Skip to main content

Full text of "Mémoires du cardinal de Richelieu, sur le règne de Louis XIII"

See other formats


Google 


This  is  a  digital  copy  of  a  book  thaï  was  prcscrvod  for  générations  on  library  shelves  before  it  was  carefully  scanned  by  Google  as  part  of  a  project 

to  make  the  world's  bocks  discoverablc  online. 

It  has  survived  long  enough  for  the  copyright  to  expire  and  the  book  to  enter  the  public  domain.  A  public  domain  book  is  one  that  was  never  subject 

to  copyright  or  whose  légal  copyright  term  has  expired.  Whether  a  book  is  in  the  public  domain  may  vary  country  to  country.  Public  domain  books 

are  our  gateways  to  the  past,  representing  a  wealth  of  history,  culture  and  knowledge  that's  often  difficult  to  discover. 

Marks,  notations  and  other  maiginalia  présent  in  the  original  volume  will  appear  in  this  file  -  a  reminder  of  this  book's  long  journcy  from  the 

publisher  to  a  library  and  finally  to  you. 

Usage  guidelines 

Google  is  proud  to  partner  with  libraries  to  digitize  public  domain  materials  and  make  them  widely  accessible.  Public  domain  books  belong  to  the 
public  and  we  are  merely  their  custodians.  Nevertheless,  this  work  is  expensive,  so  in  order  to  keep  providing  this  resource,  we  hâve  taken  steps  to 
prcvcnt  abuse  by  commercial  parties,  including  placing  lechnical  restrictions  on  automated  querying. 
We  also  ask  that  you: 

+  Make  non-commercial  use  of  the  files  We  designed  Google  Book  Search  for  use  by  individuals,  and  we  request  that  you  use  thèse  files  for 
Personal,  non-commercial  purposes. 

+  Refrain  fivm  automated  querying  Do  nol  send  automated  queries  of  any  sort  to  Google's  System:  If  you  are  conducting  research  on  machine 
translation,  optical  character  récognition  or  other  areas  where  access  to  a  laige  amount  of  text  is  helpful,  please  contact  us.  We  encourage  the 
use  of  public  domain  materials  for  thèse  purposes  and  may  be  able  to  help. 

+  Maintain  attributionTht  GoogX'S  "watermark"  you  see  on  each  file  is essential  for  informingpcoplcabout  this  project  and  helping  them  find 
additional  materials  through  Google  Book  Search.  Please  do  not  remove  it. 

+  Keep  it  légal  Whatever  your  use,  remember  that  you  are  lesponsible  for  ensuring  that  what  you  are  doing  is  légal.  Do  not  assume  that  just 
because  we  believe  a  book  is  in  the  public  domain  for  users  in  the  United  States,  that  the  work  is  also  in  the  public  domain  for  users  in  other 
countiies.  Whether  a  book  is  still  in  copyright  varies  from  country  to  country,  and  we  can'l  offer  guidance  on  whether  any  spécifie  use  of 
any  spécifie  book  is  allowed.  Please  do  not  assume  that  a  book's  appearance  in  Google  Book  Search  means  it  can  be  used  in  any  manner 
anywhere  in  the  world.  Copyright  infringement  liabili^  can  be  quite  severe. 

About  Google  Book  Search 

Google's  mission  is  to  organize  the  world's  information  and  to  make  it  universally  accessible  and  useful.   Google  Book  Search  helps  rcaders 
discover  the  world's  books  while  helping  authors  and  publishers  reach  new  audiences.  You  can  search  through  the  full  icxi  of  ihis  book  on  the  web 

at|http: //books.  google  .com/l 


Google 


A  propos  de  ce  livre 

Ceci  est  une  copie  numérique  d'un  ouvrage  conservé  depuis  des  générations  dans  les  rayonnages  d'une  bibliothèque  avant  d'être  numérisé  avec 

précaution  par  Google  dans  le  cadre  d'un  projet  visant  à  permettre  aux  internautes  de  découvrir  l'ensemble  du  patrimoine  littéraire  mondial  en 

ligne. 

Ce  livre  étant  relativement  ancien,  il  n'est  plus  protégé  par  la  loi  sur  les  droits  d'auteur  et  appartient  à  présent  au  domaine  public.  L'expression 

"appartenir  au  domaine  public"  signifie  que  le  livre  en  question  n'a  jamais  été  soumis  aux  droits  d'auteur  ou  que  ses  droits  légaux  sont  arrivés  à 

expiration.  Les  conditions  requises  pour  qu'un  livre  tombe  dans  le  domaine  public  peuvent  varier  d'un  pays  à  l'autre.  Les  livres  libres  de  droit  sont 

autant  de  liens  avec  le  passé.  Ils  sont  les  témoins  de  la  richesse  de  notre  histoire,  de  notre  patrimoine  culturel  et  de  la  connaissance  humaine  et  sont 

trop  souvent  difficilement  accessibles  au  public. 

Les  notes  de  bas  de  page  et  autres  annotations  en  maige  du  texte  présentes  dans  le  volume  original  sont  reprises  dans  ce  fichier,  comme  un  souvenir 

du  long  chemin  parcouru  par  l'ouvrage  depuis  la  maison  d'édition  en  passant  par  la  bibliothèque  pour  finalement  se  retrouver  entre  vos  mains. 

Consignes  d'utilisation 

Google  est  fier  de  travailler  en  partenariat  avec  des  bibliothèques  à  la  numérisation  des  ouvrages  apparienani  au  domaine  public  et  de  les  rendre 
ainsi  accessibles  à  tous.  Ces  livres  sont  en  effet  la  propriété  de  tous  et  de  toutes  et  nous  sommes  tout  simplement  les  gardiens  de  ce  patrimoine. 
Il  s'agit  toutefois  d'un  projet  coûteux.  Par  conséquent  et  en  vue  de  poursuivre  la  diffusion  de  ces  ressources  inépuisables,  nous  avons  pris  les 
dispositions  nécessaires  afin  de  prévenir  les  éventuels  abus  auxquels  pourraient  se  livrer  des  sites  marchands  tiers,  notamment  en  instaurant  des 
contraintes  techniques  relatives  aux  requêtes  automatisées. 
Nous  vous  demandons  également  de: 

+  Ne  pas  utiliser  les  fichiers  à  des  fins  commerciales  Nous  avons  conçu  le  programme  Google  Recherche  de  Livres  à  l'usage  des  particuliers. 
Nous  vous  demandons  donc  d'utiliser  uniquement  ces  fichiers  à  des  fins  personnelles.  Ils  ne  sauraient  en  effet  être  employés  dans  un 
quelconque  but  commercial. 

+  Ne  pas  procéder  à  des  requêtes  automatisées  N'envoyez  aucune  requête  automatisée  quelle  qu'elle  soit  au  système  Google.  Si  vous  effectuez 
des  recherches  concernant  les  logiciels  de  traduction,  la  reconnaissance  optique  de  caractères  ou  tout  autre  domaine  nécessitant  de  disposer 
d'importantes  quantités  de  texte,  n'hésitez  pas  à  nous  contacter  Nous  encourageons  pour  la  réalisation  de  ce  type  de  travaux  l'utilisation  des 
ouvrages  et  documents  appartenant  au  domaine  public  et  serions  heureux  de  vous  être  utile. 

+  Ne  pas  supprimer  l'attribution  Le  filigrane  Google  contenu  dans  chaque  fichier  est  indispensable  pour  informer  les  internautes  de  notre  projet 
et  leur  permettre  d'accéder  à  davantage  de  documents  par  l'intermédiaire  du  Programme  Google  Recherche  de  Livres.  Ne  le  supprimez  en 
aucun  cas. 

+  Rester  dans  la  légalité  Quelle  que  soit  l'utilisation  que  vous  comptez  faire  des  fichiers,  n'oubliez  pas  qu'il  est  de  votre  responsabilité  de 
veiller  à  respecter  la  loi.  Si  un  ouvrage  appartient  au  domaine  public  américain,  n'en  déduisez  pas  pour  autant  qu'il  en  va  de  même  dans 
les  autres  pays.  La  durée  légale  des  droits  d'auteur  d'un  livre  varie  d'un  pays  à  l'autre.  Nous  ne  sommes  donc  pas  en  mesure  de  répertorier 
les  ouvrages  dont  l'utilisation  est  autorisée  et  ceux  dont  elle  ne  l'est  pas.  Ne  croyez  pas  que  le  simple  fait  d'afficher  un  livre  sur  Google 
Recherche  de  Livres  signifie  que  celui-ci  peut  être  utilisé  de  quelque  façon  que  ce  soit  dans  le  monde  entier.  La  condamnation  à  laquelle  vous 
vous  exposeriez  en  cas  de  violation  des  droits  d'auteur  peut  être  sévère. 

A  propos  du  service  Google  Recherche  de  Livres 

En  favorisant  la  recherche  et  l'accès  à  un  nombre  croissant  de  livres  disponibles  dans  de  nombreuses  langues,  dont  le  français,  Google  souhaite 
contribuer  à  promouvoir  la  diversité  culturelle  grâce  à  Google  Recherche  de  Livres.  En  effet,  le  Programme  Google  Recherche  de  Livres  permet 
aux  internautes  de  découvrir  le  patrimoine  littéraire  mondial,  tout  en  aidant  les  auteurs  et  les  éditeurs  à  élargir  leur  public.  Vous  pouvez  effectuer 
des  recherches  en  ligne  dans  le  texte  intégral  de  cet  ouvrage  à  l'adressefhttp:  //book  s  .google .  coïrïl 


^    i>.(p'>.  .!:>- 


HARVARD 
COLLEGE 
LIBRARY 


MÉMOIRES., 


DU 


CARDINAL  DE  RICHELIEU, 

SUR  LE  RÉGNE  DE  LOUIS  XIU , 
DEPUIS  1610  jdsqd'a  i638. 

PUBLIÉS   PAR  M.    PETITOT. 


TOME  VII. 

7 


Jy 


PARIS, 

FOUCAULT ,  UBRAIRE ,  RUE  DE  SORBONNE ,  N*.  9. 

i8a3. 


3 


Frlh(>^J!l> 


MRViWB  C«UEfi€  LIMURV 

aiFi  of 

MARY  E.  NAVCN 
JULY2|1t14. 


.» 


MÉMOIRES 


DU 


CARDINAL  DE  RICHELIEU. 


LIVRE   XXIIL 

[i63a]  IjA  première  action  que  le  Roi  fit  ea  cette 
année,  après  avoir  demandé  à  Dieu ,  le  premier  jour , 
la  continuation  de  sa  bénédiction  en  ses  justes  des- 
seins, fut  d'aller,  dès  le  lendemain,  visiter  Moyen- 
vie,  sa  nouvelle  conquête,  où  elle  traça  elle-même 
de  sa  main  le  projet  des  nouvelles  fortifications  qui 
depuis  y  furent  faites,  et  donna  le  gouvernement  de 
cette  place  au  sieur  de  Feuquières,  qu'elle  honora 
aussi  de  la  charge  de  son  lieutenant  général  dans  le* 
gouvernement  des  Trois-Évêchés ,  de  Metz ,  Toul  et 
Verdun,  et  Pays  Messin.  La  prise  de  cette  place ,  for- 
tifiée en  tant  de  temps,  et  conquise  en  si  peu  de  jours, 
donna  une  grande  réputation  à  Sa  Majesté. 

Il  restoit  à  savoir  comme  Sa  Majesté  se  devoit  gou- 
verner avec  le  duc  de  Lorraine. 

Il  étoit  certain  qu'en  Tétat  où  le  duc  de  Lorraine 
s^étoit  mis,  il  n'y  avoit  que  le  Roi  qui ,  après  Dieu , 
pût  le  protéger  et  empêcher  qu'il  ne  fût  dépouillé  de 

0 

ses  Etats. 

L'état  présent  des  affaires  du  monde  faisoit  trop  con- 
nottre  cette  vérité  pour  quil  fût  besoin  de  la  prouver. 

T.     ÎÎ7.  I 


1  [l63a]   MÉMOIRES 

La  misère  de  l'Empereur,  la  foiblesse  d'Espagne ,  la 
ruine  des  électeurs  et  de  la  ligue  catholique ,  la  perte 
que  ledit  duc  avoit  faite  de  toutes  ses  forces,  en  fai- 
soieut  une  démonstration  évidente,  principalement  si 
Ton  considéroit  les  prodigieux  progrès  du  roi  de 
Suède,  le  mal  qu  il  lui  vouloit,  les  prospérités  du  Roi, 
et  le  juste  sujet  qu'il  avoit  de  se  plaindre  de  sa  con- 
duite, si  Ton  considéroit  que  présentement  il  n'y 
avoit  rien  en  terre  qui  pût  résister  à  ces  deux  puis- 
sances jointes  ensemble  en  un  même  dessein ,  ■  ni 
qui  put  arrêter  le  cours  de  l'une  que  l'opposition  de 
l'autre.  Il  y  avoit  beaucoup  à  dire  pour  savoir  si  le 
Roi  devoit  entreprendre  la  protection  du  duc  de  Lor- 
raine *,  plusieurs  raisons  l'en  pouvoient  détourner  :  sa 
mauvaise  conduite  en  son  endroit ,  le  juste  sujet  qu'il 
lui  avoit  donné  d'entreprendre  contre  lui ,  et  l'occa- 
sion qu'il  avoit  d'augmenter  l'étendue  de  son  royaume 
sans  rien  commettre  à  la  fortune ,  la  considération 
qu'il  devoit  faire  du  roi  de  Suède ,  avec  lequel  il  fau- 
droit  peut-être  convertir  l'intelligence  qu'on  y  avoit 
en  une  ouverte  rupture ,  dont  il  pouvoit  arriver  beau- 
coup d'inconvéniens ,  n'étoient  pas  de  foibles  motifs 
il  cette  fin. 

Mais  le  cardinal  représenta  à  Sa  Majesté  que, 
comme  la  générosité  est  le  plus  puissant  aiguillon  des 
grands  rois,  plus  il  y  avoit  de  difficultés  en  cette  af- 
faire et  moins  de  raison  en  certain  sens ,  plus  sem- 
bloit-il  que  le  Roi  la  dut  entreprendre  ; 

Que  cependant,  comme  il  y  avoit  gloire  très- 
grande  à  faire  une  telle  entreprise ,  il  y  auroit  foi- 
blesse si  celui  qui  en  xecevroit  le  fruit  n'y  convioit 
le  Eoi  par  tous  moyens  convenables ,  et  ne  faisoit  con- 


DB  RICHEUBU.    [l63a]  3 

nollre  qa*il  en  vouloit  avoir  à  jamais  la  reconnotssance 
qu'on  en  devoit  attendre  ; 

Qae  pour  cela  deux  choses  ëtoient  requises  :  la 
première  ëtoit  qu*il  se  départit  de  tont  ce  qui  oflen- 
soit  et  dëplaisoit  justement  au  Roi ,  et  de  tontes  les 
liaisons  qu'il  avoit  eues  jusqu'à  présent  contre  son 
gré  et  ses  intérêts ,  et  qu'il  s*attachât  à  Sa  Majesté 
contre  qui  que  ce  pût  être. 

La  seconde  consistoit  à  donner  des  preuves  non 
douteuses  d'une  telle  afTection  et  liaison ,  et  de  la 
durée  d'icelle  ;  ce  qui  se  pouvoit  faire  par  deux  voies  : 
par  quelque  action  extraordinaire  qui  le  rendit  irré- 
conciliable avec  les  ennemis  de  la  France  et  du  règne 
du  Roi ,  et  par  le  dépôt  de  quelques  places  que  M.  de 
Lorraine  ne  pouvoit  refuser  sans  dessein  de  trom- 
perie, tant  parce  qu'il  ne  lui  en  pouvoit  arriver  d'in- 
convénient, étant  clair  que  Sa  Majesté  ne  sauroit 
désirer  un  tel  dépôt  pour  s'agrandir,  puisque  s'il 
avoit  ce  dessein  il  ne  devroit  se  coulenter  d'une 
petite  partie  par  dépôt  lorsqu'il  peut  avoir  le  tout, 
et  a  droit  de  le  faire ,  et  qu'il  sait  bien  que  le  Roi 
ne  peut  par  autre  voie  s'assurer  que ,  le  péril  étant 
passé,  il  ne  se  portât  pas  de  nouveau  à  suivre  les 
desseins  de  Monsieur  et  de  l'Espagne ,  avec  qui  il 
a  liaison  très-étroite,  comme  il  a  déjà  £ût  par  deux 
fois.  ^ 

Il  y  avoit  plus  :  qu'un  tel  dépôt  n'étoit  pas  seule- 
ment nécessaire  au  Roi  pour  son  assurance ,  mais  il 
l'étoit  pour  que  Sa  Majesté  la  put  donner  au  roi  de 
Suède,  qsi,  ne  s'assurantpas  même  de  ses  plus  prochei 
parens  par  autre  voie ,  comme  ce  qu'il  avoit  fait  avec 
l'électeur  de  Brandebourg ,  son  beau-frère ,  dont  il 

I. 


4  [l632]   MÉMOIAES 

tenoit  les  meilleures  places ,  le  jastifioit ,  crôiroit  tou- 
jours que  M.  de  Lorraine  favoriseroit  ses  enneroitf 
quand  il  auroit  le  dos  tourné ,  si  le  Roi ,  qui  étoit  sou 
allie,  ne  le  tenoit  en  bride,  et  n'en  vouloit  répondre 
avec  des  précautions  autres  que  des  paroles,  aux- 
quelles on  ne  se  fie  point  en  matière  d'État. 

Outre  ces  deux  conditions  requises  pour  un  tel 
dessein,  le  Roi  en  devoit  désirer  une  troisième,  qui 
étoit  que ,  s'il  se  faisoit  quelque  chose  entre  lui  et 
M.  de  Lorraine,  il  se  fit  si  promptement  que  Sa  Ma-* 
jesté  eût  temps  d'envoyer  vers  le  roi  de  Suède  devant 
qu'il  eût  commencé  l'attaque  de  ses  États ,  qu'il  vou- 
loit défendre ,  tant  parce  qu'il  étoit  raisonnable  de 
tâcher  d'arrêter  son  cours  par  négociation  devant 
que  rompre  avec  lui ,  que  parce  aussi  qu'au  cas  que 
Sa  Majesté  s'engageât  de  parole  au  duc  de  Lorraine, 
dès  cette  heure  il  se  disposeroit  h  vingt  mille  hommes 
de  nouvelles  levées  pour  rendre  sa  défense  infaillible; 
ï  Que  si  1\{.  de  Lorraine  se  pouvoit  garautir  sans 
f  assistance  du  Roi ,  il  ne  lui  conseilleroit  pas  d'entrer 
en  ces  conditions;  mais  s'il  jugeoit  que  la  protection, 
du  Roi  lui  fût  nécessaire ,  il  lui  devoit  avoir  grande 
obligation  de  n'en  point  désirer  d'autre  ,  puisque 
c'étoient  les  moindres  qui  se  pussent  proposer ,  et 
qu'il  n'y  avoit  rien  qui  intéressât  son  honneur  et  ses 
États,  et  dont  il  n'eût  les  âumples  devant  les  yeux, 
et,  de  nouveau,  celui  de  M.  de  Savoie,  qui  avoit 
sauvé  ses  Étals  par  ce  moyen ,  et  qui  se  repenloit 
tous  les  joufs  de  ne  l'avoir  pas  fait  plus  tôt  ; 

Que  si  M.  de  Lorraine  n'acceptoitces  conditions , 
il  falloit  conclure ,  ou  qu'il  étoit  aveugle  et  insensible 
en  ses  intérêts ,  ce  qu'on  ne  pouvoit  croire  avec  rai- 


DE   RIGHELIBU.    [l632]  5 

80D ,  oa  qull  avoit  quelque  secrète  révélation  qui  lui 
promettoit  un  secours  du  Ciel ,  ou  que  la  mauvaise 
volonté  qu'il  avoit  pour  la  France  étoit  extraordinaire; 
auquel  cas  ceux  qui  lui  seroient  les  plus  affection- 
nés jugeroient  si  la  prudence  du  Roi  ne  Tobligeoit  pas 
à  y  pourvoir,  et  s'il  en  devoit  perdre  l'occasion,  prin- 
cipalement puisque  ce  prince  étoit  autant  ulcéré  de 
la  prise  de  Moyenvic ,  où  il  n'avoit  point  d'intérêt,  et 
de  ce  que  le  Roi  ne  souffroit  pas  les  entreprises  qu'il 
vouloit  faire  sur  ses  droits  ,  comme  si  l'on  lui  avoit 
pris  tous  ses  États  ; 

Qu'il  étoit  à  désirer  qu'il  se  mit  à  la  raison  avec  le 
Roi ,  mais  qu'il  étoit  certain  que  si  l'on  ne  prenoit  le 
temps  de  l'y  contraindre ,  au  cas  que  volontairement 
il  ne  le  fit,  on  s'en  repentiroit,  et  mériteroit-pn 
d'être  blâmé  d'avoir  perdu  une  occasion  qui  ne  se 
recouvreroitpas  une  autre  fois. 

Si  l'on  disoit  que ,  quand  on  s'étoit  avancé  pour 
l'entreprise  de  Moyenvic ,  on  avoit  mandé  à  M.  de 
Lorraine  qu'on  n'avoit  aucun  dessein  contre  lui ,  et, 
partant,  qu'on  ne  devoit  pas. entreprendre  contre  ses 
États,  la  réponse  étoit  aussi  aisée  que  raisonnable  : 
qu'on  n'avoit  nul  dessein  de  rien  faire  contre  lui , 
pourvu  qu'il  voulût  se  désister  d'offenser  le  Roi ,  se 
séparer  des  liaisons  contraires ,  et  en  donner  assu- 
rance; mais  que  quatre  choses  faisoient  voir  claire- 
ment qu'il  n'étoit  pas  en 9s  termes  :  la  première,  le 
secours  que  le  gouverneur  de  Marsal  avoit  donné  en 
ce  qu'il  avoit  pu  à  Moyenvic  par  bateaux ,  et  le  déni 
d'assistance  qu'il  avoit  fait  au  maréchal  dtLa  Force  en 
termes  iriisolens ,  ce  qui  ne  se  pouvoit  dénier  que  des 
ennemis  déclarés. 


6  [lÔSaJ   MÉMOIRES 

La  seconde ,  la  lettre  du  commissaire ,  qui  faisoit 
connoître  au  gouverneur  de  Moyenvic  que  c'étdit  à 
M*  de  Lorraine  qu*il  devoit  avoir  recours. 

La  troisième,  qu'il  avoit  joint  ses  troupes  avec  celles 
des  Espagnols. 

La  quatrième,  qu'il  ne  vouloit faire  aucune  action 
ouverte  qui  le  rendit  irréconciliable  avec  ceux  qui 
en  vouloient  au  règne  du  Roi  ;  ce  qui  montroit  bien 
que  son  dessein  étoit  d'éviter  l'occasion  présente ,  et 
conserver  sa  mauvaise  volonté  pour  une  autre  fois. 

Le  Roi,  pour  ces  raisons,  se  résolut  de  traiter 
avec  lui ,  et  conserver  son  Etat. 

Le  duc,  qui  avoit,  l'année  précédente,  fait  tant 
de  remises  de  le  venir  trouver,  et  qui  avoit  en  cela 
raanq.ué  à  l'attente  qu'il  en  avoit  ensuite  des  pro- 
messes qu'il  lui  en  faisoit  faire  par  les  siens,  après 
être  venu  à  Metz  le  26  décembre,  se  rendit  à  Vie  , 
qui  n'est  distant  de  Moyenvic  que  d'une  demi-lieue  , 
le  soir  du  second  jour  de  janvier.  Sa  Majesté  traita 
avec  lui,  et,  lui  pardonnant  royalement  le  mauvais 
procédé  dont  il  avoit  jusques  alors  usé  envers  elle  , 
non-seulement  ne  voulut  pas  se  servir  de  la  facilité 
qu'elle  avoit  de  se  saisir  de  tous  ses  Etats ,  Sa  Majesté 
y  étant  puissamment  armée ,  et  lui  ayant  perdu  toutes 
ses  troupes  par  la  déroute  qu'il  avoit  reçue  des  Sué- 
dois ,  mais  le  voulant  encore  garantir  de  l'orage  pro- 
chain dont  il  étoit  menacé^r  le  roi  de  Suède ,  qui 
ne  pouvoit  souffrir  d'avoir  été ,  de  gaîté  de  cœur,  at- 
taqué par  un  si  petit  prince  qu'est  le  duc  de  Lor- 
raine. 

Le  traité  fut  fait  et  BÎgné  entre  Sa  Majesté  et  ledit 
duc  le  6  janvier. 


DB   RICHELIEU.    [l63a]  ^ 

Le  duc  promettoit  de  se  départir  dès  lors  de  toutes 
intelligences ,  ligues ,  associations  et  pratiques  qu'il 
aoroit  eues,  ou pourroit  avoir,  avec  quelque  prince 
ou  Etat  que  ce  put  être ,  au  préjudice  du  Roi ,  de 
ses  Etals,  pays  de  son  obéissance  et  protection;  pro- 
mettoit de  ne  rien  faire  contre  les  traités  d'alliance 
et  confédération  faits  entre  le  Roi  et  le  roi  de  Suède , 
et  entre  Sa  Majesté  et  le  duc  de  Bavière ,  pour  la 
conservation  de  la  liberté  d'Allemagne ,  de  la  ligue 
catholique ,  défense  et  protection  des  princes  amis  et 
alliés  de  la  France. 

Par  un  article  seqret ,  signé  le  même  jour  du  traité, 
ledit  duc  déclaroit  qu'il  entendoit  renoncer  à  toute 
alliance  et  confédération  qu'il  pourroil  avoir,  soit  avec 
l'Empereur,  le  roi  d'Espagne  et  tous  autres  princes  de 
la  maison  d'Autriche. 

Il  promettoit  en  outre  qu'à  l'avenir  il  ne  traiteroit 
ai  feroit  aucune  alliance  avec  quelque  prince  et  Etat 
que  ce  put  être,  sans  le  su  et  consentement  du  Roi; 

Qu'il  feroit  retirer  de  ses  Etats  tous  les  ennemis 
de  Sa  Majesté  et  tous  ses  sujets  qui  étoient  sortis  hors 
du  royaume  contre  son  gré ,  et  ne  leur  donneroit  ci- 
après  aucun  passage  ou  sûreté  dedans  iceux. 

Pac  le  même  article  secret,  ledit  sieur  duc  enten- 
doit s'obliger ,  par  la  clause  générale  contenue  ci-des- 
sous ,  de  ne  donner  retraite  ni  assistance  dans  ses 
Etats,  ni  à  Monsieur,  ni.à  la  Reine-mère,  ni  à  aucun 
des  leurs  ; 

Qu'il  ne  permettroit  plus  qu'il  se  fit  aucunes  le- 
vées de  gens  de  guerre  dans  ses  Etats  contre  le  ser- 
vice de  Sa  Majesté ,  ni  qu'aucun  de  ses  sujets  servit 
ou  assistit  ses  ennemis,  ains  feroit  retirer  tous  ceux 


8  [l632J   MÉMOIRES 

qui  pourroient  être  engages  au  service  de  quelque 
prince  que  ce  pût  être  contre  Sa  Majesté  ; 

Qu'il  donneroit  toute  liberté  et  pouvoir  à  ceux  qui 
seroient  envoyés  de  la  part  de  Sa  Majesté,  de  se 
saisir,  dans  ses  Etats,  de  tous  les  sujets  rebelles  de 
Sa  Majesté ,  prévenus  et  accusés  de  crimes  d*£tat  ou 
lèse-majesté ,  après  etai  avoir  averti  ledit  sieur  duc  ^ 

Qu'il  donneroit  non-seulement  libre  et  sûr  passage 
par  ses  Etats  aux  armes  de  Sa  Majesté  qui  pour- 
roient  entrer  en'AUemagne  pour  secourir  messieurs 
les  électeurs  catholiques  et  plusieurs  autres  princes 
alliés  de  la  France,  leur  fourniroit  de  vivres  et  toutes 
choses  nécessaires  pour  le  maintien  d'icelles  qui  dé- 
pendroient  de  lui ,  aux  frais  de  Sa  Majesté ,  mais  en 
outre  y  joindroit  ses  forces,  qui  nepourroient  être 
moindres  que  de  quatre  mille  hommes  de  pied  et  de 
deux  mille  chevaux ,  qu'il  entretiendroit  à  ses  frais 
et  dépens  tant  que  le  Roi  tiendroit  son  armée  en  Al- 
lemagne. 

Sa  Majesté  promettoit  aussi  au  duc  de  protéger  sa 
]>ersonne  et  défendre  ses  Etats  envers  tous  et  contre 
tous  ceux  qui  voudroient  les  attaquer  ou  envahir  , 
en  tout  ou  en  partie ,  pour  quelque  cause  ou  sous 
quelque  prétexte  que  ce  pût  être,  comme  les  siens 
propres. 

Mais,  parce  qu'il  avoit  manqué  souvent  de  parole 
à  Sa  Majesté ,  elle  ne  voulut  pas  se  fier  à  lui ,  qu'il 
ne  lui  donnât  en  dépôt,  pour  trois  ans,  la  ville  de 
Marsal  *,  et  bien  qu'il  n'y  eût  point  de  justes  droits,  et 
qu  il  ne  la  possédât  que  par  la  connivence  du  feu  car- 
dinal de  Lorraine  son  oncle ,  qui  la  donna  au  duc 
son  père  par  un  échange  prétendu  et  saus  aucune 


DE   RICHELIEU.    [l63ll]  9 

proportion ,  auquel  aussi  le  chapitre  de  Metz  8*op- 
posa  formellement,  le  Roi  néanmoins  ne  vouloit  pas 
réveiller  cette  difficulté ,  mais  se  contenta  de  rece- 
voir ladite  place  en  simple  dépôt  pour  trois  ans  ,  à 
condition  de  la  lui  rendre  ce  temps  expiré,  s*il  ob- 
tervoit  les  choses  qu^il  promettoit  dans  le  traité. 

Elle  Alt  mise  es  mains  de  Sa  Majesté  le  i3  dudit 
mois. 

Ce  traité  ne  fut  pas  plutôt  exécuté  par  la  déli- 
vrance delà  place  de  Marsal ,  que  le  duc  de  Lorraine 
mît  es  mains  du  Roi ,  que  Sa  Majesté ,  jugeant  y  pou- 
voir prendre  conûance ,  le  voulut  employer  pour  ra- 
mener Monsieur  à  son  devoir.  Four  cet  effet  elle  lui 
envoya  Breval,  pour  lui  faire  savoir  en  général  son 
intention,  et  lui  donner  lieu  d'en  avertir  Monsieur 
devant  qu'il  partit  de  Nancy  pour  aller  en  Flandre  , 
afin  que  par  ce  moyen  le  Roi  le  pût  divertir  d'un  si 
mauvais  dessein.  Sa  Majesté  pria  le  duc  qu'il  le  pût 
voix*  le  lendemain ,  pour  lui  faire  entendre  particu- 
lièrement la  grâce  qu'il  désiroit  faire  à  Monsieur.  Le 
dnc  fît  ce  qu'il  put  pour  arrêter  Monsieur  à  Nancy  ; 
mais  son  conseil  ne  lui  voulut  pas  permettre ,  mais 
bien  seulement  de  promettre  au  duc  qu'il  ne  sorti- 
roit  point  de  ses  Etats  sans  savoir  les  intentions  du 
Roi  par  son  moyen. 

Comme  il  partit  de  Nancy  le....  janvier  163a,  le 
doc  vint  trouver  le  Roi  à  Esme;  mais,  au  lieu  d'y 
traiter  de  l'accommodement  proposé ,  un  accident 
inopinément  arrivé  lui  donna  bien  une  autre  occu- 
pation. Monsieur,  ayant  fait  au  partir  de  Nancy  une 
grande  traite ,  rencontra  dans  Conflans,  petite  ville 
do  doc  de  Lorraine,  une  voiture  de  5oo,ooo  livres 


lO  [l63a]   MÉMOIRES 

qu'on  amenoil  à  Tarmée  du  Roi  pour  la  montre  de  la 
cavalerie  légère ,  laquelle  il  arrêta.  L'avis  qu'en  eut 
le  duc  auprès  du  Roi  Fempécha  de  parler  d'autre 
chose  que  du  déplaisir  qu'il  avoit  de  cette  action  faite 
dans  ses  Etats,  et  du  désir  qu'il  avoit  d'y  mettre  or- 
dre. Pour  cet  effet  il  partit  en  toute  diligence  pour 
aller  trouver  Monsieur  en  quelque  lieu  qu'il  fût;  mais 
le  Roi  ayant  eu  avis ,  quatre  heures  après  son  dé- 
part, qulaprès  que  Monsieur  eut  bien  consulté  s'il 
devoit  prendre  cet  argent,  il  s'étoit  résolu,  par  con- 
seil, de  ne  le  faire  pas,  parce  que  c'eût  été  mal 
payer  son  hôte  qu'en  sortant  de  ses  Etats  lui  laisser» 
par  une  telle  action ,  une  querelle  à  démêler  avec  le 
Roi,  qui  eût  eu  tout  sujet  de  croire  que  ce  dessein  se 
fût  exécuté  de  son  consentement  *,  ayant  su  en  outre 
qu'il  avoit  permis  aux  commissaires  qui  avbient  la 
conduite  de  cette  voiture  de  continuer  leur  chemin , 
leur  disant  expressément  qu'il  vouloit  bien  qu'on  sût 
que  la  seule  considération  du  duc  de  Lorraine  (ai^oit 
qu'il  en  usât  ainsi ,  lui  dépêcha  toute  la  nuit  p«ur  le 
faire  revenir  et  lui  confier  l'ouverture  qu'il  lui  vou- 
loit faire.  Après  qu'il  lui  eut  témoigné  le  déplaisir 
qu'il  avoit  de  celui  qu'il  avoit  reçu  par  l'accident 
passé,  il  lui  donna  pouvoir  d'assurer  Monsieur  qu'il 
vouloit  oublier  tout  le  passé ,  pourvu  que  le  présent 
et  l'avenir  fussent  comme  ils  dévoient  être  par  raison. 
Et,  venant  au  particulier,  Sa  Majesté  s'engagea  à 
donner  une  abolition  générale  à  tous  ceux  qui  au- 
roient  suivi  Monsieur ,  excepté  au  Coigneux  et  à 
Monsigot,  que  Sa  Majesté  savoit  être  déjà  hors  de  sa 
grâce.  Elle  promit  aussi  rétablir  ceux  qui  étoient  près 
de  sa  personne  en  tous  leurs  biens ,  qui  jusqu'alors 


DE   BICU£L1£U.    [iGBs]  II 

n'avoient  point  encore  été  donnes.  Quoique  Sa  Ma- 
jesté dût  avoir  de  grandes  méfiances  des  conseils 
qu'ils  donnoient  à  Monsieur,  elle  ne  laissa  pas  de 
trouver  bon  qu'il  revînt  à  la  cour  avec  tous  ses  do- 
mestiques ,  excepté  les  deux  dont  il  s'étoit  privé  de 
lai-méme ,  lui  promettant  non-seulement  toute  sûreté 
pour  lui ,  mais  pour  les  siens  qu'il  verroit  de  bon  œil  \ 
cependant  que ,  si  ce  séjour  ne  lui  plaisoit  pas ,  il  lui 
permettoit  de  demeurer  hors  du  royaume ,  en  quel- 
que lieu  non  suspect,  comme  la  Lorraine,  Mont- 
belliard  ou  Bâle;  auxquels  lieux  il  lui  donneroit 
5o,ooo  livres  par  mois ,  et  le  laisseroit  jouir  en  outre 
du  bien  de  mademoiselle  sa  fille. 

Sa  Majesté,  offrant  ces  conditions  avantageuses  à 
Monsieur,  ne  désiroit  autre  chose  de  lui  sinon  qu'il 
se  départit  de  tous  les  desseins  qu'il  avoit  contre  lui- 
même  ,  en  tant  qu'ils  étoient  contre  le  Roi  et  son  Etat, 
et  qu'il  ne  se  fit  point  ce  déshonneur  que  d'être  en 
intelligence  avec  ceux  qui  étoient  ses  mortels  enne- 
mis, puisqu'ils  l'étoient  de  ce  royaume. 

Le  duc  envoya  faire  cette  ouverture  à  Monsieur  par 
Jeannin,  l'un  de  sessecrétaires,  qui  le  trouva  àLongwy, 
ville  de  son  maître,  oùilattendoitdeses  nouvelles;  il 
n'oublia  rien  de  ce  qu'il  put  pour  le  porter  à  l'accep- 
ter; mais,  après  qu'il  eut  tenu  conseil  sur  ce  sujet  avec 
le  duc  d'Elbeuf  et  Puylaurens  sans  aucun  autre  ,  il 
répondit  qu'il  ne  le  pouvoit  faire,  et  passa  le  lende- 
main dans  les  états  d'Espagne  -,  ce  qui  montra  bien 
que  son  dessein  étoit  formé  auparavant,  et  que  lors- 
qu'il avoit  témoigné  au  duc  désirer  rentrer  en  la  grâce 
de  Sa  Majesté  ,  ce  n'avoit  été  que  pour  se  décharger 
du  blâme  de  sa  mauvaise  conduite ,  faisant  croire 


la  [l63!l]  MÉMOIBBS 

qu'il  ne  teuoit  pas  à  lui  qu'il  ue  fût  bien  auprès  du 
Roi ,  mais  que  les  portes  de  ses  grâces  lui  ëtoient 
fermées,  et  qu'il  lui  éloit  impossible  d'y  rentrer. 

Sa  Majesté  eut  beaucoup  de  déplaisir  de  voir  que 
le  duc  d'Elbeuf  et  Pnylaurens  eussent  assez  de  force 
et  de  malice  pour  porter  Monsieur  à  mépriser  les  té- 
moignages de  la  bienveillance  qu'il  avbit  pour  lui,  et 
jugea  qu'il  y  a  voit  une  partie  liée  entre  la  Reine  sa 
mère  et  les  Espagnols  pour  entreprendre  quelque 
chose  contre  son  Etat.  Outre  ce  fondement,  divers 
avis  de  ses  ambassadeurs  lui  donnoient  lieu  d'avoir 
cette  créance  5  le  voyage  que  fit  inopinément  en 
Flandre  le  marquis  de  Mirabel ,  ambassadeur  d'Es- 
pagne, qui  étoit  demeuré  à  Paris ,  où  il  agissoit  per- 
pétuellement pour  troubler  le  repos  de  la  France ,  y 
confirma  Sa  Majesté ,  qui  n'eut  plus  de  lieu  d'en  dou- 
ter lorsqu'elle  eut  vu,  par  un  paquet  que  la  Reine  sa 
mère  avoit  adressé  au  parlement  de  Paris,  qu'elle  con- 
tinuoit  en  son  aveuglement,  et défendoit  et  promou- 
voit  les  intérêts  d'Espagne  contre  ceux  de  la  France  et 
les  siens  propres.  Deux  jours  auparavant,  le  Roi  avoit 
reçu  une  lettre  de  ladite  dame  Reine  par  la  duchesse 
deChevreuse,  qui  Tavoit  reçue  du  duc  de  Montbazon 
son  père,  à  qui  ladite  Reine  en  avoit  fait  l'adresse ^ 
mais  il  fut  surpris  d'une  telle  colère  quand  il  vit 
qu'au  lieu  de  rechercher  les  légitimes  moyens  de  se 
bien  remettre  avec  lui  comme  il  le  désiroit,  elle  con- 
tinuoit  ses  mauvaises  procédures ,  qui  n'avoient  autre 
fin  que  de  décrier  son  gouvernement ,  qu'il  la  jeta 
au  feu  dans  la  chambre  de  la  Reine  sa  femme  en  pré- 
sence de  toute  la  cour. 

Il  eut  fait  le  même  du  paquet  qu'elle  avoit  adressé 


DB   RICHELIEU.    [l632]  l3 

au  parlement ,  lorsque  le  sieur  de  La  ViUe-aux-Clercs, 
qui  Tavoit  reçu  du  président  de  Noviou ,  à  qui  elle 
Tavoit  adresse ,  le  lui  présenta ,  si  le  cardinal  qui  se 
trouva  lors  auprès  de  lui  ne  Fen  eût  empêché  par 
très-humbles  supplications,  et  ne  l'eût  conjuré  de 
vouloir  voir  ce  qui  étoit  dedans  et  en  ouïr  la  lecture. 

Ce  paquet  contenoit  deux  lettres ,  Tune  au  Roi  et 
Tautre  au  parlement  ;  toutes  deux  étoient  pleines  de 
la  répétition  des  impostures  plusieurs  fois  rebattues 
contre  le  cardinal. 

En  ce  môme  temps,  Dieu  permit  qu'un  médecin, 
nommé  Bénard ,  étant  condamné  à  mort  pour  la  fausse 
monnoie,  déclara ,  par  le  remords  de  sa  conscience, 
comme,  k  la  sollicitation  qu'un  nommé  Espagnet,  fils 
d'un  président  de  Bordeaux,  lui  avoit  fait  faire  ,  il 
avoit  préparé  trois  différentes  sortes  de  poisons  qui 
furent  trouvés  chez  lui  pour  empoisonner  le  cardinal; 
que,  pour  l'induire 2i  ce  mauvais  dessein ,  ou  luiayoit 
fait  espérer  de  grandes  récompenses  de  la  part  de 
Monsieur,  lui  représentant  que  quand  même  on  ne 
pourroit  faire  finir  ce  personnage  par  ce  détestable 
moyen,  il  y  avoit  plusieurs  personnes  liées  ensemble 
qui  le  dévoient  entreprendre  par  vive  force.  Ce  mal- 
heureux fit  cette  découverte  de  son  propre  mouve- 
ment, n'en  paroissant  aucun  indice  auparavant  l'ou- 
verture qu'il  en  fit.  Il  soutint  à  la  question  qu'elle  étoit 
très-véritable,  et  lorsqu'il  fut  à  la  potence,  il  conjura 
son  confesseur  d'en  donner  avis  au  cardijgial  afin  qu'il 
se  pût  mieux  garder  de  pareils  accidens. 

Cet  avis  £ut  accompagné  de  divers  autres  de  pa- 
reille nature ,  dont  les  circonstances  étoient  si  parti-* 
colières  qu'il  n'y  avoit  pas  lieu  d'en  douter.  Tous  en- 


l4  [l63a]  MÉMOIRES 

semble  furent  suivis  de  plusieurs  autres  beaucoup 
pires,  puisqu'ils  aboutissoient  aux  mauvais  bruits 
qu'on  faisoit  croire  de  la  mauvaise  santë  du  Roi  y  et 
de  Tespérance  qu'on  donnoit  de  ce  qu'on  de  voit 
craindre. 

Le  Roi  conçut  de  nouveau  tant  d'indignation ,  et 
de  la  malice  qui  paroissoit  es  lettres  écrites  sous  le 
nom  de  la  Reine-mère ,  et  des  diaboliques  desseins 
que  ce  médecin  et  quelques  autres  avoient  décou- 
verts, et  des  mauvais  bruits  qu'on  épandoit  de  sa 
santé ,  qu'ils  donnèrent  lieu  à  sa  bonté  de  rendre 
de  nouveaux  témoignages  de  sa  protection  an  car- 
dinal. 

Le  principal  déplaisir  qu'il  eut  de  la  continuation 
de  telles  procédures,  fut  parce  qu'il  vit  clairement 
qu'elles  l'empéchoient  de  protéger  la  religion  catho- 
lique et  les  princes  de  la  ligue  en  Allemagne ,  aussi 
puissamment  qu'il  eût  pu  faire  sans  les  traverses  qui 
lui  étoient  faites  par  les  siens  à  la  suscitation  des  Es- 
pagnols ,  auxquels  ce  n'étoit  pas  assez  d'avoir  mal 
défendu  ces  princes  catholiques,  comme  il  paroissoit 
par  la  prise  de  Mayence  qu'ils  avoient  lâchement 
abandonné  après  avoir  fait  un  grand  butin  dans  la 
ville,  qu'ils  avoient  pillée  au  lieu  de  la  garder,  mais 
ils  vouioient  empêcher,  par  toutes  sortes  d'artifices, 
que  l'assistance  du  Roi  ne  leur  fût  plus  utile  que  la 
leur. 

Si  le  duc  d'Elbeuf  et  Puylaurens ,  et  principale- 
ment le  premier ,  qui  n'espéroit  pas  rentrer  en  son 
gouvernement ,  persuada ,  pour  son  intérêt,  à  Mon- 
sieur de  refuser  les  offres  que  le  Roi  lui  faisoit  par  le 
duc  de  Lorraine,  ce  duc  aussi  n'y  cheminoit  pas  d'un 


DE   RICHELIEU.   [lôâl]  l5 

boo  pied,  d'autant  qu'en  même  temps  qu'il  traitoit 
avec  le  Roi  il  faisoit  le  mariage  de  sa  sœur  avec 
Monsieur,  nonobstant  qu'il  sût  bien  que  Sa  Majesté 
ne  l'avoit  pas  agréable  et  ne  le  permettroit  jamais^  et 
ne  remit  pas ,  ainsi  qu'il  l'avoit  promis  au  Roi ,  Le 
Coigneux  et  Monsigot  entre  les  mains  du  sieur  de 
Beaaregard ,  capitaine  de  chevau-légers  et  autres  de 
ses  compagnons ,  qui  se  rendirent  à  Nancy  pour  cet 
effet ,  mais  les  en  avertit  et  les  fit  sauver  la  nuit  pré* 
cédeote ,  leur  faisant  faussement  dire  que  s'il  les  eût 
voulu  livrer  on  lui  eût  rendu  Marsal. 

Le  Coigneux  (0  n'avoit  pas  été ,  de  premier  abord , 
d'avis  dudit  mariage ,  et  le  déconseilloit  à  son  maî- 
tre, non  tant  pour  le  détourner  de  commettre  contre 
le  Roi  une  si  grande  offense  ,  comme  étoit  celle 
de  se  marier  contre  sa  volonté  avec  une  étrangère 
et  de  maison  suspecte  ,  au  moins  pour  lors,  à  cet 
État,  que  d'autant  qu'il  prévoyoit  que,  si  cette 
alliance  se  faisoit ,  le  duc  de  Lorraine ,  qui  hasardoit 
tout  son  État  pour  s'unir  à  Monsieur ,  auroit  désor- 
mais toute  l'autorité,  ce  qui  ne  pouvoit  être  qu'à 
son  préjudice.  Mais  il  se  relâcha  bientôt  après , 
d'autant  qu'il  vit  que  s'il  s'affermissoit  en  l'opinion 
contraire ,  et  que  le  duc  de  Lorraine  voulût  achever 
de  le  perdre ,  il  couroit  fortune  de  périr  par  les  mains 
de  ses  ennemis ,  étant  tous  unis  contre  lui. 

Le  Roi,  incontinent  après,  retourna  à  Metz,  où 
quelques  ambassadeurs  des  princes  d'Allemagne  Tat- 

(i)  L€  Coigneux  :  Ce  fut  Pnjlaureiit  qui  difcida  Monsieur  à  épouser  la 
lirinftMii  Margoerite ,  s«ar  do  doc  de  Lorraine  :  loi-même  ëtoit  poussé 
par  b  princesse  de  Phabbourg ,  tœnr  atnce  de  Marguerite,  dont  il  ëtoit 


l6  [1632]   MÉMOIRES 

tendoient,  et  autres  étoient  prêts  de  Vy  venir  trouver  ; 
car  le  passage  du  roi  de  Suède ,  qui ,  comme  un 
éclair,  avoit  traversé  toute  rAUemagne  depuis  la  mer 
Baltique  jusques  à  Mayence ,  le  ravage  qu'il  avoit  fait 
dans  tous  les  États  de  ses  ennemis ,  et  la  ruine  de 
toutes  les  puissances  qui  s'étoient  opposées  à  lui, 
avoient  porté  un  tel  effroi  dans  les  cœurs  de  tous  les 
peuples  de  ladite  Allemagne ,  que  la  plupart  des  villes 
et  des  princes  se  déclarèrent  pour  lui  de  tous  côtés, 
presque  en  même  temps  contre  l'Empereur ,  qui  ne 
sembloit  pas  être  assuré  dans  sa  ville  de  Vienne  ni 
dans  ses  provinces  héréditaires,  tant  à  cause  de  la 
grande  quantité  d'ennemis  qui  étoient  élevés  contre 
lui ,  que  pource  que  ses  peuples  ne  lui  étoient  pas  af- 
fectionnés. 

En  cette  extrémité  on  lui  donna  conseil  de  se  re- 
tirer à  Gratz  en  Styrie,  tandis  qu'il  assembleroit  de 
nouvelles  forces  pour  opposer  à  celles  qui  venoient 
fondre  sur  lui;  et  plusieurs  encore  furent  d'avis  que 
lui-même  ou  le  roi  de  Hongrie,  son  fils,  se  missent 
à  la  tête  de  cette  armée  pour  montrer  qu'ils  vou« 
loient  à  l'avenir  prendre  soin  de  leurs  propres  affaires 
et  ne  les  négliger  pas ,-  et  les  remettre  entièrement 
à  ses  odlciers,  comme  il  avoit  fait  auparavant,  don- 
ner ,  par  ce  moyen ,  espérance  de  meilleur  traite*^ 
ment  à  ses  sujets,  qui  se  plaignoient  de  l'avarice  de 
ses  ministres,  de  leur  rigueur  et  des  exactions  qu'ils 
leur  faisoient  souffrir  à  son  insu  ^  mais  le  conseil  de 
se  retirera  Gratz  lui  semblant  trop  honteux,  ei  celui 
de  commander  lui-même  à  son  armée  trop  hasar- 
deux ,  il  se  résolut  de  demeurer  à  Vienne,  de  la  faire 
fortifier  en  diligence ,  et  faire  la  guerre  par  ses  lieu- 


DE  nicHEUEU.  [i63aj  17 

lenans y  comme  il  avoit  toujours  fait  jusques  alors, 
preoant  pour  prétexte  de  n'aller  pas  lui-même  à  lar* 
mëe,  que  la  majesté  de  loia  étoit  plus  vénérable,  et 
que  c'étoit  un  dernier  remède  qui  lui  resteroit  à  ten- 
ter pour  l'extrémité.  Cette  résolution  prise,  il  pensa  à 
faire  un  autre  général  d'armée  outre  Tilly ,  pource 
qu'ayant  deux  ennemis  en  tête ,  le  Suédois  et  le  Saxon , 
il  loi  falloit  deux  armées  commandées  par  deux  géné- 
raux ,  pour  s  opposer  à  eux. 

Pour  cet  effet  il  jette  les  yeux  sur  Walstein  pour 
Thonorer  de^cette  charge,  dont  il  s'étoit  autrefois  ac- 
quitté si  glorieusement  et  utilement  pour  son  service; 
mais  il  Tavoit  indisposé  k  la  diète  de  Ratisbonne,  sur 
les  plaintes,  ou  véritables  ou  envieuses ,  qui  lui  furent 
lors  faites  par  les  états  de  TEmpire ,  pour  les  extor- 
sions intolérables  qu'il  faisoit  pour  Tentretènement 
de  ses  gens  de  guerre. 

Ledit  Walstein  fait  le  renchéri,  et  „  soit  qu'il  veuille 
faire  acheter  la  nécessité  qu'il  voit  qu'on  a  de  lui,  soit 
que  véritablement  le  mauvais  traitement  qu'il  a  reçu 
par  le  passé,  et  le  repos  qu'il  a  commencé  à  goûter, 
lui  fassent  désirer  de  jouir  le  reste  de  sa  vie  des 
richesses  et  de  la  gloire  qu'il  a  acquises,  il  propose  la 
foiblesse  de  son  âge  qui  entroit  dans  la  vieillesse, 
l'incommodité  de  ses  gouttes  qui  le  travailloient  ordi- 
nairement, et  surtout  la  haine  qu'on  lui  porte  en 
FEmpire  ;  mais,  voyant  que  l'Empereur  ne  reçoit  point 
ses  excuses  «n  paiement ,  et  que  plus  il  recule  plus 
ilIepiMse  d'accepter  cette  charge  et  l'y  servir,  il 
consent  à  sa  volonté ,  mais  il  stipule  qu'il  aura  seul  la 
puissance  souveraine,  non-seulement  en  Tarmée, 
mais  en  la  guerre,  sans  être  obligé  d'envoyer  à  Vienne 

T.    ^7.  2 


l8  [l63â]   MÉMOIRES 

au  conseil  de  guerre  de  TEmpereur,  pour  recevoir 
ses  ordres  en  toutes  occasions ,  comme  il  avoit  tou- 
jours ëté  pratiqué  jusques  alors  \  qu'il  donueroit  des 
quartiers  d'hiver  à  ses  soldats ,  tels  et  où  bon  lui  sem- 
bleroit ,  pourroit  lever  des  contributions  d'argent  et 
de  vivres  comme  il  jugeroit  à  propos ,  disposeroit  de 
toutes  les  charges  del'armée ,  étne  pourroit  être  cassé 
par  l'Empereur  qu'il  ne  lui  en  eût  donné  avis  six  mois 
auparavant,  et  ne  seroit  point  obligé  de  rendre  compte 
de  ce  qu'il  auroit  fait  en  sa  charge.  Il  seroit  difficile 
déjuger  si  ces  conditions  étoient  insolentes  pour  un 
serviteur  envers  un  maître ,  ou  nécessaires  au  service 
de  l'Empereur  en  l'extrémité  où  se  trouvoient  ses  af- 
faires, en  laquelle  il  a  toujours  été  jugé  absolument 
nécessaire  que  le  prince  qui  n'agit  pas  immédiate- 
ment par  lui-même ,  se  remette  entièrement  de  toutes 
choses  à  un  seul ,  se  confiant  en  lui  totalement.  Quoi 
qu'il  en  soit,  on  peut  bien  dire  absolument  que  les- 
dites  conditions  furent  la  cause  de  sa  ruine  et  de 
sa  mort,  car  l'Empereur ,  ou  jaloux  de  sa  nature,  ou 
se  laissant  aller  à  la  jalousie  des  grands  de  sa  cour , 
ne  les  voudra  pas  observer,  Walstein  en  témoignera 
du  mécontentement,  sur  lequel  on  lui  fera  croire 
qu'il  est  traître ,  et  on  le  traitera  avec  toute  la  cruauté 
que  peut  mériter  la  plus  infâme  et  la  plus  avérée  tra- 
hison qui  puisse  tomber  en  l'esprit  du  plus  méchant 
homme  du  monde. 

Cette  extrémité  en  laquelle  étoient  les  afiaires  de 
la  maison  d'Autriche  en  Allemagne,  faisoit  cpe  tous 
les  princes  et  Etats  catholiques  jetoient  les  yeux  sur 
Sa  Majesté  pour  en  être  protégés. 

Les  sieurs  baron  de  Fenf  et  Kutner ,  envoyés  vers 


DÉ    RICHELIEU.    [l63'2]  I9 

Sa  Majesté  par  les  électeurs  de  Bavière  et  de  Cologne, 
pour  demander  protection  et  secours  contre  le  roi  de 
Suède,  étoient  arrivés  le  3  janvier,  eurent  favorable 
audience,  et  retournèrent  avec  promesse  de  Sa  Ma- 
jesté de  tâcher ,  nonobstant  les  refus  de  Bavière  quon 
a  vus  ci-devant ,  à  moyenner  entre  eux  quelque  ac- 
commodement équitable  pour  les  préserver  de  la 
fureur  des  armes  victorieuses  du  Suédois. 

Peu  de  jours  après ,  arrivèrent  l'ambassadeur  de 
Trêves  et  Tévéque  de  Wurtzbourg,  en  qualité  d'am- 
bassadeur de  la  ligue  catholique ,  pour  laquelle  il  lui 
fil  la  même  demande. 

L'archevêque  de  Mayence  lui  dépécha  aussi  un  des 
siens  pour  la  supplier  de  le  faire  rétablir  en  son  ar- 
chevêché, etarrêterle  cours  des  cruautés  des  Suédois. 
La  désolation  des  États  de  ces  princes,  qui  étoit 
représentée  au  Roi  par  leurs  ambassadeurs ,  bien  que 
leurs  maîtres  en  fussent  en  partie  cause,  d'autant 
qu'auparavant  les  derniers  progrès  de  ce  Roi  ils  n'a- 
voient  jamais  voulu  entendre  à  une  neutralité  raison- 
nable qu'il  leur  eût  lors  accordée,  touchoit  néan- 
moins son  cœur  de  compassion ,  et  lui  faisoit  redou- 
bler ses  offices  vers  ce  Roi,  par  toutes  les  raisons 
qu'il  lui  pouvoit  représenter  que  c'étoit  le  propre 
bien  de  ses  aflaires  de  trouver  quelque  juste  accom- 
modement avec  cçs princes;  et,  afin  que  cette  neu- 
tralité d'entre  la  ligue  catholique  et  le  roi  de  Suède 
ne  pût  un  jour  venir  à  trop  d'élèvement  de  ce  Roi  et 
du  parti  huguenot,  avec  oppression  du  parti  catho- 
lique ,  Sa  Majesté ,  en  cas  que  cette  neutralité  réus- 
sit, en  disposoit  une  autre  plus  grande  entre  le  susdit 
roi  de  Suède  d'une  part,  et  la  ligue  catholique,  le 

2. 


210  [l632]    MÉMOIRES 

duc  de  Wurtemberg,  Venise  et  les  états  des  Provinces- 
Unies,  avec  l'intervention  de  Sa  Majesté  et  du  roi  de 
la  Grande-Bretagne,  à  ce  que,  pendant  un  temps, 
lesdils  princes  et  Etats  demeurassent  unis  et*  en  neu- 
tralité les  uns  avec  les  autres,  à  condition  de  n'entre- 
prendre rien ,  durant  ledit  temps ,  sur  les  États  des 
uns  et  des  autres ,  ne  donner  aucune  assistance  di- 
rectement ni  indirectement  aux  ennemis  de  Tun  des 
collègues,  et  autres  conditions  dont  on  fût  convenu  ; 
ce  qui  eût  ôté  d'une  part  la  crainte ,  le  soupçon  et  la 
jalousie  que  plusieurs  princes  voisins  et  particuliers 
pouvoient  concevoir  des  armes  du  roi  de  Suède,  et 
de  Tautre  eût  donné  plus  de  liberté  audit  Koi  de 
s'opposer  aux  entreprises  de  la  maison  d'Autriche , 
et ,  pour  comble  de  bien ,  eût  rendu  par  force  l'Em- 
pereur plus  facile  à  entendre  à' une  bonne  paix  et  à 
l'accommodement  général  de  toutes  les  affaires  d'Al- 
lemagne ,  ce  qui  a  toujours  été  le  principal  but  et 
l'intention  de  la  France ,  et  le  désir  de  toute  la  chré- 
tienté. 

Pour  parvenir  à  cette  fin,  le  Roi  entreprenoit 
avec  grande  passion  la  neutralité  de  Bavière  et  de 
la  ligue  catholique  avec  le  roi  de  Suède.  La  maison 
d'Autriche,  cause  de  tous  les  troubles  de  la  chrétienté, 
s'opposa  à  la  neutralité  que  le  Roi  proposoit  pour  la 
paix  commune ,  et  fit  une  autreJîgue  entre  l'Empe- 
reur et  le  roi  d'Espagne,  par  laquelle  ils  s'obligeoient 
chacun  d'entretenir  un  certain  nombre  de  gens  de 
guerre  pourchasser  les  ennemis  qui  entreprendroieut 
d'attaquer  les  Etats  de  l'un  ou  de  Tautre,  etinvitoient 
tous  les  rois ,  princes  et  républiques  chrétiennes  d'y 
entrer.  Le  Roi  même  y  fut  convié  par  l'Empereur , 


DE  RICHKLIEU.    [1682]  21 

li  loi  eD  écrivit  le  3  mars ,  ne  considërant  pas  que 
uiîqae  moyen  de  faire  entrer  les  autres  Etats  en 
lociation ,  étoit  d'ôter  les  jalousies  qu'on  avoit  à 
»n  droit  de  leur  grandeur,  condescendant  de  rendre 

qu'ils  avoient  ces  dernières  années  usurpé  sur 
ax  qui,  pour  leur  foiblesse ,  n'avoient  pu  résister  à 
ir  puissance  ;  car  le  sujet  de  la  méfiance  et  la  se- 
ration  des  intérêts  continuant,  il  n'y  avoit  point 

liens  assez  forts  pour  les  unir  à  une  ligue. 
On  remarquoit  une  chose  bien  extraordinaire  en 
tte  poursuite ,  qui  étoit  qu'au  lieu  qu'auparavant 
Ispagnol  n'envoyoit  ses  résolutions  qu'en  termes 
pératifs  aux  plus  puissans  princes  d'Italie ,  il  re- 
inoissoit  aujourd'hui  les  moindres  pour  ses  égaux , 
les  recherchoit  assez  honteusement  de  s'unir  avec 
.  pour  la  défense  de  leurs  intérêts  communs  et  la 
erté  de  l'Italie ,  à  quoi  il  convioit  le  Pape ,  non- 
ilement  de  s'intéresser ,  mais  d'en  être  le  promo- 
ir. 

Et  le  roi  d'Espagne  parloit  comme  étant  un  d'entre 
(  princes  dltaiie,  qui  n'avoit  autre  considération 
e  de  conserver  le  sien  et  défendre  celui  de  ses 
iës,  et  les  prioit  de  faire  une  ligue  défensive  avec 
y  qui  ne  refuseroit  point  de  s'unir  avec  tous  les 
nces  qui  le  désireroient  ;  ce  qui  étoit  proprement 
e  ligue  contre  la  France  ,  qu'il  représentoit  vou- 
r  troubler  le  refbs  d'Italie. 
Qs  envoyèrent  pour  ce  sujet  à  Venise,  Lucques  , 
!ne$ ,  Florence ,  aux  Suisses  et  en  Pologne ,  de  tous 
quels  lieux  ils  ne  reçurent  pas  les  réponses  qu'ils 
léroient.  On  ne  s'unit  point  à  eux  ;  le  seul  duc  de 
>rence  promit  un  secours  effectif  seloa  que  ses 


!I2  [1632]    MÉMOIRES 

forces  le  pourroient  porter  ;  les  autres  états  d'Italie 
s'excusèrent  sur  la  guerre  de  Mantoue.  Les  Suisses 
refusèrent  formellement  de  s'unir  à  eux ,  et  au  con- 
traire acceptèrent  la  neutralité  avec  le  roi  de  Suède. 
Us  eurent  du  roi  de  Pologne  une  permission  secrète  de 
faire  des  levées  clandestines  et  les  faire  filer  en  Silésie. 

Quand  ils  virent  ne  pouvoir  attirer  les  Vénitiens 
à  leur  ligue,  ils  les  sollicitèrent  de  vouloir  au  moins 
entrer  en  neutralité  a.vec  les  Espagnols  et  nous ,  en 
cas  de  guerre  en  Italie,  ce  qui  nous  eut  été  de  grand 
préjudice  ,  pource  qu'ayant  toujours  été  les  plus 
échauffés  aux  affaires  d'Italie ,  ils  eussent  donné  à 
penser  à  tous  les  autres  princes  italiens  ;  mais  ils  n'en 
purent  venir  à  bout ,  non  plus  que  de  Sa  Sainteté , 
qu'ils  espéroient  bien  néanmoins  devoir  être  le  chef 
de  leur  ligue,  et  étoient  assez  présomptueux  pour  se 
persuader  qu'elle  y  étoit  obligée  ,  joint  qu'ils  espé- 
roient de  l'emporter,  à  cause  de  la  mauvaise  posture 
en  laquelle  ils  s'imaglnoient  que  notre  ambassadeur 
étoit  en  l'esprit  du  Pape,  pour  l'opposition  qu'il 
avoit  commencée,  et  qu'il  continuoit  constamment,  à 
la  préséance  que  don  Tadée ,  neveu  de  Sa  Sainteté, 
pourvu  de  la  charge  de  préfet  de  Rome ,  prétendoit 
en  cette  qualité  sur  tous  les  ambassadeurs  des  têtes 
couronnées. 

Il  est  certain  que  cette  charge  a  été  autrefois  en 
très-grande  considération ,  ]ors(^e  les  empereurs  y 
pourvoyoient  5  mais  depuis  qu'ils  ont  cessé  de  com- 
mander à  Rome,  et  que  le  pape  s'en  est  dit  souve- 
rain, le  sujet  de  l'estime  de  cette  charge  a  changé; 
outre  que  depuis  que  les  papesse  sont  accrus  dedans 
ntalie,  jaloux  de  l'autoritc  de  cette  charge  ,  ils  n'ont 


DE   KICHBLIEU.    [l63a]  23 

fias  seulement  diminué  son  pouvoir,  mais  le  lui  ont 
ôtë  toni-à*fait:  quelques-uns,  ayant  voulu  agrandir 
leurs  neveux ,  Tout  remise  en  sa  première  splendeur  ; 
et  ainsi  ensuite,  selon  les  diverses  passions  des  papes, 
ou  elle  a  eu  vigueur  ou  a  été  supprimée. 

Sa  Sainteté  prétendoit  cette  charge  être  si  grande, 
que  celui  qui  en  étoit  pourvu  devoit  immédiatement 
suivre  les  cardinaux ,  sans  qu'aucun  se  pût  mettre 
entre  eux  ,  et  soutenoit  même  qu'autrefois ,  dans  la 
fleur  de  la  monarchie  française ,  ils  avoient  précédé 
Fambassadeur  en  chapelle ,  en  cavalcade ,  à  Tencens , 
et  à  toutes  autres  rencontres,  tant  publiques  que 
particulières. 

Les  ministres  du  Pape  rapportoient ,  pour  preuve 
de  leur  dire ,  quelques  autorités  tirées  de  la  vie  de 
Jules  II  et  de  celle  de  Paul  m. 

A  quoi  nous  répondions  que ,  quant  au  premier , 
il  étoit  ennemi  de  la  France ,  et  que  par  conséquent 
ce  qu'il  avoit  fait  à  son  désavantage  ne  devoit  pas 
passer  pour  autorité ,  et  de  plus ,  que  c'étoit  une 
chose  qu'on  tenoit  certaine  dans  Rome,  que  ledit 
Jules  u  n'ayant  pu  faire  que  son  neveu  eût  la  pré- 
séance qu'il  désiroit,  outre  la  charge  de  préfet  qu'il 
lui  avoit  donnée ,  le  fit  duc  d'Urbin ,  laquelle  qualité 
de  duc  lui  donnoit  les  avantages  qu'il  n'avoit  pu 
avoir  avec  l'autre  ^  outre  qu'il  se  lit  dans  la  vie  de 
Jules  II  j  que  le  t(n  Louis  xii  avoit ,  dès  le  commen- 
cement de  son  pontificat,  envoyé  près  de  lui  pour 
ambassadeur  un  Robertus  Brito ,  évéque  de  Nantes , 
lequel ,  pour  avoir  mal  servi  le  Roi  son  maître ,  et 
même  trahi  en  toutes  les  grandes  affaires  qui  se  pas- 
sèrent ,  fut  condamné ,  tous  ses  biens  confisqués ,  et 


24  [l(>32j   MEMOIHES 

contraint  de  demeurer  à  Rome  en  perpétuelle  igno- 
minie. Et  davantage ,  que  les  allégations  qu'ils  fai* 
soient  toraboient  presque  toutes  dans  Tannée  1 5o5,  au 
commencement  de  laquelle  le  roi  Louis  xii ,  ne  con- 
noissant  pas  encore  ledit  Robertus,  le  fit  cardinal, 
si  bien  qu'il  n'eut  plus  rang  d'ambassadeur,  quoiqu'il 
fît  toujours  les  aâaires  >  et  qu'ainsi  il  étoit  clair  que 
ce  qui  s'étoit  passé  en  cette  année  i5o5  ne  devoit 
faire  aucun  préjudice  au  Roi  ni  à  son  ambassadeur, 
d'autant  que  ledit  Robertus ,  s'étant  relâché  de  ce 
qu'il  ne  devoit  pas  étant  ambassadeur,  se  relâcha 
beaucoup  davantage  étant  cardinal. 

Quant  à  Paul  m ,  qu'on  tenoit  à  Rome  par  tradi- 
tion pour  constant  qu'il  ne  prétendit  pas  de  mettre 
auprès  ni  au-dessus  des  ambassadeurs  son  neveu, 
préfet  de  Rome,  mais  seulement  le  faire  asseoir  à  ses 
pieds  en  chapelle ,  encenser  le  premier  et  précéder 
aux  cavalcades,  à  quoi  les  ambassadeurs  ne  voulurent 
jamais  consentir,  et  ne  se  trouvèrent  plus  en  chapelle 
tant  qu'il  y  fut. 

Ils  apportoient  aussi  des  preuves  tirées  de  leurs 
rituels  ou  diaires  manuscrits  ;  ce  que  notre  ambassa- 
deur leur  répondit  n'être  pas  pièces  authentiques , 
d'autant  qu'ils  sont  faits  à  la  fantaisie  de  quelques- 
uns  de  leurs  domestiques,  qui  n'y  avoient  pas  tant  re- 
présenté les  choses  comme  d'antiquité  elles  avoient 
accoutumé  d'être ,  que  comme  ils  vouloient  qu'elles 
fussent. 

Et  pource  qu'ils  faisoient  instance  sur  quelque  pas- 
sage du  journal  de  Paris  de  GrafHs,  qui  rapportoit 
que  le  préfet  avoit  précédé  l'ambassadeur  de  France, 
le  nôtre  lui  en  rapporta  un  autre  du  même  de  Graf- 


I>K    HICIIKLIEU.    [itiJaJ  35 

is  qui  tëmoigooit  le  contraire  \  car  il  dit  que ,  du 
temps  de  Sixte  iv ,  le  goofalonier  voalul  précéder  le 
préfet  de  Rome  son  neveu  ,  comme  étant  le  plus 
iBciea  en  charge;  ce  que  ledit  Sixte  voyant  qu'il  ne 
MjQVoit  empêcher ,  il  fit  sondit  neveu  duc  de  Sore , 
!t  ces  mots  mêmes  y  sont  :  Prœfecto  dignitatem 
noforem  videlicet  ducalem  adjedt ,  par  laquelle  il 
irécéda  le  gonfatonier.  Or  il  est  très-certain  qu'il 
l'y  a  point  de  duc ,  s'il  n'est  souverain ,  qui  ne  cède 
i  un  ambassadeur  de  roi  dans  son  logis  même. 

L'ambassadeur  remontra  que  cette  affaire  n'étoit 
[MU  de  peu  d'importance,  tant  pour  la  nouveauté  qae 
[Mnrce  qu'un  autre  pape  ne  souffriroit  peut-être  pas 
lisément  que  son  neveu  fiit  précédé  par  celui  de  son 
prédécesseur  ;  et  ainsi  il  lui  donneroit,  par  exemple, 
la  fJurge  de  gonfalonier  que  tenoit  lors  le  duc  de 
E^ume ,  s'il  venoit  à  mourir,  ou  remettroit  sus  celte 
de  sénateur,  ou  quelque  autre  semblable,  qui  sont 
lo-dessns  de  ta  préfecture ,  et  en  moins  de  quatre 
pontificats  ,  l'ambassadeur  de  France ,  qui  a  déjà  ce- 
lai de  FEmpereur  qui  le  précède,  seroit  hors  des 
degrés  du  soglio  en  chapelle ,  oiî  il  n'y  a  place  que 
ponr  quatre  ou  cinq  personnes. 

L'ambassadeur  d'Espagne ,  qui  ne  va  point  en  cba- 
ptlle ,  et  à  qui  parlant  cela  n'importe  de  rien ,  ne  s'y 
opposoit  point;  celui  de  l'Empereur,  qui  étoit  le  pre- 
mier ,  et  partant  non  si  près  de  sortir  du  soglio,  nous 
bîasùt  iàire;  peut-éire  aussi  remettoit-it  à  nous  it 
vider  ce  différend ,  croyant  que ,  comme  nous  y  étions 
l«t  plus  intéressés,  nous  ne  souffririons  pas  cette  entre- 
prise ,  et  ainsi  se  déchargeroient  de  t'envie  et  rejelle- 
roient  sur  nous  ta  mauvaise  volonté  de  Sa  Sainteté. 


26  r^^^^]    MÉMOIRES 

Cela  donupit  espérance  aux  ministres  d'Espagne 
que  plus  facilement  ils  porteroient  Sa  Sainteté  à  en- 
trer en  ligue  avec  eux. 

Ils  se  plaignoient  à  elle  du  traité  que  Sa  Majesté 
avoitfaitavecleroi  de  Suède,  demandoient  de  grands 
secours  d'argent  ati  Saint-Siège  et  une  croisade  contre 
leurs  ennemis  -,  le  cardinal  Borgia  en  parla  en  plein 
conclave  avec  tant  d'insolence ,  que  Sa  Sainteté  s'en 
sentit  à  bon  droit  offensée,  et  attribua  les  termes 
dont  il  avoit  usé  à  la  violence  de  son  naturel,  non  à 
aucun  ordre  qu'il  eut  reçu  de  son  maître  de  parler 
ainsi  ;  dont  il  protesta  néanmoins  toujours  du  con- 
traire ,  disant  que ,  si  le  Roi  son  maître  le  vouloit 
désavouer,  il  feroit  imprimer  et  publier  partout  les 
ordres  qu'il  en  avoit  reçus  de  lui. 

Il  parla  aussi  nommément  contre  le  cardinal,  lequel 
il  appela  fauteur  d'hérétiques ,  puisqu'il  conseilloit  le 
Roi  de  Ifes  favoriser,  dit  et  pressa  par  plusieurs  au- 
diences qu'il  avoit  encouru  l'excommunication  de  la 
bulle  in  cœnd  Domini^  et  que  Sa  Sainteté  lui  devoit 
faire  ressentir  particulièrement  puisqu'il  étoit  du 
collège  des  cardinaux. 

Ils  n'eurent  autre  réponse  de  Sa  Sainteté ,  sinon 
qu'il  étoit  père  commun;  qu'il  assisteroit  l'Empereur 
en  la  nécessité  présente  de  ses  affaires,  mais  non 
d'une  subvention  telle  qu'il  eût  pu  faire ,  si  les  trésors 
de  l'Eglise  n'eussent  été  épuisés  par  la  guerre  de 
Mantoue,  et  accorda  un  jubilé  pour  l'exaltation  de 
l'Eglise,  les  nécessités  présentes  de  celles  d'Allemagne, 
l'union  des  princes  chrétiens  et  l'extirpation  de  l'hé- 
résie. 

Quant  au  sujet  du  cardinal,  il  lui  répondit  que  les 


DE    RICHELIEU.    [l63'2]  27 

paroles  qu'il  lui  disoit  ëtoierit  bien  contraires  aux 
preuves  qu'on  en  avoit,  et  avec  témoignages  et  assu- 
rances que  Tarabassadeur  lui  donnoit  tous  les  jours 
de  la  sincérité  des  intentions  et  conseils  de  Sa  Ma- 
jesté ,  à  quoi  les  choses  passées  donnoient  beaucoup 
d'apparence ,  et  que ,  lorsqu'il  étoit  question  de  pa- 
roles et  d'effets ,  il  falloit  avoir  plutôt  égard  aux  effets 
qui  étoient  exposés  aux  yeux  de  tout  le  monde  qu'aux 
prësuppositions  desquelles  il  ne  paroissoit  rien ,  et  qui 
étoient  souvent  controuvées  par  pure  passion. 

Le  cardinal ,  ayant  su  ce  qui  s'étoit  passé  en  ce  fait- 
ci,  écrivit  à  Sa  Sainteté,  et  lui  manda  qu'entre  les 
déplaisirs  dont  la  piété  du  Roi  étoit  touchée  ,  voyant 
les  malheurs  que  souffroit  l'Eglise  par  la  division  et  la 
discorde  des  princes  chrétiens ,  Sa  Majesté  avoit  reçu 
un  mécontentement  sensible  du  mauvais  procédé  de 
quelques-uns  des  ministres  d'Espagne  vers  Sa  Sain- 
teté ,  et  du  peu  de  respect  qui  lui  avoit  été  rendu 
par  un  de  ceux  qui  étoient  les  plus  obligés  à  Thono- 
rcr;  qu'il  ne  pouvoit  assez  s'étonner  qu'il  se  fût  tant 
oublié  que  d'avoir  usé  de  plaintes  et  de  termes  en- 
core moins  décens ,  au  lieu  des  éloges  et  des  très- 
humbles  remercimens  qui  étoient  dus  à  la  singulière 
bonté  et  prudence  de  son  gouvernement  ^  que  Sa 
Sainteté  avoit  toujours  paru  si  clairement  désirer  le 
repos  de  la  chrétienté,  et  vouloir  apaiser  les  différends 
qui  la  pouvoient  troubler,  qu'il  n'y  avoit  personne, 
sll  n'étoit  prévenu  de  passion  ,  qui  ne  reconnût 
qu'elle  n'avoit  rien  omis  de  ce  qu'elle  avoit  estimé 
convenable  pour  parvenir  à  une  si  bonne  fin  -,  que  si, 
entre  tous  ceux  qui  étoient  contraints  de  voir  cette 
vérité,  quelques-uns  vouloicnt  professer  le  contraire, 


28  [l63'2j    MEMOIRES 

chacun  verroit  clairement  que  leur  seul  intérêt,  qui 
leur  faisoit  fermer  les  yeux  à  la  justice ,  leur  faisoit 
ouvrir  la  bouche  pour  parler  contre  le  sentiment  de 
leur  propre  conscience  ^  qu  il  sembloit  que  Dieu  eût 
permis  ce  qui  s'étoit  passé  depuis  quelque  temps  en 
ce  genre,  afin  que  Sa  Sainteté  reçût  de  nouveaux 
témoignages  du  zèle  du  plus  pieux  et  du  plus  gn^od 
prince  de  la  chrétienté ,  qui  tiendroit  toujours  à  gloire 
singulière  d'embrasser  tous  ses  intérêts ,  et  se  joindre 
aux  soins  et  aux  bonnes  résolutions  qu  elle  avoit  tou- 
jours eues  à  Tavancement  de  la  religion  et  raffermis- 
sement de  la  tranquillité  publique ,  à  laquelle  il  n'es- 
timeroit  pas  peu  contribuer  en  faisant  connottre  la 
déférence  que  Ton  devoit  au  Saint-Siège,  et  celle  que 
méritoit  singulièrement  la  personne  d'un  pape  si  re- 
commandable  pour  ses  rares  vertus  comme  étoit  Sa 
Sainteté  -,  que  pour  lui,  il  s'estimeroit  du  tout  indigne 
et  de  rhonneur  qu'il  avoit  en  l'Eglise,  et  des  grâces 
qu'il  recevoitd'un  si  vertueux  prince  comme  est  celui 
au  service  duquel  il  étoit  attaché  par  toutes  sortes  de 
respects ,  s'il  ne  désiroit  ardemment  le  repos  que  Sa 
Sainteté  et  Sa  Majesté  souhaitoient  av^c  tant  de  pas- 
sion en  la  chrétienté,  et  qui  jusqu'à  présent  n'avoît 
été  troublé  que  par  ceux  qui  affectionnoient  de  pa- 
roitre  contraires  à  l'un  et  à  l'autre;  qu'il  espéroitque 
Dieu  feroit  voir  de  plus  en  plus  cette  vérité  à  tout 
le  monde ,  et  que  Sa  Sainteté  auroit  lieu  d'avouer 
qu'ainsi  que  le  Roi  emploieroit  toujours  volontiers 
tout  ce  qui  étoit  de  sa  puissance  pour  la  gloire  de 
Dieu ,  le  bien  de  l'Eglise  et  la  tranquillité  publique ,  il 
ne  perdroit  aucune  occasion  de  lui  donner  des  preuves 
de  la  sincère  affection  qu'il  avoit  pour  les  intérêts  de 


DE    RICHKMKIJ.    ("l()3'>J  'IÇ) 

sa  maison,  auxquels,  suivant  ses  intentions  et  les 
très-grands  mérites  de  Sa  Sainteté  ,  il  seroit  toujours 
aussi  étroitement  lié  qu'il  le  devoit  être. 

Sa  Sainteté  se  trouva  si  offensée  du  procédé  du 
cardinal  Borgia ,  qu'elle  lui  commanda  absolument  de 
sortir  de  Rome  pour  aller  en  sa  résidence.  Il  s'excusa 
sur  la  charge  qu'il  dit  qu'il  exerçoit  d'ambassadeur 
ordinaire  de  son  maître,  que  Sa  Sainteté  lui  commanda 
de  quitter,  et  ne  lui  donna  plus  depuis  d'audience 
réglée  ;  et  ainsi  ne  réussit  à  rien  la  ligue  qu'ils  a  voient 
faite  entre  eux  en  haine  de  la  neutralité  que  le  Roi 
proposoit  pour  leur  bien  propre  et  l'utilité  commune, 
ainsi  que  nous  avons  dit  ci-dessus;  mais  la  mauvaise 
fortnnedes  princes  catholiques  ne  permit  pas,  quelque 
soin  que  le  Roi  en  put  prendre,  qu'ils  en  tirassent 
ravantage  que  Sa  Majesté  leur  y  moyennoit. 

Dès  le  7  janvier  elle  avoit  principalement  pour  ce 
sujet  envoyé  vers  le  roi  de  Suède,  avant  qu'elle  partit 
de  Vie,  le  marquis  de  Brezé  en  qualité  d'ambassadeur 
extraordinaire;  elle  lui  commanda  de  donner  avis  à 
ce  prince  du  traité  qu'elle  avoit  fait  avec  le  duc  de 
Lorraine ,  qu'il  l'avoit  pris  en  sa  protection  à  condi- 
tion qu'il  ne  feroit  rien  directement  ni  indirectement 
an  préjudice  du  parti  suédois ,  et  que  pour  gage  de 
sa  foi ,  Sa  Majesté  avoit  reçu  en  dépôt  une  des  prin- 
dpales  places  de  son  Etat.- En  second  lieu  ,  elle  lui 
donna  charge  de  faire  de  nouvelles  instances  très- 
pressantes  au  Roi  de  condescendre  à  une  équitable 
neutralité  avec  les  électeurs  et  toute  la  ligue  catho- 
lique. 

Le  roi  de  Suède ,  ayant  avis  qu'il  lui  étoit  dépéché 
par  Sa  Majesté ,  envoya  quérir  le  sieur  de  Charnacé , 


3o  [l63'2]    MÉMOIRES 

et  lui  dit  qu'il  le  prioit  qu'il  ne  lui  parlât  point  de  res- 
tituer Wurlzbourg,  Bamberg  et  Mayence ,  qui  par 
droit  de  guerre  lui  appartenoient,  et  qu'il  avoit  peur 
que  cela  nous  mit  mal  ensemble.  Charnacé  parlant  de 
la  neutralité  de  Trêves,  le  roi  de  Suède  ne  vouloit 

■a 

point  qu'il  lui  parlât  de  lui  rendre  aucune  des  places 
qu'il  lui  avoit  gagnées  -,  ce  qui  est  à  remarquer,  parce 
que  le  Roi  n'emporta  ce  point-là  du  depuis  qu'avec  une 
très-grande  difficulté.  Peu  après ,  le  baron  Gustave 
Horn ,  ambassadeur  extraordinaire  dudi t  r^de  Suède , 
étant  arrivé  le  i4  à  Metz,  Sa  Majesté  ,  après  l'avoir 
reçu  magnifiquement ,  le  chargea ,  très-particulière- 
ment, defaireconnoUreauRoi  son  maître  qu'il  ëtoit 
glorieux  pour  sa  personne  et  avantageux  à  ses  affaires 
de  ne  point  refuser  cette  proposition ,  puisque ,  d'un 
côté ,  par  ce  moyen  il  aflbiblissoit  l'Espagne  et  la  mai- 
son d'Autriche ,  et  de  l'autre ,  il  témoignoit  ne  vou- 
loir avoir  affaire  qu'aux  invaseurs  des  biens  et  de  la 
liberté  d'autrui,  sans ,  sous  ce  prétexte ,  vouloir  faire 
invasion  lui-même  des  États  des  princes  plus  foibles , 
sur  lesquels  la  victoire ,  quand  ils  eussent  été  ses  prin- 
cipaux ennemis,  ne  lui  pouvoit  pas  tourner  à  grande 
gloire. 

Le  marquis  de  Brezé  étant  arrivé  près  dudit  Roi,n'eut 
pas  de  difficultéà  lui  faire  trouver  bon  tout  ce  queSaMa. 
jesté  avoit  traité  avec  ledit  duc  de  Lorraine  5  il  eut  un 
peu  plus  de  peine  à  lui  faire  consentir  de  n'entrer  pas 
plus  avant  dans  l'Alsace ,  à  cause  que  le  roi  de  Suède 
lui  dit  que  ses  armes  étoient  non-seulement  portées 
en  Alsace,  mais  engagées  *,  et  il  connut  bien  que  la  ville 
de  Strasbourg,  sur  laquelle  il  avoit  dessein,  en  ëtoit 
la  principale  cause ^  néanmoins  il  condescendit  à  lais- 


DE    RIGHELmU.    [1682]  3l 

ser  les  choses  en  Tëtat  qu'elles  étoient,  et  se  contenta 
de  tenir  dans  Strasbourg  un  des  siens  pour  lâcher, 
(lar  négociation,  de  la  réduire  à  ce  qu'il  en  désiroit. 
Quant  à  ce  qui  étoit  de  la  neutralité,  le  roi  de 
Suède  lui  témoigna  (|u  il  connoissoit  les  artifices  des 
princes  de  la  ligue  par  leurs  propres  lettres  inter- 
ceptées ,  par  lesquelles  il  se  voyoit  que  le  duc  de  Ba- 
vière ,  au  fort  des  protestations  qu  il  faisoit  de  se  dé- 
porter de  tous  actes  d'hostilité ,  ne  laissoit  pas  de  faire 
le  contraÛM,  ne  désirant  que  pousser  le  temps  à  l'é- 
paule et  prendre  ses  mesures  plus  à  propos  ;  que  , 
pour  ce  sujet,  il  ne  pouvoit  accepter.le  projet  de  la 
neutralité  que  ledit  duc  avoit  enfin  tracé  et  signé  en 
paroles  générales  ,  et  que  le  baron  de  Charnacé  lui 
avoit  apporté  deux  jours  avant  l'arrivée  dudit  mar- 
quis à  Mayence ,  et  lui  proposa  d'autres  conditions 
$ous  lesquelles,  et  non  autrement,  il  consentiroit  à  la 
neutralité,  les  principales  desquelles  étoient  que  les 
princes  de  la  ligue  restitueroient  aux  princes  et  États 
protestans  tout  ce  qu'ils  avoient  occupé  sur  eux  de- 
puis le  commencement  de  cette  guerre,  et  remet- 
troient  les  choses  au  même  état  qu'elles  éloieqt  aur 
para  van  t  ;  retireroientau  plus  tôt  leurs  gens  de  guerre 
de  toutes  les  terres  desdits  évangéliques,  etlesferoient 
vivre  sur  les  leurs  -,  réduiroient  leur  armée  à  dix  ou 
douze  mille  hommes,  dispersés  dans  leurs  villes  pour 
leur  défense ,  sans  les  tenir  en  corps  d  armée;  ne  per- 
mettroient  aucunes  levées  de  gens  de  guerre  pour  le 
service  de  la  maison  d'Autriche ,  et  accorderoient  ou 
refuseroient  également  aux  deux  partis  le  passage  sur 
leurs  terres  ; 

Que  le  roi  de  Suède,  de  sa  part,  nentreprendroit 


SsL  [l63a]    MÉMOIRES 

rien  sur  aucun  prince  de  la  ligue,  excepte  Tévéquede 
Bamberg  qui  Tavoit  trop  oflensé;  qu'hormis  la  ville 
de  Spire  qui  lui  avoit  été  laissée,  il  restitueroit  au 
duc  de  Bavière  tous  les  lieux  qu'il  tenoit  au  bas  Pa- 
latinat  jusques  à  la  cèmposidon  amiable;  qu'il  seroit 
traité  entre  lui  et  le  comt^^alatin  par  l'entremise 
des  rois  de  France  et  d'Angleterre,  et  qu'il  rendroit 
aussi  ^emblablement  tout  ce  qui  avoit  été  ôté  aut 
archevêques  de  Trêves  et  de  Cologne. 

Ces  conditions  sentoient  bien  leur  princaflktorieux, 
qui  vouloit  donner  et  non  recevoir  la  loi^niais  l'opi- 
niâtreté du  di^de  Bavière  y  avoit  donné  lieu ,  quel- 
que effort  que  le  Roi  eût  essayé  de  faire  en  son  esprit 
pour  le  persuader  au  contraire  ;  car  cette  fermeté  qu'il 
avoit  eue  de  demeurer  uni  aux  intérêts  de  l'Empereur 
avoit  détourné,  en  i63i ,  les  armes  du  roi  de  Suède, 
contre  sa  propre  intention,  des  États  héréditaires  delà 
maison  d'Autriche  où  elles  étoient  destinées  ;  ce  qui 
eût  mis  fin  à  la  guerre,  forçant  l'Empereur  à  consentir 
à  des  conditions  raisonnables  de  paix. 

Le  roi  de  Suède  de  temps  en  temps  en  ^crivoit 
:^  ^1^  6t  s'en  plaignoit,  mais  particulièrement  étant 
arrîW  à  Mayence ,  où  Sa  Majesté  envoya  le  sieur  de 
L'Isle  pour  lui  faire  quelque  plainte  de  ce  qu'il  avoit 
attaqué  les  États  des  princes  catholiques  contre  le  des- 
sein de  leur  alliance ,  dont  il  verroit  par  expérience 
qu'il  ne  recevroit  pas  tant  d'avantage  que  s'il  eût  suivi 
ce  qui  avoit  été  convenu  entre  eux.  Il  manda  à  Sa  Ma- 
jesté que  la  suite  des  affaires ,  à  qui  la  considéreroit, 
portoit  en  soi  une  évidente  preuve  qu'il  y  avoit  été 
forcé,  et ,que  les  affaires  l'y  avoient  plutôt  conduit 
qu'il  ne  les  y  avoit  acheminées ,  d'autant  que ,  bien 


DE    RICHELIEU.    [l632]  S3 

e  dès  le  commencement  de  la  guerre  il  eût  témoigné 
sirer  vivre  en  bonne  intelligence  avec  la  ligue  ca- 
ntique ,  et  pris  soigneusement  garde  qu^elle  ne  re- 
t  aucun  véritable  sujet  d'ofHMie  de  sa  part ,  néan- 
uns  il  Favoit  toujourf^trouvée  en  tête  ^  les  princes 
celle,  et  particulièrement  le  duc  de  Bavière  ,  ayant 
lu  si  peu  de  compte  de  son  procédé  amiable  envers 
X  ,  que ,  méprisant  la  tranquillité  publique ,  le  droit 
s  f  ens  et  la  neutralité  qu'il  leur  avoit  si  souvent 
erle ,  îlV^avoient  joint  toutes  leurs  forc0|  à  celles 
s  ennemis,  se  jetant  en  une  guerre  étrangère  sans 
filles  y  eût  provoqués  par  aucune flijure,  ni  quils 
[eussent  dénoncé  la  guerre ,  et  ne  s'étoient  abstenus 
lucune  sorte  d*hostilité  et  de  cruauté  contre  lui ,  et 
§me  que  leurs  troupes  ayant  été  défaites  à  Leip- 
Jl,  ils  les  avoient  rassemblées,  eu  avoient  levé  de 
mvelles  et  continué  eu  leur  mauvaise  volonté^  ce 
li  Tavoit  obligé  de  porter  ses  armes  dans  les  pro- 
oces  de  leur  obéissance  pour  les  empêcher  de  lui 
ire  davantage  de  mal  \  qu'il  s'étoit  néanmoins  retenu 
.sques  alors  d'entrer  dans  les  Etats  du  duc  de  Ba- 
ère  pour  le  respect  de  Sa  Majesté,  qui  lui'itvoit 
auvent  écrit  en  sa  faveur ,  et  pour  voir  s'il  déféreroit 
Fautorité  de  Sadite  Majesté ,  et  se  voudroit  enfin 
iparer  de  ses  ennemis  et  cesser  de  lui  faire  la  guerre , 
9  qail  n'espéroit  pas  qu'il  fit,  tant  pour  la  connois- 
Loce  qu'il  avoit  de  son  union  coufirmée  avec  la  mai- 
>a  d'Autriche,  et  pource  qu'il  savoittqu'il  continuoit 
mjours  le  même  train  avec  plus  de  passion  qu'au- 
aravant.  Sa  Majesté  avoit  aussi  sollicité  le  duc  de 
axe  et  les  autres  protestans  d'AllemagneMe  s'unir 
troitement  avec  la  ligue  catholique,  et  avoit  fait  la 
T.  ^7.  3 


3i(  [1682]    MEMOIRES 

même  instance  auprès  du  duc  de  Bavière  :  il  en  fut 
parlé  en  l'assemblée  de  Francfort  -,  le  duc  de  Saice  ne 
s'en  éloignoit  pas,  et  le  manda  au  Roi  dès  le  3  sep- 
tembre ;  le  roi  de  SÉ^e  même  promettoit  non-seu- 
lement de  Tagréer,  mais  de  Iftj^promouvoir  s'il  accep- 
toit  la  neutralité  à  de  telles  conditions  que  son  parti 
n'en  reçût  point  de  désavantage,  et  pussent  juste- 
ment être  acceptées*,  lui  seul  faisoit  difficulté  d'y 
condescendre  ^  et  le  duc  de  Saxe  voyant  ses  troupes 
jointes  aiéec  celles  de  l'Empereur,  lui  servil^ii  faire  la 
guerre ,  il  fut  contraint ,  au  mois  de  décembre ,  de  l'at- 
taquer dans  le  haut  Palatinat ,  et  le  roi  de  Suède  en- 
voya aussi  faire  quelques  courses  dans  le  bas  Palatinat; 
ce  qui  enfin  le  contraignit,  à  la  fin  de  décembre,  de 
donner  l'acte  de  neutralité ,  lequel  arriva  trop  tard 
pour  en  recevoir  le  fruit  que  le  Roi  eût  désiré. 

Sa  Majesté  en  ayant  eu  avis  par  le  marquis  de  Brezé 
en  reçut  du  déplaisir,  et  fut  en  peine  de  la  {^solution 
qu'elle  devoit  prendre  en  cette  occasion:  elle  pouvoit 
espérer  de  grands  avantages  de  la  continuation  des 
troubles  universels  d'Allemagne  \  si  on  n'y  apportoit 
aussF quelque  retenue,  elle  craignoit  le  préjudice 
que  la  religion  en  pouvoit  recevoir ,  et  quelque  con- 
seil qu'elle  pût  prendre  en  cette  conjoncture ,  elle 
prévoyoit  qu'il  en  pouvoit  arriver  de  grands  biens 
et  de  grands  maux.  Mais  le  pire  conseil  qui  puisse 
être  étant  de  ne  s'arrêter  à  aucun ,  et  cette  affaire  ne 
pouvant  souffrir  de  délai ,  le  cardinal  dit  au  Roi  que 
pour  se  résoudre  promptement,  il  falloit  considérer 
qu'en  l'état  présent  des  affaires  d'Allemagne ,  elle  ne 
pouvoit  agir  qu'en  l'une  de  ces  quatre  manières  : 
i^.  Ou  se  joindre  avec  le  roi  de  Suède  pour  faire 


DE   RICHELIEU.    [l632J  35 

la  guerre   ouvertement  à  la  maison  d'Autriche; 

a*.  Ou  s'accommoder  avec  TEmpereur  et  TEspagne 
pour  faire  conjointement  la  guerre  au  roi  de  Suède 
et  aux  princes  protestans  ;       % 

3«.  Ou  essayer  de  fiire  accepter  la  neutralité  aux 
trois  électeurs  catholiques  es  termes  qu'elle  étoit 
proposée  par  le  roi  de  Suède ,  s'il  ne  vouloit  consen- 
tir à  d'autres  meilleurs ,  et  le  laisser  continuer  la 
guerre  en  Allemagne  sans  s'en  mêler ,  mais  seulement 
tenir  qu^nes  troupes  sur  la  frontièce  pour^jlm  servir 
en  tout  événement  ; 

'^•.  Ou  bien ,  avec  ladite  neutralité ,  se  rendre  en 
outre  maître  de  l'Alsace,  de  Brisach  et  des  passages 
do  Rhin  qu'y  tenoieut  les  électeurs  catholiques ,  et 
avoir  lii  une  armée  pour  s'en  servir  aux  occasions  ;  ce 
qui  se  pouvoit,  ou  en  faisant  un  trai0  avec  le  roi  de 
Suède  qui  olnigeât  le  Roi  à  faire  cette  conquête ,  en 
sorte  que  l'un  ne  pût  poser  les  armes  sans  l'autre  ; 
ou  sans  s'obliger  par  traité  à  aucunes  conditions ,  afin 
d*avoîr  toujours  le  pouvoir  de  prendre  des  avantages 
qae  le  temps, et  les  occasions  pourroieot  offrir  ;        ^^ 

Que  chacune  de  ces  façons  d'agir  avoit  ses  avan- 
tages et  set  inconvéniens. 

Que  les  avantages  de  la  première  étoient  que  l'on 
poovoit  ruiner  absolument  toutela  maison  d'Autriche, 
être  délivré  pour  jamais  de  la  crainte ,  de  la  jalouse 
et  de  la  dépense  auxquelles  sa  grandeur  obligeoit  il 
y  a  long-temps  la  France,  profiter  de  tk  dépouille,  et 
le  Roi  se  rendre  le  chef  de  tous  les  princes  catholiques 
de  la  chrétienté,  et  par  conséquent  le  plus  unissant 
de  l'Europe,  le  roi  de  Suède,  qui  alors  pourroit  en- 
trer en  compétence  avec  Sa  Majesté ,  n'y  étant  en 

3. 


36  [l63a]    MÉMOIRES 

rien  comparable ,  U|nt  parce  que  de  soi  il  n'ëtoit  pas 
fondé  et  n'avdit  point  de  ressources  pareilles  à  celles 
delà  France,  que  parce  qu'étant  sans  suite  et  sans 
appui  il  ne  seroit  pft  tant  considérable ,  et  que  res- 
tant d'autres  rois  protestans  ies  voisins  et  ses  anciens 
émulateurs ,  il  pourroit  être  empêché  en  ses  progrès. 
Que  les  inconvéniens  étoient  une  guerre  éter- 
,^.       nelle ,  peu  de  sûreté  de  la  fidélité  et  constance  du  roi 
de  Suède  et  de  sa  vie  même,  après  laquelle,  son  parti 
étant  edKèrement  ruiné ,  la  France  restéroit  seule 
contre  la  maison  d'Autriche  ^  la  facilité  que  les  &- 
pagnols  et  autres  voisins  du  royaume  avoient,  pln- 
dant  une  telle  entreprise,  de  se  joindre  aux  mauvais 
Français  et  entreprendre  contre  nous,  particulière- 
ment s'il  arrivoit  quelque  mauvais  succès;   la  haine 
qu'on  encourriit  indubitablement  de^us  les  catho- 
liques ,  voyant  le  Roi  allié  avec  un  prmcaJiérétique 
pour  la  ruine  d'une  maison  si  pieuse. 

Que  les  avantages  de  la  seconde  étoient  l'appa- 
rence qu'il  y  avoit  qu'on  conserveroit  la  religion 
%n  Allemagne,  et  peut-être  en  toute  la  chrétienté; 
on  acquerroit  grande  réputation  parmi  les  catho- 
liques ,  l'on  rabaisseroit  la  puissance  d'un  prince 
#  dont  l'ambition  et  le  courage  étoient  grandement  i 
craindre ,  puisqu'il  y  avoit  lieu  de  croire,  que  seul  il 
A^it  capable  de  plus  nuire  en  un  an  que  n'a  voit  fait 
la  maison  d'Autriche  en  cent  5  qu'on  pourroit  en  outre 
profiter. 4^  la  H^ine  des  protestans. 

Que  les  inconvéniens  de  ce  dessein  étoient  le  pé- 
ril qu'il  y  auroit  que  le  roi  de  Suède,  découvrant  ce 
dessein ,  ne  s'accommodât ,  même  à  son  désavantage, 
avec  la  maison  d'Autriche ,  pour  ensuite  nous  faire  la 


DE  RiGUKybu.  [i63d]  37 

guerre  ;  le  peu  d'assurance  que  Von  devoit  prendre  à 
la  foi  des  Espagnols ,  le  danger  de  laisser  tellement 
accroître  la  maison  d'Autriche  ^elle  lut  formidable 
à  la  France ,  et  nous  obligeât  à  une  guerre  ëternelle 
pour  nous  défendre  contre  elitfbu  contre  les  ailles 
ennemis  du  dehors  ou  du  dedans  qu'elle  pouvoit  en 
ce  cas  nous  susciter. 

Que  les  avantages  de  la  troisième  ëtoient  de  de- 
meurer présentement  sans  guerre,  empêcher  l'effet 
des  mauvais  desseins  des  ennemis  de  la  France ,  être     W 
en  état  de  porter  ses  armes  en  tous  les  lieujj^où  on  le 

«eroit  nécessaire ,  se  rendre  considérable  à  tous 
deur  partis  qui  craindroient  de  nous  avoir  pour 
ennemis,  et  pouvoir  prendre  l'occasion  telle  que  le 
temps  la  pourroit  présenter ,  de  profiter  par  accom- 
modement ou  par  guerre  de  la  mauvaise  fortune 
d'autrui*      ^  0 

Que  ]iif  inconvéniens  étoient  la  ruine  presque  iné- 
vitable des  princes  catholiques  et  de  la  religion  en 
Allemagne,  par  la  facilité  qu'auroit  le  roi  de  Suède  de 
rompre  la  neutralité  avec  eux ,  après  avoir  occupé 
toutes  les  entrées  du  Rhin  et  des  Grisas  ^  l'impossi- 
bilité de  secourir  lesdits  princes  selon  la  promesse 
qu'on  ledt*  en  avoit  faite  ;  le  peu  de  réputation  qu'ac* 
qoerroil  le  Roi  de  laisser  périr  la  religion  catholique. 
en  Allemagne  et  les  pfeinces  qui  la  professent ,  après 
avoir  promis  de  les  défendre;  la  crainte  que  le  |rop 
grand  accroissement  du  roi  de  Suède  ne  fût  préju- 
diciable à  la  France ,  dont  il  seroit#bisin  s'il  se  reu* 
doit  maître  de  l'Allemagne,  et  l'apparence  qti'il  y  avoit 
qu'après  la  conquête  de  la  Germanie ,  la  France  res- 
tant le  seul  Etat  qu'il  dût  considérer  et  qu'il  pût 


# 


38  [ibSaJ    MEMOIRES 

craindre ,  il  emploieroit  toute  sa  puissance  pour  la 
ruiner ,  soit  par  soLmi  par  les  mauvais  Français ,  ou 
par  tous  les  deux  ensemble  \  la  crainte  qu  on  devoit 
avoir  qu'il  portât  ses  armes  en  Italie  contre  le  Saint- 
Si^ ,  et  ruinât  absolument  partout  la  religion  catho- 
lique, comme  on  savoit  qu'il  en  avoit  dessein ,  joint 
l'extrême  dépense  qu'apporteroit  l'entretien  d'une  ar- 
mée inutile  sur  la  frontière ,  avec  perte  de  réputation. 
Que  les  avantages  de  la  quatrième  et  dernière  fa- 
çon étoient  la  facilité  de  secourir  l'Allemagne  toutes 
fois  et  quintes  qu'elle  seroit  attaquée  ;  le  moyen  in- 
faillible de  faire  observer  la  neutralité  aux  uns  et  ai)|; 
autres  quand  ils  en  seroient  convenus  ;  l'autorité 
qu'un  tel  dessein  donneroitau  Roi  dans  l'Allemagne, 
où  il  auroit  infailliblement  tous  les  princes  catholi- 
ques sous  sa  protection ,  et  les  protestans  mêmes,  s'il 
mésarrivoit  du  loi  de  Suède ,  ou  si  Vfjgi  avoit  mé- 
contentement de  lui  ;  le  moyen  de  résister,  f<iire  don- 
ner la  loi  à  la  maison  d'Autriche ,  quoi  qui  pût  arriver 
au  roi  de  Suède  *,  la  disposition  entière  des  sufl^ges 
des  quatre  électeurs  catholiques ,  et  le  soulagement 
des  provinces  ëe  France  par  l'éloignemenl  des  troupes 
du  Roi ,  avancées  dans  l'Alsace  et  sur  le  Rhin ,  où  Ton 
pouvoit  trouver  moyen  de  les  nourrir  sans  incommo- 
jydité  de  la  France ,  outre  qu'il  y  avoit  grande  appa- 
rence que  le  roi  de  Suède,  voyant  l'entrée  ouverte 
veii  la  France ,  perdroit  le  dessein  du  Tyrol  et  dlta- 
lie,  craignant  qu'on  lui  empêchât  le  retour*,  finale- 
ment on^pignéfoit  Suède  des  frontières  de  France  ; 
et  si  l'on  retiroit  IVIayence   cela  donneroit  grande 
réputation  aux  armes  et  à  la  piété  du  Roi. 
Que  les  inconvéniens  étoient  que,  quelque  pré- 


DE  nicHEU£U.  [i63'%]  ^  39 

texte  qu  on  prit  d'occuper  TAlsace ,  il  ëtoit  à  crain- 
dre que  la  rupture  avec  toute  k  maison  d'Autriche 
ne  laissât  pas  de  s'ensuivre ,  lac^^le  apporteroit  tous 
les  dommages  ci-dessus  rapportes  en  la  première  fa- 
çon d'agir.  Il  y  avoit  peu  de  profit  présent  et  beauctop 
de  mal  k  veoir,  si  la  rupture  arrivoit-,  qu'il  y  auroit 
grande  difficulté  de  garder  l'Alsace ,  ouverte  de  tous 
côtés,  et  finalement  qu'il  pourroit  arriver  que  le 
roi  de  Suède,  voyant  Sa  Majesté  engagée  en  cette 
gaerre,  s'accommodât  avec  la  maison  d'Autriche  ta-  ^[P 
dtement  ou  par  traité ,  et  nous  laissât  le  faix  de  la 
g nerre  ; 

Que ,  tout  ce  que  dessus  bien  considéré ,  il  ne  sem- 
bloit  pas  que  le  Roi  dût  se  résoudre  au  premier  ni  au 
second  expédient,  parce  qu'il  falloit  se  donner  garde 
jusqu'à  l'extrémité  d'entrer  en  rupture  ni  avec  le  roi 
de  Suède  ni  avec  la  maison  d'Autriche;  qu'on  ne 
devoit  point  exposer,  qu'à  toute  force.  Sa  Majesté  à 
porter  le  travail  du  corps  et  de  l'esprit  auquel  ladu- 
rétAe  la  guerre  l'obligeroit  ;  que  sa  santé  peut-être 
ne  liii  pourroit  permettre  une  continuelle  demeure 
en  ces  frontières ,  et  une  si  longue  absence  de  Paris 
et  autres  lieux  du  royaume  où  son  contentement  et 
$es  affaires  le  pouvoient  appeler;  que  le  revenu  orr 
dinaire  de  Sa  Majesté  ne  pouvoit  suffire  aux  frais 
d'une  si  longue  guem,  et  que,  n'étant  suffisant,  il 
seroit  difficile  de  trouver  de  l'argent  et  de  faire  yëri- 
fier  des  édits  par  le  moyen  desquels  on  en  pourroit 
recouvrer;  que  les  facultés  du  peuple  éloient  pe- 
tites ,  et  grands  les  dégâts  que  leur  caiflbroient  les 
levées  de  gens  de  guerre  qu'il  faudroit  faire  pour 
tenir  un  juste  corps  d'armée ,  et  plus  grandes  les  cla- 


4o  [l63a]    MÉMOIRES 

meurs  de  tous  les  ordres  du  royaume  sur  ce  sujet) 

Que  nous  n'avioq|.,pas  beaucoup  de  chefs  capables 
de  faire  la  guerre  ;  qu'il  se  trouveroit  peu  de  fidélité 
et  d'affection  *,  que  Thumeur  des  Français  ëtoit  égale- 
ment impatiente  de  guerre  et  de  repos*,  que  le  dé- 
goût de  ceux  que  Ton  emploieroit,  et  la  jalousie  de 
ceux  qu'on  auroit  délaissés ,  faciliteroient  à  Monsieur 
les  moyens  de  se  les  acquérir  ; 

Que  les  gouverneurs  des  places  et  des  provinces , 
par  avarice  ,  légèreté ,  vengeance  ou  prévoyance  de 
Tavenir ,  seroient  plus  aisément  persuadés,  si  le  Roi 
ëtoit  une  fois  engagé  en  une  guerre  étrangère,  à 
suivre  le  parti  de  Monsieur  et  se  déclarer  pour  lui ,  à 
quoi  ils  seroient  encore  portés  par  Tenvie  naturelle 
qu'ont  les  Français  de  voir  du  changement  au  gou- 
vernement public  de  la  cour*, 

Que  les  moindres  accidens  de  la  guerre,  ou  sur- 
prise d'une  place ,  pouvoient  ébranler  beaucoup  de 
choses  en  ce  royaume ,  et  exciter  de  grande»  clameurs 
contre  ceux  qu'on  voudroit  dire  auteurs  d'une  mcrre 
étrangère; 

Que,  pour  toutes  ces  raisons,  il  concluoit  que  les 
inconvéniens,  qui  arriveroient  certainement  de  la 
guerre  surpassant  tous  les  avantages  et  profits  qu'on 
en  pourroit  présentement  tirer,  on  d^voit  éviter  d'y 
entrer,  et  partant  rejeter  la  première  et  la  seconde 
manière  d'agir  qui  avoient  été  proposées  ; 

Quant  aux  autres  manières,  il  falloit  prendre  quel- 
que chose  de  l'une  et  de  l'autre  ; 

Qu'il  ne  falloit  omettre  aucun  moyen  pour  sauver 
la  ligue  catholique  et  la  religion  en  Allemagne,  mais 
qu'il  n'y  en  avoit  aucun  qui  parût  absolument  certain 


DE    RJCHELIKU.    [l632]  4' 

pour  parvenir  à  celte  fm,  et  partant  que  le  meilleur 
((u'oa  pût  prendre  ëtoit  celui  qui  seroit  le  moins  dou- 
teux; 

QQ*en  rétat  où  les  affaires  ëtoient  réduites  par  la 
longueur  qu'y  avoit  apportée  le  duc  de  Bavière,  il 
serobloit  qu'il  n'y  en  eût  point  d'autre  que  de  passer 
la  neutralité  aux  meilleures  conditions  que  l'on  pour- 
roit ,  non  honteuses  pour  le  Roi  et  supportables  pour 
les  électeurs  et  princesde  la  ligue  catholique ,  auxquels 
il  falloit  laisser  le  choix  de  les  arrêter  ou  de  rompre , 
afin  que,  quelque  événement  qui  en  arrivât,  ils  ne 
pussent  se  plaindre  que  d'eux  mêmes  *, 

Détourner  ensuite  le  roi  de  Suède ,  autant  que  Ton 
pourroil,  du  dessein  deFAIsace  et  de  l'occupation  du 
Rhin  ;  le  laisser  en  espérance ,  sans  s'y  engager  tout- 
à-fait  ,  que  le  Roi  l'entreprendroit  dans  peu  de  temps, 
et  cependant  voir  comme  iroient  les  affaires  de  ce 
conquérant  et  celles  de  ses  ennemis  ^  négocier  avec 
les  électeAs,  savoir  comme,  par  leur  moyen,  on 
poQiHÛi  s'assurer  d'un  passage  sur  le  Rhin ,  du  tout 
néc^Sîre  pour  les  secourir ,  soit  de  ceux  qui  étoient 
en  leur  puissance ,  s'ils  en  avoient  encore ,  soit  de 
ceux  qui  dépendent  de  la  maison  d'Autriche,  sans 
rompre  avec  elle  ; 

Que  Bavière  devoit  envoyer  vers  l'archiduc  Léo- 
pold  pour  voir  s'il  vouloit  consigner  Brisach  à  cette 
fin ,  à  condition  que  le  Roi  mettroit  entre  les  mains 
du  nonce  lettres  patentes  par  lesquelles  il  s'obligeroit 
de  le  rendre^  ^ 

Ticber  de  procurer  secrètement  une  bonne  union 
avec  les  électeurs  catholiques  et  les  protestans  ; 

Assurer  messieurs  les  électeurs  que  le  Roi  seroit 


4^  [l^^3a]    MÊMOIKkS 

toujours  prêt  et  disposé  à  les  secourir  eu  cas  que  la 
neutralité  fût  violée*,  qu'il  tiendroit  pour  cet  effet, 
non  sans  grands  frais  qu'il  feroit  en  leur  seule  con* 
sidération  et  celle  de  la  religion ,  une  armée  de  trente 
mille  hommes  et  de  six  mille  chevaux  sur  sa  fron- 
tière, et  dès  à  cette  heure  leur  offroit  des  gens  de 
guerre  s'ils  en  avoient  besoin  pour  leur  aider  à  gar- 
der les  places  qu'ils  avoient  sur  le  Rhin,  la  Moselle 
et  la  Meuse ,  laissant  à  leur  option  d'en  prendre  ou 
n'en  prendre  pas  -, 

Que,  la  neutralité  signée,  le  roi  de  Suède  ne  se 
pou  voit  plaindre  si  Ton  mettoit  des  Français  dans  ces 
places ,  puisqu'on  auroit  lieu  de  lui  faire  voir  que  c'é- 
toit  pour  empêcher  que  les  Espagnols  ne  fissent  le 
même ,  et  les  détacher  tout-à-fait  de  la  maison  d'Au- 
triche; 

Leur  dire  enfin  que  Sa  Majesté  désiroit  si  reli- 
gieusement leur  conservation,  que,  sans  jalousie  d'au- 
cun autre  prince  qui  les  pût  aider,  elle  nef  prétendoit 
pas  les  empêcher  de  se  servir  de  tout  secour|v  qu'ils 
estimeroient  leur  être  utile ,  mais  leur  offroit  le  sien 
sans  les  priver  d'aucun  autre  ; 

Qu'il  estimoit  qu'il  falloit  parler  ainsi  aux  ambas- 
sadeurs de  la  ligue  et  électeurs,  afin  qu'ils  ne  pus- 
sent dire  qu'on  les  a  voit  empêchés  d'être  secourus 
d'Espagne ,  et  cependant  qu'on  les  avoit  laissés  per- 
dre ;  et  toutefois  ils  n'oseroient  se  jeter  entre  les 
mains  des  Espagnols,  à  cause  de  la  jalousie  qu'en 
prendroit  Suède,  et  de  la  rupture  qui  en  pourroit 
arriver  entre  eux:  par  ce  moyen  on  n'entreroit  point 
en  rupture  avec  personne  ;  on  seroit  sur  ses  pieds  et 
sur  ses  forces  pour  profiter  du  temps  et  des  occasions, 


0K   HiCHKLlfiU.    [163^]  4^ 

les  ëlecleurs  et  la  ligue  catholique  ne  pourroient  se 
plaindre  du  Roi ,  ains  auroient  tout  lieu  de  s'en  louer, 
de  ce  que,  nonobstant  le  malheur  qui  leur  est  arrivé 
))ar  leur  négligence,  Sa  Majesté  n'auroitrien  oublié 
de  ce  qu'elle  pouvoit  pour  les  secourir  ; 

Qu'après  tout  ce  que  dessus,  la  question  étoit  de 
savoir  ce  qu'il  falloit  faire  au  cas  que  le  roi  de  Suède 
fût  si  injuste  qu'il  ne  voulut  rien  changer  en  l'acte  de 
neutralité  dernière  qu'il  avcit  donné; 

Que  s'il  s'affermissoit  en  cette  injustice ,  il  falloit 
tenter,  sans  rien  rompre,  d'obtenir  quelque  temps, 
dans  lequel  les  électeurs  et  la  ligue  s'assemblassent 
pour  voir  s'ils  a<^pteroient  la  neutralité,  et  ce- 
pendant faire  cessation  de  toute  hostilité  entre  eux; 
Qo#^  s'il  refusoit  ce  parti ,  il  falloit  donner  le  choix 
aux  électeurs,  ou  de  signer  la  neutralité  telle  que  le 
roi  de  Suède  l'avoit  envoyée ,  ou  de  se  défendre,  et, 
en  ce  cas,  offrir  quelques  secours  à  Bavière,  à 
Trêves  eX*k  Cologne,  pour  leur  aider  à  défendre 
leurs  places  qu'ils  ont  sur  le  Rhin,  la  Moselle  et  la 
Meusd,  s'ils  le  désiroient ,  les  priant  de  bien  consi- 
dérer s'ils  se  pouvoient  sauver  en  l'état  auquel  ils 
étoient,  quelque  secours  que  le  Roi  leur  pût  donner. 
Le  Roi,  suivant  cet  avis,  manda  au  marquis  de 
Brezë  que,  nonobstant  les  rudes  conditions  que  de- 
mandoit  le  roi  de  Suède,  il  ne  laissât  pas  de  con- 
tinuer sa  poursuite  entre  lui  et  les  princes  de  la  ligue 
catholique  pour  la  neutralité,  et  de  réduire  les  cho- 
ses, s'il  se  pouvoit,  à  des  conditions  auxquelles  les 
uns  et  les  autres  pussent  condescendre*,  que,  pour 
cet  effet ,  il  obtint  quelque  suspension  d'armes  pour 
donner  loisir  aux  uns  et  aux  autres  de  traiter  sans 


44  [^(iB^]    MEMOIRES      ' 

que  rien  pût  survenir  cepehdant  qui  changeât  Tétat 
des  affaires. 

Il  ne  put  obtenir  du  roi  de  Suède  plus  de  quinze 
jours  de  temps  :  après  qu'ils  furent  expirés  ledit 
marquis  n'ayant  reçu  aucune  réponse  du  duc  de  Ba- 
vière ,  il  supplia  le  roi  de  Suède  de  vouloir  accorder 
encore  huit  jours  ^  ce  qu'il  fit  après  y  avoir  beaucoup 
résisté. 

Le  roi  de  Suède  tenoit  ferme  en  ce  qu'il  avoit  pro- 
posé ,  et  ne  plioit  point. 

Les  autres  étoient  plutôt  irrésolus  que  fermes,  mais 
leur  irrésolution  faisoit  le  même  effet  que  la  fermeté, 
parce  qu'elle  les  faisoit  deroeurei^^n  l'état  auquel  ils 
étoient,  ne  leur  donnant  pas  lieu  de  se  déterminer  àce 
qui  leur  étoit  le  plus  avantageux ,  et  particulièMement 
Bavièreavoitpeinedese  relâchera  rendre  aucune  chose 
de  ce  qu'il  tenoit  du  bas  Palatinat.  En  cette  incerti- 
tude, lui  et  la  ligue  catholique  se  plaignoiententre  eux 
secrètement  du  Roi  ;  ils  eussent  voulu  quHl  se  fût  dé- 
claré en  leur  faveur  contre  le  roi  de  Suède  qui  leur 
faisoit  du  mal ,  ne  considérant  pas  que  ce  mal  leur 
venoit  de  plus  loin  ^  savoir  est  de  l'ambition  insa- 
tiable de  la  maison  d'Autriche  qui  l'avoit  appelé  en 
Allemagne,  contraignant  lesfoibles  de  se  jeter  entre 
ses  bras  *,  où ,  au  contraire ,  le  roi  de  Suède  pouvoit, 
avec  quelque  juste  raison ,  prétendre  avoir  sujet  de 
se  plaindre  de  Sa  Majesté ,  car  par  ce  traité  il  retenoit 
le  cours  de  la  prospérité  de  ses  armes  ;  et  Saint- 
Etienne  lui  parla  peu  après  si  sèchement  en  faveur 
dudit  duc  de  Bavière ,  que  ledit  Roi  s'en  plaignit  au 
marquis  de  Brezé,  et  lui  dit  qu'il  ne  croyoit  pas  que 
Sa  Majesté  lui  eût  commandé  de  lui  parler  ainsi. 


DE  RICHEtIBU.  [l632j  4^ 

LMlecleur  de  Mayence,  qui,  comme  tous  les  autres 
ëlectears  catholiques,  eût  bien  désiré  d'un  côté  la 
neutralité,  mais  craignoit  d'autre  part  s'il  Tacceptoit 
de  laisser  par  ce  moyen  ruiner  la  maison  d'Autriche 
et  laiaier  trop  accroître  le  roi  de  Suède,  avoit  obtenu 
de  l'Empereur,  quelques  jours  auparavant,  pour  ob- 
vier k  ces  incoDvéniens ,  que  Ton  travaillât  à  une  paix 
générale;  mais  le  Suédois  n'en  voulut  pas  ouïr  parler 
qu'il  ces  conditions  : 

Que  l'Empereur  révoquât  ses  édits  contre  les  pro- 
testans;  que  Texercice  des  deux  religions  fût  libre  par 
tout  l'Empire; 

Que  la  BohénAr,  la  Silésie  et  la  Moravie  fussent 
remi^  en  leur  ancien  état,  et  tous  les  bannis  rap- 
pelé^ 

Que  le  prince  Palatin  fût  rétabli,  tant  en  ses  biens 
qu'en  sa  dignité  électorale  ;  ' 

Que  les  lieux  occupés,  l'an  passé,  par  les  catho- 
liques au  duché  de  Wurtemberg  fussent  restitués  ;  * 

Ceux  des  deux  religions  également  admis  aux  digni- 
tés ecclésiastiques. 

Ces  conditions  firent  évanouir  la  proposition  faite 
pour  ladite  paix ,  à  laquelle  la  maison  d'Autriche  ne 
poovoit  consentir. 

Cependant,  nonobstant  les  trois  semaines  de  sus- 
pension d  armes  accordées  par  le  roi  de  Suède  pour 
conférer  avec  Bavière  de  ladite  lyutralité ,  on  n'en- 
tendit point  de  ses  nouvelles,  ni  ne  vit-on  aucun 
envoyé  de  sa  part ,  mais  seuleinent  vint  avis  au  roi 
de  Suède  de  la  défaite  de  quelques  troupes  de  Horii , 
qui  étoientdans  la  ville  de  Bamberg,  par  Tilly,  géné- 
ral de  l'armée  de  la  ligue ,  dont  ledit  Roi  oiTensé  partit 


4b  [1632]   MÉMOIllES 

au  commencement  de  mars  avec  des  troupes  pour 
joindre  Hom ,  reprendre  Bamberg  et  tout  ce  qu'il 
avoit  perdu. 

Bavière  se  plaignoit  au  Roi  des  rudes  conditions 
de  neutralité  que  le  Suédois  lui  présentoit. 

Le  Roi  lui  manda  qu'il  emploieroit,  et  de  fait  em- 
ployoit  ses  offices  envers  leditRoi  ,afin  qu'il  condes- 
cendit à  des  conditions  plus  justes ,  et  de  convenir 
promptement  du  jour  et  du  lieu  d'une  assemblée 
pour  terminer  les  différends  et  mettre  la  tranquillité 
en  l'Empire  ;  en  quoi  Sa  Majesté  eût  été  plus  puis- 
sante si  ceux  qui  y  avoient  autant  d'intérêt  qu'aucun 
autre  eussent  donné  sujet  d'en  attendre  la  sincérité 
que  méritoit  une  affaire  si  important^  à  la  chrétienté; 
et  que  lui  cependant ,  au  milieu  des  soins  et  des 
offices  de  roi ,  n'eût  point  attaqué  le  roi  de  Suède, 
qui  ne  tournôit  point  ses  armes  contre  lui ,  comme 
s'il  eût  voulu  rompre  toute  sorte  de  négociation ,  et 
'à  la  vérité  aussi  la  vouloit-il  rompre  en  effet ,  bien 
qu'il  eût  honte  de  le  faire  ouvertement;  car  il  s'étoit 
secrètement  uni  aux  intérés  de  l'Empereur,  et  fit  faire 
une  solennelle  déclaration  par  ses  ambassadeurs  qu'il 
avoit  près  ^e  loi ,  de  vouloir  demeurer  uni  avec 
l'Empereur,  et  de  renoncer  à  tous  les  traités  de  neu- 
tralité qui  lui  avoient  été  proposés  de  la  part  du  Roi. 
Ensuite  de  quoi  l'Empereur  manda  à  Aldringuer  de 
joindre  toutes  sea  forces  à  Tilly  pour  s'opposer  au 
maréchal  Horn,  et  le  chasser  de  Bamberg;  et  Des- 
bayes ,  qui  éloit  près  de  l'Empereur  de  la  part  de 
Monsieur,  mandoitaudit  seigneur,  du  10  mars,  que  do- 
rénavant Bavière,  qui  avoit  jusqu'alors  tant  déclamé 
contre  sa  négociation,  ne  le  feroit  plus  à  l'avenir, 


DE   RICHELIEU.    [l63a]  4? 

mais  lai  donneroit  assistance  ;  et,  biea  que  le  roi  de 
Suède  se  plaigoit  au  marquis  de  Brezé  de  rinfidélitë 
qu*il  prélendoit  avoir  reçue  dudit  Bavière,  et  du  dom- 
mage qu'il  recevoit  pour  avoir  déiërë  par  respect  et 
amitiéil^  la  volonté  de  Sa  Majesté ,  il  ne  laissa  pas 
néanmoins  de  commander  à  Oxenstiern,  son  chan- 
celier, de  demeurer  à  Francfort,  et  lui  donna  tout 
pouvoir  de  parachever  le  traité  de  ladite  neutralité. 

Les  députés  de  Cologne,  Bavière  et  Trêves  y  arri- 
vèrent enfin,  après  s'être  fait  attendre  six  semaines 
entières;  mais,  dès  la  première  entrevue,  ceux  de 
Bavière  et  de  Cologne  déclarèrent  qu'ils  n'avoient 
poavoir  que  de  mander  des  nouvelles  à  leurs  maîtres, 
et  non  de  rien  conclure  ni  traiter.  A  quoi  leur  étant 
dit  qaflf  leur  voyage  étoit  donc  du  tout  inutile ,  ils  dé- 
nudèrent dix  jours  pour  faire  savoir  à  leurs  maîtres 
rétat  des  choses ,  dans  lesquels  ils  eurent  réponse,  et 
ceux  de  Bavière  et  de  Cologne  ne  voulurent  rien 
condure. 

Les  ambassadeurs  du  Roi  dépéchèrent  en  même 
temps  àVélecteurde  Trêves  le  sieur  de  La  Saludie  que 
le  Roi  leur  avoit  envoyé  pour  traiter  en  son  nom  avec 
ledit  Electeur,  selon  les  ordres  qu'ij^  lui  en  donne- 
roient.  Il  eut  charge  de  représenter  andit  Electeur  les 
visées  que  le  roi  de  Suède  avoit  sur  ses  places  de 
Philisbourg,  Hermenstein  et  Coblentz,  et  Tintention 
qoll  avoit  de  les  occuper,  comme  lui  étant  du  tout 
nécessaires  pour  Fexécution  de  ses  desseins,  pour 
reflet  desquels  il  avoit  entièrement  besoin  d'avoir  le 
Rhin  libre  ;  mais,  ne  les  pouvant  attaquer  maintenant 
sans  oflenser  le  Roi ,  U  essayoit  d'y  parvenir  par  un 
antre  moyen  ,  disant  an  Roi  qu'il  faUoit  absolument 


48  [l632]    MÉMOIRES 

que  ledit  Electeur  les  remit  entre  les  mains  de  Sa 
Majesté  ou  entre  les  siennes,  et  que  si  ledit  Electeur 
ne  vouloit  faire  ni  Tun  ni  Tautre,  le  Roi  devoit  trou- 
ver bon ,  puisque  la  nécessité  du  bien  de  ses  affaires 
le  requéroit  ainsi,  qu'il  s'en  assurât  comme  H^pour- 
roit,  et  s'en  rendit  maitre  si  le  Roi  ne  le  vouloit  faire, 

■ 

puisqu'il  n*en  pouvoit  être  assuré  que  lorsqu'elles  se- 
roient  entre  les  mains  du  Roi  ou  dans  les  siennes  ; 
qu'il  pressoit  nos  ambassadeurs  de  lui  donner  réponse 
là--dessus. 

Ce  que  n'ayant  voulu  faire  sans  en  avoir  préalable- 
ment donné  avis  au  Roi,  Sa  Majesté,  pour  ce  siijet, 
lui  avoit  donné  cliarge  de  venir  trouver  son  altesse , 
pour  lui  offrir  en  cette  occasion  toute  l'assistance  qui 
étoit  en  son  pouvoir,  et  prendre  en  sa  garde  et  dépôt 
lesdites  places ,  pour  les  lui  conserver  et  les  lui  r^i- 
tuer  lorsque  les  affaires  d'Allemagne  étant  composées 
ne  lui  donneroient  plus  d'ombrage  ni  de  crainte  de  les 
perdre.  Sur  quoi  il  supplioit  son  altesse  de  lui  donner 
sa  résolution  par  écrit ,  tant  pour  sa  décharge  particu- 
lière qu'afin  que  le  Roi  pût  faire  voir  à  tout  le  monde 
qu'il  avoit  contribué  tout  ce  qui  avoit  dépendu  de 
lui  pour  la  conservation  de  son  altesse,  et  pour  empê- 
cher le  mal  qui  lui  pourroit  ci-après  arriver. 

Il  devoit  représenter  aussi  audit  Electeur  qu'il  lui 
étoit  impossible  de  conserver  ses  places  par  lui-même; 
que ,  s'il  refusoit  un  des  partis  qui  lui  étoient  offerts, 
il  se  privoit  de  l'espérance  d'être  secouru  par  les 
Français  au  cas  qu'il  fût  atttaqué ,  tant  par  l'opposi* 
tion  du  Rhin  qui  est  entre  deux ,  que  d'autant  qu*il 
les  y  convioit  peu  par  la  mé&ance  qu'il  témoignoit 
avoir  d'eux ,  laquelle  il  connoimiit  bien  être  mal  fon- 


DE   RICHELIEU.    [iGSl]  49 

àée  s'il  considéroit  de  quelle  façon  on  avoit  toujours 
osé  dans  la  restitution  des  places  qui  leur  avoient  été 
:onfiëes ,  comme  le  témoignoient  bien  de  fraiche  mé-* 
moire  Casai  ^  Suse  et  toutes  les  autres  places  de  Sa-^ 
voie  ^Italie  ^  et  en  un  mot  qu'on  ne  trouveroit  point 
pie  jamais  les  Français  en  eussent  retenu ,  et  que  les 
Espagnols  en  eussent  rendu  aucune  ^ 

Que ,  n'étant  pas  assez  puissant  de  conserver  ses 
places  par  lui'-méme,  il  faudroit,  par  nécessité, 
qu'elles  tombassent  entre  les  mains  des  Espagnols  ^ 
de  Suède  ou  de  France.  Tombant  entre  les  mains  des 
Espagnols ,  il  devoit  considérer  qu'outre  qu'ils  .ne 
rendirent  jamais  places  dans  lesquelles  ils  aient  été 
les  maîtres»  il  s'attiroit  indubitablement  les  armes  de 
Suède ,  et  faisoit  de  son  pays  le  siège  de  la  guerre, 
pource  que  le  roi  de  Suède  ne  consentiroit  jamais  que 
les  Espagnols  possédassent  des  places  en  des  lieux 
si  propres  à  lui  nuire* 

Outre  que ,  les  Hollandais  étant  prêts  de  mettre  en 
campagne  »  les  Espagnols  ne  le  pourroient  secourir , 
ayant  assez  d'affaires  à  se  défendre ,  et  que  quand 
même  ils  le  feroient ,  en  quelque  façon  que  la  chose 
pût  arriver,  que  ses  places  fussent  occupées  par 
Suède  ou  Espagne  »  elles  seroient  perdues  pour  Ipi , 
sans  mettre  en  compte  l'offense  qu'il  feroit  au  Roi  de 
se  confier  plutôt  à  ses  ennemis  propres  qu'à  la  France, 
de  qui  il  n'avoit  jamais  reçu  qu'avantage  ; 

Et  que  si  elles  tomboient  entre  les  mains  du  roi 
de  Suède ,  il  y  avoit  tant  d'inconvéniens ,  tant  pour 
la  religion  que  pour  se  confier  à  un  ennemi  déclaré 
de  l'Empire ,  qu'il  étoit  inutile  de  les  déduire.  Là 
où  les  mettant  entre  lAr mains  des  Français,  il  étoit 
T.  27.  4 


5o  [l63st]    MÉMOIRES 

délivré  de  tous  ces  inconvéniens ,  sauvoit  sa  religion 
et  ses  églises,  délivroit  non-seulement  son  pays  de 
guerre ,  mais  des  garnisons  dont  il  étoit  chargé  main- 
tenant, et  se  conservoit  indubitablement  et  sans 
péril  ses  places  pour  Tavenir ,  le  Roi  étant  tro|^pieux 
et  religieux  observateur  de  sa  parole  pour  manquer  à 
ce  qu'il  promet,  joint  que  Sa  Majesté  n'avoit  intérêt 
ni  prétention  en  Allemagne  que  d'y  procurer  le  bien 
et  repos  public  *,  que  le  Roi  jusqu'alors  n'avoit  pu  ob- 
tenir du  roi  de  Suède  qu'il  ôtat  absolument  toutes 
les  troupes  qui  étoient  dans  ses  terres ,  d'autant  qu'il 
lui  avoit  toujours  déclaré  ne  le  pouvoir  faire  qu'il  ne 
fut  assuré  desdites  places ,  et  que ,  bien  loin  d*en 
ôter,  son  dessein  étoit  de  les  augmenter,  en  sorte 
qu'elles  fussent  capables  de  faire  un  siège,  ce  qu'é- 
tant très-certain,  ledit  Electeur  pouvoit  penser  en 
quel  état  étoient  ses  affaires ,  et  sur  cela  se  résoudre  f 
mais  qu'il  considérât  enfin  qu'il  ne  traitoit  point  en 
cela  avec  lui  autrement  qu'il  avoit  fait  avec  les  autres; 
qu'ainsi  s'étoit-il  comporté  avec  le  marquis  de  Bran- 
debourg ,  duc  de  Saxe  et  de  Meckelbourg  et  le  land- 
grave de  Darmstadt,  desquels  il  avoit  pris  des  places , 
et  qu'il  protestoit  tout  haut  ne  se  pouvoir  jamais  fier 
en  la  parole  des  prêtres ,  vu  que  le  premier  qui  avoit 
traité  avec  lui,  qui  étoit  l'évéque  de  Bamberg,  Ta- 
voit  trompé. 

L'Electeur,  ayant  bien  pesé  toutes  ses  raisons,  ra- 
tifia le  traité  de  neutralité  que  les  ambassadeurs  du 
Roi  et  ses  députés  arrêtèrent  de  nouveau  avec  Oxens- 
tiern ,  et  fit  encore  un  traité  particulier  avec  eux , 
par  lequel  [il  promit  de  remettre  Hermenstein ,  Ck>- 
blentz  et  Philisbourg ,  entre  lëfmains  de  Sa  Majesté  ^ 


DB   BlCItELIBU.    [l63!2]  ^t 

et  la  sapplia^  ce  faisant,  de  Tassister  à  Rome  et  de 
commander  à  son  ambassadeur  d'y  avoir  soin  de  se9 
intérêts,  entretenir  correspondance  avec  le  sieur 
Paulucio,  résident  pour  ledit  archevêque  à  R6me , 
et  faire  envers  Sa  Sainteté  qu'elle  ne  reçût  point  les 
princes,  ses  chanoines,  ses  .ennemis  excommuniés^ 
n'infirmât  point  ses  sentences ,  mais  en  laissât  faire 
Texécution  sans  renvoyer,  par  forme  de  commission 
ou  autrement,  aux  nonces  du  Liège,  Cologne,  ni  Flan- 
dre ,  et  fit  entendre  clairement  à  Sa  Sainteté  que  le 
Roi  étoit  résolu  de  maintenir  ledit  archevêque  en 
tous  ses  droits,  spécialement  en  celui  qu|il  avoit  dans 
Saint-Maximin,  et  y  faire  effectuer  les  brefs  dA^Sa 
Sainteté  ;  et  que  Sa  Majesté  le  vouloit  aider  à  chasser 
les  chanoines  excommuniés  et  rebelles  à  leur  prince 
naturel,  et  remettre  en  leur  devoir  ses  sujets,  qui,  par 
la  séduction  des  ennemis  communs^  lui  avoient 
manqué  de  fidélité. 

Les  longueurs  des  députés  de  Cologne  et  de  Ba-' 
vière  n'arrêtoient  pas  cependant  les  armes  du  roi  de 
Suède ,  lequel  n'avoit,  depuis  son  arrivée  à  Mayence^ 
perdu  le  temps ,  mais  avoit  fait  lever  des  gens  par  tous 
ses  amis  en  Allemagne.  Ses  premières  armes  furent 
employées  en  Alsace,  où  il  attaqua,  dès  le  commen^- 
cement  de  janvier ,  le  duc  de  Lorraine ,  qui  en  tenoit 
la  plus  grande  part.  Il  le  chassa  d'Helbroun  et  prit 
toutes  les  autres  places  qu'il  tenoit,  et  plusieurs  autres 
sur  le  Rhin.  De  là,  il  envoya  Horh  dans  le  Palatinat 
inférieur,  d'où  il  chassa  les  Espagnols  de  tontes  les 
places ,  excepté  de  Philisbourg ,  Franckendal  et  Hei" 
delberg ,  et  alla  à  Bamberg  pour  venger  quelque  hos- 
tilité qui  avoit  été  cMomise  contre  le  Roi  son  maître^ 

4- 


5«  [l632]    MÉMOIRES 

au  préjudice  de  la  trêve  qu'il  avoit  avec  Tévâque  du 
lieu ,  entra  dans  la  ville  d'où  la  garnison  s'en  étoit 
fuie  Avant  son  arrivée,  et  prit  tout  Tévéché. 

Mais,  à  un  mois  de  là,  comme  nous  avons  dit, 
Tilly  vint  à  lui,  de  la  Bavière  et  du  haut  Palatinat , 
avec  vingt-deux  mille  Hbmmes. 

Horn  n'avoit  pu  en  si  peu  de  temps  conduire  à  leur 
'#  perfection  les  fortifications .  de  la  place ,  qui  est  une 
grande  ville  ouverte  de  tous  côtés ,  de  sorte  que, 
Tilly  l'y  força  facilement;  toutefois  il  fit  passer  la  ri- 
vière du  Mein  à  son  armée,  rompit  le  pont  derrière 
lui^et  se  Hftira  en  grande  diligence  avec  peu  dé 
perte  jusques  à  Gheltersheim ,  d'où  il  manda  en  dili- 
gence ,  à  Francfort ,  au  Roi  son  maître  ce  qui  lui  étoit 
arrivé. 

Ledit  Roi,  sans  perdre  temps,  ramassant  tout  ce 
qu'il  put  de  troupes,  l'alla joindre,  et  avec  lui  alla 
droit  à  Tilly,  qui  Tavoit  poursuivi  jusque-là.  Tilly, 
ne  l'osant  attendre ,  repassa  le  Mein  et  alla  camper  à 
Tentour  de  Bamberg  :  ce  Roi  l'y  suit  à  grandes  jour- 
nées ;  ce  que  sachant ,  il  va  droit  à  Donawert,  et  de 
là  en  Bavière,  où  il  se  joint  aux  troupes  dudit  Elec- 
teur, campe  son  armée  au  delà  de  la  rivière  le  Lech, 
et  rompt  le  pont  pour  empêcher  ledit  Roi  de  venir  à 
lui,  lequel,  le  suivant,  reprit  Bamberg  et  toutes  les 
autres  places  dont  il  s'étoit  rendu  maître,  s'assura  de 
Ifuremberg,  dont  il  se  saisit  le  20  mars ,  et  va  droit 
à  Donawert ,  ville  sur  le  Danube ,  laquelle ,  bien  que 
Tilly  eût  munie  de  tout  ce  qui  sembloit  être  né- 
cessaire pour  sa  défense ,  il  emporta  en  vingt-quatre 
heures ,  et  ensuite  s'assure  de  toutes  les  villes  et  pas- 
sages le  long  de  ladite  rivière  jusques  à  Ulm ,  qui 


DE   BICHELIEU.    [l63a]  Si 

étoit  dëjà  à  lui.  Lor^,  il  fait  passer  son  armée  au  dels^ 
le  Danube  dans  la  Bavière ,  poursuivant  Tilly,  qui  ^ 
après  avoir  mis  quatre  mille  hommes  dans  Hfigs- 
bourg ,  s*étoit  allé  camper  au-delà  la  rivière  du  Lech, 
près  de  la  ville  de  Rain,  où^  ayant  rompu  le  pont» 
il  se  retrancha  en  résolution  d*empécher  le  passage  de 
la  rivière  au  roi  de  Suède ,  qui  vint  camper  vis-à-vis 
de  lui  sur  Tautre  rivage ,  résolu  aussi  de  le  passer. 
Leurs  armées étoient  quasi  égales,  étant  composées 
de  trente  à  trente-cinq  mille  hommes  chacune.  Le 
duc  de  Bavière  étoit  en  personne  en  c^b  de  Tilly , 
et  attendoit  un  secours  de  quatre  mil*cheva4ilet 
sept  mille  hommes  de  pied  commandé  par  Gallas  > 
qui  venoit  de  Bohême.  Saint-Etienne  étoit  près  de 
lui  il  y  avoit  long-temps,  traitant  de  la  part  du  Roi 
pour  la  neutralité-,  il  l'envoya  au  roi  de  Suède  avec 
excuse  s'il  ne  Tavoit  encore  reçue  ^  et  promesse  de 
condescendre  à  toutes  conditions  équitables;  mais 
l'extrémité  de  l'occasion  ne  donuoit  pas  lieu  à  cette 
négociation. 

Le  roi  de  Suède ,  voyant  qu'il  tentoit  en  vain  de 
passer  la  rivière  du  Lech ,  fit  semblant  de  perdre  ce 
dessein  :  il  logea  son  armée  dans  les  bourgs  et  les 
villes  d'alentour  *,  et ,  vers  le  commencement  d'avril , 
remarquant  que  les  troupes  ennemies  prenoient  moins 
soigneusement  garde  au  rivage,  il  choisit  une  nuit 
obscure  accompagnée  de  pluie ,  jeta  un  pont  sur  la 
rivière,  et  eut  passé  la  plus  grande  part  de  son  armée 
avant  que  le  soleil  fût  levé ,  et ,  à  mesure  qu'elle  pas-^ 
soit,  il  avoit  soin  de  la  mettre  en  bataille  devant  la 
pont,  de  part  et  d'autre ,  laissant  le  milieu  libre  pour 
donner  moyen  au  re$te  de  son  armée ,  qui  passoit  > 


54  [l632]    MÉMOIRES 

de  filer  toujours  et  s'y  mettre  en  bataille,  et  empêcher 
aussi  par  cet  ordre  TefiFort  des  ennemis  s'ils  le  ve- 
noiétl  attaquer ,  contre  lesquels  il  avoit  fait  braquer 
son  artillerie  pour  les  endommager  auparavant  qu'ils 
fussent  arrives  à  ses  gens. 

"  Tilly  en  étant  averti  y  accourt,  et,  trouvant  la 
plupart  de  l'armée  passée,  jugea  bien  que  c'étoit 
une  hardie  entreprise  à  lui  de  le  vouloir  combattre  ; 
craignant  néanmoins  qu'il  n'y  eut  pas  moins  de  péril 
pour  lui  de  se  retirer,  en  étant  venu  si  avant,  il  se 
résout  de  copbattre  ;  et,  envoyant  sa  cavalerie  légère 
es!^er  d'attaquer  les  Suédois  par  derrière  et  les  séparer 
de  leur  pont,  et,  par  ce  moyen,  du  reste  de  leurs  troupes 
qui  étoient  delà  de  l'eau ,  il  va  avec  le  reste  de  son 
armée  l'attaquer  de  front ,  anime  ses  soldats ,  par  la 
considération  de  l'armée  ennemie  qui.  est  moindre 
que  la  sienne ,  et  divisée ,  et  partant  qu'il  leur  est  fa- 
cile de  les  vaincre  et  d'effacer  la  tache  dont  ils  ont 
souillé  leur  gloire  en  la  bataille  de  Leipsick ,  et ,  néan- 
moins ,  que  s'ils  ne  sont  victorieux  il  n'y  a  point  de 
salut  pour  eux ,  ayant  affaire  à  un  prince  qui  les  pour-* 
suivra  avec  tant  d'ardeur  qu'il  ne  leur  donnera  pas 
lieu  de  se  pouvoir  retirer  nulle  part. 

Le  roi  de  Suède ,  au  contraire ,  représente  aux  siens 
qu'ils  sont  en  possession  de  vaincre  Tilly ,  la  facilité 
qu'il  leur  en  donne  venant  à  eux ,  au  lieu  de  les  at- 
tendre en  son  camp  où  il  eût  eu  peine  à  les  forcer; 
que  les  ennemis  mêmes  leur  otTrent  la  victoire  ;  qu'ils 
les  en  doivent  remercier,  l'acceptant  et  combattant 
courageusement.  Si  l'attaque  fut  furieuse  de  la  part 
de  Tilly ,  elle  fut  soutenue  vivement  par  le  roi  de 
Suède }  et  enfin ,  après  trois  heures  de  combat ,  le  reste 


DE   RICHEUEU.    [lÔSs]  5f 

de  Tarmëe  suédoise  étant  passé  durant  ce  temps  » 
les  Impériaux ,  qui  étoient  venus  de  loin  au  combat  « 
commencèrent  k  se  lasser  et  à  lâcher  le  pied.  Tiljpi  al- 
lant par  tous  les  rangs  j  les  suppliant  de  ne  pas  les  aban- 
donner et  de  mourir  avec  lui  en  combattant  plutôt 
que  fuyant  avec  honte,  fut  blessé  à  la  cuisse  d*un 
coup  de  fauconneau ,  Aldringuer  le  fut  aussi  d'un 
coup  de  mousquet.  Les  deux  chefs  étant  blessés  , 
toute  Farmée  s'enfuit  à  vau-de-route ,  et  les  chemins 
étant  glissans  et  fangeux,  les  soldats  harassés  ne 
pouvant  presque  cheminer ,  il  en  fut  fait  un  grand 
carnage  par  les  Suédois ,  et  eût  été  plut  grand  ù  lo 
duc  de  Bavière  ,  que  Tilly  avoit ,  en  partant  de  son 
camp ,  averti  de  le  suivre ,  ne  fut  arrivé  avec  son 
armée,  qui  étoit  de  dix  mille  hommes,  n'eut  fait  ^ 
tourner  tête  aux  Impériaux  et  arrêté  les  Suédois, 
contre  lesquels  néanmoins  il  n'osa  pas  hasarder  le 
combat,  mais  se  contenta  d'arrêter  la  déroute  des 
siens,  et  se  retira  dans  sa  forteresse  dlngolstadt ,  où, 
peu  de  jours  après ,  Tilly  mourut  chargé  de  victoires 
durant  tout  le  cours  de  sa  vie,  excepté  contre  le  roi 
de  Suède,  contre  lequel  il  ne  put  jamais  avoir  aucun 
avantage,  mais,  au  contraire,  en  fut  toujours  battu 
en  toutes  les  rencontres ,  soit  que  le  roi  de  Suède  fût 
pkis  habile  et  plus  grand  capitaine  que  lui ,  et  ses  sol- 
dats meilleurs  que  les  siens ,  ou  que  la  fortune  soit 
d'ordinaire  plus  favorable  aux  jeunes  capitaines  qu'aux  - 
vieux. 

Pendant  que  ces  choses  se  passoient  entre  le  roi 
de  Suède  et  Tilly ,  les  princes  protestans  d'Allemagne, 
confédérés  avec  le  roi  de  Suède ,  tenoient  une  assem- 
blée à  Torgau  pour  voir  ce  qu'ilé  avoient  à  faire  de 


iS  [t63i]  mémoires 

leur  part  pour  s'opposer  à  Walstein ,  tandis  que  ledit 
Roi  s'opposoit  à  rarmée  de  Tilly  et  de  la  ligue  catho* 
liqoft}  car  Walstein,  ayant  reçu  de  TEmpereurla 
chargé  de  général  de  ses  armées ,  avoit  envoyé  in* 
continent  partout  où  il  avoit  cru  pouvoir  lever  des 
gens  de  guerre ,  ne  faisant  distinction  de  catholiques 
ni  de  huguenots,  avoit  publié  avec  grand  soin  que  ce 
n'étoit  point  une  guerre  de  religion,  mais  d'État,  et 
fait  savoir  que ,  s'il  n'avoit  pas  assez  d'argent  comptant 
à  distribuer ,  il  donneroit  des  quartiers  à  ses  soldats 
qui  leur  en  fourniroient  abondamment ,  auxquels 
quartiers  il  avoit  destiné  ce  qui  obéissoit  encore  à 
l'Empereur  dans  la  Bohême,  la  Moravie ,  l'Autriche, 
la  Silésie  et  ses  autres  provinces  héréditaires ,  et  par 
ce  moyen  ,  et  la  grande  réputation  qu'il  avoit  parmi 
les  gens  de  guerre,  il  mit  sur  pied ,  en  trois  mois ,  une 
armée  suffisante  pour  s'opposer  à  une  de  celles  des 
ennemis. 

Dès  l'année  précédente ,  le  duc  de  Saxe  s'étoit  em- 
paré de  Prague  et  presque  de  toute  la  Bohême ,  comme 
nous  avons  dit  ;  il  y  avoit  traité  les  peuples  fort  humai- 
nement, et  ses  gens  de  guerre  s'y  étoient  comportés 
avec  un  grand  ordre ,  de  sorte  qu'il  avoit  mis  en  sa 
puissance  non-seulement  les  armes ,  mais  les  cœurs 
des  habitans;  mais  incontinent  après ,  dès  le  commen*» 
cément  de  cette  année ,  ils  changèrent  de  façon  de 
faire  :  l'heureux  succès  de  leurs  afiaires  les  fît  devenir 
insolens;  ils  se  jetèrent  dans  l'ivrognerie ,  n'observè- 
rent plus  de  discipline ,  commencèrent  à  rançonner  les 
bourgeois,  et  eux-mêmes,  par  tous  ces  désordres , 
tombèrent  en  de  grandes  maladies  qui  les  réduisirent 
à  peu  ;  dont  Walstein  ayant  avis ,  fit  avancer  vers 


DE  mCHELIED.    [lÔSs]  !^ 

Prague,  vers  le  i5  février,  quelques  troupes  qu'il 
avoit  mises  en  garnison  dans  la  Bohême,  dans  les 
places  qui  restoient  encore  en  Tobëissance  de  l'Em- 
pereur. Le  duc  de  Saxe  en  étant  averti,  assemble 
ses  troupes  ,  va  à  Prague ,  la  munit  de  tout  ce  qu  il 
croit  être  nécessaire  pour  sa  défense,  et  de  là  va  à 
Torgau,  croyant  avoir  assez  de  temps  pour  y  demeu- 
rer le  long  de  l'assemblée ,  auparavant  que  Tennemi 
pût  faire  aucun  progrès  notable  dans  la  Bohôroe  ;  en 
quoi  il  se  trompa ,  car  Walstein  Talla  attaquer  avec 
vingt-cinq  mille  hommes ,  prend  Prague ,  qui  fut  fort 
mal  défendue,  et  se  rendit  maître  de  toutes  les  autres 
places  qui  avoient  été  prises  sur  l'Empereur. 

Cependant  les  protestans  à  Torgau,  après  plusieurs 
conseils  et  avis  de  part  et  d'autre ,  résolurent  qu'il 
n'étoit  ni  sûr  ni  honorable  de  mettre  toutes  les  forces 
entre  les  mains  du  roi  de  Suède,  prince  d'un  esprit 
vaste ,  qui  n'avoit  point  de  bornes  en  ses  espérances 
et  en  son  ambition ,  et  qui ,  s'il  voyoit  en  sa  puis- 
sance toutes  les  forces  d'Allemagne,  essaieroit  faci- 
lement de  se  rendre  seigneur  propriétaire  de  ce  qui 
lui  auroit  été  confié  ;  et  partant ,  ils  arrêtèrent  de  faire 
une  grande  armée  sous  le  commandement  du  duc  de 
Saxe,  qui  s'opposeroit  à  Walstein,  et  défendroit,  outre 
la  Misnie ,  la  Saxe  et  toutes  les  autres  provinces  de 
ces  quartiers-là ,  estimant  par  ce  moyen  être  assurés, 
et  contre  les  entreprises  de  l'Empereur  et  contre  celles 
du  roi  de  Suède,  étant  en  leur  liberté  de  joindre  leurs 
forces ,  en  un  besoin ,  à  celui  qui  des  deux  leur  plai* 
roit ,  étant  certain  qu'ils  apporteroient  la  victoire  au 
parti  duquel  ils  se  mettroient.  Ils  arrêtèrent  aussi  de 
f'accommoder  s'ils  pouvoient  avec  l'Empereur,  pour. 


SB  [i63ti]  uéMOiKEs 

par  après  y  s'entremettre  entre  lui  et  le  roi  de  Suède 
pour  accommoder  leurs  différends. 

Le  duc  de  Bavière  s'ëtant,  comme  nous  avons  dit, 
retiré  à  Ingolstadt,  le  roi  de  Suède,  espérant  toujours 
son  consentement  à  la  neutralité,  ne  voulut  pas  d'a- 
bord entrer  à  main  armée  en  son  pays ,  mais  alla  à 
Âugsbourg  et  reçut  la  ville  en  son  obéissance*,  mais 
voyant  que  ledit  duc  ne  vouloit  que  gagner  temps 
pour  se  fortifier  contre  lui ,  entre  enfin  dans  la  Ba- 
vière, met  tout  à  feu  et  à  sang,  prend  Munich,  qui 
se  rachète  de  3oo,ooo  risdales  :  c'est  la  ville  capitale 
de  la  Bavière ,  demeure  ordinaire  des  électeurs ,  en 
laquelle  tout  ce  qu'ils  avoient  de  précieux  étoit  ren- 
fermé ^  la  prend  sans  résistance  et  parcourt  tout  le  reste 
de  la  province  qu'il  réduit  sous  son  obéissance ,  hor- 
mis la  seule  ville  dlngolstadt ,  devant  laquelle  il  mit 
le  siège  ;  mais  désespérant  de  la  pouvoir  prendre  en 
peu  de  temps ,  il  leva  incontinent  le  siège  et  ramena 
son  armée  en  la  Souabe ,  laquelle  se  mit  toute  à  son 
parti  et  l'assista  de  grandes  contributions.  Voilà  le 
mal  qui  arriva  à  ce  duc  pour  n'avoir  pas  voulu  ac- 
cepter le  bien  que  le  Roi ,  avec  tant  de  soin  et  an  si 
long  temps,  avoit  tâché  de  lui  procurer. 

L'Italie  voyant  ledit  Roi  proche  de  ses  frontières 
commença  à  trembler  \  le  duc  de  Feria  envoya  le  mar- 
quis de  Spinola ,  avec  douze  mille  hommes ,  se  saisir 
de  la  Yalteline,  et  fait  faire  de  grandes  levées  dans 
tout  le  Milanais  ^  il  s'en  fait  de  semblables  dans  le 
royaume  de  Naples  *,  les  Genevois  fortifient  leur  ville, 
et  semble  déjà ,  à  tes  voir  faire  ,  que  le  roi  de  Suède 
étoit  à  leurs  portes  ^  mais  Dieu  en  avoit  disposé  au- 
trement. 


D£  mcHELnu.  [i63a]  5$ 

IVIiis  laissons  le  duc  de  Bavière  se  repentir  à  loisir 
de  sa  faute,  et  le  roi  de  Snède  jouir  de  sa  victoire; 
retournons  trouver  Sa  Majesté  que  nous  avons  laissée 
il  Metz. 

Les  présidens  et  conseillers  du  parlement  de  Paris, 
auxquels  le  Roi ,  sur  le  sujet  de  la  désobéissance  dudit 
parlement ,  dont  nous  avons  parlé  Tannée  dernière , 
a  voit  commandé  de  le  venir  trouver  pour  recevoir  de 
sa  bouche  le  blâme  que  méritoit  leur  mauvais  pro- 
cédé, arrivèrent  à  Metz  au  commencement  de  jan- 
vier. Sa  Majesté  les  fit  attendre  quelques  jours  pour 
leur  donner  audience ,  durant  lesquels  le  cardinal 
ayant  adouci  son  esprit,  qui  étoit  fort  aigri  contre 
eux ,  Sa  Majesté  se  contenta  de  leur  dire  qu'elle  par- 
donnoit  leuf  faute  pour  cette  fois;  qu'il  ne  leur  arrivât 
plus  à  l'avenir  d'entreprendre  sur  son  autorité  royale; 
qu'il  aimoit  mieux  son  peuple  qu'ils  ne  faisoient,  et 
avoit  plus  de  soin  de  la  gloire  et  de  la  grandeur  de 
cet  État,  et  la  savoit  mieux  procurer  qu'ils  ne  pou- 
voient  faire  ;  qu'il  leur  défendoit  à  l'avenir  de  prendre 
tel  prétexte  pour  couvrir  leurs  intérêts  et  leurs  pas- 
sions ,  ni  de  se  mêler  d'autre  chose  que  de  rendre  la 
justice  aux  particuliers  ;  et  sur  ce  que ,  pour  s'excuser, 
ils  lui  répondirent  qu'ils  avoient  été  nourris  en  une 
bonne  école  d'obéissance  et  de  fidélité  à  Sa  Majesté , 
il  leur  répliqua  qu'ils  avoient  donc  bien  mal  retenu 
ce  qui  leur  avoit  été  appris. 

Le  garde  des  sceaux  s'étendit  davantage,  et  leur 
ayant  coté  par  le  menu  tous  les  manquemens  qu'ils 
avoient  commis  au  respect  qu'ils  dévoient  au  Roi , 
avec  lequel  il  sembloit  qu'ils  vouloient  partager  la 
puissance ,  il  leur  dit  qu'ils  avoient  en  cela  donné 


/' 


6o  [1^3^]   MÉMOIRES 

grand  sujet  au  Roi  de  leur  faire  ressentir  son  in- 
dignation, qu'ils  a  voient  méritée,  et  d'user  de  telU 
animadversion  envers  eux,  que  leurs  successeurs, 
par  cet  exemple ,  fussent  retenus  de  tomber  en  pa- 
reille faute  ;  mais  que  Dieu  l'ayant ,  parmi  tant  de 
rares  et  excellentes  vertus,  doué  d'une  extrême 
bonté ,  et  espérant  d'eux  à  l'avenir  une  plus  fidèle 
obéissance,  il  les  renvoyoit  faire  leurs  charges,  ex- 
cepté toutefois  cinq  d'entre  eux,  lesquels  Sa  Majesté 
interdit ,  leur  commandant  de  demeurer  à  la  suite  de 
sa  cour. 

Le  cardinal  essaya  de  les  faire  renvoyer  avec  les 
autres ,  mais  il  ne  le  put  obtenir.  Sa  Majesté  lui  ayant 
répondu,  sur  l'instance  qu'il  lui  en  faisoit,  qu'elle 
a  voit  plaisir  à  voir  un  peu  promener  ces  cinq  robes 
longues  à  la  suite  de  la  cour^  que  plus  on  se  relâche 
avec  telles  gens ,  plus  ils  en  abusent  *,  que  si  un  sol- 
dat désobéit  à  son  capitaine  lorsqu^il  lui  fait  quelque 
commandement  en  sa  charge,  il  est  cassé,  et  en  tel 
cas  peut-il  désobéir  qu'il  perd  la  vie  ;  qu'il  ne  seroit 
pas  raisonnable  qu'il  fût  dit  que  ces  robes  longues  lui 
désobéissent  librement  et  hardiment ,  et  gagnassent 
leur  cause  sous  ombre  qu'ils  discourent  le  matin 
dans  leurs  buvettes ,  et  sont  trois  heures  assis  sur  ses 
fleurs  de  lys  ;  et  pour  fin  qu'il  ordonnoit  que  le  car- 
dinal seroit  moins  facile  et  moins  capable  d'avoir  pitié 
de  ces  seigneurs  après  avoir  méprisé  ce  qu'ils  doi- 
vent à  leur  souverain.  Néanmoins,  à  peu  de  temps 
de  là ,  le  Roi  étant  de  retour  de  son  voyage  à  Sainte- 
Germain  ,  il  obtint  de  Sa  Majesté  qu'ils  pussent  con-* 
tinuer  à  faire  leurs  charges. 

Pès  que  Monsieur  sut  le  traité  que  le  Roi  avoit 


DE  RICHELIEU.    [iGSs]  6l 

avec  M.  de  Lorraine,  il  part  de  Nancy^  s*en  va 
Jlemiremont  à  Besançon  ;  la  plupart  de  ses  troupes 
endirent  en  celles  du  Roi;  il  traversa  le  Luxem- 
rg  et  alla  à  Bruxelles. 

,n  chemin  il  rencontra  en  un  village  appelé  Con- 
s,  près  Metz,  une  voiture  de  cinq  cent  mille 
es  que  Ton  envoyoit  à  Tarmée,  qu'il  emmena; 
5  M.  de  Lorraine  lui  ayant  fait  connoitre  que  le 
,  qui  en  avoit  été  averti ,  Taccusoit  d'avoir  part  à 
e  affaire ,  et  qu'il  ëtoit  résolu  de  reprendre  cette 
me  sur  le  revenu  dudit  sieur  de  Lorraine,  il  la 
/oya  sans  y  toucher.  ^ 

artant  de  Besançon ,  il  défendit  au  Coigneux  et  à 
isigot  de  le  suivre,  qui  ne  laissèrent  pas  néan- 
QS  de  l'aller  trouver.  Peu  de  temps  après  il  arriva 
ruxelles,  le  28  juin,  et  y  fut  reçu  de  l'Infante 
:  les  mêmes  honneurs  et  cérémonies  qu'on  avoit 
quelque  temps  auparavant  à  la  Reine  sa  mère  ; 
altesse  lui  donna  logement  dans  son  palais,  et 
éfraya  quelques  jours  lui  et  son  train, 
ependant  le  Roi  part  de  Metz  le  9  février,  et  ar- 
k  Versailles  le  16. 

I  Majesté  n'eut  pas  plutôt  le  dos  tourné  pour 
inir  en  son  royaume ,  que  le  duc  de  Lorraine , 
iant  sa  foi,  son  honneur  et  son  bien  ,  ne  recom- 
cât  ses  premières  négociations  avec  Monsieur  et 
aison  d'Autriche  contre  le  Roi.  Ce  ne  sont  que 
es  et  messagers  de  Nancy  à  Bruxelles  ;  Sa  Ma- 
!,  à  leur  compte,  par  la  supputation  de  leurs 
ilogues ,  ne  doit  vivre  que  jusqu'à  la  Pentecôte. 
.  de  Vaudemont  écrit  qu'il  a  crainte  que  les 
ns  si  coutinuols  de  Monsieur  à  Bruxelles  ne  lui 


6a  [i63aj  mémoires 

fassent  mal*,  qu'il  a  affaire  à  se  garder  plus  que  jamais 
pour  recueillir  ce  qui  lui  doit  bientôt  tomber  en 
main.  Ils  sont  étonnés  que  le  cardinal,  sachant  es 
mains  de  qui  doit  après  tomber  le  royaume,  ne  se 
remet  bien ,  à  quelque  prix  que  ce  soit ,  avec  Mon- 
sieur. 

L*£spagne  et  l*Empire ,  quoiqu'ils  soient  réduits  à 
l'extrémité  par  leurs  ennemis ,  ne  laissent  pas ,  par 
l'excès  de  la  mauvaise  volonté  qu'ils  ont  contre  la 
France ,  de  les  en'courager  et  de  leur  promettre  de 
les  assister^  comme  aussi  Monsieur,  la  Reine-mère 
et  ledit  duc,  pour  les  y  engager,  les  assurent  d'avoir 
des  intelligences  avec  beaucoup  de  gouverneurs  de 
provinces  et  de  villes ,  et  être  certains  qu'i^  se  doit 
faire  de  grandes  révolutions  en  France  dès  que  Mon' 
sieur  y  entrera  avec  armée. 

Le  chevalier  de  Valençai  va  en  Angleterre  pour 
obtenir  quelque  assistance  secrète^  Biscarat  y  est 
encore  depuis  envoyé  ;  le  premier  ne  peut  avoir  au- 
dience qu'à  la  dérobée ,  laquelle  encore  on  nie  lui 
avoir  donnée  *,  le  second  la  tout  ouvertement ,  mais 
néanmoins  ce  Roi  proteste  que  tout  ce  qu'il  sauroit 
dire  ne  le  sauroit  détourner  de  sa  constante  amitié 
envers  le  Roi. 

