EiÊi-^
.'«/l-.v>:.^
Sss^
«^■'v-'?-J^^*lb>^-
R
ijk
'\
m..
%^
«^-■^
5 ./é. //
^ ttie SlîMlngffa^ ^
,^^ -^ -'««j.
PRINCETON, N. J.
\
Division
Section ...•)... .\ J I \ (a-
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/mmoiresetcorre02morn
MEMOIRES
ET
CORRESPONDANCE
DE DUPLESSIS MORNAY.
TOME II.
ÉCRITS POLITIQUES ET CORRESPONDANCE.
A. i57T-r584.
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET.
MEMOIRES (* MARi^ii
CORRESPONDANCE
DE DUPLESSIS-MORNAY,
POUR SERVIR
A l'histoire de la réformation et des guerres civiles et
RELIGIEUSES EN FRANCE , SOUS LES REGNES DE CHARLES IX, DE
HENRI III, DE HENRI IV ET DE LOUIS XIII, DEPUIS l'aN lÔyl
jusqu'en 1623.
ÉDITION COMPLÈTE,
Publiée sur les manuscrits originaux, et précédée des MÉMOIRES
DE MADAME DE MORNAY sur la vie de son mari, écrits par
elle-même pour l'instruction de son fils.
TOME SECOND.
A PARIS,
CHEZ TREUTTEL ET WÙRTZ, LIBRAIRES,
rue de BOURBON, N° 17.
A Strasbourg et a Londres, même Maison de Commerce.
182/1.
i'Ii iljiè^
MEMOIRES
ET CORRESPONDANCE
DE
DUPLESSIS-MORNAY.
AVERTISSEMENT.
Les Mémoires contemporains offrent à l'histoire ses
matériaux les plus précieux. Ils excitent le plus vif
intérêt lorsqu'ils retracent la conduite d'hommes qui
ont joué un grand rôle , et le tableau fidèle des évé-
nemens sur lesquels ils ont exercé une forte influence.
Jamais peut-être cet intérêt ne fut aussi général et
aussi sérieux que de nos jours : ils est aisé d'en re-
connoître la cause. Tant et de si grands événemens
se sont accomplis sous nos yeux, tant d'idées sont
entrées dans nos esprits, tant de sentimens ont agité
les âmes , que nous retrouvons pour ainsi dire par-
tout quelque chose de nous-mêmes : en peu d'an-
nées nous avons parcouru le cercle immense de
l'expérience humaine. Tous les faits réveillent en
nous quelque émotion, quelque idée qui nous avoit
déjà frappés : tous les récils nous rappellent quelques
uns de nos propres souvenirs. Quelle époque aussi
6 AVERTISSEMENT.
est plus propre que les temps qu'agitèrent nos guerres
de religion a nous inspirer cet intérêt? L'histoire
seule de la révolution nous touche plus directement ;
et peut-être a -t- elle l'inconvénient de nous tou-
cher de trop près. Du moins est-il certain que nous
sommes loin de posséder toutes les relations , tous
les Mémoires originaux qui la feront complètement
connoître. Que d'événemens dont nous sommes con-
damnés à ignorer et les causes secrètes , et les véri-
tables auteurs ! ce n'est qu'après que la tombe
aura dévoré les générations intéressées a tenir dans
l'ombre du secret le récit authentique et contem-
porain de ces faits extraordinaires qui ont changé
la face de l'ordre social , et renversé les institutions
établies pour en élever d'autres sur leurs débris , que
les âges suivans , calmes héritiers d'une histoire
qu'ils pourront lire sans passion, seront pour les -
faits légués par leurs aïeux ce que nous sommes
aujourd'hui pour le récit des grands événemens qui
agitèrent si violemment la France au seizième siècle.
C'est alors seulement que les ressorts long-temps
demeurés cachés qui ont mis en jeu tant d'hommes
et de choses, seront bien connus : c'est seulement
alors qu'on pourra connoître les véritables acteurs
de ce terrible drame politique. Nous sommes pour
les troubles du seizième siècle, ce qu'il ne sera donné
qu'à nos neveux d'être pour les orages qui ont boule-
versé et ensanglanté les temps où nous avons vécu.
Les trames criminelles de la Ligue sont des évé-
AVERTISSEMENT. 7
nemens clos depuis long-temps; assez éloignés pour
que l'histoire en ait pris pleine possession, trop
rapprochés pour que l'oubli s'en soit déjà emparé,
nous avons à espérer sur leur compte bien peu de
documens nouveaux ; et presque aucun de ceux qu'on
a publiés n'est encore devenu indifférent. On peut
pénétrer l'histoire de cette époque dans tous ses
détails , et la considérer dans son ensemble ; ses
causes sont clairement révélées dans ses conséquen-
ces ; rien ne s'oppose plus à ce que toute vérité soit
dite , et toute justice rendue à ses acteurs et à leurs
actions. Elle procure enfin à l'observateur ce genre
de satisfaction qui s'attache au spectacle d'un drame
complet , et dont il peut contempler le cours sans
que rien lui manque pour l'intelligence de tous les
ressorts, depuis Torigine jusqu'au dénoûment. C'est
ce grand drame que nous remettons en entier sous
les yeux du lecteur, en publiant les Mémoires d'un
homme qui eut une très grande part aux événe-
mens de cette époque, et qui expose ce qu'il a vu,
fait, dit, pensé et entendu. Ces Mémoires sont
nombreux et très variés. Les convulsions de la Ligue
ont soulevé a la fois les questions politiques et les pas-
sions religieuses; c'est-à-dire ce qui peut mettre en
jeu toutes les puissances de la nature humaine. Elles
se lient aussi d'une part à la grande époque de la ré-
formation, et de l'autre à cette époque nouvelle et
plus grande encore , à laquelle nous avons assisté.
La réformalion a éclaté au seizième siècle comme
8 AVERTISSEMENT,
le résultat des événemens qui l'avoient précédée,
elle est le précurseur du dix-neuvième siècle ; elle
explique à la fois ce que ce siècle termine et ce qu'il
prépare. Aussi les événemens et les hommes s'y pré-
sentent à nous avec un double attrait, celui de la
singularité et celui de la ressemblance. Ce qui les
distingue de nos temps éveille la curiosité; ce qui
les en rapproche excite l'intérêt. Quoi de plus at-
trayant et de plus instructif tout ensemble que la
présence simultanée et la lutte des plus énergiques
senlimens qui puissent agiter le cœur de l'homme?
Une autre circonstance donne aux Mémoires re-
latifs à cette époque un nouveau degré d'intérêt.
Bien que la nation entière y ait pris part, cette époque
a été moins tumultueuse, moins livrée aux masses
populaires , qu'il n'est arrivé de nos jours : les Mé-
moires en sont d autant plus curieux et importans;
car presque toujours les hommes y racontent, non
seulement ce qu'ils ont vu, mais ce qu'ils ont fait; et
ce qu'ils ont fait a quelquefois exercé une grande in-
fluence. De plus, la lutte a été longue et opiniâtre;
Henri IV n'a point emporté d'assaut la victoire : la
force et le courage n'ont manqué ni à l'un ni à l'autre
des partis. Dans l'un et l'autre se sont rencontrés
des esprits distingués, de grands caractères 'qui ont
constamment occupé la scène, et déployé, pour
soutenir leur cause, toutes les ressources du talent
et de la force. Aussi les deux partis ont-ils laissé des
Mémoires presque également étendus, et où on les
AVERTISSEMENT. 9
retrouve tout entiers. Le cours des e've'nemens ayant
d'ailleurs développé des deux parts des nuances d'opi-
nions fort diverses, chacune de ces nuances a eu
ses représentans, et il n'en est aucune dont il ne
nous reste quelque monument fidèle.
La colleclion de ces monumens forme le tableau
le plus complet et le plus animé de cette grande
crise sociale, et de toutes les vicissitudes à travers
lesquelles elle a passé. Ainsi, soit que l'on considère
les troubles du seizième siècle en eux-mêmes, soit
qu'on les compare à ceux dont nous avons été té-
moins, acteurs ou victimes, les Mémoires qui s'y
rapportent offrent sous ce double point de vue une
source féconde d'instruction et d'intérêt.
Abreuvé de cliagrins dans les dernières années de
sa vie; témoin des longues guerres civiles qui , pen-
dant cinquante ans, avoient ensanglanté la France,
JVIornay^ à l'exemple des hommes éminens qui,
après avoir employé leurs talens et leur vie au ser-
vice de leur pays, consacrèrent leurs derniers jours
a transmettre à leurs enfans le récit des événemens
auxquels ils avoient eu part, rechercha dans ses
longs travaux ce qui pouvoit être utile à l'instruc-
tion de ses neveux; son âme avoit toujours été l'asile ,
le refuge , le sanctuaire de la justice , de toutes les
pensées nobles et généreuses , de l'héroïsme et du
désintéressement; et, sous ce rapport comme éous
beaucoup d'autres, il fera toujours l'honneur et la
gloire de la France. Dans aucune circonstance on ne
lO AVERTISSEMENT,
le vit transiger avec ce qu'il crut être son devoir; il
fut toujours sincère alors même qu'il se trorapoit :
Mornay est du petit nombre des hommes qui ne
peuvent jamais perdre dans l'estime générale , par la
raison qu'il défendit constamment les droits de l'hu-
manité et ceux de la conscience, et que cette cause
n'eut jamais de plus ferme appui. Au milieu des opi-
nions les plus diverses et les plus opposées, il reste
l'immuable défenseur de ces principes sacrés; il est
sagement pieux parmi les fanatiques , tolérant au
milieu de l'intolérance. Le véritable philosophe, tel
qu'on pouvoit l'être dans le seizième siècle, et comme
le fut Mornay , ne se rend point le détracteur de son
siècle et de la nation ; il n'accuse point la religion des
crimes du fanatisme. C'est cette doctrine dont il ne
s'écarte jamais, qui a fait de Duplessis-Mornay un
des beaux caractères des siècles modernes, un
homme auquel il n'a manqué que d'autres temps
pour être associé à la gloire des premiers hommes de
l'antiquité. Mornay est grand et vertueux, à quelque
époque qu'on le considère, et dans quelque circon-
stance qu'il se trouve : il résiste au funeste génie des
Guise, dès qu'il voit ce génie en révolte contre l'Etat;
il s'efforce d'arracher un prince foible à la funeste
influence d'un conseil désastreux et d'une mère cou-
pable : envoyé comme ambassadeur auprès de plu-
sieurs souverains, il ne s'y montre accrédité que
par sa vertu et le nom de son roi. Il est aussi inté-
ressant dans la vie privée qu'admirable dans la vie
AVERTISSEMENT. 1 1
publique; comme père, comme c'poux, comme ami,
il attache par des traits de la plus touchante simpli-
cité qui deviennent sublimes dans une grande âme;
enfin, il prouve par toute sa conduite la vérité de
cette réflexion du plus profond des historiens, qu'il
peut exister de grands hommes même sous les plus
mauvais princes, (i)
Si les temps de troubles conviennent à la muse
de l'histoire, nulle époque ne lui fut plus favorable
que le seizième siècle. Nous avions déjà des vies
particulières , écrites avec talent ou avec une can-
deur, une naïveté qui suppléent au talent. Jom-
ville avoit peint le héros dont il fut le compagnon
et l'ami, dont un zèle peu éclairé fît le malheur et
une partie de la gloire : Joinville fait aimer son
prince ; aucun art ne paroit dans sa narration ; il
raconte tout ce qui l'a intéressé , et sa bonhomie
rend piquans les plus petits détails. Philippe de Co-
mines avoit à peindre le plus sombre des tjrans :
celui qui érigea en maxime la dissimulation sur le
trône , qui jouissoit des supplices que sa froide ven-
geance lui faisoit inventer, dont le palais impéné-
trable étoit moins une demeure royale qu'un re-
paire, et qui en faisoit redouter l'approche comme
celle du temple des Euménides. Mais Comines avoit
eu trop de rapports de confiance avec Louis XI , pour
qu'on pût attendre qu'il traceroit ce tableau avec
(i) Tacite, Vie d'Agricola.
1 1 AVERTISSEMENT,
l'horreur qu'il devoit inspirer, pour qu'on lui en
reconnût même le droit : dans cette position si ditFi-
cile, il faut lui savoir gré d'avoir osé, même après
la mort de ce prince, être impartial et sincère;
d'en avoir raconté avec calme, et pourtant avec
une frappante vérité , les détestables actions ; d'avoir
pénétré et dévoilé ses ruses les plus cachées , ses
intentions les plus secrètes, ses motifs les plus
dissimulés, et tous les replis de son infernale poli-
tique : de telle sorte que si ses Mémoires n'offrent
pas l'histoire de Louis XI, décrite avec les vives
couleurs qu'elle comportoit, rien n'y manque pour-
tant de ce qui doit immortaliser son effrayante
mémoire ; et sans doute l'on ne pouvoit désirer
davantage de Comines.
Le président de Thou conçut un projet bien plus
hardi , celui d'écrire l'histoire des terribles événe-
mens qui venoient de se passer, et dont les funestes
résultats pesoient encore sur la nation. Horace,
dans une de ses odes , retrace à son ami Pollion , le
danger de peindre les guerres civiles qui avoient
désolé Rome, lorsque le sang des citoyens fumoit
encore. Quel courage ne faut-il pas pour se montrer
impartial au milieu des violentes factions qui toutes
s'élèvent avec fureur contre l'écrivain résolu à ne
déguiser aucune vérité , à ne flatter aucun parti, à
ne pallier aucun crime, quelque part qu'il se rencon-
tre! Tel fut de Thou. Aussi on ne lui épargna aucune
calomnie; on l'accusa surtout de tendance au calvi-
AVERTISSEMENT. i3
nisme , parce qu'il abhorroit les horreurs de la Saint-
Barthéiemi; sa narration animée, abondante, rap-
pelle celle de Tite-Iiive , dont il emploie la langue ,
et dont il s'approprie quelquefois le style. Ses ré-
flexions annoncent un esprit étendu , exempt de
toute prévention : i'homme de bien et le cœur sen-
sible se révèlent dans l'indignation que lui inspirent
l'injustice et la perversité. Il parcourt l'univers à
l'époque où les plus grands mouvemens en changent
la face, oii le Nord maîtrise la politique , à l'aide de
la révolution religieuse qui s'est opérée dans les
croyances; où la navigation ouvre à TEurope des
régions immenses et d'inépuisables richesses. De
Thou fut le premier François qui fit une histoire
générale, et qui offrit l'exemple, trop peu suivi,
d'un grand amour pour la vérité, et d'un respect
religieux pour les droits de l'espèce humaine.
Ce n'est point une histoire des événemensqui agi-
tèrent la France pendant le seizième siècle, que nous
donnons ici; c'est la part que Mornay eut à la
plupart de ces mêmes événemens que nous avons
exhumé de ses papiers, telle qu'il avait commencé
lui-même à la faire connoitre à ses contemporains,
dans le recueil de pièces qu'il avait formé. Ces pièces
n'ont souvent entre elles d'autre liaison que l'ordre
chronologique, qui rapproche les uns des autres
des récits d'événemens qui ont eu pour acteurs
et pour théâtres des hommes et des lieux différens.
Dans une récapitidation rapide qui sera placée à
l4 AVERTISSEMENT,
la fin du dernier volume , nous nous sommes atta-
ché à rassembler et à présenter dans un ordre con-
venable , le tableau historique des traits épars dans
la collection des Mémoires de Mornay, pour rendre
plus facile et plus profitable la lecture de pièces qui,
prises isolément, ont chacune leur genre d'intérêt,
mais qui n'ont entre elles d'autre transition que
Tordre des dates. C'est en quelque sorte le porte-
feuille de Mornaj que nous livrons au public , c'est-
à-dire, la collection des pièces qu'il a laissées, et
non l'histoire, rédigée par lui, des événemens aux-
quels il a pris part. A l'aide de ces matériaux pré-
cieux, il sera facile de rédiger des Mémoires comme
on a rédigé ceux de Sully long-temps après sa mort;
mais ce sera des Mémoires sur Mornay, et non les
Mémoires de Mornay; et c'est ce que nous n'avons
pas cru devoir entreprendre. Nous ne voulons pas
faire ce qu'il n'a pas fait, nous voulons le faire con-
noître par ce que nous avons de lui; car c'est le seul
moyen d inspirer une entière confiance; et telle a
été, telle a dû être notre unique ambition. Toutes
les pièces dont le titre est précédé d'un astérisque,
sont publiées pour la première fois.
La Vie de Mornay, écrite par Charlotte Arba-
îeste, sa femme, compose le premier volume de
cette collection. On aime à voir avec quel soin reli-
gieux madame de Mornay se plait à recueillir les
moindres actions de la vie de son mari ; sa narra-
tion simple et sans art a quelque chose de pieux et
AVERTISSEMENT. 1 5
d'ëvangélique qui lui donne un caractère particulier.
Le second volume , et ceux qui le suivront , offriront
un autre genre d'intérêt au lecteur, en mettant sous
ses yeux les pièces mêmes dont se compose l'histoire
politique et religieuse de la France et d'une partie
de l'Europe, sous le règne des derniers Valois.
Les Me'moires de Mornaj offrent les détails et les
fruits de ses travaux pendant le long espace de
temps où il eut une part très active au gouverne-
ment de Henri IV, comme roi de Navarre , et pen-
dant le temps, trop court sans doute, où il lui fut
permis de le servir aussi comme roi de France.
Cest, dans l'une et l'autre période, les pensées
généreuses et trop peu connues de cet excellent
prince, qu'il se plaît surtout à bien faire connoître,
et que nul ne pouvoit, ni plus vivement sentir ni
mieux apprécier que celui qui , ayant été le ministre
le plus intègre de la finance dans son royaume de
Navarre , eut à remplir les missions les plus impor-
tantes et les plus délicates auprès des souverains de
l'Europe, recevant de Henri un blanc seing pour
toute instruction, et qui se vit en même temps
chargé du fardeau et de la direction de la guerre
que ce prince avoit résolu de soutenir avec vigueur
contre la Ligue.
Lorsque Henri IV fut reconnu roi de France,
après sa conversion, il conserva une profonde estime
pour Mornay, et même une amitié très vive, jusque-
là qu'il eût été prêt à venger avec son épée un ou-
ï6 AVERTISSEMENT,
trage que Mornay avoit reçu , ainsi qu'il le lui
te'moigna par la lettre la plus amicale à la fois et la
plus chevaleresque; mais ce brave et digne ami de
Henri n'étoit pourtant plus aussi avant dans la con-
fiance de son roi, qu'il l'avoit été par le passé. Son
inflexible rigidité de principes n'avoit pu lui faire
approuver le changement de religion de ce prince;
et aucune considération politique ne l'ébranla sur ce
point. C'étoit un malheur pour Henri : car cette dis-
position de Mornay le rendoit moins propre a l'aider
dans ses conseils ; aussi ne manqua-t-on pas , dans
plus d'une occasion, de le présenter à ce prince
comme un de ses ennemis. La grande âme de Henri
ne consentit jamais à le croire. Sully , resté toujours
protestant, mais n'ayant point improuvé le chan-
gement de Henri, le regardant même probablement
comme un événement heureux pour la France, put
continuer à lui rendre d'inappréciables services; et
son nom s'est trouvé de la sorte associé sans inter-
ruption à celui de Henri. Quel dommage que deux
hommes, tels que Mornay et Suily, n'aient pas uni
constamment leurs efforts et leurs talens pour la
prospérité de l'État , à laquelle une divergence d'opi-
nions, ou plutôt une différence d'énergie dans ces
mêmes opinions, n'auroit dû apporter aucun obs-
tacle! La postérité jugera sur ces Mémoires à qui
des deux en doit être imputé le tort. Il est trop
vrai que ces deux grands hommes se regardèrent
après ce changement, non pas avec des yeux jaloux
AVERTISSEMENT. 17
(un tel sentiment nepouvoit entrer dans leur âme) ,
mais avec des jeux inquiets et défians. Ce n'est pas
tout, et Ton s'en afflige ; chacun d'eux vit plus d'une
fois dans l'autre son ennemi personnel. On les vit
aussi quelquefois, mais pas aussi souvent qu'on le
dësireroit, se protéger l'un l'autre avec une hono-
rable loyauté, contre d'indignes accusations, soit de
complots, soit de perfidie, dont ils étoient frappés
tour à tour. Leurs Mémoires en font foi.
Ceux de Moniaj, que ce grand homme rédigea
pendant les loisirs d'une longue disgrâce, seront
désormais inséparables de ceux de Sully.
Mkm. de Duplessis-Mornay. Tome 11.
lî^ ADVIS SUR LE MARIAGE
IL — -V^ADVIS
Sur le Mariage de la royne Jeanne cC Albret. (i)
Nous tenons que le mariage estant fait entre per-
sonnes capables de contracter, et par consentement mu-
tuel, mesmement la conjonction y estant intervenue,
est indissoluble; toutesfois, pour le regard de la forme,
les parties se doibvent ratifier de parole en la présence
d'un bon nombre de tesmoins , attendans ung temps
plus propre que celui cy pour le déclarer publique-
ment.
Le synode ne doibt presser les parties de dire s'il y
a mariage ou non, d'autant que cela appartient plus
tost au consistoire qu'au synode. Et si on sçait que le
synode les veut presser, nous conseillons lesdictes par-
(i) Aucun historien contemporain ne parle d'un mariage de
conscience i\\x<è Jeanne d'AIbiet auroit contracté en 1571 , à
l'âge de quarante-trois ans , r.euf ans après la mort de son mari ,
Antoine de Navarre. Seulement Bayle s'exprime ainsi : « II faut
« que je dise un mot touchant je ne sais quelle tradition qui
« porte que Jeanne d'Albret se remaria clandestinement , mais
« non pas sans l'approbation de ses ministres. « Et il ajoute
qu'après avoir fait beaucoup de recherches , il n'a pu acquérir
aucune certitude sur ce fait.
Lorsque madame de Maintenon £ut en faveur, on prétendit
que son aïeul d'Aubigni étoit né de ce mariage clandestin con-
tracté par Jeanne d'Albret. Mais il est aisé de montrer la fausseté
de cette conjecture, puisqu'il est prouvé que d'Aubigni naquit
en i55o, époque à laquelle Antoine, roi de Navarre, vivoit
encore.
Les deux avis rapportés dans les Mémoires de Duplessis—
Mornaj donnent beaucoup de poids à la première tradition
rapportée par Bayle.
DE LA ROYNE JEANNE D'ALBRET. 19
tics de s'absenter pour oster l'occasion de faire telle
demande; car aultrement nous craignons qu'il n'en ad-
vienne quelque mal; et ayant meurement et diligem-
ment regardé d'un costé et d'aultre, ne trouvons meilleur
expédient que celui là. Fait à Paris, 23 febvrier iS^i.
Signé Pierre Viret, Barbaste, Pierre Hesperiew.
Aullre Advis donne a LaRochelle quelques moys après.
Quant au mariage duquel il nous a esté parlé,
présupposant le faict estre tel qu'on nous a desclaré,
c'est à sçavoir que les promesses des deux parties ont
esté volontaires, et faictes devant deux ou trois tesmoins,
dont seroit ensuivie la consommation, nous trouvons
que l'une ne l'aultre des parties ne se peut marier ail-
leurs. Ce non obstant, nous disons qu'il y a plusieurs
grands défauts en un tel mariage , lesquels n'eslant au
plus tost corrigés, rendroyent les parties du tout in-
dignes d'estre tenues membres de l'Eglise , comme pour,
non seulement avoir mesprisé les bonnes mœurs en fai-
sant lesdictes promesses, mais aussi n'avoir observé,
devant la consommation d'icelles, la publication el béné-
diction ecclésiastique ; et surtout à cause du scandale,
qui en est si grand dedans et dehors de l'Eglise, qu'il
est comme impossible que quelque bien estrange juge-
ment de Dieu ne s'en ensuive , tant sur les deux parties,
que sur tous ceux qui les toléreront, s'il n'y est promp-
tement remédié.
Le remède est que le dict mariage soit notifié le plus
tost qu'il sera possible, non pas comme estant à faire,
mais comme estant faict avec telle recognoissance des
faultes que dessus , qu'il apparoisse de la repentance
des parties , à la qualité desquelles toutesfois on aura
tel égard qu'on pourra en bonne conscience.
20 ADVIS SUR LE MARIAGE , etc.
Pendant et atandant le temps de la dicte publication ,
nous desirons grandement, prions et conseillons, au
nom du Seigneur, que les parties ne s'entrevoyent d'au-
tant que ce seroit tousjours entretenir le scandale au-
quel il faut nécessairement remédier pour éviter l'ire
de Dieu : et s'il advient que les parties se voyent, faudra
que ce soit fort rarement, et pour deux ou trois jours
au plus, durant lesquels elles se porteront si sagement,
que le scandale n'en soit resveillé. A faulte de ce faire ,
les parties méritent à bon droit, sans attendre plus lon-
guement, d'estre forcloses de la cœne; et là où le mal
continueroit , ce que Dieu ne veuille , faudroit aussi
que l'Eglise passast plus outre, estant un tel et si grand
scandale du tout intollerable en l'Eglise du Seigneur.
Signé f De Beze , N. Des Galars , Chandieu , Pierre
Hesperien, Barbaste, Devaux.
III. —DISCOURS AU ROY CHARLES IX,
Pour entreprendre la Guerre contre l'Espagnol es
Pays-Bas. (i)
Sire, encores que la contrariété des humeurs fran-
coises , et les longues recheutes de ceste vieille maladie ,
causée par le différend delà relligion, ne pouvoient faire
juger de vostre estât que la ruine d'icelui , ou que du
moins il y deust laisser partie de ses membres et de sa
force; Dieu neantmoins , comme le seul médecin qui
en ceste maladie désespérée, lui pouvoit donner remède,
(i) Il fut escrit par M. Diiplessis , lors aagé de -singt-trois
ans, en l'an 1672 , et par lui mis es luains de M. l'admirai de
Chastillon , qui le présenta au roy.
DISCOURS AU ROY CHARLES IX. ai
fait tant de grâce à vostre majesté de le voir guéri,
refait, et remis sur pied. Reste de le préserver d'une
recheute , et le maintenir en santé par tous moiens loi-
sibles et possibles. A ceci n'y a rien plus propre qu'un
exercice prisa temps, qui consume les mauvaises hu-
meurs qui la pourroient causer, et confirme ce qui entre-
tient la santé ; c'est d'entreprendre une guerre dehors
pour entretenir la paix dedans, et, comme tous bons
politiques ont de tout temps fait metti'Ê un ennemi en
teste à un peuple aguerri, de peur qu'il né le devienne
à soi mesme. Chacun sçait comme le François qui a
gousté les armes, malaisément les peut laisser, et comme
souvent de gaieté de cœur, par faulte d'ennemi , il que-
relle son compagnon , et ami mesme. L'Italien , l'Alle-
mand, le Suisse, la paix faicte, retourne à son mestier :
le François desprise tous aultres mestiers, demeure sol-
dat ; et , par faulte de plus commode exercice , plusieurs
aiment mieux, ou chercher la guerre au loin, ou la
faire aux passans sur les chemins , que de se reposer
chez eulx. Pour vuider donc tant de sang corrompu et
superflu , qui pourroit créer quelque nouvelle maladie
au corps de vostre Estât , il fault ou saigner, ou pour
le moins esventer la veine, entreprendre, dis-je, une
guerre. Mais il fault qu'elle soit juste, facile et utile, et
que le profit n'y soit moins honorable que l'honneur
profitable : et telle, pour le faire court, n'en voit on
aujourd'hui que contre le roy d'Espagne. Justement la
lui pouvez vous faire pour les injures qu'avez receues
de lui en vostre bas aage, qui descouvrent bien com-
bien peu il vous est ami. Car non content de vous avoir,
plus par fraude que par force, dépossédé d'une bonne
partie des provinces héréditaires de vos aieulx, pour
vous braver jusques au nouveau monde , et entre les
22 DISCOURS
plus barbares faire paroistre que pour quelque tort qu'il
vous feit, n'en faisiez aucun semblant, il a taillé en pièces
vos soldats en la Floride, et vous en a chassé hors lors
que les dissensions de vostre peuple ne vous donnoient
le loisir de vous en ressentir. Des biens, il est venu à
l'honneur. Il vous a osté la préséance en la court de
l'empereur, et a enjambé l'égalité en celle de Rome,
qui sont les deux oii chacun a esgard; et brigué le
mesme , non à Rome seulement , mais partout où vos
ambassadeurs se sont rencontrez, en quoi le pape s'est
monstre si semblable à son prédécesseur, que, contre
le droit duquel , de tout temps, vous avez esté en pos-
session, il n'a voulu bailler la paix à vostre ambassa-
deur, pour ne sembler faire tort à l'aultre. Et c'est, ce
semble, avoir donné un augure de guerre, vous aiant
refusé la paix à tous deux; comme si le roy d'Espagne,
pour les cruautés qu'il a exercées contre les chres-
tiens, debvoit vous desemparer du tiltre que vos pré-
décesseurs ont acquis par infinies victoires conquises
sur les Turcs. Nagueres, voiant vostre majesté avoir
aultrefois tenu propos d'acheter le marquisat de Final ,
et récompenser le marquis ailleurs , il l'a envahi de
faict et de force, craignant, comme les chefs de l'en-
treprise disoient ouvertement, que les François ne
meissent le pied en lieu si important , c'est à dire fief de
l'empire et pays d'Italie, en quoi il monstroit qu'il se
deffioit de vous, et défiance est tousjours accompagnée
de peu d'amitié. Ce faisant, sa réputation est tellement
accrue aux despens de la vostre, qu'il sembloit pres-
que à toutes contrées et provinces neutres d'Italie,
que vous dépendissiez en quelque façon de lui, et les
lys fussent du tout flestris sans espoir de refleurir jamais,
jusques là qu'en leurs courts, à la grande honte et contre
AU ROY CHARLES IX. 23
cœur de tous vrais François, on Tappelloit simplement
le Roy, comme s'il estoit non seulement le premier,
mais seul en la chrestienté , de ce tiltre. Si l'on dit qu'il
est doublement vostre beau frère, doublement vous a
il offencé , vous portant si peu de respect ; ou pour le
moins ne vous est pas bon frère, qui dresse des embus-
ches à vos biens et honneurs. Si on cotte pour bon office
le secours qu'il vous donna en vos guerres civiles, est
à considérer si ceslui là sera estimé bon ami de quel-
qu'ung, qui, le voyant transporté de colère et passion
jusques à se voulloir tuer soi mesme, lui baille la dague
en sa main pour se desfaire ; et non plustost celui qui
la lui cache et refuse, tant que la colère ait cédé à la
raison. Il n'y a François, s'il n'est transsubstantié en
Espagnol , qui ne confesse bien ceste avoir esté son in-
tention. Et ce sont vieilles finesses de nourrir la guerre
en un estât voisin, tant que, ou la part veincuë nous
appelle au secours, ou toutes les deux abbatuës soient
contraintes de nous recevoir. Il n'attendoit, sire, que
de voir vostre sceptre brizé et vostre couronne en pièces
pour en ramasser les esclats et en recueillir les fleurons.
Si, depuis la paix faicte, on eust, à l'imitation de Maxi-
milian r' , diligemment escrit et enroollé toutes les oc-
casions qu'il vous a données de la rompre, et les in-
jures dont il vous a provoqué à guerre ouverte, le
volume seroit pieça plein. Il suffît d'en avoir touché
quelques unes. Pour conclurre, si les torts receus, qui
rendent la guerre juste, se laissent en arrière ou se di-
laient plus long temps , vostre action se passera , vostre
droit deviendra tort, et vostre cause légitime semblera
prétexte ; dont, en l'occasion qui se monstre, vous ne la
pourrez laisser sans y laisser de vostre honneur, vous
ne la pourrez dilaier sans perdre le profit de la pour-
24 DISCOURS
suite. Et si on dit qu'il fault plus avoir d'esgard au profit
gênerai de la chrestienté qu'au vostre propre, veu qu'il
est aujourd'hui empesché contre le Turc, c'est encore
un des vieils coups d'escrime de ses ancestres, qui,
contre tous , se sont parez de la guerre des infidèles ,
usans,sous ce beau manteau, de plus d'infidélité envers
les fidèles, que le Turc envers ceux qu'il tient pour
infidèles. S'il est si zélateur, qu'il commence à establir
les princes en tout ce qu'il leur tient et usurpe, res-
tablissant vostre majesté en ses patrimoines, ung roy de
Navarre en son roiaume. Aultrement d'autant est il
plus à liair que le Turc , que plus est haissable le chien
qui mange l'aultre que le loup mesme. Je laisse qu'on-
ques l'on n'ouit parler, que pour procès d'une partie
contre qui que ce soit, l'aultre soit tenue de différer
son action et poursuite. Mais qu'est-il besoin ores de dis-
puter si elle se doit faire? Considérons plustost comme
elle se doit conduire et entretenir. Vous l'avez ja com-
mencée, sire-, et, quelque mine qu'il face, autant vous
en sçait-il de gré que si vous aviez mis armées en cam-
pagne sous vos enseignes , et y eussiez esté en propre
personne; quand il voit que votre majesté a reçu, favo-
risé, honoré et gratifié le comte Ludovic de Nassau
eu sa court, et aultres seigneurs et gentilshommes,
qu'il tient pour rebelles; quand il sait que votre ma-
jesté a communiqué avec le sieur de Genlis , revenu de
Mons en espérance de retourner et mener des forces ,
et choses encore qui passent plus oultre. Que peut-il
aultre chose penser, sinon que votre majesté lui vou-
droit nuire, mais qu'elle fait couvertement ce qu'ou-
vertement elle n'oseroit? L'Espagnol , sire , n'en pense
pas moins. Autant vous est il ennemi pour lui avoir
monstre vostre espee, que pour l'en avoir battu :
AU ROY CHARLES IX. 2 5
autant pour avoir descouvert des signes de mauvaise vo-
lonté , que pour en avoir produit des effects. En temps
et lieu il le vous garde; mais vostre majesté se doit sou-
venir que le premier coup en vaut deux. La guerre
n'est point juste seulement, mais nécessaire, si l'on ne
veut en avoir à l'advenir une très périlleuse; et vous
déclarant, vous lie faites point un ennemi , mais com-
battez celui qui est desja faict; mais pour ce que maint
bon procez se perd , quand la partie est plus forte que
le droit, et que le moien de poursuivre défaut , s'en-
suit de monstrer que la poursuite vous est très facile ,
et ce tant pour l'augmentation de vostre force depuis
la paix faite avec lui , que diminution de la sienne. La
guerre, sire, se faict plus par fer que par or, plus par
hommes que par argent. La force des hommes consiste
en ce qui est dedans le pais sous nous, et dehors sous
nos alliez, et en tous les deux vous le passez. Dedans
vos pais, au lieu que jadis le peuple fuioit les armes,
il les suit; qu'il fremissoit, il saute au son du tambour.
L'espee du gentilhomme est aiguisée , du bourgeois des-
rouillee, le soc du laboureur forgé en cousteau. Autant
que votre majesté a de bourgades , autant de garni-
sons et pépinière de soldats, et non bisognes , mais très
aguerris, aians plus veu de sièges, routes, escarmou-
ches, surprises, en un an des guerres civiles, qu'en dix
auparavant; jusques là que qui obeissoiten vos guerres,
commande aux estrangers, et qui estoit capitaine, a
tiltre de coUonel. Et si l'on dit que ce n'est rien d'avoir
des soldats , qui ne les a obeissans, et que les factions
n'ont du tout amorties y mettent la désobéissance; on
respond qu'entre les hommes particuliers et simples
soldats n'y a point de faction; que s'il y en a , c'est entre
les chefs, qui l'oublieront à vostre parole, voire mesme,
26 DISCOURS
à l'endroit de l'ennemi : où Tiin mettra le bout du pied,
Taultre taschera de mettre le talon , comme l'on a veu
au siegedu Havre. Lors vostre majesté verra quel advan-
tage à celui qui se sert des siens sur celui qui se sert
d'estrangers. Le subject sert et obéit comme fils, l'es-
tranger comme serviteur; le subject pour sa vie et pour
son honneur, avec expectation de ses services, estant
à la vue de son maistre et prince pour se veoir de lui
recompenser ou chastier, l'estranger sert seulement
pour acquérir des biens. S'il ne vous couste rien, il
n'obéit qu'à demi , et ores qu'il soit à vostre solde , on
n'en peut jouir qu'avec coust et consentement des par-
ties. L'or le tire et le fer le repousse; l'or l'attire et la
peur de mort l'en retire. Et comme chacun laisse les
biens pour la vie pour ne se hasarder, l'estranger laisse
la vie pour le butin, qui seul l'invite à combattre. Je
laisse que forces estrangeres sont tousjours suspectes
en un royaume , et que le degast d'un païs est trop
plus grand, estant que le citoien espargne le sang de
son concitoien, l'estranger espargne le sang de son en-
nemy plus que celui du paysan, pour ami et confédéré
qu'il soit. Dont est à penser à qui a vu la France non
aguerrie quand la noblesse feit teste à l'Italien, Espa-
gnol, Allemand, Anglois et les Reytres liez ensemble,
ce qu'elle feroit aujourd'hui que toute qualité de gens,
tout aage et presque tout sexe est accoutumé au bruit,
expérimenté aux armes. Or les estats du roy d'Espagne
ne sont pas pour le jourd'hui ainsi; car, oultreque l'Es-
pagne n'est pas si peuplée que la France, les gentils-
hommes de toute ancienneté marchent selon le con-
tract qu'ils ont avec le roy, n'estans tenus que de dé-
fendre le païs contre qui l'assaillira, et ne passent trop
volontiers les monts Pyrénées, comme ainsi soit que
AU ROY CHARLES IX. 27
vostre noblesse va chercher la guerre où elle est , fust
en la mer glaciale ou en la zone torride. Au plus grand
camp que l'empereur ait jamais faict , ne se trouvèrent
onc plus de sept mille hommes de pied Espagnols en-
semble, et quelques sept ou huict cens chevaux légers.
S'ils en tirent de nouveaux, ce seront bisognes, tels
que ceux qu'a ce grand besoin , le duc de Medina-cϔi
a amenés demi deffaits de la mer en Flandres. Cepen-
dant il faut que l'Espagne fournisse à tout ; car estant
la coustume de l'Espagnol de réduire ses païs en pro-
vinces, et, pour la défiance et besoin qu'il en a, de
tenir partout citadelles et garnisons contre ses sub-
jects, il faut qu'il en envoie es royaumes de Naples, de
Sicile, de Navarre, en Barbarie, aux Païs Bas et à Mi-
lan ; il en faut maintenant un bon nombre contre le
Turc, et tous les ans pour les Indes, dont elle demeure
enfin bien dépeuplée. Les roiaumes de Naples et Si-
cile, et Testât de Milan ont affaire à fournir l'armée
contre le Turc; et Sicile , pour estre près de lui, a be-
soin de grandes garnisons, comme plusieurs aultres
lieux ; et si l'on dit que, pour la victoire de l'an passé,
il n'y ait que craindre de ce costé là , un petit coup
desrobé n'a pas mis un si fort ennemi en terre qu'il ne
se puisse promptement relever. Il nous appreste la mort ,
cependant que nous triomphons de la sienne. Oncques
ne se vit un grand empire qui n'ait vengé sa perte au
premier jour pour maintenir son peuple en obéissance
craintive et l'ennemi en peur; et outre ce qu'en la guerre
commencée pour un soldat, un capitaine, qu'il a perdu,
les chrestiens en ont perdu deux ; Tisle de Gypre con-
quise sans espoir de la lui arracher, suffit bien pour
payer les frais des galères et instrumens de navigage
qu'il a perdus. Joint que, quand il se voudroit reposer,
2» • DISCOURS
la Ligne contraindroit le roy d'Espagne après avoir
vaincu, d'user de la victoire. Du bas Pais, qui jadis nous
a donné plus de travaux que toute l'Espagne, il peut
attendre plus de dommage que de profit; car, oultre
ce qu'il a perdu le cœur du peuple et de la noblesse , qui
est en bon François plus qu'à demi avoir perdu le païs,
une bonne partie des gentilsbommes a esté exécutée ou
bannie. Les ordonnances, qui montent à trois mille
cbevaux ou six cens lances à cinq chevaux pour lance,
sous la charge de quatorze capitaines, n'en fourni-
roient pas mille aujourd'hui; car, pour n'avoir esté
payez de trois années entières , la pluspart sont sans
chevaux et armes , et le pais mal fourni de chevaux
faits. Bref, plusieurs, pour fuir la sédition, sont allés
passer le temps en divers lieux , comme es courts de
l'empereur et dltalie. D'infanterie, il n'en sçauroit trop
avoir; car, oultre ce qu'il y a vingt et huit places où
il tient garnisons ordinaires sur les confins de vostre
majesté , il a tant de bonnes villes dont il craint la ré-
volte, qu'il ne les peut pas fournir à demi. Des Indes,
il se peut dire , sans crainte d'y passer mesure , qu'elles
sont désormais sa foiblesse; car estant, que qui acquiert
païs et non force se ruine, «d'autant que ce païs acquis
ne lui donne point d'hommes, ains faut que l'Espagne
s'en despeuple pour l'en peupler, et lui en advient
comme à ceux qui acquièrent par quelque faveur un
honneur qui requiert despense, et ne donne point moien
d'en faire, qui, après maint calcul de lombard, sont
contrains de faire banqueroute. Si l'on dit qu'il est armé
par mer, et que vostre majesté ne l'est, et que les
Gaules en sont demi environnées , il est vrai ; mais il
ne nous peut nuire sur la coste delà grand mer, car il
n'y a que galères sur la mer de Levant, la coste de Lan-
AU ROY CHARLES IX. 29
guedoc est forte assez; celle de Provence , bien que non
forlifiee, partout est bien fortifiable et à peu de frais.
S'il met pied à terre, le païs e.^t , par nature et par exer-
cice , aguerri pour les rembarrer, comme il se vit à
Marseille , où Charles le Quint s'aheurta deux fois en
vain. Puis courant nos costes il se desiie d'avec les Vé-
nitiens, avec lesquels il est ligué contre le Turc, qui lui
est sur les bras, et qui l'empeschera assez. Voilà comme,
quant aux forces intérieures , il est affoibli , et vous
grandement renforcé. Venons maintenant à celles de
dehors, qui consistent en ce qu'on peut espérer des
alliés et des confédérés. Il fault ici considérer que, de-
puis que la France, desmembree par partages , s'est ras-
semblée sous un prince, jamais l'Espagne seule, quoi-
qu'elle ait esté reunie de mesme , ne l'a osé attaquer ;
mais ce qu'en avons eu de dommage, a esté par les
forces d'Allemagne haute et basse, ou d'Italie, reunies
toutes au parti d'icelle sous l'empereur Charles et le
roy Philippe son fds avec l'alliance des Anglois, qui
ne nuisoient gueres moins, et souvent avec l'auctorité
du pape, tellement que, tout calculé, oncques ne per-
dismes bataille , où l'Espagnol feit le quart de l'armée
ennemie. Si par force il ne vainquoit, moins par son
astuce qui se peut comprendre en un mot , de ne dire
jamais ce qu'il fait, et ne faire jamais ce qu'il dit. Ains
plustost nous a tourmentés par l'astuce des malcon-
tens et subornés qui se retiroient vers lui, que par force
et finesse subtile qui feust en lui. Ores ne sommes nous
plus ainsi. L'Anglois, jadis, espousoit la querelle de
tous nos voisins contre nous pour la mutuelle desfiance;
mais laroineElizabelh vous est confédérée et son enne-
mie, comme la première offensée. Joint que pour l'envie
qu'elle a de Zelande, pour les Anglois nouvellement
3o DISCOURS
descendus à Flessingue, et pour les hostilités passées
entre eux , elle y pourra aisément condescendre. Escosse
ne nous doit pas nuire pour la très ancienne ligue
qu'elle a avec nostre nation, et ne le vouldroit pour la
liaine de l'inquisition d'Espagne, et ne pourroit, veu
sa foiblesse ordinaire pour les factions du roy, de la
3'oineet desHamiltons , briguans le gouvernement, qui
s'entretravaillent assez eulx mesmes. L'Allemagne, qui le
temps passé nous battoit, nous preste aujourd'hui la
main, et nous présente une ligue, qui oste d'un costé
les forces de l'Espagnol , et de l'aultre double les nos-
Ires. L'empereur, qui est chef de cet empire, pour estre
beau père de tous deux , se pourra en cet endroit mons-
trer neutral. Et s'il se formalize pour le roy d'Espagne
ou pource qu'il est son beau fils, beau père et cousin
germain , oU pour la succession dont , par la naissance
de D. Ferdinand, il est esloigné, ce sera avec peu d'ef-
fect, ayant le Turc voisin en Hongrie, qui, durant
les trêves, ^ar ses continuelles courses, lui fait peur,
et après la ^n. d'icelles, qui est trop loin, lui fera la
guerre tout à bon escient. Les ecclésiastiques, partie
pour la povreté, ne lui peuvent donner aucun secours,
partie pour la haine qu'ils ont à l'Espagnol. Et ceux
qui ont plus de pouvoir et de voulloir, pour estre nos
voisins et limitrophes , de peur d'estre , comme entre
deux fers , e^iserrés entre vostre majesté et les pro-
testans, n'oseront s'esbranler. Et encoresque, qui a de
l'argent, semble en pouvoir tirer des hommes, si est
ce que, ou peu, ou tard, en tireront les Espagnols,
si les priii-res protestans les voulloient empescher de
tout leur pouvoir et auctorité , laquelle ils emploie-
ront très volontiers à la ruine du roy d'Espagne, leur
capital ennemy, s'ils se voioient conjoins avec vostre
AU ROY CHARLES IX. 3l
majesté. Les disons et les Suisses des sept cantons sont
tousjours à vostre dévotion. Et les aultres , qu'ils pri-
sent plus que tous les aultres en guerre, ne veulent ,
comme ils parlent, vendre leur sang, lequel ils don-
neront librement en ceste occasion , d'où dépend en
partie le repos de leur estât. En Italie , le pape est li-
gué avec l'Espaignol ; mais estans aujourd'hui ses ca-
nons pour la plus grand part encloués , et ses forces
engagées en la guerre du Turc, qui est ung ennemi
contre qui le plus grand de la chrestienté auroit bien
affaire de ses deux mains, il ne vous sauroit en quoi
nuire. Adjoustons que l'office du pape semble estreplus-
tost de se mettre entre deux combattans , que de se
ranger avec l'ung d'eulx, si, au grand dommage de la
chrestienté, chacung ne voyoit le contraire. Les Véni-
tiens, pour les mesmes empeschemens, ne nous peu-
vent rien faire; et veu la ligue qu'ils ont avec vostre
majesté, se monstreront au moins neutres. Et afin qu'ils
ne se glorifient point de la touche qu'ils donnèrent, l'an
passé, au Turc, oultre mesme que leur seigneurie est
en tel estât pour ceste ligue, que, victoi.e ise ou vam-
cue, elle s'abaisse tous les ans d'un quart, ils vivent et
se maintiennent par le trafic, qui est en Levant , ou
en Ponent, pour la pluspart en Allemagne. Du Levant ,
pour cause de la guerre, ils n'apportent rien, et pour-
tant n'ont que porter en Ponent, telleme '.t que, d'une
mesme barrière leurs deux portes sont œrmees. Ainsi
la guerre désire grands frais; les grands frais se font par
le trafic, et la guerre l'empeschant , n'y a moyen de la
maintenir longuement. Maintenant D. Jear d'Austri-
che, ou pour le soupçon qu'il a de vostre majesté, ou
pour Tesperance de quelque bon succès en Barbarie ,
ne veut aller en Levant. En ce cas il rompt la ligue que
'd'i DISCOURS
le roy d'Espaigiie a avec les Vénitiens, dont sera bien
aise de faire la paix avec lesdicls Vénitiens, si mattez,
qu'ils ne peuvent à la longue attendre de la guerre que
la ruine de leur estât et du particulier, et faire tomber
tout l'orage sur les terres de l'Espaignol. Tous les po-
tentats .d'Italie qui, pour une mutuelle haine ou en-
vie, vivent en perpétuelle défiance, contribuent si peu
qu'ils ont de trop contre le Turc; et encores qu'aulcungs
soient comme tributaires au roy d'Espaigne , ou pour
mieux dire à ses gages, est à sçavoir s'ils le desireroient
voir si grand. Et, ores qu'ainsi feust, les Italiens ne s'en-
Irebattent pas volontiers à qui premier passera les Al-
pes. Le duc de Savoye est, par le traicté de la paix et
par la nature de son estât, enfermé de tous costés , neutre ;
et quand il vouldroit estre de la partie, seroit plus en-
clin à vostre majesté qu'au roy d'Espaigne, partie pour
l'alliance et partie pour le duché de Milan, qui est trop
fort et trop près de lui; reste à voir les moyens né-
cessaires à la conduite de ceste guerre. Les ungs estiment
les deniers nerfs d'une armée, les aultres y préfèrent
les hommes. Comme que ce soit, l'ung et l'aultre vous
est en main et à plaisir; vostre royaume fourmille de
gens qui ne demandent que : Où est-ce ? Et ne feut onc-
ques la France tant chargée d'hommes , soit pour la
cavallerie , soit pour l'infanterie, l'une et l'aultre mal
disciplinée; mais puisque nos troubles y ont amené le
desordre avec le nom, subiect et occasion de la guerre,
se change aisément la forme et conduicte d'icelle, mes-
mement lorsque le soldat, se trouvant loin de retraicte
cl faveur en païs estranger, verra l'insolence de son
naturel arrestee par la rigueur d'une punition aucto-
rizee de vostre majesté , pourveu aussi qu'il soit bien
payé et satisfait en la recognoissance de son debvoirror
AU ROY CHARLES IX. 33
la paie ne vous peut manquer pour la libérale dévotion,
que vos subjects vous rendront si vous les descliargës
de nos mutineries demi envieillies es entrailles de la
France ; tous y contribueront plus largement et avec
plus de gaieté de cœur qu'on ne sçauroit croire, joint
lesmoiensque vous avés desjà prests : d'ailleurs, bonne
troupe de noblesse et aultres , nommément de nostre
relligion , passeront partie du temps à leurs propres
frais. Et , qui est bien à considérer, veu l'offre de plu-
sieurs estrangers, on pourra faire la guerre en tel païs,
dont les naturels fourniront la plus part des moiens à
vostre armée, selon les ouvertures que l'on vous en a
desjà faictes, D'aultre part l'infanterie ne vous montera
gueres plus à paier que d'ordinaire; tant par ce qu'en
temps de paix il vous en fault ung grand nombre , et ré-
duisant la guerre, comme il fauldra, au païs de l'en-
nemy , la guerre mesme fournira le reste, et paiera à
demi les soldats. Je laisse que les ecclésiastiques ne
voudroient pas estre moins libéraux contre l'estranger,
qu'es guerres civiles; non moins volontaires envers
vostre majesté qu'envers vos prédécesseurs, qui, au be-
soin, aulcunes fois ont pris la moitié, voire presque tous
les revenus et le fond mesme , sans parler ici des an-
nates et aultres droits suffisans de paier ce qui sera
extraordinaire de ceste guerre. Si l'on dit que le roy
d'Espagne ait moien d'emprunter la bourse d'Anvers,
qui est son principal fondement, elle ne lui aidera pas
beaucoup ; car , par les ports de mer que tiennent ceulx
qu'on appeWegueus, le trafic est nul, et par conséquent
la bourse mal garnie. Les marclians ont tant preste qu'ils
en sont las; et ce peu qui leur en reste , pour la baine
qu'ils portent à sa façon de gouverner, n'est guère à
son commandement. Et la ville d'Anvers est tellement
MÉM. nF. Dupi.Kssis-MoRîfAY. Tome ir. j
4 DISCOURS
endebtee, qu'elle ne s'acquitteroit poinct pour deux mil-
lions d'or, tant qu'il fault qu'elle emprunte à six , huit
et douze pour cent. Les Genevois, depuis la prise de
Final, qui leur importe de 60000 livres tous les ans de
perte , ne sont plus si affectionnés à lui ; d'ailleurs qu'en
peut il espérer? Et partant, estant vostre majesté plus
forte que lui en gens de guerre , et égale en finances ,
n'y a doute que la guerre ne vous soit facile à entre-
tetenir ; or nous pouvons donc justement et facilement
faire la guerre à l'Espagnol. Mais où? Premièrement
ne la fault faire qu'en ung lieu; car pour avoir embrassé
la guerre en plusieurs lieux tout en un temps, nous
avons ruiné toutes nos entreprises. Il n'y a meilleur
qu'à la romaine ou à la turquesque, mettre toutes ses
forces d'ung costé , de peur que , mengeans trop, ne di-
gérions mal , et ne soyons contrains de revomir ; et ce
lieu ne doit point estre l'Espagne; car c'est un pays
montagneux , avantageux pour le tenant, et où la no-
blesse est forcée de se défendre , qui aullrement ne bou-
gera du pais. Pour l'Italie, il fault passer les Alpes, et
chacun sçait que, quoique le païs ait esté engraissé de
nostre sang et honneur, jamais les lys n'y ont peu bien
fleurir. Il fault , sire, entreprendre sur le Bas Pays , où
le peuple vous appelle, où l'occasion vous invite, où
la division vous ouvre les portes des villes, etvousfaict
bresche raisonnable pour donner l'assaut à tout le païs.
Justement irés-vous sur les justes prétentions qu'avés
sur Flandres, Artois et Hainaut , ausquelles la seule
adversité a faict renoncer à vos prédécesseurs , et en
viendrés facilement à bout, aiant l'ennemi loin et dis-
traict, et vos forces et de vos alliés tout à l'entour.Pour
ce faire , vostre majesté pourra traicler accord avec le
prince d'Orange, qui, tant par une bonne et forte
AU ROY CHARLES IX. 35
armée qu'il a au pays, que par les cœurs du peuple
enclins à lui, comme libérateur vous y pourra beau-
coup servir, et, sans doute, ne demandera pas mieux,
considéré, qu'ores qu'il prospère à son gré dans le
païs jusques à le mettre en ses mains, il ne se peut
maintenir que par vostre alliance et faveur. En après
faire la guerre comme ami du pays et ennemy des en-
nemys du pays, vengeur de la tyrannie et restituleur
de la liberté ; car pour bien conquérir fault commencer
par la conqueste des cœurs, et le reste vient après tout
à son aise , et , pource, sera besoin d'entretenir, comme
es premières guerres de Piedmont , une severe disci-
pline, et par conséquent bien paier le soldat, afin qu'es-
tant paie il ne pille , et s'il pille n'ait de quoi se plaindre
d'estre puni ; mettre une bonne et suffisante armée tout
en un coup, pour faire grosse guerre et courte, et non
de petits camps connne jadis; car si elle dure, le trafic
fault, le païs se ruine, le peuple s'attiédit et se rend
prompt à se révolter; assaillir le cœur du pays, non les
frontières, qui est la vieille escrime, dont les coups
ne portent que sur les bras et sur les jambes, car ainsi
couppés vous la racine des nerfs, desquels dépend tout
le mouvement. Et n'y aura danger qu'elles coupent les
vivres; car vous sentant suffisamment fort pour les dé-
livrer, elles ne vouldront le faire, ores qu'elles le voul-
droient, ne pourront, pour la mer, qui vous en donnera
assez, laquelle vous sera ouverte par tout; défier le
chef du païs en bataille par le siège de quelque ville
capitale, riche et foible , comme Bruges, etc. Et s'il
fuit le choc, il ne fuit la perte ; car la prenant d'assault
ou par composition , vous y gaignerés beaucoup d'auc-
torité d'entrée, et il y perd toute la sienne ; et s'il se veut
bazarder, il hazardc lout le succès, et le joue en ung
36 DISCOURS
coup de dé. Apres l'avoir prise, pour inviter les aul-
tres , si c'est par accord , rendre la liberté , restituer
les immunités, augmenter les privilèges et diminuer
les exactions; si c'est parassault, monstrer exemple de
rigueur en la personne , non du peuple , mais de quel-
ques chefs hais du peuple mesme ; ne s'aheurter poinct
à une petite place forte, où le gain est petit et la perte
grande, quand ce ne seroit que du temps, mais en lieu
dont la surprise acquiert réputation par tout le pays.
Ce faisant, les murailles tomberont en vostre main
d'elles mesmes, et les portes s'ouvriront sans y mettre
la clef. L'aiant acquis , vostre majesté le pourra facile-
ment garder, non par garnisons ni citadelles, aiant
l'ennemi si loin , mais , comme vrai prince , par les raser
plustost, et les mettre es mains des villes; et ainsi se-
ront les murailles gardées par les hommes, qu'auriés
premièrement acquis par vostre libéralité et debonnai-
reté , et non les hommes asservis et captifs par rempars
et murailles basties pour les emprisonner. Or à plaider
ce procès, les despens ne passent poinct le principal ; car
s'il y a de l'honneur, vostre majesté y aura du profîct en
ce que vous mettrés vostre ennemy fort loin , et lui
osterés le moyen de regarder sur vostre court. Vous
eviterés la despense des garnisons, aiant pour frontière
ou liziere le Brabant , ou si les Brabançons vous esli-
sent, la Meuse , bien remparee ou remparable de tous
costés ; et leurs privilèges veulent qu'au cas qu'aulcun
d'iceux soit rompu , ils soient absous du serment preste
à leurs princes , et en liberté de se donner à qui ils
veulent; et plus commode prince ne peuvent ils avoir
qu'un roy de France, pour les raisons qu'il n'est ores
temps de discourir. En somme vous acquerés un païs
auquel n'avés province qui se puisse comparer en gran-
AU ROY CHARLES IX. ^7
deur, beauté , richesses, peuples, \illes et commodités
tant de mer que de terre, et dont, sans fouler per-
sonne, vous pourrés chascun en tirer un million d'or.
L'Allemand vous redoutera si puissant voisin; l'An-
glois vous respectera, ne se pouvant aisément passer
du commerce avec le Pays Bas; autant en fera le Da-
nois et le Suéde ; vostre peuple s'en enrichira pareille-
ment. L'Espagnol , comme en estant loin par terre ,
sans espérance d'y revenir, et forclos de mer, y aura
perdu le plus beau , et vous , sire , qui aurés , avec l'hon-
neur immortel, receu le profict incroyable de telle vic-
toire , serés à l'advenir si crainct de vos contraires, tant
chéri de vos amis et alliés, que vostre bonheur vous
tracera assés tost le chemin pour estre le plus grand
monarque de la chrestienté.
IV. —-^LETTRE DE M. DEMAZELIERES.
Monsieur, par la lettre qu'il vous pleust, ces jours
passez, m'escrire responsive à la mienne, touchant ung
mandement de mil escus à moi, ci devant expédié sur
M. Pajot, je le debvois estre commué et converti sur
des arrérages de l'ancien domaine, respondant à ceste
chambre. Vous m'avés faict entendre les difficultez pour
lesquelles vous ne l'avés visé, disant qu'il y a des assi-
gnations précédantes en faveur de M. de Laborde el
de quelque pourvoyeur. Mon mandement est fondé sur
frais par moi faicts et sur labeurs et services qui sont
considérables et préférables à tous dons. J'ai veu , par
un estât du trésorier de Perigort, que l'assignation du-
dict sieur de Laborde est de dixhuit cens escus. Ceste
somme n'est pas petite, mais grande, ou les arrérages
38 LETTRE
sont petits. Je vous asseure bien qu'il en est deu fort
peu en la receste d'Albret, en Armagnac peu; en Ro-
dez, la Ligue a levé tout ce qu'elle a peu. Si par raisons
vous jugés que lesdictes assignations doibvent précéder
la myenne, et que vous y aiez de l'affeciion, je con-
sentiray et obeyray à vostre désir et intention pour le
regard dudict sieur de Laborde , et que en vostre visa
vous mettez de vostre main ceste condition, sans faire
mention d'aultre, pour ce qu'aultrement vousme met-
tryez bors de toute espérance et de ressource, comme
il m'en est advenu d'un aultre mandement que j'avois
sur les lods et ventes de main morte de Foix avec La-
coste, sans que j'enaye peu toucber un sol, pour les
empeschemens que vous avés entendus , et pourtant il
vous plaira , monsieur, commander à vostre secretayre
de recbercber parmi ses papiers mondict mandement ,
et le vouloir viser, avec conditions ou sans conditions ,
et ainsi qu'il vous plaira ; encores je me deffîed'en estre
jamais satisfaict , non plus que je ne l'ay encores esté
de Taultre sur Foix, si ce n'est que la longueur du temps
et le bénéfice de la paix et la voye de la justice nous
donnent les moyens et la facilité. Mon indisposition et
l'esloignement me font restraindre; car aultrement je
m'asseure que vous m'oyant, et entendant mes raisons,
vous consentyriez que je fusse aultrement gratiffié. Je
vous avois aussi faict entendre que non obstant la dis-
pense de service à moi accordée par le roy, et par vous
visée, M. Malet avoit faict difficulté (non de payer, car
il n'a point d'argent) , mais de m'assigner sur lesdicts
arrérages sans vostre commandement, h cause de cer-
taine ordonnance du conseil , faicte à Tours, vous sup-
pliant lui mander de m'assigner en quelque lieu que
ce fust : je n'ai poinct entendu sur ce vostre intention.
DE M. DEMAZELIERES. 89
Je vous supplie très humblement, monsieur, m'ac-
corder ces deux poincts, affin que si je ne puis toucher
argent, je puisse pour le moings m'aider à ladvenir
des expéditions pour la conservation de mes droicts,
et je ne lerrai pas d'en avoir autant d'obligation avec
service , et mettrai peyne de le tesmoigner à toutes les
occasions qu'il vous plaira m'employer.
Des nouvelles de deçà je ne vous sçaurois repré-
senter rien qui vaille. M. de sentant la trêve,
a voulleu faire sa dernière main, et a couru jusques à
Saint-Palays en Navarre , qu'il a surprins, pillé et sac-
cagé, tué et prins beaucoup de gens; M. Desponcle
le père est des morts. M. de la Monnoye est
des prisonniers avec aultres conseillers. Le butin est
grand et la désolation estrange. Vous aviez entendu la
mort de M. de Ghoisy, et hyer nous entendismes celle
de M. Descaudemat, ci devant gouverneur de la cita-
delle de Condom , qui s'estoit rendu fort bon serviteur
du roy.
Nous avons délégué pour aller vers le roy, en l'assem-
blée proposée par le sieur de Viçose , ceulx là mesmes
que le roy a nommés , à sçavoir, M. de Fabas pour la
noblesse , et M. de Feydeau pour la justice. Il a esté aussi
advisé d'y renvoyer un ministre, qui est le sieur de
Chauveton , ainsi que vous entendrez par ledict sieur
de Viçose.
Monsieur, faites-moi ce bien et faveur de me tenir
en vos bonnes grâces, et me tenir pour jamais pour
vostre très humble, etc.
De Nerac , ce 23* aoust 1 573.
4o REMONSTRANCE
1
V. — REMONSTRANCE
Aulx Estais de Blois pour la Paix , sous la personne
d'ung Catholique romain , Van 1576.
Nous avons grandement à louer et remercier Dieu
de ce qu'après tant de maladies et de recheutes l'une
sur l'aultre, qui, selon toute raison, debvoient mettre ce
povre roiaume en terre, il lui plaist toutesfois, par sa
singulière bonté, lui donner encores quelque respit pour
se relever. Mais singulièrement avons à le louer de ce
qu'il lui a pieu mettre au cœur de nostre roy de mettre
la main à ceste cure, autant digne de sa grandeur,
que grand est le mal qui l'afflige; et par moiens autant
propres à le remettre sus , que les precedens estoient
expediens à le ruiner. Le médecin, qui voit son pa-
tient débilité, commence sa guerison par le faire re-
poser, par le mettre au lit. Nostre roy voiant ce povre
roiaume, par ung flux de sang de douze ou quirtze an-
nées, si pasle qu'il faict pitié à tout le monde , et si de-
bile qu'il n'en peut plus , veut ensuivre la mesme mé-
thode. Pour en commencer la cure il le met en paix.
Le médecin, en une maladie longue, dangereuse, em-
brouillée, où l'estomac ne se peut amander sans faire
tort au foie, quelque sage et expérimenté qu'il soit,
quelque bien versé en la complexion du patient , ap-
pelle toutesfois de Taide, et entre en consultation avec
d'aultres, pour, de tous les advis, recueillir le plus
salutaire. Nostre roy, pareillement en la maladie de
ce povre roiaume, qui procède de plusieurs causes,
qui a divers symptômes, divers accidens , et tels que
l'ung ne peut s'alléger sans nuire presques à l'aultre.
AUX ESTATS DE BLOIS. 4i
ne se veut fier ni en sa prudence seule, ni au bon ad-
vis de tant de vieux conseillers qu'il a près de lui ; mais
veut convoquer toute la sagesse , tout le conseil de ce
roiaume ensemble pour y pourvoir, et ce d'autant plus
soigneusement, que le patient dont est question est
tel, qu'en sa vie nous vivons, et en sa mort nous pé-
rissons tous ; mais comme en vain le médecin ordonne ,
et pour néant se font les consultations, si le patient
veut faire des excès à sa teste , au lieu d'aider lui mesme
à se guérir; en vain aussi nostre roy a il ordonné la
paix et convoqué les estats, qui sont les deux remèdes
propres, l'ung pour r'estancher le sang ,et l'aultre pour
consolider la plaie, si nous ne nous abstenons tous una-
nimement de la regratter, et ne nous disposons à ai-
mer avant toute chose le repos et la paix, sans laquelle
toutes les ordonnances des estats et toutes les receptes
et régimes qu'on nous sçauroit prescrire ne peuvent
de rien profiter.
Je dis que sans la paix les estats ne nous servent de
rien , ce qui se peut prouver en peu de mots. Es es-
tats le tiers estât, réduit pour la pluspart à extrême
povreté, demandera d'estre soulagé, ce qui sera ma-
laisé tant que le roy soit acquitté; or tant s'en fault que
le roy s'acquitte par la guerre, qu'il lui fauldra créer
tous les jours nouvelles debtes. Et le povre laboureur
souffre plus en un jour par les excès de la gendarmerie
qui fourrage tout pendant la guerre, que par la taille
et les taillons de toute une année. Le gentilhomme re-
quiert que le tiers estât, en la personne duquel il paie
et l'impost et la taille, soit soulagé; que son sang
propre , dont, ces dernières années , on a esté trop pro-
digue , soit espargné; que ses honneurs et préroga-
tives lui soient rendues et conservées : or il est certain
42 REMONSTRANCE
que la guerre, qui ne se peut faire sans hommes et
sans argent, ruinera ses fermiers et pillera ses subjects
de plus en plus; qu'elle espuisera jusques à la der-
nière goutte le suc et le sang de la noblesse; bref que,
comme mère de desordre et de confusion , elle trans-
férera tousjours ailleurs, et le plus souvent aux plus
indignes , l'honneur et la prérogative qui lui est deue.
Le clergé se plaindra que ses biens sont ruinés par ses
ennemis, mangés par ceulx qui s'en disent amis, ven-
dus tous les jours par le roy mesme. Ce sont tous maux
procedans de la guerre , laquelle coustumiement se
faict payer des maulx mesmes qu'elle faict , et qui s'aug-
menteront tant plus elle continuera. Tous d'un accord
requerront la reformation de la justice , de la vente des
offices, etc.; or est il que la vente des offices, c'est
à dire de la justice, a esté ordonnée et entretenue pour
la nécessité des guerres , et partant durera autant que
ceste nécessité; que les injustices dont on se plaind
proviennent pour la plus part de là; bref que c'est ung
proverbe ancien assés approuvé par ces derniers temps.
Qu'entre les armes, et parmi les bruits de trompettes, la
voix des bonnes loix ne peut pas bien estre entendue.
Nous aurons donc beau proposer de beaux cahiers aulx
estats, nous aurons obtenu de beaux reglemens, à cha-
que plaie on nous aura donné emplastres; mais tout
cela en vain, si nous regrattons les plaies qu'on a eu
tant de peine à resserrer, et sommes si malavisés que
de rentrer de gaieté de cœur en la guerre dorit elles
procèdent. Concluons donc que si nous desirons les
estats , il nous fault embrasser la paix ; et si nous n'em-
brassons la paix, pour néant courons nous après les
estats, desquels aussi bien les effects seront nuls sans
la paix.
AUX ESTATS DE BLOIS. 4^
En ce poinct y en aura peut estre qui diront qu'ils
désirent bien la paix, mais non selon les articles qui ont
esté accordés en ceste dernière. Telles gens se pourroient
paieren un mot, qu'il n'y a telle paix qui ne vaille mieux
que la meilleure guerre du monde ; que celle-ci est
exaulcée par les larmes de tout ce povre roiaume, et
receue avez ung singulier applaudissement de tous
ceulx qui portoient les armes , tant d'une part que d'aul-
tre ; bref, que comme il y a certaines guerres qui sont
justes, entant qu'elles sont nécessaires, que par con-
traire ceste paix se peut appeller très juste, n'y eust il
mesme que ce seul poinct, qu'elle estoit très nécessaire
à tout ce roiaume^ mais je désire que ceux qui l'ont
moins approuvée entrent en considération de plusieurs
choses, que peut estre, ou le zèle, ou la passion, ou
le peu qu'ils en ont pati, ou le peu de compassion
qu'ils ont de ceulx qui en patissoient, ne leur a peu
encores laisser bien considérer. Ils ne peuvent, disent
ils, endurer ni approuver qu'on laisse vivre deux rel-
ligions en France : Je desirerois avec eux qu'il n'y en
eust qu'une, selon laquelle Dieu feust servi en tout et
par tout comme il appartient ; mais puis que souhaits
n'ont poinct de lieu , il fault vouloir ce qu'on peut, si
on ne peut tout ce qu'on veut. Nous ne sommes pas les
premiers qui ont eu ceste querelle a debatre; nos voi-
sins, presque tous, y ont esté devant nous, et spécia-
lement les Allemans. Ils avoient un empereur, Charles
cinquiesme , sage et puissant, qui entreprit de ruiner
ceste relligion en Allemagne, lors qu'elle n'estoit en-
cores à rais de chaussée ; il y employa l'Allemagne, l'Ita-
lie, l'Espagne, il y gaigna bataille, il eut les chefs pri-
sonniers en ses mains, il réduit tout à tel poinct qu'il
vouUeut, réservé une seule ville deMagdebourg. Fina-
44 REMONSTRANCE
lement, ceiilx mesmes qui l'avoient aidé à la ruiner,
conjurèrent contre lui, tellement que, ne voiant nulle
fin à son desseing, ains d'une guerre naistre Taultre,
et du serpent le basilic, il aima mieux et trouva plus
seur de permettre la liberté à ceste relligion, que de voir
l'empire empirer d'heure à aultre, et prest à tomber
sur sa teste en ruine. Depuis ceste paix qu'il leur ac-
corda et entretint ^de laquelle le feu roy Henry feuten
partie cause), l'Allemagne est paisible et tranquille
par tout, et regarde à son aise la ruine de ses voisins,
voire leur fournit de massons pour se desmolir, au lieu
que, sans icelle paix, elle s'en alloit en ruine. Peu de
temps après nostre tour est venu, comme des aultres;
et si nous considérons comme nous nous sommes gou-
vernés envers ces gens-ci , plus ne nous reste qu'où de
ruiner et périr tous ensemble sans que l'un ait à se
mocquer de son compagnon, ou de laisser vivre les
aultres en paix et liberté de conscience. Au commen-
cement nous les avons bruslés tous vifs à petit feu ,
sans distinction de sexe ni qualité; tant s'en fault que
nous les aions consumés par là , qu'ils ont esteint nos
feux de leur sang , et se sont nourris et multipliés au
milieu des flammes. Depuis, nous les avons noies, et
semble qu'ils aient fraie dedans les eaux ; comme le
nombre s'est accreu, nous les avons combatus et batus
en diverses batailles, nous les avons desfaits quelque
fois à plate cousture, si ne les avons nous jamais peu
abbatre. Nous les avons enyvrés de vin aulx nopces ;
nous leur avons couppéles testes en dormant, et à peu
de jours de là les avons veu de nos yeux resusciter aussi
forts que paravant, et avec testes plus dures et plus
fortes que jamais. Reste donc, puisque nous ne les
avons peu faire mourir, que nous les laissions vivre,
AUX ESTATS DE BLOIS. 4 5
puis que par la force nous n'avons rien profité, que
par amour nous essaions; puis que la guerre n'a de rien
servi, en laquelle toutesfois nous n'avons espargné ni
nos biens, ni nos vies, ni nostre honneur mesme, que
maintenant nous les laissions au milieu de nous en paix.
Et ne trouvons ceste mutation en rien estrange ; es
maladies ou incogneues, ou difficiles, il en prend ordi-
nairement ainsi. On esprouvela recepte bonne ou mau-
vaise du premier venu; s'il n'amande, on n'a point de
honte pour sa santé de se repentir et de changer de
façon de faire , ainsi nous en est il advenu. Quand pre-
mièrement ces povres gens apparurent en ce roiaume,
on nous dit qu'on les avoit bruslés chés nos voisins,
nous fismes de mesme ; qu'on leur avoit faict la guerre
à toute outrance, nous avons faict encores pis qu'eux.
Puis donc que nos cautères, puis que tous nos remèdes
corrosifs , au lieu de réduire la plaie en cicatrice , n'ont
faict qu'aggrandir l'escarre, que reste il, sinon, à l'exem-
ple de nos voisins , y appliquer de bonnes huiles , et de
bons lenilifs? Si, à nostre grand malheur, nous avons
suivi leur premier advis, aurons nous honte de suivre
à nostre salut leur repentance?
Aultres, possible, le trouveront mauvais, les uns pour
la conscience , les aultres pour Testât : les uns par un
zele moins que prudent , les aultres par une fausse ombre
de prudence : les uns estimant qu'il n'est pas loisible de
laisser vivre les hérétiques entre les catholiques; les
aultres, qu'il n'est pas expédient d'avoir deux relligions
en un estât. Quant aux premiers, je les supplie de se
desfaire, entant qu'en eulx est, des passions ou illusions,
qui leur ont jusques ici faict voir une chose pour l'aul-
tre. On nous a faict accroire que ces gens ci sont mons-
tres; on nous a liarés après eulx, comme après des chiens.
46 REMONSTRANCE
Si nous les regardons, ce sont hommes de mesme nature
et condition que nous. On nous a desfendu leur compa-
gnie et communication comme d'infidèles. Or ils sont
chrestiens , adorans un mesme Dieu , cherchans salut
en un mesme Christ, croiant une mesme bible, enfans
de mesme Père, demandans part à mesme héritage, et
par mesme testament que nous. On nous a voulleu faire
accroire qu'ils ne sont pas vrais François. Leur langue,
leur propos , leur amour envers la patrie, leur haine
envers les estrangers qui en pourchassent la ruyne , nous
monstrent assez quels ils sont. Et y en a plusieurs qui,
contre les ennemys de cest estât, ont faict des services
notables, prests encores de recommencer. Toute la diffé-
rence, qui est entre eulx et nous, gist en ce poinct;
qu'eulx, trouvans beaucoup d'abus en nostre Eglise (dont
nous mesmes confessons une partie), ils en ont requis la
reformation, et, au refus d'icelle pour la crainte de leur
ame, et au désir de leur salut, s'en sont promptement
retirés; et nous voians une partie de ces abus, comme
eulx , attendant la reformation d'iceulx , avons pensé
que, sauf nostre conscience, nous y pouvions demeurer.
Tous deux cherchons nostre salut ; tous deux craignons
d'offencer Dieu; tous deux tendons à un mesme Christ.
Or, sera il dit que, pour tenir divers chemins, nous nous
devions couper la gorge les ungs aulx aultresPSi quel-
qu'un est en ténèbres, on lui esclaire,maison nelebrusie
pas; s'il est infecté, on le lave, mais on ne le noie pas;
s'il est malade , on le pense , mais on ne l'achevé pas ;
s'il est desvoié , on le raddresse, mais on ne l'esgorge
pas. Nous disons qu'ils sont en ténèbres, infects, malades,
etdesvoiés, et sommes toutesfois, ou si fort ignorans,
ou si peu charitables,que nous les voulions barbarement
Lrusler, tuer, noyer et brigander. Et, qui pis est, desi-
AUX ESTATS DE BLOIS. 47
rions leur salut de si sauvagesorte, qu'entant qu'en nous
estoit , nous avons perdeu le corps et Tame de tels, que
par amour et par douceur nous pouvions aisément re-
gaigner, et rattirerà nostre compagnie. La guerre, ni la
rigueur, ne feurent jamais moiens propres pour parve-
nir à une union. Celui qui veut reunir l'Eglise, tend à y ra-
mener ceux qui s'en sont destournés , et rappeler au trou-
peau ceux, qui s'en sont esgarés. La guerre au contraire
et les rigueurs tendent à les ruiner et exterminer ; non dis
je , à ce qu'ils reviennent , mais à ce qu'ils ne soient plus.
C'est un remède pire que la maladie. C'est proprement
au lieu d'accorder deux cordes ensemble, et les remettre
en ton , en couper ou rompre l'une par fureur et impa-
tience, et gaster tout l'instrument. Que ferons-nous
donc? Comme hommes capables de raison, il les nous
fault gaigner par raison. Sur In^ teste et sur le cerveau
il n'y a prise que par les oreilles. On la leur pourroit
rompre à tous, que leur opinion toutesfois y demeure-
roit entière. Comme François, il les faut gaigner par
douceur et aimable conversation. Accordant les per-
sonnes, les procès tost après se verront esteints et as-
soupis. Comme chrestiens, il les fault prescher; il leur
fault interpréter les Escritures; il les fault appeller à un
concile libre, pour y déclarer leurs raisons. Ainsi en
ont fait les apostres; ainsi la primitive Eglise, ainsi
tous les anciens empereurs qui en ont désiré l'union,
lesquels en ont tousjours eu bonne issue; au lieu que
par toutes ces voies rigoureuses, la plaie s'eslargit tant
qu'elle ne se peut jamais refermer, ny consolider aorès.
Et ne disons plus qu'ils sont pertinaces, qu'ils s'opi-
niastrent en une errein , dont ils sont pieça convein-
cus : et que partant, il y fault procéder par le glaive.
Ce sont les belles raisons de nos evesques qui ont perdeu
48 REMONSTRANCE
pour la pluspart le glaive spirituel de sainct Pierre ,
et veullent maintenant «ivoir recours à celui qu'il tira
contre le serviteur du sacrificateur. Il est tout certain
que , depuis que ces povres gens sont appareus entre
nous , il ne s'est teneu concile où ils eussent peu seu-
rement comparoistre. Nous sçavons comme les papes
de nostre temps , craignant qu'on ne procedast à leur
reformation mesme , s'en sont tousjours sceu desfaire.
Ce leur a esté autant d'occasion de scandale, et autant
d'argument de persévérer en leur opinion. On fait un
concile, dient ils, et ceulx le fuient, qui tiennent le
premier lieu en l'Eglise catholique. Ils ont donc peur
de la dispute, ils craignent d'estre convaincus; ils ne
se sentent pas bien fondés en droict , puisqu'au lieu de
plaider, ils ont recours à la force. A entendemens ja
préoccupés d'une opinion, ces circonstances ne font
pas peu d'effect. Et quant à l'opiniastreté, ancienne-
ment s'est il bien trouvé des sophistes et des sectes de
philosophes, qui, de gaieté de cœur, ont sousteneu à
pleine teste des opinions absurdes, et du tout contre
raison, mais c'estoit en un pré, en une belle galle-
rie , en une eschole , où les ungs les applaudissoient ,
les aultres pour le moins prenoient plaisir à leurs fan-
taisies ; bref, en lieu où n'y avoit que craindre. Mais
qui aient abandonné les cours des princes où ils pou-
Yoient eslre favorisés; qui aient laissé leur maison, leur
famille , leur patrie ; qui aient espousé une haire de
malheur pour toute leur vie ; qui se soient laissés brus-
1er vifs , massacrer cruellement par une simple opinias*
treté, jamais ne s'en vit. Pourtant fault il croire que ce
que ces gens ici , qu'en aultres choses nous cognoissons
prudens et avisés , eslisent de vivre et mourir miséra-
blement, n'est poinct par un esprit de contradiction,
AUX EST ATS DE BLOIS. 49
par une désobéissance à leur prince, de qui aultrement
ils recevroient toute faveur , mais pour le salut de leurs
âmes, qu'ils préfèrent à toutes choses mondaines. Ce
que nous debvons d'autant plus supporter, que nous
tenons vulgairement contr'eulx en nostre relligion, que
toutes choses qui se font à bonne intention , sont bien
faictes et bonnes.
Or, jecroy que la pluspart des gens de bien approu-
veront ceste voie, comme la plus propre. Car de faict
en toutes les cruautés qui se sont exercées contr'eulx,
il ne se trouvera guère que des malautrus attirés par le
pillage , ou des gens sans ame et conscience, qui en aient
souillé leurs mains. Mais peut estre auront ils trouvé
dur de leur accorder l'exercice de leur relligion , et
singulièrement dedans les villes, comme il a pieu à
sa majesté par ceste dernière paix, et penseroient assés
faire pour eulx , de ne les forcer poinct en leurs con-
sciences.
Premièrement je les prie de considérer que ceci leur
a esté accordé non du premier coup , mais après avoir
en vain esprouvé les feux et les eaux , et toutes espèces
de tourmens contr'eulx; non légèrement, mais par une
meure délibération des estats teneus solennellement à
Orléans; non pour mettre division en l'Eglise, mais
pour prévenir la ruyne et division aultrement prochaine
de Testât; que, depuis que par ung zele imprudent on le
leur a vouUeu oster , nous n'avons veu que guerres ,
que malheurs, queruynes; et que, pour prévenir la to-
tale et inévitable ruyne, il ne s'est trouvé aultre moyen,
après avoir longuement marchandé, que d en venir à
ce poinct. Et partant, que, comme nous avons ja dict,
que la paix est juste entant que nécessaire, cest article
aussi de l'edict de paix est juste, entant que ceste neces-
MÉ>I. DH DuPLESSIS-MoRMAY. ToME II, ^
5o REMONSTRANCE
saire paix ne pouvoit estre , ni durer sans cest article. Je
demande. en après, lequel nous aimons le mieux, ou que
ces gens deviennent atheistes, ou bien qu'ils demeurent
tels qu'ils sont. Si atheistes, ils en seroient pire pour
eulx, en ce que, ne croyans rien , on n'en pourroit espé-
rer d'amendement; pires pour nous, en ce que, ne crai-
gnans ni reverans rien , nous ne pourrions avoir aul-
cune fiance en chose qu'eussions à traitter avec eulx;
pires pour Testât, en ce que, n'attendans Dieu pour juge,
ils se soucieroient peu des juges et magistrats qu'il a
ordonnés en terre : au lieu de tous ces maulx , nous n'en
aurions aultre bien que d'avoir contenté une aveugle
et immodérée passion qui est en nous. Or , qui doute
qu'une partie n'en retombe là, si nous les laissons
comme bestes, sans nulle forme de relligion? On me
respondra qu'ils auront la catholique. S'ils n'y vont
poinct, il ne leur sert de rien. S'ils y vont, de gens de
bien en leur relligion ils deviendront non catholiques ,
juais hypocrites, non fidèles, mais infidèles en l'une
et en l'aultre ; et tant s'ascoutumeront à tromper le
Dieu qu'ils servent, et forcer leur propre conscience,
qu'ils ne feront plus de conscience de tromper ceulx
qui auront affaire avec eulx. D.fvantage les estimons
nous, je vous prie, pire que les juifs? ou nous pen-
sons nous plus saincts que le pape, et nos villes plus
privilégiées que celle de Rome? Les juifs blasphèment
désespérément le Christ ; ceulx ci l'adorent , et n'espè-
rent salut qu'en lui : ils lisent l'Evangile comme une
fable; ceulx ci, comme la seulle asseurance de leur
foi, ils souhaitent la ruyne de nostre Eglise; ceulx ci
en requièrent la reformation ; il y a quinze cens ans et
plus que les juifs s'opiniastrent contre toute apparence
de raison : ceulx ci, au contraire, depuis quelques
AUX ESTATS DE BLOIS. 5f
années ne demandent que lieu ou débattre librement
leurs raisons. Toutes différences y sont en la doctrine,
et es mœurs , et en la commune conversation. Puis ,
quant au pape , nous le tenons pour chef de l'Eglise,
et nous n'en sommes que les membres : pour docteur,
et nous n'en sommes qu'auditeurs : nous tenons bref
ses décrets pour oracles, son exemple pour règle infail-
lible. Regardons toutesfois comme il en use. Il permet,
au milieu de sa ville de Rome , des synagogues public-
ques aux juifs, en toutes les terres de son patrimoine,
et tous les princes d'Italie à son exemple: voire mesmes
pour ung certain nombre de ducats donne licence, à qui
le veut, d'en ériger de particulières. Or, ce que ce père
sainct permet à ces ennemys de Christ , estrangers du
païs, pour gaigner quelques ducats, pour un profit de
néant, le dénierons nous, nous, dis je, qui faisons estât
de le suivre et de le croire , à ces povres chrestiens , à
iîos frères, et concitoyens , pour nostre repos, pour la
nécessité publique, pour racheter ce povre royaume de
ruyne et de confusion? ne faisons pôinct de difficulté
sur nos villes. Ce qui est tolerable aux champs , est to-
lerable aux bourgs; ce qui l'est aux bourgs, l'est es
places et es marchés des villes. Les peuples font les villes
et non les murailles. Pour cela ne sera nostre relliorion
ni plus reculée , ni la leur plus avancée. Ce que Jésus
Christ avoit dict en l'oreille , a esté presclié sur les
toicts, et à peu de temps de là a retenti par toute la
terre; et les vaines fantaisies que les pharisiens pres-
choient au temple, en la chaire de Moyse, se sont
trouvées ensevelies. En ce leur devons nous scavoir
bon gré, et recognoistre qu'ils n'ont point intention de
tromper personne à leur escient, quand ils désirent faire
profession publiquement, et devant tous, de leur doc-
52 KEMONSTRANCE
trine. Ceulx qui vendent lesliapelourdes, les monstrent
par dessous le manteau; ils retirent les gens en quelque
recoin bien obscur. Ceulx qui veulent exposer la fausse
monnoie, ne la baillent qu'à la chandelle. Les bons
et loiaux inarchands au contraire mettent leur mar-
chandise en veue , et la desploient en pleine halle au
milieu des revisiteurs. Ceulx qui ont de bon argent, le
mettent à toute heure entre toutes gens, et ne crai-
gnent touche ni couppelle. Si ces gens ci ont de la fausse
monnoie, si quelque mauvaise denrée, pour le moins en
ce qu'ils désirent la mettre en veue, monstrent ils assés
qu'il n'y a point de dol en eulx, ains qu'ils en sont
circonvenus les premiers. Or , s'ils sont trompeurs ,
c'est donc le moyen de les descouvrir; si trompés si
simplement , ils méritent qu'on ait pitié d'eulx , et
mieux, ne sçanroit on que les délivrer d'abus comme ,
d'ung diable qui les possède, au milieu d'une belle et
grande assemblée. Il me souvient que, lorsqu'ils s'as-
sembloient la nuict pour prescher aux cavernes , nous
disions : S'ils s'assemblent pour bien faire , que ne le
font ils en plein jour! Que ne nous viennent ils pres-
cher en nos églises ? Les portes en sont ouvertes à
tout le monde. Ce qu'ils preschoient en secret, les nous
faisoit détester. Et le faict à la vérité ne dépend point
de cela. Comme les pharisiens de la maison d'oraison
faisoient une caverne de brigans; d'une caverne aussi
ies anciens chrestiens ont bien sceu faire une maison
d'oraison. Le lieu, le temps, l'heure n'y font rien,
pourveu que ce qui se faict soit bien faict. Mais en ce
poinct toutesfois avions nous raison, que, pour cognois-
tre la vérité de ce qui s'y faisoit etdisoit, nous voullions
qu'il se feist publicquement , et à nostre veue. Or ce que
iors nous requérions en eulx , est ce qu'ils désirent au-
AUX ESTATS DE BLOIS. 5''>
joiircrhiii leur estre permis entre nous , que peut estre
nous ne devrions pas moins désirer qu'eulx; car s'ils
preschent vérité, la preschant publiquement, et es
lieux plus remarqués, c'est le moyen de la pulilier. Or
est ce le but et le souverain désir de nous tous qu'elle
soit cognue entre tous. Que s'ils preschent mensonge,
c'est le plus court chemin et le plus expédient pour les
abolir. Es villages ung basteleur vend son triade; ung
empirique faict miracles; un imposteur faict voir et
croire au peuple ignorant tout ce qu'il veut. H n'y a
valet de mule qui n'y puisse jouer le docteur en méde-
cine; laissés les pratiquer es bonnes et notables villes,
où il y a gens de sçavoir, des docteurs, des universités:
les petits enfans s'en mocquent ; les femmes les renvoient
à l'escole, et les plus rusés d'entr'eulx, de peur d'estre
surpris par les revisiteurs , ou attrapés en ung examen ,
ferment tout doulcement boutique : faisons en de
mesmes en cest endroit. C'est aulx bonnes villes, plus-
tost qu'aulx champs, qu'il les fault laisser prescher :
c'est là qu'il lesnous fault convier. Lésâmes des paysans
ne sont pas moins chères à celui qui les a rachetées,
que celles des citoyens; ains peut estre d'autant plus ,
qu'elles sont simples , et plus esloignees de la contagion
du monde. Pour le moins elles sont toutes à ung prix,
tant plus simples elles sont , et plus doibvent elles estre
contregardees. Aulx champs ils s'addresseront à pres-
cher à ung povre villaige, où n'y aura qu'ung curé faict
à lahaste, comme nous n'en avons que trop. Le bon
homme s'estonnera par adventure au premier mot de
latin qu'il n'entendra; c'est pour esbranler toute la
paroisse. Le pasteur sera frappé , et les brebis seront
dissipées. Au contraire il n'y a bonne ville, où il n'y
ait quelques docteurs capables et suffisans : quand ces
54 REMONSTRANCE
ministres prescheront, ils les iront ouir. S'ils disent rien
de travers , des le lendemain ils les conveincront en leur
sermon publiquement par lEscriture saincte ; et, par ce
moien, voiià les ungs confirmés , et les aultres esbranlés
en leur doctrine. Soubs la primitive Eglize il se nour-
rit, une espace de temps, une infinité d'heresies es-
tranges et insuportables; nous en trouvons la cause en
l'histoire ecclésiastique; parce, dict elle, que soubs la
grande et longue persécution des empereurs, s'es-
toient fiîicts plusieurs conventicules, et de diverses
sortes de gens. Mais, quand Constantin le Grand, Venant
à régner, eut donné liberté à tous ceulx qui s'attri-
buoient le nom de chrestiens, soit à tort, soit à droit,
on vit, en ung instant, toutes ces sectes abolies, et fon-
dues comme la neige au soleil, qui a esté long temps
cachée au fond d'une caverne. Or n'avons nous pas
moins de quoi nous confier, que les chrestiens de ce
temps là. Nous avons la vérité pour nous; la voix de
vérité, dit TEscriture, est plus forte que les roys mes-
mes : et d'abondant encores nous avons les roys et les
plus grands, du monde avec nous. Jésus Christ, qui
estoit la vérité mesme sur laquelle l'Eglize est fondée ,
■venant au monde pour conveincre les ministres de men-
songe, n'alla poinct requérir Caesar, ni ses lieutenans,
de chasser les scribes et pharisiens du temple; ains il
les alloit par la force de vérité conveincre en pleine
chaire. Il leur faisoit peser les Escritures qu'ils pres-
choient , et ses apostres à son exemple , dont le peuple
s'en alloit converti par miUiers. Or avons nous cest
advantage de plus, qu'oultre la parole, nous avons le
bras séculier pour nous desfendre si on nous veult of-
fencer , que Jésus Christ au contraire avoit bandé contre
lui et les siens. Ne disons plus que l'afféterie de ces gens
AUX ESTATS DE BLOIS. 55
nouveau venus subornera nostre peuple; ceste réplique
nu poinct de grâce en la bouche de personnes qui s'as-
seurent de la vérité. Ciceron avec toute son éloquence
ne peut presque jamais gaigner une mauvaise cause.
Or y en a il d'aussi eloquens pour le moins entre nous,
qu'entr'eulx , et , quant aulx persuasions ou dissuasions
extérieures, considérons, je vous prie, de quel costé
elles sont plus fortes. Ung evesque, ung docteur renommé
preschera d'une part; de l'aultre, ung povre homme
incogneu , de nulle estime et réputation. Or est il que
la personne et l'auctorité persuade bien souvent autant
le peuple que la parole; l'ung annoncera une doctrine
née, nourrie, imprimée, et enracinée au cœur du
peuple : l'aultre taschera de la lui arracher, ou plus-
tost lui arracher, par manière de dire , son cœur mesme.
Or sçavons nous tous combien nous plaist nostre slile
accoustumé, et combien il nous est fascheux de le lais-
ser. L'ung sera en possession de son peuple; l'aultre en
procès pour y rentrer; si est il certain que le posses-
seur a l'advantage par tout. Le peuple d'une part verra
de l'aise, de la prospérité, des faveurs, des bénédic-
tions, des roys, des princes, des grandeurs; de l'aultre
ne verra que des croix, des tourmens, des disgrâces,
de povres gens combattus et battus de toutes sortes
d'afflictions. Or est il que chacun aime son aise, que
nul ne veut perdre, que tous hommes de leur naturel
sont convoiteux de biens et d'honneurs. Bref, toutes
les promesses de ces ministres seront menaces, toutes
leurs persuasions pleines de dissuasion aulx hommes,
«jui ne verront à leur suite qu'une suite de malheurs ; au
lieu que les roys, les magistrats, les voisins, les mai-
sons, le temps, les commodités qui se présenteront de
l'aultre part, seront autant de prescheurs pour repres-
56 REMONSTRANCE
cher ce que nos docteurs auront presché au peuple.
Conclusion semble, si nous ne nous deffions srande-
inent de nostre cause, que nous devons entrer très
volontiers en ceste lice (ou Dieu et les hommes sem-
blent du tout estre pour nous) pour l'instruction de
rostre peuple, et la destruction totale de Theresie;
car nostre doctrine est foible, et nous pusillanimes,
si elle se laisse veincre , et si nous craignons d'estre vein-
cus au milieu de tant d'adventages : ou fauldra néces-
sairement dire, et à nostre honte et confusion, que
Taulfre soit ou se sente bien forte, qui oze combatre,
et espérer victoire en lieux, temps, et toutes circon-
stances si desadvantageuses, que nous les pouvons tous
juger. S'ensuit donc en ung mot, pour ceulx qui font
conscience de leur endurer leur relligion, et l'exercice
d'icelle, que la conscience ne leur permet poinct de les
forcer en leurs conscic^nces ; que le bien et le repos de
ce royaume veult qu'on les laisse exercer leur relligion;
et de plus , que l'advancement de nostre Eglize mesme
requiert qu'ils l'exercent par tout, et plustost es villes
qu'es villaiges, d'autant que, preschans par tout, ils se-
ront descouverts publicquement par tout, s'ils preschent
mensonge; et, preschans par les villes, conveincus par
les docteurs des villes, au lieu qu'ils pourroient con-
"veincre les curés de nos villaiges.
Reste à respondre à ceulx qui en font difficulté pour
le faict de l'Estat, et proposent que deuxrelligions ne
peuvent demeurer ensemble sans le diviser, axiome à
la vérité qui nous a plus divisés que la diversité de rel-
ligion mesme; mais, ou il fault, par l'expérience qui
s'en voit ailleurs, que nous confessions qu'il est faulx ,
ou que nous sommes plus incompatibles que gens du
monde. Les Allemans ont les deux relligions en mesmes
AtlX ESTATS DE BLOIS. 5;
villes, et vivent selon icelles sous mesme empereur,
lîiesmes loix et mesmes toits , sans trouble ni querelle
quelconque. Il fault donc dire que cène sont nos rel-
ligions, mais nos passions qui nous troublent, et nos
pas>ions,disje, provenantes, pour la plus part, de celles
de quelques personnes qui n'ont amour de relligion
quelconque. Avant que les Allemans les permissent,
ils ont esté quelques années en guerres, n'ont jamais
peu voir paix asseuree, quelques batailles qu'ils eussent
gaigné contre eulx; au contraire, depuis qu'ils les ont
Dcrmises, ont tousjours vescu en paix; s'ensuit donc
que la diversité permise pacifie le pays comme la re-
.sistance, qui sous ung bon zèle s'y faisoit, troubloit
la paix.
Les Polonois ont eu de tout temps la grecque et la
romaine ensemble , divers evesques et divers synodes ,
et des différends sur articles de grande importance ,
si ne sont ils toutesfois venus des disputes à la guerre.
De nostre temps, ils souffrent les deux relligions qui
sont entre nous, et plusieurs aultres sectes , et ne lais-
sent pour cela d'obéir unanimement à leurs roys, et de
contribuer également contre les ennemis du pays: s'en-
suit par là que ces relligions d'elles mesmes ne trou-
blent pas l'Estat. Finalement on leur a voulleu troubler
ceste liberté , dont ils sont entrés en trouble et divi-
sion. S'ensuit donc que la liberté des diverses relligions
n'a poinct troublé d'elle mesme l'Estat, mais la licence
et insolence de ceulxqui ont voulleu troubler ceste li-
berté permise par le commun consentement des estats.
N'allons poinct si loing. Quand es estats d'Orléans et
de Pontoise, à la requeste du tiers estât et de la no-
blesse, la liberté feut permise à ceste relligion dont est
à présent question, nous vivions en paix; chacun t.as-
58 REMONSTRANCE
choit d'attirer son voisin à soi , nul de le fascher, ni in-
quiéter en rien; la France estoit autant heureuse qu'elle
est maintenant misérable. Au contraire, on ne l'eut pas
si tost voullea troubler, que le royaume ne feust trou-
blé, dont depuis un trouble a tellement suivi l'aultre ,
que la semence n'en peut presque faillir; si tost au
contraire que la paix estoit faicte, nous nous entre-
voiions, nous passions le temps, nous trafiquions les
ungs avec les aultres. Je dis plus, qu'au milieu des es-
carmouches mesmes nous parlementions ensemble,
comme si nous n'eussions esté ennemys que lors que
nous avions la visière baissée; encores n'y a il catholi-
que qui n'ait ung huguenot ami , huguenot qui n'ait ung
catholique pour qui ilmourroit au besoin. Or, qui nous
gardera de faire tous pour tous ce que chacun fera pour
son ami particulier? Quelle conscience ferons nous de
souffrir pour l'amitié des deux pars de ce royaume, ce
que, pour l'amitié de deux personnes, nous ne faisons
difficulté de souffrir? Ce n'est donc poinct la relligion,
mais les passionsd'aultrui,ausquel!espartrop nousnous
conformors, qui troublent nostre repos. Defaictnous
avons veu, ces dernières années, qu'en Languedoc,
Guienne, Dauphiné et aultres provinces de delà Loire, et
mesme en ceste dernière guerre ils ont vescu en mesmes
villes, combattu sous mesmes enseignes, marché sous
mesmes commandemens, maintenu les relligions les
ungs des aultres en liberté, sans schisme ni division, en-
cores que nous ayons tasché , par tous moyens, d'en
souffler parmi euîx; et, quant à l'obéissance deue aulx
supérieurs, l'empereur est obéi, révéré et secouru éga-
lement en Allemagne ; nostre roy a esté unanimement
esleu , désiré et recherché de Pologne. Le Turc, qui
ne srait que trop bien dominer, est obéi des juifs et
AUX ESTATS DE BLOIS. ^9
des chrestiens , grecs et latins , mieux que de ses turcs
mesmes. Les Romains anciens, sous divers dieux et
mesmesloix , trouvoient lessubjects d'une façon ; et les
empereurs païens mesmes ont eu des légions toutes
clirestiennes, qui leur ont gaigné des batailles miracu-
leuses. Sans partir de chés nous, nous vismes de quelle
affection s'emploioient ceulx de ceste relligion au recou-
vrement du Havre sur les Anglois, et depuis à Mons , et
à la conqueste prétendue des Pais Bas , pensans faire
ung service agréable au feu roy. Pourveu qu'on les laisse
vivre en liberté de leur conscience, ils ne sçavent que
faire pour faire paroistre à leur prince qu'après le ser-
vice qu'ils veullent faire à Dieu, ils n'affectionnent rien
plus que le sien. Laissés leur les âmes libres, vous faictes
des corps et des biens plus que vous ne voulés.
Je ne dis pas pourtant qu'il ne feust plus à désirer
qu'il n'y eust qu'une relligion en ung Estât, telle union
ne se peut trop souhaiter; et qui auroit option de n'en
avoir qu'une, elle seroit trop plus séante que plusieurs;
mais puis que, ou le destin de ce royaume, ou le des-
ordre de nostre Eglise , a faict que nous en ayons eu
deux , mieux vault à la vérité les souffrir que se ruyner,
comme nous avons faict jusques ici pour n'en avoir
qu'une , ce n'est chose qui n'advienne quelques fois au
corps humain. Il y a des maladies qu'il fault bien sou-
vent entretenir pour la santé , parce qu'elles servent
de remède contre une plus grande; il y a au contraire
des remèdes qu'il fault fuir comme plus dangereux que
la maladie mesme; c'est une subjection grande que
d'avoir en quelque endroit du corps une fontaine qui
coule tousjours. Il vauldroit mieux n'en point avoir qui
pourroit ; mais elle a esté ouverte pour divertir un plus
grand catharre, qui menaçoit ou Festomac ou le poul-
6o REMONSTRANCE
mon ; elle ne se peut refermer sans danger tout appa-
rent de mort. Mieux vault donc la tenir ouverte qu'en
mourir; c'est ung mal nécessaire pour en éviter ung
plus grand. H se voit de fasclieux catharres dont il
seroit bon de se délivrer; mais si violens sont ils bien
souvent, qu'en les pensant purger*, ils nous pourroient
estrangler et suffoquer. Le bon médecin aura patience ,
il les divertira petit à petit, parce que telle purgation
seroit plus pernicieuse que le catharre ; nous en sommes
aujourd'hui de mesme. Refermés cesle plaie de nostre
Eglise sans que le dedans soit bien repurgé, la mort
est prochaine; tenés là ouverte, vous vivres, et aurés
peut estre et le loisir et le moyen de la purger et net-
toyer de telle façon qu'avec succession de temps, elle
se refermera d'elle mesme. Esmouvez ce catharre par
une purgation violente, il vous estoufera; donnés lui
cours petit à petit , il s'escoulera finalement de soi
mesme. L'intempérie de toute la chrestienté est aujour-
d'hui telle qu'il n'y a royaume ni estât qui s'y puisse
maintenir en paixsansla liberté des deux relligions , voire
qui ne se ruyne si on s'opiniastre contre l'une. Ceulx
qui dient qu'attendant la détermination d'un concile,
il ne fault permettre exercice que d'une relligion, s'abu-
sent grandement. Premièrement c est contre l'article
exprès de la paix, qui permet que l'exercice des deux
relligions soit libre, tant que, par ung libre concile gê-
nerai ou national, tous soions leunis en une relligion;
et par conséquent c'est r'entrer .en la guerre, qui est
la source de nos maux, et anéantir tout le profict que
nous avons peu espérer des Estats. Secondement, c'est
contre toute raison et forme de justice ; car nous atten-
dons, par ung concile, d'estre reunis et non d'estre di-
visés; de cicatriser nostre plaie, non de l'entretenir;
AUX ESTATS DE BLOIS. 6l
d'accorder les parties, non de les mettre en procès.
C'est comme qui diroit : Il n'y aura exercice que d'une
relligion , tant que le -concile ait déterminé qu'il n'y
en ait qu'ung et quel ; ou : Nous n'entreprendrons
rien les ungs sur les aultres, tant que les arbitres nous
aient accordés. Au contraire, tout ainsi qu'en attendant
la décision des arbitres, les parties demeurent en leur
estât, les procès au croc, les armes suspendues, sans
entreprendre rien l'ung sur l'aultre; aussi est il raison-
nable, attendant la détermination d'ung saint et libre
concile, auquel, comme arbitre de nos differens, nous
compromettions tous que nos parties demeurent en
la liberté, de laquelle, par la paix, ils sont en pos-
session; et devons considérer que, si nous estions en
leur place, nous ne vouldrions pas que la messe nous
fiist interdite jusques à telle détermination, encores que
nous feussions tout asseurés qu'elle y deut estre confer-
mee. Tiercement, c'est le vrai moyen de n'en tenir
poinct,et vauldroit autant dire tout en ung mot que
nous ne voulions ni leur liberté, ni détermination de
concile; car c'est troubler le compromis, c'est ung cas
de novalité , c'est revenir aux animosités, durant les-
quelles ne se peut ni tenir ni espérer ung bon concile,
lequel certes nous n'avons que faire de troubler, d'au-
tant qu'il y en aura, comme tousjours, assés qui ne
demanderont qu'à le troubler. Fault donc demeurer es
termes de l'edict composé pour nostre repos, et selon
toute règle de justice , par lequel , attendant le concile,
la liberté est permise aux deux relligions, c'est à dire,
attendant le remède, la maladie tolérée, et non pas ai-
grir la maladie, à ce que le remède ne trouve plus
de lieu.
Mais je demande à cest homme d'estat, qui ne veult
62 BEMONSTRANCE
poinct endurer les deux relligions en ce royaume , ce
qu'il prétendra faire maintenant pour en abolir l'une ,
j'entens celle qu'il juge la plus foible. Il se voit claire-
ment que vous n'en pouvés abolir l'exercice sans r'en-
trer en la guerre, puis que sans l'octroier vous n'avés
peu obtenir la paix. Nous voil.à donc revenus aux armes
civiles. Or, par la guerre, je vouldrois bien sçavoir ce que
nous ferons. Nous l'avons desjà esprouvé par quattre
ou cinq fois, et pour la fin de toutes, après beaucoup
de ruynes , avons esté contrains de permettre ceste rel-
hgion. Nous les avons réduits par moyens plus qu'ex-
traordinaires dedans les murailles d'une ville; encores
avons nous esté réduits nous mesmes après ung long et
ruyneux siège, à les laisser vivre, et n'ont voulleu ac-
cepter la paix , si tous ceulx du roiaume de leur relli-
gion n'avoient liberté de conscience. Si nous mettons
une armée en campagne , ils se retireront sur la défen-
sive; si nous les assaillons sur leur défensive, autant
de sièges , autant de pièges pour nous , autant de bonnes
armées perdeues et ruynees. Nous devons avoir cogneu,
tant d'une part que d'aultre, que c'est aujourd'hui que
d'assiéger places. Les défendeurs s'opiniastrent jusques
au bout , et n'est tantost plus de gens d'assaut pour les
forcer. Ainsi avons nous veu ruyner l'armée de S. -Jean,
de La Rochelle, de Livron et aultres, toutes grandes
et royales , avec grande perte de deniers , d'hommes et
de réputation; dont la plus part de nos soldats qui
restent, sont aujourd'hui rebutés de sièges. La moindre
place barrant sa porte sur elle est presque suffisante
d'attendre la plus belle armée, qu'on puisse mettre en-
semble; et quand nous en aurons pris deux ou trois
des plus foibles ; que de force , que de composition ,
nous aurons gaigné des murailles , et perdeu ung monde
AUX ESTATS DE BLOIS. 63
d'hommes, recouvré des ruyries,et au contraire espreint
tout ce qui peut rester de suc au peuple , et de sang à la
noblesse; bref achevé de ruyner tout ce povre roiaume.
Ce.qu'ils peuvent défendre en Languedoc, en Guienne,
ou mesme en Dauphiné, est suffisant tout seul pour
avoir le bout de tout ce qui reste de deniers, d'hommes
et de moyens en toute la France. Car n'abusons point
le roy de vaines offres, ou plustost ne nous abusons
point nous mesmes en les lui faisant. Que nous reste il ,
je vous prie, à lui offrir, que nous n'ayons ja baillé ?
Que peut il requérir de nous, qu'il n'ait desjà obtenu
en vain? Nous offrirons nos bourses; regardons s'elles
sont mieux fournies que paravant. Nous offrirons
nostre sang; jugeons si nous en avons autant refaict,
que nous en avons espandeu par ci-devant; s'il est ac-
creu quelque chose à nos possessions, s'il s'est rien ad-
jousté à nos forces. Au contraire nous n'avons maison
qui ne s'en sente , nerf qui n'en soit foulé ; et nous reste
toutesfoys plus long et plus cher chemin à passer que
celui que nous avons faict. Il me souvient à ce propos
d'une response de ce grand capitaine romain Paul
^myle. Quand il eut à plate cousture desfaictle roy de
Macédoine, comme il enclinoit à faire la paix avec lui ,
ses amis le trouvoient fort mauvais, disans qu'il en
pouvoit fort aisément avoir le bout, par la oruerre. Il
est aisé , leur dict il lors , de ruyner ung prince ou ung
estât, jusques à la moitié ; mais de ceste moitié le ruyner
jusques au bout, c'est chose plus difficile que vous ne
pensés. La raison en est toute claire : celui qui se sent
fort, donne une bataille, et couche la moitié de son
vaillant au hazard du dé. Mais quand il l'a perdeue, il
se retire sur l'aultre moitié, s'il est sage, et la mesnage
et la défend pied à pied. Il ne veut plus jouer si gros
64 REMONSTRANCE
jeu; et souvent le reste du vainceu suffit à ruyner le
victorieux. Vous lui présentés la bataille ; il quitte la
main , et se retire sur la défensive; il la vous faict perdre
devant une ville. La response de Paul ^Emyle estoit
vraie des lors; mais plus vraie est elleencores en nostre
endroit. Lors le pays estoit presque plat, tellement
qu'une bataille gaignée gaignoit un roiaume. Aujour-
d'hui comme il est fortifié , on ne combat que quand on
veut, et se perd le plus souvent le gain d'une bataille
devant une bicoque. En l'exemple de Paul iEmyle, ce
qui estoit oslé à Tennemy, estoit autant d'acquis au ro-
main. En nos guerres civiles, ce que nous gaignons, est
autant de perdeu ; ce que nous ruynons , nous ruyne
nous mesmes. Paul ^myle, de la moitié qu'il avoit
gaignee , pouvoit faire guerre à l'aultre. Nous au con-
traire, jouons à bander et à racler, ou tous deux perdent,
et nul ne gaigne; et nostre povre roy , a qui gaigtie il
perd, qui, de quelque costé que le sort tombe , perd
ses subjects, et ruyne ses villes; et au lieu de triomphes
romains , ne doit célébrer qu'exeques et funérailles. A
plus forte raison donc devons nous conclurre avec Paul
^myle, qu^il vault trop mieux entretenir la paix avec
eulx , que de nous ruyner à la poursuite d'une guerre
hazardeuse , ruyneuse, longue et difficile , ou plustost
perpétuelle et impossible. Nous avons en somme de
ces deux à choisir l'ung ; ou de les laisser vivre paisi-
blement avec nous, ou de mourir tous ensemble; ou
de les laisser debout , ou d'estre , en les voullant
ruyner, accablés de leurs ruynes. Samson, à la vérité,
en usa comme il semble que nous vouliions faire ; mais
en cas trop dissemblable. Il estoit assiduellement recer-
ché des Philistins ; ces gens ici au contraire , battus et
rebattus tant de fois , pourveu qu'on ne les recerche
AUX ESTATS DE BLOIS. 65
poinct, ne demandent que le repos. Il estoit seul contre
plusieurs, et ne pouvoit espérer que par desespoir;
nous plusieurs contr'ung , qui avons prou dequoi nous
conserver sans nous perdre de gaieté de cœur. Bref, à
ces povres gens ici, quand on les poursuit à mort de
toit en toit , il seroit aulcunement supportable de met-
tre le feu en leur propre maison pour esteindre la fu-
reur de leurs ennemys, ou embraser avec eulx toute la
ville; à eulx, dis je, appartiendroit,en ceste extrémité,
de se résoudre à la Saguntine ; à nous nullement, qui
ne sommes pressés, qu'autant que bon nous semble,
qui avons la plus grand part à la maison , qui devons
conserverie royaume dont nous faisons presque tout le
corps. Ains plustost seroit faire aussi mal à propos que
celui qui, pensant brusler une araignée, ou une poi-
gnée de mouscbes, mit le feu à son plancher , et brusia
le dedans de sa maison. Puis donc qu'on ne peut oster
à ces o^ens Texercice de leur relligion sans rentrer en
guerre , ni les ruyner par la guerre , sans estre accablés
de leur ruyne mesmes , concluons , contre cest homme
d'estat, qu'il les fault laisser vivre en paix , et pour ce
faire, leur entretenir la liberté selon l'edict, puis que, sans
cest article, nous avons tant de fois esprouvé que ne la
pouvons avoir.
Mais il y a, certes, grand danger que ces gens, qui
nous tranchent tantost de la conscience , et tantost de
la police, si nous regardons leur intention de plus près,
n'ayent esgard ni à l'Eglise, ni à la patrie, mais veil-
lent seulement faire leur profict particulier aulx despens
de l'ung et de l'aultre. Il y a long temps , pensent ils , que
chacun crie après l'assemblée des estats, comme après
l'unique remède de tous nos maux. Ils les voient accor-
dés par la paix, convoqués à brefs jours, qu'on ne
MÉw. nF. Dum-essis-Morkay. Tome h. 5
Qô REMONSTRA.NCE
peut plus reculer à les tenir, qu'on leury vouldra faire
rendre compte de la substance du peuple qu'ils ont de-
"voree , et les oster d'ung lieu et rang, qu'indignement
et illégitimement ils occupent. A ces inconveniens , qui
les menacent , ils n'apperçoivent que deux remèdes ,
ou de ne les tenir point , ou d'en troubler l'exécution.
De ne les tenir point, il y a peu de moyen ; ils ont esté
long temps différés; ils sont maintenant accordés, con-
voqués , préparés. Le peuple en a desjà faict les frais.
Si on l'abuse maintenant, il y a danger d'une révolte,
telle qu'en Flandres, ou que, pour mesme occasion, elle
s'est veue aultresfois en France pour les tenir de sa
propre auctorité. Reste donc d'en empescher l'exécution.
Or , est il que si la paix dure , elle en fera exécuter les
conclusions, et les ordonnances, comme elle les nous
a faict tenir. Il les nous fault donc empescher par la
guerre. Et le moyen? c'est de bailler le change ; c'est de
renverser tout sur ces povres gens ; c'est de crier au
huguenot, de peur qu'on ne crie au larron contr'eulx ;
c'est de se venger par les estats sur eulx de ce qu'ils
ont à leur sueur et travail procuré les estats. Il fault
donc resusciter ceste vieille querelle de relligion, pen-
sent ils, dont y a tant d'années que nous amusons et
abusons le peuple; et cependant qu'on courra après eulx,
nous nous tirerons de la meslee. Ainsi feurent rompus
les estats promis y a quelque temps à Gompiegne par
ces comptables , qui , ne plus ne moins que la seiche
quand on la veut prendre , sçavent très bien jetter leur
ancre , et troubler l'eau tout à l'entour. Et cependant
ces bons conservateurs de Testât ne veullent pas voir
que, si les estats ne sont deuement tenus, et la paix eu
premier lieu ratifiée par les estats , sans laquelle ils
n'ont peu estre , et ne peuvent de rien servir , que ce
AUX ESTATS DE BLOIS. ^j
royaume s'en \.i tomber en une ruyne inévitable.
Or, y en a il peut estre qui ne pensent pas ni le
malade si bas , ni la maladie de soi si dangereuse : je
veulx dire ce royaume si proche de sa ruyne, ni ces
guerres si dangereuses pour Ty précipiter. Première-
ment, je les prie de considérer que la maladie qui,
depuis quelques ans, nous tourmente, et celle mesme
qui a porté en terre tous les grands empires qui ont
jamais esté au monde , et le romain notamment ,
qui ayant eschappé , des son enfance , et par tout le
cours de sa vie, toutes sortes de plaies, de calamités,
d'injures du temps, ausquelles il s'estoit mesmes en-
durci, ne peut jamais eschapper la troisiesme recheute
de ceste maladie, ores qu'il feust trop plus puissant
que le nostre, et qu'il n'eust voisin, qui osast presque
s'arrester à regarder la ruyne. En après que c'est celle
mesme , ou à peu près , qui nous pensa accabler sous
les roys Jean , Charles V, VI, et VII, lors que ce royaume
vint si bas , qu'il n'en meritoit presque plus le nom;
celle qui a mis la Hongrie , et l'empire de Grèce entre
les mains du Turc, et lui livre, si nous n'y donnoïis
ordre bien tost, le reste de la chrestienté ; celle mesme
qui trouble et renverse aujourd'hui les Païs Bas , ans-
quels nous faisons mine de courir, encores que nous ne
puissions pas bien nous soustenir nous mesmes ; celle
bref dont la fin finale a tousjoursesté, ou de bailler Tes-
tât à ung tiers , ou s'il n'y en avoit poinct , de le partir, et
deschirer en pièces. Et quant au patient, aïKjuel toutes
les guerres estrangeres avoient plustost esté exercices,
que travaux , qu'ils regardent combien il est empiré en
celles ci. Les roys bien souvept et leurs favoris ne s'en
apperçoivent pas, parce qu'ils ne voient que des
pompes , des bravades , des danses et des festins. Et
68 REMONSTRANCE
cependant il leur en advient, comme aulx Philistins,
qui banquetoient, et faisoient grand'chere ^ pendant
que Samson escrouloit les colomnes du bastiment qui
leur ruyna sur la teste. Mais c'est à nous , puisqu'ils
nous appellent à leur conseil par ceste assemblée , de
leur en descouvrir la vérité. Qui verra le patient, que
nous avons en cure, si hâve, décharné, pasle, hideux,
comme il est , en aura horreur, et ses ennemys presque
pitié : mais ce n'est rien au prix du dedans, dont les
parties vitales sont si corrompeues, et si de gastees,
qu'il n'y reste presque plus espérance de santé. De
pieté et de justice , il n'en fault tanstost plus parler :
ce ne sont plus entre nous que prétextes et couver-
tures de révolte et d'ambition. Et cependant voilà le
sage qui dit : que , pour impieté et injustice , Dieu trans-
fère les royaumes de famille en famille, et de nation en
nation. Et quant au prince, voies comme on lui es-
branle les colomnes qui soustiennent sa maison , cepen-
dantqu'il passe son temps enjeux et en festins. Plus n'ont
les subjects d'amour envers lui pour lui obéir volon-
tiers ; plus n'a il de forces pour se faire craindre, et
obéir par contraincte. Or, ostés aulx roys l'amour, et
aulx tyrans la craincle de leur peuple , leur princi-
pauté est du tout ruynee. Les grands en ce royaume
sont aulx petits exemple de désobéissance ; les petits
aulx grands aide et instrument de révolte. Les soldats
prennent tout parti , où y a dequoi gaigner ; et c'est à
qui leur donnera plus de licence pour en avoir le plus.
