit d'occuper TAlsace , il ëtoit à crain-
dre que la rupture avec toute k maison d'Autriche
ne laissât pas de s'ensuivre , lac^^le apporteroit tous
les dommages ci-dessus rapportes en la première fa-
çon d'agir. Il y avoit peu de profit présent et beauctop
de mal k veoir, si la rupture arrivoit-, qu'il y auroit
grande difficulté de garder l'Alsace , ouverte de tous
côtés, et finalement qu'il pourroit arriver que le
roi de Suède, voyant Sa Majesté engagée en cette
gaerre, s'accommodât avec la maison d'Autriche ta- ^[P
dtement ou par traité , et nous laissât le faix de la
g nerre ;
Que , tout ce que dessus bien considéré , il ne sem-
bloit pas que le Roi dût se résoudre au premier ni au
second expédient, parce qu'il falloit se donner garde
jusqu'à l'extrémité d'entrer en rupture ni avec le roi
de Suède ni avec la maison d'Autriche; qu'on ne
devoit point exposer, qu'à toute force. Sa Majesté à
porter le travail du corps et de l'esprit auquel ladu-
rétAe la guerre l'obligeroit ; que sa santé peut-être
ne liii pourroit permettre une continuelle demeure
en ces frontières , et une si longue absence de Paris
et autres lieux du royaume où son contentement et
$es affaires le pouvoient appeler; que le revenu orr
dinaire de Sa Majesté ne pouvoit suffire aux frais
d'une si longue guem, et que, n'étant suffisant, il
seroit difficile de trouver de l'argent et de faire yëri-
fier des édits par le moyen desquels on en pourroit
recouvrer; que les facultés du peuple éloient pe-
tites , et grands les dégâts que leur caiflbroient les
levées de gens de guerre qu'il faudroit faire pour
tenir un juste corps d'armée , et plus grandes les cla-
4o [l63a] MÉMOIRES
meurs de tous les ordres du royaume sur ce sujet)
Que nous n'avioq|.,pas beaucoup de chefs capables
de faire la guerre ; qu'il se trouveroit peu de fidélité
et d'affection *, que Thumeur des Français ëtoit égale-
ment impatiente de guerre et de repos*, que le dé-
goût de ceux que Ton emploieroit, et la jalousie de
ceux qu'on auroit délaissés , faciliteroient à Monsieur
les moyens de se les acquérir ;
Que les gouverneurs des places et des provinces ,
par avarice , légèreté , vengeance ou prévoyance de
Tavenir , seroient plus aisément persuadés, si le Roi
ëtoit une fois engagé en une guerre étrangère, à
suivre le parti de Monsieur et se déclarer pour lui , à
quoi ils seroient encore portés par Tenvie naturelle
qu'ont les Français de voir du changement au gou-
vernement public de la cour*,
Que les moindres accidens de la guerre, ou sur-
prise d'une place , pouvoient ébranler beaucoup de
choses en ce royaume , et exciter de grande» clameurs
contre ceux qu'on voudroit dire auteurs d'une mcrre
étrangère;
Que, pour toutes ces raisons, il concluoit que les
inconvéniens, qui arriveroient certainement de la
guerre surpassant tous les avantages et profits qu'on
en pourroit présentement tirer, on d^voit éviter d'y
entrer, et partant rejeter la première et la seconde
manière d'agir qui avoient été proposées ;
Quant aux autres manières, il falloit prendre quel-
que chose de l'une et de l'autre ;
Qu'il ne falloit omettre aucun moyen pour sauver
la ligue catholique et la religion en Allemagne, mais
qu'il n'y en avoit aucun qui parût absolument certain
DE RJCHELIKU. [l632] 4'
pour parvenir à celte fm, et partant que le meilleur
((u'oa pût prendre ëtoit celui qui seroit le moins dou-
teux;
QQ*en rétat où les affaires ëtoient réduites par la
longueur qu'y avoit apportée le duc de Bavière, il
serobloit qu'il n'y en eût point d'autre que de passer
la neutralité aux meilleures conditions que l'on pour-
roit , non honteuses pour le Roi et supportables pour
les électeurs et princesde la ligue catholique , auxquels
il falloit laisser le choix de les arrêter ou de rompre ,
afin que, quelque événement qui en arrivât, ils ne
pussent se plaindre que d'eux mêmes *,
Détourner ensuite le roi de Suède , autant que Ton
pourroil, du dessein deFAIsace et de l'occupation du
Rhin ; le laisser en espérance , sans s'y engager tout-
à-fait , que le Roi l'entreprendroit dans peu de temps,
et cependant voir comme iroient les affaires de ce
conquérant et celles de ses ennemis ^ négocier avec
les électeAs, savoir comme, par leur moyen, on
poQiHÛi s'assurer d'un passage sur le Rhin , du tout
néc^Sîre pour les secourir , soit de ceux qui étoient
en leur puissance , s'ils en avoient encore , soit de
ceux qui dépendent de la maison d'Autriche, sans
rompre avec elle ;
Que Bavière devoit envoyer vers l'archiduc Léo-
pold pour voir s'il vouloit consigner Brisach à cette
fin , à condition que le Roi mettroit entre les mains
du nonce lettres patentes par lesquelles il s'obligeroit
de le rendre^ ^
Ticber de procurer secrètement une bonne union
avec les électeurs catholiques et les protestans ;
Assurer messieurs les électeurs que le Roi seroit
4^ [l^^3a] MÊMOIKkS
toujours prêt et disposé à les secourir eu cas que la
neutralité fût violée*, qu'il tiendroit pour cet effet,
non sans grands frais qu'il feroit en leur seule con*
sidération et celle de la religion , une armée de trente
mille hommes et de six mille chevaux sur sa fron-
tière, et dès à cette heure leur offroit des gens de
guerre s'ils en avoient besoin pour leur aider à gar-
der les places qu'ils avoient sur le Rhin, la Moselle
et la Meuse , laissant à leur option d'en prendre ou
n'en prendre pas -,
Que, la neutralité signée, le roi de Suède ne se
pou voit plaindre si Ton mettoit des Français dans ces
places , puisqu'on auroit lieu de lui faire voir que c'é-
toit pour empêcher que les Espagnols ne fissent le
même , et les détacher tout-à-fait de la maison d'Au-
triche;
Leur dire enfin que Sa Majesté désiroit si reli-
gieusement leur conservation, que, sans jalousie d'au-
cun autre prince qui les pût aider, elle nef prétendoit
pas les empêcher de se servir de tout secour|v qu'ils
estimeroient leur être utile , mais leur offroit le sien
sans les priver d'aucun autre ;
Qu'il estimoit qu'il falloit parler ainsi aux ambas-
sadeurs de la ligue et électeurs, afin qu'ils ne pus-
sent dire qu'on les a voit empêchés d'être secourus
d'Espagne , et cependant qu'on les avoit laissés per-
dre ; et toutefois ils n'oseroient se jeter entre les
mains des Espagnols, à cause de la jalousie qu'en
prendroit Suède, et de la rupture qui en pourroit
arriver entre eux: par ce moyen on n'entreroit point
en rupture avec personne ; on seroit sur ses pieds et
sur ses forces pour profiter du temps et des occasions,
0K HiCHKLlfiU. [163^] 4^
les ëlecleurs et la ligue catholique ne pourroient se
plaindre du Roi , ains auroient tout lieu de s'en louer,
de ce que, nonobstant le malheur qui leur est arrivé
))ar leur négligence, Sa Majesté n'auroitrien oublié
de ce qu'elle pouvoit pour les secourir ;
Qu'après tout ce que dessus, la question étoit de
savoir ce qu'il falloit faire au cas que le roi de Suède
fût si injuste qu'il ne voulut rien changer en l'acte de
neutralité dernière qu'il avcit donné;
Que s'il s'affermissoit en cette injustice , il falloit
tenter, sans rien rompre, d'obtenir quelque temps,
dans lequel les électeurs et la ligue s'assemblassent
pour voir s'ils a<^pteroient la neutralité, et ce-
pendant faire cessation de toute hostilité entre eux;
Qo#^ s'il refusoit ce parti , il falloit donner le choix
aux électeurs, ou de signer la neutralité telle que le
roi de Suède l'avoit envoyée , ou de se défendre, et,
en ce cas, offrir quelques secours à Bavière, à
Trêves eX*k Cologne, pour leur aider à défendre
leurs places qu'ils ont sur le Rhin, la Moselle et la
Meusd, s'ils le désiroient , les priant de bien consi-
dérer s'ils se pouvoient sauver en l'état auquel ils
étoient, quelque secours que le Roi leur pût donner.
Le Roi, suivant cet avis, manda au marquis de
Brezë que, nonobstant les rudes conditions que de-
mandoit le roi de Suède, il ne laissât pas de con-
tinuer sa poursuite entre lui et les princes de la ligue
catholique pour la neutralité, et de réduire les cho-
ses, s'il se pouvoit, à des conditions auxquelles les
uns et les autres pussent condescendre*, que, pour
cet effet , il obtint quelque suspension d'armes pour
donner loisir aux uns et aux autres de traiter sans
44 [^(iB^] MEMOIRES '
que rien pût survenir cepehdant qui changeât Tétat
des affaires.
Il ne put obtenir du roi de Suède plus de quinze
jours de temps : après qu'ils furent expirés ledit
marquis n'ayant reçu aucune réponse du duc de Ba-
vière , il supplia le roi de Suède de vouloir accorder
encore huit jours ^ ce qu'il fit après y avoir beaucoup
résisté.
Le roi de Suède tenoit ferme en ce qu'il avoit pro-
posé , et ne plioit point.
Les autres étoient plutôt irrésolus que fermes, mais
leur irrésolution faisoit le même effet que la fermeté,
parce qu'elle les faisoit deroeurei^^n l'état auquel ils
étoient, ne leur donnant pas lieu de se déterminer àce
qui leur étoit le plus avantageux , et particulièMement
Bavièreavoitpeinedese relâchera rendre aucune chose
de ce qu'il tenoit du bas Palatinat. En cette incerti-
tude, lui et la ligue catholique se plaignoiententre eux
secrètement du Roi ; ils eussent voulu quHl se fût dé-
claré en leur faveur contre le roi de Suède qui leur
faisoit du mal , ne considérant pas que ce mal leur
venoit de plus loin ^ savoir est de l'ambition insa-
tiable de la maison d'Autriche qui l'avoit appelé en
Allemagne, contraignant lesfoibles de se jeter entre
ses bras *, où , au contraire , le roi de Suède pouvoit,
avec quelque juste raison , prétendre avoir sujet de
se plaindre de Sa Majesté , car par ce traité il retenoit
le cours de la prospérité de ses armes ; et Saint-
Etienne lui parla peu après si sèchement en faveur
dudit duc de Bavière , que ledit Roi s'en plaignit au
marquis de Brezé, et lui dit qu'il ne croyoit pas que
Sa Majesté lui eût commandé de lui parler ainsi.
DE RICHEtIBU. [l632j 4^
LMlecleur de Mayence, qui, comme tous les autres
ëlectears catholiques, eût bien désiré d'un côté la
neutralité, mais craignoit d'autre part s'il Tacceptoit
de laisser par ce moyen ruiner la maison d'Autriche
et laiaier trop accroître le roi de Suède, avoit obtenu
de l'Empereur, quelques jours auparavant, pour ob-
vier k ces incoDvéniens , que Ton travaillât à une paix
générale; mais le Suédois n'en voulut pas ouïr parler
qu'il ces conditions :
Que l'Empereur révoquât ses édits contre les pro-
testans; que Texercice des deux religions fût libre par
tout l'Empire;
Que la BohénAr, la Silésie et la Moravie fussent
remi^ en leur ancien état, et tous les bannis rap-
pelé^
Que le prince Palatin fût rétabli, tant en ses biens
qu'en sa dignité électorale ; '
Que les lieux occupés, l'an passé, par les catho-
liques au duché de Wurtemberg fussent restitués ; *
Ceux des deux religions également admis aux digni-
tés ecclésiastiques.
Ces conditions firent évanouir la proposition faite
pour ladite paix , à laquelle la maison d'Autriche ne
poovoit consentir.
Cependant, nonobstant les trois semaines de sus-
pension d armes accordées par le roi de Suède pour
conférer avec Bavière de ladite lyutralité , on n'en-
tendit point de ses nouvelles, ni ne vit-on aucun
envoyé de sa part , mais seuleinent vint avis au roi
de Suède de la défaite de quelques troupes de Horii ,
qui étoientdans la ville de Bamberg, par Tilly, géné-
ral de l'armée de la ligue , dont ledit Roi oiTensé partit
4b [1632] MÉMOIllES
au commencement de mars avec des troupes pour
joindre Hom , reprendre Bamberg et tout ce qu'il
avoit perdu.
Bavière se plaignoit au Roi des rudes conditions
de neutralité que le Suédois lui présentoit.
Le Roi lui manda qu'il emploieroit, et de fait em-
ployoit ses offices envers leditRoi ,afin qu'il condes-
cendit à des conditions plus justes , et de convenir
promptement du jour et du lieu d'une assemblée
pour terminer les différends et mettre la tranquillité
en l'Empire ; en quoi Sa Majesté eût été plus puis-
sante si ceux qui y avoient autant d'intérêt qu'aucun
autre eussent donné sujet d'en attendre la sincérité
que méritoit une affaire si important^ à la chrétienté;
et que lui cependant , au milieu des soins et des
offices de roi , n'eût point attaqué le roi de Suède,
qui ne tournôit point ses armes contre lui , comme
s'il eût voulu rompre toute sorte de négociation , et
'à la vérité aussi la vouloit-il rompre en effet , bien
qu'il eût honte de le faire ouvertement; car il s'étoit
secrètement uni aux intérés de l'Empereur, et fit faire
une solennelle déclaration par ses ambassadeurs qu'il
avoit près ^e loi , de vouloir demeurer uni avec
l'Empereur, et de renoncer à tous les traités de neu-
tralité qui lui avoient été proposés de la part du Roi.
Ensuite de quoi l'Empereur manda à Aldringuer de
joindre toutes sea forces à Tilly pour s'opposer au
maréchal Horn, et le chasser de Bamberg; et Des-
bayes , qui éloit près de l'Empereur de la part de
Monsieur, mandoitaudit seigneur, du 10 mars, que do-
rénavant Bavière, qui avoit jusqu'alors tant déclamé
contre sa négociation, ne le feroit plus à l'avenir,
DE RICHELIEU. [l63a] 4?
mais lai donneroit assistance ; et, biea que le roi de
Suède se plaigoit au marquis de Brezé de rinfidélitë
qu*il prélendoit avoir reçue dudit Bavière, et du dom-
mage qu'il recevoit pour avoir déiërë par respect et
amitiéil^ la volonté de Sa Majesté , il ne laissa pas
néanmoins de commander à Oxenstiern, son chan-
celier, de demeurer à Francfort, et lui donna tout
pouvoir de parachever le traité de ladite neutralité.
Les députés de Cologne, Bavière et Trêves y arri-
vèrent enfin, après s'être fait attendre six semaines
entières; mais, dès la première entrevue, ceux de
Bavière et de Cologne déclarèrent qu'ils n'avoient
poavoir que de mander des nouvelles à leurs maîtres,
et non de rien conclure ni traiter. A quoi leur étant
dit qaflf leur voyage étoit donc du tout inutile , ils dé-
nudèrent dix jours pour faire savoir à leurs maîtres
rétat des choses , dans lesquels ils eurent réponse, et
ceux de Bavière et de Cologne ne voulurent rien
condure.
Les ambassadeurs du Roi dépéchèrent en même
temps àVélecteurde Trêves le sieur de La Saludie que
le Roi leur avoit envoyé pour traiter en son nom avec
ledit Electeur, selon les ordres qu'ij^ lui en donne-
roient. Il eut charge de représenter andit Electeur les
visées que le roi de Suède avoit sur ses places de
Philisbourg, Hermenstein et Coblentz, et Tintention
qoll avoit de les occuper, comme lui étant du tout
nécessaires pour Fexécution de ses desseins, pour
reflet desquels il avoit entièrement besoin d'avoir le
Rhin libre ; mais, ne les pouvant attaquer maintenant
sans oflenser le Roi , U essayoit d'y parvenir par un
antre moyen , disant an Roi qu'il faUoit absolument
48 [l632] MÉMOIRES
que ledit Electeur les remit entre les mains de Sa
Majesté ou entre les siennes, et que si ledit Electeur
ne vouloit faire ni Tun ni Tautre, le Roi devoit trou-
ver bon , puisque la nécessité du bien de ses affaires
le requéroit ainsi, qu'il s'en assurât comme H^pour-
roit, et s'en rendit maitre si le Roi ne le vouloit faire,
■
puisqu'il n*en pouvoit être assuré que lorsqu'elles se-
roient entre les mains du Roi ou dans les siennes ;
qu'il pressoit nos ambassadeurs de lui donner réponse
là--dessus.
Ce que n'ayant voulu faire sans en avoir préalable-
ment donné avis au Roi, Sa Majesté, pour ce siijet,
lui avoit donné cliarge de venir trouver son altesse ,
pour lui offrir en cette occasion toute l'assistance qui
étoit en son pouvoir, et prendre en sa garde et dépôt
lesdites places , pour les lui conserver et les lui r^i-
tuer lorsque les affaires d'Allemagne étant composées
ne lui donneroient plus d'ombrage ni de crainte de les
perdre. Sur quoi il supplioit son altesse de lui donner
sa résolution par écrit , tant pour sa décharge particu-
lière qu'afin que le Roi pût faire voir à tout le monde
qu'il avoit contribué tout ce qui avoit dépendu de
lui pour la conservation de son altesse, et pour empê-
cher le mal qui lui pourroit ci-après arriver.
Il devoit représenter aussi audit Electeur qu'il lui
étoit impossible de conserver ses places par lui-même;
que , s'il refusoit un des partis qui lui étoient offerts,
il se privoit de l'espérance d'être secouru par les
Français au cas qu'il fût atttaqué , tant par l'opposi*
tion du Rhin qui est entre deux , que d'autant qu*il
les y convioit peu par la mé&ance qu'il témoignoit
avoir d'eux , laquelle il connoimiit bien être mal fon-
DE RICHELIEU. [iGSl] 49
àée s'il considéroit de quelle façon on avoit toujours
osé dans la restitution des places qui leur avoient été
:onfiëes , comme le témoignoient bien de fraiche mé-*
moire Casai ^ Suse et toutes les autres places de Sa-^
voie ^Italie ^ et en un mot qu'on ne trouveroit point
pie jamais les Français en eussent retenu , et que les
Espagnols en eussent rendu aucune ^
Que , n'étant pas assez puissant de conserver ses
places par lui'-méme, il faudroit, par nécessité,
qu'elles tombassent entre les mains des Espagnols ^
de Suède ou de France. Tombant entre les mains des
Espagnols , il devoit considérer qu'outre qu'ils .ne
rendirent jamais places dans lesquelles ils aient été
les maîtres» il s'attiroit indubitablement les armes de
Suède , et faisoit de son pays le siège de la guerre,
pource que le roi de Suède ne consentiroit jamais que
les Espagnols possédassent des places en des lieux
si propres à lui nuire*
Outre que , les Hollandais étant prêts de mettre en
campagne » les Espagnols ne le pourroient secourir ,
ayant assez d'affaires à se défendre , et que quand
même ils le feroient , en quelque façon que la chose
pût arriver, que ses places fussent occupées par
Suède ou Espagne » elles seroient perdues pour Ipi ,
sans mettre en compte l'offense qu'il feroit au Roi de
se confier plutôt à ses ennemis propres qu'à la France,
de qui il n'avoit jamais reçu qu'avantage ;
Et que si elles tomboient entre les mains du roi
de Suède , il y avoit tant d'inconvéniens , tant pour
la religion que pour se confier à un ennemi déclaré
de l'Empire , qu'il étoit inutile de les déduire. Là
où les mettant entre lAr mains des Français, il étoit
T. 27. 4
5o [l63st] MÉMOIRES
délivré de tous ces inconvéniens , sauvoit sa religion
et ses églises, délivroit non-seulement son pays de
guerre , mais des garnisons dont il étoit chargé main-
tenant, et se conservoit indubitablement et sans
péril ses places pour Tavenir , le Roi étant tro|^pieux
et religieux observateur de sa parole pour manquer à
ce qu'il promet, joint que Sa Majesté n'avoit intérêt
ni prétention en Allemagne que d'y procurer le bien
et repos public *, que le Roi jusqu'alors n'avoit pu ob-
tenir du roi de Suède qu'il ôtat absolument toutes
les troupes qui étoient dans ses terres , d'autant qu'il
lui avoit toujours déclaré ne le pouvoir faire qu'il ne
fut assuré desdites places , et que , bien loin d*en
ôter, son dessein étoit de les augmenter, en sorte
qu'elles fussent capables de faire un siège, ce qu'é-
tant très-certain, ledit Electeur pouvoit penser en
quel état étoient ses affaires , et sur cela se résoudre f
mais qu'il considérât enfin qu'il ne traitoit point en
cela avec lui autrement qu'il avoit fait avec les autres;
qu'ainsi s'étoit-il comporté avec le marquis de Bran-
debourg , duc de Saxe et de Meckelbourg et le land-
grave de Darmstadt, desquels il avoit pris des places ,
et qu'il protestoit tout haut ne se pouvoir jamais fier
en la parole des prêtres , vu que le premier qui avoit
traité avec lui, qui étoit l'évéque de Bamberg, Ta-
voit trompé.
L'Electeur, ayant bien pesé toutes ses raisons, ra-
tifia le traité de neutralité que les ambassadeurs du
Roi et ses députés arrêtèrent de nouveau avec Oxens-
tiern , et fit encore un traité particulier avec eux ,
par lequel [il promit de remettre Hermenstein , Ck>-
blentz et Philisbourg , entre lëfmains de Sa Majesté ^
DB BlCItELIBU. [l63!2] ^t
et la sapplia^ ce faisant, de Tassister à Rome et de
commander à son ambassadeur d'y avoir soin de se9
intérêts, entretenir correspondance avec le sieur
Paulucio, résident pour ledit archevêque à R6me ,
et faire envers Sa Sainteté qu'elle ne reçût point les
princes, ses chanoines, ses .ennemis excommuniés^
n'infirmât point ses sentences , mais en laissât faire
Texécution sans renvoyer, par forme de commission
ou autrement, aux nonces du Liège, Cologne, ni Flan-
dre , et fit entendre clairement à Sa Sainteté que le
Roi étoit résolu de maintenir ledit archevêque en
tous ses droits, spécialement en celui qu|il avoit dans
Saint-Maximin, et y faire effectuer les brefs dA^Sa
Sainteté ; et que Sa Majesté le vouloit aider à chasser
les chanoines excommuniés et rebelles à leur prince
naturel, et remettre en leur devoir ses sujets, qui, par
la séduction des ennemis communs^ lui avoient
manqué de fidélité.
Les longueurs des députés de Cologne et de Ba-'
vière n'arrêtoient pas cependant les armes du roi de
Suède , lequel n'avoit, depuis son arrivée à Mayence^
perdu le temps , mais avoit fait lever des gens par tous
ses amis en Allemagne. Ses premières armes furent
employées en Alsace, où il attaqua, dès le commen^-
cement de janvier , le duc de Lorraine , qui en tenoit
la plus grande part. Il le chassa d'Helbroun et prit
toutes les autres places qu'il tenoit, et plusieurs autres
sur le Rhin. De là, il envoya Horh dans le Palatinat
inférieur, d'où il chassa les Espagnols de tontes les
places , excepté de Philisbourg , Franckendal et Hei"
delberg , et alla à Bamberg pour venger quelque hos-
tilité qui avoit été cMomise contre le Roi son maître^
4-
5« [l632] MÉMOIRES
au préjudice de la trêve qu'il avoit avec Tévâque du
lieu , entra dans la ville d'où la garnison s'en étoit
fuie Avant son arrivée, et prit tout Tévéché.
Mais, à un mois de là, comme nous avons dit,
Tilly vint à lui, de la Bavière et du haut Palatinat ,
avec vingt-deux mille Hbmmes.
Horn n'avoit pu en si peu de temps conduire à leur
'# perfection les fortifications . de la place , qui est une
grande ville ouverte de tous côtés , de sorte que,
Tilly l'y força facilement; toutefois il fit passer la ri-
vière du Mein à son armée, rompit le pont derrière
lui^et se Hftira en grande diligence avec peu dé
perte jusques à Gheltersheim , d'où il manda en dili-
gence , à Francfort , au Roi son maître ce qui lui étoit
arrivé.
Ledit Roi, sans perdre temps, ramassant tout ce
qu'il put de troupes, l'alla joindre, et avec lui alla
droit à Tilly, qui Tavoit poursuivi jusque-là. Tilly,
ne l'osant attendre , repassa le Mein et alla camper à
Tentour de Bamberg : ce Roi l'y suit à grandes jour-
nées ; ce que sachant , il va droit à Donawert, et de
là en Bavière, où il se joint aux troupes dudit Elec-
teur, campe son armée au delà de la rivière le Lech,
et rompt le pont pour empêcher ledit Roi de venir à
lui, lequel, le suivant, reprit Bamberg et toutes les
autres places dont il s'étoit rendu maître, s'assura de
Ifuremberg, dont il se saisit le 20 mars , et va droit
à Donawert , ville sur le Danube , laquelle , bien que
Tilly eût munie de tout ce qui sembloit être né-
cessaire pour sa défense , il emporta en vingt-quatre
heures , et ensuite s'assure de toutes les villes et pas-
sages le long de ladite rivière jusques à Ulm , qui
DE BICHELIEU. [l63a] Si
étoit dëjà à lui. Lor^, il fait passer son armée au dels^
le Danube dans la Bavière , poursuivant Tilly, qui ^
après avoir mis quatre mille hommes dans Hfigs-
bourg , s*étoit allé camper au-delà la rivière du Lech,
près de la ville de Rain, où^ ayant rompu le pont»
il se retrancha en résolution d*empécher le passage de
la rivière au roi de Suède , qui vint camper vis-à-vis
de lui sur Tautre rivage , résolu aussi de le passer.
Leurs armées étoient quasi égales, étant composées
de trente à trente-cinq mille hommes chacune. Le
duc de Bavière étoit en personne en c^b de Tilly ,
et attendoit un secours de quatre mil*cheva4ilet
sept mille hommes de pied commandé par Gallas >
qui venoit de Bohême. Saint-Etienne étoit près de
lui il y avoit long-temps, traitant de la part du Roi
pour la neutralité-, il l'envoya au roi de Suède avec
excuse s'il ne Tavoit encore reçue ^ et promesse de
condescendre à toutes conditions équitables; mais
l'extrémité de l'occasion ne donuoit pas lieu à cette
négociation.
Le roi de Suède , voyant qu'il tentoit en vain de
passer la rivière du Lech , fit semblant de perdre ce
dessein : il logea son armée dans les bourgs et les
villes d'alentour *, et , vers le commencement d'avril ,
remarquant que les troupes ennemies prenoient moins
soigneusement garde au rivage, il choisit une nuit
obscure accompagnée de pluie , jeta un pont sur la
rivière, et eut passé la plus grande part de son armée
avant que le soleil fût levé , et , à mesure qu'elle pas-^
soit, il avoit soin de la mettre en bataille devant la
pont, de part et d'autre , laissant le milieu libre pour
donner moyen au re$te de son armée , qui passoit >
54 [l632] MÉMOIRES
de filer toujours et s'y mettre en bataille, et empêcher
aussi par cet ordre TefiFort des ennemis s'ils le ve-
noiétl attaquer , contre lesquels il avoit fait braquer
son artillerie pour les endommager auparavant qu'ils
fussent arrives à ses gens.
" Tilly en étant averti y accourt, et, trouvant la
plupart de l'armée passée, jugea bien que c'étoit
une hardie entreprise à lui de le vouloir combattre ;
craignant néanmoins qu'il n'y eut pas moins de péril
pour lui de se retirer, en étant venu si avant, il se
résout de copbattre ; et, envoyant sa cavalerie légère
es!^er d'attaquer les Suédois par derrière et les séparer
de leur pont, et, par ce moyen, du reste de leurs troupes
qui étoient delà de l'eau , il va avec le reste de son
armée l'attaquer de front , anime ses soldats , par la
considération de l'armée ennemie qui. est moindre
que la sienne , et divisée , et partant qu'il leur est fa-
cile de les vaincre et d'effacer la tache dont ils ont
souillé leur gloire en la bataille de Leipsick , et , néan-
moins , que s'ils ne sont victorieux il n'y a point de
salut pour eux , ayant affaire à un prince qui les pour-*
suivra avec tant d'ardeur qu'il ne leur donnera pas
lieu de se pouvoir retirer nulle part.
Le roi de Suède , au contraire , représente aux siens
qu'ils sont en possession de vaincre Tilly , la facilité
qu'il leur en donne venant à eux , au lieu de les at-
tendre en son camp où il eût eu peine à les forcer;
que les ennemis mêmes leur otTrent la victoire ; qu'ils
les en doivent remercier, l'acceptant et combattant
courageusement. Si l'attaque fut furieuse de la part
de Tilly , elle fut soutenue vivement par le roi de
Suède } et enfin , après trois heures de combat , le reste
DE RICHEUEU. [lÔSs] 5f
de Tarmëe suédoise étant passé durant ce temps »
les Impériaux , qui étoient venus de loin au combat «
commencèrent k se lasser et à lâcher le pied. Tiljpi al-
lant par tous les rangs j les suppliant de ne pas les aban-
donner et de mourir avec lui en combattant plutôt
que fuyant avec honte, fut blessé à la cuisse d*un
coup de fauconneau , Aldringuer le fut aussi d'un
coup de mousquet. Les deux chefs étant blessés ,
toute Farmée s'enfuit à vau-de-route , et les chemins
étant glissans et fangeux, les soldats harassés ne
pouvant presque cheminer , il en fut fait un grand
carnage par les Suédois , et eût été plut grand ù lo
duc de Bavière , que Tilly avoit , en partant de son
camp , averti de le suivre , ne fut arrivé avec son
armée, qui étoit de dix mille hommes, n'eut fait ^
tourner tête aux Impériaux et arrêté les Suédois,
contre lesquels néanmoins il n'osa pas hasarder le
combat, mais se contenta d'arrêter la déroute des
siens, et se retira dans sa forteresse dlngolstadt , où,
peu de jours après , Tilly mourut chargé de victoires
durant tout le cours de sa vie, excepté contre le roi
de Suède, contre lequel il ne put jamais avoir aucun
avantage, mais, au contraire, en fut toujours battu
en toutes les rencontres , soit que le roi de Suède fût
pkis habile et plus grand capitaine que lui , et ses sol-
dats meilleurs que les siens , ou que la fortune soit
d'ordinaire plus favorable aux jeunes capitaines qu'aux -
vieux.
Pendant que ces choses se passoient entre le roi
de Suède et Tilly , les princes protestans d'Allemagne,
confédérés avec le roi de Suède , tenoient une assem-
blée à Torgau pour voir ce qu'ilé avoient à faire de
iS [t63i] mémoires
leur part pour s'opposer à Walstein , tandis que ledit
Roi s'opposoit à rarmée de Tilly et de la ligue catho*
liqoft} car Walstein, ayant reçu de TEmpereurla
chargé de général de ses armées , avoit envoyé in*
continent partout où il avoit cru pouvoir lever des
gens de guerre , ne faisant distinction de catholiques
ni de huguenots, avoit publié avec grand soin que ce
n'étoit point une guerre de religion, mais d'État, et
fait savoir que , s'il n'avoit pas assez d'argent comptant
à distribuer , il donneroit des quartiers à ses soldats
qui leur en fourniroient abondamment , auxquels
quartiers il avoit destiné ce qui obéissoit encore à
l'Empereur dans la Bohême, la Moravie , l'Autriche,
la Silésie et ses autres provinces héréditaires , et par
ce moyen , et la grande réputation qu'il avoit parmi
les gens de guerre, il mit sur pied , en trois mois , une
armée suffisante pour s'opposer à une de celles des
ennemis.
Dès l'année précédente , le duc de Saxe s'étoit em-
paré de Prague et presque de toute la Bohême , comme
nous avons dit ; il y avoit traité les peuples fort humai-
nement, et ses gens de guerre s'y étoient comportés
avec un grand ordre , de sorte qu'il avoit mis en sa
puissance non-seulement les armes , mais les cœurs
des habitans; mais incontinent après , dès le commen*»
cément de cette année , ils changèrent de façon de
faire : l'heureux succès de leurs afiaires les fît devenir
insolens; ils se jetèrent dans l'ivrognerie , n'observè-
rent plus de discipline , commencèrent à rançonner les
bourgeois, et eux-mêmes, par tous ces désordres ,
tombèrent en de grandes maladies qui les réduisirent
à peu ; dont Walstein ayant avis , fit avancer vers
DE mCHELIED. [lÔSs] !^
Prague, vers le i5 février, quelques troupes qu'il
avoit mises en garnison dans la Bohême, dans les
places qui restoient encore en Tobëissance de l'Em-
pereur. Le duc de Saxe en étant averti, assemble
ses troupes , va à Prague , la munit de tout ce qu il
croit être nécessaire pour sa défense, et de là va à
Torgau, croyant avoir assez de temps pour y demeu-
rer le long de l'assemblée , auparavant que Tennemi
pût faire aucun progrès notable dans la Bohôroe ; en
quoi il se trompa , car Walstein Talla attaquer avec
vingt-cinq mille hommes , prend Prague , qui fut fort
mal défendue, et se rendit maître de toutes les autres
places qui avoient été prises sur l'Empereur.
Cependant les protestans à Torgau, après plusieurs
conseils et avis de part et d'autre , résolurent qu'il
n'étoit ni sûr ni honorable de mettre toutes les forces
entre les mains du roi de Suède, prince d'un esprit
vaste , qui n'avoit point de bornes en ses espérances
et en son ambition , et qui , s'il voyoit en sa puis-
sance toutes les forces d'Allemagne, essaieroit faci-
lement de se rendre seigneur propriétaire de ce qui
lui auroit été confié ; et partant , ils arrêtèrent de faire
une grande armée sous le commandement du duc de
Saxe, qui s'opposeroit à Walstein, et défendroit, outre
la Misnie , la Saxe et toutes les autres provinces de
ces quartiers-là , estimant par ce moyen être assurés,
et contre les entreprises de l'Empereur et contre celles
du roi de Suède, étant en leur liberté de joindre leurs
forces , en un besoin , à celui qui des deux leur plai*
roit , étant certain qu'ils apporteroient la victoire au
parti duquel ils se mettroient. Ils arrêtèrent aussi de
f'accommoder s'ils pouvoient avec l'Empereur, pour.
SB [i63ti] uéMOiKEs
par après y s'entremettre entre lui et le roi de Suède
pour accommoder leurs différends.
Le duc de Bavière s'ëtant, comme nous avons dit,
retiré à Ingolstadt, le roi de Suède, espérant toujours
son consentement à la neutralité, ne voulut pas d'a-
bord entrer à main armée en son pays , mais alla à
Âugsbourg et reçut la ville en son obéissance*, mais
voyant que ledit duc ne vouloit que gagner temps
pour se fortifier contre lui , entre enfin dans la Ba-
vière, met tout à feu et à sang, prend Munich, qui
se rachète de 3oo,ooo risdales : c'est la ville capitale
de la Bavière , demeure ordinaire des électeurs , en
laquelle tout ce qu'ils avoient de précieux étoit ren-
fermé ^ la prend sans résistance et parcourt tout le reste
de la province qu'il réduit sous son obéissance , hor-
mis la seule ville dlngolstadt , devant laquelle il mit
le siège ; mais désespérant de la pouvoir prendre en
peu de temps , il leva incontinent le siège et ramena
son armée en la Souabe , laquelle se mit toute à son
parti et l'assista de grandes contributions. Voilà le
mal qui arriva à ce duc pour n'avoir pas voulu ac-
cepter le bien que le Roi , avec tant de soin et an si
long temps, avoit tâché de lui procurer.
L'Italie voyant ledit Roi proche de ses frontières
commença à trembler \ le duc de Feria envoya le mar-
quis de Spinola , avec douze mille hommes , se saisir
de la Yalteline, et fait faire de grandes levées dans
tout le Milanais ^ il s'en fait de semblables dans le
royaume de Naples *, les Genevois fortifient leur ville,
et semble déjà , à tes voir faire , que le roi de Suède
étoit à leurs portes ^ mais Dieu en avoit disposé au-
trement.
D£ mcHELnu. [i63a] 5$
IVIiis laissons le duc de Bavière se repentir à loisir
de sa faute, et le roi de Snède jouir de sa victoire;
retournons trouver Sa Majesté que nous avons laissée
il Metz.
Les présidens et conseillers du parlement de Paris,
auxquels le Roi , sur le sujet de la désobéissance dudit
parlement , dont nous avons parlé Tannée dernière ,
a voit commandé de le venir trouver pour recevoir de
sa bouche le blâme que méritoit leur mauvais pro-
cédé, arrivèrent à Metz au commencement de jan-
vier. Sa Majesté les fit attendre quelques jours pour
leur donner audience , durant lesquels le cardinal
ayant adouci son esprit, qui étoit fort aigri contre
eux , Sa Majesté se contenta de leur dire qu'elle par-
donnoit leuf faute pour cette fois; qu'il ne leur arrivât
plus à l'avenir d'entreprendre sur son autorité royale;
qu'il aimoit mieux son peuple qu'ils ne faisoient, et
avoit plus de soin de la gloire et de la grandeur de
cet État, et la savoit mieux procurer qu'ils ne pou-
voient faire ; qu'il leur défendoit à l'avenir de prendre
tel prétexte pour couvrir leurs intérêts et leurs pas-
sions , ni de se mêler d'autre chose que de rendre la
justice aux particuliers ; et sur ce que , pour s'excuser,
ils lui répondirent qu'ils avoient été nourris en une
bonne école d'obéissance et de fidélité à Sa Majesté ,
il leur répliqua qu'ils avoient donc bien mal retenu
ce qui leur avoit été appris.
Le garde des sceaux s'étendit davantage, et leur
ayant coté par le menu tous les manquemens qu'ils
avoient commis au respect qu'ils dévoient au Roi ,
avec lequel il sembloit qu'ils vouloient partager la
puissance , il leur dit qu'ils avoient en cela donné
/'
6o [1^3^] MÉMOIRES
grand sujet au Roi de leur faire ressentir son in-
dignation, qu'ils a voient méritée, et d'user de telU
animadversion envers eux, que leurs successeurs,
par cet exemple , fussent retenus de tomber en pa-
reille faute ; mais que Dieu l'ayant , parmi tant de
rares et excellentes vertus, doué d'une extrême
bonté , et espérant d'eux à l'avenir une plus fidèle
obéissance, il les renvoyoit faire leurs charges, ex-
cepté toutefois cinq d'entre eux, lesquels Sa Majesté
interdit , leur commandant de demeurer à la suite de
sa cour.
Le cardinal essaya de les faire renvoyer avec les
autres , mais il ne le put obtenir. Sa Majesté lui ayant
répondu, sur l'instance qu'il lui en faisoit, qu'elle
a voit plaisir à voir un peu promener ces cinq robes
longues à la suite de la cour^ que plus on se relâche
avec telles gens , plus ils en abusent *, que si un sol-
dat désobéit à son capitaine lorsqu^il lui fait quelque
commandement en sa charge, il est cassé, et en tel
cas peut-il désobéir qu'il perd la vie ; qu'il ne seroit
pas raisonnable qu'il fût dit que ces robes longues lui
désobéissent librement et hardiment , et gagnassent
leur cause sous ombre qu'ils discourent le matin
dans leurs buvettes , et sont trois heures assis sur ses
fleurs de lys ; et pour fin qu'il ordonnoit que le car-
dinal seroit moins facile et moins capable d'avoir pitié
de ces seigneurs après avoir méprisé ce qu'ils doi-
vent à leur souverain. Néanmoins, à peu de temps
de là , le Roi étant de retour de son voyage à Sainte-
Germain , il obtint de Sa Majesté qu'ils pussent con-*
tinuer à faire leurs charges.
Pès que Monsieur sut le traité que le Roi avoit
DE RICHELIEU. [iGSs] 6l
avec M. de Lorraine, il part de Nancy^ s*en va
Jlemiremont à Besançon ; la plupart de ses troupes
endirent en celles du Roi; il traversa le Luxem-
rg et alla à Bruxelles.
,n chemin il rencontra en un village appelé Con-
s, près Metz, une voiture de cinq cent mille
es que Ton envoyoit à Tarmée, qu'il emmena;
5 M. de Lorraine lui ayant fait connoitre que le
, qui en avoit été averti , Taccusoit d'avoir part à
e affaire , et qu'il ëtoit résolu de reprendre cette
me sur le revenu dudit sieur de Lorraine, il la
/oya sans y toucher. ^
artant de Besançon , il défendit au Coigneux et à
isigot de le suivre, qui ne laissèrent pas néan-
QS de l'aller trouver. Peu de temps après il arriva
ruxelles, le 28 juin, et y fut reçu de l'Infante
: les mêmes honneurs et cérémonies qu'on avoit
quelque temps auparavant à la Reine sa mère ;
altesse lui donna logement dans son palais, et
éfraya quelques jours lui et son train,
ependant le Roi part de Metz le 9 février, et ar-
k Versailles le 16.
I Majesté n'eut pas plutôt le dos tourné pour
inir en son royaume , que le duc de Lorraine ,
iant sa foi, son honneur et son bien , ne recom-
cât ses premières négociations avec Monsieur et
aison d'Autriche contre le Roi. Ce ne sont que
es et messagers de Nancy à Bruxelles ; Sa Ma-
!, à leur compte, par la supputation de leurs
ilogues , ne doit vivre que jusqu'à la Pentecôte.
. de Vaudemont écrit qu'il a crainte que les
ns si coutinuols de Monsieur à Bruxelles ne lui
6a [i63aj mémoires
fassent mal*, qu'il a affaire à se garder plus que jamais
pour recueillir ce qui lui doit bientôt tomber en
main. Ils sont étonnés que le cardinal, sachant es
mains de qui doit après tomber le royaume, ne se
remet bien , à quelque prix que ce soit , avec Mon-
sieur.
L*£spagne et l*Empire , quoiqu'ils soient réduits à
l'extrémité par leurs ennemis , ne laissent pas , par
l'excès de la mauvaise volonté qu'ils ont contre la
France , de les en'courager et de leur promettre de
les assister^ comme aussi Monsieur, la Reine-mère
et ledit duc, pour les y engager, les assurent d'avoir
des intelligences avec beaucoup de gouverneurs de
provinces et de villes , et être certains qu'i^ se doit
faire de grandes révolutions en France dès que Mon'
sieur y entrera avec armée.
Le chevalier de Valençai va en Angleterre pour
obtenir quelque assistance secrète^ Biscarat y est
encore depuis envoyé ; le premier ne peut avoir au-
dience qu'à la dérobée , laquelle encore on nie lui
avoir donnée *, le second la tout ouvertement , mais
néanmoins ce Roi proteste que tout ce qu'il sauroit
dire ne le sauroit détourner de sa constante amitié
envers le Roi.
Quelques femmes qui étoient auprès de la Reine
essayent de disposer leur maîtresse au contraire, et
parlent assez ouvertement en faveur de la Reine-mère
contre le cardinal ^ mais tout cela est inutile, et n'em-
pêcha pas qu'en même temps le roi d'Angleterre ne
donnât les ordres nécessaires pour la restitution de
Québec et quelques autres forts en la Nouvelles-
France qui furent après rendus de bonne foir
DB RICHELIEU. [l633] 63
Le duc de Lorraine envoie aussi secrètement
vers TEmpereur un jésuite nommé Mérigort pour
assister Deshayes en ses poursuites, ensuite des-
quelles Walstein , vers la fin de février, mande au
comte de Mérode qu'il donne à Monsieur six mille
hommes de pied et deux mille chevaux des troupes
qu'il lève au Pays-Bas ^ qu'il les lui donne et sans
réplique, pource qu'il ne recevra aucune excuse. Il
en écrivit à Pappenheim, et le prie de faire exécuter
son ordre , ce qui ne fut pas fait néanmoins pource
qu'ib ne le parent. Montecreuls reçut depuis com-
mandement de s'acheminer en l'Alsace pour l'aller
prendre avec deux «mille chevaux; mais le roi de
Suède, par les prises d'Âugsbourg etdeDonawert,
loi ôte le moyen de passer.
Monsieur va à Trêves, où est Gonzalez, pour rece-
voir l'eflet de toutes ces belles promesses ; il a partout
des ambassadeurs^ il traite avec tous les princes-,
l'abbé d'Obazine est pour lui à Rome ; Sommery passe
en Savoie, qui parle au prince; mais il se trouve
immobile à ses légères persuasions ; il envoie à Flo-
rence ; il sollicite le duc de Feria ; il demande argent,
hommes et munitions, mais on a plus de mauvaise
volonté que de pouvoir.
Le duc de Lorraine veut cacher au Roi qu'il soit de
la partie , mais ses actions le publient tant que c est
impudence de le vouloir nier ; il essaie de faire ruiner
l'armée que Sa Majesté , à son départ de Lorraine y
avoit laissée sur les frontières d'Allemagne pour fa-
voriser la négociation qu'il y faisoit pour établir la
neutralité entre les électeurs catholiques et le roi de
Suède , recevoir en sa protection ceux qui l'accep-
64 [l63a] MÉMOIRES
teroient,âtreenëtat de dëfendoe leurs places si ellei
étoient attaquées , et mettre garnisons en celles qu'on
pourroit remettre en sa puissance pour assurance de
ce qui seroit promis dans le traité, et pour suivre
avec plus de force Texécution de ce que le roi de
Suède avoit promis touchant la conservation de la
religion catholique dans les États qu'il conquerroit.
Bien que cette armée soit le salut du duc de Lor-
raine même , qu'elle oie aux Suédois toute pensée de
l'attaquer , auxquels facilement elle reviendroit s'ils
ne craignoient plus les forces du Roi que les siennes ,
néanmoins sa passion est si envenimée contre le Roi,
qu'il tâche de la ruiner, bien que sa propre ruine s'en
fût ensuivie ^ il se plaint si elle loge au moindre de
ses villages *, aux plaintes il ajoute les menaces , et à
ses menaces des actions d'hostilité; il fait partout
retirer les blés de la campagne dans Vaudrevange et
Sarguemines, et défend à ses sujets d'en vendre aux
munitionnaires du Roi *, et eux en ayant acheté dans
Sarguemines , les habitans refusent de le livrer ,
disant qu'ils en ont défense de la part du duc , no-
nobstant qu'il fût obligé par le traité fait avec le Roi
d'en fournir en payant.
Il arme sans en rendre compte auRoi, et grossit ses
levées aux dépens de nos troupes qui s'y enfuyoient,
d'autant que son pays leur contribuoit abondamment,
fait son gros d'armée au Luxembourg , et même dé-
bauche les capitaines de l'armée du Roi sous de grande»
promesses; il fortifie ses places qui regardent la France
et non les autres; il fait faire des feux de joie de la
maladie du Roi . fulminant publiquement contre Ini
et son conseil.
DE RICHELIEU. [iG^n] 65
Il trama des entreprises sur Langres , sur Toul et
sur Verdun \ mais on s'assura si bien de ces places
que ses intelligences n'y eurent point de pouvoir ,
bien qu'il pensât en être si assuré qu'il fît sortir de
Nancy quantité d'échelles et de pétards pour les
exécuter.
U essaya même de gagner M. de La Valette pour
Monsieur , et le Roi eut sujet de douter qu'il y eût
prêté l'oreille ; mais , ou les ordres y furent mis avec
tant de promptitude et de vigilance , et l'armée du
Roi fut si prompte à y tourner tête pour se saisir de
tous les passages , ou la fîdélité de M. de La Valette
fut si entière , qu'incontinent qu'il vit qu'on se défioit
de lui, il vint en diligence trouver Sa Majesté : ce
qui rendoit l'avis qu'on en avoit donné plus vraisem-
blable, étoit le soupçon que l'on avoit de M. d'Eper-
non , que l'on savoit être sollicité par Monsieur avec
plusieurs autres gouverneurs. Ses levées de gens de
guerre étoient si grandes qu'elles n'avoient point de
proportion avec le nombre qu'il étoit obligé de four-
nir au Roi par le traité fait entre Sa Majesté et lui,
joint que lors il savoit bien qu'il n'en étoit point de
besoin, le cours des affaires étant changé ; et encore il
ne prenoit aucun de ses sujets, parce qu'il étoit as-
suré qu'ils ne lui pou voient manquer. U cherchoit à
recouvrer de l'argent de toutes parts, sans épargner
même sa noblesse , qui s'en plaignoit hautement. U
engageoit à cet effet toutes les hautes justices de ses
terres desquelles il pouvoit trouver marchand, et té-
moignoit, par toutes ses paroles et ses actions, quil
avoit de grands desseins^ particulièrement Harau-
cburt assembloit deux mille chevaux et de l'infanterie
T. 27. 5
1
66 [l632j MÉMOIRES
en Alsace , qu'on disoit publiquement dans Nancy se
devoir joindre à Monsieur par ordre de TEmpereurj
les partisans duquel se moquoient de la confiance que
le Roi , par sa bonté , daignoit prendre aux électeurs
catholiques , desquels Tévéque de Verdun détournoit
la bonne volonté, et par ses lettres en rendoit tous
les jours compte particulier audit duc , lequel enfin
parloit si insolemment et des intérêts de la France et
de la personne du Roi , et de la mauvaise volonté
qu'il avoit pour Tun et pour Tautre , qu'il ëtoit im-
possible d'ignorer son mauvais dessein. Aussi tous les
ambassadeurs du Roi donnoient avis des négociations
et menées qu'il faisoit contre la France^ les nonces
en avertissoient celui qui résidoit en France; et le
sieur Wake , ambassadeur d'Angleterre , avertit que
ledit duc avoit envoyé dire à llnfante qu'il étoit prêt
de joindre ses armes à celles de Monsieur et à celles
d'Espagne pour entrer en ce royaume.
Toutes ces choses obligèrent l'armée du Roi de
rentrer dans les Trois-Evêchés et s'éloigner de l'Alle-
magne \ ce qui apporta beaucoup de préjudice à son
service. Sur cela le Roi tint conseil à Saint-Germain-
en-Laye pour voir ce qu'il avoit à faire : il fit publier
une ordonnance le 5 avril, portant itératives dé-
fenses à toutes personnes de receler aucuns servi-
teurs de la Reine-mère et de Monsieur , sur peine de
crime de lèse-majesté; et parce qu'il avoit sur les bras
le procès du maréchal de Marillac , qu'il avoit pour
ses malversations fait prendre prisonnier dès la fin
de l'année i63o , dont il n'a voit pas voulu presser le
jugement afin dy procéder avec plus mûre délibé- ^
ration, et qu'il étoit bien averti que de la part dé
DE RIGHEUEU. [l63a] 67
Monsieur on pratiquoit Calais , place d'une si grande
importance qu'un chacun sait, contre son service, il
fut conseillé de faire vider ce proq^s çt de mettre
ordre à Calais , avant que de se résoudre à aucune
chose contre le duc de Lorraine , lequel cependant il
étoit besoin d'entretenir sans lui donner sujet d'en-
trer en créance que le Roi le voulût attaquer.
Les raisons de ce conseil que le cardinal donna au
Roi, étoient qu'il étoit certain qu'il ne falloit pas lais-
ser mûrir tous les mauvais dessein^ qui étoient formés
contre Sa Majesté, tant dedans que dehors le royaume,
en sorte qu'ils pussent éclore tout à la fois , d'autant
qu'en ce cas-là on n'y pourroit résister et on s'en
trouveroit accablé; où, si on les prévenoit et qu'on
mit ordre de bonne heure aux uns après les autres ,
on viendroit à bout de tout , et on conserveroit la
sûreté , quoiqu'avec quelque travail ;
Qu'il falloit commencer à pourvoir à ce qui pon-
voit remuer au dedans , d'autant que par ce moyen on
se mettroit en état que le dehors ne pourroit nuire ;
Qu'il falloit donc dépécher, le procès de MariHac,
étant certain que les longueurs et la négligence de
telles affaires témoignoientfoiblesse, et donneroient
de grandes espérances , et pourvoir au gouvernement
de Calais, et rogner les ongles si court à tous les autres
que leur mauvaise volonté fût inutile, et établir tant
de gens nouveaux , ce qu'on pouvoit faire avec rai-
son, que l'intérêt qu'ils auroient au temps présent fût
une bonne caution de leur fidélité.
Pour le fait de Lorraine , que la première chose
qu'il y avoit à faire pour lors, étoit de dissimuler et
ne témoigner pas savoir tout-à-fait ses mauvais des-
5.
68 [i63a] iiBifOiRBs
seins , et, saqs s'engager, raccommoder les affaire^ ea
termes qu'il eût lieu de croire qu'on ne pensoit à rien
contre lui, afin d'empêcher qu'il ne se préparât par
nouvelles levées , et gagner le temps que les Hollan-
dais fissent leur attaque , auquel le Roi feroit ce qu'il
lui plairoit ; qu'il n'y avoit que de trois partis l'un à
prendre : ou dissimuler et soufirir tout, attendant ce
que le temps voudroit produire, ce qui aboutiroit à
ce point que, si les affaires d'Espagne et de l'Empe-
reur alloient mal , lui ni ses associés ne feroient rien
contre la France; si aussi elles alloient bien, assuré-
ment ils l'attaqueroient, et on ne seroit plus en état
de résister aux maux qui viendroient de divers côtés;
Ou , aussitôt que les Hollandais auroient mis en
campagne, entreprendre 4a conquête de ses Etats
avec quarante mille hommes, qui feroient trois atta-
ques, et continuer le dessein jusques à l'entière con-
quête;
Ou entrer avec' l'armée susdite dans ses États,
et se contenter de lui faire donner quelques autres
places outre Marsal ; «
Qu'il sembloit que plusieurs considérations de- *
voient porter à l'un des deux derniers desseins : la
crainte du retour lorsque l'on y penseroit le moins,
la facilité qu'il y auroit à le faire lorsque les Hollan-
dais occuperoient les Espagnols , et parce que le suc-
cès d'une telle entreprise faciliteroit le retour de l'es-
prit de Monsieur avec le temps, qui ne re.viendroit
jamais à son devoir qu'il ne vit ses suppôts affoiblis ;
Qu'il lui sembloit, pour préparer tel dessein, qu'il
seroit bon , pour obliger M. de Lorraine à désarmer , 41"
de lui envoyer un gentilhomme lui &ire de grandes
DE RICHELIEU. [l632] 69
plaintes, non tant de ses levées comme de ce que Ics-
dites levées ne se pou voient faire sans préjudice de
Tarmée du Roi dont il débauchoit les soldats ;
Qu'il falloit de plus lui demander lesdits gens de
guerre débauchés , et lui dire nettement pour cet ejC-
ièt que le Roi désirok qu'il renvoyât tous les Fran-
çais qu'il avoit dans ses troupes en l'armée de Sa Mar
jesté j et qu'il ne pensât pas les faire évader dans le
Luxembourg , parce que le Roi tiendroit telle cour
duite pour hostilité ; ;^
Qu'il falloit aussi savoir de lui ce qu'il désiroit
que le Roi répondit au roi de Suède sur le sujet^le sc^
levées ;
Qu'il sait bien à quoi il s'étoit obligé au Roi par
traité; mais que Sa Majest Aie pouvoit pas en répondre
pour cela , puisqu'il remarquoit qu'il n'avoit pas eu
soin de l'observation dudit traité par l'intelligence ,
fréquence de courriers , adhérence et union avec le3.
ennemis de Sa Majesté ;
Que, pour donner sujeià M* de Lorraine, de dér
sarmer , il avoit été bon de faire retirer son aumée d^
ses États, sous prétexte de le contenter, et la mettre
dans le Pays Messin » évéchés de Toul et Verdun ,
pour, sous couleur de faire vivre cette armée dans
ses États, faire acheter quantité de blés dans ses
frontières; f^
Et lorsque les Hpllandais auroient fait leur attaque»,
jouer son jeta à propos , d'autant que , quelque se-
cours qu'en ce cas l'Espagne lui put donner , il ne
pourroit pas être de grande considération , vu que
Suède et Hollande l'occuperoient.
Ensuite de ce conseil , le Roi dépécha le sieur d^
70 [l632] MÉMOIRES
Guron au dac de Lorraine le premier avril , avec
charge de se plaindre civilement de tous les mécon-
tentemens que le Roi avoit de lui, et lui représenter
les manquemens de foi à ce qu'il avoit promis par le
traite fait avec Sa Majesté (O.
Cependant le Roi commanda que Ton terminât le
procès du maréchal de Marillac.
Sa Majesté, depuis qu'elle lui avoit donné le
gouvernement de Verdun , et commis le soin et le
coQ^andement de son armée de Champagne , avoit
reçu de divers lieux , tant des frontières de France
que de la ville de Verdun et de ses gens de guerre ,
tant Français que Suisses , plusieurs plaintes des
malversations et concussions qu'il faisoit : mais , à
cause/des grandes afiair^qu'elle avoit sur les bras ,
et le rang que le garde des sceaux son frère tenoit en
son conseil , elle n'y put pas mettre Tordre si promp-
tement que la justice et le bien de son service Feût
désiré. Mais depuis que leur ambition eut éclaté si
avant qu'elle eut produit la division de la maison
royale , et ensuite les grands désordres qui s'en sont
ensuivis , Sa Majesté, ayant été obligée de faire ar-
rêter son ffiàre et lui , commanda qu'on examinât les
accusations' qui de long-temps avoient été faites contre
ledit maréchal , et pour ce sujet députa pour le juger
des commissaires qu'eflPtira de ses maîtres, des re-
quêtes et de ses cours de parlement de Paris et de
Dijon.
Elle fut premièrement établie à Verdun pour la
facilité et commodité des témoins qui dévoient être
(i) At*ec Sa Majesté : Ici te trooTc dani^le manascrit une lacune
de deux pages et demie.
DE RICHELIEU. [iGSs] 71
OUÏS et examines ^ de là elle fut appelée à Ruelle (0,
afin que le garde desscea^, comme chef de la justice,
nommé par le Roi pour le principal commissaire , y
assistât et présidât.
Il n'y eut sorte de sollicitations ni d'artifices que
les ennemis du Roi et partisans du maréchal n'y ap-
portassent pour tâcher d'obscurcir la lumière des ac-
cusations, et, par promesses et menaces, éluder la
justice des juges.
Ils firent que le parlement de Paris , que Marillac
réclamoit sous prétexte de sa qualité de marécl|il de
France, s'opposât.à la procédure faite contre ledit
maréchal, faisant défenses aux juges de passer outre,
jusqu'à ce que remontrances seroient faites au Roi
de ce qu'il le tiroit diMparlement de Paris et lui
donnoit des commissaires , ne considérant pas que
les rois prédécesseurs de Sa Majesté en ont en
semblables occasions ordinairement ainsi usé, et que
cela est si juste, que le garde des sceaux de Marillac
même en a fait une ordonnance en son code nouveau.
La Reine-mère et Monsieur en écrivirent aux
juges en termes fort extraordinaires, car la Reine leur
(i) De Ik elle fia appelée a Ruelle : Ricbelîea oi^ nne circontUnce
qoi montre jutqu^à qoel point il te joaoit des formVde la jastice. La
eommÎMion chargée de jnger le maréchal de Marillac, fat d'abord
cnin»fe'rée de Verdun dans le chAtc|^le Pontoise. L&, M. de Bretagne,
ToQ des commÎMaires prit dans lé^plement de Dijon, prétendit que
let jagef nVtoient pas libret dant nne place forte. Richelieu , feignant
d^Yoir égard à cette réclamation , let fit Tenir k Ruelle ta maîton de
campagne , qni nVtoit pat à la yérilé fortifiée comme le chfttean de
Pontoite, mait où let committaîret , trayailljuit tout tet yenx , ne
deroient pat certainement avoir plot de liberté. Cette particularité
coriente te trouTe dant let Mémoiret de Puytégnr, qni fut chargé à
Pontoite de la garde du maréchal.
72 [l632] MÉMOIRES
manda quUls lui répondroient de rëvënement du
procès y comme s'il y avoî^un autre maître que le
Roi en France, et que Sa Alajesté partageât son auto-
rité avec qui que ce fût.
Ces lettres furent portées à tous les juges ^ deux
gentilshommes en furent les porteurs ^ au sieur de
Bretagne, Fun d'iceux, lequel n'étant pas en sa mai-
son, ils eurent la hardiesse de dire tout haut, en
présence de trois ou quatre des siens , qu'ils don-r
uassent sûrement ledit paquet à leur maître, et qu'il
se rdilolût de faire justice audit Marillac , autrement
qu'ils lui donneroient un coup de pistolet dans la tête.
En Lorraine, il ^voit pour partisans tous les servi-?
teurs du duc ; on y publioit son innocence , et de là
on en remplissoit de lettre^ supposées toute la ville
de Paris. Us firent imprimer dans celle de Nancy un
manifeste en sa faveur , dont ils envoyèrent deux
mille exemplaires à Paris , qu'ils y firent semer
parmi toutes les bonnes maisons.
Sa Majesté pennit que tous les parens dudit Ma-
rillac sollicitassent pour lui. Il lui fut accordé de
prendre pour conseil tels avocats à Paris qu'il esti-p
meroit plus à propos. Les juges lui donnèrent tout le
délai quHl fxil désirer pour se défendre ; le Roi leur
laissa prendre tout le temps qu'ils voulurent pour
s'instruire exactement du procès. Chacun des com-
missaires avoit des extrdils des charges et des dé^
fenses , ainsi que les rapporteurs ; et non-seulement
Sa Majesté ne les fit jamais solliciter contre lui , mais
au contraire les envoya quérir et leur commanda de
faire justice en leurs consciences , comme en devant
Répondre à Dieu.
DE RICHELIEU. {l632] 7 3
Enfin ses jages , après avoir apporté tout le soin
qui se pat imaginer pour leur décharge devant Dieu et
les hommes , et été deux jours à opiner , chacun d eux
appuyant son avis de toutes les raisons et les lois sur
lesquelles il le fondoit, ils donnèrent arrêt (0 le 8 mai,
par lequel ils le déclarèrent atteint et convaincu des
crimes de péculat, concussions , levées de deniers,
exactions , faussetés , suppositions de quittances ,
foules et oppressions par lui faites sur les sujets du
Roi, pour réparations desquels ils le privèrent de
tous honneurs, états et dignités, et le condSm-
nèrentà avoir la tête tranchée en la place de Grève,
ses biens confisqués , sur iceux préalablement pris
100,000 livres pour être employées à la restitution
des deniers et autres choses par lui exigées sur les
communautés et autres particuliers.
Il fut étonné W quand on lui prononça son arrêt ,
et ses actions et ses paroles témoignèrent moins de
résolution que de vanité, qui Taccompagna jusques
à la fin. "*
Il étoit né d'une famille médiocre qui avoit pris
(i) lit donnèrent arrêt: Maigre les eflbrU de raoteor des me'moires
poar jasUfier celle condamnation, il p&roit ëyident qn^^e nVot diantre
cause qnVin intérêt politique. Les torts impntés an maréchal pendant
qn*il commandoit en Champagne , ëtoient alors ceux de presque tons les
génëraax« L*antcor s^abstient de dire «le le jugement à mort ne fnt pro-
nottci^ qn'à la majorité d^une seule ^pz. Ce jugement fut exécute' le
même jonr snr la place de Grève. — (3) // fut étonné : Un contempo-
rain , ennemi du ministre , observe qn^on ne négligea rien pour rendre
dooloorenz les derniers momens du maréchal. « Pendant qu'il marchoit
« h réchaùnd , Richelieu entroit dans Paris avec deux cents chevaux ,
• trompettes sonnantes , comme en triomphe on en roi. » Le même au-
teur atsnre qne Richelieu offrit une abolition an maréchal s^il se déda-
roii coupable , et que ce dernier la refusa.
74 [l632] IféMOIAES
son origine en Auvergne. Son père fut maître des
comptes à Paris, et depuis contrôleur général des
finances. Il eut deux fils, le garde des sceaux et
celui-ci y qui étoit homme da bonne mine , de belle
taille , adroit aux exercices , et qui ne parloit pas
mal. Cela ne fut pas suffisant de le mettre aux bonnes
grâces de Henri iv , qui Peut toujours en fort peu
d'estime , et à peine accorda au marquis de Cœuvres,
frère de la duchesse de Beaufort, son abolition pour
le meurtre de Caboche , qu'il avoit tué par derrière
sans qu'il eût l'épée à la main. Il ne se montra pas
plus courageux au Pont-de-Cé , où , ayant la princi^
pale charge de défendre les retranchemens qu'il avoit
tracés , il fut des premiers , non à les contester, mais
à apporter à la Reine-mère la nouvelle de leur prise.
Depuis ayant reçu, en 1627, commandement du
Roi de faire le blocus de La Rochelle , il s'y comporta
si lâchement , que sans la considération de son frère,
qui étoit garde des sceaux , le Roi ne s'en fût plus
servi , et le éHËinal ne le lui eût pas conseillé.
U passa en Ré avec le maréchal de Schomberg , et
y acquit si peu de réputation , que son frère le garde
des sceaux en voulut faire l'histoire lui-même , pour
lui en donner toute la gloire , dont aucuns ne lui
attribuoient rien, mais au contraire, se plaignant qu'il
n'avoit jamais été d'avis de joindre les ennemis ^
Tappeloient par dérisiion le Pont-d'or-, et le com-
mandeur de Valençai l'avoit en tel mépris, que, parlant
au Roi d'un homme de peu de courage , il lui dit que
pour tout dire il étoit plus poltron que Marillac.
Quatre mois après que le Roi eut commencé le
siège de La Rochelle , le cardinal fit une entreprise
DK RICHELIEU. [l63îl] 75
qui ëtoit infaillible^ comme nous ayons dit en ce
temps-là : on donna à Marillac la pointe pour soute-
nir les pëtardiers , mais il s'égara de sorte à robscn-
ritë de la nuit, que jamais personne ne le vit, de
sorte qu'il fit rompre Tentreprise; et, quelque ex-
cuse qu'il pût apporter, il ne sut empêcher que toute
l'armée ne lui en donnât le blâme, et n'attribuât à
son peu de courage le manquement de s'être trouvé
au poste qui lui avoit été ordonné.
Cette lâcheté naturelle!, et sa naissance qui lui avoit
donné fort peu de biens , l'excitèrent et persuadèrent
facilement à en acquérir par toutes voies, n'estimant
rien honteux qui l'y pût faire parvenir.
Le cardinal, étant entré dans les affaires en 1624»
et le favorisant en considération de la Reine , lui fit
accorder , près du duc d'Angouléme qu'on envoyoit
en Champagne, la charge de pourvoir aux vivres,
laquelle il demanda , et s'y comporta avec tant d'in-
fidélité et de larcin, que le cardin|Leut peine à le
défendre , et lui manda , par une le^re du 7 avril ,
que lui-même a depuis4)roduite en son procès , qu'il
le prioit de se conduire si bien à l'avenir que son
assistance ne lui fût plus nécessaire en semblables
occasions.
Ayant été dçpuis honoré de la charge de gouver-
neur de Verdun , et d'y faire bâtir une citadelle , il y
fit tant de voleries si énormes, si publiques, si à la
foule du peuple , sans épargner les églises ni les ec-
clésiastiques , que l'on n'avoit jamais rien vu de sem-
blable. II. ne se faisoit marché où , sous nom supposé,
il ne fût marchand, et, outre qu'il faisoit payer au
Roi le double et le triple de ce que les choses cou-
76 [l63!k] MÉMOIBC»
toieiit, il ne payoit pas la plupart, mais les faisok
porter au peuple , d'où naissoient beaucoup de clar
meurs contre Sa Majesté , du consentement de la-
quelle le pauvre peuple croyoit que ces choses se fai-
soient. Son audace même alla jusque-là qu'il faisoit
traiter avec tous les villages de son gouvernement
de lui fournir des denrées pour Tentrëtènement de
sa maison , lesquelles il changeoit après en argent.
Des autres il exigeoit des sommes de deniers pour
les garantir du logement des gens de guerre , ce qu'il
faisoit aussi publiquement que si le Roi l'eût permis
par lettres patentes. Depuis qu'il fut maréchal d^
France , comme il crût en vanité et en audace , aussi
fit-il en ses voleries. Il retourna en Champagne en
i63o j y commander l'armée du Roi , sur laquelle , et
sur tous les peuples , il fit tant d'exactions sans honte
et sans crainte, qu'on n'en put dire autre chose , si-
non qu'il n'y avoit aucun moyen de dérober qu'il ne
pratiquât, et k|^plus souvent par traités publics qu'il
faisoit avec les sujets du Roi , de lui payer ce qu'il
exigeoit d'eux , aucuns desquels portoient qu'on lui
paieroit la rente tant qu'il seroit gouverneur. Il pre-
noit le tiers sur le pain des gens de guerre ; souvent
il ne leur en donnoit point et prenoit le tout , sous
prétexte de leur nourriture. Il faisoit faire de grandes
contributions qu'il échangeoit en argent et mettoit en
sa bourse ; et ayant assigné des paroisses pour four-
nir les denrées nécessaires à l'entre tènement de ses
gardes, il les tournoit à son profit, et les envoyoit
vivre en d'autres villages. Aussi n'emmena-t-il qu'à
toute extrémité, et après plusieurs ordres réitérés du
Roi , son armée de Champagne en Italie , étant marri
DE RICHSUEU. [l63l] 77
d'avoir nn compagnon qu il savoit bien qui ne lui
permettroit pas de continuer un si sale commerce.
Cette extrême avarice le rendit infidèle et léger en
toutes les actions de sa vie, suivant ou abandonnant
ceux auxquels il s'étoit donné, selon qu'il pouvoit
espérer ou n'espérer plus d'eux l'avancement de sa
fortune. Il éfpusa une des filles de la Reine-mère ,
qui 9 par la seule considération de sa pauvreté et la
crainte qu'elle perdit l'âge propre à se marier , con*
sentit à cette alliance. Après la mort du feu Roi cette
alliance lui donna lieu d'être considéré de la Reine-
mère 9 et ensuite du maréchal d'Ancre, après la mort
duquel et l'éloignement delà Reine il se mit incon-
tinent du parti de ses ennemis, qui , ne lui voulant
donner aucune part dans leur confiance, l'obligèrent
à retourner vers la Reine , qui par sa facilité le reçut.
Le cardinal , qui étoit près d^elle , l'obligea en toutes
occasions, et depuis qu'il fut dans les affaires le dé-
fendit en plusieurs justes accusations qm furent faites
contre lui^ enfin , à la prière de la Reme-mère , il fit
que le -Roi lui donna le bâton de maréchal de France,
bien que Sa Majesté , le connoissant comme elle fai-
soit , y eût grande aversion ^ et pour récompense de
tant de grâces il conjura la ruine du cardinal et du
royaume.
Ce qui est une preuve bien évidente de la maxime
reconnue par les anciens politiques , qu'un méchant
qui n'a point de principe de vertu , mais se gouverne
par sa seule vanité, ne peut être gagné par quelques
bienfaits qu'il reçoive de son supérieur, non plus
qu un corps mort qui n'a plus de principe de vie ne
peut être échauffé par aucuns vétemens.
^8 [l63a] MÉMOIRES
Il n'y a point de grâces capables de rectifier un
homme qui n'a point en son ame de semence de rec-
titude ^ non-seulement les biens qu'on Jui fait sont
perdus, mais ils se tournent en poisons et en poi-
gnards pour faire perdre la vie à son bienfaiteur.
Les siens, en une défense qu'ils firent imprimer
en sa faveur, apportèrent pour princif||e raison de
Tinjustice prétendue de sa condamnation , que c'é-
toit une chose inouïe qu'un homme de sa qualité fût
accusé de péculat et d'emploi de deniers royaux en
autre usage qu'en celui auquel Sa Majesté les ^voit
destinés ; mais notre histoire est pleine d'exemples
qui prouvent le contraire.
Entre les principaux points de l'accusation d'En-
guerrand de Marigny étoient ceux-ci : qu'il avoit
converti à son profit la plupart des deniers des levées
extraordinaires dont il avoit été auteur; qu'il avoit
retenu 4o,ooo écus que Philippe-le-Bel envoyoit au
Pape, et fait sceller au chancelier huit lettres en
blanc , qu'il avoit employées en des comptans pour
son utilité particulière ; et un de ceux sur lesquels
Jean de Montaigu fut condamné à mort en Tan
1409 , fut d'avoir retenu quelque argent des tailles et
aides.
Olivier de Clisson , connétable de France , fut privé
de sa charge , banni du royaume à perpétuité, et con-
damné en 100,000 marcs d'argent, pour extorsions
par lui faites.
Entre les accusations du maréchal de Gié, sous
Louis XII , est celle d'avoir pris l'argent des mortes-
payes de Fronsac.
L'une de celles du connétable de Saint-Paul, c'est
DP. RICHEUEU. [1632J ^9
qa'il mettoit des passe- volans en sa compagnie de
gendarmes.
Et sous Henri II 9 dans le vu de Tarrét du maré-
chal du Biez , condamné à mort , il est accusé de
péculat.
Outre que les ordonnances du Roi sont formelles ,
et confisquA les corps et les biens de tous ceux,
saqs exception de personne , qui sont convaincus de
ce crime. *
Il est vrai qu'il y en avoit beaucoup qui en étoient
atteints, mais la multitude des coupables fait qu'il
n'est pas convenable de les punir tous.
Il y en a qui sont bons pour exemple et pour rete-
nir à l'avenir , par crainte , les autres dans le respect
des lois.
L'affaire de Marillac étant faite , le Roi pensa à met-
tre ordre à celle de Calais.
La raison que Sa Majesté avoit de ce faire étoit
que, premièrement, il sa voit que Monsieur et la
Reine -mère désiroient plutôt surprendre des pla-
ces en Picardie qu'en aucune autre province de ce
royaume , et qu'ils avoient eu des entreprises pres-
que sur toutes, de sorte qu'on avoit continuellement à
craindre un effet de ces mauvais desseins , tous con-
certés et conduits par l'union d'Espagne , de la Reine,
de Lorraine et de Monsieur.
Davantage, qu'il étoit certain qu'ils ne vouloient ni
ne pouvoient rien faire sans la surprise de quelque
place du royaume , on la corruption de quelque
gouverneur; et partant le principal soin que l'on
devoit avoir étoit d'empêcher que l'un ni l'autre
n'arrivât. Or il sembla que le gouverneur sur qui
80 [l632] MÉMOIRES
les soupçons tomboient plutôt ëtoit le sieur de Va-^
leiiçai , plusieurs avis venant de divers lieux , tous
concurrens, y obligeoient.
Le Coigneux , homme savant en telles matières ,
désirant rentrer en la grâce du«Roi, pour s'en facili-
ter le chemin, ne donnoit autre avis que les diverses
négociations que ce gouverneur faisoi^ktvec un des
parens de Puylaurens. Il stipule, en le donnant, qu'on
ne feroit ppint de mal au gouverneur , mais qu'on re-
médieroit seulement à l'inconvénient qui en pouvoit
arriver en le tenant hors de sa place, ce qu'il estimoit
du tout nécessaire.
En suite de cet avis , les lettres surprises de Puy-
laurens portoient, en termes exprès, qu'il y avoit
trois desseins infaillibles en Picardie , qu'on jugeoit
être à Calais et Saint*Quentin , non-seulçment par
conjecture, mais en outre par les avis de Carmaing
qui étoit dans la cabale , et qui avertissoit des choses
plus importantes.
Ledit Puylaurens écrivoit qu'il n'attendoit que
l'heure d'apprendre que la cane fût chez lui , ce qui
donnoit lieu de juger que cette cane fût Yalençai ,
parce qu'il n'y avoit point d'autre gouverneur avec
qui il pût traiter qui fût absent de son gouvernement
que lui.
Un autre , dignrf'de foi, et qui avoit grande intelli-
gence avec les ennemis du Roi , avoit rapporté plu-
sieurs fois qu'ils s'attendoient à une place dont le
gouverneur avoit des parens à Bruxelles , lequel gou-
verneur désiroit voir une armée en campagne avant
de se déclarer.
Le Roi étant arrivé à Amiens le i5 mai , il rapporta
DE RICHELIEU. [iGSs] 8i
de nonveau que le chevalier de Valençai ëtoit caché
proche de Calais avec Cerezat, neveu de Chante-
loube, pour quelque dessein inconnu.
Le chevalier de Valençai être en ce lieu après les
divers voyages qu'il avoit faits en Angleterre et en
Espagne , à ce qu'on disoit, devoit donner grand lieu
de soupçon i|ki*il avoit voulu assurer le secours d'une
place de telle importance , au cas qu'elle vint à se dé-
clarer ; autrement à quel dessein le voyalfe d'Angle-
terre, s'il n'étoit question de quelque entreprise de
place maritime ?
Cornehote, gentilhomme de Picardie, avoit donné
avis par M. d'Augouléme , et par lui-même depuis,
qu'il avoit su par un nommé Dubois , soldat de Dom-
pierre, h qui on avoit promis une lieutenance en
Flandre, que Dupont, natif de Montpellier, garde
de M. de Valençai , avoit été trois fois à Aire parler
à Clanleu.
Le même Cornehote dit encore qu'un nommé La
Roze étoit parti de Hesdin vers le premier de mai ,
chargé de lettres mises dans des pistolets en guise de
balles, entre lesquelles il y en avoit une pour ledit
sieur de Valençai.
Mailly avoit donné avis qu'il y avoit trois mois que
le secrétaire de Valençai étoit à Açcas, sous prétexte
d'affaires , ce qui s'étoit trouvé véritable *, Carmaing
avoit aussi donné avis que dans Cambrai on faisoit
grand fondement sur Calais -, joignant à tous ces avis
encore l'humeur cachée et mélancolique du sieur de
Valençai, son ambition qui n'étoit pas petite , ses in*-
commodités qui étoieut grandes, le mécontentement
qu'il avoit professé depuis deux ans qu'on avoit bâti
T. 17. 6
S^ [l63aj MÉMOIRES
le fort de Nieulé, il n'y a personne sage qui ne juge
qu'en tous Etats bien conduits , il ne falloit pas tant
de conjectures et de preuves pour obliger à prévenir
le mal qui pouvoit arriver d'une infidélité capable de
perdre un royaume. Cela obligea le Roi d'aller en
personne à Calais dès le jour de l'exécution du ma-
réchal de Marillac, qui fut le lo mai, et y arriva le 22,
mit une bonne garnison dans la ville et dans la cita-
delle, et laiBieur de Rambure , maréchal de camp , pour
y commander attendant qu'il en eût disposé autre-
ment, donna cinquante mille écus de récompense
audit sieur de Valençai, et lui commanda de se retirer
en l'une de ses maisons.
Ce changement d.étourna le cours des grands maux
qui étoient préparés a cet Etat, car on fut assuré certai-
nement depuis que cette place eût été perdue pour
le Roi s'il n'en eût ôté le gouverneur : Ouailly , capi-
taine des gardes de Monsieur , le dit souvent à Gu-
ron dans Nancy ; le duc de Bellegarde lui dit qu'ils en
étoient si assurés , que Le Coigneux lui manda une
fois que l'exécution en étoit faite, ce qu'il tint deux
jours certaiu ; et Monsieur même , lorsqu'il se remit
en l'obéissance du Roi , dit au sieur de Bnllion que
le cardinal avoit en cela rendu un signalé service à
Sa Majesté , et oue l'avis du péril que couroit cette
place étoit vérnBile.
Ce qui empêcha que ce pernicieux dessein ne pût
être exécuté avant que le Roi y eût pu mettre ordre ,
fut que les Espagnols vouloient mettre de leurs gens
dedans , en payant 100,000 écus qu'ils dévoient
donner au sieur de Valençai , et la Reine vouloit que
ce fût des Français choisis par elle.
DE BICHELIEU. [l632J 83
Durant cette contestation , le Roi y alla et les mit
tous deux d'accord. Monsieur se plaignoit publique-
ment de la Reine sa mère , et mettoit pour chef prin-
cipal des plaintes qu'il faisoit d'elle , qu'elle lui avoit
fait manquer le dessein de Calais. Cette affaire étant
faite , le cardinal donna au Roi un avis qu'on peut
dire avec vérité avoir été une prophétie de ce qu'on
a vu arriver depuis ^ il lui dit que pour bien résoudre
ce qu'il falloit faire pour éviter présentement les
troubles qu'on méditoit contre la France , et s'en ga-
rantir k l'avenir , il falloit considérer soigneusement
qui étoient ceux qui les tramoient , et les moyens dont
ils se vouloient servir ^
Que l'Empire, l'Espagne, l^jorraine, la Reine
et Monsieur, étoient ceux qui^uloient trou||er la
France;
Que les moyens qu'ils vouloient tenir étoient une
étroite union entre eux, y attirer le plus d autres
princes qu'ils pourroient, comme l'Angleterre et la
Savoie , la surprise de quelque place importante ,
la corruption de quelques gouverneurs au dedans du
royaume, ou l'assassinat de ceux qu ils pensoient plus
assurés au Roi , ou qu'ils jugeoient lui être moins
inutiles, à l'événement de l'un desquels desseins ils
étoient résolus d'entrer en Franc^vec armée qu'ils
tenoient prête à cet effet 5 ^
Que leur résolution étoit si clairement vérifiée par
tant d'avis de divers lieux certains , et par tant de
pièces surprises , qu'il étoit impossible d'en douter \
Que ce que dessus étant non-seulement présup-
posé mais connu par preuves , il faudroit être fou ,
aveugle ou méchant, pour ne pratiquer pas tous les
6.
84 [l632J MÉMOIRES
remèdes nécessaires pour éviter les inconvéniens qui
pouvoient arriver de tels desseins ;
Que la première chose qu'il falloit faire étoit de
mettre tous les ordres nécessaires pour la conser-
yation de la personne du Roi et ensuite de ses ser-
viteurs 5
Que la seconde étoit de pourvoir à la sûreté des
places du royaume, autant quon le pourroit faire,
établissant de bonnes garnisons et si bon ordre en
icelles, qu'eUes fussent effectives dans les places et
non-seulement dans la bourse des capitaines, comme
elles avoient été jusqu'alors ; qu'il falloit en outre châ-
tier les gouverneurs infidèles si «on en avoit des
preuves assurées , ^jpnger les sijlpects si on avoit
sujenl^parent de les soupçonner i la raison d'Etat ne
permettant pas en conscience qu'on manquât de re-
médier à un mal qui pourroit produire la ruine d'un
royaume , lors même qu'on n'en avoit pas preuve évi-
dente, mais seulement juste sujet de le soupçonner,
principalement si le remède qu'on y pouvoit ap-
porter ne faisoit point de tort à celui contre lequel
on le pratiqueroit ;
Que la troisième chose qu'il falloit faire étoit d'em-
pêcher que l'union des conspirans ne se grossît , et
rompre celle qui^toit déjà faite, autant qu'on le pour-
roit, soit eu les détachant et gagnant ceux qui en
étoient, s'il étoit possible , soit en les mettant par la
force en état de ne pouvoir nuire ;
Que pour ce faire , il falloit considérer le dedans et
le dehors ; quant au dedans , ayant poui'vu à Calais
qu'on avoit grand lieu de soupçonner , si ensuite de
la punition de Marillac on étoit soigneux de châtier
DE BIGHELIEU. [lÔSs] 85
ceux qui viendroient à manquer , il n'y avoit rien à
craindre;
Que pour ce qui ëtoit de Monsieur et de la Reine,
il n'y avoit rien à faire que les laisser souffrir le mal
qu'ils se faisoient à eux-mêmes, jusqu'à ce que , ne
pouvant plus le supporter , l'excès de leur douleur et
l'impuissance qu'ils reconnoitroieut avoir de faire mal
à la France , les contraignit de rentrer en leur devoir; *
Que l'Empereur n'avoit que trop d'occupation ;
Que l'Espagne en auroit assez , puisque les Hollan-
dais alloient se mettre à la campagne , et qu'ils avoient
en outre entrepris le secours du Palatinat ;
Que les Anglais seroient toujours retenus de pro-
duire aucun effet de la jalousie ^^relle qu'ils avoient
contre nous , si nos affaires étofflit en bon étali^oint
que la considération du Palatinat , dont ils dësiroient
le recouvrement, et auquel ils croient que nous étions
nécessaires , en tant que nous assistions le roi de
Suède , les empécheroit de rien entreprendre à notre
préjudice , ce qu'aussi bien ils ne saurotent faire sans
troubler leur propre repos , dont leur nécessité et
leur paresse naturelle leur faisoit désirer la conser-»
vatiou ;
Que M. de Savoie n'étoit pas encore lié contre la
France, et ne se déclareroit pas qu'il n'y vit beau jeu ;
ce qui faisoit qu'à son égard il n*y avoit rien à faire .
qu'à maintenir nos affaires en état qu'il eût sujet de
craindre la puissance du Roi s'il lui manquoit;
Qu'il ne restoit donc rien à faire qu'à pourvcMr au
duc de Lorraine ;
Que , pour bien juger de la résolution qu'il falloit
prendre à son égard , il falloit considérer exactement ^
86 [i63aj MÉMOIRES
quel a été son prqpédé avec la France , et particuliè-
rement depuis le traité qu'il fit à Metz il y a six mois ,
se réconciliant avec le Roi;
Que par le traité il s'étoit obligé à quatre choses
principales, à toutes lesquelles il avoit -manqué , fors
à la déposition de Marsal , qu'il ne pouvoit ne faire
pas , à cause de la présence des armes du Roi qui
Tavoit pris au dépourvu ;
Que la première defs quatre qu'il n'avoit pas ob-
servée, étoit de livrer Le Coigneux et Monsigot,
dont on s'étAt fié à sa parole, qu'il viola dans la nais-
sance même du traité où les promesses sont d'ordi-
naire inviolables \
Que la seconde |^it la jonction de ses armes à
lUe^u Roi pour n^oriser la religion catholique en
Allemagne et empêcher la perte de la ligue catholique,
qu'il éluda par divers artifices , en sorte que la perte
de M. de Bavière, son oncle , s'en étoit ensuivie ;
Que la troisième l'obligeoit à rompre toute intel-
ligence avec l'Empereur , l'Espagne , la Reine et Mon-
sieur-, et cependant, au même temps qu'il le pro-
mettoit , il s'engageoit avec eux de faire le contraire;
Que la quatrième éloit de ne rien jamais entre-
prendre au préjudice de la France , contre laquelle il
n*avoit pas laissé de machiner tout ce qu'il avoit pu
pour sa ruine;
Que les lettres surprises , de Puylaurens à madame
de Phalsbourg, justifioient clairement l'étroite intelli-
gence qui avoit toujours été entre les ennemis du Roi
et ce prince ;
Que celles de madame d e Phalsbourg à Puylaurens
Tassuroient , en termes si précis , que M. de Lorrain^
DK RICHELIEU. [1682] 87
ëtoit ea état de servir Monsieur >J[|a'iI n*y avoit pas
lieu d'en douter f
Qdl celle de M. de Vaudemont disoit, en termes
exprès, que Monsieur devoit avoir bientôt la cou-
ronne-, ce qui ëtoit à noter et devoit donner beau-
coup à penser ^
Que Ta vis qu*avoit donné Tambassadeur d'Angle-
terre, comme le sachant certainement, que M. de Lor-
raine avoit écrit à llnfante qutfttoit prêt à se joindre
aux armes de l'Empereur et à celles d'Espagne pour se
venger des injures qu'il avoit reçues diitloi à Metz;
Que la conduite du duc , qui avoit rempli ses places
de né , qui les fortifîoit avec précipitation , qui en-
gageoit ses terres pour avoir de l'argent, qui le voit
enfin des gens de guerre de todH parts ;
Que les avis du sieur de Carmaing , homme Intelli-
gent en telles affaires, qui portoient tous que Monsieur
devoit entrer en France avec quatre mille chevaux >
soutenu du duc de Lorraine et de don Gonzalez ;
Que celui que le nonce de Flandre avoit dorinë
de Vunion dudit duc aux desseins de Monsieur contre
la France ;
Que les négociations qu'on savoit que M. de Lor-
raine iaisoitavec l'Empereurpardivers^personnes,
et entre autres par deux pères jésuites, dont le père >^
Maillan avoit donné avis ;
Que la connoissance certaine qu'un bomme certain
avoit donnée de l'union de M. de Lorraine avec Es-
pagne -,
Que les avis que le duc de Bellegarde avoit donnes
à M. de La Force qu'on avoit dessein de charger les
troupes du Roi avec celles de M. de Lorraine et d'Ossa,
0
88 [l63!l] MÉMOIRES
ne confirmoient que trop la connoissance que les dé-
pêches surprises avoient donnée , ôt tous ensemble
ne permettoient pas de douter de l'infidélité Hé ce
prince -,
Que la dépêche de Deshayes, et les autres de
Walstein au comte de Mérode , de fournir dix mille
hommes à Monsieur pour entrer en France ;
Que les levées qu'on avoit appris de nouveau que
Mérode faisoit au Lié|ftde cinq régimens^
Que l'assurance que Pnylaurens avoit donnée à
madame de Verderonne d'être , au premier jour , à
la campagne 5
Que les avis donnés par Elincour qu'on atteimoit
à voir quel événement auroient les affaires d'Alle-
magne à ce commnbement, pour faire entrée en
FranôéPdu côté de Champagne *,
Que les diverses dépêches du sieur de Guron, qui
étoit en Lorraine , et avoit découvert , par divers
moyens , l'union d'entre l'Espagne , Lorraine et Mon-
sieifr, et leur conspiration au préjudice de la France,
faisoient qu'il faudroit avoir les yeux crevés pour
ne voir pas que tous ensemble n'attendoient que la
surprise de quelqu'une des places du Roi , ou la dé-
claration de^guelque gouverneur pratiqué pour se
JÉÉnettre en campagne;
Que, par tout ce que dessus, il apparoissoit qu'on
ne se pouvoit fier en la parole de ce prince , que ,
quelque traité qu'il fit , on ne pouvoit y prendre sû-
reté, puisqu'il ne sauroit parler plus expressément; ni
faire aucun traiti qui obligeât davantage que celui qu'il
avoit déjà fait , à q#oi il avoit manqué ouvertement;
DE RICHELIEU. [i63a] 89
prudence , fourbe , déloyal et peu saf[e , anime contre
le Roi, lié partiiblièrement avec ceux qui en vou-
loienf il Sa Majesté , duquel , par conséquent , il (alloit
tout craindre , sans pouvoir s en promettre aucun
bien que celui auquel on pourroit le contraindre par
force;
Qu*il restoit donc à dire que , ne pouvant être gan
gué , il le falloit perdre si on ^se vouloit contenter
de lui mettre un caveçon , ou^ la bride de Marsal ;
Qu'on avoit légitime sujet d'en user ainsi , qu'il
seroit jugé tel de tout le monde quand on voudroit
le publier;
^k cependant , devant que Tentreprendre , il fal-
loit considérer s'il valoit mieux ne le faire pas , et les
inconvéniens qui pouvoient arriver laissant les choses
comme elles étoient , ou ceux qu'on devoit craindre
entreprenant de mettre ce priAce en état de ne pou-
voir nuire ;
Que le Roi avoit <;ent mille hommes sur pied ; *
Qu'il lui étoit impossible de les entretenir long-
temps sans que la France périt ;
Que si telles forces lui étoient toujours nécessaires
pour sa défense , dès lors onpouvoit s'assurer que son
salut et sa conservation étoient sa perte , fkrce que la
France ne sauroit supporter cette dépense encore
une année sans élre ruinée ;
Qu'il (alloit donc s'en servir tandis qu'on étoit con-
traint de les entretenir, pour aflbiblir les ennemis de
ce royaume , et les mettre en état de n'obliger plus
à l'avenir à de si grands préparatifs pour se défendre;
autrement , si la France diminuant de force les en-
nemis demeuroient en celle en laquelle ils étoient ,
#
90 [l632] MÉMOIRES
il arriveroit qu'on ne seroit plus en ëUt de se défendre
lorsqu'ils anroient plus de volonté A nous attaquer ,
parce qu'ils en auraient plus de moyens, qu'ils prati-
queroient indubitablement si le temps y étoit propre;
Que l'Espagne et l'Empire étant occupés comme ils
étoient lors , M. de Lorraine n'en pou voit être secouru
que foiblement sous le nom de Monsieur ;
Qu'il ne pouvoit donc faire résistAuce que par la
force de ses propres êrtnes et de celles de Monsieur;
ce qui n'étoitpas grand'chose au respect des grandes
difficultés qui se trouvoient d'ordinaire en telles af-h ^
faires , et qui pourroient s'y trouver une autre £ûs ;
Que , quoi qu'on fît contre ce prince , on lui^Rn-
neroit bien peut-être plus de sujet de s'en revancher,
mais non pas plus àe volonté et de dessein; mais
aussi on lui en diminueroit le moyen, qui étoit l'im-
portance ;
Que si lui et toutes ses forces , et celles de Mon-
si^r, se mettoient à la campagne , on les déferoit as-
surément, et, par après, on ne trouveroitpas grande
difficulté ;
Que s'ils s'enfermoient dans des places, en les blo-
quant dans la principale , à la fin on les y feroit périr,
quoi qu'ils ^voulussent faire, ne voyant pas que, de
toute cette année , ils pussent avoir de secours puis-
sant qui pût rompre un tel dessein *, et cependant on
prendroit d'emblée toute la Lorraine , hormis trois
places , tout le Barrois pour jamais ; et quand même
on ne perdroit pas tout-à-fait le duc , on le ruineroit
de telle sorte qu'il ne sauroit revoler une autre fois,
et l'armée du Roi auroit vécu dans son pays au lieu de
ruiner la France \
DE HICHELIEU. [l63a] 91
Qu'au reste , ouand on seroît contraiat de se dé-
partir d'un tel deSein après qu'on Tauroit commencé,
on ne pourroit perdre tant qu'on feroit en ne faisant
rien ; auquel cas nous nous consommerions par nos
propres forces , et ne diminuerions , ni la volonté que
les ennemis avoient de nous mal faire, ni leur puis-
sance , ains augmenterions Tune et l'autre en nous
aflbiblissant nouft-mémes -,
Qui plus est , il y avoit grande apparence que
M. de Lorraine ne se verroit pas plutôt attaqué par
¥ le Roi , qu'il rechercheroit d'en sortir par un accord,
quu^ sauroit être si mauvais qu'il ne lui fût plus
utiléque de hasarder ses Etats contre un grand roi ,
et qu'ainsi il sembloit qu'on ne pût qu'avoir bonne
issue de cette affaire , et que le pis aller seroit tou-
jours plus avantageux que le mieux qui pût arriver
en ne faisant rien que nous cotisommer sans affoiblir
nos ennemis ^
Qu'en un mot , si , tandis que nous avions le temps
propre et la force , l'on ne se servoit de l'un et de
l'autre pour ruiner ceux qui étoient unis contre nous,
en perdant les plus foibles, et nous mettant, par ce
moyen , en état de perdre les autres par après si
l'exemple de leurs voisins ne les rectifioit , ils at-
tendroient et prendroient indubitablement le temps
de nous perdre nous-mêmes , lorsqu'ayant (ait beau-
coup d'efforts pour nous garantir de leur mauvaise
volonté, nous ne serions plus en état de nous en
défendre ;
Que , si l'on prenoit la résolution d'attaquer le duc
de Lorraine , pour jouer à jeu sur , il falloit envoyer
traiter avec le chancelier Oxenstieru une union à ce
9^ [l632] MÉMOIRES
dessein, lui reprëseatant qu'on ne vouloit entre*
prendre ledit duc que parce qu'il xftnquoit au traité
qu'on avoit fait avec lui en faveur du roi de Suède ;
Qu'il falloit l'assurer qu'on attaqueroit ledit duc ,
s'il ne vouloit de nouveau déposer deux des meil-
leures places qu'il eût, entre les mains du Roi, pour
sûreté qu'il ne se tourneroit plus pour l'Empereur
contre ledit roi de Suède , et stipulei%vec lui qu'aus-
sitôt que le Roi attaqueroit ledit duc , qui seroit dans
le 1 5 juin , assurément il attaqueroit les Espagnols ;
Que , pour le porter à cette résolution , il falloit
lui représenter le grand avantage qui lui revie^^oit
d*un tel dessein , soit que le duc se soumît aux vo-
lontés du Roi , ou qu'il ne le fît pas ;
Que , s'il s'y soumettoit , les Espagnols perdroient
l'assistance qu'il leur avoit promise contre lui ;
Que , s'il ne le faisoit pas , ils seroient contraints
de se diviser, une partie pour assister ledit duc, et
l'autre pour résister aux forces qu'il commandoit pour
son maître ;
Qu'on diroit peut-être qu'au même temps qu^on
feroit cela M. de Lorraine , ayant garni ses places ,
Monsieur , avec la cavalerie de l'un et de l'autre et
les Liégeois , entreroit en France -, mais tant s'en faut
qu'on vît rien à craindre pour cela, qu'au contraire
il sembloit qu'il étoit à désirer , parce qu'ils ne sau-
roient faire d'armée qui pût assiéger une place , et
que , s'ils y entroient une fois bien avant , ils étoient
perdus, vu qu'assemblant la noblesse des provinces
voisines , avec mille chevaux et dix mille hommes
de pied qu'auroit le Roi , outre l'armée qui attaque-*
roit M. de Lorraine , on pourroit aller à eux en qaelr
DE RICHELIEU. [l633] gS
que lieu qu'ils fussent ; et si une fois ils étoient dé-
faits , comme il afriveroit, M. de Lorraine étoit perdu
et le Roi assuré en son Etat pour long-temps ^ pour
conclusion qu'il y avoit trois partis à prendre avec
M. de Lorraine :
Ou ne rien faire et laisser les choses comme elles
étoient , ou lui faire la guerre , ou s'accommoder
avec telle sûreté qu'il ne pût plus manquer à l'ave-
nir, comme il avoit fait par le passé \
Que, de ces trois partis, le premier étoit le pire ,
parce qu'on ne pouvoit long-temps soutenir la dé-
pen|e que l'on faisoit sans être ruiné, et que , lais-
sant M. de Lorraine comme il étoit, on le laissoiten
état d'attendre une saison propre à faire sentir les
effets de la mauvaise volonté qu'il avoit témoignée
en ces dernières occasions , contre sa parole et ses
traités , en laquelle nous ne serions plus en état non-
seulement de lui faire du mal , comme nous étions
lors , mais même de nous défendre de la ligue qui se
trouveroit contre nous ;
Que le second étoit le meilleur, parce qu'on n'au-
roit jamais si beau temps de mettre par terre cet en-
nemi, qui étoit quasi le seul dont les Espagnols se
pouvoient servir contre la France , comme le singe
de la patte du lévrier ; et que , quoiqu'il y eût de la
difficulté , il n'y en pouvoit avoir qui empêchât qu'on
ne profitât de plus de la moitié de ses Etats, et qu'on
ne le mît en état de ne se pouvoir servir des autres
contre nous ;
Qu'au reste sa volonté au mal étant si invétérée
qu'ayant tenté plusieurs fois de le ramener on y
avoit perdu son temps, il étoit impossible de ne pas
94 [l63aj MÉMOIRES
juger que , si on le laissoit subsister en ëtat de mal
faire, il y animeroit tous les autres ; au lieu que si on
le mettoit en état de ne le pouvoir, outre que le plus
animé seroit par terre, son exemple intimideroit tous
les autres , et on demeureroit au moins en état de
leur résister quand ils voudroîent faire les mauvais ,
si on n y étoit de leur donner sur les doigts à ledir
tour ;
Que , nonobstant toutes ces raisons , il conseilloit
le troisième parti , pourvu que la sûreté s y trouvât ,
parce qu'on auroit, par une voie douce et facile , le
même eiletquon prétendoit par la guerre, vu (|u'on
mettroit M. de Lorraine en état de ne pouvoir nuire,
et qu'ensuite , avec ses armes et les nôtres , nous
tiendrions le reste de nos ennemis en grande considé-
ration , et serions en état de recevoir ce que la bonne
fortune nous offriroit, peut-être lorsque nous y pen-
serions le moins.
La question étoit de savoir quelle sûreté ce prince
pouvoit donner , qui fût estimée raisonnable ;
Qu'il y en avoit trois :
i^. Livrer des places de nouveau *,
a®. Offenser les ennemis du Roi , contre lesquels
il étoit déjà lié avec Sa Majesté par traité ;
3<*. Et désarmer^
Qu'il estimoit qu'il n'y auroit pas raison de deman-
der ces trois choses ensemble, parce qu'un prince
s^exposeroit trop , par ce moyen , à être dépouillé à
la première volonté qu'il en prendroit au Roi , joint
qu'il n'étoit ni de la bienséance ni de la condition des
souverains de dépendre absolument des volontés
d'autrui , et , partant , qu'il croyoit qu'il se faudroit
DE AICHSLIEU. [i63a] gS
contenter des deux premières , et laisser M. de Lor-
raine armé ;
Que cette proposition sembleroit peut-être étrange
d abord , mais qu'il la croit utile pour deux raisons
principales :
La première, qu'en lui conseillant de demeurer
frmé il se porteroit plus aisément à donner des
places, parce qu'il verroit par là qu'on lui laissoit le
moyen de conserver les autres , et croiroit qu'on avoit
dessein d'entreprendre quelque chose où il pourroit
profiter;
La seconde , que l'armement qu'il tiendroit en pied
étoit le moyen dont il se falloit servir pour lui faire
offenser les ennemis du. Roi , s'il en étoit besoin , et
que Sa Majesté eût lieu de s'y porter elle-même ;
Qu'il croyoit d'autant plus que M. de Lorraine
pouvoit demeurer armé , qu'il ne sauroit abuser de
ses forces , vu les sûretés que nous aurions , parce ,
en outre , que ses forces seroient modérées , et que ,
servant , comme elles feroient , à nous tenir en plus
grande considération, attendu qu'il seroit obligé à
les joindre à celles du Roi , en quelque dessein qu'il
^voulût prendre, elles serviroient encore à le con-
sommer par lui-même ;
Mais que surtout , traitant avec lui , il falloit le faire
obliger de nouveau à joindre ses armes avec celles du
Roi, et suivre tous ses desseins et intentions , et qu'il
consentît, au cas que l'on pût vérifier qu'il manquât à
l'avenir audit traité , que les places qu'il auroit dé-
posées demeurassent perdues.
Ensuite de cet avis , Sa Majesté ayant sufiisamment
pourvu à toutes ses frontières de Picardie , laissé à
gG [l632] MÉMOIRES
Calais le sieur de Saint-Chamond , maréchal de camp,
à Corbie le marquis Palluye, pourvu à Saint- Quen-
tin , la volonté du gouverneur duquel lui étoit sus-
pecte , et , y ayant laissé le sieur de Persy par com-
mission , sans déposséder le gouverneur à cause de
son impuissance , elle s'achemina vers la Lorraine ,
d'où elle recevoit tous les jours de Guron avis sur
avis de la mauvaise volonté et infidélité du duc de
Lorraine.
Elle reçut en ce temps-là bien à propos une dépêche
des maréchaux de La Force et d'Effiat, qui comman-
doient son armée aux frontières d'Allemagne, par
laquelle ils lui donnoient avis de la plainte qu'Oxens-
tiern leur faisoit des grandes levées du duc de Lor-
raine, qu'il croyoit être à dessein de les joindre avec
les troupes d'Espagne contre le Roi son maître pour
entrer dans le Palatinat , leur ayant mandé que le Roi
son maître en eût bien empêché ledit duc, le mettant
en état de ne lui pouvoir nuire , n'eût été le respect
de Sa Majesté et l'accord qu'elle avoit fait avec lui ,
duquel elle avoit fait donner part au Roi son maître
par le marquis de Brezé , ce qui le détourna lors
d'attaquer ledit duc, sous l'assurance qu'il donna
aussi de ne rien entreprendre au préjudice du traité
d'alliance et confédération d'entre le Roi et le roi
^e Suède.
Sa Majesté , à cette nouvelle , dépécha dès le aS
de mai, de Boulogne où elle étoit alors, le sieur de
Miré vers le sieur de Charnacé , son ambassadeur en
Allemagne,, et lui manda que son intention n'ayant
jamais été , en garantissant le duc de Lorraine du mal
qui le menaçoit, de lui donner lieu de contribuer à
bB RiCHELIEU. [l63a] Qj
en (kire « ceux qui ëtoient en dessein et en état dé
lui en faire recevoir sans sa considération , il allât
proniptement, ou, au cas qu'il ne le put, envoyât au
plutôt le sieur de Miré vers ledit Oxenstiern , pour
traiter et convenir ^ en son nom , avec ledit Oxens-
tiern , au nom du roi de Suède ; qu'au cas que ledit
duc ne se disposât dans peu de jours de donner, et ne
donnât par effet de tels gages et assurances que Ton
ne pût douter qu'il n'eût plus d'intention de nuire ^
et que même il ne le pût quand il en auroit la vo-
lonté , Sa Majesté Vattaqueroit de toutes ses forces ^
et entreroit dans ses Etats pour dissiper ses troupes^
prendre ses places, et en un mot le réduire à tel
point qu'il ne fût plus capable de nuire aux desseins
dudit roi de Suède : Oxenstiern promettant aussi , au
nom dndit Roi son maître, qu'au même temps que
l'armée de Sa Majesté entreroit dans les Etats du dud
de Lorraine et le tiendroit occupé , les troupes du roi
de Suède attaqueroient celles de l'Empereur et du roi
d'Espagne , lesquelles étoient entre le Rhin et la Mo-
selle pour troubler les desseins du roi de Suède,
poursuivant les Impériaux et Espagnols en quelque
lieu qu'ils allassent pour troubler le présent dessein
de Sa Majesté.
Le sieur Carondelet ^ doyen de Cambrai i vint aussi
secrètement trouver Sa Majesté k Amiens le 3o mai^
et lui témoigna , de la part.des plus grands seigneurs
de Flandre, le mécontentement qu'ils avoient de»
Espagnols , le désir de s'en délivrer i et le recours'
qu'ils avoient à sa bonté et à sa grandeur royale pour
les assister, promettant qu'ils se déclareroient contre
le roi d'Espagne si elle vouloit envoyer une armée
T. a^. 7
98 [l63dj MÉMOIRBS
dans )e Hainatit et FArteis , en la puissance de la-
quelle ils remettroient les viltes d'Ayesnes , de Bou-
diain et du Quesnoy, et avec le temps d'autres plus
grandes.
Sa Majesté ne rejeta pas entièrement cette ou-
verture , mais , n*y voyant pas aussi encore assez de
jour, elle lui donna espérance de ne les pas abandon-
ner lorsqu'eHe seroit plus certainement infornëe si
la puissance de leur ligue étoit telle que vraisembla-
blement ils pussent parvenir à la fin qu'ils désiroient.
Sa Majesté, quelques jours auparavant, avoit donné
ordre aux maréchaux de La Force et d'Effia t d*envoyer
mille hommes de pied et cent efaevaux dansHermens-
tein pour le garder, selon le traité que nous avons
dit ci-dessus avoir été fait avec le roi de Suède et
f archevêque de Trêves , ce qui ne pouvoit apporter
juste sujet de rupture , ni avec Trêves , puisque cela
se faisoit à sa prière, et qu*on le tifoit de péril évi-
dent, inévitable par autre voie, ni avec les Espa-
gnols, pource qu'en secouroit un électeur catholique
pour le bien de la religion et de l'Empire, ni avec le
duc de Lorraine, pour la même raison, et parce
qu'on ne faisoit que ce à quoi il étoit obKgé conjoin-
tement avec le Roi. Mais néanmoins, afin qu^Ozens-
tiern fut encore plus assuré des bonnes intentions du
Roi et de l'utilité que lui apportoit la présence de
son armée , il lui fit connoitre que le voyage de La
Saludie à Hermenstein et les autres troupes que le Roi
pourroit détacher de son armée pour envoyer en- gar-
nison es autres places dudit Electeur , n*étoient qn\yi
accessoire de l'envoi de cette armée , le principal
but de laquelle alloit à empêcher la conjonction des
DE RICHELIEU. [iGSl] gO
tronpes de don GoAla)e2, non-sealement avec le
corate d*Emdén, mais avec lé duc de Lorraine, ^i
toutes ensemble lui deyoient fondre sur les bras pottf
le chasser du Palalînat et de totit të qu'il tetioit éû
deçà et au-delà du Rhin, dont le Roi étoit bien
averti quHls avoient dessein , et pour forcer M. dé
Lorraine à quitter leur parti pour prendre lé n6ité.