Quelques  femmes  qui  étoient  auprès  de  la  Reine 
essayent  de  disposer  leur  maîtresse  au  contraire,  et 
parlent  assez  ouvertement  en  faveur  de  la  Reine-mère 
contre  le  cardinal  ^  mais  tout  cela  est  inutile,  et  n'em- 
pêcha pas  qu'en  même  temps  le  roi  d'Angleterre  ne 
donnât  les  ordres  nécessaires  pour  la  restitution  de 
Québec  et  quelques  autres  forts  en  la  Nouvelles- 
France  qui  furent  après  rendus  de  bonne  foir 


DB   RICHELIEU.    [l633]  63 

Le  duc  de  Lorraine  envoie  aussi  secrètement 
vers  TEmpereur  un  jésuite  nommé  Mérigort  pour 
assister  Deshayes  en  ses  poursuites,  ensuite  des- 
quelles Walstein ,  vers  la  fin  de  février,  mande  au 
comte  de  Mérode  qu'il  donne  à  Monsieur  six  mille 
hommes  de  pied  et  deux  mille  chevaux  des  troupes 
qu'il  lève  au  Pays-Bas  ^  qu'il  les  lui  donne  et  sans 
réplique,  pource  qu'il  ne  recevra  aucune  excuse.  Il 
en  écrivit  à  Pappenheim,  et  le  prie  de  faire  exécuter 
son  ordre ,  ce  qui  ne  fut  pas  fait  néanmoins  pource 
qu'ib  ne  le  parent.  Montecreuls  reçut  depuis  com- 
mandement de  s'acheminer  en  l'Alsace  pour  l'aller 
prendre  avec  deux  «mille  chevaux;  mais  le  roi  de 
Suède,  par  les  prises  d'Âugsbourg  etdeDonawert, 
loi  ôte  le  moyen  de  passer. 

Monsieur  va  à  Trêves,  où  est  Gonzalez,  pour  rece- 
voir l'eflet  de  toutes  ces  belles  promesses  ;  il  a  partout 
des  ambassadeurs^  il  traite  avec  tous  les  princes-, 
l'abbé  d'Obazine  est  pour  lui  à  Rome  ;  Sommery  passe 
en  Savoie,  qui  parle  au  prince;  mais  il  se  trouve 
immobile  à  ses  légères  persuasions  ;  il  envoie  à  Flo- 
rence ;  il  sollicite  le  duc  de  Feria  ;  il  demande  argent, 
hommes  et  munitions,  mais  on  a  plus  de  mauvaise 
volonté  que  de  pouvoir. 

Le  duc  de  Lorraine  veut  cacher  au  Roi  qu'il  soit  de 
la  partie ,  mais  ses  actions  le  publient  tant  que  c  est 
impudence  de  le  vouloir  nier  ;  il  essaie  de  faire  ruiner 
l'armée  que  Sa  Majesté ,  à  son  départ  de  Lorraine  y 
avoit  laissée  sur  les  frontières  d'Allemagne  pour  fa- 
voriser la  négociation  qu'il  y  faisoit  pour  établir  la 
neutralité  entre  les  électeurs  catholiques  et  le  roi  de 
Suède ,  recevoir  en  sa  protection  ceux  qui  l'accep- 


64  [l63a]    MÉMOIRES 

teroient,âtreenëtat  de  dëfendoe  leurs  places  si  ellei 
étoient  attaquées ,  et  mettre  garnisons  en  celles  qu'on 
pourroit  remettre  en  sa  puissance  pour  assurance  de 
ce  qui  seroit  promis  dans  le  traité,  et  pour  suivre 
avec  plus  de  force  Texécution  de  ce  que  le  roi  de 
Suède  avoit  promis  touchant  la  conservation  de  la 
religion  catholique  dans  les  États  qu'il  conquerroit. 

Bien  que  cette  armée  soit  le  salut  du  duc  de  Lor- 
raine même ,  qu'elle  oie  aux  Suédois  toute  pensée  de 
l'attaquer ,  auxquels  facilement  elle  reviendroit  s'ils 
ne  craignoient  plus  les  forces  du  Roi  que  les  siennes , 
néanmoins  sa  passion  est  si  envenimée  contre  le  Roi, 
qu'il  tâche  de  la  ruiner,  bien  que  sa  propre  ruine  s'en 
fût  ensuivie  ^  il  se  plaint  si  elle  loge  au  moindre  de 
ses  villages  *,  aux  plaintes  il  ajoute  les  menaces ,  et  à 
ses  menaces  des  actions  d'hostilité;  il  fait  partout 
retirer  les  blés  de  la  campagne  dans  Vaudrevange  et 
Sarguemines,  et  défend  à  ses  sujets  d'en  vendre  aux 
munitionnaires  du  Roi  *,  et  eux  en  ayant  acheté  dans 
Sarguemines  ,  les  habitans  refusent  de  le  livrer  , 
disant  qu'ils  en  ont  défense  de  la  part  du  duc ,  no- 
nobstant qu'il  fût  obligé  par  le  traité  fait  avec  le  Roi 
d'en  fournir  en  payant. 

Il  arme  sans  en  rendre  compte  auRoi,  et  grossit  ses 
levées  aux  dépens  de  nos  troupes  qui  s'y  enfuyoient, 
d'autant  que  son  pays  leur  contribuoit  abondamment, 
fait  son  gros  d'armée  au  Luxembourg ,  et  même  dé- 
bauche les  capitaines  de  l'armée  du  Roi  sous  de  grande» 
promesses;  il  fortifie  ses  places  qui  regardent  la  France 
et  non  les  autres;  il  fait  faire  des  feux  de  joie  de  la 
maladie  du  Roi .  fulminant  publiquement  contre  Ini 
et  son  conseil. 


DE   RICHELIEU.    [iG^n]  65 

Il  trama  des  entreprises  sur  Langres ,  sur  Toul  et 
sur  Verdun  \  mais  on  s'assura  si  bien  de  ces  places 
que  ses  intelligences  n'y  eurent  point  de  pouvoir , 
bien  qu'il  pensât  en  être  si  assuré  qu'il  fît  sortir  de 
Nancy  quantité  d'échelles  et  de  pétards  pour  les 
exécuter. 

U  essaya  même  de  gagner  M.  de  La  Valette  pour 
Monsieur ,  et  le  Roi  eut  sujet  de  douter  qu'il  y  eût 
prêté  l'oreille  ;  mais ,  ou  les  ordres  y  furent  mis  avec 
tant  de  promptitude  et  de  vigilance ,  et  l'armée  du 
Roi  fut  si  prompte  à  y  tourner  tête  pour  se  saisir  de 
tous  les  passages ,  ou  la  fîdélité  de  M.  de  La  Valette 
fut  si  entière ,  qu'incontinent  qu'il  vit  qu'on  se  défioit 
de  lui,  il  vint  en  diligence  trouver  Sa  Majesté  :  ce 
qui  rendoit  l'avis  qu'on  en  avoit  donné  plus  vraisem- 
blable, étoit  le  soupçon  que  l'on  avoit  de  M.  d'Eper- 
non ,  que  l'on  savoit  être  sollicité  par  Monsieur  avec 
plusieurs  autres  gouverneurs.  Ses  levées  de  gens  de 
guerre  étoient  si  grandes  qu'elles  n'avoient  point  de 
proportion  avec  le  nombre  qu'il  étoit  obligé  de  four- 
nir au  Roi  par  le  traité  fait  entre  Sa  Majesté  et  lui, 
joint  que  lors  il  savoit  bien  qu'il  n'en  étoit  point  de 
besoin,  le  cours  des  affaires  étant  changé  ;  et  encore  il 
ne  prenoit  aucun  de  ses  sujets,  parce  qu'il  étoit  as- 
suré qu'ils  ne  lui  pou  voient  manquer.  U  cherchoit  à 
recouvrer  de  l'argent  de  toutes  parts,  sans  épargner 
même  sa  noblesse ,  qui  s'en  plaignoit  hautement.  U 
engageoit  à  cet  effet  toutes  les  hautes  justices  de  ses 
terres  desquelles  il  pouvoit  trouver  marchand,  et  té- 
moignoit,  par  toutes  ses  paroles  et  ses  actions,  quil 
avoit  de  grands  desseins^  particulièrement  Harau- 
cburt  assembloit  deux  mille  chevaux  et  de  l'infanterie 
T.    27.  5 


1 

66  [l632j    MÉMOIRES 

en  Alsace ,  qu'on  disoit  publiquement  dans  Nancy  se 
devoir  joindre  à  Monsieur  par  ordre  de  TEmpereurj 
les  partisans  duquel  se  moquoient  de  la  confiance  que 
le  Roi ,  par  sa  bonté ,  daignoit  prendre  aux  électeurs 
catholiques ,  desquels  Tévéque  de  Verdun  détournoit 
la  bonne  volonté,  et  par  ses  lettres  en  rendoit  tous 
les  jours  compte  particulier  audit  duc ,  lequel  enfin 
parloit  si  insolemment  et  des  intérêts  de  la  France  et 
de  la  personne  du  Roi ,  et  de  la  mauvaise  volonté 
qu'il  avoit  pour  Tun  et  pour  Tautre ,  qu'il  ëtoit  im- 
possible d'ignorer  son  mauvais  dessein.  Aussi  tous  les 
ambassadeurs  du  Roi  donnoient  avis  des  négociations 
et  menées  qu'il  faisoit  contre  la  France^  les  nonces 
en  avertissoient  celui  qui  résidoit  en  France;  et  le 
sieur  Wake  ,  ambassadeur  d'Angleterre  ,  avertit  que 
ledit  duc  avoit  envoyé  dire  à  llnfante  qu'il  étoit  prêt 
de  joindre  ses  armes  à  celles  de  Monsieur  et  à  celles 
d'Espagne  pour  entrer  en  ce  royaume. 

Toutes  ces  choses  obligèrent  l'armée  du  Roi  de 
rentrer  dans  les  Trois-Evêchés  et  s'éloigner  de  l'Alle- 
magne \  ce  qui  apporta  beaucoup  de  préjudice  à  son 
service.  Sur  cela  le  Roi  tint  conseil  à  Saint-Germain- 
en-Laye  pour  voir  ce  qu'il  avoit  à  faire  :  il  fit  publier 
une  ordonnance  le  5  avril,  portant  itératives  dé- 
fenses à  toutes  personnes  de  receler  aucuns  servi- 
teurs de  la  Reine-mère  et  de  Monsieur ,  sur  peine  de 
crime  de  lèse-majesté;  et  parce  qu'il  avoit  sur  les  bras 
le  procès  du  maréchal  de  Marillac ,  qu'il  avoit  pour 
ses  malversations  fait  prendre  prisonnier  dès  la  fin 
de  l'année  i63o ,  dont  il  n'a  voit  pas  voulu  presser  le 
jugement  afin  dy  procéder  avec  plus  mûre  délibé-  ^ 
ration,  et  qu'il  étoit  bien  averti  que  de  la  part  dé 


DE   RIGHEUEU.    [l63a]  67 

Monsieur  on  pratiquoit  Calais ,  place  d'une  si  grande 
importance  qu'un  chacun  sait,  contre  son  service,  il 
fut  conseillé  de  faire  vider  ce  proq^s  çt  de  mettre 
ordre  à  Calais ,  avant  que  de  se  résoudre  à  aucune 
chose  contre  le  duc  de  Lorraine ,  lequel  cependant  il 
étoit  besoin  d'entretenir  sans  lui  donner  sujet  d'en- 
trer en  créance  que  le  Roi  le  voulût  attaquer. 

Les  raisons  de  ce  conseil  que  le  cardinal  donna  au 
Roi,  étoient  qu'il  étoit  certain  qu'il  ne  falloit  pas  lais- 
ser mûrir  tous  les  mauvais  dessein^  qui  étoient  formés 
contre  Sa  Majesté,  tant  dedans  que  dehors  le  royaume, 
en  sorte  qu'ils  pussent  éclore  tout  à  la  fois ,  d'autant 
qu'en  ce  cas-là  on  n'y  pourroit  résister  et  on  s'en 
trouveroit  accablé;  où,  si  on  les  prévenoit  et  qu'on 
mit  ordre  de  bonne  heure  aux  uns  après  les  autres , 
on  viendroit  à  bout  de  tout ,  et  on  conserveroit  la 
sûreté ,  quoiqu'avec  quelque  travail  ; 

Qu'il  falloit  commencer  à  pourvoir  à  ce  qui  pon- 
voit  remuer  au  dedans ,  d'autant  que  par  ce  moyen  on 
se  mettroit  en  état  que  le  dehors  ne  pourroit  nuire  ; 

Qu'il  falloit  donc  dépécher,  le  procès  de  MariHac, 
étant  certain  que  les  longueurs  et  la  négligence  de 
telles  affaires  témoignoientfoiblesse,  et  donneroient 
de  grandes  espérances ,  et  pourvoir  au  gouvernement 
de  Calais,  et  rogner  les  ongles  si  court  à  tous  les  autres 
que  leur  mauvaise  volonté  fût  inutile,  et  établir  tant 
de  gens  nouveaux ,  ce  qu'on  pouvoit  faire  avec  rai- 
son, que  l'intérêt  qu'ils  auroient  au  temps  présent  fût 
une  bonne  caution  de  leur  fidélité. 

Pour  le  fait  de  Lorraine ,  que  la  première  chose 
qu'il  y  avoit  à  faire  pour  lors,  étoit  de  dissimuler  et 
ne  témoigner  pas  savoir  tout-à-fait  ses  mauvais  des- 

5. 


68  [i63a]  iiBifOiRBs 

seins ,  et,  saqs  s'engager,  raccommoder  les  affaire^  ea 
termes  qu'il  eût  lieu  de  croire  qu'on  ne  pensoit  à  rien 
contre  lui,  afin  d'empêcher  qu'il  ne  se  préparât  par 
nouvelles  levées ,  et  gagner  le  temps  que  les  Hollan- 
dais fissent  leur  attaque ,  auquel  le  Roi  feroit  ce  qu'il 
lui  plairoit  ;  qu'il  n'y  avoit  que  de  trois  partis  l'un  à 
prendre  :  ou  dissimuler  et  soufirir  tout,  attendant  ce 
que  le  temps  voudroit  produire,  ce  qui  aboutiroit  à 
ce  point  que,  si  les  affaires  d'Espagne  et  de  l'Empe- 
reur alloient  mal ,  lui  ni  ses  associés  ne  feroient  rien 
contre  la  France;  si  aussi  elles  alloient  bien,  assuré- 
ment ils  l'attaqueroient,  et  on  ne  seroit  plus  en  état 
de  résister  aux  maux  qui  viendroient  de  divers  côtés; 
Ou ,  aussitôt  que  les  Hollandais  auroient  mis  en 
campagne,  entreprendre 4a  conquête  de  ses  Etats 
avec  quarante  mille  hommes,  qui  feroient  trois  atta- 
ques, et  continuer  le  dessein  jusques  à  l'entière  con- 
quête; 

Ou  entrer  avec' l'armée  susdite  dans  ses  États, 
et  se  contenter  de  lui  faire  donner  quelques  autres 
places  outre  Marsal  ;     « 

Qu'il  sembloit  que  plusieurs  considérations  de-  * 
voient  porter  à  l'un  des  deux  derniers  desseins  :  la 
crainte  du  retour  lorsque  l'on  y  penseroit  le  moins, 
la  facilité  qu'il  y  auroit  à  le  faire  lorsque  les  Hollan- 
dais occuperoient  les  Espagnols ,  et  parce  que  le  suc- 
cès d'une  telle  entreprise  faciliteroit  le  retour  de  l'es- 
prit de  Monsieur  avec  le  temps,  qui  ne  re.viendroit 
jamais  à  son  devoir  qu'il  ne  vit  ses  suppôts  affoiblis  ; 

Qu'il  lui  sembloit,  pour  préparer  tel  dessein,  qu'il 
seroit  bon ,  pour  obliger  M.  de  Lorraine  à  désarmer ,    41" 
de  lui  envoyer  un  gentilhomme  lui  &ire  de  grandes 


DE   RICHELIEU.    [l632]  69 

plaintes,  non  tant  de  ses  levées  comme  de  ce  que  Ics- 
dites  levées  ne  se  pou  voient  faire  sans  préjudice  de 
Tarmée  du  Roi  dont  il  débauchoit  les  soldats  ; 

Qu'il  falloit  de  plus  lui  demander  lesdits  gens  de 
guerre  débauchés ,  et  lui  dire  nettement  pour  cet  ejC- 
ièt  que  le  Roi  désirok  qu'il  renvoyât  tous  les  Fran- 
çais qu'il  avoit  dans  ses  troupes  en  l'armée  de  Sa  Mar 
jesté  j  et  qu'il  ne  pensât  pas  les  faire  évader  dans  le 
Luxembourg ,  parce  que  le  Roi  tiendroit  telle  cour 
duite  pour  hostilité  ;  ;^ 

Qu'il  falloit  aussi  savoir  de  lui  ce  qu'il  désiroit 
que  le  Roi  répondit  au  roi  de  Suède  sur  le  sujet^le  sc^ 
levées  ; 

Qu'il  sait  bien  à  quoi  il  s'étoit  obligé  au  Roi  par 
traité;  mais  que  Sa  Majest Aie  pouvoit  pas  en  répondre 
pour  cela ,  puisqu'il  remarquoit  qu'il  n'avoit  pas  eu 
soin  de  l'observation  dudit  traité  par  l'intelligence , 
fréquence  de  courriers ,  adhérence  et  union  avec  le3. 
ennemis  de  Sa  Majesté  ; 

Que,  pour  donner  sujeià  M*  de  Lorraine,  de  dér 
sarmer ,  il  avoit  été  bon  de  faire  retirer  son  aumée  d^ 
ses  États,  sous  prétexte  de  le  contenter,  et  la  mettre 
dans  le  Pays  Messin  »  évéchés  de  Toul  et  Verdun , 
pour,  sous  couleur  de  faire  vivre  cette  armée  dans 
ses  États,  faire  acheter  quantité  de  blés  dans  ses 
frontières;  f^ 

Et  lorsque  les  Hpllandais  auroient  fait  leur  attaque», 
jouer  son  jeta  à  propos  ,  d'autant  que ,  quelque  se- 
cours qu'en  ce  cas  l'Espagne  lui  put  donner ,  il  ne 
pourroit  pas  être  de  grande  considération ,  vu  que 
Suède  et  Hollande  l'occuperoient. 

Ensuite  de  ce  conseil ,  le  Roi  dépécha  le  sieur  d^ 


70  [l632]   MÉMOIRES 

Guron  au  dac  de  Lorraine  le  premier  avril ,  avec 
charge  de  se  plaindre  civilement  de  tous  les  mécon- 
tentemens  que  le  Roi  avoit  de  lui,  et  lui  représenter 
les  manquemens  de  foi  à  ce  qu'il  avoit  promis  par  le 
traite  fait  avec  Sa  Majesté  (O. 

Cependant  le  Roi  commanda  que  Ton  terminât  le 
procès  du  maréchal  de  Marillac. 

Sa  Majesté,  depuis  qu'elle  lui  avoit  donné  le 
gouvernement  de  Verdun  ,  et  commis  le  soin  et  le 
coQ^andement  de  son  armée  de  Champagne ,  avoit 
reçu  de  divers  lieux ,  tant  des  frontières  de  France 
que  de  la  ville  de  Verdun  et  de  ses  gens  de  guerre , 
tant  Français  que  Suisses  ,  plusieurs  plaintes  des 
malversations  et  concussions  qu'il  faisoit  :  mais ,  à 
cause/des  grandes  afiair^qu'elle  avoit  sur  les  bras , 
et  le  rang  que  le  garde  des  sceaux  son  frère  tenoit  en 
son  conseil ,  elle  n'y  put  pas  mettre  Tordre  si  promp- 
tement  que  la  justice  et  le  bien  de  son  service  Feût 
désiré.  Mais  depuis  que  leur  ambition  eut  éclaté  si 
avant  qu'elle  eut  produit  la  division  de  la  maison 
royale ,  et  ensuite  les  grands  désordres  qui  s'en  sont 
ensuivis ,  Sa  Majesté,  ayant  été  obligée  de  faire  ar- 
rêter son  ffiàre  et  lui ,  commanda  qu'on  examinât  les 
accusations'  qui  de  long-temps  avoient  été  faites  contre 
ledit  maréchal ,  et  pour  ce  sujet  députa  pour  le  juger 
des  commissaires  qu'eflPtira  de  ses  maîtres,  des  re- 
quêtes et  de  ses  cours  de  parlement  de  Paris  et  de 
Dijon. 

Elle  fut  premièrement  établie  à  Verdun  pour  la 
facilité  et  commodité  des  témoins  qui  dévoient  être 

(i)  At*ec  Sa  Majesté  :  Ici  te  trooTc  dani^le  manascrit  une  lacune 
de  deux  pages  et  demie. 


DE   RICHELIEU.    [iGSs]  71 

OUÏS  et  examines  ^  de  là  elle  fut  appelée  à  Ruelle  (0, 
afin  que  le  garde  desscea^,  comme  chef  de  la  justice, 
nommé  par  le  Roi  pour  le  principal  commissaire ,  y 
assistât  et  présidât. 

Il  n'y  eut  sorte  de  sollicitations  ni  d'artifices  que 
les  ennemis  du  Roi  et  partisans  du  maréchal  n'y  ap- 
portassent pour  tâcher  d'obscurcir  la  lumière  des  ac- 
cusations, et,  par  promesses  et  menaces,  éluder  la 
justice  des  juges. 

Ils  firent  que  le  parlement  de  Paris ,  que  Marillac 
réclamoit  sous  prétexte  de  sa  qualité  de  marécl|il  de 
France,  s'opposât.à  la  procédure  faite  contre  ledit 
maréchal,  faisant  défenses  aux  juges  de  passer  outre, 
jusqu'à  ce  que  remontrances  seroient  faites  au  Roi 
de  ce  qu'il  le  tiroit  diMparlement  de  Paris  et  lui 
donnoit  des  commissaires ,  ne  considérant  pas  que 
les  rois  prédécesseurs  de  Sa  Majesté  en  ont  en 
semblables  occasions  ordinairement  ainsi  usé,  et  que 
cela  est  si  juste,  que  le  garde  des  sceaux  de  Marillac 
même  en  a  fait  une  ordonnance  en  son  code  nouveau. 

La  Reine-mère  et  Monsieur   en  écrivirent  aux 
juges  en  termes  fort  extraordinaires,  car  la  Reine  leur 

(i)  De  Ik  elle  fia  appelée  a  Ruelle  :  Ricbelîea  oi^  nne  circontUnce 
qoi  montre  jutqu^à  qoel  point  il  te  joaoit  des  formVde  la  jastice.  La 
eommÎMion  chargée  de  jnger  le  maréchal  de  Marillac,  fat  d'abord 
cnin»fe'rée  de  Verdun  dans  le  chAtc|^le  Pontoise.  L&,  M.  de  Bretagne, 
ToQ  des  commÎMaires  prit  dans  lé^plement  de  Dijon,  prétendit  que 
let  jagef  nVtoient  pas  libret  dant  nne  place  forte.  Richelieu ,  feignant 
d^Yoir  égard  à  cette  réclamation ,  let  fit  Tenir  k  Ruelle  ta  maîton  de 
campagne ,  qni  nVtoit  pat  à  la  yérilé  fortifiée  comme  le  chfttean  de 
Pontoite,  mait  où  let  committaîret ,  trayailljuit  tout  tet  yenx ,  ne 
deroient  pat  certainement  avoir  plot  de  liberté.  Cette  particularité 
coriente  te  trouTe  dant  let  Mémoiret  de  Puytégnr,  qni  fut  chargé  à 
Pontoite  de  la  garde  du  maréchal. 


72  [l632]   MÉMOIRES 

manda  quUls  lui  répondroient  de  rëvënement  du 
procès  y  comme  s'il  y  avoî^un  autre  maître  que  le 
Roi  en  France,  et  que  Sa  Alajesté  partageât  son  auto- 
rité avec  qui  que  ce  fût. 

Ces  lettres  furent  portées  à  tous  les  juges  ^  deux 
gentilshommes  en  furent  les  porteurs  ^  au  sieur  de 
Bretagne,  Fun  d'iceux,  lequel  n'étant  pas  en  sa  mai- 
son, ils  eurent  la  hardiesse  de  dire  tout  haut,  en 
présence  de  trois  ou  quatre  des  siens ,  qu'ils  don-r 
uassent  sûrement  ledit  paquet  à  leur  maître,  et  qu'il 
se  rdilolût  de  faire  justice  audit  Marillac ,  autrement 
qu'ils  lui  donneroient  un  coup  de  pistolet  dans  la  tête. 

En  Lorraine,  il  ^voit  pour  partisans  tous  les  servi-? 
teurs  du  duc  ;  on  y  publioit  son  innocence ,  et  de  là 
on  en  remplissoit  de  lettre^  supposées  toute  la  ville 
de  Paris.  Us  firent  imprimer  dans  celle  de  Nancy  un 
manifeste  en  sa  faveur ,  dont  ils  envoyèrent  deux 
mille  exemplaires  à  Paris ,  qu'ils  y  firent  semer 
parmi  toutes  les  bonnes  maisons. 

Sa  Majesté  pennit  que  tous  les  parens  dudit  Ma- 
rillac sollicitassent  pour  lui.  Il  lui  fut  accordé  de 
prendre  pour  conseil  tels  avocats  à  Paris  qu'il  esti-p 
meroit  plus  à  propos.  Les  juges  lui  donnèrent  tout  le 
délai  quHl  fxil  désirer  pour  se  défendre  ;  le  Roi  leur 
laissa  prendre  tout  le  temps  qu'ils  voulurent  pour 
s'instruire  exactement  du  procès.  Chacun  des  com- 
missaires avoit  des  extrdils  des  charges  et  des  dé^ 
fenses ,  ainsi  que  les  rapporteurs  ;  et  non-seulement 
Sa  Majesté  ne  les  fit  jamais  solliciter  contre  lui ,  mais 
au  contraire  les  envoya  quérir  et  leur  commanda  de 
faire  justice  en  leurs  consciences  ,  comme  en  devant 
Répondre  à  Dieu. 


DE  RICHELIEU.   {l632]  7 3 

Enfin  ses  jages ,  après  avoir  apporté  tout  le  soin 
qui  se  pat  imaginer  pour  leur  décharge  devant  Dieu  et 
les  hommes ,  et  été  deux  jours  à  opiner ,  chacun  d  eux 
appuyant  son  avis  de  toutes  les  raisons  et  les  lois  sur 
lesquelles  il  le  fondoit,  ils  donnèrent  arrêt  (0  le  8  mai, 
par  lequel  ils  le  déclarèrent  atteint  et  convaincu  des 
crimes  de  péculat,  concussions ,  levées  de  deniers, 
exactions ,  faussetés  ,  suppositions  de  quittances  , 
foules  et  oppressions  par  lui  faites  sur  les  sujets  du 
Roi,  pour  réparations  desquels  ils  le  privèrent  de 
tous  honneurs,  états  et  dignités,  et  le  condSm- 
nèrentà  avoir  la  tête  tranchée  en  la  place  de  Grève, 
ses  biens  confisqués ,  sur  iceux  préalablement  pris 
100,000  livres  pour  être  employées  à  la  restitution 
des  deniers  et  autres  choses  par  lui  exigées  sur  les 
communautés  et  autres  particuliers. 

Il  fut  étonné  W  quand  on  lui  prononça  son  arrêt , 
et  ses  actions  et  ses  paroles  témoignèrent  moins  de 
résolution  que  de  vanité,  qui  Taccompagna  jusques 
à  la  fin.  "* 

Il  étoit  né  d'une  famille  médiocre  qui  avoit  pris 

(i)  lit  donnèrent  arrêt:  Maigre  les  eflbrU  de  raoteor  des  me'moires 
poar  jasUfier  celle  condamnation,  il  p&roit  ëyident  qn^^e  nVot  diantre 
cause  qnVin  intérêt  politique.  Les  torts  impntés  an  maréchal  pendant 
qn*il  commandoit  en  Champagne ,  ëtoient  alors  ceux  de  presque  tons  les 
génëraax«  L*antcor  s^abstient  de  dire  «le  le  jugement  à  mort  ne  fnt  pro- 
nottci^  qn'à  la  majorité  d^une  seule  ^pz.  Ce  jugement  fut  exécute'  le 
même  jonr  snr  la  place  de  Grève.  —  (3)  //  fut  étonné  :  Un  contempo- 
rain ,  ennemi  du  ministre ,  observe  qn^on  ne  négligea  rien  pour  rendre 
dooloorenz  les  derniers  momens  du  maréchal.  «  Pendant  qu'il  marchoit 
«  h  réchaùnd ,  Richelieu  entroit  dans  Paris  avec  deux  cents  chevaux  , 
•  trompettes  sonnantes ,  comme  en  triomphe  on  en  roi.  »  Le  même  au- 
teur atsnre  qne  Richelieu  offrit  une  abolition  an  maréchal  s^il  se  déda- 
roii  coupable ,  et  que  ce  dernier  la  refusa. 


74  [l632]   IféMOIAES 

son  origine  en  Auvergne.  Son  père  fut  maître  des 
comptes  à  Paris,  et  depuis  contrôleur  général  des 
finances.  Il  eut  deux  fils,  le  garde  des  sceaux  et 
celui-ci  y  qui  étoit  homme  da  bonne  mine ,  de  belle 
taille ,  adroit  aux  exercices ,  et  qui  ne  parloit  pas 
mal.  Cela  ne  fut  pas  suffisant  de  le  mettre  aux  bonnes 
grâces  de  Henri  iv ,  qui  Peut  toujours  en  fort  peu 
d'estime ,  et  à  peine  accorda  au  marquis  de  Cœuvres, 
frère  de  la  duchesse  de  Beaufort,  son  abolition  pour 
le  meurtre  de  Caboche ,  qu'il  avoit  tué  par  derrière 
sans  qu'il  eût  l'épée  à  la  main.  Il  ne  se  montra  pas 
plus  courageux  au  Pont-de-Cé ,  où ,  ayant  la  princi^ 
pale  charge  de  défendre  les  retranchemens  qu'il  avoit 
tracés ,  il  fut  des  premiers  ,  non  à  les  contester,  mais 
à  apporter  à  la  Reine-mère  la  nouvelle  de  leur  prise. 

Depuis  ayant  reçu,  en  1627,  commandement  du 
Roi  de  faire  le  blocus  de  La  Rochelle ,  il  s'y  comporta 
si  lâchement ,  que  sans  la  considération  de  son  frère, 
qui  étoit  garde  des  sceaux ,  le  Roi  ne  s'en  fût  plus 
servi ,  et  le  éHËinal  ne  le  lui  eût  pas  conseillé. 

U  passa  en  Ré  avec  le  maréchal  de  Schomberg ,  et 
y  acquit  si  peu  de  réputation ,  que  son  frère  le  garde 
des  sceaux  en  voulut  faire  l'histoire  lui-même ,  pour 
lui  en  donner  toute  la  gloire ,  dont  aucuns  ne  lui 
attribuoient  rien,  mais  au  contraire,  se  plaignant  qu'il 
n'avoit  jamais  été  d'avis  de  joindre  les  ennemis  ^ 
Tappeloient  par  dérisiion  le  Pont-d'or-,  et  le  com- 
mandeur de  Valençai  l'avoit  en  tel  mépris,  que,  parlant 
au  Roi  d'un  homme  de  peu  de  courage ,  il  lui  dit  que 
pour  tout  dire  il  étoit  plus  poltron  que  Marillac. 

Quatre  mois  après  que  le  Roi  eut  commencé  le 
siège  de  La  Rochelle ,  le  cardinal  fit  une  entreprise 


DK  RICHELIEU.   [l63îl]  75 

qui  ëtoit  infaillible^  comme  nous  ayons  dit  en  ce 
temps-là  :  on  donna  à  Marillac  la  pointe  pour  soute- 
nir les  pëtardiers ,  mais  il  s'égara  de  sorte  à  robscn- 
ritë  de  la  nuit,  que  jamais  personne  ne  le  vit,  de 
sorte  qu'il  fit  rompre  Tentreprise;  et,  quelque  ex- 
cuse qu'il  pût  apporter,  il  ne  sut  empêcher  que  toute 
l'armée  ne  lui  en  donnât  le  blâme,  et  n'attribuât  à 
son  peu  de  courage  le  manquement  de  s'être  trouvé 
au  poste  qui  lui  avoit  été  ordonné. 

Cette  lâcheté  naturelle!,  et  sa  naissance  qui  lui  avoit 
donné  fort  peu  de  biens ,  l'excitèrent  et  persuadèrent 
facilement  à  en  acquérir  par  toutes  voies,  n'estimant 
rien  honteux  qui  l'y  pût  faire  parvenir. 

Le  cardinal,  étant  entré  dans  les  affaires  en  1624» 
et  le  favorisant  en  considération  de  la  Reine ,  lui  fit 
accorder ,  près  du  duc  d'Angouléme  qu'on  envoyoit 
en  Champagne,  la  charge  de  pourvoir  aux  vivres, 
laquelle  il  demanda ,  et  s'y  comporta  avec  tant  d'in- 
fidélité et  de  larcin,  que  le  cardin|Leut  peine  à  le 
défendre ,  et  lui  manda ,  par  une  le^re  du  7  avril , 
que  lui-même  a  depuis4)roduite  en  son  procès ,  qu'il 
le  prioit  de  se  conduire  si  bien  à  l'avenir  que  son 
assistance  ne  lui  fût  plus  nécessaire  en  semblables 
occasions. 

Ayant  été  dçpuis  honoré  de  la  charge  de  gouver- 
neur de  Verdun ,  et  d'y  faire  bâtir  une  citadelle ,  il  y 
fit  tant  de  voleries  si  énormes,  si  publiques,  si  à  la 
foule  du  peuple ,  sans  épargner  les  églises  ni  les  ec- 
clésiastiques ,  que  l'on  n'avoit  jamais  rien  vu  de  sem- 
blable. II. ne  se  faisoit  marché  où ,  sous  nom  supposé, 
il  ne  fût  marchand,  et,  outre  qu'il  faisoit  payer  au 
Roi  le  double  et  le  triple  de  ce  que  les  choses  cou- 


76  [l63!k]  MÉMOIBC» 

toieiit,  il  ne  payoit  pas  la  plupart,  mais  les  faisok 
porter  au  peuple ,  d'où  naissoient  beaucoup  de  clar 
meurs  contre  Sa  Majesté ,  du  consentement  de  la- 
quelle le  pauvre  peuple  croyoit  que  ces  choses  se  fai- 
soient.  Son  audace  même  alla  jusque-là  qu'il  faisoit 
traiter  avec  tous  les  villages  de  son  gouvernement 
de  lui  fournir  des  denrées  pour  Tentrëtènement  de 
sa  maison ,  lesquelles  il  changeoit  après  en  argent. 
Des  autres  il  exigeoit  des  sommes  de  deniers  pour 
les  garantir  du  logement  des  gens  de  guerre ,  ce  qu'il 
faisoit  aussi  publiquement  que  si  le  Roi  l'eût  permis 
par  lettres  patentes.  Depuis  qu'il  fut  maréchal  d^ 
France ,  comme  il  crût  en  vanité  et  en  audace ,  aussi 
fit-il  en  ses  voleries.  Il  retourna  en  Champagne  en 
i63o  j  y  commander  l'armée  du  Roi ,  sur  laquelle ,  et 
sur  tous  les  peuples ,  il  fit  tant  d'exactions  sans  honte 
et  sans  crainte,  qu'on  n'en  put  dire  autre  chose ,  si- 
non qu'il  n'y  avoit  aucun  moyen  de  dérober  qu'il  ne 
pratiquât,  et  k|^plus  souvent  par  traités  publics  qu'il 
faisoit  avec  les  sujets  du  Roi ,  de  lui  payer  ce  qu'il 
exigeoit  d'eux ,  aucuns  desquels  portoient  qu'on  lui 
paieroit  la  rente  tant  qu'il  seroit  gouverneur.  Il  pre- 
noit  le  tiers  sur  le  pain  des  gens  de  guerre  ;  souvent 
il  ne  leur  en  donnoit  point  et  prenoit  le  tout ,  sous 
prétexte  de  leur  nourriture.  Il  faisoit  faire  de  grandes 
contributions  qu'il  échangeoit  en  argent  et  mettoit  en 
sa  bourse  ;  et  ayant  assigné  des  paroisses  pour  four- 
nir les  denrées  nécessaires  à  l'entre tènement  de  ses 
gardes,  il  les  tournoit  à  son  profit,  et  les  envoyoit 
vivre  en  d'autres  villages.  Aussi  n'emmena-t-il  qu'à 
toute  extrémité,  et  après  plusieurs  ordres  réitérés  du 
Roi ,  son  armée  de  Champagne  en  Italie ,  étant  marri 


DE   RICHSUEU.   [l63l]  77 

d'avoir  nn  compagnon  qu  il  savoit  bien  qui  ne  lui 
permettroit  pas  de  continuer  un  si  sale  commerce. 

Cette  extrême  avarice  le  rendit  infidèle  et  léger  en 
toutes  les  actions  de  sa  vie,  suivant  ou  abandonnant 
ceux  auxquels  il  s'étoit  donné,  selon  qu'il  pouvoit 
espérer  ou  n'espérer  plus  d'eux  l'avancement  de  sa 
fortune.  Il  éfpusa  une  des  filles  de  la  Reine-mère  , 
qui  9  par  la  seule  considération  de  sa  pauvreté  et  la 
crainte  qu'elle  perdit  l'âge  propre  à  se  marier ,  con* 
sentit  à  cette  alliance.  Après  la  mort  du  feu  Roi  cette 
alliance  lui  donna  lieu  d'être  considéré  de  la  Reine- 
mère  9  et  ensuite  du  maréchal  d'Ancre,  après  la  mort 
duquel  et  l'éloignement  delà  Reine  il  se  mit  incon- 
tinent du  parti  de  ses  ennemis,  qui ,  ne  lui  voulant 
donner  aucune  part  dans  leur  confiance,  l'obligèrent 
à  retourner  vers  la  Reine ,  qui  par  sa  facilité  le  reçut. 

Le  cardinal ,  qui  étoit  près  d^elle ,  l'obligea  en  toutes 
occasions,  et  depuis  qu'il  fut  dans  les  affaires  le  dé- 
fendit en  plusieurs  justes  accusations  qm  furent  faites 
contre  lui^  enfin ,  à  la  prière  de  la  Reme-mère ,  il  fit 
que  le -Roi  lui  donna  le  bâton  de  maréchal  de  France, 
bien  que  Sa  Majesté ,  le  connoissant  comme  elle  fai- 
soit ,  y  eût  grande  aversion  ^  et  pour  récompense  de 
tant  de  grâces  il  conjura  la  ruine  du  cardinal  et  du 
royaume. 

Ce  qui  est  une  preuve  bien  évidente  de  la  maxime 
reconnue  par  les  anciens  politiques ,  qu'un  méchant 
qui  n'a  point  de  principe  de  vertu ,  mais  se  gouverne 
par  sa  seule  vanité,  ne  peut  être  gagné  par  quelques 
bienfaits  qu'il  reçoive  de  son  supérieur,  non  plus 
qu  un  corps  mort  qui  n'a  plus  de  principe  de  vie  ne 
peut  être  échauffé  par  aucuns  vétemens. 


^8  [l63a]    MÉMOIRES 

Il  n'y  a  point  de  grâces  capables  de  rectifier  un 
homme  qui  n'a  point  en  son  ame  de  semence  de  rec- 
titude ^  non-seulement  les  biens  qu'on  Jui  fait  sont 
perdus,  mais  ils  se  tournent  en  poisons  et  en  poi- 
gnards pour  faire  perdre  la  vie  à  son  bienfaiteur. 

Les  siens,  en  une  défense  qu'ils  firent  imprimer 
en  sa  faveur,  apportèrent  pour  princif||e  raison  de 
Tinjustice  prétendue  de  sa  condamnation ,  que  c'é- 
toit  une  chose  inouïe  qu'un  homme  de  sa  qualité  fût 
accusé  de  péculat  et  d'emploi  de  deniers  royaux  en 
autre  usage  qu'en  celui  auquel  Sa  Majesté  les  ^voit 
destinés  ;  mais  notre  histoire  est  pleine  d'exemples 
qui  prouvent  le  contraire. 

Entre  les  principaux  points  de  l'accusation  d'En- 
guerrand  de  Marigny  étoient  ceux-ci  :  qu'il  avoit 
converti  à  son  profit  la  plupart  des  deniers  des  levées 
extraordinaires  dont  il  avoit  été  auteur;  qu'il  avoit 
retenu  4o,ooo  écus  que  Philippe-le-Bel  envoyoit  au 
Pape,  et  fait  sceller  au  chancelier  huit  lettres  en 
blanc ,  qu'il  avoit  employées  en  des  comptans  pour 
son  utilité  particulière  ;  et  un  de  ceux  sur  lesquels 
Jean  de  Montaigu  fut  condamné  à  mort  en  Tan 
1409 ,  fut  d'avoir  retenu  quelque  argent  des  tailles  et 
aides. 

Olivier  de  Clisson ,  connétable  de  France ,  fut  privé 
de  sa  charge ,  banni  du  royaume  à  perpétuité,  et  con- 
damné en  100,000  marcs  d'argent,  pour  extorsions 
par  lui  faites. 

Entre  les  accusations  du  maréchal  de  Gié,  sous 
Louis  XII ,  est  celle  d'avoir  pris  l'argent  des  mortes- 
payes  de  Fronsac. 

L'une  de  celles  du  connétable  de  Saint-Paul,  c'est 


DP.   RICHEUEU.    [1632J  ^9 

qa'il  mettoit  des  passe- volans  en  sa  compagnie  de 
gendarmes. 

Et  sous  Henri  II 9  dans  le  vu  de  Tarrét  du  maré- 
chal du  Biez ,  condamné  à  mort ,  il  est  accusé  de 
péculat. 

Outre  que  les  ordonnances  du  Roi  sont  formelles , 
et  confisquA  les  corps  et  les  biens  de  tous  ceux, 
saqs  exception  de  personne ,  qui  sont  convaincus  de 
ce  crime.  * 

Il  est  vrai  qu'il  y  en  avoit  beaucoup  qui  en  étoient 
atteints,  mais  la  multitude  des  coupables  fait  qu'il 
n'est  pas  convenable  de  les  punir  tous. 

Il  y  en  a  qui  sont  bons  pour  exemple  et  pour  rete- 
nir à  l'avenir ,  par  crainte ,  les  autres  dans  le  respect 
des  lois. 

L'affaire  de  Marillac  étant  faite ,  le  Roi  pensa  à  met- 
tre ordre  à  celle  de  Calais. 

La  raison  que  Sa  Majesté  avoit  de  ce  faire  étoit 
que,  premièrement,  il  sa  voit  que  Monsieur  et  la 
Reine -mère  désiroient  plutôt  surprendre  des  pla- 
ces en  Picardie  qu'en  aucune  autre  province  de  ce 
royaume ,  et  qu'ils  avoient  eu  des  entreprises  pres- 
que sur  toutes,  de  sorte  qu'on  avoit  continuellement  à 
craindre  un  effet  de  ces  mauvais  desseins  ,  tous  con- 
certés et  conduits  par  l'union  d'Espagne ,  de  la  Reine, 
de  Lorraine  et  de  Monsieur. 

Davantage,  qu'il  étoit  certain  qu'ils  ne  vouloient  ni 
ne  pouvoient  rien  faire  sans  la  surprise  de  quelque 
place  du  royaume  ,  on  la  corruption  de  quelque 
gouverneur;  et  partant  le  principal  soin  que  l'on 
devoit  avoir  étoit  d'empêcher  que  l'un  ni  l'autre 
n'arrivât.  Or  il  sembla  que  le  gouverneur  sur  qui 


80  [l632]    MÉMOIRES 

les  soupçons  tomboient  plutôt  ëtoit  le  sieur  de  Va-^ 
leiiçai ,  plusieurs  avis  venant  de  divers  lieux ,  tous 
concurrens,  y  obligeoient. 

Le  Coigneux ,  homme  savant  en  telles  matières  , 
désirant  rentrer  en  la  grâce  du«Roi,  pour  s'en  facili- 
ter le  chemin,  ne  donnoit  autre  avis  que  les  diverses 
négociations  que  ce  gouverneur  faisoi^ktvec  un  des 
parens  de  Puylaurens.  Il  stipule,  en  le  donnant,  qu'on 
ne  feroit  ppint  de  mal  au  gouverneur ,  mais  qu'on  re- 
médieroit  seulement  à  l'inconvénient  qui  en  pouvoit 
arriver  en  le  tenant  hors  de  sa  place,  ce  qu'il  estimoit 
du  tout  nécessaire. 

En  suite  de  cet  avis ,  les  lettres  surprises  de  Puy- 
laurens  portoient,  en  termes  exprès,  qu'il  y  avoit 
trois  desseins  infaillibles  en  Picardie ,  qu'on  jugeoit 
être  à  Calais  et  Saint*Quentin ,  non-seulçment  par 
conjecture,  mais  en  outre  par  les  avis  de  Carmaing 
qui  étoit  dans  la  cabale ,  et  qui  avertissoit  des  choses 
plus  importantes. 

Ledit  Puylaurens  écrivoit  qu'il  n'attendoit  que 
l'heure  d'apprendre  que  la  cane  fût  chez  lui ,  ce  qui 
donnoit  lieu  de  juger  que  cette  cane  fût  Yalençai , 
parce  qu'il  n'y  avoit  point  d'autre  gouverneur  avec 
qui  il  pût  traiter  qui  fût  absent  de  son  gouvernement 
que  lui. 

Un  autre ,  dignrf'de  foi,  et  qui  avoit  grande  intelli- 
gence avec  les  ennemis  du  Roi ,  avoit  rapporté  plu- 
sieurs fois  qu'ils  s'attendoient  à  une  place  dont  le 
gouverneur  avoit  des  parens  à  Bruxelles ,  lequel  gou- 
verneur désiroit  voir  une  armée  en  campagne  avant 
de  se  déclarer. 

Le  Roi  étant  arrivé  à  Amiens  le  i5  mai ,  il  rapporta 


DE    RICHELIEU.   [iGSs]  8i 

de  nonveau  que  le  chevalier  de  Valençai  ëtoit  caché 
proche  de  Calais  avec  Cerezat,  neveu  de  Chante- 
loube,  pour  quelque  dessein  inconnu. 

Le  chevalier  de  Valençai  être  en  ce  lieu  après  les 
divers  voyages  qu'il  avoit  faits  en  Angleterre  et  en 
Espagne ,  à  ce  qu'on  disoit,  devoit  donner  grand  lieu 
de  soupçon  i|ki*il  avoit  voulu  assurer  le  secours  d'une 
place  de  telle  importance ,  au  cas  qu'elle  vint  à  se  dé- 
clarer ;  autrement  à  quel  dessein  le  voyalfe  d'Angle- 
terre, s'il  n'étoit  question  de  quelque  entreprise  de 
place  maritime  ? 

Cornehote,  gentilhomme  de  Picardie,  avoit  donné 
avis  par  M.  d'Augouléme , et  par  lui-même  depuis, 
qu'il  avoit  su  par  un  nommé  Dubois ,  soldat  de  Dom- 
pierre,  h  qui  on  avoit  promis  une  lieutenance  en 
Flandre,  que  Dupont,  natif  de  Montpellier,  garde 
de  M.  de  Valençai ,  avoit  été  trois  fois  à  Aire  parler 
à  Clanleu. 

Le  même  Cornehote  dit  encore  qu'un  nommé  La 
Roze  étoit  parti  de  Hesdin  vers  le  premier  de  mai , 
chargé  de  lettres  mises  dans  des  pistolets  en  guise  de 
balles,  entre  lesquelles  il  y  en  avoit  une  pour  ledit 
sieur  de  Valençai. 

Mailly  avoit  donné  avis  qu'il  y  avoit  trois  mois  que 
le  secrétaire  de  Valençai  étoit  à  Açcas,  sous  prétexte 
d'affaires ,  ce  qui  s'étoit  trouvé  véritable  *,  Carmaing 
avoit  aussi  donné  avis  que  dans  Cambrai  on  faisoit 
grand  fondement  sur  Calais  -,  joignant  à  tous  ces  avis 
encore  l'humeur  cachée  et  mélancolique  du  sieur  de 
Valençai,  son  ambition  qui  n'étoit  pas  petite ,  ses  in*- 
commodités  qui  étoieut  grandes,  le  mécontentement 
qu'il  avoit  professé  depuis  deux  ans  qu'on  avoit  bâti 
T.  17.  6 


S^  [l63aj   MÉMOIRES 

le  fort  de  Nieulé,  il  n'y  a  personne  sage  qui  ne  juge 
qu'en  tous  Etats  bien  conduits ,  il  ne  falloit  pas  tant 
de  conjectures  et  de  preuves  pour  obliger  à  prévenir 
le  mal  qui  pouvoit  arriver  d'une  infidélité  capable  de 
perdre  un  royaume.  Cela  obligea  le  Roi  d'aller  en 
personne  à  Calais  dès  le  jour  de  l'exécution  du  ma- 
réchal de  Marillac,  qui  fut  le  lo  mai,  et  y  arriva  le  22, 
mit  une  bonne  garnison  dans  la  ville  et  dans  la  cita- 
delle, et  laiBieur  de  Rambure ,  maréchal  de  camp ,  pour 
y  commander  attendant  qu'il  en  eût  disposé  autre- 
ment, donna  cinquante  mille  écus  de  récompense 
audit  sieur  de  Valençai,  et  lui  commanda  de  se  retirer 
en  l'une  de  ses  maisons. 

Ce  changement  d.étourna  le  cours  des  grands  maux 
qui  étoient  préparés  a  cet  Etat,  car  on  fut  assuré  certai- 
nement depuis  que  cette  place  eût  été  perdue  pour 
le  Roi  s'il  n'en  eût  ôté  le  gouverneur  :  Ouailly ,  capi- 
taine des  gardes  de  Monsieur ,  le  dit  souvent  à  Gu- 
ron  dans  Nancy  ;  le  duc  de  Bellegarde  lui  dit  qu'ils  en 
étoient  si  assurés ,  que  Le  Coigneux  lui  manda  une 
fois  que  l'exécution  en  étoit  faite,  ce  qu'il  tint  deux 
jours  certaiu  ;  et  Monsieur  même ,  lorsqu'il  se  remit 
en  l'obéissance  du  Roi ,  dit  au  sieur  de  Bnllion  que 
le  cardinal  avoit  en  cela  rendu  un  signalé  service  à 
Sa  Majesté ,  et  oue  l'avis  du  péril  que  couroit  cette 
place  étoit  vérnBile. 

Ce  qui  empêcha  que  ce  pernicieux  dessein  ne  pût 
être  exécuté  avant  que  le  Roi  y  eût  pu  mettre  ordre , 
fut  que  les  Espagnols  vouloient  mettre  de  leurs  gens 
dedans ,  en  payant  100,000  écus  qu'ils  dévoient 
donner  au  sieur  de  Valençai ,  et  la  Reine  vouloit  que 
ce  fût  des  Français  choisis  par  elle. 


DE    BICHELIEU.     [l632J  83 

Durant  cette  contestation ,  le  Roi  y  alla  et  les  mit 
tous  deux  d'accord.  Monsieur  se  plaignoit  publique- 
ment de  la  Reine  sa  mère ,  et  mettoit  pour  chef  prin- 
cipal des  plaintes  qu'il  faisoit  d'elle ,  qu'elle  lui  avoit 
fait  manquer  le  dessein  de  Calais.  Cette  affaire  étant 
faite ,  le  cardinal  donna  au  Roi  un  avis  qu'on  peut 
dire  avec  vérité  avoir  été  une  prophétie  de  ce  qu'on 
a  vu  arriver  depuis  ^  il  lui  dit  que  pour  bien  résoudre 
ce  qu'il  falloit  faire  pour  éviter  présentement  les 
troubles  qu'on  méditoit  contre  la  France ,  et  s'en  ga- 
rantir k  l'avenir ,  il  falloit  considérer  soigneusement 
qui  étoient  ceux  qui  les  tramoient ,  et  les  moyens  dont 
ils  se  vouloient  servir  ^ 

Que  l'Empire,  l'Espagne,  l^jorraine,  la  Reine 
et  Monsieur,  étoient  ceux  qui^uloient  trou||er  la 
France; 

Que  les  moyens  qu'ils  vouloient  tenir  étoient  une 
étroite  union  entre  eux,  y  attirer  le  plus  d autres 
princes  qu'ils  pourroient,  comme  l'Angleterre  et  la 
Savoie ,  la  surprise  de  quelque  place  importante , 
la  corruption  de  quelques  gouverneurs  au  dedans  du 
royaume,  ou  l'assassinat  de  ceux  qu  ils  pensoient  plus 
assurés  au  Roi ,  ou  qu'ils  jugeoient  lui  être  moins 
inutiles,  à  l'événement  de  l'un  desquels  desseins  ils 
étoient  résolus  d'entrer  en  Franc^vec  armée  qu'ils 
tenoient  prête  à  cet  effet  5  ^ 

Que  leur  résolution  étoit  si  clairement  vérifiée  par 
tant  d'avis  de  divers  lieux  certains ,  et  par  tant  de 
pièces  surprises ,  qu'il  étoit  impossible  d'en  douter  \ 

Que  ce  que  dessus  étant  non-seulement  présup- 
posé mais  connu  par  preuves ,  il  faudroit  être  fou , 
aveugle  ou  méchant,  pour  ne  pratiquer  pas  tous  les 

6. 


84  [l632J   MÉMOIRES 

remèdes  nécessaires  pour  éviter  les  inconvéniens  qui 
pouvoient  arriver  de  tels  desseins  ; 

Que  la  première  chose  qu'il  falloit  faire  étoit  de 
mettre  tous  les  ordres  nécessaires  pour  la  conser- 
yation  de  la  personne  du  Roi  et  ensuite  de  ses  ser- 
viteurs 5 

Que  la  seconde  étoit  de  pourvoir  à  la  sûreté  des 
places  du  royaume,  autant  quon  le  pourroit  faire, 
établissant  de  bonnes  garnisons  et  si  bon  ordre  en 
icelles,  qu'eUes  fussent  effectives  dans  les  places  et 
non-seulement  dans  la  bourse  des  capitaines,  comme 
elles  avoient  été  jusqu'alors  ;  qu'il  falloit  en  outre  châ- 
tier les  gouverneurs  infidèles  si  «on  en  avoit  des 
preuves  assurées ,  ^jpnger  les  sijlpects  si  on  avoit 
sujenl^parent  de  les  soupçonner  i  la  raison  d'Etat  ne 
permettant  pas  en  conscience  qu'on  manquât  de  re- 
médier à  un  mal  qui  pourroit  produire  la  ruine  d'un 
royaume ,  lors  même  qu'on  n'en  avoit  pas  preuve  évi- 
dente, mais  seulement  juste  sujet  de  le  soupçonner, 
principalement  si  le  remède  qu'on  y  pouvoit  ap- 
porter ne  faisoit  point  de  tort  à  celui  contre  lequel 
on  le  pratiqueroit  ; 

Que  la  troisième  chose  qu'il  falloit  faire  étoit  d'em- 
pêcher que  l'union  des  conspirans  ne  se  grossît ,  et 
rompre  celle  qui^toit  déjà  faite,  autant  qu'on  le  pour- 
roit, soit  eu  les  détachant  et  gagnant  ceux  qui  en 
étoient,  s'il  étoit  possible ,  soit  en  les  mettant  par  la 
force  en  état  de  ne  pouvoir  nuire  ; 

Que  pour  ce  faire ,  il  falloit  considérer  le  dedans  et 
le  dehors  ;  quant  au  dedans ,  ayant  poui'vu  à  Calais 
qu'on  avoit  grand  lieu  de  soupçonner ,  si  ensuite  de 
la  punition  de  Marillac  on  étoit  soigneux  de  châtier 


DE    BIGHELIEU.    [lÔSs]  85 

ceux  qui  viendroient  à  manquer ,  il  n'y  avoit  rien  à 
craindre; 

Que  pour  ce  qui  ëtoit  de  Monsieur  et  de  la  Reine, 
il  n'y  avoit  rien  à  faire  que  les  laisser  souffrir  le  mal 
qu'ils  se  faisoient  à  eux-mêmes,  jusqu'à  ce  que ,  ne 
pouvant  plus  le  supporter ,  l'excès  de  leur  douleur  et 
l'impuissance  qu'ils  reconnoitroieut  avoir  de  faire  mal 
à  la  France ,  les  contraignit  de  rentrer  en  leur  devoir;  * 

Que  l'Empereur  n'avoit  que  trop  d'occupation  ; 

Que  l'Espagne  en  auroit  assez ,  puisque  les  Hollan- 
dais alloient  se  mettre  à  la  campagne ,  et  qu'ils  avoient 
en  outre  entrepris  le  secours  du  Palatinat  ; 

Que  les  Anglais  seroient  toujours  retenus  de  pro- 
duire aucun  effet  de  la  jalousie  ^^relle  qu'ils  avoient 
contre  nous ,  si  nos  affaires  étofflit  en  bon  étali^oint 
que  la  considération  du  Palatinat ,  dont  ils  dësiroient 
le  recouvrement,  et  auquel  ils  croient  que  nous  étions 
nécessaires ,  en  tant  que  nous  assistions  le  roi  de 
Suède ,  les  empécheroit  de  rien  entreprendre  à  notre 
préjudice ,  ce  qu'aussi  bien  ils  ne  saurotent  faire  sans 
troubler  leur  propre  repos  ,  dont  leur  nécessité  et 
leur  paresse  naturelle  leur  faisoit  désirer  la  conser-» 
vatiou  ; 

Que  M.  de  Savoie  n'étoit  pas  encore  lié  contre  la 
France,  et  ne  se  déclareroit  pas  qu'il  n'y  vit  beau  jeu  ; 
ce  qui  faisoit  qu'à  son  égard  il  n*y  avoit  rien  à  faire  . 
qu'à  maintenir  nos  affaires  en  état  qu'il  eût  sujet  de 
craindre  la  puissance  du  Roi  s'il  lui  manquoit; 

Qu'il  ne  restoit  donc  rien  à  faire  qu'à  pourvcMr  au 
duc  de  Lorraine  ; 

Que ,  pour  bien  juger  de  la  résolution  qu'il  falloit 
prendre  à  son  égard ,  il  falloit  considérer  exactement  ^ 


86  [i63aj  MÉMOIRES 

quel  a  été  son  prqpédé  avec  la  France ,  et  particuliè- 
rement depuis  le  traité  qu'il  fit  à  Metz  il  y  a  six  mois , 
se  réconciliant  avec  le  Roi; 

Que  par  le  traité  il  s'étoit  obligé  à  quatre  choses 
principales,  à  toutes  lesquelles  il  avoit -manqué ,  fors 
à  la  déposition  de  Marsal ,  qu'il  ne  pouvoit  ne  faire 
pas ,  à  cause  de  la  présence  des  armes  du  Roi  qui 
Tavoit  pris  au  dépourvu  ; 

Que  la  première  defs  quatre  qu'il  n'avoit  pas  ob- 
servée, étoit  de  livrer  Le  Coigneux  et  Monsigot, 
dont  on  s'étAt  fié  à  sa  parole,  qu'il  viola  dans  la  nais- 
sance même  du  traité  où  les  promesses  sont  d'ordi- 
naire inviolables  \ 


Que  la  seconde  |^it  la  jonction  de  ses  armes  à 
lUe^u  Roi  pour  n^oriser  la  religion  catholique  en 
Allemagne  et  empêcher  la  perte  de  la  ligue  catholique, 


qu'il  éluda  par  divers  artifices ,  en  sorte  que  la  perte 
de  M.  de  Bavière,  son  oncle ,  s'en  étoit  ensuivie  ; 

Que  la  troisième  l'obligeoit  à  rompre  toute  intel- 
ligence avec  l'Empereur ,  l'Espagne ,  la  Reine  et  Mon- 
sieur-, et  cependant,  au  même  temps  qu'il  le  pro- 
mettoit ,  il  s'engageoit  avec  eux  de  faire  le  contraire; 

Que  la  quatrième  éloit  de  ne  rien  jamais  entre- 
prendre au  préjudice  de  la  France ,  contre  laquelle  il 
n*avoit  pas  laissé  de  machiner  tout  ce  qu'il  avoit  pu 
pour  sa  ruine; 

Que  les  lettres  surprises ,  de  Puylaurens  à  madame 
de  Phalsbourg,  justifioient  clairement  l'étroite  intelli- 
gence qui  avoit  toujours  été  entre  les  ennemis  du  Roi 
et  ce  prince  ; 

Que  celles  de  madame  d  e  Phalsbourg  à  Puylaurens 
Tassuroient ,  en  termes  si  précis ,  que  M.  de  Lorrain^ 


DK    RICHELIEU.    [1682]  87 

ëtoit  ea  état  de  servir  Monsieur  >J[|a'iI  n*y  avoit  pas 
lieu  d'en  douter  f 

Qdl  celle  de  M.  de  Vaudemont  disoit,  en  termes 
exprès,  que  Monsieur  devoit  avoir  bientôt  la  cou- 
ronne-, ce  qui  ëtoit  à  noter  et  devoit  donner  beau- 
coup à  penser  ^ 

Que  Ta  vis  qu*avoit  donné  Tambassadeur  d'Angle- 
terre, comme  le  sachant  certainement,  que  M.  de  Lor- 
raine avoit  écrit  à  llnfante  qutfttoit  prêt  à  se  joindre 
aux  armes  de  l'Empereur  et  à  celles  d'Espagne  pour  se 
venger  des  injures  qu'il  avoit  reçues  diitloi  à  Metz; 

Que  la  conduite  du  duc ,  qui  avoit  rempli  ses  places 
de  né ,  qui  les  fortifîoit  avec  précipitation ,  qui  en- 
gageoit  ses  terres  pour  avoir  de  l'argent,  qui  le  voit 
enfin  des  gens  de  guerre  de  todH  parts  ; 

Que  les  avis  du  sieur  de  Carmaing ,  homme  Intelli- 
gent en  telles  affaires,  qui  portoient  tous  que  Monsieur 
devoit  entrer  en  France  avec  quatre  mille  chevaux  > 
soutenu  du  duc  de  Lorraine  et  de  don  Gonzalez  ; 

Que  celui  que  le  nonce  de  Flandre  avoit  dorinë 
de  Vunion  dudit  duc  aux  desseins  de  Monsieur  contre 
la  France  ; 

Que  les  négociations  qu'on  savoit  que  M.  de  Lor- 
raine iaisoitavec  l'Empereurpardivers^personnes, 
et  entre  autres  par  deux  pères  jésuites,  dont  le  père  >^ 
Maillan  avoit  donné  avis  ; 

Que  la  connoissance  certaine  qu'un  bomme  certain 
avoit  donnée  de  l'union  de  M.  de  Lorraine  avec  Es- 
pagne -, 

Que  les  avis  que  le  duc  de  Bellegarde  avoit  donnes 
à  M.  de  La  Force  qu'on  avoit  dessein  de  charger  les 
troupes  du  Roi  avec  celles  de  M.  de  Lorraine  et  d'Ossa, 

0 


88  [l63!l]   MÉMOIRES 

ne  confirmoient  que  trop  la  connoissance  que  les  dé- 
pêches surprises  avoient  donnée ,  ôt  tous  ensemble 
ne  permettoient  pas  de  douter  de  l'infidélité  Hé  ce 
prince  -, 

Que  la  dépêche  de  Deshayes,  et  les  autres  de 
Walstein  au  comte  de  Mérode ,  de  fournir  dix  mille 
hommes  à  Monsieur  pour  entrer  en  France  ; 

Que  les  levées  qu'on  avoit  appris  de  nouveau  que 
Mérode  faisoit  au  Lié|ftde  cinq  régimens^ 

Que  l'assurance  que  Pnylaurens  avoit  donnée  à 
madame  de  Verderonne  d'être ,  au  premier  jour ,  à 
la  campagne  5 

Que  les  avis  donnés  par  Elincour  qu'on  atteimoit 
à  voir  quel  événement  auroient  les  affaires  d'Alle- 
magne à  ce  commnbement,  pour  faire  entrée  en 
FranôéPdu  côté  de  Champagne  *, 

Que  les  diverses  dépêches  du  sieur  de  Guron,  qui 
étoit  en  Lorraine ,  et  avoit  découvert ,  par  divers 
moyens ,  l'union  d'entre  l'Espagne ,  Lorraine  et  Mon- 
sieifr,  et  leur  conspiration  au  préjudice  de  la  France, 
faisoient  qu'il  faudroit  avoir  les  yeux  crevés  pour 
ne  voir  pas  que  tous  ensemble  n'attendoient  que  la 
surprise  de  quelqu'une  des  places  du  Roi ,  ou  la  dé- 
claration de^guelque  gouverneur  pratiqué  pour  se 
JÉÉnettre  en  campagne; 

Que,  par  tout  ce  que  dessus,  il  apparoissoit  qu'on 
ne  se  pouvoit  fier  en  la  parole  de  ce  prince ,  que , 
quelque  traité  qu'il  fit ,  on  ne  pouvoit  y  prendre  sû- 
reté, puisqu'il  ne  sauroit parler  plus  expressément;  ni 
faire  aucun  traiti  qui  obligeât  davantage  que  celui  qu'il 
avoit  déjà  fait ,  à  q#oi  il  avoit  manqué  ouvertement; 


DE   RICHELIEU.    [i63a]  89 

prudence ,  fourbe ,  déloyal  et  peu  saf[e ,  anime  contre 
le  Roi,  lié  partiiblièrement  avec  ceux  qui  en  vou- 
loienf  il  Sa  Majesté ,  duquel ,  par  conséquent ,  il  (alloit 
tout  craindre ,  sans  pouvoir  s  en  promettre  aucun 
bien  que  celui  auquel  on  pourroit  le  contraindre  par 
force; 

Qu*il  restoit  donc  à  dire  que ,  ne  pouvant  être  gan 
gué ,  il  le  falloit  perdre  si  on  ^se  vouloit  contenter 
de  lui  mettre  un  caveçon ,  ou^  la  bride  de  Marsal  ; 

Qu'on  avoit  légitime  sujet  d'en  user  ainsi ,  qu'il 
seroit  jugé  tel  de  tout  le  monde  quand  on  voudroit 
le  publier; 

^k  cependant ,  devant  que  Tentreprendre ,  il  fal- 
loit considérer  s'il  valoit  mieux  ne  le  faire  pas ,  et  les 
inconvéniens  qui  pouvoient  arriver  laissant  les  choses 
comme  elles  étoient ,  ou  ceux  qu'on  devoit  craindre 
entreprenant  de  mettre  ce  priAce  en  état  de  ne  pou- 
voir nuire  ; 

Que  le  Roi  avoit  <;ent  mille  hommes  sur  pied  ;  * 

Qu'il  lui  étoit  impossible  de  les  entretenir  long- 
temps sans  que  la  France  périt  ; 

Que  si  telles  forces  lui  étoient  toujours  nécessaires 
pour  sa  défense ,  dès  lors  onpouvoit  s'assurer  que  son 
salut  et  sa  conservation  étoient  sa  perte ,  fkrce  que  la 
France  ne  sauroit  supporter  cette  dépense  encore 
une  année  sans  élre  ruinée  ; 

Qu'il  (alloit  donc  s'en  servir  tandis  qu'on  étoit  con- 
traint de  les  entretenir,  pour  aflbiblir  les  ennemis  de 
ce  royaume ,  et  les  mettre  en  état  de  n'obliger  plus 
à  l'avenir  à  de  si  grands  préparatifs  pour  se  défendre; 
autrement ,  si  la  France  diminuant  de  force  les  en- 
nemis demeuroient  en  celle  en  laquelle  ils  étoient , 


# 


90  [l632]   MÉMOIRES 

il  arriveroit  qu'on  ne  seroit  plus  en  ëUt  de  se  défendre 
lorsqu'ils  anroient  plus  de  volonté  A  nous  attaquer , 
parce  qu'ils  en  auraient  plus  de  moyens,  qu'ils  prati- 
queroient  indubitablement  si  le  temps  y  étoit  propre; 

Que  l'Espagne  et  l'Empire  étant  occupés  comme  ils 
étoient  lors ,  M.  de  Lorraine  n'en  pou  voit  être  secouru 
que  foiblement  sous  le  nom  de  Monsieur  ; 

Qu'il  ne  pouvoit  donc  faire  résistAuce  que  par  la 
force  de  ses  propres  êrtnes  et  de  celles  de  Monsieur; 
ce  qui  n'étoitpas  grand'chose  au  respect  des  grandes 
difficultés  qui  se  trouvoient  d'ordinaire  en  telles  af-h  ^ 
faires ,  et  qui  pourroient  s'y  trouver  une  autre  £ûs  ; 

Que ,  quoi  qu'on  fît  contre  ce  prince ,  on  lui^Rn- 
neroit  bien  peut-être  plus  de  sujet  de  s'en  revancher, 
mais  non  pas  plus  àe  volonté  et  de  dessein;  mais 
aussi  on  lui  en  diminueroit  le  moyen,  qui  étoit  l'im- 
portance ; 

Que  si  lui  et  toutes  ses  forces ,  et  celles  de  Mon- 
si^r,  se  mettoient  à  la  campagne ,  on  les  déferoit  as- 
surément, et,  par  après,  on  ne  trouveroitpas  grande 
difficulté  ; 

Que  s'ils  s'enfermoient  dans  des  places,  en  les  blo- 
quant dans  la  principale ,  à  la  fin  on  les  y  feroit  périr, 
quoi  qu'ils  ^voulussent  faire,  ne  voyant  pas  que,  de 
toute  cette  année ,  ils  pussent  avoir  de  secours  puis- 
sant qui  pût  rompre  un  tel  dessein  *,  et  cependant  on 
prendroit  d'emblée  toute  la  Lorraine ,  hormis  trois 
places ,  tout  le  Barrois  pour  jamais  ;  et  quand  même 
on  ne  perdroit  pas  tout-à-fait  le  duc ,  on  le  ruineroit 
de  telle  sorte  qu'il  ne  sauroit  revoler  une  autre  fois, 
et  l'armée  du  Roi  auroit  vécu  dans  son  pays  au  lieu  de 
ruiner  la  France  \ 


DE    HICHELIEU.    [l63a]  91 

Qu'au  reste ,  ouand  on  seroît  contraiat  de  se  dé- 
partir d'un  tel  deSein  après  qu'on  Tauroit  commencé, 
on  ne  pourroit  perdre  tant  qu'on  feroit  en  ne  faisant 
rien  ;  auquel  cas  nous  nous  consommerions  par  nos 
propres  forces ,  et  ne  diminuerions ,  ni  la  volonté  que 
les  ennemis  avoient  de  nous  mal  faire,  ni  leur  puis- 
sance ,  ains  augmenterions  Tune  et  l'autre  en  nous 
aflbiblissant  nouft-mémes  -, 

Qui  plus  est ,  il  y  avoit  grande  apparence  que 
M.  de  Lorraine  ne  se  verroit  pas  plutôt  attaqué  par 
¥  le  Roi ,  qu'il  rechercheroit  d'en  sortir  par  un  accord, 
quu^  sauroit  être  si  mauvais  qu'il  ne  lui  fût  plus 
utiléque  de  hasarder  ses  Etats  contre  un  grand  roi , 
et  qu'ainsi  il  sembloit  qu'on  ne  pût  qu'avoir  bonne 
issue  de  cette  affaire ,  et  que  le  pis  aller  seroit  tou- 
jours plus  avantageux  que  le  mieux  qui  pût  arriver 
en  ne  faisant  rien  que  nous  cotisommer  sans  affoiblir 
nos  ennemis  ^ 

Qu'en  un  mot ,  si ,  tandis  que  nous  avions  le  temps 
propre  et  la  force ,  l'on  ne  se  servoit  de  l'un  et  de 
l'autre  pour  ruiner  ceux  qui  étoient  unis  contre  nous, 
en  perdant  les  plus  foibles,  et  nous  mettant,  par  ce 
moyen ,  en  état  de  perdre  les  autres  par  après  si 
l'exemple  de  leurs  voisins  ne  les  rectifioit ,  ils  at- 
tendroient  et  prendroient  indubitablement  le  temps 
de  nous  perdre  nous-mêmes ,  lorsqu'ayant  (ait  beau- 
coup d'efforts  pour  nous  garantir  de  leur  mauvaise 
volonté,  nous  ne  serions  plus  en  état  de  nous  en 
défendre  ; 

Que ,  si  l'on  prenoit  la  résolution  d'attaquer  le  duc 
de  Lorraine ,  pour  jouer  à  jeu  sur ,  il  falloit  envoyer 
traiter  avec  le  chancelier  Oxenstieru  une  union  à  ce 


9^  [l632]   MÉMOIRES 

dessein,  lui  reprëseatant  qu'on  ne  vouloit  entre* 
prendre  ledit  duc  que  parce  qu'il  xftnquoit  au  traité 
qu'on  avoit  fait  avec  lui  en  faveur  du  roi  de  Suède  ; 

Qu'il  falloit  l'assurer  qu'on  attaqueroit  ledit  duc , 
s'il  ne  vouloit  de  nouveau  déposer  deux  des  meil- 
leures places  qu'il  eût,  entre  les  mains  du  Roi,  pour 
sûreté  qu'il  ne  se  tourneroit  plus  pour  l'Empereur 
contre  ledit  roi  de  Suède ,  et  stipulei%vec  lui  qu'aus- 
sitôt que  le  Roi  attaqueroit  ledit  duc ,  qui  seroit  dans 
le  1 5  juin ,  assurément  il  attaqueroit  les  Espagnols  ; 

Que ,  pour  le  porter  à  cette  résolution ,  il  falloit 
lui  représenter  le  grand  avantage  qui  lui  revie^^oit 
d*un  tel  dessein ,  soit  que  le  duc  se  soumît  aux  vo- 
lontés du  Roi ,  ou  qu'il  ne  le  fît  pas  ; 

Que ,  s'il  s'y  soumettoit ,  les  Espagnols  perdroient 
l'assistance  qu'il  leur  avoit  promise  contre  lui  ; 

Que ,  s'il  ne  le  faisoit  pas ,  ils  seroient  contraints 
de  se  diviser,  une  partie  pour  assister  ledit  duc,  et 
l'autre  pour  résister  aux  forces  qu'il  commandoit  pour 
son  maître  ; 

Qu'on  diroit  peut-être  qu'au  même  temps  qu^on 
feroit  cela  M.  de  Lorraine ,  ayant  garni  ses  places  , 
Monsieur ,  avec  la  cavalerie  de  l'un  et  de  l'autre  et 
les  Liégeois ,  entreroit  en  France  -,  mais  tant  s'en  faut 
qu'on  vît  rien  à  craindre  pour  cela,  qu'au  contraire 
il  sembloit  qu'il  étoit  à  désirer ,  parce  qu'ils  ne  sau- 
roient  faire  d'armée  qui  pût  assiéger  une  place ,  et 
que ,  s'ils  y  entroient  une  fois  bien  avant ,  ils  étoient 
perdus,  vu  qu'assemblant  la  noblesse  des  provinces 
voisines ,  avec  mille  chevaux  et  dix  mille  hommes 
de  pied  qu'auroit  le  Roi ,  outre  l'armée  qui  attaque-* 
roit  M.  de  Lorraine ,  on  pourroit  aller  à  eux  en  qaelr 


DE   RICHELIEU.    [l633]  gS 

que  lieu  qu'ils  fussent  ;  et  si  une  fois  ils  étoient  dé- 
faits ,  comme  il  afriveroit,  M.  de  Lorraine  étoit  perdu 
et  le  Roi  assuré  en  son  Etat  pour  long-temps  ^  pour 
conclusion  qu'il  y  avoit  trois  partis  à  prendre  avec 
M.  de  Lorraine  : 

Ou  ne  rien  faire  et  laisser  les  choses  comme  elles 
étoient ,  ou  lui  faire  la  guerre ,  ou  s'accommoder 
avec  telle  sûreté  qu'il  ne  pût  plus  manquer  à  l'ave- 
nir, comme  il  avoit  fait  par  le  passé  \ 

Que,  de  ces  trois  partis,  le  premier  étoit  le  pire , 
parce  qu'on  ne  pouvoit  long-temps  soutenir  la  dé- 
pen|e  que  l'on  faisoit  sans  être  ruiné,  et  que ,  lais- 
sant M.  de  Lorraine  comme  il  étoit,  on  le  laissoiten 
état  d'attendre  une  saison  propre  à  faire  sentir  les 
effets  de  la  mauvaise  volonté  qu'il  avoit  témoignée 
en  ces  dernières  occasions ,  contre  sa  parole  et  ses 
traités ,  en  laquelle  nous  ne  serions  plus  en  état  non- 
seulement  de  lui  faire  du  mal ,  comme  nous  étions 
lors ,  mais  même  de  nous  défendre  de  la  ligue  qui  se 
trouveroit  contre  nous  ; 

Que  le  second  étoit  le  meilleur,  parce  qu'on  n'au- 
roit  jamais  si  beau  temps  de  mettre  par  terre  cet  en- 
nemi, qui  étoit  quasi  le  seul  dont  les  Espagnols  se 
pouvoient  servir  contre  la  France ,  comme  le  singe 
de  la  patte  du  lévrier  ;  et  que ,  quoiqu'il  y  eût  de  la 
difficulté ,  il  n'y  en  pouvoit  avoir  qui  empêchât  qu'on 
ne  profitât  de  plus  de  la  moitié  de  ses  Etats,  et  qu'on 
ne  le  mît  en  état  de  ne  se  pouvoir  servir  des  autres 
contre  nous  ; 

Qu'au  reste  sa  volonté  au  mal  étant  si  invétérée 
qu'ayant  tenté  plusieurs  fois  de  le  ramener  on  y 
avoit  perdu  son  temps,  il  étoit  impossible  de  ne  pas 


94  [l63aj    MÉMOIRES 

juger  que ,  si  on  le  laissoit  subsister  en  ëtat  de  mal 
faire,  il  y  animeroit  tous  les  autres  ;  au  lieu  que  si  on 
le  mettoit  en  état  de  ne  le  pouvoir,  outre  que  le  plus 
animé  seroit  par  terre,  son  exemple  intimideroit  tous 
les  autres ,  et  on  demeureroit  au  moins  en  état  de 
leur  résister  quand  ils  voudroîent  faire  les  mauvais , 
si  on  n  y  étoit  de  leur  donner  sur  les  doigts  à  ledir 
tour  ; 

Que ,  nonobstant  toutes  ces  raisons ,  il  conseilloit 
le  troisième  parti ,  pourvu  que  la  sûreté  s  y  trouvât , 
parce  qu'on  auroit,  par  une  voie  douce  et  facile ,  le 
même  eiletquon  prétendoit  par  la  guerre,  vu  (|u'on 
mettroit  M.  de  Lorraine  en  état  de  ne  pouvoir  nuire, 
et  qu'ensuite ,  avec  ses  armes  et  les  nôtres ,  nous 
tiendrions  le  reste  de  nos  ennemis  en  grande  considé- 
ration ,  et  serions  en  état  de  recevoir  ce  que  la  bonne 
fortune  nous  offriroit,  peut-être  lorsque  nous  y  pen- 
serions le  moins. 

La  question  étoit  de  savoir  quelle  sûreté  ce  prince 
pouvoit  donner ,  qui  fût  estimée  raisonnable  ; 

Qu'il  y  en  avoit  trois  : 

i^.  Livrer  des  places  de  nouveau  *, 

a®.  Offenser  les  ennemis  du  Roi ,  contre  lesquels 
il  étoit  déjà  lié  avec  Sa  Majesté  par  traité  ; 

3<*.  Et  désarmer^ 

Qu'il  estimoit  qu'il  n'y  auroit  pas  raison  de  deman- 
der ces  trois  choses  ensemble,  parce  qu'un  prince 
s^exposeroit  trop ,  par  ce  moyen ,  à  être  dépouillé  à 
la  première  volonté  qu'il  en  prendroit  au  Roi ,  joint 
qu'il  n'étoit  ni  de  la  bienséance  ni  de  la  condition  des 
souverains  de  dépendre  absolument  des  volontés 
d'autrui ,  et ,  partant ,  qu'il  croyoit  qu'il  se  faudroit 


DE  AICHSLIEU.  [i63a]  gS 

contenter  des  deux  premières ,  et  laisser  M.  de  Lor- 
raine armé  ; 

Que  cette  proposition  sembleroit  peut-être  étrange 
d  abord ,  mais  qu'il  la  croit  utile  pour  deux  raisons 
principales  : 

La  première,  qu'en  lui  conseillant  de  demeurer 
frmé  il  se  porteroit  plus  aisément  à  donner  des 
places,  parce  qu'il  verroit  par  là  qu'on  lui  laissoit  le 
moyen  de  conserver  les  autres ,  et  croiroit  qu'on  avoit 
dessein  d'entreprendre  quelque  chose  où  il  pourroit 
profiter; 

La  seconde ,  que  l'armement  qu'il  tiendroit  en  pied 
étoit  le  moyen  dont  il  se  falloit  servir  pour  lui  faire 
offenser  les  ennemis  du.  Roi ,  s'il  en  étoit  besoin ,  et 
que  Sa  Majesté  eût  lieu  de  s'y  porter  elle-même  ; 

Qu'il  croyoit  d'autant  plus  que  M.  de  Lorraine 
pouvoit  demeurer  armé ,  qu'il  ne  sauroit  abuser  de 
ses  forces ,  vu  les  sûretés  que  nous  aurions  ,  parce  , 
en  outre ,  que  ses  forces  seroient  modérées ,  et  que , 
servant ,  comme  elles  feroient ,  à  nous  tenir  en  plus 
grande  considération,  attendu  qu'il  seroit  obligé  à 
les  joindre  à  celles  du  Roi ,  en  quelque  dessein  qu'il 
^voulût  prendre,  elles  serviroient  encore  à  le  con- 
sommer par  lui-même  ; 

Mais  que  surtout ,  traitant  avec  lui ,  il  falloit  le  faire 
obliger  de  nouveau  à  joindre  ses  armes  avec  celles  du 
Roi,  et  suivre  tous  ses  desseins  et  intentions ,  et  qu'il 
consentît,  au  cas  que  l'on  pût  vérifier  qu'il  manquât  à 
l'avenir  audit  traité ,  que  les  places  qu'il  auroit  dé- 
posées demeurassent  perdues. 

Ensuite  de  cet  avis ,  Sa  Majesté  ayant  sufiisamment 
pourvu  à  toutes  ses  frontières  de  Picardie ,  laissé  à 


gG  [l632]    MÉMOIRES 

Calais  le  sieur  de  Saint-Chamond ,  maréchal  de  camp, 
à  Corbie  le  marquis  Palluye,  pourvu  à  Saint- Quen- 
tin ,  la  volonté  du  gouverneur  duquel  lui  étoit  sus- 
pecte ,  et ,  y  ayant  laissé  le  sieur  de  Persy  par  com- 
mission ,  sans  déposséder  le  gouverneur  à  cause  de 
son  impuissance ,  elle  s'achemina  vers  la  Lorraine , 
d'où  elle  recevoit  tous  les  jours  de  Guron  avis  sur 
avis  de  la  mauvaise  volonté  et  infidélité  du  duc  de 
Lorraine. 

Elle  reçut  en  ce  temps-là  bien  à  propos  une  dépêche 
des  maréchaux  de  La  Force  et  d'Effiat,  qui  comman- 
doient  son  armée  aux  frontières  d'Allemagne,  par 
laquelle  ils  lui  donnoient  avis  de  la  plainte  qu'Oxens- 
tiern  leur  faisoit  des  grandes  levées  du  duc  de  Lor- 
raine, qu'il  croyoit  être  à  dessein  de  les  joindre  avec 
les  troupes  d'Espagne  contre  le  Roi  son  maître  pour 
entrer  dans  le  Palatinat ,  leur  ayant  mandé  que  le  Roi 
son  maître  en  eût  bien  empêché  ledit  duc,  le  mettant 
en  état  de  ne  lui  pouvoir  nuire ,  n'eût  été  le  respect 
de  Sa  Majesté  et  l'accord  qu'elle  avoit  fait  avec  lui , 
duquel  elle  avoit  fait  donner  part  au  Roi  son  maître 
par  le  marquis  de  Brezé ,  ce  qui  le  détourna  lors 
d'attaquer  ledit  duc,  sous  l'assurance  qu'il  donna 
aussi  de  ne  rien  entreprendre  au  préjudice  du  traité 
d'alliance  et  confédération  d'entre  le  Roi  et  le  roi 
^e  Suède. 

Sa  Majesté ,  à  cette  nouvelle ,  dépécha  dès  le  aS 
de  mai,  de  Boulogne  où  elle  étoit  alors,  le  sieur  de 
Miré  vers  le  sieur  de  Charnacé ,  son  ambassadeur  en 
Allemagne,,  et  lui  manda  que  son  intention  n'ayant 
jamais  été ,  en  garantissant  le  duc  de  Lorraine  du  mal 
qui  le  menaçoit,  de  lui  donner  lieu  de  contribuer  à 


bB   RiCHELIEU.    [l63a]  Qj 

en  (kire  «  ceux  qui  ëtoient  en  dessein  et  en  état  dé 
lui  en  faire  recevoir  sans  sa  considération ,  il  allât 
proniptement,  ou,  au  cas  qu'il  ne  le  put,  envoyât  au 
plutôt  le  sieur  de  Miré  vers  ledit  Oxenstiern ,  pour 
traiter  et  convenir  ^  en  son  nom ,  avec  ledit  Oxens- 
tiern ,  au  nom  du  roi  de  Suède  ;  qu'au  cas  que  ledit 
duc  ne  se  disposât  dans  peu  de  jours  de  donner,  et  ne 
donnât  par  effet  de  tels  gages  et  assurances  que  Ton 
ne  pût  douter  qu'il  n'eût  plus  d'intention  de  nuire  ^ 
et  que  même  il  ne  le  pût  quand  il  en  auroit  la  vo- 
lonté ,  Sa  Majesté  Vattaqueroit  de  toutes  ses  forces  ^ 
et  entreroit  dans  ses  Etats  pour  dissiper  ses  troupes^ 
prendre  ses  places,  et  en  un  mot  le  réduire  à  tel 
point  qu'il  ne  fût  plus  capable  de  nuire  aux  desseins 
dudit  roi  de  Suède  :  Oxenstiern  promettant  aussi ,  au 
nom  dndit  Roi  son  maître,  qu'au  même  temps  que 
l'armée  de  Sa  Majesté  entreroit  dans  les  Etats  du  dud 
de  Lorraine  et  le  tiendroit  occupé ,  les  troupes  du  roi 
de  Suède  attaqueroient  celles  de  l'Empereur  et  du  roi 
d'Espagne ,  lesquelles  étoient  entre  le  Rhin  et  la  Mo- 
selle pour  troubler  les  desseins  du  roi  de  Suède, 
poursuivant  les  Impériaux  et  Espagnols  en  quelque 
lieu  qu'ils  allassent  pour  troubler  le  présent  dessein 
de  Sa  Majesté. 

Le  sieur  Carondelet  ^  doyen  de  Cambrai  i  vint  aussi 
secrètement  trouver  Sa  Majesté  k  Amiens  le  3o  mai^ 
et  lui  témoigna ,  de  la  part.des  plus  grands  seigneurs 
de  Flandre,  le  mécontentement  qu'ils  avoient  de» 
Espagnols ,  le  désir  de  s'en  délivrer  i  et  le  recours' 
qu'ils  avoient  à  sa  bonté  et  à  sa  grandeur  royale  pour 
les  assister,  promettant  qu'ils  se  déclareroient  contre 
le  roi  d'Espagne  si  elle  vouloit  envoyer  une  armée 
T.  a^.  7 


98  [l63dj   MÉMOIRBS 

dans  )e  Hainatit  et  FArteis ,  en  la  puissance  de  la- 
quelle ils  remettroient  les  viltes  d'Ayesnes ,  de  Bou- 
diain  et  du  Quesnoy,  et  avec  le  temps  d'autres  plus 
grandes. 

Sa  Majesté  ne  rejeta  pas  entièrement  cette  ou- 
verture ,  mais ,  n*y  voyant  pas  aussi  encore  assez  de 
jour,  elle  lui  donna  espérance  de  ne  les  pas  abandon- 
ner lorsqu'eHe  seroit  plus  certainement  infornëe  si 
la  puissance  de  leur  ligue  étoit  telle  que  vraisembla- 
blement ils  pussent  parvenir  à  la  fin  qu'ils  désiroient. 
Sa  Majesté,  quelques  jours  auparavant,  avoit  donné 
ordre  aux  maréchaux  de  La  Force  et  d'Effia t  d*envoyer 
mille  hommes  de  pied  et  cent  efaevaux  dansHermens- 
tein  pour  le  garder,  selon  le  traité  que  nous  avons 
dit  ci-dessus  avoir  été  fait  avec  le  roi  de  Suède  et 
f archevêque  de  Trêves ,  ce  qui  ne  pouvoit  apporter 
juste  sujet  de  rupture ,  ni  avec  Trêves ,  puisque  cela 
se  faisoit  à  sa  prière,  et  qu*on  le  tifoit  de  péril  évi- 
dent, inévitable  par  autre  voie,  ni  avec  les  Espa- 
gnols, pource  qu'en  secouroit  un  électeur  catholique 
pour  le  bien  de  la  religion  et  de  l'Empire,  ni  avec  le 
duc  de  Lorraine,  pour  la  même  raison,  et  parce 
qu'on  ne  faisoit  que  ce  à  quoi  il  étoit  obKgé  conjoin- 
tement avec  le  Roi.  Mais  néanmoins,  afin  qu^Ozens- 
tiern  fut  encore  plus  assuré  des  bonnes  intentions  du 
Roi  et  de  l'utilité  que  lui  apportoit  la  présence  de 
son  armée ,  il  lui  fit  connoitre  que  le  voyage  de  La 
Saludie  à  Hermenstein  et  les  autres  troupes  que  le  Roi 
pourroit  détacher  de  son  armée  pour  envoyer  en-  gar- 
nison es  autres  places  dudit  Electeur ,  n*étoient  qn\yi 
accessoire  de  l'envoi  de  cette  armée ,  le  principal 
but  de  laquelle  alloit  à  empêcher  la  conjonction  des 


DE   RICHELIEU.    [iGSl]  gO 

tronpes  de  don  GoAla)e2,  non-sealement  avec  le 
corate  d*Emdén,  mais  avec  lé  duc  de  Lorraine,  ^i 
toutes  ensemble  lui  deyoient  fondre  sur  les  bras  pottf 
le  chasser  du  Palalînat  et  de  totit  të  qu'il  tetioit  éû 
deçà  et  au-delà  du  Rhin,  dont  le  Roi  étoit  bien 
averti  quHls  avoient  dessein ,  et  pour  forcer  M.  dé 
Lorraine  à  quitter  leur  parti  pour  prendre  lé  n6ité. 
Gonformémeilt  à  qtioi  lé  Roi ,  d'abondant  encore  i 
avoit  fait  un  êfTort  extraordinaire  dans  ses  financée 
pour  iaîre  agir  les  Hollandais  Si  pnissàtnment  que  tés 
tronpes  de  Flandre  n  avoient  ose  tourner  la  tété  dé 
deçà  ayant  trop  d'occupation  chez  ell«s.  Otenstiem 
reçut  ces  raisons ,  et  passa  même  sans  difficulté  le 
traité  avec  Miré,  de  Tenvoi  duquel  nous  avons  parlé 
ci-devant,  reconnoissant  qu'il  étoit  fondé  sur  les 
propres  intérêts  du  Roi  son  malti^e ,  et  se  ressouve- 
nant que  lorsqu'il  alla  à  Bamberg  contre  Tilly  qui  en 
avoit  chassé  Horn ,  le  comte  d'Emden  étant  sollicité 
d'approcher  ses  troupes  de  Kreutznach  et  attaquer  les 
lieux  qu'il  laissoit  derrière  lui ,  ledit  comte  répondit 
qu'il  avoit  jalousie  de  l'armée  du  Roi,  commandée  lors 
par  les  maréchaux  de  La  Force  et  de  Schomberg ,  et 
qu'il  étoit  obligé  de  demeurer  sur  le  sien-  pour  être 
préparé  à  le  défendre  si  on  avoit  intention  de  l'at- 
taquer. Il  est  bien  vrai  que  les  Suédois  reçurent  cet 
avantage  de  ladite  armée ,  mais  ce  n'étoit  pas  le  prin^ 
cipal  dessein  pour  lequel  Sa  Majesté  l'entretenoit, 
mais  pour  l'avantage  et  le  bien  public  de  la  chré- 
tienté et  celui  de  son  État;  de  la  chrétienté,  empê- 
chant que  les  armes  suédoises  ne  détruisissent  tons 
les  Euts  des  électeurs  catholiques  lé  long  du  Rhin, 
et  la  reUgion  même ,  ce  qu'ils  eussent  fait ,  car  ils  se 


lOO  [l63a]    MÉMOIRES 

fussent  saisis  de  tout  Tëleotorat  de  Trêves  dans  le- 
quel ils  ëtoient  déjà,  si  TElecteur  n'eût  eu  recours  à 
Sa  Majesté.  L'électeur  de  Cologne  même  écrivit  au 
cardinal  une  lettre  de  remerciment  de  ce  que ,  par 
l'intervention  de  Charnacé ,  à  Tombre  des  armes  du 
Roi,  ses  Etats  étoient  demeurés  libres  du  danger 
qu'ils  couroient  quand  les  Suédois  occupèrent  les 
passages  de  la  Moselle,  et  promit  de  coopérer  de 
toute  sa  puissance  à  l'efiet  du  pouvoir  que  le  maré- 
chal d'Effiat  avoit  de  Sa  Majesté  de  proposer  et  de 
traiter  de  la  paix  de  l'Empire  à  conditions  hono- 
rables pour  la  religion  et  conservation  des  princes 
intéressés.  Quant  à  l'intérêt  du  Roi  pour  le  bien  de 
son  Etat,  c'étoit  pour  empêcher  par  cette  armée  l'u- 
nion des  troupes  espagnoles  avec  celles  de  Lorraine  y 
en  intention  de  favoriser  la  rébellion  qui ,  sous  le 
nom  de  Monsieur,  se  faisoit  dans  le  royaume  ^  au 
reste,  qu'il  fit  connoitre  au  duc  de  Lorraine  les 
grands  sujets  que  Sa  Majesté  avoit  de  se  plaindre  de 
lui,  pour  lesquels  il  seroit  dorénavant  contraint  de 
tenir  son  armée  en  son  pays  pour  s'opposer  à  ses 
desseins  ,  s'il  ne  donnoit  de  bonnes  assurances  à  Sa 
Majesté  d'un  plus  sincère  procédé  à  l'avenir. 

Les  Espagnols  qui  étoient  au  Palatinat  sous  le  com- 
mandement du  comte  d'Emden  s'approchoient  avea 
dix  ou  douze  mille  hommes  9  Haraucourt  étoit  à  Ha- 
guenau  avec  quelques  troupes  lorraines  ^  Monsieur 
étoit  à  Trêves  avec  d'autres  troupes  et  celles  qu's^voit 
Gonzalez,  qui  faisoient  huit  mille  hommes  de  pied 
et  deux  mille  chevaux  -,  tout  cela  se  devoit  joindre 
avec  le  duc  de  Lorraine,  et  passer  en  France. 
Ledit  duc,  pour  amuser  le  Roi,  lui  envoya  De- 


I>E   RIGHBLIBU.    [lÔSlj  lOE 

ville,  qni  troava  Sa  Majesté  à  Amiens  allant  à  Calais, 
et  vint  avec  elle  jusques  en  ladite  ville.  Il  ne  ftit  pas 
plutôt  de  retour  à  Nancy  qu^l  ne  revint ,  et  trouva  Sa 
Majesté  à  Nelle ,  comme  elle  s*avançoit  vers  la  Lor- 
raine. En  tous  les  deux  voyages  iï  n'apporta  que  des 
paroles  trompeuses  et  captieuses ,  comme  il  parut 
bien  en  ce  qu^assuraut  le  Roi  de  TafTection  de  son 
maître  et  de  la  résolution  qu^il  avoit  d'exécuter  les 
traités  qu'il  avoit  faits  avec  Sa  Majesté  ^  il  faisoit,  au 
préjudice  d'iceux,  passer  Monsieur  dans  ses  États 
pour  entrer  en  France. 

Il  offrit  au  Roi,  pour  toute  satisfaction  dès  offenses 
qu'il  avoit  faites  à  Sa  Majesté ,  que  son  maître  dé^ 
sarmeroit. 

Sa  Majesté  lui  fit  réponse  que  Tes  armes  dé  M.  dé- 
Lorraine  ne  lui  étoient  point  suspectes,  mais  bien- 
ses  intentions  ;  partant  qu'il  n'a  voit  pas  besoin  de  son- 
désarmement,  mais  bien  assurance  qu%  l'avenir  il  ne* 
feroit  plus  contre  lui  ce  qu'il  avoit  fait  par  le  passé; 

Que  tant  s'en  faut  qu'il  lui  conseillât  de  désarmer, 
qu'au  contraire  il  croyoit  qu'il  ne  sauroit  prendre  une 
meilleure  résolution  que  de  se  rendre  puissant  et 
fort  s'il  ne  vouloit  le  satisfaire,  parce  qu'en  ce  cas  le 
Roi  étoit  résolu  de  se  faire  raison  à  soi-même. 

Le  duc  de  Lorraine ,  durant  ses  allées  et  venues , 
donnoit  de  nouvelles  commissions ,  distribuoit  des 
armes  de  son  arsenal  pour  armer  de  nouveaux  régi- 
mens ,  et  feignoit  une  guerre  contre  ceux  de  Stras- 
bourg, pour  avoir  prétexte  d'envoyer  ses  gens  vers 
l'Alsace  pour  les  fortifier  de  ceux  du  commissaire 
Ossa ,  si  les  progrès  du  roi  de  Suède  ne  l'en  eussent 
empêché  ^  ce  qui  fit  que  Guron  lui  demanda  congé  de- 


se  rétif çr ,  \n\  t^m9^gn^a|t  que ,  puisqu'il  ne  voy oit 
ppii^d'app^rence  qu'il  yp^lût  donner  satisfaction  au 
Rpi,  il  aimoit  mieux  s'en  aller  ayant  la  rupture  que 
de  la  voir  arriver  ^n  sa  présence.  Le  duc ,  étonné , 
proposa ,  pour  témoignage  de  ss^  fidélité  vers  le  ]^oi , 
4p  lui  donner  Clermont,  en  tirant  récompense  de  Sa 
Al^esté ,  et  pria  Guron  d'en  écrire  \  mais ,  comme  il 
ae  faisoit  cettç  proposition  que  pour  tromper ,  il  l'é- 
luda aussitôt  qu'on  voulpt  eptrer  en  traité,  qe  qui  fit 
que  le  Rpi  lui  con^manda  de  prendre  congé  de  lui  et 
de  se  retirer  en  son  armée  d'Allemagne;  et,  se  ré* 
solyant  4'attaquer  le  duc  ^e  Lorraine  9  epvoya  IV^i-* 
rafipiont  aux  maréchaux  de  La  Force  et  d'f^ffiat, 
avec  ordre  de  leur  dire  que  l'armée  qu'ils  ooiqinan- 
dpient  é|oit  bien  en  un  poste  qui  séparoit  celles  de 
don  Gonzalez,  du  cppate  d'Emden  et  du  duc  de  Lor-^ 
raine ,  et  que  tandis  que  ladite  ar^oée  de  Ss^  Majesté 
n'ai^roit  ri^n  à  entreprendre  elle  ne  saurpit  être  e|i 
un  meilleur  lieu ,  principalement  si ,  pendant  qu'elle 
élpit  là,  l'arioiée  d^  roi  de  Sqëde  vouloit  attaquer 
quelqu'une  des  deux  armées  d'Esps|gue ,  qui ,  se* 
parées,  n'étoientpas  capables  de  lui  résister^  mais 
psirce  qu'il  n'étoit  pas  possible  ni  rs^^sonnable  de  de^ 
meurer  toujours  lest  bras  croisés ,  le  Roi  le  leur  en* 
yoypit  pour  ajuster  avec  eux  ce  qu'ils  pourroient 
faiçe ,  et  leur  donner  ps^rt  de  ce  qu'il  estimoit  devoir 
entreprendre  de  son  cdté,  et  du  temps  auquel  il  pon- 
vpit  compiencer  sop  entreprise  ;  que  Sa  Majesté  pou-* 
voit  entrer  dans  les  États  4e  M.  d^  Lorraine  vers  le 
aoi  du  mois  ^  que  son  dessein  étoit  de  faire  entrer  du 
côté  de  Clermont  quatre  mille  houimes  de  pied  et 
ciuq  cents  clueyaux  pour  bloquer  cette  place  ;  d'^ 


DE   BIGHEUEU.    [l63a]  io3 

trer  enpersoliQe  avec  douze  mille  hommes  de  pied  et 
mille  ebevaax  dans  le  Barrois,  qui  se  readroi||î  sa 
vue,  et  de  là  passer  à  Pont-à-Mousson ,  Saiut-Mi^ 
hiel  et  autres  lieux  semblables ,  qui  ne  pouvoient  paa 
résulter  et  pouvoient  fournir  quantité  de  blés  pour 
la  noorritore  de  ses  armées  ;  et ,  après  ces  choses  ik- 
ciles  exécutées ,  demeurer  en  état  de  voir  ce  qu0 
vondroient  faire  les  ennemis ,  afin  de  se  porter  avec 
cette  armée  aux  lieux  oà  il  faudroit,  pour  rompra 
leurs  desseins  et  faciliter  à  Tarmée  qu^ils  commao^- 
doient  ce  qu'ils  auroient  à  entreprendre  ;  que ,  quoi- 
que l'entreprise  de  Nanqr  semblât  la  plus  difficile , 
Ton  estimoit  que  c'étoit  celle  oà  il  se  falloit  attacher  » 
d  autant  que ,  si  Ton  en  venoit  à  bout ,  M.  de  Lorrains 
seroit  ruipé  tout  d'un  coup  \ 

Qu'il  y  avoit  à  considérer  que  l'armée  qu'ils  corn- 
mandoient  prenant  la  route  de  Nancy ,  celles  des  en-» 
nemis  se  pourroien^t  joindre^  et  se  mettre  en  état  de 
tenter  de  secourir  M«  de  Lorraine; 

Que  l'on  ne  voyoit  pas  qu'ils  le  pussent  entrepren- 
dre san^  toutes  leurs  forces  jointes ,  et  qu'ils  pussent 
prendre  une  teU^  résolution  sans  un  trop  grand  ha- 
sard de  se  perdre ,  vu  que ,  s'ils  la  prenoient,  ils  abai^-^ 
donneroient  le  Palatinat  à  Oxenstiern  et  la  Flandre 
aux  Hollandais  \ 

Qu'au  reste  quand  ils  la  prendroient ,  si  Oxens- 
tiern (  qui  promettoit  de  les  suivre ,  et  qui  sans  doute 
s'y  seroit  obligé  si  Miré  étoit  arrivé  au  sieur  de  Char- 
nacé  )  exécutoit  ses  promesses ,  ils  se  trouveroieat 
enfermés  e^tre  deux  armées  plus  puissantes  qu'eux  « 
qui» sans  doute»  par  leur  bonne  intelligence  lesruir- 
ucroitnt^ 


I04  [l63a]  MÉMOIRES 

Mais  qu^on  ponvoil  éviter  que  les  deux  armées  es- 
pagqiies  ne  se  joignissent ,  quand  même  celle  du  Roi 
^e  relireroit ,  si  Oxenstiern  vouloit  prendre  un  bon 
poste  avec  toute  son  armée  pour  les  en  empêcher , 
vu  principalement  que  les  Espagnols  seroient  bien 
poins  hardis  à  rien  entreprendre ,  les  Hollandais 
étant  en  campagne  comme  ils  étoient ,  parce  que ,  s'il 
lirrivoit  qu'ils  eussent  un  échec  en  ces  quartiers  où 
ils  étoient,  la  France,  Suède  et  les  Hollandais  vien- 
droient  à  bout  de  tpus  leurs  desseins  contre  les  Es- 
gnols ,  sans  aucune  opposition  \ 

M^is  que  surtout  ils  se  donnassent  bien  garde  de 
retirer  Tarmée  du  Roi  pour  venir  en  Lorraine,  qu'ils 
n'en  donnassent  premièrement  avis  à  Oxenstiern ,  et 
lui  fissent  entendre  que  c'étoit  pour  Teffet  qu'on  lui 
avoit  proposé ,  et  que  le  Roi  n'alt^queroit  ledit  duc 
que  pour  Tuniôn  qu'il  avoit  prise  avec  les  Espagnols 
depuis  quHl  avoit  traité  avec  lui,  au  préjudice,  tant  de 
Sa  Majesté  que  du  roi  de  Suède; 

Qu'ils  l'engageassent  aussi  à  suivre  lesdils  Espagnols 
au  cas  qu'ils  se  joignissent  ensemble  pour  suivre  l'ar- 
mée du  Roi ,  et  convinssent ,  si  cela  trrivoit ,  que  Ton 
tâcheroit  de  les  combattre ,  les  attaquant  par  la  queue 
et  par  la  tête. 

Les  maréchaux  de  La  Force  et  d'Effiat  ayant  reçu 
cet  avis,  et,  quant  et  quant,  appris  que  Monsieur,  avec 
l'armée  espagnole,  devoit  partir  de  Trêves  et  s'avan- 
cer à  Saint- Wendel,  situé  entre  Trêves,  où  étoit  l'ar- 
mée de  don  Cordoua ,  Spire ,  où  étoit  celle  du  comte 
d'Emden ,  et  la  Lorraine ,  pour  se  joindre  au  comte 
d'Emden  qui  s'y  acheminoit,  espérant  être  assez  forts 
tous  ensemble  pour ,  se  logeant  entre  la  Lorraine  et 


D£   RICHEllEU.    [lÔSî]  Io5 

Tarmëe  da  Roi  -,  Fempécher  de  faire  ancnn  progrès , 
et  donner  cependant  lieu  à  Monsieur  de  passer  l^ec 
quelques  troupes  en  France ,  prirent  résolution  de 
les  prévenir  et  avancer  Tarmëe  jusques  audit  Salnt- 
Wendel;  ce  qu'ils  firent  le  3o  mai,  prirent  la  place 
sans  résistance,  et  renvoyèrent  les  munitionnaires 
espagnols  qui  y  faisoient  déjà  le  pain  pour  les  deux 
armées,  et  envoyèrent  le  sieur  de  La  Saludie,  avec 
mille  hommes  de  pied  et  cent  chevaux ,  à  Bingen  , 
pour  aller  de  là  par  eau  jusques  au  Rhin,  ayant 
passé  lequel  il  n*eut  plus  de  péril  jusques  à  Hermens- 
tein ,  où  il  arriva  sûrement ,  et  fut  reçu  avec  sa  troupe 
par  les  gens  de  Farchevéque  de  Trêves. 

Cordoua  n*eut  pas  plutôt  avis  de  son  passage, 
qu^il  envoya  à  TElecteur  lui  demander  quartier  pour 
ses  troupes  dans  Coblentz;  et,  bien  qu'il  Ten  refu- 
sât ,  il  ne  laissa  pas  d*y  envoyer  Mérode  avec  deux 
régimens  de  pied  et  six  cornettes  de  cavalerie ,  qui 
y  forent  reçus  par  Tinfidélité  des  habitans  vers  leurs 
princes  ;  mais  nous  ne  les  y  laissâmes  pas  long-temps , 
comme  nous  verrons  ci-après. 

Cette  résolution  fit  rebrousser  chemin  au  comte 
d'Emden ,  qui  n*osa  pas  approcher  si  près  de  notre 
armée,  et  se  retira  vers  le  Rhin ,  pour  aller  plus  loin 
passer  la  Moselle  et  se  joindre  avec  Gonzalez  ;  mais 
les  Suédois  se  mirent  à  leur  queue ,  et,  si  Ozenstiern 
et  le  comte  Ludovic  Olo  eussent  été  en  bonne  intel- 
ligence et  n'eussent  point  perdu  de  temps  par  leurs 
dissensions ,  ils  eussent  absolument  défait  toute  cette 
armée-,  ils  ne  laissèrent  pas  de  les  travailler,  prirent 
partie  de  leurs  chariots,  les  contraignirent  de  brûler- 
ie reste,  et  les  poursuivirent  jusques  au-delà  de  la 


I06  [1682]   MÂIIOIRES 

•  Moselle,  si  nidemeot  que  toute  cette  armée  se  dis-- 
sip^  ce  dont  Gonz^les  fut  si  offensé,  quil  cassa 
le  bâton  de  général  du  comte  d'Emden  à  la  face 
de  toute  Tarmée,  et  lui  ôta  le  gouvernement  de 
Luxembourg  jusques  à  ce  que  Tlnfant  en  eût  au- 
trement ordonné  ;  mais  ledit  don  Gonzalez  ne  donna 
pas  plus  d'assistance  au  duc  de  Lorraine  qu'ayoit  fait 
f  le  comte  d'Emden,  car  il  se  retira  incontinent  avec 

tout  ce  qu'il  avoit  pu  amasser  en  Flandre ,  pour  s'op* 
poser  aux  Hollandais ,  qui,  ayant  divisé  leurs  forces 
en  deux  corps ,  et  fait  deux  attaques  puissantes,  Tune 
en  Gueldre  et  l'autre  à...»..,  avoient  eu  dlieureux 
succès  de  tous  côtés*,  lesquels  avoient  fait  perdre  aux 
Espagnols  Henri  de  Berghes,  mestre  de  camp  gé- 
néral de  leur  armée  en  Flandre ,  qui ,  étant  gouver- 
neur de  Gueldre,  avoit  été  si  abandonné  d'eux,  que 
non-seulement  ils  ne  lui  donnèrent  point  de  troupes 
pour  s'opposer  à  l'attaque  des  Hollandais ,  mais  reti- 
rèrent même  celles  qu'il  avoit  ^  de  sorte  que ,  ne  se 
pouvant  défeqdre ,  les  ennemis  s'emparèrent  £au:ile- 
ment  de  son  gouvernement,  ce  qui  lui  fit  croire  que 
c'étoit  une  partie  qui  lui  avoit  été  jouée  par  Iç^dits 
Espagnols  qui  le  haïssoient  de  longue  main ,  et  peor 
lui  faire  perdre  son  honneur,  et  ensuite  pour  avoir 
lieu  de  se  défaire  de  lui  avec  quelque  prétexte  appa- 
rent de  raison  \  ce  qui  l'offensa  jusqu'à  tel  point  qu'il 
se  retira  au  Liège ,  où  il  écrivit  à  llnfante  qu'il  s'étoit 
retiré  pour  y  exercer  sa  charge  pour  le  sfirvice  de 
son  altesse ,  et  employer  ses  biens  et  sa  vie  pour  ré- 
primer les  désordres  que  les  Espagnols  faisoient  en 
Flandre ,  à  l'oppression  des  personnes  de  toutes  con- 
ditions. 


DE  BICHBUEU.    [l63a]  I07 

n  écrivit  la  mémiç  chose  à  tous,  ceux  du  pays  «  les 
exhortant  de  se  joindre  i  lui  y  ce  qui  ëtoit  une  rébel- 
lion Bianifi^ste ,  et  qu'ils  estimoient  d'autant  plus  dan- 
gereuse qu'ils  savoient  le  mécontentement  général 
que  tout  le  pays  avoit  de  leur  domination ,  et  même 
que ,  pei^  de  jours  auparavant ,  les  Hollandais ,  après 
avoir  pris  Artzen,  Stralen ,  Yenloo,  Ruremonde,  Er- 
j^elenS)  et  trois  antres  forts  sur  la  Meuse ,  auroient, 
le  10  juin,  mis  le  siège  devant  Maëstricht,  ville  si 
importapte  que  toute  la  Flandre  en  apprébendoit 
extraqrdbairement  la  prise. 

Cepepdant  Monsieur  arrive  à  Nancy  \  le  duc  donne 
avis,  le 9  juin,  de  son  passage  à  nos  généraux,  les 
assurtnl  qu'il  n'avoit  eu  aucun  avis  qu'il  dut  venir , 
ni  du  dessein  qu'il  avoit  d'entrer  en  France  où  il  s'a- 
ch^ninoit  avec  des  forces ,  et  qu'il  n'y  prenoit  aucune 
part,  et  seroit  toujours  serviteur  du  Roi. 

Us  ne  lui  firent  autre  réponse ,  sinon  que ,  pour 
savoir  mieux  la  vérité  de  ses  paroles,  ils  tournoient 
la  tête  de  leur  armée  droit  vers  lui,  et  dans  quatre 
jours  arrivèrent  à  Nomeny  et  le  lendemain  à  Pont- 
Ji-Mo^ssou ,  qui  ne  firent  point  de  résistance.  Le  duc 
eut  recours  à  ses  ambassades  ordinaires,  et  dépêcha 
vers  le  maréchal  d'Effiat,  le  conviant  à  une  confé- 
rence. Le  résultat  fut  qu'il  vendroit  Clermont  au  Roi , 
et  lui  donneroit  Stenay  en  dépôt. 

Sa  Majesté ,  se  trouvant  fort  irritée  de  la  maKce  et 
audace  que  le  duc  avoit  eue  de  don^ner  passage  par 
ses  États  à  Monsieur,  pour  le  iaire  entrer  à  main  ar^ 
mée  en  France,  et  résolue  de  s'en  venger ,  s'avança 
diligemment  pour  tirer  raison  de  cette  injure  et  de 
tant  d'autres  qu'elle  avoit  reçues  dudit  duc. 


I08  [l632]   MÉMOIRES 

Le  Roi,  étant  à  Sainte-Menehould  le  1 6  juin,  et  y 
ayant  appris  que  le  marquis  de  Mirabel,  qui  étoit 
allé  à  Bruxelles ,  il  y  avoit  trois  mois ,  pour  y  être  à 
Farrivée  de  Monsieur  lorsqu'il  y  alla ,  n'avoit  pas  plutôt 
su  son  entrée  en  France  avec  armes,  qu'il  reyenoil  à 
Paris  pour  contribuer  à  ses  desseins  par  négociation , 
lui  dépécha  pour  le  prier  de  ne  prendre  point  la  peine 
de  s'ayancer  plus  avant  vers  la  cour ,  ayant  plusieurs 
raisons  pour  Fen  empêcher  raisonnablement. 

La  première ,  que ,  s'étant  plaint  au  Roi  son  maî- 
tre de  son  procédé ,  et  l'ayant  fait  prier  de  ne  le  ren- 
voyer plus,  il  avoit  usé  de  la  courtoisie  qui  étoit  or- 
dinaire entre  les  grands  princes,  en  lui  promettant 
de  le  délivrer  d'une  personne  qui  ne  lui  étoit  pas 
agréable. 

La  seconde ,  qu'il  venoit  d'un  lieu  où  il  avoit  aidé 
à  faire  diverses  négociations  contre  le  service  du  Roi , 
particulièrement  avec  le  duc  de  Lorraine,  avec  lequel 
Sa  Majesté  étoit  maintenant  en  guerre. 

La  troisième ,  qu'ayant  eu  de  perpétuelles  confé- 
rences avec  la  Fargis ,  avec  laquelle  il  professoit  une 
étroite  amitié ,  et  que  seul  il  avoit  fait  recevoir  en 
Flandre,  contre  l'inclination  de  l'Infante,  Sa  Majesté 
ne  pouvoit  que  l'avoir  très-suspect  en  ce  qui  concer- 
noit  même  sa  personne ,  vu  que  ladite  dame  avoit 
bien  été  si  osée  que  de  vouloir  porter,  par  lettres 
dont  le  Roi  avoit  les  originaux ,  la  Reine  à  penser  à 
se  remarier  (0  avec  Monsieur,  ce  qui  ne  pouvoit  se 
faire  sans  penser  par  conséquent  à  la  mort  du  Roi. 

(i)  A  penser  a  se  remarier:  On  voit  que  I\icheUpu  coatinooic 
h  «ntrctenir  Louis  XIII  dans  l^idee  que  la  Reine  régnante  le  haïssoit , 
comptoit  sur  sa  mort  prochaine,  et  pensoit  à  se  remacier  «Tec  Monsieur. 


DE   BICHELIEU.    [t63i]  109 

La  quatrième ,  que  le  Roi ,  désirant  entretenir  une 
bonne  intelligence  entre  le  roi  d'Espagne  et  lui  y  ne 
devoit  pas ,  par  cette  raison ,  recevoir  en  sa  cour  une 
personne  qui  avoit  témoigné ,  par  toutes  ses  actions , 
n'avoir  point  de  plus  grand  dessein  que  d'introduire 
une  rupture  entre  les  deux  couronnes. 

La  cinquième  ^  qu'il  est  libre  aux  rois  de  se  dis- 
jpenser  d'être  suivis  des  ambassadeurs  en  certains 
voyages  qu'ils  font;  que  le  roi  d'Espagne  en  avoit 
fraîchement  ainsi  usé  au  yoyage  que  son  maître  avoit 
fait  à  Barcelonne ,  faisant  savoir  à  l'ambassadeur  de 
France  qu'il  feroit  mieux  de  demeurer  à  Madrid  que 
de  le  suivre. 

Celui  qui  eut  charge  d'aller  faire  ce  message  au 
marquis  de  Mirabel ,  l'eut  aussi  de  lui  dire  que  le  re- 
fus que  Sa  Majesté  faisoit  de  le  recevoir  en  sa  cour, 
ne  touchoit  point  sa  qualité  d'ambassadeur ,  mais  seu- 
lement sa  personne  particulière,  et  que  toute  autre 
personne  qui  se  roi  t  envoyée  du  roi  d'Espagne  seroit 
très-bien  reçue.  Néanmoins  il  ne  laissa  pas  de  venir  ^ 
mais  le  Roi  lui  envoya  Guron  lorsqu'il  fut  à  Paris,  et 
lui  commanda,  le  19  juillet,  de  s'en  aller  en  Espa- 
gne ,  et  que ,  si  ses  affaires  particulières  requéroient 
qu'il  fît  plus  long  séjour  en  France ,  il  les  allât  para- 
chever à  Orléans. 

Le  18  du  mois  elle  partit  de  Sainte-Menehould 
pour  entrer  dans  les  Etats  du  duc  de  Lorraine,  ce 
qu'elle  fit  allant  coucher  à  Vaubecourt ,  qui  est  en 
Barrois.  Avant  que  partir  elle  écrivit  à  tous  les  gou- 
verneurs de  ses  provinces ,  pour  leur  donner  avis  de 
la  nécessité  qui  lui  étoit  imposée,  par  l'infidélité  do 
duc  de  Lorraine ,  de  lui  faire  la  guerre  y 


IIO  [l632j    MI^MOTRES 

Qu'il  espëroit  qtie  Diefu  bëniroit  ses  armes  ,  comme 
étant  justes ,  et  ne  les  prenant  que  par  conti'àinte 
pour  sa  défense,  îe  repos  dé  la  chrétienté  et  le  bien 
de  son  Etat. 

Dès  c(ne  Sa  Majesté  fut  arrivée  à  Vaubecourt ,  ayant 
eu  avis  qu'il  y  avoit  deux  régimens  de  cavalerie  de 
douze  compagnies  à  six  lieues  de  là ,  à  don  Severin 
et  Banoche  au-deçà  de  la  Meuse,  et  Rouvray  au-delà, 
commandées  par  Lenoncourt  et  Oflans,  elle  donna 
charge  de  son  propre  mouvement  au  comte  d'Alais 
de  prendre  six  cents  chevaut ,  ses  Mousquetaires , 
trente  des  gardes  du  cardinal ,  et  deux  cents  mousque- 
taires du  régiment  des  gardes  montés  sur  des  bidets , 
pour  aller  voir  s'il  enlèveroit  quelcpi'un  de  ces  quar- 
tiers \  ce  qu'il  fit  si  heureusement ,  qu'ayant  poussé  les 
deux  premiers  d'en-deçà  de  la  Meuse ,  il  passa  ladite 
rivière  et  surprit  les  autres  dans  leur  quartier ,  où  ils 
pensoient  dormir  plus  à  sûreté  parce  qu'il  étoit  bien 
fermé  de  murailles ,  et  qu'ils  ne  croyoient  pas  qu'on 
pût  passer  la  Meuse  sans  qu*ils  en  fussent  avertis  long- 
temps auparavant ,  principalement  avec  de  l'infante- 
rie, qu'ils  n'avoient  prévu  qu'on  dût  faire  monter  à 
cheval.  Le  quartier  étant  environné ,  les  portes  fo- 
rent incontinent  rompues ,  les  mousquetaii^s  montè- 
rent en  divers  endroits  sur  les  murailles ,  et  jouèrent 
tiéllement  leur  jeu,  quecinq  cents  chevaux  qui  étoient 
enfermés  dans  la  ville ,  tous  armés  et  à  cheval ,  ne 
sachant  quel  parti  prendre ,  voulurent  par  deux  fois 
sortir  à  la  campagne  ;  ce  qu'ils  tâchèrent  inutilement, 
rencontrant  d'un  côté  la  compagnie  de  chevau-légers 
du  Roi  et  quelques  mousquetaires ,  qui ,  tous  ensenif- 
ble ,  les  uns  par  leurs  décharges ,  les  autres  par  une 


DE   RICHELIEU.    [l632]  111 

riide  charge,  les  repoussèrent  dans  la  ville ,  là  où  le 
ducd'HalIfiîn,  qtii  ëtoitàla  tète  desdrts  chevau-légers, 
eut  un  bras  cassé  d'un  coup  de  pistolet.  Comme  les 
ennemis  tentèrent  en  vain  de  prendre  la  campagne 
par  cette  porte,  ils  le  voulurent  aussi  essayer  par 
Tautre  -,  mais  ce  fut  avec  aussi  peu  de  fruit ,  vu  qu'ils 
trouvèrent  le  comte  d'Alais  à  la  tète ,  qui,  après  leur 
avoir  fait  faire  une  décharge  de  quelques  gardes  du 
cardinal  de  Richelieu  et  carabins  de  Maubisson ,  les 
repoussa  dans  leur  quartier.  Y  étant  rentrés,  les 
mousquetaires  continuèrent  à  les  tuer  les  uns  sur  les 
antres,  et  la  cavalerie  du  Roi  acheva,  jusqu'à  ce  point 
qu'il  en  demeura  plus  de  deux  cent  cinquante  sur  la 
place ,  plusieurs  de  blessés  et  de  prisonniers ,  et  cinq 
cornettes  prises,  sans  qu'il  y  eût  autre  perte  des  gens 
du  Roi  que  sept  ou  huit  cavaliers  et  quelques  bles- 
sés, entre  lesquels,  outre  M.  le  duc  d*Halluin,  le  sieur 
de  Bouchavane  étoit  le  seul  homme  de  qualité. 

Au  *méme  temps  Sa  Blajeslé  ayant  eu  avis  qu'un 
nommé  Chalabre  levoit  des  mousquetaires  à  cheval 
pour  M.  de  Lorraine ,  et  qu'il  n'étoit  qu'à  deux  lieues 
et  demi  de  son  quartier ,  elle  commanda  à  trente  des 
chevau-iégers  du  cardinal  et  trente  de  ceux  du  maré- 
chal de  Schomberg,  commandés  par  Cahusac,  de  les 
aller  charger  -,  lequel  les  défit  et  prit  prisonniers ,  sans 
qu'il  en  voulût  tuer  aucun ,  parce  qu'ils  ne  se  défen- 
dirent point. 

Le  lendemain ,  qui  étoit  le  ao  juin,  M.  de  Lorraine, 
sachant  qu'il  ne  pouvoit  défendre  le  Bafrois ,  envoya 
un  gentilhomme  nommé  Ck)uvonge ,  gouverneur  du 
Barrois ,  à  Sa  Majesté ,  pour  lui  rendre  une  feinte 
obéissance  dans  ladite  province  -,  mais  elle  lui  répon- 


I  12  [lG3aj   MÉMOIRES 

dit  que  cette  obéissance  étoit  dé\k  rendue ,  ayant  reçu 
des  otages  de  Bar ,  et,  quand  elle  ne  le  seroit  pas,  il 
n'étoit  plus  en  état  de  vouloir  rien  par  courtoisie 
dudit  duc. 

U  eut  aussi  avis  le  même  jour  du  maréchal  de  La 
Force  que  trois  compagnies  françaises ,  qui  étoient  de 
la  cavalerie  dudit  duc  de  Lorraine  ,  s'étoient  venues 
rendre  à  lui. 

Dès  le  soir  Sa  Majesté  arriva  à  Saint-Mibiel^oû  elle 
trouva  le  sieur  de  Ville  que  le  duc  lui  envoyoit  en- 
core, et  étoit  venu  avec  le  maréchal  d'Efliatpour  faire 
quelque  proposition,  non  de  dépôt  de  places  entre  les 
mains  de  Sa  Majesté,  mais  d'échange  des  places  qu'il 
croyoit  qu'on  eût  envie  d'avoir  en  dépôt ,  savoir  est 
de  Clermont.  Sa  Majesté  répondit  que  ces  proposi- 
tions eussent  été  bonnes  devant  qu'elle  fût  entrée 
dans  les  États  dudit  duc ,  qu'elle  ne  lui  vouloit  au- 
cun mal,  mais  seulement  lui  faire  connoitre  qu'on 
n'ofiensoit  pas  des  rois  de  son  cœur  et  de  s^  puis- 
sance sans  en  payer  les  dépens;  qu'au  reste  il  ne 
vouloit  faire  aucun  échange,  parce  que,  comme  il  ne 
désiroit  pas  augmenter  ses  États  qu'en  tant  que  la 
justice  lui  permettroitet  la  nécessité  l'y  contraindroity 
aussi  ne  vouloit-^il  en  aucune  façon  les  diminuer  pen- 
dant «on  règne ,  pour  quelque  considération  que  ce 
pût  être ,  d'un  seul  pouce  de  terre  que  ses  prédéces- 
seurs eussent  possédé. 

D'autre  part.  Sa  Majesté  donna  commandement 
au  maréchal  de  La  Force  de  suivre  Monsieur  avec 
six  cents  chevaux  et  le  régiment  de  Tonneins,  qu'il 
prendroit  de  l'armée  qu'il  commandoit,  avec  huit  cor^ 
nettes  de  cavalerie  qui  le  dévoient  joindre  en  Bresse  f 


DE  iicvcuEV.  [i63a]  ii3 

et  sept  régiaieiis  qm  étoient  en  Proyence,  Daiophiné 
el  RoMTfiie. 

Le  onrédial  de  La  Force  sadieoiina  incondiieiit 
où  il  loi  éloît  commandé ,  va  gagner  la  rÎTière  de 
Loire ,  s*aTance  jnsqn^à  Lyon ,  et  de  là  passe  jnsc{n*aa 
Pont-Saint*Esprit,  où  il  arriva  le  x(  juillet. 

Sa  Majesté  qnant  et  quant  donna  diarge  aussi  au 
maràjial  dXffiat  d^investir  Nancy  avec  Tannée  qu'il 
commandoit. 

Le  duc  ne  savoit  où  il  en  éloit,  et  parce  qu'il  poi- 
^t  être  trop  sage  il  n'avoit  point  prévu  ce  péril  ;  car 
il  ne  se  fut  jamais  imaginé ,  n'en  voyant  point  d'exem- 
ple en  notre  histoire ,  que  le  Roi ,  sacliant  Monsieur, 
son  frère ,  en  armes  dans  son  État ,  n'eût  pas  inconti- 
nent tourné  tête  devers  lui ,  et  se  fut  arrêté  à  faire  la 
guerre  à  un  prince  étranger  pour  en  tirer  la  raison , 
^^il  ponvoit  remettre  en  un  autre  temps  plus  oppor- 
tun; joint  qu'il  croyoit  suffisamment  avoir  pourvu  k 
son  Eut,  quand  on  l'eût  voulu  attaquer,  d'avoir  muni 
Clermont  de  tout  ce  qu'il  jugeoit  nécessaire  pour  un 
siège,  et  ne  ponvoit  croire  qu'on  laissât  cette  place 
derrière  pour  le  venir  attaquer  dans  sa  ville  de  Nancy, 
en  laquelle  partant  il  s'étoit  si  peu  disposé  à  se  dé- 
fendre, que,  nonobstant  ses  grandes  et  régulières  for- 
tifications ,  elle  n'eût  pu  tenir  que  peu  de  temps  si 
elle  eut  été  assiégée.  Cette  épouvante  faisoit  que  tous 
les  jours  il  envoyoit  diverses  personnes  au  maréchal 
d'E^t ,  et  ensuite  au  Roi  -,  au  maréchal ,  pour  le  prier 
de  ne  se  hâter  pas  tant  de  venir  assiéger  sa  ville , 
mais  attendre  nouvel  ordre  du  Roi  ;  au  Roi ,  pour  le 
supplier  d'accepter  l'offre  qu'il  lui  faisoit  desdites  deux 
places. 

T.  27.  8 


Il4  [1682]    MÉMOIRES 

Toutes  ces  allées  et  venues  ne  produisirent  rien 
jusqu'au  24  du  mois ,  que  Tarmée  arriva  devant  la 
ville.  L'avant-garde  ayant  pris  le  quartier  de  Cham- 
pinielle  ,  quasi  aux  portes  de  ladite  ville ,  le  reste  de 
Tarmée  campa  tout  autour,  en  résolution  de  commen- 
cer le  lendemain  les  approches.  Lors  le  duc  envoya 
le  si€ur  de  Ville  et  Jeannin  son  secrétaire  d'Etat  vers 
le  Roi  qui  étoit  à  Liverdun,  à  deux  lieues  dudit  Nancy, 
afin  de  lui  donner  entier  contentement.  Il  offrit  au 
Roi  Jamets  en  dépôt ,  outre  Stenay ,  et  la  vente  de 
Clermont,  et  fit  avec  Sa  Majesté  un  traité  à  Liverdun 
le  a6  juin ,  par  lequel  lesdites  deux  villes ,  châteaux 
et  citadelles  de  Stenay  et  Jamets  dévoient  être  dépo- 
sées entre  les  mains  de  Sa  Majesté  dans  neuf  jours  : 
savoir  est  Stenay  dans  six,  et  Jamets  trois  jours  après, 
et  ce  pour  le  terme  de  quatre  ans. 

Quant  à  la  ville  et  forteresse  de  Clermont ,  le  duc 
ladéposeroit  aussi  entre  les  mains  de  Sa  Majesté  dans 
trois  jours,  mais  avec  cette  différence,  que,  parceque 
Sa  Majesté  prétendoit  que  ledit  comté  de  Clermont 
lai  appartenoit  et  relevoit  de  sa  couronne,  dont  il  y 
avoit  procès  pendant  en  sa  cour  de  parlement  de 
Paris,  au  lieu  que  les  deux  autres  places  dévoient  être 
restituées  audit  sieur  duc ,  dès  cette  heure  il  étoit 
convenu,  entre  Sa  Majesté  et  lui,  que  ladite  ville  et 
comté  de  Clermont,  et  tout  ce  qui  en  dépend,  demeu- 
reroient  en  pleine  propriété  et  souveraineté  au  Roi , 
comme  Sa  Majesté  Tavoit  désiré ,  moyennant  le  prix 
qui  en  seroit  payé  par  Sa  Majesté  audit  sieur  duc,  à 
raison  du  denier  cinquante  sur  le  pied  du  revenu  de 
ladite  terre ,  dont  estimation  seroit  faite  par  commis- 
saires qui  seroient  députés  de  part  et  d'autre  dans  six 


DE    RICHELIEU.    [l632]  Il5 

mois ,  eu  égard  à  ce  que  la  terre  avoit  valu  durant    ^ 
les  neuf  dernières  années  dont  il  en  seroit  fait  une 
commune  ;  que  dans  Tannée  le  duc  rendroit  au  Roi 
la  foi  et  hommage  qu'il  lui  devoit  à  cause  de  la  duché 
de  Barrois; 

De  plus,  qu'entre  ci  et  un  an  ledit  sieur  duc  ren- 
droit la  foi  et  hommage  qu'il  doit  à  Sa  Majesté  pour 
raison  du  Barrois,  mouvant  de  la  couronne,  ainsi  qu'il 
le  doit  ; 

Qu'il  observeroit  religieusement  à  l'avenir  les  cinq 
premiers  articles  du  traité  de  Vie,  qui  reprenoient 
nouvelle  force  en  vertu  du  présent  traité,  et  qu'il  de- 
meureroit  inviolablement  uni  et  attaché  aux  intérêts 
de  Sa  Majesté,  joindront  ses  armes  aux  siennes,  et  l'as- 
sisteroit  de  toutes  ses  forces  en  quelque  guerre  que 
Sa  Majesté  pût  entreprendre ,  donneroit  passage  libre 
dans  tous  ses  États  à  ses  armées,  et  leur  fourniroit  les 
vivres  dont  elles  auroient  besoin,  en  les  payant  au 
prix  courant  -, 

Que  Sa  Majesté  protégeroit  et  défendroit  la  per- 
sonne dudit  sieur  duc  et  tous  ses  États  contre  qui  que 
ce  pût  être ,  sans  exception  quelconque. 

Ce  traité  fut  ratifié  par  le  duc  dès  le  lendemain  ;  et^ 
pour  assurance  de  l'exécution  d'icelui,  il  envoya  le 
cardinal  de  Lorraine  son  frère  en  otage,  qui  demeura 
à  Pont-à-Mousson  où  le  Roi  s'avança ,  jusqu'à  ce  que 
toutes  lesdites  places  eussent  été  mises  entre  les  mains 
des  commissaires  que  Sa  Majesté  envoya  pour  les 
recevoir ,  et  que  ses  garnisons  y  fussent  entrées. 

C'est  une  chose  à  remarquer  que  l'infidélité  de  ce 
duc  étoit  si  grande ,  que ,  le  Roi  étant  encore  à 
Pont-à-Mousson  pour  recevoir  l'exécution  de  ce  qu'il 

8. 


Il6  [l632]   MÉMOIRES 

venoit  de  lui  promettre ,  il  commençoit  déjà  à  proje- 
ter la  contravention  à  ce  qu'il  avoit  prorais ,  et  mon- 
troit  évidemment  par  actions  manifestes  la  volonté 
qu'il  en  avoit  -,  car ,  le  Roi  étant  encore  en  ce  lieu , 
attendant  le  dépôt  de  ces  places  ,  il  continuoit  à  faire 
fortifier  Nancy  plus  qu'auparavant ,  et  même  y  faisoit 
entrer  des  munitions  ;  de  sorte  que  Sa  Majesté  fut 
contrainte  de  lui  envoyer  le  sieur  de  Guron  pour 
lui  en  faire  plainte  ,  et  fit  cesser  les  travaux. 

En  ce  traité  la  force  du  procédé  du  Roi  est  à  no- 
ter, en  ce  que,  bien  que  Sa  Majesté  eût  voulu  se 
contenter  du  dépôt  de  Clermont  et  'de  Stenay  aupa- 
ravant que  Monsieur  fût  entré  en  France  avec  armes 
par  la  Lorraine,  elle  voulut  de  plus  avantageuses 
conditions  depuis  que  M.  de  Lorraine  eut  contribué 
à  une  si  mauvaise  action ,  de  façon  qu*il  empira  son 
mal  par  ce  qu'il  avoit  jugé  lui  devoir  servir  de  re- 
mède. 

Ainsi  en  six  jours ,  ce  qui  est  presque  incroyable , 
le  Roi  fut  maître  de  tout  l'État  du  duc  de  Lorraine  j 
fortde  six  places  fortes,  dont  il  le  contraignît  de  lui  en 
bailler  trois ,  de  peur  qu'il  prit  la  meilleure  et  la  ca- 
pitale, qu'il  alloit  assiéger.  Ce  qui  apprend  aux  petits 
princes  à  n'ofienser  jamais  les  grands,  s'ils  ne  se  veu- 
lent perdre ,  et  aux  ducs  de  Lorraine  que  Charles- 
Quint  avoit  grande  raison  da|)jire  à  son  jfîls  qu'il  n'a- 
voît  rien  à  espérer  d'eux,  parce  qu'eu  effet  ils  ne 
pouvoient  conserver  leurs  États  sans  la  France. 

Le  duc  avoit  mal  retenu  cette  leçon ,  si  jamais  il 
l'avoit  entendue ,  car  il  fut  si  inconsidéré  que  d'ar- 
mer audacieusement  contre  le  Roi  quatre  fois  en  peu 
de  temps  ;  la  première ,  pendant  le  siège  de  La  Ro- 


DE   RICHELIEU.    [l632]  II 7 

chelle,  étant  d'intelligence  avec  les  Anglais,  il  fit 
venir  Cras  tavec  trois  mille  chevaux  allemands  pour 
entrer  en  France  *,  il  demeura  trois  mois  entiers  dans 
Tëvéché  de  Metz,  attendant  son  temps,  et  le  ruina. 

Pendant  que  le  Roi  ëtoit  à  Suse,  il  fit  son  second 
armement  pour  se  préparer  à  recevoir  Monsieur , 
comme  il  fit  deux  mois  après ,  lorsque  le  Roi  étoit 
aux  mains  avec  les  huguenots  au  Languedoc. 

Le  troisième  a  été  au  même  temps  de  Téclat  que  la 
Reine  fit  contre  le  cardinal ,  que  Monsieur  sortit  de 
France  pour  la  seconde  fois ,  avec  lequel  armement 
il  fut  servir  TEmpereur  contre  le  roi  de  Suède,  lors* 
qu'il  vit  que  sa  partie  n'étoit  pas  encore  bien  faite 
contre  la  France. 

Le  quatrième  est  le  dernier,  qui  a  contraint  le  Roi 
de  le  venir  attaquer  dans  ses  États ,  et  qui  Ta  aflermi 
à  vouloir  autant  de  ses  places  qu'il  a  armé  de  fois 
contre  lui,  Marsal,  Clermont,  Stenay,  Jamets. 

Ce  traité  étant  signé  ,  le  cardinal  dit  librement  aux 
commissaires  du  duc  de  Lorraine ,  qu'il  les  prioit  de 
dire  à  leur  maitre  que ,  si ,  en  donnant  ces  places  au 
Roi,  il  lui  donooit  son  cœur,  il  faisoit  un  bon  marché , 
parce  que  l'un  retireroit  les  autres  assurément  ;  mais 
que ,  s'il  ne  le  faisoit  pas,  il  faisoit  la  plus  grande  folie 
qu'il  sauroit  faire ,  parce  que ,  probablement ,  faute 
de  l'un  il  perdroit  Iqi^ autres,  en  tant  que,  si  le 
cœur  ne  marchoit ,  ap^remment  il  feroit  des  contra- 
ventions au  traité  qui  déchargeroient  le  Roi  de  la 
restitution  du  dépôt. 

Quoique  ce  traité  ne  portât  pas  qu'il  seroit  donné 
des  otages  pour  sûreté  de  son  exécution,  il  étoit 
porté ,  par  un  écrit  particulier ,  que  le  cardinal  de 


Il8  [l63a]    MÉMOIRES 

Lorraine  viendroit  auprès  du  Roi  pour  en  servir ,  ce 
qu'il  fit  deux  jours  après,  et  demeura  huit  jours  au- 
près du  Roi  dans  Pont-à-Mousson ,  pendant  lesquels 
il  se  fit  diverses  allées  et  venues  pour  l'exécution 
dudit  traité.  Entre  autres  ,  une  fois ,  le  duc  manda 
au  cardinal  que ,  s'il  estimoit  que  son  frère  fût  plus 
agréable  au  Roi ,  il  lui  remettroit  son  État.  Le  cardi- 
nal répondit  à  Ville ,  qui  lui  fit  ce  message  en  pré- 
sence du  cardinal  de  Lorraine,  que  M.  de  Lorraine 
lui  avoit  déjà  tenu  ce  langage  étant  à  Metz  ;  qu'il  ve- 
noit  assurément  de  l'humeur  mélancolique  en  la- 
quelle l'état  présent  de  ses  affaires  le  mettoit  ;  qu'il 
le  supplioit  de  bannir  telles  pensées  à  l'avenir,  et 
trouver  bon  qu'il  lui  dit  franchement,  comme  son 
serviteur ,  qu'un  prince  devoit  être  grandement  soi- 
gneux de  ne  dire  jamais  que  ce  qu'il  pouvoit ,  que  ce 
qu'il  vouloit  et  ce  qu'il  devoit;  ce  qu'il  lui  mandoit 
librement ,  parce  qu'une  partie  de  ses  malheurs  ve- 
noient  d'avoir  fait  le  contraire,  d'avoir  dit  plus  qu'il 
ne  pouvoit ,  en  ce  que  souvent ,  quand  le  Roi  avoit 
été  éloigné  de  ses  Etats ,  il  s'étoit  vanté  qu'il  feroit 
'  mervjeilles  contre  la  France,  ce  qui  avoit  grandement 
piqué  Sa  Majesté ,  quoiqu'il  sût  qu'il  ne  le  pouvoit 
faire  ; 

D'avoir  dit  ce  qu'il  ne  vouloit  pas ,  parce  que,  pro- 
mettant souvent  ce  qu'il«ne  i(Ouloit  pas  tenir ,  il  arri- 
voit  de  là  qu'on  le  tenoit  si  peu  certain  en  ses  paroles 
qu'on  n'y  prenoit  aucune  confiance,  ce  qui  avoit 
principalement  porté  Sa  Majesté  à  désirer  de  lui 
d'autres  assurances  que  de  paroles  ; 

De  se  laisser  aller  à  dire  ce  qu'il  ne  devoit  pas , 
parce  que  cela  le  faisoit  mésestimer ,  comme  feroit 


DE    RICHELIEU.    [l632]  I IQ 

assorëment  la  proposition  de  quitter  son  Etat,  ce 
dont  il  ne  lai  pouvoit  revenir  que  du  désavantage. 

Il  faut  avouer  que  jamais  roi  ne  fut  plus  heureux 
ni  plus  glorieux  que  le  Roi,  qui  pouvoit  marquer 
toutes  les  années  de  son  règne  par  deux  ou  trois 
signalées  actions ,  dont  Tune  seule  étoit  capable  de 
signaler  la  vie  d'un  prince. 

La  plus  grande  part  du  monde ,  jugeant  de  ce  qui 
se  passe  sans  en  considérer  les  raisons ,  blâmèrent 
le  duc  de  Lorraine  d'avoir  fait  ce  traité-,  mais  ,  pour 
moi ,  je  dirai  franchement  que ,  supposé  les  fautes 
précédentes  où  il  s'étoit  laissé  aller,  c'est  la  seule  ac- 
tion de  sagesse  que  j'aie  remarquée  en  sa  conduite.  Il 
sera  aisé  de  le  concevoir ,  si  l'on  considère  que  ce 
pauvre  prince  avoit  si  mal  pris  son  temps  de  se  porter 
contre  la  France ,  qu'il  voyoit  tous  ceux  qui  le  pou- 
voient  secourir  contre  elle  en  état  de  ne  pouvoir  faire 
autre  chose  que  le  plaindre.  L'impuissance  de  Mon- 
sieur ,  dont  les  armes  n'avoient  force  que  pour  brû- 
ler des  maisons  et  des  villages  entiers  en  France , 
faisoit  que  ses  vœux  lui  étoient  fort  inutiles.  Le  roi 
de  Suède  avoit  mis  une  si  grande  barrière  entre 
l'Empereur  et  lui ,  qu'à  peine  les  souhaits  de  l'Empire 
pouvoient-ils  venir  jusqu'à  ses  Etats  ^  les  Hollandais 
occupoient  tellement  les  Espagnols ,  qu'outre  qu'ils 
jouoient  de  malheur  depuis  quelque  temps ,  il  ne  leur 
restoitpas  de  temps  pour  penser  aux  affaires  d'autrui. 
Ainsi ,  le  meilleur  parti  que  pouvoit  prendre  le  duc 
de  Lorraine  étoit  de  se  soumettre  à  la  puissance  du 
Roi,  à  laquelle  il  ne  pouvoit  résister,  et  ^  conserver 
le  droit  de  ce  dont  il  ne  pouvoit  que  disputer  foi- 
blement  la  possession.  Et  partant,  ayant  plusieurs 


I20  [lÔSsij    MÉMOIRES 

fois  offensé  Sa  Majesté  avec  beaucoup  d'imprudence , 
ce  ne  fut  pas  peu  de  prudence  à  lui  de  savoir  Tapai- 
ser  j  en  déposant  entre  ses  mains  une  partie  de  ses 
Etats  pour  conserver  la  possession  de  Tautre ,  et  le 
titre  de  tout,  fors  du  comté  de  Clermont,  à  la  pro- 
priété duquel  il  valoit  mieux  renoncer  volontaire- 
ment que  de  la  perdre  par  force ,  et  tout  ce  que  ses 
prédécesseurs  lui  avoient  laissé. 

Ce  n'est  pas  que  ce  ne  lui  fût  une  mortification 
extraordinaire  d  être  forcé  d'en  venir  là ,  non-seule- 
ment parce  que  la  chose  étoit  rude  en  soi-même,  mais 
en  outre  parce  qu'auparavant  que  le  Roi  s'approchât 
de  ses  Etats,  étant  comme  beaucoup  qui  ne  connois- 
sent  ou  n'appréhendent  les  périls  que  quand  ils  sont 
proches,  il  avoit  non-seulement  dit  et  protesté  à  tous 
les  siens  qu'il  feroit  des  merveilles ,  mais ,  qui  plus 
est,  l'avoit  mandé  aux  personnes  qui  lui  étoient  plus 
confidentes  dedans  la  cour ,  et  particulièrement  aux 
dames ,  auxquelles  on  ne  peut  dire  beaucoup  pour 
faire  peu  sans  confusion  et  sans  honte.  Il  disoit  à 
tout  le  monde  qu'il  se  gouverneroit  comme  un  homme 
qui  pensoit  n'avoir  rien  k  perdre  ^  qu'étant  malsain 
comme  il  étoit,  il  ne  lui  falloit  qu'un  tomHWii)  sa 
femme  et  ses  sœurs  n'avoient  besoin  que  d'un  cou- 
vent ,  son  père ,  que  d'un  lit  pour  sa  vieillesse ,  son 
frère,  que  d'un  bréviaire,  étant  ecclésiastique,  et 
qu'ainsi ,  quand  il  perdroit  tous  ses  Etats,  il  resteroit 
à  un  chacun  ce  dont  il  auroit  besoin ,  et  à  lui  beau- 
coup de  gloire  pour  avoir  fait  une  signalée  résis- 
tance.       .^ 

Comme  il  y  eut  sagesse  au  duc  à  se  résoudre  à  con- 
tenter le  Roi,  lui  livrant  les  places  qu'il  avoit  désirées 


DE    RICHELIEU.    [l632j  it&I 

pour  la  sûreté  de  sa  foi ,  il  faut  avouer  qu'il  ne  fallut 
pas  peu  (le  force  d'esprit  et  de  courage  pour  entre- 
prendre de  réduire  ce  prince  au  point  où  il  fut  mis , 
vu  que,  lorsque  le  Roi  s'y  résolut,  il  savoit  que 
l'Empereur  lui  promettoit  toute  assistance*, que Wal- 
stein  avoit  donné  ses  ordres  pour  la  lui  faire  rece- 
voir ;  que  le  comte  de  Mérodc  faisoit  diverses  levées 
dans  le  Liège  à  cette  fin;  il  voyoit  don  Gonzalez  avec 
une  armée  de  vingt  mille  hommes  de  pied  et  de 
quatre  mille  chevaux  dans  le  Luxembourg  et  le  Pala- 
tinat,  qui  ne  sont  {{as  seulement  frontières,  mais  con- 
tiguës  à  la  Lorraine  ;  il  n'ignoroit  pas  que  Monsieur, 
son  frère ,  n'eût  deux  mille  chevaux  pour  entrer , 
comme  il  fit,  dans  le  royaume;  et,  cependant,  sa  pré- 
voyance lui  faisant  voir  que  toutes  les  promesses  de 
TEmpereur  ne  pourroient  produire  autre  effet  que  de 
la  fumée,  vu  les  affaires  qu'il  avoit,  que  les  Espa- 
gnols en  avoient  tant  chez  eux  qu'ils  ne  pourroient 
pas  seulement  penser  aux  intérêts  d'autrui ,  et  que 
tous  les  efforts  ^e  Monsieur  seroient  vains  par  le  bon 
ordre  qu'il  avoit  donné  en  tout  son  royaume,  il  ne 
laissa  pas  de  l'entreprendre  et  le  dut  faire ,  parce  que, 
s'il  n*eil  eût  usé  ainsi ,  il  lui  en  fût  arrivé  pis  pour 
les  raisons  déduites  ci-dessus. 

Quelques-uns  estimoient  cette  entreprise  témé- 
raire, beaucoup  la  tenoient  douteuse,  et  tous  croyoient 
(|u'il  s'y  trouveroit  plus  de  difficulté  qu'on  ne  pensoît 
pasj  et  cependant  le  cardinal  soutint  toujours  qu'il 
ne  s'y  en  trouveroit  aucune  qu'on  ne  surmontât  cer- 
tainement. Et,  en  etfet,  il  s'y  en  rencontra  beaucoup 
moins  qu'on  n'en  avoit  prévu  et  qu'on  ne  pouvoit  en 
surmonter,  et  un  chacun  eut  lieu  de  reconnoîlre  par 


121  [l632]   MÉMOIRES 

expérience  dommageable  au  duc,  que  ce  n'est  point 
aux  petits  princes  à  se  jouer  aux  grands ,  et  que  l'ex- 
cès de  la  puissance  des  ducs  de  Lorraine  ne  peut  ré- 
sister aux  forces  de  la  France ,  quand  même  elles  sont 
embarrassées. 

La  nouvelle  de  ce  traité  (0  fut  reçue  à  Paris  et  par 
toute  la  France  avec  tant  d'exclamations  et  de 
louanges  pour  le  Roi,  qu'il  faudroit  emprunter  les 
plus  délicates  paroles  de  la  flatterie  pour  en  dire  les 
vérités. 

Les  places  promises  ayant  été  délivrées  entre  les 
mains  de  ceux  que  le  Roi  avoit  commis  à  cet  effet  le 
dimanche  4  juillet ,  Sa  Majesté  partit  pour  retourner 
en  France  le  mercredi  7  dudit  mois ,  en  intention 
de  pourvoir  aux  désordres  que  faisoit  Monsieur  ;  pour 
à  quoi  pourvoir  il  avoit  déjà  envoyé  le  maréchal  de 
La  Force  avec  six  cents  chevaux. 

Le  jour  devant  son  partement ,  le  duc  envoya  un 
de  ses  secrétaires  nommé  Fournier  au  cardinal ,  lui 
dire  qu'il  reconnoissoit  maintenant  avoir  failli ,  né- 
gociant et  traitant  contre  la  France,  mais  qu'il  ne 
croyoit  pas  que  sa  faute  méritât  un  si  rude  trûtement 
que  celui  qu'il  avoit  reçu.  Mais  il  montroit  biMldéan- 
moins,  quant  et  quant,  que  laconnoissance  qu'il  avoit 
de  sa  faute  n'étoît  pas  jointe  à  un  tel  repentir  qu'il 
devoit ,  car  le  même  jour  le  sieur  de  Bourbonne  ayant 
aussi  taillé  en  pièces  une  compagnie  que  Cressias  le- 
voit  pour  Monsieur  auprès  de  La  Motte,  où  la  prin- 

(t)  La  nouvelle  de  ce  traite  :  On  doit  pca  sV'tonner  de  l^effet  qu'elle 
produisit  quand  on  se  rappelle  que  c'etoit  Richelieu  lai-méme  qui  ré- 
digeoit  les  relations  de  campagne,  et  qu'il  n'existoit  que  le  journal  de 
Renaudot  où  ces  relations  ctoient  insérées.  (Voyei  la  note  de  la  page 
188  du  loxne  4-) 


DE    RICHELIEU.    [lÔSs]  1^3 

cesse  de  Phalsbourg  (0  Tavoit  fait  retirer ,  pensant 
qu'il  y  seroit  en  sûreté ,  et  que  de  là  il  pourroit  aisé- 
ment aller  joindre  Monsieur,  ledit  dnc  envoya  sup- 
plier le  Roi  de  faire  rendre  la  dépouille  de  ladite 
compgnie,  disant  que  c'étoit  pour  lui  qu'il  la  levoit  ; 
ce  que  le  Roi  trouva  étrange ,  vu  que  le  contraire  pa- 
roissoit  clairement,  en  ce  qu'il  avoit  lui-même  donné 
le  contrôle  de  ses  troupes ,  écrit  de  sa  main ,  au  sieur 
de  Guron ,  dans  lequel  elle  n'étoit  point  comprise. 

Il  vint ,  le  8  dudit  mois ,  trouver  le  Roi  à  Seiche- 
pré,  où  Sa  Majesté  retournant  en  France  étoit  venue 
coucher  de  Pont-à-Mousson.  Elle  l'y  reçut  le  mieux 
qu'il  lui  fut  possible ,  sans  témoigner  aucune  mémoire 
du  passé  ;  elle  le  pria  seulement  de  se  bien  souvenir 
du  traité  qu'il  venoit  de  faire  avec  elle ,  l'assurant 
que,  s'il  l'observoit  comme  il  y  étoit  obligé,  il  rece- 
vroit  d'elle  tout  le  contentement  qu'il  en  poavoit 
désirer. 

Le  duc  lui  parla  en  sorte  que ,  bien  qu'il  lui  avonât 
sa  faute,  il  étoit  aisé  à  connoitre  que  sa  confusion 
étoit  semblable  à  celle  des  criminels  qui  confessent 
à  la  torture  ce  qu'ils  ne  peuvent  nier ,  non  pas  par  re- 
pentance  qu'ils  en  aient,  mais  par  la  rigueur  ou  l'ap- 
préhension du  mal  qu'ils  recevroient  en  ne  le  fsiisant 
pas.  Il  avoua  au  Roi  avoir  failli,  mais  sans  en  particu- 
lariser les  circonstances ,  ni  spécifier  tous  les  desseins 
qu'il  savoit  avoir  été  machinés  contre  la  France  ;  les 
lèvres  parloient  et  non  le  cœur  ^  Tévideucc  des  choses 
lui  faisoit  dire  ce  qui  ne  pouvoit  être  ignoré  de  per- 

(i)  Où  la  princesse  de  Phalsbourg  :  On  a  tu  que  cette  princesie , 
Tune  des  soeurs  du  duc  de  Lorraine,  avoit  une  intrigue  avec  PuylanFem, 
fiivori  de  Monsieur. 


I  a4  [1682]   MÉMOIRES 

sonne ,  et  non  le  ressentiment  de  sa  conscience  dé- 
couvrir ce  qui  étoit  caché. 

Cependant  il  se  gouverna  si  civilement  avec  Sa 
Majesté,  qu'en  lui  disant  qu'il  n'étoit  point  venu 
pour  s'excuser,  mais  bien  pour  confesser  qu'il  avoit 
iailli  par  mauvais  conseil ,  il  ajouta  ensuite  qu'il  la 
soppUoit  de  lui  pardonner.  Sa  Majesté  loi  répondit 
qu'il  ne  falloit  plus  parler  du  passé  ni  s'en  souvenir 
que  pour  l'amender  par  sa  bonne  conduite.  Ledit 
traité  avec  le  duc  de  Lorraine  étant  fait,  le  cardinal 
dit  au  Roi  qu'il  restgit  à  pourvoir  à  trois  choses  : 

La  première ,  à  s'opposer  à  Monsieur  ; 

La  seconde,  à  parachever  les  affaires  auxquelles  on 
étoit  engagé  en  Allemagne  \ 

La  troisième ,  à  voir  si  l'on  devoit  recueillir  ou 
laisser  la  moisson  qui  s'offroit  du  côté  de  Flandre , 
par  la  révolte  de  la  plupart  de  tous  les  grands  sei- 
gneurs et  de  quelques  villes  du  pays. 

Qu'il  étoit  certain  que  si  on  laissoit  grossir  Mon- 
sieur sans  remédier  fortement  à  ses  foibles  commen- 
cemens ,  le  moindre  bon  succès  qui  lui  put  arriver  le 
rendroit  en  état  de  faire  beaucoup  de  peine;  qu'il 
étoit  certain  en  outre  que ,  si  les  Espagnols  se  vojoient 
attaqués  par  le  Roi  du  côté  de  Flandre ,  ils  redouUe- 
roient  par  nécessité  le  désir  qu'ils  avoient  d'assister 
Monsieur,  et  ne  craindroient  point  de  le  faire  ouverte- 
ment, et  de  lui  envoyer,  du  côté  d'Espagne,  les  pré- 
paratifs qu'il  y  avoit  long-temps  qu'on  savoit  qu'ils 
faisoient  à  cet  effet. 

Partant  on  estimoit  que  ce  n'étoit  pas  assez  d'avoir 
envoyé  le  maréchal  de  La  Force  après  lui ,  si  on  n'y 
envoyoit  encore  du  renfort  et  une  personne  agissant 


DB   RICHELIEU.   [lâSd]  Il5 

de  la  part  du  Roi,  si  Sa  Majesté  n*y  pouvoit  aller  elle- 
même  ^ 

Que  si  Monsieur  n'alloit  qu'en  Bourgogne,  on  ëtoit 
bien  d'avis  que  le  Roi  s*y  transportât  en  personne 
après  lui ,  pour  avoir  la  gloire  et  Tefiet  de  le  chasser 
hors  de  France  ;  mais  s'il  alloit  dans  les  Cevennes ,  le 
Languedoc  et  autres  pays  chauds  contraires  à  la  santé 
de  Sa  Majesté ,  on  n'étoit  pas  d'avis  qu'il  entreprit  de 
le  suivre ,  mais  seulement  d'y  envoyer  une  personne 
confidente  et  eflective.  On  croyoit  qu'on  pouvoit 
faire  l'affaire  de  Monsieur  et  celle  d'Allemagne  en- 
semble ,  laquelle,  quoique  non  si  spécieuse  que  celle 
de  Flandre,  ne  laissoit  pas  d'être  aussi  importante  pour 
la  conséquence. 

Premièrement,  parce  que  si  on  ne  la  faisoit  pas 
l'ayant  entreprise,  il  paroitroit  grande  foiblesse  et 
grande  légèreté  en  la  France ,  en  laquelle  l'Allemagne 
n'auroit  plus  d'espérance,  et  seroit  contrainte  de  se 
réunir  par  force  à  la  maison  d'Autriche ,  auquel  cas , 
si  le  roi  de  Suède  périssoit,  nous  aurions  à  souffrir  un 
grand  effort ,  et  nulle  personne  pour  nous  aider  à  le 
soutenir ,  ni  mettreaucune  barrière  entre  nos  ennemis 
et  nous. 

Au  lieu  que  si  on  la  parachevoit,  outre  la  réputation 
que  cela  donneroit  parmi  les  catholiques  de  secourir 
la  religion  et  les  électeurs,  un  tel  dessein  donneroit 
liaison  au  Roi  avec  la  ligue  catholique;  ce  qui  feroit 
que ,  si  le  roi  de  Suède  venoit  à  périr ,  la  maison 
d'Autriche,  prenant  le  dessus,  nesauroit  nous&ire 
mal,  vu  que  les  catholiques,  quilacraindroientautant 
que  nous ,  seroient  bien  aises  de  se  joindre  à  la  France, 
dont  ils  auroient  reçu  secours  ; 


126  [l632j    MÉMOIRES 

Qui  plus  est,  outre  que  Teffet  qu'il  y  avoit  à  faire 
en  Allemagne  en  faveur  des  catholiques  se  faisoit  du 
consentement  du  roi  de  Suède,  il  nous  rendroit  con- 
sidérables contre  lui  s'il  venoit  à  avoir  le  dessus; 
étant  certain  que  si  nous  étions  en  état  de  lui  dis- 
puter le  Rhin ,  cela  donneroit  lieu  à  tous  ceux  qui 
resteroient  contre  lui  de  se  joindre  à  nous  pour 
s'opposer  à  ses  desseins,  lesquels,  par  conséquent , 
il  ne  pourroit  pas  faire  réussir  au  préjudice  de  la 
France  ; 

Qu'il  y  avoit  plus ,  c'étoit  qu'en  ce  dessein  on  ne 
rompoit  point  ouvertement  avec  les  Espagnols  ni 
l'Empereur ,  vu  que  ce  qu'on  vouloit  faire  dans  l'é- 
vêché  de  Trêves  étoit  du  consentement  et  à  la  prière 
de  l'archevêque  et  de  tous  les  catholiques  ; 

Qu'au  reste  l'affaire  n'étoit  pas  difficile,  car  il  n'é- 
toit  question  que  de  prendre  Philisbourg  sans  guerre, 
et  trois  ou  quatre  places  et  châteaux  que  l'électeur  de 
Trêves  nous  vouloit  mettre  entre  les  mains ,  et  chas- 
ser, à  sa  prière  et  sous  son  nom,  les  Espagnols  de 
Trêves  et  Coblentz,  où  ils  avoient  peu  de  gens  ; 

Que  par  ce  moyen  on  se  rendroit  maître  de  tout 
le  pays  depuis  Metz  jusques  au  Rhin,  vu  que  tous 
ceux  qui  avoient  des  États  dans  cette  étendue  vou- 
loient  se  mettre  en  la  protection  de  la  France ,  par 
le  besoin  qu'ils  en  avoient  contre  la  maison  d'Au- 
triche, et  qu'entre  autres  le  comte  de  Nassau  offroit 
à  Sa  Majesté  sa  place  forte  de  Hombourg,  qui  n'étoit 
pas  de  petite  considération  ; 

Que  quant  au  desseip  de  Flandre,  quelque  dispo- 
sition à  la  révolte  qu'il  y  eut  entre  les  seigneurs,  les 
principales  villes  ne  se  révolteroient  pas  aisément; 


DE    RICHELIEU.   [l632]  I27 

c'étoitune  affaire  de  cinq  ou  six  années  de  suite  qull 
ëtoit  impossible  d'entreprendre ,  ayant  les  deux  autres 
sur  les  bras ,  qui  sont  de  nécessité  ^ 

Que  les  Espagnols  avoient  une  tellejalousie  et  haine 
contre  nous ,  qu'encore  qu'ils  fussent  attaqués  par  les 
Hollandais  comme  par  nous,  assurément  ils  feroient 
tous  leurs  efforts  du  côté  où  nous  serions,  et  noustom- 
beroient  sur  les  bras,  ce  qui  rendroit  nos  desseins 
très-difficiles  ; 

Qu'on  diroit  que  nous  ne  pouvions  demeurer  en 
repos ,  que  nous  voulions  toujours  la  guerre  ] 

Que  toutes  celles  que  nous  avions  eues  jusques 
alors  avoient  été,  et  apparemment,  nécessaires  et  for- 
cées, et  accompagnées  d'une  évidente  justice,  au  lieu 
que  celle-ci  sembleroit  volontaire ,  de  pure  élection , 
et  destituée  de  justice ,  au  jugement  de  ceux  qui  ne 
voudroient  pas  examiner  le  fond  des  affaires ,  ou  qui 
seroient  préoccupés  de  passion  ^ 

Qu'au  reste ,  une  telle  guerre  conviendroit  peu 
avec  l'humeur  et  la  santé  du  Roi,  avec  les  finances 
épuisées  de  la  France  et  les  humeurs  des  propres  gens 
de  guerre ,  qui  étoient  las  de  leur  métier; 

Qui  plus  est,  il  sembloit  que  ,  si  on  la  vouloit  en- 
treprendre, il  y  auroit  quelques  liaisons  préalables  à 
faire  avec  les  Hollandais  et  les  Anglais ,  pour  éviter  le 
retour  et  empêcher  que  lesdits  Hollandais ,  faisant  la 
trêve ,  ne  nous  pussent  laisser  seuls  en  guerre  ; 

Que ,  partant,  il  sembloit  clairement  qu'il  ne  falloit 
pas  entreprendre  ce  dessein  en  l'état  auquel  nous 
étions  ;  mais  la  difficulté  étoit  de  savoir  ce  qu  il  falloit 
faire  pour  ne  perdre  pas  l'avantage  que  Ton  pouvoit 
tirer  de  la  disposition  de  révolte  en  laquelle  étoient 


ia8  [iGBa]   MÉMOIRES 

tous  les  seigneurs  de  cet  État,  et  quelques  villes  par- 
ticulières ;  • 

Qu  ils  étoient  tous  si  animés  qu'ils  mandoient  ou- 
vertement que ,  si  la  France  ne  vouloit  s'accommoder 
avec  eux,  ils  traiteroient  avec  le  Hollandais-,  ce  à 
quoi  il  y  avoit  d'autant  plus  d'apparence,  que  les  Hol- 
landais accordoient  lors  libre  exercice  de  la  religion 
catholique  aux  lieux  qu'ils  prenoieht  ; 

Que  si  la  révolte  se  faisoit  en  faveur  des  Hollan- 
dais ,  'et  que  toutes  les  dix-sept  provinces  se  pussent 
réunir  (  ce  qui  étoit  très-difficile),  ce  seroit  un  très- 
dangereux  effet  pour  la  France,  étant  certain  que 
les  Hollandais ,  puissans  comme  ils  seroient ,  seroient 
très-dangereux  voisins  ^ 

Que  pour  donc  éviter  les  inconvéniens  qu'il  y  avoil 
à  faire  lors  une  telle  entreprise,  et  ceux  qu'on  pou- 
voit  encourir  à  ne  la  faire  pas ,  il  sembloit  que  le  meil- 
leur expédient  que  l'on  pût  prendre  étoit  défaire  sa- 
voir à  ce  parti  qu'on  ne  demandoit  pas  mieux  que  d'y 
entendre  ;  mais  que  pour  le  faire  il  falloit  être  délivré 
des  autres  affaires  qui  pourroient  empêcher  de  l'en- 
treprendre fortement,  et  peut-être  même  pourroient 
divertir  après  qu'on  s'y  seroit  embarqué  5 

Que  le  Roi  étoit  si  religieux  en  ses  promesses , 
qu'ayant  promis  à  quelques-uns  de  messieurs  les  élec- 
teurs catholiques  de  les  assister ,  il  ne  pouvoit  les 
abandonner  sans  perte  de  sa  réputation,  ni  laisser 
croître  les  petits  commencemens  de  l'entrée  que  Mon- 
sieur a  faite  en  France ,  sans  mépriser  tout-à-fait  ses 
intérêts  pour  ceux  d'autrui  ; 

Qu'il  espéroit  promptementavoirsatisfaitàcesdeux 
obligations ,  et  être  libre  par  après  pour  se  porter 


DE    HJCHELIEU.    [l63â]  II9 

à  un  tel  dessein ,  qui  requéroit  des  forces  entières  ^ 

Qu'il  falloit  au  même  temps  envoyer  8  ou  10,000 
pistoles  à  ceux  qui  conduisoient  cette  affaire,  non 
pour  les  distribuer  aux  grands ,  qui  n'en  prendroient 
pas ,  au  moins  pour  si  peu,  mais  pour  contenter  quel- 
ques sujets  subalternes  qu'on  ne  pouvoit  tenir  que 
par  les  intérêts ,  qu'il  n'ëtoit  pas  raisonnable  qui  sortit 
de  la  bourse  des  grands  ] 

Que ,  quoique  la  dépense  qu'on  feroit  en  cette  oc- 
casion ne  fût  pas  excessive  ni  considérable  pour  un- tel 
dessein ,  elle  nelaisseroit  pas  de  faire  croire  à  ceux  qui 
nienoient  et  conduisoient  cette  affaire  qu'on  y  vouloit 
entendre  ,  et  empécheroit  peut-être  que  leurs  es- 
prits ne  se  portassent  à  se  lier  avec  les  Hollandais^ 
comme  il  sembloit  que  le  désespoir  de  la  plupart  de 
ceux  du  pays  les  y  précipitât. 