Ce sont maladies que la grand' maladie des guerres
civiles a amenées avec elle. Et quels accidens s'en en-
suivent? Que les grands, qui, pour la pluspart, ne le
sont jamais assés à leur gré , voyans leur souverain des-
nué de forces , et les volontés des subjects aliénées de lui
AUX ESTATS DE BLOIS. 69
par les maux qu'ils ont soufferts ( dont ils accusent
toujours la teste, et non le temps), et les soldats au
commandement de qui plus leur donne , et plus leur
lasche la bride, entreprenent tant plus hardiment
d'assouvir leur ambition , qu'ils ont de quoi espé-
rer d'en venir à bout , et à faulte d'y parvenir ne
voient rien à craindre , ains s'asseurent qu'au pis
aller, on sera tousjours bien aise de les pouvoir ap-
paiser : dont s'ensuivent finalement, après beaucoup de
ruyne du peuple , mutations d'estat , dissipation de
monarchie, ou changement de monarque. Sans spéci-
fier les noms des dieux , et des personnes , les plus
prudens voyent cela , comme tout présent , si nous
r'entrons une seule fois en ces misères civiles. Ceulx
que l'ignorance , ou la passion aveugle , ou ceulx
mesmes qui en ce cas sont contens de faire des aveu-
gles , diront qu'il y a long-temps qu'on tient ce propos
là; que ce sont fables, et discours en l'air, que tous-
jours au pis aller en pourra on sortir par la porte
accoustumee ; je respons que les estats , comme les
corps, tant plus grands sont ils, et plus tardifs ont ils
leurs mouvemens. Il ne fault qu'ung vent pour abbatre
une petite maison ; pour ung bastiment massif, bien
cimenté , et de bonne estoffe , il fault une longue ba-
terie , une forte mine ; encores quand il renverse , les
pans de muraille tombent ils tous entiers. Ainsi en est
il du nostre. Quelque petit estât basti sur quatre four-
ches, du moindre coup de vent que nous ayons eu,
feut pieça par terre; quelque tiers l'eust emporté tout
incontinent. Le nostre qui est trop grand, et trop
pesant pour la serre de tous nos voisins, oultre ce qu'ils
ont esté troublés en mesme temps que nous, ne se
peut pas ruyner de ceste façon. Il fault qu'il se ruyne
jo REMONSTRANCE
de soi mesme. Et qui veut voir comme il s'approche
de sa ruyne, considère seulement combien il s'est cre-
vasse etesbranlé depuis la journée de SainctBarthelemi,
depuis, dis je, que la foi du prince envers le subject, et
du subject envers le prince, qui est le seul ciment
qui entretient les estats en ung , s'est si outrageusement
desmentie. Il n'estoit paravant question que de la relli-
gion de ces gens ci ; la leur permettant, on estoit asseuré
d'avoir la paix. Depuis ce jour là , on a commencé à
parler de lestât, à recercher les actions du gouverne-
ment, et s'en est trouvé qui se sont bien sceu servir du
desespoir, auquel, par tant de cruautés, nous les avions
réduis. Il n'estoit question que de huguenots ; il s'est
eslevé des malcontents , race tvès dangereuse en ung
estât, et la pluspart qui ne sçauroient dire dequoi , ni
pourquoi. Ce sont tous symptômes procedans de la
maladie que j'ai ci devant remarquée en celle partie
vitale du royaume, qui est l'amour des subjects envers
le prince. A la vérité , quand le huguenot prend les
armes, il se peut aucunement excuser. Il craint d'of-
fenser Dieu ; Dieu, dis je, qui est le roy de tous les roys;
il craint de perdre son ame, qu'il a plus chère que
€este vie. Son désir est bon; son intention n'a rien
d'énorme. Le malcontent au contraire ne se peut excu-
ser; car il n'est poussé que de convoitise de gain, et de
vain honneur, et se révolte quand on ne lui donne , non
autant qu'il en mérite , mais qu'il en cuide mériter, et
qu'il en souhaite. L'ung est poussé de l'amour de Dieu;
l'aultre d'ung fol amour de soi-mesme. L'ung veut obéir
au roy en tout ce en quoi il ne pense désobéir à Dieu;
l'aultre autant seulement qu'il est expédient pour son ad-
yantage. L'ung préfère le supérieur à l'inférieur, à sçavoir,
selon son opinion, Dieu au roy, qui est, selon l'ordre
AUX ESTATS DE BLOIS. 71
de nature; l'aultre , contre tout ordre de police, préfère
Tinferieur au supérieur, suivant pour sa convoitise ung
prince , ou seigneur subalterne contre son roi et souve-
rain seigneur. L'ung prend les armes après qu'on l'a ré-
duit au desespoir; l'aultre de gaieté de cœur, parce
qu'on n'a pas respondu à toutes ses vaines espérances.
Voilà donc comme Dieu a puni nostre desloyauté , quand
nous voulans deffaire illicitement de ces povres gens,
qui font tout à bonne intention , il nous a suscité ceste
espèce de gens qui n'ont aulcune intention de bien
faire ; quand , dis je , voulans reunir tout par voies si dé-
testables, par les mesmes il nous a ruynés. En somme,
c'est grand pitié qu'il s'est veu qu'ung Charles de Bour-
bon, connestable de France, quittant le service du
roy, ne peut jamais faire parti en France, ains feut
contraint de se retirer vers l'ennemy avec deux ou trois
des siens; et que maintenant, au contraire, par le chan-
gement des cœurs qui y est, le moindre seigneur de ce
roiaume , voire un voleur public , puisse trouver de
qui s'accompagner, et de qui faire partie contre le roy,
mesnie en France. Or qui doute que ceste disposition
d'esprits, qui n'ont roy, ni loi que leur fantaisie et leur
advantage, ne soit ung préparatifs la dissipation totale
d'un estât? Qui doute, si nous avons à r'entrer en la
guerre, que tous les jours nous n'en ayons quelque
nouvel ordre es champs, es villes, es cours, es mai-
sons des princes, et d'autant plus que chacun redoute
moins que jamais, les forces et moyens du roy? Vous
me dires que, non obstant tout cela, la paix s'est faicte;
je l'avoue : mais je nie qu'elle se puisse refaire de
mesmes, si nous la rompons. Elle s'est faicte voirement,
mais après quatre ans de negotiation assiduelle , et
mille difficultés avant qu'y parvenir. Elle s'est faicte ,
qi REMONSTRANCE
mais par le changement tl ung roy, en la foi duquel ceulx
de ceste relligion ont quelque reste d'espérance. Ce
lien qui restoit à peu tenir Testât en nng, et le tiendra
tant qu'il demeurera inviolable ; mais si nous permet-
tons une fois que ceste foi promise soit rompue, les
voilà tous en défiance de nostre roy , comme du feu
roy Charles son frère. La défiance les mettra au deses-
poir, et le desespoir aulx armes , qui leur fera faire tout
le pis qu'ils pourront, comme le meilleur pour leur
conservation. Les provinces, qui ont pati de la guerre,
et qui sçavent combien elle leur couste , comme toutes
celles qui sont delà la rivière de Loire, feront ligues et
associations ensemble pour se conserver les iings les
aultres, tant d'une que d'aultre relligion, en paix et
en repos, et petit à petit s'accoustumeront à ne des-
pendre que de leur propre auctorité. Les capitales
villes ne recevront forces ni de l'ung , ni de l'aultre,
tant pour n'offencer personne, que pour n'estre offen^
sces par l'insolence de la gendarmerie de ce temps.
De neutres, par succession elles voudront estres libres,
et ne le penseront jamais estre,tant qu'elles aient se-
coué le joug du prince. Les seigneurs principaux du
pays se donneront la main les ungs aux aultres de ne
plus faire les fols à l'appétit d'autrui , conserveront le
plat pais soubs eulx , duquel ils seront plus obéis et re-
cogneus que le souverain : par ainsi, au lieu d'une pré-
tendue union de relligion , voilà un grand advancement
de division d'estat ; voilà la rivière de Loire pour borne
de l'auctorité du roy de ce costé, au lieu que, conser-
vant ses subjects également en paix, il peut tenir tout
Testât uni en sa main, et par les occasions qui le con-
vient présentement, ausquelles, moyennant la paix, tous
à Tenvi désirent s'emploier, estendre ses limites plus
AUX ESTATS DE BLOIS. 73
loin d'une moitié. Aulcunes provinces de deçà la rivière,
plus proches de Paris , comme elles n'ont pas tant, ni
si long temps souffert de la guerre, peut estre aussi ne
désirent pas tant la paix. Elles se voient maistresses par
toutes leurs villes , les villes meslees de peu de hugue-
nots, ce qui leur faict peut estre encores démanger les
doigts pour revenir aux armes. Mais je les prie de con-
sidérer que, s'il fault faire la guerre à ceulx de la relli-
gion prétendue reformée qui sont delà Loire, d'autant
que le roy n'en pourra tirer aulcuns moyens, le tout se
fera aulx despens de leur vie et de leur bourse : que
pour néant donc elles auront obtenu d'estre soulagées
par les estais; que si les Allemans reviennent en France
pour le secours de ceulx de ceste relligion , comme
tost ou tard ils ne leur manquent jamais , que c'est par
dessus leur ventre, et par dessus leur terre qu'ils ont
à passer; que, quand au milieu d'elles, elles auront es-
teint ceux de ladicte relligion , par cela ils n'auront faict
que la resveiller et relever ailleurs ; et qu'ils ne soient
pas si peu ou charitables, ou prudens, que de dire
qu'il ne leur en chaut, pourveu que ceste relligion
ne soit poinct exercée au milieu d'elles : ce n'est parlé
ni en subjects du roy, ni en amateurs de la patrie.
Tout ce royaume n'est qu'une cité, qu'une maison,
qu'nng corps , qui n'a qu'ung roy , ung père de famille,
ung chef; qui se ruyne , se brusle, se meurt tout en-
senîble. Par une bresche , toute une ville se prend; par
ung coing, toute une maison s'embrase, autant le haut
que le bas estage; par le talent quelquefois tout le
corps meurt, encores que les bras en soient bien sains,
bien refaits, bien entiers. L'estiomene monte tant
qu elle saisit universellement tout le corps: aussi fault il
s'asseurerquesinous endurons que le moindre coing de
ç4 REMONSTRANCE
cest estât commence à s'escorner, petit à petit l'ambi-
iion des grands , qui est en la division, comme le feu
en une plaie, trouvant le mescontentement des sub-
jects pour matière propre à se nourrir, gaignera fina-
lement tant que lestât en sera totalement enflambé.
Vous mesmes qui aurés conseillés la guerre, quand
vous l'aurés portée , quand elle vous aura vuidé vos
bourses, quand vous y aurés perdeu vos plus proches ,
en vain vous vous en prendrés au roy que vous y aurés,
parvoslreopiniastreté , à demi contrainct, et seréspeut
ÊStre encores pis que les aultres. Ne disons poinct,
comme aulcuns, que le pays se gaste, mais qu'il ne se
perd poinct : le pays sont les hommes. Qui perd le
cœur perd le pays aussi, encores que le fond en demeure;
rien en ce monde ne se perd, mais il est bien perdu
pour quelqu'ung, quand il change de maistre. La
France demeurera, mais le royaume de France, tel
qu'on Ta veu, ne sera plus : la matière y sera, mais la
forme en sera changée. Cest estât se résoudra comme
un corps mort en serpcns, en vers, en crapaux, en
ung million de bestes sans raison qui s'entremangeront
les unes les aultres, et feront trop plus de mal au
peuple, que ne font tous ceulx dont il se plaint. Il s'en
lèvera quelqu'ung qui se dira protecteur de la liberté,
qui accablera le peuple de plus dure servitude qu'il ne
porte; protecteur de l'Eglise, qui n'aura ame ni con-
science, et soubs ombre de pieté commettra mille im-
pietés. Les seigneurs des pays, qui , pour n'avoir plus de
maistre, se seront un temps accordés ensemble, deba-^
tront à peu de temps de là, à qui sera le maistre l'ung
de l'aultre. Les villes, qui de neutralité seront venues
à liberté , de ceste liberté viendront à une licence po-
pulaire , de la licence retomberont à la tyrannie de
AUX ESTATS DE BLOIS. 7^
quelqu'ung, et toutes les semaines par sédition auront
nouvelles révolutions. Le povre peuple pâtira de toutes
ces folies. Il s'eslevera ung ordre de las d'endurer, qui
n'aura poinct faulte et de fondateur et de chef, contre
la noblesse. Ils l'accoustreront à la Suisse; et, comme
de toutes nations nous sommes les plus légers, et préci-
pités en nos passions, aussi pâtirons et ferons nous les
plus énormes actes, qui s'ouirent jamais entre les
hommes. Lors verrons nous en quel labirinthe de mal-
heurs nostre opiniastreté nous aura conduits; il n'y
sera plus question de reliigion : les soldats ne catechi-
zeront plus les hommes que par la bourse : qui aura de
l'argent sera huguenot , sera calholique , tel qu'il plaira
à celui qui le voudra brigander. Celui qui estoit ne
sera plus ; celui qui n'estoit rien, sera en sa place. Grand
crime et irrémissible sera d'avoir du bien; grand mal-
heur d'estre , ou paroistre homme de bien. D'ung mal
nous serons tombés en infinis, d'ung petit, en plusieurs
grands; et lors, mais trop tard, nous repentirons nous
d'avoir esté si mal conseillés que de n'avoir vescu en-
semble, comme nous pouvions, en paix et en union.
Telles grandes mutations ne se feirent jamais sans grands
desordres; et, devant que revenir à l'ordre, il se passe
des ans, des siècles, des révolutions toutes entières.
Les plus notables familles sont esteinles; les plus mas-
sives maisons, ruynees, avant que d'en pouvoir venir
à bout. Je ne vous annonce poinct choses loingtaines :
je vous annonce choses que je prevoy, que je voy, qui
sontconceues, qui sont prestes à naistre, qui, en quel-
ques lieux, sont jà nées; choses advenues en tous pays
gouvernés, comme est maintenant le nostre ; et qui sont
prcï^tes à advenir, si nous n'amendons par une paix,
tant publique que domestique, toute nostre façon de
76 REMONSTRANCE
yivre. Quand par la foiblesse et mespris des empereurs
l'empire romain s'abolit en Allemaigne, les villes, qu'on
appelle libres et impériales, se mirent en liberté. Les
capitaines et seigneurs, mesmeles evesques qui avoient
auctorités en aulcunes villes, se feirent princes; les
juges des bailliages, comtes de l'empire. Devant que
les r'amener aux empereurs selon l'ordre qui y est
maintenant, il se passa ung long temps; et voit-on au-
jourd'hui qu'au partage qui se feit de ce gasteau, l'em-
pereur , quoique en honneur le premier, a eu la der-
nière part. En Italie les villes usurpèrent leur liberté;
les gouverneurs des provinces en demeurèrent princes;
les capitaines des villes s'en feirent seigneurs, dont est
aujourd'hui l'origine de tous les princes d'Italie. L'auc-
torité de l'empereur, ruynee de guerres tant civiles
qu'estrangeres, y feut assés tost abolie, estant, lui dé-
laissé du cœur du peuple, et l'ambition allumée au
cœur des plus grands. Mais feut ce pourtant la fin des
maux du peuple? ainçois à peine le commencement.
Les seigneurs eurent des guerres entr'eulx, qui y attirè-
rent les barbares de tous costés , qui meirent le feu
partout. Ils en eurent après contre les villes plus nota-
bles, sur la liberté desquelles ils voulloient enjamber.
Tantost l'ung s'y portoit pour viceroy , tantost l'aultre
pour protecteur de la liberté : puis veinrent les Guel-
phes et Gibelins impériaux, contre papistes; puis, en
chacune ville, factions contraires; la haulte ville
contre la basse; ceulx de deçà contre ceulx de delà
l'eau. D'une guerre universelle ilsfeurent réduis à mille
guerres particulières ; d'ung grand tyran, à infinis petits,
qui 1 estoient d'autant plus grands , qu'ils avoient moins
de terre pour estendre leur tyrannie. On n'y oioit par-
ler que de proscriptions, de bannissemens , d'assassine^
AUX EST ATS DE BLOIS. 77
mens , de trahisons. Une famille faisoit guerre mortelle
à l'aultre. Le gouvernement s'y changeoit toutes les
semaines; et dura ce'ste calamité si long temps par le
moyen des querelles testamentaires, qu'ils laissoient de
père en fils , que n'agueres encores , c'est à dire plus de
cinq cens ans après la totale ruyne de l'empire d'Italie,
elles duroient et durent encores en la mémoire de
ceulx qui vivent. En somme , telle dissipation d'estat ne
se peult faire sans la ruyne du prince; mais aussi peu,
sans la ruyne du peuple et des particuliers , estant tout
certain que la maison ne se peut ruyner, ni le navire
périr sans accabler, ou submerger ceuk qui sont dedans.
Or vaut il pas trop mieux laisser vivre les ungs les
aultres en liberté de relligion, telle que la paix der-
nière l'ordonne soubs Tauctorité du roy , qu'il a pieu
à Dieu nous donner, que, soubs une vaine espérance de
le reunir, ruyner ce povre estât, qui panche de toutes
parts sur nos testes?
Considérons donc que nous sommes tous hommes ,
tous chrestiens , tous François , tous amateurs de nous
mesmes , de l'Eglise, de la patrie, croyans en ung Dieu ,
confessans ung Christ, desirans une reformation en cet
Estât; comme homme, aimons; comme chrestiens,
enseignons; comme François, supportons les ungs les
aultres. Nous nous ruynons nos maisons par la guerre :
comme amateurs de nous mesmes, et de ce qui nous
touche, demandons la paix. L'Eglise se ruyne quand, de
chrestiens nous devenons, parmi les armes, contemp-
teurs de toute relligion. Laissons donc là les armes, et
recourons avec larmes à Dieu , le suppliant de la r'es-
tablir à sa gloire au milieu de nous. L' Estât est com-
composé de deux relligions; si on ne les permet toutes
deux libres, il nous fault r'entreren la guerre, si on y
78 REMONSTRANCE AUX ESTATS DE BLOIS.
rentre , il est dissipé , et en ceste dissipation nous nous
perdons tous. Vivons donc amiablement les ungs avec
les aultres , entr'aidons nous à l'estançonner contre la
ruyne , et nous entr'approchons si près l'ung de l'aultre ,
que la division ne se puisse jamais fourrer au travers
de nous. Finalement, nous avons tous, long temps a,
souhaité les estats pour le r'establissement de ce royaume,
lesquels ces gens ci nous ont obtenu parleur guerre,
et fait accorder par la paix. Le clergé, la noblesse, le
tiers estât désirent tous, et chacun en droit soi , d'estre
soulagés par ceste voie ; ce soulagement ne se peult
espérer si ceste paix ne se garde, ains mille aultres
maux sont à craindre si la guerre a à revenir. Accor-
dons nous donc tous, gentilshommes, ecclésiastiques,
marchands , laboureurs , à demander en premier lieu
l'observation de la paix, sans laquelle toutes aultres
requestes se font en vain ; que ce soit Là nostre avant-
proceder, nostre préface , nostre fondement. Sur ce bon
fondement nous pourrons bastir nostre repos, nostre
conservation , nostre soulagement. Là, ou sans ce fon-
dement, quoique nous demandions, et quoiqu'on nous
octroie, nous n'en pouvons attendre que confusion,
désolation et ruyne totale. Je prie Dieu , qui est le roy
des roys , et qui dispose des royaumes selon son bon
plaisir, qu'il lui plaise nous conserver et confermer
nostre roy en ce royaume, régner avec lui, establir son
règne au milieu du sien , et lui donner, et à toute l'as-
semblée qu'iljui plaist convoquer, si bon advis et con-
seil, que son Eglise en soit de plus en plus establie, ce
sceptre affermi, et tout le peuple remis et réuni en
bon repos et tranquillité. Amen.
LETTRE DE M" LE DUC D'ANJOU. 79
VI. — LETTRE DE M-^" LE DUC D'ANJOU
A M. Duplessis.
Du dernier septembre 1576.
Monsieur Duplessis , ayant recogneu par bons et
certains advis que le voyaige , pour lequel je vous avoie
depesché en Angleterre devers la royne madame et
bonne sœur, a esté par artifice suspendu , et que cela
est advenu à la suscitation de ceulx qui, par jalousie,
sous aulfre prétexte, auroient faict trouver mauvais au
roy, monseigneur et frère, que j'entrasse, estant la paix
faicte , en aulcune communication , ne fréquentes de-
pesches avec les princes et estais circonvoisins pour,
parce moyen, diminuer ou du tout altérer la confidence
et amitié d'entre ladicte dame et moi , estant chose que
je veulx non seulement conserver précieusement, mais
plustost, s'il se pouvoitjd'advantagel'accroistre; je vous
ai bien voulleu faire la présente, me confiant en vostre
affection , pour vous prier bien fort que vous veilliés
tant faire pour mon service, postposant tous aultres
affaires que vous veilliés parfaire ledict voyaige pour
aller devers la royne d'Angleterre lui porter la lettre
que je vous envoie , que j'ai foict laisser en cachet vo-
lant, à ce que vous la puissiés voir et fermer après,
pour la lui présenter, et lui faire entendre les .raisons
de vostre retardement , selon qu'il est porté par fins-
truction que je vous envoie aussi , et aultres plus con-
venables que vous ju gérés estre à propos plus décent,
et requis pour entretenir ladicte dame en la dévotion
et bonne volonté qu'il lui a pieu me porter jusques à
présent ; car, oultre que cela m'importe infiniment, je me
8o LETTRE DE M" LE DUC D'ANJOU,
sens tantteneu et obligé à elle, que je serois plus marri
que de chose qui me sçauroit advenir, qu'elle entrast
en aulcune sinistre appréhension , veu les bons offices
dont elle a usé lors que j'en ai eu besoin , de sorte que,
par le moyen de vostre légation , elle puisse estre si bien
édifiée de moi, que ceulx qui ont esté causes du retar-
dement de vostre voyaige se trouvent en fin deceus de
leur dessein. Et vous me ferés un bon et signalé ser-
vice, que j'aurai si agréable, que vous pouvés vous
asseurer qu'il ne se présentera occasion que je ne le
recognoisse envers vous d'aussi bon cœur que je prie
Dieu qu'il vous ait, monsieur Duplessis, en sa saincte
et digne garde.
Du Plessis les Tours, etc.
Vostre ami, Fiiançois.
Et au dessus estoit escrit :
A Monsieur Duplessis , gentilhomme de ma chambre.
VIL — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. Langiietiy).
Gand, le i5 novembre 1679.
Monsieur , j'ai receu les vostres du 19 , bien am-
ples, et d'autant plus agréables; depuis, je pense que
vous en aurés receu une mienne. Vous m'avés fait pen-
ser à l'histoire, et par l'aide que j'espère de vous, peut
estre je m'enhardirai; mais j'ai de grands scrupules, et
tandis que nous sommes voisins, je vous tiens, par vos
suasions, comme obligé à me les vuider. Geste histoire ,
(i) Hubert Languet , Bourguignon, personnage notable en
son temps.
LETTRE DE M. DUPLESSIS A M. LANGUET. 8l
comme sçavés, aura pour principale matière et ^é»/* j-e
la restauration de la vraie relligion en nos temps, après
tant de confusions dont l'ignorance des siècles prece-
densTavoit remplie. Per accidens aussi il fauldra traic-
ter les oppositions qu'a faict le monde à Tencontie , prin-
ces , republicques, pieslats, etc. Ce qui se peut dire
en passant des affaires politiques, je n'en ferai poinct
de mention pour cesle heure. Quant au premier, j'oi
blasmer Sleidan par plusieurs de passion , disans qu'il
ne l'a peu celer des le commencement, comme à la
vérité des le beau premier mot il se déclare ennemi du
pape et des siens , et cela faict révoquer les histoires en
doubte. Orayantà mettre son nom, et par vostre advis
moi le mien, on cognoistra prou raffeclion de l'auc-
teur; mais le remède, comme je pense, seroit de dire
la vérité sans blasonner les personnes de leurs couleurs.
Comme il me semble que celui se faict plus croire,
qui dict que Néron tua sa mère, que qui dict ; Ce mes-
chant parricide Néron, etc., parce que la chose parle
d'elle mesme assés, et le plus lourd esprit du monde
en tire la conclusion de lui mesme. Une aultre chose
aussi, quand le nom n'y seroit poinct, feroit rccog-
noistre le parti de l'aucteur, à sçavoir ce qu'il parlera
plus solidement des affaires du sien que de l'autrui
duquel la plus part du temps nous ne jugeons les con-
seils que par les effects; c'est en quoi je desirerois que
m'enseignassiez ung chemin de modération. Quant au
second , je trouve peu de difficulté à en inscrire, mais
très grande à le publier, sinon'souvent il fauldra allé-
guer, pour cause d'ung effect , ce qui ne l'aura pas esté
une cause généreuse au lieu de l'amour dune femme,
et d'une querelle de bordeau ; car, ainsi que nostre
MÉM. DE DUPLESSIS-MORNAY. ToME II. (}
S'i LETTRE DE M. DUPLESSIS
court a esté ces dernières années gouvernée, vous
n'ignorés pas que les piques sont venues pour la plus part
de là, qu'il n'y est appareu une seule espèce de géné-
rosité ni de prudence : or le dire , cela est fascheux pour
ceste vie , et le celer ou desguiser, pour ma conscience,
non que je ne sçaclie que nous ne sommes pas tenus de
tout dire ; mais certes le lecteur apprend plus à la vé-
rité qu'au mensonge; et, descrivant ung bruslement, il
est besoin de dire par où est pris le feu. Joint qu'ayant
à déduire , puis après une mauvaise et imprudente con-
tinuation de dessein, et une fin encores pire, con-
viendra mal de lui avoir donné ung beau commence-
ment, et seroit, à mon advis , Hiimano capiti ceivi-
cem jiingere equinam y etc. Mais en cela nous aurions
à recueillir les mémoires à loisir, dresser une sque-
lette de Tbistoire, et le temps cependant se pourroit
cbanger; sinon , imiter plusieurs bons aucteursqui n'ont
parlé par leurs livres qu'après leur mort, encores cer-
tes que c'est ung grand plaisir à qui met ung tableau
en vue des passans, d'estre caclié derrière, et ouïr ce
qu'ils disent, jusques aulx cordonniers mesmes; car on
a le moyen d'y mettre la dernière main. J'ai ung aultre
scrupule encores pour ceste lettre; j'oi blasmer plu-
sieurs historiens pour avoir donné leur jugement sur
les affaires ; il y en a d'aultres qui prennent plaisir
d'ouïr ce qu'ils en jugent. J'ai aultres fois pensé que
l'historien, qui est comme ung rapporteur de procès,
en doibt laisser le jugement libre aux juges, sans leur
prejudicier par une première voix; mais que l'histo-
rien le pourroit faire en tierce personne, disant : On
croioit, ou on jugeait , ou les plus sages disoient, etc.,
ce que j'ai observé en quelques ungs des plus no-
tables; mais je ne regarde pas que je fais la mesme
A M. LANGUET. 83
faulte, quand, vous demandant vostre advis sur ces
poincts, je dis le mien tout d'ung coup , lequel toutes-
fois je ne vous escris que pour estre plus amplement
corrigé par le voslre. De M. du Pin(i), je n'en attens
rien ; car il m'a souvent dict que tous ses papiers feu-
rent portés à la court de parlement , et à peine aussi
m'cust il celé ce thresor là. Quant au dessein du Pé-
rou, je Tapprouve infiniment; mais je crains que nous
n'ayons plus de difficulté h trouver un prince capable
d'y prester l'oreille, qu'à prendre pied ferme en ce pays
là. Je le thésauriserai donc attendant que Dieu ad-
jouste la puissance à ung que je sçai qui en auroit bien
la volonté. L'effect d'Angleterre me semble indigne :
à la vérité j'eusse désiré qu'ils eussent suivi une aullre
voie, car les libelles fameux ne se doibvent pas ainsi
mettre à tous les jours; mais on se plainct fort que la
loi a esté tirée par les cheveux, et que, pour les faire
punir, on a déterré une vieille ordonnance de la royne
Marie; Dieu veille qu'on ne la déterre poinct elle
mesme. On m'escrit que M. de Cimiers feut prié par
la femme de M. Stupp et aultres ses parens d'inter-
céder pour lui. S'il est ainsi, et qu'il ne l'ait faict, comme
ils dient, je pense qu'il a laissé eschapper une belle
occasion d'acquérir la bienveillance du peuple à son
maistre, ou d'en diminuer la haine; il est assez pra-
dent pour s'en estre advisé, et pourtant plusieurs ju-
gent de là que monseigneur enfin descondra, s'il peut,
ce mariaige, ayant tenu si peu de compte de se faire ai-
mer au païs. liiitia malorani /lœc , tieduin finis. J'ai
veu ici des lettres d'Allemaigne, escrites à Couloigne,
qui parlent d une grande armée qui s'y prépare soubs
f i) Secrétaire d'eslat du roy de Navarrq.
84 LETTRE DE M. DUPLESSIS
un chef muet, avec plusieurs particularités. Je crois que
ce seroit ces levées de bouclier de la Franche Comté;
toutesfois nos petits brouillons ne travaillent pas en
vain , pour le moins sans dessein. Je ne vous escris
poinct de nouvelles, vous estes à la source. D'ores en
avant je prendrai les argumens de vous escrire, puis
que ce désert m'excuse; mais vous ne me rendrés pas
la pareille, s'il vous plaist. Vous sçavés comme Phi-
lippe Melancthon a esté bruslé en grand triomphe à
Munich , et comme le feu se meit au chasteau pendant
la feste , et les lions eschapperent qui empescherent
de courir au feu. Justa Domini judicia. Sur ce , nous
saluons humblement vos bonnes grâces, et supplions
le Créateur, etc.
VIII. — ->;«'LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Danzaj, ambassadeur du roy de Dan-
nemarck.
Monsieur , ayant receu vostre lettre du 29* de dé-
cembre, je A'ous y avois faict response , et dressé ung
petit mémoire que je vous envoie; mais comme je des-
peschois le messager , celle du 1 1'' de novembre me feut
rendeue , et aussi deux de M. Languet, et parce qu'il
me prye de lui escrire particulièrement, comme le
faict gênerai que nous poursuivons a esté conduict des
le commencement, je lui ai bien voulleu satisfaire;
je vous en envoie une copie. Je serois fort aise qu'il y
exist chose qui vous pleust et donnast quelque soula-
gement. Ce m'a esté très grand plaisir d'avoir cognu
par vostre dernière lettre du 3* de novembre , que ne
désespérez du succès de ma négociation , comme pour
A M. DE DANZAY. 85
certain nous ne debvons; mais plustost recognoistre le
fniict qui est proveneu de nostre labeur en ce faict. Car,
si le roy de Dannemarck n'eust esté confirmé par les
lettres du roy de Navarre, je ne sçais qu'il feust adveneu ;
et si ledictroy de Dannemarck eust subscript au livre de
Concorde, il eust esté soudain publié, au grand préju-
dice de toute la chrestienté; mais par la constance et
libres remontrances , il a donné craincte aulx auc-
teurs du livre de Concorde, confirmé ceulx qui s'y
opposoient, et donne occasion à plusieurs de n'y sub-
scrire par les raisons qu'il allégua publicquement à
Gustrau , l'an passé, en la présence de l'électeur de Saxe
( combien qu'ils ne contestèrent ensemble de la relli-
gion), ou plus de cinq cens gentilshommes allemans
se trouvèrent. Car le roy de Dannemarck n'est poinct
dissimulateur.
Si les roys et princes accusés , auxquels ce faict touche ,
ne s'en veullent mesler, de telle affection que l'impor-
tance le mérite , il est évident que les particuliers tra-
vaillent en vain , et combien que leurs escrits et remons-
trances servent beaucoup , si est ce qu'elles tourneront
à néant, si lesdicts sieurs princes ne veullent faire leur
debvoir.
Il nous fault asseurer que la royne d'Angleterre s'y
emploiera fidèlement (veu la déclaration qu'elle en a
faicte), et que plusieurs seigneurs d'auctorité, qui sont
auprès d'elle, sçauront bien user de l'occasion quand
elle se présentera , car ce faict ne touche moins sa ma-
jesté et le royaume d'Angleterre que celui de France.
Cependant le roy de Navarre ne se doibt oublier, ne
délaisser la poursuite de ce qui a esté si heureusement
avancé en son nom. Je vous proposerai deux moyens
86 LETTRE DE M. DUPLESSIS
pour ce faire; i'iing gênerai, l'aulfre particulier. Quant
à la généralité, nous poursuivons ung synode gênerai.
Le roy de Dannemarck ne defauldra à son debvoir, et
vous voyez que les ducs Cazimire de Hanhald de Po-
meranie, et le landgrave de Hesse poursuivent plus
vivement et diligemment ledict synode gênerai, que les
princes accusés, qui demonstrent n'en avoir aulcun
soin. Puisque les piinces sont insimulés de plusieurs
hérésies, il me setuble qu'ils ne sçauroient plus com-
modément ne facilement desmontrer leur innocence,
et le tort qui leur est faict, que par une confession de
foi, qui soit proposée au nom desdicts seigneurs princes;
car il ne nous fault tant travailler à prouver nostre
innocence, qu'à clairement desmontrer les calomnies
des théologiens qui ont persuadé à plusieurs princes et
seigneurs, et au commun peuple d'Allemaigne, que nous
ne croyons point que le vrai corps de Christ nous soit
comnuuiiquéen sa sainte Cène, quoique nous le disions,
et que nous nions que Jésus Christ soit Dieu tout puis-
sant. Davantage ceux qui nous accusent , ne sont poinct
incités d'un vrai zèle de la relligion, ains seulement
d'une ambition et cupidité insatiable de vengeance, qui
est le pis , et où des théologiens à leur dévotion doctes,
eloquens et d'esprit aigu et subtil , qui , volentes et
scientes j peccciiii, et qui peuvent desguiser ung chat
en loup. Mais Dieu soit loué , qu'il y ait des princes en
Allemaigne qui le cognoissent. Ce considéré , il seroit
à désirer qu'il pleust au roy de Navarre envoyer une
pure et simple confession de sa foi aux princes sus-
dicts,en son nom, et en demander leur advis. Cettecon-
fession sera d'aultant plus agréable à tous, et plus fa-
cilement receue , qu'elle sera simple et claire. Que le
A M. DE DANZAY. 87
roy de Navarre déclare son opinion des articles qui sont
en controverse, entre ceulx de la relligion reformée
( à quoi les Eglises des Pays Bas ont amplement satis-
faict, selon mon advis). Qu'il demonstre les calamités
qui proviennent de telles controverses, et qu'elles ne
se peuvent mieux finir que par ung synode gênerai ,
comme iesdicts princes confessent. Pour ceste cause,
qu'il les prye joindre leurs pryeres aux siennes, pour
plus facilement obtenir de l'électeur de Saxe (duquel
le tout dépend) qu'il consente au synode : je ne puis
penser qu'ils ne s'y emploient aussi facilement que le
rov de Dannemarck : et si ledict électeur refuse leur
intercession (ce que je ne puis croire, veu l'équité et
l'importance de la cause), il est certain qu'ils lui con-
trediront, d'aultant plus quant au livre de Concorde,
et par ce moyen , nous romperons ou empescherons
tous les desseins.
Puisque le roy de Navarre est publicquement blasmé
de son honneur, je ne puis voir cause qui le doibve
garder ne empescher de se défendre et conserver, et
de promptement envoyer quelques suffisans ministres
devers Iesdicts princes, pour leur faire cognoistre son in-
nocence. Je crains seulement que pour ce respect ses ad-
versaires en France ne le accusent envers le roy , qu'il
faict nouvelles pratiques en Allemaigne contre sa pro-
messe, et qu'il veult troubler son estât. Pour ceste cause,
je vous ai escrist ci devant qu'il ne seroit mal à propos
qu'il fist entendre au roy de France ( s'il ne l'avoit au-
paravant faict), pour quelles causes il estoit contrainct
d'envoyer en Allemaigne, car tels voyages ne se peu-
vent celer. Voilà , quant au gênerai , qui ne se peult
procurer ne accomplir sans ung long temps. Quant au
particulier , il est nécessaire de user promptement et
88 LETTRE DE M. DUPLESSÏS
diligentement de l'occasion qui se présente, que je
vous déclarerai.
Il est certain que l'électeur de Saxe sera en Danne-
marck sur la fin du mois d'avril prochain , et plusieurs
princes d'Allemaigne de la relligion reformée; pourtant
il me semble qu'il seroit bien nécessaire que le roy de
Navarre escrivist derechef <?//! roy de Dannemarck pour
]e remercier du fidèle debvoir qu'il a faict pour avancer
la cause commune, et le pryer de continuer, s'offrant
l'occasion (comme pour certain il fera), et y adjouster
les aullres argumens que vous savez propres, pour as-
seurer et augmenter leur commune amitié , et croyez
qu'il lui peut escrire comme à ung prince qui lui est
ami très affectionné. Aussi qu'il lui plaise escrire une
aullre \^i\.Ye ^wàSx. électeur de Saxe . i ".Qu'il l'a tousjours
teneu pour ung de ses meilleurs amis, voire pour père.
1^ . Que quehjues théologiens d'Allemaigne l'ont public-
quement insimulé de plusieurs hérésies, et les Eglises re-
formées de France, contre tout droict et raison. 3° Qu'il
est contrainct de défendre son honneur, et remonstrer
l'innocence desdictes Eglises. 4"- Ql'c P'^i' telles accusa-
tions , le roy de France est irrité contre lui ; il est rendu
odieux à plusieurs grands seigneurs qui lui esloient au-
paravant amis, et ses ennemis daubant plus incités à
lui nuire davantage, que le pape et ses adherens ont
d'aultant plus d'occasion de lui covu^^e sus, et convertir
leurs forces contre les Eglises reformées de France, qui
ne se peult faire sans l'effusion du sang d'une grande
noblesse et de plusieurs gens de bien ( qui ont tant de
fois demonstre vertu et consîance pour la défense de
la vraie relligion), et d'ung nombre infini de povres
femmes et enfans innocens. 5". Qu il désire surtout que
ledict électeur ait vraie cognoissance de son intégrité
A M. DE DANZAY. 89
et innocence, aussi que ce lui est une véhémente dou-
leur d'entendrê~qu'il n\t conceu une mauvaise opinion
de lui. Pour reste cause, qu'il le prye très affectueuse-
ment vou Hoir lire et considérer la confession de foi qu'il lui
envoiera de brief, par homme exprès, et la déclaration
de son opinion sur les articles de la relligion qui sont
en controverse; et s'il y trouve quelque erreur, ou
chose ambiguë, ou qui ne soit assez clairement expli-
quée, qu'il le prye lui voulloir doulcement remonstrer
selon la charité chrestienne , et qu'il suivra volontiers
son ad vis, s'asseurant qu'il sera conforme aux escrits
des prophètes, apostres et le commun consentement de
l'Eglise orthodoxe. 6°. Cependant qu'il prye ledict élec-
teur user de son auctorité envers lesdicts théologiens,
afin qu'ils le déportent de le blasmer et detracter de lui et
des Eglises de France, jusqu'à ce qu'ils y aient esté suf-
fisamment ouïs. 7°. Parce que le droict des parties ne
peultestre plus facilement cognu ne déclaré , ne les dis-
sentions qui sont entre ceulx de la relligion reformée
plus promptementne seurement finies, ne composé que
par ung synode gênerai et libre, qu'il prye très affec-
tueusement ledict électeur de voulloir nommer, quelque
lieu oh il puisse estre teneu , et aussi le jour , et qu'il
ne fauldra d'y envoyer, et les Eglises de France. 8°. Qu'il
a envoyé pour mesme cause et fin devers tous les roj^s
et princes de la relligion reformée, afin qu'ils ne adjou-
tent foi à ceulx qui detracteront de lui et des Eglises
de France. Aussi, pour faire cesser telles calomnies et
injures aux pays de leur obéissance, jusques à ce que,
par ledict synode gênerai , il soit suffisamment demons-
tré en quoi les Eglises de France errent en la relligion.
9°. Qu'il ^ expressément commande à ceulx qui sont
allez devers^les aultres princes, que, après avoir eu leurs
90 LETTRE DE M. DUPLESSIS
advis, ils aillent trouver ledict électeur, afin que le tout
soit resoîeu et concleu, selon qu'il advisera et jugera
estre expédient pour composer lesdictes pernicieuses
contentions en la relligion, ([ui sont cause de tant de
tristes calamités que la clirestienté a soufi'ertes, et par-
tira , ci après, s'il n'y est promptement pourveu, et qu'il
approuvera volontiers son advis.
Les articles qui touchent l'honneur du roy de Na-
varre, sa personne, ses mérites envers ceulx de la relli-
gion, et la guerre, aussi l'effusion du sang du povre
peuple, se doibvent traicter gravement et amplement ,
les ungs afin que ledict électeur voye les malheurs que
telles condamnations et dissentions apportent. Que le
roy de Navarre lui a esté tousjours vrai ami , qu'il ne
Fa jamais offensé ; néanmoins qu'il semble que lesdictes
condamnations ayant esté seulement faictes pour tota-
lement le destruire; les aultres, pour esmouvoir ledict
électeur à pitié, qui sont champs assés amples, pour
donner plaisir à tel esprit que le vostre.
Jai expressément dict que le roy de Navarre avoit en-
voyé devers les roys et princes de la relHgion reformée
pour trois causes. L'une , afin que ledict électeur, estant
pryé du roy de Dannemarck d'accorder au roy de
Navarre sa juste pryere, il y veuille plustost consentir
et avec son honneur, que d'attendre que les aultres
princes l'en requièrent. L'aultre, afin qu'il cognoisse
que toute la chrestienté entendra le tort qu'il faict à
plusieurs roys et princes par telles condamnations. La
troisiesme qu'il n'a occasion de deffendre l'insolence de
quelques corrompeus théologiens, pour offenser tant
de princes. J'ai ceste espérance en Dieu , si le roy de
Navarre escrit une si honneste et affectionnée lettre
audict électeur, qu'il en aura bonne responce; car je
A M. DE DANZAlY. 91
vous puis asseurer que le roy de Dannemarck lui en
parlera de très grande affection , aussi , qu'on ne de-
mande (qui est le principal) que chose saincte, juste et
très raisonnable.
Et quoi qu'il fasse, si les princes susdicts demeurent
en leur opinion, et y soient contlrmés par les remons-
trances diidicl roy de Navarre, nostre parti en Allemai-
gne ne sera moindre que celui de nos adversaires. Mais
j'ai ceste opinion que ledict électeur sera à la fin vaincu
par prières et par la raison, quand il verra la déli-
bération et poursuite qu'en faict ledict roy de Na-
vaire.
Je fay souvent mention d'une confession de foi géné-
rale escrite au nom du roy de Navarre pour ces causes:
1°. Que je ne me puis apercevoir d'aullre moyen pour
deraonstrer son innocence en la relligion que celui là.
2^. Qu'on y ajoutera plus de foi, et sera plus agréable
qu'à ung particulier. 3". Qu'on ne lui reprochera qu'il
confesse aultrement de bouche qu'il ne croit de cœur,
comme à ung tlieologien, aussi j'ai cesle opinion que
les théologiens d'vlllemaigne accepteront plustost la
confession dudict roy de Navarre, que du plus docte
théologien qui vive mesmement , s'd met en l'article de
la samcte Cène une pure et simple confession de ce qui
est suffisant à nosire salut, car cela est le subject de
union et concorde. J'envoie à présent une reforme d'une
particulière confession de la saincte Cène, parce qu'elle
est agréable au roy de Dannemarck, et approuvée des
principaulx théologiens de son royaume, et quand il
la monstrera audict électeur, il lui dira que telle est son
opmion , et espère que ledict électeur ne la rejeitera.
Aussi j'ai mis la controverse qui est entre les théolo-
giens «c //2o«f6>/?/-<^j-e/z//^, et mandiLcationis corporis
ga LETTRE DE M. DUPLESSIS
Christi m sacra Cœna , vous y ajoulerés et changerés
ce qu'il vous plaira. Quand nous conviendrons de ce
qui est nécessaire à nostre salut, il est certain que ceste
controverse sera d'autant plus facilement finie. Je fay
mention de Chytraeus et de Jacobus Andrse, princi-
paulx aucteurs du livre de Concorde, afin que Tung
soit cogneu impudent calomniateur par ses escrits, s'il
attribue telle erreur aux Eglises de France; et l'aultre
ung pernicieux docteur, par le jugement de plusieurs
princes et doctes théologiens d'Allemaigne. J'ai ci devant
envoyé à M. de Villiers ung exemplaire de la raison
dudict Chytraeus : je vous prye , monsieur, pourvoir en
tout comme vous jugerez estre expédient et néces-
saire; quant à moi , je n'ai rien promis, ne donne espé-
rance à personne quelconque de ce que je vous escris;
ne ferai que selon vostre advis; nul n'aura occasion de
s'en plaindre : Dieu veuille conduire le tout à son hon-
neur et gloire. Si le roy de Navarre s'y veult employer,
je vous prie, monsieur, autant affectueusement qu'il
m'est possible, que vous m'en veuilliez en gênerai ad-
vertiren toute diligence, et que c'est qu'il veut pour-
suivre généralement ou particulièrement , afin que je
puisse préparer ce qui sera nécessaire pour l'avance-
ment et accomplissement de ce qu'il désirera. Estant
en doute si l'électeur de Saxe viendroit par deçà , je ne
vous en ai osé asseurer, afin que ne fissiez entendre
chose au roy de Navarre, audict électeur, estoit agréable
à M. Languet, et la lui voulleust présenter, je vouidrois
de bon cœur que sa majesté lui en donnast la charge ,
car il la sçauroit mieulx conduire que personne que je
sçache; mais il ne fault mettre ce bon sieur là en peine.
Jesçai que vous ne ferez rien que de son consentement;
ledict électeur doibt partir de Dresden le troisiesme
A M. DE DANZA.Y. gS
d'avril , pourtant il ne sera en Dannemarck que sur la
fin dudict mois. v
Le roy de Pologne avoit ci devant pryéje roi de Dan-
nemarck d'envoyer ses députés à Stettin , ville du
duché de Pomeranie, au commencement du mois de
janvier dernier passé , et qu'il ne fauldroit d'y envoyer
les siens pour convenir des articles d'une ligue ou con-
fédération ensemble contre le Moscovite : ceulx du roy
de Dannemark s'y sont trouvés, mais le Polonnois s'est
excusé. L'on dict que ledict Moscovite a envoyé devers
lui, pour faire paix ou trêves. Je ne doute poinct qu'il
n'accepte volontiers l'une des deux conditions, veu le
peu de moyen qu'il a de continuer la guerre, aussi que
les estats de Pologne veullent avoir la paix. Je suis très
marry que monsieur se soit allé embrouiller avec ce ma-
riaige, car cela ne faict que diminuer sa réputation et
honneur; et s'il ne succède , je crains que telle pratique
ne soit grandement préjudiciable à l'une et à l'aultre
partie. Pour le moins, il n'y aura jamais amitié entre
eulx , dont infinis maulx peuvent advenir et à eulx et à
plusieurs aultres. Si vous entendes quelque chose cer-
taine de laroyne d'Angleterre , je vous prye très affec-
tueusement, monsieur, m'en advertir; car comme vous
sçavez cela est d'importance par deçà. Aussi je vous
prye me faire cest honneur que je sçache souvent de vos
bonnes nouvelles, car je vous promets qu'elles me sont
de très grande consolation. Je ne vous puis dire aultre
chose de feu M. de Varenes , sinon qu'il estoit de Picar-
die, et que feu madame la duchesse de Valentinois, pour
quelque faulte qu'il feit, eut la confiscation de son
bien. Je vous envoie la forme de son cachet : je ferai
pour son fils comme s'il estoit le mien propre.
Monsieur, je me recommande bien humblement à
94 LETTRE DE M. DUPLESSIS , cic.
vostre bonne grâce, et prye Dieu de vous donner très
heureuse et longue vie.
Ce dernier de febvrier i 58o.
Vostre obéissant ami.
IX. — ADVTS DE M. DUPLESSIS
Sur les moyens de contenter les catholiques romains
demandans le restablissement de Vexercice de leur
relligion en Bearn , envoyé au roy de Navarre en
Van i58o.
Il est mal aisé de parler pertinemment des choses à
qui n'est sur les lieux; car la moindre circonstance en
change la nature, et aussi n'est le présent mémoire que
pour servir au meilleur advis de ceulx qui voient les
choses de plus près.
Partie des subjecls du roy de Navarre en Bearn lui
demandent Texercice de la relligion romaine, et sont
leurs requestes favorisées du roy. Or, soit que ledict sei-
gneur roy l'accorde ou le refuse, il y a des inconve-
niens grands et difficiles à éviter.
S'il le refuse, partie de son peuple sera mal content,
aussi sera le roy mesme , et ses ennemis prendront ceste
occasion pour susciter ses subjects contre lui, que par
après ils aideront de tous leurs moyens; de là, par une
suite comme nécessaire, nous rentrons en guerre en
France ; davantage le roy alléguera que le roy de Na-
varre l'aura pressé d'une chose qu'il n'aura voulleu
pratiquer en son propre Estât.
S'il l'accorde , en voici derechef d'aultres. Toute
mutation , quelque licite qu'elle puisse estre, a du dan-
ger en soi; l'aultre partie de son peuple , qui est la plus
ADVIS DE M. DUPLESSIS, etc. gS
affectionnée, le trouvera mauvais; les princes et estats
qui font profession de nostre relligion pareillement, et
sa majesté sçait assés qu'il n'y a poinct faulte de gens
qui embrassent volontiers ung subject de calomnier,
veu que, sans subject, ils n'en ont faict conscience; or
est il trop plus à craindre d'offenser ses amis et bien-
veillans , que non pas ceulx dont l'amitié ne se peut
acquérir, ni Fiinmitié diminuer , ni peut estre accroistre.
De deux maulx c'est quelque prudence de choisir le
moindre , plus grande de les éviter tous deux , mais
très grande quand on les convertit à son bien et advan-
cement.
Le roy de Navarre y a prudemment procédé quand
il a respondu que la relligion romaine avoit esté abolie
en ses pais par une légitime convocation d'estats, et
ne s'y pouvoit ni ne debvoit r'establir que par une sem-
blable; car par ce moyen il a gaigné temps, et qui a
temps , dit l'Italien, a vie. Davantage il se gaigne tou-
jours quelqu'ung à nostre relligion, et les aultres s'ac-
coustument plus à se passer d'idolâtrie; qui pourroit
tousjours dilaier ainsi, ce seroit ung grand bien, et
peut estre que la déloyauté ordinaire de nos ennemis
en continuera les occasions au roy de Navarre, veu
qu ils ne se peuvent contenir de surpendre ores une
place, et ores l'aultre , et faire des infractions évidentes.
Mais parce qu'il est mal aisé que tous délais n'aient
une fin , et que la longueur pourroit estre interprétée
pour ung refus , semble que le roy de Navarre en pour-
roit tirer de l'advancement pour la relligion, et de la
réputation grande pour lui , s'y conduisant en la façon
qui s'ensuit, asçavoir :
Qu'estans les choses en quelque repos en France, il
publiast un concile ou conférence pour le faict de la
gG ADVIS DE M. DUPLESSIS
relligion en ses pays souverains en dedans ung temps
prefîx et limité, pour donner contentement à to st son
peuple , avec une préface bien fondée , telle qu'on la
pourroit dresser à ce propos.
Qu'à icelle il conviast par lettres les plus capables
ministres des Eglises françoises, entre lesquels il pour-
roit choisir MM. de Beze , Chandieu, Villiers , Merlin,
de Spina et aultres, oultre ceulx qu'il a près de sa per-
sonne , ou bien en ses pays.
Qu'il y conviast pareillement, par l'escrit qui se dres-
seroit pour ladicte convocation, tous ceulx de la relli-
gion contraire , clercs et laïcs qui vouldroient entrer en
ladicte conférence , de quelconque nation que ce feust,
leur y promettant libre et seur accès et reces en foi et
parole de prince chrestien.
Que ladicte convocation feust imprimée et divulguée
par tout et en toutes langues, et mesmes que le roy de
Navarre en escrivist lettres bien solennelles aux princes
voisins ses amis , tant d'une que d'aullre religion.
Là dessus ne fault doubter que le paj)e et les prélats
n'usent de leurs façons accoutumées, asçavoir de pu-
blier des nullités contre ladicte assemblée, comme ne
se pouvant telles choses faire , sinon de par l'evesque de
Rome; item, interjeter des excommunications contre
tous ceulx de l'Eglise romaine qui s'y trouveront , et
lors telles responces ne seront pas sans bonnes répli-
ques.
Cependant de ces fuites et chicaneries on se pourra
prévaloir envers le peuple, auquel il sera aisé de faire
voir que les prélats fuient la lumière , craignans que
leur imposture ne soit descouverte.
Que si, non obstant icelles excommunications, aul-
cuns se veullent trouver en ladicte assemblée, tant
TOUCHANT LES CATHOL. DE BEARN. 97
plus beau sera le champ au roy de Navarre d'advancer
la oloire de Dieu, et d'acquérir une réputation mer-
veilleuse par toute la chrestienté; alors donc il pourra
commencer ladicte conférence par une prière à Dieu,
suivie d'une belle harangue à tout son peuple, lui re-
raonstrant le soin qu'il a, non de son repos seulement,
mais aussi de son salut; qu'il auroit appelle une telle
assemblée pour lui faire voir avec quel droit la feue
royne sa mère et lui auroient procédé à la reformation
de l'Eglise.
Lors pourroit addresser sa parole indifféremment,
tant aulx ecclésiastiques romains, qu'aulx ministres,
leur demandant précisément si Jésus Christ n'est pas
venu pour nostre salut ; s'il ne nous en a pas donné la
règle par escrit par les mains de ses apostres; si ce n'est
pas la parole de Dieu contenue au vieil et nouveau Tes-
tament; si celui qui a accompli nostre salut, ne nous
y a pas enseigné tout ce qui y est nécessaire ; si ce qui
s'y trouve ne doit pas estre pratiqué en l'Eglise , et ce
qui non, rejeté comme inutile; si les romanistes s'y
opposent , il est aisé de les convaincre comme blasphé-
mateurs , et on pourra armer sa majesté mesme de telles
raisons, qu'il leur clorra la bouche; s'ils s'y accordent,
c'est encores le meilleur, car leur doctrine ne pourra
subsister.
C'est la loi que proposa le grand Constantin à l'en-
trée du concile de Nicee pour vuider le différend d'A-
rius; que l'Escriture sainte, qui estoit receue des deux
parties, en feust juge. C'est aussi ce qui feut pratiqué
par les cantons protestans de Suisse en la mutation de
la relligion, les magistrats demandans en paroles d'auc-
torité aux presbtres si la Bible n'estoit pas la règle de
salut, et leur commandansde trouver en icelle ce qu'ils
Mém. de DuPiF.ssis-MoRNAy. Tome ir. n
98 ADVIS DE M. DUPLESSIS
enseignoient au peuple ; dont tout le peuple cogneut
combien les prélats redoutoient d'avoir Jésus Christ
pour juge , et condescendit unanimement à la reforma-
tion. En Angleterre , aussi semblable procédure feut
tenue , les ecclésiastiques estans en pompe d'ung
costé , et trois ou quatre povres ministres de Taultre;
ceux là honorés, ceux ci rudoyés de ceulx qui presi-
doient; le peuple au reste encores nullement instruit
en la relligion. Cependant les docteurs du pape, re-
fusans d'entrer en lice soubs une si juste loi , il com-
cençaà les siffler comme imposteurs, dont ils se cachè-
rent de honte.
Telles procédures sont légitimes, et pourtant bénites
et favorisées de Dieu ; les plus obstinés mesmes s'en es-
tonnent , n'ayans rien à apporter à l'encontre , et n'y a
celui si peu soigneux de son salut entre les papistes,
auquel elles ne donnent à penser, principalement quand
une conférence est bien conduite , et qu'on commence
par les poincts les moins tenables ; car , comme on voit
ployer les adversaires , on entre en pareille double de
tout le reste : or cet ordre dépend de celui qui y pré-
side, qui seroit le roy de Navarre.
Les subjects papistes du roy de Navarre n'auroient
poinct d'occasion de mécontentement , car ils verroient
le soin qu'on auroit de les contenter; le roy ne le pour-
roit trouver mauvais, car on pourroit alléguer l'exem-
ple du colloque de Poissi , tenu à mesme fin, et lui
niesme remet la définitive de la relligion à un libre
concile ; ce sont les niaulx qu'il y eust eu aultrement à
craindre, que par une si légitime voie nous pouvons
éviter.
Mais les voici au contraire convertis en un grand
bien; car ce petit concile, tenu avec telles formalités.
TOUCHANT LES CATHOL. DE BEARN. 99
seroit un preparatif pour l'assemblée des estats, de
laquelle, à mon advis, on auroit par après à espérer
l'affermissement de la vraie relligion , ayant honte un
chacun du pays de porter la parole pour la fausse , ou
condamnée par défaut , ou convaincue par la parole
de Dieu. Davantage ce seroit une ouverture pour les
aultres princes et estats , qui pourroient se trouver en
pareilles difficultés. Bref, cest acte si solemnel de pieté
et prudence acquerroit au roy de Navarre une répu-
tation qui retentiroit par toute la chestienté , demen-
tiroit tous ceulx qui l'ont calomnié par le passé, et
lui feroit le chemin pour parvenir à ceste insigne gran-
deur, que nous voyons préparée en nostre siècle pour
le premier prince qui embrassera la vraie sagesse et vertu.
Et ne fault poinct que le peu d'estendue de ses terres
souveraines l'en destourne , comme quelques uns pour-
roient alléguer. Tant moindre est sa puissance , et tant
plus grande et redoutable sera sa vertu et réputation.
Le duc de Saxe, qui premier chassa la messe en son
pays, estoit subject de l'empire, qu'il avoit tout con-
traire, et n'avoit pas ni les forces ni les amitiés qu'a le
roy de Navarre. Et estoit la disposition de la chres-
tienlé tout aultre qu'elle n'est aujourd'hui; mais la
crainte de Dieu lui chassa du cœur toute crainte.
Cependant le roy de Navarre pourra demander advis
sur ceste affaire aux EgHses de France, à la royne d'An-
gleterre , à M§' le duc Gazimir, à M. le prince d'Orange ,
aux cantons protestans de Suisse et leurs alhés, les-
quels en seront d'autant plus obligés à le soustenir, si
aulcuns le vouloient troubler, ayant suivi leur conseil.
Je prye Dieu qu'il le lui inspire tel en ung faict si im-
portant , qu'il soit au bien de son Eghse et au conten-
tement de tous les gens de bien. Amen.
loo LETTRE DE M. DE DANZAY
X. — ^ LETTRE DE M. DE DANZAY,
ambassadeur du roj de Dannemarck , a M. Duplessis-
Momaj.
Du i4 juin i58o.
Monsieur, j'ai receu vos lettres des dernier de feb-
vrier et 1 2 d'avril , aussi celles du roy de Navarre au roy
de Dannemarck, auquel je les ai présentées, et vous
asseure d'homme de bien , qu'il les a eu très agréables ,
et qu'il lui est très affectionné ami; comme les offres
qu'il m'a particulièrement faictes en pourroient donner
suffisant témoignage; mais parce qu'il ne gouverne
seul , et qui trop embrasse peu estraint (comme on dict
communément) , il m'a semblé que nous debvions pre-
mièrement asseurer le principal, et ce qui est de plus
grande importance , où je vous promets que j'ai eu de
la peine et de la fasclierie à bon escient , car nous avons
de puissans et vigilans adversaires; mais Dieu soit loué
qui a tellement meu et confirmé le cœur du roy de
Dannemarck , que c'est chose admirable. Sa majesté
promet, par les lettres qu'elle escrit à la royne d'Angle-
terre et au roy de Navarre, de s'employer fidèlement,
tant envers l'électeur de Saxe, que les aultres princes
d'Allemagne, que ung synode gênerai puisse estre tenu,
pour composer, par l'auctorité et commun consente-
ment des roys et princes de la relligion reformée, les
differens qui sont en leur relligion. Aussi il conseille
à ladicte royne et au roy de Navarre de envoyer devers
ledict électeur pour obtenir ledict synode , et donner
espérance que leurs majestés en auront bonne response.
Davantage il promet que cependant il usera diligente-
A M. DUPLESSIS. lOT
ment des occasions qui se présenteront pour persuader
audict électeur qu'il veuille consentir etaprouverledict
synode, aussi qu'il n'est raisonnable que les Eglises
accusées soient condamnées ne rejetees, premier qu'elles
aient esté suffisanlement et diligentement ouïes.
Apres que ladicte lettre du roy de Navarre eust esté
traduicte et leue au roy de Dannemarck , il se fit relire
en peu de temps, plusieurs fois avecques ung sin-
gulier plaisir, ces mots : XJtrumque peccatiun est,
utrique peccatum agrioscamur^ utriqae mamim medi-
cam afferamus; allegant que c'estoit le vrai moyen
de poursuivre paix, union et concorde, non pas user
de detraction, injures et conviées, comme faisoient
les théologiens. Pour certain, monsieur, si ceulx qui
traiteront des moyens de concorde en la relligion , ne
sont fort prudens et modestes, il ne s'eh ensuivra que
toute confusion et desordre, et à la fin la ruyne de
tous. Je vous dirai ici en passant (pour parler entre
nous sincèrement et librement), que les lettres de la
royne d'Angleterre ont esté rendues au roy de Danne-
marck, au temps que sa lettre au roy de Navarre es-
toit escrite. Les Anglois n'ont tant estimé l'importance
du faict qui se poursuit, que d'avoir daigné envoyer
ung homme exprès devers le roy de Dannemarck pour
lui présenter lesdictes lettres, et en demander la res-
ponce, ce qui a bien esté noté; elles ont esté délivrées
à un facteur de marchand du port de Helseigneur,
qui les a bailliees au secrétaire d'estat du roy de Danne-
marck, parce que M. Walsingham m'avoit recommandé
l'affaire, j'en ai poursuivi la responce, comme j'avois
des lettres du roy de Navarre. Aussi que les princi-
paulx de ceste court ont opinon que je sois cause de
l'une et l'àultre lettre; mais quoi qu'il y ait, c'est une
102 LETTRE DE M. DE DANZAY
singulière bénédiction de Dieu que le roy de Danne-
marck ait faict une si sincère, libre et ample déclara-
tion de sa volonté envers ladicte royne et roy de Na-
varre, et mention des lettres de l'ying aulx lettres de
Taultre, car elles seront communiquées à plusieurs,
et j'espère que la resolution de ces deux roys et de la
royne d'Angleterre confirmera à plusieurs princes qui
sont de bonne volonté en leur opinion, excitera les
ignorans d'en considérer les causes, et donnera crainte
aulx adversaires. Ce sera maintenant à vous d'employer
ce que vous aurez de moyen pour inciter ladicte royne
à poursuivre ce qui est commencé, de plus grande
affection et zèle qu'elle n'a faict jusqu'à présent. Vous
verrez par le discours que j'ai envoyé audict sieur Wal-
singbam, le debvoir que je y ai faict. Parce que le roy
de Navarre et les Pays Bas (auxquels l'on en veult prin-
cipalement) sont en guerre, leurs prières n'auront pas
beaucoup de lieu envers nos accusateurs, si elles ne
sont assistées de l'auctorité de la royne d'Angleterre,
du roy de Dannemarck et des princes d'Ailemaigne.
Vous m'escriviez, par vostre dicte première lettre, que
vous aviez délibéré de venir en Dannemarck au prin-
temps , ou au commencement de l'esté , ceste présente
année, et de là passer en Allemaigne, si vous enten-
diez que ce voyaige ne feut suspect au roy de France ,
je vous ai ci devant escrit deux ou trois fois que, pour
éviter telles suspitions , il ne seroit hors de propos que
le roy de Navarre envoyast devers le roy de France
pour lui faire entendre que quelques malins esprits
avoient publicquement escrit contre son honneur en
Allemaigne , et faulsement accusé de plusieurs erreurs.
Pour ceste cause, qu'il avoit envoyé devers les princes
de Allemaigne pour leur faire cognoistre son innocence
A M. DUPLESSIS. Jo3
et le tort qui lui estoit faict, aussi pour le prier qu'ils
fissent une exemplaire punition de tels calomniateurs et
détracteurs ; mais si la copie de lettre qu'on dictque le roy
de Navarre a escrit à Nerac le 1 5 d'avril de ceste présente
année, à la royne de Navarre , sa femme , est véritable ,
vous n'aurez besoin de telles excuses , ne déclarations,
dont je suis bien marry, considérant que ceste guerre ,
si elle continue , sera l'entière ruyne et destruction du
royaume de France. Dieu , par sa miséricorde , ait pitié
de nous ! quand l'exécution de ce tant cruel et inhu-
main conseil feut faicte à Paris , le jour Saint Barthe-
lemi , les Pays Bas se rendoient au roy de France, du
consentement de la royne d'Angleterre , du roy de Dan-
nemarck et de tous les princes protestans d'Allemai-
gne , et une si belle occasion feut empêchée par ce tant
détestable acte. A présent , ceulx qui en feurent les auc-
teurs , veullent , par semblables moyens , rompre ce qui
se traicte entre le duc d'Alençon et les dicts Pays Bas ;
mais si le duc a quelque mémoire, sens ou jugement,
il se souviendra du danger où il s'est aultre fois trouvé,
et considérera que ceulx qui procuroient sa ruyne
et destruction , n'ont rien remis de leur mauvaise vo-
lonté contre lui , et qu'ils sont plus puissans qu'ils ne
furent oncques, qui ne fauldront s'accomplir leur pre-
mière délibération contre lui, après avoir rompu le
roy de Navarre. Je prye Dieu de tout mon cœur qu'il le
veuille bien conseiller. A présent, si nous avons guerre
en France, il ne fault doubter que le roy de Navarre ne
fasse une pubiicque déclaration de ces causes , qui l'ont
contraint à prendre les armes , et qu'il en advertira
particulièrement les princesses amis, mesmement le roy
de Dannemarck et les princes protestans d'Allemaigne.
Si vous persévères en vostre première délibération , ceci
I04 LETTRE DE M. DE DANZAY
pourroit servir de l'une des causes de vostre voyaige.
Davantage, vous pourrez, par mesme moyen, conférer
avec le landgrave de Hesse, les ducs Cazimir, de Anhald,
de Pomeranie et de Holstein, des controverses qui sont
en la relligion , et prendre quelque resolution ensemble,
des moyens pour les compos- Russi les pryer de pro-
curer diligentement le synode rai.
J'ai mon opinion , et me tiens o .ne asseuré que le
landgrave de Hesse , les ducs Cazimir et de Anhald s'y
employeront de très grande affection, et j'espère que
les ducs de Pomeranie et de Holstein suivront volon-
tiers leurs advis, et encores plus facilement le roy de
Dannemarck. Pourtant il me semble qu'il seroit néces-
saire de parler aulxdicls princes, selon l'ordre que je
déclare, afin que les plus sages et affectionnés instrui-
sent les aultres , et les incitent h. faire leur debvoir.
Il y a deux factions entre les princes et villes d'Alle-
maigne de la confession de Auguste , comme vous sça-
vez. L'une demande le synode gênerai , et que les Eglises
accusées soient ouïes, comme aussi faict le roy de Dan-
nemarck. Vous avez juste et suffisante occasion de aller
devers ceulx de ceste faction, s'il vous plaist, pour les
causes ci dessus deduictes et déclarées. L'aultre rejette
le synode. Les causes principales que les théologiens
allèguent pour l'empescher, sont que leur confession
est il y a long temps publiée, et parce qu'elle est con-
forme à la doctrine des prophètes et des apostres, qu'elle
doibtestre receue et approuvée de tous, davantage que
les Eglises qui y contredisent, ont esté suffîsantement
convaincues de leurs erreurs, et assés admonestées de
les recognoistre et corriger. Pourtant, si elles veullent
opiniastrement persévérer en leurs manifestes erreurs,
qu'il n'est besoin d'aulcun synode pour leur respect,
A M. DUPLESSIS, io5
aîns que à bon droict elles doibvent estre rejetees et
condamnées comme leurs erreurs mérite. Ce considéré,
il seroit bien nécessaire que le roy de Navarre fist une
confession de sa foi , en son propre et privé nom, comme
j'ai souvent remonstré , oui feust pure et simple , et re-
mist les controyerses r jnt en la relligion, au synode
gênerai ; que ceste _ssion feust communiquée aulx
princes d'Allemai^ , qui désirent ledict synode, pour
en avoir leur advis, mesmement du landgrave de Hesse,
des ducs Cazimir et de Anhald , comme ceulx qui en-
tendent très bien les vraies causes des différends en la
relligion, et cherchent fidèlement les moyens de les
composer. Aussi qu'on les pryast et les aultres princes
qui seront de leur opinion, d'envoyer devers l'électeur
de Saxe, avec les députés dudict roy de Navarre. Car,
si tant de princes ensemble envoyoient devers ledict
électeur, leurs communes pryeres auroient plus de
force et d'auctorité que si elles sont séparées. Si ceste
généralité ne se peut obtenir , les pryer qu'ils envoient
séparément devers ledict électeur , ou que , pour le
moins, ils lui veuillent très affectueusement escrire. Si
les députés de la royne d'Angleterre se trouvoient auprès
des princes d'Allemaigne qui tiennent nostre parti, au
même tenipsque ceulx du roy de Navarre, cela pour-
roit infiniment servir, à cause de l'auctorité et répu-
tation de ladicte royne (i). Je vous dirai en cest endroict
qu'il vous fauldraconsiderement parler avec les susdicts
princes , de modo verœ prœsentiœ veri corporis Christi
in sacra Cœnd ^ afin que ne les offensiez. Ce qu'il fault
(i) J'ai entendu que ladicte royne ne feroit confession de sa
foi que en synode gênerai ; car il fault opposer nostre confession
à la leur, si nous voulons estre cogneus innocens , veu que nous
sommes publicquement attaqiiés.
Io6 LETTRE DE M. DE DANZAY
nécessairement éviter pour le présent, de paour de les
aliéner de nous, et perdre tous moyens de paix et de
concorde, car je prévois bien que vous y aurez de la
peine; pourtant je vous remettrai en mémoire la forme
de profession de foi touchant la saincte Cène , que j'ai
souvent envoyée, parce que le roy de Dannemarck , et
tous ceulx deçà, l'ont agréable, et crois qu'elle ne sera
rejetee de personne, car, ayant une confession de foi de
la sainte Cène nécessaire et suffisante à nostre salut, ce
sera la base et fondement de union et concorde , et si
on ne peult à présent convenir d'une phrase ou mode
de parler , ou d'une commode explication de modo
verœ prœsentiœ corpo?'is Christi in sacra Cœnâ. Geste
controverse se pourra d'autant plus aisément différer
ou suspendre , quand nous conviendrons de ce qui sera
nécessaire et suffisant à nostre salut. Aussi, quand nous
condamnerons les erreurs qui nous sont faulseinent im-
j)utees , la controverse de impiis et oralL mandiica"
tione^ se finira facilement d'elle mesme. Le principal
est à présent que nous demonstrions le tort et l'injure
que lesdicts théologiens, par leurs inventions et ca-
lomnies , font aux Eglises accusées.
1. D'aultrepart, ceulx qui iront devers les princes ac-
cusateurs , se pourront premièrement plaindre que les
aucteurs du livre de Concorde , et quelques aultres
théologiens d'Allemaigne leur imputent faulsement plu-
sieurs erreurs et hérésies.
2. Que lesdictà théologiens, pour couvrir leur mali-
gnité, prennent quelques passages des livres de Luther,
Calvin, Zuingle et d'aultres docteurs qui ont escrit de-
puis cinquante à soixante ans, qu'ils interprètent à leur
fantaisie , et par ce moyen condamnent les aultres Eglises
contre droict, vérité et raison.
A M. DUPLESSIS. 107
3. Comme la foi des Eglises accusées n'est fondée
sur les escrits desdits Calvin, Luther ne Zuingle, aussi
qu'elles ne veullent estre condamnées par leurs escrits;
ains seulement par ceulx des prophètes, apostres et les
décrets de l'Eglise orthodoxe , selon la coustume de
l'Eglise ancienne.
4. Que les erreurs ne peuvent mieux estre considé-
rées ne cogneues que par ung synode libre et gênerai.
Aussi qu'il n'est raisonnable de condamner quelqu'un
premier, qu'il ait esté suffisamment ouï. Davantage, re-
monstrer que les hérésies et erreurs qui ont esté en
l'Eglise chrestienne, ont toujours esté condamnées par
les conciles et synodes généraux , et l'union des Eglises ,
par ce moyen, restituée et conservée. Pour ceste cause
qu'il est nécessaire que ung synode gênerai soit in-
stitué.
5. Pryer ledict électeur qu'il veuille cependant com-
mander à ses subjects de ne blasmer, accuser ne delrac-
ter des Eglises de la relligion reformée , et faire puni-
tion de ceulx qui y contreviendront, comme de vrais
perturbateurs du repos public.
6. Que, s'il n'y est diligentement et sincèrement pour-
veu , que les roys , princes et Eglises accusées protes-
tent des calamités qui en adviendront à la chrestienté,
et du sang innocent qui en sera espandu, dont ils ren-
dront un jour raison devant le juste jugement de Dieu ,
et d'avoir plustost creu aux menteries et calomnies de
quelques ambitieux et corrompeus théologiens, que au
vrai tesmoignage de plusieurs roys , princes et respu-
bliques chrestiennes.
Les Eglises des Pays Bas adviseront s'il seroit expé-
dient qu'elles s'assemblassent par manière de synode , et
pryassent le prince d'Orange d'envoyer en leur nom ,
lo8 LETTRE DE M. DE DANZAY
devers les princes protestans d'Allemaigne, pour obte-
nir le synode gênerai , et proposer ce qui sera néces-
saire pour la reconciliation des Eglises reformées , et que
cela s'accomplisse le plus tost que faire se pourra, car
il est fort à craindre que dans ceste diète impériale qui se
doibt tenir à Nuremberg, où tous les électeurs se trou-
veront , et plusieurs princes d'Allemaigne, il ne soit ré-
solu quelque cliose au préjudice des Eglises de France
et des Pays Bas.
Par vostre lettre du 12* d'avril, vous me mandiez
que les injures que journellement recevoit le roy de
Navarre et les Eglises reformées, faisoit perdre patience
à sa majesté , et qu'il seroit bon que le roy de Danne-
inarck , le confirmant en son sainct zèle par une hon-
neste lettre , moderast ung peu ceste ardeur qui est
cause que je y ai faict adjouster le récit que le sieur
Danzay avoit auparavant faict au roy de Dannemarck,
de la volonté du roy de France, touchant la conser-
vation de Tedict de pacification; combien qu'il soit à
craindre que quelques ungs ne preignent tels propos
en mauvaise part.
L'on m'asseure de plusieurs lieux que l'électeur pa-
latin a révoqué la subscription qu'il avoit faicte au
livre de Concorde, et protesté de l'injure qui lui seroit
faicte, s'il estoit publié en son nom.
Quant au voyaige que l'électeur de Saxe avoit entre-
prins par deçà , il y a eu d'estranges pratiques , que
je ne puis déclarer pas bien. Seullement je vous asseu-
rerai que ledict électeur en a ploré à chauldes larmes ,
plus d'une fois. Si son voyaige eust plus apporté de
fruicts que de dommaige , s'il eust esté accompli , Dieu
le sçait , il y en a diverses opinions.
L'on m'escrit que le roy de Polongne prespare une
A M. DUPLESSIS. 109
fort grande armée contre le Moscovite. J'ai entendu que
le duc Richardus , palatin , et le duc Jehan , des Deux-
Pontz , et plusieurs aultres , desnient de subscrire au
livre de Concorde, qu'il ne fault mettre en oubli; car
nous abstiendrons d'autant plus facilement ce que nous
poursuivons, qu'il se trouvera des roys, princes et res-
publiques qui unanimement s'y employeront. Aussi il
ne fault obmettre d'escrire aux villes d'Allemaigne,
aulx unes, pour les confirmer en leur sincère volonté;
et aulx aultres, pour les admonester de faire leur debvoir
et se déporter de calomnies, et detracter des roys et
princes , sans occasion , et par telles inventions troubler
la chrestienté. (i)
Monsieur, je me recommande bien humblement à
vostre bonne grâce, pryant Dieu vous donner très heu-
reuse et longue vie.
De Hambourg, le 1 4'' de juin i58o.
Monsieur, je vous supplie me faire cognoistre en-
tièrement vos délibérations en ceste négociation , et de
la royne d'Angleterre; car je ne defauldrai à mon deb-
voir, et m'excuserai, s'il vous plaist, car je suis si
foible de corps et d'esprit, que je n'en puis plus. Pryez
Dieu pour moi comme je ferai pour lui , afin que ma
dernière heure soit à sa gloire et à mon salut.
Vostre très humble serviteur.
A Monsieur, Monsieur Duplessis , Conseiller du roy de
Navarre , et son Ambassadeur es Pays Bas de Flandres.
(i) On pourra sçavoir la volonté de ce prince de Saxe parle
duc Cazimir et le landgrave de Hesse , et, selon leurs advis ,
l'ung estoit pour se prévaloir de leur faveur et intercession.
/
I lo LETTRE DE M. DE DANZÂY
XI. —'^LETTRE DE M. DE DANZAY,
Ambassadeur du roj en Dannemarck , hM, Duplessis-
Mornaj.
. Du 6 novembre i58o.
Monsieur , j'ai souvent faict response à vos lettres
des seizième de juillet et douzième daoust, mais crai-
gnant que mes lettres aient esté surprises comme quel-
ques aultres ont esté, je vous ferai sommaire récit des
principaulx poincts. Ce m'a esté et est ung singulier plai-
sir que nos desseins par deçà aient prins fin à vostre con-
tentement; car je vous promets que j'ai eu de si puis-
sans et vehemens adversaires, et en si grand nombre,
que je me suis souvent repenti de vous y avoir si avant
embarqué, et je sçai bien, si ceste négociation n'eust
heureusement succédé, que vous en eussiez esté en
peine. Mais loué soit Dieu que nous ayons tant faict que
le roy de Dannemarck a eu les remonstrances de la
royne d'Angleterre et du roy de Navarre très agréables.
Si quelqu'ung allègue que cela n'a empesché la publi-
cation du livre de Concorde, ni esté de grand fruict,
je n'y contredirai, mais je le pryerai considérer, si le
roy de Dannemarck n'eut esté confirmé par la royne
d'Angleterre et principalement par le roy de Navarre ,
et n'eust, par une publique déclaration de sa volonté,
asseuré et retenu plusieurs princes et republiques qui
estoientsur le point de varier, à qui nous nous pour-
rions à présent adresser; et, grâce à Dieu, le tout est
encores à présent en son entier. Quant audict livre de
Concorde, devant qu'il feust publié , plusieurs en espe-
roient quelque chose de grand , maintenant qu'il est
A M. DUPLESSIS. HT
mis en lumière , ung chacun s'en moque. Pour ceste
cause, ceulx qui en sont les aucteurs, demonstrent voul-
loir approuver le synode gênerai qu'ils ont si opiniâtre-
ment rejeté, parce qu'ils prevoyent bien qu'ils y seront
à la fin contraints par l'auctorité de la royne d'Angle-
terre, des roys de Dannemarck et de Navarre et des
princes d'Allemaigne qui sont de ceste opinion , et ne
doublent poinct qu'il n'eust de long temps esté obtenu ,
si les princes accusés eussent aussi diligentement faict
leur debvoir que leur honneur et l'importance du faict
leurendonnoient très juste occasion. Je vous ai ci devant
envoyé et envoyé derechef la copie d'une lettre du
doyen et de l'université de Rostock à Jacobus Andréa
et Selneccerus; encores que peut estre vous l'aurés
recouvrée d'ailleurs.
Ung petit escrit intitulé : Ratio m eundœ concordiœ
inter ecclesias reformatée religionis y tourmente infi-
niment les séditieux théologiens d'Allemaigne , comme
leurs livres le demonstrent et verres par ung escrit qu'ils
ont envoyé en divers lieux, et que j'ai pour ceste cause
faict traduire de allemand en latin. Quelques ungs esti-
ment que David Chytraeusen soit aucteur, dont je suis
en double, combien qu'il le nie fort asseurement; mais
je sçai bien qu'il avoit juré qu'il y seroit respondu,
estant en telle colère qu'il oublia sa dissimulée mo-
destie. Je vous dirai la cause de son courroux et fas-
cherie : c'est que le roy de Dannemarck et ledict élec-
teur de Saxe se veirent à Gustrau , au duché de Mcckle-
bourg, il y a deux ans, comme vous sçavés, ledict Chy-
traeus y estoit pour ne défaillir à son debvoir, combien
que ce feut secrètement. En ce mesme temps , ledict
escrit, de Ratione in eundœ concordice feut publié, et
grand nombre distribué entre cinq ou six cens gentils'
I 1 2 LETTRE DE M. DE DANZA^Y
hommes qui se trouvèrent audictGustrau, que plusieurs
eurent agréable.
Davantage, en cemesme tempsleroy deDannemarck
présenta audict elecleur la lettre que le roy de Navarre
lui avoit escrite, et le pria de la considérer. Je laisse
ici juger à ung chacun combien ladicte lettre du roy de
Navarre, présentée en temps si opportun, feut profitable;
car, parles remonstrances que le roy de Dannemarck
feit audict électeur, lui donnant la lellre du roy de Na-
varre , il lui osta l'occasion de lui parler et importuner,
pour subscrire audict livre de Concorde, combien que
ledict électeur feust principalement venu audict Gus-
trau pour ceste fin et effet, comme l'on dict. Par ce
moyen, toute ceste espérance que lesdicts théologiens
et ceulx de leur faction avoient conceue que, par les
pryeres dudict électeur, le roy de Dannemarck approu-
veroit ses desseins, et subscriroit audict livre de Con-
corde, s'en alla en fumée. Néanmoins ledict électeur ne
perdit l'espérance qu'il avoit de gaigner le roy de Dan-
nemarck, et, pour ceste cause, délibéra de le venir visiter
ceste année en son royaume; et, pour ceste cause, vint
jusqu'à Suerin au duché de Mecklebourg, et , dekà,
retourna en Saxe pour les causes que vous avés enten-
dues, et que ung chacun sçait. Apres que ce voyaige feut
rompu , le marquis de Brandebourg de Anspach vcint
voir le roy de Dannemarck au mois de juin, auquel il
esperoit persuader de subscrire audict livre de Con-
corde ; mais il le trouva si résolu , qu'il perdit inconti-
nent ceste opinion, mesmement quand ledict roy de
Dannemarck lui eust monstre les lettres de ladicte royne
d'Angleterre et du roy de Navarre, desquelles il lui
donna la copie et aux aultres princes et seigneurs qui
se trouvèrent au baptesme de la fille dudict roy, ainsi
A M. DUPLESSIS. 1 1 3
que j'ai entendeu de bon lieu. Lorsque ledict marquis
partit de Dannemarck, le bruit estoit qu'il iroit droict
au duché de Prusse, duquel il est gouverneur à cause
de la maladie du duc. Neantmoins, il alla devers Telec-
teur de Saxe, et puis reprit le chemin de Prusse. En ce
mesme temps, il envoya le livre de Concorde au roy
de Dannemarck qui en feut si offensé, que soudain il
feit publier par tous ses royaumes et pays de son obéis-
sance que nul n'eust à l'acheter soubs peine de la vie, et
que ceulx qui Tauroient feussent punis de semblable*
peine.
Par ce récit, qui est véritable , vous voyés , monsieur,
les grands efforts, le soing et diligence de plusieurs
princes , pour gaigner le roy de Dannemarck, et pour
avancer leurs desseings ; en quoi ils n'épargnent ne leurs
biens, ne leurs personnes, et vous avés travaillé plus de
dix huit mois pour seulement obtenir une lettre d'An-
gleterre. Pourtant il ne se fault émerveiller si les af-
faires des aultres s'avancent, et les nostres succèdent
si mal.
J'ai esté adverti que Vigaudus avoit escrit contre
ledict livre de Raiione ineundœ concordiœ , et envoyé
à l'université de Rostock, pour le considérer et corri-
ger, et puis le faire imprimer, mais qu'ils ne l'avoient
vouileu permettre : je ne sçai qu'il s'en ensuivra. Si je
me trouve quelque jour à repos, je déclarerai plus am-
plement quelques articles dudict escrit. Mais je ne
m'ose nominer de peur de perdre les moyens que j'ai
de servir au public, et ne sçai s'il se pourra trouver
quelque gentilhomme qui voulleust prester son nom
après que vous y auriés mis la main. Je vous prye y
penser, car si l'aultre petit escrit a faict quelque fruit,
l'aultre le fera encores plus.
Miai. DE DuPiEssis-MoRNAY. Tome ir. 8
Ii4 LETTRE DE M. DE DANZAY
La royne d'Angleterre a envoyé devers le roy de
Dannemarck , pour le remercier de sa sincère et chres-
tipnne volonté , pour l'avancement de la gloire de Dieu,
et pour reconcilier les princes de la relligion reformée
et subvenir aux églises affligées, et le prye de vouUoir
continuer : elle a aussi envoyé devers les princes d'Al-
lemaigne, Dieu y veuille donner sa saincte bénédiction.
Mais si tels affaires et de si grande importance ne sont
vivement poursuivis, et par personnes d'honneur,
d'auctorité et de sçavoir, et qui les entendent, je ne sçai
qu'il s'en ensuivra. Ceci est le debvoir des princes, et
mesmement de ceulx qui sont blasmés; car, oultre leur
salut, il y va aussi de la conservation de leur estât.
Vous avés opinion que ceste subscription du livre de
concorde ou confédération faicte par la maison d'Au-
triche, dont il ne fault aulcunement doubter. J'en en-
voyai expressément ung discours à M. de Villiers , il y a
trois ans, que je pensais que vous eussiés leu, qui sera
causé que je le comprendrai en peu de paroles, espé-
rant que ce vous sera plaisir. Depuis quatorze ou quinze
ans, Jacobus Andraea n'a faict que courir, tant en Dan-
nemarck que par toute l'Allemaigne, pour cognoistre
ceulx qui vouldroient favoriser ses folles opinions, et
blasmer les calvinistes. Il y a eu deux factions en la mai-
son de l'électeur de Saxe , l'une avoit opinion que le-
dict électeur ne se debvoit aulcunement fier en la mai-
son d'Autriche, parce qu'ils estoient povres et ambi-
tieux , et ne se pouvoient plus facilement agrandir que
par sa ruyne. Pour ceste cause, ils feirent le mariaige
du duc Cazimir de Bavière avec la fille aisnee dudict
électeur, espérant que, par ceste alliance, les differens
qui estoient en la relligion , se finiroient par l'auctorilé
et conseils du feu électeur Palatin et dudict électeur
A M. DUPLEvSSIS. il5
de Saxe. Aussi ils moyenerent une confédération entre
la plupart des princes d'Allemaigne qui sont de ladicte
relligion qui pouvoient prornptement assembler une
puissante armée. Par ces moyens, ils esperoient unir
et conjoindre tous les princes d'Allemaigne de la rel-
ligion reformée ensemble , et faire cesser toutes les con-
troverses qui estoient entre eulx. Davantage, il con-
seilloit audict électeur de Saxe, de s'asseurerde l'ami-
tié du roy de France, qui lui pouvoit grandement
aider et peu nuire, ce que ledict électeur eut tousjours
agréable, jusqu'à ceste funeste et maudite journée de
Sainct Barthelemi. Il est certain que ceulx de ceste dicte
faction avoient plusieurs ennemis et envieux, comme il
advient communément aulx cours des grands princes
où l'on joue principalement au boutehors , qui s'offrant
l'occasion de chasser leurs compétiteurs, en sceurent
très bien user, et pour les rendre plus odieux audict
électeur, les appeloient calvinistes et sacramentaires.
L'empereur IVIaximilian , qui estoit prince vigilant et
d'ung très gentil esprit , cognoissant que ledict électeur
est de son naturel fort véhément et opiniastre , le vint
trouver avec l'impératrice et la plupart de ses enfans
qui feirent si bien par leurs remonstrances , qu'ils per-
suadèrent audict électeur que toutes les susdictes pra-
tiques provenoient du royaume de France, et par telles
inventions moyenna que son fils aisné feust élu roy des
Romains, contre les loix et privilèges de l'Empire, ce
qui n'est advenu que par la grande neghgence desroys
de France , et par les dissentions et divisions de leurs
ministres.
Peu auparavant , ledict empereur avoit envoyé quérir
le docteur David Chytraeus et quelques aultres doc-
teurs d'Allemaigne , pour reformer les églises aux-
Îl6 LETTRE DE M. DE DANZAY
quelles il permettoit la confession d' Auguste. Lors il feut
persuadé audict Ghytraeus que, si les princes d'Alle-
niaigne de ladicte confession condamnoient les hérésies
des calvinistes et sacramentaireset pour ceste cause se
separoient d'eulx, que ledict empereur et les princes
d'Au triche l'approuveroient facilement, et permettroient
qu'elle feust receue par tous leurs subjects, qui est le
commencement et vraie source des dissentions et divi-
sions, qui sont depuis advenues entre ceulx de la relli-
gion reformée. Or il est évident et certain qu'il ne se
pouvoit inventer plus commode ne plus expédient
moyen pour ruyner les églises d'Allemaigne et celles
qui sont hors d'Allemaigne, que par telles séparations
et divisions , et pour causes si après et véhémentes que
pour estre hérétiques. Ce conseil a esté favorisé par
ceste dissention de la maison de Saxe par l'accident
que j'ai ci dessus déclaré; car la partie victorieuse,
pour se venger de leurs adversaires, et les rendre plus
odieux audict électeur, moyennerent que Ghytraeus et
Jacobus Andrsea et Selneccerus et quelques aultres feu-
rent appelés. pour la reformation des églises de Saxe,
qui s'y sont comportés comme ung chacun sçait et voit,
dont s'ensuivra l'eversion de toutes les églises de ladicte
relligion , veu la puissance, vigilance , diligence et ad-
mirables conseils des papistes , s'il n'y est prompte-
mcnt pourveu , et n'y vois aulcun aultre moyen que
par ledict synode gênerai ; car si toutes les églises re-
formées ou la plupart se pouvoient reconcilier comme
plusieurs personnes de sçavoir et de grand jugement
espèrent par ledict synode, lors quelque bonne et salu-
taire resolution se pourroit prendre d'ung commun
consentement pour la conservation de tous. Aultre-
ment il ne fault parler d'aulcune ligne ne confedera-
A M. DUPLESSIS. II7
tion, ne niesmes espérer aulcun secours d'Allemaigne,
que par de l'argent. Le roy de Dannemarck s'est assés
déclaré et conseillé à la royne d'Angleterre et au roy
de Navarre d'envoyer devers l'électeur de Saxe duquel
il donne bonne espérance, combien que je n'en puis
encore rien promettre de certain, et ne me puis advi-
ser d'ung plus commode ne seur moyen , que celui que
je vous ai souvent déclaré. C'est que la royne d'Angle-
terre et aussi le roy de Navarre envoyassent quelques
personnes d'honneur et réputation devers le duc Cazi-
mir, les landgraves de Hesse, le duc de Anhald , et à
ceulx que ces princes conseilleront pour communiquer
de ce qui sera nécessaire pour convenir du synode, et,
après avoir pris leur advis , venir trouver le roy de
Dannemarck, et lui communiquer l'opinion des aultres
princes et pryer d'envoyer avec eulx devers ledict élec-
teur de Saxe , afin que par la cognoissance de la vérité,
il change la mauvaise opinion que,par faulx rapports et
calomnies , il a conceu des églises qui sont hors d'Alle-
maigne : aussi de la royne d'Angleterre et du roy de
Navarre. Dieu, par sa grâce, veuille donner les moyens
qui y seront propres et convenables.
Pour conclusion, les forces de nos ennemis sont
grandes et s'augmentent journellement. Ils sont tous
unis et bien d'accord ; ils ne perdent une seule occasion
qui leur puisse profiter, et exécutent diligentement et
vivement leurs desseings. Au contraire nos forces sont
petites et se diminuent journellement: nous sommes
si irrités les ungs aulx aultrps , que nous ne cherchons
qu'à nous ruyner, et s'il se propose quelque sage et
utile conseil , il le fault poursuivre trois ans premier
qu'il y soit pourveu. Pourtant si Dieu n'y met la main,
et n'use d'une singulière miséricorde, je vois une
Il8 LETTRE DE M. DE DANZAY , etc.
extrême désolation des églises chrestiennes. Dieu par sa
bénigne bonté y pourvoie !
Quant aulx nouvelles de deçà , les députés des roys
de Dannemarck et de Suéde se sont ces jours passés as-
semblés sur la frontière des deux royaumes, et entiè-
rement composé leurs differens. Le vieux duc Jehan de
Holstein , oncle du roy de Dannemarck , est decedé. Le
duc Adolphe son frère , s'est ung peu avancé pour s'as-
seurer des meubles, dont ledict roy a esté fasché : mais
cela s'accordera facilement. Le roy de Pologne, après
avoir forcé les villes et chasteaux de Vielis et Vilikiluki,
et aussi pris le fort de Pleunis, s'est retiré et mis gar-
nison sur la frontière. Le bruit est que les Tartares sont
aussi entrés dans le pays du Moscovite, au nombre de
cent cinquante mille hommes, qui lui donnent bien à
penser. L'on dict aussi qu'il se traite de la paix entre
ledict roy de Pologne et le Moscovite, et que les offres
que lui faict ledict Moscovite sont tels qu'il y a appa-
rence qu'il les acceptera.
Monsieur, je me recommande bien humblement à
vos bonnes grâces, et prie Dieu vous donner très heu-
reuse et longue vie.
De Hambourg, ce 6* jour de novembre i58o.
Monsieur, je vous supplie que je puisse cognoistre
tousjours de vos nouvelles, car je vous promets que ce
m'est une très grande consolation.
A Monsieur, Monsieur Duplessis , Conseiller du roy de
Navarre , et son Ambassadeur es Pays Bas de Flandres.
(Le blason da cachet consiste en trois étoiles 2 et i, avec an point an
milieu , fond d'or. )
LETTRE DU ROY DE NAVARRE, etc. i 19
XII. — LETTRE DU ROY DE NAVARRE
A M. Duplessis.
Du 23 novembre i58i.
Monsieur Duplessis , j'envoie le sieur Chartier , pré-
sent porteur , expressément vers monsieur , pour les
affaires qu'il vous communiquera; sur quoi je vous
prye le croire de ce qu'il vous dira de ma part comme
moi mesme, traittnnt avec lui confidemment , comme
avec celui que je n'estime moins mon fidèle serviteur
que de monsieur. Et me remettant à sa suffisance, je ne
vous ferai ceste ci plus longue, que pour vous asseurer
que vostre livre (1) a esté bien receu et recueilli, et
grandement loué et estimé des meilleurs esprits. Dont je
suis fort aise, tant pour le fruit qu'il fera, que pour
sortir de la boutique d'ung auteur que j'aime et désire
lui faire paroistre mon amitié, des effets de laquelle je
vous prye faire estât pour jamais. Je fais tout ce que
je puis pour exécuter la paix , de quoi j'espère ung bon
succès, non seulement en ce pays, mais au plus loing-
tain qui désire la pacification d'icelui ; ainsi que vous
pourra faire entendre ledict Chartier , qui me gardera
d'en direaultre chose; pryant Dieu, M. Duplessis, vous
avoir en sa saincte garde.
De Nerac, etc.
Vostre bien bon maistre et ami , Henri.
(1) De la Vérité de la Relligion chrestieiine.
120 LETTRE DU ROY DE NA.VARRE
XIII. — LETTRE DU ROY DE NAVARRE
^ M. Biiplessis.
Du 14 janvier i582.
Monsieur Duplessis, avant la réception de vostre
lettre, et celles que m'ont escrit M. le prince d'Orange,
et messieurs des estats des Pays Bas, j'estois sur le poinct
devons envoyer une des miennes, pour vous pryer de
me venir trouver suivant la promesse que vous m'aviés
faicte; mais, puis qu'ils ont si grand besoing devons en
la conduite et direction de leurs affaires , 011 les Eglises
de ce royaume ont ung si grand interest , et qu'ils me
pryent avec une si grande affection vous permettre de
demeurer de par delà quelque temps, je leur accorde
qu'ils puissent vous y retenir six mois durant , si tant ils
en ont besoing. Parquoi je vous prye de les satisfaire ,
et vous accommoder en cela à leurs désirs et inten-
tions. Et ce faisant , je vous en sçaurai aussi bon gré
que si c'estoit pour mes affaires particulières. Mais je
vous prye , le terme expiré, de me venir retrouver, et
croire que vous serés le très que bien venu. Cependant
faictes moi ce plaisir de continuer à m'escrire tout ce
que vous apprendrés de plus important , sous ceste as-
seurance que vous pouvés faire autant d'estat de mon
amitié que de personne de ce monde, et que je la vous
ferai paroistre en tout ce que j'en aurai le moyen , et
que vous le sçauriés désirer de moi , qui prye Dieu vous
avoir, M. Duplessis, en sa saincte et digne garde.
A Nerac , etc.
Vostre bien affectionné ami , Henri.
Et au bas , par apostille , cstoit escrit de la main dudict roy :
Monsieur Duplessis, si avec le gré et consentement
A M. DUPLESSIS. 121
de messieurs des estats de ce pays là vous pouviés re-
venir plus tost, j'en serois fort aise. Je vous prye me
tenir en bonne volonté et affection envers eulx. Moyen-
nes aussi , je vous prye , avec le sieur de Valsingam que
je puisse r'avoir mes bagues engagées en Angleterre,
et asseurés vous si vous pouviés moyenner cela que je
le recognoistrois.
Et au dessus de la lettre estait escrit :
A Monsieur Duplessis , mon Conseiller et Chambellan.
XIV. — ^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Sombre.
Du I" janvier i582.
Monsieur de Sombre, vous aurés seu que son excel-
lence est venue en Zelande pour recevoir son altesse,
suivant les lettres qu'elle a escrit par son commande-
ment ; je l'ai aussi suivi, joinct le désir que j'aurai de
baiser les mains de son altesse , et lui dire quelque bon
mot, et selon ma liberté accoustumee à ce commence-
ment; maintenant nous l'attendons d'heure «\ aullre ,
son bagage estant jà embarqué à Douvres et son train
acheminé, et lui n'attendant que le vent ; et Dieu veuille
que ce soit en la gloire de son nom , et au soulagement
de ces pays. Il fault que je vous die qu'il vient ici divers
bruits de vos quartiers; car on dict qu'il se faict des
novalités à Gand, qui pourront tendre à desunir les
provinces au préjudice des unions passées et de celle
qu'on doibt maintenant avancer de tout son pouvoir;
mesme on voit des livrets qui se servent, fondés, à
mon advis, sur les complaintes' de quelques infirmes
ou discours de mal contens, ou bruits et rapports de
122 LETTRE DE M. DUPLESSIS
marchés, qui enhardissent les malveillans à esciorre
leurs mauvais desseings; ce sont choses dangereuses en
une ville, mesme en temps de guerre , telles qu'elles ci,
et auxquelles devés prendre garde; et je vous escris
tant pour le désir que j'ai d'en sçavoir la vérité en ceste
diversité de bruits, que pour sçavoir le remède qui s'y
pourroit donner. Je fais scrupule de vous dire qu'on
adjoute qu'aulcuns parlent de faire la paix avec l'en-
nemi soubs ombre qu'on leur parle d'une liberté sans
scandale, dont on auroit bien de la peine à trouver
la deffinition; car je pense que tous gens d'entende-
ment doibvent estre résolus que la paix avec le roy d'Es-
paigne et l'exercice de la relligion, dont faisons profes-
sion, et laquelle debvons maintenir jusques à la mort,
sont choses trop incompatibles. On n'ignore point que
ce retardement de son altesse n'ait ouvert la bouche
et les oreilles aulx malveillans pour découvrir plus har-
diment leurs intentions et déployer leurs artifices, et
aulx infirmes et ennuies de partis , pour y prester plus
facilement l'oreille, et vous savés combien tousjours
j'ai blasmé ces longueurs ; mais il me semble que sa
proche venue doibt abolir tous ces discours; et puis
il me semble que, selon la profession que nous faisons,
si nous sommes sages , nous nous debvrons fonder
premièrement sur Dieu , et puis après sur nos moyens
propres, comme souvent je vous ai escrit reputare in
lucro, ce qui pourra venir d'ailleurs, et j'estime non
tant fructum quam obventionem. Je vous escris à ma
façon , librement , et vous prie d'en faire de mesme ; et
si je puis servir de quelque chose, le me mandés ouver-
tement. Je suis sur ceste conjoncture que nous attendons
de çà, car on cognoistra tousjours. Dieu aidant, que
je préférerai l'honneur de Dieu et le bien de ce peuple
A. M. DE SOMBRE. 12^
à toute aultre considération. Au reste , je suis , comme
sçavés, de vos bons amis, et ains particulièrement en
quoi le voulleu essayer et cognoistre; et sur ce vous
saluerai affectionnement, et prierai Dieu, monsieur, etc.
De Mildebourg.
Croyez qu'il me fasche quand j'oy dire que Gand
se porte mal , et que je le prens au poinct d'honneur;
car je ne puis oublier la bonne affection qu'on m'y a
porté, ne l'ayant mérité.
DUPLESSIS.
XV. — ^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
J M. Massie.
Du 7 de janvier i582.
Monsieur , je suis venu accompagner ici son excel-
lence pour la réception de son altesse, qu'on attend,
selon ses lettres de Ben Dieu lui doint servir à
son Eglise et au bien de ce peuple! cependant, sur les
bruits qui nous viennent de vos quartiers, je ne me
puis tenir de vous escrire. On nous dict qu'il se faict
ou brace, à Gand, des nouveautés tendant à desunion
et destruction ; et vous sçaurés combien est difficile la
reunion de provinces estant qu'aulcuns s'en hardissent
de discourir de la paix avec l'Espaignol, et sont si fols
que de l'espérer, et vous n'ignorés combien telle paix ,
et l'exercice de nostre relligion son incompatibles, et
là dessus les ennemis prennent occasion d'esclore leurs
mauvaises intentions et desployer tous leurs artifices.
Certes, je pense qu'il n'y a rien de plus pernicieux, et
par tout encores que je sçache, combien vous estes zé-
lateurs et vigilans pour le peuple, je ne puis tenir de
124 LETTRE DE M. DUPLESSIS , etc.
vous donner ce coup d'esperon pour vous solliciter à
rompre ces artifices. Je n'ignore que les retardemens
de son altesse n'aient donné lieu à ces discours : nous
si fault il se résoudre, que jamais nous ne feumes
fondés en nostre relligion sur les preuves. Dieu doubte
qu'il vienne bénir sa venue, mais son retardement ne
nous doibt pas précipiter par la fenestre , puisque sa
présence abolira ou aidera à abolir tout cela; mais à
tout événement, nous debvons tenir la main qu'il y ait
une estroite union entre ces provinces, lesquelles son
altesse humainement peult garder si elles sont unies ,
mais qu'ung trop plus fort que lui ne peult conserver,
si d'elles mesmes elles se desunissent ou se rendent las-
ches et irrésolues en la relligion et en leur deffense; sur-
tout je désire que nous ayons égard à la relligion, que
certes nous avons entreprise contre les princes persé-
cuteurs, et debvons préférer à tout ce qui dépend des
princes. Vous voyez combien je vous escris librement;
je me desplais quand je puis dire que Gand se porte
mal , qu'il y a danger de quelque malentendu procé-
dant de là , parce que je me suis obligé à Gand , et qu'il
n'y a ville au Pays Bas , à laquelle je porte plus d'af-
fection qu'à celle là. Je prye Dieu que par quelque
œuvre je le puisse monstrer, et qu'il vous doibve, mon-
sieur, etc.
De Mildebourg. .
DuPLESSIS.
Je vous prye que la présente soit communiquée à
M. de Hess.
AFFAIRES DE FLANDRES. 125
XVI. — INSTRUCTION
Baillée aux sieurs , allant de la part de M^'' le
prince d'Orange vers MM. des quatre membres de i
Flandres , et de la ville de G and; dressée par
M. Duplessis en janvier i 582.
Remonstreront lesdicts sieurs tant à MM. les dé-
putés des quatre membres à Gand , comme à MM. du
collège et du conseil des guerres, et mesmes en par-
ticulier aux doyens de la ville , ministres de l'Eglise, et
aultres personnes qu'ils cognoistront affectionnées à la
conservation de la relligion et défense de la cause com-
mune , les choses qui ensuivent.
Et premièrement, qu'il est assés notoire à un chacun
combien la concorde est nécessaire, tant de toutes les
provinces ensemble, que des membres en chacune
d'icelJes, et que son excellence n'a rien plus tasché, de-
puis qu'il est appelé en ce pays, que reunir lesdictes
provinces si estroitement, qu'elles tendissent toutes de
mesmepied à ung mesme but, comme le seul et unique
moyen de les conserver et maintenir, ainsi que nagueres
encores il auroit soigneusement et expressément re-
monstré à MM. de la ville de Gand.
Cependant que son excellence est advertie que jour-
nellement il se tient à Gand des conseils particuliers
composés de peu de personnes et aulcunes suspectes,
esquels, au desceu de MM. des estais généraux et du
Lautrath^ se traitent affaires de conséquence pour tout
le gênerai, et se proposent certains desseings particu-
liers , qui ne peuvent que retarder la concorde et union
des provinces, désirée et procurée et par tous les gens
126 INSTRUCTION
de bien , comme le seul remède des misères présentes,
et engendrer des divisions et arrière pensées, non entre
les membres de la province seulement, mais en la ville
mesme : qui est le plus abrégé chemin d'une ruyne.
Cela est l'occasion que ledict seigneur prince n'a peu
omettre , tant pour l'acquit de sa conscience , que pour
l'interest de MM. de Gand en particulier, et de tous
en gênerai, d'envoyer lesdicts sieurs vers eux , les priant
voulloir considérer à bon escient combien toutes les
novalités et particularités sont dangereuses et préju-
diciables à ung estât , lors principalement qu'il est agité
et tourmenté de guerre, et nommément se ressouvenir
combien, ces dernières années, semblables pratiques ont
faict de mal à ladicte ville de Gand , et par conséquent
à toute la généralité des provinces, afin de s'abstenir
dorénavant de toutes telles choses, et par ung commun
advis tendre au bien gênerai de tous.
Particulièrement son excellence ne leur veult celer
qu'il entend qu'on auroit parlé de quelque reconcilia-
tion prétendue avec l'ennemi, laquelle, ceulx qui la
mettent en avant, honorent du nom de paix, pour la
faire trouver meilleure au peuple, qu'ils cognoissent
trop affectionné à son bien pour jamais prester l'oreille
à une lascheté ; et là dessus forgent et imaginent une
neutralité , qui ne peult estre que la ruyne totale de la
ville et du peuple, en quelque f;içon qu'ils la veillent
desguiser.
S. E. donc désire que chascun entende qu'elle peult
estre ceste pretendeue paix , et quelle ceste imaginaire
neutralité, et a pryé lesdicts sieurs de la leur exposer
de sa part.
Et premièrement présuppose S. E. comme chose
toute certaine, que messieurs de la ville de Gand, qui
POUR LES AFFAIRES DE FLANDRES. 127
jusques à présent se sont monstres si zélateurs de la
vraie relligion, et de leur liberté, voudront inviolable-
inent retenir, garder , et asseurer l'une et l'aultre avant
toutes choses, et sans icelle estimeront quelque paix
que ce soit la peste du pays , et leur ruyne totale. Et
ce fondement estant mis, il les prye d'examiner quelle
espérance , ou apparence de paix ou reconciliation
avec l'ennemi il y peult avoir.
Le traicté de Couloigne a suffisamment monstre
quelle a esté l'intention de l'ennemi en proposant ce
beau nom de paix , asçavoir de diviser et rompre les
provinces, et suborner les villes, comme il a faict de
quelques unes , en haine de nostre relligion. Aussi nous
avons veu qu'après une longue negotiation , en laquelle
l'empereur, et plusieurs princes de l'empire, pour y
donner plus d'apparence, estoient entrevenus, on n'a
jamais peu tirer aultres articles , sinon que l'exercice
de la relligion romaine seroit r'establi , et le nostre
aboli et desfendeu , et que ceulx qui voudroient jouir
de la liberté de leur conscience, auroient certains
temps pour vendre leurs biens , et se retirer du pays.
Dont se voit que ceulx qui parlent maintenanL d'une
paix, ou reconciliation avec l'ennemi, oii sont trop
ignorans de faire espérer au peuple à son grand dom-
mage ce qu'il ne peult aucunement oblenii , ou plus-
tost vraiement nialicieux de lui voulloir faire perdre,
sous le nom de paix, la vrai relligion, et liberté, en
laquelle il a protesté de voulloir vivre, et mourir, et
sans laquelle il ne peult y avoir de vraie paix.
Mais S. E. leur accorde que l'ennemi voulleust
maintenant octroier meilleure condition qu'alors ,
mesme qu'il baille à ceulx de la relligion , et de ce
parti la carte blanche, et les face arbitres de leur capi-
128 INSTRUCTION
tulation, tant pour les privilèges et libertés, que pour
l'exercice de leur relligion , qui est tout ce qu'ils peu-
vent demander : quelle asseurance auront ils mainte-
nant que ceste paix leur dure, et que les conditions
leur en soient observées? Au contraire , en moins d'ung
an ils ne voyent leur ruyne extrême, et sans remède?
Chascun sçait que par une paix il sera tous] ours
dict que les armes soient posées, les forces licenciées,
les garnisons mises hors , les bourgeoisies désarmées ,
le commerce remis en son entier; et l'ennemi, pour
nous oster toute défiance , ne demandera peut estre pas
mieux que de commencer l'exécution de ces choses,
dont aulcun dommage ne lui peult advenir, veu la na-
ture des villes de son parti, afin que, sans difficulté,
nous facions le mesme , que , veu la nature des nos-
tres , nous ne pouvons faire sans apparente ruyne.
Joint qu'alors nous n'aurons point faulte de gens,
qui croiront comme des maintenant, que tout est per-
deu et ruyné , afin de se desarmer incontinent, et se
desfaire de tous gens de guerre, et seront peut estre
si endormis., ou occupés chascun en son particulier
mesnaige , que nous lairrons aisément surprendre le
public.
Or, quand les choses seront réduites à ce poinct,
comme par telle paix, elles ne peuvent faillir, S. E. prye
tous ceulx qui affectionnent la vraie relligion et liberté,
de se proposer ce qu'elles peuvent, et eulx mesmes
devenir.
Il est trop certain qu'il n'y a gueres ville en ce pays ,
et nommément en Flandres, en laquelle les ennemis
de nostre relligion ne soient encores aujourd'hui en
plus grand nombre, et qu'ils no sont retenus que par
l'auctorité du magistrat, et la force de la garnison;
POUR LES AFFAIRES DE FLANDRES. 129
joint que, quand ces inégalités seront ostees, est à
craindre que plusieurs, qui ores se feignent estre des
nostres, ne se descouvrent tout aultres, et que des
plus affectionnés ne se refroidissent.
En après , ceulx de la relligion romaine se plaignent
d'avoir esté et estre opprimés par nous, excleus des
charges et dignités , privés de la liberté de leurs cons-
ciences et de leur exercice , etc. Joint que plusieurs
offences et animosités particulières sont nées pendant
ces troubles, lesquelles en ung temps favorable , ils res-
veilleront incontinent , veu que des ceste heure mesmes
quelques ungs ne le peuvent dissimuler.
Jugent ceulx de la relligion, et particulièrement
messieurs de Gand par leur conscience ce qu'on pèult
et doibt espérer de ceulx de la relligion contraire , si
jamais on revenoit à estre exposés à leur discrétion ,
comme infailliblement on seroit par une telle paix Et
pour leur en ouvrir le jugement, les exemples de France
suffisent assés.
Ne fault aussi doubter que les ennemis voudroient
lors r'entrer es biens ecclésiastiques vendeus , aliénés ,
ou appliqués à aultres usages, dont ceulx qui ont eu
plus d'auctorité es villes, seroient les plus comptables. Et
peult estre ceulx mesmes qui se flattent en ceste vaine
espérance de paix , s'en trouveroient sans y penser les
plus empestrés.
Et quand du premier coup Testât ne se changeroit
poincten quelque ville à cause du bon magistrat, peut
estre, qui pour le reste de son temps y tiendroit la
main, encores certes qu'il est apparent que, se voyant
dénué de support, il s'affoibliroit de courage ; il est au
moins évident que l'establissement de la loi en chacune
MÉM. I»E DuPLESSIS-MoRNiY. ToME II. Q
l3o INSTP^UCTION
ville despendroit alors en partie d'ung conseil d'estat
suspect et dangereux , lequel y admettroit ceidx de la
relligion romaine , sans que contre iceulx nous puis-
sions alléguer nos privilèges, et d'entr'eulx les plus
contraires à nostre parti , et plus affectionnés au sien ;
et, par ce moyen, en moins d'ung an Testât du pays seroit
tout changé et corrompeu , et d'aultant plus que les
magistrats ont ordinairement plus d'auctorité et de
suite à advancer le mal que le bien.
C'est quant à la paix générale , pretendeue , comme
S. E. entend, par quelques ungs, laquelle l'ennemi ne
nous à onc offert telle, ni approchante de là, combien
qu'.i ceulx qui aiment la vraie relligion, et prospérité
de la cause commune, elle ne peult sembler que très
préjudiciable.
Et quant à la paix particulière , qu'ils appellent neu-
tralité, moyennant laquelle l'ennemi promettroit au
peuple de le laisser vivre en repos, et à sa fantaisie pen-
dant qu'il tueroit et ruyneroit ses voisins , il répugne
trop à la réputation de messieurs de Gand d'abandon-
ner une si honorable partie ; et ont tous assés d'enten-
dement pour cognoistre que ceste neutralité ne seroit
qu'une trêve jusques à la ruyne des aultres provinces.
Et, partant, n'en auroientaultre advantage que d'appré-
hender journellement leur mort et ruyne en celle de
leurs compatriotes , sans les oser secourir, ni s'aider eulx
mesmes.
Mais , qui plus est , sous ombre de ceste neutralité ,
ils seroient contraints, et n'oseroient refuser de donner
passage à l'ennemi sur leurs terres; et, quant aux gens de
guerre de deçà, justement ils leur feroient la guerre,
comme à déserteurs de la cause commune, et leur rava-
geroient leur pays. Et par ainsi le peuple se trouveroit
POUR LES AFFAIRES DE FLANDRES. l3l
trop plus intéressé de ceste neutralité prétendue, que
de la présente guerre.
Et particulièrement lesdicts sieurs leur diront
et feront sentir que messieurs de Zelande ayant en-
tendu ces discours, les trouvent fort estranges, estans
résolus à toute extrémité de poursuivre la guerre, et
mourir plustost jusquesau dernier, que de se laisser ainsi
abuser à l'ennemi, encores que tels traités, comme cha-
cun sait, ne leur seroient si dangereux qu'aulx dicts
sieurs deGand; et pourtant, en cas qu'on voullust pas-
ser ouhre , en tels traités, ne pourroient qu'ils ne se
départissent de leur amitié et correspondance, parce
qu'en se perdant , il est tout apparent qu'ils avancent ,
en tant qu'en eulx est, la ruyne de tous les aultres.
Ce que dessus diront lesdicts sieurs et selon
qu'ils jugeront estre besoing , et que le mal sera passé
avant, ou aulx collèges en public, ou seuUement aulx
particuliers , qui en pourront faire leur profit entre le
peuple , ce que S. E. remet à leur discrétion et pru-
dence, parce que, si les choses n'estoient si eschauffees ,
ne seroit besomg d'en faire si grand bruit.
Reste ung aultre poinct; c'est que, pour rendre le
peuple plus enclin à telle lascheté, et afin qu'il se jette
dedans le lac , sans regarder comment , on lui oste tout
espoir, disant qu'il n'y a plus de moyen de faire la
guerre, etc. De quoi plusieurs gens de bien mesmes se
peuvent mettre en peine pour les difficultés qu'ils pré-
voient, et qu'ils voudroient prévenir.
Sur ce, S. E. a donné charge aux dicts sieurs
de déclarer à messieurs de Gand les offres et proposi-
tions que faict son altesse*, duquel on attend la veneue au
premier jour, et avec lequel on espère en l'assemblée
i32 INSTRUCTION, etc.
des estats généraux prendre une bonne resolution, et
salutaire à tous ces pays.
Mais quand ores sa venue seroit retardée pour le
mariaige avec la royne d'Angleterre , soit pour aultre
cause qui peut survenir, S. E. espère qu'en ceste pro-
chaine assemblée on fera ouverture de si bons et conve-
nables moyens pour maintenir la guerre , payer et dis-
cipliner la gendarmerie , et soulager le peuple, que si
on les veult suivre , Testât en sera avec l'aide de Dieu,
relevé , et chacun en particulier aura contentement. Et
ces moyens dépendent de la resolution , union et con-
corde des provinces , et de chacune ville.
Seullement lesdicts sieurs requerront et exhorteront
messieurs de Gand, des collèges, et tous gens de bien
affectionnés, d'envoyer, ou faire envoyer au plus tost
que faire se pourra, des députés en ladicte assemblée ,
gens notables, et bien instruits et auctorisés pour ré-
soudre de toutes choses. Et qu'attendant la resolution
générale , ils veillent pourvoir au payement et con-
tentement des gens de guerre, afin que desordre n'y
intervienne; les asseurant, qu'aidant Dieu, l'ordre y
sera mis en ceste assemblée pour l'advenir, pourveu,
comme S. E. les en prye de tout son cœur, que, de
leur part, ils s'y employent à bon escient, et ne per-
mettent que, par ces novalitéset desseings particuliers,
l'union et concorde générale soit empeschee ou retar-
dée , de laquelle seulle , après la faveur de Dieu , despend
le salut de ces pays.