Gonformémeilt à qtioi lé Roi , d'abondant encore i
avoit fait un êfTort extraordinaire dans ses financée
pour iaîre agir les Hollandais Si pnissàtnment que tés
tronpes de Flandre n avoient ose tourner la tété dé
deçà ayant trop d'occupation chez ell«s. Otenstiem
reçut ces raisons , et passa même sans difficulté le
traité avec Miré, de Tenvoi duquel nous avons parlé
ci-devant, reconnoissant qu'il étoit fondé sur les
propres intérêts du Roi son malti^e , et se ressouve-
nant que lorsqu'il alla à Bamberg contre Tilly qui en
avoit chassé Horn , le comte d'Emden étant sollicité
d'approcher ses troupes de Kreutznach et attaquer les
lieux qu'il laissoit derrière lui , ledit comte répondit
qu'il avoit jalousie de l'armée du Roi, commandée lors
par les maréchaux de La Force et de Schomberg , et
qu'il étoit obligé de demeurer sur le sien- pour être
préparé à le défendre si on avoit intention de l'at-
taquer. Il est bien vrai que les Suédois reçurent cet
avantage de ladite armée , mais ce n'étoit pas le prin^
cipal dessein pour lequel Sa Majesté l'entretenoit,
mais pour l'avantage et le bien public de la chré-
tienté et celui de son État; de la chrétienté, empê-
chant que les armes suédoises ne détruisissent tons
les Euts des électeurs catholiques lé long du Rhin,
et la reUgion même , ce qu'ils eussent fait , car ils se
lOO [l63a] MÉMOIRES
fussent saisis de tout Tëleotorat de Trêves dans le-
quel ils ëtoient déjà, si TElecteur n'eût eu recours à
Sa Majesté. L'électeur de Cologne même écrivit au
cardinal une lettre de remerciment de ce que , par
l'intervention de Charnacé , à Tombre des armes du
Roi, ses Etats étoient demeurés libres du danger
qu'ils couroient quand les Suédois occupèrent les
passages de la Moselle, et promit de coopérer de
toute sa puissance à l'efiet du pouvoir que le maré-
chal d'Effiat avoit de Sa Majesté de proposer et de
traiter de la paix de l'Empire à conditions hono-
rables pour la religion et conservation des princes
intéressés. Quant à l'intérêt du Roi pour le bien de
son Etat, c'étoit pour empêcher par cette armée l'u-
nion des troupes espagnoles avec celles de Lorraine y
en intention de favoriser la rébellion qui , sous le
nom de Monsieur, se faisoit dans le royaume ^ au
reste, qu'il fit connoitre au duc de Lorraine les
grands sujets que Sa Majesté avoit de se plaindre de
lui, pour lesquels il seroit dorénavant contraint de
tenir son armée en son pays pour s'opposer à ses
desseins , s'il ne donnoit de bonnes assurances à Sa
Majesté d'un plus sincère procédé à l'avenir.
Les Espagnols qui étoient au Palatinat sous le com-
mandement du comte d'Emden s'approchoient avea
dix ou douze mille hommes 9 Haraucourt étoit à Ha-
guenau avec quelques troupes lorraines ^ Monsieur
étoit à Trêves avec d'autres troupes et celles qu's^voit
Gonzalez, qui faisoient huit mille hommes de pied
et deux mille chevaux -, tout cela se devoit joindre
avec le duc de Lorraine, et passer en France.
Ledit duc, pour amuser le Roi, lui envoya De-
I>E RIGHBLIBU. [lÔSlj lOE
ville, qni troava Sa Majesté à Amiens allant à Calais,
et vint avec elle jusques en ladite ville. Il ne ftit pas
plutôt de retour à Nancy qu^l ne revint , et trouva Sa
Majesté à Nelle , comme elle s*avançoit vers la Lor-
raine. En tous les deux voyages iï n'apporta que des
paroles trompeuses et captieuses , comme il parut
bien en ce qu^assuraut le Roi de TafTection de son
maître et de la résolution qu^il avoit d'exécuter les
traités qu'il avoit faits avec Sa Majesté ^ il faisoit, au
préjudice d'iceux, passer Monsieur dans ses États
pour entrer en France.
Il offrit au Roi, pour toute satisfaction dès offenses
qu'il avoit faites à Sa Majesté , que son maître dé^
sarmeroit.
Sa Majesté lui fit réponse que Tes armes dé M. dé-
Lorraine ne lui étoient point suspectes, mais bien-
ses intentions ; partant qu'il n'a voit pas besoin de son-
désarmement, mais bien assurance qu% l'avenir il ne*
feroit plus contre lui ce qu'il avoit fait par le passé;
Que tant s'en faut qu'il lui conseillât de désarmer,
qu'au contraire il croyoit qu'il ne sauroit prendre une
meilleure résolution que de se rendre puissant et
fort s'il ne vouloit le satisfaire, parce qu'en ce cas le
Roi étoit résolu de se faire raison à soi-même.
Le duc de Lorraine , durant ses allées et venues ,
donnoit de nouvelles commissions , distribuoit des
armes de son arsenal pour armer de nouveaux régi-
mens , et feignoit une guerre contre ceux de Stras-
bourg, pour avoir prétexte d'envoyer ses gens vers
l'Alsace pour les fortifier de ceux du commissaire
Ossa , si les progrès du roi de Suède ne l'en eussent
empêché ^ ce qui fit que Guron lui demanda congé de-
se rétif çr , \n\ t^m9^gn^a|t que , puisqu'il ne voy oit
ppii^d'app^rence qu'il yp^lût donner satisfaction au
Rpi, il aimoit mieux s'en aller ayant la rupture que
de la voir arriver ^n sa présence. Le duc , étonné ,
proposa , pour témoignage de ss^ fidélité vers le ]^oi ,
4p lui donner Clermont, en tirant récompense de Sa
Al^esté , et pria Guron d'en écrire \ mais , comme il
ae faisoit cettç proposition que pour tromper , il l'é-
luda aussitôt qu'on voulpt eptrer en traité, qe qui fit
que le Rpi lui con^manda de prendre congé de lui et
de se retirer en son armée d'Allemagne; et, se ré*
solyant 4'attaquer le duc ^e Lorraine 9 epvoya IV^i-*
rafipiont aux maréchaux de La Force et d'f^ffiat,
avec ordre de leur dire que l'armée qu'ils ooiqinan-
dpient é|oit bien en un poste qui séparoit celles de
don Gonzalez, du cppate d'Emden et du duc de Lor-^
raine , et que tandis que ladite ar^oée de Ss^ Majesté
n'ai^roit ri^n à entreprendre elle ne saurpit être e|i
un meilleur lieu , principalement si , pendant qu'elle
élpit là, l'arioiée d^ roi de Sqëde vouloit attaquer
quelqu'une des deux armées d'Esps|gue , qui , se*
parées, n'étoientpas capables de lui résister^ mais
psirce qu'il n'étoit pas possible ni rs^^sonnable de de^
meurer toujours lest bras croisés , le Roi le leur en*
yoypit pour ajuster avec eux ce qu'ils pourroient
faiçe , et leur donner ps^rt de ce qu'il estimoit devoir
entreprendre de son cdté, et du temps auquel il pon-
vpit compiencer sop entreprise ; que Sa Majesté pou-*
voit entrer dans les États 4e M. d^ Lorraine vers le
aoi du mois ^ que son dessein étoit de faire entrer du
côté de Clermont quatre mille houimes de pied et
ciuq cents clueyaux pour bloquer cette place ; d'^
DE BIGHEUEU. [l63a] io3
trer enpersoliQe avec douze mille hommes de pied et
mille ebevaax dans le Barrois, qui se readroi||î sa
vue, et de là passer à Pont-à-Mousson , Saiut-Mi^
hiel et autres lieux semblables , qui ne pouvoient paa
résulter et pouvoient fournir quantité de blés pour
la noorritore de ses armées ; et , après ces choses ik-
ciles exécutées , demeurer en état de voir ce qu0
vondroient faire les ennemis , afin de se porter avec
cette armée aux lieux oà il faudroit, pour rompra
leurs desseins et faciliter à Tarmée qu^ils commao^-
doient ce qu'ils auroient à entreprendre ; que , quoi-
que l'entreprise de Nanqr semblât la plus difficile ,
Ton estimoit que c'étoit celle oà il se falloit attacher »
d autant que , si Ton en venoit à bout , M. de Lorrains
seroit ruipé tout d'un coup \
Qu'il y avoit à considérer que l'armée qu'ils corn-
mandoient prenant la route de Nancy , celles des en-»
nemis se pourroien^t joindre^ et se mettre en état de
tenter de secourir M« de Lorraine;
Que l'on ne voyoit pas qu'ils le pussent entrepren-
dre san^ toutes leurs forces jointes , et qu'ils pussent
prendre une teU^ résolution sans un trop grand ha-
sard de se perdre , vu que , s'ils la prenoient, ils abai^-^
donneroient le Palatinat à Oxenstiern et la Flandre
aux Hollandais \
Qu'au reste quand ils la prendroient , si Oxens-
tiern ( qui promettoit de les suivre , et qui sans doute
s'y seroit obligé si Miré étoit arrivé au sieur de Char-
nacé ) exécutoit ses promesses , ils se trouveroieat
enfermés e^tre deux armées plus puissantes qu'eux «
qui» sans doute» par leur bonne intelligence lesruir-
ucroitnt^
I04 [l63a] MÉMOIRES
Mais qu^on ponvoil éviter que les deux armées es-
pagqiies ne se joignissent , quand même celle du Roi
^e relireroit , si Oxenstiern vouloit prendre un bon
poste avec toute son armée pour les en empêcher ,
vu principalement que les Espagnols seroient bien
poins hardis à rien entreprendre , les Hollandais
étant en campagne comme ils étoient , parce que , s'il
lirrivoit qu'ils eussent un échec en ces quartiers où
ils étoient, la France, Suède et les Hollandais vien-
droient à bout de tpus leurs desseins contre les Es-
gnols , sans aucune opposition \
M^is que surtout ils se donnassent bien garde de
retirer Tarmée du Roi pour venir en Lorraine, qu'ils
n'en donnassent premièrement avis à Oxenstiern , et
lui fissent entendre que c'étoit pour Teffet qu'on lui
avoit proposé , et que le Roi n'alt^queroit ledit duc
que pour Tuniôn qu'il avoit prise avec les Espagnols
depuis quHl avoit traité avec lui, au préjudice, tant de
Sa Majesté que du roi de Suède;
Qu'ils l'engageassent aussi à suivre lesdils Espagnols
au cas qu'ils se joignissent ensemble pour suivre l'ar-
mée du Roi , et convinssent , si cela trrivoit , que Ton
tâcheroit de les combattre , les attaquant par la queue
et par la tête.
Les maréchaux de La Force et d'Effiat ayant reçu
cet avis, et, quant et quant, appris que Monsieur, avec
l'armée espagnole, devoit partir de Trêves et s'avan-
cer à Saint- Wendel, situé entre Trêves, où étoit l'ar-
mée de don Cordoua , Spire , où étoit celle du comte
d'Emden , et la Lorraine , pour se joindre au comte
d'Emden qui s'y acheminoit, espérant être assez forts
tous ensemble pour , se logeant entre la Lorraine et
D£ RICHEllEU. [lÔSî] Io5
Tarmëe da Roi -, Fempécher de faire ancnn progrès ,
et donner cependant lieu à Monsieur de passer l^ec
quelques troupes en France , prirent résolution de
les prévenir et avancer Tarmëe jusques audit Salnt-
Wendel; ce qu'ils firent le 3o mai, prirent la place
sans résistance, et renvoyèrent les munitionnaires
espagnols qui y faisoient déjà le pain pour les deux
armées, et envoyèrent le sieur de La Saludie, avec
mille hommes de pied et cent chevaux , à Bingen ,
pour aller de là par eau jusques au Rhin, ayant
passé lequel il n*eut plus de péril jusques à Hermens-
tein , où il arriva sûrement , et fut reçu avec sa troupe
par les gens de Farchevéque de Trêves.
Cordoua n*eut pas plutôt avis de son passage,
qu^il envoya à TElecteur lui demander quartier pour
ses troupes dans Coblentz; et, bien qu'il Ten refu-
sât , il ne laissa pas d*y envoyer Mérode avec deux
régimens de pied et six cornettes de cavalerie , qui
y forent reçus par Tinfidélité des habitans vers leurs
princes ; mais nous ne les y laissâmes pas long-temps ,
comme nous verrons ci-après.
Cette résolution fit rebrousser chemin au comte
d'Emden , qui n*osa pas approcher si près de notre
armée, et se retira vers le Rhin , pour aller plus loin
passer la Moselle et se joindre avec Gonzalez ; mais
les Suédois se mirent à leur queue , et, si Ozenstiern
et le comte Ludovic Olo eussent été en bonne intel-
ligence et n'eussent point perdu de temps par leurs
dissensions , ils eussent absolument défait toute cette
armée-, ils ne laissèrent pas de les travailler, prirent
partie de leurs chariots, les contraignirent de brûler-
ie reste, et les poursuivirent jusques au-delà de la
I06 [1682] MÂIIOIRES
• Moselle, si nidemeot que toute cette armée se dis--
sip^ ce dont Gonz^les fut si offensé, quil cassa
le bâton de général du comte d'Emden à la face
de toute Tarmée, et lui ôta le gouvernement de
Luxembourg jusques à ce que Tlnfant en eût au-
trement ordonné ; mais ledit don Gonzalez ne donna
pas plus d'assistance au duc de Lorraine qu'ayoit fait
f le comte d'Emden, car il se retira incontinent avec
tout ce qu'il avoit pu amasser en Flandre , pour s'op*
poser aux Hollandais , qui, ayant divisé leurs forces
en deux corps , et fait deux attaques puissantes, Tune
en Gueldre et l'autre à...».., avoient eu dlieureux
succès de tous côtés*, lesquels avoient fait perdre aux
Espagnols Henri de Berghes, mestre de camp gé-
néral de leur armée en Flandre , qui , étant gouver-
neur de Gueldre, avoit été si abandonné d'eux, que
non-seulement ils ne lui donnèrent point de troupes
pour s'opposer à l'attaque des Hollandais , mais reti-
rèrent même celles qu'il avoit ^ de sorte que , ne se
pouvant défeqdre , les ennemis s'emparèrent £au:ile-
ment de son gouvernement, ce qui lui fit croire que
c'étoit une partie qui lui avoit été jouée par Iç^dits
Espagnols qui le haïssoient de longue main , et peor
lui faire perdre son honneur, et ensuite pour avoir
lieu de se défaire de lui avec quelque prétexte appa-
rent de raison \ ce qui l'offensa jusqu'à tel point qu'il
se retira au Liège , où il écrivit à llnfante qu'il s'étoit
retiré pour y exercer sa charge pour le sfirvice de
son altesse , et employer ses biens et sa vie pour ré-
primer les désordres que les Espagnols faisoient en
Flandre , à l'oppression des personnes de toutes con-
ditions.
DE BICHBUEU. [l63a] I07
n écrivit la mémiç chose à tous, ceux du pays « les
exhortant de se joindre i lui y ce qui ëtoit une rébel-
lion Bianifi^ste , et qu'ils estimoient d'autant plus dan-
gereuse qu'ils savoient le mécontentement général
que tout le pays avoit de leur domination , et même
que , pei^ de jours auparavant , les Hollandais , après
avoir pris Artzen, Stralen , Yenloo, Ruremonde, Er-
j^elenS) et trois antres forts sur la Meuse , auroient,
le 10 juin, mis le siège devant Maëstricht, ville si
importapte que toute la Flandre en apprébendoit
extraqrdbairement la prise.
Cepepdant Monsieur arrive à Nancy \ le duc donne
avis, le 9 juin, de son passage à nos généraux, les
assurtnl qu'il n'avoit eu aucun avis qu'il dut venir ,
ni du dessein qu'il avoit d'entrer en France où il s'a-
ch^ninoit avec des forces , et qu'il n'y prenoit aucune
part, et seroit toujours serviteur du Roi.
Us ne lui firent autre réponse , sinon que , pour
savoir mieux la vérité de ses paroles, ils tournoient
la tête de leur armée droit vers lui, et dans quatre
jours arrivèrent à Nomeny et le lendemain à Pont-
Ji-Mo^ssou , qui ne firent point de résistance. Le duc
eut recours à ses ambassades ordinaires, et dépêcha
vers le maréchal d'Effiat, le conviant à une confé-
rence. Le résultat fut qu'il vendroit Clermont au Roi ,
et lui donneroit Stenay en dépôt.
Sa Majesté , se trouvant fort irritée de la maKce et
audace que le duc avoit eue de don^ner passage par
ses États à Monsieur, pour le iaire entrer à main ar^
mée en France, et résolue de s'en venger , s'avança
diligemment pour tirer raison de cette injure et de
tant d'autres qu'elle avoit reçues dudit duc.
I08 [l632] MÉMOIRES
Le Roi, étant à Sainte-Menehould le 1 6 juin, et y
ayant appris que le marquis de Mirabel, qui étoit
allé à Bruxelles , il y avoit trois mois , pour y être à
Farrivée de Monsieur lorsqu'il y alla , n'avoit pas plutôt
su son entrée en France avec armes, qu'il reyenoil à
Paris pour contribuer à ses desseins par négociation ,
lui dépécha pour le prier de ne prendre point la peine
de s'ayancer plus avant vers la cour , ayant plusieurs
raisons pour Fen empêcher raisonnablement.
La première , que , s'étant plaint au Roi son maî-
tre de son procédé , et l'ayant fait prier de ne le ren-
voyer plus, il avoit usé de la courtoisie qui étoit or-
dinaire entre les grands princes, en lui promettant
de le délivrer d'une personne qui ne lui étoit pas
agréable.
La seconde , qu'il venoit d'un lieu où il avoit aidé
à faire diverses négociations contre le service du Roi ,
particulièrement avec le duc de Lorraine, avec lequel
Sa Majesté étoit maintenant en guerre.
La troisième , qu'ayant eu de perpétuelles confé-
rences avec la Fargis , avec laquelle il professoit une
étroite amitié , et que seul il avoit fait recevoir en
Flandre, contre l'inclination de l'Infante, Sa Majesté
ne pouvoit que l'avoir très-suspect en ce qui concer-
noit même sa personne , vu que ladite dame avoit
bien été si osée que de vouloir porter, par lettres
dont le Roi avoit les originaux , la Reine à penser à
se remarier (0 avec Monsieur, ce qui ne pouvoit se
faire sans penser par conséquent à la mort du Roi.
(i) A penser a se remarier: On voit que I\icheUpu coatinooic
h «ntrctenir Louis XIII dans l^idee que la Reine régnante le haïssoit ,
comptoit sur sa mort prochaine, et pensoit à se remacier «Tec Monsieur.
DE BICHELIEU. [t63i] 109
La quatrième , que le Roi , désirant entretenir une
bonne intelligence entre le roi d'Espagne et lui y ne
devoit pas , par cette raison , recevoir en sa cour une
personne qui avoit témoigné , par toutes ses actions ,
n'avoir point de plus grand dessein que d'introduire
une rupture entre les deux couronnes.
La cinquième ^ qu'il est libre aux rois de se dis-
jpenser d'être suivis des ambassadeurs en certains
voyages qu'ils font; que le roi d'Espagne en avoit
fraîchement ainsi usé au yoyage que son maître avoit
fait à Barcelonne , faisant savoir à l'ambassadeur de
France qu'il feroit mieux de demeurer à Madrid que
de le suivre.
Celui qui eut charge d'aller faire ce message au
marquis de Mirabel , l'eut aussi de lui dire que le re-
fus que Sa Majesté faisoit de le recevoir en sa cour,
ne touchoit point sa qualité d'ambassadeur , mais seu-
lement sa personne particulière, et que toute autre
personne qui se roi t envoyée du roi d'Espagne seroit
très-bien reçue. Néanmoins il ne laissa pas de venir ^
mais le Roi lui envoya Guron lorsqu'il fut à Paris, et
lui commanda, le 19 juillet, de s'en aller en Espa-
gne , et que , si ses affaires particulières requéroient
qu'il fît plus long séjour en France , il les allât para-
chever à Orléans.
Le 18 du mois elle partit de Sainte-Menehould
pour entrer dans les Etats du duc de Lorraine, ce
qu'elle fit allant coucher à Vaubecourt , qui est en
Barrois. Avant que partir elle écrivit à tous les gou-
verneurs de ses provinces , pour leur donner avis de
la nécessité qui lui étoit imposée, par l'infidélité do
duc de Lorraine , de lui faire la guerre y
IIO [l632j MI^MOTRES
Qu'il espëroit qtie Diefu bëniroit ses armes , comme
étant justes , et ne les prenant que par conti'àinte
pour sa défense, îe repos dé la chrétienté et le bien
de son Etat.
Dès c(ne Sa Majesté fut arrivée à Vaubecourt , ayant
eu avis qu'il y avoit deux régimens de cavalerie de
douze compagnies à six lieues de là , à don Severin
et Banoche au-deçà de la Meuse, et Rouvray au-delà,
commandées par Lenoncourt et Oflans, elle donna
charge de son propre mouvement au comte d'Alais
de prendre six cents chevaut , ses Mousquetaires ,
trente des gardes du cardinal , et deux cents mousque-
taires du régiment des gardes montés sur des bidets ,
pour aller voir s'il enlèveroit quelcpi'un de ces quar-
tiers \ ce qu'il fit si heureusement , qu'ayant poussé les
deux premiers d'en-deçà de la Meuse , il passa ladite
rivière et surprit les autres dans leur quartier , où ils
pensoient dormir plus à sûreté parce qu'il étoit bien
fermé de murailles , et qu'ils ne croyoient pas qu'on
pût passer la Meuse sans qu*ils en fussent avertis long-
temps auparavant , principalement avec de l'infante-
rie, qu'ils n'avoient prévu qu'on dût faire monter à
cheval. Le quartier étant environné , les portes fo-
rent incontinent rompues , les mousquetaii^s montè-
rent en divers endroits sur les murailles , et jouèrent
tiéllement leur jeu, quecinq cents chevaux qui étoient
enfermés dans la ville , tous armés et à cheval , ne
sachant quel parti prendre , voulurent par deux fois
sortir à la campagne ; ce qu'ils tâchèrent inutilement,
rencontrant d'un côté la compagnie de chevau-légers
du Roi et quelques mousquetaires , qui , tous ensenif-
ble , les uns par leurs décharges , les autres par une
DE RICHELIEU. [l632] 111
riide charge, les repoussèrent dans la ville , là où le
ducd'HalIfiîn, qtii ëtoitàla tète desdrts chevau-légers,
eut un bras cassé d'un coup de pistolet. Comme les
ennemis tentèrent en vain de prendre la campagne
par cette porte, ils le voulurent aussi essayer par
Tautre -, mais ce fut avec aussi peu de fruit , vu qu'ils
trouvèrent le comte d'Alais à la tète , qui, après leur
avoir fait faire une décharge de quelques gardes du
cardinal de Richelieu et carabins de Maubisson , les
repoussa dans leur quartier. Y étant rentrés, les
mousquetaires continuèrent à les tuer les uns sur les
antres, et la cavalerie du Roi acheva, jusqu'à ce point
qu'il en demeura plus de deux cent cinquante sur la
place , plusieurs de blessés et de prisonniers , et cinq
cornettes prises, sans qu'il y eût autre perte des gens
du Roi que sept ou huit cavaliers et quelques bles-
sés, entre lesquels, outre M. le duc d*Halluin, le sieur
de Bouchavane étoit le seul homme de qualité.
Au *méme temps Sa Blajeslé ayant eu avis qu'un
nommé Chalabre levoit des mousquetaires à cheval
pour M. de Lorraine , et qu'il n'étoit qu'à deux lieues
et demi de son quartier , elle commanda à trente des
chevau-iégers du cardinal et trente de ceux du maré-
chal de Schomberg, commandés par Cahusac, de les
aller charger -, lequel les défit et prit prisonniers , sans
qu'il en voulût tuer aucun , parce qu'ils ne se défen-
dirent point.
Le lendemain , qui étoit le ao juin, M. de Lorraine,
sachant qu'il ne pouvoit défendre le Bafrois , envoya
un gentilhomme nommé Ck)uvonge , gouverneur du
Barrois , à Sa Majesté , pour lui rendre une feinte
obéissance dans ladite province -, mais elle lui répon-
I 12 [lG3aj MÉMOIRES
dit que cette obéissance étoit dé\k rendue , ayant reçu
des otages de Bar , et, quand elle ne le seroit pas, il
n'étoit plus en état de vouloir rien par courtoisie
dudit duc.
U eut aussi avis le même jour du maréchal de La
Force que trois compagnies françaises , qui étoient de
la cavalerie dudit duc de Lorraine , s'étoient venues
rendre à lui.
Dès le soir Sa Majesté arriva à Saint-Mibiel^oû elle
trouva le sieur de Ville que le duc lui envoyoit en-
core, et étoit venu avec le maréchal d'Efliatpour faire
quelque proposition, non de dépôt de places entre les
mains de Sa Majesté, mais d'échange des places qu'il
croyoit qu'on eût envie d'avoir en dépôt , savoir est
de Clermont. Sa Majesté répondit que ces proposi-
tions eussent été bonnes devant qu'elle fût entrée
dans les États dudit duc , qu'elle ne lui vouloit au-
cun mal, mais seulement lui faire connoitre qu'on
n'ofiensoit pas des rois de son cœur et de s^ puis-
sance sans en payer les dépens; qu'au reste il ne
vouloit faire aucun échange, parce que, comme il ne
désiroit pas augmenter ses États qu'en tant que la
justice lui permettroitet la nécessité l'y contraindroity
aussi ne vouloit-^il en aucune façon les diminuer pen-
dant «on règne , pour quelque considération que ce
pût être , d'un seul pouce de terre que ses prédéces-
seurs eussent possédé.
D'autre part. Sa Majesté donna commandement
au maréchal de La Force de suivre Monsieur avec
six cents chevaux et le régiment de Tonneins, qu'il
prendroit de l'armée qu'il commandoit, avec huit cor^
nettes de cavalerie qui le dévoient joindre en Bresse f
DE iicvcuEV. [i63a] ii3
et sept régiaieiis qm étoient en Proyence, Daiophiné
el RoMTfiie.
Le onrédial de La Force sadieoiina incondiieiit
où il loi éloît commandé , va gagner la rÎTière de
Loire , s*aTance jnsqn^à Lyon , et de là passe jnsc{n*aa
Pont-Saint*Esprit, où il arriva le x( juillet.
Sa Majesté qnant et quant donna diarge aussi au
maràjial dXffiat d^investir Nancy avec Tannée qu'il
commandoit.
Le duc ne savoit où il en éloit, et parce qu'il poi-
^t être trop sage il n'avoit point prévu ce péril ; car
il ne se fut jamais imaginé , n'en voyant point d'exem-
ple en notre histoire , que le Roi , sacliant Monsieur,
son frère , en armes dans son État , n'eût pas inconti-
nent tourné tête devers lui , et se fut arrêté à faire la
guerre à un prince étranger pour en tirer la raison ,
^^il ponvoit remettre en un autre temps plus oppor-
tun; joint qu'il croyoit suffisamment avoir pourvu k
son Eut, quand on l'eût voulu attaquer, d'avoir muni
Clermont de tout ce qu'il jugeoit nécessaire pour un
siège, et ne ponvoit croire qu'on laissât cette place
derrière pour le venir attaquer dans sa ville de Nancy,
en laquelle partant il s'étoit si peu disposé à se dé-
fendre, que, nonobstant ses grandes et régulières for-
tifications , elle n'eût pu tenir que peu de temps si
elle eut été assiégée. Cette épouvante faisoit que tous
les jours il envoyoit diverses personnes au maréchal
d'E^t , et ensuite au Roi -, au maréchal , pour le prier
de ne se hâter pas tant de venir assiéger sa ville ,
mais attendre nouvel ordre du Roi ; au Roi , pour le
supplier d'accepter l'offre qu'il lui faisoit desdites deux
places.
T. 27. 8
Il4 [1682] MÉMOIRES
Toutes ces allées et venues ne produisirent rien
jusqu'au 24 du mois , que Tarmée arriva devant la
ville. L'avant-garde ayant pris le quartier de Cham-
pinielle , quasi aux portes de ladite ville , le reste de
Tarmée campa tout autour, en résolution de commen-
cer le lendemain les approches. Lors le duc envoya
le si€ur de Ville et Jeannin son secrétaire d'Etat vers
le Roi qui étoit à Liverdun, à deux lieues dudit Nancy,
afin de lui donner entier contentement. Il offrit au
Roi Jamets en dépôt , outre Stenay , et la vente de
Clermont, et fit avec Sa Majesté un traité à Liverdun
le a6 juin , par lequel lesdites deux villes , châteaux
et citadelles de Stenay et Jamets dévoient être dépo-
sées entre les mains de Sa Majesté dans neuf jours :
savoir est Stenay dans six, et Jamets trois jours après,
et ce pour le terme de quatre ans.
Quant à la ville et forteresse de Clermont , le duc
ladéposeroit aussi entre les mains de Sa Majesté dans
trois jours, mais avec cette différence, que, parceque
Sa Majesté prétendoit que ledit comté de Clermont
lai appartenoit et relevoit de sa couronne, dont il y
avoit procès pendant en sa cour de parlement de
Paris, au lieu que les deux autres places dévoient être
restituées audit sieur duc , dès cette heure il étoit
convenu, entre Sa Majesté et lui, que ladite ville et
comté de Clermont, et tout ce qui en dépend, demeu-
reroient en pleine propriété et souveraineté au Roi ,
comme Sa Majesté Tavoit désiré , moyennant le prix
qui en seroit payé par Sa Majesté audit sieur duc, à
raison du denier cinquante sur le pied du revenu de
ladite terre , dont estimation seroit faite par commis-
saires qui seroient députés de part et d'autre dans six
DE RICHELIEU. [l632] Il5
mois , eu égard à ce que la terre avoit valu durant ^
les neuf dernières années dont il en seroit fait une
commune ; que dans Tannée le duc rendroit au Roi
la foi et hommage qu'il lui devoit à cause de la duché
de Barrois;
De plus, qu'entre ci et un an ledit sieur duc ren-
droit la foi et hommage qu'il doit à Sa Majesté pour
raison du Barrois, mouvant de la couronne, ainsi qu'il
le doit ;
Qu'il observeroit religieusement à l'avenir les cinq
premiers articles du traité de Vie, qui reprenoient
nouvelle force en vertu du présent traité, et qu'il de-
meureroit inviolablement uni et attaché aux intérêts
de Sa Majesté, joindront ses armes aux siennes, et l'as-
sisteroit de toutes ses forces en quelque guerre que
Sa Majesté pût entreprendre , donneroit passage libre
dans tous ses États à ses armées, et leur fourniroit les
vivres dont elles auroient besoin, en les payant au
prix courant -,
Que Sa Majesté protégeroit et défendroit la per-
sonne dudit sieur duc et tous ses États contre qui que
ce pût être , sans exception quelconque.
Ce traité fut ratifié par le duc dès le lendemain ; et^
pour assurance de l'exécution d'icelui, il envoya le
cardinal de Lorraine son frère en otage, qui demeura
à Pont-à-Mousson où le Roi s'avança , jusqu'à ce que
toutes lesdites places eussent été mises entre les mains
des commissaires que Sa Majesté envoya pour les
recevoir , et que ses garnisons y fussent entrées.
C'est une chose à remarquer que l'infidélité de ce
duc étoit si grande , que , le Roi étant encore à
Pont-à-Mousson pour recevoir l'exécution de ce qu'il
8.
Il6 [l632] MÉMOIRES
venoit de lui promettre , il commençoit déjà à proje-
ter la contravention à ce qu'il avoit prorais , et mon-
troit évidemment par actions manifestes la volonté
qu'il en avoit -, car , le Roi étant encore en ce lieu ,
attendant le dépôt de ces places , il continuoit à faire
fortifier Nancy plus qu'auparavant , et même y faisoit
entrer des munitions ; de sorte que Sa Majesté fut
contrainte de lui envoyer le sieur de Guron pour
lui en faire plainte , et fit cesser les travaux.
En ce traité la force du procédé du Roi est à no-
ter, en ce que, bien que Sa Majesté eût voulu se
contenter du dépôt de Clermont et 'de Stenay aupa-
ravant que Monsieur fût entré en France avec armes
par la Lorraine, elle voulut de plus avantageuses
conditions depuis que M. de Lorraine eut contribué
à une si mauvaise action , de façon qu*il empira son
mal par ce qu'il avoit jugé lui devoir servir de re-
mède.
Ainsi en six jours , ce qui est presque incroyable ,
le Roi fut maître de tout l'État du duc de Lorraine j
fortde six places fortes, dont il le contraignît de lui en
bailler trois , de peur qu'il prit la meilleure et la ca-
pitale, qu'il alloit assiéger. Ce qui apprend aux petits
princes à n'ofienser jamais les grands, s'ils ne se veu-
lent perdre , et aux ducs de Lorraine que Charles-
Quint avoit grande raison da|)jire à son jfîls qu'il n'a-
voît rien à espérer d'eux, parce qu'eu effet ils ne
pouvoient conserver leurs États sans la France.
Le duc avoit mal retenu cette leçon , si jamais il
l'avoit entendue , car il fut si inconsidéré que d'ar-
mer audacieusement contre le Roi quatre fois en peu
de temps ; la première , pendant le siège de La Ro-
DE RICHELIEU. [l632] II 7
chelle, étant d'intelligence avec les Anglais, il fit
venir Cras tavec trois mille chevaux allemands pour
entrer en France *, il demeura trois mois entiers dans
Tëvéché de Metz, attendant son temps, et le ruina.
Pendant que le Roi ëtoit à Suse, il fit son second
armement pour se préparer à recevoir Monsieur ,
comme il fit deux mois après , lorsque le Roi étoit
aux mains avec les huguenots au Languedoc.
Le troisième a été au même temps de Téclat que la
Reine fit contre le cardinal , que Monsieur sortit de
France pour la seconde fois , avec lequel armement
il fut servir TEmpereur contre le roi de Suède, lors*
qu'il vit que sa partie n'étoit pas encore bien faite
contre la France.
Le quatrième est le dernier, qui a contraint le Roi
de le venir attaquer dans ses États , et qui Ta aflermi
à vouloir autant de ses places qu'il a armé de fois
contre lui, Marsal, Clermont, Stenay, Jamets.
Ce traité étant signé , le cardinal dit librement aux
commissaires du duc de Lorraine , qu'il les prioit de
dire à leur maitre que , si , en donnant ces places au
Roi, il lui donooit son cœur, il faisoit un bon marché ,
parce que l'un retireroit les autres assurément ; mais
que , s'il ne le faisoit pas, il faisoit la plus grande folie
qu'il sauroit faire , parce que , probablement , faute
de l'un il perdroit Iqi^ autres, en tant que, si le
cœur ne marchoit , ap^remment il feroit des contra-
ventions au traité qui déchargeroient le Roi de la
restitution du dépôt.
Quoique ce traité ne portât pas qu'il seroit donné
des otages pour sûreté de son exécution, il étoit
porté , par un écrit particulier , que le cardinal de
Il8 [l63a] MÉMOIRES
Lorraine viendroit auprès du Roi pour en servir , ce
qu'il fit deux jours après, et demeura huit jours au-
près du Roi dans Pont-à-Mousson , pendant lesquels
il se fit diverses allées et venues pour l'exécution
dudit traité. Entre autres , une fois , le duc manda
au cardinal que , s'il estimoit que son frère fût plus
agréable au Roi , il lui remettroit son État. Le cardi-
nal répondit à Ville , qui lui fit ce message en pré-
sence du cardinal de Lorraine, que M. de Lorraine
lui avoit déjà tenu ce langage étant à Metz ; qu'il ve-
noit assurément de l'humeur mélancolique en la-
quelle l'état présent de ses affaires le mettoit ; qu'il
le supplioit de bannir telles pensées à l'avenir, et
trouver bon qu'il lui dit franchement, comme son
serviteur , qu'un prince devoit être grandement soi-
gneux de ne dire jamais que ce qu'il pouvoit , que ce
qu'il vouloit et ce qu'il devoit; ce qu'il lui mandoit
librement , parce qu'une partie de ses malheurs ve-
noient d'avoir fait le contraire, d'avoir dit plus qu'il
ne pouvoit , en ce que souvent , quand le Roi avoit
été éloigné de ses Etats , il s'étoit vanté qu'il feroit
' mervjeilles contre la France, ce qui avoit grandement
piqué Sa Majesté , quoiqu'il sût qu'il ne le pouvoit
faire ;
D'avoir dit ce qu'il ne vouloit pas , parce que, pro-
mettant souvent ce qu'il«ne i(Ouloit pas tenir , il arri-
voit de là qu'on le tenoit si peu certain en ses paroles
qu'on n'y prenoit aucune confiance, ce qui avoit
principalement porté Sa Majesté à désirer de lui
d'autres assurances que de paroles ;
De se laisser aller à dire ce qu'il ne devoit pas ,
parce que cela le faisoit mésestimer , comme feroit
DE RICHELIEU. [l632] I IQ
assorëment la proposition de quitter son Etat, ce
dont il ne lai pouvoit revenir que du désavantage.
Il faut avouer que jamais roi ne fut plus heureux
ni plus glorieux que le Roi, qui pouvoit marquer
toutes les années de son règne par deux ou trois
signalées actions , dont Tune seule étoit capable de
signaler la vie d'un prince.
La plus grande part du monde , jugeant de ce qui
se passe sans en considérer les raisons , blâmèrent
le duc de Lorraine d'avoir fait ce traité-, mais , pour
moi , je dirai franchement que , supposé les fautes
précédentes où il s'étoit laissé aller, c'est la seule ac-
tion de sagesse que j'aie remarquée en sa conduite. Il
sera aisé de le concevoir , si l'on considère que ce
pauvre prince avoit si mal pris son temps de se porter
contre la France , qu'il voyoit tous ceux qui le pou-
voient secourir contre elle en état de ne pouvoir faire
autre chose que le plaindre. L'impuissance de Mon-
sieur , dont les armes n'avoient force que pour brû-
ler des maisons et des villages entiers en France ,
faisoit que ses vœux lui étoient fort inutiles. Le roi
de Suède avoit mis une si grande barrière entre
l'Empereur et lui , qu'à peine les souhaits de l'Empire
pouvoient-ils venir jusqu'à ses Etats ^ les Hollandais
occupoient tellement les Espagnols , qu'outre qu'ils
jouoient de malheur depuis quelque temps , il ne leur
restoitpas de temps pour penser aux affaires d'autrui.
Ainsi , le meilleur parti que pouvoit prendre le duc
de Lorraine étoit de se soumettre à la puissance du
Roi, à laquelle il ne pouvoit résister, et ^ conserver
le droit de ce dont il ne pouvoit que disputer foi-
blement la possession. Et partant, ayant plusieurs
I20 [lÔSsij MÉMOIRES
fois offensé Sa Majesté avec beaucoup d'imprudence ,
ce ne fut pas peu de prudence à lui de savoir Tapai-
ser j en déposant entre ses mains une partie de ses
Etats pour conserver la possession de Tautre , et le
titre de tout, fors du comté de Clermont, à la pro-
priété duquel il valoit mieux renoncer volontaire-
ment que de la perdre par force , et tout ce que ses
prédécesseurs lui avoient laissé.
Ce n'est pas que ce ne lui fût une mortification
extraordinaire d être forcé d'en venir là , non-seule-
ment parce que la chose étoit rude en soi-même, mais
en outre parce qu'auparavant que le Roi s'approchât
de ses Etats, étant comme beaucoup qui ne connois-
sent ou n'appréhendent les périls que quand ils sont
proches, il avoit non-seulement dit et protesté à tous
les siens qu'il feroit des merveilles , mais , qui plus
est, l'avoit mandé aux personnes qui lui étoient plus
confidentes dedans la cour , et particulièrement aux
dames , auxquelles on ne peut dire beaucoup pour
faire peu sans confusion et sans honte. Il disoit à
tout le monde qu'il se gouverneroit comme un homme
qui pensoit n'avoir rien k perdre ^ qu'étant malsain
comme il étoit, il ne lui falloit qu'un tomHWii) sa
femme et ses sœurs n'avoient besoin que d'un cou-
vent , son père , que d'un lit pour sa vieillesse , son
frère, que d'un bréviaire, étant ecclésiastique, et
qu'ainsi , quand il perdroit tous ses Etats, il resteroit
à un chacun ce dont il auroit besoin , et à lui beau-
coup de gloire pour avoir fait une signalée résis-
tance. .^
Comme il y eut sagesse au duc à se résoudre à con-
tenter le Roi, lui livrant les places qu'il avoit désirées
DE RICHELIEU. [l632j it&I
pour la sûreté de sa foi , il faut avouer qu'il ne fallut
pas peu (le force d'esprit et de courage pour entre-
prendre de réduire ce prince au point où il fut mis ,
vu que, lorsque le Roi s'y résolut, il savoit que
l'Empereur lui promettoit toute assistance*, que Wal-
stein avoit donné ses ordres pour la lui faire rece-
voir ; que le comte de Mérodc faisoit diverses levées
dans le Liège à cette fin; il voyoit don Gonzalez avec
une armée de vingt mille hommes de pied et de
quatre mille chevaux dans le Luxembourg et le Pala-
tinat, qui ne sont {{as seulement frontières, mais con-
tiguës à la Lorraine ; il n'ignoroit pas que Monsieur,
son frère , n'eût deux mille chevaux pour entrer ,
comme il fit, dans le royaume; et, cependant, sa pré-
voyance lui faisant voir que toutes les promesses de
TEmpereur ne pourroient produire autre effet que de
la fumée, vu les affaires qu'il avoit, que les Espa-
gnols en avoient tant chez eux qu'ils ne pourroient
pas seulement penser aux intérêts d'autrui , et que
tous les efforts ^e Monsieur seroient vains par le bon
ordre qu'il avoit donné en tout son royaume, il ne
laissa pas de l'entreprendre et le dut faire , parce que,
s'il n*eil eût usé ainsi , il lui en fût arrivé pis pour
les raisons déduites ci-dessus.
Quelques-uns estimoient cette entreprise témé-
raire, beaucoup la tenoient douteuse, et tous croyoient
(|u'il s'y trouveroit plus de difficulté qu'on ne pensoît
pasj et cependant le cardinal soutint toujours qu'il
ne s'y en trouveroit aucune qu'on ne surmontât cer-
tainement. Et, en etfet, il s'y en rencontra beaucoup
moins qu'on n'en avoit prévu et qu'on ne pouvoit en
surmonter, et un chacun eut lieu de reconnoîlre par
121 [l632] MÉMOIRES
expérience dommageable au duc, que ce n'est point
aux petits princes à se jouer aux grands , et que l'ex-
cès de la puissance des ducs de Lorraine ne peut ré-
sister aux forces de la France , quand même elles sont
embarrassées.
La nouvelle de ce traité (0 fut reçue à Paris et par
toute la France avec tant d'exclamations et de
louanges pour le Roi, qu'il faudroit emprunter les
plus délicates paroles de la flatterie pour en dire les
vérités.
Les places promises ayant été délivrées entre les
mains de ceux que le Roi avoit commis à cet effet le
dimanche 4 juillet , Sa Majesté partit pour retourner
en France le mercredi 7 dudit mois , en intention
de pourvoir aux désordres que faisoit Monsieur ; pour
à quoi pourvoir il avoit déjà envoyé le maréchal de
La Force avec six cents chevaux.
Le jour devant son partement , le duc envoya un
de ses secrétaires nommé Fournier au cardinal , lui
dire qu'il reconnoissoit maintenant avoir failli , né-
gociant et traitant contre la France, mais qu'il ne
croyoit pas que sa faute méritât un si rude trûtement
que celui qu'il avoit reçu. Mais il montroit biMldéan-
moins, quant et quant, que laconnoissance qu'il avoit
de sa faute n'étoît pas jointe à un tel repentir qu'il
devoit , car le même jour le sieur de Bourbonne ayant
aussi taillé en pièces une compagnie que Cressias le-
voit pour Monsieur auprès de La Motte, où la prin-
(t) La nouvelle de ce traite : On doit pca sV'tonner de l^effet qu'elle
produisit quand on se rappelle que c'etoit Richelieu lai-méme qui ré-
digeoit les relations de campagne, et qu'il n'existoit que le journal de
Renaudot où ces relations ctoient insérées. (Voyei la note de la page
188 du loxne 4-)
DE RICHELIEU. [lÔSs] 1^3
cesse de Phalsbourg (0 Tavoit fait retirer , pensant
qu'il y seroit en sûreté , et que de là il pourroit aisé-
ment aller joindre Monsieur, ledit dnc envoya sup-
plier le Roi de faire rendre la dépouille de ladite
compgnie, disant que c'étoit pour lui qu'il la levoit ;
ce que le Roi trouva étrange , vu que le contraire pa-
roissoit clairement, en ce qu'il avoit lui-même donné
le contrôle de ses troupes , écrit de sa main , au sieur
de Guron , dans lequel elle n'étoit point comprise.
Il vint , le 8 dudit mois , trouver le Roi à Seiche-
pré, où Sa Majesté retournant en France étoit venue
coucher de Pont-à-Mousson. Elle l'y reçut le mieux
qu'il lui fut possible , sans témoigner aucune mémoire
du passé ; elle le pria seulement de se bien souvenir
du traité qu'il venoit de faire avec elle , l'assurant
que, s'il l'observoit comme il y étoit obligé, il rece-
vroit d'elle tout le contentement qu'il en poavoit
désirer.
Le duc lui parla en sorte que , bien qu'il lui avonât
sa faute, il étoit aisé à connoitre que sa confusion
étoit semblable à celle des criminels qui confessent
à la torture ce qu'ils ne peuvent nier , non pas par re-
pentance qu'ils en aient, mais par la rigueur ou l'ap-
préhension du mal qu'ils recevroient en ne le fsiisant
pas. Il avoua au Roi avoir failli, mais sans en particu-
lariser les circonstances , ni spécifier tous les desseins
qu'il savoit avoir été machinés contre la France ; les
lèvres parloient et non le cœur ^ Tévideucc des choses
lui faisoit dire ce qui ne pouvoit être ignoré de per-
(i) Où la princesse de Phalsbourg : On a tu que cette princesie ,
Tune des soeurs du duc de Lorraine, avoit une intrigue avec PuylanFem,
fiivori de Monsieur.
I a4 [1682] MÉMOIRES
sonne , et non le ressentiment de sa conscience dé-
couvrir ce qui étoit caché.
Cependant il se gouverna si civilement avec Sa
Majesté, qu'en lui disant qu'il n'étoit point venu
pour s'excuser, mais bien pour confesser qu'il avoit
iailli par mauvais conseil , il ajouta ensuite qu'il la
soppUoit de lui pardonner. Sa Majesté loi répondit
qu'il ne falloit plus parler du passé ni s'en souvenir
que pour l'amender par sa bonne conduite. Ledit
traité avec le duc de Lorraine étant fait, le cardinal
dit au Roi qu'il restgit à pourvoir à trois choses :
La première , à s'opposer à Monsieur ;
La seconde, à parachever les affaires auxquelles on
étoit engagé en Allemagne \
La troisième , à voir si l'on devoit recueillir ou
laisser la moisson qui s'offroit du côté de Flandre ,
par la révolte de la plupart de tous les grands sei-
gneurs et de quelques villes du pays.
Qu'il étoit certain que si on laissoit grossir Mon-
sieur sans remédier fortement à ses foibles commen-
cemens , le moindre bon succès qui lui put arriver le
rendroit en état de faire beaucoup de peine; qu'il
étoit certain en outre que , si les Espagnols se vojoient
attaqués par le Roi du côté de Flandre , ils redouUe-
roient par nécessité le désir qu'ils avoient d'assister
Monsieur, et ne craindroient point de le faire ouverte-
ment, et de lui envoyer, du côté d'Espagne, les pré-
paratifs qu'il y avoit long-temps qu'on savoit qu'ils
faisoient à cet effet.
Partant on estimoit que ce n'étoit pas assez d'avoir
envoyé le maréchal de La Force après lui , si on n'y
envoyoit encore du renfort et une personne agissant
DB RICHELIEU. [lâSd] Il5
de la part du Roi, si Sa Majesté n*y pouvoit aller elle-
même ^
Que si Monsieur n'alloit qu'en Bourgogne, on ëtoit
bien d'avis que le Roi s*y transportât en personne
après lui , pour avoir la gloire et Tefiet de le chasser
hors de France ; mais s'il alloit dans les Cevennes , le
Languedoc et autres pays chauds contraires à la santé
de Sa Majesté , on n'étoit pas d'avis qu'il entreprit de
le suivre , mais seulement d'y envoyer une personne
confidente et eflective. On croyoit qu'on pouvoit
faire l'affaire de Monsieur et celle d'Allemagne en-
semble , laquelle, quoique non si spécieuse que celle
de Flandre, ne laissoit pas d'être aussi importante pour
la conséquence.
Premièrement, parce que si on ne la faisoit pas
l'ayant entreprise, il paroitroit grande foiblesse et
grande légèreté en la France , en laquelle l'Allemagne
n'auroit plus d'espérance, et seroit contrainte de se
réunir par force à la maison d'Autriche , auquel cas ,
si le roi de Suède périssoit, nous aurions à souffrir un
grand effort , et nulle personne pour nous aider à le
soutenir , ni mettreaucune barrière entre nos ennemis
et nous.
Au lieu que si on la parachevoit, outre la réputation
que cela donneroit parmi les catholiques de secourir
la religion et les électeurs, un tel dessein donneroit
liaison au Roi avec la ligue catholique; ce qui feroit
que , si le roi de Suède venoit à périr , la maison
d'Autriche, prenant le dessus, nesauroit nous&ire
mal, vu que les catholiques, quilacraindroientautant
que nous , seroient bien aises de se joindre à la France,
dont ils auroient reçu secours ;
126 [l632j MÉMOIRES
Qui plus est, outre que Teffet qu'il y avoit à faire
en Allemagne en faveur des catholiques se faisoit du
consentement du roi de Suède, il nous rendroit con-
sidérables contre lui s'il venoit à avoir le dessus;
étant certain que si nous étions en état de lui dis-
puter le Rhin , cela donneroit lieu à tous ceux qui
resteroient contre lui de se joindre à nous pour
s'opposer à ses desseins, lesquels, par conséquent ,
il ne pourroit pas faire réussir au préjudice de la
France ;
Qu'il y avoit plus , c'étoit qu'en ce dessein on ne
rompoit point ouvertement avec les Espagnols ni
l'Empereur , vu que ce qu'on vouloit faire dans l'é-
vêché de Trêves étoit du consentement et à la prière
de l'archevêque et de tous les catholiques ;
Qu'au reste l'affaire n'étoit pas difficile, car il n'é-
toit question que de prendre Philisbourg sans guerre,
et trois ou quatre places et châteaux que l'électeur de
Trêves nous vouloit mettre entre les mains , et chas-
ser, à sa prière et sous son nom, les Espagnols de
Trêves et Coblentz, où ils avoient peu de gens ;
Que par ce moyen on se rendroit maître de tout
le pays depuis Metz jusques au Rhin, vu que tous
ceux qui avoient des États dans cette étendue vou-
loient se mettre en la protection de la France , par
le besoin qu'ils en avoient contre la maison d'Au-
triche, et qu'entre autres le comte de Nassau offroit
à Sa Majesté sa place forte de Hombourg, qui n'étoit
pas de petite considération ;
Que quant au desseip de Flandre, quelque dispo-
sition à la révolte qu'il y eut entre les seigneurs, les
principales villes ne se révolteroient pas aisément;
DE RICHELIEU. [l632] I27
c'étoitune affaire de cinq ou six années de suite qull
ëtoit impossible d'entreprendre , ayant les deux autres
sur les bras , qui sont de nécessité ^
Que les Espagnols avoient une tellejalousie et haine
contre nous , qu'encore qu'ils fussent attaqués par les
Hollandais comme par nous, assurément ils feroient
tous leurs efforts du côté où nous serions, et noustom-
beroient sur les bras, ce qui rendroit nos desseins
très-difficiles ;
Qu'on diroit que nous ne pouvions demeurer en
repos , que nous voulions toujours la guerre ]
Que toutes celles que nous avions eues jusques
alors avoient été, et apparemment, nécessaires et for-
cées, et accompagnées d'une évidente justice, au lieu
que celle-ci sembleroit volontaire , de pure élection ,
et destituée de justice , au jugement de ceux qui ne
voudroient pas examiner le fond des affaires , ou qui
seroient préoccupés de passion ^
Qu'au reste , une telle guerre conviendroit peu
avec l'humeur et la santé du Roi, avec les finances
épuisées de la France et les humeurs des propres gens
de guerre , qui étoient las de leur métier;
Qui plus est, il sembloit que , si on la vouloit en-
treprendre, il y auroit quelques liaisons préalables à
faire avec les Hollandais et les Anglais , pour éviter le
retour et empêcher que lesdits Hollandais , faisant la
trêve , ne nous pussent laisser seuls en guerre ;
Que , partant, il sembloit clairement qu'il ne falloit
pas entreprendre ce dessein en l'état auquel nous
étions ; mais la difficulté étoit de savoir ce qu il falloit
faire pour ne perdre pas l'avantage que Ton pouvoit
tirer de la disposition de révolte en laquelle étoient
ia8 [iGBa] MÉMOIRES
tous les seigneurs de cet État, et quelques villes par-
ticulières ; •
Qu ils étoient tous si animés qu'ils mandoient ou-
vertement que , si la France ne vouloit s'accommoder
avec eux, ils traiteroient avec le Hollandais-, ce à
quoi il y avoit d'autant plus d'apparence, que les Hol-
landais accordoient lors libre exercice de la religion
catholique aux lieux qu'ils prenoieht ;
Que si la révolte se faisoit en faveur des Hollan-
dais , 'et que toutes les dix-sept provinces se pussent
réunir ( ce qui étoit très-difficile), ce seroit un très-
dangereux effet pour la France, étant certain que
les Hollandais , puissans comme ils seroient , seroient
très-dangereux voisins ^
Que pour donc éviter les inconvéniens qu'il y avoil
à faire lors une telle entreprise, et ceux qu'on pou-
voit encourir à ne la faire pas , il sembloit que le meil-
leur expédient que l'on pût prendre étoit défaire sa-
voir à ce parti qu'on ne demandoit pas mieux que d'y
entendre ; mais que pour le faire il falloit être délivré
des autres affaires qui pourroient empêcher de l'en-
treprendre fortement, et peut-être même pourroient
divertir après qu'on s'y seroit embarqué 5
Que le Roi étoit si religieux en ses promesses ,
qu'ayant promis à quelques-uns de messieurs les élec-
teurs catholiques de les assister , il ne pouvoit les
abandonner sans perte de sa réputation, ni laisser
croître les petits commencemens de l'entrée que Mon-
sieur a faite en France , sans mépriser tout-à-fait ses
intérêts pour ceux d'autrui ;
Qu'il espéroit promptementavoirsatisfaitàcesdeux
obligations , et être libre par après pour se porter
DE HJCHELIEU. [l63â] II9
à un tel dessein , qui requéroit des forces entières ^
Qu'il falloit au même temps envoyer 8 ou 10,000
pistoles à ceux qui conduisoient cette affaire, non
pour les distribuer aux grands , qui n'en prendroient
pas , au moins pour si peu, mais pour contenter quel-
ques sujets subalternes qu'on ne pouvoit tenir que
par les intérêts , qu'il n'ëtoit pas raisonnable qui sortit
de la bourse des grands ]
Que , quoique la dépense qu'on feroit en cette oc-
casion ne fût pas excessive ni considérable pour un- tel
dessein , elle nelaisseroit pas de faire croire à ceux qui
nienoient et conduisoient cette affaire qu'on y vouloit
entendre , et empécheroit peut-être que leurs es-
prits ne se portassent à se lier avec les Hollandais^
comme il sembloit que le désespoir de la plupart de
ceux du pays les y précipitât.
Le Roi trouva bon cet avis, renvoya le maréchal
d'Efliat en Allemagne avec son armée.
Elle envoya quant et quant le maréchal de Scliom-
berg d'autre côté après Monsieur, avec douze cents
chevau-légers et gendarmes, et huit cents mousque-
taires à cheval , choisis dans le régiment des gardes,
pour suivre Monsieur par l'Auvergne, où il avoit
passé , et lui couper chemin par l'Albigeois , pendant
(]ue le maréchal de La Force avec son armée s'avan-
ceroit vers le bas Languedoc par le Rhône , et se mit
en chemin pour aller à Paris, et de là prendre la
même route s'il en étoit de besoin.
Le commandement qu'elle donna au maréchal d'Ef<'
fiât, renvoyant avec son armée en Allemagne , fut de
secourir l'électeur de Trêves , selon les instances ex-»
presses qu'il en avoit faites au Roi , et voir s'il pour-*
T. 27. 9
iSo [1639] MÉMOIRES
roit mettre Tëlecteur de Cologne avec Sa Majesté et
le roi de Suède , pour sa conservation , au même point
que ledit électeur de Trêves y ëtoit ; ce dont ledit
électeur de Cologne a voit , par ambassadeur exprès ,
envoyé supplier Sa Majesté.
L'électeur de Trêves a voit, par un ambassadeur ex-
près, et par seslettres du 8 février,euvoyé aussi supplier
le Roi de l'assister pour remettre la ville de Trêves
en ses mains, et lui avoit mandé que Sa Majesté ayant
fait ce bien à son église de Trêves et à sa ville de Spire
d*obtenir, par son autorké, la neutralité avec le roi
de Suède , qu'il étoit maintenant question de la faire
observer^ ce qui ne se faisoit pas à cause de l'injustice
des Espagnols à l'endroit dudit archevêque , lesquels ,
contre tout droit et apparence de raison , et contre
tontes les constitutions de l'Empire, ayant dessein de
joindre la ville et l'archevêché de Trêves avec le duché
de Luxembourg et le Palatinat inférieur, prétendoient
je ne sais quel droit d'une p^tection mendiée, de la
demande ni consentement d^aquelle ils ne sauroient
montrer ni un seul mot ni une seule lettre , et n'y en
ponvoit même avoir apparence aucune ; car si le vœu
électoral de Trêves étoit en la puissance de quelque
protecteur plus puissant que lui , par cela , ipso facto,
l'électorat seroit anéanti. Or, de là arrivoit, disoit-
il , que le roi de Suède menaçoit de mettre à feu et i
sang tout son pays si les troupes espagnoles , qui en
étoient ennemies, ne s'en retiroient*, et, vu la fortune
et l'orgueil qui l'élevoit , il n'y avoit point de doute
qu'il ne le fît ; que la ville de Trêves , située entre des
montagnes , et assez mal gardée , ne lui sauroit faire
trois jours de résistance; ce qui seroit au grand dom-
DE RICttELtEU. [l63l] tSi
mage des couronnes voisines, et principalement du
duché de Luxembourg*, que, pour y remédier, il sup-
plioit Sa Majesté de Taider à remettre ladite ville en
sa puissance , afin qu'il la pût garder par des soldats
levés eu ses pays , et vivre avec la Suède en la neu-
tralité que le Roi lui avoit moyennée. Il supplia Sa
Majesté de faire savoir à llnfante que ce n'étoit point
à dessein deToflenser ni TEspagne , mais pour la seule
fin de délivrer ce pauvre pays des meurtres et des
ruines dont il étoit menacé.
Sa Majesté, ensuite de cette prière, donna com-
mandement aux généraux de son armée de la con-
duire dans ses Etats pour en chasser les Espagnols ,
ce qu'elle eut fait dès lors si le duc de Lorraine, qui
lui avoit promis de joindre ses armes aux siennes ,
non-seulement n*eût manqué , mais ne les eût jointes
à ses ennemis, et occupé les forces du Roi contre lui-
même: néanmoins, ce dessein de Sa Majesté fît que
les hostilités des 9ftédoi||)pessèrent dans ledit électo-
rat , à quelques passages de la Moselle près, dont ils
se saisirent pour s*opposer aux Espagnols, qu'ils sa-
voient que Sa Majesté en vouloit chasser.
Alors le Roi commanda au maréchal d'Effiat de
faire, s'il pouvoit, sortir la garnison espagnole de Phi-
lisbourg et y en mettre une française , faire le même
dans Coblentz , et trois ou quatre autres petites places
que ledit Electeur vouloit remettre es mains de Sa
Majesté, et faire que lesdits Espagnols laissassent
Spire et Trêves libres audit Electeur ;
Que tant qu'il pourroit faire ces choses par négo-
ciation il devoit éviter d'en venir à la force ;
Que ledit Electeur avoit proposé de donner 5o.ooo
* 9-
}3a [l632] MÉHOIKES
risdales à celui qui commandoit dans Philisbourg pour
le retirer de lui ; qu'il valoit beaucoup mieux en user
ainsi que venir à la force ^
Quant aux autres châteaux et petites places que
ledit Electeur vouloit remettre es mains du Roi , on
croyoit qu'il n'y avoit qu'à les recevoir, ou que , s'il
y avoit des ennemis dedans , elles étoient si foibles
qu'elles ne sauroient résister.
Pour Coblentz, la ville étoit si mauvaise, et le
commandement d'Hermenstein , à l'opposite , si puis-
sant, la battant en ruine, qu'il n'y auroit pas de dif-
ficulté à s'en rendre maître, mais bien à la mettre
en état d'être conservée à l'avenir contre les desseins
des ennemis^ ce qui étoit du tout nécessaire, et à
quoi ledit sieur maréchal devoit bien pourvoir.
Pour Trêves , bien que la ville ne fût pas bonne ,
les Espagnols étant dedans , ledit maréchal pourroit y
trouverdela résistance \ cependantle mauvais état pré-
sent des affaires d'Espagne i^soit qu'il y avoit grande
apparence qu'ils consentiroient volontiers d'en sortir y
la ville demeurant libre à l'électeur de Trêves , ce
qu'il seroit bon de traiter avant que d'en venir à la
force.
S'il falloit attaquer quelque place dudit électeur de
Trêves pour la lui remettre entre les mains, ledit
maréchal d'Effiat Iç feroit sous le nom dudit Elec-
teur, au secours duquel le Roi l'avoit envoyé.
S'il y avoit quelque chose à faire en faveur de
l'électeur de Cologne , il feroit le même 5
Que si ledit maréchal d'Effiat étoit contraint d'at-
taquer Trêves, il feroit au même temps avec ceux
qui commandoient les armes du roi de Suède, qu'ils
DE RICHELIEU. [lÔSa] l33
attaquassent, s*i] sepoavoit, Trarbach*, après quoi,
s'il ëtoit possible , il devoit persuader aux troupes
du roi de Suède qu'il leur ëtoit avantageux de le
remettre entre les mains du Roi , qui , par ce moyen ,
se chargeroit de la garde ;
Qu'il falloit aussi rendre Lustein libre entre les
mains de Télectéur de Trêves, et y mettre garnison ,
afin que Coblentz et Hermenstein fussent libres de
tous côtés ;
Qu'il falloit laisser dans les garnisons de l'électeur
de Trêves quatre mille hommes et trois cents che^
vaux, pour les disperser ainsi que ledit Electeur
aviseroit , sous la charge d'un maréchal de camp ;
Que, s'il étoit vrai que les chanoines de Trêves
eussent élu un coadjuteur à l'électeur de Trêves»
et particulièrement Mestervic qui étoit Espagnol,
ledit maréchal devoit, par ruse ou par autorité, faire
révoquer cette élection, et en rechercher à faire
coter les défauts qu'il apprendroit dudit Electeur.
Pour ce qui étoit da traité à faire avec l'électeur
de Cologne pour le remettre au même point que ce-
lui de Trêves , lui-même s'y offroit maintenant , ayant
envoyé exprès vers le Roi pour le prier de l'accorder
avec le roi de Suède comme étoit ledit électeur de
Trêves ^
Enfin qu'il fit que le duc de Lorraine lui donnât
le plus de cavalerie et d'infanterie qu'il pourroit pour
joindre à son armée, selon qu'il y étoit obligé.
Sa Majesté envoya quant et quant aussi Saint-
Etienne vers le duc de Bavière et autres princes»
et La Grange aux Ormes vers le roi de Suède , sur
les occurrences présentes des affaires d'Allemagne ,
l34 [l63a] MÉMOIRBS
particulièrement pour essayer d'accommoder le duc
de Bavière , et autres princes de la ligue catholique ,
avec le roi de Suède et ses adhérens » ou , du moins ,
les porter à une suspension jusques à une diète
générale.
Elle manda audit duc de Bavière qu'elle leur avoit
donne ordre de traiter tout ce qui se pourroit à son
avantage, et avoit en outre commandé au sieur de
Charnacé de faire toutes sortes d'instances auprès du
t.'
chancelier Oxenstiern pour y disposer son maître;
De plus, que Sa Majesté avoit envoyé une armée
de vingt mille hommes de pied et quatre mille che-
vaux pour délivrer M. rélecteiir de Trêves des op-
pressions qui lui étoient faites , et empêcher la perte
de M. de Cologne son frère, ce qui étoit le meilleur
secours effectif qui lui pût é|re donné en l'état au*
quel étoient les choses, puisque par ce moyen il se
rendoit puissant avec les catholiques , pour ne perdre
pas, par après, le temps de procurer tout ce qui se
pourroit pour son bien ;
Qu'on estimoit que ces moyens étoient les seuls
effectifs qui lui pouvoient donner du secours , prin-
cipalement en ce que s'y étant bien uni avec mes-
sieurs les électeurs de Cologne et de Trêves, on
^Je maintenoit en bonne intelligence avec le roi de
^Suède; au moindre mauvais succès qui lui pourroit
arriver, on seroit en état de le porter k tout ce
que M. de Bavière pourroit désirer pour son con-
tentement -,
Que si , outre ce que dessus, ledit duc de Bavière
prétendoit Tékécution du traité fait avec lui , bien
que le Roi eut plusieurs raisons solides et véritables
DB EICHELllU. [l6Sl] l35
pour 8*en défendre , en tant qne ledit sieur de Bavière
a voit refusé , six mois durant , la neutralité que le roi
de Suède lui accordoit sans aucune condition, et que
depuis c'étoit lui qui, avec les forces de la ligue,
avoit attaqué le premier le roi de Suède à Bamberg,
Sa Majesté nelaisseroit pas de lui faire donner 100,000
écus pour lui témoigner Texcès de Taffection qu'il
avoit pour lui.
Ledit maréchal part avec grand dessein dAier-
vir le Roi ; les commencemens en furent glonRix ,
mais sa mort précipitée hii en déroba la gloire, et au
Roi l'avantage qu'il pouvoit tirer de ses services. H
entre en Allemagne avec une armée si leste qu'il ne
trouva personne qui osât s'opposer à lui.
Le comte d'Emden eut si grande appréhension des:
troupes qu'il conduiso^qu'il abandonna son poste ,
et alla repasser la Moselle à la vue des garnisons de
Suède , chargé de bagage , défilant et leur montrant
le flanc , ce dont on fit faire quelque plainte par Qiar«
nacé à Oxenstiern.
II mande à l'électeur de Trêves qu'il étoit venu en
ces quartiers pour son secours, et qu'il lui mandât»
quand et combien il vouloit qu'il fît partir de troupes,
de Tarmée du Roi pour lui envoyer, et que, sur son^
mandement, sans autre ordre, il lui obéiroit, et que^^^j^^^
s'il lui plaisoit passer dans l'armée de Sa Majesté , ^"
pour, agissant comme le maître des troupes ^les con-
duire droit à Philisbourg ou à Trêves, pour le réta-.
blir chez lui et en chasser les Espagnols et de toutes
ses terres qu'ils lui occupoient sur la Moj^lle jusques
à Coblentz , il le tiendroit à honneur, llifsurant qne
l'Espagnol ne refuseroit de lui rendre ses places , de
l36 [l63a] MÉMOIRES
peur de blesser la feinte réputation qu'ils affectent de
conserver le bien à l'Eglise, mais plus certainement
encore pource qu'il leur seroit inutile de les vouloir
retenir en présence des armes du Roi.
Il envoya La Garde avec un trompette au comte
de Mérode, avec une lettre de créance , qui étoit
que le Roi s'étonnoit qu'ayant pris Tarchevequo
de Trêves en sa protection , il s'étoit , dès aussitôt
qa*0j|kuroit su, jeté hostilement dans la ville de Co*
blewf
Que Sa Majesté le prioit de s'en retirer, faire ces-
ser par ce moyen le trouble qu'il apportoit au bien
que Sa Majesté vouloit procurer aux catholiques en
Allemagne, et ne l'obliger pas à l'y contraindre parla
force de ses armes,
A quoi Mérode n'ayant ff^ répondu déterminé-
ment, il envoya à Oxenstiem le prier de l'attaquer,
tandis qu'il iroit assiéger les places plus importantes
de l'Electeur , qui étoient entre les mains des Espa-
gnols, ce que ledit Oxenstiern fît aussitôt.
A la vue de ses troupes , Coblentz se rendit , et ,
l'ayant reçue, il la remit aussitôt entre les mains de
l'Electeur et des nôtres. Mérode , faisant le fin , faisoit
semblant, long-temps auparavant, de vouloir remettre
^ cette place par l'entremise de l'électeur de Cologne,
' afin que sa retraite ne fût pas imputée aux armes
d'Oxenstiern , qui l'ayant prise et étant mécontent
des longueurs de Cologne à entrer en la neutra-
lité de même que Trêves, et ayant les chemins
ouverts dans ses Etats par Coblentz, s'en vouloit
emparer s'il B*en eût été , bien qu'avec peine , retenu
par le respect du Roi , que Chamade lui dit affection-
DE RICHELIEU. [l63a] li')
ner tant cet Électeur qu'il recevroit du déplaisir du
mauvais traitement qu'il lui feroit, ce dont ledit
Electeur envoya faire de grands remercimens à Sa
Majesté.
L'Electeur ayant témoigné à la garnison qui étoit
dans Philisbourg qu'ils dévoient le reconnoitre comme
leur prince naturel , ils lui mandèrent qu'ils ne recon-
uoissoient que l'Empereur, et que s'il leur envoyoit
à l'avenir quelqu'un des siens , ils le traikÉfeent
comme ennemi. "
Le maréchal d'Effiat, se tenant offensé de cette
réponse, manda au marquis de Bade , au colonel Mon-
tecuculli et au commissaire Ossa qu'ils rendissent
cette place à leur seigneur , ou que le Roi feroit re-
présailles. A quoi ils répondirent que ledit archevê-
que ou son chapitre l'af oient mise entre les mains de
la maison d'Autriche *, mais , l'archevêque lui mandant
que cela étoit faux , tomme même ceux du chapitre
qu'ils tenoient prisonniers dans ladite place le pro*
testoient , il tourna tête vers elle , et se résolut de
l'aller assiéger.
L'Electeu r l'envoya prier de commencer par Trêves;
le maréchal ne se pouvoit rendre à son désir , pource
qu'il étoit déjà avancé sur le chemin de Philisbourg ,
et que celui pour aller à Trêves du lieu où il étoit,!.
étoit fort difficile h cause des bois et des montagnes,'
joint que l'armée y pâtiroit grandement pource qu'il
n'y avoit point de vivres, le pays ayant été tout
mangé, où au contraire le chemin de Philisbourg
étoit aisé, plein de commodités, et quatre mille
hommes de pied et cinq cents chevaux du duc de
Lorraine le dévoient joindre de ce côté-là^ néan-
i38 [i63a] MiMOiRis
moins , pour coDlenter TElecteur , il tourna tête vers
Trêves ; mais » étant arrivé à Litztelstein , entre
Trêves, Sarbruck et Strasbourg, il tomba malade
d'une fièvre pourprée qu'il gagna pour avoir excessi-
vement travaillé , ayant la pluie sur le dos , à faire la
revue de Tarmée qu'il commandoit, de laquelle il
mourut peu de jours après , le '^7 juillet , laissant
plus de regret de sa perte à ceux qui demeurèrent
aprèftlm , qu'il n'en ressentit lui-même , mourant avec
toutcm constance et la piété que les personnes reli-
gieuses même peuvent désirer.
Il étoit gentilhomme de peu de moyens, mais de
noble extraction et de gens de courage. Son père
avoit acquis grande réputation dans les guerres de la
ligue , et étoit toujours demeuré ferme au service du
Roi où il mourut, ayant consommé la plupart du
bien qu'il avoit , laissant son fils en fort bas âge , dont
M. de Beaulieu-Ruzé son oncle eut autant de soin que
s'il eût été son fils propre , lui fit apprendre ses exer-
cices, et le rendit un des plus adroits gentilshommes
qui fût dans le royaume. A l'adresse du corps la
force d'esprit ne manqua pas, qui non-seulement le
fit incontinent considérer comme un homme de ser-
vice , mais lui fit ménager si utilement la faveur de
son oncle, que , par son moyen , il acquit beaucoup
de biens. La première charge qu'il eut à la cour fut
celle de premier écuyer de la grande écurie , qu'il
acheta de M. de Termes.
Quelque temps après il s'en défit, étant envoyé en
ambassade extraordinaire en Angleterre , où il sut si
adroitement slnsinuer dans l'esprit du roi Jacques,
qu'il lui fit agréer le mariage de Madame auquel il
DE RICHEUEU. [l63l] ïig
avoit une extrême aversion , à cause de la nécessité
que, pour son honneur, il avoit de recouvrer le Pala-
tinat, ce qu'il ne pouvoit faire sans guerre, qu'il ne
vouloit point, sinon s'alliant à TEspagne et non avec
nous. Et après avoir été agréé , il surmonta toutes les
diflficultés qui naissoient de jour à autre en la con-
clusion du traité de la part des Espagnols, de celle
des huguenots et des cathoHques.
Le roi d'Angleterre fut si charmé de son prooédë ,
qu il demanda au Roi qu'il lui plût le faire chtfitier
de l'Ordre hors le temps accoutumé. Le Roi étoit si
content de ses services , qu'il eut agréable cette de-
mande et la lui accorda^ ensuite de quoi Sa Majesté
commanda au duc de Chevreuse , qui alla conduire
Madame en Angleterre en 1625, de lui donner son
Ordre. A son retour, qui fut sur la fin de l'année, il
amena au Roi huit grands vaisseaux de guerre qu'il
joignit au duc de Montmorency, et firent le principal
échec à la bataille navale contre les Rochelois.
Depuis, le Roi lui ayant donné l'administration de
ses finances, qui étoien t en arrière de quelques années,
il y sut apporter un tel ordre , qu'à sa mort non-seule-
mentil avoit regagné le courant, mais il avoit fait fonds
de grandes sommes de deniers : bien qu'en toutes
les années de son administration la nécessité des
dépenses eût été plus grande que jamais auparavant,
les affaires du Roi n*étoient point demeurées faute
d'argent, et ce que n'ont pas beaucoup d'autres sur-
intendans qui pour épargner s'opposent le plus sou-
vent à toutes sortes de dépenses pour justes qu'elles
soient, tant s'en faut qu'il le fit, qu'au contraire il
étoit prompt de satisfaire aux ordres que le Roi lai
l4o [x632] MEMOIRES
donnoit pour les récompenses et gratifications que
Sa Majesté faisoit à ceux qui Favoient bien servie en
diverses occasions.
En la guerre dltalie, le Roi étant rappelé en son
royaume pour remédier aux cabales qui se formoient
en son Etat , elle l'envoya en Piémont avec le duc de
Montmorency , pour y commander son armée avec
lui f où il se signala de sorte au combat de Yeillane ,
que la victoire en a été attribuée à son courage et à
celui du duc de Montmorency. En toutes les autres
occasions qui se présentèrent , il fit paroitre tant de
jugement et de hardiesse tout ensemble, qu'il acquit
une telle créance parmi les gens de gilerre qu'on eut
peine à les retenir, quand une grande maladie qui lui
survint l'obligea de se faire porter à Grenoble.
Le Roi lui donna , dès le siège de La Rochelle , la
commission de grand-maître de l'artillerie, qu'il exerça
jusqu'à sa mort si soigneusement , que le Roi n'y fut
jamais mieux servi et avec moins de dépense.
Au retour dltalie, ses services lui acquirent la
cfiarge de maréchal de France , qu'il exerça avec gloire
et réputation en l'armée que le Roi lui donna à com-
mander en Allemagne, jusqu'à ce qu'il nous fut ravi
par la mauvaise fortune de la France. Avec lui mourut
l'espérance des avantages que nous nous promettions
de sa conduite , qui eût porté nos affaires en ces quar-
tiers-là au plus haut point où l'on eût su désirer les
y voir établir.
L'ordre qu'auparavant sa mort il avoit donné pour
aller assiéger Trêves fut exécuté : il avoit divisé
l'armée en deux parties égales , le commandement
de Tune desquelles il avoit donné au sieur d'ArpaJon ,
DE RICHELIEU. [l63!2] l4l
et lui a voit fait prendre le chemin le plus court avec
la plupart de Tartilierie.
Il a voit donné celui de l'autre au comte de La Suse ,
avec deux bâtardes, et ordre de s'y acheminer le long
du Rhin : Tun et Tautre suivirent leur route. Le vi-
comte d'Arpajon prit en passant Consarbruck , qui se
rendit sans grande résistance , et arriva le 6 août
devant Trêves.
Cest une grande ville qui a de grands fossés, de
belles murailles non terrassées , flanquées de tours de
trente en trente toises \ la situation est en plaine, ayant
la Moselle du côté de Luxembourg et à la partie op-
posite la montagne , mais hors de commandement ;
elle a un pont sur la Moselle qui est Tunique qu'a-
voient les Espagnols pour trajeter de Flandre et de
Luxembourg eu ces parties de TAllemagne qui leur
donnent le chemin dltalie.
Dès son arrivée il logea larmée à trois cents pas de
la ville, et Tavant-garde plus près encore dans les
Chartreux, qui sont peu éloignés de la contrescarpe
du fossé. Les ennemis commencèrent les premiers
à tirer sur les nôtres , qui dès la nuit dressèrent une
batterie pour démonter leur canon , et le lendemain
ouvrirent les tranchées par deux lignes différentes.
Le maréchal d'Estrées, que le Roi avoit choisi pour
succéder au commandement du maréchal d'EtIiat,.7
arriva le 9, et trouva les tranchées avancées jusqu'à
soixante pas de la contrescarpe. Néanmoins, voyant
la grandeur de cette ville , il désespéra de la pouvoir
prendre, et en envoya par Comblât le plan au Roi, qui
en lit un contraire jugement, et lui manda que, si
par queUiuc occasion que ce fut, cette entreprise
14^ [l632l] MÉMOIRES
manqttoit du bon succès que Dieu avoit donné à
toutes les autres qu*U avoit faîtes jusqu'alors « sa
réputation déchoiroit en Allemagne , où il arriveroit
de fîcheux accidens trop longs à écrire, et qu'il pour-
voit facilement prévoir *, mais néanmoins que s'il la
jugeoit absolument impossible , en ce cas ce seroit à
lui à en retirer son armée, sans qu'elle en reçût aucun
échec ; mais qu'en effet Sa Majesté ne voyoit pas que
rien pût empêcher la prise de cette place si une ar-
mée ne la venoit secourir*, ce qui sembloit ne pouvoir
être que de la part de Pftppenheim , qu'on sa voit ne le
pouvoir, tant pource qu'il étoit embarqué avec les
Espagnols au siège de Maëstricht que pource que la
ligue catholique ne se pouvoit déclarer contre le Roi.
Cependant, s'il y avoit lieu d'en douter, qu'il en-
voyât dire à l'électeur de Cologne que le Roi seroit
obligé de s'en ressentir, quelque déguisement qu'il y
pût apporter, et qu'à l'extrémité , s'il avoit besoin de
secours , et qu'il y eût des troupes du roi de Suède
vers- May ence , il envoyât vers celui qui les comman-
deroit, pour le prier de l'assister, puisqu^il s'agissoit
d'un dessein commun , et en un mot qu'il n'oubliât
rien de ce qui seroit raisonnable et possible pour
venir à bout de son entreprise.
La ville ne fut tout le long du siège assiégée que
d'un côté , ni lorsque les troupes seules du vicomte
d'Arpajon y étoient, ni depuis même que le comte de
La Suse y arriva le 1 1 dudit mois avec huit mille
hommes de pied et huit cent cinquante chevaux» et
encore l'attaquoil-on par le plus fort. Il n'y avoit point
de bateaux dont on pût faire des ponts et inreslir b
ville de lautre côté de U Moselle , par où elle pan voit
Dl BICHBLIStr. [itiS^] 14s
être secourue ; on ne la poavoit passer en quelque
lieu que ce fut, qu*à quatre cents pas de là on n'en-
trât dans le Luxembourg, qui vient en plusieurs lieux
jusqu'à la rivière, et d'où on secouroit la place tout
ouvertement. Mais Dieu, qui bénissoit nos armes parce
quelles ëtoient justes , et le courage des nôtres, et
principalement des vieux rëgimens qui montroient
l'exemple aux autres, leur fit surmonter toutes les
difficultés, battre les ennemis quand ils se présentè-
rent , et venir en peu de jours à bout de ce siège.
Quelques jours après le siège commencé, ceux de la
garnison de Thionville arrêtèrent, au préjudice de la
foi publique, un bateau dans lequel il y a voit seize mille
pains de munition qu'on avoit fait faire à Metz -, ce
qui étoit bien éloigné de la retenue de notre armée ,
qui n'avoit jamais voulu passer la rivière de la Ho-
selle pour aller charger les troupes de cavalerie du
comte d'Isenbourg, qui se présentoient tous les jours
sur le bord de ladite rivière , à une demi-lieue de
Trêves , où elles croyoient être en assurance comme
étant sur les terres de Luxembourg , bien qu'on pût/
facilement aller à elles par un gué où l'on pouvoit
passer douze ou quinze de front , et qu'on eût toutes
les peines du monde d'empêcher le passage de notre
cavalerie. Ceux de la ville firent une seule sortie de
trois cents hommes d'un côté, et de cent hommes de
laulre , commandés par un lieutenant , afin de diver-
tir nos forces et donner l'alarme en divers endroits \
et cependant une troupe se coula le long d'une mon-
tagne du camp, favorisée de l'obscurité de la nuit et
du lieu où il étoit fort difficile de l'apercevoir, et tirè-
rent droit à notre batterie , avec dessein d'enclouer
l44 [1632] M^^MOIRES
le canon on de la renverser , ayant à cet effet apporté
des pales avec eux , lesquelles ils ne remportèrent pas-,
car ils furent fort ëtonnés de se voir si bien reçus par
les nôtres, qui, sans s'amuser aux mousquets, alloient
droit à eux Tépée à la main comme fit Rambures ,
lequel , ayant pris quelques soldats avec lui , les alla
affronter, et tua les deux premiers de sa main -, et Cas-
telmoron en son quartier s'ëtant mêlé parmi d'autres,
la hallebarde à la main, en tua et arrêta jusqu'à quinze
prisonniers.
Ils furent partout si malmenés, qu'ils se retirèrent
en désordre, et furent poursuivis jusques sur le fossé.
Les Espagnols , craignant que ceux de la ville fussent
épouvantés du courage des nôtres, leur voulurent
envoyer du secours de Luxembourg , et le i3 , le ma-
réchal d'Estrées étant allé jusqu'à Consarbruck pour
visiter ce passage, où la Moselle et la rivière de Sarre
s'assemblent, et par où tous les vivres et munitions
qu'on apportoit à l'armée passoient , en s'en retour-
nant on lui donna avis que de l'autre côté de la ri-
vière mille ou douze cents hommes de pied et cinq
escadrons de cavalerie paroissoient, qui prenoient le
chemin de Trêves : il les fit attaquer par notre cava-
Icrie^ qui clantrcpoussée jusqu a la rivière fut soutenue
par le sieur de Mouy , commandant la compagnie de
gendarmes du cardinal , qui étoit de plus de cent
maîtres , et y alla en si bon ordre et en si bonne con-
tenance que les ennemis en appréhendèrent le choc,
et, se contentant de tirer leurs coups de pistolets, se
retirèrent en désordre ] mais les nôtres les suivirent
à toute bride , et les plus légèrement armés les attei-
gnirent et en tuèrent et blessèrent quantité* Us pri-»
DE RJCHEUEU. [iGBa] l45
rent deux cornettes que Ton envoya au Roi ( ceux qui
les portoient furent tués sur la place), et amenèrent
plusieurs prisonniers , entre lesquels étoient un capir
taine et quelques officiers. Toute leur infanterie fut
aussi défaite ; il en demeura de morts huit ou neuf
cents sur la place, et le reste se sauva dans les vignes. ^
Cette défaite fit perdre le cœur et aux Espagnols
et aux assiégés , qui se rendirent huit jours après à
composition. Le maréchal d'Estrées, pour s*«xcuser
de ce quil avoit mandé que Tarmée du Roi nevien*
droit pas à son honneur de .ce siège , manda que la
crainte seule que les Espagnols avoient eue que notre
armée entrât danè le Luxembourg, avoit fait que sans
grande résistance ilsavoientlaisséprendre cette place,
ce qui étoit sans apparence , puisque Tarmée du Roi
étoit composée de seize mille hommes de pied ef,
quatre mille chevaux , et que les Espagnols ne
pouvoient faire le tiers de ces troupes-là pobr s*y
opposer.
Nous ne fûmes sitôt dans la ville que Ton commençu
à faire de grandes plaintes du maréchal : rElect^i^r
se plaignoit que les officiers de Tartillerie taxèrent
la ville pour le rachat des cloches et de tout le mét^l ;
que le maréchal avoit enlevé , et permis que d'autres
enlevassent plusieurs meubles précieux de sa maison ,
imposé trois risdales sur chaque pièce de vin vendue,
ou que Ton faisoit sortir hors de la ville , fait contri-
buer tous les bourgs et villes plus de dix lieues de
France à Tentour de Trêves , sans qu*il fût rien em^
ployé de tout cet argent aux réparations de la ville et
au paiement des gens de guerre , pour raison de quoi
on faisoit d'autres levées particulières.
T. ^7- lO
l46 [l63^] MÉMOIRES
Ces actions affligeoicntle Roi, pource qu*elles ter-
nissoient la gloire de ses armes et ëloignoient de lui
non-seulement le cœur de Tarcbevéque , qu'avec tant
de soin et tant de dépense il avoit essayé d'obliger,
mais empécboient les autres princes catholiques d'a-
voir recours à la protection de Sa Majesté , craignant
d'en recevoir un semblable traitement. Il fit faire une
exacte recherche de ce qui avoit été pris à l'Electeur,
et lui renvoya ce qu'il put faire recouvrer de ses
meubles; le reste ne pouvoit être réparé, le temps
n'étant pas proportionné à une rigoureuse punition de
semblables désordres , trop ordinaires à ceux qui ont
commandement dans les armées.
Mais retournons trouver le Roi , qui va après Mon-
sieur qui est entré en France le 8 juin par le Bassigny
avec quinze cents chevaux , mille desquels lui furent
donnés par les Espagnols , et étoient Espagnols , Al-
lemands et Italiens*
A peine fut-il entré qu'il envoya des placards par
tout le royaume, datés d'Andelot du i3 juin, conte-
nant les sujets chimériques qu'il feignoit l'avoir porté
à cette extrémité *, le cardinal étant à son compte dissi-
pateur et usurpateur de l'Etat, ennemi du Roi, de la
maison royale, et que pour ce sujet il prenoit les
armes à la main pour faire voir à Sa Majesté qu'elle
ëtoit trompée.
Ses raisons et suppositions frivoles , sans vérité ni
vraisemblance , ne firent aucun effet dans les esprits
des peuples , sinon contre lui-même. Il prenoit aux
commissions qu'il donnoit pour faire levées de gens
de guerre, le titre de lieutenant du Roi pour réprimer
les abus et les violences du cardinal.
DE RICHELIEU. [lÔSa] l^'J
Passant auprès de Langres, il alla loger k trois lieues
de Dijon, d'où il écrivît aux habitaus de ladite ville,
afin qu'ils envoyassent Tan d'entre eux en son camp
pour aviser aux moyens nécessaires de faire subsister
son armée. Cette lettre, datée du i4 juin, fut portée
par un trompette auxdits habitans qui ne la voulurent
pas ouvrir, mais renvoyèrent toute fermée au Roi,
dont ils donnèrent avis à Monsieur par leur réponse.
Il écrivit aussi au parlement de Dijon , mais en termes
plus rudes , les menaçant de se venger sur leurs mai-
sons des champs du refus qu'ils feroient de lui accor-
der ce qu'il désiroit.
Le tambour qui apporta cette seconde lettre eut
encore charge de dire plusieurs choses à ces mes-
sieurs , pour les convier à donner contentement à
Monsieur , lequel , en haine de leur refus , fit mettre
le feu à Tun des faubourgs de ladite ville.
La Reine-mère lui avoit fait instance et à tous les
siens de brûler la ville de Dijon , à cause de la décla-
ration que le parlement avoit vérifiée sans faire re-
montrances, et de la condamnation du maréchal de
Marillac , dont plusieurs d'eux avoient été les juges.
Il passa de là en Auvergne : la noblesse ne s'opposa
point à lui, chacun se tenoit clos et couvert, on ne
faisoit pas difiiculté de dire qu'il ne faisoit pas bon
d'offenser Monsieur, et qu'il pourroit s'en ressentir;
les villes mômes n'osoient maltraiter ses troupes , les-
quelles avoient libre commerce avec elles. Elles se
conservèrent néanmoins dans le service du Roi, et
ne voulurent pas prendre son parti , et aucune ne le
laissa entrer le plus fort que par force , et ne s'en
pouvant défendre. Il voulut loger dans Cusset à des-
lO.
l48 [l63a] MEMOIRES
sein de s*ëti saisir; inais le baron de Saligny repoussa
si gënërensement quelques soldats qui s*y ëtoient déjà
jet^s , qu'il en demeura plusieurs sur la place , et ainsi
la ville fut garantie, au grand regret de Monsieur,
qui lui écrivit du pont de Vichy le 3 juillet, lui de-
ttiandant ses gentilshommes et officiers qu'il avoit pris
dabs Cusset, ou qu'il encourroil son indignation, et
qu'à défaut de les lui renvoyer, il feroit saisir les
maisons qu'il avoit dans la province.
Yaudable lui fut rendue par la trahison d'un nommé
Barbes , son procureur d'office , et y laissa garnison ;
mais dès qu'il en fut sorti la place fut remise en
l'obéissance du Roi.
On levoit dans le Limosin , la Marche et le Péri-
gord aussi publiquement que si c'eût été pour le Roi ,
sans que Pompadour, Bourdeille ni Beaupré s'en
remuassent aucunement, et ces levées se montoiént à
cinq cents chevaux. Ce qui obligea le maréchal de
Schomberg de mander à l'évéque de Monde qu'il fit
savoir dans les villes du Gévaudan, que celles qui
demeureroient dans le service du Roi seroient lit^en
traitées, soit pour les élus ou autres choses ; mais que
celles qui feroient autrement seroient châtiées à l'égal
de leur rébellion ; et d'écrire au cardiual qu'il étoit
nécessaire que le Roi envoyât dans les provinces une
déclaration contre Monsieur et ceux qui le servoient,
vu que tous les jours Monsieur écrivoit aux villes
qui retenoient des siens prisonniers , avecde grandes
menaces , comme si elles étoient rebelles.
Il manda aussi qu'il refuse au maréchal de La Force
de se joindre à lui , pource qu'il y avoit autant de
mal à craindre du côté du haut Languedoc , Gévau-
DE aiCUfiUEU. [l63aj l^
clan, Quercy, Bouergue et Fois, qu!au baiLanguedoç^
Dans les Cevennes et le Gévaudan tous les soldats
étoient arrhes, et avoientoommandement de M. de
Montmorency de ne point s'engager; ce qu'il faisoU
partout où il pouvoit, en espérance d'avoir des com-
missions du Roi pour lever pour son service et s'en
servir contre lui, ou, n en ays^nt point,, pour epspécber
que personne enlevât; de sorte que Monsieur, après^
avoir demeuré quelque temps dans l'Auvergne, et vu^
qu'à cause de la présence du sieur de Noailles , lieur
tenant du Roi en la haute Auvergne, ses des^eiqs ne
réussissoient pas selon qu'il s'étoit proposé y passa dans
le Gévaudan , ayant avec lui trois mille hommes de
pied outre sa cavalerie. Du Gévaudan il pressa , trpp
tôt pour son bien, M. de Montmorency (0 de le rece*
voir dans le Languedoc , nonobstant qu'il lui eût en^
voyé l'abbé Delbène poar le prier de retarder si^
semaines, parce qu'il le surprit et ne lui donna pas
le loisir de faire ses brigues avec ceux de la religion ,
et de s'assurer de Mimes, de Narbonn^ e( ai|tre^
places , lesquelles il £ûsoit état de fair^ suivre son
parti , si on lui en eut donné le temps*
Il étoit le premier des grands 4u i;oyaume , mais
de Thumeur de ceux qui y ont vécu depuj^ cent ans ,
lesquels transportoieot k leur grandeur et k len^s in*
(i) 3i. de Moaimonney : Son éptmêCf M«iJe*F«licie de* Un^ios, proclie
piircQlf de U Heinfï-ii^ère , détermina sa dcfectioD. I^abeUe de Médici» ,
unie paternelle de la reaire de Henri IV , aroit épousé Paul Joardaîii
des Ursins, doc de Bracciano , etaroît eu pour fils Virginio de» Ursins ,
aussi duc de Bracciano» marié avec FnWi« Peretli , nièce d« S^yU^
Qu^ot. De ce mariage écoit issue la duchesse de Montmorency. La duc,
allijt; (le Monsieor , étant dn m^me 4ge que lui . ayant les mêmes goAts »
prit d^auunt plus Tivemcnt son parti , qii*il y fut porte par les tollici«
uiions pressâmes tle ttm épouse.
]5o^ [l632J MÉMOIRES
téréts Taffection que leurs prédécesseurs portoient à
leurs rois et à TÉtat, et de Thumeur de son père, qui,
pour se rendre puissant dans le Languedoc , y éleva
rhérésie , et divisa et affoiblit Fautorité du Roi.
L'Estric 9 premier consul de Nimes , donna avis
que , lorsqu'il fut question de retirer les canons qui
étoient dans ladite ville , il ne désiroit pas qu'elle les
rendit et que le parti huguenot demeurât affoibli
comme il étoit par ce moyen, et lui dit par plusieurs
fois qu'il s'empêchât bien de les rendre , qu'il ne pou-
voit pas s'abstenir de lui en donner les ordres , à cause
de la présence du commissaire du Roi , mais qu'il ne
vouloit pas qu'il y déférât et qu'il se donnât bien
garde de le faire ; et qu'enfin ledit sieur de Mont*
morency ayant , selon l'ordre du Roi , écrit à ceux de
la ville qu'ils rendissent lesdits canons , il lui écrivit
quant et quant une lettre par un de ses gardes , par
laquelle il mandoit qu'il se souvînt bien de ce qu'il
lui avoit autrefois dit touchant lesdits canons, etdonna
charge audit garde de ne lui laisser pas la lettre , mais
la lui rapporter quand il l'auroit lue.
Madame de Savoie dit aussi depuis au sieur Servie»
que c'étoit lui qui avoit donné avis à M. de Savoie
que le cardinal , lorsqu'il étoit à Caselette , le devoit
attaquer avec l'armée du Roi dans ses retranchemens;
ce qui déroba aux armes de Sa Majesté la gloire d'un
grand exploit qu'elles eussent fait -, car le duc de Sa-^
voie se retira, et nos troupes ne trouvèrent aucun
qui leur contestât le passage.
Dès que Monsieur fut séparé du service du Roi ,
il eut intelligence avec lui, et fut le premier et le
plus hardi à lui promettre retraite en son gouverne-
DU EICHELIEU. [l63a] l5l
ment s*il entroit à main armée dans le royaume ; mais
il vouloit auparavant tenir les États , pour » en cette
assemblée en laquelle tout le Languedoc étoit réuni ,
trouver ou feindre quelque sujet de mécontentement
de la province , afin de Tattirer à soi , faisant semblant
de s'opposer au Roi pbur la défense de leurs libertés
et de leurs privilèges.
Le Roi , qui comme un prince généreux ne se défie
point d'un homme qui lui doit être fidèle , sinon après
qu il en a éprouvé des effets contraires , lui donne la
permission de les tenir, lui envoie ses ordres et lui
en confie la conduite.
Il fut question de rétablissement de quelques élus
ou commissaires , pour la levée des deniers en la pro-
vince, en laquelle il se commettoit depuis quelques
années de si grands d^rdres, que de tout ce qui
s'y levoit il venoil beaucoup plus de deniers en la
bourse des particuliers qu'en celle du Roi : l'affaire
fut commise à son jugement et à son autorité; il en
convint avec les commissaires du Roi qui en écrivi-
rent à Sa Majesté, laquelle eut agréable ce qu'ils
avoient arrêté. Maislesdits commissaires furent éton-
nés que , lorsqu'ils lui en apportèrent la nouvelle ,
il la reçut avec un visage refrogné , et ne se pnt tenir
de témoigner en avoir du déplaisir.
Il assuroit toujours cependant Sa Majesté de sa
fidélité , lui donnoit avis que les Espagnols avoient
entreprise sur Narbouné^ que Monsieur avoit des
partisans dans le Languedoc^ que l'Espagne lui pro-
mettoit du secours ; et le tout afin qu on lui donnftt
pouvoir de faire des levées de gens de guerre , et
prendre occasion de mettre des garnisons en quel*
l5!l [l63'2] MÉMOIBES
qaes villes poor s'en assurer. II croyôit que beaucoup
d'autre» gooTerueurs de provinces ëtoient du parti
de Monsieur, et entre autres le duc d'Epernon , qui ^
serrant la main à un des gentilshommes de mondit
sieur, lui dit : « Dites à Monsieur que je suis son
très-humble serviteur , et qu'il se mette en état d'être
servi ; » et il ëtoit certain que M. de La Valette avoit
vu le duo de Lorraine en son carrosse jusqu'à une
heure après minuit, en présence du jeune Bassom-
pierre.
Il donna commission de lever quarante rëgimens
dans le Languedoc , où on n'en pouvoit faire douze ;
mais c'étoit un artifice pour occuper tout le monde.
U attendoit six raille hommes de pied d'Espagne que
le commandeur de Yaiencai lui devoit amener, et il
avoit envoyé Le Fargis et,|^stcldau , lieutenant de
ses gardes, en cette cour-là, pour avoir secours d'ar-
gent, qui vint bientôt après , mais petit , car Castel-
dau n'apporta que 5o,ooo ëcus, qui descendirent à
Agde et furent envoyés par ledit duc dans le fort de
Brescou.
Il écrivit à quelques'^uns de Narbonne, et entre
autres aux consuls , par les sieurs baron de Mont ,
premier lieutenant au gouvernement de la ville,
et Casteldau , lieutenant de ses gardes. Les lettres
étoient en créance sur eux , laquelle ils expliquèrent
être que ledit sieur savoit de bonne part qu'on avoit
dessein à la cour de faire bdtir une citadelle en leur
ville; que tous les bruits qu'on faisoit courir qu'ils
avoient à se donner garde du côté d'Espagne , n'é-
loieqt qu'un prétexte pour leur faire recevoir gar-
niaonetse saisir de leur place, que l'aflection qu'il
DE RICHELIEU. [l632] l53
leur portoit Tobligeoit à fear donner cet avis , et à se
résoudre de joindre ses intérêts aux leurs , qu^aussi
espéroit-il qu*?ls lai rendroient le sembable; quHt
savoit que quelques-uns avoient dessein contre lui et
sur son gouvernement; qa*il étoit en péril de sa per-
sonne , et désiroit chercher et trouver sa sûreté dans
leur ville, pourvu qu'ils Teussent agréable.
Cette créance étant rapportée dans le conseil de
la ville, y fit un effet tout contraire à ce qu*il espé-
roit; elle les mit en défiance de lui-même au lieu de
lui établir une confiance parmi eux , leur fit croire
qu'il les vouloit tromper, et obtenir par ses artifices
ce que son père et lui avoient si souvent tenté en
vain, et se tinrent sur leurs gardes contre lui comme
contre leurs ennemis , et dirent que quant à la cita-
delle le Roi étoit le maîtr^et feroit ce qu il lui plai-
roit, mais qu'ils ne pouvoîènt croire que, lui ayant
toujours été si fidèles , il voulût apporter du change-
ment au gouvernement de leur ville.
Le sieur d'Emery , qui étoit Tun des commissaires
du Roi aux Etats, leur manda que, s'ils avoient
besoin d'argent pour fortifier leurs gardes, il leur
enverroit ce qu'il leur faudroit.
Ledit sieur de Montmorency espéroit aussi de s'as-
surer de la ville de Nimes par le moyen de l'évéque
de Nîmes, partisan de Monsieur, et parles hugue-
nots qu'il pensoit faire soulever. L'Estric, qui étoit
premier consul de la ville l'année précédente , donna
avis qne, le a juillet, un soldat qu'il ne connoissoit
point l'alla trouver de la part de Clausel, et lui dit
que 9on maître l'avoit envoyé pour faire savoir à lui ,
et à quelques autres de ses amis , qu'il seroit bientôt
l54 [1632] MÉMOIRES
dans le Languedoc avec huit cents chevaux, que
Monsieur suivroit de bien près; que, s'il vouloit
être de la partie , il ménageroit ses intérêts en sorte
qu'il en auroit contentement; que quant à M. de
Montmorency on n'en devoit point avoir peur, qu'il
ëtoit assuré.
Mais il lui répondit qu'après avoir été trompé par
M. de Rohan , il ne le vouloit pas être encore une
fois par M. de Montmorency.
n faisoit de même en la plupart des villes, et vint
enfin jusqu'à ce point qu'il fit dévaliser un courrier
que les commissaires du Roi avoient dépêché à Sa
Majesté. Il étoit à Bagnols, qu'il assuroit à son parti,
et traitoit au Pont-Saint-Esprit pour essayer de le
tirer du service du Roi. Ce courrier passant par là , il
le fit arrêter , feignant vouloir écrire , mais en effet
pour prier M. de Ventadour de lui faire prendre ses
lettres en passant. Le sieur d'Emcry , en ayant avis ,
se relire à Montpellier, n'estimant pas qu'il y eût plus
de sûreté pour lui à Pésenas. M. de Montmorency lui
écrivit , et dénia avoir aucune part en cette action ,
laquelle néanmoins depuis il avoua par lettres au
cardinal, lui mandant qu'il Tavoit fait par curiosité
de découvrir les mauvaises impressions que les sieurs
archevêque de Narbonne et d'Emery donnoient de
lui à la cour, lesquelles il n'avoit trouvées que trop
véritables.
Il manda audit sieur d'Emery qu'il désiroit finir
l'affaire des Etats , selon les ordres que les commis-
saires avoient reçus de Sa Majesté ; que s'il ne reve-
noit, son absence pourroit ruiner les affaires, etqu*il
auroit occasion de s'en plaindre.
DE RICBSLIEU. [l6Sa] l55
Il revint, et est ëtonué d'apprendre à son arrivée que
Le Fargis est an logis de Fëvéque d'Âlbi. M. de Mont-
morency renvoie qaërir et le siear Miron , qui étoil
Tautre commissaire, et lenr demanda qu'ils fissent
lire la déclaration des six élus que le Roi désiroit
qui fussent établis dans la province. Us lui dirent
que Sa Majesté n'avoit changé l'établissement des
commissaires en celui d'élus que par son avis; qne
s'il en parloit ils ne parlerotent que de l'établisse*
ment des commissaires , sans parler des élus. Il leur
répondit qu'il lui étôit indifférent, mais qu'il lui sém»
bloit qne celui des élus étoit plus utile , et les remit
au lendemain m juillet , en l'assemblée des Etats , pour
résoudre cette affaire.
Cependant l'évéque d'Albi et lui passèrent toute k
nuit à aller visiter les uns et les autres , les sollici«
tant, par espérances et promesses, de se joindre
audit sieur de Montmorency pour les libertés de la
province , qu'il vouloit remettre comme elles étoient
du temps du feu Roi.
Le lendemain les Etats étant assemblés, où ledit
duc étoit présent et l'évéque de Nîmes portoit k
parole , ils firent plusieurs propositions aux commit*
saires , lesquels s'accordant à tout ce qu'ils désiroient,
Fëvéque d'Albi opina qu'il n'étoit plus question d'é-
lus ni de commissaires , mais de se joindre à M. de
Montmorency, lui &ire l'octroi qu'il reœvroit sans
Tassistance des commissaires du Roi 9 et qu'il lui fat-
loit donner pouvoir d'assembler les Etats toutes fois et
quantes qu'il voudroit.
Cette proposition fut délibérée , agréée et suivie
de tous , excepté de l'archevêque de Narbonne , qui
l56 [1632J MÉMOIRES
interrompit le» voix , leur remoiitranl qu'ils commet-
toient un- crime de lèse-majesté, et qu'il n'y consen-
toit point.
Au sortir delà, M. de Montmorenoy lui envoya des
gardes et au sieur d'Emery , et envoya du Gros, son
médecin , par toute la province , exhorter les peuples
à se tenir unis aux intérêts généraux, et ne recevoir
autres ordres que ceux qui viendroient de sa part «
attendu que le Roi ayant absolument commandé que
le» élus fussent établis dans le Languedoc , il avoit
cm s'y devoir opposer, et avoit juré une union in-
séparable avec les Etals pour leur liberté.
Mais aux personnes de qualité, et qui n*étoient pas
de la province, il prenoit bien d'autres prétextes de
soulèvement, car il publioit partout, et écrivit parti-
culièrement au comte d'Alais , son neveu , que les
soupçons qu'on avoit de lui depuis que Monsieur
étoit en France, le commsindementque M. deLa Force
avoit eu d'une armée en son gouvernement , la con-
duite qu'on avoit tenue avec les Etats pour les faire
ccQsentir à ce qu'il estimoit leur entière ruine et l'y
déeréditer , et les avis qu'il avoit eus qu'on vouloit
attenter à sa liberté , l'avoient contraint de prendre
garde à sa sûreté*,
Qu'il avoit vu M. de La Force sur le Rhône venir
fondre sur lui. Monsieur, d'autre côté, s'approcher
de son gouvernement ; lui ayant ftiit demander en-
trée en sa province, il avoit été obligé, pour mettre
k couvert son honneur, sa liberté et sa vie , de le lui
accorder , ce que d'autre part il n'eût pu même lui
refuser que de paroles, vu qu'il n'eût su l'en empê-
cher , n'ayant pas un homme de guerre sur pied , ni
DE RICHELIEU. [l63u] 167
de préparatifs pour sedëfbndre ; ce qui raontroit assez
la précipitation avec laquelle il avoit pris ce consul ,
et le peu de dessein qu'il en avoit. Ledit duc dit
quelques autres mais très-^foibles sujets de ses tnë-
contentemens an sieur d'Emery ; que, quand il paMa
en Italie, on lui avoit fait espérer la charge de maré-
chal général des camps et armées , et qu'on le ré-
duisit d'y aller volontaire ;
Que Ton a Voit eu tme perpétuelle défiance deslai ,
et qoesa prière a toujours étéun moyen de refuspour
ceux pour lesquels il a désiré de faire donner ».iles
gouvernemens'dans le sien;
Que, le lendemain du combat de Veilkne, il de-
manda Sommièr«s pour le baron de Castres , qu'on
le lui refusa; que la charge de grand chambelian^ini
a été promise, et qu'on s'est moqué de lui; quelle
sieur de Fossé avoit été envoyé à Montpellier pour
se saisir de sa personne ;
Et que le maréchal de La Force avoit été envoyié
pour suivre ^Monsieur , et* que cependant il vtdiMit
droit en Languedoc avec commandement de 4e
prendre.
Il ajouta qu'il étoit prêt à poser les armes; rfoTû
avoit les mêmes respects pour le Roi qu'il avoiti
toujours eus ;
Qu'il seroit toujours maître du traité de Monsieur
et du sien, parce que Monsieur n'avoit ni des troupes
à lui, ni n^avoit aucune place dans le Languedoc |
Qu'il feroit contenter Monsieur toujours de la
raison , autrement qu'il i'abandonneroit ;
Quant 4* lui, qu'il ne demandoft ifae sérété de'im
personne.
i58 [i63a] MÉMOIRES
Il dépêcha aussi tout-à-rheure à Narbonne Armis-
san et Saint*Genié, qui n'y purent rien faire, ce
dont ledit duc étant averti , s'en va à Béziers , d'où il
envoie à Narbonne douze habitans de ladite ville qui
lui étoient aifidés , en intention de les suivre le len-
demain; mais les portes leur furent fermées. Il ren-
voya vers eux leur dire qu'il ne leur vouloit point
donner de gens de guerre, mais qu'il les prioit seu-
lement d'accepter la délibération des Etats pour leur
liberté. Ils le remercièrent de sa bonne volonté, et
que, pour leur ville, ils prétendoient de la mainte-
nir toujours en l'état qu'elle avoit été par le passé.
Ricardelle , qui étoit un des principaux habitans ,
y servit si bien le Roi , qu'on manda à Sa Majesté
qu'en effet c'étoit lui qui avoit sauvé la ville. Il y fit
entrer des gens de guerre. De là à peu de jours Le
Chalard et Chaban y menèrent de la part du cardi-
nal trois cents hommes du régiment de La Tour,
partie desquels ceux de la ville reçurent, et mirent le
reste à Bages, bourg qui leur est fort important, à
demi - lieue de ladite ville , et qui a autrefois été
assiégé, sans avoir été pris, par le feu connétable de
Montmorency; ce qu'ils firent pour se tenir plus au
large et n'être pas si pressés des troupes des ennemis.
Au reste , ils chassèrent tous les habitans suspects et
partisans dudit duc, et se munirent de vivres pour
plus de quatre ans , de sorte que Ricardelle manda
qu'on perdit désormais la crainte de la perte de cette
ville-là.
Bary , gouverneur de Leucate, assura les commis-
saires du Roi de sa fidélité , quelque alliance qu'il y
eût entre lui et messieurs de Toiras.
DE RICHELIEU. [1682] xSg
Le dac de Montmorency s'assura de Bëziers , y fit
travailler pour le faire fortifier, déchargea le sel d'un
ëcu par minot, et la province de Taugmentation du
taillon.
Il se rendit aussi maitre d'AIais par le moyen du
château , non par la volonté des babitans , bien que
pour gagner à soi la ville il y eût mis des consuls
huguenots, au lieu des consuls catholiques qui y
étoient auparavant, favorisant, au préjudice de la
religion catholique , les hérétiques pour s'en fortifier :
la plupart du peuple ne laissa pas de témoigner von-
loir demeurer au service du Roi , et envoyèrent de-
mander secours^ mais ils ne le purent recevoir à temps.
La prise de cette place à l'entrée desCevennes, leur
donna moyen d'en tirer trois régimens dont ils gros-
sirent leurs troupes.