Le  Roi  trouva  bon  cet  avis,  renvoya  le  maréchal 
d'Efliat  en  Allemagne  avec  son  armée. 

Elle  envoya  quant  et  quant  le  maréchal  de  Scliom- 
berg  d'autre  côté  après  Monsieur,  avec  douze  cents 
chevau-légers  et  gendarmes,  et  huit  cents  mousque- 
taires à  cheval ,  choisis  dans  le  régiment  des  gardes, 
pour  suivre  Monsieur  par  l'Auvergne,  où  il  avoit 
passé ,  et  lui  couper  chemin  par  l'Albigeois ,  pendant 
(]ue  le  maréchal  de  La  Force  avec  son  armée  s'avan- 
ceroit  vers  le  bas  Languedoc  par  le  Rhône ,  et  se  mit 
en  chemin  pour  aller  à  Paris,  et  de  là  prendre  la 
même  route  s'il  en  étoit  de  besoin. 

Le  commandement  qu'elle  donna  au  maréchal  d'Ef<' 

fiât,  renvoyant  avec  son  armée  en  Allemagne ,  fut  de 

secourir  l'électeur  de  Trêves ,  selon  les  instances  ex-» 

presses  qu'il  en  avoit  faites  au  Roi ,  et  voir  s'il  pour-* 

T.  27.  9 


iSo  [1639]    MÉMOIRES 

roit  mettre  Tëlecteur  de  Cologne  avec  Sa  Majesté  et 
le  roi  de  Suède ,  pour  sa  conservation ,  au  même  point 
que  ledit  électeur  de  Trêves  y  ëtoit  ;  ce  dont  ledit 
électeur  de  Cologne  a  voit ,  par  ambassadeur  exprès , 
envoyé  supplier  Sa  Majesté. 

L'électeur  de  Trêves  a  voit,  par  un  ambassadeur  ex- 
près, et  par  seslettres  du  8  février,euvoyé  aussi  supplier 
le  Roi  de  l'assister  pour  remettre  la  ville  de  Trêves 
en  ses  mains,  et  lui  avoit  mandé  que  Sa  Majesté  ayant 
fait  ce  bien  à  son  église  de  Trêves  et  à  sa  ville  de  Spire 
d*obtenir,  par  son  autorké,  la  neutralité  avec  le  roi 
de  Suède ,  qu'il  étoit  maintenant  question  de  la  faire 
observer^  ce  qui  ne  se  faisoit  pas  à  cause  de  l'injustice 
des  Espagnols  à  l'endroit  dudit  archevêque ,  lesquels , 
contre  tout  droit  et  apparence  de  raison ,  et  contre 
tontes  les  constitutions  de  l'Empire,  ayant  dessein  de 
joindre  la  ville  et  l'archevêché  de  Trêves  avec  le  duché 
de  Luxembourg  et  le  Palatinat  inférieur,  prétendoient 
je  ne  sais  quel  droit  d'une  p^tection  mendiée,  de  la 
demande  ni  consentement  d^aquelle  ils  ne  sauroient 
montrer  ni  un  seul  mot  ni  une  seule  lettre ,  et  n'y  en 
ponvoit  même  avoir  apparence  aucune  ;  car  si  le  vœu 
électoral  de  Trêves  étoit  en  la  puissance  de  quelque 
protecteur  plus  puissant  que  lui ,  par  cela ,  ipso  facto, 
l'électorat  seroit  anéanti.  Or,  de  là  arrivoit,  disoit- 
il ,  que  le  roi  de  Suède  menaçoit  de  mettre  à  feu  et  i 
sang  tout  son  pays  si  les  troupes  espagnoles ,  qui  en 
étoient  ennemies,  ne  s'en  retiroient*,  et,  vu  la  fortune 
et  l'orgueil  qui  l'élevoit ,  il  n'y  avoit  point  de  doute 
qu'il  ne  le  fît  ;  que  la  ville  de  Trêves ,  située  entre  des 
montagnes ,  et  assez  mal  gardée ,  ne  lui  sauroit  faire 
trois  jours  de  résistance;  ce  qui  seroit  au  grand  dom- 


DE   RICttELtEU.    [l63l]  tSi 

mage  des  couronnes  voisines,  et  principalement  du 
duché  de  Luxembourg*,  que,  pour  y  remédier,  il  sup- 
plioit  Sa  Majesté  de  Taider  à  remettre  ladite  ville  en 
sa  puissance ,  afin  qu'il  la  pût  garder  par  des  soldats 
levés  eu  ses  pays  ,  et  vivre  avec  la  Suède  en  la  neu- 
tralité que  le  Roi  lui  avoit  moyennée.  Il  supplia  Sa 
Majesté  de  faire  savoir  à  llnfante  que  ce  n'étoit  point 
à  dessein  deToflenser  ni  TEspagne ,  mais  pour  la  seule 
fin  de  délivrer  ce  pauvre  pays  des  meurtres  et  des 
ruines  dont  il  étoit  menacé. 

Sa  Majesté,  ensuite  de  cette  prière,  donna  com- 
mandement aux  généraux  de  son  armée  de  la  con- 
duire dans  ses  Etats  pour  en  chasser  les  Espagnols , 
ce  qu'elle  eut  fait  dès  lors  si  le  duc  de  Lorraine,  qui 
lui  avoit  promis  de  joindre  ses  armes  aux  siennes , 
non-seulement  n*eût  manqué ,  mais  ne  les  eût  jointes 
à  ses  ennemis,  et  occupé  les  forces  du  Roi  contre  lui- 
même:  néanmoins,  ce  dessein  de  Sa  Majesté  fît  que 
les  hostilités  des  9ftédoi||)pessèrent  dans  ledit  électo- 
rat ,  à  quelques  passages  de  la  Moselle  près,  dont  ils 
se  saisirent  pour  s*opposer  aux  Espagnols,  qu'ils  sa- 
voient  que  Sa  Majesté  en  vouloit  chasser. 

Alors  le  Roi  commanda  au  maréchal  d'Effiat  de 
faire,  s'il  pouvoit,  sortir  la  garnison  espagnole  de  Phi- 
lisbourg  et  y  en  mettre  une  française ,  faire  le  même 
dans  Coblentz ,  et  trois  ou  quatre  autres  petites  places 
que  ledit  Electeur  vouloit  remettre  es  mains  de  Sa 
Majesté,  et  faire  que  lesdits  Espagnols  laissassent 
Spire  et  Trêves  libres  audit  Electeur  ; 

Que  tant  qu'il  pourroit  faire  ces  choses  par  négo- 
ciation il  devoit  éviter  d'en  venir  à  la  force  ; 

Que  ledit  Electeur  avoit  proposé  de  donner  5o.ooo 

*  9- 


}3a  [l632]   MÉHOIKES 

risdales  à  celui  qui  commandoit  dans  Philisbourg  pour 
le  retirer  de  lui  ;  qu'il  valoit  beaucoup  mieux  en  user 
ainsi  que  venir  à  la  force  ^ 

Quant  aux  autres  châteaux  et  petites  places  que 
ledit  Electeur  vouloit  remettre  es  mains  du  Roi ,  on 
croyoit  qu'il  n'y  avoit  qu'à  les  recevoir,  ou  que ,  s'il 
y  avoit  des  ennemis  dedans ,  elles  étoient  si  foibles 
qu'elles  ne  sauroient  résister. 

Pour  Coblentz,  la  ville  étoit  si  mauvaise,  et  le 
commandement  d'Hermenstein ,  à  l'opposite ,  si  puis- 
sant, la  battant  en  ruine,  qu'il  n'y  auroit  pas  de  dif- 
ficulté à  s'en  rendre  maître,  mais  bien  à  la  mettre 
en  état  d'être  conservée  à  l'avenir  contre  les  desseins 
des  ennemis^  ce  qui  étoit  du  tout  nécessaire,  et  à 
quoi  ledit  sieur  maréchal  devoit  bien  pourvoir. 

Pour  Trêves ,  bien  que  la  ville  ne  fût  pas  bonne  , 
les  Espagnols  étant  dedans ,  ledit  maréchal  pourroit  y 
trouverdela  résistance  \  cependantle  mauvais  état  pré- 
sent des  affaires  d'Espagne  i^soit  qu'il  y  avoit  grande 
apparence  qu'ils  consentiroient  volontiers  d'en  sortir  y 
la  ville  demeurant  libre  à  l'électeur  de  Trêves ,  ce 
qu'il  seroit  bon  de  traiter  avant  que  d'en  venir  à  la 
force. 

S'il  falloit  attaquer  quelque  place  dudit  électeur  de 
Trêves  pour  la  lui  remettre  entre  les  mains,  ledit 
maréchal  d'Effiat  Iç  feroit  sous  le  nom  dudit  Elec- 
teur, au  secours  duquel  le  Roi  l'avoit  envoyé. 

S'il  y  avoit  quelque  chose  à  faire  en  faveur  de 
l'électeur  de  Cologne ,  il  feroit  le  même  5 

Que  si  ledit  maréchal  d'Effiat  étoit  contraint  d'at- 
taquer Trêves,  il  feroit  au  même  temps  avec  ceux 
qui  commandoient  les  armes  du  roi  de  Suède,  qu'ils 


DE  RICHELIEU.    [lÔSa]  l33 

attaquassent,  s*i]  sepoavoit,  Trarbach*,  après  quoi, 
s'il  ëtoit  possible ,  il  devoit  persuader  aux  troupes 
du  roi  de  Suède  qu'il  leur  ëtoit  avantageux  de  le 
remettre  entre  les  mains  du  Roi ,  qui ,  par  ce  moyen , 
se  chargeroit  de  la  garde  ; 

Qu'il  falloit  aussi  rendre  Lustein  libre  entre  les 
mains  de  Télectéur  de  Trêves,  et  y  mettre  garnison , 
afin  que  Coblentz  et  Hermenstein  fussent  libres  de 
tous  côtés  ; 

Qu'il  falloit  laisser  dans  les  garnisons  de  l'électeur 
de  Trêves  quatre  mille  hommes  et  trois  cents  che^ 
vaux,  pour  les  disperser  ainsi  que  ledit  Electeur 
aviseroit ,  sous  la  charge  d'un  maréchal  de  camp  ; 

Que,  s'il  étoit  vrai  que  les  chanoines  de  Trêves 
eussent  élu  un  coadjuteur  à  l'électeur  de  Trêves» 
et  particulièrement  Mestervic  qui  étoit  Espagnol, 
ledit  maréchal  devoit,  par  ruse  ou  par  autorité,  faire 
révoquer  cette  élection,  et  en  rechercher  à  faire 
coter  les  défauts  qu'il  apprendroit  dudit  Electeur. 

Pour  ce  qui  étoit  da  traité  à  faire  avec  l'électeur 
de  Cologne  pour  le  remettre  au  même  point  que  ce- 
lui de  Trêves ,  lui-même  s'y  offroit  maintenant ,  ayant 
envoyé  exprès  vers  le  Roi  pour  le  prier  de  l'accorder 
avec  le  roi  de  Suède  comme  étoit  ledit  électeur  de 
Trêves  ^ 

Enfin  qu'il  fit  que  le  duc  de  Lorraine  lui  donnât 
le  plus  de  cavalerie  et  d'infanterie  qu'il  pourroit  pour 
joindre  à  son  armée,  selon  qu'il  y  étoit  obligé. 

Sa  Majesté  envoya  quant  et  quant  aussi  Saint- 
Etienne  vers  le  duc  de  Bavière  et  autres  princes» 
et  La  Grange  aux  Ormes  vers  le  roi  de  Suède ,  sur 
les  occurrences  présentes  des  affaires  d'Allemagne , 


l34  [l63a]  MÉMOIRBS 

particulièrement  pour  essayer  d'accommoder  le  duc 
de  Bavière ,  et  autres  princes  de  la  ligue  catholique , 
avec  le  roi  de  Suède  et  ses  adhérens  »  ou ,  du  moins  , 
les  porter  à  une  suspension  jusques  à  une  diète 
générale. 

Elle  manda  audit  duc  de  Bavière  qu'elle  leur  avoit 
donne  ordre  de  traiter  tout  ce  qui  se  pourroit  à  son 
avantage,  et  avoit  en  outre  commandé  au  sieur  de 

Charnacé  de  faire  toutes  sortes  d'instances  auprès  du 

t.' 

chancelier  Oxenstiern  pour  y  disposer  son  maître; 

De  plus,  que  Sa  Majesté  avoit  envoyé  une  armée 
de  vingt  mille  hommes  de  pied  et  quatre  mille  che- 
vaux pour  délivrer  M.  rélecteiir  de  Trêves  des  op- 
pressions qui  lui  étoient  faites ,  et  empêcher  la  perte 
de  M.  de  Cologne  son  frère,  ce  qui  étoit  le  meilleur 
secours  effectif  qui  lui  pût  é|re  donné  en  l'état  au* 
quel  étoient  les  choses,  puisque  par  ce  moyen  il  se 
rendoit  puissant  avec  les  catholiques ,  pour  ne  perdre 
pas,  par  après,  le  temps  de  procurer  tout  ce  qui  se 
pourroit  pour  son  bien  ; 

Qu'on  estimoit  que  ces  moyens  étoient  les  seuls 
effectifs  qui  lui  pouvoient  donner  du  secours ,  prin- 
cipalement en  ce  que  s'y  étant  bien  uni  avec  mes- 
sieurs les  électeurs  de  Cologne  et  de  Trêves,  on 
^Je  maintenoit  en  bonne  intelligence  avec  le  roi  de 
^Suède;  au  moindre  mauvais  succès  qui  lui  pourroit 
arriver,  on  seroit  en  état  de  le  porter  k  tout  ce 
que  M.  de  Bavière  pourroit  désirer  pour  son  con- 
tentement -, 

Que  si ,  outre  ce  que  dessus,  ledit  duc  de  Bavière 
prétendoit  Tékécution  du  traité  fait  avec  lui ,  bien 
que  le  Roi  eut  plusieurs  raisons  solides  et  véritables 


DB  EICHELllU.   [l6Sl]  l35 

pour  8*en  défendre ,  en  tant  qne  ledit  sieur  de  Bavière 
a  voit  refusé ,  six  mois  durant ,  la  neutralité  que  le  roi 
de  Suède  lui  accordoit  sans  aucune  condition,  et  que 
depuis  c'étoit  lui  qui,  avec  les  forces  de  la  ligue, 
avoit  attaqué  le  premier  le  roi  de  Suède  à  Bamberg, 
Sa  Majesté  nelaisseroit  pas  de  lui  faire  donner  100,000 
écus  pour  lui  témoigner  Texcès  de  Taffection  qu'il 
avoit  pour  lui. 

Ledit  maréchal  part  avec  grand  dessein  dAier- 
vir  le  Roi  ;  les  commencemens  en  furent  glonRix , 
mais  sa  mort  précipitée  hii  en  déroba  la  gloire,  et  au 
Roi  l'avantage  qu'il  pouvoit  tirer  de  ses  services.  H 
entre  en  Allemagne  avec  une  armée  si  leste  qu'il  ne 
trouva  personne  qui  osât  s'opposer  à  lui. 

Le  comte  d'Emden  eut  si  grande  appréhension  des: 
troupes  qu'il  conduiso^qu'il  abandonna  son  poste , 
et  alla  repasser  la  Moselle  à  la  vue  des  garnisons  de 
Suède ,  chargé  de  bagage ,  défilant  et  leur  montrant 
le  flanc ,  ce  dont  on  fit  faire  quelque  plainte  par  Qiar« 
nacé  à  Oxenstiern. 

II  mande  à  l'électeur  de  Trêves  qu'il  étoit  venu  en 
ces  quartiers  pour  son  secours,  et  qu'il  lui  mandât» 
quand  et  combien  il  vouloit  qu'il  fît  partir  de  troupes, 
de  Tarmée  du  Roi  pour  lui  envoyer,  et  que,  sur  son^ 
mandement,  sans  autre  ordre,  il  lui  obéiroit,  et  que^^^j^^^ 
s'il  lui  plaisoit  passer  dans  l'armée  de  Sa  Majesté ,  ^" 
pour,  agissant  comme  le  maître  des  troupes  ^les  con- 
duire droit  à  Philisbourg  ou  à  Trêves,  pour  le  réta-. 
blir  chez  lui  et  en  chasser  les  Espagnols  et  de  toutes 
ses  terres  qu'ils  lui  occupoient  sur  la  Moj^lle  jusques 
à  Coblentz ,  il  le  tiendroit  à  honneur,  llifsurant  qne 
l'Espagnol  ne  refuseroit  de  lui  rendre  ses  places ,  de 


l36  [l63a]  MÉMOIRES 

peur  de  blesser  la  feinte  réputation  qu'ils  affectent  de 
conserver  le  bien  à  l'Eglise,  mais  plus  certainement 
encore  pource  qu'il  leur  seroit  inutile  de  les  vouloir 
retenir  en  présence  des  armes  du  Roi. 

Il  envoya  La  Garde  avec  un  trompette  au  comte 
de  Mérode,  avec  une  lettre  de  créance ,  qui  étoit 
que  le  Roi  s'étonnoit  qu'ayant  pris  Tarchevequo 
de  Trêves  en  sa  protection ,  il  s'étoit ,  dès  aussitôt 
qa*0j|kuroit  su,  jeté  hostilement  dans  la  ville  de  Co* 

blewf 

Que  Sa  Majesté  le  prioit  de  s'en  retirer,  faire  ces- 
ser par  ce  moyen  le  trouble  qu'il  apportoit  au  bien 
que  Sa  Majesté  vouloit  procurer  aux  catholiques  en 
Allemagne,  et  ne  l'obliger  pas  à  l'y  contraindre  parla 
force  de  ses  armes, 

A  quoi  Mérode  n'ayant  ff^  répondu  déterminé- 
ment,  il  envoya  à  Oxenstiem  le  prier  de  l'attaquer, 
tandis  qu'il  iroit  assiéger  les  places  plus  importantes 
de  l'Electeur ,  qui  étoient  entre  les  mains  des  Espa- 
gnols, ce  que  ledit  Oxenstiern  fît  aussitôt. 

A  la  vue  de  ses  troupes ,  Coblentz  se  rendit ,  et , 
l'ayant  reçue,  il  la  remit  aussitôt  entre  les  mains  de 
l'Electeur  et  des  nôtres.  Mérode ,  faisant  le  fin ,  faisoit 
semblant,  long-temps  auparavant,  de  vouloir  remettre 
^  cette  place  par  l'entremise  de  l'électeur  de  Cologne, 
'  afin  que  sa  retraite  ne  fût  pas  imputée  aux  armes 
d'Oxenstiern ,  qui  l'ayant  prise  et  étant  mécontent 
des  longueurs  de  Cologne  à  entrer  en  la  neutra- 
lité de  même  que  Trêves,  et  ayant  les  chemins 
ouverts  dans  ses  Etats  par  Coblentz,  s'en  vouloit 
emparer  s'il  B*en  eût  été ,  bien  qu'avec  peine ,  retenu 
par  le  respect  du  Roi ,  que  Chamade  lui  dit  affection- 


DE  RICHELIEU.   [l63a]  li') 

ner  tant  cet  Électeur  qu'il  recevroit  du  déplaisir  du 
mauvais  traitement  qu'il  lui  feroit,  ce  dont  ledit 
Electeur  envoya  faire  de  grands  remercimens  à  Sa 
Majesté. 

L'Electeur  ayant  témoigné  à  la  garnison  qui  étoit 
dans  Philisbourg qu'ils  dévoient  le  reconnoitre  comme 
leur  prince  naturel ,  ils  lui  mandèrent  qu'ils  ne  recon- 
uoissoient que  l'Empereur,  et  que  s'il  leur  envoyoit 
à  l'avenir  quelqu'un  des  siens  ,  ils  le  traikÉfeent 
comme  ennemi.  " 

Le  maréchal  d'Effiat,  se  tenant  offensé  de  cette 
réponse,  manda  au  marquis  de  Bade ,  au  colonel  Mon- 
tecuculli  et  au  commissaire  Ossa  qu'ils  rendissent 
cette  place  à  leur  seigneur ,  ou  que  le  Roi  feroit  re- 
présailles. A  quoi  ils  répondirent  que  ledit  archevê- 
que ou  son  chapitre  l'af  oient  mise  entre  les  mains  de 
la  maison  d'Autriche  *,  mais ,  l'archevêque  lui  mandant 
que  cela  étoit  faux ,  tomme  même  ceux  du  chapitre 
qu'ils  tenoient  prisonniers  dans  ladite  place  le  pro* 
testoient ,  il  tourna  tête  vers  elle ,  et  se  résolut  de 
l'aller  assiéger. 

L'Electeu  r  l'envoya  prier  de  commencer  par  Trêves; 
le  maréchal  ne  se  pouvoit  rendre  à  son  désir ,  pource 
qu'il  étoit  déjà  avancé  sur  le  chemin  de  Philisbourg , 
et  que  celui  pour  aller  à  Trêves  du  lieu  où  il  étoit,!. 
étoit  fort  difficile  h  cause  des  bois  et  des  montagnes,' 
joint  que  l'armée  y  pâtiroit  grandement  pource  qu'il 
n'y  avoit  point  de  vivres,  le  pays  ayant  été  tout 
mangé,  où  au  contraire  le  chemin  de  Philisbourg 
étoit  aisé,  plein  de  commodités,  et  quatre  mille 
hommes  de  pied  et  cinq  cents  chevaux  du  duc  de 
Lorraine  le  dévoient  joindre  de  ce  côté-là^  néan- 


i38  [i63a]  MiMOiRis 

moins ,  pour  coDlenter  TElecteur ,  il  tourna  tête  vers 
Trêves  ;  mais  »  étant  arrivé  à  Litztelstein  ,  entre 
Trêves,  Sarbruck  et  Strasbourg,  il  tomba  malade 
d'une  fièvre  pourprée  qu'il  gagna  pour  avoir  excessi- 
vement travaillé ,  ayant  la  pluie  sur  le  dos ,  à  faire  la 
revue  de  Tarmée  qu'il  commandoit,  de  laquelle  il 
mourut  peu  de  jours  après  ,  le  '^7  juillet ,  laissant 
plus  de  regret  de  sa  perte  à  ceux  qui  demeurèrent 
aprèftlm ,  qu'il  n'en  ressentit  lui-même ,  mourant  avec 
toutcm  constance  et  la  piété  que  les  personnes  reli- 
gieuses même  peuvent  désirer. 

Il  étoit  gentilhomme  de  peu  de  moyens,  mais  de 
noble  extraction  et  de  gens  de  courage.  Son  père 
avoit  acquis  grande  réputation  dans  les  guerres  de  la 
ligue ,  et  étoit  toujours  demeuré  ferme  au  service  du 
Roi  où  il  mourut,  ayant  consommé  la  plupart  du 
bien  qu'il  avoit ,  laissant  son  fils  en  fort  bas  âge ,  dont 
M.  de  Beaulieu-Ruzé  son  oncle  eut  autant  de  soin  que 
s'il  eût  été  son  fils  propre ,  lui  fit  apprendre  ses  exer- 
cices, et  le  rendit  un  des  plus  adroits  gentilshommes 
qui  fût  dans  le  royaume.  A  l'adresse  du  corps  la 
force  d'esprit  ne  manqua  pas,  qui  non-seulement  le 
fit  incontinent  considérer  comme  un  homme  de  ser- 
vice ,  mais  lui  fit  ménager  si  utilement  la  faveur  de 
son  oncle,  que ,  par  son  moyen ,  il  acquit  beaucoup 
de  biens.  La  première  charge  qu'il  eut  à  la  cour  fut 
celle  de  premier  écuyer  de  la  grande  écurie ,  qu'il 
acheta  de  M.  de  Termes. 

Quelque  temps  après  il  s'en  défit,  étant  envoyé  en 
ambassade  extraordinaire  en  Angleterre ,  où  il  sut  si 
adroitement  slnsinuer  dans  l'esprit  du  roi  Jacques, 
qu'il  lui  fit  agréer  le  mariage  de  Madame  auquel  il 


DE   RICHEUEU.    [l63l]  ïig 

avoit  une  extrême  aversion ,  à  cause  de  la  nécessité 
que,  pour  son  honneur,  il  avoit  de  recouvrer  le  Pala- 
tinat,  ce  qu'il  ne  pouvoit  faire  sans  guerre,  qu'il  ne 
vouloit  point,  sinon  s'alliant  à  TEspagne  et  non  avec 
nous.  Et  après  avoir  été  agréé ,  il  surmonta  toutes  les 
diflficultés  qui  naissoient  de  jour  à  autre  en  la  con- 
clusion du  traité  de  la  part  des  Espagnols,  de  celle 
des  huguenots  et  des  cathoHques. 

Le  roi  d'Angleterre  fut  si  charmé  de  son  prooédë , 
qu  il  demanda  au  Roi  qu'il  lui  plût  le  faire  chtfitier 
de  l'Ordre  hors  le  temps  accoutumé.  Le  Roi  étoit  si 
content  de  ses  services ,  qu'il  eut  agréable  cette  de- 
mande et  la  lui  accorda^  ensuite  de  quoi  Sa  Majesté 
commanda  au  duc  de  Chevreuse ,  qui  alla  conduire 
Madame  en  Angleterre  en  1625,  de  lui  donner  son 
Ordre.  A  son  retour,  qui  fut  sur  la  fin  de  l'année,  il 
amena  au  Roi  huit  grands  vaisseaux  de  guerre  qu'il 
joignit  au  duc  de  Montmorency,  et  firent  le  principal 
échec  à  la  bataille  navale  contre  les  Rochelois. 

Depuis,  le  Roi  lui  ayant  donné  l'administration  de 
ses  finances,  qui  étoien  t  en  arrière  de  quelques  années, 
il  y  sut  apporter  un  tel  ordre ,  qu'à  sa  mort  non-seule- 
mentil  avoit  regagné  le  courant,  mais  il  avoit  fait  fonds 
de  grandes  sommes  de  deniers  :  bien  qu'en  toutes 
les  années  de  son  administration  la  nécessité  des 
dépenses  eût  été  plus  grande  que  jamais  auparavant, 
les  affaires  du  Roi  n*étoient  point  demeurées  faute 
d'argent,  et  ce  que  n'ont  pas  beaucoup  d'autres  sur- 
intendans  qui  pour  épargner  s'opposent  le  plus  sou- 
vent à  toutes  sortes  de  dépenses  pour  justes  qu'elles 
soient,  tant  s'en  faut  qu'il  le  fit,  qu'au  contraire  il 
étoit  prompt  de  satisfaire  aux  ordres  que  le  Roi  lai 


l4o  [x632]   MEMOIRES 

donnoit  pour  les  récompenses  et  gratifications  que 
Sa  Majesté  faisoit  à  ceux  qui  Favoient  bien  servie  en 
diverses  occasions. 

En  la  guerre  dltalie,  le  Roi  étant  rappelé  en  son 
royaume  pour  remédier  aux  cabales  qui  se  formoient 
en  son  Etat ,  elle  l'envoya  en  Piémont  avec  le  duc  de 
Montmorency ,  pour  y  commander  son  armée  avec 
lui  f  où  il  se  signala  de  sorte  au  combat  de  Yeillane , 
que  la  victoire  en  a  été  attribuée  à  son  courage  et  à 
celui  du  duc  de  Montmorency.  En  toutes  les  autres 
occasions  qui  se  présentèrent ,  il  fit  paroitre  tant  de 
jugement  et  de  hardiesse  tout  ensemble,  qu'il  acquit 
une  telle  créance  parmi  les  gens  de  gilerre  qu'on  eut 
peine  à  les  retenir,  quand  une  grande  maladie  qui  lui 
survint  l'obligea  de  se  faire  porter  à  Grenoble. 

Le  Roi  lui  donna ,  dès  le  siège  de  La  Rochelle ,  la 
commission  de  grand-maître  de  l'artillerie,  qu'il  exerça 
jusqu'à  sa  mort  si  soigneusement ,  que  le  Roi  n'y  fut 
jamais  mieux  servi  et  avec  moins  de  dépense. 

Au  retour  dltalie,  ses  services  lui  acquirent  la 
cfiarge  de  maréchal  de  France ,  qu'il  exerça  avec  gloire 
et  réputation  en  l'armée  que  le  Roi  lui  donna  à  com- 
mander en  Allemagne,  jusqu'à  ce  qu'il  nous  fut  ravi 
par  la  mauvaise  fortune  de  la  France.  Avec  lui  mourut 
l'espérance  des  avantages  que  nous  nous  promettions 
de  sa  conduite ,  qui  eût  porté  nos  affaires  en  ces  quar- 
tiers-là au  plus  haut  point  où  l'on  eût  su  désirer  les 
y  voir  établir. 

L'ordre  qu'auparavant  sa  mort  il  avoit  donné  pour 
aller  assiéger  Trêves  fut  exécuté  :  il  avoit  divisé 
l'armée  en  deux  parties  égales  ,  le  commandement 
de  Tune  desquelles  il  avoit  donné  au  sieur  d'ArpaJon , 


DE    RICHELIEU.    [l63!2]  l4l 

et  lui  a  voit  fait  prendre  le  chemin  le  plus  court  avec 
la  plupart  de  Tartilierie. 

Il  a  voit  donné  celui  de  l'autre  au  comte  de  La  Suse , 
avec  deux  bâtardes,  et  ordre  de  s'y  acheminer  le  long 
du  Rhin  :  Tun  et  Tautre  suivirent  leur  route.  Le  vi- 
comte d'Arpajon  prit  en  passant  Consarbruck ,  qui  se 
rendit  sans  grande  résistance ,  et  arriva  le  6  août 
devant  Trêves. 

Cest  une  grande  ville  qui  a  de  grands  fossés,  de 
belles  murailles  non  terrassées ,  flanquées  de  tours  de 
trente  en  trente  toises  \  la  situation  est  en  plaine,  ayant 
la  Moselle  du  côté  de  Luxembourg  et  à  la  partie  op- 
posite la  montagne ,  mais  hors  de  commandement  ; 
elle  a  un  pont  sur  la  Moselle  qui  est  Tunique  qu'a- 
voient  les  Espagnols  pour  trajeter  de  Flandre  et  de 
Luxembourg  eu  ces  parties  de  TAllemagne  qui  leur 
donnent  le  chemin  dltalie. 

Dès  son  arrivée  il  logea  larmée  à  trois  cents  pas  de 
la  ville,  et  Tavant-garde  plus  près  encore  dans  les 
Chartreux,  qui  sont  peu  éloignés  de  la  contrescarpe 
du  fossé.  Les  ennemis  commencèrent  les  premiers 
à  tirer  sur  les  nôtres ,  qui  dès  la  nuit  dressèrent  une 
batterie  pour  démonter  leur  canon ,  et  le  lendemain 
ouvrirent  les  tranchées  par  deux  lignes  différentes. 

Le  maréchal  d'Estrées,  que  le  Roi  avoit  choisi  pour 
succéder  au  commandement  du  maréchal  d'EtIiat,.7 
arriva  le  9,  et  trouva  les  tranchées  avancées  jusqu'à 
soixante  pas  de  la  contrescarpe.  Néanmoins,  voyant 
la  grandeur  de  cette  ville ,  il  désespéra  de  la  pouvoir 
prendre,  et  en  envoya  par  Comblât  le  plan  au  Roi,  qui 
en  lit  un  contraire  jugement,  et  lui  manda  que,  si 
par  queUiuc  occasion  que  ce  fut,  cette  entreprise 


14^  [l632l]   MÉMOIRES 

manqttoit  du  bon  succès  que  Dieu  avoit  donné  à 
toutes  les  autres  qu*U  avoit  faîtes  jusqu'alors  «  sa 
réputation  déchoiroit  en  Allemagne ,  où  il  arriveroit 
de  fîcheux  accidens  trop  longs  à  écrire,  et  qu'il  pour- 
voit facilement  prévoir  *,  mais  néanmoins  que  s'il  la 
jugeoit  absolument  impossible ,  en  ce  cas  ce  seroit  à 
lui  à  en  retirer  son  armée,  sans  qu'elle  en  reçût  aucun 
échec  ;  mais  qu'en  effet  Sa  Majesté  ne  voyoit  pas  que 
rien  pût  empêcher  la  prise  de  cette  place  si  une  ar- 
mée ne  la  venoit  secourir*,  ce  qui  sembloit  ne  pouvoir 
être  que  de  la  part  de  Pftppenheim ,  qu'on  sa  voit  ne  le 
pouvoir,  tant  pource  qu'il  étoit  embarqué  avec  les 
Espagnols  au  siège  de  Maëstricht  que  pource  que  la 
ligue  catholique  ne  se  pouvoit  déclarer  contre  le  Roi. 
Cependant,  s'il  y  avoit  lieu  d'en  douter,  qu'il  en- 
voyât dire  à  l'électeur  de  Cologne  que  le  Roi  seroit 
obligé  de  s'en  ressentir,  quelque  déguisement  qu'il  y 
pût  apporter,  et  qu'à  l'extrémité ,  s'il  avoit  besoin  de 
secours ,  et  qu'il  y  eût  des  troupes  du  roi  de  Suède 
vers- May ence ,  il  envoyât  vers  celui  qui  les  comman- 
deroit,  pour  le  prier  de  l'assister,  puisqu^il  s'agissoit 
d'un  dessein  commun ,  et  en  un  mot  qu'il  n'oubliât 
rien  de  ce  qui  seroit  raisonnable  et  possible  pour 
venir  à  bout  de  son  entreprise. 

La  ville  ne  fut  tout  le  long  du  siège  assiégée  que 
d'un  côté  ,  ni  lorsque  les  troupes  seules  du  vicomte 
d'Arpajon  y  étoient,  ni  depuis  même  que  le  comte  de 
La  Suse  y  arriva  le  1 1  dudit  mois  avec  huit  mille 
hommes  de  pied  et  huit  cent  cinquante  chevaux»  et 
encore  l'attaquoil-on  par  le  plus  fort.  Il  n'y  avoit  point 
de  bateaux  dont  on  pût  faire  des  ponts  et  inreslir  b 
ville  de  lautre  côté  de  U  Moselle ,  par  où  elle  pan  voit 


Dl   BICHBLIStr.    [itiS^]  14s 

être  secourue  ;  on  ne  la  poavoit  passer  en  quelque 
lieu  que  ce  fut,  qu*à  quatre  cents  pas  de  là  on  n'en- 
trât dans  le  Luxembourg,  qui  vient  en  plusieurs  lieux 
jusqu'à  la  rivière,  et  d'où  on  secouroit  la  place  tout 
ouvertement.  Mais  Dieu,  qui  bénissoit  nos  armes  parce 
quelles  ëtoient justes ,  et  le  courage  des  nôtres,  et 
principalement  des  vieux  rëgimens  qui  montroient 
l'exemple  aux  autres,  leur  fit  surmonter  toutes  les 
difficultés,  battre  les  ennemis  quand  ils  se  présentè- 
rent ,  et  venir  en  peu  de  jours  à  bout  de  ce  siège. 

Quelques  jours  après  le  siège  commencé,  ceux  de  la 
garnison  de  Thionville arrêtèrent,  au  préjudice  de  la 
foi  publique,  un  bateau  dans  lequel  il  y  a  voit  seize  mille 
pains  de  munition  qu'on  avoit  fait  faire  à  Metz  -,  ce 
qui  étoit  bien  éloigné  de  la  retenue  de  notre  armée , 
qui  n'avoit  jamais  voulu  passer  la  rivière  de  la  Ho- 
selle  pour  aller  charger  les  troupes  de  cavalerie  du 
comte  d'Isenbourg,  qui  se  présentoient  tous  les  jours 
sur  le  bord  de  ladite  rivière ,  à  une  demi-lieue  de 
Trêves ,  où  elles  croyoient  être  en  assurance  comme 
étant  sur  les  terres  de  Luxembourg ,  bien  qu'on  pût/ 
facilement  aller  à  elles  par  un  gué  où  l'on  pouvoit 
passer  douze  ou  quinze  de  front ,  et  qu'on  eût  toutes 
les  peines  du  monde  d'empêcher  le  passage  de  notre 
cavalerie.  Ceux  de  la  ville  firent  une  seule  sortie  de 
trois  cents  hommes  d'un  côté,  et  de  cent  hommes  de 
laulre ,  commandés  par  un  lieutenant ,  afin  de  diver- 
tir nos  forces  et  donner  l'alarme  en  divers  endroits  \ 
et  cependant  une  troupe  se  coula  le  long  d'une  mon- 
tagne du  camp,  favorisée  de  l'obscurité  de  la  nuit  et 
du  lieu  où  il  étoit  fort  difficile  de  l'apercevoir,  et  tirè- 
rent droit  à  notre  batterie ,  avec  dessein  d'enclouer 


l44  [1632]  M^^MOIRES 

le  canon  on  de  la  renverser ,  ayant  à  cet  effet  apporté 
des  pales  avec  eux ,  lesquelles  ils  ne  remportèrent  pas-, 
car  ils  furent  fort  ëtonnés  de  se  voir  si  bien  reçus  par 
les  nôtres,  qui,  sans  s'amuser  aux  mousquets,  alloient 
droit  à  eux  Tépée  à  la  main  comme  fit  Rambures , 
lequel ,  ayant  pris  quelques  soldats  avec  lui ,  les  alla 
affronter,  et  tua  les  deux  premiers  de  sa  main  -,  et  Cas- 
telmoron  en  son  quartier  s'ëtant  mêlé  parmi  d'autres, 
la  hallebarde  à  la  main,  en  tua  et  arrêta  jusqu'à  quinze 
prisonniers. 

Ils  furent  partout  si  malmenés,  qu'ils  se  retirèrent 
en  désordre,  et  furent  poursuivis  jusques  sur  le  fossé. 
Les  Espagnols ,  craignant  que  ceux  de  la  ville  fussent 
épouvantés  du  courage  des  nôtres,  leur  voulurent 
envoyer  du  secours  de  Luxembourg ,  et  le  i3 ,  le  ma- 
réchal d'Estrées  étant  allé  jusqu'à  Consarbruck  pour 
visiter  ce  passage,  où  la  Moselle  et  la  rivière  de  Sarre 
s'assemblent,  et  par  où  tous  les  vivres  et  munitions 
qu'on  apportoit  à  l'armée  passoient ,  en  s'en  retour- 
nant on  lui  donna  avis  que  de  l'autre  côté  de  la  ri- 
vière mille  ou  douze  cents  hommes  de  pied  et  cinq 
escadrons  de  cavalerie  paroissoient,  qui  prenoient  le 
chemin  de  Trêves  :  il  les  fit  attaquer  par  notre  cava- 
Icrie^  qui  clantrcpoussée  jusqu  a  la  rivière  fut  soutenue 
par  le  sieur  de  Mouy ,  commandant  la  compagnie  de 
gendarmes  du  cardinal ,  qui  étoit  de  plus  de  cent 
maîtres ,  et  y  alla  en  si  bon  ordre  et  en  si  bonne  con- 
tenance que  les  ennemis  en  appréhendèrent  le  choc, 
et,  se  contentant  de  tirer  leurs  coups  de  pistolets,  se 
retirèrent  en  désordre  ]  mais  les  nôtres  les  suivirent 
à  toute  bride ,  et  les  plus  légèrement  armés  les  attei- 
gnirent et  en  tuèrent  et  blessèrent  quantité*  Us  pri-» 


DE   RJCHEUEU.    [iGBa]  l45 

rent  deux  cornettes  que  Ton  envoya  au  Roi  (  ceux  qui 
les  portoient  furent  tués  sur  la  place),  et  amenèrent 
plusieurs  prisonniers ,  entre  lesquels  étoient  un  capir 
taine  et  quelques  officiers.  Toute  leur  infanterie  fut 
aussi  défaite  ;  il  en  demeura  de  morts  huit  ou  neuf 
cents  sur  la  place,  et  le  reste  se  sauva  dans  les  vignes.  ^ 

Cette  défaite  fit  perdre  le  cœur  et  aux  Espagnols 
et  aux  assiégés ,  qui  se  rendirent  huit  jours  après  à 
composition.  Le  maréchal  d'Estrées,  pour  s*«xcuser 
de  ce  quil  avoit  mandé  que  Tarmée  du  Roi  nevien* 
droit  pas  à  son  honneur  de  .ce  siège ,  manda  que  la 
crainte  seule  que  les  Espagnols  avoient  eue  que  notre 
armée  entrât  danè  le  Luxembourg,  avoit  fait  que  sans 
grande  résistance  ilsavoientlaisséprendre  cette  place, 
ce  qui  étoit  sans  apparence ,  puisque  Tarmée  du  Roi 
étoit  composée  de  seize  mille  hommes  de  pied  ef, 
quatre   mille   chevaux  ,   et  que  les  Espagnols   ne 
pouvoient  faire  le  tiers  de  ces  troupes-là  pobr  s*y 
opposer. 

Nous  ne  fûmes  sitôt  dans  la  ville  que  Ton  commençu 
à  faire  de  grandes  plaintes  du  maréchal  :  rElect^i^r 
se  plaignoit  que  les  officiers  de  Tartillerie  taxèrent 
la  ville  pour  le  rachat  des  cloches  et  de  tout  le  mét^l  ; 
que  le  maréchal  avoit  enlevé ,  et  permis  que  d'autres 
enlevassent  plusieurs  meubles  précieux  de  sa  maison , 
imposé  trois  risdales  sur  chaque  pièce  de  vin  vendue, 
ou  que  Ton  faisoit  sortir  hors  de  la  ville ,  fait  contri- 
buer tous  les  bourgs  et  villes  plus  de  dix  lieues  de 
France  à  Tentour  de  Trêves ,  sans  qu*il  fût  rien  em^ 
ployé  de  tout  cet  argent  aux  réparations  de  la  ville  et 
au  paiement  des  gens  de  guerre ,  pour  raison  de  quoi 
on  faisoit  d'autres  levées  particulières. 

T.    ^7-  lO 


l46  [l63^]    MÉMOIRES 

Ces  actions  affligeoicntle  Roi,  pource  qu*elles  ter- 
nissoient  la  gloire  de  ses  armes  et  ëloignoient  de  lui 
non-seulement  le  cœur  de  Tarcbevéque ,  qu'avec  tant 
de  soin  et  tant  de  dépense  il  avoit  essayé  d'obliger, 
mais  empécboient  les  autres  princes  catholiques  d'a- 
voir recours  à  la  protection  de  Sa  Majesté ,  craignant 
d'en  recevoir  un  semblable  traitement.  Il  fit  faire  une 
exacte  recherche  de  ce  qui  avoit  été  pris  à  l'Electeur, 
et  lui  renvoya  ce  qu'il  put  faire  recouvrer  de  ses 
meubles;  le  reste  ne  pouvoit  être  réparé,  le  temps 
n'étant  pas  proportionné  à  une  rigoureuse  punition  de 
semblables  désordres ,  trop  ordinaires  à  ceux  qui  ont 
commandement  dans  les  armées. 

Mais  retournons  trouver  le  Roi ,  qui  va  après  Mon- 
sieur qui  est  entré  en  France  le  8  juin  par  le  Bassigny 
avec  quinze  cents  chevaux ,  mille  desquels  lui  furent 
donnés  par  les  Espagnols ,  et  étoient  Espagnols ,  Al- 
lemands et  Italiens* 

A  peine  fut-il  entré  qu'il  envoya  des  placards  par 
tout  le  royaume,  datés  d'Andelot  du  i3  juin,  conte- 
nant les  sujets  chimériques  qu'il  feignoit  l'avoir  porté 
à  cette  extrémité  *,  le  cardinal  étant  à  son  compte  dissi- 
pateur et  usurpateur  de  l'Etat,  ennemi  du  Roi,  de  la 
maison  royale,  et  que  pour  ce  sujet  il  prenoit  les 
armes  à  la  main  pour  faire  voir  à  Sa  Majesté  qu'elle 
ëtoit  trompée. 

Ses  raisons  et  suppositions  frivoles ,  sans  vérité  ni 
vraisemblance ,  ne  firent  aucun  effet  dans  les  esprits 
des  peuples ,  sinon  contre  lui-même.  Il  prenoit  aux 
commissions  qu'il  donnoit  pour  faire  levées  de  gens 
de  guerre,  le  titre  de  lieutenant  du  Roi  pour  réprimer 
les  abus  et  les  violences  du  cardinal. 


DE   RICHELIEU.    [lÔSa]  l^'J 

Passant  auprès  de  Langres,  il  alla  loger  k  trois  lieues 
de  Dijon,  d'où  il  écrivît  aux  habitaus  de  ladite  ville, 
afin  qu'ils  envoyassent  Tan  d'entre  eux  en  son  camp 
pour  aviser  aux  moyens  nécessaires  de  faire  subsister 
son  armée.  Cette  lettre,  datée  du  i4  juin,  fut  portée 
par  un  trompette  auxdits  habitans  qui  ne  la  voulurent 
pas  ouvrir,  mais  renvoyèrent  toute  fermée  au  Roi, 
dont  ils  donnèrent  avis  à  Monsieur  par  leur  réponse. 
Il  écrivit  aussi  au  parlement  de  Dijon ,  mais  en  termes 
plus  rudes ,  les  menaçant  de  se  venger  sur  leurs  mai- 
sons des  champs  du  refus  qu'ils  feroient  de  lui  accor- 
der ce  qu'il  désiroit. 

Le  tambour  qui  apporta  cette  seconde  lettre  eut 
encore  charge  de  dire  plusieurs  choses  à  ces  mes- 
sieurs ,  pour  les  convier  à  donner  contentement  à 
Monsieur ,  lequel ,  en  haine  de  leur  refus ,  fit  mettre 
le  feu  à  Tun  des  faubourgs  de  ladite  ville. 

La  Reine-mère  lui  avoit  fait  instance  et  à  tous  les 
siens  de  brûler  la  ville  de  Dijon ,  à  cause  de  la  décla- 
ration que  le  parlement  avoit  vérifiée  sans  faire  re- 
montrances, et  de  la  condamnation  du  maréchal  de 
Marillac ,  dont  plusieurs  d'eux  avoient  été  les  juges. 

Il  passa  de  là  en  Auvergne  :  la  noblesse  ne  s'opposa 
point  à  lui,  chacun  se  tenoit  clos  et  couvert,  on  ne 
faisoit  pas  difiiculté  de  dire  qu'il  ne  faisoit  pas  bon 
d'offenser  Monsieur,  et  qu'il  pourroit  s'en  ressentir; 
les  villes  mômes  n'osoient  maltraiter  ses  troupes ,  les- 
quelles avoient  libre  commerce  avec  elles.  Elles  se 
conservèrent  néanmoins  dans  le  service  du  Roi,  et 
ne  voulurent  pas  prendre  son  parti ,  et  aucune  ne  le 
laissa  entrer  le  plus  fort  que  par  force ,  et  ne  s'en 
pouvant  défendre.  Il  voulut  loger  dans  Cusset  à  des- 

lO. 


l48  [l63a]    MEMOIRES 

sein  de  s*ëti  saisir;  inais  le  baron  de  Saligny  repoussa 
si  gënërensement  quelques  soldats  qui  s*y  ëtoient  déjà 
jet^s ,  qu'il  en  demeura  plusieurs  sur  la  place ,  et  ainsi 
la  ville  fut  garantie,  au  grand  regret  de  Monsieur, 
qui  lui  écrivit  du  pont  de  Vichy  le  3  juillet,  lui  de- 
ttiandant  ses  gentilshommes  et  officiers  qu'il  avoit  pris 
dabs  Cusset,  ou  qu'il  encourroil  son  indignation,  et 
qu'à  défaut  de  les  lui  renvoyer,  il  feroit  saisir  les 
maisons  qu'il  avoit  dans  la  province. 

Yaudable  lui  fut  rendue  par  la  trahison  d'un  nommé 
Barbes ,  son  procureur  d'office ,  et  y  laissa  garnison  ; 
mais  dès  qu'il  en  fut  sorti  la  place  fut  remise  en 
l'obéissance  du  Roi. 

On  levoit  dans  le  Limosin ,  la  Marche  et  le  Péri- 
gord  aussi  publiquement  que  si  c'eût  été  pour  le  Roi , 
sans  que  Pompadour,  Bourdeille  ni  Beaupré  s'en 
remuassent  aucunement,  et  ces  levées  se  montoiént  à 
cinq  cents  chevaux.  Ce  qui  obligea  le  maréchal  de 
Schomberg  de  mander  à  l'évéque  de  Monde  qu'il  fit 
savoir  dans  les  villes  du  Gévaudan,  que  celles  qui 
demeureroient  dans  le  service  du  Roi  seroient  lit^en 
traitées,  soit  pour  les  élus  ou  autres  choses  ;  mais  que 
celles  qui  feroient  autrement  seroient  châtiées  à  l'égal 
de  leur  rébellion  ;  et  d'écrire  au  cardiual  qu'il  étoit 
nécessaire  que  le  Roi  envoyât  dans  les  provinces  une 
déclaration  contre  Monsieur  et  ceux  qui  le  servoient, 
vu  que  tous  les  jours  Monsieur  écrivoit  aux  villes 
qui  retenoient  des  siens  prisonniers  ,  avecde  grandes 
menaces ,  comme  si  elles  étoient  rebelles. 

Il  manda  aussi  qu'il  refuse  au  maréchal  de  La  Force 
de  se  joindre  à  lui ,  pource  qu'il  y  avoit  autant  de 
mal  à  craindre  du  côté  du  haut  Languedoc ,  Gévau- 


DE   aiCUfiUEU.    [l63aj  l^ 

clan,  Quercy,  Bouergue  et  Fois,  qu!au  baiLanguedoç^ 
Dans  les  Cevennes  et  le  Gévaudan  tous  les  soldats 
étoient  arrhes,  et  avoientoommandement  de  M.  de 
Montmorency  de  ne  point  s'engager;  ce  qu'il  faisoU 
partout  où  il  pouvoit,  en  espérance  d'avoir  des  com- 
missions du  Roi  pour  lever  pour  son  service  et  s'en 
servir  contre  lui,  ou,  n  en  ays^nt  point,,  pour  epspécber 
que  personne  enlevât;  de  sorte  que  Monsieur,  après^ 
avoir  demeuré  quelque  temps  dans  l'Auvergne,  et  vu^ 
qu'à  cause  de  la  présence  du  sieur  de  Noailles ,  lieur 
tenant  du  Roi  en  la  haute  Auvergne,  ses  des^eiqs  ne 
réussissoient  pas  selon  qu'il  s'étoit  proposé  y  passa  dans 
le  Gévaudan ,  ayant  avec  lui  trois  mille  hommes  de 
pied  outre  sa  cavalerie.  Du  Gévaudan  il  pressa ,  trpp 
tôt  pour  son  bien,  M.  de  Montmorency  (0  de  le  rece* 
voir  dans  le  Languedoc ,  nonobstant  qu'il  lui  eût  en^ 
voyé  l'abbé  Delbène  poar  le  prier  de  retarder  si^ 
semaines,  parce  qu'il  le  surprit  et  ne  lui  donna  pas 
le  loisir  de  faire  ses  brigues  avec  ceux  de  la  religion , 
et  de  s'assurer  de  Mimes,  de  Narbonn^  e(  ai|tre^ 
places ,  lesquelles  il  £ûsoit  état  de  fair^  suivre  son 
parti ,  si  on  lui  en  eut  donné  le  temps* 

Il  étoit  le  premier  des  grands  4u  i;oyaume ,  mais 
de  Thumeur  de  ceux  qui  y  ont  vécu  depuj^  cent  ans , 
lesquels  transportoieot  k  leur  grandeur  et  k  len^s  in* 

(i)  3i.  de  Moaimonney  :  Son  éptmêCf  M«iJe*F«licie  de*  Un^ios,  proclie 
piircQlf  de  U  Heinfï-ii^ère ,  détermina  sa  dcfectioD.  I^abeUe  de  Médici» , 
unie  paternelle  de  la  reaire  de  Henri  IV  ,  aroit  épousé  Paul  Joardaîii 
des  Ursins,  doc  de  Bracciano ,  etaroît  eu  pour  fils  Virginio  de»  Ursins , 
aussi  duc  de  Bracciano»  marié  avec  FnWi«  Peretli ,  nièce  d«  S^yU^ 
Qu^ot.  De  ce  mariage  écoit  issue  la  duchesse  de  Montmorency.  La  duc, 
allijt;  (le  Monsieor ,  étant  dn  m^me  4ge  que  lui .  ayant  les  mêmes  goAts  » 
prit  d^auunt  plus  Tivemcnt  son  parti ,  qii*il  y  fut  porte  par  les  tollici« 
uiions  pressâmes  tle  ttm  épouse. 


]5o^  [l632J   MÉMOIRES 

téréts  Taffection  que  leurs  prédécesseurs  portoient  à 
leurs  rois  et  à  TÉtat,  et  de  Thumeur  de  son  père,  qui, 
pour  se  rendre  puissant  dans  le  Languedoc ,  y  éleva 
rhérésie ,  et  divisa  et  affoiblit  Fautorité  du  Roi. 

L'Estric  9  premier  consul  de  Nimes  ,  donna  avis 
que ,  lorsqu'il  fut  question  de  retirer  les  canons  qui 
étoient  dans  ladite  ville ,  il  ne  désiroit  pas  qu'elle  les 
rendit  et  que  le  parti  huguenot  demeurât  affoibli 
comme  il  étoit  par  ce  moyen,  et  lui  dit  par  plusieurs 
fois  qu'il  s'empêchât  bien  de  les  rendre ,  qu'il  ne  pou- 
voit  pas  s'abstenir  de  lui  en  donner  les  ordres ,  à  cause 
de  la  présence  du  commissaire  du  Roi ,  mais  qu'il  ne 
vouloit  pas  qu'il  y  déférât  et  qu'il  se  donnât  bien 
garde  de  le  faire  ;  et  qu'enfin  ledit  sieur  de  Mont* 
morency  ayant ,  selon  l'ordre  du  Roi ,  écrit  à  ceux  de 
la  ville  qu'ils  rendissent  lesdits  canons ,  il  lui  écrivit 
quant  et  quant  une  lettre  par  un  de  ses  gardes ,  par 
laquelle  il  mandoit  qu'il  se  souvînt  bien  de  ce  qu'il 
lui  avoit  autrefois  dit  touchant  lesdits  canons,  etdonna 
charge  audit  garde  de  ne  lui  laisser  pas  la  lettre ,  mais 
la  lui  rapporter  quand  il  l'auroit  lue. 

Madame  de  Savoie  dit  aussi  depuis  au  sieur  Servie» 
que  c'étoit  lui  qui  avoit  donné  avis  à  M.  de  Savoie 
que  le  cardinal ,  lorsqu'il  étoit  à  Caselette ,  le  devoit 
attaquer  avec  l'armée  du  Roi  dans  ses  retranchemens; 
ce  qui  déroba  aux  armes  de  Sa  Majesté  la  gloire  d'un 
grand  exploit  qu'elles  eussent  fait  -,  car  le  duc  de  Sa-^ 
voie  se  retira,  et  nos  troupes  ne  trouvèrent  aucun 
qui  leur  contestât  le  passage. 

Dès  que  Monsieur  fut  séparé  du  service  du  Roi , 
il  eut  intelligence  avec  lui,  et  fut  le  premier  et  le 
plus  hardi  à  lui  promettre  retraite  en  son  gouverne- 


DU   EICHELIEU.    [l63a]  l5l 

ment  s*il  entroit  à  main  armée  dans  le  royaume  ;  mais 
il  vouloit  auparavant  tenir  les  États ,  pour  »  en  cette 
assemblée  en  laquelle  tout  le  Languedoc  étoit  réuni , 
trouver  ou  feindre  quelque  sujet  de  mécontentement 
de  la  province ,  afin  de  Tattirer  à  soi ,  faisant  semblant 
de  s'opposer  au  Roi  pbur  la  défense  de  leurs  libertés 
et  de  leurs  privilèges. 

Le  Roi ,  qui  comme  un  prince  généreux  ne  se  défie 
point  d'un  homme  qui  lui  doit  être  fidèle ,  sinon  après 
qu  il  en  a  éprouvé  des  effets  contraires ,  lui  donne  la 
permission  de  les  tenir,  lui  envoie  ses  ordres  et  lui 
en  confie  la  conduite. 

Il  fut  question  de  rétablissement  de  quelques  élus 
ou  commissaires ,  pour  la  levée  des  deniers  en  la  pro- 
vince, en  laquelle  il  se  commettoit  depuis  quelques 
années  de  si  grands  d^rdres,  que  de  tout  ce  qui 
s'y  levoit  il  venoil  beaucoup  plus  de  deniers  en  la 
bourse  des  particuliers  qu'en  celle  du  Roi  :  l'affaire 
fut  commise  à  son  jugement  et  à  son  autorité;  il  en 
convint  avec  les  commissaires  du  Roi  qui  en  écrivi- 
rent à  Sa  Majesté,  laquelle  eut  agréable  ce  qu'ils 
avoient  arrêté.  Maislesdits  commissaires  furent  éton- 
nés que ,  lorsqu'ils  lui  en  apportèrent  la  nouvelle , 
il  la  reçut  avec  un  visage  refrogné ,  et  ne  se  pnt  tenir 
de  témoigner  en  avoir  du  déplaisir. 

Il  assuroit  toujours  cependant  Sa  Majesté  de  sa 
fidélité ,  lui  donnoit  avis  que  les  Espagnols  avoient 
entreprise  sur  Narbouné^  que  Monsieur  avoit  des 
partisans  dans  le  Languedoc^  que  l'Espagne  lui  pro- 
mettoit  du  secours  ;  et  le  tout  afin  qu  on  lui  donnftt 
pouvoir  de  faire  des  levées  de  gens  de  guerre ,  et 
prendre  occasion  de  mettre  des  garnisons  en  quel* 


l5!l  [l63'2]   MÉMOIBES 

qaes  villes  poor  s'en  assurer.  II  croyôit  que  beaucoup 
d'autre»  gooTerueurs  de  provinces  ëtoient  du  parti 
de  Monsieur,  et  entre  autres  le  duc  d'Epernon ,  qui  ^ 
serrant  la  main  à  un  des  gentilshommes  de  mondit 
sieur,  lui  dit  :  «  Dites  à  Monsieur  que  je  suis  son 
très-humble  serviteur ,  et  qu'il  se  mette  en  état  d'être 
servi  ;  »  et  il  ëtoit  certain  que  M.  de  La  Valette  avoit 
vu  le  duo  de  Lorraine  en  son  carrosse  jusqu'à  une 
heure  après  minuit,  en  présence  du  jeune  Bassom- 
pierre. 

Il  donna  commission  de  lever  quarante  rëgimens 
dans  le  Languedoc ,  où  on  n'en  pouvoit  faire  douze  ; 
mais  c'étoit  un  artifice  pour  occuper  tout  le  monde. 
U  attendoit  six  raille  hommes  de  pied  d'Espagne  que 
le  commandeur  de  Yaiencai  lui  devoit  amener,  et  il 
avoit  envoyé  Le  Fargis  et,|^stcldau ,  lieutenant  de 
ses  gardes,  en  cette  cour-là,  pour  avoir  secours  d'ar- 
gent, qui  vint  bientôt  après ,  mais  petit ,  car  Castel- 
dau  n'apporta  que  5o,ooo  ëcus,  qui  descendirent  à 
Agde  et  furent  envoyés  par  ledit  duc  dans  le  fort  de 
Brescou. 

Il  écrivit  à  quelques'^uns  de  Narbonne,  et  entre 
autres  aux  consuls ,  par  les  sieurs  baron  de  Mont , 
premier  lieutenant  au  gouvernement  de  la  ville, 
et  Casteldau  ,  lieutenant  de  ses  gardes.  Les  lettres 
étoient  en  créance  sur  eux ,  laquelle  ils  expliquèrent 
être  que  ledit  sieur  savoit  de  bonne  part  qu'on  avoit 
dessein  à  la  cour  de  faire  bdtir  une  citadelle  en  leur 
ville;  que  tous  les  bruits  qu'on  faisoit  courir  qu'ils 
avoient  à  se  donner  garde  du  côté  d'Espagne ,  n'é- 
loieqt  qu'un  prétexte  pour  leur  faire  recevoir  gar- 
niaonetse  saisir  de  leur  place,  que  l'aflection  qu'il 


DE    RICHELIEU.    [l632]  l53 

leur  portoit  Tobligeoit  à  fear  donner  cet  avis ,  et  à  se 
résoudre  de  joindre  ses  intérêts  aux  leurs ,  qu^aussi 
espéroit-il  qu*?ls  lai  rendroient  le  sembable;  quHt 
savoit  que  quelques-uns  avoient  dessein  contre  lui  et 
sur  son  gouvernement;  qa*il  étoit  en  péril  de  sa  per- 
sonne ,  et  désiroit  chercher  et  trouver  sa  sûreté  dans 
leur  ville,  pourvu  qu'ils  Teussent  agréable. 

Cette  créance  étant  rapportée  dans  le  conseil  de 
la  ville,  y  fit  un  effet  tout  contraire  à  ce  qu*il  espé- 
roit;  elle  les  mit  en  défiance  de  lui-même  au  lieu  de 
lui  établir  une  confiance  parmi  eux ,  leur  fit  croire 
qu'il  les  vouloit  tromper,  et  obtenir  par  ses  artifices 
ce  que  son  père  et  lui  avoient  si  souvent  tenté  en 
vain,  et  se  tinrent  sur  leurs  gardes  contre  lui  comme 
contre  leurs  ennemis ,  et  dirent  que  quant  à  la  cita- 
delle le  Roi  étoit  le  maîtr^et  feroit  ce  qu  il  lui  plai- 
roit,  mais  qu'ils  ne  pouvoîènt  croire  que,  lui  ayant 
toujours  été  si  fidèles ,  il  voulût  apporter  du  change- 
ment au  gouvernement  de  leur  ville. 

Le  sieur  d'Emery ,  qui  étoit  Tun  des  commissaires 
du  Roi  aux  Etats,  leur  manda  que,  s'ils  avoient 
besoin  d'argent  pour  fortifier  leurs  gardes,  il  leur 
enverroit  ce  qu'il  leur  faudroit. 

Ledit  sieur  de  Montmorency  espéroit  aussi  de  s'as- 
surer de  la  ville  de  Nimes  par  le  moyen  de  l'évéque 
de  Nîmes,  partisan  de  Monsieur,  et  parles  hugue- 
nots qu'il  pensoit  faire  soulever.  L'Estric,  qui  étoit 
premier  consul  de  la  ville  l'année  précédente ,  donna 
avis  qne,  le  a  juillet,  un  soldat  qu'il  ne  connoissoit 
point  l'alla  trouver  de  la  part  de  Clausel,  et  lui  dit 
que  9on  maître  l'avoit  envoyé  pour  faire  savoir  à  lui , 
et  à  quelques  autres  de  ses  amis ,  qu'il  seroit  bientôt 


l54  [1632]   MÉMOIRES 

dans  le  Languedoc  avec  huit  cents  chevaux,  que 
Monsieur  suivroit  de  bien  près;  que,  s'il  vouloit 
être  de  la  partie ,  il  ménageroit  ses  intérêts  en  sorte 
qu'il  en  auroit  contentement;  que  quant  à  M.  de 
Montmorency  on  n'en  devoit  point  avoir  peur,  qu'il 
ëtoit  assuré. 

Mais  il  lui  répondit  qu'après  avoir  été  trompé  par 
M.  de  Rohan ,  il  ne  le  vouloit  pas  être  encore  une 
fois  par  M.  de  Montmorency. 

n  faisoit  de  même  en  la  plupart  des  villes,  et  vint 
enfin  jusqu'à  ce  point  qu'il  fit  dévaliser  un  courrier 
que  les  commissaires  du  Roi  avoient  dépêché  à  Sa 
Majesté.  Il  étoit  à  Bagnols,  qu'il  assuroit  à  son  parti, 
et  traitoit  au  Pont-Saint-Esprit  pour  essayer  de  le 
tirer  du  service  du  Roi.  Ce  courrier  passant  par  là ,  il 
le  fit  arrêter ,  feignant  vouloir  écrire ,  mais  en  effet 
pour  prier  M.  de  Ventadour  de  lui  faire  prendre  ses 
lettres  en  passant.  Le  sieur  d'Emcry ,  en  ayant  avis , 
se  relire  à  Montpellier,  n'estimant  pas  qu'il  y  eût  plus 
de  sûreté  pour  lui  à  Pésenas.  M.  de  Montmorency  lui 
écrivit ,  et  dénia  avoir  aucune  part  en  cette  action , 
laquelle  néanmoins  depuis  il  avoua  par  lettres  au 
cardinal,  lui  mandant  qu'il  Tavoit  fait  par  curiosité 
de  découvrir  les  mauvaises  impressions  que  les  sieurs 
archevêque  de  Narbonne  et  d'Emery  donnoient  de 
lui  à  la  cour,  lesquelles  il  n'avoit trouvées  que  trop 
véritables. 

Il  manda  audit  sieur  d'Emery  qu'il  désiroit  finir 
l'affaire  des  Etats ,  selon  les  ordres  que  les  commis- 
saires avoient  reçus  de  Sa  Majesté  ;  que  s'il  ne  reve- 
noit,  son  absence  pourroit  ruiner  les  affaires,  etqu*il 
auroit  occasion  de  s'en  plaindre. 


DE  RICBSLIEU.   [l6Sa]  l55 

Il  revint,  et  est  ëtonué  d'apprendre  à  son  arrivée  que 
Le  Fargis  est  an  logis  de  Fëvéque  d'Âlbi.  M.  de  Mont- 
morency renvoie  qaërir  et  le  siear  Miron ,  qui  étoil 
Tautre  commissaire,  et  lenr  demanda  qu'ils  fissent 
lire  la  déclaration  des  six  élus  que  le  Roi  désiroit 
qui  fussent  établis  dans  la  province.  Us  lui  dirent 
que  Sa  Majesté  n'avoit  changé  l'établissement  des 
commissaires  en  celui  d'élus  que  par  son  avis;  qne 
s'il  en  parloit  ils  ne  parlerotent  que  de  l'établisse* 
ment  des  commissaires ,  sans  parler  des  élus.  Il  leur 
répondit  qu'il  lui  étôit indifférent,  mais  qu'il  lui  sém» 
bloit  qne  celui  des  élus  étoit  plus  utile ,  et  les  remit 
au  lendemain  m  juillet ,  en  l'assemblée  des  Etats ,  pour 
résoudre  cette  affaire. 

Cependant  l'évéque  d'Albi  et  lui  passèrent  toute  k 
nuit  à  aller  visiter  les  uns  et  les  autres ,  les  sollici« 
tant,  par  espérances  et  promesses,  de  se  joindre 
audit  sieur  de  Montmorency  pour  les  libertés  de  la 
province ,  qu'il  vouloit  remettre  comme  elles  étoient 
du  temps  du  feu  Roi. 

Le  lendemain  les  Etats  étant  assemblés,  où  ledit 
duc  étoit  présent  et  l'évéque  de  Nîmes  portoit  k 
parole ,  ils  firent  plusieurs  propositions  aux  commit* 
saires ,  lesquels  s'accordant  à  tout  ce  qu'ils  désiroient, 
Fëvéque  d'Albi  opina  qu'il  n'étoit  plus  question  d'é- 
lus ni  de  commissaires ,  mais  de  se  joindre  à  M.  de 
Montmorency,  lui  &ire  l'octroi  qu'il  reœvroit  sans 
Tassistance  des  commissaires  du  Roi  9  et  qu'il  lui  fat- 
loit  donner  pouvoir  d'assembler  les  Etats  toutes  fois  et 
quantes  qu'il  voudroit. 

Cette  proposition  fut  délibérée ,  agréée  et  suivie 
de  tous ,  excepté  de  l'archevêque  de  Narbonne ,  qui 


l56  [1632J   MÉMOIRES 

interrompit  le»  voix ,  leur  remoiitranl  qu'ils  commet- 
toient  un-  crime  de  lèse-majesté,  et  qu'il  n'y  consen- 
toit  point. 

Au  sortir  delà,  M.  de  Montmorenoy  lui  envoya  des 
gardes  et  au  sieur  d'Emery ,  et  envoya  du  Gros,  son 
médecin ,  par  toute  la  province ,  exhorter  les  peuples 
à  se  tenir  unis  aux  intérêts  généraux,  et  ne  recevoir 
autres  ordres  que  ceux  qui  viendroient  de  sa  part  « 
attendu  que  le  Roi  ayant  absolument  commandé  que 
le»  élus  fussent  établis  dans  le  Languedoc ,  il  avoit 
cm  s'y  devoir  opposer,  et  avoit  juré  une  union  in- 
séparable avec  les  Etals  pour  leur  liberté. 

Mais  aux  personnes  de  qualité,  et  qui  n*étoient  pas 
de  la  province,  il  prenoit  bien  d'autres  prétextes  de 
soulèvement,  car  il  publioit  partout,  et  écrivit  parti- 
culièrement au  comte  d'Alais ,  son  neveu ,  que  les 
soupçons  qu'on  avoit  de  lui  depuis  que  Monsieur 
étoit  en  France,  le  commsindementque  M.  deLa  Force 
avoit  eu  d'une  armée  en  son  gouvernement ,  la  con- 
duite qu'on  avoit  tenue  avec  les  Etats  pour  les  faire 
ccQsentir  à  ce  qu'il  estimoit  leur  entière  ruine  et  l'y 
déeréditer ,  et  les  avis  qu'il  avoit  eus  qu'on  vouloit 
attenter  à  sa  liberté ,  l'avoient  contraint  de  prendre 
garde  à  sa  sûreté*, 

Qu'il  avoit  vu  M.  de  La  Force  sur  le  Rhône  venir 
fondre  sur  lui.  Monsieur,  d'autre  côté,  s'approcher 
de  son  gouvernement  ;  lui  ayant  ftiit  demander  en- 
trée en  sa  province,  il  avoit  été  obligé,  pour  mettre 
k  couvert  son  honneur,  sa  liberté  et  sa  vie ,  de  le  lui 
accorder ,  ce  que  d'autre  part  il  n'eût  pu  même  lui 
refuser  que  de  paroles,  vu  qu'il  n'eût  su  l'en  empê- 
cher ,  n'ayant  pas  un  homme  de  guerre  sur  pied ,  ni 


DE    RICHELIEU.    [l63u]  167 

de  préparatifs  pour  sedëfbndre  ;  ce  qui  raontroit  assez 
la  précipitation  avec  laquelle  il  avoit  pris  ce  consul , 
et  le  peu  de  dessein  qu'il  en  avoit.  Ledit  duc  dit 
quelques  autres  mais  très-^foibles  sujets  de  ses  tnë- 
contentemens  an  sieur  d'Emery  ;  que,  quand  il  paMa 
en  Italie,  on  lui  avoit  fait  espérer  la  charge  de  maré- 
chal général  des  camps  et  armées ,  et  qu'on  le  ré- 
duisit d'y  aller  volontaire  ; 

Que  Ton  a  Voit  eu  tme  perpétuelle  défiance  deslai , 
et  qoesa  prière  a  toujours  étéun  moyen  de  refuspour 
ceux  pour  lesquels  il  a  désiré  de  faire  donner  ».iles 
gouvernemens'dans  le  sien; 

Que,  le  lendemain  du  combat  de  Veilkne,  il  de- 
manda Sommièr«s  pour  le  baron  de  Castres ,  qu'on 
le  lui  refusa;  que  la  charge  de  grand  chambelian^ini 
a  été  promise,  et  qu'on  s'est  moqué  de  lui;  quelle 
sieur  de  Fossé  avoit  été  envoyé  à  Montpellier  pour 
se  saisir  de  sa  personne  ; 

Et  que  le  maréchal  de  La  Force  avoit  été  envoyié 
pour  suivre  ^Monsieur ,  et*  que  cependant  il  vtdiMit 
droit  en  Languedoc  avec  commandement  de  4e 
prendre. 

Il  ajouta  qu'il  étoit  prêt  à  poser  les  armes;  rfoTû 
avoit  les  mêmes  respects  pour  le  Roi  qu'il  avoiti 
toujours  eus  ; 

Qu'il  seroit  toujours  maître  du  traité  de  Monsieur 
et  du  sien,  parce  que  Monsieur  n'avoit  ni  des  troupes 
à  lui,  ni  n^avoit  aucune  place  dans  le  Languedoc  | 

Qu'il  feroit  contenter  Monsieur  toujours  de  la 
raison ,  autrement  qu'il  i'abandonneroit  ; 

Quant 4* lui,  qu'il  ne  demandoft  ifae  sérété  de'im 
personne. 


i58  [i63a]  MÉMOIRES 

Il  dépêcha  aussi  tout-à-rheure  à  Narbonne  Armis- 
san  et  Saint*Genié,  qui  n'y  purent  rien  faire,  ce 
dont  ledit  duc  étant  averti ,  s'en  va  à  Béziers ,  d'où  il 
envoie  à  Narbonne  douze  habitans  de  ladite  ville  qui 
lui  étoient  aifidés ,  en  intention  de  les  suivre  le  len- 
demain; mais  les  portes  leur  furent  fermées.  Il  ren- 
voya vers  eux  leur  dire  qu'il  ne  leur  vouloit  point 
donner  de  gens  de  guerre,  mais  qu'il  les  prioit  seu- 
lement d'accepter  la  délibération  des  Etats  pour  leur 
liberté.  Ils  le  remercièrent  de  sa  bonne  volonté,  et 
que,  pour  leur  ville,  ils  prétendoient  de  la  mainte- 
nir toujours  en  l'état  qu'elle  avoit  été  par  le  passé. 

Ricardelle ,  qui  étoit  un  des  principaux  habitans  , 
y  servit  si  bien  le  Roi ,  qu'on  manda  à  Sa  Majesté 
qu'en  effet  c'étoit  lui  qui  avoit  sauvé  la  ville.  Il  y  fit 
entrer  des  gens  de  guerre.  De  là  à  peu  de  jours  Le 
Chalard  et  Chaban  y  menèrent  de  la  part  du  cardi- 
nal trois  cents  hommes  du  régiment  de  La  Tour, 
partie  desquels  ceux  de  la  ville  reçurent,  et  mirent  le 
reste  à  Bages,  bourg  qui  leur  est  fort  important,  à 
demi  -  lieue  de  ladite  ville ,  et  qui  a  autrefois  été 
assiégé,  sans  avoir  été  pris,  par  le  feu  connétable  de 
Montmorency;  ce  qu'ils  firent  pour  se  tenir  plus  au 
large  et  n'être  pas  si  pressés  des  troupes  des  ennemis. 
Au  reste ,  ils  chassèrent  tous  les  habitans  suspects  et 
partisans  dudit  duc,  et  se  munirent  de  vivres  pour 
plus  de  quatre  ans ,  de  sorte  que  Ricardelle  manda 
qu'on  perdit  désormais  la  crainte  de  la  perte  de  cette 
ville-là. 

Bary ,  gouverneur  de  Leucate,  assura  les  commis- 
saires du  Roi  de  sa  fidélité ,  quelque  alliance  qu'il  y 
eût  entre  lui  et  messieurs  de  Toiras. 


DE   RICHELIEU.    [1682]  xSg 

Le  dac  de  Montmorency  s'assura  de  Bëziers  ,  y  fit 
travailler  pour  le  faire  fortifier,  déchargea  le  sel  d'un 
ëcu  par  minot,  et  la  province  de  Taugmentation  du 
taillon. 

Il  se  rendit  aussi  maitre  d'AIais  par  le  moyen  du 
château ,  non  par  la  volonté  des  babitans ,  bien  que 
pour  gagner  à  soi  la  ville  il  y  eût  mis  des  consuls 
huguenots,  au  lieu  des  consuls  catholiques  qui  y 
étoient  auparavant,  favorisant,  au  préjudice  de  la 
religion  catholique ,  les  hérétiques  pour  s'en  fortifier  : 
la  plupart  du  peuple  ne  laissa  pas  de  témoigner  von- 
loir  demeurer  au  service  du  Roi ,  et  envoyèrent  de- 
mander secours^  mais  ils  ne  le  purent  recevoir  à  temps. 

La  prise  de  cette  place  à  l'entrée  desCevennes,  leur 
donna  moyen  d'en  tirer  trois  régimens  dont  ils  gros- 
sirent leurs  troupes. 

L'évéque  d'Albi  leur  donna  sa  ville,  où  lui  seul 
toutefois  étoit  de  leur  parti;  mais  il  contraignit  les 
habitaus  par  menaces  et  par  gens  de  guerre  qu'il  y 
tenoit. 

La  même  nuit  de  la  résolution  des  Etats,  l'évéqne 
de  Nîmes  partit  avec  seize  gardes  dudit  duc,  et  s'en 
alla  à  Lunel ,  dont  son  frère  feignit  avoir  abandonné 
la  citadelle  :  il  s'en  empara  et  y  logea  les  seize  gardes, 
et  le  lendemain  son  neveu  de  Cauvisson  s'y  jeta  avec 
un  régiment  de  cinq  cents  hommes. 

Ayant  assuré  cette  place ,  il  passe  à  Nîmes ,  où  il 
espéroit  faire  le  semblable ,  mais  il  fut  trompé  -,  car 
Lagrange,  quiavoit  crédit  dans  la  ville  et  étoit  hu- 
guenot, avoit  si  bien  disposé  le  peuple  pour  le  ser- 
vice du  Roi ,  qu'il  les  trouva  tous  éloignés  de  ses 
propositions. 


l6o  ri63a]   MÉMOIEES 

Les  ministres  ayant  eu  avis  des  lettres  de  Sa  Ma- 
jesté y  par  lesquelles  elle  témoignoit  être  avertie  que 
le  principal  dessein  de  Monsieur  étoit  de  soulever 
ceux  de  la  religion  prétendue  réformée ,  crurent  être 
obligés,  pour  leur  défense,  de  faire  plus  que  les 
autres  pour  le  service  du  Roi.  Us  assemblèrent  le 
consistoire,  résolurent  de  mourir  en  son  obéissance , 
allèrent  trouver  les  consuls ,  leur  portèrent  cette  ré- 
solution, et  les  requirent  de  faireassembler  le  conseil 
de  ville  pour  y  en  faire  prendre  une  semblable  ;  ce 
que  les  consuls ,  gagnés  par  M.  de  Montmorency , 
esquivèrent. 

Mais  quand  les  ministres  virent  Clausel  dans  la 
ville,  être  caressé  de  beaucoup  de  personnes,  ils 
dépêchèrent  en  diligence  vers  le  maréchal  de  La 
Force ,  pour  le  prier  de  secourir  les  serviteurs  du 
Roi,  qui  étoient  en  petit  nombre  dans  la  ville.  En 
même  temps  un  bruit  s'élève  qu'on  vouloit  se  saisir 
d'une  porte;  le  peuple,  affectionné  à. Sa  Majesté, 
court  aux  armes ,  et  crie  partout  vwe  le  Roi.  Néan- 
moins ,  Taffection  avec  laquelle  le  premier  consul 
qui  étoit  lors  se  portoit  avec  Tévêque  pour  Mon- 
sieur, les  brigues  dudit  évêque,  la  chaleur  avec 
laquelle  ils  représentoient  les  sujets  qui  avoient  porté 
le  duc  de  Montmorency  à  prendre  le  parti  de  Mon- 
sieur, outre  les  persuasions  des  autres  personnes 
que  ledit  duc  y  avoit  envoyées ,  en  peu  de  jours 
ébranlèrent  si  fort  les  esprits,  que  la  ville  se  fût 
tournée  du  côté  de  Monsieur ,  si  le  maréchal  de  La 
Force,  qui  étoit  au  Pont-Saint-Esprit,  n'y  eût  en- 
voyé, le  a6  juillet,  le  baron  d'Aubais  -avec  waie 
compagnie  de  chevau- légers,  et  le  lendcmiain   le 


DE    RICHELIEU.    [iGSs]  i6t 

marquis  de  La  Force  avec  dix  autres ,  lesquels ,  forti<^ 
liant  ceux  qui  étoient  pour  le  Roi ,  contraignirent 
révéque  de  s'enfuir,  et  continrent  les  autres  à  leur 
devoir. 

Le  duc  de  Montmorency  passa  dès  le  a5  juillet  à 
Agde  et  à  Brescou ,  quHl  fit  fortifier ,  envoyant  des 
barques  à  Arles  pour  amener  de  la  chaux  et  des 
ouvriers  pour  cet  effet. 

Delà  il  fut  à  Lunel  attendre  Monsieur,  qui  y  arriva 
le  3o,  après  avoir  en  vain  essayé  de  gagner  à  son 
parti  la  ville  d'Avignon ,  ou  s'en  rendre  le  maître. 

Il  pria  le  vice-lëgat  de  trouver  bon  que  M.  d*EU 
beuf  y  pût  séjourner  quelques  jours ,  pour  plusieurs 
raisons  qui  concemoient  son  service.  Le  vice-légat 
inclinoit  à  ce  qu'il  désiroit;  mais  lui  ayant  été  re- 
montré qu'il  offenseroit  le  Roi,  attendu  que  Monsieur 
s'étoit  déclaré  son  ennemi ,  et  ayant  pris  assurance 
du  maréchal  de  La  Force  qu'il  Tassisteroits'il  en  étoit 
besoin,  il  refusa  à  Monsieur  ce  qu'il  lui  demandoit, 
et  lui  fit  savoir  qu'il  ne  permettroit  pas  que,  ni  fort 
ni  foible ,  il  entrât  dans  le  Comtat ,  et  demeura  en 
cette  résolution,  quelques  menaces  que  Monsieur 
lui  fit  que,  s'il  ne  conservoit  envers  lui  et  les  siens 
la  neutralité ,  il  ne  la  conserveroit  pas  aussi  envers 
ledit  Comtat. 

Ils  envoyèrent  un  nommé  Laroche,  gentilhomme 
de  M.  d'Elbeuf,  vers  le  sieur  de  Fossé,  gouver- 
neur de  Montpellier ,  pour  essayer  de  le  gagner  par 
promesse  et  s'assurer  de  la  place. 

Ledit  Laroche  lui  dit  qu'il  a  voit  charge  de  Monsieur 
(le  le  venir  trouver  et  lui  offrir  de  sa  part,  s^il  se 
déclaroit  pour  lui  et  portoit  Montpellier  à  sou  parti, 

T.    37.  II 


l62  '  [lÔSs]    MÉMOIRES 

de  lui  faire  bailler  la  charge  de  maréchal  de  France , 
dont  M.  de  Montmorency  se  démettroit  en  sa  faveur; 
que  le  gouvernement  de  Montpellier  lui  demeureroit, 
et  qu'il  lui  donneroit  tel  commandement  qu'il  vou- 
droit  dans  son  armée,  et  qu'il  avoit  charge  de  la  Reine- 
mère  de  rassurer  de  la  place  de  son  chevalier  d'hon- 
neur ou  de  son  premier  écuyer,  à  son  choix,  et  que 
Monsieur  ne  feroit  jamais  d'accommodement  avec  le 
Roi ,  qu'à  condition  que  ledit  sieur  de  Fossé  demeu- 
reroit  maréchal  de  France,  et  èsdites  charges  et  gou- 
vernement. 

Ledit  sieur  de  Fossé  ne  prêta  pas  l'oreille  à  ces 
offres ,  et  lui  dit  qu'il  faisoit  plus  d'état  d'être  homme 
de  bien  et  fidèle  serviteur  du  Roi ,  qui  lui  avoit  donné 
tout  ce  qu'il  avoit,  que  de  toutes  les  charges  du 
royaume  acquises  aux  dépens  de  son  honneur  ^  et  à 
l'heure  même  envoya  prier  le  président  Miron ,  l'un 
des  commissaires  du  Roi  dans  les  États ,  de  le  venir 
trouver  ]  fît  avouer  audit  Laroche  ce  qu'il  lui  avoit 
offert,  et  la  réponse  qu'il  lui  avoit  faite ,  et  la  lui  fît 
signer ,  puis  le  renvoya. 

Le  lendemain ,  le  duc  de  Montmorency  mena  Mon- 
sieur avec  toutes  ses  troupes  vers  Nîmes ,  dont  il  es- 
péroit  se  pouvoir  saisir*,  mais  le  maréchal  de  La  Force 
y  envoya  si  à  propos  le  régiment  de  Tonneins,  outre 
huit  cents  chevaux  que  son  fils  y  avoit  déjà ,  que  le- 
dit duc ,  qui  n'en  étoit  qu'à  une  lieue ,  et  Monsieur 
qui  le  suivoit  de  près ,  passèrent  outre ,  et  essayèrent 
de  réparer  ce  coup  à  Beaucaire ,  où  ils  étoient  assurés 
de  Pérault ,  qui  étoit  gouverneur  de  la  ville  et  du 
château  qui  commande  entièrement  à  ladite  ville, 
laquelle ,  partant ,  ils  espéroient  avoir  à  leur  dévotion, 


DE    RICHELIEU.    [1682]  l63 

et  d*y  faire  une  léte  pour  tenir  toute  la  campagne, 
pour  incommoder  Nimes  et  Aigues-Mortes  ;  mais  les 
habitans  de  Beaucaire  étoient  résolus  de  mourir  pour 
le  service  du  Roi.  Quelques  jours  auparavant,  un  frère 
bâtard  dudit  duc  étant  venu  dans  la  ville  avec  dix  ou 
douze  de  ses  gendarmes ,  le  reste  de  la  compagnie 
suivant  après ,  la  ville,  qui  étoit  en  défiance,  se  mit 
en  armes,  le  contraignit  de  se  retirer,  et,  criant  vive 
le  Roi ,  ferma  les  portes  à  ladite  compagnie.  Pérault , 
étonné  du  courage  des  habitans ,  essaya  de  les  entre- 
tenir ,  et  gagner  temps  jusques  à  l'arrivée  du  duc ,  et 
empêcher  cependant  qu  ils  se  fortifiassent  de  quelques 
troupes ,  et  leur  promit  que ,  pourvu  qu'ils  n  en  lais- 
sassent point  entrer  de  ceux  du  Roi  dans  la  ville ,  il 
n'en  laisseroit  point  entrer  de  celles  de  Monsieur  dans 
le  château^  mais  ,  au  contraire  de  ce  qu'il  promet- 
toit,  il  terrassa  la  porte  du  château  qui  entroit  dans  la 
ville,  et  ouvrit  celle  de  dehors  pour  y  faire  entrer  qui 
il  lui  plairoit  sans  être  vu  \  ce  que  les  habitans  ayant 
aperçu, ils  se  barricadent,  et  bien  à  propos,  vuquHl 
avoit  déjà  laissé  entrer  quantité  de  gens  dans  le  châ- 
teau ,  et  étoient  résolus  de  donner  dès  le  lendemain. 
Cependant ,  sur  le  minuit ,  arrivèrent  quatre  cents 
hommes  que  le  maréchal  de  Yitry  envoyoit  à  leur  se- 
cours ,  lesquels  se  saisirent  des  barricades ,  les  habi- 
tans continuant  toute  la  nuit  à  les  fortifier.  Monsieur, 
avec  toutes  ses  troupes,  paroit  sur  le  midi  et  entre 
dans  le  château  ;  peu  après  se  présente  à  la  porte  le 
régiment  d'Aiguebonne  que  le  maréchal  de  La  Force 
leur  envoyoit  *,  les  habitans ,  sachant  qu'il  venoit  de  la 
part  du  Roi ,  le  firent  entrer.  Les  ennemis  alors , 
qui  avoieut  résolu  d'attaquer  la  ville,  l'emporter  de 

1 1. 


l64  [l63aj  MÉMOIRBS 

hante  lutte,  et  mettre  tout  à  feu  et  à  sang,  changèrent 
de  pensée,  et  pointant  leurs  canons  contre  la  ville 
commencèrent  à  la  battre  en  ruine  ;  ceux  de  dedans 
se  défendirent  courageusement ,  et  tirant  du  haut  des 
clochers  et  de  lieux  plus  élevés  de  la  ville ,  tuèrent 
plusieurs  hommes  de  qualité,  et  entre  autres  Saint- 
Pol  ;  ce  qui  obligea  le  duc  de  Montmorency  de  faire 
retirer  Monsieurdèslelenderoain,et  lemener  àMont- 
frin  et  de  là  à  Pésenas.  Cette  action  donna  un  grand 
avantage  au  service  du  Boi  et  discrédita  le  parti  des 
rebelles  -,  et  s'ils  eussent  pu  se  rendre  maîtres  de  cette 
ville ,  il  y  avoit  grande  apparence  que  Nîmes  se  fût 
mise  de  leur  côté ,  et  par  conséquent  les  Cevennes . 
Ensuite  Peccais,  Valabrègues,  qui  étoit  de  considé- 
ration à  cause  du  passage  du  Rhône ,  et  le  château  de 
Saint-Roman ,  qui  cmpéchoit  le  secours  de  Montfrin 
à  Beaucaire ,  demeurèrent  dans  le  service  du  Roi  et 
reçurent  garnison. 

Cependant  le  maréchal  de  La  Force  étoit  aa  Pont- 
Saint-Esprit  ,  qui  est  Ventrée  du  bas  Languedoc , 
tandis  que  le  maréchal  de  Schomberg  étoit,  d'autre 
part,  au  haut  Languedoc ,  espérant  par  ce  moyen  en 
incommoder  davantage  les  ennemis ,  qui  les  rencon- 
troient  partout,  fortifiant  les  serviteurs  du  Roi,  et  em- 
pêchant ,  par  crainte ,  de  se  déclarer  plusieurs  qui  en 
avoient  la  volonté ,  bien  que  beaucoup  alors  les  blâ- 
massent de  ce  que-,  chacun  d'eux  à  part  étant  trop 
foible  pour  être  maître  de  la  campagne ,  ils  donnoient 
lieu  aux  ennemis  de  s'y  tenir  pour  faire  leurs  trou- 
pes ,  outre  qu'ils  n'étoient  capables  ni  l'un  ni  l'autre 
de  rien  entreprendre  d'important  pour  le  service  de 
Sa  Majesté  ^  où  au  contraire,  joints  ensemble  y  ils  poo* 


DB  EICHELIEU.  [i63a]  |65 

voient  issiëger  Bagnols  oa  Betncaire ,  ou  autres  lem* 
blables  places.  Mais  Dieu  montra,  par  rëvënementt 
que  le  conseil  qnlls  avoient  pris  ëtoit  le 
car,  bien  qu^ils  ne  fussent  pas  les  (dus  forts,  ils 
nëanmoins  asseï  pour  empédier  les  entreprises  des 
ennemis ,  qui ,  n'eût  ëté  leur  prës^ice,  eussent  fiidle* 
ment  fait  rëyolter  plusieurs  villes  qui ,  tron^pées  par 
ce  prëtezte  spëcieuz  de  la  libertë  de  la  province ,  y 
avoient  de  l'inclination. 

Le  Pont-Saint-Esprit  eût  ëtë  une  de  celles-là  ;  car  la 
brigue  du  duc  de  Bfontmorencj  y  ëtoit  si  forte,  eljb 
citadelle  si  foible,  que  le  sieur  de  Gordes  ne  s'y  ItMit 
pas  en  sûretë. 

Il  dëfit  aussi,  ëtani  en  ce  lieu ,  le  vicomte  de  L^Es- 
trange ,  qui,  ayant  su  que  ledit  marëdial  avoit  envojë 
quelques-unes  de  ses  troupes  loger  à  Privas ,  âssemÛa 
tout  ce  qu'il  put  de  son  rëgiment  et  des  autres ,  et  se 
vint  loger  à  Toumon  qnin'enestqu'àunearquebosade, 
et  au  fort  SaintrAndrë  qui  en  est  aussi  fort  près ,  pu* 
bliant  partout  qu'il  ëtoit  rësolndeles  tailler  en  pîèêea. 

Le  marëcbal  y  envoya  le  chevalier  d'AIincourt  avec 
son  rëgiment,  et  La  Roqae-Bfassebault  avec  qntira 
cornettes  de  cavalerie ,  tons  rësolus  de  les  voir  de 
près.  En  eflfot  ils  marchent  droit  à  eux  en  plein  midi, 
les  attaquent  dans  leur  logement,  bien  que  fort,  et 
les  emportent  si  vigoureusement  t{a'ils  en  tuent  cent 
ou  six  vingts  sur  la  place ,  prennent  le  vicomte  âm 
L^Estrange  et  huit  ou  dix  officiers,  environ  cinquante 
soldats,  et  mettent  tout  le  reste  en  dëronte;  ce  qû 
donna  une  grande  ëpouvante  à  tout  le  pays,  car  U 
avoit  rëputation  d'être  dëterminë  et  mutin  :  il  ëloit 
prévenu  de  beaucoup  de  crimes ,  et  fut  exëculë  m 


l66  [1632J   MÉMOIRES 

Pont-Saint-Esprit,  et  le  lendemain  le  sieur  (l'Entra- 
gués  ,  et  à  Lyon  le  sieur  Capistan ,  qui  avoient  ëté  les 
premiers  qui  avoient  exercé  des  actes  d'hostilité  et 
pris  des  prisonniers  pour  Monsieur. 

Toutes  ces  actions  qui  réussissoient  à  la  gloire  du 
Roi,  et  tous  les  desseins  de  Monsieur  qui  avortoient 
à  leur  naissance,  commencoientà  les  étonner  et  étein- 
dre  le  feu  de  Tespérance  qu'ils  avoient  conçue  de  leur 
rébellion.  Mais  ce  qui  les  effraya  davantage  fut  le 
bruit  de  la  venue  du  Roi  avec  une  armée ,  pour  dis- 
siper par  sa  présence  toutes  les  brouilleries  qu'ils  ex- 
citoient,  et,  par  Ta  force  de  ses  armes ,  les  contraindre 
à  rentrer  en  leur  devoir. 

Le  maréchal  de  Schomberg  pressoit  le  Roi  de  se 
hâter,  l'assurant  qu'ils  ne  subsisteroient  pas  devant 
lui.  Mais  eux,  tout  au  contraire ,  faisoient  courir  le 
bruit  que  Sa  Majesté  étoit  malade  à  Paris,  qu'elle 
n'osoit  venir,  que  le  roi  de  Suède  étoit  défait,  que 
Maëstricht  n'étoit  pas  en  état  de  pouvoir  être  pris ,  et 
semblables  choses  destituées  de  vérité. 

Le  Roi ,  qui  vouloit  venir,  mais  qui,  au  partir  de 
Lorraine,  s'acheminoit  à  son  aise,  à  petites  journées, 
à  Paris ,  croyant  que  le  feu  que  Monsieur  allumoit 
en  son  royaume  ne  seroit  qu'un  feu  de  paille ,  arriva 
à  Monceaux  le  16  juillet ,  et  là  apprit ,  par  un  courrier, 
premièrement  l'inclination  que  le  duc  de  Montmo- 
rency témoignoit  avoir  de  suivre  le  parti  de  Monsieur, 
puis ,  le  3o ,  sa  déclaration  manifeste  contre  son  ser- 
vice 5  ce  dont  elle  fut  d'autant  plus  surprise  qu'elle 
attendoit  toute  autre  chose  de  lui. 

Elle  fit  incontinent  sceller  son  hôtel  à  Paris ,  où  elle 
fit  saisir  55o,ooo  livres  qui  lui  dévoient  être  envoyées 


DE    RICHELIEU.    [lÔSs]  167 

le  lendemain,  qu^elle  fit  porter  en  son  épargne. 

Le  peu  de  prévoyance  dudit  duc  de  Montmorency 
parut  clairement ,  en  ce  qu'il  attendit  à  faire  venir 
son  argent  après  s'être  déclaré ,  au  lieu  de  s'en  être 
muni  auparavant,  ou,  s'il  nel'avoit  pu,  étoitsi  simple 
que  de  le  laisser  en  sa  maison  ^  mais  elle  parut  bien 
encore  davantage  en  deux  autres  actions  :  il  alla  à 
Montpellier  peu  de  jours  auparavant  ^  Fossé ,  qui  ne 
faisoit  que  d'y  arriver,  l'y  reçut  sans  aucune  défiance, 
et  l'accompagna  toujours  sans  le  quitter  tant  qu'il  (ut 
dans  la  ville,  de  sorte  qu'il  pouvoit  se  saisir  de  sa 
personne  et  de  tous  ses  officiers  s'il  lui  eût  plu ,  et  se 
rendre,  par  après,  aisément  maitre.de  la  citadelle, 
dans  laquelle  il  n'y  avoit  pas  de  vivres  pour  trois  jours. 

Et  peu  de  jours  avant  que  la  ville  de  Beaucaire  eût 
pris  de  lui  le  soupçon  qui  la  fit  déclarer  pour  le  Roi 
contre  ses  adhérens,  la  foire  s'y  tenoit,  qui  est  si 
grande  qu'il  y  avoit  pour  plus  d'un  million  d'or  de 
marchandises,  qu'il  laissa  emporter  sans  avoir  le  ju- 
gement de  s'en  prévaloir.  Mais  Dieu ,  protecteur  des 
rois,  et  qui  l'a  particulièrement  été  de  Sa  Majesté, 
laquelle  il  a  toujours  défendue  depuis  ses  plus  tendres 
années  contre  ceux  qui  lui  ont  couru  sus,  et  qui  l'a, 
comme  David ,  délivré  de  toutes  les  embûches  de  ses 
ennemis ,  l'aveugla ,  et  la  Magdeleine  qui  aime  ce 
royaume  qui  l'a  reçue  en  son  exil ,  et  avoit  rendu 
Tentreprise  des  Anglais  malheureuse  en  la  descente 
qu'ils  firent  en  l'île  de  Ré  le  jour  auquel  l'église  cé- 
lèbre sa  fête ,  rendoit  aussi  infructueuse  la  rébellion 
qu'il  fit  au  même  jour. 

Tout  le  conseil  fut  si  surpris  de  cette  nouvelle,  et 
si  plein  d'appréhension  des  mauvais  événemens  qui 


l68  [l63â]   MÉMOIRES 

ea  pouvoient  arriver,  que,  mettant  à  part  toutes  les 
autres  affaires ,  il  pensa  qu*il  ne  falloit  s'appliquer  qu  a 
pourvoir  à  celle-*là  seulement. 

Mais  le  cardinal  fut  d'une  opinion  contraire,  et  re- 
connut qu'à  la  vérité  le  Roi  avoit  de  grandes  affaires 
sur  les  bras,  premièrement  celle  de  Languedoc,  qui 
étoit  s^s  comparaison  la  plus  importaute  ]  puis,  outre 
celle-là ,  rembarquement  auquel  étoit  les  armes  du 
Roi  en  Allemagne ,  qu'on  n'eût  su  éviter  sans  laisser 
perdre  un  électeur  catholique  qui  demandoit  secours; 
en  troisième  lieu ,  l'état  où  étoit  l'armée  des  Hollan- 
dais ,  qui  prendroient  indubitablement  Maëstricht , 
mais  étoient  au  hasard  d'être  défaits  en  se  retirant 
après  le  siège ,  parce  que  les  Espagnols  étoient  beau- 
coup plus  forts  qu'eux  *,  puis  le  dessein  de  la  révolte, 
méditée  de  long-temps  par  les  seigneurs  de  Flandre , 
laquelle  ne  pouvoit  être  abandonnée  sans  que  nous  en 
reçussions  beaucoup  de  dommage  ;  et  enfin  le  péril 
où  étoit  Casai ,  par  l'apparence  qu'il  y  avoit  que 
Toiras ,  qui  sembloit  s'en  être  rendu  maître ,  fût  de 
l'intelligence  de  la  révolte  de  M.  de  Montmorency, 
vu  que  ses  frères  qui  dépendoient  de  lui  y  étoient 
les  plus  échauffés  *, 

Que  toutes  ces  affaires  étoient  capables  d'étonner 
d'abord,  et  faire  juger  de  prime  face  que  pour  bien 
faire  réussir  les  unes  il  falloit  abandonner  les  autres. 

Cependant  qu'après  y  avoir  mûrement  pensé ,  on 
ne  pouyoit ,  à  son  avis ,  dire  autre  chose  sinon  qu'il 
n'en  falloit  abandonner  aucune ,  ains  les  conduire 
toutes  aux  meilleurs  fins  qu'il  se  pourroit,  d'autant 
qu'il  y  a  cette  différence  entre  les  princes  et  les  per- 
iQuues  privées  ,  que  les  conseils  de  ceux-ci  doivent 


DE  RicnELiEU.  [i63a]  i6g 

tendre  à  ce  qui  leur  est  utile  et  avantageux ,  mais  les 
autres  doivent  avoir  en  leurs  conseils  pour  principal 
but  de  conserver  ou  augmenter  leur  réputation.  Or 
le  Roi  ne  pourroit  abandonner  ses  autres  affaires  sans 
perdre  beaucoup  de  la  réputation  acquise  y  ce  qui 
apporteroit  grand  préjudice  non-seulement  aux  af- 
faires du  djehors ,  mais  à  celles  du  dedans ,  oul^  que 
nous  ne  pourrions  abandonner  les  affaires  d'Alle- 
magne sans  perdre  la  bonne  volonté  des  princes  et 
des  électeurs  catholiques ,  ni  celles  de  Hollande  sans 
que  nous  en  ressentissions  le  contre-coup,  y  ayant  plus 
d'un  an  que  nous  savions  par  avis  certains  que  les 
Espagnols  n'attendoient  autre  chose,  sinon  que  le  roi 
de  Suède  ou  les  Hollandais  reçussent  quelque  notable 
désavantage  pour  nous  faire  la  guerre. 

Pour  ce  qui  étoitde  la  révolte  projetée  en  Flandre, 
que  bien  que  ce  fût  une  pensée  venue  purement  des 
seigneurs  du  pays  qui  la  méditoieut,  si  est-ce  qu'il 
importoit  extraordinairement  de  les  aider  à  faire 
réussir  leurs  desseins,  vu  que  si  ces  seigneurs  ve- 
noient  à  se  perdre,  les  Espagnols  seroient  par  après 
plus  en  élat  d'espérer  la  trêve  avec  les  Hollandais, 
et  d'entreprendre  contre  nous  pour  nous  faire  le  mal 
qu'ils  projetoient  de  long-temps.  Au  reste ,  que  les 
mille  chevaux  qu'ils  avoient  donnés  à  Monsieur  pour 
entrer  en  France  nous  donnoient  lieu  de  donner  des 
gens  à  ceux  des  leurs  qui  se  voudroient  révolter,  sans 
que  Ton  pût  prétendre  que  nous  fissions  rupture, 
s'ils  ne  vouloient  avouer  l'avoir  faite  les  premiers , 
contre  lesquels  il  nous  étoit  permis  d'eu  prendre  re- 
vanche ,  ce  que  nous  devions  par  raison  d'Etat  et  de 
conscience ,  puisque  c'étoit  le  seul  moyen  de  venir  à 


170  [l632]   MÉMOIRES 

une  bonne  paix  que  d'incommoder  notablement  nos 
ennemis ,  vu  que  s'il  leur  étoit  libre  de  nous  nuire 
sans  qu'ils  en  reçussent  la  riposte ,  ils  continueroient 
éternellement  pour  l'avantage  qu'ils  auroient  de  nous 
faire  du  mal  sans  en  recevoir. 

Qui  plus  est,  que  quand  même  cette  révolte  n'au- 
roit  pas  une  subsistance  de  durée,  et  ne  réussiroit  pas 
à  grand  effet,  il  nous  suffisoit  qu'elle  incommodât  et 
occupât  les  ennemis ,  et  les  empêchât  de  nous  tomber 
sur  les  bras  tandis  que  nous  pacifierions  les  troubles 
que  Monsieur  faisoit  en  France  à  leur  sollicitation ,  et 
par  l'assistance  qu'ils  lui  avoient  donnée  d'hommes  et 
d'argent. 

Quanta  Casai,  il  y  falloit  remédier,  mais  sagement 
et  délicatement;  que  les  remèdes  consistoient  à  ren- 
voyer Gagnot  qui  partageroitles  Français ,  faire  aver- 
tir Bivare  et  Guiscardi  par  Priandi ,  en  sorte  qu'il 
témoignât  que  son  soupçon  n'étoit  que  de  lui ,  et 
que  le  Roi  et  le  cardinal  étoient  aveuglés  de  la  con- 
fiance qu'ils  avoient  en  Toiras  *,  mander  à  Madame 
que  le  Roi  seroit  bien  aise  de  la  voir  à  Lyon ,  tâcher 
insensiblement  d'y  faire  venir  Toiras  sans  qu'il  pût 
juger  qu'on  le  désirât,  lui  écrire  de  bonnes  lettres 
non  affectées,  découvrir  à  Servien  qu'il  étoit  bon  que 
Toiras  vînt ,  lui  faire  espérer  le  Languedoc  pourvu 
que  ses  frères  en  fussent  ôtés. 

Sa  Majesté  manda  au  même  temps  au  maréchal  de 
La  Force  qui  étoit  au  Pont-Saint-Esprit  qu'il  se  hâtât 
de  se  mettre  en  campagne ,  vu  que  l'affaire  du  Lan- 
guedoc lui  étoit  fort  à  cœur,  d'autant  qu'on  ne  la 
pouvoit  négliger  sans  donner  lieu  à  Monsieur  de  par- 
tager la  France ,  et  après  l'avoir  partagée  s'en  rendre 


DE   RICHBUEU.   [l63a]  I7I 

maître ,  étant  certain  qne  s'il  avoit  trois  bonnes  places 
déclarées  pour  lui  dans  le  royaume,  il  lui  seroit  plus 
aisé  d'ébranler  le  royaume  ayec  le  temps  que  d'en 
acquérir  une  médiocre,  et  que  ce  feu  qui  étoit  allumé 
u'étoit  point  si  petit  qu^  ne  pût  enfin  ébranler  tout 
TEtat  si  on  ne  Téteignoit  promptement« 

Le  6  août  le  cardinal  représenta  au  Roi  que  Te&trée 
de  Monsieur  dans  le  Languedoc,  et  la  révolte  de 
M.  de  Montmorency ,  étoient  de  grande  conséquence 
si  elles  étoient  négligées ,  et  n'étoient  rien  si  elles 
étoient  poussées  vertement  et  considérées  comme  il 
faut;  que  nul  ne  fait  un  si  hardi  coup  en  matière  de 
faction  que  celui  qui  la  commence  et  se  déclare  le 
premier,  et  partant  qu'il  falloit  bien  se  donner  garde 
de  donner  temps  à  beaucoup  d'esprits  mal  contens  de 
suivre  l'exemple  de  M.  de  Montmorency  ;  qu'en  telles 
afiisûres  on  s'étoit  toujours  servi  de  la  peau  du  lion  et 
du  renard ,  c'est^à'-dire-  qu'en  agissant  fortement  et 
promptement  par  les  armes  il  falloit  détacher  les  con- 
jurés les  uns  des  autres,  pardonner  aux  uns  pour 
châtier  les  antres,  et  particulièrement  les  principaux 
auteurs  du  mal; 

Qu'il  étoit  certain  qu'il  n'y  avoit  point  de  remède 
si  efficace  et  si  prompt  pour  mettre  les  rebelles  à  la 
raison  que  la  présence  du  Roi ,  mais  qu'il  se  falloit 
bien  donner  garde  de  s'avancer  de  delà  qu'on  n'assu* 
rit  si  bien  tous  les  côtés  de  deçà  et  toutes  les  pro- 
vinces de  la  France,  qu'il  ne  pût  arriver  aucun  nou- 
veau mouvement,  soit  du  dehors  soit  du  dedans,  qui 
contraignit  Sa  Majesté  de  reculer,  quand  elle  seroit, 
avancée  ; 

Que  pour  ce  qui  étoit  du  dehors ,  il  falloit  pour- 


Ï'J2  [1632]   MÉMOIRES 

voir  au  paiemeut  du  roi  de  Suède ,  à  qui  il  falloit 
donner  cinq  cent  mille  livres;  à  celui  des  Hollandais, 
auxquels  on  s'ëtoit  obligé  de  donner  un  million  de 
livres  cette  année;  au  duc  de  Bavière ,  à  qui  Ton 
a  voit  promis  trois  cent  mille  livres  ;  à  Tentretènement 
des  troupes  qui  étoient  aux  Grisons,  et  à  celui  de 
celles  qui  sont  à  Casai  et  à  Pignerol  ; 

Qu'ayant  satisfait  à  ces  paiemens,  on  estimoit  qu'il 
ne  pouvoit  arriver  de  mal  du  dehors,  vu  que  le 
voyage  du  sieur  de  Hautem  assureroit  la  continua- 
tion de  la  guerre  du  côté  des  Hollandais ,  et  que  la 
négociation  de  Carondelet  et  de  Berruyer  causeroit 
apparemment  de  nouvelles  affaires  à  ceux  qui  nous 
en  vouloient  donner  ; 

Que  pour  le  dedana,  il  falloit  laisser  le  comman- 
dement de  Paris,  Orléanais,  Blaisois,  Beance,  Cham- 
pagne ,  Picardie  et  Normandie  à  M.  le  comte,  n'étant 
pas  besoin  d'une  moindre  autorité  que  celle  d'un 
prince  du  sang  pour  contenir  cette  maîtresse  ville 
et  les  provinces  circonvoisines  ; 

Qu'il  falloit  qu'avec  M.  le  comte  demeurassent 
M.  le  maréchal  de  Saint-Luc ,  de  Senneterre,  de  Hau- 
terive,  d'Aluye  :  s'il  y  avoit  quelque  afiaire  dans  la 
Picardie  où  M.  le  comte  n'eût  pas  besoin  d'aller,  le 
maréchal  de  Chaulnes  agiroit  ; 

Si  en  autre  province,  comme  Normandie,  il  em* 
ploieroit  M.  de  Saint  Luc  ; 

Qu'il  falloit  laisser  des  commissions  entre  ses  mains 
pour  lever  six  régimens ,  s'il  en  étoit  besoin ,  et  six 
compagnies  de  chevau-légers  ; 

Qu'il  falloit  laisser  en  Picardie  un  corps  de  six  mille 
hommes  et  cinq  cents  chevaux  pour  être  prêts  à  s'op* 


DB  RicffBLnu.  [i63a]  1^3 

poser  à  quoi  qai  pût  arriver  en  ces  quartiers* Ui  ; 

Qu'il  fiilloit  laisser  fonds  effectifs  pour  leur  paie* 
ment ,  parce  qu'autrement  ils  se  dëbanderoient  et 
iroient  aux  ennemis  ; 

Qu'il  falloit  aussi  laisser  fonds  pour  les  garnisons  de 
Picardie,  et  commission  particulière  au  sieur  de  Saint- 
Chamont  de  1er  visiter  de  temps  en  temps  et  les  faire 
tenir  complètes; 

Qu'il  falloit  laisser  une  compagnie  de  carabins  an 
sieur  de  Feuquières ,  et  une  au  sieur  de  Yaubeconr , 
pour  cpie  chacun  de  son  cdtë  pût  empteher  sur  la 
frontière  de  Champagne  qu'il  n'j  arrii^t  aucun  dé* 
sordre,  et  ordre  à  tous  les  deux  de  visiter  les  garni- 
sons et  les  faire  aussi  tenir  complètes  ; 

Qu'il  ëtoit  encore  du  tout  nécessaire  de  laisser 
pouvoir  à  M.  le  prince  pour  aller  en  la  Touraine,  le 
Poitou,  Aunis,  Limosin,  la  Marche,  Saintonge, 
Angoumois,  Përigord,  Qoercf,  Auvergne,  et  lui 
donner  une  compagnie  de  carabins  qu'il  ne  mettroit 
point  sur  pied  S'il  n'en  ëtoit  de  besoin ,  et  une  de 
chevau-lëgers  pour  aller  diligemment  dans  toutes 
ces  provinces  l'une  après  l'autre  ; 

Qu'il  falloit  laisser  M.  de  Yignoles  avec  M.  le 
prince  qu'il  emfdoieroit  en  Poitou  s'il  en  ëtoit  de 
besoin; 

Après  quoi  M.  le  prince  retourneroit  en  Bourgogne 
faire  parachever  le  procès  commencé  centre  les  grands 
qui  étoient  sortis  de  la  France  avec  Monsieur ,  ce 
qu'il  promettoit  de  faire  terminer  pourvu  qu'on  con-- 
tinuât  le  parlement,  avec  défense  de  travailler  à  quel- 
que autre  affaire  que  ce  pût  être  que  ptemièrement 
celle-là  ne  fût  vidée. 


1^4  [l632]   MÉMOIRES 

Par  ce  moyen  il  y  avoit  apparence  qu'il  contiçn- 
droit  tout  ce  qui  seroit  de  l'étendue  de  sa  commis- 
sion ,  ou  autrement  il  se  trouveroit  force  gens  qui  se 
révolteroient ,  principalement  s'il  arrivoit  quelques 
bons  succès  aux  ennemis. 

Qu'il  falloit  en  outre  considérer  tous  les  mauvais 
esprits  qui  n'ayant  point  de  charges-auprès  du  Roi. en 
,pouvoient  chercher  ailleurs ,  et  les  gouverneurs  qui 
étoient  plus  aisés  à  être  disposés  à  faire  faux  bond  à 
leur  conscience  et  manquer  à  leur  devoir  \ 

Qu'il  falloit  diviser  et  séparer  les  premiers,  leur 
donnant  des  emplois  qui  les  occupassent,  et  où  ils  ne 
passent  mal  faire,  et  donner  de  si  bons  surveillans 
aux  derniers,  qu'ils  ne  pussent  être  emportés  par  leur 
mécontentement  quand  ils  s'y  voudroient  aban- 
donner; 

Que ,  cela  fait ,  il  étoit  du  tout  nécessaire  que  le 
Roi  portât  diligemment  sa  personne  vers  les  ennemis, 
l'éclat  de  sa  présence  étant  capable  de  confirmer  les 
bons ,  contenir  les  douteux ,  et  défaire  les  déclarés 
plus  que  des  armées  puissantes  ;    . 

Que  de  deux  chemins  qu'on  peut  tenir,  l'un  par  le 
Limosin  pour  aller  au  haut  Languedoc ,  l'autre  par 
Lyon  pour  descendre  au  bas  Languedoc,  il  valoit 
micfux  prendre  le  dernier,  pour  trois  raisons  princi- 
pales : 

La  première ,  que  Beaucaire  étant  en  dispute  à  qui 
l'aura ,  et  la  personne  de  Monsieur  en  étant  proche , 
il  falloit  porter  le  remède  au  mal  ; 

La  seconde  étoit  que  la  déclaration  des  frères  de 
Toiras  donnant  soupçon  que  lui  et  M.  de  Savoie 
fussent,  au  moins  sous  main,  de  l'intelligence  pour  se 


DE  RICHELIEU.    [l632]  l'jS 

déclarer  s'il  arrivoit  quelque  événement  du  tout  fa- 
vorable, il  étoit  beaucoup  meilleur  d'aller  en  lieu  où, 
étant  entre  eux  et  les  ennemis,  on  les  empêchât  de 
pouvoir  faire  éclore  leurs  mauvais  desseins ,  qui  pé- 
riroient  en  eux-mêmes  si  Ton  avoit  un  prompt  et 
favorable  événement  ; 

La  troisième  étoit  que  M.  le  prince  étoit  capable 
de  faire  ce  qu'il  falloit  iaire  dans  le  Limosin  et  autres 
provinces  circonvoisines  par  où  le  Roi  passeroit ,  et 
que  nul  ne  pouvoit  faire  vers  Beaucaire  les  effets 
requis  que  la  seule  présence  de  Sa  Majesté; 

Qu'il  étoit  encore  à  considérer  que  M.  le  maréchal 
de  Schomberg  étant  dans  le  haut  Languedoc ,  il  étoit 
suffisant  pour  confirmer  Narbonne  et  peut-être  sau- 
ver Albi ,  puisque  l'effort  des  ennemis  n'y  alloit  pas , 
et,  qui  plus  est,  pourroit  s'opposer  aux  Espagnols 
s'ils  vouloient  descendre  des  montagnes  par  le  Rous- 
sillon ,  ce  qui  faisoit  que  la  présence  du  Roi  étoit  bien 
plus  utile  vers  Beaucaire,  tant  pour  les  raisons  sus- 
dites que  parce  en  outre  que  si  les  Espagnols  ten- 
toient  une  descente  par  la  Provence  ou  autres  lieux 
voisins  du  Languedoc,  Sa  Majesté  seroit  proche  pour 
s'y  opposer. 

Ces  choses  ayant  été  ainsi  ordonnées,  le  Roi  vint 
à  Paris  le  1 1  août,  et  le  lendemain  alla  au  parlement, 
où  il  fit  vérifier  une  déclaration  par  laquelle ,  repré- 
sentant c[ue  Monsieur  étoit  contre  toute  raison  entré 
hostilement  en  ce  royaume,  après  avoir  sollicité  tous 
les  princes  voisins  de  l'assister  d'hommes  et  d'ar- 
gent pour  entreprendre  contre  son  État ,  et  avoit , 
par  son  placard  du  i3  juin ,  déclaré  que  ce  qu'il  en 
faisoit  étoit  pour  le  salut  de  la  France,  qu'en  termes 


196  [l63'j]    MÉMOIRES 

préjudiciables  à  la  réputation  de  Sa  Majesté  il  repré- 
sentoit  être  en  état  déploré ,  en  imputant  la  faute  au 
cardinal ,  quoique  sa  fidélité ,  son  zèle  et  Futilité  de 
ses  services  soient  tellepient  connus  qu*il  faudroit  être 
envieux  de  la  gloire  de  Sa  Majesté  et  de  la  prospérité 
de  ses  affaires  pour  publier  le  contraire,  Sa  Majesté, 
pour  y  pourvoir ,  déclaroit ,  en  confirmant  ses  pré- 
cédentes déclarations  du  3i  mars  et  10  août  i63i, 
tous  ses  sujets,  de  quelque  qualité  qu'ils  fussent ,  qui 
étoient  avec  ledit  sieur  son  frère,  ou  iroient  avec  lui 
et  Tassisteroient  directement  ou  indirectement,  re- 
belles, criminels  de  lèse-majesté  et  perturbateurs  du 
repos  public.  Et  pour  le  regard  dudit  sieur  son  frère , 
elle  promettoit  que ,  si  dans  six  seitaines  après  la  pu- 
blication des  présentes ,  il  avoit  recours  à  sa  bonté  , 
et  licencioit  toutes  les  troupes  étrangères  et  autres  qu'il 
avoitaveclui,  et  cessoit  tous  actes  d'hostilité,  de  guerre 
et  d'entrepi^se  sur  ses  places ,  et  le  venoit  trouver , 
ou  envoyoit  vers  elle  dans  ledit  temps  pour  se  re- 
mettre entièrement  en  son  devoir ,  elle  oublieroit  ses 
fautes  passées,  le  recevroit  en  sa  grâce  et  le  rétabli- 
roit,  comme  elle  faisoit  dès  lors  audit  cas,  en  tous  ses 
biens ,  apanages ,  pensions  et  appointemens ,  et  lui 
feroit  si  bon  traitement  qu  il  auroit  tout  sujet  de  se 
louer  de  sa  bonté,  se  réservant,  ledit  temps  passé,  au 
cas  qu'il  persistât  aux  mauvais  desseins  qu'on  lui  avoit 
fait  prendre ,  d'ordonner  contre  lui  ce  qu'elle  estime- 
roit  devoir  faire  pour  la  conservation  de  son  Etat, 
sûreté  et  repos  de  ses  sujets ,  conformément  aux  or- 
donnances du  royaume  et  à  ce  qui  s'étoit  pratiqué 
par  ses  prédécesseurs  en  semblables  occasions.  Cette 
déclaration  fut  vérifiée  au  parlement  de  Toulouse  le 


DE   RICUEUEU.    [l632]  l'jj 

3o  du  mois  ;  elle  étoit  bien  douce  euvers  Monsieur, 
et  tënioignoit  une  grande  modération  en  la  conduite 
et  en  Tesprit  du  Roi ,  si  nous  considérons  Ténormité 
de  sa  faute  et  la  sévérité  avec  laquelle  les  rois  ses 
prédécesseurs  ont  procédé  en  semblables  occasions  ; 
car  de  croire  que ,  pour  être  fils  ou  frère  du  Roi  ou 
prince  de  son  sang,  ils  puissent  impunément  troubler 
le  royaume ,  c'est  se  tromper. 

Il  est  bien  plus  i^aisonnable  d'assurer  le  royaume 
et  la  royauté  que  d'avoir  égard  à  leurs  qualités  qui 
donneroient  impunité,  et  par  ce  moyen  engageroient 
diverses  personnes  contre  le  Roi  et  contre  TEtarpar 
une  mauvaise  disposition  quasi  naturelle  et  com- 
mune h  tous  sujfts  qui  estiment  profiter  dans  les 
changemens. 

Les  fils ,  frères  et  autres  parens  des  rois  sont  sujets 
aux  lois  comme  les  autres ,  et  principalement  quand 
il  est  question  du  crime  de  lèse-majesté,  qui  est  si 
important,  que  même,  suivant  la  disposition  de  la 
loi ,  celui  qui  en  est  coupable  par  une  simple  pensée 
est  digne  de  punition. 

L'abolition  accordée  par  le  roi  Jean  à  Charles ,  duc 
de  Normandie ,  son  fils  aine ,  depuis  Charles  v,  et  au 
roi  de  Navarre,  gendre  dudit  roi  Jean,  qui  s'étoit 
voulu  retirer  vers  l'Empereur ,  montre  avec  quelle 
rigueur  les  rois  ont  procédé  en  telles  rencontres;  car 
Tabolition  va  bien  avant,  et  fait  voir  clairement  que 
les  princes  du  sang,  en  quelque  degré  qu'ils  soient, 
sont  assujétis ,  sans  distinction  des  autres  sujets  du 
Roi ,  aux  lois  du  royaume. 

Henri  m ,  l'an  1575 ,  ne  fit  point  de  difficulté  d*en- 
voyer  des  lettres  de  cachet  à  la   noblesse  de  son 
T.  %i.  12 


1^8  [l63a]    MÉMOIRES 

royaume ,  sur  la  sortie  de  sa  cour  du  duc  d'Alençon 
son  frère ,  à  ce  qu'on  le  prît  et  arrêtât  en  quelque  lieu 
qu'on  le  trouvât ,  et  commanda  à  toute  sa  noblesse  de 
monter  à  cheval. 

Quant  aux  autres  princes  du  sang  plus  éloignés  que 
les  fils  et  les  frères ,  les  rois  ont  encore  procédé  contre 
eux  avec  plus  de  rigueur. 

Philippe  de  Valois,  Tan  i336,  déclare  Robert  d'Ar- 
tois ,  prince  du  sang ,  son  ennemi  mortel ,  défend  à 
ses  sujets  de  l'assister,  commande  de  le  prendre  et 
de  l'arrêter,  sous  peine  de  confiscation  de  corps  et  de 
biens. 

Charles  v,  l'an  1378  ,  fait  ajourner  Jean  de  Mont- 
fort,  duc  de  Bretagne,  à  compatir  en  personne, 
ordonne  qu'on  verra  l'ajournement  fait  à  la  requête 
du  procureur  général ,  et  qu'il  sera  fait  droit  sur  ses 
conclusions. 

Du  temps  de  Charles  vi ,  en  l'an  i44'  9  î^  7  ^^^  ^^^ 
déclaration  contre  le  duc  d'Orléans  son  neveu ,  le 
comte  de  Bourbon  et  le  duc  d'Alençon ,  princes  du 
sang,  par  laquelle  ils  furent  déclarés  rebelles  et 
désobéissans  au  Roi  et  à  la  couronne,  et  avoir  forfait 
corps  et  biens. 

Il  se  trouve  aussi  un  lit  de  justice  de  Charles  vu , 
l'an  1456,  contre  Jean  11,  duc  d'Alençon,  prince  du 
sang ,  et  l'arrêt  de  mort  donné  contre  lui  et  ses  biens 
confisqués ,  à  cause  des  pratiques  qu'il  avoit  en  An- 
gleterre. 

Le  roi  François  i  fit  décréter  prise  de  corps  contre 
le  connétable  de  Bourbon^  Lizet,  avocat  général, 
soutint  qu'en  crime  de  lèse-majesté  notoire,  il  n'étoit 
requis  de  garder  forme  de  procès  et  ordre  judiciaire. 


DE    RICHELIEU.    [l632]  I79 

et  qu*auâit  cas  le  vrai  ordre  étoit  de  n'y  garder  point 
d'ordre,  et  requit  que  ledit  connétable  eût  la  tête 
tranchée  et  ses  biens  confisqcCs. 

Et  en  notre  temps,  Tan  i6i5,  M.  le  prince  et  tous 
ceux  qui  Tassistoient  furent  déclarés  déchus  de  tous 
honneurs ,  états ,  offices  ,  pouvoirs ,  gouvernemens , 
charges,  pensions,  privilèges  et  prérogatives,  déclarés 
désobéissans ,  rebelles  et  criminels  de  lèse-majesté , 
et  que  comme  tels  il  seroit  procédé  contre  eux ,  tant 
en  leurs  personnes  c[ue  leur  mémoire  et  postérité. 

Ces  procédés-là  sont  bien  justes,  mais  néanmoins 
bien  rigoureux  en  comparaison  de  celui  dont  le  Roi 
usa  envers  Monsieur ,  dont  la  faute  ne  peut  pas  seu-^ 
lement  être  dite  moindre ,  mais  non  pas  même  égale, 
vu  qu'à  qui  la  considérera  bien ,  elle  la  surmonte  de 
beaucoup^  et  néanmoins  le  Roi ,  ni  ne  le  déclara  cri- 
minel ,  ni  ne  décerna  aucune  peine  contre  lui ,  mais 
se  contenta  simplement  de  le  convier  à  rentrer  en 
son  devoir ,  lui  promit  de  le  recevoir  en  sa  grâce  et 
de  lui  faire  toutes  sortes  de  bons  traitemens ,  lui  don- 
nant seulement  à  entendre  que,s*il  y  manquoit  et 
méprisoit  les  offres  fraternelles  qu'il  lui  faisoit ,  il  se« 
roit  contraint  de  procéder  contre  lui  selon  les  lois  de 
son  royaume. 

Tandis  qu'il  étoit  dans  le  royaume  et  Tattaquoit 
d'un  côté  par  armes ,  il  soUicitoit  d'autre  part  les  es- 
prits à  rébellion  par  un  grand  nombre  de  libelles  dif- 
famatoires, que  l'on  semoit  dans  Paris  et  autres  villes 
du  royaume. 

Le  Roi  commanda  qu'on  les  fit  brûler  par  la  main 
du  bourreau  ;  ce  qui  se  fit  en  divers  temps,  selon  que, 
de  jour  à  autre ,  on  en  envoyoit  de  nouveaux.  Un 

12. 


l8o  [1682]   MÉMOIRES 

nommé  Le  Venant,  qui  avoit  été  des  gardes  de  la 
Reine-mère,  eut  la  tête  tranchée  au  quartier  de  Saint- 
Paul  ,  par  arrêt  de  la  chambre  de  justice  étabUe  à 
TArsenal,  pour  avoir  semé  et  affiché  quelques-uns 
desdits  placards  et  libelles,  la  plupart  desquels  étoient 
composés  par  Saint-Germain  (0,  et  pleins  de  son  venin 
ordinaire. 

Un  valet  de  chambre  du  père  Chauteloube  fut  par 
le  même  arrêt  condamné  aux  galères  perpétuelles. 
Quelque  temps  auparavant ,  La  Yieuville  avoit  été  , 
par  la  chambre  de  justice  établie  à  T Arsenal ,  con- 
damné à  avoir  la  tête  tranchée  et  ses  biens  confisqués 
au  Roi,  comme  criminel  de  lèse-majesté,  pour  être 
sorti  hors  du  royaume,  et  allé  trouver  Monsieur 
et  la  Reine-mère,  contre  les  défenses  portées  par  la 
déclaration  du  Roi  du  12  août  i63i ,  et  convaincu 
du  meurtre  commis  en  la  personne  du  feu  sieur  de 
Poitrincourt. 

Le  duc  de  Rouanez  fut  aussi  par  la  même  chambre 
condamné  à  avoir  la  tête  tranchée  ,  ses  biens  acquis 
et  confisqués  au  Roi ,  pour  crime  de  £sLusse  monnoie 
et  exposition  d'icelle. 

Peu  après ,  Sa  Majesté  étant  à  Cosne  W  fit  aussi 

(i)  Saint' Germain  :  Mathieu  de  Marque ,  tibbé  de  Saint-Germain  , 
deTÎnt  par  la  suite  premier  aumônier  de  la  Reine-mère.  U  joua  un  grand 
rôie  dans  la  cour  de  cette  princesse.  —  (q)  Sa  Majesté  étant  à  Cosne  : 
Au  moment  où  le  Roi  alloit  quitter  Paris,  la  princesse  de  Gucmenë, 
maîtresse  de  Montmorency,  vint  trouver  Richelieu,  a  Monsieur,  lui 
«  dit-elle,  tous  allcx  en  Languedoc,  souvcnei-TOus  des  gr>Q<Ies  marques 
«  d^attachement  que  M.  de  Montmorency  tous  a  donnéa  il  n'y  a  pas 
<  loug-temps.  Vous  ne  pouvez  les  oublier  sans  ingratitude.  — -  Ma- 
te dame ,  re'pondit  froidement  Richelieu,  je  n'ai  pas  rompu  le  premier.  » 
Cette  princesse  e'toit  proche  parente  de  madame  de  CheTrense  ,  autrefois 
épouse  do  connétable  de  Lnynes  ;  et  madame  de  Moiterîlltf  prétend  que 


DE   RICHELIEU.    [iGSs]  l8l 

une  déclaration  contre  le  duc  de  Montmorency,  par 
laquelle ,  représentant  Tinsispe  infidélité  qu'il  avoit 
commise ,  il  le  déclaroit  criminel  de  lèse  -  majesté , 
déchu  de  tous  grades ,  dignités  et  honneurs,  la  duché 
de  Montmorency  éteinte  et  réunie  à  la  couronne,  et 
tous  ses  autres  biens  confisqués ,  et  ordonné  c[ue  son 
procès  lui  seroitfait  et  parfait  en  sa  cour  de  parlement 
de  Toulouse,  nonobstant  le  privilège  de  pairie  dont 
elle  le  déclara  indigne  et  déchu,  cassa  tout  ce  qui 
s'étoit  fait  en  l'assemblée  des  États  tenus  à  Pésenas , 
et  ordonna  que  tous  ceux  qui  y  avoient  signé  se  pré- 
senteroient,  quinze  jours  après  la  publication  de  ladite 
déclaration,  audit  parlement  de  Toulouse,  ou  au  plus 
proche  présidial  de  leur  demeure,  et  y  présente- 
roient  requête  pour  y  être  reçus  à  désavouer  tout  ce 
qui  avoit  été  fait ,  consenti  ou  signé  par  eux  en  ladite 
assemblée  -,  à  faute  de  quoi  elle  les  déclaroit  rebelles 
et  criminels  de  lèse-majesté. 

Un  nommé  Valette  Sevignac ,  que  la  Reine-mère 
avoit  envoyé  vers  Monsieur  en  Languedoc  pour  lui 
faire  plusieurs  propositions,  et  que  Monsieur  renvoyoit 
à  Bruxelles ,  fut  pris  peu  de  jours  après  passant  à 
Roanne,  pour  avoir  tué  un  postillon.  On  apprit  de 
lui  qu'on  devoit  prendre  garde  à  messieurs  de  Bouil- 
lon et  de  Lorraine,  pource  qu'il  avoit  charge  de. 
prier  la  Reine  de  les  presser  de  reprendre  de  nouveau 
son  parti,  et  de  la  solliciter  de  s'acheminer  droit  à 
Paris  avec  trois  mille  hommes  qui  étoient  en  Alsace 
sous  le   commandement   de   Ternier  ,    trois  mille 

ce  mtnisire  avoit  en  la  folle  idée  de  la  marier  avec  Louis  XIII  »  après 
aroir  fait  répudier  Anne  d^Aotriche.  «  Ce'toit ,  dit  madame  de  NotM- 
c  Tille  y  U  plus  belle  femme  de  la  coar.  » 


lH%  [1632]    MÉMOIRES 

hommes  qu'elle  devoit  lever  sous  son  régiment,  et  la 
cavalerie  qui  lui  avoit  été  offerte  par  Walstein. 

Il  dit  aussi  en  termes  exprès  qu'il  avoit  charge  par- 
ticulière de  remercier  Tlnfante  des  bons  traitemens 
qu'elle  avoit  faits  à  Monsieur ,  et  lui  dire  qu'en  re- 
vanche ,  dans  peu  de  temps ,  il  lui  pourroit  offrir  un 
royaume,  et  de  dire  le  même  àMirabel  qu'il  présup- 
posoit  y  être  encore  ,  l'assurant  que  bientôt  il  pour- 
roit reconnoitre  les  obligations  qu'il  avoit  à  son  maître 
avec  toute  la  France,  dont  il  lui  faisoit  offre. 

Et  étant  enquis  sur  lie  sujet  du  duc  de  Montmo- 
rency, il  dit  que  l'ayant  vu  à  Beaucaire  avec  une 
écharpe  bleue  et  isabelle,  il  lui  dit  qu'il  ne  la  quitte- 
roit  jamais  qu'il  n'eût  mis  le  tyran  par  terre,  et  que 
si  le  Roi  venoit  en  Languedoc  il  n'y  pourroit  de- 
meurer quinze  jours  -,  et  néanmoins  il  ne  laissa  pas 
de  faire  traiter  avec  le  cardinal ,  et  lui  envoya  Can- 
diac,  conseiller  en  la  chambre  de  l'édit  de  Castres, 
qui  arriva  près  de  lui  le  17  août,  pour  lui  propo- 
ser de  sa  part  un  accommodement ,  non  qu'il  eût 
dessein  de  le  conclure  ,  mais  pour  avoir  le  temps 
de  fortifier  son  parti,  et  retarder  tant  qu'il  pourroit  la 
venue  du  Roi  qu'ils  appréhendoient  tous. 

Mais  Dieu  y  pourvut ,  car  le  Roi  arrivant  à  Lyon 
apprit  la  nouvelle  que ,  dès  le  premier  combat  fait 
entre  les  armes  de  Sa  Majesté  et  l'armée  de  Monsieur 
près  de  Castelnaudary ,  le  premier  septembre,  ledit 
duc  de  Montmorency  avoit  été  pris  prisonnier.  Ce 
combat  fut  sur  le  sujet  du  château  de  Saint-Félix  de 
Carmaing  que  les  ennemis  ayant  surpris,  la  ville  ap- 
pela le  maréchal  de  Schomberg  à  son  secours,  qui  y 
va ,  y  loge  quelques  troupes  et  investit  le  château.  Le 


DE    HfCUELlEU.    [l632j  l83 

duc  de  Montmorency  vient  pour  le  défendre  avec 
deux  mille  hommes  de  pied ,  trois  mille  chevaux , 
quantité  de  noblesse  volontaire  et  trois  canons  ;  la 
présence  de  Monsieur  les  encourageoit  encore. 

Le  maréchal  de  Schomberg ,  pour  n'être  pas  obligé 
de  diviser  ses  forces  qui  étoient  beaucoup  moindres, 
hâta  la  prise  du  château  ,  donnant  10,000  livres  de 
son  argent  à  celui  qui  le  tenoit ,  de  sorte  qu'avec  tout 
ce  qu'il  avoit  de  troupes  il  eut  loisir  d'aller  au 
devant  dudit  duc  jusqu'à  Castelnaudary  pour  empê- 
cher qu'il  ne  s'en  saisit. 

Le  marquis  de  Brezé,  qui  conduisoit  la  tête  de 
l'armée ,  averti  par  un  gentilhomme  du  pays  que  par 
le  chemin  qu'ils  tenoient  il  falloit  qu'ils  passassent 
sur  un  pont  fort  long,  que  celle  des  ennemis  en  étoit 
proche,  et  sembloit  qu'ils  eussent  dessein  de  nous 
charger  à  demi  passés,  en  vint  donner  avis  audit 
maréchal ,  et  qu'il  avoit  reconnu  sur  le  même  ruis- 
seau un  bon  passage  à  deux  mille  pas  plus  haut. 

Cet  avis  fort  judicieux  fut  reçu  et  loué  par  le  maré- 
chal ^  les  troupes  du  Roi  par  ce  moyen  passèrent  ce 
ruisseau  sans  péril,  et  choisirent  un  champ  de  bataille 
fort  avantageux ,  environné  de  grands  fossés  tout  à 
Tentour  qui  lui  servoient  de  retranchement. 

Il  n'avoit  que  mille  chevaux ,  quatre  cents  mousque- 
taires du  régiment  des  gardes,  et  trois  cents  hommes 
en  six  compagnies  du  régiment  de  Chamblay ,  com- 
mandés par  La  Motte  Houdancour,  de  qui  ledit  ma- 
réchal rend  ce  témoignage,  que,  sur  son  honneur ,  il 
est  homme  c|u'on  ne  peut  assez  payer. 

Les  ennemis  prirent  le  leur  aussi  fort  avantageux 
pmir  rinfanterie. 


i84  £i63a]  MÉMOiBEs 

Les  Lauriers  et  Beauregard-Champrou  trouvèrent 
un  passage  fort  difficile  pour  sortir  du  champ  avec 
leurs  escadrons^  ils  sautèrent  dans  le  chemin,  où  le 
duc  de  Montmorency  les  vint  charger  avec  cent 
maîtres.  Ils  furent  soutenus  courageusement,  et  notre 
infanterie  qui  tiroit  sur  eux  en  mit  beaucoup  hors 
de  combat  ^  ledit  duc  y  fut  blessé ,  et ,  abandonné  de 
la  plupart  de  ceux  qui  Taccompagnoient ,  trouva 
moyen  d'entrer  avec  cinq  ou  six  seulement  qui  le 
sui voient  dans  notre  champ  de  bataille  où  il  donna 
quelques  coups  d'épée  et  de  pistolet,  reçut  dix  bles- 
sures^ et,  son  cheval  étant  tombé  sur  lui,  fut  pris  pri- 
sonnier et  porté  sur  une  échelle  avec  un  ais  dessus  et 
quelques  manteaux  à  Castelnaudary ,  où  il  fut  pansé 
de  ses  plaies ,  et  permis  à  la  Roche-Dagon  et  à  So- 
deille  de  l'aller  voir»  Le  reste  de  Tarmée  de  Monsieur, 
comme  si  elle  eût  été  frappée  d'un  coup  de  foudre  en 
la  prise  dudit  duc,  se  retira  sans  combattre. 

Le  lendemain,  lorsqu'il  n'étoit  plus  temps,  Mon- 
sieur envoya  par  un  trompette  demander  bataille  au 
maréchal  de  Schomberg ,  qui  lui  répondit  qu'il  ne  la 
lui  donneroit  point,  mais  que ,  s'il  le  rencontroit ,  il 
essaieroit  de  se  défendre  contre  lui.  Il  perdit  plusieurs 
personnes  de  qualité  en  ce  combat,  entre  lesquelles 
furent  les  comtes  de  Moret,  deRieux  et  de  La  Feuil- 
lade  ]  le  comte  de  Bueil  et  plusieurs  autres  de  condi- 
tion furent  prisonniers  :  la  perte  de  notre  côté  fut 
peu  considérable  ^  il  semble  que  Dieu  les  voulût 
punir  en  ce  combat ,  parce  qu'ils  avoient  résolu 
entre  eux  et  protesté  de  tuer  tout  et  ne  faire  aucun 
prisonnier. 
Le  maréchal  de  Schomberg  cependant  se  trouvoit 


D£   RICHELIEU.    [1682]  l85 

i'oi  l  en  peiae  du  lieu  où  il  devoit  envoyer  ledit  duc 
pour  y  être  sûrement ,  car  les  ennemis  n'avoient  au- 
cun dësir  si  ardent  que  de  le  sauver.  Il  n'osoit  le 
laisser  à  Castelnaudary  pource  que  la  place  ue  vaut 
rien;  de  Tenvoyer  à  Toulouse,  il  craignoit  les  parti- 
sans qu'il  y  avoit  en  grand  nombre;  Carcassonne 
étoit  trop  frontière;  il  choisit  enfin  de  le  mener  à 
Lectoure,  et  logea  aux  environs  huit  cornettes  de 
cavalerie.  Il  conseilla  même  au  Roi  que  si  on  lui 
vouloit  faire  faire  son  procès ,  ce  ne  fût  pas  à  Tou- 
louse, à  cause  de  Tamitié  qu'on  lui  portoit,  mais  à 
Lectoure,  qui ,  bien  qu'il  soit  du  gouvernement  de 
Guienne ,  est  néanmoins  du  ressort  du  parlement  de 
Toulouse.  Il  supplia  Sa  Majesté  de  lui  envoyer  un 
lieutenant  des  gardes  du  corps  avec  une  douzaine 
d'archers  pour  le  garder,  et  que  cependant  il  en 
commettroit  le  soin  à  ceux  de  sa  maison,  d'autant 
que  la  plupart  de  ceux  de  l'armée  à  qui  il  en  eûtpn 
donner  la  garde  pleuroient  en  le  voyant  et  plaignoient 
sa  disgrâce. 

Après  qu'il  eut  été  gardé  quelque  temps  à  Lec- 
toure ,  il  eut  si  grande  crainte  qu'on  le  laissât  échap- 
per, qu'il  supplia  le  Roi  de  lui  envoyer  de  ses  propres 
ofliciers  pour  le  traiter,  appréhendant  que  quelqu'un 
de  ceux  qui  l'avoient  servi  jusqu'alors  lui  donnât 
moyen  de  se  sauver.  Ensuite  il  fit  sortir  tous  ses 
officiers,  tant  de  la  ville  que  du  château ,  et  lui  laissa 
seulement  son  médecin ,  son  chirurgien  et  son  apo- 
thicaire. 

Dès  que  ceux  d'Albi  eurent  nouvelle  de  sa  prise , 
ils  chassèrent  leur  évéque  et  cinq  cents  hommes  de 
garnison  qu'il  avoit  dans  la  ville ,  et  se  remirent  au 


l86  [l63!%]    MÉMOIRES 

service  du  Roi.  Les  jésuites  et  les  capucius,  qui,  à 
cette  nouvelle,  avoient  animé  le  peuple  pour  les  chas- 
ser, demandèrent  sa  bibliothèque  qu'on  leur  accorda. 

Tous  ceux  du  pays  commencèrent  à  se  retirer  du 
parti  de  Monsieur,  et  n*y  avoit  petit  bourg  fermé  de 
murailles  qui  ne  lui  fermât  les  portes ,  ni  ville  qui 
auparavant  Teût  suivi  qui  ne  le  voulût  quitter. 

Montfrin  se  rendit  dès  le  6 ,  et  le  château  de  Beau- 
Caire,  Bagnols  ,Le  Teilqui  est  sur  un  lieu  très-diffi- 
cile à  y  mener  le  canon*,  Alais  suivit  incontinent,  et 
Lunel,  dont  Tévéque  de  Nîmes  empêcha  tant  qu'il  put 
la  reddition,  Frontignan ,  Villeneuve,  Balaruc,  Mèze, 
Pésenas  ,  Agde,  Capdenac,  Maguelone ,  Montignac , 
Brescou-,  Béziers  se  rendit  le  19  septembre  ;  Mon- 
sieur y  ayant  voulu  aller  avec  ses  troupes ,  les  portes 
lui  furent  refusées. 

Retournons  maintenant  trouver  le  Roi  que  nous 
avons  laissé  à  Lyon,  où  il  apprit  la  défaite  de  Castel- 
naudary  et  la  prise  de  Maëstricht ,  que  Pappenheim 
avoit  promis  de  secourir  au  péril  de  sa  vie,  ce  que 
néanmoins  il  n'avoit  pu  faire ,  s'étant  contenté  d'avoiy 
attaqué  par  deux  fois  le  retranchement  des  Hollan- 
dais et  s'en  être  retiré  avec  perte ,  emportant  avec 
lui  toute  l'espérance  des  assiégés  qui  se  rendirent 
quatre  jours  après ,  savoir  est  le  2a  août. 

Sur  le  sujet  de  la  journée  de  Castelnaudary,  le  Roi, 
à  l'heure  même  qu'il  le  sut,  au  lieu  d'en  tirer  gloire 
et  s'emporter  en  des  pensées  de  vengeance  contre 
ses  sujets  rebelles ,  se  retourna  à  Dieu ,  de  la  bonté 
duquel  seul  il  reconnut  avoir  reçu  cette  grâce,  de  la- 
quelle il  crut  devoir  prendre  aussi  occasion  de  bien 
faire  à  ceux  (|ui  s'étoient  éloignés  de  leur  devoir,  et 


DE  BICH£LIEU.    [l63a]  tS? 

dès  le  jour  mémeil  envoya  le  rieur  d'Âiguebonne  'vert 
Monsieur,  son  frère ,  pour  lui  dire  que  continutnl  sa 
bontë  envers  lui ,  et  ne  voulant  tirer  autre  avantage 
des  succès  qu'il  plaisoit  à  Dieu  lui  donner  que  ceux 
qu'il  devoit  désirer  lui-même  pour  son  propre  bien^ 
il  lui  avoit  commandé  de  le  venir  trouver  et  lui  offrir 
de  sa  part ,  au  cas  qu'il  voulût  reconnollre  sa  iaute 
et  renoncer  à  toutes  intelligences  et  factions,  tant  de* 
dans  que  dehors  le  royaume ,  de  le  bien  recevoir  et 
bien  traiter,  avec  sa  maison ,  dans  sa  cour,  et  frire 
exécuter  de  bonne  foi  ce  qui  étoit  en  sa  dernière  dé- 
claration, le  remettant  en  ses  biens  ainsi  qu'il  étoit 
porté  par  icelle. 

Que  si  Monsieur  aimoit  mieux  demeurer  en  antre 
lieu  que  Sa  Majesté  pût  accepter  comme  ne  lui  étant 
point  suspect,  elle  Tapprouveroit  et  lui  laisseroit 
aussi  la  libre  jouissance  de  son  bien. 

Que  Sa  Majesté  rétablirait  le  duc  d'Elbeuf  en  ses 
biens ,  et  feroit  le  semblable  de  tous  ses  domestiques 
qui  étoient  présentement  près  de  sa  personne,  accor- 
dant à  tous  les  abolitions  nécessaires  pour  leurs  per- 
sonnes et  leurs  biens. 

Mais  pource  que  les  Espagnols  avoient  ri  ouverte- 
ment assisté  Monrieur,  Sa  Majesté  écrivit  ausri  à 
Berruyer,  qui  étoit  pour  son  service  près  du  prince 
d'Orange ,  pour  lui  donner  avis  du  succès  de  sesditet 
affaires  en  Languedoc ,  qui  étoit  tel  que  Sa  Majesté 
ayant  gagné  le  combat  dont  on  lui  envoyoit  la  re* 
lation ,  il  n'y  avoit  plus  de  villes  qui  tinssent  que 
Réziers,  qui  n'attendoit  que  l'approche  de  Sa  Majesté 
pour  se  rendre;  que  Sa  Majesté  espérait  avoir  fait 
tout  son  voyage  en  fort  peu  de  temps  et  être  de  retour 


i88  [i63a]  MÉMOIRES 

à  Paris  un  peu  après  la  Toussaint  \  que  les  Espagnols 
s^étoient  si  mal  gouvernés  en  toutes  ces  occasions 
envers  elle ,  qu'elle  ëtoit  résolue  de  leur  procurer  le 
plus  d'affaires  qu'il  seroit  possible ,  et  d'entendre  et 
soutenir  fortement  la  rébellion  des  seigneurs  du  pays^ 
conjointement  avec  messieurs  des  Etats. 

Que  Sa  Majesté  lui  avoit  voulu  donner  cet  avis 
afin  qu'il  lui  fit  savoir  ce  qu'il  pouvoit  et  voudroit 
faire  de  son  côté,  Sa  Majesté  étant  résolue  de  donner 
hommes  et  argent  auxdits  seigneurs  pour  continuer 
leur  dessein. 

De  plus ,  Sa  Majesté  donna  ordre  audit  Berruyer 
de  dire  audit  prince  d'Orange  que  la  révolte  étant 
commencée ,  le  Roi  ne  feroit  pas  de  difficulté  d'en- 
trer dans  l'Artois  au  commencement  du  printemps. 

Qu'il  revint  bien  instruit  des  intentions  du  prince 
d'Orange ,  de  ce  qu'il  pourroit  et  voudroit  faire  de 
son  côté,  afin  qu'on  prit  de  bonnes  et  fortes  résolu- 
tions sur  ce  sujet. 

Elle  manda  aussi  au  sieur  de  Hauterive  qu'il  ne  fit 
point  de  difficulté  de  donner  deux  mille  pistoles  au 
gouverneur  d'Avesnes,  parce  que  qui  prend  s'engage. 

Qu'il  assurât  tous  les  confédérés  de  gens  pour  dé- 
fendre leurs  places  s'il  en  étoit  besoin  ;  s'ils  avoient 
besoin  de  munitions  de  guerre,  qu'il  leur  en  fit 
donner; 

Qu'il  les  engageât  autant  qu'il  pourroit  à  la  révolte 
qu'ils  avoient  tant  de  fois  proposée ,  vu  principale- 
ment que  Maëstricht  étoit  pris ,  et  que  le  Roi  avoit 
défait  tous  ses  ennemis  dans  le  Languedoc,  où  il  éta- 
bliroit  si  puissamment  son  autorité  que  personne  ne 
sauroit  plus  remuer  en  France  à  l'avenir^ 


DE   RICHELIEU.   [lÔSn]  189 

Qu*il  fit  entendre  à  Carondelet  et  aux  siens  que 
s'ils  commençoient  une  puissante  révolte  maintenant, 
cela  donneroit  lieu  au  Roi  d'entrer  en  Artois  au  prin- 
temps ouvertement,  au  lieu  que  s'ils  ne  satisfaisoieut 
k  aucune  des  promesses  qu'ils  avoient  faites,  on  ne 
feroit  aucun  fondement  sur  quoi  quils  puissent  dire 
par  après  ;  en  un  mot ,  que  s'ils  n'ëtoient  en  état  de 
faire  une  puissante  révolte  pour  lors ,  il  les  disposât  à 
la  faire  au  printemps  puissamment. 

Le  prince  d'Orange  ayant  reçu  ces  avis ,  et  en  ayant 
conféré  par  plusieurs  jours  avec  messieurs  les  États , 
ils  résolurent  d'y  entendre  à  bon  escient,  et  prièrent 
le  sieur  de  Baugis ,  ambassadeur  de  Sa  Majesté  auprès 
d'eux ,  de  l'aller  trouver  pour  conférer  avec  elle  de 
leurs  pensées  et  convenir  exactement  de  l'ordre  que 
de  toutes  parts,  de  France,  de  Hollande  et  des  sei- 
geurs  flamands  révoltés ,  on  devoit  tenir  en  cette  af- 
faire. Mais,  quand  on  eut  bien  arrêté  toutes  choses» 
il  se  trouva  que  le  pouvoir  de  ces  seigneurs  flamands 
n'égaloit  pas  leur  volonté-,  ils  ne  se  purent  jamais 
rendre  maîtres  que  de  Bouchain  en  Cambresis ,  en- 
core pour  peu  de  temps,  de  sorte  que  toutes  leurs 
propositions,  par  leur  foiblesse  et  l'imprudence  de 
leur  conduite ,  laquelle  par  la  trop  bonne  opinion 
qu'ils  avoient  d'eux  ils  ne  ménageoient  pas  avec 
l'adresse  et  le  secret  qui  yétoit  requis,  joint  le  bon 
ordre  qu'y  mit  l'Infante ,  se  réduisirent  à  rien. 

Comme  le  Roi ,  par  un  excès  de  bonté  et  de  géné- 
rosité, avoit  tnvoyé  Aiguebonne  vers  Monsieur,  mon- 
dit  sieur  avoit  aussi,  trois  jours  après  la  prise  du  dac 
de  Montmorency ,  dépéché  Chaudebonne  vers  Sa  Ma- 
jesté ,  avec  charge  de  lui  faire  quelques  propositions 


igO  [1682]    MÉMOIRES 

moyennant  ragrëment  desquelles  par  Sa  Majesté  il  pro- 
mettoit  de  rentrer  en  son  devoir.  Mais  elles  témoi- 
gnoient  bien  que  le  Roi  et  Monsieur  étoient  conduits 
par  difTërens  esprits,  car  autant  ce  que  Sa  Majesté 
demandoit  étoit  plein  de  justice  et  de  modération, 
autant  les  propositions  que  le  conseil  de  Monsieur 
lui  faisoit  faire  étoient  extravagantes  et  déraison- 
nables. Il  sembloit  qu'il  parlât  Tépée  à  la  main  et  eu 
victorieux,  au  lieu  qu'il  étoit  à  la  miséricorde  du 
Roi.  Il  demandoit  la  liberté  du  duc  de  Montmorency, 
et  le  rétablissement,  tant  de  lui  que  de  ceux  qui 
avoient  suivi  son  parti  et  de  la  Reine-mère  ,  dans 
leurs  charges ,  biens  et  gouvernemens ,  et  même  abo- 
lition pour  quelques-uns  des  crimes  qu'ils  avoient 
commis  avant  que  l'avoir  suivi  ;  une  place  de  sûreté 
pour  lui  comme  La  Fère,  Laon,  Verdun ,  Béziers ,  où 
il  se  pût  tenir  avec  une  garnison  raisonnable ,  et  la 
Reine-mère  aussi ,  ou  en  telle  de  ses  maisons  qu'il  lui 
plairoit^  la  restitution  des  places  du  duc  de  Lorraine , 
un  million  de  livres  pour  payer  ce  qu'il  avoit  em- 
prunté dudit  duc  ou  des  Espagnols,  la  révocation  du 
jugement  contre  la  du  Fargis  .  et  que  surtout  les 
troupes  de  Sa  Majesté  ne  s'avançassent  pas  davantage 
vers  lui. 

Sa  Majesté  dit  à  Chaudebonne  que,  venant  d'une 
armée  ennemie  et  pleine  d'Espagnols,  elle  désiroit 
que  les  sieurs  Sanguin  et  de  Varennes  l'observassent. 

Le  i4  septembre.  Sa  Majesté  étant  au  Pont-Saint- 
Esprit ,  elle  le  dépécha  à  Monsieur,  et  lui  manda  que 
ses  propositions  étoient  si  peu  convenables  à  sa  di- 
gnité ,  au  bien  de  sou  État  et  au  sien  propre ,  qu'il  ne 
pouvoit  lui  mander  autre  chose  sur  ce  sujet  que  ce 


DE  lilGIlELlBU.   [i63at]  igi 

(|u  il  lui  avoit  fait  savoir  par  le  sieur  d'Aiguebonne 
pour  témoignage  de  son  affection ,  de  laquelle  il  le 
prioit  se  disposer  à  recevoir  des  effets,  et  qu'en  ce 
cas  il  oublieroit  tout  le  passé  de  bon  cœur. 

Le  17  ,  le  comte  de  Brion  arriva  au  Pont-Saint-Es- 
prit ,  apportant  deslettres  de  Monsieur  au  Roi ,  du  i/\^ 
par  lesquelles  il  le  supplioit  d'arrêter  quelque  temps 
en  un  lieu,  afin  que  mondit  sieur  eut  le  loisir  de  dis- 
poser toutes  choses  pour  se  soumettre  à  ses  volontés. 
Sa  Majesté  le  fit  mettre  dans  la  citadelle  dudit  lieu 
où  elle  étoit ,  où ,  ayant  demeuré  trois  heures ,  elle 
renvoya  quérir ,  prit  ses  lettres ,  le  renvoya ,  et  lui 
fit  faire  défense ,  à  lui  et  à  tous  ceux  du  parti  de  Mon- 
sieur ,  de  revenir  plus  en  sa  cour  sans  sauf-conduit. 

Auparavant  que  le  Roi  l'eût  dépéché ,  Chaudebonne 
revint ,  pour  la  seconde  fois ,  trouver  le  Roi ,  et  arriva 
le  19  audit  lieu,  pour  supplier  Sa  Majesté  de  la  part 
de  son  altesse  de  lui  envoyer  quelqu'un  en  qui  elle 
eût  confiance,  pour  conférer  avec  lui  du  désir  qu'il 
avoit  de  rentrer  en  ses  bonnes  grâces ,  et  des  moyens 
nécessaires  à  cette  fin  -,  et  que ,  pour  assurance  que 
ceux  que  Sadite  Majesté  enverroit  ne  recevroient 
aucun  déplaisir,  Monsieur  enverroit  des  otages  entre 
les  mains  de  qui  il  lui  plairoit  pour  demeurer  jusques 
à  leur  retour  ^  ce  qui  fit  résoudre  le  Roi  d'y  envoyer 
M.  de  Bullion  et  le  marquis  de  Fossé. 

Monsieur  envoya  pour  otages  le  sieur  de  La  Ferté- 
Imbault ,  du  Coudray ,  Montpensier  et  de  La  Vaupot , 
qui  furent  mis  en  sûreté  dans  la  citadelle  de  Mont- 
pellier où  le  Roi  arriva  le  22. 

Cependant  Monsieur  se  trouva  en  grande  peine  ;  il 
étoit  à  Bézicrs,  et  eut  volonté  de  s'assurer  de  la  ville  : 


192  [l632]   MÉMOIRES 

ceux  qui  y  commandoient  ne  lui  celèrent  pas  quMIs 
étoient  serviteurs  du  Roi ,  et  la  vouloient  remettre 
eu  son  obéissance.  La  crainte  qu'il  eut  de  n'y  être  pas 
sûrement  fit  qu'il  en  partit  avant  jour ,  aux  flambeaux, 
et  alla  à  Lanzac,  à  sept  lieues  de  là,  accompagné  de 
la  duchesse  de  Montmorency.  Les  troupes  du  Roi 
néanmoins  ne  perdoient  point  de  temps;  le  maréchal 
de  Vitry ,  qui  quelques  jours  auparavant  avoit  reçu 
commission  du  Roi  pour  commander  son  armée  avec 
le  maréchal  de  La  Force ,  s'étoit  joint  avec  lui ,  et  tous 
deux  faisoient  avancer  les  troupes  vers  Monsieur. 
P autre  côté,  le  maréchal  de  Schomberg,  avec  une 
autre  armée ,  avoit  pris  le  devant ,  et  s'étoit  mis  entre 
lui  et  la  frontière  d'Espagne,  s'étant  avancé  jusqu'à 
Limoux  à  quatre  lieues  de  ladite  frontière,  et  qui 
étoit  le  chemin  qu'il  devoit  tenir  pour  se  mettre  au- 
devant  l'armée  de  Monsieur,  s'il  vouloit  aller  en  Rous  - 
sillon ,  où  six  mille  Napolitains  avoient  mis  pied  à 
terre  pour  son  service  5  ainsi ,  Monsieur  étoit  envi- 
ronné des  troupes  du  Roi  et  ne  pouvoit  échapper.  Il 
manda  plusieurs  fois  au  maréchal  de  Schomberg  que 
s'il  passoit  plus  avant  il  croiroit  qu'on  le  voudroit 
perdre  et  s'en  iroit  ;  ce  qui  fit  que  ledit  maréchal 
s'arrêta  audit  Limoux,  d'où  il  manda  au  Roi  que,  s'il 
vouloit  qu'il  allât  plus  avant,  il  le  déferoit  assuré- 
ment avec  toutes  ses  troupes;  mais  Sa  Majesté  lui 
commanda  d'attendre  là ,  et  ne  le  presser  pas  davan- 
tage. Son  altesse  écrivit  aussi  aux  maréchaux  de  Vitry 
et  de  La  Force  pour  les  prier  de  ne  s'avancer  pas  da- 
vantage vers  lui ,  et  envoya  supplier  le  Roi  de  trouver 
bon  qu'il  pût  être  en  sûreté  dans  la  ville  de  Béziers 
jusques  à  ce  qu'il  eût  traité  avec  ses  députés.  Sa  Ma- 


DE   RICHELIEU.     [l63aj  I93 

jesté  Feut  agréable,  et  manda  auxdils  maréchaux. de 
Vitry  et  de  La  Force,  qui  étoient  avancés  avec  l'ar- 
niée  jusques  auprès  de  ladite  ville,  de  revenir  à  Pé- 
senas  et  y  demeurer  jusques  à  nouvel  ordre ,  et  au 
gouverneur  de  Béziers  dy  recevoir  Monsieur  avec 
son  train  seulement,  lui  permettant  de  faire  garder 
le  pont  qui  est  hors  la  ville  par  trois  cents  hommes 
de  guerre  des  siens;  ce  que  néanmoins  Monsieur  ne 
voulut  pas  faire,  et  manda  au  Roi,  par  Charnizë, 
qu  il  ne  vouloit  autre  assurance  que  la  parole  de  Sa 
Majesté ,  se  contentant  d'aller  à  Béziers  avec  ceux  de 
sa  maison.  Sa  Majesté  fit  alors  partir  lesdits  sieurs  de 
Bullion  et  de  Fossé,  et  leur  donna  les  conditions 
équitables,  pleines  d'une  sincère  amitié  vers  un  frère, 
et  d'un  soin  de  vrai  roi  vers  son  État,  moyennant 
lesquelles  elle  vouloit  oublier  la  faute  de  Monsieur  et 
le  recevoir  en  sa  grâce. 