LEGATION D'AUSBOURG. l33
XVII. — PROJET DE LA LEGATION
Que monseigneur d'Jnjou, esleu duc de Brahant,
destinait en Allemaigne , à la diète d Ausbourg ,
Van i582.
Il semble que ceste légation doit tendre à deux fins.
La première , d'empescher que la diète ne nous apporte
du mal : la seconde , de tascher qu'elle nous apporte
du bien.
Le mal qui est à craindre , c'est que le pape , l'em-
pereur et le roi d'Espaigne principalement, avec leurs
adherens , prétendent que les princes d'Allemaigne, c'est
à dire l'Empire, se bande contre les Pays Bas, nommé-
ment contre monseigneur le duc de Brabant.
Le bien qui s'en peult raisonnablement désirer, c'est
que l'élection faicte par les estats soit confirmée par l'Em-
pire , et mondict seigneur le duc receu à foi et hom-
mage , selon la forme des prédécesseurs , et en toutes
les prérogatives qui en dépendent ; mais pour ceste
première fois malaisément se peut elle espérer.
Pour parvenir à ces fins, semble que seroit bon de
tenir la procédure qui en suit.
Que ceulxquiseroient depeschés des pays de deçà à
la diète impériale, eussent double instruction et doubles
créances. Les unes, comme envoyés purement de par
les estats généraux de ces pays; les aultres, comme
envoyés avec charge de monseigneur le duc de Bra-
bant, et que cela demeurast secret jusques au besoing.
Qu'arrivant au lieu de la diète, ils ne parlassent que
des estats généraux , et demandassent audience en
vertu de leurs lettres, au nom d'iceulx, laquelle ne leur
l34 LEGATION
pourroit estre déniée , veu qu'elle est assemblée pour
leur faict, au lieu que, soubs le nom du nouveau duc
de Brabant, elle le seroit sans double ; et, icelle octroyée,
fissent leur barangue , qui pourroit, pour la justifica-
tion des actions desdits estais généraux, contenir ce
qui en suit :
1. L'obligation mutuelle, qui est naturellement du
prince envers les subjects, et des subjects envers le
prince , laquelle est de droict divin , veu que nature
n'est aultre cliose que l'institution de Dieu , et partant ,
ne se peidt ne doibt enfraindre.
2. L'obligation mutuelle, qui est de droict civil par
conlract et serment réciproque , exprès entre les sei-
gneurs des Pays Bas et leurs subjects , dont fauldra
faire apparoir par les joyeuses entrées, etc., confirma-
tive et interprétative de la précédente.
3. Fauldra discourir combien lesdicts estais, tant en
gênerai qu'en particulier, ont rendu de tout temps
d'obéissance à leurs seigneurs, à l'acquit desdictes obli-
gations naturelle et civile, nommément à l'empereur
Charles, et depuis résignation faicte au roi d'Espaigne,
son fils; ce qui se pourra confirmer par histoires et tes-
moignages.
4. Au contraire, en combien de sortes le roi d'Es-
pagne a violé lesdictes obligations ; sur quoi sera bon
de s'eslendre à reciter les principaux articles portés par
les contracts mutuels et les infiactions d'iceulx.
5. Qu'en ceste oppression, lesdicts des Pays Bas, qui
eussent pu, cà la rigueur, selon le serment, user de
leur puissance, ont eu recours à se plaindre aulx gou-
verneurs establis par ledict sieur roy ; nommément à
la duchesse de Parme , sa sœur naturelle , aimant mieux
en accuser tout aultre que le roy absent.
D'AUSBOURG. l35
6. Mais que, voyant qu'elle alleguoit le commande-
ment d'icelui , se seroient résolus d'envoyer des princi-
paux seigneurs du pays sur les lieux , pour mieux in-
former ledict sieur roy de Testât desdicts pays, lesquels
feurent traictés , comme chacun sçait , etc. , et n'en sortit
aultre fruict, sinon.que, pour ung reformateur, leur feut
envoyé ung bourreau, etc., à sçavoir le duc d'Albe.
7. Et ici fauldra raconter les cruautés et tyrannies
commises soubs son gouvernement, contre les loix et
statuts de ces pays, et contre tout droict dénature,
notoires h ung cliacun.
8. A ces cruautés et tyrannies s'opposa un temps
M. le prince d'Orenge , es provinces de Hollande et
Zelande, tant comme appelé par icelles, que pour
l'acquit de son debvoir , leur estant gouverneur, comme
aussi aulx efforts du grand commandeur qui le suivit;
tant que par la mort dudict commandeur, les aultres
provinces respirèrent et ressentirent le mal commun,
dont non seulement elles se relevèrent de dessous le
joug, mais tascherent mesme à délivrer tout le pays
des guerres qui l'accabloient.
9. De là nasquit la reconciliation des provinces en-
semble, pratiquée en la viile de Gand; et parce que
les estats et provinces, pour le grand nombre de gens
qui adheroient à la relligion , et s'y adjoignoient de jour
en jour, apperceurent que leur estât ne pouvoit estre
en paix si les placarts , recherches et persécutions con-
tinuoient, feut accordé que telles choses cesseroient ,
dont lesdicts pays commencèrent à se r'avoir et reve-
nir à leur première splendeur.
]0. Mais l'Espaignol, impatient de leur repos, et dé-
sireux de leur ruyne , envoya don Juan sous ombre de
gouverneur desdicts pays , lequel n'y fust si tost qu'il
1 36 LEGATION
y voulleut remettre le feu par infinies pratiques, etc.,
dont les estats feurent contraints de prendre les armes,
et lui, voyant sa trame rompue, se retira à Namur ,
dont il saisit le chasteau. Appert, par ses lettres inter-
ceptées, qui ont esté ci devant produites.
1 1. Ce feut la cause de r'embraser les troubles, qui
depuis n'ont cessé, et encores <|ue, sur ces commence-
mens, icelui estant desnué de forces, eust esté aisé à ruy-
ner, toutesfois, pour le remettre en son tort, se ressen-
tant de leur obéissance accoustumee, tentèrent encores
tous moyens de paix , tant que les Espaignols feurent
rappelés au pays , et toutes choses en pire estât que
jamais.
J2. Voyant les estats qu'ils ne pouvoient plus rien
espérer, ni des gouverneurs leurs capitaux ennemis,
ni du roy mesme , qui interpretoit leurs requestes en
rébellion, et faisoitmourir leurs députés, etc. , pour n'ob-
mettre aulcune des voies douces, eurent recours, par
plusieurs fois à l'empereur et à l'empire, desquels aul-
cuns desdicts pays meuvent en fief, espérant justice par
leur moyen comme du juge légitime entre le seigneur
et les vassaux, tant pour l'honneur qu'ils désirent tou-
jours leur rendre, que nommément, etc.
i3. Mais que, par les pratiques des Espaignols et
leurs adhérens , et aultres preocupations seroit advenu
que, nonobstant qu'ils eussent receu pour gouverneur
le frère de l'empereur, etc. , ils ont esté abandonnés en
leur oppression , et mesmes nullement assistés , soit en
la guerre, soit en la paix, (i)
\f\. Nommément, comme ainsi soit, que pour l'es-
pérance qu'ils auroient eu d'obtenir la paix par le
(i) iXolez que jamais l'empereur n'a advoué sa venue.
D'AUSBOURG. 1 ^J
moven et entremise de l'empereur, ils eussent refusé le
secours présent du duc d'Alençon, qui leur estoit né-
cessaire pour le secours de Maestricht, est toutesfois
advenu qu'au traicté de Coidogne, ne leur ont esté pro-
posées que conditions très déraisonnables, asçavoir,
conjointes avec le bannissement de ceulxqui font pro-
fession de l'Evangile es dicts pays, c'est à dire, de la
plus grande partie, dont feut advenue la ruyne et dé-
solation totale d'iceulx.
1 5. Et de ce sont tesmoings messeigneurs les électeurs
et aultres seigneurs qui ont pris la peine de s'y trou-
ver, et les actes de part et d'aultre en peuvent faire foi.
i6. Apres ce traicté, qui feut si long temps entretenu
que la ville de Maestnclit s'en perdit, que pouvoient
faire les estats , forclos de toutes voies équitables, de
tout secours en guerre et de toute espérance de paix,
sinon d'user de leurs droits, et, selon iceulx, pourvoira
leurs nécessités , etc. , cbercbant en leur conseil ce qu'ils
ne pouvoient trouver, ni cliés le roy d'Espaigne, ni par
le moyen de l'empereur?
17. Or delà est ensuivie, selon le droict naturel et
civil, la répudiation du roy d'Espaigne, pratiquée ci
devant en cas semblables, et plusieurs fois en tous
pays, en ceulx mesuies dont est question, comme, etc. ,
n'y ayant rien ni plus naturel ni plus civil, que la
resolution d'un contract, par la rupture intervenue
par une des deux parties, etc.
18. Quoi faict, ne voulans iceulx vivresans légitime
prince, ni pouvans résister à l'oppression sans secours,
ont eu recours à eslire celui qui les recherchoit de long
temps; et, pour le lieu dont il est issu, et les vertus
dont il est doué, auroit le moyen de les maintenir et
conserver, etc.
l38 LEGATION
ic). Premièrement, parce qu'ils se souvenoient que
tout fraischementlesdicts pays avoient grandement fleuri
sous le juste et légitime gouvernement d'un fils de ceste
mesme maison , le duc de Bourgoigne , etc. , et ses suc-
cesseurs.
20. Secondement , que tant lui que les siens avoient
toujours tenu bonne amitié avec i'Allemaigne, comme
appert par les histoires, etc., dont ils esperoient le
mesme , et partant se promettoient qu'il seroit agréable
à l'empire, qui sauroit bien considérer combien il lui
est plus utile d'avoir le François voisin que l'Espaigriol,
etc., et là discourir par exemples, quels de tout temps
leur ont esté plus amis.
21. Tiercement . parce qu'ils l'ont appelé à condi-
tion de maintenir lesdicts pays en leurs lois et statuts,
en quoi ils ont prétendu que les droicts deubs à l'em-
pire soient conservés et entretenus pareillement.
22. Et surtout , d'autant qu'ils ont espéré, comme ils
l'apperçoivent, que ce prince scauroit bien cognoistre
et discerner le debvoir qui lui est deupar ses subjects,
et celui qui est deu à Dieu , pour lui reserver ce qui lui
appartient , dont ils pensent estre venu tout le mal de
ces povres pays , veu ce qui est advenu de pareilles
faultes en France , Allemaigne, Angleterre et ailleurs.
23. Ces choses considérées espèrent que lesdicts sei-
gneurs ne trouveront mauvais qu'après avoir tenté toutes
voies de justice et équité, et usé de toutes les formes
requises , ils aient pourveu à la nécessaire defence de
leur pays par l'élection de ce prince, nécessaire à leur
Estât, non dommageable, ains utile pour le voisinage
à l'empire, ains l'approuveront très volontiers, et ad-
mireront, au milieu de tant et si longs maux, leur si
grande et si longue patience.
D'AUSBOURG. 1 89
La harangue estant dressée et prononcée sur les sus-
dicts Mémoires , en fauldra bailler une copie par escrit,
et faire, s'il est possible , soit par impression, soit aul-
trement, que tous les princes et seigneurs en ayent
un exemplaire , auxquels soient adjoints et attachés les
principaux papiers cités pour la vérification de chacun
article.
Puis icelle s'estant pourmenee quelques jours , pour-
ront lesdictes ambassades présenter les lettres de créance,
et demander audience pour et au nom de monseigneur
le duc d'Anjou, taisant le nom du duc de Brabant,
afin que,soubs ce prétexte, on ne lui refuse l'audience
que plus malaisément on lui peut refuser en ladicte
qualité; et, ladicte audience accordée, pourroit estre
remonstré ce qui ensuit :
1. Que les estats des Pays Bas ayans eu recours en
leur oppression audict seigneur duc , selon la coustume
et louable mémoire, tant de ses prédécesseurs, que
de tous généreux princes, il auroit volontiers preste
l'oreille à leur cause, et défendu leur querelle , prin-
cipalement voyant que toutes équitables conditions de
paix leur estoient desniees; toutesfois, pour esprouver
s'ils pourroient avoir la paix, leur auroit, non obstant
le traicté jà faict avec eulx, accordé de lui, etc.
2. Dont seroit ensuivi, que continuant d'une part
l'oppression, et de l'aultre son secours, il auroit esté
appelle, esleu, couronné , proclamé , receu, etc., duc
de Brabant.
3. Et parce que son desseing n'avoit onc esté d'en-
treprendre sur l'autrui, ains de rendre à chacun ce
qui lui est deu, incontinent qu'il auroit entendu la
diete , se seroit délibéré d'y envoyer, comme il faict, etc.,
pour leur déclarer comme il a accepté et accepte le-
l4o LEGATION
dict tiltre et seigneurie; que ce n'est poinct invasion,
comme Navarre ou Portugal , mais légitime élection.
/(. S'offrant à accomplir les traictés, droicts, deb-
voirs,hommages accoustumés par les prédécesseurs, etc.,
pareillement à se conformer, des que la guerre lui don-
nera relasche, à ce qui sera ordonné pour l'utilité de
l'empire, suivant l'ordonnance de la journée d'Aus-
bourg, i548, etc.; comme aussi ne souffrira que par
les siens aulcun tort soit faict à l'empire , ou subjects
d'icelui, etc.
5. Conclura par requérir d'estre receu en foi et
hommage, d'avoir séance en l'empire et assesseur à
Spire, comme tel, etc., promettant toute amitié, ser-
vice, etc.
Cela faict , se pourra traicter particulièrement avec
les princes , proposant à chacun les raisons qui lui se-
ront plus propres.
Aux électeurs ecclésiastiques, leur remonstrer com-
bien de fois, à Cologne, on leur a prédit ce qui ad-
viendroit, si on ne proposoit plus équitables condi-
tions de paix , veu qu'ils n'accordèrent oncq que des
bannissemens , et virent qu'on ne cherchoit pas de
pacifier, mais de diviser. Que ce n'est poinct de la part
du sieur duc une invasion, mais une élection juste,
telle que leurs prédécesseurs ont aultres fois pratiquée
contre des empereurs mesmes , pour n'avoir gardé le
serment faict à l'empire.
A l'électeur Palatin , la justice de la cause des Pays
Bas , approuvée par tant de gratifications que leur a
faict feu M. l'électeur son père, et d'aultre part le voi-^
sinage et parentage de France, dont ces prédécesseurs
n'ont jamais receu qu'amitié, etc.
A l'elecleur de Saxe, lui ramentevoir, pour justifi-
D'AUSBOURG. l4l
cation d'une pareille action, l'entreprise généreuse du
duc Maurice contre la tyrannie espaignolle, oultre tout
ce que dessus; item au marquis de Brandebourg et
aultres.
Au landgrave, oultre les susdictes raisons, alléguer
l'amitié de la couronne de France, laquelle, en pareille
cause , a secouru et délivré feu son père.
Faire aussi signifier, par interposés, au cardinal
Madrucce ou de Trente , ambassadeur du pape, en quel
danger se met le pape, irritant son altesse, de perdre
tout le crédit qu'il a en France, qui seroit son extrême
ruyne.
Pratiquer les ambassadeurs de Florence , et Ferrare,
et Venise, et aultres, pour leurs interests contre la gran-
deur d'Espagne, etc.
XVIII. — INSTRUCTION
De M^'' le duc cT Anjou, etc., à MM. de Bouillon (i)
et Duplessis y allans de sa part a la diète d'Aus-
bourgy fan i582.
Desclaueront premièrement à sa majesté impé-
riale (2) et aulx très révérends, très illustres et très
notables princes, seigneurs, députés et estats du sainct
empire, l'honneur, le respect, l'affection et la bien-
veillance que monseigneur le duc d'Anjou , fils et frère
de rois de France, leur porte et désire à tousjours
porter, tant en gênerai qu'en particulier; en tesmoi-
(i) Messire Guillaume Robert de la Mark , duc de Bouillon.
(2) Geste négociation feut rompue , et n'y allèrent poinct les-
dicts sieurs.
l42 LEGATION
gnaige de (juoi il auroit, long temps a, proposé d'en-
voyer vers la majesté impériale et les princes et estats
dudict sainct empire, pour leur faire entendre, selon
l'honneur qu'il leur veult rendre , et le debvoir d'amitié
nécessaire entre princes bons voisins et anciens amis ,
les causes de ses conseils et desseings, nommément
en ce qui touche les affaires des Pays Bas.
Mais en auroit esté quelque temps retenu sur ce qu'il
entendit, des le commencent de l'année présente, que
la diète impériale se debvoit tenir, laquelle depuis au-
roit esté par plusieurs fois différée, estimant qu'il seroit
trop plus à propos de leur déclarer le tout en telle très
notable et très célèbre assemblée , comme aulx oreilles
et à la vue de tout le sainct empire.
Leur diront donc que , comme les estats des Pays
Bas lui eussent par plusieurs fois unanimement re-
monstré la misérable servitude dont ils seroient et au-
roient esté, par longues années, opprimés iniquement
par les Espaignols, le debvoir au contraire que de tout
temps ils auroient rendu, nommément au roy d'Es-
paigne, et estoient encoresprests de lui rendre, suivant
les accords et sermens mutuels ; il auroit esté meu pre-
mièrement pour le debvoir de nature, et par l'exemple
de tous princes généreux , d'embrasser leur défense et
protection en une si juste cause, espérant que ledict
sieur roy, se resouvenant de la fidélité et obéissance de
son peuple, et de la bienveillance réciproque que les
princes doibvent à leurs subjects, changeroit d'advis , et
mettroit fin , par une bonne et équitable paix , aulx
longues et insupportables misères de ses povres pays.
Qu'à ceste fin il y seroit lors venu avec une bonne
et florissante armée , et auroit esté receu en plusieurs
bonnes et notables villes desdicts pays, desquelles,
D'AUSBOURG. i43
comme chacun sait, il eust peu se prévaloir, si son in-
tention eust esté d'envahir l'aultrui; mais qu'au con-
traire , voyant la voie de paix ouverte, comme il sem-
bloit, nommément par la médiation de l'empereur et
entremise de quelques très révérends princes et illus-
tres personnages du sainct empire , il auroit très volon-
tiers et de lui mesme retiré et abstenu totalement ses
forces desdicts pays , pour ne sembler troubler un
si sainct et si nécessaire affaire ; encores que par les
choses passées il apperceust très bien, et feust aussi de
plusieurs parts adverti quesdicts traictés de paix les
Espagnols n'avoient aultre but, que d'esloigner le se-
cours desdicts pays, et en les entretenant en longues
et vaines espérances , leur faire tant plus avantageu-
sement la guerre.
Sur quoi remarqueront particulièrement que com-
bien qu'iceulx sieurs des estats eussent accordé una-
nimement avec lui d'ung certain terme, en dedans le-
quel la paix deust estre ou conclue ou rompue, pour
ne tenir ses forces inutiles et en suspens (comme ap-
pert par le traicté de Tan i 5^8 en aoust) ; feut toutesfois
mondict seigneur content d'allonger le terme tant qu'il
leur pleut et qu'ils jugèrent bon estre, afin que ledict
seigneur roy d'Espaigneeust loisir de retourner à soi , et
eulx moyen de sonder tout ce qu'ils en pourroient ob-
tenir, n'y faisant icelui aultre difficulté, sinon qu'il
avoit regret de les voir périr pièce à pièce , soubs om-
bre de vaines espérances, au lieu qu'acceptant à temps
le secours qu'il presentoit , ils se pouvoient, parla grâce
de Dieu, conserver.
Cependant seroit advenu que la paix, après avoir
esté debatue six mois entiers à Coulogne , seroit non
seulement venue à néant, mais mesme tournée à leur
l44 LEGATION
grand dommage , ne leur restant du traicté qu'ung de-
sespoir de jamais y revenir, et ung regret d'y avoir tant
perdu et d'occasion et de temps, leurestans, non ob-
stant leurs remonstrances , proposées les mesines con-
ditions qui avoient causé leur calamités depuis quinze
ans, comme ledict seigneur duc ne doubte que lesdicts
sieurs des estats l'auront faict amplement entendre à sa
majesté impériale et aulx très révérends, 1res illustres
et très notables princes, seigneurs, députés et estats du
sainct empire, sans qu'il soit besoin de la leur ramen-
tevoir en cest endroit.
Qu'en ceste extrémité se ressouvenans lesdicts sieurs
des estats de la bonne affection qu'il auroit eue ci de-
vant de les défendre contre l'oppression et tyrannie,
après longue et meure délibération, auroient una-
nimement envoyé vers lui une notable ambassade (l'an
i58o), composée de toutes lesdicles provinces, l'au-
roient appelé pour leur prince et seigneur, suivant
leur puissance et auctorité portée par les loix et statuts
dudict pays, moyennant certains articles accordes en-
tr'eulx pour leur bien et repos, dont seroient entre-
venus mutuels et réciproques sermens.
Mais que ledict seigneur duc désirant esteindre la
guerre en France, premier que partir, suivant le pou-
voir qu'il en auroit eu du roy très cbrestien , son très
lionoré seigneur et frère , y auroit tardé assés long temps
pour establir la paix : depuis auroit secouru la ville
de Cambray assiégée par le parti dEspaigne, et seroit
peu après passé en Angleterre pour très grands et im-
portans affaires qu'il avoit avec la serenissime royne
d'Angleterre; pendant lequel temps, (jui contient près
de deux ans, ledict sieur roy d'Espaigne auroit eu assés
de loisir de s'amender envers sou peuple, et présenter
D'AUSBOURG. l45
conditions recevables pour asseurer leur vies et con-
tenter leurs consciences; quoi faisant, eust apperceu
que ledict seigneur duc ne tendoit poinct par ses armes
à usurper Taultrui, mais, selon le debvoir de tous princes
Lien nés , à conserver et r'establir un chacun , autant
qu'en lui est, en ce qui de droit lui appartient contre
la violence de ceulx qui, se fondans sur leurs seules
forces, veulent fouler tous droits et toutes loix aulx
pieds.
Qu'ainsi donc le roy d'Espaigne, continuant de plus
en plus à opprimer lesdicts sieurs des estats, et iceulx
d'aultre part à reclamer son aide en ceste griefve op-
pression, très volontiers seroit venu esdictspays, enau-
roit accepté les titres et seigneuries selon les solem-
nités accoustumees, et y auroit apporté tout ce que
Dieu lui a donné d'auctorité, de forces, de moyens
pour la tuition et desfense d'iceulx; et espère ledict
sieur duc que Dieu lui fera la grâce, tant de deffendre
et de délivrer de toute oppression ung si grand peuple,
qui , pour la bonne opinion qu'il en a eue, a faict élec-
tion de lui , et s'est jette entre ses bras , qu'aussi de con-
server et maintenir la principauté et seigneurie qui 1 ui en
est si légitimement acquise, et à laquelle il se sent vrai-
ment appelle de Dieu mesme, puis qu'il y est venu
aulx souhaits de tant de gens de bien de toutes qualityes ,
et aux cris redoublés de tant de povre peuple, opprimé
sous la servitude espaignole.
Et ce d'autant plus, que ce n'est point une con-
queste de gaieté de cœur, procédante ou de pure am-
bition , ou de la seule bienséance desdicts pays, comme
le roy d'Espaigne en tient et en a entrepris, et de fresche
mémoire, nommément le duché de Milan, fief ancien
et chambre de l'empire, le royaume de Navarre, et à
MÉM. DE DUPLESSIS-MORNAY. ToME II. 10
l46 LEGATION
présent celui de Portugal , etc. , lesquelles ne sont fon-
dées que sur la seule force et contrainte, et partant
suivies d'une servitude extrême des pays et du peuple ;
mais certes, de la part desdicts estats des Pays Bas, une
nécessité et oppression extrême, de la part dudict sei-
gneur duc une affection de les soulager pure et simple,
attendu , comme il est tout évident, qu il ne lui en re-
vient pour le présent (qui toutesfois vient tousjours le
premier en considération) , que beaucoup de travaux ,
de haines et de frais , et que de telle entreprise, veu le
lieu que par la grâce de Dieu il lient , il se pouvoit ho-
norablement et utilement passer, si l'amour de justice
et la compassion des affligés, qui tousjours ont eu
beaucoup de puissance sur les cœurs généreux, ne l'y
eussent poussé et conduict.
Suivant ceste mesme intention , déclareront à S. M.
impériale, et aulx très révérends, très illustres, très
notables princes, seigneurs , députés, et estais du
sainct empire , que ledict seigneur duc de Brabant et
d'Anjou, etc., comme il est légitimement entré en la
seigneurie desdicts Pays Bas, prétend aussi observer et
accomplir soigneusement tous les traictés, qui sont
d'ancienneté entre tous les princes et estats voisins ,
et sesdicts estats des Pays Bas. Nommeement s'offriront
de^sa part à faire le deu et accoustumé hommage à
l'empereur et au sainct empire des terres et seigneu-
ries qu'il en relevé, selon la forme qu'il a esté faict par
le feu empereur Charles et le roy d'Espaigne, ses pré-
décesseurs, et à icelui requerront présentement estre
receus en cesle tant célèbre assemblée.
En conséquence de quoi requerront que ledict sei-
gneur duc de Brabant, etc. , soit avec les susdicts pays
receu en la protection du sainct empire , et honoré de
D'AUSBOURG. i/^j
la séance accoustumee es journées impériales, et aultres
prérogatives à icelui appartenantes : au contraire, que
ceulx qui leur font , ou feront la guerre , soient déclarés
ennemis du sainct empire, comme tels mis au ban im-
périal , et reboutés de tout ce qu'ils voudroient pré-
tendre vers icelui empire , ou par son moyen , attendeu
qu'ils en auroient vouleu descliirer et arracher uncr si
notable membre , et maintenant en chercheroient en-
cores la finale désolation , et ruyne.
Moyennant quoi, ledict seigneur duc sera de plus en
plus obligé de continuer, et observer l'amitié, qui, de
temps immémorial, a esté entre les estais du sainct em-
pire , et la maison et couronne royale de France; et,
pour les susdicts pays, qui, par la grâce de Dieu, lui
sont si légitimement acquis , leur" rendra tousiours
honneur, obéissance et service.
Ce sont les instructions de monseigneur le duc de
Brabant et d'Anjou a MM. de Bouillon et Duplessis ,
allans de sa part vers la majesté impériale, et les très
royaulx , très imperiaulx , très nobles princes , seigneurs
et députés du sainct empire, ausquelles ils pourront
adjouster, tant vers tous iceulx en gênerai, que vers
chacun en particulier, ce qu'ils jugeront convenir à
ceste fin, etc.
XIX. — LETTRE DU ROY DE NAVARRE
^ M. Duplessis.
Du 1 1 mai iSSa.
Monsieur Duplessis, j'ai veu par une lettre que
vous avés escrite au sieur de Segur , comme monsieur
désire vous envoyer en Allemaigne pour déclarer les
droicts et fondemens de son entreprise à la diète de
l48 LETTRE DU IlOY DE NAVARRE , etc
l'empire qui s'y tient solennellement. C'est ung voyaige
digne de vous, et auquel vous aurés moyen de faire
paroistre la dextérité de vostre esprit; et si je m'as-
seure qu'estant occupé au service de S. A. vous ne serés
inutile au mien. Faictes le donc, je vous prie, etescrivés
moi souvent. Car, pour si longues que soient vos let-
tres, elles seront tousjours bien receues de celui qui prie
sur ce le Créateur , M. Duplessis , vous tenir en sa garde.
De Pau.
Vostre meilleur maistre et ami, Henry.
XX. — LETTRE DE M. DE DANZAY,
Ambassadeur du Roy en Dannemarck , a M. Duplessis.
Du 18 mai 1082.
Monsieur, premier que vostre lettre du i5 no-
vembre m'ait esté rendeue , qui a esté bien tard , à
cause du véhément hiver que nous avons eu par deçà ,
et des glaces qui nous ont tenus assiégés longuement,
i'estois affligé d'une si véhémente et aspre maladie,
que, Vespace de trois mois, je n'ai eu une demie heure
de continuel repos ; cela a esté cause que ne vous ai de
long temps escrit. Je vous supplie m'excuser. Aussi, veu
la despesche que vous attendiés pour continuer la ne-
gotiatioii que vous sçavés, que me voulliés faire tenir,
je desirois dresser quelques mémoires pour plus faci-
lement l'avancer, et les vous envoyer, pour voir s'il y
auroit chose qui y peust servir. Mais ladicte maladie
ne la peu permettre. Ce sera pour la première commo-
dité. Je ne vous parlerai des accidens communs qui
nous sont advenus, ce que je ne pourrois faire sans
une extrême douleur. Et il faut louer celui qui ne faict
LETTRE DE M. DE DANZAY, etc. l49
rien que bien. Durum^ sed levius fît patientiâ quid-
quid corrigera est nefas. Vostre livre de l'ancienne
relligion est cause que plusieurs doctes personnes
ni'escrivent souvent, pour sçavoir si la traduction la-
tine aura esté imprimée , pour en avoir des exemplaires ;
Comme aussi de "vostre livre de l'Eglise , qui mérite bien
d'estre mis en latin.
Je vous remercie très affectueusement de la bonne
souvenance que vous avés eu de mon neveu de
Danzay. J'espère qu'il est à présent en France , et m'as-
seure qu'il ne fauldra de se trouver aulx Pays Bas pour
continuer le service qu'il doibt à Son Altesse. Il est de
bonne volonté, mais il a encores besoing d'estre retenu.
Il vous remerciera de l'honneur que lui avés faict , et
vous obéira et servira comme il y est tenu. Dieu le
garde de mauvaise compaignie. Ladicte Altesse m'a
escrit qu'elle envoyeroit de brief personne de qualité
devers le roy de Dannemarck pour l'affection qu'il a de
donner commencement à une vraie et sincère amitié
entr'eulx ; renouveler les anciens traictés et confédé-
rations qui ont de long temps inviolablement esté con-
serves entre les roys de Dannemarck et les Pays Bas ;
et pour confirmer leurs privilèges et libertés; dont la
resolution a esté telle. Il y a controverse entre le roy
d'Espaigne et lesdicts pays. Le roy de Dannemarck
ne veult entrer en cognoissance de cause, et moins
en donner jugement. Il est allié et confédéré dudict
roy d'Espaigne, qui lui a tousjours esté bon voisin
et ami. Pour ceste cause , il ne le veult offencer sans
juste cause, ne contrevenir à la foi qu'il lui a ju-
rée et promise ; comme il feroit manifestement , s'il
s'allioit ou confederoit durant ceste contention avec
Son Altesse comme duc de Brabant et seigneur des-
l5o LETTRE DE M. DE DA.NZA.Y
dicts pays. Mais, veu les honnestes offres qu'il lui a
faicts, qu'il recevoit d'une singulière affection son
amitié , comme prince de France , et frère du roy très
chrestien , qui lui avoit tousjours esté très fidelle ami,
et qu'il conserveroit et augmenteroit iaclicte amitié par
tous les honnestes services qui lui seroient possibles.
Aussi , que pour son respect , il permettra que ceulx des-
dicts pays trafiquent librement par ses royaumes et
pays, et ne diminuera aulcunement leiu's privilèges.
Par ce moyen, il me semble (jue sa dicte Altesse a de
faict ce qu'elle demande audict roy de Dannemarck, et
que, veu l'occasion présente, elle s'en doibt contenter,
sans presser ne importuner le roy de chose qu'il lui
peust justement refuser. Je vous asseure , monsieur,
que j'ai eu de la peine premier que réduire ceste nego-
tialion en tel estât. Et sans les moyens desquels j'ai
usé, ledict roy de Dannemarck se feust apertement dé-
claré pour l'Espaignol , comme plusieurs princes lui
conseilloient, et lui faisoient de si grans et asseurés
offres, qu'il a esté bien esbranlé. Mais, j'espère qu'il
ne contreviendra à la promesse qu'il m'a faicte , si sa
dicle Altesse envoyé promptement vers sa majesté ,
comme elle a promis, ce qui est merveilleusement né-
cessaire. Et s'il est possible qu'il ait lettre de faveur du
roy très chrestien audi<'t roy de Dannemarck. Car cela
est de très grande importance pour faire cesser plu-
sieurs sinistres suspicions, qui sont si imprimées en l'es-
prit de plusieurs, qu'il est presque impossible de les
effacer. Je ne double poinct que M. de Villiers ne vous
communique familiairement ce que je lui ai escrit, qui
m'engardera de vous faire plus longue lettre; aussi que
je suis si débile que je n'en puis plus. Je vous supplie
m'excuser.
A M. DUPLESSIS. l5ï
Monsieur , je me recommande bien humblement à
vostre bonne grâce, et prye Dieu vous donner très
heureuse et longue vie.
De Helseigneur.
Vostre bien humble serviteur et entier ami, Danza^y.
Et estait escrit au bas , en apostille :
Celui qui viendra par deçà, de la part de Son Altesse,
pourra demander et proposer au roy de Dannemarck
ce qui lui plaira. Mais qu'il se contente d'une hon-
neste response , sans presser ledict roy de chose qu'il
peust justement desnier. On nesçait encores quel succès
prendront les desseings de Son Altesse , et nos actions
sont si suspectes, qu'ung chacun en est tousjours en
crainte et do'ibte. Et en telles occasions, celui est bon
ami qui ne nuit poinct. Je desirerois grandement sca-
voir si Son Altesse envoyera à ceste diète impériale,
comme il seroit bien nécessaire, pour plus facilement
rompre les conseils de ses adversaires , qui ne perdront
ceste occasion de lui nuire, s'ils peuvent.
Et au dessus de la lettre estait escrit :
A Monsieur^ Monsieur Duplessis , Conseiller du roy de
Navarre ^ et son. Ambassadew aux Pays Bas. «
XXI. — INSTRUCTION
Pour le sieur de Clervant , allant de la part du roy de
Navarre vers M. de Savoie; dressée par M. Duplessis.
Représentera à M. le duc de Savoie le grand con-
tentement que le roy de Navarre a receu de l'asseu-
rance qu'il à pieu audict seigneur duc lui donner de
sa sincère et entière amitié, Tasseurant que ledict sei-
l52 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE
gneur roy n'a rien en ce monde plus cher , comme de
sa part il ne fauldra aussi d'y correspondre par tous
bons offices , qui se peuvent attendre d'ung très affec-
tionné parent et entier ami.
Et, quant à la démonstration que ledict seigneur duc
lui a faict de voulloir confermer et estreindre ceste
amitié par ung lien de mariaige avec madame sa sœur,
lui déclarera que ledict seigneur roy auroit ung singu-
lier désir que les choses peussent estre conduites à
ceste fin.
Mais, sur ce que le sieur de Bellegarde lui auroit tenu
propos, qu'il seroit requis, pour y parvenir, que
madicte dame sa sœur changeast sa relligion, ne peult
ledict seigneur roy lui celer que ceste condition lui a
semblé dure et estrange, comme il ne double qu'elle
semblera telle audict seigneur duc , quand il y aura ung
peu pensé, (j)
Car ledict seigneur duc sçait très bien que Tobliga-
tion que les hommes ont envers Dieu , précède de bien
loing toutes aultres; et les princes l'ont d'aultant plus
grande, qu'ils ont plus receu de lui. Et ne sçait ledict
seigneur roy quelle amitié , sincérité et fidélité, ledict
seigneur duc pourroit ci après attendre ou espérer du-
dict seigneur roy, par le moyen de ceste alliance , s'il
avoit conseillé à madame sa sœur de faire une telle
faulte envers sa conscience propre. Comme aussi , il ne
voit poinct quel heur et prospérité il pourroit attendre
d'ung mariaige, qui auroit esté commencé par ung si
misérable commencement que celui là.
Joint que, s'il plaist audict seigneur duc entrer en
profonde considération de ce faict, ledict seigneur roy
»i I .. . — ——.——.— ^»— .—.-—— —
(i) Ceste considération achoppa le mariaige.
AU SIEUR DE CLERVANT. l53
nepeult faire chose plus préjudiciable à sa réputation ,
inesme entre tous hommes, que celle là , par laquelle il
meriteroit de perdre, et perdroit sans doubte l'amitié
et alliance de tous ceulx desquels jusques ici il a esté
fortifié et appuyé. Au lieu que le but de telles alliances
est d'accroistre d'amis et d'appuis ; et que ledict sei-
gneur duc désirant ceste ci , doit désirer par mesme
moyen que ledict seigneur roy garde et maintienne les
siens de plus en plus, lesquels par ceste alliance lui se-
ront acquis , pour en estre fortifié, appuyé, et servi es
occasions qui se peuvent présenter.
Sur ce que ledict sieur de Bellegarde a faict entendre
et cognoistre audict seigneur roy, que ledict seigneur
duc auroit agréable qu'il s'employast pour accommoder
le différend survenu entre ledict seigneur duc et
messieurs des cantons et de Genève, déclarera audict
seigneur duc que ledict seigneur roy a esté très marri
desdicts differens , lesquels, à son advis, ne peuvent
réussir qu'au dommage et incommodité des ungs et
des aultres. Pourtant a donné charge audict sieur de
Clervant , si ledict seigneur duc estime que son entre-
mise lui puisse estre en rien utile , de s'y employer en
son nom ; auquel ledict seigneur duc faisant entendre
son intention , ledict sieur de Clervant essayera d'ame-
ner les choses à la raison et au contentement des par-
lies, encores que le roy y a ja interposé son auctorité,
lequel y peult trop plus que lui.
Ramentevra audict seigneur duc la prière qu'il lui
a de long temps faicte d'employer sa faveur et aucto-
rité pour la liberté des sieurs de Turenne et de la
Noue, pour en faire une nouvelle despesche, et bien
affectionnée au roy d'Espaigne, suivant les ouvertures
qu'il verra convenir. Gomme aussi, ledict seigneur roy
1 54 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE , eic,
tienclroit à grand plaisir qu'en sa faveur ledict sei-
gneur duc fcist sentir sa bonté aulx sieurs d'Escroz ,
desquels les biens sont saisis seulement pour le faict
de la relligion , le suppliant de ks en voulloir remettre
en plene et entière jouissance.
XXII. ~ LETTRE DU ROY DE NAVARRE
Au duc de Savoie.
Monsieur , je nv3 sens grandement obligé à vous des
grands témoignages de vostre amitié qu'il vous a pieu
naguère me demonstrer par l'envoi du sieur de Belle-
garde , et vous supplie croire que de ma part j'essayerai
par tons les moyens de la rendre perpétuelle, comme
les effets le vous feront cognoistre, quand me ferez
cette faveur de m'employer en cbose qui vous loucbe.
Pour le vous témoigner tant plus, j'envoye le sieur de
Clervant vers vous, lequel je vous supplie ouïr et
croire en ce qu'il vous dira de ma part comme de moi-
mcsme. Comme aussi je lui ai donné charge, s'il se pré-
sente occasion en laquelle vous jugiez que son entre-
mise puisse aider vostre service, d'y apporter de ma
part et de la sienne tout ce qu'il pourra pour vostre
contentement : sur lequel remettant le tout, je ne ferai
celle ci plus longue, sinon pour vous dire que je fais
tant de cas de vostre amitié, et la désire si chèrement
conserver et si étroitement entretenir, que, quand je
cognoistrai pouvoir faire chose qui vous agrée, il n'y
a rien qui me puisse estre difficile à passer, sinon cela
seul que le doibt estre à toutes personnes de vertu et
d'honneur, qui est le respect de Dieu et de la con-
science sans lequel je m'estimerois indigne, non de
LETTRE DU ROY DE NAVARRE, etc. l55
vostre amitié seulement, mais de quelconque aultre
personne. A tant monsieur, etc.
XXIII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Mezieres. (i)
Du 5 décembre i582.
Monsieur , m'en venant en ce pays de Gascogne
trouver le roy de Navarre, j'eus cest heur de rencon-
trer à Artenay près d'Orléans, à la couchée, M. du
Ferrier nostre commun ami , lequel je trouvai plein
d'une bonne et saincte resolution; mais qui, à mon
advis, pour l'infirmité de ceste chair, et les appâts et
accroches du monde, a besoin d'estre fortifiée, et
d'autant plus qu'il va à la cour, où il n'aura faulte de
gens qui tascheront de l'en détourner. Croyés que je
n'ai rien omis de ce que j'ai deu et peu , et à mon advis
non en vain; car il me sembloit (jue Dieu le m'avoit
conduit en mon chemin ; mais il faultque vous acheviés
l'œuvre que vous avés commencé. Et, pource, serois
d'opinion que le veinssiez voir à Paris , pour l'arracher
du tout de là et le transplanter en meilleure terre; et
j'ai apperceu qu'il vous en pryeroit instamment , s'il ne
craignoit de vous importuner. Or combien la profes-
sion publique d'ungsi grand personnage fera de fruit,
et envers les ignorans , et envers les temporiseurs, je le
vous laisse à penser. Mais je desirerois fort que, comme
Dieu lui a fSict des grâces singulières, qu'il y eust aussi
quelque chose de singulier en ceste profession ; car vous
sçavés qu'à qui plus il donne, plus aussi il redemande;
et qu'il compensast en quelque façon ceste tardiveté
( i) François Perrot , sieur de Mezieres.
i56 LETTRE DE M. DUPLESSIS
de resolution, par la forme qu'il tiendroit à se déclarer,
laquelle, comme je lui ai dict , peult estre telle , que lui
qui n'est venu que sur le soir, fera plus de fruit et de
profit en ceste vigne que nous avons à cultiver, que
ceulx qui ont houé des le matin et porté tout le chaud
de la journée. Ceulx comme vous savés qui nous ont
précède en ceste arène, n'en ont pas eu si bon marché
que nous; ils ont esté bruslés, noyés, massacrés; aujour-
d hui le martyre est changé en confession, le martyr
en confesseur. Dieu s'estant contenté des persécutions
passées, el nous donnant une paix, en laquelle nous
pouvons librement et seurement faire profession de ce
qu'il nous a donné de croire. Mon désir seroit que
M. du Ferrier se retirast en quelque église notable et
libre, comme pourroit estre Sedan; s'il n'aime mieux
faire cest honneur au pays de sa naissance. Que là,
ayant conféré avec les ministres, publicquement eu
pleine assemblée il feist une confession de sa foi bien
préméditée, comprenant les fondemens de nostre sa-
lut, et déduisant sommairement les raisons qui l'au-
roient meu de se départir de l'église romaine. Que sur
la fin il sommast les consciences de ceulx qui cachent la
cognoissance que Dieu leur a donnée, de rendre à
Dieu l'honneur qui lui appartient. Et qu'après que ceste
harangue auroit esté prononcée , elle feust imprimée en
latin, françois, italien, etc., et envoyée partout, mesmes
au roy en lui rendant compte de ceste mutation de vie,
moyennant quoi, j'espererois que sa confession et pro-
fession ne feroit moins de fruit que le martyre de feu
M. du Bourg son collègue : je pense qu'il doibt cela à
Dieu et à son Eglise ; et, si vous estes de cest advis, je
vous prye d'y tenir la main, et me mandant en quoi
j'y pourrai servir, je le ferai de tout mon cœur. Mon-
A M. DE MEZTERES. 167
sieur, vous userés de ce mien advis selon vostre pru-
dence et discrétion. J'honore le personnage, et j'estime
que par ce moyen en honorant Dieu, il seroit vraiment
honoré de Dieu et des hommes. Je prye Dieu qu'il Tin-
spire et vous doint heureuse et longue vie.
De Nerac, etc.
XXIV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. Taffin.
Du 7 décembre lôSa.
Monsieur , encore que je sois loing de vous en corps ,
j'en suis tousjours près en esprit, et ne puis oublier
le pays que de long temps je n'ai moins affectionné
que ma patrie. Je suis depuis quelques jours auprès du
roy de Navarre où je me suis souvenu que vous avés
par delà , par la misère des guerres, ung nombre infini
de povre peuple réduit à grande nécessité; dont on ne
voit encores prochain remède ny apparente issue. Sur
cela j'ai proposé au roy de Navarre d'en retirer quelque
bon nombre de familles en ses pays souverains de
Bearn, lequel n'en a si tost ouï l'ouverture, qu'il l'a em-
brassé de tout son cœur, pour les accommoder er tout
ce qu'il sera possible; afin que vous y advisiés avec plus
de fondement, les commodités sont telles. Le pays a ce
don de Dieu spécial , que sa parole y est purement pres-
chée en françois , et toute idolastrie et superstition for-
close et bannie. Si quelque nombre de Flamans s'y veu-
lent retirer, ils auront semblable exercice en leur langue.
La paix y est profonde et àsseuree; la justice, qui en
dépend, soigneuse et droicte, je dirai sans passion,
autant qu'en petit climat du monde. Geste région est
sur les marches dé France et d'Espaigne, proche de la
l5S LETTRE DE M. DUPLESSIS
mer oceane vers Bayonne, et de rivière navigable pour
y descharger les marchandises. D'Espaigne on a fort
commodément les soies; du lieu mesmes les laines et le
lin. Les rivières y sont très propres pour les teintures.
J'estime toutes les commodités que vos réfugiés on eu
ailleurs, incommodités au regard de celles ci. Le bled
et le vin y est très bon et à vil prix. Toutes aultres choses
nécessaires, de mesme; et pour attirer toutes per-
sonnes industrieuses, le roy de Navarre leur départira
des terres fort bonnes à cultiver, des villes bien assises
à habiter, des privilèges tels qu'ils sçauroient honnes-
tement refjuerir pour les accommoder. Ils trouveront
au pays tout ce qui est nécessaire à leurs exercices et
manufactures, et en la dehonnaireté du prince recou-
vreront tout ce qui pourrait défaillir au pays. J'omet-
tois à vous dire qu'il y a une université audict pays,
où ils pourront faire nourrir leurs enfans aux bonnes
leîtres , bien pourveue de gens doctes en toutes sciences
et langues. La longueur du chemin les en pourroit des-
tourner; mais Dieu y a pourveu, et ledict sieur roy de
sa part y pourvoira en ce qu'il pourra. La mer les peult
apporter juscjues à Bayonne qui est sur les marches ; et,
pour amoindrir les frais, ils pourroient venir jusques à
La Rochelle dedans les vaisseaux des Pays Bas qui vont
au sel en Brouage et en Ré, ou dedans ceulx de La Ro-
chelle qui portent des vins aux Pays Bas. Quand ils se-
roient là , on donneroit ordre qu'ils seroient accom-
modés de vaisseaux nécessaires jusques à Baybnne; et
le roy de Navarre mesme facilitera leur voyage en
tout ce qu'il pourra adviser. Mon advis seroit, s'il y en
a par delà qui vueillent accepter ce parti, qu'ils en-
voyassent au phistot quelque honneste homme par deçà
pour recognoistre les lieux , auquel on feroit voir le
A M. TAFFITY. iSg
tout; et par mesme moyen il pourroit requérir ce qu'il
cognoistroit nécessaire pour cest effet; et il trouveroit
ici ung nombre de gens d'honneur et de vertu, qui l'as-
sisteront de bon cœur, et ne le lairront retourner vide.
Cent familles, pour le commencement, voire deux
cens , y seroientles très bien venues , et m'asseure qu'ils
s'y trouveront si bien, qu'à peine auront ils jamais
envie d'en partir. Nous désirerions des tapissiers , dra-
piers , teinturiers, tanneurs, tisserans, faiseurs de
serges, ostades , trippes, passemens, etc. ; un excellent
peintre, et qui tirast au vif, y seroit particulièrement
appointé du roy de Navarre; et si quelque ministre
veult conduire la petite colonie, il y sera le très bien
venu et entretenu comme l'ung de ceulx du pays. Je re-
mets la conduite de ce faict à vostre prudence et discré-
tion pour ne le communiquer à ceulx qui l'interprète^
roient mal. De moi je n'y cherche que le bien et soula-
gement de plusieurs povres gens, aulxquels je serois
marry de conseiller que pour leur bien et repos. Je
vous prye donc de m'en donner response au plustot que
pourrés , adressant vos lettres à Paris chés M. de Torsay
vostre frère, pour les bailler à M. de Chassincourt. Je
n'en ai escrit qu'à M. Macis de Gand et à M. Haren de
Bruges , aulxquels en pourrés communiquer et à aultres
que verres bon estre. La désolation que je vis deHunds-
cot m'émeut le cœur pour penser à ceci, et vous n'avés
faulte de semblables. Au reste, faictes tousjours estât de
mon amitié, et vous souvenés de nous en vos prières,
comme nous de vous aulx nostres. Je prye Dieu, mon-
sieur , qu'il ait pitié de vostre povre pays , et vous doint
en particulier heureuse et longue vie.
De Nerac, etc.
Le roy de Navarre m'a commandé de vous escrire
l6o LETTRE DE M. DUPLESSIS
tout ce que dessus , et en pouvés faire estât et fondement
comme de ses lettres propres.
XXV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. du Ferrier. (i)
Du 22 décembre i582.
Monsieur, depuis que je vous vis à Artenay, j'ai
tousjours pensé à vous; et en vous, à Tavancement de
la gloire de Dieu, et du salut des hommes. Vous scavés
les propos que nous eusmes ensemble : en contentant
vostre conscience vous pouvés faire un grand fruict à
tout le monde. Je sçai que vous aurés trouvé le monde
en personne aulx lieux où vous alliés, qui vous en aura
voulleu divertir; car il est ennemi et de vous et de son
bien. Mais il est temps de le vaincre, et la victoire
n'en est en ce temps fort difficile ; quand il est mesprisé ,
il est vaincu. Sans faire tort à vostre constance et ma-
gnanimité, j'ose vous ramentevoir ce que je vous disois
lors. Ces ans passés Dieu requeroit de nous le martyre,
et maintenant il se contente de nostre confession. Si
nous la dénions, vous en scavés la peine; c'est qu'il
nous desavouera, nous frustrant de trop meilleur héri-
tage que ceulx que nous perdons. Etencores, toutes
choses considérées, c'est un marché sans peur; aujour-
d'hui , nous le pouvons posséder sans rien hasarder ni
perdre. Permettes que je passe oultre; les rares et sin-
guliers dons que Dieu vous a départis requerent je ne
sçai quoi de particulier en vostre confession. Vous
(i) Arnaud du Ferrier, eraployé par les roys en diverses
charges et ambassades au Concile de Trente , à Venize^ etc. etc. .
et depuis chancelier de Navarre.
A M. DU FERRIER. l6l
avésune grande repiUatioh en diverses nations; il fault
donc que la cognoissance qu'il vous a donnée éclate
par tout. Vous avés aussi par plusieurs grands et nota-
bles services acquis de rauctorité auprès du roy ; il fault
pareillement qu'elle parvienne jusques à lui niesmes.
Mon advis seroit, monsieur, (et vous ne le recevrés
comme de moi; mais rexaminerés selon le debvoir de
conscience ) qu'au plus tost vous vous retirissiés en
quelque lieu seur , oii il y eust une notable église re-
formée, comme à Sedan, ou en ces quartiers s'il vous
sendile meilleur. Que là, ayant communiqué avec les
ministres, vous requissiés défaire une confession de
vostre foi devant toute l'église bien préméditée, qui
comprist les fondemens de nostre salut et renversast
brievcmentles superstitions destjuelles vous vous dépar-
tes (i). Qu'icelle feust iinpriince, puis envoyée avec une
préface au roy, qui lui rendist raison de ceste conver-
sion ; et consequemment traduite en latin , italien, etc.,
pour estre semée par toutes les nations ou vostre nom
est cogneu. Je conçoi ung tel fruit de cela, qiïe j'oserois
presque vous adjurer de le faire; et vous sçavés, mon-
sieur, qu'à qui nous a donné le corps et l'ame, la lan-
gue et le cœur, les actions et les affections, tout ce que
nous avons en somme, et (jue nous sommes, nous ne
lui en pouvons soubstraire une partie par dissimulation
et froideur, ou aultre considération humaine , sansim»-
manifeste tacrilege. Considérés, monsieur, combien il
y a que vous cachés ce talent ; il en fault payer les arré-
rages tout en ung coup. Dieu vous a attendu en ces
miséricordes, dont je suis tesmoing, il y a plus de quinze
(i) Il feit profession de la relligion, mais non en la forme
qu'on requeroit de lui, pour quelque considération particulière.
MÉM. DE DUPLESSIS-MORJNAT. To.lIE II. I I
102 LETTRE DE M. DUPLESSIS
ans; depuis tout ce temps il frappe à vostre porte, et
crie à vostre oreille. Gardons nous, monsieur , d'abuser
de sa patience et longanimité, comme plusieurs qui
mesmesen leur jeunesse ont esté surpris et prévenus en
temporisant. J'en dy peut estre trop pour vostre con-
stance , mais non pour l'infirmité humaine , et pour les
tentations mondaines qui nous environnent. Donnés
cela à l'affection que je vous porte et au désir que j'ai
de vous voir vraiment honoré de Dieu en l'honorant. Je
suis ici près du roy de Navarre; s'il y a service que je
vous puisse faire, commandés comme à vostre fils. Il vous
a en réputation bonne et grande ; et l'esprouverés s'il
est besoing. Monsieur, je prie Dieu qu'il vous conseille
et conforte par son esprit à sa gloire, à vostre salut et
repos, et à l'instruction de son peuple. Amen.
De Nerac , etc.
XXVI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
J M. de Pibrac. (i)
Du 2 3 décembre i582.
Monsieur, je suis venu en ce pays au mandement
du roy de Navarre, et pensois avoir ce bien de vous y
trouver encores. En ce default, je me suis enquis soi-
gneusement de vous, à ung vous mesmes; je dis de
vous, et de ce qui est plus vostre en vous. Il m'a dict
que, depuis quelque temps, vous preniez ung singulier
plaisir aux sainctes lettres , et nommeement en la mé-
ditation des psalmes. Je m'en suis esjoui et en loue
Dieu. Tout bien compté, ce doibt estre là le port de nos
estudes, puis qu'il nous addresse le port de nostre vie.
(i) Guy du Faur, sieur de Pibrac, lors chancelier de la roy ne
de Navarre.
A M. DE PIBRA.C. l63
Monsieur, il est désormais temps de penser h sortir de
ce monde; celui en part plus aisément, qui s'en est
départi des ici , c'est-à-dire , qui l'a banni de soi mesme.
Autresfois il a esté plus décevant qu'il n'est; il sousrioit
quelquesfois à la vertu , et se deguisoit pour la tromper.
Aujourd'hui, qu'y voyons nous qui la convie? tant
moins qui doibve charmer ses volontés , ou seulement
ses yeux? Au contraire, qui ne la regarde de travers et
qui ne lui rechigne? Or, ce bandeau hors, je n'ai plus^
monsieur, que vous dire; vos yeux sont prou clairvoyans
pour juger de tout le reste. Excusez si l'amitié que je
vous porte a vaincu le respect , pour m'arracher ces
mots. Les hommes sont âmes, et les amitiés des hom-
mes sont amitiés d'ames. Celui duquel l'amitié ne pénètre
jusques là, n'aime pas à demi, n'aime du tout poinct.
Des affaires de deçà , M. de la Burthe vous en dira plus
qu'une mienne longue lettre. Je voi ce prince du tout
dédié à extirper les racines des guerres civiles , et à con-
vier le roy par bons et agréables services à l'employer
quand il sera temps es estrangeres ; et ne voi homme
d'honneur auprès de lui qui n'ait ce mesme but.
Monsieur, je suis vostre serviteur et vous honore
profondement. Je vous prie , aimez moi et permettez
aussi que je vous aime entièrement. Je supplie le Créa-
teur qu'il vous doint heureuse et longue viç.
De Nerac , etc.
XXVIL— LETTRE DU ROY DE NAVARRE
Au roy Henij III , rédigée par M. Diiplessis.
Du 21 décembre i582.
Monseigneur , je ne pourrois représenter à vostre
majesté le contentement que j'ai eu des lettres qu'il
t64 lettre du ROY DE NAVARRE
vous a pieu m'escrire du ^3 du mois passé; es quelles
me faictes ceste faveur de m'asseurer de plus en plus
de vostre bonne grâce et bienveillance, et de me dési-
rer auprès de vous pour m'en faire plus vivement sen-
tir les effects. Seulement, monseigneur, je supplie très
humblement vostre majesté de croire que je cognois
très bien qu'après la faveur de Dieu, je ne puis désirer
rien de plus grand que la vostre, et que le plus grand
bien et honneur que je puisse avoir, c'est d'estre près
de vostre majesté , pour pouvoir desployer mon cœur
devant elle par quelques bons services : mais une chose
me retarde d'avoir cest heur si tost, qui est que je
desirerois premier que partir d'ici, suivant les précé-
dentes de vostre majesté, emporter ce contentement
avec moi, d'avoir esteint, en ceste province, toute se-
mence de troubles et altérations, pour n'avoir ce mal-
heur et regret , quand je serois près de vostre majesté,
qu'il y advint encores quelque folie. Et pour parler fran-
chement, quelque peine que nous y ayons prise, M. le
mareschal de Matignon et moi , je ne vois encores
cela si bien et si seurement accompli , qu'il seroit à
souhaiter. C'est pourquoi j'escrivois n'agueres à vostre
majesté qu'il y avoit grand nombre de personnes
par deçà, qui se plaignoient d'estre recherchées par
messieurs de la chambre de justice et aultres juges, et
pareillement par les prevosts, de plusieurs cas compris
en i'edict et conférences, comme de rançons payées du-
rant la guerre, de fermes et receptes de biens ecclésias-
tiques, de levées de contributions, de ports et exploits
d'armes faicts avant la conférence de Flex, et choses
semblables, desquelles devant tous juges ils seroient ren-
voyés absous par la volonté de vostre majesté déclarée
en sesdicts edicts. Mais, monseigneur, ce sont gens de
AU ROY HENRY III. l65
guerre, qui ne s'entendent en procès, et des qu'ils
oient parler d'ajournement ou d'assignation , pensent
estre pris; et ceste alarme les pourroitjetteren ung des-
espoir qui les precipiteroit en quelque faulte , dont
Testât présent de ces pays n'a besoing. Pour ceulx ci et
semblables , monseigneur , j'ose requérir très humble-
ment vostre majesté voulloir accorder une interdiction
à toutes courts , chambres , juges , prevosts , etc. , de pro-
céder contre eulx, comme plus amplement; le sieur de
Lesignan, présent porteur, le vous fera entendre; re-
servant tousjours , ainsi qu'il est porté par les articles
secrets, les cas exécrables, violemens, meurtres de
parti à parti , bruslemens sans occasion de guerre, etc. ,
contre lesquels au contraire je desirerois jetter la pre-
mière pierre, et employer tout ce que Dieu m'a donné
d'auctorité sous la vostre. Par ce moyen , ceulx que
vostre majesté veult conserver par ses edicts, seront
hors de peine, et nous , par conséquent, de celle qu'ils
nous pourroient peult estre donner au préjudice du re-
pos que vostre majesté désire tant; et les aultres qui
se pourroient cacher sous l'alarme et défiance com-
mune , et qui font maintenant profit de la crainte que
ceulx là ont sans cause, seront plus aisés à trouver et
punir comme ils méritent. Que s'il advient quelques
difficultés pour la distinction des cas, et qu'il pleust
à vostre majesté trouver bon de s'en remettre à M. le
maresclial et à moi , nous nous accorderons ensemble
d'ung petit nombre de gentilshommes et personnages
capables , qui les termineroient equitablement et sans
longueur, renvoyant à la justice ceulx qui se Irouve-
roient estre de leur cognoissance, et deschargeant les
aultres desdictes poursuites. Non, monseigneur, que par
là je veuille rien rabattre de la dignité et intégrité de
l66 LETTRE DU ROY DE NAVARRE
messieurs de la chambre, que j'honore et estime comme
je doibs; mais parce que les cas dont les dessusdicts
sont recherchés, dépendent, pour la pluspart, de la
guerre et du droict militaire, qui est d'aultre nature que
celui dont ils font profession , lequel repute plusieurs
choses criminelles qui, selon l'aultre, sont civiles ; comme
aussi quelques choses se souffrent en ung corps infirme
qui, en ung bien sain, ne se tolereroient pas. Touchant
l'ampliation de la chambre de justice sur les seneschaul-
cees d'Armagnac, Querci etRoûergue, vostre majesté a
peu cognoistre, par mes précédentes, que s'il n'eustesté
question que de mon particulier, je n'en eusse faict in-
stance; car, nommeement pour Armagnac, je ne l'eusse
désiré aultrement. Mais j'en voyois plusieurs qui en-
troient en défiance , et interpretoient à leur dommage
ceste ampliation, comme si elle eust esté introduite
pour retarder la chambre de Languedoc; et d'autant
plus qu'ils voyoient qu'elle avoit esté poursuivie si long
temps, et qu'il ne tenoit qu'à quelque somme d'ar-
gent pour le remuement et ameublement de ceulx qui
se debvoient transporter à Lille pour la tenir. Et parce
que leurs plaintes estoient fondées es termes de l'edict ,
je n'ai peu refuser de les vous faire entendre. Mainte-
nant qu'il a pieu à vostre majesté faire si expresse jus-
sion à messieurs du parlement de ïhoulouse , et pour-
voir aux deniers requis pour leur acheminement ,
comme toutes occasions de retardement cesseront, on
doibt espérer qu'ils s'y rendront au plus tost, et qu'il
ne sera plus besoin de ceste ampliation; et vostre ma-
jesté, sans prejudicier à ses intentions, donnera grand
contentement à plusieurs de ses subjects en la révo-
quant, et ostera le prétexte à ceulx qui vouidroient cher-
cher refuge à leurs forfaits soubs ceste couleur. Et
AU ROY HENRY III. 167
certes, je crois que messieurs de la chambre, qui ont
assés de besoigne taillée plus près en Perigord, Limo-
sin et ailleurs, ne seront marris d'estre deschargés de
ceste peine. Quant à ce que les conseillers catholiques
qui doibvent servir à ladicte chambre de l'edict du
ressort du parlement de Thoulouse , allèguent les vo-
leries qui se font es pays où ils ont à résider, je ne fais
doubte qu'il n'y a poinct faulte de gens mal condition-
nés en ces quartiers là, tant d'une que d'aultre relli-
gion; et c'est pourquoi, depuis deux ans, j'ai tant faict
d'instance pour l'establissement de ladicte chambre. Et
de ma part, monseigneur, j'apporterai tout ce que
Dieu m'a donné de moyen , sans acception de persçn-
nes, et exception de relligion , pour y faire obéir vostre
volonté et justice; comme aussi es senechaulsees d'Ar-
magnac , Querci , Roûergue , et tous aultres lieux qu'il
appartiendra. Mais il fault que je vous die , monseigneur,
que des plus criminels hantent familièrement des prin-
cipaux de la court de parlement de Thoulouse, tant
s'en fault qu'ils s'attendent de ceste part d'estre recher-
chés par eulx. Du faict de la maison de du Casse, j'ai
ci devant escrit à vostre majesté comme il est passé.
Plusieurs gens de bien ont esté bien aises de l'exécution ,
pour l'enormité de ceulx qui y sont demeurés : mais j'ai
esté marri de l'excès , et vouidrois qu'on eust suivi
aultre procédure, encores que la main forte que j'ai
baillée ait esté à la réquisition des marchands intéressés,
portant un arrest de condamnation à mort, et contre
personnes nommeement qui avoient tousjours suivi le
parti de la relligion ; je vous supplie très humblement
de l'oublier, et en considération de la nécessité de ce
pays, et des inconveniens qui aultrement seroient à
craindre, en octroyer une abolition, en laquelle toutes-
l68 LETTRE DU ROY DE NAVARRE
fois je n'entends parler pour celui qui auroit tué le
jeune la Fitle de sang froid, ains tiendrai volontiers la
main à la punition. Je ne requiers ceci, monseij^neur ,
pour favoriser à la violence; car je sçais que c'est par
la seule justice que les rois régnent et que les estats se
maintiennent; et qu'ayant cest honneur de vous appar-
tenir de si près, et d'avoir esté nourri avec vous, je
doibs estre principal exécuteur de vostre justice et de
"VOS cotnmandemens. Mais je cognois ung peu les mœurs
et humeurs de ce pays, auquel une estincelle allume
souvent ung grand feu par lequel plusieurs innocens
pourroient pastir en la poursuite de quelques coupa-
bles, qui seroit, en voullant punir une injustice, perdre
le but et l'intention de la justice, qui tend principale-
ment à la conservation dos bons. Et à la vérité, mon-
seigneur, si j'eusse peu trouver aultre remède à ce mal
que celui de ladicte interdiction pour les cas assoupis
par Tedict, et de l'abolition pour le faict de du Casse,
je n'eusse voulleu, ne vouldrois en requérir vostre ma-
jesté, tant pour ne lui estre désagréable, que pour la
conséquence. Au reste, monseigneur, j'espère vous
faire paroistre, et à tout le monde, par bons et visibles
effecls, que, sans distinction , je désire voir la punition
des meschans en ce pays , comme j'en ai devisé plus
amplement avec M. le mareschal de Matignon. Seu-
lement , je supplie vostre majesté de donner ceste
faulte au bien et repos d'icelui, pour avoir tant plus
de moyen d'en poursuivre d'aultres plus pernicieuses
et plus dommageables ([ue celle ci, qui certes a esté
plus en la forme qu'en la matière, veu que, toutes choses
considérées, ça bien esté une exécution extraordinaire
et mal conduite , mais d'ung juste arrest contre des
meschans recogneus d'ung chacun. Quant au mur de
AU ROY HENRY III. l6g
Barrez, je crois que mondict sieur le mareschal vous
aura escrit comme il a esté réduit selon vostre inten-
tion. Et quant à Bazas, je lui ai offert de le mettre en
Testât qu'il doibt estre par Tedict , des ceste heure, et
toutes les fois qu'il vouldra; ce que, pour plus urgentes
affaires, il a mieux aimé différer jusqu'à quinze jours.
Et pour Lunel , je ne fauldrai à escrire à ceulx de Lan-
guedoc, selon que vostre majesté me commande, afin
que vostre majesté, autant qu'il me sera possible,
soit contente des deportemens de ceulx de la relli-
gion de toutes parts. Et quant à ce qu'ils excusent leur
longueur sur moi , vostre majesté peult considérer que,
m'employant si vivement par deçà , pour l'exécution
de vos edicts et réduction des places , je ne tiendrois
pas la main à l'inexécution ailleurs. En somme, mon-
seigneur, je vous supplie 1res humblement me faire cest
honneur de croire que je n'ai aujourd'hui aultre but
que de vous faire paroistrela sincère affection que j'ap-
porte àl'effect de vos intentions, et d'amener les choses
par deçà, hors de tout soubçon et incertitude, pour,
en vous allant baiser très humblement les mains, em-
porter ce repos en mon esprit, d'avoir laissé vos pro-
vinces de deçà en repos. Or, monseigneur, je remet-
trai le surplus sur le sieur de Lesignan, lequel il vous
plaira ouïr et croire , de ce qu'il dira à vostre majesté,
de ma part, comme moi mesmes, qui, sur ce, supplierai
le Créateur vous voulloir,
Monseigneur, conserver longuement et très heu--
reusement en très parfaite santé.
De Nerac , elc.
Ï70 DELIBERATION SUR UNG VOYAIGE
XXVIIT. — DISCOURS,
Si le roy de Navarre doit aller en court , ou non.
Du 26 décembre i582.
En toutes délibérations humaines il se présente des
inconveniens d'une part et d'aultre , et là gist la prudence
de choisir premièrement celle où ils sont moindres et
moins certains, et puis adviser des moyens par les-
quels se peuvent , sinon éviter, pour le moins amoin-
drir ceulx qui demeurent en la part qui a esté conclue
et suivie.
C'est ce qui se voit en la question qui se remue main-
tenant, si le roy de Navarre doit aller en court ou non;
et c'est à lui d'eslire le parti où se trouveront les plus
grandes et plus certaines utilités, et les plus petits et
moins apparens dangers.
Le voyaige de la court, considéré selon que les cho-
ses y debvroient estre , a en soi beaucoup d'apparentes
utilités; car il y a apparence que le roy de Navarre,
par ce moyen, se reconcilieroit pleinement au roy ert
desployant son cœur devant lui , dont seroit à espérer
la reconciliation de toute la France.
Que les catholiques, qui sont esloignés de lui pour
le voir esloigné et de la court et du cœur du roy, s'en
r'approcheroient , l'en voyant r'approché à bon es-
cient , ce que nous sçavons pouvoir grandement servir
es occasions qui se pourront ci après humainement
présenter.
Que ceulx de la relligion mesmes, principalement de
ia noblesse , desquels le cœur est affadi , se reverdiroient
*t\. rechaufferoient à sa seule veue , lesquels ?i la vérité^
DU ROY DE NAVARRE. lyl
par estre loing de tout support, sont depuis quelques
années sous un perpétuel hiver.
Bref, que le roy de Navarre pourroit recevoir beau-
coup de bien de la main et faveur du roy, tant pour re-
lever sa maison de tant de pertes, que nommeement
pour le recouvrement de son royaume , auquel appa-
remment il ne peult prétendre ni parvenir aujourd'hui
que par son moyen.
Ce sont de grandes utilités si elles sont autant en effet
qu'en apparence , et surtout si , pour l'essayer, il n'y a
poinct de danger.
Et quant au danger, il semble , non obstant les choses
passées, qu'il ne soit pas à craindre; car, dict on, on
ne peult pas tousjours tuer et massacrer, et l'issue des
massacres n'a pas esté telle qu'elle convie à les réité-
rer ; et, qui plus est, tant s'en fault qu'en la personne
du roy de Navarre , le roy esteignist ou la relligion ou
la guerre civile, qu'au contraire il la r'allumeroit plus
ardente et plus difficile à amortir que jamais, qui faict
qu'il a mesmes interest particulier à la conservation du
roy de Navarre.
Ceulx qui d'aultre part considèrent ce voyaige, non
selon que les choses debvroient estre , mais selon qu'à
la vérité elles sont , et qui les comparent à la nature
des personnes desquelles est question en ceste délibé-
ration , prétendent que ces prétendues utilités ne sont
que veines ombres, qui couvrent beaucoup de domma-
ges et inconveniens; et voici les raisons sur lesquelles
ils sont fondes.
Premièrement , que l'entreveue des princes , dient les
plus sages politiques, apporte rarement quelque bien,
et non seulement ne les reconcilie pas s'ils sont enne-
mis, mais refroidit l'amitié, s'ils ont esté amis; car,
ly^ DELIBERATION SUR UNG VOYAIGE
dient ils, ils fondent par là de plus près les mœurs et
esprits les ungs des aultres , et si ils y rencontrent de
la vertu, elle leur est suspecte, dont s'engendre une
envie, et de l'envie la haine; et s'ils remarquent du
vice, comme en tous hommes il n'y a cpie trop d'imper-
fection , ils en entrent en mespris l'ungdel'aultre, dont
ils ne tiennent plus compte de s'entretenir ni recher-
cher. Sans aller plus loing, l'exemple s'en est veu en
ceste dernière entreveue de monseigneur et du roy de
Navarre, qui s'en sont refroidis plus que jamais; et si
on dict que ce propos est dict pour Tentreveue de princes,
égaux, et non del'ungqui soit subject à l'aultre, j'ad-
voue bien qu'il est vrai; mais parce que le roy de Na-
varre a esté chef d'ung parti, contre l'intention du roy,
dont il est esloigné si loing et de si long temps de la
court, en ceste considération il lui convient, et n'est pas
dict mal à propos pour lui.
Dient au surplus que par la reconciliation du roy de
Navarre avec le roy ne s'ensuit la reconciliation de
toute la France , ains tout le contraire, parce que le but
du conseil du roy ne sera pas de rejoindre le parti de
larelligion au roy par ce moyen, mais de desjoindre,
soubs ce prétexte, le roy de Navarre du parti de la relli-
gion , et le soubstraire de leur cause ; et par ce aussi ,
d'aullre part, que les Eglises généralement n'approu-
veront poinct ce voyaige , ains l'interpréteront comme
si le roy de Navarre les abandonnoit , dont adviendra
qu'ils chercheront leurs recours et secours ailleurs ; et
quand viendra le temps de la rendition des places, le
roy de Navarre n'y aura plus de crédit. De là donc
s'enstiivra que le roy entrera en mespris du roy de Na-
varre, comme lui estant inutile envers son propre
parti , et prendra occasion de ruyner ledict parti, comme
DU ROY DE NAVARRE. lyS
désobéissant à ses commandemens, et négligeant ies
conseils dudict sieur roy de Navarre, n'agueres leur
chef et protecteur, lequel, sans y penser, se trouvera
enseveli en leur ruyne, à sçavoir au milieu de ses en-
nemis et sans parti.
Dient qu'à la vérité Dieu a mis des grâces au roy de
Navarre, qui le pourroient rendre agréable à la no-
blesse s'il pouvoit converser de plus près avec eulx;
mais requiert aussi estre receus à dire que beaucoup de
princes se sont maintenus en réputation par absence,
plus qu'ils n'eussent par présence, d'autant que leurs
vertus, qui ont l'aile plus légère , esclatoient partout,
et les vices ou defaidts , qui sont bas, pesans et abjects ,
ne sortoient poinct de chés eulx ; que nous ne nous
pourrons peult estre despouiller de certains plaisirs de
jeunesse, qui seront fomentés à Tenvi par nos enne-
mis mesmes, qui puis après s'esbattront à les divulguer
calomnieusement envers tous. Au reste , si ceulx de la
noblesse d'une ou d'aultre relligion viennent recher-
cher le roy de Navarre, qu'on l'en rendra suspect au
roy mesmes, et qu'il sera plus court à ses ennemis, nom-
meement à ceulx de Guise qui le redoutent , de lui faire
oster la vie par quelque pratique , que de lui soustraire
la créance. Et si la noblesse ne s'en eschauffe pas beau-
coup , comme il y a plus d'apparence, ies ùngs pour
le peu d'affection, et les aultres pour la crainte, ses
ennemis s'en orgueilliront et le mespriseront, ses amis
mesmes et serviteurs s'en refroidiront, et sera cogneu
et desployé à ung chacun ce qui est en doubte et enve-
loppé maintenant, et que les bonsmarchans ne descou-
vrent que le moins qu'ils peuvent, à sçavoir le fonds de
nostre crédit et de nos moyens et facultés.
Dient que véritablement les grands bienfaicls se
174 DELIBERATION SUR UNG VOYAIGE
reçoivent auprès des grands roys , et par les presens trop
plus que par les absens ; mais que Testât de la France est
aujourd'hui tel, que le roy de Navarre n'en peuk re-
cevoir qui soient proportionnés à sa dignité, que par
quelque invention dommageable au peuple , qui lui
cousteroit trop plus de réputation , qu'il n'en rappor-
teroit de profit , et rabattroit de ceste gloire qui est par-
ticulière à la maison dont il est issu, qui jamais ne feit
son profit du dommage du peuple. Et quant à estre se-
couru pour le recouvrement de son royaume ou aultres
entreprises en Espaigne, quelle apparence, dient ils,
que le roy l'aide à bon escient, veu qu'il s'esmeut si
peu jusquesici, et pour le secours de monseigneur son
frère, et pour la conqueste de pays si bien seans à sa
couronne? veu qu'il ne lui baille argent qu'à lesclie-
doigt et en rechignant, et de peur seulement qu il n'en
levienne ? veu mesmes qu'il a refusé les beaux moyens
que le roy de Navarre lui a présentés d'y despendre
ung tiers de son bien? veu au reste sa complexion, sa
vie, toute sa procédure? et s'il a envie de faire davan-
tage ci après comme l'on dict , vault il pas mieux en
voir quelques effets premier? que s'il veult l'aider se-
crettement, comme il est plus apparent, à quel propos
le voyaige de la court, qui ne servira qu'à descouvrir
les entreprises, à advertir l'Espaignol, à le mettre en
défiance? qui despouillera mesmes le roy de la couver-
ture qu'il veult avoir et garder envers lui, pour éviter
la guerre ouverte? veu mesmes qu'il a jà adverti le
roy de Navarre que, s'il a envie d'entreprendre contre
l'Espaignol, il n'est poinctà propos qu'il l'aille trouver?
Ainsi interprètent ils, ou à néant, ou à dommage,
les utilités prétendues du voyaige de la court, en lieu
desquelles ils produisent oultre les precedens des griefs
DU ROY DE NAVARRE. lyS
et interests trop plus certains à leur jugement que les
susdites utilités, lesquels ils désirent estre pesés soi-
gneusement.
1°. Doublent que le roy de Navarre ne perde par là
la créance qu'il a en France entre ceulx de la relliorion.
laquelle, par divers artifices, est de long temps briguée
par personnes que cbacun sçait, qui tascbent à la lui
soubstraire, et qui prendront occasion de ce voyaige
d'altérer les cœurs des personnes et mesmes dés princes
estrangers, qui Tont en estime et réputation, et des-
quels l'amitié lui peult estre utile.
2°. Allèguent que monseigneur, sur lequel aujour-
d'hui, à cause de l'indisposition du roy, plusieurs ont
plus d'esgard que sur le roy mesmes, n'aura agréable ce
voyaige, soit par jalousie ou aultrement; et d'autant
plus quaulcuns, lorsqu'il s'en est parlé, lui ont voul-
leu mettre en opinion que les favoris du roy faisoient
appeller le roy de Navarre en court pour en faire
bouclier contre lui, et auctoriser, sous son nom, leurs
actions et intentions.
3°. Craignent que le roy, qui aime sans borne le duc
d'Espernon , ne presse le roy de Navarre de lui céder son
gouvernement de Guienne, et, qui plus est, de lui bailler
madame la princesse sa sœur en mariaige ; ainsi que ci
devant il a faict ce qu'il a peu envers M. de Montmorenci
pour lui faire céder son gouvernement de Languedoc
au duc de Joyeuse, et n'a faict conscience d'escrire
à M. de Lorraine pour faire espouser audict duc d'Es-
pernon la princesse de Lorraine sa nièce; choses qui,
sans doubte, offenseroient tellement le cœur du roy de
Navarre, qu'il regretteroit de jamais y avoir mis le
pied , et que toutesfois il ne pourroit refuser brusque-
ment et tout à plat, sans se mettre en manifeste danger
176 DELIBERATION SUR UNG VOYAIGE
de sa vie, dont enfin le loy de Navarre sera contraint
de s'arracher violemment de la court , au lieu de s'en
descoudre, comme monseigneur, la dernière fois qu'il
en partit, lequel depuis n'a peu rentrer en confiance
aulcune avec le roy. Or, dient ils, il vault trop mieux
n'y aller poinct, que d'y estre ou en revenir mal; et
qui peult espérer que le roy do Navarre y puisse estre bien
en telle confusion , veu son courage et sa magnanimité,
veu aussi les dignilés qu'y tiennent ceulx là, et les in-
dignités qu'ils y font aulx plus grands?
Et quant au danger, que ceulx qui conseillent le
voyaige prétendent estre nul , respondent qu'à la vé-
rité, de la part du roy, cesle opinion ne doibt légèrement
entrer au cœur, et croient que sa volonté en est à pré-
sent très esloignee , mais dtsirent aussi qu'on considère
que ceulx qui pensoient, par une grande fomiliarité ,
estre entrés dans le cœur du feu roy Charles, n'y avoient
rien leu de semblable; que même les desseings du
Pays Bas qu'il affectionnoit, y estoient du tout con-
traires, et que non obstant l'importunité qui lui feut
représentée par quelques pernicieux esprits, le tenta
tellement, qu'il feit chose à laquelle peu de jours au-
paravant on eust faict conscience de penser, et lui
mesmes en eust horreur. Et qui double qu'il n'y ait en-
cores de semblables gens auprès du roy, qui lui diront
qu'il tient le chef de la guerre civile de son royaume
entre ses mains, et lui raujenlevront les promptitudes
du roy de Navarre à prendre les armes, les pratiques
mesmes que nous avons faict depuis la paix? des jé-
suites aussi qui, abusans de sa superstition et cons-
cience, lui promettront pleiniere remission de tous pé-
chés par ce sacrifice? et puis un cardinal Borromee se
fourrant à la traverse, qui ne voit la chose en péril
DU ROY DE NAVARRE. 177
évident, si le roy n'apporte une grande fermeté au
contraire?
Laissons le danger de la vie, disent ils; quand mon-
seigneur, aj)res la paix de iS^ô, feut venu à Paris se
jetter entre les bras du roy, on sçait ce qui lui advint;
il fallut qu'il quiltast son parti, qu'il consentist à toutes
les brigues des estais de Blois contre Tedit qu'il avoit
lui mesme procuré , qu'il prist les armes contre ceulx
de la relligion qui l'avoient maintenu. Avec tout cela,
si estoit il tenu de si près , qu'il feut contraint de se
saulver, après une longue servitude, par dessus les mu-
railles de Pai is. Qui oseroit garentir le roy de Navarre
d'une semblable servitude, qui tant de fois a pris et
repris les armes, qui sans doubte ne vouldra pas ployer
à leurs intentions, comme feit monseigneur alors, et
qui là n'aura pas une mère pour adoucir à toute beure
les rigueurs de telles passions? Adjoustons que, pour
la nous rendre plus doulce , ils nous cbatouilleront de
délices et de plaisirs, lesquels peut estre ne nous seront
moins périlleux que leurs plus durs liens , et seroient
pour nous oster la réputation et la liberté ensemble.
Mais posons, disent ils, que tout cela n'ait lieu,
combien est grande l'auctorité de messieurs de Guise
à Paris, qui n'ont personne pour plus les traverser que
le roy de Navarre? qui ont bien eu le moyen n'agueres,
comme il a esté vérifié en plein conseil , de faire en-
trer de la cavallerie de nuict dedans la ville, au desceu
du roy, par la porte du Temple, et qui ont le prési-
dent de Neuilly prevost des marcbans, faict de leur
main et tout à leur commandement? en après, com-
bien est il aisé d'y dresser telles parties soubs ombre
d'une sédition populaire, ou de les exécuter par un as-
sassin à gages, tel qu'ils en ont? et que leur reste il
MÉM. DH DUPLESSIS-MORMAY. ToME II- I 2
iy8 DELIBERATION SUR IJNG VOYAIGE
plus maintenant qu'ils ont ung i oy non soigneux de la
posterité,monseigneur oblige contre iing grand ennemi
qui leur est ami, ceulx qui gouvernent le roy, ou leurs
alliés ou proches de l'estre, et des plus impoitantes
villes et provinces du royaume entre leurs mains ?
Tels sont donc les dangers qu'ils trouvent en ce
voyaige qui touchent en somme la vie et la liberté , et
peut estre vont jusques à la réputation et conscience,
lesquels, si nous balançons avec eulx , qui peuvent estre
à ne faire point ce voyaige , ce sera pour tout que, veu
les propos que nous en avons faict tenir, le roy n'en
ait quelque mescontentement , auquel il sera plus aisé
de satisfaire qu'aulx inconveniens susdicts qui sont
irrévocables.
C'est au roy de Navarre maintenant d'adviser sur
les divers advis de ses serviteurs , qui toutesfois s'ac-
cordent en ung but gênerai de chercher sa grandeur,
quel pour le meilleur il doibt choisir, comparant les uti-
lités et dangers de part et d'aultre; et Dieu, qui a les
cœurs des princes en sa main , le lui doint prendre pour
son bien et salut!
Mais, quelque voie qu'il élise pour la meilleure, tous-
jours fault il essayer de surmonter les inconveniens qui
resteront, dont les moyens pourroient estre tels, tant
d'une part que d'aultre.
S'il choisit d'aller en court , premier qu'y aller, semble
nécessaire qu'il fasse entendre son intention aux plus
notables églises, afin qu'elles n'en prennent alarme,
mesmes s'il se peult commodément, aux princes des-
quels l'amitié lui peult estre utile et lui doibt estre chère;
pareillementqu'il fasse provision dequelque somme d'ar-
gent, et le fasse transporter secrètement en lieu seur
et hors de prise , comme Sedan , etc. , au sceu de ses
DU ROY DE NAVARRE. 179
principaux amis d'Allemaigne. Cela faict, qu'il attende
ung temps cjue les plus suspects, comme ceulx de Lor-
raine et ceulx qui principalement favorisent l'Espaignol,
soient csloignés ou de la court ou du cœur du roy , et
pareillement que le roy soit plus résolu contre lEspai-
gnol qu'il n'est, ce qui s'appercevra sur ce printemps,
qu'il fauldra armer pour Portugal et pour Flandres,
et qu'on aura veu l'issue de la négociation du cardinal
Borromee en France, qui est créature du siège papal
etsubject de l'Espaignol.
Et, quant au lieu , nul , à mon advis, ne conseillera
au roy de Navarre d'aller trouver le roy à Paris où,
comme en une forest, se peuvent cacher mille em-
busches, mais bien en quelque maison escartee, où il
aime d'estre peu accompagné , et plustost à l'impro-
■viste qu'aultremcnt.
Le moins qu'il pourra mener avec lui de ceulx qui
ont crédit es provinces, qu'ils appellent chefs de part,
sera le plus seur, afin que les églises soient mieux pour-
veues , et que la tentation ne soit si grande.
Et sera bon qu'on pense qu'il aille en intention d'y
demeurer long temps, afin que l'on ne haste les mau-
vaises pratiques, si aulcunes y en a; mais qu'il soit
résolu en son cœur de n'y faire séjour que peu de jours.
Ce peu qu'il y sera, se fault résoudre de se disposer
tout à la vertu, de se rendre et aimable et admirable;
de se monstrer capable de toutes grandes choses pour
laisser une bonne odeur de soi à tous, et cependant ne
trouver rien estrange; ne se formaliser de rien, pa-
tienter et complaire au roy en tout ce qui se peult,
ce que le roy de Navarre pourra gaigner sur soi pour
peu de jours; mais, veu Testât présent, ne pourroit
continuer longuement.
l8o DELIBERATION SUR UNG VOYAIGE
L'excuse d'ung si bref retour se pourra prendre, ou
pour disposer les provinces à la reddition des villes, ou
pour préparer ses entreprises dEspaigne, ausquelles
nous présupposons que le roy sera enclin, ou telle
aultre que le temps alors présentera; toutes lesquelles
circonstances semblent nécessaires pour saulver de dan-
ger et sa réputation et sa personne, et Dieu veuille que
cet emplastre soit assés grand pour couvrir le mal qu'on
en craint.
S'il se resould de n'y aller poinct , reste à le faire
prendre de bonne part au roy, pour à quoi parvenir, lui
pourra estre remonstré par personne agréable et qua-
lifiée ce qui ensuit :
1°. Que le but dudict sieur roy de Navarre auroit
tousiours esté d'aller trouver le roy , pour lui porter le
cœur de tous ceulx de la relligion, et esteindre, soubs
le bénéfice de ses esdicts, la mémoire de tous partis;
mais qu'au contraire il se seroit apperceu qu'aulcuns
leur interprètent ce voyaige, comme s'il se voulloit dé-
partir totalement d'eulx ; et là dessus pratiquent de les
faire chercher leur support vers certains aultres qui
n'auroient pas l'interest qu'il a à la conservation de sa
couronne , et pourtant ne seroient pas meus de pareille
affection envers son service et le bien de son estât; et
parce que de là pourroient ensuivre des divisions et
ruynes plus dangereuses que les précédentes, attendu
mesmes ceulx qui lesfomenteroient; qu'il suppHe sa ma-
jesté d'interpréter sa demeure en bonne part, qu'il es-
time estre le seul moyen d'empescher tels desseings,
qui ne peuvent avoir prétexte que sur ce voyaige; et,
à ce propos, pourroit on modestement déduire combien
il importe au roy mesme que le roy de Navarre main-
tienne son auctorité et créance envers ceulx de la rel-
DU ROY DE NAVARRE. i8l
îigion, et se garde de les rendre ombrageux en son
endroict,
1°. Que particulièrement, pour lui faire cognoistre
sa bonne et sincère affection, il a désiré lui remettre
les places au temps porté par l'edict, ne cherchant do-
resnavant seureté qu'en sa bienveillance. Au contraire
que, par ce voyaige il prévoit qu'il en sera frustré pour
les nouvelles difficultés et défiance qu'on sèmera sous
ceste couleur entre ceulx de la relligion, ausquels la
continuation des inconveniens a rendu toutes choses
suspectes.
3**. Qu'il auroit espéré d'estre aidé de sa faveur, sui-
vant les anciennes promesses, pour le recouvrement de
son royaume , qui n'auroit esté une des moindres in-
tentions de son dict voyaige , sur quoi il auroit pieu à
sa majesté de lui déclarer que, sil avoit volonté d'en-
treprendre telles choses, il vauldroit mieux, pour ne
donner soubsçon à l'Espaignol, qu'il ne s'avancast
poinct de le venir trouver; qui auroit esté cause de
l'y faire penser à bon escient, d'autant plus qu'il en-
tend que sa majesté est sur le poinct maintenant de se
resouldre, considéré que sa présence ne serviroit qu'à
faire ouvrir les oreilles aulx ministres du roy d'Espaigne ,
et y a bien apparence que le roy prendroil ces raisons
en payement, veu que, de sa part, il n'a pas faict grande
instance sur le voyaige.
Mais à ces paroles fauldra qu'il adjouste des effects,
fasse cognoistre qu'il ne demeure que pour le bien et
repos, tant de la France en gênerai, que particulière-
ment des provinces en deçà, en composant et dispo-
sant toutes ses actions, tant dedans que dehors, à la
vertu, à la paix, à l'ordre et à la justice, dont la ma-
tière s'offrira assez grande à toute heure en ce pays; et
i82 DELIBERATION SUR UNG VOYAIGE, etc.
pourra commencer à en donner le goust par la reddi-
tion de Bazas.
Adviendra aussi de là que le roy de Navarre n'ac-
querra moins la bonne affection du peuple et de la no-
blesse que par le susdict voyaige, d'autant que ces
belles actions se feront à la veue de plusieurs notables
personnages, qui sont maintenant par deçà, qui s'en
retourneront preschant ses louanges , et en la personne
desquels il peult contenter et acquérir une grande mul-
titude. Les particularités s'en pourront déduire à part,
et suffit d'en avoir touché ce mot en passant; et parce
que les meilleures actions, en ce misérable temps, sont
calomniées, fera entendre le but de son intention aulx
principales Eglises et aulx principaulx d'icelles, par
instructions et lettres qui puissent estre divulguées sans
danger; à sçavoir que son but est de chercher leur bien,
repos et tranquillité, et d'arracher à ceste fin , par tous
moyens, les racines des troubles, ayant assez cogneu
par expérience qu'ils n'apportent que ruynes et cor-
ruptions et aulx affaires, et aulx consciences, les
exhortant à l'aider en ung œuvre si louable et si néces-
saire , et les priant, pour y parvenir, de repurger du
milieu d'eulx tous scandales et injustices, afin que le
nom de l'Evangile ne soit poinct blasphémé, à cause
de nous, au milieu des ignorans, ainsque Dieu espande
sa bénédiction sur nous pour l'augmentation et refor-
mation entière de ses église?; cependant ne laina de
les asseurer qu'il veillera lousjours pour leiu- seurelé,
et n'espargnera biens ni vie, comme il n'a faict jusques
à prescn^t, pour leur manutention et défense.
Ce discours , considéré par le roy de Navarre, rompit son
voyaige de la court.
INSTRUCTION AU SIEUR D'ALLERI. i83
XXIX. — INSTRUCTION AU SIEUR D'ALLERI
De ce qu'il a à dire de la part du roj de Navarre a
monseigneur le Prince^ pour response de sa de-
pesche du 24 décembre 1082; dressée par M. Dti-
plessis.
Le roy de Navarre remercie grandement mondict sei-
gneur le prince de la peine qu'il a prise de negotier
avec les églises, sur les propositions qu'il lui a faictes,
et demeure très satisfait du fruict qu'il l'asseure en avoir
rapporté, le pryant bien fort de presser avec pareil soing
les effects d'une si bonne resolution, qui ne peult réussir
qu'au grand bien et repos de toutes les Eglises , et à
l'affermissement de la paix.
Singulièrement désire ledict sieur roy qu'elles sa-
tisfacent à la promesse qu'elles ont tant de fois faicte
d'envoyer vers lui quelques personnages bien qualifiés
pour résider près de sa personne, afin que toutes choses
soyent maniées par commune intelligence, estant le
désir dudict sieur roy de ne disposer des choses public-
ques que par eulx et avec eulx (i . Eïi quoi il se trouve
journellement empesché pour la nature de plusieurs
affaires qui requièrent prompte resolution ( tant sur
(i) C'estoit suivant ung conseil donné par BI. Duplessis au
roy de Navarre , des qu'il entra en son service, de requérir les
églises d'avoir de chacune province une personne notable au-
près de lui, dont feust composé ung conseil pour la dii'ection
des affaires publiques. Et se retireroit ceste utilité contre les
calomnies ordinaires, qu'en les contentant il satisferoit toutes
lesdictes églises , et vers elles justifieroit ses procédures, #
i84 INSTRUCTION
les contraventions à l'edict et inexécutions d'icelui , que
sur aulhes notables occurrences), et l'incommodité de
l'envoyer prendre si loing, et en si divers lieux.
Sera très joyeux aussi ledict sieur roy, que les églises
de Dauphiné prennent ce mesme chemin , à quoi il
prye ledict seigneur prince tenir la main, comme desjà
il a si heureusement commencé.
Touchant la ville de Lunel, que le roy désire lui
estre rendeue sans délai, il en a escrit pareilles lettres
audict sieur roy de Navarre, et se plaint que ceulx qui
la tiennent, s'excusent et deschargent sur lui de leur
longueur ; mesmes dict estre adverti que ledict sieur
roy de Navarre leur a escrit afin qu'ils ne se hastassent
tant de la remettre; chose, comme ledict sieur prince
jugera , qui importe ung peu à la réputation dudict
sieur roy. .
Seroit donc d'advis , attendu que la ville n'est pro-
prement de son auctorité, et qu'il n'a en main excuse
légitime vers le roy pour en retarder la reddition, que
ledict seigneur prince advisast de ce faict selon sa pru-
dence avec les principaulx des églises du Languedoc,
soit pour la retenir encores quelque temps pour quel-
que inexécution ou contravention notable de l'edict en
ladicte province, telles qu'il y en peult avoir en les fai-
sant ou accomplir, ou reparer; soit pour la remettre
entre les mains de quelque gentilhomme non partial et
amateur du bien du pays , comme il s'est faict de quel-
ques aultres; dont on pourroit s'accommoder avec
M. de Montmorency par l'advis desdictes églises.
En ce qui concerne la garnison que le roy désire
estre introduite en la ville de l'Isle , pour asseurer la
chambre de justice, ledict roy ne sçait bonnement que
AU SIEUR D'ALLERl. l85
respondre audict sieur prince, pour la diversité des
advis qu'il a receus sur ce faict des plus notables des
églises de Languedoc, et de ceulx mesmes qui font par-
tie de ladicte chambre, desirans les ungs qu'il y ait
une garnison en ladicte ville, laquelle soit composée
de personnes choisies d'ung commun accord et consen-
tement, pour l'asseurer tant contre les séditions domes-
tiques; et craignans les aullres que la garnison mesrne
ne leur soit convertie en instrument non de seureté,
mais de violence et d'injustice. Sur quoi ledict sieur
roy de Navarre a eu remonstrances diverses , et de di-
vers lieux.
En ceste perplexité, ledict seigneur roy est bien aise
que ledict seigneur prince soit sur les lieux, pour en
prendre une resolution avec les plus sages et prudens;
et lui semble que telle garnison y pourroit estre mise
par l'auctorité de M. de Montmorency, qui souldroit
toute difficulté et défiance ; en quoi toutesfois il se
conformera à ce que ledict seigneur prince en con-
clura avec eulx, pour, selon ce, en faire remonstrance
à leurs majestés.
Sur tout désire ledict seigneur roy avoir ce bien de
voir ledict seigneur prince au plus tost que les affaires
le pourront comporter, pour avec lui resouldre de plu-
sieurs choses importantes , qui sont maintenant en
train , et dont on le presse, et par mesme moyen vui-
der les difficultés qu'il pourroit avoir laissées en Lan-
guedoc. Attendant quoi , suspendra aussi , selon son
advis, toutes démonstrations de mécontentement contre
ceulx desquels il lui faict mention , pour l'espérance
qu'il lui donne de les ramener à raison , dont ledict
seigneur roy se remet sur sa prudence, et sur l'en-
tière affection qu'il lui porte, comme aussi de toutes
l86 INSTRUCTION AU SIEUR D'ALLERI.
aultres choses qui se pourront présenter es lieux où
il est.
Fait à Nerac, le 4" jour de l'an i583.
XXX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. VEvesque de Nantes, (i)
Du 8 janvier i583.
MoNSFEUR, depuis que Dieu m'a ramené en France,
j'ai entendeu à mon grand regret, que vous me por-
tiés quelque mauvaise volonté, et, à cause de moi, à
toute nostre maison. Cela m'a faict fueilleter ma vie et
regarder tout autour de moi ce qui vous auroit peu
apporter tant de desplaisir. Et m'enhardirois presque
de dire que, depuis plus de dix ans, que Dieu m'a faict
la grâce de vivre en la lumière des hommes , je n'ai
rien faict indigne de ceulx ausquels j'ai cest honneur
d'appartenir, et peut estre, ai faict dequoi leur appor-
ter contentement et plaisir. La seule relligion, dont j'ai,
faict constante profession , peidt avoir esloigné vostre
cœur de moi, qui certes, quand y aurés bien pensé,
debvoit redoubler l'amitié que m'avés départie. Car
j'estime tant de vostre vertu et magnanimité, que sé-
riés marri d'avoir ung neveu qui violast sa conscience,
tant s'en fault que voullussiés requérir de lui que,
pour vous plaire, il despleust à Dieu. Or, si c'est con-
science ou passion, considération divine ou humaine,
qui me meut, je n'en veulx, monsieur, aultre juge que
vous. Je suis homme et subject aulx affections humai-
nes, et ne doubtés poinct que je ne désirasse bien les
(l) Philippes du Bec, depuis archevesque el ducdeRheiras,
oncle maternel de Duplessis.
LETTRE DE M. DUPLESSIS , etc. 187
commodités de ce monde, les biens, les dignités, les
grandeurs. Je n'ai poinct aussi si peu d'esprit que je
ne sçaclie qu'ils ne se distribuent qu'en la suite du
monde , et que je tiens ung chemin tout contraire à les
acquérir; ung parti où il n'y a que misères et indi-
gnités à partir. Et vous me ferés bien cest honneur
d'advouer que ce n'est pas que je sois en rien forclos
de l'aultre, et que, grâces à Dieu, la porte du monde
eust eslé bien estroile, qui de tout temps a esté assés
large, veu le lieu dont je suis, et la nourriture que j'ai
eue, si je n'eusse trouvé moyen d'y entrer; je di peut
estre, quelque foule qu'il y eust peu avoir. Ne doubtés
aussi, monsieur, que les pertes, les exils , les prisons,
les dangers assés ordinaires de ma \ie, ne m'ayent
souvent et vivement presché et debatu la relligion ro-
maine, et par argumens certes vehemens, pregnans,
€ascheux àsouldre, ausquels, par une certaine prévari-
cation, l'homme se laisse vaincre et se rend de son gré,
et ne peult résister qu'en se forçant. Quand j'ai suivi
ma relligion à travers de toutes ces considérations ,
jugés si c'a esté raison , ou passion ? Et ramentevés vous
ici la règle du jurisconsulte , cui bono ? Certes je croi
que vous dires, raison , veu que la passion eust eu plus
de contentement ailleurs ; et permettes que je die
raison vraiement divine, et nullement humaine, qui
m'ait faict vaincre en moi , et les passions qui empor-
tent la raison humaine, et la raison humaine qui sou-
vent se lie soi mesme, pour se livrer captive ou à l'a-
varice , ou à l'ambition. Vous dires ( car on me le dict
ainsi) que je pouvois vivre en ma relligion, conmie
tant d'aultres ; mais il vous fasche de ce que j'en ai es-
crit et publié. Et certes, je me pouvois humainement
passer de ceste peine et de ceste haine ; mais jugés
1 88 LETTRE DE M. DUPLESSIS , etc.
derechef ici , monsieur, si je n'ai deu préférer l'amour
de Dieu à tout cela? et en quelle conscience je me
pouvois taire ? Et si celui qui croit , n'est pas tenu de
dire , et si celui qui sçait , n'est pas tenu d'escrire es
choses qu'il pense concerner la gloire de Dieu et le sa-
lut du prochain ? Et comment vous m'eussiés absous
et recous des ténèbres extérieures, lorsque j'eusse
esté devant celui qui redemande son talent et l'argent
qui lui a deu profiter ? Celui , monsieur , qui nous a
donné la foy , nous a donné et la bouche et la plume ,
qui nous a donné ce qu'il n'a à tous , ne l'a faict pour
nous, mais pour tous. Sans peculat et sans sacrilège
je n'en pouvois soubstraire une partie. Ainsi la mesme
conscience qui m'a obligé à confession privée, m'obli-
geoit à ceste profession publicque. Et Dieu soit loué ,
qui l'a bénite envers plusieurs personnes et mesmes
nations. Or, monsieur, présupposant ceste conscience
en moi , et vous rementevant ce qu'elle requiert d'ung
chacung, j'estime tant de la voslre que ne m'eussiés
conseillé que ce que j'ai faict; et pourtant ne me puis
persuader, quand vous y aurés bien pensé, que me
voulliés denier l'amitié qu'il vous a pieu autresfois me
porter. De moi , quand mesmes j'aurois ce malheur
qu'en fissiés aultrement , je vous rendrai toute ma vie
révérence, obéissance et service, m'en recognoissant
redevable, non au regard de vous simplement, mais de
Dieu mesmes , qui me le commande ; et sur ce ,
monsieur, après vous avoir très humblement baisé les
mains, supplirai le Créateur vous donner heureuse et
longue vie.
DeNerac, etc.
REGLEMENT, «te. 189
XXXI. — AD VIS DONNE AU ROY DE NAVARRE
Sur le règlement de sa façon de vivre.
Du 9 janvier i583.
Qui considérera , ou les grâces que Dieu a mises au
roy de Navarre , ou le temps auquel il l'a faict naistre,
jugera à monadvis qu'il est destiné à grandes choses;
et, s'il est son serviteur , portera impatiemment de le
voir destourné aulx petites.
En sa personne, chacung recognoist une vigueur de
corps, une grandeur de courage, une dextérité d'esprit
presque incomparable. C'est la matière dont se font les
grands princes, et ne reste que d'y adjoustrr la forme.
En ce siècle aussi, on voit le ciel et la terre dispo-
sés à mutations très grandes. Toute la chrestienté sou-
pire après un g prince ; le roy et monseigneur sans
enfans; le roy d'Espaigne aagé et caduc, qui lairra ou
des filles, ou ung jeune héritier, mal propre à con-
tenir ung si grand estât , composé de tant de pièces
rapportées. Ces belles occasions se rencontrent avec les
belles parties du roy de Navarre , et sans doubte sont
nées pour lui, s'il veult estre né pour elles Et d'autant
plus que la nature Tappelle en tel cas à la couronne
de France , et l'équité à recueillir les dissipations de
celle d'Espaigne, qui lui tient tant de tort.
Le tout est seulement qu'il comprenne qu'il est né
pour choses hautes , qu'à ceste fin il compose sa per-
sonne et dispose ses actions, et se rende autant capa-
ble de ces occasions , comme elles sont dignes de lui
et des grâces que Dieu lui a faictes.
Or, comme elles sont de plusieurs sortes , il ne peuk
190 REGLEMENT DE LA VIE
faillir que l'une on Taultre ne naisse sans beaucoup
tarder ; et pourtant est besoing qu'il y pense des ceste
heure, comme les mariniers à leurs appareils, sur la
muaison de la lune et du vent.
C'est par la grâce de Dieu que les roys régnent, et
parla force des loix que les couronnes sont affermies.
Il fault donc qu'il s'étudie à pieté et justice; mais sur
tout, d'autant que sa personne est regardée de tant de
gens, ne suffit que ses vertus soient cachées en lui,
mais est besoing qu'on les voye, et que, selon la mesure
d'auctorité que Dieu lui a donnée, il en monstre ung
eschantillon et ung modèle.
La règle de la vie d'ung prince porte ung grand pré-
jugé pour la règle de l'estat, voir tel, que quelque
ordre qu'il y ait en une maison ou republicque par le
soing des serviteurs, il ne peult couvrir le desordre de
la personne du prince, d'autant que tous entrent dans
sa chambre, et peu en son conseil; et tous prennent
.garde à ses desreglemens , peu au règlement de ses
affaires. C'est pourquoi nous désirerions que le roy de
Navarre meist quelque règle à sa vie, sans laquelle nul
prince ne feut o^ncq estimé.
La journée est longue quand elle est bien départie ,
y en a assés pour les choses sérieuses et pour les exer-
cices et plaisirs.
Le roy de Navarre pourroit estre habillé à liuict
heures au plus tard, et commander au ministre de s'y
trouver pour faire la prière; cela faict, entrer en son
cabinet, et y appellerceulv ausquelsil confie ses affaires ,
en forme de. conseil pour vuider ce qui se presenteroit
d'importance meurement et à loisir, et signer les de-
pesches qui auroient esté resoleues, dont il se feroit
lire celles qui le méritent.
DU ROY DE NAVARRE. igi
Pour ne l'imjDortuner des choses de peu, ceulx de
son conseil s'assembleroient plus matin , despesclie-
roient les affaires moins importans, esbauclieroient
ceulx de conséquence , et les lui rapporteroient demi
digérés ; visiteroient toutes les despesches , pour cri-
bler ce qui seroit digne de lui, tellement qu'en moins
d'une petite heure, sa majesté auroit expédie le surplus;
et qui feroit cela tous les jours, n'auroit gueres affaire
quelques jours.
Le surplus jusques au disner se passeroit en tel
plaisir ou exercice que le roy trouveroit bon, sauf
les jours de prescbe, et son disner seroit entretenu de
quelques bons propos, auquel ceulx de son conseil
pourroient assister, parce que la règle de ses heures "
regleroit celles de toute sa maison.
L'apres disnee lui seroit toute libre , sauf qu'une
heure devant son souper, ou telle aultre qu'il trouve-
roit bon , il entreroit en son cabinet avec les dessusdicts
pour sçavoir ce qu'il y auroit à resouldre , ou ce qui
auroit esté faict sur les choses resoleues , et signer les
depesches : mesmes , s'il ne se presentoit rien , le roy
auroit plaisir à deviser. Plusieurs princes pour réputa-
tion le font sans affaires , et, par mine d'en avoir beau-
coup , se font priser.
Quelquesfois n'y auroit poinct de mal qu'il se trou-
vas! au conseil de ses affaires domestiques, tant pour
esguillouner ung chacung à son devoir que pour l'auc-
toriser.
Si sa majesté disnoit à dix ou onze heures , elle pour-
roit souper à six ou sept heures, et se pourroit retirer à
neuf ou au plus tard à dix. Toute l'apres souper lui se-
roit aussi libre, et le ministre se trouverait à neuf
heures en sa chambre pour pryer.
jga REGLEMENT DE LA VIE
Ce faisant, le roy de Navarre ft-roit toutes choses sans
s'ennuyer, et avec ample loisn-; et ses serviteurs y au-
roient cest heur particulier, qu'il cognoistroit ce qu'ils
font et ce qu'ils valent, dont tout le travail ne leur se-
roit que plaisir.
Cest ordre monstreroit à ung chacung quel ordre se-
roit à espérer, quand Dieu Fappelleroit à choses plus
grandes; feroit présumer que tout ce qu'il feroit par
ceste voie, seroit faict avec la raison , au lieu que ce
qu'il fait aullrement est estimé tumultuaireet à lahaste,
ores mesmes qu'il soit bon.
Sur tout est besoing que ledict sieur roi se propose
ung but digne de lui, au(|uel il dispose sa personne et
sa vie", et ses serviteurs, leurs intentions et actions. Car
à ung marinier qui n'a poinct de but, nul vent ne peult
servir; à qui en a ung, tout vent sert et abbrege le
chemin , mesme le plus tempestueux et le plus con-
traire.
Le règlement de sa maison suivroit aisément celui
de sa personne; car chacung, mesme en particulier, s'y
"vouldroit conformer. Mais s'il veult faire cognoistre, et
aux siens et aux étrangers, que le vice lui deplaist,
et qu'il ne règne point en son ame, il fault qu'il le laisse
habiter le moins qu'il pourra en sa maison, esloignant
les personnes diffamées d'auprès de la sienne, et en
approchant les vertueuses et de bon renom ; réprimant
toutes foules et concussions qui se pourroient faire par
les siens , et soulageant par tous moyens ceulx que Dieu
a faict naistre soubs sa subjeclion; les officiers nui déro-
bent ses finances, méritent chastiment; combien plus
ceulx qui dérobent et son peuple, et son honneur en-
semble? Et puis, qui verra ses subjects opprimés sous
sa maison, qu'espevera il jamais sous sa domination?
DU ROY DE NAVARRE. ig3
La personne donc du roy de Navarre doibt estre ung
exemple à sa maison; sa maison, ung modèle d'ung juste
gouvernement , et une arre à toute la chretiensté , d'une
juste et légitime administration. Moyennant quoi , Dieu
le bénira sans doubte , et lui monstrera combien importe
aulx princes sa faveur et bénédiction. Amen.
XXXII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. Vander Mjlen^ conseiller cV estai au Pays Bas.
Du y janvier i583.
Monsieur, je n'ai receu les vostres du 22 octobre
mais bien du a 8. Je vous remercie de la bonne souve-
nance que vous avés de moi , que je vous prie me con-
tinuer; car, encores que Dieu m'ait conduit au fond de
Gascogne près du roy de Navarre , je n'oublierai jamais
ni vostre pays, ni les amis que j'y ai, surtout s'il se
présente occasion de servir. Ce prince est une belle ma-
tière dequoi faire quelque cbose de grand ; car il a de
la vigueur, du courage et de l'esprit. L'exercice de
ces belles parties y adjousteroit la forme. Mais parce
qu'd dépend de grands moyens, et qu'iceulx doibvent
venn^ d'ailleurs, elles ne peuvent encores ni se desployer,
ni s'estendre par les actions et effets. Si croi je que Dieu
le destine à cboses grandes, et nommeement à la ruine
d'Espaigne ; et d'aultant plus que l'injure qu'on lui re-
tient, l'y esmeut et attire. Si nostre roy se voulloit dé-
clarer à bon escient, sans grande peine vous en senti-
riés du costé de delà grand soulagement. Je suis bien
aise qu aies pris une bonne resolution en vostre assem-
blée pour assister son altesse en la défense publique.
Quatre millions adjoustes à ses moyens particuliers et
Mém, de Duplessis-Mornay, Tome ii. 1 3
ig4 LETTRE DE M. DUPLESSIS
auxiliaires, peuvent entretenir une belle guerre; mais
souvenés vous qu'il vousfault, comme souvent je vous
ai dict, dresser ung estât de vostre guerre propor-
tionné à vos moyens, et réduire ou remplir vos com-
pagnies et regimens, moyennant quoi vos finances sa-
tisferont à la guerre défensive et offensive ; sinon, vous
dependrés trois armées en ung an , et n'en aurés jamais
une. Je sçai que je parle de ces choses de bienloing;
mais je pense qu'il nie soit permis, parce que je les ai
en affection, quoique bien loing. Nous descouvrons de
grandes divisions et infirmités en Espaigne. Hosle tan-
tiun opiis est. Et jamais les princes chrestiens , qui ont
la grandeur d'Espaigne suspecte, n'auront beau jeu,
tant qu'ils l'aient attaquée chés elle , à l'exemple des
Romains qui chassèrent Hannibal d'Italie en assaillant
Carthage. Vous en particulier, au train que vous tenés ,
en avés pour vingt ans , au lieu que par ceste voie vous
sériés soulagés en ung ; et nous de deçà à la longue en
pourrions profiter quelque chose , mais le commence-
ment de nos peines seroit apparemment la fin des vos-
tres. Monseigneur, à mon advis , pourroit solliciter le
roy de cela. De nostre part , nous avons offert ce que
nous avons peu et deu; et certes, quelque chose plus.
Or attendant que nous vous puissions aider par la
guerre, nous le faisons par l'establissement de la paix ,
auquel nous travaillons de tout nostre pouvoir. Mais le
pape nous envoie en court ung cardinal Borromee, pour
presser la publication du Concile de Trente, qui feut,
comme vous sçavés, le commencement de vos ruines,
et pourroit estre, s'il n'y est pourveu, le comble de la
nostre. Il est subject de l'Espaignol , et créature du
pape. Il aura faict ung notable service à tous deux, quand
il aura remis la relligion en trouble. Ainsi feut envoyé
A M. VANDER. MYLEN. igS
le cardinal Alexandrin Tan 72 , sur le poinct que le roy
Charles se voulloit resouldre à la guerre conlre le roy
d'Espaigne, qui feut convertie au massacre des pauvres
huguenots. Nostre roy sera plus sage à mon advis, que
de le croire, veu mesmes cest exemple; mais il im-
porte à son altesse d'y tenir la main, tant vers le con-
seil du roy que vers le parlement de Paris. On se pourra
servir des nullités dudict Concile à ce propos; mais me
suffit de vous avoir faict ceste ouverture, pour en user
selon vostre discrétion et prudence. Et notés que ceci
se pratique non loing du temps que nous dehvons re-
mettre es mains du roy nos villes d asseurance, qui sera
cause de Jfetter ceulx de nostre parti en défiance, dont
s'ensuivroit ung refus, et du refus la guerre civile, de
laquelle vous sçavés les conséquences et pour vous et
pour nous. Pour mon particulier , je n'ai encores réso-
lution de mon homme ; je vous prie l'assister en ce qui
sera besoing; et faire au reste estât que n'aves ami au
monde qui plus vous honore et révère, et plus soit à
vostre service. Monsieur, etc.
De Nerac en Gascogne , etc.
XXXIII. — ADVERTISSEMENT (0
Su/' la réception et publication du Concile de Trente ^
faict soubs la personne d' ung catholique romain.
Du dernier janvier 1 583.
Le nonce du pape faict maintenant nouvelle instance
de la publication du Concile de Trente. Il faict bon exa-
(1) Il feiit porté par M. de Lomenie avec letlres du dernier
janvier. M. le chancellier de Chevernl requit M. Diiplessis de
lui envoyer ce discours, et par lui feut monstre au roy, qui le
196 ADVERTISSEMENT SUR LA. RECEPTION
miner soigneusement s'il est utile et à propos de la
lui accorder ou non.
C'est ung grand préjugé à tous, contre ce Concile,
que la pluspart des grands estais de la chrestienté ne
l'ont encores receu,ni veulent recevoir; et que le roy
d'Espaigïie inesmes qui s'en est voulu servir pour asser-
vir ses subjects , et qui par tous moyens tasche de mé-
riter le titre de fds aisné de l'Eglise, après avoir long-
temps tergiversé, ne l'a enfin receu qu'avec plusieurs
grandes exceptions, et autant seulement qu'd sert ù
eslahlir son auctorité el puissance.
Mais ce nous est particulièrement à nous François ,
non tant en préjugé , qu'ung jugement formé , que le roy
Henri II, père de nos roys d'heureuse mémoire, feit dé-
clarer l'an i55i à l'entrée de ce Concile , par ses ambas-
sadeurs, à tous les princes de la chrestienté, qu'il tenoit
ledict Concile de Trente pour nul ; et comme tel n'y
voulut envoyer ambassadeurs, ains défendit mesmes
aulx evesques de son obéissance de s'y trouver, comme
de faict ils n'y comparurent poinct.
Que pareillement le feu roy Charles IX, en l'an 1 56o,
que ledict Concile feut renoué à Trente, y ayant envoyé
ses ambassadeurs les sieurs de Lansac, du Ferrier et du
Faur (1), feurent contraints par la mauvaise procédure
qu'ils y veirent, après deues protestations, se départir
et retirer de l'assemblée, en laquelle on sçait qu'ils
avoient charge de remonstrer les justes causes qui
avoient meu le roy Henri son père d'interjetter nullités
contre ledict Concile.
meil es mains de M. d'Epesses , son advocat gênerai. Feut im-
primé à Paris.
(i) C'estoit M. de Pibrac.
DU CONCILE DE TRENTE. 197
Item , que tout le temps qui s'est passé depuis ,
comme ainsi soit que le pape ait requis et pressé par
plusieurs fois la publication dudict Concile en France,
se servant à ceste fin des occasions qui la sembloient
favoriser, il ne l'a jamais peu obtenir, ains en a tous-
jours esté vivement débouté par messieurs de la cour
de parlement, nonobstant les troubles pour la relligion,
et les animosités qui en estoient ensuivies, et les ex-
trêmes rigueurs et excès du mois d'aoust 1572, qui
sembloient avoir ouvert ou la porte , ou la fenestre au
susdict Concile. Or, ces refus sont autant d'arrests de
cour de parlement donnés, parties ouïes, avec deue
cognoissance de cause, et au temps que l'affection des
juges, si aulcune y en eust eu, eust plustot encline en
faveur de la publication qu'aultrement. Et pourtant,
le pape debvroitestre justement rebuté de la poursuite;
nous, totalement résolus pour l'honneur de nos roys,
et l'auctorité de leurs cours souveraines, de l'en dé-
bouter.
Le roy Henri second, oultre plusieurs causes de nul-
lité contre ce Concile, qui lui feurent communes avec
la pluspart de la chrestienté , eut ceste particulière; au
commencement dudict Concile il y avoit envoyé le pré-
sident de Ligueriz, pour en cognoistre la procédure.