L'évéque d'Albi leur donna sa ville, où lui seul
toutefois étoit de leur parti; mais il contraignit les
habitaus par menaces et par gens de guerre qu'il y
tenoit.
La même nuit de la résolution des Etats, l'évéqne
de Nîmes partit avec seize gardes dudit duc, et s'en
alla à Lunel , dont son frère feignit avoir abandonné
la citadelle : il s'en empara et y logea les seize gardes,
et le lendemain son neveu de Cauvisson s'y jeta avec
un régiment de cinq cents hommes.
Ayant assuré cette place , il passe à Nîmes , où il
espéroit faire le semblable , mais il fut trompé -, car
Lagrange, quiavoit crédit dans la ville et étoit hu-
guenot, avoit si bien disposé le peuple pour le ser-
vice du Roi , qu'il les trouva tous éloignés de ses
propositions.
l6o ri63a] MÉMOIEES
Les ministres ayant eu avis des lettres de Sa Ma-
jesté y par lesquelles elle témoignoit être avertie que
le principal dessein de Monsieur étoit de soulever
ceux de la religion prétendue réformée , crurent être
obligés, pour leur défense, de faire plus que les
autres pour le service du Roi. Us assemblèrent le
consistoire, résolurent de mourir en son obéissance ,
allèrent trouver les consuls , leur portèrent cette ré-
solution, et les requirent de faireassembler le conseil
de ville pour y en faire prendre une semblable ; ce
que les consuls , gagnés par M. de Montmorency ,
esquivèrent.
Mais quand les ministres virent Clausel dans la
ville, être caressé de beaucoup de personnes, ils
dépêchèrent en diligence vers le maréchal de La
Force , pour le prier de secourir les serviteurs du
Roi, qui étoient en petit nombre dans la ville. En
même temps un bruit s'élève qu'on vouloit se saisir
d'une porte; le peuple, affectionné à. Sa Majesté,
court aux armes , et crie partout vwe le Roi. Néan-
moins , Taffection avec laquelle le premier consul
qui étoit lors se portoit avec Tévêque pour Mon-
sieur, les brigues dudit évêque, la chaleur avec
laquelle ils représentoient les sujets qui avoient porté
le duc de Montmorency à prendre le parti de Mon-
sieur, outre les persuasions des autres personnes
que ledit duc y avoit envoyées , en peu de jours
ébranlèrent si fort les esprits, que la ville se fût
tournée du côté de Monsieur , si le maréchal de La
Force, qui étoit au Pont-Saint-Esprit, n'y eût en-
voyé, le a6 juillet, le baron d'Aubais -avec waie
compagnie de chevau- légers, et le lendcmiain le
DE RICHELIEU. [iGSs] i6t
marquis de La Force avec dix autres , lesquels , forti<^
liant ceux qui étoient pour le Roi , contraignirent
révéque de s'enfuir, et continrent les autres à leur
devoir.
Le duc de Montmorency passa dès le a5 juillet à
Agde et à Brescou , quHl fit fortifier , envoyant des
barques à Arles pour amener de la chaux et des
ouvriers pour cet effet.
Delà il fut à Lunel attendre Monsieur, qui y arriva
le 3o, après avoir en vain essayé de gagner à son
parti la ville d'Avignon , ou s'en rendre le maître.
Il pria le vice-lëgat de trouver bon que M. d*EU
beuf y pût séjourner quelques jours , pour plusieurs
raisons qui concemoient son service. Le vice-légat
inclinoit à ce qu'il désiroit; mais lui ayant été re-
montré qu'il offenseroit le Roi, attendu que Monsieur
s'étoit déclaré son ennemi , et ayant pris assurance
du maréchal de La Force qu'il Tassisteroits'il en étoit
besoin, il refusa à Monsieur ce qu'il lui demandoit,
et lui fit savoir qu'il ne permettroit pas que, ni fort
ni foible , il entrât dans le Comtat , et demeura en
cette résolution, quelques menaces que Monsieur
lui fit que, s'il ne conservoit envers lui et les siens
la neutralité , il ne la conserveroit pas aussi envers
ledit Comtat.
Ils envoyèrent un nommé Laroche, gentilhomme
de M. d'Elbeuf, vers le sieur de Fossé, gouver-
neur de Montpellier , pour essayer de le gagner par
promesse et s'assurer de la place.
Ledit Laroche lui dit qu'il a voit charge de Monsieur
(le le venir trouver et lui offrir de sa part, s^il se
déclaroit pour lui et portoit Montpellier à sou parti,
T. 37. II
l62 ' [lÔSs] MÉMOIRES
de lui faire bailler la charge de maréchal de France ,
dont M. de Montmorency se démettroit en sa faveur;
que le gouvernement de Montpellier lui demeureroit,
et qu'il lui donneroit tel commandement qu'il vou-
droit dans son armée, et qu'il avoit charge de la Reine-
mère de rassurer de la place de son chevalier d'hon-
neur ou de son premier écuyer, à son choix, et que
Monsieur ne feroit jamais d'accommodement avec le
Roi , qu'à condition que ledit sieur de Fossé demeu-
reroit maréchal de France, et èsdites charges et gou-
vernement.
Ledit sieur de Fossé ne prêta pas l'oreille à ces
offres , et lui dit qu'il faisoit plus d'état d'être homme
de bien et fidèle serviteur du Roi , qui lui avoit donné
tout ce qu'il avoit, que de toutes les charges du
royaume acquises aux dépens de son honneur ^ et à
l'heure même envoya prier le président Miron , l'un
des commissaires du Roi dans les États , de le venir
trouver ] fît avouer audit Laroche ce qu'il lui avoit
offert, et la réponse qu'il lui avoit faite , et la lui fît
signer , puis le renvoya.
Le lendemain , le duc de Montmorency mena Mon-
sieur avec toutes ses troupes vers Nîmes , dont il es-
péroit se pouvoir saisir*, mais le maréchal de La Force
y envoya si à propos le régiment de Tonneins, outre
huit cents chevaux que son fils y avoit déjà , que le-
dit duc , qui n'en étoit qu'à une lieue , et Monsieur
qui le suivoit de près , passèrent outre , et essayèrent
de réparer ce coup à Beaucaire , où ils étoient assurés
de Pérault , qui étoit gouverneur de la ville et du
château qui commande entièrement à ladite ville,
laquelle , partant , ils espéroient avoir à leur dévotion,
DE RICHELIEU. [1682] l63
et d*y faire une léte pour tenir toute la campagne,
pour incommoder Nimes et Aigues-Mortes ; mais les
habitans de Beaucaire étoient résolus de mourir pour
le service du Roi. Quelques jours auparavant, un frère
bâtard dudit duc étant venu dans la ville avec dix ou
douze de ses gendarmes , le reste de la compagnie
suivant après , la ville, qui étoit en défiance, se mit
en armes, le contraignit de se retirer, et, criant vive
le Roi , ferma les portes à ladite compagnie. Pérault ,
étonné du courage des habitans , essaya de les entre-
tenir , et gagner temps jusques à l'arrivée du duc , et
empêcher cependant qu ils se fortifiassent de quelques
troupes , et leur promit que , pourvu qu'ils n en lais-
sassent point entrer de ceux du Roi dans la ville , il
n'en laisseroit point entrer de celles de Monsieur dans
le château^ mais , au contraire de ce qu'il promet-
toit, il terrassa la porte du château qui entroit dans la
ville, et ouvrit celle de dehors pour y faire entrer qui
il lui plairoit sans être vu \ ce que les habitans ayant
aperçu, ils se barricadent, et bien à propos, vuquHl
avoit déjà laissé entrer quantité de gens dans le châ-
teau , et étoient résolus de donner dès le lendemain.
Cependant , sur le minuit , arrivèrent quatre cents
hommes que le maréchal de Yitry envoyoit à leur se-
cours , lesquels se saisirent des barricades , les habi-
tans continuant toute la nuit à les fortifier. Monsieur,
avec toutes ses troupes, paroit sur le midi et entre
dans le château ; peu après se présente à la porte le
régiment d'Aiguebonne que le maréchal de La Force
leur envoyoit *, les habitans , sachant qu'il venoit de la
part du Roi , le firent entrer. Les ennemis alors ,
qui avoieut résolu d'attaquer la ville, l'emporter de
1 1.
l64 [l63aj MÉMOIRBS
hante lutte, et mettre tout à feu et à sang, changèrent
de pensée, et pointant leurs canons contre la ville
commencèrent à la battre en ruine ; ceux de dedans
se défendirent courageusement , et tirant du haut des
clochers et de lieux plus élevés de la ville , tuèrent
plusieurs hommes de qualité, et entre autres Saint-
Pol ; ce qui obligea le duc de Montmorency de faire
retirer Monsieurdèslelenderoain,et lemener àMont-
frin et de là à Pésenas. Cette action donna un grand
avantage au service du Boi et discrédita le parti des
rebelles -, et s'ils eussent pu se rendre maîtres de cette
ville , il y avoit grande apparence que Nîmes se fût
mise de leur côté , et par conséquent les Cevennes .
Ensuite Peccais, Valabrègues, qui étoit de considé-
ration à cause du passage du Rhône , et le château de
Saint-Roman , qui cmpéchoit le secours de Montfrin
à Beaucaire , demeurèrent dans le service du Roi et
reçurent garnison.
Cependant le maréchal de La Force étoit aa Pont-
Saint-Esprit , qui est Ventrée du bas Languedoc ,
tandis que le maréchal de Schomberg étoit, d'autre
part, au haut Languedoc , espérant par ce moyen en
incommoder davantage les ennemis , qui les rencon-
troient partout, fortifiant les serviteurs du Roi, et em-
pêchant , par crainte , de se déclarer plusieurs qui en
avoient la volonté , bien que beaucoup alors les blâ-
massent de ce que-, chacun d'eux à part étant trop
foible pour être maître de la campagne , ils donnoient
lieu aux ennemis de s'y tenir pour faire leurs trou-
pes , outre qu'ils n'étoient capables ni l'un ni l'autre
de rien entreprendre d'important pour le service de
Sa Majesté ^ où au contraire, joints ensemble y ils poo*
DB EICHELIEU. [i63a] |65
voient issiëger Bagnols oa Betncaire , ou autres lem*
blables places. Mais Dieu montra, par rëvënementt
que le conseil qnlls avoient pris ëtoit le
car, bien qu^ils ne fussent pas les (dus forts, ils
nëanmoins asseï pour empédier les entreprises des
ennemis , qui , n'eût ëté leur prës^ice, eussent fiidle*
ment fait rëyolter plusieurs villes qui , tron^pées par
ce prëtezte spëcieuz de la libertë de la province , y
avoient de l'inclination.
Le Pont-Saint-Esprit eût ëtë une de celles-là ; car la
brigue du duc de Bfontmorencj y ëtoit si forte, eljb
citadelle si foible, que le sieur de Gordes ne s'y ItMit
pas en sûretë.
Il dëfit aussi, ëtani en ce lieu , le vicomte de L^Es-
trange , qui, ayant su que ledit marëdial avoit envojë
quelques-unes de ses troupes loger à Privas , âssemÛa
tout ce qu'il put de son rëgiment et des autres , et se
vint loger à Toumon qnin'enestqu'àunearquebosade,
et au fort SaintrAndrë qui en est aussi fort près , pu*
bliant partout qu'il ëtoit rësolndeles tailler en pîèêea.
Le marëcbal y envoya le chevalier d'AIincourt avec
son rëgiment, et La Roqae-Bfassebault avec qntira
cornettes de cavalerie , tons rësolus de les voir de
près. En eflfot ils marchent droit à eux en plein midi,
les attaquent dans leur logement, bien que fort, et
les emportent si vigoureusement t{a'ils en tuent cent
ou six vingts sur la place , prennent le vicomte âm
L^Estrange et huit ou dix officiers, environ cinquante
soldats, et mettent tout le reste en dëronte; ce qû
donna une grande ëpouvante à tout le pays, car U
avoit rëputation d'être dëterminë et mutin : il ëloit
prévenu de beaucoup de crimes , et fut exëculë m
l66 [1632J MÉMOIRES
Pont-Saint-Esprit, et le lendemain le sieur (l'Entra-
gués , et à Lyon le sieur Capistan , qui avoient ëté les
premiers qui avoient exercé des actes d'hostilité et
pris des prisonniers pour Monsieur.
Toutes ces actions qui réussissoient à la gloire du
Roi, et tous les desseins de Monsieur qui avortoient
à leur naissance, commencoientà les étonner et étein-
dre le feu de Tespérance qu'ils avoient conçue de leur
rébellion. Mais ce qui les effraya davantage fut le
bruit de la venue du Roi avec une armée , pour dis-
siper par sa présence toutes les brouilleries qu'ils ex-
citoient, et, par Ta force de ses armes , les contraindre
à rentrer en leur devoir.
Le maréchal de Schomberg pressoit le Roi de se
hâter, l'assurant qu'ils ne subsisteroient pas devant
lui. Mais eux, tout au contraire , faisoient courir le
bruit que Sa Majesté étoit malade à Paris, qu'elle
n'osoit venir, que le roi de Suède étoit défait, que
Maëstricht n'étoit pas en état de pouvoir être pris , et
semblables choses destituées de vérité.
Le Roi , qui vouloit venir, mais qui, au partir de
Lorraine, s'acheminoit à son aise, à petites journées,
à Paris , croyant que le feu que Monsieur allumoit
en son royaume ne seroit qu'un feu de paille , arriva
à Monceaux le 16 juillet , et là apprit , par un courrier,
premièrement l'inclination que le duc de Montmo-
rency témoignoit avoir de suivre le parti de Monsieur,
puis , le 3o , sa déclaration manifeste contre son ser-
vice 5 ce dont elle fut d'autant plus surprise qu'elle
attendoit toute autre chose de lui.
Elle fit incontinent sceller son hôtel à Paris , où elle
fit saisir 55o,ooo livres qui lui dévoient être envoyées
DE RICHELIEU. [lÔSs] 167
le lendemain, qu^elle fit porter en son épargne.
Le peu de prévoyance dudit duc de Montmorency
parut clairement , en ce qu'il attendit à faire venir
son argent après s'être déclaré , au lieu de s'en être
muni auparavant, ou, s'il nel'avoit pu, étoitsi simple
que de le laisser en sa maison ^ mais elle parut bien
encore davantage en deux autres actions : il alla à
Montpellier peu de jours auparavant ^ Fossé , qui ne
faisoit que d'y arriver, l'y reçut sans aucune défiance,
et l'accompagna toujours sans le quitter tant qu'il (ut
dans la ville, de sorte qu'il pouvoit se saisir de sa
personne et de tous ses officiers s'il lui eût plu , et se
rendre, par après, aisément maitre.de la citadelle,
dans laquelle il n'y avoit pas de vivres pour trois jours.
Et peu de jours avant que la ville de Beaucaire eût
pris de lui le soupçon qui la fit déclarer pour le Roi
contre ses adhérens, la foire s'y tenoit, qui est si
grande qu'il y avoit pour plus d'un million d'or de
marchandises, qu'il laissa emporter sans avoir le ju-
gement de s'en prévaloir. Mais Dieu , protecteur des
rois, et qui l'a particulièrement été de Sa Majesté,
laquelle il a toujours défendue depuis ses plus tendres
années contre ceux qui lui ont couru sus, et qui l'a,
comme David , délivré de toutes les embûches de ses
ennemis , l'aveugla , et la Magdeleine qui aime ce
royaume qui l'a reçue en son exil , et avoit rendu
Tentreprise des Anglais malheureuse en la descente
qu'ils firent en l'île de Ré le jour auquel l'église cé-
lèbre sa fête , rendoit aussi infructueuse la rébellion
qu'il fit au même jour.
Tout le conseil fut si surpris de cette nouvelle, et
si plein d'appréhension des mauvais événemens qui
l68 [l63â] MÉMOIRES
ea pouvoient arriver, que, mettant à part toutes les
autres affaires , il pensa qu*il ne falloit s'appliquer qu a
pourvoir à celle-*là seulement.
Mais le cardinal fut d'une opinion contraire, et re-
connut qu'à la vérité le Roi avoit de grandes affaires
sur les bras, premièrement celle de Languedoc, qui
étoit s^s comparaison la plus importaute ] puis, outre
celle-là , rembarquement auquel étoit les armes du
Roi en Allemagne , qu'on n'eût su éviter sans laisser
perdre un électeur catholique qui demandoit secours;
en troisième lieu , l'état où étoit l'armée des Hollan-
dais , qui prendroient indubitablement Maëstricht ,
mais étoient au hasard d'être défaits en se retirant
après le siège , parce que les Espagnols étoient beau-
coup plus forts qu'eux *, puis le dessein de la révolte,
méditée de long-temps par les seigneurs de Flandre ,
laquelle ne pouvoit être abandonnée sans que nous en
reçussions beaucoup de dommage ; et enfin le péril
où étoit Casai , par l'apparence qu'il y avoit que
Toiras , qui sembloit s'en être rendu maître , fût de
l'intelligence de la révolte de M. de Montmorency,
vu que ses frères qui dépendoient de lui y étoient
les plus échauffés *,
Que toutes ces affaires étoient capables d'étonner
d'abord, et faire juger de prime face que pour bien
faire réussir les unes il falloit abandonner les autres.
Cependant qu'après y avoir mûrement pensé , on
ne pouyoit , à son avis , dire autre chose sinon qu'il
n'en falloit abandonner aucune , ains les conduire
toutes aux meilleurs fins qu'il se pourroit, d'autant
qu'il y a cette différence entre les princes et les per-
iQuues privées , que les conseils de ceux-ci doivent
DE RicnELiEU. [i63a] i6g
tendre à ce qui leur est utile et avantageux , mais les
autres doivent avoir en leurs conseils pour principal
but de conserver ou augmenter leur réputation. Or
le Roi ne pourroit abandonner ses autres affaires sans
perdre beaucoup de la réputation acquise y ce qui
apporteroit grand préjudice non-seulement aux af-
faires du djehors , mais à celles du dedans , oul^ que
nous ne pourrions abandonner les affaires d'Alle-
magne sans perdre la bonne volonté des princes et
des électeurs catholiques , ni celles de Hollande sans
que nous en ressentissions le contre-coup, y ayant plus
d'un an que nous savions par avis certains que les
Espagnols n'attendoient autre chose, sinon que le roi
de Suède ou les Hollandais reçussent quelque notable
désavantage pour nous faire la guerre.
Pour ce qui étoitde la révolte projetée en Flandre,
que bien que ce fût une pensée venue purement des
seigneurs du pays qui la méditoieut, si est-ce qu'il
importoit extraordinairement de les aider à faire
réussir leurs desseins, vu que si ces seigneurs ve-
noient à se perdre, les Espagnols seroient par après
plus en élat d'espérer la trêve avec les Hollandais,
et d'entreprendre contre nous pour nous faire le mal
qu'ils projetoient de long-temps. Au reste , que les
mille chevaux qu'ils avoient donnés à Monsieur pour
entrer en France nous donnoient lieu de donner des
gens à ceux des leurs qui se voudroient révolter, sans
que Ton pût prétendre que nous fissions rupture,
s'ils ne vouloient avouer l'avoir faite les premiers ,
contre lesquels il nous étoit permis d'eu prendre re-
vanche , ce que nous devions par raison d'Etat et de
conscience , puisque c'étoit le seul moyen de venir à
170 [l632] MÉMOIRES
une bonne paix que d'incommoder notablement nos
ennemis , vu que s'il leur étoit libre de nous nuire
sans qu'ils en reçussent la riposte , ils continueroient
éternellement pour l'avantage qu'ils auroient de nous
faire du mal sans en recevoir.
Qui plus est, que quand même cette révolte n'au-
roit pas une subsistance de durée, et ne réussiroit pas
à grand effet, il nous suffisoit qu'elle incommodât et
occupât les ennemis , et les empêchât de nous tomber
sur les bras tandis que nous pacifierions les troubles
que Monsieur faisoit en France à leur sollicitation , et
par l'assistance qu'ils lui avoient donnée d'hommes et
d'argent.
Quanta Casai, il y falloit remédier, mais sagement
et délicatement; que les remèdes consistoient à ren-
voyer Gagnot qui partageroitles Français , faire aver-
tir Bivare et Guiscardi par Priandi , en sorte qu'il
témoignât que son soupçon n'étoit que de lui , et
que le Roi et le cardinal étoient aveuglés de la con-
fiance qu'ils avoient en Toiras *, mander à Madame
que le Roi seroit bien aise de la voir à Lyon , tâcher
insensiblement d'y faire venir Toiras sans qu'il pût
juger qu'on le désirât, lui écrire de bonnes lettres
non affectées, découvrir à Servien qu'il étoit bon que
Toiras vînt , lui faire espérer le Languedoc pourvu
que ses frères en fussent ôtés.
Sa Majesté manda au même temps au maréchal de
La Force qui étoit au Pont-Saint-Esprit qu'il se hâtât
de se mettre en campagne , vu que l'affaire du Lan-
guedoc lui étoit fort à cœur, d'autant qu'on ne la
pouvoit négliger sans donner lieu à Monsieur de par-
tager la France , et après l'avoir partagée s'en rendre
DE RICHBUEU. [l63a] I7I
maître , étant certain qne s'il avoit trois bonnes places
déclarées pour lui dans le royaume, il lui seroit plus
aisé d'ébranler le royaume ayec le temps que d'en
acquérir une médiocre, et que ce feu qui étoit allumé
u'étoit point si petit qu^ ne pût enfin ébranler tout
TEtat si on ne Téteignoit promptement«
Le 6 août le cardinal représenta au Roi que Te&trée
de Monsieur dans le Languedoc, et la révolte de
M. de Montmorency , étoient de grande conséquence
si elles étoient négligées , et n'étoient rien si elles
étoient poussées vertement et considérées comme il
faut; que nul ne fait un si hardi coup en matière de
faction que celui qui la commence et se déclare le
premier, et partant qu'il falloit bien se donner garde
de donner temps à beaucoup d'esprits mal contens de
suivre l'exemple de M. de Montmorency ; qu'en telles
afiisûres on s'étoit toujours servi de la peau du lion et
du renard , c'est^à'-dire- qu'en agissant fortement et
promptement par les armes il falloit détacher les con-
jurés les uns des autres, pardonner aux uns pour
châtier les antres, et particulièrement les principaux
auteurs du mal;
Qu'il étoit certain qu'il n'y avoit point de remède
si efficace et si prompt pour mettre les rebelles à la
raison que la présence du Roi , mais qu'il se falloit
bien donner garde de s'avancer de delà qu'on n'assu*
rit si bien tous les côtés de deçà et toutes les pro-
vinces de la France, qu'il ne pût arriver aucun nou-
veau mouvement, soit du dehors soit du dedans, qui
contraignit Sa Majesté de reculer, quand elle seroit,
avancée ;
Que pour ce qui étoit du dehors , il falloit pour-
Ï'J2 [1632] MÉMOIRES
voir au paiemeut du roi de Suède , à qui il falloit
donner cinq cent mille livres; à celui des Hollandais,
auxquels on s'ëtoit obligé de donner un million de
livres cette année; au duc de Bavière , à qui Ton
a voit promis trois cent mille livres ; à Tentretènement
des troupes qui étoient aux Grisons, et à celui de
celles qui sont à Casai et à Pignerol ;
Qu'ayant satisfait à ces paiemens, on estimoit qu'il
ne pouvoit arriver de mal du dehors, vu que le
voyage du sieur de Hautem assureroit la continua-
tion de la guerre du côté des Hollandais , et que la
négociation de Carondelet et de Berruyer causeroit
apparemment de nouvelles affaires à ceux qui nous
en vouloient donner ;
Que pour le dedana, il falloit laisser le comman-
dement de Paris, Orléanais, Blaisois, Beance, Cham-
pagne , Picardie et Normandie à M. le comte, n'étant
pas besoin d'une moindre autorité que celle d'un
prince du sang pour contenir cette maîtresse ville
et les provinces circonvoisines ;
Qu'il falloit qu'avec M. le comte demeurassent
M. le maréchal de Saint-Luc , de Senneterre, de Hau-
terive, d'Aluye : s'il y avoit quelque afiaire dans la
Picardie où M. le comte n'eût pas besoin d'aller, le
maréchal de Chaulnes agiroit ;
Si en autre province, comme Normandie, il em*
ploieroit M. de Saint Luc ;
Qu'il falloit laisser des commissions entre ses mains
pour lever six régimens , s'il en étoit besoin , et six
compagnies de chevau-légers ;
Qu'il falloit laisser en Picardie un corps de six mille
hommes et cinq cents chevaux pour être prêts à s'op*
DB RicffBLnu. [i63a] 1^3
poser à quoi qai pût arriver en ces quartiers* Ui ;
Qu'il fiilloit laisser fonds effectifs pour leur paie*
ment , parce qu'autrement ils se dëbanderoient et
iroient aux ennemis ;
Qu'il falloit aussi laisser fonds pour les garnisons de
Picardie, et commission particulière au sieur de Saint-
Chamont de 1er visiter de temps en temps et les faire
tenir complètes;
Qu'il falloit laisser une compagnie de carabins an
sieur de Feuquières , et une au sieur de Yaubeconr ,
pour cpie chacun de son cdtë pût empteher sur la
frontière de Champagne qu'il n'j arrii^t aucun dé*
sordre, et ordre à tous les deux de visiter les garni-
sons et les faire aussi tenir complètes ;
Qu'il ëtoit encore du tout nécessaire de laisser
pouvoir à M. le prince pour aller en la Touraine, le
Poitou, Aunis, Limosin, la Marche, Saintonge,
Angoumois, Përigord, Qoercf, Auvergne, et lui
donner une compagnie de carabins qu'il ne mettroit
point sur pied S'il n'en ëtoit de besoin , et une de
chevau-lëgers pour aller diligemment dans toutes
ces provinces l'une après l'autre ;
Qu'il falloit laisser M. de Yignoles avec M. le
prince qu'il emfdoieroit en Poitou s'il en ëtoit de
besoin;
Après quoi M. le prince retourneroit en Bourgogne
faire parachever le procès commencé centre les grands
qui étoient sortis de la France avec Monsieur , ce
qu'il promettoit de faire terminer pourvu qu'on con--
tinuât le parlement, avec défense de travailler à quel-
que autre affaire que ce pût être que ptemièrement
celle-là ne fût vidée.
1^4 [l632] MÉMOIRES
Par ce moyen il y avoit apparence qu'il contiçn-
droit tout ce qui seroit de l'étendue de sa commis-
sion , ou autrement il se trouveroit force gens qui se
révolteroient , principalement s'il arrivoit quelques
bons succès aux ennemis.
Qu'il falloit en outre considérer tous les mauvais
esprits qui n'ayant point de charges-auprès du Roi. en
,pouvoient chercher ailleurs , et les gouverneurs qui
étoient plus aisés à être disposés à faire faux bond à
leur conscience et manquer à leur devoir \
Qu'il falloit diviser et séparer les premiers, leur
donnant des emplois qui les occupassent, et où ils ne
passent mal faire, et donner de si bons surveillans
aux derniers, qu'ils ne pussent être emportés par leur
mécontentement quand ils s'y voudroient aban-
donner;
Que , cela fait , il étoit du tout nécessaire que le
Roi portât diligemment sa personne vers les ennemis,
l'éclat de sa présence étant capable de confirmer les
bons , contenir les douteux , et défaire les déclarés
plus que des armées puissantes ; .
Que de deux chemins qu'on peut tenir, l'un par le
Limosin pour aller au haut Languedoc , l'autre par
Lyon pour descendre au bas Languedoc, il valoit
micfux prendre le dernier, pour trois raisons princi-
pales :
La première , que Beaucaire étant en dispute à qui
l'aura , et la personne de Monsieur en étant proche ,
il falloit porter le remède au mal ;
La seconde étoit que la déclaration des frères de
Toiras donnant soupçon que lui et M. de Savoie
fussent, au moins sous main, de l'intelligence pour se
DE RICHELIEU. [l632] l'jS
déclarer s'il arrivoit quelque événement du tout fa-
vorable, il étoit beaucoup meilleur d'aller en lieu où,
étant entre eux et les ennemis, on les empêchât de
pouvoir faire éclore leurs mauvais desseins , qui pé-
riroient en eux-mêmes si Ton avoit un prompt et
favorable événement ;
La troisième étoit que M. le prince étoit capable
de faire ce qu'il falloit iaire dans le Limosin et autres
provinces circonvoisines par où le Roi passeroit , et
que nul ne pouvoit faire vers Beaucaire les effets
requis que la seule présence de Sa Majesté;
Qu'il étoit encore à considérer que M. le maréchal
de Schomberg étant dans le haut Languedoc , il étoit
suffisant pour confirmer Narbonne et peut-être sau-
ver Albi , puisque l'effort des ennemis n'y alloit pas ,
et, qui plus est, pourroit s'opposer aux Espagnols
s'ils vouloient descendre des montagnes par le Rous-
sillon , ce qui faisoit que la présence du Roi étoit bien
plus utile vers Beaucaire, tant pour les raisons sus-
dites que parce en outre que si les Espagnols ten-
toient une descente par la Provence ou autres lieux
voisins du Languedoc, Sa Majesté seroit proche pour
s'y opposer.
Ces choses ayant été ainsi ordonnées, le Roi vint
à Paris le 1 1 août, et le lendemain alla au parlement,
où il fit vérifier une déclaration par laquelle , repré-
sentant c[ue Monsieur étoit contre toute raison entré
hostilement en ce royaume, après avoir sollicité tous
les princes voisins de l'assister d'hommes et d'ar-
gent pour entreprendre contre son État , et avoit ,
par son placard du i3 juin , déclaré que ce qu'il en
faisoit étoit pour le salut de la France, qu'en termes
196 [l63'j] MÉMOIRES
préjudiciables à la réputation de Sa Majesté il repré-
sentoit être en état déploré , en imputant la faute au
cardinal , quoique sa fidélité , son zèle et Futilité de
ses services soient tellepient connus qu*il faudroit être
envieux de la gloire de Sa Majesté et de la prospérité
de ses affaires pour publier le contraire, Sa Majesté,
pour y pourvoir , déclaroit , en confirmant ses pré-
cédentes déclarations du 3i mars et 10 août i63i,
tous ses sujets, de quelque qualité qu'ils fussent , qui
étoient avec ledit sieur son frère, ou iroient avec lui
et Tassisteroient directement ou indirectement, re-
belles, criminels de lèse-majesté et perturbateurs du
repos public. Et pour le regard dudit sieur son frère ,
elle promettoit que , si dans six seitaines après la pu-
blication des présentes , il avoit recours à sa bonté ,
et licencioit toutes les troupes étrangères et autres qu'il
avoitaveclui, et cessoit tous actes d'hostilité, de guerre
et d'entrepi^se sur ses places , et le venoit trouver ,
ou envoyoit vers elle dans ledit temps pour se re-
mettre entièrement en son devoir , elle oublieroit ses
fautes passées, le recevroit en sa grâce et le rétabli-
roit, comme elle faisoit dès lors audit cas, en tous ses
biens , apanages , pensions et appointemens , et lui
feroit si bon traitement qu il auroit tout sujet de se
louer de sa bonté, se réservant, ledit temps passé, au
cas qu'il persistât aux mauvais desseins qu'on lui avoit
fait prendre , d'ordonner contre lui ce qu'elle estime-
roit devoir faire pour la conservation de son Etat,
sûreté et repos de ses sujets , conformément aux or-
donnances du royaume et à ce qui s'étoit pratiqué
par ses prédécesseurs en semblables occasions. Cette
déclaration fut vérifiée au parlement de Toulouse le
DE RICUEUEU. [l632] l'jj
3o du mois ; elle étoit bien douce euvers Monsieur,
et tënioignoit une grande modération en la conduite
et en Tesprit du Roi , si nous considérons Ténormité
de sa faute et la sévérité avec laquelle les rois ses
prédécesseurs ont procédé en semblables occasions ;
car de croire que , pour être fils ou frère du Roi ou
prince de son sang, ils puissent impunément troubler
le royaume , c'est se tromper.
Il est bien plus i^aisonnable d'assurer le royaume
et la royauté que d'avoir égard à leurs qualités qui
donneroient impunité, et par ce moyen engageroient
diverses personnes contre le Roi et contre TEtarpar
une mauvaise disposition quasi naturelle et com-
mune h tous sujfts qui estiment profiter dans les
changemens.
Les fils , frères et autres parens des rois sont sujets
aux lois comme les autres , et principalement quand
il est question du crime de lèse-majesté, qui est si
important, que même, suivant la disposition de la
loi , celui qui en est coupable par une simple pensée
est digne de punition.
L'abolition accordée par le roi Jean à Charles , duc
de Normandie , son fils aine , depuis Charles v, et au
roi de Navarre, gendre dudit roi Jean, qui s'étoit
voulu retirer vers l'Empereur , montre avec quelle
rigueur les rois ont procédé en telles rencontres; car
Tabolition va bien avant, et fait voir clairement que
les princes du sang, en quelque degré qu'ils soient,
sont assujétis , sans distinction des autres sujets du
Roi , aux lois du royaume.
Henri m , l'an 1575 , ne fit point de difficulté d*en-
voyer des lettres de cachet à la noblesse de son
T. %i. 12
1^8 [l63a] MÉMOIRES
royaume , sur la sortie de sa cour du duc d'Alençon
son frère , à ce qu'on le prît et arrêtât en quelque lieu
qu'on le trouvât , et commanda à toute sa noblesse de
monter à cheval.
Quant aux autres princes du sang plus éloignés que
les fils et les frères , les rois ont encore procédé contre
eux avec plus de rigueur.
Philippe de Valois, Tan i336, déclare Robert d'Ar-
tois , prince du sang , son ennemi mortel , défend à
ses sujets de l'assister, commande de le prendre et
de l'arrêter, sous peine de confiscation de corps et de
biens.
Charles v, l'an 1378 , fait ajourner Jean de Mont-
fort, duc de Bretagne, à compatir en personne,
ordonne qu'on verra l'ajournement fait à la requête
du procureur général , et qu'il sera fait droit sur ses
conclusions.
Du temps de Charles vi , en l'an i44' 9 î^ 7 ^^^ ^^^
déclaration contre le duc d'Orléans son neveu , le
comte de Bourbon et le duc d'Alençon , princes du
sang, par laquelle ils furent déclarés rebelles et
désobéissans au Roi et à la couronne, et avoir forfait
corps et biens.
Il se trouve aussi un lit de justice de Charles vu ,
l'an 1456, contre Jean 11, duc d'Alençon, prince du
sang , et l'arrêt de mort donné contre lui et ses biens
confisqués , à cause des pratiques qu'il avoit en An-
gleterre.
Le roi François i fit décréter prise de corps contre
le connétable de Bourbon^ Lizet, avocat général,
soutint qu'en crime de lèse-majesté notoire, il n'étoit
requis de garder forme de procès et ordre judiciaire.
DE RICHELIEU. [l632] I79
et qu*auâit cas le vrai ordre étoit de n'y garder point
d'ordre, et requit que ledit connétable eût la tête
tranchée et ses biens confisqcCs.
Et en notre temps, Tan i6i5, M. le prince et tous
ceux qui Tassistoient furent déclarés déchus de tous
honneurs , états , offices , pouvoirs , gouvernemens ,
charges, pensions, privilèges et prérogatives, déclarés
désobéissans , rebelles et criminels de lèse-majesté ,
et que comme tels il seroit procédé contre eux , tant
en leurs personnes c[ue leur mémoire et postérité.
Ces procédés-là sont bien justes, mais néanmoins
bien rigoureux en comparaison de celui dont le Roi
usa envers Monsieur , dont la faute ne peut pas seu-^
lement être dite moindre , mais non pas même égale,
vu qu'à qui la considérera bien , elle la surmonte de
beaucoup^ et néanmoins le Roi , ni ne le déclara cri-
minel , ni ne décerna aucune peine contre lui , mais
se contenta simplement de le convier à rentrer en
son devoir , lui promit de le recevoir en sa grâce et
de lui faire toutes sortes de bons traitemens , lui don-
nant seulement à entendre que,s*il y manquoit et
méprisoit les offres fraternelles qu'il lui faisoit , il se«
roit contraint de procéder contre lui selon les lois de
son royaume.
Tandis qu'il étoit dans le royaume et Tattaquoit
d'un côté par armes , il soUicitoit d'autre part les es-
prits à rébellion par un grand nombre de libelles dif-
famatoires, que l'on semoit dans Paris et autres villes
du royaume.
Le Roi commanda qu'on les fit brûler par la main
du bourreau ; ce qui se fit en divers temps, selon que,
de jour à autre , on en envoyoit de nouveaux. Un
12.
l8o [1682] MÉMOIRES
nommé Le Venant, qui avoit été des gardes de la
Reine-mère, eut la tête tranchée au quartier de Saint-
Paul , par arrêt de la chambre de justice étabUe à
TArsenal, pour avoir semé et affiché quelques-uns
desdits placards et libelles, la plupart desquels étoient
composés par Saint-Germain (0, et pleins de son venin
ordinaire.
Un valet de chambre du père Chauteloube fut par
le même arrêt condamné aux galères perpétuelles.
Quelque temps auparavant , La Yieuville avoit été ,
par la chambre de justice établie à T Arsenal , con-
damné à avoir la tête tranchée et ses biens confisqués
au Roi, comme criminel de lèse-majesté, pour être
sorti hors du royaume, et allé trouver Monsieur
et la Reine-mère, contre les défenses portées par la
déclaration du Roi du 12 août i63i , et convaincu
du meurtre commis en la personne du feu sieur de
Poitrincourt.
Le duc de Rouanez fut aussi par la même chambre
condamné à avoir la tête tranchée , ses biens acquis
et confisqués au Roi , pour crime de £sLusse monnoie
et exposition d'icelle.
Peu après , Sa Majesté étant à Cosne W fit aussi
(i) Saint' Germain : Mathieu de Marque , tibbé de Saint-Germain ,
deTÎnt par la suite premier aumônier de la Reine-mère. U joua un grand
rôie dans la cour de cette princesse. — (q) Sa Majesté étant à Cosne :
Au moment où le Roi alloit quitter Paris, la princesse de Gucmenë,
maîtresse de Montmorency, vint trouver Richelieu, a Monsieur, lui
« dit-elle, tous allcx en Languedoc, souvcnei-TOus des gr>Q<Ies marques
« d^attachement que M. de Montmorency tous a donnéa il n'y a pas
< loug-temps. Vous ne pouvez les oublier sans ingratitude. — - Ma-
te dame , re'pondit froidement Richelieu, je n'ai pas rompu le premier. »
Cette princesse e'toit proche parente de madame de CheTrense , autrefois
épouse do connétable de Lnynes ; et madame de Moiterîlltf prétend que
DE RICHELIEU. [iGSs] l8l
une déclaration contre le duc de Montmorency, par
laquelle , représentant Tinsispe infidélité qu'il avoit
commise , il le déclaroit criminel de lèse - majesté ,
déchu de tous grades , dignités et honneurs, la duché
de Montmorency éteinte et réunie à la couronne, et
tous ses autres biens confisqués , et ordonné c[ue son
procès lui seroitfait et parfait en sa cour de parlement
de Toulouse, nonobstant le privilège de pairie dont
elle le déclara indigne et déchu, cassa tout ce qui
s'étoit fait en l'assemblée des États tenus à Pésenas ,
et ordonna que tous ceux qui y avoient signé se pré-
senteroient, quinze jours après la publication de ladite
déclaration, audit parlement de Toulouse, ou au plus
proche présidial de leur demeure, et y présente-
roient requête pour y être reçus à désavouer tout ce
qui avoit été fait , consenti ou signé par eux en ladite
assemblée -, à faute de quoi elle les déclaroit rebelles
et criminels de lèse-majesté.
Un nommé Valette Sevignac , que la Reine-mère
avoit envoyé vers Monsieur en Languedoc pour lui
faire plusieurs propositions, et que Monsieur renvoyoit
à Bruxelles , fut pris peu de jours après passant à
Roanne, pour avoir tué un postillon. On apprit de
lui qu'on devoit prendre garde à messieurs de Bouil-
lon et de Lorraine, pource qu'il avoit charge de.
prier la Reine de les presser de reprendre de nouveau
son parti, et de la solliciter de s'acheminer droit à
Paris avec trois mille hommes qui étoient en Alsace
sous le commandement de Ternier , trois mille
ce mtnisire avoit en la folle idée de la marier avec Louis XIII » après
aroir fait répudier Anne d^Aotriche. « Ce'toit , dit madame de NotM-
c Tille y U plus belle femme de la coar. »
lH% [1632] MÉMOIRES
hommes qu'elle devoit lever sous son régiment, et la
cavalerie qui lui avoit été offerte par Walstein.
Il dit aussi en termes exprès qu'il avoit charge par-
ticulière de remercier Tlnfante des bons traitemens
qu'elle avoit faits à Monsieur , et lui dire qu'en re-
vanche , dans peu de temps , il lui pourroit offrir un
royaume, et de dire le même àMirabel qu'il présup-
posoit y être encore , l'assurant que bientôt il pour-
roit reconnoitre les obligations qu'il avoit à son maître
avec toute la France, dont il lui faisoit offre.
Et étant enquis sur lie sujet du duc de Montmo-
rency, il dit que l'ayant vu à Beaucaire avec une
écharpe bleue et isabelle, il lui dit qu'il ne la quitte-
roit jamais qu'il n'eût mis le tyran par terre, et que
si le Roi venoit en Languedoc il n'y pourroit de-
meurer quinze jours -, et néanmoins il ne laissa pas
de faire traiter avec le cardinal , et lui envoya Can-
diac, conseiller en la chambre de l'édit de Castres,
qui arriva près de lui le 17 août, pour lui propo-
ser de sa part un accommodement , non qu'il eût
dessein de le conclure , mais pour avoir le temps
de fortifier son parti, et retarder tant qu'il pourroit la
venue du Roi qu'ils appréhendoient tous.
Mais Dieu y pourvut , car le Roi arrivant à Lyon
apprit la nouvelle que , dès le premier combat fait
entre les armes de Sa Majesté et l'armée de Monsieur
près de Castelnaudary , le premier septembre, ledit
duc de Montmorency avoit été pris prisonnier. Ce
combat fut sur le sujet du château de Saint-Félix de
Carmaing que les ennemis ayant surpris, la ville ap-
pela le maréchal de Schomberg à son secours, qui y
va , y loge quelques troupes et investit le château. Le
DE HfCUELlEU. [l632j l83
duc de Montmorency vient pour le défendre avec
deux mille hommes de pied , trois mille chevaux ,
quantité de noblesse volontaire et trois canons ; la
présence de Monsieur les encourageoit encore.
Le maréchal de Schomberg , pour n'être pas obligé
de diviser ses forces qui étoient beaucoup moindres,
hâta la prise du château , donnant 10,000 livres de
son argent à celui qui le tenoit , de sorte qu'avec tout
ce qu'il avoit de troupes il eut loisir d'aller au
devant dudit duc jusqu'à Castelnaudary pour empê-
cher qu'il ne s'en saisit.
Le marquis de Brezé, qui conduisoit la tête de
l'armée , averti par un gentilhomme du pays que par
le chemin qu'ils tenoient il falloit qu'ils passassent
sur un pont fort long, que celle des ennemis en étoit
proche, et sembloit qu'ils eussent dessein de nous
charger à demi passés, en vint donner avis audit
maréchal , et qu'il avoit reconnu sur le même ruis-
seau un bon passage à deux mille pas plus haut.
Cet avis fort judicieux fut reçu et loué par le maré-
chal ^ les troupes du Roi par ce moyen passèrent ce
ruisseau sans péril, et choisirent un champ de bataille
fort avantageux , environné de grands fossés tout à
Tentour qui lui servoient de retranchement.
Il n'avoit que mille chevaux , quatre cents mousque-
taires du régiment des gardes, et trois cents hommes
en six compagnies du régiment de Chamblay , com-
mandés par La Motte Houdancour, de qui ledit ma-
réchal rend ce témoignage, que, sur son honneur , il
est homme c|u'on ne peut assez payer.
Les ennemis prirent le leur aussi fort avantageux
pmir rinfanterie.
i84 £i63a] MÉMOiBEs
Les Lauriers et Beauregard-Champrou trouvèrent
un passage fort difficile pour sortir du champ avec
leurs escadrons^ ils sautèrent dans le chemin, où le
duc de Montmorency les vint charger avec cent
maîtres. Ils furent soutenus courageusement, et notre
infanterie qui tiroit sur eux en mit beaucoup hors
de combat ^ ledit duc y fut blessé , et , abandonné de
la plupart de ceux qui Taccompagnoient , trouva
moyen d'entrer avec cinq ou six seulement qui le
sui voient dans notre champ de bataille où il donna
quelques coups d'épée et de pistolet, reçut dix bles-
sures^ et, son cheval étant tombé sur lui, fut pris pri-
sonnier et porté sur une échelle avec un ais dessus et
quelques manteaux à Castelnaudary , où il fut pansé
de ses plaies , et permis à la Roche-Dagon et à So-
deille de l'aller voir» Le reste de Tarmée de Monsieur,
comme si elle eût été frappée d'un coup de foudre en
la prise dudit duc, se retira sans combattre.
Le lendemain, lorsqu'il n'étoit plus temps, Mon-
sieur envoya par un trompette demander bataille au
maréchal de Schomberg , qui lui répondit qu'il ne la
lui donneroit point, mais que , s'il le rencontroit , il
essaieroit de se défendre contre lui. Il perdit plusieurs
personnes de qualité en ce combat, entre lesquelles
furent les comtes de Moret, deRieux et de La Feuil-
lade ] le comte de Bueil et plusieurs autres de condi-
tion furent prisonniers : la perte de notre côté fut
peu considérable ^ il semble que Dieu les voulût
punir en ce combat , parce qu'ils avoient résolu
entre eux et protesté de tuer tout et ne faire aucun
prisonnier.
Le maréchal de Schomberg cependant se trouvoit
D£ RICHELIEU. [1682] l85
i'oi l en peiae du lieu où il devoit envoyer ledit duc
pour y être sûrement , car les ennemis n'avoient au-
cun dësir si ardent que de le sauver. Il n'osoit le
laisser à Castelnaudary pource que la place ue vaut
rien; de Tenvoyer à Toulouse, il craignoit les parti-
sans qu'il y avoit en grand nombre; Carcassonne
étoit trop frontière; il choisit enfin de le mener à
Lectoure, et logea aux environs huit cornettes de
cavalerie. Il conseilla même au Roi que si on lui
vouloit faire faire son procès , ce ne fût pas à Tou-
louse, à cause de Tamitié qu'on lui portoit, mais à
Lectoure, qui , bien qu'il soit du gouvernement de
Guienne , est néanmoins du ressort du parlement de
Toulouse. Il supplia Sa Majesté de lui envoyer un
lieutenant des gardes du corps avec une douzaine
d'archers pour le garder, et que cependant il en
commettroit le soin à ceux de sa maison, d'autant
que la plupart de ceux de l'armée à qui il en eûtpn
donner la garde pleuroient en le voyant et plaignoient
sa disgrâce.
Après qu'il eut été gardé quelque temps à Lec-
toure , il eut si grande crainte qu'on le laissât échap-
per, qu'il supplia le Roi de lui envoyer de ses propres
ofliciers pour le traiter, appréhendant que quelqu'un
de ceux qui l'avoient servi jusqu'alors lui donnât
moyen de se sauver. Ensuite il fit sortir tous ses
officiers, tant de la ville que du château , et lui laissa
seulement son médecin , son chirurgien et son apo-
thicaire.
Dès que ceux d'Albi eurent nouvelle de sa prise ,
ils chassèrent leur évéque et cinq cents hommes de
garnison qu'il avoit dans la ville , et se remirent au
l86 [l63!%] MÉMOIRES
service du Roi. Les jésuites et les capucius, qui, à
cette nouvelle, avoient animé le peuple pour les chas-
ser, demandèrent sa bibliothèque qu'on leur accorda.
Tous ceux du pays commencèrent à se retirer du
parti de Monsieur, et n*y avoit petit bourg fermé de
murailles qui ne lui fermât les portes , ni ville qui
auparavant Teût suivi qui ne le voulût quitter.
Montfrin se rendit dès le 6 , et le château de Beau-
Caire, Bagnols ,Le Teilqui est sur un lieu très-diffi-
cile à y mener le canon*, Alais suivit incontinent, et
Lunel, dont Tévéque de Nîmes empêcha tant qu'il put
la reddition, Frontignan , Villeneuve, Balaruc, Mèze,
Pésenas , Agde, Capdenac, Maguelone , Montignac ,
Brescou-, Béziers se rendit le 19 septembre ; Mon-
sieur y ayant voulu aller avec ses troupes , les portes
lui furent refusées.
Retournons maintenant trouver le Roi que nous
avons laissé à Lyon, où il apprit la défaite de Castel-
naudary et la prise de Maëstricht , que Pappenheim
avoit promis de secourir au péril de sa vie, ce que
néanmoins il n'avoit pu faire , s'étant contenté d'avoiy
attaqué par deux fois le retranchement des Hollan-
dais et s'en être retiré avec perte , emportant avec
lui toute l'espérance des assiégés qui se rendirent
quatre jours après , savoir est le 2a août.
Sur le sujet de la journée de Castelnaudary, le Roi,
à l'heure même qu'il le sut, au lieu d'en tirer gloire
et s'emporter en des pensées de vengeance contre
ses sujets rebelles , se retourna à Dieu , de la bonté
duquel seul il reconnut avoir reçu cette grâce, de la-
quelle il crut devoir prendre aussi occasion de bien
faire à ceux (|ui s'étoient éloignés de leur devoir, et
DE BICH£LIEU. [l63a] tS?
dès le jour mémeil envoya le rieur d'Âiguebonne 'vert
Monsieur, son frère , pour lui dire que continutnl sa
bontë envers lui , et ne voulant tirer autre avantage
des succès qu'il plaisoit à Dieu lui donner que ceux
qu'il devoit désirer lui-même pour son propre bien^
il lui avoit commandé de le venir trouver et lui offrir
de sa part , au cas qu'il voulût reconnollre sa iaute
et renoncer à toutes intelligences et factions, tant de*
dans que dehors le royaume , de le bien recevoir et
bien traiter, avec sa maison , dans sa cour, et frire
exécuter de bonne foi ce qui étoit en sa dernière dé-
claration, le remettant en ses biens ainsi qu'il étoit
porté par icelle.
Que si Monsieur aimoit mieux demeurer en antre
lieu que Sa Majesté pût accepter comme ne lui étant
point suspect, elle Tapprouveroit et lui laisseroit
aussi la libre jouissance de son bien.
Que Sa Majesté rétablirait le duc d'Elbeuf en ses
biens , et feroit le semblable de tous ses domestiques
qui étoient présentement près de sa personne, accor-
dant à tous les abolitions nécessaires pour leurs per-
sonnes et leurs biens.
Mais pource que les Espagnols avoient ri ouverte-
ment assisté Monrieur, Sa Majesté écrivit ausri à
Berruyer, qui étoit pour son service près du prince
d'Orange , pour lui donner avis du succès de sesditet
affaires en Languedoc , qui étoit tel que Sa Majesté
ayant gagné le combat dont on lui envoyoit la re*
lation , il n'y avoit plus de villes qui tinssent que
Réziers, qui n'attendoit que l'approche de Sa Majesté
pour se rendre; que Sa Majesté espérait avoir fait
tout son voyage en fort peu de temps et être de retour
i88 [i63a] MÉMOIRES
à Paris un peu après la Toussaint \ que les Espagnols
s^étoient si mal gouvernés en toutes ces occasions
envers elle , qu'elle ëtoit résolue de leur procurer le
plus d'affaires qu'il seroit possible , et d'entendre et
soutenir fortement la rébellion des seigneurs du pays^
conjointement avec messieurs des Etats.
Que Sa Majesté lui avoit voulu donner cet avis
afin qu'il lui fit savoir ce qu'il pouvoit et voudroit
faire de son côté, Sa Majesté étant résolue de donner
hommes et argent auxdits seigneurs pour continuer
leur dessein.
De plus , Sa Majesté donna ordre audit Berruyer
de dire audit prince d'Orange que la révolte étant
commencée , le Roi ne feroit pas de difficulté d'en-
trer dans l'Artois au commencement du printemps.
Qu'il revint bien instruit des intentions du prince
d'Orange , de ce qu'il pourroit et voudroit faire de
son côté, afin qu'on prit de bonnes et fortes résolu-
tions sur ce sujet.
Elle manda aussi au sieur de Hauterive qu'il ne fit
point de difficulté de donner deux mille pistoles au
gouverneur d'Avesnes, parce que qui prend s'engage.
Qu'il assurât tous les confédérés de gens pour dé-
fendre leurs places s'il en étoit besoin ; s'ils avoient
besoin de munitions de guerre, qu'il leur en fit
donner;
Qu'il les engageât autant qu'il pourroit à la révolte
qu'ils avoient tant de fois proposée , vu principale-
ment que Maëstricht étoit pris , et que le Roi avoit
défait tous ses ennemis dans le Languedoc, où il éta-
bliroit si puissamment son autorité que personne ne
sauroit plus remuer en France à l'avenir^
DE RICHELIEU. [lÔSn] 189
Qu*il fit entendre à Carondelet et aux siens que
s'ils commençoient une puissante révolte maintenant,
cela donneroit lieu au Roi d'entrer en Artois au prin-
temps ouvertement, au lieu que s'ils ne satisfaisoieut
k aucune des promesses qu'ils avoient faites, on ne
feroit aucun fondement sur quoi quils puissent dire
par après ; en un mot , que s'ils n'ëtoient en état de
faire une puissante révolte pour lors , il les disposât à
la faire au printemps puissamment.
Le prince d'Orange ayant reçu ces avis , et en ayant
conféré par plusieurs jours avec messieurs les États ,
ils résolurent d'y entendre à bon escient, et prièrent
le sieur de Baugis , ambassadeur de Sa Majesté auprès
d'eux , de l'aller trouver pour conférer avec elle de
leurs pensées et convenir exactement de l'ordre que
de toutes parts, de France, de Hollande et des sei-
geurs flamands révoltés , on devoit tenir en cette af-
faire. Mais, quand on eut bien arrêté toutes choses»
il se trouva que le pouvoir de ces seigneurs flamands
n'égaloit pas leur volonté-, ils ne se purent jamais
rendre maîtres que de Bouchain en Cambresis , en-
core pour peu de temps, de sorte que toutes leurs
propositions, par leur foiblesse et l'imprudence de
leur conduite , laquelle par la trop bonne opinion
qu'ils avoient d'eux ils ne ménageoient pas avec
l'adresse et le secret qui yétoit requis, joint le bon
ordre qu'y mit l'Infante , se réduisirent à rien.
Comme le Roi , par un excès de bonté et de géné-
rosité, avoit tnvoyé Aiguebonne vers Monsieur, mon-
dit sieur avoit aussi, trois jours après la prise du dac
de Montmorency , dépéché Chaudebonne vers Sa Ma-
jesté , avec charge de lui faire quelques propositions
igO [1682] MÉMOIRES
moyennant ragrëment desquelles par Sa Majesté il pro-
mettoit de rentrer en son devoir. Mais elles témoi-
gnoient bien que le Roi et Monsieur étoient conduits
par difTërens esprits, car autant ce que Sa Majesté
demandoit étoit plein de justice et de modération,
autant les propositions que le conseil de Monsieur
lui faisoit faire étoient extravagantes et déraison-
nables. Il sembloit qu'il parlât Tépée à la main et eu
victorieux, au lieu qu'il étoit à la miséricorde du
Roi. Il demandoit la liberté du duc de Montmorency,
et le rétablissement, tant de lui que de ceux qui
avoient suivi son parti et de la Reine-mère , dans
leurs charges , biens et gouvernemens , et même abo-
lition pour quelques-uns des crimes qu'ils avoient
commis avant que l'avoir suivi ; une place de sûreté
pour lui comme La Fère, Laon, Verdun , Béziers , où
il se pût tenir avec une garnison raisonnable , et la
Reine-mère aussi , ou en telle de ses maisons qu'il lui
plairoit^ la restitution des places du duc de Lorraine ,
un million de livres pour payer ce qu'il avoit em-
prunté dudit duc ou des Espagnols, la révocation du
jugement contre la du Fargis . et que surtout les
troupes de Sa Majesté ne s'avançassent pas davantage
vers lui.
Sa Majesté dit à Chaudebonne que, venant d'une
armée ennemie et pleine d'Espagnols, elle désiroit
que les sieurs Sanguin et de Varennes l'observassent.
Le i4 septembre. Sa Majesté étant au Pont-Saint-
Esprit , elle le dépécha à Monsieur, et lui manda que
ses propositions étoient si peu convenables à sa di-
gnité , au bien de sou État et au sien propre , qu'il ne
pouvoit lui mander autre chose sur ce sujet que ce
DE lilGIlELlBU. [i63at] igi
(|u il lui avoit fait savoir par le sieur d'Aiguebonne
pour témoignage de son affection , de laquelle il le
prioit se disposer à recevoir des effets, et qu'en ce
cas il oublieroit tout le passé de bon cœur.
Le 17 , le comte de Brion arriva au Pont-Saint-Es-
prit , apportant deslettres de Monsieur au Roi , du i/\^
par lesquelles il le supplioit d'arrêter quelque temps
en un lieu, afin que mondit sieur eut le loisir de dis-
poser toutes choses pour se soumettre à ses volontés.
Sa Majesté le fit mettre dans la citadelle dudit lieu
où elle étoit , où , ayant demeuré trois heures , elle
renvoya quérir , prit ses lettres , le renvoya , et lui
fit faire défense , à lui et à tous ceux du parti de Mon-
sieur , de revenir plus en sa cour sans sauf-conduit.
Auparavant que le Roi l'eût dépéché , Chaudebonne
revint , pour la seconde fois , trouver le Roi , et arriva
le 19 audit lieu, pour supplier Sa Majesté de la part
de son altesse de lui envoyer quelqu'un en qui elle
eût confiance, pour conférer avec lui du désir qu'il
avoit de rentrer en ses bonnes grâces , et des moyens
nécessaires à cette fin -, et que , pour assurance que
ceux que Sadite Majesté enverroit ne recevroient
aucun déplaisir, Monsieur enverroit des otages entre
les mains de qui il lui plairoit pour demeurer jusques
à leur retour ^ ce qui fit résoudre le Roi d'y envoyer
M. de Bullion et le marquis de Fossé.
Monsieur envoya pour otages le sieur de La Ferté-
Imbault , du Coudray , Montpensier et de La Vaupot ,
qui furent mis en sûreté dans la citadelle de Mont-
pellier où le Roi arriva le 22.
Cependant Monsieur se trouva en grande peine ; il
étoit à Bézicrs, et eut volonté de s'assurer de la ville :
192 [l632] MÉMOIRES
ceux qui y commandoient ne lui celèrent pas quMIs
étoient serviteurs du Roi , et la vouloient remettre
eu son obéissance. La crainte qu'il eut de n'y être pas
sûrement fit qu'il en partit avant jour , aux flambeaux,
et alla à Lanzac, à sept lieues de là, accompagné de
la duchesse de Montmorency. Les troupes du Roi
néanmoins ne perdoient point de temps; le maréchal
de Vitry , qui quelques jours auparavant avoit reçu
commission du Roi pour commander son armée avec
le maréchal de La Force , s'étoit joint avec lui , et tous
deux faisoient avancer les troupes vers Monsieur.
P autre côté, le maréchal de Schomberg, avec une
autre armée , avoit pris le devant , et s'étoit mis entre
lui et la frontière d'Espagne, s'étant avancé jusqu'à
Limoux à quatre lieues de ladite frontière, et qui
étoit le chemin qu'il devoit tenir pour se mettre au-
devant l'armée de Monsieur, s'il vouloit aller en Rous -
sillon , où six mille Napolitains avoient mis pied à
terre pour son service 5 ainsi , Monsieur étoit envi-
ronné des troupes du Roi et ne pouvoit échapper. Il
manda plusieurs fois au maréchal de Schomberg que
s'il passoit plus avant il croiroit qu'on le voudroit
perdre et s'en iroit ; ce qui fit que ledit maréchal
s'arrêta audit Limoux, d'où il manda au Roi que, s'il
vouloit qu'il allât plus avant, il le déferoit assuré-
ment avec toutes ses troupes; mais Sa Majesté lui
commanda d'attendre là , et ne le presser pas davan-
tage. Son altesse écrivit aussi aux maréchaux de Vitry
et de La Force pour les prier de ne s'avancer pas da-
vantage vers lui , et envoya supplier le Roi de trouver
bon qu'il pût être en sûreté dans la ville de Béziers
jusques à ce qu'il eût traité avec ses députés. Sa Ma-
DE RICHELIEU. [l63aj I93
jesté Feut agréable, et manda auxdils maréchaux. de
Vitry et de La Force, qui étoient avancés avec l'ar-
niée jusques auprès de ladite ville, de revenir à Pé-
senas et y demeurer jusques à nouvel ordre , et au
gouverneur de Béziers dy recevoir Monsieur avec
son train seulement, lui permettant de faire garder
le pont qui est hors la ville par trois cents hommes
de guerre des siens; ce que néanmoins Monsieur ne
voulut pas faire, et manda au Roi, par Charnizë,
qu il ne vouloit autre assurance que la parole de Sa
Majesté , se contentant d'aller à Béziers avec ceux de
sa maison. Sa Majesté fit alors partir lesdits sieurs de
Bullion et de Fossé, et leur donna les conditions
équitables, pleines d'une sincère amitié vers un frère,
et d'un soin de vrai roi vers son État, moyennant
lesquelles elle vouloit oublier la faute de Monsieur et
le recevoir en sa grâce.
Tout ce que le Roi demandoit de lui pour ce faire
n'étoit, sinon quil eût un véritable repentir de sa
faute, et qu'il fit paroitre clairement qu'il n'y vouloit
plus retomber , comme il avoit fait deux fois, après
avoir reçu de Sa Majesté pareille grâce à celle qu'elle
lui vouloit faire;
Que, pour cet effet, la première chose qui éloit
requise étoit qu'il reconnût sa fauteur écrit, et sup-
pliât le Roi de la vouloir oublier et la lui pardonner;
La seconde, qu'il donnât toute assurance raison-
nable et possible de ne vouloir plus retomber à l'avenir
en pareil inconvénient;
Que cette assurance pou voit consister en promesses
et en effets réels ;
Que les promesses seroient d'abandonner toutes
T. ^7. '3
1^4 [l632] MÉMOIRES
pratiques , soit au dehors soit au dedans du royaume,
et n'avoir plus , sous quelque prétexte que ce fût , en
quelque façon que ce pût être , d'intelligence avec
Espagne , Lorraine ni autres princes étrangers , avec
la Reine sa mère tandis qu'elle seroit en l'état auquel
elle est, ni aucuns du royaume contre le gré de Sa
Majesté , et de demeurer en tel lieu qu'il plairoit au
Roi lui prescrire , et y vivre comme vrai frère et sujet
doit faire , sans méditer aucune chose contre son
service ;
Que les effets dévoient être , premièrement , qu'il
ne prit aucun intérêt en celui de ceux qui s'étoient
liés à lui en ces occasions pour faire leurs ajQTaires à
ses dépens et à ceux de la France, et ne prétendit
pas avoir sujet de se plaindre quand le Roi leur feroit
subir ce qu'ils méritoient , bien entendu cependant
qu^au nombre de telles gens , les domestiques de Mon-
sieur qui étoient présentement auprès de sa per-
sonne n'y.étoient pas compris ;
Qu'il ne demanderoit aucune grâce particulière au
Roi pour les étrangers qui lui avoient été donnés pour
lefaire entrer en armes dans le royaume, ou qu'il avoit
amenés avec lui, auxquels toutefois , par pure bonté,
Sa Majesté accûrdoit six jours pour se retirer dans le
Roussillon ; *'
Qu'il recevroit actuellement aux charges vacantes
de sa maison , et entre autres en celle de chancelier ,
des personnes nommées, agréables à Sa Majesté, afin
que chacun pût voir qu'il ne vouloit plus agir à l'a*
venir qu'avec. un même esprit avec Sa Majesté;
Que s'il y avoit même quelqu'un qui fut désagréable
au Roi , comme capable de vouloir altérer les bonnes
DE RICHELIEU. [t63a] IqS
intentions de Monsieur, il Tëloigneroit de sa maison
par son propre mouvement ;
Que parce que le Roi ne pouvoit ignorer que tous
les mauvais conseils que Monsieur avoit pris lui
avoient été particulièrement suggérés par le sieur de
Puylaurens à qui il donnoit sa principale confiance,
ledit sieur de Puylaurens avertiroit sincèrement de
tout ce qui s'étoit traité parle passé, qui pourroit
être préjudiciable à TEtat , aux intérêts du Roi et de
ceux qui avoient llionneur de le servir^ et déclareroit
qtPil vouloit être tenu coupable, comme il étoit main-
tenant avant que de recevoir la grâce du Roi , s'il
étoit contrevenu en quelque façon que ce pût être
au contenu de ce qui auroit été promis ;
Qu afin que Monsieur fît paroitre qu'il vouloit que
tout ce que dessus fût religieusement observé , il com-
manderoit même à tous les siens d'avertir le Roi de
tout ce qu'ils reconnoitroient se passer au contraire ^
et ceux que le Roi désireroit en feroient serment.
Le cardinal • donna pour instruction au sieur de
Bullion , qui étoit le chef de la légation , et celui par-
ticulièrement en la prudence duquel l'on se remet-
toit, que s'il voyoit que les mauvais serviteurs de Mon-
sieur , auxquels il avoit donné le pl^tt^e crédit auprès
de lui , eussent tant de pouvoir sur lui qu'il crût
que son voyage ne pût produire le fruit que Sa Ma-
jesté désiroit par la vraie réconciliation de Monsieur
avec elle , en ce cas il fît connoitre à tout le monde
la justice des propositions du Roi , la bonté dont Sa
Majesté vouloit user envers Monsieur , ne désirant
rien qui ne fût pour son bien et pour celui de cet
État , duquel il vouloit retrancher les factions qui
i3.
ig6 [l63a] MEMOIRES
pourroient remettre Monsieur en pareils inconvë-
niens que ceux où il s'étoit déjà laissé porter au grand
hasard de sa personne ;
Qu'il insinuât, par après , à tout le monde, et le
dît même à Monsieur en présence de Puylaurens ,
que c'étoient les seuls intérêts dudit Puylaurens qui
empéchoient qu'il ne se remît en son devoir ayec
le Roi ;
Qu'il le supplioit de considérer s'il étoit raison-
nable que, pour la fantaisie , la passion et les intérêts
d'un particulier comme lui , la personne de Monsieur
fût en hasard , l'Etat troublé et le Roi diverti des
grands desseins qu'il avoit pour l'avantage de son
royaume ,
Qu'en cas d'extrémité ledit sieur de BuUion dît à
Monsieur que, s'il avoit grande envie de faire que le
Roi usât de sa bonté extraordinaire envers ceu^ qui
avoient porté les armes avec lui en ces occasions , Sa
Majesté lui avoit commandé de lui dire que, s'il
vouloit lui remettre Puylaurens entre les mains pour
lui faire subir la peine qu'il méritoit, il pardonneroit
à tous les autres; ce qui chargeoit Puylaurens de la
haine de tout le parti de Monsieur , puisque lui seul
seroît cause qu'jjl n'obtint pas ce qu'il désiroit ;
Que Monsieur accepteroit les offres du Roi , et en
ce cas Sa Majesté auroit raisonnablement son compte,
ou s'il les refusoit il ne le pourroit faire avec prétexte
qu'en disant qu'il ne peut recevoir aucune grâce de
Sa Majesté en laissant perdre M. de Montmorency et
autres gens de condition qui l'ont servi , ce qui ne
pourroit être reçu avec apparence de raison quand on
dira que le Roi pardonnera à tous , pourvu qu'il lui
DE RICHELIEU. [l63!l] I97
délivre Paylaurens , comme auteur du péril où Mon-
sieur s'est trouvé , et de la perte de -ceux que le Roi
veut sauver.
M. de BulUon , à son arrivée , trouva l'esprit de
Monsieur fort repentant et bien disposé, mais non
pas celui de tous les autres , car Monsieur avoua qu'il
avoit été mal conseillé de faire l'équipée qu'il fit chez
le cardinal , et ensuite de sortir de la cour , et se re-
connoissant très-obligé au Roi de la douceur dont il
avoit usé vers lui en sa déclaration , ne le condam-
nant pas encore , mais le priant seulement de retour-
ner en son devoir.
Il dit que cela lui avoit touché le cœur , et qu'il en
avoit obligation au cardinal, qu'il avoit toujours aimé
et estimé , et croyoit qu'il l'aimoit aussi de sa part.
Puyiaurens voulut soutenir le contraire, et disoit
que telle déclaration ne se pouvoit faire qu'en assem-
blée d'Etats , ne sachant ce qu'il disoit , comme il
appert par les exemples que nous avons rapportés
ci-devant en semblable cas. Gomme il voyoit Mon-
sieur disposé à se soumettre à ce que le Roi désiroit
dé lui, il dit qu'il lui conseilloit de le faire, mais
quant à lui il ne feroit rien en son particulier; qu'il
y alloit de son honneur, qu'il se vouloit retirer en
pays étranger, qu'il n'a voit que faire de la grâce du
Roi , et qu'étant auprès de son maître personne ne
Tenlreprendroit , qu'il savoit bien que Monsieur s'y
relireroit lui-même pour empêcher sa ruine , et qu^on
le feroit appeler en duel pour le tuer s'il demeuroit
en France après l'accommodement; paroles bien lâ-
ches et bien arrogantes tout ensemble : aussi avoba*
t-il qu'autrefois son souhait étoit d'avoir le bras rompu
198 [l632J MÉMOIRES
et voir le feu aux quatre coins du royaume. On eul
peine â le ramener à la raison. Une fois , parlant du
duc de Montmorency , il s'emporta si avant que de
dire que s'il ëtoit condamné à la mort , il y avoit plus
de quarante gentilshommes résolus de poignarder le
cardinal.
Du Frétoi et quelques autres gentilshommes et do-
mestiques de mondit sieur , disoient assez haut qu^à
moins de faire retirer le cardinal et autres ministres
d'auprès du Roi , et établir leurs gens dans le minis-
tère, ils ne dévoient accepter aucun accord; que
maintenant on leur présentoit de beaux articles ; et
pestoient contre la Reine-mère comme celle qui étoit
cause de tout le n;al , et parloient d'elle non^seu-
lement avec mépris, mais y ajoutoient les injures.
Monsieur avoua bien que son opiniâtreté étoit
cause de tout son mal , et qu'elle l'avoit porté dans
cette brouillerie. Il maudissoit le père Chanteloube
et ceux qui l'avoient mis auprès d'elle , qu'il ne valoit
rien , et voudroit que le Roi l'eut fait pendre ; qu'il
avoit donné un beau conseil de sortir du royaume ;
que pour toutes les grandes espérances qu'il lui avoit
fait concevoir, elle étoit réduite à s'amuser à prier
Dieu pour tromper son ennui^ et que Le Coigneux,
animé par la Reine^mère, avoit été cause du voyage
qu'il fît chez le cardinal lorsqu'il partit de la cour ,
mais qu'il vouloit qu'il n'y eût point de Dieu pour lui
s'il avoit jamais eu intention de venir aux extrémités
contre lui, ni s'il avoit jamais écouté qui que ce fût
pour ce regard, et que son naturel ahhorroit de tels
et si méchans conseils; que ses gens étoient cause
qu'il avoit été mal avec lui ; que les rapports gâ-
DE RICHELIEU. [iGS^J I99
toient tout ; qu'il Tavoit toujours estimé , et que quand
ilauroitëté pris dans un combat, il n'eût jamais souf-
fert qu'on lui eût méfait ^ qu'il falloit avouer que ja-
mais le Roi n'avoit été si bien servi que Sa Majesté
l'avoit été de lui, qui lui avoit fait apprendre par ex-
périence que nulle apparence d'avantage et de gran-
deur ne le devoit jamais faire être contre le Roi, et
qu'il protestoit que la déclaration contre le cardinal ^
qui étoit contenue dans le placard dont nous avons
ci-devant parlé, n'avoit jamais été ni vue ni signée
de lui , mais que c'étoit ce fou de Saint-Germain
( ainsi le qualifioit-il ) qui avoit méchamment supposé
son nom ;
Que la plupart des grands du royaume étoient do
la partie avec lui ; que la crainte , plutôt que l'aJOTec-
tion, les avoit empêchés de se déclarer; que la plu-
part d'eux ne valoient rien pour l'Etat , et méritoient
qu'on les ruinât à frais communs \ que le duc de
Bouillon en étoit, mais qu'il vouloit avoir une armée
pour se déclarer tout-à-fait , et promettoit de faire
mille chevaux et quatre mille hommes de pied.
Quand ce vint à traiter tout de bon avec Mon-
sieur, le sieur de Bullion, suivant son instruction ,
lui proposa son pardon et le rétablissement dans ses
honneurs et dans ses biens , que le Roi pardonnoit à
ses domestiques , pourroit, à sa prière, donner passe-
port aux étrangers pour se retirer en Espagne ; mais
que , directement ou indirectement , il ne parleroit
pour aucun des sujets de Sa Majesté qui ne seroient
point ses domestiques, et qu'elle en ordonneroit
selon qu'il lui plairoit.
Monsieur insista que la liberté lui fût donnée
20O [l632] MEMOIRES
d'aller en toutes ses maisons , ce qu'on lui dit qui ne
pouvoit être accordé pour lors , mais le seroit sans
difficulté dans quelque temps. Il parla en faveur de
Deshayes comme d'un de ses domestiques; c'ëtoit un
jeune homme d'assez bon esprit, mais qu'une ambi-
tion déréglée porta à sa ruine : nous, avons vu ci-de-
vant comme le Roi s'en servit pour .l'envoyer en
Suède et en Moscovie. Il se forgea depuis quelque
mécontentement de ce qu'en affaires plus impor-
tantes on envoya en Suède d'autres que lui, et pre-
nant occasion de la sortie de la Reine et de Monsieur
hors du royaume, il partit de Montargis, dont ilëtoit
gouverneur à la survivance de son père , et les alla
trouver. Ils s'en servirent pour l'envoyer traiter de
leur part en Allemagne, tant avec le roi de Suède ,
pour le prier de s'entremettre envers le Roi pour leur
accommodement, espérant que ce seroit un sujet
pour nalentir leur amitié et bonne intelligence, que
vers l'Empereur, pour lui demander secours d'hommes
et d'argent contre Sa Majesté. En un second voyage
qu'ils lui faisoient faire en Allemagne, il fut pris le 6
août par l'adresse et le courage du sieur de Char-
nacé, qui le mena en diligence par eau à Hermens-
tein , de là l'envoya par Metz à Béziers où il ëtoit lors
prisonnier. Monsieur insista pour sa délivrance , mais
on lui représenta que le service de Sa Majesté ne le
permettoit pas.
Il demanda aussi plusieurs fois que Sa Majesté,
par grâce spéciale , lui voulût accorder que les troupes
qui lui avoient été données par don Gonzalez fussent
renvoyées, non en Espagne, mais dans la comté de
Bourgogne , ou qu'on lui donnât temps d'envoyer au
DE RICHELIEU. [l63a] SOI
comte de Montenègre pour avoir ordre de lui de les
renvoyer où il désireroit, ce qui lui fut refusé, et re-
montre que le Roi faisoit assez de grâce aux Espa-
gnols, pour lamour de lui, de ne pas faire tailler en
pièces toutes ses troupes , lesquelles Sa Majesté voo-.
loit envoyer en lieu où elles leur seroicnt à charge,
et non pas 04 elles leur pourroient servir. Il fit quel-
ques instances sur le sujet de la Reine -mère, mais il
ne s'y arrêta guère, et lui manda par Biscarat qu'il '
n avoit pu faire autrement pour sa conservation que
cequil avoit fait, et qu'elle eût à traiter cette affaire
pour elle-même.
Il en fit beaucoup davantage sur le sujet du duc
de Montmorency; mais le sieur de Bullion lui répon-
dit nettement qu'il ne se devoit mêler de lui non plus
que de la Reine-mère, et que c'étoit à lui k choisir,
ou de s'attacher aux intérêts dudit sieur de Montmo-
rency , ou de déplaire au Roi et perdre ses bonnes
grâces ; et ce fut avec prudence qu'il lui parla si fran-
chement de ce fait-là, car cela lui 6toit toute vérita-
ble occasion de plainte à l'avenir, quelque résolution
qu il plût au Roi prendre sur ce sujet.
Ils tombèrent en discours sur le mariage de Mon-
sieur , qui dit au sieur de Bullion que le cardinal lui
avoit donné , de la part du Roi , pleine hberté de le
contracter avec qui bon lui sembleroit , voire avec
une bergère s'il vouloit. A quoi le sieur de Bullion
répondit qu'il étoit certain qu'il lui seroit libre de
choisir celle qui lui seroit agréable, pourvu qu'il
n'en prit point quelqu'une qui pût porter préjudice à
l'Etat. Lors, entre les autres, il nomma la princesse
Marguerite. A quoi lui étant répondu que Sa Ma-
201 [iGSll] MÉMOIRES
jestë lui avoit témoigné qu'elle Tauroit désagréable ,
et lui avoit défendu d'y penser et au duc de Lorraine
aussi, a et s'il étoit fait, dit-il, que feroitle Roi?- —
Il le feroit casser, répliqua le sieur de BuUion; le
Pape déclareroit toujours nul votre mariage s'il est
fait sans que le consentement du Roi y soit inter-
venu. » M. d'Elbeuf, les tirant à part, leur dit qu'il
y avoit contrat passé ; qu'il les avoit vus couchés en-
semble, et que M. de Vaudemont avoit dit qu'au pis
aller un frère unique d'un roi de France sans enfans
valoit bien la peine que sa fille courût fortune de
se Voir reléguée abbesse de Remiremont.
La Reine-mère étoit si affectionnée à ce mariage
qu'elle avoit donné procuration pour le consentir ; et
Chanteloube avoit souvent dit qu'il n'importoit que
la guerre fût aux quatre coins et au milieu du royaume ,
pourvu que ce mariage pût avoir lieu.
Après avoir traité trois jours ensemble , Monsieur
s'accorda, le 29 septembre , à tout ce que le Roi avoit
désiré de lui, l'avouant très-juste, et signa au-des-^
sous des articles qui lui avoient été présentés :
Qu'il consentoit tout ce qui y étoit contenu , et
promettoit, en parole et foi de prince, de l'exécuter
si religieusement qu'il n'y contreviendroit en aucune
façon , et en outre de conspirer de tout son pouvoir
à tous les bons desseins que le Roi avoit pour le bien
et la grandeur de son Etat, et, de plus, aimer tous
ceux qui servent Sa Majesté , et jparticulièrement le
. cardinal , qu'il avoit toujours estimé pour sa fidélité
à la personne et aux intérêts du Roi et de l'État.
Les sieurs de Bullion et de Fossé signèrent au-des-
sous que , moyennant ce que dessus , le Roi remet-
DE RICHELIEU. [l63a] ao3
toit Monsieur en ses bonnes grâces , le rétablissoit
en tous ses biens , et trouvoit bon qu'il demeurât
paisiblement en telle de ses maisons qu'il plàiroit au
Roi lui désigner , avec ses domestiques , auxquels elle
pardonnoit aussi, leur feroit délivrer abolition du
crime qu'ils .avoient commis par leur rébellion , et
les remettroit en leurs biens ^ ce qui s'entendoit de
ceux qui étoient présentement près de sa personne j
et non de ceux qui en étoient absens et éloignés.
Que Sa Majesté pardonnoit aussi pareillement au
duc d'Elbeuf et le remettoit en ses biens, lui per-
mettant de demeurer en telle de ses maisons que Sa
Majesté auroit plus agréable.
Et le Roi le ratifia ^ Montpellier le premier jour
d'octobre.
Monsieur écrivit aussi au Roi, du même jour ag de
septembre , qu'il avoit un extrême déplaisir d'avoir
été si malheureux que de s'être séparé de lui , de
s'être retiré en pays étrangers, et d'être entré en
armes en son royaume-, qu'il le supplioit très-hum-
blement de lui vouloir pardonner, l'assurant qu'il ne
prendroit jamais de résolution si préjudiciable, et
qu il demeureroit toujours inséparablement attaché
dans les intérêts de Sa Majesté et ceux de son État,
renonçant dès lors à toutes pratiques , tant dedans
que dehors le royaume , sans nulles excepter , qui
pourroient donner le moindre ombrage ou être désa-
gréables à Sa Majesté.
Il écrivit aussi le même jour au cardinal qu'il avoit
toujours beaucoup estimé sa vertu et son aâeçtion
au service du Roi , qui avoit produit de très-bons
efl'ets pour la grandeur de l'Etat, comme chacun le
204 [l632] MÉMOIRES
voyoit ] qu'il avoit été fort étonné quand il avoit ap-
pris qu'on avoit fait écrire une déclaration sous son
nom , signée à Andelot , contre lui -, qu'il ne Tavoit
jamais vue ni commandée , ni aucun des siens ne
Tavoitfaite^ qu'elle étoit entièrement supposée et
pleine de calomnies ; qu'il le prioit de ne plus se sou-
venir de plusieurs choses qui avoient été dites par son
commandement contre lui.
Puylaurens donna aussi un écrit signé de sa main ,
par lequel il promettoit de ne faire jamais rien contre
le service du Roi , d'avertir de tout ce qui avoit été
traité par le passé, préjudiciable à l'Etat, aux inté-
rêts du Roi et de ceux qui ont l'honneur de le servir,
et déclara qu'il vouloit être tfenu coupable , comme
il étoit alors , s'il étbit de là en avant contrevenu de
la part de Monsieur à ce qui avoit été promis de sa
part dans son accommodement.
Il pouvoit bien faire cette promesse puisqu'il s'as-
suroit en sorte de Monsieur , qu'il n'eut point de
honte de dire aux députés du Roi qu'il feroit faire à
son maître tout ce que Sa Majesté et le cardinal dé-
sireroient de son altesse , et sans réplique , s'il leur
plaisoit , et qu'il répondoit de sa vie qu'il demeureroit
perpétuellement uni au Roi , pourvu qu'on le traitât
raisonnablement.
Le parlement de Dijon , sachant que le Roi n'avoit
promis abolition qu'aux serviteurs de Monsieur qui
étoient actuellement servant près de sa personne , -et
l'avoit refusée pour les autres , fit le procès aux sieurs
Le Coigneux , Monsigot , Estissac et chevalier de
Valençai, et, les chambres assemblées, les déclara
convaincus du crime de lèse -majesté, pour avoir
»B RICHELIEU. [i63i] ao5
donné des conseils à Monsieur contre le service du Roi,
et avoir trempé dans Tarrhement et levée de gens de
guerre contre TEtat, et être coupables de la sortie de
Monsieur hors du royaume, et des maux qui s'en sont
ensuivis ^ pour réparation desquels il les priva de tous
honneurs, charges et dignités, les condamna d'a-
voir la tête tranchée , leurs biens acquis et confisqués
à Sa Majesté.
Le pardon que le Roi accorda à Monsieur, le re-
cevant en rhonneur de sa bonne grâce, étonna fort
les Espagnols, car ils avoient fait de grands prépara-
tifs pour Tassister. Outre les six mille Italiens débar-
qués , et qui étoient en la plaine de Roussillon , il y
avoit encore quatre raille hommes vers Barcelonne ,
et les galions qui les avoient portés étoient retournés
quérir quatre régimens qui avoient eu ordre de ve-
nir du côté de Milan et Gênés, et le duc de Feria les
avoit retenus, craignant que le roi de Suède n'ap-
prochât trop de la frontière du Milanais ; on levoit
deux régimens dans la Catalogne : il n'étoit point venu
de chevaux de Naples , mais il y avoit cinq cents ca-
valiers qui étoient allés prendre des chevaux vers
TAragon. On avoit apporté de Milan mille selles avec
les harnois et mille paires de pistolets avec les four-
reaux , quatre mille mousquets et grande quantité de
munitions , pics, pelles et cabas ] on amenoit aussi de
Castille quatre cents chevaux pour remonter quatre
compagnies qui étoient en Catalogne il y avoit long-
temps. Le marquis de Monteuègre éloit à Caunat, qui
est sur la mer , qui n est pas un fort lieu , cela faisoit
croire qu'il attendoit encore bientôt d'autres gens pi
promettoit d'abondant à Monsieur que son armée
106 [ l63l] MÉMOIRES
seroit rafraîchie tous les mois de troupes nouvelles.
Voilà les grands apprêts qu'ils avoient faits , mais
qui furent inutiles par la bénëdiction de Dieu et la
prévoyance du Roi , qui a eu cette grâce , qu'il n'y a
point eu de règne avant le sien dans lequel tant de
grandes conjurations contre TEtat aient été dissipées
avec tant de puissance et de bonne fortune , sans rien
mettre au hasard.
L'accommodement de Monsieur étant fait , il partit
dès le 4 octobre pour s'en aller à ToufS avec le
comte d'Alais , que le Roi lui avoit donné pour l'ac-
compagner jusque dans ladite ville , et lui faire
rendre, par tous les lieux où il passeroit, les hon-
neurs que l'on rendroit à Sa Majesté même.
En partant , il écrivit au Roi une lettre très-affec-
tionnée, pour le supplier d'avoir pitié de M. de Mont-
morency, et fit le même encore en plusieurs lieux sur
le chemin de Tours , ce qui obligea le cardinal de re-
présenter à Sa Majesté toutes les considérations qu'elle
devoit faire sur la résolution qu'elle avoit à prendre
de pardonner audit duc de Montmorency , ou de le
mettre entre les mains de la justice.
Il lui dit que Monsieur demandoit sa vie ; que Sa
Majesté avoit inclination , pour le bien de son Etat , à
ne la donner pas ; que ce n'étoit pas une petite ques-
tion , savoir lequel il valoit mieux , pardonner ce
crime ou ne le faire pas ;
Que les raisons qui pouvoient induire à faire grâce
à M. de Montmorency étoient la promesse que Mon-
sieur vouloit faire , qu'en ce ce cas il se sépareroit
des Espagnols et de toutes les factions où il s'ë-
toit mis ;
DB RICHELIEU. [l633] 207
Qu'il recherchoit cette grâce pour juste, légitime
et honorable prétexte de rupture avec tous ceux
avec qui il s'étoit lié contre TEtat, n'y ayant personne
de son parti même qui le pût blâmer s'il abandonnoit
les intérêts d'Espagne et de Lorraine, s'il ne parloit
point en cette occasion de ceux de la Reine sa mère ,
s'il s'obligeoit à ne poursuivre jamais la restitution
des gouvernemens que ceux qui l'ont servi avoient
perdus , enfin s'il se remettoit en son devoir pour
une telle occasion ;
Que , sans cette grâce , Monsieur ne pouvoit hono-
rablement se remettre en son devoir, tous les siens
croyant qu'il devoit plutôt hasarder de se perdre
que d'abandonner une personne de la qualité du duc
de Montmorency , qui s'étoit mis en l'état où il étoit
pour lui;
Que s'il s'accordoit, M. de Montmorency péris-
sant, il ne trouveroit jamais personne qui le voulût
servir ni qui estimât qu'il en fût digne ;
Que, plutôt que de tomber en cet inconvénient,
il s'en iroit en Espagne , au hasard de s'y perdre par
la trahison de cette nation infidèle ;
Qu'étant là, les semences d'une guerre mortelle
demeureroient en état de ppoduire leur fruit , vu que
les Espagnols n'auroient autre soin que de susciter
Monsieur contre nous et lui donner moyen de brouil-
ler la France,
On mettoit encore en avant que , si Monsieur étoit
en cet état de désespoir , ceux qui , ayant l'honneur
de servir le Roi , étoient chargés de l'envie de ce qui
se passoit, à cause de leur inébranlable fidélité, se-
roient en beaucoup moins de sûreté, parce que tous
ao8 [l63a] MÉMOIHES
ceux du parti de Monsieur penseroient qu'il ne leur
res toi t autre salut que leur perte , et qu'au moins é toi t-il
vrai qu'ils auroient perpétuellement à craindre les re-
tours fâcheux qu'ils pourroient éviter par ce moyen.
Il ajoutoit que , si on dégageoit Monsieur des Es-
pagnols et autres étrangers , si on le retiroit du désir
de faire des factions dans le royaume, et qu'il se
remit dans la vraie obéissance du Roi et dans une
sincère volonté de correspondre aux grands desseins
de Sa Majesté, il n'y avoit rien qu'on ne pûtentre-
prendre contre les Espagnols; au lieu que, s'il de-
meuroit en la mauvaise disposition où il étoit, on
n'oseroit se prélavoir des belles occasions qu'on avoit
contre cette nation, naturellement ennemie de ce
royaume , et enragée contre la personne du Roi et le
gouvernement présent 5
Que ceux qui estimoient qu'il valoit mieux châtier
le duc de Montmorency, disoient que l'état présent
des affaires avoit besoin d'un grand exemple;
Que , le Roi n'ayant point d'enfans, et étant estimé
malsain, quoique sans fondement considérable , si l'on
ne retenoit par une grande sévérité ceux qui pour-
roient se porter à servir Monsieur , qui étoit consi-
déré conune héritier présomptif de cette couronne ,
il pouvoit arriver telle occasion, comme une ma-
ladie àx\ Roi , quoique légère , où tant de gens se dé-
clareroient pour lui qu'on n'en sauroit soutenir l'ef-
fort; au lieu que s'il étoit puni comme il le méritoit,
quelque maladie dangereuse qui arrivât au Roi, per-
sonne ne la tiendroit assez mortelle pour se déclarer,
tant ils auroient peur de la punition, qu'ils tiendroient
assurée s'il en réchappoit ;
DE RICHELIEU. [i63a] nog
Qu'ils appuyoient cette raison des exemples de
THistoire, qui nous apprenoit que les règnes qui
étoient sur le retour ne s'étoient maintenus que par
la rigueur, condamnable aux anciens empereurs
comme horrible cruauté, quand ils l'ont exercée injus-
tement sur de simples soupçons , mais qui ne pouvoit
être louée que de tout le monde comme justice né-
cessaire , quand elle n'est pratiquée que sur des crimes
si notoires et de si grande conséquence , qu'on ne
sauroit ni les ignorer ni les laisser impunis sans eu
commettre un autre ;
Qu'ils disoient que si les grands , les communautés
et les peuples , se pouvoient persuader que la con-
sidération de Monsieur rendit les crimes qu'on com-
mettroitpour lui impunis, il s'en trouveroit toujours
qui, croyant leur vie assurée, hasarderoient leur for-
tune volontiers., pour tâcher de la faire meilleure aux
dépens du Roi et de l'Etat;
Quilsajoutoientque la privation des charges sans
la vie n'étoit rien en ces occasions, vu que Monsieur
étant héritier du royaume, et le Roi sans enfans, ceux
qui pcrdroient maintenant leurs gouvernemens espë-
reroient toujours les ravoir si Monsieur venoit à être
roi , comme ils se le vouloient persuader , quoique
rage , la constitution du Roi, le soin qu'il avoit main-
tenant de sa santé , et la bénédiction que Dieu épan-
doit visiblement sur lui , leur dût ôter telle espé-
rance ;
Et que tant s'en falloit qu'en ce cas aucun d'eux
pensât perdre leur bien , qu'au contraire ils estime-
roient que de hasarder leur fortune pour Monsieur
seroit la mettre à usure avec assurance du fonds ;
T. 11. i4
2IO [l63a] MÉBIOIRBS
Qu'ils disoietit de plus que la faute de M. de Mont-
morency n'étoit pas un simple crime de rébellion ,
comme celui d'un autre grand qui auroit simplement
porté les armes contre le Roi en faveur de Monsieur ,
mais que c'étoit une rébellion accompagnée de toutes
les circonstances aggravantes qu'on pouvoit s'ima-*
giner ]
Que c'étoit lui ^ c'est-à-dire ceux qui avoient agi
pour lui, qui avoient appelé Monsieur, et Ta voient
porté à entrer en armes en France ; que c^étoit une
affaire méditée de long-temps , comme les selles ,
brides et gens de pied préparés en Italie pour venir à
Barcelonne, il y a plus de huit mois , le justifioient;
Qu'il avoit fait révolter une province par résolu-
tion du corps des États , ce qui ne fut jamais fait;
Que c'étoit un homme obligé par plusieurs bienfaits,
lié de parole et de sermens non exigés au Roi et*aux
siens , ce qui rendoit non-seulement son crime plus
horrible , mais montroit qu'on ne s'y sauroit jamais
fier. Ils disoient de plus, que la garde d'un tel person-
nage étoit difficile et dangereuse , et que , quoique la
plus grande grâce que l'on pût faire à une telle fiiute
fût une prison perpétuelle, chacun étant injuste en
ses intérêts , si le prisonnier venoit à se procurer la
liberté par son artifice , il n'auroit autre soin que de
rechercher les moyens de se venger de sa prison, et
réparer par quelque grande action l'imprudence qu'il
avoit faite en se perdant en ce combat par sa folle
vanité ^
Qu'on présupposoit qu'il étoit bon de pardonner à
M. de Montmorency, pour adoucir l'esprit de Monsieur
et pour mettre par ce moyen quelque fin à nos affaires.
DE RICHELIEU. [l63a] 211
Et cependant il serabloit que les mêmes inconvé-
niens où Ton apprëhendoit de tomber si on ne lui
pardonnoit pas , fussent plus à craindre si on lui par*
donnoit ; car tant s'en faut qu'en ce cas on éteignit le
parti, quau contraire il subsisteroit plus que jamais;
Que rien ne faisoit soumettre Monsieur que la né-
cessité où Tavoit réduit la perte du combat qui étoit
arrivé ;
Que les Espagnols, avec qui il étoit lié, étoient
toujours les mômes , la Reine-mère n'étoit pas moins
irritée qu'auparavant, ains au contraire ; Puyiaurens
n avoit pas moins de pouvoir sur lui qu'il avoit eu
parle passé, moins d'ambition, moins de dérèglement,
ni moins d'attachement à la Lorraine. Partant, il n'y
avoit point de personnes sages qui ne dussent juger
([uc quand le péril où ce mauvais esprit connoisisoit
cire présentement seroit passé , il écouterôit comme
il avoit fait auparavant tous les pernicieux conseils
qu'on lui pourroit proposer pour son maître, et s'y
porteroit aussi bien qu'au passé , n'ayant pas plus de
jugement et de fidélité qu'au passé, où toutes sortes
de raisons et d'obligations qu'il avoit au Roi ne l'à-
voicnt pu empêcher de faire le mal qu'il avoit fait;
Que si on vouloit abandonner les Hollandais et le
roi de Suède, il y avoit apparence que la rage des
Espagnols cesseroit; si on vouloit sacrifier tous ceux
que la Reine mère du Roi haïssoit , que le Roi se
voulut mettre absolument en sa dépendance, on
pouvoit croire que son animosité s'apaiseroît , quoi-
que ce ne fût pa$ chose assurée ; si on voulait rendre
toutes les places à M. de Lorraine, peut-être que la
mauvaise volonté qu'il avoit contre le gouvernement
i4.
212 [l63a] MÉMOIRES
présent ne produiroit plus de mauvais effets contre
le Roi \ mais si on ne faisoit aucune de ces choses ,
comme le Roi ne le sauroit sans se perdre , il étoit
certain que plus le parti de Monsieur subsisteroit en
ses racines , plus nous exposerions-nous à en rece-
voir du mal y par la suscitation continuelle qui lui en
seroit faite par ceux à qui il demeuroit lié, et par la
disposition naturelle des choses , qui fait qu'on ne se
souvient plus du péril passé quand on en est dehors ;
Qu'il y avoit plus , si M. de Montmorency étoit
châtié , son parti , par sa seule perte , périroit en Lian-
guedoc , et celui de Monsieur par conséquent en toute
la Fraùce ^ au lieu que si on le gardoit prisonnier,
quelques autres têtes qu'on pût couper , il lui demeu-
reroit toujours des amis secrets qui lui seroient d'au-
tant plus attachés qu'ils vivroient en espérance de se
relever avec lui , et en rechercheroient sourdement
tous moyens.
Davantage , que la subsistance du parti de Mon-
sieur en la personne de ce personnage et en celle
de ceux qui seroient capables de s'y lier par son im-
punité, empécheroit qu'on ne pût jamais se réconci-
lier tout-à-fait avec Monsieur , parce qu'on auroit
toujours à craindre qu'il fît du mal à cause du pou-
voir qui lui resteroit , et se conserveroit caché comme
le feu sous les cendres ; au lieu que , si le parti étoit
éteint, comme il le seroit en cas que le duc de Mont-
morency fût puni , la nécessité réduiroit avec le temps
Monsieur à la raison par des voies particulières qu'il
étoit impossible de prévoir , mais qui viendroient de
la main de Dieu.
Quant aux raisons alléguées pour l'opinion con-
DE RICHELIEU. [l632] ll3
traire , qu'ils disoient à la première qne les promesses
de Monsieur seroient considérables , s'il n'avoit pas
déjk trois fois manqué formellement à sa parole en
matière semblable à celle-ci , après même avoir été
extraordinairement obligé du Roi , et servi par les
siens , et les siens comblés de bienfaits.
Ils ajoutoient que si les paroles de Monsieur étoient
accompagnées de sûretés mathématiques , ce seroit
faute que de n'y ajouter pas foi ; mais que n'en voyant
pas, ce seroit une légèreté blâmable d'y faire fonde-
ment, et s'exposer sur icelle à un notable hasard.
Us disoient encore que la nécessité où il étoit, étoit
un si bon prétexte pour se retirer des mauvais enga-
gemens où il s'étoit mis, qu'il n'en falloit point cher-
cher d'autres , vu même qu'il pouvoit dire avec vé-
rité que M. de Montmorency étoit cause de sa perte ,
tant parce qu'il l'avoit appelé sur des espérances qui
s'étoient trouvées vaines, que parce que, s'étant pré-
cipité mal à propos en ce combat , il avoit ruiné tout-
à-fait le parti de Monsieur pour satisfaire à sa seule
vanité.
Us avouoient que, si Monsieur ne sauvoit pas M. de
Montmorency, il trouveroit moins de serviteurs que
s'il le sauvoit : aussi étoit-ce la seule raison pour la-
quelle le Roi devoit vouloir le châtier. Et Monsieur
ne le devoit pas trouver étrange , vu qu'ainsi que les
chirurgiens ne peuvent souvent sauver la vie à un
homme sans lui couper le bras , c'étoit le seul moyen
de sauver Monsieur , qui ne pouvoit donner aucune
sûreté de lui que de souffrir cette résolution sans se
perdre soi-même lorsqu'il ne la pouvoit empêcher ; ce
qu'il pouvoit faire sans préjudice de sa réputation ,
21 4 [l632j MKMQIRES
puisque la nécessité Ty contraignoit ^ au lieu que Sa
Majesté ne sauroit faire ce qu'il lui demandoit , sans
commettre une foiblesse blâmable çt se mettre au
hasard de pis.
De dire que Monsieur s*en iroit en Espagne où il
courroil hasard, cette raison étoit grandement consi-
dérable , quand elle ne seroit point conlre-pesée par
cçllede rintérét duRoi en choses importantes, comme
étoient les inconvénieus qui pouvoient uaitre de Vim^
punilé du criminel.
De représenter que Monsieur étant en Espagne
ce seroit un levain perpétuel de guerre, ce n'étoit pas
chose à mépriser; mais on estimoit que si la punition
du duc de Montmorency coupoit lesi racines de la
puissance de Monsieur , en sorte que , par après , il
lui fût impossible de remettre un puissant parti sur
pied , on seroit bien plus assuré que les Espagnols ne
s'en serviroient pas , que si Monsieur pouvant (aire
du mal promettoit simplement qu'il ne le feroit pas.
Quant à ce qu'on alléguoit pour la sûreté de ceux
qui avoient l'honneur de servir le Roi , si le cardina)
a voit à répondre à cet article, il diroit qu'il ne se
considère point lorsqu'il est question des intérêts de
son maître ,. si ce n'est en tant que sa perte lui pour*
roit porter préjudice 5 joint qu'il n'y a voit rien à es-
pérer pour lui de ceux qui étoient auprès de Monsieur,
quelque chose qu'on pût faire en leur faveur, étant
certain que ceux qui espéroient et veulent tout contre
toute sorte de justice , ne se sentiroient jamais obligés
de ce qu'on pouvoit faire pour eux avec raison ;
Qu'il étoit vrai que , tandis que Monsieur ne seroil
pas en l'état auquel il devoit être , il étoit impQSsible
DE RICHELIEU. [iGSs] ai5
de faire de grands desseins contre les étrangers » ni
de régler le dedans du royaume comme le Roi le dé-
siroit et pouvoit faire ^ mais la question étoit de savoir
si, quand on feroit ce qu'il demandoit, il contribue^
roit aux bons desseins du Roi qu^il avoit toujours con-
tinuellement traversés, à commencer dès La Rochelle
jusqu'à présent, et si , au cas qu'il ne le fît pas, le Roi
pourroit réparer le tort qu'il se seroit fait en ne fai-
sant pas exemple d'une telle faute comme celle dont
il étoit question. Toutes ces raisons considérées , il
dit qu'accorder la vie du duc de Montmorency à
Monsieur, étoit puissamment établir ses affaires, et
grandement hasarder celles du Roi et de l'État.
Il dit de plus que le Roi la pouvoit donner par sa
seule bonté , sans s'y obliger par aucun traité ^
Qu'il restoit à savoir s'il le devoit faire ;
Qu'il étoit certain qu'il sembloit qu'il y eût plus à
craindre à le faire qu'à ne le faire pas.
Cependant il y avoit un moyen par lequel Sa
Majesté le pouvoit si elle le vouloit , et duquel elle
pouvoit tirer du fruit, si ceux qui étoient auprès de
Monsieur n'étoient pires que des diables ; '
Que ce raoyei||^oit que M. de Montmorency étant
condamné, le Roi fit savoir à Monsieur qu'il surseoi-
roit par sa seule bonté l'exécution de son arrêt ;
Qu'il ne s'obligeoit pas à ne le pas faire exécuter,
mais qu'il s'engageoit bien à le faire à la première
mauvaise conduite que Monsieur feroit contre son
devoir et la volonté de Sa Majesté ;
Que cette grâce supposoit que Monsieur fût vrai-
ment repentant de ses fautes, qu'il les reconnût, sup-
pliât le Roi de les lui pardonner, et promit de vivre
2l6 [l6i52] MÉMOIRES
à Ta venir comme Sa Majesté pouvoit désirer en toutes
choses, abandonnant, dès à présent, toutes factions
et toutes prétentions de rétablir jamais les gouyer->
neurs dépossédés^
Qu'elle présupposoit encore qu'en faisant le procès
de M. de Montmorency, onlefitaussiauxévéqueset
barons duLangnedoc, et autres qui étoient en crime,
non domestiques de Monsieur , et qu'on le fit exécu-
ter pour montrer à tous les particuliers que , quand
même les grands se sauvent , tous ceux qui adhèrent
à leurs desseins n'évitent pas la peine qu'ils méritent ,
et ainsi détourner un chacun de se porter aux factions
des grands ^
Qu'elle présupposoit en outre une assurée et im-
muable résolution de faire exécuter l'arrêt dé M. de
Montmorency à la première mauvaise conduite que
Monsieur feroit, sans qu'il fallût autre forme que d'y
envoyer le grand prévôt pour faire sa charge ;
Qu'elle présupposoit de plus une garde assurée de
M. de Montmorency, qui quoique difficile n'étoit pas
impossible.
Sa Majesté ayant ouï toutes ces raisons de part et
d'autre , se confirma en la volont4i|u'elle avoit eue
dès le commencement de faire en lui une justice
exemplaire à tous les grands de son royaume à l'a-
venir, comme le feu Roi son père l'avoit fait utile-
ment en la personne du maréchal de Biron. Elle
l'envoya quérir à Lectoure par le marquis de Brezë
avec six cents chevaux, et le fit conduire à Toulouse,
où il fut condamné le 3o à avoir la tête tranchée, ce
qui fut exécuté le même jour (>) ; les duchés de
(i) Ce qui fut exécuté le même jour : Les détails du procès el du
DE RICHELIEU. [l632] ^17
Montmorency et de Damville prives à jamais du nom
de duchés et pairies, toutes les terres qu'il tenoit im-
médiatement du Roi réunies à la couronne , et tous
ses biens acquis et confisqués à Sa Majesté, qui néan-
moins , en considération de ses héritiers , les leur fit
distribuer, ses dettes préalablement payées.
La bienveillance générale qu'on portoit à son nom
à cause de la haine de la maison de Lorraine, faisoit
que plusieurs murmuroient de cette action , et la
taxoient de quelque sorte de rigueur ; mais les autres
plus sages, qui, dépouillés de passion et d'intérêt,
considéroient plus mûrement l'importance de cette
aflaire , louoient la justice du Roi , qui préféroit le
bien de son État à toutes autres considérations, et à
la vaine réputation d'une clémence dommageable, et
estimoient le courage du cardinal , qui méprisoit la
propre sûreté de sa personne et la haine de tous les
grands pour satisfaire à la fidélité qu'il devoit au Roi
qui se confioit en lui-, outre que ce n'est que depuis
la foiblesse de l'État et les guerres civiles qui avoient
quasi anéanti l'autorité royale, que les grands pou-
voient commettre impunément toutes sortes de cri-
mes, et qu'ils sembloient être au-dessus des lois.
Notre histoire est pleine de semblables exemples
de la justice que les rois ont prise des plus grands
de leur Etat pour pareils et moindres crimes, et,
pour ne parler des temps trop éloignés, Gilles de
»upplice de Montmorcncj se iroavent daof tons les historiens. Une
particularité' qoi n^a pas été remarqacfc, c*est qoe, dans le Languedoc,
rinstrument du supplice ressembloit k celui qu'on emploie de nos jonrs.
« En ce pays-là , dit Puysegur , on se sert d'une doloire qni est entre
'< deui> morceaux de bois ; et quand on a la t^te posée sur le bloc on
'< lAche la corde , et cela descend et sépare la tête. »
ai8 [l632] MÉMOIRES
Retz , maréchal de France de la même maison de
Montmorency , descendu de Mathieu , deuxième du
nom, connétable de France, fut, sous le roi Charles yii,
condamné à la mort pour être seulement convaincu
de sortilège.
Le comte de Saint-Pol, connétable de France en
Tan 1475, et Jacques d'Armagnac, duc de Nemours,
Tan 14779 furent, sous Louis xi, condamnés à mort
et exécutés pour crime de lèse-majesté.
Le roi François i n'épargna pas le connétable de
Bourbon , bien qu'il fût de son sang , ni François 11
son petit-fils n'eût pas épargné le prince de Condé
déjà condamné à mort , si la mort subite du Roi n'en
eût prévenu l'exécution-, et le maréchal de Biron,
sous le feu Roi , n'étoit pas de moindre considération,
et lui avoit rendu de plus signalés services que le
duc de Montmorency n'avoit fait à Sa Majesté. Et à
la vérité un Etat seroit bien à l'abandon, dans lequel
tels crimes seroient excusables , la crainte seule de la
punition desquels peut retenir l'ambition de ceux qui
les commettent. Sa Majesté pourvut de son gouver-
nement le maréchal de Schomberg, et le ducd'Halluin
son fils en survivance, avec le gouvernement de la
ville et citadelle de Montpellier qu'avoit le sieur de
Fossé , auquel elle donna en récompense celui de la
ville et citadelle de Verdun , donna la charge de ma--
réchal de France vacante par la mort du maréchal
d'EfBat au marquis de Brezé pour les grandes actions
de cœur et de conduite que , suivant l'exemple de
ses pères , il avoit faites en Italie et particulièrement
à Castelnaudary ; et privant du gouvernement de
Provence le duc de Guise , qui , quelque commande*
DE RICHELIEU. [iGSl] 319
ment que Sa Majesté lui eût fait de la venir trouver,
n'y avoit point obéi, comme se défiant de son in*
nocence , le donna au maréchal de Yitry qui Tavoit
bien servi en ces derniers mouvemens.
Sa Majesté fît aussi faire 1q procès à Deshayes à
Béziers, qui fut condamné à avoir la tête tranchée et
exécuté, pour avoir traité en Allemagne de la part de
Monsieur et de la Reine-mère, pour recouvrer de
largent sur les pierreries de ladite dame Reine, et
moyenner Tenvoi de gens de guerre en Fiance contre
le service du Roi.
Et pource que le caractère de la maison de Mont-
morency, qui depuis un long temps étoient gouver-
neurs de Languedoc , étoit si avant imprimé dans ces
peuples qu'ils ne croyoient le nom du Roi qu'imagi-
naire , Sa Majesté estima que le meilleur moyen dV
établir son autorité et son service, comme il étoit
important, étoit d y tenir les Etats en sa présence;
elle choisit pour cet effet ki ville de Béziers comme le
cœur de la province , et voisine de plusieurs autres
villes dans lesquelles Sa Majesté régla et le temps et
la manière de la tenue des Etats à Favenir, retrancha
les profusions immodérées qui avoient accoutumé de
se faire en la tenue desdits Etats, à la foule de son
peuple , et y apporta Tordre convenable à son soula-
gement.