Tout  ce  que  le  Roi  demandoit  de  lui  pour  ce  faire 
n'étoit,  sinon  quil  eût  un  véritable  repentir  de  sa 
faute,  et  qu'il  fit  paroitre  clairement  qu'il  n'y  vouloit 
plus  retomber ,  comme  il  avoit  fait  deux  fois,  après 
avoir  reçu  de  Sa  Majesté  pareille  grâce  à  celle  qu'elle 
lui  vouloit  faire; 

Que,  pour  cet  effet,  la  première  chose  qui  éloit 
requise  étoit  qu'il  reconnût  sa  fauteur  écrit,  et  sup- 
pliât le  Roi  de  la  vouloir  oublier  et  la  lui  pardonner; 

La  seconde,  qu'il  donnât  toute  assurance  raison- 
nable et  possible  de  ne  vouloir  plus  retomber  à  l'avenir 
en  pareil  inconvénient; 

Que  cette  assurance  pou  voit  consister  en  promesses 
et  en  effets  réels  ; 

Que  les  promesses  seroient  d'abandonner  toutes 
T.  ^7.  '3 


1^4  [l632]    MÉMOIRES 

pratiques ,  soit  au  dehors  soit  au  dedans  du  royaume, 
et  n'avoir  plus ,  sous  quelque  prétexte  que  ce  fût ,  en 
quelque  façon  que  ce  pût  être ,  d'intelligence  avec 
Espagne ,  Lorraine  ni  autres  princes  étrangers ,  avec 
la  Reine  sa  mère  tandis  qu'elle  seroit  en  l'état  auquel 
elle  est,  ni  aucuns  du  royaume  contre  le  gré  de  Sa 
Majesté ,  et  de  demeurer  en  tel  lieu  qu'il  plairoit  au 
Roi  lui  prescrire ,  et  y  vivre  comme  vrai  frère  et  sujet 
doit  faire ,  sans  méditer  aucune  chose  contre  son 
service  ; 

Que  les  effets  dévoient  être ,  premièrement ,  qu'il 
ne  prit  aucun  intérêt  en  celui  de  ceux  qui  s'étoient 
liés  à  lui  en  ces  occasions  pour  faire  leurs  ajQTaires  à 
ses  dépens  et  à  ceux  de  la  France,  et  ne  prétendit 
pas  avoir  sujet  de  se  plaindre  quand  le  Roi  leur  feroit 
subir  ce  qu'ils  méritoient ,  bien  entendu  cependant 
qu^au  nombre  de  telles  gens ,  les  domestiques  de  Mon- 
sieur qui  étoient  présentement  auprès  de  sa  per- 
sonne n'y.étoient  pas  compris  ; 

Qu'il  ne  demanderoit  aucune  grâce  particulière  au 
Roi  pour  les  étrangers  qui  lui  avoient  été  donnés  pour 
lefaire  entrer  en  armes  dans  le  royaume,  ou  qu'il  avoit 
amenés  avec  lui,  auxquels  toutefois  ,  par  pure  bonté, 
Sa  Majesté  accûrdoit  six  jours  pour  se  retirer  dans  le 
Roussillon  ;      *' 

Qu'il  recevroit  actuellement  aux  charges  vacantes 
de  sa  maison ,  et  entre  autres  en  celle  de  chancelier , 
des  personnes  nommées,  agréables  à  Sa  Majesté,  afin 
que  chacun  pût  voir  qu'il  ne  vouloit  plus  agir  à  l'a* 
venir  qu'avec. un  même  esprit  avec  Sa  Majesté; 

Que  s'il  y  avoit  même  quelqu'un  qui  fut  désagréable 
au  Roi ,  comme  capable  de  vouloir  altérer  les  bonnes 


DE   RICHELIEU.    [t63a]  IqS 

intentions  de  Monsieur,  il  Tëloigneroit  de  sa  maison 
par  son  propre  mouvement  ; 

Que  parce  que  le  Roi  ne  pouvoit  ignorer  que  tous 
les  mauvais  conseils  que  Monsieur  avoit  pris  lui 
avoient  été  particulièrement  suggérés  par  le  sieur  de 
Puylaurens  à  qui  il  donnoit  sa  principale  confiance, 
ledit  sieur  de  Puylaurens  avertiroit  sincèrement  de 
tout  ce  qui  s'étoit  traité  parle  passé,  qui  pourroit 
être  préjudiciable  à  TEtat ,  aux  intérêts  du  Roi  et  de 
ceux  qui  avoient  llionneur  de  le  servir^  et  déclareroit 
qtPil  vouloit  être  tenu  coupable,  comme  il  étoit  main- 
tenant avant  que  de  recevoir  la  grâce  du  Roi ,  s'il 
étoit  contrevenu  en  quelque  façon  que  ce  pût  être 
au  contenu  de  ce  qui  auroit  été  promis  ; 

Qu  afin  que  Monsieur  fît  paroitre  qu'il  vouloit  que 
tout  ce  que  dessus  fût  religieusement  observé ,  il  com- 
manderoit  même  à  tous  les  siens  d'avertir  le  Roi  de 
tout  ce  qu'ils  reconnoitroient  se  passer  au  contraire  ^ 
et  ceux  que  le  Roi  désireroit  en  feroient  serment. 

Le  cardinal  •  donna  pour  instruction  au  sieur  de 
Bullion ,  qui  étoit  le  chef  de  la  légation ,  et  celui  par- 
ticulièrement en  la  prudence  duquel  l'on  se  remet- 
toit,  que  s'il  voyoit  que  les  mauvais  serviteurs  de  Mon- 
sieur ,  auxquels  il  avoit  donné  le  pl^tt^e  crédit  auprès 
de  lui ,  eussent  tant  de  pouvoir  sur  lui  qu'il  crût 
que  son  voyage  ne  pût  produire  le  fruit  que  Sa  Ma- 
jesté désiroit  par  la  vraie  réconciliation  de  Monsieur 
avec  elle ,  en  ce  cas  il  fît  connoitre  à  tout  le  monde 
la  justice  des  propositions  du  Roi ,  la  bonté  dont  Sa 
Majesté  vouloit  user  envers  Monsieur ,  ne  désirant 
rien  qui  ne  fût  pour  son  bien  et  pour  celui  de  cet 
État ,  duquel  il  vouloit  retrancher  les  factions  qui 

i3. 


ig6  [l63a]   MEMOIRES 

pourroient  remettre  Monsieur  en  pareils  inconvë- 
niens  que  ceux  où  il  s'étoit  déjà  laissé  porter  au  grand 
hasard  de  sa  personne  ; 

Qu'il  insinuât,  par  après ,  à  tout  le  monde,  et  le 
dît  même  à  Monsieur  en  présence  de  Puylaurens , 
que  c'étoient  les  seuls  intérêts  dudit  Puylaurens  qui 
empéchoient  qu'il  ne  se  remît  en  son  devoir  ayec 

le  Roi  ; 

Qu'il  le  supplioit  de  considérer  s'il  étoit  raison- 
nable que,  pour  la  fantaisie ,  la  passion  et  les  intérêts 
d'un  particulier  comme  lui ,  la  personne  de  Monsieur 
fût  en  hasard ,  l'Etat  troublé  et  le  Roi  diverti  des 
grands  desseins  qu'il  avoit  pour  l'avantage  de  son 
royaume , 

Qu'en  cas  d'extrémité  ledit  sieur  de  BuUion  dît  à 
Monsieur  que,  s'il  avoit  grande  envie  de  faire  que  le 
Roi  usât  de  sa  bonté  extraordinaire  envers  ceu^  qui 
avoient  porté  les  armes  avec  lui  en  ces  occasions ,  Sa 
Majesté  lui  avoit  commandé  de  lui  dire  que,  s'il 
vouloit  lui  remettre  Puylaurens  entre  les  mains  pour 
lui  faire  subir  la  peine  qu'il  méritoit,  il  pardonneroit 
à  tous  les  autres;  ce  qui  chargeoit  Puylaurens  de  la 
haine  de  tout  le  parti  de  Monsieur ,  puisque  lui  seul 
seroît  cause  qu'jjl  n'obtint  pas  ce  qu'il  désiroit  ; 

Que  Monsieur  accepteroit  les  offres  du  Roi ,  et  en 
ce  cas  Sa  Majesté  auroit  raisonnablement  son  compte, 
ou  s'il  les  refusoit  il  ne  le  pourroit  faire  avec  prétexte 
qu'en  disant  qu'il  ne  peut  recevoir  aucune  grâce  de 
Sa  Majesté  en  laissant  perdre  M.  de  Montmorency  et 
autres  gens  de  condition  qui  l'ont  servi ,  ce  qui  ne 
pourroit  être  reçu  avec  apparence  de  raison  quand  on 
dira  que  le  Roi  pardonnera  à  tous ,  pourvu  qu'il  lui 


DE   RICHELIEU.    [l63!l]  I97 

délivre  Paylaurens ,  comme  auteur  du  péril  où  Mon- 
sieur s'est  trouvé ,  et  de  la  perte  de  -ceux  que  le  Roi 
veut  sauver. 

M.  de  BulUon ,  à  son  arrivée ,  trouva  l'esprit  de 
Monsieur  fort  repentant  et  bien  disposé,  mais  non 
pas  celui  de  tous  les  autres ,  car  Monsieur  avoua  qu'il 
avoit  été  mal  conseillé  de  faire  l'équipée  qu'il  fit  chez 
le  cardinal ,  et  ensuite  de  sortir  de  la  cour ,  et  se  re- 
connoissant  très-obligé  au  Roi  de  la  douceur  dont  il 
avoit  usé  vers  lui  en  sa  déclaration ,  ne  le  condam- 
nant pas  encore ,  mais  le  priant  seulement  de  retour- 
ner en  son  devoir. 

Il  dit  que  cela  lui  avoit  touché  le  cœur ,  et  qu'il  en 
avoit  obligation  au  cardinal,  qu'il  avoit  toujours  aimé 
et  estimé ,  et  croyoit  qu'il  l'aimoit  aussi  de  sa  part. 

Puyiaurens  voulut  soutenir  le  contraire,  et  disoit 
que  telle  déclaration  ne  se  pouvoit  faire  qu'en  assem- 
blée d'Etats ,  ne  sachant  ce  qu'il  disoit ,  comme  il 
appert  par  les  exemples  que  nous  avons  rapportés 
ci-devant  en  semblable  cas.  Gomme  il  voyoit  Mon- 
sieur disposé  à  se  soumettre  à  ce  que  le  Roi  désiroit 
dé  lui,  il  dit  qu'il  lui  conseilloit  de  le  faire,  mais 
quant  à  lui  il  ne  feroit  rien  en  son  particulier;  qu'il 
y  alloit  de  son  honneur,  qu'il  se  vouloit  retirer  en 
pays  étranger,  qu'il  n'a  voit  que  faire  de  la  grâce  du 
Roi ,  et  qu'étant  auprès  de  son  maître  personne  ne 
Tenlreprendroit ,  qu'il  savoit  bien  que  Monsieur  s'y 
relireroit  lui-même  pour  empêcher  sa  ruine ,  et  qu^on 
le  feroit  appeler  en  duel  pour  le  tuer  s'il  demeuroit 
en  France  après  l'accommodement;  paroles  bien  lâ- 
ches et  bien  arrogantes  tout  ensemble  :  aussi  avoba* 
t-il  qu'autrefois  son  souhait  étoit  d'avoir  le  bras  rompu 


198  [l632J    MÉMOIRES 

et  voir  le  feu  aux  quatre  coins  du  royaume.  On  eul 
peine  â  le  ramener  à  la  raison.  Une  fois ,  parlant  du 
duc  de  Montmorency ,  il  s'emporta  si  avant  que  de 
dire  que  s'il  ëtoit  condamné  à  la  mort ,  il  y  avoit  plus 
de  quarante  gentilshommes  résolus  de  poignarder  le 
cardinal. 

Du  Frétoi  et  quelques  autres  gentilshommes  et  do- 
mestiques de  mondit  sieur ,  disoient  assez  haut  qu^à 
moins  de  faire  retirer  le  cardinal  et  autres  ministres 
d'auprès  du  Roi ,  et  établir  leurs  gens  dans  le  minis- 
tère, ils  ne  dévoient  accepter  aucun  accord;  que 
maintenant  on  leur  présentoit  de  beaux  articles  ;  et 
pestoient  contre  la  Reine-mère  comme  celle  qui  étoit 
cause  de  tout  le  n;al ,  et  parloient  d'elle  non^seu- 
lement  avec  mépris,  mais  y  ajoutoient  les  injures. 

Monsieur  avoua  bien  que  son  opiniâtreté  étoit 
cause  de  tout  son  mal ,  et  qu'elle  l'avoit  porté  dans 
cette  brouillerie.  Il  maudissoit  le  père  Chanteloube 
et  ceux  qui  l'avoient  mis  auprès  d'elle ,  qu'il  ne  valoit 
rien ,  et  voudroit  que  le  Roi  l'eut  fait  pendre  ;  qu'il 
avoit  donné  un  beau  conseil  de  sortir  du  royaume  ; 
que  pour  toutes  les  grandes  espérances  qu'il  lui  avoit 
fait  concevoir,  elle  étoit  réduite  à  s'amuser  à  prier 
Dieu  pour  tromper  son  ennui^  et  que  Le  Coigneux, 
animé  par  la  Reine^mère,  avoit  été  cause  du  voyage 
qu'il  fît  chez  le  cardinal  lorsqu'il  partit  de  la  cour , 
mais  qu'il  vouloit  qu'il  n'y  eût  point  de  Dieu  pour  lui 
s'il  avoit  jamais  eu  intention  de  venir  aux  extrémités 
contre  lui,  ni  s'il  avoit  jamais  écouté  qui  que  ce  fût 
pour  ce  regard,  et  que  son  naturel  ahhorroit  de  tels 
et  si  méchans  conseils;  que  ses  gens  étoient  cause 
qu'il  avoit  été  mal  avec  lui  ;  que  les  rapports  gâ- 


DE    RICHELIEU.    [iGS^J  I99 

toient  tout  ;  qu'il  Tavoit  toujours  estimé ,  et  que  quand 
ilauroitëté  pris  dans  un  combat,  il  n'eût  jamais  souf- 
fert qu'on  lui  eût  méfait  ^  qu'il  falloit  avouer  que  ja- 
mais le  Roi  n'avoit  été  si  bien  servi  que  Sa  Majesté 
l'avoit  été  de  lui,  qui  lui  avoit  fait  apprendre  par  ex- 
périence que  nulle  apparence  d'avantage  et  de  gran- 
deur ne  le  devoit  jamais  faire  être  contre  le  Roi,  et 
qu'il  protestoit  que  la  déclaration  contre  le  cardinal  ^ 
qui  étoit  contenue  dans  le  placard  dont  nous  avons 
ci-devant  parlé,  n'avoit  jamais  été  ni  vue  ni  signée 
de  lui ,  mais  que  c'étoit  ce  fou  de  Saint-Germain 
(  ainsi  le  qualifioit-il  )  qui  avoit  méchamment  supposé 


son  nom  ; 


Que  la  plupart  des  grands  du  royaume  étoient  do 
la  partie  avec  lui  ;  que  la  crainte ,  plutôt  que  l'aJOTec- 
tion,  les  avoit  empêchés  de  se  déclarer;  que  la  plu- 
part d'eux  ne  valoient  rien  pour  l'Etat ,  et  méritoient 
qu'on  les  ruinât  à  frais  communs  \  que  le  duc  de 
Bouillon  en  étoit,  mais  qu'il  vouloit  avoir  une  armée 
pour  se  déclarer  tout-à-fait ,  et  promettoit  de  faire 
mille  chevaux  et  quatre  mille  hommes  de  pied. 

Quand  ce  vint  à  traiter  tout  de  bon  avec  Mon- 
sieur, le  sieur  de  Bullion,  suivant  son  instruction , 
lui  proposa  son  pardon  et  le  rétablissement  dans  ses 
honneurs  et  dans  ses  biens ,  que  le  Roi  pardonnoit  à 
ses  domestiques  ,  pourroit,  à  sa  prière,  donner  passe- 
port aux  étrangers  pour  se  retirer  en  Espagne  ;  mais 
que ,  directement  ou  indirectement ,  il  ne  parleroit 
pour  aucun  des  sujets  de  Sa  Majesté  qui  ne  seroient 
point  ses  domestiques,  et  qu'elle  en  ordonneroit 
selon  qu'il  lui  plairoit. 

Monsieur  insista  que  la  liberté  lui  fût  donnée 


20O  [l632]   MEMOIRES 

d'aller  en  toutes  ses  maisons ,  ce  qu'on  lui  dit  qui  ne 
pouvoit  être  accordé  pour  lors ,  mais  le  seroit  sans 
difficulté  dans  quelque  temps.  Il  parla  en  faveur  de 
Deshayes  comme  d'un  de  ses  domestiques;  c'ëtoit  un 
jeune  homme  d'assez  bon  esprit,  mais  qu'une  ambi- 
tion  déréglée  porta  à  sa  ruine  :  nous,  avons  vu  ci-de- 
vant comme  le  Roi  s'en  servit  pour  .l'envoyer  en 
Suède  et  en  Moscovie.  Il  se  forgea  depuis  quelque 
mécontentement  de  ce  qu'en  affaires  plus  impor- 
tantes on  envoya  en  Suède  d'autres  que  lui,  et  pre- 
nant occasion  de  la  sortie  de  la  Reine  et  de  Monsieur 
hors  du  royaume,  il  partit  de  Montargis,  dont  ilëtoit 
gouverneur  à  la  survivance  de  son  père  ,  et  les  alla 
trouver.  Ils  s'en  servirent  pour  l'envoyer  traiter  de 
leur  part  en  Allemagne,  tant  avec  le  roi  de  Suède  , 
pour  le  prier  de  s'entremettre  envers  le  Roi  pour  leur 
accommodement,  espérant  que  ce  seroit  un  sujet 
pour  nalentir  leur  amitié  et  bonne  intelligence,  que 
vers  l'Empereur,  pour  lui  demander  secours  d'hommes 
et  d'argent  contre  Sa  Majesté.  En  un  second  voyage 
qu'ils  lui  faisoient  faire  en  Allemagne,  il  fut  pris  le  6 
août  par  l'adresse  et  le  courage  du  sieur  de  Char- 
nacé,  qui  le  mena  en  diligence  par  eau  à  Hermens- 
tein ,  de  là  l'envoya  par  Metz  à  Béziers  où  il  ëtoit  lors 
prisonnier.  Monsieur  insista  pour  sa  délivrance ,  mais 
on  lui  représenta  que  le  service  de  Sa  Majesté  ne  le 
permettoit  pas. 

Il  demanda  aussi  plusieurs  fois  que  Sa  Majesté, 
par  grâce  spéciale ,  lui  voulût  accorder  que  les  troupes 
qui  lui  avoient  été  données  par  don  Gonzalez  fussent 
renvoyées,  non  en  Espagne,  mais  dans  la  comté  de 
Bourgogne ,  ou  qu'on  lui  donnât  temps  d'envoyer  au 


DE   RICHELIEU.    [l63a]  SOI 

comte  de  Montenègre  pour  avoir  ordre  de  lui  de  les 
renvoyer  où  il  désireroit,  ce  qui  lui  fut  refusé,  et  re- 
montre que  le  Roi  faisoit  assez  de  grâce  aux  Espa- 
gnols, pour  lamour  de  lui,  de  ne  pas  faire  tailler  en 
pièces  toutes  ses  troupes ,  lesquelles  Sa  Majesté  voo-. 
loit  envoyer  en  lieu  où  elles  leur  seroicnt  à  charge, 
et  non  pas  04  elles  leur  pourroient  servir.  Il  fit  quel- 
ques instances  sur  le  sujet  de  la  Reine -mère,  mais  il 
ne  s'y  arrêta  guère,  et  lui  manda  par  Biscarat  qu'il  ' 
n  avoit  pu  faire  autrement  pour  sa  conservation  que 
cequil  avoit  fait,  et  qu'elle  eût  à  traiter  cette  affaire 
pour  elle-même. 

Il  en  fit  beaucoup  davantage  sur  le  sujet  du  duc 
de  Montmorency;  mais  le  sieur  de  Bullion  lui  répon- 
dit nettement  qu'il  ne  se  devoit  mêler  de  lui  non  plus 
que  de  la  Reine-mère,  et  que  c'étoit  à  lui  k  choisir, 
ou  de  s'attacher  aux  intérêts  dudit  sieur  de  Montmo- 
rency ,  ou  de  déplaire  au  Roi  et  perdre  ses  bonnes 
grâces  ;  et  ce  fut  avec  prudence  qu'il  lui  parla  si  fran- 
chement de  ce  fait-là,  car  cela  lui  6toit  toute  vérita- 
ble occasion  de  plainte  à  l'avenir,  quelque  résolution 
qu  il  plût  au  Roi  prendre  sur  ce  sujet. 

Ils  tombèrent  en  discours  sur  le  mariage  de  Mon- 
sieur ,  qui  dit  au  sieur  de  Bullion  que  le  cardinal  lui 
avoit  donné ,  de  la  part  du  Roi ,  pleine  hberté  de  le 
contracter  avec  qui  bon  lui  sembleroit ,  voire  avec 
une  bergère  s'il  vouloit.  A  quoi  le  sieur  de  Bullion 
répondit  qu'il  étoit  certain  qu'il  lui  seroit  libre  de 
choisir  celle  qui  lui  seroit  agréable,  pourvu  qu'il 
n'en  prit  point  quelqu'une  qui  pût  porter  préjudice  à 
l'Etat.  Lors,  entre  les  autres,  il  nomma  la  princesse 
Marguerite.  A  quoi  lui  étant  répondu  que  Sa  Ma- 


201  [iGSll]    MÉMOIRES 

jestë  lui  avoit  témoigné  qu'elle  Tauroit  désagréable , 
et  lui  avoit  défendu  d'y  penser  et  au  duc  de  Lorraine 
aussi,  a  et  s'il  étoit  fait,  dit-il,  que  feroitle  Roi?- — 
Il  le  feroit  casser,  répliqua  le  sieur  de  BuUion;  le 
Pape  déclareroit  toujours  nul  votre  mariage  s'il  est 
fait  sans  que  le  consentement  du  Roi  y  soit  inter- 
venu. »  M.  d'Elbeuf,  les  tirant  à  part,  leur  dit  qu'il 
y  avoit  contrat  passé  ;  qu'il  les  avoit  vus  couchés  en- 
semble, et  que  M.  de  Vaudemont  avoit  dit  qu'au  pis 
aller  un  frère  unique  d'un  roi  de  France  sans  enfans 
valoit  bien  la  peine  que  sa  fille  courût  fortune  de 
se  Voir  reléguée  abbesse  de  Remiremont. 

La  Reine-mère  étoit  si  affectionnée  à  ce  mariage 
qu'elle  avoit  donné  procuration  pour  le  consentir  ;  et 
Chanteloube  avoit  souvent  dit  qu'il  n'importoit  que 
la  guerre  fût  aux  quatre  coins  et  au  milieu  du  royaume , 
pourvu  que  ce  mariage  pût  avoir  lieu. 

Après  avoir  traité  trois  jours  ensemble ,  Monsieur 
s'accorda,  le  29  septembre ,  à  tout  ce  que  le  Roi  avoit 
désiré  de  lui,  l'avouant  très-juste,  et  signa  au-des-^ 
sous  des  articles  qui  lui  avoient  été  présentés  : 

Qu'il  consentoit  tout  ce  qui  y  étoit  contenu ,  et 
promettoit,  en  parole  et  foi  de  prince,  de  l'exécuter 
si  religieusement  qu'il  n'y  contreviendroit  en  aucune 
façon  ,  et  en  outre  de  conspirer  de  tout  son  pouvoir 
à  tous  les  bons  desseins  que  le  Roi  avoit  pour  le  bien 
et  la  grandeur  de  son  Etat,  et,  de  plus,  aimer  tous 
ceux  qui  servent  Sa  Majesté ,  et  jparticulièrement  le 
.  cardinal ,  qu'il  avoit  toujours  estimé  pour  sa  fidélité 
à  la  personne  et  aux  intérêts  du  Roi  et  de  l'État. 

Les  sieurs  de  Bullion  et  de  Fossé  signèrent  au-des- 
sous que ,  moyennant  ce  que  dessus ,  le  Roi  remet- 


DE   RICHELIEU.    [l63a]  ao3 

toit  Monsieur  en  ses  bonnes  grâces ,  le  rétablissoit 
en  tous  ses  biens ,  et  trouvoit  bon  qu'il  demeurât 
paisiblement  en  telle  de  ses  maisons  qu'il  plàiroit  au 
Roi  lui  désigner ,  avec  ses  domestiques ,  auxquels  elle 
pardonnoit  aussi,  leur  feroit  délivrer  abolition  du 
crime  qu'ils  .avoient  commis  par  leur  rébellion ,  et 
les  remettroit  en  leurs  biens  ^  ce  qui  s'entendoit  de 
ceux  qui  étoient  présentement  près  de  sa  personne  j 
et  non  de  ceux  qui  en  étoient  absens  et  éloignés. 

Que  Sa  Majesté  pardonnoit  aussi  pareillement  au 
duc  d'Elbeuf  et  le  remettoit  en  ses  biens,  lui  per- 
mettant de  demeurer  en  telle  de  ses  maisons  que  Sa 
Majesté  auroit  plus  agréable. 

Et  le  Roi  le  ratifia  ^  Montpellier  le  premier  jour 
d'octobre. 

Monsieur  écrivit  aussi  au  Roi,  du  même  jour  ag  de 
septembre ,  qu'il  avoit  un  extrême  déplaisir  d'avoir 
été  si  malheureux  que  de  s'être  séparé  de  lui ,  de 
s'être  retiré  en  pays  étrangers,  et  d'être  entré  en 
armes  en  son  royaume-,  qu'il  le  supplioit  très-hum- 
blement de  lui  vouloir  pardonner,  l'assurant  qu'il  ne 
prendroit  jamais  de  résolution  si  préjudiciable,  et 
qu  il  demeureroit  toujours  inséparablement  attaché 
dans  les  intérêts  de  Sa  Majesté  et  ceux  de  son  État, 
renonçant  dès  lors  à  toutes  pratiques ,  tant  dedans 
que  dehors  le  royaume ,  sans  nulles  excepter ,  qui 
pourroient  donner  le  moindre  ombrage  ou  être  désa- 
gréables à  Sa  Majesté. 

Il  écrivit  aussi  le  même  jour  au  cardinal  qu'il  avoit 
toujours  beaucoup  estimé  sa  vertu  et  son  aâeçtion 
au  service  du  Roi ,  qui  avoit  produit  de  très-bons 
efl'ets  pour  la  grandeur  de  l'Etat,  comme  chacun  le 


204  [l632]   MÉMOIRES 

voyoit  ]  qu'il  avoit  été  fort  étonné  quand  il  avoit  ap- 
pris qu'on  avoit  fait  écrire  une  déclaration  sous  son 
nom ,  signée  à  Andelot ,  contre  lui  -,  qu'il  ne  Tavoit 
jamais  vue  ni  commandée ,  ni  aucun  des  siens  ne 
Tavoitfaite^  qu'elle  étoit  entièrement  supposée  et 
pleine  de  calomnies  ;  qu'il  le  prioit  de  ne  plus  se  sou- 
venir de  plusieurs  choses  qui  avoient  été  dites  par  son 
commandement  contre  lui. 

Puylaurens  donna  aussi  un  écrit  signé  de  sa  main , 
par  lequel  il  promettoit  de  ne  faire  jamais  rien  contre 
le  service  du  Roi ,  d'avertir  de  tout  ce  qui  avoit  été 
traité  par  le  passé,  préjudiciable  à  l'Etat,  aux  inté- 
rêts du  Roi  et  de  ceux  qui  ont  l'honneur  de  le  servir, 
et  déclara  qu'il  vouloit  être  tfenu  coupable ,  comme 
il  étoit  alors ,  s'il  étbit  de  là  en  avant  contrevenu  de 
la  part  de  Monsieur  à  ce  qui  avoit  été  promis  de  sa 
part  dans  son  accommodement. 

Il  pouvoit  bien  faire  cette  promesse  puisqu'il  s'as- 
suroit  en  sorte  de  Monsieur ,  qu'il  n'eut  point  de 
honte  de  dire  aux  députés  du  Roi  qu'il  feroit  faire  à 
son  maître  tout  ce  que  Sa  Majesté  et  le  cardinal  dé- 
sireroient  de  son  altesse ,  et  sans  réplique ,  s'il  leur 
plaisoit ,  et  qu'il  répondoit  de  sa  vie  qu'il  demeureroit 
perpétuellement  uni  au  Roi ,  pourvu  qu'on  le  traitât 
raisonnablement. 

Le  parlement  de  Dijon ,  sachant  que  le  Roi  n'avoit 
promis  abolition  qu'aux  serviteurs  de  Monsieur  qui 
étoient  actuellement  servant  près  de  sa  personne , -et 
l'avoit  refusée  pour  les  autres ,  fit  le  procès  aux  sieurs 
Le  Coigneux ,  Monsigot ,  Estissac  et  chevalier  de 
Valençai,  et,  les  chambres  assemblées,  les  déclara 
convaincus  du  crime  de  lèse -majesté,  pour  avoir 


»B  RICHELIEU.  [i63i]  ao5 

donné  des  conseils  à  Monsieur  contre  le  service  du  Roi, 
et  avoir  trempé  dans  Tarrhement  et  levée  de  gens  de 
guerre  contre  TEtat,  et  être  coupables  de  la  sortie  de 
Monsieur  hors  du  royaume,  et  des  maux  qui  s'en  sont 
ensuivis  ^  pour  réparation  desquels  il  les  priva  de  tous 
honneurs,  charges  et  dignités,  les  condamna  d'a- 
voir la  tête  tranchée ,  leurs  biens  acquis  et  confisqués 
à  Sa  Majesté. 

Le  pardon  que  le  Roi  accorda  à  Monsieur,  le  re- 
cevant en  rhonneur  de  sa  bonne  grâce,  étonna  fort 
les  Espagnols,  car  ils  avoient  fait  de  grands  prépara- 
tifs pour  Tassister.  Outre  les  six  mille  Italiens  débar- 
qués ,  et  qui  étoient  en  la  plaine  de  Roussillon ,  il  y 
avoit  encore  quatre  raille  hommes  vers  Barcelonne , 
et  les  galions  qui  les  avoient  portés  étoient  retournés 
quérir  quatre  régimens  qui  avoient  eu  ordre  de  ve- 
nir du  côté  de  Milan  et  Gênés,  et  le  duc  de  Feria  les 
avoit  retenus,  craignant  que  le  roi  de  Suède  n'ap- 
prochât trop  de  la  frontière  du  Milanais  ;  on  levoit 
deux  régimens  dans  la  Catalogne  :  il  n'étoit  point  venu 
de  chevaux  de  Naples ,  mais  il  y  avoit  cinq  cents  ca- 
valiers qui  étoient  allés  prendre  des  chevaux  vers 
TAragon.  On  avoit  apporté  de  Milan  mille  selles  avec 
les  harnois  et  mille  paires  de  pistolets  avec  les  four- 
reaux ,  quatre  mille  mousquets  et  grande  quantité  de 
munitions ,  pics,  pelles  et  cabas  ]  on  amenoit  aussi  de 
Castille  quatre  cents  chevaux  pour  remonter  quatre 
compagnies  qui  étoient  en  Catalogne  il  y  avoit  long- 
temps. Le  marquis  de  Monteuègre  éloit  à  Caunat,  qui 
est  sur  la  mer ,  qui  n  est  pas  un  fort  lieu ,  cela  faisoit 
croire  qu'il  attendoit  encore  bientôt  d'autres  gens  pi 
promettoit  d'abondant  à  Monsieur  que  son  armée 


106  [  l63l]   MÉMOIRES 

seroit  rafraîchie  tous  les  mois  de  troupes  nouvelles. 

Voilà  les  grands  apprêts  qu'ils  avoient  faits ,  mais 
qui  furent  inutiles  par  la  bénëdiction  de  Dieu  et  la 
prévoyance  du  Roi ,  qui  a  eu  cette  grâce ,  qu'il  n'y  a 
point  eu  de  règne  avant  le  sien  dans  lequel  tant  de 
grandes  conjurations  contre  TEtat  aient  été  dissipées 
avec  tant  de  puissance  et  de  bonne  fortune ,  sans  rien 
mettre  au  hasard. 

L'accommodement  de  Monsieur  étant  fait ,  il  partit 
dès  le  4  octobre  pour  s'en  aller  à  ToufS  avec  le 
comte  d'Alais ,  que  le  Roi  lui  avoit  donné  pour  l'ac- 
compagner jusque  dans  ladite  ville ,  et  lui  faire 
rendre,  par  tous  les  lieux  où  il  passeroit,  les  hon- 
neurs que  l'on  rendroit  à  Sa  Majesté  même. 

En  partant ,  il  écrivit  au  Roi  une  lettre  très-affec- 
tionnée, pour  le  supplier  d'avoir  pitié  de  M.  de  Mont- 
morency, et  fit  le  même  encore  en  plusieurs  lieux  sur 
le  chemin  de  Tours ,  ce  qui  obligea  le  cardinal  de  re- 
présenter à  Sa  Majesté  toutes  les  considérations  qu'elle 
devoit  faire  sur  la  résolution  qu'elle  avoit  à  prendre 
de  pardonner  audit  duc  de  Montmorency ,  ou  de  le 
mettre  entre  les  mains  de  la  justice. 

Il  lui  dit  que  Monsieur  demandoit  sa  vie  ;  que  Sa 
Majesté  avoit  inclination ,  pour  le  bien  de  son  Etat ,  à 
ne  la  donner  pas  ;  que  ce  n'étoit  pas  une  petite  ques- 
tion ,  savoir  lequel  il  valoit  mieux ,  pardonner  ce 
crime  ou  ne  le  faire  pas  ; 

Que  les  raisons  qui  pouvoient  induire  à  faire  grâce 
à  M.  de  Montmorency  étoient  la  promesse  que  Mon- 
sieur vouloit  faire ,  qu'en  ce  ce  cas  il  se  sépareroit 
des  Espagnols  et  de  toutes  les  factions  où  il  s'ë- 
toit  mis  ; 


DB   RICHELIEU.    [l633]  207 

Qu'il  recherchoit  cette  grâce  pour  juste,  légitime 
et  honorable  prétexte  de  rupture  avec  tous  ceux 
avec  qui  il  s'étoit  lié  contre  TEtat,  n'y  ayant  personne 
de  son  parti  même  qui  le  pût  blâmer  s'il  abandonnoit 
les  intérêts  d'Espagne  et  de  Lorraine,  s'il  ne  parloit 
point  en  cette  occasion  de  ceux  de  la  Reine  sa  mère , 
s'il  s'obligeoit  à  ne  poursuivre  jamais  la  restitution 
des  gouvernemens  que  ceux  qui  l'ont  servi  avoient 
perdus ,  enfin  s'il  se  remettoit  en  son  devoir  pour 
une  telle  occasion  ; 

Que ,  sans  cette  grâce ,  Monsieur  ne  pouvoit  hono- 
rablement se  remettre  en  son  devoir,  tous  les  siens 
croyant  qu'il  devoit  plutôt  hasarder  de  se  perdre 
que  d'abandonner  une  personne  de  la  qualité  du  duc 
de  Montmorency ,  qui  s'étoit  mis  en  l'état  où  il  étoit 
pour  lui; 

Que  s'il  s'accordoit,  M.  de  Montmorency  péris- 
sant, il  ne  trouveroit  jamais  personne  qui  le  voulût 
servir  ni  qui  estimât  qu'il  en  fût  digne  ; 

Que,  plutôt  que  de  tomber  en  cet  inconvénient, 
il  s'en  iroit  en  Espagne ,  au  hasard  de  s'y  perdre  par 
la  trahison  de  cette  nation  infidèle  ; 

Qu'étant  là,  les  semences  d'une  guerre  mortelle 
demeureroient  en  état  de  ppoduire  leur  fruit ,  vu  que 
les  Espagnols  n'auroient  autre  soin  que  de  susciter 
Monsieur  contre  nous  et  lui  donner  moyen  de  brouil- 
ler la  France, 

On  mettoit  encore  en  avant  que ,  si  Monsieur  étoit 
en  cet  état  de  désespoir ,  ceux  qui ,  ayant  l'honneur 
de  servir  le  Roi ,  étoient  chargés  de  l'envie  de  ce  qui 
se  passoit,  à  cause  de  leur  inébranlable  fidélité,  se- 
roient  en  beaucoup  moins  de  sûreté,  parce  que  tous 


ao8  [l63a]   MÉMOIHES 

ceux  du  parti  de  Monsieur  penseroient  qu'il  ne  leur 
res toi t  autre  salut  que  leur  perte ,  et  qu'au  moins  é toi t-il 
vrai  qu'ils  auroient  perpétuellement  à  craindre  les  re- 
tours fâcheux  qu'ils  pourroient  éviter  par  ce  moyen. 

Il  ajoutoit  que ,  si  on  dégageoit  Monsieur  des  Es- 
pagnols et  autres  étrangers ,  si  on  le  retiroit  du  désir 
de  faire  des  factions  dans  le  royaume,  et  qu'il  se 
remit  dans  la  vraie  obéissance  du  Roi  et  dans  une 
sincère  volonté  de  correspondre  aux  grands  desseins 
de  Sa  Majesté,  il  n'y  avoit  rien  qu'on  ne  pûtentre- 
prendre  contre  les  Espagnols;  au  lieu  que,  s'il  de- 
meuroit  en  la  mauvaise  disposition  où  il  étoit,  on 
n'oseroit  se  prélavoir  des  belles  occasions  qu'on  avoit 
contre  cette  nation,  naturellement  ennemie  de  ce 
royaume ,  et  enragée  contre  la  personne  du  Roi  et  le 
gouvernement  présent  5 

Que  ceux  qui  estimoient  qu'il  valoit  mieux  châtier 
le  duc  de  Montmorency,  disoient  que  l'état  présent 
des  affaires  avoit  besoin  d'un  grand  exemple; 

Que ,  le  Roi  n'ayant  point  d'enfans,  et  étant  estimé 
malsain, quoique  sans  fondement  considérable ,  si  l'on 
ne  retenoit  par  une  grande  sévérité  ceux  qui  pour- 
roient se  porter  à  servir  Monsieur ,  qui  étoit  consi- 
déré conune  héritier  présomptif  de  cette  couronne , 
il  pouvoit  arriver  telle  occasion,  comme  une  ma- 
ladie àx\  Roi ,  quoique  légère ,  où  tant  de  gens  se  dé- 
clareroient  pour  lui  qu'on  n'en  sauroit  soutenir  l'ef- 
fort; au  lieu  que  s'il  étoit  puni  comme  il  le  méritoit, 
quelque  maladie  dangereuse  qui  arrivât  au  Roi,  per- 
sonne ne  la  tiendroit  assez  mortelle  pour  se  déclarer, 
tant  ils  auroient  peur  de  la  punition,  qu'ils  tiendroient 
assurée  s'il  en  réchappoit  ; 


DE  RICHELIEU.  [i63a]  nog 

Qu'ils  appuyoient  cette  raison  des  exemples  de 
THistoire,  qui  nous  apprenoit  que  les  règnes  qui 
étoient  sur  le  retour  ne  s'étoient  maintenus  que  par 
la  rigueur,  condamnable  aux  anciens  empereurs 
comme  horrible  cruauté,  quand  ils  l'ont  exercée  injus- 
tement sur  de  simples  soupçons ,  mais  qui  ne  pouvoit 
être  louée  que  de  tout  le  monde  comme  justice  né- 
cessaire ,  quand  elle  n'est  pratiquée  que  sur  des  crimes 
si  notoires  et  de  si  grande  conséquence ,  qu'on  ne 
sauroit  ni  les  ignorer  ni  les  laisser  impunis  sans  eu 
commettre  un  autre  ; 

Qu'ils  disoient  que  si  les  grands ,  les  communautés 
et  les  peuples ,  se  pouvoient  persuader  que  la  con- 
sidération de  Monsieur  rendit  les  crimes  qu'on  com- 
mettroitpour  lui  impunis,  il  s'en  trouveroit  toujours 
qui,  croyant  leur  vie  assurée,  hasarderoient  leur  for- 
tune volontiers.,  pour  tâcher  de  la  faire  meilleure  aux 
dépens  du  Roi  et  de  l'Etat; 

Quilsajoutoientque  la  privation  des  charges  sans 
la  vie  n'étoit  rien  en  ces  occasions,  vu  que  Monsieur 
étant  héritier  du  royaume,  et  le  Roi  sans  enfans,  ceux 
qui  pcrdroient  maintenant  leurs  gouvernemens espë- 
reroient  toujours  les  ravoir  si  Monsieur  venoit  à  être 
roi ,  comme  ils  se  le  vouloient  persuader ,  quoique 
rage ,  la  constitution  du  Roi,  le  soin  qu'il  avoit  main- 
tenant de  sa  santé ,  et  la  bénédiction  que  Dieu  épan- 
doit  visiblement  sur  lui ,  leur  dût  ôter  telle  espé- 
rance ; 

Et  que  tant  s'en  falloit  qu'en  ce  cas  aucun  d'eux 
pensât  perdre  leur  bien  ,  qu'au  contraire  ils  estime- 
roient  que  de  hasarder  leur  fortune  pour  Monsieur 
seroit  la  mettre  à  usure  avec  assurance  du  fonds  ; 

T.    11.  i4 


2IO  [l63a]    MÉBIOIRBS 

Qu'ils  disoietit  de  plus  que  la  faute  de  M.  de  Mont- 
morency n'étoit  pas  un  simple  crime  de  rébellion , 
comme  celui  d'un  autre  grand  qui  auroit  simplement 
porté  les  armes  contre  le  Roi  en  faveur  de  Monsieur , 
mais  que  c'étoit  une  rébellion  accompagnée  de  toutes 
les  circonstances  aggravantes  qu'on  pouvoit  s'ima-* 
giner  ] 

Que  c'étoit  lui  ^  c'est-à-dire  ceux  qui  avoient  agi 
pour  lui,  qui  avoient  appelé  Monsieur,  et  Ta  voient 
porté  à  entrer  en  armes  en  France  ;  que  c^étoit  une 
affaire  méditée  de  long-temps ,  comme  les  selles , 
brides  et  gens  de  pied  préparés  en  Italie  pour  venir  à 
Barcelonne,  il  y  a  plus  de  huit  mois ,  le  justifioient; 

Qu'il  avoit  fait  révolter  une  province  par  résolu- 
tion du  corps  des  États ,  ce  qui  ne  fut  jamais  fait; 

Que  c'étoit  un  homme  obligé  par  plusieurs  bienfaits, 
lié  de  parole  et  de  sermens  non  exigés  au  Roi  et*aux 
siens ,  ce  qui  rendoit  non-seulement  son  crime  plus 
horrible ,  mais  montroit  qu'on  ne  s'y  sauroit  jamais 
fier.  Ils  disoient  de  plus,  que  la  garde  d'un  tel  person- 
nage étoit  difficile  et  dangereuse ,  et  que ,  quoique  la 
plus  grande  grâce  que  l'on  pût  faire  à  une  telle  fiiute 
fût  une  prison  perpétuelle,  chacun  étant  injuste  en 
ses  intérêts ,  si  le  prisonnier  venoit  à  se  procurer  la 
liberté  par  son  artifice ,  il  n'auroit  autre  soin  que  de 
rechercher  les  moyens  de  se  venger  de  sa  prison,  et 
réparer  par  quelque  grande  action  l'imprudence  qu'il 
avoit  faite  en  se  perdant  en  ce  combat  par  sa  folle 
vanité  ^ 

Qu'on  présupposoit  qu'il  étoit  bon  de  pardonner  à 
M.  de  Montmorency,  pour  adoucir  l'esprit  de  Monsieur 
et  pour  mettre  par  ce  moyen  quelque  fin  à  nos  affaires. 


DE  RICHELIEU.   [l63a]  211 

Et  cependant  il  serabloit  que  les  mêmes  inconvé- 
niens  où  Ton  apprëhendoit  de  tomber  si  on  ne  lui 
pardonnoit  pas ,  fussent  plus  à  craindre  si  on  lui  par* 
donnoit  ;  car  tant  s'en  faut  qu'en  ce  cas  on  éteignit  le 
parti,  quau  contraire  il  subsisteroit  plus  que  jamais; 

Que  rien  ne  faisoit  soumettre  Monsieur  que  la  né- 
cessité où  Tavoit  réduit  la  perte  du  combat  qui  étoit 
arrivé  ; 

Que  les  Espagnols,  avec  qui  il  étoit  lié,  étoient 
toujours  les  mômes ,  la  Reine-mère  n'étoit  pas  moins 
irritée  qu'auparavant,  ains  au  contraire  ;  Puyiaurens 
n  avoit  pas  moins  de  pouvoir  sur  lui  qu'il  avoit  eu 
parle  passé,  moins  d'ambition,  moins  de  dérèglement, 
ni  moins  d'attachement  à  la  Lorraine.  Partant,  il  n'y 
avoit  point  de  personnes  sages  qui  ne  dussent  juger 
([uc  quand  le  péril  où  ce  mauvais  esprit  connoisisoit 
cire  présentement  seroit  passé ,  il  écouterôit  comme 
il  avoit  fait  auparavant  tous  les  pernicieux  conseils 
qu'on  lui  pourroit  proposer  pour  son  maître,  et  s'y 
porteroit  aussi  bien  qu'au  passé ,  n'ayant  pas  plus  de 
jugement  et  de  fidélité  qu'au  passé,  où  toutes  sortes 
de  raisons  et  d'obligations  qu'il  avoit  au  Roi  ne  l'à- 
voicnt  pu  empêcher  de  faire  le  mal  qu'il  avoit  fait; 

Que  si  on  vouloit  abandonner  les  Hollandais  et  le 
roi  de  Suède,  il  y  avoit  apparence  que  la  rage  des 
Espagnols  cesseroit;  si  on  vouloit  sacrifier  tous  ceux 
que  la  Reine  mère  du  Roi  haïssoit ,  que  le  Roi  se 
voulut  mettre  absolument  en  sa  dépendance,  on 
pouvoit  croire  que  son  animosité  s'apaiseroît ,  quoi- 
que ce  ne  fût  pa$  chose  assurée  ;  si  on  voulait  rendre 
toutes  les  places  à  M.  de  Lorraine,  peut-être  que  la 
mauvaise  volonté  qu'il  avoit  contre  le  gouvernement 

i4. 


212  [l63a]   MÉMOIRES 

présent  ne  produiroit  plus  de  mauvais  effets  contre 
le  Roi  \  mais  si  on  ne  faisoit  aucune  de  ces  choses , 
comme  le  Roi  ne  le  sauroit  sans  se  perdre ,  il  étoit 
certain  que  plus  le  parti  de  Monsieur  subsisteroit  en 
ses  racines ,  plus  nous  exposerions-nous  à  en  rece- 
voir du  mal  y  par  la  suscitation  continuelle  qui  lui  en 
seroit  faite  par  ceux  à  qui  il  demeuroit  lié,  et  par  la 
disposition  naturelle  des  choses ,  qui  fait  qu'on  ne  se 
souvient  plus  du  péril  passé  quand  on  en  est  dehors  ; 
Qu'il  y  avoit  plus ,  si  M.  de  Montmorency  étoit 
châtié ,  son  parti ,  par  sa  seule  perte ,  périroit  en  Lian- 
guedoc ,  et  celui  de  Monsieur  par  conséquent  en  toute 
la  Fraùce  ^  au  lieu  que  si  on  le  gardoit  prisonnier, 
quelques  autres  têtes  qu'on  pût  couper ,  il  lui  demeu- 
reroit  toujours  des  amis  secrets  qui  lui  seroient  d'au- 
tant plus  attachés  qu'ils  vivroient  en  espérance  de  se 
relever  avec  lui ,  et  en  rechercheroient  sourdement 
tous  moyens. 

Davantage ,  que  la  subsistance  du  parti  de  Mon- 
sieur en  la  personne  de  ce  personnage  et  en  celle 
de  ceux  qui  seroient  capables  de  s'y  lier  par  son  im- 
punité, empécheroit  qu'on  ne  pût  jamais  se  réconci- 
lier tout-à-fait  avec  Monsieur ,  parce  qu'on  auroit 
toujours  à  craindre  qu'il  fît  du  mal  à  cause  du  pou- 
voir qui  lui  resteroit ,  et  se  conserveroit  caché  comme 
le  feu  sous  les  cendres  ;  au  lieu  que ,  si  le  parti  étoit 
éteint,  comme  il  le  seroit  en  cas  que  le  duc  de  Mont- 
morency fût  puni ,  la  nécessité  réduiroit  avec  le  temps 
Monsieur  à  la  raison  par  des  voies  particulières  qu'il 
étoit  impossible  de  prévoir ,  mais  qui  viendroient  de 
la  main  de  Dieu. 

Quant  aux  raisons  alléguées  pour  l'opinion  con- 


DE   RICHELIEU.   [l632]  ll3 

traire ,  qu'ils  disoient  à  la  première  qne  les  promesses 
de  Monsieur  seroient  considérables ,  s'il  n'avoit  pas 
déjk  trois  fois  manqué  formellement  à  sa  parole  en 
matière  semblable  à  celle-ci ,  après  même  avoir  été 
extraordinairement  obligé  du  Roi ,  et  servi  par  les 
siens ,  et  les  siens  comblés  de  bienfaits. 

Ils  ajoutoient  que  si  les  paroles  de  Monsieur  étoient 
accompagnées  de  sûretés  mathématiques ,  ce  seroit 
faute  que  de  n'y  ajouter  pas  foi  ;  mais  que  n'en  voyant 
pas,  ce  seroit  une  légèreté  blâmable  d'y  faire  fonde- 
ment, et  s'exposer  sur  icelle  à  un  notable  hasard. 

Us  disoient  encore  que  la  nécessité  où  il  étoit,  étoit 
un  si  bon  prétexte  pour  se  retirer  des  mauvais  enga- 
gemens  où  il  s'étoit  mis,  qu'il  n'en  falloit  point  cher- 
cher d'autres ,  vu  même  qu'il  pouvoit  dire  avec  vé- 
rité que  M.  de  Montmorency  étoit  cause  de  sa  perte , 
tant  parce  qu'il  l'avoit  appelé  sur  des  espérances  qui 
s'étoient  trouvées  vaines,  que  parce  que, s'étant pré- 
cipité mal  à  propos  en  ce  combat ,  il  avoit  ruiné  tout- 
à-fait  le  parti  de  Monsieur  pour  satisfaire  à  sa  seule 
vanité. 

Us  avouoient  que,  si  Monsieur  ne  sauvoit  pas  M.  de 
Montmorency,  il  trouveroit  moins  de  serviteurs  que 
s'il  le  sauvoit  :  aussi  étoit-ce  la  seule  raison  pour  la- 
quelle le  Roi  devoit  vouloir  le  châtier.  Et  Monsieur 
ne  le  devoit  pas  trouver  étrange ,  vu  qu'ainsi  que  les 
chirurgiens  ne  peuvent  souvent  sauver  la  vie  à  un 
homme  sans  lui  couper  le  bras  ,  c'étoit  le  seul  moyen 
de  sauver  Monsieur ,  qui  ne  pouvoit  donner  aucune 
sûreté  de  lui  que  de  souffrir  cette  résolution  sans  se 
perdre  soi-même  lorsqu'il  ne  la  pouvoit  empêcher  ;  ce 
qu'il  pouvoit  faire  sans  préjudice  de  sa  réputation , 


21 4  [l632j  MKMQIRES 

puisque  la  nécessité  Ty  contraignoit  ^  au  lieu  que  Sa 
Majesté  ne  sauroit  faire  ce  qu'il  lui  demandoit ,  sans 
commettre  une  foiblesse  blâmable  çt  se  mettre  au 
hasard  de  pis. 

De  dire  que  Monsieur  s*en  iroit  en  Espagne  où  il 
courroil  hasard,  cette  raison  étoit  grandement  consi- 
dérable ,  quand  elle  ne  seroit  point  conlre-pesée  par 
cçllede  rintérét  duRoi  en  choses  importantes,  comme 
étoient  les  inconvénieus  qui  pouvoient  uaitre  de  Vim^ 
punilé  du  criminel. 

De  représenter  que  Monsieur  étant  en  Espagne 
ce  seroit  un  levain  perpétuel  de  guerre,  ce  n'étoit  pas 
chose  à  mépriser;  mais  on  estimoit  que  si  la  punition 
du  duc  de  Montmorency  coupoit  lesi  racines  de  la 
puissance  de  Monsieur ,  en  sorte  que ,  par  après ,  il 
lui  fût  impossible  de  remettre  un  puissant  parti  sur 
pied ,  on  seroit  bien  plus  assuré  que  les  Espagnols  ne 
s'en  serviroient  pas ,  que  si  Monsieur  pouvant  (aire 
du  mal  promettoit  simplement  qu'il  ne  le  feroit  pas. 

Quant  à  ce  qu'on  alléguoit  pour  la  sûreté  de  ceux 
qui  avoient  l'honneur  de  servir  le  Roi ,  si  le  cardina) 
a  voit  à  répondre  à  cet  article,  il  diroit  qu'il  ne  se 
considère  point  lorsqu'il  est  question  des  intérêts  de 
son  maître ,.  si  ce  n'est  en  tant  que  sa  perte  lui  pour* 
roit  porter  préjudice  5  joint  qu'il  n'y  a  voit  rien  à  es- 
pérer pour  lui  de  ceux  qui  étoient  auprès  de  Monsieur, 
quelque  chose  qu'on  pût  faire  en  leur  faveur,  étant 
certain  que  ceux  qui  espéroient  et  veulent  tout  contre 
toute  sorte  de  justice ,  ne  se  sentiroient  jamais  obligés 
de  ce  qu'on  pouvoit  faire  pour  eux  avec  raison  ; 

Qu'il  étoit  vrai  que ,  tandis  que  Monsieur  ne  seroil 
pas  en  l'état  auquel  il  devoit  être ,  il  étoit  impQSsible 


DE   RICHELIEU.    [iGSs]  ai5 

de  faire  de  grands  desseins  contre  les  étrangers  »  ni 
de  régler  le  dedans  du  royaume  comme  le  Roi  le  dé- 
siroit  et  pouvoit  faire  ^  mais  la  question  étoit  de  savoir 
si,  quand  on  feroit  ce  qu'il  demandoit,  il  contribue^ 
roit  aux  bons  desseins  du  Roi  qu^il  avoit  toujours  con- 
tinuellement traversés,  à  commencer  dès  La  Rochelle 
jusqu'à  présent,  et  si ,  au  cas  qu'il  ne  le  fît  pas,  le  Roi 
pourroit  réparer  le  tort  qu'il  se  seroit  fait  en  ne  fai- 
sant pas  exemple  d'une  telle  faute  comme  celle  dont 
il  étoit  question.  Toutes  ces  raisons  considérées ,  il 
dit  qu'accorder  la  vie  du  duc  de  Montmorency  à 
Monsieur,  étoit  puissamment  établir  ses  affaires,  et 
grandement  hasarder  celles  du  Roi  et  de  l'État. 

Il  dit  de  plus  que  le  Roi  la  pouvoit  donner  par  sa 
seule  bonté ,  sans  s'y  obliger  par  aucun  traité  ^ 

Qu'il  restoit  à  savoir  s'il  le  devoit  faire  ; 

Qu'il  étoit  certain  qu'il  sembloit  qu'il  y  eût  plus  à 
craindre  à  le  faire  qu'à  ne  le  faire  pas. 

Cependant  il  y  avoit  un  moyen  par  lequel  Sa 
Majesté  le  pouvoit  si  elle  le  vouloit ,  et  duquel  elle 
pouvoit  tirer  du  fruit,  si  ceux  qui  étoient auprès  de 
Monsieur  n'étoient  pires  que  des  diables  ;  ' 

Que  ce  raoyei||^oit  que  M.  de  Montmorency  étant 
condamné,  le  Roi  fit  savoir  à  Monsieur  qu'il  surseoi- 
roit  par  sa  seule  bonté  l'exécution  de  son  arrêt  ; 

Qu'il  ne  s'obligeoit  pas  à  ne  le  pas  faire  exécuter, 
mais  qu'il  s'engageoit  bien  à  le  faire  à  la  première 
mauvaise  conduite  que  Monsieur  feroit  contre  son 
devoir  et  la  volonté  de  Sa  Majesté  ; 

Que  cette  grâce  supposoit  que  Monsieur  fût  vrai- 
ment repentant  de  ses  fautes,  qu'il  les  reconnût,  sup- 
pliât le  Roi  de  les  lui  pardonner,  et  promit  de  vivre 


2l6  [l6i52]    MÉMOIRES 

à  Ta  venir  comme  Sa  Majesté  pouvoit  désirer  en  toutes 
choses,  abandonnant,  dès  à  présent,  toutes  factions 
et  toutes  prétentions  de  rétablir  jamais  les  gouyer-> 
neurs  dépossédés^ 

Qu'elle  présupposoit  encore  qu'en  faisant  le  procès 
de  M.  de  Montmorency,  onlefitaussiauxévéqueset 
barons  duLangnedoc,  et  autres  qui  étoient  en  crime, 
non  domestiques  de  Monsieur ,  et  qu'on  le  fit  exécu- 
ter pour  montrer  à  tous  les  particuliers  que ,  quand 
même  les  grands  se  sauvent ,  tous  ceux  qui  adhèrent 
à  leurs  desseins  n'évitent  pas  la  peine  qu'ils  méritent , 
et  ainsi  détourner  un  chacun  de  se  porter  aux  factions 
des  grands  ^ 

Qu'elle  présupposoit  en  outre  une  assurée  et  im- 
muable résolution  de  faire  exécuter  l'arrêt  dé  M.  de 
Montmorency  à  la  première  mauvaise  conduite  que 
Monsieur  feroit,  sans  qu'il  fallût  autre  forme  que  d'y 
envoyer  le  grand  prévôt  pour  faire  sa  charge  ; 

Qu'elle  présupposoit  de  plus  une  garde  assurée  de 
M.  de  Montmorency,  qui  quoique  difficile  n'étoit  pas 
impossible. 

Sa  Majesté  ayant  ouï  toutes  ces  raisons  de  part  et 
d'autre ,  se  confirma  en  la  volont4i|u'elle  avoit  eue 
dès  le  commencement  de  faire  en  lui  une  justice 
exemplaire  à  tous  les  grands  de  son  royaume  à  l'a- 
venir, comme  le  feu  Roi  son  père  l'avoit  fait  utile- 
ment en  la  personne  du  maréchal  de  Biron.  Elle 
l'envoya  quérir  à  Lectoure  par  le  marquis  de  Brezë 
avec  six  cents  chevaux,  et  le  fit  conduire  à  Toulouse, 
où  il  fut  condamné  le  3o  à  avoir  la  tête  tranchée,  ce 
qui  fut  exécuté  le  même  jour  (>)  ;  les  duchés  de 

(i)  Ce  qui  fut  exécuté  le  même  jour  :  Les  détails  du  procès  el  du 


DE    RICHELIEU.    [l632]  ^17 

Montmorency  et  de  Damville  prives  à  jamais  du  nom 
de  duchés  et  pairies,  toutes  les  terres  qu'il  tenoit  im- 
médiatement du  Roi  réunies  à  la  couronne ,  et  tous 
ses  biens  acquis  et  confisqués  à  Sa  Majesté,  qui  néan- 
moins ,  en  considération  de  ses  héritiers ,  les  leur  fit 
distribuer,  ses  dettes  préalablement  payées. 

La  bienveillance  générale  qu'on  portoit  à  son  nom 
à  cause  de  la  haine  de  la  maison  de  Lorraine,  faisoit 
que  plusieurs  murmuroient  de  cette  action ,  et  la 
taxoient  de  quelque  sorte  de  rigueur  ;  mais  les  autres 
plus  sages,  qui,  dépouillés  de  passion  et  d'intérêt, 
considéroient  plus  mûrement  l'importance  de  cette 
aflaire ,  louoient  la  justice  du  Roi ,  qui  préféroit  le 
bien  de  son  État  à  toutes  autres  considérations,  et  à 
la  vaine  réputation  d'une  clémence  dommageable,  et 
estimoient  le  courage  du  cardinal ,  qui  méprisoit  la 
propre  sûreté  de  sa  personne  et  la  haine  de  tous  les 
grands  pour  satisfaire  à  la  fidélité  qu'il  devoit  au  Roi 
qui  se  confioit  en  lui-,  outre  que  ce  n'est  que  depuis 
la  foiblesse  de  l'État  et  les  guerres  civiles  qui  avoient 
quasi  anéanti  l'autorité  royale,  que  les  grands  pou- 
voient  commettre  impunément  toutes  sortes  de  cri- 
mes, et  qu'ils  sembloient  être  au-dessus  des  lois. 

Notre  histoire  est  pleine  de  semblables  exemples 
de  la  justice  que  les  rois  ont  prise  des  plus  grands 
de  leur  Etat  pour  pareils  et  moindres  crimes,  et, 
pour  ne  parler  des  temps  trop  éloignés,  Gilles  de 

»upplice  de  Montmorcncj  se  iroavent  daof  tons  les  historiens.  Une 
particularité'  qoi  n^a  pas  été  remarqacfc,  c*est  qoe,  dans  le  Languedoc, 
rinstrument  du  supplice  ressembloit  k  celui  qu'on  emploie  de  nos  jonrs. 
«  En  ce  pays-là ,  dit  Puysegur ,  on  se  sert  d'une  doloire  qni  est  entre 
'<  deui>  morceaux  de  bois  ;  et  quand  on  a  la  t^te  posée  sur  le  bloc  on 
'<  lAche  la  corde ,  et  cela  descend  et  sépare  la  tête.  » 


ai8  [l632]   MÉMOIRES 

Retz ,  maréchal  de  France  de  la  même  maison  de 
Montmorency ,  descendu  de  Mathieu ,  deuxième  du 
nom,  connétable  de  France,  fut,  sous  le  roi  Charles  yii, 
condamné  à  la  mort  pour  être  seulement  convaincu 
de  sortilège. 

Le  comte  de  Saint-Pol,  connétable  de  France  en 
Tan  1475,  et  Jacques  d'Armagnac,  duc  de  Nemours, 
Tan  14779  furent,  sous  Louis  xi,  condamnés  à  mort 
et  exécutés  pour  crime  de  lèse-majesté. 

Le  roi  François  i  n'épargna  pas  le  connétable  de 
Bourbon ,  bien  qu'il  fût  de  son  sang ,  ni  François  11 
son  petit-fils  n'eût  pas  épargné  le  prince  de  Condé 
déjà  condamné  à  mort ,  si  la  mort  subite  du  Roi  n'en 
eût  prévenu  l'exécution-,  et  le  maréchal  de  Biron, 
sous  le  feu  Roi ,  n'étoit  pas  de  moindre  considération, 
et  lui  avoit  rendu  de  plus  signalés  services  que  le 
duc  de  Montmorency  n'avoit  fait  à  Sa  Majesté.  Et  à 
la  vérité  un  Etat  seroit  bien  à  l'abandon,  dans  lequel 
tels  crimes  seroient  excusables ,  la  crainte  seule  de  la 
punition  desquels  peut  retenir  l'ambition  de  ceux  qui 
les  commettent.  Sa  Majesté  pourvut  de  son  gouver- 
nement le  maréchal  de  Schomberg,  et  le  ducd'Halluin 
son  fils  en  survivance,  avec  le  gouvernement  de  la 
ville  et  citadelle  de  Montpellier  qu'avoit  le  sieur  de 
Fossé ,  auquel  elle  donna  en  récompense  celui  de  la 
ville  et  citadelle  de  Verdun ,  donna  la  charge  de  ma-- 
réchal  de  France  vacante  par  la  mort  du  maréchal 
d'EfBat  au  marquis  de  Brezé  pour  les  grandes  actions 
de  cœur  et  de  conduite  que ,  suivant  l'exemple  de 
ses  pères ,  il  avoit  faites  en  Italie  et  particulièrement 
à  Castelnaudary  ;  et  privant  du  gouvernement  de 
Provence  le  duc  de  Guise ,  qui ,  quelque  commande* 


DE   RICHELIEU.    [iGSl]  319 

ment  que  Sa  Majesté  lui  eût  fait  de  la  venir  trouver, 
n'y  avoit  point  obéi,  comme  se  défiant  de  son  in* 
nocence ,  le  donna  au  maréchal  de  Yitry  qui  Tavoit 
bien  servi  en  ces  derniers  mouvemens. 

Sa  Majesté  fît  aussi  faire  1q  procès  à  Deshayes  à 
Béziers,  qui  fut  condamné  à  avoir  la  tête  tranchée  et 
exécuté,  pour  avoir  traité  en  Allemagne  de  la  part  de 
Monsieur  et  de  la  Reine-mère,  pour  recouvrer  de 
largent  sur  les  pierreries  de  ladite  dame  Reine,  et 
moyenner  Tenvoi  de  gens  de  guerre  en  Fiance  contre 
le  service  du  Roi. 

Et  pource  que  le  caractère  de  la  maison  de  Mont- 
morency, qui  depuis  un  long  temps  étoient  gouver- 
neurs de  Languedoc ,  étoit  si  avant  imprimé  dans  ces 
peuples  qu'ils  ne  croyoient  le  nom  du  Roi  qu'imagi- 
naire ,  Sa  Majesté  estima  que  le  meilleur  moyen  dV 
établir  son  autorité  et  son  service,  comme  il  étoit 
important,  étoit  d y  tenir  les  Etats  en  sa  présence; 
elle  choisit  pour  cet  effet  ki  ville  de  Béziers  comme  le 
cœur  de  la  province ,  et  voisine  de  plusieurs  autres 
villes  dans  lesquelles  Sa  Majesté  régla  et  le  temps  et 
la  manière  de  la  tenue  des  Etats  à  Favenir,  retrancha 
les  profusions  immodérées  qui  avoient  accoutumé  de 
se  faire  en  la  tenue  desdits  Etats,  à  la  foule  de  son 
peuple ,  et  y  apporta  Tordre  convenable  à  son  soula- 
gement. 

Sa  Majesté  étant  sur  le  point  de  retourner  à  Paris, 
dépécha  le  sieur  Bautru  en  Espagne  pour  se  plaindre 
des  sujets  de  mécontentement  que  nous  avions  de  la 
part  de  cette  couronne-là,  mais  en  effet  pour  péné- 
trer ce  qu'on  pouvoit  espérer  d'eux  pour  la  paix  de  la 
chrétienté.  Il  eut  charge  de  leur  représenter  que  de- 


220  [l63!»]   MÉMOIRES 

puis  quelques  années  ils  n'avoient  rien  oublié  de  ce 
qu'ils  avoient  pu  pour  troubler  le  repos  de  la  France 
et  la  maison  du  Roi  par  les  siens  propres  *, 

Que  le  marquis  de  Mirabel  avoit  fait  ce  qui  lui  ayoit 
été  possible  pour  altérer  le  bon  naturel  de  la  Reine , 
qui  y  avoit  résisté  par  sa  vertu  et  sa  bonté  ^ 

Qu'ils  s'étoient  servis  des  mécontentemens  de  la 
Reine-mère,  et  avoient  fait  l'impossible  pour  les  faire 
valoir  contre  le  Roi  et  l'Etat; 

Qu'ils  avyènt  fait  faire  toutes  sortes  d'entreprises 
,à  Monsieur  sur  diverses  places  du  royaume ,  et  enfin 
lui  ont  donné  des  gens  de  guerre  pour  le  troubler  ou- 
vertement 5 

Que  le  Roi  n'avoit  point  voulu  se  plaindre  de  ces 
mauvais  procédés  tant  qu'il  eût  semblé  qu'il  l'eût  fait 
pour  en  arrêter  et  craindre  le  cours  ;  mais  maintenant 
que  le  grand  effort  qu'ils  pensoient  faire  pour  Mon- 
sieur étoit  sans  effet,  Sa  Majesté  avoit  bien  voulu 
l'envoyer  expressément  pour  s'en  plaindre,  savoir 
s'ils  vouloient  continuer  un  tel  procédé,  et  leur  dire 
que  Sa  Majesté  procédoit  bien  plus  courtoisement,  en 
ce  qu'elle  leur  avoit  renvoyé  en  Espagne  ce  qui  étoit 
resté  à  Monsieur  des  gens  qu'ils  lui  avoient  donnés 
en  Flandre  pour  lui  faire  la  guerre. 

Il  eut  charge ,  si  le  comte  d'Oliyarës  alléguoit  l'as- 
sistance qu'on  donnoit  aux  Hollandais,  de  répondre 
que  c'étoit  un  traité  fait  en  suite  de  la  ligue  où  ils 
n'oublièrent  rien  de  ce  qu'ils  purent  pour  ôter  la 
couronne  au  feu  Roi. 

S'il  parloit  de  l'assistance  qu'on  donnoit  au  roi  de 
Suède,  que  c'étoit  une  suite  de  la  guerre  qu'ils  avoient 
faite  à  M.  de  Mantoue ,  et,  qui  plus  est,  que  cette  as-^ 


DE    BICHELIEU.    [iGS^]  5121 

sistance  conservoit  la  religion  en  Allemagne,  qui  ap- 
paremment s'y  fût  perdue  sans  la  considération  du  Roi. 

S'il  parloit  de  Pignerol,  qu'il  étoit  libre  à  un  sou- 
verain de  vendre  son  bien  comme  bon  lui  sembloit, 
et  que  pour  montrer  que  le  Roi  n'avoit  aucun  dessein 
dans  ritalie  sur  les  États  du  roi  d'Espagne ,  il  étoit 
prêt  d'entrer  en  une  ligue  générale  pour  le  repos  de 
ritalie  ,  où  tous  les  collègues  courroient  sus  à  celui 
qui  entreprendroit  sur  l'autre. 

S'il  parloit  de  Moyenvic ,  qa'il  étoit  permis  à  un 
chacun  de  reprendre  le  sien  ;  que  Moyenvic  étoit  en 
la  protection  du  Roi,  et  appartenoit  en  propre  à 
révéque  de  Metz  qui  étoit  son  frère  naturel. 

S'il  parloit  du  duc  de  Lorraine ,  qu'au  lieu  de 
se  plaindre  de  ce  qui  s'étoit  passé,  on  se  devroit 
louer  de  la  bonté  du  Roi ,  qui  s'étoit  contenté  de 
donner  un  caveçon  à  ce  prince  qu'il  pouvoit  dépouil- 
ler par  raison,  vu  les  offenses  qu'il  en  avoit  reçues; 
enfin  qu'il  lui  fît  reconnoître  qu'on  n'avoit  pas  eu 
dessein  de  porter  préjudice  à  l'Espagne,  en  ce  que  le 
Roi  à  Suse  ne  voulut  pas  attaquer  le  duché  de  Milan 
qui  n'étoit  pas  en  état  de  se  défendre,  et  que  lorsqu'il 
relira  Moyenvic  il  pouvoit  encore  emporter  l'Alsace 
dépourvue  de  toutes  forces ,  ce  qu'il  ne  voulut  pas. 

S'il  lui  parloit  de  Monsieur ,  que  le  Roi  et  lui  étoient 
contens  l'un  de  l'autre,  qu'ils  n'avoient  pas  besoin 
de  se  mêler  d'une  affaire  faite. 

S'il  parloit  de  la  Reine-mère ,  qu'il  dît  civilement 
que  c'étoit  un  effet  que  le  bon  naturel  des  parties  de- 
voit  faire,  et  non  pas  l'art,  particulièrement  le  leur, 
qui  avoit  toujours  été  employé  pour  séparer  ce  qu'on 
désiroit  réunir. 


222  [l632]    MÉMOIRES 

S'il  parloit  du  cardinal ,  qu'il  répondit  que  cMtoît 
un  personnage  qui  ne  prenoit  pas  garde  à  tout  ce  qui 
se  disoit  et  se  faisoit  contre  lui  ;  qu'il  se  contentoit 
de  contribuer  ce  qu'il  pouvoitafîn  que  les  affaires  du 
Roi  son  maître  allassent  bien,  etn'estimoit  pas  que  ce 
fut  trop  acheter  la  gloire  de  servir  un  si  grand  prince, 
que  d'être  calomnié  comme  il  étoit  de  ceux  quiétoieut 
ennemis  envieux  des  prospérités  de  son  maître^ 

Qu'au  reste ,  il  avoit  toujours  désiré  l'union  des 
deux  couronnes  »  mais  à  conditions  justes  et  raison- 
nables, auxquelles  il  n'avoit  pas  vu  jusqu'à  présent 
que  l'Espagne  eût  voulu  consentir. 

Enfin  il  lui  fut  ordonné  de  s'étudier  particulière- 
ment à  pénétrer  autant  qu'il  lui  seroit  possible  tous 
les  mauvais  desseins  qu'on  avoit  eus  contre  la  France, 
le  Roi  et  les  siens,  et  de  découvrir  ceux  qu^on  avoit 
encore ,  échauffant  souvent  le  conite  d'OIivarès  pour 
apercevoir  la  vérité  dans  ses  colères. 

Le  sieur  de  Bautru,  qui  étoit  parti  auparavant 
l'exécution  à  mort  du  duc  de  Montmorency ,  en  reçut 
la  première  nouvelle  à  Madrid  par  le  comte  d'OIi- 
varès ,  qui  la  lui  dit  avec  grand  étonnemént,  exagé- 
rant, comme  par  pitié  ,  la  misère  d'un  seigneur  de 
telle  qualité. 

Qu'à  la  vérité  on  eût  fait  punir  en  Espagne  quelque 
grand  que  ce  fût  qui  eût  commis  une  telle  faute,  mais 
que  l'usage  de  notre  nation  n'étoit  pas  semblable  en 
cette  matière-là  ;  mais  il  ne  savoit  pas ,  oïl  feignoit 
ne  pas  savoir,  qu'il  y  avoit  de  grands  exemples  en 
notre  histoire  de  personnes  de  plus  grande  condition 
que  lui,  qui  avoient  été  traitées  avec  même  sévérité  de 
justice  quand  le  bien  de  l'État  l'avoit  requis,  et  que 


DE   RICHELIEU.    [iGis]  223 

si ,  au  dernier  siècle ,  les  rébellions  fréquentes  du 
royaume  avoient  ôlé  le  moyen  au  Roi  de  punir 
semblables  crimes ,  il  falloit,  pour  rétablir  l'autorité 
royale,  quitter  ce  désordre  nouvellement  introduit,  et 
retourner  aux  lois  premières  de  FÉtat ,  considérant 
qu'il  n'est  pas  des  lois  comme  des  viandes ,  lesquelles 
sont  d'autant  meilleures  qu'elles  sont  plus  fraîches , 
au  lieu  que  les  autres  sont  d'autant  plus  utiles  qu'elles 
sont  plus  anciennes,  d'autant  que  sur  elles,  et  par 
elles ,  l'État  a  été  fondé  et  augmenté  ;  et  telles  pu- 
nitions ne  sont  pas  moins  actions  de  clémence  en 
un  prince  que  de  sévérité ,  attendu  que  la  justice 
exercée  contre  des  personnes  si  coupables  est  une 
douceur,  en  ce  qu  ôtant  la  vie  à  un  seul  on  la  donne 
à  beaucoup  qui  eussent  perdu  la  leur,  ou  de  leur 
main  ou  par  exemple. 

Ledit  duc  ne  pouvant  se  lasser  de  parler  de  ce  sujet, 
dit  qu'il  s'étonnoit  que  le  cardinal ,  étant  né  vassal  et 
ayant  des  parens ,  eût  osé  établir  un  tel  exemple  en 
la  personne  du  duc  de  Montmorency  ^  qu'il  devoit  se 
souvenir  que  les  rois  étoient  mortels,  leur  faveur  pas- 
sagère ,  la  puissance  rarement  continuelle  ,  et  les  of- 
fenses, au  contraire,  immortelles;  quec'étoitleplus 
hardi  coup  que  ministre  eût  jamais  fait,  et  que,  si 
le  cardinal  u'avoit  point  eu  de  passion  particulière 
contre  lui ,  le  Roi  ne  le  pou  voit  jamais  assez  récom- 
penser d'une  telle  action. 

Il  parloit  comme  homme  qui  ne  s'étoit  pas  entière- 
ment oublié  soi-même  pour  se  donner  tout  à  son 
maître ,  et  qui ,  sans  considération  de  chose  qui  le 
touchât  en  son  particulier ,  ne  regardât  que  sa  per- 
sonne royale  et  la  conservation  de  son  État. 


2^4  [l63l]   MÉMOIRES 

Bautru  lui  rëpondil  que  tant  s'en  faut  qti'il  y  eût 
eu  aucune  mésintelligence  entre  le  cardinal  et  ledit 
duc,  qu'au  contraire,  si  on  choisissoit  six  des  plus 
grands  seigneurs  de  TÉtat  de  condition  égale ,  ou 
plus  relevée  que  celle  dudit  Montmorency,  on  ne 
trouvcroit  pas  qu'ils  eussent  reçu  tous  ensemble  tant 
de  marques  d'honneur  et  tant  de  bienfaits  de  Sa  Ma- 
jesté que  ledit  Montmorency ,  depuis  que  le  cardinal 
tenoit  le  rang  qu'il  possëdoit  dans  les  bonnes  grâces 
et  dans  les  affaires  de  Sa  Majesté; 

Que,  pour  les  marques  d'honneur,  il  avoit  été  gé- 
néralement préféré  à  tous  les  princes  et  grands  sei- 
gneurs du  royaume  à  la  conduite  des  armes  de  Sa 
Majesté ,  ayant  passé  peu  d'années ,  depuis  que  le  car^ 
dinal  étoit  dans  les  affaires ,  sans  avoir  été  général 
d'armée  sur  la  mer ,  sur  la  terre ,  dedans  ou  dehors 
le  royaume ,  en  présence  et  en  l'absence  de  Sa  Ma- 
jesté -,  et  parce  que  les  maréchaux  de  France,  qui  na- 
turellement sont  créés  pour  la  conduite  des  armes 
de  nos  rois ,  supportoient  impatiemment  qu'on  leur 
préférât  un  homme  qui  n'étoit  point  de  leur  corps , 
le  Roi  le  créa  maréchal  de  France ,  quoique  le  nombre 
*  fût  excessif,  et  qu'il  semblât  qu'avec  le  grand  pouvoir 
qu'il  avoit  dans  le  gouvernement  de  Languedoc  il  ne 
fût  pas  à  propos  d'ajouter  cette  charge  à  une  si  grande 
autorité,  qui  étoit  telle  que,  depuis  douze  ans,  ledit 
duc  de  Montmorency  avoit  levé ,  sur  ses  ordonnances 
dans  la  province  de  Languedoc,  22,000,000  de  livres. 
Pour  ce  qui  étoit  de  la  confiance,  qui  est  volontiers  ce 
qui  touche  le  plus  les  personnes  les  plus  relevées  de 
cœur  et  de  naissance ,  elle  étoit  telle  avec  Sa  Ma- 
jesté et  le  cardinal ,  que  le  Roi,  croyant  être  au  der- 


DE   BtCHBLlEU.    [1682]  àlS 

nier  période  de  sa  vie  à  Lyon^  le  choisit  comme  le 
croyant  la  personne  la  plus  affidëe  à  ses  commande^ 
mens ,  et  la  plus  obligée  par  le  cardinal  pour  aller 
trouver  le  duc  d'Orléans,  son  successeur,  lui  dire  ses 
dernières  volontés ,  et  lui  recommander  particulière- 
ment la  personne  dudit  cardinal ,  qui  se  confioit  en 
tel  point  en  son  amitié ,  qu'au  cas  que  Monsieur  lui 
eut  témoigné  mauvaise  volonté ,  il  s'en  alloit  en  Lan*^ 
guedoc  plutôt  qu'en  aucun  de  ses  gouyernemens ,  ne 
voulant  sûreté  dans  l'État  que  dans  les  services  qu'il 
avoit  rendus  à  la  couronne  *,  et ,  pour  le  prouver ,  il 
se  mettoit  entre  les  mains  de  l'homme  de  France 
qui  ëtoit  le  plus  obligé  à  la  conservation  de  l'autorité 
royale  et  dignité  de  l'État.  Du  depuis  ^  la  conûanc0 
avoit  été  telle  entre  ledit  cardinal  et  ledit  duc,  que, 
tant  qu'il  avoit  été  à  la  cour ,  il  n'y  avoit  eu  aucune 
heure ,  pour  particulière  qu'elle  fût ,  où  ledit  duc  de 
Montmorency  ne  fût  entré  chez  le  cardinal  avec  pius* 
de  privauté  et  de  liberté  que  le  cardinal  de  Lyon  son 
frère,  ni  aucun  autre  de  ses  parens,  amis  ou  serviteurs; 
Qu  entre  autres  particularités ,  il  ne  passoit  point 
de  semaine  que  ledit  duc  ne  coUationnât  le  soir  eo 
particulier  avec  ledit  cardinal  ;  ce  qui  avoit  continué 
jusques  à  ce  qu'il  s^eu  £ut  allé  en  son  gouvernemeai 
de  Languedoc ,  où,  depuis  qu'il  fut  arrivé ,  il  n'avoit 
perdu  aucunes  occasions  d'assurer ,  tant  Sa  Majesté 
de  son  très-humble  service  et  fidélité,  que  le  cardinal 
de  la  continuation  de  son  amitié  ^  que  plus  de  quatre 
mois  auparavant,  le  212  juillet,  jour  de  sa  déclaratioa 
contre  le  service  du  Roi,  on  avoit  eu  avis  de  ses  né- 
gociations et  envois  des  Delbène  en  Flandre ,  et  de 
Tassociation  qui  avoit  paru  depuis  ;  mais  que  le  car- 
T.  27.  i5 


226  [l632]   MÉMOIRES 

diaal  les  avoit  tellement  rejetés  qu'il  n'assuroit  pas  le 
Roi  avec  plus  de  sûreté  de  sa  propre  fidélité  que 
de  celle  dudit  duc  de  Montmorency ,  qui  tenoit  ordi- 
nairement auprès  dudit  seigneur  cardinal  un  gentiK- 
homme,  son  plus  particulier  confident,  qui  avoit , 
jusques  aux  derniers  jours  avant  cette  rébellion , 
assuré  positivement  que  les  bruits  qui  couroient 
étoient  faux ,  et  qu'il  engageoit  la  tête  de  son  maître 
et  la  sienne ,  si  Ton  ne  trouvoit  qu'ils  étoient  semés 
par  ceux  qui ,  par  impostures  et  calomnies ,  vouloient 
la  ruine  de  son  maître.  Et  de  fait,  le  cardinal  y  ajouta 
telle  foi,  quejamais,  quelques  instances  contraires  que 
Ton  eût  voulu  faire,  il  n'avoit  parlé  d'envoyer  un 
bomme  de  guerre  dans  le  gouvernement  de  Langue- 
doc ,  non  pas  même  un  mois  après  l'entrée  de  Mon- 
sieur dans  le  royaume ,  sous  autre  autorité  que  de 
celle  du  gouverneur  ;  que  ledit  comte  ne  devoit  point 
tenir  pour  rigoureuse  sa  punition ,  après  tant  d'hon- 
neurs et  de  bienfaits  qu'il  avoit  reçus  du  Roi ,  et  tant 
de  confiance  que  le  cardinal  avoit  eue  en  lui  ; 

Que  les  Espagnols  apprennent  à  tout  le  monde  qu'il 
n'y  a  point  de  qualité  qui  mette  à  couvert  aucuns  vas- 
saux contre  les  crimes  de  lèse-majesté  ;  que  le  grand- 
père  du  roi  Catholique  en  avoit  fait  la  leçon  sur  son 
propre  fils  unique,  qui  n'étoit  accusé  que  d'avoir 
écouté  les  gueux  de  Flandre  ;  et  que ,  pour  la  maison 
de  Montmorency,  le  comte  de  Hom,  qui  en  ^toit 
l'alné ,  eut  la  tête  tranchée  à  Bruxelles  par  l'ordon- 
nance du  duc  d'Albe,  sans  être  accusé  d'autre  crime 
que  d'avoir  consenti  à  la  requête  présentée  par  les 
«cieux. 

Et ,  à  la  vérité ,  le  cardinal  Zapata  prouva  bien , 


DE   RICHELIEU.    [l63a]  M7 

sans  y  penser,  la  vérité  de  la  réponse  de  Bautru»  au- 
quel, et  au  sieur  de  Barault,  ambassadeur  du  Roi, 
qu'il  trouva  en  rantichambre  du  roi  d'Espagne,  il 
demanda  :  «  Qui  pensez- vous ,  messieurs,  qui  ait  fait 
trancher  la  tête  au  duc  de  Montmorency?  »  Bautru 
lui  répondit  :  a  Ses  crimes.  —  Non  pas  tant  ses  cri- 
mes, repartit  le  cardinal,  que  la  clémence  des  rois 
prédécesseurs  de  Sa  Majesté.  »  Voulant  donner  à  en- 
tendre que  si ,  en  ces  derniers  temps,  les  rois  eussent 
châtié  les  grands  de  leur  royaume  selon  qu'ils  méri- 
toient,  celui-ci  eût  été  retenu  par  leur  exemple ,  et  ne 
fût  pas  tombé  en  la  faute  qui  lui  a  causé  la  mort. 

Lorsque  le  Roi  sut  Tassistance  que  le  roi  d'Espagne 
donnoit  au  duc  de  Montmorency  et  à  Monsieur  contre 
lui,  et  depuis,  lorsque  Dieu  eut  douné  à  Sa  Majesté 
la  victoire  sur  eux ,  plusieurs  lui  conseilloient  de  tour- 
ner SCS  armes  contre  le  Milanais  :  ils  ne  manquoient 
pas  d'apparentes  raisons  pour  appuyer  leur  avis,  et 
montrer  qu'il  étoit  de  facile  exécution. 

Ils  représentoient  à  Sa  Majesté  que  la  plupart  des 
forces  d'Italie  étant  passées  en  Espagne  pour  assister 
Monsieur ,  et  n'en  pouvant  recouvrer  d'Allemagne 
pour  les  divisions  qui  y  étoient ,  si  Sa  Majesté ,  qui 
avoit  toutes  ses  forces  dans  le  Languedoc,  Lyonnais 
et  Dauphiné ,  faisoit  passer  partie  desdites  troupes  du 
côté  de  Casai ,  et  partie  par  le  côté  des  Grisons ,  et, 
avec  celles  du  duc  de  Savoie  et  l'assistance  de  la  ré- 
publique de  Venise ,  entroit  dans  le  duché  de  Milan, 
on  le  surprendroit  de  sorte  qu'on  n'y  trouveroit  point 
de  résistance  -,  qu'il  ne  falloit  point  douter  que  le  dac 
de  Savoie  ne  s'y  portât ,  comme  aussi  la  République, 
quand  elle  verroit  que  ce  seroit  tout  de  bon  et  qu'elle 

i5. 


9^8  [l632j   IIÉIfOIR£3 

j  pourrait  profiter  de  quelque  chose,  et  que  Sa  Ma- 
jesté ,  par  une  petite  déclaration ,  feroit  entendre  le 
juste  sujet  qu'elle  avoit  d'attaquer  le  roi  d'Espagne 
en  ses  États ,  puisque  si  publiquement  il  Tattaquoit 
daus  la  France. , 

Au  reste,  quil  n'y  avoit  dépense  à  faire  qa'en  b 
levée  des  troupes  et  en  leur  subsistance  pour  trois 
mois,  d'autant  que  le  duché  de  Milan  et  les  petits 
Etats  qui  l'environnent  fourniroient  aussi  bien  à 
Tentretènement  de  l'armée  du  Roî  qu'ils  avoient  fait 
à  celui  de  celle  de  l'Empereur,  joint  que  la  levée 
étoit  toute  laite ,  Sa  Majesté  ayant  des  troupes  pres- 
<que  suffisamment  près  d'elle  pour  cet  effet.  Mais  Sa 
Majesté ,  que  la  mauvaise  fortune  n'abattoit  point ,  ne 
s'ëlevoit  point  aussi  dans  la  prospérité  \  mais,  en  quel- 
que état  que  fassent  ses  affaires ,  elle  se  gouvernoit 
toujours  avec  la  même  disposition  tranquille ,  de  la- 
quelle la  vie  d'un  grand  prince  a  toujours  plus  grand 
besoin  que  le  navire  n'a  de  la  prudence  du  pilote. 

Elle  jugea  bien  ce  conseil  et  juste  et  facile  à  exécu- 
ter ,  mais  elle  préféra  la  conservation  de  la  paix  à  la 
rupture  ouverte ,  à  laquelle  elle  ne  vouloit  venir  qu'à 
toute  extrémité ,  bien  que  les  Espagnols  semblassent^ 
par  toutes  leurs  actions ,  non-seulement  vouloir  fy 
obliger,  mais  contraindre. 

A  peine  avoient-ils  encore ,  au  i  S  octobre ,  exécuté 
tous  les  articles  de  la  paix  de  Cherasque ,  ou ,  et  en  ce 
temps-là  seulement,  les  troupes  impériales  qui  étoient 
sorties  du  Mantouan  achevèrent  de  passer  aux  Gri- 
sons; et,  durant  toute  l'année,  ne  firent  autre  chose 
que  menacer  le  duc  de  Savoie  et  le  duc  de  Manioue 
de  recommencer  la  guerre ,  et  avoient  toujours  tenu 


DE    BICHBLIBU.    [iGBa]  a!!^ 

dans  le  Milanais ,  contre  ce  qui  avott  ëté  promis ,  tant 
de  troupes  que  lesdits  ducs  en  éloient  à  juste  sujet  en 
jalousie.  Mais^  nonobstant  toutes  ces  choses ,  le  Roi», 
au  lieu  de  prendre  ce  temps  cpaà  lui  éioit  si  favorable^ 
pour  les  aller  attaquer  audit  Milanais,  seeonienta^dd 
prendre  quelque  assurance  contre  leur  mauvaise  ikh 
lonté ,  pour  la  conservation  de  ses  alliés^  ^  et  fU  u» 
nouveau  traita  avec  ledit  due  de  Savoie  y  par  teqiiel 
Pignerol,  qui  ne  hn  zvoit,  au  commeneeme&tyëld 
laissé  qu'en  dépôt ,  hii  fut  absolument  vendu  et  baillé 
en  échange ,  pour  toiaîoiirs  ^  avec  le  fort  de  La  Pé- 
rouse,  et  tout  ce  qui  lui  avoit  ëté  donne  premièf  emusat 
en  dépôt. 

Sa  Majesté  hii  fit  représenter  qae  Ites  actioas  des 
Espagnols  étoieiit,BOfKse«leBentdes  tëmei(|Da|^  vir 
srbles,  mais  des  effets  palpables  d'une*  résolution  piiat 
de  longue  main  en  Espagne,  de  s'élever  à  Tusurpatioii 
entière  de  lltalie  sar  la  ruine  de  tons-ceo»  qui  n^ad- 
hèrent  pas  à  leur  ambition  ;  que  cek-  oUîgeoit  Sa  Ma- 
jesté à  chercher  de  bonne  heure  dis  nouveaux  remèdes 
aux  malheurs  qu^une  dissimulalîoa<  trop  endurante 
lui  pourroit  apporter;  etreconnoissaot que, pour d^ 
meurer  selon  son*  désir  dans  les  simples  termes  de  la 
défensive,  et  couper  les  avenues  aux  desseins  de 
l'agression  qu'on  préparoife,  il  n'en  saopoit  présente» 
ment  choisir  un  plus  assuré  ni  moins  suspect  àr  per^- 
sonne  que  d'avoir  un  passage* assuré,  par  le  moyen 
duquel ,  sans  être  à  chaqne  fms>  obligé  dis  conduire 
de  puissantes  armées  si  loin,  il  put  être  en  état  de 
secourir  ses  alliés  et  de  défendre  la  liberté  de  l'IlaUe, 
il  croyoit  qu'il  étoit  nécessaire ,  pour  le  repos  publio, 
qu'il  lui  échange&t  Pignerol  ou^  quelque  autre  de  ses 


23o  [1682]    MÉMOIRES 

places  frontières  de  la  France  ;  qu'il  se  souvînt  de& 
maux  que,  du  temps  de  ses  ancêtres  et  du  feu  duc 
son  père,  ses  États  avoient  reçus  pour  avoir  adhéré 
aux  desseins  des  Espagnols  *,  qu'il  valoit  mieux  qu'il 
se  mit  en  état,  lui  et  ses  descendans ,  de  ne  pouvoir 
plus  commettre  cette  faute ,  ce  qu'il  faisoit  par  ce 
moyen.  Au  reste ,  que  Sa  Majesté  vouloit  une  paix 
assurée ,  et  n'y  voyoit  poiut  d'autre  jour  que  celui- 
là  ,  et  aimoit  mieux  la  continuation  d'une  guerre  ou- 
verte qu'une  paix  feinte  et  de  peu  de  durée ,  comme 
il  étoit  évident  qu'étoit  celle  dont  on  le  vouloit  amu- 
ser ,  puisque  déjà  les  Espagnols  y  contrevenoient  ou- 
vertement ; 

Que  ledit  duc  se  défendroit  aisément  des  plaintes 
imaginaires  que  les  Espagnols  pourroient  faire  de  lui , 
leur  représentant  que  le  peu  de  sincérité  qu'ils  avoient 
apporté  à  l'exécution  du  traité,  et  le  peu  de  compte 
qu'ils  avoient  fait  de  ses  instances  pour  s'accommoder 
aux  justes  demandes  de  Sa  Majesté,  l'auroient  obligée 
de  lui  demander  ladite  place  de  Pignerol,  laquelle  il 
n  avoit  dû  lui  refuser  pour  l'assurance  de  la  paix  d'Ita- 
lie et  de  celle  de  ses  États. 

Le  duc  de  Savoie  comprenoit  bien  la  nécessité  et 
la  force  de  ces  raisons ,  mais  il  avoit  peine  à  y  con- 
sentir, tant  pource  que  cela  lui  ôtoit  l'honneur  qu'il 
s'étoit  toujours  voulu  arroger  en  ItaUe,  de  tenir  les 
portes  de  cette  province  pour  les  ouvrir  ou  fermer , 
selon  qu'il  lui  plaisoit,  à  toute  puissance  étrangère  , 
que  parce  qu'il  donnoit  en  ses  Etats  un  pied  au  Roi , 
dont  il  redoutoit  déjà  assez  la  force  et  le  voisinage.  Il 
essaya  de  divertir  l'exécution  de  cette  proposition  par 
plusieurs  demandes  qu'il  faisoit ,  difficiles  à  obtenir , 


dont  la  principale  fut  qu*il  voulut  obliger  Sa  Majesté 
de  prendre  Genève  et  la  lui  donner  en  échange,  à 
quoi  il  eut  facilité  d'attirer  le  Pape»  qui  envoya  pour 
ce  sujet,  bien  que  sous  un  autre  prétexte ,  Mazarin 
en  France  ;  mais  Sa  Majesté  n*y  put  consentir ,  tani 
pource  que  c'étoit  une  place  qui  de  long-temps  s^ë* 
toit  mise  en  sa  protection,  que  d'autant  qu'elle  étoit 
alliée  avec  tous  les  cantons  des  Suisses,  qui  s'y  fusr 
sent  intéressés ,  joint  qu'il  importoittrop  à  Sa  Majesté 
que  cette  place,  en  la  situation  qu'elle  est ,  ne  tom2>ât 
pas  entre  les  mains  du  duc  de  Savoie. 

• 

EnGn ,  toutes  les  difficultés  qu'il  sut  apporter  étaot 
surmontées  ^  il  consentit  au  désir  de  Sa  Majesté ,  et 
fit  avec  elle  un  traité  d'échange  dudit  Pignerol  el.de 
son  finage ,  du  fort  de  La  Pérouse  et  de  quelques 
autres  places  dans  la  vallée  dudit  Pérouse ,  pour  de- 
meurer en  propre  et  souveraineté  pour  toujours  à 
Sa  Majesté  et  ses  successeurs,  et  être  à  jamais  unis  à 
la  couronne  de  France  ^  pour  en  jouir  dès  lors ,  non- 
obstant quelques  traités  faits  ou  à  Élire ,  auxquels  ledit 
duc  renonça  dès  lors. 

Le  duc  de  Feria ,  voyant  ces  places  en  la  puissance 
de  Sa  Majesté ,  s'en  formalisa  et  envoya  en,  faire 
plainte  au  duc  de  Savoie.  Le  roi  d'Espagne  fit  le 
même  à  Sa  Majesté  par  ses  ambassadeurs  ;  mais  le  Roi 
et  le  duc  répondirent  sur  ce  suj«t  avec  tant  de  raison 
et  de  justice,  que  la  seule  opiniâtreté,  leur  mauvaise 
volonté  contre  la  France ,  et  le  déplaisir  quMls  avoient 
de  voir  que  la  facilité  d'envahir  lltalie  leur  ëtoîk 
ôtée  par  ce  moyen  ,  les  empêchèrent  de  les  recevoir 
en  paiement. 

ils  faisoieut  aussi  courir  le  bruit  que  le  dépdt  oe 


nSa  [i63aj  MÉMOIRES 

ces  places  entre  les  mains  du  Roi ,  qui  a^voît  ëlé  pu- 
blie Tannée  auparavant,  étoit  simulé ,  et  que  dès  lors 
rechange  absolu  en  avoit  été  fait,  mais  qu'on  ne  IV 
voit  pas  voulu  déclarer qu*à  présent;  mais,  outrie- que 
cette  supposition  étpit  imaginaire,  quand  bien  elle  eut 
été  véritable,  qu'eât->on  pu  imputer  au  Roi  qi  au  duc 
de  Savoie  .de  cette  action  ?  et  de  quoi  eussent-*ils  pu 
raisonnablement  être  accusés  de- l'Empereur  ni  du 
roi  d'Espagne  ? 

De  dire  que  c'est  une  innovation  au  préjndioe  du 
traité  de  Cberasque ,  quelle  raison  en  peuvent^ib  ap- 
porter? 

Il  est  dair  que  ce  traité  n'a  point  lié  les  mains  à 
M.  de  Savoie ,  mais  plutôt  Va  remis  en  sa  libre  dispo- 
sition. 

Le  Roi  non  plus  ne  perd  point  son  droit  d'acquêt 
rir.  Cbaque  traité  est  borné  aux  matières  dont  il 
traite ,  et  ne  £iit  point  de  loi  pour  les  choses  sui-> 
vantes,  s'il  n'en  est  (ait  mention  expresse  et  spécifique 
audit  traité. 

Le  duc  de  Savoie  est  prince  souverain ,  auquel  il 
est  loisible  de  vendre,  d'éohanger ,  ou  autrement, 
comme  il  lui  platt ,  disposer  de  ce  qui  lui  appartient , 
sans  que  les  Impériaux  ni  les  Espagnols  s'en  puissent 
formaliser  avec  raison. 

En  second  lieu,  ledit  duc,  pour  plusieurs  raisons 
et  considérations ,  étoit  obligé  de  remettre  cette  place 
entre  les  mains  de  Sa  Majesté ,  à  cause  des  droits  qui 
appartiennent  à  la  couronne  de  France  sur  ledit  Pi- 
gnerol  et  ses  dépendances* 

Il  convient  donc  savoir  qu'au  traité  de  paix  de 
Tannée  1600 ,  entre  le  roi  Henri-le-Grand  et  le  feu 


DE  BICUBU£0.  [i63aj  »33 

duc  de  Savoie  >  il  y  a  article  exprès  par  lequel  il  est 
dit  que  le  traité  de  paix  qui  est  fait  entre  le  Roi  et  le 
duc  ne  pourra  prëjudicier  aux  droits  de  la  couronne 
de  France  contre  le  duc,  suivant  les  traités  de  Tan 
1 559  et  de  Tan  1574* 

Par  le  traité  de  iSSg,  le  roi  jHenri  11  donne  en 
mariage  au  duc  Philibert  Marguerite  de  France  sa 
sœur-,  et,  en  considération  de  ce  mariage,  il  remet 
et  rétablit  ledit  duc  Philibert  dans  ses  états  de  Savoie 
et  Piémont,  à  la  réserve  de  Turin,  Pignerol  et  autres 
places ,  suivant  les  conditions  dudit  traité  *,  et ,  à  cause 
des  prétentions  de  la  couronne  de  France  sur  la  mai-* 
son  de  Savoie ,  il  est  dit  que  les  différends  seront  ter- 
minés entre  la  France  et  Savoie  ainsi  qu  il  a  été  pra- 
tiqué de  tout  temps ,  parce  que  les  ducs  de  Savoie , 
cpiand  ils  avoient  eu  différend  avec  les  rois ,  avoient 
usé  de  cette  prudence  de  se  remettre  au  jugement  du 
parlement  de  Paris ,  ou  bien  que  les  parties  nomme- 
roien t  des  députés  de  part  et  d'autre ,  qui  donneroient 
leur  jugement  comme  arbitres^  et,  au  cas  que  lesditg 
arbitres  ne  pussent  convenir  des  différends,  que  le 
Roi  et  le  duc  conviendroient  d'un  prince  chrétien , 
leur  ami  commun,  pour  décider  leur  différend.  En 
exécution  dudit  traité  de  iSSq,  le  Roi  nomme  le  prési- 
dent Séguier  et  fabbé  Chandon  ;  M.  de  Savoie  nomme 
aussi  de  son  côté  trois  on  quatre  de  se$  principaux 
ministres',  lesquels  députés  s'assemblent  de  part  et 
d autre  à  Saint- Just  dans  Lyon,  où,  après  plusieurs 
et  diverses  assemblées  et  contestations ,  la  sentence 
arbitrale  fut  signée  des  députés  de  Sa  Majesté  et  dudit 
duc.  Par  cette  sentence,  outre  le  comté  de  Nice, 
adjugé  au  Roi  avec  restitution  de  fruits  de  près  de 


234  [l63!l]    MÉMOIRES 

cent  ans,  nne  partie  de  la  Savoie  et  de  Bresse ,  plu-^ 
sieurs  places  de  Piémont  furent  adjugées  à  Sadite 
Majesté,  comme  lui  appartenant  à  cause  de  Tunioa 
inséparableraiteduPiëmoQtavecla  Provence ,  et  entre 
autres  places ,  il  est  dit  que  Pignerol  est  du  nombre 
desdites  places.  Cette  sentence  fut  signée  par  les  dé- 
putés du  duc,  qui,  néanmoins,  pour  défendre  en 
quelque  façon  l'intérêt  de  leur  maître ,  déclarèrent , 
contre  toute  raison  et  justice ,  que  la  prescription  Ta- 
voit  mis  à  couvert ,  et  que  tous  les  droits  de  la  France 
étoient  prescrits  par  la  longueur  du  temps  :  ce  qui 
étoit  du  tout  absurde  et  contre  la  vérité,  parce  que 
les  droits  de  la  souveraineté  sont  imprescriptibles^ 
n*y  ayant  aucun  juge  par  devant  lequel  les  princes  se 
puissent  adresser  pour  contester  les  actions  qu'ils  ont 
contre  les  détenteurs  de  ce  qui  est  à  eux ,  et  que  telles 
affaires  ne  se  peuvent  terminer  que  Tépée  à  la  main, 
quand  ceux  auxquels  on  les  détient  injustement  ont 
fait  sommer  et  interpeller  les  détenteurs  par  les  voies 
dont  les  souverains  ont  de  coutume  d'user. 

Lors  de  cette  sentence  ainsi  rendue,  Pignerol  étoit 
entre  les  mains  de  Charles  ix,  lors  régnant,  et  est  de- 
meuré à  la  couronne  de  France  et  en  sa  possession 
jusqu'en  Tannée  1574?  les  droits  de  la  couronne  ad- 
jugés par  la  sentence  arbitrale  de  l'année  1 5Sg ,  n'ayant 
été  pleinement  exécutés  à  cause  de  la  minorité  du 
Roi  et  des  troubles  survenus  dedans  le  royaume  à 
cause  de  ceux  de  la  religion  prétendue  réformée. 

Il  est  vrai  que  le  roi  Henri  lu,  revenant  de  Po- 
logne pour  recueillir  la  succession  du  royaume ,  passa 
en  Piémont ,  où  Sa  Majesté  fut  pressée  et  importunée 
par  les  prières  extraordinaires  de  madame  Margue- 


DE   RICHELIEU.   [l63!l]  ^35 

rite  sa  tante ,  femme  du  duc  Philibert  et  mère  du  der- 
nier duc  dëcëdé ,  de  commander  que  Pignerol  et  au- 
tres places  dont  la  France  ëtoit  en  possession ,  fus- 
sent remises  es  mains  et  au  pouvoir  du  duc ,  à  quoi 
le  roi  Henri  se  laissa  emporter  contre  Tavis  de  ses 
principaux  serviteurs. 

Pour  cette  restitution,  les  sieurs  de  Sauve,  secré- 
taire d'Etat,  et  le  sieur  de  Birague  furent  commis  par 
le  Roi ,  comme  aussi  le  duc  députa  de  ses  principaux 
serviteurs.  Par  le  traité  il  est  notamment  convenu 
que  la  remise  de  cette  place  et  autres ,  qui  est  faite 
par  les  députés  du  Roi  es  mains  du  duc ,  est  sans 
préjudice  des  droits  de  la  couronne  de  France  ,  sui- 
vant le  traité  de  Tan  iSSg,  ce  qui  montre  clairement 
que  le  duc  de  Savoie  a  pu  avec  toute  sorte  de  rai- 
son et  justice  traiter  de  cette  place  avec  le  Roi  par 
vente ,  échange  ou  autrement ,  puisqu'en  exécution 
des  traités  de  la  paix  publique ,  le  duc  eût  été  obligé 
de  restituer  cette  place  qui  appartient  à  la  couronne 
de  France  ,  le  roi  Henri-le-Grand  s'étant  réservé  par 
le  dernier  traité  de  paix  tous  les  droits  de  la  cou- 
ronne contre  le  duc  de  Savoie,  suivant  les  traités  de 
Tan  i559  et  1574. 

Car ,  de  mettre  en  avant  que  Pignerol  relève  de 
l'Empereur ,  et  qu'il  ne  se  peut  aliéner  sans  son  con- 
sentement, c'est  une  chose  qu'il  faudroit  prouver  au- 
thentiquement.  On  leur  nie  cette  proposition-là  ;  et 
quand  cela  auroit  été  autrefois,  ce  qui  n'approit 
point,  Pignerol  ayant  été  uni  à  la  couronne  de  France 
comme  il  a  été  long-temps,  auroit  changé  de  nature; 
mais  quand  cette  place  relèveroit  de  l'Empereur  et 
que  Von  n'en  pourroit  douter,  il  sufBroit  que  la  France 


a36  '    [i63!i]  MÂMOiiiEs 

satisfit  à  ce  qui  lui  seroit  dû,  n'y  ayant  rien  de  si 
commun  que  de  voir  des  fiefs  de  TEmpire  passer  en 
autres  mains  sans  opposition  des  empereurs ,  qui  ne 
la  peuvent  faire  qu'en  choses  justes. 

La  translation  d'un  grand  nombre  de  fiefs  dans 
ritalie ,  que  les  empereurs  de  la  maison  d'Autricke 
ont  faite  aux  Espagnols,  feroit  par  trop  renouveler  les 
plaintes  de  cet  abus,  s'ils  dénioient  à  la  France,  po«r 
le  bien  public  et  pour  le  sceau  d'une  paix  générale,  ce 
qu'ils  ont  accordé  aux  Espagnols  avec  l'oppression 
et  contre  le  gré  des  propriétaires.  Par  ce  moyen  Sa 
Majesté  assuroit  la  paix  d'Italie  à  l'avenir ,  car  elle  se 
conservoit  un  passage  pour  aller  secourir  les  princes 
que  les  Espagnols  voudroient  opprimer. 

Le  duc  de  Feria  et  les  ambassadeurs  d'Espagne  en 
firent  de  grandes  plaintes  partout,  disant  que  le  duc 
ne  pouvoit  faire  cet  échange  sans  la  volonté  de  l'Em- 
pereur ,  duquel  tous  les  Etats  du  duc  relevoienl. 
Mais  comme  leurs  plaintes  étoient  mal  fondées ,  il  ne 
fut  pas  difficile  de  leur  répondre:  aussi  B'ëtolt-ce 
pas  ce  qui  les  blessoit ,  mais  ils  vouloient  profiter  sur 
le  duc  de  Mantoue ,  et  le  duc  de  Feria  fit  proposer 
par  personnes  interposées  qu'il  falloit  qu'il  y  eût  éga- 
lité entre  le  Roi  et  eux,  et  que  comme  Sa  Majesté 
avoit  profité  d'une  place  aux  dépens  de  M.  de  Savoie, 
il  étoit  raisonnable  qu'ils  en  profitassent  d'une  autre 
aux  dépens  de  M.  de  Mantoue  ;  mais  nous  témoi- 
gnâmes qu'ayant  fait  ce  que  nous  devions  pour  Pexécn- 
tion  de  la  paix ,  et  eux ,  au  contraire,  ayant  témoigné 
de  paroles  et  d'effets  qu'ils  la  vouloient  troubler, 
ayant  armé  continuellement  dans  leurs  Etats ,  noos 
avions  été  obligés  de  faire  ce  que  nous  avion*  fiiit« 


DE    RICHELIEU.  £l63lj  ^if 

M.  de  Savoie ,  qui  eût  bien  voulu  les  contenter , 
dit  au  nonce  qu'il  pouvoit  proposer  comme  de  lui- 
même  au  duc  de  Feria  Tachât  de  quelque  place 
dans  le  Monlferrat,  pour  faciliter  le  passage  aux  Es- 
pagnols dans  le  Milanais ,  ainsi  que  nous  avions  dé- 
sire Pignerol  pour  nous  faciliter  le  passage  en  Italie. 
A  quoi  nos  ambassadeurs  s'opposèrent  formellement, 
d'autant  qu'encore  qu'on  ne  pût  pas  dire  qu'ils  y 
auroient  consenti ,  on  eût  pu  soupçonner  que  ce 
n'eût  pas  été  sans  leur  participation ,  ce  qu'ils  ne  vou- 
loient  pas  ,  parce  qu'ils  savoient  bien  que  le  Roi  n'y 
consentiroit  jamais. 

Le 'duc  de  Savoie,  qui  avoit  une  exacte  connois- 
sance  de  tout  ce  qui  concemoit  Pignerol ,  savoit  que 
labbë  de  cette  place  en  avoit  autrefois  prétendu  être 
souverain  ;  et ,  pour  essayer  de  retenir  d'une  autre 
part  ce  qu'il  avoit  donné ,  et  avoir  prétexte  de  dire 
quelque  jour  qu'il  n'avoit  cédé  au  Roi  que  le  droit 
qu'il  avoit  lors  du  contrat ,  tâcha  par  son  ambassadeur 
à  Rome  de  la  faire  résigner  par  le  cardinal  Barberip 
en  faveur  d'un  sien  neveu. 

Mais  les  ministres  du  Roi,  qui  en  eurent  le  vent,  s'y 
opposèrent  comme  étant  l'abbaye  en  terre  de  l'obéis- 
sance de  Sa  Majesté,  de  laquelle,  par  conséquent,  elle 
prétend  avoir  la  nomination,  ou  au  moins  y  devoir 
donner  son  consentement,  principalement  quand 
cela  attire  de  grandes  conséquences  \  et  ils  obtinrent 
ladite  résignation  en  faveur  du  frère  du  sieur  Servien 
que  le  Roi  nomma.  Toutes  ces  affaires  ayant  été  par 
ce  moyen  pacifiées  et  en  Languedoc  et  en  Italie,  Sa 
Majesté  partit  de  Toulouse  le  dernier  octobre  pour  re- 
tourner à  Paris,  et  arriva  à  Versailles  le  ao  novenabre. 


238  [l632]    MÉMOIRE» 

Elle  avoit  résolu  d'aller  de  Narbonne  à  Toulouse  , 
à  Bordeaux ,  et  par  Poitiers  à  Paris  ;  mais  la  crainte 
qu'elle  avoit  que  Toiras  fit  faux  bond  à  son  service» 
lui  fit  prendre  le  chemin  de  Lyon ,  pour  aider  par  sa 
présence  à  donner  bon  succès  à  la  négociation  qu'elle 
faisoit  faire  par  Servien  pour  le  retenir  en  son  devoir. 

Tout  le  monde   crut  que  Toiras  trempoit  dans 
cette  rébellion,  pource  que  si  ses  frères  eussent  cru 
lui  déplaire  s'arrétant  dans  ce  parti ,  ils  ne  l'eussent 
pas  fait,  lui  étant  obligés  de  toute  leur  fortune,  et  dé- 
pendant de  lui  comme  ils  étoient  ^  outre  que  parmi 
les  siens  il  se  disoit  assez  ouvertement  que  le  gou- 
vernement présent  le  tenoit  dans  la  persécution,  que 
les  honneurs  qu'il  possédoit  n'égaloient  pas  ses  mé- 
rites ,  que  ses  emplois  ne  lui  étoient  donnés  que  pour 
l'éloigner;  joint  que  son  humeur  étoit  de  faire  croire 
qu'il  étoit  bien  de  tous  côtés,  et  se  vantoit  de  n'être 
pas  mal  dans  l'esprit  de  la  Reine-mère  et  de  Mon- 
sieur, témoignoit  avoir  assez  peu  de  passion  pour  les 
intérêts  du  Roi ,  nonobstant  qu'en  un  pays  étranger 
il  la  faut  redoubler ,  prenoit  plaisir  de  laisser  agiter  à 
sa  table  la  question  en  faveur  de  la  résistance  des  par- 
lemens  aux  commandemens  du  Roi,  en  quels  cas  un 
général  d'armée  peut  désobéir  à  Sa  Majesté,  et  quelles 
raisons  peuvent  rendre  juste  un  parti  contraire.  Néan- 
moins il  ne  se  déclara  jamais  ouvertement ,  soit  qu'il 
vit  incontinent  la  partie  être  mal  faite ,  soit  qu'il  re- 
connût bien  que  sa  déclaration  contre  le  Roi  l'eût 
ruiné,  et  qu'il  n'eût  pu  qu'avec  une  extrême  difficulté, 
qu'il  n'espéroit  pas  pouvoir  surmonter,  se  rendre 
maître  de  Casai ,  ni  le  conserver ,  quand  il  eût  été 
en  sa  puissance,  sans  le  livrer  aux  Espagnols,  des- 


DE   RICHELIEU.    [lÔS^î]  aSp 

quels  il  ne  pouvoit  attendre  que  misère  et  mépris. 

Le  duc  de  Savoie  eut  quelque  conférence  avec  lui 
sous  prétexte  de  TafTermir  en  son  devoir*,  mais  il  y 
avoit  aussi  apparence  de  croire  que  c'étoit  pour  pou- 
voir profiter  de  Casai ,  s'il  venoit  à  se  perdre,  plutôt 
que  les  Espagnols ,  plus  à  dessein  de  la  rendre  au  Roi 
et  tirer  de  Sa  Majesté  quelque  avantage  pour  cette 
action-là,  que  pour  espérance  de  la  garder,  sachant 
que  le  Roi  étoit  un  prince  qui  n'étoit  pas  résolu  de 
souiïrir  cette  injure  de  qui  que  ce  fût  qui  la  lui  eût 
voulu  faire. 

Mais  la  raison  qui  apparemment  le  retint  plus  fer- 
mement en  son  devoir,  fut  qu'il  voyoit  bien  qu'après 
la  défection  de  ses  frères  il  étoit  perdu  d'honneur  et 
de  réputation,  s'il  venoit  à  manquer  à  un  maître  qu'on 
ne  pouvoit  pas  dire  seulement  l'avoir  élevé,  mais  créé  ; 
ae  sorte  qu'il  eût  reçu  de  son  action  un  blâme  universel 
de  tout  le  monde,  ce  qui  lui  étoit  un  puissant  frein, 
attendu  l'orgueil  et  l'amour  de  soi-même  qui  lui 
commandoient  absolument  ;  et  que  cela  soit  vrai ,  il 
dit  souvent  à  Servien  qu'il  avoit  eu  de  grands  des- 
seins de  se  faire  souverain,  et  que  ce  lui  étoit  un 
mortel  déplaisir  que  le  Roi  l'eût  honoré  des  charges 
et  bienfaits  qu'il  lui  avoit  départis,  parce  que  cela  l'en 
avoit  diverti  ;  néanmoins  il  fut  en  branle  de  ce  qu'il 
devoit  faire  et  en  délibéra,  ce  qui  est  un  crime  en 
matière  d'Etat. 

Sur  ce  que  le  Roi ,  en  une  lettre  qu'il  écrivit  à 
Servien  au  commencement  de  juin ,  donnoit  quelque 
commandement  au  Plessis-Praslin  ,  il  dit  nettement 
audit  Servien  qu'il  ne  se  senloit  pas  assez  homme  de 
bien  pour  s'cmpécher  de  s'opposer  à  tous  ceux  qu'on 


!l4o  [1632]    MEMOIRES 

voadroit  employer  dans  Casai  à  son  préjudice.  Après 
que  le  duc  de  Montmorency  se  fut  déclaré ,  et  ses 
frères  ensuite,  il  dit  à  Servien  que  cela  le  désespé* 
roit,  pource  qu'on  pouvoit  douter  de  lui,  et  qu'il 
Youloit  aller  trouver  le  Roi ,  pourvu  que  ledit  sieur 
Servien  se  voulût  charger  du  préjudice  que  le  service 
de  Sa  Majesté  pourroit  recevoir.  Sur  quoi  ledit  Ser- 
vien lui  répondant  sagement  que  c'étoit  à  lui  à  prendre 
conseil ,  il  repartit  qu'il  étoit  sur  le  bord  du  préci- 
pice ;  que ,  si  les  ministres  se  séparoient  de  lui ,  ce 
seroit  le  porter  dans  le  désespoir  et  lui  faire  prendre 
des  résolutions  extrêmes. 

Ensuite  il  écrivit  à  Sa  Majesté,  le  i5  août ,  pour 
l'assurer  de  sa  fidélité ,  détestant  au  contraire  l'infidé- 
lité de  ses  deux  frères,  qui  étoient  avec  Monsieur , 
et  qu'à  la  première  volonté  de  Sa  Majesté  il  lui  ap- 
porteroit  sa  tête  pour  plus  grande  assurance  de  ce 
qu'il  lui  devoit. 

Mais  néanmoins ,  le  Roi  lui  ayant  doucement  té* 
moigné  désirer  qu'il  le  vint  trouver  à  Lyon  pour  lui 
rendre  compte  des  affaires  d'Italie,  il  s'en  excusaadroi- 
tementsousprétexteque,leducdeFeriayétantarrivé, 
sa  présence  y  étoit  nécessaire  pour  la  sûreté  de  Casal« 
Il  envoya  Castellan ,  lieutenant  de  sa  compagnie  de 
gendarmes ,  à  ses  frères ,  pour  les  exhorter ,  disoit^ 
il ,  à  être  serviteurs  du  Roi  ;  mais ,  ou  son  dessein  ne 
fut  pas  tel ,  ou  il  fut  inutile ,  car  Tévéque  de  Ntmes  et 
Rostinclair  demeurèrent  opiniâtrement  dans  la  rébel- 
lion; le  seul  La  Forêt  cadet,  et  le  plus  pauvre,  et 
qui  n'étoit  pas  estimé  avoir  tant  de  subtilité  d'esprit 
que  ses  frères ,  mais  moins  de  malice  et  plus  de  priK 
bité ,  demeura  fidèle  au  Roi. 


DE    niCIlBLIEU.    [1632]  241 

Le  Roi  étant  à  Lyon ,  il  envoya  son  neveu  Saint- 
Aimais  le  trouver,  le  régiment  duquel,  qui  lui  étoit 
allidé ,  mais  qui  étoit  composé  quasi  de  tous  Langue- 
dociens ,  et  qui  avoient  des  parens  auprès  de  Mon- 
sieur ,  partant  en  qui  le  Roi  ne  devoit  pas  avoir  de 
conflance,  étoit  dans  la  citadelle  de  Casai;  mais  il 
revint  de  trois  lieues  près  du  Roi  en  si  grande  dili- 
gence ,  qu'il  creva  deux  chevaux  à  son  retour ,  por- 
tant ou  feignant  porter  nouvelles  à  son  oncle  qu'on 
le  vouloit  mettre  en  prison,  pour  laquelle  éviter  il  dit 
à  Servien  qu'il  prendroit  plutôt  quarante  turbans ,  et 
eut  long* temps  de  ses  gardes  de  six  lieues  en  six 
lieues  sur  le  chemin  de  Turin  à  Lyon ,  pour  être 
plutôt  averti  de  ce  qu'on  diroit  de  lui  à  la  cour ,  tant 
il  étoit  en  grande  appréhension.  Servien  le  ramena  un 
peu ,  et  fit  qu'il  redépécha  ledit  Saint-Aunais ,  lequel , 
étant  à  la  cour ,  faisoit  instance  qu'on  lui  donnât  congé 
dy  aller,  mais  quant  et  quant  faisoit  plusieurs  de- 
mandes ix)ur  lui  peu  raisonnables.  Le  Roi ,  craignant 
c\u  il  prit  quelque  ombrage  si  Ton  consentoit  à  Tins- 
tance  c|iul  faisoit,  et  n'ayant  aucun  dessein  de  lui  mal 
faire ,  aida  à  trouver  une  excuse  pour  condescendre 
à  la  volonté  qu'il  savoit  qu  il  avoit  de  demeurer ,  et 
lui  manda  que  son  service  ne  permettoit  pas  qu'il 
laissât  Casai  de  si  loin ,  n'y  ayant  personne  pour  y 
commander. 

11  commença  à  se  fortifier  à  Casai  plus  que  jamais , 
accrut  le  régiment  de  Saint-Âunais  de  deux  compa- 
gnies ,  et ,  s'étant  aperçu  qu'un  nommé  Gaignot  avoit 
quelque  dessein  avec  Guiscardi ,  chancelier  du  Mont- 
ferrât,  de  mettre  ledit  régiment  hors  do  la  citadelle 
et  le  remplacer  d'un  autre  de  Français  en  qui  on  eut 
T.  27,  iti 


î«4^-  [lG32l]    MKMOIUKS 

plus  de  confiaiuîc ,  il  eut  bien  la  hardiesse  de  dire 
qu'on  ne  Ten  feroit  jamais  sorlir  par  force,  et  qu'il 
s'y  d(5fendroil  contre  quelque  puissance  que  ce  fût. 

Néanmoins ,  Sa  Majesté  lui  ayant  témoigné  qu'elle 
désiroit  que  le  régiment  dudit  Saint-Âunais ,  duquel 
elle  avoit  besoin,  en  sortit,  et  celui  de  Nérestan  en- 
trât en  sa  place,  joint  que,  pour  se  décharger  de  dé- 
penses ,  elle  ne  vouloit  entretenir  que  ses  vieux  ré- 
gimens  en  Italie ,  du  nombre  desquels  étoit  celui  dudit 
Nérestan ,  il  dit  qu'il  obéiroit ,  mais  qu'il  le  falloit  faire 
trouver  bon  à  M.  de  Mantoue  ^  lequel  ayant  mandé 
qu'il  souscrivoit  en  tout  aux  volontés  du  Roi , 
il  s'échappa  en  plusieurs  paroles  peu  sensées  et  qui 
procédoient  de  passion  non  gouvernée  de  raison. 
Quelquefois  il  disoit  qu'il  obéiroit ,  mais  qu'il  vouloit 
s'éclaircir  s'il  le  devoit  faire  entièrement  content,  ou 
entièrement  mécontent ,  auquel  cas  il  vouloit  aller 
chercher  fortune  près  de  l'Empereur  et  jamais  ne  re- 
tourner en  France ,  ce  qui  lui  sembloit  qui  tourne- 
roit  au  désavantage  du  Roi ,  et  que  le  bourgeois  Aj 
Paris  prendroit  sa  défense  et  en  blâmeroitSa  Majesté. 
Quelquefois  il  protestoit  avec  serment  qu'il  falloit 
qu'il  se  perdît ,  puisqu'on  le  vouloit  perdre  ;  autre 
fois,  qu'il  ne  vouloit  pas  survivre  à  la  ruine  de  sa 
famille  ^  qu'il  avoit  des  supplications  à  faire  au  Roi 
pour  elle,  et  quelques  demandes  pour  lui;  qu'il  vou- 
loit savoir  quelle  raison  on  lui  feroit.  Quelquefois  il 
disoit  qu'il  remettroit  Casai,  bien  qu'on  ne  lui  ac- 
cordât rien  de  ses  demandes  ;  puis  il  ajoutoit ,  après 
avoir  retiré  ce  qu'il  avoit  en  France.  Il  s'emporta  une 
fois  à  dire  qu'il  vouloit  être  en  sûreté  avant  qu  aller 
à  la  cour;  qu'il  ne  refuseroit  point  une  abolition ,  et 


DE    RICHELIEU.    [iGS^J  ^43 

même  qu'il  avoueroit  tout  ce  quoa  voudroit;  qu'il 
ctoit  bien  assuré  que  ses  amis  ni  le  public  n'en  croi- 
roicnt  rien ,  et  protestoit  tous  les  jours  que ,  s'il  avoit 
une  fois  failli ,  il  ne  feroit  pas  comme  les  autres ,  vou- 
lant dire  qu'il  conlinueroit  toujours  en  sa  rébellion. 
Enfin  le  cardinal,  voyant  tant  de  divers  mouve- 
mens  et  d'irrésolutions  en  cet  esprit,  en  eut  compas- 
sion, et  lui  manda  qu'il  étoit  trop  sou  ami  pour  man- 
quer à  le  prier  de  ne  suivre  pas  les  humeurs  qu'il  étoit 
capable  de  prendre  quelquefois;  qu'il  répondroit  tou- 
jours de  sa  fidélité ,  mais  qu'il  le  prioit  lui  donner  lieu 
de  répondre  que  ses  paroles  seroient  toujours  aussi 
modérées    comme  ses  effets  seroient  bons  \    qu'il 
étoit  trop  sage  et  trop  afTectionné  pour  vouloir  capi- 
tuler avec  Sa  Majesté;  mais  il  le  prioit  être  si  consi- 
déré ,  que  ceux  qui  ne  le  connoitroient  pas  comme 
lui  ne  pussent  juger  sur  de  vaines  apparences  quil 
fît  le  contraire  ;  qu'il  s'assuroit  qu'il  jugeroit  bon  que 
cette  lettre  partoit  d'un  cœur  qui  avoit  autant  de  soin 
de  la  réputation  de  ses  amis  que  de  la  sienne  propre; 
c|u 'i\  <;avoit  aussi  bien  que  lui  si ,  par  le  passé,  il  avoit 
reçu  des  léraoignages  de  son  affection  ;  que ,  se  gou- 
vernant comme  il  savoît  qu'il  feroit  envers  un  maître 
à  qui  ledit  cardinal  et  lui  dévoient  tout,  il  enrecevroit 
toujours  dudit  cardinal  qui  lui  feroient  connoitre 
qu'il  étoit  son  vrai  ami. 

Il  fit  savoir  aussi  au  sieur  Servien  qu'aussitôt  que 
M.  le  maréchal  d'EfCat  fut  décédé ,  on  pensa  à  lui 
donner  l'Auvergne;  que  ce  gouvernement  a  8,000 
écus  d'État  payés  dans  le  pays ,  ce  que  n'ont  pas  les 
autres ,  que  le  Roi  continueroit  à  lui  donner  et  lui 
donneroit  effectivement ,  et  qu'au  lieu  de  l'obliger 

16. 


!244  [l63'2]    MÉMOIRES 

de  venir  en  France,  Sa  Majesté  trouvoit  bon  qu'il  allât 
voyager  à  Lorette,  Rome,  Naples,  Venise,  Alle- 
magne et  autres  lieux  qu'il  youdroit,  pour  tant  de 
temps  que  bon  lui  sembleroit. 

Que  pour  faire  cette  affaire  honorablement ,  il  fal- 
loit  qu'il  demandât  que  le  régiment  de  Saint-Aunais 
servît  en  France  ou  qu'il  en  fût  déchargé ,  son  neveu 
étant  trop  pauvre  pour  le  pouvoir  entretenir  en  pays 
étranger  :  cela  étant ,  rien  ne  paroitrôit  à  son  désa- 
vantage ^  ains  au  contraire  que  pour  faire  la  chose 
encore  plus  honorablement,  sans  que  personne  pût 
avoir  le  moindre  ombrage ,  au  lieu  d'aller  voyager, 
le  régiment  de  Saint-Aunais  étant  sorti  d'Italie,  et 
celui  de  Nérestan  qu'on  enverroit  là  entré  dans 
Casai  ,  ledit  maréchal  pourroit  demeurer  encore 
cinq  ou  six  mois  auprès  de  M.  de  Savoie  en  la  charge 
qu'il  avoit,  après  quoi  il  prendroit  telle  route  qu'il 
voudroil. 

Que  par  cette  voie  il  se  conserveroit  les  bonnes 
grâces  du  Roi ,  l'amitié ,  l'assistance  et  le  service  de 
ses  amis,  qui  ne  lui  avoient  pas  été  inutiles,  et  qui  ne 
lui  seroient  pas  moins  aifectionnés  qu'ils  avoient  été 
par  le  passé.  La  douceur  et  délicatesse  de  ce  traite- 
ment fît  son  effet,  bien  que  non  cette  année,  mais  en 
la  suivante ,  en  laquelle ,  après  qu'il  eut  reçu  les  pro- 
visions du  gouvernement  d'Auvergne  avec  tous  les 
mêmes  avantages  que  le  maréchal  d'EfBat ,  avec  per- 
mission d'en  aller  prendre  possession  sans  venir  à  la 
cour,  il  fît  sortir  le  régiment  de  son  neveu  comme  le 
Roi  désiroit,  demandant  encore ,  outre  les  grâces  que 
le  cardinal  lui  avoit  procurées,  celle  de  l'abolition 
de  ses  frères,  que  Sa  Majesté  lui  accorda,  obligeant 


DE    RICHELIEU.    [l63'i]  24^ 

seulement  Tëvéque  de  Nimes  à  prendre  rëcorapense 
de  son  évéché. 

Dès  que  Sa  Majesté  fut  de  retour  à  Paris ,  l'ambas- 
sadeur de  Holiaude  la  vint  trouver  pour  lui  donner 
avis  d'une  conférence  qui  s'alloit  commencer  à  La 
Haye  entre  les  députés  qui  y  étoient  envoyés  de  la 
part  des  provinces  de  Flandre  obéissantes  à  TEs- 
pagne  et  ceux  des  Provinces-Unies ,  pour  raoyenner 
une  trêve  entre  le  roi  d'Espagne  et  les  Etats.  Il  dit  à 
Sa  Majesté  que  cette  affaire  étoit  commencée  sur  ce 
que  Icsdits  Etats  avoient^le  22  mai  et  le  11  septembre 
ensuivant,  fait  publier  des  déclarations  par  lesquelles, 
se  remettant  en  mémoire  les  massacres  et  cruautés 
exercées  par  les  Espagnols  èsdites  provinces  de  Flan- 
dre ,  le  dessein  qu'ils  avoient  d'y  continuer  la  guerre 
pour,  après  les  avoir  épuisées  d'hommes  et  de  biens, 
les  soumettre  plus  facilement  sous  le  joug  de  leur 
servitude,  ce  qu'ils  avoient  déjà  commencé  à  faire, 
les  ayant  privés  de  beaucoup  de  leurs  droits  et  pri- 
vilèges, ils  invitoient  les  habitans  desdites  provinces 
à  se  rometlre  en  liberté  et  s'unir  à  eux ,  avec  protes- 
tation de  les  assister  de  la  force  de  leurs  armes  ,  les 
maintenir  en  leurs  franchises  et  en  l'exercice  de  la 
religion  catholique. 

Ces  déclarations ,  faites  peu  avant  et  depuis  la  prise 
(le  Maëstricht,  qui  avoit  donné  une  grande  terreur  à 
tout  le  Pays-Bas ,  firent  naître  à  tout  ce  peuple  un 
grand  désir  qu'on  fît  quelques  ouvertures  pour  la 
paix.  Le  conseil  d'Espagne,  qui  la  désiroit  et  jugeoit 
des  deux  déclarations  susdites  que  messieurs  des 
Ktats  ne  vouloient  pas  entrer  en  traité  avec  les  agcns 
d'Espagne,  mais  seulement  avec  les  Etats  des  pro- 


246  [l()32]    MÉMOIRES 

vinces  sujettes,  se  résolut  de  le  permettre,  et  pour 
cet  effet  permit  qu'il  se  tint  une  assemblée  d'Etats 
desdites  provinces  obéissantes,  à  Bruxelles,  la  réso- 
lution desquels  fut  que  le  duc  d'Arscot  écriroit  de 
leur  part  au  prihce  d'Orange,  qui  étoit  à  Maëstricbt , 
pour  le  prier  de  donner  un  passe-port  pour  trois  de 
leurs  députés  qu'ils  y  vouloient  envoyer.  Qu'étant 
arrivés  à  Maëstricbt,  ils  traitèrent  avec  le  prince 
d'Orange  et  les  députés  des  Etats  des  Provinces- 
Unies  des  moyens  dont  ils  pourroient  convenir  pour 
mettre  fin  à  une  si  longue  guerre,  s'oflVant  que,  si 
lesdites  Provinces-Unies  l'avoient  agréable ,  ils  enver- 
roient  un  plus  grand  nombre  de  députés  pour  entre- 
prendre cette  œuvre.  Que  cela  fait  ils  s'en  retour- 
nèrent, et  que  messieurs  des  Etats  ayant  donné  avis 
de  cette  offre  à  toutes  les  Provinces-Unies  en  particu- 
lier, qui  toutes  l'eurent  agréable ,  les  Etats  de  celles 
de  la  domination  d'Espagne  avoient  envoyé  plus 
grand  nombre  de  députés  à  La  Haye  où  se  devoit 
faire  la  conférence.  Qu'il  avoit  charge  de  faire  en- 
tendre à  Sa  Majesté ,  de  la  part  de  ses  maîtres  ,  qu'il 
n'y  seroit  rien  négocié  ni  arrêté  sans  avoir  pris  au-^ 
paravant  les  avis  et  les  conseils  de  Sa  Majesté  ,  qu'ils 
lasupplioient  leur  vouloir  départir  en  une  occasion  si 
importante.  Sa  Majesté  lui  témoigna  savoir  bon  gré  à 
messieurs  les  Etats  de  la  déférence  qu'ils  lui  rendoient 
en  cette  occurrence;  qu'elle  auroit  toujours  le  plus 
agréable  ce  qui  leur  seroit  le  plus  utile;  que  la  paix 
est  la  fin  de  la  guerre,  mais  qu'ils  dévoient  soigneu- 
sement prendre  garde  que  sous  ce  nom  spécieux  de 
paix  il  n'y  eût  quelque  guerre  cachée,  et  que  lors- 
qu'ils viendroient  à  en  traiter,  elle  leur  feroit  vo- 


DE    RiCUELlcu.    ^iyj^j^j  tî/|7 

loiiliers  savoir  ses  sentimens  sur  les  conditions  qui 
\vi\v  seroient  proposées. 

Celle  assemblée  fut  ouverte  à  La  Haye  le  8  dé- 
cembre par  larcheveque  de  Malines,  qui  étoit  le 
principal  député  de  la  province  du  Brabant^  mais 
<|uaiid  ce  vint  à  voir  leurs  pouvoirs  et  entendre  les 
propositions  quilsavoienl  à  faire,  les  Etats  leur  flrent 
craulres  propositions  sur  lesquelles  les  députés  fla- 
mands disant  n  avoir  pas  pouvoir  de  traiter,  le  duc 
d'Arscot  et  quelques  autres  desdits  députés  allèrent  à 
Bruxelles,  et  promirent  de  revenir  dans  le  lo  de 
janvier  avec  Tampliation  des  pouvoirs  nécessaires. 

Le  cardinal,  quand  le  Roi  retourna  à  Paris  par  Lyon, 
prit  le  chemin  de  Bordeaux,  où  il  demeura  huit  ou 
ncurjours  à  cause  d'une  maladie  périlleuse  qui  lui  sur- 
vint, durant  laquelle  il  apprit  la  mort  du  maréchal  de 
Scliomberg,  qui  augmenta  beaucoup  son  mal. 

Céloit  un  gentilhomme  qui  faisoit  profession  d'élre 
iidcle ,  cl  tenoit  cette  qualité  de  sa  nation.  Il  avoit 
moins  de  pointe  d'esprit  que  de  solidité  de  jugement; 
il  le  montra  en  la  charge  de  surintendant  des  finances, 
ciï  huiuelle,  sans  s'être  enrichi  d'un  teston,  et  ayant 
loujours  conservé  l'intégrité  ancienne,  qui  semble 
.  n'cUe  plus  de  ce  temps,  néanmoins  les  financiers 
sous  lui  n'abusèrent  pas  peu  de  sa  facilité. 

Il  éloit  homme  de  grand  cœur,  de  générosité  et  de 
bonne  foi  ^  Dieu  l'a  signalé  en  l'exécution  de  trois 
grandes  actions  à  l'Elal,  des  plus  importantes  de  notre 
siècle. 

Il  passa  en  Ré,  commandant  Tarmce  du  Roi  avec 
lai|uelle  il  en  chassa  les  Anglais. 

Il   insisla  seul  en  Italie  à  exécuter  le  commande- 


a4^  [l()3?.]    MÉMOIRES 

ment  du  Roi  touchant  le  secours  de  Casai  ^  et,  com- 
mandant Tarmée  de  Sa  Majesté,  a  eu  l'honneur  de 
venir  h  bout  de  cette  glorieuse  entreprise;  et,  au 
dernier  soulèvement  de  Monsieur ,  il  fît  avec  moins 
de  troupes  que  n'en  a  voient  les  ennemis  le  combat 
décisif  de  la  guerre ,  et  fut  heureux  en  ce  point  que 
Dieu  livra  prisonnier  en  ses  mains  le  chef  de  Ten- 
Ireprise, 

Le  duc  d'Halluin,  son  fils ,  succéda  en  ses  charges 
et  son  gouvernement ,  en  la  survivance  desquels  il 
avoit  été  admis  auparavant.  Il  avoit  particulière  liai- 
son d'amitié  et  d'obligation  au  cardinal ,  qui  avoit 
grande  confiance  en  sa  probité,  et  reçut  la  nouvelle 
de  sa  mort  comme  une  des  plus  grandes  afflictions 
qu'il  eut  su  recevoir  de  la  main  de  Dieu. 

Le  cardinal  étoit  encore  bien  malade  (0,  non  sans 
danger  de  mort,  lorsqu'il  partit  de  Bordeaux  pour 
aller  en  Rrouage  et  s'approcher  du  Roi ,  sur  la  nou- 
velle qu'il  reçut  que  Puylaurens  avoit  porté  Monsieur 
dans  un  nouveau  désordre,  nonobstant  les  nouveaux 
sermens  et  les  paroles  qu'il  avoit  donnés  à  Dieu  et 
aux  hommes,  et  avoit  eu  le  pouvoir  sur  son  esprit  de 
le  faire  partir  de  Tours  le  6  novembre  pour  le  faire 
aller  à  Bruxelles. 

Parlant  de  Blois  il  mit  son  Ordre  dans  sa  pochette, 

(i)  />e  cardinal  ctoit  encore  bien  malade  ;  La  maladie  du  cardinal 
cioit  une  rctonlion  d^urinc.  On  crut  qu^il  en  mourroit ,  et  ses  ennemis 
reprirent  courage.  La  reine  Anne  d'Aulriclie ,  <|ui  se  irouvoit  h  Bor- 
deaux ,  donna  des  bals ,  cl  le  garde  des  sceaux  Clulteauncuf  eut  Tim- 
prndcnce  d'y  danser,  llicliclieu  ,  h  qui  Ton  avoil  |)cr&uadv  ,  pendant  sa 
maladie  ,  (|iic  toute  la  viilo  ctoil  en  urièiCb  poui  ba  i;ui'iii»uii ,  apprit ,  lois- 
«ju'il  fin  ic'lahli,  ce  qui  s'ciuii  passe  11  w  i  aiilniiua  poîul  à  CliAlcau- 
nrul ,  dont  il  .t\oit  f.iil  la  loiliiuc 


DE    RICUELIEU.    [l63^]  ')49 

<  l  changea  de  manteau  de  peur  d'cître  connu.  Son 
maître  dliôtel ,  se  jetant  à  ses  pieds,  le  supplia  de 
roiisidërer  ce  que  deviendroieni  ses  pauvres  officiers 
c|iii  avoient  pris  à  crédit  et  avance  leur  bien  pour 
son  service ,  le  sieur  de  Puylaurens  ne  leur  ayant  fait 
(IcMivrer  aucun  argent.  Il  lui  dit  qu'il  vendit  ce  qu  il 
lûssoit  d  équipage  pour  tûclier  de  les  contenter. 

Lorsqu'il  partit  de  Tours  il  n'ëtoit  accompagné  que 
de  Puylaurens ,  du  Fargis  et  de  Sauvebenf -,  arrivant 
n  Orléans  il  a  voit  quinze  on  dix-huit  chevaux. 

Il  écrivit  seulement  au  Roi  de  Montereau-Faul- 
N  onne,  le  lîi  novembre ,  suppliant  Sa  Majesté  trou- 
ver bon  qu  il  allât,  disoit-il ,  chercher  sa  sûreté  entre 
les  étrangers,  laquelle  il  présupposoit  ne  pouvoir 
avoir  en  France  ,  puisque  les  soumissions  extraordi- 
naires cl  sans  exemple  qui  Tavoient  fait  renoncer  aux 
devoirs  mêmes  auxquels  la  nature  Tobligeoit  ne  lui 
avoient  pu  faire  obtenir  de  Sa  Majesté  la  vie  du  duc 
de  Montmorency,  laquelle,  bien  qu'on  ne  lui  eût  pas 
jironiise,  on  lui  avoitfait  espérer,  pourvu  qu'il  ren- 
dit au  Roi  les  soumissions  qu'on  désiroit  de  lui,  qui 
rtoient  les  plus  basses  qu'eût  pu  faire  le  moindre  de 
ses  sujets. 

Sa  Majesté  reçut  cette  lettre  à  Romorantin ,  mais 
ne  lui  fit  réponse  qu'à  Saint-Germain-en-Laye  le  aS, 
et  lui  manda  que,  comme  il  avoit  avoué  à  lîéziers 
«pic  pour  s'éloigner  de  la  cour  il  avoit  pris  des  pré- 
loxlcs  sans  apparence ,  ainsi  savoit-il  en  sa  conscience 
«iue  ceux  qu'il  prenott  lors  étoient  sans  fondement; 
que  ni  Sa  Majesté  ne  lui  avoit  fait  donner  espéiance 
<lo  pardonner  au  duc  do  Montmorency,  ni  ne  l'auroît 
\y\  îaiie  avci  juslico;  <|u'il  avoit  tort  de  dire  c|uc  sans 


2DO  [l632]   MÉMOIRES 

celte  espérance  qu'on  lui  avoit  donnée  il  ne  se  fui 
pas  soumis  aux  conditions  que  Sa  Majesté  lui  avoit 
présentées ,  vu  qu'il  étoit  réduit  à  tel  point  qu'il  ne 
pouvoit  autrement.  Enfin  Sa  Majesté  le  pripit  de  ren- 
trer en  son  devoir  au  plus  tôt. 

Nos  histoires  sont  pleines  d'exemples  du  rigou- 
reux traitement  des  rois  envers  leurs  enfans  et  leurs 
frères  en  cas  de  rébellion  moindre  que  celle-ci. 

Le  Roi  s'est  contenté  de  simples  soumissions  de 
Monsieur,  son  frère  y  d'aveu  de  sa  faute  commise ,  et 
promesses  de  n'y  plus  retourner  à  l'avenir.  A  qui 
importe  plus  l'honneur  de  la  royauté  qu'à  celui  qui 
en  est  l'héritier  présomptif?  De  quoi  se  peut-il  rai- 
sonnablement plaindre  s  il  s'est  humilié  devant  son 
frère ,  de  qui  il  est  autant  sujet  que  le  moindre  de 
ses  sujets?  On  ne  lui  a  point  promis  la  vie  du  duc 
de  Montmorency  ^  on  lui  a  toujours  dit  qu'il  devoit 
remettre  cette  affaire  à  la  seule  volonté  du  Roi.  II 
devoit  plutôt  tirer  de  là  une  assurance  certaine  qu'il 
envouloitfaire  justice,  que  non  pas  en  concevoir  une 
espérance  qu'il  le  vouloit  délivrer^  aussi  ne  fut-ce 
pas  là  le  vrai  sujet  de  sa  retraite.  Puylaurens  n'avoit 
point  vu  jusqu'alors  d'exemple  de  justice  en  des  per- 
sonnes considérables  ;  il  croyoit  être  si  assuré  à  cause 
du  rang  qu'il  tenoit  près  de  son  maître,  qu'il  avoit 
même  été  si  fou ,  comme  nous  avons  dit  ci-devant , 
de  dire  au  sieur  de  BuUion  qu'il  n'avoit  que  faire  de 
la  grâce  du  Roi ,  et  qu'étant  près  de  Monsieur  per- 
sonne ne  l'cntreprendroit.  H  vit  que  le  Roi  avoit  fait 
faire  justice  du  duc  de  Montmorency,  nonobstant  la 
grandeur  de  sa  maison  et  de  toutes  ses  alliances,  et 
que  le  bien  de  l'État  cloit  de  plus  de  considération 


DE    RICHELIEU.    [iGSîà]  ïSl 

auprès  des  ministres  que  leur  inlërét  et  leur  propre 
vie  ;  cela  lui  fit  croire  qu'on  se  pourroit  prendre  à  lui 
s'il  ctoit  coupable  et  manquoit  à  son  devoir:  or  il  se 
sentoit  coupable  de  n'avoir  pas  révélé  au  Roi  tout 
ce  qui  s'étoit  passé  contre  son  service  au  dernier 
éloigneraent  de  son  maître^  et  de  ne  lui  avoir  point 
avoué  le  mariage  que  Monsieur  avoit  contracté  avec 
la  princesse  Marguerite,  dont  il  savoit  bien  néanmoins 
que  Sa  Majesté  avoit  connoissance  par  autre  voie. 
I) autre  part,  il  prévoyoit  que  Sa  Majesté  ne  souf- 
IViroit  pas  que  ce  mariage  eût  lieu,  auquel  il  prenoit 
un  particulier  intérêt ,  non-seulement  parce  qu'il 
en  avoit  été  le  principal  promoteur,  mais  pour  la  pas- 
sion qu  il  avoit  pour  la  princesse  de  Phalsbourg,  qui 
lui  avoit  promis  de  l'épouser  à  l'exclusion  du  comte 
d'Harcourt  qu'elle  avoit  refusé.  Les  charmes  de  l'a- 
mour et  celui  de  l'ambition  d'être  beau-frère  de  son 
maître  s'élant  également  emparés  et  de  son  cœur  et 
de  son  esprit ,  il  espéra ,  faisant  sortir  Monsieur  en- 
core une  fois ,  de  pouvoir  réduire  les  affaires  à  telle 
extrémité  que  le  Roi  seroit  contraint  d'y  donner  son 
consentement.  Mais  il  ne  proposa  pas  à  Monsieur  les 
objets  qui  le  mouvoient,  pource  qu'ils  n'eussent  peut- 
êlre  pas  été  de  même  force  envers  le  maître  qu'envers 
l(!  serviteur  *,  mais  il  le  gagna  de  la  part  de  la  crainte, 
lui  remontrant  que  l'on  n'avoit  exécuté  le  duc  de 
Montmorency  que  pour  le  rendre  un  objet  de  mépris 
à  tout  le  royaume ,  et,  cela  fait,  n'y  ayant  plus  per- 
sonne ([ui  à  l'avenir  os;lt  se  mettre  de  son  parti,  faire 
de  lui  ce  ([u'on  voudroil;  que  le  Roi  le  haïssoit,  le 
cardinal  étoit  son  ennemi,  et  qu'il  n'en  devoit  ja- 
mais attendre  (|uc  de  la  rigueur. 


'25  l  [iLVil]    MEMOIRES 

Monsieur  ,  qui,  comme  Vordinairc  du  naturel  des 
•princes  encore  jeunes  et  non  expérimentés,  étoit 
prompt  à  concevoir  de  hautes  espérances  au  delà  du 
terme  auquel  il  pouvoit  arriver,  ne  le  fut  pas  moins 
aussi  à  se  laisser  aller  à  une  crainte  peu  raisonnable 
et  mal  fondée  ,  conçut  et  appréhenda  si  vivement 
TeiFet  des  paroles  de  Puylaurens ,  dans  lequel  il  ne 
soupçonnoit  aucune  trahison,  que,  sans  délibérer,  il 
part  de  Tours  et  s'en  va  à  Bruxelles ,  où  il  arrive 
le  ai  novembre. 

Ayant  représenté  ce  qui  s'estpassé  en  France  cette 
année ,  retournons  en  Allemagne  trouver  le  roi  de 
Suède,  où  nous  l'avons  laissé  ravager  toute  la  Bavière 
et  se  rendre  maître  de  la  Souabe,  comme  Walstein , 
de  son  côté,  avoit  reconquis  la  plupart  de  la  Bohême 
à  son  maître,  et  attaqué  le  duc  de  Saxe  dans  ses  États. 

Le  duc ,  fort  timide  de  son  naturel ,  et  ennemi  de 
h  guerre,  avoit  une  grande  inclination  à  s'accommo- 
der avec  l'Empereur ,  et ,  dès  le  mois  de  décembre  de 
Tannée  précédente  ,  s'étoit  abouché  avec  Fridland 
sur  ce  sujet,  et  depuis,  par  l'entremise  de  son  général 
Arnhcim ,  avoit  commencé  un  traité  avec  lui ,  dont 
les  Suédois  avoient  une  grande  jalousie  5  mais  Wals- 
tein ny  pretoit  l'oreille  que  pour  le  tromper,  et  dès 
(fu'il  eut  assemblé  une  armée  qui  lui  sembloit  sufli- 
sante,  il  fit  dessein  de  surprendre  Arnheim  qui  com- 
mandoit  celle  de  Saxe ,  et  l'eût  fait ,  si  ledit  Arnheim 
u  eût  de  sa  part  usé  de  la  même  ruse,  et,  l'entretenant 
depromesses,  n'eût  envoyé  en  une  nuitson  bagagedc- 
vant ,  vers  Pirna ,  et  fait  passer  le  pont  de  Leulmerilz 
à  toute  son  armée  et  rompre  le  pont  après  lui  ^  dont 
Walstein  eut  tant  de  regret  qu'il  exerça  de  grandes 


DE  lOcuELiEU.  [i63a]  a53 

cruautiis  sur  les  malades  de  Tarmce  qui  ëloienl  restés 
dans  le  camp  ;  puis ,  laissant  contre  le  duc  de  Saxe  le 
général  Holc  avec  des  troupes  sufljsantes  pour  s  op- 
poser à  son  armée ,  il  s'en  alla  ,  en  juin  ,  avec  trente 
mille  hommes  au  haut  Palatinat ,  et  ravage  le  pays  à 
Icnlour  de  Nuremberg ,  pour  rappeler  le  roi  de  Suède 
de  la  Bavière  et  de  la  Souabe. 

Dès  que  ledit  Roi  en  eut  avis,  il  part  de  Donawert, 
et  donner  le  rendez-vous  de  toules  ses  troupes  à  Nu- 
remberg, et  va  cependant  prendre  Suitzbach ,  où, 
nonobstant  la  foi  promise ,  le  gouverneur  et  tous  ceux 
des  siens  qui  ne  voulurent  pas  prendre  parli  en  Tar- 
mée  suédoise  furent  tues  ,  en  revanche,  disoit-il ,  de 
semblable  mauvais  traitement  qu'ils  avoient  fait  aux 
leurs;  mais  aussi ,  à  peu  de  jours  de  là ,  quelques  ca- 
valiers suédois ,  entre  lesquels  étoient  descolonelsde 
réputation ,  étant  tombés  prisonniers  entre  les  mains 
des  Bavarois ,  furent  tués  de  sang-froid.  Il  vint  de 
là  en  diligence  à  Nuremberg ,  pour  retenir  cette  ville 
si  importante  en  la  fidélité  de  son  parti  ;  mais  n'ayant 
que  vingt  mille  hommes  ,  et  Walstein  étant  campé  à 
deux  lieues  de  là ,  il  se  retrancha  aussi  devant  lui, 
et  ne  voulut  pas  hasarder  le  combat.  Banier  vint  peu 
après  se  joindre  à  lui,  et  le  duc  de  Bavière  ,  d'autre 
côté,  vint  avec  AIdringuer ,  les  reliques  de  l'armée 
de  Tilly  et  douze  mille  hommes  qu'il  avoit  levés  de 
nouveau ,  se  joindre  à  Walstein  ,  qui  n'avoit  rien  en- 
trepris jusqu'à  son  arrivée,  estimant  faire  assez  d'ar- 
rêter le  cours  violent  des  victoires  du  roi  de  Suède, 
et  le  retenir  comme  assiégé  dans  son  camp.  Mais  enfin 
les  maladies  commencèrent  à  travailler  son  armée, 
i|ui  éloit  retranchée  en  un  lieu  bas  et  marécageux, 


u54  [^632j    HEMOIKES 

avoit  manque  d'eau ,  qu'il  ne  pouvoit  prendre  que  de 
la  rivière  à  laquelle  ceux  qui  étoient  logés  un  peu 
loin  ne  pouvoient  pas  venir  sans  combaltre  avec  les 
ennemis ,  de  sorte  qu'ils  étoient  contraints  de  faire 
des  puits  dont  l'eau  étoit  fangeuse;  ils  manquoient 
aussi  de  vivres  et  de  fourrages  qu'il  leur  falloit  faire 
venir  de  loin  -,  l'arrivée  du  duc  de  Bavière  augmentoit 
toutes  ces  difficultés.  L'armée  suédoise  au  contraire 
étoit  munie  de  tout  ce  qu'il  lui  falloit^  car;  outre  la 
ville  de  Nuremberg  qui  étoit  proche  d'elle  ,  elle  avoit 
la  Franconie  qui  abondoit  en  blés  et  en  vins  ,  et  de 
plus  la  Hesse  et  le  Wurtemberg.  Le  roi  de  Suède 
néanmoins  ne  pouvoit  souffrirde  combattre  seulement 
son  ennemi  par  les  incommodités,  et,  peu  après  que 
Banier  fut  Joint  à  lui,  tire  son  armée  hors  de  ses  re- 
tranchemens,  et  la  met  à  la  vue  de  son  ennemi,  le  pro- 
voquant à  la  bataille.  Walstein,  quoique  la  moitié  plus 
fort  que  lui,  ne  l'osoit  accepter,  considérant  qu'en 
son  armée  consistoit  toute  la  force  de  l'Empire  et  le 
salut  de  l'État  de  son  maître,  qui  n'avoit  plus  de  res- 
source s'il  perdoit  cette  armée- là. 

Le  roi  de  Suède,  ayant  demeuré  jusques à  quatre 
heures  en  bataille,  ramène  son  armée  dans  le  camp, 
et,  à  quelques  jours  de  là,  essaya  la  nuit  de  forcer 
les  retranchemens  des  ennemis  ;  ce  qu'il  fit ,  mais  il 
fut  repoussé  par  ladiligcnce  et  le  courage  d'Aldringuer. 

Le  roi  de  Suède,  voyant  qu'il  ne  pouvoit  venir  à 
bout  de  son  dessein ,  laisse  son  camp  en  son  entier , 
et  à  Nuremberg  une  suffisante  garnison,  et  tourne 
tête  avec  son  armée  vers  la  Franconie  le  19  septembre. 

Walstein  demeure  ,  quatre  jours  après ,  dans  son 
camp ,  et  ayant ,  durant  ce  temps ,  tenté  en  vain  de 


DE    RICnELIEU.    [lÔSîl]  ^55 

1  clirer  Nuremberg  du  parti  suédois ,  il  partit  le  24  sep- 
tembre, et  prend  aussi  la  route  delà  Franconie,  après 
avoir  envoyé  Gallas  en  la  Silésie  pour  y  arrêter  les 
progr(*s  que  Ârnheim  y  faisoit. 

J.c  roi  de  Suède  envoya  le  duc  Bernard  de  Weimar 
avec  douze  mille  hommes  après  Walstein  pour  le  cô- 
toyer, et  lui  s'en  alla  au  secours  du  Passage ,  sur  la 
rivière  du  Lech  en  Bavière,  assiégé  par  les  Bavarois  ; 
et  trouvant  la  ville  rendue,  l'assiégea  et  la  prit  en  trois 
jours,  et  s'avança jusques  à  Neubourgsur  le  Danube. 

Walstein  cependant  prit  sa  route  en  la  forêt  de 
Thuringe  par  la  Misnie,  contre  le  duc  de  Saxe,  se 
rendit  maître,  dans  la  fin  d'octobre,  de  la  ville  de 
Leipsick  qu'il  prit  de  force,  et,  ayant  dessein  démettre 
son  armée  en  garnison  dans  la  Misnie ,  il  se  résolut 
d  assiéger  Torgau,  ne  croyant  pas  qu'elle  y  pût  être 
sûrement  si  cette  ville  n'étoit  en  sa  puissance.  Mais 
le  roi  de  Suède ,  en  ayant  avis,  craignit  que  Walstein 
opprimât  le  duc  de  Saxe  -,  et  laissant  en  Bavière  la 
plus  grande  partie  de  son  armée  sous  la  conduite  de 
(Jiristicrn  Palatin,  qui  étoit  général  de  la  cavalerie, 
marcha  en  diligence  avec  le  reste  de  ce  côté-là,  et  vint 
jusques  à  Erfurt,  où  il  trouva leduc  de  Weimar  qui 
se  joignit  à  lui,  et  quelques  autres  que  le  duc  Guil- 
laume, son  frère,  avoit  nouvellement  levés,  le  tout 
faisant  environ  douze  mille  hommes  et  huit  cents  che  - 
vaux,  avec  lesquels  ledit  Roi  s'avança  à  Naumbourg. 

Walstein  avoit  été  fortifié  depuis  quelques  jours  de 
Pappenheim  qui  étoit  revenu  de  Flandre,  où  il  avoit 
essayé  deforcerlesretranchemensdu  prince  d'Orange 
devant  Maéstricht,  et  avoit  amené  audit  Walstein 
douze  mille  vieux  soldats.  Ledit  Walstein ,  seconfiaut 


'^5()  [1632]    MÉMOIRES 

au  grand  nombre  de  gens  de  guerre  qu'il  avoit ,  cxcé- 
.dant  de  beaucoup  celui  du  roi  de  Suède  ,  ayant  avis 
que  ledit  Roi  avoit  quitté  la  Bavière  pour  rclourncr 
vers  lui  et  défendre  le  duc  de  Saxe,  qu'il  menoit  mal , 
se  résolut  de  laller  rencontrer,  et  de  ne  pas  refuser  la 
bataille  si  elle  lui  étoit  présentée.  Il  s  avança,  le  4  no- 
vembre ,  jusqu'à  Lutzen ,  qui  n'est  éloigné  que  de  dix 
heures  de  chemin  de  Leipsick ,  de  là  vint  à  W<3issen- 
felds  sur  la  rivière  de  Saale  -,  ce  qu  ayant  fait,  il  voulut 
encore  occuper  Naumbourg,  qui  est  de  l'autre  côté  de 
ladite  rivière^  mais  le  roi  de  Suède  le  prévint  et  se 
rendit  maître  de  ce  logement,  où,  voyant  l'armée 
ennemie  beaucoup  plus  forte  que  la  sienne,  il  se 
retrancha ,  en  attendant  le  secours  qu'il  espéroit  des 
ducs  de  Saxe  et  de  Lunebourg,  et  y  demeura,  pour 
ce  sujet,  arrêté  quelques  jours. 

Walstein  se  fortilia  aussi  de  son  côté  à  Wcissen- 
felds  ;  mais  ayant  avis  que  le  comte  Henri  de  Bergues 
menaçoit  d'assiéger  Cologne,  il  y  envoya  Pappenheim 
avec  une  partie  de  son  armée ,  et  lui ,  avec  le  gros ,  se 
mit  en  chemin  pour  aller  à  Leipsick. 

Le  roi  de  Suède,  le  i4  du  mois ,  s'allant  promener 
accompagné  de  quelque  peu  de  cavalerie,  apprit  con- 
fusément cette  nouvelle  par  des  paysans  qui  lui  dirent 
que  l'armée  ennemie  étoit  séparée ,  que  Walstein  lo- 
geoitàl'enlourdeLutzen,  et  que  Pappenheim  étoitallé 
à  Halle ,  distant  de  cinq  lieues  dudit  Lutzen  ^  ce  qui 
lui  fit  prendre  résolution  d'attaquer  ledit  Walstein  et 
donner  le  rendez-vous  à  toute  son  armée  auprès  de 
Naumbourg  où  il  laissa  son  bagage,  et  s'avança  à  Weis- 
senfclds  où  il  délit  quelques  Croates  de  l'armée  de 
AValslcin,  qui  n'éloil  encore  qu'à  Lutzen,  où  étant 


DE  RICHELIEU.   [l63a]  ^Sj 

averti ,  le  lendemain  1 5 ,  de  rapproche  du  roi  de 
Suède,  il  dépécha  en  diligence  à  Pappeoheim  pourrit 
prier  de  le  venir  secourir  promptement.  Pappenheim, 
ayaut  reçu  cet  ordre ,  se  mit  incontinent  en  chemin 
avec  une  partie  de  son  armée ,  et  donne  commande- 
ment au  reste  de  le  suivre  le  plus  tôt  qu'ils  pourroient. 
Le  roi  de  Suède ,  de  son  c6té,  marcha  droit  ce  jour- 
là  à  Lutzen,  conduisant  Taile  droite,  le  duc  Bernard 
de  Weimar  la  gauche ,  et  Kniphansen  la  réserve.     > 
Lutzen  est  une  méchante  petite  ville,. distante  de 
dix  mille  pas  de  Leipsick  et  de  cinq  lieues  seulement 
du  lieu  où  Tilly ,  Tannée  précédente,  avoit perdu  la  ba- 
taille. Le  roi  de  Suède,  en  étant  arrivé  à  une  heure  de 
chemin ,  trouva  un  grand  fossé  difficile  à  passer ,  où 
les  ennemis ,  qui  avoient  eu  Talarme ,  avoient  jeté 
quelques  régimens  de  cavalerie  et  de  dragons  \  son 
aile  gauche  passa  la  première,  poussant  les  Impé- 
riaux qui  y  laissèrent  une  cornette.  Le  Roi  de  son 
côté  fit  tirer  quelques  volées  de  canon  et  passer  le 
comte  d'Eberstein  avec  mille  mousquetaires  au-delà 
du  fossé  ;  ce  qui  contraignit  les  ennemis  de  se  retirer 
au  quartier  de  leur  général ,  et  lors  l'alarme  fut  doja- 
née  de  tous  côtés.  Cependant  le  roi  de  Suède  £ûfoit 
avancer  son  armée  le  plus  diligemment  qu'il  pouvoit; 
mais  la  nuit  survenant  auparavant  qu'elle  fût  tonte 
passée ,  il  fut  contraint  d'attendre  an  lendemain  ;  «t 
dès  la  pointe  du  jour  il  commanda  de  marcher  droit 
à  Lutzen ,  donnant  le  mot  :  Dieu  sdt  m^ec  nom;  iffi 
se  trouvant  à  un  quart  de  lieue  près  des  ennemis  »  il 
s'éleva  un  brouillard  si  épais  qu'il  ne  put  passer  pfaw 
avant ,  apprit  par  àM  prisonniers  que  les  ennemis 
lattendoient  en  bataille  rangée. 

T.    27.  17 


a58  [1632]   MÉMOIRES 

Pappenheim  arriva  en  ce  temps,  les  troupes  daquel 
Walsteiu  disposa  en  lieu  auquel  il  crut  qu^elles  ne 
seroient  pas  silôl  attaquées ,  afin  de  leur  donner 
moyen  de  se  rafraîchir,  étant  lasses  du  chemin  qu'elles 
avoient  fait. 

Les  généraux  animèrent  leurs  soldats  au  combat  ^ 
le  roi  de  Suède ,  de  paroles  qu'il  avoit  à  commande- 
ment ;  Walsteiu ,  par  sa  seule  présence  et  la  sévérité 
de  son  silence ,  semblant ,  par  son  regard ,  faire  en<> 
tendre  à  ses  soldats  qu  ainsi  qu'il  avoit  accoutumé 
de  faire ,  il  les  récompenseroit  ou  châtieroit ,  selon 
qu'ils  auroient  bien  ou  mal  fait  en  cette  importante 
occasion. 

Sur  les  dix  heures  du  matin  le  brouillard  se  dissipa, 
et  lors  seulement  le  roi  de  Suède  reconnut  les  Impé- 
riaux en  leur  ordre.  Us  avoient  devant  eux  six  bat- 
teries de  six  canons  chacune,  et  deux  fossés  fort  creux 
aux  deux  côtés  d'un  grand  chemin  qui  étoit  à  leur  tête, 
et  pleins  de  mousquetaires  ^  à  leur  droite  étoit  la  ville 
de  Lutzen,  et  à  leur  gauche  un  ruisseau  non  guéable  ; 
et  nonobstant  ces  avantages  il  ne  laissa  de  s'avancer 
à  eux  en  fort  bel  ordre. 