Le pape, d'entrée de jeu , lui faict présenter ung grand
cahier des usurpations qu'il pretendoit que le roy et ses
prédécesseurs avoient faictes contre le siège romain,
appellant usurpations les droicts de regale de nos roys,
les privilèges immémoriaux de l'Eglise gallicane, et la
pragmatique sanction, accordée entre nos roys et les
papes, et homologuée par les Conciles precedens, aux-
quelles il desiroit estre par iceulx renoncé expressé-
ment, Ledict président, voyant le grand préjudice qu'on
198 ADVERTISSEMENT SUR LA RECEPTION
voulloit faire au roy et au royaume, en protesta et
s'en revint en France. Or, nonobstant ces protestations,
en la continuation du Concile on a décidé de la plus-
part desdicts articles au préjudice des susdicts droicts
et privilèges, sans en traicter avec nos roys, et ouïr
leurs raisons, comme si nos roys et royaume estoient
subjects au pape, veu qu'il s'est, en ce Concile, déclaré
supérieur de tous Conciles,
Consequemment le roy Charles IX ayant envoyé l'an
j56i , lorsque le Concile feut remis sus, pour débattre
ses dicts droicts, y receutune noAivelle offense, qui lui
fournit une juste et nouvelle cause de nullité. Car le
pape, pour en chasser subtilement ses ambassadeurs,
aulx raisons desquels il eust esté trop malaisé de con-
tredire, voulleut égaler le roy d'Espaigne à nostre roy,
et mettre en doubte la préséance, de laquelle de long
temps il est en possession; et de ceste ouverture le roy
d'Espaigne s'est depuis voulleu prévaloir en aultres
lieux contre la dignité de ceste couronne et de nos roys.
Ainsi, approuver ce Concile, est mettre en différend
l'honneur de ce royaume. Et ne faict rien de dire que
ce faicl ait dépuis esté vidé h Rome ; car, oui Ire ce que
la plaie en est demeurée en la cour de l'empereur, et la
cicatrice en celle du grand Seigneur et ailleurs, qu'es-
toit il besoingde mettre en compromis la prérogative im-
mémoriale de nos roys?
Quant à messieurs de la court de parlement de Pans ,
auxquels appartient de regarder de près. Ne qitid de-
trinienlL resp. capiat y ils ont, oultre les susdicts, pro-
posé contre ce Concile plusieurs grands griefs, et re-
marqué des poincts, des ceste heure dangereux, et à
l'avenir de plus dangereuse conséquence, tant pour le
corps de Testât, que pour chacune de ses parties, et
DU CONCILE DE TRENTE. 199
tant pour l'auctorité du roy , que pour l'utilité de ses
subjects, pour cause desquels ils se sont opposés ver-
tueusement, nonobstant les artifices des plus grands, à
la publication et approbation d'icelui Concile.
Mesdicts sieurs donc ont remémoré que, pendant que
les privilèges et libertés de l'Eglise gallicane cstoient en
vigueur, elle se portoit trop mieux que depuis, quand
nous nous sommes lascbés aulx pratiques et cbicane-
ries de court de Rome. C'est pourquoi ils n'ont peu ap-
prouver ce Concile qui les improuvoit, ni casser et
annuller avec lui ce qui au contraire mérite d'estre res-
titué et restabli en sa première auctorité et splendeur.
Alors les deux jurisdictions, spirituelle et temporelle,
fraternisoient en ce royaume ensemble, et tenoient la
main l'une h l'aultre soubs l'auctorité d'ung souverain.
Tous les ans le roy deputoit en cbaque province ung
prélat et ung comte, qui assembloient les |)relats, ba-
rons et officiers de la province pour s'informer avec
eulx de Testât de l'une et l'aultre. Le rapport s'en faisoit
au roy chacung an en une assemblée générale , où il
estoit assisté de ses princes et conseil. En icelle se fai-
soient institutions et destitutions, suspensions et con-
damnations d'evesques, abbés, etc. , si besoing estoit. En
icelle s'ordonnoient les loix nécessaires pour maintenir
la discipline, et repurger les abus de l'Eglise. Geste
assemblée , en ce qui concernoit le temporel , tenoit lieu
d'estats; en ce qui toucboit le spirituel, de Concile;
parce qu'elle estoit comme ung abrégé et de Testât po-
litique et de TEglise gallicane ensemble.
Avenant qu'ung evesché on prelature vaquast, y
estoit pourveu, suivant les saincts Conciles , par l'élec-
tion du clergé et approbation du peuple; et neant-
moins, pour monstrer tousjours que leur juridiction
200 ADVERTISSEMENT SUR LA RECEPTION
spirituelle ne les exemptoit poinct de la subjection sé-
culière, le peuple deniandoit au roy congé d'élire, et
Tesieu lui frsisoit exprès serinent et hommage; et, avant
icelui faict, ne pouvoit estre consacré par le métropoli-
tain, ni par le pape mesmes.
Cest ordre nous produisoit de bons, doctes et cha-
ritables evesques, et ung bon, dévot et innocent peu-
ple. Dieu estoit mieux servi, le roi unanimement obéi,
le royaume pareillement en repos et en paix. Ne lais-
soit cependant le pape d'avoir sa voix d'admonition
envers nostre Eglise gallicane, laquelle estoit escoutee,
révérée et ensuivie selon les décrets des pères, en tant
qu'elle tendoit à l'édification et non à la destruction
de l'Eglise.
Au contraire, depuis que le temps, qui corrompt
toutes choses, et les monopoles et collusions de quel-
ques grands , eurent introduit petit à petit en ce
royaume la puissance souveraine et absolue du pape,
ont remarqué mesdicts sieurs de la court, que con-
traires effets s'en seroient ensuivis, au grand dommage
et de Testât et de l'Eglise de ce royaume. Ces deux ju-
risdictions, qui souloient fraterniser, ont commencé à se
supplanter l'une et l'aultre; l'une se tenant au souve-
rain de Testât, Taultre s'en émancipant entant qu'elle
a peu , pour ne dépendre que du pape , seul prétendu
souverain des ecclésiastiques; car le pape a exempté
les ecclésiastiques de la jurisdiction séculière, c'est à
dire les a soustraits de la subjection du roy, pour les
tirer en la sienne; ce qu'il continue, et confirme par
tout en ce Concile, et s'est constitué seul juge des
evesques et prélats, quelque crime ou delict qu'ils eus-
sent commis en leur charge, ou aultrement; privati-
vement à tous aultres, et s'en est attribué l'institution ,
DU CONCILE DE TRENTE. 201
destitution, suspension, condamnation , etc. , et iceulx
evesques a faict juges des prestres, comme délégué de
son siège, dont sont ensuivies les appellations en court
de Rome, les réservations, expectatives, préventions,
bulles, annates, dispenses, indulgences, et aultres
moyens de tirer les deniers de France, et presque la
France mesmes à Rome; mesmes s'est faict arbitre, et
séquestre des povres consciences, et de leur salut.
Or, par là est entrée la simonie, et par la simonie Tigno-
rance et la corruption en l'Eglise. Par là aussi, plu-
sieurs abus, pour lesquels toute la chrestienté sou-
pire, et à cause des abus , les dissensions, divisions et
schismes , et par conséquent les troubles, les séditions
et les guerres civiles. Ainsi ont esté énervées et esbran-
lees par ceste déréglée auctorité du pape la pieté et la
justice, vraies colomnes de tout estât bien ordonné.
S'en est ensuivie aussi une division et perturbation
en Testât, paravant solide et tranquille; car le pape,
non content de ceste usurpation sur la jurisdiction spi-
rituelle, par laquelle il a establi ung aultre royaume au
milieu de nostre royaume, sans ce qu'on y a tenu de
long temps la main, enjamboit bien avant sur la sécu-
lière. Les papes pied à pied s'enhardissoient de faire
collectes , et levées de deniers en France sur les ecclé-
siastiques, comme sur leurs propres subjects, et au
contraire empeschoient nos roys d'en faire sur iceulx
pour la conservation de leur estât , comme s'ils n'eus-
sent plus esté subjects à leur puissance ; et comme nos
roys vouloient maintenir leur auctorité, osoient bien
dire, comme Boniface VIII au roi Philippes le Bel, par
bulle expresse, que nos roys leur estoient subjects, tant
en temporel qu'en spirituel (comme ainsi soit que an-
ciennement les papes feussent cixés par le consentement
202 ADVERTISSEMENT SUR LA RECEPTION
des empereurs et de nos roys) et qu'ils n'avoient aul-
cune collation de regales jusques à condamner d'here-
sie ceuk qni aultrement en croiroient. Et est aisé à vé-
rifier que les usures des Juifs , pour lesquelles ils feurent
bannis de France , n'apportèrent oncq au peuple la cen-
tième partie du dommage qu'ont faict les exactions et
cliiquaneries de court de Rome. Or c'a esté une euerre
perpétuelle entre nos roys Philippes Auguste , Philippes
le Bel, sainct Louis, Charles V, VJ , VII, Louis XI et
XII , etc., et les papes ; en laquelle ils eussent pieça suc-
combé s ils eussent approuvé de leur temps ce que
requiert à présent le Concile de Trente. Et pour telles
usurpations reprimer, sont entrevenus plusieurs ordon-
nances des estais de France, arrests de parlemens et
décrets des Conciles de l'Eglise gallicane en divers
temps. ^
Mesmes, la chose est passée si avant que les papes,
pour s'en faire croire, ont souvent jette des censures,
çxcommunicalionsetinterdicts contre nos roys, et leur
royaume j abusans des peines et menaces spirituelles,
pour usurper les temporelles, comme encores ils en
usent en ce Concile en choses de pareille nature; mais
alors, par le Concile de l'Eglise gallicane, et par l'auc-
torité de la court , leurs bulles ont esté biffées , lacérées ,
et bruslees en parlement en présence du roy, et en
pleine place, et les porteurs d'icelles condamnés à faire
amende honorable; pareillement aussi ont jugé les as-
semblées de TEglise gallicane et universités de France,
que tels excommunimens et interdicts estoient nuls et
tyranniques, et qu'on se pouvoit distraire et soubs-
traire, mesmes es choses spirituelles, de l'obéissance
de tels papes usurpateurs et malversans.
Quand je Concile de Trente sera receu, tous les
DU CONCILE DE TRENTE. 2o3
abus susdicts seront pareillement receus et auctorisés.
Qui plus est, les remèdes nous en seront ostés et arra-
chés , d'autant que par icelui le pape s'est déclaré supé-
rieur du Concile universel, à plus forte raison du na-
tional; et par ainsi nous ne pourrons plus appeler de
lui au Concile, et moins reformer ses arrests es assem-
blées de nostre Eglise gallicane, comme aultrefois. Et
quand par quelque passion il nous excommuniera,
comme ils sont coustumiers de publier leurs censures
pour choses nuement politiques, ou à leur advantage,
comme encores ils en usent en ce Concile , nostre Eglise
gallicane aura les mains liées, et ne nous pourra ab-
souldre.
Bref, nous deviendrons petit à petit subjects du pape ,
qui aura un plus fort parti eh France que le roy mesmes ,
par le moyen des ecclésiastiques et de leurs grands
biens, et y donnera créance et auctorité à qui bon lui
semblera, comme il a faict aultrefois es mutations ave-
nues à ceste couronne; et pour lier le peuple par la
conscience, qui n'a rien de plus tendre et de plus cher,
le privera du service divin, jusques à ce qu'il ait pris
tel parti qu'il vouldra.
Tels inconveniens contre le corps de Testât s'ensui-
vent de la réception du Concile, pour lesquels il a esté
jusques ici rebouté par messieurs de la court. Au con-
traire sont coupés par l'ordre ancien de l'Eglise galli-
cane, et par les ordonnances des estats d'Orléans qui
ont tasclié h le remettre sus.
Ce Concile aussi , et par effect et par parole, a décidé,
au profit du pape, ceste fameuse question : si le pape
est dessus ou dessous le Concile; premièrement, en ce
que le siège ayant vaqué pendant le Concile, les cardi-
naux, comme représentant le siège papal, ont pourveu
2o4 ADVERTISSEMENT SUR LA RECEPTION
à nouvelle élection à Rome ; comme ainsi soit que les
meilleurs docteurs déclarent, en ce cas, icelle appar-
tenir au Concile. Secondement, en ce qu'il a jugé né-
cessaire que le Concile feust confirmé par le pape, comme
supérieur d'icelui, c'est à dire quaultrement il eust
esté invalide. Question à laquelle ce royaume a inte-
rest, et pour lEglise, et pour Testât mesmes.
Pour l'Eglise ; car les fameuses universités de France ,
et messieurs de la Sorbone mesmes, ont lousjours dé-
terminé le contraire, et les conciles généraux de Con-
stance et de Basic pareillement; lesquels, par iceulx,ont
esté approuvés , et maintenant seroient condamnés tout
à plat. Et par là donnons cause gaignee à nos adver-
saires, prétendant que l'Eglise peult errer, et es choses
de plus grande importance, veu que, de deux proposi-
tions contraires, l'une est tousjours fausse. Joint qu'il
est trop plus certain de commettre l'Eglise à une assem-
blée universelle d'icelle, qu'à ung membre seul, lequel,
quelque eminent qu'il soit, est bien souvent non moins
pourri et corrompu que les moindres.
Pour Testât ; car, par ce moyen , nous blasmons et
condamnons la mémoire de nos anciens rois, qui ont
appelé (par advis de leurs estais et conseil) du pape au
Concile universel, et, en default d icelui, à leur national
mesmes; et révoquons infinis arrests de la court de par-
lement, donnés solemnellement contre le pape en ceste
cause. Qui plus est, approuvons plusieurs décisions du
pape, esquelles il nous avoit condamnés, de sa pure
auctorité, es differcns que ceste couronne a eus avec
les princes voisins, nommément avec les Anglois, et
faisons une ouverture de longue et dangereuse consé-
quence pour la postérité de nos roys, qui seront sub-
jects à passer par l'arbitrage du pape, et à le tenir
DU CONCILE DE TRENTE. 2o5
pour arrest ; et qui, comme les histoires tesmoignent,
est subject , de son costé, à prendre parti , ores avec ung
prince, ores avec ung aultre; et accommoder ses ar-
rests, comme Apollo ses oracles, à celui qui a plus
de pouvoir de lui bien faire.
Est aussi ce Concile directement contraire au repos
et tranquillité de ce royaume, c'est à dire à son bien
et salut, qui aujourd'hui ne dépend de rien plus que
de la paix; car il n'y a celui qui ne voie que la moindre
rencheute de guerres civiles lui sera mortelle, et qui
n'aie peu cognoistre, en l'eschole des années passées,
que la paix n'y peult subsister sans l'exercice des deux
relligions , desquelles l'une est condamnée, anatbema-
tisee, et en tant qu'en lui est interdicte par ce Concile, à
l'exécution duquel, s'd est une fois approuvé , on in-
voquera et exhortera le bras séculier , c'est à dire l'auc-
torité et force du roy.
Qui plus est, par nos edicts de pacification, l'exer-
cice tles deux relligions est permis jusques h ce que Dieu
ait faict la grâce à nos roys de les reunir par ung libre
et légitime Concile ; lequel article est violé par la récep-
tion du Concile de Trente, qui décide ce qui est en con-
troverse, et préjuge le prétendu futur Concile, et rend
le pape non seulement juge en sa propre cause, mais
au dessus de tout Concile. De là donc adviendra , ou ,
unç persécution contre larelligion prétendue reformée,
de laquelle, certes, ni les temps , ni les humeurs de la
relligion contraire, ne sont plus capables ; ou véritable-
ment une guerre civile, sans espoir de ressource. Et
quand je dis guerre, je pense comprendre toutes sortes
de maux , et pour le publicque de i'estat, et pour le par-
ticulier d'ung: chacune.
Encores ne semble il pas que le mal s'arreste entre
2o6 ADVERTISSEMENT SUR LA RECEPTION
ces bornes. Le nerf de la loi, c'est la peine. Aulx opi-
nions donc contraires aulx décrets du Concile, sera ad-
joustee peine corporelle par l'auctorité du magistrat;
et pour néant est ordonnée et la loi et la peine, s'il n'y
a recherche ex q/jîcio ou délation. De là donc s'ensuit,
par une conséquence nécessaire, une inquisition, de
quelque nom qu'on la pallie, c'est à dire un expédient
pour faire le procès aux plus innocentes personnes de
ce royaume, selon qu'on en a usé en Espaigne, Naples,
Sicile , Pays Bas et ailleurs , où plusieurs , que nous eus-
sions estimé 1res bons catholiques, ont esté censés héré-
tiques et crimineux de lèse majesté divine et humaine,
estant en la discrétion de messieurs les inquisiteurs,
d'estendre le poinct d'heresie si avant que bon leur
semble.
Que si es susdicts pays ladicte inquisition, corollaire
tout évident du Concile, a esté intolérable, beaucoup
plus le sera elle en France; je dis au regard des ca-
tholiques mesmes. Car, je vous prye, combien y a il
des callioliques d'aujourd'hui qui eussent esté bruslés
il y a trente ans? Et combien s'en trouvera il qui soient
onini exceplione majores , c'est à dire à toute épreuve,
veu que tous unanimement recognoissent infinis abus en
l'Eglise, et souspirent après la reformation d'iceulx? et
la pluspart tiennent, ou pour doubteux ou pour indif-
fèrent , ce que le Concile commande de croire à peine
d'anathesme. Car si nous entrons en nos consciences ,
combien y en a il qui se fassent brusler pour le pur-
gatoire, pour l'invocation des saincts, pour le sacre-
ment soubs une espèce, pour la Feste Dieu , pour la dé-
fense des images, pour un million de cérémonies? Et
combien moins encores, pour la primauté du pape ou
pour ses indulgences, qui toulesfois sont passés ejx
DU CONCILE DE TRENTE. 207
articles de foi necessairesàsalut, parle ConciledeTrente,
puisqu'à faulte de croire on tombe en Tanatlieme ?
Ainsi adviendrait il de l'inquisition comme du gouver-
nement des trente tyrans en Athènes. Au commence-
ment ils feirent mourir les coulpables, et on le trou voit
bon ; à peu de jours de là ils se jetterent sur les plus
gens de bien , et chacung se trouvoit coulpable.
Venons aux griefs particuliers. Encores que le Con-
cile soit fabriqué à l'avantage des ecclésiastiques, si sont
toutesfois plusieurs evesques et églises cathédrales frus-
trés de leurs droicts, par lesquels ils peuvent, de loute
ancienneté, conférer les heneficea , ple/io jure ^ en cer-
tain cas. Comme aussi le clergé de France peult cog-
noistre en chacung diocèse des faultcs des ecclésias-
tiques, lesquelles, pour une grande partie, ce Concile
renvoie au pape.
Sont aussi intéressés les seigneurs, gentilshom-
mes, corps et communautés, en ce que leurs titres de
patronage et fondation sont tirés en controverse de-
vant les evesques, et partie supprimés et abrogés de
pure auctorité; et qu'il donne pouvoir aulx evesques,
chapitre et clergé de prendre partie du revenu des hos-
pitaux et dismes infeudees appartenant aux gens laïcs,
qui en sont patrons et fondateurs mainteneus de temps
immémorial par les ordonnances de ce royaume. Pa-
reillement, qu'il les trouble en la jouissance de droicts
de patronat, qui dépendent nuement de l'auctorité du
roy, desquels il taille et coupe à son plaisir; comme
aussi sont iceulx frustrés des meubles de leurs parens
beneficiers , auxquels, par ledict Concile, toute dispo-
sition en est ostee.
Et, quant au povre peuple du tiers estât, chacung sçait
que plus le cleVgé a d'exemptious et d'immunités, et
2o8 ADVERTISSEMENT SUR LA RECEPTION
plus il est accablé de charges, d'autant que le fardeau,
qui doibt estre commun , en est moins départi, et re-
tombe sur lui; comme ainsi soit toutesfois que les ec-
clésiastiques possèdent aujourd'hui en France autant
que la noblesse et le tiers estât ensemble. Qui plus est,
s'il est receu , fault que le marchand se délibère de fer-
mer boutique, car les eslrangers, Allemans, Anglois,
rlamans , Danois, etc., n'oseront venir en France, et
c'est une des causes qui le feit rejeter par les estats des
Pays Bas, qui en prevoyoient leur ruyne totale, lors
mesmes qu'ils estoient catholiques.
Adjouslons plusieurs loix et décisions particulières,
que ne sçaurions recevoir sans déroger aulx nostres,
c'est h dire à l'auctorité de nostre estât, qui ne prend
loi que de soi mesme. Car il approuve le mariage des
enfans de famille sans le consentement des parens,
contre toutes bonnes mœurs et loix, et contre l'ordon-
nance de France publiée es courts de parlement, et sui-
vie es arrests et jugemens, et excommunie ceulx qui
sentent au contraire, c'est à dire nos roys et courts sou-
veraines. Item , condamne les mariages qui ne sont
célébrés en l'Eglise romaine, et les déclare nuls et in-
valides , contre les edicts de pacification dont Testât d'in-
finies notables familles seroit troublé, et peut estre, par
conséquent, Testât mesmes. Item, excommunie ceulx qui
disent que les causes matrimoniales n'appartiennent
poinct aux juges ecclésiastiques, comme si ce doubte
estoit ung article de foi. Item, juge les dismes estre de
droict divin , contre les opinions de tous les docteurs
et les jugemens de nos courts souveraines; et y a plu-
sieurs décrets semblables contraires aux nostres. Bref,
il renouvelle toutes les anciennes constitutions et de-
cretales faictes au préjudice de nos roys et loix, les-
DU CONCILE DE TRENTE. 209
quelles estoient demeurées abrogées par divers concor-
dats entre nos roys et les papes.
On ne veult cependant nier qu'il n'y ait quelques bons
statuts audict concile, desquels l'usage peult estre utile à
ce royaume ; mais lesquels doibvent nécessairement estre
desmelésd'aveclessusdicts,qui portent ung poison avec
eulx contre la justice , paix et police de cest estât , et en
font le corps principal. Et au reste ne doibvent estre
rcceus qu'en la mesme façon que nous recevons en la
court de parlement de Paris, le droict civil et canon,
non pour servir d'auctorité, mais de raison.
On dira, veu que ce Concile a esté des le commen-
cement condamné de nos roys, et tant de fois depuis
rejette parla court de parlement, et en ung temps qui
sembloit estre tout à lui, qui peult maintenant avoir
encouragé le pape à renouveler ceste poursuite en sai-
son, ce semble, moins favorable pour lui? Ici gist le
nœud de la matière , que tout liomme amateur de ce
royaume, doibt examiner à bon escient.
Chacung sçait qu'il y a long temps que le pape et le
roy d'Espaigne s'entretiennent la main , et s'entrepres-
tent l'espaule, l'ung pour la monarchie spirituelle, et
l'aultre pour la temporelle. Que ledict roy d'Espagne
est le fils bien aimé du pape , pour l'accroissement du-
quel, en tant qu'en lui est, il nous desheriteroit , s'il
pouvoit; comme réciproquement aussi, ledict roy lui
est comme le baston de sa vieillesse , et son recours et
secours en tous ses maux et adversités. Or , voit le pape
maintenant que nostre roy découvre ce monopole; que
la France revient ung peu de sa langueur, et commence
à se reveiller de ce profond somme ; pour donc lui don-
ner beau jeu , il cherche de nous mettre aulx troubles;
2IO ADVERTISSEMENT SUR LA RECEPTION
et pour y parvenir, nous envoyé ce Concile , c'est à dire
la pomme de discorde.
Les grandes affaires de la chrestienté depuis quelques
siècles se traitent auprès des papes; les grandes conju-
rations se font en leurs Conciles , et ce Concile particu-
lièrement ne feust si tost ouvert, qu'il alluma une guerre
sanglante au milieu de l'Alleniiaigne. L'an 63 , le roy
d'Espaigne, sçachant bien que ses estais du Pays Bas, qui
en avoient gousté l'amertume en Espaigne,ne l'accep-
teroient jamais , l'y voulleut introduire ; c'estoit parce
que , sur leur résistance , il cherchoit occasion d'y in-
troduire les troupes espaignoles , et les mettre en ser-
vage. Aussi n'en eust il si tost ouvert la bouche, que
tous ses estats , bien que catholiques , se meirent à pro-
tester ; et, sur les protestations, il feit venir le duc d' Albe
en armes , dont sont nées les guerres civiles esquelles
il s'agit aujourd'hui, ou de leur ruyne , ou, si nous
sommes bien conseillés , de la sienne.
Alors avions nous , par la grâce de Dieu , la paix
en France, laquelle, comme toutes nos prospérités, lui
estoit fort suspecte. Pour la troubler, il nous fait en-
voyer un nonce avec ce Concile. Et bien que nostre roy,
son conseil et sa court, selon leur sagesse , en vissent
les inconveniens et n'eussent garde de le recevoir, si
ne laissèrent ceulx de la relligion contraire d'entrer en
telle allarme et défiance , que tost après en reprirent les
armes. Dont s'ensuivit que le roy d'Espaigne eut ce
contentement de tyranniser ce povre pays à loisir, et
de voir entretuer ce royaume à son plaisir.
Geste guerre dura jusqu'en l'an 70, que Dieu nous
donna deux ans de paix, pendant lesquels nous com-
mencions , ce sembloit , à nous deciller les yeulx , et à
cognoistre que l'Espaignol bastissoit pour nous oster le
DU CONCILE DE TRENTE. 211
jour; sur quoi se faisoient plusieurs beaux desseings à la
diminution des siens. Le pape donc, comme à ses gages,
envoyé le cardinal Alexandrin, son neveu, vers le roy
d'Espaigne , pour prendre instruction de lui , et de là
le faict passer en France, pour presser derechef la pu-
blication du Concile de Trente , comme le plus abrégé
moyen de troubler nostre repos , et donner temps à ses
victoires. Avec lui feut conclu et basti le massacre , c'est
à dire, à proprement parler, l'exécution du Concile ,
dont la France a esté long temps sans repos, et sous-
pirera sans doubte à jamais.
Or, pendant ces huict années de misères, le pape n'en
a pas fait grande instance ; c'est que nous estions prou
acharnés les ungs contre les aultres sans cela; et que
nous ne pouvions rien contre l'Espaigne; et, en somme,
qu'il ne poursuit pas le Concile pour le Concile , mais
nostre ruyne par le Concile. Maintenant que Dieu nous
a donné de respirer, au temps que moins il le doibt es-
pérer, il presse; c'est que monseigneur est es Pays Bas,
retardant , par ses armes, les trophées d'Espaigne; c'est
que la roy ne veult débattre ses justes prétentions de
Portugal contre la violence; c'est que plusieurs princes
et seigneurs se préparent de toutes parts à venger l'hon-
neur de cest estât; c'est que le roy d'Espaigne mesme
sent en sa conscience qu'il a attenté par diverses pra-
tiques , découvertes à sa grande honte et confusion ,
contre l'honneur et le sang de France. Et ne peult
se persuader qu'en temps et lieu , le roy ne s'en res-
sente. Il a donc recours à son remède ordinaire; c'est
d'allumer les troubles en France, et à ce flambeau, qui
si souvent lui a réussi , c'est l'entremise du pape et de
son nonce qui faict instance du Concile de Trente; et,
après le nonce , pour traicter la chose avec plus d'auc-
ui-2 ADVERTISSEMENT SUR LA RECEPTION, eu,
torité , viendra le cardinal Borromee, digne instrument
de ceste négociation , pour eslre créature du pape et
subject du roy d'Espaigne ensemble.
Or, la procédure du nonce a ja esté telle que le but
de son voyaige doibt estre assés descouvert à toutes per-
sonnes de sain jugement es affaires du monde. Car,
oultre les aultres présomptions, en ce seul poinct qu'il
a récusé messieurs de Bellievre et du Ferrier, chose
non paravant ouïe en ce royaume, il a suffisamment
monstre qu'il abhorroit, en ces deux personnes, la paix
et la justice de France, et n'en desiroit que la confu-
sion et ruyne. Et n'y a doubte, quand ce viendra à la
court de parlement, qu'il ne la veuille, si on le croit,
cribler à sa fantaisie; au lieu que paravant les mesmes
papes lui souloient rendre tant de respect, que de la
faire juge en leurs plus importantes causes.
Cependant, encoresque ces choses, joinctes aulx pas-
sées, fassent assés croire à ung chacung que les conseils
et courts de ce royaume ne seront moins prudens et
circonspects en cest endroict , que les precedens ont
esté, sans préjudice, expériences et exemples; soit per-
mis à ceulx qui craignent le mal, et désirent le bien
de la France, d'avoir remis ces inconveniens devant
leurs yeulx ; et d'autant plus que nous sommes bien
proches de la saison (non sans astuce de nos ennemis <
que ceulx de la relligion contraire se doibvent dessaisir
des villes qui leur sont baillées en asseurance ; c'est
à dire, de la saison qu'ils sont et doibvent estre, veu les
choses passées qui seront ramenteues par les présentes ,
plus proches d'allarme , de soupçon et défiance.
Par lettres en date du 'èfebvricr, le roy asseure le roy de Na--
varre de ne recevoir ce Concile comme préjudiciable a son estât ^
et aux libertés de V Eglise gallicane ; mais bien dict qu'il en faict
tirer quelques articles pour le règlement des ecclésiastiques.
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 210
XXXIV —LETTRE DE M. DUPLESSTS
A M. de Cleivant^ estant en courte de la part du roj
de Navarre,
Du dernier janvier i583.
Monsieur, je respondrai à vos amples lettres, de
poinct en poinct. Touchant vostre voyaige deçà , sur le
doubte que faictes, qui n'est mal fondé, je ne vous
puis dire aultre chose, sinon que si vous pouvez venir
en dedans la fin du mois de febvrier , vous le pouvez,
sans inconvénient, pour raisons qui seroient longues à
déduire.
Le prince de la Petite Pierre a monstre son incon-
stance; il y a deux ans qu'il offrit son service aulx estais;
depuis ung an , à S. A. à laquelle il faisoit des proposi-
tions dignes de sa suffisance, et depuis au roy d'Es-
paigne. Je crois que c'est ung banqueroutier qui se veult
remettre, en inventant des partis.
Pour mon particulier, je ne presse rien , et me semble
que Testât que savez n'est pas mon cas , en la façon
qu'on le me propose. On m'a faict quelque aultre ouver-
ture; et de moi il ne m*en chault à quel titre, pourveu
que j'aye moyen de servir. Mais je n'ose proposer les
reglemens nécessaires, pour ne sembler entreprendre
sur aultrui ; ce que je ferois plus hardiment, si on en
eust du tout poinct parlé; si n'y suis je pas, grâce à
Dieu, du tout inutile.
M. de Lesirnan est de retour d'hier seulement. De-
o
main nous partons pour remettre Bazas, selon i'cdict ,
et appaiser toutes ces démangeaisons. M. le mareschal
de Matignon s'en approchera pour cest effet. Une îroupi^
2l4 LETTRE DE M. DUPLESSIS
de cinq cents arquebusiers , soubs certains picoreurs
malcontens , s'est levée en Xaintonge , a passé la Dor-
dogne, et donné sur le bord de la Garonne, sans que
sachions pourquoi. Le prétexte de les lever a esté sur
Flandres; et vous voyez comme ils en tenoient le che-
min. Hier nous feusmes sur le poinct de monter à che-
val, le roy de Navarre mesme en personne, pour les
rompre ; mais M. de Lesignan l'asseura qu'ils rebrous-
soient. Nous n'en sçavons le fonds, mais tels remueurs
nous font grand tort. Favas faict contenance de n'y par-
ticiper. On ne l'a voulleu chasser de sa maison, ains prié
seulement de s'aller promener pour trois semaines, en
Bearn, pour oster l'occasion d'allarme, l'asseurant à son
contentement, de la garde de son bien et famille. Nous
quittons les nostres bien souvent à moins ; et vous sça-
vez que le public doibt emporter le particulier. Bazas
remis, nous requerrons que ceulx du Mont de Marsan
fassent leur debvoir envçrs le roy de Navarre, ce qu'ils
n'ont encores faict, et que plusieurs petites citadelles
en Armagnac soient rasées, selon l'edict, car il est rai-
sonnable que nous ne jouions pas la partie tous seuls.
Et les choses ainsi composées, le beau temps nous
emmènera hors de ces quartiers, et nous acheminera
en France, selon l'intention du roy, qui requiert cela
du roy de Navarre pour le repos public , premier qu'il
parte.
Je vous ai respondu de M. du Ferrier; nous en avons
parlé au roy de Navarre , selon son mérite ; il le desire-
roit auprès de lui; mais je crains qu'il ne s'y veuille re-
souldrc, à cause des assignations qu'il poursuit en court.
Il sera bon de l'en faire sonder, et alors on aviseroit
à ce qui se pourroit pour lui, ou plus tost pour nous.
Mais pensez derechef aux. considérations que je vous
A M. DE CLERVANT. 2l5
ai mises en avant. M. de Pibrac , à mon advis , ne pourra
embrasser tout à la fois. Je ne vois rien plus propre
que de le mettre en son lieu pour les affaires de Paris.
C'est une chose pernicieuse que ceste mauvaise in-
telligence entre monseigneur et M. le prince d'Orange.
Mais il est dangereux de s'y entremettre, car c'est
comme entre mari et femme; encores qu'on apperçoive
les riottes , il ne fault faire semblant de les voir ; et ne
sçais s'il seroit trouvé bon de nous. J'estime, si cela
a à se faire, qu'il fauldra que celui ^ui sera envoyé, ait
quelque aultre charge, et fasse celle là comme par oc.
casion , selon la créance qu'il aura envers l'ung et l'aul-
tre, feignant ne l'avoir apperçue que sur les lieux, et
ne l'avoir peu celer pour son debvoiret la conséquence.
Le prétexte seroit beau sur la continuation de nos em-
barquemens et entreprises. Nul n'y sera plus propre
que vous; et en a esté parlé, mais non encores à fonds
de cuve. Je crains pareilles difficultés pour la royne
d'Angleterre, et plus grandes, car je crains qu'on n'a-
grandist la plaie.
M. de Guitry est aulx eaux. Il est fort bien veu du
roy de Navarre, et s'en retournera content, mais je
crois qu'il veult penser à son mesnage. Il seroit fort bien
auprès de ce prince. M. de Mouy y est maintenant,
que je désire , fort arresté en ceste court,
A la depesche d'Allemaigne n'a esté ni ne sera rien
respondu que ne soyez ici. Voilà comme il fault demesler
le poison d'avec la viande, et l'intempérance des servi-
teurs d'avec le bon naturel des maistres.
J'estime que le mariaige qu'on poursuit en Escosse ,
du roy avec la fille de Lorraine , mettra les Anglois
en aliarme, et les fera penser à en conseiller quelque
aultre qui leur soit moins suspect. Nos amis s'en sou-
•2l6 LETTRE JJE M. DUPLESSIS
viendront sur ceste occasion , et le leur fauldra aussi
ramentevoir. Car, de Savoie, je pense qu'on ne s'y doibt
attendre, veu que le duc le remet à la faveur du roy,
qui ne nous en départ pas beaucoup en cest endroict.
On nous a parlé aussi d'ailleurs de celui du marquis de
Pont, S'il se voulloit faire de la relligion , ainsi qu'on
nous propose , il seroit beau et avantageux. Le poinct
est que la recherche ne doibt procéder du costé des
filles. Geste altération d'Allemaigne est de grande itn-
poxtance; si crois je qu'en une nation qui faict tout
gravement, elle n'esclatera pas si tost. Il est bon que
vous en pénétriez le fonds pour le service du roy de
Navarre; la France ne s'en portera pis, car on est
ordinairement pacifié par les guerres circonvoisines.
L'Allemaigne mesme en amendera, car elle s'en alloit
endormir; et le mariaige des ecclésiastiques , s'il y est
bien conduict , achèvera d'y ruyner l'Eghse romaine.
Quant à l'élection d'ung roy des Romains , je n'y trouve
qu'une difficulté , en ce que la Hongrie est le boule-
vart de l'Allemaigne, laquelle appartient a la maison
d'Austriche, et que comment qu'il en soit, il fault que
i Allemaigne l'entretienne à ses despens. Je doubtc que
l'électeur de Saxe ne vouldra estre roy des Romains ,
car il n'est prince ambitieux d'une charge litigieuse et
de grands frais; et d'aultre part, à peine donnera il sa
voix à une aultre. Il importe beaucoup de sçavoir s'il
est de là partie, et quel jeu il y joue. En ces difficultés
et jalousies, l'Allemaigne a eleuaultresfois ung comte de
Hollande , ung roy d'Angleterre , ung roy de Castille. Le
roy de Navarre leur seroit plus propre, moins suspect
qu'aulcun , n'ayant moyen de leur mal faire, et estant
plein de valeur et de bonne volonté pour les bien
servir. Je n'ignore les difficullés et presque impossible
A M. DE CLERVANT. 21;
lites qui s'y rencontrent; mais quelles estoient elles en
l'élection de Pologne? Ce n'est pas peu à qui veult
ruyner et arracher la grandeur d'Austriche, de lui mettre
en teste ung prince de valeur, et de la maison de France ;
et irréconciliable ennemi de ceulx d'Austriche.
Le procès de l'archidiacre de Thoul ira bien loin,
si on ne Testeint, car c'est ung estrange livre. Je ne
sçais qu'aura faict M. de Chassincourt, de ce que je lui
envoyai partant de chez moi. Je vous prye me mander
ce qui en réussira , car je crains enfin d'y estre em-
brouillé pour l'advertissement que j'en donnai au roy.
Je vous prye aussi sonder si ceulx qui y sont intéressés
n'en ont rien descouvert. '
On nous dit que M. de Beauvais arrive demain ici.
Nous les orrons parler, et verrons quel moyen d'ap-
pointement; ce sont toutesfois choses entamées avant
ma venue, dont je me mesle mal volontiers.
Nous avons ici entendu que le nonce du pape pres-
soit la publication du Concile de Trente; ceseroitTabo-
lilionde la paix. J'envoye ung advertissement que j'en ai
fait à la catholique , qu'il sera bon de faire courre. Vous
en adviserés ensemble, s'il vous plaist: pour lui donner
goiist, il importe de celer d'oii il vient.
C'est ce que je sçache, sinon vous baiser bien hum-
|jlement les mains et pryer Dieu , etc.
De Nerac, etc.
XXXV. —-EXTRAIT DE LETTRE
De M. Duplessis a M. d'Jngrongne,
Du dernier janvier i583.
Monsieur de la Motte Fenelon va sans doubte pro-
poser le mariaigc de madame la princesse de Lorraine
2l8 LETTRE DE M. DUPLESSIS
avec le roy d'Escosse ; et à mesme fin vont le sieur de
Meneville que cognoissés, et le fils du baron d'Osson-
ville de la part de M. de Lorraine.
Geste alliance, à mon advis, sera suspecte à l'Angle-
terre, et pourtant s'offre l'occasion de leur ramente-
voir les propos qu'aultresfois je leur ai ouverts du ma-
riaige de madame la princesse, dont peult sortir autant
de bien que de l'aultre de mal.
Il est certain que ce jeune prince ne demeurera
long temps sans se marier, car ce qu'il est tant recher-
ché l'y faict penser. C'est une princesse chrestienne,
bien nourrie, sage , belle , de grand' expectation; s'elle
eust voulleu tant soit peu rabattre de la relligion, elle
espousoit le duc de Savoie, et encores ne s'en rebute
il pas du tout. Ce seroit ung heur pour l'Escosse, ung
repos pour l'Angleterre, et de quelque part qu'on se
tourne, n'y a rien à craindre ni soubçonner de ceste
part , pour ce qui concerne l'auctorité de la royne.
J'en parle pour le bien delà chrestienté, et vous prye,
par l'advis de M. de la Fontaine, en traicter avec nos
amis , et m'en faire response au plus tost.
Pour le manier secrètement, vous sçavés quels ils
sont, etc.
XXXVI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
J. M. Valider Mjlen.
Du i^febvrler i583,
MoNSinun, je vous ai escrit du 9 janvier; et de Tes-
tât de deçà ne puis qu'adjousler, sinon qu'en ce corps
y a tousjours quelques démangeaisons que nous tas-
chons à oster, lantost par légères purgations, et tantost
A M. VANDER MYLEN. 219
par medicamens topiques le mieux que nous pouvons.
Si espère je que, non obstant icelles, nous demeure-
rons en paix. En vostre estât , j'entends avec grand re-
gret que les calamités croissent; Dieu les abrégera
quand il lui plaira pour le soulagement de tant de
povres gens qui souffrent tousjours le pis des confu-
sions publicques. JJnum me lorquet , quia in uno mili-
ta. Simultatem inter Alenconium et Aransionensem
ali scribimt. Vous en sçavés la conséquence, et selon
vostre prudence y pourvoirés; elle est grande , mesmes
en nostre court de France. Non deerunt enim qui
exacerbent, si possint, au préjudice de vos affaires;
et pourtant , piincipiis ohstandiim : vous sçavés que
c'est , Inter corticem et arborem digitum inserere , pe-
riculosum. Toutesfois plusieurs gens de bien en escri-
vent au roy de Navarre. Si voyés qu'il y puisse servir,
vous m'en escrirés, s'il vous plaist. Mais je serois d'ad-
vis qu'il le feist tanquam aliud agens. Hœc tibi ,
prœier te nemini. Au reste, il fault que je me plaigne
de la longueur en laquelle on retient mon homme par
delà. Je vous prye de l'abréger par vostre intercession,
s'il se peult. Je suis à vostre service, et sur ce salue
humblement vos bonnes grâces, et prye Dieu, etc.
De Nerac , etc.
XXXVII. —LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Buzatival.
Du I" febvrier i583.
Monsieur, j'ai receu les vostres du huictiesme décem-
bre, et dixhuictiesme janvier; j'estois en peine d'en re-
cevoir; et plus, en ayant receu , ne pouvant que par*
220 LETTRE DE M. DUPLESSIS
ticiper à vos ennuis. Je prye Dieu qu'il vous consolé en
la guerison de celle dont la maladie vous afflige, et se
contente de l'affliction publicque , dont avez eu vostre
part par delà , sans nous frapper des particulières. C'est
une dure séparation que du corps et de l'esprit , et à
qui sçait que c'est que vraiment aimer, elle n'est moins
dure de deux esprits. Mais si la volonté de Dieu est
telle , il s'y fault resouldre ; car il aime ce que nous ai-
mons mieulx que nous mesmes; l'aimant simplement
pour lui bien faire , non pour en recevoir du bien et du
contentement comme nous. Je prye Dieu derechef qu'il
change vostre tristesse en joie, c'est à dire, sa maladie en
santé; et permettez qu'avec vous je change de propos.
On m'escrit beaucoup de calamités du Pays Bas : Sed in
una omnes , la mauvaise intelligence entre son altesse
etM. le prince d'Orange; c'estung grand mal que cela soit,
et pire qu'on l'ait peu cognoistre; car voussçavez l'his-
toire de Milo. Il ne fault qu'une fente pour démembrer
un chesne; et n'y a faultc de gens qui la cherchent.
Aulcuns y cherchent ung remède, et tous le désirent,
mesmes on nous escrit pour nous employer. Il est dan-
gereux, comme sçavez, de se mesler entre l'arbre et
l'escorce; peu sont receus à parler des riottes d'ung
mesnage; et nous, peult estre, le serions moins que
beaucoup d'aultres. Si quelqu'un s'en doibt mesler, ce
doibt estre , à mon advis , tanquam aliud agens et ve^
luii e re nata, ac si id in Flandria prinium lesci-
verit ^ etc.
A Ncrac.
A M. DU FERRIER. 221
XXXVIII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. du Ferrier.
Du i*"' febvrler i583.
Monsieur, je vous escrivis du 11 décembre, sur les
propos que nous eusmes à Artenay. Je loue Dieu qui
vous les continue, et sçais presque bon gré au monde
qui ne vous en divertit poinct, encores que n'avez ami
qui vous désire plus d'honneur que moi. Le roy de
Navarre vous escrit , vous priant d'accepter la super-
intendance de ses affaires et procès à Paris; comme
l'avoit M. de Pibrac. C'est ung prince qui mérite d'estre
assisté ; car il y a en lui une matière de faire un très
grand prince. Et je vois que ceste matière se veulfc
unir à sa forme, puisqu'elle cherche les gens de bien,
pour s'y conformer. Quand vous vous y serez résolu ,
nous mandant /ostre intention , nous pourvoirons à
vous accommoder du reste. Et vous y serez servi ici
de plusieurs gens de bien et d'honneur. Mais je vous
prye , que petites considérations ne vous en destour-
nent; car nous n'en accepterons volontiers aulcune,
s'elle n'est conjoincte avec ung empeschement de la pro-
fession que voulez et debvez faire , que ne voulions aul-
cunement retarder.
Au reste, monsieur, je suis vostre serviteur; et sur
';e, vous baiserai, etc.
De Nerac, eic.
22 2 LETTRE DE M. DUPLESSIS
XXXIX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
À M. de Buzanval.
Du 14 febvrier i583.
MoivsTEUR , j'ai receu vos lettres du dernier janvier.
Je plains vostre dueil, et prye Dieu qu'il le console; et
je ne sçais si le monde mesmes le doibt poinct consoler,
en ce qu'il nous est si contraire en toutes parts. Pour
le moins, n'envions poinct à nos amis le bien auquel
ils nous préviennent, et le mal que nous voyons, du-
quel ils sont soubstraits. Voici comme Dieu nous conduit.
Tostre malheur particulier vous a retiré d'un public;
et(i)rescorne qu'on m'a voulleu faire en nostre voyaige
d'Allemaigne, m'est tourné en ung honorable tesmoi-
gnage d'estre trop homme de bien pour voir un tel mal.
Certes, je l'ai souvent ainsi pensé et quelquesfois dict,
et comme j'estime à vous mesmes. Doresnavant je m'y
resouls encores plus ; car je vois que nos souhaits sont
aveugles, sinon en tant qu'ils sont sousmis au voulloir de
Dieu. Et pensez quel crevecœur ce m'eust esté, comme
je vous disois, que telle nouvelle feust apportée ou sur
nos harangues , ou peu après ! Mais Dieu m'empescha,
par mesme moyen, le voyaige d'Angleterre, lorsque
le mesme se resolvoit à nous faire la guerre ; ce que je
me suis souvent proposé pour exemple d'un tel faict à
(i) C'est que M. Duplessis avolt esté nommé par monsei-
gneur et les estats des Pays Bas, pour aller présenter la foi et
hommage de mondict seigneur aux estats de l'empire ; mais en
effect pour l'csloigner des Pays Bas , où on ne le voulloit pour
tesmoing de ce qu'on voulloit faire à Anvers.
A M. DE BUZANVAL. 223
venir. En ce faict, je suis confus. Mes soubçons vous
ont esté cogneus et de long temps; car que nous celions
nous? Mais laissons la dissimulation, que nous péné-
trions, et la perfidie que nous craignions; qui veit jamais
en telle perfidie si imprudent conseil? Et aulx maux
qu'il en peult espérer , que pouvoit il attendre , que
désolation et misère? Mais, en toutes choses, il falloit
surpasser les precedens. Le massacre estoit coulouré de
l'animosité des guerres; ces povres gens faisoient la
guerre pour lui , et avoient renoncé à leur prince na-
turel pour l'élire. Le massacre s'appelloit peine de ré-
bellion; mais quel salaire d'élection etoit ce ici? Et le
fruict sembloit évident en ce qu'on pensoit la guerre
civile esteinte; au contraire. Hollande et Zelande de-
meurant derrière; les villes prises, reduictes en déserts
et brigandages, l'ennemi en teste, à costé, tout à l'en-
tour, que pouvoit il s'en suivre , que de rendre le tout
à l'ennemi, c'est à dire le prix de nostre infamie et le
fruict de nostre honte? Or, Dieu y a pourveu , et loué
en soit il. Seulement il me desplaist que nostre nation
ait acquis de plus en plus le nom de déloyale , et peult
estre, mais c'est une punition de Dieu, perdu, contre
des bourgeois , la réputation de vaillance. Mais les bons
distingueront entre les loups et les brebis. Et le trait
de M. de Laval leur reviendra en mémoire, digne de
la générosité de sa race , digne de l'espérance de tous
les gens de bien; et que je vous asseure que ce prince
a grandement loué et célébré. Je vous prye , si vous lui
escrivez, asseurez le qu'il a acquis de l'honneur en ce
faict par deçà. Et de moi, je me surmonterai moi
mesmes en affection , pour lui rendre toute ma vie
double debvoir et service. Au reste, venez vous con-
soler avec vos amis. Ce prince a besoingd'estre assisté 7
224 LETTRE DE M. DUPLESSIS
et vous y traictera bien. Il a très bonne opinion de
vous, et je vous en prye derechef, car il importe, mon-
sieur, etc.
De Nerac , elc.
XL. —LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Serres , sur le faict d'Anvers.
Du i3 febvrier i583.
Moïf SIEUR, j'ai receu une lettre de vous par M. de
Bertauville. Depuis nous avons tousjours tracassé, et je
n'eu moyen de respôndre parce qu'il ne retournoit pas.
Par ceste depesche vous entendrés ce qui s'est passé du
17 janvier en Anvers. C'est chose que j'avois preveue
etpredicte des quej'y estois,et devant que son altesse y
feust; mais encores pensois je que la perfidie deust estre
accompagnée de quelque prudence , au lieu que , toutes
circonstances considérées, il est malaisé de juger quelle
y a esté la plus grande ou la déloyauté ou l'aveuglement.
C'est bien le contraire de ce précepte , Eslote prude?ites
sicut serpentes y et s'wiplices siciU coliimbœ. Le peuple
a monstre que vauit ung bourgeois^ro aris etfocis en
sa ville, et l'assistance de Dieu y est remarquable; lés
gens de son altesse, combien est peu hardie en toutes
sortes une conscience effrayée en elle mesmes. Pieca
avons nous perdeu la réputation de foi, et maintenant
ne l'avons peu retenir de vaillance. Quant à moi , ce faict
m'est une arre d'une malédiction sur nostre nation , et
d'une totale délivrance pour ce peuple qui humaine-
ment debvoit succomber. Ne restoit en ce sep que ceste
branche non encores désespérée par ouverte perfidie.
Et pourtant que reste il sinon que securis ad radie e m.
A M. DE SERRES. 225
Je me console aulcunement en ce prince, près duquel
Dieu m'a appelle, et par sa voix et par la sollicitation
de plusieurs gens de bien. Non que j'y voye toutes
choses à souhait ; mais certes, et trop plus de bien et
trop moins de mal qu'es aultres; et sur tout ung bien
incomparable de se confier totalement en ceulx qu'il
pense gens de bien. Dieu achèvera ou suppléera le
reste par sa grâce; et peut estre par lui, comme par
plusieurs vaisseaux infirmes, veult il monstrer qu'il est
puissant en infirmité. Je le prye donc, monsieur, etc.
De Nerac, elc.
XLI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le prince d'Orange, (i)
Du i4 febvrier i583.
Monseigneur, ce qui est advenu à Anvers nous a
esté plus desplaisant qu'estrange. Loué soit Dieu , qui
vous a délivrés, et de vos ennemis tant de fois, et
maintenant de tels amis. Je pense que vostre excellence
se sera resouvenue de moi à ce propos ; car je craignois ,
lors queje partis, pis que je n'osois dire, et me sembloit
que ne vous faisois plaisir de vous troubler la bonne
opinion que vous aviés. De moi, j'ai loué Dieu mille
fois de ce qu'on me reculoit de là, et surtout de la
rupture du voyaige d'Allemaigne, Au moins , en me
faisant ces escornes, m'ont ils rendu ce tesmoignao-e
honorable, qu'ils m'estimoient trop homme de bien
pour conniver à leurs fraudes , et peult estre moins
simple qu'ils ne vouUoient pour ne les appercevoir.
(i) Guillaume de Nassau, prince d'Orange.
Mém. de Duplessis-Morxay. Toaie ir. l5
220 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
Or, monseigneur , vos Ire excellence se souvienne qu'en
une niesme année Dieu vous a rendeu la vie deux fois,
et a tout le pays ensemble. Cela vous estarre d'espérer
mieulx à Tadvenir, et obligation de servira Dieu de plus
en plus. Vostre excellence peult faire entier estât du
roy de Navarre, M. Caluart vous en dira davantage.
De ma part je vivrai et mourrai vostre très humble ser-
viteur. Je prye Dieu , etc.
De Nerac, etc.
XLII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Saine t Aldegonde.
Du i4 f«'bvrier i583.
Monsieur , vous recevrés une aultre lettre de moi ;
mais l'argument nouveau , dont nous nous feussions
bien passés, m'arrache celle ci. Louons Dieu qui vous
a délivrés , et recognoissons en quel malheur est préci-
pité, et ung prince, et ung pays, par le mauvais con-
seil de peu de gens. M. Caluart vous dira au reste de
nos nouvelles. Croyés que les vostres de delà ne m'ont
esté tant nouvelles que fascheuses. En somme, Nun-
quam ex spinis ui^as, neqne ex tvibulis ficus. Et au
reste, Maliun consilium consultori pessimum erit.
Je prye Dieu, monsieur, etc.
De Nerac, etc.
INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE, etc. 227
XLIII. — INSTRUCTION SECRETTE
Baillée par le roy de Navarre au sieur Caluart, s'en
retournant trouver le prince d'Orange après lefaict
d'Anvers.
Du i/J febvrier i583.
En cas que les estais jugent nécessaire de renouer
avec monseigneur, nonobstant ce qui s'est passé, pour
la conséquence des -villes qu'd leur tient, le roy de
Navarre a dict au sieur Galuart que, si les estais peu-
vent faire trouver bon à monseigneur que le roy de
Navarre , pour plus grande asseurance , leur soit donné
pour régent et lieutenant gênerai , il acceptera volon-
tiers ceste cbarge, pour le zèle et affection qu'il a à
leur conservation et défense.
Mais conviendroit aussi que le roy agreast ce faict.
Premièrement, afin de ne troubler le secours que le
roy de Navarre auroit à mener soubs l'auctorité de mon-
seigneur, lequel ils doibvent requérir pour leur seureté,
composé de chefs, capitaines et soldats de la relligion
le plus qu'on pourra; secondement, afin que les traic-
tes de vivres demeurent empeschees à l'ennemi , à Me-
zieres , Calais et aultres lieux; tiercement, si faire se
peult , pour en tirer ung secours d'argent par mois, tel
qu'il auroit esté traicté ci devant par son altesse avec
leurs majestés.
Comme aussi, seroit requis de tirer promesse de
monseigneur de demeurer ennemi del'Espaignol , non-
obstant qu'il se retirast en France , et d'asseurer les
Pays Bas d'ung certain secours d'hommes, composé
comme dessus, payés par chacung mois, moyennant
quoi il demeurast seigneur du Pays Bas; mais qu'en
228 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE
cas de ne tenir promesse, feust en l'option tles estats
d'en élire ung aultre tel qu'ils verroient convenir à leur
estât. Seroit pourtant raisonnable que le roy de Na-
varre eust le mot du prince d'Orange pour l'accoura-
ger à bien faire, qu'il seroit préféré à tous, ce que,
sans doubte, il meriteroit par ses vertueux faicts entre
ci et là.
En cas donc que les estats fassent élection du roy de
Navarre, il n'est raisonnable qu'il ait pires conditions
que monseigneur, ains d'autant meilleures , si faire se
peult, que la condition et estât du pays auroit esté em-
piree par lui.
Et quant au roy de Navarre , leur pourroit fournir
trois regimens de gens de pied, de quinze cens hommes
chacung , deux tiers harquebusiers, et le tiers corce-
lets : et de cinq cens bons chevaux qu'il soudoieroit
six mois durant; les chefs et capitaines d'iceulx agréa-
bles aux pays, et de la relligion, comme aussi les sol-
dats pour la pluspart. Leur en feroit en oultre couler
autant qu'il seroit besoing pour remplir les vieux regi-
mens, et les compagnies de chevaux légers françoises
qui sont à leur charge.
Ne pourroit le roy de Navarre promettre de faire
déclarer le roi, comme monseigneur , ce qui toutesfois
ne seroit encores ensuivi. Mais, pour supplément de ce,
se fortifieroit de bonnes alliances des princes voisins,
bien vueillans du Pays Bas, et au reste leur apporte-
roit une sincère affection à la vraie relligion, ung inte-
rest implacable contre l'ennemi commun; une intégrité
exempte de tout soubçon , ung but totalement conforme
au leur , qui feroit prospérer une moyenne force plus
que les bien grandes descousues et desunies, comme
elles ont esté jusques à présent.
AU SIEUR CALUART. 229
Dieu, qu'eulx et lui invoqueroient unanimement,
beniroit leurs labeurs et intentions , comme nous le
pryons de prospérer ceste affaire par sa grâce à sa gloire,
et au repos de ce peuple, auquel il consacreroit de
tout son cœur ce que Dieu lui octroira de Vie , et lui
a donné de moyens.
Au reste, le sieur de Caluart escrira au plustost de
tout ce qu'il pourra seurement, usant du chiffre qu'a
le sieur Duplessis avec les sieurs de Sainct Aldegonde
et Vander Mylen.
XLIV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
j4 M^'' le prince de Condé.
Du i5 febvrier i583.
MoîJSEiGNEUR, vous entcudrés par ceste depesche
ce qui est advenu en Anvers, qui m'a esté plus fas-
cheux qu'estrange, veu la possession où nous sommes
de penser que négocier soit tromper, et veu les incli-
nations que j'avois laissées au partir en ceulx qui pou-
voient le plus auprès de son altesse. Maintenant ils me
ramentoivent les propos que lors je leur tenois; je dis
les povres gens du pays. Et pleust à Dieu qu'ils y eus-
sent pris plus de fondement; mais c'est le destin de
nostre nation, qui n'a but, ce semble, que sa ruyne et
son deshonneur, et abuse de toutes les occasions que
Dieu lui présente, comme ung mauvais estomac, à sa
perdition. Le temps qui est le maistre des plus sages,
dévidera ceste pièce de fil si embrouillée, et cependant
nous attendrons ce que Dieu en ordonnera; lequel je
supplie, monseigneur, etc.
De Nerac, etc.
23o LETTRE DU ROY DE NA.VARRE
XLV. — LETTRE DU ROY DE NAVARRE
J M. ï archevesque de Rouen ^ depuis cardinal de
Vtndosme ; rédigée par M. Duplessis.
Du 6 mars i583.
Mon cousin, j'ai receu vostre lettre, et crois volon-
tiers que Taffection que me portés , et à la grandeur de
nostre maison , vous faict parler. Le bruit que vous
dites de mon intention d'aller à la court est très vrai.
Toutes les fois que je verrai plus d'utilité pour le service
du roy, à y aller que demeurer ici, je serai prest à
partir; et les choses, grâces à Dieu , s'acheminent telle-
ment en ces quartiers, que j'espère que ce sera bien-
tost. Mais, sur ce que vous adjoustés que , pour estre
agréable à la noblesse et au peuple, il fauldroit que je
changeasse de relligion , et me représentés des inconve-
niens, si je fais aullrement; j'estime, mon cousin, que
les gens de bien de la noblesse et du peuple , aulxquels
je désire approuver mes actions, m'aimeront trop
mieux, affectionnant une relligion, que n'en ayant du
tout poinct; et ils auroient occasion de croire que je
n'en eusse poinct, si, sans considération aultre que mon-
daine (car aultre ne m'allegués vous en vos lettres), ils
me voyoient passer de l'une à laultre. Dites, mon cou-
sin, à ceulx qui vous mettent telles choses en avant,
que la relligion, s'ds ont jamais sceu que c'est, ne se
dépouille pas comme une chemise; car elle est au
cœur, et, grâces à Dieu, si avant imprimée au mien,
qu'il est aussi peu en moi de m'en départir, comme il
estoitau commencement d'y entrer, estant cesie grâce
de Dieu seul, et non d'ailleurs. Vous m'allegués qu'il
A M. L'ARCHEVESQUE DE ROUEN. aSi
peull mesavenir au roy et à monsieur. Je ne permets
jamais à mon esprit de pourvoir de si loing à choses qu'il
ne m'est bienséant ni de prévenir ni de prévoir; et
n'assignai oncqma grandeur sur la mort de ceulx aus-
quels je doibs mon service et ma vie. Mais, quand Dieu
en auroit ainsi ordonné (ce que n'advienne), celui qui
auroit ouvert ceste porte , par la mesme providence
et puissance nous sçauroit bien applanir la voie; car
c'est lui par qui les roys régnent, et qui a en sa main
le cœur des peuples. Croyés moi, mon cousin, que le
cours de vostre vie vous apprendra qu'il n'est que de
se remettre en Dieu, qui conduit toutes choses, et qui
ne punit jamais rien plus sévèrement que l'abus du
nom de relligion. Voilà, mon cousin, mon intention
en laquelle j'espère que Dieu me maintiendra, etc.
XLVI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M, de Chassincourt. ( i )
Du lo mars i583.
Monsieur , on faict courre ici des bruits entre les
peuples ausquels il est besoing que vous pariez par de
là. Jamais le roy de Navarre ne feut plus disposé à la
paix; et jamais ceulx qui sont près de lui ne recher-
chèrent plus soigneusement les moyens de l'établir selon
l'intention du roy; et cependant on semé que nous
sommes à la veille de prendre les armes, dont nous ne
feusmes oncq plus loing. Je ne sçais s'ils auroient pris om-
brage sur la venue de monseigneur le prince en ceste
court. Si vous puis je asseurer que je ne le vis oncq plus
(x) Il estoit agent du roy pour les affaires des Eglises.
2 32 LETTRE DE M. DIJPLESSIS
resoleu à la paix , ni parlant de l'asseureres lieux d'où
il vient, avec plus de prudence et d'affection, comme
aussi faict M. de Chastillon qui est ici. Cela me faict
craindre qu'il n'y ait de l'artifice , et qu'on ne no«s
veuille mettre en peine de nous excuser, afin que nous
ne venions à les accuser eulx mesmes, qui ont assés
faict paroistre, en certaines actions, que si le feu eust
bien pris à Anvers, la traisnee eust bien peu suivre jus-
ques à nous, veu la malignité de certaines liqueurs qui
sont en ces quartiers plus espaignols, à la vérité, que
francois. Le roy de Navarre a attendu M. le mareschal
de Matignon neuf jours, à Bazas, pour remettre la ville
en Testât que la paix requiert, et vous asseure qu'il
n'avoit aultre intention. Il s'excusa sur maladie, et je
pense qu'il feut malade. Mais, depuis le roy de Na-
varre l'a plusieurs fois pryé de venir à Nerac, pour con-
férer ensemble de cela et de choses semblables , ce que
aussi il lui auroit promis par plusieurs lettres, et ne l'a
peuencores obtenir. Je crains que quelques malheureux
esprits ne l'en détournent, en lui semant des soubcons
et défiances au cœur, dont il me semble qu'il debvroit
estre autant éloigné qu'il nous a connus, en toutes oc-
casions, éloignés de lascheté, de dissimulation et de
tromperie. Cela, toutesfois, ne nous degoustera jamais
de bien faire. Mais il est bon d'en advertir, quand il vient
à propos , monsieur , etc.
De Nerac, etc.
A M. DE DANZAY. 2 33
XLVII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Danzaj.
Du 26 mai i583.
Monsieur, depuis que nous avons eu lettres Fiing de
l'aultre, il est passé des choses qui, à mon jugement,
vous auront apporté beaucoup de fascherie, comme à
tous ceulx qui désirent l'avancement de la gloire de
Dieu , et le bien et repos de ceulx qui la recherchent.
Mais il se fault enfin resouldre en Dieu , qui des grands
maulx sçait tirer le bien, et des ténèbres la lumière;
prenant plaisir souvent à nous faire voir que nous som-
mes des enfans qui cherchons ung œuf au trou du ba-
silic, et nostre guerison en la queue du serpent. Si ne
lairra il toutesfois d'acheminer son œuvre; mais, comme
il est vrayment sien, à son temps et à ses moyens. Je
vous escrivois, par mes dernières, qu'il se debvoit tenir
un synode en ce royaume, auquel je ne fauldrois de
remettre sus la negotiation tant désirée de la reconcilia-
tion de nos confessions. Il s'est tenu, au mois présent,
en ceste ville de Vitray, en Bretagne, et m'y suis trouvé
au nom du roy de Navarre, de la part duquel j'ai re-
monstré l'utilité et nécessité de ceste œuvre, exhorté
nos églises à nommer certains personnages doctes et
modérés pour envoyer vers les princes d'Allemaigne, et
offert que ledict seigneur roy estoit prest à y envoyer
de sa part un gentilhomme signalé , pour y donner
tant plus d'auctorité. Il a esté concleu de n'y perdre
plus temps ; et espère qu'en bref ceste ambassade sera
expédiée, non pour disputer et conférer de la reiligîon,
mais pour remonstrer la nécessité de ceste reconcilia-
234 LETTRE DE M. DUPLESSIS
tion, et requérir ung synode pour composer les diffe-
rens; et, en attendant iceliiy, imposer silence à toutes
contentions et invectives , tant de bouche que par escrit.
J'espère que la chose ne sera sans fruict, et que nous
demeurerons frères et bons amis. Et me semble que
l'Allemaigne se prépare à sentir Tinterest qu'elle a com-
mun avec nous en ceste vraie concorde, veu Testât où
nous entendons qu'elle est maintenant. Ceulx qui au-
ront ceste charge, passeront jusques à vous, et y auront
adresse. Et, parce que malaisément pourront ils partir
avant le mois d'aoust, je vous supplie m'envoyer ung
bref advis de la façon que pensez qui se doibt tenir en
ceste négociation; par quels princes il fault commen-
cer, par quelles villes, etc. , quels on pourroit employer
pour entremetteurs envers les aultres, et quels il fauldra
regagner, etc. Quo in locojam res sunt'apud singii-
los et singulis in locis , etc. ; et tout ce que pourrez
penser et adviser concernant ceste matière. Non que
je n'aye bien gardé les utiles discours que m'avez faict
ce bien de m'envoyer quelquesfois ; mais parce que le
temps peult avoir apporté du changement aulx lieux et
personnes, es choses dont sera question. Nous aurions
bien besoing aussi , pour faire la depesche plus accom-
plie, d'avoir une liste des princes et villes ausquels sera
besoing d'escrire, leurs humeurs, qiiœ quemque oratio
deceat y quœ quemque moi>eat ratio ^ etc. En quoi,
nul que je sçache, ne peult tant aider que vous; comme
aussi à quels docteurs et conseillers il fauldra escrire,
à quels s'adresser, et quœ cujusque conditio, nal*ira,
inclinatio. Vous pourrés, monsieur, adresser vos lettres
à Paris, rue de Seine, au fauxbourg Sainct Germain,
aulx Trois l^ensees, cliés maislre Denis Trouvé, ou à
maistre Anlhoine Durant, qui font mes affaires à Paris ,
A M. DE DANZAY. ^35
et me mander, par mesme moyen, où je vous adresserai
celles que j'aurai à vous escrire. Au partir d'ici, je m'en
vais trouver le roy de Navarre en Gascogne , et pense
que, vers le mois de juillet, il sera en Xaintonge et en
Poictou. Vous m'avez aultresfois escrit de M. vostre ne-
veu ; s'il se présente occasion de lui faire quelque ser-
vice, et que j'en sois adverti, je le ferai de très bon
cœur. Je n'ai poinct copie du chiffre qu'aviez envoyé
au Pays Bas, qui me faict vous supplier de m'en en-
voyer, par mesme moyen , ung aultre. Au reste, mon-
sieur , je vous prye faire estât que vous avez telle puis-
sance sur moi qu'ung père sur ung fils. Qui, sur ce,
vous baiserai bien humblement les mains, et supplierai
le Créateur, monsieur, etc.
De Vitray , etc.
XLVIIL — DISCOURS
Envoyé a M. de V alsinghnm , secrétaire cV estât (V An-
gleterre , pour induire la rojne Elizabeth h em-
brasser l union du roy de Navarre et des princes
protestans d'Allemaigne.
Du mois de mai i583.
C'est chose toute claire , que les estats ne doibvent
estre estimés fort ne foibles en eulx mesmes; mais au
regard et en comparaison de leurs voisins, et de la
proportion qu'ils ont avec eulx. Et c'est en quoi la royne
d'Angleterre principalement doibt estre réputée puis-
sante, qui a veu depuis vingt ans ceulx qu'elle debvoit
plus redouter, ou s'affoiblir par leurs propres forces,
ou employer leurs efforts ailleurs.
Maintenant, si elle veult que cest heur lui dure,
236 DISCOURS POUR L'UNION
il convient en continuer les causes, c'est à dire tenir
tousjours les choses en ceste proportion, soit en se
renforçant d'alliances , à mesure que ses ennemis se
rallient, soit en leur suscitant et entretenant des exer-
cices et travaux, qui divertissent leur esprit et leurs
moyens ailleurs.
Aultresfois lui a on dict qu'il n'estoit que d'estre allié
avec les plus grands princes de la chrestienté, comme
le roy de France et le roy d'Espaigne ; alliances , par
l'advis de tous bons politiques, qui gisent plus en papier
qu'en effect, et, qui pis est, apportent plus de dom-
mage que de profit.
Qui est allié avec ung égal (à plus forte raison avec
plus fort que soi), perd sa liberté et son avantage,
d'autant que, qui a compagnon a maistre , et que le
plus grand faict tousjours ployer les affaires du moindre
aulx siennes propres. Et oultreque les histoires en sont
pleines, n'agueres encores la ligue des Vénitiens avec
le roi d'Espaigne contre le Turc, nonobstant la néces-
sité mutuelle, ne peult durer, parce que TEspaignol ,
qui pense tenir ung degré sur eulx, en vouUoit seul
avoir et le profit et l'honneur.
Au contraire, qui a ligue avec plus foible que soi,
devient à demi maislre de ses moyens, conseils et forces;
comme il se voit que jamais la France n'a eu alliance
plus utile et plus secourable au besoing que celle des
Suisses.
Je laisse que le différend de la relligion ne permet
poinct que ces ligues soient sincères , d'autant que les
conseils de la pluspart des princes catholicjues sont affi-
nés en la fournaise de Rome, et dirigés au but du pape,
qui tend tousjours à l'extermination de la relligion,
comme il s'est assés veu par les pratiques du pape,
DES PRINCES PROTESTANS. 287
découvertes en Angleterre, dont il a prétendu rendre
les susdicts princes exécuteurs.
La royne pensoit avoir trouvé ung prince qui les
tiendroit tous deux en eschec , et par tous honnestes
moyens, pensoit s'estre asseuree de son amitié , à sça-
voir, monseigneur le duc d'Anjou; et, s'il eust pris
ung bon train, le conseil n'estoit mal à propos. Mais,
par ce qu'il a faict es Pays Bas, il s'est obligé à haïr et
à ruyner tous ceulx de la relligion , et s'est retranché
toute espérance de faire partie avec eulx ; tellement
qu'il y a apparence qu'il se jettera à corps perdu entre
les bras des catholiques, et espousera les affections et
factions du pape , qui doresnavant le fera son bras
droict, et l'exécuteur de ses plus pernicieux desseings;
comme ainsi soit qu'il ne peult déguiser ce desordre
d'Anvers, aultrement exécrable envers tous hommes,
qu'en feignant ung zèle d'y remettre sus, à quelque
prix que ce feust, le parti de sa relligion.
Et qui cognoist son humeur inquiète et défiante, ne
doubtera poinct de cet article. Car, ayant en ceulx des
Pays Bas offensé et endommagé tous ceulx de la relli-
gion, il ne s'y peult plus fier; et, se voyant forclos de
ce parti, il vouldra s'appuyer d'ung aultre, ou il y ait
de la besongne. C'est de se rendre chef ou instrument
principal de la ruyne de tous ceulx de la relligion. Desjà
il est certain que sans il s'en alloit traicter avec le
duc de Parme, pour lui rendre les places qu'il tenoit
aux estais; ce qu'il lui dissuada, pour sauver les prison-
niers qui en eussent esté en danger , à la grande honte
de la France , et désolation de plusieurs notables fa-
milles.
Car, quanta l'accord faict entre lui et les estats , on a
assés apperceu qu'il n'a eu intention que de sortir
238 DISCOURS POUR L'UNION
bagues saulves, et ravoir ses prisonniers. Ce qui se
voit en ce qu'il avance tous les jours près de lui les plus
désagréables aux. eslats, comme Fervnques , La Ferté,
Aurilly, etc., en rejettant ceulx qui avoient aulcune-
ment retenu leur créance et réputation enversle peuple,
pour n'avoir pariicipé aulx mesclians conseils, desquels
aultrement il eust eu à se servir.
Posons maintenant ce fondement certain, qu'il revient
en France, où, sans doubte , le roy craindra qu'il ne
relevé ung parti de malcontens , dont le subject est assés
beau , veu que le nombre en croist et mulliplie tous les
jours soubs Testât présent. Qu'y a il de plus plausible
que de lui mettre en main , pour le moins en l'esprit ,
quelque desseing sur Angleterre et Escosse; en délivrant
par mesme moyen et le roy de France de soubçon ,
et le roy dEspaigne de peine? Et je sçais que, des
l'an passé, le roy dEspaigne faisoit traicter cela soubs
main avec lui, par un certain Italien qui sert d'ingé-
nieur à Lisbonne , dont les lettres me sont venues es
mains. Maintenant aussi, la royne sa mère va traicter
avec lui le mariaige de la fille de Lorraine, pour le re-
joindre, avec ceste maison ennemie de la vraie cbres-
tienté, et particulièrement de Testât de l'Angleterre.
Car, quant à faire monseigneur cbef de la guerre,
contre ceulx de la relligion en France, le roy a ses pra-
tiques et ses armes si suspectes, qu'il ne lui lairra jamais
tenir la campagne en France. Et, d'aultre part , il se défie
tant du roy, qu'il ne prendra jamais la cbarge d'une
armée qui ne soit à sa dévotion; ce qu'il n'y a appa-
rence que le roy lui permette.
L'Angleterre, sçai je bien, n'est pas facile à con-
quérir. Mais, qu'on me confesse aussi qu'elle est aisée
à troubler; le seul mariaige de monseigneur, agréable
DES PRINCES PROTESTANS. 289
aux ungs, odieux, aux anll-res , |)artit le pays en ligues,
et mit la court et le conseil en coinhustion. C'est au
reste une^ prince qui , sangles beaucoup examiner, tend
l'oreille et le cœur à toutes brouillenes, comme il s'est
veu au faict d'Anvers, duquel il n'avoit bien projette
ni l'entrée ni l'issue, et qui, au mieulx qu'il eust peu
souhaiter, apportoit sa ruyne. Et, quand on vient jus-
ques à ce poinct de laisser troubler son estât, beaucoup
d'accidens surviennent au malade , qui peuvent faire
ouverture de pis.
Pour contrebattre ce mal, la royne d'Angleterre (je
laisse l'ordre du dedans) se pourroit fortifier d'alliances
au dehors , plus seures que celles qu'on lui a recom-
mandées jusques ici.
Avec les princes protestans, les choses y seroient
maintenant très bien disposées; car, pour secourir
l'archevesque de Cologne, les plus grands se sont jà
alliés ensemble. Et on pourroit traicter, non avec cha-
cung à part , mais avec ce corps jà formé. Et , sans
doubte , ils ne refuseroient l'appui d'Angleterre, d'au-
tant qu'ils voient les catholiques et Austrichiens en
brasser une bien lourde contre eulx. Par le moyen de
ceste alliance se creeroit un roy des Romains aultre que
de la maison d'Austriche, qui, aultrement, va en-
gloutir toute la chrestienlé, veu qu'il n'y a qu'ung fils
en Espaigne , fort débile et maladif, avenant la niort
duquel, l'empereur, par le mariaige de la fille d'Es-
paigne, rejoint l'auctorité de l'empire et la puissance
d'Espaigne ensemble.
Seroit en oultre la royne secourue à son besoing des
forces d'Allemaigne , comme aultresfois l'Angleterre l'a
esté- très à propos par les villes maritimes. Et feroit
tousjours de là sortir une armée de Reystres, pour la
24o DISCOURS POUR L'UNION
jetter et espandre sur le pays de celui qui la vouldroit
troubler chez elle. A ceste fin, seroit nécessaire qu'elle
eust une notable somme de deniers en depost en Alle-
maigne, qui tiendroit ceulx de son parti en haleine,
et ses contraires en crainte. Et ne seroit si tost faicte,
ceste alliance, que plusieurs princes et estats voisins,
chacung pour son interest , ne s'y joignissent, estant la
chrestienté aujourd'hui tellement disposée, qu'il n'est
besoing que de quelque prince eminent, qui fasse l'ou-
verture, et donne le signal aulx aultres, pour penser
au bien commun.
Sa majesté faict très sagement de renouveller l'al-
liance avec l'Escosse , d'où souffle le plus fascheux vent
pour son estât. Mais doibt aussi considérer que ce jeune
prince est recherché de beaucoup de mariages; et que
les mariages des princes sont mariaiges de leurs estats ;
et par conséquent adviser qu'il s'allie en lieu qui soit
bien affectionné vers l'Angleterre. Cela se faisant, elle
rompt les pratiques ordinaires que ses ennemis y font,
tant pour le marier à bon escient, que soubs ombre et
prétexte de mariaige.
Tandis que le parti de ceulx de la relligion demeu-
rera ferme en France et Pays Bas , les roys de France et
d'Espaigne auront peu de moyens de lui mal faire. Et
pourtant elle a interest à ne les laisser perdre. Et pour
le Pays Bas , si, des le commmencement, elle eust teneu
la ligue qui s'estoit traictee, les choses ne feussent au
poinct oii elles sont, et n'eussent esté en celui où elle
a esté très marrie de les voir. Quant à la France, le roy
de Navarre et M. le prince de Gondé sont princes de
mérite , et qu'elle n'a traictés , à la vérité , ni selon sa
qualité, ni selon la leur; elle les a abandonnés en. leur
besoing; les a laissés, en tant qu'en elle a esté, et en
DES PRINCES PROTESTANS. , 241
risée, et en proie à leurs ennemis; les a mesmes traictés
indignement en leurs personnes, et des leurs , qui est
gracieuse et honorable envers tous aultres, non de telle
qualité qu'eulx. Cela faict qu'ils ne s'osent plus attendre
à son amitié , qu'ils ont tant recherchée en vain et
ne sçavent s'ils lui font plaisir de lui offrir leur service.
On dict toutesfois à la royne qu'elle a faict merveilles-
et quelquesfois on reproche l'ingratitude ; mais elle se
peult souvenir que, depuis l'an septante, elle n'a pas de-
pendu ung denier pour eulx,encores que jamais ils n'ont
eu tant d'affaires, ni passé tant de périls. Et encores
ce qu'elle feit en l'an soixante et neuf feut moyennant
certaines bagues. Car, quant aulx deniers prestes l'an
1576, c'est à monsieur, qui les eut, à en respondre.
Et depuis, il en a eu, à diverses fois, grandes sommes,
qui, peult estre, eussent bien esté aussi utilement em-
ployées ailleurs. Si est ce qu'elle a inlerest à leur con-
servation, et peult estre ne debvroit permettre qu'ils se
conservassent d'eulx mesmes, sans avoir cest honneur
d'y faire sa part.
Et c'est en somme pour revenir aulx deux poincts
proposés, à sçavoir les moyens qu'elle peult tenir, et
pour se renforcer d'alliances, et pour divertir les ef-
forts de ses ennemis, sans beaucoup s'incommoder.
XLIX. — ESTAT DU ROY DE NAVARRE
Et de son parti en France , envoyé aiidict sieur de
Valsingham, en mai i 583.
Le roy de Navarre doibt estre considéré, première-
ment en la qualité en la({uelle par la grâce de Dieu il
est né; secondement, en celle en laquelle \\ a pieu à
Mém. de Duplessis-Mormay. Tome iij, j g
242 ESTAT DU ROY DE NAVARRE
Dieu l'appeller depuis, à sçavoir en tant que premier
prince du sang et chef de la maison de Bourbon ; et
en tant que chef des eghses reformées de France.
En la première quahté son auctorité croist tousjours,
et ne peult decroistre , le roy estant, comme on estime,
du tout hors d'espoir, et monseigneur loing d'avoir en-
fans; l'ung ayant esté si long temps marié sans en avoir,
et l'aultre ne l'estant encores poinct. Cela est cause que
tous les bons François commencent à jetter les yeux sur
lui, et taçchent de plus en plus à anticiper sa faveur.
Joint que le mal qu'ils sentent du gouvernement présent
du roy, et qu'ils attendent à l'advenir de monseigneur,
veu les eschantillons qu'il en monstre , donne grand
lustre au roy de Navarre, duquel personne n'a occasion
de se plaindre, et auquel nul ne peult jusques ici repro-
cher cruauté, perfidie, ni oppression quelconque.
Nostre paix aussi, dont nous avons usé modeste-
ment, a faict oublier au peuple les plaies des guerres
civiles dont on nous faisoit porter la haine. Et, pen-
dant icelle, il a tant pati, ou des nouveaux imposts du
roy , ou des mangeries des troupes de son altesse, qu'ils
ont succédé à nostre haine, et le roy de Navarre, en
quelque façon, à leur bienveillance, en tant qu'on a à
se plaindre de tous, fors que de lui.
Une chose accroistroit grandement son crédit, si
seurement il se pouvoit que le roy de Navarre s'ap-
prochast ung peu du centre de la France, estant prince
beau, agréable, adroit, et doué de toutes parties re-
quises, pour attirer le cœur de la noblesse, et y a ap-
parence qu'en ce cas , veu mesmes le desdain des aul-
tres, la pluspart l'approcheroient, et prendroient goust
à lui.
Car, quant à la faveur de messieurs de Guise envers
ET DE SON PARTI EN FRANCE. 243
le peuple et la noblesse , elle déchet à veue d'œil. On a
veu qu'ils ont esté à la court, dedans Paris, bien accom-
pagnés, au milieu de leurs amis ; et n'ont toutesfois osé
dire ung mot de vérité pour la reformation du gouver-
nement; que c'a esté lors que tous ces iniques et oné-
reux edicts se sont faicts, et que les parlemens ont esté
plus forcés en leur auctorité; qu'ils ont plongé devant
M. d'Espernon et M. de Joyeuse, comme canes devant
barbets, et en ont enduré mille vergongnes, pour en
tirer quelque vile commodité. Qu'ils ont me^idié faveur
en s'accommodant lascliement à tous vices, à toutes
enormités, à toutes fantaisies, comme nommeement à
ceste dernière confrérie, que les parlemens, la Sor-
bonne, l'Université, les convens, les prescheurs, tous
en gênerai ont condamnée et biasonnee haut et clair.
Cela a faict voir à chacung qu'ils n'avoient qu'ung masque
de valeur, qu'ils ne taschoient qu'à faire profit des ca-
lamités publiques, et que, quand on les auroit eslevés
en auctorité, on auroit changé l'enseigne de la taverne,
mais pour y boire peult estre encores pire vin.
La relligion dont le roy de Navarre faict entière
profession, lui est bien à la vérité ung empeschement ,
pour n'entrer si avant et si tost au cœur du peuple ;
mais si ne laissent les plus sages de dire qu'ung prince
qui a une relligion bien asseuree, vault trop mieux
que qui n'en a du tout poinct; que les choses sont re-
duictes à ce poinct en France , qu'elle ne peult estre pai-
sible sans les deux relligions. Et n'y a double, si on
voyoit le roy de Navarre aussi bien allié et appuyé
dehors le royaume, comme il est bien fondé dedans,
que plusieurs personnages notables de toutes qualités
s'adjoindroient et à la reUigion et à son parti, qui sont
•244 ESTAT DU ROY DE NAVARRE
ennuyés extrêmement et des abus de l'Eglise romaine
et des corruptions de Testât présent.
En la personne du roy de Navarre chacung remarque
une vigueur de corps, une vivacité d'esprit, une gran-
deur de courage presque incomparable. C'est la matière
dont se sont créés les plus grands princes. Pour y ad-
jouster la forme, il a passé jusques ici par beaucoup
de beurts et de traverses, s'est trouvé en cest aage en
plusieurs entreprises bazardeuses , en plusieurs traictés
perplex , en affaires continuelles de paix et de guerre. Ce
sont les exercices qui parfont et accompHssent les prin-
ces bien nés. En oultre , il a pris ung pli depuis quelques
années de se commettre totalement au conseil des plus
gens de bien, qu'il a peu choisir et recueillir de toute la
France ; qui donne espoir à tous que Dieu veult faire en
nostre siècle de grandes cboses et par lui et pour lui.
Quant à ses biens et moyens patrimoniaux, ils ont
esté, tant par les mauvais mesnages de ses prédéces-
seurs, que par les ruynes des guerres civiles, bien en-'
dommages; mais si jouit il encores de trois cens mille
escus de rente annuelle , et s'acquitte par la diligence
de ses serviteurs de jour en jour; et est à présent sa
maison en splendeur et en ordre.
Les susdicts biens consistent, partie en souveraine-
tés, et partie non; en souveraineté, il tient une partie
du royaume de Navarre, appellee Navarre basse, le pays
des Basques et de Donnezan, qui sont tous les passages
de France en Espaigne. Item, le pays de Bearn , qui tient
deux journées ou plus de pays fertile en quarré, où sont
assises Oleron, ville fort marchande et riche, Pau,
Lescar, Orthés, Naï , Morlais, etc., et sur toutes Na-
varreins , place d'importance et fortifiée à la Realle , en
ET DE SON PARTI EN FRANCE. 245
laquelle il a ung arsenal bien fourni d'artillerie, de
poudre, d'armes et de toutes munitions de guerre.
Le seigneur de Sainct Gêniez, gentilhomme de grande
qualité, vertu et expérience, commande aulx susdicts
pays en titre de lieutenant gênerai; M. de Sales , vieux
chevalier, en titre de gouverneur de Navarreins. Et se
peuvent tirer du pays, à tout besoing, trois cens gentils-
hommes en bon équipage, et six mille arquebusiers
bien armés , soubs la charge de quattre gentilshommes ,
qui sont capitaines, chacung en son quart, de la milice
du pays. En ce dict pays y a une Université en la ville
d'Orthés, bien pourveue de gens doctes, en laquelle il
entretient tousjours cinquante escoliers en théologie,
chacung l'espace de dix ans , pour servir au ministère
de l'Evangile.
Soubs l'hommage du roy de France , il possède la
comté de Foix, qui tient presque depuis Thoulouse
jusques en Espaigne, en laquelle sont assises les villes
de Pamiers, Foix, Mazeres , Saverdun , Madazil ; toutes
fortes d'art et de nature. Le peuple d'icelles, pour la
pluspart de la relligion, et dont on peult armer pour
le moins six mille arquebusiers. Il n'en doibt au roy
que le simple baise main, et y a tout droict de regale.
Item , tient à mesme droict la comté de Bigorre , dont
est capitale Tarbe, très grande ville, mais fort endom-
magée des guerres civiles; et la vicomte de Marsan, où
sont les villes du Mont de Marsan, Roquefort, Ville-
neuve, etc. Item, le duché d'Albret, qui tient depuis
Bayonne jusques à Bordeaux, et mesmes au deçcà de la
Garonne et de la Dordogne, où sont Albret, Tartas,
Casteljaloux, Nerac, Millau, S. Bazile, Castels, Gi-
ronde (ces quattre sont sur la Gironde), Aillas, Gastel-
moron , Puinormand, etc.
246 ESTAT DU ROY DE NAVARRE
Item, la comté d'Armagnac haut et bas, dont relèvent
dix hnict cens fiefs nobles, où sont assises Ausch, ville
archiépiscopale; Comdon ,Leitoure, villes episcopales;
Eaiisen, l'isle Jourdain, Gimon , Mauvezin , Grenade,
Vuiilac, Caslelnau et plusieurs aultres. Item, le pays
et comté deRouergue, qui contient près de trois jour-
nées tirant vers le Languedoc, où sont Rhodez, ville
capitale; Millau, Vabres, etc., villes episcopales. Item,
le pays et comté de Perigord, le pays et vicomte de
Limoges, etc., où sont plusieurs villes et chasteaux
subjects et à la dévotion dudict seigneur roy, et tous les
gentilshommes ses vassaux patrimoniaux. Et en somme ,
exceptant bien peu de villes, il tient tout ce qui est
depuis l'Espaigne jusques à la Dordogne, tirant du
midi au nord, et de la mer oceane jusques en Langue-
doc et en Auvergne, tirant du ponent au levant, qui
sont plus de six journées de pays, fort peuplé de no-
blesse , tant en long qu'en large. Et sçavent ceulx qui
ont leu les histoires de France et d'Angleterre, nommee-
mentFroissart, quels estoient, du temps d'Edouard III,
ung comte de Foix , ung comte d'Armagnac, ung duc
d'Albret , lors toutesfois que les pays n'estoient si riclies
et cultivés; dont ils peuvent conjecturer quelle peult
estre la puissance bien conduicte de qui à tout ce qu'ils
avoient ensemble.
Les susdictes provinces sont aussi toutes soubs îeroy
de Navarre comme gouverneur et lieutenant gênerai
pour le roy en Guienne, et y a en cliacune quelques
gentilsliommes notables, qui sont ou gouverneurs en
titre, ou bien ont charge sans titre, de veiller sur les
places plus importantes, comme en la comté de Foix,
le vicomte de Paillez, le seigneur de Miossens , grand
seneschal, le baron d'Odoux, le sieur de Leyran, le
ET DE SON PARTI EN FRANCE. 24?
sieur de Brigueux, etc. En la comté de Bigorre, le baron
de Beinac et le sieur de la Roque de Beinac. En la vi-
comte de Marsan , les sieurs de la Casse et d'Aby, et le
capitaine Mesmes. En la duché d'Albret , les sieurs de
Podeins, de Favas, de Vivans, et de Melon, de là l'eau;
et deçà , le baron de Montferraut et Langouran, le baron
de S. Alliais et les sieurs de Longa Barrière, et Larmandie.
En Armagnac, le baron de Fontrailles, le vicomte de
Labbatut, le baron de Pangcaz, le sieur de Bourgoi-
gnan,les sieurs de Saulmont, elc. En Rouergue, les
vicomtes de Panât, de Monclar, de Bourniquet, de
Paulin. En Perigord , Limosin et pays circonvoisins, les
barons de Campaignac, de Boesse, de Salaignac, les
sieurs de Madaillan, de Bellefonse, de Boisdiman , de
Boisjoulant. Item, le vicomte de Lavedan, le baron de
Cabreres, le sieur de Giscar, etc., tous gentilshonjmes
qualifiés, vassaux et subjects patrimoniaux dudict sei-
gneur roy, et faisans profession de la relligion.
Au pays de Limosin particulièrement est sis le pays
et vicomte de Turenne, où est le chd^teau de Turenne,
fort d'assiete , six ou sept villes es environs, et grand
quantité de noblesse, qui peult tenir en subjection tout
le Limosin et partie d'Auvergne. En son absence y com-
mande le sieur de Choupes, qui défendit Lusignan après
le massacre.
Deçà la rivière de Loire, le roy de Navarre a aussi
de grands biens , comme le pays et duché de Vendos-
mois , le pays et duché de Beaumont , la comté de Marie ,
1^. vicomte de Ghasteauneuf et pays deThumerais, etc.,
esquelles la pluspart de la noblesse persiste en la rel-
hgion, nonobstant que, durant ces dernières guerres,
ils n'eussent poinctde retraite, et sont particulièrement
affectionnés envers lui. Es dicts pays il a des gouver-
248 ESTAT DU ROY DE NAVARRE
neurs, comme le sieur de Chauvigny en Vendosmois , de
la Lande Congriere en Beaumonlois; de Crecy au pays
de Marie, de la Roque en Thumerais, etc. Je ne tou-
che poinct ici à ses grandes prétentions , ni aussi à ses
grands biens du Pays Bas , oî^i il possède de bonnes et
notables villes.
Tous ces biens sont administrés et conduicts soubs
quattre chambres des comptes, qui sont establies à Pau
en Béarn pour ses souverainetés , à Nerac pour les biens
assis entre Loire et les monts Pyrénées, à Vendosme
pour ceulx d'entre Loire et Seine, à la Fere en Picar-
die, pour ceulx de Picardie et des Pays Bas; toutes
lesquelles sont pourveues d'ung président et de nombre
suffisant de gens de conseil , et rapportent tout au con-
seil privé dudict seigneur roy , résident lez sa personne,
où sont le sieur de Grateins son chancelier; le sieur
de Segur, superintendant de sa maison et finances; les
sieurs de Guitry, Duplessis et aultres de robbe courte, et
plusieurs notables conseillers , maistres des requestes
et secrétaires. Et parce que les susdicts biens sont assis
soubs trois parlemens, à sçavoir Paris, Toulouse et
Bordeaux, ausquels ressortissent plusieurs affaires et
procès concernant iceulx , en chacung desdicts parle-
mens il a ung conseil stipendié et arresté , auquel pré-
side ung des principaux du parlement. Pour celui de
Paris il a faict élection de M. du Terrier, n'agueres am-
bassadeur pour le roy à Venise, Tung des grands person-
nages de l'Europe, et que feu M. le cbancelier de THos-
pital avoit seul jugé digne de succéder en Testât de chan-
celier pour son intégrité et suffisance. Nous craignons
qu'il ne l ose accepter, parce qu'il désire doresnavant faire
ouverte profession de la relligion , et vouldroit demeu-
rer en lieu plus seur etplus libre pour l'exercice d'icelle.
ET DE SO?^ PARTI EN FRANCE. 249
En qualité de chef et protecteur de ceulx de la relli-
gion reformée en France, le roy de Navarre est aussi
assisté de plusieurs seigneurs, gentilshommes, capi-
taines, provinces, -villes et communautés en France,
desquels les cœurs, forces et moyens croissent de jour
en jour, et d'autant plus se fortifient, quils le voyent
croistre en resolution et constance , et veiller et tra-
vailler de plus en plus pour leur conservation , sans y
espargner chose qui despende de lui.
Ainsi donc, oultre plusieurs bonnes et fortes places
appartenantes au roy, qui sont meslees dans ses pays
patrimoniaux , qui ont tousjours tenu son parti , comme
Bazas episcopale, Puymirol, Montsegur, le Mas de Ver-
dun, Caumont sur Garonne et aultres en bon nombre,
sortant de ses pays patrimoniaux ci dessus nommés,
esquels il est fort aimé et révéré de ses subjects et vas-
saux, et tirant vers l'Orient ou le Languedoc, se ren-
contre le pays de Quercy, contenant quattre chastelle-
nies , à seavoir Cahors , Figeac , Montauban et Lau-
zerte; de ces quattre, les deux, à sçavoir Figeac et
Montauban, sont purement es mains de ceulx de la
relligion; Lauzerte est commune aulx deux; Cahors
feut rendue aulx dernières guerres par la paix, ayant
esté prise si valeureusement par le roy de Navarre. Et
soubs icelles sont plusieurs petites villes de mesme
parti et profession, comme Caussade, S. Antonin,
Realemont , etc.; à Figeac, est gouverneur le sieur de la
Meausse, vieux capitaine; Montauban est régie par ses
consuls, comme La Rochelle par ses maire et eschevins.
Sur le pays veillent principalement le baron de Terride,
vicomte de Serignac, et le vicomte de Gourdon, qui
ont faict preuve de leur fidélité et valeur en tous les
troubles. D'un costé , est le pays deLauragois, qui tient
2 5o ESTAT DU ROY DE NAVARRE
tout pour la relligion, où est Puyiaurens, ville capitale ,
Auriac, Carmaing, etc. : c'est le pays où croist le pastel.
D'ung auiire, l'Albigeois, où est la ville de Castres,
grande et bien fortifiée, assistée de plusieurs forts
chasteaux. Et d'ung aultre, le pays de Foix et de
Rouergue , etc., patrimoniaux dudict sieur roy. Et sont
tous ces pays aultrement appelles bas Languedoc, ou
limitropbes, ou meslés avec les siens, de telle sorte que
facilement se peuvent joindre avec une médiocre diver-
sion avec celles des églises de Languedoc, Dauphiné et
Provence.
Au bas Languedoc, Jes églises tiennent Nismes et la
seneschaussee, Montpellier, siège de la cbambre des
comptes; Aiguesmortes et les Salines, Uzez, Alez,
Alezli , etc. , villes episcopales ; puis Lunel , Aimargues ,
Marsillargues, Baionols, Sommieres et plusieurs aul-
très. Item , les pays des Sevenes, Vivarez , Vellay , Givou-
dan, etc., où sont plusieurs riches petites villes, im-
prenables d'assiete. Et maintenant jouissans de l'amitié
estroite de M. le maresclial de Montmorenci, auquel
la leur est nécessaire, se peuvent asseurer, hors deux
ou trois places, de tout Languedoc, qui est la plus
riche et plus importante province de toute la France,
estant icelui asseuré de Beaucaire sur le Rhosne et la
seneschaussee de Beziers , de Pezenaz, de Carcassonne ,
d'Adge, de Leucalhe, et aultres places d'importance,
tant au bas que haut Languedoc. De ceste province,
ceulx de la relligion, je ne parle poinct des aultres,
peuvent tirer en campagne, les villes garnies, six mille
arquebusiers, ce qui s'est encores n'agueres veu, quand
M. de Chaslillon voulleut aller au secours de Genève;
mais non plus de quatlre cens chevaux, parce qu'elle
n'est pas si peuplée de noblesse que les aultres. Enicelle,
ET DE SON PARTI EN FRANCE. 25 r
M. de Chastillon, seigneur de grande espérance, fils de
feu M. l'amiral, veille sur la conduicte des affaires, ac-
compagné du sieur d'Andelot son frère, et assisté de
plusieurs notables conseillers et capitaines, comme des
sieurs de Bouillargues, Gremian, Percherez, Sainct
Cosmes, de Vignolles, de Clausonne , etc. Ledict sieur
de Chastillon est gouverneur de Montpellier, le sieur
de Gremian, d'Aiguesmortes, le sieur de Percherez, de
Lunel ; les aultres en ce temps de paix se gardent d'elles
mesmes.
En Provence, les églises se multiplient à veue d'œil
sous la paix , à Arles et Aix, qui sont les archeveschés
et parlemens , à Marseille mesmes , où il n'y a que
quattre ans qu'on ne cognoissoit homme de la relligion,
et maintenant y en a plus de deux cens bonnes familles.
Plusieurs villes y sont à la dévotion du roy de Navarre,
mais une seule ouvertement, et soubs adveu du roy, à
sçavoir la Tour de Seine, selon ledict de l'an 1577. Le
baron de Rieux et le baron d'Allemaigne y ont la charge
des affaires.
En Dauphiné, les affaires avoient fort empiré en la
dernière guerre, parce que les églises feurent aban-
données de tout secours, et feurent contraintes d'es-
sayer la foi du duc de Mayenne , dont leur advint beaU'î-
coup de mal. Dejniis,les églises s'y sont heureuse-
ment ralliées par la vigilance des sieurs de Lesdiguieres,
de Gouvernet , de Cugy, de Blascons , de Morges , de
Mirabel, de Sainct Auban , de Chabert et aultres gentils-
hommes principaulx. Il y a en ceste province plus de
quattre cens gentilshommes de la relligion qui ont
monté à cheval toutes les guerres; et, les places four-
nies, en sortiroient qua:ire mille arquebusiers. Soubs
fadveu du roy on y tient les villes de Nions et Serres
aSs! ESTAT DU ROY DE NAVARRE
haute et basse, et couvertement plusieurs aultres; la
principaulté d'Orauge y est voisine , qui les a tousjours
appuyés au besoing.
Des monts Pyrénées on peult traverser jusques en
Savoie par les susdictes provinces, c'est à dire d'ung
bout de la France à Taultre, logeant et séjournant tous-
jours en places amies, de trois en trois lieues au plus
loing, en villes qui sont ou du patrimoine ou de la pro-
tection du roy de Navarre. Et n'est à omettre que le
portd'Aiguesmortes est à leur dévotion, où se peuvent
armer frégates et galères pour endommager les costes
et rompre le trafic de la mer Méditerranée.
Tirant puis après du midi au nord , c'est à dire de
la basse en la haute Guyenne, et sortant des duchés et
comtés patrimoniales du roy de Navarre, entre la Ga-
ronne et Dordogne se trouve le pays qu'on appelle des
Deux Mers, presque tous delà relligion, dont j'ai veu
lever en quattre jours quattre mille arquebusiers, où
sont Bergerac, Saincte Foi, Castillon, tous passages sur
la Dordogne. Et delà en avant, les pays d'Angoulmois,
Xaintonge, Poictou, et Aunix, d'où sortiront au moins
cinq cens gentilshommes de la relligion et six mille
arquebusiers. Sur iceulx a esgard principalement mon-
seigneur le prince de Condé, résident à Sainct Jean
d'Angely, duquel la pieté et valeur est cogneue , et
prend conseil des plus sages et plus expérimentés sei-
gneurs et gentilshommes du pays. Les principaulx de
la noblesse v sont : M. le comte de la Rochefoucault,
M. 'le baron de Montandre et de Montguion, le baron
de la Roche Allez, le baron de Montiâeu, le baron de
Plassac, frère de M. de Mirambeau ; les sieurs du Son, des
Ageaux , de Boisrond, de Vibrac; puis en Poictou, le
baron de Verac, le baron de Tonnai Boutonne, les
ET DE SON PARTI EN FRANCE. 2 53
sieurs de Sainct Gelais, de Vaudoré, de la Boulaye, de
Sainct Estienne, de Vieillevigne, de la Fromentiniere,
de Tifordiere, de Montfernier, desEssars, de la Bou-
cherie, etc., desquels les noms sont prou cogneus es
guerres de Poitou ; et oultre plusieurs petites villes et
chasteaux, ils y ont pour retraite Ponts, Sainct Jean
d'Angely et La Rochelle. A Sainct Jean est gouverneur
M. de Mesme, très sage et expérimenté gentilhomme.
Quant à La Rochelle, elle est gouvernée par ses maire
et eschevins ; le maire est à présent Choisi, homme zéla-
teur de la relligion. Et par ces pays se peult parvenir
depuis les monts Pyrénées jusques en Bretagne.
Es pays de deçà Loire, le parti du roy de Navarre
n'est si apparent; si n'y a il province où il n'y ait bon
nombre de seigneurs et gentilshommes de la relligion
des plus apparens; entre aultres, M. de Rohan , prince
en Bretagne; M. le comte de Laval, M. de Rieux son
frère, M. de Clermont, marquis de Garlande; M. le
comte de Montgommery et plusieurs aultres; comme
aussi y en a infinis de toutes qualités prests à embrasser
et la relligion et le parti, s'ils y voyoient seureté; mais,
depuis la Sainct Barthélémy, ils n'ont point eu de re-
traite , et n'ont eu asseurance que dedans les armées ,
que difficilement ils pouvoient joindre, s'elles ne des-
cendoient d'Allemaigne. Cependant, elles ne laissent
d'avoir ung ordre et une forme de conduite, bien que
plus secrète; et n'y a petit coing oii il n'y ait quelque
gentilhomme capable et signalé, auquel s'adressent
les affaires, qui, au besoing, seroit suivi et obéi des aul-
tres. Et d'autant j^lus sont ils maintenant affectionnés
au roy de Navarre, que plusieurs d'eulx avoient jus-
ques ici cherché retraite soubs l'aile de son altesse, de
laquelle ils n'espèrent plus faveur, ni support à l'advenir.
2 54 ESTAT DU ROY DE NAVARRE
Ainsi , en toutes et chacune les provinces susdicteS
y a conseils establis pour la direction des affaires de
la relligion , lesquels rapportent tout au conseil du
roy de Navarre, résident près sa personne , qui est dis-
tingué de celui auquel se manient ses affaires patrimo-
niales. En icelui entrent M. de Rolian , M. de Chas-
tillon, les sieurs de Clervant, de Segur, de Guitry, de
Lezignan, Duplessis, etc., les députés des principales
provinces, residens près dudict sieur roy, à sa re-
queste et prière, partie de robbc courte et partie de
robbe longue, et un secrétaire d'estat ordinaire et per-
pétuel , à sçavoir, le sieur du Pin , sans lesquels il ne
faictrien, et avec lesquels, ou la plus part d'iceulx ,
il faict tout. Et parce que tous ceulx là n'y peuvent
tousjours résider, y a un ordre dressé, selon lequel ils
y viennent les ungs après les aultres. De ce conseil
sont aussi M. de Laval , M. de Turenne, M. de la Noue,
lesquels Dieu y veille ramener par sa grâce.
Ce parti , composé des moyens du roy de Navarre
et des églises de France , conjoints à mesme but , à
sçavoir à leur conservation , est bien si solide €t si fort ,
que la puissance du royaume de France, voire une
plus grande, ne le sçauroit ruyner sans se ruyner elle
mesmes; car, comme il s'est pieça veu, il s'est relevé de
plusieurs pertes et defaictes, et delà journée SainctBar-
tlielemy mesmes, qui sembloit l'avoir atterré tout d'ung
coup , encores que , depuis ce jour là , il a esté lort peu
assisté des voisins, et au contraire assailli, oultre les
forces de France, de partie de celles d Allemaigne, de
Suisse et d'Italie.
Mais, d'autant qu'il a ceste incommodité de ne pou-
voir tenir la campagne contre telle puissance, et qu'il
est contraiiit de se resouldre des le premier jour à la
ET DE SON PARTI EN FRANCE. -255
défensive, que l'homme de guerre doibt tousjours re-
server à l'extrémité ; cedict parti , bien qu'avec grande
incommodité et perte des assaillans, faulte d'une ar-
mée qui recueillist et ralliast ses forces esparses par les
provinces, s'est tousjours affoibli par toutes les guerres,
comme il s'est veu qu'en celle de l'an 1077, il perdit
la Charité, Yssoire et Brouage, et en la dernière de
l'an i58o, la Fere et Lamure, places d'importance,
et quelques bicoques en Gascogne ; et en la paixmesmes
quitta beaucoup de ses advantages et seuretés; estant
tout certain que qui en une guerre ne peult que se
défendre , est tousjours offencé , comme en ung duel
qui ne faict que parer, se trouve enfin offencé de son
ennemi.
Ce sont les maulx que le roy de Navarre a esprouvés
faulte d'une bonne armée , par le moyen de laquelle il
peust parvenir à l'offensive; comme au contraire on a
faict la paix et la guerre plus advantageusement, quand
on l'a peu avoir. Et pourtant aimeroit il mieux ra-
cheter la paix et le temps en rendant des places, bien
qu'apparemment nécessaire à sa conservation , que
d'entrer en une guerre simplement défensive, c'est à
dire purement passive, faulte d'une armée, encores qu'il
n'ignore les inconveniens qui en peuvent advenir, d'au-
tant que, rendant lesdictes places, il ne perdra qu'elles,
et les voullant défendre sans espoir de secours , il per-
dra et les places, et les hommes; qui plus est, en une
seule prise par force , en pourra perdre plusieurs par
l'estonnement qui s'en pourra ensuivre.
Ali mois de septembre prochain se doibvent rendre
les places, et sont les principaulx et les plus gens de
bien de la relligion perplex en cest affaire. Elles ont
esté baillées pour seureté contre la défiance. Les causes
2^6 ESTAT DU ROY DE NAVARRE
de défiance durent encores, vea que l'edict n'est exécuté
en ung seul article ; veu que de toutes les contraven-
tions on se plaint en vain ; veu les déloyautés qu'on
voit pratiquera l'endroit de ceulx de la relligion; veu
aussi les préparatifs et levées qui jà se font en Suisse
et en Allemaigne, les munitions qui s'amassent à Lyon
pour couler tout a coup par le Rhosne , et les troupes
qui s'envoyent en Gascogne. Puis donc que les causes
de défiance durent et multiplient , la raison de les re-
tenir demeure pareillement en son entier.
Mais tout ainsi qu'en les rendant, nous nous dé-
pouillons, et en nous dépouillant tentons nos ennemis,
qui voyent si beau jeu d'achever nostre ruyne, aussi
en ne les rendant poinct, nous attirons sur nous leurs
forces jà toutes préparées, et hasardons par le refus
de trois ou quattre, la perte d'infinies aultres , que peult
estre ils nous arracheront.
En la juste occasion que nous avons de différer la
rendition des places , si on le voyoit asseuré d'une
bonne armée de Reystres qui peust tenir la campagne ,
et esloigner la guerre du centre de nos provinces vers
la circonférence de la France, il seroit aisé de se resouldre
à différer la remise d'icelles ; et quand nos ennemis sen-
tiroient que nous serions appuyés, eulx mesmes ac-
cepteroient nos justes raisons et rernonstrances en
payement. A cela n'espargnera le roy de Navarre bien
ne moyen quelconque ; mais il est las de porter le far-
deau tout seul ; et est temps que ceulx pour lesquels en
partie il le porte, le soulagent, s'ils ne veulent porter
ung jour et leur fardeau et le sien ensemble.
S'd ne voit plus clair au secours de dehors qu'il n'a
veu jusques à présent, il se resouldra par advis des
eghses de France de contenter le roy, hasardera ou
ET DE SON PARTI EN FRANCE. 237
plustost commettra à Dieu l'issue de la reddition des
places , tentera toutes voies doulces , bien que péril-
leuses, de vaincre la volonté de ses ennemis, puis qu'il
ne la peult retenir par plus fortes et asseurees; et cher-
chera enfin , comme Samson , le miel en la gueule du
lion mesmes, si les moyens lui sont refusés par ceulx
pour la conservation desquels il ne travaille gueres
moins que pour la sienne , et qui en la sienne ne sont
gueres moins intéressés que lui.
L. — ^ CONFESSION DE FOI ET TESTAMENT
de M'"^ Du pies sis Mornaj.
Du 1 1 juin ï583.
Nous sçavons que nostre vie est fragile , qu'il n'y a
rien plus certain que la mort , ne si incertain que l'heure;
nous sçavons aussi que nostre félicité est de servir à
Dieu et d'édifier nos prochains ; que nous debvons re-
chercher tous moyens d'instruire nostre postérité en
la crainte et cognoissance de Dieu , tant par admoni-
tions que bon exemple. C'est ce qui me faict désirer de
mettre par escrit de ma main , ma profession de foi ,
afin que par icelui escrit je puisse tesmoigner en quelle
foi j'ai vécu depuis que Dieu m'a faict la grâce de me
donner sa cognoissance, et en laquelle je le prye me
faire la grâce de continuer jusques au dernier soupir
de ma vie.
Je crois ung seul Dieu en une seule et simple essence,
tout sage, tout bon, tout juste et tout puissant, qui
a créé le ciel et la terre , qui s'est déclaré à nous par
sa parole, rédigée par escrit au vieil et nouveau tes-
tament.
Mém. de Duplessis-Mornay. Tome ii. I n
25S CONFESSION DE FOI ET TESTAMENT
Je crois que , en ceste seule et simple essence , il y a
trois personnes; le Pcre, qui est le commencement et
origine de toutes choses ; son Fils, qui est sagesse éter-
nelle; le SainctEsprit,quiest sa vertu et puissance éter-
nellement, éternellement procédant du Père et du Fils ;
les trois personnes non confuses, mais distinctes, toutes-
fois non divisées, mais d'une mesme essence, éternité
et puissance.
Je crois que Dieu, en trois personnes, par sa vertu ,
sagesse et bonté, a créé le ciel et la terre, et tout ce
qu'ils contiennent; que, par sa providence, il conduict
toutes choses , et que particulièrement il a ung soing spé-
cial de ses esleus, lesquels il aime en Jésus Christ son fils.
Je crois que le premier homme, ayant esté créé à
l'image de Dieu, son créateur, pour sa désobéissance
et propre faulte, est deschu d'icelle grâce, et s'est du
tout aliéné de Dieu.
Je crois que toute la lignée d'Adam est infectée de
telle contagion, de sorte qu'il ne nous reste rien pour
retourner vers Dieu que sa pure grâce, car nostre esprit
est aveugle, nostre cœur dépravé et nostre volonté
pervertie; mais Dieu, de sa pure bonté, retire de cesle
corruption et condamnation générale, en laquelle tous
hommes sont plongés ,"ceulx qu'il a esleus en son con-
seil éternel, en Jésus Christ son fils, sans considéra-
tion de leurs œuvres, demonstrant en eulx sa miséri-
corde.
Je crois qu'en Jésus Christ , tout ce qui est requis
pour nostre salut, nous a esté donné; que lui, estant
la sagesse de Dieu et son fils éternel , a vestu une chair
afin d'estre Dieu , et homme semblable à nous , excepté
pesché ; qu'il a estéconceu parla vertu secrète du Sainct
Esprit au ventre de la vierge Marie, et est de la
DE M^^ DUPLESSIS MORNA.Y. 25g
semence de David, selon la chair; qu'en une mesme
personne les deux natures y sont unies et conjoinctes,
et neantmoins qu'en ceste conjonction la nature divine
est demeurée increee , infinie et remplissant toutes
choses ; la nature humaine est finie avec mesme forme
et propriété ; combien que Jésus Christ , en ressuscitant ,
ait donné immortalité à son corps, toutesfois il ne lui
a osté la vérité de sa nature.
Je crois que Dieu, en envoyant son Fils, a voulleu
monstrer sa bonté et amour inestimable vers nous, en
le livrant à mort pour nos peschés , et ressuscitant pour
nostre justification; que, par le sacrifice unique que
Jésus Christ a offert en la croix, nous sommes récon-
ciliés à Dieu , et lui sommes rendus agréables, de sorte
que Jésus Christ nous est faict sapience , justice , sanc-
tification et rédemption par sa mort, nous avons en-
tière satisfaction, et toute nostre justice est fondue en
la remission gratuite de nos péchés; c'est ce qui nous
donne entière liberté d'invoquer Dieu par Jésus Christ
son fils , nostre seul médiateur, avec pleine fiance que
Dieu est nostre père.
Je crois que la justice de Jésus Christ nous est imputée
par la foi , dont nous sommes illuminés par la vertu
secrète du Sainct Esprit, tellement que c'est ung don et
grâce particulière que Dieu départ à ceulx qui lui sont
adoptés par Jésus Christ.
Je crois que par icelle foi nous sommes régénérés
en une nouvelle vie, estant de nostre nature asservis au
péché.
Je crois que Jésus Christ nous est donné pour seul
advocat et intercesseur , et que nous pouvons , en son
nom , hardiment pryer Dieu et lui demander les choses
nécessaires, comme lui mesmes nous a enseigné que
'^6o CONFESSION DE FOI ET TESTAMENT
nous invoquions Dieu son père en son nom, en disant ;
Nostre père qui es es cieux.
Je crois qu'il fault que toutes nos prières soient con-
formes à icelles.
Je crois aussi que chacung fidèle doibt garder et en-
tretenir l'unité de l'Eglise , et se soubmettre à l'instruc-
tion , comme et au sang de Jésus Christ , et en quelque
lieu oii Dieu aura establi un vrai ordre d'Eglise , il s'y
doibt ranger et soubmettre, et ceulx qui s'en retirent,
se séparent de l'union de Christ.
Je crois qu'icelle Eglise est la compagnie des fidèles,
qui s'accordent à suivre la parole de Dieu, contenue es
livres du vieil et nouveau Testament , lesquels essayent de
vivre en la crainte de Dieu et d'y profiter chaque jour;
qu'en icelle Eglise aussi il y a exercice des sacremens or-
donnés de Dieu , qui sont adjoustés à sa parole pour plus
ample confirmation de nostre foi, lesquels nous sont
donnés pour subvenir à nostre infirmité, et nous sont
tellement signes extérieurs, que Dieu besogne pariceulx
en la vertu de son Sainct Esprit, qui ne nous y signifie
rien en vain; toutesfois toute leur substance et vérité
est en Jésus Christ , et si on les en sépare , ce n'est plus
qu'une ombre.
Je crois qu'il y a deux sacremens ordonnés de Dieu ,
communs en son Eglise , le baptesme , qui est ung té-
moignage de nostre adoption ; et comme nous sommes
entés au corps de Jésus Christ afin d'estre lavés et net-
toyés par son sang , puis renouvelles en saincteté de vie
par son Sainct Esprit.
Le second sacrement est la saincte cène, qui nous
signifie que Jésus Christ n'est pas seulement mort et
ressuscité pour nous, mais aussi nous repaist et nourrit
yrayment de sa chair et de son sang , à ce que nous
DE M"-^ DUPLESSIS MORNAY. 261
soyons ung avec lui , et que sa vie nous soit commune,
de sorte que , par la vertu secrète de son Sainct Esprit,
il nous nourrit et vivifie de la substance de son corps et
de son sang, et cela spirituellement, lequel ne peult
estre appréhendé de nous que par la foi; cependant je
crois qu'au baptesme et à la saincte cène Dieu nous
donne réellement et par effect ce qu'il nous y figure.
Je crois qu'en icelle Eglise doibt estre gardée la con-
duicte et police que nostre Seigneur Jésus Christ y a es-
tabîie, c'est qu'il y ait des pasteurs et gens qui ont
charge en l'Eglise, afin que la pureté de doctrine y ait
son cours; que les vices y soient repris et corrigés;
que les povres et au I très affligés y soient secourus et
consolés.
Je crois que tous vrais pasteurs, en quelque lieu qu'ils
soient, ont une inesme puissance; que nulle Eglise ne
doibt prendre aulcune domination, et qu'ils sont soubs
ung seul chef, seul souverain et seul universel eves-
que , Jésus Christ.
.Te remercie Dieu de bon cœur, qui a eu pitié de
moi, et qui m'a retirée, des ma première et tendre jeu-
nesse, du milieu de la superstition et ignoranceoii j'estois
plongée, soubs le règne de l'antechrist romain, pour
me donner sa cognoissance ; je lui supplie me faire la
grâce d'y bien vivre et persister en la confession de
son sainct nom, jusques au dernier soupir de ma vie.
Je crois que, comme Jésus Christ est mort pour nos
péchés et ressuscité pour nostre justification, qu'aussi
il est monté au ciel en nostre nom pour nous y donner
entrée et pour nous y estre intercesseur et advocat ;
je crois que de là il viendra juger les vivans et les
morts, apparoistra lors en jugement, ainsi que l'on
Im a veu monter.
102 CONFESSION DE FOI ET TESTAMENT
Je crois que Jésus Christ n'apparoistra sinon en salut
pour ses esleus , de sorte que je suis très asseuree de mon
salut, puisque mon juge est mon advocat; et sur ccste
asseurance et fiance, je me remets en Dieu, et m'esti-
merai très heureuse quand il lui plaira m'appellcr hors
de ce monde caduc et misérable , pour me retirer avec
lui et jouir de la félicité qu'œil n'a poinct veue, qu'o-
reille n'a poinct ouïe et que cœur d'homme n'a poinct
appréhendée ; lors je jouirai de la présence de mon Dieu,
et toutes larmes seront essuyées des yeulx de ses esleus :
en attendant ce jour heureux, je lui supplie me con-
duire en ceste vie présente en sa crainte et amour, puis
me faire ce bien que , comme il m'a donné ung mari
doué de beaucoup de dons et de ses grâces, et duquel
je reçois honneur, bon traitement et amitiés, je lui
rends aussi , tous les jours de ma vie , le debvoir, obéis-
sance et service que je lui doibs, et conforme à l'amilié
que je lui porte.