Sa Majesté étant sur le point de retourner à Paris,
dépécha le sieur Bautru en Espagne pour se plaindre
des sujets de mécontentement que nous avions de la
part de cette couronne-là, mais en effet pour péné-
trer ce qu'on pouvoit espérer d'eux pour la paix de la
chrétienté. Il eut charge de leur représenter que de-
220 [l63!»] MÉMOIRES
puis quelques années ils n'avoient rien oublié de ce
qu'ils avoient pu pour troubler le repos de la France
et la maison du Roi par les siens propres *,
Que le marquis de Mirabel avoit fait ce qui lui ayoit
été possible pour altérer le bon naturel de la Reine ,
qui y avoit résisté par sa vertu et sa bonté ^
Qu'ils s'étoient servis des mécontentemens de la
Reine-mère, et avoient fait l'impossible pour les faire
valoir contre le Roi et l'Etat;
Qu'ils avyènt fait faire toutes sortes d'entreprises
,à Monsieur sur diverses places du royaume , et enfin
lui ont donné des gens de guerre pour le troubler ou-
vertement 5
Que le Roi n'avoit point voulu se plaindre de ces
mauvais procédés tant qu'il eût semblé qu'il l'eût fait
pour en arrêter et craindre le cours ; mais maintenant
que le grand effort qu'ils pensoient faire pour Mon-
sieur étoit sans effet, Sa Majesté avoit bien voulu
l'envoyer expressément pour s'en plaindre, savoir
s'ils vouloient continuer un tel procédé, et leur dire
que Sa Majesté procédoit bien plus courtoisement, en
ce qu'elle leur avoit renvoyé en Espagne ce qui étoit
resté à Monsieur des gens qu'ils lui avoient donnés
en Flandre pour lui faire la guerre.
Il eut charge , si le comte d'Oliyarës alléguoit l'as-
sistance qu'on donnoit aux Hollandais, de répondre
que c'étoit un traité fait en suite de la ligue où ils
n'oublièrent rien de ce qu'ils purent pour ôter la
couronne au feu Roi.
S'il parloit de l'assistance qu'on donnoit au roi de
Suède, que c'étoit une suite de la guerre qu'ils avoient
faite à M. de Mantoue , et, qui plus est, que cette as-^
DE BICHELIEU. [iGS^] 5121
sistance conservoit la religion en Allemagne, qui ap-
paremment s'y fût perdue sans la considération du Roi.
S'il parloit de Pignerol, qu'il étoit libre à un sou-
verain de vendre son bien comme bon lui sembloit,
et que pour montrer que le Roi n'avoit aucun dessein
dans ritalie sur les États du roi d'Espagne , il étoit
prêt d'entrer en une ligue générale pour le repos de
ritalie , où tous les collègues courroient sus à celui
qui entreprendroit sur l'autre.
S'il parloit de Moyenvic , qa'il étoit permis à un
chacun de reprendre le sien ; que Moyenvic étoit en
la protection du Roi, et appartenoit en propre à
révéque de Metz qui étoit son frère naturel.
S'il parloit du duc de Lorraine , qu'au lieu de
se plaindre de ce qui s'étoit passé, on se devroit
louer de la bonté du Roi , qui s'étoit contenté de
donner un caveçon à ce prince qu'il pouvoit dépouil-
ler par raison, vu les offenses qu'il en avoit reçues;
enfin qu'il lui fît reconnoître qu'on n'avoit pas eu
dessein de porter préjudice à l'Espagne, en ce que le
Roi à Suse ne voulut pas attaquer le duché de Milan
qui n'étoit pas en état de se défendre, et que lorsqu'il
relira Moyenvic il pouvoit encore emporter l'Alsace
dépourvue de toutes forces , ce qu'il ne voulut pas.
S'il lui parloit de Monsieur , que le Roi et lui étoient
contens l'un de l'autre, qu'ils n'avoient pas besoin
de se mêler d'une affaire faite.
S'il parloit de la Reine-mère , qu'il dît civilement
que c'étoit un effet que le bon naturel des parties de-
voit faire, et non pas l'art, particulièrement le leur,
qui avoit toujours été employé pour séparer ce qu'on
désiroit réunir.
222 [l632] MÉMOIRES
S'il parloit du cardinal , qu'il répondit que cMtoît
un personnage qui ne prenoit pas garde à tout ce qui
se disoit et se faisoit contre lui ; qu'il se contentoit
de contribuer ce qu'il pouvoitafîn que les affaires du
Roi son maître allassent bien, etn'estimoit pas que ce
fut trop acheter la gloire de servir un si grand prince,
que d'être calomnié comme il étoit de ceux quiétoieut
ennemis envieux des prospérités de son maître^
Qu'au reste , il avoit toujours désiré l'union des
deux couronnes » mais à conditions justes et raison-
nables, auxquelles il n'avoit pas vu jusqu'à présent
que l'Espagne eût voulu consentir.
Enfin il lui fut ordonné de s'étudier particulière-
ment à pénétrer autant qu'il lui seroit possible tous
les mauvais desseins qu'on avoit eus contre la France,
le Roi et les siens, et de découvrir ceux qu^on avoit
encore , échauffant souvent le conite d'OIivarès pour
apercevoir la vérité dans ses colères.
Le sieur de Bautru, qui étoit parti auparavant
l'exécution à mort du duc de Montmorency , en reçut
la première nouvelle à Madrid par le comte d'OIi-
varès , qui la lui dit avec grand étonnemént, exagé-
rant, comme par pitié , la misère d'un seigneur de
telle qualité.
Qu'à la vérité on eût fait punir en Espagne quelque
grand que ce fût qui eût commis une telle faute, mais
que l'usage de notre nation n'étoit pas semblable en
cette matière-là ; mais il ne savoit pas , oïl feignoit
ne pas savoir, qu'il y avoit de grands exemples en
notre histoire de personnes de plus grande condition
que lui, qui avoient été traitées avec même sévérité de
justice quand le bien de l'État l'avoit requis, et que
DE RICHELIEU. [iGis] 223
si , au dernier siècle , les rébellions fréquentes du
royaume avoient ôlé le moyen au Roi de punir
semblables crimes , il falloit, pour rétablir l'autorité
royale, quitter ce désordre nouvellement introduit, et
retourner aux lois premières de FÉtat , considérant
qu'il n'est pas des lois comme des viandes , lesquelles
sont d'autant meilleures qu'elles sont plus fraîches ,
au lieu que les autres sont d'autant plus utiles qu'elles
sont plus anciennes, d'autant que sur elles, et par
elles , l'État a été fondé et augmenté ; et telles pu-
nitions ne sont pas moins actions de clémence en
un prince que de sévérité , attendu que la justice
exercée contre des personnes si coupables est une
douceur, en ce qu ôtant la vie à un seul on la donne
à beaucoup qui eussent perdu la leur, ou de leur
main ou par exemple.
Ledit duc ne pouvant se lasser de parler de ce sujet,
dit qu'il s'étonnoit que le cardinal , étant né vassal et
ayant des parens , eût osé établir un tel exemple en
la personne du duc de Montmorency ^ qu'il devoit se
souvenir que les rois étoient mortels, leur faveur pas-
sagère , la puissance rarement continuelle , et les of-
fenses, au contraire, immortelles; quec'étoitleplus
hardi coup que ministre eût jamais fait, et que, si
le cardinal u'avoit point eu de passion particulière
contre lui , le Roi ne le pou voit jamais assez récom-
penser d'une telle action.
Il parloit comme homme qui ne s'étoit pas entière-
ment oublié soi-même pour se donner tout à son
maître , et qui , sans considération de chose qui le
touchât en son particulier , ne regardât que sa per-
sonne royale et la conservation de son État.
2^4 [l63l] MÉMOIRES
Bautru lui rëpondil que tant s'en faut qti'il y eût
eu aucune mésintelligence entre le cardinal et ledit
duc, qu'au contraire, si on choisissoit six des plus
grands seigneurs de TÉtat de condition égale , ou
plus relevée que celle dudit Montmorency, on ne
trouvcroit pas qu'ils eussent reçu tous ensemble tant
de marques d'honneur et tant de bienfaits de Sa Ma-
jesté que ledit Montmorency , depuis que le cardinal
tenoit le rang qu'il possëdoit dans les bonnes grâces
et dans les affaires de Sa Majesté;
Que, pour les marques d'honneur, il avoit été gé-
néralement préféré à tous les princes et grands sei-
gneurs du royaume à la conduite des armes de Sa
Majesté , ayant passé peu d'années , depuis que le car^
dinal étoit dans les affaires , sans avoir été général
d'armée sur la mer , sur la terre , dedans ou dehors
le royaume , en présence et en l'absence de Sa Ma-
jesté -, et parce que les maréchaux de France, qui na-
turellement sont créés pour la conduite des armes
de nos rois , supportoient impatiemment qu'on leur
préférât un homme qui n'étoit point de leur corps ,
le Roi le créa maréchal de France , quoique le nombre
* fût excessif, et qu'il semblât qu'avec le grand pouvoir
qu'il avoit dans le gouvernement de Languedoc il ne
fût pas à propos d'ajouter cette charge à une si grande
autorité, qui étoit telle que, depuis douze ans, ledit
duc de Montmorency avoit levé , sur ses ordonnances
dans la province de Languedoc, 22,000,000 de livres.
Pour ce qui étoit de la confiance, qui est volontiers ce
qui touche le plus les personnes les plus relevées de
cœur et de naissance , elle étoit telle avec Sa Ma-
jesté et le cardinal , que le Roi, croyant être au der-
DE BtCHBLlEU. [1682] àlS
nier période de sa vie à Lyon^ le choisit comme le
croyant la personne la plus affidëe à ses commande^
mens , et la plus obligée par le cardinal pour aller
trouver le duc d'Orléans, son successeur, lui dire ses
dernières volontés , et lui recommander particulière-
ment la personne dudit cardinal , qui se confioit en
tel point en son amitié , qu'au cas que Monsieur lui
eut témoigné mauvaise volonté , il s'en alloit en Lan*^
guedoc plutôt qu'en aucun de ses gouyernemens , ne
voulant sûreté dans l'État que dans les services qu'il
avoit rendus à la couronne *, et , pour le prouver , il
se mettoit entre les mains de l'homme de France
qui ëtoit le plus obligé à la conservation de l'autorité
royale et dignité de l'État. Du depuis ^ la conûanc0
avoit été telle entre ledit cardinal et ledit duc, que,
tant qu'il avoit été à la cour , il n'y avoit eu aucune
heure , pour particulière qu'elle fût , où ledit duc de
Montmorency ne fût entré chez le cardinal avec pius*
de privauté et de liberté que le cardinal de Lyon son
frère, ni aucun autre de ses parens, amis ou serviteurs;
Qu entre autres particularités , il ne passoit point
de semaine que ledit duc ne coUationnât le soir eo
particulier avec ledit cardinal ; ce qui avoit continué
jusques à ce qu'il s^eu £ut allé en son gouvernemeai
de Languedoc , où, depuis qu'il fut arrivé , il n'avoit
perdu aucunes occasions d'assurer , tant Sa Majesté
de son très-humble service et fidélité, que le cardinal
de la continuation de son amitié ^ que plus de quatre
mois auparavant, le 212 juillet, jour de sa déclaratioa
contre le service du Roi, on avoit eu avis de ses né-
gociations et envois des Delbène en Flandre , et de
Tassociation qui avoit paru depuis ; mais que le car-
T. 27. i5
226 [l632] MÉMOIRES
diaal les avoit tellement rejetés qu'il n'assuroit pas le
Roi avec plus de sûreté de sa propre fidélité que
de celle dudit duc de Montmorency , qui tenoit ordi-
nairement auprès dudit seigneur cardinal un gentiK-
homme, son plus particulier confident, qui avoit ,
jusques aux derniers jours avant cette rébellion ,
assuré positivement que les bruits qui couroient
étoient faux , et qu'il engageoit la tête de son maître
et la sienne , si Ton ne trouvoit qu'ils étoient semés
par ceux qui , par impostures et calomnies , vouloient
la ruine de son maître. Et de fait, le cardinal y ajouta
telle foi, quejamais, quelques instances contraires que
Ton eût voulu faire, il n'avoit parlé d'envoyer un
bomme de guerre dans le gouvernement de Langue-
doc , non pas même un mois après l'entrée de Mon-
sieur dans le royaume , sous autre autorité que de
celle du gouverneur ; que ledit comte ne devoit point
tenir pour rigoureuse sa punition , après tant d'hon-
neurs et de bienfaits qu'il avoit reçus du Roi , et tant
de confiance que le cardinal avoit eue en lui ;
Que les Espagnols apprennent à tout le monde qu'il
n'y a point de qualité qui mette à couvert aucuns vas-
saux contre les crimes de lèse-majesté ; que le grand-
père du roi Catholique en avoit fait la leçon sur son
propre fils unique, qui n'étoit accusé que d'avoir
écouté les gueux de Flandre ; et que , pour la maison
de Montmorency, le comte de Hom, qui en ^toit
l'alné , eut la tête tranchée à Bruxelles par l'ordon-
nance du duc d'Albe, sans être accusé d'autre crime
que d'avoir consenti à la requête présentée par les
«cieux.
Et , à la vérité , le cardinal Zapata prouva bien ,
DE RICHELIEU. [l63a] M7
sans y penser, la vérité de la réponse de Bautru» au-
quel, et au sieur de Barault, ambassadeur du Roi,
qu'il trouva en rantichambre du roi d'Espagne, il
demanda : « Qui pensez- vous , messieurs, qui ait fait
trancher la tête au duc de Montmorency? » Bautru
lui répondit : a Ses crimes. — Non pas tant ses cri-
mes, repartit le cardinal, que la clémence des rois
prédécesseurs de Sa Majesté. » Voulant donner à en-
tendre que si , en ces derniers temps, les rois eussent
châtié les grands de leur royaume selon qu'ils méri-
toient, celui-ci eût été retenu par leur exemple , et ne
fût pas tombé en la faute qui lui a causé la mort.
Lorsque le Roi sut Tassistance que le roi d'Espagne
donnoit au duc de Montmorency et à Monsieur contre
lui, et depuis, lorsque Dieu eut douné à Sa Majesté
la victoire sur eux , plusieurs lui conseilloient de tour-
ner SCS armes contre le Milanais : ils ne manquoient
pas d'apparentes raisons pour appuyer leur avis, et
montrer qu'il étoit de facile exécution.
Ils représentoient à Sa Majesté que la plupart des
forces d'Italie étant passées en Espagne pour assister
Monsieur , et n'en pouvant recouvrer d'Allemagne
pour les divisions qui y étoient , si Sa Majesté , qui
avoit toutes ses forces dans le Languedoc, Lyonnais
et Dauphiné , faisoit passer partie desdites troupes du
côté de Casai , et partie par le côté des Grisons , et,
avec celles du duc de Savoie et l'assistance de la ré-
publique de Venise , entroit dans le duché de Milan,
on le surprendroit de sorte qu'on n'y trouveroit point
de résistance -, qu'il ne falloit point douter que le dac
de Savoie ne s'y portât , comme aussi la République,
quand elle verroit que ce seroit tout de bon et qu'elle
i5.
9^8 [l632j IIÉIfOIR£3
j pourrait profiter de quelque chose, et que Sa Ma-
jesté , par une petite déclaration , feroit entendre le
juste sujet qu'elle avoit d'attaquer le roi d'Espagne
en ses États , puisque si publiquement il Tattaquoit
daus la France. ,
Au reste, quil n'y avoit dépense à faire qa'en b
levée des troupes et en leur subsistance pour trois
mois, d'autant que le duché de Milan et les petits
Etats qui l'environnent fourniroient aussi bien à
Tentretènement de l'armée du Roî qu'ils avoient fait
à celui de celle de l'Empereur, joint que la levée
étoit toute laite , Sa Majesté ayant des troupes pres-
<que suffisamment près d'elle pour cet effet. Mais Sa
Majesté , que la mauvaise fortune n'abattoit point , ne
s'ëlevoit point aussi dans la prospérité \ mais, en quel-
que état que fassent ses affaires , elle se gouvernoit
toujours avec la même disposition tranquille , de la-
quelle la vie d'un grand prince a toujours plus grand
besoin que le navire n'a de la prudence du pilote.
Elle jugea bien ce conseil et juste et facile à exécu-
ter , mais elle préféra la conservation de la paix à la
rupture ouverte , à laquelle elle ne vouloit venir qu'à
toute extrémité , bien que les Espagnols semblassent^
par toutes leurs actions , non-seulement vouloir fy
obliger, mais contraindre.
A peine avoient-ils encore , au i S octobre , exécuté
tous les articles de la paix de Cherasque , ou , et en ce
temps-là seulement, les troupes impériales qui étoient
sorties du Mantouan achevèrent de passer aux Gri-
sons; et, durant toute l'année, ne firent autre chose
que menacer le duc de Savoie et le duc de Manioue
de recommencer la guerre , et avoient toujours tenu
DE BICHBLIBU. [iGBa] a!!^
dans le Milanais , contre ce qui avott ëté promis , tant
de troupes que lesdits ducs en éloient à juste sujet en
jalousie. Mais^ nonobstant toutes ces choses , le Roi»,
au lieu de prendre ce temps cpaà lui éioit si favorable^
pour les aller attaquer audit Milanais, seeonienta^dd
prendre quelque assurance contre leur mauvaise ikh
lonté , pour la conservation de ses alliés^ ^ et fU u»
nouveau traita avec ledit due de Savoie y par teqiiel
Pignerol, qui ne hn zvoit, au commeneeme&tyëld
laissé qu'en dépôt , hii fut absolument vendu et baillé
en échange , pour toiaîoiirs ^ avec le fort de La Pé-
rouse, et tout ce qui lui avoit ëté donne premièf emusat
en dépôt.
Sa Majesté hii fit représenter qae Ites actioas des
Espagnols étoieiit,BOfKse«leBentdes tëmei(|Da|^ vir
srbles, mais des effets palpables d'une* résolution piiat
de longue main en Espagne, de s'élever à Tusurpatioii
entière de lltalie sar la ruine de tons-ceo» qui n^ad-
hèrent pas à leur ambition ; que cek- oUîgeoit Sa Ma-
jesté à chercher de bonne heure dis nouveaux remèdes
aux malheurs qu^une dissimulalîoa< trop endurante
lui pourroit apporter; etreconnoissaot que, pour d^
meurer selon son* désir dans les simples termes de la
défensive, et couper les avenues aux desseins de
l'agression qu'on préparoife, il n'en saopoit présente»
ment choisir un plus assuré ni moins suspect àr per^-
sonne que d'avoir un passage* assuré, par le moyen
duquel , sans être à chaqne fms> obligé dis conduire
de puissantes armées si loin, il put être en état de
secourir ses alliés et de défendre la liberté de l'IlaUe,
il croyoit qu'il étoit nécessaire , pour le repos publio,
qu'il lui échange&t Pignerol ou^ quelque autre de ses
23o [1682] MÉMOIRES
places frontières de la France ; qu'il se souvînt de&
maux que, du temps de ses ancêtres et du feu duc
son père, ses États avoient reçus pour avoir adhéré
aux desseins des Espagnols *, qu'il valoit mieux qu'il
se mit en état, lui et ses descendans , de ne pouvoir
plus commettre cette faute , ce qu'il faisoit par ce
moyen. Au reste , que Sa Majesté vouloit une paix
assurée , et n'y voyoit poiut d'autre jour que celui-
là , et aimoit mieux la continuation d'une guerre ou-
verte qu'une paix feinte et de peu de durée , comme
il étoit évident qu'étoit celle dont on le vouloit amu-
ser , puisque déjà les Espagnols y contrevenoient ou-
vertement ;
Que ledit duc se défendroit aisément des plaintes
imaginaires que les Espagnols pourroient faire de lui ,
leur représentant que le peu de sincérité qu'ils avoient
apporté à l'exécution du traité, et le peu de compte
qu'ils avoient fait de ses instances pour s'accommoder
aux justes demandes de Sa Majesté, l'auroient obligée
de lui demander ladite place de Pignerol, laquelle il
n avoit dû lui refuser pour l'assurance de la paix d'Ita-
lie et de celle de ses États.
Le duc de Savoie comprenoit bien la nécessité et
la force de ces raisons , mais il avoit peine à y con-
sentir, tant pource que cela lui ôtoit l'honneur qu'il
s'étoit toujours voulu arroger en ItaUe, de tenir les
portes de cette province pour les ouvrir ou fermer ,
selon qu'il lui plaisoit, à toute puissance étrangère ,
que parce qu'il donnoit en ses Etats un pied au Roi ,
dont il redoutoit déjà assez la force et le voisinage. Il
essaya de divertir l'exécution de cette proposition par
plusieurs demandes qu'il faisoit , difficiles à obtenir ,
dont la principale fut qu*il voulut obliger Sa Majesté
de prendre Genève et la lui donner en échange, à
quoi il eut facilité d'attirer le Pape» qui envoya pour
ce sujet, bien que sous un autre prétexte , Mazarin
en France ; mais Sa Majesté n*y put consentir , tani
pource que c'étoit une place qui de long-temps s^ë*
toit mise en sa protection, que d'autant qu'elle étoit
alliée avec tous les cantons des Suisses, qui s'y fusr
sent intéressés , joint qu'il importoittrop à Sa Majesté
que cette place, en la situation qu'elle est , ne tom2>ât
pas entre les mains du duc de Savoie.
•
EnGn , toutes les difficultés qu'il sut apporter étaot
surmontées ^ il consentit au désir de Sa Majesté , et
fit avec elle un traité d'échange dudit Pignerol el.de
son finage , du fort de La Pérouse et de quelques
autres places dans la vallée dudit Pérouse , pour de-
meurer en propre et souveraineté pour toujours à
Sa Majesté et ses successeurs, et être à jamais unis à
la couronne de France ^ pour en jouir dès lors , non-
obstant quelques traités faits ou à Élire , auxquels ledit
duc renonça dès lors.
Le duc de Feria , voyant ces places en la puissance
de Sa Majesté , s'en formalisa et envoya en, faire
plainte au duc de Savoie. Le roi d'Espagne fit le
même à Sa Majesté par ses ambassadeurs ; mais le Roi
et le duc répondirent sur ce suj«t avec tant de raison
et de justice, que la seule opiniâtreté, leur mauvaise
volonté contre la France , et le déplaisir quMls avoient
de voir que la facilité d'envahir lltalie leur ëtoîk
ôtée par ce moyen , les empêchèrent de les recevoir
en paiement.
ils faisoieut aussi courir le bruit que le dépdt oe
nSa [i63aj MÉMOIRES
ces places entre les mains du Roi , qui a^voît ëlé pu-
blie Tannée auparavant, étoit simulé , et que dès lors
rechange absolu en avoit été fait, mais qu'on ne IV
voit pas voulu déclarer qu*à présent; mais, outrie- que
cette supposition étpit imaginaire, quand bien elle eut
été véritable, qu'eât->on pu imputer au Roi qi au duc
de Savoie .de cette action ? et de quoi eussent-*ils pu
raisonnablement être accusés de- l'Empereur ni du
roi d'Espagne ?
De dire que c'est une innovation au préjndioe du
traité de Cberasque , quelle raison en peuvent^ib ap-
porter?
Il est dair que ce traité n'a point lié les mains à
M. de Savoie , mais plutôt Va remis en sa libre dispo-
sition.
Le Roi non plus ne perd point son droit d'acquêt
rir. Cbaque traité est borné aux matières dont il
traite , et ne £iit point de loi pour les choses sui->
vantes, s'il n'en est (ait mention expresse et spécifique
audit traité.
Le duc de Savoie est prince souverain , auquel il
est loisible de vendre, d'éohanger , ou autrement,
comme il lui platt , disposer de ce qui lui appartient ,
sans que les Impériaux ni les Espagnols s'en puissent
formaliser avec raison.
En second lieu, ledit duc, pour plusieurs raisons
et considérations , étoit obligé de remettre cette place
entre les mains de Sa Majesté , à cause des droits qui
appartiennent à la couronne de France sur ledit Pi-
gnerol et ses dépendances*
Il convient donc savoir qu'au traité de paix de
Tannée 1600 , entre le roi Henri-le-Grand et le feu
DE BICUBU£0. [i63aj »33
duc de Savoie > il y a article exprès par lequel il est
dit que le traité de paix qui est fait entre le Roi et le
duc ne pourra prëjudicier aux droits de la couronne
de France contre le duc, suivant les traités de Tan
1 559 et de Tan 1574*
Par le traité de iSSg, le roi jHenri 11 donne en
mariage au duc Philibert Marguerite de France sa
sœur-, et, en considération de ce mariage, il remet
et rétablit ledit duc Philibert dans ses états de Savoie
et Piémont, à la réserve de Turin, Pignerol et autres
places , suivant les conditions dudit traité *, et , à cause
des prétentions de la couronne de France sur la mai-*
son de Savoie , il est dit que les différends seront ter-
minés entre la France et Savoie ainsi qu il a été pra-
tiqué de tout temps , parce que les ducs de Savoie ,
cpiand ils avoient eu différend avec les rois , avoient
usé de cette prudence de se remettre au jugement du
parlement de Paris , ou bien que les parties nomme-
roien t des députés de part et d'autre , qui donneroient
leur jugement comme arbitres^ et, au cas que lesditg
arbitres ne pussent convenir des différends, que le
Roi et le duc conviendroient d'un prince chrétien ,
leur ami commun, pour décider leur différend. En
exécution dudit traité de iSSq, le Roi nomme le prési-
dent Séguier et fabbé Chandon ; M. de Savoie nomme
aussi de son côté trois on quatre de se$ principaux
ministres', lesquels députés s'assemblent de part et
d autre à Saint- Just dans Lyon, où, après plusieurs
et diverses assemblées et contestations , la sentence
arbitrale fut signée des députés de Sa Majesté et dudit
duc. Par cette sentence, outre le comté de Nice,
adjugé au Roi avec restitution de fruits de près de
234 [l63!l] MÉMOIRES
cent ans, nne partie de la Savoie et de Bresse , plu-^
sieurs places de Piémont furent adjugées à Sadite
Majesté, comme lui appartenant à cause de Tunioa
inséparableraiteduPiëmoQtavecla Provence , et entre
autres places , il est dit que Pignerol est du nombre
desdites places. Cette sentence fut signée par les dé-
putés du duc, qui, néanmoins, pour défendre en
quelque façon l'intérêt de leur maître , déclarèrent ,
contre toute raison et justice , que la prescription Ta-
voit mis à couvert , et que tous les droits de la France
étoient prescrits par la longueur du temps : ce qui
étoit du tout absurde et contre la vérité, parce que
les droits de la souveraineté sont imprescriptibles^
n*y ayant aucun juge par devant lequel les princes se
puissent adresser pour contester les actions qu'ils ont
contre les détenteurs de ce qui est à eux , et que telles
affaires ne se peuvent terminer que Tépée à la main,
quand ceux auxquels on les détient injustement ont
fait sommer et interpeller les détenteurs par les voies
dont les souverains ont de coutume d'user.
Lors de cette sentence ainsi rendue, Pignerol étoit
entre les mains de Charles ix, lors régnant, et est de-
meuré à la couronne de France et en sa possession
jusqu'en Tannée 1574? les droits de la couronne ad-
jugés par la sentence arbitrale de l'année 1 5Sg , n'ayant
été pleinement exécutés à cause de la minorité du
Roi et des troubles survenus dedans le royaume à
cause de ceux de la religion prétendue réformée.
Il est vrai que le roi Henri lu, revenant de Po-
logne pour recueillir la succession du royaume , passa
en Piémont , où Sa Majesté fut pressée et importunée
par les prières extraordinaires de madame Margue-
DE RICHELIEU. [l63!l] ^35
rite sa tante , femme du duc Philibert et mère du der-
nier duc dëcëdé , de commander que Pignerol et au-
tres places dont la France ëtoit en possession , fus-
sent remises es mains et au pouvoir du duc , à quoi
le roi Henri se laissa emporter contre Tavis de ses
principaux serviteurs.
Pour cette restitution, les sieurs de Sauve, secré-
taire d'Etat, et le sieur de Birague furent commis par
le Roi , comme aussi le duc députa de ses principaux
serviteurs. Par le traité il est notamment convenu
que la remise de cette place et autres , qui est faite
par les députés du Roi es mains du duc , est sans
préjudice des droits de la couronne de France , sui-
vant le traité de Tan iSSg, ce qui montre clairement
que le duc de Savoie a pu avec toute sorte de rai-
son et justice traiter de cette place avec le Roi par
vente , échange ou autrement , puisqu'en exécution
des traités de la paix publique , le duc eût été obligé
de restituer cette place qui appartient à la couronne
de France , le roi Henri-le-Grand s'étant réservé par
le dernier traité de paix tous les droits de la cou-
ronne contre le duc de Savoie, suivant les traités de
Tan i559 et 1574.
Car , de mettre en avant que Pignerol relève de
l'Empereur , et qu'il ne se peut aliéner sans son con-
sentement, c'est une chose qu'il faudroit prouver au-
thentiquement. On leur nie cette proposition-là ; et
quand cela auroit été autrefois, ce qui n'approit
point, Pignerol ayant été uni à la couronne de France
comme il a été long-temps, auroit changé de nature;
mais quand cette place relèveroit de l'Empereur et
que Von n'en pourroit douter, il sufBroit que la France
a36 ' [i63!i] MÂMOiiiEs
satisfit à ce qui lui seroit dû, n'y ayant rien de si
commun que de voir des fiefs de TEmpire passer en
autres mains sans opposition des empereurs , qui ne
la peuvent faire qu'en choses justes.
La translation d'un grand nombre de fiefs dans
ritalie , que les empereurs de la maison d'Autricke
ont faite aux Espagnols, feroit par trop renouveler les
plaintes de cet abus, s'ils dénioient à la France, po«r
le bien public et pour le sceau d'une paix générale, ce
qu'ils ont accordé aux Espagnols avec l'oppression
et contre le gré des propriétaires. Par ce moyen Sa
Majesté assuroit la paix d'Italie à l'avenir , car elle se
conservoit un passage pour aller secourir les princes
que les Espagnols voudroient opprimer.
Le duc de Feria et les ambassadeurs d'Espagne en
firent de grandes plaintes partout, disant que le duc
ne pouvoit faire cet échange sans la volonté de l'Em-
pereur , duquel tous les Etats du duc relevoienl.
Mais comme leurs plaintes étoient mal fondées , il ne
fut pas difficile de leur répondre: aussi B'ëtolt-ce
pas ce qui les blessoit , mais ils vouloient profiter sur
le duc de Mantoue , et le duc de Feria fit proposer
par personnes interposées qu'il falloit qu'il y eût éga-
lité entre le Roi et eux, et que comme Sa Majesté
avoit profité d'une place aux dépens de M. de Savoie,
il étoit raisonnable qu'ils en profitassent d'une autre
aux dépens de M. de Mantoue ; mais nous témoi-
gnâmes qu'ayant fait ce que nous devions pour Pexécn-
tion de la paix , et eux , au contraire, ayant témoigné
de paroles et d'effets qu'ils la vouloient troubler,
ayant armé continuellement dans leurs Etats , noos
avions été obligés de faire ce que nous avion* fiiit«
DE RICHELIEU. £l63lj ^if
M. de Savoie , qui eût bien voulu les contenter ,
dit au nonce qu'il pouvoit proposer comme de lui-
même au duc de Feria Tachât de quelque place
dans le Monlferrat, pour faciliter le passage aux Es-
pagnols dans le Milanais , ainsi que nous avions dé-
sire Pignerol pour nous faciliter le passage en Italie.
A quoi nos ambassadeurs s'opposèrent formellement,
d'autant qu'encore qu'on ne pût pas dire qu'ils y
auroient consenti , on eût pu soupçonner que ce
n'eût pas été sans leur participation , ce qu'ils ne vou-
loient pas , parce qu'ils savoient bien que le Roi n'y
consentiroit jamais.
Le 'duc de Savoie, qui avoit une exacte connois-
sance de tout ce qui concemoit Pignerol , savoit que
labbë de cette place en avoit autrefois prétendu être
souverain ; et , pour essayer de retenir d'une autre
part ce qu'il avoit donné , et avoir prétexte de dire
quelque jour qu'il n'avoit cédé au Roi que le droit
qu'il avoit lors du contrat , tâcha par son ambassadeur
à Rome de la faire résigner par le cardinal Barberip
en faveur d'un sien neveu.
Mais les ministres du Roi, qui en eurent le vent, s'y
opposèrent comme étant l'abbaye en terre de l'obéis-
sance de Sa Majesté, de laquelle, par conséquent, elle
prétend avoir la nomination, ou au moins y devoir
donner son consentement, principalement quand
cela attire de grandes conséquences \ et ils obtinrent
ladite résignation en faveur du frère du sieur Servien
que le Roi nomma. Toutes ces affaires ayant été par
ce moyen pacifiées et en Languedoc et en Italie, Sa
Majesté partit de Toulouse le dernier octobre pour re-
tourner à Paris, et arriva à Versailles le ao novenabre.
238 [l632] MÉMOIRE»
Elle avoit résolu d'aller de Narbonne à Toulouse ,
à Bordeaux , et par Poitiers à Paris ; mais la crainte
qu'elle avoit que Toiras fit faux bond à son service»
lui fit prendre le chemin de Lyon , pour aider par sa
présence à donner bon succès à la négociation qu'elle
faisoit faire par Servien pour le retenir en son devoir.
Tout le monde crut que Toiras trempoit dans
cette rébellion, pource que si ses frères eussent cru
lui déplaire s'arrétant dans ce parti , ils ne l'eussent
pas fait, lui étant obligés de toute leur fortune, et dé-
pendant de lui comme ils étoient ^ outre que parmi
les siens il se disoit assez ouvertement que le gou-
vernement présent le tenoit dans la persécution, que
les honneurs qu'il possédoit n'égaloient pas ses mé-
rites , que ses emplois ne lui étoient donnés que pour
l'éloigner; joint que son humeur étoit de faire croire
qu'il étoit bien de tous côtés, et se vantoit de n'être
pas mal dans l'esprit de la Reine-mère et de Mon-
sieur, témoignoit avoir assez peu de passion pour les
intérêts du Roi , nonobstant qu'en un pays étranger
il la faut redoubler , prenoit plaisir de laisser agiter à
sa table la question en faveur de la résistance des par-
lemens aux commandemens du Roi, en quels cas un
général d'armée peut désobéir à Sa Majesté, et quelles
raisons peuvent rendre juste un parti contraire. Néan-
moins il ne se déclara jamais ouvertement , soit qu'il
vit incontinent la partie être mal faite , soit qu'il re-
connût bien que sa déclaration contre le Roi l'eût
ruiné, et qu'il n'eût pu qu'avec une extrême difficulté,
qu'il n'espéroit pas pouvoir surmonter, se rendre
maître de Casai , ni le conserver , quand il eût été
en sa puissance, sans le livrer aux Espagnols, des-
DE RICHELIEU. [lÔS^î] aSp
quels il ne pouvoit attendre que misère et mépris.
Le duc de Savoie eut quelque conférence avec lui
sous prétexte de TafTermir en son devoir*, mais il y
avoit aussi apparence de croire que c'étoit pour pou-
voir profiter de Casai , s'il venoit à se perdre, plutôt
que les Espagnols , plus à dessein de la rendre au Roi
et tirer de Sa Majesté quelque avantage pour cette
action-là, que pour espérance de la garder, sachant
que le Roi étoit un prince qui n'étoit pas résolu de
souiïrir cette injure de qui que ce fût qui la lui eût
voulu faire.
Mais la raison qui apparemment le retint plus fer-
mement en son devoir, fut qu'il voyoit bien qu'après
la défection de ses frères il étoit perdu d'honneur et
de réputation, s'il venoit à manquer à un maître qu'on
ne pouvoit pas dire seulement l'avoir élevé, mais créé ;
ae sorte qu'il eût reçu de son action un blâme universel
de tout le monde, ce qui lui étoit un puissant frein,
attendu l'orgueil et l'amour de soi-même qui lui
commandoient absolument ; et que cela soit vrai , il
dit souvent à Servien qu'il avoit eu de grands des-
seins de se faire souverain, et que ce lui étoit un
mortel déplaisir que le Roi l'eût honoré des charges
et bienfaits qu'il lui avoit départis, parce que cela l'en
avoit diverti ; néanmoins il fut en branle de ce qu'il
devoit faire et en délibéra, ce qui est un crime en
matière d'Etat.
Sur ce que le Roi , en une lettre qu'il écrivit à
Servien au commencement de juin , donnoit quelque
commandement au Plessis-Praslin , il dit nettement
audit Servien qu'il ne se senloit pas assez homme de
bien pour s'cmpécher de s'opposer à tous ceux qu'on
!l4o [1632] MEMOIRES
voadroit employer dans Casai à son préjudice. Après
que le duc de Montmorency se fut déclaré , et ses
frères ensuite, il dit à Servien que cela le désespé*
roit, pource qu'on pouvoit douter de lui, et qu'il
Youloit aller trouver le Roi , pourvu que ledit sieur
Servien se voulût charger du préjudice que le service
de Sa Majesté pourroit recevoir. Sur quoi ledit Ser-
vien lui répondant sagement que c'étoit à lui à prendre
conseil , il repartit qu'il étoit sur le bord du préci-
pice ; que , si les ministres se séparoient de lui , ce
seroit le porter dans le désespoir et lui faire prendre
des résolutions extrêmes.
Ensuite il écrivit à Sa Majesté, le i5 août , pour
l'assurer de sa fidélité , détestant au contraire l'infidé-
lité de ses deux frères, qui étoient avec Monsieur ,
et qu'à la première volonté de Sa Majesté il lui ap-
porteroit sa tête pour plus grande assurance de ce
qu'il lui devoit.
Mais néanmoins , le Roi lui ayant doucement té*
moigné désirer qu'il le vint trouver à Lyon pour lui
rendre compte des affaires d'Italie, il s'en excusaadroi-
tementsousprétexteque,leducdeFeriayétantarrivé,
sa présence y étoit nécessaire pour la sûreté de Casal«
Il envoya Castellan , lieutenant de sa compagnie de
gendarmes , à ses frères , pour les exhorter , disoit^
il , à être serviteurs du Roi ; mais , ou son dessein ne
fut pas tel , ou il fut inutile , car Tévéque de Ntmes et
Rostinclair demeurèrent opiniâtrement dans la rébel-
lion; le seul La Forêt cadet, et le plus pauvre, et
qui n'étoit pas estimé avoir tant de subtilité d'esprit
que ses frères , mais moins de malice et plus de priK
bité , demeura fidèle au Roi.
DE niCIlBLIEU. [1632] 241
Le Roi étant à Lyon , il envoya son neveu Saint-
Aimais le trouver, le régiment duquel, qui lui étoit
allidé , mais qui étoit composé quasi de tous Langue-
dociens , et qui avoient des parens auprès de Mon-
sieur , partant en qui le Roi ne devoit pas avoir de
conflance, étoit dans la citadelle de Casai; mais il
revint de trois lieues près du Roi en si grande dili-
gence , qu'il creva deux chevaux à son retour , por-
tant ou feignant porter nouvelles à son oncle qu'on
le vouloit mettre en prison, pour laquelle éviter il dit
à Servien qu'il prendroit plutôt quarante turbans , et
eut long* temps de ses gardes de six lieues en six
lieues sur le chemin de Turin à Lyon , pour être
plutôt averti de ce qu'on diroit de lui à la cour , tant
il étoit en grande appréhension. Servien le ramena un
peu , et fit qu'il redépécha ledit Saint-Aunais , lequel ,
étant à la cour , faisoit instance qu'on lui donnât congé
dy aller, mais quant et quant faisoit plusieurs de-
mandes ix)ur lui peu raisonnables. Le Roi , craignant
c\u il prit quelque ombrage si Ton consentoit à Tins-
tance c|iul faisoit, et n'ayant aucun dessein de lui mal
faire , aida à trouver une excuse pour condescendre
à la volonté qu'il savoit qu il avoit de demeurer , et
lui manda que son service ne permettoit pas qu'il
laissât Casai de si loin , n'y ayant personne pour y
commander.
11 commença à se fortifier à Casai plus que jamais ,
accrut le régiment de Saint-Âunais de deux compa-
gnies , et , s'étant aperçu qu'un nommé Gaignot avoit
quelque dessein avec Guiscardi , chancelier du Mont-
ferrât, de mettre ledit régiment hors do la citadelle
et le remplacer d'un autre de Français en qui on eut
T. 27, iti
î«4^- [lG32l] MKMOIUKS
plus de confiaiuîc , il eut bien la hardiesse de dire
qu'on ne Ten feroit jamais sorlir par force, et qu'il
s'y d(5fendroil contre quelque puissance que ce fût.
Néanmoins , Sa Majesté lui ayant témoigné qu'elle
désiroit que le régiment dudit Saint-Âunais , duquel
elle avoit besoin, en sortit, et celui de Nérestan en-
trât en sa place, joint que, pour se décharger de dé-
penses , elle ne vouloit entretenir que ses vieux ré-
gimens en Italie , du nombre desquels étoit celui dudit
Nérestan , il dit qu'il obéiroit , mais qu'il le falloit faire
trouver bon à M. de Mantoue ^ lequel ayant mandé
qu'il souscrivoit en tout aux volontés du Roi ,
il s'échappa en plusieurs paroles peu sensées et qui
procédoient de passion non gouvernée de raison.
Quelquefois il disoit qu'il obéiroit , mais qu'il vouloit
s'éclaircir s'il le devoit faire entièrement content, ou
entièrement mécontent , auquel cas il vouloit aller
chercher fortune près de l'Empereur et jamais ne re-
tourner en France , ce qui lui sembloit qui tourne-
roit au désavantage du Roi , et que le bourgeois Aj
Paris prendroit sa défense et en blâmeroitSa Majesté.
Quelquefois il protestoit avec serment qu'il falloit
qu'il se perdît , puisqu'on le vouloit perdre ; autre
fois, qu'il ne vouloit pas survivre à la ruine de sa
famille ^ qu'il avoit des supplications à faire au Roi
pour elle, et quelques demandes pour lui; qu'il vou-
loit savoir quelle raison on lui feroit. Quelquefois il
disoit qu'il remettroit Casai, bien qu'on ne lui ac-
cordât rien de ses demandes ; puis il ajoutoit , après
avoir retiré ce qu'il avoit en France. Il s'emporta une
fois à dire qu'il vouloit être en sûreté avant qu aller
à la cour; qu'il ne refuseroit point une abolition , et
DE RICHELIEU. [iGS^J ^43
même qu'il avoueroit tout ce quoa voudroit; qu'il
ctoit bien assuré que ses amis ni le public n'en croi-
roicnt rien , et protestoit tous les jours que , s'il avoit
une fois failli , il ne feroit pas comme les autres , vou-
lant dire qu'il conlinueroit toujours en sa rébellion.
Enfin le cardinal, voyant tant de divers mouve-
mens et d'irrésolutions en cet esprit, en eut compas-
sion, et lui manda qu'il étoit trop sou ami pour man-
quer à le prier de ne suivre pas les humeurs qu'il étoit
capable de prendre quelquefois; qu'il répondroit tou-
jours de sa fidélité , mais qu'il le prioit lui donner lieu
de répondre que ses paroles seroient toujours aussi
modérées comme ses effets seroient bons \ qu'il
étoit trop sage et trop afTectionné pour vouloir capi-
tuler avec Sa Majesté; mais il le prioit être si consi-
déré , que ceux qui ne le connoitroient pas comme
lui ne pussent juger sur de vaines apparences quil
fît le contraire ; qu'il s'assuroit qu'il jugeroit bon que
cette lettre partoit d'un cœur qui avoit autant de soin
de la réputation de ses amis que de la sienne propre;
c|u 'i\ <;avoit aussi bien que lui si , par le passé, il avoit
reçu des léraoignages de son affection ; que , se gou-
vernant comme il savoît qu'il feroit envers un maître
à qui ledit cardinal et lui dévoient tout, il enrecevroit
toujours dudit cardinal qui lui feroient connoitre
qu'il étoit son vrai ami.
Il fit savoir aussi au sieur Servien qu'aussitôt que
M. le maréchal d'EfCat fut décédé , on pensa à lui
donner l'Auvergne; que ce gouvernement a 8,000
écus d'État payés dans le pays , ce que n'ont pas les
autres , que le Roi continueroit à lui donner et lui
donneroit effectivement , et qu'au lieu de l'obliger
16.
!244 [l63'2] MÉMOIRES
de venir en France, Sa Majesté trouvoit bon qu'il allât
voyager à Lorette, Rome, Naples, Venise, Alle-
magne et autres lieux qu'il youdroit, pour tant de
temps que bon lui sembleroit.
Que pour faire cette affaire honorablement , il fal-
loit qu'il demandât que le régiment de Saint-Aunais
servît en France ou qu'il en fût déchargé , son neveu
étant trop pauvre pour le pouvoir entretenir en pays
étranger : cela étant , rien ne paroitrôit à son désa-
vantage ^ ains au contraire que pour faire la chose
encore plus honorablement, sans que personne pût
avoir le moindre ombrage , au lieu d'aller voyager,
le régiment de Saint-Aunais étant sorti d'Italie, et
celui de Nérestan qu'on enverroit là entré dans
Casai , ledit maréchal pourroit demeurer encore
cinq ou six mois auprès de M. de Savoie en la charge
qu'il avoit, après quoi il prendroit telle route qu'il
voudroil.
Que par cette voie il se conserveroit les bonnes
grâces du Roi , l'amitié , l'assistance et le service de
ses amis, qui ne lui avoient pas été inutiles, et qui ne
lui seroient pas moins aifectionnés qu'ils avoient été
par le passé. La douceur et délicatesse de ce traite-
ment fît son effet, bien que non cette année, mais en
la suivante , en laquelle , après qu'il eut reçu les pro-
visions du gouvernement d'Auvergne avec tous les
mêmes avantages que le maréchal d'EfBat , avec per-
mission d'en aller prendre possession sans venir à la
cour, il fît sortir le régiment de son neveu comme le
Roi désiroit, demandant encore , outre les grâces que
le cardinal lui avoit procurées, celle de l'abolition
de ses frères, que Sa Majesté lui accorda, obligeant
DE RICHELIEU. [l63'i] 24^
seulement Tëvéque de Nimes à prendre rëcorapense
de son évéché.
Dès que Sa Majesté fut de retour à Paris , l'ambas-
sadeur de Holiaude la vint trouver pour lui donner
avis d'une conférence qui s'alloit commencer à La
Haye entre les députés qui y étoient envoyés de la
part des provinces de Flandre obéissantes à TEs-
pagne et ceux des Provinces-Unies , pour raoyenner
une trêve entre le roi d'Espagne et les Etats. Il dit à
Sa Majesté que cette affaire étoit commencée sur ce
que Icsdits Etats avoient^le 22 mai et le 11 septembre
ensuivant, fait publier des déclarations par lesquelles,
se remettant en mémoire les massacres et cruautés
exercées par les Espagnols èsdites provinces de Flan-
dre , le dessein qu'ils avoient d'y continuer la guerre
pour, après les avoir épuisées d'hommes et de biens,
les soumettre plus facilement sous le joug de leur
servitude, ce qu'ils avoient déjà commencé à faire,
les ayant privés de beaucoup de leurs droits et pri-
vilèges, ils invitoient les habitans desdites provinces
à se rometlre en liberté et s'unir à eux , avec protes-
tation de les assister de la force de leurs armes , les
maintenir en leurs franchises et en l'exercice de la
religion catholique.
Ces déclarations , faites peu avant et depuis la prise
(le Maëstricht, qui avoit donné une grande terreur à
tout le Pays-Bas , firent naître à tout ce peuple un
grand désir qu'on fît quelques ouvertures pour la
paix. Le conseil d'Espagne, qui la désiroit et jugeoit
des deux déclarations susdites que messieurs des
Ktats ne vouloient pas entrer en traité avec les agcns
d'Espagne, mais seulement avec les Etats des pro-
246 [l()32] MÉMOIRES
vinces sujettes, se résolut de le permettre, et pour
cet effet permit qu'il se tint une assemblée d'Etats
desdites provinces obéissantes, à Bruxelles, la réso-
lution desquels fut que le duc d'Arscot écriroit de
leur part au prihce d'Orange, qui étoit à Maëstricbt ,
pour le prier de donner un passe-port pour trois de
leurs députés qu'ils y vouloient envoyer. Qu'étant
arrivés à Maëstricbt, ils traitèrent avec le prince
d'Orange et les députés des Etats des Provinces-
Unies des moyens dont ils pourroient convenir pour
mettre fin à une si longue guerre, s'oflVant que, si
lesdites Provinces-Unies l'avoient agréable , ils enver-
roient un plus grand nombre de députés pour entre-
prendre cette œuvre. Que cela fait ils s'en retour-
nèrent, et que messieurs des Etats ayant donné avis
de cette offre à toutes les Provinces-Unies en particu-
lier, qui toutes l'eurent agréable , les Etats de celles
de la domination d'Espagne avoient envoyé plus
grand nombre de députés à La Haye où se devoit
faire la conférence. Qu'il avoit charge de faire en-
tendre à Sa Majesté , de la part de ses maîtres , qu'il
n'y seroit rien négocié ni arrêté sans avoir pris au-^
paravant les avis et les conseils de Sa Majesté , qu'ils
lasupplioient leur vouloir départir en une occasion si
importante. Sa Majesté lui témoigna savoir bon gré à
messieurs les Etats de la déférence qu'ils lui rendoient
en cette occurrence; qu'elle auroit toujours le plus
agréable ce qui leur seroit le plus utile; que la paix
est la fin de la guerre, mais qu'ils dévoient soigneu-
sement prendre garde que sous ce nom spécieux de
paix il n'y eût quelque guerre cachée, et que lors-
qu'ils viendroient à en traiter, elle leur feroit vo-
DE RiCUELlcu. ^iyj^j^j tî/|7
loiiliers savoir ses sentimens sur les conditions qui
\vi\v seroient proposées.
Celle assemblée fut ouverte à La Haye le 8 dé-
cembre par larcheveque de Malines, qui étoit le
principal député de la province du Brabant^ mais
<|uaiid ce vint à voir leurs pouvoirs et entendre les
propositions quilsavoienl à faire, les Etats leur flrent
craulres propositions sur lesquelles les députés fla-
mands disant n avoir pas pouvoir de traiter, le duc
d'Arscot et quelques autres desdits députés allèrent à
Bruxelles, et promirent de revenir dans le lo de
janvier avec Tampliation des pouvoirs nécessaires.
Le cardinal, quand le Roi retourna à Paris par Lyon,
prit le chemin de Bordeaux, où il demeura huit ou
ncurjours à cause d'une maladie périlleuse qui lui sur-
vint, durant laquelle il apprit la mort du maréchal de
Scliomberg, qui augmenta beaucoup son mal.
Céloit un gentilhomme qui faisoit profession d'élre
iidcle , cl tenoit cette qualité de sa nation. Il avoit
moins de pointe d'esprit que de solidité de jugement;
il le montra en la charge de surintendant des finances,
ciï huiuelle, sans s'être enrichi d'un teston, et ayant
loujours conservé l'intégrité ancienne, qui semble
. n'cUe plus de ce temps, néanmoins les financiers
sous lui n'abusèrent pas peu de sa facilité.
Il éloit homme de grand cœur, de générosité et de
bonne foi ^ Dieu l'a signalé en l'exécution de trois
grandes actions à l'Elal, des plus importantes de notre
siècle.
Il passa en Ré, commandant Tarmce du Roi avec
lai|uelle il en chassa les Anglais.
Il insisla seul en Italie à exécuter le commande-
a4^ [l()3?.] MÉMOIRES
ment du Roi touchant le secours de Casai ^ et, com-
mandant Tarmée de Sa Majesté, a eu l'honneur de
venir h bout de cette glorieuse entreprise; et, au
dernier soulèvement de Monsieur , il fît avec moins
de troupes que n'en a voient les ennemis le combat
décisif de la guerre , et fut heureux en ce point que
Dieu livra prisonnier en ses mains le chef de Ten-
Ireprise,
Le duc d'Halluin, son fils , succéda en ses charges
et son gouvernement , en la survivance desquels il
avoit été admis auparavant. Il avoit particulière liai-
son d'amitié et d'obligation au cardinal , qui avoit
grande confiance en sa probité, et reçut la nouvelle
de sa mort comme une des plus grandes afflictions
qu'il eut su recevoir de la main de Dieu.
Le cardinal étoit encore bien malade (0, non sans
danger de mort, lorsqu'il partit de Bordeaux pour
aller en Rrouage et s'approcher du Roi , sur la nou-
velle qu'il reçut que Puylaurens avoit porté Monsieur
dans un nouveau désordre, nonobstant les nouveaux
sermens et les paroles qu'il avoit donnés à Dieu et
aux hommes, et avoit eu le pouvoir sur son esprit de
le faire partir de Tours le 6 novembre pour le faire
aller à Bruxelles.
Parlant de Blois il mit son Ordre dans sa pochette,
(i) />e cardinal ctoit encore bien malade ; La maladie du cardinal
cioit une rctonlion d^urinc. On crut qu^il en mourroit , et ses ennemis
reprirent courage. La reine Anne d'Aulriclie , <|ui se irouvoit h Bor-
deaux , donna des bals , cl le garde des sceaux Clulteauncuf eut Tim-
prndcnce d'y danser, llicliclieu , h qui Ton avoil |)cr&uadv , pendant sa
maladie , (|iic toute la viilo ctoil en urièiCb poui ba i;ui'iii»uii , apprit , lois-
«ju'il fin ic'lahli, ce qui s'ciuii passe 11 w i aiilniiua poîul à CliAlcau-
nrul , dont il .t\oit f.iil la loiliiuc
DE RICUELIEU. [l63^] ')49
< l changea de manteau de peur d'cître connu. Son
maître dliôtel , se jetant à ses pieds, le supplia de
roiisidërer ce que deviendroieni ses pauvres officiers
c|iii avoient pris à crédit et avance leur bien pour
son service , le sieur de Puylaurens ne leur ayant fait
(IcMivrer aucun argent. Il lui dit qu'il vendit ce qu il
lûssoit d équipage pour tûclier de les contenter.
Lorsqu'il partit de Tours il n'ëtoit accompagné que
de Puylaurens , du Fargis et de Sauvebenf -, arrivant
n Orléans il a voit quinze on dix-huit chevaux.
Il écrivit seulement au Roi de Montereau-Faul-
N onne, le lîi novembre , suppliant Sa Majesté trou-
ver bon qu il allât, disoit-il , chercher sa sûreté entre
les étrangers, laquelle il présupposoit ne pouvoir
avoir en France , puisque les soumissions extraordi-
naires cl sans exemple qui Tavoient fait renoncer aux
devoirs mêmes auxquels la nature Tobligeoit ne lui
avoient pu faire obtenir de Sa Majesté la vie du duc
de Montmorency, laquelle, bien qu'on ne lui eût pas
jironiise, on lui avoitfait espérer, pourvu qu'il ren-
dit au Roi les soumissions qu'on désiroit de lui, qui
rtoient les plus basses qu'eût pu faire le moindre de
ses sujets.
Sa Majesté reçut cette lettre à Romorantin , mais
ne lui fit réponse qu'à Saint-Germain-en-Laye le aS,
et lui manda que, comme il avoit avoué à lîéziers
«pic pour s'éloigner de la cour il avoit pris des pré-
loxlcs sans apparence , ainsi savoit-il en sa conscience
«iue ceux qu'il prenott lors étoient sans fondement;
que ni Sa Majesté ne lui avoit fait donner espéiance
<lo pardonner au duc do Montmorency, ni ne l'auroît
\y\ îaiie avci juslico; <|u'il avoit tort de dire c|uc sans
2DO [l632] MÉMOIRES
celte espérance qu'on lui avoit donnée il ne se fui
pas soumis aux conditions que Sa Majesté lui avoit
présentées , vu qu'il étoit réduit à tel point qu'il ne
pouvoit autrement. Enfin Sa Majesté le pripit de ren-
trer en son devoir au plus tôt.
Nos histoires sont pleines d'exemples du rigou-
reux traitement des rois envers leurs enfans et leurs
frères en cas de rébellion moindre que celle-ci.
Le Roi s'est contenté de simples soumissions de
Monsieur, son frère y d'aveu de sa faute commise , et
promesses de n'y plus retourner à l'avenir. A qui
importe plus l'honneur de la royauté qu'à celui qui
en est l'héritier présomptif? De quoi se peut-il rai-
sonnablement plaindre s il s'est humilié devant son
frère , de qui il est autant sujet que le moindre de
ses sujets? On ne lui a point promis la vie du duc
de Montmorency ^ on lui a toujours dit qu'il devoit
remettre cette affaire à la seule volonté du Roi. II
devoit plutôt tirer de là une assurance certaine qu'il
envouloitfaire justice, que non pas en concevoir une
espérance qu'il le vouloit délivrer^ aussi ne fut-ce
pas là le vrai sujet de sa retraite. Puylaurens n'avoit
point vu jusqu'alors d'exemple de justice en des per-
sonnes considérables ; il croyoit être si assuré à cause
du rang qu'il tenoit près de son maître, qu'il avoit
même été si fou , comme nous avons dit ci-devant ,
de dire au sieur de BuUion qu'il n'avoit que faire de
la grâce du Roi , et qu'étant près de Monsieur per-
sonne ne l'cntreprendroit. H vit que le Roi avoit fait
faire justice du duc de Montmorency, nonobstant la
grandeur de sa maison et de toutes ses alliances, et
que le bien de l'État cloit de plus de considération
DE RICHELIEU. [iGSîà] ïSl
auprès des ministres que leur inlërét et leur propre
vie ; cela lui fit croire qu'on se pourroit prendre à lui
s'il ctoit coupable et manquoit à son devoir: or il se
sentoit coupable de n'avoir pas révélé au Roi tout
ce qui s'étoit passé contre son service au dernier
éloigneraent de son maître^ et de ne lui avoir point
avoué le mariage que Monsieur avoit contracté avec
la princesse Marguerite, dont il savoit bien néanmoins
que Sa Majesté avoit connoissance par autre voie.
I) autre part, il prévoyoit que Sa Majesté ne souf-
IViroit pas que ce mariage eût lieu, auquel il prenoit
un particulier intérêt , non-seulement parce qu'il
en avoit été le principal promoteur, mais pour la pas-
sion qu il avoit pour la princesse de Phalsbourg, qui
lui avoit promis de l'épouser à l'exclusion du comte
d'Harcourt qu'elle avoit refusé. Les charmes de l'a-
mour et celui de l'ambition d'être beau-frère de son
maître s'élant également emparés et de son cœur et
de son esprit , il espéra , faisant sortir Monsieur en-
core une fois , de pouvoir réduire les affaires à telle
extrémité que le Roi seroit contraint d'y donner son
consentement. Mais il ne proposa pas à Monsieur les
objets qui le mouvoient, pource qu'ils n'eussent peut-
êlre pas été de même force envers le maître qu'envers
l(! serviteur *, mais il le gagna de la part de la crainte,
lui remontrant que l'on n'avoit exécuté le duc de
Montmorency que pour le rendre un objet de mépris
à tout le royaume , et, cela fait, n'y ayant plus per-
sonne ([ui à l'avenir os;lt se mettre de son parti, faire
de lui ce ([u'on voudroil; que le Roi le haïssoit, le
cardinal étoit son ennemi, et qu'il n'en devoit ja-
mais attendre (|uc de la rigueur.
'25 l [iLVil] MEMOIRES
Monsieur , qui, comme Vordinairc du naturel des
•princes encore jeunes et non expérimentés, étoit
prompt à concevoir de hautes espérances au delà du
terme auquel il pouvoit arriver, ne le fut pas moins
aussi à se laisser aller à une crainte peu raisonnable
et mal fondée , conçut et appréhenda si vivement
TeiFet des paroles de Puylaurens , dans lequel il ne
soupçonnoit aucune trahison, que, sans délibérer, il
part de Tours et s'en va à Bruxelles , où il arrive
le ai novembre.
Ayant représenté ce qui s'estpassé en France cette
année , retournons en Allemagne trouver le roi de
Suède, où nous l'avons laissé ravager toute la Bavière
et se rendre maître de la Souabe, comme Walstein ,
de son côté, avoit reconquis la plupart de la Bohême
à son maître, et attaqué le duc de Saxe dans ses États.
Le duc , fort timide de son naturel , et ennemi de
h guerre, avoit une grande inclination à s'accommo-
der avec l'Empereur , et , dès le mois de décembre de
Tannée précédente , s'étoit abouché avec Fridland
sur ce sujet, et depuis, par l'entremise de son général
Arnhcim , avoit commencé un traité avec lui , dont
les Suédois avoient une grande jalousie 5 mais Wals-
tein ny pretoit l'oreille que pour le tromper, et dès
(fu'il eut assemblé une armée qui lui sembloit sufli-
sante, il fit dessein de surprendre Arnheim qui com-
mandoit celle de Saxe , et l'eût fait , si ledit Arnheim
u eût de sa part usé de la même ruse, et, l'entretenant
depromesses, n'eût envoyé en une nuitson bagagedc-
vant , vers Pirna , et fait passer le pont de Leulmerilz
à toute son armée et rompre le pont après lui ^ dont
Walstein eut tant de regret qu'il exerça de grandes
DE lOcuELiEU. [i63a] a53
cruautiis sur les malades de Tarmce qui ëloienl restés
dans le camp ; puis , laissant contre le duc de Saxe le
général Holc avec des troupes sufljsantes pour s op-
poser à son armée , il s'en alla , en juin , avec trente
mille hommes au haut Palatinat , et ravage le pays à
Icnlour de Nuremberg , pour rappeler le roi de Suède
de la Bavière et de la Souabe.
Dès que ledit Roi en eut avis, il part de Donawert,
et donner le rendez-vous de toules ses troupes à Nu-
remberg, et va cependant prendre Suitzbach , où,
nonobstant la foi promise , le gouverneur et tous ceux
des siens qui ne voulurent pas prendre parli en Tar-
mée suédoise furent tues , en revanche, disoit-il , de
semblable mauvais traitement qu'ils avoient fait aux
leurs; mais aussi , à peu de jours de là , quelques ca-
valiers suédois , entre lesquels étoient descolonelsde
réputation , étant tombés prisonniers entre les mains
des Bavarois , furent tués de sang-froid. Il vint de
là en diligence à Nuremberg , pour retenir cette ville
si importante en la fidélité de son parti ; mais n'ayant
que vingt mille hommes , et Walstein étant campé à
deux lieues de là , il se retrancha aussi devant lui,
et ne voulut pas hasarder le combat. Banier vint peu
après se joindre à lui, et le duc de Bavière , d'autre
côté, vint avec AIdringuer , les reliques de l'armée
de Tilly et douze mille hommes qu'il avoit levés de
nouveau , se joindre à Walstein , qui n'avoit rien en-
trepris jusqu'à son arrivée, estimant faire assez d'ar-
rêter le cours violent des victoires du roi de Suède,
et le retenir comme assiégé dans son camp. Mais enfin
les maladies commencèrent à travailler son armée,
i|ui éloit retranchée en un lieu bas et marécageux,
u54 [^632j HEMOIKES
avoit manque d'eau , qu'il ne pouvoit prendre que de
la rivière à laquelle ceux qui étoient logés un peu
loin ne pouvoient pas venir sans combaltre avec les
ennemis , de sorte qu'ils étoient contraints de faire
des puits dont l'eau étoit fangeuse; ils manquoient
aussi de vivres et de fourrages qu'il leur falloit faire
venir de loin -, l'arrivée du duc de Bavière augmentoit
toutes ces difficultés. L'armée suédoise au contraire
étoit munie de tout ce qu'il lui falloit^ car; outre la
ville de Nuremberg qui étoit proche d'elle , elle avoit
la Franconie qui abondoit en blés et en vins , et de
plus la Hesse et le Wurtemberg. Le roi de Suède
néanmoins ne pouvoit souffrirde combattre seulement
son ennemi par les incommodités, et, peu après que
Banier fut Joint à lui, tire son armée hors de ses re-
tranchemens, et la met à la vue de son ennemi, le pro-
voquant à la bataille. Walstein, quoique la moitié plus
fort que lui, ne l'osoit accepter, considérant qu'en
son armée consistoit toute la force de l'Empire et le
salut de l'État de son maître, qui n'avoit plus de res-
source s'il perdoit cette armée- là.
Le roi de Suède, ayant demeuré jusques à quatre
heures en bataille, ramène son armée dans le camp,
et, à quelques jours de là, essaya la nuit de forcer
les retranchemens des ennemis ; ce qu'il fit , mais il
fut repoussé par ladiligcnce et le courage d'Aldringuer.
Le roi de Suède, voyant qu'il ne pouvoit venir à
bout de son dessein , laisse son camp en son entier ,
et à Nuremberg une suffisante garnison, et tourne
tête avec son armée vers la Franconie le 19 septembre.
Walstein demeure , quatre jours après , dans son
camp , et ayant , durant ce temps , tenté en vain de
DE RICnELIEU. [lÔSîl] ^55
1 clirer Nuremberg du parti suédois , il partit le 24 sep-
tembre, et prend aussi la route delà Franconie, après
avoir envoyé Gallas en la Silésie pour y arrêter les
progr(*s que Ârnheim y faisoit.
J.c roi de Suède envoya le duc Bernard de Weimar
avec douze mille hommes après Walstein pour le cô-
toyer, et lui s'en alla au secours du Passage , sur la
rivière du Lech en Bavière, assiégé par les Bavarois ;
et trouvant la ville rendue, l'assiégea et la prit en trois
jours, et s'avança jusques à Neubourgsur le Danube.
Walstein cependant prit sa route en la forêt de
Thuringe par la Misnie, contre le duc de Saxe, se
rendit maître, dans la fin d'octobre, de la ville de
Leipsick qu'il prit de force, et, ayant dessein démettre
son armée en garnison dans la Misnie , il se résolut
d assiéger Torgau, ne croyant pas qu'elle y pût être
sûrement si cette ville n'étoit en sa puissance. Mais
le roi de Suède , en ayant avis, craignit que Walstein
opprimât le duc de Saxe -, et laissant en Bavière la
plus grande partie de son armée sous la conduite de
(Jiristicrn Palatin, qui étoit général de la cavalerie,
marcha en diligence avec le reste de ce côté-là, et vint
jusques à Erfurt, où il trouva leduc de Weimar qui
se joignit à lui, et quelques autres que le duc Guil-
laume, son frère, avoit nouvellement levés, le tout
faisant environ douze mille hommes et huit cents che -
vaux, avec lesquels ledit Roi s'avança à Naumbourg.
Walstein avoit été fortifié depuis quelques jours de
Pappenheim qui étoit revenu de Flandre, où il avoit
essayé deforcerlesretranchemensdu prince d'Orange
devant Maéstricht, et avoit amené audit Walstein
douze mille vieux soldats. Ledit Walstein , seconfiaut
'^5() [1632] MÉMOIRES
au grand nombre de gens de guerre qu'il avoit , cxcé-
.dant de beaucoup celui du roi de Suède , ayant avis
que ledit Roi avoit quitté la Bavière pour rclourncr
vers lui et défendre le duc de Saxe, qu'il menoit mal ,
se résolut de laller rencontrer, et de ne pas refuser la
bataille si elle lui étoit présentée. Il s avança, le 4 no-
vembre , jusqu'à Lutzen , qui n'est éloigné que de dix
heures de chemin de Leipsick , de là vint à W<3issen-
felds sur la rivière de Saale -, ce qu ayant fait, il voulut
encore occuper Naumbourg, qui est de l'autre côté de
ladite rivière^ mais le roi de Suède le prévint et se
rendit maître de ce logement, où, voyant l'armée
ennemie beaucoup plus forte que la sienne, il se
retrancha , en attendant le secours qu'il espéroit des
ducs de Saxe et de Lunebourg, et y demeura, pour
ce sujet, arrêté quelques jours.
Walstein se fortilia aussi de son côté à Wcissen-
felds ; mais ayant avis que le comte Henri de Bergues
menaçoit d'assiéger Cologne, il y envoya Pappenheim
avec une partie de son armée , et lui , avec le gros , se
mit en chemin pour aller à Leipsick.
Le roi de Suède, le i4 du mois , s'allant promener
accompagné de quelque peu de cavalerie, apprit con-
fusément cette nouvelle par des paysans qui lui dirent
que l'armée ennemie étoit séparée , que Walstein lo-
geoitàl'enlourdeLutzen, et que Pappenheim étoitallé
à Halle , distant de cinq lieues dudit Lutzen ^ ce qui
lui fit prendre résolution d'attaquer ledit Walstein et
donner le rendez-vous à toute son armée auprès de
Naumbourg où il laissa son bagage, et s'avança à Weis-
senfclds où il délit quelques Croates de l'armée de
AValslcin, qui n'éloil encore qu'à Lutzen, où étant
DE RICHELIEU. [l63a] ^Sj
averti , le lendemain 1 5 , de rapproche du roi de
Suède, il dépécha en diligence à Pappeoheim pourrit
prier de le venir secourir promptement. Pappenheim,
ayaut reçu cet ordre , se mit incontinent en chemin
avec une partie de son armée , et donne commande-
ment au reste de le suivre le plus tôt qu'ils pourroient.
Le roi de Suède , de son c6té, marcha droit ce jour-
là à Lutzen, conduisant Taile droite, le duc Bernard
de Weimar la gauche , et Kniphansen la réserve. >
Lutzen est une méchante petite ville,. distante de
dix mille pas de Leipsick et de cinq lieues seulement
du lieu où Tilly , Tannée précédente, avoit perdu la ba-
taille. Le roi de Suède, en étant arrivé à une heure de
chemin , trouva un grand fossé difficile à passer , où
les ennemis , qui avoient eu Talarme , avoient jeté
quelques régimens de cavalerie et de dragons \ son
aile gauche passa la première, poussant les Impé-
riaux qui y laissèrent une cornette. Le Roi de son
côté fit tirer quelques volées de canon et passer le
comte d'Eberstein avec mille mousquetaires au-delà
du fossé ; ce qui contraignit les ennemis de se retirer
au quartier de leur général , et lors l'alarme fut doja-
née de tous côtés. Cependant le roi de Suède £ûfoit
avancer son armée le plus diligemment qu'il pouvoit;
mais la nuit survenant auparavant qu'elle fût tonte
passée , il fut contraint d'attendre an lendemain ; «t
dès la pointe du jour il commanda de marcher droit
à Lutzen , donnant le mot : Dieu sdt m^ec nom; iffi
se trouvant à un quart de lieue près des ennemis » il
s'éleva un brouillard si épais qu'il ne put passer pfaw
avant , apprit par àM prisonniers que les ennemis
lattendoient en bataille rangée.
T. 27. 17
a58 [1632] MÉMOIRES
Pappenheim arriva en ce temps, les troupes daquel
Walsteiu disposa en lieu auquel il crut qu^elles ne
seroient pas silôl attaquées , afin de leur donner
moyen de se rafraîchir, étant lasses du chemin qu'elles
avoient fait.
Les généraux animèrent leurs soldats au combat ^
le roi de Suède , de paroles qu'il avoit à commande-
ment ; Walsteiu , par sa seule présence et la sévérité
de son silence , semblant , par son regard , faire en<>
tendre à ses soldats qu ainsi qu'il avoit accoutumé
de faire , il les récompenseroit ou châtieroit , selon
qu'ils auroient bien ou mal fait en cette importante
occasion.
Sur les dix heures du matin le brouillard se dissipa,
et lors seulement le roi de Suède reconnut les Impé-
riaux en leur ordre. Us avoient devant eux six bat-
teries de six canons chacune, et deux fossés fort creux
aux deux côtés d'un grand chemin qui étoit à leur tête,
et pleins de mousquetaires ^ à leur droite étoit la ville
de Lutzen, et à leur gauche un ruisseau non guéable ;
et nonobstant ces avantages il ne laissa de s'avancer
à eux en fort bel ordre.
Les Impériaux commencèrent à tirer trois volées de
canon dont les boulets tombèrent fort proche dudit
Roi , qui après changea de cheval et en prit un moins
harassé. Il fit venir à lui le duc Bernard de Weimar,
Im disant qu'il étoit temps de donner, et qu'il avan-^
çât \e premier ; ce qu'il fit à l'instant môme , non sans
un grand effort à soutenir , ayant la ville de Lutzen
qui le flanquoit à gauche , et en tête les batteries en-
nemies qui faisoient sur lui de furieuses décharges :
néanmoins, après une très-grande résistance , il chassa
DE RICHELIEU. [1682] ^Sq
las ennemis hors de leurs fossés, gagna leur canon , et
contraignit ceux qui étoient dans Lutzen, fermé de
méchantes murailles , de Fabandonner y ayant mis
le feu.
Le roi de Suède de son côté fatsoit aussi merveilles,
ayant pareillement poussé les Impériaux hors des fos-
sés et gagné une partie de leurs canons ; et voyant
que les ennemis branloient, il prit seulement avec
soi le régiment de cavalerie suédoise de Steimbar , et '
parlant à tous, leur dit qu'il les prioit de le suivre
et se comporter en gens de bien. Il s'avança au-delà
des deux fossés, et prit encore une batterie de canons
des Impériaux , et passant auprès de la batterie , il
ôta son chapeau et rendit grâces à Dieu de la victoire
qu'il lui donnoit.
Mais deux régimens de cuirassiers ennemis s'avan*
cant à lui en bataille, ledit Roi chargea le plus proche,
el entra si avant dans la mêlée que son cheval eut un
coup de pistolet au travers du cou, et ensuite il en
reçut un lui-même qui lui rompit entièrement le bras
gauche ^ son chapeau tomba aussi ; et comme il se
sentit blessé, il se retira du combat, accompagné seu-
lement du duc François Albert de Saxé-Lauenbourg,
qui étoit volontaire auprès de lui et qui avoit depuis
deux mois quitté le service de TEmpereur, proche
de Nuremberg. Il conduisoit ledit Roi pour le sauver,
et le mena tout le long entre les deux armées : comme
il marchoit à côté de lui, il vint un cavalier, nommé
ïalkemberg , lieutenant colonel d'un régiment de
cavalerie impériale, qui poussant à toute bride droit
au Roi , sans que personne crût qu'il fut des ennemis «
lui tira de dix pas un coup de pistolet qui lui donna
26o [l63a] MÉMOIRES
au milieu du dos et qui le fît tomber à terre ; à Tins-
tant rëcuyer du duc François courant après le cava-
lier, lui donna un coup d'épëe. Le Roi ëlant à terre,
Lasbelfîn, qui étoit un de ses gentilshommes, sortant
de la méiëe d'avec les ennemis, et trouvant ledit Roi
à terre , le pria de monter sur son cheval et se sau-
ver, voyant les ennemis venir à lui ; mais il ne pou-
voit quasi plus parler, et arriva trois cavaliers impé-
riaux qui demandèrent à Lasbelfin le nom du blessé;
il ne le voulut nommer , et leur dit qu'il y avoit appa-
rence que c'étoit quelque officier : f]9ichés de sa ré-
ponse , ils lui donnèrent deux coups d'ëpée et de
pistolet, le dépouillèrent, prirent son cheval et le
laissèrent pour mort , comme on Ta su depuis de lui-
même, qui mourut cinq jours après. Ensuite Tun d'eux
donna au Roi un coup de pistolet dans la tempe , qui
Tacheva, et encore quelques coups d'épée, et puis le
dépouillèrent, ne lui laissant que sa chemise.
Au même temps , sur les deux heures après midi ,
le général Pappenheim fut tué d'une mousquetade, et
cependant les ennemis , avec toutes leurs forces ras-
semblées , attaquoient avec une grande furie le duc
Bernard de Weimar , bien étonné d'où lui venoit tant
de nouvelles troupes sur les bras. Le sieur Truxes ,
gentilhomme de Sa Majesté, qui étoit au combat avec
ledit Roi, ne put sortir assez tôt de la mêlée pour le
suivre ; et comme il se retiroit vers l'armée , voyant
donner le coup de pistolet au dos dudit Roi, et ne
pouvant s'avancer vers lui à cause des ennemis qui
le poursuivoient , il trouva le sieur Greilsheim, son
grand-maitre d'hôtel, auquel il dit la blessure du Roi
demeuré au milieu des Impériaux , et en donDèrent
DE R1CHEU£U. [l63a] a6l
promptement eux-mêmes avis au duc Bernard, qui à
Tinstantalla trouver le général major Kniphausen, qui
commandoit la réserve de la bataille , qui n avoit point
encore combattu , lui dit en secret la mort du Roi , et
lui demanda son avis. Kniphausen Tassura que ses
troupes étoient en bon ordre, et que ledit duc Ber-
nard pouvoit faire une belle retraite. A quoi il repar-
tit qu'il ne falioit pas penser à cela , mais à mourir ou
gagner la bataille, et rendre leur vengeance aussi mé-
morable que leur perte. Il prit lors le commandement
de toute Tarmée, et donna ordre au régiment de
Steinboc de le suivre , et donna de Tépée au travers
du corps du lieutenant colonel qui faisoit difficulté
d obéir. De là il s'avança aux autres régimens dispo-
sés à bien faire, les ayant excités par ses paroles et
par son exemple, et au même temps il alla au combat,
qui fut merveilleusement opiniâtre. Les ennemis re-
prirent leur canon jusqu'à trois fois; il fut enfin re-
gagne^ encore par Weimar sur le soir, qui le fit tour-
ner contre eux, et avec un si furieux effet que cela
donna le branle à la victoire, qui fut disputée jusqu'à
la nuit , à la faveur de laquelle les Impériaux lâchèrent
entièrement le pied et se retirèrent vers Leipsick, et
de là à Lemnitz et Zwickau pour gagner la Bohême.
Il fut fait un grand carnage d'eux , et le désordre
fut si grand en leur fuite, que leur cavalerie, rencon-
trant leur propre bagage auprès de Leipsick, le pilla
comme si c'eût été celui de l'ennemi.
Pappenheim mourut d'une mousqnetade en cette
bataille, et dit qu'il mouroit content puisque le roi
de Suède étoit mort avant lui. Ce fut le capitaine le
plus courageux et le plus heureux de tous ceux de
26a ['63'i] MÉMOIHES
FEmpereur, et qui pour marque de sa valeur avoit
cent cicatrices sur lui.
La nuit suivante fut une des plus horribles dont
on ai^cuï parler , à cause des morts et du cri des mou-
rans blessés de part et d'autre, épaudus dans le champ
de bataille, où le duc de Weimar demeura jnsqu^au
lendemain.
Il y eut six mille hommes de mofts , la plupart
Impériaux , grand nombre de blessés qui moururent
presque tous depuis , et trente-six pièces de canoa
des ennemis prises.
Ledit duc, après avoir retiré tous les blessés en
champ, en partit sur les dix heures du matin, et s'en
alla avec son armée à Weissenfelds qui ne savoit en-
core ri«n de la mort de son chef, qu'il avoit eu soin
d'envoyer retirer par le sieur Truxes et autres le
jour précédent , lorsqu'il prit le commandement de
l'armée et alla charger les ennemis. Ledit Truxes le
mit sur un chariot d'artillerie, prenant son temps
lorsque les ennemis furent un peu éloignés du lieu
où il l'avoit remarqué , car tantôt ils s^avancoient et
tantôt reculoient , allant d'une place à l'autre selon le
choc qu'ils donnoient ou fecevoieiit , et la variété du
jour, où l'on voyoit un perpétua changement de
pluie et de beau temps.
Étant arrivé k Weissenfelds il fit assembler tous
les officiers, et leur dit que le Roi ëtoit mort, et qu^il
étoit résol u , après une si grande perte et une si grande
victoire , de poursuivre les ennemis et de continuer
une si juste vengeance. Tous les colonels louèrent
son dessein , et commanda aux troupes de marcher ;
et, après qu'elles furent au rendez-vous, il fit ame-^
DE RICHELIEU. [l63a] l63
ner le corps du Roi au devant de Tarniëe, qu'il haran-
gua , disant , entre autres choses , qu'il ne vouloit pas
celer davantage le malheur qui étoit arrivé de la mori
d'un si grand prince , et les conjuroit tous , par la
gloire qu'ils avoient acquise en le suivant, de lui ai-
der à en prendre vengeance , et à faire voir à toute
la terre qu'il commandoit à des soldats qui l'ont rendu
invincible et, après la mort même , la terreur de ses
ennemis. Toute l'armée répondit en criant qu'ils le
suivroient partout où il voudroit , et jusques au bout
du monde.
Après ces choses le duc de Weimar s'avança vers
Lemnitzet Zwickau, sur la même route des ennemitf
faisant porter le corps du roi de Suède au milieu de
la bataille, accompagné de ses deux régimens des
gardes, l'espace de quinze jours durant. Il prit les
deux places là où s'étoit retiré le reste de l'infanterie
des ennemis , et ensuite sépara son armée. Kniphau-
sen alla, sous le duc de Lunebourg, assiéger Ha-
raeln, ville en Westphalie, et le duc Bernard prit le
chemin de la Franconie , ayant fait conduire le corps
du Roi à Wolgast , et de là en Suède , en grande
pompe et cérémonie. Arnheim joignit ledit duc de
Weimar , qui ne se retira point en ses quartiers d'hi-
ver qu il n'eût premièrement repris Leipsick et toutes
les autres places de la Misnie dans lesquelles Walstein
a voit laissé garnison, et qu'il n'eût chassé tous les
Impériaux des Etats du duc de Saxe.
La mort du roi de Suède est un exemple mémo-
rable de la misère humaine, ne lui étant pas, à l'ins-
tant de sa mort, resté de tant de provinces qu'il avoit
conquises sur ses voisins, et tant de richesses qo*il
i6^ [1632J mémoihes
avoit gagnées en Allemagne , une seule chemise pour
couvrir son infirmité, Torgueil de sa naissance et de
la réputation de ses armes , qui Télevoit au-dessus de
plusieurs grands monarques, ayant été abattu jusques
à ce point que d'être foulé aux pieds des chevaux
amis et ennemis, et si égal aux corps des moindres
soldats entre lesquels le sien étoit gisant, meurtri et
souillé de sang , que ses plus familiers mêmes eurent
peine à le reconnoître pour lui rendre Thonneur de
la sépulture. Telle fut la fin de toute sa grandeur.
Le Pape, ayant cette nouvelle, alla en l'église natio-
nale des Allemands dire une messe basse. Les Espa-
gnols , qui vouloient que ce Roi , qui ne faisoit la
guerre qu'à leur ambition et en faveur des princes
qu'ils avoient opprimés , fût estimé comme si le but
de ses armes étoit la destruction de l'Eglise , se plai-
gnirent hautement de ce que le Pape n'avoit point
fait chanter le Te Deum et tirer le canon en signe de
réjouissance, ce qui fut fait le lendemain, qui étoit
un dimanche, à l'issue de la chapelle: les uns disoient
que c étoit sur le sujet de ladite mort, les autres sur
celui de l'élection du roi de Pologne dont l'avis étoit
venu au même temps.
Le roi de Suède fut fils du duc Charles , oncle de
Sigismond, roi de Pologne, qui le laissa son lieute-
tenant général en Suède quand il alla recevoir la cou-
ronne de Pologne à laquelle il avoit été élu. Il se re-
bella dans peu de temps ^ sous prétexte de la reli-
gion , et , après plusieurs guerres et plusieurs années ,
s'enhardit de prendre le titre de roi. Après sa mort,
Oustave son fils , dont nous parlons maintenant , lui
succéda âgé de dix-sept ans , qui avoit déjà beaucoup
DE RICHELIEU. [l63si] l65
voyage et donnoit une grande espérance de soi , la-
quelle il confirma par ses actions , car il eut inconti-
nent guerre avec les Polonais, les Danois et les Mos-
covites, qu'il attaqua Tnn après l'autre , et emporta
de chacun d'eux quelque province. Enfin il vint en
Allemagne, où il brisa et fracassa tout ce qui s'opposa
à lui ; et si , après la bataille de Leipsick, il eût été
droit attaquer l'Empereur en ses provinces hérédi-
taires , aussi bien comme il tourna l'effort de ses ar-
mes contre les évéques et les électeurs catholiques ,
pénétrant jusques à Mayence, Spire et Worms deçà
le Rhin , c'étoit fait de la maison d'Autriche , vu qoe
la moindre victoire qu'il eût remportée en ce lieu-là ,
qui lui étoit facile, toutes ses forces ayant été défaites
à Leipsick, elle n'avoit plus de ressource ni de lieu
où pouvoir rassembler un corps d'armée ^ où, au
contraire , tandis que ledit Roi s'amusa contre les au-
tres princes , toutes les provinces qui n'avoient point
été affligées de la guerre leur fournirent de gens de
guerre , de munitions et de moyens de remettre sur
pied et entretenir une armée deux fois plus grande
que celle qu'elle avoit eue auparavant. Mais , ou Dieu
ne vouloit pas l'entière destruction de cette maison ,
qui eût peut-être été lors trop préjudiciable à la re-
ligion catholique, et détourna le roi de Suède du
conseil qui lui étoit avantageux de prendre, ouïe
même Dieu , qui ne donne pas tout à tous , mais di-
vise ses dons diversement à un chacun , avoit donné
à ce roi , comme à Annibal , la science de vaincre ,
mais non pas celle d'user de la victoire.
Il étoit prince savant, qui parloit beaucoup de
langues , accort et affable , et qui savoit l'art de la
a66 [l632] MÉMOIRES
guerre parfaitement , et avoit pris plaisir de le mettre
en pratique depuis son avènement à la couronne, et
non-seulement donnoit les commandemens , mais les
faisoit exécuter lui-même en personne.
Il avoit accoutumé de dire qu'un roi n'étoit pas di-
gne de porter la couronne sur la tête , qui faisoit dif-
ficulté de la porter partout où un simple soldat pon-
Yoit aller : aussi courut-il souvent fortune d*étre
pris, et eut quantité de coups sur lui, et, entre les
autres , un sur Tépaule , dont la balle lui étoit demeu-
rée , ce qui Tempécha de pouvoir prendre sa cuirasse
à la bataille de Lutzen.
Ceux qui cherchent les ténèbres dans la lumière
du soleil, et trouvent à reprendre en la même vertu,
le blâment d'être mort en soldat -, mais ils ne se sou-
viennent pas que tous les princes conquérans sont
obligés de faire non-seulement Toffice de capitaine ,
mais de simple soldat , et d'être les premiers dans les
périls pour y animer les soldats, qui ne s'y basarde-
roient pas sans eux. N'a-t-on pas vu Alexandre sauter
du haut des murailles dans une ville , et soutenir tout
un temps l'effort de tout le peuple qui l'y vint as-
saillir? Et César prit-il pas dans un combat le bouclier
du premier de ses légionnaires , se mit à pied h la
tête de tous les siens , pour combattre ses ennemis ?
Et une autre fois il se jeta si courageusement dans le
péril, qu'il fut contraint de s'exposer à la nage, et de
sa hardiesse est demeuré ce proverbe : que rien ne
peut vaincre César et sa fortune.
Le Suédois mourut d'autant plus glorieusement que
l'un et l'autre , qu'il est plus convenable à la condition
d'un grand capitaine et d'un conquérant de mourir
DR RICHELIEU. [l63a] %&]
Tépëe il la main , faisant son tombeau du corps de ses
ennemis dans le champ de sa victoire , que d'être baï
des siens ou poignardé des mains de ses plus proches,
ou mourir empoisonné et enseveli dans le vin.
Cette dernière bataille est mémorable encore, en
ce que , et les Impériaux et les Suédois ont tous deux
prétendu en avoir remporté la victoire : les Suédois
pour le grand carnage qu'ils firent de leurs ennemis ,
le champ de bataille qui leur demeura avec le bagage
et le canon ^ les Impériaux pour la mort du roî de
Suède, qui valoit seul plus que toutes les deux ar-
mées , et en la personne duquel ils prétendoient qne
consistoit la victoire et Theureux succès de toute la
guerre , espérant désormais avoir bon marché de tout
le parti destitué d*un tel chef.
Ils avoient raison de faire tant d'estime de )a pep»
sonne de ce prince , et néanmoins ils furent trompés
en Tespérance qu'ils avoient que tout seroit divisé
après sa mort, car il avoit eu tant de prévoyance ,1
(|u ayant fait reconnoitre en Suède sa fille pour son
héritière, il avoit destiné en Allemagne Oxenstiem,^
au cas qu'il mourût, pour avoir la direction des zî^
faires et le souverain commandement des armes , de
manière que sa mort n'étonna point en sorte le parti
(|u il ne demeurât en état de pouvoir continuer la
guerre. Outre que si la mort du roi de Suède ôtoit au
parti un si grand capitaine, aussi délivroit-elle tous les
princes collègues de la jalousie qu'ils commençoient
à avoir de ce conquérant, qui, bien que sage, com-»
mençoit néanmoins à s'emporter à quelques paroles
insolentes contre ces princes, et les mettoit à une
disposition plus affermie de demeurer dans l'union
!l68 [l63aj MÉMOIRES
de la ligue de Leipsick, vu principalement qu'ils se
voyoient commander dix armées dans FAllemagne ,
avoir les deux liers du pays et les principales villes à
leur dévotion , et étoient entrés en connoissance de
leurs forces , à faute de laquelle ils avoient reçu ,
durant quelques années, une dure loi de ceux aux-
quels ils étoient capables de la donner.
La nouvelle de cette mort hâta le cardinal de re-
tourner vers le Roi , pour résoudre avec Sa Majesté
ce qu'il falloit faire en un accident si important et si
inopiné , et arriva à Paris peu après la fin de Tannée.
Le Roi le vint voir deux jours devant à Rochefort , où
le regret de sa maladie passée , mêlé avec le conten-
tement de le revoir en santé, le fît tenir long-temps
embrassé sans lui parler que de soupirs et de larmes
de douleur et de joie , reconnoissant la grâce évi-
dente de Dieu en ce qu'il n'étoit tombé malade qu'a-
près la fîn du mouvement de Languedoc, et que la
bonté divine lui avoit rendu la santé au temps qu'il
étoit nécessaire de consulter le remède qu'il falloit
apporter aux affaires d'Allemagne , desquelles dépen-
doit la paix générale de la chrétienté.
DE RICHELIEU. [l633] 169
LIVRE XXIV.
[i633] La vie de Thoinme, mais principalement
celle d'un souverain qui a nne grande monarchie à
gouverner , est bien proprement comparée à un jeu
de dés auquel , pour être heureux, il faut que le jeu
en die et que le joueur sache bien user de sa chance:
or , de ces deux choses la première n'est pas en notre
puissance; elle dépend de la fortune, c'est-à-dire de
la Providence divine dont la raison nous est incon-
nue ; mais la seconde , qui est de bien recevoir ce
qui nous est envoyé , et disposer par prévoyance toutes
les choses qui nous arrivent , en sorte que si elles
sont bonnes elles nous soient beaucoup avantageuses,
ou nous apportent peu de dommage si elles sont mau-
vaises 'j cela est au pouvoir et du devoir du prince
s'il est sage et doué de la prudence, qui est la propre
vertu dès rois.
Nous avons vu les années dernières survenir beau-
coup d'accidens qui pouvoient apporter du mal et du
bien à ce royaume ; et Dieu , qui est l'esprit du con-
seil , la donné si bon au Roi que ce qui sembloit de-
voir causer une ruine totale à cet État lui a fait peu
de dommage , et ce dont il sembloit devoir tirer peu
d avantage lui a été un surcroit de gloire inespérée.
L'Empereur et le roi d'Espagne avoient joint leurs
armes en Italie contre nous ; une grande partie des
princes de cette province étoient par nécessité unis
à leur parti , les autres par passion; si quelqu'un as-
sistoit celles du Roi , c'étoit si foiblement que son se*
a^O [l633J MÉMOIRES
coars étoit plutôt une neutralité qu'une assistance.
La Reine-mère et Monsieur étoient hors du royaume
quant k leurs personnes , mais ils y demeuroient quant
à leur faction^ les mauvais sujets et les voisins de Sa
Majesté se rallioient à eux. Monsieur entre à main
armée dans le royaiune; le plus puissant des gouver--
neurs de la plus signalée province se déclare ouver-
tement pour lui ; plusieurs autres n'attendent que le
temps pour pouvoir faire sûrement de même. Le doc
de Lorraine est particulièrement de la partie. Néan-
moins le Roi , par une conduite singulière de Dieu ,
qui anime et fait prospérer tous ses conseils , ordonne
toutes ces choses avec tant d'avantage pour sa gloire et
pour le bien de son Etat, que le mal de l'entrée de
Monsieur en son royaume , et la conjuration avec lui
de tous ses voisins et sujets, se terminent à quelque
petite incommodité seulement, et de pea de durée,
de la province du Languedoc, et au contraire l'utilité
qn^il en remporte eât l'accroi^ementde sa réputation,
la terreur de ses armes, la conquête de quelques places
de la Lorraine , et surtout la créance certaine qa*un
chacun conçoit que Dieu l'a en particulière protec-
tion , ce qui fait qu'on est plus retenu à l'oser atta-
quer à l'avenir. Nous avons à pourvoir en cette année
à deux accidens non moins imprétus ni moins im-
portans à ce royaume que ceux-là. Monsieur , que,
avec tant d'amitié et de tendresse, le Roi a voit réuni
à soi, s'est remis en la puissance de ses ennemis, et
ce avec d'autant plus de péril pour cet État, que la
dernière rechute est toujours la plus dangereuse ; et
le roi de Suède , qui sembloit être la pierre qui de-
voit briser cette grande stfttue de la raltison d'jUrtri^
DE HICUELIEU. [lG33J ^71
che , a éié réduit en poudre en la bataille de Lutxen,
dont le courage est autant accru aux ennemis du Roi
qu'au contraire il est affoibli à ses alliés. Voyons de
quels moyens Sa Majesté s'est servie pour éviter
en ce rencontre le mal qui étoit à craindre, ou le
diminuer, et en tirer, pour le bien de la répu-
blique chrétienne , tout Tavantage qui s*en pouvoit
recevoir.
Peu de jours après que le cardinal ftit arrivé, ne
jugeant pas que les affaires requissent que Ton perdit
temps au conseil que Ton devoit prendre sur celles
d'Allemagne, il représenta au Roi, le premier janvier,
qu en l'état où elles étoient lors , la première chose
à laquelle le Roi devoit tendre étoit de tâcher à faire
par argent , quoi qu'il en pût coûter , continuer la
guerre en Allemagne et en Hollande sans que le Roi
fût obligé de se mettre ouvertement de la partie , k
condition que ceux qui recevroient l'argent du Roi
ne pourroient faire la paix ni la trêve sans l'y com-*
prendre, en sorte que par après les ennemis ne pour-
roient rompre avec l'on des confédérés sans rompre
avec tous.
Mais que si on ne pouvoit parvenir à cette fin , et
qu'on vit clairement que la lassitude que les protes-
tans d'Allemagne avoient de la guerre , les divers in-
térêts qu'Oxenstiern et les Suédois pou voient avoir ^
l'inclination que le prince d'Orange avoit au repos
pour les considérations particulières de sa maison ,
dévoient, par raison, fadre craindre et prévoir un
accommodement des affaires ^
Qu'il étoit à délibérer si le Roi devoit plutôt entrer
en rupture avec la maison d'Autriche, conjointement
272 [l633J UËMOIBES
avec les protestans d'Allemagne et les Hollandais «
que de s'exposer à laisser faire la paix ou la trêve sans
y être compris ^ qu'il étoit certain que si la paix se
faisoil en Allemagne et la trêve en Hollande, ou
Tune des deux seulement , la France auroit à sup-
porter seule une guerre défensive , qu'on lui appor-
teroit jusques dans ses entrailles, sans qu'elle la pût
éviter, en laquelle le parti de Monsieur et de la
Reine se rendroient aussi puissans qu'ils étoient lors
de nulle considération -,
Que d'autre part, si on entroit en rupture lors,
il sembleroit qu'on chercheroit de gaîté de cœur la
guerre que l'on n'auroit que par nécessité \
Qu'on estimeroit qu'on se porteroit volontairement
à un mal pour en éviter un pire, dont le temps peut-
être nous garantiroit par quelque accident et voie
qu'on ne pouvoit prévoir, ainsi qu'il avoit garanti la
chrétienté de beaucoup de maux par la mort du roi
de Suède -,
Que ceux qui avoient autant d'imprudence que de
zèle pour la religion , crieroient comme si on la vou-
loit perdre -, que partant il plairoit au Roi bien penser
à la résolution qu'il devoit prendre eu cette occasion ;
Que s'il se résolvoit à se joindre aux protestans et
se déclarer ouvertementcontre la maison d'Autriche,
ceux qui revenoient fraîchement d'Allemagne esti-
moient qu'il le pouvoit faire aux conditions et avan-
tages suivans :
Que la religion seroit conservée par les protestans
en tous les lieux où elle étoit avant la guerre ^
Qu'ils remettroient entre les mains du Roi tout ce
qu'ils tenoient au-deçà du Rhin , savoir est Mayence
DE RIGHBUËU. [l633] 1^3
et tout ce qui est de Tëvéché deçà le Rhin , dont les
principaux lieux cHoient Bkigen, Longten^ tout le
Palatinat au-deçà du Rhin » dont les principaux lieux
étoient Bacharach . Kreutzuach y Oppeuheim , Franc-*
kendal, Hermechtin, et autres de moindre consi<*
dération -, tout ce qui est de FAlsace et ëvéchë de
Strasbourg, dont les principaux étoient Benfeld et
Schelestadt, et autres petites villes;
Qu'ils aideroient à prendre Brisach et Philisbourg ,
et remettroient entre les mains du RoiCaub etMan-
heim , qui étoient du Palatinat delà le Rhin ;
Qu'ils ne feroient jamais ni paix ni trêve û\ traité
aucun sans le consentement de la France ;
Qu'on pourroit aussi obtenir des Hollandais : pre-
mièrement , que la religion seroit conservée en tous
les lieux de leur nouvelle conquête ;
Secondement , d'attaquer conjointement toute la
côte de la mer et en laisser la possession au Roi,
comme lui appartenant ;
Que , moyennant tout ce que dessus , les protestant
d'Allemagne ne demanderoient au Roi, sinon qu'il
s'obligeât à rompre ouvertement avec la maison d'Au-
triche , soit en Allemagne , soit en Italie , soit en
Flandre; et qu'au cas qu'il rompit hors l'Allemagne
il eût une armée en Alsace prête à les secourir s'ils en
avoient besoin ;
Que les Hollandais demanderoient particulièrement
que le Roi rompit en Flandre conjointement avec
eux , et tous deux , que Sa Majesté ne pût jamais
traiter ni paix ni trêve sans leur consentement, et
qu'elle se fit pour tous ; ce q# seroit réciproque en
toutes les parties ;
T. a;. 18
2^4 [ï633J MÉMOIRES
Qu'il sembloit que les avantages du Roi ëtoient
grands en ce parti , et le péril petit ^
Les avantages grands, parce que, d'un côté, il
ëtendroit son royaume jusqu'au Rhin sans coup frap-
per, n'ayant qu'à recevoir des places qu'il n'avoit
pas conquises , et que , tenant les gages en main , il
seroit arbitre de la guerre et de la pait , qu'on ne
pourroit faire sans lui, vu le dëpôt dont il seroit en
possession ;
Que ce dépôt lui donneroit grand pied sur Stras-
bourg, la Franche-Comté et le Luxembourg, etbri-
deroit de telle sorte M. de Lorraine, que sa malice ne
pourroit plus nuire ^
Que le péril seroit petit , parce que la guerre étant
conjointement avec les Alleinands et les Hollandais ,
les ennemis ne pouvoient en façon quelconque la por-
ter en France , ni favoriser Monsieur pour l'y faire ;
Qu'au reste , il ne faudroit guères tenir plus de gens
de guerre sur pied pour faire cette guerre , qu'on ëtoit
contraint d'y en avoir lors pour se garantir;
Qu'au moins pouvoit-on dire avec vérité que les
deniers qu'on donnoit aux Hollandais et aux protes-
tans d'Allemagne , qui ne se donneroient plus, et ce
que l'on épargnoit de la dépense de la Reine et de
Monsieur, sufBroient pour l'augmentation du nombre
de geus de guerre qu'il faudroit , et nous sortirions du
péril où nous étions d'avoir seuls la maison d'Autriche
sur les bras ; ce que difficilement pouvoit-on éviter
autrement, y ayant grande apparence que, sans cela,
la paix d'Allemagne ou ia trêve de Hollande se feroit ;
Qu'il y avoit encop à considérer que , comme la
guerre avec ces deux puissances seroit sans péril, on
UK RICHELIEU. [l633J 2^5
pouvoit dire qu'elle seroit un chemin à une paix qui
seroit sûre , puisque la maison d'Autriche , avec qui
on ia feroit , ne la sauroit rompre avec une des parties
qu elle ne rompît avec les autres^ ce qu'elle n'oseroit
jamais entreprendre ^
Qu'on pouvoit dire davantage que c'étoit le seul
moyen de faire la paix , vu l'infidélité de la maison
d'Autriche, qui ne garderoit jamais aucun traité qu'elle
fît s'il n'étoit fait en sorte qu'elle ne pût le rompre
sans se perdre ; ce qui ne se pouvoit qu'en traitant
avec toutes les puissances susdites conjointement ;
Qu'il pourroit même arriver que l'union qu'on feroit
pour la guerre produiroit la paix sans en venir aux
armes, tant parce que la maison d'Autriche , ayant en
ce cas plus à craindre que jamais, condescendroit plus
aisément à des conditions raisonnables , que parce que
si les Allemands et les Hollandais étoient en disposi-
tion de la faire, ils parachèveroient leurs traités d'au-
tant plus volontiers que le Roi les y porteroit, et qu'ils
verroient que son intervention en rendroit la garantie
plus assurée ^
Que ces raisons sembloient si pressantes , qu'au cas
qu on ne pût empêcher la paix d'Allemagne et la trêve
de Hollande par argent, sans entrer en rupture ou-
verte avec la maison d'Autriche , ce qu'il falloit tenter
par toutes voies sans y rien épargner, on estimoit
qu'il valoit mieux faire l'union susdite, qui tcndoit à
une paix universelle par une courte guerre, que de
s exposera supporter seul et promptement une longue
guerre dans ses entraillea , laquelle assurément on ne
sauroit éviter si la paix d'Allemagne ou la trêve de
Hollande se faisoit;
18.
a^Ô [l633j MÉMOIRES
Et qu'en ce cas les clameurs excitées par des zëlës
imprudens n'ëtoient pas considérables, qu'il faudroit
seolement y opposer des manifestes , qui feroient voir
que le Roi n'avoit autre but que dé procurer une
bonne paix à la chrétienté et assurer ta religion partout.
Qu'aussi peu devoit-on faire état des dépenses
qu'il £iudroit faire, tant parce qu'elles ne seroient
pas beaucoup plus grandes pendant la guerre qu'alors ,
que parce qu'il valoit mieux les faire telles qu'elles
pussent être utiles et courtes en attaquant, quelongues
et inutiles en se défendant ^ joint que toutes les gar-
nisons des places qu'on recevroit en Allemagne se
pourroient quasi entretenir par les contributions du
pays;
Qu'aussi peu devoit*on mettre en ligne de compte
la pensée de ceux qui estimeroient qu'on cherchât
la guerre de galté de cœur , tant parce qu'on ne s'y
porteroit que par nécessité , en tant que la raison nous
oblige de choisir de deux maux le moindre , que parce
que qui voudroit se régler par le jugement du vul-
gaire iroit aussi souvent à sa perte , comme en prenant
le contre-pied on trouve d'ordinaire son salut ;
Qu'aussi peu devoit-on faire cas de l'imagination
de ceux qui voudroient que nous attendissions du
hasard le remède du mal que nous devons justement
craindre , puisque la prudence ne le permet pas ,
ains nous oblige de prévoir et prévenir ce que nous
avons juste sujet d'appréhender ;
Que la difficulté qui devoit être plus considérée en
cette affaire , étoit le peu de gens capables de faire la
guerre qui étoientlorsen France. Sur quoi on pour-
roit prendre un expédient qui remédieroit à cet in-
DE RICHELIEU. [l033J 377
coQvëiiieut et déchargeroit le Roi d'un grand aoin ^
Qu'il consistoit à convenir avec le prince dX)range
des conquêtes qui se feroient , et lui donner la con-
duite et le commandement de toutes les armes , le
Roi n ayant autre soin que d'y envoyer et entretenir
un maréchal de France et deux ou trois maréchaux de
camp, douze mille hommes de pied, deux mille che-
vaux et tout le reste de ce qui étoit requis à une armée^
Qu'en ce cas la guerre se feroit aisément, en tint
qu'il ne resteroit autre soin au Roi que d'entretenir
un autre corps d'armée en TAlsace , sous le comman*
dément de deux maréchaux de France et deux ma-
réchaux de camp bien choisis; ce qui se feroit tafis
grande difficulté et sans frais insupportables ;
Qu'il y avoit grande apparence que le prince d*0-
range tiendroit à faveur ce parti qui lui seroit fort
honorable, en tant que le Roi lui donneroit ses armes
à commander, et lui témoigneroit la confiance de Sa
Majesté;
Que si le Roi se résolvoil à se déclarer en une &çon
ou en l'autre , il falloit avoir un grand soin de fiâre
agir les seigneurs mécontens de Flandre, selon la pror
position du comte d'Egmont.
Le Roi , suivant cet avis , commença à tenter tous
les moyens possibles de faire continuer la guerre en
Allemagne et eu Hollande contre la maison d'Autriche,
sans être obligé à se déclarer pour ce sujet. Pour cet
effet, il envoya en diligence, en même temps, ses
ambassadeurs vers l'Empereur , Télecteur de Bavière,
les trois électeurs catholiques, comme aussi vers les
princes du parti protestant et aux états des Pays-Bas.
Elle choisit le sieur de Feuquières pour aller de sa
278 |^l633j MÉMOIRES
part en qualité de son ambassadeur e:itraordinaire
vers les princes protestans de rAUemagne et les chefs
des Suédois , et leur représenter que la fin générale
de Sa Majesté , en ce qui regardoit les affaires de l'Em-
pire, étoit de s'acquérir Tamitié des princes catholi-
ques et protestans , en leur faisant connoltre le dessein
qu'elle avoit de les conduire à une sûre et raisonnable
paix , et les aider en ce qui lui seroit possible pour se
fortifier chacun de son côté , et même établir une
bonne intelligence entre eux , faisant cesser les dif-
férends pour la religion , pour remettre FEmpire en
sa première liberté et tranquillité ; en quoi , outre
Thonneur qui en reviendroit à Sa Majesté , elle pour-
roit mieux ménager ses avantages et ceux de ses
alliés , prenant soin de cette affaire, que si elle Taban-
donnoit:
Il eut ordre d'aller droit trouver l'électeur de Saxe ,
voyant néanmoins Oxenstiern en passant s'il étoit sur
le chemin , et le landgrave de Hesse-Cassel s'il le
pouvoit sans beaucoup se détourner, sinon qu'il prît
soin de le faire avertir de l'affection que le Roi lui
portoit, qui lui seroit confirmée par les lettres de Sa
Majesté qu'il avoit charge de lui bailler à la première
occasion qu'ils se pourroient voir , l'exhortant cepen-
dant de se maintenir dans la résolution du bien com-
mun, et de venir à l'assemblée des princes protes-
tans si elle se tenoit.