Les  Impériaux  commencèrent  à  tirer  trois  volées  de 
canon  dont  les  boulets  tombèrent  fort  proche  dudit 
Roi ,  qui  après  changea  de  cheval  et  en  prit  un  moins 
harassé.  Il  fit  venir  à  lui  le  duc  Bernard  de  Weimar, 
Im  disant  qu'il  étoit  temps  de  donner,  et  qu'il  avan-^ 
çât  \e  premier  ;  ce  qu'il  fit  à  l'instant  môme ,  non  sans 
un  grand  effort  à  soutenir ,  ayant  la  ville  de  Lutzen 
qui  le  flanquoit  à  gauche ,  et  en  tête  les  batteries  en- 
nemies qui  faisoient  sur  lui  de  furieuses  décharges  : 
néanmoins,  après  une  très-grande  résistance ,  il  chassa 


DE   RICHELIEU.    [1682]  ^Sq 

las  ennemis  hors  de  leurs  fossés,  gagna  leur  canon ,  et 
contraignit  ceux  qui  étoient  dans  Lutzen,  fermé  de 
méchantes  murailles ,  de  Fabandonner  y  ayant  mis 
le  feu. 

Le  roi  de  Suède  de  son  côté  fatsoit  aussi  merveilles, 
ayant  pareillement  poussé  les  Impériaux  hors  des  fos- 
sés et  gagné  une  partie  de  leurs  canons  ;  et  voyant 
que  les  ennemis  branloient,  il  prit  seulement  avec 
soi  le  régiment  de  cavalerie  suédoise  de  Steimbar ,  et  ' 
parlant  à  tous,  leur  dit  qu'il  les  prioit  de  le  suivre 
et  se  comporter  en  gens  de  bien.  Il  s'avança  au-delà 
des  deux  fossés,  et  prit  encore  une  batterie  de  canons 
des  Impériaux ,  et  passant  auprès  de  la  batterie ,  il 
ôta  son  chapeau  et  rendit  grâces  à  Dieu  de  la  victoire 
qu'il  lui  donnoit. 

Mais  deux  régimens  de  cuirassiers  ennemis  s'avan* 
cant  à  lui  en  bataille,  ledit  Roi  chargea  le  plus  proche, 
el  entra  si  avant  dans  la  mêlée  que  son  cheval  eut  un 
coup  de  pistolet  au  travers  du  cou,  et  ensuite  il  en 
reçut  un  lui-même  qui  lui  rompit  entièrement  le  bras 
gauche  ^  son  chapeau  tomba  aussi  ;  et  comme  il  se 
sentit  blessé,  il  se  retira  du  combat,  accompagné  seu- 
lement du  duc  François  Albert  de  Saxé-Lauenbourg, 
qui  étoit  volontaire  auprès  de  lui  et  qui  avoit  depuis 
deux  mois  quitté  le  service  de  TEmpereur,  proche 
de  Nuremberg.  Il  conduisoit  ledit  Roi  pour  le  sauver, 
et  le  mena  tout  le  long  entre  les  deux  armées  :  comme 
il  marchoit  à  côté  de  lui,  il  vint  un  cavalier,  nommé 
ïalkemberg  ,  lieutenant  colonel  d'un  régiment  de 
cavalerie  impériale,  qui  poussant  à  toute  bride  droit 
au  Roi ,  sans  que  personne  crût  qu'il  fut  des  ennemis  « 
lui  tira  de  dix  pas  un  coup  de  pistolet  qui  lui  donna 


26o  [l63a]   MÉMOIRES 

au  milieu  du  dos  et  qui  le  fît  tomber  à  terre  ;  à  Tins- 
tant  rëcuyer  du  duc  François  courant  après  le  cava- 
lier, lui  donna  un  coup  d'épëe.  Le  Roi  ëlant  à  terre, 
Lasbelfîn,  qui  étoit  un  de  ses  gentilshommes,  sortant 
de  la  méiëe  d'avec  les  ennemis,  et  trouvant  ledit  Roi 
à  terre ,  le  pria  de  monter  sur  son  cheval  et  se  sau- 
ver, voyant  les  ennemis  venir  à  lui  ;  mais  il  ne  pou- 
voit  quasi  plus  parler,  et  arriva  trois  cavaliers  impé- 
riaux qui  demandèrent  à  Lasbelfin  le  nom  du  blessé; 
il  ne  le  voulut  nommer ,  et  leur  dit  qu'il  y  avoit  appa- 
rence que  c'étoit  quelque  officier  :  f]9ichés  de  sa  ré- 
ponse ,  ils  lui  donnèrent  deux  coups  d'ëpée  et  de 
pistolet,  le  dépouillèrent,  prirent  son  cheval  et  le 
laissèrent  pour  mort ,  comme  on  Ta  su  depuis  de  lui- 
même,  qui  mourut  cinq  jours  après.  Ensuite  Tun  d'eux 
donna  au  Roi  un  coup  de  pistolet  dans  la  tempe ,  qui 
Tacheva,  et  encore  quelques  coups  d'épée,  et  puis  le 
dépouillèrent,  ne  lui  laissant  que  sa  chemise. 

Au  même  temps ,  sur  les  deux  heures  après  midi , 
le  général  Pappenheim  fut  tué  d'une  mousquetade,  et 
cependant  les  ennemis ,  avec  toutes  leurs  forces  ras- 
semblées ,  attaquoient  avec  une  grande  furie  le  duc 
Bernard  de  Weimar ,  bien  étonné  d'où  lui  venoit  tant 
de  nouvelles  troupes  sur  les  bras.  Le  sieur  Truxes , 
gentilhomme  de  Sa  Majesté,  qui  étoit  au  combat  avec 
ledit  Roi,  ne  put  sortir  assez  tôt  de  la  mêlée  pour  le 
suivre  ;  et  comme  il  se  retiroit  vers  l'armée ,  voyant 
donner  le  coup  de  pistolet  au  dos  dudit  Roi,  et  ne 
pouvant  s'avancer  vers  lui  à  cause  des  ennemis  qui 
le  poursuivoient ,  il  trouva  le  sieur  Greilsheim,  son 
grand-maitre  d'hôtel,  auquel  il  dit  la  blessure  du  Roi 
demeuré  au  milieu  des  Impériaux ,  et  en  donDèrent 


DE   R1CHEU£U.    [l63a]  a6l 

promptement  eux-mêmes  avis  au  duc  Bernard,  qui  à 
Tinstantalla  trouver  le  général  major  Kniphausen,  qui 
commandoit  la  réserve  de  la  bataille ,  qui  n  avoit  point 
encore  combattu ,  lui  dit  en  secret  la  mort  du  Roi ,  et 
lui  demanda  son  avis.  Kniphausen  Tassura  que  ses 
troupes  étoient  en  bon  ordre,  et  que  ledit  duc  Ber- 
nard pouvoit  faire  une  belle  retraite.  A  quoi  il  repar- 
tit qu'il  ne  falioit  pas  penser  à  cela ,  mais  à  mourir  ou 
gagner  la  bataille,  et  rendre  leur  vengeance  aussi  mé- 
morable que  leur  perte.  Il  prit  lors  le  commandement 
de  toute  Tarmée,  et  donna  ordre  au  régiment  de 
Steinboc  de  le  suivre ,  et  donna  de  Tépée  au  travers 
du  corps  du  lieutenant  colonel  qui  faisoit  difficulté 
d  obéir.  De  là  il  s'avança  aux  autres  régimens  dispo- 
sés à  bien  faire,  les  ayant  excités  par  ses  paroles  et 
par  son  exemple,  et  au  même  temps  il  alla  au  combat, 
qui  fut  merveilleusement  opiniâtre.  Les  ennemis  re- 
prirent leur  canon  jusqu'à  trois  fois;  il  fut  enfin  re- 
gagne^ encore  par  Weimar  sur  le  soir,  qui  le  fit  tour- 
ner contre  eux,  et  avec  un  si  furieux  effet  que  cela 
donna  le  branle  à  la  victoire,  qui  fut  disputée  jusqu'à 
la  nuit ,  à  la  faveur  de  laquelle  les  Impériaux  lâchèrent 
entièrement  le  pied  et  se  retirèrent  vers  Leipsick,  et 
de  là  à  Lemnitz  et  Zwickau  pour  gagner  la  Bohême. 

Il  fut  fait  un  grand  carnage  d'eux ,  et  le  désordre 
fut  si  grand  en  leur  fuite,  que  leur  cavalerie,  rencon- 
trant leur  propre  bagage  auprès  de  Leipsick,  le  pilla 
comme  si  c'eût  été  celui  de  l'ennemi. 

Pappenheim  mourut  d'une  mousqnetade  en  cette 
bataille,  et  dit  qu'il  mouroit  content  puisque  le  roi 
de  Suède  étoit  mort  avant  lui.  Ce  fut  le  capitaine  le 
plus  courageux  et  le  plus  heureux  de  tous  ceux  de 


26a  ['63'i]    MÉMOIHES 

FEmpereur,  et  qui  pour  marque  de  sa  valeur  avoit 
cent  cicatrices  sur  lui. 

La  nuit  suivante  fut  une  des  plus  horribles  dont 
on  ai^cuï  parler ,  à  cause  des  morts  et  du  cri  des  mou- 
rans  blessés  de  part  et  d'autre,  épaudus  dans  le  champ 
de  bataille,  où  le  duc  de  Weimar  demeura  jnsqu^au 
lendemain. 

Il  y  eut  six  mille  hommes  de  mofts ,  la  plupart 
Impériaux ,  grand  nombre  de  blessés  qui  moururent 
presque  tous  depuis ,  et  trente-six  pièces  de  canoa 
des  ennemis  prises. 

Ledit  duc,  après  avoir  retiré  tous  les  blessés  en 
champ,  en  partit  sur  les  dix  heures  du  matin,  et  s'en 
alla  avec  son  armée  à  Weissenfelds  qui  ne  savoit  en- 
core ri«n  de  la  mort  de  son  chef,  qu'il  avoit  eu  soin 
d'envoyer  retirer  par  le  sieur  Truxes  et  autres  le 
jour  précédent ,  lorsqu'il  prit  le  commandement  de 
l'armée  et  alla  charger  les  ennemis.  Ledit  Truxes  le 
mit  sur  un  chariot  d'artillerie,  prenant  son  temps 
lorsque  les  ennemis  furent  un  peu  éloignés  du  lieu 
où  il  l'avoit  remarqué ,  car  tantôt  ils  s^avancoient  et 
tantôt  reculoient ,  allant  d'une  place  à  l'autre  selon  le 
choc  qu'ils  donnoient  ou  fecevoieiit ,  et  la  variété  du 
jour,  où  l'on  voyoit  un  perpétua  changement  de 
pluie  et  de  beau  temps. 

Étant  arrivé  k  Weissenfelds  il  fit  assembler  tous 
les  officiers,  et  leur  dit  que  le  Roi  ëtoit  mort,  et  qu^il 
étoit  résol  u ,  après  une  si  grande  perte  et  une  si  grande 
victoire ,  de  poursuivre  les  ennemis  et  de  continuer 
une  si  juste  vengeance.  Tous  les  colonels  louèrent 
son  dessein ,  et  commanda  aux  troupes  de  marcher  ; 
et,  après  qu'elles  furent  au  rendez-vous,  il  fit  ame-^ 


DE   RICHELIEU.    [l63a]  l63 

ner  le  corps  du  Roi  au  devant  de  Tarniëe,  qu'il  haran- 
gua ,  disant ,  entre  autres  choses ,  qu'il  ne  vouloit  pas 
celer  davantage  le  malheur  qui  étoit  arrivé  de  la  mori 
d'un  si  grand  prince ,  et  les  conjuroit  tous ,  par  la 
gloire  qu'ils  avoient  acquise  en  le  suivant,  de  lui  ai- 
der à  en  prendre  vengeance ,  et  à  faire  voir  à  toute 
la  terre  qu'il  commandoit  à  des  soldats  qui  l'ont  rendu 
invincible  et,  après  la  mort  même ,  la  terreur  de  ses 
ennemis.  Toute  l'armée  répondit  en  criant  qu'ils  le 
suivroient  partout  où  il  voudroit ,  et  jusques  au  bout 
du  monde. 

Après  ces  choses  le  duc  de  Weimar  s'avança  vers 
Lemnitzet  Zwickau,  sur  la  même  route  des  ennemitf 
faisant  porter  le  corps  du  roi  de  Suède  au  milieu  de 
la  bataille,  accompagné  de  ses  deux  régimens  des 
gardes,  l'espace  de  quinze  jours  durant.  Il  prit  les 
deux  places  là  où  s'étoit  retiré  le  reste  de  l'infanterie 
des  ennemis ,  et  ensuite  sépara  son  armée.  Kniphau- 
sen  alla,  sous  le  duc  de  Lunebourg,  assiéger  Ha- 
raeln,  ville  en  Westphalie,  et  le  duc  Bernard  prit  le 
chemin  de  la  Franconie ,  ayant  fait  conduire  le  corps 
du  Roi  à  Wolgast ,  et  de  là  en  Suède ,  en  grande 
pompe  et  cérémonie.  Arnheim  joignit  ledit  duc  de 
Weimar ,  qui  ne  se  retira  point  en  ses  quartiers  d'hi- 
ver qu  il  n'eût  premièrement  repris  Leipsick  et  toutes 
les  autres  places  de  la  Misnie  dans  lesquelles  Walstein 
a  voit  laissé  garnison,  et  qu'il  n'eût  chassé  tous  les 
Impériaux  des  Etats  du  duc  de  Saxe. 

La  mort  du  roi  de  Suède  est  un  exemple  mémo- 
rable de  la  misère  humaine,  ne  lui  étant  pas,  à  l'ins- 
tant de  sa  mort,  resté  de  tant  de  provinces  qu'il  avoit 
conquises  sur  ses  voisins,  et  tant  de  richesses  qo*il 


i6^  [1632J  mémoihes 

avoit  gagnées  en  Allemagne ,  une  seule  chemise  pour 
couvrir  son  infirmité,  Torgueil  de  sa  naissance  et  de 
la  réputation  de  ses  armes ,  qui  Télevoit  au-dessus  de 
plusieurs  grands  monarques,  ayant  été  abattu  jusques 
à  ce  point  que  d'être  foulé  aux  pieds  des  chevaux 
amis  et  ennemis,  et  si  égal  aux  corps  des  moindres 
soldats  entre  lesquels  le  sien  étoit  gisant,  meurtri  et 
souillé  de  sang ,  que  ses  plus  familiers  mêmes  eurent 
peine  à  le  reconnoître  pour  lui  rendre  Thonneur  de 
la  sépulture.  Telle  fut  la  fin  de  toute  sa  grandeur. 

Le  Pape,  ayant  cette  nouvelle,  alla  en  l'église  natio- 
nale des  Allemands  dire  une  messe  basse.  Les  Espa- 
gnols ,  qui  vouloient  que  ce  Roi ,  qui  ne  faisoit  la 
guerre  qu'à  leur  ambition  et  en  faveur  des  princes 
qu'ils  avoient  opprimés ,  fût  estimé  comme  si  le  but 
de  ses  armes  étoit  la  destruction  de  l'Eglise ,  se  plai- 
gnirent hautement  de  ce  que  le  Pape  n'avoit  point 
fait  chanter  le  Te  Deum  et  tirer  le  canon  en  signe  de 
réjouissance,  ce  qui  fut  fait  le  lendemain,  qui  étoit 
un  dimanche,  à  l'issue  de  la  chapelle:  les  uns  disoient 
que  c étoit  sur  le  sujet  de  ladite  mort,  les  autres  sur 
celui  de  l'élection  du  roi  de  Pologne  dont  l'avis  étoit 
venu  au  même  temps. 

Le  roi  de  Suède  fut  fils  du  duc  Charles ,  oncle  de 
Sigismond,  roi  de  Pologne,  qui  le  laissa  son  lieute- 
tenant  général  en  Suède  quand  il  alla  recevoir  la  cou- 
ronne de  Pologne  à  laquelle  il  avoit  été  élu.  Il  se  re- 
bella dans  peu  de  temps  ^  sous  prétexte  de  la  reli- 
gion ,  et ,  après  plusieurs  guerres  et  plusieurs  années , 
s'enhardit  de  prendre  le  titre  de  roi.  Après  sa  mort, 
Oustave  son  fils ,  dont  nous  parlons  maintenant ,  lui 
succéda  âgé  de  dix-sept  ans ,  qui  avoit  déjà  beaucoup 


DE    RICHELIEU.    [l63si]  l65 

voyage  et  donnoit  une  grande  espérance  de  soi ,  la- 
quelle il  confirma  par  ses  actions ,  car  il  eut  inconti- 
nent guerre  avec  les  Polonais,  les  Danois  et  les  Mos- 
covites, qu'il  attaqua  Tnn  après  l'autre ,  et  emporta 
de  chacun  d'eux  quelque  province.  Enfin  il  vint  en 
Allemagne,  où  il  brisa  et  fracassa  tout  ce  qui  s'opposa 
à  lui  ;  et  si ,  après  la  bataille  de  Leipsick,  il  eût  été 
droit  attaquer  l'Empereur  en  ses  provinces  hérédi- 
taires ,  aussi  bien  comme  il  tourna  l'effort  de  ses  ar- 
mes contre  les  évéques  et  les  électeurs  catholiques , 
pénétrant  jusques  à  Mayence,  Spire  et  Worms  deçà 
le  Rhin ,  c'étoit  fait  de  la  maison  d'Autriche ,  vu  qoe 
la  moindre  victoire  qu'il  eût  remportée  en  ce  lieu-là , 
qui  lui  étoit  facile,  toutes  ses  forces  ayant  été  défaites 
à  Leipsick,  elle  n'avoit  plus  de  ressource  ni  de  lieu 
où  pouvoir  rassembler  un  corps  d'armée ^  où,  au 
contraire ,  tandis  que  ledit  Roi  s'amusa  contre  les  au- 
tres princes ,  toutes  les  provinces  qui  n'avoient  point 
été  affligées  de  la  guerre  leur  fournirent  de  gens  de 
guerre ,  de  munitions  et  de  moyens  de  remettre  sur 
pied  et  entretenir  une  armée  deux  fois  plus  grande 
que  celle  qu'elle  avoit  eue  auparavant.  Mais ,  ou  Dieu 
ne  vouloit  pas  l'entière  destruction  de  cette  maison , 
qui  eût  peut-être  été  lors  trop  préjudiciable  à  la  re- 
ligion catholique,  et  détourna  le  roi  de  Suède  du 
conseil  qui  lui  étoit  avantageux  de  prendre,  ouïe 
même  Dieu ,  qui  ne  donne  pas  tout  à  tous ,  mais  di- 
vise ses  dons  diversement  à  un  chacun ,  avoit  donné 
à  ce  roi ,  comme  à  Annibal ,  la  science  de  vaincre  , 
mais  non  pas  celle  d'user  de  la  victoire. 

Il  étoit  prince  savant,  qui  parloit  beaucoup  de 
langues ,  accort  et  affable ,  et  qui  savoit  l'art  de  la 


a66  [l632]   MÉMOIRES 

guerre  parfaitement ,  et  avoit  pris  plaisir  de  le  mettre 
en  pratique  depuis  son  avènement  à  la  couronne,  et 
non-seulement  donnoit  les  commandemens ,  mais  les 
faisoit  exécuter  lui-même  en  personne. 

Il  avoit  accoutumé  de  dire  qu'un  roi  n'étoit  pas  di- 
gne de  porter  la  couronne  sur  la  tête ,  qui  faisoit  dif- 
ficulté de  la  porter  partout  où  un  simple  soldat  pon- 
Yoit  aller  :  aussi  courut-il  souvent  fortune  d*étre 
pris,  et  eut  quantité  de  coups  sur  lui,  et,  entre  les 
autres ,  un  sur  Tépaule ,  dont  la  balle  lui  étoit  demeu- 
rée ,  ce  qui  Tempécha  de  pouvoir  prendre  sa  cuirasse 
à  la  bataille  de  Lutzen. 

Ceux  qui  cherchent  les  ténèbres  dans  la  lumière 
du  soleil,  et  trouvent  à  reprendre  en  la  même  vertu, 
le  blâment  d'être  mort  en  soldat  -,  mais  ils  ne  se  sou- 
viennent pas  que  tous  les  princes  conquérans  sont 
obligés  de  faire  non-seulement  Toffice  de  capitaine  , 
mais  de  simple  soldat ,  et  d'être  les  premiers  dans  les 
périls  pour  y  animer  les  soldats,  qui  ne  s'y  basarde- 
roient  pas  sans  eux.  N'a-t-on  pas  vu  Alexandre  sauter 
du  haut  des  murailles  dans  une  ville ,  et  soutenir  tout 
un  temps  l'effort  de  tout  le  peuple  qui  l'y  vint  as- 
saillir? Et  César  prit-il  pas  dans  un  combat  le  bouclier 
du  premier  de  ses  légionnaires ,  se  mit  à  pied  h  la 
tête  de  tous  les  siens ,  pour  combattre  ses  ennemis  ? 
Et  une  autre  fois  il  se  jeta  si  courageusement  dans  le 
péril,  qu'il  fut  contraint  de  s'exposer  à  la  nage,  et  de 
sa  hardiesse  est  demeuré  ce  proverbe  :  que  rien  ne 
peut  vaincre  César  et  sa  fortune. 

Le  Suédois  mourut  d'autant  plus  glorieusement  que 
l'un  et  l'autre ,  qu'il  est  plus  convenable  à  la  condition 
d'un  grand  capitaine  et  d'un  conquérant  de  mourir 


DR    RICHELIEU.    [l63a]  %&] 

Tépëe  il  la  main ,  faisant  son  tombeau  du  corps  de  ses 
ennemis  dans  le  champ  de  sa  victoire ,  que  d'être  baï 
des  siens  ou  poignardé  des  mains  de  ses  plus  proches, 
ou  mourir  empoisonné  et  enseveli  dans  le  vin. 

Cette  dernière  bataille  est  mémorable  encore,  en 
ce  que ,  et  les  Impériaux  et  les  Suédois  ont  tous  deux 
prétendu  en  avoir  remporté  la  victoire  :  les  Suédois 
pour  le  grand  carnage  qu'ils  firent  de  leurs  ennemis , 
le  champ  de  bataille  qui  leur  demeura  avec  le  bagage 
et  le  canon  ^  les  Impériaux  pour  la  mort  du  roî  de 
Suède,  qui  valoit  seul  plus  que  toutes  les  deux  ar- 
mées ,  et  en  la  personne  duquel  ils  prétendoient  qne 
consistoit  la  victoire  et  Theureux  succès  de  toute  la 
guerre ,  espérant  désormais  avoir  bon  marché  de  tout 
le  parti  destitué  d*un  tel  chef. 

Ils  avoient  raison  de  faire  tant  d'estime  de  )a  pep» 
sonne  de  ce  prince ,  et  néanmoins  ils  furent  trompés 
en  Tespérance  qu'ils  avoient  que  tout  seroit  divisé 
après  sa  mort,  car  il  avoit  eu  tant  de  prévoyance ,1 
(|u  ayant  fait  reconnoitre  en  Suède  sa  fille  pour  son 
héritière,  il  avoit  destiné  en  Allemagne  Oxenstiem,^ 
au  cas  qu'il  mourût,  pour  avoir  la  direction  des  zî^ 
faires  et  le  souverain  commandement  des  armes  ,  de 
manière  que  sa  mort  n'étonna  point  en  sorte  le  parti 
(|u  il  ne  demeurât  en  état  de  pouvoir  continuer  la 
guerre.  Outre  que  si  la  mort  du  roi  de  Suède  ôtoit  au 
parti  un  si  grand  capitaine,  aussi  délivroit-elle  tous  les 
princes  collègues  de  la  jalousie  qu'ils  commençoient 
à  avoir  de  ce  conquérant,  qui,  bien  que  sage,  com-» 
mençoit  néanmoins  à  s'emporter  à  quelques  paroles 
insolentes  contre  ces  princes,  et  les  mettoit  à  une 
disposition  plus  affermie  de  demeurer  dans  l'union 


!l68  [l63aj    MÉMOIRES 

de  la  ligue  de  Leipsick,  vu  principalement  qu'ils  se 
voyoient  commander  dix  armées  dans  FAllemagne , 
avoir  les  deux  liers  du  pays  et  les  principales  villes  à 
leur  dévotion  ,  et  étoient  entrés  en  connoissance  de 
leurs  forces ,  à  faute  de  laquelle  ils  avoient  reçu , 
durant  quelques  années,  une  dure  loi  de  ceux  aux- 
quels ils  étoient  capables  de  la  donner. 

La  nouvelle  de  cette  mort  hâta  le  cardinal  de  re- 
tourner vers  le  Roi ,  pour  résoudre  avec  Sa  Majesté 
ce  qu'il  falloit  faire  en  un  accident  si  important  et  si 
inopiné ,  et  arriva  à  Paris  peu  après  la  fin  de  Tannée. 
Le  Roi  le  vint  voir  deux  jours  devant  à  Rochefort ,  où 
le  regret  de  sa  maladie  passée ,  mêlé  avec  le  conten- 
tement de  le  revoir  en  santé,  le  fît  tenir  long-temps 
embrassé  sans  lui  parler  que  de  soupirs  et  de  larmes 
de  douleur  et  de  joie ,  reconnoissant  la  grâce  évi- 
dente de  Dieu  en  ce  qu'il  n'étoit  tombé  malade  qu'a- 
près la  fîn  du  mouvement  de  Languedoc,  et  que  la 
bonté  divine  lui  avoit  rendu  la  santé  au  temps  qu'il 
étoit  nécessaire  de  consulter  le  remède  qu'il  falloit 
apporter  aux  affaires  d'Allemagne ,  desquelles  dépen- 
doit  la  paix  générale  de  la  chrétienté. 


DE    RICHELIEU.    [l633]  169 


LIVRE    XXIV. 

[i633]  La  vie  de  Thoinme,  mais  principalement 
celle  d'un  souverain  qui  a  nne  grande  monarchie  à 
gouverner ,  est  bien  proprement  comparée  à  un  jeu 
de  dés  auquel ,  pour  être  heureux,  il  faut  que  le  jeu 
en  die  et  que  le  joueur  sache  bien  user  de  sa  chance: 
or ,  de  ces  deux  choses  la  première  n'est  pas  en  notre 
puissance;  elle  dépend  de  la  fortune,  c'est-à-dire  de 
la  Providence  divine  dont  la  raison  nous  est  incon- 
nue ;  mais  la  seconde ,  qui  est  de  bien  recevoir  ce 
qui  nous  est  envoyé ,  et  disposer  par  prévoyance  toutes 
les  choses  qui  nous  arrivent ,  en  sorte  que  si  elles 
sont  bonnes  elles  nous  soient  beaucoup  avantageuses, 
ou  nous  apportent  peu  de  dommage  si  elles  sont  mau- 
vaises 'j  cela  est  au  pouvoir  et  du  devoir  du  prince 
s'il  est  sage  et  doué  de  la  prudence,  qui  est  la  propre 
vertu  dès  rois. 

Nous  avons  vu  les  années  dernières  survenir  beau- 
coup d'accidens  qui  pouvoient  apporter  du  mal  et  du 
bien  à  ce  royaume  ;  et  Dieu ,  qui  est  l'esprit  du  con- 
seil ,  la  donné  si  bon  au  Roi  que  ce  qui  sembloit  de- 
voir causer  une  ruine  totale  à  cet  État  lui  a  fait  peu 
de  dommage ,  et  ce  dont  il  sembloit  devoir  tirer  peu 
d  avantage  lui  a  été  un  surcroit  de  gloire  inespérée. 

L'Empereur  et  le  roi  d'Espagne  avoient  joint  leurs 
armes  en  Italie  contre  nous  ;  une  grande  partie  des 
princes  de  cette  province  étoient  par  nécessité  unis 
à  leur  parti ,  les  autres  par  passion;  si  quelqu'un  as- 
sistoit  celles  du  Roi ,  c'étoit  si  foiblement  que  son  se* 


a^O  [l633J   MÉMOIRES 

coars  étoit  plutôt  une  neutralité  qu'une  assistance. 
La  Reine-mère  et  Monsieur  étoient  hors  du  royaume 
quant  k  leurs  personnes ,  mais  ils  y  demeuroient  quant 
à  leur  faction^  les  mauvais  sujets  et  les  voisins  de  Sa 
Majesté  se  rallioient  à  eux.  Monsieur  entre  à  main 
armée  dans  le  royaiune;  le  plus  puissant  des  gouver-- 
neurs  de  la  plus  signalée  province  se  déclare  ouver- 
tement pour  lui  ;  plusieurs  autres  n'attendent  que  le 
temps  pour  pouvoir  faire  sûrement  de  même.  Le  doc 
de  Lorraine  est  particulièrement  de  la  partie.  Néan- 
moins le  Roi ,  par  une  conduite  singulière  de  Dieu , 
qui  anime  et  fait  prospérer  tous  ses  conseils ,  ordonne 
toutes  ces  choses  avec  tant  d'avantage  pour  sa  gloire  et 
pour  le  bien  de  son  Etat,  que  le  mal  de  l'entrée  de 
Monsieur  en  son  royaume ,  et  la  conjuration  avec  lui 
de  tous  ses  voisins  et  sujets,  se  terminent  à  quelque 
petite  incommodité  seulement,  et  de  pea  de  durée, 
de  la  province  du  Languedoc,  et  au  contraire  l'utilité 
qn^il  en  remporte  eât  l'accroi^ementde  sa  réputation, 
la  terreur  de  ses  armes,  la  conquête  de  quelques  places 
de  la  Lorraine ,  et  surtout  la  créance  certaine  qa*un 
chacun  conçoit  que  Dieu  l'a  en  particulière  protec- 
tion ,  ce  qui  fait  qu'on  est  plus  retenu  à  l'oser  atta- 
quer à  l'avenir.  Nous  avons  à  pourvoir  en  cette  année 
à  deux  accidens  non  moins  imprétus  ni  moins  im- 
portans  à  ce  royaume  que  ceux-là.  Monsieur ,  que, 
avec  tant  d'amitié  et  de  tendresse,  le  Roi  a  voit  réuni 
à  soi,  s'est  remis  en  la  puissance  de  ses  ennemis,  et 
ce  avec  d'autant  plus  de  péril  pour  cet  État,  que  la 
dernière  rechute  est  toujours  la  plus  dangereuse  ;  et 
le  roi  de  Suède ,  qui  sembloit  être  la  pierre  qui  de- 
voit  briser  cette  grande  stfttue  de  la  raltison  d'jUrtri^ 


DE   HICUELIEU.    [lG33J  ^71 

che ,  a  éié  réduit  en  poudre  en  la  bataille  de  Lutxen, 
dont  le  courage  est  autant  accru  aux  ennemis  du  Roi 
qu'au  contraire  il  est  affoibli  à  ses  alliés.  Voyons  de 
quels  moyens  Sa  Majesté  s'est  servie  pour  éviter 
en  ce  rencontre  le  mal  qui  étoit  à  craindre,  ou  le 
diminuer,  et  en  tirer,  pour  le  bien  de  la  répu- 
blique chrétienne ,  tout  Tavantage  qui  s*en  pouvoit 
recevoir. 

Peu  de  jours  après  que  le  cardinal  ftit  arrivé,  ne 
jugeant  pas  que  les  affaires  requissent  que  Ton  perdit 
temps  au  conseil  que  Ton  devoit  prendre  sur  celles 
d'Allemagne,  il  représenta  au  Roi,  le  premier  janvier, 
qu  en  l'état  où  elles  étoient  lors ,  la  première  chose 
à  laquelle  le  Roi  devoit  tendre  étoit  de  tâcher  à  faire 
par  argent ,  quoi  qu'il  en  pût  coûter ,  continuer  la 
guerre  en  Allemagne  et  en  Hollande  sans  que  le  Roi 
fût  obligé  de  se  mettre  ouvertement  de  la  partie ,  k 
condition  que  ceux  qui  recevroient  l'argent  du  Roi 
ne  pourroient  faire  la  paix  ni  la  trêve  sans  l'y  com-* 
prendre,  en  sorte  que  par  après  les  ennemis  ne  pour- 
roient rompre  avec  l'on  des  confédérés  sans  rompre 
avec  tous. 

Mais  que  si  on  ne  pouvoit  parvenir  à  cette  fin ,  et 
qu'on  vit  clairement  que  la  lassitude  que  les  protes- 
tans  d'Allemagne  avoient  de  la  guerre ,  les  divers  in- 
térêts qu'Oxenstiern  et  les  Suédois  pou  voient  avoir  ^ 
l'inclination  que  le  prince  d'Orange  avoit  au  repos 
pour  les  considérations  particulières  de  sa  maison , 
dévoient,  par  raison,  fadre  craindre  et  prévoir  un 
accommodement  des  affaires  ^ 

Qu'il  étoit  à  délibérer  si  le  Roi  devoit  plutôt  entrer 
en  rupture  avec  la  maison  d'Autriche,  conjointement 


272  [l633J    UËMOIBES 

avec  les  protestans  d'Allemagne  et  les  Hollandais  « 
que  de  s'exposer  à  laisser  faire  la  paix  ou  la  trêve  sans 
y  être  compris  ^  qu'il  étoit  certain  que  si  la  paix  se 
faisoil  en  Allemagne  et  la  trêve  en  Hollande,  ou 
Tune  des  deux  seulement ,  la  France  auroit  à  sup- 
porter seule  une  guerre  défensive ,  qu'on  lui  appor- 
teroit  jusques  dans  ses  entrailles,  sans  qu'elle  la  pût 
éviter,  en  laquelle  le  parti  de  Monsieur  et  de  la 
Reine  se  rendroient  aussi  puissans  qu'ils  étoient  lors 
de  nulle  considération  -, 

Que  d'autre  part,  si  on  entroit  en  rupture  lors, 
il  sembleroit  qu'on  chercheroit  de  gaîté  de  cœur  la 
guerre  que  l'on  n'auroit  que  par  nécessité  \ 

Qu'on  estimeroit  qu'on  se  porteroit  volontairement 
à  un  mal  pour  en  éviter  un  pire,  dont  le  temps  peut- 
être  nous  garantiroit  par  quelque  accident  et  voie 
qu'on  ne  pouvoit  prévoir,  ainsi  qu'il  avoit  garanti  la 
chrétienté  de  beaucoup  de  maux  par  la  mort  du  roi 
de  Suède  -, 

Que  ceux  qui  avoient  autant  d'imprudence  que  de 
zèle  pour  la  religion ,  crieroient  comme  si  on  la  vou- 
loit  perdre  -,  que  partant  il  plairoit  au  Roi  bien  penser 
à  la  résolution  qu'il  devoit  prendre  eu  cette  occasion  ; 

Que  s'il  se  résolvoit  à  se  joindre  aux  protestans  et 
se  déclarer  ouvertementcontre  la  maison  d'Autriche, 
ceux  qui  revenoient  fraîchement  d'Allemagne  esti- 
moient  qu'il  le  pouvoit  faire  aux  conditions  et  avan- 
tages suivans : 

Que  la  religion  seroit  conservée  par  les  protestans 
en  tous  les  lieux  où  elle  étoit  avant  la  guerre  ^ 

Qu'ils  remettroient  entre  les  mains  du  Roi  tout  ce 
qu'ils  tenoient  au-deçà  du  Rhin ,  savoir  est  Mayence 


DE    RIGHBUËU.    [l633]  1^3 

et  tout  ce  qui  est  de  Tëvéché  deçà  le  Rhin ,  dont  les 
principaux  lieux  cHoient  Bkigen,  Longten^  tout  le 
Palatinat  au-deçà  du  Rhin  »  dont  les  principaux  lieux 
étoient  Bacharach .  Kreutzuach  y  Oppeuheim ,  Franc-* 
kendal,  Hermechtin,  et  autres  de  moindre  consi<* 
dération  -,  tout  ce  qui  est  de  FAlsace  et  ëvéchë  de 
Strasbourg,  dont  les  principaux  étoient  Benfeld  et 
Schelestadt,  et  autres  petites  villes; 

Qu'ils  aideroient  à  prendre  Brisach  et  Philisbourg , 
et  remettroient  entre  les  mains  du  RoiCaub  etMan- 
heim ,  qui  étoient  du  Palatinat  delà  le  Rhin  ; 

Qu'ils  ne  feroient  jamais  ni  paix  ni  trêve  û\  traité 
aucun  sans  le  consentement  de  la  France  ; 

Qu'on  pourroit  aussi  obtenir  des  Hollandais  :  pre- 
mièrement ,  que  la  religion  seroit  conservée  en  tous 
les  lieux  de  leur  nouvelle  conquête  ; 

Secondement ,  d'attaquer  conjointement  toute  la 
côte  de  la  mer  et  en  laisser  la  possession  au  Roi, 
comme  lui  appartenant  ; 

Que ,  moyennant  tout  ce  que  dessus ,  les  protestant 
d'Allemagne  ne  demanderoient  au  Roi,  sinon  qu'il 
s'obligeât  à  rompre  ouvertement  avec  la  maison  d'Au- 
triche ,  soit  en  Allemagne ,  soit  en  Italie ,  soit  en 
Flandre;  et  qu'au  cas  qu'il  rompit  hors  l'Allemagne 
il  eût  une  armée  en  Alsace  prête  à  les  secourir  s'ils  en 
avoient  besoin  ; 

Que  les  Hollandais  demanderoient  particulièrement 
que  le  Roi  rompit  en  Flandre  conjointement  avec 
eux ,  et  tous  deux ,  que  Sa  Majesté  ne  pût  jamais 
traiter  ni  paix  ni  trêve  sans  leur  consentement,  et 
qu'elle  se  fit  pour  tous  ;  ce  q#  seroit  réciproque  en 
toutes  les  parties  ; 

T.  a;.  18 


2^4  [ï633J    MÉMOIRES 

Qu'il  sembloit  que  les  avantages  du  Roi  ëtoient 
grands  en  ce  parti ,  et  le  péril  petit  ^ 

Les  avantages  grands,  parce  que,  d'un  côté,  il 
ëtendroit  son  royaume  jusqu'au  Rhin  sans  coup  frap- 
per, n'ayant  qu'à  recevoir  des  places  qu'il  n'avoit 
pas  conquises ,  et  que ,  tenant  les  gages  en  main ,  il 
seroit  arbitre  de  la  guerre  et  de  la  pait ,  qu'on  ne 
pourroit  faire  sans  lui,  vu  le  dëpôt  dont  il  seroit  en 
possession  ; 

Que  ce  dépôt  lui  donneroit  grand  pied  sur  Stras- 
bourg, la  Franche-Comté  et  le  Luxembourg,  etbri- 
deroit  de  telle  sorte  M.  de  Lorraine,  que  sa  malice  ne 
pourroit  plus  nuire  ^ 

Que  le  péril  seroit  petit ,  parce  que  la  guerre  étant 
conjointement  avec  les  Alleinands  et  les  Hollandais , 
les  ennemis  ne  pouvoient  en  façon  quelconque  la  por- 
ter en  France ,  ni  favoriser  Monsieur  pour  l'y  faire  ; 

Qu'au  reste ,  il  ne  faudroit  guères  tenir  plus  de  gens 
de  guerre  sur  pied  pour  faire  cette  guerre ,  qu'on  ëtoit 
contraint  d'y  en  avoir  lors  pour  se  garantir; 

Qu'au  moins  pouvoit-on  dire  avec  vérité  que  les 
deniers  qu'on  donnoit  aux  Hollandais  et  aux  protes- 
tans  d'Allemagne  ,  qui  ne  se  donneroient  plus,  et  ce 
que  l'on  épargnoit  de  la  dépense  de  la  Reine  et  de 
Monsieur,  sufBroient  pour  l'augmentation  du  nombre 
de  geus  de  guerre  qu'il  faudroit ,  et  nous  sortirions  du 
péril  où  nous  étions  d'avoir  seuls  la  maison  d'Autriche 
sur  les  bras  ;  ce  que  difficilement  pouvoit-on  éviter 
autrement,  y  ayant  grande  apparence  que,  sans  cela, 
la  paix  d'Allemagne  ou  ia  trêve  de  Hollande  se  feroit  ; 
Qu'il  y  avoit  encop  à  considérer  que ,  comme  la 
guerre  avec  ces  deux  puissances  seroit  sans  péril,  on 


UK    RICHELIEU.    [l633J  2^5 

pouvoit  dire  qu'elle  seroit  un  chemin  à  une  paix  qui 
seroit  sûre ,  puisque  la  maison  d'Autriche ,  avec  qui 
on  ia  feroit ,  ne  la  sauroit  rompre  avec  une  des  parties 
qu  elle  ne  rompît  avec  les  autres^  ce  qu'elle  n'oseroit 
jamais  entreprendre  ^ 

Qu'on  pouvoit  dire  davantage  que  c'étoit  le  seul 
moyen  de  faire  la  paix  ,  vu  l'infidélité  de  la  maison 
d'Autriche,  qui  ne  garderoit  jamais  aucun  traité  qu'elle 
fît  s'il  n'étoit  fait  en  sorte  qu'elle  ne  pût  le  rompre 
sans  se  perdre  ;  ce  qui  ne  se  pouvoit  qu'en  traitant 
avec  toutes  les  puissances  susdites  conjointement  ; 

Qu'il  pourroit  même  arriver  que  l'union  qu'on  feroit 
pour  la  guerre  produiroit  la  paix  sans  en  venir  aux 
armes,  tant  parce  que  la  maison  d'Autriche ,  ayant  en 
ce  cas  plus  à  craindre  que  jamais,  condescendroit  plus 
aisément  à  des  conditions  raisonnables ,  que  parce  que 
si  les  Allemands  et  les  Hollandais  étoient  en  disposi- 
tion de  la  faire,  ils  parachèveroient  leurs  traités  d'au- 
tant plus  volontiers  que  le  Roi  les  y  porteroit,  et  qu'ils 
verroient  que  son  intervention  en  rendroit  la  garantie 
plus  assurée  ^ 

Que  ces  raisons  sembloient  si  pressantes ,  qu'au  cas 
qu  on  ne  pût  empêcher  la  paix  d'Allemagne  et  la  trêve 
de  Hollande  par  argent,  sans  entrer  en  rupture  ou- 
verte avec  la  maison  d'Autriche ,  ce  qu'il  falloit  tenter 
par  toutes  voies  sans  y  rien  épargner,  on  estimoit 
qu'il  valoit  mieux  faire  l'union  susdite,  qui  tcndoit  à 
une  paix  universelle  par  une  courte  guerre,  que  de 
s  exposera  supporter  seul  et  promptement  une  longue 
guerre  dans  ses  entraillea ,  laquelle  assurément  on  ne 
sauroit  éviter  si  la  paix  d'Allemagne  ou  la  trêve  de 
Hollande  se  faisoit; 

18. 


a^Ô  [l633j    MÉMOIRES 

Et  qu'en  ce  cas  les  clameurs  excitées  par  des  zëlës 
imprudens  n'ëtoient  pas  considérables,  qu'il faudroit 
seolement  y  opposer  des  manifestes ,  qui  feroient  voir 
que  le  Roi  n'avoit  autre  but  que  dé  procurer  une 
bonne  paix  à  la  chrétienté  et  assurer  ta  religion  partout. 
Qu'aussi  peu  devoit-on  faire  état  des  dépenses 
qu'il  £iudroit  faire,  tant  parce  qu'elles  ne  seroient 
pas  beaucoup  plus  grandes  pendant  la  guerre  qu'alors , 
que  parce  qu'il  valoit  mieux  les  faire  telles  qu'elles 
pussent  être  utiles  et  courtes  en  attaquant,  quelongues 
et  inutiles  en  se  défendant  ^  joint  que  toutes  les  gar- 
nisons des  places  qu'on  recevroit  en  Allemagne  se 
pourroient  quasi  entretenir  par  les  contributions  du 
pays; 

Qu'aussi  peu  devoit*on  mettre  en  ligne  de  compte 
la  pensée  de  ceux  qui  estimeroient  qu'on  cherchât 
la  guerre  de  galté  de  cœur ,  tant  parce  qu'on  ne  s'y 
porteroit  que  par  nécessité ,  en  tant  que  la  raison  nous 
oblige  de  choisir  de  deux  maux  le  moindre ,  que  parce 
que  qui  voudroit  se  régler  par  le  jugement  du  vul- 
gaire iroit  aussi  souvent  à  sa  perte ,  comme  en  prenant 
le  contre-pied  on  trouve  d'ordinaire  son  salut  ; 

Qu'aussi  peu  devoit-on  faire  cas  de  l'imagination 
de  ceux  qui  voudroient  que  nous  attendissions  du 
hasard  le  remède  du  mal  que  nous  devons  justement 
craindre  ,  puisque  la  prudence  ne  le  permet  pas , 
ains  nous  oblige  de  prévoir  et  prévenir  ce  que  nous 
avons  juste  sujet  d'appréhender  ; 

Que  la  difficulté  qui  devoit  être  plus  considérée  en 
cette  affaire ,  étoit  le  peu  de  gens  capables  de  faire  la 
guerre  qui  étoientlorsen  France.  Sur  quoi  on  pour- 
roit  prendre  un  expédient  qui  remédieroit  à  cet  in- 


DE    RICHELIEU.    [l033J  377 

coQvëiiieut  et  déchargeroit  le  Roi  d'un  grand  aoin  ^ 

Qu'il  consistoit  à  convenir  avec  le  prince  dX)range 
des  conquêtes  qui  se  feroient ,  et  lui  donner  la  con- 
duite et  le  commandement  de  toutes  les  armes ,  le 
Roi  n  ayant  autre  soin  que  d'y  envoyer  et  entretenir 
un  maréchal  de  France  et  deux  ou  trois  maréchaux  de 
camp,  douze  mille  hommes  de  pied,  deux  mille  che- 
vaux et  tout  le  reste  de  ce  qui  étoit  requis  à  une  armée^ 

Qu'en  ce  cas  la  guerre  se  feroit  aisément,  en  tint 
qu'il  ne  resteroit  autre  soin  au  Roi  que  d'entretenir 
un  autre  corps  d'armée  en  TAlsace ,  sous  le  comman* 
dément  de  deux  maréchaux  de  France  et  deux  ma- 
réchaux de  camp  bien  choisis;  ce  qui  se  feroit  tafis 
grande  difficulté  et  sans  frais  insupportables  ; 

Qu'il  y  avoit  grande  apparence  que  le  prince  d*0- 
range  tiendroit  à  faveur  ce  parti  qui  lui  seroit  fort 
honorable,  en  tant  que  le  Roi  lui  donneroit  ses  armes 
à  commander,  et  lui  témoigneroit  la  confiance  de  Sa 
Majesté; 

Que  si  le  Roi  se  résolvoil  à  se  déclarer  en  une  &çon 
ou  en  l'autre ,  il  falloit  avoir  un  grand  soin  de  fiâre 
agir  les  seigneurs  mécontens  de  Flandre,  selon  la  pror 
position  du  comte  d'Egmont. 

Le  Roi ,  suivant  cet  avis ,  commença  à  tenter  tous 
les  moyens  possibles  de  faire  continuer  la  guerre  en 
Allemagne  et  eu  Hollande  contre  la  maison  d'Autriche, 
sans  être  obligé  à  se  déclarer  pour  ce  sujet.  Pour  cet 
effet,  il  envoya  en  diligence,  en  même  temps,  ses 
ambassadeurs  vers  l'Empereur ,  Télecteur  de  Bavière, 
les  trois  électeurs  catholiques,  comme  aussi  vers  les 
princes  du  parti  protestant  et  aux  états  des  Pays-Bas. 

Elle  choisit  le  sieur  de  Feuquières  pour  aller  de  sa 


278  |^l633j    MÉMOIRES 

part  en  qualité  de  son  ambassadeur  e:itraordinaire 
vers  les  princes  protestans  de  rAUemagne  et  les  chefs 
des  Suédois ,  et  leur  représenter  que  la  fin  générale 
de  Sa  Majesté ,  en  ce  qui  regardoit  les  affaires  de  l'Em- 
pire, étoit  de  s'acquérir  Tamitié  des  princes  catholi- 
ques et  protestans ,  en  leur  faisant  connoltre  le  dessein 
qu'elle  avoit  de  les  conduire  à  une  sûre  et  raisonnable 
paix ,  et  les  aider  en  ce  qui  lui  seroit  possible  pour  se 
fortifier  chacun  de  son  côté ,  et  même  établir  une 
bonne  intelligence  entre  eux ,  faisant  cesser  les  dif- 
férends pour  la  religion ,  pour  remettre  FEmpire  en 
sa  première  liberté  et  tranquillité  ;  en  quoi ,  outre 
Thonneur  qui  en  reviendroit  à  Sa  Majesté ,  elle  pour- 
roit  mieux  ménager  ses  avantages  et  ceux  de  ses 
alliés ,  prenant  soin  de  cette  affaire,  que  si  elle  Taban- 
donnoit: 

Il  eut  ordre  d'aller  droit  trouver  l'électeur  de  Saxe , 
voyant  néanmoins  Oxenstiern  en  passant  s'il  étoit  sur 
le  chemin ,  et  le  landgrave  de  Hesse-Cassel  s'il  le 
pouvoit  sans  beaucoup  se  détourner,  sinon  qu'il  prît 
soin  de  le  faire  avertir  de  l'affection  que  le  Roi  lui 
portoit,  qui  lui  seroit  confirmée  par  les  lettres  de  Sa 
Majesté  qu'il  avoit  charge  de  lui  bailler  à  la  première 
occasion  qu'ils  se  pourroient  voir ,  l'exhortant  cepen- 
dant de  se  maintenir  dans  la  résolution  du  bien  com- 
mun, et  de  venir  à  l'assemblée  des  princes  protes- 
tans si  elle  se  tenoit. 

Ce  qu'il  eut  charge  de  représenter  à  l'électeur  de 
Saxe  contenoit  en  substance  que ,  le  Roi  ayant  fait 
voir  par  son  alliance  avec  le  roi  de  Suède  le  désir 
qu'il  avoit  de  conserver  la  liberté  des  princes  ses 
alliés  en  Allemagne,  entre  lesquels  l'électeur  de  Saxe 


DE    KICUEUEU.    [l6i3J  279 

tenoit  un  des  premiers  rangs ,  ledit  duc  se  devoit  as- 
surer que  Sa  Majesté  continueroit  en  sa  personne 
les  mêmes  soins  et  assistances ,  et  pour  cet  effet  elle 
offroit  de  lui  bailler  le  même  secours  d'argent  qu'au 
roi  de  Suède,  et  de  le  favoriser  en  tout  ce  qui  lui  seroit 
possible  pour  le  maintenir  en  état  de  pouvoir  établir 
une  sûre  et  raisonnable  paix  en  TEmpire  pour  le  pré- 
sent et  pour  Tavenir.  Et  sur  cela  Sa  Majesté  Texhor-^ 
toit  avec  instance  de  prendre  la  direction  des  affaires, 
et  donner  près  de  lui  la  même  part  à  Oxenstiern  en 
ce  qui  concernoit  ce  fait  qu'il  avoit  auprès  de  son 
maître ,  ce  que  ledit  Oxenstiern  avoit  prié  le  sieur  de 
La  Grange-aux-Ormes  de  faire  entendre  au  Roi ,  ce 
qu'il  sembloit  être  fort  à  propos  -, 

Que  moyennant  le  même  secours  que  le  Roi  don- 
noit  au  roi  de  Suède,  l'électeur  de  Saxe,  en  son  nom 
et  de  ses  confédérés ,  demeureroit  obligé  envers  le 
Roi  aux  mêmes  choses  qu'étoit  le  roi  de  Suède ,  spé- 
cialement en  ce  qui  concernoit  la  religion  catholique, 
et  de  ne  point  faire  de  traité  ou  de  paix  sans  le  con- 
sentement de  Sa  Majesté ,  laquelle  condescendroit 
toujours  volontiers  à  ce  qui  seroit  du  bien  commun, 
et  particulièrement  dudit  Electeur  ; 

Que  rien  n'étoit  plus  capable  d'empêcher  cedit 
Fviecteur  de  faire  une  bonne  paix ,  que  s'il  manquoit  à 
se  maintenir  en  autorité  et  en  puissance  ,  prenant  la 
protection  et  la  conduite  des  princes  et  des  villes  de 
son  parti  qui  étoient  dans  l'alliance  du  roi  de  Suède; 

Qu'il  devoit  bien  prendre  garde  à  ne  donner  pas 
lieu ,  par  un  désir  précipité  de  repos ,  aux  vaines  pro- 
messes de  ceux  d'Autriche ,  qui  ne  tendoient  qu'à  le 
ruiner  après  avoir  divisé  son  parti  ; 


28o  [i63ÏJ   MÉMOIRES 

Que  Ton  devoit  fonder  la  paix  sur  des  moyens  80« 
lides  9  Tun  desquels  étoit  la  ferme  résolution  de  tous 
leurs  communs  amis  à  conserver  leurs  forces ,  et  faire 
pour  cela  un  dernier  effort  ;  Tautre  ëtoit  une  bonne  in** 
telligence  avec  les  électeurs  catholiques,  qui  n'avoient 
pas  moins  d'intérêt  que  les  protestans  de  craindre  la 
maison  d'Autriche ,  pourvu  qu'ils  se  pussent  assurer 
qu'il  voulut  entrer  avec  eux  en  des  conditions  rai- 
sonnables selon  les  constitutions  de  l'Empire,  et  sans 
faire  tort  à  la  religion  et  à  leur  liberté  ^  en  quoi  ledit 
sieur  de  Feuquières  eut  charge  Vl'avoir  égard  de  ne 
point  donner  lieu  au  Suédois  de  prendre  soupçon  que 
cette  union  des  princes  catholiques  et  protestans  ne 
fût  un  moyen  de  les  chasser ,  et  falloit^rler  sur  ce 
sujet  avec  retenue  et  considération  ) 

Que  lesdits  protestans  avoient  bien  à  se  garder  dea 
propositions  qui  leur  seroient  faites  de  désarmer, 
étant  certain  que  s'ils  en  venoient  là ,  quoi  que  l'Em- 
pereur leur  eût  promis ,  il  prendroit  sujet  d'armer  de 
nouveau ,  dont  ils  ne  se  pouvoient  garantir  que  par 
une  étroite  liaison  entre  eux  avec  la  conjonction  de 
la  iPrance  ^ 

Que  si  ledit  Electeur  proposoit  que  la  paix  étant 
la  fin  pour  laquelle  on  prenoit  les  armes ,  et  qu^ëtant 
si  nécessaire  comme  elle  étoit  après  de  si  longues 
guêtres ,  il  falloit  prendre  le  temps  que  les  protestans 
étoient  encore  puissans  pour  voir  si  l'on  pourrott  ter- 
miner tous  les  différends  avec  la  sûreté  de  leurs  amis 
et  alUés  par  une  libre  diète ,  laquelle ,  selon  Topuion 
commune  des  Allemands,  ne  se  peut  faire  sans  une 
suspension  d'hostilité  *, 

Et  que  si  ledit  Electeur  demandoit  quelle  étoit  aor 


DE  RiCHELIEO.  [i633J  aSi 

cela  l'intention  du  Roi ,  et  spécialement  sur  le  temps 
et  lieu  de  la  diète ,  ledit  sieur  de  Feuquières  réponcÛt 
qu'il  ne  falloit  pas  douter  que  Sa  Majesté  ne  désirit 
le  repos  commun  ;  que  c'étoit  le  but  principal  pour 
lequel  elle  Tavoit  envoyé  vers  lui ,  auquel  elle  se  re- 
mettoit  volontiers  du  temps  et  du  lieu  de  la  diète , 
comme  aussi  de  la  suspension ,  mais  qu'elle  lui  avoit 
donné  charge  fort  expresse  de  représenter  audit  Elec- 
teur, pour  Fintérét  qu'elle  avoit  en  sa  conservation  » 
de  prendre  bien  garde  que  sous  ces  belles  propositions 
l'Empereur  n'essayât  de  dissiper  leurs  forces,  étant  à 
craindre  que ,  par  l'espérance  d'une  prompte  paix , 
chacun  ne  pensât  qu'à  retourner  chez  soi  et  faire  ses 
^flaires  particulières ,  oubliant  la  cause  générale;  que 
pour  remédier  à  ce  mal  il  Êilloitse  tenir  sur  ses  armes, 

s 

et  se  mettre  en  état  de  se  rendre  considérable  d'au- 
tant plus  que  l'on  parleroit  d'accord  \ 

Que  ledit  sieur  de  Feuquières  tireroit  toute  assu- 
rance dudit  Electeur  qu'il  contribueroit  tout  ce'  qui 
dépendroit  de  lui  à  ce  que  le  Roi  intervint  par  ses 
ambassadeurs  en  la  diète  en  qualité  de  médiateur 
pour  la  paix ,  et  qu'il  y  eût  le  rang  qui  convenoit  à  sa 
dignité;  qu'il  lui  représentât  aussi  efficacement  com- 
bien il  importoit  de  ne  point  procéder  à  une  élection 
du  roi  des  Romains  pour  le  présent,  ni  même  qu'après 
la  mort  de  l'Empereur ,  lui  faisant  voir  que  c'étoit  la 
plus  forte  barrière  qu'on  pût  opposer  à  la  maison 
d'Autriche  que  de  lui  ôter  cette  dignité  ou  la  tenir  en 
crainte  de  la  perdre  ;  que  de  faire  le  roi  de  Hongrie 
roi  des  Romains  étoit  la  même  chose  que  de  soumettre 
l'Empire  à  la  monarchie  d'Espagne  pour  jamais  ;  que 
le  mieux  étoit  de  différer  cette  élection  jusqu'à  oe 


282  [l633]    MÉMOIRES 

que  Dieu  eût  disposé  de  FEmpereur ,  selon  les  cou- 
tumes anciennes  ^ 

Que  le  Roi  Tassuroit  que ,  quand  il  faudroit  venir 
à  une  élection ,  Sa  Majesté  emploieroit  le  crédit  qu'elle 
se  proraettoit  envers  plusieurs  de  ses  co-éleçteurs  à  ce 
que  celui  qui  seroit  élu  lui  fût  agréable ,  et  qu'elle  at- 
tendoit  de  lui  le  même  office  ; 

Qu'il  falloit  lui  ôter  entièrement  l'opinion  que  le 
Roi  y  pensât  pour  soi-même ,  et  ne  se  pas  expliquer 
sur  qui  Sa  Majesté  voudroit  jeter  les  yeux  y  sinon 
qu'elle  suivroit  en  cela  volontiers  ses  avis*,  mais  il  ne 
faudroit  faire  ouverture  de  tout  ce  qui  a  été  dit  ci- 
dessus  sur  le  sujet  de  l'élection  du  roi  des  Romains 
qu'après  que  le  traité  seroit  fait  ; 

Quant  à  ce  qui  concernoit  les  moyens  d'accommo- 
dement, soit  entre  lui  et  le  duc  de  Bavière,  soit  en- 
tre les  catholiques  et  les  protestans,  qu'il  suffiroit  d'y 
aviser  selon  que  les  choses  prendroient  leur  pli ,  et 
que  le  Roi  en  seroit  informé  plus  certainement^  qu'il 
falloit  pour  cette  heure  former  les  dispositions  géné- 
rales dans  les  esprits  des  uns  et  des  autres,  et  ména- 
ger les  choses  en  sorte  qu'elles  ne  se  pussent  accom- 
moder sans  le  Roi  *, 

Quant  au  mariage  de  la  fille  de  Suède  avec  le  fils 
aîné  de  Saxe ,  le  Roi  suivroit  en  cela  le  cours  des 
choses ,  et  témoigneroit  l'approuver  si  Saxe  le  dési- 
roit,  lequel ,  étantdéjà  alliéavecle  roi  de  Danemarck, 
pouvoit  par  ce  moyen  apaiser  les  différends  qui 
pourroient  naître  entre  ces  deux  royaumes,  ce  qui 
rendroit  Saxe  fort  considérable ,  et  donneroit  grande 
jalousie  à  la  maison  d'Autriche-,  et  pour  ne  voir  aussi 
le  parti  protestant  quelque  jour  avec  trop  de  pois- 


1)£    RICHELIEU.    [l633J  183 

sance ,  il  étoit  mieux  que  de  la  part  du  Roi  Ton  ne 
pressât  pas  cette  affaire ,  pour  la  pouvoir  conduire  se- 
lon les  occurrences,  étant  aussi  à  craindre  d'offenser 
Oxenstiern,  lequel  y  pensoit  pour  son  fils. 

Ledit  Feuquières  eut  ordre  de  passer  de  Saxe  vers 
rélecteur  de  Brandebourg,  si  ledit  Electeur  ne  se 
trouvoit  ou  ne  se  devoit  trouver  dans  peu  de  temps 
vers  ledit  électeur  de  Saxe^  que,  si  toutefois  il  ju- 
geoit  sa  présence  nécessaire  près  Télecteur  de  Saxe , 
lequel  il  falloit  continuellement  veiller,  il  envoyât 
vers  ledit  Brandebourg  le  sieur  de  La  Grange  ou  du 
Hamel ,  en  attendant  qu'il  le  put  voir  lui-même  ; 

Que,  pour  le  rendre  plus  attaché  à  la  France,  et 
plus  disposé  à  faire  ce  qu'on  désiroit  de  lui,  il  se  de- 
voit servir  de  ce  que  le  roi  de  Suède  tenoit  ses  prin- 
cipales places  dans  la  Prusse  et  en  son  pays  de  Brande- 
bourg, comme  aussi  en  toute  la  Poméranie,  de  la- 
quelle il  héritoit  après  la  mort  du  présent  duc;  que 
les  Hollandais  avoient  aussi  plusieurs  de  ses  places 
de  la  succession  de  Clèves ,  dont  il  avoit  la  moitié,  en 
toutes  lesquelles  choses  le  Roi  pouvoit  beaucoup  To- 
bliger,  s'employant  en  sa  faveur  vers  les  sieurs  les 
Etats  pour  ce  qu'ils  occupoient  de  deçà,  et  vers  les 
Suédois  qui  avoient  le  reste  ; 

Que  la  substance  de  ce  qu'il  lui  falloit  dire  étoit  que 
le  Roi  Tassuroit  qu'il  continueroit  de  prendre  un  grand 
soin  de  tous  ses  intérêts  comme  des  siens  mêmes  ; 
qu'il  l'exhortoit  de  se  maintenir  dans  l'union  de  ceux 
de  son  parti  avec  l'électeur  de  Saxe ,  auquel  il  n'y 
avoit  point  de  doute  qu'il  cédât  volontiers.  Au  reste, 
qu'il  lui  représentât  les  mêmes  raisons  qui  ont  été 
déclarées  ci-dessus  pour  l'induire  à  la  constance  et  à 


284  [l633]    MÉMOIRES 

eatrer  en  bonne  intelligence  avec  les  électeurs  catho- 
liques par  Tentremise  du  Roi ,  et  différer  l'élection 
d*un  roi  des  Romains; 

Qa'il  lui  devoit  faire  comprendre  que  s'il  se  laissoit 
tromper  par  les  belles  paroles  de  la  maison  d'Autri- 
che, les  Suédois  et  les  Hollandais  retiendroient  ses 
places ,  et  que  l'Empereur  ensuite  prendroit  part  à  sa 
dépouille  ; 

Qu'il  n'y  avoit  point  de  doute  qu'il  porteroit  im- 
patiemment de  voir  les  Suédois  maîtres  de  ses  pro- 
vinces ,  et  qu'il  désireroit  la  paix  avec  chaleur  ^  mais 
il  falloit  lui  remontrer  qu'il  ne  la  pouvoit  obtenir  avec 
sûreté ,  soit  à  l'égard  de  l'Empereur  ou  des  Suédois , 
que  par  le  moyen  du  traité  que  le  Roi  y  proposoiti  et 
en  se  mettant  sous  sa  protection  ; 

Quant  au  landgrave  de  Hesse-Cassel  et  aux  frères 
ducs  de  Weimâr ,  au  duc  de  Lunebourg ,  an  prince 
d'Anhalt ,  qui  étoient  de  long-temps  amis  de  cette 
couronne,  et  ne  pouvoient  attendre  que  leur  ruine 
de  la  maison  d'Autriche ,  qu'il  les  fortifi&t  de  la  part 
du  Roi ,  comme  aussi  les  villes  impériales ,  notam- 
ment Nuremberg,  Ulm,  Strasbourg,  Francfort  et 
Hanau ; 

Qu'il  donnât  aussi  de  bonnes  paroles  aux  villes  qui 
sont  plus  éloignées  ,  par  les  princes  qui  en  sont  voi- 
sins ;  car,  encore  qu'elles  ne  puissent  pas  espérer  d'ê- 
tre aidées  de  nous-mêmes ,  elles  profîtoient  du  se- 
cours que  leur  parti  recevoit  du  Roi  :  ces  villes  étoient 
Erfurt ,  Hambourg ,  Lubeck ,  Rostock ,  Wismar,  Stral- 
sund  et  quelques  antres ,  dont  la  plus  grande  partie 
étoit  entre  les  mains  des  Suédois. 

Quant  au  chancelier  OxensUern ,  qu'il  fadloit  qu'il 


DE    RICHELIEU.    [l633J  l85 

eût  soin  principalement  d  acquérir  sa  confiance  et  son 
amitië,  et  Vassurer  que  le  Roi  vouloit  embrasser  ses 
intérêts  de  toute  son  affection,  et  qu'il  appuieroit  le 
mariage  de  son  fils  avec  l'héritière  de  Suède ,  lui  pro- 
mettant qu'en  ce  cas  le  Roi  l'assisteroit  d'argent  pour 
soutenir  la  guerre  contre  ceux  qui  voudroient  trou- 
bler sondit  fils* quand  il  seroit  roi; 

Que  pareillement  Sa  Majesté  s'emploieroit  de  tout 
son  pouvoir  pour  conserver  et  accroître  ses  avantages 
dans  les  affaires  d'Allemagne ,  soit  en  ce  qui  regar- 
doit  l'autorité  du  commandement  ou  le  partage  des 
biens  -, 

Que  Sa  Majesté  se  promettoit  aussi  que  ledit  chan- 
celier, poursuivant  avec  constance  le  dessein  du  dé- 
funt Roi  son  maître,  se  tiendroit  uni  inséparablement 
avec  la  France,  et  le  sieur  de  Feuquières  prendroit 
sujet,  entrant  avec  lui  sur  l'état  des  affaires,  de  le 
faire  venir  de  lui-même  à  offrir  au  Roi  les  places 
qu'il  tenoit  de  deçà  le  Rhin  ;  que ,  s'il  ne  lui  en  faisoit 
point  d'ouverture ,  ledit  sieur  de  Feuquières  le  re- 
mettroit  sur  un  discours  qui  s'étoit  passé  depuis  peu 
à  Francfort,  entre  ledit  chancelier  et  le  sieur  de 
Charnacé,  sur  ce  sujet,  sur  quoi  il  lui  témoigneroit 
que,  le  Roi  ne  voulant  épargner  chose  quelconque 
pour  faire  que  ce  renouvellement  d'alliance  avec  la 
couronne  de  Suède  en  la  personne  dudit  chancelier , 
y  conjoignant  les  princes  protestans  d'Allemagne, 
servit  à  maintenir  ce  parti  contre  tous  les  efforts  de  )a 
maison  d'Autriche ,  Sadite  Majesté  ne  refuseroit  pas 
de  se  charger  de  la  garde  de  quelques  places ,  avec 
charge  de  les  rendre  par  la  paix ,  selon  qu'il  seroit 
convenu  entre  les  confédérés  pour  le  bien  commun  ; 


a86  [l633J    MÉMOIRES 

Que ,  si  ledit  chancelier  se  résolvoit  de  bailler  les- 
dites  places  entre  les  mains  du  Roi  sans  en  parler  à 
Fëlecteur  de  Saxe,  craignant  qu'il  ne  s'y  opposât,  le- 
dit sieur  de  Feuquières  les  accepteroit,  lui  témoi- 
gnant que  Sa  Majesté  prendroit  volontiers  cette  mar- 
que de  la  spéciale  confiance  dudit  chancelier  en  son 
endroit,  et  donneroit  promptement  avis  par-deçà  de 
celte  résolution ,  afin  que  selon  Tordre  que  ledit  chan- 
celier auroit  mis  pour  mettre  dans  ces  places  les  trou- 
pes du  Roi,  Sa  Majesté  pût  les  y  envoyer; 

Que,  si  Oxenstiern  vouloit  en  donner  participation 
'  à  rélecteur  de  Saxe ,  le  sieur  de  Feuquières  feroit  en 
sorte  que  ledit  Electeur  ne  crût  pas  que  le  Roi  s'y 
portât  pour  son  propre  intérêt,  et  lui  représenteroit 
combien  il  lui  importoit  et  à  ses  associés ,  pour  ob- 
tenir une  bonne  et  sûre  paix ,  que  le  Roi  tint  une  ar- 
mée deçà  le  Rhin  en  leur  faveur ,  ce  qui  ne  se  poa- 
voit  faire  sans  y  avoir  des  places ,  qu'il  promettroit 
de  restituer  comme  dessus  \ 

Qu'il  seroit  à  désirer  que,  si  ledit  Electeur  prenoit 
goût  à  cette  proposition,  comme  lui  étant  avanta- 
geuse ,  l'on  pût  rabattre  le  million  porté  par  le  traité 
de  renouvellement  d'alliance ,  en  considération  des 
frais  que  le  Roi  feroit  pour  entretenir  cette  armée  ; 

Qu'en  tout  ce  que  dessus  le  sieur  de  Feuquières 
auroit  égard  de  détourner  le  soupçon  que  les  Alle- 
mands pourroient  prendre  que  le  Roi  voulût  penser 
plutôt  à  son  intérêt  qu'au  leur ,  et  que  cela  ne  vint 
si  avant  que  de  les  rendre  plus  disposés  à  retourner 
vers  l'Empereur  5  sur  quoi  il  prendroit  ses  mesures 
de  s'ouvrir  et  d'insister  plus  ou  moins  sur  cette  pro- 
position des  places,  et  feroit  savoir  promptement 


DE    RICHELIEU.    [t633J  ^87 

Pétat  de  cette  affaire  )e  plus  au  vrai  qu'il  le  pourroit 
savoir,  afin  qu'il  reçût  les  ordres  du  Roi  comme  il  s'y 
devoit  conduire; 

Que  les  places  qui  nous  couvenoient  le  mieux 
étoientBenfeld ,  Haguenau ,  Schelestadt  etBrisach  s'il 
ëtoit  pris ,  et  autres  principaux  lieux  de  l'Alsace  au- 
deçà  du  Rhin ,  Trarbach  sur  la  Moselle,  et  Kreutznach. 
Si  Oxenstiern  vouloit  garder  Mayence,  le  Roi  s'en 
remettoit  à  lui ,  il  faudroit  voir  quel  en  seroit  son 
sentiment. 

Pour  ce  qui  étoit  des  places  du  bas  Palatinat  au-decà 
du  Rhin,  il  ëtoit  à  propos,  ou  que  les  Suédois  les  gar- 
dassent ,  avec  promesse  de  les  rendre  entre  les  mains 
du  jeune  Palatin  au  temps  de  la  paix,  en  faveur  des 
rois  de  France  et  d'Angleterre ,  ou  que  les  Suédois 
les  remissent  dès  lors  audit  prince,  avec  cette  con- 
dition que  le  roi  de  la  Grande-Bretagne  s'obligeroit 
envers  tous  les  confédérés  de  conserver  lesdites  places 
à  ses  frais ,  avec  le  nombre  de  gens  de  guerre  néces- 
saire pour  les  défendre,  ou  que  lesdites  places  se- 
roient  tenues  par  le  Roi  aux  frais  communs  de  France 
et  d'Angleterre,  lequel  dernier  moyen  seroit  le  plus 
avantageux  et  le  plus  sur; 

Qu  il  ëtoit  bon  de  voir  le  sens  dudit  chancelier  sur 
cette  affaire ,  et  essayer  de  le  rendre  auteur  des  ré- 
solutions qui  s'en  pourroient  prendre  ; 

Qu'il  n'y  avoit  point  de  doute  que  les  princes  et 
les  communautés  d'Allemagne  auroient  une  grande 
alarme  de  ce  qu'on  leur  faisoit  prêter  serment  à  la 
couronne  de  Suède;  que  ledit  sieur  de  Feuquières, 
auquel  on  ne  manqueroitd'en  faire  des  plaintes,  trai- 
teroit  ce  point  délicatement  pour  n'offenser  les  Sué- 


288  [l633]    MÉMOIUES* 

dois,  sur  quoi  il  sauroit  du  chancelier  Oxenstiern  ce 
qu'il  jugeoit  à  propos  qu'il  répondit  en  telle  occa- 
sion, lui  témoignant  que  ce  n'étoit  pas  que  le  Roi 
s'en  formalisât ,  et  qu'il  n'y  pensoit  que  pour  ménager 
mieux  leur  intérêt  et  empêcher  la  division;  et  quant 
aux  Allemands ,  ledit  sieur  de  Feuquières  leur  feroit 
entendre ,  lorsqu'ils  lui  en  parleroient ,  que  Sa  Majesté 
donneroit  toujours  l'exemple  de  la  sincérité  avec  la- 
quelle elle  se  portoit  pour  leur  bien ,  qui  étoit  le  seul 
objet  de  la  peine  qu'il  prendroit  pour  eux  *,  que  toute- 
fois  ils  ne  dévoient  pas  s'émouvoir  si  les  Suédois  pré- 
tendoient  se  conserver  quelque  avantage  qui  leur 
coûtoit  si  cher  par  la  perte  de  leur  Roi,  et  qu'enfin 
toutes  choses  s'accommoderoiwt  par  une  bonne  paix , 
pour  laquelle  obtenir  ils  dévoient  éviter  tous  les  su- 
jets qui  pourroient  mettre  de  la  discorde  entre  eux 
et  les  Suédois  ; 

Qu'il  témoignât  aux  autres  chefs  suédois,  s'il  les 
rencontroit ,  combien  le  Roi  aimoit  leur  Etat  et  leurs 
personnes,  les  invitant  à  poursuivre  le  dessein  de 
leur  défunt  maître,  et  à  se  maintenir  unis  ensemble 
avec  les  Allemands  ; 

Qu'il  porteroit  des  lettres  du  Roi  aux  principaux  , 
comme  étoient  Gustave  Horn ,  Kniphausen ,  Banier 
et  autres  qu'il  jugeroit  être  à  propos ,  ayant  pour  cela 
des  lettres  en  blanc ,  et ,  selon  leur  mérite,  leur  feroit 
espérer  des  grâces  spéciales  de  la  part  de  Sa  Ma- 
jesté ,  et  tâcheroit  de  reconnoitre  ce  qui  pouvoit  fal- 
loir à  chacun  ; 

Qu'il  emploieroit  principalement  l'autorité  du  Roi 
avec  toute  la  prudence  et  industrie  qui  lui  seroit  pos- 
sible ,  pour  prévenir  et  ôter  les  divisions  et  jalousies 


DE   AICIIfiUEU.    [l633]  289 

onlrc  les  Allemands  et  Suédois ,  et  entre  ceux  de  leur 
même  nation ,  essayant  de  les  réunir  sous  la  direction 
(les  chefs  principaux,  qui  étoient,  sans  difficulté,  Té- 
lecteur  de  Saxe  et  le  chancelier  Oxenstiern  ; 

Que,  pour  ce  qui  regardoit  le  commandement  de 
la  guerre,  le  Roi  auroit  à  gré  qu'il  fût  donné  au  duc 
Kcrnard  de  Saxe-Weimar,  et  spécialement  pour  les 
troupes  qui  étoient  vers  la  Saxe,  et  que  le  landgrave 
de  Hesse-Cassel  eût  charge  de  celles  de  deçà ,  ce  qui 
s'cntcndoit  sans  témoigner  aucune  inclination  qui  pût 
donner  de  la  jalousie  aux  autres,  et  notamment  aux 
Suédois,  et  entre  les  autres  à  Gustave  Horn,  qui  avoit 
la  conduite  des  provinces  qui  nous  sont  plus  voisines, 
avec  lequel  le  landgfVfe  de  Hesse-Cassel  se  pouvoit 
accommoder,  dont  le  Roi  se  remettoit,  comme  de 
toutes  autres  telles  choses ,  à  ce  qui  seroit  résolu 
entre  les  chefs  et  directeurs,  tant  pour  ce  qui  re- 
gardoit l'administration  des  affaires  d'État  que  de  la 
guerre-, 

Et  qu  après  que  ledit  sieur  de  Feuquières  auroit 
passé  le  traité,  et  qu'il  verroit  les  princes  et  les  com-^ 
munautés  en  résolution  de  ne  point  désarmer  et  de 
tenir  ferme  pour  la  liberté  publique,  il  prendroit  sujet 
de  leur  faire  entendre  avec  adresse  que  le  Roi ,  en* 
voyant  un  nouveau  résident  pMk  TEmpereur  en  la 
place  de  l'autre ,  que  Tâge  ne  permettoit  plus  d  y  de- 
meurer, lui  avoit  donné  charge  de  reconnoltre  les 
intentions  que  Ton  auroit  en  cette  cour-là ,  et  s'il  y 
auroit  disposition  d'entrer  dans  les  termes  d'une  juste 
et  sûre  paix,  y  ayant  plutôt  grande  apparence  de 
croire  que  la  maison  d'Autriche  ne  prétendoit  autre 
chose  que  d'amuser  le  monde  de  bellef  paroles,  selon 

T.   ^7.  fC) 


ago  [ï633]   MÉMOIRES 

sa  coutume ,  et  que  le  Roi  estimoit  fort  k  propos  d'en 
détromper  ses  amis  *,  et  au  cas  que  lesdits  électeurs 
de  Saxe  et  de  Brandebourg ,  et  le  chancelier  Oxens- 
tiern ,  désirassent  que  le  Roi  en  prît  une  plus  certaine 
connoissance,  Sa  Majesté  feroit  entendre  à  TEmpe- 
renr  qu'ayant  fait  alliance  avec  eux  pour  le  bien  com- 
mun ,  elle  s'emploieroit  volontiers  pour  porter  les 
choses  à  un  bon  accommodement ,  avec  la  jaste  sa- 
tisfaction des  intéressés  ; 

Que  sur  cela  ledit  sieur  de  Feuquières  verroit 
avec  eux  quelles  étoient  leurs  prétentions ,  et ,  s^il 
remarquoit  qu'ils  y  procédassent  avec  sincérité,  et 
qu'ils  voulussent  appuyer  cggg^me  ils  dévoient  les 
intérêts  de  Sa  Majesté ,  en  réHinoissance  de  l'assis- 
tance qu'elle  leur  rendoit ,  il  pourroit  leur  faire  voir 
le  projet  d'accommodement  qu'il  emporteroit  avec 
lui ,  et  ne  le  feroit  voir  à  personne  quelconque  qu'avec 
les  circonstances  susdites  ,  et  n'en  laisseroit  point 
prendre  de  copie  que  l'on  ne  fût  sur  le  point  de  pren- 
dre une  bonne  conclusion  ; 

Que ,  faisant  voir  ledit  projet ,  il  leur  donneroit 
bien  à  entendre  que  le  Roi  désiroit  pour  lui  des  con- 
ditions fort  raisonnables  et  de  petite  conséquence,  i 
l'égard  des  frais  qu'il  a  soutenus  pour  retenir  dans 
les  bornes  la  maisW  d'Autriche  en  Allemagne ,  en 
Italie  et  en  Flandre ,  ce  qui  ne  leur  avoit  pas  servi 
de  peu ,  et  dont  encore  lors  ils  recevoient  de  grands 
avantages ,  outre  l'utilité  qu'ils  recevoient  de  son  al- 
liance en  cette  même  occasion  d'accommodeinent , 
que  la  considération  de  ce  qu'il  étoit  joint  avec  eux 
leur  rendroit  bien  plus  sûr  et  avantageux.  Sartout 
qu'il  ne  conte(|||roit  point  les  propositions  qu'ils  fe- 


DE   RICHELIEU.    [l633J  SQ! 

roient  de  leurs  intëréts ,  mais  lâchât  de  faire  qu'eux- 
mêmes  reconnussent  avec  prudence  ce  qui  ëtoit  fai- 
sable et  dans  la  raison. 

Sa  Majesté  donna  aussi  commandement  au  sieur  de 
Llsle ,  qui  étoit  pour  son  service  en  la  ville  de^Stras- 
bourg ,  d'essayer  de  conserver  ladite  ville  en  l'affec- 
lion  et  en  la  confiance  qu'elle  devoit  au  Roi,  et  pour 
cet  effet  lui  envoya  des  lettres  de  créance  qu'elle 
adressa  à  ladite  ville ,  conformes  à  celles  qtfe  lé  sieur 
de  Feuquières  a  voit  pour  les  autres  villes  impériale! 
d'Allemagne. 

II  lui  en  donna  aussi  pour  le  prince  Jules,  comte 
de  Monlbelliard ,  du^M  administrateur  de  Wurtem- 
berg ,  et  une  autre  au^nc  de  Wurtemberg  son  ne- 
veu ,  qui  étoit  l'héritier,  lequel,  encore  qu'il  soit 
jeune,  se  fût  trouvé  offensé  si  on  ne'  lui  eût  point 
écrit ,  et  lui  ordonna  que ,  selon  la  grande  connois- 
sance  qu'il  avoit  avec  eux ,  il  leur  parlât  conformément 
aux  choses  susdites. 

Il  eut  aussi  ordre  de  fortifier  les  princes  pfotestant 
proches  du  Rhin ,  deçà  ou  delà ,  et  pour  cet  effet  lui 
envoya  plusieurs  lettres  en  créance,  et  particulière- 
ment aux  ducs  des  Deux-Ponts  et  quelques  autres  de 
sa  maison ,  le  marquis  de  Dourkri^ ,  le  comte  de  Ha- 
nau ,  les  rhingraves  Otto  et  Lmns ,  le  prince  de  La 
Petite-Pierre  et  les  comtes  de  la  Vétéravie. 

Elle  envoya  aussi  le  sieur  de  Miré  au  maréchal 
Gustave  Hom ,  pour  lui  témoigner  que  Sa  Majesté , 
envoyant  le  sieur  de  Feaquières  son  ambassadeur 
extraordinaire  en  Allemagne,  spécialement  pour  con- 
férer avec  M.  Oxenstiem  des  moyens  plus  propres 
pour  maintenir  les  choses  commenc^P  par  le  défunt 

»9- 


2g2  [l633]   MÉMOIRES 

roi  de  Suède ,  avec  pouvoir  de  renouveler  le  traité 
qu'elle  avoit  fait  avec  lui ,  y  joignant  les  deux  élec- 
teurs de  Saxe  et  de  Brandebourg ,  et  autres  seigneurs 
et  villes ,  elle  avoit  voulu  aussi ,  pour  Testime  parti- 
culière qu'elle  faisoit  de  sa  personne ,  dépécher  en 
même  temps  vers  ledit  sieur  maréchal  le  sieur  de 
Miré ,  lui  ayant  commandé  de  se  tenir  près  de  lui 
quelque  temps,  pour  avoir  une  plus  facile  et  plus 
prompte  correspondance  sur  les  affaires  présentes , 
qui  pouvoient  souvent  donner  Sujet  à  Sa  Majesté  y 
par  le  voisinage  des  troupes  qui  étoient  sous  la  con- 
duite dudit  maréchal ,  de  lui  donner  communication 
de  ses  bonnes  intentions. 

Qu  entre  autres  choses  il  lui  Wroit  que  le  Roi  seroit 
bien  aise  de  savoir  s'il  étoit  vrai  que  ce  fût  du  consen- 
tement dudit  maréchal  que  le  duc  de  Lorraine  eût 
mis  des  troupes  dans  Saverne  et  Dachstein ,  et  s'il 
étoit  entré  en  neutralité  avec  ledit  duc  à  raison  de 
ces  dîtes  places  ^  que  Sa  Majesté  vouloit  bien  croire 
que  ce  qu'il  en  auroit  fait  seroit  en  sa  considération , 
et  ensuite  de  ce  qu'elle  avoit  pris  en  sa  protection 
ledit  duc  -,  que  toutefois  il  y  avoit  bien  de  l'appa- 
rence que  le  comte  de  Salm  n'auroit  point  reçu  le  duc 
de  Lorraine  sans  ordre  de  l'Empereur,  et  que  cette 
ancienne  dette  de  Jbo,ooo  thalers,  en  vertu  de  la- 
quelle ledit  duc  avoit  prétendu  ces  lieux-là  lui  de- 
voir être  mis  en  dépôt ,  n'étoit  qu'un  prétexte  dont 
il  s'étoit  servi  pour  faire  ce  plaisir  à  l'Empereur ,  de 
mettre  ces  places  à  couvert,  et  de  se  rendre  lui-même 
plus  considérable ,  étendant  ses  limites  \ 

Que  Sa  Majesté  vouloit  user  d'une  telle  confiance 
avec  ledit  mar(||^al,  qu'elle  ne  faisoit  pas  difficulté  de 


DE    RICHEUEU.    [lÔSS]  ^9^ 

lui  déclarer  qu'il  ëtoità  propos,  tant  à  Tëgard  de  Sa- 
dite  Majesté  que  dudit  maréchal,  et  pour  le  bien 
commun,  d'ouvrir  les  yeux  sur  les  actions  dudit  duc , 
et  de  le  tenir  en  état  qu'il  demeurât  dans  son  devoir,  et 
ne  lui  point  donner  occasion,  en  le  laissant  accroître 
et  se  mêler  des  affaires  d'autrui ,  de  se  porter  à  des 
desseins  préjudiciables  qu'il  falloit  prévenir  de  bonne 
heure  ^  que  l'on  croyoit  que  le  duc  de  Lorraine  avoit 
eu  des  entreprises  sur  Strasbourg ,  et  qu'il  ne  seroit 
pas  marri,  ayant  un  pied  dans  l'Alsace,  et  après  avoir 
gagné  l'affection  des  catholiques  en  qualité  de  leur 
protecteur ,  de  profiter  des  événemens  au  préjudice 
des  Suédois; 

Que  le  Roi  savoit  certainement  que  Mérode  et 
Montecuculli  ayant  été  envoyés  par  l'Empereur 
pour  faire  de  grandes  levées  avec  de  l'argent  qu'ils 
avoient  reçu  d'Espagne,  dans  la  Franche-Comté ,  le 
Liège ,  les  Pays-Bas  et  la  Lorraine ,  ils  avoient  été 
droit  à  Nancy,  et  conféré  long-temps  avec  le  duc,  le- 
quel n'étoit  pas  aussi  en  mauvaise  intelligeuce  avec 
(  rronsfeld  et  les  troupes  des  Espagnols  dans  le  Luxem- 
bourg ; 

Que  ledit  Miré  remarquât  bien  quelles  pensées  ce 
discours  produiroit  en  l'esprit  dudit  maréchal ,  et  s'il 
se  porteroit  à  dire  que  si  le  duc  dionnoit  sujet  d'offense 
au  Roi  ou  à  lui ,  il  ne  l'épargneroit  pas ,  et  qu'en  cela  il 
suivroit  les  intentions  de  Sa  Majesté.  Et  en  ce  cas  le 
sieur  de  Miré,  sans  lui  témoigner  que  Sa  Majesté 
voulût  faire  la  guerre  au  duc  de  Lorraine ,  l'assureroit 
qu'elle  auroit  fort  agréable  de  savoir  qu'il  fût  en  cette 
bonne  disposition  de  prendre  part  à  ses  intérêts,  et 
qu'il  ne  manqueroit  pas  de  l'en  avertir  ^ 


2g4  [lOc$3J    MKMOUIES 

Qu  en  outre  il  sauroit  de  lui  pour  combien  de  temps 
il  avoit  accorde  la  susdite  neutralité ,  ou  si  elle  ne  se 
pourroit  point  révoquer,  si  le  bien  des  affaires  com- 
munes le  requéroity  comme  a'ëtant  pas  ratifiée  par  la 
Reine  régente  ou  le  chancelier  Oxenstiern  j 

Qu'il  essaieroit  de  reconnoitre  si  ledit  maréchal  a 
dessein  d'attaquer  la  Franche-Comté  en  revanche  de 
ce  que  Tlnfante  envoyoit  ses  gens  contre  Baudissen , 
et  quel  ordre  il  mettoit  pour  conserver  les  places  de 
l'Alsace ,  ou  celles  qu'il  avoit  sur  le  Rhin ,  contre  les- 
quelles il  ne  falloit  point  douter  qu'à  ce  printemps  les 
nouvelles  levées  de  Mérode  et  de  MontecucuUi  nie 
fissent  leur  eflbrt  ^  et  en  ce  discours  qu'il  pouvoitavoir 
avec  lui  sur  ce  sujet ,  il  verroit  $i  ledit  maréchal  pro- 
posoit  de  lui-même  de  remettre  ces  places  entre  les 
mains  du  Roi ,  sans  que  ledit  sieur  de  Miré  lui  té- 
moigpât  que  Sa  Majesté  le  désiroit ,  s'ofiVant  toute- 
fois d'en  apprendre  sa  volonté  ^ 

Qu'il  feroit  office  vers  ledit  maréchal,  de  la  part  du 
Roi ,  en  faveur  de  l'évéque  de  Bâle ,  à  ce  qu'il  ne  mit 
point  ses  terres  en  contribution  et  n'y  fît  hiverner  ses 
troupes ,  étant  allié  du  Roi  et  des  cantons  catholiques 
qui  étoient  en  sa  protection,  et  feroit  instance  que 
ledit  maréchal  y  mit  ordre  promptement  ; 

Qu'il  lui  remoqtrerpit  aussi,  selon  les  occurrences, 
combien  Sa  Majesté  lui  sauroit  gré  de  ne  point 
maltraiter  les  catholiques  dans  les  lieux  où  il  avoit 
pouvoir^ 

Que  Sa  Majesté  ayant  été  informée  que  quelques 
chefs  suédois,  estimant  que  son  alliance  étant  finie 
par  la  mort  du  roi  de  Suède ,  disoient  qu'ils  n'étoient 
plus  obligés  à  cet  article  qui  est  couché  en  leur  traité , 


DE  RICHELIEU.   [l633]  ^95 

qu  outre  le  préjudice  qu'ils  pourroient  recevoir  en 
contraignant  les  catholiques,  par  le  mal  qu'ils  leur  fe- 
roient,  de  s'unir  plus  étroitement  avec  la  maison 
d'Autriche,  il  n'étoit  pas  avantageux  pour  leur  parti 
que  Ton  les  crût  séparés  d'avec  la  France ,  vu  même 
qu'au  contraire  le  Roi  continuoit  toujours  dans  le 
même  dessein  de  les  assister  ^ 

Que  si ,  au  lieu  de  Gustave  Horn ,  quelque  autre 
avoit  le  commandement  sur  les  provinces  voisines  de 
noire  frontière  sans  que  ledit  Gustave  Horn  y  dût 
retourner,  le  sieur  de  Miré  en  avertiroit  par  deçà,  et 
cependant  il  se  tiendroit  près  de  ce  nouveau  gouver- 
neur, et  ticheroit  de  discerner  s*il  y  ^voit  lieu  de  loi 
pouvoir  confler  les  mêmes  ouvertures  qu'audit  Gu9- 
tave,  et  feroit  bien  d'attendre  sur  cela  un  ordre  de  la 
cour  sur  les  réponses  de  ses  lettres ,  afin  de  s*y  con- 
duire avec  plus  de  sûreté^  que  s'il  se  trouvoit proche 
des  lieux  où  étoient  le  duc  administrateur  de  Wur- 
temberg, le  comte  de  Hanau  et  les  rhingraves  Otto 
et  Ludovic ,  il  leur  bailleroit  les  lettres  du  Roi  dont 
il  exposeroit  la  créance,  en  leur  disant  que  Sa  Ma- 
jesté avoit  jugé  à  propos  en  l'occasion  présente,  en- 
suite de  la  mort  du  roi  de  Suède,  de  leur  faire  en- 
tendre que ,  tant  s'en  Ëiut  que  cet  accident  diminuât 
le  soin  que  Sa  Majesté  avoit  toujours  pris  pour  la  pai;^ 
et  la  liberté  de  l'Allemagne,  et  spécialement  pour  la 
conservation  de  ses  alliés  et  lesdits  princes  en  particu- 
lier ,  que  plutôt  elle  les  assuroit  de  Faccroissemei)! 
de  son  afTecûon ,  d'autant  plus  qu'elle  jugeoit  lûen 
qu'ils  avoient  plus  de  besoin  de  son  assistance^  qu'elle 
ne  doutoit  pas  aussi  qu'ils  se  joindroient  avec  sin- 
cérité et  constance  à  ses  bonnes  intentions. 


2g6  [l633]   MÉMOIRES 

Et  ensuite  il  leur  diroit  que  Sa  Majesté ,  qui  avoit 
toujours  désiré  ardemment  la  liberté  et  la  paix  de  la 
Germanie ,  comme  elle  avoit  fait  voir  par  son  alliance 
avec  le  rolde  Suède,  et  partant  d'autres  témoignages 
qu'elle  en  avoit  rendus ,  tant  par  les  divers  voyages 
de  ses  ministres  en  Allemagne  que  par  la  puissante 
diversion  qu'elle  avoit  faite  en  plusieurs  lieux  aux 
armes  d'Espagne ,  et  l'obstacle  qu'elle  avoit  apporté 
aux  desseins  ambitieux  de  la  maison  d'Autriche,  Sadite 
Majesté,  redoublant  ses  soins  pour  un  sujet  qui  leur 
étoit  si  important,  les  exhortoit  de  se  tenir  unis  avec 
les  autres  princes  protestans  de  l'Allemagne  etles  chefs 
suédois ,  et  notamment  avec  les  électeurs  de  Saxe  et 
de  Brandebourg  et  le  chancelier  Oxenstiern ,  et  de 
considérer  le  mal  qui  leur  pouvoit  arriver  de  tomber 
dans  la  division ,  pour  quelque  intérêt  de  religion  et 
d'Etat  qui  se  pût  présenter,  et  qu'il  étoit  évident  que 
rien  ne  pouvoit  leur  apporter  plus  de  préjudice  en 
toutes  manières  que  la  discorde  ; 

Qu'ils  feroient  bien  de  témoigner  les  uns  aux  autres 
leur  résolution  mutuelle ,  et  spécialement  d'envoyer 
pour  cet  effet  leurs  députés,  si  déjà  ils  ne  l'avoient 
fait ,  en  l'assemblée  qu'on  disoit  devoir  être  tenue,  ou 
Sadite  Majesté  feroit  entendre  par  un  ambassadeur 
extraordinaire ,  lequel  y  alloit  de  sa  part  avec  plein 
pouvoir,  l'assistance  qu'elle  vouloit  donner  aux  princes 
confédérés,  afin  qu'ils  puissent  obtenir  une  bonne  et 
sure  paix  ^ 

Que  Sa  Majesté  ne  croyoit  pas  que  l'on  pût  obtenir 
ce  grand  et  nécessaire  bien  par  un  meilleur  moyen 
qu'en  établissant  entre  les  confédérés  une  réciproque 
obligation  de  ne  point  désarmer,  jusqu'à  ce  que  la 


PB  BicHBUBu.  [i633J  a97 

paix  fût  Gonclae  dans  une  libre  diète,  avec  la  joste 
satisfaction  de  tous  les  intérêts,  sans  s'arrêter  aux 
promesses  et  artifices  de  la  maison  d'Autriche  ;  à  qaoi 
il  falloit  joindre  que  lesdits  confédérés  ne  pourroient 
faire  la  paix  que  d'un  commun  consentement,  et  que 
si  après  qu'elle  seroit  fiiite  quelqu'un  contrevenoit 
aux  choses  qui  auroient  été  arrétéfs,  soit  en  général 
ou  en  particulier,  et  venoit  à  molester  les  États  des- 
confédérés ,  ils  seroient  tous  obligés  d'entrer  en  guerre 
ouverte  contre  les  auteurs  de  ce  mal. 

Sur  quoi  le  sieur  de  Miré  leur  feroit  connoltre 
Tobligation  qu'ils  avoient  au  Roi  de  ne  vouloir  pas 
seulement  employer  son  autorité ,  mais  aussi  sa  puis- 
sance et  les  forces  de  son  royaume  en  cette  occasion, 
et  leur  remontreroit  que  c'étoit  la  seule  voie  qui  les 
pût  conduire  à  l'aflermissement  de  la  tranquillité  pu- 
blique; et,  comme  il  n'y  avoit  rien  à  craindre  pour 
eux  s'ils  se  joignoient  de  tout  leur  pouvoir  en  ce 
salutaire  conseil  de  Sa  Majesté,  que  s'ils  ne  le  &i- 
soient  leur  perte  étoit  indubitable.  Et  pource  qull 
ne  falloit  pas  omettre  de  maintenir  en  l'amitié  da 
Roi  les  princes  catholiques,  auxquels  elle  envoya 
le  sieur  de  Saint- Etienne  et  spéé^hement  vers  le 
duc  de  Bavière ,  qui  est  le  chef  de  la  ligue ,  et  lui 
donna  charge  qu'auparavant  que  de  le  voir ,  il  pas- 
sât chez  rélecteur  de  Cologne ,  à  ce  qu'il  s'employit 
vers  son  frère  pour  lui  rendre  plus  considérable  le 
soin  que  le  Roi  prenoit  de  leurs  communs  intérêts } 
pour  cet  effet  il  lui  envoya  des  lettres  en  créance  pour 
les  cinq  électeurs  ecclésiastiques  et  pour  l'évéquede 
Wurtzbourg,  et  une  lettre  au  baron  de  Femf ,  quifiii- 
soit  mention  que  le  Roi ,  connoissant  son  affection  et 


U98  [l633]    11É1101HB5 

sa  fidélité  vers  la  maison  de  Bavière ,  et  sachanl  aussi 
que  ledit  sieur  de  Femf  n'ignoroit  pas  les  bonnes  in- 
tentions de  Sa  Majesté  vers  ladite  maison ,  elle  auroit 
bien  agréable  que  l'électeur  de  Cologne  envoyât  lodit 
sieur  de  Femf  vers  M.  de  Bavière  avec  le  sieur  de 
Saint-Etienne,  quelle  avertit  qu'il  falloit  considérer 
à  part  les  intérêts  desdits  électeurs  et  leur  parler  con- 
formément; 

Que,  si  le  duc  de  Bavière  se  plaignoit  que  le  Roi 
n'avoit  pas  observé  letraité  fait  avec  lui ,  le  sieur  de 
Saint-Étienne  lui  représenteroit  brièvement  ce  qu'il 
lui  avoit  plusieurs  fois  remontré  sur  ce  sujet,  qui  con- 
sistoit  à  dire  qu'il  a  été  plutôt  agresseur  qu'agressé. 
Et  quant  aux  100,000  écus  promis  par  le  Roi  au  mois 
de  juillet  dernier ,  il  pouvoit  alléguer  les  troubles  du 
Languedoc ,  et  qu'il  eut  crainte  aussi  que  cela  n'em- 
pêchât la  suspension  qu'il  traitoit  entre  le  roi  de  Suède 
et  lui,  dont  il  avoit  donné  charge  audit  sieur  de  Saint- 
Étienne  ,  et  depuis  au  sieur  de  LaGrange-aux-Ormes, 
auquel  lequel  ledit  duc  déclara  lors  qu'il  ne  se  pouvoit 
séparer  de  l'Empereur; 

Que  le  duc  de  Bavière  n'étoit  pas  en  état  de  se 
passer  de  Tassitlince  du  Roi ,  pour  la  crainte  qu'il 
auroit  que  le  roi  d'Angleterre ,  les  Hollandais  et  les 
protestans  d'Allemagne ,  lui  redemandassent  ce  qu'il 
tenoit  au  Palatin  ;  sur  quoi  il  falloit  essayer  de  le  por- 
ter de  lui-même  à  déclarer  qu'il  entendoit  que  son 
alliance  avec  le  Roi  continuât ,  ce  que  le  sieur  de 
Saint-Étienne  diroit  être  l'intention  de  Sa  Majesté , 
et  lui  en  porteroit  parole  de  nouveau.  Et  combien  que 
cela  ne  servît  pas  pour  faire  que  ledit  duc  donnât  à 
la  France  le  secours  promis  ,  l'on  en  pourroit  tirer 


DB  aiGHBUsu.  [i63ij  ^99 

cet  avantage  qa*îl  seroit  moins  notre  ennemi  ^  plus  re-       ^ 
tenu  à  nous  offenser,  et  mieux  dispose  à  faciliter  nos 
intérêts  et  notre  entrée  en  b  diète  ; 

Que  le  sieur  de  Saint-Étienne  insisteroit,  ensuite 
de  ses  instructions  précédentes,  à  remonUer  audit  • 
duc  Tutiliié  qu'il  recevroit  d'entrer  en  une  Knne  in- 
telligence avec  les  électeurs  de  Saxe  et  de  Brande* 
bourg  -,  que  par  la  mort  du  roi  de  Suède,  quiles  retenoit 
en  crainte ,  cette  affaire  se  pourroit  mieux  avaneer 
qu'auparavant,  et  que  le  Roi  y  offroit  son  entremise; 

Que  le  dessein  de  Sa  Majesté  étpit  de  s'employer 
de  tout  son  pouvoir  pour  établir  une  bonne  paix  en 
la  chrétienté,  et  commencer  par  celle  de  l'Empire; 

Que  ledit  duc  savoit  combien  il  importoit  à  tous , 
pour  acquérir  un  repos  assuré,  de  se  garantir,  pour  le 
présent  et  l'avenir ,  des  desseins  ambitieux  de  la  mai- 
son d'Autriche  ; 

Que  Sa  Majesté  étoit  entièrement  résolue  d'entrer 
avec  l'Empereur  en  ua  siiicère  accommodement, 
quand  même  l'Espagne  n'y  voudroit  pas  venir,  et  de 
terminer  avec  lui  tous  leurs  différends  sous  des  condi<^ 
tions  raisonnables  ; 

Que  le  Roi  ne  seroit  pas  marri  que  ledit  doc  y 
contribuât  ses  bons  offices  vers  l'Empereur,  etqn'il 
feroit  grande  estime  de  4$s  conseils  et  de  son  appro- 
bation en  cette  affaire. 

Et  d'autant  qu'il  seroit  impQAfible  qqe  l'Empereur 
et  Bavière  ne  surent  aussitôt  ce  qui  se  passerpit  de 
la  part  du  Roi  avec  les  prote^tws  »  que  le  sieur  de 
Saint-Étienne  ne  céierpit  pas  audit  duc  que  Safiflir- 
jesté  avoit  envoyé  vers  eux  j^vec  ce  pripcipal  desieiu 
de  les  disposer  à  la  paix  générale  et  à  une  spéciale 


3oO  [l633]   MÉMOIRES 

•l|||^  confiance  envers  ledit  duc  pour  lui  moyenner  tous 
les  avantages  possibles,  qui  ne  seroient  jamais  si 
grands  que  Sa  Majesté  les  dësiroit  de  toute  son  affec- 
tion ^  que  si  ledit  duc  se  plaignoit  que  tant  s'en  faut , 
qu'il  sawit  que  le  Roi  traitoit  dé  renouveler  son  al- 
liance de  Suède  avec  l'électeur  de  Saxe ,  et  protéger 
les  protestans  contre  les  catholiques,  et  que  ce  n'é- 
toit  pas  le  moyen  de  faire  croire  à  l'Empereur  et  aux 
catholiques  que  l'on  eût  intention  de  la  paix ,  et  qu'on 
les  voulût  aimerp  que  c'étoit  les  jeter  par  force  entre 
les  bras  des  Espagnols  ;  le  sieur  de  Saiut  Etienne  lui 
diroitf  sans  avouer  ce  que  dessus],  qu'il  ne  tiendroit 
qu'à  l'Empereur  et  audit  duc  que  le  Roi  ne  leur  aidât 
à  établir  solidement  la  religion]  et  la  liberté  dans 
l'Empire  ;  que  l'Empereur  le  pouvoit  faire  en  accor- 
dant à  tous  et  même  au  Roi  des  conditions  équitables  ^ 
que  s'il  ne  le  vouloit  pas ,  le  même  duc  l'y  pouvoit 
réduire  avec  le  Roi  et  ses  amis;  que  pour  cela  Sa 
Majesté  n'étoit  pas  marrie  de  se  conserver  les  bonnes 
volontés  des  princes  ses  anciens  alliés  et  amis  dans 
l'Empire ,  et  d'empêcher  leur  ruine ,  dans  laquelle  se 
trouveroit  infailliblement  celle  du  duc  de  Bavière  si 
la  maison  d'Autriche  les  mettoit  à  sa  discrétion. 

Qu'il  étoit  à  croire  que. le  duc  de  Bavière  prieroit 
volontiers  le  sieur  de  Saint-Etienne  de  faire  le  voyage 
de  Vienne.  Sur  quoi  ledit  sieur  de  Saint-Etienne  fe- 
roit  paroitre  audit  duc  que  le  Roi  s'en  remettoit  à 
son  avis ,  et  le  prieroit  en  ce  cas  d'envoyer  quelqu'un 
des  siens  bien  intentionné  avec  lui  pour  appuyer  sa 
négociation ,  si  ledit  sieur  de  Saint-Etienne  jugeoit 
que  cela  lui  fût  utile,  ou  qu'il  sufllt  d'y  mener  de  sa 
part  le  sieur  de  Femf. 


DE  RICHELIEU.    [l633]  3oi 

Ledit  sienr  de  Saint-Etienne  lui  exposeroit  briève-  ^ 
ment,  sans  lui  rien  laisser  par  écrit ,  ou  au  moins  de 
sa  main ,  le  désir  et  la  justice  du  Roi  sur  les  princi- 
paux points  qui  pouvoient  être  mis  en  question ,  tels 
qu'étoient  ceux  que  Ton  avoit  baillés  au  sieur  de 
Launay  pour  les  représenter  à  TEmpereur,  jâjoutant 
ce  qui  étoit  survenu  depuis,  comme  étoit  ce  qui  re- 
gardoit  les  places  de  Téiecteur  de  Trêves,  que  le  Roi 
ne  prétendoit  pas  retenir ,  et  ne  vouloit  les  garder 
que  jusqu'à  ce  que  par  une  bonne  paix  ledit  Electeur 
n'eut  plus  sujet  de  craindre  qu'elles  lui  fussent  ôtées. 

Que  si  ledit  duc  demandoit  l'intention  du  Roi  sur 
le  temps  et  le  lieu  de  la  diète ,  Sa  Majesté  s'en 
rapportoit  à  lui ,  et  suivroit  en  cela  ce  qu'il  jugeroit 
pour  le  mieux.  Qu'il  falloit  savoir  de  lui  distincte- 
ment si  en  ce  cas  il  ne  demeureroit  pas  ferme  en  la 
résolution  que  le  Roi  intervint  en  la  diète  par  ses 
ambassadeurs  avec  l'honneur  qui  lui  étoit  dû  et  en 
qualité  de  médiateur  ,  comme  aussi  ledit  duc  se  pou- 
voit  assurer  que  le  Roi  y  auroit  un  soin  particulier 
de  ses  intérêts  et  de  sa  maison  :  que  le  sieur  de  Saint- 
Etienne  n'oublieroit  pas  de  représenter,  comme  déjà 
il  avoit  fait  plusieurs  fois  de  la  part  de  Sa  Majesté, 
le  dessein  qu'elle  avoit  d'assister  ledit  duc  de  tout 
son  pouvoir  en  l'élection  du  roi  des  Romains  quand 
l'occasion  s'en  oifriroit  ;  de  quoi  il  s'ouvriroit  aussi  à 
M.  de  Cologne  et  non  à  autre.  Qu'il  leur  remontre- 
roi  t  combien  il  importoit  qu'ils  ne  s'engageassent  point 
de  donner  parole  à  l'Empereur  du  temps  ni  de  la  per- 
sonne, étant  nécessaire  de  voir  auparavant  que  toutes 
choses  fussent  si  bien  établies  qu'il  n'y  eût  lieu  d*ap* 
préhender  qu'elles  vinssent  de  nouveau  à  être  tra- 


302  [l633J    HÉMOIRES 

versées  par  les  desseins  de  la  maison  d^Autriche,  qui 
redoubleroit  ses  espérances  et  ses  efforts,  si  l'Empire 
venoit  encore  cette  fois  entre  ses  mains,  de  le  réduire 
en  monarchie.  Que  le  mieux  étoit  d'attendre  ce  qu'il 
plairoit  à  Dieu  de  disposer  de  la  personne  de  l'Empe- 
reur, seTon  les  coutumes  anciennes.  Que  le  sienr  de 
Saint-Etienne  donneroit  part  de  toutes  les  choses 
qu'il  diroit  audit  duc,  à  l'électeur  de  Cologne  son 
frère,  le  conviant,  en  considération  de  son  propre 
bien ,  de  le  porter  à  l'amitié  du  Roi ,  et  de  ne  se  pas 
éloigner  de  ce  qu'il  lui  représentoit ,  soit  en  ce  qui 
regardoit  une  bonne  intelligence  entre  sa  maison  et 
celle  de  Saxe ,  soit  en  ce  qui  touchoit  la  justice  des 
intérêts  de  Sa  Majesté  sur  le  sujet  de  ses  différends 
avec  la  maison  d'Autriche.  A  quoi  le  sieur  de  Saint- 
Etienne  ajouteroit  que  ledit  électeur  de  Cologne  ne 
pouvoit  ignorer  les  effets  de  la  bienveillance  de  Sa 
Majesté  envers  lui  en  l'assistance  qu'elle  lui  avoit 
rendue  pour  le  garantir  de  Suède  et  des  Hollandais , 
ce  qu'elle  continueroit  volontiers,  se  promettant  aussi 
qu'il  en  seroit  reconnoissant.  Que  pour  ce  qui  étoit 
de  l'électeur  de  Trêves ,  il  radouciroit  autant  qu'il  lui 
seroit  possible  ses  aigreurs  et  ses  plaintes ,  l'exhor- 
tant de  demeurer  constant  en  l'amitié  du  Roi,  qui  se- 
roit toujours  son  meilleur  ami. 

Qu'il  lui  diroit  avoir  charge  de  Sa  Majesté,  pour 
l'intime  confiance  qu'elle  prenoit  en  lui ,  de  lui  £iire 
part  de  ses  intentions  pour  le  repos  de  l'Allemagne,  et 
du  sujet  de  son  voyage  qui  tendoit  à  cette  fin ,  comme 
faisoit  aussi  celui  des  sieurs  de  Charnacé  et  de  La 
Grange  vers  les  électeurs  de  Saxe  et  deBrandeboui^. 

Que  le  Roi  se  tenoit  assuré  qu'il  appuieroit  tou- 


DE   RICHELIEU.    [l633J  3o3 

jours  toutes  les  bonnes  résolutions  de  Sa  Majesté  pour 
établir  solidement  les  intérêts  de  la  religion  et  de  la 
liberté  publique,  et  les  siens  en  particulier,  se  con- 
fiant que  ledit  Electeur  feroit  le  même  en  son  en- 
droit, lui  portant  de  nouveau  parole  de  la  part  de 
Sadite  Majesté  qu'elle  le  maintiendroit  envers  tous 
et  contre  tous. 

Et  parce  que  ledit  Electeur  faisoit  grand  état  de 
^estime  qu'on  faisoit  de  lui  en  lui  témoignant  con- 
fiance, le  sieur  de  Saint-Etienne  lui  pourroit  dire 
toutes  les  mêmes  choses  qu  il  feroit  entendre  au  duc 
de  Bavière,  le  priant  de  les  tenir  secrètes. 

Qu'il  seroit  à  propos  qu'en  même  temps  il  plut  au 
Roi  de  commander ,  si  déjà  cela  ne  s'étoit  fait ,  que 
M.  le  maréchal  d'Estrées  et  le  sieur  de  La  Saludie 
prissent  un  soin  particulier  de  donner  tout  le  con* 
tentement  possible  audit  Electeur  en  toutes  les  choses 
qui  concernoient  l'honneur  dû  à  sa  qualité,  et  la  libre 
jouissance  de  ses  biens  et  droits ,  comme  nussi  au 
soulagement  de  ses  sujets ,  et  en  tout  ce  qui  ne  con* 
irarieroit  pas  aux  ordres  exprès  du  Roi  et  à  la  sûreté 
des  places,  étant  de  très-grande  importance  pour 
l'exemple  de  ne  point  aliéner  ledit  Electeur,  et  de  lui 
ôter  tout  sujet  de  plaintes. 

Que  le  sieur  de  Saint-Étienne  verroît  aussi  l'élec* 
teur  de  Mayence ,  et  lui  diroit  avoir  charge  du  Roi 
de  l'assurer  de  la  continuation  de  sa  bonne  volonté 
pour  le  bien  de  la  religion  et  le  repos  de  l'AUeàiagne» 
Qu'il  avoit  vu  avec  beaucoup  de  regret  le  malheur 
qui  étoit  arrivé  audit  Electeur»  et  de  n'avoir  pu  cou* 
tribuer  à  y  apporter  un  aussi  prompt  remède  qu'il 
eût  bien  désiré.  Que  devant  la  mort  du  roi  de  miède 


3o4  [l633]    MÉMOIRES 

il  n'avoît  pas  manqué  de  tenter  plusieurs  moyens 
pour  y  parvenir,  et  même  avoit  envoyé  Tété  passé  le 
sieur  de  La  Grange-aux-Ormes  pour  disposer  quelque 
bon  accommodement  dont  il  auroit  parlé  au  roi  de 
Suède ,  au  duc  de  Bavière  et  au  duc  de  Fridland ,  ce 
qui  pour  lors  n'ayant  pu  réussir  pour  la  chaleur  de^ 
armées  si  proches  les  unes  des  autres,  Sa  Majesté 
avoit  bien  voulu  pousser  en  avant  ce  dessein,  et 
pour  cet  effet  auroit  commandé  au  sieur  de  Saint- 
Etienne  de  voir  messieurs  les  électeurs  catholiques 
pour  savoir  d'eux  comment  elle  pourroit  promouvoir 
avec  eux  la  paciGcation  des  présens  troubles. 

Que  Sa  Majesté  estimoit  que  Tun  des  moyens 
plus  propres  pour  y  arriver  étoit  de  réunir  les  cœurs, 
et  mettre  en  bonne  intelligence  les  électeurs  catho- 
liques et  les  protestans  *,  que  Sa  Majesté  ne  manque- 
roitde  faire  tout  ce  qui  dépendroit  d'elle  pour  les  y 
disposer*,  qu'elle  croyoit  que  ledit  Electeur,  qui  avoit 
toujours  témoigné  une  grande  affection  pour  la  tran- 
quillité publique,  n'y  seroitpas  seulement  porté,  mais 
y  inviteroit  les  autres. 

Que  le  Roi  ne  pouvoit  croire  ce  que  quelques-uns 
mal  affectionnés  à  Sa  Majesté  et  audit  sieur  Electeur 
avoient  voulu  persuader,  qu'il  s'étoit  totalement  dé- 
tourné de  l'amitié  de  la  France ,  se  plaignant  de  n'en 
avoir  point  été  assisté  pour  son  rétablissement.  Que 
Sa  Majesté  le  connoissoit  trop  équitable  et  judicieux 
pour  avoir  cette  opinion  dans  la  connoissance  qu'il 
avoit  des  choses  passées.  Sur  quoi  le  sieur  de  Saint- 
Etienne  étoit  de  lui-même  assez  instruit  pour  lui 
dire  tout  ce  qui  convenoit  pour  ce  sujet. 

Ce  qui  consistoit  principalement  h  lui  faire  remar- 


DE   RICHELIEU.    [l633j  itS 

({uer  que  long-temps  auparavant  la  prise  de  Mayence 
]e  Roi  avoit  préparé  un  remède  pour  le  garantir  par 
la  neutralité  consentie  et  signée  du  roi  de  Suède; 
que  lors  de  la  prise,  les  Espagnols  qu'il  avoit  appelés 
Tabandonnèrent;  qu'après,  le  Roi,  qui  n'en  pouvoit 
ôter  le  roi  de  Suède  que  par  force ,  de  quoi  il  étoit 
empêché  par  les  mauvais  desseins  des  Espagnols 
contre  son  Etat ,  avoit  toujours  donné  lieu  et  fait  in- 
sérer un  article  en  tous  les  traités  de  neutralité  et 
suspension  proposés  depuis  entre  le  roi  de  Suède  et 
la  ligue  catholique,  à  ce  que  ledit  Electeur  pût  ren- 
trer en  ses  droits  dans  un  accord  général,  ce  que  Sa 
Majesté  n'eût  pas  manqué  d'appuyer  de  tout  son 
pouvoir  avec  la  même  affection  qu'elle  qn  avoit 
maintenant,  se  promettant  aussi  qu'il  auroit  égard 
aux  justes  intérêts  de  Sa  Majesté  pour  lui  aider  à  ter- 
miner les  différends  qui  pouvoient  retarder  la  paix 
de  la  chrétienté,  et  un  accord  solide  entre  ceux  qui  y 
avoient  la  principale  autorité. 

Que  ledit  sieur  de  Saint-Etienne  diroit  le  même  à 
M.  de  Wurtzbourg,  s'il  étoit  à  Cologne. 

Que  n'ayant  rien  à  conclure  avec  lesdits  électeurs , 
il  s  y  arrêteroit  le  moins  qu'il  pourroit  pour  se  rendre 
promptement  vers  le  duc  de  Bavière,  ce  qu'il  ne 
laisseroit  pas  de  faire  quand  par  quelque  accident  le 
sieur  de  Femf  ne  pourroit  aller  avec  lui. 

Que  si  ledit  duc  prioit  le  sieur  de  Saint-Etienne  de 
voir  le  duc  de  Saxe  pour  moyenner  entre  eux  une 
bonne  intelligence ,  il  le  supplieroit  de  l'excuser,  lui 
disant  que  s'il  falloit  qu'il  vit  l'Empereur  ce  voyage 
le  rendroit  suspect,  ce  qu'il  pourroit  faire  au  retour, 
s*offrant  aussi  d'en  écrire  dès  lors  à  M.  de  Chamcë 
T.  27.  20 


fh6  [l633j   MÉMOIRES 

ou  au  sieur  de  La  Grange,  selon  que  ledit  duc  Vauroit 
plus  agréable ,  les  susdits  étant  chargés  de  le  servir 
en  cette  occasion  au  nom  du  Roi,  qui  même  y  enver- 
roit  exprès  quelque  autre  si  ledit  duc  le  jugeoit  pour 
le  mieux.  Qu'après  que  ledit  sieur  de  Saint-Etienne 
auroit  satisfait  à  ce  que  porte  son  instruction  près  le 
duc  de  Bavière ,  il  s'en  iroit  vers  TEmpereur,  auquel 
il  présentcroit  la  lettre  du  Roi ,  qui  contiendroit  en 
substance  que  dès  lors  que  l'Empereur  envoya  en 
cette  cour  le  baron  de  Schwartzemberg ,  au  mois  de 
mars ,  pour  convier  le  Roi  de  rechercher  avec  lui  les 
moyens  plus  propres  pour  établir  le  repos  de  la  chré- 
tienté et  la  paix  de  TEmpire,  et  de  terminer  les  diffé- 
rends qui  pourroient  être  cause  de  retarder  ce  bon 
œuvre,  Sa  Majesté  n'avoit  manqué  de  témoigner 
avec  quelle  franchise  et  promptitude  elle  étoit  dis- 
posée à  Tembrasser,  ayant  fait  représenter  audit  baron 
de  Schwartzemberg  tous  les  points  qui  lui  sembloient 
devoir  être  considérés  pour  parvenir  à  cette  fin;  ce 
qu'elle  fit  pour  éviter  les  longueurs  qui  se  rencon- 
trent ordinairement  dans  les  négociations  solennelles, 
et  qui  servent  plutôt  à  l'apparence  que  pour  en  reti- 
rer un  prompt  et  véritable  effet. 

Qu'aussi  Sa  Majesté  avoit  estimé  qu'ayant  plu  à  Sa 
Sainteté  envoyer  des  nonces  extraordinaires  vers 
l'Empereur  et  lui,  ils  ne  pourroient  confier  cette 
affaire  avec  plus  de  sûreté  et  d'espoir  d'un  heureux 
succès  qu'à  des  personnes  envoyées  du  père  commun 
des  princes  chrétiens ,  et  auquel  il  appartient  plus 
qu'à  nul  autre ,  tant  pour  la  dignité  de  sa  charge  que 
pour  les  excellentes  qualités  qui  se  trouvent  en  lui , 
de  remployer  en  une  si  sainte  action. 


DE  BICHELIEU.   [l633]  ^67 

Sur  quoi  Sa  Majesté  n'ayant  point  su  les  volontés 
de  l'Empereur ,  sinon  qu'il  auroit  désiré  qu'elle  en^ 
Yoyât  vers  lui  quelqu'un  auquel  il  pût  déclarer  ses 
résolutions,  avec  Fintervention  desdits  sieurs  nonces^ 
elle  auroit  bien  voulu  ^  pour  n'omettre  aucun  moyéii 
de  lui  rendre  des  preuves  de  sa  sincère  affection  en 
son  endroit,  et  en  ce  qui  regardoit  la  tranquillité  pa<« 
blique,  dépécher  vers  lui  le  sieur  de  Saint-Étienne 
afin  d'entendre  ses  intentions  sur  ce  sujet,  Sa  Majesté 
le  priant  instamment  de  croire  que  les  siennes  au-^ 
roient  toujours  pour  leur  but  principal  le  bien  de  h 
chrétienté,  et  qu'en  particulier  une  de  ses  plus  fortes 
passions  étoit  de  voir  les  choses  en  tel  état  qu'elle 
pût  faire  connoitre  audit  Empereur  l'estime  singn* 
lière  qu'elle  faisoit  de  son  amitié ,  ainsi  que  le  sieur 
de  Saint-Etienne  lui  ponrroit  représenter  plus  am** 
plement ,  auquel  Sa  Majesté  le  prioit  de  prendre  nne 
entière  créance  en  ce  qu'il  lui  dûroit  de  sa  part. 

Que  le  sieur  de  Saint- Etienne  parleroit  à  l'Empe^ 
reur  conformément  à  cette  lettre,  dont  il  étendroit  la 
créance  en  des  civilités  et  témoignages  de  l'entière 
disposition  qu'avoit  le  Roi  d'entrer  avec  lui,  et  même 
avec  le  roi  Catholique ,  en  une  parfaite  intelligence, 
le  conviant  d'ôter  tous  les  sujets  qui  pourroient  em-^ 
pécher  cette  union  si  nécessaire  pour  la  gloire  de 
Dieu ,  le  repos  de  l'Eglise ,  le  bien  de  la  chrétienté  et 
de  leurs  Etats. 

Qu'il  ne  falloit  pas  douter  qu'à  l'abord  l'Empereoi' 
feroit  deux  choses  :  l'une ,  de  se  plaindre  de  ce  qui 
s'étoit  passé  ci-nievant  en  l'alliance  du  roi  de  Suède  ^ 
et  de  ce  que  de  nouveau  le  Roi  vouloit  niai|knir 
contre  lui  les  princes  qui  dépendoient  de  son  auto-- 

ao. 


3&S  [l633]   MÉMOIRES 

rite,  et  rallumer  la  guerre  j  qui  sans  cela  seroit  éteinte 
par  la  mort  dudit  Roi  ^ 

L'autre  ëtoit  qu'il  lui  diroit  qu'il  ne  pou  voit  traiter 
avec  lui  s'il  n'en  avoit  le  pouvoir ,  et  que  ce  seroit 
autrement  le  vouloir  iaire  parler  sans  fondement  et 
découvrir  ses  intentions. 

Que  tedit  sieur  de  Saint-Elienne  répondroit  sur  le 
premier  point,  que  l'Empereur  savoit  bien  qae  le 
I(oi  n'avoit  pas  comipencé  les  moavemens  dltalie , 
qu'ils  u'avoieat  pas  encore  cessé ,  et  que  Mantoue 
n'avoit  pas  été  rendue  que  long- temps  après  que  le 
Rpi  fît  son  traité  avec  le  roi  de  Suède  ;  que  Sa  Ma- 
jesté pour  roi  t  aussi  se  plaindre  de  l'assistance  que  ses 
gens  avoient  donnée  à  Monsieur ,  son  frère  ;  que  si 
l'ou  vouloit  entrer  en  des  termes  d^ccord ,  U  étoit 
à  propos  de  quitter  tous  ces  discours,  qui  ne  servi- 
roient  qu'à  aigrir  de  part  et  d'autre. 

QuepouiTce  qui  étoit  du  présent,  le  Roi  seroit 
le  premier  à  porter  tous  ses  amis  à  honorer  et  servir 
l'Empereur  quand  il  lui  en  donneroit  Ueu;  qu'il  se- 
roit trèst-marri  si  cela  ne  pouvoit  être ,  et  qotil  ne 
tiendrcùt  pas  à  lui  :  en  quoi  le  sieur  de  Saint-Etienne 
prendroit  garde ,  en  conservant  ce  qui  étoit  de  la 
dignité  du  Roi ,  de  ne  donner  occasion  à  l'Empereur 
de  se  plaindre  qu'on  eût  manqué  en  ce  qui  se  de- 
voit  k  la  sienne. 

Que  sur  le  second  point,  le  sieur  de  Saint-Etienne 
diroit  que  le  Roi  lui  auroît  donné  inutilement  le 
pouvoir  de  conclure  et  d'arrêter  un  traité,  n'étant 
pas  assuré  de  l'intention  de  l'Empereur  sur  les  points 
part^uliers  sur  lesquels  le  Roi  n'avoit  point  fait  dif- 
ficulté de  loi  déclarer  les  siennes  ;  desquelles  y  si 


DB  fllQXBUSU.  [t633]  OT^ 

l'Empereur  s'éloignoît  entiëredleiit ,  il  n'y  âurtott  pis 
grande  apparence  de  Vjenir  à  un  bon  accommode- 
ment. 

Que  le  Roi  l*avoit  envoyé  pour  eohfirmer  à  l'Em- 
pereur les  mêmes  dioses  iju^il  atoit  bit  dire  au  baron 
de  Schwartzemberg,  parce  qu'il  sembloit,  parles  lettres 
de  messieurs  les  nonces  i{iii  ëtoient  .à  Vienne ,  que 
l'Empereur  ne  vouloit  ajouter  crëanCe  en  ce  que  Tûn 
des  siens  lui  portait  de  k  part  du  Roi,  lequel  pou- 
voit  être  désavoué  fiMoHement.  V 

Que  sur  le  refi»  qite  l'Empereur  pourroit  fiiitie  die 
s'ouvrir  audit  sieur  de  Saint«-Etienne ,  il  emploiendt 
messieurs  les  nonces  »  et  spécialement  M.  Grimaldl  » 
qui  ëtoit  l'eitraordinains ,  pour  Voir  ce  qu^ils  pottf- 
roieut  retirer  dndit  Empereur,  afin  que  le  Rôi  pàt 
prendre  sur  cela  une  plus  certaine  Htet^lntion. 

Que  cependant  le  siéur  de  Siint-Etienne  évitê* 
roit  tous  les  discours  de  mptttte ,  et  attendrait  près 
de  l'Empereur  de  oonveftuic  ordres  de  Sa  Majesté,  à 
laquelle  il  feroit  savoir  an  f^lutêt  ce  qu'il  anMit 
reconnu  de  delà  f  après  s^en  être  informé  le  tniettz 
qu'il  lui  serait  possible. 

Et  pource  que  le  sieur  Liberei  étoit  si  âVtncé  éa 
âge  qu'il  ne  pouvott  plus  snpporter  la  peitte  dei  négtt- 
ciaiions,  Sa  Majesté  le  retirfe  de  là  diàrgé  tjull  atdit 
de  résident  près  de  l'Empereur ,  et  enVoyi  eki  te 
place  le  sieur  de  Qiarbonnières ,  ittquel  elle  doMia 
les  ordres  et  instructions  ooiiformes  à  celles  qn*élle 
avoit  données  an  sieur  de  Seint^Etienné.  Elle  lui  cMk- 
manda  de  voit  encore  en  passant  le  dtic  de  BâvièM  » 
lequel  ayant  de  nouveau  écrit  au  Roi ,  et  SA  Ifljetté 
s  étant  par  sa  réponse  remise  fc  là  créance  dodit  Qiar- 


3X0  [l633J   MÉMOIRES 

bonnières,  il  devoit  se  préparer  à  répondre  à  ce  que 
le  duc  de  Bavière  mettoit^en  avant,  qui  étoit  que 
Falliance  faite  entre  le  Roi  et  lui  oblige  à  défendre 
celui  qui  sera  attaqué ,  et  que  la  proposition  de  faire 
entrer  en  neutralité  celui  qui  est  agressé  avec  Tagres- 
seur ,  ne  satisfait  pas  à  Tobligation  portée  par  Tal- 
liance,  spécialement  quand  Tagresseur  persiste  sur 
des  conditions  injustes. 

A  quoi  il  falloit  répondre  que  èe  Roi  n'avoit  point 
proposé  la  n^jitralité  pour  se  désengager  de  satisfaire 
à  Ualliance ,  mais  pour  éviter  le  dommage  que  le  duc 
de  Bavière   pourroit  recevoir  du    roi  de  Suède  » 
comme  en  effet  il  avoit  reçu,  ce  qui  apparoissoit 
en  ce  que  le  Roi  avoit  obtenu  dudit  roi  de  Suède 
son  consentement  d'accepter  la  neutralité  avec  le 
duc  de  Bavière  et  la  ligue  catholique  y  long-temps 
auparavant  le  traité  d'alliance  entre  Sa  Majesté  et 
le  duc  de  Bavière.  Et  qu'il  fût  ainsi  sur  les  paroles 
de  ladite  alliance  qui  n'étoit  que  défensive ,  il  étoit 
évident  que  les  troupes  du  duc  de  Bavière ,  sous 
la  conduite  du  général  Tilly  ,  avoient  attaqué  à 
Bamberg  les  troupes  du  roi  de  Suède ,  ce  qui  avoit 
été  cause  qu'il  étoit  entré  dans  la    Bavière   sans 
que  le  traité  de  neutralité  eût  pu  être  cou^u ,  tant 
à  cause  de  ladite  attaque  que  pource  que  le  sieur 
Kutbner  ne  s'étoit  point  rendu  à  temps  à  Mayence, 
pour,  conjointement  avec  les  ambassadeurs  de  Sa 
Majesté ,  insister  sur  la  modération  des  articles  pro» 
posés  par  le  roi  de  Suède ,  qui  témoigna  aux  ambas- 
sadeurs du  Roi  qu'il  ne  falloit  pas  trouver  étrange 
si  à  l'abord  chacun  avoit  fait  ses  conditions  les  meil- 
leures qu'il  put,  et  desquelles  on  convient  quand 


DB  RICHBLIBU.    [l633]  3lt 

il  est  question  de  résoudre ,  et  qu'il  y  intervient  un 
puissant  entremetteur  tel  q^^^st  le  Roi. 

Qu*en  second  lieu ,  ledit  duc  de  Bavière  allégue- 
roit  plusieurs  raisons  pour  montrer  qu*il  n*avoit  pu 
accepter  la  suspension  d'armes. 

A  quoi  il  suffisoit  de  répondre  que  le  Roi  ne  Tavoit 
désirée  qu'autant  qu'il  avoit  estimé  qu'elle  seroit 
utile  audit  duc,  et  que  puisque  les  circonstances  des 
choses  lui  avoient  fait  croire  que  l'état  de  ses  afiàires 
ne  le  requéroit  pas ,  Sa  Majesté  se  réfltettoit  volon- 
tiers à  ce  qu'il  avoit  estimé  être  pour  le  mieux. 

Qu'en  troisième  lieu ,  le  duc  de  Bavière  faisoit  ins- 
tance que,  puisqu'après  la  mort  du  roi  de  Suède 
ceux  qui  avoient  suivi  son  parti  molestoient  ses 
Etats  et  s'étoient  emparés  de  plusieurs  de  ses  places , 
il  plût  au  Roi  l'assister  du  secours  pécuniaire  porté 
par  leur  alliance ,  et  disoit  qu'il  ne  croyoit  pas  que 
Sa  Majesté  dût  le  lui  refuser  pour  avoir  recherché 
Fassistance  de  l'Empereur  en  son  extrême  nécessité  » 
outre  que  par  le  traité  de  l'alliance  il  étoit  exprimé 
qu'il  ne  prétendoit  contrevenir  à  son  serment  électoral 
d'assister  l'Empereur  contre  ceux  qui  l'attaquoieilt» 
et  spécialement  en  une  cause  où  il  s'a|pssoit  du  péril 
manifeste  de  la  religion  et  de  l'invasion  de  l'Empire. 
Qu'il  &lloit  répondre  que  ce  que  fidsoient  lors  les 
princes  protestans  et  les  Suédois  contre  le  duc  de 
Bavière ,  étoit  ensuite  de  ce  qu'il  les  avoit  attaqués 
le  premier  à  Bamberg ,  et  lorsque  Tilly  entra  dans  la 
Saxe;  et  même  on  leur  faisoit  croire  que  ce  second 
ravage  que  les  troupes  de  Walstein  avoient  fiût,  avoit 
été  par  l'instigation  du  duc  de  Bavière; 
Que  le  Roi  ne  trouvoit  pas  mauvais  qu'il  secourût 


3ia  [i633]  MÉMOIRES 

VEmpereor  et  qu*il  en  tirât  da  secours,  s'il  croyoit  y 
être  obligé  par  son  devoir  on  par  la  nécessité  y  mais 
que  cela  n'empéchoit  pas  que  le  Roi  ne  demeurât 
désobligé  de  prendre  sa  défense ,  à  quoi  il  ne  croyoit 
être  tenu  contre  ceux  qui  attaqueroient  le  dac  de  Ba- 
yière  lorsque  lui-même  les  y  auroit  provoqués ,  en- 
core qu'il  reûtfait  avec  juste  cause,  comme  poarroil 
être  celle  d'assister  l'Empereur ,  étant  manifeste  que 
ce  seroit  une  trop  générale  obligation ,  tant  à  Tégard 
du  Roi  que  da^uc  de  Bavière,  s'il  falloit  que  l'un  d*6iix 
défendit  l'autre  contre  tous  ceux  qui  voudroient  avoir 
leur  revanche  du  dommage  qu'ils  en  auroient  reçu  ; 
ce  qui  seroit  plutôt  une  ligue  offensive  que  défensive, 
si  l'on  étoit  obligé  de  porter  ses  armes  ou  un  secours 
pécuniaire  contre  ceux  auxquels  le  Roi  ou  ie  duc  de 
Bavière  voudroient  faire  la  guerre  •, 

Que  si  cette  raison  avoit  lieu  absolument  et  uni- 
versellement ,  elle  avoit  beaucoup  plus  de  force  au 
fait  présent,  oii  l'on  ne  pouvoit  douter  que  le  secours 
que  le  Roi  donneroit  tournât  à  la  ruine  de  la  France , 
de  la  liberté  de  l'Allemagne  et  même  de  la  chrétienté, 
et  n'apportât  un  notable  préjudice  au  même  duc  èe 
Bavière  et  de  sa  maison  ;  qu'au  lieu  de  gvérir  une 
grande  blessure  on  la  rendoit  mortelle ,  }er0i[|ue,  sfiins 
avoir  soin  de  sonder  et  nettoyer  le  fond  de  ta  plaie , 
l'on  ne  regardoit  que  la  peau  ;  que  cette  peau  étoit 
l'apparence  et  le  prétexte  de  la  religion  dont  ks  Es- 
pagnols se  servoient  pour  endormir  le  monde,  et 
pour  faire  que  l'on  négligeât  ou  que  l'on  ne  considé- 
rât pas  le  mal  qu'ils  faisoient  à  l'Eglise  par  les  troubles 
qu'ils  apportoient  aux  princes  catholiques ,  chefdiant 
toutes  sortes  d'occasions  de  les  diviser  et  détruire  par 


DE  McsmEU.  [i6S3]  i\i 

secrètes  menées  ou  de  vÎTe  fioroe  ^  mibliant  pamt  tela 
la  défense  de  leurs  propres  sujets,  et  exposant  la  ifeli- 
gion  k  un  manifeste  péril. 

Et  sur  ce  sujet  le  Roi  prenoit  la  confiance  de  hiré 
entendre  au  duc  de  Bayière  ce  qu*il  ayoit  &il  pour  la 
paix ,  les  moyens  qu*il  avoit  tentés  pour  disposer  les 
Espagnols  à  un  bon  accommodement  t>ar  la  voie  de 
messieurs  les  nonces ,  et  ce  ^e  sur  cela  le  due  dXMfr- 
varès  a  voit  dit  et  préparé ,  ee  que  Ton  avoit  sujet  de 
craindre  de  l'Empereur  par  les  OMsefli  d'Espagne  ; 
que  le  vrai  moyen  d'élaUir  me  bonne  paix  ^  étoit 
que  tous  les  princes  de  rAUemagne  convinssent  en- 
semble pour  obtenir  des  conditions  justes  pour  te 
présent  et  sAres  pour  TaVenir;  que,  pour eet  effet ^  le 
Roi  prioit  le  duc  de  Bavière  de  se  joindre  à  lui  pMr 
faire  entendre  k  l'Empereur  qu'il  eât  à  consratîr  les 
propositions  équitables  de  Sa  Majesté ,  et  que  le  dM 
de  Bavière  promit  de  les  «pp*yer,coiaMie  le  Roi  ferait 
en  ce  qui  toucboit  ledit  duc  ;  que  le  Roi  envoyait 
dès  lors  prier  ses  amis  en  Allemagne  de  ne  le  pas 
molester,  et  pour  les  disposer  à  une  boone  paix^  eott- 
viant  ledit  duc  k  y  contribuer. 

Pour  conclusion,  quil  blloit  obtenir  de  lui,  s*il  se 
pouvoit,  qu'il  donnât  sa  pan^  de  fiure  ce  qu'il  pott- 
roit  pour  porter  l'Empereur  et  les  autres  princes  d'Al- 
lemagne k  consentir  les  justes  iatéréts  du  Roi',  quiiti 
seroient  déclarés  verbalement  ; 

Qu'il  se  rendit  garant  utec  iei  antres  princes  de 
maintenir  respectivement  avec  le  Rei  et  Ici  autres 
princes  qui  auroient  îstervena  en  ladite  diète,  coMte 
celui  ou  ceux  qui  manqnerment  de  tenir  cetqui  anrsât 
été  accordé  ; 


3l4  [l633j   MÉMOIRES 

Qu'il  contribaeroit  ce  qui  dépendoit  de  lui  à  ce 
que  les  ambassadeurs  du  Roi  j  en  qualité  de  média- 
teur, y  fussent  reçus  selon  Thonneur  qui  lui  étoit  dû; 
que  cependant  il  dissuaderoit  TEmpereur  de  molester 
la  France  \ 

Que  le  Roi  feroit  tout  son  possible  à  ce  que  Ratis- 
bonne ,  Donawert  et  autres  places  de  la  bienséance 
dudit  duc  de  Bavière ,  lui  demeurassent  par  un  ac- 
commodement, et  que  Sa  Majesté  appuieroit  de  tout 
son  pouvoir  ses  intérêts  en  Faffaire  du  Palatinat  lors- 
qu'il en  seroit  parlé  en  ladite  diète. 

Que  de  là  s'en  allant  trouver  FEmpereur  il  lui  pré- 
senta la  lettre  de  Sa  Majesté ,  qui  contenoit  en  sub- 
stance ,  que  Sa  Majesté  Impériale  ayant  fait  savoir  au 
Roi  qu  elle  eût  désiré  qu'il  lui  envoyât  quelqu'un  au- 
quel, avec  l'intervention  des  nonces  de  Sa  Sainteté, 
elle  pût  déclarer  ses  résolutions  pour  le  repos  de  la 
chrétienté  et  le  bien  de  l'Empire ,  elle  l'envoyoit  vers 
elle  pour  ce  sujet.  * 

Sa  Majesté  donna  charge  particulière  aUdit  Char- 
bonnières que,  s'il  apprenoit,  parole  rapport  des- 
dits nonces ,  et  spécialement  du  sieur  Grimaldi  qui 
étoit  l'extraordinaire,  que  l'Empereur  et  ceux  de  son 
conseil  fussent  en  disposition  d'accorder  des  condi- 
tions raisonnables ,  et  si  l'on  le  pressoit  de  déclarer 
s'il  avoit  charge  de  traiter ,  il  diroit  avoir  le  pouvoir 
d'entendre  les  intentions  de  Sa  Majesté  Impériale  et 
de  lui  faire  entendre  celles  du  Roi  sur  le&  points  de 
leurs  différends,  et  sur  les  choses  qui  pouvoient  ser- 
vir à  mettre  Leurs  Majestés  en  une  parfaite  intelli- 
gence ,  et  même  pour  avancer  la  paix  dans  I*Empire, 
autant  que  leRoi  y  pourroit  contribuer  ;  que  selon  que 


DE   RICHELIEU.    [l633]  3l5 

Ton  vcrroit  les  choses  être  préparées  pour  passer  et 
conclure  un  traité ,  le  Roi  ne  refuseroit  pas  de  com- 
mettre au  plutôt  un  plein  pouvoir  à  quelqu'un  des 
siens  pour  terminer  lesdits  différends ,  et  ensuite 
rendre  à  Sa  Majesté  Impériale  tous  les  plus  parfaits 
témoignages  de  son  affection,  et  que ,  pour  cet  effet , 
Ton  conviendroit  à  Vienne  ou  en  autre  lieu  qui  seroit 
jugé  plus  commode; 

Qu'il  ne  conféreroit  point  avec  les  gens  de  l'Empe- 
reur, que  M.  deFeuqoières  ne  lui  eut  fait  savoir  que  les 
princes  avec  lesquels  il  traitoit  le  trouveroient  bon  ; 
Et ,  auparavant  que  d'entrer  en  aucune  conférence, 
il  feroit  entendre  à  l'Empereur ,  ou  par  messieurs  les 
nonces  ou  par  lui-même ,  que  le  Roi  désiroit  savoir 
s'il  vouloit  comprendre  en  son  traité  avec  le  Roi  les 
intérêts  du  roi  d'Espagne,  d'autant  que,  s'il  y  étoit 
résolu ,  il  seroit  fort  à  craindre  que  la  longueur  et  la 
difllculté  qui  se  trouvoient  ordinairement  de  cette 
part  n'empêchât  une  bonne  et  prompte  issue  de  cette 
négociation  ; 

Que  Sa  Majesté  n'étoit  pas  éloignée  d'entrer  en  un 
entier  accommodement  avec  ledit  roi  d'Espagne ,  et 
ne  refusoit  pas  en  cela  l'entremise  de  l'Empereur,  mais 
que  la  raison  susdite  étoit  bien  à  considérer,  et  que  le 
Roi  estimoità  propos  d'en  être  éclairci;  sur  quoi  ledit 
sieur  de  Charbonnières  manderoit  par  deçà  la  réponse 
qu'on  lui  auroit  faite  *,  et,. au  cas  qu'il  eût  des  nou- 
velles du  sieur  de  Feuquières ,  comme  dessus ,  il  ne 
laisseroit  pas  de  conférer ,  quand  ce  ne  seroit  que 
pour  reconnoitre  ce  que  l'on  pourroit  attendre  de 
TEmpereur ,  à  ce  que  l'on  pût  sur  cela  prendre  ses 
mesures  ; 


3l6  [l633]   HÉMOIRES 

Que  Tune  des  premières  propositions  que  feroit 
TEmpereur  seroit  de  dire  que ,  s'atconimocknt  a Vec 
la  France,  Ton  ne  peut  molester  les  États  Tilti  de 
Fautre ,  directement  ni  indirectement ,  par  soi  ni  par 
autre  j  ni  assister  ceux  qui  le  voudroient. 

Sur  quoi  il  pourroit  répondre  que  Tintention  de 
Sa  Majesté  étoit  qu'il  fût  conclu ,  tant  en  soki  nom 
que  de  tous  ses  alliés ,  par  la  paix  générale  de  TEm- 
pire ,  que  les  choses  qui  y  seraient  délermikiées  d'un 
commun  consentement  fassent  maintenues  de  tous 
ceux  lesquels  interviendroient  en  ce  traité,  ensuite 
duquel  Sadite  Majesté  étoit  prête ,  noti-Beulemenl  de 
ne  point  aider  ceux  qui  youdroiettt  molestélr  l'Empe- 
reur ou  TEmpire  contre  ce  qui  àufoit  été  arrêté  en 
ladite  paix,  mais  aussi  de  défendre  TEmperenr  contre 
ceux  qui  le  youdroient  attaquer  an  préjudice  des  con- 
yentions  desquelles  Ton  seroit  demeuré  d'accord  ;  eu 
quoi  Sa  Majesté  se  promettoit  de  TEmpereur  une  pa- 
reille assistance ,  et  croyoit  en  cela  de  donner  à  tons 
une  preuve  évidente  de  sa  bonne  foi  et  du  désir 
qu'elle  avoitde  contribuer  tontine  qui  dépendoitd*elle 
pour  l'affermissement  de  la  tcatiquillité  publique  ; 

Qu'il  ne  falloit  douter  que  si  l'Empereur  allëguoit , 
comme  il  avoit  toujours  fait  jusques  ici ,  que  le  Roi 
lui  faisoit  tort  de  faire  des  alliances  daUs  l^mpire 
contre  son  autorité,  et  que  Sa  Majesté  ne  youdroit  pas 
que  l'Empereur  en  fit  autant  dans  la  France,  ledit 
Charbonnières  feroit  voir  combien  de  fois  des  empe- 
reurs de  sa  maison  et  lui-même  avoient  etdité  ût  ap- 
puyé nos  dissensions  civiles  ;  que  la  condition  des 
princes  et  des  villes  est  tout  autre  en  Allemagne 
qu'en  ce  royaume^  que  toujours  les  rois  de  Frân<iCf  y  ont 


DE   RICHELIEU.  [l633]  817 

OU  des  alliances  publiques;  qu'en  cette  occasion  le 
lloi  se  sert  de  celles  qu'il  y  a  pour  faciliter  une  bonne 
paix  et  enipccher  la  dissipation  de  TEmpire ,  et  même 
pour  conserver  la  religion ,  qui ,  sans  son  entremise  j 
auroit  été  bannie  de  plusieurs  lieux  de  FEmpire ,  dans 
la  fureur  des  guerres  qui  ont  pris  leur  origine  des 
mt^contentemens  et  soupçons  que  les  Espagnols  ont 
causés  ,  voulant  établir  leurs  intérêts  sous  le  nom  de 
Sa  Majesté  Impériale. 

Elle  lui  bailla  aussi  le  projet  de  la  manière  d*acoom* 
modement ,  qu'elle  lui  défendit  de  communiquer  à 
personne  quelconque,  et  commanda  de  s'en  servir 
seulement  pour  reconnoitre  mieux  s'il  y  avoit  moyen 
de  porter  l'Empereur  à  se  conformer  aux  intentions 
du  Roi,  et  pour  détourner  les  propositions  qu'on  lui 
pourroit  (aire,  qui  en  seroient  éloignées. 

Le  projet  qu'on  lui  donna  pour  terminer  les  diffé- 
rends entre  l'Empereur  et  le  Roi ,  sans  y  comprendre 
l'Espagne,  étoit: 

1*".  Que  l'Empereur  promettroit  de  ne  se  point 
opposer,  présentement  ni  à  l'avenir,  au  traité  fait 
entre  le  Roi  et  le  duc  de  Savoie  sur  l'échange  de 
Pignerol ,  et  de  ne  point  donner  de  secours  à  ceux 
qui  voudroient  troubler  Sa  Majesté  en  cet  échange  ; 
2?.  Qu'il  promettroit  aussi  de  ne  point  molester, 
directement  ni  indirectement ,  les  personnes ,  les 
villes,  les  places  et  les  terres  qui  sont  dans  les  trois 
é  véchés  de  Metz,  Toul  et  Verdun ,  ni  les  états  du  Roi 
pour  cette  cause ,  ains  laisseroit  les  choses  comme 
elles  étoient  à  présent,  bien  entendu  que  le  Roi  n'en- 
tendoit  en  aucune  fiiçon  préjudicier  aux  droits  qui 
appartiennent  ^  l'Empire; 


3l8  [l633]   MÉMOIRES 

3^.  Que  Sa  Majesté  remettroit  entre  les  mains  de 
M.  rélecteur  de  Trêves ,  sans  aucune  difficulté ,  les 
places  où  elle  tenoit  des  gens  de  guerre  dans  son  ar- 
chevêché ,  comme  y  étant  pour  la  défense  dudit  sieur 
Electeur ,  au  même  temps  que  par  la  cessation  des 
présens  troubles  dans  FEmpire  il  n'en  seroit  plus  de 
de  besoin  -, 

4''.  Que  le  Roi  promettroit  de  faire  avec  les  Gri- 
sons que  les  forts  qui  y  étoient  lors  seroient  entière- 
ment démoUs,  et  il  retireroit  ses  troupes,  ou  de  la 
nation  française ,  ou  autre  à  sa  solde ,  de  toute  la 
Rhétie,  y  comprenant  la  Valteline,  au  même  temps 
que  le  traité  de  Monçon ,  pour  Tassurance  de  Fobser- 
vation  duquel  les  Grisons  avoient  bâti  lesdits  forts , 
seroit  exécuté ,  en  quoi  le  Roi  promettoit  d'apporter 
de  sa  part  toute  diligence,  facilité  et  bonne  foi  -, 

5».  Que  TEmpereur  trouveroit  bon  de  tenir  une 
libre  diète  en  Allemagne ,  en  laquelle  tous  les  trou- 
bles qui  y  étoient  lors  mus  se  pussent  pacifier  raison- 
nablement, sans  préjudice  de  la  dignité  impériale  et 
de  la  sûreté  de  tous  les  princes  qui  y  avoient  intérêt; 

&.  Que  le  Roi  interviendroit  en  cette  diète,  pro« 
mettant  d'apporter  ce  qu'il  pourroit  vers  ces  princes, 
ses  amis  et  alliés ,  à  ce  que  les  choses  se  terminassent 
ainsi  que  dessus ,  au  contentement  de  l'Empereur  et 
de  toutes  les  parties  \ 

7*.  Qu'ensuite  de  ce  que  dessus  l'Empereur  n'atta- 
queroit,  directement  ni  indirectement,  le  roi  de 
France ,  et  généralement  les  lieux  et  États  qu'il  pos- 
sédoit,  et  n'assisteroit  en  sorte  quelconque  d'honunes^ 
d'argent ,  de  munitions ,  ni  en  aucune  manière  y  ceais 
qui  le  voudroient  faire  \ 


DE  RICHELIEU.   [i633j  3ig 

H\  Que  de  même,  ce  qae  dessus  présupposé,  le 
Roi  n'attaqueroit  ni  molesteroit,  directement  ni  in- 
directement ,  ]a  personne  de  FEmpereur  ni  TEmpire, 
et  généralement  les  lieux  et  Etats  qu^il  possédoit ,  et 
n'assisteroit  en  sorte  quelconque  d'hommes  ,  dar- 
gent,  de  munitions,  ni  en  aucune  manière ,  ceux  qui 
le  voudroient  faire  ; 

9".  Quil  seroit  convenu  entre  FEmpereur  et  le 
Roi  que  les  susdits  articles  auroient  lieu  du  jour  que 
la  paciûcation  des  troubles  d'Allemagne  auroit  été  ar- 
rêtée et  signée  en  la  libre  diète  ci-dessus  mentionnée, 
et  qu'il  ne  seroit  libre,  ni  à  l'Empereur,  ni  au  Roi ,  de 
se  rétracter  d'aucune  chose  contenue  aux  susdits  arti- 
cles ;  ains  seroient  tenues  Leurs  Majestés  de  les  si- 
gner de  bonne  foi ,  conjointement  avec  les  traités  qui 
seroient  faits  en  ladite  diète  pour  le  repos  de  TAlle- 
roagne,  pour  le  tout  être  inviolablement  exécuté  de 
part  et  d  autre  ^ 

lO*".  Que  cependant ,  dès  à  présent,  les  susdits  ar- 
ticles de  l'Empereur  et  du  Roi  seroient  mis  entre  les 
mains  des  nonces  résidant  près  de  leurs  personnes; 
savoir,  ceux  de  l'Empereur  entre  les  mains  de  M.  de 
Oriraaldi,  et  ceux  signés  du  Roi  entre  les  mains  de 
messieurs  Ceva  et  Biqui ,  pour  être  par  eux  envoyés 
à  Sa  Sainteté,  qui  les  délivreroit  en  même  jour  aux 
ambassadeurs  ou  résidens  de  l'Empereur  et  du  Roi  ; 

I  r.  Que  pour  ce  qui  étoitdes  places  que  le  Roi 
tcnoit  de  M.  de  Lorraine  en  vertu  des  traités  que 
Sa  Majesté  avoit  faits  avec  lui,  il  seroit  superflu  d'en 
parler  en  ce  lieu ,  et  que  Sa  Majesté  étoit  résolue  d^ob- 
server  inviolablement  de  sa  part  lesdits  traités. 

II  restoit  à  envoyer  eu  Hollande  pour  appuyer  les 


320  ^      [l633]   MÉMOIIES 

mêmes  desseins  et  porter  les  Hollandais  à  prendre  les 
mêmes  conseils  de  Sa  Majesté ,  puisque  les  intérêts 
d'Allemagne  leur  étoient  non-seulement  communs 
avec  elle ,  mais  qu'ils  en  avoient  une  particulière  dé- 
pendance. 

Il  choisit  pour  ce  sujet  le  sllfeur  de  Chamacé,  au- 
quel Sa  Majesté  avoit  une  particulière  confiance,  et  lui 
donna  cbarge  d'empêcher,  tant  qu'il  pourrait,  que 
la  trêve  se  fit,  leur  représentant  toutes  les  raisons 
susdites,  l'occasion  présente  du  mécontentenaent 
presque  universel  de  tous  les  grands  de  Flandre ,  le- 
quel ,  bien  qu'il  y  eût  apparence  qu'il  ne  produiroit 
pas  tout  l'efiet  qu'ils  promettoient ,  il  mettroit  néan- 
moins les  Espagnols  en  défiance,  et,  les  obligeant  de 
rappeler  la  plupart  de  leurs  forcer  dans  les  garni- 
sons ,  les  cmpécheroit  d'agir  si  fortement  pour  cette 
année  contre  leurs  ennemis  au  dehors  ^ 

Que  s'il  voyoit  que,  quoi  qu'il  leur  pût  représenter, 
ils  fussent  portés  à  y  consentir,  en  ce  cas  il  tâchât  de 
faire  que  le  Roi  y  fût  compris ,  que  la  maison  d'Au- 
triche et  les  Espagnols  ne  pussent  rompre  avec  lui 
sans  que  les  Hollandais  fussent  obligés  de  rompre 
avec  eux  ^ 

Que  les  moyens  qu'il  avoit  pour  parvenir  à  cette 
fin  étoient  qu'il  leur  oflrît  la  continuation  du  se- 
cours ordinaire  d'un  million ,  et ,  si  cela  ne  snffisoit  j 
l'augmentation  dudit  secours  jusques à  i,5oo,ooo  li- 
vres pour  cette  année  ; 

Et,  s'il  voyoit  que  l'argent  seul  ne  pût  rompre  la 
trêve,  quatre  mille  hommes  et  six  cents  chevaux  en- 
tretenus de  $a  Majesté  pour  cet  été ,  sans  toutefois 
avoir  ses  drapeaux,  et  à  la  charge  qu'ils  ne  pussent 


DE    RÎCHEIJKU.    [l633j  321 

faire  ni  paix  ni  trêve  de  deux  ou  trois  ans,  ou  six 
mille  liomraes  et  mille  chevaux  avec  lesdits  drapeaux, 
pourvu  que  le  prince  d'Orange  les  employât  avec  ses 
armes  en  une  conquête  où  le  Roi  eût  part,  ce  que  le 
l^oi  entendoit  donner  outre  le  million ,  auquel  toute- 
fois ledit  sieur  de  Charnacé  tâcheroit  de  n'engager 
pas  le  Roi ,  lequel,  en  ce  cas,  ne  feroit  aucune  diffi- 
culté de  passer  un  article  par  lequel  il  seroit  dit  que 
les  uns  ni  les  autres  ne  pourroient  faire  ni  paix  ni 
irève  avec  les  ennemis  communs ,  que  conjointement  ; 

Qu'en  toute  extrémité  le  Roi  pourroit  donner  douze 
mille  hommes  avec  deux  mille  chevaux,  commandés 
par  un  maréchal  de  France,  qui ,  par  ordre  du  Roi , 
reconnoîtroit  le  prince  d'Orange ,  à  la  charge  que 
lesdits  douze  mille  hommes  seroient  employés,  con- 
jointement avec  les  forces  hollandaises ,  pour  pren- 
dre cet  été  ou  Namur  ou  Dunkerque  et  les  côtes  de 
Flandre ,  et  que  ladite  conquête  demcureroit  au  Roi, 
à  condition  que  Sa  Majesté  s'obligeroit  de  les  assister. 
Tété  ensuivant ,  dudit  nombre  de  gens  de  guerre  aux 
autres  conquêtes  qui  se  feroient  pour  messieurs  les- 
dils  Ktals ,  et  que  les  uns  ni  les  autres  ne  pourroient 
faire  ni  paix  ni  trêve  avec  leurs  ennemis  communs , 
que  conjointement. 

Mais  que  ledit  sieur  de  Charnacé  ne  pourroit  se 
servir  de  ce  dernier  moyen  qu'au  cas  que  les  protes- 
tans  d'Allemagne  voulussent  exécuter  ce  qu'ils  lui 
avoient  fait  connoltrc  désirer  de  la  délivrance  de  cer- 
tames  pl.-^ces  entre  les  mains  du  Roi,  et  partant  il  n'en 
parleroil  pas  audit  sieur  prince  d'Orange  qu'il  ne  fut 
averti  de  ce  que  le  sieur  de  Feaquières  auroit  fait  en 
Allemagne; 

T.   27.  il 


322  [l633]    MÉMOIRES 

Que  le  procédé  que  devoit  garder  le  sieur  de  Char* 
nacé  pour,  par  les  moyens  ci-dessus  exprimés,  venir 
à  ces  fins ,  étoit  de  faire  connoître  au  prince  d'Orange 
qu'il  n  étoit  pas  envoyé  là  par  le  Roi ,  ni  du  cardinal , 
pour  empêcher  la  trêve  ni  porter  à  la  guerre ,  mais 
bien  pour  faire  lequel  des  deux  ils  voudroient ,  le 
plus  avantageusement  qu'il  se  pourroit ,  lui  donner 
connoissance  des  sentimens  du  Roi  sur  les  affaires  pu- 
bliques ,  et  savoir  les  siens  ; 

Qu'il  lui  diroit  aussi  qu'on  l'avoit  choisi  exprès  pour 
deux  raisons  : 

La  première ,  parce  qu'il  avoit  toujours  été  en  Al- 
lemagne avec  le  roi  de  Suède ,  et  depuis  avec  Oxens-* 
tiern  et  les  protestans  ; 

La  seconde ,  à  cause  de  la  confiance  que  le  Roi  et  le 
cardinal  prenoient  en  lui  ^ 

Que  sur  cela  il  diroit  encore  audit  prince  d'Orange 
qu'il  avoit  charge  particulière  de  lui  faire  connoître 
le  désir  que  les  Allemands  avoient  de  continuer  la 
guerre,  et  la  prière  qu'ils  avoient  faite  au  Roi  déte- 
nir une  armée  vers  l'Alsace  pour  les  secourir  s'ils  en 
avoient  besoin  ; 

Que  le  Roi ,  considérant  d'une  part  combien  ce 
qu'ils  désiroient  étoit  utile  à  la  chrétienté  et  k  mes- 
sieurs des  Etats  mêmes ,  et  d'autre ,  que  par  ce  moyen 
il  pouvoit  s'engager  à  une  rupture  ouverte,  n'avoit 
point  voulu  prendre  de  résolution  sans  avoir  son  avis 
et  savoir  ce  que  lui  et  messieurs  des  Etats  voudroient 
faire  à  l'avantage  de  la  France ,  au  cas  que  Sa  Majesté 
se  résolût  d'entrer  en  rupture  ouverte  avec  Espagne, 
en  sorte  qu'ils  ne  pussent  faire  ni  paix  ni  trêve  l'un 
sans  l'autre; 


DB   RICHELIEU.    [l633j  3^3 

Que  sur  cela  il  laisseroit  parler  ledit  prince  d'O-* 
range,  et  le  rendroit  recherchant  par  Tavantage  des 
propositions  qu'il  lui  feroit^  battant  chaud  ou  froid , 
selon  qu'il  verroit  que  la  conduite  dudit  prince  d'O- 
range ,  qui  étoit  fin  ^  le  requerroit  ^ 

Et  si,  par  art  ou  autrement,  ledit  prince  d*Orange 
lui  tëmoignoit  être  porté  à  la  trêve  ou  à  la  paix ,  qu'a- 
lors ,  lui  témoignant  que  le  Roi  y  consentiroit  vo- 
lontiers, il  Ht  en  sorte  que  ledit  prince  et  messieurs 
des  Etats  le  recherchassent  pour  faire  que  le  Roi  en- 
trât en  leur  traité,  à  condition  que  les  Espagnols  ne 
pourroient  attaquer  ou  les  Hollandais  ou  la  France , 
que  la  France  et  les  Hollandais,  conjointement,  ne 
leur  déclarassent  la  guerre; 

Qu  il  lui  témoignât  comme  le  Roi  avoit  envoyé  au 
même  temps  le  sieur  de  Feuquières  en  Allemagne, 
pour  avancer  la  négociation  dont  il  lui  avoit  parlé  qu'il 
avoit  charge  d'y  traiter  ; 

Que  ledit  sieur  de  Charnacé  avoit  charge  de  lui 
faire  savoir  promptement  ce  qu'il  traiteroit,  afin  qu'il 
s'avançât  ou  retardât  selon  qu'il  eu  seroit  besoin; 

Qu  il  avoit  charge  aussi  d'avertir  diligemment  le 
Roi ,  afin  qu'on  préparât  tout  ce  qu'il  faudroit  s'il  en 
étoit  besoin,  et  qu'il  tirât  l'effet  qu'il  pourroit  de  la 
révolte  c|ue  quelques  seigneurs  de  Flandre  vouloient 
faire,  ce  qu'il  ne  falloit  pas  négliger ^  quoique  Sa  Ma- 
jesté n  en  fît  pas  grand  cas  ; 

Que  ledit  sieur  de  Charnacé  verroit  adroitement  si 
dans  le  traité  de  paix  ou  de  trêve  qui  se  feroit  entre 
les  Hollandais  et  l'Espagne,  on  pourroit  régler  et 
terminer  aussi  tout-à-fait  les  différends  qui  étoient 
entre  la  France  et  l'Espagne ,  qui  aboutissoient  à 

ai. 


3^4  [l633]    MÉMOIRES 

exécuter  le  traité  de  Monçon,  et  à  ce  que  lesdits 
Espagnols  ne  pussent  se  porter  contre  la  France  pour 
raison  de  l'échange  de  Pignerol ,  de  Moyenvic  et  des 
intérêts  du  duc  de  Lorraine  ; 

Que  ledit  sieur  de  Charnacé  feroit  connoître  à  M.  le 
prince  d'Orange  que  le  plus  puissant  motif  qui  put 
porter  le  Roi  à  ce  que  messieurs  des  Etats  pouvoient 
désirer,  éloit  de  laisser  Ventiëre  liberté  delà  religion 
catholique  dans  les  places  et  lieux  qu  ils  conquer- 
roient  à  Tavenir ,  et  même,  s'il  se  pouvoit,  en  celles 
qui  étoient  déjà  en  leur  puissance; 

Et  qu'il  ne  parleroit  de  toqte  cette  affaire  qu'à 
M.  le  prince  d'Orange,  el  à  un  ou  deux  commissaires 
confidens  de  messieurs  les  États ,  cette  aâaire  ne  pou- 
vant se  divulguer  sans  se  ruiner. 

Mais  ,  pource  que  les  affaires  de  Lorraine  avoient 
une  nécessaire  connexité  avec  celles  d'Allemagne  et 
des  Pays-Bas,  Sa  Majesté  en  même  temps  créa  un 
parlement  à  Metz  pour  arrêter  les  entreprises  conti- 
nuelles du  duc  de  Lorraine ,  veiller  aux  droits  du 
Roi ,  établir  entièrement  son  autorité  en  ces  pays-là , 
et  maintenir  les  peuples  des  Trois-Évêchés  en  bonne 
paix  et  y  établir  une  bonne  justice ,  laquelle,  par  an- 
ciennes concessions  des  empereurs  et  rois  de  France, 
ayant  été  laissée  aux  particuliers  sans  appel  en  beau- 
coup de  chefs,  étoit  exercée  par  passion  et  injustice , 
à  la  foule  des  peuples. 