Je recognois que , depuis que Dieu m'a donnée à lui ,
ayant esté maladive, j'ai esté souvent chagririe et en-
nuyeuse , mais l'y ai je tousjours recogneu le soin que
Dieu avoit eu de moi de m'avoir, après tant de fasche-
rie, si bien adressée, de sorte que je proteste devant
Dieu que je prens en tesmoing que, après ma nais-
sance , m'ayant faict chrestienne et m'ayant donné la
cognoissance de son sainct nom , je ne pense avoir
receu tant d'heur, honneur et contentement, que de lui
avoir esté donnée de Dieu à femme , et m'estimerai
1res heureuse que, quand il plaira à Dieu que soyons
séparés d'ensemble, que ce soit par ma mort, car aul-
trement ma vie me seroit une langueur, et Dieu ait
pitié de moi , s'il lui plaist , et m'en veuille soulager.
Je supplie aussi à Dieu que, comme il nous a donné
DE M«^ DUPLESSIS MORNAY. ^6'^
des enfans, qu'il se souvienne de ses promesses, et
qu'il soit nostre Dieu et de nostre lignée après nous ;
qu'il leur donne à tous sa crainte , leur faisant tant de
grâces qu'en leur tour ils se dédient du tout à son
service; que tant qu'il me prestera la vie, je fasse i»on
debvoir de les y instruire en toutes sortes, et surtout
par bon exemple.
Je recommande à Dieu M. Duplessis, et lui supplie
de lui continuer et augmenter ses grâces, nos enfans
et toute nostre famille; je les recommande soubs sa
saincte protection, et qu'il nous fasse la grâce que les
ungs envers les aultres , selon nostre vocation, nous
fassions nostre debvoir, et que vivions d'édification à
l'Eglise de Dieu.
Au reste, me voyant maladive et par conséquent
menacée de la mort , et que souvent nous sommes sur-
prins , j'ai rédigé par escrit et de ma main ma confession
de foi; puis je supplie M. Duplessis, que, quand telle
chose sera advenue, de ne se voulloir attrister, mais
se consoler en mon heur, en attendant que Dieu nous
rassemble pour jouir d'une mesme félicité ; qu'il prenne
pour lui la consolation qu'en tel cas il sçait donner aulx
aultres. Je lui recommande tous nos enfans , non que
je ne sçache bien son bon naturel et combien il leur est
bon père, mais je lui supplie que l'amitié singulière
qu'il m'apporte , il la leur départisse en mon absence.
J'espère que Dieu, en son temps, fera des grâces
spéciales à nostre fils Philippe ; si Dieu preste la vie à
M. Duplessis, je ne fais aulcun doubte qu'il ne fasse di-
ligence à le faire bien instruire, sa présence y est bien
nécessaire ; Dieu lui veuille garder son père en ce temps
et long temps après.
Je lui recommande aussi ma fille Suzanne; il sçait,
264 CONFESSION DE FOI ET TESTAMENT
quand Dieu m'aura retirée de ce monde, combien elle
sera dénuée de tous parens et amis; mais je me con-
sole en l'amitié qu'il me porte , de laquelle je le supplie
de lui départir et la tenir pour fille.
Nos trois filles, Marthe, Elizabeth et Anne sont
jeunes; Dieu les adressera, s'il lui plaist ; Elizabeth est
délicate et d'ung très bon naturel, elle a besoing d'estre
doulcement.
Je désire que toutes soient nourries avec madamoi-
selle ma belle mère; car elles ne peuvent estre mieux,
et pour l'instruction et pour la bonne volonté , s'il
lui plaisoit d'en prendre la peine. Je la supplie mesmes de
voulloir garder ma fille Suzanne, car ailleurs elle ne
peult recevoir meilleure nourriture; en ce cas, qu'elle
me fasse tant de faveur et amitié de la garder jusques à
ce qu'elle soit mariée , j'entends que , selon les moyens
qu'elle aura lors , on subvienne aux frais.
Je supplie madainoiselle ma belle mère d'avoir tous
nos enfans pour recommandés; et comme elle a esté,
à M. Duplessis et à moi, bonne mère, elle continue
cette mesme volonté vers nos petits, qui ont besoing
de son secours; qu'elle la départisse mesmes à ma fille
Suzanne, laquelle je lui recommande de tout mon cœur.
Nous sommes encores en aage d'avoir des enfans , et
me doubte mesmes d'estre grosse. Je recommande à
Dieu ceulx qu'il nous a donnés, et lui supplie, pour
eulx et pour ceulx aussi qu'il lui plaira encores nous
donner, d'estre à jamais leur Dieu et père, et leur dé-
partir de ses dons et grâces.
Je supplie aussi à ma mère d'avoir M, Duplessis
affectionné , l'aimant comme je m'asseure qu'elle cog-
noist qu'il mérite ; aussi d'avoir tous nos enfans pour
recommandés, qu'elle embrasse ce qui leur touche et.
DE M^^ DUPLESSIS MOIINAY. ^65
qu'elle ait pitié de leur jeunesse j jVspere qu'ils lui ren-
dront toute obéissance et service, ce que je leur com-
mande aussi.
Je supplie pareillement M. de Buhy, mon frère, de"
continuer de plus en plus en Tamitié qu'ils se portent,
M. Duplessis et lui ; je lui recommande aussi nos en-
fans , auxquels je commande de lui rendre, et à ma
sœur, sa femme , honneur, obéissance et service.
Je les recommande aussi à mon frère de la Borde,
ma sœur de Vaucelas et mes deux aultres frères.
Mais surtout pour l'amitié que je leur porte, je leur
supplie de recognoistre que tous les biens qu'ils ont ils
les tiennent de Dieu ; que c'est une trop grande in-
gratitude que, pour les conserver, de l'abandonner;
que ce monde est plein de misère et calamité , dont
nul n'est exempt , et que c'est ung contentement et hon-
neur, que ce qu'aultrement nous souffririons justement
pour nos péchés, que nous l'endurions pour con-
fesser le nom de Dieu, aussi bien fauit il mourir et
quitter nos biens. Je les prye, pour leur salut , d'adviser
à prévenir le jugement de Dieu, qui sera beaucoup
plus rigoureux sur eulx , qui ont eu sa cognoissance ,
qui ont esté instruits et en ont faict profession.
Quant à mes enfans, je les prye et commande à tous
de vivre et mourir en la relligion en laquelle nous les
faisons instruire ; de préférer la crainte de Dieu à tous
honneurs et biens, et ne rien prétendre que de la bé-
nédiction de Dieu; qu'ils se souviennent que cette vie
est brève et pleine de misères ; que ceulx là seuls se
peuvent dire heureux, qui ont repos en leurs con-
sciences, et sont asseurés de la bonne volonté que
Dieu leur por-te en Jésus Christ.
Je les prye et leur commande d'estre obeissans à
^66 CONFESSION DE FOI ET TESTAMENT
M. Duplessis leur père ; de lui rendre tout honneur, con»
lentement et service , si Dieu leur faict tant de izraces
de le voir en vieillesse, d'autant que cest aage là
est plus subject aulx infirmités et maladies ; je leur
commande de redoubler leur soing et affection vers lui,
et qu'il ait ceste consolation d'avoir recouvert en eulx
le service et affection qu'il aura perdeu en moi.
Aussi je leur commande de lui rendre toute obéis-
sance , croire ses advertissemens et enseignemens ; et
en chose de conséquence, quand ils seront en aage , ne
rien faire sans son advis.
Surtout je prye mon fils Philippe et aultres fils , si
Dieu nous en donne (ce que je dis, me doublant d'estre
grosse , et que je pourrois mourir en accouchant) , que
M. Duplessis leur père ait ce contentement, en son vieil
aage, de se voir par eulx imité et suivi; c'est le plus'
bel exemple et le plus agréable que je leur puisse
donner; Dieu leur fasse la grâce de suivre sa vertu.
A tous aussi je leur commande d'obéir et servir à
madamoiseîle de Buhy ma belle mère, et qu'ils lui sça-
chent complaire et souvent recognoistre qu'elle a esté
très bonne mère.
A ma fille Suzanne , qui est grande et se doibt mieulx
soubvenir de mes commandemens que les aultres qui
sont si jeunes, je la prye et commande de continuer, jus-
ques à la mort, en la reliigion de laquelle elle faict pro-
fession ; que pour rien au monde elle ne s'en esloignc;
qu'elle ait tousjours la crainte de Dieu devant les yeulx,
et qu'elle apprenne de bonne heure à se reposer en sa
saincte providence; et d'autant que c'est chose natu-
relle de s'esmouvoir et essayer de suivre ceulx dont nous
sommes descendans, elle a ung bel exemple à feu M. de
Feuqueres son père, mon premier mari, lequel avoit
DE M^-^ DUPLESSIS MORNAY. 267
receu beaucoup de dons de Dieu. Quand Dieu lui donna
sa cognoissance il estoit bien venu à la cour et sur le
poinct de parvenir en biens et honneurs. Il aima mieulx
quitter le feu roy François II, son maistre, et toutes
ses faveurs, afin de faire profession ouverte du nom
de Dieu, combien que lors il y eust danger de la vie;
depuis il a tousjours continué et n'y a espargné sa vie
à toutes occasions, et beaucoup en son temps lui ont
rendu bon et honorable tesmoignage de sa vertu et
valeur, finalement est mort avec asseurance de son
salut; qu'elle se soubvienne aussi de moi, et que j'ai
rendu diligence à la faire instruire.
Je la prye et commande aussi d'estre humble et obéis-
sante à M. Duplessis, de Iniporter honneur comme à son
propre père; qu'elle se soubvienne qu'il a eu tousjours
mesme soing d'elle comme de ses aultres frères et sœurs,
et qu'il n'y a jamais faict aulcune différence. Au con-
traire , d'autant que son aage presse davantage qu'aulx
aultres , il a aussi plus diligentement recherché son bien.
Je lui commande qu'en quelque lieu qu'elle soit,
elle ait soin de sçavoir de ses nouvelles et lui mande
des siennes; qu'elle le recherche comme elle le doibt;
que jamais elle ne fasse rien d'importance sans son ad-
vis; que surtout que, si quelques ungs de ses parens ou
aultres la veullent marier, elle n'y consente jamais que
premièrement ce ne soit d'ung qui fasse profession ou-
verte de nostre relligion, et secondement qu'elle soit
asseuree que M. Duplessis le trouve bon, le désire et en
soit d'advis, et qu'elle allègue ouvertement que telle
est ma dernière volonté; car je lui commande et l'en
prye très affectionnement.
Aussi, qu'en quelque lieu qu'elle soit, qu'elle se
fasse aimer d'ung chacung, et soit soigneuse de rendre
268 CONFESSION DE FOI ET TESTAMENT
le service h qui elle cognoistra le debvoir ; surtout
qu'elle rende toute obéissance et service à ma mère , à
madamoiselle de Buhy ma belle mère, à ses oncles et
tantes.
Je la prye, comme aussi ses frères et sœurs, de leur
entre aimer tous , et si l'ung d'eulx a de l'honneur ou
commodité dont les aultres ayent besoing, qu'ils s'en
fassent part et soient soigneux et secourables les ungs
aulx aultres.
vlu reste , je déclare que je n'ai poinct mis la main
à la plume pour ordonner ni donner; je ne l'eusse en-
trepris sans le congé de M. Duplessis , qui est mainte-
nant absent. Je désire que toutes choses demeurent en
sa disposition ; et si les loix et coustumes me donnent
quelque permission, je la remets entre les mains de
3M. Duplessis, pour en ordonner et disposer à ceulx
qu'il cognoistra qui m'auront faict service, et comme
il verra estre bon.
Et d'autant que , suivant les coustumes , il y auroit
quelque partage ou différent pour le regard de ma fille
Suzanne, j'entends que ce qui se fera avec M. Duplessis
et ung aultre parent, tel qu'il lui plaira choisir, M. de
Madeilhan, mon cousin et tuteur de ma dicte fille Su-
zanne, et mon neveu de Feuqueres, soit faict et en-
tretenu; et s'il est besoing d'ung plus grand nombre,
ce sera au choix d'eulx quattre , tel qu'il leur plaira ;
c'est ce que je désire, requiers et ordonne très instam-
ment.
Quant à nostre famille, je supplie M. Duplessis que,
si Gilles n'est pourveu devant que je meure, d'avoir
mémoire de lui; il y a longtemps qu'il est à moi, et m\
servi fidèlement durant le temps de ma viduité.
De tous les aultres de ma famille , ils y sont depuis;
DE M»^ DUPLESSIS MORNAY. 269
que nous sommes mariés, excepté Loches , qui y estoit
à moi quelque trois ou quattre mois devant ; mais en
ce temps nous nous voyions tous les jours M. Duplessis
et moi, de sorte qu'il peult cognoistre quel service, et
adviser de la recognoissance de tous.
Pour ma sépulture , si c'est chose qui se puisse faire
commodément, je désire et supplie très humblement
M. Duplessis de me faire tant d'honneur à sa mort,
d'ordonner que son corps soit mis où il lui aura pieu
faire mettre le mien, afin que, comme nous avons vescu
ensemble avec une mesme volonté , nos corps soient
dissous en poudre, et finalement ressuscitions ensemble
pour jouir, avec toute immortalité, de la félicité éter-
nelle.
Et pour la fin, je recommande, entre les mains de
Dieu , mon ame, laquelle je lui prye laver et nestoyer
au sang de Jésus Christ son fils , nostre Seigneur, et
la recevoir à la gloire éternelle. Ainsi soit il.
FaictàBuhy, et achevé ce onziesme de juin mil cinq
cent octante trois, de mon aage ayant trente quattre ans
au mois de mai dernier, (^Slgné) Charlotte Arbaleste.
Sur le dessus est escrit :
Ma Confession de fol et dernière volonté, faict à
Buhy, ce 1 1^ juin i5b3 , laissé pour copie à Buhy.
J'en ai copié une sur cestuy ci , qui a esté ma première
copie, l'une pour laissera Paris, et une copie que j'ai
portée avec moi , tant pour avoir la volonté de M. Du-
plessis , qu'aultrement pour servir.
270 RESPONSE A L'INSTRUCTION
LI. — RESPONSE A L'INSTRUCTION
Du sieur de Servain , envoyé vers le roj de Navarre
de la part de M. le duc de Savoie ; rédigée par
M. Duplessis.
Du 26 juin i583.
Le roy de Navarre se sent honoré de la recherche
qu'il a pieu faire à son altesse du mariaige de madame
la princesse sa sœur, tant par l'envoi du sieur de Belle-
garde des l'an passé , que maintenant encores par le
sieur de Servain , pour le désir qu'il a de voir leur
amitié bien estroilement estreinte et renforcée ; et en
particulier se sent obligé audict seigneur duc de ce
que , pendant ce traicté , il n'ait voulleu entendre à aul-
cun aultre parti , combien que de diverses parts il s'en
soit présenté, comme il lui a déclaré, tant par l'in-
struction, que par la propre bouche et créance dudict
sieur de Servain.
Ne peult toutesfois ledict seigneur roy se départir
aulcunement de sa première resolution, déclarée par
ci devant audict sieur de Bellegarde, et depuis con-
firmée expressément par le sieur de Clervant ; sçavoir
est qu'es choses indifférentes il seroit tousjours d'advis
que madame sa sœur s'accommodast en tout ce qui
seroit possible au bien des affaires et estât dudict sei-
gneur duc; mais non qu'elle se dispenaast au faict de sa
relligion et exercice d'icelle , qui dépend du service
de Dieu et du tesmoignaige de sa conscience, ce qui,
toutes choses bien considérées , ne pourroit apporter
aulcune utilité aulx affaires de sadicte altesse.
Prye donc ledict seigneur duc, selon sa prudence,
DU SIEUR DE SERVAIN. 271
de mettre en considération quel crime encourroit ledict
seigneur roy envers Dieu , quel remors en sa conscience
et quel blasme entre les hommes, s'il estoit aucteur et
conseiller à madame sa sœur, pour espérance ou cause
de mariaige , de violer en sorte que ce feust son ame ,
et contredire au sentiment de sa conscience. A quoi,
comme il ne la vouldroit ni inciter ni persuader, aussi
sçait il très bien que nulles considérations ni persua-
sions ne la pourroient jamais ni inviter ni induire.
Mais, sur ce que ledict seigneur duc allègue les dan-
gers esquels il mettroit son estât en faisant aultrement,
pense ledict seigneur roy que ledict seigneur duc a bien
considéré , selon sa prudence , que les mariaiges des
princes, oultre l'affection qui est entre les personnes,
sont aussi mariaiges de leurs estats, par lesquels les
contractans désirent et prétendent se fortifier l'ung
l'aultre.
Duquel but ils seroient frustrés sans doubte et l'ung
et l'aultre , si ledict seigneur roy venoit à condescendre
aux propositions faictes par ledict sieur de Servain ;
l'ung, parce qu'en ce faisant, il meriteroit de perdre la
créance et auctorité qu'il a acquise et maintenue jus-
ques ici entre ung grand peuple de toutes qualités , et
plusieurs nations , par laquelle Dieu lui a faict la grâce
de se maintenir contre si puissans ennemis ; l'aultre ,
parce que , l'ayant ledict seigneur roy perdue en se de-
partant de la fermeté et constance qu'il a tousjours eue
en sa relligion , il rendroit son amitié et alliance inu-
tile à tous ses amis et alliés, et nommeement audict sei-
gneur duc , lequel , comme tous sages princes en se
mariant , a pour but de s'appuyer de bons et utiles amis.
Espère pour ces raisons ledict seigneur roy que,
quand ledict seigneur duc les aura bien considérées, il
272 RESPONSE A L'INSTRUCTION, etc.
ne vouldra faire instance sur chose par laquelle ceste
alliance tant désirée des deux se rende dommageable
à l'ung , et pour le moins inutile à Taultre.
Mais comment qu'il plaise à Dieu, qui tient les cœurs
des princes en sa main, en ordonner et disposer, le
prye très affectionnement de croire que ledict seigneur
roy désire observer et garderavec lui une amitié estroicte
et inviolable, et ne permettra jamais, en tant qu'en lui
sera, que ce pourparler, qui auroit esté mis en avant
pour estreindre leur amitié , soit en aulcune façon occa-
sion de la diminuer ou dissoudre.
De ce prye ledict seigneur roy ledict sieur de Servain
asseurer de sa part son altesse, comme aussi il désire
singulièrement qu'elle en veuille faire preuve en l'em-
ployant en chose qui soit en sa puissance , n'ayant le-
dict seigneur roy rien plus à cœur que de perpétuer,
par tous bons offices, l'amitié que nature a ordonnée
entre eulx , et en laquelle particulièrement le désir
qu'il monstre de ceste alliance le confirme grandement
et oblige.
LU. — INSTRUCTION
Pour traicter avec la rojne d' Angleterre et aultres
princes estrangers proiestans , baillée par le roy de
Navarre au sieur de Segur, f allant de sa part en
juillet 1 583 ; dressée et minutée par M. Duplessis,
Représentera à la royne d'Angleterre Testât de la
France, et particulièrement des églises reformées, le-
quel , grâces à Dieu , j usques ici est paisible , et pourroit
continuer tel , selon toutes les apparences , si nous
voullions conniver aulx maulx qui se préparent à l'ad-
INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE, etc. 2^3
venir, et contre toute la chrestienté , et contre nous
par conséquence; mais que nous appercevons bien
que jamais le desseing du pape et des princes qui
lui adhèrent, tendant à l'extermination de ceulx de
nostre profession , ne feut plus proche d'exécution hii-
mainement qu'il est, dont ne pouvons, pour nostre
debvoir et conscience, que ne remonstrions à tous
ceulx qu'il appartient, que dum singuli piignamus ,
vincimur.
Sans espier davantage les actions du pape, on scait
assés que son nom seul l'oblige à poursuivre nostre
ruyne; et cestui ci qui règne à présent, n'y a poinct
chommé depuis qu'il y est appelle, ayant envoyé jus-
ques au bout du monde des jésuites pour mettre le feu
partout, nommeement en Angleterre, Pologne, Suéde,
Moscovie, après les avoir pieça establis en Italie,
Espaigne, Allemaigne , France, etc. ,011 ils prennent
racine de plus en plus. Les Anglois n'en sont moins
informés que les aultres par les menées qu'ils ont de-
couvertes en leurs estats, desquelles ils estoient auc-
teurs. Il a aussi octroyé au roy d'Espaigne la jouissance
des biens ecclésiastiques de tous ses estats, ce qu'il ne
faict pas qu'en espérance d'ung accroissement pour son
Eglise, trop plus grand que ceste diminution; bref, il
a plus accreu la papauté, par ses doulces menées et
pratiques, que son prédécesseur par ses rigoureuses
procédures et persécutions, et a ratteint ce poinct par
ces diligences, que son conseil est aujourd'hui comme
Faffinoir de tous les desseings et conseils des princes
qui adhèrent à la papauté.
Quelle est l'intention du roy d'Espaigne ? nul n'en
peult doubter. Il est conceu , né et eslevé en l'inquisi-
tion, qui est la géhenne de la papauté, et en a esté
MÉM. DE DUPLESSIS-MORNAY. ToME II. I 8
274 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE
principal exécuteur jusques aujourd'hui. Il a persécuté
tous ceulx qui en ont rejette le joug, mesnies s'est mis
en hazard d'en perdre ses meilleurs pays; n'a gloire au
reste que de se dire (ils du pape el protecteur de l'Eglise
romaine; mais particulièrement les Anglois ne peuvent
doubler de la haine qu'il porte à leur estât et de l'envie
qu'il a de leur prospérité, veu les menées qu'il leur a
brassées, tant en Irlande que par l'Escosse, et en leurs
entrailles mesmes; veu aussi les torts qu'il prétend avoir
receus de la royne d'Angleterre , qui a en plusieurs in-
stances endommagé ses affaires et rompu le cours de
ses succès par le secours qu'elle a donné , tant à ses
subjects des Pays Bas, qu'au duc d'Anjou pour eulx ;
bref, veu qu'elle a preste l'oreille à toutes negotiations
contre lui et en tout temps, encores qu'elle ne soit
poinct venue jusques aulx pleins effects, tantost en le me-
naçant d'une alliance avec les François, tantost d'une
protection des Flamans, et tantost du secours de dom
Antonio, jusques à avoir envoyé sonder et espier le
fond des Indes, c'est à dire les plus secrets mystères
de Testât des Espaignols.
Or mesme jugement pourra on faire de l'empereur,
estant de mesme maison, nourriture et superstition,
austrichien, espaignol et jésuite, dépendant aussi de
l'auctorité d'une mère très ennemie de nostre relligion,
et des moyens du roy d'Espaigne , sans lesquels il ne
peult subsister pour des debtes et affaires esquels il est
enveloppé , sauf que la nature de Testât d'Allemaigne
le contrainct d'atremper son humeur et de patienter,
bien qu'impatiemment, avec ceulx de relligion contraire.
Quant au
Estant la constitution des susdicts princes et estats
AU SIEUR DE SEGUR. Ij5
telle que dessus, il est tout évident que la royne d'An-
gleterre ne peult avoir qu'une imaginaire ligue avec
eulx. Premièrement, parce que les ligués, pour estre
amis, doibvent avoir ung but semblable; au lieu que
ceulx là en ont ung non seulement divers, mais con-
traire au sien , à sçavoir la ruyne de la relligion , en
laquelle son estât est fondé. Secondement, parce qu'ils
doibvent avoir une mutuelle confiance; au lieu que les
offenses mutuelles les rendent tousjours ombrageux,
et toutes leurs actions respectivement suspectes.
La royne d'Angleterre ayant à peu près apperceu
l'inutilité et danger de telles ligues , y pensoit avoir
pourveu par l'estroicte amitié qu'elle avoit faicte avec
monseigneur d'Anjou, lequel, pour estre remuant, eust
peu tenir et le roy de France et le roy d'Espaigne en
escliec , s'ils l'eussent voulleu incommoder, estant de
fois àaultre assisté de ses moyens; et le conseil n'estoit
mal convenable, s'il eust voulleu procéder loyaument.
Mais, en ce qu'il a commis à Anvers et à l'endroict des
Pays Bas , il s'est totalement retranché de la commu-
nication avec ceulx de la relligion et obligé au parti
contraire , pour estre doresenavant le bras droict du
pape, veu qu'en ceulx là il a offensé et meurtri tous
ceulx qui font mesme profession. Et de faict, s'il eust
peu, sans danger de ses serviteurs qui estoient prison-
niers, il vendoit les places qu'il tenoit à l'Espaignol,
et les rendoit à sa dévotion. Et, depuis qu'il est à Dun-
kerke, a faict estât nouveau de sa maison, duquel il a
retranché tacitement tous ceulx de la relligion, escri-
vant à ses officiers en France qu'ils n'ayent à payer
aulcun qui n'ait attestation d'avoir faict dernièrement
ses pasques. Qui plus est, a escrit plusieurs lettres à des
principaulx seigneurs de France, par lesquelles il se
276 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE
déclare du tout leur ennemi, et les divertit par pro-
messes, par menaces et par toutes sortes de persuasions,
de l'amitié du roy de Navarre, erc. Bref, a depesché
Julio Birague vers le pape, avec instruction, qu'il re-
grettoit principalement le mauvais succès d'Anvers,
parce qu'il ne lui a peu monstrer, comme il desiroit,
ce qu'il a voit au cœur de faire pour le resfablissement
de la relligion romaine (comme de faict il avoit eu
dispense du pape de s'accommoder avec ceulx du Pays
Bas en ceste intention • ; qu'il n'a rien plus en affection
que de le lui tesmoigner par quelque aultre effect; et
pourtant, le supplie de vouUoir presser et amener à
fin la ligue de tous les princes catholiques contre les
hérétiques, e^. leur faire dresser une armée à communs
frais, de laquelle il puisse estre chef, pour employer sa
vie à leur extermination ; et afin que le lien en soit
plus estroit , le requiert d'estre aucteur de son mariaige
avec une des filles d'Espaigne. Chose certaine, et des-
couverte par un moyen qui pourra estre dict , et dont
desjà le project avoit esté veu avant le faict d'Anvers
en certaines lettres à lui escrites par un Italien, qui est
ingénieur à Lisbonne, qui portoient exprès que, s'il
voulloit, on le feroit chef de ceste ligue; que ce qu'il
acquerroit seroit sien, et qu'ils lui feroient conuuencer
ses conquestes par un royaume, qui valoit trop mieux,
et lui cousteroit trop moins que les pays qu'il pour-
suivoit.
Ceroyaume, nul ne doubte que ce ne soit l'Angleterre,
veu mesmes les mémoires qui en ont esté trouvés sur
quelques prisonniers notables en Anvers. Et de faict,
comme la royne d'Angleterre a trouvé la seureté et
tranquillité de son estât en ce que les estats des roys de
France et d'Espaigne ont esté troublés , le roy de France
AU SIEUR DE SEGUR. 277
et le roy d'Espaigne se sentiroient doublement deschar-
gés, s'ils le voyoient bien avant engagé en la conduicte
d'une guerre contre l'Angleterre, principalement avec
une armée qui ne leur feust suspecte , comme celle ci
ne seroit, estant composée de plusieurs parties et faicte
de plusieurs mains. Premièrement , en ce que la royne
d'Angleterre, qui paravant a secoureu leurs subjects,
se trouveroit suffisentement occupée en elle mesmes ,
laquelle une fois domptée , seroit aisé d'esteindre , ce
leur semble, la relligion en leurs estais. Secondement,
en ce que mondict seigneur seroit diverti ailleurs,
duquel l'esprit inquiet est suspect à l'ung et à l'aultre,
et, faulle d'occupation, remueroit les malcontens en
France, qui, soubs le mauvais gouvernement, multi-
plient tous les jours , ou renoueroit à toutes fins avec
ceulx du Pays Bas. Car, quant à lui faire commencer
l'exécution du desseing de la ligue papale par la France,
ils sont si suspects l'ung à l'aultre, que le roy ne le
lairra jamais le plus fort à la campaigne, comme de
faict, quelque apparence et asseurance qu'il ait donné
au roy de son desseing, toutes les fois que Monsieur a
voulleu armer pour les Pays Bas , le roy son frère a
toujours voulleu avoir une armée sur la frontière.
A ces maulx il est aisé à la royne d'Angleterre d'ap-
porter les remèdes , tant dedans que dehors son
royaume , s'il lui plaist de s'aider des occasions que
Dieu lui présente maintenant.
Et pour le dedans, ladicte dame royne y sçaura bien
pourvoir selon sa prudence, estant au surplus assistée
d'ung très bon et très sage conseil, qui avisera en temps,
que son estât ne tombe en danger ou dommage.
Si ne peult on laisser de lui dire que, comme ainsi
.soit qu'elle n'ait vent plus à craindre que du costé
278 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE
d'Escosse, où les roys de France et d'Espaigne lui bras-
sent journellement diverses menées par occasion de
proposer divers mariaiges au roy d'Escosse, n'y a rien
aujourd'hui à quoi elle deust plus penser qu'à le ma-
rier bientost en lieu dont elle n'ait aulcun danger à
craindre, et neantmoins quelque utilité à espérer, si
besoing est : bientost, parce que les princes n'attendent
pas volontiers long temps à se marier, et que cestui ci,
en ayant esté recherché si jeune , attendra moins qu'ung
aultre ; et que cependant , soubs ombre d'ambassades
pour mariaige, on pratique de le divertir de la relli-
gion, de l'amitié d'Angleterre, et de la bonne opinion
qu'il avoit eue de ceulx qui auroient manié sa jeunesse
et son estât pendant icelle jusques à présent; et pa-
reillement en bon lieu, parce qu'aultrement on l'alliera
ou obligera à la maison d'Espaigne ou de France, en
lui donnant une fille d'Espaigne, de Lorraine ou de
Florence, toutes ennemies, soit pour Testât ou pour
la relligion et aultres considérations, de Testât d'An-
gleterre , dont peult , puis après, avenir la ruyne de TEs-
cosse, et par conséquent de lAngleterre mesmes, comme
mieux sçavent ceulx qui en cognoissent de plus près
la condition présente et les hu'neurs.
Le plus propre mariaige scmbleroit estre celui de
madame la princesse de Navarre , princesse née et
nourrie en la vraie relligion , sœur d'ung prince que
les Eglises de ïVance ont choisi et recogneu pour pro-
tecteur contre la tyrannie du pape et de ses adherens;
et qui ne peult estre, pour les torts qu'il retient à sa
maison, qu'ennemie du nom d'Espaigne; en oultre,
pour Tamitié que la royne d'Angleterre portoit à la
feue royne sa mère, et pour les faveurs qu'elle en receut
au fort de ses affaires, obligée à ladicte dame et royne,
AU SIEUR DE SEGUR. 27g
estant tout certain qu'elle serviroit d'une liaison entre
l'Angleterre et l'Escosse ; comme au contraire d'une
barre bien forte entre les pratiques d'Espaigne et de
France et Testât d'Angleterre.
Ce que toutesfois on ne propose poinct pour advan-
tage selon le monde , que les serviteurs du roy de Na-
varre trouvent en ce mariaige , car ladicte dame est de
long temps recherchée de M. de Savoye , duquel la
grandeur est prou cogneuc, qui fraischement y a en-
voyé le sieur de Servain avec conditions favorables, et
de M. de Lorraine pour son fils, qui est prince riche et
aisé , et par le moyen duquel on s'obligeroit la maison
de Lorraine , qui seule semble faire obstacle à la gran-
deur qui se prépare au roy de Navarre; bref, de mon-
seigneur d'Anjou et du roy d'Espaigne mesmes, qui
a diverses fois et tout fraischement en ont faict tenir
propos. Mais parce que le roy de Navarre se propose
la gloire de Dieu , qui doibt précéder toutes aultres con-
sidérations en nos alliances, et qu'on recherche sa bé-
nédiction sur tous advantages, qui affermit et establit
les sceptres et thrones de ceulx qui cherchent avant
toutes choses l'establissement et affermissement de son
royaume.
Pour le dehors, la royne d'Angleterre, qui pour sa
grandeur et richesse tient le premier lieu entre les
princes qui ont embrassé la vérité, les peult tous réunir
en une contreligue , pour s'opposer aux pernitieux
desseings des ennemis de la relligion; à quoi ni la
saison du temps ni l'affection des hommes ne feut
jamais plus disposée.
Aultresfois elle a recherché alliance avec les princes
protestans d'Allemaigne. Ils estoient froids et sourds ,
parce qu'ils ne voyoient ni prevoyoient aulcun danger.,
28o INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE
faisoient au reste chacung son cas à part , tellewient qu'il
les falloit aller rechercher de maison en maison, et per-
suader Tung après Taultre. Au contraire, aujourd'hui
ils cognoissent les pratiques de la maison d'Austriche,
qui ont trop plus pareu soubs l'imprudence de ce
jeune empereur nourri en Espaigne, en peu de jours,
que soubs la prudence des precedens en plusieurs an-
nées. De là est adveneu qu'ils ont communiqué leurs
conseils, pour empescher qu'ung roy des Romains ne
feust créé de ceste maison ; et sur ce est adveneu très à
propos que l'archevesque de Cologne , électeur du
sainct empire , s'est déclaré de la relligion , par les
moyens duquel ils sont asseurés de la pluralité des voix ,
en ayant maintenant, des sept les quattre, oultre celle
de l'archevesque de Mayence , qui semble incliner à ce
parti. Cela les a obligés à le maintenir contre ses en-
nemis ; et, comme ils ont veu que l'empereur, le roy
d'Espaigne et les princes catholiques se joignent contre
lui, et par conséquent contre eulx , ils se sont reveillés
et ralliés ensemble. Tellement qu'il est tout évident
qu'ils ouvriront très volontiers les oreilles aux propo-
sitions qu'il plaira à la royne leur faire pour le bien
commun de la chrestienté, et se sentiront honorés quand
elle leur offrira son alliance. Joint qu'il sera trop plus
aisés de traicter avec eulx que, par ci devant, estant
iceulx joincts pour la plus part en ung corps jà formé,
au lieu qu'ils estoient comme par pièces.
Telle alliance sera honorable à la royne, et debvroit
S. M. prendre au poinct d honneur qu'aullre la pro-
curast qu'elle; lui sera utile à son besoing contre tous
les ennemis ci dessus nommés, comme il feut très bien
recogneu par le feu roy son père, quand il traicta avec
les protestans, qui n'estoient pas lors si forts d'un tiers
AU SIEUR DE SEGUR. 281
qu'ils sont maintenant. Et, quant à ce qu'on l'en a des-
tournee aultresfois, disant qu'elle n'est pas si honorable
que celle qu'elle a avec les roys de et d'Espaigne, etc.,
qui sont princes plus grands ; est à considérer pre-
mièrement qu'elle n'en peult avoir qu'imaginaire avec
ceulx là, qui ont aultre but qu'elle, comme a esté dict
ci dessus. Secondement, qu'es ligues de compagnons,
qui a compagnon, a maistre, à plus forte raison, où
d y a quelqu'ung qui se présume plus grand; il faict
tousjours ployer les affaires de ses associés aux siennes.
Tiercement, qu'au contraire en ceste ligue, la royne,
qui y tiendra le premier lieu , y présidera, non en ordre
seulement , mais en commandement. Et de faict , sans
repeter de plus hault , la ligue des Vénitiens avec le
pape et le roy d'Espaigne, ces années passées, quelque
nécessité qui les liast, et les Vénitiens plus que les
aultres, ne peult durer, parce que le roy d'Espaigne
la voulloit accommoder à ses affaires. Celle du roy de
France avec les Suisses est immortelle, et ne s'interrompt
jamais, et sert tousjours en gênerai et en particulier
à ses desseings.
Ung obstacle pourroit s'entrejetter en ceste negolia-
tion de ligue , à sçavoir , le différend qui est entre nos
confessions sur le poinct de la cène; pour lequel lever
se pourroient aisément traicter deux poinctsaveclesdicts
princes. L'ung est que ce différend soit remis, selon
l'exemple de l'Eglise ancienne, à ung synode gênerai de
toutes les Eglises reformées de l'Europe , quand il aura
pieu à Dieu leur donner repos. L'aultre , qu'en atten-
dant, nous demeurions frères et bons amis, et que si-
lence soit imposé à toutes contentions dépendantes
dudict différend tant de bouche que par escrit.
A ceste negotiation le roy de Danneraarck a jà beau-
28-2 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE
coup aidé envers monsieur l'électeur de Saxe, son beau
frère, qui en a modéré sa rigueur envers ceulx de
nostre confession, et diminué sa faveur envers quelques
docteurs, qui servoient de boutefeus en AUemaigne. Et
Tauctorité de la royne d'Angleterre auFa grand pou-
voir vers lui; comme aussi n'y a doubte qu'il ne se
renge volontiers à ceste ligue , si elle l'entreprend ,
voyant les pratiques que les jésuites font avec le roy de
Suéde et aultres ses voisins contre lui.
S'y adjoindront avec le roy de Navarre, et soubs son
auctorité toutes les Eglises de France, qui ne désirent
rien plus que cest accord. Mais, pour ne perdre temps,
et parce que ceste roue se poussera mieulx par plu-
sieurs tout ensemble, et en ung mesme temps, que
par cbacung à part, sera suppliée la royne d'Angle-
terre d'envoyer des ceste heure quelque gentilhomme
de son royaume, notable et qualifié, vers le roy de Dan-
nemark et les princes d'Allemaigne , pour negotier ces
deux affaires , à sçavoir la reconciliation de nos églises
avec celles d'Allemaigne , et une ligue générale de
tous les princes qui ont embrassé la reformation, de
laquelle elle soit le chef, pour s'opposer à la ruync
que le paj)e et ses adherans nous brassent. Les sieurs
de Sydney, deTillegœur, deRandoIff etDamdson,etc.,
y seroient propres pour leur qualité et suffisance.
Quand les plus notables princes d'Allemaigne en se-
roient persuadés , il loiu' seroit aisé d'y induire les
villes impériales, chacung cndroictsoi. Les Suisses aussi
et leurs alliés, que le pape a voulleu brouiller à diverses
fois par l'envoi de ses nonces, ne s'en reculeroient. Et
quant au roy de Navarre, il y entreroit volontiers avec
tout ce qui dépend de lui, à telles char^'es et conditions
qu'il seroit trouve bon , estant resoleu de n'espargnev
AU SIEUR DE SEGUR. 283
biens ni vie pour la défense de la relligion, et manu-
tention de la cause commune. Comme aussi y a ap-
parence que ceulx du Pays Bas, en la perplexité où ils
se trouvent, se tiendront heureux d'y estre receus,
lesquels, certes, la royne d'Angleterre doibt garder
comme les boulevarts de son royaume, et non avec
moins de raison que l'Allemaigne garde la Hongrie
contre le Turc.
Geste ligue, qui seroit toute composée des peuples
plus belliqueux de la chrestienté, seroit plus forte que
ligue que puissent faire les catholiques romains; mais
d'autant plus encores que tous y tendroient à ung but (
commun de défense, et n'auroient rien à prétendre les
ungs contre les aultres ; au lieu que les roys de
France et d'Espaigne et aultres leurs associés ont
beaucoup de querelles à demesler de longue main,
tendent tousjours à enjamber sur Testât et honneur
l'ung de Taultre, et par estre ou se penser éloignés
de tout danger, ne se peuvent supporter les ungs les
aultres.
Et quant aux conditions de ceste ligue, ce seroit à
chacung à se proportionner à ses moyens; sauf qu'on y
pourroit suivre à peu près les erres de celle qui feut
tracée entre le roy Henri d'Angleterre et les princes
protestans, et depuis, à diverses fois reniise sus par la
royne, en laquelle il offroit de contribuer autant que
deux électeurs, quels qu'ils feussent. Et ne fault ou-
blier qu'une chose hasteroit bien ceste conclusion , sans
qu'il en coustast rien à ladicte royne, à sçavoir si elle
faisoit porter deux au trois cens mille escus, qu'elle lais-
sast en depost en Allemaigne, pour estre employés à
toutes occasions à la défense de la cause commune
par quelque bout qu'elle feust attaquée. A quoi le roy
284 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE
de Navarre, selon ses moyens, nonobstant qu'il ne soit
pressé de mal, a désiré donner exemple à tous, en-
voyant présentement bonne somme d'argent et grande
quantité de bagues de grand prix, pour commencer la
masse commune en Allemaigne.
Es Pays Bas.
Passera d'Angleterre par les Pays Bas, où il verra
M. le prince d'Orange, et Tasseurera de plus en plus de
l'amitié du roy de Navarre.
Et parce que Dieu a faict la grâce aulx Pays Bas de
les appeller à la reformation de son Eglise, et que
nommeement les églises de France et des Pays Bas sont
unanimement conjointes en mesme confession de foi ,
communiquera avec ledict seigneur prince des moyens
de parvenir à la reconciliation desdictes églises avec
celles d'Allemaigne , suivant la conclusion qui en au-
roit esté prise au synode national de Vitré en Bretagne,
auquel lesdictes églises auroient, par la grâce de Dieu,
comparu par leurs députés, et se seroient adjointes
à la negotiation y concleue, pour ladicte reconcilia-
tion des confessions.
Pourtant, requerra ledict seigneur prince , pour da-
vantage auctoriser ladicte negotiation , en laquelle
toute la chrestienté en gênerai et les Pays Bas en par-
ticulier sont très intéressés, de vouUoir tenir la main
qu'au plustost soit envoyé quelque personnage notable
et qualifié de la part des estais desdicts pays vers le roy
de Dannemarck et princes protestans du sainct empire,
pour, d'ung commun accord, poursuivre la reunion
de toutes les églises qui ont requis la reformation.
Et sur tout , attendant que Dieu ait illuminé les
cœurs de tous pour discerner la vérité, pour obtenir
AU SIEUR DE SEGUR. 28 !j
ces deux poincts. Premièrement , que les différends. qui
sont entre les églises d'Allemaigne appellees de la
confession d'Ausbourg et les nostres de France, An-
gleterre , Pays Bas , Suisse, etc. , soient remis au premier
synode gênerai de toutes les églises reformées, auquel
il plaira à Dieu de nous assembler. Secondement,
qu'en attendant icelui, nous demeurions frères et bons
amis, et imposions silence à toutes contentions et invec-
tives tant de bouche <jue par escrit.
De ce faict pourra, selon qu'il trouvera par advis
sur les lieux , traicter avec les estats des Pays Bas, ou
^avec les plus notables personnages et ministres des
églises, encores qu'il y ayt apparence qu'aulcuns feront
difficulté de despescher ceste légation tandis que les
choses demeureront en doubte avec S. A.
Et, si elle est resoleue, seroient très propres pour
en avoir la charge , M. de Sainct Aldegonde , M. de
Vander Mylen , ou M. Junius, desquels le premier et le
dernier sont maintenant comme hors de charge ; le se-
cond retiré en Hollande, mais qui se pourroit excuser
pour cause de maladie. M. Taffin ou M. Sarravia de
Gand, pour leur prudence , doctrine et modestie , y se-
roient aussi très idoines, si on y veult adjomdre ung
ministre.
Le tout sans séjourner beaucoup es dicts pays , pour
la longueur qui est ordinaire en leurs affaires , et
mesmes en la confusion où ces derniers malheurs les
ont mis. Et adjoustera à ces fins tout ce qu'il verra
appartenir pour les y exhorter et induire.
N'oubliera à adviser avec ceulx qu'il verra bon estre,
quel moyen il fauldroit tenir pour faire achennner les
mestiers de delà en Bearn, leur remonstrant les com-
modités dudict pays, etc.
286 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE
En Dannemarck.
Asseurera le serenissime roy de Dannemarck de l'a-
mitié estroicte et singulière du roy de Navarre envers
hii , lequel, bien qu'esloigné de lieux , se sent neant-
moins très proche d'affection envers tout ce qui le
touche, ayant pieu à Dieu, pnr sa saincte grâce, les unir
en une niesnie relhgion, qui est le plus estroict lien
qui puisse estre entre les hommes.
Aussi le remerciera très affectionnement de la peine
qu'il lui pleut prendre ces années passées à l'instance
et prière dudict seigneur roy , tant envers monsieur
l'électeur de Saxe son beau frère, qu'aultres très illus-
tres princes et estats du saint empire, pour la pacifi-
cation et reconciliation des différends qui sont entre
quelques églises d'Aliemaigne et celles de France ,
Angleterre, Escosse, Pays Bas, Suisse, etc. , qui auroient
esté enaigris par la précipitée condamnation de peu de
docteurs, et maintenant, par sa prudence et vigilance,
seroient en quelque meilleur train de s'appaiser , au
grand bien et advancement de l'Eglise de Christ ;
duquel œuvre , certes autant louable que nécessaire ,
toute la chrestienté commence à sentir de loing le fruict,
et l'espère percevoir à bon escient par la continuation
de son zèle et affection envers la gloire et service de
Dieu ; et S. M. remportera, sans doubte à bon droict ,
ung remerciement indicible de tous ceulx qui vi-
vent , et une très louable mémoire envers toute la
postérité.
Particulièrement, lui testifiera de la part dudict sei-
gneur roy de Navarre, combien les églises de France
se sentent obligées à lui de ce qu'il a si vertueusement
embrassé une entreprise si royale, mesmes au temps que
AU SIEUR DE SEGUR. 287
la pluspart s'endorment en leur repos avec peu de
soing du bien et advancement de la chrestienté ; et le
supplie de toute son affection d'y voulloir à ce coup
mettre la dernière main , pour en avoir la louange en-
tière, lui offrant à ceste fin tout ce qui s'y peult apporter
de sa part, d'aide, d'auctorité, de vigilance et de solli-
citude , et le pryant de lui communiquer, selon sa pru-
dence et affection, les moyens qu'il estimera debvoir
estre tenus pour y parvenir au mieulx et au plustost
que faire se pourra.
Sur ce donc lui ramentevra qu'il auroit esté trouvé
bon ci devant que , selon la louable coustume de
l'Eglise ancienne, qui a esté soigneuse d'assoupir les
différends et prévenir les schismes , ung synode gênerai
feust assemblé de toutes les églises reformées de la
chrestienté, auquel les differens qui sont entre nous,
feussent meurement debatteus , deuement examinés
et finalemens décidés ; ce qua les églises de France
désirent imanimement,et poursuivront très ardemment
de leur part. Comme de faict elles supplient très hum-
blement ledict seigneur roy de tenir la main de toute
son auctorité envers tous les roys , princes et estats
qu'il appartiendra, que ledict synode gênerai soit con-
voqué en sa deue forme, en lieu commode, au plustost
que lestât de la chrestienté le pourra permettre.
Mais parce que, puis qu'ainsi a pieu à Dieu, plu-
sieurs notables parties de l'Eglise reformée ont esté et
sont troublées de guerres, ou cruellement persécutées,
des calamités et adversités desquelles quelques doc-
teurs , peult estre trop à leur aise , n'ont poinct eu
honte d'abuser, jusques à les condamner comme hé-
rétiques , les retrancher de la communion de leurs
églises, et, en tant qu'en eulx est, les extermnier du
288 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE
monde, .tu lieu de compatir à leurs misères, c'est à
dire aulx afflictions de Christ ; proposera audict seigneur
roy, qu'attendant que ledict synode gênerai soit tenu
en temps et lieu propre, il veuille employer son ,auc-
torité en ces deux poincts principaulx ; premièrement ,
que les susdicts differens soient remis et renvoyés audict
synode gênerai , lequel neantmoins on acheminera au-
tant que faire se pourra. Secondement , que doresena-
vant silence soit imposé tant de houche que par escrit
à toutes contentions et invectives qui peuvent enai-
grir la plaie, que nous debvons restraindre, attendans
une parfaicte cure , demeurans réciproquement frères
et bons amis, comme nous sommes enfans de mesme
père et cohéritiers en l'héritage que Christ nous a
acquis.
Pour ces choses acheminer , le pryera très affection-
neement de voulloir envoyer quelque personnage nota-
ble de sa part vers monsieur l'électeur de Saxe, son
beau frère, et aultres princes et estats du sainct em-
pire, avec lettres et instructions favorables, pour auc-
toriser de plus en plus ladicte negotiation; et, en cas
- que sadicte légation ne feust si preste, de lui bailler à
lui mesmes lettres tendantes à ceste fin à tous ceulx
qu'il verra convenir, dont, et de tout ce qui concer-
nera cest affaire, prendra soigneusement advis et con-
seil de M. de Danzai , ambassadeur du roy très chrestien ,
par le moyen duquel aura accès et communication en
Dannemarck et lieux circonvoisins, vers tous ceulx qui
peuvent aider en cest affaire , desquels il entendra de
lui les moyens, humeurs et conditions.
N'omettra au reste de remonstrer vivement audict
seigneur roy les pratiques du pape , de l'empereur , des
roys de France, d'Espaigne, etc. , contre la vraie relli-
AU SIEUR DE SEGUR. 289
gion , qui se découvrent et acheminent de jour en jour;
celles mesmes qui se dressent contre son estât par le
moyen des jésuites, telles qu'il les entendra mieulx de
plus près, employant pour cest effect les raisons am-
plement contenues en l'instruction générale , et aultres
que sa prudence et le temps mesmes lui administrera.
Le tout pour lui faire sentir combien il est besoing que
Jes princes, que Dieu a unis en la vraie relligion , se
reunissent de conseils et de forces, pour la défense
d'icelle ; et pour l'exhorter à avancer et procurer de
tout son pouvoir ceste saincte et nécessaire union ; de
laquelle aussi , sans lui fliire rien sentir plus avant, pour
les causes à lui cogneues, pourra sonder les moyens, de-
visant avec M. de Danzay et aultres, et remettant à celui
que, la royne d'Angleterre envoyera exprès, à en traic-
ter plus profondement avec ledict seigneur roy de
Dannemarck , ceulx de son conseil , et aultres person-
nages affectionnés au bien de la relhgion.
Pour la fin, etc.
Pour les princes et estais du sainct empire , faisans
profession de la relligion reformée.
Leur remonstrera à tous en gênerai , et chacung en
particulier, combien l'union est requise entre princes
et estats qui font profession de mesme relligion ; et
combien, au contraire, la division qui est survenue,
pour certains differens en la doctrine, a apporté de
reculement aux Eglises, lorsqu'elles prenoient leur
cours, et achoppé les infirmes, pour ne s'adjoindre
poinct à la vérité.
Que le roy de Navarre n'en veult poinct rechercher
les aucteurs ni les sources, qu'il ne pourroit sans leur
lionte et sans douleur; mais qu'il doibt suffire que le
MÉM. DE DUPLESSIS-MOKNAY. ToME II. 1 O
1^90 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE
mal en est prou cogneu , et que tous les gens de bieiï
souspirent après le remède, lequel sera plus utile, et
peult estre plus aisé de trouver, que s'accorder en-
semble de ceulx qui ont faict le mal.
Qu'il est tout persuadé à toutes personnes vrayment
chrestiennes, que nous sommes d'accord des fonde-
mens de la relligion, à sçavoir, de la gratuite remission
des peschés, acquise par la mort de Christ, fils éternel
de Dieu , vrai et unique médiateur du genre humain ,
à ceulx qui croient en lui ; qui plus est, combattons par
mesmes raisons et argumens les abus et erreurs intro-
duits en l'Eglise par le pape et les siens ; mesmes , con-
venons au poinct de la Cène , duquel est toute la dis-
pute, en ce qui est de la substance du sacrement,
chacung estant asseuré d'y recevoir vraiment le corps de
Christ. Partant, que ne restant controverse entre nous
que de la manière d'y participer, c'est à dire, de modo
prœsentiœ , c'est une chose insupportable que in que-
rendo modo , nulliim plane modum adhibeamus, om-
nem excedamus.
Que les catholiques ont esté beaucoup plus prudens
(je ne veuk dire charitables), lesquels, avant que le
docteur Luther, de bonne mémoire , leur feist la guerre,
exercoient, pour ce mesme article, inimitiés et que-
relles mortelles, et n'avoient peu encores en tomber
d'accord; jusques là qu'il se trouve en leurs docteurs
scholastiques dix ou douze opinions sur ce ponict , ou
diverses, ou contraires, lesquelles personne ne vouloit
céder tant soit peu, comme il se voit en Lombard , Tho-
mas , Lescot , Durand , Gabriel Biel , Bonaventure ,
Picus Mirandula , etc. , qui s'entrecoupent la gorge ;
ce neantmoins, qu'ils ont trouvé moyen, pour nous
persécuter avec plus de repos et de loisir, d'assoupir
AU SIEUR DE SEGUR. agi
toutes ces contentions entre eulx; ce que, pour nous
défendre d'une évidente ruyne, nous n'ayons encores
peu obtenir de nous pour nous mesmes, en une cause
trop plus appointable et facile.
Que l'Eglise ancienne nous en a assés enseigné le
remède, quand, en tels différends, pour prévenir les
schismes qui en pouvoient naistre, elle a ordonné les
synodes , par le moyen desquels plusieurs notables plaies
ont esté heureusement guaries et cicatrisées. Et pour-
tant, qu'à leur exemple, le roy ne Navarre prye très
affectionnement tous les très illustres princes et estats
du sainct empire, qui ont protesté pour la reformation
de l'Eglise clirestienne, de tenir la main qu'un synode
gênerai soit teneu au plus tost que faire se pourra , de
toutes les églises reformées de la chrestienté , de la
forme duquel entre ci et qu'il se puisse assembler,
on s'accorde à loisir ensemble, auquel tous les diffé-
rends qui sont entre nous puissent estre bien et deue-
ment débattus, meurement examinés, et finalement re-
soleus et décidés.
Mais qu'il déplore à bon escient que, pendant que ce
remède tarde , à cause des troubles dont les églises re-
formées sont agitées en plusieurs notables parties , aul-
cunes sous la croix, et aultres soubs la guerre, ces plaies
s'enaigrissent et s'enveniment par les importunes con-
tentions et ambitieuses disputes de ceulx bien souvent
qui, selon leur charge et vocation, y debvroient princi-
palement apporter le restreintif et l'emplastre, mesmes
jusques à s'entrecondanmer , excommunier et extermi-
ner , en tant que possible est. Choses qui , attendant
que ledict synode gênerai se puisse commodément as-
sembler, requièrent, à son advis, ung plus prompt et
plus présent remède.
•^92 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRL
Requerra donc en attendant, que, pour éviter ces
inconveniens, par lesquels TEvangile de nostre Seigneur
Jésus Christ est exposé en risée, et son Eglise en proie,
lesdicts très illustres princes et estats protestans du saint
empire y veuillent pourvoir, comme il sembleroit aisé
par les deux moyens qui ensuivent. Premièrement, en
remettant audict synode gênerai tous les différends de
doctrine qui sont entre leurs églises et les nostres,sans
qu'aulcune église particulière en puisse décider au pré-
judice respectivement l'une de Taultre. Secondement,
que silence soit imposé à toutes contentions et invec-
tives , tant de bouche que par escrit, et que , nonobstant
ces différends, l'union, amitié et fraternité demeure,
et soit observée entre nous. Ce que ledict seigneur roy
promet, tant en son nom qu'au nom des églises de
France, desquelles il est requis, et fera effectuer par
tous ceulx qu'il appartiendra de poinct en poinct.
Cet obstacle estant levé, se promet ledict seigneur
roy qu'il sera trop plus aisé que ci devant, de j^arvenir
à l'eslroicte union qui doibt estre entre tous les princes
et estats de la relligion reformée, et à laquelle non seu-
lement le debvoir clirestien nous convie, mais mesmes
le pouvoir, les effects, les brigues et les ligues de l'an-
techrist et de ses supposts nous exhortent et contrai-
gnent.
Employera donc, pour les y amener, les raisons au
long déduites en ung mémoire plus ample , dont il est
chargé; mais particulièrement leur remarquer soigneu-
sement l'interest qu'ils y ont pour leur regard, qui
les doibt faire estroictement rallier ensemble, et puis
avec les princes et estats voisins qui ressentent ce dan-
ger avec eulx.
Seront donc remémorés lesdicts seigneurs , princes
AU SIEUR DE SEGUR. sgS
et estais du sainct empire, que le roy d'Espaigne n'a
aujourd'hui qu'ung seul fils, et si maladif et délicat,
qu'on attend sa mort à toutes heures; icelle avenant,
que toute ceste puissante monarchie tombe en une
fille aisnee qu'il veult marier à l'empereur mesmes, ou
à l'un g de ses frères. Quand l'auctorité de l'empire sera
rejointe à la puissance et grandeur d'Espaigne, de-
meurant cependant l'Allemaigne déchirée comme elle
est, et mal asseuree du secours des voisins, jugent
]esdicts seigneurs princes, selon leur prudence, quel
moyen ils auront d'empescher que la maison d'Aus-
triche ne se rende l'empire héréditaire, ne départe leuis
honneurs , biens et dignités à ses partisans , comme
aultresfois auroit esté projette, et enfin ne mette soubs
les pieds les anciennes libertés d'Allemaigne.
A cest inconvénient seroit remédié, comme aulcuns
sages princes auroient jà projette par l'élection d'ung
roy des Romains, d'aultre maison que celle d'Austriche,
pour à laquelle parvenir , Dieu leur auroit suscité et
esclairé en la vraie relligion l'archevesque de Cologne,
par le mesme moyen duquel ils se peuvent asseurer de
la pluralité des voix , et lequel , oultre plusieurs aultres
justes causes et notables raisons, ils doibvent mainte-
nir contre l'oppression des catholiques romains pour
celle ci.
Mais , parce qu'il y a apparence que la maison d'Aus-
triche ne se lairra despouiller paisiblement d'une di-
gnité dont elle est vestue de si long temps qu'elle la
ressent non moins que la peau mesmes , et fera par con-
séquent tous ses efforts par le moyen du pape, du roy
d'Espaigne et ses aultres alliés, pour la retenir; seroit
besoing que, de bonne heure, lesdicts seigneurs princes
et ostats du sainct empire , qui sont intéressés en ceste
294 INSTRUCTION DU ROY DE NAVARRE, etc.
cause, se liassent et unissent bien estroictement en-
semble. En après, traictassent une bonne et ferme ligue
avec les estais voisins qui ont part à cest interest et dan-
ger, comme avec la royne d'Angleterre , le roy de Dan-
nemarck , les Suisses et aultres qui ont occasion de s'oppo-
ser à la grandeur d'Austricbe , et l'avoir pour suspecte ;
comme en pareil cas les dicts seigneurs princes au-
roient faict avec Henri, roy d'Angleterre, n'estant en-
cores, icelui, conjoint en relligion avec eulx , au lieu
que tous les susdicts le sont aujourd'bui et en relligion
et en cause.
A ceste ligue , très volontiers s'adjoindra le roy de
Navarre avec tout ce qui dépend de lui , pour la dé-
fense des églises reformées contre la tyrannie du pape
et de ses adherens. Lequel, nommeement advenant la
mort du roy d'Espaigne, a de très grands moyens d'es-
corner de ce costé là la grandeur d'Austricbe , et y
seroit sans doubte béni de Dieu et du peuple , pour les
insignes torts qu'il en areceus; dontl'Allemaigne auroit
moyen de se décharger tant plus tost de la tyrannie
qui est à craindre.
Exhortera donc lesdicts très illustres princes, sei-
gneurs et estats protestans du sainct empire , pour le
bien commun de la chrestienté, d'avancer, chacung en
son endroict, ung si sainct et nécessaire affaire, lequel,
s'il est bien considéré , ne leur importe moins que la
crainte du Turc ou la défense de la Hongrie ; ains ,
peult estre d'autant plus , qu'il leur est non seulement
proche, mais aussi intérieur; offrant de la |)art dudict
seigneur roy , d'y apporter tout ce que Dieu lui a donné
d'auctorité , de moyen et de vie , etc.
JUSTIFICATION DES ACTIONS, etc.
2QJ
LUI. — JUSTIFICATION
Des actions du roj de Navarre, baUlee au sieur de
Segur, pour le mesme vojaige que dessus , le
Ç> juillet I 583.
Chacung sçait que nul n'eust oncq plus grande occa-
sion de se plaindre que le roy de Navarre, de ce qui
se passa en l'an 72, le i[\ aôust, à Paris; car on y
abusa de ses nopces pour violer la foi publicque par
ung horrible massacre. On lui tua devant ses yeulx les
plus notables amis et serviteurs qu'il eust en France ,
et nommeement la fleur de la noblesse de ses pays , qui
l'estoit venue accompagner, jusqu'à souiller sa JDropre
chambre, et mesmes sa couche du sang des meurtris.
Depuis aussi , il feut long temps captif à la court , où
on parloit toutes les sepmaines de le mettre à la Bastille,
où plusieurs fois on meit en délibération de le faire
mourir , où mesmes on n'avoit honte de proposer à la
royne, sa femme , le mariaige d'aultres princes pour la
faire consentira sa mort. Ces choses, qui sont cogneues
de tous, estoient pour mettre ce jeune prince hors des
gons, et pour lui faire oublier toute mesure. Et d'au-
tant plus que, par la grâce de Dieu, il est souverain,
né, nourri et eslevé hors de France, et spolié de la meil-
leure part de sa couronne , pour avoir , son aïeul , suivi
l'amitié de France. Au reste, on ne lui pouvoit impu-
ter chose qui se feust passée es troubles du royaume ,
pour le bas aage auquel lors il estoit.
Ce nonobstant, comme Dieu lui eust faict la grâce
d'estre échappé de ces liens au commencement de l'an
76, au mesme temps que monseiffneur le duc d'Anjou
296 JUSTIFICATION DES ACTIONS
nvoit pris les armes contre le roy son frère , à m-esent
régnant, que ceiilx de la relligion avoient heureuse-
ment relevé leur parti, et que M. le duc Casimir estoit
avec une puissante armée en France , il ne voulleut ja-
mais se prévaloir pour ses vengeances, ni interests par-
ticuliers, de ces forces, qui estoient pour la meilleure
part à sa dévotion; ains accommoda, comme ses ad-
versaires mesmes confessèrent, toutes ses vollontésà la
paix, n'y feit jamais difficulté aulcune, pour son par-
ticulier, ni des siens , donna ses pertes , ses dommages ,
ses injures, la mort mesmes de ses plus chers, au bien
de la republique , se contentant d'avoir retiré sa vie et sa
conscience d'oppression et de servitude , et d'avoir aidé ,
pour sa part, à remettre sus la prédication de l'Evangile.
De ce fera foi le traicté de pacification de fan ^6 ,
qui ensuivit la guerre que dessus, auquel on ne verra
ung seul article qui concerne son particulier honneur,
bien ou accroissement, encores qu'avec les moyens
qu'il avoit, il s'en pouvoit faire croire, comme feirent
quelques aultres, qui n'avoient receu ni pertes, ni in-
jures telles que lui.
Par ce traicté , feut dict que l'exercice de la relligion
reformée seroit libre en tous lieux du royaume indiffé-
remment, sauf quelques exceptions contenues en l'edict
perpétuel et irrévocable qui feut faict. Et, pour le re-
gard des dereglemens et confusions de Testât, feut dict
que, dedans six mois, se tiendroit une assemblée géné-
rale d'estats, selon la forme ancienne, en laquelle il y
seroit pourveu.
Pendant ces six mois, monseigneur d'Anjou feut mis
en la pleine possession d'ung grand et riche appanage
qui lui feut accordé par la paix, duquel se voyant pai-
sible, feut aisé de lui faire changer parti , et de le diver-
DU ROY DE NAVARRE. 297
tir de la protection des estais qu'il avoit prétendue.
Ainsi donc l'assemblée de Blois feut convoquée , à la-
quelle on donna le nom d'estats, de laquelle feurent
excleus par brigues tous les députés de la relligion ,
tejetés tous les paisibles catholiques, mesmes ceulx qui
esloient du conseil du roi.
En icelle donc, au lieu de vaquer à la reformation de
Testât, selon les cahiers envoyés par les provinces, on
ne traicte que de la ruyne de ceulx de la relligion ; l'edict
de pacification, qui estoit irrévocable, y est cassé et an-
nullé, les ministres bannis, l'exercice de relligion des-
fendeu. Ceulx qui avoient eu charge de leurs provinces
de tenir la main à la paix, sans laquelle les estais
estoient frivoles et inutiles, sont menacés d'estre jettes
en l'eau. Ligues se font au reste par les provinces entre
les catholiques, pour exterminer chacung endroict soi
tous ceulx de la relligion, sans exception de qualité,
sexe,aage, société, parenté, fraternité, etc. Et jà de
toutes parts on se preparoit à l'exécution.
Qui plus est, le roy faict signifier au roy de Na-
varre et à monseigneur le prince de Condé , par dé-
putés exprès, que c'estoit son irrévocable volonté;
qu'il falloit qu'ils s'y accommodassent, adjoustant soubs
uîain qu'aultrement ils seroient déclarés indignes de
succéder à la couronne de France. Quelle doibt estre
Tauctorité de ces estats, feut lors assés déclaré par
quelques personnages catholiques, qui eulx mesmes en
formèrent les nullités. Joint que la nullité en est évi-
dente en ce qu'ils ne feirent du tout rien de ce à quoi
ils estoient appelles, à sçavoir le bien et soulagement
du peuple.
Le roy de Navarre donc remonstre modestement
au roy par ses députés les inconveniens qui en advien-
298 JUSTIFICATION DES ACTIONS
droient, mais en vain. Et comme nonobstant, il veit
acheminer l'exécution de ses ordonnances par les armes
de monseigneur d'Anjou, de ceulx de Guise et des sus-
dictes ligues contre lui et les siens, se résolut de se
défendre; et delà naquit la guerre de l'an -^-y, en la-
quelle Dieu lui feit la grâce de se conduire en telle
"sorte, que, sans aide ni faveur de personne , estant as-
sailli de toutes les forces de France , commandées par
monseigneur d'Anjou mesmes , il soutint ceste tem-
peste qui sembloit le debvoir submerger , et , avant le
bout de l'an, obtint une paix, par laquelle l'exercice
feut rendu à ceulx de la relligion , sinon aussi libre
qu'en la précédente, tel au moins qu'au milieu de si
dures contradictions se pouvoit espérer. Tant y a qu'on
n'y verra poinct ung seul mot qui concerne son parti-
culier, sinon en tant qu'il est membre du gênerai; au
contraire, qu'il est content de surseoir l'usage de son
auctorité légitime en beaucoup de choses, plustost
qu'en la débattant, reculer tant soit peu la conclusion
d'une paix.
Les articles de ceste paix se réduisent principalement
à trois poincts, à la relligion, à la justice et aulx seu-
retés du traicté.
Quant à la relligion , l'exercice en est permis, et at-
tribué en certains lieux, en la plus part desquels il n'est
encores establi, ains, par diverses subtilités et chicane-
ries, troublé ou défendu. Quant à la justice, pour
éviter l'animosité et partialité des juges , certaines
chambres avoient esté ordonnées pour juger des causes
de ceulx de la relligion; icelles , depuis tant de temps,
ne sont encores establies. Et quant aulx seuretés , les
garnisons non accoustumees debvoient estre ostees, et
les citadelles nouvelles rasées; et en oultre liuict villes
DU ROY DE NAVARRE. agg
leur avoient esté laissées pour l'espace de six ans, en
dedans lesquels la paix feut effectuée en toutes ses
parties, et ledict sieur roy de Navarre remis en son
auctorité. Au contraire ,lesdictes garnisons et citadelles
tlemeurent debout en leur entier; et, quant aulx villes,
les deux principales ont esté soubstraites et enlevées
par pratiques et menées; et toutes, si on n'y eust pris
garde, le seroient pieça, veu les entreprises qui s'en
sont découvertes de fois à aultre; le tout sans qu'on en
ait peu avoir justice, quelque plainte qu'on en ait
<lressee , et quelque preuve contre les aucteurs qu'on
en ait peu faire.
De ce desni de la relligion , chose si chère à tous gens
de bien, sont procedees beaucoup de justes douleurs;
du refus de la justice, beaucoup d'impunités, et par
conséquent d'injures , de meurtres, d'assassinats, etc.
Et de l'infraction des seuretés, beaucoup de soupçons
et défiances : tellement que la paix a vaincu en quel-
ques lieux la guerre, en irrelligion, en injustice et
cruauté : dont est aussi advenu que la patience de
ceulx de la relligion , sentans les coups de la guerre
soubs le masque d'une paix, s'est tournée quelquesfois
€n fureur, et ont repoussé par justes et naturelles dé-
fenses les injustes offenses qu'on leur faisoit.
Mais tant y a que le roy de Navarre faict ses plus
grands ennemis juges, s'il n'a pas effectué de sa part
tout ce qu'il avoit promis par la paix; s'il n'a pas rendu
ce qu'il avoit convenu; et si , au contraire, on ne lui
retient pas encores de ses propres villes et maisons,
contre les termes exprès de ledict; s'il n'a pas aucto-
risé la justice contre les siens propres par tout où il a
esté question de l'exécution de la paix, jusques à dé-
manteler plusieurs places et faire exécuter des princi-
3oo JUSTIFICATION DES ACTIONS
])au]x entrepreneurs en divers lieux, encores qu'ils
n'eussent que rendu l'injure, et non au regard de celle
qu'ils avoient receue.
Ce que peult estre il eust poursuivi encores plus
vivement, s'il n'eustapperceu par l'impunité de Taultre
part (en laquelle on ne peult nommer de tant de mille
punissables ung seul infracteur de paix puni ) qu'ils ne
desiroient pas justice pour amour de justice , ains soubs
ombre de justice le faisoient exécuteur de leur animo-
sité et vengeance.
En cest espace donc de six années, tant pour l'iné-
galité du traictement qui rendoit les catholiques inso-
lens, que pour l'impunité des forfaicts qui les enhar-
dissoit à mal faire, sont entrevenues plusieurs altéra-
tions en la paix, tant que la continuation de leurs in-
jures et injustices a vaincu quelquesfois, comme dict a
esté, la constance de ceulx de la relligion; dont seroit
advenu qu'en quelques lieux, des plaintes on auroit esté
contraint de venir aulx défenses, et des défenses aulx
offenses; en danger de s'acharner en la guerre civile
plus que j'amais, si le roy de Navarre n'eust cédé pour
le bien et repos public, non seulement de ses advan-
lages , maismesmes de ses seuretés; remettant son inno-
cence et des siens en la garde de celui qui en est le
juge, et qui la cognoist. De faict , on sçait qu'au traicté
de Flex, auquel monseigneur d'Anjou entreveint, pour
consolider les plaies de la guerre, il quitta volontaire-
ment les villes de Cahors et de Sainct Milion, desquelles
l'importance est cogneue pour leur force et pour estre
icelles passages de notables rivières; tant parce qu'il
csperoit enfui vaincre le cœur du roy par sa modestie,
que parce qu'il s'imaginoit que la guerre, que monsei-
gneur entreprenoit lors en Flandres, seroit une notable
DU ROY DE NAVARRE. 3oi
saignée à la France, qui, en repurgeant le mauvais
sang et donnant respiration au bon, osteroit toutes les
demanwaisons dont elle auroit esté molestée et tour-
mentee.
Au contraire, nonobstant ceste confirmation de paix
toute fraische, on attaque ceulx de la relligion eri
Daupliiné, on démantelé leurs villes, on y bastit des
citadelles; le tout contre la foi publique et les accords
traictés particulièrement avec M. le duc de Mayenne,
qui commandoit aulx forces du roy. Cela faict, on le
veult faire passer en Languedoc pour y faire de mesmes,
ce qui s'alloit effectuer, n'eustesté qu'on entra en opi-
nion que si ledict sieur de Mayenne estant de la maison,
de Guise, entroit armé dedans lé Languedoc, auquel
commande le duc de Montmorency , les anciennes que-
relles de ces maisons se reveilleroient, et le duc de
Montmorency auroit juste occasion d'entrer en soupçon,
et par conséquent de se reunir avec le roy de Navarre
et ceulx de la relligion de sa province.
Que faict lors le roy de Navarre? Pour lever à ses
ennemis tout scrupule du cœur, et pour leur oster de
devant les yeux l'object de leur vengeance, comme par
tant de bonnes actions il leur en avoit osté le subject,
il s'avise d'ung poinct : il voit M. le duc d'Anjou obligé
en la guerre contre l'Espaignol es Pays Bas, le roy
d'aultre part engagé de nature et de promesse , non
seulement à le secourir, mais aussi à envahir le roy
d'Espaigne; de gaieté de cœur il envoyé offrir au roy
d'attaquer le roy d'Espaigne dedans le cœur d'Espaig!ie
mesmes; lui faict de grandes et notables ouvertures
pour en venir à bout; présente d'y dépendre en son
particulier cinq cens mille escus. Et afin que le roy ait
prétexte de l'aider d'argent, s'il ne se veult encores
3o2 JUSTIFICATION DES ACTIONS
déclarer, lui veult mettre entre les mains ses comtés pa-
trimoniaux de Rouergue et de l'Isle, qui sont des plus
riches, grands et anciens de France, et ne seroient
moins estimés d'un million d'or. Qui plus est, afin que
le roy ne puisse entrer en juste allarme de ceste entre-
prise, offre de composer son armée de Suisses, alliés
et serviteurs du roy, de Reystres commandés par ses
colonnels, reystmaistres et pensionnaires, de François
tant d'une que d'aultre relligion; d'en commettre la
conduite à ung mareschal de France bon serviteur du
roy, assisté des plus notables capitaines qui l'auront
tousjours servi et suivi, et des principaulx de la no-
blesse catholique de la frontière; et, pour comble de
seureté , de bailler madame la princesse sa sœur unique ,
en ostage de sa bonne intention; comme aussi eust faict
monseigneur le prince de Condé sa fille; et ce, avant
d'entrer en campagne. Adjoustoit, quand l'entreprise
seroit en train , de se dessaisir des villes de seureté
avant le temps escheu, pour faire entendre à ung
chacung qu'il ne cherchoit son asseurance en la force
des murailles, mais en la seule bonne volonté du roy,
qu'il avoit méritée et acquise par tant de notables
offices.
Ce moyen avoit semblé le plus prompt et le plus
expédient au roy de Navarre , pour lever les défiances,
assoupir les animosités, esteindre les noms des partis,
et reunir les cœurs en une mesme volonté. Et pense
ledict seigneur roy qu'il n'y a bon François à qui ceste
entreprise ait esté proposée, qui n'en ait jugé de
mesmcs. Cependant, c'est de lors qu'on commence de
plus belle à brasser avec le pape une ligue générale à
l'extermination de tous ceulx de la relligion. Que le
«once faict plus grande instance qu'il n'avoit mesmes
DU ROY DE NAVARRE. 3o3
faict après les massacres de la réception et publication
du Concile de Trente et introduction de l'inquisition.
Que le roy s'en est rendu contre l'advis et arrest de
ses parlemens, ouvertement contredisans , aucteur,
faulteur et solliciteur envers eulx, tant en gênerai
qu'en particulier. Qu'il a eslevé les jésuites, boutefeux
de la chrestienté, en tel orgueil qu'ils se sont fourrés
jusques au plus creux du cabinet, où ils minutent la
confiscation des corps et des biens de ceulx de la relli-
gion , et en sollicitent l'exécution autant qu'ils peuvent
par tous les endroicts de son royaume. Qu'on a par
toutes sortes d'artifices tasclié de retrancher et abais-
ser l'auctorité et les moyens dudict seigneur roy de
Navarre , qu'on eust deu , veu les choses susdictes ,
meritoirement accroistre; jusques à tenter tous moyens
de lui suborner et soustraire ses meilleurs amis, leur
défendant soubs grandes menaces, d'avoir amitié avec
lui , comme s'il estoit ennemi du royaume. Tellement
que ledict seigneur roy n'a peu jusques ici gaigner par
sa modestie, patience, équité et intégrité qu'ung seul
poinct (mais qui lui est inestimable); c'est que, par ces
œuvres, non tant de mérite que de supererogation,
il a plus qu'acquité son debvoir , et satisfaict humaine-
ment à sa propre conscience; et par mesme moyen
s'est asseuré de la bénédiction de Dieu sur ses affaires,
et de son secours contre ses ennemis , lequel ne default
jamais à ceulx qui le craignent , qui reçoivent en con-
sidération de lui le mal pour le bien, et qui apportent
enfin , après une longue patience , une juste intention à
une juste cause.
3o4 LETTRE DE M. DUPLESSIS
LIV. ^LETTRE DE M. DUPLESSIS
AM.de Sjdne, (i)
En juillet i583.
Monsieur, M. de Segiir, surintendant des affaires
du roy de Navarre , s'en va de sa part vers la royne vos-
tre souveraine. Il vous souvient que, Tan passé, ledict
seigneur roy voulloit aller visiter la royne , et de là
tous les princes qui font mesme profession que nous.
Les vagues d'affaires , qui s'entresuivent en cest estât ,
lui feirent différer ceste délibération , et encores le re-
tiennent. Et cependant, ne creetur ecclesiœ ex mora
penculiun y il a désiré negotier en tant que faire se
pourra par ceste ambassade ce qu'il pretendoit par son
voyaige propre. Cest ung gentilhomme, comme cog-
noistrés, plein de zèle et de pieté, dere ^ timi publica,
tum privata optime mevitus ; et qui plus est, qui va
pour choses très recommandables à toutes personnes
qui désirent le bien commun de toute la chrestienté.
J'estime cest œuvre très digne que vous y teniés la
main, et vous en prye de tout mon cœur. Et fault que
je vous die que ce seroit à la royne proprement , pour
le lieu qu'elle tient , et pour le repos que Dieu lui donne ,
d'entreprendre cest affaire. Mais c'est l'ordinaire que
ceulx qui ont plus ressenti le mal, sont les plus prépa-
rés à le prévoir et à y pourvoir. Et vous sçavés que la
délivrance de Suisse commença par Suitz, Uri et Under-
vald ; non qu'ils feussent plus forts et plus auctorisés ,
mais bien plus tourmentés et plus exposés au mal, et
par conséquent plus affectionnés au remède. Hœc qunn-
(/) PLilippes Sydne, seigneur anglois, aucteur de V Arcadie.
A M. DE SYDNÉ. 3o5
tiim ad ecclesiam attinet in universum ; sunt vero et
topica îionnulla quœ propine ad vos , de quibus ali-
quando inter nos. Hœc maliin tu ex ore ipsius qiiain
ex meis lilteris intelligas. Cœlerum^ cognatum tuiim
diii expectaviet expetm\ qui hue venturus dicebatar.
S'il vient, il sera le bien venu; car cui bono le pro-
mettre et ne venir poinct? Mais je sçai qu'es courts on
ne faict pas ce qu'on veuit, quelque bonnes qu'elles
soient. Et pour le moins, prenés en bonne pnrt que
nous vous sommions de ce à quoi vous nous devriés les
premiers convier. Au reste, faictes moi cest honneur
de croire que je suis et serai à jamais vostre serviteur.
Je désire sçavoir si estes marié ou non ; j'estime qu'oui ,
parce que j'ai esté trois mois sans avoir lettres de vous;
et je présuppose que cela ne peult estre sans une occu-
pation notable. Monsieur, je vous baise bien humble-
ment les mains, et supplie le Créateur vous avoir en sa
saincte garde.
De Nerac, etc.
LV.— -LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Falsingham.
Du . . . juillet i583.
Monsieur, nous avons long temps attendeu vostre
response selon que nous aviés promis, tant par le sieur
de Bornam, que, depuis, parles sieurs de la Fontaine et
d'Angroigne; et cela a esté cause que plustost n'avons
envoyé vers vous. Depuis aussi je vous ai escrit tant du
synode national de Vitray en Bretagne, où je me suis
trouvé au nom du roy de Navarre, que mesmes de ce
heu où sommes à présent. Maintenant, parce que le
MÉM. DE Duri-Essis-MoRixw. Tome ït. 20
3o6 LETTRE DE M. DUPLESSIS
trop long délai seroit dommageable en chose si néces-
saire que celle que nous pourchassons, le roy de Na-
varre envoyé M; de Segur, surintendant de ses affaires
et maison, vers tous les princes et estats qui désirent
le restablissement de l'Eglise. Et comme la royne vostre
maistresse est la première, il a désiré aussi que, de sa
part, elle feust •visitée la première et suppliée d'y em-
ployer a bon escient son auctorité. Je scai que jugerës
la chose si raisonnable et si recommandable de soi , selon,
vostre pieté et zèle , qu'il n'est besoing de vous en re-
commander la negotiation davantage ; car vous voyés
assés que le monde conspire , et que si Dieu vous a faict
la grâce de respirer pendant que les aultres ont souspiré,
que cela toutesfois ne peult pas tousjours durer. En
somme , le roy de Navarre a estimé ce faict pour lequel
M. de Segur va présentement , de telle conséquence que ,
pour le mettre à chef, il voulloit, l'an passé, y aller en
personne, dont il vous souvient que je vous advertis
alors ; et , ne pouvant ni lors ni maintenant pour la
continuelle suite d'affaires et occupations, il vous en-
voyé l'ung des hommes du monde auquel il se fie et
repose le plus. Monsieur , je ne la vous ferai plus longue,
sinon pour vous baiser bien humblement les mains, et
supplier le Créateur vous avoir en sa saincte garde.
De Nerac, etc.
LVL — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Danzaj,
Du ... juillet i583.
Monsieur, estant nVgueres au synode national tenu
à Vitray en Bretagne, je proposai entre aultres choses
A M. DE DANZA.Y. 3o7
de la part du roy de Navarre , combien il estoit néces-
saire de negotier à bon escient la réconciliation de nos
differens pour la relligion , ce qui feiit trouvé très bon ;
et, sur ce , je vous escrivis amplement là conclusion qui
y feut prise. Maintenant donc, en suivant icelle, le roy
de Navarre , pour ne perdre temps, s'est résolu d'y en-
voyer M. de Segnr, par lequel vous recevrés la pré-
sente, gentilhomme fort qualifié, superintendant de sa
maison, zélateur de la vraie relligion, et duquel tant
lui que nos églises de France ont grandement à se louer.
Il a commencé par TAngleterre, afin que la royue joi-
gnist son auclorité à cest œuvre tant nécessaire; puis
y a exhorté les églises des Pays Bas; et de là passe vers
le serenissime roy de Dannemarck pour le pryer bien
affectionnement, comme il a heureusement conunencé,
de poursuivre ceste saincte entreprise envers les princes
et estats d'Allemaigne. Vous pouvés beaucoup y aider,
en lui départant vos bons advis et conseils; et le pouvés
faire seurenient pour sa pieté, discrétion et suffisance;
et je sçai aussi que le voulés, selon la cognoissance que
j'ai de vostre zèle et affection envers l'avancement de
la vraie Eglise, et nommeement en ce qui touche cest
affaire. Je vous supplie donc, monsieur, de parler à
lui, comme je présume par la privauté dont m'uses en
vos lettres que fériés à moi mesmes, afin que cest affaire
puisse réussir à la fin que nous prétendons. Au reste,
je suis vostre serviteur, et serai tousjours de tel cœur
que bien humblement je salue vos bonnes grâces, et
supplie le Créateur, monsieur, etc.
De Nerac, etc.
3o8 LETTRE DU CONSEIL
LVII. — LETTRE DU CONSEIL DU ROY
De Navarre au roj de Navarre, rédigée par M. Dii-
plessis.
Du 16 juillet i583.
Sire, nous avons receu les lettres de vostre majesté
du 1 4 juillet, ensemble celles que le roy vous escrit
du 3, desquelles nous avons délibéré selon le com-
mandement qu'il vous a pieu nous en faire. Tou-
chant le faict du Casse , nous semble qu'il est néces-
saire , pour la conservation de vostre auctorité , d'en voir
une fin. Et parce que, si elle tiroit en longueur, aultres
affaires de non moindre conséquence en seroient re-
tardés, vostre majesté y pourroit tenir la voye qui
ensuit; lui faire repeter par messieurs de Clervant ou
d'Esdiguieres les admonitions et sommations qui ci
devant lui ont esté faictes; promettre vérification de
l'abolition qui lui avoitesté ci devant accordée; et, pour
ce qu'il auroit faict depuis , l'y faire comprendre en tant
qu'il vous sera possible; attendant quoi, il se puisse
retirer en vos terres souveraines en toute seureté. Le
tout s'il obéit volontairement et au plus tard dedans
trois jours, lesquels vous lui donnés précisément pour
y penser (et aussi bien ne sçauriés vous estre prest pour
le forcer). En cas que non, que vous le ferés déclarer,
des le lendemain de son refus, ennemi public et tous
ceulx qui l'assistent; serés vous mesmes, avec M. le
mareschal , exécuteur de la sentence pour lui ruyner sa
maison sur sa teste , et le ferés punir lui et tous ceulx
qui se trouveront avec lui selon que sa désobéissance
mérite, et que l'exemple qui s'en doibt donner à tous
DU ROY DE NAVARRE. Sog
semblables, le requiert. Et afin qu'il soit tant plus vive-
ment pressé de penser à sa conscience, sera bon de
faire faire des maintenant proclamations à Bazas et es
environs, que nul n'ait, sur peine de la vie, à aller tra-
vailler à ses fortifications, ni à hanter, ni fréquenter ou
avoir quelconque communication avec lui ni les siens;
ce qui , à nostre advis , pourra liaster sa resolution. Cas
qu'il s'opiniastre, et que par conséquent faille venir à
la force, trouvons que vostre majesté a pris ung très
bon advis de demander d'estre assisté d'artillerie, de
munitions et de pionniers par monsieur le mareschal,
et en donner ostages pour lever toute défiance; à la-
quelle fin n'y auroit mal d'adjouster lettres à messieurs
de la court et de la ville de Bordeaux , afin qu'ils cognois-
sent de quel pied vous marchés en chose qu'ils ont tant
en affection, et qu'ils n'en puissent imputer le retarde-
ment qu'à eulx mesmes. Sinon, qu'ils trouvent bon
que faciès venir des canons de Bearn pour le forcer,
premier qu'il se soit davantage fortifié , dont vous escri-
rés au roy, et prendrés plustost tout le reproche sur
vous. Et en ce cas , seroit besoing de lui en faire une
bonne depesche que vostre majesté pourra envoyer à
M. le mareschal de Matignon. C'est pour le faict du
Casse , auquel Dieu doint plus de jugement que de
vous mettre en ceste peine, et lui en telle extrémité!
Quant aulx lettres du roy, serions d'advis que vostre
majesté en differast la response jusques à ce que vous
depeschiés en court M. de Clervant comme sera besoing
dans dix ou douze jours ; et aussi bien la court est loing,
et chemine de lieu à aultre ; qu'alors vous louissiés le
roy de la bonne resolution qu'il prend de soulager son
estât, digne d'ung roy chrestien et père du peuple; re-
cognoissiés l'honneur qu'il vous faict de vous semondre
3jo lettre du conseil
à le servir a ung si sainct œuvre, auquel vous vous sen-
tiriés heureux de pouvoir apporter tout ce que Dieu a
mis en vous, et vostre personne propre , ^sa majesté
l'ayant agréable. Et parce que vous auriés tousjours eu
ce but de n'approcher près de sa majesté pour lui estre
importun en façon quelconque, et qu'en ceste circon-
stance niesmes vous ne voudriés comparoistre en ceste
honorable assemblée pour l'occuper de requestes,
remonstrances, plaintes et doléances, ou devons ou de
ceulx de la relligion, chose qui seroit sans double mal
séante à celui auquel auriés faict cest honneur de l'ap-
peller pour vous assister de son service, à contenter et
satisfaire celle de son povre peuple; que, pour ceste
considération, vous auriés pensé de depescher vers sa
majesté le sieur de Clervant pour le supplier, attendu
que le bout des six ans approche, en dedans lesquels
sa majesté auroit promis de faire entièrement effectuer
son edict, lequel, pour plusieurs obstacles entrevenus,
ne le seroit encores en plusieurs nécessaires parties, de
voulloir donner ordre par son auctorilé que cela se fasse
plustost, etc. En laquelle depesche de M. de Clervant
vostre majesté pourra requérir que les notables con-
traventions et inexécutions y spécifiées, soyent répa-
rées et satisfaictes, comme en estant requis des églises,
et, pour vostre regard, que soyés mis en possession
réelle et actuelle de vostre gouvernement, vous et
monseigneur le prince, offrant par mesme moyen la
restitution des villes en leur temps, etc. Moyennant
quoi, dira vosLre majesté qu'elle pourra alors se trou-
ver en ladicte assemblée, vuide de toute particularité,
comme il appartient au lieu et rang que vous avés, cest
honneur d'y tenir et y présenter et apporter à sa ma-
jesté le cœur de tous ses subjects de la relligion avec le
DU ROY DE NAVARRE. 3ll
sien , afin qu'elle puisse doresnavant les voir tous tant
d'une que d'aullre relligion pleinement reunis soubs
son obéissance; et, s'il est possible, sans qu'aulcune
marque ou cicatrice y demeure. A ceste response se
pourroit lors conformer monseigneur le prince , comme
il a receu lettres de pareilles substances , et M. de Cler-
vant en confereroit avec lui en passant. x4lu reste , nous
aclievons nostre depesche, et mardi , aidant Dieu , serons
près de vostre majesté ; et cependant le sieur de Severac
vous va trouver pour les depescbes qui se présente-
ront, etc.
LVIII. — LETTRE DU ROY DE NAVARRE
Au roj Henri III, dressée par M. Duplessis.
Du 29 juillet i583.
Monseigneur, j'estois venu exprès à Bazas, pour
faire obéir le Casse, ou par une façon ou par aultre,
comme j'estime que mon cousin M. le maresclial de
Matignon aura faict entendre à vostre majesté. Mais,
nousestans trouvés lui et moi en ceste ville de Langon,
pour aviser sur ce faict et aultres de pareille nature,
plusieurs considérations de conséquence nous ont faict
conclure a la voie moins rigoureuse , telle que je l'en-
voyé par escrit à vostre majesté, et qu'elle a esté con-
ceue entre nous. La somme est, monseigneur, que la
faultequ'ila faicte de fortifier sa maison, soit en quel-
que façon réparée par la démolition des fortifications
d'icelle; et que la peine que par là il avoit encourue,
lui en soit remise et pardonnee par vostre debonnaireté
et clémence, dont je la supplierai très humblement,
quand il aura satisfaict à ce qui en a esté arreslé pour
3r2 LETTRE DU ROY DE NAVARRE
"vostre service. Il me cleplaist infiniment, monseigneur,
quand la droicte et pleine volonté que j'ai de rendre
toutes choses au plaisir de vostre majesté, rencontre ces
aheurts; mais j'espère qu'en celui ci nous en avons
applani beaucoup d'auilres par la procédure que nous
avons tenue. J'en aussi nouvelles hier que le chasteau
de Camaiol, appartenant au sieur de Sainct Sulpice,
avoit esté délaissé, suivant les depesches que j'en avois
faictes, dont j'ai tenu vostre majesté avertie. Mais il
mevient degrieves plaintes de l'aultre part, auxquelles,
s'elles continuent , je supplierai très humblement vostre
majesté de donner ordre. Je remettrai le surplus à quand
nous aurons faict effectuer ce qui a esté anesté pour le
faict du Casse, pour lequel je m'en retourne encores
à Bazas; et supplierai le Créateur, monseigneur, etc.
LIX. — LETTRE DU ROY DE NAVARRE
A M. le prince d'Orange , rédigée par M. Duplessis.
Du 2<) juillet i583.
MoNSiFTJR mon cousin, j'ai esté bien aise d'avoir
entendu de vos nouvelles par le sieur de Vauffin , nom-
meement du bon accomplissement de vostre mariaige;
je prye Dieu qu'il le comble de l'heur et pros[)erité que
pouvés désirer, comme par sa grâce il lui a pieu de si
loing r'assembler vos vertus ensemble; je m'asseure
aussi qu'il on tirera du fruict pour ses églises, et mesmes
que nous y aurons nostre part pour la conjonction
qu'ont nos affaires avec les vostres , que je ressens telle
pour mon regard, que je n'estime vos playes moins
miennes que vostres. Vous sravés la circonstance du
temps où nous sommes, qui est comme la crise de
A M. LE PRINCE D'ORANGE. 3l3
nostre maladie; si espère je que Dieu bénira tant
nostre patience, nonobstant les traverses qu'on nous
y donne, que nous demeurerons en paix. C'est ung
œuvre auquel je m'employe volontiers, comme ledict
sieur de Vauffin vous pourra dire, qui m'a trouvé em-
best'gné à ranger quel({ues fols à la raison, qui pen-
sent avoir justifie suffisamment leurs faultes quand ils
allèguent Timpunité de plus grandes de l'aultre part;
mais jai tousjours pensé qu'il valoit mieulx que les
aultres amendassent leurs deportemens sur les nostres ,
que si no\is empirions les nostres sur les leurs. Et au
reste, oullre ce que la paix est si désirable en elle
mesme, et si nécessaire à cest estât, qu'elle mérite bien
d'estre racbetee par beaucoup de grandes peines et de
médiocres maux. Croyés, monsieur mon cousin, que
ce ne m'est pas une petite exbortation à patienter pour
la retenir, quand je considère, comme m'escrivés,
qu'elle est utile au bien de vos affaires, et pourroit
estre, si nous venons enfin à nous reveiller, domma-
geable et ruyneuse à ceulx qui vous pressent ; or je
pryerai Dieu, monsieur mon cousin, etc.
LX. — LETTRE DU ROY DE NAVARRE
Jii roj^ rédigée par M. Diiplessis.
Du 12 aoust i583.
Monseigneur , j'ai receu la lettre qu'il a pieu à
vostre niîijesté m'escrire du 4 tle ce mois, et ne sçais
par quel service je puisse jamais recognoistre le soing
singulier qu'il vous plaist avoir de chose qui me touche
tant et de si près, qui m'est uneparfaicte démonstration
de la bonne volonté qu'il vous plaist me porter, et
3i4 LETTRE DU ROY DE TfAVARRE
une admonition continuelle de la mériter par tous les
moyens dont je me puisse ad viser. Je ne vous cèlerai
donc, monseigneur, qu'il y a jà long temps que le i^ruit
de la mauvaise et scandaleuse vie de madame de Duras
et de Bethune estoit venu jusques à moi, dont je ne
pouvois avoir grand contentement, les voyant si près
de chose qui m'est si proche; mais je coiisiderois que
ma femme ayant cest honneur de vous estre ce qu'elle
est, et mesmes d'estre près de vos majestés, je ferois
quelque tort à vostre l)on naturel si j'entreprenois d'en
estre plus soigneux de loin g que vos majestés de près,
et à vostre prudence et sagesse, si je pensois pouvoir
voir d'ici ce qu'elles n'apperceussent poinct sur les
lieux ; et à quoi l'ayant une fois apperceu , je ne pou-
vois doubter qu'elles ne sceussent très bien pourvoir
selon l'importance qu'elles y cognoistroient. Bien vous
dirai je, monseigneur, que j'estois résolu, quand ma
femme prendroit son chemin vers moi, de la pryer de
s'en défaire avec le moins de bruit qu'elle pourroit,
tant pour les causes pour lesquelles vous les avés jugées
indignes d'approcher de vostre sang et maison, que
pour avoir cogneu les dangereux artifices dont ils sça-
vent user pour troubler une saincte amitié, et diviser
ou esloigner d'affection ce qui ne peult jamais estre
trop conjoint. Je m'asseure, monseigneur, que quand
ma femme aura sceu ce qui en est , elle ne pourra
qu'elle ne recognoisse l'honneur que vos majestés lui
font d'avoir tant de soing de la dignité et réputation
de sa personne et maison, et estimera très mal em-
ployée l'amitié qu'elle auroit ci devant monstree à per-
sonnes deceste condition, en l'esloignement desquelles,
si elle les eust bien recogneues, elle n'eust esté pré-
venue de personne, qui fera qu'elle recevra de tant
AU ROY. 3l5
meilleur cœur les personnes d'honneur, hommes et
femmes, desquelles il plaira à vos majestés l'accompa-
gner pour son voyaige; et de ma part je ne fauldrai à
l'en pourvoir au pluslost, selon le lieu qu'elle tient et
dont elle est issue, obéissant au commandement qu'il
plaist à vos majestés m'en faire, et satisfaire au debvoir
dont je suis tenu en cest endroict. Au reste, monsei-
gneur, il n'est pas besoing que je vous die que je la
désire extrêmement ici , et qu'elle n'y sera jamais assés
tost venue ; car vous me faictes bien cest honneur de
croire que je cognois l'honneur que ce m'est de vous
attoucher de si près par elle, qui ne me peult qu'en-
gendrer ung désir de vous monstrer, en lui rendant
la parfaicte amitié que je lui doibs, le respect et la ré-
vérence que je vous porte.
LXI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Che^^ernjf chancellier de France.
Du 1 2 aoust 1 58'3.
MoNSij-UR, quand j'eus n'agueres cest honneur de
vous faire la révérence à Paris, il vous pleut me com-
mander de vous escrire quand j'en verrois subject , et
celui qui s'en présente aujourd'hui, m'a ramenteu d'user
de ce privilège. Vous sçavés, monsieur, que, sur toutes
choses, vous me recomniandies la paix que jugiés à tous
nécessaire; c'est le seul but auquel toutes nos actions
tendent en ce lieu où Dieu nous a appelles , et le voyaige
de M. de Clervant , duquel la modération et intégrité
vous est cogneue, ne tend à aultre chose. Mais j'estime
qu il sera besoing qu'oultre la saincte intention que
leurs majestés ont de la perpétuer à leurs subjects,
vous y apporties aussi l'auctorité que Bieu vous a
3i6 LETTRE DE M. DUPLESSIS
donnée, parce qu'en la circonstance du temps où nous
sommes, il y en pourroit avoir auicuns qui se lais-
sassent emporter à conseils violens. Il n'est ici ques-
tion que de l'obéissance du roy et de la tranquillité de
son peuple ; et quant àceulx delà relligion, vous verres,
monsieur, qu'ils ne demandent que d'obéir en tout, à
quoi le roy de Navarre, que je nomme ici pour l'hon-
neur qu'ils lui défèrent, leur donnera tousjours exem-
ple; mais permettes auwi que je vous die qui! les fault
aider à bien faire en donnant quelque ordre à leurs
plaintes et doléances, afin que plus gaiement ils se dé-
mettent de toute aultre asseurancepour se remettre do-
resenavant en la seule bénignité du roy; car si l'humeur
s'est trouvée plus conlumax qu'au commencement le
médecin n'auroit jugé, et que, par les symptômes qui
&ont survenus, l'opération du remède a esté retardée,
j'espère qu'on aura plus d'égard à la cure et guerison
entière du patient, qu'à la précise circonstance du peu
de temps, qui n'importe rien au médecin , et peult estre
beaucoup , ne feust ce que par imagination , au malade.
Vous sçavés, monsieur, que les anciens ont dict : Sum-
mum Jus summa injuria; les violens conseils pressent
bien souvent avec dommage ce que les modérés em-
porteroient et plus facilement et plustost; en telles
choses donc les punctilles de droict ne doibvent avoir
lieu, mais bien ceste règle universelle, soubs laquelle
il fault quelques fois que toute la jurisprudence ployé,
Salus reip. suprema lex esto. Comment qu'il plaise à
sa majesté en ordonner, elle trouvera tousjours ce
prince résolu à tout bien, pour le bien de son service
et de son estât; et ceulx ausquels il faict cest honneur
de se fier, ne traverseront pas (afin que je n'en die da-
vantage) ccbte bonne volonté; mais je m'enhardirai
A. M. DE CHEVERNY. 3l7
de vous dire que je desirerois fort qu'elle feust cogneue
et recogneue par quelque faveur, bienveillance et gra-
cieuseté, afin que de plus en plus elle s'accreust en lui ,
voyant qu'il n'auroit poinct recherché la bonne grâce
de sa majesté en vain; car je ne vous cèlerai, puis
qu'en suis venu si avant, que les froideurs dont on a
usé depuis quelque temps en son endroict, mesmes en
choses privées et ordinaires, l'en mettent quelques fois
en doubte, et d'autant plus que personnes qui ne sont
ni de sa qualité ni de son mérite, ne rencontrent pas
le mesme visage en choses plus grandes et extraordi-
naires. Je vous parle librement , et c'est ma façon , que
je ne puis ni ne veulx , s'il vous plaist , changer. Et, si
j'entens que mes lettres aient cest heur de vous estre
agréables, j'oserois de fois à aultre continuer; cepen-
dant vous ferez estât de mon bien humble service que
je doibs à vostre dignité et à la dignité que vous lui
avés apportée. Et sur ce, après vous avoir bien hum-
blement baisé les mains , je supplierai le Créateur, mon-
sieur, etc.
De Saincte Foi d'Agenois, etc.
LXII. — INSTRUCTION
Au sieur de Clairvant^ allant en court de la part du
roj de Navarre , pour response aux lettres de sa
majesté; dressée par M. Duplessis.
Du 3 juillet i583.
Lf roy de Navarre ne peult assés louer Dieu du bon
instinct qu'il a donné à sa majesté de voulloir assem-
bler au i5 de septembre les principaulx seigneurs et
plus dignes personnages de son royaume , pour, avec
3l8 INSTRUCTION
eulx, adviser des moyens de remettre sus son estât et
soulager son povre peuple, œuvre vrayment digne
d'ung roy très chrestien qui le rendra recominandable
à toute la postérité, et lui peult acquérir en nostresiecle
le titre tant poursuivi et désiré de tous bons roys , de
"vrai père du peuple.
Ne mescognoist aussi ledict roy de Navarre l'hon-
neur qu'il a pieu à sa majesté lui faire, non seulement
de lui faire entendre ceste sienne saincte intenlion,
mais aussi de le convier à le venir servir de sa per-
sonne en l'exécution d'icelle, à laquelle il apportera
tousjours volontiers et soi mesme et tout ce que Dieu
a mis en lui pour le très humble service qu'il lui doibt
et le los et prospérité qu'il lui désire.
Mais a considère ledict sieur roy là dessus qu'ayant
cest honneur d'estre appelle de sa majesté à ceste no-
table assemblée, pour l'assister de son service à con-
tenter et appaiser les plaintes et doléances de son peu-
ple, il lui seroit mal séant, pour le rang qu il tient, et
pour l'effect auquel il y doibt aller, dy coinparoistre
chargé de plusieurs aultres remonstrances , requestes,
plaintes et doléances , tant siennes que de ceuîx de la rel-
ligion, desquelles ilfeust contraint d'importuner sa ma-
jesté pour l'importance d'icelles, au lieu de la sou-
lager, comme il auroit désir, en lacheminement de ce
tant désirable affaire.
Par ainsi , pour éviter cest obstacle, il lui convenoit,
avant que le temps de ladicle assemblée escheust, en-
voyer vers sa majesté ung gentilhomme qualifié, bien
instruit et informé de toutes les susdictes remonstrances,
requestes , plaintes et doléances , la suppliant très hum-
blement d'y voulloir pourvoir au plus tost que faire se
pourra , selon i'asseurance qu'il lui auroit pieu lui don-
AU SIEUR DE CLERVANT. 819
ner de sa bonne volonté envers lui, et sa bénignité et
debonnaireté accoustumee envers son peuple, moyen-
nant quoi ledict sieur roy de Navarre se puisse trouver
vuide de toutes particularités, comme il lui convient,
en ladicte assenjblee , et y apporter et présenter à sa
majesté les cœurs de tous ses très bumbles subjects de
ladicte relligion avec le sien , non plus pour se plaindre
des maux qui les ont travaillés jusques à présent, ains
pour se louer unanimement de la guerison entière qu'ils
en auront receue par les mains de sa majesté.
A ceste fin a faict cboix ledict sieur roy de Navarre
du sieur de Clervant, lequel, pour sa modération et
intégrité, il a pensé plus agréable à sa majesté, de la
bouche duquel , comme de la sienne propre, il la sup-
plie tresbumblement de voulloir ouïr lesdictes remons-
trances , tant siennes que de ceulx de ladicte relligion de
diverses provinces qui les lui ont adressées avec prières
instantes de les représenter à sa majesté, et ce d'autant
plus , que le bout de six ans approche, en dedans lequel
sa majesté s'estoit promis et leur avoit donné espoir
de voir l'edict de pacification , soubs le bénéfice duquel
ils vivent entièrement, exécuté en toutes ses parties;
comme de leur part ils ont esté, sont et seront tous-
jours prests d'obéir à tout ce que ledict edict requiert
d'eulx, suivant l'intention de sa majesté, déclarée par
icelui , et ledict sieur roy de Navarre d'y tenir la main
envers eulx de tout son pouvoir.
A este aussi particulièrement ledict sieur de Clervant
saisi pour cesteffect des mémoires et cahiers , tant gene-
raulx que particuliers, des églises reformées, desquels,
là où besoing sera, fera apparoir à sa majesté; et au
reste adjoustera de la part dudict sieur roy, selon sa
prudence, tout ce qu'il verra appartenir à l'entière exe-
320 ' INSTRUCTION, etc.
ciition de la pacification suivant l'edict, laquelle lecîict
sieur roy affectionne singulièrement , comme très con-
forme à l'intention générale de sa majesté, testifiee par
tant de promesses et actions, et très nécessaire au désir
particulier qu'il a maintenant de soulager son povre
peuple, duquel le soulagement dépend principalement
de l'entretenement de la paix, et la paix, de l'exécution
sincère et entière de son edict.
LXIIL — CAHIER GENERAL
Adressé par M. Duplessis sur les Mémoires envoyés
au roj de Navarre par les églises de France , et
présenté au i^oj Henri III , par M. de Clervant.
Vos très humbles subjects de la relligion , sire, sont
honteux de représenter devant vostre majesté tant de
fois et depuis tant de temps, mesmes requestes et re-
monstrances, n'ignorans poinct qu elle aura juste oc-
casion de se sentir importunée de choses qu'elle a si
souvent ouïes et si souvent respondues, et, comme ils
s'asseurent, avec intention d'y pourvoir et d"y es*!re
obéi; mais elle leur permettra, s'il lui plaist, selon sa
debonnaireté accoustumee, de continuer leurs plaintes
puisque leurs douleurs continuent, et leur fera ceste
grâce de les ouïr à ce coup d'autant plus attentive-
ment, que le mal les presse de plus long temps, et
qu'avec le temps il pourroit , ce semble, s'endurcir et
s'opiniastrer contre le remède.
Ne représenteront toutesfois ici les maulx passés,
desquels la mémoire est comme effacée par les presens;
ni les médiocres du présent, desquels la douleur est
assoupie par les plus grands; ni pareillement les par-
CAHIER GENERAL, etc. 321
ticuliers , desquels le sentiment doibt estre englouti par
les generaulx, maux sans doubte qui redoubleroient
le mal principal qu'ils désirent esteindre , et feroient
peult estre désespérer du remède qu'ils cherchent vers
vostre majesté de tout leur cœur; mais se contente-
ront de découvrir en toute humilité à vostre majesté
les maulx presens, principaulx et generaulx, qui les
pressent, lesquels, pour la plus part, gisent en con-
travention et inexécution de vostre volonté , et pro-
cèdent, ou de l'impunité envieillie des infracteurs de
vos esdicts , ou de l'inexcusable nonchalance de ceulx
qui, pour le deu de leurs charges, en doibvent estre
exécuteurs; aulxquels maulx estant une fois remédié
espereroient vosdicts très humbles subjects que les aul-
tres plaies, ou moindres, ou de moindre estendue,
tariroient et cesseroient avec leurs causes, et pour le
moins ne pourroient longuement durer, n'estans plus
entretenues et fomentées de plus hault.
Remonstrent donc vosdicts très humbles subjects
que comme ainsi, soit que l'edict dont est question
soit faict de l'an iSyy, c'est à dire il y a tantost six
ans, et qu'en icelui il ait esté beaucoup r'abatu et rcT
tranché, comme chacung sçait, de ce qui auroit esté
accordé par l'edict de l'an iSyô, dont on leur auroit
faict espérer qu'il seroit plus soigneusement observé et
plus aisément exécuté; à peine toutesfois s'y trouvera
il article effectué comme il doibt, sinon en tant qu'il
a despendu de l'obéissance desdicts de la relligion ou
de Tinterest des catholiques romains, pour lesquels, en
partie, ledict edict s'estoit faict, nonobstant les confé-
rences tenues à Nerac et à Flex, pour l'esclaircisseraent
et establissement d'icelui , chose qui ne leur sera que
trop facile à prouver, en examinant tous les articles
Mém. de DuPLEssrs-MoHNAY. Tome ît. ai
322 CAHIER GENERAL
qui les touchent , qui concernei.t pour la pluspart la
liberté de leur relligion , la distribution de la justice et
les asseurances et seuretés.
Pour le regard de la liberté de ceulx de la relligion,
feul dict par le quatriesine article, tant de l'edict que
de la conférence de Flex , qu'ils pourroient demeurer
seurement par toutes les ville? et lieux du royaume
sans estre recherchés pour le faict deladicte relligion et
conscience. Au contraire, y a plusieurs villes notables
en ce royaume esquelles ils ne vouidroient souffrir ung
seul homme de la relligion, comme journellement se
voit à Thoulouse, Cahors, Casteinaudarri, etc.; et plu-
sieurs bonnes familles sont forcloses dans leurs maisons
par les catholiques, jusques à avoir tué ceulx qui ont
osé r'entrer, comme à Lauzerte en Quercy et en plu-
sieurs lieux de llouergue , oii ceste animosité dure
encores, nonobstant que M. le mareschal de Matignon
se soit transporté sur les lieux. Ce qui mesmes em-
pesche le cours de la justice , qu'ils ne peuvent aller
chercher seurement en plusieurs lieux; aussi est ce une
chose commune par toute la France de desnier es villes
où on ne presche poinct, l'habitation aulx ministres
contre cest article; ce qui se faict aussi es pays de la
protection du roy, comme à Mets, pays Messin, etc.
Feut dict par l'article 5 et 6 de l'edict, que les haults
justiciers, ou ayans fief de haubert, etc., auroient l'exer-
cice de la relligion pour tous ceulx qui y vouidroient
aller indifféremment; et sur ce que les procureurs ge-
neraulx, en fraude de la loi, auroient debateu à plu-
sieurs leur haulte justice, ou fief de haubert, pour les
exclurre de ce privdege ,feut adjousté es conférences de
Nerac et de Flex {^pourveu que lesdicts haults justiciers
(eussent en possession actuelle lors de la publication
DES EGLISES DE FRANCE. 323
de l'edict, et nonobstant que le procureur gênerai du
roj feust partie contreuLx). Au contraire, plusieurs
gentilshommes haults justiciers, nommeement en Beau-
joulois, Dauphiné et Provence, en sont empeschés ,
partie par inhibitions expresses du magistrat, et partie
par les troubles qu'on leur faict susciter par des par-
ticuliers; et le baron de Boudeville, pour son fief de
haubert d« la Rivière Bourdet, nonobstant que par
avant ne lui eust oncq esté debateu , n'a peu jouir du
bénéfice de l'edict, parce qu'on a voulleu par ce moyen
incommoder ceulx de la relligion de la ville de Rouen.
Ce qui pareillement se pratique à Mets , Thoul et
Verdun , pays de la protection du roy, où, pour tout,
ils n'ont qu'une seule maison de gentilhomme pour
le presche, nonobstant que plusieurs ayent droict de
r<ivoir, et en ayent faict instance, contre l'article exprès
des articles secrets. Qui plus est, on est passé si avant,
contre les mots exprès de l'edict , qu'on prétend que
les gentilshommes jouissans actuellement de haulte
justice, et sans contredict, ne peuvent toutesfois jouir
dudict bénéfice s'ils relèvent en hommage d'un sei-
gneur catholique , comme nommeement a esté pratiqué
en Provence contre le sieur d'Aiguller, relevant de
l'archevesque d'Aix, et contre le sieur de Salles, près
Grignan, relevant du comte de Grignan, à la requeste
mesmes de l'advocat du roy de Grignan, concleuant
a mesmes fins contre ledict sieur de Salles, et finale-
ment en sont veneus jusques à les empescher d'inso-
lence et de force.
Feut dict par l'article 7 de l'edict , confirmé par le
10 de la conférence de Flex, que l'exercice de la rel-
ligion seroit permis es villes et lieux où il estoit le 17
septembre i^']"]- Au contraire, l'exercice n'est encores
3^4 CAHIER GENERAL
remis en plusieurs lieux de ceste nature, comme l'isle
d'Albigeois, Montaignac, sonbs ombre qu'il ne se feit
pas audict Montaignac le propre jour de l'edict, etc.,
en Languedoc, Villeneuve d'Agenois , la Reolle , Peri-
gueux, etc., en Guyenne, nonobstant que la chambre
de Langriedoc soit , par la conférence de Nerac,arrestee
en ladicte ville de Tlsle, et que la chambre de Guyenne
réside à présent à Perigueux, et que la mesme chambre
ait réside long temps à Agen , comme aussi M. le
mareschal de Matignon a esté plusieurs fois audict lieu
de Villeneuve ; esquels lieux debvroit principalement
reluire l'exécution de l'edict, qui n'est pas la moindre
partie de la justice, et est la principale cause de leur
érection et veneue. Item , en Dauphiné , l'exercice de
la relligion a esté retranché à la ville de Queras et de
Bourgduisant , où il y a plusieurs paroisses et bourgs , et
interdict à ceulx de la Mure, du Bourg et du Moustier,
de Clermont, etc. Qui plus est, en plusieurs villes et
lieux de Provence a esté ledict exercice defendeu ,
partie par cri public, et partie par arrests provision-
nels, sans attendre preuve contre la teneur du susdict
article, nommeement à la ville et ressort deDraguignan,
en Provence , à Sigur , à Esguilles , à Auriol , etc. ; et par
ce moyen grand nombre de ceulx de la relligion en
demeurent privés.
Feut dict par l'article 8 qu'en chacung ancien bail-
liage , etc. (c'est à dire, comme exposent les articles
secrets, article 3 teneu pour tel du temps du feu roj
Henri)^ seroit ordonné une ville, s'il y en avoit plu-
sieurs, ou, en défaut de ville, ung bourg ou villaige pour
l'exercice de la relligion pour tous ceulx qui y voul-
droient aller. Et feut adjousté par la conférence de N^erac,
que ledict lieu seroit à la commodité de ceulx de ladicte
DÈS EGLISES DE FRANCE. 325
relligion ; et depuis, par celle de Flex, que lesdicts de
la relligion en nommeroient quattre ou cinq, desquels
sa majesté en choisiroit l'ung; et, s'il ne leur estoit
commode, leur en nommeroit, dedans ung mois après,
ung aultre, le plus à leur commodité que faire se
pourroit. Au contraire, se plaignent lesdicts de la rel-
ligion , qu'en plusieurs desdicts bailliages , seneschaus-
sees, etc., depuis ung si long temps il n'est encores
establi , comme nommeement en Provence , Champagne ,
Bourgongne, Bretaigne, Xaintonge, pays Messin, etc.
Que, l'ayant esté en quelques lieux, il en a esté depuis
excleus par défenses expresses, comme en Picardie et
Boulonnois , soubs ombre des frontières et de la cir-
constance du temps , comme si sa majesté avoit subjects
pour le regard de l'Espaignol moins à doubler que
ceulx là : que les gouverneurs les remettent au roy, le
roy aulx gouverneurs, dont avient qu'après tant de per-
tes passées, ils se consument encores en frais. Qu'après
tout, on leur nomme le plus incommode lieu de tout
le bailliage, ou esloigné , ou désert, ou dangereux,
contre les mots exprès desdictes conférences. A quoi ,
nonobstant diverses plaintes qui en auroient esté ci
devant faictes de diverses parts à sa majesté , n'auroit
encores esté pourveu.
Feut defendeu par l'article 1 1 de l'edict à tous pres-
cbeurs, lecteurs etaultresqui parlent en public d'user
d'aulcuns propos séditieux ; enjoint aulx officiers du roy
d'y tenir la main, et ce, suivant la conférence de Flex,
sur peine d'en respondre en leurs propres et privés
noms , et estre privés de leurs estats sans jamais y
pouvoir estre remis. Au contraire, la voix commune
desdicts prescheurs est par tout , que le temps de l'ex-
tirpation totale desdicts de la relligion approche , soubs
326 CAHIER GENERAL
ombre que le temps de la remise des places est prochain.
Et par ainsi rendent les catholiques, en tant qu'en eulx
est, animés à mal faire, et emplissent de défiance les-
dicts de la relligion. N'espargnent aussi en leurs inso-
lens propos les princes, qui ont cest honneur d'appar-
tenir à vostre majesté, les denigrans en tout ce qu'ils
peuvent devant le peuple; qui pis est , ont esté aulcuns
d'eulx si oultrecuidés en presche public, aux oreilles
de vostre court et mesmes de vostre majesté, de tenir
propos sanguinaires, jusquesà célébrer et hault louer
les meurtres et massacres, donner espoir de nouveaux,
et y encourager les assistans comme à ung sainct sacri-
fice. Le tout sans que jusques ici aulcune punition
ou reprehension leur en ait esté faicte. Comme ainsi
soit toutesfois qu'aulcuns d'eulx en ce mesme temps,
pour paroles légères et de moins d'importance, non
toutesfois dictes devant vostre majesté , feurent pris ,
bannis de la chaire, et en peine de leur vie.
Feut dict par l'article i5 que, pour le regard de la
relligion, ne seroit faicte distinction à recevoir les esco-
liers es universités, collèges, escoles, etc., ni les ma-
lades es hospitaux, etc. Au contraire, c'est une plainte
générale qu'es collèges on ne veult recevoir aulcuns
regens , ni précepteurs de la relligion , encores qu'il ne
soit question que des lettres humaines. Que les esco-
liers mesmes n'y sont en liberté de conscience , nom-
meement aux collèges d'ancienne fondation , comme
celui de Foix , fondé par les prédécesseurs du roy de
Navarre à Thoulouse, où ceulx de la relligion sont
contrains de céder leur place aux catholiques, d'autant
qu'ils n'y sont soufferts. Qu'es villes espiscopales, où
par les estats d'Orléans ont esté destinées certaines
prébendes pour l'institution de la jeunesse, on ne voul-
DES EGLISES DE FRANCE. 327
droit pas seulement recevoir ung soubs précepteur
d'aultre relligion que de la catholique romaine , mesmes
pour enseigner les basses lettres. Comme ainsi soit
toutesfois que lesdicts biens ne soient moins procédés
de maisons de ceulx de ladicte relligion que des aultres,
et ayent esté affectés par les susdicts estais à ce bon
usacre en considération de tous les deux indifféremment.