Ce qu'il eut charge de représenter à l'électeur de
Saxe contenoit en substance que , le Roi ayant fait
voir par son alliance avec le roi de Suède le désir
qu'il avoit de conserver la liberté des princes ses
alliés en Allemagne, entre lesquels l'électeur de Saxe
DE KICUEUEU. [l6i3J 279
tenoit un des premiers rangs , ledit duc se devoit as-
surer que Sa Majesté continueroit en sa personne
les mêmes soins et assistances , et pour cet effet elle
offroit de lui bailler le même secours d'argent qu'au
roi de Suède, et de le favoriser en tout ce qui lui seroit
possible pour le maintenir en état de pouvoir établir
une sûre et raisonnable paix en TEmpire pour le pré-
sent et pour Tavenir. Et sur cela Sa Majesté Texhor-^
toit avec instance de prendre la direction des affaires,
et donner près de lui la même part à Oxenstiern en
ce qui concernoit ce fait qu'il avoit auprès de son
maître , ce que ledit Oxenstiern avoit prié le sieur de
La Grange-aux-Ormes de faire entendre au Roi , ce
qu'il sembloit être fort à propos -,
Que moyennant le même secours que le Roi don-
noit au roi de Suède, l'électeur de Saxe, en son nom
et de ses confédérés , demeureroit obligé envers le
Roi aux mêmes choses qu'étoit le roi de Suède , spé-
cialement en ce qui concernoit la religion catholique,
et de ne point faire de traité ou de paix sans le con-
sentement de Sa Majesté , laquelle condescendroit
toujours volontiers à ce qui seroit du bien commun,
et particulièrement dudit Electeur ;
Que rien n'étoit plus capable d'empêcher cedit
Fviecteur de faire une bonne paix , que s'il manquoit à
se maintenir en autorité et en puissance , prenant la
protection et la conduite des princes et des villes de
son parti qui étoient dans l'alliance du roi de Suède;
Qu'il devoit bien prendre garde à ne donner pas
lieu , par un désir précipité de repos , aux vaines pro-
messes de ceux d'Autriche , qui ne tendoient qu'à le
ruiner après avoir divisé son parti ;
28o [i63ÏJ MÉMOIRES
Que Ton devoit fonder la paix sur des moyens 80«
lides 9 Tun desquels étoit la ferme résolution de tous
leurs communs amis à conserver leurs forces , et faire
pour cela un dernier effort ; Tautre ëtoit une bonne in**
telligence avec les électeurs catholiques, qui n'avoient
pas moins d'intérêt que les protestans de craindre la
maison d'Autriche , pourvu qu'ils se pussent assurer
qu'il voulut entrer avec eux en des conditions rai-
sonnables selon les constitutions de l'Empire, et sans
faire tort à la religion et à leur liberté ^ en quoi ledit
sieur de Feuquières eut charge Vl'avoir égard de ne
point donner lieu au Suédois de prendre soupçon que
cette union des princes catholiques et protestans ne
fût un moyen de les chasser , et falloit^rler sur ce
sujet avec retenue et considération )
Que lesdits protestans avoient bien à se garder dea
propositions qui leur seroient faites de désarmer,
étant certain que s'ils en venoient là , quoi que l'Em-
pereur leur eût promis , il prendroit sujet d'armer de
nouveau , dont ils ne se pouvoient garantir que par
une étroite liaison entre eux avec la conjonction de
la iPrance ^
Que si ledit Electeur proposoit que la paix étant
la fin pour laquelle on prenoit les armes , et qu^ëtant
si nécessaire comme elle étoit après de si longues
guêtres , il falloit prendre le temps que les protestans
étoient encore puissans pour voir si l'on pourrott ter-
miner tous les différends avec la sûreté de leurs amis
et alUés par une libre diète , laquelle , selon Topuion
commune des Allemands, ne se peut faire sans une
suspension d'hostilité *,
Et que si ledit Electeur demandoit quelle étoit aor
DE RiCHELIEO. [i633J aSi
cela l'intention du Roi , et spécialement sur le temps
et lieu de la diète , ledit sieur de Feuquières réponcÛt
qu'il ne falloit pas douter que Sa Majesté ne désirit
le repos commun ; que c'étoit le but principal pour
lequel elle Tavoit envoyé vers lui , auquel elle se re-
mettoit volontiers du temps et du lieu de la diète ,
comme aussi de la suspension , mais qu'elle lui avoit
donné charge fort expresse de représenter audit Elec-
teur, pour Fintérét qu'elle avoit en sa conservation »
de prendre bien garde que sous ces belles propositions
l'Empereur n'essayât de dissiper leurs forces, étant à
craindre que , par l'espérance d'une prompte paix ,
chacun ne pensât qu'à retourner chez soi et faire ses
^flaires particulières , oubliant la cause générale; que
pour remédier à ce mal il Êilloitse tenir sur ses armes,
s
et se mettre en état de se rendre considérable d'au-
tant plus que l'on parleroit d'accord \
Que ledit sieur de Feuquières tireroit toute assu-
rance dudit Electeur qu'il contribueroit tout ce' qui
dépendroit de lui à ce que le Roi intervint par ses
ambassadeurs en la diète en qualité de médiateur
pour la paix , et qu'il y eût le rang qui convenoit à sa
dignité; qu'il lui représentât aussi efficacement com-
bien il importoit de ne point procéder à une élection
du roi des Romains pour le présent, ni même qu'après
la mort de l'Empereur , lui faisant voir que c'étoit la
plus forte barrière qu'on pût opposer à la maison
d'Autriche que de lui ôter cette dignité ou la tenir en
crainte de la perdre ; que de faire le roi de Hongrie
roi des Romains étoit la même chose que de soumettre
l'Empire à la monarchie d'Espagne pour jamais ; que
le mieux étoit de différer cette élection jusqu'à oe
282 [l633] MÉMOIRES
que Dieu eût disposé de FEmpereur , selon les cou-
tumes anciennes ^
Que le Roi Tassuroit que , quand il faudroit venir
à une élection , Sa Majesté emploieroit le crédit qu'elle
se proraettoit envers plusieurs de ses co-éleçteurs à ce
que celui qui seroit élu lui fût agréable , et qu'elle at-
tendoit de lui le même office ;
Qu'il falloit lui ôter entièrement l'opinion que le
Roi y pensât pour soi-même , et ne se pas expliquer
sur qui Sa Majesté voudroit jeter les yeux y sinon
qu'elle suivroit en cela volontiers ses avis*, mais il ne
faudroit faire ouverture de tout ce qui a été dit ci-
dessus sur le sujet de l'élection du roi des Romains
qu'après que le traité seroit fait ;
Quant à ce qui concernoit les moyens d'accommo-
dement, soit entre lui et le duc de Bavière, soit en-
tre les catholiques et les protestans, qu'il suffiroit d'y
aviser selon que les choses prendroient leur pli , et
que le Roi en seroit informé plus certainement^ qu'il
falloit pour cette heure former les dispositions géné-
rales dans les esprits des uns et des autres, et ména-
ger les choses en sorte qu'elles ne se pussent accom-
moder sans le Roi *,
Quant au mariage de la fille de Suède avec le fils
aîné de Saxe , le Roi suivroit en cela le cours des
choses , et témoigneroit l'approuver si Saxe le dési-
roit, lequel , étantdéjà alliéavecle roi de Danemarck,
pouvoit par ce moyen apaiser les différends qui
pourroient naître entre ces deux royaumes, ce qui
rendroit Saxe fort considérable , et donneroit grande
jalousie à la maison d'Autriche-, et pour ne voir aussi
le parti protestant quelque jour avec trop de pois-
1)£ RICHELIEU. [l633J 183
sance , il étoit mieux que de la part du Roi Ton ne
pressât pas cette affaire , pour la pouvoir conduire se-
lon les occurrences, étant aussi à craindre d'offenser
Oxenstiern, lequel y pensoit pour son fils.
Ledit Feuquières eut ordre de passer de Saxe vers
rélecteur de Brandebourg, si ledit Electeur ne se
trouvoit ou ne se devoit trouver dans peu de temps
vers ledit électeur de Saxe^ que, si toutefois il ju-
geoit sa présence nécessaire près Télecteur de Saxe ,
lequel il falloit continuellement veiller, il envoyât
vers ledit Brandebourg le sieur de La Grange ou du
Hamel , en attendant qu'il le put voir lui-même ;
Que, pour le rendre plus attaché à la France, et
plus disposé à faire ce qu'on désiroit de lui, il se de-
voit servir de ce que le roi de Suède tenoit ses prin-
cipales places dans la Prusse et en son pays de Brande-
bourg, comme aussi en toute la Poméranie, de la-
quelle il héritoit après la mort du présent duc; que
les Hollandais avoient aussi plusieurs de ses places
de la succession de Clèves , dont il avoit la moitié, en
toutes lesquelles choses le Roi pouvoit beaucoup To-
bliger, s'employant en sa faveur vers les sieurs les
Etats pour ce qu'ils occupoient de deçà, et vers les
Suédois qui avoient le reste ;
Que la substance de ce qu'il lui falloit dire étoit que
le Roi Tassuroit qu'il continueroit de prendre un grand
soin de tous ses intérêts comme des siens mêmes ;
qu'il l'exhortoit de se maintenir dans l'union de ceux
de son parti avec l'électeur de Saxe , auquel il n'y
avoit point de doute qu'il cédât volontiers. Au reste,
qu'il lui représentât les mêmes raisons qui ont été
déclarées ci-dessus pour l'induire à la constance et à
284 [l633] MÉMOIRES
eatrer en bonne intelligence avec les électeurs catho-
liques par Tentremise du Roi , et différer l'élection
d*un roi des Romains;
Qa'il lui devoit faire comprendre que s'il se laissoit
tromper par les belles paroles de la maison d'Autri-
che, les Suédois et les Hollandais retiendroient ses
places , et que l'Empereur ensuite prendroit part à sa
dépouille ;
Qu'il n'y avoit point de doute qu'il porteroit im-
patiemment de voir les Suédois maîtres de ses pro-
vinces , et qu'il désireroit la paix avec chaleur ^ mais
il falloit lui remontrer qu'il ne la pouvoit obtenir avec
sûreté , soit à l'égard de l'Empereur ou des Suédois ,
que par le moyen du traité que le Roi y proposoiti et
en se mettant sous sa protection ;
Quant au landgrave de Hesse-Cassel et aux frères
ducs de Weimâr , au duc de Lunebourg , an prince
d'Anhalt , qui étoient de long-temps amis de cette
couronne, et ne pouvoient attendre que leur ruine
de la maison d'Autriche , qu'il les fortifi&t de la part
du Roi , comme aussi les villes impériales , notam-
ment Nuremberg, Ulm, Strasbourg, Francfort et
Hanau ;
Qu'il donnât aussi de bonnes paroles aux villes qui
sont plus éloignées , par les princes qui en sont voi-
sins ; car, encore qu'elles ne puissent pas espérer d'ê-
tre aidées de nous-mêmes , elles profîtoient du se-
cours que leur parti recevoit du Roi : ces villes étoient
Erfurt , Hambourg , Lubeck , Rostock , Wismar, Stral-
sund et quelques antres , dont la plus grande partie
étoit entre les mains des Suédois.
Quant au chancelier OxensUern , qu'il fadloit qu'il
DE RICHELIEU. [l633J l85
eût soin principalement d acquérir sa confiance et son
amitië, et Vassurer que le Roi vouloit embrasser ses
intérêts de toute son affection, et qu'il appuieroit le
mariage de son fils avec l'héritière de Suède , lui pro-
mettant qu'en ce cas le Roi l'assisteroit d'argent pour
soutenir la guerre contre ceux qui voudroient trou-
bler sondit fils* quand il seroit roi;
Que pareillement Sa Majesté s'emploieroit de tout
son pouvoir pour conserver et accroître ses avantages
dans les affaires d'Allemagne , soit en ce qui regar-
doit l'autorité du commandement ou le partage des
biens -,
Que Sa Majesté se promettoit aussi que ledit chan-
celier, poursuivant avec constance le dessein du dé-
funt Roi son maître, se tiendroit uni inséparablement
avec la France, et le sieur de Feuquières prendroit
sujet, entrant avec lui sur l'état des affaires, de le
faire venir de lui-même à offrir au Roi les places
qu'il tenoit de deçà le Rhin ; que , s'il ne lui en faisoit
point d'ouverture , ledit sieur de Feuquières le re-
mettroit sur un discours qui s'étoit passé depuis peu
à Francfort, entre ledit chancelier et le sieur de
Charnacé, sur ce sujet, sur quoi il lui témoigneroit
que, le Roi ne voulant épargner chose quelconque
pour faire que ce renouvellement d'alliance avec la
couronne de Suède en la personne dudit chancelier ,
y conjoignant les princes protestans d'Allemagne,
servit à maintenir ce parti contre tous les efforts de )a
maison d'Autriche , Sadite Majesté ne refuseroit pas
de se charger de la garde de quelques places , avec
charge de les rendre par la paix , selon qu'il seroit
convenu entre les confédérés pour le bien commun ;
a86 [l633J MÉMOIRES
Que , si ledit chancelier se résolvoit de bailler les-
dites places entre les mains du Roi sans en parler à
Fëlecteur de Saxe, craignant qu'il ne s'y opposât, le-
dit sieur de Feuquières les accepteroit, lui témoi-
gnant que Sa Majesté prendroit volontiers cette mar-
que de la spéciale confiance dudit chancelier en son
endroit, et donneroit promptement avis par-deçà de
celte résolution , afin que selon Tordre que ledit chan-
celier auroit mis pour mettre dans ces places les trou-
pes du Roi, Sa Majesté pût les y envoyer;
Que, si Oxenstiern vouloit en donner participation
' à rélecteur de Saxe , le sieur de Feuquières feroit en
sorte que ledit Electeur ne crût pas que le Roi s'y
portât pour son propre intérêt, et lui représenteroit
combien il lui importoit et à ses associés , pour ob-
tenir une bonne et sûre paix , que le Roi tint une ar-
mée deçà le Rhin en leur faveur , ce qui ne se poa-
voit faire sans y avoir des places , qu'il promettroit
de restituer comme dessus \
Qu'il seroit à désirer que, si ledit Electeur prenoit
goût à cette proposition, comme lui étant avanta-
geuse , l'on pût rabattre le million porté par le traité
de renouvellement d'alliance , en considération des
frais que le Roi feroit pour entretenir cette armée ;
Qu'en tout ce que dessus le sieur de Feuquières
auroit égard de détourner le soupçon que les Alle-
mands pourroient prendre que le Roi voulût penser
plutôt à son intérêt qu'au leur , et que cela ne vint
si avant que de les rendre plus disposés à retourner
vers l'Empereur 5 sur quoi il prendroit ses mesures
de s'ouvrir et d'insister plus ou moins sur cette pro-
position des places, et feroit savoir promptement
DE RICHELIEU. [t633J ^87
Pétat de cette affaire )e plus au vrai qu'il le pourroit
savoir, afin qu'il reçût les ordres du Roi comme il s'y
devoit conduire;
Que les places qui nous couvenoient le mieux
étoientBenfeld , Haguenau , Schelestadt etBrisach s'il
ëtoit pris , et autres principaux lieux de l'Alsace au-
deçà du Rhin , Trarbach sur la Moselle, et Kreutznach.
Si Oxenstiern vouloit garder Mayence, le Roi s'en
remettoit à lui , il faudroit voir quel en seroit son
sentiment.
Pour ce qui étoit des places du bas Palatinat au-decà
du Rhin, il ëtoit à propos, ou que les Suédois les gar-
dassent , avec promesse de les rendre entre les mains
du jeune Palatin au temps de la paix, en faveur des
rois de France et d'Angleterre , ou que les Suédois
les remissent dès lors audit prince, avec cette con-
dition que le roi de la Grande-Bretagne s'obligeroit
envers tous les confédérés de conserver lesdites places
à ses frais , avec le nombre de gens de guerre néces-
saire pour les défendre, ou que lesdites places se-
roient tenues par le Roi aux frais communs de France
et d'Angleterre, lequel dernier moyen seroit le plus
avantageux et le plus sur;
Qu il ëtoit bon de voir le sens dudit chancelier sur
cette affaire , et essayer de le rendre auteur des ré-
solutions qui s'en pourroient prendre ;
Qu'il n'y avoit point de doute que les princes et
les communautés d'Allemagne auroient une grande
alarme de ce qu'on leur faisoit prêter serment à la
couronne de Suède; que ledit sieur de Feuquières,
auquel on ne manqueroitd'en faire des plaintes, trai-
teroit ce point délicatement pour n'offenser les Sué-
288 [l633] MÉMOIUES*
dois, sur quoi il sauroit du chancelier Oxenstiern ce
qu'il jugeoit à propos qu'il répondit en telle occa-
sion, lui témoignant que ce n'étoit pas que le Roi
s'en formalisât , et qu'il n'y pensoit que pour ménager
mieux leur intérêt et empêcher la division; et quant
aux Allemands , ledit sieur de Feuquières leur feroit
entendre , lorsqu'ils lui en parleroient , que Sa Majesté
donneroit toujours l'exemple de la sincérité avec la-
quelle elle se portoit pour leur bien , qui étoit le seul
objet de la peine qu'il prendroit pour eux *, que toute-
fois ils ne dévoient pas s'émouvoir si les Suédois pré-
tendoient se conserver quelque avantage qui leur
coûtoit si cher par la perte de leur Roi, et qu'enfin
toutes choses s'accommoderoiwt par une bonne paix ,
pour laquelle obtenir ils dévoient éviter tous les su-
jets qui pourroient mettre de la discorde entre eux
et les Suédois ;
Qu'il témoignât aux autres chefs suédois, s'il les
rencontroit , combien le Roi aimoit leur Etat et leurs
personnes, les invitant à poursuivre le dessein de
leur défunt maître, et à se maintenir unis ensemble
avec les Allemands ;
Qu'il porteroit des lettres du Roi aux principaux ,
comme étoient Gustave Horn , Kniphausen , Banier
et autres qu'il jugeroit être à propos , ayant pour cela
des lettres en blanc , et , selon leur mérite, leur feroit
espérer des grâces spéciales de la part de Sa Ma-
jesté , et tâcheroit de reconnoitre ce qui pouvoit fal-
loir à chacun ;
Qu'il emploieroit principalement l'autorité du Roi
avec toute la prudence et industrie qui lui seroit pos-
sible , pour prévenir et ôter les divisions et jalousies
DE AICIIfiUEU. [l633] 289
onlrc les Allemands et Suédois , et entre ceux de leur
même nation , essayant de les réunir sous la direction
(les chefs principaux, qui étoient, sans difficulté, Té-
lecteur de Saxe et le chancelier Oxenstiern ;
Que, pour ce qui regardoit le commandement de
la guerre, le Roi auroit à gré qu'il fût donné au duc
Kcrnard de Saxe-Weimar, et spécialement pour les
troupes qui étoient vers la Saxe, et que le landgrave
de Hesse-Cassel eût charge de celles de deçà , ce qui
s'cntcndoit sans témoigner aucune inclination qui pût
donner de la jalousie aux autres, et notamment aux
Suédois, et entre les autres à Gustave Horn, qui avoit
la conduite des provinces qui nous sont plus voisines,
avec lequel le landgfVfe de Hesse-Cassel se pouvoit
accommoder, dont le Roi se remettoit, comme de
toutes autres telles choses , à ce qui seroit résolu
entre les chefs et directeurs, tant pour ce qui re-
gardoit l'administration des affaires d'État que de la
guerre-,
Et qu après que ledit sieur de Feuquières auroit
passé le traité, et qu'il verroit les princes et les com-^
munautés en résolution de ne point désarmer et de
tenir ferme pour la liberté publique, il prendroit sujet
de leur faire entendre avec adresse que le Roi , en*
voyant un nouveau résident pMk TEmpereur en la
place de l'autre , que Tâge ne permettoit plus d y de-
meurer, lui avoit donné charge de reconnoltre les
intentions que Ton auroit en cette cour-là , et s'il y
auroit disposition d'entrer dans les termes d'une juste
et sûre paix, y ayant plutôt grande apparence de
croire que la maison d'Autriche ne prétendoit autre
chose que d'amuser le monde de bellef paroles, selon
T. ^7. fC)
ago [ï633] MÉMOIRES
sa coutume , et que le Roi estimoit fort k propos d'en
détromper ses amis *, et au cas que lesdits électeurs
de Saxe et de Brandebourg , et le chancelier Oxens-
tiern , désirassent que le Roi en prît une plus certaine
connoissance, Sa Majesté feroit entendre à TEmpe-
renr qu'ayant fait alliance avec eux pour le bien com-
mun , elle s'emploieroit volontiers pour porter les
choses à un bon accommodement , avec la jaste sa-
tisfaction des intéressés ;
Que sur cela ledit sieur de Feuquières verroit
avec eux quelles étoient leurs prétentions , et , s^il
remarquoit qu'ils y procédassent avec sincérité, et
qu'ils voulussent appuyer cggg^me ils dévoient les
intérêts de Sa Majesté , en réHinoissance de l'assis-
tance qu'elle leur rendoit , il pourroit leur faire voir
le projet d'accommodement qu'il emporteroit avec
lui , et ne le feroit voir à personne quelconque qu'avec
les circonstances susdites , et n'en laisseroit point
prendre de copie que l'on ne fût sur le point de pren-
dre une bonne conclusion ;
Que , faisant voir ledit projet , il leur donneroit
bien à entendre que le Roi désiroit pour lui des con-
ditions fort raisonnables et de petite conséquence, i
l'égard des frais qu'il a soutenus pour retenir dans
les bornes la maisW d'Autriche en Allemagne , en
Italie et en Flandre , ce qui ne leur avoit pas servi
de peu , et dont encore lors ils recevoient de grands
avantages , outre l'utilité qu'ils recevoient de son al-
liance en cette même occasion d'accommodeinent ,
que la considération de ce qu'il étoit joint avec eux
leur rendroit bien plus sûr et avantageux. Sartout
qu'il ne conte(|||roit point les propositions qu'ils fe-
DE RICHELIEU. [l633J SQ!
roient de leurs intëréts , mais lâchât de faire qu'eux-
mêmes reconnussent avec prudence ce qui ëtoit fai-
sable et dans la raison.
Sa Majesté donna aussi commandement au sieur de
Llsle , qui étoit pour son service en la ville de^Stras-
bourg , d'essayer de conserver ladite ville en l'affec-
lion et en la confiance qu'elle devoit au Roi, et pour
cet effet lui envoya des lettres de créance qu'elle
adressa à ladite ville , conformes à celles qtfe lé sieur
de Feuquières a voit pour les autres villes impériale!
d'Allemagne.
II lui en donna aussi pour le prince Jules, comte
de Monlbelliard , du^M administrateur de Wurtem-
berg , et une autre au^nc de Wurtemberg son ne-
veu , qui étoit l'héritier, lequel, encore qu'il soit
jeune, se fût trouvé offensé si on ne' lui eût point
écrit , et lui ordonna que , selon la grande connois-
sance qu'il avoit avec eux , il leur parlât conformément
aux choses susdites.
Il eut aussi ordre de fortifier les princes pfotestant
proches du Rhin , deçà ou delà , et pour cet effet lui
envoya plusieurs lettres en créance, et particulière-
ment aux ducs des Deux-Ponts et quelques autres de
sa maison , le marquis de Dourkri^ , le comte de Ha-
nau , les rhingraves Otto et Lmns , le prince de La
Petite-Pierre et les comtes de la Vétéravie.
Elle envoya aussi le sieur de Miré au maréchal
Gustave Hom , pour lui témoigner que Sa Majesté ,
envoyant le sieur de Feaquières son ambassadeur
extraordinaire en Allemagne, spécialement pour con-
férer avec M. Oxenstiem des moyens plus propres
pour maintenir les choses commenc^P par le défunt
»9-
2g2 [l633] MÉMOIRES
roi de Suède , avec pouvoir de renouveler le traité
qu'elle avoit fait avec lui , y joignant les deux élec-
teurs de Saxe et de Brandebourg , et autres seigneurs
et villes , elle avoit voulu aussi , pour Testime parti-
culière qu'elle faisoit de sa personne , dépécher en
même temps vers ledit sieur maréchal le sieur de
Miré , lui ayant commandé de se tenir près de lui
quelque temps, pour avoir une plus facile et plus
prompte correspondance sur les affaires présentes ,
qui pouvoient souvent donner Sujet à Sa Majesté y
par le voisinage des troupes qui étoient sous la con-
duite dudit maréchal , de lui donner communication
de ses bonnes intentions.
Qu entre autres choses il lui Wroit que le Roi seroit
bien aise de savoir s'il étoit vrai que ce fût du consen-
tement dudit maréchal que le duc de Lorraine eût
mis des troupes dans Saverne et Dachstein , et s'il
étoit entré en neutralité avec ledit duc à raison de
ces dîtes places ^ que Sa Majesté vouloit bien croire
que ce qu'il en auroit fait seroit en sa considération ,
et ensuite de ce qu'elle avoit pris en sa protection
ledit duc -, que toutefois il y avoit bien de l'appa-
rence que le comte de Salm n'auroit point reçu le duc
de Lorraine sans ordre de l'Empereur, et que cette
ancienne dette de Jbo,ooo thalers, en vertu de la-
quelle ledit duc avoit prétendu ces lieux-là lui de-
voir être mis en dépôt , n'étoit qu'un prétexte dont
il s'étoit servi pour faire ce plaisir à l'Empereur , de
mettre ces places à couvert, et de se rendre lui-même
plus considérable , étendant ses limites \
Que Sa Majesté vouloit user d'une telle confiance
avec ledit mar(||^al, qu'elle ne faisoit pas difficulté de
DE RICHEUEU. [lÔSS] ^9^
lui déclarer qu'il ëtoità propos, tant à Tëgard de Sa-
dite Majesté que dudit maréchal, et pour le bien
commun, d'ouvrir les yeux sur les actions dudit duc ,
et de le tenir en état qu'il demeurât dans son devoir, et
ne lui point donner occasion, en le laissant accroître
et se mêler des affaires d'autrui , de se porter à des
desseins préjudiciables qu'il falloit prévenir de bonne
heure ^ que l'on croyoit que le duc de Lorraine avoit
eu des entreprises sur Strasbourg , et qu'il ne seroit
pas marri, ayant un pied dans l'Alsace, et après avoir
gagné l'affection des catholiques en qualité de leur
protecteur , de profiter des événemens au préjudice
des Suédois;
Que le Roi savoit certainement que Mérode et
Montecuculli ayant été envoyés par l'Empereur
pour faire de grandes levées avec de l'argent qu'ils
avoient reçu d'Espagne, dans la Franche-Comté , le
Liège , les Pays-Bas et la Lorraine , ils avoient été
droit à Nancy, et conféré long-temps avec le duc, le-
quel n'étoit pas aussi en mauvaise intelligeuce avec
( rronsfeld et les troupes des Espagnols dans le Luxem-
bourg ;
Que ledit Miré remarquât bien quelles pensées ce
discours produiroit en l'esprit dudit maréchal , et s'il
se porteroit à dire que si le duc dionnoit sujet d'offense
au Roi ou à lui , il ne l'épargneroit pas , et qu'en cela il
suivroit les intentions de Sa Majesté. Et en ce cas le
sieur de Miré, sans lui témoigner que Sa Majesté
voulût faire la guerre au duc de Lorraine , l'assureroit
qu'elle auroit fort agréable de savoir qu'il fût en cette
bonne disposition de prendre part à ses intérêts, et
qu'il ne manqueroit pas de l'en avertir ^
2g4 [lOc$3J MKMOUIES
Qu en outre il sauroit de lui pour combien de temps
il avoit accorde la susdite neutralité , ou si elle ne se
pourroit point révoquer, si le bien des affaires com-
munes le requéroity comme a'ëtant pas ratifiée par la
Reine régente ou le chancelier Oxenstiern j
Qu'il essaieroit de reconnoitre si ledit maréchal a
dessein d'attaquer la Franche-Comté en revanche de
ce que Tlnfante envoyoit ses gens contre Baudissen ,
et quel ordre il mettoit pour conserver les places de
l'Alsace , ou celles qu'il avoit sur le Rhin , contre les-
quelles il ne falloit point douter qu'à ce printemps les
nouvelles levées de Mérode et de MontecucuUi nie
fissent leur eflbrt ^ et en ce discours qu'il pouvoitavoir
avec lui sur ce sujet , il verroit $i ledit maréchal pro-
posoit de lui-même de remettre ces places entre les
mains du Roi , sans que ledit sieur de Miré lui té-
moigpât que Sa Majesté le désiroit , s'ofiVant toute-
fois d'en apprendre sa volonté ^
Qu'il feroit office vers ledit maréchal, de la part du
Roi , en faveur de l'évéque de Bâle , à ce qu'il ne mit
point ses terres en contribution et n'y fît hiverner ses
troupes , étant allié du Roi et des cantons catholiques
qui étoient en sa protection, et feroit instance que
ledit maréchal y mit ordre promptement ;
Qu'il lui remoqtrerpit aussi, selon les occurrences,
combien Sa Majesté lui sauroit gré de ne point
maltraiter les catholiques dans les lieux où il avoit
pouvoir^
Que Sa Majesté ayant été informée que quelques
chefs suédois, estimant que son alliance étant finie
par la mort du roi de Suède , disoient qu'ils n'étoient
plus obligés à cet article qui est couché en leur traité ,
DE RICHELIEU. [l633] ^95
qu outre le préjudice qu'ils pourroient recevoir en
contraignant les catholiques, par le mal qu'ils leur fe-
roient, de s'unir plus étroitement avec la maison
d'Autriche, il n'étoit pas avantageux pour leur parti
que Ton les crût séparés d'avec la France , vu même
qu'au contraire le Roi continuoit toujours dans le
même dessein de les assister ^
Que si , au lieu de Gustave Horn , quelque autre
avoit le commandement sur les provinces voisines de
noire frontière sans que ledit Gustave Horn y dût
retourner, le sieur de Miré en avertiroit par deçà, et
cependant il se tiendroit près de ce nouveau gouver-
neur, et ticheroit de discerner s*il y ^voit lieu de loi
pouvoir confler les mêmes ouvertures qu'audit Gu9-
tave, et feroit bien d'attendre sur cela un ordre de la
cour sur les réponses de ses lettres , afin de s*y con-
duire avec plus de sûreté^ que s'il se trouvoit proche
des lieux où étoient le duc administrateur de Wur-
temberg, le comte de Hanau et les rhingraves Otto
et Ludovic , il leur bailleroit les lettres du Roi dont
il exposeroit la créance, en leur disant que Sa Ma-
jesté avoit jugé à propos en l'occasion présente, en-
suite de la mort du roi de Suède, de leur faire en-
tendre que , tant s'en Ëiut que cet accident diminuât
le soin que Sa Majesté avoit toujours pris pour la pai;^
et la liberté de l'Allemagne, et spécialement pour la
conservation de ses alliés et lesdits princes en particu-
lier , que plutôt elle les assuroit de Faccroissemei)!
de son afTecûon , d'autant plus qu'elle jugeoit lûen
qu'ils avoient plus de besoin de son assistance^ qu'elle
ne doutoit pas aussi qu'ils se joindroient avec sin-
cérité et constance à ses bonnes intentions.
2g6 [l633] MÉMOIRES
Et ensuite il leur diroit que Sa Majesté , qui avoit
toujours désiré ardemment la liberté et la paix de la
Germanie , comme elle avoit fait voir par son alliance
avec le rolde Suède, et partant d'autres témoignages
qu'elle en avoit rendus , tant par les divers voyages
de ses ministres en Allemagne que par la puissante
diversion qu'elle avoit faite en plusieurs lieux aux
armes d'Espagne , et l'obstacle qu'elle avoit apporté
aux desseins ambitieux de la maison d'Autriche, Sadite
Majesté, redoublant ses soins pour un sujet qui leur
étoit si important, les exhortoit de se tenir unis avec
les autres princes protestans de l'Allemagne etles chefs
suédois , et notamment avec les électeurs de Saxe et
de Brandebourg et le chancelier Oxenstiern , et de
considérer le mal qui leur pouvoit arriver de tomber
dans la division , pour quelque intérêt de religion et
d'Etat qui se pût présenter, et qu'il étoit évident que
rien ne pouvoit leur apporter plus de préjudice en
toutes manières que la discorde ;
Qu'ils feroient bien de témoigner les uns aux autres
leur résolution mutuelle , et spécialement d'envoyer
pour cet effet leurs députés, si déjà ils ne l'avoient
fait , en l'assemblée qu'on disoit devoir être tenue, ou
Sadite Majesté feroit entendre par un ambassadeur
extraordinaire , lequel y alloit de sa part avec plein
pouvoir, l'assistance qu'elle vouloit donner aux princes
confédérés, afin qu'ils puissent obtenir une bonne et
sure paix ^
Que Sa Majesté ne croyoit pas que l'on pût obtenir
ce grand et nécessaire bien par un meilleur moyen
qu'en établissant entre les confédérés une réciproque
obligation de ne point désarmer, jusqu'à ce que la
PB BicHBUBu. [i633J a97
paix fût Gonclae dans une libre diète, avec la joste
satisfaction de tous les intérêts, sans s'arrêter aux
promesses et artifices de la maison d'Autriche ; à qaoi
il falloit joindre que lesdits confédérés ne pourroient
faire la paix que d'un commun consentement, et que
si après qu'elle seroit fiiite quelqu'un contrevenoit
aux choses qui auroient été arrétéfs, soit en général
ou en particulier, et venoit à molester les États des-
confédérés , ils seroient tous obligés d'entrer en guerre
ouverte contre les auteurs de ce mal.
Sur quoi le sieur de Miré leur feroit connoltre
Tobligation qu'ils avoient au Roi de ne vouloir pas
seulement employer son autorité , mais aussi sa puis-
sance et les forces de son royaume en cette occasion,
et leur remontreroit que c'étoit la seule voie qui les
pût conduire à l'aflermissement de la tranquillité pu-
blique; et, comme il n'y avoit rien à craindre pour
eux s'ils se joignoient de tout leur pouvoir en ce
salutaire conseil de Sa Majesté, que s'ils ne le &i-
soient leur perte étoit indubitable. Et pource qull
ne falloit pas omettre de maintenir en l'amitié da
Roi les princes catholiques, auxquels elle envoya
le sieur de Saint- Etienne et spéé^hement vers le
duc de Bavière , qui est le chef de la ligue , et lui
donna charge qu'auparavant que de le voir , il pas-
sât chez rélecteur de Cologne , à ce qu'il s'employit
vers son frère pour lui rendre plus considérable le
soin que le Roi prenoit de leurs communs intérêts }
pour cet effet il lui envoya des lettres en créance pour
les cinq électeurs ecclésiastiques et pour l'évéquede
Wurtzbourg, et une lettre au baron de Femf , quifiii-
soit mention que le Roi , connoissant son affection et
U98 [l633] 11É1101HB5
sa fidélité vers la maison de Bavière , et sachanl aussi
que ledit sieur de Femf n'ignoroit pas les bonnes in-
tentions de Sa Majesté vers ladite maison , elle auroit
bien agréable que l'électeur de Cologne envoyât lodit
sieur de Femf vers M. de Bavière avec le sieur de
Saint-Etienne, quelle avertit qu'il falloit considérer
à part les intérêts desdits électeurs et leur parler con-
formément;
Que, si le duc de Bavière se plaignoit que le Roi
n'avoit pas observé letraité fait avec lui , le sieur de
Saint-Étienne lui représenteroit brièvement ce qu'il
lui avoit plusieurs fois remontré sur ce sujet, qui con-
sistoit à dire qu'il a été plutôt agresseur qu'agressé.
Et quant aux 100,000 écus promis par le Roi au mois
de juillet dernier , il pouvoit alléguer les troubles du
Languedoc , et qu'il eut crainte aussi que cela n'em-
pêchât la suspension qu'il traitoit entre le roi de Suède
et lui, dont il avoit donné charge audit sieur de Saint-
Étienne , et depuis au sieur de LaGrange-aux-Ormes,
auquel lequel ledit duc déclara lors qu'il ne se pouvoit
séparer de l'Empereur;
Que le duc de Bavière n'étoit pas en état de se
passer de Tassitlince du Roi , pour la crainte qu'il
auroit que le roi d'Angleterre , les Hollandais et les
protestans d'Allemagne , lui redemandassent ce qu'il
tenoit au Palatin ; sur quoi il falloit essayer de le por-
ter de lui-même à déclarer qu'il entendoit que son
alliance avec le Roi continuât , ce que le sieur de
Saint-Étienne diroit être l'intention de Sa Majesté ,
et lui en porteroit parole de nouveau. Et combien que
cela ne servît pas pour faire que ledit duc donnât à
la France le secours promis , l'on en pourroit tirer
DB aiGHBUsu. [i63ij ^99
cet avantage qa*îl seroit moins notre ennemi ^ plus re- ^
tenu à nous offenser, et mieux dispose à faciliter nos
intérêts et notre entrée en b diète ;
Que le sieur de Saint-Étienne insisteroit, ensuite
de ses instructions précédentes, à remonUer audit •
duc Tutiliié qu'il recevroit d'entrer en une Knne in-
telligence avec les électeurs de Saxe et de Brande*
bourg -, que par la mort du roi de Suède, quiles retenoit
en crainte , cette affaire se pourroit mieux avaneer
qu'auparavant, et que le Roi y offroit son entremise;
Que le dessein de Sa Majesté étpit de s'employer
de tout son pouvoir pour établir une bonne paix en
la chrétienté, et commencer par celle de l'Empire;
Que ledit duc savoit combien il importoit à tous ,
pour acquérir un repos assuré, de se garantir, pour le
présent et l'avenir , des desseins ambitieux de la mai-
son d'Autriche ;
Que Sa Majesté étoit entièrement résolue d'entrer
avec l'Empereur en ua siiicère accommodement,
quand même l'Espagne n'y voudroit pas venir, et de
terminer avec lui tous leurs différends sous des condi<^
tions raisonnables ;
Que le Roi ne seroit pas marri que ledit doc y
contribuât ses bons offices vers l'Empereur, etqn'il
feroit grande estime de 4$s conseils et de son appro-
bation en cette affaire.
Et d'autant qu'il seroit impQAfible qqe l'Empereur
et Bavière ne surent aussitôt ce qui se passerpit de
la part du Roi avec les prote^tws » que le sieur de
Saint-Étienne ne céierpit pas audit duc que Safiflir-
jesté avoit envoyé vers eux j^vec ce pripcipal desieiu
de les disposer à la paix générale et à une spéciale
3oO [l633] MÉMOIRES
•l|||^ confiance envers ledit duc pour lui moyenner tous
les avantages possibles, qui ne seroient jamais si
grands que Sa Majesté les dësiroit de toute son affec-
tion ^ que si ledit duc se plaignoit que tant s'en faut ,
qu'il sawit que le Roi traitoit dé renouveler son al-
liance de Suède avec l'électeur de Saxe , et protéger
les protestans contre les catholiques, et que ce n'é-
toit pas le moyen de faire croire à l'Empereur et aux
catholiques que l'on eût intention de la paix , et qu'on
les voulût aimerp que c'étoit les jeter par force entre
les bras des Espagnols ; le sieur de Saiut Etienne lui
diroitf sans avouer ce que dessus], qu'il ne tiendroit
qu'à l'Empereur et audit duc que le Roi ne leur aidât
à établir solidement la religion] et la liberté dans
l'Empire ; que l'Empereur le pouvoit faire en accor-
dant à tous et même au Roi des conditions équitables ^
que s'il ne le vouloit pas , le même duc l'y pouvoit
réduire avec le Roi et ses amis; que pour cela Sa
Majesté n'étoit pas marrie de se conserver les bonnes
volontés des princes ses anciens alliés et amis dans
l'Empire , et d'empêcher leur ruine , dans laquelle se
trouveroit infailliblement celle du duc de Bavière si
la maison d'Autriche les mettoit à sa discrétion.
Qu'il étoit à croire que. le duc de Bavière prieroit
volontiers le sieur de Saint-Etienne de faire le voyage
de Vienne. Sur quoi ledit sieur de Saint-Etienne fe-
roit paroitre audit duc que le Roi s'en remettoit à
son avis , et le prieroit en ce cas d'envoyer quelqu'un
des siens bien intentionné avec lui pour appuyer sa
négociation , si ledit sieur de Saint-Etienne jugeoit
que cela lui fût utile, ou qu'il sufllt d'y mener de sa
part le sieur de Femf.
DE RICHELIEU. [l633] 3oi
Ledit sienr de Saint-Etienne lui exposeroit briève- ^
ment, sans lui rien laisser par écrit , ou au moins de
sa main , le désir et la justice du Roi sur les princi-
paux points qui pouvoient être mis en question , tels
qu'étoient ceux que Ton avoit baillés au sieur de
Launay pour les représenter à TEmpereur, jâjoutant
ce qui étoit survenu depuis, comme étoit ce qui re-
gardoit les places de Téiecteur de Trêves, que le Roi
ne prétendoit pas retenir , et ne vouloit les garder
que jusqu'à ce que par une bonne paix ledit Electeur
n'eut plus sujet de craindre qu'elles lui fussent ôtées.
Que si ledit duc demandoit l'intention du Roi sur
le temps et le lieu de la diète , Sa Majesté s'en
rapportoit à lui , et suivroit en cela ce qu'il jugeroit
pour le mieux. Qu'il falloit savoir de lui distincte-
ment si en ce cas il ne demeureroit pas ferme en la
résolution que le Roi intervint en la diète par ses
ambassadeurs avec l'honneur qui lui étoit dû et en
qualité de médiateur , comme aussi ledit duc se pou-
voit assurer que le Roi y auroit un soin particulier
de ses intérêts et de sa maison : que le sieur de Saint-
Etienne n'oublieroit pas de représenter, comme déjà
il avoit fait plusieurs fois de la part de Sa Majesté,
le dessein qu'elle avoit d'assister ledit duc de tout
son pouvoir en l'élection du roi des Romains quand
l'occasion s'en oifriroit ; de quoi il s'ouvriroit aussi à
M. de Cologne et non à autre. Qu'il leur remontre-
roi t combien il importoit qu'ils ne s'engageassent point
de donner parole à l'Empereur du temps ni de la per-
sonne, étant nécessaire de voir auparavant que toutes
choses fussent si bien établies qu'il n'y eût lieu d*ap*
préhender qu'elles vinssent de nouveau à être tra-
302 [l633J HÉMOIRES
versées par les desseins de la maison d^Autriche, qui
redoubleroit ses espérances et ses efforts, si l'Empire
venoit encore cette fois entre ses mains, de le réduire
en monarchie. Que le mieux étoit d'attendre ce qu'il
plairoit à Dieu de disposer de la personne de l'Empe-
reur, seTon les coutumes anciennes. Que le sienr de
Saint-Etienne donneroit part de toutes les choses
qu'il diroit audit duc, à l'électeur de Cologne son
frère, le conviant, en considération de son propre
bien , de le porter à l'amitié du Roi , et de ne se pas
éloigner de ce qu'il lui représentoit , soit en ce qui
regardoit une bonne intelligence entre sa maison et
celle de Saxe , soit en ce qui touchoit la justice des
intérêts de Sa Majesté sur le sujet de ses différends
avec la maison d'Autriche. A quoi le sieur de Saint-
Etienne ajouteroit que ledit électeur de Cologne ne
pouvoit ignorer les effets de la bienveillance de Sa
Majesté envers lui en l'assistance qu'elle lui avoit
rendue pour le garantir de Suède et des Hollandais ,
ce qu'elle continueroit volontiers, se promettant aussi
qu'il en seroit reconnoissant. Que pour ce qui étoit
de l'électeur de Trêves , il radouciroit autant qu'il lui
seroit possible ses aigreurs et ses plaintes , l'exhor-
tant de demeurer constant en l'amitié du Roi, qui se-
roit toujours son meilleur ami.
Qu'il lui diroit avoir charge de Sa Majesté, pour
l'intime confiance qu'elle prenoit en lui , de lui £iire
part de ses intentions pour le repos de l'Allemagne, et
du sujet de son voyage qui tendoit à cette fin , comme
faisoit aussi celui des sieurs de Charnacé et de La
Grange vers les électeurs de Saxe et deBrandeboui^.
Que le Roi se tenoit assuré qu'il appuieroit tou-
DE RICHELIEU. [l633J 3o3
jours toutes les bonnes résolutions de Sa Majesté pour
établir solidement les intérêts de la religion et de la
liberté publique, et les siens en particulier, se con-
fiant que ledit Electeur feroit le même en son en-
droit, lui portant de nouveau parole de la part de
Sadite Majesté qu'elle le maintiendroit envers tous
et contre tous.
Et parce que ledit Electeur faisoit grand état de
^estime qu'on faisoit de lui en lui témoignant con-
fiance, le sieur de Saint-Etienne lui pourroit dire
toutes les mêmes choses qu il feroit entendre au duc
de Bavière, le priant de les tenir secrètes.
Qu'il seroit à propos qu'en même temps il plut au
Roi de commander , si déjà cela ne s'étoit fait , que
M. le maréchal d'Estrées et le sieur de La Saludie
prissent un soin particulier de donner tout le con*
tentement possible audit Electeur en toutes les choses
qui concernoient l'honneur dû à sa qualité, et la libre
jouissance de ses biens et droits , comme nussi au
soulagement de ses sujets , et en tout ce qui ne con*
irarieroit pas aux ordres exprès du Roi et à la sûreté
des places, étant de très-grande importance pour
l'exemple de ne point aliéner ledit Electeur, et de lui
ôter tout sujet de plaintes.
Que le sieur de Saint-Étienne verroît aussi l'élec*
teur de Mayence , et lui diroit avoir charge du Roi
de l'assurer de la continuation de sa bonne volonté
pour le bien de la religion et le repos de l'AUeàiagne»
Qu'il avoit vu avec beaucoup de regret le malheur
qui étoit arrivé audit Electeur» et de n'avoir pu cou*
tribuer à y apporter un aussi prompt remède qu'il
eût bien désiré. Que devant la mort du roi de miède
3o4 [l633] MÉMOIRES
il n'avoît pas manqué de tenter plusieurs moyens
pour y parvenir, et même avoit envoyé Tété passé le
sieur de La Grange-aux-Ormes pour disposer quelque
bon accommodement dont il auroit parlé au roi de
Suède , au duc de Bavière et au duc de Fridland , ce
qui pour lors n'ayant pu réussir pour la chaleur de^
armées si proches les unes des autres, Sa Majesté
avoit bien voulu pousser en avant ce dessein, et
pour cet effet auroit commandé au sieur de Saint-
Etienne de voir messieurs les électeurs catholiques
pour savoir d'eux comment elle pourroit promouvoir
avec eux la paciGcation des présens troubles.
Que Sa Majesté estimoit que Tun des moyens
plus propres pour y arriver étoit de réunir les cœurs,
et mettre en bonne intelligence les électeurs catho-
liques et les protestans *, que Sa Majesté ne manque-
roitde faire tout ce qui dépendroit d'elle pour les y
disposer*, qu'elle croyoit que ledit Electeur, qui avoit
toujours témoigné une grande affection pour la tran-
quillité publique, n'y seroitpas seulement porté, mais
y inviteroit les autres.
Que le Roi ne pouvoit croire ce que quelques-uns
mal affectionnés à Sa Majesté et audit sieur Electeur
avoient voulu persuader, qu'il s'étoit totalement dé-
tourné de l'amitié de la France , se plaignant de n'en
avoir point été assisté pour son rétablissement. Que
Sa Majesté le connoissoit trop équitable et judicieux
pour avoir cette opinion dans la connoissance qu'il
avoit des choses passées. Sur quoi le sieur de Saint-
Etienne étoit de lui-même assez instruit pour lui
dire tout ce qui convenoit pour ce sujet.
Ce qui consistoit principalement h lui faire remar-
DE RICHELIEU. [l633j itS
({uer que long-temps auparavant la prise de Mayence
]e Roi avoit préparé un remède pour le garantir par
la neutralité consentie et signée du roi de Suède;
que lors de la prise, les Espagnols qu'il avoit appelés
Tabandonnèrent; qu'après, le Roi, qui n'en pouvoit
ôter le roi de Suède que par force , de quoi il étoit
empêché par les mauvais desseins des Espagnols
contre son Etat , avoit toujours donné lieu et fait in-
sérer un article en tous les traités de neutralité et
suspension proposés depuis entre le roi de Suède et
la ligue catholique, à ce que ledit Electeur pût ren-
trer en ses droits dans un accord général, ce que Sa
Majesté n'eût pas manqué d'appuyer de tout son
pouvoir avec la même affection qu'elle qn avoit
maintenant, se promettant aussi qu'il auroit égard
aux justes intérêts de Sa Majesté pour lui aider à ter-
miner les différends qui pouvoient retarder la paix
de la chrétienté, et un accord solide entre ceux qui y
avoient la principale autorité.
Que ledit sieur de Saint-Etienne diroit le même à
M. de Wurtzbourg, s'il étoit à Cologne.
Que n'ayant rien à conclure avec lesdits électeurs ,
il s y arrêteroit le moins qu'il pourroit pour se rendre
promptement vers le duc de Bavière, ce qu'il ne
laisseroit pas de faire quand par quelque accident le
sieur de Femf ne pourroit aller avec lui.
Que si ledit duc prioit le sieur de Saint-Etienne de
voir le duc de Saxe pour moyenner entre eux une
bonne intelligence , il le supplieroit de l'excuser, lui
disant que s'il falloit qu'il vit l'Empereur ce voyage
le rendroit suspect, ce qu'il pourroit faire au retour,
s*offrant aussi d'en écrire dès lors à M. de Chamcë
T. 27. 20
fh6 [l633j MÉMOIRES
ou au sieur de La Grange, selon que ledit duc Vauroit
plus agréable , les susdits étant chargés de le servir
en cette occasion au nom du Roi, qui même y enver-
roit exprès quelque autre si ledit duc le jugeoit pour
le mieux. Qu'après que ledit sieur de Saint-Etienne
auroit satisfait à ce que porte son instruction près le
duc de Bavière , il s'en iroit vers TEmpereur, auquel
il présentcroit la lettre du Roi , qui contiendroit en
substance que dès lors que l'Empereur envoya en
cette cour le baron de Schwartzemberg , au mois de
mars , pour convier le Roi de rechercher avec lui les
moyens plus propres pour établir le repos de la chré-
tienté et la paix de TEmpire, et de terminer les diffé-
rends qui pourroient être cause de retarder ce bon
œuvre, Sa Majesté n'avoit manqué de témoigner
avec quelle franchise et promptitude elle étoit dis-
posée à Tembrasser, ayant fait représenter audit baron
de Schwartzemberg tous les points qui lui sembloient
devoir être considérés pour parvenir à cette fin; ce
qu'elle fit pour éviter les longueurs qui se rencon-
trent ordinairement dans les négociations solennelles,
et qui servent plutôt à l'apparence que pour en reti-
rer un prompt et véritable effet.
Qu'aussi Sa Majesté avoit estimé qu'ayant plu à Sa
Sainteté envoyer des nonces extraordinaires vers
l'Empereur et lui, ils ne pourroient confier cette
affaire avec plus de sûreté et d'espoir d'un heureux
succès qu'à des personnes envoyées du père commun
des princes chrétiens , et auquel il appartient plus
qu'à nul autre , tant pour la dignité de sa charge que
pour les excellentes qualités qui se trouvent en lui ,
de remployer en une si sainte action.
DE BICHELIEU. [l633] ^67
Sur quoi Sa Majesté n'ayant point su les volontés
de l'Empereur , sinon qu'il auroit désiré qu'elle en^
Yoyât vers lui quelqu'un auquel il pût déclarer ses
résolutions, avec Fintervention desdits sieurs nonces^
elle auroit bien voulu ^ pour n'omettre aucun moyéii
de lui rendre des preuves de sa sincère affection en
son endroit, et en ce qui regardoit la tranquillité pa<«
blique, dépécher vers lui le sieur de Saint-Étienne
afin d'entendre ses intentions sur ce sujet, Sa Majesté
le priant instamment de croire que les siennes au-^
roient toujours pour leur but principal le bien de h
chrétienté, et qu'en particulier une de ses plus fortes
passions étoit de voir les choses en tel état qu'elle
pût faire connoitre audit Empereur l'estime singn*
lière qu'elle faisoit de son amitié , ainsi que le sieur
de Saint-Etienne lui ponrroit représenter plus am**
plement , auquel Sa Majesté le prioit de prendre nne
entière créance en ce qu'il lui dûroit de sa part.
Que le sieur de Saint- Etienne parleroit à l'Empe^
reur conformément à cette lettre, dont il étendroit la
créance en des civilités et témoignages de l'entière
disposition qu'avoit le Roi d'entrer avec lui, et même
avec le roi Catholique , en une parfaite intelligence,
le conviant d'ôter tous les sujets qui pourroient em-^
pécher cette union si nécessaire pour la gloire de
Dieu , le repos de l'Eglise , le bien de la chrétienté et
de leurs Etats.
Qu'il ne falloit pas douter qu'à l'abord l'Empereoi'
feroit deux choses : l'une , de se plaindre de ce qui
s'étoit passé ci-nievant en l'alliance du roi de Suède ^
et de ce que de nouveau le Roi vouloit niai|knir
contre lui les princes qui dépendoient de son auto--
ao.
3&S [l633] MÉMOIRES
rite, et rallumer la guerre j qui sans cela seroit éteinte
par la mort dudit Roi ^
L'autre ëtoit qu'il lui diroit qu'il ne pou voit traiter
avec lui s'il n'en avoit le pouvoir , et que ce seroit
autrement le vouloir iaire parler sans fondement et
découvrir ses intentions.
Que tedit sieur de Saint-Elienne répondroit sur le
premier point, que l'Empereur savoit bien qae le
I(oi n'avoit pas comipencé les moavemens dltalie ,
qu'ils u'avoieat pas encore cessé , et que Mantoue
n'avoit pas été rendue que long- temps après que le
Rpi fît son traité avec le roi de Suède ; que Sa Ma-
jesté pour roi t aussi se plaindre de l'assistance que ses
gens avoient donnée à Monsieur , son frère ; que si
l'ou vouloit entrer en des termes d^ccord , U étoit
à propos de quitter tous ces discours, qui ne servi-
roient qu'à aigrir de part et d'autre.
QuepouiTce qui étoit du présent, le Roi seroit
le premier à porter tous ses amis à honorer et servir
l'Empereur quand il lui en donneroit Ueu; qu'il se-
roit trèst-marri si cela ne pouvoit être , et qotil ne
tiendrcùt pas à lui : en quoi le sieur de Saint-Etienne
prendroit garde , en conservant ce qui étoit de la
dignité du Roi , de ne donner occasion à l'Empereur
de se plaindre qu'on eût manqué en ce qui se de-
voit k la sienne.
Que sur le second point, le sieur de Saint-Etienne
diroit que le Roi lui auroît donné inutilement le
pouvoir de conclure et d'arrêter un traité, n'étant
pas assuré de l'intention de l'Empereur sur les points
part^uliers sur lesquels le Roi n'avoit point fait dif-
ficulté de loi déclarer les siennes ; desquelles y si
DB fllQXBUSU. [t633] OT^
l'Empereur s'éloignoît entiëredleiit , il n'y âurtott pis
grande apparence de Vjenir à un bon accommode-
ment.
Que le Roi l*avoit envoyé pour eohfirmer à l'Em-
pereur les mêmes dioses iju^il atoit bit dire au baron
de Schwartzemberg, parce qu'il sembloit, parles lettres
de messieurs les nonces i{iii ëtoient .à Vienne , que
l'Empereur ne vouloit ajouter crëanCe en ce que Tûn
des siens lui portait de k part du Roi, lequel pou-
voit être désavoué fiMoHement. V
Que sur le refi» qite l'Empereur pourroit fiiitie die
s'ouvrir audit sieur de Saint«-Etienne , il emploiendt
messieurs les nonces » et spécialement M. Grimaldl »
qui ëtoit l'eitraordinains , pour Voir ce qu^ils pottf-
roieut retirer dndit Empereur, afin que le Rôi pàt
prendre sur cela une plus certaine Htet^lntion.
Que cependant le siéur de Siint-Etienne évitê*
roit tous les discours de mptttte , et attendrait près
de l'Empereur de oonveftuic ordres de Sa Majesté, à
laquelle il feroit savoir an f^lutêt ce qu'il anMit
reconnu de delà f après s^en être informé le tniettz
qu'il lui serait possible.
Et pource que le sieur Liberei étoit si âVtncé éa
âge qu'il ne pouvott plus snpporter la peitte dei négtt-
ciaiions, Sa Majesté le retirfe de là diàrgé tjull atdit
de résident près de l'Empereur , et enVoyi eki te
place le sieur de Qiarbonnières , ittquel elle doMia
les ordres et instructions ooiiformes à celles qn*élle
avoit données an sieur de Seint^Etienné. Elle lui cMk-
manda de voit encore en passant le dtic de BâvièM »
lequel ayant de nouveau écrit au Roi , et SA Ifljetté
s étant par sa réponse remise fc là créance dodit Qiar-
3X0 [l633J MÉMOIRES
bonnières, il devoit se préparer à répondre à ce que
le duc de Bavière mettoit^en avant, qui étoit que
Falliance faite entre le Roi et lui oblige à défendre
celui qui sera attaqué , et que la proposition de faire
entrer en neutralité celui qui est agressé avec Tagres-
seur , ne satisfait pas à Tobligation portée par Tal-
liance, spécialement quand Tagresseur persiste sur
des conditions injustes.
A quoi il falloit répondre que èe Roi n'avoit point
proposé la n^jitralité pour se désengager de satisfaire
à Ualliance , mais pour éviter le dommage que le duc
de Bavière pourroit recevoir du roi de Suède »
comme en effet il avoit reçu, ce qui apparoissoit
en ce que le Roi avoit obtenu dudit roi de Suède
son consentement d'accepter la neutralité avec le
duc de Bavière et la ligue catholique y long-temps
auparavant le traité d'alliance entre Sa Majesté et
le duc de Bavière. Et qu'il fût ainsi sur les paroles
de ladite alliance qui n'étoit que défensive , il étoit
évident que les troupes du duc de Bavière , sous
la conduite du général Tilly , avoient attaqué à
Bamberg les troupes du roi de Suède , ce qui avoit
été cause qu'il étoit entré dans la Bavière sans
que le traité de neutralité eût pu être cou^u , tant
à cause de ladite attaque que pource que le sieur
Kutbner ne s'étoit point rendu à temps à Mayence,
pour, conjointement avec les ambassadeurs de Sa
Majesté , insister sur la modération des articles pro»
posés par le roi de Suède , qui témoigna aux ambas-
sadeurs du Roi qu'il ne falloit pas trouver étrange
si à l'abord chacun avoit fait ses conditions les meil-
leures qu'il put, et desquelles on convient quand
DB RICHBLIBU. [l633] 3lt
il est question de résoudre , et qu'il y intervient un
puissant entremetteur tel q^^^st le Roi.
Qu*en second lieu , ledit duc de Bavière allégue-
roit plusieurs raisons pour montrer qu*il n*avoit pu
accepter la suspension d'armes.
A quoi il suffisoit de répondre que le Roi ne Tavoit
désirée qu'autant qu'il avoit estimé qu'elle seroit
utile audit duc, et que puisque les circonstances des
choses lui avoient fait croire que l'état de ses afiàires
ne le requéroit pas , Sa Majesté se réfltettoit volon-
tiers à ce qu'il avoit estimé être pour le mieux.
Qu'en troisième lieu , le duc de Bavière faisoit ins-
tance que, puisqu'après la mort du roi de Suède
ceux qui avoient suivi son parti molestoient ses
Etats et s'étoient emparés de plusieurs de ses places ,
il plût au Roi l'assister du secours pécuniaire porté
par leur alliance , et disoit qu'il ne croyoit pas que
Sa Majesté dût le lui refuser pour avoir recherché
Fassistance de l'Empereur en son extrême nécessité »
outre que par le traité de l'alliance il étoit exprimé
qu'il ne prétendoit contrevenir à son serment électoral
d'assister l'Empereur contre ceux qui l'attaquoieilt»
et spécialement en une cause où il s'a|pssoit du péril
manifeste de la religion et de l'invasion de l'Empire.
Qu'il &lloit répondre que ce que fidsoient lors les
princes protestans et les Suédois contre le duc de
Bavière , étoit ensuite de ce qu'il les avoit attaqués
le premier à Bamberg , et lorsque Tilly entra dans la
Saxe; et même on leur faisoit croire que ce second
ravage que les troupes de Walstein avoient fiût, avoit
été par l'instigation du duc de Bavière;
Que le Roi ne trouvoit pas mauvais qu'il secourût
3ia [i633] MÉMOIRES
VEmpereor et qu*il en tirât da secours, s'il croyoit y
être obligé par son devoir on par la nécessité y mais
que cela n'empéchoit pas que le Roi ne demeurât
désobligé de prendre sa défense , à quoi il ne croyoit
être tenu contre ceux qui attaqueroient le dac de Ba-
yière lorsque lui-même les y auroit provoqués , en-
core qu'il reûtfait avec juste cause, comme poarroil
être celle d'assister l'Empereur , étant manifeste que
ce seroit une trop générale obligation , tant à Tégard
du Roi que da^uc de Bavière, s'il falloit que l'un d*6iix
défendit l'autre contre tous ceux qui voudroient avoir
leur revanche du dommage qu'ils en auroient reçu ;
ce qui seroit plutôt une ligue offensive que défensive,
si l'on étoit obligé de porter ses armes ou un secours
pécuniaire contre ceux auxquels le Roi ou ie duc de
Bavière voudroient faire la guerre •,
Que si cette raison avoit lieu absolument et uni-
versellement , elle avoit beaucoup plus de force au
fait présent, oii l'on ne pouvoit douter que le secours
que le Roi donneroit tournât à la ruine de la France ,
de la liberté de l'Allemagne et même de la chrétienté,
et n'apportât un notable préjudice au même duc èe
Bavière et de sa maison ; qu'au lieu de gvérir une
grande blessure on la rendoit mortelle , }er0i[|ue, sfiins
avoir soin de sonder et nettoyer le fond de ta plaie ,
l'on ne regardoit que la peau ; que cette peau étoit
l'apparence et le prétexte de la religion dont ks Es-
pagnols se servoient pour endormir le monde, et
pour faire que l'on négligeât ou que l'on ne considé-
rât pas le mal qu'ils faisoient à l'Eglise par les troubles
qu'ils apportoient aux princes catholiques , chefdiant
toutes sortes d'occasions de les diviser et détruire par
DE McsmEU. [i6S3] i\i
secrètes menées ou de vÎTe fioroe ^ mibliant pamt tela
la défense de leurs propres sujets, et exposant la ifeli-
gion k un manifeste péril.
Et sur ce sujet le Roi prenoit la confiance de hiré
entendre au duc de Bayière ce qu*il ayoit &il pour la
paix , les moyens qu*il avoit tentés pour disposer les
Espagnols à un bon accommodement t>ar la voie de
messieurs les nonces , et ce ^e sur cela le due dXMfr-
varès a voit dit et préparé , ee que Ton avoit sujet de
craindre de l'Empereur par les OMsefli d'Espagne ;
que le vrai moyen d'élaUir me bonne paix ^ étoit
que tous les princes de rAUemagne convinssent en-
semble pour obtenir des conditions justes pour te
présent et sAres pour TaVenir; que, pour eet effet ^ le
Roi prioit le duc de Bavière de se joindre à lui pMr
faire entendre k l'Empereur qu'il eât à consratîr les
propositions équitables de Sa Majesté , et que le dM
de Bavière promit de les «pp*yer,coiaMie le Roi ferait
en ce qui toucboit ledit duc ; que le Roi envoyait
dès lors prier ses amis en Allemagne de ne le pas
molester, et pour les disposer à une boone paix^ eott-
viant ledit duc k y contribuer.
Pour conclusion, quil blloit obtenir de lui, s*il se
pouvoit, qu'il donnât sa pan^ de fiure ce qu'il pott-
roit pour porter l'Empereur et les autres princes d'Al-
lemagne k consentir les justes iatéréts du Roi', quiiti
seroient déclarés verbalement ;
Qu'il se rendit garant utec iei antres princes de
maintenir respectivement avec le Rei et Ici autres
princes qui auroient îstervena en ladite diète, coMte
celui ou ceux qui manqnerment de tenir cetqui anrsât
été accordé ;
3l4 [l633j MÉMOIRES
Qu'il contribaeroit ce qui dépendoit de lui à ce
que les ambassadeurs du Roi j en qualité de média-
teur, y fussent reçus selon Thonneur qui lui étoit dû;
que cependant il dissuaderoit TEmpereur de molester
la France \
Que le Roi feroit tout son possible à ce que Ratis-
bonne , Donawert et autres places de la bienséance
dudit duc de Bavière , lui demeurassent par un ac-
commodement, et que Sa Majesté appuieroit de tout
son pouvoir ses intérêts en Faffaire du Palatinat lors-
qu'il en seroit parlé en ladite diète.
Que de là s'en allant trouver FEmpereur il lui pré-
senta la lettre de Sa Majesté , qui contenoit en sub-
stance , que Sa Majesté Impériale ayant fait savoir au
Roi qu elle eût désiré qu'il lui envoyât quelqu'un au-
quel, avec l'intervention des nonces de Sa Sainteté,
elle pût déclarer ses résolutions pour le repos de la
chrétienté et le bien de l'Empire , elle l'envoyoit vers
elle pour ce sujet. *
Sa Majesté donna charge particulière aUdit Char-
bonnières que, s'il apprenoit, parole rapport des-
dits nonces , et spécialement du sieur Grimaldi qui
étoit l'extraordinaire, que l'Empereur et ceux de son
conseil fussent en disposition d'accorder des condi-
tions raisonnables , et si l'on le pressoit de déclarer
s'il avoit charge de traiter , il diroit avoir le pouvoir
d'entendre les intentions de Sa Majesté Impériale et
de lui faire entendre celles du Roi sur le& points de
leurs différends, et sur les choses qui pouvoient ser-
vir à mettre Leurs Majestés en une parfaite intelli-
gence , et même pour avancer la paix dans I*Empire,
autant que leRoi y pourroit contribuer ; que selon que
DE RICHELIEU. [l633] 3l5
Ton vcrroit les choses être préparées pour passer et
conclure un traité , le Roi ne refuseroit pas de com-
mettre au plutôt un plein pouvoir à quelqu'un des
siens pour terminer lesdits différends , et ensuite
rendre à Sa Majesté Impériale tous les plus parfaits
témoignages de son affection, et que , pour cet effet ,
Ton conviendroit à Vienne ou en autre lieu qui seroit
jugé plus commode;
Qu'il ne conféreroit point avec les gens de l'Empe-
reur, que M. deFeuqoières ne lui eut fait savoir que les
princes avec lesquels il traitoit le trouveroient bon ;
Et , auparavant que d'entrer en aucune conférence,
il feroit entendre à l'Empereur , ou par messieurs les
nonces ou par lui-même , que le Roi désiroit savoir
s'il vouloit comprendre en son traité avec le Roi les
intérêts du roi d'Espagne, d'autant que, s'il y étoit
résolu , il seroit fort à craindre que la longueur et la
difllculté qui se trouvoient ordinairement de cette
part n'empêchât une bonne et prompte issue de cette
négociation ;
Que Sa Majesté n'étoit pas éloignée d'entrer en un
entier accommodement avec ledit roi d'Espagne , et
ne refusoit pas en cela l'entremise de l'Empereur, mais
que la raison susdite étoit bien à considérer, et que le
Roi estimoità propos d'en être éclairci; sur quoi ledit
sieur de Charbonnières manderoit par deçà la réponse
qu'on lui auroit faite *, et,. au cas qu'il eût des nou-
velles du sieur de Feuquières , comme dessus , il ne
laisseroit pas de conférer , quand ce ne seroit que
pour reconnoitre ce que l'on pourroit attendre de
TEmpereur , à ce que l'on pût sur cela prendre ses
mesures ;
3l6 [l633] HÉMOIRES
Que Tune des premières propositions que feroit
TEmpereur seroit de dire que , s'atconimocknt a Vec
la France, Ton ne peut molester les États Tilti de
Fautre , directement ni indirectement , par soi ni par
autre j ni assister ceux qui le voudroient.
Sur quoi il pourroit répondre que Tintention de
Sa Majesté étoit qu'il fût conclu , tant en soki nom
que de tous ses alliés , par la paix générale de TEm-
pire , que les choses qui y seraient délermikiées d'un
commun consentement fassent maintenues de tous
ceux lesquels interviendroient en ce traité, ensuite
duquel Sadite Majesté étoit prête , noti-Beulemenl de
ne point aider ceux qui youdroiettt molestélr l'Empe-
reur ou TEmpire contre ce qui àufoit été arrêté en
ladite paix, mais aussi de défendre TEmperenr contre
ceux qui le youdroient attaquer an préjudice des con-
yentions desquelles Ton seroit demeuré d'accord ; eu
quoi Sa Majesté se promettoit de TEmpereur une pa-
reille assistance , et croyoit en cela de donner à tons
une preuve évidente de sa bonne foi et du désir
qu'elle avoitde contribuer tontine qui dépendoitd*elle
pour l'affermissement de la tcatiquillité publique ;
Qu'il ne falloit douter que si l'Empereur allëguoit ,
comme il avoit toujours fait jusques ici , que le Roi
lui faisoit tort de faire des alliances daUs l^mpire
contre son autorité, et que Sa Majesté ne youdroit pas
que l'Empereur en fit autant dans la France, ledit
Charbonnières feroit voir combien de fois des empe-
reurs de sa maison et lui-même avoient etdité ût ap-
puyé nos dissensions civiles ; que la condition des
princes et des villes est tout autre en Allemagne
qu'en ce royaume^ que toujours les rois de Frân<iCf y ont
DE RICHELIEU. [l633] 817
OU des alliances publiques; qu'en cette occasion le
lloi se sert de celles qu'il y a pour faciliter une bonne
paix et enipccher la dissipation de TEmpire , et même
pour conserver la religion , qui , sans son entremise j
auroit été bannie de plusieurs lieux de FEmpire , dans
la fureur des guerres qui ont pris leur origine des
mt^contentemens et soupçons que les Espagnols ont
causés , voulant établir leurs intérêts sous le nom de
Sa Majesté Impériale.
Elle lui bailla aussi le projet de la manière d*acoom*
modement , qu'elle lui défendit de communiquer à
personne quelconque, et commanda de s'en servir
seulement pour reconnoitre mieux s'il y avoit moyen
de porter l'Empereur à se conformer aux intentions
du Roi, et pour détourner les propositions qu'on lui
pourroit (aire, qui en seroient éloignées.
Le projet qu'on lui donna pour terminer les diffé-
rends entre l'Empereur et le Roi , sans y comprendre
l'Espagne, étoit:
1*". Que l'Empereur promettroit de ne se point
opposer, présentement ni à l'avenir, au traité fait
entre le Roi et le duc de Savoie sur l'échange de
Pignerol , et de ne point donner de secours à ceux
qui voudroient troubler Sa Majesté en cet échange ;
2?. Qu'il promettroit aussi de ne point molester,
directement ni indirectement , les personnes , les
villes, les places et les terres qui sont dans les trois
é véchés de Metz, Toul et Verdun , ni les états du Roi
pour cette cause , ains laisseroit les choses comme
elles étoient à présent, bien entendu que le Roi n'en-
tendoit en aucune fiiçon préjudicier aux droits qui
appartiennent ^ l'Empire;
3l8 [l633] MÉMOIRES
3^. Que Sa Majesté remettroit entre les mains de
M. rélecteur de Trêves , sans aucune difficulté , les
places où elle tenoit des gens de guerre dans son ar-
chevêché , comme y étant pour la défense dudit sieur
Electeur , au même temps que par la cessation des
présens troubles dans FEmpire il n'en seroit plus de
de besoin -,
4''. Que le Roi promettroit de faire avec les Gri-
sons que les forts qui y étoient lors seroient entière-
ment démoUs, et il retireroit ses troupes, ou de la
nation française , ou autre à sa solde , de toute la
Rhétie, y comprenant la Valteline, au même temps
que le traité de Monçon , pour Tassurance de Fobser-
vation duquel les Grisons avoient bâti lesdits forts ,
seroit exécuté , en quoi le Roi promettoit d'apporter
de sa part toute diligence, facilité et bonne foi -,
5». Que TEmpereur trouveroit bon de tenir une
libre diète en Allemagne , en laquelle tous les trou-
bles qui y étoient lors mus se pussent pacifier raison-
nablement, sans préjudice de la dignité impériale et
de la sûreté de tous les princes qui y avoient intérêt;
&. Que le Roi interviendroit en cette diète, pro«
mettant d'apporter ce qu'il pourroit vers ces princes,
ses amis et alliés , à ce que les choses se terminassent
ainsi que dessus , au contentement de l'Empereur et
de toutes les parties \
7*. Qu'ensuite de ce que dessus l'Empereur n'atta-
queroit, directement ni indirectement, le roi de
France , et généralement les lieux et États qu'il pos-
sédoit, et n'assisteroit en sorte quelconque d'honunes^
d'argent , de munitions , ni en aucune manière y ceais
qui le voudroient faire \
DE RICHELIEU. [i633j 3ig
H\ Que de même, ce qae dessus présupposé, le
Roi n'attaqueroit ni molesteroit, directement ni in-
directement , ]a personne de FEmpereur ni TEmpire,
et généralement les lieux et Etats qu^il possédoit , et
n'assisteroit en sorte quelconque d'hommes , dar-
gent, de munitions, ni en aucune manière , ceux qui
le voudroient faire ;
9". Quil seroit convenu entre FEmpereur et le
Roi que les susdits articles auroient lieu du jour que
la paciûcation des troubles d'Allemagne auroit été ar-
rêtée et signée en la libre diète ci-dessus mentionnée,
et qu'il ne seroit libre, ni à l'Empereur, ni au Roi , de
se rétracter d'aucune chose contenue aux susdits arti-
cles ; ains seroient tenues Leurs Majestés de les si-
gner de bonne foi , conjointement avec les traités qui
seroient faits en ladite diète pour le repos de TAlle-
roagne, pour le tout être inviolablement exécuté de
part et d autre ^
lO*". Que cependant , dès à présent, les susdits ar-
ticles de l'Empereur et du Roi seroient mis entre les
mains des nonces résidant près de leurs personnes;
savoir, ceux de l'Empereur entre les mains de M. de
Oriraaldi, et ceux signés du Roi entre les mains de
messieurs Ceva et Biqui , pour être par eux envoyés
à Sa Sainteté, qui les délivreroit en même jour aux
ambassadeurs ou résidens de l'Empereur et du Roi ;
I r. Que pour ce qui étoitdes places que le Roi
tcnoit de M. de Lorraine en vertu des traités que
Sa Majesté avoit faits avec lui, il seroit superflu d'en
parler en ce lieu , et que Sa Majesté étoit résolue d^ob-
server inviolablement de sa part lesdits traités.
II restoit à envoyer eu Hollande pour appuyer les
320 ^ [l633] MÉMOIIES
mêmes desseins et porter les Hollandais à prendre les
mêmes conseils de Sa Majesté , puisque les intérêts
d'Allemagne leur étoient non-seulement communs
avec elle , mais qu'ils en avoient une particulière dé-
pendance.
Il choisit pour ce sujet le sllfeur de Chamacé, au-
quel Sa Majesté avoit une particulière confiance, et lui
donna cbarge d'empêcher, tant qu'il pourrait, que
la trêve se fit, leur représentant toutes les raisons
susdites, l'occasion présente du mécontentenaent
presque universel de tous les grands de Flandre , le-
quel , bien qu'il y eût apparence qu'il ne produiroit
pas tout l'efiet qu'ils promettoient , il mettroit néan-
moins les Espagnols en défiance, et, les obligeant de
rappeler la plupart de leurs forcer dans les garni-
sons , les cmpécheroit d'agir si fortement pour cette
année contre leurs ennemis au dehors ^
Que s'il voyoit que, quoi qu'il leur pût représenter,
ils fussent portés à y consentir, en ce cas il tâchât de
faire que le Roi y fût compris , que la maison d'Au-
triche et les Espagnols ne pussent rompre avec lui
sans que les Hollandais fussent obligés de rompre
avec eux ^
Que les moyens qu'il avoit pour parvenir à cette
fin étoient qu'il leur oflrît la continuation du se-
cours ordinaire d'un million , et , si cela ne snffisoit j
l'augmentation dudit secours jusques à i,5oo,ooo li-
vres pour cette année ;
Et, s'il voyoit que l'argent seul ne pût rompre la
trêve, quatre mille hommes et six cents chevaux en-
tretenus de $a Majesté pour cet été , sans toutefois
avoir ses drapeaux, et à la charge qu'ils ne pussent
DE RÎCHEIJKU. [l633j 321
faire ni paix ni trêve de deux ou trois ans, ou six
mille liomraes et mille chevaux avec lesdits drapeaux,
pourvu que le prince d'Orange les employât avec ses
armes en une conquête où le Roi eût part, ce que le
l^oi entendoit donner outre le million , auquel toute-
fois ledit sieur de Charnacé tâcheroit de n'engager
pas le Roi , lequel, en ce cas, ne feroit aucune diffi-
culté de passer un article par lequel il seroit dit que
les uns ni les autres ne pourroient faire ni paix ni
irève avec les ennemis communs , que conjointement ;
Qu'en toute extrémité le Roi pourroit donner douze
mille hommes avec deux mille chevaux, commandés
par un maréchal de France, qui , par ordre du Roi ,
reconnoîtroit le prince d'Orange , à la charge que
lesdits douze mille hommes seroient employés, con-
jointement avec les forces hollandaises , pour pren-
dre cet été ou Namur ou Dunkerque et les côtes de
Flandre , et que ladite conquête demcureroit au Roi,
à condition que Sa Majesté s'obligeroit de les assister.
Tété ensuivant , dudit nombre de gens de guerre aux
autres conquêtes qui se feroient pour messieurs les-
dils Ktals , et que les uns ni les autres ne pourroient
faire ni paix ni trêve avec leurs ennemis communs ,
que conjointement.
Mais que ledit sieur de Charnacé ne pourroit se
servir de ce dernier moyen qu'au cas que les protes-
tans d'Allemagne voulussent exécuter ce qu'ils lui
avoient fait connoltrc désirer de la délivrance de cer-
tames pl.-^ces entre les mains du Roi, et partant il n'en
parleroil pas audit sieur prince d'Orange qu'il ne fut
averti de ce que le sieur de Feaquières auroit fait en
Allemagne;
T. 27. il
322 [l633] MÉMOIRES
Que le procédé que devoit garder le sieur de Char*
nacé pour, par les moyens ci-dessus exprimés, venir
à ces fins , étoit de faire connoître au prince d'Orange
qu'il n étoit pas envoyé là par le Roi , ni du cardinal ,
pour empêcher la trêve ni porter à la guerre , mais
bien pour faire lequel des deux ils voudroient , le
plus avantageusement qu'il se pourroit , lui donner
connoissance des sentimens du Roi sur les affaires pu-
bliques , et savoir les siens ;
Qu'il lui diroit aussi qu'on l'avoit choisi exprès pour
deux raisons :
La première , parce qu'il avoit toujours été en Al-
lemagne avec le roi de Suède , et depuis avec Oxens-*
tiern et les protestans ;
La seconde , à cause de la confiance que le Roi et le
cardinal prenoient en lui ^
Que sur cela il diroit encore audit prince d'Orange
qu'il avoit charge particulière de lui faire connoître
le désir que les Allemands avoient de continuer la
guerre, et la prière qu'ils avoient faite au Roi déte-
nir une armée vers l'Alsace pour les secourir s'ils en
avoient besoin ;
Que le Roi , considérant d'une part combien ce
qu'ils désiroient étoit utile à la chrétienté et k mes-
sieurs des Etats mêmes , et d'autre , que par ce moyen
il pouvoit s'engager à une rupture ouverte, n'avoit
point voulu prendre de résolution sans avoir son avis
et savoir ce que lui et messieurs des Etats voudroient
faire à l'avantage de la France , au cas que Sa Majesté
se résolût d'entrer en rupture ouverte avec Espagne,
en sorte qu'ils ne pussent faire ni paix ni trêve l'un
sans l'autre;
DB RICHELIEU. [l633j 3^3
Que sur cela il laisseroit parler ledit prince d'O-*
range, et le rendroit recherchant par Tavantage des
propositions qu'il lui feroit^ battant chaud ou froid ,
selon qu'il verroit que la conduite dudit prince d'O-
range , qui étoit fin ^ le requerroit ^
Et si, par art ou autrement, ledit prince d*Orange
lui tëmoignoit être porté à la trêve ou à la paix , qu'a-
lors , lui témoignant que le Roi y consentiroit vo-
lontiers, il Ht en sorte que ledit prince et messieurs
des Etats le recherchassent pour faire que le Roi en-
trât en leur traité, à condition que les Espagnols ne
pourroient attaquer ou les Hollandais ou la France ,
que la France et les Hollandais, conjointement, ne
leur déclarassent la guerre;
Qu il lui témoignât comme le Roi avoit envoyé au
même temps le sieur de Feuquières en Allemagne,
pour avancer la négociation dont il lui avoit parlé qu'il
avoit charge d'y traiter ;
Que ledit sieur de Charnacé avoit charge de lui
faire savoir promptement ce qu'il traiteroit, afin qu'il
s'avançât ou retardât selon qu'il eu seroit besoin;
Qu il avoit charge aussi d'avertir diligemment le
Roi , afin qu'on préparât tout ce qu'il faudroit s'il en
étoit besoin, et qu'il tirât l'effet qu'il pourroit de la
révolte c|ue quelques seigneurs de Flandre vouloient
faire, ce qu'il ne falloit pas négliger ^ quoique Sa Ma-
jesté n en fît pas grand cas ;
Que ledit sieur de Charnacé verroit adroitement si
dans le traité de paix ou de trêve qui se feroit entre
les Hollandais et l'Espagne, on pourroit régler et
terminer aussi tout-à-fait les différends qui étoient
entre la France et l'Espagne , qui aboutissoient à
ai.
3^4 [l633] MÉMOIRES
exécuter le traité de Monçon, et à ce que lesdits
Espagnols ne pussent se porter contre la France pour
raison de l'échange de Pignerol , de Moyenvic et des
intérêts du duc de Lorraine ;
Que ledit sieur de Charnacé feroit connoître à M. le
prince d'Orange que le plus puissant motif qui put
porter le Roi à ce que messieurs des Etats pouvoient
désirer, éloit de laisser Ventiëre liberté delà religion
catholique dans les places et lieux qu ils conquer-
roient à Tavenir , et même, s'il se pouvoit, en celles
qui étoient déjà en leur puissance;
Et qu'il ne parleroit de toqte cette affaire qu'à
M. le prince d'Orange, el à un ou deux commissaires
confidens de messieurs les États , cette aâaire ne pou-
vant se divulguer sans se ruiner.
Mais , pource que les affaires de Lorraine avoient
une nécessaire connexité avec celles d'Allemagne et
des Pays-Bas, Sa Majesté en même temps créa un
parlement à Metz pour arrêter les entreprises conti-
nuelles du duc de Lorraine , veiller aux droits du
Roi , établir entièrement son autorité en ces pays-là ,
et maintenir les peuples des Trois-Évêchés en bonne
paix et y établir une bonne justice , laquelle, par an-
ciennes concessions des empereurs et rois de France,
ayant été laissée aux particuliers sans appel en beau-
coup de chefs, étoit exercée par passion et injustice ,
à la foule des peuples.
Pour soulager aussi son peuple , qui étoit travaillé
et foulé par les passages et la nourriture des gens de
guerre , Sa Majesté fit un règlement par lequel , ré-
voquant les ordonnances de 1629 en ce point seul que
les étapes dévoient être fournies sans payer aucune
DE HICIIELILU. [l633J 325
rliosc , elle ordonna qu'à Tavcuir les gens de guerre
lo<;eroienl dans les villes et faubourgs d'ieelles, payant
ce qu'ils prendroient au prix du dernier marclié , sans
pouvoir exiger des hôles que le feu et la chandelle ,
le lit et les ustensiles ordinaires • moyennant quelque
surcroitjournalier sur leur solde , qui leur fut ordonné
par ledit règlement.
Et pource (|ue ses affaires ne pouvoient bien aller
si , entre ses principaux ministres , il y en avoil quel-
qu'un ([ui ne travaillât pas d'une égale fidélité avec
les autres, ou qui eût des desseins particuliers pour
son intérêt ou sa passion, qui ne se rapportassent pas
entièrement à son service, ou qui lui fussent con-
traires, elle se trouva obligée d'éloigner de son con-
seil le garde des sceaux de Cbâteauneuf, duquel elle
avoit du mécontentement.(i) il y avoit déjà quelque
temps. En la conférence particulière que Sa Ma-
jesté eut avec le cardinal à Rochefort, à son retour
(le Brouage , elle lui (it beaucoup de remarques qu'elle
avoit faites, pendant son absence , de l'infidélité du-
dit sieur de Cbâteauneuf, et lui fit connoitre la ré-
solution qu elle avoit prise de le chasser, dont le car-
dinal la détourna autant qu'il put, la suppliant de
trouver bon qu'on prit temps de bien examiner ses
actions, vu qu'on ne pouvoit procéder trop mûre-
ment lorsqu'il étoit question de faire ou défaire un
ministre; mais il continua si opiniâtrement à suivre
le train (|u'il avoit commencé , qu'enfin il n'y eut pas
moyen d en soufTrir davantage. Sa Majesté, étant à
Saint-Cicrmain-en-Laye, lui envoya, le aS février,
II) rUr avoit lin mc< nntentrment : On .1 tu ilaiis la noie île la f>af;^
i\i>, la l'iiiicipalc cause de l*animo&itc de AicLelicu contre ChAleaiinciif
3^6 [l633J MÉMOIRES
redemander les sceaux, et ensuite le fit arrêter pri-
sonnier par le sieur deGordes, capitaine des gardes
de son corps , et le fit conduire le lendemain , par le
sieur de Lamont, enseigne de ses gardes écossaises ,
dans son château d'Angouléme. Sa Majesté honora de
cette charge le sieur Séguier , président au parlement
de Paris , et fit garde des sceaux de Tordre du Saint-
Esprit le sieur de Bullion. On avoit fait le sieur de
Châteauneuf garde des sceaux à Téloignement du sieur
de Marillac , croyant qu'il n*auroit autre mouvement
que celui que le commandement du Roi lui donne-
roit ou Tintérétde son service , d'autant que jusque-
là il avoit fait paroître n'avoir autre intention , et de-
puis quelques années étoit toujours demeuré attaché
auprès du cardinal , servant avec beaucoup de témoi-
gnages d'affection et de fidélité *, mais dès qu'il se vit
émancipé par l'autorité de sa charge , et en état d'agir
seul, lors ses inclinations, qu'il avoit tenues cachées
auparavant par respect et par crainte , commencèrent
à paroitre. Il se jeta dans les cabales de la cour, parti-
culièremen t en celle des dames factieuses, dont la prin-
cipale étoit la duchesse de Chevreuse (0 , l'esprit et la
conduite de laquelle avoient été souvent désagréables
au Roi, comme non-seulement n'ayant jamais manqué
à être de toutes les mauvaises parties qui avoient
été faites contre son service , mais même en ayant
quasi toujours été un très-dangereux chef départi. Son
(i) La principale étoit la duchesse de Chevreuse : CfaAteaaneof
passoit alors pour Pâmant fayorisë de cette dame. On pre'tend qnt Ai-
chcliea avoit aussi du goût pour elle , maigre les tracasseries qu'elle loi
susciioit sans cesse, et que la jalousie contribua autant que la politique
au traitement rigoureux qui fut inflige au ministre disgracie'.
DE RICHELIEU. [l633] 3si7
intelligence avec elle passa si avant qu'il s'intëréssa
en ses passions dans l'Angleterre même , en laquelle
elle avoit amitié avec le comte de Holland, et ensuite
crédit avec toute sa cabale, ce qui produisit de mau-
vais eflets à cet État , comme nous avons dit les an-
nées passées. Ledit Châteauneuf sy attacha aussi « et,
sans considérer qu'en la charge où il étoit il devoit
bien moins que nul autre entretenir ses pratiques
dans une cour étrangère , il y écrivoit continuelle-
ment , et faisoit ou faisoit faire par ses correspon-
dans tous les mauvais offices qu'il pouvoit au sieur
Creston , grand trésorier d'Angleterre , parce que le
comte de Holland étoit'son ennemi , ne considérant
pas que c'étoit celui seul qui tenoit le parti du Roi en
ce pays-là, qu'il gouvernoit son maître, et que c'é-
toit grandement préjudicier au service du Roi que de
Toflenser. Mais tout cela ne le touchoit point , car il
alla même jusqu'à ce point que d'essayer de discré-
diter l'ambassadeur du Roi, le rendre désagréable à
la reine d'Angleterre, et par elle au Roi son mari , au
contentement duquel si quelque affaire se terminoit
en France au conseil de Sa Majesté , il en donnoit
Tavis de delà quelque temps auparavant , disant
(|u il la feroit passer de la sorte, en dérobant le gré
((iii en éloit dû au Roi pour se l'attribuer, et ôtant
encore l'entremise des bons offices de son ambassa-
deur.
Le roi d'Angleterre , qui eut avis de cette cabale ,
ne Teut pas agréable, témoigna au comte de Holland
le mécontentement qu'il en avoit , la dissipa entière-
ment, et maintint son grand trésorier contre tous sea
iMinemis.
^28 fl633] MÉMOIRES
Sa Majesté Tayanl fait arrêter prisonnier et en-
voyer à Angoulérae , envoya aussi quant et quant à
la Bastille le sieur de Leuville son neveu , et le che-
valier de Jars son confident , qui , à quelques mois de
là, fut condamné à avoir la tête tranchée pour la
part qu'il avoit prise en la cabale d'Angleterre , et
avoir traité d'y faire passer la Reine-mère et Mon-
sieur *, mais Sa Majesté , lui faisant grâce , commua sa
peine de mort en une prison perpétuelle ; le sieur de
Hauterive son frère se sauva à la faveur de la nuit, et
se retira en Hollande. Le maréchal d'Estrées, qui
avoit de longue main une amitié particulière avec
ledit sieur de Châteauneuf, sachant sa disgrâce , partit
le i5 mars , à l'improviste , de Trêves où il comman-
doit les armes du Roi , sans ordre ni permission de Sa
Majesté, et se retirai Vaudrevange , sur le soupçon
qu'il prit que les sieurs de La Saludie et de Bussy-
Lamet avoient ordre de l'arrêter , qu'ils avoient reçu
par un courrier qui passa à Trêves, et qui ne lui avoit
point apporté de lettres comme aux autres. Il prit
néanmoins un autre prétexte de sa retraite, et dit
qu'il alloit prendre des eaux -, mais il l'avoua depuis
à Sa Majesté, et lui envoya le 19 mars un gentil-
homme pour lui demander pardon de cette action , et
lui dire ingénument les raisons qui lui avoient fait
faire. Sa Majesté lui remit la peine qu il méritoit, et
lui renvoya son gentilhomme avec lettres qui l'assu-
roient de sa bonne volonté, et lui commandoient de
retourner à Trêves en sa charge.
Madame de Chevreuse, qui étoit la cause de la
perte dudit sieur de Châteauneuf, fut aussi quelques
mois après éloignée de la cour, le Roi commandant
DE RICHELIEU. fl633] 3^9
r\ii duc de Chevreuse son mari de l'envoyer en Tou-
I aine en une maison qui étoit au feu duc de Luynes,
où elle demeureroit jusqu'à ce qu'il eût agréable de la
rappeler.
Et afin d'éteindre entièrement ce qui pourroit
rester de feu caché de la rébellion qui avoit élé al-
lumé dans ce royaume , la dernière retraite de Mon-
sieur en Flandre donnant sujet de craindre qu'il en
restât encore quelques étincelles dans ceux qui
avoient suivi son parti, Sa Majesté , qui avoit, à la
fin de l'année précédente, envoyé des maîtres des re-
(juetes par les provinces pour châtier les plus rebelles,
cl faire raser les places fortes dont les seigneurs abu-
soiont pour opprimer les peuples au mépris de la jus-
lice, jugea nécessaire de leur faire commandement
d'exéculer rigoureusement leur commission, afin que,
faisant punir ceux qui seroient indignes de pardon ,
raulorilé de Sa Majesté fût rétablie , et les esprits re-
tenus en leur devoir à l'avenir. Machault, qui avoit
clé envoyé en la province de Languedoc , fit e«éculer
i\ morl (|uelques-uns des plus rebelles dans le Gévau-
ilan et les Cevennes, et fit raser plusieurs châteaux
011 quelques gentilshommes tenoient fort contre la
justice.
Argenson, qui avoit été envoyé es provinces de
Touraine , Berri , Limosin , Angoumois , la Marche et
l'Auvergne, condamna et fit exécuter en effigie le
sieur de Sauvebeuf, fit raser quelques-unes de ses
maisons et abattre ses bois de haute futaie.
(^)iiant aux autres qui n'avoient pas suivi Mon-
sieur en sa dernière retraile, il se contenta de rece-
voir leurs ref|nétes, par lesquelles ils demandoient
33o flG33] MÉMOIRES
pardon du passé , et leur ordonna de se pourvoir
vers Sa Majesté en son conseil.
Lafleraas, qui avoit été envoyé en Champagne,
Metz, Toul , Verdun et Pays-Messin , y fil aussi le
procès à plusieurs , lesquels il fit exécuter en eflSgie,
démolir leurs maisons et couper leurs bois.
Dans la ville de Metz le sieur Charpentier , prési-
dent pour le Roi en la justice des Trois-Evêchés ,
condamna , le 22 mars , Gabriel Lavenard , moine de
Tabbaye d'Escurey en Barrois , à être roué et brûlé vif
pour plusieurs crimes, Vun desquels étoit de s'être
ofiert à attenter à la vie du cardinal moyennant ao,ooa
livres , et fut exécuté le même jour.
La cour de parlement de Dijon de son côté con-
damna aux galères perpétuelles le baron de Saint-
Romans , tant pour avoir suivi Monsieur , été trouvé
saisi de commissions pour faire des levées contre la
France, de lettres et instructions pour faire des né-
gociations au préjudice du service du Roi , que pour
avoir fait des écrits injurieux et scandaleux contre le
gouvernement.
Elle déclara le duc d'Elbeuf , Puylaurens, Le Cou-
dray, Montpensier et Goulas , atteinls et convaincus
du crime de lèse-majesté, les condamna à avoir la
tête tranchée et à des amendes, et les fit exécuter le
même jour en effigie.
Sa Majesté aussi, ne jugeant pas raisonnable que Le
Coigneux et Monsigot, qui étoient notoirement cri-
minels de lèse-majesté comme les principaux conseil-
lers et auteurs des maux que nous avions en ce
royaume , méprisassent les condamnations données
contre eux , parce qu'ils avoicnt cinq ans de temps
DB RICHELIEU. [l633] 33 1
auparavant que les arrêts de contumace obtenus
contre eux pussent être exécutes en leurs biens et
charges, envoya en son parlement des lettres en forme
de déclaration, par lesquelles, interprétant les ordon-
nances de Moulins et de Blois sur ce sujet, lesquelles
sembloient avoir quelque opposition Tune à Tautre ,
elle déclara que sa volonté étoit que les jugemens
qui avoient été on seroient rendus sur la qualité du
crime de lèse-majesté contre ses officiers, quoique
donnés par défaut et contumaces , fussent exécutés
après qu'ils auroient été publiés , et pour le regard
seulement de la confiscation des offices et charges sans
qu'ils pussent à jamais y être rétablis par lettres ou
autrement , en quelque manière que ce fut, et qu'at-
tendu les condamnations ci-devant rendues contre Le
Coigneux pour sa rébellion et absence notoire hors
le royaume, Sa Majesté avoit éteint et supprimé, selon
les ordonnances , l'office de président qu'il avoit en
sa cour de parlement. La cour fit difficulté de vérifier
lesdites lettres, et 1^ président de Mesmes ayant ou-
vert Topinion qui fut suivie de tous , qui fut que les-
dites lettres seroient mises au greffe pour, après les
cinq ans portés par Tordonnance de Moulins, être exé-
cutées , Sa Majesté , pour témoigner son méconten-
tement, manda audit président, le a8 mars , qu'il eAt
à sortir le lendemain de Paris pour aller à Blois , et
y demeurer jusqu'à ce qu'il reçût autre commande-
ment. La cour députa vers le Roi , le 9 avril , pour le
supplier de le rendre à leur compagnie ^ mais Sa Ma-
jesté, qui étoit offensée contre eux, ne donna la
charge ni le loisir au garde des sceaux de leur faire
réponse, mais leur dit lui-même que, quand on jugeoit
33a [iG33J mkmoires
quelqu un eu leur tournelle , ce n'éloit pas seulement
pour lui faire souflVir la peine de son crime, mais
afin que, par son exemple , les autres fussent retenus
en leur devoir ; qu'aussi , lorsqu'il avoit commandé
au président de Mesmes de s'en aller, ce n'avoit pas
été pour sa faute seulement, mais pour faire en sorte
qu'à l'avenir ils fussent plus sages ; que lorsque les
juges présidiaux manquoient à ce qu'ils dévoient, ils
les déclaroient criminels de lèse-majesté du parle-
ment, les interdisoient de leurs charges*, qu'il falloit
qu'ils confessassent que la puissance qu'il avoit sur
eux étoit beaucoup plus grande que celle qu'ils avoient
sur lesdits présidiaux : c'étoit donc à lui à user de son
autorité h leur égard quand ils se seroient oubliés de
ce qu'ils lui dévoient-, que s'il envoyoit quelque affaire
au parlement qui méritât de lui faire des remon-
trances, il les trouveroit toujours bonnes, mais aussi
après cela il entendoit être obéi ponctuellement.
Quant à ce qu'ils lui disoient que ce n'étoit pas man-
que de bonne volonté , il leur déclaroit qu'il vouloit
d'autres effets de leur bonne volonté que ceux qq'il
voyoit, et qu'ils servissent mieux à l'avenir; qu'il
iroit dans deux jours en son parlement, et vouloit que
Tordre ancien y fur rétabli ; que quatre des présidens
vinssent au-devant de lui avec six conseillers; que
le grand chambellan , qui a accoutumé d'être à ses
pieds , y fût couché et non assis , et que le garde des
sceaux venant parler à lui fut à genoux comme on
avoit accoutumé.
Après cela chacun se retirant, le Roi ayant reçu
plainte de la part du garde des sceaux que les prési-
dens faisoient difficulté de se lever quand il alloit
I)K RICHELIEU. [l633J 333
prondro sa place , prclendant ne devoir rendre cet
iioDnour qu'au cliancclier , commande de dire aux
pi ésidens qu'il cnlendoit qu'ils se levassent quand le
garde des sceaux enlreroit, et qu'ils lui rendissent
cet honneur qu'ils rendoient bien au dernier d'entre
eux.
Et le mardi 1 2 , sur les dix heures , le Roi vint en la
Sainte-Chapelle ouïr la messe, et aussitôt partirent
messieurs de Bellièvre , Potier , Le Bailleul et Sé-
guier, présidcns, pour aller au-devant avec six des
conseillers de la grande chambre, et avant qu'il entrât
au parlement le garde des sceaux Séguier y arriva , et
ic premier président qui ëtoit seul se leva; et peu
après , le Roi entra et s'assit.
Le garde des sceaux alla parler au Roi et se tint à
genoux tant qu'il parla , puis revint à sa place et dis-
courut du sujet du voyage du Roi et des déclarations
contre les officiers criminels. Et ensuite les édits de
suppression et de création d*un office de président et
d'un conseiller avec les provisions de président, en
faveur du sieur de Lamoignon, et de conseiller du
sieur de Lahaye, furent lus.
Ensuite on fit prêter serment au président Lamoi-
ç;non , qui alla prendre sa place.
Le conseiller prêta le serment aussi *, le président
Lamoignon l'alla installer, et les sieurs Gayant et
Ihrillon, et autres conseillers de la première chambre,
Fy accompagnèrent.
En même lemps le comte de Soissons alla de la part
du Roi en la chambre des comptes , et y porta l'édil
de suppression de l'oOice de maître des comptes du
bicur de Monsigol, et celui de création d'une pareille
334 [l633J MÉMOIRES
charge en faveur du sieur Desrues , lesquels furent
vérifies en sa présence.
Sa Majesté, après avoir fait ces actions, qui sem-
bloient avoir quelque apparence de sévérité , les vou-
lut couronner de sa clémence accoutumée, et, se con-
tentant d'avoir puni un petit nombre entre les cou-
pables, fit expédier, dès la fin de mars, une aboli-
tion générale à ceux de Languedoc et pays adjacens ,
de leur rébellion et de tous les crimes qu'ils avoient
commis durant et à raison d'icelle , mettant au néant
toutes informations faites et jugemens donnés contre
eux , exceptant seulement quelques-uns qui étoient
absolument indignes de sa grâce. Elle en fit expédier
quelques mois après une semblable pour ceux de
Champagne. Et quant aux coupables des provinces
deTourainc , Berri , Limosin , Angoumois , la Marche
et l'Auvergne , Sa Majesté reçut aussi en sa grâce tous
ceux qui la lui demandèrent, et qui en cette dernière
retraite de Monsieur, son frère, neFavoient pas suivi.
Et pource qu'il ne falloit pas seulement jeter les
yeux sur les coupables pour les punir ou leur par-
donner , mais aussi sur ceux qui avoient fidèlement
servi le Roi. pour les récompenser , Sa Majesté, qui
depuis treize ans n avoit point fait de chevaliers de
ses Ordres , voulut remplir toutes les places qui
manquoient des principaux de ceux qui Favoient
mérité , et en fit la cérémonie à la Pentecôte à Fon-
tainebleau. Et d'autant que les sieurs d'Elbeuf et de
La Vieuville, tous deux chevaliers de l'Ordre , étoient
atteints et convaincus du crime de lèse-majesté | ils
fiirent, par l'avis de tous les chevaliers, déclarés par
arrêt être dégradés dudit Ordre , sans qu'à l'avenir
DE RICHELIEU. [l633J 335
ils en pussent porter les marques ni jouir des hon-
neurs, autorités et privilèges qui y appartiennent. Et
pour faire connoître à la postérité leur félonie et in-
gratitude , il fut ordonné que les tableaux ae leurs
armes , ci-devant mises en Téglise des Augustins de
Paris, en seroient ôtés, et, au lieu où la cérémonie se
faisoit lors , seroient lesdites armes détachées d'avec
celles des autres commandeurs et chevaliers, et en
leurs places seroient mis des tableaux noirs dans les-
quels le dispositif dudit arrêt qu'ils donnèrent seroit
inséré, qui demeureroient attachés dans lesdits Au-^
gustins au môme lieu où étoient lesdits tableaux de
leurs armes.
Tandis que le Roi (aisoit ces choses dans son Etat ,
ses ambassadeurs en Allemagne et en Hollande y
trailoient ce qu'il leur avoit commandé : le sieur de
Feuquiùres s'en alla droit à Mayence et de là à Franc-
fort , et donna en passant les lettres qu'il avoit du
Roi , aux princes et aux villes qui étoient sur son
chemin. Ayant appris à Francfort qu'Oxenstiern étoit
attendu à Wurtzbourg, qui n'étoit pas bien éloigné
de son chemin, pour aller à Heilbron où l'assemblée
se de voit tenir, d'autant que la ville d'Ulm, où ils
Tavoient voulu indiquer, avoit été jugée trop proche
des ennemis, il alla trouver ledit Oxenstiern, qui, lui
témoignant n'avoir pas bonne opinion du duc de Saxe,
duquel il craignoit les irrésolutions accoutumées , le
grand désir qu'il avoit de la paix, et l'autorité qu'avoit
envers lui le landgrave de Darmstadt son gendre , qui
c'ioit entièrement attaché aux intérêts de TEmpereur,
le pria de ne perdre point de temps à l'aller voir ni
rdecteur de Brandebourg, mais s'en aller droit à*
336 [i633J MÉMOIRES
Heilbron , pour employer les offices de Sa Majesté
envers les princes et États assemblés , à prendre une
ferme résolution de demeurer étroitement unis, et de
pourvoir aux choses nécessaires pour le soutien des
affaires publiques.
Ensuite il lui fit de grandes plaintes du duc de
Lorraine, lui témoignant que sans le respect qu*on
portoit à la protection de Sa Majesté on ne Tauroit
pas souffert si long-temps.
Le duc Bernard de Weimar étoit avec ledit chan-
celier, qui reçut les lettres de Sa Majesté avec un
grand témoignage de ressentiment de Thonneur qu'il
recevoit de Testime qu'elle daignoit faire de lui, et
s'excusa de recevoir une pension que Sa Majesté lui
fit offrir, disant ne la pouvoir accepter parce qu'il
étoit engagé au service de la couronne de Suède.
De là il alla droit à Heilbron , où Oxenstiern ar-
riva deux jours après , et y ouvrit l'assemblée le 19 ,
eu laquelle étoient les princes et Etats protestans des
cercles supérieurs d'Allemagne, savoir est du Palatinat
électoral, de la Franconie, de la Souabe et du Rhin
supérieur , les uns en personne , les autres par leurs
députés , les ambassadeurs du Roi et du roi d'An-
gleterre et des étals de Hollande.
Sa proposition fut brève; il les requit de s'allier
étroitement ensemble , et qu'ils résolussent comme il
faudroit agir contre ceux qui romproient ladite al-
liance.
Qu'ils jugeassent quelles armées il seroit néces-
saire d'opposer à l'ennemi, quels moyens ils auroient
de les faire subsister, et à qui on pourroit commettre
la direction de toutes ces choses , et quelle assistance
DE RICHELIEU. [l633J 337
la couronne de Suède auroit à espérer si pendant
cette guerre ou après elle venoit à être attaquée.
L'ouverture de rassemblée ne fut pas plutôt faite,
que les brigues , tant de la faction de l'Empereur que
de celle du duc de Saxe , commencèrent à travailler
par divers artifices pour essayer d'en détourner
reflet. Le duc de Saxe, qui est le plus glorieux des
Allemands, qui le sont tous naturellement, eût voulu
être chef de toute la confédération et avoir la direc-
tion des aflaires. Il prévoyoit bien que le grand crédit
et la réputation d'Oxenstiern , et la considération du
feu Roi son maître, Temporteroient sur lui , ivrogne,
brutal , haï et méprisé de ses sujets et des étrangers,
et cela Tincitoit par jalousie à Tempécher. Ces brigues
furent si fortes que le chancelier se trouva obligé de
prier le sieur de Feuquières de ne se contenter pas
des oflices qu'il lui avoit rehdus envers les particu-
liers de rassemblée dans les conférences qu'il avoit
eues avec eux , mais d'y demander audience publique
pour parler à tous ensemble , et représenter à toute la
multitude en corps ce qu'il avoit dit à chacune des
parties. Le sieur de Feuquières se trouva en peine en
cette concurrence du duc de Saxe et dudit chancelier :
le chancelier avoit plus de courage, plus de conduite,
et étoit en plus d'estime, et se défendoit de céder
au Saxon pource qu'il représentoit , ce disoit-il,le
royaume de Suède, et ne pouvoit se soumettre à
aucun prince de l'Empire sans offenser la dignité de
sa patrie. Le duc de Saxe , d'autre côté, ne prétendoit
pas être de moindre qualité que lui , vu qu'il étoit
sans contredit le premier et le plus puissant prince
d'Allemagne , et l'adjonction duquel à un des partis
T. ^7. 2'/
338 [i633] MÉMOIRES
de TEmpereur , ou des princes unis , avoit donné le
poids , et le donneroit encore au parti contraire , s'il
vouloit se rendre aux sollicitations de TEmpereur,
qui sans cesse le recherchoit de paix , à laquelle il
ne lui étoit pas désavantageux de condescendre. Mais
quand ledit sieur de Feuquières eut mûrement con-
sidéré que le naturel de ce prince, porté aux plaisirs ,
au repos et au vin , le rendoit incapable d'avoir
la principale conduite d'affaires si importantes , que
Tenvie et la haine qu'en plusieurs occasions il avoit
ouvertement témoigné porter à toute puissance étran-
gère , bien qu'auxiliaire dans l'Empire, le dévoient
rendre suspect au Roi \ que sa concurrence avec la
couronne de Suède, et ses prétentions sur lesévéchés
de Magdebourg et Halberstadt, et sa liaison trop
grande avec le roi de Danemarck , au fils aîné du-
quel il avoit fiancé Tune de ses filles , le rendoient
avec raison aussi suspect aux Suédois ^ que rinclina-
tion qu'il avoit toujours fait paroître à la maison
d'Autriche , fomentée par l'assiette de ses pays voi-
sins de la Bohême , par ses conseillers pensionnaires
d'Espagne, et par le landgrave de Darmstadt son
gendre, outre la jalousie qu'il avoit de la maison de
Weimar, le rendoient encore suspect à tous les con-
fédérés, qui n'eussent pu assurément commettre le
salut public entre ses mains ^ d'autre part, ayant con-
sidéré que la couronne de Suède ayant en Allemagne
les places , les passages et les armes en sa puissance ,
ils se résoudroient facilement à choisir le chancelier
pour directeur , tant pour témoigner leur gratitude à
ladite couronne que pour éviter l'envie et la jalousie
entre eux-mêmes, joint les grandes qualités qu'un
DE RICHELIEU. [i633] Hg
chacun reconnoissoit être en la personne dudit chan-
celier, et ses intérêts qui étoient conjoints avec ceux
du public ; ledit sieur de Feuquières , pour toutes ces
considérations , crut devoir interposer l'autorité de
Sa Majesté envers rassemblée, et leur parler à tous
ensemble de sa part, tant pour les convier à ne se
pas laisser abuser aux artifîces de la maison d'Au-
triche, qui leur faisoit des propositions de paix pour
les surprendre, qu'à se tenir bien unis et éviter
toutes les longueurs en leurs délibérations, qui leur
étoient dauiant plus préjudiciables que la saison
étoit déjà avancée, et que leurs ennemis apportoient
toute sorte de vigilance et de diligence pour se mettre
en état de les attaquer, et enfin à témoigner recon-
noissance vers la couronne de Suède , à laquelle ils
ne pouvoient donner aucune récompense qui pût
égaler le prix du sang qu'ils lui avoient coûté, et
qu'il sembloit qu'il n'y avoit pas à délibérer sur l'é-
lection de celui à qui ils dévoient donner la direction
des affaires communes.
L'assemblée reçut ces propositions de l'ambassa-
deur du Roi , les eut pour agréables, et députa vers
lui pour lui témoigner qu'elle les suivroit volontiers,
et recevroit Oxenstiern pour directeur général.
Le sieur de Feuquières eut deux difficultés qu'il
surmonta avec adresse, concernant les prétentions du-
dit Oxenstiern. Il découvrit qu'il faisoit tine brigue
secrète pour disposer les princes , Etats et députés de
ladite assemblée, à disposer en sa faveur de l'électorat
de Mayence^ ce qu'il détourna adroitement , faisant
entendre généralement à un chacun d'eux qu'il leur
étoit absolument important d'agir avec grande cir-r
34o [l633J MÉMOIRES
conspectiou et retenue dans les choses qui pourroient
rendre difficiles les traités de la paix , qui étoît et
le but des soins de Sa Majesté , et leur bien.
Davantage, ledit Oxenstiern vouloit avoir les cou-
dées franches en la direction des affaires d'Allemagne,
et qu'un chacun dépendit de lui sans qu'il fût obligé
de suivre les sentimens des autres , ce qui étoit d*un
grand préjudice à la religion catholique, d'autant qu'il
ne pouvoit s'accroître en Allemagne que dans les Etats
des princes catholiques, ni y retenir aucune chose que
dans iceux-là , où au contraire l'intérêt des Etats et
princes allemands étoit que toutes les choses fussent
remises en leur premier état , et qu'on rendit à chacun
ce qui lui appartenoit, ce qui étoit aussi le but de
Sa Majesté , qui n'eût pas voulu y voir la religion
afibiblie; et partant, après que ledit sieur de Feu-
quières l'eut assisté pour le faire élire directeur, il
travailla à faire apporter de telles modifications à sou
pouvoir , que le parti ne reçût que l'utilité que l'on
pouvoit espérer de sa conduite , et non le dommage
qu'il y avoit lieu d'en appréhender.