Pour  soulager  aussi  son  peuple ,  qui  étoit  travaillé 
et  foulé  par  les  passages  et  la  nourriture  des  gens  de 
guerre ,  Sa  Majesté  fit  un  règlement  par  lequel ,  ré- 
voquant les  ordonnances  de  1629  en  ce  point  seul  que 
les  étapes  dévoient  être  fournies  sans  payer  aucune 


DE    HICIIELILU.     [l633J  325 

rliosc ,  elle  ordonna  qu'à  Tavcuir  les  gens  de  guerre 
lo<;eroienl  dans  les  villes  et  faubourgs  d'ieelles,  payant 
ce  qu'ils  prendroient  au  prix  du  dernier  marclié ,  sans 
pouvoir  exiger  des  hôles  que  le  feu  et  la  chandelle  , 
le  lit  et  les  ustensiles  ordinaires  •  moyennant  quelque 
surcroitjournalier  sur  leur  solde ,  qui  leur  fut  ordonné 
par  ledit  règlement. 

Et  pource  (|ue  ses  affaires  ne  pouvoient  bien  aller 
si ,  entre  ses  principaux  ministres ,  il  y  en  avoil  quel- 
qu'un ([ui  ne  travaillât  pas  d'une  égale  fidélité  avec 
les  autres,  ou  qui  eût  des  desseins  particuliers  pour 
son  intérêt  ou  sa  passion,  qui  ne  se  rapportassent  pas 
entièrement  à  son  service,  ou  qui  lui  fussent  con- 
traires, elle  se  trouva  obligée  d'éloigner  de  son  con- 
seil le  garde  des  sceaux  de  Cbâteauneuf,  duquel  elle 
avoit  du  mécontentement.(i)  il  y  avoit  déjà  quelque 
temps.  En  la  conférence  particulière  que  Sa  Ma- 
jesté eut  avec  le  cardinal  à  Rochefort,  à  son  retour 
(le  Brouage ,  elle  lui  (it  beaucoup  de  remarques  qu'elle 
avoit  faites,  pendant  son  absence  ,  de  l'infidélité  du- 
dit  sieur  de  Cbâteauneuf,  et  lui  fit  connoitre  la  ré- 
solution qu  elle  avoit  prise  de  le  chasser,  dont  le  car- 
dinal la  détourna  autant  qu'il  put,  la  suppliant  de 
trouver  bon  qu'on  prit  temps  de  bien  examiner  ses 
actions,  vu  qu'on  ne  pouvoit  procéder  trop  mûre- 
ment lorsqu'il  étoit  question  de  faire  ou  défaire  un 
ministre;  mais  il  continua  si  opiniâtrement  à  suivre 
le  train  (|u'il  avoit  commencé ,  qu'enfin  il  n'y  eut  pas 
moyen  d  en  soufTrir  davantage.  Sa  Majesté,  étant  à 
Saint-Cicrmain-en-Laye,  lui  envoya,  le  aS  février, 

II)  rUr  avoit  lin  mc<  nntentrment  :  On  .1  tu  ilaiis  la  noie  île  la  f>af;^ 
i\i>,  la  l'iiiicipalc  cause  de  l*animo&itc  de  AicLelicu  contre ChAleaiinciif 


3^6  [l633J   MÉMOIRES 

redemander  les  sceaux,  et  ensuite  le  fit  arrêter  pri- 
sonnier par  le  sieur  deGordes,  capitaine  des  gardes 
de  son  corps ,  et  le  fit  conduire  le  lendemain ,  par  le 
sieur  de  Lamont,  enseigne  de  ses  gardes  écossaises  , 
dans  son  château  d'Angouléme.  Sa  Majesté  honora  de 
cette  charge  le  sieur  Séguier ,  président  au  parlement 
de  Paris ,  et  fit  garde  des  sceaux  de  Tordre  du  Saint- 
Esprit  le  sieur  de  Bullion.  On  avoit  fait  le  sieur  de 
Châteauneuf  garde  des  sceaux  à  Téloignement  du  sieur 
de  Marillac ,  croyant  qu'il  n*auroit  autre  mouvement 
que  celui  que  le  commandement  du  Roi  lui  donne- 
roit  ou  Tintérétde  son  service ,  d'autant  que  jusque- 
là  il  avoit  fait  paroître  n'avoir  autre  intention ,  et  de- 
puis quelques  années  étoit  toujours  demeuré  attaché 
auprès  du  cardinal ,  servant  avec  beaucoup  de  témoi- 
gnages d'affection  et  de  fidélité  *,  mais  dès  qu'il  se  vit 
émancipé  par  l'autorité  de  sa  charge ,  et  en  état  d'agir 
seul,  lors  ses  inclinations,  qu'il  avoit  tenues  cachées 
auparavant  par  respect  et  par  crainte ,  commencèrent 
à  paroitre.  Il  se  jeta  dans  les  cabales  de  la  cour,  parti- 
culièremen  t  en  celle  des  dames  factieuses,  dont  la  prin- 
cipale étoit  la  duchesse  de  Chevreuse  (0 ,  l'esprit  et  la 
conduite  de  laquelle  avoient  été  souvent  désagréables 
au  Roi,  comme  non-seulement  n'ayant  jamais  manqué 
à  être  de  toutes  les  mauvaises  parties  qui  avoient 
été  faites  contre  son  service ,  mais  même  en  ayant 
quasi  toujours  été  un  très-dangereux  chef  départi.  Son 

(i)  La  principale  étoit  la  duchesse  de  Chevreuse  :  CfaAteaaneof 
passoit  alors  pour  Pâmant  fayorisë  de  cette  dame.  On  pre'tend  qnt  Ai- 
chcliea  avoit  aussi  du  goût  pour  elle ,  maigre  les  tracasseries  qu'elle  loi 
susciioit  sans  cesse,  et  que  la  jalousie  contribua  autant  que  la  politique 
au  traitement  rigoureux  qui  fut  inflige  au  ministre  disgracie'. 


DE   RICHELIEU.    [l633]  3si7 

intelligence  avec  elle  passa  si  avant  qu'il  s'intëréssa 
en  ses  passions  dans  l'Angleterre  même ,  en  laquelle 
elle  avoit  amitié  avec  le  comte  de  Holland,  et  ensuite 
crédit  avec  toute  sa  cabale,  ce  qui  produisit  de  mau- 
vais eflets  à  cet  État ,  comme  nous  avons  dit  les  an- 
nées passées.  Ledit  Châteauneuf  sy  attacha  aussi  «  et, 
sans  considérer  qu'en  la  charge  où  il  étoit  il  devoit 
bien  moins  que  nul  autre  entretenir  ses  pratiques 
dans  une  cour  étrangère ,  il  y  écrivoit  continuelle- 
ment ,  et  faisoit  ou  faisoit  faire  par  ses  correspon- 
dans  tous  les  mauvais  offices  qu'il  pouvoit  au  sieur 
Creston ,  grand  trésorier  d'Angleterre ,  parce  que  le 
comte  de  Holland  étoit'son  ennemi ,  ne  considérant 
pas  que  c'étoit  celui  seul  qui  tenoit  le  parti  du  Roi  en 
ce  pays-là,  qu'il  gouvernoit  son  maître,  et  que  c'é- 
toit grandement  préjudicier  au  service  du  Roi  que  de 
Toflenser.  Mais  tout  cela  ne  le  touchoit  point ,  car  il 
alla  même  jusqu'à  ce  point  que  d'essayer  de  discré- 
diter l'ambassadeur  du  Roi,  le  rendre  désagréable  à 
la  reine  d'Angleterre,  et  par  elle  au  Roi  son  mari ,  au 
contentement  duquel  si  quelque  affaire  se  terminoit 
en  France  au  conseil  de  Sa  Majesté ,  il  en  donnoit 
Tavis  de  delà  quelque  temps  auparavant ,  disant 
(|u  il  la  feroit  passer  de  la  sorte,  en  dérobant  le  gré 
((iii  en  éloit  dû  au  Roi  pour  se  l'attribuer,  et  ôtant 
encore  l'entremise  des  bons  offices  de  son  ambassa- 
deur. 

Le  roi  d'Angleterre ,  qui  eut  avis  de  cette  cabale , 
ne  Teut  pas  agréable,  témoigna  au  comte  de  Holland 
le  mécontentement  qu'il  en  avoit ,  la  dissipa  entière- 
ment, et  maintint  son  grand  trésorier  contre  tous  sea 
iMinemis. 


^28  fl633]    MÉMOIRES 

Sa  Majesté  Tayanl  fait  arrêter  prisonnier  et  en- 
voyer à  Angoulérae ,  envoya  aussi  quant  et  quant  à 
la  Bastille  le  sieur  de  Leuville  son  neveu  ,  et  le  che- 
valier de  Jars  son  confident ,  qui ,  à  quelques  mois  de 
là,  fut  condamné  à  avoir  la  tête  tranchée  pour  la 
part  qu'il  avoit  prise  en  la  cabale  d'Angleterre  ,  et 
avoir  traité  d'y  faire  passer  la  Reine-mère  et  Mon- 
sieur *,  mais  Sa  Majesté  ,  lui  faisant  grâce ,  commua  sa 
peine  de  mort  en  une  prison  perpétuelle  ;  le  sieur  de 
Hauterive  son  frère  se  sauva  à  la  faveur  de  la  nuit,  et 
se  retira  en  Hollande.  Le  maréchal  d'Estrées,  qui 
avoit  de  longue  main  une  amitié  particulière  avec 
ledit  sieur  de  Châteauneuf,  sachant  sa  disgrâce ,  partit 
le  i5  mars ,  à  l'improviste ,  de  Trêves  où  il  comman- 
doit  les  armes  du  Roi ,  sans  ordre  ni  permission  de  Sa 
Majesté,  et  se  retirai  Vaudrevange ,  sur  le  soupçon 
qu'il  prit  que  les  sieurs  de  La  Saludie  et  de  Bussy- 
Lamet  avoient  ordre  de  l'arrêter ,  qu'ils  avoient  reçu 
par  un  courrier  qui  passa  à  Trêves,  et  qui  ne  lui  avoit 
point  apporté  de  lettres  comme  aux  autres.  Il  prit 
néanmoins  un  autre  prétexte  de  sa  retraite,  et  dit 
qu'il  alloit  prendre  des  eaux  -,  mais  il  l'avoua  depuis 
à  Sa  Majesté,  et  lui  envoya  le  19  mars  un  gentil- 
homme pour  lui  demander  pardon  de  cette  action ,  et 
lui  dire  ingénument  les  raisons  qui  lui  avoient  fait 
faire.  Sa  Majesté  lui  remit  la  peine  qu  il  méritoit,  et 
lui  renvoya  son  gentilhomme  avec  lettres  qui  l'assu- 
roient  de  sa  bonne  volonté,  et  lui  commandoient  de 
retourner  à  Trêves  en  sa  charge. 

Madame  de  Chevreuse,  qui  étoit  la  cause  de  la 
perte  dudit  sieur  de  Châteauneuf,  fut  aussi  quelques 
mois  après  éloignée  de  la  cour,  le  Roi  commandant 


DE    RICHELIEU.    fl633]  3^9 

r\ii  duc  de  Chevreuse  son  mari  de  l'envoyer  en  Tou- 
I aine  en  une  maison  qui  étoit  au  feu  duc  de  Luynes, 
où  elle  demeureroit  jusqu'à  ce  qu'il  eût  agréable  de  la 
rappeler. 

Et  afin  d'éteindre  entièrement  ce  qui  pourroit 
rester  de  feu  caché  de  la  rébellion  qui  avoit  élé  al- 
lumé dans  ce  royaume ,  la  dernière  retraite  de  Mon- 
sieur en  Flandre  donnant  sujet  de  craindre  qu'il  en 
restât  encore  quelques  étincelles  dans  ceux  qui 
avoient  suivi  son  parti,  Sa  Majesté  ,  qui  avoit,  à  la 
fin  de  l'année  précédente,  envoyé  des  maîtres  des  re- 
(juetes  par  les  provinces  pour  châtier  les  plus  rebelles, 
cl  faire  raser  les  places  fortes  dont  les  seigneurs  abu- 
soiont  pour  opprimer  les  peuples  au  mépris  de  la  jus- 
lice,  jugea  nécessaire  de  leur  faire  commandement 
d'exéculer  rigoureusement  leur  commission,  afin  que, 
faisant  punir  ceux  qui  seroient  indignes  de  pardon  , 
raulorilé  de  Sa  Majesté  fût  rétablie ,  et  les  esprits  re- 
tenus en  leur  devoir  à  l'avenir.  Machault,  qui  avoit 
clé  envoyé  en  la  province  de  Languedoc ,  fit  e«éculer 
i\  morl  (|uelques-uns  des  plus  rebelles  dans  le  Gévau- 
ilan  et  les  Cevennes,  et  fit  raser  plusieurs  châteaux 
011  quelques  gentilshommes  tenoient  fort  contre  la 
justice. 

Argenson,  qui  avoit  été  envoyé  es  provinces  de 
Touraine  ,  Berri ,  Limosin ,  Angoumois ,  la  Marche  et 
l'Auvergne,  condamna  et  fit  exécuter  en  effigie  le 
sieur  de  Sauvebeuf,  fit  raser  quelques-unes  de  ses 
maisons  et  abattre  ses  bois  de  haute  futaie. 

(^)iiant  aux  autres  qui  n'avoient  pas  suivi  Mon- 
sieur en  sa  dernière  retraile,  il  se  contenta  de  rece- 
voir leurs  ref|nétes,  par  lesquelles  ils  demandoient 


33o  flG33]    MÉMOIRES 

pardon  du  passé ,  et  leur  ordonna  de  se  pourvoir 
vers  Sa  Majesté  en  son  conseil. 

Lafleraas,  qui  avoit  été  envoyé  en  Champagne, 
Metz,  Toul ,  Verdun  et  Pays-Messin  ,  y  fil  aussi  le 
procès  à  plusieurs ,  lesquels  il  fit  exécuter  en  eflSgie, 
démolir  leurs  maisons  et  couper  leurs  bois. 

Dans  la  ville  de  Metz  le  sieur  Charpentier ,  prési- 
dent pour  le  Roi  en  la  justice  des  Trois-Evêchés , 
condamna ,  le  22  mars ,  Gabriel  Lavenard ,  moine  de 
Tabbaye  d'Escurey  en  Barrois ,  à  être  roué  et  brûlé  vif 
pour  plusieurs  crimes,  Vun  desquels  étoit  de  s'être 
ofiert  à  attenter  à  la  vie  du  cardinal  moyennant  ao,ooa 
livres ,  et  fut  exécuté  le  même  jour. 

La  cour  de  parlement  de  Dijon  de  son  côté  con- 
damna aux  galères  perpétuelles  le  baron  de  Saint- 
Romans  ,  tant  pour  avoir  suivi  Monsieur ,  été  trouvé 
saisi  de  commissions  pour  faire  des  levées  contre  la 
France,  de  lettres  et  instructions  pour  faire  des  né- 
gociations au  préjudice  du  service  du  Roi ,  que  pour 
avoir  fait  des  écrits  injurieux  et  scandaleux  contre  le 
gouvernement. 

Elle  déclara  le  duc  d'Elbeuf ,  Puylaurens,  Le  Cou- 
dray,  Montpensier  et  Goulas ,  atteinls  et  convaincus 
du  crime  de  lèse-majesté,  les  condamna  à  avoir  la 
tête  tranchée  et  à  des  amendes,  et  les  fit  exécuter  le 
même  jour  en  effigie. 

Sa  Majesté  aussi,  ne  jugeant  pas  raisonnable  que  Le 
Coigneux  et  Monsigot,  qui  étoient  notoirement  cri- 
minels de  lèse-majesté  comme  les  principaux  conseil- 
lers et  auteurs  des  maux  que  nous  avions  en  ce 
royaume ,  méprisassent  les  condamnations  données 
contre  eux ,  parce  qu'ils  avoicnt  cinq  ans  de  temps 


DB  RICHELIEU.  [l633]  33 1 

auparavant  que  les  arrêts  de  contumace  obtenus 
contre  eux  pussent  être  exécutes  en  leurs  biens  et 
charges,  envoya  en  son  parlement  des  lettres  en  forme 
de  déclaration,  par  lesquelles,  interprétant  les  ordon- 
nances de  Moulins  et  de  Blois  sur  ce  sujet,  lesquelles 
sembloient  avoir  quelque  opposition  Tune  à  Tautre , 
elle  déclara  que  sa  volonté  étoit  que  les  jugemens 
qui  avoient  été  on  seroient  rendus  sur  la  qualité  du 
crime  de  lèse-majesté  contre  ses  officiers,  quoique 
donnés  par  défaut  et  contumaces ,  fussent  exécutés 
après  qu'ils  auroient  été  publiés ,  et  pour  le  regard 
seulement  de  la  confiscation  des  offices  et  charges  sans 
qu'ils  pussent  à  jamais  y  être  rétablis  par  lettres  ou 
autrement ,  en  quelque  manière  que  ce  fut,  et  qu'at- 
tendu les  condamnations  ci-devant  rendues  contre  Le 
Coigneux  pour  sa  rébellion  et  absence  notoire  hors 
le  royaume,  Sa  Majesté  avoit  éteint  et  supprimé,  selon 
les  ordonnances ,  l'office  de  président  qu'il  avoit  en 
sa  cour  de  parlement.  La  cour  fit  difficulté  de  vérifier 
lesdites  lettres,  et  1^ président  de  Mesmes  ayant  ou- 
vert Topinion  qui  fut  suivie  de  tous ,  qui  fut  que  les- 
dites lettres  seroient  mises  au  greffe  pour,  après  les 
cinq  ans  portés  par  Tordonnance  de  Moulins,  être  exé- 
cutées ,  Sa  Majesté ,  pour  témoigner  son  méconten- 
tement,  manda  audit  président,  le  a8  mars ,  qu'il  eAt 
à  sortir  le  lendemain  de  Paris  pour  aller  à  Blois ,  et 
y  demeurer  jusqu'à  ce  qu'il  reçût  autre  commande- 
ment. La  cour  députa  vers  le  Roi ,  le  9  avril ,  pour  le 
supplier  de  le  rendre  à  leur  compagnie  ^  mais  Sa  Ma- 
jesté, qui  étoit  offensée  contre  eux,  ne  donna  la 
charge  ni  le  loisir  au  garde  des  sceaux  de  leur  faire 
réponse,  mais  leur  dit  lui-même  que,  quand  on  jugeoit 


33a  [iG33J  mkmoires 

quelqu  un  eu  leur  tournelle ,  ce  n'éloit  pas  seulement 
pour  lui  faire  souflVir  la  peine  de  son  crime,  mais 
afin  que,  par  son  exemple ,  les  autres  fussent  retenus 
en  leur  devoir  ;  qu'aussi ,  lorsqu'il  avoit  commandé 
au  président  de  Mesmes  de  s'en  aller,  ce  n'avoit  pas 
été  pour  sa  faute  seulement,  mais  pour  faire  en  sorte 
qu'à  l'avenir  ils  fussent  plus  sages  ;  que  lorsque  les 
juges  présidiaux  manquoient  à  ce  qu'ils  dévoient,  ils 
les  déclaroient  criminels  de  lèse-majesté  du  parle- 
ment, les  interdisoient  de  leurs  charges*,  qu'il  falloit 
qu'ils  confessassent  que  la  puissance  qu'il  avoit  sur 
eux  étoit  beaucoup  plus  grande  que  celle  qu'ils  avoient 
sur  lesdits  présidiaux  :  c'étoit  donc  à  lui  à  user  de  son 
autorité  h  leur  égard  quand  ils  se  seroient  oubliés  de 
ce  qu'ils  lui  dévoient-,  que  s'il  envoyoit  quelque  affaire 
au  parlement  qui  méritât  de  lui  faire  des  remon- 
trances, il  les  trouveroit  toujours  bonnes,  mais  aussi 
après  cela  il  entendoit  être  obéi  ponctuellement. 
Quant  à  ce  qu'ils  lui  disoient  que  ce  n'étoit  pas  man- 
que de  bonne  volonté ,  il  leur  déclaroit  qu'il  vouloit 
d'autres  effets  de  leur  bonne  volonté  que  ceux  qq'il 
voyoit,  et  qu'ils  servissent  mieux  à  l'avenir;  qu'il 
iroit  dans  deux  jours  en  son  parlement,  et  vouloit  que 
Tordre  ancien  y  fur  rétabli  ;  que  quatre  des  présidens 
vinssent  au-devant  de  lui  avec  six  conseillers;  que 
le  grand  chambellan ,  qui  a  accoutumé  d'être  à  ses 
pieds ,  y  fût  couché  et  non  assis ,  et  que  le  garde  des 
sceaux  venant  parler  à  lui  fut  à  genoux  comme  on 
avoit  accoutumé. 

Après  cela  chacun  se  retirant,  le  Roi  ayant  reçu 
plainte  de  la  part  du  garde  des  sceaux  que  les  prési- 
dens faisoient  difficulté  de  se  lever  quand  il  alloit 


I)K    RICHELIEU.    [l633J  333 

prondro  sa  place  ,  prclendant  ne  devoir  rendre  cet 
iioDnour  qu'au  cliancclier  ,  commande  de  dire  aux 
pi  ésidens  qu'il  cnlendoit  qu'ils  se  levassent  quand  le 
garde  des  sceaux  enlreroit,  et  qu'ils  lui  rendissent 
cet  honneur  qu'ils  rendoient  bien  au  dernier  d'entre 
eux. 

Et  le  mardi  1 2 ,  sur  les  dix  heures ,  le  Roi  vint  en  la 
Sainte-Chapelle  ouïr  la  messe,  et  aussitôt  partirent 
messieurs  de  Bellièvre ,  Potier ,  Le  Bailleul  et  Sé- 
guier,  présidcns,  pour  aller  au-devant  avec  six  des 
conseillers  de  la  grande  chambre,  et  avant  qu'il  entrât 
au  parlement  le  garde  des  sceaux  Séguier  y  arriva ,  et 
ic  premier  président  qui  ëtoit  seul  se  leva;  et  peu 
après ,  le  Roi  entra  et  s'assit. 

Le  garde  des  sceaux  alla  parler  au  Roi  et  se  tint  à 
genoux  tant  qu'il  parla ,  puis  revint  à  sa  place  et  dis- 
courut du  sujet  du  voyage  du  Roi  et  des  déclarations 
contre  les  officiers  criminels.  Et  ensuite  les  édits  de 
suppression  et  de  création  d*un  office  de  président  et 
d'un  conseiller  avec  les  provisions  de  président,  en 
faveur  du  sieur  de  Lamoignon,  et  de  conseiller  du 
sieur  de  Lahaye,  furent  lus. 

Ensuite  on  fit  prêter  serment  au  président  Lamoi- 
ç;non  ,  qui  alla  prendre  sa  place. 

Le  conseiller  prêta  le  serment  aussi  *,  le  président 
Lamoignon  l'alla  installer,  et  les  sieurs  Gayant  et 
Ihrillon,  et  autres  conseillers  de  la  première  chambre, 
Fy  accompagnèrent. 

En  même  lemps  le  comte  de  Soissons  alla  de  la  part 
du  Roi  en  la  chambre  des  comptes ,  et  y  porta  l'édil 
de  suppression  de  l'oOice  de  maître  des  comptes  du 
bicur  de  Monsigol,  et  celui  de  création  d'une  pareille 


334  [l633J    MÉMOIRES 

charge  en  faveur  du  sieur  Desrues ,  lesquels  furent 
vérifies  en  sa  présence. 

Sa  Majesté,  après  avoir  fait  ces  actions,  qui  sem- 
bloient  avoir  quelque  apparence  de  sévérité ,  les  vou- 
lut couronner  de  sa  clémence  accoutumée,  et,  se  con- 
tentant d'avoir  puni  un  petit  nombre  entre  les  cou- 
pables, fit  expédier,  dès  la  fin  de  mars,  une  aboli- 
tion générale  à  ceux  de  Languedoc  et  pays  adjacens , 
de  leur  rébellion  et  de  tous  les  crimes  qu'ils  avoient 
commis  durant  et  à  raison  d'icelle  ,  mettant  au  néant 
toutes  informations  faites  et  jugemens  donnés  contre 
eux ,  exceptant  seulement  quelques-uns  qui  étoient 
absolument  indignes  de  sa  grâce.  Elle  en  fit  expédier 
quelques  mois  après  une  semblable  pour  ceux  de 
Champagne.  Et  quant  aux  coupables  des  provinces 
deTourainc ,  Berri ,  Limosin ,  Angoumois ,  la  Marche 
et  l'Auvergne ,  Sa  Majesté  reçut  aussi  en  sa  grâce  tous 
ceux  qui  la  lui  demandèrent,  et  qui  en  cette  dernière 
retraite  de  Monsieur,  son  frère,  neFavoient  pas  suivi. 

Et  pource  qu'il  ne  falloit  pas  seulement  jeter  les 
yeux  sur  les  coupables  pour  les  punir  ou  leur  par- 
donner ,  mais  aussi  sur  ceux  qui  avoient  fidèlement 
servi  le  Roi. pour  les  récompenser ,  Sa  Majesté,  qui 
depuis  treize  ans  n  avoit  point  fait  de  chevaliers  de 
ses  Ordres  ,  voulut  remplir  toutes  les  places  qui 
manquoient  des  principaux  de  ceux  qui  Favoient 
mérité ,  et  en  fit  la  cérémonie  à  la  Pentecôte  à  Fon- 
tainebleau. Et  d'autant  que  les  sieurs  d'Elbeuf  et  de 
La  Vieuville,  tous  deux  chevaliers  de  l'Ordre  ,  étoient 
atteints  et  convaincus  du  crime  de  lèse-majesté  |  ils 
fiirent,  par  l'avis  de  tous  les  chevaliers,  déclarés  par 
arrêt  être  dégradés  dudit  Ordre ,  sans  qu'à  l'avenir 


DE   RICHELIEU.    [l633J  335 

ils  en  pussent  porter  les  marques  ni  jouir  des  hon- 
neurs, autorités  et  privilèges  qui  y  appartiennent.  Et 
pour  faire  connoître  à  la  postérité  leur  félonie  et  in- 
gratitude ,  il  fut  ordonné  que  les  tableaux  ae  leurs 
armes ,  ci-devant  mises  en  Téglise  des  Augustins  de 
Paris,  en  seroient  ôtés,  et,  au  lieu  où  la  cérémonie  se 
faisoit  lors ,  seroient  lesdites  armes  détachées  d'avec 
celles  des  autres  commandeurs  et  chevaliers,  et  en 
leurs  places  seroient  mis  des  tableaux  noirs  dans  les- 
quels le  dispositif  dudit  arrêt  qu'ils  donnèrent  seroit 
inséré,  qui  demeureroient  attachés  dans  lesdits  Au-^ 
gustins  au  môme  lieu  où  étoient  lesdits  tableaux  de 
leurs  armes. 

Tandis  que  le  Roi  (aisoit  ces  choses  dans  son  Etat , 
ses  ambassadeurs  en  Allemagne  et  en  Hollande  y 
trailoient  ce  qu'il  leur  avoit  commandé  :  le  sieur  de 
Feuquiùres  s'en  alla  droit  à  Mayence  et  de  là  à  Franc- 
fort ,  et  donna  en  passant  les  lettres  qu'il  avoit  du 
Roi ,  aux  princes  et  aux  villes  qui  étoient  sur  son 
chemin.  Ayant  appris  à  Francfort  qu'Oxenstiern  étoit 
attendu  à  Wurtzbourg,  qui  n'étoit  pas  bien  éloigné 
de  son  chemin,  pour  aller  à  Heilbron  où  l'assemblée 
se  de  voit  tenir,  d'autant  que  la  ville  d'Ulm,  où  ils 
Tavoient  voulu  indiquer,  avoit  été  jugée  trop  proche 
des  ennemis,  il  alla  trouver  ledit  Oxenstiern,  qui,  lui 
témoignant  n'avoir  pas  bonne  opinion  du  duc  de  Saxe, 
duquel  il  craignoit  les  irrésolutions  accoutumées ,  le 
grand  désir  qu'il  avoit  de  la  paix,  et  l'autorité  qu'avoit 
envers  lui  le  landgrave  de  Darmstadt  son  gendre ,  qui 
c'ioit  entièrement  attaché  aux  intérêts  de  TEmpereur, 
le  pria  de  ne  perdre  point  de  temps  à  l'aller  voir  ni 
rdecteur  de  Brandebourg,  mais  s'en  aller  droit  à* 


336  [i633J  MÉMOIRES 

Heilbron ,  pour  employer  les  offices  de  Sa  Majesté 
envers  les  princes  et  États  assemblés ,  à  prendre  une 
ferme  résolution  de  demeurer  étroitement  unis,  et  de 
pourvoir  aux  choses  nécessaires  pour  le  soutien  des 
affaires  publiques. 

Ensuite  il  lui  fit  de  grandes  plaintes  du  duc  de 
Lorraine,  lui  témoignant  que  sans  le  respect  qu*on 
portoit  à  la  protection  de  Sa  Majesté  on  ne  Tauroit 
pas  souffert  si  long-temps. 

Le  duc  Bernard  de  Weimar  étoit  avec  ledit  chan- 
celier, qui  reçut  les  lettres  de  Sa  Majesté  avec  un 
grand  témoignage  de  ressentiment  de  Thonneur  qu'il 
recevoit  de  Testime  qu'elle  daignoit  faire  de  lui,  et 
s'excusa  de  recevoir  une  pension  que  Sa  Majesté  lui 
fit  offrir,  disant  ne  la  pouvoir  accepter  parce  qu'il 
étoit  engagé  au  service  de  la  couronne  de  Suède. 

De  là  il  alla  droit  à  Heilbron  ,  où  Oxenstiern  ar- 
riva deux  jours  après ,  et  y  ouvrit  l'assemblée  le  19 , 
eu  laquelle  étoient  les  princes  et  Etats  protestans  des 
cercles  supérieurs  d'Allemagne,  savoir  est  du  Palatinat 
électoral,  de  la  Franconie,  de  la  Souabe  et  du  Rhin 
supérieur ,  les  uns  en  personne ,  les  autres  par  leurs 
députés ,  les  ambassadeurs  du  Roi  et  du  roi  d'An- 
gleterre et  des  étals  de  Hollande. 

Sa  proposition  fut  brève;  il  les  requit  de  s'allier 
étroitement  ensemble ,  et  qu'ils  résolussent  comme  il 
faudroit  agir  contre  ceux  qui  romproient  ladite  al- 
liance. 

Qu'ils  jugeassent  quelles  armées  il  seroit  néces- 
saire d'opposer  à  l'ennemi,  quels  moyens  ils  auroient 
de  les  faire  subsister,  et  à  qui  on  pourroit  commettre 
la  direction  de  toutes  ces  choses ,  et  quelle  assistance 


DE    RICHELIEU.    [l633J  337 

la  couronne  de  Suède  auroit  à  espérer  si  pendant 
cette  guerre  ou  après  elle  venoit  à  être  attaquée. 

L'ouverture  de  rassemblée  ne  fut  pas  plutôt  faite, 
que  les  brigues ,  tant  de  la  faction  de  l'Empereur  que 
de  celle  du  duc  de  Saxe ,  commencèrent  à  travailler 
par  divers   artifices   pour  essayer  d'en  détourner 
reflet.  Le  duc  de  Saxe,  qui  est  le  plus  glorieux  des 
Allemands,  qui  le  sont  tous  naturellement,  eût  voulu 
être  chef  de  toute  la  confédération  et  avoir  la  direc- 
tion des  aflaires.  Il  prévoyoit  bien  que  le  grand  crédit 
et  la  réputation  d'Oxenstiern ,  et  la  considération  du 
feu  Roi  son  maître,  Temporteroient  sur  lui ,  ivrogne, 
brutal ,  haï  et  méprisé  de  ses  sujets  et  des  étrangers, 
et  cela  Tincitoit  par  jalousie  à  Tempécher.  Ces  brigues 
furent  si  fortes  que  le  chancelier  se  trouva  obligé  de 
prier  le  sieur  de  Feuquières  de  ne  se  contenter  pas 
des  oflices  qu'il  lui  avoit  rehdus  envers  les  particu- 
liers de  rassemblée  dans  les  conférences  qu'il  avoit 
eues  avec  eux ,  mais  d'y  demander  audience  publique 
pour  parler  à  tous  ensemble ,  et  représenter  à  toute  la 
multitude  en  corps  ce  qu'il  avoit  dit  à  chacune  des 
parties.  Le  sieur  de  Feuquières  se  trouva  en  peine  en 
cette  concurrence  du  duc  de  Saxe  et  dudit  chancelier  : 
le  chancelier  avoit  plus  de  courage,  plus  de  conduite, 
et  étoit  en  plus  d'estime,  et  se  défendoit  de  céder 
au  Saxon  pource  qu'il  représentoit ,  ce  disoit-il,le 
royaume  de  Suède,  et  ne  pouvoit  se  soumettre  à 
aucun  prince  de  l'Empire  sans  offenser  la  dignité  de 
sa  patrie.  Le  duc  de  Saxe ,  d'autre  côté,  ne  prétendoit 
pas  être  de  moindre  qualité  que  lui ,  vu  qu'il  étoit 
sans  contredit  le  premier  et  le  plus  puissant  prince 
d'Allemagne ,  et  l'adjonction  duquel  à  un  des  partis 

T.    ^7.  2'/ 


338  [i633]  MÉMOIRES 

de  TEmpereur ,  ou  des  princes  unis ,  avoit  donné  le 
poids ,  et  le  donneroit  encore  au  parti  contraire ,  s'il 
vouloit  se  rendre  aux  sollicitations  de  TEmpereur, 
qui  sans  cesse  le  recherchoit  de  paix ,  à  laquelle  il 
ne  lui  étoit  pas  désavantageux  de  condescendre.  Mais 
quand  ledit  sieur  de  Feuquières  eut  mûrement  con- 
sidéré que  le  naturel  de  ce  prince,  porté  aux  plaisirs , 
au  repos  et  au  vin ,  le  rendoit  incapable  d'avoir 
la  principale  conduite  d'affaires  si  importantes ,  que 
Tenvie  et  la  haine  qu'en  plusieurs  occasions  il  avoit 
ouvertement  témoigné  porter  à  toute  puissance  étran- 
gère ,  bien  qu'auxiliaire  dans  l'Empire,  le  dévoient 
rendre  suspect  au  Roi  \  que  sa  concurrence  avec  la 
couronne  de  Suède,  et  ses  prétentions  sur  lesévéchés 
de  Magdebourg  et  Halberstadt,  et  sa  liaison  trop 
grande  avec  le  roi  de  Danemarck ,  au  fils  aîné  du- 
quel il  avoit  fiancé  Tune  de  ses  filles ,  le  rendoient 
avec  raison  aussi  suspect  aux  Suédois  ^  que  rinclina- 
tion  qu'il  avoit  toujours  fait  paroître  à  la  maison 
d'Autriche ,  fomentée  par  l'assiette  de  ses  pays  voi- 
sins de  la  Bohême ,  par  ses  conseillers  pensionnaires 
d'Espagne,  et  par  le  landgrave  de  Darmstadt  son 
gendre,  outre  la  jalousie  qu'il  avoit  de  la  maison  de 
Weimar,  le  rendoient  encore  suspect  à  tous  les  con- 
fédérés, qui  n'eussent  pu  assurément  commettre  le 
salut  public  entre  ses  mains  ^  d'autre  part,  ayant  con- 
sidéré que  la  couronne  de  Suède  ayant  en  Allemagne 
les  places ,  les  passages  et  les  armes  en  sa  puissance , 
ils  se  résoudroient  facilement  à  choisir  le  chancelier 
pour  directeur ,  tant  pour  témoigner  leur  gratitude  à 
ladite  couronne  que  pour  éviter  l'envie  et  la  jalousie 
entre  eux-mêmes,  joint  les  grandes  qualités  qu'un 


DE  RICHELIEU.   [i633]  Hg 

chacun  reconnoissoit  être  en  la  personne  dudit  chan- 
celier, et  ses  intérêts  qui  étoient  conjoints  avec  ceux 
du  public  ;  ledit  sieur  de  Feuquières ,  pour  toutes  ces 
considérations ,  crut  devoir  interposer  l'autorité  de 
Sa  Majesté  envers  rassemblée,  et  leur  parler  à  tous 
ensemble  de  sa  part,  tant  pour  les  convier  à  ne  se 
pas  laisser  abuser  aux  artifîces  de  la  maison  d'Au- 
triche, qui  leur  faisoit  des  propositions  de  paix  pour 
les  surprendre,  qu'à  se  tenir  bien  unis  et  éviter 
toutes  les  longueurs  en  leurs  délibérations,  qui  leur 
étoient  dauiant  plus  préjudiciables  que  la  saison 
étoit  déjà  avancée,  et  que  leurs  ennemis  apportoient 
toute  sorte  de  vigilance  et  de  diligence  pour  se  mettre 
en  état  de  les  attaquer,  et  enfin  à  témoigner  recon- 
noissance  vers  la  couronne  de  Suède ,  à  laquelle  ils 
ne  pouvoient  donner  aucune  récompense  qui  pût 
égaler  le  prix  du  sang  qu'ils  lui  avoient  coûté,  et 
qu'il  sembloit  qu'il  n'y  avoit  pas  à  délibérer  sur  l'é- 
lection de  celui  à  qui  ils  dévoient  donner  la  direction 
des  affaires  communes. 

L'assemblée  reçut  ces  propositions  de  l'ambassa- 
deur du  Roi ,  les  eut  pour  agréables,  et  députa  vers 
lui  pour  lui  témoigner  qu'elle  les  suivroit  volontiers, 
et  recevroit  Oxenstiern  pour  directeur  général. 

Le  sieur  de  Feuquières  eut  deux  difficultés  qu'il 
surmonta  avec  adresse,  concernant  les  prétentions  du- 
dit  Oxenstiern.  Il  découvrit  qu'il  faisoit  tine  brigue 
secrète  pour  disposer  les  princes ,  Etats  et  députés  de 
ladite  assemblée,  à  disposer  en  sa  faveur  de  l'électorat 
de  Mayence^  ce  qu'il  détourna  adroitement ,  faisant 
entendre  généralement  à  un  chacun  d'eux  qu'il  leur 
étoit  absolument  important  d'agir  avec  grande  cir-r 


34o  [l633J    MÉMOIRES 

conspectiou  et  retenue  dans  les  choses  qui  pourroient 
rendre  difficiles  les  traités  de  la  paix ,  qui  étoît  et 
le  but  des  soins  de  Sa  Majesté ,  et  leur  bien. 

Davantage,  ledit  Oxenstiern  vouloit  avoir  les  cou- 
dées franches  en  la  direction  des  affaires  d'Allemagne, 
et  qu'un  chacun  dépendit  de  lui  sans  qu'il  fût  obligé 
de  suivre  les  sentimens  des  autres ,  ce  qui  étoit  d*un 
grand  préjudice  à  la  religion  catholique,  d'autant  qu'il 
ne  pouvoit  s'accroître  en  Allemagne  que  dans  les  Etats 
des  princes  catholiques,  ni  y  retenir  aucune  chose  que 
dans  iceux-là ,  où  au  contraire  l'intérêt  des  Etats  et 
princes  allemands  étoit  que  toutes  les  choses  fussent 
remises  en  leur  premier  état ,  et  qu'on  rendit  à  chacun 
ce  qui  lui  appartenoit,  ce  qui  étoit  aussi  le  but  de 
Sa  Majesté ,  qui  n'eût  pas  voulu  y  voir  la  religion 
afibiblie;  et  partant,  après  que  ledit  sieur  de  Feu- 
quières  l'eut  assisté  pour  le  faire  élire  directeur,  il 
travailla  à  faire  apporter  de  telles  modifications  à  sou 
pouvoir ,  que  le  parti  ne  reçût  que  l'utilité  que  l'on 
pouvoit  espérer  de  sa  conduite ,  et  non  le  dommage 
qu'il  y  avoit  lieu  d'en  appréhender. 

Ledit  chancelier,  les  voyant  se  porter  à  ces  modifi- 
cations, ne  put  s'abstenir  de  montrer  la  peine  qu*il  en 
avoit,  et  ne  laissoit  passer  journée  sans  tenter  de 
rendre  son  pouvoir  illimité ,  et  présentoit  à  toutes 
les  séances  quelque  nouvel  article  tendant  à  inter- 
préter à  son  avantage  ce  qui  sembloit  le  lier  trop  à 
son  gré;  mais  il  n'en  put  venir  à  bout,  et  l'assemblée 
enfin  conclut  une  alliance  entre  les  princes  et  Etats 
là  présens  en  leur  personne  ou  par  leurs  députés , 
en  laquelle  ils  déclarèrent  qu'ayant  tous  pour  bat 
la  paix  et  le  bien  de  l'Empire ,  et  encouragés  par 


DE  ntcuELiEU.  [i633J  341 

Texhortation  que  Sa  Majesté  leur  avoit  fait  faire  par 
son  ambassadeur,  ils  se  lioient  tous  de  nouveau  avec 
la  couronne  de  Suède  pour  se  prêter  mutuelle  assise 
tance ,  et  employer  leurs  biens  et  leurs  vies  pour  ré» 
tablir  la  liberté  germanique,  et  venir  à  un  traité  d*uue 
bonne  paix  générale ,  protestant  qu'aucun  n'en  trai- 
teroit  avec  le  parti  contraire  que  du  su  et  du  consen- 
tement de  tous  les  confédérés. 

Et  pource  qu'on  ne  pourroit  continuer  et  entrete- 
nir la  guerre  sans  un  chef  qui  eût  les  qualités  requises, 
ils  choisissoient  le  sieur  Oxenstiern  *,  mais  parce  qull 
lui  seroit  impossible  de  supporter  seul  le  fardeau  de 
toutes  les  affaires,  ils  lui  donneroient  pour  le  soula- 
ger un  conseil  composé  de  personnes  qualifiées,  par 
Tavis  desquelles  il  résoudroit  toutes  celles  d'impor- 
tance ,  et  établiroient  encore  en  chaque  cercle  un 
conseil  qui  dépendroit  de  lui  et  du  conseil  général, 
et  prendroit  sous  eux  soigneusement  garde  à  ce  qui 
se  passeroit  dans  ledit  cercle. 

Tous  les  articles  se  verront  par  le  menu  dans  ledit 
traité ,  qui  est  inséré  à  la  fin  de  ce  volume  (0. 

Auparavant  que  l'assemblée  se  séparât,  le  sieur  de 
Feuquières  traita  avec  ledit  Oxenstiern  du  renouvel- 
lement du  traité  d'alliance  qui  avoit  été  fait  entre  Sa 
Majesté  et  le  feu  roi  de  Suède.  Le  chancelier  recon- 
noissoit  bien  que  sa  principale  force  consistoit  en 
Tappui  de  Sa  Majesté ,  sans  l'autorité  de  laquelle  il  ne 
pourroit  se  prévaloir  sur  ses  alliés;  et  quand  même 
il  le  pourroit,  ce  parti  étant  un  corps  composé  de 
tant  de  létes  et  d'intérêts  diflTérens ,  il  n'y  pourroit 

^i)  /t  la  fin  de  ce  volume  :  Ce  traite  ne  se  trouve  point  dans  le  ma- 
nnuriit  original. 


H4l  [l633j    MEMOMIES 

1 

maintenir  Ttinion  nécessaire  à  le  faire  subsister  sans 
y  être  aide  par  Sadite  Majesté-,  mais  il  ne  savoit 
comment  accorder  en  son  esprit  les  avaiitages  qu  il 
en  recevoit  avec  le  désavantage  qu'il  prétehdoit  re- 
cevoir de  ce  que  la  même  autorité  de  laquelle  il  ^toit 
contraint  de  se  servir  étoit  tellement  considérée  die 
toute  rassemblée ,  qu'il  seroit  en  la  puissance  de  Sa 
Majesté  de  le  réduire  quand  elle  le  voudroit  aux 
termes  qu'elle  jugeroit  utiles  pour  le  bien  commun. 
Cette  considération ,  fomentée  encore  par  l'ambassa- 
deur d'Angleterre  j  qui  avoit  grande  jalousie  de  voir 
son  maître  tenu  en  peu  de  compte  par  tous  les  princes 
alliés,  et  même  des  Palatins,  pour  les  affaires  desquels 
il  étoit  venu ,  et  qu'au  renouvellement  d'alliance  il 
n'étoit  fait  mention  que  de  Sa  Majesté  seule  et  non 
du  Roi  son  maître ,  porta  Oxenstiern  à  faire  grande 
instance  en  ce  renouvellement  d'alliance  sur  les  points 
de  la  religion  auxquels  il  savoit  que  Sa  Majesté  ne 
Vouloit  ni  ne  pouvoit  se  relâcher,  et,  de  la  résistance 
du  sieur  de  Feuquières  prenoit  occasion  dejeter  dans 
les  esprits  de  l'assemblée  des  soupçons  contre  Sa 
Majesté  sur  ce  fait ,  balancer  la  créance  qu'ils  avoient 
en  elle ,  et  essayer  de  les  faire  agir  avec  plus  de  re- 
tenue dans  ses  intérêts. 

Le  traité  néanmoins  ne  laissa  pas  de  se  conclure 
le  9  avril,  avec  la  protestation  que  la  reine  Christine, 
reine  héritière  de  Suède,  fit,  et  qui  fut  insérée 
dans  ledit  traité,  de  conserver  la  religion  catholique 
en  tous  les  lieux  où  les  armes  de  Suède  et  celles  de 
leurs  alliés  l'auroient  trouvée ,  et  ne  faire  aucun  mal 
aux  ecclésiastiques  ]  et  qu'encore  que  le  duc  de  Ba- 
vière et  la  ligue  catholique  eussent  toiyours  refusé 


DK  RICHELIEU.  [i633j  343 

la  neutralité ,  néanmoins ,  en  considération  du  Roi , 
elle  la  leur  oflroit  encore  à  conditions  raisonnables , 
ladite  alliance  devant  durer  tant  et  si  longuement 
que  les  mouvemens  d'Allemagne  dureroient,  tous 
les  princes  qui  n'y  étoient  pas  entrés  étant  conviés 
à  le  faire  :  le  sieur  de  Feuquières  présenta  ladite 
alliance  à  l'assemblée,  tes  exhortant  de  s'y  vouloir 
joindre. 

Oxenstiern  s'y  opposa  encore  sous  main  ,  et  l'am- 
bassadeur anglais ,  celui-ci  par  pure  jalousie  et  envie, 
Tautre  par  raison  d'Etat  et  de  son  intérêt,  d'autant 
qu'il  lui  étoit  important  que  le  Roi  ne  tint  aux  con- 
fédérés que  par  la  couronne  de  Suède ,  et  n'eût  union 
immédiate  qu'à  elle  seule  et  par  elle  aux  collègues. 
Ils  ne  purent  néanmoins  les  détourner  de  l'avoir 
agréable,  et  résoudre  d'y  entrer  moyennant  Texpli- 
cation  de  quelques  articles  dont  ils  convinrent.  Ils 
en  écrivirent  à  Sa  Majesté  le  a6  avril,  et  la  suppliè- 
rent qu'attendu  qu'il  n'y  avoit  que  la  moindre  partie 
d'entre  eux  présens  à  Heilbron ,  et  que  les  députés 
ni  abscns  n'avoient  point  ordre  dans  leurs  instruc- 
tions d'entrer  dans  ladite  alliance,  elle  eût  agréable 
d  attendre  qu'ils  en  eussent  conféré  avec  leurs  sei- 
gneurs ,  lesquels  ils  ne  doutoient  point  qu'ils  ne  l'ac- 
ceptassent après  que  Sa  Majesté  seroit  convenue  de 
Texplication  des  points  dont  ils  avoient  traité  avec 
son  ambassadeur,  et  sur  lesquels  ils  lui  écrivoient.  Ils 
supplioient  en  outre  Sa  Majesté  de  les  vouloir  assister 
d'argent  pour  les  aider  à  supporter  les  frais  de  la 
guerre.  Il  conclut  puis  après  en  septembre  en  l'assem- 
blée ({u'ils  tinrent  à  Francfort. 

Ledit  sieur  de  Feuquières  partit  sur  la  fin  d'avril 


344  [l633J   MÉMOIRES 

de  Heilbron  pour  aller  trouver  le  duc  de  Sslxb  ,  lais- 
sant le  sieur  de  La  Grange-aux-Ormes  près  da  chan- 
celier Oxenstiern ,  pour  rinformer  de  ce  qui  se  passe-  V 
roit  de  ce  côté-là ,  et  envoya  avertir  le  Ismdgrave  de 
Hesse-Cassel  de  ce^  qui  avoit  été  fait  à  Heilbron. 

Il  arriva  le  19  mai  à  Dresde,  où  il  fut  bien  reçu 
du  duc  de  Saxe ,  lequel  il  convia  d'entrer  dans  Fal- 
liance  renouvelée  entre  Sa  Majesté  et  la  couronne 
de  Suède ,  ou  d'en  faire  une  particulière  conjointe- 
ment avec  Téleeteur  de  Brandebourg,  et  de  demeurer 
ferme  dans  les  conventions  de  Leipsick,  et  d'accepter 
la  médiation  de  Sa  Majesté  pour  la  paix. 

Il  répondit  en  paroles  générales  fort  honnêtes , 
donna  parole  que ,  quoiqu'il  lui  eût  été  donné  beau- 
coup de  sujet  de  se  séparer  des  cooiventious  de 
Leipsick ,  il  ne  le  feroit  jamais ,  n'agiroit  dana  les 
affaires  que  de  concert  avec  les  co-intéressés ,  et 
n'entendroit  à  aucune  proposition  de  paix  particu- 
lière ',  qu'il  ne  pouvoit  agréer  les  résolutions  prises 
en  l'assemblée  de  Heilbro];i;  qu'il  tiendroit  néan- 
moins à  grand  honneur  de  faire  une  alliance  parti- 
culière avec  Sa  Majesté ,  après  qu'il  auroit  vu  au 
préalable  ce  qui  réussiroit  de  l'assemblée  de  Qreslau , 
convoquée  par  le  roi  de  Danemarck. 

Que  pour  ce  qui  étoit  de  la  médiation  ,  celle  de 
Danemarck  ayant  été  reçue  de  l'Empereur  et  de  lui , 
il  ne  s'en  pouvoit  rétracter;  mais  qu'il  supplioit  néan- 
moins Sa  Majesté  d'intervenir  par  ses  ambassadeurs 
en  ladite  assemblée ,  pour  y  porter  par  son  autorité 
l'une  et  l'autre  des  parties  à  des  conditions  raison- 
nables. 
Mais  tandis  que  ledit  sieur  de  Feuquières  étpit  en 


DE    RICHELIEU.    [i633J  345 

sa  cour,  il  se  fît  une  trêve  entre  Amheim ,  son  général 
d  armée ,  et  Walstein  ,  laquelle  le  duc  Saxe  lui  voulut 
faire  croire  avoir  été  faite  sans  sa  participation  ,  ce 
que  la  suite  montra  n'être  pas  véritable. 

Durant  le  séjour  que  ledit  sieur  de  Feuquières  fit  à 
Dresde,  le  comte  de  Kinstin,  réfugié  de  Bohême, 
lui  parla  comme  de  lui-même  de  raccommodement 
de  Fridland  avec  les  princes  et  Etats  de  Tunion,  si  on 
le  vouloit  assister  à  se  faire  roi  de  Bohême,  lui  té- 
moignant le  peu  de  satisfaction  que  Walstein  avoit 
de  la  maison  d'Autriche,  le  sentiment  qui  lui  restoit 
du  mépris  que  pour  récompense  il  avoit  reçu  des 
grands  services  qu'il  lui  avoit  rendus,  le  peu  d'es- 
pérance qu'il  avoit  d'en  être  mieux  traité  à  l'avenir , 
dès  que  la  nécessité  qu'elle  avoit  de  lui  et  qui  l'avoit 
fait  rappeler  seroit  passée. 

Ledit  sieur  de  Feuquières  ne  désapprouva  pas  cette 
proposition,  mais  ne  s'y  engagea  pas  aussi,  et  prin- 
cipalement quand  il  sut  que  Walstein  traitoit  de  la 
môme  afllaire  avec  Oxenstiern  par  le  comte  de  La 
Tour. 

De  là  il  alla  trouver  l'électeur  de  Brandebourg  à 
Berlin ,  où  il  arriva  à  la  fin  de  juin.  Il  le  reçut  très- 
bien,  et  trouva  bonnes  toutes  les  propositions  qu'il 
lui  lit  de  la  part  de  Sa  Majesté,  qui  étoient  les  mêmes 
(|u'il  avoit  faites  au  duc  de  Saxe,  auquel  il  envoya 
un  ambassadeur  pour  le  convier  à  faire  le  setnblable; 
mais  il  rapporta  pour  réponse  un  refus  absolu.  Ledit 
ëlecteur  de  Brandebourg  promit,  nonobstant  cela, 
qu'il  demeureroit  ferme  en  sa  résolution ,  et  empê- 
cheroit  s  il  pouvoit  l'assemblée  de  Breslau,  ou ,  si  elle 
se  tenoit,  il  ne  donneroit  autre  pouvoir  à  ses  am- 


346  [l633J   MÉMOIRES 

bassadeurs  que  d^lbouter  et  lui  rapporter  ce  qui  y 
auroit  été  proposé,  sans  autorité  d'y  rien  résoudre. 

De  là  ledit  sieur  de  Feuquières  passa  à  la  Hesam 
pour  voir  le  landgrave  de  Cassel ,  mais  il  le  trouva 
absent,  étant  allé  conduire  aux  Hollandais  quatre 
mille  hommes  que  les  princes  et  Etats  de  Tunion 
leur  envoyoient  pour  secours. 

Il  arriva  à  Francfort  sur  la  fiu  d'août,  sur  le  point 
que  rassemblée  des  quatre  cercles  susnommés  étoit 
prête  à  commencer.  Il  trouva  là  le  sieur  de  Vareunes, 
que  le  Roi  y  avoit  envoyé  pour  essayer  de  remédier 
aux  plaintes  qu'elle  recevoit  des  catholiques  oppres- 
sés ,  et  principalement  faire  instance  pour  le  soula- 
gement et  rétablissement  de  ceux  qui  depuis ,  et  au 
préjudice  du  traité  de  Ueilbron,  avoient  été  chas- 
sés et  molestés  en  plusieurs  villes  soumises  à  la  di- 
rection des  Etats  et  princes  confédérés. 

Il  eut  charge  de  représenter  à  Oxenstiem  et  à  eux 
tous ,  de  la  part  de  Sa  Majesté  ,  qu'il  y  alloit  de  leur 
intérêt  commun  de  ne  point  donner  lieu  de  croire 
que  l'on  fit  une  guerre  de  religion ,  ce  que  leurs 
ennemis  vouloient  persuader  ^  étant  vrai  que  cette 
créance  n'auroit  que  trop  de  fondement  s'ils  n'em- 
péchoient  la  continuation  de  tels  désordres; 

Qu'il  y  avoit  deux  articles  en  l'alliance  faite  de 
nouveau  à  Heilbron  entre  les  couronnes  de  France 
et  de  Suède,  lesquels  portoient  notamment  que  dans 
les  lieux  rendus  ou  pris  de  force ,  la  religion  catho- 
lique romaine  demeureroit  inviolable  en  son  entier  , 
et  que  l'on  ne  feroit  aucun  dommage  aux  personnes 
et  aux  biens  des  ecclésiastiques  ; 
Qu'il  étoit  hors  de  propos  de  dire  qu'ils  chassoient 


DE    RICHELIEU.    |^|(>33J  34? 

les  prêtres  ou  les  religieux,  à  cause  que,  refusant  de 
leur  prêter  le  serment  de  fidélité,  ils  contrevenoient 
k  la  clause  de  ladite  alliance ,  par  laquelle  il  étoit 
dit  qu  on  ne  feroit  dommage  à  leurs  biens  ni  à  leurs 
personnes,  pourvu  qulls  prétassent  le  serment  et 
rendissent  obéissance,  pource  qu'ils  ne  refusoient 
point  de  prêter  un  serment  de  fidélité  qui  fût  couché 
en  termes  qu'il  ne  contrevînt  point  à  leur  religion^ 
et  même  il  étoit  raisonnable,  et  Sa  Majesté  désiroit 
qu'ils  en  pussent,  au  préalable,  écrire  à  Rome  et  en 
recevoir  réponse  ;  et  si  cependant  quelqu'un  d'entre 
eux  donnoit  juste  sujet  de  se  plaindre ,  Sa  Majesté 
n'entendoit  pas  que  pour  la  faute  d'un  particulier  on 
se  prit  aux  autres  qui  seroient  innocens.  Et  si  ledit 
Oxenstiern  lui  disoit,  comme  il  avoit  déjà  fait  à  plu- 
sieurs autres  ministres  du  Roi,  qu'il  importoit  fort 
de  ne  point  donner  ombrage  à  ceux  de  leur  parti 
d'un  trop  grand  zèle  de  Sa  Majesté  ponr  les  catho- 
liques ,  et  alléguoit  plusieurs  conséquences ,  essayant, 
sous  prétexte  d'amitié  et  de  bon  conseil ,  d'empêcher 
les  justes  instances  du  Roi  et  demeurer  en  plein 
pouvoir  de  ruiner  la  religion  catholique ,  il  lui  ré- 
pondit qu'il  ne  pou  voit  mettre  en  doute  l'aflection 
sincère  de  Sa  Majesté  en  leur  endroit ,  par  tant  d'ef- 
fets signalés  de  ses  soins  et  assistance  réels  ,  et  que 
Tun  des  plus  grands  témoignages  de  son  afiection 
étoit  le  conseil  qu'il  leur  donnoit  d'user  de  mo- 
dération et  de  justice  en  cette  matière  si  délicate  et 
sensible  comme  est  celle  de  la  religion  ;  qu'il  fao- 
droit  être  leur  ennemi  mortel  pour  leur  conseiller 
autrement;  qu'ils  dévoient  régler  la  véhémence  et 
la  chaleur  de  leurs  ministres,  qui,  pour  n'être  gens 


348  [l633]   MÉMOIRES 

d'Etat,  avoient  plusieurs  fois  réduit  les  choses  à  un 
ëtaJt  dangereux. 

Que  s'ils  se  plaignoient  que  Sa  Majesté  tenoit  en 
sa  protection  rëlecleur  de  Trêves,  et  avoit  quelques- 
unes  de  ses  places  en  sa  puissance,  et  témoignoient 
craindre  que  cela  tournât  quelque  jour  à  leur  op- 
pression, il  leur  répondit  que  Sa  Majesté  ne  leur 
pouvoit  mieux  ôter  ce  sujet  de  crainte  que  8*ëtant 
unie  pour  leur  conservation  comme  elle  avoit  fait 
avec  la  couronne  de  Suède ,  et  les  invitant  encore 
d'entrer  en  leur  alliance. 

Quant  au  duc  de  Lorraine ,  des  entreprises  et  hos- 
tilités duquel  ils  disoient  recevoir  beaucoup  de  dom- 
mage, et  ne  s'en  vouloir  venger  pour  le  respect  qu'ils 
portent  à  Sa  Majesté,  il  leur  répondît  que  Sa  Ma- 
jesté en  ressentoit  les  injures  comme  ils  faisoient  eux- 
mêmes,  et  que  s'il  ne  se  remettoit  bientôt  à  la  raison , 
elle  l'y  feroit  rentrer  par  la  force  des  armes. 

Les  instances  qu'ensuite  de  ces  ordres  il  fit  de  la 
part  de  Sa  Majesté  en  faveur  des  catholiques  ,  leur 
apportèrent  du  soulagement  ;  plusieurs  qui  avoient 
été  chassés  furent  rappelés,  et  les  violences  dont 
ils  avoient  usé  contre  eux  en  quelques  lieux  forent 
modérées ,  ceux  dudit  parti  disant  qu'ils  ne  pouvoient 
les  soulager ,  ni  les  protestans  mêmes ,  comme  ils  dé- 
siroient,  dans  la  disette  en  laquelle  ils  étoient  de 
toutes  choses ,  et  les  désordres  qu'ils  étoient  con- 
traints de  souffrir  de  leurs  armes. 

Peu  de  jours  après  que  ledit  sieur  déFeuquièresfut 
arrivé  à  Francfort,  comme  nous  avons  dit,  il  reçut 
avis,  de  la  part  du  général  Ârnhcim ,  d'une  trêve 
qu'il  avoit  renouvelée  avec  Walstein ,  et  en  même 


DE    RICHELIEU.    [l633j  349 

temps  le  prioit  de  lui  vouloir  accorder  une  confé- 
rence avec  lui  pour  affaires  très-importantes  pour  la 
cause  commune.  La  lui  ayant  accordée  ,  il  dit  à  son 
retour  au  sieur  de  Feuquières  que  ledit  Walstein 
n  avoit  mis  en  avant  la  proposition  d'un  traité  général 
que  pour  avoir  lieu  de  s'ouvrir  avec  lui,  sans  donner 
soupçon  à  TErapereur  ;  qu'il  voyoit  bien  que  la  mai- 
son d'Autriche  le  vouloit  maltraiter  ;  que  le  duc  de 
i  eria  venoit  prendre  sa  place  ;  quUl  étoit  averti  de 
bonne  part  qu'il  y  avoit  des  entreprises  contre  sa  per- 
sonne^ qu'il  croyoit  que  son  adjonction  au  parti  de 
Tunion  ne  lui  seroit  point  peu  avantageuse-,  qu*il 
dcsiroit  savoir  quelles  sûretés  il  pourroit  recevoir 
(les  conditions  qu'on  stipuleroit  avec  lui  y  et  des  as- 
sistances qu'il  avoit  à  en  attendre. 

Le  chancelier  jugea  à  propos  d'envoyer  un  colonel 
de  sa  part  vers  ledit  général,  pour  être  présent  lors- 
(|u  il  conféreroit  de  ces  choses  avec  ledit  Walstein. 
Le  sieur  de  Feuquières  envoya  le  sieur  Duhamel 
de  compagnie  avec  ledit  colonel,  sans  autre  ordre 
ni  pouvoir ,  sinon  de  lui  rapporter  seulement  ce  qui 
se  seroit  passé  en  ladite  conférence. 

Enfin,  après  avoir  fait  résoudre  en  ladite  assemblée 
son  adjonction  en  l'alliance  du  Roi  avec  la  couronne 
de  Suède ,  il  retourna  trouver  Sa  Majesté  avec  des 
ambassadeurs  de  la  part  de  ladite  assemblée ,  pour 
faire  ratifier  ladite  adjonction. 

Cependant  que  le  sieur  de  Feuquières  avoit  ainsi 
agi  en  Allemagne  où  le  Roi  l'avoit  envoyé ,  le  sieur  de 
Charnacé,  qui  étoit  parti  de  Paris  en  janvier,  arriva  en 
février  en  Hollande ,  où  il  trouva  que  la  conférence 
pour  la  trêve  étoit  commencée  dès  le  5  du  mois. 


35o  [i633J  mémoihes 

Le  roi  d'Espagne  avoit  donne  une  procuration  k 
rinfante  dès  Tan  1629,  et  Tlnfante  avoit  substitué 
les  députes  de  ses  provinces.  Les  Etats  acceptèrent 
pour  lors  Tune  et  Tautre  \  mais  les  députés  flamands 
n'eurent  pas  agréables  celles  des  députés  desdits 
Etats ,  d'autant  qu'elles  contenoient  un  long  narré , 
que  les  états  de  Brabant  y  Flandre  et  les  autres  pro- 
vinces les  ayant  conviés  de  s'assembler  pour  aviser 
aux  moyens  de  pacification  ,  chasser  tous  étrangers 
de  leur  pays,  et  s'unir  pour  leur  conservation  réci- 
proque *,  pour  ces  causes  ils  avoient  donné  pouvoir 
aux  Etats-Généraux  d'en  traiter  avec  eux.  Cette  pré- 
face ne  leur  plut  point ,  et  requirent  qu'elle  fût  ôtée. 
Les  Etats  au  contraire  insistoient  qu'elle  demeurât^ 
mais  enfin  le  prince  d'Orange ,  avec  grand  soin  et 
après  plusieurs  conférences ,  gagna  quatre  provinces 
entières ,  Gueldre ,  Hollande ,  Utrecbt  et  OverrTssel , 
à  consentir  une  autre  procuration  telle  que  la  dcman- 
doient  les  Flamands.  Et  voulant,  à  cause  de  la  plu- 
ralité des  voix ,  tenir  la  chose  conclue ,  les  trois 
autres  fyovinces  ,  Zélande  ,  Frise  et  Groningne , 
protestèrent  que  plutôt  ils  iroient  trouver  les  Fla- 
mands, leur  dire  qu'ils  n'entendoient  point  traiter  au- 
trement ,  quoi  que  dissent  les  autres  provinces;  mais 
le  lendemain  Iç  prince  d'Orange  les  pria  tant  démettre 
leur  protestation  au  greffe ,  sans  la  faire  aux  députés 
flamands ,  afin  que  cependant  l'on  vit  l'offre  qu'ils 
feroient ,  laquelle  si  elle  n'étoit  jugée  raisonnable  on 
romproit  le  traité ,  qu'ils  y  consentirent. 

Les  Espagnols  demandoient  qu'on  leur  rendit  Maes- 
tricht,  Fernambouc,  Venloo,  Ruremonde,  et  tout  ce 
qui  avoit  été  pris   l'année  précédente ,  moyennant 


DE    RICHELIEU.    [l633J  35 1 

quoi  ils  oflroient  de  rendre  Breda ,  puis  condescen- 
dirent encore  à  rendre  Gueldre,  et  fortifîoient  leurs 
demandes  par  de  Targent  qu'ils  distribuoient  large- 
ment aux  particuliers. 

Ils  essayèrent  d'éviter  de  comprendre  l'Empereur 
dans  la  trêve  ,  afin  qu'icelle  ayant  ruiné  les  protestans 
en  Allemagne ,  Fridland  vint  attaquer  les  Hollandais 
avec  toutes  ses  forces ,  auquel  cas  les  Espagnols  pré- 
tendoient  se  joindre  à  lui ,  disant  qu'ils  ne  violeroient 
point  leur  foi ,  puisqu'ils  ne  feroient  autre  chose  que 
de  se  joindre  à  TEmpereur  qu'ils  étoient  obligés  d'as- 
sister; ceux-ci  au  contraire  prétendoient  comprendre 
en  la  trêve  l'Empereur  et  la  ligue  catholique,  et  de- 
mandoient  absolument  que  tous  les  étrangers  fussent 
chassés  et  ne  fussent  plus  admis  aux  gouvernemens 
ni  charges  du  pays;  que  tous  ofHciers  de  guerre  et  de 
police  jurassent  aux  États  des  provinces  d'où  ilsse- 
roient;    que  la  rivière  de  l'Escaut  fût  délivrée  de 
péages  à  l'égal  des  autres  (  qui  seroit  une  grande  perte 
pour  le  roi  d'Espagne);  que  Breda,  Gueldre  et 
Steenwyck  leur  fussent  rendues ,  et  Rhinberg  mis  es 
mains  de  l'électeur  de  Cologne,  et  la  compagnie  des 
Indes  occidentales  n'y  vouloit  point  être  comprise  ni 
rendre  Fernambouc  :  ils  étoient  bien  loin  de  compte, 
et  les  députés  des  provinces  obéissantes  dirent  n'a- 
voir pas  pouvoir  de  traiter  sur  ces  propositions-là  , 
mais  que  quelques-uns  d'entre  eux  retourneroient  à 
Bruxelles ,  et  espéroient  d'en  rapporter  tous  pouvoirs 
nécessaires. 

Dès  que  le  sieur  de  Charnacé  fut  arrivé,  il  alla  in- 
continent trouver  le  prince  d'Orange,  et  lui  exposa 
Tordre  qu'il  avoit  de  la  part  du  Roi,  lui  demandant 


352  [^6^^]    MÉMOIRES 

If 

qu  il  lui  fît  donner  quelques  commissaires  ayée  les- 
quels il  eût  à  traiter ,  ne  le  pouvant  pas ,  à  cause  do 
secret ,  avec  un  si  grand  nombre  de  députés.  Ce  qu'é- 
tant fait ,  il  leur  témoigna  la  bonne  volonté  du  Roi 
pour  le  bien  de  leur  État ,  qu'il  étoit  là  pour  conférer 
avec  eux  s'ils  vouloient  faire  la  paix  ou  la  trêve, 
comment  cela  se  pourroit  avec  les  sûretés ,  et  ce  qu'en 
ce  sujet  ils  désiroient  que  le  Roi  contribuât,  et  si 
aussi  elle  ne  se  pouvoit,  et  qu'ils  désirassent  continuer 
la  guerre ,  ce  que  pourroit  faire  Sa  Majesté  pour  eux. 

Puis  il  leur  dit  tous  les  avantages  qu'ils  pouvoient 
trouver  en  la  paix  ou  trêve ,  et  tous  les  inconvéniens 
aussi ,  entre  lesquels  étoit  la  ruine  indubitable  des 
affaires  d'Allemagne. 

Et  sur  ce  qu'ils  lui  répondirent  qu'ils  y  remédie- 
roient  bien  parce  qu'ils  enverroient  un  puissant  se- 
cours en  Allemagne ,  il  leur  répliqua  que  s'ilsfai  soient 
la  paix  ils  n'auroient  plus  qui  secourir ,  d'autant  que 
le  chancelier  Oxenstiern  lui  avoit  autrefois  dit  confi- 
demment,  sur  le  sujet  de  beaucoup  de  propositions 
qu'il  faisoit  alors ,  que  tout  cela  ne  s'entendoît  qu'au 
cas  que  les  Hollandais  continuassent  la  guerre ,  ponrce 
que  s'ils  faisoient  la  paix  il  la  feroit  de  sa  part.  La  fai- 
sant, les  enfans  du  feu  prince  Palatin ,  qui  seroient 
lors  les  seuls  alliés  qu'ils  auroient  à  assister,  seroient 
perdus  absolument ,  pource  qu'il  n'y  avoit  point  d'État 
en  l'Allemagne ,  ni  peut-être  en  l'Europe,  qui  fût  si 
nécessaire  aux  Espagnols  que  le  bas  Palatinat  pour 
joindre  les  Pays-Bas  à  l'Alsace,  Brisgaw,  Tyrol  etFI- 
talie ,  et  partant ,  pour  le  retirer  dudit  chancelier,  ils  lui 
bailleroient  tout  ce  qu'il  voudroit  sur  la  mer  Baltique. 

Le  traité  de  Charnacé  étoit  traversé  par  le  siear  dé 


DB  aicHELiEU.  [i633]  353 

Hauterive,  lequel,  mécontent  et  fugitif,  et  ayant  su 
de  son  frère  jusques  où  les  offres  que  Charnacë  devoit 
faire  pour  empêcher  la  trêve  dévoient  aller ,  les  dit 
au  prince  d'Orange ,  qui ,  pour  cet  effet,  ne  s'arréloit 
point  à  toutes  les  propositions  dudit  Cbarnacé  afin  de 
le  faire  venir  au  but.  Cela  fit  que  Sa  Majesté  pria  les 
États  d'éloigner  d'eux  ledit  Hauterive  ;  mais  le  prince 
d'Orange  le  défendit  opiniâtrement;  et  Cbarnacé  lui 
ayant  aussi  fait  commandement ,  de  la  part  du  Roi , 
de  l'aller  trouver,  il  mit  plusieurs  excuses  en  avant 
pour  ne  pas  obéir  en  effet,  protestant  toujours  de 
paroles  qu'il  obéiroit  dès  qu'il  le  pourroit. 

La  conclusion  donc  de  la  conférence  de  Cbarnacé 
avec  les  commissaires  que  les  États  lui  avoient  donnés, 
fut  qu'ils  désirèrent  savoir  de  lui  quel  étoit  son  pou- 
voir touchant  la  guerre  contre  l'Espagne,  et  qu'il  leur 
déclarât  si  le  Roi  la  vouloit  faire.  Il  leur  dit  que  tant 
s'en  faut  qu'il  eût  pouvoir  de  cela ,  que  même  le  Roi 
n'y  étoit  pas  résolu-,  que  seulement  les  propositions 
avantageuses  des  Allemands,  qui,  en  cas  qu'il  la  fit, 
lui  offroient  la  carte  blancbe  de  tout  ce  qui  étoit  en 
leur  puissance,  lui  en  avoient-elles  donné  quelque 
envie;  mais  que  son  but  principal  étant  la  paix  uni* 
verselle ,  et  jugeant  comme  cette  rupture  l'éloigneroit 
par  les  conséquences  qu'elle  causeroit ,  il  avoit  pensé 
(|u'il  seroit  meilleur,  si  Ton  ne  pouvoit  maintenant 
ravoir  ,  de  continuer  encore  vertement  cet  été  la 
guerre,  tant  ici  qu'en  Allemagne,  et  cependant  traiter 
tous  conjointement  d'une  trêve  générale,  avec  obli« 
gation  réciproque  entre  tous  de  déclarer  la  guerre 
à  l'Espagne  et  l'Empereur  s'ils  la  rompoient  à  quel- 
qu'un de  nous. 

T.  a;,  ^3 


354  [l633]   HÊMOIRES 

■ 

Ils  lui  offrirent,  et  donnèrent  encore  charge  à  leur 
ambassadeur  d^offrir  de  leur  part  à  Sa  Majesté  de  re- 
fuser absolument  la  trêve  et  renvoyer  les  députes  fla- 
mands à  Bruxelles ,  s'il  plaisoit  au  Roi  rompre  arvec 
les  Espagnols ,  et  qu'en  ce  cas  ils  emploieroient  toutes 
leurs  forces  avec  Sa  Majesté  en  la  conquête  de  Flandre, 
et  ne  demandoient  aucune  part  en  ladite  conquête, 
ains  consentoient  que  toutes  les  places  qui  seroîent 
prises  demeureroienl  au  Roi ,  et  que ,  dès  cette  année> 
on  attaqueroitDunkerque,  Gravelineset  toute  la  côte 
de  la  mer ,  et  le  tout  seroit  remis  entre  les  mains  du 
Roi.  / 

En  ce  même  temps  les  personnes  de  condition 
dont  nous  avons  parlé  en  Tannée  précédente,  qui 
étoient  mécontens  en  Flandre ,  offroient  de  mettre 
entre  les  mains  du  Roi  Boucbain ,  Le  Quesnoy  , 
Avesnes ,  Landrecies,  quatre  places  bonnes  et  impor- 
tantes, conjointes  aux  frontières  d'Artois,  et  de  susciter 
une  grande  révolte ,  et  déclaroient  que  si  ou  perdoit 
Toccasion  présente  on  ne  la  recouvreroit  plus  à  l'avenir, 
parce  que  telles  occasions  étoient  chauves ,  et  que 
ceux  qui  se  vouloient  rendre  au  Roi  ne  vouloient  pas 
être  en  une  perpétuelle  attente,  capable  de  les  perdre. 

Le  cardinal  dit  à  Sa  Majesté  qu'il  étoit  certain  que 
le  feu  Roi  n'eût  pas  perdu  cette  occasion ,  mais  qu'il 
falloit  regarder  le  temps  où  on  se  trouvoit  ; 

Qu'il  falloit  premièrement  considérer  que  le  Roi 
toit  sans  enfans,  et  que  Monsieur,  héritier  présomptif 
le  la  couronne ,  étoit  en  Flandre  avec  la  Reine-mère; 

Qu'il  falloit  considérer  encore  la  volonté  du  Roi 
et  la  disposition  de  son  esprit,  celle  de  son  corps  et 
de  sa  santé ,  qui  étoit  de  si  grand  poids  en  cette  aflâîre. 


DE   RICHELIEU.    [l633]  355 

que  non-seulement  ne  la  pouvoit-on  entreprendre  et 
faire  réussir  si  le  Roi  n'ctoit  sain,  mais  même  n'y  pou- 
voit-on penser  si  sa  bonne  disposition  n'étoil  capable 
de  faire  perdre  la  pensée  qu'il  fût  et  pût  être  malade; 

Qu'il  falloit  ensuite  considérer  la  durée  de  la  guerre, 
les  inquiétudes  et  les  travaux  qu  elle  donne,  l'absence 
à  laquelle  elle  peut  obliger  des  lieux  circonvoisins  de 
Paris,  l'épuisement  des  finances  qui  s'en  ensuivroit, 
les  clameurs  des  catholiques  et  principalement  des 
cagots,  qui  trouveroient  à  redire  qu'on  eût  affaire 
aux  Espagnols ,  sans  considérer  qu'on  y  seroit  bien 
fondé  ; 

Les  diverses  et  grandes  armées  qu'il  faudroit  avoir 
sur  pied  en  Picardie  ,  en  Champagne  et  en  Ilalie  ;  la 
mauvaise  volonté  et  l'infidélité  de  messieurs  de  Sa- 
voie et  de  Lorraine ,  qui  pourroient  produire  de 
mauvais  efl'els  en  faveur  des  Espagnols,  voyant  le 
Roi  occupé  ; 

Le  peu  de  chefs  que  l'on  avoit  propres  à  la  guerre , 
Ihumeur  des  Français,  également  impatiens  de  guerre 
vi  de  repos  ; 

Le  dégoût  de  ceux  qu'on  emploieroit  et  la  jalousie 
de  ceux  qui  seroient  délaissés,  qui  donneroit  lieu  à 
Monsieur  de  les  acquérir; 

Que  les  gouverneurs  des  provinces  et  des  places, 
par  avarice,  légèreté,  vengeance  du  prévoyance  de 
Tavenir,  seroient  plus  aisément  persuadés ,  si  le  Roi 
étoit  une  fois  engagé  en  une  guerre  étrangère,  à  suivr^ 
le  parti  de  Monsieur  et  à  se  déclarer  pour  lui  ;         ^ 

Que  les  moindres  accidens  de  la  guerre  ,  ou  la 
surprise  d'une  place,  pourroient  ébranler  beaucoup 
de  choses  en  ce  royaume  et  exciter  de  grandes  cla- 

V.3. 


356  [i633j  MÉMOIRES 

meurs  contre  ceux  qu'on  voudroit  dire  auteurs  d*urie 
guerre  étrangère  5 

Que  si,  quelque  santé  que  le  Roi  eût  lors,  il  arrivoit 
qu'il  tombât  malade,  ceux  qui  le  serviroient  seroient 
actuellement  perdus  sans  se  pouvoir  sauver ,  et  perdus 
avec  le  décri  de  toute  la  France,  qui  penseroit  avoir 
lieu  de  dire  que  la  guerre  auroit  été  la  cause  et  du 
malheur  de  la  France  et  de  la  maladie  du  Roi; 

Que  partant,  après  avoir  balancé  toutes  sortes  de 
raisons ,  le  meilleur  étoit  que  le  Roi  n^entrât  point 
en  rupture ,  quelque  avantage  spécieux  qu'on  pût 
proposer  ^  mais  qu'il  ne  falloit  pas  aussi  qu^il  perdît 
l'occasion  de  faire  continuer  la  guerre  contre  les  Es- 
pagnols ,  parce  qu'autrement  il  les  auroit  sur  les  bras , 
et  tomberoit  en  d'aussi  grands  inconvéniens  pour 
se  défendre  d'eux ,  qu'il  feroit  en  les  attaquant  main- 
tenant j 

Que  pour  faire  faire  la  guerre  par  les  Hollandais  il 
y  avoit  deux  choses  à  faire  :  l'une  à  leur  donner  de 
l'argent  présentement ,  lequel  étoit  tout  prêt ,  l'autre 
de  satisfaire  à  un  second  parti  que  proposoient  mes- 
sieurs des  États  ; 

Qu'ils  demandoient  que  le  Roi  leur  donnât  six 
mille  hommes  et  cinq  cents  chevaux ,  pour  aller  par 
terre  droit  à  Dunkerque  au  même  temps  que  leur 
armée  y  viendroit  par  mer,  moyennant  quoi  ils  of- 
froient Gravelines  à  Sa  Majesté; 

Qu'il  importoit  au  Roi  de  faciliter  le  dessein  de 
%unkerque ,  parce  qu'il  rendoit  la  guerre  irréconci- 
liable entre  la  Hollande  et  l'Espagne ,  la  Flandre  ne 
pouvant  subsister  si  elle  perdoit  l'usage  de  la  mer 
mais  qu'il  falloit  prendre  garde  de  donner  ces  gens 


DE   RIGUBLIEU.    [l633]  357 

de  guerre,  en  sorte  qu'ils  ne  causassent  pas  une 
rupture^ 

Qu'on  n'avoit  point  accoutumé  de  secourir  les  Hol- 
landais de  gens  de  guerre,  qui  sortant  des  terres  de 
France  entrassent  droit  dans  celles  des  Espagnols,  et 
cela  causeroit  rupture;  mais  bien  leur  en  pouvoit-on 
donner  pour  les  embarquer  sur  la  mer,  d'où  ils  les 
pou  voient  faire  passer  où  bon  leur  sembleroit; 

Que  partant,  le  Roi  pouvoit  faire  offrir  aux  Hol- 
landais tel  nombre  de  gens  de  guerre  qu'il  lui  plairoit^ 
pourvu  qu'ils  les  embarquassent  sur  mer; 

Qu'il  pouvoit  en  outre  leur  promettre  la  facilité 
des  vivres  lorsqu'ils  seroient  à  Dunkerque ,  et  per- 
mettre qu'ils  tirassent  trois  ou  quatre  cents  chevaux 
d artillerie  de  France,  et  ensuite  leur  donner  espé- 
rance de  faire  un  tour  en  Picardie  avec  armée,  lors- 
qu'ils feroient  l'attaque  de  Dunkerque,  pour  tenir  les 
ennemis  en  ombrage  ; 

Que  quant  à  Gravelines ,  il  étoit  bon  qu'il  fût  en 
la  disposition  du  Roi  de  l'avoir,  si  bon  lui  sembloit, 
mais  qu'il  estimoit  plus  à  propos  qu'il  ne  l'eût  point 
que  d'entrer  en  rupture  avec  les  Espagnols,  Sa  Ma- 
jesté profitant  assez,  si  elle  engageoit  les  Hollandais 
et  les  Espagnols  en  une  guerre  irréconciliable,  sans 
avoir  besoin  de  l'augmentation  d'une  place  particu- 
lière-, 

Que  cependant  ,  parce  qu'en  matière  d'État  les 
grands  rois  doivent  avoir  toujours  diverses  cordes 
en  leur  arc,  il  étoit  bon  d'entretenir  ceux  qui  négÉ( 
cioient  la  proposition  d'une  révolte  et  des  places  qui 
se  vouloient  donner  au  Roi  ; 

Qu'on  savoit  bien  qu'il  étoit  difficile  de  les  tenir 


358  [i633J  MÉMOIRES 

toujours  en  cette  disposition,  et  que  les  momens 
changent  souvent  absolument  les  affaires  \  mais  on 
estimoit  qu'en  donnant  grassement  à  celui  qui  étoit 
le  chef  de  cette  proposition ,  et  lui  laissant  l'espé- 
rance que  son  ambition  avoit  pour  but,  on  lui  pou- 
voit  faire  continuer  son  dessein ,  et  le  rendre  ca- 
pable que  le  temps  ne  l'empireroit  pas ,  lui  repré- 
sentant que  le  temps  qu'on  voudroit  prendre  étoit 
pour  voir  de  plus  en  plus  la  santé  du  Roi  afTermie  et 
les  affaires  d'Allemagne  terminées ,  en  sorte  que  les 
électeurs  catholiques  ne  fussent  pas  perdus,  et  que  la 
maison  d'Autriche  eût  seule  le  roi  de  Suède  su  ries  bras; 

Qu'outre  cela,  il  se  trouveroit  des  diflScultës  en 
l'affaire,  qui  empêcheroient  qu'elle  ne  se  pût  exécuter. 

On  donna  charge  à  Charnacé  de  se  gouverner  et 
traiter  selon  cet  avis  avec  les  Hollandais  et  le  prince 
d'Orange  :  mais  ils  firent  les  difficiles ,  et  de  jour  en 
jour  s'éloignoient  davantage  de  se  joindre  aux  réso- 
lutions du  Roi ,  jusque-là  qu'enfin  ledit  Charnacé  leur 
ayant,  en  avril,  offert,  s'ils  vouloient  rompre  le  traité 
de  la  trêve ,  six  mille  hommes  de  pied  et  six  cents 
chevaux,  outre  le  million  ordinaire,  ils  le  refusèrent, 
^  ajoutant  qu'ils  ne  pourroient  pas  même  proihettre  de 
continuer  la  guerre,  quand  le  Roi  la  déclareroit  à 
toute  outrance ,  d'autant  que  les  provinces  vouloient 
voir  la  fin  de  cette  négociation  pour  contenter  leurs 
peuples  avant  que  de  s'obliger  à  personne  plus  qu^elles 
l'étoient.  Sur  quoi  plusieurs  du  conseil  du  Roi  s'étant 
tibuvés  étonnés  ,  et  craignant  que  cette  trêve  seroit 
la  ruine  indubitable  de  cet  Etat ,  le  cardinal  au  con- 
traire dit  à  Sa  Majesté  qu'à  la  vérité  il  faudroifrétre 
fveugle  pour  ne  connoitre  pas  qu'il  étoit  meilleur 


DE  RICUBLIEU.   [i633J  3Sg 

pour  les  affaires  da  Roi  que  la  trêve  ne  se  fît  pas  en 
Hollande  que  le  contraire  ^  qu'il  faudroit  n'avoir  point 
de  sens  pour  ne  prévoir  pas  que  la  trêve  de  Hollande 
étoil  capable  d'attirer  la  paix  en  Allemagne ,  sinon 
présentement,  au  moins  Tannée  qui  vient,  et  ainsi 
donner  moyen  à  la  maison  d'Autriche ,  non-seulement 
de  reprendre  haleine ,  mais  de  se  tirer  de  la  perte 
inévitable  où  elle  tomberoit  indubitablement  si  la 
guerre  continnoit  -,  mais  qu'il  faudroit  être  ou  aveugle 
ou  pusillanime,  ou  tous  lesdeuxensemblé,  pourcroire 
que  le  salut  de  la  France  dépendit  absolument  de  la 
continuation  de  la  guerre  en  Flandre,  et  que  si  la 
trêve  se  faisoit  en  Hollande  ce  royaume  seroit  la 
proie  des  Espagnols  ; 

Qu  il  étoit  certain  que  si  le  Roi  vouloit  attaquer 
TEspagne ,  la  trêve  étoit  fort  préjudiciable  à  un  tel 
dessein  ,  qui  réussiroit  d'autant  mieux  que  plus  ceux 
qu'on  vottdroit  attaquer  seroient  occupés  et  divertis^ 

Mais  que  si  l'on  n'avoit  point  ce  dessein ,  la  trêve 
ne  pouvoit  apporter  aucun  changement  qui  put  nous 
causer  un  notable  préjudice  ; 

Que  si  les  Espagnols  n'avoient  pu  faire  de  progrès 
en  France  ,  dont  le  fruit  leur  fût  demeuré  lorsqu'elle 
étoit  divisée  par  le  parti  des  huguenots  et  celui  de  la 
ligue,  il  y  avoit  bien  moins  d'apparence  qu'ils  le 
pussent  faire  maintenant  qu'elle  étoit  unie  sous  un 
grand  prince  qui  avoit  toujours  été  victorieux,  et  qui , 
dans  son  pays  avoit  abondance  de  soldats  nécessaires 
pour  la  guerre*  et  dans  ses  coffres  des  moyens  poAr 
la  soutenir^ 

Que  quand  la  trêve  seroit  faite  aujourd'hui,  les  Es^ 
pagnols  ne  sauroient  être  en  état  de  deux  ans  de* 


36o  [l633]  MÉMOIRES 

penser  à  faire  aucune  attaque  \  et  s'ils  iaisoient  b 
trêve  à  conditions  désavantageuses  pour  ne  pour- 
voir soutenir  la  guerre  avec  avantage  contre  les 
Hollandais ,  quel  avantage  auroient-ils  de  Tentre- 
prendre  contre  la  France  plus  puissante  qae  les  Hol- 
landais y  vu  principalement  qu'ils  savoient  bien 
qu'ainsi  que  la  France  a  toujours  secouru  les  états  de 
Hollande ,  lesdits  Etats  ëtoient  obliges  de  secourir  la 
France  au  cas  qu'elle  fût  attaquée ,  et  qu'ils  dévoient 
craindre  par  raison  que  la  rupture  ouverte  que  TEs- 
pagne  feroit  avec  la  France  n'attirât  de  nouveau  celle 
de  Hollande  avec  eux ,  ce  qui  feroit  que  pour  une 
guerre  qu'ils  auroient  évitée ,  ils  en  auroient  deux 
sur  les  bras  ; 

Que  les  Espagnols  n'avoient  besoin  de  la  trêve  en 
Hollande  que  pour  empêcher  la  perte  absolue  de 
l'Allemagne ,  et  avoir  lieu  de  conserver  le  trafic  des 
Indes  occidentales,  d'où  ils  tiroient  l'ame  de  leur 
puissance ,  et  partant ,  quand  ils  auroient  fait  la  trêve 
ils  ne  pourroient  avec  prudence  entreprendre  une 
guerre  en  France ,  qui  seule  seroit  capable  d'occuper 
et  épuiser  toutes  leurs  forces ,  si  premièrement  ils 
n'avoient  pacifié  l'Allemagne  et  doublé  leurs  forces 
sur  la  mer,  ce  qui  requéroit  beaucoup  de  temps; 

Qui  plus  est,  quand  ils  l'entreprendroient ,  les 
places  frontières  étant  bien  fortifiées  et  munies ,  ce 
qui  se  pouvoit  faire  aisément  avant  qu'ils  eussent  lieu 
de  penser  seulement  à  former  un  dessein ,  il  étoit 
impossible  que  telle  entreprise  leur  pût  réussir ,  le 
Roi  ayant  toujours  trente  mille  hommes  sur  pied  et 
trois  mille  cinq  cents  chevaux ,  qu'il  pouvoit  (■■bler 
Vcn  six  semaines ,  pour  s'opposer  aux  efforts  oe  ses 


DE   RICHELIEU.    [l633J  36l 

onncmis ,  qui  s'en  iroient  d'autant  plus  certainement 
en  fumée,  que  Sa  Majesté ,  au  cas  que  la  trêve  se  fît , 
pouvoit  doubler  toutes  ses  garnisons  sans  nouvelle 
dépense  •, 

Que  le  Roi  ayant  fait  état  de  donner  lors  aux  Hol- 
landais a, 000,000  de  livres,  s'il  employ  oit  cette  somme 
en  augmentation  de  troupes  pour  jeter  dans  les  gar- 
nisons, il  grossiroit  lesdites  garnisons  de  douze  mille 
hommes  de  pied ,  avec  quoi,  les  places  étant  munies 
et  fortifiées  ,  il  seroit  impossible  que  les  ennemis 
pussent  rien  entreprendre  avec  succès ,  principa- 
lement si  on  tenoit  à  toutes  les  têtes  importantes , 
comme  AbbevillÇ)  Corbie,  Dourlens,  Saint-Quentin 
et  Péronne,  des  maréchaux  de  camp  et  personnes  ca- 
pables qui  eussent  pouvoir  aux  moindres  mouvemens 
lie  pourvoir,  non-seulement  les  places  où  ils  seroient, 
mais  celles  qui  seroient  voisines,  de  tout  ce  qui  leur 
seroit  nécessaire; 

Qu'après  tout  ce  que  dessus ,  le  meilleur  avis  qu'on 
pouvoit  prendre  étoit  premièrement  de  continuer 
toujours  à  faire,  comme  on  avoit  fait  jusqu'alors,  tout 
ce  qui  éloit  nécessaire  pour  rompre  la  trêve ,  tant 
pour  le  bien  universel  de  la  chrétienté ,  dont  la  mai- 
son d'Autriche  s'étoit  rendue  ennemie  depuis  quelque 
temps ,  que  pour  lavantage  particulier  de  la  France, 
dont  Futilité  requéroit  que  la  guerre  fut  plutôt 
éloignée  qu'au  dedans ,  quand  même  ce  seroit  sans 
succès  pour  ses  ennemis  ; 

En  second  lieu  ,  qu'il  falloit  fortifier  soigneuse- 
ment toutes  nos  frontières,  puisque,  non-seulement 
ce  mojen  étoit- il  bon  iK)ur  noqs  garantir  de  mauvais^ 
événcmens  au  cas  de  guerre,  mais  même  pour  nous 


iÔl  [l633j    MÉMOIKES 

préserver  de  la  guerre ,  étant  certain  que  la  connois- 
sance  qu'on  auroit  que  toutes  les  places  seroient  en 
bon  état,  étoit  capable  d'empêcher  le  dessein  qu'on 
auroit  de  les  attaquer; 

Que  pratiquant  ces  deux  expédiens,  quoi  qui  arrivât, 
les  ennemis  du  Roi  ne  sauroient  interrompre  le  cours 
de  ses  prospérités ,  et  Sa  Majesté,  étant  en  état  de  ne 
rien  craindre,  le  seroit  aussi  de  donner  de  la  terreur 
à  ceux  qui  n'oseroient  penser  à  lui  faire  mal ,  de  peur 
qu'elle  leur  en  fît  ; 

Et  quand  le  prince  d'Orange  connoitroit  que  le 
Roi  seroit  en  état  de  ne  craindre  pas  beaucoup  que  la 
trêve  se  fit,  il  recevroit  plus  raisonnablement  qu'il 
n'avoit  fait  jusques  alors  les  justes  conditions  qu'on 
lui  avoit  offertes  pour  faire  un  traité  qui  obligeât  à  la 
continuation  de  la  guerre,  laquelle  il  y  avoit  grande 
apparence  qu'il  seroit  contraint  de  continuer,  quelque 
inclination  qu'il  eût  au  contraire,  sans  que  la  France 
lui  en  eût  obligation  ; 

Car  on  ne  voyoit  pas  comme  les  Espagnols  et  les 
Etats  se  pussent  accorder  en  ce  qui  concernoit  les 
Indes  occidentales ,  vu  que ,  si  les  Espagnols  faisoient 
la  trêve  sans  qu'on  leur  rendit  Fernambouc  et  tous 
les  lieux  que  les  Hollandais  leur  avoient  occupés  aux 
Indes  ,  ils  étoient  assurément  ruinés ,  d'autant  qu'en 
ce  cas  le  corps  des  Etats  n'ayant  plus  de  guerre  en 
terre,  il  fortifieroit  les  compagnies  des  marchands , 
qui,  jusques  alors  seuls,  avoient  fait  la  guerre  aux 
Indes,  et  ainsi,  apparemment,  les  progrès  des  Hol- 
landais ,  plus  expérimentés  et  plus  heureux^^ur  la 
mer  que  les  Espagnols ,  irolent  tous  les  jours  crœs- 
sant ,  ce  qui  ne  pouvoit  arriver  sans  la  ruine  dlîs-- 


DE    RICHELIEU.    [l633J  363 

pagne ,  qui  tenoit  son  seul  soutien  de  Tor  qu'elle  ti- 
roit  des  Indes. 

D'aulre  pari,  qu'outre  qu'il  étoit  difficile  de  désin- 
téresser les  compagnies  des  marchands  ,  qui  avoient 
pris  Fernambouc  et  les  autres  lieux  qu'ils  tenoient 
aux  Indes  ,  et  les  obliger  à  les  rendre,  si  la  restitution 
s'en  faisoit,  et  que  les  Espagnols  demeurassent  sans 
trouble  paisibles  possesseurs  de  leur  moisson  des 
Indes ,  ils  se  rendroient  en  peu  de  temps  si  puissans, 
qu'ils  pourroient  recommencer  la  guerre  avec  grand 
avantage  contre  les  Hollandais  ;  ce  qu'ils  feroient  in- 
dubitablement sur  quelque  prétexte  coloré  dont  ils 
ne  manqueroient  pas,  ou  sans  icelui,  leur  première 
maxime  étant  qu'on  n'est  point  obligé  de  garder  la 
foi  aux  hérétiques. 

Le  succès  en  fut  tout  tel  qu'il  avoit  pensé  :  les  uns 
et  les  autres  souhaitoient  la  trêve,  mais  leurs  mu- 
tuels intérêts  répugnoient  à  leur  désir,  chacun  vou- 
loit  conserver  les  siens,  ce  qui  difficilement  se  pou- 
voit  faire,  étant  diamétralement  contraires. 

Les  Hollandais,  élevés  par  l'heureux  succès  de  leurs 
armes ,  ne  vouloient  rien  relâcher,  et  l'orgueil  d'Els- 
pagnc,  en  quelque  état  que  fussent  ses  affaires,  ne 
se  vouloit  pas  aussi  aucunement  abaisser ,  et  ainsi 
leur  traité  se  rendoit  de  jour  à  autre  plus  difficile, 
tant  ([u'enfin  les  Etats-Généraux ,  ennuyés  des  ré- 
ponses non  assez  précises  et  déterminées  des  députés 
flamands ,  leur  donnèrent  par  écrit  plusieurs  articles, 
lescjuels  ,  pour  être  trop  longs,  nous  avons  insérés  à 
la  fin  de  ce  volume (0,  pour  leur  en  rapporter  dans 

I     -7  lit  Jin  fie  ce  volume  s  Ce»  article»  ne  foiil  point  pariic  du  ma- 


364  [l633]  HÉMOIRES 

quinze  jours  réponse  catégorique,  ou  qu'ils  rom- 
proient  la  conférence  de  la  trêve. 

Ce  que  lesdits  députés  de  Flandre  promirent,  et 
quelques-uns  d'eux  les  portèrent  à  Bruxelles,  où 
étant  trouvés  peu  raisonnables  par  le  conseil  de  lin- 
faute  pour  y  donner  tiie  réponse  claire  et  sans  am- 
biguïté ,  lesdits  députés  dépêchèrent  un  courrier  à 
La  Haye  pour  prier  qu'on  prolongeât  le  terme  qu'on 
leur  avoit  donné  de  dix  jours;  ce  que  les  Etats-Gé* 
néraux  ayant  su ,  et  leur  étant  offert  par  Charnacé  le 
paiement  comptant  des  deux  tiers  du  million  que  le 
Roi  leur  avoit  promis  tous  les  ans  durant  la  guerre, 
ils  s'assemblèrent  et  résolurent  de  prier  le  prince 
d'Orange  de  ne  perdre  pas  temps ,  mais  se  mettre  en 
campagne  attendant  leur  retour,  ce  qu'il  fit  le  a6  du 
mois.  Dès  le  commencement  de  mai  il  commença  le 
siège  de  Rhinberg ,  et  le  comte  Guillaume  de  Nassau 
descendit  à  l'embouchure  de  l'Escaut  avec  sept  rëgi- 
mens  et  huit  canons ,  au  lieu  de  quoi  s'il  eût  voulu 
entrer  en  Brabant ,  ni  Malines ,  ni  Louvain  »  ni 
Bruxelles  n'eussent  pu  résister ,  vu  la  foiblesse  en  la- 
quelle étoient  lors  les  Espagnols ,  et  le  soulèvement 
des  plus  grands  contre  eux  ;  mais  le  prince  d'Oraoge 
ne  le  voulut  pas  faire ,  tant  pource  qu'il  eût  rompu 
toute  voie  d'accommodement  qu'il  désiroit  fort,  que 
pource  qu'il  ne  vouloit  pas  aussi  que  le  sujet  de  la 
guerre  d'entre  les  Etats  et  les  Espagnols  fût  entière- 
ment ôté.  Ladite  ville  fut  prise  le  4  juin.  Cependant 
les  députés  flamands  qui  étoient  retournés  à  Bruxelles 
revinrent  à  La  Haye ,  le  duc  d'Arscot ,  qui  en  étoit 
l'un  des  principaux ,  publiant  à  son  retour  qu^il  ap- 
portoit  un  pouvoir  authentique  du  Roi  son  m^|re 


DE   RICHELIEU.   [l633]  36S 

ilu  3o  avril;  mais  à  leur  première  audience,  qui  fut 
le  17  mai ,  étant  pressés  de  le  faire  voir,  ils  montré» 
reut  seulement  une  attestation  de  llnfante  par  la- 
quelle elle  assuroit  que  le  Roi  son  neveu  avoit  par- 
faite connoissance  de  ladite  négociation,  et  qu'il  en 
étoit  bien  aise,  sans  parler  ||b41  approuvoit  ni  pro- 
mettoit  ratifier  ce  qui  se  traiteroit;  de  là  passant  aux 
articles  qui  leur  avoient  été  proposés,  de  dix-huit 
qu'il  y  en  avoit,  ils  en  mirent  douze  en  controverse, 
ou  s'en  expliquèrent  en  termes  qui  jetoient  les  affaires 
en  nouvelle  négociation;  ce  qui  étonna  fort  ceux  des 
Etats  qui  désiroient  la  trêve,  et  encouragea  les  autres 
qui  ne  la  vouloient  point.  Mais  le  ao ,  revenant  un 
peu  à  eux-mêmes ,  ils  donnèrent  espérance  d'avouer 
tous  les  articles  avec  quelque  petite  modification, 
pourvu  ([u'on  leur  rendit  Fernambouc,  ou  que  si  les 
Hollandais  le  vouloient  retenir,  il  y  eût  trêve  aux 
Indes,  tant  orientales  qu'occidentales.  Mais  quand  ce 
vint  au  point ,  et  que  les  Hollandais  voulurent  qu'il 
fût  mis  un  article  exprès  pour  la  liberté  du  commerce 
auxdites  Indes,  le  duc  d'Arscot  déclara  nettement 
que  jamais  les  Espagnols  ne  le  consenti roient,  d'au- 
tant qu'ils  savoient  que  les  Hollandais  attireroient 
à  eux  dans  six  mois  tout  le  négoce,  pouvant  faire 
pour  cent  écus  ce  que  les  Espagnols  ne  sauroient 
faire  pour  deux  cents ,  ce  qui  seroit  la  raine  totale 
d'Espagne. 

Ce  procédé  peu  sincère  les  offensa ,  de  sorte  qu'ils 
délibérèrent  long-temps  s'ils  dévoient  renvoyer  in- 
continent tous  leurs  députés;  trois  provinces  entières 
y  conclurent,  mais  enfin  le  plus  de  voix  emporta 
que  Ton  les  laisseroit  encore  pour  quelques  jours, 


366  [i633]  MÉMOIRES 

pendant  lesquels  Ton  iroit  aux  provinces  savoir  ce 
qu'elles  voudroient  que  Ton  fît  là-dessus. 

Durant  ce  temps  lesdits  députés  faisoient  toutes 
sortes  d'instances ,  et  augmentoient  de  jour  en  jour 
leurs  offres  pour  avoir  Fernambouc,  lequel  plus  ils 
témoignoient  désirer,  )|rius  la  compagnie  des  Indes 
s^opiniâtroit  non-seulement  à  le  conserver ,  mais  k 
empêcher  encore  la  conclusion  de  la  trêve.  Les  Etats, 
voyant  une  opposition  forte  de  leur  part,  firent  venir 
le  1 5  Juin  à  leur  assemblée  les  directeurs  de  ladite 
compagnie ,  entendirent  leurs  raisons  et  les  moyens 
qu'ils  dirent  avoir  de  nuire  aux  Espagnols  ;  et  la  gé- 
nérosité de  ces  gens-là  fut  telle  qu'ils  dirent  auxdits 
sieurs  des  Etats  que  si,  après  leur  avoir  promis  de 
ne  les  comprendre  de  vingt  ans  en  aucun  traité  de 
paix  ni  de  trêve ,  ils  le  vouloient  faire  lors  et  les  con- 
traindre à  rendre  Fernambouc  contre  leur  parole,  eux 
aussi  demeureroient  libres  de  celle  qu'ils  avoient 
donnée  aux  Etats  de  tenir  la  compagnie  en  ce  pays, 
leur  déclarant  que  plutôt  ils  se  résoudroient  de  cher- 
cher un  prince  qui  eût  le  pouvoir  et  la  volonté  de  les 
maintenir  que  de  consentir  à  cela. 

Cette  déclaration  haussa  merveilleusement  le  cœur 
aux  trois  provinces  qui  vouloient  la  guerre,  et  fit 
enfin  résoudre  la  Hollande  et  les  trois  autres  à  pro- 
mettre derechef  à  la  susdite  compagnie  tout  ce  qu'ils 
avoient  fait  auparavant ,  et  ensuite  firent  appeler  les 
députés  de  Bruxelles ,  leur  dirent  qu'ayant  été  à  leurs 
provinces ,  ils  y  avoient  eu  commandenfent  de  leur 
déclarer  qu'ils  ne  pouvoient  leur  rendre  Fernambouc 
ni  faire  la  trêve  aux  Indes;  qu'il  ne  restoit  plus  qu'à 
savoir  d'eux  s'ils  avoient  pouvoir  de  passer  outre  mk 


DE   RICHELIEU.    [l633J  3&] 

autres  articles  sans  plus  faire  mention  de  celui-là. 
A  quoi  ils  répondirent  ne  pouvoir  rien  faire  sans 
raccommodement  des  Indes,  par  quelque  moyen  ou 
tempérament  que  ce  fût  qui  en  pût  chasser  la  guerre  ; 
ce  qu'étant,  ils  promettoient  leur  donner  contente- 
ment à  tout  le  reste.  *» 

Cette  réponse  ouïe,  les  Etats  mandèrent  auxdits 
députés  qu'ayant  considéré  le  grand  temps  qu'il  leur 
faudroit  pour  aller  donner  avis  de  leur  déclaration 
au  prince  d'Orange,  puis  retourner  aux  provinces 
pour  savoir  leur  volonté  et  la  rapporter  à  La  Haye, 
ils  jugeoient  qu'il  seroit  à  propos  que  les  principaux 
d'entre  eux  se  retirassent  cependant  à  Bruxelles ,  et 
laissassent  quelques-uns  pour  leur  faire  savoir  le 
temps  auquel  ils  pourroient  venir  quérir  leur  ré- 
ponse. Le  duc  d'Arscot,  l'archevêque  de  Malines, 
lahbé  de  Saint-Wast,  le  baron  d'Ansermont  et  deux 
autres  députés,  partirent  dès  le  lendemain  et  laissè- 
rent quatre  des  moindres  d'entre  eux  à  La  Haye  pour 
les  attendre.  Mais  avant  de  partir  ils  offrirent,  bien 
qu'en  vain  ,  à  la  compagnie  des  Indes  trois  faiillions 
s'ils  vouloient  se  relâcher  de  cette  demande ,  et  n'ou- 
blièrent rien  de  tout  ce  qui  se  peut  pour  gagner  les 
esprits  desdits  Etats,  auxquels  ils  proposèrent  une 
suspension  d'armes  ;  mais  ils  n'y  voulurent  entendre. 
Puis  ils  dirent  que  le  Roi  recherchoit  de  paix  le  roi 
d'Espagne,  et  que  le  traité  en  devoit  bientôt  être 
conclu;  mais  il  trouva  les  Etals  disposés  à  ne  pas 
croire  cette  malicieuse  nouvelle,  car  l'ambassadeur 
d'Espagne  ayant  quelque  temps  auparavant  pressé  le 
Roi  d'entrer  en  traité  avec  le  Roi  son  maître ,  et  as- 
suré qu'il  avoit  pouvoir  de  conclure  une  paix  si  on  y 


368  [i633J  MÉMOIRES 

vouloit  .entendre,  Sa  Majesté,  pour  ne  pas  donner 
l'avantage  aux  Espagnols  de  publier  partout  qu'elle 
ne  vouloit  pas  le  repos  de  la  chrétienté ,  consentit  à 
Fouverture  d'une  négociation  dont  Sa  Majesté  se 
servoit  encore  pour  retarder  la  passion  que  lesdits 
Espagnols  avoient  à  la^ève. 

Mais  la  première  condition  que  le  Roi  demanda  fut 
qu'il  ne  se  fit  aucun  traité  que  conjointement  avec 
tous  ses  alliés ,  et  que ,  pour  rien  du  monde ,  il  n'y 
entendroit  autrement. 

La  seconde ,  que  Ton  exécutât  le  traité  de  Monçon 
touchant  les  Grisons. 

La  troisième ,  que  l'échange  de  Pignerol  demeurât 
comme  il  étoit,  et  on  en  demeurât  là. 

Sa  Majesté  donna  incontinent  avis  de  toutes  ces 
choses  à  Charnacé,  afin  qu'il  en  avertit  messieurs  des 
États,  et  qu'outre  qu'elle  avoit  déclaré  à  Tambassa- 
deur  d'Espagne  ne  vouloir  rien  faire  qu'avec  tous  ses 
alliés ,  ledit  Charnacé  étoit  prêt  de  signer  un  bon  traité 
avec  eux. 

Tandis  que  les  Hollandais  marchandoient  s'ils  dé- 
voient faire  la  trêve  ou  continuer  la  guerre  avec  Es- 
pagne ,  ne  pouvant,  pour  les  particuliers  intérêts,  se 
résoudre  à  ce  qui  leur  étoit  le  plus  avantageux ,  l'u- 
nion des  seigneurs  mécontens  de  Flandre  qui  deman- 
doient  secours  au  Roi ,  et  pour  raison  de  quoi  Sa  Ma- 
jesté y  envoya  Berruyer,  fut  découverte^  Carondelet, 
doyen  de  Cambray ,  qui  les  faisoit  tous  mouvoir ,  fut 
arrêté  prisonnier  à  Bruxelles ,  et  le  marquis  d'Ais- 
tonne  alla  avec  six  mille  hommes  se  saisir  de  la  place 
de  Bouchain ,  dont  le  frère  de  Carondelet  étoit  gou- 
verneur ,  lequel  alla  au  devant  dudit  marquis ,  et  le 


DE    RICHELIEU.    [l633]  369 

reçoit  en  la  place.  Le  marquis  s'en  étant  assuré , 
donna  commandement  de  se  saisir  de  sa  personne  ; 
mais  s'étant  mis  en  défense,  et  en  ayant  tué  quatre  de 
sa  inain ,  il  fut  assommé  d'un  coup  de  crosse  de  mous- 
((uet.  Cette  exécution,  ôta  à  tous  les  mécontens  non 
la  volonté  mais  le  pouvoir  de  mal  faire ,  ce  qui  ne  fut 
pas  de  peu  de  préjudice  au  bien  des  états  de  Hol- 
lande, car  enfin  ils  ne  purent  avoir  la  trêve  qu'ils 
désiroicnt;  et  quand  ils  virent  que  les  députés  qui 
éioient  retournés  à  Bruxelles  y  demeuroient  trop 
long-temps  sans  revenir,  et  que  le  duc  d'Arscot  même 
en  étoit  parti  pour  aller  à  Madrid,  ils  reconnurent 
lors  c|ii  on  ne  procédoit  pas  avec  eux  avec  la  sincérité 
qu  i!s  s'éloient  promise,  et  mandèrent  à  ceux  des 
députés  qui  étoient  demeurés  à  La  Haye  qu'ils  se  re- 
tirassent à  Bruxelles  auprès  de  leurs  collègues^  et, 
au  cas  ([u  ils  reçussent  la  procuration  du  roi  d'Espa- 
gne nécessaire ,  et  un  ordre  plus  spécial ,  ils  ne  man- 
(jueroient  pas  de  leur  côté  à  contribuer  ce  qui  dé- 
pendoit  d'eux  pour  parachever  ladite  négociation  au 
soulagement  et  au  bien  de  tous  les  Pays-Bas.  Cette 
résolution  apporta  à  Bruxelles  un  grand  déplaisir,  et 
ce  d'autant  plus  qu  elle  y  fut  sue  après  la  mort  de  lln- 
fante  (0,  laquelle  fut  regrettée  de  tout  le  peuple. 
Tandis  que  les  aflaires  d>2spagne  étoient  en  un  si 

(i^  .'//»r«  la  mort  de  tlnjante  :  IsaheUc-CIairc-Eugcnie,  611e  dt 
Pliilil>p«*  II,  et  que  c«  prince  appeloit  le  miroir  et  la  lumière  de  ses 
yru3  ,  .'ivoii  joue  un  grand  lAlc  dans  le  temps  de  la  Ligue.  Lci  Etpa- 
giiol.i ,  m  i^ç^f  aToiontToulu  la  faire  reine  de  France,  au  nicpri»  de  U 
I<ii  s.ili'jiie.  VMc  avoit  cpoukc  depuis  Tarchiduc  Albert ,  et  c'ioit  derenoe 
t:o»»vernaiiir  de*  Pajft-Bas.  Prndanl  nne  longat  administration,  elk 
..vfiit  dri>iovc  de  grands  talens ,  et  sVtoit  fait  chérir  par  sa  piet^,  sa 
t:(.ncr()»itc  et  ^a  modération.  Elle  mourut  n  TAge  de  soixante-six  auis. 

T.  9.7.  24 


370  [l633]    MÉMOIRES 

mauvais  état,  que  les  Suédois  en  Allemagne  avoient 
toutes  sortes  d'avantages ,  que  le  trané  de  la  trêve 
en  Hollande  n'avoit  pas  eu  le  succès  qu'ils  s'étoient 
pronns ,  et  que>,  pendant  qu'ils  négocioient  la  paix  , 
les  Hollandais  u'avoient  pas  laissé  d'armer  et  de  leur 
jtorendre  la  ville  de  Rhinberg ,  le  duc  de  Lorraine 
seul,  courant  et  se  précipitant  en  sa  ruine,  oubliant 
encore  une  fois  tous  ses  traités  avec  le  Roi ,  et  vou- 
lant obliger  Sa  Majesté,  contre  sa  propre  volonté ,  à 
le  perdre ,  arme,  offense  les  alliés  de  Sa  Majesté,  et 
entreprend ,  contre  sa  parole ,  de  défendre  par  ses 
armes  trop  foibles  la  maison  d'Autriche  qui  n'étoit 
pas  lors  en  bon  état. 

Le  Roi  tint  tout  l'hiver  une  armée  en  garnison  sur 
ses  frontières ,  pour  être  toujours  prêt  à  défendre  ses 
alliés^  Saint-Chamont,  qui  en  avoit  le  commande- 
ment, ayant  eu  avis  le  20  janvier  que  quelques 
troupes  espagnoles  s'étoient  saisies  des  villages  de 
Rcvin  et  Fumay  dans  les  Ardennes,  appartenant 
à  rélecteur  de  Trêves,  et  qu'elles  avoient  dessein  de 
s'y  cantonner  et  fortifier ,  partit  de  Mézières,  où  il 
s'étoit  avancé  avec  partie  de  l'armée  du  Roi ,  pour  les 
allikr  reconnoitre;  mais  lesdits  Espagnols,  ayant  été 
avertis  (^  son  dessein ,  abandonnèrent  lesdits  lieux  , 
et  se  retirèrent  la  nuit  avec  désordre  pour  la  crainte 
qu'ils  euAht  d'être  chargés  et  taillés  en  pièces. 

Depuis ,  ledit  archevêque  ayant ,  au  mois  de  mars  , 
demandé  assistance  contre  d'autres  troupes  espagnoles 
qui  saccageoient  son  pays  vers  Coblentz ,  Sa  Majesté 
le  secourut  puissamment  et  l'en  délivra.  Et  le  comte 
de  Mérode  étant ,  dès  le  commencement  de  mai ,  en- 
tré dans  ledit  archevêché  avec  des  troupes  e9pa- 


DE  RICHELIEU.    [l633j  87  I 

gnolcs  qu'il  vouloit  faire  rafraîchir,  et  y  former  un 
corps  darmde,  le  sieur  de  Saint-Chamont,  qui  étoit 
vcuu  à  la  cour,  en  ayant  nouvellea.,  en  part  en  dili- 
g(»nce ,  se  rend  au  camp  de  Trêves  vers  le  ^o  du 
mois,  et  envoie  prier  MdrodQ de  se  retirer  hors  des 
K(nts  dudit  Electeur,  qui  ëtoient  en  la  protection  dit 
Roi ,  afin  de  ne  lui  donner  pas  lieu  de  les  en  faire 
sortir  de  force  comme  il  y  étoit  résolu.  Il  donna  sans 
y  penser,  le  a8  mai,  en  attendant  la  réponse,  quar- 
lier  à  ((uelques  cornettes  de  cavalerie  de  Tarmée  de 
Sa  Majesté ,  aux  mômes  lieux  où  il  y  en  avoit  de  celles 
dudit  comte  logées,  lesquelles,  s'étant  rencontrées 
audit  logement,  s'attaquèrent  les  unes  les  autres,  en 
sorte  qti'il  y  demeura  environ  cinquante  des  ennemis, 
trois  cornettes  et  quelques  prisonniers ,  que  ledit  sieur 
do  Saint-Chamont  renvoya  le  lendemain  audit  Më- 
rode ,  qui  ensuite  se  retira  dans  le  Luxembourg. 

Mais  Saint-Chamont  ayant  reconnu,  allant  à  Trêves, 
que  la  ville  et  château  de  Freidembonrg ,  situés  sur 
le  grand  chemin  de  Metz,  étoient  occupés  parles 
P^.spagnols , quoiqu'ils  fussent  à  l'électeur  de  Trêves, 
et  que  la  garnison  qui  étoit  dedans  faisoit  des  courses 
sur  ses  sujets,  et  empéchoit  la  liberté  du  passage,  j^flt 
avancer  une  partie  de  l'armée  du  Roi,  avei^  laquelle 
il  assiégea  la  place,  qui  se  rendit  trois  jours  après. 

Ce  qui  étant  fait,  il  tira  l'armée  de  Sa  Tirajesté  des 
torres  dudit  Electeur,  lui  laissant  les  troupes  qu*il 
lui  demanda  pour  sa  sûreté.  Il  fut  néanmoins,  en 
(]uel(|ue  façon,  mécontent  de  l'archevêque,  ponrce 
({u  il  étoit  ou  en  telle  défiance  des  troupes  de  Sa  Ma- 
jesté ,  ou  avoit  tant  de  crainte  que  les  Espagnols  Tac- 
cusasscnt  de  trahir  l'Empereur ,  et  remettre  ses  places 

24. 


372  [l633]   MÉHOIRES 

en  la  puissance  absolue  du  Roi ,  qu'il  ne  voulut  pas 
souffrir  qu'on  laissât  en  la  ville  de  Trêves  une  gar- 
nison si  forte  que  Saint-Chamont  dësiroit.  A  quoi  il 
fut  contraint  de  consentir,  bien  qu'il  prévit  le  mal 
qui  en  devoit  arriver ,  parce  qu'il  avoit  reçu  comman- 
.klement  du  Roi  de  se  conformer  entièrement  à  la  vo- 
lonté dudit  Electeur,  lequel  néanmoins  ne  put  éviter 
ce  qu'il  craignoit,  car  les  Espagnols  ne  laissèrent  pas 
de  lui  imposer  malicieusement  qu'il  avoit  trahi  l^m- 
pereur  *,  et  une  des  grandes  plaintes  qu'Olivarès  fit  à 
Bautru  fut  celle-là ,  que  le  Roi  s'étoit  saisi  d'un  État 
qui  étoit  en  la  protection  d'Espagne. 

Bautru  lui  répondit  sagement  qu'il  faisoiteomme 
ces  larrons  qui  crioient  les  premiers  aux  voleurs  ^ 
qu'il  étoit  très-notoire  à  tout  le  monde  que  ce  pauvre 
prince  électeur  avoit  été  persécuté  par  les  Espagnols 
depuis  plusieurs  années  ,  de  telle  façon  qu'ils  lui 
avoient  ôté  toutes  les  fonctions  de  prince  souverain 
et  de  pasteur  de  l'Église,  en  le  chassant  de  sa  ville 
métropolitaine ,  mettant  garnison  dans  Trêves ,  sup- 
portant la  rébellion  de  ses  vassaux  contre  son  auto- 
rité ,  et  soutenant  les  chanoines  contre  sa  dignité  ; 
qu^l  n'en  falloit  point  de  meilleure  preuve  que  de 
considérer  que ,  tant  que  Trêves  avoit  été  en  leur 
pouvoir ,  il  ne  lui  avoit  pas  été  possible  de  mettre  le  pied 
ni  dans  s#ville  ni  dans  son  église ,  et  que ,  dès  lors 
que  nous  y  avons  eu  pouvoir ,  nous  l'avions  rétabli 
en  sa  puissance  temporelle  et  spirituelle ,  chassé  ses 
rebelles  de  la  ville ,  et  ôté  ceux  de  son  clergé  qui , 
contre  les  lois  divines  et  humaines,  nioient  l'obéis- 
sance à  leur  prince  et  à  leur  évêque  5  que ,  si  nous 
avions  chassé  un  curé  de  sa  paroisse  en  quelque  lien 


UE  RicncLiEu.  [i633J  873 

du  monde  que  ce  pût  être ,  les  noms  d'anathéme  , 
d'excommunié  et  d'hérétique  ne  seroient  faits  que 
pour  nous  ;  que ,  quant  à  ce  qu'il  disoit  qu'il  étoit  en 
leur  protection,  nous  ne  Pavions  jamais  ouï  dire; 
mais  quand  ainsi  seroit,  que  les  souverains  ecclésias- 
tiques étoient  généralement  en  la  protection  de  tous 
les  rois  catholiques,  et  particulièrement  celui-là  qui 
étoit  notre  voisin  si  proche,  et  qui  ne  pouvoit  tirer 
aucune  protection  ni  de  l'Empereur  ni  d'eux  contre 
le  roi  de  Suède,  puisque  ni  l'un  ni  l'autre  n'avoient 
su  protéger  leurs  propres  intérêts  contre  ce  con- 
quérant. 

Le  duc  de  Lorraine ,  voyant  les  aflaires  du  Roi  en 
son  voisinage  en  ce  florissant  état,  ne  laissoit  pas  de 
commettre  cependant  toutes  sortes  d'infidélités  con- 
tre le  Roi  et  d'infractions  aux  traités  qu'il  avoit  faits 
avec  lui ,  espérant  être  si  fin  qu'il  tromperoit  les  plus 
clairvoyans ,  et  ne  manqueroit  jamais  de  couverture 
et  de  réponses  apparentes  aux  justes  plaintes  que  le 
Roi  pourroit  faire  contre  lui,  ne  sachant  pas  que  les 
excuses  d'un  prince  foible  contre  un  plus  puissant 
doivent  être  de  bon  aloi  pour  être  reçues,  et  qu'il 
faut  avoir  pour  vaincre,  ou  la  justice  ou  la  force  de 
son  côté. 

Il  commença  à  tromper  dès  aussitôt  qtfil  eut  fait 
le  dernier  traité  avec  le  Roi  à  Liverdun,car  le  maré- 
chal d'Efiiat  ayant  pris  ses  troupes  à  la  solde  du  Roi 
pour  les  mener  en  Allemagne,  le  duc  de  Lorraine 
leur  ayant  donné  le  mot  du  guet,  elles  se  dissipèrent 
en  moins  de  quinze  jours ,  excepté  le  seul  régiment 
(le  Querquoy  à  qui  il  s'étoit  oublié  de  faire  parler* 
Ce  qui  rendit  cette  fourbe,  manifeste ,  fut  que  ces 

4 


3;4  [l633J    MÉMOIRES 

« 

mêmes  troupes-là  furent  incontinent  recutillîes  par 
Montbalon  lorrain,  et  menées  au  service  de  TEm- 
pereur  ;  mais ,  de  malheur  pour  lui ,  étant  rencontrëes 
en  Alsace  par  les  rhingraves  ,  elles  furent  toutes 
taillées  en  pièces ,  et  Montbalon  tué  sur  la  place. 

Le  maréchal  d'Effiat  étant  mort,  Querquoy  ne  fut 
pas  plutôt  de  retour  en  Lorraine  que  so^%iment 
fut  licencié  par  le  duc,  qui  le  donna  sur-le-champ  à 
La  Vervaine,  soldat  de  fortune  lorrain,  qui  le  mena 
encore  en  TÂlsace  où  il  fût  défait  par  les  Suédois» 

Depuis  le  commencement  de  Tannée  il  avoit  fait  à 
plusieurs  fois  de  grandes  levées  de  gens  de  guerre, 
lesquelles  aussitôt  après  il  licencioit  sur  se^fron- 
tières,  et  les  ministres  de  l'Empereur  ou  du  r^WEs- 
pagne ,  qui  en  étoient  proches  ,  les  recueilloient.  ^ 
Quelquefois  il  leur  laissoit  faire  ouvertement  des  le- 
vées dans  ses  Etats ,  dans  lesquels  le  comte  de  Moq- 
tecuculli ,  lieutenant  général  de  l'Empereur  en  la 
haute  Alsace,  et  Bentivoglio  furent  trois  mois  en*- 
tiers  pour  ce  sujet*  Le  régiment  entier  de  Florin - 
ville ,  qu'il  fit  semblant  de  licencier  h  la  façon  accou- 
tumée ,  étoit  en  garnison  dans  Brisach.  Il  essaya  de 
se  défendre  de  ces  contraventions ,  disant  que  comme 
il  permettoit  aux  Impériaux  de  faire  des  levées  en  son 
pay^  il  le  permettoit  aux  Suédois^  et  Ville  dit  au  Roi 
que  dans  Nancy  il  y  avoit  un  colonel  suédois  qui 
faisoit  des  levées  pour  leur  parti,  ce  qui  étoit  très- 
faux,  car  le  colonel  dont  il  parloit  étoit  un  nommé 
Dubois,  Français  de  nation,  d'auprès  de  Fontenay  , 
qui  avoit  servi  en  Allemagne  avec  beaucoup  d'hon- 
neur, y  avoit  gagné  20,000  écus  qu'il  avoit  confiés  à 
Querquoy  son  ancien  ami,  et  venoit,  sur  la  foi  pu- 


DE   RICHELIEU.   [l633J  ^75 

blique ,  oidonner  ce  q«*il  vouloit  être  fait  de  son  ar- 
gent. En  tfen  retournant  de  Mancy  il  fut^aaassînë,  k 
deux  lieues  de  LunëviUe,  par  un  capitaine  de  ies 
chevau -légers  nommé  Ambreval ,  deux  ou  trois  des 
gardes  dudit  duc  et  un  exempt  nommé  Guenaull. 
Ambreval  partit  le  soir  exprès  d'aaprès  du  duc 
pour  alUupummettre  ce  méchant  acte ,  et  retourna 
dès  le  lendemain ,  monté  sur  un  des  chevaux  du  mort. 
Guenault  montroit  effrontément  sa  montre,  et  les 
gardes  portoient  publiquement  les  habi^  et  la  ca- 
saque du  défunt.  Voilà  comment  les  sujets  et  aUîés 
du  Roi  étoient  bien  venus  près  dudit  duc  ^  mais^  ne 
se  contentant  pas  encore  de  cela ,  il  envoya  le  com- 
missaW  général  de  ses  troupes  pour  surprendre 
Molshcin ,  et  ayant  fiiilli  celte  entreprise  il  alla  sac» 
cager  le  territoire  de  Strasbourg ,  et  fit  le^mblable 
dans  les  terres  des  ducs  des  Deux-Pontseruu  comte 
(le  Hanau,  et  depuis,  non-^eulement  encore  envoya 
des  troupes  pour  ruiner  les  terres  du  comte  de  Naa^ 
sau-Sarrebruck,  mais  vint  jusqu'à  Blamont  conférer 
avec  le  comte  de  Salin  et  des  gens  de  Walstein  pour 
tirer  assurance  d^eux  d*étre  secouru  et  remis  dans 
les  places  qu*il  avoit  consignées  au  Roi ,  et  obtint  par 
eux  de  TEmpereur  la  confiscation  des  biens  et  Etats 
de  tous  les  petits  princes  ses  voisins  qui  avoientVM 
en  rassemblée  de  Heilbron,  et  se  fit  même  donner 
par  TEmpereur  les  villes  de  Saverne  et  de  Dachstein 
sous  un  faux  prétexte  d'une  somme  de  deux  cent 
mille  risdales  qu'il  prétendoit  être  due  par  FEmpe- 
rcur  au  feu  cardinal  duc  de  Lorraine  son  oncle,  pour. 
la  dépense  imaginaire  par  lui  faite  en  la  défense  de 
rcvéclié  de  Strasbourg  contre  Tnn  des  princes  do 


* 


3^6  [l633]    MÉMOIRES 

Brandebourg ,  et  y  iit  consentir  Horn  moyeiinaut  de 
Targent  qu'il  lui  donna.  Mais  en  même  te^Êtps  qu'il  en 
fut  maître  il  licencia  ses  troupes  et  en  fit  lever  d^autres, 
qui  toutes  allèrent  joindre  le  comte  de  Salin ,  qui  alla 
droit  à  Haguenau,  et  coupa  la  gorge  à  cinq  cents 
hommes  que  le  maréchal  Horn  y  avoit  laissés ,  en 
ayant  emmené  le  surplus  de  la  garnison  ÉBi^a  foi  du 
duc  de  Lorraine ,  puis  fit  un  traité  avec  l'Empereur 
pouria  ville  de  Haguenau,  laquelle  Sa  Majesté  Impé- 
riale lui  cédoit  avec  les  dépendances  de  la  prévôté 
impériale  qui  comprend  dix  villes ,  desquelles  l'Em- 
pereur n'eût  pas  été  si  libéral  en  son  endroit  s'il  n^eut 
été  joint  à  ses  intérêts  contre  ce  qu'il  avoitjpromis 
par  ses  traités  ;  et  comme  si  ce  n'eût  pas  ëm  assez 
d'avoir  intelligence  avec  l'Empereur  contre  le  Roi, 
il  l'avoit  immédiatement  avec  les  Espagnols. 

Bussy  avoit  mandé  de  Trêves  qu'il  étoit  passé  un 
gentilhomme  dudit  duc  chez  le  comte  Brankenheim, 
qui  alloit  trouver  les  électeurs  catholiques  pour  leur 
proposer  d'entrer  en  une  ligue  entre  la  maison  d'Au- 
triche, lui  duc  de  Lorraine  et  les  princes  d'Italie, 
contre  le  Roi  et  ses  alliés. 

C'étoit  aussi  une  chose  toute  manifeste  qu'il  avoit 
plusieurs  fois  envoyé  cette  année  acheter  des  armes 
arf  Liège ,  les  envoyant  de  Nancy  à  la  Franche-Comté 
avec  ses  passe-ports,  pour  armer  la  cavalerie  et  iofan* 
terie  qui  s'y  étoit  levée  par  le  comte  d'Arbert ,  La 
Tour  et  le  marquis  de  Varambon ,  et  le  Roi  avoit  des 
avis  certains  qu'on  lui  avoit  remis  de  grandes  sommes 
de  deniers  de  Milan  pour  toutes  ces  dépenses.  • 

Dans  le  cours  de  ce  procédé  si  ennemi ,  il  ne  laissoit 
pas  de  se  plaindre  des  Suédois,  qu'il  supposoit  exercer 


DE   RICHELIEU.    [l633]  3^^ 

des  hostilités  en  son  pays ,  ce  qai  étoit  entièreménl 
faux  ;  car  dlÉiepart  il  crioit  contre  Birckenlbld  et  les 
rhingraves,  comme  s'ils  brâloient  tont  son  pays;  et 
d'autre  côté,  il  traitoit  et  négocioitpar  le  sieur  de 
Ville  avec  eux  qui  ëtoient  bien  loin  de  Jfi  Lorraine, 
Tun  à  Heidelberg  et  les  antres  sur  les  confins  des 
Suisses ,  ou  ils  prirent  quatre  places  qui  ëtoient  il 
la  maison  d'Autriche ,  et  revinrent  faire  le  blocus  de 
Brisach.  W 

Il  feignoit  d'antres  fois  que  les  Suédois  s'étoient  ap- 
prochés de  Saint-Dié  ;  ce  qui  étoit  certainement  faux , 
aussi  bien  que  la  défiiite  de  la  compagnie  de  Bronze , 
qui  ne  perdit  pas  nn  homme.  Il  envoya  d'une  part 
demander  secours  au  sieur  de  Saint -Ch^ont  qui 
étoit  à  Trêves ,  et  d'autre  côté ,  se  moquant  de  lui , 
publioit  au  même  temps  que  son  armée  étoit  m  foible 
qu'elle  ne  se  pouvoit  pas  défendre  elle-même ,  et  qu'il 
n'en  reviendroit  jamais  nn  homme  en  France.  Ce  qu'il  % 
iit  bien  paroitre  en  la  réponse  froide  qu'il  fit  à  Sa 
Majesté  quand  elle  lui  envoya  offrir  son  entremise 
pour  le  remettre  bien  avec  les  Suédois ,  lesquels  il 
traitoit  tellement  en  ennemis  qu'il  faisoit  voler  ou 
tuer  tous  les  Français  qui  alloient  se  joindre  à  eux. 
Et  en  mai  un  nommé  Spalingue,  qui  leur  meno^ 
trente  ou  quarante  maîtres,  fut  si  rudement  accueiuP 
par  les  siens  au  passage  des  moi^gnes  de  Saveme , 
qu'à  peine  se  put-il  sauver  lui  cinquième. 

Ce  mauvais  et  infidèle  procédé  obligea  les  Suédois 
à  faire  au  Roi  plusieurs  plaintes  de  lui ,  et  accuser  la 
trop  grande  doucenr  de  Sa  Majesté  en  son  endroit ,    - 
de  laquelle  ils  le  supplioient  considérer  qulf  n'étoit 
pas  raisonnable  qu'ils  reçussent  du  dommage,  et  leur 


378  [l633J    MÉMOIRES 

permettre  de  raeltre  ce  duc  en  cilat  qq.%  Favenir  U 
fut  încafÉble  de  leur  nuire.  r-' 

Le  Roi  ëtant  aussi  assuré  qu'il  avoit  des  iateili- 
gences  secrètes  avec  Monsieur ,  qae  les  siens  étoient 
tous  les  jouy  cachés  à  Nancy,  avec  lesquels  il  avoit 
des  conférences,  puis  les  renvoyoit ,  Sa  Majesté,  pour 
apporter  quelque  remède  à  ces  maux,  trouva  à  pi*opos 
de  lui  envoyer  le  sieur  de  Guron  après  ravoiriiifonné 
de  toutes  ce^hoses. 

Elle  lui  commanda  de  représenter  de  sa  part  audit 
duc  les  plaintes  que  lui  faisoient  coHtinuellement  \e$ 
princes  ses  alliés  en  Allemagne,  des  torts  qn'tls  rece- 
voient  journellement  de  lui,  et  lui  dire  qu€  Sa  Ma- 
jesté étoi|  bien  marrie  qu'il  ne  se  rendoit  plus  soi- 
gneux à  conserver  l'avantage  que  lui  apportoit  sa 
protection ,  et  qu'il  ne  demeuroit  plus  ferme  eo  sa 
promesse  contenue  si  clairement  au  traité  quUi  avoit 
»  fait  avec  Sa  Majesté ,  le  laissant  parler  sans  lui  décla- 
rer si  le  Roi  se  résolvoit  ou  non  de  continuer  sa  pro- 
tection ,  lui  faisant  plutôt  espérer  que  s'il  rentroit  en 
son  devoir,  Sa  Majesté,  qui  le  vouloit  sauver  malgré 
lui  ,emploieroit  son  autorité  pour  le  préserver  du  niai 
qu'il  se  procuroit; 

Que  s'il  dénioit  ou  vouloit  excuser  les  actions  qu'on 
lui  imputoit,  l'évidence  et  la  mauvaise  foi  se  pou- 
voient  aisément  prouver  •, 

S'il  disoit,  selon  son  ordinaire,  qu  il  étoit  tout  prêt 
de  joindre  ce  peu  de  troupes  qu'il  avoit  avec  celles 
du  Roi,  ou  d'en  lever  de  nouvelles  pour  cet  effet,  le- 
dit Guron,  sans  accepter  son  offre,  diroit  qu'il  en 
donncrëil  avis  à  Sa  Majesté,  et  cependant  lui  conseil- 
leroit  de  ne  point  lever  pour  n'accroître  point  les 


DE    RICHELIEU.    [l633]  879 

ombrages,  montrant  qu'en  cela  il  n'avoit  autre  égard 
(ju'à  1  intérêt fludil  duc.  Mais  il  ajouteroit  qiit  le  Roi 
savoil  bien  que  les  protestans  ne  se  contenteroient 
pas  de  SCS  paroles  ,  qu'ils  avoient  vues  souvent  être 
suivies  d'effets  contraires,  et  qu'ils  voudrpient  avoir 
(lus  niar(|ues  certaines  que  ledit  duc  ne  voudroit  et 
ne  ponrroil  plus  leur  nuire,  et  feroit  venir  le  discours 
à  ce  {)oint  que  M.  de  Lorraine  proposât  de  lui-même 
que,  y  ayant  grande  apparence  que  leH^rotestans , 
voyant  mal  volontiers  entre  ses  mains  Haguenau  et 
Saverne  dont  ils  recevoient  tant  de  dommage,  même 
Ibignenau  leur  ayant^té  ôté  par  surprise,  voudroient 
ravoir  ces  places  ; 

(^)ne  si  ledit  duc  continuoit  la  propositiou  qu'il 
a  voit  faite  par  le  sieur  de  Ville  de  les  remettre  entre 
les  mains  du  Roi ,  ledit  C^uron  sans  témoigner  chaleur 
|)riM)droit  sa  parole  et  Tengageroit  dans  l'attente  de 
la  réponse  du  Roi ,  ajoutant  qu'encore  qu'en  venant  , 
en  Lorraine  il  n'eût  pas  pensé  à  cela,  il  trouvoit 
celle  ouverture  ulile  pour  garantir  d'un  grand  orage 
la  religion  calholique  en  ces  quartiers-là,  et  même 
lis  Ltats  dudit  duc; 

(^)u'il  reconnût  le  plus  exactement  qu'il  lui  scroit 
possible  ses  desseins,  ses  préparatifs  de  guerre ,  en 
(juel  état  éloit  Nancy,  ce  qu'il  pcnsoit  à  l'égard  de 
Monsieur  ,  frère  du  Roi  :  s'il  parloildu  bruit  qui  avoit 
(onru  ensuite  du  voyage  de  Delbène,  il  lui  diroit 
n  en  être  pas  informé  ,  mais  qu'il  savoit  bien  que 
^[onsieur  ne  pourroit  jamais  faire  une  meilleure  ac- 
tion pour  son  propre  bien  que  de  se  réconcilier  avec 
le  Roi ,  qui  étoit  en  état  qu'aucun  ne  lui  péarroit 
f.iire  mal ,  et  (ju'il  ne  plaignoit  que  celui  que  se  fai- 


38o  [l633]   MÉMOIRES 

soient  ceux  qui  Véloignoient  de  ses  bonneâ  grâces  par 

mauvais  conseil  -, 

Qu'il  écriroit  promptement  au  Roi  ce  qu*il  auroit 

remarqué  des  intentions  de  M.  de  Lorraine ,  et  se 

tiendroit  prj^t  de  partir  sur  les  premières  réponses  de 

Sa  Majesté ,  n'étant  pas  à  propos  que  ce  voyage  durit 

long-temps  ^ 

Qu'il  n'oublieroit  pas  de  faire  entendre  au  âne  de 

Lorraine  letort  qu'il  avoit  de  ne  permettre  pas  la  le- 
-  vée  des  contributions  sur  Nomeny  et  Saint-Avold , 

comme  l'Empereur  les  avoit  levées  5 
Qu'il  verroit  le  prince  de  Salin ,  gouverneur  de 

Nancy ,  et  essaieroit  de  reconnoître  sa  véritable  dis- 
position au  service  du  Roi ,  en  quoi  il  s'y  conforme- 
roit,  l'assurant  de  la  bonne  volonté  de  Sa  Majesté, 
et  lui  faisant  espérer  le  paiement  de  sa  pension. 

Ledit  Guron  partit  le  8  ou  10  de  juin ,  et  fut  très- 
mal  reçuàNancy,  où,  auparavant  qu'arriver,  il  en- 
voya au  sieur  Fournier  un  de  ses  secrétaires  d'État , 
savoir  011  étoit  ledit  duc.  Il  mena  au  grand-maitre 
celui  qu'il  lui  envoyoit ,  lequel  pour  réponse  lui  dit 
qu'il  savoit  bien  son  arrivée ,  mais  qu'il  n'avoit  point 
d'ordre  de  son  altesse  d'envoyer  des  carrosses  le  rece- 
voir comme  aux  autres  voyages ,  ni  de  le  loger  ;  que 
néanmoins ,  d'office  il  lui  feroit  accommoder  à  souper 
à  lliôtel  de  Salin,  et  un  lit;  que  cependant  ilpouvoît 
aller  descendre  à  une  hôtellerie,  où  n'ayant  vu  per- 
sonne de  la  part  ni  du  grand-maître  ni  du  duc ,  mais 
seulement  un  homme  inconnu  qui  le  vint  convier  de 
la  part  de  la  duchesse  d'aller  souper  à  l'hôtel  de  Sa- 
lin ,  où  il  y  avoit  un  lit  pour  lui ,  il  s'en  excusa.  Lé 
lendemain ,  ayant  demandé  au  sieur  Fournier  où  étoit 


DE   RICHKUBU.   [l633J  38 1 

le  duc,  il  reçat  poar  réponse  qa'il  étoît  tantôl  en  an 
lieu  et  tantôt  en  un  antre  /et  qu'il  ne  pouvoit  pas  lui 
dire  précisément  où  il  le  pourroit  trouver.  Ledit 
Guron  considérant  ce  mauvais  traitement ,  joint  que , 
dès  que  le  duc  avoit  su  son  partement  de  la  cour ,  il 
avoit  commencé  à  armer  avec  grande  précipitation  et 
envoyé  plusieurs  personnes  à  Mérode  et  autres  gens 
de  TEmpereur ,  il  crut  pour  l'honneur  du  Roi  être 
obligé  de  partir  de  Nancy  et  de  s'en  aile?  à  Metz,  où 
étant  arrivé  il  donna  avis  à  Sa  Majesté  de  ce  qui  s'étoit 
passé  ; 

Que  le  duc  de  Lorraine  prenoit  pour  prétexte  de 
son  armement  que  c'étoit  pour  se  défendre  des  Sué- 
dois, lesquels  il  n'avoit  nul  sujet  d'appréhender,  le 
duc  de  Weimar  étant  delà  le  Danube  d'un  côté ,  et 
Horn  de  Tautre,  et  qu'il  n'y  avoit  vers  l'Alsace  que 
les  Otto ,  oncle  et  neveu ,  lesquels  avoient  peu  de 
forces ,  où  au  contraire  MontecucuUi ,  Mérode,  Ossat, 
Nassau  et  autres,  se  fortifîoient  tous  les  jours,  et  dans 
les  terres  mêmes  du  duc  de  Lorraine. 

II  manda  aussi  que  le  sieur  Jeannin,  qu'il  avoit  ren- 
contré à  Clermont,  lui  avoit  fait  de  grandes  plaintes 
sur  le  traité  de  Liverdun,  disant'  qu'il  avoit  été  fait,; 
disoit-il ,  la  dague  à  la  gorge ,  qiAs  étoient  dans  la 
chambre  du  cardinal  où  ils  signèrent  ce  qu'on  vou- 
lut ;  que  Clermont  étoit  un  fief  de  l'Empire  inalié- 
nable \  que  son  maître  l'avoit  envoyé  là  pour  faire  ce 
que  le  Roi  voudroit ,  mais  qu'il  ne  prendroit  poinc 
d'argent,  que  le  traité  en  l'exécution  pourroit  tirer  de 
fâcheuses  conséquences ,  et  qu'il  seroit  plus  honnête 
et  utile  de  n'en  user  pas  de  la  sorte  pour  plusieurs 
mauvais  événemens  qui  s'en  pourroient  ensuivre  ;  ce 


3fi2  [l633]   IIÉMOIRES 

qui  donnoit  un  assez  évident  témoignage  des  mauvais 
desseins  du  duc  en  sou  aîhnement. 

Quelques  jours  après  que  le  sieur  de  Guron  fot 
paru  de  Nancy,  le  duc  lui  envoya  Chamblay  et  Foor- 
nier  avec  une  lettre  pleine  d'excuses  de  ce  qui  s'ëtoit 
passé.  Il  leur  répondit  qu'ils  les  fissent  au  Roi ,  deqai 
il  reçut  commandement  peu  après  de  retourner  troo- 
ver  ledit  duc. 

Sa  Majesté ,  voyant  sa  mauvaise  foi ,  jugea  qu'il  éUÀi 
à  propos  de  Tobliger  de  lui  rendre  rhommage  qu'il  lui 
de  voit  de  droit  pour  le  duché  de  Bar,  et  qu'il  avdt 
promis  encore  de  rendre  par  le  traité  de  Liverdon^ 
mais  le  duc  ayant  témoigné  par  sa  réponse  qu'il  re- 
cherchoit  les  moyens  d'esquiver  de  le  faire ,  elle  k 
fit  ajourner  en  son  parlement  de  Paris,  pour  voir 
réunir  ledit  duché  à  sa  couronne ,  à  faute  d'hommage 
rendu.  La  cour  Tordonne  par  arrêt, et  Texécution  en 
fut  commise  au  sieur  de  La  Nauve,  conseiller  en 
ladite  cour. 

Le  Roi,  qui  avoit  été  à  Forges  prendre  des  eaux, 
revient  à  Chantilly, d'où  il  envoya  en  son  armée  une 
ordonnance  pour  l'y  faire  publier,  par  laquelle  il 
commandoit  à  tous  les  ofliciers ,  tant  de  cavalerie  que 
d'infanterie,  de  se  rendre  en  leurs  charges  dans  le 
8  août  pour  tout  délai ,  et  y  faire  une  actuelle  rési- 
dence ,  à  peine  de  privation  de  leursdiles  charges. 
De  là  il  s'avança  à  Monceaux,  qui  étoit  le  chemin  de  la 
Lorraine.  Étant  là  il  recevoit  tous  les  jours  divers 
avis  par  Guron  de  la  continuation  du  mauvais  pro- 
cédé du  duc  de  Lorraine ,  qui,  en  apparence  pour  se 
défendre  des  Suédois ,  desquels  il  n'avoit  nui  sujet  de 
craindre,  mais  en  effet  pour  se  fortifier  contre  le  Roi , 


DE  RicnELiEU.  [i633]  383 

avoitscptàhuil  mille  hommes  de  pied  et  quinze  cents 
chevaux  ensemble,  en  es|^rauce  que  le  duc  de  Feria, 
qui  éloit  parli  dllalie  et  avoit  passe  par  la  Valteline 
avec  une  grande  armée,  le  viendroit  secourir,  les 
autres  Iroupes  espagnoles  et  impériales,  qui  ëtoient 
dans  le  Luxembourg  et  dans  TAlsace  ,  se  venant 
joindre  à  lui. 

Ces  choses  donnèrent  sujet  au  Roi  de  se  résoudre 
d'aller  en  Lorraine:  le  bruit  en  courut  incontinent, 
<{ui  vint  aux  oreilles  du  duc,  qui,  quelque  assuré  qu'il 
feignit  élre,  eut  peur  de  son  approche,  et  lui  dépécha 
un  courrier,  sur  la  fin  de  juillet,  qui  ne  portoit  que 
des  plaintes  contre  les  Suédois ,  pour  se  défendre  des 
menaces  et  invasions  desquelles  il  disoit  être  armé. 
INIais  Sa  Majesté  étoit  bien  avertie  de  Guron  qu'il 
feignoit  d  avoir  été  menacé  des  Suédois  ,  et  tout^U 
menace  navoit  abouti  à  autre  chose,  sinon  queRant- 
zau,  1  un  de  leurs  colonels,  lui  écrivit  de  Strasbourg 
au  mois  de  juin,  se  plaignant  des  infractions  conti- 
nuelles qu  il  faisoit  aux  traités  particuliers  qu'il  avoit 
avec  eux,  et  les  assurances  que  le  Roi  avoit  données 
de  lui.  Il  cote  lesdites  infractions,  et  le  prie  de  lui 
dire  nettement  son  intention,  ne  lui  pouvant  celer 
que  si  toutes  les  levées  de  gens  d^guerre  qu'il  faisoit 
pour  Tennemi,  et  toutes  les  conférences  qu'il  avoit 
avec  eux  continuoient,  il  avoit  ordre  de  les  empê- 
cher et  de  battre  les  ennemis  en  quelque  lieu  qu  il 
les  piit  trouver-, 

(^)ue  le  duc,  le  voyant  parler  si  déterminément , 
lui  avoit  donné  contentement,  de  sorte  que  Rautzau 
I étira  ses  troupes  d'où  elles  ëtoient,  et  les  employa 
ailleurs  ; 


384  [^63^]   MÉMOIRES 

Que  les  Suédois  s'étant  approchés  aussi  de  Saint- 
Dié ,  mais  seulement  pour  demander  un  de  leurs  offi- 
ciers criminels  qui  s'y  éloit  sauvé ,  qu^il  leur  avoit 
donné  satisfaction  sur  ce  sujet,  de  manièrie  qu'il  ëtoit 
délivré  de  toute  juste  appréhension  qu'il  eût  pu  avoir 
d'eux.  Davantage ,  qu'il  se  plaignoitde  grands  ravages 
qu'il  supposoit  avoir  reçus  d'eux  en  ses  terres,  et  que 
tous  ces  ravages  se  terminoient  à  une  abbaye  en  Al- 
lemagne qui  appartenoit  à  l'un  des  siens ,  suflragant 
de  Toul ,  en  laquelle  quelques  Impériaux  s'ëtant  re- 
tirés ,  faisoient  de  là  mille  voleries  :  quelques  troupes 
suédoises  passant  par  là  les  prirent  et  brûlèrent  la 
maison  ;  et  bien  que  le  duc  de  Lorraine  eût  accom- 
modé cette  affaire  avec  eux  six  jours  auparavant  qu'il 
sût  la  venue  de  Guron ,  il  ne  laissoit  pas  ,  sons  ce 
prétexte-là  et  quelques  autres ,  de  fortifier  ses  troupes, 
lesquelles  il  grossissoit  pour  une  autre  fin.  Il  donna 
avis  au  Roi  d'une  autre  fourbe  du  duc  ;  car  il  avoit 
envoyé  toutes  ses  troupes  à  Saverne  pour  s'opposer 
aux  Suédois  qui  assiégeoient  Haguenau ,  que  son  man- 
quement de  foi  leur  avoit  fait  perdre  ;  et  non  content 
de  cela,  et  bien  éloigné  de  se  vouloir  mettre  en  état  de 
bien  vivre  avec  eux,  il  avoit,  au  même  temps  de  Tenvoî 
de  son  courrier  au  Roi,  envoyé  l'un  des  siens  à  Florin- 
ville  ,  qui  commandoit  ses  troupes ,  avec  ordre  qu'à 
quelque  prix  que  ce  fût  il  combattit,  et  essayât,  avant 
que  le  Roi  se  pût  mcler  de  pacifier  leurs  différends,  de 
les  avoir  défaits  à  plate  couture,  ne  considérant  pas 
que,  comme  l'attaque  qu'il  leur  feroit  offenseroit  le  Roi, 
si  elle  ne  lui  réussissoit  pas  il  se  mettoit  entièrement 
à  sa  discrétion  et  son  État  en  compromis. 

Sa  Majesté  ayant  su  toutes  ces  choses ,  et  même 


DE   EICSBUEU.   [l633]  38S 

que  les  troupes  da  dac  ëtoient  composées  d*uu  boâ 
nombre  de  Français ,  envoya  un  ordre  au  sienr  de 
Saint-Chamont  de  les  rappeler ,  lui  commandant  de 
faire  publier  ledit  ordre  par  un  trompelte  dans  tons 
les  Elats  dudit  duc,  auquel  Sa  Majesté  écrivit  aussi 
({u  elle  avoit  besoin  de  ses  sujets  qui  porloient  les 
armes  avec  lui,  et  qu'elle  désiroît  qu'il  les  lui  ren- 
voyât promptement  et  sûrement. 

Et  pource  que  Guron  avoit  mandé,  du  premier  août, 
que  La  Vaupot  avoit  été  caché  quelques  jours  dans 
Nancy  et  en  étoit  parti  ce  jour-là,  qu'il  avoit  demandé, 
(le  la  part  de  Monsieur,  la  princesse  Ifarguerite ,  la« 
((uelle  la  plupart  ne  nioient  plus  être  sa  femme ,  el 
qu'il  avoit  promis ,  de  la  part  de  Monsieur ,  au  duc  de 
ne  l'abandon ner  jamais,  quelque  accord  qu'il  fûtaol- 
licilé  de  faire  avec  le  R(m  ,  et  que  le  marquis  de  Ce- 
lade ,  que  le  roi  d'Espagne  avoit  envoyé  en  Lorraine 
sous  prétexte  de  se  condouloir  de  la  mort  de  M.  de 
Vaudemont,  lui  avoit  aussi  promis  tonte  sorte  d'as- 
sistance de  la  part  de  son  maître  si  le  Rei  l'attaquoif , 
et  de  lui  (aire  restituer  les  places  que  Sa  Majesté  avoit 
en  dépôt  ;  le  cardinal  dit  à  Sa  Majesté ,  le  lo  août, 
qu'il  y  avoit  apparence  qu'il  s'étoit  armé  k  cette  fin  ; 
que  les  Espagnols  étoient  bien  aises  de  précipiter 
Vun  et  l'autre  en  toute  extrémité,  perce  qu'encore 
qu'ils  prévissent  bien  leur  perte ,  ils  connoiasoient 
({ue  l'occupation  qu'ils  nous  donneroient  leur  sereît 
avantageuse^ 

Qu'il  n'y  avoit  que  deux  moyens  pour  ticher  de 
rompre  cette  affaire,  ou  par  négociation  on  par  force} 

Que  la  n^odation  seroit  sans  effet  si  on  ne  doiK 
noit  une  place  frontière  à  Monsienr,  aoquel  cas  il 
T.  27.  aS 


386  [i633]  MÉMOIRES 

seroit  plus  fort  pour  Texëcution  de  son  mariage  et 
plus  lie  avec  les  Espagnols ,  qui  ne  demaiidoient  que 
cela  pour  nous  troubler  ; 

Que  pour  rompre  cette  aflaire  par  la  force,  il  n'étoit 
question  que  de  battre  M.  de  Lorraine  et  défaire  ses 
troupes  bien  à  point  ; 

Que  pour  le  faire  avec  facilité,  il  le  falloit  entre- 
prendre promptement  devant  qu'il  se  fortifiât  da- 
vantage. 

Partant,  qu'il  estimeroit  à  propos  de  mander  ao 
sieur  de  Saint-Chamont,  si  la  cavalerie  étoit  arrivée, 
et  partie  des  recrues  et  régimens  qu'il  attendoit, 
qu'envoyant  demander  au  duc ,  par  un  trompette, 
les  Français  qui  étoient  dans  ses  troupes ,  il  marchât 
le  même  jour  et  allât  droit  à  lui,  faisant  au  même 
temps  publier  partout  que  les  Français ,  tant  dlnfan- 
teriequede  cavalerie,  seroient  reçus  et  payés  dans 
Tarmée  du  Roi  *, 

Qu'il  seroit  à  propos  d'envoyer,  pendant  qu'on  as- 
semblcroit  l'armée ,  un  homme  de  créance  à  Bircken- 
feld ,  pour  lui  dire  que  le  Roi  se  tenoit  si  oflensé  des 
actes  d'hostilité  que  ledit  duc  avoit  faits  contre  les 
Suédois,  au  préjudice  des  traités  faits  avec  lui^  que 
Sa  Majesté  s'étoit  résolue  de  faire  avancer  dans  son 
pays  son  armée  pour  réprimer  et  châtier  sa  perfidie 
et  mauvaise  foi ,  qu'il  le  convioit  de  faire  le  même 
de  son  côté  ^ 

Que  si  quelques-uns  pensoient  qu'il  y  allât  aucune- 
ment de  l'honneur  du  Roi  de  ne  surprendre  pas  M.  de 
Lorraine,  les  oflenses  ouvertes  qu'il  commettoit contre 
le  Roi  lavertissoient  assez ,  sans  qu'il  fut  besoin  d'une 
dénonciation  ouverte  de  guerre ,  joint  que  le  trom* 


DB  aiGEEUsn.  [i633]  387 

pettc  qu'on  lui  enverroit  pour  demander  les  Français 
préviendroit  toute  hostilité  ouverte. 

Si  on  disoît  qu'il  n'étoit  plus  temps  de  faire  le  siège 
de  Nancy,  la  réponse  étoit  qu'on  n'entreroit  pas  à 
cette  (in  dans  les  États  de  M.  de  Lorraine ,  mais  seu- 
lement pour  rompre  et  dissiper  ses  troupes,  et  lui 
ôter  le  moyen  de  dédarer  le  mariage  de  Monsieur  et 
faire  plus  de  mal  ^ 

Que  si  Toccasion  donnoit  plus  beau  jeu  qu'on  ne 
})ensoit ,  on  entreprendroit  le  blocus  de  Nancy  si  on 
lestimoit  à  propos; 

Qu'il  y  avoit  à  considérer  si  on  attaqueroit  M.  de 
Lorraine ,  quand  même  Birckenfeld  n'auroit  pas  pou- 
voir de  le  faire. 

On  estimoit  qu'il  falloit,  premièrement  que  de  rien 
faire ,  prier  Birckenfeld  d'être  de  la  partie ,  allepjus- 
qu'à  Francfort  pour  en  rechercher  l'ordre  d'Oxens- 
tiern  s'il  en  étoit  besoin. 

On  estimoit,  de  plus,  qu'il  ne  fâlloit  point  entre- 
prendre le  blocus  de  Nancy  qu*avec  les  Suédois;  mais 
on  croyoit  que,  quand  même  on  nepourroit  si  promp- 
tcment  ajuster  les  intentions  des  Suédois  avec  celles 
du  Roi ,  on  pouvoit  entreprendre  de  dissiper  et  ruiner 
les  troupes  de  M.  de  Lorraine  par  la  présence  du  Roi 
seule ,  avec  beaucoup  plus  de  fruit  que  de  péril  ; 

Qu'on  ne  voyoitrien  àcraindredesforcesdnditduc; 

Que  s'il  tenoit  la  campagne  devant  le  Roi  on  le 
hattroit  assurément;  s'il  s'enfermoit  on  le  consa- 
meroit  par  un  blocus  non  lié;  et,  par  quelque  fSiçon 
c|ue  la  dissipation  des  troupes  de  M.  de  Lorraine 
arrivât ,  le  dessein  de  Monsieur  et  des  Espagnols 
écboueroit  de  ce  cêté>Ui; 

25. 


388  [i633]  MÉMoiBEs 

Que  si  le  Roi  prenoit  la  résolution  qne  dessus ,  il 
falloit  mander  à  M.  de  Saint-Chamont  qu'il  la  tîat 
du  tout  secrète ,  et  qu'il  amassât  Farmée  sous  pré- 
texte d'en  faire  une  revue  générale ,  et  publiât  qu'il 
ne  croyoit  pas  qu'il  eut  rien  à  faire,  parce  qu'il  es- 
timoît  que  M.  de  Lorraine  feroit  obéir  le  commis- 
saire du  parlement  dans  le  Barrois,  auquel  cas  ils 
n'auroient  point  à  manger  les  gerbes  du  Barrois. 

Les  choses  ayant  été  agréées  de  Sa  Majesté,  et  ayant 
été  écrit  conformément  au  sieur  de  Saint-Chamont, 
Sa  Majesté  commanda  encore ,  le  i4  août ,  qu*il  lui  fût 
fait  une  autre  dépêche ,  par  laquelle  elle  lui  mandoît 
que,  puisque  l'armée  du  duc  de  Lorraine  ëtoit  au- 
delà  des  montagnes  vers  Saverne  ,  d'où  il   falloit 
qnatre  journées  d'armée  pour  revenir  gagner  Nancy, 
le  meilleur  dessein  qu'il  put  faire  pour  son  service 
étoit  de  se  mettre  entre  Nancy  et  ses  troupes  pour 
les  empêcher  d  y  rentrer  ;  ce  qu'il  feroit  facilement 
s'il  se  saisissoit  du  logement  de  Saint-Nicolas ,  et  y 
tenoit  le  corps  de  son  armée  ;  et  que ,  pour  exécuter 
ce  dessein ,  il  ne  falloit  autre  chose  que  secret  et  di- 
ligence ,  afin  de  prévenir  le  duc  et  être  rendu  à  Saiut- 
Nicolas  avant  qu'il  put  prévoir  ce  qu'il  voudroit  faire  ; 

Que ,  si  cette  entreprise  réussissoit ,  le  duc  ne  pou- 
voit  garantir  ses  troupes  d'être  combattues  et  défaites, 
ou  par  les  armes  de  Sa  Majesté  ou  celles  des  Suédois, 
qui  assurément  les  poursuivroient  quand  elles  leur 
verroient  tourner  tête. 

Elle  lui  commandoit  aussi  d'envoyer  le  même  jour 
qu'il  partiroit  un  homme  de  créance  au  prince  de 
Birckenfeld,  pour  l'avertir  de  son  dessein,  et  de  char- 
ger les  troupes  de  Lorraine  quand  elles  délogeraient  ; 


DE  AIGUBUBU.   [l633J  38^ 

mais  que  cependant  il  marchât  toujours  sans  attendre 
sa  réponse ,  puisqu'il  ëloit  seul  capable  de  battre  do 
plus  grandes  forces  que  celles  dudit  duc  ; 

Que  y  dès  qu'il  partiront  pour  entrer  dans  la  Lor» 
raine ,  il  dit  à  tout  le  monde  qu'il  ne  s*y  avançoit  que 
pour  faire  voir  aux  Suédois  que  Sa  Majesté  n'appron-^ 
voit  pas  les  actes  dliostiiité  que  le  duc  de  Lorraine 
faisoit  contre  eux ,  au  préjudice  de  la  foi  qu'il  avoit 
donnée  ; 

Que  s'il  combattoit  les  troupes  du  duc,  il  avouai 
qu'il  n'en  avoit  pas  de  dessein  formé,  mais  seulement 
de  justifier  aux  Suédois  ce  que  dessus ,  et  que  Im 
troupes  do  duc  s'étant  trop  approchées  de  lui ,  il  avoit 
été  obligé  de  le  combattre  de  peur  que  les  Suédois  ne 
pensassent  qu'il  ne  fut  en  intelligence  avec  ledit  due; 

Que  si  étant  à  Saint-Nicolas  il  apprenoit  que  les- 
diles  troupes  vonhissent  tenter  un  autre  chemin  pour 
entrer  dans  Mancj ,  il  allftt  droit  à  eux ,  conservant 
toujours  le  passage  de  Saint«*Nicolas  ^ 

Qu'enfin  le  dessein  principal  de  Sa  Majesté  éloit 
de  défaire  les  troupes  de  ce  duc ,  comme  étant  le  seul 
moyen  de  réduire  son  pays  en  sa  discrétion ,  et  se 
ressentir  de  tant  de  perfidies  que  ledit  duc  avoit  fiiites, 
tant  à  Sa  Majesté  qu'à  ses  alliés.  Mais,  tandis  que  Sa 
Majesté  donnoit  ces  ordres,  et  qu*elle  étoit  en  peine 
de  dé&ire  ses  troupes ,  elles  s*éU>ient  défiiites  d'elles^ 
mêmes  par  l'imprudence  du  dncj  car  Florinville» 
voulant  exécuter  son  commandemeut ,  fut  battu  et 
défait  à  Haguenau  par  les  Suédois. 

Ils  voulurent  aller  attaquer  lesdits  Suédois  à  Ht» 
guenau  le  1 1  août,  et  envoyèrent  devant  le  régimeakl 
de  Gatinois  avec  deux  pièces  de  canoiQ  pour  battro 


390  [i633]  MÉM01BE8 

la  ville  dePfafTenhofen,  croyant  la  prendre  en  chemin 
faisant ,  comme  il  y  avoit  grande  apparence ,  n'y  ayant 
que  deux  cents  paysans  dedans  et  les  murailles  très- 
mauvaises.  Mais,  comme  le  peu d'ë ta t  qu'ils  faisoient 
de  cette  place  les  rendit  moins  soigneux  et  vigilans 
qu'ils  ne  dévoient  être ,  lesdits  paysans  leur  vinrent 
dès  le  point  du  jour  donner  une  si  furieuse  camisade, 
qu'ils  mirent  en  fuite  cinq  cents  Lorrains  qui  ëtoient 
devant  leurs  portes,  et  prirent  les  deux  pièces  de 
canon  qu'on  devoit  pointer  contre  eux. 

Et ,  en  môme  temps ,  ei}voyërent  en  diligence  de- 
mander secours  à  Birckenfeld,  qui  aussitôt  avec 
la  plus  grande  partie  de  ses  troupes  vint  au-devant 
des  Lorrains ,  qu'il  rencontra  dans  une  plaine  proche 
dudit  PfafTenhofen. 