Bref, pour empescher lesdicts escoliers d'estre gradués
en leurs professions , c'est à dire de parvenir aux charges
et dignités qui s'en ensuivent, en fraude de l'article 19
de l'edict , par lequel ils en sont indifféremment dé-
clarés capables, ils les assujettissent es universités à
certaines cérémonies répugnantes à leurs consciences,
comme nommeement ne les veullent examiner en quel-
ques lieux , qu'au devant de l'autel à genoux , et à la
fin de la messe , contre les mots exprès de l'article 1 7.
Feut dict par icelui article 17 de ledict, que ceulx
de la relligion ne seroient teneus de prendre dispense
de serment par eulx preste en passant les contracts
et obligations; comme en gênerai par la conférence de
Flex, article 4, qu'ils ne seroient subjects à aulcung
acte extérieur contre leur conscience. Au contraire, se
pratique en divers lieux, nommeement en Lionnois ,
Dauphiné et Provence , de ne sceller les lettres de res-
cision et aultres semblables poursuivies par les sup-
plians, s'ils ne mettent clause d'obtenir dispense de
leurs sermens des prélats ecclésiastiques , pour forcer
par ce moyen leurs consciences, ou bien les forclorre
du bénéfice desdictes lettres.
Feut dict par l'article 19, que tous d'une et d'aultre
relligion seroient pourveus et mainteneus indifferem-'
ment en toutes charges et dignités, admis et receus en
tous conseils et délibérations, etc.. sans estre adstrains
328 CAHIER GENERAL
à aultre serment , ni obligation que de bien exercet
leurs charges. A quoi adjousta pour exposition la con-
férence de Nerac, que le mesme s'observeroit es assem-
blées générales des communautés et villes. Au contraire
se sçait assés sans aultre preuve, que depuis six ans
que Tedict est faict , n'a presque esté admis aulcun de
la relligion en aulcune charge d'importance en tout ce
royaume , encores que, grâces à Dieu , il y en ait d'assés
capables; que ce peu qui y est entré, y a rencontré
tant de refus , de frais , de fascheries , de dangers ,
premier que d'en venir à bout , nonobstant les itéra-
tives jussions de vostre majesté , que les aultres ont esté
comme rebutés d'y prétendre. Que ceulx que les trou-
bles en avoient destitués, ont eu grand peine à se faire
restituer en leurs places, et plusieurs encores ne le sont.
Que , jusques aulx moindres villes, ceulx de la relligion
sont forclos des moindres estais et de la cofrnoissance
et administration des affaires communs dont advient
que ceulx de la relligion sont surchargés; et mesmes
des élections et délibérations des maisons des villes,
dont advient que toutes les charges de main en main
passent es mains des catholiques. Mais, qui pis est, et
c'est d'où vient le mal, se pratique mesmes en quelques
parlemens de n'admettre aulcun en charge, s'il n'a
abjuré la relligion reformée et faict serment de la ca-
tholique romaine. Nommeementmaisl re Jean delà Coste,
ayant esté pourveu de Testât de lieutenant particulier
à Montpellier, a esté promené qualtre ans en la court
de parlement de Thoulouse sans pouvoir estre receu,
en haine seule de la relligion. Depuis, estant rebuté
des longues poursuites , resigna son estât à maistre
Valescure de Sauvé, auquel, après quelque longueur,
a esté respondeu expressément qu'il n'y sera jamais
DES EGLISES DE FRANCE. Ssg
receu sans abjuration de ladicte relligion, et profes-
sion de la catholique romaine. Item , ceste mesme court,
ne reçoit mesmes les catholiques, s'ils ne font serment
de n'estre jamais de la relligion, et ne consentent, en
cas de changement, que leurs estats seront vacans et
impetrables. Ce qui s'est pratiqué à l'endroit de
Rosel , lieutenant principal en la seneschaussee de
Nismes ; de maistre de Roux, conseiller au siège pre-
sidial dudict lieu et aultres. Bref, jusques là a passé la
haine, <^ue les commissaires députés pour pourvoir aux
offices de notaires , sergens royaulx et aultres pareils ,
mettent en leurs provisions une clause expresse, qu'il
sera informé si les pourveus sont de la relligion ca-
tholique romaine; monstrans par là le désir et le but.
qu'ils ont d'anéantir et avilir ceulx de ladicte relligion
reformée, et les retrancher, en tant qu'en eulxest, de
tout le corps de Testât.
Feut dict article 20 de l'edict , qu'il leur seroit
pourveu promptement en chacung lieu par les officiers
et magistrats, d'une place la plus commode que faire
se pourroit, pour l'enterrement de leurs morts; à quoi
adjousta la conférence de Flex, à cause des remises et
longueurs dont on y usoit, qu'il y seroit pourveu de-
dans quinze jours après la réquisition, à peine aulxdicts
officiers et magistrats de cinq cens escus en leurs pro-
pres et privés noms. Au contraire , l'exécution de cest
article est jusques à présent desniee presque par toute
la France , dont se sont ensuivis plusieurs actes inhu-
mains , scandaleux et horribles à ouïr, et pensent les
officiers estre absoubs de leurs charges quand on leur
allègue que les fonds sont mouvans d'ung catholique,
ecclésiastique ou communauté , contre l'iwtention ma-
nifeste de l'edict. Mesmes les juges ecclésiastiques n'ont
o3o CAHIER GENERAL
eu honte de les persécuter jusques soubs terre, pro-
nonçans sentence en plusieurs endroicts (comme vostre
majesté a souvent esté importunée de ceste plainte) que
les corps seroient defouis des cimetières où ils gisoient,
comme ils ont esté de faict , estans jà demi pourris.
Or est il que , lors que ledict edict feut basti , ceulx
de la relligion , qui avoient esté diversement exercés
par les precedens, prevoyoient assés ces inexécutions,
à quoi auroient tasché de pourvoir en quelque façon ,
tant par divers sermens des principaulx officiers de
vostre couronne , parlemens , sièges , gouverneurs des
provinces , magistrats des villes , etc. , adjoustés à icelui ,
que principalement par une égale distribution de jus-
tice, pour laquelle obtenir ils auroient requis de vostre
majesté des juges moins passionnés et partiaux. Et à
ceste fin,
Feut dict, par l'article 21 , 22, ^3, ^4 de l'edict ,
exposé par le 5 , 6 et 7 de la conférence de Nerac , et
II, 12 , i3 de Flex , que certaines chambres seroient
érigées en tous les parlemens , pour la oognoissance
des faicts esqu.els ceulx de ladicte relligion seroient in-
téressés, avec les catholiques romains, le tout pour
éviter haine et faveur. Et qu'icelles jugeroient en der-
nier ressort , comme les courts souveraines ; et qu'à
toutes aultres seroit defendeu, sur peine de nullité,
despens , dommages et interests des parties, de juger
desdicts cas, sinon de leur consentement. Au contraire,
depuis ledict temps, aulcunes desdictes chambres ne sont
encQres érigées, comme es parlemens de Rouen, Aix,
Rennes, etc., quelque instance qu'on ait peu faire,
dont s'ensuit un notable reculement de justice pour
les susdicts , desquels les plaintes seroient trop longues
à reciter. Item, l.\ où elles ont esté érigées, comme à
DES EGLISES DE FRANCE. ^^3r
Bordeaux, à Grenoble, à Dijon, etc. , on débat à tous
propos la jurisdiction desdictes chambres, on les re-
tranche, en tant qu'on peult , du corps desdictes courts;
on dénie aulx presidens la séance qui leur est deue selon
leur dignité; on ne tient séance à jours et heures or-
dinaires, dont les parties sont teneues en longueur de
justice; on ne leur donne assignation de leurs gages,
comme aulx aultres ; on leur oste la cognoissance des
causes des communautés et du domaine, comme s'elles
faisoient corps à part. Le tout contre les termes exprès
de l'edict et des conférences , pour rabaisser et anéantir
l'auctorité et puissance desdicts juges, et par consé-
quent de leurs jugemens; qui plus est, pour frustrer
lesdicts de la relligion du fruict qu'ils en auroient espéré,
ne laissent souvent lesdictes courts , nonobstant la dé-
fense à eulx faicte, de procéder criminellement contre
eulx; et, sans déférer à leurs demandes de renvoi, en
précipitent l'exécution; décernent, pour les intimider,
sur la moindre plainte, prise de corps, afin qu'ils fas-
sent difficulté de se représenter aulx chambres de
l'edict en mesme estât; jugent de l'interprétation des
edicts et des causes qui en dépendent , contre l'expresse
teneur d'iceulx, et trouvent en somme journellement
nouvelles inventions, pour les priver du bénéfice qu'ils
pensoient leur estre acquis de la bonté et bénignité
de vostre majesté, par vostre edict. Mais spécialement
ont vos très humbles subjects à se douloir de la court
de parlement de Thoulouse, laquelle, après avoir différé
jusques à ceste année, soubs divers prétextes, l'establis-
sement de la chambre de l'Isle, pour le Languedoc,
maintenant que, par les jussions tant de fois réitérées de
vostre majesté, elle se voit au bout de ses tergiversa-
tions, a mis sus des pratiques par lesquelles ladicte
33-2 CAHIER GENERAL
chambre se voit premier abattue qu'erigee. Car, comme
ainsi soit que, selon la teneur de vostre edict , elle
doibve juger civilement et criminellement toutes les
causes esquelles ceulx de la relligion ontinterest, pri-
vativement à toutes aultres , les presidens et conseil-
lers catholiques, au contraire (selon une conclusion
qu'ils ont prise avec ceulx du parlement de Thoulouse),
pour frustrer ceulx de la relligion de la réparation
qu'ils prétendent des meurtres et excès commis contre
eulx et les leurs , se prononcent et déclarent tous d'une
voix juges incompetens, et renvoient les procès en
ladicte court, disant qu'esdicts procès criminels le
procureur du roy est principale partie , auquel appar-
tient la réquisition et conclusion de ladicte réparation
pour le regard du criminel; et que quant au civil ,
que ce n'est qu'un accessoire qui doibt suivre le prin-
cipal ; tantost, que, selon la règle du droict, qui tou-
tesfois doibt céder à la loi de Testât, le demandeur
doibt suivre la jurisdiction du défendeur. Dont s'ensuit
un partage desdicts procès, et par conséquent une ac-
croche de la justice, et une impunité de tous maléfices;
tellement que ladicte chambre sert à les continuer,
qui auroit esté, selon l'intention de vostre majesté,
érigée pour les esteindre. Item , après les provisions
ordonnées par ladicte chambre , renvoient les parties à
Thoulouse , pour les y faire sceller, ori plusieurs de ladicte
relligion , pour l'humeur assez cogneue de ladicte ville ,
n'osent aller, et nul ne peult obtenir expédition. Comme
ainsi soit qu'il est dict par la conférence de Nerac, que
les expéditions de chancellerie desdictes chambres se
feroient sur les lieux, en présence de deux conseillers
d'icelles,rung catholique, et l'aultre delà relligion ; et
qu'en l'absence d'ung des maistres des rcquestes de
DES EGLISES DE FRAIS CE. 333
l'hostel de vostre majesté , l'ung des notaires et secré-
taires desdictes courts de parlement y feroit résidence,
ou bien l'une des secrétaires ordinaires de la cliancel-
o
lerie, pour en signer les expéditions. Item, pour im-
mortaliser les procès desdicts de la relligion, et les con-
sommer en frais, a faict ladicte court défense à tous
huissiers et sergens faire exploict des provisions d'icelle
chambre sans précédente permission d'icelle , contre
l'intention de vostre majesté , déclarée en la conférence
deNerac; qu'oultre les huissiers catholiques desdictes
chambres qui seroient pris des parlemens , seroient éri-
gés deux huissiers, comme aussi deux sergens en cha-
cune , faisant profession de ladicte relligion. Et par
ainsi demeure la jurisdiction de ladicte chambre , non
seulement ebranchee, mais comme arrachée du tout.
Premièrement , par la protestation d'incompétence ; se-
condement, ou icelle n'a lieu par le refus des provi-
sions, et tiercement, quand ce refus est surmonté par
importunité, par la défense des exécutions. Et cepen-
dant ne laisse , ladicte chambre, contre les mots exprès
de l'edict et des conférences, de s'attribuer jurisdiction
es causes desdicts de la relligion, tant civiles que cri-
minelles , et en celles mesmes desquelles la cognoissance
leur est particulièrement interdicte , et qu'il avoit pieu à
vostre majesté évoquer premièrement à soi , et depuis,
à vostre chambre de Guyenne; comme nommeeinent
le massacre adveneu h Gimont en Armaignac , depuis la
conférence de Flex, i58i , en janvier, défendant d'en
poursuivre la justice ailleurs que par devers eulx ,
comme s'ils prenoient plaisir à faire tout le contraire
de vostre volonté, qui de telles choses avoit attribué
la cognoissance à ceulx qui tiennent vos chambres de
l'edict^ primativement à tous aultres.
334 CAHIER GENERAL
Feut dict, article 'iS de l'edict , que les prevosts des
mareschaulx , vibaillifs, viseneschaulx, etc., jugeroient
les vagabonds, suivant les ordonnances; et quant aulx
domiciliés, chargés de cas prevostaux, s'ils estoient de
ladicte relligion, qu'ils pouvoient requérir que trois
des juges presidiaux où lesdicts cas se debvroient juger,
s'absteinssent du jugement, sans exception de cause, etc.
Et, au reste, qu'en vertu de ce, ne pourroient prendre
cognoissance des faicts des troubles, estant iceulx, par
l'edict et conférence, renvoyés aux susdictes chambres.
A quoi feut depuis adjousté par la conférence de Ne-
rac, eu esgard que l'inslruction estoit l'ame du procès,
et que les inslruisans estoient plus que demi juges,
que les susdicts seroient teneus d'appeller à l'instruction
desdicts procès ung adjoint de ladicte relligion, lequel
assistast tant au jugement de la compétence qu'au dé-
finitif du procès, etc. Au contraire, lesdicts prevosts,
vibaillifs et viseneschaulx déclarent et tiennent en plu-
sieurs lieux vagabonds tous ceulx de ladicte relligion
que le mauvais traictement des catholiques chasse ou
exclut de leurs maisons. Et quant aux domiciliés, ren-
dent prevostables tous ceulx, de quelque qualité qu'ils
soient, qui se sont meslés des troubles, desquels toutes-
fois toute cognoissance leur est ostee. Bref, tant s'en
faidt que le règlement de vostre majesté soit suivi pour
l'instruction et jugement des susdicts procès ; qu'il se
vérifiera par exemples particuliers , dont les cahiers des
provinces sont chargés, que les prevosts en ont tué plu-
sieurs tout à la chaulde, et en ont faict estrangler mesmes
dedans les prisons. Comme ainsi soit , au contraire, que ,
pour prendre les catholiques, quelques maulxqu'ilsayent
commis, quelques jugemeas et décrets qu'il y ait eu
contre eulx , mesmes en pleine rue , e\ au miheu des
DES EGLISES DE FRANCE. 335
villes et des palais où ils se promènent , ils ne trou-
vent poinct de mains.
C'est la source et l'amorce, sire, qui a produict et
qui nourrit encores à présent tant de meurtres, excès,
assassinats et brigandages de part et d'aultre, en divers
lieux de ce royaume, lesquels il seroit trop long de
vous raconter en particulier, et dont les plaintes font
souvent horreur à vostre majesté, se persuadant les
ungs , que, veu l'impunité, tout crime leur est permis;
les aultres, que, veu le refus de justice, toute espèce
de vengeance leur est loisible. Et vostre majesté auroit
coupé le cours à l'ung et à l'aultre mal, en faisant exac-
tement entretenir ses edicts et conférences.
Feut dict , par l'article 26 de l'edict , 3^ de la con-
férence de Flex, et 35 des articles secrets, que le roy^
de Navarre et monsieur le prince de Condé et auJ-
tres, etc., jouiroient effectuellement de leurs gouver-
nemens,pour en user en la mesme forme et manière
que les aultres gouverneurs, etc. En quoi ont tousjours
estimé vos très humbles et très obeissans subjects de la
relligion que consisteroit partie de leur seureté , d'au-
tant qu'icelle gist principalement en vostre bienveil-
lance, de laquelle ils auroient ung tesmoignage en là
démonstration qu'il vous en plairoit faire à l'endroict
de ceulx de vostre sang, qui, par la grâce de Dieu,
font mesme profession qu'eulx. Au contraire, leur sera
permis de dire à vostre majesté, qu'en tous ces six ans
qui sont proches d'expirer, leur condition n'est en rien
amendée ; que le roy de Navarre n'a aulcune auctorité
en son gouvernement, ni amirauté de Guyenne, quel-
que démonstration qu'il ait tasché faire de son affec-
tion envers vostre service; qu'il n'y eut oncq lieutenant
de gouverneur qui en eust moins ; qu'on la lui a
336 CAHIER GENERAL
retranchée en tant qu'on a peu, jusques à ne lui adres-
ser jamais aulcung commandement, et rarement quelque
despesche , ou mesmes nouvelle de vostre part, bien
moins qu'au moindre capitaine de place de toute la
Guyenne. Et quant à monseigneur le prince , cju'il n'a
pas en tout son gouvernement de Picardie où asseoir
seurement le pied ; qu'en lieu de lui remettre, on lui a
souvent parlé de le vendre pour le donner ailleurs;
qu'il est tousjoursreduitàSainct Jean d'Angely, loing de
sondict gouvernement , et mesmes de toutes ses mai-
sons; comme ainsi soit toutesfois que ladicte place ne
lui ait esté baillée (comme parlent nommeement les
articles secrets ) qu'en attendant qu'il peust effectuelle-
lement jouir de sondict gouvernement de Picardie. Cho-
ses qui font penser à vosdicts très humbles subjects
de la relligion, que vostre bonne grâce ne leur est pas
encores rendeue, ne la voyant poinct luire en tels en-
droicts qui ont cest honneur de vous appartenir de si
près; et, au contraire, animent leurs adversaires à leur
mal faire, estimant qu'il leur est loisible, à l'endroict
de ceulx auxquels, ce leur semble, il ne vous ait en-
cores pieu demonstrer assez évidemment vostre bonne
volonté.
Feut dict pour la seureté et sauvegarde de chacung
en particulier par l'article ^o et 4 i de l'edict, amplifié
par le 55, que les actes commandés par les chefs d'une
part et d'aultre , selon les reglemens, demeureroient
esteins , et seroient ceulx seulement poursuivis, qui
auroient esté faicts contre iceulx reglemens, soit parti-
culiers, soit publics. Et parce que la rigueur dudict ar-
ticle eust mis tout homme de guerre en peine, dont eust
peu advenir renouvellement de trouble de part et
d'aultre, feut adjousté es articles secrets, article 44?
DES EGLISES DE FRANCE. 33 7
que de ceste générale abolition seroient seulement
exceptés les cas exécrables , comme ravissemens et for-
cemens de femmes et filles, bruslemens, meurtres et
violences faictes par prodition, et pour vengeances
particulières , infractions de passeports et sauvegardes
avec meurtre et pillage et sans commandement, etc.
Ce qui avoit esté aussi inféré depuis es conférences de
Nerac et de Flex. Au contraire , sont journellement
lesdicts de la relligion inquiétés, adjournés et pour-
suivis par décrets de prise de corps pour faicts nue-
ment militaires, et par conséquent exceptés, comme
levées de contributions, rançons, administrations de
biens ecclésiastiques, etc. Plusieurs aussi saisis et con-
damnés pour mesmes faicts , nonobstant adveu qu'ils
en puissent avoir de leurs cbefs et mesmes du roy de
Navarre , comme il sera aisé de vérifier par infinies
particularités. Et de là advient qu'il n'y a presque
homme de guerre qui ne soit en peine, et que les mal-
avisés quelquesfois, ne trouvans seureté en l'exécution
de l'edict , la cherchent en la contravention d'icelui ,
contre l'intention de vostre majesté, qui a esté de cou-
per la racine à toutes rencheutes , et au grand regret
de tous ceulx de ladicte relligion, qui ne craignent
rien plus que d'y retourner; comme ainsi soit toutesfois
que, de plusieurs actes exécrables tant exclus de l'edict,
que perpétrés depuis l'edict , se sont obtenues grâces,
remissions et abolitions, contre la protestation expresse,
qu'il auroit pieu à vostre majesté en faire en vostre
edict; et, qui plus est, d'aultres de pareille nature les
coupables ne la daignent pas mesmes demander, parce
qu il ne s'en faict aulcune poursuite, encores qu'on les
voie tous les jours en lieux publics.
Feut dictpar l'article 49 de vostre edict, que toutes
MÉxir. UE Drpi.Essis-MoR\AY. Tome ir. 2 2
338 CAHIER GENERAL
places, villes et provinces , etc., useroient et jouiroient
de mesmes privilèges, immunités, libertés, etc. , jurisdic-
tions et sièges de justice, que paravant les troubles,
nonobstant toutes lettres et translations à ce contraires;
et, par exprès, adjousté en l'article g de la conférence,
que les justices de Montauban, Montpellier, Nismes, etc.,
seroient restablies. Au contraire, on énerve tous les
jours, en tout ce qu'on peult , les sièges presidiaux assis
es villes, qui ont faict profession de ladicte relligion;
et le bureau des trésoriers generaulx de France , et la
recepte générale , qui souloient estre de tout temps à
Montpellier, ont esté transportés à Narbonne ; et tout
fraischement du ressort du senescbal , et siège presi-
dial de Nismes, a esté démembré le diocèse de Mende,
qui faisoit une troisiesme partie dudict ressort , tant
pour gratifier le sieur de Sainct Vidal , senescbal de
Mende, que pour flestrir (comme on interprète com-
munément) la ville de Nismes, pour avoir persisté, non-
obstant toutes adversités, en ladicte relligion. Oultre
ce que, par mesme moyen, et pour mesme cause, est
ostee à la ville de Marvejols la jurisdiction royale qui
de tout temps y souloit estre, à scavoir exercée alter-
nativement par le pays de Gevoudan par ung baillif
esleu du roy à Marvejols , et par ung esleu de par
Tevesque de Mende. Mesmes on pratique encores de
retrancher le Vivaretz dudict siège de Nismes , sçachant
bien que c'est la ruyne de la ville , qui ne se maintient
que de là , n'estant ni port de mer , ni passage de mar-
chandise ni de rivière. Comme aussi , contre le sens
de l'article 5o, a esté démantelée la ville de Livron eu
Dauphlné depuis la paix; et, contre le texte exprès,
sont troublés les povres gens qui se veullent raccom-
moder à Yssoire ; au lieu que vostre majesté entend que
DES EGLISES DE FRANCE. 339
toutes ruynes et demantellemens puissent estre redifîés.
Feut dict par l'article Bg de l'edict , que ceulx de la
relligion seroient tenus vuider toutes garnisons des
villes, places, chasteaux et maisons qu'ils tenoient ;
et par le 6i , qu'en ce faisant n'y seroient mises aul-
cunes garnisons, ni gouverneurs, sinon qu'il y en eust
de tout temps , et mesmes du règne du roy Henri ; et que
de toutes aultres de ceste nature les garnisons, capitaines
etgouverneursvuideroient incontinent, ce qui feut aussi
répété es conférences. Et du devoir qu'ont faict ceulx
de la relligion en l'exécution de ces articles, appert as-
sés, sans repeter de plus hault, par ce qui est ensuivi
depuis la conférence de Flex i58o, nonobstant les
traverses qu'ils auroient rencontrées par les défiances
que les contraventions faisoient journellement naistre ,
qu'il n'est besoing de repeter ici plus au long. Tant y
a, que tout soudainement après la paix, selon qu'es-
toit porté par l'article 29 de ladicte conférence, le roy
de Navarre remit es mains de monseigneur les villes de
Mende , Cahors , Sainct Million et Montagu , des-
quelles on cognoist assés l'importance. Item , non-
obstant qu'il feust dict qu'immédiatement après icelles
remises, mondict seigneur feroit remettre audict sei-
gneur roy ses maisons , villes et chasteaux entre les
mains, et que mondict seigneur s'en feust allé es Pays
Bas sans y avoir donné ordre , et qu'en trois ans qui
sont coulés depuis n'y ait encores esté satisfait , comme
il se voit par la ville du Mont de Marsan , qui abeuse
encores opiniastrement de ces longueurs contre lui • si
ne feit difficulté ledict seigneur roy de poursuivre en
l'exécution du surplus , ni ceulx de la relligion d'obéir,
comme il se vit par tout. De faict, les sieurs de Cler-
vant et du Pin , envoyés par l'advis de M. le mares-
J4o CAHIER GENERAL
chai de Matignon, et de M. de Bellievre , et subrogés
par M. de Montmorency , en Languedoc , remirent
tous les catholiques et ecclésiastiques en leurs maisons
et biens , restablirent l'exercice de la relligion romaine
en lieux où il n'avoit esté de trente ans; reduirent
plus de quarante places tenues par ceulx de la relli-
gion , qui eussent cousté plus d'ung million à avoir
par force , entre lesquelles y en avoit une douzaine
d'imprenables , pour estre fortes tant d'art que de
nature , et bien munies de toutes choses ; démantelè-
rent et rompirent les places, citadelles et chasteaux
qui le debvoient estre par l'edict, et en somme ne lais-
sèrent tant au hault que bas Languedoc , que bien peu
de plaintes derrière eulx. Le mesme feirent aussi les
sieurs de Chastillon en Auvergne et divers lieux de
Languedoc; d'Andelot en Givoudan , et le sieur de la
Meausse en Vivaretz ; le tout aulx despens du roy de
Navarre , ou aulx leurs , et par les moyens et forces de
ceulx de la relligion. Item , nonobstant la surprise de
Perigueux , ville baillée pour asseurance de ceulx de la
relligion, qui les pouvoit mettre en alarme, pour le
moins servir de juste excuse, veu mesmes que les cin-
quante mille escus qui auroient esté promis au lieu
d'icelle , n'estoient et ne sont encores payés , n'ont laissé
lesdicts de la relligion, induis par le roy de Navarre,
de remettre en Testât porté par l'edict, la ville du Mur
de Barrais , et depuis celle de Bazas en Guyenne, et en
démolir la citadelle (i). Tellement qu'i4 n'y a aujour-
(i) Comme ce cahier se dressoit, le 3 aoust a esté surprise la
ville d'Aleth , avec plusieurs excès , en Languedoc , par le ma •
leschal de Joyeuse et les siens , soubs ombre d'y rentrer comme
..ienuc.
DES EGLISES DE FRANCE. 34 1
d'hiii lieu en toute la province, auquel on se puisse
plaindre d'inexécution pour ce regard. Au contraire ,
contre ce qui auroit esté promis par ledict 6i article,
garnisons et gouverneurs ont esté mis en plusieurs
places depuis qu'elles ont esté remises, et citadelles en
quelques unes basties contre les mots exprès de l'edict ,
comme, en Guyenne , à Agen , Caliors, Villeneuve d'A-
génois, villes principales, etc.; en Languedoc, à Ville-
neuve de la Cremade, Mende , Sainct André, etc ; en
Dauphiné, à Die , Gap , etc. Pareillement ont esté rete-
nues et basties, partie garnisons et partie citadelles, en
plusieurs aultres, esquelles , du temps du roy Henri , n'y
en avoit , comme à'Xainctcs, Cognac, Florence,
Montfort , Villeneuve d'Agenois , en Guyenne ; à Alby ,
Lavor, Lodeve, Nonnay , Clermont , Florensac et in-
finies aultres en Languedoc ; à Valence , Amhrun,
Grenoble, etc. en Dauphiné. Et mesmes en plusieurs
villes dedans le milieu du royaume , auxquelles , jus-
ques ici, depuis tant de temps n'a peu estrc donné aul-
cim ordre , tant s'en fault qu'ils ayent procédé à la
démolition deue des places y adjugée par la conférence,
s'estans contentés par tout d'abattre quelques guarites
en certaines maisons rurales , et encores après plu-
sieurs importunités et longueurs, comme les procès
verbaux des commissaires mesmes de vostre majesté
feront pleine foi.
Et parce que feut considéré par vostre majesté en
bastissant ledict edict, que plusieurs particuliers au-
roient receu et souffert, durant les troubles, tant d'in-
jures et dommages en leurs biens et personnes , que
difficilement ils en eussent peu si tost perdre la mé-
moire, comme eust esté requis pour l'exécution de
l'intention de vostre majesté, sur quoi il vous auroit
342 CAHIER GENERAL
pieu , attendant que les rancunes et inimitiés feussent
adoucies, bailler à vosdicts subjectsde larelligion liuict
places en garde pour le terme de six ans, au bout du-
quel terme debvroient lesdictes places estre remises es
mains de vostre majesté , ou de tel que bon lui semble-
roit , l'exercice de la relligion y demeurant neantmoins
tousjours,, et icelle sans garnison; vous remonstrent
très humblement vos très humbles subjects, qu'ils ont
sur cest article grandement à se douloir. Car il estoit
defendeu, sur peine aulx entrepreneurs d'estre punis
comme infracteurs de l'edict, d'entreprendre sur icelles,
comme aussi sur toutes les aultres qui auroient esté
remises ; et du contraire il ne s'est passé année que
plusieurs entreprinses ne se soyent vérifiées, mesmes
par l'exécution, sans que punition s'en soit ensuivie.
Qui plus est , Perigueux et la Reolle en Guyenne ont
esté surprises; et, au lieu d'en chastier les aucteurs et
exécuteurs , ils commandent aujourd'hui aulxdictes
villes; tant s'en fault que, suivant l'article aS de la
conférence, ils ayent esté déclarés infâmes, et inha-
biles à tous honneurs, et subjects aulx peines qu'en-
courent ceulx qui sont crimineux de leze majesté en
premier chef. Bref, garnison y est aujourd'hui, qui y
trouble le cours de la justice; et l'exercice de la relli-
gion en est excleu , nonobstant que ladicte chambre
de justice ait résidé en ladicte ville de Perigueux , qui
estoit une commodité tant pour faire exemple des en-
trepreneurs ( desquels la poursuite nommeement estoit
réservée ) que pour y faire obéir l'intention de vos
edicts, encores que, quand ladicte ville eust esté remise
au temps prcfix, la relligion y pouvoit demeurer, et la
garnison en debvoit sortir selon la teneur de vos edicts
et conférences.
DES EGLISES DE FRANCE. 343
Ce sont les très humbles remonstrances et très grieves
doléances de vos très obeissans subjects de la relligion,
sire, fondées sur les contraventions et inexécutions de
vos edicts et conférences, et qui gisent pour la plus-
part en l'exercice de leur relligion, en la distribution
de la justice, et en i'asseurance et protection, qu'il au-
roit pieu à votre majesté leur promettre contre l'ani-
mositë de leurs adversaires. Tous poincts, sans la jouis-
sance desquels leur vie et condition ne peult estre au
jugement de chacung que très misérable. Et se peult
souvenir vostre majesté que telles et semblables lui ont
esté faictes long temps a ; comme aussi auroient les-
dicts supplians grandement à se louer des jussions et
provisions qu'il auroit pieu à vostre majesté leur faire
expédier là dessus, si elles avoient esté obeies de pa-
reille affection , qu'ils s'asseurent qu'elles leur estoient
ottroyees. Mais peuvent dire en toute vérité, que vostre
intention a esté très mal secondée en cest endroict par
la plus part de vos officiers, lesquels pensent avoir faict
ung grand service quand ils ont trouvé quelque inven-
tion de chicaner quelque clause de vostre edict, ou en
dilaier l'exécution pour travailler vosdicts subjects. Et
de faict, tant s'en fault que ce qui auroit esté dict
en la conférence de Nerac ait eu lieu, à sçavoir, que
l'exécution de l'edict se commenceroit incontinent, et
se continueroit sans interruption, et que les infractions
qui s'en feroient, seroient incontinent réparées, et cor-
rection des coulpables exemplairement faicte, et exé-
cutée à la diligence de vostre majesté, au plus tard
dedans ung mois. Qu'au contraire, en tous ces six ans,
en dedans lesquels vostre majesté se promettoit une
entière exécution de son intention , vosdicts subjects
n'en ont peu encores avoir raison, et de dix mille punis-
344 CAHIER GEr^ER AL, etc. ^
sables, n'en ont encores peu voir un seul puni. Bref, s'en
retrouvent tous les jours à recommencer par la conni-
vence et dissimulation de plusieurs de vos of6ciers ,
nonobstant les provisions et jussions de vostre majesté ;
qui les faict très humblement la supplier, sire, d'y user,
après ung si long temps, de vostre royale huclorité, en
la circonstance oii ils se trouvent maintenant; et en
telle sorte qu'à leurs dictes remonstrances soit effec-
tuellement pourveu d'un prompt et salutaire remède,
ou pour mieulx dire, que celui qui y est ordonné par
vos edicts et conférences, y soit à bon escient appliqué,
à ce qu'iceulx , retrouvans une pleine asseurance de
leurs biens, vies et consciences en l'auctorité bien obeie
de vostre majesté contre les animosités, vengeances et
attentats des desobeissans, puissent plus gaiement re-
noncer à toutes aultres seuretés, et accomplir, sans ob-
stacle et traverse aulcune, tout ce que vostre majesté
peult requérir, selon sa doulceur et bénignité, de vos
très obeissans et très loyaulx subjects, comme ils ont
faict jusques ici , et seront prests et résolus de faire ci
après de tout leur coeur, moyen et pouvoir.
LXIV. — JUSTIFICATION
Des actions du roj de Navarre, depuis Van i58o.
Ce n'est l'intention du roy de Navarre de ramente-
voir ici les services des roys ses prédécesseurs envers
ceste couronne, aux mérites desquels il pourroit juste-
ment participer comme aux pertes; ni ses deporlemens
depuis qu'il est sorti de la court pour se rapprocher
de ses biens et pays, par lesquels il apparoistra qu'il
n'a jamais tendu à aultre bien qu'à celui qui lui est com-
JUSTIFICATION DES ACTIONS, etc. 345
iniin avec toute la France, à sçavoir une bonne et né-
cessaire paix.
Mais il lui suffira , pour ne repeter de plus liault, de
rapporter en peu de mots ce qui s'est passé depuis la
conférence de Flex, j58o, lorsqu'il pleut au roy, par
l'entremise de monseigneur son frère , remettre les
choses en train de paix. Et si la malice des hommes
lui desnie son tesmoignage, la vérité des effects ensui-
vis lui en rendra , comme il espère , assés.
Il feut convenu que Cahors, Mende , Montagu et
SainctMillouseroient remises es mains de monseigneur,
villes desquelles on cognoist assés l'importance. Ce qui
feut faict tout aussi tost, nonobstant que les forces
de sa majesté demeurassent debout en Dauphiné contre
ceulx de la relligion , sous l'auctorité de M. le duc de
Mayenne.
Estoit dict qu'incontinent après la remise desdictes
places, mondict seigiùur feroit remettre es mains du
roy de Navarre ses maisons, villes et chasteaux. Ce que
toutesfois n'est encores effectué , mesmes à l'endroict
de sa ville du Mont de Marsan , qui lui a démoli sa
maison en pleine paix. Et à ceste accroche se pouvoit
justement arrester ledict sieur roy, pour ne remettre
si tost les villes qui estoient laissées à ceulx de la relli-
gion par ladicte conférence.
Neantmoins , pour vaincre le mal en bien faisant, ne
laissa de poursuivre et employer son auctorité vers ceulx
de larelligion de Languedoc, par l'entremise de plusieurs
seigneurs et personnages de qualité, à ses propres des-
pens, tant que lesdictes places feussent remises en Testât
que l'edict et conférence requeroient d'eulx; à sçavoir:
Ravel , Briateste , Aleth , Saincte Agrene , Bais sur Bais ,
Baignols, Alletz, Sommieres, Aimargues et Geignac,
046 JUSTIFICATION DES ACTIONS
dont les unes ont esté rasées, les aultres desmantelees ,
selon qu'il a semblé convenir au bien et repos du pays.
A ces fins envoya ledict sieur roy en Languedoc , par
advis de MM. de Matignon et de Bellievre, le sieur de
Clervant, gentilhomme qualifié , et le sieur du Pui, son
conseiller et secrétaire , desquels la sincérité et affec-
tion en l'exécution de la paix parut à tous ; car encores
que le traictement qui avoit esté faict à ceulx de Dau-
phiné meist ceulx de Languedoc en juste alarme, leur
ayant M. de Mayenne, oultre et contre l'accord, partie
démantelé leurs places, partie assubjetti par citadelles;
si ne laissèrent ils, sans y avoir esgard, à faire obéir par
toutes voies tous ceulx qui n'avoient encores osé laisser
les armes. Le tout avec l'advis et subrogation de M. de
Montmorency, gouverneur du pays. Et de faict, re-
duirent à la raison Villeneuve de la Cremade, près
Beziers , tenue par quatre cens hommes de pied et cin-
quante bons chevaux; où, depuis, contre Tedict, on a
faict une citadelle. Item , les chasteaux et places de Ca-
brieres, Cornanet, l'Espinassiere, Saye , Canibonnet,
Lassou , Cambon , Varains, Sainct Policarpe, la Plan-
que , etc., la plus part très forts d'assiette et bien pour-
veus de soldats et de munitions, qui , au dire de tous
ceulx qui les cognoissoient, sans l'auctorité du roy de
Navarre, eussent cousté un million d'or à ranger à ce
poinct. Desquels les ungs feurent rendus aux proprié-
taires, evesques, abbés, gentilshommes, les aultres rasés
totalement par l'advis du pays, et les détenteurs en
quelques ungs, après s'estre opiniastrés,mis es mains de
la justice en bon nombre et exécutés à mort. En oultre,
remirent la ville de Speran, et firent raser les citadelles
des villes d'Aleth et de Bourgerolles, et empeschant
Bacon d'estre secouru à Menerbe, s'offrans mesmes de
DU ROY DE NAVA.RRE. 347
l'aller forcer. Et ce, nonobstant qu'ils eussent veu la
manifeste désobéissance d'Albi et de l'fsle, où mesmes
on les avoit menacés, et qu'ils apperceussent bien que
M. de la Croysette (i) ne se gouvernoit en sa pommis-
sion pour le regard des catholiques que selon les mé-
moires de ceulx de Thoulouse, comme de faict il ne fît
jamais exécution notable, et pour tout feit rompre les
guarites de deux ou trois maisons champestres, qui ne
valoient ni le faire ni le refuser.
En ce mesme temps, pour ne perdre un seul mo-
ment, envoyèrent lesdicts sieurs commissaires, les sieurs
de Causses et Paven en divers lieux du bas Languedoc,
lesquels firent ou raser, ou démanteler une vingtaine
de forts tenus par lesdicts de la relligion. Item se trans-
porta M. de Chastiilon à Geignac, oii il remeit les clefs
es mains des consuls, et feit raser la citadelle, comme
aussi à Sainct André, où, depuis, les catholiques l'ont
rebastie , et feit abattre plusieurs forts. Le mesme feit en
Givoudan M. d'Andelot, son frère, à l'endroict des forts
du bois de Yssels, de Quintignac, de Peire, de Mar-
chastel, de Greze et aultres, tous bien pourveus d'hom-
mes, de vivres, de munitions, et tel desquels estoit
tefiu de deux cens soldats; lesquels feurent tous ou
rendus aux propriétaires, ou démolis et rasés. Comme
aussi d'aultre part, en Vivarez, feurent remis le comte de
Monthor en son chasteau d'Aubenas , par le sieur de
la Meausse , en vertu de sa commission, qui n'y estoit
entré de dix sept ans; le baillif de Yivarez, en la ville
et siège de Villeneuve de Bere, et le duc de Ventadour
en ses chasteaux de Bais sur Bais, qui depuis ont esté
(i) Jadis gouverneur d'Albigeois soubs MM. de Montmo-
rency et de Joyeuse.
348 JUSTIFICATION DES ACTIONS
rasés, et aultres. Le tout sans qu'il en ait cousté ung
denier, ni au roy ni au pays.
De tout ce que dessus aperra par les procès verbaux
desdicts commissaires, qu'ils mirent es mains de M. de
Viileroy ; comme aussi par ceulx des commissaires ca-
tholiques, qui leur estoient joincts, lesquels ne nieront
pas toutesfois que plusieurs citadelles , comme a esté
dict , que les susdicls avoient eu peine à démolir, ont
esté relevées par les catholiques; qu'ils ne feirent vuider
les garnisons, ni cesser les gardes d'aulcune ville; qu'ils
ne feirent démolir aulcnne place qui feust tant soit peu
defensable ; qu'ils n'exécutèrent l'edict contre aulcun
catholique ; encores qu'on leur feist grande instance de
Sainct Poulet, Bernard de la Rivière, et aultres, dont les
enormités sont cogneues. Si d'advenlure ils ne veullent
alléguer ce qu'ils feirent contre le chevalier Verfait, le-
quel ils contraignirent de rendre une commanderie
qu'il tenoit à ung aultre catholique, et de vuider ung
chasteau qu'il occupoit du sieur de la Croysettc, mesmes
soubs ombre d'exécuter l'edict. Bref, que les plus coul-
pables infracteurs de l'edict se trouvoient tous les jours
auprès dudict sieur de la Croyselte, desquels n'en vout-
lurent oncques saisir un seul ,. quelque instance qu'on
en feist.
Au reste, comme lesdicts sieurs commissaires eurent
presque achevé d'exécuter tout ce qu'on pou voit re-
quérir d'eulx, les commissaires catholiques, voyans que
leur tour venoit de faire obéir les leurs, et qu'après ung
tel debvoir rendu par ceulx de la relligion , ils s'en pour-
roient difficilement exempter, trouvent une invention
assés couverte, mais bien malicieuse, de rompre la
partie. Ce feut sur la remise de la ville de Vesplas en
Lauragois, près Castelnaudarri , tenue par ceulx de la
DU ROY DE NAVARRE. 34g
relligion , lesquels offrirent d'y recevoir tous les catho-
liques; et d'abondant , à fin qu'ils rentrassent en pleine
confiance, d'accepter ung gentilhomme catholique du
voisinage, qui se teinst en la ville trois ou quattre mois
pour les rappointer et raccommoder ensemble, lequel
expédient feut refusé, ne voulans lesdicts catholiques,
meus de plus hault, y rentrer aultrement qu'armés;
et peu de jours après surprirent ladicte ville. Et sur ce
que ceulx de larelligion ne vouliurent consentir à les
recevoir armés en leur ville, c'est à dire, se soubsmettre
à leur rage et insolence, après tant d'injures réciproques,
prirent , les susdicts commissaires catholiques, occasion
de se départir. Geste pratique feut cogneue des catho-
liques plus paisibles, lesquels en rendront tesmoignage.
Et c'est la cause des maux depuis ensuivis en la province
de Languedoc, s'estans, d'un costé, ceulx de la relligion
désespérés de voir le glaive aiguisé contre eulx , et
emoussé pour les aultres; les catholiques, d'aultrepart,
devenus insolens , comme les enfans gastés, sur leurs
frères et compagnons. Et les plus advisés, qui jusques
ici avoient poursuivi le chastiment desdicts de la relli-
gion à toute oultrance , comme lesdicts commissaires
nommeement , s'estans en fin apperceus qu'on ne leur
preschoit pas proprement justice pour l'amour de jus-
tice , mais pour désir de vengeance.
Ne feut pour cela le roy de Navarre lassé de bien
faire, ains continua peu après à faire remettre le Mur
de Barais, selon la conférence, qui estoit le refuge de
quelque nombre de povres gens désespérés d'Yssoire,
exclus de toute retraite, ausquels la nécessité avoit osté
partie du sens. Mais, en la remise de ceste place, il sem-
ble qu'on prit plaisir à lui rendre celle des aultres plus
difficile à l'advenir, d'autant que, contre l'abolition qui
3jo justification des actions
leur avoit esté promise, quelques jours après, on en feit
pendre plusieurs qui furent partie exécutés , partie tués
sur riieure.
Pour cela ne laissa encores ledict sieur roy de re-
mettre Bazas , et en raser la citadelle, encores qu'il pou-
voit alléguer que Perigueux avoit esté surpris et l'as-
seurance de Tedict violée; que les exécuteurs, au lieu
d'estre punis, y estoient honorés et auctorisés; que la
somme de cinquante mille escus, qui avoit esté promise
au lieu d'icelle, n'estoit livrée, comme encores elle
n'est, etc. C'estoient causes suffisantes pour reculer; et
toutesfois il passa par dessus, et mesmes en tira hors
celui qui y avoit commandé pendant la guerre. Comme
encores tout fraischement , ayant entendu qu'il avoit
fortifié une sienne maison proche de ladicte ville, de
ravelins, espérons, plateformes, etc., contre les ordon-
nances de ce royaume, qui eussent cousté beaucoup
de ruyne au povre peuple, si on eust employé la force,
s'est transporté lui mesmes sur le lieu, et les lui a faict
combler et raser.
Die en somme M. le mareschal de Matignon , s'il
reste rien de la part dudict sieur roy, oii de ceulx de
la relligion, en tout le gouvernement de Guyenne, à
exécuter pour la paix ; s'il a jamais trouvé ledict sieur
roy rétif en chose qui en dépende; s'il l'a oncques ad-
verti d'une contravention, qu'il n'ait faict reparer tout
promptement. Et de faict , depuis peu de jours auroit
esté prise par aulcuns de la relligion une maison du
sieur de Sainct Sulpice en Quercy , à l'exemple d'aul-
cuns catholiques (qui peu auparavant auroient envahi
la maison de la dame de Cantbolit), contre laquelle il
feit soudain marcher ceulx de la relligion du pays, qui
la leur ont faict quitter. En un corps si plein de mau-
DU ROY DE NAVARRE. 35 1
vaises humeurs qu'est aujourd'hui celui de cest estât,
c'est bien chose impossible d'empescher totalement
tels symptômes. Mais en cela bonne volonté se peult
cognoistre, si on court à bon escient au mal pour l'es-
touffer.
C'est en peu de mots ce que le roy de Navarre a faict,
tant en son gouvernement , que mesmes es aultres pro-
vinces, et par tout où Dieu lui a donné quelque aucto-
rité et crédit pour rexéculion de la paix. Et parce qu'il
cognoissoit qu'il falloit, non seulement accorder les
partis, mais mesmes en esteindre et les noms et les
effects, pour en donner l'exemple en son gouverne-
ment, va visiter les gentilshommes de sondict gouver-
nement, lui dix au douziesme, sans exception ni accep-
tion de relligion , se confie à eulx et se convie chez eulx
privement. En sa maison aussi , sans distinction, admet,
gratifie et employé les ungs et les aultres , leur distri-
buant ce peu d'honneur et de charges qu'il a en sa
puissance indifféremment; jusques là que ceulx qui
tiennent les principaulx estats et offices en sa maison ,
comme de premier gentilhomme de sa chambre, mais-
tre de sa garde robbe , lieutenant de sa compaignie, la
plus part mesmes de ses seneschaulx, etc. , sont catholi-
ques; mais, qui plus est, les capitaines etlieutenans de
ses gardes et bonne partie des archers; ceulx, dis-je,
qui ont sa vie et sa personne en leur puissance. Leur
monstrant , au reste , à tous ung cœur si ouvert qu'il
n'y a aulcun de ceulx qui en approchent , de quelque
relligion qu'il soit, qui de la confiance qu'il prend d'eulx,
n'ait occasion de prendre fiance de lui entière, pour
n'avoir jamais icelui usé de mauvaise foi, jamais de
dissimulation , jamais de vengeance , ni de précipitation ,
ni envers ni contre personne. Et quant à ceulx aulx-
352 JUSTIFICATION DES ACTIONS
quels il commet ses affaires, on n'y trouvera poinct tle
gens qui ayent faict leur profit des guerres civiles , qui
soyent intéressés, ou par gaing, ou par maléfice, à les
continuer, qui ayent commis quelque acte reprochable
contre leur debvoir, honneur et conscience. Il n'y a,
grâces à Dieu, ni rigueur de justice entre les bons, ni
poincte de calomnie entre les meschans, qui ait, jus-
ques i^i, prise sur eulx. Mesmes, comme n'agueres,
ledict sieur roy auroit sceu que M. du Ferrier , person-
nage renommé pour sa pieté, doctrine et expérience,
et pour les notables charges qu'il a exercées au service
du roy et des roys ses ayeuls, père et frères, seroit de
retour de l'ambassade de Venise , l'a pryé d'accepter ses
sceaux, et supphé le roy de le trouver bon, choisissant
son principal officier d'entre ses officiers , son plus
privé conseil des plus privés , plus anciens et obligés
conseillers de sa majesté.
Je varie de celer ung poinct ; mais la calomnie nous
faict souvent dispenser du secret. L'an 80, comme la
conférence de Flex feut conclue , le roy de Navarre
s'offrit à monseigneur d'aller avec lui aulx Pays Bas,
et d'y mener une bonne trouppe de noblesse à ses des-
pens. Cela feut trouvé bon, mais enfin feut concleu
pour le meilleur, qu'il demeurast pour quelque temps,
tant qu'il eust affermi la paix; et de là en avant il s'y
employa de la façon qu'il a esté dict. Mais, l'an passé,
voyant qu'il ne restoit presque plus rien à effectuer de
sa part en la paix; que monseigneur estoit receu es
Pays Bas; que forces et moyens lui estoient admi-
nistrés assez ouvertement; qu'on armoit mesmes en
toutes nos costes, et nommeement en celle de Guyenne ,
pour la royne mcrc du roy et pour dom Anthonio
contre le roy d'Espaigne, pensa le roy de Navarre 1 oc-
DU ROY DE NAVARRE. 353
casion estre née en laquelle il peult faire ung service
agréable au roy et utile à ce royaume, non seulement
en ce qu'il retarderoit de son costé la grandeur trop
suspecte d'Espaigne, mais aussi en ce qu'il divertiroit
les cœurs des pays de Languedoc et Guyenne des par-
tialités envieillies, les accoustumant peu à peu soubs
inesmes enseignes, soubs mesmes commandement et
contre mesmes ennemis, à sçavoir soubs le seul res-
pect du roy contre l'ancien ennemi de ceste couronne;
envoyé donc, ledict sieur roy de Navarre, le sieur de
Segur, surintendant de sa maison , vers leurs majestés,
lui faict ouverture de plusieurs desseings d'impor-
tance, et qui peult estre eussent mieux réussi et plus
profité que ceulx de Portugal; offre de s'y employer
en personne avec tout ce qu'il a d'amis et serviteurs,
d'y despendre cinq cent mille escus de son bien, de
lui mettre entre mains ses comtés de Rhodez et de 1 Isle,
qui sont des plus grandes et riches de France, pour
avoir argent à cest effect, à quelle condition qu'il lui
plairoit. Seulement qu'il lui pleust favoriser ceste sienne
entreprinse de ses moyens; que par icelie il peult tes-
moigner à la France combien il aimoit son bien, santé
et repos, et qu'enfin puisque, à toutes ces démangeai-
sons, les plus sages ne trouvent plus prompt remède
que la saignée, soit pour tirer le mauvais sang, soit
pour donner vent au bon, il desiroit que ceste veine,
comme la plus proche du mal et de la douleur, feust
principalement piquée. On pourroit alléguer qu'on eust
eu juste défiance des forces qu'il eust peu lever; mais
voici comment il y pourvoyoit ; il offre de composer
son armée , pour le regard de la cavalerie et infanterie
françoise, des deuxrelligions indifféremment, et à ceste
fin, en distribuer les commissions et charges, partie
MÉM. DE DuPtESSIS-MoENAY, ToME II, 2 5
354 JUSTIFICATION DES ACTIONS
aulx ungs, partie aulx aultres, et entre iceulx nom-
moit plusieurs vieulx et notables chevaliers et capitaines
catholiques qui avoient tousjours suivi sa majesté et
mesmes porté les armes contre lui. Et, quant aulx es-
trangers , que, pour l'uifanterie, il se serviroit des
Suisses, alliés du roy, et entre iceulx de ses plus affec-
tionnés serviteurs, et, pour la cavalerie, des colonnels et
reystmalstres que sa majesté tient en Wartgelt , ou qui
tirent pension d'elle. Quant au reste , il prendroit , pour
la conduicte de son armée, ung mareschal de France,
voire deux, si tant il le voulloit favoriser, la loyauté
desquels n'estoit révoquée ni en soupsçon ni en doubte.
Adjoustoit, pour comble de seureté, qu'il bailleroit
madame la princesse sa sœur unique comme hostage de
sa bonne intention; comme aussi feroit monseigneur
le prince de Condé sa fille unique, sitost que le roy
auroit donné sa promesse et avant qu'entrer en cam-
paigne; et que, comme l'entreprinse seroit en train, il
remettroit son gouvernement es mains du roy pour en
faire ce qu'il lui plairoit, mesmes se dessaisiroit des
villes de seureté qu'il tenoit, pour donner exemple
à ung chacung de quitter toute défiance , et de cher-
cher sa confiance et la bonne grâce en bienveillance,
de sa majesté.
De ces propos se souviennent leurs majestés, et n'est
poinct le roy de Navarre si amateur de ses conseils et
desseings, qu'il voulleust blasmer que cest advis n'au-
roit esté suivi; car il sçait que sa majesté a peu avoir
de grandes et justes considérations pour ne le faire
poinct, et présume tant de sa prudence, qu'elle en
a choisi ung aultre comme meilleur. Mais ce seul poinct
veult il gaigner par là contre ses calomniateurs, qu'il a
racheté le repos de ce royaume en tant qu'il a peu par
I
DU ROY DE NAVARRE. 355
une longue patience, par une grande sollicitude, par
une nonchalance et mespris de ses propres affaires et
considérations, et qu'il n'a poinct tenu à lui (comme
il ne tiendra jamais) qu'il ne Tait racheté de tout
son bien, de tous ses amis et serviteurs., et du danger
de sa propre vie.
Laisse ledict seigneur roy de Navarre à juger à ung
chacung si ceste bonne volonté mérite quelque chose,
ores qu'elle feusten toutes sortes deue; et cependant est
honteux que la calomnie le contraigne à dire et des-
couvrir ici ce qu'aultrement il vouldroit partout ense-
velir et cacher.
Le roy de Navarre ne se plaint poinct de ce qu'en
ceste extraordinaire libéralité qui se veoit aujourd'hui,
on ne l'en faict poinct ressentir ; car il seroit marri que,
pour grand accroissement qui lui en peut venir, on
feist tant soit peu de surcharge au peuple, et ne veult
dégénérer en cela, non plus qu'en aultre chose, de
ceulx de sa maison, qui se sont tousjours réservé ceste
louange de n'avoir oncques faict profit des peines du
peuple; mais on scait que les roys ses père et grand
père ont joui par ci devant de quarante et huit mille
livres de pension annuelle, à eulx assignée par les roys
prédécesseurs de sa majesté, en considération qu'ils
avoient perdeu leur royaume de Navarre pour le ser-
vice de ceste couronne, qui est une pension à tiltre
onéreux, s'il y en eut oncques; et cependant il y a
quattre ou cinq ans que le roy de Navarre , auquel elle
avoit esté continuée, n'en tire ung denier, comme ainsi
soit que , comparant ce temps avec celui de lors qu'elle
feut donnée, elle se trouveroit petite, et que tous les
jours il s'en paye qui ne sont de telle nature, et se faict
des dons qui excédent de beaucoup et ceste pension,
356 JUST1FICA.TION DES ACTIONS
et la proportion mesmes de ceulx qui les reçoivent.
Il a aussi le tiltre de gouverneur lieutenant gênerai
et amiral de Guyenne, chose qui ne lui peult estre
enviée, soit pour les mérites de ses prédécesseurs , soit
pour le rang qu'il a Thonneur de tenir en ce royaume,
si est il qu'il a moins d'auctorité en Guyenne que n'eut
oncques lieutenant de roy en sa province ; que nuls com-
mandemens, nulles depesches , nulles nouvelles ne lui
sont adressées; que les garnisons se remuent et intro-
duisent sans qu'il en oye parler; qu'il n'a pour quel-
conque occasion que ce soit puissance d'ordonner d'ung
seul denier des finances; bref qu'on ne lui a jusques
ici laissé faire ung seul acte, ni de gouverneur, ni
d'amiral. Au contraire, dedans ses propres villes on
tient encores des citadelles, quelque instance qu'il ait
peu faire vers M. le mareschal de Matignon , qui allègue
quelquesfois le commandement exprès de sa majesté
quand on s'en plaint; et exprès on ne veult pas payer
ses gardes, afin qu'elles soient contraintes de fouler le
peuple , et maintenant moins que jamais , parce qu'on
avoit veu que , depuis ung an , il y auroit mis un règle-
ment bien entretenu, par lequel ils payoient et vivoient
en discipline. Comme ainsi soit toutesfois que les gardes
de tous les aidtres gouverneurs et lieutenans ne per-
dent pas ung jour ni ung denier, et qu'il voye à sa veue
payer celles de M. le mareschal de Matignon , pendant
que les siennes languissent, et, qui pis est, qu'on en
donne et ordonne à quelques aultres qui ne tiennent
son lieu en aulcune considération, ni de nature, ni de
mérite, ni mesmes d'office. Le mesme est de sa compai-
gnie, qu'on ne lui a jusques à présent voulleu donner
moyen de redresser, quelque remonstrance qu'il en ait
faicte, comme ainsi soit qu'on a bien faict venir la com-
DU ROY DE NAVARRE. 3 67
paignie dudict sieur mareschal en Guyenne, et qu'on
en a donné plusieurs nouvelles, et qu'il n'y ait gou-
verneur en ce royaume qui n'en ait que lui.
De son royaume de Navarre, qui s'est perdeu pour
le service voué par ses prédécesseurs à ceste couronne,
Dieu lui a réservé la Navarre basse, qui n'est la meil-
leure partie; aussi a il la principauté de Bearn et aul-
tres petits pays qu'il possède en souveraineté, et es-
quels il a tousjours faict monnoye. Ses monnoyes de
long temps sont receues en ce royaume, mesmes ont
cours par tous les pays du roy d'Espaigne sans aulcune
contradiction; qui plus est, les essayeurs de France,
sur ce appelles et venus aulxdicts pays , rendent tesmoi-
gnaige qu'elles sont de mesme titre, poids et alloy que
celles de France. Nonobstant , elles sont encores défen-
dues en France, quelques poursuites que depuis deux
ans et plus on ait sceu faire, comme si on s'esbattoit à
estre plus ennemis du nom de Navarre, c'est à dire
plus Espaignol en France qu'en Espaigne.
C'est aussi une cbose ordinaire, que ceulx qui ont
cest honneur d'avoir espousé des filles de France , en
sont tenus comme fils en ce qui concerne leurs affaires
domestiques, d'autant que, par ce mariaige, leurs affaires
deviennent communs et leur maison une; et le roy de
Navarre, qui est François et prince du sang de France,
debvroit plus tost participer à ce privilège qu'ung aul-
tre; si est il que, quand n'agueres il a requis d'avoir es
court de parlement, esquelles il a des procès, (juelque
conseiller et chef de son conseil , bien que catholique,
il lui a esté refusé tout net , encores qu'il eust esté et
accordé et supporté paravant en la personne de M. de
Pibrac, conseiller du conseil du roy, président en sa
court de parlement de Paris, comme ainsi soit toutesfois
358 JUSTIFICATION DES ACTIONS, etc.
qu'à personnes qui ne sont de sa qualité, le mesme
soit ouvertement souffert etreceu, sans qu'ils ayent
eu la peine de le demander.
Or se pourroient alléguer plusieurs choses sembla-
bles, lesquelles, si sa vertu et constance ne le soubste-
noient , seroient suffisantes pour faire entrer ou en
mespris de lui ceulx qui les voient, ou en impatience
extrême lui mesme qui les sent; mais il s'est résolu
(et désire que chacung le croie), pour le respect qu'il
cloibt et qu'il veult rendre au roy, de vaincre toutes
ces indignités par patience , par magnanimité , par vertu;
pour le bien et repos aussi qu'il désire à ce royaume,
de lui donner ses justes mescontentemens, ses iniques
traictemens, ses dignités et indignités, ses droicts et
honneurs propres. Et prye Dieu qu'il fasse la grâce au
roy de distinguer ses justes raisons d'avecque les injustes
passions de ses adversaires; de se soubvenir aussi en-
fin envers lui et ses semblables, de ses naturelles affec-
tions; et à lui de surmonter le mauvais voulloir par
bien faire, les fausses paroles par vrais effects, deust il
racheter la paix et tranquillité du povre peuple d'une
peine et sollicitude perpétuelle et de sa perte et ruyne
propre. Amen.
LXV. — RAISONS
Pour induire le roj a accorder la prolongation des
places pour quelques ans a ses subjects de la rel-
ligion reformée.
Du 12 aoust i583.
Quand il pleut au roy accorder les places d'asseu-
rance a ses très humbles subjects de la relligion refor-
mée , pour le terme de six ans , ce feut parce qu'il se
7
I
RAISONS POUR LA PROLONGATION, etc. 359
promettoit qu'avant ledict temps expiré, son edict se-
roit effectué en toutes ses parties. Et de faict, en la
conférence de Nerac, qui a expliqué l'intention de sa
majesté qui d'ailleurs estoit assés claire en cest endroict,
l'article i6 dit exprès que l'edict de pacification, et ce
qui auroit esté resoleu en ladicte conférence, seroit exé-
cuté en tous ses articles, et que l'exécution s'en com-
menceroit des le lendemain pour estre continuée sans
interruption. Et l'article 17, que les places seront re-
mises audict temps , et que l'edict y sera entièrement
exécuté. C'est à dire , que l'exécution totale de l'edict
doibt précéder ce qui est ordonné pour lesdictes places,
et que l'ordre desdicts articles enclost Teffect du 17,
soubs la condition du 16.
Ores que ceci n'eust lieu, le but de sa majesté, en
ottroyant lesdictes places à ses subjects de la relligion,
est exprimé en son edict, à sçavoir, qu'elles leur sont
baillées en garde pour le temps et terme de six ans,
attendant que les rancunes et inimitiés soient adoucies,
comme aussi la ville de Sainct Jean est baillée à mon-
sieur le prince pour sa demeure , en attendant qu'il
peust effectuellement jouir de son gouvernement de
Picardie. Par lesquelles clauses est évidemment condi-
tionnée l'intention de sa majesté. Or, est il tout certain
que lesdictes rancunes et inimitiés , oii qu'en soit la
cause, ne cessent poinct encores; qu'en plusieurs lieux
elles se sont enaigries et exulcerees, tant pour les at-
tentats particuliers, que par la guerre ouverte qui est
entrevenue, comme aussi, d'aultre part, on voit que
monsieur le prince n'a encores ung seul pied en son gou-
vernement , auquel sa majesté l'a promis effectuellement
remettre et conserver.
Item , est tout évident que, quand sa majesté a parlé
36o RAISONS POUR LA PROLONGATION
de six ans, elle a entendu six ans de paix, c'est à dire
six ans propres, ou (comme dient les jurisconsultes)
utiles; à sçavoir, à appaiser les rancunes et inimitiés.
Or, est il que ces six ans ont esté interrompus d'ung
an de guerre ouverte , et de plusieurs hostilités parti-
culières , qui a arraché le cataplasme et mis le feu à la
plaie. Tellement que sa majesté doibt imiter en cela le
bon chirurgien qui aura ordonné ung emplastre pour
six jours seulement, parce qu'il pense qu'en ce temps
le mal cédera au remède , et appercevant toutesfois au
bout du terme, que l'opération n'en est ensuivie telle
qu'il esperoit, soit par la malice de l'humeur, soit par
ung accident survenu , soit par le remuement du patient
qui aura escarté le cataplasme , ne faict difficulté de le
remettre encores pour quelques jours dessus, reputant
son lionneur en la guerison de la plaie, et non eu la
prefixion du remède.
Geste raison doibt avoir d'autant plus de lieu à l'en-
drqict de sa majesté , que ce n'est poinct l'impatience
proprement de ceulx de la relligion , qui a gratté la
plaie et arraché le cataplasme; mais, s'il fault ainsi
dire , l'inconsideration et témérité du valet du chi-
rurgien , qui a envenimé et la plaie et le remède,
contre le commandement du maistre. Car oultre, di-
verses enlreprinses, qui ont esté faictes sur lesdictes
villes, et sont venues jusques au poinct de l'exécution ,
la Reolle et Perigueux en Guyenne ont esté surprises
en effect long temps avant le temps , dont punition
aulcune ne s'est ensuivie ; ains sont les aucteurs
commandans en icelles, qui, selon l'edict , doibvent
estre infâmes et inhabiles à tous estats, et traictés au
reste comme crimineux de leze majesté en premier
chef. Doibt donc imputer sa majesté à telles gens le
DES PLACES DE SEURETÉ. 36]
retardement de la cure , non à ceulx qui portent prin-
cipalement la douleur de la plaie.
La principale plaie qu'il falloit guérir, c'estoit la
desfiance. Au contraire , à mesure que ceulx de la rel-
ligion s'en sont voulleu despouiller , en remettant les
places, selon Tedict, ceulx qui ne vivent que de trou-
ble , comme les barbiers d'ulcères, ont tasché à la leur
redoubler en toutes sortes. Les places n'ont esté si tost
remises , qu'on y a mis garnisons et basti citadelles ,
ou démoli les murailles, contre les mots exprès des
edicts. Ce n'est pas pour convier celles qui restent à
faire le semblable. Ceulx qui les ont laissées , n'en ont
pas sitost esté dehors, que, nonobstant toutes promesses
et abolitions , ils n'ayent esté poursuivis , pris , exécutés ,
massacrés. Quand on est dissuadé par les effects, mal-
laisement est on persuadé par les paroles. Bref, on en
est venu là , qu'on ne pense ville remise à bon escient,
s'il y demeure ung de la relligion en auctorité , si leur
vie n'est à la discrétion pure et simple du moindre en-
nemi qu'ils ayent. Tandis que la foi a si peu de lieu , il
est malaisé de lever la desfiance.
Ne veullent ceulx de la relligion doubler de la droicte
intention de sa majesté. Mais leur doibt aussi estre per-
mis , veu le passé , de se desfier de ceulx qui en abu-
sent , et qui pensent, veu leurs charges, avoir droict
d'en abuser. Or est il que la publication du Concile de
Trente qu'on avoit laissé dormir si long temps, mesmes
l'an -72 , qu'on estimoit fatal à ceulx de ladicte relli-
gion, a esté remise sus ceste année, et plus pressée
qu'oncques auparavant ; que jamais on n'a negotié avec
le pape tant que ceste année; que les jésuites, qui
sont les boutefeux de l'inquisition, croissent de jour
en jour en auctorité; que les prescheurs en chaire
362 RAISONS POUR LA PROLONGATION, etc.
prononcent publicquement , que l'an de la ruyne des-
dicts de la relligion , etc. N'ignorent là dessus les prin-
cipaulx de ceulx de la relligion que sa majesté n'a garde
de consentir à telles choses , mesmes audict Concile ,
pour Tinterest qu'y a , tant la couronne que l'Eglise
gallicane. Mais le peuple, qui ne pénètre pas si avant,
en a pris une allarme, qui ne lui peult estre tost ostee ,
estant enseigné pour toute escrime de ne regarder, ni
la face , ni la personne , mais seulement la poincte de
l'espee.
Toutes choses considérées, à denier la prolongation
du terme sa majesté a quelque interest; car elle mettra,
peult estre, au desespoir quelque partie de son peuple.
A l'accorder, elle n'en a du tout poinct; car il est assés
évident qu'il n'y a François plus François en France
qu'eulx. L'edict les déclare capables de toutes charges
et dignités , et jusques ici ne sont en possession de cest
article. Il seroit donc raisonnable qu'en ce peu de
places, ils en ressentissent aulcunement l'effect. Au reste,
quand ils en sortiront , on vouldra que d'aultres entrent
en leur place; sa majesté considère là dessus, si elle
en doibt avoir plus de fiance ; au contraire , si d'aul-
cung elle n'a occasion de juste défiance ; ce que , grâce
à Dieu , elle ne peult avoir d'eulx.
LXVL — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de H arlaj , premier président en la court de par-
lement de Paris.
Du 12 aoust i583.
Monsieur, il y a long temps que j'ai désiré cesL
heur d'eslrecogneude vous, ettousjours l'occasion m'en
LETTRE DE M. DUPLESSIS, eic. 363
est eschappee; mais pour cela n'ai je laissé de m'obli-
ger de service à vostre vertu , digne d'ung meilleur
siècle, et qui toutesfois, en la rouilleure de cestui ci, se
sçait faire honorer de tous ceulx qui en ont quelque
sentiment. Je suis ici appelle auprès d'ung prince qui
la prise beaucoup en tous , et en vous particulièrement
la révère. Si j'estois solvable de si grande chose, je
vous asseurerois que sa volonté tend toute au bien de
cest estât ; et surtout à ce bien , qui seul faict joun- de
tous les aultres biens , qui est, à mon advis, la paix. Le
roy lui a faict cest honneur de lui mander qu'il tiendra ,
ce mois de septembre, à Paris, une assemblée des plus
notables personnages de ce royaume , pour le soulage-
ment de son peuple. C'est l'effect du tiltre de très chres-
tien. Mais vous savés que tous les beaux reglemens,
qu'on y sçauroit minuter, s'en vont en vain, si la paix
n'y est grossoiee; comme les remèdes topiques et par-
ticuliers , quelque bons qu'ils soient en eulx mesmes ,
sont inutiles, si on permet qu'ung mal universel
prenne possession du corps. M. de Clervant est en-
voyé, de la part du roy de Navarre, vers sa majesté pour
cest effect , personnage plein de modération et inté-
grité , et digne en somme de si digne charge. Il a com-
mandement de vous en communiquer particulièrement.
Ce qui me reste , monsieur, c'est de vous dire que je
suis vostre serviteur, non simplement pour vostre
dignité, mais doublement pour la dignité dont lavés
honorée ; et sur ce, vous ayant bien humblement baisé
les mains , supplierai le Créateur , monsieur, etc.
De Saincte Foi d'Agenois.
364 NEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
LXVII. — NEGOTIÂTION DE M. DUPLESSIS
Vers le roj Henry IIL
Aoust i583.
Le roy de Navarre estant à Saincte Foi, récent une
lettre du roy, en date du 3 d'aoust, par ung valet
de garde robbe à chasse, toute de sa main, esquelle il
lui mandoit en somme, que, pour avoir descouvert la
mauvaise et scandaleuse vie de. ... il se seroit resoleu de
les chasser d'auprès de la royne de Navarre, comme
une vermine très pernicieuse et non supportable auprès
de princesse de tel lieu.
Le roy de Navarre le remercia très humblement du
grand soing qu'il avoit eu en ce faict , de l'honneur et
réputation de sa maison , et le recogneut à une singu-
lière obligation vers sa majesté.
Peu de jours après, estant le roy de Navarre de re-
tour à Nerac , y receut la nouvelle de l'affront faict à
la royne sa femme entre Palaiseau et Sainct Gler, dont
estoient sortis divers bruits , chacung meseurant et
proportionnant cest effect à telle cause qu'il lui en
sembloit digne. En ceste perplexité, le roy de Navarre
se resoleut d'envoyer vers le roy, pour le supplier de
lui en déclarer la cause, et de lui conseiller, comme
bon maistre, ce qu'il avoit à faire. Il parla première-
ment d'y envoyer le sieur de Frontenac ; puis se reso-
leut du sieur Duplessis , qu'il ne voulloit au commence-
ment nommer , craignant quelque danger ; lequel
partit de Nerac le 17 aoust, passa par Paris, et alla
trouver le roy jusques à Lion.
Là il feut mené en la chambre du roy par M. d'Es-
VERS LE ROY HENRY III. 365
pernon , où il le trouva tout seul ; et mesmes ledict
sieur d'Espernon s'en retira. Le roy leut ses lettres con-
tenans créance, et lui commanda de Texposer; ce qu'il
feit en ces mesmes mots.
Sire, il y a environ quinze jours qu'il pleut à vostre
majesté envoyer au roy de Navarre, ung de vos valets
de chambre, par lequel vous lui escrivistes qu'ayant
descouvert la mauvaise et scandaleuse vie de vous
vous estiés resoleu de les chasser daupres de la royne
vostre sœur, sa femme, comme vermine très perni-
cieuse , indigne d'approcher d'ung si grand lieu. Le
roy de Navarre, sire, en remercia très humblement
vostre majesté, et recogneut ce soing particulier, qu'il
vous plaisoit avoir de l'honneur et réputation de sa
maison, à très grande obligation. Tost après, sire, il a
entendeu que l'indignation de vostre majesté ne s'est
poinct arrestee sur mais qu'elle a passé jusques à la
royne sa femme; que vostre majesté, revenant de Me-
zieres, après ung esloignement de trois mois, ne l'a
poinct veue à son arrivée. Que, des les premiers jours
de son retour , elle lui a faict commandement de s'en
aller en Gascongne trouver le roy de Navarre son
mari, qui n'estoit pas pour la revoir bien tost, et toutes-
fois sans qu'elle ait eu cest honneur de vous dire adieu.
Que s'estant ainsi départie , vous passastes en vostre
carosse au Bourg la Royne , où elle feit sa première dis-
nee , les fenestres abatteues, sans lui parler. Qu'à peu
d'heures de là , sire , entre Palaiseau et Sainct Cler , pa-
reut une trouppe d'arquebusiers commandée par ung
capitaine de vos gardes , qui arresta son train , sa litière
propre, la visita, mit le nés dedans , jusques à lui faire
abattre le masque avec propos plein de rigueur; qui
plus est, feit quelques personnes de sa suite prison-
366 NEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
nieres à sa veue. C'est ung affront, sire , que princesse
de ce rang ne receut jamais, mesmes d'ung frère ; qui
s'est faict au reste à la veue du soleil , et est aujour-
d'hui public par toute la chrestienté. Quand le roy de
Navarre, sire, vient à considérer quelle peult avoir
esté la faulte proportionnée à ceste amende, il est en
grande peine, et ne peult à quoi se resouldre, d'autant
plus qu'il a cogneu la modération de vostre majesté en
toutes aultres actions, qui ne peult avoir passé sans
*rrande occasion à telle extrémité. C'est pourquoi, sire,
il m'a commandé de venir trouver vostre majesté et la
supplier très humblement de deux choses ; l'une, c'est
qu'il vous plaise lui déclarer la cause de ceste si grande
indignation, qui la vous ait faict estimer digne de telle
indignité. L'aultre, qu'en la peine où il est, qui ne
peult estre que très grande , vous lui voulliés dire ce
qu'il a h fan-e. Ce qu'il attend de vous, comme d'ung
bon maistre , tel que lui avés tousjours promis de lui
estre; tel aussi qu'il l'a tousjours espéré; et pour ce,
sire , j'ai commandement exprès de m'en adresser seu-
lement à vostre majesté.
Le roy respondit que le roy de Navarre n'auroit
peu mieulx faire que ce qu'il faisoit , d'envoyer vers lui
pour ccst effect , mesmes personne de telle confiance.
Qu'il le tenoit a grande obligation , et s'en souviendroit
toute sa vie. Puis venant au propos : Il est vrai, dict il ,
que j'envoyai, comme vous dictes, il y a quinze jours,
uncr mien valet de garde robbe au roy de Navarre, et
lui escrivis telles choses de Je crois que cela ne feut
pas nouveau au roy de Navarre, et qu'il en sçavoit assés
d'ailleurs , et vous aultres mesmes , à mon advis , ne
l'ignorés pas. Nous adressons quelquesfois des amitiés
sur personnes qui n'en sont pas dignes , et en sommes
VERS LE ROY HENRY III. 867
telles fois aveuglés. De moi, qui ne veulx pas vivie
seulement comme bon prince, mais comme homme de
bien, j'ai désiré repurger tout ce qui est autour de
moi, et surtout qui me touche de si près, de tout ce
qui y pouvoit apporter tache ou blasme , m'asseurant
que le roy de Navarre m'en sçauroit bon gré; et quel-
ques semblables mots à ce propos.
Ledict Duplessis, qui voyoit que le roy s'arrestoit
sur sans venir à la royne sa sœur, lui répliqua :
Sire, je ne suis poinct venu ici pour plaider la cause
de.... Le roy de Navarre a recogneu à grande obligation,
comme vous avés veu par ses lettres , ce que vostre
majesté a faict en leur endroict ; et me ferés bien cest
honneur de croire que le roy de Navarre ne faict pas
si peu de cas de moi , que de me donner ceste com-
mission , ni moi si peu de moi mesmes, que de la
prendre. Il m'a despesché vers vostre majesté pour le
faict de la royne sa femme. Si elle a commis une faulte
digne de l'affront qui lui a esté faict , il vous en de-
mande justice, comme au maistre de la maison et au
père de la famille. Sinon , sire, comme il ne le croira
que le plus tard qu'il pourra, il la vous demande,
comme à prince qui en faict pofession , des calomnia-
teurs , sur le rapport desquels une telle injure auroit
esté précipitée.
Le roy alors voulleut mettre l'affront en doubte;
que le roy de Havarre pouvoit avoir esté mal informé ;
que les choses n'estoient pas passées du tout ainsi ; qu'il
ne falloit pas croire les bruits , etc. Ledict sieur Duplessis
répliqua ; Sire, je n'ai passé en lieu sur le chemin, où
ceste histoire ne m'ait esté particulièrement contée ; je
n'ai veu depuis homme d'honneur qui ne me l'ait con-
firmée. Ce n'est pas la voix du peuple seulement , qui
368 NEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
peult parler par ouïr dire, mais celle de la court et
de ceulx qui y voyent plus clair. Et de faict, sire, il
n'a pas esté faict pour estre celé, en plein midi et en
plein chemin, mais pour estre publié par tout. Les
ambassadeurs en ont escrit par tout à leurs maistres.
Desjà ceste nouvelle est sceue par toute la chrestienté ;
j'ai charge de vous dire, sire, que vostre majesté a faict
en ce cas trop ou trop peu ; trop , s'il n'y a poinct eu
de faulte, ou si elle n'a esté extrême : car l'honneur
des femmes ne se doibt jamais profaner, si elles ne l'ont
profané elles mesmes. Trop peu , si la faulte a esté digne
de ceste peine; car de qui vous n'avés voulleu espar-
gner Thonneur , quelle part réservés vous pour es-
pargner ?
Le roy là dessus le pressa de dire ce qu'il en avoit
entendeu et à diverses fois; sur quoi, il respondit qu'il
le supplioit très humblement de ne le faire poinct en-
trer en ces fascheux discours ; que sa majesté pouvoit
assés penser la liberté que chacung se seroit donnée
d'interpréter la cause de ceste injure, que nul ne se
pouvoit représenter que très estrange, veu les circon-
stances; qu'en somme, le jugement commun tomboitlà,
que l'honneur ne s'oste poinct qu'à ceulx qui en effect
l'ont jà perdeu ; moins à une sœur par ung frère , qui
a aulcunement le sien conjoint avec le sang, et que
d'aultre part, plus on presupposoit de sagesse du costé
de sa majesté en la considération de ce faict, plus on
estoit contraint de conclurre de folie de l'aultre , etc.
Le roy l'en repressant, il respondict : Je supplie vostre
majesté , sire , de se contenter que le roy de Navarre
en sçait autant du public comme vous en pensés sça-
voir en secret. Les princes sçavent des petits ce qu'ils
ne peuvent sçavoir des grands; des fols, ce qu'ils ne
VERS LE ROY HENRY III. SGg
feroient des sages; des femmes, ce qui leur seroit celé
des hommes. Ceci estant sceu de tout le monde , il
estoit malaisé qu'il l'ignorast tout seul.
Puis l'en pressant encores, sire , le roy de Navarre a
sceu, comme j'ai jà dict à vostre majesté, qu'au retour
d'ung assez long voyaige, la royne vostre sœur ne vous
salua poinct; que, partant pour ung plus long, elle
ne vous dict poinct a^lieu ; que voifs passastes au Bourg
la Royne où elle disnoit, sans qu'elle eust cest honneur
de vous voir; qu'à peu d'heures de là, ung capitaine de
vos gardes, nommé Saliers, arresta toute sa suite et sa
litière propre, lui fit abattre le masque, disant en avoir
commandement de vous; que ce mesme se saisit en sa
présence de quelques ungs de ses serviteurs, qu'il em-
mena prisonniers, nommeement l'escuier Tuti; qu'en
mesme temps vous envoyasles sur ung aultre chemin
prendre madame de Duras, de Bethune et Barbe, et en
feistes poursuivre et chercher quelques aultres; que
vostre majesté se feit amener toutes ces personnes en
l'abbaye de Ferrieres , près Montargis , les sépara en
diverses chambres , les interrogea chacung à part, voul-
leut avoir leur déposition escrite et signée de leur
main ; au partir de là, en renvoya aulcuns à la Bastille,
où ils ont mesmes esté examinés par le lieutenant du
prevost. Il sçait, sire, que vostre majesté les a enquises
de sa propre bouche de la conversation, des mœurs,
de la vie et de l'honneur de la royne vostre sœur. Quand
un roy prend ceste peine, quand un frère procède si
juridicquement, si criminellement, qui peult penser,
sire , que ce soit pour moins qu'ung crime et encores
bien énorme? Je reviens donc, avec la permission de
vostre majesté, au commandement exprès que j'ai eu
du roy de Navarre : si la royne vostre sœur, sa femme,
MÉM. DE DrPLESSIS-MoRNAY. To.lIE II. 2 4
SyO NEGOTIATÏON DE M. DUPLESSIS
a mérité cest affront, il vous en demande justice toute
entière; sinon, sire, il s'asseure pour l'interest mesme
de vostre maison, que vous lui ferés raison des auc-
teurs d'une telle injure.
Le roy ne nia ni affirma les propos que dessus, mais
bien dict qu'il n'y avoit personne qui peust eschapper
des calomnies. Que le monde s'estoit licentié de tout
temps de parler des plus gens de Jbien, etc. Puis veint
à dire que ce faict estoit d'importance , qu'elle estoit
sa sœur, mais qu'elle avoit une mère et ung aultre frère
qui y avoient interest comme lui , qu'il esperoit les voir
bientost, et se resolvoit d'en prendre advis avec eulx,
qui seroit tel, que l'honneur d'ung chacung y seroit
satisfaict. De là passa aux louanges de la royne sa mère ,
de prudence, sagesse, vie incoulpee, etc.; aux obliga-
tions qu'il avoit envers elle, non seulement pour l'avoir
mis au monde , mais pour lui avoir conservé sa cou-
ronne et la révérence que Dieu nous commande de
rendre aux pères et mères, adjoustant bénédiction à
ceulx qui le feront, et malédiction au contraire : qu'il
avoit en somme commencé cest affaire avec son advis,
et se deliberoit de le finir de mesme.
Ledict Duplessis répliqua que cela seroit bien long,
que sa majesté considerast que le roy de Navarre avoit
le trait dedans le corps, et que par là il ne lui ostoit
poinct. Au contraire , que , quand il entendroit que ce
qui s'est passé auroit esté avec l'advis de la royne sa
mère , il y auroit de quoi redoubler sa peine , veu le
soigneux égard qu'ont ordinairement les sages mères
de contregarder la réputation de leurs filles, le pryant,
pour ce respect , d'abréger la peine du roy de Navarre
par quelque response qui le satisfeist davantage.
Il respondit qu'il estoit homme de jugement pour
VERS LE ROY HENRY III. Syi
cognoistre que la chose ne pouvoit ni se debvoit faire
aultrement; qu'il partiroit dans trois jours de Lion,
s'en iroit aulx bains de Bourbon , où il avoit à séjourner
sept jours avec la royne sa femme, pour voir, selon le
conseil des médecins, si Dieu leur vouidroit donner des
enfans par ceste aide là ; que, si c'estoit le bien de son
estât, il l'en supplioit de tout son cœur, sinon qu'il
acquiesçoit volontiers à sa volonté. Qu'en somme ,
dedans le commencement d'octobre , il seroit à Paris
avec la royne sa mère , où peult èstre mesmes il verroit
son frère, et tost après il depescheroit personnage qua-
lifié, qui donneroit contentement au roy de Navarre.
Ledict Diiplessis répliqua: Cependant, sire, la royne
vostrc sœur s'achemine vers le roy son mari : que dira
la chrestienté s'il la reçoit ainsi, par manière de dire,
toute barbouillée? et s'il caresse et embrasse ce que
vous aurés si indignement esloigné de vostre court,
lui estant mari, vous n'estant que frère? Sire, le roy
de Navarre ne vouldra poinct estre réputé prince sans
courage. Il a cherché réputation de magnanimité toute
sa vie. Vostre majesté juge s'il vault pas mieux que l'in-
jure soitsatisfaicte, premier qu'elle passe plus oultre?
Le roy lui dict alors : Que sçauroit on dire, quand il
la recevra , sinon que c'est la sœur de son roy ? Oui ,
sire , mais d'un roy juste, qui faict profession de droic-
ture , et ne vouidroit pas estre obeï de ses subjects,
mesmes de la qualité du roy de Navarre , aulx despens
de leur honneur et réputation.
La fin feut qu'il ne se pouvoit faire aultre chose,
qu'il le feist trouver bon au roy de Navarre , qu'il lui
renclist en cest acte preuve de bon subject, tel qu'il
lui estoit né , et asseurast au reste le roy de Navarre
derechef qu'il recognoistroit ceste obligation d'avoir
37ii NEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
envoyé incontinent vers lui personne, en qui il le seait
avoir pleine confiance , et qu'il tiendra l'honneur dudict
sieur roy aussi cher que le sien propre, comme il lui
feroit appercevoir dans peu de temps.
Ledict Duplessis le supplia d'escrire au roy de Na-
varre particulièrement ce qu'il lui commandoit de dire,
que c'cstoient matières chatouilleuses, desquelles il ne
se voulloit reposer en sa mémoire, pour les inconve-
niens qui en adviennent, y estant question d'une part
de son souverain, et de l'aultre de son maistre. Le roy
respondit que telles choses ne se pouvoient bonnement
escrire , et que le roy de Navarre s'en fieroit prou en
lui. Sur quoi il supplia au moins sa majesté de voulloir
jetter en ses lettres quelques semences des responses
qu'd lui avoit pieu lui faire, afin qu'il eust plus de
matière et de parler et d'estre creu. Ce que sa majesté
lui ayant promis, lui demanda quand elle trouveroit
bon qu'il veinst quérir ses lettres; il respondit qu'il les
escriroit présentement et tout devant lui. Ce qu'il feit
de sa main, puis les lui leut (encores, disoit-il, qu'il
n'eust ceste coustume de monstrer ses lettres); et les
ayant faict fermer par du Halde, qu'il appella de la
garderobbe, les lui bailla, ajoustant plusieurs paroles
«rracieuses du roy de Navarre, et répétant le gré qu'il
lui sçavoit d'avoir envoyé vers lui pour ce faict, mesme
personne qui tient lieu tel auprès de lui.
Ce propos conclu, il dict audict sieur Duplessis : Et
bien , ne verrai je jamais le roy de Navarre , mon frère?
Il lui respondit que ce lui estoit ung grand malheur de
ne pouvoir accomplir le désir qu'il avoit de baiser très
humblement les mains de sa majesté; mais que, des
qu'il tournoit teste vers la France pour s'en approcher,
i\ sembloit qu'on prist plaisir de le mordre par derrière
VERS LE ROY HENRY III. Sy^
pour le faire tourner ailleurs, comme tout fraischemenl
se seroit veu , qu'estant à Saincte Foi pour passer en
Xaintonge , on surprit Alelh avec grand carnage de
ceulx de la relligion , dont le voisinage est troublé, en
danger, s'il n'y eust pourveu en se rapprochant , de re-
mettre par là toute la province, et consequemment
" tout Testât en trouble. Le roy lui dict que telles choses
lui desplaisoient grandement; qu'es provinces plus pro-
ches de sa résidence on ne voyoit telles choses advenir,
parce qu'elles se ressentoient de plus près de son inten-
tion, qui n'estoit que de maintenir ses subjects en paix ;
qu'il s'asseuroit que ses subjects ne lui imputoient tels
actes, et scavoient bien considérer que la prise d'une
ville d' Alelh n'estoit pas l'entreprise d'ung prince tel
que lui. Ledict Duplessis répliqua que ses subjects de
la relligion ne se plaignoient pas de l'intention de sa
majesté , mais du peu de debvoir que ses officiers ren-
doientà l'exécution d'icelle; que l'impunité engendroit
coustumierement l'injustice, et qu'à la vérité la tolé-
rance de tels attentats, en plusieurs endroicts , n'avoit
peu apporter aultre chose ; que le roy de Navarre
supplioit très humblement sa majesté d'y mettre à bon
escient la main , parce que le povre peuple , qui est
trop esloigné de lui pour pénétrer son intention, ne
la peult juger que par les effects qu'il sent, lesquels
toutesfois, le plus souvent, tiennent plus de la passion
des exécuteurs, que de la nature de celui qui com-
mande. De là il veint à parler des défiances qu'avoit
esmeu en Dauphiné et Languedoc son voyaige de
Lion, comme s'il y feust veneu pour y dresser la guerre
contre ses subjects de la relligion. Qu'estant veneu à
Bourbonnanci pour sa santé , il avoit esté pryé de
venir visiter sa ville de Lion et sa noblesse des pnvs
374 NEGOTIATION DE M, DUPLESSIS
circonvoisiiis. Qu'il n'avoit aultre désir que la paix ,
qu'il l'avoit promise et la voulloit sainctement tenit,
comme prince qui faisoit singulier estât de sa parole.
Qu'il n'eut jamais voulloir de tenir la paix de 76 , mais
qu'aussi ne le cela il poinct, pour la façon dont elle
avoit esté faicte. Qu'aultresfois il avoit pensé ramener
ses subjects de la relligion par la rigueur des armes,
mais que Dieu lui avoit faict cognoistre avec l'expé-
rience, que tels moyens n'estoient pas propres à telle
fin. Qu'il faisoit estât de sa relligion , la croyoit ferme-
ment, pryoit Dieu de lui donner plustost la mort, que
de s'en départir tant soit peu, mesmes vouldroit avoir
donné un bras , et que tous ses subjects en feissent pro-
fession; mais que ce seroit quand il plairoit à Dieu, et
que doresnavant il esloit resoleu de les laisser vivre
en paix soubs le bénéfice de ses edicts, seulement qu'on
ne coinmençast rien contre lui.
Ledict sieur Duplessis respondit qu'il estoit nulcune-
ment à pardonner au peuple, esloigné de sa majesté,
s'il se defioit quelquesfois sans subject, parce que bien
souvent il sentoit du mal par la main des serviteurs,
encores qu'il n'y eust rien que bien, au cœur du
maistre , qui n'estoit découvert qu'à ceulx qui avoient
cest honneur d'en approcher. Qu'il pryoit Dieu qu'il le
raainteinst en ceste bonne resolution, de n'attenter plus
sur les consciences par les armes qui sont naturellement
instrumens de division et non de reunion ; et qu'y con-
tinuant, il ne pourroit attendre que toute bénédiction,
et consequemment toute prospérité de sa main. Quant
au roy de Navarre et à ceulx de la relligion , que sa
majesté pouvoits'asscurer qu'ils ne pensoient qu'à jouir
de ses edicts, et qu'il n'en falloit aultre argument , que
le peu de profit qui leur peult revenir des guerres ci-
VERS LE ROY HENRY III. 87 5
viles. Qu'en telles guerres à tout prendre, ceulxmesmes
qui semblent gaigner, perdent tousjours; toutesfois
qu'il n'y a double que ceulx qui se tiennent près du
souverain, n'ayent des moyens de s'avancer, les ungs
aulxhonneurs, les aultres aulx biens , qui sont les deux
choses que les hommes cherchent ordinairement par
leurs actions; que ni l'ung, ni Ta^ltre, au contraire , ne
se rencontre en la suite du parti auquel le souverain
faicl la guerre, mais bien pertes de biens, d'estats,
dignités , ruynes de maisons , incommodités de familles :
choses que les hommes ont accoustumé d'éviter et
de fuir par mille aultres maux ; tant s'en fault que, de
gaieté de cœur, ils les attirent sur eulx. Partant , que sa
majesté pouvoit penser que ceulx de la relligion , qui
avoient esprouvé ces malheurs , ne se jetteroient volon-
tiers en une guerre où ils ne pourroient faillir de les
trouver, et que la seule nécessité les y pouvoit faire
retomber ; de laquelle il loue Dieu de les voir exempts ,
veu la saincte volonté qu'il avoit pieu à sa majesté lui
déclarer. Et sur ce poinct , pour mon particulier, sire ,
comme l'ung de ceulx là, je ne feindrai de dire à vostre
majesté qu'il y a douze ans et plus que je tasche par
tous moyens de devenir catholique, et n'y puis jusques
ici parvenir. J'ai souvent considéré qu'après la faveur
de Dieu, il n'y arien de si précieux au monde que celle
de son prince; j'avois assés de chair pour convoiter les
biens et les honneurs du monde, et non si peu d'esprit
que je ne cogneusse que la relligion que je suis, n'estoit
pas le chemin pour les rencontrer. Je n'ignorois poinct
aussi que vostre majesté auroit tousjours mon service
plus agréable estant catholique qu'aultrement , et estoit
peult estre assés présomptueux pour ressentir en moi
quelque petit moyen de vous en faire. Là dessus je me
376 WEGOTIATION Dli M. DUPLESSIS , etc.
suis mis à lire tout ce que j'ai peu , à conférer avec
personnes doctes partout oùje me suis rencontré, ren-
contrant tousjours pour fortifier leurs argumens, ma
chair et mon esprit, qui ne desiroient rien tant que de
se rendre. Enfin, sire, il fault que je die à vostre ma-
jesté que ma conscience a vouUeu vaincre, cncores que
pour prix de ceste victoire elle ne veist que beaucoup
de disgrâces, de pertes, de dangers, qu'il m'a falleu
passer depuis. Le roy respondit que cela lui estoit ad-
veneu parce qu'il y apportoit de la passion. Il est vrai ,
dict il , sire ; mais à la vérité une passion qui combattoit
contre ma relligion , ung désir de m'avancer , d'autant
plus ardent que j'estois alors plus jeune, nonobstant
lequel toutesfois la vive persuasion de la vérité m'a
vaincu. Sur ce propos il lui dict, avec une façon fort
doulce , qu'il ne voulloit pas disputer avec lui. Et après
lui avoir renouvelle les protestations de paix , l'exhor-
tant à en asseurer , selon la créance qu'il y avoit, toutes
les églises de la relligion , et, pour la tierce fois , répété
le contentement qu'il avoit du roy de Navarre, lui
donna congé. Ces propos durèrent près de deux heures;
et de ce pas reprit la poste pour revenir trouver le roy
de Navarre.
LXVIII, — LETTRE DE M. DUPLESSiS
A MM. du synode de Vîsle de France.
Du 22 septembre i583.
Messieurs , j'ai receu vos lettres du dernier d'aoust,
et considéré l'advis y contenu touchant la procédure
qu'il convient tenir pour la reunion de nos églises.
M. de Beze m'en avoit escrit de mesmes il y a environ
LETTRE DE M. DUPLESSIS, eic. ^77
ung mois, auquel je feis response. C'est en somme,
messieurs, que le roy de Navarre ayant, comme vous
sçavés, à depescher M. de Segur, et craignant la lon-
gueur de la negotiation dont est question , pensa de
l'ébaucher par lui. Et ne tend son instruccion qu'à re-
monstrer aulx princes l'utilité et nécessité de ceste
reunion, et les maulx , dommages et inconveniens pro-
cédés de la desunion, les pryant de remettre, selon la
forme de l'Eglise ancienne, tous ces differens à ung
synode, duquel on pourra convenir quand les Eglises
auront plus de repos; et, en attendant, d'imposer si-
lence à toutes invectives tant de bouche que par escrit,
et demeurer frères et amis. Cela, à nostre advis, ne
peult estre trouvé mauvais des églises de Suisse; car
nous ne touchons poinct encores au fond , et n'est
qu'ung lenitif ou plustost ung apozeme disposant à la
médecine. Cependant nous trouverions très bon que, de
la part de nos églises de France, M. de Chandieu ou
M. de Serres visitast les églises de Suisse aulx, fins que
proposés , avec lettres du roy de Navarre et du synode,
tant aulx seigneurs qu'aulx pasteurs, et tant aulx can-
tons de la relligion qu'à leurs confédérés, et nommee-
ment à messieurs de Genève. Et nous ne laisserons
d'escrire à M. de Segur qu'il feist son retour par la
Suisse et par Genève, pour conférer de ce qu'il auroit
avancé. Les lettres du roy de Navarre qui seront re-
quises, nous les vous envoyerons au plus tost, celles du
synode estant icelui dissoleu , pourroient estre signées
par M. Merlin, qui y présida selon qu'il feut arresté qu'il
feroitles depeschcs procédantes des resolutions y prises,
s'il en estoit besoing ci après, au moins les signeroil.
Il a esté fort malade, et n'ai encores nouvelles de sa
pleine convalescence. De quoi , messieurs , je ne refuse-
iyS LETTRE DE M. DUPLESSIS
rai jamais labeur qui me soit enjoint pour œuvre si
nécessaire; mais il y en a de plus capables, et je ne
suis pas, comme pourrés entendre, sans besogne ici.
Dieu me fasse la grâce de le servir en quelque sorte
que ce soit, lequel je supplie, messieurs, vous avoir
en sa saincte garde, saluant pour la fin bien humble-
ment vos bonnes grâces.
De Pau.
LXIX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
u4 M. le prince cC Orange,
Du 9 novembre iSSl.
MoissEiGNEUU, ce ne m'a poinct esté chose estrange
d'estre calomnié diversement en ce siècle , parce que
la profession de vertu est subjecte à haine ou à envie,
qui se paissent ordinairement de médire quand elles ne
peuvent faire pis. Mais bien m'a il esté fort nouveau
d'entendre que vostre excellence qui croit volontiers le
bien, mesmes de ceulx qui lui font mal, se soit aisé-
ment laissée aller à sinistres opinions de moi, qui de
long temps vous ai voué ung si libre service, et n'ai
laissé passer (que j'aie peu) aulcune occasion d'en faire
preuve, jusques à en avoir encouru la haine que je
soutiens encores , de tous ceulx qu'à divers tiltres vous
avés estimé vous estre contraires. Jesçai, monseigneur,
qu'il est impossible qu'à la seule veue de ceste lettre,
vous ne vous ramenteviés la sincère affection que j'ai
apportée à tout ce que j'ai pensé vous toucher. Et ceste
seule souvenance me doibtexempter de toute apologie.
Mais , monseigneur , pour venir au poinct , on vous veult
faire croire que le conseil qui auroit esté donné aulx
députés des églises de Flandres , qui se trouvèrent au
A M. LE PRINCE DORANGE. 879
synode de Vitré, auroit esté cause de tout ce tjui se-
roit depuis advenu en Flandres ; et pour y avoir assisté
au nom du roy de Navaire, j'en suis nommeeinent et
principalement calomnié. En ce synode, nionscigneur,
il ne feut aulcunement traicté de Testât de Flandres,
ni d'ailleurs; seulement ceulx qui s'y trouvèrent, louè-
rent Dieu unanimement de la veneue desdicls députés ,
pour se recognoistre par le moyen d'icelle totalement
unis en mesme confession. Et quant aulx devis qui
pourroient avoir esté entre nous, selon que la tragédie
qui avoit esté fraischement jouée aulx Pays Bas, en
donnoit à tous le subject, le sommaire feut, et eulx
niesmes le diront ainsi, que véritablement il estoit mal-
aisé, veu ce qui s'estoit passé, de remettre bien tost une
bonne créance entre son altesse et le peuple. Qu'il estoit
pareillement difficdeet périlleux de donner advis, ou en
l'une , ou en l'aultre part , pour les précipices qui se pre-
sentoient de toutes parts, selon la proposition faicte par
vostre excellence, nommeement veu que le peuple inter-
pretoit pour juste punition de Dieu le mauvais succès
du traicté faict avec son altesse; mais que, soit pour
traicter ou pour ne traicter poinct avec icelle , telle re-
solution debvoit procéder de l'accord etarrestde toutes
les provinces légitimement assemblées soubs l'aucto-
rité de vostre excellence, de peur qu'ung symptôme
de division survenant à leur maladie, qui de soi estoit
assés fascheuse , n'affoiblist , ou n'emportast mesmes le
patient tout à coup. A ce propos feut mis en avant le
dommage universel qu'avoit apporté le conseil particu-
lier de ceulx qui appellerent le duc Cazimir en Flan-
dres. Feut adjousté que tel aide ni aultre ne pouvoit
tourner à bien pour les soupsçons et jalousies qui en
naistroient, sinon en tant qu'il seroit consenti de toute
38o LETTRE DE M. DUPLESSIS
]a généralité des pays. Quant à son altesse, que si on
avoit à traicter, se pourroient proposer des conditions ,
selon lesquelles le pays seroit secouru sans crainte de
dommage. Comme que le roy feist la guerre au roy
d'Espaigne pour divertir ses forces; qu'il donnast moyen
à son altesse de la continuer vivement du costé de
Cambray; que, pour le dedans du pays , son altesse em-
ployast, tant aulx affaires qu'aulx armes, personnes
non suspectes et agréables aux estats , etc. Gomme au
contraire, si on se resolvoit d'ung consentement de
n'avoir plus affaire avec lui , il se trouveroit des moyens
de se découdre d'ensemble sans rien déchirer; et que
lui mesmes , veu les mutuelles défiances, tourneroit
peult estre ses desseings ailleurs. Mais qu'en tout cas,
attendant que le temps devidast une pièce si meslee,
estoit nécessaire de resouldre par une assemblée gé-
nérale des moyens de soubstenir la guerre contre l'en-
nemi, qui aultrement feroit profit de leur irrésolution
et incertitude ; et que plus ils trouveroient de secours
et de force en eulx mesmes, plus seroient ils capables
de se resouldre ou en une part, ou en l'aultre, en tant
qu'ils ne prendroient alors conseil de la nécessité, mais
de la raison. Au reste , quant au poinct de la conscience ,
ores mesmes que les alliances et les mariaiges de per-
sonnes de diverses relligions marchassent de mesme pied,
qu'il estoit à considérer, qu'après le serment donné, et le
mariaige consommé, la chose n'estoit plus en son en-
tier, ains venoit à estre subjecte à la règle que donne
sainct Paul , que le fidèle tasche à amener à soi l'infi-
dèle, etc. Et si on objectoit que, par la foi rompue, le
traicté estoit dissoubs , comme le mariaige par l'adultère ;
qu il y avoit à respondre que bien est vrai que la per-
fidie donne juste occasion au peuple des Pays Bas de
A M. LE PRINCE D'ORANGE. 38 1
se départir du contrat, comme radultere au mari, de
se départir de sa femme ; mais que la dissolution du con-
trat n'estoit à présupposer tant que les estais légitime-
ment assemblés l'eussent jugé, et prononcé disertement
ne plus ne moins que la cause de divorce ne parfaict
pas le divorce, mais l'envoi du libelle; par ainsi, que
c'estoit toujours femme et mari, peuple et prince, etc. ,
jusques à ce que ces formalités eussent esté observées,
nonobstant les adultères et perfidies prétendues ou
intervenues, après lesquelles nous lisons assés de recon-
ciliations sans interruption de principaulté ni de ma-
riaige , comme mesmes il auroit esté veu en la personne
du ro)' d'Espaigne, après tant d'infractions des contrats
faiets avec ses subjects. Ce sont, monseigneur, à peu
près les propos qui feurent tenus par forme de discours ,
lesquels je vous dis avec la mesme franchise que j'ai
tousjours désiré vivre. Et cependant n'ai oncq dissimulé
ni dissimulerai qu'une des plus grandes et plus pro-
fondes joies que je pense avoir eu de ma vie, feufc
d'entendre l'entreprise d'Anvers faillie, pour l'interest
commun de la vraie Eglise, pour le particulier que je
sens vivement (et ne sçai bonnement pourquoi) eu
celui des Pays Bas , et pour la singulière affection que
j'ai au service de vostre excellence , dont j'aurai trop
de regret d'avoir besoing d'alléguer aultre tesmoing
qu'elle mesmes. Or c'est trop, à mon advis, envers
vostre excellence, et beaucoup plus ne suffiroit pas
contre les calomniateurs; et pourtant, je supplierai le
Créateur, monseigneur, qu'il assiste vostre excellence
par son Sainct Esprit en tant de perplexités. Et pour
mon regard demeurerai, s'il vous plaist, vostre très
humble, etc.
De Pau en Bearn.
38-2 . LETTRE DE M. DUPLESSIS
LXX. — LETÏKE DE M. DUPLESSIS
A M. de Montaigne.
Du 9 novembre i58'3.
MoNSiEtja, si mes lettres vous plaisent, les vostres
me profitent; et vous scavés de combien le profit passe
le plaisir. M. de Bellievre conféra avec M. le mareschal
cà Fotenzac. Soudain après, renfort de garnison , forme
de citadelle, poursuite par ung viseneschal contre ceulx
de la relligion de Bazas; qui plus est, garnison à Sainct
Sever, Dax , Marmande, Gondom, etc. Ce prince a
jugé qu'on le voulloit mener à ce qu'on prétend par
force; et que ces deux, bien que par diverses voyes ,
tendoient à mesme but. Vous scavés la profession qu'il
faict àe couY^Q^e -^ Jlectatar forte facile y at frangatur
nunquam. Ainsi, il a pryé M. de Bellievre de surseoir
la proposition de sa principale charge jusques à ce que
ces rumeurs d'armes feussent accoisees. Cela faict, il
aura les oreilles plus disposées, et peult estre par les
oreilles, le cœur. Ung festin préparé, si le feu prend à
la cheminée, on le laisse pour courir à l'eau : nous
estions préparés à la réception; le feu se prend en ung
coing de ce royaume, mesmes soubs nostre foi, nos
amis sont en danger ; qui trouvera estrange qu'on désire
qu'il y soit pourveu avant de passer oultre? Adjoustés
que ce prince veult avoir le gré tout entier de ce qu'il
veult faire , sans qu'il en soit rien imputé à aultre con-
sidération quelconque. On m'a lasché ung mot que les
aucteurs de ce conseil se pourroient repentir. Le maistre
a assés d'esprit pour le prendre de soi mesmes; et M. de
Bellievre seroit marry que tous les conseils de France
A M. DK MONTAIGNE. 383
lui feussent imputés. Les persuasions peuvent beau-
coup sur ma simplicité, les menaces fort peu sur la re-
solution que j'ai prise. Et vous saurés bien juger pour
vos amis en quelle opinion on en parlera. Je ne vous
dirai plus qu'ung mot. L'affaire pour laquelle il estoit
veneu, mérite sa gravité et expérience; mais il se tient
tant sur la réputation du roy, qu'il semble avoir peu de
soingde la nostre; et qui vient pour satisfaire une in-
jure non tant prétendue que recogneue, bien qu'il ait
affaire avec l'inférieur, ne doibt tant payer d'auctorité que
de raison. Çuo acriora ingéras ^ eo contumacior éva-
dât humoi- qui miligandus est : quo sane nisi mitigaio ,
vidniis convalescere nidlâ ratione polest. Viderintipsi;
tu etiam atque etiam vale.
Du Mont de Marsan.
LXXL — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Saletles.
Du 23 novembre i583.
Monsieur de Salettes , depuis vostre partement ,
l'insolence extrême de ceulx du Mont de Marsan , et
les longueurs sans fin de M. le marescbal de Matignon ,
ont réduit le roy de Navarre à y rentrer de soi mesmes.
Ce qu'il a faict, grâces à Dieu, si heureusement que j
lundi 2 1 novembre, ses gardes s'y logèrent sans excès,
pillage ni sang, et tost après feurent suivies de lui.
Deux hommes pour tout , courans à fallarme , y ont eslé
tués, que la voix de tous les gens de bien dç la ville
adjugeoit de long temps à fin plus misérable. Nous
avons escrit partout, afin que ceste reprise de posses-
-sion , que chacung feroit chez soi, ne soit interprétée
384 LETTRE DE M. DUPLESSIS
en conséquence du gênerai. Et particulièrement le roy
de Navarre en escrit amplement à leurs majestés , les-
quelles , à mon advis, veu leurs ordonnances tant de
fois réitérées, ne le trouveront pas plus estrange que
quand ung de leur suite entre par la fenestre en une
maison qui lui est marquée par fourrier ou donnée par
le mareschal des logis , si on lui en veult fermer la porte ;
car enfin le roy de Navarre n'a faict aultre chose qu'exé-
cuter l'intention du roy et faire obéir la craye. Ici ne
les ayant peu vaincre par ci devant par patience, nous
taschons à les dompter par bonté , puisqu'ils nous en
ont voulleu mettre à l'extrême preuve, et j'espère qu'ils
sentiront par effect qu'il nous est plus naturel de bien
faire , qu'il ne leur a esté coustumier de faire mal depuis
quelques années; et peult estre ce subject nous aura
servi pour monstrer quels nous sommes. Je vous en
escris la vérité, parce que je sçais qu'on la déguisera
de mensonge, lequel se rendra d'autant plus croyable,
que leur faulte estoit réputée digne de plus rigoureux
traictement, et les soldats de ce temps peu capables
d'estre contenus en ceste discipline. Si vous puis je
asseurer qu'il ne s'y est perdeu ni pris ung cheval ni
ung denier; en quoi j'ai eu trop plus de contentement
qu'en la chose mesmes. C'est ce qu'aurés de moi pour
ce coup, qui, sur ce, saluerai bien affectionnement
vos bonnes grâces, et supplierai le Créateur, mon-
sieur, etc.
Du Mont de Marsan.
A M. DE MONTAIGNE. 385
LXXII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Montaigne, (i)
Du 25 novembre i583.
Monsieur, le roy de Navarre vous a escrit comme
il est entré en sa ville de Mont de Marsan. L'insolence
extrême de ses subjects, et les remises sans fin de M. le
mareschal , lui ont faict prendre cette voye. Vous scavez
que toutes nos affections ont quelque borne; il estoit
mal aisé que sa patience n'en eust, mesmes puisque leur
folie n'en voulloit poinct avoir. Cependant Dieu nous a
faict la grâce que tout s'est passé avec fort peu de sang
et sans pillage , et vous puis asseurer que , sans la crainte
du contraire , il y a six mois que nous pouvions estre
dedans. J'estime que par gens de considération ceste
action ne sera mal interprétée : l'intention du roy, selon
ses edicts et mandemens , estoit que nous y rentrissions.
La seule obstination de ceulx de la ville supportés,
comme les lettres que nous avons en main nous tesmoi-
gnent, nous y faisoit obstacle. C'est comme si les mares-
cbaulx des logis du roy nous avoient donné ung logis,
et que , sur le refus de l'hoste , nous feissions obéir la
craye; et j'ose vous dire plus, que, sans encourir ung
mespris public, que je redoute plus que la haine, nous
ne pouvions allonger nostre patience. A ceulx qui en
eussent peu prendre ou donner l'allarme, nous avons
soigneusement escrit de toutes parts, et ne doibvent
présumer de ceste reprise de possession , ordinaire au
moindre gentilhomme de ce royaume, rien de public
(i) Michel de Montaigne, auteur des Essais.
Mém. de Duplessis-Mornay. Tome ir. 20
386 LETTRE DE M. DUPLESSIS
ni extrême. A vous qui n'estes, en ceste tranquillité
d'esprit, ni remuant, ni remué pour peu de chose,
nous escrivons à aultre fin , non pour vous asseurer de
nostre intention , qui vous est prou cogneue et ne vous
peult estre cachée , soit pour nostre franchise , soit
pour la poincte de vostre esprit , mais pour vous en
rendre plege et tesmoing , si besoing est , envers ceulx
qui jugent mal de nous, faulte de nous voir, et par voir
plus tost par les yeux d'aultrui que par les leurs.
Que voulez vous plus ? M. de Castelnau l'a faict ,
c'est vostre ami, qui plus est, non suspect pour la rel-
ligion, mais emeu de la seule équité de nostre cause:
Si quid peccatam dicunt in forma ^ compensetur ve-
lim in materiâ. Ce que certes nous faisons, avons
faict et ferons , leur monstrans par effect qu'il nous est
plus naturel de pardonner leurs faultes, qu'il ne leur
seroit peult estre de les amender. Sur ces entrefaictes ,
nous arrive M. de Bellievre , et vous savés pourquoi.
Gravitati ego sane silentiuni opponam. C'est la sœur
de mon roy , la femme de mon maistre , Tung agent en
ce faict , et l'aultre patient , prudent qui employé sa pru-
dence à ne s'y employer poinct. Si on parle d'une satis-
faction d'injure, ce n'est au serviteur à estimer celle
de son maistre. Et qui n'est légitime estimateur de
l'injure, de la satisfaction ne le sera il poinct? Je le
vous ai dict et le redis encore, si j'estois deschargé de
ce faix, je saulterois, ce me semble, soubs le bast et
entre les coffres que j*^ porte ; mais Dieu a voulleu es-
sayer mes reins soubs une charge plus forte, et je me
confie en lui qu'elle ne m'accablera point. Hœc tibiy
et iaojudicio.kw reste, faictes estât de nostre amitié
comme d'une très ancienne, et toutesfois tousjours
récente j et de mesme foi je le ferai de la vostre, que
A M. DE MONTAIGNE. 887
je pense cognoistre en la mienne mieulx qu'en toute
aultre chose. Vous en ferés la preuve où et quand il
vous plaira, et me trouvères sans exception , etc.
LXXIII. — INSTRUCTION
Au sieur d'Angroigne , retournant en Angleterre.
Le sieur d'Angroigne tesmoignera à la royne d'An-
gleterre le plaisir qu'a receu le roy de Navarre des
lettres qu'elle lui a faict cest honneur de lui escrire ,
des tesmoignages de son amitié qu'il a sentis par lui,
et de tout le discours de la negotiation du sieur de
Segur.
Et quant à ce qu'elle n'auroit trouvé bon d'envoyer
vers lui par ci devant comme elle lui escrit, pour ne
donner lieu aulx défiances, qu'il recognoist l'honneur
et la faveur que ce lui eust esté de recevoir plus sou-
vent de ses nouvelles, lesquelles, sansdoubte, lui eus-
sent* apporté plus de confiance et d'utilité , que les dé-
fiances d'aultrui, prinses sans subject, ne lui eussent peu
causer de dommage ; mais qu'en cela nonobstant il
acquiesce volontiers au prudent jugement de sa ma-
jesté, s'asseurant que ce qu'elle s'abstient envers lui
de ces gracieux complimens, n'est que pour lui faire,
en recompense, d'autant plus sentir les effects de sa
bonne grâce.
Lui fera entendre, ledict sieur d'Angroigne, le désir
que ledict seigneur roy a de long temps de lui aller
très humblement baiser les mains, qui auroitesté cause
de lui faire entreprendre visiter les princes chrestiens,
duquel elle avoit esté le principal et presque seul sub-
ject; mais que l'incertitude de ses affaires, procédante
3Ô8 INSTRUCTION
des entreprises entresuivies de ceulx qui lui veullent
mal , lui en auroient tousjours osté le moyen.
Comme encores à présent sa majesté entendra du
sieur d'Angroigne l'irrésolution en laquelle on le tient
en ceste circonstance de temps, qui est comme la crise
de sa maladie , et les justes occasions de défiance qu'on
lui donne, qui ont besoing d'estre appuyées de la con-
fiance qu'il a prise d'elle.
Cependant qu'il lutte de sa patience contre ces dif-
ficultés, et d'autant plus patiemment, qu'il espère, par
ce moyen, se rendre ung chemin ouvert pour lui aller
offrir son très humble service ; et pour lui en faire plus
évidente preuve, ne seroit presque marri ledict sei-
gneur roy qu'elle eust quelque digne subject d'employer
ses amis et serviteurs, entre lesquels il espereroit se
faire remarquer des premiers, encores qu'il désire au
reste tout bien, repos et tranquillité à ses affaires.
N'omettra à lui dire les trames que le roy d'Espaigne
faict pour lui troubler son estât , tant par dedans que
du costé d'Escosse; et comme il tasche d'attirer le roy
de France en ceste pratique , s'asseurant , s'il veult estre
de la partie , qu'elle ne peult eschapper de leurs des-
seings. Ce que ledict sieur roy de Navarre a entendu
de personne bien qualifiée, qui lui sera nommée par le
sieur d'Angroigne , et qu'il n'a mesmes celé qu'il y avoit
diverses entreprises sur sa personne, desquelles, de-
puis peu de jours, quelqu'une auroit esté faillie. Pryant
ladicte dame , pour l'interest de toute la chrestienté ,
et pour celui qu'il y sent avoir plus qu'aulcun aultre,
de se conserver soigneusement et contre le dol et contre
la force; et quant au dol, il n'oubliera les advertisse-
mens particuliers qui lui en ont esté mis en main par
ledict seigneur roy.
AU SIEUR D'ANGROIGNE. 38g
Pour la force, sçait ledict seigneur roy de certain,
qu'à ce commencement d'esté prochain, ceulx de la
maison de Guise, pour exécuter ce qu'ils ont conclu
par le sieur deMeneville en Escosse, font estât de faire
une descente subite et inopinée par le pays de Galles
en Angleterre, en laquelle ils seront tost après secourus
d'Espaigne. Le moyen est que le sieur de Sainct Luc,
gouverneur de Brouage, qui, pour cesteffect, traicte
maintenant avec le duc de Mayenne , à présent en Poic-
tou , et avec le duc d'Elbœuf et aultres de ceste mai-
son, faict estât d'arrester, tout en ung jour, tous les
grands vaisseaux flamans, hollandois, zelandois, sué-
dois, danois, ostrelins et mesmes anglois qui se trou-
veront en ceste saison en Brouage, auquel temps au-
ront donné ordre d'assembler six ou sept mille hommes
de pied en Xaintonge et Poictou , soubs ombre de Por-
tugal et d'une entreprise que redresse la royne mère.
Tout à coup feront embarquer lesdictes trouppes, qui
auront poiu^ escorte quelques vaisseaux de guerre des
sieurs de Lansac, Sainct Luc etRuffec, et feront voile
pour mettre pied à terre en Angleterre. Homme qui
sert à ce desseing sans en sçavoir bonnement le fonds ,
en a communiqué avec le roy de Navarre, qui, par ceste
occasion, y a voulleu voir plus clair, et enfin en a sondé
la vérité, qui est telle que dessus.