Ledit chancelier, les voyant se porter à ces modifi-
cations, ne put s'abstenir de montrer la peine qu*il en
avoit, et ne laissoit passer journée sans tenter de
rendre son pouvoir illimité , et présentoit à toutes
les séances quelque nouvel article tendant à inter-
préter à son avantage ce qui sembloit le lier trop à
son gré; mais il n'en put venir à bout, et l'assemblée
enfin conclut une alliance entre les princes et Etats
là présens en leur personne ou par leurs députés ,
en laquelle ils déclarèrent qu'ayant tous pour bat
la paix et le bien de l'Empire , et encouragés par
DE ntcuELiEU. [i633J 341
Texhortation que Sa Majesté leur avoit fait faire par
son ambassadeur, ils se lioient tous de nouveau avec
la couronne de Suède pour se prêter mutuelle assise
tance , et employer leurs biens et leurs vies pour ré»
tablir la liberté germanique, et venir à un traité d*uue
bonne paix générale , protestant qu'aucun n'en trai-
teroit avec le parti contraire que du su et du consen-
tement de tous les confédérés.
Et pource qu'on ne pourroit continuer et entrete-
nir la guerre sans un chef qui eût les qualités requises,
ils choisissoient le sieur Oxenstiern *, mais parce qull
lui seroit impossible de supporter seul le fardeau de
toutes les affaires, ils lui donneroient pour le soula-
ger un conseil composé de personnes qualifiées, par
Tavis desquelles il résoudroit toutes celles d'impor-
tance , et établiroient encore en chaque cercle un
conseil qui dépendroit de lui et du conseil général,
et prendroit sous eux soigneusement garde à ce qui
se passeroit dans ledit cercle.
Tous les articles se verront par le menu dans ledit
traité , qui est inséré à la fin de ce volume (0.
Auparavant que l'assemblée se séparât, le sieur de
Feuquières traita avec ledit Oxenstiern du renouvel-
lement du traité d'alliance qui avoit été fait entre Sa
Majesté et le feu roi de Suède. Le chancelier recon-
noissoit bien que sa principale force consistoit en
Tappui de Sa Majesté , sans l'autorité de laquelle il ne
pourroit se prévaloir sur ses alliés; et quand même
il le pourroit, ce parti étant un corps composé de
tant de létes et d'intérêts diflTérens , il n'y pourroit
^i) /t la fin de ce volume : Ce traite ne se trouve point dans le ma-
nnuriit original.
H4l [l633j MEMOMIES
1
maintenir Ttinion nécessaire à le faire subsister sans
y être aide par Sadite Majesté-, mais il ne savoit
comment accorder en son esprit les avaiitages qu il
en recevoit avec le désavantage qu'il prétehdoit re-
cevoir de ce que la même autorité de laquelle il ^toit
contraint de se servir étoit tellement considérée die
toute rassemblée , qu'il seroit en la puissance de Sa
Majesté de le réduire quand elle le voudroit aux
termes qu'elle jugeroit utiles pour le bien commun.
Cette considération , fomentée encore par l'ambassa-
deur d'Angleterre j qui avoit grande jalousie de voir
son maître tenu en peu de compte par tous les princes
alliés, et même des Palatins, pour les affaires desquels
il étoit venu , et qu'au renouvellement d'alliance il
n'étoit fait mention que de Sa Majesté seule et non
du Roi son maître , porta Oxenstiern à faire grande
instance en ce renouvellement d'alliance sur les points
de la religion auxquels il savoit que Sa Majesté ne
Vouloit ni ne pouvoit se relâcher, et, de la résistance
du sieur de Feuquières prenoit occasion dejeter dans
les esprits de l'assemblée des soupçons contre Sa
Majesté sur ce fait , balancer la créance qu'ils avoient
en elle , et essayer de les faire agir avec plus de re-
tenue dans ses intérêts.
Le traité néanmoins ne laissa pas de se conclure
le 9 avril, avec la protestation que la reine Christine,
reine héritière de Suède, fit, et qui fut insérée
dans ledit traité, de conserver la religion catholique
en tous les lieux où les armes de Suède et celles de
leurs alliés l'auroient trouvée , et ne faire aucun mal
aux ecclésiastiques ] et qu'encore que le duc de Ba-
vière et la ligue catholique eussent toiyours refusé
DK RICHELIEU. [i633j 343
la neutralité , néanmoins , en considération du Roi ,
elle la leur oflroit encore à conditions raisonnables ,
ladite alliance devant durer tant et si longuement
que les mouvemens d'Allemagne dureroient, tous
les princes qui n'y étoient pas entrés étant conviés
à le faire : le sieur de Feuquières présenta ladite
alliance à l'assemblée, tes exhortant de s'y vouloir
joindre.
Oxenstiern s'y opposa encore sous main , et l'am-
bassadeur anglais , celui-ci par pure jalousie et envie,
Tautre par raison d'Etat et de son intérêt, d'autant
qu'il lui étoit important que le Roi ne tint aux con-
fédérés que par la couronne de Suède , et n'eût union
immédiate qu'à elle seule et par elle aux collègues.
Ils ne purent néanmoins les détourner de l'avoir
agréable, et résoudre d'y entrer moyennant Texpli-
cation de quelques articles dont ils convinrent. Ils
en écrivirent à Sa Majesté le a6 avril, et la suppliè-
rent qu'attendu qu'il n'y avoit que la moindre partie
d'entre eux présens à Heilbron , et que les députés
ni abscns n'avoient point ordre dans leurs instruc-
tions d'entrer dans ladite alliance, elle eût agréable
d attendre qu'ils en eussent conféré avec leurs sei-
gneurs , lesquels ils ne doutoient point qu'ils ne l'ac-
ceptassent après que Sa Majesté seroit convenue de
Texplication des points dont ils avoient traité avec
son ambassadeur, et sur lesquels ils lui écrivoient. Ils
supplioient en outre Sa Majesté de les vouloir assister
d'argent pour les aider à supporter les frais de la
guerre. Il conclut puis après en septembre en l'assem-
blée ({u'ils tinrent à Francfort.
Ledit sieur de Feuquières partit sur la fin d'avril
344 [l633J MÉMOIRES
de Heilbron pour aller trouver le duc de Sslxb , lais-
sant le sieur de La Grange-aux-Ormes près da chan-
celier Oxenstiern , pour rinformer de ce qui se passe- V
roit de ce côté-là , et envoya avertir le Ismdgrave de
Hesse-Cassel de ce^ qui avoit été fait à Heilbron.
Il arriva le 19 mai à Dresde, où il fut bien reçu
du duc de Saxe , lequel il convia d'entrer dans Fal-
liance renouvelée entre Sa Majesté et la couronne
de Suède , ou d'en faire une particulière conjointe-
ment avec Téleeteur de Brandebourg, et de demeurer
ferme dans les conventions de Leipsick, et d'accepter
la médiation de Sa Majesté pour la paix.
Il répondit en paroles générales fort honnêtes ,
donna parole que , quoiqu'il lui eût été donné beau-
coup de sujet de se séparer des cooiventious de
Leipsick , il ne le feroit jamais , n'agiroit dana les
affaires que de concert avec les co-intéressés , et
n'entendroit à aucune proposition de paix particu-
lière ', qu'il ne pouvoit agréer les résolutions prises
en l'assemblée de Heilbro];i; qu'il tiendroit néan-
moins à grand honneur de faire une alliance parti-
culière avec Sa Majesté , après qu'il auroit vu au
préalable ce qui réussiroit de l'assemblée de Qreslau ,
convoquée par le roi de Danemarck.
Que pour ce qui étoit de la médiation , celle de
Danemarck ayant été reçue de l'Empereur et de lui ,
il ne s'en pouvoit rétracter; mais qu'il supplioit néan-
moins Sa Majesté d'intervenir par ses ambassadeurs
en ladite assemblée , pour y porter par son autorité
l'une et l'autre des parties à des conditions raison-
nables.
Mais tandis que ledit sieur de Feuquières étpit en
DE RICHELIEU. [i633J 345
sa cour, il se fît une trêve entre Amheim , son général
d armée , et Walstein , laquelle le duc Saxe lui voulut
faire croire avoir été faite sans sa participation , ce
que la suite montra n'être pas véritable.
Durant le séjour que ledit sieur de Feuquières fit à
Dresde, le comte de Kinstin, réfugié de Bohême,
lui parla comme de lui-même de raccommodement
de Fridland avec les princes et Etats de Tunion, si on
le vouloit assister à se faire roi de Bohême, lui té-
moignant le peu de satisfaction que Walstein avoit
de la maison d'Autriche, le sentiment qui lui restoit
du mépris que pour récompense il avoit reçu des
grands services qu'il lui avoit rendus, le peu d'es-
pérance qu'il avoit d'en être mieux traité à l'avenir ,
dès que la nécessité qu'elle avoit de lui et qui l'avoit
fait rappeler seroit passée.
Ledit sieur de Feuquières ne désapprouva pas cette
proposition, mais ne s'y engagea pas aussi, et prin-
cipalement quand il sut que Walstein traitoit de la
môme afllaire avec Oxenstiern par le comte de La
Tour.
De là il alla trouver l'électeur de Brandebourg à
Berlin , où il arriva à la fin de juin. Il le reçut très-
bien, et trouva bonnes toutes les propositions qu'il
lui lit de la part de Sa Majesté, qui étoient les mêmes
(|u'il avoit faites au duc de Saxe, auquel il envoya
un ambassadeur pour le convier à faire le setnblable;
mais il rapporta pour réponse un refus absolu. Ledit
ëlecteur de Brandebourg promit, nonobstant cela,
qu'il demeureroit ferme en sa résolution , et empê-
cheroit s il pouvoit l'assemblée de Breslau, ou , si elle
se tenoit, il ne donneroit autre pouvoir à ses am-
346 [l633J MÉMOIRES
bassadeurs que d^lbouter et lui rapporter ce qui y
auroit été proposé, sans autorité d'y rien résoudre.
De là ledit sieur de Feuquières passa à la Hesam
pour voir le landgrave de Cassel , mais il le trouva
absent, étant allé conduire aux Hollandais quatre
mille hommes que les princes et Etats de Tunion
leur envoyoient pour secours.
Il arriva à Francfort sur la fiu d'août, sur le point
que rassemblée des quatre cercles susnommés étoit
prête à commencer. Il trouva là le sieur de Vareunes,
que le Roi y avoit envoyé pour essayer de remédier
aux plaintes qu'elle recevoit des catholiques oppres-
sés , et principalement faire instance pour le soula-
gement et rétablissement de ceux qui depuis , et au
préjudice du traité de Ueilbron, avoient été chas-
sés et molestés en plusieurs villes soumises à la di-
rection des Etats et princes confédérés.
Il eut charge de représenter à Oxenstiem et à eux
tous , de la part de Sa Majesté , qu'il y alloit de leur
intérêt commun de ne point donner lieu de croire
que l'on fit une guerre de religion , ce que leurs
ennemis vouloient persuader ^ étant vrai que cette
créance n'auroit que trop de fondement s'ils n'em-
péchoient la continuation de tels désordres;
Qu'il y avoit deux articles en l'alliance faite de
nouveau à Heilbron entre les couronnes de France
et de Suède, lesquels portoient notamment que dans
les lieux rendus ou pris de force , la religion catho-
lique romaine demeureroit inviolable en son entier ,
et que l'on ne feroit aucun dommage aux personnes
et aux biens des ecclésiastiques ;
Qu'il étoit hors de propos de dire qu'ils chassoient
DE RICHELIEU. |^|(>33J 34?
les prêtres ou les religieux, à cause que, refusant de
leur prêter le serment de fidélité, ils contrevenoient
k la clause de ladite alliance , par laquelle il étoit
dit qu on ne feroit dommage à leurs biens ni à leurs
personnes, pourvu qulls prétassent le serment et
rendissent obéissance, pource qu'ils ne refusoient
point de prêter un serment de fidélité qui fût couché
en termes qu'il ne contrevînt point à leur religion^
et même il étoit raisonnable, et Sa Majesté désiroit
qu'ils en pussent, au préalable, écrire à Rome et en
recevoir réponse ; et si cependant quelqu'un d'entre
eux donnoit juste sujet de se plaindre , Sa Majesté
n'entendoit pas que pour la faute d'un particulier on
se prit aux autres qui seroient innocens. Et si ledit
Oxenstiern lui disoit, comme il avoit déjà fait à plu-
sieurs autres ministres du Roi, qu'il importoit fort
de ne point donner ombrage à ceux de leur parti
d'un trop grand zèle de Sa Majesté ponr les catho-
liques , et alléguoit plusieurs conséquences , essayant,
sous prétexte d'amitié et de bon conseil , d'empêcher
les justes instances du Roi et demeurer en plein
pouvoir de ruiner la religion catholique , il lui ré-
pondit qu'il ne pou voit mettre en doute l'aflection
sincère de Sa Majesté en leur endroit , par tant d'ef-
fets signalés de ses soins et assistance réels , et que
Tun des plus grands témoignages de son afiection
étoit le conseil qu'il leur donnoit d'user de mo-
dération et de justice en cette matière si délicate et
sensible comme est celle de la religion ; qu'il fao-
droit être leur ennemi mortel pour leur conseiller
autrement; qu'ils dévoient régler la véhémence et
la chaleur de leurs ministres, qui, pour n'être gens
348 [l633] MÉMOIRES
d'Etat, avoient plusieurs fois réduit les choses à un
ëtaJt dangereux.
Que s'ils se plaignoient que Sa Majesté tenoit en
sa protection rëlecleur de Trêves, et avoit quelques-
unes de ses places en sa puissance, et témoignoient
craindre que cela tournât quelque jour à leur op-
pression, il leur répondit que Sa Majesté ne leur
pouvoit mieux ôter ce sujet de crainte que 8*ëtant
unie pour leur conservation comme elle avoit fait
avec la couronne de Suède , et les invitant encore
d'entrer en leur alliance.
Quant au duc de Lorraine , des entreprises et hos-
tilités duquel ils disoient recevoir beaucoup de dom-
mage, et ne s'en vouloir venger pour le respect qu'ils
portent à Sa Majesté, il leur répondît que Sa Ma-
jesté en ressentoit les injures comme ils faisoient eux-
mêmes, et que s'il ne se remettoit bientôt à la raison ,
elle l'y feroit rentrer par la force des armes.
Les instances qu'ensuite de ces ordres il fit de la
part de Sa Majesté en faveur des catholiques , leur
apportèrent du soulagement ; plusieurs qui avoient
été chassés furent rappelés, et les violences dont
ils avoient usé contre eux en quelques lieux forent
modérées , ceux dudit parti disant qu'ils ne pouvoient
les soulager , ni les protestans mêmes , comme ils dé-
siroient, dans la disette en laquelle ils étoient de
toutes choses , et les désordres qu'ils étoient con-
traints de souffrir de leurs armes.
Peu de jours après que ledit sieur déFeuquièresfut
arrivé à Francfort, comme nous avons dit, il reçut
avis, de la part du général Ârnhcim , d'une trêve
qu'il avoit renouvelée avec Walstein , et en même
DE RICHELIEU. [l633j 349
temps le prioit de lui vouloir accorder une confé-
rence avec lui pour affaires très-importantes pour la
cause commune. La lui ayant accordée , il dit à son
retour au sieur de Feuquières que ledit Walstein
n avoit mis en avant la proposition d'un traité général
que pour avoir lieu de s'ouvrir avec lui, sans donner
soupçon à TErapereur ; qu'il voyoit bien que la mai-
son d'Autriche le vouloit maltraiter ; que le duc de
i eria venoit prendre sa place ; quUl étoit averti de
bonne part qu'il y avoit des entreprises contre sa per-
sonne^ qu'il croyoit que son adjonction au parti de
Tunion ne lui seroit point peu avantageuse-, qu*il
dcsiroit savoir quelles sûretés il pourroit recevoir
(les conditions qu'on stipuleroit avec lui y et des as-
sistances qu'il avoit à en attendre.
Le chancelier jugea à propos d'envoyer un colonel
de sa part vers ledit général, pour être présent lors-
(|u il conféreroit de ces choses avec ledit Walstein.
Le sieur de Feuquières envoya le sieur Duhamel
de compagnie avec ledit colonel, sans autre ordre
ni pouvoir , sinon de lui rapporter seulement ce qui
se seroit passé en ladite conférence.
Enfin, après avoir fait résoudre en ladite assemblée
son adjonction en l'alliance du Roi avec la couronne
de Suède , il retourna trouver Sa Majesté avec des
ambassadeurs de la part de ladite assemblée , pour
faire ratifier ladite adjonction.
Cependant que le sieur de Feuquières avoit ainsi
agi en Allemagne où le Roi l'avoit envoyé , le sieur de
Charnacé, qui étoit parti de Paris en janvier, arriva en
février en Hollande , où il trouva que la conférence
pour la trêve étoit commencée dès le 5 du mois.
35o [i633J mémoihes
Le roi d'Espagne avoit donne une procuration k
rinfante dès Tan 1629, et Tlnfante avoit substitué
les députes de ses provinces. Les Etats acceptèrent
pour lors Tune et Tautre \ mais les députés flamands
n'eurent pas agréables celles des députés desdits
Etats , d'autant qu'elles contenoient un long narré ,
que les états de Brabant y Flandre et les autres pro-
vinces les ayant conviés de s'assembler pour aviser
aux moyens de pacification , chasser tous étrangers
de leur pays, et s'unir pour leur conservation réci-
proque *, pour ces causes ils avoient donné pouvoir
aux Etats-Généraux d'en traiter avec eux. Cette pré-
face ne leur plut point , et requirent qu'elle fût ôtée.
Les Etats au contraire insistoient qu'elle demeurât^
mais enfin le prince d'Orange , avec grand soin et
après plusieurs conférences , gagna quatre provinces
entières , Gueldre , Hollande , Utrecbt et OverrTssel ,
à consentir une autre procuration telle que la dcman-
doient les Flamands. Et voulant, à cause de la plu-
ralité des voix , tenir la chose conclue , les trois
autres fyovinces , Zélande , Frise et Groningne ,
protestèrent que plutôt ils iroient trouver les Fla-
mands, leur dire qu'ils n'entendoient point traiter au-
trement , quoi que dissent les autres provinces; mais
le lendemain Iç prince d'Orange les pria tant démettre
leur protestation au greffe , sans la faire aux députés
flamands , afin que cependant l'on vit l'offre qu'ils
feroient , laquelle si elle n'étoit jugée raisonnable on
romproit le traité , qu'ils y consentirent.
Les Espagnols demandoient qu'on leur rendit Maes-
tricht, Fernambouc, Venloo, Ruremonde, et tout ce
qui avoit été pris l'année précédente , moyennant
DE RICHELIEU. [l633J 35 1
quoi ils oflroient de rendre Breda , puis condescen-
dirent encore à rendre Gueldre, et fortifîoient leurs
demandes par de Targent qu'ils distribuoient large-
ment aux particuliers.
Ils essayèrent d'éviter de comprendre l'Empereur
dans la trêve , afin qu'icelle ayant ruiné les protestans
en Allemagne , Fridland vint attaquer les Hollandais
avec toutes ses forces , auquel cas les Espagnols pré-
tendoient se joindre à lui , disant qu'ils ne violeroient
point leur foi , puisqu'ils ne feroient autre chose que
de se joindre à TEmpereur qu'ils étoient obligés d'as-
sister; ceux-ci au contraire prétendoient comprendre
en la trêve l'Empereur et la ligue catholique, et de-
mandoient absolument que tous les étrangers fussent
chassés et ne fussent plus admis aux gouvernemens
ni charges du pays; que tous ofHciers de guerre et de
police jurassent aux États des provinces d'où ilsse-
roient; que la rivière de l'Escaut fût délivrée de
péages à l'égal des autres ( qui seroit une grande perte
pour le roi d'Espagne); que Breda, Gueldre et
Steenwyck leur fussent rendues , et Rhinberg mis es
mains de l'électeur de Cologne, et la compagnie des
Indes occidentales n'y vouloit point être comprise ni
rendre Fernambouc : ils étoient bien loin de compte,
et les députés des provinces obéissantes dirent n'a-
voir pas pouvoir de traiter sur ces propositions-là ,
mais que quelques-uns d'entre eux retourneroient à
Bruxelles , et espéroient d'en rapporter tous pouvoirs
nécessaires.
Dès que le sieur de Charnacé fut arrivé, il alla in-
continent trouver le prince d'Orange, et lui exposa
Tordre qu'il avoit de la part du Roi, lui demandant
352 [^6^^] MÉMOIRES
If
qu il lui fît donner quelques commissaires ayée les-
quels il eût à traiter , ne le pouvant pas , à cause do
secret , avec un si grand nombre de députés. Ce qu'é-
tant fait , il leur témoigna la bonne volonté du Roi
pour le bien de leur État , qu'il étoit là pour conférer
avec eux s'ils vouloient faire la paix ou la trêve,
comment cela se pourroit avec les sûretés , et ce qu'en
ce sujet ils désiroient que le Roi contribuât, et si
aussi elle ne se pouvoit, et qu'ils désirassent continuer
la guerre , ce que pourroit faire Sa Majesté pour eux.
Puis il leur dit tous les avantages qu'ils pouvoient
trouver en la paix ou trêve , et tous les inconvéniens
aussi , entre lesquels étoit la ruine indubitable des
affaires d'Allemagne.
Et sur ce qu'ils lui répondirent qu'ils y remédie-
roient bien parce qu'ils enverroient un puissant se-
cours en Allemagne , il leur répliqua que s'ilsfai soient
la paix ils n'auroient plus qui secourir , d'autant que
le chancelier Oxenstiern lui avoit autrefois dit confi-
demment, sur le sujet de beaucoup de propositions
qu'il faisoit alors , que tout cela ne s'entendoît qu'au
cas que les Hollandais continuassent la guerre , ponrce
que s'ils faisoient la paix il la feroit de sa part. La fai-
sant, les enfans du feu prince Palatin , qui seroient
lors les seuls alliés qu'ils auroient à assister, seroient
perdus absolument , pource qu'il n'y avoit point d'État
en l'Allemagne , ni peut-être en l'Europe, qui fût si
nécessaire aux Espagnols que le bas Palatinat pour
joindre les Pays-Bas à l'Alsace, Brisgaw, Tyrol etFI-
talie , et partant , pour le retirer dudit chancelier, ils lui
bailleroient tout ce qu'il voudroit sur la mer Baltique.
Le traité de Charnacé étoit traversé par le siear dé
DB aicHELiEU. [i633] 353
Hauterive, lequel, mécontent et fugitif, et ayant su
de son frère jusques où les offres que Charnacë devoit
faire pour empêcher la trêve dévoient aller , les dit
au prince d'Orange , qui , pour cet effet, ne s'arréloit
point à toutes les propositions dudit Cbarnacé afin de
le faire venir au but. Cela fit que Sa Majesté pria les
États d'éloigner d'eux ledit Hauterive ; mais le prince
d'Orange le défendit opiniâtrement; et Cbarnacé lui
ayant aussi fait commandement , de la part du Roi ,
de l'aller trouver, il mit plusieurs excuses en avant
pour ne pas obéir en effet, protestant toujours de
paroles qu'il obéiroit dès qu'il le pourroit.
La conclusion donc de la conférence de Cbarnacé
avec les commissaires que les États lui avoient donnés,
fut qu'ils désirèrent savoir de lui quel étoit son pou-
voir touchant la guerre contre l'Espagne, et qu'il leur
déclarât si le Roi la vouloit faire. Il leur dit que tant
s'en faut qu'il eût pouvoir de cela , que même le Roi
n'y étoit pas résolu-, que seulement les propositions
avantageuses des Allemands, qui, en cas qu'il la fit,
lui offroient la carte blancbe de tout ce qui étoit en
leur puissance, lui en avoient-elles donné quelque
envie; mais que son but principal étant la paix uni*
verselle , et jugeant comme cette rupture l'éloigneroit
par les conséquences qu'elle causeroit , il avoit pensé
(|u'il seroit meilleur, si Ton ne pouvoit maintenant
ravoir , de continuer encore vertement cet été la
guerre, tant ici qu'en Allemagne, et cependant traiter
tous conjointement d'une trêve générale, avec obli«
gation réciproque entre tous de déclarer la guerre
à l'Espagne et l'Empereur s'ils la rompoient à quel-
qu'un de nous.
T. a;, ^3
354 [l633] HÊMOIRES
■
Ils lui offrirent, et donnèrent encore charge à leur
ambassadeur d^offrir de leur part à Sa Majesté de re-
fuser absolument la trêve et renvoyer les députes fla-
mands à Bruxelles , s'il plaisoit au Roi rompre arvec
les Espagnols , et qu'en ce cas ils emploieroient toutes
leurs forces avec Sa Majesté en la conquête de Flandre,
et ne demandoient aucune part en ladite conquête,
ains consentoient que toutes les places qui seroîent
prises demeureroienl au Roi , et que , dès cette année>
on attaqueroitDunkerque, Gravelineset toute la côte
de la mer , et le tout seroit remis entre les mains du
Roi. /
En ce même temps les personnes de condition
dont nous avons parlé en Tannée précédente, qui
étoient mécontens en Flandre , offroient de mettre
entre les mains du Roi Boucbain , Le Quesnoy ,
Avesnes , Landrecies, quatre places bonnes et impor-
tantes, conjointes aux frontières d'Artois, et de susciter
une grande révolte , et déclaroient que si ou perdoit
Toccasion présente on ne la recouvreroit plus à l'avenir,
parce que telles occasions étoient chauves , et que
ceux qui se vouloient rendre au Roi ne vouloient pas
être en une perpétuelle attente, capable de les perdre.
Le cardinal dit à Sa Majesté qu'il étoit certain que
le feu Roi n'eût pas perdu cette occasion , mais qu'il
falloit regarder le temps où on se trouvoit ;
Qu'il falloit premièrement considérer que le Roi
toit sans enfans, et que Monsieur, héritier présomptif
le la couronne , étoit en Flandre avec la Reine-mère;
Qu'il falloit considérer encore la volonté du Roi
et la disposition de son esprit, celle de son corps et
de sa santé , qui étoit de si grand poids en cette aflâîre.
DE RICHELIEU. [l633] 355
que non-seulement ne la pouvoit-on entreprendre et
faire réussir si le Roi n'ctoit sain, mais même n'y pou-
voit-on penser si sa bonne disposition n'étoil capable
de faire perdre la pensée qu'il fût et pût être malade;
Qu'il falloit ensuite considérer la durée de la guerre,
les inquiétudes et les travaux qu elle donne, l'absence
à laquelle elle peut obliger des lieux circonvoisins de
Paris, l'épuisement des finances qui s'en ensuivroit,
les clameurs des catholiques et principalement des
cagots, qui trouveroient à redire qu'on eût affaire
aux Espagnols , sans considérer qu'on y seroit bien
fondé ;
Les diverses et grandes armées qu'il faudroit avoir
sur pied en Picardie , en Champagne et en Ilalie ; la
mauvaise volonté et l'infidélité de messieurs de Sa-
voie et de Lorraine , qui pourroient produire de
mauvais efl'els en faveur des Espagnols, voyant le
Roi occupé ;
Le peu de chefs que l'on avoit propres à la guerre ,
Ihumeur des Français, également impatiens de guerre
vi de repos ;
Le dégoût de ceux qu'on emploieroit et la jalousie
de ceux qui seroient délaissés, qui donneroit lieu à
Monsieur de les acquérir;
Que les gouverneurs des provinces et des places,
par avarice, légèreté, vengeance du prévoyance de
Tavenir, seroient plus aisément persuadés , si le Roi
étoit une fois engagé en une guerre étrangère, à suivr^
le parti de Monsieur et à se déclarer pour lui ; ^
Que les moindres accidens de la guerre , ou la
surprise d'une place, pourroient ébranler beaucoup
de choses en ce royaume et exciter de grandes cla-
V.3.
356 [i633j MÉMOIRES
meurs contre ceux qu'on voudroit dire auteurs d*urie
guerre étrangère 5
Que si, quelque santé que le Roi eût lors, il arrivoit
qu'il tombât malade, ceux qui le serviroient seroient
actuellement perdus sans se pouvoir sauver , et perdus
avec le décri de toute la France, qui penseroit avoir
lieu de dire que la guerre auroit été la cause et du
malheur de la France et de la maladie du Roi;
Que partant, après avoir balancé toutes sortes de
raisons , le meilleur étoit que le Roi n^entrât point
en rupture , quelque avantage spécieux qu'on pût
proposer ^ mais qu'il ne falloit pas aussi qu^il perdît
l'occasion de faire continuer la guerre contre les Es-
pagnols , parce qu'autrement il les auroit sur les bras ,
et tomberoit en d'aussi grands inconvéniens pour
se défendre d'eux , qu'il feroit en les attaquant main-
tenant j
Que pour faire faire la guerre par les Hollandais il
y avoit deux choses à faire : l'une à leur donner de
l'argent présentement , lequel étoit tout prêt , l'autre
de satisfaire à un second parti que proposoient mes-
sieurs des États ;
Qu'ils demandoient que le Roi leur donnât six
mille hommes et cinq cents chevaux , pour aller par
terre droit à Dunkerque au même temps que leur
armée y viendroit par mer, moyennant quoi ils of-
froient Gravelines à Sa Majesté;
Qu'il importoit au Roi de faciliter le dessein de
%unkerque , parce qu'il rendoit la guerre irréconci-
liable entre la Hollande et l'Espagne , la Flandre ne
pouvant subsister si elle perdoit l'usage de la mer
mais qu'il falloit prendre garde de donner ces gens
DE RIGUBLIEU. [l633] 357
de guerre, en sorte qu'ils ne causassent pas une
rupture^
Qu'on n'avoit point accoutumé de secourir les Hol-
landais de gens de guerre, qui sortant des terres de
France entrassent droit dans celles des Espagnols, et
cela causeroit rupture; mais bien leur en pouvoit-on
donner pour les embarquer sur la mer, d'où ils les
pou voient faire passer où bon leur sembleroit;
Que partant, le Roi pouvoit faire offrir aux Hol-
landais tel nombre de gens de guerre qu'il lui plairoit^
pourvu qu'ils les embarquassent sur mer;
Qu'il pouvoit en outre leur promettre la facilité
des vivres lorsqu'ils seroient à Dunkerque , et per-
mettre qu'ils tirassent trois ou quatre cents chevaux
d artillerie de France, et ensuite leur donner espé-
rance de faire un tour en Picardie avec armée, lors-
qu'ils feroient l'attaque de Dunkerque, pour tenir les
ennemis en ombrage ;
Que quant à Gravelines , il étoit bon qu'il fût en
la disposition du Roi de l'avoir, si bon lui sembloit,
mais qu'il estimoit plus à propos qu'il ne l'eût point
que d'entrer en rupture avec les Espagnols, Sa Ma-
jesté profitant assez, si elle engageoit les Hollandais
et les Espagnols en une guerre irréconciliable, sans
avoir besoin de l'augmentation d'une place particu-
lière-,
Que cependant , parce qu'en matière d'État les
grands rois doivent avoir toujours diverses cordes
en leur arc, il étoit bon d'entretenir ceux qui négÉ(
cioient la proposition d'une révolte et des places qui
se vouloient donner au Roi ;
Qu'on savoit bien qu'il étoit difficile de les tenir
358 [i633J MÉMOIRES
toujours en cette disposition, et que les momens
changent souvent absolument les affaires \ mais on
estimoit qu'en donnant grassement à celui qui étoit
le chef de cette proposition , et lui laissant l'espé-
rance que son ambition avoit pour but, on lui pou-
voit faire continuer son dessein , et le rendre ca-
pable que le temps ne l'empireroit pas , lui repré-
sentant que le temps qu'on voudroit prendre étoit
pour voir de plus en plus la santé du Roi afTermie et
les affaires d'Allemagne terminées , en sorte que les
électeurs catholiques ne fussent pas perdus, et que la
maison d'Autriche eût seule le roi de Suède su ries bras;
Qu'outre cela, il se trouveroit des diflScultës en
l'affaire, qui empêcheroient qu'elle ne se pût exécuter.
On donna charge à Charnacé de se gouverner et
traiter selon cet avis avec les Hollandais et le prince
d'Orange : mais ils firent les difficiles , et de jour en
jour s'éloignoient davantage de se joindre aux réso-
lutions du Roi , jusque-là qu'enfin ledit Charnacé leur
ayant, en avril, offert, s'ils vouloient rompre le traité
de la trêve , six mille hommes de pied et six cents
chevaux, outre le million ordinaire, ils le refusèrent,
^ ajoutant qu'ils ne pourroient pas même proihettre de
continuer la guerre, quand le Roi la déclareroit à
toute outrance , d'autant que les provinces vouloient
voir la fin de cette négociation pour contenter leurs
peuples avant que de s'obliger à personne plus qu^elles
l'étoient. Sur quoi plusieurs du conseil du Roi s'étant
tibuvés étonnés , et craignant que cette trêve seroit
la ruine indubitable de cet Etat , le cardinal au con-
traire dit à Sa Majesté qu'à la vérité il faudroifrétre
fveugle pour ne connoitre pas qu'il étoit meilleur
DE RICUBLIEU. [i633J 3Sg
pour les affaires da Roi que la trêve ne se fît pas en
Hollande que le contraire ^ qu'il faudroit n'avoir point
de sens pour ne prévoir pas que la trêve de Hollande
étoil capable d'attirer la paix en Allemagne , sinon
présentement, au moins Tannée qui vient, et ainsi
donner moyen à la maison d'Autriche , non-seulement
de reprendre haleine , mais de se tirer de la perte
inévitable où elle tomberoit indubitablement si la
guerre continnoit -, mais qu'il faudroit être ou aveugle
ou pusillanime, ou tous lesdeuxensemblé, pourcroire
que le salut de la France dépendit absolument de la
continuation de la guerre en Flandre, et que si la
trêve se faisoit en Hollande ce royaume seroit la
proie des Espagnols ;
Qu il étoit certain que si le Roi vouloit attaquer
TEspagne , la trêve étoit fort préjudiciable à un tel
dessein , qui réussiroit d'autant mieux que plus ceux
qu'on vottdroit attaquer seroient occupés et divertis^
Mais que si l'on n'avoit point ce dessein , la trêve
ne pouvoit apporter aucun changement qui put nous
causer un notable préjudice ;
Que si les Espagnols n'avoient pu faire de progrès
en France , dont le fruit leur fût demeuré lorsqu'elle
étoit divisée par le parti des huguenots et celui de la
ligue, il y avoit bien moins d'apparence qu'ils le
pussent faire maintenant qu'elle étoit unie sous un
grand prince qui avoit toujours été victorieux, et qui ,
dans son pays avoit abondance de soldats nécessaires
pour la guerre* et dans ses coffres des moyens poAr
la soutenir^
Que quand la trêve seroit faite aujourd'hui, les Es^
pagnols ne sauroient être en état de deux ans de*
36o [l633] MÉMOIRES
penser à faire aucune attaque \ et s'ils iaisoient b
trêve à conditions désavantageuses pour ne pour-
voir soutenir la guerre avec avantage contre les
Hollandais , quel avantage auroient-ils de Tentre-
prendre contre la France plus puissante qae les Hol-
landais y vu principalement qu'ils savoient bien
qu'ainsi que la France a toujours secouru les états de
Hollande , lesdits Etats ëtoient obliges de secourir la
France au cas qu'elle fût attaquée , et qu'ils dévoient
craindre par raison que la rupture ouverte que TEs-
pagne feroit avec la France n'attirât de nouveau celle
de Hollande avec eux , ce qui feroit que pour une
guerre qu'ils auroient évitée , ils en auroient deux
sur les bras ;
Que les Espagnols n'avoient besoin de la trêve en
Hollande que pour empêcher la perte absolue de
l'Allemagne , et avoir lieu de conserver le trafic des
Indes occidentales, d'où ils tiroient l'ame de leur
puissance , et partant , quand ils auroient fait la trêve
ils ne pourroient avec prudence entreprendre une
guerre en France , qui seule seroit capable d'occuper
et épuiser toutes leurs forces , si premièrement ils
n'avoient pacifié l'Allemagne et doublé leurs forces
sur la mer, ce qui requéroit beaucoup de temps;
Qui plus est, quand ils l'entreprendroient , les
places frontières étant bien fortifiées et munies , ce
qui se pouvoit faire aisément avant qu'ils eussent lieu
de penser seulement à former un dessein , il étoit
impossible que telle entreprise leur pût réussir , le
Roi ayant toujours trente mille hommes sur pied et
trois mille cinq cents chevaux , qu'il pouvoit (■■bler
Vcn six semaines , pour s'opposer aux efforts oe ses
DE RICHELIEU. [l633J 36l
onncmis , qui s'en iroient d'autant plus certainement
en fumée, que Sa Majesté , au cas que la trêve se fît ,
pouvoit doubler toutes ses garnisons sans nouvelle
dépense •,
Que le Roi ayant fait état de donner lors aux Hol-
landais a, 000,000 de livres, s'il employ oit cette somme
en augmentation de troupes pour jeter dans les gar-
nisons, il grossiroit lesdites garnisons de douze mille
hommes de pied , avec quoi, les places étant munies
et fortifiées , il seroit impossible que les ennemis
pussent rien entreprendre avec succès , principa-
lement si on tenoit à toutes les têtes importantes ,
comme AbbevillÇ) Corbie, Dourlens, Saint-Quentin
et Péronne, des maréchaux de camp et personnes ca-
pables qui eussent pouvoir aux moindres mouvemens
lie pourvoir, non-seulement les places où ils seroient,
mais celles qui seroient voisines, de tout ce qui leur
seroit nécessaire;
Qu'après tout ce que dessus , le meilleur avis qu'on
pouvoit prendre étoit premièrement de continuer
toujours à faire, comme on avoit fait jusqu'alors, tout
ce qui éloit nécessaire pour rompre la trêve , tant
pour le bien universel de la chrétienté , dont la mai-
son d'Autriche s'étoit rendue ennemie depuis quelque
temps , que pour lavantage particulier de la France,
dont Futilité requéroit que la guerre fut plutôt
éloignée qu'au dedans , quand même ce seroit sans
succès pour ses ennemis ;
En second lieu , qu'il falloit fortifier soigneuse-
ment toutes nos frontières, puisque, non-seulement
ce mojen étoit- il bon iK)ur noqs garantir de mauvais^
événcmens au cas de guerre, mais même pour nous
iÔl [l633j MÉMOIKES
préserver de la guerre , étant certain que la connois-
sance qu'on auroit que toutes les places seroient en
bon état, étoit capable d'empêcher le dessein qu'on
auroit de les attaquer;
Que pratiquant ces deux expédiens, quoi qui arrivât,
les ennemis du Roi ne sauroient interrompre le cours
de ses prospérités , et Sa Majesté, étant en état de ne
rien craindre, le seroit aussi de donner de la terreur
à ceux qui n'oseroient penser à lui faire mal , de peur
qu'elle leur en fît ;
Et quand le prince d'Orange connoitroit que le
Roi seroit en état de ne craindre pas beaucoup que la
trêve se fit, il recevroit plus raisonnablement qu'il
n'avoit fait jusques alors les justes conditions qu'on
lui avoit offertes pour faire un traité qui obligeât à la
continuation de la guerre, laquelle il y avoit grande
apparence qu'il seroit contraint de continuer, quelque
inclination qu'il eût au contraire, sans que la France
lui en eût obligation ;
Car on ne voyoit pas comme les Espagnols et les
Etats se pussent accorder en ce qui concernoit les
Indes occidentales , vu que , si les Espagnols faisoient
la trêve sans qu'on leur rendit Fernambouc et tous
les lieux que les Hollandais leur avoient occupés aux
Indes , ils étoient assurément ruinés , d'autant qu'en
ce cas le corps des Etats n'ayant plus de guerre en
terre, il fortifieroit les compagnies des marchands ,
qui, jusques alors seuls, avoient fait la guerre aux
Indes, et ainsi, apparemment, les progrès des Hol-
landais , plus expérimentés et plus heureux^^ur la
mer que les Espagnols , irolent tous les jours crœs-
sant , ce qui ne pouvoit arriver sans la ruine dlîs--
DE RICHELIEU. [l633J 363
pagne , qui tenoit son seul soutien de Tor qu'elle ti-
roit des Indes.
D'aulre pari, qu'outre qu'il étoit difficile de désin-
téresser les compagnies des marchands , qui avoient
pris Fernambouc et les autres lieux qu'ils tenoient
aux Indes , et les obliger à les rendre, si la restitution
s'en faisoit, et que les Espagnols demeurassent sans
trouble paisibles possesseurs de leur moisson des
Indes , ils se rendroient en peu de temps si puissans,
qu'ils pourroient recommencer la guerre avec grand
avantage contre les Hollandais ; ce qu'ils feroient in-
dubitablement sur quelque prétexte coloré dont ils
ne manqueroient pas, ou sans icelui, leur première
maxime étant qu'on n'est point obligé de garder la
foi aux hérétiques.
Le succès en fut tout tel qu'il avoit pensé : les uns
et les autres souhaitoient la trêve, mais leurs mu-
tuels intérêts répugnoient à leur désir, chacun vou-
loit conserver les siens, ce qui difficilement se pou-
voit faire, étant diamétralement contraires.
Les Hollandais, élevés par l'heureux succès de leurs
armes , ne vouloient rien relâcher, et l'orgueil d'Els-
pagnc, en quelque état que fussent ses affaires, ne
se vouloit pas aussi aucunement abaisser , et ainsi
leur traité se rendoit de jour à autre plus difficile,
tant ([u'enfin les Etats-Généraux , ennuyés des ré-
ponses non assez précises et déterminées des députés
flamands , leur donnèrent par écrit plusieurs articles,
lescjuels , pour être trop longs, nous avons insérés à
la fin de ce volume (0, pour leur en rapporter dans
I -7 lit Jin fie ce volume s Ce» article» ne foiil point pariic du ma-
364 [l633] HÉMOIRES
quinze jours réponse catégorique, ou qu'ils rom-
proient la conférence de la trêve.
Ce que lesdits députés de Flandre promirent, et
quelques-uns d'eux les portèrent à Bruxelles, où
étant trouvés peu raisonnables par le conseil de lin-
faute pour y donner tiie réponse claire et sans am-
biguïté , lesdits députés dépêchèrent un courrier à
La Haye pour prier qu'on prolongeât le terme qu'on
leur avoit donné de dix jours; ce que les Etats-Gé*
néraux ayant su , et leur étant offert par Charnacé le
paiement comptant des deux tiers du million que le
Roi leur avoit promis tous les ans durant la guerre,
ils s'assemblèrent et résolurent de prier le prince
d'Orange de ne perdre pas temps , mais se mettre en
campagne attendant leur retour, ce qu'il fit le a6 du
mois. Dès le commencement de mai il commença le
siège de Rhinberg , et le comte Guillaume de Nassau
descendit à l'embouchure de l'Escaut avec sept rëgi-
mens et huit canons , au lieu de quoi s'il eût voulu
entrer en Brabant , ni Malines , ni Louvain » ni
Bruxelles n'eussent pu résister , vu la foiblesse en la-
quelle étoient lors les Espagnols , et le soulèvement
des plus grands contre eux ; mais le prince d'Oraoge
ne le voulut pas faire , tant pource qu'il eût rompu
toute voie d'accommodement qu'il désiroit fort, que
pource qu'il ne vouloit pas aussi que le sujet de la
guerre d'entre les Etats et les Espagnols fût entière-
ment ôté. Ladite ville fut prise le 4 juin. Cependant
les députés flamands qui étoient retournés à Bruxelles
revinrent à La Haye , le duc d'Arscot , qui en étoit
l'un des principaux , publiant à son retour qu^il ap-
portoit un pouvoir authentique du Roi son m^|re
DE RICHELIEU. [l633] 36S
ilu 3o avril; mais à leur première audience, qui fut
le 17 mai , étant pressés de le faire voir, ils montré»
reut seulement une attestation de llnfante par la-
quelle elle assuroit que le Roi son neveu avoit par-
faite connoissance de ladite négociation, et qu'il en
étoit bien aise, sans parler ||b41 approuvoit ni pro-
mettoit ratifier ce qui se traiteroit; de là passant aux
articles qui leur avoient été proposés, de dix-huit
qu'il y en avoit, ils en mirent douze en controverse,
ou s'en expliquèrent en termes qui jetoient les affaires
en nouvelle négociation; ce qui étonna fort ceux des
Etats qui désiroient la trêve, et encouragea les autres
qui ne la vouloient point. Mais le ao , revenant un
peu à eux-mêmes , ils donnèrent espérance d'avouer
tous les articles avec quelque petite modification,
pourvu ([u'on leur rendit Fernambouc, ou que si les
Hollandais le vouloient retenir, il y eût trêve aux
Indes, tant orientales qu'occidentales. Mais quand ce
vint au point , et que les Hollandais voulurent qu'il
fût mis un article exprès pour la liberté du commerce
auxdites Indes, le duc d'Arscot déclara nettement
que jamais les Espagnols ne le consenti roient, d'au-
tant qu'ils savoient que les Hollandais attireroient
à eux dans six mois tout le négoce, pouvant faire
pour cent écus ce que les Espagnols ne sauroient
faire pour deux cents , ce qui seroit la raine totale
d'Espagne.
Ce procédé peu sincère les offensa , de sorte qu'ils
délibérèrent long-temps s'ils dévoient renvoyer in-
continent tous leurs députés; trois provinces entières
y conclurent, mais enfin le plus de voix emporta
que Ton les laisseroit encore pour quelques jours,
366 [i633] MÉMOIRES
pendant lesquels Ton iroit aux provinces savoir ce
qu'elles voudroient que Ton fît là-dessus.
Durant ce temps lesdits députés faisoient toutes
sortes d'instances , et augmentoient de jour en jour
leurs offres pour avoir Fernambouc, lequel plus ils
témoignoient désirer, )|rius la compagnie des Indes
s^opiniâtroit non-seulement à le conserver , mais k
empêcher encore la conclusion de la trêve. Les Etats,
voyant une opposition forte de leur part, firent venir
le 1 5 Juin à leur assemblée les directeurs de ladite
compagnie , entendirent leurs raisons et les moyens
qu'ils dirent avoir de nuire aux Espagnols ; et la gé-
nérosité de ces gens-là fut telle qu'ils dirent auxdits
sieurs des Etats que si, après leur avoir promis de
ne les comprendre de vingt ans en aucun traité de
paix ni de trêve , ils le vouloient faire lors et les con-
traindre à rendre Fernambouc contre leur parole, eux
aussi demeureroient libres de celle qu'ils avoient
donnée aux Etats de tenir la compagnie en ce pays,
leur déclarant que plutôt ils se résoudroient de cher-
cher un prince qui eût le pouvoir et la volonté de les
maintenir que de consentir à cela.
Cette déclaration haussa merveilleusement le cœur
aux trois provinces qui vouloient la guerre, et fit
enfin résoudre la Hollande et les trois autres à pro-
mettre derechef à la susdite compagnie tout ce qu'ils
avoient fait auparavant , et ensuite firent appeler les
députés de Bruxelles , leur dirent qu'ayant été à leurs
provinces , ils y avoient eu commandenfent de leur
déclarer qu'ils ne pouvoient leur rendre Fernambouc
ni faire la trêve aux Indes; qu'il ne restoit plus qu'à
savoir d'eux s'ils avoient pouvoir de passer outre mk
DE RICHELIEU. [l633J 3&]
autres articles sans plus faire mention de celui-là.
A quoi ils répondirent ne pouvoir rien faire sans
raccommodement des Indes, par quelque moyen ou
tempérament que ce fût qui en pût chasser la guerre ;
ce qu'étant, ils promettoient leur donner contente-
ment à tout le reste. *»
Cette réponse ouïe, les Etats mandèrent auxdits
députés qu'ayant considéré le grand temps qu'il leur
faudroit pour aller donner avis de leur déclaration
au prince d'Orange, puis retourner aux provinces
pour savoir leur volonté et la rapporter à La Haye,
ils jugeoient qu'il seroit à propos que les principaux
d'entre eux se retirassent cependant à Bruxelles , et
laissassent quelques-uns pour leur faire savoir le
temps auquel ils pourroient venir quérir leur ré-
ponse. Le duc d'Arscot, l'archevêque de Malines,
lahbé de Saint-Wast, le baron d'Ansermont et deux
autres députés, partirent dès le lendemain et laissè-
rent quatre des moindres d'entre eux à La Haye pour
les attendre. Mais avant de partir ils offrirent, bien
qu'en vain , à la compagnie des Indes trois faiillions
s'ils vouloient se relâcher de cette demande , et n'ou-
blièrent rien de tout ce qui se peut pour gagner les
esprits desdits Etats, auxquels ils proposèrent une
suspension d'armes ; mais ils n'y voulurent entendre.
Puis ils dirent que le Roi recherchoit de paix le roi
d'Espagne, et que le traité en devoit bientôt être
conclu; mais il trouva les Etals disposés à ne pas
croire cette malicieuse nouvelle, car l'ambassadeur
d'Espagne ayant quelque temps auparavant pressé le
Roi d'entrer en traité avec le Roi son maître , et as-
suré qu'il avoit pouvoir de conclure une paix si on y
368 [i633J MÉMOIRES
vouloit .entendre, Sa Majesté, pour ne pas donner
l'avantage aux Espagnols de publier partout qu'elle
ne vouloit pas le repos de la chrétienté , consentit à
Fouverture d'une négociation dont Sa Majesté se
servoit encore pour retarder la passion que lesdits
Espagnols avoient à la^ève.
Mais la première condition que le Roi demanda fut
qu'il ne se fit aucun traité que conjointement avec
tous ses alliés , et que , pour rien du monde , il n'y
entendroit autrement.
La seconde , que Ton exécutât le traité de Monçon
touchant les Grisons.
La troisième , que l'échange de Pignerol demeurât
comme il étoit, et on en demeurât là.
Sa Majesté donna incontinent avis de toutes ces
choses à Charnacé, afin qu'il en avertit messieurs des
États, et qu'outre qu'elle avoit déclaré à Tambassa-
deur d'Espagne ne vouloir rien faire qu'avec tous ses
alliés , ledit Charnacé étoit prêt de signer un bon traité
avec eux.
Tandis que les Hollandais marchandoient s'ils dé-
voient faire la trêve ou continuer la guerre avec Es-
pagne , ne pouvant, pour les particuliers intérêts, se
résoudre à ce qui leur étoit le plus avantageux , l'u-
nion des seigneurs mécontens de Flandre qui deman-
doient secours au Roi , et pour raison de quoi Sa Ma-
jesté y envoya Berruyer, fut découverte^ Carondelet,
doyen de Cambray , qui les faisoit tous mouvoir , fut
arrêté prisonnier à Bruxelles , et le marquis d'Ais-
tonne alla avec six mille hommes se saisir de la place
de Bouchain , dont le frère de Carondelet étoit gou-
verneur , lequel alla au devant dudit marquis , et le
DE RICHELIEU. [l633] 369
reçoit en la place. Le marquis s'en étant assuré ,
donna commandement de se saisir de sa personne ;
mais s'étant mis en défense, et en ayant tué quatre de
sa inain , il fut assommé d'un coup de crosse de mous-
((uet. Cette exécution, ôta à tous les mécontens non
la volonté mais le pouvoir de mal faire , ce qui ne fut
pas de peu de préjudice au bien des états de Hol-
lande, car enfin ils ne purent avoir la trêve qu'ils
désiroicnt; et quand ils virent que les députés qui
éioient retournés à Bruxelles y demeuroient trop
long-temps sans revenir, et que le duc d'Arscot même
en étoit parti pour aller à Madrid, ils reconnurent
lors c|ii on ne procédoit pas avec eux avec la sincérité
qu i!s s'éloient promise, et mandèrent à ceux des
députés qui étoient demeurés à La Haye qu'ils se re-
tirassent à Bruxelles auprès de leurs collègues^ et,
au cas ([u ils reçussent la procuration du roi d'Espa-
gne nécessaire , et un ordre plus spécial , ils ne man-
(jueroient pas de leur côté à contribuer ce qui dé-
pendoit d'eux pour parachever ladite négociation au
soulagement et au bien de tous les Pays-Bas. Cette
résolution apporta à Bruxelles un grand déplaisir, et
ce d'autant plus qu elle y fut sue après la mort de lln-
fante (0, laquelle fut regrettée de tout le peuple.
Tandis que les aflaires d>2spagne étoient en un si
(i^ .'//»r« la mort de tlnjante : IsaheUc-CIairc-Eugcnie, 611e dt
Pliilil>p«* II, et que c« prince appeloit le miroir et la lumière de ses
yru3 , .'ivoii joue un grand lAlc dans le temps de la Ligue. Lci Etpa-
giiol.i , m i^ç^f aToiontToulu la faire reine de France, au nicpri» de U
I<ii s.ili'jiie. VMc avoit cpoukc depuis Tarchiduc Albert , et c'ioit derenoe
t:o»»vernaiiir de* Pajft-Bas. Prndanl nne longat administration, elk
..vfiit dri>iovc de grands talens , et sVtoit fait chérir par sa piet^, sa
t:(.ncr()»itc et ^a modération. Elle mourut n TAge de soixante-six auis.
T. 9.7. 24
370 [l633] MÉMOIRES
mauvais état, que les Suédois en Allemagne avoient
toutes sortes d'avantages , que le trané de la trêve
en Hollande n'avoit pas eu le succès qu'ils s'étoient
pronns , et que>, pendant qu'ils négocioient la paix ,
les Hollandais u'avoient pas laissé d'armer et de leur
jtorendre la ville de Rhinberg , le duc de Lorraine
seul, courant et se précipitant en sa ruine, oubliant
encore une fois tous ses traités avec le Roi , et vou-
lant obliger Sa Majesté, contre sa propre volonté , à
le perdre , arme, offense les alliés de Sa Majesté, et
entreprend , contre sa parole , de défendre par ses
armes trop foibles la maison d'Autriche qui n'étoit
pas lors en bon état.
Le Roi tint tout l'hiver une armée en garnison sur
ses frontières , pour être toujours prêt à défendre ses
alliés^ Saint-Chamont, qui en avoit le commande-
ment, ayant eu avis le 20 janvier que quelques
troupes espagnoles s'étoient saisies des villages de
Rcvin et Fumay dans les Ardennes, appartenant
à rélecteur de Trêves, et qu'elles avoient dessein de
s'y cantonner et fortifier , partit de Mézières, où il
s'étoit avancé avec partie de l'armée du Roi , pour les
allikr reconnoitre; mais lesdits Espagnols, ayant été
avertis (^ son dessein , abandonnèrent lesdits lieux ,
et se retirèrent la nuit avec désordre pour la crainte
qu'ils euAht d'être chargés et taillés en pièces.
Depuis , ledit archevêque ayant , au mois de mars ,
demandé assistance contre d'autres troupes espagnoles
qui saccageoient son pays vers Coblentz , Sa Majesté
le secourut puissamment et l'en délivra. Et le comte
de Mérode étant , dès le commencement de mai , en-
tré dans ledit archevêché avec des troupes e9pa-
DE RICHELIEU. [l633j 87 I
gnolcs qu'il vouloit faire rafraîchir, et y former un
corps darmde, le sieur de Saint-Chamont, qui étoit
vcuu à la cour, en ayant nouvellea., en part en dili-
g(»nce , se rend au camp de Trêves vers le ^o du
mois, et envoie prier MdrodQ de se retirer hors des
K(nts dudit Electeur, qui ëtoient en la protection dit
Roi , afin de ne lui donner pas lieu de les en faire
sortir de force comme il y étoit résolu. Il donna sans
y penser, le a8 mai, en attendant la réponse, quar-
lier à ((uelques cornettes de cavalerie de Tarmée de
Sa Majesté , aux mômes lieux où il y en avoit de celles
dudit comte logées, lesquelles, s'étant rencontrées
audit logement, s'attaquèrent les unes les autres, en
sorte qti'il y demeura environ cinquante des ennemis,
trois cornettes et quelques prisonniers , que ledit sieur
do Saint-Chamont renvoya le lendemain audit Më-
rode , qui ensuite se retira dans le Luxembourg.
Mais Saint-Chamont ayant reconnu, allant à Trêves,
que la ville et château de Freidembonrg , situés sur
le grand chemin de Metz, étoient occupés parles
P^.spagnols , quoiqu'ils fussent à l'électeur de Trêves,
et que la garnison qui étoit dedans faisoit des courses
sur ses sujets, et empéchoit la liberté du passage, j^flt
avancer une partie de l'armée du Roi, avei^ laquelle
il assiégea la place, qui se rendit trois jours après.
Ce qui étant fait, il tira l'armée de Sa Tirajesté des
torres dudit Electeur, lui laissant les troupes qu*il
lui demanda pour sa sûreté. Il fut néanmoins, en
(]uel(|ue façon, mécontent de l'archevêque, ponrce
({u il étoit ou en telle défiance des troupes de Sa Ma-
jesté , ou avoit tant de crainte que les Espagnols Tac-
cusasscnt de trahir l'Empereur , et remettre ses places
24.
372 [l633] MÉHOIRES
en la puissance absolue du Roi , qu'il ne voulut pas
souffrir qu'on laissât en la ville de Trêves une gar-
nison si forte que Saint-Chamont dësiroit. A quoi il
fut contraint de consentir, bien qu'il prévit le mal
qui en devoit arriver , parce qu'il avoit reçu comman-
.klement du Roi de se conformer entièrement à la vo-
lonté dudit Electeur, lequel néanmoins ne put éviter
ce qu'il craignoit, car les Espagnols ne laissèrent pas
de lui imposer malicieusement qu'il avoit trahi l^m-
pereur *, et une des grandes plaintes qu'Olivarès fit à
Bautru fut celle-là , que le Roi s'étoit saisi d'un État
qui étoit en la protection d'Espagne.
Bautru lui répondit sagement qu'il faisoiteomme
ces larrons qui crioient les premiers aux voleurs ^
qu'il étoit très-notoire à tout le monde que ce pauvre
prince électeur avoit été persécuté par les Espagnols
depuis plusieurs années , de telle façon qu'ils lui
avoient ôté toutes les fonctions de prince souverain
et de pasteur de l'Église, en le chassant de sa ville
métropolitaine , mettant garnison dans Trêves , sup-
portant la rébellion de ses vassaux contre son auto-
rité , et soutenant les chanoines contre sa dignité ;
qu^l n'en falloit point de meilleure preuve que de
considérer que , tant que Trêves avoit été en leur
pouvoir , il ne lui avoit pas été possible de mettre le pied
ni dans s#ville ni dans son église , et que , dès lors
que nous y avons eu pouvoir , nous l'avions rétabli
en sa puissance temporelle et spirituelle , chassé ses
rebelles de la ville , et ôté ceux de son clergé qui ,
contre les lois divines et humaines, nioient l'obéis-
sance à leur prince et à leur évêque 5 que , si nous
avions chassé un curé de sa paroisse en quelque lien
UE RicncLiEu. [i633J 873
du monde que ce pût être , les noms d'anathéme ,
d'excommunié et d'hérétique ne seroient faits que
pour nous ; que , quant à ce qu'il disoit qu'il étoit en
leur protection, nous ne Pavions jamais ouï dire;
mais quand ainsi seroit, que les souverains ecclésias-
tiques étoient généralement en la protection de tous
les rois catholiques, et particulièrement celui-là qui
étoit notre voisin si proche, et qui ne pouvoit tirer
aucune protection ni de l'Empereur ni d'eux contre
le roi de Suède, puisque ni l'un ni l'autre n'avoient
su protéger leurs propres intérêts contre ce con-
quérant.
Le duc de Lorraine , voyant les aflaires du Roi en
son voisinage en ce florissant état, ne laissoit pas de
commettre cependant toutes sortes d'infidélités con-
tre le Roi et d'infractions aux traités qu'il avoit faits
avec lui , espérant être si fin qu'il tromperoit les plus
clairvoyans , et ne manqueroit jamais de couverture
et de réponses apparentes aux justes plaintes que le
Roi pourroit faire contre lui, ne sachant pas que les
excuses d'un prince foible contre un plus puissant
doivent être de bon aloi pour être reçues, et qu'il
faut avoir pour vaincre, ou la justice ou la force de
son côté.
Il commença à tromper dès aussitôt qtfil eut fait
le dernier traité avec le Roi à Liverdun,car le maré-
chal d'Efiiat ayant pris ses troupes à la solde du Roi
pour les mener en Allemagne, le duc de Lorraine
leur ayant donné le mot du guet, elles se dissipèrent
en moins de quinze jours , excepté le seul régiment
(le Querquoy à qui il s'étoit oublié de faire parler*
Ce qui rendit cette fourbe, manifeste , fut que ces
4
3;4 [l633J MÉMOIRES
«
mêmes troupes-là furent incontinent recutillîes par
Montbalon lorrain, et menées au service de TEm-
pereur ; mais , de malheur pour lui , étant rencontrëes
en Alsace par les rhingraves , elles furent toutes
taillées en pièces , et Montbalon tué sur la place.
Le maréchal d'Effiat étant mort, Querquoy ne fut
pas plutôt de retour en Lorraine que so^%iment
fut licencié par le duc, qui le donna sur-le-champ à
La Vervaine, soldat de fortune lorrain, qui le mena
encore en TÂlsace où il fût défait par les Suédois»
Depuis le commencement de Tannée il avoit fait à
plusieurs fois de grandes levées de gens de guerre,
lesquelles aussitôt après il licencioit sur se^fron-
tières, et les ministres de l'Empereur ou du r^WEs-
pagne , qui en étoient proches , les recueilloient. ^
Quelquefois il leur laissoit faire ouvertement des le-
vées dans ses Etats , dans lesquels le comte de Moq-
tecuculli , lieutenant général de l'Empereur en la
haute Alsace, et Bentivoglio furent trois mois en*-
tiers pour ce sujet* Le régiment entier de Florin -
ville , qu'il fit semblant de licencier h la façon accou-
tumée , étoit en garnison dans Brisach. Il essaya de
se défendre de ces contraventions , disant que comme
il permettoit aux Impériaux de faire des levées en son
pay^ il le permettoit aux Suédois^ et Ville dit au Roi
que dans Nancy il y avoit un colonel suédois qui
faisoit des levées pour leur parti, ce qui étoit très-
faux, car le colonel dont il parloit étoit un nommé
Dubois, Français de nation, d'auprès de Fontenay ,
qui avoit servi en Allemagne avec beaucoup d'hon-
neur, y avoit gagné 20,000 écus qu'il avoit confiés à
Querquoy son ancien ami, et venoit, sur la foi pu-
DE RICHELIEU. [l633J ^75
blique , oidonner ce q«*il vouloit être fait de son ar-
gent. En tfen retournant de Mancy il fut^aaassînë, k
deux lieues de LunëviUe, par un capitaine de ies
chevau -légers nommé Ambreval , deux ou trois des
gardes dudit duc et un exempt nommé Guenaull.
Ambreval partit le soir exprès d'aaprès du duc
pour alUupummettre ce méchant acte , et retourna
dès le lendemain , monté sur un des chevaux du mort.
Guenault montroit effrontément sa montre, et les
gardes portoient publiquement les habi^ et la ca-
saque du défunt. Voilà comment les sujets et aUîés
du Roi étoient bien venus près dudit duc ^ mais^ ne
se contentant pas encore de cela , il envoya le com-
missaW général de ses troupes pour surprendre
Molshcin , et ayant fiiilli celte entreprise il alla sac»
cager le territoire de Strasbourg , et fit le^mblable
dans les terres des ducs des Deux-Pontseruu comte
(le Hanau, et depuis, non-^eulement encore envoya
des troupes pour ruiner les terres du comte de Naa^
sau-Sarrebruck, mais vint jusqu'à Blamont conférer
avec le comte de Salin et des gens de Walstein pour
tirer assurance d^eux d*étre secouru et remis dans
les places qu*il avoit consignées au Roi , et obtint par
eux de TEmpereur la confiscation des biens et Etats
de tous les petits princes ses voisins qui avoientVM
en rassemblée de Heilbron, et se fit même donner
par TEmpereur les villes de Saverne et de Dachstein
sous un faux prétexte d'une somme de deux cent
mille risdales qu'il prétendoit être due par FEmpe-
rcur au feu cardinal duc de Lorraine son oncle, pour.
la dépense imaginaire par lui faite en la défense de
rcvéclié de Strasbourg contre Tnn des princes do
*
3^6 [l633] MÉMOIRES
Brandebourg , et y iit consentir Horn moyeiinaut de
Targent qu'il lui donna. Mais en même te^Êtps qu'il en
fut maître il licencia ses troupes et en fit lever d^autres,
qui toutes allèrent joindre le comte de Salin , qui alla
droit à Haguenau, et coupa la gorge à cinq cents
hommes que le maréchal Horn y avoit laissés , en
ayant emmené le surplus de la garnison ÉBi^a foi du
duc de Lorraine , puis fit un traité avec l'Empereur
pouria ville de Haguenau, laquelle Sa Majesté Impé-
riale lui cédoit avec les dépendances de la prévôté
impériale qui comprend dix villes , desquelles l'Em-
pereur n'eût pas été si libéral en son endroit s'il n^eut
été joint à ses intérêts contre ce qu'il avoitjpromis
par ses traités ; et comme si ce n'eût pas ëm assez
d'avoir intelligence avec l'Empereur contre le Roi,
il l'avoit immédiatement avec les Espagnols.
Bussy avoit mandé de Trêves qu'il étoit passé un
gentilhomme dudit duc chez le comte Brankenheim,
qui alloit trouver les électeurs catholiques pour leur
proposer d'entrer en une ligue entre la maison d'Au-
triche, lui duc de Lorraine et les princes d'Italie,
contre le Roi et ses alliés.
C'étoit aussi une chose toute manifeste qu'il avoit
plusieurs fois envoyé cette année acheter des armes
arf Liège , les envoyant de Nancy à la Franche-Comté
avec ses passe-ports, pour armer la cavalerie et iofan*
terie qui s'y étoit levée par le comte d'Arbert , La
Tour et le marquis de Varambon , et le Roi avoit des
avis certains qu'on lui avoit remis de grandes sommes
de deniers de Milan pour toutes ces dépenses. •
Dans le cours de ce procédé si ennemi , il ne laissoit
pas de se plaindre des Suédois, qu'il supposoit exercer
DE RICHELIEU. [l633] 3^^
des hostilités en son pays , ce qai étoit entièreménl
faux ; car dlÉiepart il crioit contre Birckenlbld et les
rhingraves, comme s'ils brâloient tont son pays; et
d'autre côté, il traitoit et négocioitpar le sieur de
Ville avec eux qui ëtoient bien loin de Jfi Lorraine,
Tun à Heidelberg et les antres sur les confins des
Suisses , ou ils prirent quatre places qui ëtoient il
la maison d'Autriche , et revinrent faire le blocus de
Brisach. W
Il feignoit d'antres fois que les Suédois s'étoient ap-
prochés de Saint-Dié ; ce qui étoit certainement faux ,
aussi bien que la défiiite de la compagnie de Bronze ,
qui ne perdit pas nn homme. Il envoya d'une part
demander secours au sieur de Saint -Ch^ont qui
étoit à Trêves , et d'autre côté , se moquant de lui ,
publioit au même temps que son armée étoit m foible
qu'elle ne se pouvoit pas défendre elle-même , et qu'il
n'en reviendroit jamais nn homme en France. Ce qu'il %
iit bien paroitre en la réponse froide qu'il fit à Sa
Majesté quand elle lui envoya offrir son entremise
pour le remettre bien avec les Suédois , lesquels il
traitoit tellement en ennemis qu'il faisoit voler ou
tuer tous les Français qui alloient se joindre à eux.
Et en mai un nommé Spalingue, qui leur meno^
trente ou quarante maîtres, fut si rudement accueiuP
par les siens au passage des moi^gnes de Saveme ,
qu'à peine se put-il sauver lui cinquième.
Ce mauvais et infidèle procédé obligea les Suédois
à faire au Roi plusieurs plaintes de lui , et accuser la
trop grande doucenr de Sa Majesté en son endroit , -
de laquelle ils le supplioient considérer qulf n'étoit
pas raisonnable qu'ils reçussent du dommage, et leur
378 [l633J MÉMOIRES
permettre de raeltre ce duc en cilat qq.% Favenir U
fut încafÉble de leur nuire. r-'
Le Roi ëtant aussi assuré qu'il avoit des iateili-
gences secrètes avec Monsieur , qae les siens étoient
tous les jouy cachés à Nancy, avec lesquels il avoit
des conférences, puis les renvoyoit , Sa Majesté, pour
apporter quelque remède à ces maux, trouva à pi*opos
de lui envoyer le sieur de Guron après ravoiriiifonné
de toutes ce^hoses.
Elle lui commanda de représenter de sa part audit
duc les plaintes que lui faisoient coHtinuellement \e$
princes ses alliés en Allemagne, des torts qn'tls rece-
voient journellement de lui, et lui dire qu€ Sa Ma-
jesté étoi| bien marrie qu'il ne se rendoit plus soi-
gneux à conserver l'avantage que lui apportoit sa
protection , et qu'il ne demeuroit plus ferme eo sa
promesse contenue si clairement au traité quUi avoit
» fait avec Sa Majesté , le laissant parler sans lui décla-
rer si le Roi se résolvoit ou non de continuer sa pro-
tection , lui faisant plutôt espérer que s'il rentroit en
son devoir, Sa Majesté, qui le vouloit sauver malgré
lui ,emploieroit son autorité pour le préserver du niai
qu'il se procuroit;
Que s'il dénioit ou vouloit excuser les actions qu'on
lui imputoit, l'évidence et la mauvaise foi se pou-
voient aisément prouver •,
S'il disoit, selon son ordinaire, qu il étoit tout prêt
de joindre ce peu de troupes qu'il avoit avec celles
du Roi, ou d'en lever de nouvelles pour cet effet, le-
dit Guron, sans accepter son offre, diroit qu'il en
donncrëil avis à Sa Majesté, et cependant lui conseil-
leroit de ne point lever pour n'accroître point les
DE RICHELIEU. [l633] 879
ombrages, montrant qu'en cela il n'avoit autre égard
(ju'à 1 intérêt fludil duc. Mais il ajouteroit qiit le Roi
savoil bien que les protestans ne se contenteroient
pas de SCS paroles , qu'ils avoient vues souvent être
suivies d'effets contraires, et qu'ils voudrpient avoir
(lus niar(|ues certaines que ledit duc ne voudroit et
ne ponrroil plus leur nuire, et feroit venir le discours
à ce {)oint que M. de Lorraine proposât de lui-même
que, y ayant grande apparence que leH^rotestans ,
voyant mal volontiers entre ses mains Haguenau et
Saverne dont ils recevoient tant de dommage, même
Ibignenau leur ayant^té ôté par surprise, voudroient
ravoir ces places ;
(^)ne si ledit duc continuoit la propositiou qu'il
a voit faite par le sieur de Ville de les remettre entre
les mains du Roi , ledit C^uron sans témoigner chaleur
|)riM)droit sa parole et Tengageroit dans l'attente de
la réponse du Roi , ajoutant qu'encore qu'en venant ,
en Lorraine il n'eût pas pensé à cela, il trouvoit
celle ouverture ulile pour garantir d'un grand orage
la religion calholique en ces quartiers-là, et même
lis Ltats dudit duc;
(^)u'il reconnût le plus exactement qu'il lui scroit
possible ses desseins, ses préparatifs de guerre , en
(juel état éloit Nancy, ce qu'il pcnsoit à l'égard de
Monsieur , frère du Roi : s'il parloildu bruit qui avoit
(onru ensuite du voyage de Delbène, il lui diroit
n en être pas informé , mais qu'il savoit bien que
^[onsieur ne pourroit jamais faire une meilleure ac-
tion pour son propre bien que de se réconcilier avec
le Roi , qui étoit en état qu'aucun ne lui péarroit
f.iire mal , et (ju'il ne plaignoit que celui que se fai-
38o [l633] MÉMOIRES
soient ceux qui Véloignoient de ses bonneâ grâces par
mauvais conseil -,
Qu'il écriroit promptement au Roi ce qu*il auroit
remarqué des intentions de M. de Lorraine , et se
tiendroit prj^t de partir sur les premières réponses de
Sa Majesté , n'étant pas à propos que ce voyage durit
long-temps ^
Qu'il n'oublieroit pas de faire entendre au âne de
Lorraine letort qu'il avoit de ne permettre pas la le-
- vée des contributions sur Nomeny et Saint-Avold ,
comme l'Empereur les avoit levées 5
Qu'il verroit le prince de Salin , gouverneur de
Nancy , et essaieroit de reconnoître sa véritable dis-
position au service du Roi , en quoi il s'y conforme-
roit, l'assurant de la bonne volonté de Sa Majesté,
et lui faisant espérer le paiement de sa pension.
Ledit Guron partit le 8 ou 10 de juin , et fut très-
mal reçuàNancy, où, auparavant qu'arriver, il en-
voya au sieur Fournier un de ses secrétaires d'État ,
savoir 011 étoit ledit duc. Il mena au grand-maitre
celui qu'il lui envoyoit , lequel pour réponse lui dit
qu'il savoit bien son arrivée , mais qu'il n'avoit point
d'ordre de son altesse d'envoyer des carrosses le rece-
voir comme aux autres voyages , ni de le loger ; que
néanmoins , d'office il lui feroit accommoder à souper
à lliôtel de Salin, et un lit; que cependant ilpouvoît
aller descendre à une hôtellerie, où n'ayant vu per-
sonne de la part ni du grand-maître ni du duc , mais
seulement un homme inconnu qui le vint convier de
la part de la duchesse d'aller souper à l'hôtel de Sa-
lin , où il y avoit un lit pour lui , il s'en excusa. Lé
lendemain , ayant demandé au sieur Fournier où étoit
DE RICHKUBU. [l633J 38 1
le duc, il reçat poar réponse qa'il étoît tantôl en an
lieu et tantôt en un antre /et qu'il ne pouvoit pas lui
dire précisément où il le pourroit trouver. Ledit
Guron considérant ce mauvais traitement , joint que ,
dès que le duc avoit su son partement de la cour , il
avoit commencé à armer avec grande précipitation et
envoyé plusieurs personnes à Mérode et autres gens
de TEmpereur , il crut pour l'honneur du Roi être
obligé de partir de Nancy et de s'en aile? à Metz, où
étant arrivé il donna avis à Sa Majesté de ce qui s'étoit
passé ;
Que le duc de Lorraine prenoit pour prétexte de
son armement que c'étoit pour se défendre des Sué-
dois, lesquels il n'avoit nul sujet d'appréhender, le
duc de Weimar étant delà le Danube d'un côté , et
Horn de Tautre, et qu'il n'y avoit vers l'Alsace que
les Otto , oncle et neveu , lesquels avoient peu de
forces , où au contraire MontecucuUi , Mérode, Ossat,
Nassau et autres, se fortifîoient tous les jours, et dans
les terres mêmes du duc de Lorraine.
II manda aussi que le sieur Jeannin, qu'il avoit ren-
contré à Clermont, lui avoit fait de grandes plaintes
sur le traité de Liverdun, disant' qu'il avoit été fait,;
disoit-il , la dague à la gorge , qiAs étoient dans la
chambre du cardinal où ils signèrent ce qu'on vou-
lut ; que Clermont étoit un fief de l'Empire inalié-
nable \ que son maître l'avoit envoyé là pour faire ce
que le Roi voudroit , mais qu'il ne prendroit poinc
d'argent, que le traité en l'exécution pourroit tirer de
fâcheuses conséquences , et qu'il seroit plus honnête
et utile de n'en user pas de la sorte pour plusieurs
mauvais événemens qui s'en pourroient ensuivre ; ce
3fi2 [l633] IIÉMOIRES
qui donnoit un assez évident témoignage des mauvais
desseins du duc en sou aîhnement.
Quelques jours après que le sieur de Guron fot
paru de Nancy, le duc lui envoya Chamblay et Foor-
nier avec une lettre pleine d'excuses de ce qui s'ëtoit
passé. Il leur répondit qu'ils les fissent au Roi , deqai
il reçut commandement peu après de retourner troo-
ver ledit duc.
Sa Majesté , voyant sa mauvaise foi , jugea qu'il éUÀi
à propos de Tobliger de lui rendre rhommage qu'il lui
de voit de droit pour le duché de Bar, et qu'il avdt
promis encore de rendre par le traité de Liverdon^
mais le duc ayant témoigné par sa réponse qu'il re-
cherchoit les moyens d'esquiver de le faire , elle k
fit ajourner en son parlement de Paris, pour voir
réunir ledit duché à sa couronne , à faute d'hommage
rendu. La cour Tordonne par arrêt, et Texécution en
fut commise au sieur de La Nauve, conseiller en
ladite cour.
Le Roi, qui avoit été à Forges prendre des eaux,
revient à Chantilly, d'où il envoya en son armée une
ordonnance pour l'y faire publier, par laquelle il
commandoit à tous les ofliciers , tant de cavalerie que
d'infanterie, de se rendre en leurs charges dans le
8 août pour tout délai , et y faire une actuelle rési-
dence , à peine de privation de leursdiles charges.
De là il s'avança à Monceaux, qui étoit le chemin de la
Lorraine. Étant là il recevoit tous les jours divers
avis par Guron de la continuation du mauvais pro-
cédé du duc de Lorraine , qui, en apparence pour se
défendre des Suédois , desquels il n'avoit nui sujet de
craindre, mais en effet pour se fortifier contre le Roi ,
DE RicnELiEU. [i633] 383
avoitscptàhuil mille hommes de pied et quinze cents
chevaux ensemble, en es|^rauce que le duc de Feria,
qui éloit parli dllalie et avoit passe par la Valteline
avec une grande armée, le viendroit secourir, les
autres Iroupes espagnoles et impériales, qui ëtoient
dans le Luxembourg et dans TAlsace , se venant
joindre à lui.
Ces choses donnèrent sujet au Roi de se résoudre
d'aller en Lorraine: le bruit en courut incontinent,
<{ui vint aux oreilles du duc, qui, quelque assuré qu'il
feignit élre, eut peur de son approche, et lui dépécha
un courrier, sur la fin de juillet, qui ne portoit que
des plaintes contre les Suédois , pour se défendre des
menaces et invasions desquelles il disoit être armé.
INIais Sa Majesté étoit bien avertie de Guron qu'il
feignoit d avoir été menacé des Suédois , et tout^U
menace navoit abouti à autre chose, sinon queRant-
zau, 1 un de leurs colonels, lui écrivit de Strasbourg
au mois de juin, se plaignant des infractions conti-
nuelles qu il faisoit aux traités particuliers qu'il avoit
avec eux, et les assurances que le Roi avoit données
de lui. Il cote lesdites infractions, et le prie de lui
dire nettement son intention, ne lui pouvant celer
que si toutes les levées de gens d^guerre qu'il faisoit
pour Tennemi, et toutes les conférences qu'il avoit
avec eux continuoient, il avoit ordre de les empê-
cher et de battre les ennemis en quelque lieu qu il
les piit trouver-,
(^)ue le duc, le voyant parler si déterminément ,
lui avoit donné contentement, de sorte que Rautzau
I étira ses troupes d'où elles ëtoient, et les employa
ailleurs ;
384 [^63^] MÉMOIRES
Que les Suédois s'étant approchés aussi de Saint-
Dié , mais seulement pour demander un de leurs offi-
ciers criminels qui s'y éloit sauvé , qu^il leur avoit
donné satisfaction sur ce sujet, de manièrie qu'il ëtoit
délivré de toute juste appréhension qu'il eût pu avoir
d'eux. Davantage , qu'il se plaignoitde grands ravages
qu'il supposoit avoir reçus d'eux en ses terres, et que
tous ces ravages se terminoient à une abbaye en Al-
lemagne qui appartenoit à l'un des siens , suflragant
de Toul , en laquelle quelques Impériaux s'ëtant re-
tirés , faisoient de là mille voleries : quelques troupes
suédoises passant par là les prirent et brûlèrent la
maison ; et bien que le duc de Lorraine eût accom-
modé cette affaire avec eux six jours auparavant qu'il
sût la venue de Guron , il ne laissoit pas , sons ce
prétexte-là et quelques autres , de fortifier ses troupes,
lesquelles il grossissoit pour une autre fin. Il donna
avis au Roi d'une autre fourbe du duc ; car il avoit
envoyé toutes ses troupes à Saverne pour s'opposer
aux Suédois qui assiégeoient Haguenau , que son man-
quement de foi leur avoit fait perdre ; et non content
de cela, et bien éloigné de se vouloir mettre en état de
bien vivre avec eux, il avoit, au même temps de Tenvoî
de son courrier au Roi, envoyé l'un des siens à Florin-
ville , qui commandoit ses troupes , avec ordre qu'à
quelque prix que ce fût il combattit, et essayât, avant
que le Roi se pût mcler de pacifier leurs différends, de
les avoir défaits à plate couture, ne considérant pas
que, comme l'attaque qu'il leur feroit offenseroit le Roi,
si elle ne lui réussissoit pas il se mettoit entièrement
à sa discrétion et son État en compromis.
Sa Majesté ayant su toutes ces choses , et même
DE EICSBUEU. [l633] 38S
que les troupes da dac ëtoient composées d*uu boâ
nombre de Français , envoya un ordre au sienr de
Saint-Chamont de les rappeler , lui commandant de
faire publier ledit ordre par un trompelte dans tons
les Elats dudit duc, auquel Sa Majesté écrivit aussi
({u elle avoit besoin de ses sujets qui porloient les
armes avec lui, et qu'elle désiroît qu'il les lui ren-
voyât promptement et sûrement.
Et pource que Guron avoit mandé, du premier août,
que La Vaupot avoit été caché quelques jours dans
Nancy et en étoit parti ce jour-là, qu'il avoit demandé,
(le la part de Monsieur, la princesse Ifarguerite , la«
((uelle la plupart ne nioient plus être sa femme , el
qu'il avoit promis , de la part de Monsieur , au duc de
ne l'abandon ner jamais, quelque accord qu'il fûtaol-
licilé de faire avec le R(m , et que le marquis de Ce-
lade , que le roi d'Espagne avoit envoyé en Lorraine
sous prétexte de se condouloir de la mort de M. de
Vaudemont, lui avoit aussi promis tonte sorte d'as-
sistance de la part de son maître si le Rei l'attaquoif ,
et de lui (aire restituer les places que Sa Majesté avoit
en dépôt ; le cardinal dit à Sa Majesté , le lo août,
qu'il y avoit apparence qu'il s'étoit armé k cette fin ;
que les Espagnols étoient bien aises de précipiter
Vun et l'autre en toute extrémité, perce qu'encore
qu'ils prévissent bien leur perte , ils connoiasoient
({ue l'occupation qu'ils nous donneroient leur sereît
avantageuse^
Qu'il n'y avoit que deux moyens pour ticher de
rompre cette affaire, ou par négociation on par force}
Que la n^odation seroit sans effet si on ne doiK
noit une place frontière à Monsienr, aoquel cas il
T. 27. aS
386 [i633] MÉMOIRES
seroit plus fort pour Texëcution de son mariage et
plus lie avec les Espagnols , qui ne demaiidoient que
cela pour nous troubler ;
Que pour rompre cette aflaire par la force, il n'étoit
question que de battre M. de Lorraine et défaire ses
troupes bien à point ;
Que pour le faire avec facilité, il le falloit entre-
prendre promptement devant qu'il se fortifiât da-
vantage.
Partant, qu'il estimeroit à propos de mander ao
sieur de Saint-Chamont, si la cavalerie étoit arrivée,
et partie des recrues et régimens qu'il attendoit,
qu'envoyant demander au duc , par un trompette,
les Français qui étoient dans ses troupes , il marchât
le même jour et allât droit à lui, faisant au même
temps publier partout que les Français , tant dlnfan-
teriequede cavalerie, seroient reçus et payés dans
Tarmée du Roi *,
Qu'il seroit à propos d'envoyer, pendant qu'on as-
semblcroit l'armée , un homme de créance à Bircken-
feld , pour lui dire que le Roi se tenoit si oflensé des
actes d'hostilité que ledit duc avoit faits contre les
Suédois, au préjudice des traités faits avec lui^ que
Sa Majesté s'étoit résolue de faire avancer dans son
pays son armée pour réprimer et châtier sa perfidie
et mauvaise foi , qu'il le convioit de faire le même
de son côté ^
Que si quelques-uns pensoient qu'il y allât aucune-
ment de l'honneur du Roi de ne surprendre pas M. de
Lorraine, les oflenses ouvertes qu'il commettoit contre
le Roi lavertissoient assez , sans qu'il fut besoin d'une
dénonciation ouverte de guerre , joint que le trom*
DB aiGEEUsn. [i633] 387
pettc qu'on lui enverroit pour demander les Français
préviendroit toute hostilité ouverte.
Si on disoît qu'il n'étoit plus temps de faire le siège
de Nancy, la réponse étoit qu'on n'entreroit pas à
cette (in dans les États de M. de Lorraine , mais seu-
lement pour rompre et dissiper ses troupes, et lui
ôter le moyen de dédarer le mariage de Monsieur et
faire plus de mal ^
Que si Toccasion donnoit plus beau jeu qu'on ne
})ensoit , on entreprendroit le blocus de Nancy si on
lestimoit à propos;
Qu'il y avoit à considérer si on attaqueroit M. de
Lorraine , quand même Birckenfeld n'auroit pas pou-
voir de le faire.
On estimoit qu'il falloit, premièrement que de rien
faire , prier Birckenfeld d'être de la partie , allepjus-
qu'à Francfort pour en rechercher l'ordre d'Oxens-
tiern s'il en étoit besoin.
On estimoit, de plus, qu'il ne fâlloit point entre-
prendre le blocus de Nancy qu*avec les Suédois; mais
on croyoit que, quand même on nepourroit si promp-
tcment ajuster les intentions des Suédois avec celles
du Roi , on pouvoit entreprendre de dissiper et ruiner
les troupes de M. de Lorraine par la présence du Roi
seule , avec beaucoup plus de fruit que de péril ;
Qu'on ne voyoitrien àcraindredesforcesdnditduc;
Que s'il tenoit la campagne devant le Roi on le
hattroit assurément; s'il s'enfermoit on le consa-
meroit par un blocus non lié; et, par quelque fSiçon
c|ue la dissipation des troupes de M. de Lorraine
arrivât , le dessein de Monsieur et des Espagnols
écboueroit de ce cêté>Ui;
25.
388 [i633] MÉMoiBEs
Que si le Roi prenoit la résolution qne dessus , il
falloit mander à M. de Saint-Chamont qu'il la tîat
du tout secrète , et qu'il amassât Farmée sous pré-
texte d'en faire une revue générale , et publiât qu'il
ne croyoit pas qu'il eut rien à faire, parce qu'il es-
timoît que M. de Lorraine feroit obéir le commis-
saire du parlement dans le Barrois, auquel cas ils
n'auroient point à manger les gerbes du Barrois.
Les choses ayant été agréées de Sa Majesté, et ayant
été écrit conformément au sieur de Saint-Chamont,
Sa Majesté commanda encore , le i4 août , qu*il lui fût
fait une autre dépêche , par laquelle elle lui mandoît
que, puisque l'armée du duc de Lorraine ëtoit au-
delà des montagnes vers Saverne , d'où il falloit
qnatre journées d'armée pour revenir gagner Nancy,
le meilleur dessein qu'il put faire pour son service
étoit de se mettre entre Nancy et ses troupes pour
les empêcher d y rentrer ; ce qu'il feroit facilement
s'il se saisissoit du logement de Saint-Nicolas , et y
tenoit le corps de son armée ; et que , pour exécuter
ce dessein , il ne falloit autre chose que secret et di-
ligence , afin de prévenir le duc et être rendu à Saiut-
Nicolas avant qu'il put prévoir ce qu'il voudroit faire ;
Que , si cette entreprise réussissoit , le duc ne pou-
voit garantir ses troupes d'être combattues et défaites,
ou par les armes de Sa Majesté ou celles des Suédois,
qui assurément les poursuivroient quand elles leur
verroient tourner tête.
Elle lui commandoit aussi d'envoyer le même jour
qu'il partiroit un homme de créance au prince de
Birckenfeld, pour l'avertir de son dessein, et de char-
ger les troupes de Lorraine quand elles délogeraient ;
DE AIGUBUBU. [l633J 38^
mais que cependant il marchât toujours sans attendre
sa réponse , puisqu'il ëloit seul capable de battre do
plus grandes forces que celles dudit duc ;
Que y dès qu'il partiront pour entrer dans la Lor»
raine , il dit à tout le monde qu'il ne s*y avançoit que
pour faire voir aux Suédois que Sa Majesté n'appron-^
voit pas les actes dliostiiité que le duc de Lorraine
faisoit contre eux , au préjudice de la foi qu'il avoit
donnée ;
Que s'il combattoit les troupes du duc, il avouai
qu'il n'en avoit pas de dessein formé, mais seulement
de justifier aux Suédois ce que dessus , et que Im
troupes do duc s'étant trop approchées de lui , il avoit
été obligé de le combattre de peur que les Suédois ne
pensassent qu'il ne fut en intelligence avec ledit due;
Que si étant à Saint-Nicolas il apprenoit que les-
diles troupes vonhissent tenter un autre chemin pour
entrer dans Mancj , il allftt droit à eux , conservant
toujours le passage de Saint«*Nicolas ^
Qu'enfin le dessein principal de Sa Majesté éloit
de défaire les troupes de ce duc , comme étant le seul
moyen de réduire son pays en sa discrétion , et se
ressentir de tant de perfidies que ledit duc avoit fiiites,
tant à Sa Majesté qu'à ses alliés. Mais, tandis que Sa
Majesté donnoit ces ordres, et qu*elle étoit en peine
de dé&ire ses troupes , elles s*éU>ient défiiites d'elles^
mêmes par l'imprudence du dncj car Florinville»
voulant exécuter son commandemeut , fut battu et
défait à Haguenau par les Suédois.
Ils voulurent aller attaquer lesdits Suédois à Ht»
guenau le 1 1 août, et envoyèrent devant le régimeakl
de Gatinois avec deux pièces de canoiQ pour battro
390 [i633] MÉM01BE8
la ville dePfafTenhofen, croyant la prendre en chemin
faisant , comme il y avoit grande apparence , n'y ayant
que deux cents paysans dedans et les murailles très-
mauvaises. Mais, comme le peu d'ë ta t qu'ils faisoient
de cette place les rendit moins soigneux et vigilans
qu'ils ne dévoient être , lesdits paysans leur vinrent
dès le point du jour donner une si furieuse camisade,
qu'ils mirent en fuite cinq cents Lorrains qui ëtoient
devant leurs portes, et prirent les deux pièces de
canon qu'on devoit pointer contre eux.
Et , en môme temps , ei}voyërent en diligence de-
mander secours à Birckenfeld, qui aussitôt avec
la plus grande partie de ses troupes vint au-devant
des Lorrains , qu'il rencontra dans une plaine proche
dudit PfafTenhofen.
A la première charge , la cavalerie lorraine , qui
ëtoit de plus de deux mille cuirasses , enfonça celle
des Suédois , qui n'ëtoit armée que de pistolets , et la
mit en déroute^ mais , d'autre côté , l'infanterie sué-
doise fut si bien conduite, que non-seulement elle re-
poussa et mit en fuite celle de Lorraine et prit leur
canon , mais aussi s'en servit avec tant de dextérité
contre la cavalerie lorraine, qu'elle la contraignit d'a-
bandonner le champ de bataille , leurs bagages et mu-
nitions , et regagner les montagnes en grand désordre,
quoiqu'ils ne fussent poursuivis que de deux com-
pagnies de cavalerie.
Il demeura sur la place vingt capitaines des gens de
pied lorrains , huit de chevau-légers , six à sept cents
morts, cinq pièces de canon, deux cents et tant de
chars de munitions , vivres et bagage , et plus de deux
mille mousquets que l'infanterie jeta par les champs ,
<
DU nicHELlEU. (^io;>«>j zyr
sans environ ccnl cinquante prisonniers , donl Sauve-
I)cuf et Kiancourt en éloient. Les Suédois n'y per-
dirent (|ue deux cents hommes et autant de blessés.
Ceux de Haguenaxi, avertis qu'on avoit quasi tiré
toutes les troupes pour aller au-devant des Lorraius,
firent une sortie sur le peu qui restoit, les mirent en
fiiite et brûlèrent toutes leurs huttes \ mais ils furent
Icrechef incontinent bloqués.
Colle nouvelle donna une si grande épouvante à
loute la Lorraine que tout fuyoit ^ le duc étoit à Lu-
névillc, doù il partit incontinent avec sa femme, et
arriva à INancy à dix heures du soir.
Ledit duc fit enlever le comte d'Ebcrstein, beau-
Ircre du comte de Linange-Westerbourg, de la maison
de i^rauenberg, entre les Deux-Ponts et Sarrebruck ,
laquelle il fit piller et saccager, ne laissant à la corn-
lesse sa femme quune chemise, et mena ledit comte
prisonnier avec sa robe de nuit , sans qu il eût jamais
rien à démêler avec M. de Lorraine ^ et sa maison
ayant toujours été à la dévotion de la France, il es-
pcroit que par l'autorité du Roi il seroit relâché.
Il donna , en même temps, à la princesse Margue-
rite 1 appartement de madame de Lorraine pour s'y
loger ^ déclarant par ce moyen , assez ouvertement,
bien que non de paroles, qu'on la traitoit comme
femme de Monsieur. Cependant, pour amuser le Roi
s'il pouvoit, il lui envoie le sieur de Contrisson pour
lui donner avis de cette défaite, laquelle il amoindrit
tant quil put, et fit incontinent après partir le car-
dinal de Lorraine, son frère , pour aller trouver Sa
Majesté pour excuser et colorer toutes ses fautes pas^
bées sans les avouer, et pour protester de sa fidélité»
igi [l633j MÉMOIRES
Sa Majesté , après avoir reçu la noavelle de celte
défaite 9 réécrivit à Saint-Chamont, et lui réitéra le
commandement qn'elle lui avoit envoyé de se saisir
du logement de Saint-Nicolas-, seulement changeâ-
t-elle Tordre qu'elle lui avoit donné d^attaquer les
troupes du duc qui avoient fait plusieurs actions
d'hostilité , d'autant qu'il y auroit eu peu d'honneor
à défaire des gens défaits , et lui manda que son inten-
tion n'étoit pas qu'on fit mal à tous ceux qui se sau-
veroient débandés, mais seulement qull les reçut
dans son armée où elle vouloit qu'ils fussent payés;
mais que si par hasard ils se rassembloient en un
corps de deux ou trois mille hommes qui voulussent
contrevenir à ses intentions et prendre leur passage
par force, en ce cas il leur empêchât par la force,
comme aussi qu'il fit battre la campagne pour empê-
cher que ceux qui voudroient aller à Nancy à la dé-
robée ne s'y pussent jeter.
Les Français qui étoient dans l'armée du duc, ayant
reçu le commandement de Sa Majesté de s'en retirer,
se rendirent en celle de Sa Majesté , qui partit de
Monceaux le i6, et alla coucher à Château-Thierry,
o^ le cardinal de Lorraine arriva le 1 8 et y vit le
Roi, et le lendemain le cardinal, avec lequel il eut
une longue conférence.
Le cardinal lui fit une énumération de toutes les
offenses que le Roi avoit reçues de son frère ; que
les infractions qu'il avoit faites contre le devoir qui
l'obligeoit , par la protection du Roi , de ne point fa-
voriser l'Empereur et ne point apporter du dommage
aux alliés de Sa Majesté en Allemagne, se réduisment
aux points suivans :
DE RICHELIEU. [l633J ig'i
Qu'il avoit baillé au comte de Salin des gens pour
surprendre Haguenau qu'il ravilailloit tourles jours;
On'il envoyojt du secours et donnott toute Tassis-
lance qu'il pouvoit aux gens de l'Empereur qui avoient
assiégé la ville de Dann, au pied des montagnes de
Lorraine vers Râle, et m(}me attiré quelque nombre
(le gens de la garnison de Saverne pour cet effet -,
(^u'il avoit fait avancer quelques troupes sous le
commandement du sieur Perrîquet, son commissaire
général , qui avoit fait entreprise sur Molshein, dont
il avoit envoyé force excuses par le sieur Foumier à
messieurs de Strasbourg, prenant prétexte qu'on
avoit volé des chevaux à ses sujets; sur quoi ceux de
Strasbourg avoient répondu que ce n'étoit pas la
forme entre voisins de surprendre des places et four-
rager le pays , pour deux ou trois chevaux en tout que
luelques voleurs sans aveu pouvoient avoir pris ;
(^ue le commissaire Hasso , qui étoit h l'Empereur,
et compagnon d'Ossa , levoit publiquement dans Sar-
gneminesqui est il M. de Lorraine, vers Sainl-Avold,
<|ui , depuis peu de jours, avoit pille et tué plusieurs
marchands qui alloientde Metz à Trêves;
Oue les grandes et perpétuelles conférences de
>L de Lorraine avec Montecuculli, Mérode et autres
gens de l'Emi^ercur, éloient publiques, comme aussi
les levées qu'il faisoit en divers lieux , en petites
troupes, qui alloient se joindre à celles des Impé-
riaux ;
(^)uc le sieur de Guron avoit envoyé une lettre
écrite par un des principaux colonels suédois au-
dit duc, par laquelle ledit colonel se plaignoit en
termes généraux des actes d'hostilité et voies de fait
<
'3g^ [l633] MÉMOIRES
qu'avoient exercées les soldats de M. de Lorraine
contre ceux du parti suédois ;
Qu'il se plaignoit aussi de la faveur, assistance,
logemens et sauf-conduits, qu'il donnoit au parti con-
traire , des levées qui se faisoient à toute heure en
Lorraine , qu'il présupposoit être faites pour assister
leur ennemi selon le bruit commun ;
Que le comte de Salm avoit été , il y avoit peu, près
ledit duc.
Sa Majesté étoit bien avertie que toutes choses
étoient contre son service , et que les principaux de
sa cour disoient assez manifestement que la trêve se
faisant en Flandre , laquelle ils tenoient lors pour
assurée, Monsieur en devoit emmener la plupart des
troupes pour joindre à celles dudit duc , chasser les
Suédois de l'Alsace , puis avec une grande armée ve-
nir en France 5
Qu'on étoit bien averti qu'en avril Le Coudray-
Montpensicr avoit vu la princesse Marguerite dans
Saint -Nicolas, après avoir vu de la part de son
maître Moutecuculli , qui faisoit des levées dans le
Luxembourg;
Que Saint - Chamont avoit surpris un nommé
Labadie qui avoit été à Bassompierre , et étoit lors k
Monsieur, qui l'avoit envoyé h Nancy d'où il reyenoit
chargé de lettres;
Qu'au mois de mai d'Ouailly avoit été cinq ou six
jours à Nancy près dudit duc ;
Que le i5 juillet Henance étoit arrivé à Luuévillc
de la part de Monsieur, et y étoit demeuré caché quel-
que temps -, qu'à la fin de juillet Le Coigneux avoit
passéà Nancy déguisé, et y avoit séjourné deux jours j
DK KicuELiBu. [i633] 3g5
<^>iron ëloit assure que M. de Lorraine avoit à
toulc heure des gens de la part de Monsieur, et
qu'entre autres Le Coudray y avoitëtë deux ou trois
l'ois ; qu'il avoit fait lever des troupes pour TEmpe-
reur , et que celui qui les commandoit les avoit re-
mises à M. de Lorraine, lequel, en pleine campagne,
les avoit données au jeune Bassompierre qu'il en avoit
fait colonel-,
Que Varinvilkî, gentilhomme de Beauce, quicom-
luaiuloit une compagnie de chevau-lëgers pour le
duc , avoit quitté son service sans son congé avec sa
compagnie , et s'étoit retiré à Metz, d'autant que le-
dit duc lavoit voulu forcer d'aller servir l'Empereur
avec sept autres compagnies qu'il lui envoyoit;
Que le comte de Salm avoit fait un vol près de
ifagucnausur des marchands de Metz, publiquement
et sans aveu;
Que le sieur de La Grange mandoit du 1 5 juillet,
que le chancelier Oxenstiern lui avoit dit que le rhio-
grave Otto avoit surpris des lettres des officiers de
M. de Lorraine aux commandans dans Brisach, assu-
rant la conjonction des armes dudit duc avec celles
de rFmpereur et d'Espagne ;
Que ledit chancelier avoit baillé un mémoire audit
sieur de La Grange , en date du a4 mai , pour repré-
sonler de sa part au Roi que le duc de Lorraine, abu-
sant de lautorité de Sa Majesté et de son alliance
avec la couronne de Suède, sans avoir reçu aucun
acte dliostilité du parti suédois, maintenoit et assis-
toit leurs ennemis, grossissoit leurs troupes sous
prétexte de faire des levées en son nom , qu après il
licencioil ; cpril fournissoit les ennemis des choses
396 [l633J MÉMOIRES
qui leur ëloieiit nécessaires , joint ses conseils avec
'^ eux et favorisoit les actes d'hoâtilité qu'ils faisoient
contre eux, comme il s'ëloit vu en la surprise deHa-
guenau et en d'autres occasions , contre la foi que le-
dit duc avoit donnée ; qu'il molestoit ses voisins
comme sont le comte de Sarrebrncket le palatin des
Deux-Ponts : ledit sieur Oxensliern supplioit le Roi
de vouloir apporter remède à ces désordres ;
Qu'il paroissoit par quelques lettres interceptées ,
que ledit duc attendoit le duc de Feria , et qu'il di-
soit que s'il ne venoit pas il seroit en grand péril;
Que M. de Lorraine avoit dit à Guron , en juillet
i633, qu'il alloit attaquer le comte de Nassau , allié de
la France ^
Que les petits princes voisins de M. de Lorraine
ëtoiènt au désespoir , qu'il dépendoit du Roi de se les
allirer-, qu'ils disoient que M. de Lorraine avoit de-
mandé l'investiture de leurs États à l'Empereur, et
qu'ils avoient surpris les lettres qui le portoient;
Que s'il étoit vrai que le mariage de Monsieur,
frère du Roi , fût fait avec la sœur de M. de Lorraine,
il ne falloit point chercher d'autre contravention aux
traités qu'il avoit faits avec Sa Majesté, parce qu^l
avoit toujours été dit à M. de Lorraine que le ma-
riage ne se pouvant faire contre la volonté du Roi et
sans son contentement , au cas qu'il fut il n'y avoit
point de traité ;
Que Sa Majesté ne pouvoit douter qu'il ne fût fait;
(|ii'il étoit avéré par la déposition de M. de Montmo-
rency c*n mourant, parce qu'en avoit dit ouvertement
Dclbène à Réaumont comme de lui-même , et par la
déclaration publique cpie le même Dclbène , qui étoil
DE HICHELIEU. [l633] 897
arrivé en cour en rat^me temps que lui, en Faisoit de
la part de Monsieur. Et afin cpnl ne pensât pas que
Sa Majesté ne le sût très-bien , il lui vouloit bien
dire qu'il savoit bien que le mariage avoit été fait le
même Jour que le duc fut voir Sa Majesté à Vie, et
ce par un moine réformé de Tordre de Saint-Benoit ,
confesseur de Tabbesse de Remiremont, et en U
chambre de ladite dame, qui y étoit présente avec
U princesse de Phaisbourg , les ducs de Vaudemont
et d'Elbeuf, et le sieur de Puylaurens; que le duc de
Lorraine n'avoit point encore signé le contrat , et que
le duc de Vaudemont s'étoit obligé par icelui de lui
donner pour dot i',4oo,ooo francs barrois -,
(^ue M. de Lorraine, n'ayant point rendu hommage
au Roi, comme tout vassal y est obligé, et comme
{particulièrement il avoit promis par le traité de Li-
Verdun , fait en juin i63i , de le faire dans un an qui
étoit lors passé, le parlement avoit ordonné que M. de
La Nauve se transporteront sur les lieux pour saisir le
Barrois et le mettre entre les mains du Roi, ainsi qu il
est ordinaire et accoutumé en semblable cas;
Que \ ille , qui est à M. de Lorraine, avoit dit ou-
vertement à Birckenfeld que le Roi portoit M. de Lor-
raine à faire contre eux ce que dessus; à quoi ledit
Birckenfeld lui avoit répondu qu'il savoitbien le con-
traire;
(^>ue ledit Ville leur avoit confirmé que TEmpe-
renr avoit fait donation d'Haguenau à son maître;
ce qui par sa bouche le rendoit clairement contre-
venant aux traités qu'il avoit faits avec le Roi, par
lesquels il s'obligeoit de ne ùire aucun traité avec
rtlmpereur, qui indubitablement ne lui auroit pas
Sgfi [i633] MÉMOIRES
donné une telle ville sans des conditions réciproques;
Que ceux de iStrasboorg mandoient par de L'Isle ,
du premier août , que , depuis le aS juillet , que Tar-
mée de Lorraine avoit passé la montagne, elle avoit
fait plusieurs courses dans leurs terres , pris tous leurs
bestiaux , tué plusieurs des paysans qu'ils a voient
rencontrés , même un officier suédois qui avoit été
rais dans un village pour le garder ;
Qu'il mandoit de plus ( ce qui étoit à noter et qui
faisoit que M. de Lorraine se déclaroit ouvertement
contre les traités qu'il avoit faits avec le Roi) que, le
mercredi 27 juillet, on avoit publié à son de trompe
dans son armée qu'on n'eût plus à l'appeler l'armée
du duc de Lorraine, mais de l'Empereur , et tirèrent
vers le château et forteresse de Girbarden , d'où ils
chassèrent les Suédois quvl'avoient assiégée ^
Qu'on écrivoit encore que l'armement qu'avoit fait
le duc de Lorraine étoit aux dépens des électeurs de
Mayence et de Cologne , et qu'il croyoit être fortifie
des troupes de Bourgogne ou du duc de Feria, qui ne
paroissoient point ;
Que les Suédois avoieut pris un Français prisonnier
qui avoit découvert la trahison que Humbert, secré-
taire de M. de Lorraine, avoit traitée avec un nommé
I^a Chapelle qui étoit mort, pour lui remettre quel-
que place de l'Alsace entre les mains; et c'étoit pour
ce sujet que M. de Lorraine avoit fait assassiner un
nommé Dubois auprès de Lunéville ]
QuedeL'Isle avoit mandé que les Lorrains avoienl
fait courre de delà la mort du Roi ;
Qu'un colonel suédois, nommé Rantzau , avoit fait
appeler Ville par un trompette , sur ce que ledit de
DE RICHELIEU. [l633] 899
Ville nioit avoir dit audit Rantzau que ce que M. de
Lorraine faisoit contre les Suédois ëtoit de Taveu et
consentement du Roi.
Sur quoi Ville s'étoit excusé du combat sur les af-
faires que son maître lui avoit commises^
Et qu enfin la bataille qu'il avoit fait donner contre
les Suédois , justifioit trop clairement ses contraven-
tions pour en dire davantage.
Le cardinal de Lorraine, entendant cette grande
^numération des contraventions que son frère avoit
faites à ce qu'il étoit obligé par les traités qu'il avoit
faits avec le Roi , fut étonné et ne sut que répondre,
sinon en général que les Suédois lui avoient donné
sujet de mécontentement. Mais lui étant reparti que,
bien au contraire, la princesse de Phalsbourg ayant,
tout nouvellement encore, envoyé demander, au com-
mencement d'août, au prince de Birckenfeld, qui étoit
devant Uaguenau , une sauve-garde pour les terres
qu elle avoit en Lorraine , il lui avoit mandé qu'il la
lui nccordoit, bien qu'elle lui fût inutile , pource qu*il
n'avoit point ordre d'entrer dans la Lorraine si on ne
Tattaquoit.
Il n'eut pas assez de front pour nier les fautes de
son frère , mais il en eut bien assez pour assurer qu'il
n y avoit point de part, et que si Sa Majesté se résol-
voit de porter lafTairc aux extrémités, il ne vouloit
chercber eu sa mauvaise fortune autre refuge qu'en
la bonté du Roi , et le supplieroit avoir agréable qu'il
se retirât en France à labri de sa protection. Il s'of-
frit, comme procureur de son frère, de rendre au Roi
hommage du Harrois^ ce qui lui fut refusé, devant être
rendu en personne par ledit duc , non en son nom ,
4oO [l633] MÉMOIRES
mais de celui de sa femme. Il avoua en outre le ma-
riage, disant premièrement qu'il y avoit seulement
un contrat, en second lieu que le prêtre y avoit passé
et qu'il en avoit donné sa permission.
Pour remède à ces maux, il proposa de demander
pardon au Roi pour son frère , qui consenti roi t à la
rupture du mariage , et remetlroit entre les mains du
Roi Saverne et Dachstein.
Le cardinal lui répondit que ces réparations propo-
sées n'étoient pas proportionnées aux offenses;
Que rendre Thommage de Bar au nom de madame
de Lorraine , satisfaisoit bien au défaut commis en
ce genre ;
Que rompre le mariage prétendu de Monsieur étoit
bien aussi le cemèdede ce mal ; mais qu'outre qu'il £J-
loit que le consentement de Monsieur y intervint, ce
qui ne dépendoit pas d'eux, il restoità satisfaire à l'of-
fense reçue par les alliés du Roi , et à la rupture des
traités faits avec Sa Majesté, ce qui ne se pouvoit
Élire par autre moyen qu'en mettant M. de Lorraine
en état de ne pouvoir plus contrevenir à ses paroles,
auxquelles Sa Majesté ne pouvoit prendre aucune
confiance, vu les divers manquemens qu'il y avoit
faits. Sur cela on lui dit franchement que le dépôt de
Nancy étoit le seul moyen qui pût assurer le Roi et
lui donner moyen de le garantir de ses ennemis.
Cette proposition sembla rude d'abord , mais non
pas tant qu'après l'avoir bien examinée le cardinal
n'avouât franchement que c'étoit quasi le mieux qu'il
pouvoit faire , pourvu qu'on fût assuré de la restitu-
tion; ce qui lui sembloit bien difficile à croire et à
persuader à autrui.