A  la  première  charge ,  la  cavalerie  lorraine ,  qui 
ëtoit  de  plus  de  deux  mille  cuirasses ,  enfonça  celle 
des  Suédois ,  qui  n'ëtoit  armée  que  de  pistolets  ,  et  la 
mit  en  déroute^  mais ,  d'autre  côté ,  l'infanterie  sué- 
doise fut  si  bien  conduite,  que  non-seulement  elle  re- 
poussa et  mit  en  fuite  celle  de  Lorraine  et  prit  leur 
canon ,  mais  aussi  s'en  servit  avec  tant  de  dextérité 
contre  la  cavalerie  lorraine,  qu'elle  la  contraignit  d'a- 
bandonner le  champ  de  bataille ,  leurs  bagages  et  mu- 
nitions ,  et  regagner  les  montagnes  en  grand  désordre, 
quoiqu'ils  ne  fussent  poursuivis  que  de  deux  com- 
pagnies de  cavalerie. 

Il  demeura  sur  la  place  vingt  capitaines  des  gens  de 
pied  lorrains ,  huit  de  chevau-légers ,  six  à  sept  cents 
morts,  cinq  pièces  de  canon,  deux  cents  et  tant  de 
chars  de  munitions ,  vivres  et  bagage ,  et  plus  de  deux 
mille  mousquets  que  l'infanterie  jeta  par  les  champs  , 


< 


DU  nicHELlEU.  (^io;>«>j  zyr 

sans  environ  ccnl  cinquante  prisonniers ,  donl  Sauve- 
I)cuf  et  Kiancourt  en  éloient.  Les  Suédois  n'y  per- 
dirent (|ue  deux  cents  hommes  et  autant  de  blessés. 

Ceux  de  Haguenaxi,  avertis  qu'on  avoit  quasi  tiré 
toutes  les  troupes  pour  aller  au-devant  des  Lorraius, 
firent  une  sortie  sur  le  peu  qui  restoit,  les  mirent  en 
fiiite  et  brûlèrent  toutes  leurs  huttes  \  mais  ils  furent 
Icrechef  incontinent  bloqués. 

Colle  nouvelle  donna  une  si  grande  épouvante  à 
loute  la  Lorraine  que  tout  fuyoit  ^  le  duc  étoit  à  Lu- 
névillc,  doù  il  partit  incontinent  avec  sa  femme,  et 
arriva  à  INancy  à  dix  heures  du  soir. 

Ledit  duc  fit  enlever  le  comte  d'Ebcrstein,  beau- 
Ircre  du  comte  de  Linange-Westerbourg,  de  la  maison 
de  i^rauenberg,  entre  les  Deux-Ponts  et  Sarrebruck , 
laquelle  il  fit  piller  et  saccager,  ne  laissant  à  la  corn- 
lesse  sa  femme  quune  chemise,  et  mena  ledit  comte 
prisonnier  avec  sa  robe  de  nuit ,  sans  qu  il  eût  jamais 
rien  à  démêler  avec  M.  de  Lorraine  ^  et  sa  maison 
ayant  toujours  été  à  la  dévotion  de  la  France,  il  es- 
pcroit  que  par  l'autorité  du  Roi  il  seroit  relâché. 

Il  donna ,  en  même  temps,  à  la  princesse  Margue- 
rite 1  appartement  de  madame  de  Lorraine  pour  s'y 
loger  ^  déclarant  par  ce  moyen ,  assez  ouvertement, 
bien  que  non  de  paroles,  qu'on  la  traitoit  comme 
femme  de  Monsieur.  Cependant,  pour  amuser  le  Roi 
s'il  pouvoit,  il  lui  envoie  le  sieur  de  Contrisson  pour 
lui  donner  avis  de  cette  défaite,  laquelle  il  amoindrit 
tant  quil  put,  et  fit  incontinent  après  partir  le  car- 
dinal de  Lorraine,  son  frère ,  pour  aller  trouver  Sa 
Majesté  pour  excuser  et  colorer  toutes  ses  fautes  pas^ 
bées  sans  les  avouer,  et  pour  protester  de  sa  fidélité» 


igi  [l633j   MÉMOIRES 

Sa  Majesté ,  après  avoir  reçu  la  noavelle  de  celte 
défaite  9  réécrivit  à  Saint-Chamont,  et  lui  réitéra  le 
commandement  qn'elle  lui  avoit  envoyé  de  se  saisir 
du  logement  de  Saint-Nicolas-,  seulement  changeâ- 
t-elle Tordre  qu'elle  lui  avoit  donné  d^attaquer  les 
troupes  du  duc  qui  avoient  fait  plusieurs  actions 
d'hostilité  ,  d'autant  qu'il  y  auroit  eu  peu  d'honneor 
à  défaire  des  gens  défaits ,  et  lui  manda  que  son  inten- 
tion n'étoit  pas  qu'on  fit  mal  à  tous  ceux  qui  se  sau- 
veroient  débandés,  mais  seulement  qull  les  reçut 
dans  son  armée  où  elle  vouloit  qu'ils  fussent  payés; 
mais  que  si  par  hasard  ils  se  rassembloient  en  un 
corps  de  deux  ou  trois  mille  hommes  qui  voulussent 
contrevenir  à  ses  intentions  et  prendre  leur  passage 
par  force,  en  ce  cas  il  leur  empêchât  par  la  force, 
comme  aussi  qu'il  fit  battre  la  campagne  pour  empê- 
cher que  ceux  qui  voudroient  aller  à  Nancy  à  la  dé- 
robée ne  s'y  pussent  jeter. 

Les  Français  qui  étoient  dans  l'armée  du  duc,  ayant 
reçu  le  commandement  de  Sa  Majesté  de  s'en  retirer, 
se  rendirent  en  celle  de  Sa  Majesté ,  qui  partit  de 
Monceaux  le  i6,  et  alla  coucher  à  Château-Thierry, 
o^  le  cardinal  de  Lorraine  arriva  le  1 8  et  y  vit  le 
Roi,  et  le  lendemain  le  cardinal,  avec  lequel  il  eut 
une  longue  conférence. 

Le  cardinal  lui  fit  une  énumération  de  toutes  les 
offenses  que  le  Roi  avoit  reçues  de  son  frère  ;  que 
les  infractions  qu'il  avoit  faites  contre  le  devoir  qui 
l'obligeoit ,  par  la  protection  du  Roi ,  de  ne  point  fa- 
voriser l'Empereur  et  ne  point  apporter  du  dommage 
aux  alliés  de  Sa  Majesté  en  Allemagne,  se  réduisment 
aux  points  suivans  : 


DE    RICHELIEU.    [l633J  ig'i 

Qu'il  avoit  baillé  au  comte  de  Salin  des  gens  pour 
surprendre  Haguenau  qu'il  ravilailloit  tourles jours; 
On'il  envoyojt  du  secours  et  donnott  toute  Tassis- 
lance  qu'il  pouvoit  aux  gens  de  l'Empereur  qui  avoient 
assiégé  la  ville  de  Dann,  au  pied  des  montagnes  de 
Lorraine  vers  Râle,  et  m(}me  attiré  quelque  nombre 
(le  gens  de  la  garnison  de  Saverne  pour  cet  effet  -, 

(^u'il  avoit  fait  avancer  quelques  troupes  sous  le 
commandement  du  sieur  Perrîquet,  son  commissaire 
général ,  qui  avoit  fait  entreprise  sur  Molshein,  dont 
il  avoit  envoyé  force  excuses  par  le  sieur  Foumier  à 
messieurs  de  Strasbourg,  prenant  prétexte  qu'on 
avoit  volé  des  chevaux  à  ses  sujets;  sur  quoi  ceux  de 
Strasbourg  avoient  répondu  que  ce  n'étoit  pas  la 
forme  entre  voisins  de  surprendre  des  places  et  four- 
rager le  pays ,  pour  deux  ou  trois  chevaux  en  tout  que 
luelques  voleurs  sans  aveu  pouvoient  avoir  pris  ; 

(^ue  le  commissaire  Hasso  ,  qui  étoit  h  l'Empereur, 
et  compagnon  d'Ossa ,  levoit  publiquement  dans  Sar- 
gneminesqui  est  il  M.  de  Lorraine,  vers  Sainl-Avold, 
<|ui  ,  depuis  peu  de  jours,  avoit  pille  et  tué  plusieurs 
marchands  qui  alloientde  Metz  à  Trêves; 

Oue  les  grandes  et  perpétuelles  conférences  de 
>L  de  Lorraine  avec  Montecuculli,  Mérode  et  autres 
gens  de  l'Emi^ercur,  éloient  publiques,  comme  aussi 
les  levées  qu'il  faisoit  en  divers  lieux ,  en  petites 
troupes,  qui  alloient  se  joindre  à  celles  des  Impé- 
riaux ; 

(^)uc  le  sieur  de  Guron  avoit  envoyé  une  lettre 
écrite  par  un  des  principaux  colonels  suédois  au- 
dit duc,  par  laquelle  ledit  colonel  se  plaignoit  en 
termes  généraux  des  actes  d'hostilité  et  voies  de  fait 


< 


'3g^  [l633]    MÉMOIRES 

qu'avoient  exercées  les  soldats  de  M.  de  Lorraine 
contre  ceux  du  parti  suédois  ; 

Qu'il  se  plaignoit  aussi  de  la  faveur,  assistance, 
logemens  et  sauf-conduits,  qu'il  donnoit  au  parti  con- 
traire ,  des  levées  qui  se  faisoient  à  toute  heure  en 
Lorraine ,  qu'il  présupposoit  être  faites  pour  assister 
leur  ennemi  selon  le  bruit  commun  ; 

Que  le  comte  de  Salm  avoit  été ,  il  y  avoit  peu,  près 
ledit  duc. 

Sa  Majesté  étoit  bien  avertie  que  toutes  choses 
étoient  contre  son  service  ,  et  que  les  principaux  de 
sa  cour  disoient  assez  manifestement  que  la  trêve  se 
faisant  en  Flandre ,  laquelle  ils  tenoient  lors  pour 
assurée,  Monsieur  en  devoit  emmener  la  plupart  des 
troupes  pour  joindre  à  celles  dudit  duc ,  chasser  les 
Suédois  de  l'Alsace ,  puis  avec  une  grande  armée  ve- 
nir en  France  5 

Qu'on  étoit  bien  averti  qu'en  avril  Le  Coudray- 
Montpensicr  avoit  vu  la  princesse  Marguerite  dans 
Saint -Nicolas,  après  avoir  vu  de  la  part  de  son 
maître  Moutecuculli ,  qui  faisoit  des  levées  dans  le 
Luxembourg; 

Que  Saint  -  Chamont  avoit  surpris  un  nommé 
Labadie  qui  avoit  été  à  Bassompierre ,  et  étoit  lors  k 
Monsieur,  qui  l'avoit  envoyé  h  Nancy  d'où  il  reyenoit 
chargé  de  lettres; 

Qu'au  mois  de  mai  d'Ouailly  avoit  été  cinq  ou  six 
jours  à  Nancy  près  dudit  duc  ; 

Que  le  i5  juillet  Henance  étoit  arrivé  à  Luuévillc 
de  la  part  de  Monsieur,  et  y  étoit  demeuré  caché  quel- 
que temps  -,  qu'à  la  fin  de  juillet  Le  Coigneux  avoit 
passéà  Nancy  déguisé,  et  y  avoit  séjourné  deux  jours  j 


DK  KicuELiBu.  [i633]  3g5 

<^>iron  ëloit  assure  que  M.  de  Lorraine  avoit  à 
toulc  heure  des  gens  de  la  part  de  Monsieur,  et 
qu'entre  autres  Le  Coudray  y  avoitëtë  deux  ou  trois 
l'ois  ;  qu'il  avoit  fait  lever  des  troupes  pour  TEmpe- 
reur ,  et  que  celui  qui  les  commandoit  les  avoit  re- 
mises à  M.  de  Lorraine,  lequel,  en  pleine  campagne, 
les  avoit  données  au  jeune  Bassompierre  qu'il  en  avoit 
fait  colonel-, 

Que  Varinvilkî,  gentilhomme  de  Beauce,  quicom- 
luaiuloit  une  compagnie  de  chevau-lëgers  pour  le 
duc ,  avoit  quitté  son  service  sans  son  congé  avec  sa 
compagnie ,  et  s'étoit  retiré  à  Metz,  d'autant  que  le- 
dit duc  lavoit  voulu  forcer  d'aller  servir  l'Empereur 
avec  sept  autres  compagnies  qu'il  lui  envoyoit; 

Que  le  comte  de  Salm  avoit  fait  un  vol  près  de 
ifagucnausur  des  marchands  de  Metz,  publiquement 
et  sans  aveu; 

Que  le  sieur  de  La  Grange  mandoit  du  1 5  juillet, 
que  le  chancelier  Oxenstiern  lui  avoit  dit  que  le  rhio- 
grave  Otto  avoit  surpris  des  lettres  des  officiers  de 
M.  de  Lorraine  aux  commandans  dans  Brisach,  assu- 
rant la  conjonction  des  armes  dudit  duc  avec  celles 
de  rFmpereur  et  d'Espagne  ; 

Que  ledit  chancelier  avoit  baillé  un  mémoire  audit 
sieur  de  La  Grange  ,  en  date  du  a4  mai ,  pour  repré- 
sonler  de  sa  part  au  Roi  que  le  duc  de  Lorraine,  abu- 
sant de  lautorité  de  Sa  Majesté  et  de  son  alliance 
avec  la  couronne  de  Suède,  sans  avoir  reçu  aucun 
acte  dliostilité du  parti  suédois,  maintenoit  et  assis- 
toit  leurs  ennemis,  grossissoit  leurs  troupes  sous 
prétexte  de  faire  des  levées  en  son  nom  ,  qu  après  il 
licencioil  ;  cpril  fournissoit  les  ennemis  des  choses 


396  [l633J    MÉMOIRES 

qui  leur  ëloieiit  nécessaires ,  joint  ses  conseils  avec 
'^  eux  et  favorisoit  les  actes  d'hoâtilité  qu'ils  faisoient 

contre  eux,  comme  il  s'ëloit  vu  en  la  surprise  deHa- 
guenau  et  en  d'autres  occasions ,  contre  la  foi  que  le- 
dit duc  avoit  donnée  ;  qu'il  molestoit  ses  voisins 
comme  sont  le  comte  de  Sarrebrncket  le  palatin  des 
Deux-Ponts  :  ledit  sieur  Oxensliern  supplioit  le  Roi 
de  vouloir  apporter  remède  à  ces  désordres  ; 

Qu'il  paroissoit  par  quelques  lettres  interceptées , 
que  ledit  duc  attendoit  le  duc  de  Feria ,  et  qu'il  di- 
soit  que  s'il  ne  venoit  pas  il  seroit  en  grand  péril; 

Que  M.  de  Lorraine  avoit  dit  à  Guron ,  en  juillet 
i633,  qu'il  alloit  attaquer  le  comte  de  Nassau ,  allié  de 
la  France  ^ 

Que  les  petits  princes  voisins  de  M.  de  Lorraine 
ëtoiènt  au  désespoir ,  qu'il  dépendoit  du  Roi  de  se  les 
allirer-,  qu'ils  disoient  que  M.  de  Lorraine  avoit  de- 
mandé l'investiture  de  leurs  États  à  l'Empereur,  et 
qu'ils  avoient  surpris  les  lettres  qui  le  portoient; 

Que  s'il  étoit  vrai  que  le  mariage  de  Monsieur, 
frère  du  Roi ,  fût  fait  avec  la  sœur  de  M.  de  Lorraine, 
il  ne  falloit  point  chercher  d'autre  contravention  aux 
traités  qu'il  avoit  faits  avec  Sa  Majesté,  parce  qu^l 
avoit  toujours  été  dit  à  M.  de  Lorraine  que  le  ma- 
riage ne  se  pouvant  faire  contre  la  volonté  du  Roi  et 
sans  son  contentement ,  au  cas  qu'il  fut  il  n'y  avoit 
point  de  traité  ; 

Que  Sa  Majesté  ne  pouvoit  douter  qu'il  ne  fût  fait; 
(|ii'il  étoit  avéré  par  la  déposition  de  M.  de  Montmo- 
rency c*n  mourant,  parce  qu'en  avoit  dit  ouvertement 
Dclbène  à  Réaumont  comme  de  lui-même ,  et  par  la 
déclaration  publique  cpie  le  même  Dclbène ,  qui  étoil 


DE    HICHELIEU.    [l633]  897 

arrivé  en  cour  en  rat^me  temps  que  lui,  en  Faisoit  de 
la  part  de  Monsieur.  Et  afin  cpnl  ne  pensât  pas  que 
Sa  Majesté  ne  le  sût  très-bien ,  il  lui  vouloit  bien 
dire  qu'il  savoit  bien  que  le  mariage  avoit  été  fait  le 
même  Jour  que  le  duc  fut  voir  Sa  Majesté  à  Vie,  et 
ce  par  un  moine  réformé  de  Tordre  de  Saint-Benoit , 
confesseur  de  Tabbesse  de  Remiremont,  et  en  U 
chambre  de  ladite  dame,  qui  y  étoit  présente  avec 
U  princesse  de  Phaisbourg ,  les  ducs  de  Vaudemont 
et  d'Elbeuf,  et  le  sieur  de  Puylaurens;  que  le  duc  de 
Lorraine  n'avoit  point  encore  signé  le  contrat ,  et  que 
le  duc  de  Vaudemont  s'étoit  obligé  par  icelui  de  lui 
donner  pour  dot  i',4oo,ooo  francs  barrois  -, 

(^ue  M.  de  Lorraine,  n'ayant  point  rendu  hommage 
au  Roi,  comme  tout  vassal  y  est  obligé,  et  comme 
{particulièrement  il  avoit  promis  par  le  traité  de  Li- 
Verdun ,  fait  en  juin  i63i ,  de  le  faire  dans  un  an  qui 
étoit  lors  passé,  le  parlement  avoit  ordonné  que  M.  de 
La  Nauve  se  transporteront  sur  les  lieux  pour  saisir  le 
Barrois  et  le  mettre  entre  les  mains  du  Roi,  ainsi  qu  il 
est  ordinaire  et  accoutumé  en  semblable  cas; 

Que  \  ille ,  qui  est  à  M.  de  Lorraine,  avoit  dit  ou- 
vertement à  Birckenfeld  que  le  Roi  portoit  M.  de  Lor- 
raine à  faire  contre  eux  ce  que  dessus;  à  quoi  ledit 
Birckenfeld  lui  avoit  répondu  qu'il  savoitbien  le  con- 
traire; 

(^>ue  ledit  Ville  leur  avoit  confirmé  que  TEmpe- 
renr  avoit  fait  donation  d'Haguenau  à  son  maître; 
ce  qui  par  sa  bouche  le  rendoit  clairement  contre- 
venant aux  traités  qu'il  avoit  faits  avec  le  Roi,  par 
lesquels  il  s'obligeoit  de  ne  ùire  aucun  traité  avec 
rtlmpereur,  qui  indubitablement  ne  lui  auroit  pas 


Sgfi  [i633]  MÉMOIRES 

donné  une  telle  ville  sans  des  conditions  réciproques; 

Que  ceux  de  iStrasboorg  mandoient  par  de  L'Isle , 
du  premier  août ,  que ,  depuis  le  aS  juillet ,  que  Tar- 
mée  de  Lorraine  avoit  passé  la  montagne,  elle  avoit 
fait  plusieurs  courses  dans  leurs  terres ,  pris  tous  leurs 
bestiaux ,  tué  plusieurs  des  paysans  qu'ils  a  voient 
rencontrés ,  même  un  officier  suédois  qui  avoit  été 
rais  dans  un  village  pour  le  garder  ; 

Qu'il  mandoit  de  plus  (  ce  qui  étoit  à  noter  et  qui 
faisoit  que  M.  de  Lorraine  se  déclaroit  ouvertement 
contre  les  traités  qu'il  avoit  faits  avec  le  Roi)  que, le 
mercredi  27  juillet,  on  avoit  publié  à  son  de  trompe 
dans  son  armée  qu'on  n'eût  plus  à  l'appeler  l'armée 
du  duc  de  Lorraine,  mais  de  l'Empereur ,  et  tirèrent 
vers  le  château  et  forteresse  de  Girbarden ,  d'où  ils 
chassèrent  les  Suédois  quvl'avoient  assiégée  ^ 

Qu'on  écrivoit  encore  que  l'armement  qu'avoit  fait 
le  duc  de  Lorraine  étoit  aux  dépens  des  électeurs  de 
Mayence  et  de  Cologne ,  et  qu'il  croyoit  être  fortifie 
des  troupes  de  Bourgogne  ou  du  duc  de  Feria,  qui  ne 
paroissoient  point  ; 

Que  les  Suédois  avoieut  pris  un  Français  prisonnier 
qui  avoit  découvert  la  trahison  que  Humbert,  secré- 
taire de  M.  de  Lorraine,  avoit  traitée  avec  un  nommé 
I^a  Chapelle  qui  étoit  mort,  pour  lui  remettre  quel- 
que place  de  l'Alsace  entre  les  mains;  et  c'étoit  pour 
ce  sujet  que  M.  de  Lorraine  avoit  fait  assassiner  un 
nommé  Dubois  auprès  de  Lunéville  ] 

QuedeL'Isle  avoit  mandé  que  les  Lorrains  avoienl 
fait  courre  de  delà  la  mort  du  Roi  ; 

Qu'un  colonel  suédois,  nommé  Rantzau  ,  avoit  fait 
appeler  Ville  par  un  trompette ,  sur  ce  que  ledit  de 


DE  RICHELIEU.    [l633]  899 

Ville  nioit  avoir  dit  audit  Rantzau  que  ce  que  M. de 
Lorraine  faisoit  contre  les  Suédois  ëtoit  de  Taveu  et 
consentement  du  Roi. 

Sur  quoi  Ville  s'étoit  excusé  du  combat  sur  les  af- 
faires que  son  maître  lui  avoit  commises^ 

Et  qu  enfin  la  bataille  qu'il  avoit  fait  donner  contre 
les  Suédois ,  justifioit  trop  clairement  ses  contraven- 
tions pour  en  dire  davantage. 

Le  cardinal  de  Lorraine,  entendant  cette  grande 
^numération  des  contraventions  que  son  frère  avoit 
faites  à  ce  qu'il  étoit  obligé  par  les  traités  qu'il  avoit 
faits  avec  le  Roi ,  fut  étonné  et  ne  sut  que  répondre, 
sinon  en  général  que  les  Suédois  lui  avoient  donné 
sujet  de  mécontentement.  Mais  lui  étant  reparti  que, 
bien  au  contraire,  la  princesse  de  Phalsbourg  ayant, 
tout  nouvellement  encore,  envoyé  demander,  au  com- 
mencement d'août,  au  prince  de  Birckenfeld,  qui  étoit 
devant  Uaguenau ,  une  sauve-garde  pour  les  terres 
qu  elle  avoit  en  Lorraine ,  il  lui  avoit  mandé  qu'il  la 
lui  nccordoit,  bien  qu'elle  lui  fût  inutile ,  pource  qu*il 
n'avoit  point  ordre  d'entrer  dans  la  Lorraine  si  on  ne 
Tattaquoit. 

Il  n'eut  pas  assez  de  front  pour  nier  les  fautes  de 
son  frère ,  mais  il  en  eut  bien  assez  pour  assurer  qu'il 
n  y  avoit  point  de  part,  et  que  si  Sa  Majesté  se  résol- 
voit  de  porter  lafTairc  aux  extrémités,  il  ne  vouloit 
chercber  eu  sa  mauvaise  fortune  autre  refuge  qu'en 
la  bonté  du  Roi ,  et  le  supplieroit  avoir  agréable  qu'il 
se  retirât  en  France  à  labri  de  sa  protection.  Il  s'of- 
frit, comme  procureur  de  son  frère,  de  rendre  au  Roi 
hommage  du  Harrois^  ce  qui  lui  fut  refusé,  devant  être 
rendu  en  personne  par  ledit  duc  ,  non  en  son  nom , 


4oO  [l633]    MÉMOIRES 

mais  de  celui  de  sa  femme.  Il  avoua  en  outre  le  ma- 
riage, disant  premièrement  qu'il  y  avoit  seulement 
un  contrat,  en  second  lieu  que  le  prêtre  y  avoit  passé 
et  qu'il  en  avoit  donné  sa  permission. 

Pour  remède  à  ces  maux,  il  proposa  de  demander 
pardon  au  Roi  pour  son  frère ,  qui  consenti  roi  t  à  la 
rupture  du  mariage ,  et  remetlroit  entre  les  mains  du 
Roi  Saverne  et  Dachstein. 

Le  cardinal  lui  répondit  que  ces  réparations  propo- 
sées n'étoient  pas  proportionnées  aux  offenses; 

Que  rendre  Thommage  de  Bar  au  nom  de  madame 
de  Lorraine ,  satisfaisoit  bien  au  défaut  commis  en 
ce  genre  ; 

Que  rompre  le  mariage  prétendu  de  Monsieur  étoit 
bien  aussi  le  cemèdede  ce  mal  ;  mais  qu'outre  qu'il  £J- 
loit  que  le  consentement  de  Monsieur  y  intervint,  ce 
qui  ne  dépendoit  pas  d'eux,  il  restoità  satisfaire  à  l'of- 
fense reçue  par  les  alliés  du  Roi ,  et  à  la  rupture  des 
traités  faits  avec  Sa  Majesté,  ce  qui  ne  se  pouvoit 
Élire  par  autre  moyen  qu'en  mettant  M.  de  Lorraine 
en  état  de  ne  pouvoir  plus  contrevenir  à  ses  paroles, 
auxquelles  Sa  Majesté  ne  pouvoit  prendre  aucune 
confiance,  vu  les  divers  manquemens  qu'il  y  avoit 
faits.  Sur  cela  on  lui  dit  franchement  que  le  dépôt  de 
Nancy  étoit  le  seul  moyen  qui  pût  assurer  le  Roi  et 
lui  donner  moyen  de  le  garantir  de  ses  ennemis. 

Cette  proposition  sembla  rude  d'abord ,  mais  non 
pas  tant  qu'après  l'avoir  bien  examinée  le  cardinal 
n'avouât  franchement  que  c'étoit  quasi  le  mieux  qu'il 
pouvoit  faire ,  pourvu  qu'on  fût  assuré  de  la  restitu- 
tion; ce  qui  lui  sembloit  bien  difficile  à  croire  et  à 
persuader  à  autrui. 


DE  KIGUELIEU.    [l633j  4oi 

11  rcconnoissoit  bien  que  le  Roi  avoit  grand  sujet 
de  demander  de  nouvelles  assurances,  vu  les  man^i» 
ifuemens  arrivés-, 

Que  du  jour  qu'ils  entreroient  en  guerre  avec  le 
Roi ,  il  perdroit  la  propriété  des  places  qu'il  avoit  déjà 
011  dépôt ,  et  les  deux  tiers  du  revenu  de  leur  État; 

Qu'ils  ne  pou  voient  se  défendre  seuls  contre  nne 
telle  puissance  que  celle  de  la  France  \ 

Que  difficilement  ponvoient-ils  avoir  du  secours 
en  Téiat  auquel  étoient  les  affaires  du  monde ,  et  qae 
(|iiand  on  leur  en  donneroit  »  ce  seroit  un  remède  pre 
(|ue  le  mal ,  vu  qu'assurément  les  Espagnols,  de  qui 
seuls  ils  le  pouvoient  recevoir ,  ne  leur  accorderoient 
pas  qu  a  des  conditions  qu'ils  partageroient  avec  eux 
re  qui  leur  restoit  de  leur  État,  s'ils  ne  désiraient  le 
tout ,  pour  le  défendre; 

Que  Texpérience  faisoit  assez  connoitre  que  jamais 
petit  prince  ne  fit  f^$  affaires  entre  deux  grandes 
puissances ,  quand  la  nappe  est  mise  à  leurs  dépens 
et  que  leur  pays  est  le  ûiéâtre  où  ils  viennent  aux 
mains  ^ 

Qu'en  outre  les  Espagnols  ne  donnèrent  jamais  se- 
cours qui  ne  fût  plus  onéreux  qu'avantageux  à  ceux 
qui  le  reçoivent.  Mais  d'autre  part  il  disoit  que  don- 
ner Nancy  étoit  perdre  le  reste  de  leur  Étatique  telles 
places  ne  se  rcndoient  guère  d'Ordinaire ,  qu'il  y  avoit 
de  la  bassesse  à  se  dépouiller  volontairement;  qu'il 
étoit  (iciieux  de  perdre  l'honneur  et  le  bien  tout  en- 
> omble,  et  que  le  pire  événement  qui  leur  pouvoit 
arriver  de  la  guerre,  ne  les  pouvoit  mettre  en  une 
plus  mauvaise  condition  que  celle  qui  leur  étoit  pro- 
posée :  qu'ils  vouloient  bien  croire  que  le  Roi  leur 
T.  ^17.  26 


4o2  [l633]  MÉMOIRES 

promettroil  la  restitution  de  Nancy,  avec  inleniion 
d'exécuter  sa  promesse,  mais  qu'il  pouvoit  arriver 
beaucoup  de  choses  qui  lui  donneroient  lieu  de  croire 
qu'il  auroit  lieu  de  s'en  dispenser  justement  ^  auquel 
cas  ils  n'auroient  rien  à  dire  qu'à  plaindre  leur  misère, 
parce  que  les  raisons  de  ceux  qui  ont  la  force  en  main 
prévalent  toujours  à  toute  autre.  On  répondoit  à  cela 
qu'il  valoit  mieux  que  M.  de  Lorraine  se  conservât 
le  droit  de  son  État  par  le  dépôt  de  ce  qui  à  la  vérité 
étoit  de  meilleur  en  icelui,  qu'en  refusant  ledit  dépôt 
perdre  assurément  la  propriété  de  tout  ce  qu'il  avoit  ; 
ce  qui  lui  étoit  inévitable,  non-seulement  parce  que 
les  petits  princes  ne  peuvent  résister  aux  grands, 
mais  en  outre  parce  que ,  dès  lors  le  Roi  se  rendant 
par  son  hostilité  maître  de  toutes  les  places  qu'il  avoit 
en  sa  main ,  il  possédoit  plus  des  deux  tiers  de  son 
revenu  •,  ce  qui  faisoit  qu'ayant  pris  ce  qui  ne  lui 
pouvoit  être  disputé  en  six  jours ,  il  ne  restoit  que  la 
seule  ceinture  de  Nancy  audit  duc,  sans  aucun  revenu 
pour  soutenir  les  frais  de  sa  défense.  Ledit  cardinal 
de  Lorraine  ajoutoit ,  pour  se  défendre  du  dépôt  de 
Nancy,  qu'il  étoit  entre  le  Roi  et  la  maison  d'Autriche; 
qu'il  devoit  ménager  l'un  et  l'autre  )  qu'assurément, 
s'il  remettoit  Nancy  entre  les  mains  du  Roi ,  il  tom- 
beroit  en  la  disgrâce  de  l'Empereur ,  duquel  relevoit 
son  duché ,  lequel  le  déclareroit  sans  doute  confisqué 
et  le  mettroit  au  ban  de  l'Empire ,  avec  résolution  de 
l'exécuter  aussitôt  que  les  affaires  d'Allemagne  le 
pourront  permettre  ;  qu'en  ce  cas  il  s'assuroit  bien  de 
la  protection  du  Roi ,  mais  qu'il  pouvoit  arriver  aussi 
que  Sa  Majesté  se  trouvant  engagée  en  d'autres 
guerres ,  il  n'auroit  pas  moyen  de  le  secourir  assez 


DE    RICHELIEU.    [l633]  4^3 

puissamment,  et  qu'il  craignoit  que  cette  considéra- 
tion fût  capable  d'empêcher  M.  son  frère  de  condes- 
cendre au  désir  de  Sa  Majesté,  s'il  ne  s'y  voyoit  forcé 
par  Textrême. 

Le  cardinal  lui  répondit  qu'il  n'entroit  point  en 
considération  des  prétentions  de  l'Empire  sur  la  Lor- 
raine, ni  de  la  puissance  de  la  maison  d'Autriche  ^  que 
quand  le  duc  y  penseroit  bien  il  trouveroit  qu'il  n'a- 
voit  pas  plus  de  raison  de^s'y  arrêter ,  puisqu'il  sa  voit 
bien  que  ceux  dont  il  alléguoit  les  intérêts  avoient  été 
les  principaux  auteurs  de  sa  mauvaise  conduite  ;  qu'il 
ctoit  vrai  que,  par  le  traité  de  Vervins ,  il  étoit  porté 
que  Ion  n'entreprendroit  point  sur  les  alliés  les  uns  des 
autres  ,  et  que  M.  de  Lorraine  étoit  en  la  protection 
(les  deux  couronnes  ;  mais  que  cette  même  protection 
Tobligeoit  à  s'efforcer  de  la  mériter  du  Roi  par  ses 
respects  et  par  sa  bonne  conduite ,  bien  loin  de  l'of- 
fenser ,  lui  manquer  de  foi ,  violer  les  traités  £dts 
avec  lui ,  prendre  le  parti  d'Espagne  au  lieu  de  de- 
meurer neutre,  faire  tous  actes  d'hostilité ,  et  pour 
comble  d'injures  ravir  un  fils  de  France  et  le  marier 
contre  la  volonté  de  Sa  Majesté ,  laquelle  pour  toutes 
ces  causes  n'avoit  que  trop  de  raisons  d'entrer  en  ar- 
mes dans  son  pays,  et  que ,  s'il  craignoit  davantage  la 
puissance  future  de  l'Empereur  que  celle  de  la  France 
(|ui  étoit  présente  et  à  ses  portes ,  il  pouvoit ,  s'il  le 
jugcoit  meilleur  pour  lui,  choisir  le  parti  de  se  dé- 
fendre par  la  force. 

Quant  à  la  mouvance  de  l'Empire ,  que  le  Roi  étoit 
bien  ûloigné  d'en  demeurer  d'aceord ,  puisqu'il  pré- 
tendoit  la  souveraineté  sur  la  Lorraine,  et  que  l'hom- 
mage lui  en  étoit  dû  ;  que  c'étoit  une  usurpation  faite 

^6. 


4o4  [l633]   MÉMOIRES 

par  TEmpire  sur  sa  couronne,  en  quoi  la  longue 
possession  qu'on  pouvoit  alléguer  ne  donnoit  aucun 
droit,  n'y  ayantjamais  de  prescription  entre  les  grands 
princes,  qui  ne  reconnoissent  point  de  tribunal  devant 
lequel  ils  se  puissent  pourvoir ,  et  ainsi  sont  toujours 
reçus  à  redemander  leurs  droits  contre  les  usurpa- 
teurs ,  et  à  y  rentrer  par  la  force  ^  que  les  affaires  de 
la  France  n'avoient  ci-devant  permis  de  disputer  ces 
prétentions  \  mais  qu'à  présent  que  Dieu  ouvroit  le 
chemin  au  Roi  de  rétablir  sa  monarchie  en  sa  première 
grandeur ,  la  postérité  auroit  sujet  de  lui  reprocher 
si ,  négligeant  les  moyens  qui  s'en  offrent  à  lui ,  il  per- 
doit  l'occasion  de  rentrer  dans  les  anciens  droits  de 
sa  couronne,  et  les  tirer  des  mains  de  ceux  qui  les 
possèdent  injustement  ;  que  les  craintes  qu^allégnoit 
le  duc  de  Lorraine  lui  dévoient  entrer  dans  Tesprit 
lorsqu'il  fut  sur  le  point  de  se  résoudre  d'ofienser  le 
Roi ,  qui ,  ne  pouvant  dissimuler  son  ressentiment , 
étoit  résolu  de  se  venger  de  l'injure  qu'il  avoit  reçue 
s'il  ne  le  satisfaisoit  de  sorte  que  toute  l'Europe  con- 
nût qu'il  avoit  sujet  d'en  être  content  ; 

Qu'il  se  devoit  souvenir  que  ses  prédécesseurs  se 
sont  toujours  bien  trouvés  de  l'amitié  de  la  France , 
et  s'assurer  qu'étant  en  sa  protection  elle  le  sauroit 
bien  défendre  contre  qui  que  ce  fût  ; 

Que  le  Roi  ne  pouvoit  recevoir  autre  condition  que 
le  dépôt  de  cette  place ,  puisque ,  ayant  déjà  entre  les 
mains  les  autres  meilleures  de  la  Lorraine ,  cela  n'a- 
voit  pu  retenir  ledit  duc  de  manquera  sa  parole  et 
que  Sa  Majesté  ayant  sujet  de  croire  qu'il  ne  seroit 
pas  plus  religieux  de  la  garder  à  l'avenir ,  elle  devoit 
prendre  une  assurance  qui  ne  dépendit  point  de  la 


DE   RIGHELIEO.   [l633]  ^oS 

volonté  dudit  duc,  qu*eUe  a^  éprouvée  si  changeante  t 
afin  de  n'être  plus  en  danger  de  recevoir  une  uon- 
velle  injure,  et  d*étre  obligé  de  lever,  avec  grands 
frais,  une  nouvelle  armée,  et  qui  pourrpit  arriver  en 
telle  saison  qu'à  peine  Tétat  des  affaires  le  lui  poûrroit 
permettre ,  au  lieu  que  la  conjoncture  présente  étoit 
telle  que  Sa  Majesté  ne  la  sauroit  désirer  plus  fiivo- 
rable ,  u'y  ayant  rien  qui  lui  pût  faire  appréhender 
aucun  divertissement  de  ses  forces;* 

Enfin  qu'il  se  souvint  de  l'avertissement  du  comte 
Giarles  de  Mansfeld  à  son  feu  grand-père ,  Charles  de 
Lorraine,  lequel  Mansfeld  ayant  été  fait  gouvemeor 
de  Luxembourg  et  du  conseil  d'état  d'Espagne ,  et 
venant  pour  prendre  possession  de  son  gouvemo- 
ment ,  dit  audit  feu  duc  Charles  de  Lorraine  quil 
aimoit  uniquement,  pour  avoir  été  nourri  dès  son 
enfance  à  la  cour  de  France  avec  lui ,  que  le  résultat 
du  conseil  d'Espagne  étoit  qu'à  quelque  prix  que  ce 
fût  il  falloit  mettre  la  guerre  entre  la  France  et  la 
Lorraine ,  et ,  sous  prétexte  de  secourir  son  altesse , 
trouver  moyen  de  s'empftrer  de  ses  places  et  ne  les 
lui  Jamais  rendre,  mais  lui  donner  en  échange  quel* 
ques  terres  en  Sicile  ou  en  Calabre  ; 

Qu'il  avoit  commandement  dlnduire  ledit  dnc  à 
cela ,  mais  qu'il  étoit  trop  son  serviteur  pour  servir 
d'instrument  à  sa  ruine,  et  lui  fit  donner  sa  parole  de 
ne  Jamais  déclarer  la  malice  des  Espagnols  qu'après  la 
mort  dudit  comte ,  sachakit  bitti  que  de  ce  secret  dé> 
couvert  dépendoit  la  perte  de  sa  vie  et  de  sa  répnttr 
tion  ;  ce  que  sadite  altesse  lui  observa  fidèlement  ^  et 
ne  le  dit  pour  lors  qu'au  feu  duc  Henri,  son  fils  aîné. 

Depuis ,  le  même  comte  Charles ,  étant  mahule  et 


4o6  [l633]    MÉMOIRES 

croyant  mourir,  envoya  quérir  feu  M.  de  Thou, 
oncle  du  marquis  de  Tricbâteau ,  et  lui  dit  la  même 
chose ,  le  priant  de  le  tenir  secret  pendant  qu'il  vi- 
vroit ,  mais ,  après  la  mort  dudit  comte ,  le  dire  à  ses 
enfans  plus  proches ,  de  peur  que  la  mémoire  ne  s'en 
perdît  avec  dommage  de  la  Lorraine  ^ 

Que  maintenant  M.  de  Lorraine  se  voyoit  en  ces 
termes  *,  il  avoit  été  induit  malicieusement  par  les  Es- 
pagnols à  offenser  le  Roi  de  gaité  de  cœur  pour  s'em- 
parer de  ses  États ,  sous  ombre  de  les  défendre  contre 
Sa  Majesté ,  et  qu'elle  vouloit  prendre  assurance  par 
elle-même  qu'ils  ne  viendroient  pas  à  bout  de  leur 
pernicieux  dessein,  et  ne  se  serviroient  de  laLorraine 
comme  d'un  boulevard  contre  la  France. 

Le  cardinal  de  Lorraine  n'ayant  rien  à  répondre  à 
ces  raisons ,  recourut  à  demander  du  temps  pour 
retourner  à  son  frère,  assurant  qu'il  reviendroit  in- 
continent trouver  Sa  Majesté  pour  lui  apporter  sa- 
tisfaction. 

Il  désira  et  s'ofirit  d'accompagner  le  Roi  jnsqnes 
à  Bar  ;  mais  il  lui  fut  représenté  qu'il  n'y  avoit  point 
d'apparence  qu'il  se  trouvât  en  cette  ville  où  Sa  Ma- 
jesté avoit  un  commissaire  du  parlement  qui  avoit 
dépossédé  le  duc  de  Lorraine ,  son  frère ,  du  duché 
de  Bar  et  l'avoit  mis  en  la  main  souveraine  de  Sa  Ma- 
jesté, faute  de  foi  et  hommage  qu'il  s'étoit  oblige  par 
)e  traité  de  Liverdun  de  rendre  dans  un  an ,  ce  qu'il 
n'avoit  pas  encore  fait ,  bien  que  le  terme  fut  expiré. 
De  sorte  que ,  laissant  le  Roi  à  Château-Thierry ,  il 
partit  en  poste,  le  20  août,  pour  aller  trouver  le  duc 
son  frère.  Nonobstant  toutes  les  paroles  de  compli- 
ment dudit  cardinal  de  Lorraine ,  et  ses  promesses 


DE  aiGHEUEU.  [i633]  4<>7 

que  Ton  jugeoit  être  forcées,  le  cardinal ,  sans  perdre 
temps ,  continua  les  mêmes  ordres  qu'on  ayoit  donnés 
ci-devant  à  Saint-ChamonI,  et  dit  à  Sa  Majesté ,  ea 
son  conseil ,  qu'elle  voy oit  qu'il  y  avoit  trois  ou  quatre 
ans  que  le  duc  de  Lorraine  ne  perdoit  aucune  occa- 
sion par  laquelle  il  pensât  pouvoir  nuire  au  Roi ,  sans 
la  tenter  et  Tentreprendre  -y 

Que  Sa  Majesté  avoit  quelquefois  tout-à-fait  ou- 
blié les  diverses  menées  qu'il  avoit  iaites  contre  elle; 
d'autres  fois  elle  en  avoit  eu  du  ressentiment,  et 
tâché  d'arrêter  le  cours  de  telles  malices ,  en  fiôsant 
porter  audit  duc  des  peines  trop  modérées  pour  ses 
fautes. 

Mais  que  tant  s'en  faut  que  ces  divers  procédés 
pleins  de  bonté  eussent  amendé  ce  prince  9  qu'an 
contraire  l'oubli  de  ses  £iutes  et  le  trop  doux  ret- 
sentiment  qu'on  en  avoit  eu  n'avoient  servi  qu'à  Fai- 
grir  davantage ,  et  lui  donner  plus  de  volonté  d'agir 
contre  le  Roi ,  estimant  qu'en  tentant  plusieurs  Sois 
de  troubler  la  prospérité  de  ses  alBaires,  il  arriveroit 
enGn  à  son  but ,  et  que  quand  même  il  ne  le  feroit 
pas ,  au  moins  étoit-il  assuré  de  n'avoir  pas  beaucoup 
à  craindre ,  puisque  ce  qu'il  avoit  fidt  par  le  passé 
contre  Sa  Majesté  n'avoit  pas  causé  sa  perte,  quoique 
telles  injures  la  méritassent  justement  j 

Que  l'infidélité  de  ce  prince  étoit  ai  manifisite,  que, 
non-seulement  ne  pouvoit-on  l'ignorer ,  mais  que 
même  il  étoit  imposj^le  de  la  dissimuler  davantage  \ 

Qu'il  n'y  avoit  ni  vérité  en  ses  paroles ,  ni  sâmté 
en  quelque  traité  qu'on  pût  finre  avec  lui; 

Qu'au  même  temps  qu'il  passoit  à  Vie  le  premier 
traité  qu  il  avoit  fait  avec  le  Roi,  il  y  contre venoit , 


4o8  [l633]   MÉMOIRES 

faisant  d'autres  conventions  dans  Nancy  avec  Monlc- 
cuculli  qui  y  étoit  lors; 

Qu'il  faisoit  aussi ,  et  exëcutoit  au  même  temps , 
le  mariage  de  Monsieur  avec  sa  sœur ,  le  celant  non- 
seulement  au  Roi ,  mais  disant  j  quand  on  lui  en  par- 
loit ,  qu'il  n'ëtoit  pas  si  fou  que  d'y  penser  ; 

Que  les  contraventions  qu'il  avoit  faites  au  traité 
de  Liverdun  étoient  innombrables  ;  que  le  duc  s^y  étoit 
obligé  de  conserver  les  cinq  premiers  articles  de  celui 
de  Vie ,  qui  reprenoient  nouvelle  force  en  vertu  dudit 
traité ,  sans  plus  s'en  départir  ; 

Qu'en  ces  premiers  articles  il  promettoit  de  se  dé- 
partir de  toutes  les  intelligences  avec  qui  que  ce  fôt 
au  préjudice  du  Roi,  de  tous  ses  Etats  et  alliés,  et 
particulièrement  du  traité  d'alliance  de  Sa  Majesté 
avec  le  roi  de  Suède  -, 

Qu'il  feroit  retirer  de  ses  États  tous  les  ennemis 
du  Roi  et  tous  ses  sujets  qui  étoient  sortis  hors  du 
royaume  contre  son  gré ,  et  ne  leur  donneroit  ci- 
après  passage  ni  sûreté  dans  iceux  ; 

Qu'il  ne  traiteroit  ni  ne  feroit  aucune  alliance  avec 
quelque  prince  ou  État  que  ce  put  être ,  sans  le  su  et 
consentement  du  Roi; 

Ne  permettroit  qu'il  se  fît  aucune  levée  dans  ses 
États  contre  le  service  de  Sa  Majesté ,  ni  qu'aucun  de 
ses  sujets  servit  ni  assistât  ses  ennemis ,  ains  feroit 
retirer  tous  ceux  qui  étoient  engagés  au  service  de 
quelque  prince  que  ce  pût  être  contre  ledit  seigneur 
Roi; 

Donneroit  liberté  de  prendre  tous  ses  sujets  re- 
belles ;  pour  sûreté  des  articles  susdits  et  de  ceux  qui 
suivent,  Marsal  seroit  mise  en  dépôt  pour  trois  ans. 


DE   BICHBLIEU.    [l633]  4^ 

Il  s'obligeoit  davantage ,  par  ledit  traité  de  Liveç* 
duii ,  de  demeurer  inviolablement  uni  aux  intérêts  de 
Sa  Majesté ,  et  donneroit  passage  libre  en  tous  ses 
États  à  ses  armes. 

Proraettoit  de  rendre t  dans  un  an,  la  foi  et  hom- 
mage qu'il  devoit  à  Sa  Majesté  ponr  le  duché  de  Bar, 
ainsi  qull  le  doit. 

Pour  sûreté,  il  déposoit  Stenay  etiametspour  quatre 
ans ,  et  vendoit  la  forteresse  et  comté  de  Clermont  an 
denier  cinquante. 

Que  pour  interprétation  da  premier  article  du  traité 
de  Vie ,  par  lequel  il  renonçoit  à  tontes  intelligences, 
il  déclaroit  renoncer  à  tonte  alliance  et  confédéraUon 
qu'il  pourroit  avoir ,  soit  avec  l*Emperenr ,  le  roi  d*Es- 
pagne  et  tous  autres  princes  de  la  maison  d^Autriche; 

Et  que,  pour  interprétation  dn  troisitoe,  il  dé- 
claroit qu'il  entendoit  s'obliger  de  ne  donner  retraite 
et  assistance  dans  ses  États,  ni  à  Blonsienr  ni  à  la 
Reine  mcre  de  Sa  Bfajesté ,  ni  à  aucun  des  leurs  \ 

Que  depuis  il  avoit  fiiit  de  continuelles  levées  ponr  le 
service  de  l'Empereur  et  dn  roi  d'Espagne ,  et  oflTensé 
le  parti  suédois  par  plusieurs  entrejmses  qu'il  av<nt 
faites  contre  Ini ,  comme  le  Roi  avoit  sn  par  le  m^iu , 
de  temps  en  temps,  selon  qu'on  lui  en  avoit  donné 
les  avis; 

Qu'il  avoit  même  traité  long-temps  secrètement 
avec  les  Suédois  sans  en  avoir  donné  part  au  Roi  ;  ce 
qui  étoit  contre  les  termes  de  son  traité,  et  ce  d'au- 
tant plus,  que,  traitant  avec  eux,  c'étoit  ponr  les 
tromper ,  comme  il  avoit  paru  par  les  effets. 

Quant  à  ce  qu'il  avoit  promis  sur  le  sujet  de  Mon- 
sieur ,  il  n'y  avoit  pas  été  plus  fidèle ,  ayant  en  de 


4lO  [l633]    MEMOIRES 

continuelles  intelligences  avec  lui ,  et  ayant  entretena 
sans  cesse  commerce  de  courriers  de  Tun  à  l'autre , 
sans  parler  du  mariage  de  sa  sœur ,  qui  étoit  la  plus 
grande  infidélité ,  et  laquelle  eiTrontément  il  avoit 
encore ,  depuis  quinze  jours ,  niée  au  sieur  de  Guron, 
et  Tavoit  déterminément  assuré  qu'il  n^étx>it  point 
véritable,  et  qu'il  n'avoit  jamais  voulu  entendre  a 
une  telle  afiaire  sans  le  consentement  du  Roi,  va 
qu'il  sa  voit  bien  qu'ainsi  il  offenseroit  Sa  Majesté ,  et 
s'exposeroit  à  une  perte  présente  pour  prétendre  des 
avantages  futurs  fort  incertains; 

Qu'au  contraire  de  ses  promesses  sa  cour  ëtoit  un 
asile  à  tous  les  rebelles  criminels  de  ce  royaume, 
ayant  même  donné  une  compagnie  de  cavalerie  dans 
ses  troupes  à  Besme,  condamné  en  France  à  être 
rompu  sur  la  roue;  et,  depuis  un  an ,  ayant  été  tués 
ou  volés  en  ses  États  plus  de  mille  Français  qui  al- 
loient  servir  les  Suédois ,  de  sorte  que  les  fidèles  ser- 
viteurs du  Roi  y  trouvoient  la  mort ,  et  ses  ennemis 
le  refuge  ; 

Qu'il  montroit  bien  n'avoir  point  eu  de  dessein  de 
tenir  le  traité  qu'il  avoit  fait  avec  Sa  Majesté ,  pource 
qu'il  n'avoit  point  rendu  à  Sa  Majesté  l'hommage  qu'il 
lui  devoit  à  cause  de  son  duché  de  Bar  ; 

Que  pour  Clermont,  il  ne  faisoit  que  chicaner, 
étant  certain  que  quand  on  parloit  d'acheter  une  terre 
au  denier  cinquante,  la  maison  y  étoit  comprise,  et 
néanmoins  les  commissaires  qu'il  avoit  envoyés  trou- 
ver ceux  du  Roi  pour  l'exécution  de  cette  vente  de- 
mandoient  des  millions  pour  le  lieu  du  fort  ;  ce  qui 
étoit  à  dire  ne  vouloir  rien  faire;  et,  de  fait,  ils  s'é- 
toient  retirés  les  premiers  sans  rien  conclure ,  suivant 


I)B   RICHELIEU.    [l633]  4<< 

1  ordre  que  vraisemblablement  ils  en  a  voient  reçu 
de  lui. 

Bref,  que  la  dernière  contravention ,  par  laquelle , 
attaquant  les  allies  du  Roi,  il  s'étoit  fait  battre  et  avoit 
mis  SCS  Etats  en  proie  aux  Suédois  si  Sa  Majesté  ne 
les  empechoit  de  les  prendre ,  ëtoit  si  manifeste 
qu  elle  ne  le  pouvoit  être  davantage  ,  puisque  ledit 
traité  portoit  expressément  qu'il  n'entreprend roit  rien 
contre  les  Suédois  -, 

Que  de  tout  ce  que  dessus  il  paroissoit  que  Tinfi- 
délité  de  ce  prince  ëtoit  sans  pareille,  et  que  sa 
mauvaise  volonté  contre  la  France  ëtoit  extrême ,  et 
partant,  que  c'étoit  chose  claire  qa'il  ëtoit  du  tout 
nécessaire  de  prévenir  les  mauvais  desseins  qu'il  avoit 
d  attendre  une  occasion  où  les  ennemis  de  la  France, 
qui  étoient  maintenant  maltraités  delà  fortune,  eus- 
sent un  bon  retour ,  auquel  ils  pussent  tous  ensemble 
faire  ëclore,  au  préjudice  de  ce  royaume,  les  effets 
de  leur  malice; 

Qu  à  la  vérité  il  avoit  toujours  mal  pris  ses  me- 
sures et  s'étoit  trop  hâté; 

Que ,  durant  le  siège  de  La  Rochelle ,  il  ëtoit  uni 
avec  l'Empire ,  l'Espagne  et  la  Savoie  contre  le  Roi  ; 
et,  plein  d'ardeur  de  mauvaise  volonté,  arma  des  pre- 
miers et  ne  désarma  que  par  force,  après  avoir  con- 
sommé son  argent,  mangé  son  peuple,  et  ne  s'être  vu 
secondé  de  personne  ; 

Que  depuis  il  avoit  fait  descendre  les  Allemands  à 
Vie ,  les  avoit  fait  subsister  par  les  contributions  de 
ses  États ,  leur  avoit  fait  construire  la  forteresse  de 
Moyenvic  ,  reçu  Monsieur  à  Nancj,  levé  pour  lui  nne 
grande  armée,  puis  enfin,  voyant  que  ses  collègues 


4l2  [l633J    MÉMOIRES 

lui  manqaoient ,  avoit  ëté  contraint  d'aller  fondre 
en  Allemagne  où  ses  troupes  furent  défaites  ; 

Que  lannëe  passée ,  voyant  la  France  en  feu ,  il 
arma  incontinent  ;  ce  que  la  prévoyance  du  Roi  tourna 
à  son  désavantage^ 

Que  cette  année ,  Tespérance  du  passage  du  car- 
dinal Infant  de  lltalie  en  FAlsace  lui  avoit  donné  dans 
la  vue ,  celle  de  la  paix  en  Allemagne ,  par  Tadresse 
et  la  terreur  des  armes  de  Walstein,  celle  de  la  trêve 
en  Hollande ,  le  désir  de  laquelle  étoit  tel  qu'il  n'en 
doutoit points  qu'il  espéroit  que  toutes  ces  armées  dl- 
talie ,  d'Allemagne  et  de  Flandre  viendroient  recon- 
quérir ses  places  et  ravager  les  États  du  Roi ,  avec 
lequel  Monsieur  ne  s'accorderoit  jamais  qu'il  ne  le 
déclarât  son  beau-frère.  Les  prédictions  de  Tastro- 
logie  étoientde  la  partie,  qui  promettoient de  grands 
changemens  dans  l'Etat^  et,  suivant  ses  vaines  pensées, 
les  deux  tiers  de  son  armée ,  composée  d'étrangers, 
portoient  l'écharpe  rouge ,  qu'ils  estimoient  être  déjà 
la  marque  de  la  victoire  qu'elle  emporteroit  sur  la 
blanche  ; 

Que  toutes  ces  précipitations  marquoient  l'excès 
de  sa  mauvaise  volonté ,  qui  méritoit  être  réduite  à 
la  raison ,  puisqu'il  n'a  voit  pas  tenu  à  lui  qu'il  n'eût 
causé  de  grands  maux  à  cet  Etat,  et  n'y  tiendrait  non 
plus  à  l'avenir  si  on  ne  lui  en  ôtoit  le  moyen  ^ 

Qu'il  sembloit  qu'il  n'y  avoit  pas  beaucoup  à  craindre 
à  l'attaquer  de  vive  force  ; 

Que  cependant  la  naturelle  inclination  que  le  Roi 
avoit  de  demeurer  peu  en  un  lieu ,  et  la  crainte  que 
ceux  qui  lui  donnoient  des  conseils  dévoient  avoir 
qu'il  les  en  rendit  responsables,  si  l'événement  n'ëtûit 


DE   RICHELIEU.     [l633]  /^li 

bon,  ce  qu'il  étoit  didicile  de  faire  si  on  n'employoit 
le  temps  qu'il  falloit,  avec  le  soin  et  Tassiduité  pour 
les  faire  réussir,  faisoit  qu  on  estimoit  bien  à  propos, 
(levant  que  d'attaquer  ouvertement  ce  prince ,  de 
voir  si ,  sans  coup  frapper,  on  le  pouvoit  mettre  hors 
de  combat  par  autre  voie; 

Que  cette  affaire  se  pouvoit  terminer  ou  par  né- 
gociation ou  par  guerre  ; 

Qu'on  ne  pouvoit  faire  de  négociation  avec  cet 
homme  ,  si  on  ne  lui  ôtoit  tous  les  moyens  de  mal 
faire ,  et  si  par  icelle  on  ne  demeuroit  matîre  de  tout 
son  Etat,  puisqu'on  avoir  une  partie  en  dépôt n'avoit 
rien  servi  pour  Tempécher  de  continuer  ses  mauvais 
desseins  ; 

Que  l'importance  étoit  de  ne  perdre  pas  l'occasion 
qu'on  avoit  lors  d'en  acquérir  la  propriété  par  le  droit 
des  armes  justes  et  légitimes,  par  les  diverses  offenses 
({u'on  en  avoit  reçues,  pour  en  recevoir  par  négocia- 
tion un  simple  dépôt,  qui,  obligeant  à  restitution  dans 
c|uelque  temps  ,  ne  vidoit  pas  définitivement  les 
affaires. 

Pour  éviter  cet  inconvénient  il  n'y  avoit  qu*un 
moyen ,  qui  étoit  de  recevoir  Nancy  aux  condidons 
suivantes  : 

Pour  âtre  gardé  jusques  à  ce  qu'il  parût  au  Roi  que 
le  mariage ,  que  le  bruit  commun  publioit  être  entre 
Monsieur,  son  frère,  et  la  princesse  Marguerite ,  sœur 
du  duc ,  n'étoit  pas  fait  ainsi  que  ledit  duc  l'assuroit  ; 

Comme  aussi  jusqu'à  ce  que  les  troubles  d'Alle- 
magne fussent  pacifiés,  et  que  les  différends  qui  étoient 
entre  Sa  Majesté  et  le  duc  fussent  raisonnablement 
terminés.  Qu'à  ces  conditions  on  pourroit  recevoir 


4l4  [l633]   MÉMOIRES 

un  dépôt  et  non  autrement ,  étant  meillenr  de  prendre 
le  hasard  de  la  guerre  que  de  l'éviter  par  un  dépôt 
qui  n  eût  pas  les  avantages  susdits  *, 

Qu  il  n'importoit  pas  par  quelle  de  ces  deux  voies 
le  duc  fut  mis  hors  d'état  de  mal  faire  ;  mais  il  étoit 
certain  qu'il  étoit  du  tout  nécessaire  de  l'y  mettre  en 
ce  rencontre  où  il  étoit  fort  aisé  de  le  faire,  non- 
seulement  parce  que  ses  troupes  avoient  déjà  été 
défaites  par  les  Suédois ,  mais  en  outre  parce  que  tous 
ceux  qui  le  pouvoient  secourir  étoient  si  occupés  pour 
eux-mêmes,  qu'ils  ne  sauroient  penser  aux  affaires 
d'autrui  ; 

Joint  que  les  Hollandais  faisant  lors  un  grand  effort 
contre  les  Espagnols  en  Flandre,  et  les  protestans 
contre  la  maison  d'Autriche  en  Allemagne ,  le  tout 
avec  grande  apparence  de  succès ,  il  étoit  plus  que 
raisonnable  que  le  Roi  profitât  aussi  des  dépouilles 
de  cet  ennemi  déclaré ,  tant  parce  que  c^étoit  le  seul 
moyen  de  rompre  le  mariage  prétendu  de  Monsieur, 
que  Sa  Majesté  ne  pouvoit  souffrir  pour  beaucoup  de 
mauvaises  conséquences ,  que  parce  aussi  qu*il  étoit 
bien  juste  qu'il  s'ôtât  promptement  cette  épine  du 
pied ,  pour  être  au  printemps  qui  venoit  en  état  de 
.  prendre  part  à  la  ruine  de  la  maison  d'Autriche ,  si 
Dieu  permettoit  que  leur  déroute  continuât ,  vu  que 
si  le  Roi  souffroit  que  ses  voisins  profitassent  seuls 
d'une  si  riche  dépouille,  ils  seroient  ensuite  si  puissans 
que  la  France  les  pourroit  justement  craindre ,  ce  qai 
ne  seroit  pas ,  vu  qu'à  mesure  qu'ils  s'augmenleroient 
elle  s'augmenteroit  aussi. 

Pour  ces  raisons  le  Roi ,  sans  perdre  temps,  partit  de 
Château-Thierry  le  même  jour  que  le  cardinal  deLor* 


DR    HICHELIEU.    [l633]  4'^ 

raine  prit  son  chemin  par  Châlons ,  où  Sa  Majesté 
vit  la  princesse  Marie  que  la  Reine  y  avoit  amenée 
trAvenay,  et  arriva  lesSàSaint-Dizier,  oùSaMajesté 
trouva  ledit  cardinal  de  Lorraine,  qui,  outre  ce  qu'il 
avoit  avoué  au  voyage  précédent,  qu  il  y  avoit  eu  ua 
contrat  de  mariage  entre  Monsieur  et  sa  sœur,  et  que 
le  prêtre  y  avoit  passé,  auquel  il  en  avoit  donné  la 
permission,  ajouta  que  le  mariage  étoit consommé,  ce 
quil  avoit  toujours  nié  auparavant.  Et  néanmoins, 
ayant  avoué  cette  injure  que  son  frère  avoit  faite  au 
Roi,  il  ne  lui  offrit  autre  chose,  pour  la  satisfaction 
de  Sa  Majesté ,  que  ce  qu'il  lui  avoit  offert  le  voyage 
dernier.  Aussi  n'y  eut-il  autre  réponse  que  celle  qui 
lui  avoit  été  faite;  ce  que  le  cardinal  de  Lorraine 
voyant,  il  fit  dire  franchement  au  cardinal  de  Riche- 
lieu ,  et  par  après  lui  confirma  lui-même ,  que  s'il  vou- 
loit  lui  donner  sa  nièce,  madamede  Combalet ,  en  ma- 
riage ,  qu'il  y  avoit  déjà  long-temps  qu'il  lui  avoit  fait 
demander ,  le  duc  son  frère  et  lui  prendroient  assu- 
rancedela  restitution  de  Nancy  s'il  le  vouloit  déposer, 
et  qu  ainsi  le  Roi  pourroit  avoir  contentement.  Le  car- 
dinal répondit  qu'il  tenoità  faveur  la  pensée  qu'il.avoit 
de  la  recherche  de  sa  nièce,  qu'il  communiqueroit au 
Roi ,  à  qui  il  ne  celoit  chose  quelconque  qui  le  con- 
cernât, la  proposition  qu'il  lui  avoit  faite; 

Qu'il  s'assuroit  bien  que  Sa  Majesté  n'y  feroit  pas 
de  difliculté ,  mais  que  dès  cette  heure  il  pouvoit  bien 
répondre  que,  si  ledit  sieur  cardinal  de  Lorraine  af- 
fectionnoit  ses  intérêts,  il  se  dispenseroit  d'accepter 
l'honneur  qu'il  lui  faisoit  du  mariage  de  lui  et  de  sa 
nièce,  vu  que  s'il  l'acceptoit  chacun  diroit  qu'il  auroit 
porté  Sa  Majesté  à  cette  entreprise  pour  ce  mariage  ^ 


4l6  [l633]   MÉMOIRES 

Que  la  répulatioii  du  cardinal  d'Amboise  n^éloil  ps 
peu  ternie  dans  l'histoire  par  le  rapport  qu^elIe  faisoit 
<|u'une  des  principales  fins  qu  il  avoit  eues  dans  la 
guerre  dltalie  ëtoit  de  se  faire  pape;  que  le  cardinal 
de  Richelieu  avoit  toujours  eu  pour  principal  but  les 
affaires  de  sou  maître,  séparées  de  tous  intérêts  par- 
ticuliers ;  que  non-seulement  désiroit-il  continuer  en 
ce  dessein ,  mais ,  qui  plus  est ,  se  conduire  en  sorte 
qu'on  ne  pût  lui  imposer  le  contraire  ; 

Qu'il  falloit  contenter  le  Roi,  et  que  Sa  M^yeslé 
étant  satisfaite,  elle  verroit  elle-même  si  elle  jugeroit 
cette  alliance  proposée  utile  à  son  service,  auqnel 
cas  il  suivroit  ses  volontés  ;  mais  qu'en  façon  du 
monde  il  ne  pouvoit  s'y  engager  pour  les  considéra- 
tions représentées. 

Avec  cette  réponse  il  retourna  peu  satisfait  trouver 
encore  une  fois  son  frère  :  il  partit  le  ià/^  avec  an 
passe-port  qu'il  demanda  à  Sa  Majesté ,  pour  entrer 
et  sortir  de  Nancy  et  en  tirer  son  équipage.  Mais  en 
même  temps  qu'on  lui  eut  donné  ce  passe-port,  Sa 
Majesté,  de  peur  qu'il  en  abusât,  et  que  sous  ce  pré- 
texte.il  eût  dessein  d'en  faire  sortir  les  princesses  ses 
sœurs  et  belle-sœurs ,  écrivit  à  Saint-Chamont  qu'il 
prit  bien  garde  aux  personnes  qui  seroient  avec  ledit 
cardinal  dans  son  carrosse  quand  il  sortiroit  de  Nancy, 
et  si  la  princesse  Marguerite  ou  quelque  autre  y  se- 
roit  point  déguisée ,  auquel  cas  il  les  Ht  arrêter  et 
conduire  avec  tout  respect  et  honneur  à  Metz. 

Sa  Majesté  partit  encore  le  même  jour  pour  s'avan- 
cer à  Bar ,  et  auparavant  que  de  partir  résolut  le  siège 
ou  le  blocus  de  Nancy,  au  cas  qu'elle  ne  pût  porter  le 
duc  de  Lorraine  à  le  lui  mettre  en  dépôt  entre  les  mains. 


DE  KICUELIEU.   [l633]  4^7 

Le  cardinal ,  lui  remettant  de  nouveau  en  peu  de 
paroles  devant  les  yeux  les  actions  dudit  duc  qui  Fy 
obligeoient ,  dit  qu'il  avoit  reçu  par  trois  fois  dans  ses 
Ktats  Monsieur,  frère  du  Roi,  contre  le  gré  de  Sa 
Majesté,  sortant  mécontent  de  sa  cour  ^ 

Que  par  quatre  fois  il  avoit  armé  contre  la  France, 
étant  toujours  d'intelligence  avec  ses  ennemis,  pour 
tacher  de  troubler  la  prospérité  des  affaires  du  Roi  et 
le  repos  de  ses  États  : 

La  première,  pendant  le  siège  de  La  Rochelle, 
pour  agir  d'intelligence  avec  les  Anglais,  comme  la 
prise  et  les  dépêches  de  Montaigu  le  justifioient. 

La  seconde  eu  i63i,  ensuite  de  quoi  arriva  le  traité 
de  Vie. 

La  troisième,  lorsque  Monsieur  entra  en  France  par 
SCS  Klats,  et  ce  à  la  sollicitation  des  Impériaux-,  plu- 
sieurs dépêches  interceptées,  et  entre  autres  celles  de 
Deshayes  ,  faisant  voir  que  Walstein  promettoit  in- 
fanterie et  cavalerie  à  Monsieur ,  pour  joindre  aux 
troupes  de  M.  de  Lorraine  et  entrer  en  France. 

La  quatrième  présentement,  qu  il  avoit  attaqué  les 
Suédois  ,  que  ce  dernier  armement  avoit  été  fait  par 
intelligence  avec  le  duc  de  Feria ,  que  le  cardinal  de 
Lorraine  Ta  avoué  au  Roi ,  outre  que  les  avis  de  Milan 
apprennent  ouvertement  que  ledit  duc  de  Feria  avoit 
fait  tenir  de  Targent  en  Lorraine ,  afin  qu'y  trouvant 
une  juste  armée ,  ces  deux  forces  jointes  ensemble 
pussent  faire  effet,  non-seulement  en  Alsace  contre 
les  Suédois ,  mais  en  hVance  contre  le  Roi ,  sur  la 
])résupposition  et  fattente  qu'on  avoit  de  la  trêve 
de  Hollande.  Bien  que  par  deux  traités  qu'il  avoit  faits 
avec  le  Roi  il  eût  consigné  es  mains  de  Sa  Majesté 

T.     'l-j.  9.'J 


4l8  [l633J    MÉMOIRES 

quatre  de  ses  meilleures  places,  qui  valent  la  moitié 
de  son  État,  pour  caution  de  sa  foi,  la  mauvaise  volonté 
qu'il  avoit  étoit  si  invétérée ,  et  rengagement  auquel 
il  étoit  avec  les  ennemis  du  Roi  étoit  si  fort,  qu'il 
n'avoit  pas  laissé  de  continuer  à  agir  contre  lesdits 
traités,  bien  que  la  rupture  d'iceux  lui  fît  clairement 
perdre  la  propriété  desdites  places ,  qu*il  avoit  consi- 
gnées entre  les  mains  du  Roi; 

Qu'il  ne  se  contentoit  pas  d'attaquer,  au  préjudice 
des  susdits  traités,  les  alliés  du  Roi,  mais  il  leur  faisoit 
dire  ouvertement  qu'il  le  faisoit  du  consentement  de 
Sa  Majesté ,  pour  lui  faire  perdre  sa  réputation  et  ses 
amis  tout  ensemble; 

Qu'il  avoit  marié  sa  sœur  avec  Monsieur,  frère  du 
Roi ,  non-seulementjsans  le  consentement  de  Sa  Ma- 
jesté, mais  contre  sa  volonté  expresse,  dont  il  sembloit 
avoir  recherché  le  consentement  pour  l'oflenser  plus 
ouvertement; 

Qu'il  ne  s'éloit  pas  contenté  de  faire  faire  diverses 
instances  par  le  sieur  de  Chanvalon ,  son  agent  ordi- 
naire auprès  du  Roi ,  pour  avoir  la  permission  de  ce 
mariage  ;  mais  il  y  avoit  envoyé  expressément  le  se- 
crétaire Dupré  et  le  vieux  Couvonge ,  protestant  qu'il 
aimeroit  mieux  mourir  que  de  penser  à  une  telle 
entreprise  sans  le  gré  de  Sa  Majesté  ;  et  cependant , 
après  en  avoir  défense  expresse,  et  déclaration  du 
Roi  qu'il  tiendroit  à  offense   très  -  particulière  s'il 
passoit  outre  ,  il  avoit  hardiment  violé  sa  parole, 
ses  sermens  et  son  devoir,  et  qui  plus  est  le  droit 
d'hospitalité ,  en  ce  que  ce  mariage  ne  pouvoit  être 
prétendu  fait  que  par  le  rapt  d'un  prince  mineur, 
retiré  dans  ses  États  contre  le  gré  du  Roi ,  qui  lui 


DE    K1CUEL1£U.    [l633J  4(9 

tenoit  lieu  non-seulement  de  tuteur,  mais  de  père; 
Qu  après  avoir  plusieurs  fois  juré  au  Roi  dans  Yic 
et  dans  Metz  que  ce  mariage  n*étoit  point  &it,  et  qu'il 
n'étoit  pas  assez  fou  pour  entreprendre  une  telle  af- 
faire sans  la  volonté  de  Sa  Majesté,  le  cardinal  de 
Lorraine  avoi t  déclaré  ouvertement  à  Chiteau-Thierry 
que  ce  mariage  étoit  fait,  quoique  lui-même  dans 
Pont-à-Mou^son  et  dans  Metz  Teût  plusieurs  fois 

nié; 

Qu'au  même  temps  que  ledit  cardinal  faisoit  cette 
déclaration ,  Delbène  vint  de  la  part  de  Monsieur  ou- 
vcrlemcnt  faire  la  même  chose,  et  y  demander  rap*» 
probation  du  Roi; 

(^)u\iu  même  temps  Puylaurens  juroit  et  protestoit 
que  son  maître  régneroit  un  jour  comme  le  Roi,  et 
que  lors  il  extermineroit  tous  ceux  qui  s'opposoient 
maintenant  à  sa  grandeur,  sans  que  rien  le  put  ga- 
rantir; 

(^uc  la  question  n'étoit  pas  maintenant  s'il  falloit 
dissimuler  telles  offenses ,  parce  qu'étant  faites  au  vu 
et  au  su  de  tout  le  monde,  il  étoit  impossible  de  le 
faire;  mais  si,  étant  connues  de  toute  la  chrétienté , 
il  les  falloit  souffrir  sans  ressentiment; 

(^u  il  y  avoit  beaucoup  à  dire  de  part  et  d'antre; 

(^nï\  sembloit  d'un  côté  qu'il  n'y  avoit  pas  d'appa- 
rence d*attaquer  M.  de  Lorraine ,  si  on  ne  se  résolvoit 
de  le  ruiner  tout-à-fait; 

Que  sa  ruine  entière  étoit  difficile  à  cause  que 
Nancy  étoit  une  grande  place  régulièrement  fortifiée, 
(\\\i  ne  pouvoit  être  attaquée  de  force  maintenant,  la 
saison  étant  trop  avancée ,  ni  emportée  par  blocus 
(|u'avee  beaucoup  de  temps  ordinaire  en  telles  occa- 

27. 


4^0  \  [l633]   MÉMOIRES 

sions  ;  que  pendant  sept  ou  huit  mois  quHl  falloit  pré- 
supposer pour  ce  blocus,  il  pouvoit  arriver  beaucoup 
de  choses  qui  rendroient  révënement  de  cette  entre- 
prise mauvais  ^ 

Qu'où  la  paix  se  pouvoit  faire  en  Allemagne ,  ou 
la  trêve  en  Flandre ,  ou  les  Espagnols  pouvoient  em- 
ployer leurs  forces  à  faire  quelque  notable  diversion 
en  Italie ,  ce  qui  étoit  le  plus  vraisemblable  9 

Qu'il  falloit  avoir  pour  cette  entreprise  vingt  mille 
hommes  de  pied  perpétuellement  eflectifs  et  trois 
mille  chevaux  au  blocus ,  et  six  mille  hommes  de  pied 
et  huit  cents  chevaux  auprès  du  Roi  ; 

Que  pour  entretenir  réellement  ce  nombre  de  gens 
de  guerre ,  quelque  ménage  que  Ton  fit ,  et  quelque 
ordre  qu'on  y  pût  apporter,  il  en  faudroit  payer  beau- 
coup davantage  j  outre  que  si  la  guerre  étoit  en  Italie 
on  seroit  contraint  d'y  envoyer  pour  le  moins  dix 
mille  hommes  de  pied  et  mille  à  douze  cents  chevaux; 
et  ainsi  on  pourroit  dire  qu'on  entreprenoit  un  dessein 
qui  assurément  épuiseroit  une  partie  des  finances  da 
Roi,  sans  que  l'effet  qu'on  s'en  proposoit  fût  infaillible  -, 

Que^  d'autre  part ,  il  étoit  à  considérer  qu'en  ma- 
tière d'Etat  et  de  grands  princes,  supporter  une  injure 
«ans  en  tirer  raison  étoit  en  attirer  une  autre  9 

Que  la  réputation  étoit  ce  qui  maintenoit  le  plus 
les  princes ,  et  que  qui  déchoit  une  fois  en  ce  genre , 
faisoit  comme  ceux  qui ,  ayant  bronché  par  mégarde 
au  haut  d'un  degré ,  tomboient  par  nécessité  jusqu^en 
bas^ 

Que  l'argent  étoit  inutile  aux  rois  s'ils  ne  s^en  ser- 
voient  aux  occasions  nécessaires  et  à  leur  réputation 
et  à  leur  grandeur  ;  et  que  fermer  les  yeux  à  la  dépense 


DE  BICHELIEU.    [l633]  $21 

en  certaines  occasions,  étoit  le  meilleur  ménage  qu'on 
put  faire  à  leur  avantage^ 

Qu'au  reste  un  million  d'or  de  dépense  extraordi- 
naire pouvoit  suffire  aux  frais  de  cette  entreprise ,  ce 
qui  nelaisseroitpasde  laisser  les  cofirei^  Roi  pleins; 
({ue  jamais  le  temps  ne  fut  meilleur  pour  un  tel 
dessein  ^ 

Que  la  guerre  étoit  trop  allumée  en  Allemagne  pour 
(|uc  Icfeu  en  pût  être  éteint  devant  qu'on  eût  le  temps 
de  ruiner  le  duc  de  Lorraine  ; 

Que  la  saison  étant  avancée  comme  elle  étoit,  les 
Espagnols,  qui  n'estimoient  plus  rien  avoir  à  craindre 
des  armes  des  Hollandais  cette  année ,  n'avoient  garde 
de  se  précipiter  à  la  trêve,  qui  apparemment,  quand 
elle  devroit  être,  tralneroit  jusqu'à  Tété  qui  venoi^; 
ou  le  péril  d'une  nouvelle  attaque  étoit  seul  capable 
de  les  faire  résoudre  aux  conditions  désirées  par  les 
Hollandais  si  le  mauvais  état  de  leurs  affaires  d*Alle- 
mngne  les  y  contraignoit  ;  outre  que  nous  savions 
certainement  que  llnfante  n'avoit  pas  pouvoir  d'ac- 
corder aux  Hollandais  les  conditions  qu'ils  désiroient 
pour  faire  la  trêve,  et  que  quand  même  le  roi  d'Es- 
pagne y  voudroit consentir,  cette  année  seroit  écoulée 
devant  que  ses  ordres  pussent  être  reçus  en  Flandre  ; 

Qu'il  n'y  avoit  point  de  grandes  entreprises  qui 
n'oussentleurs  difficultés  ;  mais  qu'iln'y  en  avoit  point 
de  la  nature  de  celle  qui  se  proposoit  qui  en  eût  si 
peu ,  vu  (|ue  le  prince  à  qui  on  avoit  affaire  ne  pou- 
voit de  soi-même  mettre  aucunes  forces  qui  fissent 
tête  en  campagne,  et  que  ses  alliés  de  qui  il  pou- 
voit espérer  du  secours  étoient  si  occupés  pour  eux  , 
({u  ils  avoient  peu  de  moyens  de  penser  à  autrui  ; 


421  [l633]   MÉMOniES 

joint  qu'ils  étoient  si  perdus  de  réputation  et  deforces, 
que ,  quand  ils  le  voudroient£aire,  ils  ne  pourroient 
pas  faire  grand  effet  ; 

Que  tant  que  M.  de  Lorraine  subsisteroit  en  l'état 
auquel  il  étoit  >  il  n'auroit  autre  dessein  que  de  se 
maintenir  a^R  l'Empereur  et  l'Espagne ,  dont  rien 
ne  l'avoit  pu  détacher ,  et  attendre  l'occasion  que  tous 
ensemble  aient  moyen  de  faire  mal  à  la  France  por- 
tant la  guerre  en  ses  entrailles  ] 

Que  si  on  ne  le  ruinoit  le  mariage  de  Monsieur 
subsisteroit  indubitablement ,  d'où  il  falloit  attendre 
une  perpétuelle  guerre ,  et  faire  état  d'être  toujours 
sur  ses  gardes  pour  se  garantir ,  non-seulement  des 
voies  de  force  dont  on  ne  perdroit  pas  les  occasions 
si  elles  se  présentoient  »  mais  de  toutes  celles  que  la 
ruse  et  la  malice  pourroient  inventer  contre  le  repos 
du  Roi,  dont  le  règne  seroit  insupportable  à  une 
maison  qui  avoit  déjà  interrompu  celui  de  quelques- 
uns  de  ses  prédécesseurs  ; 

Que  si  au  contraire  on  dépouilloit  ledit  duc  ,  le 
mariage  s'en  iroit  à  vau-l'eau  par  ce  moyen,  étaql 
certain  qu'outre  que  Puylaurens  faisoit  connoitre  soos 
main  par  Delbëne  qu'il  ne  seroit  pas  fiché  que  le  dnc 
fût  en  cet  état  pour  avoir  lieu  de  contenter  le  Roi  en 
un  autre  mariage  pour  Monsieur ,  ce  seigneur  ëtoit 
trop  intéressé,  et  Monsieur  trop  indifférent  à  toutes 
choses ,  pour  l'affermir  à  un  mariage  dont  il  ne  pour- 
roit  retirer  aucun  avantage ,  et  qui  au  contraire  lui 
seroit  à  grande  charge  \ 

Que  par  ce  moyen  Monsieur  seroit  en  état  qu'on 
pourroit  espérer  sa  réconciliation  avec  le  Roi ,  par 
un  mariage  agréable  à  Sa  Majesté  ^  au  lieu  que  si 


DE    RICHELIEU.    [l633]  4^^ 

celui  de  Lorraine  subsistoit,  la  rupture  qui  ëtoit 
présentement  entre  Monsieur  et  le  Roi  seroit  perpé- 
tuelle, si  ce  n'ëtoit  qu'on  voulût  se  hasarder  à  d'autres 
remèdes  qui  pouvoient  réussir ,  mais  dont  les  évëne- 
mens  pouvoient  aussi  être  pires  que  ^  mal,  en  ce 
qu'ils  consistoient  à  agréer  le  mariage  ,^  remettre  à 
M.  de  Lorraine  les  places  qu'il  avoit  données  au  Roi 
on  dépôt ,  et  dont  la  propriété  lui  étoit  maintenant 
acquise  par  son  infidélité; 

(^)u  il  y  avoit  encore  k  considérer  que  si  la  guerre 
d'Allemagne  et  de  Flandre  se  continuoit  avec  un  tel 
succès  que  la  déroute  de  la  maisoH  d'Autriche  s'en 
ensuivit ,  le  parti  protestant  seroit  si  puissant  par 
après ,  que  si ,  pendant  qu'ils  feroient  leurs  progrès  y 
nous  n'en  faisions  aussi,  nous  ne  serions  plus  consi- 
dérables pour  résister  à  telles  puissances ,  plus  ca- 
pables de  se  bien  entendre  entre  eux  à  cause  de  leur 
religion  qu'avec  nous  ; 

Ai^  lieu  que  si  on  prenoit  cet  hiver  la  Lorraine ^ 
on  pourroit  insensiblement  étendre  les  bornes  de  la 
France  jusqu'au  Rhin,  et  être  en  état  par  après  de 
prendre  part  à  la  Flandre,  si  par  un  soulèvement 
général  ou  débris  manifeste  des  affaires  d'Espagne  ^ 
on  voyoit  au  printemps  qu'il  y  eût  occasion  de  le  faire; 

(^ue  pour  conclusion ,  après  avoir  balancé  toutes 
les  raisons  de  part  et  d'autre,  il  estimoit  que  le  Roi 
étoit  contraint  de  tirer  raison  des  offenses  qu'il  avoit 
reçues  dn  duc  de  Lorraine  : 

Que  s'il  ne  le  faisoit  il  décherroit  de  sa  réputation, 
et  seroit  bien  moins  redouté  de  ses  ennemis,  et  moins 
considéré  de  ses  amis  ; 

(^)u'il  auroit  plus  à  craindre  de  mauvais  événement 


4a4  [l633]   MÉMOIRES 

à  Tavenir ,  pour  n'avoir  pas  fait  un  tel  dessein ,  qu'il 
ne  lui  en  pouvoit  arriver  à  l'entreprendre; 

Que ,  soit  que  la  trêve  de  Flandre  se  fit  ou  ne 
se  fit  pas,  il  falloit  entrer  en  armes  en  Lorraine-, 
mais  avec  cette  différence  que  si  elle  ne  se  faisoit 
pas ,  il  falloff  attaquer  Nancy ,  dont  la  prise  seroit 
peut-ôtre  plus  aisée  qu'on  ne  la  devoit  juger  par  rai- 
son ,  que  le  maître  de  la  place  ne  suivit  jamais.  Au 
lieu  que  si  la  trêve  se  concluoit ,  qu'on  jugeoit  qu  il 
y  eût  beaucoup  de  diflicultés ,  et  qu'il  fallût  beaucoup 
de  temps  pour  prendre  Nancy,  il  se  falloit  contenter 
de  prendre  le  reste  du  pays  et  des  places  dudit  duc, 
ce  qui  ruineroit  toujours  ce  prince,  et  seroit  un  autre 
blocus  de  Nancy,  qui  avec  le  temps  auroit  de  la  peine 
à  subsister ,  le  reste  du  pays  lui  étant  ennemi. 

De  plus ,  que  Nancy  étoit  un  des  meilleurs  boule- 
vards que  nous  saurions  avoir  contre  TEspagne  et 
contre  l'Empereur ,  quand  la  trêve  et  la  paix  d'AUe* 
magne  se  feroient ,  tant  parce  que  si  on  ëtoit  une 
fois  maître  de  cette  place ,  on  seroit  délivre  des  ap- 
préhensions que  le  duc  de  Lorraine ,  dont  le  cœur 
est  irréconciliable,  agit  contre  nous  ,  que  parce  que 
cette  place  étoit  capable  d'arrêter  les  ennemis  du  liai 
du  côté  de  l'Allemagne  des  années  entières ,  beau- 
coup mieux  que  Metz  ne  fit  autrefois  l'empereur 
Charles-Quint. 

Ensuite  que  les  princes  n'étoient  pas  responsables 
des  événemens,  mais  qu'ils  étoient  obligés  de  ne  rien 
faire  qui  ne  fût  digne  d'eux,  et  partant,  que  quand 
même  un  tel  dessein  ne  devroit  pas  être  tel  qu'on  le 
pouvoit  désirer ,  le  Roi  ne  sauroit  être  blâmé  de 
l'entreprendre  j  ains  il  le  devroit  être  de  ne  le  faire 


DB   RICHELIEU:    [l633]  ^^5 

* 

pas,  puisque  son  honneur  et  les  considérations  du  bien 
de  son  Etat  Ty  obligeoient. 

Enfin  que  cette  entreprise  ne  sauroit  avoir  aucune 
fin  qui  ne  fût  meilleure  que  de  demeurer  les  bras 
croisés. 

Le  Roi  étant  arrivé  à  Bar,  y  laissa  la  Reine  et  les 
princesses  pour  quelque  temps  ,  à  cause  des  mauvais 
logemens  qu  elles  eussent  rencontrés  si  elles  eussent 
été  obligées  d'accompagner  Sa  Majesté*,  et  après  y 
avoir  éLibli  un  gouverneur  et  laissé  garnison,  elle 
en  partit  le  26,  auquel  jour  le  régiment  de  Florin- 
ville  ,  qui  se  voulut  jeter  dans  Nancy,  fut  défait  par 
quelques  troupes  du  Roi  que  Saint-Cbamont  avoit 
envoyées  pour  le  reconnoitre,  et  qui  en  prirent  plu- 
sieurs prisonniers. 

Le  Roi  arriva  le  28  à  Pont-à-Mousson ,  où  le  car- 
dinal de  Lorraine  se  rendit  incontinent,  et  offrit  à 
Sa  Majesté ,  pour  sûreté  des  intentions^du  duc  son 
frère  ,  le  dépôt  de  La  Motte ,  outre  Saverne  et  Dach- 
stein  ,  qu'il  avoit  déjà  offertes,  et  de  mettre  la  prin- 
cesse Marguerite  entre  ses  mains. 

Le  Roi  accepta  le  dépôt  de  la  princesse  Marguerite, 
et  refusa  celui  desdites  places  comme  lui  étant  inu- 
tiles, vu  qu'il  ne  désiroit  Nancy  que  pour  tenir  en 
bride  ledit  sieur  duc  ;  à  quoi  Saverne  ni  La  Motte 
étoienl  du  tout  inutiles,  puisque  les  quatre  autres 
qu'il  avoit  entre  les  mains  ne  l'avoient  pas  retenu. 
Après  plusieurs  discours,  on  lui  fit  connoitre  claire- 
ment que  rien  ne  pouvoit  contenter  le  Roi  que  le 
dépôt  de  la  princesse  Marguerite  et  celui  de  Nancy. 

Il  assura  qu  il  avoit  laissé  expressément  la  princesse 
à  Kancy  pour  la  pouvoir  mettre  entre  les  mains  du 


4^6  [l633]   MÉMOIRES 

Roi  ;  que  s'il  plaisoit  à  Sa  Majesté ,  il  iroît  saToir  h 
dernière  volonté  du  duc  son  frère ,  et  reviendroit 
promptement  lui  en  rendre  compte  -,  cependant  qu'il 
le  supplioit  lui  permettre  de  faire  sortir  son  équipage 
de  Nancy ,  où  il  iroit  coucher  expressément ,  parce 
que  si  son  frère  ne  vouloit  contenter  le  Roi  »  comme 
il  Ty  persuaderont  autant  qu'il  luiseroit  possible,  il 
désiroit  venir  demeurer  en  France,  pour  témoigner 
qu'il  s'attachoit  de  cœur  et  d'affection  au  Roi,  poor 
dépendre  absolument  de  ses  volontés. 

Il  proposa  aussi  au  cardinal  que ,  puisqu'il  étoit  si 
malheareux  qae  le  Roi  ne  pouvoit  prendre  confiance 
en  lui ,  il  étoit  résolu ,  si  Sa  Majesté  Tavoit  agréable, 
de  remettre  entièrement  ses  Etats  à  lui  cardinal  son 
frère,  et  qu'il  espéroit  que  Sa  Majesté,  considérant 
sa  conduite,  s'assureroit  en  la  parole  quUl  lui  donne- 
roi  t  de  demgirer  toujours  dans  son  service ,  sans 
contrevenir isn'aucune  sorte  aux  traités  faits  avec  Si 
Majesté,  qui  ne  pouvoit  recevoir  une  plus  grande 
satisfaction  de  la  part  dudit.duc,  que  de  voir  qu'il 
se  mit  en  état  de  particulier  en  se  dépouillant  de  sa 
qualité  de  souverain. 

Le  cardinal  lui  repartit  que  ,  quant  à  la  cession  et 
remise  des  états  de  Lorraine,  il  croyoit  que  le  Roi 
ne  détourneroit  point  le  duc  son  frère  de  lui  remettre 
et  céder  son  Etat ,  et  qu'il  avoit  sujet  de  désirer  de 
l'en  voir  en  possession ,  ses  actions  passées  donnant 
occasion  de  croire  que  sa  conduite  vers  là  France 
seroit  telle  que  Sa  Majesté  en  auroit  tout  contente- 
ment-, mais  que  ce  u'étoit  remédier  au  mal,  d'autant 
que  le  duc  pourroit  s'en  repentir  et  désirer  de  rentrer 
dans  ses  Etats,  ce  qui  lui  seroit  facile  en  reprenant 


DE    RICHELIEU.    [l633]  4^7 

Nancy  lorsqu'il  verroit  Sa  Majesté  engagée  en  quel- 
que entreprise  d'importance  ,  et  qu'ainsi  rien  ne 
pouvoit  assurer  le  Roi  que  le  dépôt  dudit  Nancy. 

Le  29,  Sa  Majesté,  après  avoir  établi  i  Pont-à- 
Mousson  M.  de  Yaranes  pour  gouverneur  de  la  ville, 
avec  une  garnison  de  cinq  cents  hommes ,  en  partit  et 
alla  coucher  le  lendemain  à  Saint-Nicolas ,  où  étant, 
elle  apprit  que  ledit  sieur  cardinal  de  Lorraine  n'avoit 
demandé  cette  permission  d'aller  à  Nancy  et  en  sortir 
avec  son  équipage ,  que  pour  en  tirer  la  princesse 
Marguerite,  ce  qu'il  fit,  l'ayant  déguisée  en  homme 
et  menée  avec  lui  dans  son  carrosse. 

Cette  nouvelle  étonna  d'autant  plus  qu'on  ne  l'eût 
jamais  crue  pour  deux  raisons  : 

La  première,  que  le  prince  faisoit  profession  d'une 
sincérité  vierge  et  non  entamée;  qu'il  blâmoit  ou- 
vertement sou  frère  du  peu  de  franchise  qu'il  avoit 
en  son  procédé;  qu'il  avoit  déclaré  ouvertement 
c)u'il  avoit  laissé  expressément  la  princesse  dans 
Nancy  pour  contenter  le  Rai  sur  ce  sujet. 

L'autre,  qu'au  même  temps  que  Sa  Majesté  avoit 
accordé  passe-port  audit  cardinal  pour  entrer  et  sortir 
clans  Nancy ,  sur  le  soupçon  qu'elle  eut  de  ce  qui 
arriva,  il  fit  écrire  au  sieur  de  Saint-Chamont,  en 
termes  exprès ,  qu'il  prit  garde  dans  tous  les  car- 
rosses qui  sortiroient  avec  ledit  cardinal ,  que  la 
princesse  n'y  fût  déguisée  ;  ce  qui  fut  si  mal  exécuté 
par  ledit  Saint-Chamont,  qu'il  laissa  sortir  ledit  sieur 
cardinal  un  matin  devant  qu'être  levé,  sans  faire 
visiter  son  carrosse  ,  qu'il  devoit  bien  visiter  lui- 
même  pour  l'importance  de  l'affaire  et  l'ordre  exprès 
qu  il  en  avoit  reçu. 


4^8  [l633]   MÉMOIRES 

Le  cardinal  ayant  mis  sa  sœur  hors  de  la  ville, 
ailla  trouver  son  frère,  et  revint  trouver  le  Roi ,  trois 
jours  après ,  à  La  Neufville* 

Il  avoua  lors  qu'il  avoit  fait  sortir  ladite  princesse 
sa  sœur  hors  de  Nancy  ,  mais  qu'elle  ëtoit  dans  les 
Etats  du  duc ,  en  lieu  où  ils  en  pouvoient  disposer. 

Cependant  on  apprit  le  lendemain  qu'elle  avoit 
passé  à  Thionville  et  étoit  allée  en  Flandre ,  en  qaoi 
ledit  sieur  cardinal  fit  semblant  d'avoir  ëtë  grande- 
ment trompé. 

Sa  Majesté,  dès  auparavant  qu'elle  fût  arrivée 
audit  La  Neufville,  étant  encore  à  Saint«-Nicolas , 
envoya  le  marquis  de  Sourdis  y  maréchal  de  camp , 
avec  cinq  cents  chevaux ,  pour  reconnoitre  Lnné- 
viile,  qui  ouvrit  ses  portes  et  reçut  garnison  de  huit 
cents  hommes. 

Le  même  jour  les  châteaux  de  Coudé ,  La  Chaussée, 
Trognon ,  Malatour ,  Parquy  etBouconville  y  se  rendi- 
rent aussi  et  reçurent  garnison,  et  Sa  Majesté  donni 
audience  au  résident  de  Suède ,  qui  lui  demanda  raisoa 
des  injures  qu  ils  avoient  reçues  du  duc  de  Lorraine, 
et  aux  ambassadeurs  que  l'électeur  de  Cologne  avoit 
envoyés  vers  elle  pour  lui  demander  sa  protection. 

Dès  qu'elle  fut  arrivée  à  Saint-Nicolas  ,  elle  envoya 
rompre  tous  les  quais  et  ponts  de  la  Moselle  an-dessus 
de  Pont-à-Mousson,  et  ayant  résolu  le  siège  deNancj, 
donna  tous  les  ordres  pour  les  logemens,  et  après 
avoir  reconnu  l'assiette  de  la  place  ,  tint  conseil  sor 
le  sujet  de  la  circonvallalion ,  laquelle  plusieurs  pro- 
posoient  devoir  être  très-ample ,  pour  enceindre  toQS 
les  lieux  éminens  doù  un  secours  s  y  logeant  eût  pu 
incommoder  Tarmce  de  Sa  Majesté  occupée  à  ce  siège. 


DE   BICHBLIEU.    [l633]  4^9 

Le  cardinal  au  contraire  dit  à  Sa  Majesté  qu'il 
croyoit  quil  falloit  faire  la  circonvallation  la  plus 
serrée  qu'il  se  pourroit,  pourvu  que  les  lignes  fus- 
sent à  couvert  du  canon  ; 

Que  du  côte  que  les  ennemis  pouvoient  venir  en 
ordre  de  bataille ,  il  ëtoit  important  qu'il  y  eut  des 
places  d  armes  derrière  les  retranchemens.  Mais  du 
côlé  où  à  cause  des  bois  les  ennemis  ne  pouvoieni 
venir  en  bataille ,  pourvu  que  le  derrière  des  lignes 
fut  à  couvert  du  canon,  il  n'importoit  pas  qu'il  y  eûl 
des  places  qui  le  fussent ,  parce  que  comme  l'attaque 
de  voit  être  moindre,  bien  que  la  défense  ne  fût  pas 
si  forte,  elle  seroit  suffisante;  joint  qu'il  ne  se  trouve- 
roi  t  point  de  lieu  auquel  on  pût  attaquer  avec  grand 
effort ,  proche  duquel  au  dedans  des  lignes  qu'il  fal- 
loit faire  il  ne  se  trouvât,  ou  quelque  maison  ou 
quel(}uc  bois ,  ou  quelque  pente,  qui  donneroit  com- 
modité de  mettre  des  escadrons  entiers  à  couvçrtdu 
canon  *,  ce  qui  faisoit  qu'ils  seroient  en  état  de  défendre 
le  lieu  attaqué  si  l'eflbrt  des  ennemis  avoit  une  fois 
forcé  la  ligne,  parce  qu'en  ce  cas  le  canon  de  la  ville 
ne  pourroit  plus  jouer  contre  nous  sans  faire  un  pa- 
reil effet  contre  le  secours. 

Qu'ainsi  il  ne  pensoit  pas  qu'il  fallût  prendre  la  plu- 
part des  éminences  des  montagnes,  qui  obligeroit  à 
une  circonvallation  si  grande ,  qu'il  faudroit  pour  le 
moins  vingt  mille  bommes  et  deux  mille  chevaux 
pour  garder  lesdits  retranchemens;  qui  feroit  que  le 
Roi  ne  sauroit  avoir  aucunes  forces  au  dehors,  et 
par  conséquent  que  si  les  ennemis  vouloient  entrer 
en  France  pour  faire  diversion ,  ils  le  pourroient  faire 
impunément  ; 


43o  [l633]    HÉMOIBES 

Qu'il  y  avoit  plus ,  que  celle  grande  ciroonvaillation 
ne  sauroit  élre ,  quoi  qu'on  voulût  dire  ou  faire,  en 
bonne  défense  de  trois  mois,  et  c'étoil  le  seul  temps 
auquel  ceux  qui  pourroient  vouloir  secourir  la  place 
auroient  commodilë  de  le  faire ,  parce  que ,  quand 
même  la  guerre  étoit  la  plus  forle  entre  les  Espagnols 
et  les  Hollandais,  ils  meltoient  leur  armée  en  garnison 
vers  la  un  d'octobre  ^  en  ce  cas  les  Espagnols  pour- 
roient faire  un  corps  considérable  dans  le  Luxem- 
bourg et  tenter  quelque  effet  «  d'autant  plus  fiicile- 
ment  qu'ils  trpuveroient  toute  la  circonvallation  im- 
parfaite ,  et  toute  l'armée  du  Roi  obligée  à  la  garder. 

Au  lieu  que  si  la  circonvallation  se  (aisoit  serrée 
comme  il  le  proposoit ,  elle  seroit  faite  et  parfaite 
dans  un  mois;  il  ne  faudroit  que  huit  mille  hommes 
et  cinq  cents  chevaux  pour  la  garder. 

Le  Roi  auroit  vingt  mille  hommes  de  pied  et  trois 
mille  chevaux  libres  pour  s'opposer  aux  ennemis ,  et 
par  ce  moyen  n'oseroient  entrer  en  France ,  ni  rien 
tenter  de  considérable ,  pource  que  s'ils  étoient  une 
fois  battus  les  Pays-Bas  seroient  perdus  -, 

Que  si  l'on  disoit  que  le  canon  de  Témioence  des 
montagnes  nuiroit  beaucoup ,  pour  son  particulier  il 
n'en  faisoit  pas  grand  compte ,  tant  parce  qu^aux  lieux 
les  plus  dangereux  on  ne  sauroit  aller  en  ordre  de 
bataille,  que  parce  que  ce  canon-là  ne  sauroit  battre 
les  lignes  en  batterie ,  pour  en  être  trop  éloignées,  et 
battre  de  haut  en  bas*,  ce  qui  faisoit  que,  devant 
qu'on  pût  entreprendre  de  forcer  lesdites  lignes ,  il 
faudroit  descendre  du  canon  au  niveau  et  venir  par 
tranchées,  ce  qui  étoit  plus  difficile  en  venant  de 
haut  en  bas,  pource  qu'on  est  toujours  vu. 


I 
\ 


DE   RICHELIEU.    [l633]  4^1 

Il  ajoutoit  que ,  quand  le  retranchement  seroit  tout 
tait,  ce  qui  seroit  en  peu  de  temps,  on  auroit  loisir 
de  considérer  les  lieuz  seuls  par  où  les  ennemis 
|)Ourroient  faire  effort  du  côtëde  la  montagne ,  auquel 
cas,  si  on  vouloit,  on  feroit  quelque  fort -,  mais  pea 
de  temps,  peu  d'argent,  peu  d'hommes  pour  garder 
la  circonvallation,  et  beaucoup  de  liberté  et  de  forces 
pour  empêcher  qu'on  ne  Tattaquât  ni  qu'on  pût  faire 
aucune  diversion,  lui  faisant  conclure  k  la  faire  la 
plus  serrde  qui  se  pourroit  aux  conditions  susdites. 
Sa  Majesté  incontinent  prit  la  peine  de  désigner  la 
circonvallation  avec  tous  les  forts  qu'elle  traça  elle- 
même. 
Le  cardinal  de  Lorraine  lui  proposa  premièrement  ^ 

le  remettre  la  ville  neuve  de  Nancy  entre  les  mains-, à  ' 
quoi  voyant  que  Sa  Majesté  ne  vouloit  entendre ,  enfin 

I  fit  et  signa,  le  6  septembre ,  un  traité  par  lequel  le  Roi 
se  plaignant  des  contraventions  du  duc  de  Lorraine  à 
tous  les  traités  faits  avec  lui  Tan  i63i  et  1682,  et  ledit 
duc  suppliant  Sa  Majesté ,  par  le  cardinal  de  Lorraine 
son  firrc.* ,  de  lui  remettre  tous  les  manquemens  arri« 
vés ,  et  lui  offrant  toute  la  satisfaction  qu'elle  pouvoit 
désirer  pour  telles  fautes ,  il  fut  arrêté  entre  le  car- 
dinal de  la  part  du  Roi ,  et  le  cardinal  de  Lorraine 
fondé  en  pouvoir  du  duc  son  frère ,  que  ledit  duc  re- 
noncoit  de  nouveau  à  toutes  les  alliances  contraires 
à  celles  de  la  France,  protestoit  n'avoir  plus  à  l'ave- 
nir aucunes  intelligences  préjudiciables  au  Roi,  nom- 
mément avec  la  maison  d'Autriche,  soit  en  Allemagne, 
soit  en  Espagne,  ni  avec  quelques  narticuliers  que 
(  e  pût  être  qui  fussent  hors  de  l'obéissance  et  de  la 
L;race  de  Sa  Majesté ,  qu'il  vouloit  à  l'avenir  servir 


( 


I 


432  [l633]   MÉMOIRES 

envers  tous  et  contre  tous  sans  exception  quelconque; 
et  que  la  ville  de  Nancy  seroit  déposée  entre  les  mains 
du  Roi  dans  trois  jours ,  pour  y  demeurer  avec  telle 
garnison  qu'il  lui  plairoit  y  mettre ,  jusqu^à  ce  que  la 
bonne  conduite  dudit  sieur  duc  ou  la  pacification  des 
troubles  d'Allemagne  ôtât  lieu  d'appréhender  pa- 
reilles menées  et  entreprises  à  celles  qu^il  avoit  fûtes 
contre  le  Roi  et  ses  alliés  \ 

Que  le  mariage  prétendu  de  la  princesse  Margue- 
rite sa  sœur  seroit  déclaré  nul  par  voies  légitimes  et 
valables ,  pour  à  quoi  parvenir  ladite  princesse  Mar- 
guerite seroit  mise  dans  quinze  jours  entre  les  mains 
du  Roi,  qui  trouvoit  bon  qu  elle  demeurât  dans  Nancy, 
où  plus  facilement  on  pourroit  éclaircir  les  circons- 
tances de  ce  qui  s'étoit  passé  en  ce  prétendu  mariage; 

Que  le  duché  de  Bar  demeureroit  en  Tétat  qull  étoit 
en  la  saisie  ordonnée  par  arrêt  du  parlement  de  Paris» 
jusqu'à  ce  que  Sa  Majesté  eût  reçu  la  satisfaction  qui 
lui  étoit  due  pour  raison  dudit  ducbé  de  Bar ,  auquel 
cas  toutes  saisies  seroient  levées  sans  prétention  d'au- 
cune confiscation. 

Et  afin  que  le  duc  pût  demeurer  avec  plus  de  dignité 
dans  la  ville ,  d'autant  que  le  palais  ducal  étoit  dans  la 
vieille  ville,  lorsqu'il  lui  plairoit  y  demeurer,  la  gar- 
nison française  seroit  obligée  d'être  toute  dans  la  nou- 
velle ville,  sans  tenir  aucune  chose  de  la  vieille  ville, 
sinon  les  deux  bastions  et  la  porte  qui  sépare  les  deux 
villes ,  où  il  seroit  permis  à  ladite  garnison  de  se  loger 
sûrement  comme  elle  l'estimeroitàpropos,  à  condition 
que  tous  les  canons,  armes  et  munitions  de  guerre  qui 
étoientlorsdansla  vieille  villeseroienttransportés  dans 
la  nouvelle  ;  et  pource  qu'il  pourroit  arriver  que  les 


DE  KIGHSLIEU.   [l633]  4^3 

troubles  d'Allemagne  ne  se  termineroient  pas  sitôt  que 
Sa  Majeslë  le  souhaiteroit,  et  qu'il  ëtoit  à  désirer,  si  la 
guerre  duroit  plus  de  quatre  ans ,  les  conditions  du 
présent  traité  étant  préalablement  accomplies,  Sa  Ma- 
jesté se  déporteroit  du  dépôt  de  la  ville  de  Nancy,  et  la 
remettroi  t  entre  les  mains  dudit  sieur  duc  de  Lorraine, 
ses  successeurs  ou  ayant  cause ,  pour  en  jouir  pleine- 
ment et  aux  mêmes  droits  qu'il  avoit  fait  ci-devant. 

Ce  traité  fait ,  le  cardinal  de  Lorraine  demanda  per- 
mission au  Roi  d'aller  trouver  le  duc  son  frère  qui 
étoit  à  Épinal  pour  le  lui  faire  ratifier-,  mais  cepen- 
dant Sa  Majesté  ayant  eu  avis  que  le  duc  vouloit  en- 
voyer deux  cents  chevaux  et  six  cents  bommes  de 
pied  en  garnison  au  lieu  de  Bayon,  à  quatre  lieues  de 
son  quartier ,  maison  de  la  duchesse  de  Oouy ,  elle 
commanda  au  comte  de  La  Suse ,  maréchal  de  camp 
en  son  armée  ,  de  prendre  douze  cornettes  de  cava- 
lerie et  trois  cents  mousquetaires  à  cheval  pour  em- 
pêcher ce  logement^  et  le  lendemain  la  ville  ëe 
Charmes ,  à  six  lieues  de  Nancy,  se  rendit  auxdites 
troupes ,  dont  le  duc  prenant  ombrage  se  retira  à  Re- 
roiremont,  et  pour  essayer  d'amuser  Sa  Majesté  ren- 
voya le  cardinal  son  frère ,  qui  assura  qu'il  apportoit 
Tactede  la  ratification  du  traité  qu'il  avoit  fait,  mais 
ne  le  montra  point  et  ne  lui  fut  pas  aussi  demandé. 
On  ne  laissa  pas  de  le  presser  du  jour  auquel  se  feroit 
rentrée  du  Roi  dans  Nancy*,  il  s'excuse,  use  de  re- 
mise, et  enfin  (aitconnoitre  que  son  frère  avoit  envoyé 
des  ordres  contraires  par  un  gentilbomiHe  nommé 
Oiton ,  qui  avoit  été  arrêté  et  relâché>par  les  gens  du 
Roi ,  tellement  que  l'on  vint  lors  ii  la  rupture  dadrt 
a-aité. 

T.    27.  28 


4^4  [lG33J    MÉMOIRES 

Uespérance  du  duc  de  Lorraine  ëtoit  que,  s^il  pou- 
voit  gagner  temps,  le  duc  de  Feria  Tassisteroil  avec 
rarméc  qu  ii  commandoit  au  Milanais,  et  devoil  fiaiire 
passer  pour  le  secourir  contre  ie  Roi.  Mais  comme 
il  est  diûicile  de  prendre  bien  ses  mesures  lorsqu*on 
les  prend  trop  justes ,  et  le  duc  de  Feria  se  trompant 
au  temps  qu'il  lui  avoit  prescrit ,  dans  lequel  il  lui 
promcttoit  de  se  rendre  auprès  de  lui ,  et  lui  aussi  fat 
abuse  dans  celtii  auquel  il  espéroit  avoir  des  forces 
suQlsantcs  pour  opposer  à  Sa  Majesté,  Farmëe  da 
duc  de  Feria  ne  put  pas  sitôt  passer  les  Alpes  qu'elle 
s'étoit  promise. 

Il  fit  un  gros  de  quatre  mille  hommes  qu^il  envoya 
devant  par  le  Tyrol ,  sous  la  charge  du  commissaire 
Ossa  y  et  se  joignant  à  la  garnison  de  Lindau  et  aux 
forces  qu'on  leur  amenoit  d'Alsace,  firent  un  petit  corps 
d'armée,  attendant  la  venue  du  duc,  qui  avec  le  reste 
de  l'armée  devoit  bientôt  après  passer  par  la  Valteline; 
ce  qu'il  fit  au  commencement  de  septembre.  Le  duc 
de  Rohan  ne  lui  disputa  pas  le  passage,  parce  qu'il 
s'étoit  jusqu'alors  arrêté  dans  les  Grisons,  et  que  la 
Valteline ,  par  le  traité  de  Monçon ,  ne  le  devoit  pas 
permettre.  Il  fit  néanmoins  publier  superbement  qu'on 
n'a  voit  osé  s'opposer  à  son  passage  ,  et  lui-même 
passa  avec  deux  cents  chevaux  par  le  val  Monastère 
qui  est  des  Grisons  ;  ce  qui  obligea  le  duc  de  Roban 
d'entreprendre  de  se  saisir  de  la  Valteline  5  ce  qu'il 
fit  incontinent  après,  puisque  les  Valtelins  manquoient 
à  leur  foi ,  et  que  du  côté  du  Milanais ,  qui  par  l'envoi 
de  cette  armée  étoit  dénué  de  gens  de  guerre ,  il  n'y 
avoit  rien  à  craindre.  Mais  le  maréchal  Gustave  Horo, 
qui  fut  averti  du  dessein  du  duc  de  Feria,  partit 


DE    RICHELIEU.    [l633j  4^5 

promptement  de  la  Souabc  où  il  ëtoit,  et  dès  le  19 
août  se  rendit  avec  dix  mille  hommes  à  une  petite 
ville  de  Suisse ,  nommée  Stein ,  qui  est  en  la  protec- 
tion du  canton  de  Zurich  j  et  y  ayant  obtenu  le  pas- 
sage sur  le  Rhin ,  après  s'être  fortifié  delà  pins  grande 
part  de  Tarmée  de  Birckenfeld ,  qui  laissant  peu  de 
gens  devant  Haguenau  Talla  trouver ,  et  d'autres 
troupes  encore  du  comte  rhingrave  Otto  Louis,  alla 
assiéger  la  ville  de  Constance ,  qui  étoit  le  lieu  du 
tendez -vous  de  Farmée  de  Feria,  laquelle  par  ce 
moyen  fut  arrêtée ,  et  donna  loisir  au  Roi  de  faire  en 
Lorraine  ce  que  la  justice  lui  permettoit ,  et  à  quoi  les 
injures  qu'il  avoit  reçues  du  duc  Tobligeoient. 

Sa  Majesté  donc,  voyant  les  manquemens  de  foi  du 
duc,  et  qu  il  ne  tenoit  compte  d'accompKrce  que  sous 
son  autorité  le  cardinal  son  frère  avoit  promis  pour 
lui,  délivra  de  nouvelles  commissions  pour  lever 
quinze  mille  hommes  de  pied  et  deux  mille  cinq  cents 
chevaux  ,  et  passa  avec  les  ambassadeurs  de  Cologne 
un  traité  pour  la  protection  qu'ils  lui  demandoient, 
par  lequel  ils  promettoient ,  au  nom  de  TÉlecteur  leur 
maître,  de  ne  molester  la  couronne  de  Suède ,  le  sieur 
Oxenstiern,  grand  chancelier,et  ses  confédérés,  ni  les 
États  et  pays  qui  dépendoient  d'eux ,  et  n'exercer  en 
leur  endroit  aucun  acte  d'hostilité,  soit  par  logemens 
de  gens  de  guerre,  attaque  ou  surprise  de  places, 
contributions  de  vivres  ou  d'argent,  à  la  charge  aussi: 
que  ledit  Oxenstiern,  tant  en  son  nom  queide  ses  con- 
fédérés ,  promettoit  de  ne  point  molester  en  sorte 
quelconque  la  personne  dudit  Électeur,  son  archevê- 
ché et  les  ÉUts  et  pays  dépendant  de  ses  évéchés , 
mais  de  les  laisser  libres,  et  n'exercer  en  son  endroit 

9.8. 


43^  [l633]    MÉMOIRES 

aucun  acte  d'hostilité,  soit  par  logemens  de  gens  de 
guerre ,  attaque  ou  surprise  de  places ,  contributions 
de  vivres  oq  d'argent.  Et  ayant  appris  le   i  a  que  le 
colonel  Hamerstein,  que  les  princes   assemblés  k 
Francfort  envoyoient    ambassadeur  extraordinaire 
vers  le  Roi ,  avoit  été  tué,  par  les  chemins ,  par  des 
troupes  lorraines,  lesquelles  avoient  pris  tout  sou  ar- 
gent et  équipage ,  estimé  à  plus  de  aoo,ooo  livres ,  de 
sorte  que  Sa  Majesté  émue  de  compassion  se  sentit 
obligée  de  donner  et  logement  et  de  Targentà  la  femme 
dudit  colonel  pour  la  remettre  en  équipage,  et  lui 
donner  moyen  de  retourner  en  son  pays  quand  elle 
voudroit;  le  Roi,  offensé  de  tous  les  mépris  du  duc  vers 
lui,  et  de  ce  quUl  manquoit  à  satisfaire  à  ce  que  son 
frère  avoit  promis  de  sa  part,  envoya  le  marécbal  de 
La  Forceavec  quinze  cents  chevaux,  six  mille  hommes 
de  pied  et  six  pièces  de  canon  après  lui ,  avec  ordre 
de  le  suivre  et  le  combattre  en  quelque  lieu  qu*il  se 
retirât^  ensuite  de  quoi  ledit  sieur  maréchal  assiégea 
la  ville  d'Épinal,  où  il  avoit  laissé  garnison ,  qui  se 
rendit  après  que  le  canon  fut  mis  en  batterie}  et,  en 
même  temps  ,  le  sieur  de  Gatinois ,  Florinville  et 
de  Louzances ,  maréchaux  de  camp  de  Tarmée  dadit 
sieur  de  Lorraine,  et  le  sieur  de  Lemont,  son  ser- 
gent de  bataille ,  se  vinrent  rendre  au  Roi ,  q^  as- 
surer Sa  Majesté  qu'ils  vouloient  demeurer  dans  son 
obéissance. 

Les  habitansdeMirecourt,  après  avoir  fait  quelque 
résistance  et  montré  se  vouloir  défendre ,  se  rendi- 
rent au  sieur  de  Canpremy  qui  y  fut  envoyé  par  ledit 
maréchail. 

Le  duc  de  Wurtemberg ,  Julius  Frédéric ,  sur  l'avis 


DE  mCHELIBU.   [i633]  4^7 

qu'il  eut  que  le  duc  de  Lorraine  ayoil  ordre  du  duc 
de  Feria  de  sesaisirde  la  ville  de  Montbelliard,  comme 
très-importante  pour  faciliter  le  passage  de  Farmée 
espagnole ,  il  envoya  des  députés  vers  le  Roi ,  qui  lui 
promirent  en  son  nom  de  recevoiri^  taok  en  ladite 
ville  de  Montbelliard,  citadelle,  forts  et  châteaux 
dépendant,  tant  dudit  comté  de  Montbelliard  que 
terres  et  seigneuries  y  adjointes ,  toutes  les  troupes 
de  cavalerie  et  infanterie  qu'il  plairoit  à  Sa  Majesté 
d'y  envoyer,  et  qu'il  seroitjugé  nécessaire  pour  la 
protection  et  défense  desdites  terres ,  et  ce  jusques  à 
ce  que  le  traité  de  protection  desdites  villes,  comté 
(le  Montbelliard,  terres  et  seigneuries  y  adjointes,  fût 
conclu  et  arrêté  entre  Sadite  Majesté  et  lesdits  princes 
ou  leurs  députés,  et  auquel  traité  en  après  Ton  se 
conformeroit. 

Sa  Majesté  leur  envoya  six  cents  bommes  de  pied 
et  cent  chevaux  sous  la  charge  du  marquis  de  Bour- 
bonne,  auquel  elle  accorda  le  gouvernement  de  la 
place,  qui  en  prit  possession  le  lo  octobre  suivant, 
et  y  établit  ladite  garnison. 

Le  maréchal  de  La  Force  manda  à  ceux  de  Mont- 
belliard qu'il  seroit  incontinent  à  eux  s'ils  avoient 
besoin  de  lui ,  et  s*achemina  avec  son  armée  vers  les 
troupes  du  duc  pour  les  combattre,  faisant  état  de  le 
suivre  jusque  dans  le  comté  de  Montbelliard  s'il  en 
prenoit  le  chemin. 

Toutes  ces  choses  étonnèrent  le  duc  de  Lorraine, 
et  lui  firent  connoitre  la  faute  qu'il  faisoit  de  contre- 
venir à  ce  que  son  frère  avoit  traité  de  sa  pirt  avec 
le  Roi ,  et  le  portèrent  premièrement  à  faire  proposer, 
par  le  sieur  de  Chanvalon,  quelques  articles  nou- 


V 


438  [l633J    MÉMOIRES 

veaux  que  Sa  Majesté  n*eut  pas  agréable  aux  termes 
qu'il  les  désiroit,  car  il  vouloit  que  les  traités  de  Vie 
et  de  Liverdun  demeurassent  en  leur  force  et  vigueur 
en  toutes  leurs  conditions ,  et  spécialenient  pour  ce 
qui  conce^oitje  dépôt  et  restitution  des  villes  con- 
signées es  mains  de  Sa  Majesté,  sans  que,  pour  rai- 
son des  contraventions  que  M.  de  Lorraine  y  avoit 
faites,  Sa  Majesté  put  prétendre  la  propriété  desdites 
places,  en  vertu  des  clauses  apposées auxdits  traités  ^ 
ce  que  Sa  Majesté  ne  jugea  pas  équitable  d'accorder, 
puis  enfin  à  envoyer  le  sieur  de  Contrisson  vers 
elle  pour  lui  proposer  que,  s'il  avoit  agréable  de  lui 
accorder  sauf-conduit ,  il  viendroit  jusques  à  Saint- 
Nicolas  pour  conférer  avec  les  commissaires  quil 
plairoit  à  Sa  Maje$té  députer^  ce  qui  lui  fut  accordé. 
Mais  le  lendemain  Sa  Majesté,  craignant  qu^il  n'eût 
fait  cette  proposition  de  conférence  qu'atin  qu'étant 
plus  avancé  il  pût  plus  facilement  passer  aux  Pays- 
Pas  ,  où ,  étant  entre  les  mains  des  Espagnols ,  il  eût 
été  diflUcile qu'il  se  fût  résolu  à  bailler  Nancy  en  dépôt, 
jugea  à  propos  que  le  cardinal  s'avançât  jusques  à 
Charmes,  ville  distante  de  sept  lieues  du  quartier  du 
Roi ,  pour  traiter  avec  lui,  et  quant  et  quant  dépécha 
un  courrier  au  maréchal  de  La  Force  pour  lui  donner 
avis  qu'elle  avoit  envoyé  au  duc  un  sauf-conduU»  6t 
lui  défendre  de  passer  outre  avec  son  armée ,  jusques 
à  ce  qu'on  eût  su  ce  que  prodniroit  la  conférence  qui 
se  devoil  faire  entre  le  cardinal  et  ledit  duc. 

Il  partit  le  i8,  accompagné  de  huit  cents  chevaux, 
s'y  rendit  le  soir,  et  le  duc  aussi  le  même  jour:  ils 
confèrent  trois  jours  sans  rien  conclure ,  le  duc  faisant 
d'heure  à  autre  diverses  propositions  sans  en  résoudre 


DK   RICHELIEU.    [l633]  4^9 

aucune^  et  faisant  mille  sermens  qu  il  nietiroit  plutôt 
le  feu  à  Nancy  que  de  le  rendre.  Enfin  ,  Taprès-dinëe 
du  troisième  jour ,  après  une  conférence  d'une  heure  y 
non-seulement  il  signa  et  ratifia  ledit  traité,  mais  y 
ajouta  que  non-seulement  la  porte  qui  est  entre  la 
vieille  et  la  nouvelle  ville  avec  les  deux  bastions  se- 
roient  entre  les  mains  du  Roi ,  mais  de  plus  l'autre 
porte  de  la  vieille  ville,  appelée  de  Notre-Dame ,  et 
ce  pour  éviter  les  inconvéniensqui  pourroient  arriver 
des  soupçons  qu'on  pourroit  prendre  s'il  étoit  autre- 
ment, et  que  bien  que  ladite  ville  de  Nancy  dût,  par 
le  traité ,  être  mise  entre  les  mains  du  Roi  pour  quatre 
ans,  au  cas  toutefois  que  dans  trois  mois  ledit  sieur 
duc  remit  madame  la  princesse  Marguerite  entre  les 
mains  de  Sa  Majesté,  qui  auroit  agréable  de  la  faire 
traiter  selon  sa  qualité  et  condition,  ledit  sieur  duc 
consentant,  comme  il  faisoit  dès  à  présent,  la  disso- 
lution de  son  mariage  avec  Monsieur,  à  laquelle  il 
seroit  procédé  par  voies  légitimes  et  valables,  et  que 
le  surplus  du  traité  fût  accompli ,  Sa  Majesté  restitue- 
roit  ladite  place  de  Nancy  sans  attendre  davantage, 
rasant  les  fortifications  d'icelle,  si  elle  le  jugeoità 
pro|K)S. 

Ces  articles  nouveaux  étoient  très-importans  et 
avantageux  au  service  de  Sa  Majesté. 

Premièrement,  la  porte  de  Notre-Dame  de  la  vieille 
ville  dcmeuroit  entre  les  mains  du  Roi,  ce  qui  u'é- 
loit  pas  par  le  premier  traité. 

Davantage,  au  lieu  que,  par  le  premier  traité,  il 
étoit  simplement  stipulé  que  Sa  Majesté  retiendroit 
^ancy  pour  quatre  ans ,  ces  articles  le  reformoient , 
de  sorte  qu  il  sembloit  que  Sa  Majesté  le  voulut  rendre 


44o  [l633J  UBlfOIRES 

dans  trois  mois,  et  que  si  elle  le  retenoit  davantage , 
les  seuls  Espagnols ,  la  Reine-mère  et  Monsieur  en 
seroient  la  cause  ]  ce  qui  devoit  piquer  à  outrance4e 
duc  de  Lorraine  et  son  frère. 

Au  reste,  s'ils  sa tisfaisoient  aux  conditions  portées 
par  ledit  dernier  traité  pour  ravoir  Nancy  dans  trois 
mois,  le  Roi  auroitcè  qu'il  pouvoit  désirer  j  savoir  est 
la  princesse  Marguerite  entre  les  mains-,  ce  qui  pour- 
roit  éviter  grande  suite  de  maux ,  et,  qui  plus  est.  Sa 
Majesté  ne  rendroit point  Nancy,  tant  parce  qu^ii  falloit 
procéder  à  la  dissolution  du  mariage  par  voies  légiti- 
mes ,  ce  qui  dit  un  grand  temps ,  que  parce  aussi  qu'il 
falloit  vider  tous  les  différends  d'entre  le  Roi,  ce  qui 
alloit  à  rinfini« 

Joint  que  le  dernier  traité  ne  dérogeoit  point  au 
premier ,  mais  y  ajoutoit ,  ce  qui  faisoit  que  la  disso- 
lution du  mariage ,  portée  en  termes  exprès  dans  le 
premier  traité  ,  demeuroit  en  sa  force  par  le  dernier, 
lequel  donnant  liberté  de  rendre  la  place  rasée ,  si 
on  la  devoit  rendre  dans  trois  mois,  faisoit  que,  si 
c'étoit  par  la  faute  du  duc  qu'on  pe  la  rendit  pas  dans 
ce  temps ,  on  prétendroit  avec  raison  que  si  on  ëtoit 
jamais  obligé  de  la  rendre,  ce  seroit  seulement  après 
lavoir  démolie ,  puisque  rien  n'auroit  empêché  qu'on 
ne  jouit  de  ce  bénéfice  que  l'inexécution  du  duc , 
du  manquement  duquel  il  ne  seroit  pas  raisonnable 
que  la  France  portât  la  peine  pour  jamais. 

Les  préalables  qui  dévoient  être  exécutés  par  le 
duc  de  Lorraine  devant  qu'on  lui  rendit  sa  place, 
étoient  de  vider  tous  les  différends  qui  étoient  entre 
le  Roi  et  lui,  qui  n'étoient  pas  petits. 

Celui  des  quatre  places  y  devoit  entrer  en  tête,  et 


DB   BICHELIEU.   [l633]  44' 

sans  pouvoir  être  conteste  avec  apparence  de  raison 
au  Roi,  puisque  ce  dernier  traité  confessoit  les  con- 
traventions aux  premiers  en  termes  exprès,  et  par- 
tant fondoit  le  droit  de  la  rétention  des  quatre  places, 
non-seulement  sans  y  remédier  par  aucune  excep- 
tion, mais  en  outre  souffrant  un  article  qui  préve- 
noit  la  pensée  que  naturellement  on  pourroit  avoir 
que  ce  dernier  traité  réparit  les  brèches  des  premiers, 
en  ce  qu'il  disoit  en  termes  exprès  que  le  Roi  de- 
meuroit  en  tous  les  droits  qu*il  prétendoit  lui  être 
acquis  jusques  au  jour  dudit  traité,  sans  renoncer  à 
aucun  par  iceluî. 

L'hommage  et  la  reprise  du  Barrois ,  non-seulement 
au  nom  du  duc,  mais  aussi  de  la  femme,  en  étoitun 
autre  droit  non  contesté,  dont  la  suite  ne  seroit  pas 
petite ,  vu  les  difficultés  qui  se  trouveroient  en  Taveu 
et  dénombrement  où  il  faudroit  employer  beaucoup 
de  choses  que  les  ducs  de  Lorraine  prétendent  pos- 
séder sans  relever  du  Roi. 

Or,  durant  le  temps  que  le  duc  de  Lorraine  de- 
meura à  Charmes ,  entre  plusieurs  discours  dans 
les(|uels  il  s'emporta  facilement  avec  le  cardinal  de  La 
Valette,  il  témoigna  assez  qu'il  avoit  fait  signer  par 
son  frère  le  traité  du  6  septembre  sans  avoir  inten- 
tion de  l'exécuter,  et  que  le  refus  que  fit  le  marquis 
de  Mony  d'ouvrir  les  portes  au  Roi  sur  le  comman- 
dement du  cardinal  son  frère,  étoit  par  un  ordre 
particulier  qu'il  lui  avoit  mandé,  en  vertu  d'un  con- 
tre-seing qu'il  avoit  par  devers  lui  *,  car  il  avoua 
formellement  audit  cardinal  de  La  Valette  qu'il  étoit 
vrai  qu'il  avoit  donné  charge  audit  sieur  de  Mony  de 
croire  tout  ce  qu'on  lui  diroit ,  avec  le  signe  des  trois 


44^  ['(>33J    MÉMOIRES 

premières  lettres  de  son  nom  ;  qu'il  avoit  déjà  mandé 
deux  ordres  audit  marquis,  Tun  sur  L  et  Tautresur 
O  9  qu'il  restoit  encore  R,  qui  pouvoit  être  marque 
de  quelque  chose  de  secret  -,  qu'une  religieuse  de 
Nancy  avoit  eu  révélation  que  ces  trois .  lettres  nV 
voient  pas  été  employées,  qu'elle  en  avoit  averti  ma- 
dame de  Phalsbourg,  qui  avoit  mandé,  par  Chanva- 
lon ,  au  marquis  de  Mony  qu'il  ne  déposât  pas  Nancy 
en  vertu  de  cette  lettre  ;  ce  qui  confirma  Tavis  qui 
avoit  été  donné  au  Roi  peu  après  ledit  traité,  que 
)e  duc,  quand  il  vit  partir  son  frère,  avoit  dit  :  «  Mon 
frère  en  a  bien ,  il  pense  faire  ses  affaires ,  mais  il  n'a 
pas  le  signal  pour  cela.  » 

Après  que ,  comme  nous  avons  dit  ci-dessus ,  il  eut 
ratifié  le  traité ,  il  ne  voulut  pas  retourner  droit  à  ses 
troupes ,  mais  désira  venir  trouver  le  Roi ,  pour  l'as- 
surer lui-même  de  la  volonté  qu'il  avoit  d'exécuter 
ce  qu'il  avoit  promis ,  et ,  pour  ce  sujet ,  partit  de 
Charmes  incontinent  après  le  cardinal ,  accompagné 
de  messieurs  les  cardinal  et  duc  de  La  Valette ,  du 
nonce,  de  Brassac  et  de  Noailies.  Le  Roi  vint  au- 
devant  de  lui  jusqu'à  la  porte  de  son  cabinet,  et  ledit 
duc  l'assurant  du  désir  qu'il  avoit  de  lui  rendre  obéis- 
sance à  l'avenir,  et  le  suppliant  d'oublier  le  passé  et 
le  lui  pardonner,  Sa  Majesté  l'embrassant  le  lui  promit. 
Il  alla  coucher  au  logis  du  duc  de  La  Valette ,  que 
le  Roi  lui  avoil  fait  préparer;  mais  l'irrésolution  de 
cet  esprit  étoit  si  grande  qu  il  lui  prit  encore  volonté 
de  n'exécuter  pas  ce  traité,  et  sa  légèreté  fut  telle 
qu'il  tint  à  plusieurs  des  discours  qui  le  témoignoieut. 
Il  dit  au  sieur  de  Saint-Chamout ,  en  termes  exprès , 
qu'il  ne  vouloit  point  dire  s'il  vouloit  ou  ne  vouloil 


DE   RICHELIEU.    [l633J  ^^'i 

pas  exécuter  le  traite,  mais  qu'il  voudroit  bien  u être 
])oint  venu  trouver  le  Roi  ;  que  s'il  ëtoitsur  les  mon- 
tagnes proche  de  Nancy  on  ne  le  tiendroitpas;  qu'il 
8a  voit  bien  quonle  vouloit  perdre;  que  tout  le  monde 
disoit  qu'on  le  vouloit  rouer,  traitement  aussi  peu 
honorable  à  un  prince  que  ces  paroles  sont  indignes 
de  sa  bouche. 

Enfin ,  il  témoigna  à  tout  le  monde  qu'il  étoit  mal- 
traité, et  le  bruit  couroit  partout  qu'il  vouloit  se 
sauver. 

Ceux  de  la  ville  dilayoient  l'éxecution  du  traite, 
sur  l'espérance  qu'ils  avoient  qu'il  se  sauveroit  dans 
la  ville,  ainsi  qu'il  leur  avoit  fait  savoir.  Cela  obligea 
le  Roi  de  faire  prendre  garde  à  sa  personne,  pour 
lempécher  d'exécuter  son  mauvais  dessein,  et  le. 
porter  à  tenir  la  parole  qu'il  lui  avoit  donnée. 

Le  cardinal  supplia  Sa  Majesté  de  se  souvenir  que 
jus(|ue-là  il  avoit  toujours  traité  avec  elle  sans  inten- 
tion de  tenir  sa  foi  ;  qu'à  Vie ,  le  même  jour  du  traité, 
il  faisoit  faire  le  prétendu  mariage  de  Monsieur  dans 
Nancy ,  et  à  Vie  le  nioit  et  protestoit  à  la  propre 
personne  de  Sa  Majesté  qu'il  aimeroit  mieux  mourir; 

Qu'il  fit  le  même  à  Liverdun  l'année  suivante,  où 
d'obligeant,  par  un  traité  nouveau ,  de  n'avoir  jamais 
aucune  intelligence  avec  la  maison  d'Autriche,  au 
même  temps,  Montecuculli étoit  à  Nancy  ou  proche 
de  là  ,  avec  lequel  il  négocioit  actuellement-, 

Qu  alors  il  faboit  encore  le  semblable,  promettant 
de  mettre  entre  les  mains  du  Roi  la  princesse  Mar- 
guerite, et  au  même  temps  la  faisoit  sortir  de  Nancy; 
il  s'ohiigcoit  de  déposer  la  ville  entre  les  mains  de  Sa 
.Majesté  ,  en  donnoit  pouvoir  au  cardinal  son  frère  et 


444  [i633]   MÉMOIRES 

envoyoit  le  même  jour  un  ordre  contraire  au  mar« 
quis  de  Mony  ; 

Que  pareillement  il  ëtoit  venu  trouver  le  Roi  pour 
en  apparence  tenir  sa  parole,  mais  pour  en  eflet  lè 
tromper  ;  que  sa  langue  n'avoit  pu  se  tenir  de  le  té- 
moigner ; 

Que  ce  seroit  une  honte  à  Sa  Majesté  sHI  se  retiroit 
sans  exécuter  sa  parole  ;  qu'on  croiroit  qu^elle  Tauroit 
voulu  retenir  par  force  et  ne  Tauroit  su  faire;  et  par- 
tant,  qu'il  étoit  d'avis  qu'il  le  falloit  faire  garder,  sans 
qu'il  le  parût  toutefois ,  et  que  ce  fût  le  plus  adroite- 
ment qu'il  se  pourroit  faire  ; 

Que  jusques  à  ce  qu'il  eût  signé  un  traite  k  Char- 
mes ,  il  étoit  sur  la  parole  de  Sa  Majesté  (<) ,  et  ii\ 
ne  l'eût  point  signé  on  l'eût  laissé  retourner  d^où  il 
étoit  venu,  et  qu'il  lui  avoit  lors  même  offert  de  le 
remener ,  afin  qu'il  n'arrivât  point  d'inconvénient  de 
sa  personne. 

Mais  que  depuis  la  signature  qu'il  avoit  faite  du 
traité,  il  n'étoit  plus  sur  la  parole  du  Roi,  ains  sur  la 
seule  foi  de  son  traité ,  et  ainsi  que  si  Sa  Majesté  man- 
quoit  à  Texécution  dudit  traité ,  ledit  sieur  duc  auroit 
droit  d'agir  contre  elle  comme  il  pourroit.  Ainsi ,  si 
ledit  duc  manquoit  de  sa  part,  le  Roi  avoit  le  même 

(i)  //  étoit  sur  la  parole  de  Sa  Majesté  ;  Si  Ton  en  jcroit  Anhtxj , 
le  dac  de  Lorraine  fut  prisonnier  à  Charmes  avant  et  apr^  la  ratifie»' 
tion.  La  maison  qu'il  habitoit  étoit  soigneusement  gac^tfe.  La  nait  do 
jour  oii  i]  avoit  signe'  le  traite ,  il  voulut  sVchapper  pour  faire  une  pro- 
testation. SV'tant  couche'  à  dix  heures  il  se  leva  à  onse ,  fit  ooTrir  me 
fendtre  par  Lcnoncour  un  de  ses  gentilshommes ,  et  ezamina  li  la  mai- 
son Gtoit  entourée.  Ayant  vu  les  gardes  accourir,  Il  demanda  M.  de 
Ramburcs  qui  les  comniandoit;  mais  Tunique  réponse  qu^il  recnt  fot 
qu'on  alloit  tirer  si  la  fenêtre  n'étoit  à  l'instant  refermée. 


DB  BICHEUEU.   [l633]  44^ 

droit  d'agir  contre  lui ,  et  le  duc  ne  pouvoit  raison- 
nablement trouver  étrange  que,  s'ëtant  vanté  qu'il  se 
vouloit  sauver,  on  eût  pris  garde  à  sa  personne  pour 
•l'en  empêcher,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  exécuté  ce  à  quoi 
il  éloit  obligé. 

Sa  Majesté  trouva  bon  cet  avis  et  le  fit  exécuter  : 
ce  ne  put  être  si  adroitement  que  le  duc  ,  qui  étoit  en 
méfiance  et  avoit  dessein  de  se  sauver ,  ne  s'aperçût 
qu'il  lui  étoit  impossible^  mais  on  lui  dit  que  ce  qu'on 
en  faisoit  n'étoit  que  pour  l'obliger  à  satisfaire  à  sa 
parole,  et  lui  faire  perdre  la  pensée  de  pouvoir  chan- 
ger de  conseil ,  ce  qu'il  ne  pouvoit  faire  qu'à  son 
propre  dommage,  attendu  que  Nancy  ne  pouvant 
être  secourue  fût  infailliblement  tombée  entre  les 
mains  du  Roi,  et  lui  eût  absolument  appartenu  par  le 
droit  de  guerre. 

Le  duc,  voyant  qu'il  lui  étoit  impossible  de  n'exé- 
cuter pas  ledit  traité,  envoya  ordre  au  marquis  de 
Mony  d'ouvrir  les  portes  de  Nancy  aux  troupes  du 
Roi,  et  en  faire  sortir  la  garnison,  qui  n'en  partit  que 
le  samedi  24  ^  ^^^  heures ,  et  celle  du  Roi  y  entra 
à  midi. 

Le  lendemain  a5 ,  Sa  Majesté  y  fit  son  entrée,  ac- 
compagnée du  cardinal  de  Lorraine,  qui  le  vint  re- 
cevoir jusqu'à  mi-chemin  de  son  quartier  avec  quan- 
tité d'autres  seigneurs. 

Le  a6,  la  Reine  y  fit  la  sienne,  et  sur  le  soir  le  duc, 
qui  s'étoit  i^tiré  dans  une  maison  proche  de  la  ville, 
jusqu'à  ce  que  toutes  choses  y  fussent  bien  établies, y 
arriva  avec  la  princesse  de  Pbalsbourg. 

Sa  Majesté ,  dès  qu'elle  y  fut  arrivée ,  fit  tirer  tous 
les  canons,  armes  et  munitions  de  la  vieille  ville 


44^  [i633]  MÉMOinEs 

pour  être  mises  dans  la  ville  neuve ,  en  un  magasin, 
de  laquelle  elle  fit  le  lendemain  porter  les  armes 
de  tous  les  liabitans  qui  avoient  été  désarmés. 

Puis  ayant  choisi  le  sieur  de  Brassac  pour  com-' 
mander  dans  ladite  ville  en  qualité  de  gouverneur, 
établi  le  sieur  de  Miraumont,  capitaine  au  régiment 
des  gardes ,  pour  son  lieutenant ,  et  laissé  en  ladite 
ville  six  mille  hommes  de  pied  et  cinq  cents  chevaux 
en  garnison ,  elle  en  partit  le  premier  octobre,  don- 
nant ordre  en  partant  de  Nancy  à  M.  de  Brassac  de 
faire  avancer  le  plus  qu'il  sepourroit  le  réduit  qu^elle 
avoit  fait  commencer  des  deux  bastions  qui  séparoient 
la  ville  vieille  d*avec  la  ville  neuve,  et  de  faire  retran- 
cher ceux  de  la  porte  Notre-Dame  de  la  vieille  ville. 

Pendant  que  le  Roi  étoit  au  siège  de  Nancy,  le  par- 
lement de  Metz  condamna  un  nommé  Alfeston ,  natif 
de  Châlons,  à  être  rompu  vif  sur  la  roue  pour  avoir 
alienlé  à  la  vie  du  cardinal  :  cet  homme  étroit  fils  du 
lieutenant  criminel  à  Yitry. 

Il  confessa  qu'il  avoit  été  sollicité  par  La  Roche, 
qui  avoit  charge  des  affaires  du  père  Chanteloube  (0, 
d'assassiner  le  cardinal ,  et  qu'il  lui  avoit  dit  que  ce 
seroit  un  grand  service  à  Dieu  de  s'en  défaire;  qu'il 
seroit  bien  récompensé  s'il  en  venoit  à  bout ,  et  qu'il 
lui  avoit  donné  cent  écus  en  partie  pour  ce  dessein; 
que  le  père  Chanteloube  son  maître  en  étoit  consen- 
tant ,  et  lui  avoit  dit  qu'il  n'y  avoit  poiijt  de  cons- 
cience à  l'exécuter. 

Il  fut  accusé  par  ses  complices,  qui  étoient  un 

(i)  Du  pire  Chanteloube  :  Il  esi  permis  de  douter  que  ce  père  ail 
clé  le  chef  du  complot  contre  les  jours  du  cardinal.  Des  aremc  arracha 
par  les  toormens  ne  sont  pas  des  prennes . 


DE    RICHELIEU.    [l633]  44? 

nomme  Isaac  Saulcier,  natif  de  Metz,  qui  avoit  éié 
viili'l  (le  chambre  du  maréchal  de  Marillac,  qu'il  avoit 
mis  depuis  dans  ses  gardes  ; 

L  antre,  nommé  Hélie  Bélanger,  dit  Mermont,  natif 
de  Lily  près  de  Gournay  en  Normandie  ,  qui  fut  aussi 
premièrement  des  gardes  dudit  maréchal,  puis  fut  mis, 
après  sa  mort,  dans  celles  de  la  Reine  mère  du  Roi. 

La  Roche,  susnommé,  leur  persuada  d'assister  ledit 
Alfestou,  les  fit  appeler  chez  le  père  Chanteloube, 
de  là  les  mena  chez  Alfeston ,  qu'il  leur  déclara  nette- 
ment avoir  dessein  de  tuer  le  cardinal,  et  qu  il  falloit 
qu'ils  l'assistassent  :  ce  que  lui  promettant,  il  leur 
donna  à  chacun  loo  francs  en  patagons,  et  leur  dit 
que  s'ils  en  avoient  besoin  de  davantage  il  seroit 
fourni. 

Alfestou  les  alla  attendre  à  une  demi-lieue  de  la 
porte  de  Namur ,  hors  de  Bruxelles ,  au  logis  du  ca-* 
pitainc  du  charroi  de  la  Reine-mère,  monté  sur  un 
cheval  gris  pommelé  de  Técurie  de  ladite  dame  Reine, 
appelé  le  Grand-Hongre  ou  le  Polacre ,  lequel  La  Roche 
I  u  i  en  voy a  par  le  cocher  du  père  Chan  teloube ,  nommé 
maître  Claude ,  qui  lui  dit  qu'on  lui  avoit  bien  com- 
mandé de  ne  dire  à  personne  qu'il  lui  eût  amené  ce 
cheval-là ,  qu'on  lui  donnoit  comme  étant  de  grande 
fatigue;  et  La  Roche  dit  à  ses  deux  complices  qu'on 
l'avoit  exprès  envoyé  requérir  de  Namur,  où  la  du- 
chesse d'Ornano  l'avoit  mené  allant  à  la  rencontre  de 
la  princesse  Marguerite. 

Il  dit  à  ses  complices  qu'il  s'assuroit  venir  bientôt 
à  bout  de  son  damnable  dessein ,  si  le  cardinal  en 
son  retour  logeoità  Châlons,  en  un  logis  où  il  avoil 
logé  quand  le  Roi  y  passa  pour  aller  à  Metz  ,  et  qu'il 


44S  [l633]    MÉMOIRES 

le  tueroit,  entrant  ou  sortant  de  la  maison ,  par  la 
fenêtre  d'une  qui  ëtoit  vis-à-vis ,  laquelle  avoit  des 
portes  répondantes  en  diverses  rues,  d^autant  qu'il 
avoit  déjà  eu  occasion  de  le  faire  audit  premier  voyage 
que  le  Roi  fit  à  Metz ,  le  voyant  à  la  fenêtre  avec  le 
'maréchal  de  Schomberg.  On  avoit  si  avant  imprimé 
ce  méchant  dessein  dans  le  cœur  de  ce  meurtrier, 
qu'il  l'avoit  déjà  tenté  par  plusieurs  autres  voies, 
ayant  touché  de  l'argent  à  Bruxelles  pour  délivrer  à 
deux  soldats  français  qui  étoient  dans  les  troupes  d'Al- 
lemagne ,  dont  l'un  s'appeloit  La  Ramée ,  et  dévoient 
retourner  en  France  et  se  mettre  au  régiment  des 
gardes ,  à  dessein  de  tirer  un  coup  de  mousquet  au 
cardinal  lorsqu'il  entreroit  au  Louvre  ou  en  sortiroit. 

Alfeston  avoit  découvert  son  entreprise  à  un  nommé 
Clerbourg  en  qui  il  se  fioit;  mais  étant  incontinent 
«près  saisi  de  crainte  qu'il  le  découvrit ,  il  Talla  as- 
sassiner auprès  de  Toul ,  étant  logé  à  la  poste  ,  et  à 
table ,  et  fit  cette  action  si  promptement  qu^il  eut  loisir 
de  remonter  à  cheval  et  se  sauver.  Donc ,  pour  ces 
crimes  si  énormes ,  il  fut  justement  condamné ,  comme 
nous  avons  dit  ci-dessus,  à  être  rompu  vif;  ce  qui  fat 
exécuté,  et  le  même  jour  fut  décrété  prise  de  corps 
contre  le  père  Chanteloube,  La  Roche  son  valet,  et  un 
nommé  Garnier  qui  avoit  été  secrétaire  du  maréchal 
de  Marillac  -,  les  deux  premiers ,  parce  qulls  avoient 
été  chargés^  par  le  criminel  et  ses  complices,  et  le 
dernier  en  ce  qu'il  étoit  fait  quelque  mention  de  lai 
par  le  procès,  qui  donnoit  lieu  de  le  soupçonner. 

Presque  en  même  temps  le  sieur  du  Fargis  fut ,  par 
jugement  souverain  du  sieur  Laflemas,  assisté  du  prë- 
sidialdeTroyes,  condamné  à  être  tiré  à  quatre  chevaux 


DE    RICHELIEU.    [l633J  449 

et  ëcarlelë  vif  pour  crime  de  lèse-majesté,  avoir  f;srit 
des  factions  dans  TÉtat,  soustrait  les  sujets  du  Roi  de 
son  obéissance,  et  porté  les  armes  contre  son  service. 

Tandis  que  le  Roi  s'employa  à  mettre  le  duc  de 
Lorraine  à  la  raison,  et  lui  ôter  le  moyen  de  continuer 
à  le  desservir,  Sa  Majesté  ayant  eu  avis  que  la  Reine 
sa  mèreéloit  tombée  malade  à  Gand,*  envoya  les  sieurs 
Piètre  et  Rioland,  médecins,  vers  elle  pour  avoir 
soin  de  sa  santé ,  nonobstant  qu'elle  sût  toutes  les 
menées  qu  elle  faisoit  contre  son  service ,  et  que  le 
sieur  ddi  Barault,  son  ambassadeur  en  Espagne,  lui 
eût  mandé ,  le  19  février ,  que  le  comte  de  Maure  et 
\  oiture  (0  y  étoientde  sa  part  attendant  Lingendes, 
secrétaire  du  Fargis,  un  des  principaux  dans  la  con- 
iiance  de  Puyiaurens. 

Elle  lui  envoya  aussi,  par  même  moyen,  le  3  juin, 
le  sieur  Desroches  Fumée,  capitaine  de  chevau-légers, 
qu'elle  crut  lui  devoir  être  d'autant  plus  agréable  qu'il 
avoit  été  page  de  ladite  dame,  et  lui  commanda  de 
lui  dire  que ,  sur  le  bruit  commun  qui  couroit  qu'elle 
éloit  indisposée.  Sa  Majesté  n'avoit  pas  voulu  dif- 
férer de  le  dépêcher  vers  elle  pour  s'en  éclaircir,  et, 
au  cas  que  son  indisposition  fût  vraie ,  lui  témoigner 
le  déplaisir  qu'elle  en  avoit.  Il  eut  charge  aussi  de  lui 
dire  que ,  bien  que  le  cardinal  sût ,  à  son  grand  re- 
gret ,  combien  son  nom  lui  étoit  odieux ,  il  ne  laissoit 
pas  de  la  supplier  de  souffrir  qu'il  lui  dit  de  sa  part 
qu'elle  n'avoit  point  de  serviteur  au  monde  qui  loi 


( 


1)  Le  comte  de  Maure  et  toiture  :  Le  comte  de  Maure  figara  de- 
puis claas  la  Fronde,  et  »*j  diitiogua  par  ton  etoorderie.  Le  poêle 
Voiture,  derooë  à  la  Reine-mère  et  à  la  Reine  r^^nte,  étoit  mélédaaa 

toute»  Icui»  intrigues. 

T.   î«7.  29 


45o  [l633J    MÉMOIRES 

fût  plus  afTectionné  que  lui ,  ni  qui  reçût  plus  de  dé- 
plaisir de  sa  maladie  ^ 

Que  si  elle  entroit  en  discours  sur  le  sujet  du  car- 
dinal, il  lui  dit  qu'elle  avoit  voulu  absolument  le 
perdre ,  nonobstant  qu'il  eût  toujours  été  passionné 
à  son  service,  sans  qu'elle  voulût  se  séparer  de  ce 
dessein,  que  le  Roi  ne  pouvoit  souflrir  sans  se  faire 
un  notable  préjudice;  qu'ensuite  de  ce  dessein  elle 
s'étoit  liée  avec  diverses  personnes  odieuses  au  Roi, 
et  étoit  sortie  de  France,  de  sorte  qu'où  n^avoitpu 
faire  autre  chose  que  ce  qu'elle-même  avoit*  obligé 
de  faire  -, 

Qu'il  avoit  souvent  ouï  dire  audit  cardinal  qu'il 
savoit  plus  certainement  qu'il  n'étoit  assuré  de  voir 
ce  qui  étoit  devant  ses  yeux,  qu'on  l'a  voit  trompée 
en  tous  les  sujets  qu'on  avoit  pris  pour  le  mettre  mal 
avec  elle;  qu'il  eût  bien  pu  l'en  éclaircir,  mais  que 
jamais  elle  ne  l'avoit  voulu  souffrir,  ains  lui  avoit 
dit ,  en  présence  du  Roi ,  qu'elle  étoit  irréconciliable 
et  le  vouloit  être  ; 

Qu'il  voyoit  bien  qu'on  vouloit  perdre  le  Roi  et 
elle  en  le  perdant ,  qu'elle  n'en  vouloit  pas  souffrir  le 
remède  :  qu'eût-il  pu  faire  ? 

Que  ledit  Desroches  l'avoit  vu  plusieurs  fois  les 
larmes  aux  yeux  parlant  de  cette  affaire,  et  disant 
qu'outre  qu'il  ne  l'avoit  jamais  offensée ,  elle  savoit 
bien  qu'il  n'avoit  rien  oublié  de  ce  qu'il  avoit  pu  pour 
se  raccommoder  avec  elle. 

Au  reste,  que  jamais  le  cardinal  ne  lui  a  imputé  le 
mal  qu'on  lui  avoit  fait ,  et  les  vilenies  qu^ou  avoit 
écrites  contre  lui ,  mais  bien  à  ceux  qui  étoient  auprès 
d'elle  ; 


DE    RICHELIEU.    [i633]  4^> 

Qu'il  lui  avoit  ouï  dire  q:ie,  quand  elle  seroit  la 
mieux  intentionnée  du  monde,  éî^nt  environnée  de 
serpens,  ils  empoisonneroient  son  esprit  de  nouveau 
comme  ils  avoient  fait  par  le  passé. 

Desroches,  passant  par  Bruxelles,  ût  les  compli- 
mens  à  Tlnfante,  de  la  part  du  Roi,  qui  lui  avoient 
été  commandés ,  qu'elle  reçut  avec  grande  civilité  et 
bonté.  Elle  lui  enjoignit  particulièrement  de  dire  an 
cardinal  qu'elle  n'avoit  jamais  rien  cru  de  tout  le  mal 
que  tous  ses  ennemis  lui  avoient  pu  dire  de  lui  *,  que 
toutes  ces  calomnies  n*avoient  point  fait  d'impression 
dans  son  esprit;  qu*elle  le  prioit  de  croire  que  rien 
du  monde  n'avoit  le  pouvoir  de  lui  faire  changer  la 
bonne  opinion  qu'elle  en  avoit  conçue  ;  qu'elle  l'esti- 
moit  autant  qu'homme  de  ce  siècle ,  et  voudroit  que 
toute  la  terre  en  fît  de  même. 

De  Bruxelles  il  alla  à  Gand  où  la  Reine-mère  ëtoit, 
à  laquelle  ayant  rendu  la  lettre  du  Roi,  elle  lui  dit 
que  sa  maladie  ne  lui  éloit  point  désagréable,  puis- 
qu'elle avoit  donné  sujet  au  Roi  de  l'envoyer  visiter , 
qu'elle  en  enverroit  remercier  Sa  Majesté  par  un  des 
siens  qu'elle  lui  dépécheroil  exprès,  et  ne  lui  man- 
deroit  rien  qui  lui  pût  déplaire. 

A  tout  ce  que  Desroches  lui  dit  du  cardinal  et  du 
dessein  qu'il  avoit  qu'elle  lui  donnât  lieu  delà  pouvoir 
servir  auprès  du  Roi ,  se  conformant  à  ce  que  Sa  Ma- 
jesté avoit  justement  reqnis  d'elle,  elle  ne  répondit 
un  seul  mot,  et  toutes  les  fois  qu'il  mit  en  avant  son 
nom  et  lui  en  voulut  dire  quelque  chose,  elle  ne  lai 
lit  aucune  réponse;  ce  qui  montroit  la  fermeté  avec 
la(|uelle  elle  perse  véroit  en  la  mauvaise  volonté  qu'elle 
avoit  contre  lui. 

^9 


402  [l633]    MÉMOIRES 

Les  mieux  sensés  qui  étoient  auprès  d'elle  souhai- 
toientradoucissement  de  son  esprit,  et  qu'elle  se  dis- 
posât à  donner  satisfaction  au  Roi;  mais  Chanteloube 
et  madame  d'Ornano ,  qui  entre  tous  les  siens  avoient 
le  plus  de  part  dans  son  esprit,  Ten  détournoient  au- 
tant qu'ils  pouvoient,  et  disoient  à  ladite  dame  Reine 
qu  il  y  en  avoit  plusieurs  de  sa  maison  qui  dësiroient 
qu'elle  fût  en  France,  dût-elle  être  dans  le  bois  de 
Tincennes ,  d'autant  qu'ils  avoient  moins  d^affection 
pour  elle  que  pour  leur  bien,  dont  ils  jouiroient  li- 
brement; et  peut-être  parloient  -  ils  eux-mêmes 
poussés  par  la  même  passion,  car  Chanteloube  avoit 
pour  sa  dépense  i5  écus  par  jour,  qu'il  n'eût  pas  eus 
s'il  eût  été  en  France,  et  madame  d'Ornano  i,ooo  francs 
par  mois. 

Elle  faisoit  de  grandes  plaintes  de  Puylaurens  à 
Desroches ,  et  qu'il  n'a  voit  pas  vécu  avec  elle  avec  le 
respect  qu'il  avoit  dû  ;  elle  se  plaignoit  aussi  fort  de 
Monsieur ,  qu'elle  disoit  ne  l'avoir  pas  biea  traitée  ni 
avoir  d'elle  le  soin  qu'elle  avoit  espéré ,  et  toutefois 
elle  ne  pouvoit  se  résoudre  à  contenter  Sa  Majesté, 
tant  elle  étoit  encore  animée. 

Monsieur  étoit  lors  dans  l'armée  espagnole ,  où  il 
avoit  voulu  faire  un  tour ,  quelque  prière  que  lln- 
fante  lui  eût  faite  pour  l'en  empêcher. 

Puylaurens  ne  parloit  rien  moins  que  de  le  faire 
entrer  bientôt  en  France  avec  une  armée  composée 
de  troupes  d'Allemagne ,  d'Espagne  et  de  Flandre  ; 
Le  Coudray ,  du  Fargis  et  Delbène ,  étoient  égale- 
ment bien  en  son  esprit;  les  deux  premiers  le  forti- 
fioient  en  cette  espérance ,  Le  Coudray  se  promettant 
tout  de  Walstein,  Le  Fargis  de  l'Espagne;  le  seul 


DE   hICHELlEU.   [l633]  4^3 

Delbène  ne  pouvoit  oublier  son  devoir  envers  la 
France. 

L'abbë  Scaglit ,  qui  ëtoit  en  ce  tempt-Ià  en  Flandre  » 
et  avoit  grande  intdligence  avec  Le  Fargis ,  publioil 
partout  qu'il  y  en  avoit  qui  parloient  de  raccommo* 
dément  de  Monsieur  avec  le  Roi  »  mais  que  c'ëtoit  une 
chose  qu'il  ne  pouvoit  croire ,  d^autant  qu^il  savoit 
bien  que  le  cardinal  ne  conseilleroit  jamais  au  Roi  de 
consentir  aucun  accommodement  qu^à  son  avantage , 
et  que  Monsieur  ëtoit  trop  bien  conseille  pour  perdre 
le  sien. 

Néanmoins  les  Espagnols ,  qui  lui  promettoient  dé 
grandes  assistances ,  n'avoient  point  de  honte  de  nier 
formellement  en  Espagne  an  sieur  de  Bautru ,  qui  y 
ëtoit  lors ,  qu'ils  l'eussent ,  Tannëe  prëcëdente ,  assisté 
de  leurs  troupes  pour  entrer  en  France,  ni  trempe  avec 
lui  aux  intelligences  qn^il  avoit  eues  dans  le  royaume. 

Le  comte  Olivarès  lui  avoua  que  nous  plaignant  da 
contraire  nous  ëtions  dans  le  vraisemblable,  mais  que 
ce  qu'il  lui  disoit  néanmoins  ëtoit  une  vëritë  ëvan- 
gélique,  et  il  aima  mieux  le  nier  absolument  q«e 
s'arrêter  à  dire  que  nous  en  donnons  l'exemple  par  ki 
alliances  que  nous  avions  avec  le  roi  de  Suède  et  les 
Hollandais,  d*antant  qu'il  savoit,  premièrement, qoe 
nous  n'avions  point  envoyé  de  troupes  pour  ravager 
leurs  États ,  et  en  second  lieu ,  qn^il  nous  ëtoit  permit 
d  assister  nos  allies  ,•  et  qne  Tinjuste  oppression  da 
duc  de  Mantone  nous  avoit  oUigës  à  nous  aider  da 
roi  de  Suède  en  ces  derniers  temps ,  conune  le  fea 
Roi  avoit  £iit  des  Hollandais  quand  Philippe  u  voa- 
lut ,  par  les  moyens  de  la  ligne ,  envahir  la  France; 

Qu'ils  dévoient  ces  denx  alliances  aux  deox  dea- 


4^4  [l633J    MÉMOIRES 

seins  d'usurpation  qu'ils  avoient  eus  sur  la  France  et 
sur  ritalie. 

Desroches,  après  avoir  fait  son  compliment  de  la 
part  du  Roi  à  la  Reine  sa  mère ,  en  partit  le  1 1  juin ,  et 
la  Reine  envoya  avec  lui  le  sieur  Heurtault  au  Roi 
pour  le  remercier  du  soin  qu'il  avoit  d'elle ,  lui  don- 
ner avis  du  recouvrement  de  sa  santë,  et  lui  rapporter 
l'ëtat  de  la  sienne. 

Ce  premier  envoi  fut  suivi  d'un  autre  tôt  après  , 
car  elle  dépêcha  le  sieur  de  Brasseux  vers  le  Roi ,  le 
7  juillet,  pour  savoir  en  apparence  comme  les  eaux 
de  Forges  lui  avoient  profité. 

Le  25  du  même  mois ,  elle  prit  encore  occasion  de 
dépêcher  au  Roi  le  sieur  Jacquelot ,  sur  le  besoin 
qu'elle  disoit  avoir  d'arrêter  quelques  mois  auprès 
d'elle  le  médecin  Rioland;  ce  qu'elle  n'avoit  voulu 
faire  sans  en  envoyer  demander  la  permission  à  Sa 
Majesté. 

Tant  de  voyages  commencèrent ,  non  sans  sujet ,  à 
donner  du  soupçon  au  Roi.  Onfaisoit  courir  le  bruit 
en  Flandre  qu'elle  se  vouloit  accommoder  avec  Sa 
Majesté ,  le  duc  de  Neubourg  même  eu  écrivit  au 
Roi  le  3  juillet.  Cependant  elle  ne  vouloit  pas  con- 
sentir de  remettre  entre  les  mains  de  Sa  Majesté  les 
méchans  esprits  qu'elle  avoit  auprès  d'elle,  et  lui 
avoient  donné  les  conseils  qui  avoient  causé  tant  de 
maux  à  cet  État;  et  on  surprit  une  lettre  de  Chante- 
loube  du  17  juin,  par  laquelle  il  témoignoit  ouverte- 
ment qu'elle  étoit  bien  éloignée  de  se  vouloir  bien 
remettre  avec  le  Roi ,  car  il  mandoit  que  Desroches 
avoit  dit  en  partant  qu'il  reviendroit  bientôt,  mais 
qu'il  perdroit  ses  pas,  que  l'on  étoit  toujours  dans 


t>E   RICHELIEU.   [l633J  4^^ 

Tespéraiice  de  la  trêve  :  cela  fit  qu'on  commença  à 
observer  soigiieusement  les  actions  et  les  paroles  dé 
ceux  qui  venoient  de  sa  part. 

Elle  dépécha  encore,  le  3  novembre,  le  sienr  de 
VilHers-Saint-Genest ,  sans  prendre  antre  sujet  de 
son  envoi  que  celui  d'envoyer  apprendre  des  noa- 
velles  de  Sa  Majesté. 

Il  Talla  trouver  à  Versailles  le  6  du  mois ,  et  après 
lui  avoir  fait  les  complimens  dont  il  étoit  chargé* t 
voyant  que  Sa  Majesté  s'étoit  retirée  en  son  cabinet, 
et  craignant  qu'elle  n'écrivit  au  cardinal  pour  recevoir 
son  avis  avant  que  de  lui  répondre ,  il  fit  instance  de 
pouvoir  encore  parler  à  Sa  Majesté  avant  qu'elle 
écrivit;  ce  que  lui  étant  accordé,  il  lui  dit  que  la 
Reine  sa  mère  lui  avoit  commandé  de  lui  représenter 
le  mauvais  traitement  qu'elle  recevoit  de  Monsieur 
par  les  conseils  de  Puylaurens ,  qui  lui  faisoit  des  al- 
garades et  des  afironts  tous  les  jours  \ 

Que  quatre  ou  cinq  jours  avant  que  lui  Yilliers 
partit  de  Bruxelles ,  il  vint  dans  là  chambre  de  la 
Reine  avec  vingt-cinq  gentilshommes ,  ayant  tons  de 
longues  épées  à  leurs  côtés ,  et  faisant  comme  slls 
eussent  voulu  morguer  la  Reine,  qui  de  dépit  se  retira 
dans  son  cabinet  où  elle  pleura  long-temps ,  et  que 
Puylaurens ,  sortant  après  de  la  chambre ,  dit  qull 
étoit  venu  là  pouc  faire  voir  à  tout  le  monde  l'auto- 
rité et  le  crédit  qu'il  avoit  dans  la  maison  de  Mon- 
sieur, et  le  respectqu'on  lui  portoit;  ce  qui  augmenta 
le  déplaisir  de  la  Reine  quand  elle  le  sut,  et  ce  d'au- 
tant plus  qu'elle  savoit  que  Monsieur  n'agissoit  point 
par  lui-même,  mais  suivoit  absolument  les  monve-^ 
mens  de  Puylaurens  ; 


456  ,  [lG33]    MÉMOIRES 

Que  pour  ce  sujet  elle  supplioit  Sa  Majesté  d^avoir 
soin  de  sa  santé ,  non-seulement  pour^Famour  de  lui, 
mais  pour  lamour  d'elle ,  qui  aimeroit  mieux  moarir 
que  de  se  voir  réduire  en  Tétat  de  tomber  sous  leur  ty- 
rannie ,  la  soufirance  de  laquelle ,  avec  patience  et  sou- 
mission à  la  volonté  de  Dieu  Je  père  Sufiren  disoitêtre 
le  plus  puissant  moyen  dont  la  divine  bonté  se  ser- 
voit  pour  la  perfection  de  ladite  dame  Reine ,  laquelle 
enfin  supplioit  Sa  Majesté  sur  toutes  choses  de  croire 
qu'elle  n'avoit  eu  aucune  part  en  tout  ce  que  Mon- 
sieur avoit  fait  contre  Sa  Majesté  ;  qu'il  ne  lui  parloit 
point  d'affaires ,  et  que  même  le  dernier  voyage  de 
Languedoc  avoit  été  fait  à  son  desçu. 