Et que ce desseing soit contre l'Angleterre et non
contre le Portugal , il s'apperçoit par ceulx qui y frayent
et participent; car les chefs sont ceulx de Guise, en-
nemis d'Angleterre et amis d'Espaigne, et à ceste fin
est venu le duc de Mayenne passer son hiver en Poic-
tou , et les principaulx instrumens sont les sieurs de
Lansac le jeune et de Sainct Luc, tenus en France vul-
gairement pour pensionnaires d'Espaigne. Gest adver-
Sgo INSTRUCTION AU SIEUR D'ANGROIGNE.
tissement doibt demeurer secret pour la conséquence ,
et sera neantmoins aisé à sa majesté d'y donner ordre.
A ceci doibt estre adjousté qu'il n'y a plus apparence
que la France tente rien contre l'Espaigne, veu qu'elle
s'en va renoncer à la negotiation des Pavs Bas, par le
moyen de laquelle elle pourroit principalement retarder
sa grandeur. Et de faict, la paix se traicte maintenant
entre le roy d'Espaigne et monseigneur, auquel on
offre déjà ung million d'or; que Cambray demeure neu-
tre, et qu'il renonce à l'élection desdicts Pays. Quit-
tant ceste occasion, à quel propos en aller chercher
une aultre plus difficile, plus loingtaine, peu utile à
nous et moins nuisible an roy d'Espaigne?
Ce sera à sa majesté à y appliquer les remèdes selon
le mal; seulement, si, en ceste délibération , elle se re-
soult d'appeller ses amis et serviteurs , le roy de Na-
varre la supplie de se ressouvenir tousjours de lui entre
les premiers, et de faire estât de tout ce qui dépend
de son auctorité, mesmes de sa propre vie.
LXXIV. — RESPONSE
A V instruction de M. de Lcwerdin , envoyé de la part
de Monseigneur vers le roy de Navarre.
Le roy de Navarre ne feut jamais plus vivement
touché au cœur que quand il entendit l'occasion du sou-
dain parlement de la royne sa femme , pour l'interest
inséparable qu'il a en tout ce qui la touche , et ne cè-
lera à son altesse que ce lui eust esté ung grand sou-
lagement en ce malheur de se veoir assisté de son pru-
dent advis par l'envoi de quelqu'ung de sa part pour
l'aider a en sortir; mais ce lui eust esté aussi trop de
RESPONSE A L'INSTRUCTION, etc. Sgi
regret pour la prospérité qu'il lui désire, que cest
affaire eust en rien retardé les aultres plus urgens qu'il
pouvoit lors avoir, et pourtant, maintenant qu'il en est
soulagé , il le remercie très humblement du soing qu'il
a eu de le visiter, mesmes par le sieur de Laverdin, de
l'affection et fidélité duquel il a tiré de si notables
preuves.
Ne doubte ledict seigneur roy de Navarre que son al-
tesse aura très bien entendu que si tost qu'il sceut ce
qui estoit advenu à l'endroict de la royne sa femme , il
depescha gentilhomme exprès vers le roy, duquel prin-
cipalement dependoit le remède, avec instructions par
lesquelles il feit assez cognoistre combien il estoit soi-
gneux de l'honneur et réputation de ladicte royne sa
femme; et pense en cela, ledict sieur roy, n'avoir rien
obmis de ce qui pouvoit entretenir leur bon mesnage,
tant s'en fault que par là il ait en rien facilité les ar-
tifices de ceulx qui auroient voulleu essayer le con-
traire.
Et, quant à ceulx qui par ce moyen auroient pré-
tendu le desunir d'avec le roy et son altesse, ne sçait
ledict seigneur roy dç Navarre quels ils peuvent estre ; et,
si aulcungs y en a , les estime bien loing de compte , soit
pour le bon naturel de leursdictes majesté et altesse ,
soit pour le service très humble qu'il leur a désiré ren-
dre toute sa vie ; mais particulièrement lui dira ledict
seigneur roy de Navarre , que le roy lui feit cest honneur
d'avoir pour très agréable la façon dont il procéda lors
en ce faict , pour le debvoir qu'il rendit à sa majesté
en gardant son honneur, comme encores tout frais-
chement il lui a tesmoigné par le sieur de Bellievre; et .
pour le regard de son altesse, qui lui faict ceste faveur
d'estre jaloux de leur honneur comme du sien propre .
392 RESPONSE A L'INSTRUCTION
il ne peult doubler qu'elle n'en ait receu pareil con-
tentement.
C'est aussi ceste considération de leur honneur com-
mun et non aultre, qui auroit faict que ledict roy de
Navarre auroit procédé plus lentement en la réception
de la royne sa femme , préférant la satisfaction deue à
sa réputation , à toutes aultres affections qui tiennent
communément les hommes ; et craignant aussi avec
quelque raison que leur rapprochement ne feust cause
d'esloigner ou empescher ladicte satisfaction. Pour
cette raison donc , il supplie très humblement son al-
tesse voulloir tenir la main et à bon escient , selon la
promesse et offre qu'il lui plaist lui en faire, contre tous
ceulx qui se vouldroient opposer à chose si juste et rai-
sonnable; et s'asseure tant de l'amitié qu'il leur porte,
et de l'affection qu'il lui plaist apporter à ung affaire
qui leur importe tant, qu'il employera son auctorité
pour lever au plustost les obstacles qui mal à propos
ont esté suscités, mesmes en ce pays, pour l'en re-
tarder.
Ne veult entrer ledict seigneur roy aulx causes des
inconveniens advenus, se contentant den rechercher les
remèdes là où il espère les debvoir trouver. Mais bien
lui dira que ce qu'il en a entendu de tout ce faict, ne lui
est poinctvenu par billets, ni par rapports, desquels, en
tel cas, il requerroit aussi peu de satisfaction comme ils
méritent de créance. Ains qu'il n'en a rien sceu que ce
qu'il a pieu au roy lui mander ou escrire, ou qui s'est
faict et sceu si publicquement qu'il n'estoit pas possible
qu'il en feust seul ignorant.
Et quant à l'entresuite d'affaires ruyneux qui lui
pourroient procéder de ce faict, qu'il estime s'y estre
si bien gouverné jusques ici au gré du roy et sien, que
DE M. DE LAVERDIN. SgS
leur bonne grâce lui sera assés d'appui et de défense
contre tous ceulx qui oseroient rien entreprendre contre
lui. Et pour le regard de ceulx que son altesse pense
aucteurs et inventeurs de ce mal , que tant s'en fault
qu'il les puisse craindre, qu'il se promet que le roy ,
s'il s'en trouve de tels, lui en fera justice , comme de-
rechef il supplie très humblement son altesse, pour
l'honneur qu'il a de lui estre ce qu'il est, d'y apporter
la main.
En ce faisant , son altesse obligera de plus en plus
ledict sieur roy de Navarre et la royne sa sœur, de lui
rendre l'honneur , obéissance et service qu'ils lui doib-
vent. Ce qu'il a pryé le sieur de Laverdin de lui décla-
rer plus amplement, dont il lui fera ceste faveur de le
croire , selon l'ancienne cognoissance qu'il a du plus
intérieur de son cœur.
Comme aussi a pryé ledict sieur de Laverdin de tenir
son altesse bien particulièrement advertie de Testât des
choses de deçà , tant pour le soing qu'il lui a pieu avoir
de les pacifier, que pour le bien que peult apporter
l'entremise de son auctorité contre les troubles qui y
semblent naistre.
LXXV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Montaigne.
Du i8 décembre i58'î.
Monsieur, nous appercevons, par les lettres que
M. de Bellievre escrit au roy de Navarre, que le roy a esté
mal informé de ce qui s'est passé ici. Sur fausses pre-
suppositions, on ne peult que conclurre faux. Et j'es-
père , quand il aura sceu la vérité , tant par lettres de
094 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
M. de Bellievre, que par les nostres, qu'il prendra le tout
en meilleure part. Ce qui est véniel à M. de Joyeuse, ne
nous doibt poinct estre mortel. Encores nostre action
en toutes circonstances est elle plus supportable. Ce-
pendant on nous circuit de garnisons pour tirer la chose
en conséquence. On n'a poinct ainsi procédé contre les
aultres; et cette inégalité ne peult procéder que de la
passion de quelques ungs. Ce prince ne pense qu'cà la
paix; et je désire fort qu'on rie le presse poinct oultre
mesure : vous le cognoissés. Mesmes lors qu'il doibt
craindre, il ne le veult pas. Je pense que la prudence de
M. de Bellievre modérera toutes choses. Ces inconve-
niens appaisés, video cœtera proclivia; et vous en aurés
des marques, mais qui doibvent estre aidées. Je suis,
et serai tousjours vostre, etc.
Du Mont de Marsan.
LXXVI. — INSTRUCTION
A M. de Chassincourt sur la demande de l'assemblée
générale des églises.
Du 23 décembre i583.
Le sieur de Chassincourt fera entendre au roy ,
qu'ayant le roy de Navarre entendu, par le retour de
M. de Clervant, la saincte intention qu'a sa mnjesté
d'affermir de plus en plus la paix, et, à ceste fin, faire
exécuter ce qui reste de part et d'aultre pour l'entière
observation d'icelle, il se seroit résolu d'apporter de sa
part, pour faciliter une œuvre si nécessaire, tout ce que
Dieu lui auroit donné d'auctorité soubs celle de sadicte
majesté, afin qu'elle puisse , après tant de peines, avoir
<'e contentement tant désiré , de voir, Jion seulement les
INSTRUCTION A M. DE CHASSINGOURT. 31)5
playesdes malheurs passés bien refermées, mais mesmes,
en tant que possible seroit, les marques et cicatrices
d'icelles entièrement effacées.
Et parce que , pour parvenir aux effects que dessus
sa majesté auroit estimé nécessaire d'envoyer certains
commissaires es provinces , personnages dignes et qua-
lifiés, tant pour remettre ledict seigneur roy de Na-
varre, et monseigneur le prince de Condé, en la pleine et
réelle jouissance de leurs gouvernemens, que pour
aussi recevoir des mains de ses subjects de la relligiori
reformée les places qu'il auroit pieu à sa majesté leur
bailler en garde pour certaines années, dont l'ung des-
pend de la seule auctorité et simple vollonté de sadicte
majesté ; l'aultre de la confiance qu'il est requis que
sesdicts subjects de la relligion reformée prennent de la
bienveillance de sa majesté pour se remettre totale-
ment en elle ; ledict seigneur roy de Navarre, pour les
y induire et persuader, estime très nécessaire, pour
le service de sa majesté, qu'il se tienne , avec son bon
plaisir, une assemblée générale des députés des églises
de la relligion reformée de son royaume , où ledict sei-
gneur roy de Navarre se trouvera en personne pour leur
proposer la volonté de sa majesté, délibérer avec eulx
des plus propres et faciles moyens de l'effectuer, et, selon
ou au plus près d'icelle , le faire resouldre. Moyennant
quoi, espère ledict seigneur roy de Navarre, que lesdicts
sieurs commissaires de sa majesté trouveront les che-
mins si applanis, et les cœurs si disposés à l'exécution
de leur commission et satisfaction de sa majesté, qu'elle
cognoistra enfin que ce qu'il a désire retenir auctorité
et créance entre sesdicts subjects de la relligion refor-
mée , a esté principalement pour en rendre l'auctorité
et volonté de sa majesté tant plus facilement obeie,
39^3 INSTRUCTION
quoique plusieurs ayent tasché et laschent journelle-
ment de lui faire entendre le contraire.
Adjoustera ledict sieur de Chassincourt que sa ma-
jesté a faict souvent cest honneur au roy de Navarre,
de lui déclarer le desplaisir qu'elle avoit des courses,
entreprises et attentats, et aultres menus remuemens
qui s'exerçoient et commettoient en divers lieux de
quelques provinces, tant de part que d'aultre, pour aux-
quels remédier, ledict seigneur roy de Navarre, en tant
qu en lui a esté, se seroit tousjours diligentement em-
ployé ; mais non avec tel succès partout qu'il eust bien
désiré, tant pour les défiances qu'aulcuns prennent
plaisir d'esveiller et d'attiser, à mesure qu'il prend peine
de les amortir et esteindre , que particulièrement pour
la circonstance de ce temps , auquel se parle de re-
mettre les susdictes villes, dont plusieurs esprits entrent
en peine et anxiété , ne voyans encores les choses en
Testât qu'on esperoit que le terme de six ans les pou-
voit réduire.
Pour donc les resouldre de leurs défiances et incer-
titudes, en les asseurant de la bonne et saincte inten-
tion de sa majesté, a pensé, ledict seigneur roy de Na-
varre , que ladicte assemblée générale des églises vien-
droit très à propos. Car icelle estant amenée par les rai-
sons qui pourront estre alléguées à la raison qu'on de-
sire, lesdictes églises s'emploieront, puis après, tant plus
volontiers h resouldre les doubtes, défiances et incerti-
tudes des particuliers dont est question. Et en ce cas
qu'ils ne s'y voulleussent ranger, les feront soubs le com-
mandement de sa majesté ployer à son intention, dont
elles auront esté pleinement esclaircies. Joint que, si
aulcuns prétendent quelque cause de se plaindre, ils en
attendront le remède par le retour de ladicte assem-
A M. DE CHASSINCOURT. ^97
blee ; au lieu que maintenant aulcuns sont contraincts
de le chercher par desespoir en voyes moins licites.
Ramentevra à ce propos au roy les précédentes as-
semblées de Montauban et Sainct Jean , combien elles
ont aidé à affermir la paix, à lever les doubles et dé-
fiances, à reprimer les boutées, desreglemens et inso-
lences de quelques particuliers, et mesmes à faire obéir
sa majesté quand il feut question de remettre en Testât
porté par l'edict, les villes qu'on appelloit de la confé-
rence. Bref, que lorsqu'il a semblé que les choses glis-
soient vers le trouble, elles les ont souvent retenues en
debvoir, estant les premiers persuadés de la raison, et
employant, puis après, leurs raisons vers les aullres pour
les y induire; ce qui, sans doubte, réussira encores de
celle ci pour la bonne inclination qu'il voit en tous les
gens de bien, pour le mouvement que ledict seigneur roy
de Navarre y apportera de sa part ; mais surtout pour
l'espoir que sa majesté donne à son peuple , de leur
voulloir estabhr et perpétuer un repos soubs le bénéfice
de ses edicts. Au contraire, il apperçoitque l'omission,
ou trop longue intermission de ce remède , est cause
en partie des maulx qui régnent en quelques lieux, es-
tant, pour le malheur des guerres, aulcunes des provin-
ces de ce royaume pleines de -certaines humeurs qui
ne se composent pas du premier coup (mesmes quand de
fois à aultres elles s'entraigrissent) , ains qui ont be-
soing de réitération de remèdes qui en veult esviter la
maladie.
Ainsi ledict sieur de Chassincourt fera très humble
instance vers sa majesté de consentir ladicte assemblée,
pour estre icelle obtenue au plus tost, et y adjoustera à
ceste fin toutes aultres raisons dont il se pourra adviser,
Faict au Mont de Marsan.
398 INSTRUCTION
LXXVTI. —INSTRUCTION
De ce que le sieur de Chassincourt dira au roj sur
le vojaige du sieur de Segur, pour response au
dernier article des lettres de sa majesté apportées
par M. de Cleivant, en datte du . .. novembre 1 583;
dressée par M. Duplessis , le 1^ décembre suivant.
Le roy de Navarre ne pense poinct que sa majesté
s'offense du voyaige du sieur de Segur vers les princes
estrangers amis et alliés de ceste couronne , mais seu-
lement de la cause et fin dudict voyaige, qu'on lui a
faict tout aultre , qu'à la vérité elle n'est.
Car, pour y avoir envoyé, sa majesté sçaitbien con-
sidérer que Thonneur qu'a ledict seigneur roy de Na-
varre , par la grâce de Dieu , d'estre ce qu'il est , non
seulement l'exempte de tout blasme en cest endroict ,
mais mesme l'oblige à le faire , pour le rang qu'il tient
et qu'il doibt conserver, s'il ne veult perdre avec le
royaume dont il a esté injustement despouillé , tout
l'espoir qui lui reste d'y pouvoir ung jour légitimement
retourner.
Et ne s'est jamais trouvé estrange que MM. de Lorraine,
de Longueville, et mesmes les seigneurs de la Mark et
aultres qui ont des biens en France, ayent traicté avec
les princes estrangers en la qualité qu'ils ont de sou-
verains , comme encores journellement messieurs de
Nemours et de Guise traictent de leurs affaires ou de
ceulx qui les touchent en Italie, en Savoye, en Escosse,
sans que sa majesté le prenne en mauvaise part. A plus
forte raison , s'asseure le roy de Navarre que sa majesté
ne peult trouver mauvais qu'il envoyé vers lesdicts
A M. DE CHASSINCOURT. Sgg
princes estrangers pour entretenir ou rechercher leur
amitié qui kii est honorable , et es occasions que le
cours du inonde peult faire naistre, lui seroit utile et
nécessaire. Joint qu'ayant cest honneur de lui appartenir
de si près, ce qu'il acquiert de support est acquis à sa
majesté , sans qu'il y ait apparence qu'il soit converti
au dommage de son estât, en la conservation duquel
il a et sent si notable interest.
Et, pour le regard de la cause et fin de cedict voyaige,
dira ledict sieur de Chassincourt, que la principale est
d exhorter tous les princes qui font profession de la
relligion reformée à ung synode gênerai desdictes
églises, auquel puissent estre décidés et appoinctés les
differens qui sont entr'eulx pour l'interprétation de
quelques passages de l'Escriture concernans aulcuns
articles de leurs confessions, comme sa majesté , qui a
cognoissance desdicts pays, ne le peult ignorer. Or, estant
cest affaire nuement ecclésiastique , ledict seigneur roy
de Navarre n'a peu soupsçonner que sa majesté entrast
en sinistre opinion de ce voyaige pour la poursuite
d'icelui.
En traictant ce poinct comme principal , le roy de
Navarre a donné charge audict sieur de Segur, comme
chemin faisant, de lui rafraischir l'amitié que ses pré-
décesseurs ont eue avec les susdicts princes, et qu'il
doibt , s'il aime ses affaires , entretenir avec tous, autant
qu'il pourra. Les princes bien conseillés désirent amitié
avec tous princes , et les princes chrestiens la doibvent
pourchasser avec tous chrestiens, et plus il aura d'amis
par telles recherches d'amitié , plus aura il de moyen
de faire service à sa majesté comme il le doibt. Si ledict
seigneur roy de Navarre eust eu desseing de rechercher
leur amitié contre l'estat de ce rovaume, comme on
4oo INSTRUCTION
lui a voulleu faire entendre, il ne se feust pas adressé
à ceulx qu'il cognoist pour amis et alliés de sa cou-
ronne ; la royne d'Angleterre, le roy de Dannemarck,
les princes de l'Empire , les estais des Pays Bas , mes-
sieurs des Ligues. Et considérera sa majesté qu'il y en a
d'aultres en la chrestienté desquels peult estre l'amitié
ne lui estoit inaccessible , vers lesquels il l'eust aussi
tost peu envoyer; joint que ledict seigneur roy, appa-
remment n'y eust pas employé le sieur de Segur, duquel
les paisibles deportemenssont cogneus d'ung chacung ,
et tesmoignés particulièrement à sa majesté par plu-
sieurs bons effects.
Quant à l'argent qu'on a dict à sa majesté qu'il a
mis es mains du sieur de Segur, pour déposer en Alle-
maigne, né veult ledict seigneur roy de Navarre nier
qu'il y a long temps qu'il a désiré avoir vendu une
bonne partie de son bien, pour y avoir cinq cens mille
escus. Sa majesté sçait qu'il a eu de beaux et notables
desseings qui lui ont esté communiqués, lesquels, faulle
de cela, sont demeurés derrière. Il en peult naistre à
l'advenir de semblables ou plus grands , ausquels il
auroit trop de regret de se voir ou inutile ou mal
préparé, faulte de les avoir preveus , et consequemment
pourveu à ses affaires. Cest argent, en somme, ne peult
nuire à personne , qu'en tant qu'il eust volonté d'en
mal user ou ailleurs qu'il ne doibt.
Et il pense jusques ici avoir assés rendu de tesmoi-
gnage de son intention au bien de la paix et repos de
cest estât. Si aulcuns sont marris qu'il ait des moyens,
et le calomnient soubs ombre qu'ung aultre en peult
abuser, ledict seigneur roy de Navarre a désiré mesmes
en avoir, afin que ce qu'il fera de bien, ne lui soit im-
puté à nécessité , comme plusieurs font , mais à la bonne
A M. DE CHASSINCOURT. 4oi
volonté et à la cognoissance qu'il a du debvoir; mais
a ledict seigneur roy de Navarre occasion, ce lui sem-
ble, de se plaindre en ce faict, veu qu'on ue s'est
poinct ci devant formalisé que le cardinal de Lorraine
eust argent à Venise , comme encores aujourd'hui on
ne se pkiind poinct que cenlx de Guise en font ung fonds
que chacung sçait en Allemaigne, qui n'ont tel mterest
au salut de l'eslat que le roy de Navarre, n'y ont pas
la nature obligée comme lui, et, qui plus est, desquels
lesprojetsdebvroientestre, au jugement des plus sages,
trop plus suspects au roy et à son estât, que ceulx du
îoy de Navarre qui naturellement n'est grand qu'en la
grandeur dudict estât, au lieu que ceulx là ne peuvent
s'agrandir que de sa ruyne.
Ledict sieur de Chassincourt tiendra ces propos au
roy, sans en bailler rien par escrit, y adjoustant ce
qu'il jugera convenable à ceste fin , et observera soi-
gneusement les responses de sa majesté pour en ad-
vertir bien particulièrement ledict seigneur roy de
Navarre.
LXXVIIL — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Montaigne,
Du dernier jour de l'an 1 583.
Monsieur, nos conseils despendent en partie des
lieux oii vous estes; car nous ne parons que les coups.
Si on nous laisse en paix, nous n'aurons poinct de
guerre; gens qui ne peuvent que perdre, n'y entrent
pas volontiers que pour sortir d'ung plus grand mal ; et
nous avons assés d'esprit pour cognoistre qu'au lieu que
les aultres la nous faisant, acquièrent des biens et des
MÉM. DE DuPiESSIS-MoKKAY. ÏOME II. 26
4o2 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
dignités, nous, au contraire, hasardons humainement
les nostres. Si on nous assaull ( et je crois que ce n'est
la volonté du roy ), ce prince n'est pas né pour céder
à ung desespoir, et quittera tousjours son manteau
au vent du midi , plustost qu'au septentrion. Vous sça-
vés l'histoire de Plutarque. Nous appercevons que le
rov s'offence. C'est, à mon advis, sur les faulses nou-
velles qu'on lui a peu escrire ; aultrement , il n'est croya-
ble que la prise d'Aleth feust entendeue de lui avec
moins de mescontentement que celle de cette ville.
Vous sçavés les circonstances des deux; ce qu'il y a
d'inégalité est pour nous et à nostre advantage. Du
voyaige de M. de Segur , nous en satisfaisons à sa ma-
jesté. Nostre but n'a esté que de monstrer que nos
paisibles deportemens ne procedoient de nécessité ,
mais de bonne volonté. Ce prince a cogneu qu'on in-
terpretoit sa patience à faulte de moyens. Il désire do-
resnavant qu'elle retienne le nom de patience , de mo-
dération et de vertu. Je vous escris franchement à ma
façon. Nous sommes prou advertis des préparatifs
qu'on faict; si on continue, au moins ne pourra on
trouver estrange que nous mettions la main au devant.
Je sçai que vous y apportés le bien que vous pouvés.
Croyés que , de ma part , je n'y obmets rien ; et au reste
je suis et serai tousjours , etc.
Du Mont de Marsan.
MEMOIRE, etc. 4o3
LXXIX. — ^ MEMOIRE
Contre la maison de Lorraine , qui pretendoit a la
couronne de France; envoyé au roy (i). i583.
C'est une chose commune en ce royaume, que la
maison de Lorraine s'attribue un droict incontestable à
la couronne de France ; on pourroit encores recouvrer
des chroniques et généalogies que les princes de ceste
maison falsifièrent dans le temps du feu roy Henry, les
consultations qu'ils feirent faire sur ce pretendeu droict,
sous le règne de François II , et les mémoires qu'ils ré-
pandirent parmi le peuple, sous Charles IX; et depuis
encores, voullant parvenir à leurs veues, et consommer
leurs ambitieux projets. Voyant que la ruyne de cest
estât sembloit s'avancer par les guerres civiles ; que le
respect deu au prince légitime estoit fort diminue , les
nerfs de Testât affoiblis et le chemin préparé à la nou-
veauté , ils se sont promis de s'asseoir sur le throsne
qu'ils prétendent estre occupé par des usurpateurs.
Ces projets et ces tentatives ont souvent esté repré-
sentés à leurs majestés. On leur a faict sentir le risque
qu'ils couroient ; mais elles ont voulleu croire que
c'étoient choses controuvees , soubs quelque apparence
(i) « Le nom du duc d'Anjou, qui rendoit le roi de Navarre
« le plus proche héritier de la couronne, sert de pr«'!exteau duc
« de Guise pour faire éclater la ligue, en faisant craindre d'avoir
« pour roi un prince séparé de l'Eglise.... Catherine de Mé-
r( dicis favorise la maison de Lorraine , dans l'idée de placer sur
« le trône les enfans de sa fille , mariée au duc de Lorraine. »
{^Abrégé Chronol, du président Hainault.)
4o4 MEMOIRE
de réalité , par cealx qui leur portoient haine ou envie;
et ces remontrances n'ont faict aulcune impression sur
l'esprit de leurs majestés, et n'ont pas laissé pour cela
de leur mettre l'auctorité et les armes royales à la main ,
mesmes leur ont permis de faire ligue, soubs ombre de
la relligion romaine , c'est à dire de faire leur partie
toute preste, pour, à la première occasion, et par ma-
nière d'acquit, essayer la couronne sur leurs testes. Il
s'est trouvé sur cela des docteurs de Sorbonne qui ont
décidé qu'ung roy, manquant a son debvoir envers
l'Eglise romaine, pouvoit par la court de Rome estre
dépossédé. Il sest trouvé des moines qui ont poussé
la témérité au poinct de prescher au mespris du roy et
des princes de son sang , les vertus notables des rejet-
tons de Charlemagne (c'est ainsi qu'ils qualifioient les
princes lorrains), advertissant et excitant le peuple à
jetter les yeux sur eulx , comme sur les vrais restaura-
teurs de l'Eglise et de Testât, et tout ceci s'est fluet ce-
pendant, sans qu'on y ait eu aulcung égard.
Mais , pour lever tout doubte , et voir clair en ceste
matière, je supplie très humblement le roy, monsei-
gneur, et tous les princes qui ont Thonneur de lui ap-
partenir, de se faire lire ung livre intitulé, les Généalo-
gies de ceulx de Lorraine et de Bar^ nouvellement
HTiprimé à Paiis, par lequel ils verront de mot à mot
qu'il n'est mis en lumière en ce temps , que pour in-
struire ung chacung du droict pretendeu de ceulx de
la maison de Lorraine sur ceste couronne , et du tort
que la maison de France leur faict en la retenant, afin
que le peuple y soit préparé, arrivant la mutation qu'ils
présument estre prochaine ; et parce que ce volume est
gros, le venin qui y est répandu partout, est enve-
CONTRE LA MAISON DE LORRAINE. 4o5
loppé et couvert de diverses hystrices (i), j'ai entrepris
d'en remarquer ici les principaulx poincts et fonde-
mens, de mot à mot. Ce livre est escrit en latin, com-
posé par un nommé François de Rosier , de Rar le Duc ,
archidiacre de Toul, et dédié à M. de Lorraine; et afin
qu'il puisse estre facilement distribué partout , il a esté
imprimé ceste année à Paris, avec privilège du roy, en
grandes feuilles , chez Guillaume Chaudière.
Pour venir au faict, chacung scait que, depuis que les
Françons sont veneus en France, alors appellee la Gaule,
nous avons eu trois races de roys; les Mérovingiens,
descendans de Merovee; les Carlovingiens, descendans
de Charlemagne, et les Capétiens, de Hugues Capet;
qui subsiste aujourd'hui dans nos roys. C'est la voix
publicque que ceulx de Lorraine prétendent à la cou-
ronne de France , comme estant descendans et héritiers
de Charlemagne; mais si cest aucteur estcreu, elle leur
est deue des le cheval de Troye , et leur a esté ostee par
Merovee et ses descendans, avant ces trois lignées,
tellement que, par la loi, qui dict que l'on ne prescrit
poinct contre l'Eglise et contre son prince , tous nos roys
auroient esté usurpateurs depuis le premier jusques à
présent , et le véritable héritier de la couronne de France
auroit esté en la maison des ducs de Mosellane , dont
se disent issus ceulx de Lorraine. Voici donc les termes
de l'aucteur , sans en rien déguiser. (L.3, Hist. 44? 4^. )
« Pharamond , qui premier amena les Françons en
« France, eut plusieurs enfans de Basine sa femme,
« fille du roy de Thuringe , dont l'aisné estoit Clodion
« le Chevelu. Ce Clodion eut entre aultres enfans deux
« fils, Ranchaire l'aisné et Alberon le puisné. Ranchaire
(i) Prétextes, couleurs.
4o6 MEMOIRE
a eut trois fils, Ranchaire second, Richer et Renaud,
« qui défendirent long temps le Cambresis contre la
« tyrannie des Mérovingiens ; mais enfin ils feurent
« subjugués par la puissance de Clovis, roy de France,
« qui les massacra de sa propre main , comme il avoit
« massacré Ranchaire F*", leur père. Ainsi veint le droict
« d'aisnesse à Alberic II, fils de Clodion, lequel, quoi-
« qu'il feust roy des François orientaux, ne succéda
« poinct cependant à Clodion son père ; mais Merovee
« ayant usurpé le royaume , ce povre Alberic , après la
« mort de son père, se retira au pays d'Aussois, de
« Moselle, d'Ardenne, où il se cacha au mieulx qu'il
« peut, pour éviter leur fureur. Cet aucteur adjoute en-
« cores : Pensez en quelle peine estoit ce povre prince
« qui, estant de race royale, ne se voyoit pas seule-
« ment frustré de son royaume, mais mesmes con-
« trainct de se cacher à cause de la cruaulé de Me-
« rovee, qui voulloit esteindre toute la race de Clodion.
« Il se retira donc à Mons , en Haynault, pour attendre
« l'i.ssue de la tyrannie de Merovee et des siens, ayant
« esté en vain en l'armée d'Attila, pour se faire reta-
« blir, » Et si vous lui demandez qui estoit ce Mero-
vee, usurpateur de la couronne, sur les prédécesseurs
de ceulx de Lorraine, et premier tronc de nos roys
de France : « G'estoit , dict il, ung bastard de Clodion
« le Chevelu , ou, comme d'aullres disent, ung sien
« capitaine ou parent, qui, estant instituteur des en-
« fans de Clodion, par Clodion mesmes, à cause de
« leur jeune aage, dépouilla ses pupilles de cest estât. »
Il continue ainsi : « que Vaubert, descendu de Clodion
«par cest Alberic, feut ruyné par Artaire , roy de
«France, qui craignoit tousjours qu'il ne voulleust
<f revenir à la couronne; mais que Thierry, roy des
CONTRE LA. MAISON DE LORRAINE. l\Orj
« Ostrogots , le feit rétablir par force. Que pareille-
« ment ces descendans de Merovee , sçavoir la race de
« Clovis , voyant que Ansbert , fils de ce Vaubert , estoit
«jeune homme d'espérance, pour régner plus seure-
« ment, le voulleurent faire mourir; mais que, l'ayant en-
« levé en cachette, on le transporta à Rome pour estre
« nourri près de l'empereur Zenon; enfin qu'ils feurent
« tousjours mal asseurés de leurs vies, jusqu'au ma-
« riaige d'Ansbert avec Batilde, fille de Clotaire III, dont
« naquit Arnaud, duc de Mosellane, contre lequel, à
« cause de l'alliance , et parce qu'ils se voyoient bien
« établis , ils se montrèrent moins rigoureux. »
Or, que ceulx de la maison de Lorraine qui vivent à
présent, soient les successeurs de ce Glodion et d'Albe-
ric son fils, et par conséquent héritiers de leurs droicts;
voici comment cest aucteur conduict son plan. Depuis
Alberic, il nous conduict par ligne directe jusqu'à Ar-
nolphe , fils d' Arnauld , et de Doda , fille du roy de Saxe,
lequel eut, entre aultres, deux fils, Cleodulphe l'aisné et
Ancbise le puisné ; de Cleodulphe l'aisné il faict des-
cendre les ducs de Mosellane et de Lorraine, et d'An-
chise , fils puisné , il faict descendre Charlemagne,
AllNOLPHE.
Clodulplie, duc de Mosellane. A nchise , puisné de Cleodul-
Martin. pl^e, épousa Begglie, fille de
Lambert. Pépin des Landes, duc de
Frédéric. Brabant, dont il eut Pepiu
Sadigere. Herislel.
Kanier, premier duc de Lor- Charles Martel , né d'une con-
raine, non pas héréditaire, cubine.
investi du duché par Charles Pépin le Bref.
le Simple ; Gilbert , fils aisné Charles Magne,
de Ranier, Henry, fils de Louis le Débonnaire.
4o8 MEMOIRE
Gilbert , mort sans enfans. Charles le Chauve.
Bonne , fille de Ricuin II , fils de Louis le Bègue.
Ranier, et frère de Gilbert. Charles le Simple.
Elle feut mariée à Charles, Louis IV.
duc de Lorraine, fils de Lothaire.
Louis IV et frère de Lo- Louis V, mort sans enfans.
thaire , spolié de la couronne
par Hugues Capet, après la
mort de Louis V son neveu.
Et ainsi, suivant cest ancteur, voici la lignée de la
race de Clodion , qui avoit esté long temps conservée
dans les ducs de Mosellane et de Lorraine, tombée en
quenouille, d'autant qu'il ne paroist poinct pour ce
moment d'héritier masle, et conjoincte avec celle du
puisné, ou pour mieulx dire, voilà la lignée de Clo-
dion conjoincte avec celle de Charlemagne , par le ma-
riaige de Bonne avec Charles, duc de Lorraine, duquel
sortirent Othon, Gerberghe et Hermingarde; Gerberge,
femme en premières nopces de Renier, comte de Mons,
et en secondes de Lambert, comte de Louvain, et Her-
mingarde, femme d'Albert, comte de Namur, dont la
postérité, dict il, vit encores en ceulx de Lorraine et
dans les Capets. Or, parce que Hugues Capet, nonob-
stant les instances de ce Charles, duc de Lorraine, feut
appelle à la couronne, ceulx de Lorraine prétendent,
comme seuls rejetions de Charlemagne et de Clodion
mesmes, la couronne de France. Mais, parce qu'ils ne
peuvent nier que cest Othon , fds unique de Charles
et de Nona, mourut sans lioirs, et par conséquent ses
droicts et prétentions avec lui, voyons comment ils
rapiècent ceste rupture dans leur généalogie, (i)
(i) A ce Charles, frère de Lothaire, et qui le premier obteint
le duché de Lorraine en héritage , apparlenoit , après la mort de
CONTRE LA MAISON DE LORRAINE. l\0()
Othon, dict il , fils de Charles et de Bonne , estant in-
vesti du duché de Lorraine par l'empereur, duquel il
suivoit le parti , à l'exemple de son père , se voyant
sans enfans , adopta pour fils , par le consentement
dudict empereur, Geoffroy le Barhu, comte d'Ardenne,
fi'ere de sa mère Bonne, fille de Ricuin, ou, comme
d'aultres disent, fils de son frère, qui remit sur pied ,
par ce moyen, la ligne masculine de Clodion en Lor-
raine, à sçavoir, fils de Ricuin, fils de Ranier, etc.,
procédant de Cleodulphe, l'aisné de la tige, comme
nous avons dict ci dessus, et par la mesmes se trouve-
ront encores les deux droicts conjoincts en la personne
de ce Geoffroy le Barbu , le droict des Clodions , en ce
qu'il en est issu, le droict des Carlovingiens, ou des-
cendans de Charlemagne, en ce qu'il est adopté en
la maison d'Othon, duc de Lorraine; tellement que si
on révoque en double Tung ou l'aultre droict, ils ont
à choisir auquel ils vouldront se tenir, et suivent con-
sequemment de père en fils.
Louis son neveu , la couronne de France selon la succession de
Charlemagne. Et , parce qu'il épousa Bonne , fille de Ricuin ,
les deux droicts semblent se reunir dans les enfans procréés de
ce mariaige , sçavoir le droict pretendeu par les ducs de Mosel-
lane sur les Mérovingiens , qui auroient spolié, comme il dict,
les Clodions, et le droict de la maison de Cliai'lemagne , dont ils
avoient long temps et paisiblement joui , lesquels deux droicts ,
pour lever toute difficulté, contiennent tout ce que l'on peult
désirer ensemble, sçavoir, la propriété appartenante à Bonne
par la succession de Cleodulphe , chef de la tige des Clodions ,
et la possession dévolue entre les mains de Charles, de la lignée
de Charlemagne, procédant d'Anchise, puisné de la tige des
Clodions, et seroient ces deux droicts échus aux enfans procréés
de Charles et de Bonne, et àleursdescendans , que l'auteur pré-
tend estre ceulx de LoiTaine.
/f i O MEMOIRE
Geoffroy le Barbu, descendant de Clodion par Rai-
nier , Riciiin , etc. , et adopté par Othon , duc de Lor-
raine , fils de Charles; Gothelo, Geoffroy IV, Geoffroy
le Bossu, qui mourut sans enfans, ne laissant qu'une
sreur nommée Itte , retombent derechef ces droicts des
Clodions et dos Carlovingiens en quenouille.
Itte, fille de Geoffroy IV, et sœur du Bossu , mariée,
ce disent les chroniques, à Eustache , comte de Bou-
logne, et parce qu'il y a encores interruption ici, ils
la suppléent par adoption , disant que cest Eustache
feut adopté par Geoffroy le Bossu pour fils, par con-
sentement de l'empereur, en épousant Itte sa sœur, et
par ceste adoption , vouldroient faire entendre que les
droicts et prétentions de la maison de Clodion sont
entés en lui et en ses hoirs. Et, pour parer à l'objection
qu'on pourroit faire , que le droict des Clodions seroit
esteint par un si long espace de temps, et spécialement
par l'intervention et auctorité du pape qui auroit dé-
claré Charlemagne et ses hoirs légitimes roys de France;
pour conjoindre derechef ces deux droicts ensemble,
ils font venir cest Eustache de la race de Charlemagne,
tant de par son père que de par sa mère, ainsi qu'il
suit.
Du costé du père, Eusfache le Du costé de la inere , Marie,
Clairvoyant, par une fille fille du comte Henry de Lou-
de Charles le Chauve. vain par Gerberghe , fille de
Charlemagne. Charles, duc de Lorraine.
Louis le Débonnaire. spolié par Hugues Capet.
Charles le Chauve. Charlemagne.
Judith , fille de Charles le Chau- Louis le Débonnaire,
ve, femme de Baudouin le Charles le Chauve.
Ferré , comte de Flandres. Louis le Bègue.
Baudouin le Chauve son fils et Charles le Simple,
de Judith. Louis IV.
CONTRE LA MxVISON DE LORRAINE. 4 ' ^
Baudouin III. Charles de Lorraine, fils puisné
Alphonse , dict Hannequin , de Louis IV, roy de France
frère de Baudouin III, comte et frère de Lothaire , lequel
de Flandres. feut vaincu et destitué par
Ranier. Capet.
Guidon. Gerberghe , fille de Bonne et de
Eustache le Clairvoyant ou Charles, sœur d'Othon , la -
Oculatus. quelle Bonne estoit, disent
Eustache, comte de Boulogne, ils, de la race de Clodion ,
mari d'Itte. et feut mariée à Lambert le
Barbu , comte de Lotivain ,
père de Marie, mère d'Eus-
tache , comte de Boulogne.
Ainsi , à leur compte , cest Eustache de Boulogne de-
meure héritier par adoption de la maison des Clodions,
et par ses père et mère héritier de la maison et droicts
de Charlemagne, c'est à dire de la couronne de France,
et afin que Ton voye que Taucteur ne prétend pas avoir
relevé ces généalogies en vain, mais qu'il y entend
finesse, il se formalise fort et souvent de ce que Ton
ne croit poinct ceste généalogie d'Eustache, qui faict
mal au cœur, et à beaucoup de gens, car, à la vérité,
assure il, il est issu de Charlemagne du costé de père
et de mère : « quelques uns dissimulent ceci , voullant
« dire que cest Eustache ne venoit de si hault lieu,
« et je Youldrois que ces calomniateurs feussent punis
« comme ils le méritent. » De ce mariaige d'Eustache
et d'Itte sa femme, sortent quatre frères, Godefroy,
Balduin, Eustache et Guillaume, qui feurent ducs de
Lorraine l'ung après l'aultre, et le premier, au voyaige
de la Terre Saincte, prit les armes qu'ils portent au-
jourd'hui : mais les trois premiers n'ayant poinct eu
d'enfans, quoique les annales de Lorraine en donnent
à Baudouin, la succession reveint à Guillaume, baron
4 1 2 MEMOIRE
de Joinville, quatriesme fils, et à ses descendans de ceste
manière. Eustache , comte de Boulogne, mari d'Itte;
Guillaume, son quatriesme fils, baron de Joinville, et hé-
ritier de ses trois frères; Theodoric, son fils; Simon F'';
Matthieu P'; Simon II mourut sans hoirs, on le mit
en relligion; Frédéric I", frère de Simon; Thibault V%
mort sans hoirs ; Matthieu II , frère de Thibault I" ; et
le plus jeune des enfans de Frédéric I"; Frédéric II;
Thibault II; Frédéric III ; Rodolphe; Jean ; Charles II ,
lequel, de Margueritte, fille de l'empereur Robert , eut
Ysabeau, laquelle feut mariée à René, duc d'Anjou, de
Calabre et de Provence, (i)
Et ainsi default la ligne masculine d'Eustache, comte
de Boulogne, et tombent ses droicts en quenouille en
la maison d'Anjou dans les successeurs de ce René, du
sang de France, issu de Louis d'Anjou, fils du roy
Jean. René, duc d'Anjou, mari d'Ysabeau, héritière de
Lorraine ; Jean , fils de René , Yolande sa sœur; Nicolas ,
fils de Jean, qui mourut sans hoirs et sans amis, auquel sa
tante Yolande, fille René d'Anjou, et d'Yolande, lui
succéda, laquelle Yolande, ledict René estant vaincu
en guerre, et pris par Philippe de Bourgogne, associé
avec Anthoine, comte de Vaudemont, il permit qu'elle
feust mariée à Frédéric, fils dudict Anthoine, pour eslre
plus aisément délivré de prison. De Frédéric et Yo-
lande , naquit René, qui feut duc de Lorraine, de par
sa mère , et comte de Vaudemont , de par son père , au-
( 1 ) Cesf aurleu r, dans ung aultre endroit, fait voir la chose plus
clairement, sçavoir, que directement Geoffroy le Bossu, mou-
rant sans enfans, adopta Godefroy de Bouillon, ûh de Geoffroy,
quatriesme 111s de Gothelo , c'est à dire , procédant directement
de la liguée des Clodions.
CONTRE LA. MAISON DE LORRAINE. 4^^
quel Charles VIII défendit de prendre le tiltre de roy.
Celui ci eut deux femmes , la première, fille du comte
de Tancarville, qu'il répudia pour cause de stérilité; la
seconde nommée Philippe, fille d'Adolphe, duc de
Gueldres, dont il eut douze enfans, entre aultres, An-
thoine , duc de Lorraine et de Bar; François, fils d'An-
thoine ; Charles III , à présent duc de Lorraine ; Claude,
comte de Guise; François, duc de Guise, et Henry, duc
de Guise d'à présent. Ainsi le duché de Lorraine est à
présent en la maison de Vaudemont ; ores , après tant de
changemens de la maison des Clodions, en la ligne mas-
culine des Garlovingiens, par le mariaige de Bonne, et
de la ligne des Garlovingiens, en celle des Clodions,
par l'adoption de Geoffroy le Barhu, et de la lignée du
Barhu , en celle des comtes de Boulogne , par le ma-
riaige d'Itte, et des comtes de Boulogne, en la maison
d'Anjou , par le mariaige d'Ysabeau, et de ceulx d'An-
jou , en la maison de Vaudemont, par celui d'Yolande ,
sembleroient ces belles et royales prétentions preten-
deues, pour avoir esté tant versées d'ung vaisseau en
ung aultre, n'estant plus question depuis long temps,
ni du costc paternel , ni du costé maternel , de Clodion ,
ni de Charlemagne, mais seulement de la maison de
Vaudemont. Mais, pour oster ces difficultés, ceulx de
Vaudemont, h présent ducs de Lorraine , et comtes ou
ducs de Guise, sont encores, disent ils, de la maison de
Charlemagne , d'autant qu'ils se disent veneus de la
maison des comtes d'Elsats, et iceulx de Conrad l'em-
pereur, issu de Charlemagne. Maintenant que tout
ceci soit dict pour reveiller les prétentions de ceulx
de Lorraine sur le sang de nos roys , issus de Capet,
l'aucteur le monstre assés dans tout son procédé; car
comme U a vihpendé tant qu'il a peu Merovee , chef
4t/| MEMOIRE
des Mérovingiens , par lequel ils se disent frustrés du
royaume de France, avant qu'il feust eclos, ainsi ne se
peult il tenir de se decliaisner contre Hugues Capet, et
de vilipender toute sa lignée. Ce Capet, dict il , feut ung
tyran , qui usurpa sur Charles , duc de Lorraine , et les
siens , la couronne de France par force et par fraude ;
et non content de Tavoir faict prisonnier à Orléans, le
feit mourir misérablement avec Louis et Charles, ses
enfans , qu'il avoit eue d'Agnes, sa seconde femme. Et
si après, vous lui demandés son origine, au lieu qu'il
tire les aultres tout couronnés du ventre du cheval de
Troye, il vous faict venir Othon , grand oncle de Capet,
d'ung povre Witichind , bani de Saxe, et vous l'amené
sur ung bidet en France , avec ung petit vallet et une
mallette , et prend si grand plaisir à repeter ce conte ,
qu'il semble, s'il estoit à son pouvoir, il auroit bientost
réduit nos roys à ce train là. Et comme dans ses epi-
taplies faictes à plaisir, qu'il avoit adjoustees à la fin de
son livre , il avoit faict parler cest Alberic, duc de Mo-
sellane , qu'il prétend avoir esté spolié par Merovee, en
CCS termes .'
Quceres , Alberi, quœfata parant , fiU ,
Tantum dissidium ne imperio patris
lUustratus agas quod rapiunt traces
Meruingi?
aussi introduict il Charles, duc de Lorraine, appellant
tous les princes de la terre à garans contre Capet, et
ses parens , en ces termes :
Hue, hue, adeste fortes quique principes y
Hue advolate, quceso , reges ac duces
Ecquisferet versum fati insolenliam ?
Capetus ille invasor regni Gallici
CONTRE LA MAISON DE LORRAINE. 4i5
Lothario Francoriirn rege mortuo.
Heu ! me satum quidern antiqua prosapia
Quondam illius magni ac insigrns Caroli
Armis volens procul expellere
TJnuui rnihi superest ut vindicem Deuin
Expectem in hisce angustiis.
Comme s'il voulloit dire avec Didon dans Virgile :
Exoiïare aliquis nostris ex ossibus ultor.
Je passe soubs silence une infinité de mots et de traits
qu'il lance contre la race des Capets, et pareillement
les protestations sur l'Anjou , la Provence, Naples, etc.,
préjudiciables à ceste couronne, et qu'il débat tant
qu'il peult; mais la louange qu'il donne à ceulx de
Guise, de nostre temps, au mespris de nostre loi, ne
se peult nullement dissimuler. Les affaires de France,
dict il , alloient fort bien soubs le gouvernement du car-
dinal de Lorraine, mais , depuis sa mort , Henry , à pré-
sent régnant , entra en mauvaise opinion contre ses sub-
jects, parce qu'aussitost qu'il feut sacré par le cardinal
de Guise, il négligea les affaires pubiicques, s'amusa à
de vains plaisirs, et se gouverna à sa teste, qui sont
toutes cboses qui amollissent et abaissent le cœurd'ung
roy , et , par ce moyen , la France commence à décliner
et à pencher vers sa ruyne. Parlant de feu M. le prince
de Gondé, il faisoit, dict il, tout ce qu'il pouvoit pour
parvenir à la tyrannie ; après la mort du roy François II,
on le laissa aller sans chastiment, lui et tous les com-
plices de ses crimes. De monseigneur, et du roy
de Navarre, il n'en parle gueres plus sobrement. A
quoi tout cela tend il , sinon pour faire déclarer le roy
ung feneant, les princes de son sang rebelles , et in-
dignes de jamais porter la couronne, afin, comme leurs
prescheurs ont crié assés haultement , que chacung jette
4l6 MEMOIRE
les yeux sur ses misères , qui sont aulx hommes des
aiguillons qui portent à la nouveauté ^ et qu'ils pren-
nent le parti de ces pretendeus rejettonsdeCharlemagne.
J'ai seulement entrepris ici de déclarer le but de
l'aucteur en son livre et de ceulx qui l'ont faict im-
primer, et qui prendra la peine de le lire, y en remar-
quera bien davantage; mais, afin que personne ne s'y
abuse, j'examinerai en peu de mots les fondemens de
ceste succession.
Il tire ses ducs de Mosellane du cheval de Troye
avec les Françons; en quelle histoire digne de foi a il
trouvé cela? Il faict après Alleric , duc de Mosellane,
fils de Clodion le Chevelu, dépouillé du royaume de
France par Merovee; où peut il monstrer cela, sinon
en quelques généalogies supposées de la maison de Lor-
raine, quoique sur la fin de ses contes il cite plusieurs
aucteurs pour leur donner du lustre , qui n'en disent
pas ung mot? Et que dira il aussi aulx historiens qui
font Merovee fils légitime de Clodion ? Et comment
pouvoit il estre aultre que l'aisné , s'il estoit si aagé,
qu'il peust estre tuteur d'Alberic? Mais qui plus est,
comment pourra se plaindre Alberic d'avoir esté spolié
de la couronne de France, si nous croyons les meilleurs
historiens, qui disent que Merovee feut le premier des
François qui eut le tiltre de roy en France? Accordons
leur maintenant tous leurs contes, depuis Cleodulphe,
duc de Mosellane, jusques à Bonne, femme de Charles,
duc de Lorraine ; comment lui aura elle apporté en
mariaige le droict de Clodion, puisque la loi salique
exclut les femelles du royaume, laquelle loi mesmes a
esté establie par les François , et comme nours lisons en
la préface des conseils mesmes de Pharamond? Accor-
dons aussi que Charles, duc de Lorraine, a esté privé
1
CONTRE LA MAISON DE LORRAINE. l\\']
à tort de la succession de Clinrleniagne, par Hugues
Capet et ses descendans ; comment en descendent ils,
veu qu'ils conviennent qu'Otlion , son fils unique,
mourut sans enfans; et s'ils y veullent admettre les filles,
contre la loi salique, qu'ils nous monslrent pourquoi
ceulx de Lorraine doibvent eslre mis à la place de nos
roys, puisqu'ils conviennent qu'ils descendent de lui
par une fille? Que s'ils se veullent tenir à Godefroy le
Barbu, comte d'Ardenne , adopté par Othon, qu'est il
donc besoing d'alléguer ces filles? et puis, où trouvent
ils ceste adoption , et oia feut elle jamais homologuée , et
comment oseroient ils dire que Ton pensast alors à
l'estendre jusqu'à la couronne de France ? Et quant à
celle d'Eustache de Boulogne, qui n'en voit la fausseté
manifeste, veu qu'ils n'en peuvent produire ni tiltre, ni
aulcung aucteur? ils sont mesmes en doubte qu'estoit
Godefroy de Bouillon, et si ce feut lui mesmes qui feut
adopté par Geoffroy le Bossu, ou bien si ce feut Eus-
tache. Ce qu'ils prennent aussi tant de peine à prouver
quecest Eustache estoit du costé paternel et maternel,
issu de Charlemagne, à quoi peult il servir, puisque ce
n'est que par les filles , si ce n'est en renversant la loi
salique, nous voullions exposer le royaume en proye,
non aulx Lorrains seulement et aulx Ardenois , mais à
toutesu les familles de l'Europe qui ont eu alliance avec
la maison de France? et quand encore Ysabeau vient
épouser René d'Anjou et Yolande Frédéric, comte de
Vaudemont. Qui pourra donc dire qu'elles ayent pu
transférer en leurs hoirs de Lorraine et de Guise, les
droicts de Clodion et de Charlemagne, qu'elles ne pou-
voient elles mesmes avoir, ni aussi transporter, à moins
qu'elles ne les eussent eu? Or, ce sont cependant les
fables dont ils repaissent les peuples, en dénigrant tant
MÉir. DE DrpLESsis-MoRSAY. Tome ii, 27
4l8 MEMOIRE, etc.
qu'ils peuvent nostre loi salique , comme fausse et con-
iTouvee tout à propos. Et quand bien mesmes tout ce
qu'ils avancent seroit aussi vrai , comme il est faulx ,
d'abord qu'ung estât est affermi en une maison par vo-
cation légitime, par une approbation de Testât et du
peuple , mesmes par plusieurs centaines d'années , c'est
ung signe évident que Dieu a transféré le royaume en
ceste maison, contre lequel en vain on s'efforce de ré-
sister , et à l'arrest duquel les peuples sont tenus d'ac-
quiescer. Mais parce que plusieurs droictsbien liquides
sont abondonnés faulte d'armées , et que les torts ont
prévalu sur le droict et l'équité , parce qu'après ces al-
légations il avoit des forces pour l'auctoriser; le prin-
cipal est d'empescher qu'ils n'accompagnent leurs frau-
des de force, et mesmes des nostres propres; ce qui
arrive bien souvent après les misères des guerres
civiles, qui rendent le peuple impatient en son estât
présent , et affamé de nouveauté.
J'ai bien vouUeu envoyer ce mémoire à vostre ma-
jesté, non pour elle seulement, mais pour ceulx qui y
ont après elle le principal interest, et qui auront peult
estre ceste querelle à demesler en leur temps , ou la
laisseront trop forte à leurs successeurs, s'ils n'y pour-
voyent. Je prye Dieu qu'il leur donne bon conseil pour
sa gloire, pour la conservation de leur grandeur, et
pour le bien de leur povre peuple.
ADVÉRTISSEMENT, etc. 419
LXXX. — -V^ ADVERTISSEMENT
Sur l'intention et le but de la maison de Lorraine en
prenant les armes.
Jamais aulx mauvais subjects il ne manqua de pré-
texte de s'armer contre leurs princes , jamais aussi les
moyens ne manquèrent aulx princes d'avoir raison de
tels subjects. Dieu qui faict les roys, Dieu qui les a or-
donnés dessus les peuples , prend leur cause en main ,
et se tient blessé en leurs personnes. Dieu qui voit les
cœurs , cognoist les couleurs et les prétextes, les scait
distinguer, les sçait demesler d'entre les causes. Rien
ne l'excite plus que l'abus de son nom allégué en vain ,
ou à faulx tiltre; il ne venge rien plus que l'hypocrisie,
la déloyauté , et la confusion déguisée sous les appa-
rences de la foi, de larelligion et de la justice.
Aujourd'hui que tous ces mouvemens se voyent en
ce royaume, c'est à tous François de tenir les yeulx
ouverts , pour n'estre pas menés à mal , soubs quelque
couleur et soubs quelque apparence que ce soit. Pen-
sons au passé , comparons y le présent , nous verrons
d'où ils procèdent, nous prévoirons à quoi ils tendent,
nous jugerons aisément ce que nous debvons en at-
tendre à l'ad venir.
C'est une chose toute cogneue et publique en ce
royaume, que ceulx de la maison de Guise se disent,
descendus de la race de Charlemagne, et prétendent
par là que ce royaume doibt leur appartenir. Les généa-
logies qu'ils ont , il y a quelque temps , falsifiées , les mé-
moires qu'ils en ont semés de main en main et aultres
semblables pratiques nous en pourroient faire foi ; mais
420 ADVERTISSEMENT SUR L'INTENTION
particulièrement pour ne reprendre les choses de plus
hault, le volume qu'ils feirent imprimer à Paris il y a
quattre ou cinq ans, composé par ung de Rozieres, ar-
chidiacre de Toul, auquel, par passages faulx et sup-
posés, et tirés oultre et contre leurs sens, ledict de
Rozieres tasche de prouver que ceulx de ceste maison
sont descendus de Pliaramond , et de ligne en ligne
continués jusqu'à eulx, c'est à dire, que ceste couronne
leur appartenoit devant que Capet, Charles et Merovee ,
et leurs races, feussent jamais appelles à la couronne.
Ce livre feut lors publié à Paris et par toute la France ;
et estant veneu à la cognoissance du roy , pour faire le
procès à l'aucteur , feut commis et envoyé à Toul,
M. Bruslard à présent président aulx enquestes, lequel
le lui feit et parfeit. Mais , par la bénignité du roy , il
obteint grâce, sauf à faire amende honorable de sa faulte,
se recognoistre criminel de leze majesté, et révoquer
par contraire escrit le livre qu'il a voit faict.
Or ont très bien cogneu de tout temps ceulx de ceste
maison , que , tandis que ce royaume demeureroit pai-
sible, il seroil mal aisé de parvenir à leurs intentions,
et pourtant ont tousjours tasché de le mettre et entre-
tenir en troubles. Tandis qu'ils ont peu gaigner ce
poinct, quelque misère que la guerre ait peu apporter
au povre peuple, quelque confusion qu'elle ait peu in-
troduire en cest estât, jamais ne s'en sont en rien
esmeuz, jamais n'ont donné aulcune marque de le
ressentir. Et la raison estoit que le sang de France
s'espendoit par ce moyen, et ils voulloient faire leur
profit de sa foiblesse , qu'ils estoient alors les instru-
mens principaulx des misères du peuple, et plus grandes
elles pouvoient estre , plus auroient ils de prétextes de
les prendre ung jour pour subject de leurs émotions :
DE LA MAISON DE LORRAINE. 421
qu'ils avoient les armes et auctorité en main pour gai-
gner créance entre les hommes, et par ce moyen jet-
toient peu à peu les fondemens de leur grandeur pré-
tendue sur nos ruynes, et que la guerre petit à petit
alloit corrompant les cœurs des hommes, pour estre de
là en avant plus capables de tous partis et de tous
remuemens , quand le temps leur sembleroit estre à
propos.
La relligion leur servoit de subject à entretenir ces
misères civiles , et ne s'appercevoit on du prMiiier coup
qu'ils abusoient soubs ce beau tiltre de la dévotion de
nos princes, et du zèle de nostre nation à leurs des-
seings; et que ce feut ung prétexte et non une vraie
cause, qui aura bien cogneu le feu cardinal de Lorraine ,
oncle de ceulx ci , n'en doubtera poinct. Car, pendant
qu'il mettoit le feu aulx quattre coings de ce royaume,
en l'ardeur de ce zèle prétendu de relligion , il decla-
roit aulx princes d'Allemaigne qu'il estoit de leur con-
fession , et qu'il la voulloit introduire en France, faisoit
instituer ses neveux en la confession d'Ausbourg pour
les gratifier, et ne feignoit entre ses familiers de dire
que, si ceulx de la relligion prétendue reformée n'eus-
sent comme pris à parti ceulx de sa maison, il y avoit
bon moyen de s'accorder et accommoder ensemble en
ce qui estoit de la relligion.
Enfin feut recogneu par la prudence de nos roys,
après avoir tenté toutes extrémités, que la relligion ne
voulloit estre preschee par armes; que la force pouvoit
bien engendrer des hypocrites, mais non deschrestiens;
que les guerres, mères de corruption, au lieu de chasser
la relligion contraire, introduisoient Tatheisme; mais
particulièrement, que ces gens qui conseilloient tant la
guerre pour la relligion, n'estoient pas plus relligieux
422 ADVERTISSEMENT SUR L'INTENTION
que les aultres; que c'estoient de fins barbiers, qui
voulloient entretenir la playe pour leur profit, et qu'il
y avoi't danger qu'à la longue ils ne vérifiassent la pro-
phétie du grand roy François en ces mots : Que ceulx
de la maison de Guise mettroient ses enfans en pour-
poinct et son povre peuple en chemise. Et de faict feut
par aulcungs zélateurs catholiques remarqué qu'à la
Sainct Barthelemi , après avoir induit le feu roy Charles
à se défaire de ceulx de la relligion, ils se contentèrent
de se depescher soubs ceste ombre des prétendus enne-
mis particuliers de leur maison, et venger leurs que-
relles propres , et feirent les doulx et les pitoyables en
tous les lieux de leur auctorité, faisant profit, par ce
moyen , en toutes sortes , de la rigueur et sévérité de ce
prince, qui, selon la vigueur de son esprit, s'en sceul
très bien appercevoir.
On sçait aussi que le roy, à présent régnant , avoit
employé ses jeunes ans à tous les heureux succès qu'il
se pouvoit à l'extermination de ceulx de la relligion
contraire , et, depuis, venant à la couronne , continua
ung temps toutes les rigueurs précédentes, tant qu'il
recogneut que les consciences ne se domptoient n'y
appaisoient par la force des armes , et que , pour ex-
terminer une partie de son peuple, il ruynoit son
royaume et son peuple tout entier. Il se résolut donc,
à l'exemple de plusieurs grands princes et estats voisins
qu'il avoit veuz, de composer les troubles de son
royaume par une bonne paix, laissant ung chacung
vivre selon sa conscience , en attendant que par ung bon
Concile il y peust estre mis quelque ordre. Cependant se
délibéra de travailler à remettre les ecclésiastiques en
leur ancien debvoir, pourvoir aulx dignités de l'Eglise
des personnages capables et soigneuses de leurs char-
DE LA MAISON DE LORRAINE. 42 3
ges, en temps qu'il pouvoit,et sçacbant combien peult
1 exemple d'ung prince en toutes choses, de se former
lui mesmes pour exemple de dévotion à sa court, à ses
princes , à sa noblesse : estimant que c'estoient les vrais
et légitimes moyens ordonnés de Dieu , et pratiqués
des plus sages princes pour la reunion de l'Eglise et
réduction des consciences.
Mais à peine eut il faict la paix , qui feut sur la fin
de l'an 1 577 , et faict paroistre quelque désir de l'entre-
tenir de là en avant, sans plus employer inutilement ses
armes contre les âmes de ses subjects, que ces gens,
voyant par là les moyens retranchez de s'auctoriser
dedans les armes , pensèrent à nouveaulx desseings , et
feirent évidemment cognoistre que la guerre civile leur
estoit utile, c'est à dire, que nostre ruyne leur estoit
édification. Et, pour ce, la relligion leur venant à faillir,
ad visèrent de troubler Testât soubs ungaultre prétexte.
Alors donc ils font solliciter diverses provinces de ce
royaume à rébellion par leurs partisans , leur remons-
trent les foulées du clergé, et ne leur disent pas que les
guerres qu'ils avoient allumées et fomentées en estoient
cause; et que le feu cardinal de Lorraine, leur oncle,
avoit esté celui qui le premier avoit proposé et procuré
la recrue des décimes, et la vente de partie du tempo-
rel, dont il avoit remporté à Rome mesmes le tiltre de
fléau de l'Église gallicane. Allèguent la diminution et
avilissement de la noblesse, et ne leur disent pas que
ceulx de leur maison, tant qu'ils avoient peu estre en
auctorité, avoient ravallé, en tant qu'ils avoient peu,
les princes mesmes du sang, qui ne dédaignent pas
d'estre dicts les premiers de la noblesse : que la di-
minution de la noblesse en debvoit estre imputée aux
aucteurs des guerres civiles , comme aussi l'avilisse-^
424 ADVERTISSEMENT SUR L'INTENTION
ment des charges et dignités à elle affectées , d'autant
que qui introduit la guerre civile en ung estât, intro-
duit par là mesme porte la confusion en tous estais,
qu'il n'est pas possible après de repurger et ramener
tout en ung coup ; mettoient tout en avant aussi les re-
crues des tailles , les inventions des nouveaux subsides,
et imposts sur le povre peuple, et n'adjoustoient pas
que la guerre engendre tousjours au prince nouvelles
charges, et par conséquent au peuple; que le moyen
unique de l'alléger estoit laisser continuer la paix; que
le peuple ne se pouvoit encores ressentir de la béni-
gnité de son prince, parce qu'il ne faisoit que sortir de
la guerre; que rentrer en nouveau trouble pour avoir
soulagement du prince, estoit ung remède pire que le
mal, et mesmes contraire, c'estoit dis je retrancher au
prince le moyen de décharger son peuple, et, ce qui
est le principal , que dix ans d'impost ne coustent pas
tant au peuple qu'ung seul an de guerre; que dix ans
de guerre bien ordonnée ne lui font pas tant de dom-
mage qu'ung an de sédition civile, telle qu'ils voul-
loient susciter soubs ce prétexte.
Lors en leurs mémoires ils ne parloient poinct de
la reUigion. Ce zèle dont ils faisoient bouclier devant,
et dont ils l'ont faict depuis, ne venoit poinct en avant.
Au contraire , ils traictoient avec ceulx de la reUigion
contraire, comme chacung sçait, pour les faire entrer
en ce parti. Ils les asseuroient de leur exercice selon les
edicts, et oultre les edicts , si besoing leur estoit. Ils
negotioient en Allemaigne nommeement avec le duc
de Cazimir, tant pour entrer en ceste association, que
pour y induire ceulx de la reUigion contraire, et estre
envers eulx garands de leur foi et promesse qu'ils
leur donnoient de ne faire rien à leur préjudice, mesmes
DE LA MAISON DE LORRAINE. 4^5
lui offroient des villes en leurs gouvernemens , pour
contreplege de la foi, qu'ils interposoient en leur nom;
et les choses feussent peult estre des lors passées plus
avant, si ceulx de ladicte relligion y eussent voulleu
entendre.
Le roy aussi par sa prudence sceut bien divertir et
détourner ce coup; il vit où le mal leur tenoit, et ne
voullant permettre que leurs mecontentemens particu-
liers meissent son peuple en peine, se soumeit jusques là,
que de tascher à les contenter : il les appella donc près
de soi, leur feit de l'honneur, leur donna occasion de
bien espérer de lui, mesmes leur feit des dons, et leur
ordonna des assignations de ce qui leur estoitdeu, les-
quelles ils prirent et demandèrent sur quelques edicls
de nouvelles impositions, qui feurent lors mis en avant.
Tellement que les mesmes vents qui avoient assemble
la nuée, la dissipèrent; il leur feut aisé d'oublier le
clergé, la noblesse et le peuple; et quand les députés
des provinces, qu'ils avoient voulleu soulever, veinrent
en court , à peine feirent ils semblant de les voulloir
recognoistre, mesmes ils assistèrent à la resolution et
homologation de plusieurs edicts, que le roy a esteints
et abolis sur les remonstrances qui lui ont esté faictes
de la charge qu'ils apportoient à son peuple, et jamais
ne leur soubveint de dire ung seul mot au roy ou prive-
ment, ou en son conseil, pour le soulagement de ses
subjects. Et de là adveint aussi que les plus sages re-
marquèrent, esdictes provinces, qu'ils n'estoient pas
proprement marrys du mauvais gouvernement , s'il y
en avoit , mais bien de ni avoir telle part qu'ils pen-
soient leur appartenir, plus prests , sans doubte , d'en
abuser , quand ils Tauroient , que ceulx contre lesquels ils
pretendoientformer les plaintes soubs le nom du peuple.
4^6 ADVERTJSSEMEWT SUR L'INTENTION
Ce qui leur a principalement rongé le cœur depuis,
c'est qu'ils ont veu la paix continuer, c'est qu'ils ont
veu le roy resoleu de l'establir de plus en plus, et, par
le moyen d'icelle, reformer les abus qui se seroient
coulez es charges de l'Eglise , de remettre la noblesse
en sa première splendeur, et soulager son povre peuple
des imposts et subventions qui le ruynent, maulx intro-
duits pour la pluspart par la continuation des guerres,
niaulx plus incurables par les conséquences que par
la continuation de la paix.
Or, Dieu ayant retiré de ce monde, monseigneur,
frère du roy, ils pensèrent que la saison estoit veneue,
qu'ils debvoient penser à l'effect de leurs anciens des-
seings, et pour ce, commencèrent aussitost à renou-
veller leurs pratiques, tant-dedans que dehors le royau-
me, avec les voisins plus suspects et plus dangereux à
ceste couronne, concluant ensemble qu'il leur estoit
nécessaire d'estre armés à quelque prix que ce feust,
pour faciliter la mutation qu'ils pretendoient faire en
cest estât; et c'est la cause pour laquelle maintenant
nous les voyons se jetler en campagne , quelque beau
prétexte qu'ils ayent voulleu prendre pour envelopper
gens de toutes qualités au mesme crime, que certes il
n'est naturel ne raisonnable de croire avoir mesme
but et intention qu'ils ont.
Veult on voir une marque qu'ils ne sçavent bonne-
ment de quoi couvrir leur entreprise sur cest estât?
ils ont faict des protestations à l'entrée de leurs armes,
desquelles la seule diversité peult découvrir la fausseté
à ung chacung : en une ils jurent l'extirpation de la
relligion contraire ; en l'aultre ils n'en sonnent mot ; si
le zèle les esmeut, comment ce zèle s'est il peu oublier
en cest endroict? en une ils veullent que le roy nomme
DE LA MAISON DE LORRAINE. 4^7
ung successeur en son estât , en aultres ils laissent cest
article en arrière. S'ils ont tant besoing de l'Eglise ca-
tholique , s'ils craignent tant qu il n'en mesadvienne
après la mort du roy, comment leur est elle demeurée
au bout de la plume? es une ils se rendent protecteurs
de l'Eglise et du peuple , et aulx aultres ils prennent
d'aultres prétextes : qui ne voit en ses diversités, qu'ils
ne sçavent sur quel pied se mettre? En l'incertitude de
ces protestations, une incertitude de conscience?ung lan-
gage , en somme , de gens qui ne sçavent de quoi porter
leur mauvaise intention , qui pensent couvrir une fausseté
de deux et de trois, et toutes ensemble ne valent qu'à les
démentir, ne servent qu'à les découvrir tels qu'ils sont.
Ils veullent qu'il n'y ait qu'une relligion en France,
et c'est le souhait de l'honneur de tous gens de bien et
de tous chrestiens; mais quelles voyes proposent ils
pour y parvenir ? S'il est question de force , ce grand
empereur Charles le Quint, en Allemaigne, en a re-
cogneu et la débilité etl'inutilité au faict des consciences.
Le roy d'Espaigne , quelque catholique qu'il veuille
sembler, après avoir rendeu ses subjects de Hollande
et Zeellande à toutes extrémités par les succès de ses
armes , feut contraint , l'ati soixante seize , leur accorder
la paix, et par la paix leur laisser leur relligion entière,
sans mesmes remettre la catholique et romaine esdicts
pays, ni les ecclésiastiques dans leurs biens : et mesmes
il y a deux ans qu'il leur offroit derechef pareilles
conditions par le duc de Terra Nova , et non seulement
pour lesdicts pays, mais pour quelques aultres. Nos
roys , plus que tous ceulx là, ont bruslé, ont noyé,
ont vaincu en plusieurs batailles, ont surpris en plu-
sieurs manières, ont tenté toutes voyes, l'espace de
cinquante ans , n'ont épargné aulcuns movens pour
428 ADVERTISSEMENT SUR L'INTENTION
venir à bout de ceulx de ceste relligion en ce royaume.
Ce qui a esté chrestien à Charles Quint, ce qui a esté
catholique au roy d'Espaigne , à l'ung, pour saulver des
subjects plutost escheuz par élection que naturels , à
l'auitre , pour garder des pays qui ne lui sont rien, au
regard de tant de grands qu'il tient; pourquoi le sera
il moins au roy pour épargner ceulx que nature a
mis en sa protection , pour garantir de ruyne inévitable
son estât entier? Son estât jadis si florissant, son estât
par la resolution qu'ils veullent remettre sus , réduit
en l'extrémité en laquelle nous l'avons veu; s'ils disent
que les guerres n'ont esté bien conduites, à qui s'en
pourront ils prendre qu'à eulx mesmes? Et leurs pères
et eulx y ont ils pas commandé pour la pluspart? Ont
ils pas esté arbitres, et de la paix et de la guerre? N'ont
ils pas sonné selon qu'il leur est veneu à propos, et
selon l'humeur où ils estoient , tantost la charge , tantost
la retraite? Que, s'ils veullent obliger le roy par ser-
ment à une guerre immortelle, c'est à dire ce povre
estât et ce povre peuple, qui pastit depuis tant d'an-
nées, à une ruyne finale, à une misère perpétuelle;
certes, c'est une loi trop insupportable du subject sur
le prince; certes, c'est ung indice manifeste qu'ils ont
grande dévotion à nostre ruyne, de nous v voulloir
astreindre par dévotion. Disons plus, certes, c'est ung
argument tout certain , que ces gens veullent estre
armés, qu'ils ne veullent poinct se desarmer, qu'ils
veullent enterrer le roy ou entre leurs armes, ou, s'ils
peuvent, par leurs armes. Et misérables, nous qui au-
rions à vivre soubs ceste insolence; misérables, nous
qui aurions à survivre si leurs desseings avoient lieu :
nostre prince, et le sang de nostre prince, nostre dé-
solée patrie, et les loix de nostre estât.
DE LiV MAISON DE LORRAINE. 4^9
Mais seroit ce pas pitié de voir après la mort du roy,
ce royaume entre les mains d'ung hérétique? Bons
tuteurs! et voyons l'ordre qu'ils y mettent. Nostre roy
est jeune, et grâce à Dieu se porte bien, ils veullent
qu'il nomme ung successeur, ainçois ils le nomment:
car ils arment monseigneur le cardinal de Bourbon,
bon prince qui n'apperçoit pas le jeu qu'ils jouent, et
lui font prendre la qualité de premier prince du sang,
et présomptif héritier de la couronne. Quelle chimère
ou plustost quelle grotesque est ce ci ? S'il y va de tant,
et s'il y a tant à craindre pour l'Eglise catholique, à
qui plustost, s'en deussent ils adresser qu'à nostre roy,
prince très chrestien , prince très devotieux , prince
s'il en est au monde zélateur de sa relligion? A qui
moins penser, s'ils le font à bon escient, qu'à mon-
seigneur le cardinal de Bourbon, prince desjà caduc,
desjà près de la fosse? Et que dirai je encores? Prince
qu'ils ne peuvent espérer pouvoir naturellement sur-
vivre le roy, s'ils n'ont limité le terme de sa vie, s'ils
n'ont complotté et s'ils n'ont capitulé sa mort. Gens
qui, toute leur vie, se sont joué de la relligion , monstre-
ront à nostre roy le chemin de conscience! les Lorrains
enseigneront aux François le zèle de leur patrie? Princes
estrangers interpréteront nos loix, régleront nos diffe-
rens, vouldront estre arbitres, vouldront estre juges
des princes du sang , des degrés de nostre sang ! Qui
ne voit ici. Dieu ouvre les yeux à monseigneur le car-
dinal, qu'ils pensent l'avoir loué, l'avoir emprunté pour
jouer le roy sur l'eschafaud, peult estre six mois, tant
que leur partie soit bien dressée? Et qui ne voit qu'ils
ne pensent pas à lui , quand ils parlent de lui , mais à
eulx mesmes ? Quand ils nomment au roy aagé de trente
trois ans, ung successeur plus que sexagénaire? Quand
43ô ADVEllTISSEMENT SUR L'INTENTION
ils veullent suppléer le défaut d'hoirs qu'ils allèguent
contre nostre roy, par la vigueur de monseigneur le
cardinal, qui a desjà passé son an climatérique? Mais
pour faire nommer ung successeur au roy, prendre
les armes, et lui vouUoir mettre le pied sur la gorge,
se saisir de ses places , et abuser de l'auctorilé qu'ils ont
contre lui; qui plus, recevoir et distribuer les deniers
du roy d'Espaigne, appeller et introduire les forces
d'Espaigne en ce royaume. Certes , me pardonne mon-
seigneur le cardinal, si je le dis, s'il voit encores,
c'est ne voir goutte ; car ce n'est certes plus estre
François , c'est avoir vendeu ce royaume au roy d'Es-
paigne , et avoir jette le sort sur nostre robbe , laquelle ,
sans doubte , se sentant trop foible pour pouvoir avoir
tous seuls, ils en veullent faire part à l'Espaignol , le
vendent à lui , et , soubs ombre de liberté , nous exposent
au pillage.
Jugeons ceste conspiration, si elle peult procéder
d'ailleurs que de l'Espaigne. On sçait que M. de Guise
est endebté jusqu'au bout, et cependant a distribué de
grandes sommes , et toutes en pistoles , par ce royaume ;
il en a mesmes envoyé à qui n'en demandoit poinct :
d'où peuvent estre veneus ces grands deniers, veu les
coings qu'ils portent? et d'où peuvent estre meus ces
desseings que du conseil d'Espaigne? Il est assisté des
forces du prince de Parme , qui lui amené des lans-
quenets et quelques compagnies de cavallerie; Dieu y
a remédié depuis, mais, contre leur espoir; qui est le
prince de Parme , sinon le chef et directeur des pays de
ueça de tous les desseings d'Espaigne? Il a envoyé ses
enfans de delà les monts, et le duc de Savoye a frais-
chement épousé une fille d'Espaigne , à quelle fin ,
sinon pour les tenir en otage des sommes qu'il a re-
DE LA MAISON DE LORRAINE. 43 r
ceues , et pour les avoir pour gages des promesses qu'il
a faictes? Il a demandé uussi que la ville de Cambray
feust remise comme avant qu'elle receust feu monsei-
gneur. Cambray, ville impériale, mais opprimée vio-
lemment par le roy d'Espaigne. Cambray, le seul reste
des si cbers et si précieux labeurs d'un fils de France.
Cambray au surplus , le rempart de France du costé
le plus desarmé contre les efforts d'Espaigne. Qui
peult ignorer, qui peult plus doubter ceci, que soubs
les habits françois ne logent des cœurs d'Espaigne? Ad-
joustés les communications de M. de Guise et du prince
de Parme, ses intrinsèques conférences avec les am-
bassadeurs d'Espaigne, les allées et venues de don Gio-
van Bardactine vers l'evesque de Commainge, bastard
de Lansac, et infinies pratiques de ceste nature; et qui
doublera que l'armée de ces conjurateurs ne soit au
service d'Espaigne? qui doublera donc que bientost on
ne voye éclater les escadrons et ployer les enseignes :
quand ce qu'il y a de généreux, quand ce qu'il y a de
François entre eulx, les ungs poussés d'ung despit, les
aultres attirés soubs ung faulx tiltre, se ressouviendront
d'estre François , quel monstre seroit ung Françoisarmé
contre la France, et contre la France pour l'Espaigne ?
Mais ils ne veullent poinct tomber soubs un prince
hérétique , et là dessus adjoustent que les François ne
font poinct serment au roy qu'à condition de maintenir
l'Eglise catholique, apostolique et romaine; dange-
reuse proposition , et qui ne sent rien moins que la de-
position de Chilperic pour mettre Pépin en sa place,
soubs ombre d'avoir bien défendu l'Eglise contre les
Sarrasins; mais Dieu fera la grâce à nostre roy de dé-
fendre bien et longuement sa place. Quoi donc? s'il
vient à mourir, disons mieulx, s'ils le font mourir,
432 ADVERTISSEMENT SUR L'INTENTION
Comme ils l'espèrent, s'ils veullent dire qu'ils n'endure-
ront jamais que le roy de Navarre , qu'ils tiennent pour
hérétique, vienne à la succession de cest estât, qu'en
leur conscience , quelque palliation qu'on y puisse ap-
porter, ils cognoissent bien lui appartenir de droict.
Le roy de Navarre a assez de jugement pour s'apper-
cevoir, quand le naturel n'y seroit poinct , combien ,
en ce temps , la vie du roy lui est utile et nécessaire, et
c'est à lui, toutesfois sur ce point, à se défendre. Le
roy de Navarre leur pourra respondre là dessus qu'il
est né et nourri en la relligion de laquelle il faict pro-
fession; qu'en conscience il ne s'en peult départir sans
estre instruit; qu'il est prest, et le sera tousjours, de
recevoir instruction d'ung Concile libre et légitime, et
de laisser l'erreur quand il lui sera monstre. S'ils de-
mandent que , sans aultres instructions pour l'espoir
ou le desespoir d'une couronne , il passe tout à coup
d'une profession à l'aultre, que requerent ils de lui,
qu'inconstance, qu'infidélité, qu'hypocrisie? non pour
le rendre capable d'estre roy , mais indigne plus tost
de l'estre. S'il se présente à estre mieulx enseigné
et s'il est prest d'acquiescer quand il l'aura esté , où
trouveront ils es anciens canons que ceste obéissance,
ceste soumission soit appellee hérésie? Toute erreur,
disent les canons, n'est pas pourtant hérésie; hérésie
est une erreur importante, une erreur où il va du fon-
dement de la foi , des articles du salut. Or, le roy de
Navarre lui dira qu'il est chrestien, qu'il croit son
salut estre en ung seul Jésus Christ; qu'il tient et révère
sa parole comme la règle infaillible de vérité; qu'il
croit les symboles de l'Eglise; qu'il reçoit les Conciles
universels qui ont esté teneus en la fleur d'icelle; qu'il
condamne toutes les hérésies condamnées par iceulx
DE LA. MAISON DE LORRAINE. 433
qu'il se soubmet encores aujourd'hui à un Concile uni-
versel duement convoqué et légitimement tenu. Il n'y
a donc poinct d'heresie, à proprement parler; car il
croit , des ceste heure , ce que les premiers se sont con-
tentés de croire : il n'y a poinct aussi de schisme car
le schisme présuppose une resolution en séparation.
Or, tenez un bon Concile, et le voilà tout prest de se
reunir. Il y a plus, car tout homme, disent les canons,
qui tient une hérésie , n'est pas pourtant hérétique :
hérétique présuppose une ambition de nouveauté une
opiniastreté contre la raison enseignée et demonstree-
or peult juger ung chacung si le roy de Navarre est
poussé d'ambition en cest affaire; car, disoit le juris-
consulte, cui bono y quel profict lui en peut il venir?
Telle ambition tombe en ung docteur en théologie , mais
non en ung prince : telle opiniastreté tombe en ung
sophiste, mais non en la simplicité d'ung qui est en-
seigné par aultrui. S'il estoit meu d'ambition , estre
ambitieux de la bonne grâce du roy, de la faveur de
tous les catholiques de ce royaume , des vœux et suf-
frages des plus grands princes de la chrestienté, en
changeant tout soubdain de relligion, lui seroit plus pro-
fitable; et sil'ambition faict l'heretique, certes, les au-
teurs de ceste conspiration le sont bien plus que lui ; mais
il est meu de conscience, la conscience lui faict passer
par dessus les considérations qui les emportent; ets'as-
seure qu'il n'a poinct affaire à ung peuple qui désire ung
prince perfide et déloyal à Dieu et à la conscience , ains
qu'il se contente de l'avoir paisible, capable de raison
prest à mieulx apprendre et à mieulx faire quand on
le vouldra mieulx enseigner. La loi de cest estât ne prive
poinct ung fils, à cause de la relligion, d'une succession
directe ni collatérale; pourquoi ung prince? La loire-
MÉM. DE DUPLKSSIS-MORWAY. ToME H 28
434 ADVERTISSEMENT SUR L'INTENTION
coit en l'administration de tous estats , indifféremment
les ungs et les aultres ; pourquoi moins de Testât ? La loi
permet à ungchaeung l'exercice de sa relligion, et n'en
exclut personne ; pourquoi le prince seul sera il exclus
de ce privilège, le prince qui le donne? pourquoi,
seul esclave en sa conscience, qui est le plus précieux
qu'il ait, celui qui affranchit les aultres? Je dis la loi
de cest estât, car c'est la loi par laquelle seule nous
vivons et pouvons vivre en paix , c'est à dire remettre
cest estât en son premier estât, et le retirer de la mi-
sère, loi délibérée aulx estats d'Orléans, estats non for-
cés , non brigués , non ligués par les menées et pra-
tiques de ceidx qui aujourd'hui nous troublent; je dis
plus, estats convoqués par eulx au plus fort de leur
crédit et mesmes en leur instance, que jamais depuis
nous n'avons voulleu enfreindre qne nous ne soyons
entrés en guerre civile; et quand je dis guerre civile,
je pense comprendre soubs oe mot toutes sortes de ca-
lamités et de confusions; loi donc juste, car elle est
très nécessaire; loi non revocable en la condition de
l'estat présent, car sa revocation nous remet en ruyne;
loi jurée par tous les princes, gouverneurs, lieutenans
aeneraulx, conseillers d'estat, courts de parlement,
sièges presidiaulx, villes et communautés de ce royaume,
par ceulx mesmes qui aujourd'hui témérairement en
veuUent protester, et toutesfois qui remet la décision
du faict de la relligion à un Concile libre, attendant
lequel , nul ne peult estre dit:t hérétique en cest estât ,
et auquel aussi quiconque se soubmet, ne peult estre à
bon droict tenu pour pertinax ni schismatique. Quel-
ques empereurs, et Constantin mesmes sur sa fin,
quelques roys d'Espaigne aussi, par longues années,
ont eu des opinions erronées, aux poincts plus im-
DE LA MAISON DE LORRAINE. 4^5
portans, et, grâces à Dieu , le roy de Navarre n'en est
pas là; lit on toulesfois que jamais on ait pensé à les
déposer; que jamais on ait proposé de les exclure?
Quelques papes mesmes , les docteurs des aultres , aux-
quels le nom d'heretique et d'hérésiarque eut peu à
bon droict appartenir, ont mal cru de Christ, ont mal
enseigné de sa divinité, le fond du salut, le seul fon-
dement de la relligion chrestienne; la chrestienté toute
entière y avoit interest ; la source publicque, où chacung
puisoit, s'en alloit gastee, s'en alloit empoisonnée.
Voyons ce qu'on a faict ; on a eu patience d'assem-
bler un Concile solemnel , on les a ouïs , on les a in-
struits , on les a receus à amandement et à résipiscence ;
jamais n'ont esté prononcés hérétiques qu'en ung plein
Concile ; jamais on n'a attenté sur leur dignité par pré-
somption , jamais par prévention , jamais par force :
on y a tousjours observé toutes formalités, on a tous-
jours attendu la condamnation; mesmes après icelle
prononcée , on leur a donné le temps pour y penser,
on leur a donné respit pour se convertir à mieulx.
Mais il y a danger, disent ils, si le roy de Navarre
vient à la couronne, qu'il ne renverse la relligion ca-
tholique en ce royaume. Je responds qu'il y a bon terme,
et le grand soing de si loing hors de saison , monstre
une passion fort violente, et qui n'est poussée de rel-
ligion aulcune ; je responds que , grâces à Dieu , nostre
roy est en la fleur de son aage, s'ils n'y entendent quel-
que finesse qui nous soit cachée, et Dieu l'en garde;
je responds qu'il n'est hors d'espoir d'avoir des enfans,
et que lui et la royne sa femme, selon leur aage, en
peuvent avoir une douzaine sans miracle ; je responds
qu'à ce mal prétendu ils apportent ung foible remède ,
ung cardinal qui a deux fois autant d'aage que le i^oy,
436 ADVERTISSEMENT SUR L'INTENTION
ung cardinal qui n'est poinct marié , en danger de
mourir premier que l'estre , asseuré de n'avoir poinct
d'enfans quand il le sera.
Et, quant à ce qu'ils allèguent du changement de rel-
ligion , qui seroit à craindre, le roy de Navarre leur
dira qu'en sa relligion il a esté tousjours instruit à ne
forcer poinct les consciences; qu'en l'ardeur mesmes
des guerres civiles, lorsque tout exercice estoit défendu
par toute la France à ceulx de la relligion , il a tous-
jours laissé la relligion catholique en son entier, en
toutes les villes esquelles il avoit puissance, et de ce ne
veult pour tesmoings que le clergé et les presbtres et
moines d'Agen, où il faisoit sa résidence; qu'en paix
et en guerre il a tousjours esté servi indifféremment,
tant auprès de sa personne qu'en tous les estats et of-
fices qui sont en sa disposition, des ungs et des aultres,
mesmes en sa chambre, en son conseil et en ses gardes,
et n'en a jamais reculé aulcuns pour le faict de con-
science ; et ceulx qui ont tant soit peu approché de sa
maison , le sçavent bien ; qu'en ce que Dieu lui a laissé
de son royaume de Navarre , qui est beaucoup plus
grand que son pays de Bearn , il a laissé la relligion
catholique et romaine en son entier, sans y avoir rien
altéré ni innové, selon qu'à son aVenement il l'avoit
trouvé, ce que malicieusement on cele, se contentant
de le calomnier sur le faict de Bearn : et , quant à son-
dict pays de Bearn , que l'ayant trouvé reduict par la
feue reine sa mère , par une convocation générale des
estats, à la relHgion de laquelle il faict profession, il l'a
à la vérité laissé en ce mesme estât auquel il le trou-
voit, ayant esté tant occupé es travaux qu'on lui a
brassés , qu'il ne lui estoit pas à propos d'y rien chan-
ger; cependant qu'on sçait qu'il en a levé les rigueurs,
DE LA MAISON DE LORRAINE. 4^7
et y a modéré les ordonnances , et faict payer aux ecclé-
siastiques leurs pensions , et mesmes quelquesfois de
ses propres deniers , ce que les eyesques , ecclésiasti-
ques , qui ont du bien esdicts pays, ne peuvent nier. Au
reste, il a tousjours offert d'ouvrir les estats à son peu-
ple, afin qu'ils y peussent franchement ouvrir la bouche ,
et lui déclarer en iceulx ce qu'ils auroient à requérir
pour la paix de leurs âmes et consciences; que, si on
tire une mauvaise conséquence de ce qu'il n'a remis la
relligion catholique et romaine en Bearn, qu'on en
doibt donc tirer une bonne de ce qu'il ne l'a ostee en
la basse Navarre, où il a pareille puissance ; mais, quand
toutes personnes non passionnées la debvroient tirer
bonne de l'ung et de l'aultre, en ce qu'en l'iing et en
l'aultre il n'a rien remué ni innové , sauf qu'il a modéré
la rigueur des ordonnances de Bearn, attendant mieulx,
à sçavoir qu'il n'est pas prince qui se plaise en nou-
veautés , qui procède légèrement aulx changemens par
une violente passion contre une relligion ou contre
l'aultre, ains qui laisse volontiers les choses au poinct
où il les trouve, s'il n'y avoit une utilité bien évidente.
Et de faict , qui estimera le roy de Navarre si depourveu
de jugement, si ennemi de sa grandeur et de son bien ,
si Dieu et nature l'appelloient à ung estât, dele voulloir
perdre ou mettre au hazard par une violence sans rai-
son , et , qui plus , par une violence sans effect, et qui ne
pourroit lui apporter que sa ruyne? et qui croira que
celui qui n'aura voulleu forcer tant soit peu ung pays
de basse Navarre, ce qu'il pouvoit faire sans contra-
diction , veuille forcer ung royaume de France, ce qu'il
ne peult et sans le perdre et sans se perdre soi mesmes?
Ces doubtes peuvent tomber aulx cœurs des idiots,
mais non des sages •, ceulx mesmes qui les protestent ne
438 ADV£RTISSEMENT SUR L'IlNTENÏiON
les font pas, encores qu'ils taschent à desseing de les
faire croire. Et puis, quand les choses se voient réduites
à ce poinct , on peult prendre asseurance des doubtes
qu'on a, le peuple les requiert et le prince les baille;
et de ce prince, grâce à Dieu, on ne peult remarquer,
jusques ici, ni vengeance ni perfidie; mais de s'armer
de ceste heure pour une chose naturellement si loing-
taine , de parer ung coup qui vient de si loing, qui peult
estre, de vingt ou trente ans, ne nous peult arriver, et,
soubs ce prétexte, mettre cest estât en feu, l'Espaignol
dedans pour nous ruyner, en tant qu'en eulx il seroit,
et plus tost que le mal qu'ils allèguent, ne pourroit pas
faire , c'est nous ordonner la ciguë pour nous empes-
clier ung accès de fîebvre, c'est une mort asseuree pour
remède d'une maladie incertaine, c'est donc ung dol
manifeste, car Tignorance en seroit trop grossière;
c'est ung empoisonnement au patient , c'est une trahi-
son à cest estât, c'est une conjuration contre le roy;
et quant il aura nommé ce successeur, successeur qui
ne pourra espérer de le survivre, successeur toutesfois
nommé à ceste intention, empli de cest espoir, quelle
asseurance pourra prendre le roy d'eulx, qu'ils ne s'en
veuillent défaire?
Laissons le roy de Navarre; il sçaura,' quand il en
sera besoing, plaider sa cause, et Dieu veuille que
jamais il n'en soit besoing. Voyons si le reste de leur
protestation a plus de vérité et de couleur; ils se plai-
gnent de quelques jeunes gens qu'ils disent posséder
le roy, tirer de grands biens de lui et en reculer les
princes, les vieulx serviteurs et les principaulx de la
noblesse, sans rien dénommer; chacung voit assés qui
ils désignent , ce sont les ducs de Joyeuse et d'Espernon.
Si le roy les aime, ce n'est chose si estrange : personnes
DE LA. MAISON DE LORRAINE. 4^9
privées en leurs amitiés désirent bien estre libres; com-
bien plus les princes î et en nos histoires veit on jamais
prince qui n'aimast quelqu'ung? S'il leur faictdu bien,
c'est la volonté qui produit son effect : aimer propre-
ment c'est voulloir du bien, c'est faire du bien, car le
vrai voulloir s'estend aussi tost à la proportion de sa
puissance; mais s'ils disent trop, et que leur censure
ait lieu ici , bons reformateurs ! et leur exemple vaul-
droit s'ils voulloient commencer par eulx mesmes. Qu'ils
nous disent donc d'où il s'est peu faire que leur feu
grand'pere , quand il veint premièrement en France,
n'eust pour tout que vingt mille livres de rente, et que
maintenant ils en ayent en leur maison plus d'ung mil-
lion , si ce n'est par la libéralité et bonté de nos roys,
de nos roys, dis je, qui leur ont donné de belles char-
ges, de grands eveschés, de belles abbayes, des plus
riches héritières de ce royaume; de nos roys, en la
bourse desquels, tant qu'elle leur a esté ouverte, ils
ont si bien sceu fouiller, qu'ils se trouveront avoir tiré
six ou sept millions d'or, dont sontprocedees leurs plus
belles acquisitions. A l'avènement du roy Charles à la
couronne , il avoit esté conclu, es estats d'Orléans, qu'ils
seroient appelles à reddition de compte, et recherchés
des dons immenses qu'ils avoient receus des prédéces-
seurs du roy, et tout fraischement du roy François II,
duquel ils avoient emparé la personne et la bourse tout
ensemble ; mais , au lieu de penser à rendre compte , ces
bons reformateurs adviserent au moyen de n'en poinct
rendre, commençant, sans commandement du roy et
confiée les estats de ce royaume, à tuer ceulx de la rei-
ligion contraire en la ville de Yassy, c'est à dire à allu-
mer le feu parungdes coings, qui puis embrasa pour
ung long temps toute la France ; le père, pour ne rendre
44o ADVERTISSEMENT SUR L'INTENTION
compte, nous met en combustion, et aujourd'hui le
fils nous met à la guerre pour faire contre les aultres.
Voyons donc comment ils respondent ici, s'ils le font
à bon escient, s'ils ne se jouent poinct, s'ils n'abusent
poinct le peuple. Tous ne sçavent ils pas que Sainct Luc
et d'O , leurs principaulx partisans , et quelques aultres ,
sont riches des dons du roy, ont trempé en ses finan-
ces, ont teneu en somme ci devant mesme lieu que
ceulx qu'ils taxent et qu'ils font semblant d'amener ici
à compte? Comptent les premiers, qui premiers ont
faict recepte, eulx donc les premiers; certes, disons
mieulx , ces gens sont marris que les faveurs de la court
ne pleuvent tousjours sur eulx, et si elles desgouttent
sur aultrui, ils en crèvent d'envie. Ces gens vont bri-
guer mal contens comme eulx de toutes parts, et ces
mal contens , qui veuUent garder leur condition sans
passion , sont si à leur aise, ont tant receu de bienfaicts ,
que l'aise seul les devoye, et sans les bienfaicts ils n'a-
voient puissance de mal faire; le vrai mal content, celui
qu'il fault plaindre et celui duquel la condition est mi-
sérable, certes, c'est le roy, d'avoir faict du bien à
race si ingrate , donné du pouvoir, donné du moyen ,
donné de l'auctorité, pour estre employé aussi tost
contre lui.
Ils plaignent le peuple , et que ne le laissent ils vivre
en repos ? et pourquoi traversent ils le roy en la volonté
qu'il a de lui bien faire , dont desjà il faisoit voir de
bons effects ? On sçait qu'il l'avoit soulagé pour ceste
année de sept cens mille livres , et cassé en ung jour
quattre vingt ou cent edicts , que l'on lui avoit remons-
tré estre à la charge de son peuple , et se preparoit à
une resformation générale de son royaume ; c'estoit
commencer : en une aultre année il eust faict dadvan-
DE LA MAISON DE LORRAINE. 44'
tage ; et en telles choses la volonté y estant, le progrès
va loing en peu de temps. Aujourd'hui qui doubte que
nouvelle guerre ne lui crée nouveaulx despens , nou-
veaulx maulx au peuple ? et puis quel ménage pensons
nous que fassent ces bons ménagers, qui desjà com-
mencent à lever de grands deniers sur les villes qu'ils
détiennent ? mesmes ont taxé la ville de Bourg en
Bourdelois à dix mille escus , qu'il n'eussent pas payé
en dix ans au roy , près d'envoyer les maires et jurats
de la ville prisonniers en brouage. Pensons puis après
aulx armées tant françoises qu'estrangeres , qu'il faul-
droit nourrir et soudoyer de part et d'aultre, pensons
aulx deniers du roy , que desjà ils usurpent et saisissent,
qu'il fauldra remplacer d'ailleurs pour s'opposer à leurs
rebellions, aulx estappes, aulxmunitions, aulx contribu-
tions , aulx passages des gens de guerre. Toute guerre
est ung monstre desvorant, combien plus la domesti-
que? toute guerre est une vraie confusion, combien
plus celle qui est conduictc par gens de confusion
comme ceulx ci ? Certes je dirai et l'ai dict : trois jours
de sédition civile cousteront au povre peuple une an-
née de taille et plus; trois ans de guerre bien juste,
quand ils auroient bonne intention, ce qu'ils n'ont pas,
ne vauldront jamais au povre peuple, ung jour de
paix.
Mais le roy a tort , c'est ce qu'ils nous disent , car il
ne faict pas assés de cas de la noblesse. Voyons qui les
suit j et voyons qui proteste avec eulx. Des princes du
sang , je n'en vois ung seul en ce parti , si ce n'est ce
bon prince qu'ils abusent , qu'ils ont enchanté , du-
quel ils se font donner le bien pour l'oster à ses neveux :
si sont ils les chefs et les protecteurs de la noblesse ,
des vieulx officiers, des vieulx chevalliers, des vieulx
44^ ADVERTISSEMENT SUR L'INTENTION
capitaines de la France, à peine ung tout seul; je ne
vois partout que des Lorrains, quelques mal contens :
que n eussent ils plus qu'ils ne méritent : quelques
gens perdeus, gens de tous partis, gens, disoit Gesar,
à qui la combustion et à qui la guerre civile duit, tels
que ceulx que Catilina eut à sa suite. Pensés que Lor-
rains se soucient beaucoup si nostre noblesse est bien :
pensés que Lorrains qui, tant qu'ils ont peu, ont de tout
temps ravalé la dignité de nos princes, prennent bien à
cœur que cbacung tienne son rang. Qu'ils n'allèguent
poinct qu'on leur aye pris leurs estais, ils les ont ven-
deus, ils en sont payés et chèrement. N'allèguent ils
poinct aussi qu'on en ait contraint aulcungs de s'en
défaire : il leur tient au cœur. C'estoient gens pour
la pluspart à leur dévotion, et de leur ligue, et leur
faict grand mal qu'on les en faict sortir, Aulcungs gens
d'honneur ont accommodé le roy de leurs estats : mais
s'en plaignent ils ? Mais les verra on rangés soubs
leurs bannières? mais plustost contre eulx : ils sçavent
très bien que leurs estats sont charges, charges que nos
roys, par les anciennes loix, avant tous nosremuemens,
souloient remuer de temps en temps : charges , non estats
et non office : car les princes les en rappelloient à leur
plaisir, sans formalité, sans remboursemens , sans al-
léguer cause ni prétexte; non pour les priver indigne-
ment, mais pour en tirer quelque meilleur service ; non
pour les frustrer, mais pour les recompenser et hono-
rer ailleurs ; et ainsi ne le prenoient ils à mal , car ils
n'abusoient de leurs gouvernemens pour se rendre
nécessaires à leurs princes, ou pour se les faire ache-
ter , ou pour se les rendre héréditaires. C'est ung mal
nouveau , introduit par les aucteurs de ces nouveautés ,
qui, pour s'attirer quelques gouverneurs à eulx, plus
DE LA MAISON DE LORRAINE. 44^
îiberaulx que les maistres , leur promettent hardiment
que leurs gouvernemens leur deviendront patrimoines;
car, parce qu'ils ne tendent qu'à la dissipation de cest
estât, et cognoissent bien qu'ils ne peuvent pas le re-
tenir tout en ung , ils font bon marché du reste , et ne
feignent pas à l'exposer en proye.
Et pour faire paroistre qu'eulx mesmes ont monstre
le chemin , et faict la planche à ces abus pretendeus
par eulx , aulx changemens des principales charges et
gouvernemens de ce royaume , (ju'on se ressouvienne
que, lorsque tous ceulx de leurs maisons estoient en
crédit, ils ont osté à ce grand connétable, qui avoit
tant mérité de la France, Testât de grand maistre , et
celui de grand chambelland , à la maison de Longue-
■ville , qui leur estoit héréditaire , pour les services qu'ils
avoient faicts contre les Anglois; et de fi'aische mé-
moire ont tant faict (pie le gouvernement de Bretagne
est tombé en leur maison , après l'avoir soubstrait moi-
tié par ruse , moitié par contrainte , à ce feu bon prince,
M. de Montpensier , qui en avoit la provision pour
M. le prince de Dombes, son fds, qui en jouissoit ; et
puis, ils se plaignent pour quelques particuliers , qu'ils
disent avoir trafiqué leurs charges , et ne se veullent
soubvenir de tant de grands personnages, lesquels ils
ont despouillés de leurs estats et dignités.
Le clergé , la cause duquel ils veullent sembler en-
treprendre, je demande quelle reformation ils y ap-
porteront, que nostre roy ? Le roy, s'il est question de
sa personne, monstre à toute sa court le chemin de Tavon'
en révérence. Il a pour conseil les plus apparens et les
plus notables d'icelui. Aulx charges et dignités de
TEglise , par les bonnes ordonnances qu'il a faictes,
conformes aulx anciens canons, et desquelles rni! de
444 ADVERTISSEMENT SUR L'INTENTION
ses prédécesseurs ne feut jamais si severe observa-
teur que lui , il choisit les plus excellens , soit en vie ,
soit en doctrine , qu'il cognoisse en son royaume , ou
forclot toutes personnes indignes et incapables, sans
acception et exception de qualités; n'y admet que
ceulx qui naturellement peuvent exercer les charges ;
contraint les evesques de résider en leurs diocèses,
plus sévèrement et plus exactement que ne faict le pape
mesmes; monstre au reste à tous le chemin de zèle et
de dévotion. Que se peult il adjouster à ce bel ordre ,
sinon le loisir d'en recueillir le fruict , de le voir profi-
ter ? Mais ce n'est pas la prédication de la parole de
Dieu qu'ils demandent , ils ne se soulcient pas que ce
royaume soit peuplé de bons prédicateurs, que le
peuple soit instruit en son salut, que les brebis des-
voyees y soyent ramenées ; ils veullent des *** qui in-
spirent le venin de leurs conspirations, soubs ombre de
saincteté en ce royaume , et soubs couleur de confes-
sion ; ( quelle horrible hypocrisie ) abusent de la des-
votion de ceulx qui les croyent , et les obligent par ser-
ment à ceste ligue et à leur parti; qui exhortent leurs
subjects à tuer et assassiner leurs princes, leur promet-
tent plein pardon de leurs péchés , leur font croire
que par actes exécrables, ils méritent paradis ; vraies
colonies d'Espaignols; mais disons plustost , vrai levain
d'Espaigne, en ce royaume, qui, depuis quelques années,
a enaigri nostre paste, a espaignolisé, soubs ung sour-
cil pharisaïc, les villes de nostreFrance, desquels les cou-
vens sont plus dangereux que citadelles , desquels les
synodes ne sont rien que conspirations. Tels sont ils
cogneus, tels nous sont les fruicts de l'assemblée géné-
rale qu'ils tenoient à Paris n'agueres , en septembre ,
et presidoit certain *** du Pont à Mousson , directeur
DE LA. MAISON DE LORRAInE. 44^
de ces conseils : aultresy en a qui blasphèment le roy en
pleine chaire, suscitent le peuple, s'arment de fureur
contre les magistrats , preschent les louanges , recom-
mandent les vertus de ces pretendeus rejettons de Char-
lemaigne. C'est ce zèle ardent, c'est ceste relhgion qui
les anime; et voullés vous voir quand ils sont en Al-
lemaigne, ils sont luthériens; sont ils mutinés contre
celui qui leur prestoit la main , ils le remettoient sur les
calvinistes; soigneux du clergé, soigneux du service,
soigneux de tenir leurs résidences, qui possèdent nom-
bre d'eveschés, nombre d'abbayes , contre les canons,
contre les Conciles qu'ils nous vont preschant en France,
en vendent les bois, en dissipent le domaine, laissent
les églises , laissent les maisons aller par terre , vendent
les reliques, retirent à eulx tout ce qu'il y a de pré-
cieux, d'aumosnes fort peu , les povres tout nuds, et les
prestres mesmes y meurent de faim. Vrais héritiers, non
de Charlemagne, certes, mais de Charles de Lorraine,
qui sceut fort dévotement vendre à son profict la grande
croix , et les plus riches joyaulx de son evesché de
Metz , feit vendre au clergé de ce royaume partie de
son temporel , et augmenter les dismes : il n'eut poinct
de honte pour le bon service qu'il pretendoit avoir
faict en cest endroict, de s'en faire donner une partie
en recompense.
Reste la justice, ces justes censeurs la nous veullent
rétablir en son intégrité; qui a jamais veu qu'une guerre
domestique ait esté propre à reformer la justice; qui
ne voit assés qu'ung seul an de guerre lasche plus les
nerfs des loix, et leur oste plus d'auctorité que dix ans
de paix ne lui en peuvent rendre? lasche plus la bride
au mal, que dix ans de paix ne la lui peuvent retenir?
Ces gens, pour exemple, quand ils auront faict leur ra-
446 ADVERTISSEMENT SUR L'INTET^TION
vage, viendront à se repentir; il leur fauldra des par-
dons, des remissions, des abolitions : il fauldra que les
loix dorment, il fauldra que les juges connivent, qui
recommençoient à reprendre leur auctorité. Mal tous-
jours sur mal; desjà les défiances des partis , par la pru-
dence du roy , commençoient à se lever, ceulx de la
relligion contraire recognoissoient peu à peu que, par
la voye ordinaire , ils pouvoient avoir justice, sans qu'il
leur feist grand besoing d'ung conflit de jurisdictioris.
Ces perturbateurs , protecteurs des parlemens, qui leur
promettent ici plénitude de puissance, donnent nou-
veaulx argumens de défiance , estent le moyen de reu-
nir à ce poinct les volontés. Qui plus , on s'est plaint
souvent de la vénalité des offices de judicature , intro-
duite premièrement pour aider à supporter les guerres
estrangeres, et, depuis, continuée pour subvenir aulx
civiles. Or, sçait ung cliacung que le roy n'a eu tant
soit peu de relasche , qu'il n'ait aussi tost aboli ceste
vénalité , et tous les moyens par lesquels indirectement
on la pouvoit couvrir; et si ceste saincte ordonnance
est par lui sainctement observée, tous les parlemens et
sièges de France en sont tesmoings, qui se peuvent soub-
venir que le roy n'a voulleu admettre quelques résigna-
tions très favorables, desquelles la conséquence eust peu
faire fraude à l'ordonnance à l'advenir ; quel soing il
a eu de pourvoir aulx dignités principales en ses par-
lemens, quand elles sont veneues à vaquer. On le voit
en ceulx qui aujourd'hui les tiennent nommés de son
propre mouvement, et choisis par son bon jugement,
gens d'intégrité, de capacité et de doctrine , desquels
la vie est une censure , et la doctrine une lumière entre
les hommes. Quel soing il avoit mesmes sur le poinct
que ce trouble est adveneu, d'abréger les procès entre
DE LA MAISON DE LORRAINE. 447
son peuple, et d'oster les mangeries qui le consument :
sçavent ceulx aussi qu'il a appelles en conférence , par
lesquels il en a voulleu estre informé par les menus :
ces gens ci le sçavent , ces gens n'en peuvent doubter
y ayant partie d'eulx esté mesmes appelles; tout nostre
mal est qu'ils vouldroient gouverner ou gourmander
la court pour y mettre, comme ils faisoient aultrefois
gens à leur poste , s'ils eussent peu continuer de
mesmes, les estats feussent venaulx , la justice en son
entier, et ne parleroient ni de reformation à présent,
ni d'abus.
Par là donc, voyons nous que ces protections et pro-
testations ne sont que vains prétextes. La vraie cause
c'est l'ambition de gouverner, c'est la dissipation de
nostre estât, pour en emporter une pièce, et y intro-
duire l'estranger. C'est une continuation du desseing
qu'ils ont eu de longtemps, et duquel les mémoires
feurent découverts des l'an 76 , lequel se manifeste au-
jourd'hui plus clairement , selon qu'il s'approche plus
de l'exécution , et nous du danger. Cependant ils
pryent le roy de ne poinct mal penser d'eulx, que c'est
pour son bien, qu'ils n'ont tous juré que son service.
Amsi feit Pépin, et ceulx ci se disent de la race, em-
ployant contre son roy Chilperic la force et l'aucto-
rité qu'il lui avoit donnée et la saincteté du pape Za-
carie : le roy est prudent, le François loyal , le jeu des-
couvert, et à vous appris que la saincteté condamne les
parjures , que la saincteté ne conseille jamais de faulser
la foi , forcer sa patrie , et se rebeller contre son rov : à
ce beau desseing ils n'ont poinct de honte de convier
la royne , mère du roy, de les assister de son auctorité ,
la royne qu'ils confessent avoir conservé cest estât par
tant de fois ; à la ruyne et dissipation totale du rovaume,
448 ADVERTISSEMENT SUR L'INTENTION
à la conjuration qu'ils font contre le roy , son fils , con-
viennent les princes du sang à transporter leur hon-
neur en aultre nation et en aultre race ; tous les pairs
de France à trahir Testât, les faict comme tuteurs ,
soubs l'auctorité de nostre roy; les courts souveraines
à soubscrire à leurs desseings , que Dieu a assés en juge-
ment pour la condamnation de tels perturbateurs : les
Gâtons , dis je, à estre catilinaires, et n'ont poinct de
honte d'invoquer Dieu là dessus , et de prendre son
nom en vain , de l'appeller à tesmoing de leur sincérité
et droicture en ceste cause. Dieu jaloux de son sainct
nom, scrutateur des cœurs des hommes, qui ne peult
tenir pour innocent qui employé son nom à vanité.
Combien plus à desseings si exécrables ? desseings exé-
crables , qui , soubs nom de pieté , de justice et d'ordre ,
confondent tout ung estât, le remplissent de ven-
geances , de meurtres , de brigandages , font ung million
de veuves et d'orphelins , reduicts à la faim et au bissac,
tout pour contenter la seule ambition. Dieu voit tout
cela , Dieu pénètre jusqu'au fond : Dieu duquel ils
vont se moquant , en l'invoquant , et duquel ils senti-
ront le juste courroux et la malédiction et la ven-
geance ; Dieu garde des roys , Dieu tuteur des loix ,
conservateur des polices, protecteur du povre peuple ,
qui les détruira, qui les confondra , qui les foudroyera ,
detruisans son peuple , confondans tout ordre , ren-
versans les loix , conjurans contre leur roy et son estât ,
abusans surtout de son nom sacré , du zèle de Jésus
Christ et de son Eglise, pour, soubs ce beau voile, atten-
ter à leur supérieur , voler la couronne , exposer en
proye tous ses subjects.
Peuples qu'on veult mutiner, soubs ombre de bien
public, ressouvenés vous de ces prétendus rejetions de
DE LA MAISON DE LORRAINE. 44g
Charlemaigne , et pour interprètes de leur dire, lises
Iturs precedens mémoires, là verres qu'ils veuUent
estre royaux dépens de noslre roy ; là verres quel_arrest
ils ont conceu contre nous et nostre prince francois.
Restes de la France, considérés moi ces gens soudoyés
d'ung roy d'Espaigne. C'est donc la guerre d'Espaigne,
le crible des vrais François; ils parlent ici d'ung succes-
seur, et vous avés veu pourquoi ils vouldroient morts
tons nos princes; ils parlent d'unir la foi, d'unir les
relligions : mais pour diviser Testât , pour partager nos
provinces. Ici n'est poinct question de relligion ; nous
avons ung roy clirestien trop plus zélateur de Dieu
qu eulx tous ensemble, qui sçaura pourvoir, et par
moyens légitimes et convenables, à la seureté de la vraye
relligion pour la postérité. Geste saincteté donc n'est
que pure hypocrisie; ceste ligue, qu'ils appellent
saincle,une feinte dévotion, une vraye conjuration
contre lestât; ici aussi peu est il question de la refor-
mation de ce royaume : ces gens, quand ils n'y ont poinct
veu leurs interests, ne s'en sont jamais remués; ces
gens au contraire, en ce peu que Dieu leur a donné
d'auctorité, à ce peu qu'ils ont eu de subjects, n'ont
iiionstré qu'eschantillons evidéns de violence et tyran-
nie, et puis pensés, je vous prye, quel remède à tous
ces maulx, de nous jetter en la guerre civile, c'est à
dire, reformer le clergé par l'insolence du soldat, espar-
gner le sang de la noblesse par une suite de cruau-
tés et de vengeances, soulager le povre peuple par
les contributions, les foulles, les rançonnemens, les
pillages, redresser la justice par l'anéantissement de
toutes bonnes loix , remettre sus l'ordre et la police,
par la chose qui seule a tousjours introduit la confu-
sion en toutes choses : mais , qui pis est pensés que
Mf.m. de Dui'Lr.ssis-MoRNAy. Tome it. 2Q
45o ADVERTISSEMENT SUR L'INTENTION
c'est de restaurer la France en l'ouvrant de toutes parts,
et aulx deniers et aulx forces d'Espaigne; c'est à dire,
vendre à l'Espaigne nostre patrie , et chasser la France
hors de France pour y faire les logis de la Lorraine et
de TEspaigne. N'allèguent ils le roy de Navarre pour
nous abuser? Il est prince courageux, prince tout
françois; ils l'ont pour suspect et le. redoublent, et
taschent par tous moyens de le rendre odieux, eulx.
confédérés, eulx amis et serviteurs de l'Espaignol ; lui
vrai sang de France, lui vrai ennemi et à très grand
droict , de la nation d'Espaigne. Reste donc que ce qu'il
y a de la France en France se rallie et rejoigne contre
ceste conjuration maudite, qu'on n'oye plus entre nous
ces noms de papistes et huguenots, noms ensevelis par
lesedicts de la paix, noms bien plus à ensevehr main-
tenant en ceste guerre , qui n'a fondement qu'en nos
divisions; que, pour tout, il n'en soit plus parlé entre
nous sinon d'Espaignols et de François ; que nous nous
revoyons à ceste occasion reunis dessoubs la croix, je
dis contre la 'croix rouge dessoubs la croix blanche,
marque antique de nos roys ; qu'il soit dict à la postérité
que cette division, comme aultrefois les Romains, nous
ait reunis ensemble , que la rébellion de ces gens nous
ait ramenés à la vraie obéissance, je dis de nos loix et
de nos roys. C'est la contre ligue que nous debvons faire
tous ; li^ue née en nous , Hgue naturelle du chef avec
tous ses membres : pour y parvenir n'est besoing de
brigues , n'est besoing de monopoles; le sang court au
cœur et le bras pare la teste sans délibérer des qu'il
ressent le danger, des qu'il apperçoit le coup venir;
soyons tous unis , rangeons nous au roy , chaque mem-
bre se dispose à faire son office; je vois ces ligueurs,
ballais déliés, pièces rapportées, fondre dessoubs nous,
DE LA MAISON DE LORRAINE. 45 1
fondre devant nous, fondre et se confondre par eulx
mesmes; je les -vois defaicts, je les vois rompus et
plus par leurs propres armes, par leurs âmes et con-
sciences, par leur cause mesmes, ou pour mieulx dire
prétexte, que par les jusles forces de leur roy, de leur
prince et de leur magistrat : et se lira partout au lieu
du tombeau qu'ils se promettent, ce dicton : Ce sont
les premiers Espaignols françois.
LXXXI. — ^ RESPONSE DE MM. DE GUISE
A Vadverlissement précèdent.
Combien que ceulx de la prétendue relligion ayent
esté déclarés hérétiques par les premiers et seconds
Conciles generaulx en sciences de l'Eglise, et que les
roys François premier du nom et Henry second son fils
les ayent, pnr leurs edicts, condamnés, les courts de
parlement de ce royaume les ayent faict mourir par le
feu, que le roy François second les ait punis par glaive
en la ville d'Amboise, les roys Charles neuviesme et
nostreroy Henry troisiesme, à présent régnant, les ayent
poursuivis comme leurs capitaulx ennemis, par sièges
de villes, et quattre batailles données; que le peuple les
ait par plusieurs fois courus à forces aulx massacres
comme gens reprouvés; toutesfois ils se sont particuliè-
rement tousjours attachés à la maison de Guise comme
s'ils eussent esté seuls aucteurs , motif et cause de ce
qu'ils n'estoient venus à leurs intentions. Et, après avoir
quelque temps combattu par passages de l'Escriture
saincte , et par les armes qu'ils ont peu amasser tant
parla France, Allemaigne, que Angleterre; enfin , met-
Jant et les armes spirituelles et les corporelles en leur
452 RESPONSE DE MM. DE GUISE
fourreaux, ils se sont mis à calomnier messieurs de
Guise de chose qui ne concerne en rien la relligion;
c'est qu'ils ont dict que feu monseigneur de Guise pre-
tendoit à la couronne de France, se disant estre des-
cendu de Charlemaigne , sur la race duquel Hugues
Capet a usurpé le royaume; à ceste cause ils disent que
l'on a appelle huguenots nos roys et princes du sang des-
cendus dudict Hugues Capet, comme si tous les hugue-
nots feussent princes du sang de France et héritiers de
la couronne , ou qu'il n'y eust que lesdicts princes du
sang huguenots.