DE KIGUELIEU. [l633j 4oi
11 rcconnoissoit bien que le Roi avoit grand sujet
de demander de nouvelles assurances, vu les man^i»
ifuemens arrivés-,
Que du jour qu'ils entreroient en guerre avec le
Roi , il perdroit la propriété des places qu'il avoit déjà
011 dépôt , et les deux tiers du revenu de leur État;
Qu'ils ne pou voient se défendre seuls contre nne
telle puissance que celle de la France \
Que difficilement ponvoient-ils avoir du secours
en Téiat auquel étoient les affaires du monde , et qae
(|iiand on leur en donneroit » ce seroit un remède pre
(|ue le mal , vu qu'assurément les Espagnols, de qui
seuls ils le pouvoient recevoir , ne leur accorderoient
pas qu a des conditions qu'ils partageroient avec eux
re qui leur restoit de leur État, s'ils ne désiraient le
tout , pour le défendre;
Que Texpérience faisoit assez connoitre que jamais
petit prince ne fit f^$ affaires entre deux grandes
puissances , quand la nappe est mise à leurs dépens
et que leur pays est le ûiéâtre où ils viennent aux
mains ^
Qu'en outre les Espagnols ne donnèrent jamais se-
cours qui ne fût plus onéreux qu'avantageux à ceux
qui le reçoivent. Mais d'autre part il disoit que don-
ner Nancy étoit perdre le reste de leur Étatique telles
places ne se rcndoient guère d'Ordinaire , qu'il y avoit
de la bassesse à se dépouiller volontairement; qu'il
étoit (iciieux de perdre l'honneur et le bien tout en-
> omble, et que le pire événement qui leur pouvoit
arriver de la guerre, ne les pouvoit mettre en une
plus mauvaise condition que celle qui leur étoit pro-
posée : qu'ils vouloient bien croire que le Roi leur
T. ^17. 26
4o2 [l633] MÉMOIRES
promettroil la restitution de Nancy, avec inleniion
d'exécuter sa promesse, mais qu'il pouvoit arriver
beaucoup de choses qui lui donneroient lieu de croire
qu'il auroit lieu de s'en dispenser justement ^ auquel
cas ils n'auroient rien à dire qu'à plaindre leur misère,
parce que les raisons de ceux qui ont la force en main
prévalent toujours à toute autre. On répondoit à cela
qu'il valoit mieux que M. de Lorraine se conservât
le droit de son État par le dépôt de ce qui à la vérité
étoit de meilleur en icelui, qu'en refusant ledit dépôt
perdre assurément la propriété de tout ce qu'il avoit ;
ce qui lui étoit inévitable, non-seulement parce que
les petits princes ne peuvent résister aux grands,
mais en outre parce que , dès lors le Roi se rendant
par son hostilité maître de toutes les places qu'il avoit
en sa main , il possédoit plus des deux tiers de son
revenu •, ce qui faisoit qu'ayant pris ce qui ne lui
pouvoit être disputé en six jours , il ne restoit que la
seule ceinture de Nancy audit duc, sans aucun revenu
pour soutenir les frais de sa défense. Ledit cardinal
de Lorraine ajoutoit , pour se défendre du dépôt de
Nancy, qu'il étoit entre le Roi et la maison d'Autriche;
qu'il devoit ménager l'un et l'autre ) qu'assurément,
s'il remettoit Nancy entre les mains du Roi , il tom-
beroit en la disgrâce de l'Empereur , duquel relevoit
son duché , lequel le déclareroit sans doute confisqué
et le mettroit au ban de l'Empire , avec résolution de
l'exécuter aussitôt que les affaires d'Allemagne le
pourront permettre ; qu'en ce cas il s'assuroit bien de
la protection du Roi , mais qu'il pouvoit arriver aussi
que Sa Majesté se trouvant engagée en d'autres
guerres , il n'auroit pas moyen de le secourir assez
DE RICHELIEU. [l633] 4^3
puissamment, et qu'il craignoit que cette considéra-
tion fût capable d'empêcher M. son frère de condes-
cendre au désir de Sa Majesté, s'il ne s'y voyoit forcé
par Textrême.
Le cardinal lui répondit qu'il n'entroit point en
considération des prétentions de l'Empire sur la Lor-
raine, ni de la puissance de la maison d'Autriche ^ que
quand le duc y penseroit bien il trouveroit qu'il n'a-
voit pas plus de raison de^s'y arrêter , puisqu'il sa voit
bien que ceux dont il alléguoit les intérêts avoient été
les principaux auteurs de sa mauvaise conduite ; qu'il
ctoit vrai que, par le traité de Vervins , il étoit porté
que Ion n'entreprendroit point sur les alliés les uns des
autres , et que M. de Lorraine étoit en la protection
(les deux couronnes ; mais que cette même protection
Tobligeoit à s'efforcer de la mériter du Roi par ses
respects et par sa bonne conduite , bien loin de l'of-
fenser , lui manquer de foi , violer les traités £dts
avec lui , prendre le parti d'Espagne au lieu de de-
meurer neutre, faire tous actes d'hostilité , et pour
comble d'injures ravir un fils de France et le marier
contre la volonté de Sa Majesté , laquelle pour toutes
ces causes n'avoit que trop de raisons d'entrer en ar-
mes dans son pays, et que , s'il craignoit davantage la
puissance future de l'Empereur que celle de la France
(|ui étoit présente et à ses portes , il pouvoit , s'il le
jugcoit meilleur pour lui, choisir le parti de se dé-
fendre par la force.
Quant à la mouvance de l'Empire , que le Roi étoit
bien ûloigné d'en demeurer d'aceord , puisqu'il pré-
tendoit la souveraineté sur la Lorraine, et que l'hom-
mage lui en étoit dû ; que c'étoit une usurpation faite
^6.
4o4 [l633] MÉMOIRES
par TEmpire sur sa couronne, en quoi la longue
possession qu'on pouvoit alléguer ne donnoit aucun
droit, n'y ayantjamais de prescription entre les grands
princes, qui ne reconnoissent point de tribunal devant
lequel ils se puissent pourvoir , et ainsi sont toujours
reçus à redemander leurs droits contre les usurpa-
teurs , et à y rentrer par la force ^ que les affaires de
la France n'avoient ci-devant permis de disputer ces
prétentions \ mais qu'à présent que Dieu ouvroit le
chemin au Roi de rétablir sa monarchie en sa première
grandeur , la postérité auroit sujet de lui reprocher
si , négligeant les moyens qui s'en offrent à lui , il per-
doit l'occasion de rentrer dans les anciens droits de
sa couronne, et les tirer des mains de ceux qui les
possèdent injustement ; que les craintes qu^allégnoit
le duc de Lorraine lui dévoient entrer dans Tesprit
lorsqu'il fut sur le point de se résoudre d'ofienser le
Roi , qui , ne pouvant dissimuler son ressentiment ,
étoit résolu de se venger de l'injure qu'il avoit reçue
s'il ne le satisfaisoit de sorte que toute l'Europe con-
nût qu'il avoit sujet d'en être content ;
Qu'il se devoit souvenir que ses prédécesseurs se
sont toujours bien trouvés de l'amitié de la France ,
et s'assurer qu'étant en sa protection elle le sauroit
bien défendre contre qui que ce fût ;
Que le Roi ne pouvoit recevoir autre condition que
le dépôt de cette place , puisque , ayant déjà entre les
mains les autres meilleures de la Lorraine , cela n'a-
voit pu retenir ledit duc de manquera sa parole et
que Sa Majesté ayant sujet de croire qu'il ne seroit
pas plus religieux de la garder à l'avenir , elle devoit
prendre une assurance qui ne dépendit point de la
DE RIGHELIEO. [l633] ^oS
volonté dudit duc, qu*eUe a^ éprouvée si changeante t
afin de n'être plus en danger de recevoir une uon-
velle injure, et d*étre obligé de lever, avec grands
frais, une nouvelle armée, et qui pourrpit arriver en
telle saison qu'à peine Tétat des affaires le lui poûrroit
permettre , au lieu que la conjoncture présente étoit
telle que Sa Majesté ne la sauroit désirer plus fiivo-
rable , u'y ayant rien qui lui pût faire appréhender
aucun divertissement de ses forces;*
Enfin qu'il se souvint de l'avertissement du comte
Giarles de Mansfeld à son feu grand-père , Charles de
Lorraine, lequel Mansfeld ayant été fait gouvemeor
de Luxembourg et du conseil d'état d'Espagne , et
venant pour prendre possession de son gouvemo-
ment , dit audit feu duc Charles de Lorraine quil
aimoit uniquement, pour avoir été nourri dès son
enfance à la cour de France avec lui , que le résultat
du conseil d'Espagne étoit qu'à quelque prix que ce
fût il falloit mettre la guerre entre la France et la
Lorraine , et , sous prétexte de secourir son altesse ,
trouver moyen de s'empftrer de ses places et ne les
lui Jamais rendre, mais lui donner en échange quel*
ques terres en Sicile ou en Calabre ;
Qu'il avoit commandement dlnduire ledit dnc à
cela , mais qu'il étoit trop son serviteur pour servir
d'instrument à sa ruine, et lui fit donner sa parole de
ne Jamais déclarer la malice des Espagnols qu'après la
mort dudit comte , sachakit bitti que de ce secret dé>
couvert dépendoit la perte de sa vie et de sa répnttr
tion ; ce que sadite altesse lui observa fidèlement ^ et
ne le dit pour lors qu'au feu duc Henri, son fils aîné.
Depuis , le même comte Charles , étant mahule et
4o6 [l633] MÉMOIRES
croyant mourir, envoya quérir feu M. de Thou,
oncle du marquis de Tricbâteau , et lui dit la même
chose , le priant de le tenir secret pendant qu'il vi-
vroit , mais , après la mort dudit comte , le dire à ses
enfans plus proches , de peur que la mémoire ne s'en
perdît avec dommage de la Lorraine ^
Que maintenant M. de Lorraine se voyoit en ces
termes *, il avoit été induit malicieusement par les Es-
pagnols à offenser le Roi de gaité de cœur pour s'em-
parer de ses États , sous ombre de les défendre contre
Sa Majesté , et qu'elle vouloit prendre assurance par
elle-même qu'ils ne viendroient pas à bout de leur
pernicieux dessein, et ne se serviroient de laLorraine
comme d'un boulevard contre la France.
Le cardinal de Lorraine n'ayant rien à répondre à
ces raisons , recourut à demander du temps pour
retourner à son frère, assurant qu'il reviendroit in-
continent trouver Sa Majesté pour lui apporter sa-
tisfaction.
Il désira et s'ofirit d'accompagner le Roi jnsqnes
à Bar ; mais il lui fut représenté qu'il n'y avoit point
d'apparence qu'il se trouvât en cette ville où Sa Ma-
jesté avoit un commissaire du parlement qui avoit
dépossédé le duc de Lorraine , son frère , du duché
de Bar et l'avoit mis en la main souveraine de Sa Ma-
jesté, faute de foi et hommage qu'il s'étoit oblige par
)e traité de Liverdun de rendre dans un an , ce qu'il
n'avoit pas encore fait , bien que le terme fut expiré.
De sorte que , laissant le Roi à Château-Thierry , il
partit en poste, le 20 août, pour aller trouver le duc
son frère. Nonobstant toutes les paroles de compli-
ment dudit cardinal de Lorraine , et ses promesses
DE aiGHEUEU. [i633] 4<>7
que Ton jugeoit être forcées, le cardinal , sans perdre
temps , continua les mêmes ordres qu'on ayoit donnés
ci-devant à Saint-ChamonI, et dit à Sa Majesté , ea
son conseil , qu'elle voy oit qu'il y avoit trois ou quatre
ans que le duc de Lorraine ne perdoit aucune occa-
sion par laquelle il pensât pouvoir nuire au Roi , sans
la tenter et Tentreprendre -y
Que Sa Majesté avoit quelquefois tout-à-fait ou-
blié les diverses menées qu'il avoit iaites contre elle;
d'autres fois elle en avoit eu du ressentiment, et
tâché d'arrêter le cours de telles malices , en fiôsant
porter audit duc des peines trop modérées pour ses
fautes.
Mais que tant s'en faut que ces divers procédés
pleins de bonté eussent amendé ce prince 9 qu'an
contraire l'oubli de ses £iutes et le trop doux ret-
sentiment qu'on en avoit eu n'avoient servi qu'à Fai-
grir davantage , et lui donner plus de volonté d'agir
contre le Roi , estimant qu'en tentant plusieurs Sois
de troubler la prospérité de ses alBaires, il arriveroit
enGn à son but , et que quand même il ne le feroit
pas , au moins étoit-il assuré de n'avoir pas beaucoup
à craindre , puisque ce qu'il avoit fidt par le passé
contre Sa Majesté n'avoit pas causé sa perte, quoique
telles injures la méritassent justement j
Que l'infidélité de ce prince étoit ai manifisite, que,
non-seulement ne pouvoit-on l'ignorer , mais que
même il étoit imposj^le de la dissimuler davantage \
Qu'il n'y avoit ni vérité en ses paroles , ni sâmté
en quelque traité qu'on pût finre avec lui;
Qu'au même temps qu'il passoit à Vie le premier
traité qu il avoit fait avec le Roi, il y contre venoit ,
4o8 [l633] MÉMOIRES
faisant d'autres conventions dans Nancy avec Monlc-
cuculli qui y étoit lors;
Qu'il faisoit aussi , et exëcutoit au même temps ,
le mariage de Monsieur avec sa sœur , le celant non-
seulement au Roi , mais disant j quand on lui en par-
loit , qu'il n'ëtoit pas si fou que d'y penser ;
Que les contraventions qu'il avoit faites au traité
de Liverdun étoient innombrables ; que le duc s^y étoit
obligé de conserver les cinq premiers articles de celui
de Vie , qui reprenoient nouvelle force en vertu dudit
traité , sans plus s'en départir ;
Qu'en ces premiers articles il promettoit de se dé-
partir de toutes les intelligences avec qui que ce fôt
au préjudice du Roi, de tous ses Etats et alliés, et
particulièrement du traité d'alliance de Sa Majesté
avec le roi de Suède -,
Qu'il feroit retirer de ses États tous les ennemis
du Roi et tous ses sujets qui étoient sortis hors du
royaume contre son gré , et ne leur donneroit ci-
après passage ni sûreté dans iceux ;
Qu'il ne traiteroit ni ne feroit aucune alliance avec
quelque prince ou État que ce put être , sans le su et
consentement du Roi;
Ne permettroit qu'il se fît aucune levée dans ses
États contre le service de Sa Majesté , ni qu'aucun de
ses sujets servit ni assistât ses ennemis , ains feroit
retirer tous ceux qui étoient engagés au service de
quelque prince que ce pût être contre ledit seigneur
Roi;
Donneroit liberté de prendre tous ses sujets re-
belles ; pour sûreté des articles susdits et de ceux qui
suivent, Marsal seroit mise en dépôt pour trois ans.
DE BICHBLIEU. [l633] 4^
Il s'obligeoit davantage , par ledit traité de Liveç*
duii , de demeurer inviolablement uni aux intérêts de
Sa Majesté , et donneroit passage libre en tous ses
États à ses armes.
Proraettoit de rendre t dans un an, la foi et hom-
mage qu'il devoit à Sa Majesté ponr le duché de Bar,
ainsi qull le doit.
Pour sûreté, il déposoit Stenay etiametspour quatre
ans , et vendoit la forteresse et comté de Clermont an
denier cinquante.
Que pour interprétation da premier article du traité
de Vie , par lequel il renonçoit à tontes intelligences,
il déclaroit renoncer à tonte alliance et confédéraUon
qu'il pourroit avoir , soit avec l*Emperenr , le roi d*Es-
pagne et tous autres princes de la maison d^Autriche;
Et que, pour interprétation dn troisitoe, il dé-
claroit qu'il entendoit s'obliger de ne donner retraite
et assistance dans ses États, ni à Blonsienr ni à la
Reine mcre de Sa Bfajesté , ni à aucun des leurs \
Que depuis il avoit fiiit de continuelles levées ponr le
service de l'Empereur et dn roi d'Espagne , et oflTensé
le parti suédois par plusieurs entrejmses qu'il av<nt
faites contre Ini , comme le Roi avoit sn par le m^iu ,
de temps en temps, selon qu'on lui en avoit donné
les avis;
Qu'il avoit même traité long-temps secrètement
avec les Suédois sans en avoir donné part au Roi ; ce
qui étoit contre les termes de son traité, et ce d'au-
tant plus, que, traitant avec eux, c'étoit ponr les
tromper , comme il avoit paru par les effets.
Quant à ce qu'il avoit promis sur le sujet de Mon-
sieur , il n'y avoit pas été plus fidèle , ayant en de
4lO [l633] MEMOIRES
continuelles intelligences avec lui , et ayant entretena
sans cesse commerce de courriers de Tun à l'autre ,
sans parler du mariage de sa sœur , qui étoit la plus
grande infidélité , et laquelle eiTrontément il avoit
encore , depuis quinze jours , niée au sieur de Guron,
et Tavoit déterminément assuré qu'il n^étx>it point
véritable, et qu'il n'avoit jamais voulu entendre a
une telle afiaire sans le consentement du Roi, va
qu'il sa voit bien qu'ainsi il offenseroit Sa Majesté , et
s'exposeroit à une perte présente pour prétendre des
avantages futurs fort incertains;
Qu'au contraire de ses promesses sa cour ëtoit un
asile à tous les rebelles criminels de ce royaume,
ayant même donné une compagnie de cavalerie dans
ses troupes à Besme, condamné en France à être
rompu sur la roue; et, depuis un an , ayant été tués
ou volés en ses États plus de mille Français qui al-
loient servir les Suédois , de sorte que les fidèles ser-
viteurs du Roi y trouvoient la mort , et ses ennemis
le refuge ;
Qu'il montroit bien n'avoir point eu de dessein de
tenir le traité qu'il avoit fait avec Sa Majesté , pource
qu'il n'avoit point rendu à Sa Majesté l'hommage qu'il
lui devoit à cause de son duché de Bar ;
Que pour Clermont, il ne faisoit que chicaner,
étant certain que quand on parloit d'acheter une terre
au denier cinquante, la maison y étoit comprise, et
néanmoins les commissaires qu'il avoit envoyés trou-
ver ceux du Roi pour l'exécution de cette vente de-
mandoient des millions pour le lieu du fort ; ce qui
étoit à dire ne vouloir rien faire; et, de fait, ils s'é-
toient retirés les premiers sans rien conclure , suivant
I)B RICHELIEU. [l633] 4<<
1 ordre que vraisemblablement ils en a voient reçu
de lui.
Bref, que la dernière contravention , par laquelle ,
attaquant les allies du Roi, il s'étoit fait battre et avoit
mis SCS Etats en proie aux Suédois si Sa Majesté ne
les empechoit de les prendre , ëtoit si manifeste
qu elle ne le pouvoit être davantage , puisque ledit
traité portoit expressément qu'il n'entreprend roit rien
contre les Suédois -,
Que de tout ce que dessus il paroissoit que Tinfi-
délité de ce prince ëtoit sans pareille, et que sa
mauvaise volonté contre la France ëtoit extrême , et
partant, que c'étoit chose claire qa'il ëtoit du tout
nécessaire de prévenir les mauvais desseins qu'il avoit
d attendre une occasion où les ennemis de la France,
qui étoient maintenant maltraités delà fortune, eus-
sent un bon retour , auquel ils pussent tous ensemble
faire ëclore, au préjudice de ce royaume, les effets
de leur malice;
Qu à la vérité il avoit toujours mal pris ses me-
sures et s'étoit trop hâté;
Que , durant le siège de La Rochelle , il ëtoit uni
avec l'Empire , l'Espagne et la Savoie contre le Roi ;
et, plein d'ardeur de mauvaise volonté, arma des pre-
miers et ne désarma que par force, après avoir con-
sommé son argent, mangé son peuple, et ne s'être vu
secondé de personne ;
Que depuis il avoit fait descendre les Allemands à
Vie , les avoit fait subsister par les contributions de
ses États , leur avoit fait construire la forteresse de
Moyenvic , reçu Monsieur à Nancj, levé pour lui nne
grande armée, puis enfin, voyant que ses collègues
4l2 [l633J MÉMOIRES
lui manqaoient , avoit ëté contraint d'aller fondre
en Allemagne où ses troupes furent défaites ;
Que lannëe passée , voyant la France en feu , il
arma incontinent ; ce que la prévoyance du Roi tourna
à son désavantage^
Que cette année , Tespérance du passage du car-
dinal Infant de lltalie en FAlsace lui avoit donné dans
la vue , celle de la paix en Allemagne , par Tadresse
et la terreur des armes de Walstein, celle de la trêve
en Hollande , le désir de laquelle étoit tel qu'il n'en
doutoit points qu'il espéroit que toutes ces armées dl-
talie , d'Allemagne et de Flandre viendroient recon-
quérir ses places et ravager les États du Roi , avec
lequel Monsieur ne s'accorderoit jamais qu'il ne le
déclarât son beau-frère. Les prédictions de Tastro-
logie étoientde la partie, qui promettoient de grands
changemens dans l'Etat^ et, suivant ses vaines pensées,
les deux tiers de son armée , composée d'étrangers,
portoient l'écharpe rouge , qu'ils estimoient être déjà
la marque de la victoire qu'elle emporteroit sur la
blanche ;
Que toutes ces précipitations marquoient l'excès
de sa mauvaise volonté , qui méritoit être réduite à
la raison , puisqu'il n'a voit pas tenu à lui qu'il n'eût
causé de grands maux à cet Etat, et n'y tiendrait non
plus à l'avenir si on ne lui en ôtoit le moyen ^
Qu'il sembloit qu'il n'y avoit pas beaucoup à craindre
à l'attaquer de vive force ;
Que cependant la naturelle inclination que le Roi
avoit de demeurer peu en un lieu , et la crainte que
ceux qui lui donnoient des conseils dévoient avoir
qu'il les en rendit responsables, si l'événement n'ëtûit
DE RICHELIEU. [l633] /^li
bon, ce qu'il étoit didicile de faire si on n'employoit
le temps qu'il falloit, avec le soin et Tassiduité pour
les faire réussir, faisoit qu on estimoit bien à propos,
(levant que d'attaquer ouvertement ce prince , de
voir si , sans coup frapper, on le pouvoit mettre hors
de combat par autre voie;
Que cette affaire se pouvoit terminer ou par né-
gociation ou par guerre ;
Qu'on ne pouvoit faire de négociation avec cet
homme , si on ne lui ôtoit tous les moyens de mal
faire , et si par icelle on ne demeuroit matîre de tout
son Etat, puisqu'on avoir une partie en dépôt n'avoit
rien servi pour Tempécher de continuer ses mauvais
desseins ;
Que l'importance étoit de ne perdre pas l'occasion
qu'on avoit lors d'en acquérir la propriété par le droit
des armes justes et légitimes, par les diverses offenses
({u'on en avoit reçues, pour en recevoir par négocia-
tion un simple dépôt, qui, obligeant à restitution dans
c|uelque temps , ne vidoit pas définitivement les
affaires.
Pour éviter cet inconvénient il n'y avoit qu*un
moyen , qui étoit de recevoir Nancy aux condidons
suivantes :
Pour âtre gardé jusques à ce qu'il parût au Roi que
le mariage , que le bruit commun publioit être entre
Monsieur, son frère, et la princesse Marguerite , sœur
du duc , n'étoit pas fait ainsi que ledit duc l'assuroit ;
Comme aussi jusqu'à ce que les troubles d'Alle-
magne fussent pacifiés, et que les différends qui étoient
entre Sa Majesté et le duc fussent raisonnablement
terminés. Qu'à ces conditions on pourroit recevoir
4l4 [l633] MÉMOIRES
un dépôt et non autrement , étant meillenr de prendre
le hasard de la guerre que de l'éviter par un dépôt
qui n eût pas les avantages susdits *,
Qu il n'importoit pas par quelle de ces deux voies
le duc fut mis hors d'état de mal faire ; mais il étoit
certain qu'il étoit du tout nécessaire de l'y mettre en
ce rencontre où il étoit fort aisé de le faire, non-
seulement parce que ses troupes avoient déjà été
défaites par les Suédois , mais en outre parce que tous
ceux qui le pouvoient secourir étoient si occupés pour
eux-mêmes, qu'ils ne sauroient penser aux affaires
d'autrui ;
Joint que les Hollandais faisant lors un grand effort
contre les Espagnols en Flandre, et les protestans
contre la maison d'Autriche en Allemagne , le tout
avec grande apparence de succès , il étoit plus que
raisonnable que le Roi profitât aussi des dépouilles
de cet ennemi déclaré , tant parce que c^étoit le seul
moyen de rompre le mariage prétendu de Monsieur,
que Sa Majesté ne pouvoit souffrir pour beaucoup de
mauvaises conséquences , que parce aussi qu*il étoit
bien juste qu'il s'ôtât promptement cette épine du
pied , pour être au printemps qui venoit en état de
. prendre part à la ruine de la maison d'Autriche , si
Dieu permettoit que leur déroute continuât , vu que
si le Roi souffroit que ses voisins profitassent seuls
d'une si riche dépouille, ils seroient ensuite si puissans
que la France les pourroit justement craindre , ce qai
ne seroit pas , vu qu'à mesure qu'ils s'augmenleroient
elle s'augmenteroit aussi.
Pour ces raisons le Roi , sans perdre temps, partit de
Château-Thierry le même jour que le cardinal deLor*
DR HICHELIEU. [l633] 4'^
raine prit son chemin par Châlons , où Sa Majesté
vit la princesse Marie que la Reine y avoit amenée
trAvenay, et arriva lesSàSaint-Dizier, oùSaMajesté
trouva ledit cardinal de Lorraine, qui, outre ce qu'il
avoit avoué au voyage précédent, qu il y avoit eu ua
contrat de mariage entre Monsieur et sa sœur, et que
le prêtre y avoit passé, auquel il en avoit donné la
permission, ajouta que le mariage étoit consommé, ce
quil avoit toujours nié auparavant. Et néanmoins,
ayant avoué cette injure que son frère avoit faite au
Roi, il ne lui offrit autre chose, pour la satisfaction
de Sa Majesté , que ce qu'il lui avoit offert le voyage
dernier. Aussi n'y eut-il autre réponse que celle qui
lui avoit été faite; ce que le cardinal de Lorraine
voyant, il fit dire franchement au cardinal de Riche-
lieu , et par après lui confirma lui-même , que s'il vou-
loit lui donner sa nièce, madamede Combalet , en ma-
riage , qu'il y avoit déjà long-temps qu'il lui avoit fait
demander , le duc son frère et lui prendroient assu-
rancedela restitution de Nancy s'il le vouloit déposer,
et qu ainsi le Roi pourroit avoir contentement. Le car-
dinal répondit qu'il tenoità faveur la pensée qu'il.avoit
de la recherche de sa nièce, qu'il communiqueroit au
Roi , à qui il ne celoit chose quelconque qui le con-
cernât, la proposition qu'il lui avoit faite;
Qu'il s'assuroit bien que Sa Majesté n'y feroit pas
de difliculté , mais que dès cette heure il pouvoit bien
répondre que, si ledit sieur cardinal de Lorraine af-
fectionnoit ses intérêts, il se dispenseroit d'accepter
l'honneur qu'il lui faisoit du mariage de lui et de sa
nièce, vu que s'il l'acceptoit chacun diroit qu'il auroit
porté Sa Majesté à cette entreprise pour ce mariage ^
4l6 [l633] MÉMOIRES
Que la répulatioii du cardinal d'Amboise n^éloil ps
peu ternie dans l'histoire par le rapport qu^elIe faisoit
<|u'une des principales fins qu il avoit eues dans la
guerre dltalie ëtoit de se faire pape; que le cardinal
de Richelieu avoit toujours eu pour principal but les
affaires de sou maître, séparées de tous intérêts par-
ticuliers ; que non-seulement désiroit-il continuer en
ce dessein , mais , qui plus est , se conduire en sorte
qu'on ne pût lui imposer le contraire ;
Qu'il falloit contenter le Roi, et que Sa M^yeslé
étant satisfaite, elle verroit elle-même si elle jugeroit
cette alliance proposée utile à son service, auqnel
cas il suivroit ses volontés ; mais qu'en façon du
monde il ne pouvoit s'y engager pour les considéra-
tions représentées.
Avec cette réponse il retourna peu satisfait trouver
encore une fois son frère : il partit le ià/^ avec an
passe-port qu'il demanda à Sa Majesté , pour entrer
et sortir de Nancy et en tirer son équipage. Mais en
même temps qu'on lui eut donné ce passe-port, Sa
Majesté, de peur qu'il en abusât, et que sous ce pré-
texte.il eût dessein d'en faire sortir les princesses ses
sœurs et belle-sœurs , écrivit à Saint-Chamont qu'il
prit bien garde aux personnes qui seroient avec ledit
cardinal dans son carrosse quand il sortiroit de Nancy,
et si la princesse Marguerite ou quelque autre y se-
roit point déguisée , auquel cas il les Ht arrêter et
conduire avec tout respect et honneur à Metz.
Sa Majesté partit encore le même jour pour s'avan-
cer à Bar , et auparavant que de partir résolut le siège
ou le blocus de Nancy, au cas qu'elle ne pût porter le
duc de Lorraine à le lui mettre en dépôt entre les mains.
DE KICUELIEU. [l633] 4^7
Le cardinal , lui remettant de nouveau en peu de
paroles devant les yeux les actions dudit duc qui Fy
obligeoient , dit qu'il avoit reçu par trois fois dans ses
Ktats Monsieur, frère du Roi, contre le gré de Sa
Majesté, sortant mécontent de sa cour ^
Que par quatre fois il avoit armé contre la France,
étant toujours d'intelligence avec ses ennemis, pour
tacher de troubler la prospérité des affaires du Roi et
le repos de ses États :
La première, pendant le siège de La Rochelle,
pour agir d'intelligence avec les Anglais, comme la
prise et les dépêches de Montaigu le justifioient.
La seconde eu i63i, ensuite de quoi arriva le traité
de Vie.
La troisième, lorsque Monsieur entra en France par
SCS Klats, et ce à la sollicitation des Impériaux-, plu-
sieurs dépêches interceptées, et entre autres celles de
Deshayes , faisant voir que Walstein promettoit in-
fanterie et cavalerie à Monsieur , pour joindre aux
troupes de M. de Lorraine et entrer en France.
La quatrième présentement, qu il avoit attaqué les
Suédois , que ce dernier armement avoit été fait par
intelligence avec le duc de Feria , que le cardinal de
Lorraine Ta avoué au Roi , outre que les avis de Milan
apprennent ouvertement que ledit duc de Feria avoit
fait tenir de Targent en Lorraine , afin qu'y trouvant
une juste armée , ces deux forces jointes ensemble
pussent faire effet, non-seulement en Alsace contre
les Suédois , mais en hVance contre le Roi , sur la
])résupposition et fattente qu'on avoit de la trêve
de Hollande. Bien que par deux traités qu'il avoit faits
avec le Roi il eût consigné es mains de Sa Majesté
T. 'l-j. 9.'J
4l8 [l633J MÉMOIRES
quatre de ses meilleures places, qui valent la moitié
de son État, pour caution de sa foi, la mauvaise volonté
qu'il avoit étoit si invétérée , et rengagement auquel
il étoit avec les ennemis du Roi étoit si fort, qu'il
n'avoit pas laissé de continuer à agir contre lesdits
traités, bien que la rupture d'iceux lui fît clairement
perdre la propriété desdites places , qu*il avoit consi-
gnées entre les mains du Roi;
Qu'il ne se contentoit pas d'attaquer, au préjudice
des susdits traités, les alliés du Roi, mais il leur faisoit
dire ouvertement qu'il le faisoit du consentement de
Sa Majesté , pour lui faire perdre sa réputation et ses
amis tout ensemble;
Qu'il avoit marié sa sœur avec Monsieur, frère du
Roi , non-seulementjsans le consentement de Sa Ma-
jesté, mais contre sa volonté expresse, dont il sembloit
avoir recherché le consentement pour l'oflenser plus
ouvertement;
Qu'il ne s'éloit pas contenté de faire faire diverses
instances par le sieur de Chanvalon , son agent ordi-
naire auprès du Roi , pour avoir la permission de ce
mariage ; mais il y avoit envoyé expressément le se-
crétaire Dupré et le vieux Couvonge , protestant qu'il
aimeroit mieux mourir que de penser à une telle
entreprise sans le gré de Sa Majesté ; et cependant ,
après en avoir défense expresse, et déclaration du
Roi qu'il tiendroit à offense très - particulière s'il
passoit outre , il avoit hardiment violé sa parole,
ses sermens et son devoir, et qui plus est le droit
d'hospitalité , en ce que ce mariage ne pouvoit être
prétendu fait que par le rapt d'un prince mineur,
retiré dans ses États contre le gré du Roi , qui lui
DE K1CUEL1£U. [l633J 4(9
tenoit lieu non-seulement de tuteur, mais de père;
Qu après avoir plusieurs fois juré au Roi dans Yic
et dans Metz que ce mariage n*étoit point &it, et qu'il
n'étoit pas assez fou pour entreprendre une telle af-
faire sans la volonté de Sa Majesté, le cardinal de
Lorraine avoi t déclaré ouvertement à Chiteau-Thierry
que ce mariage étoit fait, quoique lui-même dans
Pont-à-Mou^son et dans Metz Teût plusieurs fois
nié;
Qu'au même temps que ledit cardinal faisoit cette
déclaration , Delbène vint de la part de Monsieur ou-
vcrlemcnt faire la même chose, et y demander rap*»
probation du Roi;
(^)u\iu même temps Puylaurens juroit et protestoit
que son maître régneroit un jour comme le Roi, et
que lors il extermineroit tous ceux qui s'opposoient
maintenant à sa grandeur, sans que rien le put ga-
rantir;
(^uc la question n'étoit pas maintenant s'il falloit
dissimuler telles offenses , parce qu'étant faites au vu
et au su de tout le monde, il étoit impossible de le
faire; mais si, étant connues de toute la chrétienté ,
il les falloit souffrir sans ressentiment;
(^u il y avoit beaucoup à dire de part et d'antre;
(^nï\ sembloit d'un côté qu'il n'y avoit pas d'appa-
rence d*attaquer M. de Lorraine , si on ne se résolvoit
de le ruiner tout-à-fait;
Que sa ruine entière étoit difficile à cause que
Nancy étoit une grande place régulièrement fortifiée,
(\\\i ne pouvoit être attaquée de force maintenant, la
saison étant trop avancée , ni emportée par blocus
(|u'avee beaucoup de temps ordinaire en telles occa-
27.
4^0 \ [l633] MÉMOIRES
sions ; que pendant sept ou huit mois quHl falloit pré-
supposer pour ce blocus, il pouvoit arriver beaucoup
de choses qui rendroient révënement de cette entre-
prise mauvais ^
Qu'où la paix se pouvoit faire en Allemagne , ou
la trêve en Flandre , ou les Espagnols pouvoient em-
ployer leurs forces à faire quelque notable diversion
en Italie , ce qui étoit le plus vraisemblable 9
Qu'il falloit avoir pour cette entreprise vingt mille
hommes de pied perpétuellement eflectifs et trois
mille chevaux au blocus , et six mille hommes de pied
et huit cents chevaux auprès du Roi ;
Que pour entretenir réellement ce nombre de gens
de guerre , quelque ménage que Ton fit , et quelque
ordre qu'on y pût apporter, il en faudroit payer beau-
coup davantage j outre que si la guerre étoit en Italie
on seroit contraint d'y envoyer pour le moins dix
mille hommes de pied et mille à douze cents chevaux;
et ainsi on pourroit dire qu'on entreprenoit un dessein
qui assurément épuiseroit une partie des finances da
Roi, sans que l'effet qu'on s'en proposoit fût infaillible -,
Que^ d'autre part , il étoit à considérer qu'en ma-
tière d'Etat et de grands princes, supporter une injure
«ans en tirer raison étoit en attirer une autre 9
Que la réputation étoit ce qui maintenoit le plus
les princes , et que qui déchoit une fois en ce genre ,
faisoit comme ceux qui , ayant bronché par mégarde
au haut d'un degré , tomboient par nécessité jusqu^en
bas^
Que l'argent étoit inutile aux rois s'ils ne s^en ser-
voient aux occasions nécessaires et à leur réputation
et à leur grandeur ; et que fermer les yeux à la dépense
DE BICHELIEU. [l633] $21
en certaines occasions, étoit le meilleur ménage qu'on
put faire à leur avantage^
Qu'au reste un million d'or de dépense extraordi-
naire pouvoit suffire aux frais de cette entreprise , ce
qui nelaisseroitpasde laisser les cofirei^ Roi pleins;
({ue jamais le temps ne fut meilleur pour un tel
dessein ^
Que la guerre étoit trop allumée en Allemagne pour
(|uc Icfeu en pût être éteint devant qu'on eût le temps
de ruiner le duc de Lorraine ;
Que la saison étant avancée comme elle étoit, les
Espagnols, qui n'estimoient plus rien avoir à craindre
des armes des Hollandais cette année , n'avoient garde
de se précipiter à la trêve, qui apparemment, quand
elle devroit être, tralneroit jusqu'à Tété qui venoi^;
ou le péril d'une nouvelle attaque étoit seul capable
de les faire résoudre aux conditions désirées par les
Hollandais si le mauvais état de leurs affaires d*Alle-
mngne les y contraignoit ; outre que nous savions
certainement que llnfante n'avoit pas pouvoir d'ac-
corder aux Hollandais les conditions qu'ils désiroient
pour faire la trêve, et que quand même le roi d'Es-
pagne y voudroit consentir, cette année seroit écoulée
devant que ses ordres pussent être reçus en Flandre ;
Qu'il n'y avoit point de grandes entreprises qui
n'oussentleurs difficultés ; mais qu'iln'y en avoit point
de la nature de celle qui se proposoit qui en eût si
peu , vu (|ue le prince à qui on avoit affaire ne pou-
voit de soi-même mettre aucunes forces qui fissent
tête en campagne, et que ses alliés de qui il pou-
voit espérer du secours étoient si occupés pour eux ,
({u ils avoient peu de moyens de penser à autrui ;
421 [l633] MÉMOniES
joint qu'ils étoient si perdus de réputation et deforces,
que , quand ils le voudroient£aire, ils ne pourroient
pas faire grand effet ;
Que tant que M. de Lorraine subsisteroit en l'état
auquel il étoit > il n'auroit autre dessein que de se
maintenir a^R l'Empereur et l'Espagne , dont rien
ne l'avoit pu détacher , et attendre l'occasion que tous
ensemble aient moyen de faire mal à la France por-
tant la guerre en ses entrailles ]
Que si on ne le ruinoit le mariage de Monsieur
subsisteroit indubitablement , d'où il falloit attendre
une perpétuelle guerre , et faire état d'être toujours
sur ses gardes pour se garantir , non-seulement des
voies de force dont on ne perdroit pas les occasions
si elles se présentoient » mais de toutes celles que la
ruse et la malice pourroient inventer contre le repos
du Roi, dont le règne seroit insupportable à une
maison qui avoit déjà interrompu celui de quelques-
uns de ses prédécesseurs ;
Que si au contraire on dépouilloit ledit duc , le
mariage s'en iroit à vau-l'eau par ce moyen, étaql
certain qu'outre que Puylaurens faisoit connoitre soos
main par Delbëne qu'il ne seroit pas fiché que le dnc
fût en cet état pour avoir lieu de contenter le Roi en
un autre mariage pour Monsieur , ce seigneur ëtoit
trop intéressé, et Monsieur trop indifférent à toutes
choses , pour l'affermir à un mariage dont il ne pour-
roit retirer aucun avantage , et qui au contraire lui
seroit à grande charge \
Que par ce moyen Monsieur seroit en état qu'on
pourroit espérer sa réconciliation avec le Roi , par
un mariage agréable à Sa Majesté ^ au lieu que si
DE RICHELIEU. [l633] 4^^
celui de Lorraine subsistoit, la rupture qui ëtoit
présentement entre Monsieur et le Roi seroit perpé-
tuelle, si ce n'ëtoit qu'on voulût se hasarder à d'autres
remèdes qui pouvoient réussir , mais dont les évëne-
mens pouvoient aussi être pires que ^ mal, en ce
qu'ils consistoient à agréer le mariage ,^ remettre à
M. de Lorraine les places qu'il avoit données au Roi
on dépôt , et dont la propriété lui étoit maintenant
acquise par son infidélité;
(^)u il y avoit encore k considérer que si la guerre
d'Allemagne et de Flandre se continuoit avec un tel
succès que la déroute de la maisoH d'Autriche s'en
ensuivit , le parti protestant seroit si puissant par
après , que si , pendant qu'ils feroient leurs progrès y
nous n'en faisions aussi, nous ne serions plus consi-
dérables pour résister à telles puissances , plus ca-
pables de se bien entendre entre eux à cause de leur
religion qu'avec nous ;
Ai^ lieu que si on prenoit cet hiver la Lorraine ^
on pourroit insensiblement étendre les bornes de la
France jusqu'au Rhin, et être en état par après de
prendre part à la Flandre, si par un soulèvement
général ou débris manifeste des affaires d'Espagne ^
on voyoit au printemps qu'il y eût occasion de le faire;
(^ue pour conclusion , après avoir balancé toutes
les raisons de part et d'autre, il estimoit que le Roi
étoit contraint de tirer raison des offenses qu'il avoit
reçues dn duc de Lorraine :
Que s'il ne le faisoit il décherroit de sa réputation,
et seroit bien moins redouté de ses ennemis, et moins
considéré de ses amis ;
(^)u'il auroit plus à craindre de mauvais événement
4a4 [l633] MÉMOIRES
à Tavenir , pour n'avoir pas fait un tel dessein , qu'il
ne lui en pouvoit arriver à l'entreprendre;
Que , soit que la trêve de Flandre se fit ou ne
se fit pas, il falloit entrer en armes en Lorraine-,
mais avec cette différence que si elle ne se faisoit
pas , il falloff attaquer Nancy , dont la prise seroit
peut-ôtre plus aisée qu'on ne la devoit juger par rai-
son , que le maître de la place ne suivit jamais. Au
lieu que si la trêve se concluoit , qu'on jugeoit qu il
y eût beaucoup de diflicultés , et qu'il fallût beaucoup
de temps pour prendre Nancy, il se falloit contenter
de prendre le reste du pays et des places dudit duc,
ce qui ruineroit toujours ce prince, et seroit un autre
blocus de Nancy, qui avec le temps auroit de la peine
à subsister , le reste du pays lui étant ennemi.
De plus , que Nancy étoit un des meilleurs boule-
vards que nous saurions avoir contre TEspagne et
contre l'Empereur , quand la trêve et la paix d'AUe*
magne se feroient , tant parce que si on ëtoit une
fois maître de cette place , on seroit délivre des ap-
préhensions que le duc de Lorraine , dont le cœur
est irréconciliable, agit contre nous , que parce que
cette place étoit capable d'arrêter les ennemis du liai
du côté de l'Allemagne des années entières , beau-
coup mieux que Metz ne fit autrefois l'empereur
Charles-Quint.
Ensuite que les princes n'étoient pas responsables
des événemens, mais qu'ils étoient obligés de ne rien
faire qui ne fût digne d'eux, et partant, que quand
même un tel dessein ne devroit pas être tel qu'on le
pouvoit désirer , le Roi ne sauroit être blâmé de
l'entreprendre j ains il le devroit être de ne le faire
DB RICHELIEU: [l633] ^^5
*
pas, puisque son honneur et les considérations du bien
de son Etat Ty obligeoient.
Enfin que cette entreprise ne sauroit avoir aucune
fin qui ne fût meilleure que de demeurer les bras
croisés.
Le Roi étant arrivé à Bar, y laissa la Reine et les
princesses pour quelque temps , à cause des mauvais
logemens qu elles eussent rencontrés si elles eussent
été obligées d'accompagner Sa Majesté*, et après y
avoir éLibli un gouverneur et laissé garnison, elle
en partit le 26, auquel jour le régiment de Florin-
ville , qui se voulut jeter dans Nancy, fut défait par
quelques troupes du Roi que Saint-Cbamont avoit
envoyées pour le reconnoitre, et qui en prirent plu-
sieurs prisonniers.
Le Roi arriva le 28 à Pont-à-Mousson , où le car-
dinal de Lorraine se rendit incontinent, et offrit à
Sa Majesté , pour sûreté des intentions^du duc son
frère , le dépôt de La Motte , outre Saverne et Dach-
stein , qu'il avoit déjà offertes, et de mettre la prin-
cesse Marguerite entre ses mains.
Le Roi accepta le dépôt de la princesse Marguerite,
et refusa celui desdites places comme lui étant inu-
tiles, vu qu'il ne désiroit Nancy que pour tenir en
bride ledit sieur duc ; à quoi Saverne ni La Motte
étoienl du tout inutiles, puisque les quatre autres
qu'il avoit entre les mains ne l'avoient pas retenu.
Après plusieurs discours, on lui fit connoitre claire-
ment que rien ne pouvoit contenter le Roi que le
dépôt de la princesse Marguerite et celui de Nancy.
Il assura qu il avoit laissé expressément la princesse
à Kancy pour la pouvoir mettre entre les mains du
4^6 [l633] MÉMOIRES
Roi ; que s'il plaisoit à Sa Majesté , il iroît saToir h
dernière volonté du duc son frère , et reviendroit
promptement lui en rendre compte -, cependant qu'il
le supplioit lui permettre de faire sortir son équipage
de Nancy , où il iroit coucher expressément , parce
que si son frère ne vouloit contenter le Roi » comme
il Ty persuaderont autant qu'il luiseroit possible, il
désiroit venir demeurer en France, pour témoigner
qu'il s'attachoit de cœur et d'affection au Roi, poor
dépendre absolument de ses volontés.
Il proposa aussi au cardinal que , puisqu'il étoit si
malheareux qae le Roi ne pouvoit prendre confiance
en lui , il étoit résolu , si Sa Majesté Tavoit agréable,
de remettre entièrement ses Etats à lui cardinal son
frère, et qu'il espéroit que Sa Majesté, considérant
sa conduite, s'assureroit en la parole quUl lui donne-
roi t de demgirer toujours dans son service , sans
contrevenir isn'aucune sorte aux traités faits avec Si
Majesté, qui ne pouvoit recevoir une plus grande
satisfaction de la part dudit.duc, que de voir qu'il
se mit en état de particulier en se dépouillant de sa
qualité de souverain.
Le cardinal lui repartit que , quant à la cession et
remise des états de Lorraine, il croyoit que le Roi
ne détourneroit point le duc son frère de lui remettre
et céder son Etat , et qu'il avoit sujet de désirer de
l'en voir en possession , ses actions passées donnant
occasion de croire que sa conduite vers là France
seroit telle que Sa Majesté en auroit tout contente-
ment-, mais que ce u'étoit remédier au mal, d'autant
que le duc pourroit s'en repentir et désirer de rentrer
dans ses Etats, ce qui lui seroit facile en reprenant
DE RICHELIEU. [l633] 4^7
Nancy lorsqu'il verroit Sa Majesté engagée en quel-
que entreprise d'importance , et qu'ainsi rien ne
pouvoit assurer le Roi que le dépôt dudit Nancy.
Le 29, Sa Majesté, après avoir établi i Pont-à-
Mousson M. de Yaranes pour gouverneur de la ville,
avec une garnison de cinq cents hommes , en partit et
alla coucher le lendemain à Saint-Nicolas , où étant,
elle apprit que ledit sieur cardinal de Lorraine n'avoit
demandé cette permission d'aller à Nancy et en sortir
avec son équipage , que pour en tirer la princesse
Marguerite, ce qu'il fit, l'ayant déguisée en homme
et menée avec lui dans son carrosse.
Cette nouvelle étonna d'autant plus qu'on ne l'eût
jamais crue pour deux raisons :
La première, que le prince faisoit profession d'une
sincérité vierge et non entamée; qu'il blâmoit ou-
vertement sou frère du peu de franchise qu'il avoit
en son procédé; qu'il avoit déclaré ouvertement
c)u'il avoit laissé expressément la princesse dans
Nancy pour contenter le Rai sur ce sujet.
L'autre, qu'au même temps que Sa Majesté avoit
accordé passe-port audit cardinal pour entrer et sortir
clans Nancy , sur le soupçon qu'elle eut de ce qui
arriva, il fit écrire au sieur de Saint-Chamont, en
termes exprès , qu'il prit garde dans tous les car-
rosses qui sortiroient avec ledit cardinal , que la
princesse n'y fût déguisée ; ce qui fut si mal exécuté
par ledit Saint-Chamont, qu'il laissa sortir ledit sieur
cardinal un matin devant qu'être levé, sans faire
visiter son carrosse , qu'il devoit bien visiter lui-
même pour l'importance de l'affaire et l'ordre exprès
qu il en avoit reçu.
4^8 [l633] MÉMOIRES
Le cardinal ayant mis sa sœur hors de la ville,
ailla trouver son frère, et revint trouver le Roi , trois
jours après , à La Neufville*
Il avoua lors qu'il avoit fait sortir ladite princesse
sa sœur hors de Nancy , mais qu'elle ëtoit dans les
Etats du duc , en lieu où ils en pouvoient disposer.
Cependant on apprit le lendemain qu'elle avoit
passé à Thionville et étoit allée en Flandre , en qaoi
ledit sieur cardinal fit semblant d'avoir ëtë grande-
ment trompé.
Sa Majesté, dès auparavant qu'elle fût arrivée
audit La Neufville, étant encore à Saint«-Nicolas ,
envoya le marquis de Sourdis y maréchal de camp ,
avec cinq cents chevaux , pour reconnoitre Lnné-
viile, qui ouvrit ses portes et reçut garnison de huit
cents hommes.
Le même jour les châteaux de Coudé , La Chaussée,
Trognon , Malatour , Parquy etBouconville y se rendi-
rent aussi et reçurent garnison, et Sa Majesté donni
audience au résident de Suède , qui lui demanda raisoa
des injures qu ils avoient reçues du duc de Lorraine,
et aux ambassadeurs que l'électeur de Cologne avoit
envoyés vers elle pour lui demander sa protection.
Dès qu'elle fut arrivée à Saint-Nicolas , elle envoya
rompre tous les quais et ponts de la Moselle an-dessus
de Pont-à-Mousson, et ayant résolu le siège deNancj,
donna tous les ordres pour les logemens, et après
avoir reconnu l'assiette de la place , tint conseil sor
le sujet de la circonvallalion , laquelle plusieurs pro-
posoient devoir être très-ample , pour enceindre toQS
les lieux éminens doù un secours s y logeant eût pu
incommoder Tarmce de Sa Majesté occupée à ce siège.
DE BICHBLIEU. [l633] 4^9
Le cardinal au contraire dit à Sa Majesté qu'il
croyoit quil falloit faire la circonvallation la plus
serrée qu'il se pourroit, pourvu que les lignes fus-
sent à couvert du canon ;
Que du côte que les ennemis pouvoient venir en
ordre de bataille , il ëtoit important qu'il y eut des
places d armes derrière les retranchemens. Mais du
côlé où à cause des bois les ennemis ne pouvoieni
venir en bataille , pourvu que le derrière des lignes
fut à couvert du canon, il n'importoit pas qu'il y eûl
des places qui le fussent , parce que comme l'attaque
de voit être moindre, bien que la défense ne fût pas
si forte, elle seroit suffisante; joint qu'il ne se trouve-
roi t point de lieu auquel on pût attaquer avec grand
effort , proche duquel au dedans des lignes qu'il fal-
loit faire il ne se trouvât, ou quelque maison ou
quel(}uc bois , ou quelque pente, qui donneroit com-
modité de mettre des escadrons entiers à couvçrtdu
canon *, ce qui faisoit qu'ils seroient en état de défendre
le lieu attaqué si l'eflbrt des ennemis avoit une fois
forcé la ligne, parce qu'en ce cas le canon de la ville
ne pourroit plus jouer contre nous sans faire un pa-
reil effet contre le secours.
Qu'ainsi il ne pensoit pas qu'il fallût prendre la plu-
part des éminences des montagnes, qui obligeroit à
une circonvallation si grande , qu'il faudroit pour le
moins vingt mille bommes et deux mille chevaux
pour garder lesdits retranchemens; qui feroit que le
Roi ne sauroit avoir aucunes forces au dehors, et
par conséquent que si les ennemis vouloient entrer
en France pour faire diversion , ils le pourroient faire
impunément ;
43o [l633] HÉMOIBES
Qu'il y avoit plus , que celle grande ciroonvaillation
ne sauroit élre , quoi qu'on voulût dire ou faire, en
bonne défense de trois mois, et c'étoil le seul temps
auquel ceux qui pourroient vouloir secourir la place
auroient commodilë de le faire , parce que , quand
même la guerre étoit la plus forle entre les Espagnols
et les Hollandais, ils meltoient leur armée en garnison
vers la un d'octobre ^ en ce cas les Espagnols pour-
roient faire un corps considérable dans le Luxem-
bourg et tenter quelque effet « d'autant plus fiicile-
ment qu'ils trpuveroient toute la circonvallation im-
parfaite , et toute l'armée du Roi obligée à la garder.
Au lieu que si la circonvallation se (aisoit serrée
comme il le proposoit , elle seroit faite et parfaite
dans un mois; il ne faudroit que huit mille hommes
et cinq cents chevaux pour la garder.
Le Roi auroit vingt mille hommes de pied et trois
mille chevaux libres pour s'opposer aux ennemis , et
par ce moyen n'oseroient entrer en France , ni rien
tenter de considérable , pource que s'ils étoient une
fois battus les Pays-Bas seroient perdus -,
Que si l'on disoit que le canon de Témioence des
montagnes nuiroit beaucoup , pour son particulier il
n'en faisoit pas grand compte , tant parce qu^aux lieux
les plus dangereux on ne sauroit aller en ordre de
bataille, que parce que ce canon-là ne sauroit battre
les lignes en batterie , pour en être trop éloignées, et
battre de haut en bas*, ce qui faisoit que, devant
qu'on pût entreprendre de forcer lesdites lignes , il
faudroit descendre du canon au niveau et venir par
tranchées, ce qui étoit plus difficile en venant de
haut en bas, pource qu'on est toujours vu.
I
\
DE RICHELIEU. [l633] 4^1
Il ajoutoit que , quand le retranchement seroit tout
tait, ce qui seroit en peu de temps, on auroit loisir
de considérer les lieuz seuls par où les ennemis
|)Ourroient faire effort du côtëde la montagne , auquel
cas, si on vouloit, on feroit quelque fort -, mais pea
de temps, peu d'argent, peu d'hommes pour garder
la circonvallation, et beaucoup de liberté et de forces
pour empêcher qu'on ne Tattaquât ni qu'on pût faire
aucune diversion, lui faisant conclure k la faire la
plus serrde qui se pourroit aux conditions susdites.
Sa Majesté incontinent prit la peine de désigner la
circonvallation avec tous les forts qu'elle traça elle-
même.
Le cardinal de Lorraine lui proposa premièrement ^
le remettre la ville neuve de Nancy entre les mains-, à '
quoi voyant que Sa Majesté ne vouloit entendre , enfin
I fit et signa, le 6 septembre , un traité par lequel le Roi
se plaignant des contraventions du duc de Lorraine à
tous les traités faits avec lui Tan i63i et 1682, et ledit
duc suppliant Sa Majesté , par le cardinal de Lorraine
son firrc.* , de lui remettre tous les manquemens arri«
vés , et lui offrant toute la satisfaction qu'elle pouvoit
désirer pour telles fautes , il fut arrêté entre le car-
dinal de la part du Roi , et le cardinal de Lorraine
fondé en pouvoir du duc son frère , que ledit duc re-
noncoit de nouveau à toutes les alliances contraires
à celles de la France, protestoit n'avoir plus à l'ave-
nir aucunes intelligences préjudiciables au Roi, nom-
mément avec la maison d'Autriche, soit en Allemagne,
soit en Espagne, ni avec quelques narticuliers que
( e pût être qui fussent hors de l'obéissance et de la
L;race de Sa Majesté , qu'il vouloit à l'avenir servir
(
I
432 [l633] MÉMOIRES
envers tous et contre tous sans exception quelconque;
et que la ville de Nancy seroit déposée entre les mains
du Roi dans trois jours , pour y demeurer avec telle
garnison qu'il lui plairoit y mettre , jusqu^à ce que la
bonne conduite dudit sieur duc ou la pacification des
troubles d'Allemagne ôtât lieu d'appréhender pa-
reilles menées et entreprises à celles qu^il avoit fûtes
contre le Roi et ses alliés \
Que le mariage prétendu de la princesse Margue-
rite sa sœur seroit déclaré nul par voies légitimes et
valables , pour à quoi parvenir ladite princesse Mar-
guerite seroit mise dans quinze jours entre les mains
du Roi, qui trouvoit bon qu elle demeurât dans Nancy,
où plus facilement on pourroit éclaircir les circons-
tances de ce qui s'étoit passé en ce prétendu mariage;
Que le duché de Bar demeureroit en Tétat qull étoit
en la saisie ordonnée par arrêt du parlement de Paris»
jusqu'à ce que Sa Majesté eût reçu la satisfaction qui
lui étoit due pour raison dudit ducbé de Bar , auquel
cas toutes saisies seroient levées sans prétention d'au-
cune confiscation.
Et afin que le duc pût demeurer avec plus de dignité
dans la ville , d'autant que le palais ducal étoit dans la
vieille ville, lorsqu'il lui plairoit y demeurer, la gar-
nison française seroit obligée d'être toute dans la nou-
velle ville, sans tenir aucune chose de la vieille ville,
sinon les deux bastions et la porte qui sépare les deux
villes , où il seroit permis à ladite garnison de se loger
sûrement comme elle l'estimeroitàpropos, à condition
que tous les canons, armes et munitions de guerre qui
étoientlorsdansla vieille villeseroienttransportés dans
la nouvelle ; et pource qu'il pourroit arriver que les
DE KIGHSLIEU. [l633] 4^3
troubles d'Allemagne ne se termineroient pas sitôt que
Sa Majeslë le souhaiteroit, et qu'il ëtoit à désirer, si la
guerre duroit plus de quatre ans , les conditions du
présent traité étant préalablement accomplies, Sa Ma-
jesté se déporteroit du dépôt de la ville de Nancy, et la
remettroi t entre les mains dudit sieur duc de Lorraine,
ses successeurs ou ayant cause , pour en jouir pleine-
ment et aux mêmes droits qu'il avoit fait ci-devant.
Ce traité fait , le cardinal de Lorraine demanda per-
mission au Roi d'aller trouver le duc son frère qui
étoit à Épinal pour le lui faire ratifier-, mais cepen-
dant Sa Majesté ayant eu avis que le duc vouloit en-
voyer deux cents chevaux et six cents bommes de
pied en garnison au lieu de Bayon, à quatre lieues de
son quartier , maison de la duchesse de Oouy , elle
commanda au comte de La Suse , maréchal de camp
en son armée , de prendre douze cornettes de cava-
lerie et trois cents mousquetaires à cheval pour em-
pêcher ce logement^ et le lendemain la ville ëe
Charmes , à six lieues de Nancy, se rendit auxdites
troupes , dont le duc prenant ombrage se retira à Re-
roiremont, et pour essayer d'amuser Sa Majesté ren-
voya le cardinal son frère , qui assura qu'il apportoit
Tactede la ratification du traité qu'il avoit fait, mais
ne le montra point et ne lui fut pas aussi demandé.
On ne laissa pas de le presser du jour auquel se feroit
rentrée du Roi dans Nancy*, il s'excuse, use de re-
mise, et enfin (aitconnoitre que son frère avoit envoyé
des ordres contraires par un gentilbomiHe nommé
Oiton , qui avoit été arrêté et relâché>par les gens du
Roi , tellement que l'on vint lors ii la rupture dadrt
a-aité.
T. 27. 28
4^4 [lG33J MÉMOIRES
Uespérance du duc de Lorraine ëtoit que, s^il pou-
voit gagner temps, le duc de Feria Tassisteroil avec
rarméc qu ii commandoit au Milanais, et devoil fiaiire
passer pour le secourir contre ie Roi. Mais comme
il est diûicile de prendre bien ses mesures lorsqu*on
les prend trop justes , et le duc de Feria se trompant
au temps qu'il lui avoit prescrit , dans lequel il lui
promcttoit de se rendre auprès de lui , et lui aussi fat
abuse dans celtii auquel il espéroit avoir des forces
suQlsantcs pour opposer à Sa Majesté, Farmëe da
duc de Feria ne put pas sitôt passer les Alpes qu'elle
s'étoit promise.
Il fit un gros de quatre mille hommes qu^il envoya
devant par le Tyrol , sous la charge du commissaire
Ossa y et se joignant à la garnison de Lindau et aux
forces qu'on leur amenoit d'Alsace, firent un petit corps
d'armée, attendant la venue du duc, qui avec le reste
de l'armée devoit bientôt après passer par la Valteline;
ce qu'il fit au commencement de septembre. Le duc
de Rohan ne lui disputa pas le passage, parce qu'il
s'étoit jusqu'alors arrêté dans les Grisons, et que la
Valteline , par le traité de Monçon , ne le devoit pas
permettre. Il fit néanmoins publier superbement qu'on
n'a voit osé s'opposer à son passage , et lui-même
passa avec deux cents chevaux par le val Monastère
qui est des Grisons ; ce qui obligea le duc de Roban
d'entreprendre de se saisir de la Valteline 5 ce qu'il
fit incontinent après, puisque les Valtelins manquoient
à leur foi , et que du côté du Milanais , qui par l'envoi
de cette armée étoit dénué de gens de guerre , il n'y
avoit rien à craindre. Mais le maréchal Gustave Horo,
qui fut averti du dessein du duc de Feria, partit
DE RICHELIEU. [l633j 4^5
promptement de la Souabc où il ëtoit, et dès le 19
août se rendit avec dix mille hommes à une petite
ville de Suisse , nommée Stein , qui est en la protec-
tion du canton de Zurich j et y ayant obtenu le pas-
sage sur le Rhin , après s'être fortifié delà pins grande
part de Tarmée de Birckenfeld , qui laissant peu de
gens devant Haguenau Talla trouver , et d'autres
troupes encore du comte rhingrave Otto Louis, alla
assiéger la ville de Constance , qui étoit le lieu du
tendez -vous de Farmée de Feria, laquelle par ce
moyen fut arrêtée , et donna loisir au Roi de faire en
Lorraine ce que la justice lui permettoit , et à quoi les
injures qu'il avoit reçues du duc Tobligeoient.
Sa Majesté donc, voyant les manquemens de foi du
duc, et qu il ne tenoit compte d'accompKrce que sous
son autorité le cardinal son frère avoit promis pour
lui, délivra de nouvelles commissions pour lever
quinze mille hommes de pied et deux mille cinq cents
chevaux , et passa avec les ambassadeurs de Cologne
un traité pour la protection qu'ils lui demandoient,
par lequel ils promettoient , au nom de TÉlecteur leur
maître, de ne molester la couronne de Suède , le sieur
Oxenstiern, grand chancelier,et ses confédérés, ni les
États et pays qui dépendoient d'eux , et n'exercer en
leur endroit aucun acte d'hostilité, soit par logemens
de gens de guerre, attaque ou surprise de places,
contributions de vivres ou d'argent, à la charge aussi:
que ledit Oxenstiern, tant en son nom queide ses con-
fédérés , promettoit de ne point molester en sorte
quelconque la personne dudit Électeur, son archevê-
ché et les ÉUts et pays dépendant de ses évéchés ,
mais de les laisser libres, et n'exercer en son endroit
9.8.
43^ [l633] MÉMOIRES
aucun acte d'hostilité, soit par logemens de gens de
guerre , attaque ou surprise de places , contributions
de vivres oq d'argent. Et ayant appris le i a que le
colonel Hamerstein, que les princes assemblés k
Francfort envoyoient ambassadeur extraordinaire
vers le Roi , avoit été tué, par les chemins , par des
troupes lorraines, lesquelles avoient pris tout sou ar-
gent et équipage , estimé à plus de aoo,ooo livres , de
sorte que Sa Majesté émue de compassion se sentit
obligée de donner et logement et de Targentà la femme
dudit colonel pour la remettre en équipage, et lui
donner moyen de retourner en son pays quand elle
voudroit; le Roi, offensé de tous les mépris du duc vers
lui, et de ce quUl manquoit à satisfaire à ce que son
frère avoit promis de sa part, envoya le marécbal de
La Forceavec quinze cents chevaux, six mille hommes
de pied et six pièces de canon après lui , avec ordre
de le suivre et le combattre en quelque lieu qu*il se
retirât^ ensuite de quoi ledit sieur maréchal assiégea
la ville d'Épinal, où il avoit laissé garnison , qui se
rendit après que le canon fut mis en batterie} et, en
même temps , le sieur de Gatinois , Florinville et
de Louzances , maréchaux de camp de Tarmée dadit
sieur de Lorraine, et le sieur de Lemont, son ser-
gent de bataille , se vinrent rendre au Roi , q^ as-
surer Sa Majesté qu'ils vouloient demeurer dans son
obéissance.
Les habitansdeMirecourt, après avoir fait quelque
résistance et montré se vouloir défendre , se rendi-
rent au sieur de Canpremy qui y fut envoyé par ledit
maréchail.
Le duc de Wurtemberg , Julius Frédéric , sur l'avis
DE mCHELIBU. [i633] 4^7
qu'il eut que le duc de Lorraine ayoil ordre du duc
de Feria de sesaisirde la ville de Montbelliard, comme
très-importante pour faciliter le passage de Farmée
espagnole , il envoya des députés vers le Roi , qui lui
promirent en son nom de recevoiri^ taok en ladite
ville de Montbelliard, citadelle, forts et châteaux
dépendant, tant dudit comté de Montbelliard que
terres et seigneuries y adjointes , toutes les troupes
de cavalerie et infanterie qu'il plairoit à Sa Majesté
d'y envoyer, et qu'il seroitjugé nécessaire pour la
protection et défense desdites terres , et ce jusques à
ce que le traité de protection desdites villes, comté
(le Montbelliard, terres et seigneuries y adjointes, fût
conclu et arrêté entre Sadite Majesté et lesdits princes
ou leurs députés, et auquel traité en après Ton se
conformeroit.
Sa Majesté leur envoya six cents bommes de pied
et cent chevaux sous la charge du marquis de Bour-
bonne, auquel elle accorda le gouvernement de la
place, qui en prit possession le lo octobre suivant,
et y établit ladite garnison.
Le maréchal de La Force manda à ceux de Mont-
belliard qu'il seroit incontinent à eux s'ils avoient
besoin de lui , et s*achemina avec son armée vers les
troupes du duc pour les combattre, faisant état de le
suivre jusque dans le comté de Montbelliard s'il en
prenoit le chemin.
Toutes ces choses étonnèrent le duc de Lorraine,
et lui firent connoitre la faute qu'il faisoit de contre-
venir à ce que son frère avoit traité de sa pirt avec
le Roi , et le portèrent premièrement à faire proposer,
par le sieur de Chanvalon, quelques articles nou-
V
438 [l633J MÉMOIRES
veaux que Sa Majesté n*eut pas agréable aux termes
qu'il les désiroit, car il vouloit que les traités de Vie
et de Liverdun demeurassent en leur force et vigueur
en toutes leurs conditions , et spécialenient pour ce
qui conce^oitje dépôt et restitution des villes con-
signées es mains de Sa Majesté, sans que, pour rai-
son des contraventions que M. de Lorraine y avoit
faites, Sa Majesté put prétendre la propriété desdites
places, en vertu des clauses apposées auxdits traités ^
ce que Sa Majesté ne jugea pas équitable d'accorder,
puis enfin à envoyer le sieur de Contrisson vers
elle pour lui proposer que, s'il avoit agréable de lui
accorder sauf-conduit , il viendroit jusques à Saint-
Nicolas pour conférer avec les commissaires quil
plairoit à Sa Maje$té députer^ ce qui lui fut accordé.
Mais le lendemain Sa Majesté, craignant qu^il n'eût
fait cette proposition de conférence qu'atin qu'étant
plus avancé il pût plus facilement passer aux Pays-
Pas , où , étant entre les mains des Espagnols , il eût
été diflUcile qu'il se fût résolu à bailler Nancy en dépôt,
jugea à propos que le cardinal s'avançât jusques à
Charmes, ville distante de sept lieues du quartier du
Roi , pour traiter avec lui, et quant et quant dépécha
un courrier au maréchal de La Force pour lui donner
avis qu'elle avoit envoyé au duc un sauf-conduU» 6t
lui défendre de passer outre avec son armée , jusques
à ce qu'on eût su ce que prodniroit la conférence qui
se devoil faire entre le cardinal et ledit duc.
Il partit le i8, accompagné de huit cents chevaux,
s'y rendit le soir, et le duc aussi le même jour: ils
confèrent trois jours sans rien conclure , le duc faisant
d'heure à autre diverses propositions sans en résoudre
DK RICHELIEU. [l633] 4^9
aucune^ et faisant mille sermens qu il nietiroit plutôt
le feu à Nancy que de le rendre. Enfin , Taprès-dinëe
du troisième jour , après une conférence d'une heure y
non-seulement il signa et ratifia ledit traité, mais y
ajouta que non-seulement la porte qui est entre la
vieille et la nouvelle ville avec les deux bastions se-
roient entre les mains du Roi , mais de plus l'autre
porte de la vieille ville, appelée de Notre-Dame , et
ce pour éviter les inconvéniensqui pourroient arriver
des soupçons qu'on pourroit prendre s'il étoit autre-
ment, et que bien que ladite ville de Nancy dût, par
le traité , être mise entre les mains du Roi pour quatre
ans, au cas toutefois que dans trois mois ledit sieur
duc remit madame la princesse Marguerite entre les
mains de Sa Majesté, qui auroit agréable de la faire
traiter selon sa qualité et condition, ledit sieur duc
consentant, comme il faisoit dès à présent, la disso-
lution de son mariage avec Monsieur, à laquelle il
seroit procédé par voies légitimes et valables, et que
le surplus du traité fût accompli , Sa Majesté restitue-
roit ladite place de Nancy sans attendre davantage,
rasant les fortifications d'icelle, si elle le jugeoità
pro|K)S.
Ces articles nouveaux étoient très-importans et
avantageux au service de Sa Majesté.
Premièrement, la porte de Notre-Dame de la vieille
ville dcmeuroit entre les mains du Roi, ce qui u'é-
loit pas par le premier traité.
Davantage, au lieu que, par le premier traité, il
étoit simplement stipulé que Sa Majesté retiendroit
^ancy pour quatre ans , ces articles le reformoient ,
de sorte qu il sembloit que Sa Majesté le voulut rendre
44o [l633J UBlfOIRES
dans trois mois, et que si elle le retenoit davantage ,
les seuls Espagnols , la Reine-mère et Monsieur en
seroient la cause ] ce qui devoit piquer à outrance4e
duc de Lorraine et son frère.
Au reste, s'ils sa tisfaisoient aux conditions portées
par ledit dernier traité pour ravoir Nancy dans trois
mois, le Roi auroitcè qu'il pouvoit désirer j savoir est
la princesse Marguerite entre les mains-, ce qui pour-
roit éviter grande suite de maux , et, qui plus est. Sa
Majesté ne rendroit point Nancy, tant parce qu^ii falloit
procéder à la dissolution du mariage par voies légiti-
mes , ce qui dit un grand temps , que parce aussi qu'il
falloit vider tous les différends d'entre le Roi, ce qui
alloit à rinfini«
Joint que le dernier traité ne dérogeoit point au
premier , mais y ajoutoit , ce qui faisoit que la disso-
lution du mariage , portée en termes exprès dans le
premier traité , demeuroit en sa force par le dernier,
lequel donnant liberté de rendre la place rasée , si
on la devoit rendre dans trois mois, faisoit que, si
c'étoit par la faute du duc qu'on pe la rendit pas dans
ce temps , on prétendroit avec raison que si on ëtoit
jamais obligé de la rendre, ce seroit seulement après
lavoir démolie , puisque rien n'auroit empêché qu'on
ne jouit de ce bénéfice que l'inexécution du duc ,
du manquement duquel il ne seroit pas raisonnable
que la France portât la peine pour jamais.
Les préalables qui dévoient être exécutés par le
duc de Lorraine devant qu'on lui rendit sa place,
étoient de vider tous les différends qui étoient entre
le Roi et lui, qui n'étoient pas petits.
Celui des quatre places y devoit entrer en tête, et
DB BICHELIEU. [l633] 44'
sans pouvoir être conteste avec apparence de raison
au Roi, puisque ce dernier traité confessoit les con-
traventions aux premiers en termes exprès, et par-
tant fondoit le droit de la rétention des quatre places,
non-seulement sans y remédier par aucune excep-
tion, mais en outre souffrant un article qui préve-
noit la pensée que naturellement on pourroit avoir
que ce dernier traité réparit les brèches des premiers,
en ce qu'il disoit en termes exprès que le Roi de-
meuroit en tous les droits qu*il prétendoit lui être
acquis jusques au jour dudit traité, sans renoncer à
aucun par iceluî.
L'hommage et la reprise du Barrois , non-seulement
au nom du duc, mais aussi de la femme, en étoitun
autre droit non contesté, dont la suite ne seroit pas
petite , vu les difficultés qui se trouveroient en Taveu
et dénombrement où il faudroit employer beaucoup
de choses que les ducs de Lorraine prétendent pos-
séder sans relever du Roi.
Or, durant le temps que le duc de Lorraine de-
meura à Charmes , entre plusieurs discours dans
les(|uels il s'emporta facilement avec le cardinal de La
Valette, il témoigna assez qu'il avoit fait signer par
son frère le traité du 6 septembre sans avoir inten-
tion de l'exécuter, et que le refus que fit le marquis
de Mony d'ouvrir les portes au Roi sur le comman-
dement du cardinal son frère, étoit par un ordre
particulier qu'il lui avoit mandé, en vertu d'un con-
tre-seing qu'il avoit par devers lui *, car il avoua
formellement audit cardinal de La Valette qu'il étoit
vrai qu'il avoit donné charge audit sieur de Mony de
croire tout ce qu'on lui diroit , avec le signe des trois
44^ ['(>33J MÉMOIRES
premières lettres de son nom ; qu'il avoit déjà mandé
deux ordres audit marquis, Tun sur L et Tautresur
O 9 qu'il restoit encore R, qui pouvoit être marque
de quelque chose de secret -, qu'une religieuse de
Nancy avoit eu révélation que ces trois . lettres nV
voient pas été employées, qu'elle en avoit averti ma-
dame de Phalsbourg, qui avoit mandé, par Chanva-
lon , au marquis de Mony qu'il ne déposât pas Nancy
en vertu de cette lettre ; ce qui confirma Tavis qui
avoit été donné au Roi peu après ledit traité, que
)e duc, quand il vit partir son frère, avoit dit : « Mon
frère en a bien , il pense faire ses affaires , mais il n'a
pas le signal pour cela. »
Après que , comme nous avons dit ci-dessus , il eut
ratifié le traité , il ne voulut pas retourner droit à ses
troupes , mais désira venir trouver le Roi , pour l'as-
surer lui-même de la volonté qu'il avoit d'exécuter
ce qu'il avoit promis , et , pour ce sujet , partit de
Charmes incontinent après le cardinal , accompagné
de messieurs les cardinal et duc de La Valette , du
nonce, de Brassac et de Noailies. Le Roi vint au-
devant de lui jusqu'à la porte de son cabinet, et ledit
duc l'assurant du désir qu'il avoit de lui rendre obéis-
sance à l'avenir, et le suppliant d'oublier le passé et
le lui pardonner, Sa Majesté l'embrassant le lui promit.
Il alla coucher au logis du duc de La Valette , que
le Roi lui avoil fait préparer; mais l'irrésolution de
cet esprit étoit si grande qu il lui prit encore volonté
de n'exécuter pas ce traité, et sa légèreté fut telle
qu'il tint à plusieurs des discours qui le témoignoieut.
Il dit au sieur de Saint-Chamout , en termes exprès ,
qu'il ne vouloit point dire s'il vouloit ou ne vouloil
DE RICHELIEU. [l633J ^^'i
pas exécuter le traite, mais qu'il voudroit bien u être
])oint venu trouver le Roi ; que s'il ëtoitsur les mon-
tagnes proche de Nancy on ne le tiendroitpas; qu'il
8a voit bien quonle vouloit perdre; que tout le monde
disoit qu'on le vouloit rouer, traitement aussi peu
honorable à un prince que ces paroles sont indignes
de sa bouche.
Enfin , il témoigna à tout le monde qu'il étoit mal-
traité, et le bruit couroit partout qu'il vouloit se
sauver.
Ceux de la ville dilayoient l'éxecution du traite,
sur l'espérance qu'ils avoient qu'il se sauveroit dans
la ville, ainsi qu'il leur avoit fait savoir. Cela obligea
le Roi de faire prendre garde à sa personne, pour
lempécher d'exécuter son mauvais dessein, et le.
porter à tenir la parole qu'il lui avoit donnée.
Le cardinal supplia Sa Majesté de se souvenir que
jus(|ue-là il avoit toujours traité avec elle sans inten-
tion de tenir sa foi ; qu'à Vie , le même jour du traité,
il faisoit faire le prétendu mariage de Monsieur dans
Nancy , et à Vie le nioit et protestoit à la propre
personne de Sa Majesté qu'il aimeroit mieux mourir;
Qu'il fit le même à Liverdun l'année suivante, où
d'obligeant, par un traité nouveau , de n'avoir jamais
aucune intelligence avec la maison d'Autriche, au
même temps, Montecuculli étoit à Nancy ou proche
de là , avec lequel il négocioit actuellement-,
Qu alors il faboit encore le semblable, promettant
de mettre entre les mains du Roi la princesse Mar-
guerite, et au même temps la faisoit sortir de Nancy;
il s'ohiigcoit de déposer la ville entre les mains de Sa
.Majesté , en donnoit pouvoir au cardinal son frère et
444 [i633] MÉMOIRES
envoyoit le même jour un ordre contraire au mar«
quis de Mony ;
Que pareillement il ëtoit venu trouver le Roi pour
en apparence tenir sa parole, mais pour en eflet lè
tromper ; que sa langue n'avoit pu se tenir de le té-
moigner ;
Que ce seroit une honte à Sa Majesté sHI se retiroit
sans exécuter sa parole ; qu'on croiroit qu^elle Tauroit
voulu retenir par force et ne Tauroit su faire; et par-
tant, qu'il étoit d'avis qu'il le falloit faire garder, sans
qu'il le parût toutefois , et que ce fût le plus adroite-
ment qu'il se pourroit faire ;
Que jusques à ce qu'il eût signé un traite k Char-
mes , il étoit sur la parole de Sa Majesté (<) , et ii\
ne l'eût point signé on l'eût laissé retourner d^où il
étoit venu, et qu'il lui avoit lors même offert de le
remener , afin qu'il n'arrivât point d'inconvénient de
sa personne.
Mais que depuis la signature qu'il avoit faite du
traité, il n'étoit plus sur la parole du Roi, ains sur la
seule foi de son traité , et ainsi que si Sa Majesté man-
quoit à Texécution dudit traité , ledit sieur duc auroit
droit d'agir contre elle comme il pourroit. Ainsi , si
ledit duc manquoit de sa part, le Roi avoit le même
(i) // étoit sur la parole de Sa Majesté ; Si Ton en jcroit Anhtxj ,
le dac de Lorraine fut prisonnier à Charmes avant et apr^ la ratifie»'
tion. La maison qu'il habitoit étoit soigneusement gac^tfe. La nait do
jour oii i] avoit signe' le traite , il voulut sVchapper pour faire une pro-
testation. SV'tant couche' à dix heures il se leva à onse , fit ooTrir me
fendtre par Lcnoncour un de ses gentilshommes , et ezamina li la mai-
son Gtoit entourée. Ayant vu les gardes accourir, Il demanda M. de
Ramburcs qui les comniandoit; mais Tunique réponse qu^il recnt fot
qu'on alloit tirer si la fenêtre n'étoit à l'instant refermée.
DB BICHEUEU. [l633] 44^
droit d'agir contre lui , et le duc ne pouvoit raison-
nablement trouver étrange que, s'ëtant vanté qu'il se
vouloit sauver, on eût pris garde à sa personne pour
•l'en empêcher, jusqu'à ce qu'il eût exécuté ce à quoi
il éloit obligé.
Sa Majesté trouva bon cet avis et le fit exécuter :
ce ne put être si adroitement que le duc , qui étoit en
méfiance et avoit dessein de se sauver , ne s'aperçût
qu'il lui étoit impossible^ mais on lui dit que ce qu'on
en faisoit n'étoit que pour l'obliger à satisfaire à sa
parole, et lui faire perdre la pensée de pouvoir chan-
ger de conseil , ce qu'il ne pouvoit faire qu'à son
propre dommage, attendu que Nancy ne pouvant
être secourue fût infailliblement tombée entre les
mains du Roi, et lui eût absolument appartenu par le
droit de guerre.
Le duc, voyant qu'il lui étoit impossible de n'exé-
cuter pas ledit traité, envoya ordre au marquis de
Mony d'ouvrir les portes de Nancy aux troupes du
Roi, et en faire sortir la garnison, qui n'en partit que
le samedi 24 ^ ^^^ heures , et celle du Roi y entra
à midi.
Le lendemain a5 , Sa Majesté y fit son entrée, ac-
compagnée du cardinal de Lorraine, qui le vint re-
cevoir jusqu'à mi-chemin de son quartier avec quan-
tité d'autres seigneurs.
Le a6, la Reine y fit la sienne, et sur le soir le duc,
qui s'étoit i^tiré dans une maison proche de la ville,
jusqu'à ce que toutes choses y fussent bien établies, y
arriva avec la princesse de Pbalsbourg.
Sa Majesté , dès qu'elle y fut arrivée , fit tirer tous
les canons, armes et munitions de la vieille ville
44^ [i633] MÉMOinEs
pour être mises dans la ville neuve , en un magasin,
de laquelle elle fit le lendemain porter les armes
de tous les liabitans qui avoient été désarmés.
Puis ayant choisi le sieur de Brassac pour com-'
mander dans ladite ville en qualité de gouverneur,
établi le sieur de Miraumont, capitaine au régiment
des gardes , pour son lieutenant , et laissé en ladite
ville six mille hommes de pied et cinq cents chevaux
en garnison , elle en partit le premier octobre, don-
nant ordre en partant de Nancy à M. de Brassac de
faire avancer le plus qu'il sepourroit le réduit qu^elle
avoit fait commencer des deux bastions qui séparoient
la ville vieille d*avec la ville neuve, et de faire retran-
cher ceux de la porte Notre-Dame de la vieille ville.
Pendant que le Roi étoit au siège de Nancy, le par-
lement de Metz condamna un nommé Alfeston , natif
de Châlons, à être rompu vif sur la roue pour avoir
alienlé à la vie du cardinal : cet homme étroit fils du
lieutenant criminel à Yitry.
Il confessa qu'il avoit été sollicité par La Roche,
qui avoit charge des affaires du père Chanteloube (0,
d'assassiner le cardinal , et qu'il lui avoit dit que ce
seroit un grand service à Dieu de s'en défaire; qu'il
seroit bien récompensé s'il en venoit à bout , et qu'il
lui avoit donné cent écus en partie pour ce dessein;
que le père Chanteloube son maître en étoit consen-
tant , et lui avoit dit qu'il n'y avoit poiijt de cons-
cience à l'exécuter.
Il fut accusé par ses complices, qui étoient un
(i) Du pire Chanteloube : Il esi permis de douter que ce père ail
clé le chef du complot contre les jours du cardinal. Des aremc arracha
par les toormens ne sont pas des prennes .
DE RICHELIEU. [l633] 44?
nomme Isaac Saulcier, natif de Metz, qui avoit éié
viili'l (le chambre du maréchal de Marillac, qu'il avoit
mis depuis dans ses gardes ;
L antre, nommé Hélie Bélanger, dit Mermont, natif
de Lily près de Gournay en Normandie , qui fut aussi
premièrement des gardes dudit maréchal, puis fut mis,
après sa mort, dans celles de la Reine mère du Roi.
La Roche, susnommé, leur persuada d'assister ledit
Alfestou, les fit appeler chez le père Chanteloube,
de là les mena chez Alfeston , qu'il leur déclara nette-
ment avoir dessein de tuer le cardinal, et qu il falloit
qu'ils l'assistassent : ce que lui promettant, il leur
donna à chacun loo francs en patagons, et leur dit
que s'ils en avoient besoin de davantage il seroit
fourni.
Alfestou les alla attendre à une demi-lieue de la
porte de Namur , hors de Bruxelles , au logis du ca-*
pitainc du charroi de la Reine-mère, monté sur un
cheval gris pommelé de Técurie de ladite dame Reine,
appelé le Grand-Hongre ou le Polacre , lequel La Roche
I u i en voy a par le cocher du père Chan teloube , nommé
maître Claude , qui lui dit qu'on lui avoit bien com-
mandé de ne dire à personne qu'il lui eût amené ce
cheval-là , qu'on lui donnoit comme étant de grande
fatigue; et La Roche dit à ses deux complices qu'on
l'avoit exprès envoyé requérir de Namur, où la du-
chesse d'Ornano l'avoit mené allant à la rencontre de
la princesse Marguerite.
Il dit à ses complices qu'il s'assuroit venir bientôt
à bout de son damnable dessein , si le cardinal en
son retour logeoità Châlons, en un logis où il avoil
logé quand le Roi y passa pour aller à Metz , et qu'il
44S [l633] MÉMOIRES
le tueroit, entrant ou sortant de la maison , par la
fenêtre d'une qui ëtoit vis-à-vis , laquelle avoit des
portes répondantes en diverses rues, d^autant qu'il
avoit déjà eu occasion de le faire audit premier voyage
que le Roi fit à Metz , le voyant à la fenêtre avec le
'maréchal de Schomberg. On avoit si avant imprimé
ce méchant dessein dans le cœur de ce meurtrier,
qu'il l'avoit déjà tenté par plusieurs autres voies,
ayant touché de l'argent à Bruxelles pour délivrer à
deux soldats français qui étoient dans les troupes d'Al-
lemagne , dont l'un s'appeloit La Ramée , et dévoient
retourner en France et se mettre au régiment des
gardes , à dessein de tirer un coup de mousquet au
cardinal lorsqu'il entreroit au Louvre ou en sortiroit.
Alfeston avoit découvert son entreprise à un nommé
Clerbourg en qui il se fioit; mais étant incontinent
«près saisi de crainte qu'il le découvrit , il Talla as-
sassiner auprès de Toul , étant logé à la poste , et à
table , et fit cette action si promptement qu^il eut loisir
de remonter à cheval et se sauver. Donc , pour ces
crimes si énormes , il fut justement condamné , comme
nous avons dit ci-dessus, à être rompu vif; ce qui fat
exécuté, et le même jour fut décrété prise de corps
contre le père Chanteloube, La Roche son valet, et un
nommé Garnier qui avoit été secrétaire du maréchal
de Marillac -, les deux premiers , parce qulls avoient
été chargés^ par le criminel et ses complices, et le
dernier en ce qu'il étoit fait quelque mention de lai
par le procès, qui donnoit lieu de le soupçonner.
Presque en même temps le sieur du Fargis fut , par
jugement souverain du sieur Laflemas, assisté du prë-
sidialdeTroyes, condamné à être tiré à quatre chevaux
DE RICHELIEU. [l633J 449
et ëcarlelë vif pour crime de lèse-majesté, avoir f;srit
des factions dans TÉtat, soustrait les sujets du Roi de
son obéissance, et porté les armes contre son service.
Tandis que le Roi s'employa à mettre le duc de
Lorraine à la raison, et lui ôter le moyen de continuer
à le desservir, Sa Majesté ayant eu avis que la Reine
sa mèreéloit tombée malade à Gand,* envoya les sieurs
Piètre et Rioland, médecins, vers elle pour avoir
soin de sa santé , nonobstant qu'elle sût toutes les
menées qu elle faisoit contre son service , et que le
sieur ddi Barault, son ambassadeur en Espagne, lui
eût mandé , le 19 février , que le comte de Maure et
\ oiture (0 y étoientde sa part attendant Lingendes,
secrétaire du Fargis, un des principaux dans la con-
iiance de Puyiaurens.
Elle lui envoya aussi, par même moyen, le 3 juin,
le sieur Desroches Fumée, capitaine de chevau-légers,
qu'elle crut lui devoir être d'autant plus agréable qu'il
avoit été page de ladite dame, et lui commanda de
lui dire que , sur le bruit commun qui couroit qu'elle
éloit indisposée. Sa Majesté n'avoit pas voulu dif-
férer de le dépêcher vers elle pour s'en éclaircir, et,
au cas que son indisposition fût vraie , lui témoigner
le déplaisir qu'elle en avoit. Il eut charge aussi de lui
dire que , bien que le cardinal sût , à son grand re-
gret , combien son nom lui étoit odieux , il ne laissoit
pas de la supplier de souffrir qu'il lui dit de sa part
qu'elle n'avoit point de serviteur au monde qui loi
(
1) Le comte de Maure et toiture : Le comte de Maure figara de-
puis claas la Fronde, et »*j diitiogua par ton etoorderie. Le poêle
Voiture, derooë à la Reine-mère et à la Reine r^^nte, étoit mélédaaa
toute» Icui» intrigues.
T. î«7. 29
45o [l633J MÉMOIRES
fût plus afTectionné que lui , ni qui reçût plus de dé-
plaisir de sa maladie ^
Que si elle entroit en discours sur le sujet du car-
dinal, il lui dit qu'elle avoit voulu absolument le
perdre , nonobstant qu'il eût toujours été passionné
à son service, sans qu'elle voulût se séparer de ce
dessein, que le Roi ne pouvoit souflrir sans se faire
un notable préjudice; qu'ensuite de ce dessein elle
s'étoit liée avec diverses personnes odieuses au Roi,
et étoit sortie de France, de sorte qu'où n^avoitpu
faire autre chose que ce qu'elle-même avoit* obligé
de faire -,
Qu'il avoit souvent ouï dire audit cardinal qu'il
savoit plus certainement qu'il n'étoit assuré de voir
ce qui étoit devant ses yeux, qu'on l'a voit trompée
en tous les sujets qu'on avoit pris pour le mettre mal
avec elle; qu'il eût bien pu l'en éclaircir, mais que
jamais elle ne l'avoit voulu souffrir, ains lui avoit
dit , en présence du Roi , qu'elle étoit irréconciliable
et le vouloit être ;
Qu'il voyoit bien qu'on vouloit perdre le Roi et
elle en le perdant , qu'elle n'en vouloit pas souffrir le
remède : qu'eût-il pu faire ?
Que ledit Desroches l'avoit vu plusieurs fois les
larmes aux yeux parlant de cette affaire, et disant
qu'outre qu'il ne l'avoit jamais offensée , elle savoit
bien qu'il n'avoit rien oublié de ce qu'il avoit pu pour
se raccommoder avec elle.
Au reste, que jamais le cardinal ne lui a imputé le
mal qu'on lui avoit fait , et les vilenies qu^ou avoit
écrites contre lui , mais bien à ceux qui étoient auprès
d'elle ;
DE RICHELIEU. [i633] 4^>
Qu'il lui avoit ouï dire q:ie, quand elle seroit la
mieux intentionnée du monde, éî^nt environnée de
serpens, ils empoisonneroient son esprit de nouveau
comme ils avoient fait par le passé.
Desroches, passant par Bruxelles, ût les compli-
mens à Tlnfante, de la part du Roi, qui lui avoient
été commandés , qu'elle reçut avec grande civilité et
bonté. Elle lui enjoignit particulièrement de dire an
cardinal qu'elle n'avoit jamais rien cru de tout le mal
que tous ses ennemis lui avoient pu dire de lui *, que
toutes ces calomnies n*avoient point fait d'impression
dans son esprit; qu*elle le prioit de croire que rien
du monde n'avoit le pouvoir de lui faire changer la
bonne opinion qu'elle en avoit conçue ; qu'elle l'esti-
moit autant qu'homme de ce siècle , et voudroit que
toute la terre en fît de même.
De Bruxelles il alla à Gand où la Reine-mère ëtoit,
à laquelle ayant rendu la lettre du Roi, elle lui dit
que sa maladie ne lui éloit point désagréable, puis-
qu'elle avoit donné sujet au Roi de l'envoyer visiter ,
qu'elle en enverroit remercier Sa Majesté par un des
siens qu'elle lui dépécheroil exprès, et ne lui man-
deroit rien qui lui pût déplaire.
A tout ce que Desroches lui dit du cardinal et du
dessein qu'il avoit qu'elle lui donnât lieu delà pouvoir
servir auprès du Roi , se conformant à ce que Sa Ma-
jesté avoit justement reqnis d'elle, elle ne répondit
un seul mot, et toutes les fois qu'il mit en avant son
nom et lui en voulut dire quelque chose, elle ne lai
lit aucune réponse; ce qui montroit la fermeté avec
la(|uelle elle perse véroit en la mauvaise volonté qu'elle
avoit contre lui.
^9
402 [l633] MÉMOIRES
Les mieux sensés qui étoient auprès d'elle souhai-
toientradoucissement de son esprit, et qu'elle se dis-
posât à donner satisfaction au Roi; mais Chanteloube
et madame d'Ornano , qui entre tous les siens avoient
le plus de part dans son esprit, Ten détournoient au-
tant qu'ils pouvoient, et disoient à ladite dame Reine
qu il y en avoit plusieurs de sa maison qui dësiroient
qu'elle fût en France, dût-elle être dans le bois de
Tincennes , d'autant qu'ils avoient moins d^affection
pour elle que pour leur bien, dont ils jouiroient li-
brement; et peut-être parloient - ils eux-mêmes
poussés par la même passion, car Chanteloube avoit
pour sa dépense i5 écus par jour, qu'il n'eût pas eus
s'il eût été en France, et madame d'Ornano i,ooo francs
par mois.
Elle faisoit de grandes plaintes de Puylaurens à
Desroches , et qu'il n'a voit pas vécu avec elle avec le
respect qu'il avoit dû ; elle se plaignoit aussi fort de
Monsieur , qu'elle disoit ne l'avoir pas biea traitée ni
avoir d'elle le soin qu'elle avoit espéré , et toutefois
elle ne pouvoit se résoudre à contenter Sa Majesté,
tant elle étoit encore animée.
Monsieur étoit lors dans l'armée espagnole , où il
avoit voulu faire un tour , quelque prière que lln-
fante lui eût faite pour l'en empêcher.
Puylaurens ne parloit rien moins que de le faire
entrer bientôt en France avec une armée composée
de troupes d'Allemagne , d'Espagne et de Flandre ;
Le Coudray , du Fargis et Delbène , étoient égale-
ment bien en son esprit; les deux premiers le forti-
fioient en cette espérance , Le Coudray se promettant
tout de Walstein, Le Fargis de l'Espagne; le seul
DE hICHELlEU. [l633] 4^3
Delbène ne pouvoit oublier son devoir envers la
France.
L'abbë Scaglit , qui ëtoit en ce tempt-Ià en Flandre »
et avoit grande intdligence avec Le Fargis , publioil
partout qu'il y en avoit qui parloient de raccommo*
dément de Monsieur avec le Roi » mais que c'ëtoit une
chose qu'il ne pouvoit croire , d^autant qu^il savoit
bien que le cardinal ne conseilleroit jamais au Roi de
consentir aucun accommodement qu^à son avantage ,
et que Monsieur ëtoit trop bien conseille pour perdre
le sien.
Néanmoins les Espagnols , qui lui promettoient dé
grandes assistances , n'avoient point de honte de nier
formellement en Espagne an sieur de Bautru , qui y
ëtoit lors , qu'ils l'eussent , Tannëe prëcëdente , assisté
de leurs troupes pour entrer en France, ni trempe avec
lui aux intelligences qn^il avoit eues dans le royaume.
Le comte Olivarès lui avoua que nous plaignant da
contraire nous ëtions dans le vraisemblable, mais que
ce qu'il lui disoit néanmoins ëtoit une vëritë ëvan-
gélique, et il aima mieux le nier absolument q«e
s'arrêter à dire que nous en donnons l'exemple par ki
alliances que nous avions avec le roi de Suède et les
Hollandais, d*antant qu'il savoit, premièrement, qoe
nous n'avions point envoyé de troupes pour ravager
leurs États , et en second lieu , qn^il nous ëtoit permit
d assister nos allies ,• et qne Tinjuste oppression da
duc de Mantone nous avoit oUigës à nous aider da
roi de Suède en ces derniers temps , conune le fea
Roi avoit £iit des Hollandais quand Philippe u voa-
lut , par les moyens de la ligne , envahir la France;
Qu'ils dévoient ces denx alliances aux deox dea-
4^4 [l633J MÉMOIRES
seins d'usurpation qu'ils avoient eus sur la France et
sur ritalie.
Desroches, après avoir fait son compliment de la
part du Roi à la Reine sa mère , en partit le 1 1 juin , et
la Reine envoya avec lui le sieur Heurtault au Roi
pour le remercier du soin qu'il avoit d'elle , lui don-
ner avis du recouvrement de sa santë, et lui rapporter
l'ëtat de la sienne.
Ce premier envoi fut suivi d'un autre tôt après ,
car elle dépêcha le sieur de Brasseux vers le Roi , le
7 juillet, pour savoir en apparence comme les eaux
de Forges lui avoient profité.
Le 25 du même mois , elle prit encore occasion de
dépêcher au Roi le sieur Jacquelot , sur le besoin
qu'elle disoit avoir d'arrêter quelques mois auprès
d'elle le médecin Rioland; ce qu'elle n'avoit voulu
faire sans en envoyer demander la permission à Sa
Majesté.
Tant de voyages commencèrent , non sans sujet , à
donner du soupçon au Roi. Onfaisoit courir le bruit
en Flandre qu'elle se vouloit accommoder avec Sa
Majesté , le duc de Neubourg même eu écrivit au
Roi le 3 juillet. Cependant elle ne vouloit pas con-
sentir de remettre entre les mains de Sa Majesté les
méchans esprits qu'elle avoit auprès d'elle, et lui
avoient donné les conseils qui avoient causé tant de
maux à cet État; et on surprit une lettre de Chante-
loube du 17 juin, par laquelle il témoignoit ouverte-
ment qu'elle étoit bien éloignée de se vouloir bien
remettre avec le Roi , car il mandoit que Desroches
avoit dit en partant qu'il reviendroit bientôt, mais
qu'il perdroit ses pas, que l'on étoit toujours dans
t>E RICHELIEU. [l633J 4^^
Tespéraiice de la trêve : cela fit qu'on commença à
observer soigiieusement les actions et les paroles dé
ceux qui venoient de sa part.
Elle dépécha encore, le 3 novembre, le sienr de
VilHers-Saint-Genest , sans prendre antre sujet de
son envoi que celui d'envoyer apprendre des noa-
velles de Sa Majesté.
Il Talla trouver à Versailles le 6 du mois , et après
lui avoir fait les complimens dont il étoit chargé* t
voyant que Sa Majesté s'étoit retirée en son cabinet,
et craignant qu'elle n'écrivit au cardinal pour recevoir
son avis avant que de lui répondre , il fit instance de
pouvoir encore parler à Sa Majesté avant qu'elle
écrivit; ce que lui étant accordé, il lui dit que la
Reine sa mère lui avoit commandé de lui représenter
le mauvais traitement qu'elle recevoit de Monsieur
par les conseils de Puylaurens , qui lui faisoit des al-
garades et des afironts tous les jours \
Que quatre ou cinq jours avant que lui Yilliers
partit de Bruxelles , il vint dans là chambre de la
Reine avec vingt-cinq gentilshommes , ayant tons de
longues épées à leurs côtés , et faisant comme slls
eussent voulu morguer la Reine, qui de dépit se retira
dans son cabinet où elle pleura long-temps , et que
Puylaurens , sortant après de la chambre , dit qull
étoit venu là pouc faire voir à tout le monde l'auto-
rité et le crédit qu'il avoit dans la maison de Mon-
sieur, et le respectqu'on lui portoit; ce qui augmenta
le déplaisir de la Reine quand elle le sut, et ce d'au-
tant plus qu'elle savoit que Monsieur n'agissoit point
par lui-même, mais suivoit absolument les monve-^
mens de Puylaurens ;
456 , [lG33] MÉMOIRES
Que pour ce sujet elle supplioit Sa Majesté d^avoir
soin de sa santé , non-seulement pour^Famour de lui,
mais pour lamour d'elle , qui aimeroit mieux moarir
que de se voir réduire en Tétat de tomber sous leur ty-
rannie , la soufirance de laquelle , avec patience et sou-
mission à la volonté de Dieu Je père Sufiren disoitêtre
le plus puissant moyen dont la divine bonté se ser-
voit pour la perfection de ladite dame Reine , laquelle
enfin supplioit Sa Majesté sur toutes choses de croire
qu'elle n'avoit eu aucune part en tout ce que Mon-
sieur avoit fait contre Sa Majesté ; qu'il ne lui parloit
point d'affaires , et que même le dernier voyage de
Languedoc avoit été fait à son desçu.
Le Roi répondit très-précisément et très-judicieu-
sement à toutes CQS choses , qu'il étoit bien marri du
mauvais traitement qu'elle recevoit de Monsieur son
frère , et qu'elle ne fût point tombée en cette peine
s'il lui eût plu de suivre ses bons conseils et ceux de
ses fidèles serviteurs. Qu'à la vérité il avoit cru au-
trefois que la Reine sa mère avoit eu de raflection
pour lui , mais qu'elle lui avoit depuis témoigné tant
de mauvaise volonté qu'il avoit bien de la peine à
croire qu'elle eût pour lui celle qu'elle lui témoignoit;
Qu'il savoit la part qu'elle avoit eue au mouvement
de Languedoc, où ses pierreries avoient été vues pour
armer la rébellion ;
Qu'il avoit grand déplaisir de voir qu'il n*y eût plus
de sûreté pour lui en France si la Reine sa mère y
revenoit , non qu'il crut qu'elle voulût elleHnémelui
faire du mal , mais les méchans et les brouillons re-
commenceroient des brouilleries et des cabales pires
qu'auparavant.
DE RICHELIEU. [l633] 4^7
Sa Majesté , voyant qu'il ne loi parloit point du
cardinal , loi demindi s'il n'avoit point cfaarge de le
voir ; il répondit que non , mais qne s^l le troovoil
il le salaeroit , et qoe la Reine étoit toujours fort en
colère contre lui.
A quoi le Roi lui repartit que ai la Reine sa mère
avoit raffection qu'elle disoit pour Sa Majesté , elle
devroit bien aimer le cardinal , pensant aux grandes
choses que Dieu , par ses bons conseils , avoit fait la
grâce d'exécuter à la gloire de son État depuis la prise
de La Rochelle , mais qu'il voyoit bien que , tandis
qu'elle auroit auprès d'elle pour son conseil telles gens
comme étoient le père Chantelonbe et la du Fargis ,
il ne falloit point parler d'accommodement, ni espérer
de pouvoir ramener son esprit.
Le sieur de Villiers répondit à Sa Majesté que pour
la Fargis , la Reine la connoissoit pour ce qu'elle étoit.
Sa Majesté lui répliqua qu'elle étoit une des vipères
de Lyon qui , avec le duc de Bellegarde et le garde
des sceaux de Marillac et autres canailles, avoieni
porté la Reine sa mère à faire tout ce qu'elle avoit fait.
Il dit au Roi que la Reine sa mère étoit fort affli*
gée de ce que Jacquelot lui avoit rapporté qu'à Chan-
tilly un des gentilshommes de la maison du Roi, qu'il
ne lui sut nommer, lui dit qu'il venoit savoir des
nouvelles de la santé du Roi , qu'il se portoit , grâce
à Dieu , mieux que l'on ne voudroit au lieli d'pù il
venoit. Le Roi lui dit que c'étoit la créance de tout le
monde de deçà, mais que celui-là avoit eu la langue
plus longue que les autres. ^
Sa Majesté jugea de tous les discours de Villiers-
Saint-Genest que la disposition de l'esprit de la Reine
458 [l63i5j MÉMOIRES
sa mère étoit telle , qu'elle étoit afiligée du mauvais
traitement qu'elle recevoit de Puylaurens, mais qu'elle
n'étoit pas mieux disposée que par le passé pour ceux
qui ëtoient de deçà. Elle crut néanmoins que ce mé-
contentement étoit avantageux à son service en ce
qu'il feroit approcher Puyiaurens de son devoir, et
Tempécheroit de se tenir si ferme aux injustes pro-
positions qu'il faisoit pour son maître. Sa Majesté ren-
voyant Saint-Genest, lui commanda d'assurer laReioe
sa mère que , grâce à Dieu , il ne se porta jamais
mieux ^ qu'il étoit bien fâché des mëcontentemens
qu'elle avoit de delà, mais qu'elle savoit bien qu'elle
seule en étoit cause -, que si elle lui mettoit ses mau-
vais conseillers entre les mains pour les faire châtier
comme ils le méritoient , et qu'elle aimât ses bons ser-
viteurs comme elle le devroit, il croiroit que son
cœur seroit du tout changé de la mauvaise disposi-
tion qu'elle avoit , quand elle étoit sortie de France,
eu une bonne ; mais que , ne voyant ni Tun ni l'autre,
il n'avoit pas lieu de juger qu'elle fut en Tétat qu'il
pouvoit et devoit désirer ; qu'il ne lui vouloit point
celer qu'il lui étoit tombé un paquet en main qu*on Ini
avoit envoyé sans qu'il sût d'où il veuoit, écrit de
la propre main de Chanteloube, du temps que Sa Ma-
jesté avoit renvoyé Desroches vers la Reine, par lequel
ce coquin (0 écrivoit en se moquant de sa visite, et
assui;ant*que la Reine ne s'accorderoit jamais; qu'on
attendoit que Desroches revint de sa part, avec bonne
préparation et résolution de se moquer de tout ce qu'il
(i) Ce coquin ; On voit aircc quelle passion Richelieu parle du p^
Chanteloabe. Cela fait nattre quelques cloutes sur la rdalité des torts
qn^il lui impute.
DE RICHELIEU. [lG33] 4%
(liroit , sans cela il Teût renvoyé , roais qu'il se retint
j)our ce sujet -, qu'il étoit difficile de croire comme la
Reine pouvoit avoir de si bonnes intentions qu'il di-
soit, puisqu'elle supportoit un maraud d'hypocrite
(|ui tenoit tels langages ;
Que le père Suflren n'avoit pas dit à son avis à cet
honnête homme qu'il fût permis de faire tuer le car-
dinal , comme il avoit voulu faire faire par Alfeston
qui ayoit été exécuté à Metz , le faisant accompagner
par deux qui avoient été gardes de ladite dame Reine,
et lui donnant un des chevaux de son écurie qu'il con-
noissoit bien étant écuyer , qu'il s'appeloit le Polacre,
autrement le Grand-Hongre; que le respect que Sa
Majesté portoit à la Reine faisoit qu'il le prioit de lui
ramener ce cheval que le sieur Bouthillier lui feroit
rendre , et la prier de sa part de ne souffrir point que
si racchans desseins se fassent en sa maison, car, outre
(|uc la personne du cardinal lui étoit plus chère qu'il
ne lui pouvoit dire , il lui avouoit qu'il faudroit être
bien simple pour ne croire pas qu'un méchant homme
qui étoit capable d'un tel dessein en pourroit faire
d'autres. La Reine-mère ne fit pas plus de profit de ce
que Villiers-Saint-Genest lui rapporta de la partduRoi,
qu elle avoit fait auparavant de tous les autres moyens
dont Sa Majesté s'étoit servie pour la rappeler à son
devoir; elle demeura toujours dans ses sentimens, et
sans condescendre à rien de ce que Sa Majesté dési-
roit d elle. Elle continuoit , sous divers sujets frivoles,
d'envoyer les siens vers le Roi, lesquels on avoit lieu
d'appréhender qu'ils vinssent à autres desseins : elle
envoya , le i4 décembre , le sieur Jacquelot sous
ombre de quelqu'un de ses chariots qu elle disoit lui
46o fl633] MÉMOIRES
avoir été arrêté à Péronne, qui lui fut renvoyé quand
le Roi en eut avis , mais qui n'étoit pas un sujet qui
méritât qu'elle dépéchât un gentilhomme exprès. Cela
obligea Sa Majesté de lui mander par ledit Jacquelot
que , puisqu'elle n'avoit point d'égard à ce qu^il avoit
chargé le sieur de Villiers de lui dire de sa part, tou-
chant les mauvais conseils qui lui avoient été donnés
depuis long-temps y il avoit commandé audit Jacque-
lot de lui faire connoitre que les voyages qu'elle
pourroit faire faire de deçà ne lui seroient pas agréa-
bles , vu qu'elle n'étoit pas disposée à ce que la rai-
son requerroit afin qu'ils lui fussent utiles.
L'effet que cette lettre de Sa Majesté produisit fut
que la Reine sa mère envoya à Paris un de ses gen-
tilshommes domestiques , nommé Brasseux , parent
du père Joseph , audit père , pour lui témoigner qu'il
lui feroit plaisir de disposer le Roi à se réconcilier
avec elle et la recevoir en France.
Ledit Brasseux s'adressa au sieur du Tremblay, qui
le blâma fort d'être venu sans passe-port, le Roi
ayant dit à Jacquelot qu'il ne vouloit plus qu'elle ren-
voyât ici, si elle ne lui vouloit mettre Chantelonbe, et
autres auteurs et participans des assassinats qu'on
avoit voulu faire et des mauvais conseils qu^elle avoit
pris j entre les mains.