Le  Roi  répondit  très-précisément  et  très-judicieu- 
sement à  toutes  CQS  choses ,  qu'il  étoit  bien  marri  du 
mauvais  traitement  qu'elle  recevoit  de  Monsieur  son 
frère ,  et  qu'elle  ne  fût  point  tombée  en  cette  peine 
s'il  lui  eût  plu  de  suivre  ses  bons  conseils  et  ceux  de 
ses  fidèles  serviteurs.  Qu'à  la  vérité  il  avoit  cru  au- 
trefois que  la  Reine  sa  mère  avoit  eu  de  raflection 
pour  lui ,  mais  qu'elle  lui  avoit  depuis  témoigné  tant 
de  mauvaise  volonté  qu'il  avoit  bien  de  la  peine  à 
croire  qu'elle  eût  pour  lui  celle  qu'elle  lui  témoignoit; 

Qu'il  savoit  la  part  qu'elle  avoit  eue  au  mouvement 
de  Languedoc,  où  ses  pierreries  avoient  été  vues  pour 
armer  la  rébellion  ; 

Qu'il  avoit  grand  déplaisir  de  voir  qu'il  n*y  eût  plus 
de  sûreté  pour  lui  en  France  si  la  Reine  sa  mère  y 
revenoit ,  non  qu'il  crut  qu'elle  voulût  elleHnémelui 
faire  du  mal ,  mais  les  méchans  et  les  brouillons  re- 
commenceroient  des  brouilleries  et  des  cabales  pires 
qu'auparavant. 


DE    RICHELIEU.    [l633]  4^7 

Sa  Majesté ,  voyant  qu'il  ne  loi  parloit  point  du 
cardinal ,  loi  demindi  s'il  n'avoit  point  cfaarge  de  le 
voir  ;  il  répondit  que  non ,  mais  qne  s^l  le  troovoil 
il  le  salaeroit ,  et  qoe  la  Reine  étoit  toujours  fort  en 
colère  contre  lui. 

A  quoi  le  Roi  lui  repartit  que  ai  la  Reine  sa  mère 
avoit  raffection  qu'elle  disoit  pour  Sa  Majesté ,  elle 
devroit  bien  aimer  le  cardinal ,  pensant  aux  grandes 
choses  que  Dieu ,  par  ses  bons  conseils ,  avoit  fait  la 
grâce  d'exécuter  à  la  gloire  de  son  État  depuis  la  prise 
de  La  Rochelle ,  mais  qu'il  voyoit  bien  que ,  tandis 
qu'elle  auroit  auprès  d'elle  pour  son  conseil  telles  gens 
comme  étoient  le  père  Chantelonbe  et  la  du  Fargis , 
il  ne  falloit  point  parler  d'accommodement,  ni  espérer 
de  pouvoir  ramener  son  esprit. 

Le  sieur  de  Villiers  répondit  à  Sa  Majesté  que  pour 
la  Fargis ,  la  Reine  la  connoissoit  pour  ce  qu'elle  étoit. 
Sa  Majesté  lui  répliqua  qu'elle  étoit  une  des  vipères 
de  Lyon  qui ,  avec  le  duc  de  Bellegarde  et  le  garde 
des  sceaux  de  Marillac  et  autres  canailles,  avoieni 
porté  la  Reine  sa  mère  à  faire  tout  ce  qu'elle  avoit  fait. 

Il  dit  au  Roi  que  la  Reine  sa  mère  étoit  fort  affli* 
gée  de  ce  que  Jacquelot  lui  avoit  rapporté  qu'à  Chan- 
tilly un  des  gentilshommes  de  la  maison  du  Roi,  qu'il 
ne  lui  sut  nommer,  lui  dit  qu'il  venoit  savoir  des 
nouvelles  de  la  santé  du  Roi ,  qu'il  se  portoit ,  grâce 
à  Dieu ,  mieux  que  l'on  ne  voudroit  au  lieli  d'pù  il 
venoit.  Le  Roi  lui  dit  que  c'étoit  la  créance  de  tout  le 
monde  de  deçà,  mais  que  celui-là  avoit  eu  la  langue 
plus  longue  que  les  autres.  ^ 

Sa  Majesté  jugea  de  tous  les  discours  de  Villiers- 
Saint-Genest  que  la  disposition  de  l'esprit  de  la  Reine 


458  [l63i5j    MÉMOIRES 

sa  mère  étoit  telle ,  qu'elle  étoit  afiligée  du  mauvais 
traitement  qu'elle  recevoit  de  Puylaurens,  mais  qu'elle 
n'étoit  pas  mieux  disposée  que  par  le  passé  pour  ceux 
qui  ëtoient  de  deçà.  Elle  crut  néanmoins  que  ce  mé- 
contentement étoit  avantageux  à  son  service  en  ce 
qu'il  feroit  approcher  Puyiaurens  de  son  devoir,  et 
Tempécheroit  de  se  tenir  si  ferme  aux  injustes  pro- 
positions qu'il  faisoit  pour  son  maître.  Sa  Majesté  ren- 
voyant Saint-Genest,  lui  commanda  d'assurer  laReioe 
sa  mère  que ,  grâce  à  Dieu ,  il  ne  se  porta  jamais 
mieux  ^  qu'il  étoit  bien  fâché  des  mëcontentemens 
qu'elle  avoit  de  delà,  mais  qu'elle  savoit  bien  qu'elle 
seule  en  étoit  cause  -,  que  si  elle  lui  mettoit  ses  mau- 
vais conseillers  entre  les  mains  pour  les  faire  châtier 
comme  ils  le  méritoient ,  et  qu'elle  aimât  ses  bons  ser- 
viteurs comme  elle  le  devroit,  il  croiroit  que  son 
cœur  seroit  du  tout  changé  de  la  mauvaise  disposi- 
tion qu'elle  avoit ,  quand  elle  étoit  sortie  de  France, 
eu  une  bonne  ;  mais  que ,  ne  voyant  ni  Tun  ni  l'autre, 
il  n'avoit  pas  lieu  de  juger  qu'elle  fut  en  Tétat  qu'il 
pouvoit  et  devoit  désirer  ;  qu'il  ne  lui  vouloit  point 
celer  qu'il  lui  étoit  tombé  un  paquet  en  main  qu*on  Ini 
avoit  envoyé  sans  qu'il  sût  d'où  il  veuoit,  écrit  de 
la  propre  main  de  Chanteloube,  du  temps  que  Sa  Ma- 
jesté avoit  renvoyé  Desroches  vers  la  Reine,  par  lequel 
ce  coquin  (0  écrivoit  en  se  moquant  de  sa  visite,  et 
assui;ant*que  la  Reine  ne  s'accorderoit  jamais;  qu'on 
attendoit  que  Desroches  revint  de  sa  part,  avec  bonne 
préparation  et  résolution  de  se  moquer  de  tout  ce  qu'il 

(i)  Ce  coquin  ;  On  voit  aircc  quelle  passion  Richelieu  parle  du  p^ 
Chanteloabe.  Cela  fait  nattre  quelques  cloutes  sur  la  rdalité  des  torts 
qn^il  lui  impute. 


DE    RICHELIEU.    [lG33]  4% 

(liroit ,  sans  cela  il  Teût  renvoyé ,  roais  qu'il  se  retint 
j)our  ce  sujet  -,  qu'il  étoit  difficile  de  croire  comme  la 
Reine  pouvoit  avoir  de  si  bonnes  intentions  qu'il  di- 
soit,  puisqu'elle  supportoit  un  maraud  d'hypocrite 
(|ui  tenoit  tels  langages  ; 

Que  le  père  Suflren  n'avoit  pas  dit  à  son  avis  à  cet 
honnête  homme  qu'il  fût  permis  de  faire  tuer  le  car- 
dinal ,  comme  il  avoit  voulu  faire  faire  par  Alfeston 
qui  ayoit  été  exécuté  à  Metz ,  le  faisant  accompagner 
par  deux  qui  avoient  été  gardes  de  ladite  dame  Reine, 
et  lui  donnant  un  des  chevaux  de  son  écurie  qu'il  con- 
noissoit  bien  étant  écuyer ,  qu'il  s'appeloit  le  Polacre, 
autrement  le  Grand-Hongre;  que  le  respect  que  Sa 
Majesté  portoit  à  la  Reine  faisoit  qu'il  le  prioit  de  lui 
ramener  ce  cheval  que  le  sieur  Bouthillier  lui  feroit 
rendre ,  et  la  prier  de  sa  part  de  ne  souffrir  point  que 
si  racchans  desseins  se  fassent  en  sa  maison,  car,  outre 
(|uc  la  personne  du  cardinal  lui  étoit  plus  chère  qu'il 
ne  lui  pouvoit  dire ,  il  lui  avouoit  qu'il  faudroit  être 
bien  simple  pour  ne  croire  pas  qu'un  méchant  homme 
qui  étoit  capable  d'un  tel  dessein  en  pourroit  faire 
d'autres.  La  Reine-mère  ne  fit  pas  plus  de  profit  de  ce 
que  Villiers-Saint-Genest  lui  rapporta  de  la  partduRoi, 
qu  elle  avoit  fait  auparavant  de  tous  les  autres  moyens 
dont  Sa  Majesté  s'étoit  servie  pour  la  rappeler  à  son 
devoir;  elle  demeura  toujours  dans  ses  sentimens,  et 
sans  condescendre  à  rien  de  ce  que  Sa  Majesté  dési- 
roit  d  elle.  Elle  continuoit ,  sous  divers  sujets  frivoles, 
d'envoyer  les  siens  vers  le  Roi,  lesquels  on  avoit  lieu 
d'appréhender  qu'ils  vinssent  à  autres  desseins  :  elle 
envoya  ,  le  i4  décembre  ,  le  sieur  Jacquelot  sous 
ombre  de  quelqu'un  de  ses  chariots  qu  elle  disoit  lui 


46o  fl633]   MÉMOIRES 

avoir  été  arrêté  à  Péronne,  qui  lui  fut  renvoyé  quand 
le  Roi  en  eut  avis ,  mais  qui  n'étoit  pas  un  sujet  qui 
méritât  qu'elle  dépéchât  un  gentilhomme  exprès.  Cela 
obligea  Sa  Majesté  de  lui  mander  par  ledit  Jacquelot 
que ,  puisqu'elle  n'avoit  point  d'égard  à  ce  qu^il  avoit 
chargé  le  sieur  de  Villiers  de  lui  dire  de  sa  part,  tou- 
chant les  mauvais  conseils  qui  lui  avoient  été  donnés 
depuis  long-temps  y  il  avoit  commandé  audit  Jacque- 
lot de  lui  faire  connoitre  que  les  voyages  qu'elle 
pourroit  faire  faire  de  deçà  ne  lui  seroient  pas  agréa- 
bles ,  vu  qu'elle  n'étoit  pas  disposée  à  ce  que  la  rai- 
son requerroit  afin  qu'ils  lui  fussent  utiles. 

L'effet  que  cette  lettre  de  Sa  Majesté  produisit  fut 
que  la  Reine  sa  mère  envoya  à  Paris  un  de  ses  gen- 
tilshommes domestiques ,  nommé  Brasseux ,  parent 
du  père  Joseph ,  audit  père ,  pour  lui  témoigner  qu'il 
lui  feroit  plaisir  de  disposer  le  Roi  à  se  réconcilier 
avec  elle  et  la  recevoir  en  France. 

Ledit  Brasseux  s'adressa  au  sieur  du  Tremblay,  qui 
le  blâma  fort  d'être  venu  sans  passe-port,  le  Roi 
ayant  dit  à  Jacquelot  qu'il  ne  vouloit  plus  qu'elle  ren- 
voyât ici,  si  elle  ne  lui  vouloit  mettre  Chantelonbe,  et 
autres  auteurs  et  participans  des  assassinats  qu'on 
avoit  voulu  faire  et  des  mauvais  conseils  qu^elle  avoit 
pris  j  entre  les  mains. 

Le  père  Joseph  ne  le  voulut  point  voir  ,  puisqu'il 
n'apportoit  pas  satisfaction  au  Roi ,  et  lui  dit  qu'il 
s'emploieroit  volontiers  à  ce  que  désiroit  la  Reine , 
si  elle  se  mettoit  au  chemin  qu'elle  savoit  bien  qu'il 
faudroit  pour  ce  faire. 

Quinze  jours  après  elle  envoya  à  M.  BouthiUier  un 
nommé  Chantemèle  son  parent  pour  lui  faire  la  même 


DE   RICHELIEU.    [l633J  4^1 

proposition,  à  laquelle  ledit  sieur  Bouthillier  répondit 
avec  tout  respect,  comme  le  père  Joseph  avoit  fait 
faire  par  le  sieur  du  Tremblay  son  frère. 

Bien  que  ces  envois ,  sans  aucune  proposition  de 
la  part  de  ladite  dame  Reine,  fussent  avec  peu  d'ap- 
parence de  bonne  intention  de  sa  part,  et  moins  d'es- 
pérance qu'ils  dussent  produire  aucun  fruit,  la  ma- 
tière néanmoins  étoit  si  importante  et  si  chère  à  Sa 
Majesté,  qu'elle  en  voulut  délibérer  mûrement  en  son 
conseil. 

Là  il  lui  fut  remontré,  le  i8  décembre,  qu'elle  avoit 
jusqu'ici  témoigné  avoir  une  mauvaise  volonté  contre 
rÉtat  ;  que  le  Roi ,  auparavant  qu'elle  se  retirât  de 
France,  lui  avoitofi'ert  toutes  sortes  de  conditions  d'ac- 
commodement ,  demeure  à  son  choix ,  places  et  gou- 
vernemens  *,  qu'elle  connoissoit  bien  par  là  qu'on  ne 
vouloit  user  d'aucune  rigueur  en  son  endroit,  et  ce- 
pendant, sans  sujet  aucun  de  crainte ,  elle  s'étoit  re- 
tirée  avec  les  ennemis  déclarés  de  cet  État  ;  ce  qu'elle 
ne  pouvoit  avoir  fait  sans  un  extraordinaire  dessein 
de  vengeance  et  d'irréconciliatiou  éternelle  ; 

Qu'elle  savoit  bien  que  le  Roi  avoit  et  devoit  avoir 
une  extrême  jalousie  de  son  union  avec  Monsieur, 
son  frère ,  héritier  présomptif  de  la  couronne  ; 

Quelle  savoit  bien  encore  que,  se  retirant  avec 
les  Espagnols ,  tous  les  bons  Français  condamneroient 
celte  action ,  et  reconnoitroient  qu'elle  étoit  contre 
le  sentiment  de  la  nature  envers  son  fils. 

Qu'ayant  passé  par  dessus  toutes  ces  considéra- 
tions ,  les  aveugles  ne  pouvoient  ne  voir  pas  qa'il  y 
avoit  un  dessein  d'irréconciliation  perpétuelle,  à  qaoî 
il  falloit  bien  prendre  garde  ^ 


462  [l633]   MÉMOIRES 

Que  cette  aversion  du  Roi  et  de  TÉtat  lui  avoit 
toujours  continué  depuis  Tunion  avec  les  Espagnols 
et  TEmpire  ;  le  soulèvement  du  Languedoc  en  étoit 
un  évident  témoignage,  et  encore  de  nouveau  la  ma- 
nière dont  elle  avoit  reçu  les  très-humbles  soumis- 
sions  que  Desrocîîes  lui  avoit  faites  de  la  part  du 
cardinal ,  et  la  confession  de  Villiers-Saint*Genest  â 
Sa  Majesté,  à  laquelle  il  avoit  avoué  franchement 
qu'elle  avoit  encore  le  cœur  ulcéré  contre  ledit  car- 
dinal. Qu'à  la  vérité  elle  faisoit  lors  semblant  de  voa- 
loir  se  remettre  avec  le  Roi ,  mais  qu'il  y  avoit  peu  de 
sujet  de  prendre  confiance  en  ses  paroles ,  si  elles 
n'étoient  appuyées  d'effets  irréprochables  ;  que  Sa 
Majesté  se  devoit  souvenir  que  le  procédé  qu'elle 
avoit  gardé  en  toutes  choses ,  montroit  qu'il  ne  falloit 
point  du  tout  prendre  garde  à  ses  paroles,  et  que 
lorsqu'elle  assuroit  le  plus  qu'elle  n'avoit  point  de 
dessein,  c'étoit  lors  qu'on  devoit  tenir  plus  assuré 
qu'elle  en  avoit  quelqu'un  dans  l'esprit; 

Qu'elle  en  avoit  toute  sa  vie  usé  de  la  sorte  :  étant 
à  Blois  elle  avoit  juré  sur  les  Évangiles  qu'elle  ne  pen- 
seroit  point  à  en  sortir,  et  au  même  temps  elle  pré- 
paroit  son  évasion.  En  ces  dernières  occasions  elle 
avoit  toujours  soutenu  ce  qui  étoit  évidemment 
faux ,  avec  autant  d'assurance  que  s'il  eût  été  vé- 
ritable ; 

Que,  quand  elle  donna  des  pierreries  à  Monsieur, 
elle  en  avoit  usé  de  la  sorte,  disant  qu'elle  Ta  voit  fait 
sans  y  penser  ; 

Que,  quand  Monsieur  étoit  sorti  de  la  cour,  elle 
avoit  fait  la  même  chose,  soutenant  qu'elle  n'en  sa- 
voit  rien,  bien  que  Monsieur  eût  déclaré  même  i 


DE    RICHELIEU.    [l633J  4^3 

Courlenay  qu'elle  Tavoit  fait  sortir;  ce  que  le  maré- 
chal d'Eslrëes  disoit  avoir  su  d^ailleurs; 

Quand  elle  avoit  voulu  un  prétexte  pour  ne  sortir 
point  de  Compiègne ,  elle  avoit  feint  aussi  hardiment 
qu  on  la  vouloit  enlever  avec  des  galères  ,  ce  qui  n'é- 
toit  point,  comme  s'il  eût  été  vrai;  et  cependant  le 
maréchal  d'Estrées  avoit  dit  qu^il  savoit  bien  qu'elle 
n'avoit  pris  cela  que  pour  prétexte; 

Que,  quand  Sourdeac  fit  courir  le  bruit  qu'elle  s'étoit 
retirée,  elle  dit  aussi  hardiment  que  c'étoitle  cardinal 
qui  étoit  auteur  de  ce  bruit,  comme  s'il  l'eût  été  ; 

Que,  par  ses  lettres  et  à  ceux  à  qui  elle  parloit, 
elle  imputoit  à  crime  qu'on  pensât  seulement  qu'elle 
se  pût  retirer  avec  l'Espagnol. 

Enfin ,  quelle  feinte  et  quelle  dissimulation  n'avoit- 
elle  pas  faites  pour  ravoir  Vautier,  faisant  semblant 
de  le  vouloir  chasser?  et  encore  depuis  peu  de  jours 
n  avoit  point  eu  de  honte  de  protester  à  Sa  Majesté, 
par  Villiers-Saint-Genest ,  qu'elle  n'avoit  eu  aucune 
part  au  mouvement  du  Languedoc  ,  qu'on  sait  néan- 
moins n'avoir  commencé  et  subsisté  que  par  elle. 

Et  partant,  que  la  simple  apparence  qu'elle  donnoit 
maintenant  de  vouloir  se  réconcilier  avec  le  Roi  étoit 
point  ou  peu  considérable. 

Davantage,  qu'on  ne  voyoit  aucun  profit  qu'on  pût 
retirer  de  son  retour,  ains  beaucoup  de  mal; 

Que  le  retour  de  Monsieur  en  seroit  moins  certain, 
à  cause  de  la  mauvaise  intelligence  qui  étoit  entre  la 
Reine  et  lui,  qui  n'étoit  pas  un  motif  peu  puissant 
pour  porter  Puylaurens  à  penser  au  retour  de  Mon- 
sieur, pour  éditer  les  lieux  où  la  Reine  étant  pré- 
sente lui  pouvoit  faire  recevoir  des  effets  de  la  haine 


464  [l633J   MÉMOIRES 

mortelle  qu'elle  Importe*,  ce  qui  faisoit  que ,  si  elle 
venoit  en  France ,  il  auroit  moins  d'inclinaliou  cTy 
amener  Monsieur,  et  ledit  Puylaurens  pourroit plus 
facilement  être  retenu  en  Flandre  par  les  amours  (0, 
qui  jusques  ici  n'avoient  pas  peu  servi  à  empêcher 
qu'il  n  en  sortit.  De  plus  j  que ,  supposé  que  Monsieur 
revint,  le  fruit  de  son  retour  seroit  moins  assure, 
parce  qu  étant  tous  deux  ils  pourroient  avec  le  temps 
se  réunir  et  prendre  de  nouveaux  desseins  par  la^ug- 
gestion  de  la  Reine ,  qui  jusques  ici  avoit  témoigné 
Être  irréconciliable  dans  le  cœur,  lors  même  qu'elle 
donnoit  de  belles  apparences ,  et  la  dissolution  de  soa 
mariage  plus  incertaine ,  quelque  volonté  qu'il  en 
eût,  la  Reine  n'ayant  autre  but  que  de  Tempecher; 
et  quand  elle  seroit  faite  elle  seroit  moins  stable, 
vu  que  la  Reine  étoit  la  seule  personne  qui  pourrait 
solliciter  Monsieur  contre  ce  que  Ton  pouvoit  dési- 
rer-,  qu'il  seroit  moins  libre,  pour  la  même  raison, 
de  remarier  Monsieur  à  qui  le  Roi  le  jugeroit  à  pro- 
pos ,  et  principalement  avec  la  princesse  Marie  que 
la  Reine  avoit  en  aversion  particulière  ^ 

Que  le  repos  du  royaume  en  seroit  moins  assuré , 
étant  certain  que  beaucoup  de  gens  se  fieroient  vo- 
lontiers à  la  Reine  des  mauvais  desseins  qu'ils  aa- 
roient  contre  TEtat ,  pour  la  connoître  résolue  et  obs- 
tinée à  se  venger ,  au  lieu  qu'ils  n'oseroient  prendre 
la  même  confiance  en  Monsieur,  qu'ils  estimoient lé- 
ger, parce  qu'ils  en  connoissoieut  la  bonté,  et  que  de 
soi-même  il  n'étoit  pas  enclin  à  mal  faire  ; 

(i)  Retenu  en  Flandre  par  les  amours  :  On  a  to  qne  Pajlnrc» 
«ftoit  Tamanc  de  la  princesse  de  Phalsbourg ,  c|ui  vrq^t  suivi  à  DiiiirMn 
la  princesse  Marguerite  sa  sœur. 


DE    RICHELIEU.    [l633J  4^5 

Que  la  tranquillité  de  TespritâuRoi  seroit  moins 
grande ,  et  la  sûreté  de  sa  personne  moindre  dans  Ti- 
magination  de  beaucoup  de  gens; 

Que  Tobéissance  qui  est  maintenant  rendue  au 
Roi  de  toutes  les  parts  de  son  royaume  ne  seroit  plus  si 
absolue,  d autant  que  ceux  qui  voudroient  s'en  dis- 
penser croiront  avoir  du  soutien ,  et  au  lieu  que  la 
crainte  les  retenoit  maintenant  en  leur  devoir,  lors 
Tespérance  qu'ils  concevroient  d'être  un  jour  récom- 
pensés de  leur  crime ,  les  rendroit  plus  hardis  à  Ten- 
treprendre  ; 

Que  la  vie  des  serviteurs  duRoi,  contre  lesquels  on 
avoit  fait  visiblement  divers  attentats  de  loin ,  seroit 
ouvertement  en  compromis,  étant  bien  plus  aisé  d'y 
entreprendre  de  près,  et  quand  on  auroit  un  pied 
dedans  la  France ,  qu'en  étant  dehors. 

Au  reste ,  quand  même  la  Reine  et  Monsieur  se- 
roient  tous  deux  demain  contens  du  Roi  dans  le 
royaume ,  et  du  tout  divisés  entre  eux ,  qu'il  étoil 
certain  que  dans  trois  mois  ils  seroient  mécontens, 
quelque  soin  que  Ton  prit  de  les  satisfaire ,  et  se  réu- 
niroient  par  leur  mécontentement,  et  formeroient  un 
parti  puissant;  au  lieu  que,  si  Monsieur  étoit  dans  le 
royaume  et  la  Reine  dehors,  la  distance  des  lieux 
feroit  qu  ils  ne  le  pourroient  pas  (aire  aisément. 

Cependant  le  conseil  ne  laissa  pas  de  conclure  que, 
si  la  Reine  vouloit  témoigner  être  innocente  des  as- 
sassinats quon  avoit  entrepris  depuis  peu,  au  moins 
par  la  sollicitation  des  siens  plus  confidens,  ou  le  re- 
pentir d'iceux,  en  livrant  à  la  justice  du  Roi  les  au- 
teurs de  si  pernicieux  conseils ,  Sa  Majesté  devoit  la 
recevoir  en  son  royaume,  lui  donner  la  jouissance 
T.    ^7-  3o 


466  [l63i]   MÉMOIRES 

de  son  bien  et  de  toutes  ses  pensions ,  pour  en  vivre 
librement  en  quelqu'une  de  ses  maisons  éloignée  de 
la  cour,  au  moins  jusques  à  ce  qu'on  eût  des  preuves 
nettes  de  sa  conduite. 

Mais  que  si  au  contraire  elle  ne  vouloit  point 
donner  cette  preuve  raisonnable  de  son  innocence  ou 
de  son  repentir ,  la  recevoir  en  ce  royaume  étoit  se 
mettre  un  serpent  dans  le  sein ,  d'autant  plus  dange- 
reux qu'il  n'étoit  pas  permis  de  lui  faire  mal  y  lorsque 
même  on  en  recevoit  les  piqûres  les  plus  mortelles  ; 
ce  qui  faisoit  que  le  seul  moyen  de  s'en  garantir  in- 
nocemment étoit  de  la  tenir  éloignée. 

Mais  les  propositions  que  le  Roi  lui  faisoit  avoient 
beau  être  justes,  et  pour  son  avantage  aussi  bien  que 
du  service  de  Sa  Majesté ,  elle  n'avoit  point  d'inten- 
tion de  les  exécuter  ni  de  condescendre  à  aucune 
chose  raisonnable,  d'autant  qu'elle  nourrissoit  tou- 
jours en  son  esprit  les  premières  espérances  qu'elle 
avoit  conçues,  que,  par  le  moyen  et  les  forces  de 
l'Espagne,  .elle  contraindroit  le  Roi  de  se  soumettre 
à  sa  volonté ,  ou  plutôt  aux  indignes  passions  des 
siens. 

Lorsqu'elle  commença  à  témoigner  désirer  se  rap- 
procher du  Roi ,  ce  fut  au  temps  qu'elle  apprit  que 
les  continuelles  poursuites  que  le  Roi  faisoit  pru- 
demment par  personnes  interposées  auprès  de  Mon- 
sieur ,  faisoient  quelque  impression  en  son  esprit  pour 
le  rapprocher  de  sou  devoir.  Elle  le  vouloit  empê- 
cher ,  et  crut  ne  le  pouvoir  par  une  voie  plus  facile 
que  de  faire  semblant  de  traiter  elle-même,  et  qn*elle 
en  étoit  fort  recherchée  de  la  part  du  Roi  et  du  car- 
dinal ,  afin ,  par  ce  moyen ,  de  donner  créance  que  les 


DE   RICHELIEU.    [l633J  4^7 

afl'airos  de  Sa  Majesté  ne  pou  voient  plus  long-temps 
supporter  son  éloignement ,  et  quant  et  quant  espé- 
rance à  Puylaurens  de  pouvoir  obtenir  facilement 
toiiles  les  demandes  qu'il  voudroit  faire,  et  partant 
ve(|iiérir  du  Roi  des  ckoses  si  importantes  à  son  Etat , 
qno  le  cardinal ,  qu'elle  savoit  bien  qui  ne  se  relâche- 
roit  jamais  à  condescendre  à  ce  qui  préjudicieroit  à 
son  service ,  le  déconseilleroit  de  les  lui  accorder. 

Ce  mauvais  dessein  eut  son  effet  pour  lors,  car 
Puylaurens,  qui,  comme  nous  avons  dit  ci-devant, 
vAo'xl  mal  avec  elle,  avoit  porté  Tesprit  de  Monsieur 
à  s'accommoder  avec  le  Roi,  et  ensuite  Monsieur 
avoit  dépéché,  dès  le  mois  de  juillet,  le  sieur  Del* 
bène  à  Sa  Majesté ,  avec  charge  de  Tassurer  que  pour 
se  remettre  en  ses  bonnes  grâces  il  se  départiroit  de 
toutes  sortes  d'alliances,  traités,  intelligences  et pra* 
tiques,  avec  qui  que  ce  soit  dedans  et  dehors  le 
royaume; 

Qu  il  ne  vouloit  prendre  aucune  part  en  ce  qui  re- 
gardoit  présentement  ou  à  l'avenir  M.  de  Lorraine  \ 

Que,  si  Ton  jugeoit  à  propos,  ledit  seigneur, 
(!omme  aussi  ledit  sieur  de  Puylaurens,  romproient 
ouvertement  avec  la  princesse  de  Phalsbourg. 

Que  le  sieur  de  Puylaurens  déclaroit  ingénument 
((u  il  étoit  mal  avec  la  Reine-mère,  les  Espagnols  et 
!M.  d'Elbeuf,  et  qu'il  désiroit,  pour  réparer  ses  fautes 
passées,  faire  tout  ce  qui  lui  seroit  possible  près  de 
Monsieur  pour  le  maintenir  dans  le  service  etl'obéis^ 
sance  du  Roi. 

Delbène  dit  que  pour  cet  effet  il  désiroit  suivre 
désormais  les  bons  conseils  du  cardinal  et  ôter  tous 
les  sujets  de  défiance  que  Ion  pourroitprendredelui  ; 

3o. 


468  [l633J   MÉMOIRES 

Que  Monsieur  supplioit  le  Roi  de  lui  faire  savoir 
en  quel  lieu  de  son  obéissance  il  lui  plairoit  qu'il  de- 
meurât pour  quelque  temps ,  en  attendant  que  Sa  Ma- 
jesté eût  agréable  qu'il  retournât  à  la  cour;  qnll  dé- 
claroit  n'avoir  point  de  choit  d'aucune  province , 
mais  qu'il  supplioit  le  Roi  de  trouver  bon  qa'en  celle 
où  il  Tenverroit  il  pût  y  être  garanti  des  premières 
appréhensions  et  des  ombrages  que  lui  pourroient 
donner  ceux  qui  ne  le  désireroient  pas  voir  rentrer 
en  la  coniSance  de  Sa  Majesté  ; 

Que  y  pour  témoigner  combien  Monsieur  estimoit 
la  prudence  et  les  conseils  du  cardinal ,  il  vouloit  se 
remettre  à  lui  sur  le  choix  du  lieu  de  sa  demeure , 
s'assurant  que ,  sous  les  commandemens  du  Roi ,  il 
auroit  égard  qu'il  pût  y  avoir  une  sûreté  telle  qu'il 
fût  garanti  desdites  appréhensions. 

Sa  Majesté  ayant  ouï  Delbène  l'envoya  au  cardi- 
nal ,  auquel  il  dit  qu'il  avoit  charge  particulière  de  loi 
dire  que ,  si  le  Roi  trouvoit  bon  que  Puylaurens  eût 
assurance  de  sa  personne  par  l'alliance  avec  ledit  car- 
dinal ,  à  qui  il  demandoit  par  lui  la  moindre  de  ses 
parentes ,  il  serviroit  fidèlement  et  agréablement  le 
Roi  en  choses  qui  lui  seroient  très- utiles. 

Ledit  Delbène  étant  pressé  de  les  dire  par  le  car- 
dinal, il  fit  connoitre  ouvertement  que  le  mariage  de 
Monsieur  étoit  fait  avec  la  princesse  Marguerite,  et 
que  Puylaurens  trouveroit  les  moyens  de  le  rompre, 
pourvu  qu'il  fût  assuré,  ce  qu'il  ne  demandoit  plus 
d'être  par  une  place  frontière  qu'il  savoit  bien  qu*on 
ne  lui  donneroit  pas ,  mais  par  le  mariage  proposé. 

Le  cardinal  lui  ayant  répondu  qu'il  sauroit  la  vo- 
lonté du  Roi  sur  ce  sujet,  et  qu'en  son  particulier  il 


DE    RICHELIEU.    [l633J  4^ 

cstimeroit  toujours  fort  Tamitiéde  Puyiaureos  quand 
il  scroit  dans  le  service  du  Roi  comme  il  devoit  être, 
communiqua  le  tout  aux  garde  des  sceaux  Bouthiliier 
et  père  Joseph  j  qui  ëtoient  dans  la  chambre ,  esti- 
mant que  c'étoit  une  grande  découverte  de  savoir 
que  le  mariage  de  Lorraine  ëtoit  fait  et  consommé , 
et  que  Puylaurens  voulût  donner  les  moyens  de  le 
rompre. 

Le  cardinal  envoya  Bouthiliier  le  secrétaire  d'État, 
que  nous  appellerons  dorénavant  le  sieur  de  Chavi- 
gny ,  trouver  le  Roi ,  pour  lui  dire  tout  ce  qui  s'étoit . 
passé  et  recevoir  ses  ordres. 

Sa  Majesté  manda  au  cardinal  par  lui  qu'il  fid- 
loit  faire  bonne  réponse  audit  Delbène  sur  le  siyet 
du  mariage  qu'il  avoit  proposé  ,  l'en  laisser  dans  l'es- 
péra noe.  , 

Le  cardinal ,  conformément  k  cela ,  lui  dit  que  le 
Roi  approuvoit  l'alliance  qu'il  avoit  mise  en  avant , 
pourvu  que  M.  de  Puylaurens  lui  rendît  le  service 
qu'il  proposoit  sur  le  sujet  de  la  rupture  du  mariage 
de  Monsieur;  qu'en  son  particulier  il  seroit  très-aise 
de  servir  ledit  Puylaurens  s'il  prenoit  un  chemin 
contraire  à  celui  qu'il  avoit  fait  jusqu'alors; 

Que ,  pour  ce  qu'il  avoit  demandé  pour  Monsieur^ 
8a  Majesté  lui  accordoit  ce  qu'il  pou  voit  désirer  rai- 
sonnablement, qui  étoit  que  le  Roi,  inclinant  à  la 
supplication  très-humble  que  Monsieur ,  son  frère, 

lui  avoit  faite  par  sa  lettre  du ,  de  vouloir  encore 

oublier  la  nouvelle  faute  qu'il  avoit  commise,  sortant 
du  royaume  depuis  qu'il  avoit  plu  à  Sa  Majesté  le 
remettre  l'année  passée  en  sa  grâce,  étant  à  Béziers, 
<;ur  l'assurance  qu'il  lui  donnoit  qu'il  renonçoit  pour 


470  [lti33J    MÉMOIRES 

jamais  à  toutes  intelligences  étrangères  j  sans  excep- 
tion quelconque,  et  à  celle  de  toute  autre  personne 
qui  voulût  troubler  la  prospérité  des  affaires  du  Roi , 
Sa  Majesté  ne  doutant  point  que  les  sentimens  du 
cœur  de  Monsieur,  son  frère,  ne  fussent  conformes 
à  ses  paroles,  et  tenant  pour  assuré  qu'à  l'avenir  il 
auroit  un  perpétuel  contentement  de  ses  actions ,  lui 
remettoit  de  très-bon  cœur  la  susdite  faute  qu'il  avoit 
commise,  et  vouloit  et  entendoit  que  la  grâce  qu'il 
lui  accorda  à  Béziers  sortit  son  plein  et  entier  effet 
ponr  lui  et  pour  les  siens,  ainsi  que  s'il  ne  fût  rien 
arrivé  qui  en  eût  interrompu  le  cours ,  pardonnant  de 
nouveau  tout  ce  qui  pouvoit  depuis  avoir  éié  fait 
coi^tre  son  service,  ainsi  qu'à  Béziers  Sa  Majesté  avoit 
usé  de  pareille  grâce  pour  ce  qui  avoit  été  fait  au- 
paravant; 

Et  d'autant  que  Monsieur,  son  frère,  lui  avoit  fait 
témoigner  par  Delbène  qu'il  se  sentiroit  grandement 
obligé  si  Sa  Majesté  avoit  agréable  de  lui  accorder 
une  autre  demeure  que  la  ville  de  Tours,  où  elle 
désira  qu'il  allât  l'année  passée ,  Sadite  Majesté  trou- 
voit  bon  que  mondit  sieur  son  frère  pût  demeurera 
Moulins  et  autres  lieux  du  Bourbonnais,  Trévoux  ou 
Dombes,  ainsi  qu'il  lui  plairoit;  et  afin  qu'il  put  être 
auxdits  lieux  avec  plus  de  dignité.  Sa  Majesté  loi 
permettoit  d'avoir  avec  lui  la  compagnie  de  ses  gardes 
et  celle  de  ses  chevau-légers ,  du  nombre  qu'il  plai* 
roit  à  Sa  Majesté  lui  ordonner,  et,  qui  plus  est,  de 
tenir  dans  Trévoux  quarante  hommes  comme  en  gar- 
nison, afin  que,  quand  il  voudroit  inopinément  y  aller 
chasser,  il  y  trouvât  ce  nombre  de  gens  pour  faire 
garde  devant  son  logis. 


DK    RICUEU£U.    [l633]  4?^ 

La  Reine,  ayant  quelque  vent  de  la  disposition  de 
Monsieur  à  désirer  s'accommoder,  ne  trouva  meil- 
leur moyen  delà  traverser  que  défaire  semblant d*étre 
recherchée  du  Roi  de  traiter. 

Delbène,  qui  ëtoit  bien  intentionné  et  ne  savoit 
rien  de  ses  ruses ,  est  étonné  qu'à  son  retour  il  trouve 
Tesprit  de  Puyiaurens  si  changé,  qu'au  lieu  de  vou- 
loir approuver  qu'on  rompit  le  mariage  de  Monsieur, 
il  insistoit  qu'on  l'approuvât. 

Ledit  Delbène  le  mande  en  août  à  son  frère  pour 
en  donner  avis  au  cardinal,  et  quant  et  quant  qu'on 
le  vouloit  renvoyer,  mais  que  ce  n'étoit  que  pour 
amuser  et  donner  temps  à  M.  de  Lorraine ,  et  que  le 
principal  auteur  de  ce  conseil  étoit  le  sieur  d'Elbeuf , 
ce  dont  il  avertissoit,  ne  voulant  pas  être  instrument 
à  tromper. 

Depuis ,  l'abbé  Delbène  vint  trouver  le  Roi  éiati^t 
à  Nancy ,  et  lui  dit  que  Monsieur  vouloit  bien  accep- 
ter ce  qui  lui  avoit  été  proposé ,  pourvu  que  Sa  Mar 
jesté  approuvât  son  mariage  et  reçût  sa  femoie,  et 
qu  on  lui  donnât  un  nouveau  gouvernemept. 

11  fut  renvoyé  avec  charge  de  dire  à  Monsieur,  que 
le  Roi  n'approuveroit  point  son  mariage ,  et  que  s'il 
vouloit  cette  condition  il  n'avoit  rien  à  espérer ,  l« 
Roi  ne  la  pouvant  consentir. 

Depuis  il  est  revenu  à  Paris  le  i5  novembre, 
disant  qu'il  y  auroit  peut-être  moyen  d'obtenir  de 
Monsieur  qu'il  s'accordât  sur  le  sujet  de  son  mariage 
à  ce  que  désiroit  le  Roi  ;  que  Puyiaurens  y  feroit  son 
possible ,  si  le  Roi  vouloit  donner  à  Monsieur  te  gou- 
vernement de  Champagne  ou  de  Bourgogne  et  une 
place. 


On  crut  qu'il  désiroit  Mâcon  pour  Puylaureus, 
pour  donner  espérance  aux  Espagnols  que  par  cette 
place  il  avoit  moyen  de  former  un  parti  en  France  \ 
Sa  Majesté  crut  la  lui  devoir  accorder  pour  tirer 
Monsieur  du  péril  présent  auquel  il  étoit,  et  parce  qu^il 
sait  bien  qu'ayant  bon  pied,  bon  oeil ,  il  empécheroit 
bien  qu'avec  cette  place  on  ne  formât  point  de  parti. 
Ainsi  Sa  Majesté  renvoya  ledit  abbé  avec  charge  de 
faire  savoir,  que  si  Monsieur  vouloit  consentir  à  son 
démariage  et  se  remarier  au  gré  duRoi,  Sa  Majesté  lui 
donneroit  le  gouvernement  d'Auvergne,  le  remet- 
troit  en  ses  apanages  et  ses  pensions ,  pardonoeroit 
à  tous  ceux  qui  Tont  servi  et  suivi ,  et  les  remettroit 
en  leurs  biens ,  fors  au  Coigneux ,  Monsigot  et  aux 
évéques  poursuivis  ;  qu'il  donneroit  Mâcon  à  Puylau- 
rens ,  et  pour  plus  grande  sûreté  de  cette  promesse 
le  Roi  se  résolut  d'aller  au  parlement  pour  y  faire  une 
déclaration  que  nous  verrons  l'année  suivante ,  qui 
rendant  sa  parole  publique  la  rendoit  aussi  invio- 
lable aux  esprits  même  les  plus  méfians  ;  mais,  pour- 
ce  que  plusieurs  peu  considérés  se  laissoient  si  fort 
aller  au  désir  qu'ils  avoient  que  Monsieur  re^^t, 
qu'il  n'y  avoit  chose  qu'ils  n'eussent  accordée  pour 
préjudiciable  qu'en  pût  être  la  suite ,  Sa  Majesté  tint 
conseil  sur  cette  affaire  le   i8  décembre,   auquel 
le  cardinal  remontra  qu'il  s'agissoit  de  faire  revenir 
Monsieur  en  France  ou  le  laisser  en  Flandre; 

Que  pour  ne  pas  se  tromper  en  cette  affaire,  il  &1- 
loit  la  considérer  selon  toutes  les  diverses  faces  qu'idle 
pouvoit  avoir. 

Si  Monsieur  demeuroit  où  il  é  toit ,  il  étoi  t  certain  que 
lesavantagesquel'on  procuroit  maintenant  à  laFrance 


UE    HICHELIEU.    [l633j  4?*^ 

seroient  peu  stables  pour  lavenir,  et  qu apparem- 
ment rhabitude  et  la  liaison  qu'il  contractoit  de  plus 
en  plus  avec  les  Espagnols,  lui  pourroit  donner  lieu 
de  renverser  un  jour  en  un  instant  tout  le  bien 
qu'on  auroit  procuré  à  ce  royaume  en  beaucoup 
d'années,  non  sans  grande  peine;  mais  comme  en  ce 
cas  tels  malheurs  étoient  à  craindre ,  Monsieur  étant 
éloigné  comme  il  étoit,  on  étoit  garanti  du  mal  pré- 
sent qu'il  pourroit  faire  s'il  étoit  en  Franoe  avec  mau- 
vaise intention. 

Si  Monsieur  revenoit  à  conditions  dont  on  ne  put 
juger  apparemment  que  TEtat  pût  recevoir  du  mal, 
et  qui  toutefois  lui  fussent  avantageuses ,  comme 
étoient  celles  que  le  Roi  lui  offroit,  ce  seroit  assuré- 
ment le  bien  de  TEtat ,  attendu  qu'outre  que  son 
retour  sembloit  devoir  nous  garantir  des  maux  de 
l'avenir ,  il  pouvoit  aussi  rendre  Tétat  de  la  France 
d'autant  plus  considérable  que  les  principales  puis- 
sances ne  seroient  plus  divisées. 

Mais  si  Monsieur  revenoit  aux  conditions  de- 
mandées par  le  sieur  de  Puylaurens,  qui,  outre  l'Au- 
vergne que  l'on  accordoit  à  Monsieur,  vouloit  une  des 
meilleures  places  de  la  frontière  de  Bourgogne ,  où 
Monsieur  et  tous  ses  serviteurs  pussent  demeurer 
éloignés  de  la  cour  en  toute  liberté ,  il  y  auroit  en  ce 
cas  beaucoup  k  craindre  et  peu  à  espérer.  . 

Beaucoup  à  craindre ,  d'autant  que  par  ce  moyen 
Monsieur  seroit  bien  plus  lié  et  plus  considérable 
({u'il  n'étoit  présentement  aux  Espagnols ,  qu'on  sa- 
voit  certainement  n'avoir  jamais  désiré  autre  chose 
sinon  c|u'il  eût  un  pied  en  France,  et  en  situation  telle 
f|u  étant  proche  d'eux  non-seulement  le  pussent-ils 


474  flC)33j    MIÎMOIKES 

iiiaiiilcnii',mais  queii  outre  il  leur  pût  donner  entrée 
libre  en  France  quand  ils  seroient  en  ëlat  de  la  trou- 
bler, comme  ils  avoient  fait  par  le  passé  ;  en  ce  cas  it 
étoit  certain  qu'on  n'oseroit  plus  rieil  entreprendre 
aux  pays  étrangers,  soit  pour  secourir  nos  alliés,  soit 
pour  étendre  les  bornes  de  cet  État ,  pource  qu*aa 
même  temps  on  auroit  h  craindre  une  diversion  par 
cette  place ,  et  quand  même  on  ne  la  feroit  pas  ac- 
tuelle ,  on  en  donneroit  tant  d'alarmes ,  sans  même 
qu'on  pût  s'en  plaindre  ouvertement,  qu'on  auroit 
tout-à-fait  les  mains  liées  ; 

Qu'au  reste  il  étoit  certain  que  si  les  maufais 
Français  voyoient  à  Monsieur  un  établissement  puis- 
sant et  fort  en  France ,  ils  reprendroient  cœur  et 
dessein  de  mal  faire  -,  et  tel  qui  témoignoit  à  cette 
heure  être  bien  affectionné ,  tourneroit  casaque  OQ- 
vertement  surTespérance  qu'il  auroit  d'impunité; 

Que  les  huguenots  mêmes  qui  étoient  abattus,  ne 
perdroient  aucun  temps  de  se  relever  s'ils  en  voyoient 
l'occasion. 

Restoit  ù  voir  si  on  pouvoit  avec  conscience,  hon- 
neur et  utilité,  promettre  ladite  place  pour  faire  venir 
Puylaurens ,  et  l'arrêter  au  lieu  de  la  donner  ; 

Qu'il  n'y  avoit  pas  grand  lieu  de  douter  pource  qui 
est  de  la  conscience ,  vu  les  mauvais  desseins  qa*on 
savoit  qu'il  avoit  contre  l'Etat  ;  mais  il  y  avoit  plus  de 
difliculté  pour  l'honneur,  qui  seroit  visiblement  inté- 
ressé en  cette  occasion ,  quelque  prétexte  qu'on  pût 
prendre  ,  étant  certain  qu'on  ne  pouvoit  manquer 
de  parole  (ce  que  jusqu'ici  on  n'avoit  point  encore 
fait)  sans  recevoir  un  préjudice  irréparable. 

Mais  que  tant  s'en  falloit  qu'on  y  vit  aucune  utilité, 


DE    RICHELIEU.    [l633]  4/'*^ 

c|iril  paroissoil  tout  le  contraire;  car  quand  on  auroit 
arrête  Puylaurens ,  il  f'audroit  faire  le  môme  de  Mon- 
sieur (ce  qui  n'étoit  pas  imaginable),  ou  Monsieur 
s'en  relourneroit  assurément  hors  du  royaume  sans  y 
pouvoir  jamais  revenir  sur  quelque  parole  qu'on  lui 
pût  donner,  et  au  lieu  que  Puylaurens  Tavoit  empêché 
jusqu  a  présent  de  s'unir  avec  la  Reine ,  ceux  qui 
prendroienl  sa  place  auprès  de  lui  l'y  porteroient  in- 
dubitablement ,  ce  qui  causeroit  bien  plus  de  mal  pour 
le  présent  qu'on  ne  sauroit  recevoir  d'utilité  de  la 
prise  dudil  Puylaurens,  et  qui  pour  l'avenir  devoit 
loul  faire  craindre,  étant  certain  que  la  Reine,  animée 
au  point  qu'elle  étoit,  n'oublieroit  rien  de  ce  qu'elle 
pourroit  pour  le  rendre  irréconciliable; 

Oue  si  on  disoit  qu'en  arrêtant  Puylaurens  il  fal- 
loit  prier  Monsieur  de  demeurer  en  un  lieu,  mettant 
civilement  ordre  qu'il  n'en  pût  sortir,  outre  que  cela 
étoit  fort  aisé  à  dire  et  difficile  à  faire  •  on  ne  voyoit 
pas  que  par  là  on  gagnât  aucune  chose  pour  le  pré- 
sent, mais  bien  qu'on  se  mettuit  en  état  de  perdre 
tout  pour  l'avenir, 

(^ue  pour  le  présent  le  Roi  désiroit  la  rupture  du 
mariage  de  Lorraine  et  celui  de  la  princesse  Marie  ; 
c|ue  Monsieur  étant  en  l'état  présupposé  ci-dessus , 
ne  le  seroit  plus  de  faire  ni  l'un  ni  l'autre,  parce 
qu'il  seroit  censé  privé  de  liberté;  au  contraire,  on 
alTermiroit  par  ce  moyen  l'alliance  de  Lorraine  d'un 
nouveau  nœud,  le  procédé  qu'on  garderoit  envers 
lui  Tobligeantà  s'unir  avec  tous  ceux  qu'il  penscroit 
être  intéressés  à  venger  son  injure  ; 

(^)iie  pour  l'avenir,  il  étoit  certain  que  ceux  qui 
servoieiit  le  Roi  ne  pourroient  jamais  espérer  de  ré- 


476  [l(i33]    MÉMOIRES 

conciliation  avec  Monsieur ,  et  ainsi  se  metiroient 
par  imprudence ,  dont  on  ne  pourroit  tirer  aucun 
fruit ,  en  ëtat  de  recevoir  certainement  beaucoup  de 
mal  *, 

Que  si  Ton  disoit,  comme  Ton  faisoil,  qu'autrefois 
des  personnes  de  la  qualité  de  Monsieur  avoient  été 
arrêtées  en  nos  derniers  temps,  on  répond  que  c*étoit 
la  Reine-mère  qui  en  usoit  ainsi ,  reine  qui  ëtoit 
censée  agir  par  elle-même ,  que  cette  détention  oe 
pouvoit  lors  être  imputée  à  des  particuliers ,  comme 
elle  seroit  maintenant  qu'elle  avoît  d'autres  en£uis 
dont  elle  espéroit  des  successeurs. 

Qu'au  reste  feu  Monsieur  qui  fut  arrêté  le  (ut  fort 
peu  de  temps,  ce  que  Ton  ne  pourroit  pas  se  pro- 
mettre en  la  proposition  qu'on  faisoit ,  si  par  on 
tel  moyen  on  vouloit  éviter  le  mal  qu*on  pourroit 
craindre. 

Que  le  malheur  de  la  France  étant  tel  que  le  Roi 
a  demeuré  dix-huit  ans  sans  enfans ,  ceux  qui  jo- 
geoient  qu'il  n'en  auroit point,  chargeroient  ceuxqai 
le  servoient  d'une  calomnie  endiablée,  leur  mettant 
à  sus  qu'ils  voudroient  perdre  l'héritier  présomptif 
delà  couronne,  ce  qui  causeroit  beaucoup  de  mauvais 
accidens ,  qu'on  pouvoit  prévoir  en  gros ,  mais  non 
pas  en  particulier. 

Partant  il  concluoit  que  si  Monsieur  ne  vouloit 
revenir  aux  conditions  avantageuses  que  le  Roi  lui 
ofi'roit,  d'une  somme  notable  pour  payer  ses  dettes , 
de  la  continuation  de  ses  apanages  et  pensions ,  du 
rétablissement  de  tous  les  siens  en  leurs  biens  ,  des 
grandes  gratifications  qu'il  'vouloit  faire  à  celui  qoi 
tenoit  la  première  place  auprès  de  lui,  du  gouverne- 


DK    RICHELIEU.    [l633]  477 

ment  d'Auvergne  qu'il  lui  oflroit,  de  la  liberté  d'y 
demeurer  avec  ses  gardes,  gendarmes  et  chevau- 
légers,  il  valoit  mieux  le  laisser  au  lieu  où  il  ëtoit 
que  de  tenter  un  des  deux  derniers  moyens  susdits  , 
qui  ne  pouvoientétre  à  son  avis  ni  honnêtes  ni  utiles, 
et  auxquels,  par  conséquent,  il  ne  voudroit  pour 
rien  du  monde  adhérer^  protestant  que  ce  n'étoit 
point  la  crainte  du  péril  qui  Ten  empêchât ,  mais  la 
seule  connoissance  qu'il  avoit  que  l'honneur  et  la 
réputation  du  Roi  ne  le  pouvoient  permettre ,  et  qu'il 
y  avoit  tant  à  perdre  au  lieu  de  gagner  en  un  tel 
dessein ,  qail  faudroit  être  insensé  pour  y  penser. 
Ainsi  le  mauvais  conseil  qui  fut  donné  à  la  Reine  eut 
son  eflet  lors  ;  et  Monsieur,  croyant  que  les  affaires 
du  Roi  le  forçoient  à  le  rappeler  en  sa  grâce,  de- 
manda à  Sa  Majesté  des  choses  si  hors  de  raison  qu'il 
ne  lui  put  accorder. 

Nous  ne  devons  pas  encore  omettre  que  lorsque 
ladite  dame  Reine  fit  semblant  de  se  vouloir  bien 
remettre  avec  le  Roi ,  ce  fut  au  temps  que  l'on  espé- 
roit  en  Flandre  de  grands  exploits  de  l'armée  du  duc 
de  Feria,  qui  devoit  passer  en  Italie  et  descendre 
en  Alsace,  pour  là  se  joindre  aux  troupes  du  duc  de 
Lorraine,  qui  en  la  vanité  de  cette  espérance  se  perdit 
comme  nous  avons  dit. 

Ceux  qui  étoient  auprès  d'elle  lui  donnoient  ces 
conseils  pour  en  prendre  un  sujet  de  pouvoir  dire 
qu'il  n  avoit  pas  tenu  à  elle  que  la  mésintelligence 
d'entre  Sa  Majesté  et  elle  ne  prit  fin ,  et  que  les 
effets  qu'ils  s'imaginoient  tirer  de  l'armée  du  duc  de 
Feria  ne  fussent  détournés.  Mais  Dien ,  qui  a  en  sa 
protection  les  justes  intentions ,  et  principalement 


47  }^  [lG33]    M Ê MOI U  ES 

celles  (les  princes  qui  redondent  au  bien  d^uiie  grande 
multitude  de  peuples  soumis  à  leur  empire,  en  dis- 
posa autrement,  et  fit  évanouir  cet  orage  qui  nous 
éloit  préparé. 

Le  duc  de  Lorraine  qui  étoit  toujours  de  la  partie, 
et  plus  par  Topiniâtreté  de  sa  mauvaise  volonté  que 
par  rintérét  de  sa  sœur,  se  portoit  à  sa  raine  pour 
ofTenser  le  Roi ,  bien  qu'il  fût  dépouille  de  la  meil- 
leure partie  de  ses  places  et  comme  tout  désarmé , 
s'opposa  néanmoins  encore  et  au  Roi  et  à  son  propre 
bien  et  à  sa  parole,  et,  sur  Tespérance  du  passage 
de  Tarmée  du  duc  de  Feria  qui  lui  proraettoit  d'être 
bientôt  à  lui,  commença  à  armer  de  nouveau,  en 
ayant  le  moyen  parce  que  le  Roi  le  laissoit  jouir 
de  tout  son  revenu^  et  afin  d avoir  un  prétexte < 
ne  se  souvenant  pas  que  Toeil  clairvoyant  du  Roi  ne 
se  laissoit  point  tromper  et  savoit  discerner  les  véri- 
tables d'avec  les  faux,  mande  à  Sa  Majesté,  le  ao 
octobre  ,  par  le  sieur  de  Yillars ,  que  les  Suédois  le 
travaillent  et  le  ruinent,  et  qu'il  la  supplie  de  le 
protéger  contre  eux ,  et  lui  mander  aussi  sa  volonté 
touchant  ce  qu'il  auroit  à  faire,  tant  sur  ToAre  que  le 
duc  de  Bavière  et  Fridland  lui  faisoient  de  lui  donner 
du  secours  contre  lesdits  Suédois,  que  sur  Taflaire 
de  la  princesse  Marguerite  sa  sœur,  que  Monsieur 
refusoit  de  remettre  entre  les  mains  du  Roi,  nonob- 
stant que  ledit  duc  s'y  fût  obligé  par  le  traité  du  ao 
septembre.  Sa  Majesté  savoit  bien  que  les  plaintes 
qu'il  faisoit  des  Suédois  étoient  imaginaires  ;  elle  loi 
manda  néanmoins,  le  25  octobre,  que  le  sieur  de 
Lagarde  qu  elle  lui  envoyoit  pour  de  là  passer  vers 
les  chefs  suédois ,  feroit  cesser  toutes  les  hostilités 


DE  RICHELIEU.   [i6.^3]  479 

lie  loin  s  troupes ,  et  lui  apporteroil  assurance  que 
ses  Valais  n'en  soroieni  point  molestés. 

Quant  à  Toffre  de  Bavière  et  de  Fridland  ,  le  car- 
dinal lui  manda  de  la  part  de  Sa  Majesté  qu  il  nVvoit 
autre  chose  à  lui  répondre  sur  ce  sujet,  sinon  qu'il 
dcvoit  bien  considérer  le  traité  qu'il  avoit  fait  avec 
Sa  Majesté ,  et  l'exécuter  exactement. 

Et  sur  les  avis  continuels  qui  venoient  de  jour  à 
autre  que  ledit  duc  faisoit  tous  les  Jours  des  lev^s 
nouvelles  ,  h  dessein  de  se  joindre  avec  le  duc  de 
Fcria,  le  cardinal  lui  envoya,  le  !i8  octobre,  le  sieur 
de  Cavois  pour  lui  représenter  les  inconvéniens 
qui  lui  pouvoient  arriver  de  sa  conduite,  lui  con- 
seiller de  joindre  ses  troupes  à  celles  du  maréchal  de 
La  Force,  comme  il  étoit  obligé,  et  le  convier  à 
suivre  la  résolution  qu'il  avoit  prise  de  venir  trouver 
le  Roi.  Mais  tout  cela  fut  en  vain;  au  lieu  de  venir 
il  envoie  son  frère  le  cardinal,  sous  ombre  de  plu- 
sieurs nécessités  imaginaires  jointes  à  sa  mauvaise 
santé. 

M.  de  La  Force,  en  même  temps,  donuoit  avis 
qu'il  étoit  certain  qu'il  continuoit  ses  levées  en  in- 
tention de  les  joindre  à  celles  d'Aldringuer  et  de 
Vevh ,  desquels  il  se  promettoit  d'être  secouru. 

Aldringuer  s'étoit  joint  au  duc  de  Feria  dès  qu'il  eut 
passé  la  Valteline.  Le  maréchal  Gustave  Horn,  ayant 
avis  que  le  duc  de  Feria  demandoit  à  l'Empereur  la 
ville  de  Constance  pour  sa  retraite,  s'y  en  alla  avec 
tout  ce  qu'il  put  amasser  de  troupes,  et  l'assiégea  le  7 
septembre,  comme  nous  avons  dit  ci-devant;  mais 
après  y  avoir  fait  brèche  et  donné  quelques  assauts  en 
vain  ,  il  leva  le  siège  à  la  fin  du  môme  mois,  y  étant 


48o  [l633J    MÉMOIRES     • 

convié  par  le  duc  de  Rohaa  de  la  pari  du  Roi ,  qui 
lui  témoigna  qu'enfin  il  contraindroit  les  Suisses  à 
quitter  la  neutralité  avec  Suède ,  et  prendre  le  parti 
contraire,  s'il  ne  laissoit  cette  ville  en  paix,  qui  étoit 
leur  ancienne  confédérée. 

Le  siège  étoit  levé  auparavant  qu'Aldringuer  et 
Feria  se  fussent  approchés  pour  cet  effet.  Son  année 
étoit  plus  foible  en  nombre  d'hommes,  mais  néan- 
moins n'eût  pas  refusé  la  bataille  aux  Impériaux  s'ils 
lui  eussent  fourni  occasion  de  la  donner. 

Les  Impériaux  prirent  leur  chemin  vers  FAIsace, 
et  passèrent  le  Rhin  près  de  Bâle  le  20  octobre. 
Horn  et  Birckenfeld,  qui  les  suivoient  en  queue ,  pas- 
sèrent aussi  le  Rhin  à  Strasbourg,  et  se  joignirent 
aux  antres  troupes  qu'ils  avoient  en  Alsace.  La  pré- 
sence de  l'armée  impériale  obligea  le  rhingrave  Otto 
de  lever  le  siège  de  Brisach,  ce  qu'il  fit  eii  fort  bon 
ordre  ;  l'armée  du  Roi ,  commandée  par  le  maréchal 
de  La  Force,  faisoit  ferme  sur  les  frontières  de 
Lorraine. 

Le  cardinal  étoit  malade  à  Sezanne  de  la  même 
maladie  qu'il  avoit  eue  l'année  précédente ,  lorsqoe 
cette  armée  espagnole  passa  le  Rhin.  La  nouvelle  de 
ce  passage  fut  mandée  au  Roi  avec  épouvante,  comme 
si  cette  armée,  joint  à  ce  que  le  duc  pourroit  faire 
de  forces  ,  étoit  capable  d'apporter  un  grand  change- 
ment dans  cette  province  nouvellement  conquise^ 
mais  le  cardinal  assura  Sa  Majesté  qu'il  avoit  été  mis 
si  bon  ordre  à  ces  affaires-là ,  que  cette  armée  seroit 
passée  vainement,  et  repasseroit  sans  autre  fruit  qae 
de  s'âtre  défaite  et  ruinée  elle-même  ,  ce  qui  arriva 
comme  il  lui  avoit  prédit  ;  car  les  Espagnols»  se  voyant 


DE   RICHELIEU.    [l633]  4^' 

environnés  de  tant  d'ennemis  aussi  forts  qu'eux,  les 
armes  du  Roi  proche  de  là,  et  partant  se  recon* 
noissant  trop  foibles  pour  les  grands  desseins  qu'ils 
avoient  conçus,  re|)assent  le  Rhin  à  Brisach,  et  Tar- 
mée  suédoise  les  suit  pour  s'opposer  à  leurs  entre- 
prises. 

Ainsi  toutes  les  espérances  du  duc  de  Lorraine 
avortèrent,  et  il  ne  fit  autre  chose  par  cette  action  » 
que  monlrer  son  infidélité  et  la  continuation  de  sa 
mauvaise  volonté;  et  toutes  les  promesses  que  lui 
avoient  faites  les  Espgnols  ne  lui  réussirent  à  autre 
fin  qu  a  le  faire  commencer  k  se  perdre  entièrement, 
ce  (juil  accomplit  Tannée  suivante,  comme  nous 
verrons  ci-après. 

Le  comte  Olivarès  parla  de  lui  avec  beaucoup  de 
passion  au  sieur  de  Bautru,  qui  avoit  été,  dès  Tannée 
passée ,  envoyé  par  le  Roi  en  Espagne  pour  les  sujets 
que  nous  avons  déduits  alors. 

Il  lui  dit  qu'un  jeune  prince  leur  allié  paroissoit 
avec  honte  dans  la  chrétienté,  dépouillé  de  tous  ses 
Etats,  r.ans  qu'on  lui  pût  imposer  aucun  crime  que 
celui  d'être  leur  ami ,  et  qu  il  ne  falloit  point  d'autre 
litre  aux  Français  de  faire  la  guerre  à  un  prince ,  que 
de  le  connoitrc  affectionné  au  bien  de  leurs  affaires; 
qu'ils  se  sentiroient  entièrement  déshonorés  si  TEm* 
pereur  et  le  Roi  son  maître  ne  procuroient ,  par  toutes 
sortes  de  voies,  la  restitution  de  ce  prince  en  ses  Etats; 
que  Stenay  étoit  le  passage  par  où  ils  faisoient  passer 
les  gens  d^Allemagne  qui  venoient  à  leur  service,  et 
qu  ilsétoient  intéressés,  dans  Thonnéte  et  dans  l'utile, 
à  la  conservation  de  TÉtatdudit  sieur  duc  de  Lorraine. 

Bautru  lui  réponditquesi  Ton  devoit  trouver  étrange 
T.  a;.  il 


48a  [l633]   MÉMOIRSS 

quelque  chose  au  procédé  de  Sa  Majesté  Très-Cbré- 
tienne  avec  le  duc  de  Lorraine ,  c'étoit  d*avoir  con- 
servé les  États  à  un  prince  son  vassal ,  qui  depuis 
cinq  ou  six  ans  avoit  fait  tout  son  possible  pour 
troubler  les  siens ,  sa  maison  et  sa  famille  ; 

Que  le  duc  de  Lorraine  n'avoit  point  vu^  depuis 
six  ans ,  le  Roi  tourner  les  épaules  vers  le  Languedoc 
ou  ritalie  qu'au  même  temps  il  n'arrivât  sur  notre 
frontière,  nappelât  nos  mal  contens,  fomentât  par 
intelligence  les  intrigues  du  cabinet,  et  invitât,  par 
sollicitations  effectives ,  M.  le  duc  d'Orléans  à  venir 
dans  ses  États,  comme  il  étoit  notoire  à  tout  le  monde, 
pour  y  composer  des  armées  contre  nous ,  où  il  n'o- 
mettoit  aucun  eSbrt  pour  faire  revoir  ses  mauvaises 
intentions  contre  notre  couronne ,  ses  promesses  et 
son  devoir  ^ 

Qu'il  avoit  en  ce  même  temps-là  fait  son  possible 
pour  embarrasser  l'Empereur  avec  nous ,  faisant  cons- 
truire sous  son  nom ,  dans  les  terres  de  Tëvéché  de 
Metz ,  la  forteresse  de  Moy envie  au  nom  de  Sa  Ma- 
jesté Césarée ,  se  servant  de  cette  autorité  pour  étendre 
ses  bornes  et  limites  sur  les  terres  de  Tëvéqne  de 
Metz ,  frère  naturel  du  Roi ,  et  dans  les  ëvêchés  de 
Toul  et  Verdun  qui  sont  en  notre  protection  ; 

Que  Sa  Majesté  Très-Chrétienne ,  voulant  le  reti- 
rer de  ces  mauvais  desseins  par  les  voies  de  raison 
et  de  douceur,  avoit  député  des  commissaires  pour 
convenir  à  l'amiable  avec  lui ,  ne  désirant  pas  perdre 
ce  jeune  prince  qu'il  voyoit  se  précipiter  sans  ndsoa 
et  jugement  ; 

Que  ledit  comte  OU varès  lui-même  se  souvint  qnll 
lui  avoit  dit,  il  y. avoit  quatre  ans ,  que  la  cause  prin* 


DB   RICHEUEU.    [l633]  4^3 

cipale  pour  laquelle  le  roi  Catholique  avoit  baillé 
ses  armes  dltalie  à  FEmpereur  pour  assiéger  Casai, 
cëtoit  le  manque  de  respect  du  duc  de  Nevers,  qui 
avoit  été  si  hardi  de  traiter  le  mariage  de  Théritière 
de  Mantoue,  parente  de  Sadite  Majesté  Catholique , 
sans  la  voir  invité  aux  noces;  que  ce  duc  de  Lorraine 
ici  avoit  hien  passé  plus  avant,  voulant  marier  Mon- 
sieur, frère  unique  et  héritier  présomptif  de  la  cou- 
ronne, avec  sa  sœur,  sans  en  avoir  non-seulement 
donné  part  au  Roi,  mais  même  ayant  souvent  reçu 
des  témoignages  de  sa  part  qu'il  ne  désiroit  pas 
qu  on  mariât  son  héritier  à  son  desçu  et  sans  son  con- 
sentement, etquW  le  traitât  plus  mal  en  une  affaire 
de  celte  conséquence  que  les  moindres  particuliers , 
qui  font  casser  les  contrats  de  mariage  quand  ils  sont 
faits  clandestinement  et  hors  de  la  connoissance  de 
ceux  qui  ont  Tautorité  naturelle  sur  les  conjoints  par 
mariage-,  qu'après  toutes  ces  mauvaises  procédures, 
le  Roi  Tavoit  vu  au  mois  de  janvier  i63a  à  Metz ,  ou 
il  lui  avoit  remis  tout  le  passé ,  se  contentant ,  au  lieu 
de  confisquer  par  la  loi  des  fiefs  tout  le  Barrois  et  ses 
dépendances,  qu'on  lui  confinât  en  forme  de  dépôt 
une  place  qui  pût  servir  de  bride  à  ses  mauvais  des- 
seins et  de  caution  à  sa  parole  où  il  aveit  tant  de  fois 
roan(|ué-,  ce  qui  fut  fait  et  exécuté  par  traité  solennel 
à  Metz,  dont  il  fut  sur  Theure  très-bien  récompensé; 
car  le  roi  de  Suède,  provoqué  de  gaité  de  cœur, 
comme  il  disoit,  par  ce  duc  de  Lorraine,  avoit  en- 
voyé ses  armes  à  quatre  lieues  de  ses  États  pour  pren- 
dre sa  revanche ,  qui  sans  doute  lui  eût  succédé  aussi 
heureusement  comme  il  avoit  fait  contre  de  plus 
fortes  puissances ,  sans  Tintervention  du  roi  Très- 

3f. 


484  [l63iij   MÉMOIRES 

Chrétien  ,  qui  le  prit  en  sa  protection  en  considéra- 
tion de  la  religion  catholique  etdu  traité  nouvellement 
fait,  par  lequel  il  renonçoit  nommément  et  formelle- 
ment aux  pratiques  et  alliances  avec  le  duc  d*Orlëans, 
qu'il  garda  et  entretint  avec  pareille  sincérité  que  ses 
autres  promesses  ]  car  le  Roi  ne  fut  pas  plutôt  arrivé 
k  Paris  qu'il  renouvela  ses  menées  et  ses  pratiques 
plus  fort  que  jamais ,  et,  passant  plus  outre,  rappela 
Monsieur  dans  Nancy ,  où  ils  firent  les  projets  de  ce 
qui  s'est  vu  depuis  en  France.  Le  Roi  donc,  irrité  jus- 
tement ,  si  jamais  prince  le  put  être  ,  retourna  en 
Lorraine,  où  il  trouva  que  non -seulement  le  duc 
avoit  recommencé  ses  trames  passées ,  mais  avoit  fait 
charger  sur  ses  terres  les  gardes  du  maréchal  d*Ef- 
fiât,  et  commencé  une  rupture  par  voie  de  fiiit  avec 
Sa  Majesté ,  qui  le  mit  en  moins  de  quinze  jours  k  la 
raison ,  sans  vouloir  encore  que  les  choses  passassent 
aux  extrêmes  rigueurs ,  mais  bien  le  mettre  en  état  de 
ne  pouvoir  plus  exécuter  ses  mauvaises  volontés,  qui 
rcnaissoient  si  souvent  dans  son  esprit  après  qne 
Von  pensoitles  en  avoir  déracinées; 

Que  Stenay,  dont  se  plaignoit  ledit  comte,  étoit 
une  des  places  déposées  par  le  traité ,  qui  ne  ferme- 
roit  non  plus  le  passage  aux  troupes  du  Roi  son  frère, 
quand  ils  seroient  en  bonne  intelligence ,  qne  lors- 
qu'elle étoit  es  mains  du  duc  de  Lorraine,  puisque  nous 
avions  depuis  un  mois  donné  le  passage  dans  le  Roos- 
sillon  aux  Cravates ,  Liégeois  et  Wallons  qui  étoîent 
venus  contre  nous  exercer  toutes  les  inhumanités  que 
porte  le  nom  de  Cravate ,  et  nous  ne  le  nierions  pas 
à  ceux  qui  n'auroient  autre  dessein  que  de  passer  dans 
les  États  de  Sa  Majesté  Catholique;  que  quant  à  ce 


DE   KICHELIEU.    [l633]  4^^ 

qu  il  disoit  qu'il  leur  étoit  honteux  qu^on  vit  en  la 
chrétienté  un  prince  leur  allié  dépouillé  de  ses  États, 
il  avoit  à  lui  répondre  que,  quand  nous  n'aurions 
pas  traité  le  duc  de  Lorraine  par  raison  ,  ils  nous 
auroient  donné  un  bel  exemple  de  pareille  honte 
en  la  personne  du  comte  Palatin,  qu'ils  avoient  dé- 
pouillé de  ses  États  depuis  dix  ans,  sans  que  les 
oflices ,  prières  et  sollicitations  de  la  plus  grande  part 
des  princes  de  la  chrétienté  lui  eussent  pu  faire  rendre 
un  pouce  de  terre  ni  un  écu  de  quoi  sustenter  sa 
famille  ;  que  nous  n'en  usions  pas  de  même  avec  le 
duc  de  Lorraine,  auquel  nous  ne  prenions  pas  un 
teston  de  son  revenu ,  quoique  notre  vassal ,  ni  un 
pouce  de  terre  en  propriété  sans  lui  avoir  payé;  et 
qu'ainsi ,  s'il  paroissoit  de  l'oppression  sur  quelqu'un 
des  alliés  de  cette  couronne,  c'étoit  plutôt  sur  les 
nôtres  que  sur  les  leurs,  et  que  par  conséquent  il  ne 
leur  pouvoit  tourner  à  honte. 

Mais  si  les  Elspagnols  étoient  mécontens  de  l'heu- 
reux succès  des  affaires  du  Roi  en  Lorraine,  ils  ne 
lëloient  pas  moins  de  voir  qu'en  Italie  il  possédoit 
Pignerol,  et  tenoit  en  une  sûre  protection  contre 
eux  et  Mantoue  et  Casai,  en  la  dernière  desquelles 
il  entretenoit  une  si  forte  garnison  qu'elle  leur  faisoit 
perdre  l'espérance  d'y  pouvoir  rien  entreprendre  qu'à 
leur  honte. 

Il  se  trouva  quelque  diOiculté  au  changement  que  le 
Roi  vouloit  faire  des  troupes  qui  étoient  dans  le  château 
et  la  citadelle  de  ladite  ville,  non-seulement  pour  la 
résistance  que  le  sieur  de  Toiras  faisoit  d'obéir^, mais  à 
raison  d'une  défense,  qui  vintde  la  part  du  ducde  Mau« 
touc,do  recevoir  èsditsiieuxd'autres  soldats  français. 


486  [l633]   MÉMOIBES 

LeIoDg  temps  que  ladësobëissanceduditToirasdara 
y  donna  lieu ,  soit  que  la  défense  fût  de  concert  avec 
lui ,  soit  que  M.  de  Mantoue  fût ,  de  cette  difficulté 
d'obëir ,  entré  en  quelque  crainte  que  sa  place  ne  fût 
pas  bien  assurée  entre  les  mains  des  Français.  Le  Roi, 
lassé  de  toutes  les  remises  dudit  sieur  de  Toiras ,  en- 
voya à  Turin  le  sieur  de  Rocquemont,  qui  y  arriva  le  3o 
décembre  1682 ,  pour  porter  auditToiras  Texpëdition 
de  toutes  les  choses  quil  avoit demandées  au  Roi, 
et  le  commandement  exprès  de  Sa  Majesté  de  retirer 
le  régiment  de  Saint- Aunais  de  la  citadelle,  et  y  laisser 
entrer  celui  de  Mérestan. 

Toiras,  après  s*être  échappé  en  plusieurs  paroles 
de  colère ,  menacé  ceux  qu'il  croyoit  ses  ennemis  et 
lui  faisoient  de  mauvais  offices  à  la  cour ,  et  protesté 
de  se  venger  d'eux  par  toutes  sortes  de  voies^  dussent* 
elles  être  honteuses ,  dit  enfin  audit  sieur  de  Roc- 
quemont qu'il  obéiroit,  mais  qu'auparavant  il  falloit 
que  le  régiment  de  Saint- Annais ,  ses  chevau-légers 
et  ses  gardes,  qui  étoient  dans  Casai ,  fussent  payés 
de  tout  ce  qui  leur  étoit  dû  avant  que  d'en  sortir,  et 
lui  de  ses  appointemens  de  général  d'armée  pour  les 
six  derniers  mois  de  l'année  passée ,  comme  aussi  les 
officiers  d'armée  cpii  étoient  sous  sa  charge ,  lesquels 
étoient  tousses  domestiques*,  et  quoi  qu'on  loi  repré- 
sentât on  n  en  pût  jamais  tirer  autre  chose. 

Le  sieur  Servien  essayoit  de  trouver  Targent  qui 
étoit  nécessaire  pour  cette  fin ,  quand  il  fut  averti  que 
le  marquis  Rivare  et  Guiscardi,  chancelier  du  Mont- 
ferrat ,  avoient  déclaré  audit  sieur  de  Rocquemont 
qu'ils  avoient  un  ordre  exprès  du  duc  de  Mantoue, 
des  fêtes  de  Noël  précédent,  de  ne  laisser  pas  entrer 


DS    RICHELIEU.    [l633]  4^7 

le  rëgimentde  Nërestan  dans  le  château  ni  la  citadelle. 
Cela  obligea  à  renvoyer  promptement  vers  le  Roi  le 
sieur  de  Rocquemont,  que  le  sieur  de  Toiras  accom- 
pagna de  Castelan  ,  pour  envoyer  par  lui  le  mémoire 
des  demandes  qu'il  faisoit  à  Sa  Majesté. 

Le  duc  de  Mantoue  dépêcha  aussi  au  Roi ,  se  sou- 
mettant entièrement  à  sa  volonté  quand  il  auroit 
considéré  les  raisons  qui  Tavoient  mû  à  donner  cet 
ordre ,  qui  étoient  que  Casai  étoit  une  place  si  mu- 
gnetée  des  voisins,  qu'il  éloit  besoin  qu'il  plût  à  Sa 
Majesté  de  faire  réflexion  sur  les  personnes  qu'il  y 
))ourroit  introduire ,  afin  qu'il  n'en  arrivât  aucun  in- 
convénient ,  comme  il  savoit  bien  qu'il  y  avoit  quel- 
quefois occasion  de  craindre. 

D'autre  part,  que  cela  étoit  cause  que  ses  sujets 
recevoient  très-mauvais  traitement  à  Milan  pour  le 
commerce. 

Le  sieur  Servien  envoya  son  secrétaire  à  Mantoue, 
pour  représenter  au  duc  que  ce  seroit  une  espèce 
d'aflront  fait  à  Sa  Majesté  s'il  témoignoit  avoir  moins 
de  confiance  en  elle  qu'au  maréchal  de  Toiras;  que 
Sa  Majesté  n'ayant  pas  ci-devant  commandé  que  le 
régiment  de  Saint- Aunais  entrâtdans  la  citadelle,  mais 
simplement  approuvé  la  chose  après  que  ledit  sieur 
maréchal  l'avoit  faite,  ne  refuseroit  point  de  remettre 
la  garnison  de  Casai  en  l'état  que  désireroit  ledit  sieur 
duc,  après  qu'il  auroit  été  pourvu  à  sa  réputation  en 
recevant  celui  deNéreslan;  mais  qu'avant  cela,  par 
tout  autre  expédient ,  elle  ne  pouvoit  être  satisfaite 
devant  le  monde  ;  que  pareillement  de  retirer  toutes 
les  troupes  françaises  du  Montferrat,  ce  n'étoit  ni  la 
saison  de  le  faire ,  ni  l'occasioa  d'en  £iire  la  demande  ; 


488  [l633J    MÉMOIRES 

que  ledit  sieur  duc  se  de  voit  souvenir  combien  de 
fois  il  avoit  éié  dépouillé  de  son  pays,  pour  avoir 
plutôt  songé  à  le  soulager  qu'à  le  conserver  ;  que  ce 
n'étoit  pas  beaucoup  assurer  son  soulagement  d'en 
sortir  les  forces  amies  pour  en  laisser  Fentrée  libre 
aux  ennemis,  principalement  aujourd'hui  qu'il  y  avoit 
une  armée  de  douze  mille  hommes  dans  le  Milanais, 
à  qui  la  facilité  de  se  loger  dans  le  Montferrat  en 
pourroit  faire  prendre  l'envie,  puisque  le  duc  de 
Feria  avoit  eu  ordre  de  la  renforcer  de  la  moitié  ponr 
le  passage  du  cardinal  Infant^  que  lorsque  les  forces 
de  l'état  de  Milan  seroient  réduites  à  l'ordinaire,  Sa 
Majesté  seroit  très-contente  de  se  décharger  de  la 
dépense  qu'elle  faisoit  pour  la  garde  dudit  Montferrat, 
et  ne  supporter  que  Tentretènement  de  la  garnison 
ordinaire  de  Casai;  mais  que  d'en  faire  la  réduction 
avant  que   les  Espagnols  eussent  disposé   ailleurs 
de  leurs  troupes ,  ce  seroit  se  tromper  soi-même, 
et  ledit  duc  seroit  mal  conseillé  d'en  supplier  Sa 
Majesté. 

Ledit  sieur  duc  trouva  ses  raisons  si  bonnes  qu'il 
s'y  rendit  incontinent ,  et  manda  à  ses  officiers  qu'ils 
eussent  à  obéir  et  exécuter  tout  ce  qui  leur  seroit 
commandé  de  la  part  du  Roi ,  protestant  qu'il  n*auroit 
jamais  autre  volonté  que  celle  de  Sa  Majesté,  et  qu'il 
ne  capituleroit  point  avec  elle  pour  quoi  que  ce  fût, 
et  lui  rendroit  très-humble  obéissance.  Il  envoya  cet 
ordre  par  le  podestat  de  Mantoue,  qui  éloit  celui  qui, 
quinze  jours  auparavant,  avoit  porté  les  ordres  con-' 
traires. 

Le  sieur  Servien  fit  sommer  le  maréchal  de  Toiras 
d'accomplir  sa  parole  maintenant  qu'il  n'y  avoit  plus 


DE    RICHELIEU.    [l635]  4^9 

de  diÛicuUé  du  côte  de  Mantoue.  Le  maréchal,  qui 
avoit  dit  qu'il  obëiroit  au  Roi  quand  la  réponse  se* 
roil  venue,  moyennant  que  ce  fût  avec  le  consente- 
ment de  M.  de  Mantoue,  répondit  qu'il  obéiroit  après 
quau  préalable  les  choses  qu'il  avoit  envoyé  de- 
mander au  Roiseroient  exécutées. 

Le  sieur  Servien .  recevant  en  ce  temps-là  des  dé- 
pêches du  Roi  par  lesquelles  il  lui  commandoit  de 
mettre  fin  à  celle  aflaire  en  quelque  manière  que  ce 
fut ,  lui  fit  payer  tout  ce  qui  étoit  contenu  dans  son 
mémoire,  moyennant  quoi  ledit  sieur  de  Toiras  fit 
sortir  le  régiment  de  Saînt-Aunais  de  Casai ,  et  à  me- 
sure qu'il  sortoit  entrer  celui  de  Néreslan  ,  le  a4  j*^'*" 
vier ,  le  sieur  de  Toiras  ne  prenant  pas  garde  que 
son  procédé  éloit  criminel ,  ne  rendant  pas  au  Roi 
Tobéissance  pure  et  simple  qu'il  lui  devoit,  mais  ca- 
pitulant avec  lui  auparavant  que  de  lui  rendre  une 
place  qu'il  avoit  commise  à  sa  fidélité  ;  ce  qui  le  ren- 
doit  si  criminel  qu'il  avoit  pour  son  salut  plus  de 
besoin  d'une  abolition  que  de  toutes  les  conditions 
qu'il  demandoit. 

Cette  aflfaire ,  qui  donnoit  aux  Espagnols  beaucoup 
d'espérance  de  pouvoir  troubler  le  repos  dltalie,  leur 
fut  autant  désagréable  lorsqu'ils  la  virent  terminée  au 
contentement  du  Roi. 

Ils  avoient  envoyé  le  sénateur  Villani  aux  princes 
d'Italie  pour  les  affermir  en  leur  bienveillance  envers 
eux,  avec  ordre  particulier  de  se  confier  au  duc  de 
Parme,  qui,  ayant  été  maltraité  d'eux,  et  en  conser- 
vant le  ressentiment,  qu'il  n'osoit  toutefois  faire  pa- 
1  oître  ,  reçut  ledit  Villani  avec  beaucoup  de  témoi- 
gnages de  bonne  volonté ,  mais  à  intention  d'en  faire 


490  [l633]   MÉMOIRES 

80D  profit  pour  empêcher  l'effet  de  leurs  manvait 
desseins. 

Les  propositions  dudit  Villani  ne  tendoient  à  antre 
fin  qu'à  chasser  les  Finançais  de  Pignerol ,  poar  tenir 
ritalie  entièrement  assujétie  à  leurs  volontësé 

Aussi  la  plus  violente  instance  que  le  comte  Oli- 
varès  fit  au  sieur  de  Bautru ,  fut  sur  la  restitution  de 
Pignerol ,  qu'il  ne  pouvoit  nommer  sans  changer  de 
visage  et  de  ton  de  voix,  répétant  qu*il  ne  falloit 
point  parler  de  traité  et  retenir  Pignerol;  qu'ils  per- 
droient  plutôt  centEspagnes  que  de  souffrir  un  tel 
affront;  qu'ils  avoient  restitué  de  bonne  foi  en  Italie, 
et  qu'ils  attendoient  le  même  de  nous  ;  que  le  traité 
devoit  être  exécuté  des  deux  côtés  ,  autrement  qa'il 
étoit  nul.  Il  lui  demanda  si  nous  avions  quelque  chose 
k  restituer,  si  toute  la  Savoie,  Briqueras,  Sase  et 
grand  nombre  d'autres  places  n'étoient  pas  restituées 
à  leur  seigneur,  et  si  par  le  traité  il  avoit  étë  dëfeodo 
an  duc  de  Savoie  de  vendre  et  au  Roi  d'acheter;  qu'en 
ce  cas  là-il  n'étoit  pas  exécuté ,  mais  que,  pourvu  qne 
nous  pussions  prouver  que  le  Roi  ni  AI.  de  Savoie 
n'étoient  ni  fous  ni  mineurs,  il  ne  voyoit  pas  qa*OD 
leur  pût  défendre  ce  qui  étoit  permis  au  dernier  sa- 
vetier de  Madrid.  Il  lui  dit  qu'il  ne  pouvoit  pas  le 
vendre  ni  le  Roi  l'acheter ,  étant  fief  de  rEmpire, 
sans  le  consentement  de  l'Empereur ,  qui  se  sentoit 
offensé  au  dernier  point  par  cette  aliénation.  Il  lai 
répondit  qu'il  n  avoit  jamais  ouï  dire  que  Pignerol  ffit 
fief  impérial ,  mais  bien  que  l'on  tenoit  en  France 
que  c'étoit  un  fief  dépendant  du  dauphin  de  Vien- 
nois ,  et  qu'il  se  trouvoit  des  actes  dans  la  chambre 
des  comptes  de  Dauphiné  qui  faisoient  foi  de  cellt 


D£   RICHELIEU.    [l633J  /^gi 

mouvance  ;  mais  que  quand  bien  ce  seroit  un  fief  de 
TEmpire ,  qu'il  seroit  plus  glorieux  à  l'Empereur  d Sa- 
voir pour  vassal  un  roi  de  France  qu'un  duc  de  Sa- 
voie, el  que  la  couronne  d'Espagne  tenoit  tant  de 
villes  impériales  en  Italie  et  ailleurs,  dont  nous  ne 
nous  plaignions  pas ,  qu'ils  ëloient  bien  injustes  de 
nous  disputer  si  peu  de  chose  ;  que  toute  la  chrétienté 
jugeroi  l  par  la  demande  de  cette  restitution  que  les  Es- 
pagnols voudroient  agir  avec  les  Français  avec  une  au- 
torité insupportable,  puisque,  occupant  tant  de  villes 
et  provinces  sur  lesquelles  nous  avons  de  justes  droits 
et  prétentions  légitimes,  ils  ne  se  contentoientpasde 
ne  les  pas  rendre  au  roi  Très-Chrétien,  mais  bien  le 
vouloient-ils  contraindre  de  rendre  aux  autres  ce 
qu'ils  ne  nous  demandoient  pas*,  qu'il  n'avoit  ouï  dire 
que  M.  de  Savoie  fût  mal  content  de  cette  aliénation 
qu'il  avoit  faite  par  une  juste  vendition  ,  et  que  lors- 
qu'il s'en  plaindroit  les  voies  de  droit  seroient  ou- 
vertes pour  se  défendre  de  part  et  d'autre.  Il  répondit 
que  c'étoii  l'Empereur  qui  devoit  être  contenté,  non 
ps  M.  de  Savoie  ,  et  qu'on  ne  pouvoit  posséder  jus- 
tement Pignerol  sans  son  investiture  ;  et  lui,  que  nous 
étions  priais  de  rendre  tous  les  devoirs  à  l'Empire 
que  quatre  de  nos  rois,  qui  avoient  possédé  Pignerol 
dans  le  siècle  dernier  l'espace  de  plus  de  quarante 
années  sous  trois  divers  empereurs ,  en  paix  et  en 
guerre  ,  leur  avoient  rendus  *,  que  jamais  on  n'avoit 
ouï  dire  en  France  ni  ailleurs  qu'aucun  de  ces  rois 
eût  reçu  investiture  de  l'Empereur  pour  cette  place, 
ni  que  les  empereurs  eussent  fait  aucune  instance 
sur  cette  occasion,  non  pas  même  lorsque  Henri  Jit 
passa  par  Vienne  chez  Maximilien ,  qui  ne  lui  parla 


4qi.  [i633J  mémoires 

jamais  ni  dePignerol  ni  de  Tinvestiture  ^  et  s^ilyeiit 
eu  quelque  saison  propre  pour  en  parler ,  c*étoit  en 
celle-là  où  le  Roi  partoil  de  chez  rEmperear  ponr 
aller  chez  le  duc  de  Savoie,  qui  en  ce  même  voyage 
obtint  du  roi  Très-Chrëtien ,  par  ses  soumissions  et 
non  par  les  menaces  de  TEmpire,  la  restilutiondudit 
Pignerol. 

En  même  temps  que  Yillani  fut  dépêche  par  les 
Espagnols  en  Italie^le  sieur  Bachelier  y  fut  aussi  envoyé 
de  la  part  du  Roi ,  et  pour  découvrir  aux  princes  les 
mauvaises  intentions  des  Espagnols,  et  leur  faire  con- 
noitre  qu'au  contraire  Sa  Majesté  n'avoit  autre  in- 
térêt que  de  conserver  leur  liberté,  et  être  en  état  de 
faire  passer  ses  armes  en  Italie  toutes  fois  et  quantes 
qu'il  en  seroit  de  besoin  pour  les  garantir  de  la  serYi- 
tude  que  le  roi  d'Espagne  leur  vouloit  imposer. 

Le  duc  de  Parme  ensuite  fit  un  accord  et  traité  avec 
le  Roi ,  dont  la  copie  est  à  la  fin  de  ce  volume  (0 ,  pv 
lequel  Sa  Majesté  le  prenoit  en  sa  protection,  pro- 
mettoit  de  le  défendre  contre  les  armes  d'Espagne» 
et  lui  de  sa  part  promettoit  un  certain  nombre  de 
gens  de  guerre,  si  pour  la  liberté  d'Italie  le  Roi  en- 
treprenoit  la  guerre  contre  le  Milanais.  A  quoi  ledit 
duc  de  Parme  se  sentit  particulièrjement  obligé ,  i 
cause  de  la  surprise  que  le  cardinal  Infant  avoit  votda 
faire,  mais  en  vain,  le  i3  mai,  de  la  ville  de  Plai- 
sance appartenante  audit  duc,  et  en  même  temps  dn 
châteaudeLaVadère  dans  le  Mantouan,  qui  lui  réiu- 
sit  aussi  mal  que  la  première.  Dieu  donne  à  toutes 
choses  l'événement  qu'il  lui  plait;  mais  la  qualité  dn 

(0  Est  a  la  fin  de  ce  volume:  Cette  copie  ne  fail  point  partie  à* 
■lunuRciit. 

if 


DK    RICHELIEU.    [l633]  49^ 

conseil  monlre  celle  de  Tespril  du  prince  :  le  cardinal 
Infant  mal  conseillé  se  rendit  suspect  et  odieux  par 
ses  entreprises  \  et  la  foiblesse  avec  laquelle  il  entra 
dans  le  Milanais ,  ne  pouvant  rien  exécuter  de  ce  qu'il 
s  etoit  promis  ,  le  rendit  méprisable. 

Sa  Majesté,  ne  voulant  néanmoins  rien  oublier  pour 
se  munir  contre  ses  mauvais  desseins,  envoya  au 
même  temps  le  sieur  d'Emery  en  Italie ,  pour  don- 
ner ordre  que  Pignerol  fût  en  bon  état;  qu'il  fît  mettre 
eflectivement  aux  magasins  de  la  ville  et  citadelle  de 
Pignerol  six  mille  charges  de  blé,  pour  y  demeurer 
en  dépôt  sans  qu'on  les  pût  consommer ,  dont  le  gou- 
verneur de  la  citadelle  et  deux  notables  bourgeois  de 
ladite  ville  se  chargeroient  envers  Sa  Majesté,  et 
s'obligeroient  de  faire  renouveler  par  chacun  an  le 
tiers  desdits  blés  ;  et  y  mettre  dans  les  magasins  de 
Briançon  deux  mille  charges  de  blé,  dont  le  tiers  se- 
roit  pareillement  renouvelé  tous  les  ans  ; 

Que  les  fortifications  aussi  fussent  tellement  para- 
chevées qu'il  n'y  eût  rien  à  redire,  et  qu'il  y  eut  des 
munitions  de  guerre,  canons,  moulins  à  bras  et 
toutes  autres  choses  nécessaires  pour  un  siège;  de 
sorte  qu'en  ce  cas  on  ne  pût  se  prendre  qu'au  cou- 
rage et  à  la  volonté  de  ceux  qui  défendroient  la 
place. 

Il  n  y  trouva  pas  peu  de  difficulté ,  à  cause  du 
mécontentement  secret  du  duc  de  Savoie ,  qui ,  ne 
voyant  pas  de  bon  œil  que  le  Roi  fît  fortifier  Pignerol, 
imposa  premièrement  de  grandes  daces  sur  tout  ce  qui 
passoit  de  Piémont  à  Pignerol,  puis  régla  la  pistole 
d'Espagne  à  6  livres  4  sous,  qui  étoit  un  quart  moins 
qu'elle  valoit  en  France,  mit  notre  quart  d'ëcu  h  la 


494  [i633]  MiMoniBs 

sous  des  siens  ,  qui  n'en  valoient  pas  9  des  nôtres  »  et 
décria  toutes  nos  monnoies  basses ,  ce  qui  nous  étoit 
une  grande  incommodité ,  d'autant  que  le  finage  de 
Pignerol  est  si  petit  que  nous  ne  pouvons  nous  passer 
des  denrées  de  Piémont;  mais  la  plus  grande  néces- 
sité étoit  pour  ia  chaux,  laquelle  nous  ne  trouvions 
que  dans  ses  Etats  \  ce  que  le  duc  reconnoissant,  y  mit 
des  impositions  excessives,  lesquelles  il  augmentât 
de  jour  à  autre;  et  enfin,  voyant  qu^à  quelque  prix 
que  ce  fût  nous  ne  laissions  pas  d'en  acheter ,  il  l'en- 
voya toute  enlever  et  porter  à  Turin,  disant  en  avoir 
besoin  pour  fortifier  la  place.  A  toutes  lesquella 
choses  nous  dissimulâmes  un  temps,  et  envoyiniei 
chercher  de  la  chaux  en  toutes  les  vallées  voisinesap- 
partenantes  à  la  France  ;  et  en  ayant  trouve  dans  celle 
de  Pragela  et  quelque  autre ,  le  duc  alors  aima  mieux 
faire  marché  raisonnable  avec  nous  de  celle  qa^il  pre- 
noit  de  ses  sujets  sans  qu'il  en  payât  aucune  chose. 

On  crut  aussi  que ,  pour  fortifier  les  cœurs  des 
hommes  aussi  bien  que  les  murs  de  la  ville,  il  éloit  né- 
cessaire d'envoyer  les  religieux  italiens  qui  y  ëtoient 
hors  de  leur  couvent,  et  y  en  substituer  de  français 
en  leur  place  ;  ce  que  l'on  fit  peu  à  peu  avec  le  gré 
de  Sa  Sainteté  et  de  leur  supérieulr.  Après  que  ledit 
sieur  d'Emery  eut  apporté  tous  les  soins  nécessaires 
pour  la  sûreté  de  Pignerol ,  il  fit  le  môme  pour  Casai  ; 
ce  qui  fut  cause  que  le  cardinal  Infant,  voyant  qaH 
n^y  avoit  rien  à  gagner  pour  lui  de  ce  côté -là,  oe 
pensa  qu'à  faire  passer  son  armée  en  Lorraine  sons 
le  duc  de  Ferja.  Il  détourna  seulement  du  service 
<iu  Roi  la  douairière  de  MautoueCO,  laquelle  foi^ 

/1  )  La  douairière  de  Mantoue.  (  Voyex  la  noie  de  la  pag.  Sa  da  I.  iv.  ) 


DS  RICHBUXU.   [l633]  49^ 

tifiëe  de  la  princesse  sa  fille  il  souleva  contre  le 
duc. 

Ladite  douairière  représentant  à  sa  fille  qu'elle  ëtoit 
héritière  des  états  de  Mantoue  et  du  Montferrat,  et 
qu'elle  avoit  consenti,  ou  pourroit  ci-après  consentir 
mal  à  propos  par  paroles,  par  écrit  ou  autrement,  à 
quel(|ue  chose  préjudiciable  à  ses  droits ,  lui  conseilla 
d'en  faire  un  acte  de  renonciation  dès  lors-,  de  sorte 
que,  le  a8  juillet,  ladite  princesse  de  Manloue,  étant 
dans  un  conseil  qu'elle  tint,  présenta  un  papier  écrit 
et  signé  de  sa  main ,  et  après  Tavoir  fait  lire ,  leur  dit 
que  dans  deux  jours  elle  entreroit  dans  sa  vingt-cin- 
quième année,  et  qu'elle  avoit  été  conseillée  de  faire 
auparavant  une  déclaration ,  laquelle  elle  désiroit 
qu  ils  signassent  comme  témoins. 

Quelques-uns  d'entre  eux  lui  répondirent  qu'ils  ne 
le  pouvoient  faire  sans  un  exprès  commandement  da 
duc.  A  quoi  elle  répliqua  qu'il  en  étoit  d'accord,  et 
que  c'éloit  une  pièce  concertée  avec  lui  5  et  voyant 
que  pour  cela  ils  ne  signoient  point,  elle  se  leva  et 
leur  dit  en  rehaussant  sa  voix  qu'ils  la  fôcheroient  s'ils 
ne  faisoient  ce  qu'elle  vouloit.  Lors  son  secrétaire, 
qui  étoit  secrétaire  de  ce  conseil ,  prit  ja  parole  et  dit 
qu'ils  ne  dévoient  pas  offenser  la  princesse  à  ce  point 
que  de  douter  de  ce  qu'elle  leur  disoit,  et  qu'il  ne 
savoit  pourquoi  ils  faisoient  difficulté  de  lui  obéir 
en  une  chose  qu'elle  leur  assuroit  être  de  la  partici- 
pation et  du  consentement  du  duc  ^  lors  ils  signèrent, 
entre  autres  l'évéque  de  Mantoue,  deux  chevaliers, 
deux  secrétaires  d'Etat ,  le  prudent  du  sénat  et  celai 
du  magistrat;  et  cela  h\t  ils  allèrent  trouver  le  duc 
pour  lui  rendre  compte  de  ce  qui  s'étoit  passé,  et  lui 


496  [l633]    MÉMOIRES 

envoya  aussitôt  appeler  ce  secrétaire  sur  lequel  ils  se 
déchargeoient  principalement. 

Ledit  secrétaire,  étant  venu  devant  le  duc,  dit 
qu'il  n'avoit  pas  assuré  que  la  pièce  lui  eût  été  com- 
muniquée 9  mais  bien  qu'il  sembloil  qu^oa  n^en  pou- 
voit  douter ,  puisque  madame  la  princesse  les  ea 
assuroit,  et  qu'en  effet  il  lavoit  cru. 

Le  duc  lui  commanda  de  sortir  dans  vingt-quatre 
heures  de  la  ville ,  de  se  retirer  dans  le  Montferrat  et 
de  ne  point  entrer  dans  Casai.  Cela  étant  su  de  b 
princesse ,  elle  s'en  alla  trouver  l'Infante;  toutes  deux 
envoyèrent  quérir  M.  de  La  Tour,  qui  étoit  là  de  h 
part  du  Roi,  auquel  l'Infante  dit  qu'elle  avoit  sa  de 
sa  fille  que  le  duc  avoit  commandé  à  son  secrétaire 
de  se  retirer,  pour  quelque  écriture  qu'elle  avoit  fait 
signer  ce  jour-là  ;  que  c'étoit  un  aiTront  qu'il  lai  fai- 
soit  et  h  elle  aussi,  puisqu'elle  étoit  sa  mère,  et  qu^elles 
l'avoient  envoyé  appeler  pour  lui  dire ,  comme  étant 
ici  ministre  du  Roi,  qu'il  ne  le  sauroit  mieux  servir 
que  d'aller  trouver  le  duc  et  lui  dire  qu'il  levât  le 
commandement  qu'il  avoit  fait  à  ce  secrétaire  de  sortir 
à  cette  heure,  car  autrement  il  en  auroit  du  déplaisir 
et  ne  sortiroit  point  assurément,  et  ensuite  une  infi- 
nité de  paroles  superbes  et  de  mépris  du  duc. 

A  quoi  le  sieur  de  La  Tour  répondit  qu'il  étoit  venu 
à  Mantoue  comme  soldat  et  pour  y  servir  le  duc  de 
son  épée ,  et  non  comme  ministre  pour  y  négocier ^ 
mais  que  la  confiance  qu'elles  lui  montroient  Tobli- 
geoit  à  leur  dire  qu'il  lui  sembloit  qu'elles  dévoient 
demander  ce  qu'elles  désiroient  en  autres  termes  si 
elles  vouloient  l'obtenir ,  et  qu'elles  étoientassez  pru- 
dentes pour  considérer  les  suites  d'un  semblable  dis- 


DE  HiciiRLiEU.  [i633]  497 

cours.  A  quoi  TIofaQle,  recommençant  du  même  style, 
repartit  qu  elles  n  ëtoient  pas  capables  de  faire  comme 
la  Reine-mère  ni  comme  M.  le  duc  d'Orléans,  qu'ils 
avoientëtë  mal  conseilles,  et  qu'elles  étoient  de  celles 
qui  savolent  bien  que  qui  quittoit  la  partie  la  per* 
doit,  et  qu'enfin  elle  ëtoit  fille  de  Charles  Emmanuel, 
et  qu'elle  ne  s'ëtonnoit  pas  pour  le  bruit. 

M.  de  La  Tour,  lassé  et  en  colère  de  semblables 
discours ,  leur  dit  qu'il  alloit  trouver  le  duc ,  et  en 
eflet  y  alla ,  et  lui  rapporta  une  partie  de  ce  qui  lui 
avoil  été  dit  ^  ce  qui  fit  que  le  duc,  dès  le  lendemain 
matin ,  commanda  à  un  archer  de  sa  garde  de  mettre 
le  secrét.iire  dehors,  et  de  le  faire  passer  par  devant 
le  logis  de  l'Infante,  laquelle,  aussitôt  qu'elle  sut  la 
sortie,  renvoya  appeler  M.  de  La  Tour,  et  avec  un 
discours  autant  humble  que  le  précédent  étoitaltier, 
en  présence  de  la  princesse ,  lui  dit  en  conclusion 
qu  elles  le  prioient  d'aller  trouver  leduc,  et  le  prier  en 
leur  nom  de  rappeler  ce  secrétaire,  mais  après  avoir 
pi(|ué  et  porté  la  princesse  en  des  ressentimens  ex- 
trêmes ,  jusqu'à  lui  dire  pour  cela  que  le  monde  en 
feroit  de  mauvais  discours  et  important  à  sa  réputa- 
tion, et  tout  ce  qui  la  pouvoit  animer.  Aussi  en  ce 
second  discours  qu  elles  eurent  avec  M.  de  La  Tour, 
1  infante  supplioit,  et  la  princesse  fulmiuoit. 

M.  de  La  Tour  alla  trouver  le  duc  pour  la  seconde 
fois ,  auquel  il  fit  rapport  de  ce  que  dessus  :  deux  jours 
se  passèrent,  durant  lesquels  le  duc  fit  demander  à  la 
princesse  cette  écriture ,  et  lui  fit  conseiller  sons 
main  et  par  ses  créatures  de  l#lui  envoyer,  mais  tout 
cela  inutilement.  Et  cependant  arrivèrent  avis  de  Mi* 
lan  que  cette  protestation,  sans  savoir  qu'elle  eut  paru 

T.     '27.  3'2 


498  [l633]    MÉMOIRES 

à  MaQtoue,  y  devoîtparoitre  bientôt  ;  qu^clle  avoit 
été  dressée  en  Piémont  et  consultée  à  Milan,  et  que 
Ton  se  prit  garde  de  la  princesse  et  du  petit  prince  \ 
que  Ton  avoit  quelque  vent  que  Tlnfante  entrepre- 
noit  et  promettoit  de  les  enlever  tous  deux ,  et  de 
.gagner  la  princesse  par  le  mariage  d'elle  et  de  l'Infant- 
cardinal ,  et  qu'enfin  Ton  croyoit  que  c^étoit  le  sujet 
du  voyage  du  comte  Barnetlo ,  majordome  de  ladite 
Infante  à  Milan ,  et  des  fréquentes  consultes  où  il  se 
trouvoit.  Ces  avis  se  trouvèrent  suivis  d'autres  ,  qui 
ëtoient  que  les  Espagnols  avançoient  un  corps  de 
cavalerie  sur  la  frontière  du  Crémonais  ;  de  sorte  que, 
toutes  ces  circonstances  et  la  qualité  de  Tëcritare 
considérées,  Ton  jugea  que  la  fin  de  cette  affaire  étoit 
ce  qui  étoit  arrivé  ,  c'est-à-dire  une  mésintelligence 
et  désunion  \  de  sorte  que  le  duc  estima  qu'il  falloit 
dissimuler  son  ressentiment,  et  accorder  à  la  princesse 
tout  ce  qu'elle  demandoit ,  pour ,  par  ce  moyen ,  com- 
battre et  retarder  les  résolutions  que  sa  mère  lai 
voudroit  donner.  En  effet  il  fit  qu'une  personne  en 
qui  ladite  princesse  avoit  créance ,   lui  dit  qu'on 
croyoit  que  le  duc  ne  lui  accorderoit  pas  le  rappel  de 
son  secrétaire,  parce  qu'elle  le  demandoit  au  nom  de 
rinfante,  et  que  quand  elle  le  demanderoit  toute  seule, 
on  ne  pouvoit  douter  que  le  duc  ne  lui  accordât,  et 
lui  conseilla  de  le  faire  :  elle  le  fît,  et  le  duc  lui  en  en- 
voya l'ordre,  et  commanda  à  celui  qui  le  lui  porta 
de  savoir  si  elle  étoit  contente ,  auquel  ayant  répondu 
qu'oui,  il  lui  repartit  :  «  Le  duc  ne  peut  pas  dire  la 
même  chose  que  vous  ne  lui  ayez  renvoyé  cette  écri- 
ture qui  est  cause  de  tout  ce  divorce;  »  en  y  ajoutant 
toutes  les  raisons  qui  l'y  dévoient  convier.  A  qnoi 


DE   RICHELIEU.    [l633]  499 

elle  répondit  que  pourToriginal  il  lai  étoit  impossible 
pour  ravoir  donné  à  sa  mère  et  elle  Tavoir  envoyé 
hors  de  Mantoue  ;  et  ce  jour-là  et  le  suivant  fit  tou- 
jours la  même  réponse ,  en  envoyant  une  simple  copie 
au  duc  ;  ce  qui  l'obligea  de  dépâcher  Baillot  vers  le 
Roi  pour  lui  en  donner  part  et  de  la  résolution  qu'il 
avoit  prise,  la(|uelle  il  auroit  exécutée  sans  qu  il  avoit 
cru  que  ,  pour  ne  point  donner  ce  prétexte  à  ses  en- 
nemis qui  étoient  proche  et  armés ,  il  étoit  néces- 
saire que  le  Roi  appuyât  ouvertement  cette  affaire, 
comme  il  le  supplioit  de  le  faire  par  Tenvoi  de  M.  de 
La  Thuillerie ,  ou  de  tel  autre  que  Sa  Majesté  jugeroit 
à  propos. 

Sa  Majesté  ayant  reçu  avis  de  ces  choses  ,  manda 
à  M.  de  Mantoue,  et  lui  fit  savoir  particulièrement 
par  le  sieur  de  La  Tour,  que  ce  qu'il  avoit  à  faire  de 
plus  pressé  étoit  de  mettre  l'infante  Marguerite  hors 
de  ses  états  de  Mantoue  et  de  Montferrat,  sans  souf- 
frir que,  pour  aucun  prétexte  que  ce  fût,  elle  y  fit 
plus  de  séjour  ;  car  il  ne  lui  celeroit  point  qu'après 
avoir  eu  part  à  une  entreprise  si  préjudiciable  au  bien 
et  repos  de  ses  Etats ,  comme  il  ne  pourroit  avec 
raison  prendre  plus  de  confiance  en  elle,  Sa  Majesté 
aussi,,  ni  tous  les  princes  intéressés  avec  lui ,  ne  san- 
roient  être  en  assurance  tant  qu'elle  seroit  près  de  lui  \ 

Qu'il  donnât  ordre  que  sortant  de  Mantoue  elle 
ne  prétendit  pas  aller  établir  sa  demeure  dans  Casai, 
comme  elle  avoit  voulu  faire  autrefois;  que  Sa  Ma- 
jesté, pour  ce  sujet,  le  mandoit  à  l'Infante  même,  et 
en  termes  un  peu  pressans,  loi  écrivant  qu'il  s'assu- 
roit  bien  que,  reconnoissant  comme  elle  devoit  faire 
que  son  séjour  dans  Mantoue  ne  pouvoit  qu'altérer 

3a. 


5oO  [l633J    MÉM0IHE2> 

les  esprits  et  les  éloigner  d'une  vraie  réconciliation 
qui  étoit  reconnue  si  nécessaire ,  elle  ne  feroit  point 
de  difficulté  de  se  retirer  pour  quelque  temps  dans 
une  de  ses  maisons  hors  de  ladite  ville ,  et  que  Si 
Majesté,  qui  savoit  les  conséquences  de  cette  affaire» 
se  sentiroit  obligée  de  lui  conseiller  de  prendre  ceUe 
résolution ,  si  elle  ne  croyoit  qu'elle  s'y  disposeroit 
d'elle-même ,  reconnoissanl  qu'elle  étoit  absolument 
nécessaire  pour  le  bien  et  repos  de  ceux  qui  lui  toa- 
choient  de  si  près  ;  et  partant  que  ledit  duc  se  pouvoit 
excuser  de  cette  résolution ,  s'il  le  jugeoil  k  propos, 
sur  Sa  Majesté; 

Que  cela  fait ,  il  ne  falloit  rien  oublier  pour  dé- 
couvrir toutes  les  particularités  des  desseins  que  Ton 
pouvoit  avoir  eus ,  et  les  personnes  qui  avoient  en 
part  à  une  action  de  telle  importance;  ce  qui  ne  se 
pouvoit  mieux  faire  qu'en  poursuivant  la  punition  du 
secrétaire  de  ladite  princesse ,  lequel  vraisemblable- 
ment en  avoit  la  connoissance  entière ,  et  lequel  par 
conséquent  ledit  sieur  duc  ne  devoit  point  différer 
de  mettre  entre  les  mains  de  la  ju>tice ,  quelques  ins* 
tances  qu'on  lui  pût  faire  au  contraire  ; 

Que  ses  ministres  et  conseillers  aussi,  qui  avoient 
signé  ledit  acte  ,  ne  se  pouvoicnt  excuser  ,  ou  d'une 
malice  punissable ,  ou  d'une  extrême  facilité,  laquelle 
en  semblables  matières  tenoit  lieu  de  semblable  crime; 
et  partant  il  devoit  dépendre  de  la  prudence  dudit 
sieur  duc  d'éloigner  pour  ce  sujet  de  la  connoissance 
de  ses  affaires  ceux  desquels  il  s'assureroit  le  moins, 
après  toutefois  avoir  pourvu  k  la  sûreté  de  leurs  per- 
sonnes ,  afin  que ,  si  par  la  suite  de  la  recherche  ils 
étoient  trouvés  complices  ou  adhérens  de  celte  coa- 


DE  MIGHBLIEU.    [x633]  Sof 

ju ration,  on  pût  user  contre  eux  de  la  rigueur  des 
lois  j  sans  laquelle  il  ëtoit  à  craindre  que  ledit  sieur 
duc  ne  se  trouyftt  enfin  lui-même  accablé  par  les  fac- 
tions et  cabales  queTon  pouvoit  avoir  faites  dansMan- 
toue,  en  conduisant  une  si  préjudiciable  entreprise; 
que  cependant,  comme  Ton  ne  pouvoit  donner  autre 
conseil  audit  sieur  duc  que  de  châtier  ceux  qui  se  trou- 
veront avoir  trempé  ii  cette  conspiration  par  malice  t 
on  ne  vouloit  pas  aussi  lui  déconseiller  d'user  de  sa 
bonté  envers  ceux  qui  y  auront  adhéré  par  simple 
facilité,  ce  qui  se  devoit  faire  toutefois  avec  les  ré- 
flexions nécessaires  pour  qu'il  n'en  puisse  arriver 
inconvénient  ; 

Que  néanmoins  pendant  ces  recherches ,  qui  dé- 
voient être  faites  (si on  en  vouloit  tirerquelque  fruit  ) 
avec  une  extrême  diligence  et  un  peu  de  sévérité, 
d'autant  que  la  princesse  en  pourroit  être  offensée, 
il  ne  falloit  rien  oublier  pour  tâcher  à  regagner  son 
esprit ,  et  lui  faire  comprendre  que  tout  ce  que  Ton 
faisoit  n  ëtoit  que  pour  lui  découvrir  l'artifice  avec 
lequel  on  lavoit  voulu  séduire  contre  son  propre 
bien  par  un  si  pernicieux  conseil ,  lequel  venant  de 
la  part  de  ceux  qui  avoient  tant  de  fois  envahi  set 
États,  attaqué  deux  fois  Casai  et  saccagé  MautouHi 
lui  devoit  être  suspect  pour  cette  seule  raison , 
quand  même  il  ne  paroltroit  pas  visiblement  (comme 
il  faisoit)  qu'ils  avoient  voulu  remettre,  par  ce 
moyen  ,  le  trouble  et  la  division  dans  sa  famille  ^ 
révoquant  en  doute  la  validité  de  son  mariage,  et* 
ensuite  la  condition  de  ses  en&ns  en  sa  propre  rëpu^» 
tation ,  qui  devoit  être  toujours  plus  chère  aux  pria-^ 
cesses  que  toute  autre  chose; 


503  [l633J   MÉMOIRES 

Que  toutefois ,  les  douceurs  et  les  caresses  que  Ton 
estimoit  à  propos  de  lui  faire  pour  la  détacher  de  tous 
les  engagemens  et  espérances  où  elle  poavoit  être 
entrée ,  ne  dévoient  pas  empêcher  que ,  sous  prétexte 
de  lui  rendre  plus  d'honneur  ou  autrement,  on  ne 
prît  garde  à  ses  actions,  et  qu'on  ne  s'assurât  de  la 
personne  du  petit  prince,  sur  laquelle  ii  ne  falloit 
point  douter  que,  voyant  le  premier  coup  failli,  ou 
ne  tâchât  de  faire  quelque  entreprise,  principalement 
tandis  que  llnfante  seroit  dans  Mantoue ,  et  qu'elle 
continueroit  les  intelligences  et  pratiques  qu'elle  en- 
tretcnoit  ouvertement  dans  Milan. 

Après  tout  cela,  il  falloit  redoubler  les  soins  pour 
la  garde  et  sûreté  de  la  ville  de  Mantoue,  et ,  en  cas 
que  la  garnison  ne  fût  sufTisante  et  en  bon  état,  en 
écrire  au  sieur  de  La  Thuillerie ,  lequel  avoit  ordre  de 
Sa  Majesté  de  faire  tous  les  offices  nécessaires  pour 
l'assistance  dudit  sieur  duc  près  de  Ja  République, 
étant  à  croire  qu'en  une  occasion  si  importante  (où 
il  s'agissoit  de  prévenir  des  desseins  dont  Teflet  ne 
lui  seroit  guère  moins  préjudiciable  qu'audit  sieur 
duc)  elle  ne  refuseroit  pas  le  secours  qui  seroit  jugé 
nécessaire,  au  moins  pour  parer  aux  premiers  coups. 
•^jC  duc  de  Mantoue ,  qui  avoit  si  souvent  éprouvé 
par  effets  la  sincérité  des  intentions  du  Roi  pour  la 
conservation  de  ses  États ,  crut  aux  sages  conseils 
qu'il  lui  donnoit  de  ne  rien  omettre  pour  se  garantir 
des  mauvais  desseins  qu'il  connoissoit  que  l'on  avoit 
•eus  contre  lui  par  une  action  préméditée  de  si  longue 
main  ,  et  conduite  si  secrètement  par  l'artifice  des 
Espagnols  qui  avoient  conjuré  sa  ruine. 

Il  commanda  ensuite  à  l'infante  Marguerite  de  sortir 


DE    RICHELIEU.    [l633]  5o3 

de  Mantoue  sans  aucun  délai  ^  et,  pour  n'user  dei'ex- 
trémité  de  la  rigueur  envers  elle,  lui  permit  de  de- 
meurer à  Cualters,  où  les  Vénitiens  la  trouvant  un 
peu  trop  près  de  Mantoue  en  écrivirent  au  Roi,  qui 
leur  manda  que  s'il  avoit  bien  eu  Tautorité  de  la  faire 
sortir  de  Mantoue ,  il  Tauroit  bien  de  la  faire  éloigner 
davantage  si  elle  donnoit  lieu  de  soupçon. 

Son  éloignement  rapprocha  Tesprit  de  la  princesse 
de  son  devoir^  elle  se  rendit  incontinent  capable  de 
reconnoître  les  mauvais  conseils  que  samèrelui  avoit 
donnés,  les  abandonnant  et  se  conformant  à  la  vo- 
lonté de  son  beau-père. 

Elle  eut  bien  voulu  lui  rendre  l'acte  de  la  protesta- 
tion qu'elle  avoit  faite  ^  mais  1  ayant  donné  à  sa  mère  » 
qui  lavoit  incontinent  envoyé  à  Milan ,  où  le  dessein 
en  avoit  été  premièrement  formé,  il  n'étoit  pas  en  sa 
puissance  d'exécuter  le  désir  qu'elle  en  avoit)  mais 
elle  (it  un  autre  acte  contraire,  par  lequel  elle  re- 
nonçoit  au  premier,  et  avouoit  qu'elle  avoit  été  lors 
mal  conseillée,  etqu'elle  le  reconnoissoit  maintenant, 
et  partant  Tannulort  et  le  cassoit,  révoquant  tout  le 
contenu  en  icelui. 

Ainsi  tout  l'avantage  que  le  cardinal  Infant  sem- 
bloit  avoir  tiré  de  son  voyage  en  Italie  fut  réd^  à 
néant;  et  bien  que  tous  les  princes  de  ce  pays,  ex- 
cepté le  duc  de  Parme ,  lui  fissent  des  soumissions 
en  apparence  très-grandes ,  si  ne  put-il  néanmoins 
obtenir  d'eux  tout  ce  qu'il  leur  demandoit,  non  pas 
même  du  duc  de  Florence ,  auquel  le  sénateur  Yillaiû, 
dont  nous  avons  parlé,  ayant  proposé,  de  la  part  du 
roi  d'Espagne ,  le  mariage  de  l'héritière  de  Strgliane 
pour  son  frère ,  la  charge  de  général  de  la  mer ,  comme 


5o4  [l633]   MÉMOIRSS 

Favoit  le  prince  Philibert  de  Savoie»  et  rinvestitore 
de  Piombino  pour  soDdit  frère ,  et  pour  le  cardinal 
de  Médicis ,  son  oncle  »  la  protection  d'Espagne  dans 
Rome  avec  rarchevéchë  de  Montréal ,  et  le  chapeaa 
du  cardinal  Infant  ppur  un  autre  de  ses  frères ,  pourra 
qu'il  prêtât  un  million  d'or  audit  roi  d'Espagne ,  il  en 
fut  refusé ,  comme  aussi  d'entrer  en  une  ligue  qui 
lui  fut  par  lui  proposée  sous  le  nom  spécieux  de  la 
conservation  de  la  liberté  d'Italie. 

Sa  Sainteté  fit  le  même  refus  à  l'ambassadeur  de 
l'Empereur ,  qui  lui  faisoit  instance  sur  le  même  sujet, 
et  d'entrer  comme  chef  dans  ladite  ligue  défensive  et 
offensive;  car  elle  lui  répondit  qu'elle  étoit  toujours 
prête  de  contribuer  ce  qui  dépendroit  d'elle  pour  la 
défense  d'Italie,  mais  que,  sous  ce  nom  de  général 
des  princes  dltalie  le  roi  d'Espagne  étant  compris, 
celui  de  France  auroit  sujet  de  dire  que  cette  ligue 
rendroit  le  Pape  partial,  ce  qui  étoit  contre  son  in- 
tention qui  est  d'être  père  commun.  A  quoi  ledit  am- 
bassadeur lui  ayant  reparti  qu'il  le  convioit  au  nom 
de  l'Empereur  à  entrer  en  cette  ligue,  non  comme 
pape ,  mais  comme  prince  qui  possède  de  si  grands 
États  en  Italie,  Sa  Sainteté  ne  fit  autre  réponse ,  sinon 
que  cette  métaphysique  n'étoitpas  bonne  en  politique. 
Il  ne  laissa  pas  néanmoins  de  se  laisser  persuader 
par  le  cardinal  Barberin ,  de  faction  espagnole ,  d'en- 
voyer un  gentilhomme  à  Milan  visiter  le  cardinal  In- 
fant ,  bien  qu'on  pût  dire  qu  il  y  eût  quelque  chose  à 
redire  en  cela,  d'autant  que,  lorsqu'en  1629  le  Roi 
vintàSuse,  il  n'avoit  pas  envoyé  vers  Sa  Majesté; 
mais  aussi  en  reçut-il  de  Dieu  le  juste  salaire,  câk* 
ledit  cardinal  lufaut  ne  daigna  pas  envoyer  aucun  dH 


DE  mCHBLIEU.   [i633]  5o5 

siens  vers  lui  ni  vers  toute  sa  maison ,  laquelle  Tavoit 
envoyé  saluer. 

Les  Espagnols  n'en  demeurèrent  pas  là  ;  ils  tra« 
moient  des  choses  plus  grandes  contre  sa  personne  et 
sa  dignité.  Le  sieur  Gueflfier,  qui,  en  Pabsence  de 
Tambassadeur,  avoit  la  charge  des  afTairesde  France 
à  Rome,  manda  au  Roi  que  le  cardinal  Borghèse  lui 
avoit  dit  que  le  cardinal  Savelli,  qui  étoit  Tune  de 
SCS  créatures ,  Tavoit  vivement  pressé  de  la  part  du 
vice-roi  de  Naples  de  se  joindre  aux  cardinaux  es- 
pagnols ,  desquels  le  dessein  étoit  de  trouver  moyen 
de  faire  un  autre  pape ,  et  que  le  sieur  de  Sayavedra  » 
agent  d'Espagne,  alloit  trouver  l'Empereur  pour  lui 
faire  instance  d'envoyer  tous  les  cardinaux  allemands 
en  Italie,  où  ils  se  dévoient  assembler  en  la  ville  de 
Milan ,  pour  de  là  venir  à  Rome ,  sur  la  créance  qu*ils 
avoient  fondée  sur  des  prédictions  frivoles  que  le 
Pape  devoit  mourir  cette  année-là  ;  et  déjà  ledit  vice- 
roi  avoit  seul  les  ordres  secrets  de  ce  qu'il  devoit  faire 
au  cas  que  le  siège  vint  à  vaquer ,  et  que  si  la  mort 
du  Pape  n'arrivoit  point,  ils  dévoient  aviser  comme 
ils  pourroient  assembler  un  concile ,  et  donner  tant 
de  traverses  à  Sa  Sainteté  qu'ils  lui  fissent  avancer 
ses  jours. 

Ce  dessein  étoit  formé  par  eux  ;  mais  la  piété  de 
FEmpereur  le  retarda,  et  la  mort  du  cardinal  Ludo- 
visio,  qui  avoit  seul  plus  d'autorité  que  tous  les  autres 
partisans  espagnols,  leur  âtale  moyen  de  le  pouvoir 
exécuter. 

L'arrivée  du  duc  de  Créqui  en  Italie,  où  Sa  Ma- 
jesté renvoya  pour  rendre  de  sa  part  l'obédience  fi- 
liale à  Sa  Sainteté,  luiapportabeaucoupdeconsolation. 


5o6  [l633J   MÉMOIRES 

et,  par  son  autorité,  il  ralentit  Tardeur  de  ceux  qoi 
faisoient  toutes  ces  menées  au  préjudice  du  respect 
dû  à  Sa  Sainteté ,  et  du  service  de  Sa  Majesté. 

Il  arriva  à  Rome  au  commencement  de  juin,  et 
après  y  avoir  été  inconnu  quelques  jours,  il  y  fit  son 
entrée  le  20  -,  le  fils  de  don  Tadée  vint  au-devant  de 
lui ,  comme  neveu  du  Pape ,  et  lui  fit  des  excuses  de 
Tabsence  de  son  père  ;  ce  qui  fut  au  grand  regret 
des  Espagnols,  qui,  huit  jours  durant,  travaillèrent 
par  toutes  sortes  de  moyens  imaginables  pour  rem- 
pécher  ,  mais  au  grand  contentement  de  toot  le 
peuple  romain ,  duquel  on  ne  vit  jamais  une  si  grande 
aflluence  et  un  applaudissement  si  solennel ,  car  on 
n'entendoit  qu'une  voix  confuse  de  plusieurs  milliers 
d'hommes  qui  tous  crioient  vive  France  ! 

Le  a5 ,  il  alla  à  Taudience  avec  les  cérémonies  ac« 
coutumées  à  une  si  solennelle  ambassade,  présenta 
au  Pape  la  lettre  du  Roi,  écrite  de  sa  propre  main, 
et  lui  dit  que  Sa  Majesté  lui  avoit  commandé  de 
venir  prêter  en  son  nom  Tobédience  filiale  qu'elle 
devoit  à  Sa  Sainteté  et  au  Saint-Siège,  comme  roi 
Très-Chrétien  et  fils  aîné  de  TEglise,  à  l'imitation  des 
rois  ses  prédécesseurs ,  qui  ont  signald  les  temps 
de  leurs  règnes ,  non-seulement  par  la  déférence  de 
semblables  offices  et  devoirs,  dans  lesquels  le  zèle 
de  cette  couronne  a  toujours  éclaté  sur  celui  de  toutes 
les  autres,  mais  encore  par  de  si  grandes  et  généreuses 
actions,  entreprises  pour  Thonneur,  protection  et 
maintien  des  papes  et  du  Saint*Siége,  qu'ils  en  ont 
acquis  et  mérité  des  titres,  éloges  et  bénédictions  qui 
n'ont  jamais  été  communiqués  qu'à  eux  :  avantages 
desquels  Sa  Majesté  n'cutendoit  se  prévaloir  que  poar 


DE  RICHELIEU.  [l633]  Hof 

s'exciter  aax  occarrences  à  sorpasser  et  renchérir 
au-dessns  de  toas  ces  exemples  domestiques;  qu*ontre 
les  obligations  générales  dont  Sa  Majesté  loi  étoit 
redevable,  elle  reconnoissoit  lai  en  avoir  de  très- 
particulières  pour  Taflection  tendre  qu'elle  sa  voit  que 
Sa  Sainteté  lui  portoit  ; 

Qu'aussi  ne  se  satisferoit-elle  jamais  qu'elle  ne  Ini 
eût  rendu,  et  à  tous  ceux  de  sa  maison,  des  preuves 
de  môme  qualité  de  la  reconnoissance  sensible  qu'elle 
en  avoit; 

Que  si  Sa  Majesté  n'avoit  été  si  prompte  à  s'ac*- 
quittcr  de  ce  devoir  comme  il  étoit  convenable,  et 
ainsi  qu'elle  avoit  désiré ,  les  occupations  continuelles 
des  guerres  étrangères  et  domestiques  qu'elle  avoit 
eues ,  justifioient  assez  les  raisons  de  ce  retardement^ 
qui  n'avoient  été  qu'afin  de  le  pouvoir  exécuter  avec 
plus  de  dignité  et  de  magnificence.;  et  si  d'autres 
avoient  usé  de  plus  de  diligence ,  Sa  Majesté  souflVoit 
volontiers  qu'ils  la  devançassent  en  ces  cérémonies 
extérieures,  qui  n'étoient  que  les  ombres  des  effets 
qu'elle  étoit  prête  d'exécuter ,  mats  ne  le  souffriroit 
jamais ,  voire  personne  ne  la  ponrroit  égaler  en  cette 
partie-là ,  s'il  étoit  question  de  procurer  l'accroisse- 
ment et  grandeur  de  l'Église,  ou  l'avancement  et  pros- 
périté de  ceux  de  sa  maison. 

Il  prêta  ladite  obédience  au  nom  de  Sa  Majesté ,  en 
qualité  de  roi  de  France  et  de  Navarre ,  en  quoi  il 
ne  trouveroit  pas  d'opposition  de  quelque  part  que 
ce  fût ,  après  les  exemples  et  actes  des  trois  dernières 
obédiences  rendues  par  messieurs  de  Luxembourg, 
le  duc  de  Nevers  et  le  chevalier  de  Vendôme  aux 
papes  Clément  tiu  et  Paul  t,  dont  il  avoit  retiré 


5o8  [i633]  MÉMOiRis 

copie  pour  s'y  conformer ,  et  prit  soigneusement  garde 

en  ce  point  si  chatouilleux  de  se  laisser  surprendre. 

II  avoit  aussi  ordre  de  faire  instance  à  Sa  Sainteté 
de  vouloir  entrer  en  une  ligue  générale  pour  la  paix 
dltalie ,  de  laquelle  Sa  Majesté  lui  avoit  déjà  hit 
parler  lanuëe  précédente  par  le  comte  de  Brissac 
son  ambassadeur,  et  non-seulement  d'y  entrer ,  mais 
de  s'en  rendre  auteur  et  promoteur  envers  tous  les 
princes  qu'on  y  vouloit  associer,  attendu  les  grands 
avantages  qui  en  réussiroientau  Saint-Siège  et  à  elle, 
et  qu'elle  y  pouvoit  entrer  sans  se  départir  de  la  qua- 
lité de  père  commun  qu'elle  vouloit  conserver  avec 
tant  de  soin  ^  ce  qui  étoit  évident,  puisque  cette  ligue 
n'avoit  pour  objet  que  l'union  et  bonne  intelligence 
entre  tous  les  princes,  dont  les  intérêts  et  mauvais 
ménages  entre  eux  pourroient  troubler  la  paix  et  tran- 
quillité publique  d'Italie ,  et  celle  ensuite  de  tonte 
l'Europe,  coupant  chemin  par  ce  moyen  aux  occasions 
semblables  à  celles  qui  depuis  dix  ans  y  avoient  tant 
apporté  de  maux  et  de  désordres,  lesquels  auroient 
bien  passé  plus  avant  si  Sa  Majesté  par  sa  prudence 
et  valeur  n'en  eût  arrêté  le  cours.  Mais  Sa  Sainteté 
lui  dit  qu'il  falloit  premièrement  vider  le  différend 
qu'il  avoit  avec  les  Vénitiens,  qui  lui  étoit  de  très- 
grande  importance,  et  que  sans  cela  il  ne  pouvoit 
prendre  de  résolution  sur  ce  qu'il  lui  proposoit. 

Sur  quoi  le  duc  deCréqui  lui  répondit  que,  comme 
Sa  Majesté  s'emploieroit  toujours  auprès  des  sei- 
gneurs de  cette  République,  afin  qu'ils  demeurassent 
dans  le  respect  et  la  vénération  qui  lui  étoit  due 
comme  au  souverain  chef  de  l'Eglise ,  et  dans  tous  les 
devoirs  de  bons  voisins,  qu'elle  supplioit  aussi  Sa 


DE  RICHELIEU.  [i633J  5og 

Sainleté  d  y  correspondre  de  son  côté  par  Une  aflec- 
lion  cordiale  et  paternelle ,  et  par  un  désir  effectif 
d*une  vraie  union  et  bonne  concorde  ; 

Que  Sa  Majesté  étoit  très-bien  informée  des  bonnes 
dispositions  de  Sa  Sainteté  à  tout  ce  qui  seroit  juste 
et  raisonnable  en  cela  comme  en  toutes  autres  choses, 
même  que  Sa  Majesté  avoit  grand  sujet  de  la  remer- 
cier ,  comme  elle  faisoit  très-humblement ,  de  Thon- 
neur  qu  elle  lui  avoit  fait  dédire  plusieurs  fois  qu'elle 
la  (aisoit  absolument  l'arbitre  et  le  juge  de  tout  ce  qui 
la  concernoity  et  étoit  en  question  entre  elle  et  la 
République  ]  qu'elle  la  supplioit  donc  de  persévérer 
en  cette  bonne  volonté  et  inclination  à  la  douceur , 
ajoutant  qu  il  avoit  commandement  exprès  d'employer 
son  nom  et  son  autorité  à  composer  tous  les  diffé- 
rends qui  seroient  à  présent  ou  pourroient  survenir ^ 
et  de  travailler  sérieusement  et  soigneusement  à  pro- 
curer et  entretenir  une  bonne  et  sincère  correspon- 
dance entre  Sa  Sainteté  et  ladite  République. 

Sa  Sainteté  reçut  cet  office  avec  grand  témoignage 
de  contentement;  mais  la  chaleur  avec  laquelle  l'une 
et  l'autre  des  parties  se  portoient  en  cette  afiaire, 
empêcha  ledit  duc  de  la  pouvoir  terminer  comme  il 
eût  désiré. 

Leur  différend  étoit  sur  le  sujet  du  territoire  de 
Gorre  ,  qui  est  un  port  que  Sa  Sainteté  désiroit  con- 
server et  agrandir  comme  très-important  à  l'état  de 
Ferrare  \  les  Vénitiens  ne  le  vouloient  pas  souffrir , 
craignant  que  par  succession  du  temps  il  ruinât  celui 
de  Venise. 

Le  Pape  avoit  quelques  petits  forts  auprès ,  qu'il 
disoit  être  sur  sa  terre  ;  les  Vénitiens  au  contraire 


5lO  [l633]   MÉMOIBES 

prétendoient  que  c'ëtoit  sur  la  leur.  Sa  Sainteté  de- 
mandoit  que  si  elle  ruînoit  ces  forts,  les  Vénitiens 
avouassent  qu'une  grande  partie  des  terrains  nou- 
veaux qui  éloient  entre  le  lail  du  Pô  et  lesdits  forls 
lui  apparlenoient.  Les  Vëniliens,  bien  loin  d'y  con- 
sentir, soutenoient  que  lesdits  forts  ëtoient  bâtis  sur 
le  leur,  d'autant  que  c'étoientdes  terrains  nouveaux 
qui  ëtoient  entièrement  à  eux.  Les  Espagnols ,  qui, 
n'étant  amis  ni  des  uns  des  autres,  eussent  voulu  les 
voir  venir  aux  mains,  promettoient  assistance  aux 
deux  parties  pour  les  faire  roidir,  et  leur  persuader 
de  ne  se  relâcher  point  en  leurs  prétentions. 

Cependant  plusieurs  accidens  arrivoient  qui  les 
aigrissoient  de  jour  eu  jour  davantage;  cela  ne  se 
pouvoit  faire  sans  quelque  entretènement  de  gens  de 
guerre,  lesquels  ne  vivoient  pas  en  si  bonne  intelli- 
gence qu'ils  ne  donnassent  mutuellement  plusieurs 
sujets  de  plainte:  une  barque  chargée  de  planches  et 
de  piquets  de  bois  que  Sa  Sainteté  vouloit  faire  con- 
duire en  un  lieu  nommé  Commacchio ,  pour  y  faire 
un  artifice  pour  faire  remonter  le  poisson ,  fut  arrêtée 
par  les  Vénitiens,  s'imaginant  que  Sa  Sainteté  s'en 
voulût  servir  pour  les  forts  qui  étoient  en  contention, 
de  quoi  Sa  Sainteté  se  plaignit  extrêmement. 

Elle  ne  fut  pas  moins  offensée  de  ce  que  les  Véni- 
tiens firent  trancher  la  tête  à  un  moine  sans  en  parler 
au  nonce,  ni  renvoyer  le  moine  à  son  juge  ecclésias- 
tique ,  à  cause  de  quoi  le  Pape  et  M.  le  cardinal  Bar- 
berin  étoient  sur  le  point  de  jeter  une  excommuni- 
cation contre  le  conseil  des  dix  qui  avoit  condamné 
le  criminel ,  si  ledit  sieur  de  Crëqui  n'eût  adouci  leurs 
esprits  sur  l'espérance  qu'il  leur  donna  de  mettre 


DE   BICHELIEU.    [l633]  5fl 

]  affaire  en  négociation ,  et  leur  en  faire  avoir  quelque 
contentement. 

Les  Vénitiens ,  pour  non-seulement  se  maintenir 
en  réputation  durant  ces  diiFérends,  mais  l'augmen- 
ter encore,  firent  mettre  à  leur  ambassadeur  les  armes 
de  la  République  sur  la  porte  de  son  palais  avec  la 
couronne  au-dessus,  ce  qui  n'avoit  jamais  élé  prati- 
qué jusqu*alors.  L'ambassadeur  de  Savoie,  suivant  cet 
exemple,  honora  aussi  de  la  même  couronne  les  armes 
de  son  maître  sur  sa  porte,  prétendant  être  bien  fondé 
delre  traité  à  Tégal  de  la  république  de  Venise, allé- 
guant entre  autres  les  prétentions  de  la  maison  de 
Savoie  sur  le  royaume  de  Chypre;  qu'à  la  vérité  il  ne 
seroit  pas  raisonnable  que  le  duc  son  maître  ni  ladite 
République  fussent  traités  à  l'égal  du  Roi»  et  du  roi 
d'Espagne,  mais  qu'aussi  n'étoit-il  pas  raisonnable  qu'il 
y  eût  ditlerencc  pour  les  honneurs  entre  ladite  Répu- 
bli(|ue  et  son  maître. 

Le  résident  de  Bavière,  non  moins  glorieux  que  les 
autres ,  se  réveilla  aussi ,  et  commença  à  prétendre 
que  les  cardinaux  dévoient  faire  arrêter  leur  carrosse 
quand  le  sien  s'arrétoit,  comme  ils  ont  accoutumé 
d'en  user  aux  ambassadeurs  des  rois  et  des  princes; 
et  le  cardinal  Cesarini  ne  s'étant  pas  arrêté  devant  loi, 
il  passa  outre. 

Voilà  les  effets  que  produisent  les  différends  des 
maisons  de  France  et  d'Espagne,  lesquelles,  si  elles 
éloient  en  une  bonne  union  ,  donneroient  sans  con- 
tredit à  tous  les  princes  de  la  chrétienté  le  titre  et  le 
rang  qu'elles  jugeroienl  leur  appartenir. 

L'affection  avec  laquelle  le  duc  deCréqui,  par  le 
commandement  du  Roi ,  s'employoit  pour  l'accommo- 


5ia  [i633]  UEMOiREs 

demenl  du  diilérend  d'entre  le  Pape  et  Veaise,  ainsi 
qae  nous  avons  dit  ci-dessus ,  n'obligea  pas  tant  le 
cardinal  Barberin,  quelui ,  qui  étoit  entièrement aoi 
Espagnols,  ne  défendit  la  vente  d'une  apologie  pour 
Sa  Majesté ,  qu  un  nommé  Ganfridi  avoit  fait  impri- 
mer à  Bologne  après  qu'elle  eut  été  vue  par  tous  les 
docteurs ,  et  mise  en  lumière  par  leur  permission. 

Ledit  cardinal  s'en  voulut  excuser  sur  ce  qu'il  pré- 
tendoit  être  malséant  qu'on  fit  imprimer  sur  les 
Etats  du  Pape  un  livre  qui  approuvoit  une  ligue  avec 
le  roi  de  Suède  hérétique  ^  mais  le  duc  de  Créqui  lui 
ayant  répondu  que  cette  ligue  avoit  plus  servi  à 
l'Eglise  en  Allemagne  que  toutes  les  armes  de  l'Em- 
pereur et  de  la  maison  d'Autriche ,  et  que  Sa  Majesté 
étoit  seule  cause  que  la  religion  catholique  n'avoit 
point  été  chassée  de  Mayence  et  de  toutes  les  grandes 
villes  que  le  roi  de  Suède  avoit  occupées,  ledit  sieur 
cardinal  enfin  permit  qu'elle  fût  lue  et  vendue. 

Il  s'opposa  aussi  auprès  de  Sa  Sainteté  à  ce  que  le 
cardinal  Antoine  sou  frère  ne  reçût  la  comprotection 
de  France,  de  laquelle  le  cardinal  Bentivoglio  lui  avoit 
accordé  sa  démission.  Le  cardinal  Antoine  repartit  en 
présence  de  Sa  Sainteté  que ,  pour  la  comprotection, 
elle  en  feroitce  qu'elle  auroit  agréable;  mais  que  dès 
lors  il  protestoit  qu'il  demeureroit  engagé  d'affection 
au  service  du  Roi  et  de  la  France,  qui  lui  avoient 
voulu  faire  l'honneur  de  le  rechercher,  et  assura  le 
duc  de  Créqui  que ,  nonobstant  toutes  les  oppositions 
que  l'on  y  formoit,  il  l'acceptoit  et  l'exerceroit  le  plus 
tôt  qu'il  pourroit. 

La  mauvaise  volonté  que  les  Espagnols  témoi- 
gnoient  à  Sa  Sainteté,  la  rendoit  facile  à  se  laisser  aller 


DE  RIGHEUEU.   [t633]  5l3 

au  cardinal  Barberin  en  ces  choses  qu*il  lui  représen- 
toit,  qui  les  auimoient  encore  davantage  contre  lui; 
mais  il  ne  considëroit  pas  que  cela  n*ëtoit  pas  suffi- 
sant de  les  ramener,  et  qu^ils  ne  le  pouvoient  aimer 
qu'il  n'abandonnât  absolument  la  bienveillance  du 
Roi  et  se  tournât  entièrement  de  leur  côté  ;  ce  dont 
ils  lui  donnèrent  témoignage,  en  ce  qu'ils  firent  au 
commencement  de  septembre  emprisonner  un  père 
de  Tordre  de  Saint-Dominique ,  de  la  famille  des  Pi* 
gnatelli ,  frère  du  duc  de  Montéléon ,  sous  prétexte 
qu'il  vouloit  mettre  du  poison  dans  les  bénitiers  des 
églises  et  dans  toutes  les  fontaines  de  la  ville  de 
Naples,  à  la  persuasion  du  Pape  et  du  Roi;  et  ledit 
père ,  ayant  été  renfermé  dans  une  prison  fort  étroite^ 
fut  trouvé  mort  le  lendemain. 

Ce  vice -roi  fit  aussi  publier  un  peu  auparavant  à 
Naples ,  de  la  part  du  Roi  son  maître ,  un  édit  par 
lequel  ceux  qui  se  feroient  ecclésiastiques  ne  pour- 
voient avoir  qu'une  certaine  et  bien  petite  portion  des 
biens  de  leur  famille. 

Le  chapitre  général  des  religieux  de  Saint-François 
se  tenant  en  Espagne  cette  année-là,  ils  s'opposèrent 
artificieusement  à  ce  que  celui  vers  lequel  Sa  Sainteté 
inclineroit  ne  fut  élu  général ,  et  pour  ce  sujet  firent 
arrêter  à  Barcelone  le  père  Galbiati  avec  plusieurs 
religieux  vocance  dltalie(0;cedontle  nonce  s'étant 
plaint  au  comte  Olivarès ,  il  désavoua  avoir  donné 
Tordre  de  cet  arrêt,  mais  justifia  et  défendit  le  pré*» 
texte ,  qui  étoit  un  soupçon  de  la  peste  dltalie,  et  re^ 

(i)  f^oeance  :  Ce  mot  ne  m  trouTe  ni  dântlet  dictionnaires  français, 
ni  dans  les  dictioonairet  italiens  et  espagnok.  n  Teat  (probableBMnC 
dire  que  ces  religicox  italiens  aroient  tois  an  chapitre. 

T.  ^n,  33 


5l4  [l633]    MÊMOIHFS 

tarda  néanmoins  si  long-temps  la  réparation  de  cet 
attentat,  que  lorsqu'il  Taccordaelle  étoît  inutile;  car, 
quand  il  commanda  de  relâcher  lesdits  pèrps,  ils  ne 
pouvoient  plus  arriver  assez  à  temps  à  Tolède,  ou 
se  tenoit  ledit  chapitre  général  -,  ce  qui  fit  quMls  en- 
voyèrent une  opposition  à  la  tenue  dudit  chapitre, 
et  protestèrent  de  nullité  de  Télection  qu'il  feroit. 

Notre  ambassadeur  offrit  au  nonce  de  faire  faire 
aux  religieux  vocaux  une  semblable  opposition;  mais 
le  nonce,  après Tavoir  remercié, lui  dit  qu'il  n'osoil 
recevoir  cette  offre ,  afm  qu'on  ne  pût  imputer  k  Sa 
Sainteté  qu'elle  ôtât  la  liberté  de  l'élection ,  laquelle 
les  Espagnols  firent  tomber  en  la  personne  du  père 
Campagna  qu'ils  désiroient,  le  roi  d'Espagne  s'étant 
déclaré  ouvertement  à  l'exclusion  du  père  Galbiati, 
que  le  comte  Olivares  fit  entendre  être  un  des  pins 
grands  ennemis  de  la  maison  d'Autriche ,  et  ensuite 
lui  imposoit-on  non-seulement  des  défauts ,  mais  des 
crimes. 

Enfin  lesdits  Espagnols  envoyèrent  deux  évéques 
en  qualité  d'ambassadeurs  extraordinaires ,  lesquels 
ils  chargèrent  d'instructions  contenant  des  protesta- 
tions fulminantes  contre  le  Saint-Siège ,  et  des  réqui- 
sitions insolentes  contre  le  Roi  et  contre  son  conseil, 
que  sans  nommer  ils  faisoient  assez  connoitre  être  le 
cardinal. 

Le  cardinal  Antoine  arrêta  sur  ce  sujet  à  Rome  le 
duc  de  Créqui  qui  étoit  sur  son  départ,  et  lui  pro- 
testa comme  comprotectenr  qu'il  ne  devoit  poiol 
abandonner  Rome  en  cette  occasion,  afin  de  répondre 
courageusement  à  ce  qu'ils  voudroient  proposer. 

Sa  Majesté  procédoit  par  une  voie  bien  contraire 


DK    RICHELIEU.    [l633J  5l5 

et  bien  plus  convenable  à  un  roi  chrétien ,  envers  le 
Saint-Sicge  et  les  ecclésiastiques. 

Elle  fit  mettre  la  réforme  en  Tabbaye  Saint-Denis  en 
France ,  et  y  envoya  le  cardinal  de  La  RochefoncauU, 
qui,  en  vertu  du  bref  obtenu  de  Sa  Sainteté ,  assisté 
de  lautorité  et  des  commissaires  de  Sa  Majesté,  y 
établit  trente  pères  de  la  congrégation  de  Saint-Maur» 
voyant  qu'il  n'y  avoit  noUe  observance  régulière  en 
ladite  abbaye ,  que  nul  des  anciens  religieux  ne  Favott 
jamais  gardée,  ni  même  les  constitutions  qui  étoient 
entre  eux.  On  leur  donna  néanmoins  600  livres  de 
pension  par  an ,  ne  les  obligeant  pas  à  vivre  comme 
les  réformés ,  mais  à  demeurer  simplement  dans  leur 
maison  avec  édification,  les  principalesplaces  ducbœur 
leur  étant  réservées  quand  ils  voudroient  y  aller. 

Le  duc  d'Epernon ,  qui  est  un  peu  haut  à  la  main , 
s'élant  sur  quelque  légère  occasion  laissé  aller  à  des 
paroles  insolentes  contre  Tarchevéque  de  Bordeaux , 
c|ui  se  plaignoit  même  d'avoir  été  frappé  de  lui,  Sa 
Majesté  voulant  être  informée  au  vrai  de  TafTaire,  et 
envoyer  un  maître  des  requêtes  sur  le  lieu  pour  cet 
efl'et,  afin  que  l'autorité  dudit  duc  ne  pût  empêcher 
le  cours  de  la  justice,  envoya  le  sieur  de  Kervel ,  en- 
seigne des  gardes  de  son  corps ,  lui  porter  comman- 
dement de  se  retirer  en  l'une  de  ses  maisons  h^s  de 
son  gouvernement,  attendant  ce  qu'il  plairoit  à  Sa 
Majesté  ordonner  sur  ce  qui  s'étoit  passé ,  dont  nous 
parlerons  plus  amplement  en  Tannée  suivante. 

En  la  révolte  que  le  duc  de  Montmorency  suscita 
en  Languedoc  en  i63a,  la  plupart  des  évêques  de  la 
province,  abusés  sous  le  spécieux  prétexte  de  la  con. 
scrvation  des  privilèges  du  pays,  se  joignirent  à  lui ,  ne 


5l6  [l633]    MEMOIRES 

se  souveuant  pas  que  le  Roi  leur  ayant  départi  plus 
d'autorité  temporelle  qu'il  n'a  fait  à  tous  les  autres 
évéques  de  son  royaume ,  ils  avoient  d'autant  plus 
d'obligation  d'y  maintenir  son  service.  Sa  Majesté, 
comme  prince  pieux,  ne  voulant  pas  que  ses  juges 
fissent  ce  tort  à  l'Église  que  d'en  prendre  connois- 
sance,  nonobstant  qu'ils  lui  en  fissent  instance,  et 
lui  représentassent  que  ce  droit  en  ce  cas  lai  appar- 
tenoit,  fit  supplier  Sa  Sainteté  par  son  ambassadeur 
de  lui  accorder  un  bref,  par  lequel  elle  donnât  com* 
mission  à  quatre  évéques  de  son  royaume ,  tels  qu'il 
lui  plairoit  nommer ,  de  connoitre  de  cette  affaire  et 
autorité  d'y  donner  un  dernier  jugement ,  Sa  Sainteté 
choisit  l'archevêque  d'Arles ,  les  évéques  de  Saint- 
Flour,  le  coadjuteur  de  Tours  qui  avoit  auparavant 
été  évéque  de  Bologne,  et  l'évéque  de  Saint-Malo, 
et  en  envoya  le  bref  à  Sa  Majesté,  que  l'on  pourra  voir 
à  la  fin  de  ce  volume  (0. 

Ils  ouvrirent  leur  chambre  ecclésiastique  au  grand 
couvent  des  Augustins  à  Paris ,  le  aa  mars. 

Les  évéques  accusés  étoient  ceux  d'Albi,  deNimes, 
Uzës ,  Lodève  et  Saint-Pons ,  lesquels ,  dès  qu'ils  eu- 
rent avis  de  la  concession  du  bref,  envoyèrent  à 
Rome  un  Avignonais ,  qu'ils  avoient  chargé  de  voir 
en  arrivant  l'abbé  d'Obazine ,  que  nous  avons  dit 
l'année  précédente  avoir  été  envoyé  à  Rome  de  la 
part  de  Monsieur ,  pour  prendre  adresse  de  lui  de  ce 
qu'il  auroit  à  faire  en  exécution  de  sa  commission , 
qui  étoit  de  supplier  Sa  Sainteté  de  révoquer  son 
bref,  de  retenir  la  cause  à  soi ,  et  lui  rempntrer  que 
ce  dont  on  les  accusoit  n'étoit  point  crime  d'Etal , 

(i)  ^  la  fin  dû  ce  volume  :  Ce  bref  ne  9*y  trouTe  pas. 


DE   RICHELIEU.    [l633J  Sl'J 

puisqu'ils  préiendoient  n'avoir  rien  fait  que  de  dé- 
fendre Monsieur  d'oppression,  qui  anssi  bien,  venant 
à  ia  couronne ,  chasseroit  ceux  qu'on  auroit  mis  en 
leur  lieu. 

Cette  commission  n'aboutit  à  aucune  chose  de  ce 
qu'ils  prëtendoient  ^  le  bref  subsista ,  et  les  évéques 
commis  commencèrent  à  travailler  à  l'instruction  des 
procès,  déléguèrent  l'un  d'entre  eux,  qui  étoit  l'évéque 
de  Saint-Flour,  pour  aller  sur  les  lieux  informer  et 
ouïr  les  témoins ,  dont  il  y  avoit  un  trop  grand  nombre 
pour  les  faire  venir  de  si  loin  à  Paris ,  afin  qu'à  son 
retour  ils  pussent  tons  ensemble  juger  légitimement 
sur  les  faits  dont  lesdits  évéques  étoient  accusés,  le 
uombre  desquels  diminua  de  deux^  car  celui  d'Uzès 
mourut  avant  que  l'on  eût  commencé  à  procéder 
contre  lui,  et  le  Roi  défendit  de  poursuivre  contre 
1  evi^que  de  Nimes^  frère  du  maréchal  de  Toiras. 

Nous  finirons  cette  année  par  la  prière  que  nous 
faisons  au  lecteur,  de  considérer  en  toute  la  suite  des 
affaires  qui  y  sont  déduites ,  avec  combien  de  sificé- 
rilé  et  de  bonté  le  Roi  avoit  recherché  les  moyens 
d  avoir  la  paix,  d'empêcher  que  l'ambition  de  la  mai* 
son  d'Autriche  ne  surmontât  les  Etats  plus  foibles  de 
la  chrétienté,  de  faire  rendre  à  un  chacun  ce  qui  lui 
appartient,  de  maintenir  la  religion  catholiqu^Ians 
les  lieux  qui  venoient  à  être  occupés  par  les  princes 
protestans,  que  l'opiniâtreté  espagnole  avoit  contraints 
de  s'armer,  les  sollicitations  que  Sa  Majesté  faisoit 
faire  de  toutes  parts  à  ces  lins ,  le  respect  avec  le- 
quel il  se  comportoit  en  toutes  choses  avec  le  Saint- 
Siège  *,  au  contraire ,  l'éloignement  que  les  Espagnols 
ont  toujours  témoigné  avoir  de  la  tranquillité  pu« 


5l8  [l633]   MÉMOIRES 

blique,  les  maehinations  qu'ils  ont  faites  contre  \v 
Roi  dedans  et  dehors  son  État,  Tenvie  qu^ils  ont 
portée  aux  princes  catholiques  que  la  protection  dn 
Roi  mettoit  il  Tabri ,  leurs  mauvais  desseins ,  leurs 
paroles  outrageantes ,  et  leur  procédé  insolent  en*' 
vers  le  Saint-Siège  et  la  personne  de  Sa  Sainteté , 
qu'ils  dévoient  honorer  comme  nous  pour  parvenir  k 
une  bonne  paix ,  parce  que ,  comme  père  commun , 
il  peut  seul,  sans  jalousie,  la  proposer  et  obtenir  de 
toutes  les  parties ,  au  moins  des  deux  principales ,  qui 
par  leur  propre  poids  attirent  les  autres  avec  elles. 

Le  Roi  avoit  Tannée  précédente  envoyé  Bautrn  en 
Espagne  pour  pressentir  ducomteOlivarès  en  quelle 
disposition  il  seroit  sur  ce  sujet  \  mais  à  son  retour , 
qui  fut  vers  la  fin  de  cette  année ,  il  rapporta  qu'il 
n*avoit  reconnu  en  lui  qu'inclination  à  la  guerre  et 
au  sang-,  qu'il  lui  avoit  donné  quelques  paroles  vai^ 
nés  pour  lui  persuader  le  contraire,  mais  quand  il 
avoit  voulu  approfondir,  les  effets  les  démentoient. 

Bautru  lui  témoigna  qu'il  falloit  commencer  par 
l'établissement  d'une  bonne  amitié,  sans  laquelle au'* 
cune  paix  ne  pouvoit  être  véritable  et  de  durée  ^  que 
les  vrais  moyens  étoient  de  faire  cesser  les  réels  su- 
jets de  plaintes  que  nous  avions  d'eux  ]  que  nous  ne 
vissions  plus  leurs  villes  l'asile  de  tous  les  rebelles 
du  Roi,  leurs  imprimeries  (0  servir  impunément  i 
tous  les  libelles  diffamatoires  qui  se  faisoient  contre 
Sa  Majesté  et  ses  ministres ,  leurs  ambassadeurs  trou- 
Ci)  Leurs  imprimeries  :  Les  Espagnols  faisoient  publier  en  AUeniagne, 
et  surtout  à  Francfort,  une  multitude  de  libelles  contre  le  miDistère 
fronçufl.  Richelieu  y  envoyoit  de  temps  en  temps  un  libraire  de  I^iri» 
diargé  de  les  recueillir  et  de  les  lai  faire  passer. 


DB  RICHELIEU.  [i633]  Sig 

bicr  la  famille  royale ,  leurs  soldats  meltro  à  feu  et  à 
sang  les  quatre  coius  et  le  milieu  du  royaume  *,  qu'ils 
avoient  vu  rulilitë  et  Tbonneur  qu'en  remportoient 
ceux  qui  avoieut  assisté  Monsieur,  et  qu'ils  considë-^ 
rassent  ce  qu'ils  y  avoient  gagné. 

Item  de  mieux  traiter  ceux  de  notre  nation  qut 
trafiquoient  en  leurs  ports  et  en  leurs  villes^  que 
quand  ils  ne  le  devroient  pas  à  la  sûreté  publique 
qui  doit  être  entre  les  vassaux  de  princes  si  étroi- 
tement alliés ,  ils  le  devroient  à  la  courtoisie  dont  lo 
roi  Très-Chrétien  avoit  usé  envers  leurs  vassaux , 
qui  étoient  entrés  hostilement  en  son  royaume',  qu'ils 
donnassent  aussi  ordre  à  l'entretien  du  traité  de 
Monçoii ,  principalement  pour  ce  qui  touchoit  Tobéis- 
sancc  des  Valtelins  à  leurs  seigneurs  naturels;  en  un 
mot,  que  tout  ce  qu'il  leur  deroandoit  étoit  cessation 
de  mauvais  ofEces,  d'entreprises  et  de  vexations, 
tant  sur  la  famille  que  £ur  les  Etats  de  Sa  Majesté 
Très-Chrétienne;  qu'ils  s'abstinssent  aussi  d'une  in- 
humanité pire  que  turquesque  qu'ils  commettoient 
depuis  un  an  à  notre  grand  mépris  ,  principalement 
dans  les  ports  de  Séville ,  Lisbonne  et  Malaga ,  où  ils 
prenoient  nos  gens  de  mer  par  force,  les  faisoieni 
servir  dans  leurs  vaisseaux  pour  les  voyages  des  Indes 
avec  plus  de  rigueur  qu'ils  n'en  exerçoient  sur  leurs 
vassaux  condamnés  aux  galères ,  et  qu'après  que  la 
France  auroit  vu  du  changement  en  tous  ces  injustes 
déportemens ,  il  seroit  aisé  de  terminer  le  reste  des 
différends  qui  paroissoient  aujourd'huientre  ces  deux 
couronnes. 

Ledit  comte  ,  c{ui  ne  vouloit  rien  changer  de  tout 
ce  procède  injurieux  et  plein  d'hostilité,  répondit  par 


5aO  [l633j   MÉMOIRES   DE   RICHELIEU. 

une  nëgative  générale  de  toutes  ces  plaintes.  Seu- 
lement dit-il  que ,  quant  aux  libelles  diffamatoires 
que  Ton  écrivoit  contre  le  Roi  et  contre  son  conseil , 
il  feroit  ce  qu'il  pourroit ,  y  étant  très-intéressé  en 
son  particulier,  pour  tenir  la  main  à  leurs  punitions  ] 
que  jamais  homme  ne  Tavoit  ouï  parler  de  Sa  Ma- 
jesté Très-Chrétienne  qu'avec  le  respect  qui  étoit 
dû  à  un  si  grand  et  si  vaillant  prince;  et  que ,  pour 
ce  qui  étoit  du  cardinal ,  il  pouvoit  s'enquérir  à  des 
principaux  du  conseil ,  si  en  parlant  de  lui  il  n'avoit 
pas  dit  en  plein  conseil  que  sa  plus  grande  disgrâce 
étoit  qu'il  avoit  rencontré  dans  les  affaires  de  France 
le  premier  ministre  qui  eût  paru  depuis  mille  ans  dans 
la  chrétienté ,  et  que  plût  à  Dieu  que  les  affaires  de 
son  maître  allassent  aussi  bien  que  les  nôtres,  et  que 
Ton  fit  imprimer  tous  les  jours  des  bibliothèques 
contre  lui  ; 

Qu'il  eût  bien  désiré  que  le  Roi  son  maître  eût  été 
à  Barcelone  quand  Sa  Majesté  passa  à  Narbonne, 
d'autant  qu'il  eût  demandé  congé  audit  Roi  son 
maître  de  venir  traiter  avec  le  cardinal ,  lequel ,  bien 
qu'il  le  tînt  assurément  plus  habile  que  lui ,  il  eût 
acheté  ce  contentement  d'un  peu  de  perte  pour  l'Es- 
pagne, et  que  c'étoit  une  maxime  reçue  maintenant 
parmi  eux,  qu'il  ne  falloit  point  traiter  avec  le  cardinal 
d'égal ,  et  qu'ils  étoient  résolus  de  faire  la  paix  avee 
nous  à  conditions  inférieures  pour  eux ,  et  qu'autre- 
ment le  cardinal  ne  traiteroit  point;  ce  qui  étoit  assea 
donner  à  entendre  qu'ils  n'avoient  pas  volonté  d'en- 
trer en  aucun  traité,  qu'ils  ne  sont  jamais  en  disposi-^ 
tion  de  faire  à  leur  désavantage. 


i>*^p^ 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CONTENUES 


DANS  LE  SEPTIÈME  VOLUME. 


MÉMOIRES  DU  CARDINAL  DE  RICHEUEU. 

Livre  XXIIL  Page  i 

Livre  XXIV.  269 


FIM    DU    TOME   SEPTIEME. 


f    » 


c^< 


ctnc 


*»fon.  M.$s.  02210 


TM   BOmiOWn  WILL  M  CMMOflD 

AH  oveMHK  rec  IF  ytm  kmk  m 

MOT  IWTUfIMID  TO  THC  UMURV  ON 
on  WFOU  T>«  LAST  DATE  tTAMKO 
KUW.  NON-MCCWT  Of  OVCRDUC 
HOnCCt    DOCS    MOT    EXEMTT    TME