Le père Joseph ne le voulut point voir , puisqu'il
n'apportoit pas satisfaction au Roi , et lui dit qu'il
s'emploieroit volontiers à ce que désiroit la Reine ,
si elle se mettoit au chemin qu'elle savoit bien qu'il
faudroit pour ce faire.
Quinze jours après elle envoya à M. BouthiUier un
nommé Chantemèle son parent pour lui faire la même
DE RICHELIEU. [l633J 4^1
proposition, à laquelle ledit sieur Bouthillier répondit
avec tout respect, comme le père Joseph avoit fait
faire par le sieur du Tremblay son frère.
Bien que ces envois , sans aucune proposition de
la part de ladite dame Reine, fussent avec peu d'ap-
parence de bonne intention de sa part, et moins d'es-
pérance qu'ils dussent produire aucun fruit, la ma-
tière néanmoins étoit si importante et si chère à Sa
Majesté, qu'elle en voulut délibérer mûrement en son
conseil.
Là il lui fut remontré, le i8 décembre, qu'elle avoit
jusqu'ici témoigné avoir une mauvaise volonté contre
rÉtat ; que le Roi , auparavant qu'elle se retirât de
France, lui avoitofi'ert toutes sortes de conditions d'ac-
commodement , demeure à son choix , places et gou-
vernemens *, qu'elle connoissoit bien par là qu'on ne
vouloit user d'aucune rigueur en son endroit, et ce-
pendant, sans sujet aucun de crainte , elle s'étoit re-
tirée avec les ennemis déclarés de cet État ; ce qu'elle
ne pouvoit avoir fait sans un extraordinaire dessein
de vengeance et d'irréconciliatiou éternelle ;
Qu'elle savoit bien que le Roi avoit et devoit avoir
une extrême jalousie de son union avec Monsieur,
son frère , héritier présomptif de la couronne ;
Quelle savoit bien encore que, se retirant avec
les Espagnols , tous les bons Français condamneroient
celte action , et reconnoitroient qu'elle étoit contre
le sentiment de la nature envers son fils.
Qu'ayant passé par dessus toutes ces considéra-
tions , les aveugles ne pouvoient ne voir pas qa'il y
avoit un dessein d'irréconciliation perpétuelle, à qaoî
il falloit bien prendre garde ^
462 [l633] MÉMOIRES
Que cette aversion du Roi et de TÉtat lui avoit
toujours continué depuis Tunion avec les Espagnols
et TEmpire ; le soulèvement du Languedoc en étoit
un évident témoignage, et encore de nouveau la ma-
nière dont elle avoit reçu les très-humbles soumis-
sions que Desrocîîes lui avoit faites de la part du
cardinal , et la confession de Villiers-Saint*Genest â
Sa Majesté, à laquelle il avoit avoué franchement
qu'elle avoit encore le cœur ulcéré contre ledit car-
dinal. Qu'à la vérité elle faisoit lors semblant de voa-
loir se remettre avec le Roi , mais qu'il y avoit peu de
sujet de prendre confiance en ses paroles , si elles
n'étoient appuyées d'effets irréprochables ; que Sa
Majesté se devoit souvenir que le procédé qu'elle
avoit gardé en toutes choses , montroit qu'il ne falloit
point du tout prendre garde à ses paroles, et que
lorsqu'elle assuroit le plus qu'elle n'avoit point de
dessein, c'étoit lors qu'on devoit tenir plus assuré
qu'elle en avoit quelqu'un dans l'esprit;
Qu'elle en avoit toute sa vie usé de la sorte : étant
à Blois elle avoit juré sur les Évangiles qu'elle ne pen-
seroit point à en sortir, et au même temps elle pré-
paroit son évasion. En ces dernières occasions elle
avoit toujours soutenu ce qui étoit évidemment
faux , avec autant d'assurance que s'il eût été vé-
ritable ;
Que, quand elle donna des pierreries à Monsieur,
elle en avoit usé de la sorte, disant qu'elle Ta voit fait
sans y penser ;
Que, quand Monsieur étoit sorti de la cour, elle
avoit fait la même chose, soutenant qu'elle n'en sa-
voit rien, bien que Monsieur eût déclaré même i
DE RICHELIEU. [l633J 4^3
Courlenay qu'elle Tavoit fait sortir; ce que le maré-
chal d'Eslrëes disoit avoir su d^ailleurs;
Quand elle avoit voulu un prétexte pour ne sortir
point de Compiègne , elle avoit feint aussi hardiment
qu on la vouloit enlever avec des galères , ce qui n'é-
toit point, comme s'il eût été vrai; et cependant le
maréchal d'Estrées avoit dit qu^il savoit bien qu'elle
n'avoit pris cela que pour prétexte;
Que, quand Sourdeac fit courir le bruit qu'elle s'étoit
retirée, elle dit aussi hardiment que c'étoitle cardinal
qui étoit auteur de ce bruit, comme s'il l'eût été ;
Que, par ses lettres et à ceux à qui elle parloit,
elle imputoit à crime qu'on pensât seulement qu'elle
se pût retirer avec l'Espagnol.
Enfin , quelle feinte et quelle dissimulation n'avoit-
elle pas faites pour ravoir Vautier, faisant semblant
de le vouloir chasser? et encore depuis peu de jours
n avoit point eu de honte de protester à Sa Majesté,
par Villiers-Saint-Genest , qu'elle n'avoit eu aucune
part au mouvement du Languedoc , qu'on sait néan-
moins n'avoir commencé et subsisté que par elle.
Et partant, que la simple apparence qu'elle donnoit
maintenant de vouloir se réconcilier avec le Roi étoit
point ou peu considérable.
Davantage, qu'on ne voyoit aucun profit qu'on pût
retirer de son retour, ains beaucoup de mal;
Que le retour de Monsieur en seroit moins certain,
à cause de la mauvaise intelligence qui étoit entre la
Reine et lui, qui n'étoit pas un motif peu puissant
pour porter Puylaurens à penser au retour de Mon-
sieur, pour éditer les lieux où la Reine étant pré-
sente lui pouvoit faire recevoir des effets de la haine
464 [l633J MÉMOIRES
mortelle qu'elle Importe*, ce qui faisoit que , si elle
venoit en France , il auroit moins d'inclinaliou cTy
amener Monsieur, et ledit Puylaurens pourroit plus
facilement être retenu en Flandre par les amours (0,
qui jusques ici n'avoient pas peu servi à empêcher
qu'il n en sortit. De plus j que , supposé que Monsieur
revint, le fruit de son retour seroit moins assure,
parce qu étant tous deux ils pourroient avec le temps
se réunir et prendre de nouveaux desseins par la^ug-
gestion de la Reine , qui jusques ici avoit témoigné
Être irréconciliable dans le cœur, lors même qu'elle
donnoit de belles apparences , et la dissolution de soa
mariage plus incertaine , quelque volonté qu'il en
eût, la Reine n'ayant autre but que de Tempecher;
et quand elle seroit faite elle seroit moins stable,
vu que la Reine étoit la seule personne qui pourrait
solliciter Monsieur contre ce que Ton pouvoit dési-
rer-, qu'il seroit moins libre, pour la même raison,
de remarier Monsieur à qui le Roi le jugeroit à pro-
pos , et principalement avec la princesse Marie que
la Reine avoit en aversion particulière ^
Que le repos du royaume en seroit moins assuré ,
étant certain que beaucoup de gens se fieroient vo-
lontiers à la Reine des mauvais desseins qu'ils aa-
roient contre TEtat , pour la connoître résolue et obs-
tinée à se venger , au lieu qu'ils n'oseroient prendre
la même confiance en Monsieur, qu'ils estimoient lé-
ger, parce qu'ils en connoissoieut la bonté, et que de
soi-même il n'étoit pas enclin à mal faire ;
(i) Retenu en Flandre par les amours : On a to qne Pajlnrc»
«ftoit Tamanc de la princesse de Phalsbourg , c|ui vrq^t suivi à DiiiirMn
la princesse Marguerite sa sœur.
DE RICHELIEU. [l633J 4^5
Que la tranquillité de TespritâuRoi seroit moins
grande , et la sûreté de sa personne moindre dans Ti-
magination de beaucoup de gens;
Que Tobéissance qui est maintenant rendue au
Roi de toutes les parts de son royaume ne seroit plus si
absolue, d autant que ceux qui voudroient s'en dis-
penser croiront avoir du soutien , et au lieu que la
crainte les retenoit maintenant en leur devoir, lors
Tespérance qu'ils concevroient d'être un jour récom-
pensés de leur crime , les rendroit plus hardis à Ten-
treprendre ;
Que la vie des serviteurs duRoi, contre lesquels on
avoit fait visiblement divers attentats de loin , seroit
ouvertement en compromis, étant bien plus aisé d'y
entreprendre de près, et quand on auroit un pied
dedans la France , qu'en étant dehors.
Au reste , quand même la Reine et Monsieur se-
roient tous deux demain contens du Roi dans le
royaume , et du tout divisés entre eux , qu'il étoil
certain que dans trois mois ils seroient mécontens,
quelque soin que Ton prit de les satisfaire , et se réu-
niroient par leur mécontentement, et formeroient un
parti puissant; au lieu que, si Monsieur étoit dans le
royaume et la Reine dehors, la distance des lieux
feroit qu ils ne le pourroient pas (aire aisément.
Cependant le conseil ne laissa pas de conclure que,
si la Reine vouloit témoigner être innocente des as-
sassinats quon avoit entrepris depuis peu, au moins
par la sollicitation des siens plus confidens, ou le re-
pentir d'iceux, en livrant à la justice du Roi les au-
teurs de si pernicieux conseils , Sa Majesté devoit la
recevoir en son royaume, lui donner la jouissance
T. ^7- 3o
466 [l63i] MÉMOIRES
de son bien et de toutes ses pensions , pour en vivre
librement en quelqu'une de ses maisons éloignée de
la cour, au moins jusques à ce qu'on eût des preuves
nettes de sa conduite.
Mais que si au contraire elle ne vouloit point
donner cette preuve raisonnable de son innocence ou
de son repentir , la recevoir en ce royaume étoit se
mettre un serpent dans le sein , d'autant plus dange-
reux qu'il n'étoit pas permis de lui faire mal y lorsque
même on en recevoit les piqûres les plus mortelles ;
ce qui faisoit que le seul moyen de s'en garantir in-
nocemment étoit de la tenir éloignée.
Mais les propositions que le Roi lui faisoit avoient
beau être justes, et pour son avantage aussi bien que
du service de Sa Majesté , elle n'avoit point d'inten-
tion de les exécuter ni de condescendre à aucune
chose raisonnable, d'autant qu'elle nourrissoit tou-
jours en son esprit les premières espérances qu'elle
avoit conçues, que, par le moyen et les forces de
l'Espagne, .elle contraindroit le Roi de se soumettre
à sa volonté , ou plutôt aux indignes passions des
siens.
Lorsqu'elle commença à témoigner désirer se rap-
procher du Roi , ce fut au temps qu'elle apprit que
les continuelles poursuites que le Roi faisoit pru-
demment par personnes interposées auprès de Mon-
sieur , faisoient quelque impression en son esprit pour
le rapprocher de sou devoir. Elle le vouloit empê-
cher , et crut ne le pouvoir par une voie plus facile
que de faire semblant de traiter elle-même, et qn*elle
en étoit fort recherchée de la part du Roi et du car-
dinal , afin , par ce moyen , de donner créance que les
DE RICHELIEU. [l633J 4^7
afl'airos de Sa Majesté ne pou voient plus long-temps
supporter son éloignement , et quant et quant espé-
rance à Puylaurens de pouvoir obtenir facilement
toiiles les demandes qu'il voudroit faire, et partant
ve(|iiérir du Roi des ckoses si importantes à son Etat ,
qno le cardinal , qu'elle savoit bien qui ne se relâche-
roit jamais à condescendre à ce qui préjudicieroit à
son service , le déconseilleroit de les lui accorder.
Ce mauvais dessein eut son effet pour lors, car
Puylaurens, qui, comme nous avons dit ci-devant,
vAo'xl mal avec elle, avoit porté Tesprit de Monsieur
à s'accommoder avec le Roi, et ensuite Monsieur
avoit dépéché, dès le mois de juillet, le sieur Del*
bène à Sa Majesté , avec charge de Tassurer que pour
se remettre en ses bonnes grâces il se départiroit de
toutes sortes d'alliances, traités, intelligences et pra*
tiques, avec qui que ce soit dedans et dehors le
royaume;
Qu il ne vouloit prendre aucune part en ce qui re-
gardoit présentement ou à l'avenir M. de Lorraine \
Que, si Ton jugeoit à propos, ledit seigneur,
(!omme aussi ledit sieur de Puylaurens, romproient
ouvertement avec la princesse de Phalsbourg.
Que le sieur de Puylaurens déclaroit ingénument
((u il étoit mal avec la Reine-mère, les Espagnols et
!M. d'Elbeuf, et qu'il désiroit, pour réparer ses fautes
passées, faire tout ce qui lui seroit possible près de
Monsieur pour le maintenir dans le service etl'obéis^
sance du Roi.
Delbène dit que pour cet effet il désiroit suivre
désormais les bons conseils du cardinal et ôter tous
les sujets de défiance que Ion pourroitprendredelui ;
3o.
468 [l633J MÉMOIRES
Que Monsieur supplioit le Roi de lui faire savoir
en quel lieu de son obéissance il lui plairoit qu'il de-
meurât pour quelque temps , en attendant que Sa Ma-
jesté eût agréable qu'il retournât à la cour; qnll dé-
claroit n'avoir point de choit d'aucune province ,
mais qu'il supplioit le Roi de trouver bon qa'en celle
où il Tenverroit il pût y être garanti des premières
appréhensions et des ombrages que lui pourroient
donner ceux qui ne le désireroient pas voir rentrer
en la coniSance de Sa Majesté ;
Que y pour témoigner combien Monsieur estimoit
la prudence et les conseils du cardinal , il vouloit se
remettre à lui sur le choix du lieu de sa demeure ,
s'assurant que , sous les commandemens du Roi , il
auroit égard qu'il pût y avoir une sûreté telle qu'il
fût garanti desdites appréhensions.
Sa Majesté ayant ouï Delbène l'envoya au cardi-
nal , auquel il dit qu'il avoit charge particulière de loi
dire que , si le Roi trouvoit bon que Puylaurens eût
assurance de sa personne par l'alliance avec ledit car-
dinal , à qui il demandoit par lui la moindre de ses
parentes , il serviroit fidèlement et agréablement le
Roi en choses qui lui seroient très- utiles.
Ledit Delbène étant pressé de les dire par le car-
dinal, il fit connoitre ouvertement que le mariage de
Monsieur étoit fait avec la princesse Marguerite, et
que Puylaurens trouveroit les moyens de le rompre,
pourvu qu'il fût assuré, ce qu'il ne demandoit plus
d'être par une place frontière qu'il savoit bien qu*on
ne lui donneroit pas , mais par le mariage proposé.
Le cardinal lui ayant répondu qu'il sauroit la vo-
lonté du Roi sur ce sujet, et qu'en son particulier il
DE RICHELIEU. [l633J 4^
cstimeroit toujours fort Tamitiéde Puyiaureos quand
il scroit dans le service du Roi comme il devoit être,
communiqua le tout aux garde des sceaux Bouthiliier
et père Joseph j qui ëtoient dans la chambre , esti-
mant que c'étoit une grande découverte de savoir
que le mariage de Lorraine ëtoit fait et consommé ,
et que Puylaurens voulût donner les moyens de le
rompre.
Le cardinal envoya Bouthiliier le secrétaire d'État,
que nous appellerons dorénavant le sieur de Chavi-
gny , trouver le Roi , pour lui dire tout ce qui s'étoit .
passé et recevoir ses ordres.
Sa Majesté manda au cardinal par lui qu'il fid-
loit faire bonne réponse audit Delbène sur le siyet
du mariage qu'il avoit proposé , l'en laisser dans l'es-
péra noe. ,
Le cardinal , conformément k cela , lui dit que le
Roi approuvoit l'alliance qu'il avoit mise en avant ,
pourvu que M. de Puylaurens lui rendît le service
qu'il proposoit sur le sujet de la rupture du mariage
de Monsieur; qu'en son particulier il seroit très-aise
de servir ledit Puylaurens s'il prenoit un chemin
contraire à celui qu'il avoit fait jusqu'alors;
Que , pour ce qu'il avoit demandé pour Monsieur^
8a Majesté lui accordoit ce qu'il pou voit désirer rai-
sonnablement, qui étoit que le Roi, inclinant à la
supplication très-humble que Monsieur , son frère,
lui avoit faite par sa lettre du , de vouloir encore
oublier la nouvelle faute qu'il avoit commise, sortant
du royaume depuis qu'il avoit plu à Sa Majesté le
remettre l'année passée en sa grâce, étant à Béziers,
<;ur l'assurance qu'il lui donnoit qu'il renonçoit pour
470 [lti33J MÉMOIRES
jamais à toutes intelligences étrangères j sans excep-
tion quelconque, et à celle de toute autre personne
qui voulût troubler la prospérité des affaires du Roi ,
Sa Majesté ne doutant point que les sentimens du
cœur de Monsieur, son frère, ne fussent conformes
à ses paroles, et tenant pour assuré qu'à l'avenir il
auroit un perpétuel contentement de ses actions , lui
remettoit de très-bon cœur la susdite faute qu'il avoit
commise, et vouloit et entendoit que la grâce qu'il
lui accorda à Béziers sortit son plein et entier effet
ponr lui et pour les siens, ainsi que s'il ne fût rien
arrivé qui en eût interrompu le cours , pardonnant de
nouveau tout ce qui pouvoit depuis avoir éié fait
coi^tre son service, ainsi qu'à Béziers Sa Majesté avoit
usé de pareille grâce pour ce qui avoit été fait au-
paravant;
Et d'autant que Monsieur, son frère, lui avoit fait
témoigner par Delbène qu'il se sentiroit grandement
obligé si Sa Majesté avoit agréable de lui accorder
une autre demeure que la ville de Tours, où elle
désira qu'il allât l'année passée , Sadite Majesté trou-
voit bon que mondit sieur son frère pût demeurera
Moulins et autres lieux du Bourbonnais, Trévoux ou
Dombes, ainsi qu'il lui plairoit; et afin qu'il put être
auxdits lieux avec plus de dignité. Sa Majesté loi
permettoit d'avoir avec lui la compagnie de ses gardes
et celle de ses chevau-légers , du nombre qu'il plai*
roit à Sa Majesté lui ordonner, et, qui plus est, de
tenir dans Trévoux quarante hommes comme en gar-
nison, afin que, quand il voudroit inopinément y aller
chasser, il y trouvât ce nombre de gens pour faire
garde devant son logis.
DK RICUEU£U. [l633] 4?^
La Reine, ayant quelque vent de la disposition de
Monsieur à désirer s'accommoder, ne trouva meil-
leur moyen delà traverser que défaire semblant d*étre
recherchée du Roi de traiter.
Delbène, qui ëtoit bien intentionné et ne savoit
rien de ses ruses , est étonné qu'à son retour il trouve
Tesprit de Puyiaurens si changé, qu'au lieu de vou-
loir approuver qu'on rompit le mariage de Monsieur,
il insistoit qu'on l'approuvât.
Ledit Delbène le mande en août à son frère pour
en donner avis au cardinal, et quant et quant qu'on
le vouloit renvoyer, mais que ce n'étoit que pour
amuser et donner temps à M. de Lorraine , et que le
principal auteur de ce conseil étoit le sieur d'Elbeuf ,
ce dont il avertissoit, ne voulant pas être instrument
à tromper.
Depuis , l'abbé Delbène vint trouver le Roi éiati^t
à Nancy , et lui dit que Monsieur vouloit bien accep-
ter ce qui lui avoit été proposé , pourvu que Sa Mar
jesté approuvât son mariage et reçût sa femoie, et
qu on lui donnât un nouveau gouvernemept.
11 fut renvoyé avec charge de dire à Monsieur, que
le Roi n'approuveroit point son mariage , et que s'il
vouloit cette condition il n'avoit rien à espérer , l«
Roi ne la pouvant consentir.
Depuis il est revenu à Paris le i5 novembre,
disant qu'il y auroit peut-être moyen d'obtenir de
Monsieur qu'il s'accordât sur le sujet de son mariage
à ce que désiroit le Roi ; que Puyiaurens y feroit son
possible , si le Roi vouloit donner à Monsieur te gou-
vernement de Champagne ou de Bourgogne et une
place.
On crut qu'il désiroit Mâcon pour Puylaureus,
pour donner espérance aux Espagnols que par cette
place il avoit moyen de former un parti en France \
Sa Majesté crut la lui devoir accorder pour tirer
Monsieur du péril présent auquel il étoit, et parce qu^il
sait bien qu'ayant bon pied, bon oeil , il empécheroit
bien qu'avec cette place on ne formât point de parti.
Ainsi Sa Majesté renvoya ledit abbé avec charge de
faire savoir, que si Monsieur vouloit consentir à son
démariage et se remarier au gré duRoi, Sa Majesté lui
donneroit le gouvernement d'Auvergne, le remet-
troit en ses apanages et ses pensions , pardonoeroit
à tous ceux qui Tont servi et suivi , et les remettroit
en leurs biens , fors au Coigneux , Monsigot et aux
évéques poursuivis ; qu'il donneroit Mâcon à Puylau-
rens , et pour plus grande sûreté de cette promesse
le Roi se résolut d'aller au parlement pour y faire une
déclaration que nous verrons l'année suivante , qui
rendant sa parole publique la rendoit aussi invio-
lable aux esprits même les plus méfians ; mais, pour-
ce que plusieurs peu considérés se laissoient si fort
aller au désir qu'ils avoient que Monsieur re^^t,
qu'il n'y avoit chose qu'ils n'eussent accordée pour
préjudiciable qu'en pût être la suite , Sa Majesté tint
conseil sur cette affaire le i8 décembre, auquel
le cardinal remontra qu'il s'agissoit de faire revenir
Monsieur en France ou le laisser en Flandre;
Que pour ne pas se tromper en cette affaire, il &1-
loit la considérer selon toutes les diverses faces qu'idle
pouvoit avoir.
Si Monsieur demeuroit où il é toit , il étoi t certain que
lesavantagesquel'on procuroit maintenant à laFrance
UE HICHELIEU. [l633j 4?*^
seroient peu stables pour lavenir, et qu apparem-
ment rhabitude et la liaison qu'il contractoit de plus
en plus avec les Espagnols, lui pourroit donner lieu
de renverser un jour en un instant tout le bien
qu'on auroit procuré à ce royaume en beaucoup
d'années, non sans grande peine; mais comme en ce
cas tels malheurs étoient à craindre , Monsieur étant
éloigné comme il étoit, on étoit garanti du mal pré-
sent qu'il pourroit faire s'il étoit en Franoe avec mau-
vaise intention.
Si Monsieur revenoit à conditions dont on ne put
juger apparemment que TEtat pût recevoir du mal,
et qui toutefois lui fussent avantageuses , comme
étoient celles que le Roi lui offroit, ce seroit assuré-
ment le bien de TEtat , attendu qu'outre que son
retour sembloit devoir nous garantir des maux de
l'avenir , il pouvoit aussi rendre Tétat de la France
d'autant plus considérable que les principales puis-
sances ne seroient plus divisées.
Mais si Monsieur revenoit aux conditions de-
mandées par le sieur de Puylaurens, qui, outre l'Au-
vergne que l'on accordoit à Monsieur, vouloit une des
meilleures places de la frontière de Bourgogne , où
Monsieur et tous ses serviteurs pussent demeurer
éloignés de la cour en toute liberté , il y auroit en ce
cas beaucoup k craindre et peu à espérer. .
Beaucoup à craindre , d'autant que par ce moyen
Monsieur seroit bien plus lié et plus considérable
({u'il n'étoit présentement aux Espagnols , qu'on sa-
voit certainement n'avoir jamais désiré autre chose
sinon c|u'il eût un pied en France, et en situation telle
f|u étant proche d'eux non-seulement le pussent-ils
474 flC)33j MIÎMOIKES
iiiaiiilcnii',mais queii outre il leur pût donner entrée
libre en France quand ils seroient en ëlat de la trou-
bler, comme ils avoient fait par le passé ; en ce cas it
étoit certain qu'on n'oseroit plus rieil entreprendre
aux pays étrangers, soit pour secourir nos alliés, soit
pour étendre les bornes de cet État , pource qu*aa
même temps on auroit h craindre une diversion par
cette place , et quand même on ne la feroit pas ac-
tuelle , on en donneroit tant d'alarmes , sans même
qu'on pût s'en plaindre ouvertement, qu'on auroit
tout-à-fait les mains liées ;
Qu'au reste il étoit certain que si les maufais
Français voyoient à Monsieur un établissement puis-
sant et fort en France , ils reprendroient cœur et
dessein de mal faire -, et tel qui témoignoit à cette
heure être bien affectionné , tourneroit casaque OQ-
vertement surTespérance qu'il auroit d'impunité;
Que les huguenots mêmes qui étoient abattus, ne
perdroient aucun temps de se relever s'ils en voyoient
l'occasion.
Restoit ù voir si on pouvoit avec conscience, hon-
neur et utilité, promettre ladite place pour faire venir
Puylaurens , et l'arrêter au lieu de la donner ;
Qu'il n'y avoit pas grand lieu de douter pource qui
est de la conscience , vu les mauvais desseins qa*on
savoit qu'il avoit contre l'Etat ; mais il y avoit plus de
difliculté pour l'honneur, qui seroit visiblement inté-
ressé en cette occasion , quelque prétexte qu'on pût
prendre , étant certain qu'on ne pouvoit manquer
de parole (ce que jusqu'ici on n'avoit point encore
fait) sans recevoir un préjudice irréparable.
Mais que tant s'en falloit qu'on y vit aucune utilité,
DE RICHELIEU. [l633] 4/'*^
c|iril paroissoil tout le contraire; car quand on auroit
arrête Puylaurens , il f'audroit faire le môme de Mon-
sieur (ce qui n'étoit pas imaginable), ou Monsieur
s'en relourneroit assurément hors du royaume sans y
pouvoir jamais revenir sur quelque parole qu'on lui
pût donner, et au lieu que Puylaurens Tavoit empêché
jusqu a présent de s'unir avec la Reine , ceux qui
prendroienl sa place auprès de lui l'y porteroient in-
dubitablement , ce qui causeroit bien plus de mal pour
le présent qu'on ne sauroit recevoir d'utilité de la
prise dudil Puylaurens, et qui pour l'avenir devoit
loul faire craindre, étant certain que la Reine, animée
au point qu'elle étoit, n'oublieroit rien de ce qu'elle
pourroit pour le rendre irréconciliable;
Oue si on disoit qu'en arrêtant Puylaurens il fal-
loit prier Monsieur de demeurer en un lieu, mettant
civilement ordre qu'il n'en pût sortir, outre que cela
étoit fort aisé à dire et difficile à faire • on ne voyoit
pas que par là on gagnât aucune chose pour le pré-
sent, mais bien qu'on se mettuit en état de perdre
tout pour l'avenir,
(^ue pour le présent le Roi désiroit la rupture du
mariage de Lorraine et celui de la princesse Marie ;
c|ue Monsieur étant en l'état présupposé ci-dessus ,
ne le seroit plus de faire ni l'un ni l'autre, parce
qu'il seroit censé privé de liberté; au contraire, on
alTermiroit par ce moyen l'alliance de Lorraine d'un
nouveau nœud, le procédé qu'on garderoit envers
lui Tobligeantà s'unir avec tous ceux qu'il penscroit
être intéressés à venger son injure ;
(^)iie pour l'avenir, il étoit certain que ceux qui
servoieiit le Roi ne pourroient jamais espérer de ré-
476 [l(i33] MÉMOIRES
conciliation avec Monsieur , et ainsi se metiroient
par imprudence , dont on ne pourroit tirer aucun
fruit , en ëtat de recevoir certainement beaucoup de
mal *,
Que si Ton disoit, comme Ton faisoil, qu'autrefois
des personnes de la qualité de Monsieur avoient été
arrêtées en nos derniers temps, on répond que c*étoit
la Reine-mère qui en usoit ainsi , reine qui ëtoit
censée agir par elle-même , que cette détention oe
pouvoit lors être imputée à des particuliers , comme
elle seroit maintenant qu'elle avoît d'autres en£uis
dont elle espéroit des successeurs.
Qu'au reste feu Monsieur qui fut arrêté le (ut fort
peu de temps, ce que Ton ne pourroit pas se pro-
mettre en la proposition qu'on faisoit , si par on
tel moyen on vouloit éviter le mal qu*on pourroit
craindre.
Que le malheur de la France étant tel que le Roi
a demeuré dix-huit ans sans enfans , ceux qui jo-
geoient qu'il n'en auroit point, chargeroient ceuxqai
le servoient d'une calomnie endiablée, leur mettant
à sus qu'ils voudroient perdre l'héritier présomptif
delà couronne, ce qui causeroit beaucoup de mauvais
accidens , qu'on pouvoit prévoir en gros , mais non
pas en particulier.
Partant il concluoit que si Monsieur ne vouloit
revenir aux conditions avantageuses que le Roi lui
ofi'roit, d'une somme notable pour payer ses dettes ,
de la continuation de ses apanages et pensions , du
rétablissement de tous les siens en leurs biens , des
grandes gratifications qu'il 'vouloit faire à celui qoi
tenoit la première place auprès de lui, du gouverne-
DK RICHELIEU. [l633] 477
ment d'Auvergne qu'il lui oflroit, de la liberté d'y
demeurer avec ses gardes, gendarmes et chevau-
légers, il valoit mieux le laisser au lieu où il ëtoit
que de tenter un des deux derniers moyens susdits ,
qui ne pouvoientétre à son avis ni honnêtes ni utiles,
et auxquels, par conséquent, il ne voudroit pour
rien du monde adhérer^ protestant que ce n'étoit
point la crainte du péril qui Ten empêchât , mais la
seule connoissance qu'il avoit que l'honneur et la
réputation du Roi ne le pouvoient permettre , et qu'il
y avoit tant à perdre au lieu de gagner en un tel
dessein , qail faudroit être insensé pour y penser.
Ainsi le mauvais conseil qui fut donné à la Reine eut
son eflet lors ; et Monsieur, croyant que les affaires
du Roi le forçoient à le rappeler en sa grâce, de-
manda à Sa Majesté des choses si hors de raison qu'il
ne lui put accorder.
Nous ne devons pas encore omettre que lorsque
ladite dame Reine fit semblant de se vouloir bien
remettre avec le Roi , ce fut au temps que l'on espé-
roit en Flandre de grands exploits de l'armée du duc
de Feria, qui devoit passer en Italie et descendre
en Alsace, pour là se joindre aux troupes du duc de
Lorraine, qui en la vanité de cette espérance se perdit
comme nous avons dit.
Ceux qui étoient auprès d'elle lui donnoient ces
conseils pour en prendre un sujet de pouvoir dire
qu'il n avoit pas tenu à elle que la mésintelligence
d'entre Sa Majesté et elle ne prit fin , et que les
effets qu'ils s'imaginoient tirer de l'armée du duc de
Feria ne fussent détournés. Mais Dien , qui a en sa
protection les justes intentions , et principalement
47 }^ [lG33] M Ê MOI U ES
celles (les princes qui redondent au bien d^uiie grande
multitude de peuples soumis à leur empire, en dis-
posa autrement, et fit évanouir cet orage qui nous
éloit préparé.
Le duc de Lorraine qui étoit toujours de la partie,
et plus par Topiniâtreté de sa mauvaise volonté que
par rintérét de sa sœur, se portoit à sa raine pour
ofTenser le Roi , bien qu'il fût dépouille de la meil-
leure partie de ses places et comme tout désarmé ,
s'opposa néanmoins encore et au Roi et à son propre
bien et à sa parole, et, sur Tespérance du passage
de Tarmée du duc de Feria qui lui proraettoit d'être
bientôt à lui, commença à armer de nouveau, en
ayant le moyen parce que le Roi le laissoit jouir
de tout son revenu^ et afin d avoir un prétexte <
ne se souvenant pas que Toeil clairvoyant du Roi ne
se laissoit point tromper et savoit discerner les véri-
tables d'avec les faux, mande à Sa Majesté, le ao
octobre , par le sieur de Yillars , que les Suédois le
travaillent et le ruinent, et qu'il la supplie de le
protéger contre eux , et lui mander aussi sa volonté
touchant ce qu'il auroit à faire, tant sur ToAre que le
duc de Bavière et Fridland lui faisoient de lui donner
du secours contre lesdits Suédois, que sur Taflaire
de la princesse Marguerite sa sœur, que Monsieur
refusoit de remettre entre les mains du Roi, nonob-
stant que ledit duc s'y fût obligé par le traité du ao
septembre. Sa Majesté savoit bien que les plaintes
qu'il faisoit des Suédois étoient imaginaires ; elle loi
manda néanmoins, le 25 octobre, que le sieur de
Lagarde qu elle lui envoyoit pour de là passer vers
les chefs suédois , feroit cesser toutes les hostilités
DE RICHELIEU. [i6.^3] 479
lie loin s troupes , et lui apporteroil assurance que
ses Valais n'en soroieni point molestés.
Quant à Toffre de Bavière et de Fridland , le car-
dinal lui manda de la part de Sa Majesté qu il nVvoit
autre chose à lui répondre sur ce sujet, sinon qu'il
dcvoit bien considérer le traité qu'il avoit fait avec
Sa Majesté , et l'exécuter exactement.
Et sur les avis continuels qui venoient de jour à
autre que ledit duc faisoit tous les Jours des lev^s
nouvelles , h dessein de se joindre avec le duc de
Fcria, le cardinal lui envoya, le !i8 octobre, le sieur
de Cavois pour lui représenter les inconvéniens
qui lui pouvoient arriver de sa conduite, lui con-
seiller de joindre ses troupes à celles du maréchal de
La Force, comme il étoit obligé, et le convier à
suivre la résolution qu'il avoit prise de venir trouver
le Roi. Mais tout cela fut en vain; au lieu de venir
il envoie son frère le cardinal, sous ombre de plu-
sieurs nécessités imaginaires jointes à sa mauvaise
santé.
M. de La Force, en même temps, donuoit avis
qu'il étoit certain qu'il continuoit ses levées en in-
tention de les joindre à celles d'Aldringuer et de
Vevh , desquels il se promettoit d'être secouru.
Aldringuer s'étoit joint au duc de Feria dès qu'il eut
passé la Valteline. Le maréchal Gustave Horn, ayant
avis que le duc de Feria demandoit à l'Empereur la
ville de Constance pour sa retraite, s'y en alla avec
tout ce qu'il put amasser de troupes, et l'assiégea le 7
septembre, comme nous avons dit ci-devant; mais
après y avoir fait brèche et donné quelques assauts en
vain , il leva le siège à la fin du môme mois, y étant
48o [l633J MÉMOIRES •
convié par le duc de Rohaa de la pari du Roi , qui
lui témoigna qu'enfin il contraindroit les Suisses à
quitter la neutralité avec Suède , et prendre le parti
contraire, s'il ne laissoit cette ville en paix, qui étoit
leur ancienne confédérée.
Le siège étoit levé auparavant qu'Aldringuer et
Feria se fussent approchés pour cet effet. Son année
étoit plus foible en nombre d'hommes, mais néan-
moins n'eût pas refusé la bataille aux Impériaux s'ils
lui eussent fourni occasion de la donner.
Les Impériaux prirent leur chemin vers FAIsace,
et passèrent le Rhin près de Bâle le 20 octobre.
Horn et Birckenfeld, qui les suivoient en queue , pas-
sèrent aussi le Rhin à Strasbourg, et se joignirent
aux antres troupes qu'ils avoient en Alsace. La pré-
sence de l'armée impériale obligea le rhingrave Otto
de lever le siège de Brisach, ce qu'il fit eii fort bon
ordre ; l'armée du Roi , commandée par le maréchal
de La Force, faisoit ferme sur les frontières de
Lorraine.
Le cardinal étoit malade à Sezanne de la même
maladie qu'il avoit eue l'année précédente , lorsqoe
cette armée espagnole passa le Rhin. La nouvelle de
ce passage fut mandée au Roi avec épouvante, comme
si cette armée, joint à ce que le duc pourroit faire
de forces , étoit capable d'apporter un grand change-
ment dans cette province nouvellement conquise^
mais le cardinal assura Sa Majesté qu'il avoit été mis
si bon ordre à ces affaires-là , que cette armée seroit
passée vainement, et repasseroit sans autre fruit qae
de s'âtre défaite et ruinée elle-même , ce qui arriva
comme il lui avoit prédit ; car les Espagnols» se voyant
DE RICHELIEU. [l633] 4^'
environnés de tant d'ennemis aussi forts qu'eux, les
armes du Roi proche de là, et partant se recon*
noissant trop foibles pour les grands desseins qu'ils
avoient conçus, re|)assent le Rhin à Brisach, et Tar-
mée suédoise les suit pour s'opposer à leurs entre-
prises.
Ainsi toutes les espérances du duc de Lorraine
avortèrent, et il ne fit autre chose par cette action »
que monlrer son infidélité et la continuation de sa
mauvaise volonté; et toutes les promesses que lui
avoient faites les Espgnols ne lui réussirent à autre
fin qu a le faire commencer k se perdre entièrement,
ce (juil accomplit Tannée suivante, comme nous
verrons ci-après.
Le comte Olivarès parla de lui avec beaucoup de
passion au sieur de Bautru, qui avoit été, dès Tannée
passée , envoyé par le Roi en Espagne pour les sujets
que nous avons déduits alors.
Il lui dit qu'un jeune prince leur allié paroissoit
avec honte dans la chrétienté, dépouillé de tous ses
Etats, r.ans qu'on lui pût imposer aucun crime que
celui d'être leur ami , et qu il ne falloit point d'autre
litre aux Français de faire la guerre à un prince , que
de le connoitrc affectionné au bien de leurs affaires;
qu'ils se sentiroient entièrement déshonorés si TEm*
pereur et le Roi son maître ne procuroient , par toutes
sortes de voies, la restitution de ce prince en ses Etats;
que Stenay étoit le passage par où ils faisoient passer
les gens d^Allemagne qui venoient à leur service, et
qu ilsétoient intéressés, dans Thonnéte et dans l'utile,
à la conservation de TÉtatdudit sieur duc de Lorraine.
Bautru lui réponditquesi Ton devoit trouver étrange
T. a;. il
48a [l633] MÉMOIRSS
quelque chose au procédé de Sa Majesté Très-Cbré-
tienne avec le duc de Lorraine , c'étoit d*avoir con-
servé les États à un prince son vassal , qui depuis
cinq ou six ans avoit fait tout son possible pour
troubler les siens , sa maison et sa famille ;
Que le duc de Lorraine n'avoit point vu^ depuis
six ans , le Roi tourner les épaules vers le Languedoc
ou ritalie qu'au même temps il n'arrivât sur notre
frontière, nappelât nos mal contens, fomentât par
intelligence les intrigues du cabinet, et invitât, par
sollicitations effectives , M. le duc d'Orléans à venir
dans ses États, comme il étoit notoire à tout le monde,
pour y composer des armées contre nous , où il n'o-
mettoit aucun eSbrt pour faire revoir ses mauvaises
intentions contre notre couronne , ses promesses et
son devoir ^
Qu'il avoit en ce même temps-là fait son possible
pour embarrasser l'Empereur avec nous , faisant cons-
truire sous son nom , dans les terres de Tëvéché de
Metz , la forteresse de Moy envie au nom de Sa Ma-
jesté Césarée , se servant de cette autorité pour étendre
ses bornes et limites sur les terres de Tëvéqne de
Metz , frère naturel du Roi , et dans les ëvêchés de
Toul et Verdun qui sont en notre protection ;
Que Sa Majesté Très-Chrétienne , voulant le reti-
rer de ces mauvais desseins par les voies de raison
et de douceur, avoit député des commissaires pour
convenir à l'amiable avec lui , ne désirant pas perdre
ce jeune prince qu'il voyoit se précipiter sans ndsoa
et jugement ;
Que ledit comte OU varès lui-même se souvint qnll
lui avoit dit, il y. avoit quatre ans , que la cause prin*
DB RICHEUEU. [l633] 4^3
cipale pour laquelle le roi Catholique avoit baillé
ses armes dltalie à FEmpereur pour assiéger Casai,
cëtoit le manque de respect du duc de Nevers, qui
avoit été si hardi de traiter le mariage de Théritière
de Mantoue, parente de Sadite Majesté Catholique ,
sans la voir invité aux noces; que ce duc de Lorraine
ici avoit hien passé plus avant, voulant marier Mon-
sieur, frère unique et héritier présomptif de la cou-
ronne, avec sa sœur, sans en avoir non-seulement
donné part au Roi, mais même ayant souvent reçu
des témoignages de sa part qu'il ne désiroit pas
qu on mariât son héritier à son desçu et sans son con-
sentement, etquW le traitât plus mal en une affaire
de celte conséquence que les moindres particuliers ,
qui font casser les contrats de mariage quand ils sont
faits clandestinement et hors de la connoissance de
ceux qui ont Tautorité naturelle sur les conjoints par
mariage-, qu'après toutes ces mauvaises procédures,
le Roi Tavoit vu au mois de janvier i63a à Metz , ou
il lui avoit remis tout le passé , se contentant , au lieu
de confisquer par la loi des fiefs tout le Barrois et ses
dépendances, qu'on lui confinât en forme de dépôt
une place qui pût servir de bride à ses mauvais des-
seins et de caution à sa parole où il aveit tant de fois
roan(|ué-, ce qui fut fait et exécuté par traité solennel
à Metz, dont il fut sur Theure très-bien récompensé;
car le roi de Suède, provoqué de gaité de cœur,
comme il disoit, par ce duc de Lorraine, avoit en-
voyé ses armes à quatre lieues de ses États pour pren-
dre sa revanche , qui sans doute lui eût succédé aussi
heureusement comme il avoit fait contre de plus
fortes puissances , sans Tintervention du roi Très-
3f.
484 [l63iij MÉMOIRES
Chrétien , qui le prit en sa protection en considéra-
tion de la religion catholique etdu traité nouvellement
fait, par lequel il renonçoit nommément et formelle-
ment aux pratiques et alliances avec le duc d*Orlëans,
qu'il garda et entretint avec pareille sincérité que ses
autres promesses ] car le Roi ne fut pas plutôt arrivé
k Paris qu'il renouvela ses menées et ses pratiques
plus fort que jamais , et, passant plus outre, rappela
Monsieur dans Nancy , où ils firent les projets de ce
qui s'est vu depuis en France. Le Roi donc, irrité jus-
tement , si jamais prince le put être , retourna en
Lorraine, où il trouva que non -seulement le duc
avoit recommencé ses trames passées , mais avoit fait
charger sur ses terres les gardes du maréchal d*Ef-
fiât, et commencé une rupture par voie de fiiit avec
Sa Majesté , qui le mit en moins de quinze jours k la
raison , sans vouloir encore que les choses passassent
aux extrêmes rigueurs , mais bien le mettre en état de
ne pouvoir plus exécuter ses mauvaises volontés, qui
rcnaissoient si souvent dans son esprit après qne
Von pensoitles en avoir déracinées;
Que Stenay, dont se plaignoit ledit comte, étoit
une des places déposées par le traité , qui ne ferme-
roit non plus le passage aux troupes du Roi son frère,
quand ils seroient en bonne intelligence , qne lors-
qu'elle étoit es mains du duc de Lorraine, puisque nous
avions depuis un mois donné le passage dans le Roos-
sillon aux Cravates , Liégeois et Wallons qui étoîent
venus contre nous exercer toutes les inhumanités que
porte le nom de Cravate , et nous ne le nierions pas
à ceux qui n'auroient autre dessein que de passer dans
les États de Sa Majesté Catholique; que quant à ce
DE KICHELIEU. [l633] 4^^
qu il disoit qu'il leur étoit honteux qu^on vit en la
chrétienté un prince leur allié dépouillé de ses États,
il avoit à lui répondre que, quand nous n'aurions
pas traité le duc de Lorraine par raison , ils nous
auroient donné un bel exemple de pareille honte
en la personne du comte Palatin, qu'ils avoient dé-
pouillé de ses États depuis dix ans, sans que les
oflices , prières et sollicitations de la plus grande part
des princes de la chrétienté lui eussent pu faire rendre
un pouce de terre ni un écu de quoi sustenter sa
famille ; que nous n'en usions pas de même avec le
duc de Lorraine, auquel nous ne prenions pas un
teston de son revenu , quoique notre vassal , ni un
pouce de terre en propriété sans lui avoir payé; et
qu'ainsi , s'il paroissoit de l'oppression sur quelqu'un
des alliés de cette couronne, c'étoit plutôt sur les
nôtres que sur les leurs, et que par conséquent il ne
leur pouvoit tourner à honte.
Mais si les Elspagnols étoient mécontens de l'heu-
reux succès des affaires du Roi en Lorraine, ils ne
lëloient pas moins de voir qu'en Italie il possédoit
Pignerol, et tenoit en une sûre protection contre
eux et Mantoue et Casai, en la dernière desquelles
il entretenoit une si forte garnison qu'elle leur faisoit
perdre l'espérance d'y pouvoir rien entreprendre qu'à
leur honte.
Il se trouva quelque diOiculté au changement que le
Roi vouloit faire des troupes qui étoient dans le château
et la citadelle de ladite ville, non-seulement pour la
résistance que le sieur de Toiras faisoit d'obéir^, mais à
raison d'une défense, qui vintde la part du ducde Mau«
touc,do recevoir èsditsiieuxd'autres soldats français.
486 [l633] MÉMOIBES
LeIoDg temps que ladësobëissanceduditToirasdara
y donna lieu , soit que la défense fût de concert avec
lui , soit que M. de Mantoue fût , de cette difficulté
d'obëir , entré en quelque crainte que sa place ne fût
pas bien assurée entre les mains des Français. Le Roi,
lassé de toutes les remises dudit sieur de Toiras , en-
voya à Turin le sieur de Rocquemont, qui y arriva le 3o
décembre 1682 , pour porter auditToiras Texpëdition
de toutes les choses quil avoit demandées au Roi,
et le commandement exprès de Sa Majesté de retirer
le régiment de Saint- Aunais de la citadelle, et y laisser
entrer celui de Mérestan.
Toiras, après s*être échappé en plusieurs paroles
de colère , menacé ceux qu'il croyoit ses ennemis et
lui faisoient de mauvais offices à la cour , et protesté
de se venger d'eux par toutes sortes de voies^ dussent*
elles être honteuses , dit enfin audit sieur de Roc-
quemont qu'il obéiroit, mais qu'auparavant il falloit
que le régiment de Saint- Annais , ses chevau-légers
et ses gardes, qui étoient dans Casai , fussent payés
de tout ce qui leur étoit dû avant que d'en sortir, et
lui de ses appointemens de général d'armée pour les
six derniers mois de l'année passée , comme aussi les
officiers d'armée cpii étoient sous sa charge , lesquels
étoient tousses domestiques*, et quoi qu'on loi repré-
sentât on n en pût jamais tirer autre chose.
Le sieur Servien essayoit de trouver Targent qui
étoit nécessaire pour cette fin , quand il fut averti que
le marquis Rivare et Guiscardi, chancelier du Mont-
ferrat , avoient déclaré audit sieur de Rocquemont
qu'ils avoient un ordre exprès du duc de Mantoue,
des fêtes de Noël précédent, de ne laisser pas entrer
DS RICHELIEU. [l633] 4^7
le rëgimentde Nërestan dans le château ni la citadelle.
Cela obligea à renvoyer promptement vers le Roi le
sieur de Rocquemont, que le sieur de Toiras accom-
pagna de Castelan , pour envoyer par lui le mémoire
des demandes qu'il faisoit à Sa Majesté.
Le duc de Mantoue dépêcha aussi au Roi , se sou-
mettant entièrement à sa volonté quand il auroit
considéré les raisons qui Tavoient mû à donner cet
ordre , qui étoient que Casai étoit une place si mu-
gnetée des voisins, qu'il éloit besoin qu'il plût à Sa
Majesté de faire réflexion sur les personnes qu'il y
))ourroit introduire , afin qu'il n'en arrivât aucun in-
convénient , comme il savoit bien qu'il y avoit quel-
quefois occasion de craindre.
D'autre part, que cela étoit cause que ses sujets
recevoient très-mauvais traitement à Milan pour le
commerce.
Le sieur Servien envoya son secrétaire à Mantoue,
pour représenter au duc que ce seroit une espèce
d'aflront fait à Sa Majesté s'il témoignoit avoir moins
de confiance en elle qu'au maréchal de Toiras; que
Sa Majesté n'ayant pas ci-devant commandé que le
régiment de Saint- Aunais entrâtdans la citadelle, mais
simplement approuvé la chose après que ledit sieur
maréchal l'avoit faite, ne refuseroit point de remettre
la garnison de Casai en l'état que désireroit ledit sieur
duc, après qu'il auroit été pourvu à sa réputation en
recevant celui deNéreslan; mais qu'avant cela, par
tout autre expédient , elle ne pouvoit être satisfaite
devant le monde ; que pareillement de retirer toutes
les troupes françaises du Montferrat, ce n'étoit ni la
saison de le faire , ni l'occasioa d'en £iire la demande ;
488 [l633J MÉMOIRES
que ledit sieur duc se de voit souvenir combien de
fois il avoit éié dépouillé de son pays, pour avoir
plutôt songé à le soulager qu'à le conserver ; que ce
n'étoit pas beaucoup assurer son soulagement d'en
sortir les forces amies pour en laisser Fentrée libre
aux ennemis, principalement aujourd'hui qu'il y avoit
une armée de douze mille hommes dans le Milanais,
à qui la facilité de se loger dans le Montferrat en
pourroit faire prendre l'envie, puisque le duc de
Feria avoit eu ordre de la renforcer de la moitié ponr
le passage du cardinal Infant^ que lorsque les forces
de l'état de Milan seroient réduites à l'ordinaire, Sa
Majesté seroit très-contente de se décharger de la
dépense qu'elle faisoit pour la garde dudit Montferrat,
et ne supporter que Tentretènement de la garnison
ordinaire de Casai; mais que d'en faire la réduction
avant que les Espagnols eussent disposé ailleurs
de leurs troupes , ce seroit se tromper soi-même,
et ledit duc seroit mal conseillé d'en supplier Sa
Majesté.
Ledit sieur duc trouva ses raisons si bonnes qu'il
s'y rendit incontinent , et manda à ses officiers qu'ils
eussent à obéir et exécuter tout ce qui leur seroit
commandé de la part du Roi , protestant qu'il n*auroit
jamais autre volonté que celle de Sa Majesté, et qu'il
ne capituleroit point avec elle pour quoi que ce fût,
et lui rendroit très-humble obéissance. Il envoya cet
ordre par le podestat de Mantoue, qui éloit celui qui,
quinze jours auparavant, avoit porté les ordres con-'
traires.
Le sieur Servien fit sommer le maréchal de Toiras
d'accomplir sa parole maintenant qu'il n'y avoit plus
DE RICHELIEU. [l635] 4^9
de diÛicuUé du côte de Mantoue. Le maréchal, qui
avoit dit qu'il obëiroit au Roi quand la réponse se*
roil venue, moyennant que ce fût avec le consente-
ment de M. de Mantoue, répondit qu'il obéiroit après
quau préalable les choses qu'il avoit envoyé de-
mander au Roiseroient exécutées.
Le sieur Servien . recevant en ce temps-là des dé-
pêches du Roi par lesquelles il lui commandoit de
mettre fin à celle aflaire en quelque manière que ce
fut , lui fit payer tout ce qui étoit contenu dans son
mémoire, moyennant quoi ledit sieur de Toiras fit
sortir le régiment de Saînt-Aunais de Casai , et à me-
sure qu'il sortoit entrer celui de Néreslan , le a4 j*^'*"
vier , le sieur de Toiras ne prenant pas garde que
son procédé éloit criminel , ne rendant pas au Roi
Tobéissance pure et simple qu'il lui devoit, mais ca-
pitulant avec lui auparavant que de lui rendre une
place qu'il avoit commise à sa fidélité ; ce qui le ren-
doit si criminel qu'il avoit pour son salut plus de
besoin d'une abolition que de toutes les conditions
qu'il demandoit.
Cette aflfaire , qui donnoit aux Espagnols beaucoup
d'espérance de pouvoir troubler le repos dltalie, leur
fut autant désagréable lorsqu'ils la virent terminée au
contentement du Roi.
Ils avoient envoyé le sénateur Villani aux princes
d'Italie pour les affermir en leur bienveillance envers
eux, avec ordre particulier de se confier au duc de
Parme, qui, ayant été maltraité d'eux, et en conser-
vant le ressentiment, qu'il n'osoit toutefois faire pa-
1 oître , reçut ledit Villani avec beaucoup de témoi-
gnages de bonne volonté , mais à intention d'en faire
490 [l633] MÉMOIRES
80D profit pour empêcher l'effet de leurs manvait
desseins.
Les propositions dudit Villani ne tendoient à antre
fin qu'à chasser les Finançais de Pignerol , poar tenir
ritalie entièrement assujétie à leurs volontësé
Aussi la plus violente instance que le comte Oli-
varès fit au sieur de Bautru , fut sur la restitution de
Pignerol , qu'il ne pouvoit nommer sans changer de
visage et de ton de voix, répétant qu*il ne falloit
point parler de traité et retenir Pignerol; qu'ils per-
droient plutôt centEspagnes que de souffrir un tel
affront; qu'ils avoient restitué de bonne foi en Italie,
et qu'ils attendoient le même de nous ; que le traité
devoit être exécuté des deux côtés , autrement qa'il
étoit nul. Il lui demanda si nous avions quelque chose
k restituer, si toute la Savoie, Briqueras, Sase et
grand nombre d'autres places n'étoient pas restituées
à leur seigneur, et si par le traité il avoit étë dëfeodo
an duc de Savoie de vendre et au Roi d'acheter; qu'en
ce cas là-il n'étoit pas exécuté , mais que, pourvu qne
nous pussions prouver que le Roi ni AI. de Savoie
n'étoient ni fous ni mineurs, il ne voyoit pas qa*OD
leur pût défendre ce qui étoit permis au dernier sa-
vetier de Madrid. Il lui dit qu'il ne pouvoit pas le
vendre ni le Roi l'acheter , étant fief de rEmpire,
sans le consentement de l'Empereur , qui se sentoit
offensé au dernier point par cette aliénation. Il lai
répondit qu'il n avoit jamais ouï dire que Pignerol ffit
fief impérial , mais bien que l'on tenoit en France
que c'étoit un fief dépendant du dauphin de Vien-
nois , et qu'il se trouvoit des actes dans la chambre
des comptes de Dauphiné qui faisoient foi de cellt
D£ RICHELIEU. [l633J /^gi
mouvance ; mais que quand bien ce seroit un fief de
TEmpire , qu'il seroit plus glorieux à l'Empereur d Sa-
voir pour vassal un roi de France qu'un duc de Sa-
voie, el que la couronne d'Espagne tenoit tant de
villes impériales en Italie et ailleurs, dont nous ne
nous plaignions pas , qu'ils ëloient bien injustes de
nous disputer si peu de chose ; que toute la chrétienté
jugeroi l par la demande de cette restitution que les Es-
pagnols voudroient agir avec les Français avec une au-
torité insupportable, puisque, occupant tant de villes
et provinces sur lesquelles nous avons de justes droits
et prétentions légitimes, ils ne se contentoientpasde
ne les pas rendre au roi Très-Chrétien, mais bien le
vouloient-ils contraindre de rendre aux autres ce
qu'ils ne nous demandoient pas*, qu'il n'avoit ouï dire
que M. de Savoie fût mal content de cette aliénation
qu'il avoit faite par une juste vendition , et que lors-
qu'il s'en plaindroit les voies de droit seroient ou-
vertes pour se défendre de part et d'autre. Il répondit
que c'étoii l'Empereur qui devoit être contenté, non
ps M. de Savoie , et qu'on ne pouvoit posséder jus-
tement Pignerol sans son investiture ; et lui, que nous
étions priais de rendre tous les devoirs à l'Empire
que quatre de nos rois, qui avoient possédé Pignerol
dans le siècle dernier l'espace de plus de quarante
années sous trois divers empereurs , en paix et en
guerre , leur avoient rendus *, que jamais on n'avoit
ouï dire en France ni ailleurs qu'aucun de ces rois
eût reçu investiture de l'Empereur pour cette place,
ni que les empereurs eussent fait aucune instance
sur cette occasion, non pas même lorsque Henri Jit
passa par Vienne chez Maximilien , qui ne lui parla
4qi. [i633J mémoires
jamais ni dePignerol ni de Tinvestiture ^ et s^ilyeiit
eu quelque saison propre pour en parler , c*étoit en
celle-là où le Roi partoil de chez rEmperear ponr
aller chez le duc de Savoie, qui en ce même voyage
obtint du roi Très-Chrëtien , par ses soumissions et
non par les menaces de TEmpire, la restilutiondudit
Pignerol.
En même temps que Yillani fut dépêche par les
Espagnols en Italie^le sieur Bachelier y fut aussi envoyé
de la part du Roi , et pour découvrir aux princes les
mauvaises intentions des Espagnols, et leur faire con-
noitre qu'au contraire Sa Majesté n'avoit autre in-
térêt que de conserver leur liberté, et être en état de
faire passer ses armes en Italie toutes fois et quantes
qu'il en seroit de besoin pour les garantir de la serYi-
tude que le roi d'Espagne leur vouloit imposer.
Le duc de Parme ensuite fit un accord et traité avec
le Roi , dont la copie est à la fin de ce volume (0 , pv
lequel Sa Majesté le prenoit en sa protection, pro-
mettoit de le défendre contre les armes d'Espagne»
et lui de sa part promettoit un certain nombre de
gens de guerre, si pour la liberté d'Italie le Roi en-
treprenoit la guerre contre le Milanais. A quoi ledit
duc de Parme se sentit particulièrjement obligé , i
cause de la surprise que le cardinal Infant avoit votda
faire, mais en vain, le i3 mai, de la ville de Plai-
sance appartenante audit duc, et en même temps dn
châteaudeLaVadère dans le Mantouan, qui lui réiu-
sit aussi mal que la première. Dieu donne à toutes
choses l'événement qu'il lui plait; mais la qualité dn
(0 Est a la fin de ce volume: Cette copie ne fail point partie à*
■lunuRciit.
if
DK RICHELIEU. [l633] 49^
conseil monlre celle de Tespril du prince : le cardinal
Infant mal conseillé se rendit suspect et odieux par
ses entreprises \ et la foiblesse avec laquelle il entra
dans le Milanais , ne pouvant rien exécuter de ce qu'il
s etoit promis , le rendit méprisable.
Sa Majesté, ne voulant néanmoins rien oublier pour
se munir contre ses mauvais desseins, envoya au
même temps le sieur d'Emery en Italie , pour don-
ner ordre que Pignerol fût en bon état; qu'il fît mettre
eflectivement aux magasins de la ville et citadelle de
Pignerol six mille charges de blé, pour y demeurer
en dépôt sans qu'on les pût consommer , dont le gou-
verneur de la citadelle et deux notables bourgeois de
ladite ville se chargeroient envers Sa Majesté, et
s'obligeroient de faire renouveler par chacun an le
tiers desdits blés ; et y mettre dans les magasins de
Briançon deux mille charges de blé, dont le tiers se-
roit pareillement renouvelé tous les ans ;
Que les fortifications aussi fussent tellement para-
chevées qu'il n'y eût rien à redire, et qu'il y eut des
munitions de guerre, canons, moulins à bras et
toutes autres choses nécessaires pour un siège; de
sorte qu'en ce cas on ne pût se prendre qu'au cou-
rage et à la volonté de ceux qui défendroient la
place.
Il n y trouva pas peu de difficulté , à cause du
mécontentement secret du duc de Savoie , qui , ne
voyant pas de bon œil que le Roi fît fortifier Pignerol,
imposa premièrement de grandes daces sur tout ce qui
passoit de Piémont à Pignerol, puis régla la pistole
d'Espagne à 6 livres 4 sous, qui étoit un quart moins
qu'elle valoit en France, mit notre quart d'ëcu h la
494 [i633] MiMoniBs
sous des siens , qui n'en valoient pas 9 des nôtres » et
décria toutes nos monnoies basses , ce qui nous étoit
une grande incommodité , d'autant que le finage de
Pignerol est si petit que nous ne pouvons nous passer
des denrées de Piémont; mais la plus grande néces-
sité étoit pour ia chaux, laquelle nous ne trouvions
que dans ses Etats \ ce que le duc reconnoissant, y mit
des impositions excessives, lesquelles il augmentât
de jour à autre; et enfin, voyant qu^à quelque prix
que ce fût nous ne laissions pas d'en acheter , il l'en-
voya toute enlever et porter à Turin, disant en avoir
besoin pour fortifier la place. A toutes lesquella
choses nous dissimulâmes un temps, et envoyiniei
chercher de la chaux en toutes les vallées voisinesap-
partenantes à la France ; et en ayant trouve dans celle
de Pragela et quelque autre , le duc alors aima mieux
faire marché raisonnable avec nous de celle qa^il pre-
noit de ses sujets sans qu'il en payât aucune chose.
On crut aussi que , pour fortifier les cœurs des
hommes aussi bien que les murs de la ville, il éloit né-
cessaire d'envoyer les religieux italiens qui y ëtoient
hors de leur couvent, et y en substituer de français
en leur place ; ce que l'on fit peu à peu avec le gré
de Sa Sainteté et de leur supérieulr. Après que ledit
sieur d'Emery eut apporté tous les soins nécessaires
pour la sûreté de Pignerol , il fit le môme pour Casai ;
ce qui fut cause que le cardinal Infant, voyant qaH
n^y avoit rien à gagner pour lui de ce côté -là, oe
pensa qu'à faire passer son armée en Lorraine sons
le duc de Ferja. Il détourna seulement du service
<iu Roi la douairière de MautoueCO, laquelle foi^
/1 ) La douairière de Mantoue. ( Voyex la noie de la pag. Sa da I. iv. )
DS RICHBUXU. [l633] 49^
tifiëe de la princesse sa fille il souleva contre le
duc.
Ladite douairière représentant à sa fille qu'elle ëtoit
héritière des états de Mantoue et du Montferrat, et
qu'elle avoit consenti, ou pourroit ci-après consentir
mal à propos par paroles, par écrit ou autrement, à
quel(|ue chose préjudiciable à ses droits , lui conseilla
d'en faire un acte de renonciation dès lors-, de sorte
que, le a8 juillet, ladite princesse de Manloue, étant
dans un conseil qu'elle tint, présenta un papier écrit
et signé de sa main , et après Tavoir fait lire , leur dit
que dans deux jours elle entreroit dans sa vingt-cin-
quième année, et qu'elle avoit été conseillée de faire
auparavant une déclaration , laquelle elle désiroit
qu ils signassent comme témoins.
Quelques-uns d'entre eux lui répondirent qu'ils ne
le pouvoient faire sans un exprès commandement da
duc. A quoi elle répliqua qu'il en étoit d'accord, et
que c'éloit une pièce concertée avec lui 5 et voyant
que pour cela ils ne signoient point, elle se leva et
leur dit en rehaussant sa voix qu'ils la fôcheroient s'ils
ne faisoient ce qu'elle vouloit. Lors son secrétaire,
qui étoit secrétaire de ce conseil , prit ja parole et dit
qu'ils ne dévoient pas offenser la princesse à ce point
que de douter de ce qu'elle leur disoit, et qu'il ne
savoit pourquoi ils faisoient difficulté de lui obéir
en une chose qu'elle leur assuroit être de la partici-
pation et du consentement du duc ^ lors ils signèrent,
entre autres l'évéque de Mantoue, deux chevaliers,
deux secrétaires d'Etat , le prudent du sénat et celai
du magistrat; et cela h\t ils allèrent trouver le duc
pour lui rendre compte de ce qui s'étoit passé, et lui
496 [l633] MÉMOIRES
envoya aussitôt appeler ce secrétaire sur lequel ils se
déchargeoient principalement.
Ledit secrétaire, étant venu devant le duc, dit
qu'il n'avoit pas assuré que la pièce lui eût été com-
muniquée 9 mais bien qu'il sembloil qu^oa n^en pou-
voit douter , puisque madame la princesse les ea
assuroit, et qu'en effet il lavoit cru.
Le duc lui commanda de sortir dans vingt-quatre
heures de la ville , de se retirer dans le Montferrat et
de ne point entrer dans Casai. Cela étant su de b
princesse , elle s'en alla trouver l'Infante; toutes deux
envoyèrent quérir M. de La Tour, qui étoit là de h
part du Roi, auquel l'Infante dit qu'elle avoit sa de
sa fille que le duc avoit commandé à son secrétaire
de se retirer, pour quelque écriture qu'elle avoit fait
signer ce jour-là ; que c'étoit un aiTront qu'il lai fai-
soit et h elle aussi, puisqu'elle étoit sa mère, et qu^elles
l'avoient envoyé appeler pour lui dire , comme étant
ici ministre du Roi, qu'il ne le sauroit mieux servir
que d'aller trouver le duc et lui dire qu'il levât le
commandement qu'il avoit fait à ce secrétaire de sortir
à cette heure, car autrement il en auroit du déplaisir
et ne sortiroit point assurément, et ensuite une infi-
nité de paroles superbes et de mépris du duc.
A quoi le sieur de La Tour répondit qu'il étoit venu
à Mantoue comme soldat et pour y servir le duc de
son épée , et non comme ministre pour y négocier ^
mais que la confiance qu'elles lui montroient Tobli-
geoit à leur dire qu'il lui sembloit qu'elles dévoient
demander ce qu'elles désiroient en autres termes si
elles vouloient l'obtenir , et qu'elles étoientassez pru-
dentes pour considérer les suites d'un semblable dis-
DE HiciiRLiEU. [i633] 497
cours. A quoi TIofaQle, recommençant du même style,
repartit qu elles n ëtoient pas capables de faire comme
la Reine-mère ni comme M. le duc d'Orléans, qu'ils
avoientëtë mal conseilles, et qu'elles étoient de celles
qui savolent bien que qui quittoit la partie la per*
doit, et qu'enfin elle ëtoit fille de Charles Emmanuel,
et qu'elle ne s'ëtonnoit pas pour le bruit.
M. de La Tour, lassé et en colère de semblables
discours , leur dit qu'il alloit trouver le duc , et en
eflet y alla , et lui rapporta une partie de ce qui lui
avoil été dit ^ ce qui fit que le duc, dès le lendemain
matin , commanda à un archer de sa garde de mettre
le secrét.iire dehors, et de le faire passer par devant
le logis de l'Infante, laquelle, aussitôt qu'elle sut la
sortie, renvoya appeler M. de La Tour, et avec un
discours autant humble que le précédent étoitaltier,
en présence de la princesse , lui dit en conclusion
qu elles le prioient d'aller trouver leduc, et le prier en
leur nom de rappeler ce secrétaire, mais après avoir
pi(|ué et porté la princesse en des ressentimens ex-
trêmes , jusqu'à lui dire pour cela que le monde en
feroit de mauvais discours et important à sa réputa-
tion, et tout ce qui la pouvoit animer. Aussi en ce
second discours qu elles eurent avec M. de La Tour,
1 infante supplioit, et la princesse fulmiuoit.
M. de La Tour alla trouver le duc pour la seconde
fois , auquel il fit rapport de ce que dessus : deux jours
se passèrent, durant lesquels le duc fit demander à la
princesse cette écriture , et lui fit conseiller sons
main et par ses créatures de l#lui envoyer, mais tout
cela inutilement. Et cependant arrivèrent avis de Mi*
lan que cette protestation, sans savoir qu'elle eut paru
T. '27. 3'2
498 [l633] MÉMOIRES
à MaQtoue, y devoîtparoitre bientôt ; qu^clle avoit
été dressée en Piémont et consultée à Milan, et que
Ton se prit garde de la princesse et du petit prince \
que Ton avoit quelque vent que Tlnfante entrepre-
noit et promettoit de les enlever tous deux , et de
.gagner la princesse par le mariage d'elle et de l'Infant-
cardinal , et qu'enfin Ton croyoit que c^étoit le sujet
du voyage du comte Barnetlo , majordome de ladite
Infante à Milan , et des fréquentes consultes où il se
trouvoit. Ces avis se trouvèrent suivis d'autres , qui
ëtoient que les Espagnols avançoient un corps de
cavalerie sur la frontière du Crémonais ; de sorte que,
toutes ces circonstances et la qualité de Tëcritare
considérées, Ton jugea que la fin de cette affaire étoit
ce qui étoit arrivé , c'est-à-dire une mésintelligence
et désunion \ de sorte que le duc estima qu'il falloit
dissimuler son ressentiment, et accorder à la princesse
tout ce qu'elle demandoit , pour , par ce moyen , com-
battre et retarder les résolutions que sa mère lai
voudroit donner. En effet il fit qu'une personne en
qui ladite princesse avoit créance , lui dit qu'on
croyoit que le duc ne lui accorderoit pas le rappel de
son secrétaire, parce qu'elle le demandoit au nom de
rinfante, et que quand elle le demanderoit toute seule,
on ne pouvoit douter que le duc ne lui accordât, et
lui conseilla de le faire : elle le fît, et le duc lui en en-
voya l'ordre, et commanda à celui qui le lui porta
de savoir si elle étoit contente , auquel ayant répondu
qu'oui, il lui repartit : « Le duc ne peut pas dire la
même chose que vous ne lui ayez renvoyé cette écri-
ture qui est cause de tout ce divorce; » en y ajoutant
toutes les raisons qui l'y dévoient convier. A qnoi
DE RICHELIEU. [l633] 499
elle répondit que pourToriginal il lai étoit impossible
pour ravoir donné à sa mère et elle Tavoir envoyé
hors de Mantoue ; et ce jour-là et le suivant fit tou-
jours la même réponse , en envoyant une simple copie
au duc ; ce qui l'obligea de dépâcher Baillot vers le
Roi pour lui en donner part et de la résolution qu'il
avoit prise, la(|uelle il auroit exécutée sans qu il avoit
cru que , pour ne point donner ce prétexte à ses en-
nemis qui étoient proche et armés , il étoit néces-
saire que le Roi appuyât ouvertement cette affaire,
comme il le supplioit de le faire par Tenvoi de M. de
La Thuillerie , ou de tel autre que Sa Majesté jugeroit
à propos.
Sa Majesté ayant reçu avis de ces choses , manda
à M. de Mantoue, et lui fit savoir particulièrement
par le sieur de La Tour, que ce qu'il avoit à faire de
plus pressé étoit de mettre l'infante Marguerite hors
de ses états de Mantoue et de Montferrat, sans souf-
frir que, pour aucun prétexte que ce fût, elle y fit
plus de séjour ; car il ne lui celeroit point qu'après
avoir eu part à une entreprise si préjudiciable au bien
et repos de ses Etats , comme il ne pourroit avec
raison prendre plus de confiance en elle, Sa Majesté
aussi,, ni tous les princes intéressés avec lui , ne san-
roient être en assurance tant qu'elle seroit près de lui \
Qu'il donnât ordre que sortant de Mantoue elle
ne prétendit pas aller établir sa demeure dans Casai,
comme elle avoit voulu faire autrefois; que Sa Ma-
jesté, pour ce sujet, le mandoit à l'Infante même, et
en termes un peu pressans, loi écrivant qu'il s'assu-
roit bien que, reconnoissant comme elle devoit faire
que son séjour dans Mantoue ne pouvoit qu'altérer
3a.
5oO [l633J MÉM0IHE2>
les esprits et les éloigner d'une vraie réconciliation
qui étoit reconnue si nécessaire , elle ne feroit point
de difficulté de se retirer pour quelque temps dans
une de ses maisons hors de ladite ville , et que Si
Majesté, qui savoit les conséquences de cette affaire»
se sentiroit obligée de lui conseiller de prendre ceUe
résolution , si elle ne croyoit qu'elle s'y disposeroit
d'elle-même , reconnoissanl qu'elle étoit absolument
nécessaire pour le bien et repos de ceux qui lui toa-
choient de si près ; et partant que ledit duc se pouvoit
excuser de cette résolution , s'il le jugeoil k propos,
sur Sa Majesté;
Que cela fait , il ne falloit rien oublier pour dé-
couvrir toutes les particularités des desseins que Ton
pouvoit avoir eus , et les personnes qui avoient en
part à une action de telle importance; ce qui ne se
pouvoit mieux faire qu'en poursuivant la punition du
secrétaire de ladite princesse , lequel vraisemblable-
ment en avoit la connoissance entière , et lequel par
conséquent ledit sieur duc ne devoit point différer
de mettre entre les mains de la ju>tice , quelques ins*
tances qu'on lui pût faire au contraire ;
Que ses ministres et conseillers aussi, qui avoient
signé ledit acte , ne se pouvoicnt excuser , ou d'une
malice punissable , ou d'une extrême facilité, laquelle
en semblables matières tenoit lieu de semblable crime;
et partant il devoit dépendre de la prudence dudit
sieur duc d'éloigner pour ce sujet de la connoissance
de ses affaires ceux desquels il s'assureroit le moins,
après toutefois avoir pourvu k la sûreté de leurs per-
sonnes , afin que , si par la suite de la recherche ils
étoient trouvés complices ou adhérens de celte coa-
DE MIGHBLIEU. [x633] Sof
ju ration, on pût user contre eux de la rigueur des
lois j sans laquelle il ëtoit à craindre que ledit sieur
duc ne se trouyftt enfin lui-même accablé par les fac-
tions et cabales queTon pouvoit avoir faites dansMan-
toue, en conduisant une si préjudiciable entreprise;
que cependant, comme Ton ne pouvoit donner autre
conseil audit sieur duc que de châtier ceux qui se trou-
veront avoir trempé ii cette conspiration par malice t
on ne vouloit pas aussi lui déconseiller d'user de sa
bonté envers ceux qui y auront adhéré par simple
facilité, ce qui se devoit faire toutefois avec les ré-
flexions nécessaires pour qu'il n'en puisse arriver
inconvénient ;
Que néanmoins pendant ces recherches , qui dé-
voient être faites (si on en vouloit tirerquelque fruit )
avec une extrême diligence et un peu de sévérité,
d'autant que la princesse en pourroit être offensée,
il ne falloit rien oublier pour tâcher à regagner son
esprit , et lui faire comprendre que tout ce que Ton
faisoit n ëtoit que pour lui découvrir l'artifice avec
lequel on lavoit voulu séduire contre son propre
bien par un si pernicieux conseil , lequel venant de
la part de ceux qui avoient tant de fois envahi set
États, attaqué deux fois Casai et saccagé MautouHi
lui devoit être suspect pour cette seule raison ,
quand même il ne paroltroit pas visiblement (comme
il faisoit) qu'ils avoient voulu remettre, par ce
moyen , le trouble et la division dans sa famille ^
révoquant en doute la validité de son mariage, et*
ensuite la condition de ses en&ns en sa propre rëpu^»
tation , qui devoit être toujours plus chère aux pria-^
cesses que toute autre chose;
503 [l633J MÉMOIRES
Que toutefois , les douceurs et les caresses que Ton
estimoit à propos de lui faire pour la détacher de tous
les engagemens et espérances où elle poavoit être
entrée , ne dévoient pas empêcher que , sous prétexte
de lui rendre plus d'honneur ou autrement, on ne
prît garde à ses actions, et qu'on ne s'assurât de la
personne du petit prince, sur laquelle ii ne falloit
point douter que, voyant le premier coup failli, ou
ne tâchât de faire quelque entreprise, principalement
tandis que llnfante seroit dans Mantoue , et qu'elle
continueroit les intelligences et pratiques qu'elle en-
tretcnoit ouvertement dans Milan.
Après tout cela, il falloit redoubler les soins pour
la garde et sûreté de la ville de Mantoue, et , en cas
que la garnison ne fût sufTisante et en bon état, en
écrire au sieur de La Thuillerie , lequel avoit ordre de
Sa Majesté de faire tous les offices nécessaires pour
l'assistance dudit sieur duc près de Ja République,
étant à croire qu'en une occasion si importante (où
il s'agissoit de prévenir des desseins dont Teflet ne
lui seroit guère moins préjudiciable qu'audit sieur
duc) elle ne refuseroit pas le secours qui seroit jugé
nécessaire, au moins pour parer aux premiers coups.
•^jC duc de Mantoue , qui avoit si souvent éprouvé
par effets la sincérité des intentions du Roi pour la
conservation de ses États , crut aux sages conseils
qu'il lui donnoit de ne rien omettre pour se garantir
des mauvais desseins qu'il connoissoit que l'on avoit
•eus contre lui par une action préméditée de si longue
main , et conduite si secrètement par l'artifice des
Espagnols qui avoient conjuré sa ruine.
Il commanda ensuite à l'infante Marguerite de sortir
DE RICHELIEU. [l633] 5o3
de Mantoue sans aucun délai ^ et, pour n'user dei'ex-
trémité de la rigueur envers elle, lui permit de de-
meurer à Cualters, où les Vénitiens la trouvant un
peu trop près de Mantoue en écrivirent au Roi, qui
leur manda que s'il avoit bien eu Tautorité de la faire
sortir de Mantoue , il Tauroit bien de la faire éloigner
davantage si elle donnoit lieu de soupçon.
Son éloignement rapprocha Tesprit de la princesse
de son devoir^ elle se rendit incontinent capable de
reconnoître les mauvais conseils que samèrelui avoit
donnés, les abandonnant et se conformant à la vo-
lonté de son beau-père.
Elle eut bien voulu lui rendre l'acte de la protesta-
tion qu'elle avoit faite ^ mais 1 ayant donné à sa mère »
qui lavoit incontinent envoyé à Milan , où le dessein
en avoit été premièrement formé, il n'étoit pas en sa
puissance d'exécuter le désir qu'elle en avoit) mais
elle (it un autre acte contraire, par lequel elle re-
nonçoit au premier, et avouoit qu'elle avoit été lors
mal conseillée, etqu'elle le reconnoissoit maintenant,
et partant Tannulort et le cassoit, révoquant tout le
contenu en icelui.
Ainsi tout l'avantage que le cardinal Infant sem-
bloit avoir tiré de son voyage en Italie fut réd^ à
néant; et bien que tous les princes de ce pays, ex-
cepté le duc de Parme , lui fissent des soumissions
en apparence très-grandes , si ne put-il néanmoins
obtenir d'eux tout ce qu'il leur demandoit, non pas
même du duc de Florence , auquel le sénateur Yillaiû,
dont nous avons parlé, ayant proposé, de la part du
roi d'Espagne , le mariage de l'héritière de Strgliane
pour son frère , la charge de général de la mer , comme
5o4 [l633] MÉMOIRSS
Favoit le prince Philibert de Savoie» et rinvestitore
de Piombino pour soDdit frère , et pour le cardinal
de Médicis , son oncle » la protection d'Espagne dans
Rome avec rarchevéchë de Montréal , et le chapeaa
du cardinal Infant ppur un autre de ses frères , pourra
qu'il prêtât un million d'or audit roi d'Espagne , il en
fut refusé , comme aussi d'entrer en une ligue qui
lui fut par lui proposée sous le nom spécieux de la
conservation de la liberté d'Italie.
Sa Sainteté fit le même refus à l'ambassadeur de
l'Empereur , qui lui faisoit instance sur le même sujet,
et d'entrer comme chef dans ladite ligue défensive et
offensive; car elle lui répondit qu'elle étoit toujours
prête de contribuer ce qui dépendroit d'elle pour la
défense d'Italie, mais que, sous ce nom de général
des princes dltalie le roi d'Espagne étant compris,
celui de France auroit sujet de dire que cette ligue
rendroit le Pape partial, ce qui étoit contre son in-
tention qui est d'être père commun. A quoi ledit am-
bassadeur lui ayant reparti qu'il le convioit au nom
de l'Empereur à entrer en cette ligue, non comme
pape , mais comme prince qui possède de si grands
États en Italie, Sa Sainteté ne fit autre réponse , sinon
que cette métaphysique n'étoitpas bonne en politique.
Il ne laissa pas néanmoins de se laisser persuader
par le cardinal Barberin , de faction espagnole , d'en-
voyer un gentilhomme à Milan visiter le cardinal In-
fant , bien qu'on pût dire qu il y eût quelque chose à
redire en cela, d'autant que, lorsqu'en 1629 le Roi
vintàSuse, il n'avoit pas envoyé vers Sa Majesté;
mais aussi en reçut-il de Dieu le juste salaire, câk*
ledit cardinal lufaut ne daigna pas envoyer aucun dH
DE mCHBLIEU. [i633] 5o5
siens vers lui ni vers toute sa maison , laquelle Tavoit
envoyé saluer.
Les Espagnols n'en demeurèrent pas là ; ils tra«
moient des choses plus grandes contre sa personne et
sa dignité. Le sieur Gueflfier, qui, en Pabsence de
Tambassadeur, avoit la charge des afTairesde France
à Rome, manda au Roi que le cardinal Borghèse lui
avoit dit que le cardinal Savelli, qui étoit Tune de
SCS créatures , Tavoit vivement pressé de la part du
vice-roi de Naples de se joindre aux cardinaux es-
pagnols , desquels le dessein étoit de trouver moyen
de faire un autre pape , et que le sieur de Sayavedra »
agent d'Espagne, alloit trouver l'Empereur pour lui
faire instance d'envoyer tous les cardinaux allemands
en Italie, où ils se dévoient assembler en la ville de
Milan , pour de là venir à Rome , sur la créance qu*ils
avoient fondée sur des prédictions frivoles que le
Pape devoit mourir cette année-là ; et déjà ledit vice-
roi avoit seul les ordres secrets de ce qu'il devoit faire
au cas que le siège vint à vaquer , et que si la mort
du Pape n'arrivoit point, ils dévoient aviser comme
ils pourroient assembler un concile , et donner tant
de traverses à Sa Sainteté qu'ils lui fissent avancer
ses jours.
Ce dessein étoit formé par eux ; mais la piété de
FEmpereur le retarda, et la mort du cardinal Ludo-
visio, qui avoit seul plus d'autorité que tous les autres
partisans espagnols, leur âtale moyen de le pouvoir
exécuter.
L'arrivée du duc de Créqui en Italie, où Sa Ma-
jesté renvoya pour rendre de sa part l'obédience fi-
liale à Sa Sainteté, luiapportabeaucoupdeconsolation.
5o6 [l633J MÉMOIRES
et, par son autorité, il ralentit Tardeur de ceux qoi
faisoient toutes ces menées au préjudice du respect
dû à Sa Sainteté , et du service de Sa Majesté.
Il arriva à Rome au commencement de juin, et
après y avoir été inconnu quelques jours, il y fit son
entrée le 20 -, le fils de don Tadée vint au-devant de
lui , comme neveu du Pape , et lui fit des excuses de
Tabsence de son père ; ce qui fut au grand regret
des Espagnols, qui, huit jours durant, travaillèrent
par toutes sortes de moyens imaginables pour rem-
pécher , mais au grand contentement de toot le
peuple romain , duquel on ne vit jamais une si grande
aflluence et un applaudissement si solennel , car on
n'entendoit qu'une voix confuse de plusieurs milliers
d'hommes qui tous crioient vive France !
Le a5 , il alla à Taudience avec les cérémonies ac«
coutumées à une si solennelle ambassade, présenta
au Pape la lettre du Roi, écrite de sa propre main,
et lui dit que Sa Majesté lui avoit commandé de
venir prêter en son nom Tobédience filiale qu'elle
devoit à Sa Sainteté et au Saint-Siège, comme roi
Très-Chrétien et fils aîné de TEglise, à l'imitation des
rois ses prédécesseurs , qui ont signald les temps
de leurs règnes , non-seulement par la déférence de
semblables offices et devoirs, dans lesquels le zèle
de cette couronne a toujours éclaté sur celui de toutes
les autres, mais encore par de si grandes et généreuses
actions, entreprises pour Thonneur, protection et
maintien des papes et du Saint*Siége, qu'ils en ont
acquis et mérité des titres, éloges et bénédictions qui
n'ont jamais été communiqués qu'à eux : avantages
desquels Sa Majesté n'cutendoit se prévaloir que poar
DE RICHELIEU. [l633] Hof
s'exciter aax occarrences à sorpasser et renchérir
au-dessns de toas ces exemples domestiques; qu*ontre
les obligations générales dont Sa Majesté loi étoit
redevable, elle reconnoissoit lai en avoir de très-
particulières pour Taflection tendre qu'elle sa voit que
Sa Sainteté lui portoit ;
Qu'aussi ne se satisferoit-elle jamais qu'elle ne Ini
eût rendu, et à tous ceux de sa maison, des preuves
de môme qualité de la reconnoissance sensible qu'elle
en avoit;
Que si Sa Majesté n'avoit été si prompte à s'ac*-
quittcr de ce devoir comme il étoit convenable, et
ainsi qu'elle avoit désiré , les occupations continuelles
des guerres étrangères et domestiques qu'elle avoit
eues , justifioient assez les raisons de ce retardement^
qui n'avoient été qu'afin de le pouvoir exécuter avec
plus de dignité et de magnificence.; et si d'autres
avoient usé de plus de diligence , Sa Majesté souflVoit
volontiers qu'ils la devançassent en ces cérémonies
extérieures, qui n'étoient que les ombres des effets
qu'elle étoit prête d'exécuter , mats ne le souffriroit
jamais , voire personne ne la ponrroit égaler en cette
partie-là , s'il étoit question de procurer l'accroisse-
ment et grandeur de l'Église, ou l'avancement et pros-
périté de ceux de sa maison.
Il prêta ladite obédience au nom de Sa Majesté , en
qualité de roi de France et de Navarre , en quoi il
ne trouveroit pas d'opposition de quelque part que
ce fût , après les exemples et actes des trois dernières
obédiences rendues par messieurs de Luxembourg,
le duc de Nevers et le chevalier de Vendôme aux
papes Clément tiu et Paul t, dont il avoit retiré
5o8 [i633] MÉMOiRis
copie pour s'y conformer , et prit soigneusement garde
en ce point si chatouilleux de se laisser surprendre.
II avoit aussi ordre de faire instance à Sa Sainteté
de vouloir entrer en une ligue générale pour la paix
dltalie , de laquelle Sa Majesté lui avoit déjà hit
parler lanuëe précédente par le comte de Brissac
son ambassadeur, et non-seulement d'y entrer , mais
de s'en rendre auteur et promoteur envers tous les
princes qu'on y vouloit associer, attendu les grands
avantages qui en réussiroientau Saint-Siège et à elle,
et qu'elle y pouvoit entrer sans se départir de la qua-
lité de père commun qu'elle vouloit conserver avec
tant de soin ^ ce qui étoit évident, puisque cette ligue
n'avoit pour objet que l'union et bonne intelligence
entre tous les princes, dont les intérêts et mauvais
ménages entre eux pourroient troubler la paix et tran-
quillité publique d'Italie , et celle ensuite de tonte
l'Europe, coupant chemin par ce moyen aux occasions
semblables à celles qui depuis dix ans y avoient tant
apporté de maux et de désordres, lesquels auroient
bien passé plus avant si Sa Majesté par sa prudence
et valeur n'en eût arrêté le cours. Mais Sa Sainteté
lui dit qu'il falloit premièrement vider le différend
qu'il avoit avec les Vénitiens, qui lui étoit de très-
grande importance, et que sans cela il ne pouvoit
prendre de résolution sur ce qu'il lui proposoit.
Sur quoi le duc deCréqui lui répondit que, comme
Sa Majesté s'emploieroit toujours auprès des sei-
gneurs de cette République, afin qu'ils demeurassent
dans le respect et la vénération qui lui étoit due
comme au souverain chef de l'Eglise , et dans tous les
devoirs de bons voisins, qu'elle supplioit aussi Sa
DE RICHELIEU. [i633J 5og
Sainleté d y correspondre de son côté par Une aflec-
lion cordiale et paternelle , et par un désir effectif
d*une vraie union et bonne concorde ;
Que Sa Majesté étoit très-bien informée des bonnes
dispositions de Sa Sainteté à tout ce qui seroit juste
et raisonnable en cela comme en toutes autres choses,
même que Sa Majesté avoit grand sujet de la remer-
cier , comme elle faisoit très-humblement , de Thon-
neur qu elle lui avoit fait dédire plusieurs fois qu'elle
la (aisoit absolument l'arbitre et le juge de tout ce qui
la concernoity et étoit en question entre elle et la
République ] qu'elle la supplioit donc de persévérer
en cette bonne volonté et inclination à la douceur ,
ajoutant qu il avoit commandement exprès d'employer
son nom et son autorité à composer tous les diffé-
rends qui seroient à présent ou pourroient survenir ^
et de travailler sérieusement et soigneusement à pro-
curer et entretenir une bonne et sincère correspon-
dance entre Sa Sainteté et ladite République.
Sa Sainteté reçut cet office avec grand témoignage
de contentement; mais la chaleur avec laquelle l'une
et l'autre des parties se portoient en cette afiaire,
empêcha ledit duc de la pouvoir terminer comme il
eût désiré.
Leur différend étoit sur le sujet du territoire de
Gorre , qui est un port que Sa Sainteté désiroit con-
server et agrandir comme très-important à l'état de
Ferrare \ les Vénitiens ne le vouloient pas souffrir ,
craignant que par succession du temps il ruinât celui
de Venise.
Le Pape avoit quelques petits forts auprès , qu'il
disoit être sur sa terre ; les Vénitiens au contraire
5lO [l633] MÉMOIBES
prétendoient que c'ëtoit sur la leur. Sa Sainteté de-
mandoit que si elle ruînoit ces forts, les Vénitiens
avouassent qu'une grande partie des terrains nou-
veaux qui éloient entre le lail du Pô et lesdits forls
lui apparlenoient. Les Vëniliens, bien loin d'y con-
sentir, soutenoient que lesdits forts ëtoient bâtis sur
le leur, d'autant que c'étoientdes terrains nouveaux
qui ëtoient entièrement à eux. Les Espagnols , qui,
n'étant amis ni des uns des autres, eussent voulu les
voir venir aux mains, promettoient assistance aux
deux parties pour les faire roidir, et leur persuader
de ne se relâcher point en leurs prétentions.
Cependant plusieurs accidens arrivoient qui les
aigrissoient de jour eu jour davantage; cela ne se
pouvoit faire sans quelque entretènement de gens de
guerre, lesquels ne vivoient pas en si bonne intelli-
gence qu'ils ne donnassent mutuellement plusieurs
sujets de plainte: une barque chargée de planches et
de piquets de bois que Sa Sainteté vouloit faire con-
duire en un lieu nommé Commacchio , pour y faire
un artifice pour faire remonter le poisson , fut arrêtée
par les Vénitiens, s'imaginant que Sa Sainteté s'en
voulût servir pour les forts qui étoient en contention,
de quoi Sa Sainteté se plaignit extrêmement.
Elle ne fut pas moins offensée de ce que les Véni-
tiens firent trancher la tête à un moine sans en parler
au nonce, ni renvoyer le moine à son juge ecclésias-
tique , à cause de quoi le Pape et M. le cardinal Bar-
berin étoient sur le point de jeter une excommuni-
cation contre le conseil des dix qui avoit condamné
le criminel , si ledit sieur de Crëqui n'eût adouci leurs
esprits sur l'espérance qu'il leur donna de mettre
DE BICHELIEU. [l633] 5fl
] affaire en négociation , et leur en faire avoir quelque
contentement.
Les Vénitiens , pour non-seulement se maintenir
en réputation durant ces diiFérends, mais l'augmen-
ter encore, firent mettre à leur ambassadeur les armes
de la République sur la porte de son palais avec la
couronne au-dessus, ce qui n'avoit jamais élé prati-
qué jusqu*alors. L'ambassadeur de Savoie, suivant cet
exemple, honora aussi de la même couronne les armes
de son maître sur sa porte, prétendant être bien fondé
delre traité à Tégal de la république de Venise, allé-
guant entre autres les prétentions de la maison de
Savoie sur le royaume de Chypre; qu'à la vérité il ne
seroit pas raisonnable que le duc son maître ni ladite
République fussent traités à l'égal du Roi» et du roi
d'Espagne, mais qu'aussi n'étoit-il pas raisonnable qu'il
y eût ditlerencc pour les honneurs entre ladite Répu-
bli(|ue et son maître.
Le résident de Bavière, non moins glorieux que les
autres , se réveilla aussi , et commença à prétendre
que les cardinaux dévoient faire arrêter leur carrosse
quand le sien s'arrétoit, comme ils ont accoutumé
d'en user aux ambassadeurs des rois et des princes;
et le cardinal Cesarini ne s'étant pas arrêté devant loi,
il passa outre.
Voilà les effets que produisent les différends des
maisons de France et d'Espagne, lesquelles, si elles
éloient en une bonne union , donneroient sans con-
tredit à tous les princes de la chrétienté le titre et le
rang qu'elles jugeroienl leur appartenir.
L'affection avec laquelle le duc deCréqui, par le
commandement du Roi , s'employoit pour l'accommo-
5ia [i633] UEMOiREs
demenl du diilérend d'entre le Pape et Veaise, ainsi
qae nous avons dit ci-dessus , n'obligea pas tant le
cardinal Barberin, quelui , qui étoit entièrement aoi
Espagnols, ne défendit la vente d'une apologie pour
Sa Majesté , qu un nommé Ganfridi avoit fait impri-
mer à Bologne après qu'elle eut été vue par tous les
docteurs , et mise en lumière par leur permission.
Ledit cardinal s'en voulut excuser sur ce qu'il pré-
tendoit être malséant qu'on fit imprimer sur les
Etats du Pape un livre qui approuvoit une ligue avec
le roi de Suède hérétique ^ mais le duc de Créqui lui
ayant répondu que cette ligue avoit plus servi à
l'Eglise en Allemagne que toutes les armes de l'Em-
pereur et de la maison d'Autriche , et que Sa Majesté
étoit seule cause que la religion catholique n'avoit
point été chassée de Mayence et de toutes les grandes
villes que le roi de Suède avoit occupées, ledit sieur
cardinal enfin permit qu'elle fût lue et vendue.
Il s'opposa aussi auprès de Sa Sainteté à ce que le
cardinal Antoine sou frère ne reçût la comprotection
de France, de laquelle le cardinal Bentivoglio lui avoit
accordé sa démission. Le cardinal Antoine repartit en
présence de Sa Sainteté que , pour la comprotection,
elle en feroitce qu'elle auroit agréable; mais que dès
lors il protestoit qu'il demeureroit engagé d'affection
au service du Roi et de la France, qui lui avoient
voulu faire l'honneur de le rechercher, et assura le
duc de Créqui que , nonobstant toutes les oppositions
que l'on y formoit, il l'acceptoit et l'exerceroit le plus
tôt qu'il pourroit.
La mauvaise volonté que les Espagnols témoi-
gnoient à Sa Sainteté, la rendoit facile à se laisser aller
DE RIGHEUEU. [t633] 5l3
au cardinal Barberin en ces choses qu*il lui représen-
toit, qui les auimoient encore davantage contre lui;
mais il ne considëroit pas que cela n*ëtoit pas suffi-
sant de les ramener, et qu^ils ne le pouvoient aimer
qu'il n'abandonnât absolument la bienveillance du
Roi et se tournât entièrement de leur côté ; ce dont
ils lui donnèrent témoignage, en ce qu'ils firent au
commencement de septembre emprisonner un père
de Tordre de Saint-Dominique , de la famille des Pi*
gnatelli , frère du duc de Montéléon , sous prétexte
qu'il vouloit mettre du poison dans les bénitiers des
églises et dans toutes les fontaines de la ville de
Naples, à la persuasion du Pape et du Roi; et ledit
père , ayant été renfermé dans une prison fort étroite^
fut trouvé mort le lendemain.
Ce vice -roi fit aussi publier un peu auparavant à
Naples , de la part du Roi son maître , un édit par
lequel ceux qui se feroient ecclésiastiques ne pour-
voient avoir qu'une certaine et bien petite portion des
biens de leur famille.
Le chapitre général des religieux de Saint-François
se tenant en Espagne cette année-là, ils s'opposèrent
artificieusement à ce que celui vers lequel Sa Sainteté
inclineroit ne fut élu général , et pour ce sujet firent
arrêter à Barcelone le père Galbiati avec plusieurs
religieux vocance dltalie(0;cedontle nonce s'étant
plaint au comte Olivarès , il désavoua avoir donné
Tordre de cet arrêt, mais justifia et défendit le pré*»
texte , qui étoit un soupçon de la peste dltalie, et re^
(i) f^oeance : Ce mot ne m trouTe ni dântlet dictionnaires français,
ni dans les dictioonairet italiens et espagnok. n Teat (probableBMnC
dire que ces religicox italiens aroient tois an chapitre.
T. ^n, 33
5l4 [l633] MÊMOIHFS
tarda néanmoins si long-temps la réparation de cet
attentat, que lorsqu'il Taccordaelle étoît inutile; car,
quand il commanda de relâcher lesdits pèrps, ils ne
pouvoient plus arriver assez à temps à Tolède, ou
se tenoit ledit chapitre général -, ce qui fit quMls en-
voyèrent une opposition à la tenue dudit chapitre,
et protestèrent de nullité de Télection qu'il feroit.
Notre ambassadeur offrit au nonce de faire faire
aux religieux vocaux une semblable opposition; mais
le nonce, après Tavoir remercié, lui dit qu'il n'osoil
recevoir cette offre , afm qu'on ne pût imputer k Sa
Sainteté qu'elle ôtât la liberté de l'élection , laquelle
les Espagnols firent tomber en la personne du père
Campagna qu'ils désiroient, le roi d'Espagne s'étant
déclaré ouvertement à l'exclusion du père Galbiati,
que le comte Olivares fit entendre être un des pins
grands ennemis de la maison d'Autriche , et ensuite
lui imposoit-on non-seulement des défauts , mais des
crimes.
Enfin lesdits Espagnols envoyèrent deux évéques
en qualité d'ambassadeurs extraordinaires , lesquels
ils chargèrent d'instructions contenant des protesta-
tions fulminantes contre le Saint-Siège , et des réqui-
sitions insolentes contre le Roi et contre son conseil,
que sans nommer ils faisoient assez connoitre être le
cardinal.
Le cardinal Antoine arrêta sur ce sujet à Rome le
duc de Créqui qui étoit sur son départ, et lui pro-
testa comme comprotectenr qu'il ne devoit poiol
abandonner Rome en cette occasion, afin de répondre
courageusement à ce qu'ils voudroient proposer.
Sa Majesté procédoit par une voie bien contraire
DK RICHELIEU. [l633J 5l5
et bien plus convenable à un roi chrétien , envers le
Saint-Sicge et les ecclésiastiques.
Elle fit mettre la réforme en Tabbaye Saint-Denis en
France , et y envoya le cardinal de La RochefoncauU,
qui, en vertu du bref obtenu de Sa Sainteté , assisté
de lautorité et des commissaires de Sa Majesté, y
établit trente pères de la congrégation de Saint-Maur»
voyant qu'il n'y avoit noUe observance régulière en
ladite abbaye , que nul des anciens religieux ne Favott
jamais gardée, ni même les constitutions qui étoient
entre eux. On leur donna néanmoins 600 livres de
pension par an , ne les obligeant pas à vivre comme
les réformés , mais à demeurer simplement dans leur
maison avec édification, les principalesplaces ducbœur
leur étant réservées quand ils voudroient y aller.
Le duc d'Epernon , qui est un peu haut à la main ,
s'élant sur quelque légère occasion laissé aller à des
paroles insolentes contre Tarchevéque de Bordeaux ,
c|ui se plaignoit même d'avoir été frappé de lui, Sa
Majesté voulant être informée au vrai de TafTaire, et
envoyer un maître des requêtes sur le lieu pour cet
efl'et, afin que l'autorité dudit duc ne pût empêcher
le cours de la justice, envoya le sieur de Kervel , en-
seigne des gardes de son corps , lui porter comman-
dement de se retirer en l'une de ses maisons h^s de
son gouvernement, attendant ce qu'il plairoit à Sa
Majesté ordonner sur ce qui s'étoit passé , dont nous
parlerons plus amplement en Tannée suivante.
En la révolte que le duc de Montmorency suscita
en Languedoc en i63a, la plupart des évêques de la
province, abusés sous le spécieux prétexte de la con.
scrvation des privilèges du pays, se joignirent à lui , ne
5l6 [l633] MEMOIRES
se souveuant pas que le Roi leur ayant départi plus
d'autorité temporelle qu'il n'a fait à tous les autres
évéques de son royaume , ils avoient d'autant plus
d'obligation d'y maintenir son service. Sa Majesté,
comme prince pieux, ne voulant pas que ses juges
fissent ce tort à l'Église que d'en prendre connois-
sance, nonobstant qu'ils lui en fissent instance, et
lui représentassent que ce droit en ce cas lai appar-
tenoit, fit supplier Sa Sainteté par son ambassadeur
de lui accorder un bref, par lequel elle donnât com*
mission à quatre évéques de son royaume , tels qu'il
lui plairoit nommer , de connoitre de cette affaire et
autorité d'y donner un dernier jugement , Sa Sainteté
choisit l'archevêque d'Arles , les évéques de Saint-
Flour, le coadjuteur de Tours qui avoit auparavant
été évéque de Bologne, et l'évéque de Saint-Malo,
et en envoya le bref à Sa Majesté, que l'on pourra voir
à la fin de ce volume (0.
Ils ouvrirent leur chambre ecclésiastique au grand
couvent des Augustins à Paris , le aa mars.
Les évéques accusés étoient ceux d'Albi, deNimes,
Uzës , Lodève et Saint-Pons , lesquels , dès qu'ils eu-
rent avis de la concession du bref, envoyèrent à
Rome un Avignonais , qu'ils avoient chargé de voir
en arrivant l'abbé d'Obazine , que nous avons dit
l'année précédente avoir été envoyé à Rome de la
part de Monsieur , pour prendre adresse de lui de ce
qu'il auroit à faire en exécution de sa commission ,
qui étoit de supplier Sa Sainteté de révoquer son
bref, de retenir la cause à soi , et lui rempntrer que
ce dont on les accusoit n'étoit point crime d'Etal ,
(i) ^ la fin dû ce volume : Ce bref ne 9*y trouTe pas.
DE RICHELIEU. [l633J Sl'J
puisqu'ils préiendoient n'avoir rien fait que de dé-
fendre Monsieur d'oppression, qui anssi bien, venant
à ia couronne , chasseroit ceux qu'on auroit mis en
leur lieu.
Cette commission n'aboutit à aucune chose de ce
qu'ils prëtendoient ^ le bref subsista , et les évéques
commis commencèrent à travailler à l'instruction des
procès, déléguèrent l'un d'entre eux, qui étoit l'évéque
de Saint-Flour, pour aller sur les lieux informer et
ouïr les témoins , dont il y avoit un trop grand nombre
pour les faire venir de si loin à Paris , afin qu'à son
retour ils pussent tons ensemble juger légitimement
sur les faits dont lesdits évéques étoient accusés, le
uombre desquels diminua de deux^ car celui d'Uzès
mourut avant que l'on eût commencé à procéder
contre lui, et le Roi défendit de poursuivre contre
1 evi^que de Nimes^ frère du maréchal de Toiras.
Nous finirons cette année par la prière que nous
faisons au lecteur, de considérer en toute la suite des
affaires qui y sont déduites , avec combien de sificé-
rilé et de bonté le Roi avoit recherché les moyens
d avoir la paix, d'empêcher que l'ambition de la mai*
son d'Autriche ne surmontât les Etats plus foibles de
la chrétienté, de faire rendre à un chacun ce qui lui
appartient, de maintenir la religion catholiqu^Ians
les lieux qui venoient à être occupés par les princes
protestans, que l'opiniâtreté espagnole avoit contraints
de s'armer, les sollicitations que Sa Majesté faisoit
faire de toutes parts à ces lins , le respect avec le-
quel il se comportoit en toutes choses avec le Saint-
Siège *, au contraire , l'éloignement que les Espagnols
ont toujours témoigné avoir de la tranquillité pu«
5l8 [l633] MÉMOIRES
blique, les maehinations qu'ils ont faites contre \v
Roi dedans et dehors son État, Tenvie qu^ils ont
portée aux princes catholiques que la protection dn
Roi mettoit il Tabri , leurs mauvais desseins , leurs
paroles outrageantes , et leur procédé insolent en*'
vers le Saint-Siège et la personne de Sa Sainteté ,
qu'ils dévoient honorer comme nous pour parvenir k
une bonne paix , parce que , comme père commun ,
il peut seul, sans jalousie, la proposer et obtenir de
toutes les parties , au moins des deux principales , qui
par leur propre poids attirent les autres avec elles.
Le Roi avoit Tannée précédente envoyé Bautrn en
Espagne pour pressentir ducomteOlivarès en quelle
disposition il seroit sur ce sujet \ mais à son retour ,
qui fut vers la fin de cette année , il rapporta qu'il
n*avoit reconnu en lui qu'inclination à la guerre et
au sang-, qu'il lui avoit donné quelques paroles vai^
nés pour lui persuader le contraire, mais quand il
avoit voulu approfondir, les effets les démentoient.
Bautru lui témoigna qu'il falloit commencer par
l'établissement d'une bonne amitié, sans laquelle au'*
cune paix ne pouvoit être véritable et de durée ^ que
les vrais moyens étoient de faire cesser les réels su-
jets de plaintes que nous avions d'eux ] que nous ne
vissions plus leurs villes l'asile de tous les rebelles
du Roi, leurs imprimeries (0 servir impunément i
tous les libelles diffamatoires qui se faisoient contre
Sa Majesté et ses ministres , leurs ambassadeurs trou-
Ci) Leurs imprimeries : Les Espagnols faisoient publier en AUeniagne,
et surtout à Francfort, une multitude de libelles contre le miDistère
fronçufl. Richelieu y envoyoit de temps en temps un libraire de I^iri»
diargé de les recueillir et de les lai faire passer.
DB RICHELIEU. [i633] Sig
bicr la famille royale , leurs soldats meltro à feu et à
sang les quatre coius et le milieu du royaume *, qu'ils
avoient vu rulilitë et Tbonneur qu'en remportoient
ceux qui avoieut assisté Monsieur, et qu'ils considë-^
rassent ce qu'ils y avoient gagné.
Item de mieux traiter ceux de notre nation qut
trafiquoient en leurs ports et en leurs villes^ que
quand ils ne le devroient pas à la sûreté publique
qui doit être entre les vassaux de princes si étroi-
tement alliés , ils le devroient à la courtoisie dont lo
roi Très-Chrétien avoit usé envers leurs vassaux ,
qui étoient entrés hostilement en son royaume', qu'ils
donnassent aussi ordre à l'entretien du traité de
Monçoii , principalement pour ce qui touchoit Tobéis-
sancc des Valtelins à leurs seigneurs naturels; en un
mot, que tout ce qu'il leur deroandoit étoit cessation
de mauvais ofEces, d'entreprises et de vexations,
tant sur la famille que £ur les Etats de Sa Majesté
Très-Chrétienne; qu'ils s'abstinssent aussi d'une in-
humanité pire que turquesque qu'ils commettoient
depuis un an à notre grand mépris , principalement
dans les ports de Séville , Lisbonne et Malaga , où ils
prenoient nos gens de mer par force, les faisoieni
servir dans leurs vaisseaux pour les voyages des Indes
avec plus de rigueur qu'ils n'en exerçoient sur leurs
vassaux condamnés aux galères , et qu'après que la
France auroit vu du changement en tous ces injustes
déportemens , il seroit aisé de terminer le reste des
différends qui paroissoient aujourd'huientre ces deux
couronnes.
Ledit comte , c{ui ne vouloit rien changer de tout
ce procède injurieux et plein d'hostilité, répondit par
5aO [l633j MÉMOIRES DE RICHELIEU.
une nëgative générale de toutes ces plaintes. Seu-
lement dit-il que , quant aux libelles diffamatoires
que Ton écrivoit contre le Roi et contre son conseil ,
il feroit ce qu'il pourroit , y étant très-intéressé en
son particulier, pour tenir la main à leurs punitions ]
que jamais homme ne Tavoit ouï parler de Sa Ma-
jesté Très-Chrétienne qu'avec le respect qui étoit
dû à un si grand et si vaillant prince; et que , pour
ce qui étoit du cardinal , il pouvoit s'enquérir à des
principaux du conseil , si en parlant de lui il n'avoit
pas dit en plein conseil que sa plus grande disgrâce
étoit qu'il avoit rencontré dans les affaires de France
le premier ministre qui eût paru depuis mille ans dans
la chrétienté , et que plût à Dieu que les affaires de
son maître allassent aussi bien que les nôtres, et que
Ton fit imprimer tous les jours des bibliothèques
contre lui ;
Qu'il eût bien désiré que le Roi son maître eût été
à Barcelone quand Sa Majesté passa à Narbonne,
d'autant qu'il eût demandé congé audit Roi son
maître de venir traiter avec le cardinal , lequel , bien
qu'il le tînt assurément plus habile que lui , il eût
acheté ce contentement d'un peu de perte pour l'Es-
pagne, et que c'étoit une maxime reçue maintenant
parmi eux, qu'il ne falloit point traiter avec le cardinal
d'égal , et qu'ils étoient résolus de faire la paix avee
nous à conditions inférieures pour eux , et qu'autre-
ment le cardinal ne traiteroit point; ce qui étoit assea
donner à entendre qu'ils n'avoient pas volonté d'en-
trer en aucun traité, qu'ils ne sont jamais en disposi-^
tion de faire à leur désavantage.
i>*^p^
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES
DANS LE SEPTIÈME VOLUME.
MÉMOIRES DU CARDINAL DE RICHEUEU.
Livre XXIIL Page i
Livre XXIV. 269
FIM DU TOME SEPTIEME.
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