En leur objectant le crime de leze majesté, ils con-
damnèrent aussi quasi tous les princes, seigneurs, gen-
tilshommes et subjects du roy comme complices et
aucteurs de crimes, quand ils ont pris les armes avec
ceulx de la maison de Guise, comme le feu roy de Na-
varre qui feut tué au siège de Rouen , les feus sieurs de
Montpensier, de la Roche sur Yon , prince dauphin; les
ducs de Nemours, de Longueville et de Nevers, tant
père, fils que gendre; le feu connestable qui laissa la
vie à la bataille Sainct Denis , le mareschal Sainct André
qui feut tué à la bataille de Dreux , les mareschaulx de
Montmorency et Danville , de Brissac , de Tavanne , de
Biron, de Matignon; les sieurs de Martigues qui mou-
rurent devant Sainct Jean d'Angely, le sieur de Brissac
qui mourut à Mussidam , et infinis aultres qui ont per-
deu et les biens et la vie pour ceste querelle, lesquels
tous ont esté traistres et deloyaulx à leur roy, favorisant
la maison de Guise, et ont esté déclarés lordauts d'avoir
ignoré pourquoi ils portoient les armes.
Aussi de dire que nos roys ayent esté si peu voyans
qu'ils n'eussent jamais cogneu l'intention de ceulx de
Guise, qui estoit de les despouiller de la couronne pour
A L'ADVERTISSEMENT PRECEDENT. 4^^
s'en investir , ce seroit leur faire tort. L'événement des
guerres a monstre que toutes les villes et places fortes
qu'ils ont eues en leurs mains, ils ne se sont jamais im-
patronisés d'une seule place comme ont faict les hu-
guenots , qu'ils ont retenu pour leur dernière main les
villes de La Rochelle, Sainct Jean d'Angely, Montau-
ban et plusieurs aultres, et qui avoient mis entre les
mains des Anglois, anciens ennemis de la France, les
Havres de Grâce et aultres places de grande consé-
quence. Donc l'on peult dire à monsieur de Guise ce
que Dion recite avoir esté escrit sur la sépulture des
Ruffus : Y gist Ruffus, lequel , ayant chassé l'ennemi , a
recogneu l'empire, non pour lui, mais pour sa patrie;
car monsieur de Guise, après y avoir perdeu la vie, a
laissé sa maison engagée de plus de six cens mille livres
comme il est tout notoire.
Mais c'est aultre chose de mesdire,aultre chose d'ac-
cuser; car celui qui accuse s'inscrit à la preuve de Tullon
administrer tesmoing, use d'argument, de conjecture
et indice violent; celui qui mesdit se contente de vomir
tout ce qu'il a dedans le cœurpou^rse décharger, et ne
se donne peine d'entrer en preuve.
Si ceulx de la relligion prétendue qui leur impose
ce, craignent demeurer quelques indices de ce qu'ils
dient qu'ils trouvassent les imprimeurs qui ont mis
soubs la presse les généalogies dont ils parlent, ils au-
roient quelque apparence en leurs dires; mais ils en
parlent fort impertinemment et sans verisimilitude aul-
cune : car il est tout certain que tant d'historiens qui en
ont faict mention, tiennent que le dernier de la race
de Charlemaigne mourut sans aulcung enfant raasle,
comme mesmes tesmoignent les historiens de Lorraine;
celles des evesques de Verdun , par ung nommé Vas-
454 RESPONSE DE MM. DE GUISE
sabond; la généalogie de Lorraine , par Charles Estienne ;
aultre livre qui est intitulé : Testamenta don. Lotha-
ringia , composé par ung chanoine de Thoul , subjcct
du roy, lequel, pour s'estre trop lié en parlant du roy
nostre prince et le sien, feut faict prisonnier par mon-
sieur le duc de Lorraine et accusé par monsieur de
Guise. Estant donc ainsi que la race de Charlemaigne
soit faillie en ligne masculine, quand il seroit vrai que
ceulx de Lorraine seroient descendus des filles d'icelui ,
qui feut dernier de la race de Charlemaigne, toutesfois
ils ne seroient capables d'hériter à la couronne de
France, parla loi salique inviolablement gardée en ce
royaume qui exclus les femelles, et ne donne la cou-
ronne à ceulx qui sont descendus par filles, non plus
qu'elles ne tombent en quenouille.
Et si ceulx de Braine sont descendeus par filles dudict
Charlemaigne , aussi en sont descendeus nos roys et
princes du sang de par la mère de Sainct Louis.
Et si, contre la loi salique, ceulx de Guise preten-
doient à la couronne comme veneus des filles de France,
ils n'ont pas à rechercher leur race de si loing : car
M. de Guise est petit fils du roy Louis XII, les enfans
de M. de Lorraine sont petits fils du roy Henry II , sans
rechercher ni la maison d'Anjou , d'Alençon et de
Bourbon, dont ils sont veneus par filles.
Cela donc est sans apparence, et seroit leur droict
prescrit par sept cens ans passés, il fauklroit admettre
la succession à l'infini , où le droict civil et canon n'ad-
mettent que le dixiesme degré, et encores où ce droict
ne seroit prescrit par le temps. Ceulx de Lorraine y
auroient renoncé se trouvant au sacre des roys Charles V,
Charles VI, VII, François I, Henry II, François II,
Charles IX et nostre roy, où ils ont assisté comme pairs
A L'ADVERTISSEMENT PRECEDENT. 4^5
et ont aidé à couronner nos roys, ont pris estât soiibs
eulx , leur ont faict foi et hommage comme à leurs
roys et princes souverains.
Dadvantage, si ainsi estoit qu'il y eust quelque droict
pour la maison de Lorraine, ce seroit premièrement
au duc de Lorraine, puis au duc de Mercœur, à la
débattre , avant que ceulx de Guise y puissent rien
quereller.
Donc il n'est vraisemblable que feu M. de Guise
eust pretendeu à la couronne , ni son frère , et si vous
me dites que ce n'est pas assés de le denier, et si pour
denier ung crime on doibt absouldre ung homme, jamais
il n'y auroit aulcung convaincu : je vous respondrai
ce que dict ung grand empereur : S'il est ainsi que ce
soit assés que d'accuser pour condamner , jamais homme
ne se trouvera innocent.
Aussi ledict argument de ceulx de la prétendue rel-
ligion se trouvera bien foible et bien léger, quand,
avec une délégation seule, il sera renversé et fellé; si
donc ils ont quelques tesmoings de le dire , ils les doib-
■vent produire, et accuser seulement ceulx de Guise de
si grand crime : car qui ne deffera ung criminel de
leze majesté par les loix civiles dudict royaume?
J'adjousterai encores le poinct, que, quand ceulx de
Guise seroient descendeus par raison de Charlemaigne,
ce que ne sont, toutesfois ce roy leur peult dire que
Pépin, père de Charlemaigne, avoit usurpé le royaume
contre les successeurs de Pharamond , consequemment
que Hugues Capet et sa race y ont autant de droict que
ceulx de Charlemaigne : mais qu'est il besoing de se
défendre quand il n'y a aulcun procès intenté pour ce
faict la, et qu'on ne doibt recevoir ung criminel à ses
faicts justificatifs avant qu'on lui çitparfaict son procès.^
456 RESPONSE DE MM. DE GUISE
Il est vraisemblable assés que M. le cardinal de
Bourbon , s'il cognoissoit l'intention de M. de Guise
estre telle qu'il voulleust déshériter de la couronne
MM. de Bourbon pour se l'approprier, il ne vouldroit
adhérer à ses desseings, ou il s'oubliroit par trop.
Mais c'est la façon ordinaire des huguenots de se
mesler des choses qui ne leur appartiennent en rien ,
et semer des noises entre les princes pour leurs rangs,
où ils debvroient disputer des poincts controversés en
la relligion par auctorité de la justice, Escriture et des
pères de TÉglise.
Ils n'ont jamais cessé qu'ils n'ayent tiré hors de la
court le roy de Navarre à qui le roy Charles avoit
baillé sa sœur en mariaige, et qui aimoit singulière-
ment M. de Guise comme chacung sçait, estant ordi-
nairement ensemble comme proches parens , enfans des
deux cousins germains, ayant aussi M. de Guise sa
cousine germaine, beau frère d'ailleurs de M. le prince
de Condé; et de le rendre si ennemi de la maison de
Bourbon, comme ils le font , c'est dissouldre une trop
grande alliance : il n'y a maison plus alliée de celle de
Bourbon que celle de Lorraine; la graiidmere de feu
Claude de Lorraine, duchesse de Gueldres, sa femme,
se nommoit Anthoinette de Bourbon, la mère de M. de
Guise estoit sœur de M. le cardfnal de Bourbon; la grand
mère du duc d'Elbœuf estoit sœur de feu M. de Mont-
pensier; la grand'mere du duc de Lorraine estoit sœur
de Charles de Bourbon, connestable de France ; feu M. de
Montpensier avoit espousé la femme de feu M. de
Guise; la grand'mere de M. le cardinal de Bourbon
se nommoit de Lorraine, qui estoit duchesse d'Alençon:
voilà comment ils sont parens et alliés, et , n'estoit la
relligion , très bons et fidèles amis.
A L'ADVERTISSEMENT PRECEDENT. 4^7
De les rendre aussi ennemis de nos roys , est chose
qui ne se peult croire, et qu'ils voulleussent les priver
de la couronne. Le roy François II avoit espousé
la royne d'Escosse, nièce de feu M. de Guise; le duc
de Lorraine avoit espousé la fille du roy Henry II, dont
il en a enfans, et le roy présent a faict cest honneur
à la maison de Lorraine, que d'espouser la fille de feu
M. de Vaudemont.
Et combien que la loi salique reprouve les femelles
de la couronne , toutesfois elle n'est si forte qu'elle
puisse esteindre le parentage qui est entre eulx de
droict de nature, plus ancien et plus fort que la loi
salique.
Ils imputent à la maison de Guise qu'ils se sont
agrandis aux despens du roy; toutesfois les terres de
Guise, de Joinville, du Maine, d'Aumalle, d'Elbœuf
et aultres qu'ils tiennent, leur viennent d'antiquité de
la maison de Lorraine, le duché de Mercœur de la
maison de Bourbon connestable, dont le duc de Lor-
raine estoitnepveu, aussi proche que M. deMontpensier,
et n'est poinct à rechercher, qu'ayant faict service à nos
roys, ils se soient sentis quelquefois de leur libéralité,
parce que plusieurs aultres qui sont en leur degré, ou
de parenté ou de mérite, en ont beaucoup plus em-
porté en peu de temps.
Si vous me demandes quel service ils ont faict , voyant
les histoires de France , qui sans passion en tesmoignent,
où vous verrez (ju il y a peu de princes ou seigneurs de
France, qui n'ayent quelquesfois faillis, se rangeant du
coste des ennemis du roy; mais nuls de ceulx de Lor-
raine, (quoiqu'ils ne fussent subjects, se sont rendeus
du parti contraire à nos roys, lesquels ont faict comme
l'oye nourrie dans la ville de Rome, non pour la garde,
458 RESPONSE DE MM. DE GUISE
toutesfois feirent meilleure guerre que les chiens, et les
mortes payes (i) qui estoient ordonnés et nourris pour
ce faire.
On a escrit que le roy François I" les avoit pour
suspects et ne les aimoit pas : si aultres que les liu-
guenots l'avoient escrit, j'en passerois quelque chose,
mais tel personnage est ainsi à reprocher. MM. de Lor-
raine lui avoient tousjours faict bon et loyal service : à
la journée de Marignan, Anthoine , duc de Lorraine, y
estoit, et Claude de Lorraine, duc de Guise, son frère,
qui feut trouvé, comme on recite tous les jours, parmi
les morts, respirant ; son frère François de Lorraine feut
tué en la bataille de Pavie, oii le roy feut pris. Le duc
de Guise feut employé, durant ce règne, en toutes les
armées , et est tout notoire que l'ung des plus favoris
du roy François estoit Jean, cardinal de Lorraine; mais
je crois qu'ils ont controuvé ceste calomnie, comme ils
ont faict beaucoup d'aultres; quant est du roy Henry,
riiistoire tesmoigne assés comme ils estoient désirés et
bien veneus vers lui, comme ayant gouverné les plus
grandes affaires de son royaume, tant en guerre que
pour la police; quand François, duc de Guise, en
combattant contre les Anglois, receut ung coup de
Jance qui lui oultrepassa la teste , qu'il combattit l'em-
pereur à Renty, qu'il défendit Metz, qu'il reconquit
Calais, Guines et aultres places, qu'il feut son lieutenant
gênerai en l'armée près Amiens. Ung peu devant la paix
faicte entre le roy et l'Espaignol, on lui objecte qu'il
a mené une armée en Italie pour lui conquérir le
royaume de Sicile, comme s'il commandoit au roy,
(i) Gens qui, pour impôts, étaient commis à la garde de la
^■ille.
A L'ADVERTISSEMENT PRECEDENT. 4^9
autant aa^e rjiie lui , auquel on faict peu d'honneur
de lui irnpuler quil se Jaissoit ainsi gouverner à son
subject.
Quant à Charles, cardinal de Lorraine, on lui im-
pute qu'il a ordonné des finances, et demande, ou
que ses Iieritiers en rendent compte, comme s'il eust
esté thresorier de Tespargne, et qu'il eust manié les
finances dont il feut comptable. Les thresoriers de ce
temps là ont compté en la cbambre des comptes , où
lors les finances alloient bien d'ung aultre train qu'elles
ne font maintenant ; on sçavoit alors que le tout estoit
devant jusqu'à ung liard : les deniers ne se recevoient
que par les comptables. Et pour finir le règne du roy
Henry II lorsqu'il feut tué au tournoi, feu M. de
Guise estoit l'un^i des vivans avec lui.
Depuis on les a calomniés qu'ils s'estoient saisis du
feu roy François II; mais quel tort lui ont ils faict? Ils
l'ont préservé des embusches contre lui dressées à Am-
boise, ils ont faict révoquer les trois estats à Orléans,
qui monstre qu'ils ne voulloient rien faire au préjudice
du royaume.
Lui decedé, le roy Charles IX veint au royaume; in-
continent les troubles commencèrent tels que ung cha-
cung sçait; la bataille de Dreux se donna où feu M. le
duc de Guise se trouva, comme il feit au siège de Paris,
à Rouen , et d'Orléans, où il feut proditoirement occis;
son frère, le duc d'Aumalle, occis devant La Rochelle,
après s'estre trouvé aux batailles de Dreux, Sainct Denis,
Jarnac et Montcontour , et demeurés endebtés tellement
que leurs enfans n'en sont encores hors : quant à nostre
roy, il sera tesmoing et juge de ce qu'il a veu à l'œil,
comme des services que Henry de Lorraine, duc de
Guise, le duc de Mayenne son frère ont faicts qui sont
46o RESPONSE DÉ MM. DE GUISE
trop recens pour le coucher en ce lieu , et lesquels, de-
puis dix ans en ça, ont eu si peu d'entremise aulx affaires
du conseil , qu'ils n'ont eu moyen ni de s'açgrandir , ni
d'avancer les leurs, encores que de ce règne certains
seigneurs y ont tellement faict leur besogne , qu'ils se
peuvent comparer aulx plus grands princes, en biens
et honneurs.
Voilà, en somme, comme se sont gouvernés mes-
sieurs de Guise, à qui est plus d'honneur d'estre blasmé
et calomnié par ces boutefeux de ministres, que den
estre esteint.
Quand est de la ligue qu'ils ont entreprise depuis
quelques jours, pour ne voir la France reduicte en
l'estat où l'Angleterre est maintenant, f]ue les princes
catholiques sont gesnés et tourmentés continuellement,
ou sont bannis et réfugiés hors de leurs pays, et' privés
de leurs maisons et biens, et de leurs parens et amis,
le réserverai je d'en juger jusques à ce que le roy lui
mesraes les ait jugés, et l'événement a assés découvert
quelle est leur intention.
Or, d'autant que, pour esblouir les yeux de quelques
ungs qui ne seroient assés bien confirmés en leur rel-
ligion , ou qui prefereroient les misères de ce monde
aux béatitudes de la vie éternelle, le diable et ceulx
qui sont conjurés avec lui pourroient leur proposer
que les princes catholiques qui sont à présent armés,
vouidroient , soubs le manteau de relligion , s'addresser
à Testât et à la personne du roy; iceulx princes des-
clarentappertement, et désirent que ung chacung s'ac-
corde, que tant s'en fault que telle soit leur intention;
et qu'avec la cause de Dieu, leqiiiel, avec la vérité de
sa parole, sont agréables injures et torts de ceulx qui
les remettent en la main de justice , y veullent rien mes-
A L'ADVERTISSEMENT PRECEDENT. 4^1
1er de leur particulier; qu'ils n'ont aultre chose sur ce,
comme n'ont les armes sur le dos , et ne se sont dis-
posés d'employer leur vie et leurs moyens et ceulx de
leurs subjects et confédérés, que pourra manutention
de l'Eglise , la tuition et défense d'icelle ; et comme
eulx, estant les premiers princes du sang, pairs de
France et officiers de la couronne , ils pensent avec
raison et auctorité de Testât, chacung sachant assés
en quelle disposition il est à ceste heure. Ce n'est tou-
tesfois leur but et leur fin , encores moins de toucher
aux deportemens du roy , la majesté duquel leur est
saincte et sacrée, pour lequel ils sont armés, et non
contre lui; pour la vie duquel ils veullent mourir, et
non attenter à sa personne ; ainsi la seule cause de
l'Eglise catholique, de laquelle il s'asseurent que le roy
ne se devoyera jamais, les a unis, leur a faict ceindre
les armes et jurer qu'ils mourront plustost mille fois, si
faire se pourroit, que voir l'Eglise appovrir par ses
ennemis. Sçavent iceulx princes , fort bien, que l'Eglise
bien establie, et la reunion en nos cœurs. Testât sera
aussi; et qu'icelle abolie et délaissée, Testât sera bien
ébranlé.
Pour ce, vos très humbles subjects et serviteurs,
qu'ils sont du roy ses proches parens , ses plus fidèles
conseillers, ceulx desquels de ses yeulx il a veu lui
mesmes combattre ses ennemis , qu'il a veu au milieu
des batailles, ramener blessés pour son service, non
une fois, mais plusieurs, qui ont heureusement de-
fendeu les villes, assailli et pris celles de ses adver-
saires, réuni ses provinces en son obéissance, reteneu
tousjours celles qui leur ont esté commises en leur deb-
voir et fidélité, desquels les membres blessés sont les
marques et le sceau de leur foi envers Dieu et envers
462 RESPONSE DE MM. DE GUISE
le roy, prosternés devant sadicte majesté, le supplient
embrasser avec eulx la défense de 1 Eglise, ne se sé-
parer poinct, s'il lui plaist, d'icelle, et se soubvenir
du nom de très chrestien , qui est le plus beau et re-
commandable de celui de monarchie du monde; se
soubvenir du premier serment qu'il a faict, prenant la
couronne, non de France seulement, qui est beau-
coup toutesfois d'avoir le nom de fils aisné de l'Eglise,
du protecteur et défenseur d'icelle, qui est encore dad-
vantage; et à considérer que ne prenant en main ceste
tuition, laquelle et comme chrestien et comme roy,
très chrestiennement s'est obligé, oultre les malédic-
tions, ruynes, renversement d estât qui auroient et
sont adveneus aulx anciens roys et princes, lesquels ont
manqué à Dieu , à l'Eglise, et à leur foi, et à son ser-
vice, ou il fault qu'il demeure neutre et spectateur des
batailles que donneront ces princt'S , que Dieu, pour
la défense de son Eglise, a de sa propre main armes,
ou il sera besoing qu'il se range du costé des ennemis
de Dieu : demeurant neutre, il n'y aura nul dotibte que
sera la proye des victorieux; se rangeant du costé des
ennemis de Dieu et de son Eglise , comme furieux et
reprouvé du sens, il déchirera ses entrailles et se cou-
pera la gorge lui mesmes. Aura il donc plus de fiance
aulx armes desquelles il a veu maintefois les lances et
piques baissées contre lui, aux chefs capitaines, des-
quels il a veu l'espee tirée pour la lui cacher dedans
le cœur, qu'à ceulx qu'il a senti apposer leurs corps
propres pour empescher que le sien ne feust blessé ?
aura il plus d'asseurance en la parole de ceulx qui la
lui ont faulsee tant de fois , qu'à peine se peult i dire,
que non pas à la foi des princes et bons subjects qui la
lui ont inviolablement gardée et la lui conservent en-
A L'ADVERTISSEMENT PRECEDENT. 463
cores en son entier, sans jamais avoir changé ni de foi,
ni de relligion, ni de roy ? aura il certitude des catho-
liques incertains, qui remercieront Dieu pour s'as-
seurer du monde? estans prests à combattre, qui lui
proposera que Dieu est pour eulx , pour lequel ils ont
pris les armes, qu'il n'est pour leur foi et relligion,
laquelle ils ont abandonnée ; pour les sainctes Eglises
et aultres qu'ils combattent; qu'ils fortifient et accom-
pagnent les bras de ceulx qui les détruisent ; pour leurs
enfans et famille , qui peult estre combattront entre eulx
mesmes, parce que nous ne sommes pas tant redeva-
bles à nos pères et nos princes , que nous sommes rede-
vables à Dieu et à son Eglise , et parce que , si sa majesté
se range du costé de ses ennemis mesmes et des ennemis
de Dieu, il n'allumera pas seulement ung feu qu'il ne
pourra esleindre dans les provinces de son royaume,
mais dans les maisons particulières et dans les cœurs
de ses subjects. Le roy, premier après, marchant à la
teste de son arjnee, desquels se gardera il plus tost, ou
de ceulx qui seront derrière lui pour le tirer, comme
par tant de fois ils ont tasché de faire et l'ont entrepris ,
ou de ceulx qu'il aura en front, lesquels le salueront
plus tost et lèveront les bras, que de toucher à sa per-
sonne , leurs armées n'estant poinct duites ni prises ,
pour offenser le roy, comme sont celles des ennemis
de Dieu et de l'Eglise, entre les bras desquels, s'il se
jette, il ne doibt attendre qu'une subite mort, une
ruyne et désolation de son estât; et la raison de ceci
est que iceulx hérétiques, demeurans maistres et supé-
rieurs, si des l'heure mesmes du combat ils ne mettent
à mort le roy après la victoire obtenue, ils se prive-
ront de son auctorité sans double, ou attenteront
à sa vie.
464 RESPONSE DE MM. DE GUISE
Que la volonté des hérétiques n'ait esté réelle jus-
ques ici, chacung le peult considérer; qui ne sçait
que la lance du feu prince de Gondé en la rencontre
de Jarnac , ne cherchoit pas plus tost l'estomac du roy
que de nul aultre ; que l'espee du feu admirai en la ba-
taille de Montcontour n'estoit pas traicte pour la bai-
gner au sang de sa majesté ; que tous les hérétiques
ne menaçoient pas sa teste et ne souhaitoient pas sa
mort plus tost que nulle aultre? et eulx le scavent vrai-
ment , qui lors ont combattu avec le roy, qui l'ont re-
levé de cheval , et ont esté ministres et aucteurs en partie
de sa victoire; or que lesdicts hérétiques changent
d'opinion lorsqu'ils se verront au dessus de leurs affaires.
Celui là seul le peult comprendre qui sçait si tels
personnages pardonnent a leur ennemi quand ils le
tiennent foulé à leurs pieds, et ung tel ennemi encores
qui, sans cesser, leur a faict la guerre, les a rompus,
poursuivis et domptés comme a faict le roy, duquel la
mort et la fin est le commencement et la vie de leur
auctorité, et qu'ils n'ignorent poinct estre vrai catho-
lique en son courage.
Le chef mis à bas , que peuvent espérer les catho-
liques tiedes et fluans en leur foi, lesquels, ayant com-
battu pour les hérétiques, auront combattu contre eulx
mesmes , sinon que les hérétiques estans venus au som-
met de leur puissance, et où il y a si long temps qu'ils
s'y désirent et se promettent quasi desjà estre, rendront
avec usure aulx catholiques ce qu'ils leur ont preste
par ci devant; c'est à dire ils osteront des gouverne-
mens, charges et offices, tant de judicature que de
finances et des estats particuliers des villes, ceulx qui
ne seront de leur relligion, et empescherontque aulcung
cathohque y puisse parvenir; car, quant aulx eccle-
A L'ADVERTISSEMENT PRECEDENT. 465
siastiqiies, comme l'extermination de leurs personnes,
les massacres qui se commettront auparavant sur iceulx,
ils doibvent estre asseurés qu'il sera j etté sur leurs robbes,
ce qui sera la dernière ruyne de l'Eglise , parce que
Tambition et l'avarice ont tant de pouvoir sur le cœur
des mortels que nous avons veu, depuis six ans, la cham-
bre mi partie avoir plus faict d'heretiques en France ,
seulement pour gaigner le temps en ung procès, que
les presches des ministres et leur institution n'avoient
faict vingt ans auparavant. Que sera ce donc lorsque
les hérétiques seront roys, tiendront les armes, les pro-
vinces, la justice, les finances, et bref tout Testât en
leurs mains, sinon qu'ils se souilleront de la vengeance
si long temps préméditée contre nous aultres povres
misérables catholiques? ou au contraire, s'il plaist au
roy ne prendre poinct le nom de protecteur de l'Eglise,
lequel, par tant de victoires, il s'est acquis; s'il lui
plaist tirer du fourreau le coustelas sacré qui lui feut
envoyé par nostre sainct père le pape comme à celui ,
la valeur et magnanimité duquel avoit faict paroistre
qu'il estoit lors le plus fort et le plus vigoureux défen-
seur de l'Eglise entre tous les princes chrestiens ; s'il
plaist à sa majesté estre chef de ceulx qui lui ont tous-
jours obéi, entendu sa voix et receu tousjours ses com-
mandemens , et qui sont prests à les recevoir, qui ont
tousjours combattu avec lui, et sont retournés victo-
rieux, il n'y a nul double que Dieu verra le cœur de
ses subjects, renversera ses ennemis, asseurera les tro-
phées que par ci devant il a eslevés des despouilles des
hérétiques, et que sa majesté viendra h bout de ce
qu'elle a par tant de fois demandé à Dieu , qui est l'exter-
mination d'heresie, restablira son estât, régnera en
paix asseuree et non incertaine, et Dieu enfin lui don-
MÉM. DE DUPLESSIS-MORNAY. ToME H. 3o
466 RESPONSE DE MM. DE GUISE, etc.
nera des enfans, ayant esté peult estre différée ceste bé-
nédiction, jusqu'à ce que, suivant la trace de ses pré-
décesseurs , ce que par ci devant il a si heureusement
faict , la dextre de sa majesté soit armée pour la tuition
et défense des affaires de Dieu et de son Eglise.
LXXXII. — ^ REGLEMENT DU CONSEIL.
Du I" janvier i584.
Le roy de Navarre , désirant establir ung bon rè-
glement pour la conduicte de ses affaires et pour Tordre
et dignité de son conseil privé, a ordonné ce qui s'en-
suit.
Qu'il y aura conseil trois jours la sepmaine, pour les
affaires de la justice, et trois jours pour les finances,
scavoir : est le lundi, mercredi et vendredi pour la
justice ; et le mardi , jeudi et samedi pour les finances;
et s'assembleront les chancelliers , superintendans, se-
crétaires d'estat avec le reste du conseil, à deux heures
après midi au logis du roy, s'il y a commodité, et en
salle ou chambre qu'il fera marquer à ceste fin, et où,
pour l'occurrence des affaires , sembleroit nécessaire
tenir ledict conseil plus souvent et à aultres heures,
les gens dudict conseil aultres que messieurs les chan-
cellier, superintendant et premier gentilhomme de la
chambre , les secrétaires d'estat ordinaires et celui qui
sera en quartier, et le maistre des requestes qui sera en
quartier, et non aultres , s'ils ne sont conseillers du con-
seil privé dudict seigneur roy, et pour le regard des ex-
traordinaires, les presidens et gentilshommes signalés qui
seront conseillers dudict privé conseil, et non aultres.
Ne seront rapportées aulcunes requestes audict con-
REGLEMENT DU CONSEIL. 467
seil que par le maistre des requestes en quartier , si
ce n'est que par les chancellier ou superintendant elles
ayent esté distribuées à ung aultre selon la nécessité et
occurrence des affaires.
Sera faict registre de tous les résultats dudict conseil
par celui des secrétaires ordinaires servant par quartier,
qui se trouvera audict conseil ; et , s'il y a esté traicté
d'aulcungs affaires d'estat et de finances, ledict secré-
taire baillera ung extrait desdicts résultats aulx secré-
taires d'estat et des finances et aultres , pour, par eulx ,
faire les expéditions arrestees aussi que chacung d'eulx
escherra et appartiendra, selon les différences et distinc-
tion de leurs qualités , fonctions et charges , et pour
les rendre aulx parties par ceulx qui les expédieront
sans qu'aulcuns entreprennent de s'advancer par dessus
ce qui est de leur charge; et seront lesdicts résultats
signés dedans ledict registre du conseil , soit par le
chancellier , soit par voix de superintendant et aultres
dudict conseil, si besoing est, et seront lesdictes re-
questes délivrées à ceulx desdicts secrétaires à qu'il
appartiendra.
Et afin que chacung desdicts secrétaires entende dis-
tinctement sa charge, tous dont brevets, lettres et pro-
visions d'estats et offices quelconques, edicts, ordon-
nances , reglemens et aultres expéditions concernans
Testât , seront expédiés par le secrétaire d'estat ordi-
naire, ou en quartier, primativement à tous aultres, à
peine de nullité desdictes expéditions , sans qu'elles puis-
sent aultrement estre scellées ; et, quant aulx expéditions
des finances , elles seront depeschees par lesdicts secré-
taires d'estat , et par les secrétaires des finances ordi-
naires et en quartier ; les aultres depesches ou expedi-
468 REGLEMENT
lions de justice pourront estre expédiées par les secré-
taires ordinaires estant en quartier, comme aussi les
lettres missives quand elles leur seront commandées.
Et pour esviter la contrariété des depesches, qui est
quelquefois adveneue par la confusion des secrétaires,
ne seront doresnavant escrites soit de faveur et recom-
mandation à la court, ni aulx gens de la justice , sans-
en prendre l'advis desdicts chancellier ou superinten-
dant ou secrétaire d'estat ordinaire ou en quartier.
Ceulx du conseil , à sçavoir, maistres des requestes,
secrétaires et aultres , se trouveront pour exercer leur
charge au commencement de leur quartier, qui leur
sera ordonné, et non plus tost , et icelui fini, se retireront
pour faire place à ceulx qui entreront en quartier.
Le thresorier gênerai de la maison rapportera au con-
seil , tous les mois ou de quartier en quartier, ung estât
abrégé de la recette et dépense ordinaire et extraor-
dinaire de ladicte maison, qui sera vérifié sur les estats
et mandemens et acquits qu'ils représentera.
Seront aussi ci après rapportés au conseil dudict sei-
gneur roy, une fois la sepmaine, à sçavoir, le mardi , les
journaulx de la dépense ordinaire, et le rolle de l'ex-
traordinaire à la fin de chacung quartier, pour y estre
leus et vérifiés et visés d'ung superintendant de la
maison, et signé d'ung secrétaire d'estat servant. Au-
quel rolle extraordinaire, seront couchées les parties
que les marchans et aultres fournisseurs auront déli-
vrées et fournies pendant ledict quartier ; et icelui
expiré, et ledict rolle clos et arresté, ne sera eu aulcung
esgardaulx parties dudict quartier qui seront présente-
ment après la closture dudict rolle; et sera à cestuis
le présent article signifié aulx maistres d'hostel et con-
DU CONSEIL. 4^9
trosleurs servans, qui feront entendre le contenu d'ice-
lui à tous ceulx qui y ont interest.
Faict au Mont de Marsan.
Henry, Claude Antoine de Vienne, Philippe de
MoRNAY, Allier.
LXXXIII. — LETTRE DU ROY DE NAVARRE
A MM. de la chambre de Gujenne^ rédigée par
M. Duplessis.
Du 12 janvier i58/|.
Messieurs, je me suis tousjours grandement loué de
vostre intégrité et justice, et n'ai eu seulement regret
que de ne l'avoir autant auctorisee et fortifiée qu'il eust
bien esté besoing. Vous sçavez que le but de vostre veneue
par deçà a esté proprement l'affermissement de la paix,
ayant très bien considéré, sa majesté, qu'il dependoit
principalement d'une bonne et droicte justice; et,oultre
ce qu'on ne la pouvoit attendre aultre de vostre répu-
tation , plusieurs l'ont receue telle en effect de vous.
Mais, messieurs , il fault que je me plaigne à vous que
le public ne s'en est pas jusqu'ici ressenti , comme il
eust esté nécessaire pour le bien de la paix , encores
que l'object feust devant vos yeulx, pour le vous ra-
mentevoir à toute heure. Qui faict penser à plusieurs
que vos bons mouvemens n'ont esté si libres, qu'il
eust esté à souhaiter, L'edict de paix requeroit que
l'exercice de la relligion reformée feust remis en la ville
de Perigueux; aussi que les aucteurs et complices de
l'infraction de paix faicte en la surprise de ladicte ville,
feussent punis selon les rigueurs conteneuesaudictedict;
et souvent je vous en ai escrit, en conformité des edicts
470 LETTRE DU ROY DE NAVARRE
du roy monseigneur, et des dépêches qu'il lui en a
pieu expédier par diverses fois. Cependant , messieurs,
il n'a esté aulcunement touché ni à l'ung ni à l'aultre.
Au contraire , les povres habitans de la relligion sont
privés de tout exercice, et les coupables se pourmenent
devant vos yeux, comme si le crime avoit entrepris en
vos personnes de triompher de la justice. Messieurs,
vous en sçavezassés la conséquence , sans que je la vous
die. Il importe grandement au repos de ce royaume,
à l'establissement de la paix, et je dirai encores à la ré-
putation d'une si honorable compagnie , que vous lais-
siez, en la ville de vostre séance, après une si longue
demeure , quelque trace remarquable d'une vraie et
effectuelle paix , et quelque exemple notable contre les
infracteurs et violateurs d'icelle ; et pour l'honneur que
je porte à la justice , et mesmes à vos dignités , je serois
marri que, par quelconque occasion, cette louange vous
feust détournée. Je vous prye donc, pour l'interest pu-
blic, qui principalement vous a appelle en ce pays,
d'y vouUoir mettre la main à bon escient, premier que
partir; mesmes maintenant qu'il a pieu au roy, mon-
seigneur, me déclarer, par le retour du sieur de Cler-
vant, qu'il voulloit et entendoit que son edict feust
pleinement exécuté , et nommeement en ce qui con-
cerne ladicte ville de Perigueux , qui dépend en partie
de vostre auctorité ; si non , messieurs, je vois par vostre
département toute espérance retranchée de voir sa vo-
lonté effectuée en cet endroict, dont plusieurs prendront
occasion de nouvelles défiances ; au lieu que nous som-
mes en la saison que chacung se doibt travailler à les
lever. Au reste , messieurs , je n'ai rien plus désiré ,
comme vous sçavez, que de vous voir en ce pays de
Guyenne, afin que vissiez plus clair en mes actions.
A MM. DE LA CHAMBRE DE GUYENNE. 4? »
que je tascherai toujours de tout mon pouvoir d'ap-
prouver à une si notable compagnie. Et vous m'estes
tesmoings de l'affection que j'ai apportée toutesfois que
m'avez requis de tenir la main à la justice. Plus vostre
séance eust peu estre près de moi , et plus ce m'eust
esté de contentement et de bien; sçachant bien, veu
vostre intégrité , que ce m'eust été autant de rempart
contre la calomnie. Mais, puisqu'il plaist au roy, mon-
seigneur , qu'elle se transporte à Xaintes, comme je
vois par les lettres qu'avec les vostres vous m'avez en-
voyées par ce porteur, je vous pryerai seulement, dere-
chef, de voulloir laisser une marque publicque de vous à
Perigueux , qui soit arrhe à vostre séance prochaine du
bien qu'elle leur porte. Et pour fin, pryerai Dieu , etc.
LXXXIV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. du Bartas. (i)
Du 1 3 janvier i584.
Monsieur , je loue Dieu que soyez arrivé à la fin de
vostre seconde sepmaine. C'est ung œuvre aussi avide-
ment attendeu , que l'aultre a esté joyeusement receu;
de moi , je ne fais rien que plaindre ma vie détournée
de choses haultes aulx basses , et crains que mon es-
prit enfin n'en dégénère, encores qu'en ceste espérance
je lutte toujours vivement de ma nature contre la na-
ture des affaires dont il me fèult mesler. Vous verrez
ma traduction latine de mon livre de la Vérité , et en
jugerez, s'il vous plaist; j'ai des conceptions, et pres-
que m'en déplais, parce que je ne me vois ni le loisir
(i) Auteur du poème intitulé la Semaine.
472 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
ni la saison de les esclorre. Faisons estât que je suis à
tirer une galère pour quelques ans ; au sortir de là ,
peult estre, aurai je durci mes nerfs et mes muscles
pour quelque exercice plus agréable. Je me sens honoré
d'avoir eu quelque place en vostre livre. La perle que
j'ai mise en œuvre, m'a acquis ce bien, et non l'œuvre
mesmes ; c'est le contentement que doibvent attendre
mesmes les mauvais ouvriers, en maniant une bonne
estoffe. Un g faulx monnoyeur y apporte plus d'art et
d'industrie, et toutesfois sa monnoie n'a point grande
mise. Je vous prye que je voie des premiers vostre sep-
maine; car entre ci et là les sepmaines me seront ans,
et les jours sepmaines. Des que j'aurai receu quelques
exemplaires de ma version , vous la verrez aussi , mon-
sieur, etc.
Du Mont de Marsan.
LXXXV. — INSTRUCTION
A M. de Buzanval, allant de la part du roy de
Navarre vers les cantons evangeliques.
Le roy de Navarre, depuis que Dieu l'a appelle à la
conduicte et défense de son Eglise , tant en ses pays sou-
verains que mesmes en France , a souvent déploré la
desunion qui se seroit coulée entre les plus notables
partiesd'icelle,augrandmesprisetreculementde l'Evan-
gile, par le moyen d'aulcuns differens qui seroient nés
en mesme temps qu'il auroit pieu à Dieu le nous faire
renaistre.
Et auroit diverses fois proposé de rechercher toutes
voyes, de composer lesdicts differens, et rallier les églises
en une bonne union ; employant à ceste fin tout ce qu'il
INSTRUCTION A M. DE BUZANVAL. 4?^
a de moyen et d'auctorité vers tous les princes et estats,
auxquels Dieu a faict la grâce de sortir des superstitions,
et redresser son pur service entre leurs peuples.
Mais, comme chacung sçait, il auroit esté jusques ici
agité de tant de flots, et traversé en ses bons desseings
par une suite de tant de maulx, qu'il auroit eu assés de
peine à conserver ce qui estoit plus près de lui, sans se
travailler de ce qui seroit plus loin ; encores qu'il lui
demeurast tousjours imprimé au cœur d'employer le
premier loisir que Dieu lui donneroit à la poursuite
d'une si saincte entreprise, de laquelle dépend humai-
nement la paix et tranquillité de l'Eglise.
Dieu donc lui ayant faict la grâce de respirer des
travaux passés, il n'a rien eu plus à cœur que cest
affaire. Et pour ce auroit, des l'an passé, depesché le
sieur de Segur son conseiller, chambellan et surinten-
dant de ses affaires, vers la serenissime royne d'Angle-
terre , les magnifiques estats des Pays Bas , le très puis-
sant roy de Dannemarck, les très illustres électeurs,
princes et aultres estats du sainct empire, pour les
supplier, au nom de Dieu, pour le bien de son Eglise,
et selon la charité chrestienne , d'employer leur crédit
et auctorité, chacung, endroict soi et vers tous qu'il
appartiendra, pour faciliter ung œuvre si nécessaire, et
leur en remonstrer à bon escient l'importance, et pren-
dre advis avec eulx des moyens qu'il seroit besoing de
tenir pour y parvenir.
Et auroit semblé audict seigneur roy que le plus
expédient estoit de remettre tous les différends, qui
entretiennent ladicte desunion, à la décision d'un bon,
sainct et légitime Concile gênerai des églises reformées
de la chrestienté, à l'exemple de l'EgUse ancienne et
des meilleurs empereurs chrestiens qui en ont eu soing,
474 INSTRUCTION
et, en attendant qu'icelui se peust tenir (ce que main-
tenant ne se pourroit pour les troubles qui en occu-
pent une bonne part), qu'il feust imposé silence par
l'auctorité des susdicts princes et estats à toutes invec-
tives tant de bouche que par escrit, qui ne font que
gratter et escorcher la playe que tous vrais chrestiens
désirent guérie, mesmes s'il estoit possible sans cicatrice.
Ce que ledict seigneur roy espère, sera aisément ap-
prouvé desdicts princes et estats,eten auroitjàreceude
bonnes arrhes, parcequienaesténegotié par ledict sieur
de Sçgur avec la royne d'Angleterre, laquelle il auroit
trouvée pleine de zèle à l'advancement de ceste union.
Auroit aussi ledict seigneur roy donné charge audict
sieur de Segur de passer vers les très puissans et très
magnifiques seigneurs des Ligues et leurs as? jciés, pour
leur proposer le semblable , leur faire rapport de tout
ce qu'il auroit avancé en sa negotiation, et d'iceulx
prendre advis de ce qu'il conviendroit ci après y faire,
comme de ceulx avec lesquels il a cest heur d'estre
conjoint totalement en doctrine, et par conséquent en
tout ce qui dépend d'icelle. Ce que ledict seigneur roy
leur auroit ci devant escrit assés amplement, dont il
attend leur response selon leur zèle et prudence.
Mais comme ledict seigneur roy seroit veneu à con-
sidérer que ledict sieur de Segur auroit un long et
fascheux voyaige à faire , tant pour la multitude et
diversité des princes et estats avec lesquels il a à traicter,
que pour la rigueur et incommodité de l'hyver es pays
qu il a à passer, se seroit advisé ledict seigneur roy
pour gaigner temps en ung affaire auquel tout délai
doibt apporter impatience, d'envoyer vers leurs magni-
fiques seigneuries le sieur de Buzanval , gentilhomme
ordinaire de sa chambre , lequel il auroit nommeement
A M. DE BUZANVAL. 4?^
choisi , parce qu'il auroit assisté , avec charge dudict sei-
gneur roy, à ce qui en a esté fraischement traicté avec
la serenissime royne d'Angleterre, à ce que plus clai-
rement il leur puisse faire entendre son intention , et
ce que, suivant icelle , a esté jusques ici advancé
avec ladicte dame royne.
Leur dira donc ledict sieur de Buzanval, ce qui, pour
ce regard, a esté traicté en Angleterre, et les pryera
d'adviser entre eulx les moyens les plus propres de
tirer fruict de ceste negotiation , et d'iceulx donner
advis audict sieur de Segur au plus tost ; estant très
raisonnable que cest affaire, qui est commun au roy de
Navarre et auxdicts très magnifiques seigneurs des Li-
gues, soit traicté et conduict de commune main et advis.
Au reste, asseurera de plus en plus lesdicts très ma-
gnifiques seigneurs de la sincère amitié et affection du
roy de Navarre envers eulx pour deux raisons; l'une,
parce qu'il est le premier prince du sang de France,
et par conséquent leur ami et allié , pour l'estroicte
union qu'ils ont avec la couronne à laquelle il a cest
honneur de toucher de si près; l'aultre , qui est la prin-
cipale, que, par la grâce de Dieu, il se sent conjoinct
avec eulx du lien indissoluble de mesme foi et relligion,
qui rend tous leurs désirs et interests communs.
LXXXVL — INSTRUCTION
A M. de Cleruant, allant trouve?- le roj de la part du
roy de Navarre.
Du 18 janvier i584.
Le roy de Navarre supplie très humblement sa ma-
jesté de lui faire ÇBSt honneur de croire qu'il n'a rien
47^ INSTRUCTION
plus à cœur que de lui rendre tout debvoir et respect,
qui se peult attendre d'ung très humble et très obéissant
subject et serviteur. Mais, par ce que ses actions sont
subjectes, à son grand regret, à estre interprétées plus-
tost selon les passions d'aultrui, que selon sa droicte et
sincère intention , désire ledict sieur roy de Navarre
ceste faveur de sa majesté, qu'elle se veuille en ce dis-
cours représenter tout ce qui s'est passé en cest affaire
qui concerne la royne sa femme , afin que d'autant
mieulx elle puisse juger et recognoistre le respect et
honneur que ledict sieur roy de Navarre lui a rendeu
etvouUeu rendre, depuis le commencement jusques à
la fin dudict affaire.
Se soubviendra donc sa majesté que la royne de Na-
varre sa sœur ayant esté quelque temps avec lui en
Gascongne, où il tascha de lui rendre tout l'honneur
qui lui feut possible , prenant envie de s'en aller à la
court, tant pour y eslre diversement conviée, que pour
le bien de ses affaires , il la conduict et accompagna
très honorablement, et selon la dignité et grandeur du
lieu dont elle a cest heur d'estre issue, et ne la laissa
poinct qu'il ne l'eust mise entre les mains de la royne
sa mère , qui lui feit ceste faveur de s'advancer jusques
à la moitié du chemin pour la recevoir et prendre
avec elle.
Que pareillement , tandis qu'elle feut près de leurs
majestés, il lui continua ce respect et amitié, et tes-
moigna par plusieurs fois à sa majesté le désir qu'il
avoit de la revoir auprès de lui, et de voir à ceste fin
une fin des affaires qui l'y avoient menée. Comme de
faict , sur ce qu'elle lui manda que sesdicts affaires
s'advançoient, il faisoit estât de passer en Poitou au
devant d'elle, pour ne lui rendre moins d'honneur à
A M. DE CLERVANT. 4? 7
son retour qu'à son département, lors que sa majesté lui
depesclia ung sien valet de garderobbe avec lettres toutes
de sa main, par lesquelles il lui mandoit en somme qu'il
estoit resoleu de la lui renvoyer au plus lost; et que,
pour avoir découvert la mauvaise et scandaleuse vie de
la dame de Duras , il se seroit resoleu de la chasser
d'auprès de la royne sa femme, comme vermine très
pernicieuse et non supportable auprès d'une princesse
de tel lieu. Et pourtant qu'il pourveust à l'accompagner
de personnes de qualité, tant hommes que femmes,
pour estre doresnavant auprès d'elle.
Ledict seigneur roy de Navarre receut ces lettres à la
chasse près Saincte Foy sur Dordonne , et en date du
5 d'aoust. Et la response feut, qu'il remercioit très
humblement sa majesté du grand soing qu'il avoit eu
en ce faict de l'honneur et réputation de sa maison,
qu'il le recognoissoit à une singulière obligation envers
sa majesté; qu'il donneroit ordre au plus tost d'envoyer
au devant de la royne sa femme, quelques seigneurs et
dames agréables à leurs majestés et à elle, et de lieu con-
venable à sa grandeur pour estre auprès d'elle (selon que,
par les susdictes lettres, sa majesté l'en admonestoit),
et suivant ce qu'il avoit donné charge à M. de Clervant
de les nommeV à leurs majestés pour les y mettre selon
ce qu'ils trouveroient bon. Et, de sa part, il se preparoit
pour l'aller recevoir en Poictou, et mandoit, comme
on sçait, la noblesse de Guyenne tant d'une que d'aultre
relligion pour s'y accompagner.
Mais adveint en ce mesme temps , et avant que le
susdict courrier peust estre de retour près de sa ma-
jesté, que ladicte royne sa femme se départit tout à coup
de la court sans avoir cest honneur de prendre congé
de sa majesté pour ung si long voyaige; s'en alla disner
478 INSTRUCTION
au Bourg la Koyiie , où le roy passa sans la voir. A demie
heure de là, feut arrestee d'une troupe d'arquebusiers
commandés par Selar, qui a charge au régiment des
gardes de sa majesté; qui visita sa litière, lui feit abattre
le masque ; feit quelques personnes de son train pri-
sonnières en sa présence , oultre celles qui feurent prises
ailleurs; et icelles mena à sa majesté , qui prit la peine
et le loisir de les séparer l'ung de l'aultre, et de les
ouH' et mterro2[er.
Quels bruits sortirent par toute la chrestienté de cest
acte? le roy de Navarre le laisse considérera la prudence
de sa majesté. Car ceste indignilé feut faicte à la veue
du soleil, en plein chemin, et toutes circonstances s'y
rencontrent pour la rendre bien tost publicque ; mais
principalement trois choses ouvrent la .bouche au
monde , et donnent lieu aux plus sinistres interpréta-
tions; que ceste indignité procedoit de l'indignation
d'ung frère contre une sœur, desquels l'honneur et in-
terest est comme inséparable; d'ung grand roy envers
une royne et princesse: les faicts desquels sont regardés
de plus loing, et par conséquent à examiner de plus
près; et, qui plus est, d'ung prince sage et modéré en
toutes ses actions, qui ne sembloit pas avoir excédé
mesure en celle ci de si grande importance, ainsi pro-
portionné la reprehension à la faulte , et la peine h la
coulpe.
Ceste nouvelle, tost après la première, veint aux oreilles
du roy de Navarre à Nerac, où il se preparoit pour aller
au devant de la royne sa femme ; et en feut ledict seigneur
roy esmeu autant que le cas requeroit, mesmes considé-
rant que la royne sa femme avoit à estre si peu à la
court , et n'attendant que l'heure pour le revenir trou-
ver , quelque mécontentement qu'elle eust peu avoir
A M. DE CXERVANT. 479
donné, elle pouvoit, pour peu de jours, y estre sup-
portée et renvoyée audict seigneur roy avec honneur.
En ceste perplexité, toutesfois, ledict seigneur roy
de Navarre se resoleut de depescher promptement le
sieur Duplessis vers sa majesté , pour la supplier très
humblement de deux choses ; l'une estoit qu'il pleust
à sa majesté lui déclarer la cause de ceste si grande
indignation contre la royne sa femme , qui la lui avoit
faict estimer digne d'une si grande indignité ; l'aultre
qu'en la peine où il estoit, qui ne pouvoit estre que
très grande, il lui feist cest honneur de lui dire ce qu'il
avoit à faire comme bon maistre , tel qu'il lui avoit
tousjours promis de lui estre. Et de ce, ledict sieur
Duplessis avoit charge expresse de ne s'adresser qu'à
sa majesté seule, pour la confiance qu'il avoit de sa
bienveillance envers lui.
A ces poincts sa majesté se ressouviendra, s'il lui
plaist, des propos qui lui feurent tenus par ledict sieur
Duplessis, selon le commandement qu'il en avoit du roy
de Navarre. Et la somme feut, que, si la royne sa femme
avoit commis faulte digne d'ime telle indignité, ce qu'il
ne croiroit que le plus tard qu'il pourroit, il lui en
demandoit justice , comme au maistre de la maison et
père de la famille ; sinon , et que cest acte eust esté
précipité sur le rapport de quelques calomniateurs,
comme il estoit à croire, qu'il le supplioit très hum-
blement comme son roy d'en faire une punition exem-
plaire, et telle qu'ung scandale si grand et si public
contre l'honneur d'une princesse pouvoit requérir.
Tant y a que sa majesté feit démonstration d'avoir
ceste depesche pour très agréable, et en remercia ledict
sieur roy de Navarre tant de bouche que par lettres;
ce qui lui a encores esté tesmoigné par le sieur de
48o INSTRUCTION
Bellievre; jusques à repeter plusieurs fois, qu'il lui
feroit cognoistre par effect le gré qu'il lui en sçavoit.
Et la response feut, après divers propos, que ce faict
estoit de grande importance; qu'il y alloit de l'honneur
de toute sa maison ; qu'il n'en voulloit respondre ni
resouldre qu'avec l'advis de la royne sa mère, qui y
avoit interest comme lui ; qu'il faisoit estât de la voir en
dedans un mois ou six sepmaines, et peult estre mesmes
monseigneur son frère, et que ledict sieur roy de Na-
varre s'asseurast qu'il avoit son honneur et contente-
ment et recommandation non moins que le sien propre;
et qu'alors ils prendroient bonne resolution ensemble,
et depesclieroit vers lui ung personnage qualifié, qui
la lui porteroit telle que son honneur en seroit satisfaict
envers tous, et qu'il auroit occasion d'en estre content.
Le roy de Navarre , bien qu'en ung affaire assés im-
patient de soi mesmes, patienta tout ce temps, et pen-
dant icelui prya la royne sa femme par deux ou trois de-
pesches , pour l'honneur de tous deux, de ne s'advancer
poinct vers lui jusques à ce que ladicte satisfaction feust
effectuée. Puis , le temps que sa majesté avoit donné
estant escheu , craignant ledict seigneur roy de Navarre
que la satisfaction à lui promise ne tardast trop, re-
depescha ung des siens vers sa majesté pour la lui
ramentevoir, afin que le rapprochement de la royne sa
femme ne feust plus long temps différé. Et lors feut
envoyé vers lui le sieur de Bellievre, par la veneue du-
quel on lui faisoit espérer toute satisfaction, pour touf
ce qui s'estoit passé à l'endroict de la royne sa femme.
De tout ce (jue dessus peult apparoir à sa majesté,
que le roy de Navarre, avant ceste indignité faicte à la
royne sa femme, n'avoit aultre désir que d'aller au de-
vant d'elle , pour la recevoir avec tout l'honneur dont
A M. DE CLERVANT. 4^1
il se pouvoit adviser; que, depuis, il n'a eu aultre but
que de rendre à sa majesté tout respect et honneur
sans avoir esgard à chose qui se feust passée ; et que le
retardement qui est entreveneu , ne lui peult estre im-
puté, n'ayant peu moins faire ledict seigneur roy pour la
réputation de tous deux, qui leur est commune avec
sa majesté , que de désirer et requérir que la chies-
tienté, qui en avoit esté mal imbue, en feust mieulx
informée premier que s'entrevoir.
Est adveneu pendant ces retardemens , que le roy
de Navarre, pour les enormités de ses subjects qu'il a
faictplus particulièrement entendre à sa majesté, auroit
esté contraint de se remettre en sa maison et ville du
Mont de Marsan ; et ce , peu de jours avant l'arrivée
dudict sieur de Bellievre. Sur quoi , M. le mareschal de
Matignon, qui, des auparavant, avoit faict bastir une
citadelle à Bazas , auroit pris occasion d'y faire entrer
une forte garnison , dont commençoient les défiances à
croistre par le pays. Et eut ledict seigneur roy de Navarre
matière de craindre que , de ceste estincelle , ne s'em-
brasast ung feu par toute la Guyenne.
Arrivé donc que feut ledict sieur de Bellievre, feu t pryé
instamment par ledict seigneur roy, préférant l'interest
de ce royaume à son particulier, de s'y transporter pour
l'esteindreàtemps; et pense que sa majesté, considérant
la raison qui lui feit ainsi faire, lui en aura sceu gré,
n'y ayant personne qui ait tant d'interest à la conser-
vation de son estât qu'elle mesmes.
Au contraire , seroit adveneu qu'après avoir conféré
avec M. le mareschal de Matignon , pour faire retirer la
garnison dudict Bazas , il en auroit mis en toutes les
aultres places, nommeement à Dax et SainctSever, plus
voisine du Mont de Marsan , où estoit ledict seigneur roy
MÉM. DE DUPLESSIS-MOKN AY. ToAIE II. J ï
482 INSTRUCTION
de Navarre , et , peu après , à Coudon , Agen , etc. , pro-
ches de trois lieues de sa ville de Nerac, où il faict
principalement résidence , comme s'il lui eust voulleu
rendre toutes ses maisons inaccessibles et inhabitables.
Le tout plus de quinze jours après que toute l'allarme
qu'on pouvoit avoir prise de la reprise de possession
du Mont de Marsan, feut passée et assoupie.
Le roy de Navarre pensa avoir juste occasion de
croire que M. le mareschal de Matignon et M. de Bel-
lievre tendoient à mesme but par différentes voyes ,
l'ung par paroles, et l'aultre par force. Et juge s'il lui
plaist sa majesté s'il n'y avoit pas raison. Et ne vouUant
faire ce tort ni à la royne sa femme d'avoir esté reprise
par telle voye , qui ne lui pouvoit estre honorable,
mesmes après les précédentes indignités, ni à soi mesmes
d'avoir faict par crainte ce qu'il doibt par amitié et par
raison, prya derechef ledict sieur de Bellievre de voul-
loir surseoir la negotiation de ce qui concernoit la
royne sa femme, jusques à ce que ces apparences de
force et évidentes menaces feussent levées. Et pour faire
entendre lesjustes considérations qui <à celé mouvoient,
depescha incontinent le sieur Diolet vers leurs majestés.
Estimoit ledict seigneur roy de Navarre que sesdictes
raisons auroient esté bien prises de sa majesté, estans
icelles fondées sur l'honneur de la royne sa femme ,
inséparablement conjoinct non seulement avec le sien,
mais avec celui mesmes de leurs majestés; et cuidoit
que ledict sieur de Bellievre , qui avoit en mesme temps
eu response de la court, auroit eu charge, oultre la
satisfaction par lui promise, de lever les difficultés sus-
mentionnées; ne pouvant s'imaginer ledict seigneur roy
de Navarre qu'ung affaire si important se deust accro-
cher à peu de chose au regard de leurs majestés , et de
A M. DE CLERVANT. 483
grande conséquence pour le sien. Et pourtant escrivit
audictsieur de Bellievre qui, pendant ce temps, se seroit
retiré à Bordeaux, qu'il seroit le très bien veneu , et qu'il
estoit prest à ouïr sa charge, résolu de lui donner
toute occasion de contentement.
Mais lui pardonnera sa majesté s'il prend la har-
diesse de lui dire qu'es propos dudict sieur de Bel-
lievre, il n'a rien trouvé qui approchast de la satisfaction
qui lui avoit esté promise, attendeu la grandeur de
l'indignité, et du scandale qui en seroit sorti, tel que
chacung sçait. Car ledict sieur de Bellievre lui a dict
pour tout qu'il n'avoit poinct esté faict d'indignité à la
royne sa femme, comme si chose si publicque se pouvoit
effacer de la mémoire de toute la chrestienté par sim-
plement la nier. Que si sa majesté avoit eu envie de
parler à quelques personnes de la maison de la royne sa
femme, il n'estoit teneu d'en rendre compte à personne
de la façon qu'il y avoit teneu ; qu'il estoit son roy , et
que son plaisir avoit esté tel ; qu'il le pryoit en somme
de la recevoir, et se contenter de croire qu'il ne s'estoit
rien passé qui le deust offenser. Adjoustant des mots sur
toutes ces interprétations qu'il lui a peu alléguer si durs,
si crus et si rigoureux, qu'il sembloit n'estre pas veneu
pour lui apporter ung contentement tel qu'il avoit pieu
à sa majesté lui promettre par tant de lettres, mais ung
nouveau mécontentement et une menace.
Ledict seigneur roy de Navarre trouvoit ceste façon de
procéder ung peu estrange ; toutesfois combatteu d'ung
costé du respect qu'il debvoit à son honneur propre,
et de l'aultre de l'honneur qu'il a tousjours porté et
désire porter aux commandemens de sa majesté, s'est
resoleu de ployer mesmes son honneur soubs le respect
de ses commandemens , et au lieu de presser d'estre
484 INSTRUCTION
satisfaict, comme justement il pouvoit requérir, a
vouUeu chercher tous moyens de satisfaire au désir
de sa majesté.
A donc déclaré ledict seigneur roy de Navarre aiidict
sieur de Bellievre , que, pour le désir extrême qu'il
avoit de complaire et satisfaire à sadicte majesté plus
qu'à soi mesmes et à tout le reste du monde ensemble ,
il estoit prest de se transporter en sa maison de Nerac,
et là , voir et recevoir la royne sa femme avec tout
l'honneur qui se pouvoit désirer de lui sans s'arrester
au peu de satisfaction qu'on lui donnoit de ce qui
s'estoit passé au sceu d'ung chacung ; seulement que
les garnisons qu'on avoit fraischement mises autour de
sa ville et maison de Nerac , de laquelle on cognoist
la foiblesse, feussent levées tant pour y séjourner avec
plus de liberté et seureté, que pour oster occasion à
ceulx qui jà n'en avoient que trop , d'estimer qu'il
reprist la royne sa femme par une voye moins conve-
nable à l'amitié qui se doibt voir entre eulx et à l'honneur
commun de l'ung et de l'aultre.
Estimoit ledict seigneur roy de Navarre, par ce moyen,
avoir assés montré audict sieur de Bellievre combien
il desiroit la bonne grâce de sa majesté. Et si quelqu'ung
le peult envers son prince, il pensoit l'avoir méritée par
ceste response, en laquelle il donnoit au contentement
de sa majesté son honneur mesmes; encores que les
grands princes n'ont jamais voulleu user d'auctorité sur
l'honneur de leurs moindres subjects, quelque puis-
sance qu'ils ayent eue et exercée sur leurs vies.
Au contraire se plaint ledict seigneur roy de Navarre ,
que ledict sieur de Bellievre non seulement n'a voulleu
recognoistre l'extrême raison où il se mettoit par ceste
response, mais mesmes Ta comme prise à offense; lui
A M. DE CLERVANT. /^S5
en a parlé et plus froidement et plus cruement qu'au-
paravant; lui déclarant expressément que cela ne se
pouvoit faire, et que sa majesté voulloit estre simple-
ment obeie; qu'il la receust en tel aultre lieu qu'il
vouldroit si sa maison ne lui sembloit seure au milieu
desdictes garnisons. Comme si c'estoit chose civile ,
après ce qui s'estoit passé, de recevoir ladicte royne
sa femme, en maison empruntée, ou chose incivile,
de demander seureté en sa maison propre.
C'est ce qui s'est passé entre ledict seigneur roy de
Navarre et le sieur de Bellievre , qu'il a bien vouUeu faire
entendre à leurs majestés par le sieur de Clervant,
envoyé exprès pour cest effect , qui le leur pourra
discourir plus amplement, et particulièrement les sup-
plier très humblement de bien considérer les raisons
qui ensuivent.
Ledict seigneur roy de Navarre n'ignore et ne mescog-
noist poinct la puissance et auctorité du roy, que ledict
sieur de Bellievre lui a voulleu, pour toute raison et sa-
tisfaction, mettre en avant; mais aussi sçait il bien que
ceste puissance et auctorité par tous princes chrestiens
est toujours conduicte et reduicte à équité et justice ; et
particulièrement que sa majesté en faict une profession
très grande. Supplie donc sa majesté de considérer s'il
l'a offensé en lui demandant du commencement justice
ou d'ung crime ou d'une calomnie, et si maintenant il
doibt prendre en mauvaise part qu'y allant mesmes de
son honneur, il requière quelque seureté en sa maison,
et quelque bienséance, après ce qui s'est passé, en la
réception de la royne sa femme.
Ne veult aussi ledict seigneur roy de Navarre révoquer
en double la liberté selon laquelle les princes peuvent
user de leurs subjects, qui lui a esté alléguée par ledict
486 INSTRUCTION A M. DE CLERVANT.
sieur de Bellievre; mais supplie aussi sa majesté de se
ressouverwr qu'envers les moindres d'iceulx , elle ne l'a
jamais employée aux despens de leur honneur et répu-
tation ; que la coustume des princes François ne feut
onc telle, qui ont tousjours attrempé ceste souveraine
liberté d'une douceur et gracieuseté, sans jamais or-
donner de leur vie qu'en justice, et de leur honneur
que de gré à gré.
Que ceste coustume de ses prédécesseurs qui lui a
esté jusques ici une nature, ne doibt pas se perdre et
se rompre à l'endroict dudict seigneur roy de Navarre le
premier, qui a cest honneur par la grâce de Dieu d'estre
le premier prince de son sang , d'estre son beau frère ,
d'estre mesmes prince souverain; qui, estant né tel, ne
peult estre que très sensible en ce qui touche l'hon-
neur; ne peult demander son honneur sans demander
inséparablement celui de sa maison ; et toutesfois s'est
demis jusques là que d'en soubmettre la satisfaction au
respect de ses commandemens, pour le désir qu'il a eu
plus de satisfaire à sa majesté que d'estre satisfaict en
soi mesmes.
Pour la fin , la supplie très humblement se voulloir
tant abaisser pour juger mieulx de toutes choses, de
se considérer simplement en la personne dudict seigneur
roy de Navarre, duquel il s'agit en ce faict. Moyennant
quoi, il s'asseure qu'il ne lui pourra que sçavoir gré de
tout ce qui s'y est passé jusques ici ; et ne trouvera
mauvais qu'en donnant le contentement qu'il désire au
principal, il en reçoive aussi quelque peu en ce qui est
de l'accessoire. Ce qui se peult sans dommage aulcung
du service de sa majesté. Et ne se peult aultrement
sans ung préjudice trop grand à l'honneur dudict roy
de Navarre et de la royne sa femme.
FRAGMENT DE MEMOIRES. 4^7
LXXXVII. — ^ FRAGMENT
De mémoires qui s'est trouvé dans les papiers de
M. Duplessis, sans titre ni indication, mais qui,
par les faits quil contient , semble appartenir a
Tannée i584-
Madamoiselle Dnpiessis partit le i^ juin i584,
pour venir trouver M. Duplessis qui, pour la charge
qu'il a en la maison du roy de Navarre, de superin-
tendant, malaisément se peult esloingner de son maistre;
M. Duplessis, ayant sceu son arrivée à Saincte Foy, l'y
veint trouver, et voyant que le ro^ de Navarre n'avoit
encores resoleu du lieu où il feroit sa principale de-
meure, et, d'aultre part, qu'il y avoit permission du roy
pour faire assembler les députés des églises au 20^
d'aoust, où le roy de Navarre et toute la compagnie
des églises se debvoit trouver à Montauban , M. Du-
plessis se délibéra d'y faire acheminer toute sa famille,
afin de donner ce contentement à sa femme, d'estre près
de lui durant ladicte assemblée, et puis, selon le lieu où
le roy de Navarre se resouldroit de passer son hyver, lui
faire acheminer. Après que M. Duplessis eustconduict sa
famille à Montauban, il alla trouver le roy de Navarre
à Pamiers; madamoiselle Duplessis ne changea audict
Montauban, et n'a changé depuis de façon de faire, de
vivre, d'habillemens ni de coiffure, non plus qu'elle a
faict depuis quinze ans, qu'elle a en cest heur de s'estre
trouvée et teneue en plusieurs grandes et belles églises
de la chrestienté, comme à Sedan, Allemaigne, An-
gleterre, Pays Bas, et celles de France; et toutesfois
(à Dieu en soit gloire), plusieurs gens de bien peu»
488 FRAGMENT
vent tesmoigner en quelle modestie elle s'est conduicte
et gouvernée. M. Duplessis reveint audict Montauban
lorsque le roy de Navarre s'y achemina, et y avoit plu-
sieurs députés de la pluspart des églises de France,
qui peuvent tesmoigner si, en ses habits ou façons , il y
avoit quelque marque de vanité ou d'escandre, durant
que M. Duplessis a faict séjour audict lieu; il a pryé
quelquesfois M. Berault de le venir veoir, et boire et
manger avec lui, qui lui estoit assés de subject, en de-
visant avec lui, de lui faire entendre le schisme de ceste
Eglise; mais, procédant de lui et de sa teste, il n'y voul-
loit aussi chercher remède. Cependant , madamoiselle
Duplessis , voyant quelques familles très modestes en
ceste ville estre retranchées de la court, les unes en-
cores que leurs femmes ni filles ne portassent cheveux ;
toutesfois pour s'esire opposées au rapport de M. Be-
rault, qui faisoit entendre l'arrest du synode aultre-
ment que l'on ne faisoit aulx aultres églises; quelques
unes aussi , pour ne voulloir faire un serment que l'on
requeroit d'elles, qu'elles ni leurs filles ne porteroient
jamais leurs, cheveux ou fil d'arecheal dedans, estoient
publicquement criées à l'église et retranchées de la
cène , dont s'estoit ensuivi ung tumulte et sédition
en la ville, chose qu'estoit grandement scandaleuse;
cela faisoit qu'elles desiroient grandement de sçavoir,
cependant que M. Duplessis y estoit , comment elles
se debvoient coiffer, lui feut cause que, la cène ap-
prochant, et que, selon la coustume de Montauban,
M. Berault estoit veneu en leur logis chez madamoi-
selle de Bonencontre , leur liostesse, environ dix
jours devant la cène , pour bailler des mereaux à la
dixaine du quartier; elle feut cause que M. Duplessis'
s'adressa à M. Berault pour avoir des mereaux pour
I)E MEMOIRES. 4%
sa famille , qui faisoit la saincte cène ; ce qu'elle n'eust
voulleu pourchasser, si elle n'eust voulleu s'assujettir
à la discipline qu'ils veullent faire recevoir en l'Eglise
(le Montauban , dont elle estoit prou adverlie ; et eust
bien sceu, sans que M. Berault lui eust appris, s'adresser
au ministre de la court; mais elle desiroit leur donner
toute édification et contentement. Comme M. Duplessis
eust donc envoyé ung des siens , avec mémoire de ceulx
qui faisoient la cène en sa famille , pour le pryer de
lui envoyer des mereaux pour tous , M. Berault feit
response qu'il avoit assés à faire de respondre de son
troupeau , sans se charger davantage ; ainsi , sans dire
aultre raison, ni sans venir trouver M. Duplessis, qui
estoit au mesme logis , et n'y avoit qu'une galerie
à traverser entre la salle oîi estoit M. Berault et la
chambre où estoit M. Duplessis, où il lui eust peu
déclarer quel subject il avoit de faire ceste response
si vague , ou ce qu'il requeroit de sa famille , dont
il eust receu tel contentement qu'il eust peu désirer;
s'en alla en ceste façon, se contentant de rabrouer
son homme. Ceste response estant ainsi faicte , M. et
madamoiselle Duplessis pensèrent qu'il ne voulloit le
requérir d'aulcung changement; mais , afin de ne porter
préjudice à ce qu'il voulloit estorquer de son église,
qu'il estoit bien aise que M. Duplessis s'adressast au
ministre de la court, ce qu'il délibéra de faire, et lors
madamoiselle Duplessis ne pensa plus de changer de
coiffure, comme elle faisoit auparavant. Quelques jours
après, comme madamoiselle Duplessis partoit de son
logis à l'heure du presche du matin pour aller tenir
ung enfant avec M. de Chastillon, M. Maquichon avec
ung aultre, aulcungs du consistoire de Montauban la
vindrent prendre au sortir de la porte de son logis,
490 FRAGMENT
lui disant qu'il y avoit long temps qu'on l'attendoit;
aulxquek elle fait réponse qu'ils faisoient tort à M. Du-
plessis, et qu'ils sçavoient bien que sa maison estoit
ouverte à tous gens de bien ; lesquels lui feirent res-
ponse qu'ils avoient ce commandement du consistoire.
Afin que M. Duplessis n'entendist ce qu'il avoit à lui
dire, elle lui respondit que malaisément celleroit elle
quelque chose à M. Duplessis, auquel, si elle pouvoit ,
elle diroit toutes ses pensées, et trouvoit ceste pro-
cédure estrange, veu qu'ils debvoientcognoistreM. Du-
plessis. Somme, qu'ils vindrent à lui déclarer leur charge,
que estoit de l'admonester, d'oster ses cheveux; elle
leur respondit qu'elle trouvoit très estrange, puisqu'ils
n'avoient voulleu recognoistre la famille de M. Du-
plessis de leur troupeau , qu'ils voulleussent estre re-
cogneus d'elle pour ses pasteurs, et que de ce qu'ils
requerroient d'elle, qu'ils s'adressassent à M. Duplessis,
qu'elle n'en feroit que ce qu'il lui commanderoit. Quel-
ques jours après, le consistoire se teint sur le schisme ad-
veneu et entreneu depuis quattre ans en ladicte église,
où estoit premièrement le consistoire, puis celui de
la court; et oultre , M. de la Roche, Chaudion , de
Serres, Trimpoullet , Triac, Delaplace, Deloques, et
plusieurs aultres ministres assés cogneus en nos églises.
Apres avoir parle pour quelques familles de ceste ville , le
faict de la famille Duplessis feut allégué, combien qu'à
la vérité, ni lui, ni madamoiselle Duplessis n'en eussent
pryé ni donné charge; ains ils le faisoient pour la con-
séquence. La compagnie feut d'advis, voyant la modestie
de toute ceste famille, tant en accoustrement qu'en
aultres dépendances , et que , grâces à Dieu , ils n'ap-
porteroient qu'édification , et que la façon de vivre de
M. Duplessis debvoit estre à tous cogneue, qu'on ne
DE MEMOIRES. 49'
leur requerrolt aulcung changement; mesmes, veu la
vie tracasseuse et de court , à quoi ils sont subjects , et
qu'elle n'estoit habitante de Montauban, par consé-
quent subjecte aux loix particulières dudict lieu; et là
dessus, feut dict à M. Cahier, ministre de la court, qu'il
leur baillast des mereaux , lequel passa par leur logis,
et ny trouva que madamoiselle Duplessis, à laquelle il
dict que , quand il plairoit à M. Duplessis lui envoyer,
escript de sa main , ceulx de sa famille qui faisoient la
cène , qu'il lui enverroit des mereaux ; mais , peu après ,
lui feut mandé par le consistoire de Montauban, ou
plus tost par quelques particuliers dudict consistoire
de Montauban , de ne bailler des mereaux h M. Du-
plessis , ni pour lui, ni pour pas ung de sa famille , ce
qui feut trouvé estrange, la chose ayant esté délibérée
en si bonne et notable compagnie , d'estre contreman-
dee par quelques particuliers ; de sorte que M. Cahier,
à qui M. Duplessis en avoit envoyé demander, se veint
excuser sur ce qui lui avôit esté commandé , et là dessus
le^ bruit feut tout commun, tant à la ville qu'à la
court (où mesmes il y avoit quelques seigneurs et per-
sonnes de qualité de relligion contraire), que M. Du-
plessis, avec toute sa famille, esloit excommunié sans
que l'on lui eust parlé ung seul mot, ne qu'il sceust pour-
quoi ; de sorte que le samedi matin , allant au lever du
roy de Navarre, l'on se prit à s'en gausser ; et entre aul-
tres , quelques ungs prenoient de là occasion de mesdire
de nostre relligion et de nos ministres , ce qui fascha
M. Duplessis à bon escient. Madamoiselle Duplessis alla
au presche, au retour duquel deux anciens du consis-
toire de la court la vindrent conduire; comme elle estoit
en sa chambre, devisant avec eulx, entrèrent MM. Be-
rault, et Bironier, ministres de Montauban. M, Berault
49^ FRAGMENT
commence par lui faire des excuses sur ce qu'il n'estoit
venu si souvent voir M. Duplessis, et que l'occasion
qui l'en avoit empesché , estoit qu'il avoit bien sceu
que, pentlant ceste assemblée, il avoit esté fort empesché.
Madamoiselle Duplessis lui respondit que, de vrai , il
avoit esté fort occupé, mais que, pour cela, plusieurs
aultres n'avoient laissé de le voir ; mais qu'elle sçavoit
bien que ce n'estoit pour s'excuser qu'il venoit présen-
tement; qu'elle ne lui voulloit celler que M. Duplessis
estoit aussi fasché qu'il avoit esté de long temps; qu'il
avoit pensé mener sa famille à Montauban pour avoir
quelque repos ; mais qu'il en advenoit tout aultrement,
et au lieu qu'il avoit eu cest heur par tout où il l'avoit
conduicte depuis neuf ans de servir et édifier ung cha-
cung , au contraire qu'il avoit à Montauban ce malheur
d'y estre en scandale , et ce qu'il trouvoit plus estrange,
d'estre excommunié et toute sa famille, sans que l'on
eust parlé à lui ; que ce n'estoit suivre la règle de charité,
ni le commandement de Dieu, d'escandaliser son pro-
chain auparavant que de l'admonester. Là dessus, M. Be-
rault lui dict qu'il venoit de la part du consistoire pour
lui faire entendre qu'elle ostat ses cheveux; elle le pria
de trouver bon que M. de Roupeyroux , qui estoit là ,
et aultres du consistoire de la court, feust présent et
tesmoing, tant de ce qu'il lui diroit, que de ce qu'elle
lui respondroit. Là dessus, il lui dict qu'il n'avoit ceste
charge; et elle persista en appellant M. de Roupey-
roux : monsieur ne passa oultre et se retira. Madamoi-
selle Duplessis lui dict : Monsieur, vous vous adresseriés
donc à M. Duplessis , qui est chef de sa famille. Ainsi
s'en allèrent MM. Berault et Bironier ; et une heure
après, derechef, feut assemblé le consistoire de Mon-
tauban et celui de la court; pareillement MM. de la
DE MEMOIRES. 49^
Roche, de Serres , Delaplace, Cahier, Deloques, elles
aiihres qui s'estoient trouvés au précèdent consistoire ,
où derechef feut concki qu'on bailleroit des mereaux
à M. Duplessis, pour lui et sa famille. Ainsi M. Cahier
leur en bailla la présidence depuis qu'on eust baillé les
mereaux; M. Berault, et avec lui M. Maquichon , avec
MM. du consistoire de Montauban, vindrent trouver
M. Duplessis, qui commença à se plaindre de la pro-
cédure qui avoit esté teneue contre lui , ayant trouvé
fort estrange que l'on eust parlé en leur consistoire de
le retrancher de la cène, sans s'estre premièrement
adressé à lui. Ses propos feurent qu'il trouvoit estrange
la façon dont il avoit procédé envers lui et sa famille;
que sa maison avoit tousjours esté ouverte à toutes
sortes de gens de bien, mesmes qu'ils avoient assez
d'accès l'ung à l'aultre pour lui avoir déclaré son in-
tention sur ce faict , premier que parler plus avant ;
que cependant il s'estoit adressé et faict adresser à sa
femme, en pleine rue au sortir du presche, avec pré-
face d'avoir cherché ceste occasion et teneu ceste façon
de lui parler, afin que son mari n'en sceust rien, chose
mal séant et très mal advisé; que , sans lui avoir dict ni
faict dire ung mot de ce faict , on avoit refusé des me-
reaux à toute sa famille, hommes et femmes. Combien
que , grâces à Dieu , il n'y eust personne en ladicte
famille qui ne feust instruit en la relligion; que le con-
sistoire de la maison du roy de Navarre ayant resoleu
de les y recevoir, il auroit mandé et signifié à M. Cahier,
ministre de ladicte maison , de se bien garder de leur
distribuer des mereaux; donc soit adveneu que pre-
mier de lui avoir dict ung mot , toute la court et la ville
auroit esté abreuvée que lui , sa femme et sa famille
estoient retranchés de la cène au grand scandale de plu-
/igi FRAGMENT
sieurs gens de bien , et au grand plaisir de diverses per-
sonnes de la relligion contraire, de toutes qualités,
qui se retrouvoient lors en ladicte ville de Montauban ;
que ceste assemblée venant à se rompre, ce bruit se-
roit respandu de toutes parts , d'aultant que , grâces à
Dieu, il avoit quelque nom, mais qu'il se consoloit en
une chose, que sa façon de vivre, et de sa famille,
estoit connue en divers lieux où il avoit vescu; et qu'il
esperoit que le blasme en demeureroit plustost aulx
aultres qu'à lui. En quoi , toutesfois, il estoit très marri
de voir enveloppé le nom du ministre et du consistoire
d'une notable église; qu'il avoit amené, après beau-
coup de travaux, sa famille à Montauban pour lui
donner quelque repos , et le contentement au moins
de n'estre plus si esloignee de lui, puisqu'il estoit atta-
ché au service du roy de Navarre et aulx affaires pu-
blicques ; cependant qu'il s'y voit plus maltraicté qu'en
lieu où jamais il eustesté, bien que les persécutions et
les traverses de sa vie l'eussent conduict en divers en-
droicts où il ne debvoit pas attendre tant de cour-
toisie, et qu'il lui estoit fort dur que, des son arrivée ,
le nom de sa famille feust promené par les marchés , et
tiré en consistoire; chose qui jamais ailleurs ne lui soit
adveneue. Toutesfois, qu'il auroit tousjours vescu en la
lumière des plus belles églises de la chrestienté avec
sa famille , en églises françoises qui sont recueillies en
Allemaigne et en Angleterre, en églises des Pays Bas,
en diverses de France ; mesmes que Dieu leur
avoit faict la grâce et l'honneur d'estre hostes en leurs
maisons de son Eglise , où tant s'en fault qu'ils eussent
esté en scandale , qu'au contraire Dieu leur auroit faict
la grâce d'avoir ce tesmoignage, d'y avoir tousjours
esté en exemple. Cependant qu'en tout ce temps ils
DE MEMOIRES. 49^
n'avoient pas changé de façon ni de vivre, ni d'ha-
biller, ains pensoient d'avoir apporté par deçà encores
plus de modestie : ce qu'il laissoit à juger à ceulx qui
cognoissoient leur qualité; que, de penser que Montau-
ban seule feust Eglise, ce seroit revenir à l'erreur des
donatistes; qu'elle ne debvoit avoir une discipline à
part , ains commune à toutes les églises de France , et
que c'estoit audict Berault à ployer ses opinions soubs
l'arrest d'un synode national, duquel il ne pouvoit
prétendre ignorance , et non s'obstiner et roidir en ses
fantaisies particulières, contre l'advis de tant de gens
de pieté et doctrine , assemblés h Montauban , qui
avoient condamné ceste sienne procédure, mesmes à
l'endroict de lui, sa femme et sa famille, qu'il s'arres-
teroit toujours à ce qu'ils en ordonneroient , mais non
h ce qu'ils en diroient , s'ils voulloient estre cru au des-
sus d'eulx. Il lui teint ces propos avec affection; car il
lui tenoit fort au cœur d'estre ainsi promené par les
rues en telle assemblée, et lui adjousta pour la fin
qu'il debvoit estre honteux d'avoir si violemment pressé
ungfaict indiffèrent; qu'il en estoitveneuung schisme no-
table en sonEglise, et,qui plus est, ung procès d'injures;
lequel , au grand mespris de nos églises et au hazard
de l'auctorité de la police ecclésiastique, avoit à estre
vuidé au premier jour en la court de parlement de
Thoulouse. La somme feut , et lui répéta par deux et
troisfois, que, pour l'édification de l'Eglise, ils neplain»
droient les cheveux , puisque , par la grâce de Dieu ,
ils n'avoient craint d'en perdre la teste; mais qu'il soub-
mist son jugement aussi volontiers à la compaignie,
comme ils faisoient ; et qu'il ne s'imaginast pas d'estre
seul chrestien, seul pasteur ni seul sage : et sur ces pro-
pos, se retira ledict sieur Berault avec peu de réplique.
49^ FRAGMENT
Sur la fin de ceste assemblée les députés des églises
requirent le roy de Navarre qu'il lui pleust permettre
que M. Duplessis allast avec M. de Laval, vers le roy,
porter les cahiers ; le roy de Navarre s'en excusa sur
les affaires de sa maison ; mais , en estant instamment
pryé , il l'accorda. M. Duplessis eust bien désiré de
s'exempter de ce voyaige pour se trouver mal et avoir
besoing de penser à sa santé; puis, il avoit beaucoup
travaillé durant l'assemblée : et sa famille, estant veneue
de si loing par les chaleurs, avoit proposé demander
congé au roy de Navarre , pour ung mois ou six sep-
maines , pour adviser où il la transporteroit pour l'iiy-
ver. Enfin, nonobstant tout cela, la resolution feut qu'il
feroit le voyaige ; il laissa donc madamoiselle Duplessis
malade d'un cathare, dontelle gardoit le lict, quinze jours
devant son partement, et deux de ses petits enfans à
qui la petite vérole commençoit à venir, dont il estoit
en extresme peine ; car il n'avoit que huict jours qu'il lui
en estoit mort ung laquais ; enfin , recommandant à Dieu
sa famille, il s'achemina à Blois. Durant son voyaige,
madamoiselle Duplessis ne bougea quasi du lict ou de
la chambre , la teste bandée de sorte que ses cheveux
n'ont guère donné de scandale durant ce temps; et
si elle est sortie ung jour pour le presche, elle a esté
contraincte par maladie en garder huict au lit. Toutes-
fois , nonobstant son affliction, tant pour l'absence de
M. Duplessis, que pour la maladie d'elle et de ses en-
fans, pas ung des ministres de Montauban (qui sont
trois), ne la sont venus visiter, encores qu'elle s en
estoit plainct exprès , afin qu'il leur feust dict. Or, en-
viron ung mois devant la cène de Noël, comme la cous-
tume est telle, que, toutes les dixaines, l'on faict ung caté-
chisme où tous ceulx qui font la cène sont catéchisés,
DE MEMOIRES. /197
puis on leur baille des mereaux. M. Berault veint cliés
madame de Bonencontre , où M, Duplessis est logé ,
pour catéchiser. Madamoiselle Duplessis avoit mis,
pour que toute sa famille feust instruite, elle estant
malade, se levé de son lict et s'en va en la salle oii estoit
l'assemblée de cinquante ou soixante personnes, qui
estoit la dixaine ; elle estoit coiffée de nuict , la teste
bandée avec son mouchoir tout noir; sa famille aussi
estoit très modestement accoustree; elle y alla ainsi
avec ses enfans, ses femmes et ses domestiques, et
cependant, comme il appera par la plaincte qu'elle en
fcit au premier consistoire, d'après, M. Berault les re-
trancha lousdeceste assemblée, mesmement les hommes
qui ne sont poinct compris en la règle des cheveux , ce
qui fascha toute ceste famille pour le scandale qu'en
pouvoit prendre la compaignie, et feut cause que ma-
damoiselle Duplessis escrivit de sa main et feit pré-
senter au consistoire ce qui s'ensuit ;
On remonstrera à messieurs du consistoire, de ma
part, que, vendredi dernier, la dixaine de ce quartier
feut assemblée chez madamoiselle de Bonencontre nostre
liostesse, pour faire le catéchisme accoustumé; et d'au-
tant que partout où il y a église et assemblées des
fidelles, nostre famille s'y doibt ranger comme es-
tans membres du corps de l'Eglise dont Jésus Christ
est chef, je me levai du lict où j'estois, me trouvant
mal, et m'en allai au lieu où on faisoit le catéchisme,
avec nostre famille, tant hommes que femmes, faisant
profession de la relligion , et communiquant aux saincts
sacremens , ce que je feis :
Premièrement, pour protester que nous estions du
corps de l'Eglise de Christ ;
Secondement , pour apprendre à estre instruits ;
3Ikm. pe Duplessis-Morjvay, To.mf, ir 39.
1
4g8 fragmelNt
Tiercement, pour édifier, moyennant la grâce de
Dieu , les assistans.
Cependant je ne sais pourquoi j'eus ce malheur, que
toute ma famille, tant hommes que femmes, feut sé-
questrée par M. Berault, qui , pour crainte de les rece-
voir en la communion de ceste Eglise , rompit son
ordre accoustumé , pensant ceulx qu'il cognoissoit eslre
de la famille de M. Duplessis; et ceulx dont il se doub-
toit, leur ayant demandé, il les laissa; de sorte que je
feus freustree des biens que je pretendois de ceste
assemblée, en deux poincts.
Premièrement, parce que toute la famille de M. Du-
plessis, dont en son absence j'ai à lui respondre , en a
esté séquestrée sans sçavoir pourquoi, ce que je sous-
tiens M. Berault ne pouvoir ni debvoir; car, n'estant
.appelle en l'Eglise de Dieu par lui, il ne nous en peult
aussi retrancher.
Secondement, au lieu que nous estions allé pour édi-
fier l'assemblée, nostre présence, au lieu d'édification,
y a esté en scandale , et pourtant je supplie l'assemblée
du consistoire cognoistre ma confession de foi , que j'ai
escrite , telle que je la crois de cœur et confesse de bou- •
che, et leur prye de juger s'il y a chose contrevenante
à l'analogie de la foi et consentement de toutes les
églises chrestiennes; et leur prye aussi d'adviser s'il y
a quelque mauvais tesmoignage à l'encontre de M. Du-
plessis, de moi ou de quelqu'ung de nostre famille;
et enfin, si on nous peult ou doibt séquestrer, ni nostre
famille de l'assemblée des fidèles, ni de l'usage des
saincts sacremens.
Mais d'autant que M. Duplessis, en son absence, en
ma présence et ensemble toute nostre famille, avons
esté offensés et scandalisés par M. Berault en ceste as-
DE MEMOIRES. 499
semblée de catecliisine, dont il nous a séquestrés, je
déclare que je récuse M. Berault au jugement que je
requiers du consistoire sur ce qui concerne mon faict,
d'autant que j'y ai trouvé plus de passion et aniinosité
que de charité.
Et d'autant que, sur le faict des cheveux, je vois
beaucoup de schismes naistre et se nourrir en ceste
Eglise, avec grands scandales, causés seulement pour
n'avoir, M. Berault, ou bien entendu , ou bien rapporté
ce qui feut advisé sur ce faict au synode gênerai, où
il feut parlé de quinquenalets (i), qu'il prit pour les
fils d'arecheal dans les cheveux, qui n'estoit aulcune-
nient l'intention de l'assemblée, comme il appert par
le rapport mesmes des aultres églises, et ce qui s'y
pratique par ceulx qui s'y sont trouvés, en quoi il
semble voulloir user d'auctorité et puissance absoleue,
sans avoir esgard à la régie de charité ; je requiers ceste
assemblée voulloir lire ce qu'en dict M. Calvin , expo-
sant le passage de sainct Paul à Thimolee, qui en
faict mention ; lequel déclare, par son exposition, que
l'apostre entend plus reformer les mœurs que les habil-
îemens , et non pas s'amuser à de petites particula-
rités; que, plus est, il oste totalement toute puissance
au ministre, et la remet aulx magistrats.
Toutesfois, je leur déclare que je n'entends contre-
venir à la discipline qui a esté et sera receue par toutes
les églises de France, lesquelles ont pour but l'hon-
neur de Dieu et l'édification du prochain.
(1) Ce mot de quinquenalets a esté ainsi publié en l'église de
Montauban, par le rapport de M. Berault, combien qu'il n'ait
esté ainsi couché en la discipline , et , des lors , pouvoit on trou-
ver subject à troubler l'Eglise.
5oo FRAGMENT
Je prye donc ceste assemblée de juger s'ils m'ont
veue en habillemens, vestes ou aultres façons de faire
quelques marques d'impudicité, ou en quelques ungs de
nostre famille, par lesquelles façons ils nous puissent
ou doibvent retrancher de TEglise, ni de l'usage des
saincts sacremens, et pour les raisons que j'ai ci dessus
deduictes, je récuse derechef M. Berault pour mon
S'ensuit la confession de foi de madamoiselle Du-
plessis, qu'elle a faict présenter au consistoire :
Je crois ung seul Dieu en une seule essence, tout
sage, tout bon , tout juste et tout puissant, qui a créé
le ciel et la terre ; qui s'est déclaré à nous par sa pa~
rôle, rédigée par escrit au vieil et nouveau Testament;
je crois qu'en ceste seule et simple essence il y a trois
personnes, le Père, qui est le commencement et l'ori-
gine de toutes choses; son Fils, qui est la sagesse éter-
nelle; le Sainct Esprit, qui est sa vertu et puissance
et éternellement procédant du Père et du Fils , les trois
personnes non confuses , mais distinctes , toutesfois non
divisées, mais d'une mesme essence, éternité et puis-
sance.
Je crois que Dieu en trois personnes , par sa vertu ,
sagesse et bonté, a créé le ciel et la terre et tout ce
qu'ils contiennent, que par sa promesse il conduit
toutes choses, et que particulièrement il a ung soing
spécial de ses enfants , lesquels il aime en Jésus Christ
son fils.
Je crois que le premier homme, ayant esté créé à
l'image de Dieu son créateur, par sa désobéissance et
propre faulte, est descheu d'icelle grâce, et s'est du
tout aliéné de Dieu.
Je crois que toute la lignée d'Adam est infectée de
DE MEMOIRES. 5oi
telle contagion, de sorte qu'il ne nous reste, pour re-
tourner vers Dieu , que sa pure grâce; car nostre esprit
est aveugle, nostre cœur dépravé et nostre volonté
pervertie; mais Dieu, de sa pure bonté , retire de ceste
corruption et condamnation générale, en laquelle tous
hommes sont plongés , ceulx qu'il a esleus en son con-
seil éternel en Jésus Christ son fils, sans considération
de leurs œuvres, desmonstrant en eulx sa miséricorde.
Je crois qu'en Jésus Christ, tout ce qui est requis
pour nostre salut, nous a esté donné; que lui, estant
la sagesse de Dieu et son fils éternel , a vestu nostre
chair afin d'estre Dieu et homme semblable à nous,
excepté pesché ; qu'il a esté conceu par la vertu éter-
nelle du Sainct Esprit, au ventre de la Vierge, et est
de la semence de David, selon la chair; qu'en une
personne les deux natures y sont unies et joinctes, et
neantmoins qu'en ceste conjonction la nature divine
est demeurée iiicreée , infinie et remplissant toutes cho-
ses, aussi la nature humaine est demeurée finie avec me-
sure , forme et propriété; et combien que Jésus Christ,
en ressuscitant, ait donné immortalité h son corps,
toutesfois il ne lui a osté la vérité de sa nature.
Je crois que Dieu, en envoyant son fils, a voulleu
monstrer sa bonté et amour inestimable envers nous,
en se livrant à mort pour nos péchés , et ressuscitant
pour nostre justification; que par le sacrifice unique
que Jésus Christ a offert en la croix, nous sommes re-
conciliés et lui sommes rendus agréables, de sorte que
Jésus Christ nous a esté faict sapience , justice, justi-
fication et rédemption par sa mort; nous avons entière
satisfaction , et toute nostre justice est fondée en la re-
mission gratuite de nos péchés ; c'est ce qui nous
donne entière liberté d'invoquer Dieu par Jésus Christ
502 FRAGMENT
son fils, nostre seul médiateur, avec pleine fiance que
Dieu est nostre père.
Je crois que Injustice de Jésus Christ nous est imputée
par la foi dont nous sommes illuminés par la vertu se-
crète du Sniiict Esprit; tellement que c'est ung don et
grâce particulière que Dieu départ à ceulx qui sont
adoptés par Jésus Christ.
Je crois que par icelle foi nous sommes régénérés en
une nouvelle vie, estant de nostre nature asservis à pe-
clié; qu'elle produit en nous le désir d'obéir et servir à
Dieu selon sa volonté, qu'elle nous a déclaré par sa
parole à laquelle nous ne debvons rien adjousler ni
diminuer.
Je crois que Dieu a baillé sa loi à Moïse, que c'est la
seule règle de Ihonneur, amour et révérence, que nous
debvons à Dieu, et aussi du debvoir et amour envers
tous hommes qui sont nos prochains.
Je crois que Jésus Christ nous est donné seul advocat
et intercesseur, et qu*8 nous pouvons en son nom har-
diment pryer Dieu, et lui demander les choses néces-
saires comme lui mesmes nous a enseigné que nous
invoquions Dieu son père en son nom, en disant:
Nostre père qui es en cieux, etc.
Je crois qu^d fault que toutes nos pryeres soyent
conformes à icelle.
Je crois aussi que chaque fidelle doibt garder et entre-
tenir l'unité de l'Eglise, et que, en quelque lieu, où Dieu
l'aura assemblée, il s'y doibt ranger, et ceulx qui s'en
retirent, se séparent de l'union de Christ.
'Je crois qu'icelle Eglise est la compagnie des fidelles
qui s'accordent à suivre la parole de Dieu, contenue en
hvres du vieil et nouveau Testament, lesquels essayent
de vivre en la crainte de Dieu , et d'y profiter chacung
DE MEMOIRES. 5o3
jour; qu'en icelle Eglise aussi il y a exercice des saincts
sacremens ordonnés cle Dieu qui sont adjoustés à sa
parole pour plus ample confirmation de nostre foi , les-
quels nous sont donnés pour subvenir à nostre infir-
mité; et nous sont tellement signes extérieurs que Dieu
hesoigne par iceulx en la vertu de son esprit, que ne
nous y signifie rien en vain : toutesfois toute leur sub-
stance et vérité est en Jésus Christ ; et si on les en sépare ,
ce n'est plus qu'ung ombre.
Je crois qu'il y a deux sacremens ordonnés de Dieu,
communs et commandés en son Eglise, le baptesme qui
est ung tesmoignage de nostre adoption , et comme
nous sommes entés au corps de Jésus Christ; afin d'estre
lavés et nettoyés par son sang, puis renouvelles en
saincteté de vie par son Sainct Esprit.
Le second sacrement est la saincte cène, qui nous
signifie que Jésus Christ n'est pas seulement une fois
mort et ressuscité pour nous , mais aus^si nous repaist
et nourrit vraiment de sa chair et de son sang, à ce que
nous serons ung avec lui et que sa vie nous soit com-
mune, de sorte que, par la vertu secrète de son Sainct
Esprit, il nous nourrit et vivifie de la substance de son
corps et de son sang, et cela spirituellement; lequel ne
peult estre appréhendé de nous que par foi : cependant
je crois qu'au baptesme et à la saincte cène, Dieu nous
donne réellement et par effect ce qu'il nous y signifie.
Je crois que chacung fidelle devant se présenter à la
saincte cène, se doibt soigneusement esprouver soi
mesmes; voir s'il a une vraie foi, repentance de ses
faultes avec ung désir d'amender sa vie mauvaise, et
une charité envers ses prochains.
Je crois qu'en l'Eglise doibt estre gardée la conduite
et police que nostre seigneur Jésus Christ y a establie :
5o4 FRAGMENT
c'est qu'il y ait des pasteurs et gens de bien qui ont
charge en l'Eglise afin que la pureté de doctrine y ait
son cours , que les vices y soyent repris et corrigés ,
que les povres et aultres y soyent consolés.
Je crois que tous vrais pasteurs , en quelque lieux
qu'ils soyent, ont une mesme puissance, que nulle Eglise
ne doibt prétendre aulcune domination , et qu'ils sont
tous soubs ung seul chef souverain, et seul universel
evesque , Jésus Christ.
Je crois , quant aulx roys , princes ou aultres magis-
trats tels qu'il a pieu au roy les establir sur nous, que
nous debvons leur rendre obéissance en toutes choses,
pourveu que ce qu'ils nous commandent ne soit con-
traire à l'honneur que nous debvons à Dieu, et à l'amour
que nous debvons à nostre prochain; car en ce cas
il fault tousjours plustost obéir à Dieu qu'aulx hommes.
Je crois qu'en l'Eglise toutes choses indifférentes
doibvent estre conduites par la règle de charité, et
qu'en toutes ordonnances indifférentes, qui ne sont
encores receues en la discipline de l'Eglise, l'on ne
doibt user légèrement d'excommunications ni retran-
chement, attendu que tout ce qui se faict^en l'Eglise,
doibt avoir pour but l'honneur de Dieu et l'édification
du prochain; et que ceulx à qui Dieu a départis plus
de grâces, doibvent monstrer exemple de leur charité
en supportant les plus infirmes, attendu qu'il ne fault
ruyner son prochain pour lequel Christ est mort.
Je crois que tous ceulx qui se présentent en la com-
pagnie des fidelles pour estre instruits et rendre raison
de leur foi, ne peuvent estre refusés; et que, après avoir
rendu raison de leur foi, s'ils n'ont aulcune erreur, et
qu'ils n'ayent aussi mauvais tesmoignage de s'estre com-
portés scandaleusement, au contraire qu'ils continuent
DE MEMOIRES. 5o5
de se maintenir en modestie , ne peuvent estre exclus
des saincts sacremens. Aultrement cela est faict légère-
ment et par opiniastreté, c'est tyrannie en l'Eglise.
Je crois que comme Jésus Christ est mort pour nos
péchés et ressuscité pour nostre justification, que aussi
il est monté au ciel en nostre nom pour nous y donner
entrée, et pour nous y estre intercesseur et advocat.
Je crois que delà il viendra juger les vivans et les
morts, et paroistra lors en jugement, ainsi que l'on lui
a vu monter.
Je crois que Jésus Christ n'apparoistra si non en sa-
lut pour ses esleus,de sorte que je suis très asseuree de
mon salut puisque mon juge est mon advocat, et lors
je crois que je jouirai de ceste félicité, que œil n'a
poinct veue , qu'oreille n'a poinct ouie et que cœur
d'homme n'a poinct aprehendee.
C'est le recueil de la substance de ma foi en laquelle
je prye Dieu par Jesuî; Christ son fils, en la vertu de
son Sainct Esprit, me faire la grâce d'y vivre et mourir,
et la maintenir jusques au dernier soupir de ma vie et
la dernière goutte de mon sang.
Le tout ayant esté présenté au consistoire , et lu
devant la compagnie, M. Bironier, ministre, et M. Le
Clerc, ancien, feurent députés pour aller au logis dema-
damoiselle Duplessis, lui faire entendre que la compa-
gnie n'avoit jamais pensé de sa foi aultre chose que ce
qu'elle en avoit baillé par escrit; que toutesfois elle ne
pouvoit estre receue à la cène sans oster ses cheveux.
Elle les prye de donner jugement sur ce qu'elle leur
avoit présenté et requiert. Huict jours se passent, et
au bout de quinze madamoiselle Duplessis renvoyé de-
rechef vers eulx les pryer de lui déclarer si elle estoit
receue à la cène. Ils y envoyèrent derechef M. Bironier
5o6 FRAGMENT
avec ung aultre ancien , lui déclarer qu'elle ne seroit
receue à la cène sans oster ses cheveux ; mais, quant aulx
hommes, qu'ils soyent catéchisés et receus : à l'heure
mesmes elle escrivit, et leur envoya ce qui s'ensuit.
Sur ce que messieurs du consistoire m'ont faict dé-
clarer que je ne pouvois esfre receue sans abattre mes
cheveux, je leur requières qu'ils ayent à me faire appa-
roir l'article arresté par le synode gênerai où il soit
parlé d'abattre les cheveux: offrant, s'ils en monstrent
dudict synode gênerai où le faict soit déclaré et parti-
cularisé , d'acquiescer.
Aultrement je leur déclare qu'à la cène dernière qui
feut faicte ici où il y avoit notable assemblée des minis-
tres de la pluspart des églises de France, il feut advisé,
voyant que je n'avois ni en mes cheveux, ni en mes
habillemens aidcune immodestie, que je serois receue
en la saincte cène sans aulcun changement; que main-
tenant que M. Duplessis est absent, et comme ils sça-
vent tous pour le service des églises, je ne puis en ceci
faire changement que premièrement il n'en soit adverti
et me le commande.
Si cependant ils persistent, en son absence, de me re-
trancher de la saincte cène, je leur déclare que j'en
appelle au synode gênerai.
Huict jours après, madamoiselle Duplessis, voyant que
la cène approchoit , se délibéra d'envoyer à messieurs
du consistoire une déclaration qu'elle leur feit présen-
ter. M. Berault presidoit : lequel déclara qu'il ne pou-
voit plus rien recevoir par escrit; mais que, si elle avoit
quelque chose à leur dire, qu'elle s'y trouvast elle
mesmes. Aussitost qu'elle eut entendu leur intention,
elle s'y présenta en personne, et leur feit lecture de ce
qui s'ensuit, qu'elle leuravoit faict présenter auparavant:
DE MEMOIRES. 607
Sur ce qui me feut déclaré mercredi dernier, par vous
messieurs du consistoire, que je ne serois receue à la
cène sans oster mes cheveux, ou plustost le fil d'are-
chal qui est dedans;
Il vous feutrequis par moi de me faire apparoir d'ar-
ticle exprès recelé et escrit au synode national où ce
faict soit particularisé et déclaré , pour le désir que
j'avois d'y obéir : persistant encores , et vous déclarant
présentement que si me monstriés article exprès, que
j'acquiescerai tout aussitost pour le désir que j'ai de me
ranger à la discipline de TEglise, pryant toutesfois la
compagnie Au consistoire et clincung de vous particu-
lièrement, au nom de Dieu , et pour le debvoir de cha-
rité que nous debvons les ungs aulx aultres, de me mons-
trer et exhiber ledict article du synode national , dont
quelques ungs de vous se vantent, et que, quant à moi,
j'ignore.
A faulte de m'avoir monstre ledict article, je vous
alléguai l'absence de M. Duplessis, employé présente-
ment pour le service des églises , sans le commande-
ment duquel il ne m'estoit loisible de faire aulcung
changement; attendu qu'avec lui ce faict feut résolu à
la cène dernière, et enfin feut aussi receu par Tadvis
de beaucoup de gens de bien à la saincte cène.
Je prye donc toute la compagnie du consistoire de
se souvenir du debvoir que les femmes doibvent à leurs
maris, auxquels, par exprès commandement de Dieu ,
leur volonté est assubjettie; et comme sainct Pierre
de ... . l'explique au chapitre troisiesme de sa première
epistre, quel est le debvoir? lequel chapitre vous nous
allégués maintenant pour les tortillemens de cheveux;
et toutesfois, messieurs, vous ne pouvés ignorer, comme
il appert en la lecture d'icelui, que le but principal de
5o8 FRAGMENT
Tapostre est d'admonester les femmes de se rendre sub-
jectes à leurs maris mesmes infidelles , et d'autant
plus suis je obligée à ce debvoir, que M. Duplessis faict
pareille profession de foi que nous tous, et, qui plus
est , que Dieu l'a doué de beaucoup de ses dons et grâces
qu'il employé journellement pour le service des églises.
Et pour ce que, nonobstant ma requeste de m'exhiber
ledict article du synode national , ni ma remonstrance
d'attendre le commandement de M. Duplessis, vous
avés persisté de me retrancher de la cène , je feis déclarer
que je m'en portais pour appellant au synode na-
tional , et vous aussi me receustes en mon appel.
Maintenant je vous requières qu'ayant esgard en mon
appel , me declariés si n'entendes pas que toute ceste
procédure soit et demeure suspendue jusques à ce
qu'ung synode national en ait ordonné , ne laissant
cependant de me recevoir et nostre famille à la com-
munion de la saincte cène, et, pour ce faire, nous caté-
chiser et bailler des mereaux. .... qu'il ne peult y avoir
en moi de désobéissance puisqu'il n'apparoist du com-
mandement.
Mais si j'ai ce malheur que mes justes remonstrances
ne soyent receues de vous, et que, nonobstant mon
appel , vous me rejettes de vostre communion , je vous
déclare que j'en porte ung extrême ennui et fascherie
en mon cœur, et toutesfois je me délibère de le rece-
voir en patience, et comme de la main de Dieu, qui
me veult exercer, et qui, peult estre, se veult servir de
ceci pour en tirer ung ordre au lieu du desordre.
Je vous déclare que , moyennant la grâce de Dieu ,
j'espcre aller faire la cène et communiquer au corps et
au sang de Jésus Christ en l'église et en la compagnie
des fidelles , où Dieu est servi et le prochain édifié.
DE MEMOIRES. SoQ
Et d'autant qu'il me souvient du commandement
qui nous est faict : si tu apportes ton oblation à i'autel ,
et là il te souvient que l'on a quelque chose à ren-
contre de toi , laisse là ton oblation et t'en va première-
ment appoincter avec ton frère ; pour la crainte que j'ai
que quelques ungs de vous n'ayent interprété ma pro-
cédure ou à une désobéissance, ou bien à aimer mieuix
une vanité que de commimiquer avec vous au corps et
au sang de nostre Seigneur Jésus Christ, et par ce
moyen n'ayent pris de moi quelque sinistre opinion ou
scandale ;
Je vous proteste devant Dieu, lequel j'en appelle à
tesmoing, que j'estime ce faict des cheveux indiffèrent,
et que si je croyois , comme quelques ungs soutiennent ,
que ce feust ung exprès commandement de Dieu , je
ne vouldrois différer d'y obéir promptement, et n'en
attendrois la décision et ordonnance du synode.
Mais, ayant, à cause de la dissention survenue en ceste
église, fort recherché, je n'ai trouvé, en quelque lieu
que ce soit de l'Escriture saincte, aulcung commande-
ment sur ce faict, bien ung sainct advis de sainct Paul
à Thimolee, sur les tresses, or, perles et aultres habits
somptueux, et sainct Pierre, au chapitre sus allégué, où
il admoneste que l'ornement des femmes ne soit en celui
là de dehors, qui gist en tortillement de cheveux, de
parure d'or, ou accoustrement d'habits, et n'ai poinct
aulcung passage en l'Escriture saincte, où il soit parlé
pour oster les cheveux, que l'or, perles et aultres habits
n'y soyent aussi conjoincts.
Et toutesfois il y a aujourd'hui quinze jours que par
M. Berault feut presché que l'or et pierreries estoient
créatures de Dieu et indifférentes, dont l'on peult user
et se parer, pourveu que chacung eust esgard à son
5 1 o FRAGMENT
estât, rang et vocation, ce qui me faict persister que 1
les cheveux sont aussi indifferens, veu mesnies qu'il n'est
poinct parlé en l'Escriture saincte des fils d'arechal,
qui est toutesfois la dispute en ceste église, et pourquoi
le schisme est entretenu.
Et d'autant que c'estoit chose très pernicieuse, et que
les advis des hommes, quoique bons et saincts, feussent
mis en la place des commandemens de Dieu, comme
nous l'avons trop expérimenté en l'Eglise romaine; c'est
la principale raison pourquoi je désire que ce faict soit
esclairci pour le bien et concorde des églises; car si
c'est un g commandement de Dieu (comme l'on prétend )
il ne fault pas que Montauban seule y soit assubjetlie,
mais toutes les églises chrétiennes, lesquelles feindroient
lourdement de ne s'y ranger.
Aussi, si c'est une chose indifférente, comme je le
crois telle, le pasteur peult admonester et reprendre
pour édification; mais je ne crois pas que les églises
particulières puissent et doivent de leur auctorité
privée, retrancher du corps de l'Eglise les membres de
Christ, pour lesquels il est mort; les retrancher, dis je,
de l'Eglise ni de l'usage des saincts sacremens, si ung
synode national et non provincial n'en a ordonné avec
meure délibération pour la gloire de Dieu et l'édifica-
tion du prochain; de sorte qu'en ce cas, l'on ne retran-
chera pas les personnes pour choses indifférentes , mais
pour faire secte à part et rompre l'unité de l'Eglise.
Encores y doibt on avoir aultre respect quand il est
question de la discipline , que non pas quand il est
question des exprès commandemens de Dieu , aulxquels
toute personne, sans aulcune exception, y doibt estre I
assujettie.
Voilà , messieurs , quel est mon but et mon opinion
DE MEMOIRES. 5ll
en ce faict, vous pryant tous tle nie supporter, et ne
vous offenser , ni prendre scandale de moi , et si quel-
qu'ung particulièrement a esté offensé, se souvenir
que nous sommes tous subjects à faillir, qu'il nous est
besoing que Dieu, par sa miséricorde, nous pardonne
journellement nos offenses.
Et pour autant que maintiennent avez ample dé-
claration de moi, je vous prye, au nom de Dieu, de
pourvoir pour que , doresnavant, les faultes que M. Be-
rault prétend que j'ay faictes en ce faict , ne soient plus
preschees comme elles ont esté ci devant publicque-
ment, afin que je ne serve de scandale au peuple au-
quel je ne puis desduire mes raisons comme à vous.
Vous protestant que , s'il plaist à Dieu me faire tant
de grâces que M. Duplessis revienne en santé, je ferai
tout ce qu'il jne sera possible pour lui faire trouver bon
que nostre famille soit ici arrestee jusques à ce que le
synode national ait mis ordre en tels differens; afin
qu'obéissant à ce qui y sera ordonné par ce moven
avec la grâce de Dieu, j'apporte édification au troupeau
qui est dans ceste Eglise ; au lieu qu'à présent me voyant
retrancher par vous de la cène, je leur suis en scandale;
toutesfois, comme je vous ai déclaré ci dessus, je me
délibère d'aller participer cà la saincle cène, pourveu
qu'il plaise à Dieu m'en faire la grâce, comme j'espère.
Et d'autant , messieurs , que nous sommes tous
mortels, et n'avons poinct de demain, si la volonté de
Dieu estoit telle , de me retirer hors de ce monde au-
paravant que ce faict feust vuidé , je crains que la chose
ne feust mal entendue et interprétée; à celle fin que le
tout soit cogneu et esclairci, je vous prye de faire en-
registrer et garder pour le présenter où il sera besoing :
Premièrement', la plaincte et récusation que j'ai faicte
5 12 FRAGMENT
en vostre consistoire, contre M. Berault, et le juge-
ment que j'ai requis de vous.
Secondement, ma confession de foi.
Tiercement, mon appel que j'ai interest de vous re-
produire au synode national.
Et quartement, ceste mienne requesteet déclaration.
Toutes lesquelles pièces sont escrites et signées de
ma main et desquelles je garde copie, que j'offre faire
collationner sur l'original que je vous en ai baillé , d'au-
tant que je prétends m'en servir au prochain synode
national.
Je désire que cest escrit soit receu de telle affection
que je le vous offre , et prye Dieu , au nom de Jésus
Christ, vous donner et à nous son Sainct Esprit pour
servir à sa gloire et à l'édification de son Eglise.
Messieurs, j'ai oublié à vous déclarer que, quand
monsieur Duplessis et moi sommes arrivés en ceste ville,
si nous eussions trouvé le faict des cheveux receu de
tous sans contredict, nous eussions esté bien marris de
troubler ceste Eglise; et m'asseure que monsieur eust
voulleu que je m'y feusse rangée, et de moi je l'eusse
ainsi aussi désiré; mais, au contraire, avons trouvé le
schisme déjà faict, tel que, quelques ungs se voyant re-
jettes de la cène, et, comme ils prétendent, sans avoir
esté entendus ni ouïs, ont recours aulx magistrats de
Thoulouse, et que vous ne pouvés ignorer estre au
grand mespris de nostre relligion , et regret des gens de
bien. Et , quand mesmes le faict seroit assoupi dcdajis
vostre ville, je vois une aultre chose qui me semble
très pernitieuse ici et es environs : c'est autel contre
autel, soit que la noblesse ne veuille condescendre à
ceste façon, ou que vous aultres pasteurs ne soyés
d'accord de ceste rigueur, qui me faict d'autant plus
DK MEMOIRES. 5i3
Croire qu'il n'y a aulcung commandement exprès de ce
faire du synode; c'est pourquoi , cognoissant bien que,
quand j'aurois quitté mes cheveux, les difficultés ne lais-
sent de demeurer en leur entier; et, comme je vous ai
protesté ci dessus, je ne crois poinct que ce soit ung
commandement de Dieu auquel, nonobstant toutes
occasions, je vouldrois obéir, et ne m'ayant faict appa-
roir d'article du synode gênerai et national , par lequel
l'Eglise l'ait ainsi ordonné pour la gloire de Dieu et
l'édification du prochain, et ne pouvant, pour quelque
changement que je feisse sur moi , appaiser le schisme,
ou ces articles defauldroient, sçavoir : le commandement
exprès de Dieu, ou l'ordonnance du synode ; je ne
pense estre obligée à vous obéir, veu que, par mon obéis-
sance , le scandale ne laisse de demeurer : ains , comme
Dieu a sceu tirer la lumière des ténèbres, j'espère
qu'il sçaura, par sa miséricorde, «^irer ung bon ordre
de ce desordre au contentement de vos pasteurs, et
au salut du troupeau , dont je le supplie.
Messieurs, pour ce que j'ai adjousté à ceste mienne
déclaration, le schisme qu'avons trouvé en ceste Eglise,
et que je sçai bien que quelques ungs de vous ont opi-
nion que, combien que je me soucie peu pour mon re-
gard de mes cheveux, que toutesfois j'entreprends ce
faict, comme estant pryee et sollicitée de ceulx qui,
par es devant et jusques ici, n'y ont voulleu adhérer; je
vous proteste devant Dieu, lequel j'en appelle à tes-
moing, qui cognoist le cœur des hommes et juge de
leurs pensers, que je n'en ai esté pryee ni d'eulx ni
de par eulx; et n'ai, es ce faict, avec eulx aulcune intel-
ligence, mais que, par les raisons ci dessus alléguées, en
a esté la seule cause. Lesquelles je soubmets toutes
à la volonté de M. Duplessis; ce que je désire estre en-
Mém. dk Duplessis-Mornay. Tome ir. 33
5j4 fragment de mémoires.
tendu de vous, pour vous en esclaircir et donner repos ;
en vos consciences, et aussi oster tout le scandale qu'au-
riés pris de moi. Faict le mercredi dix neuviesme
d'avril i584.
Geste déclaration ainsi faicte , madamoiselle Duplessis
partit le vendredi de devant la cène avec tous ceulx de
sa maison qui la faisoient, et allèrent à Villenieux à trois
lieues de Montauban, soubs le mesme colloque; et
ayant déclaré à M. l'Hardy, ministre, et à quelques an-
ciens qui la vindrent visiter, tout ce qui s'esloit passé
à Montauban, il la receut à la cène; et depuis le tout
a esté remis au synode qui se doibt tenir à Montpellier
ce mois de mai prochain, où je prye Dieu qu'il lui plaise
assister ceste compagnie par son Sainct Esprit.
LXXXVIII. —-^EXTRAIT
Du procès d'entre Pierre de Catlien et consors , contre
Giif Carrette et consors, héritiers de de/fans, pour
P oquelin y défendu, et de sieur Carrette et consors ,
despens en sommation , contre dame Françoise
de Becq , veujvedejeu Jacques de Mornaj, vivant ^
escuyer, seigneur de Buhj, et Pierre de Moinaj,
escuyer, seigneur dudict Buhj, défendus.
Premièrement.
Par contrat du (j octobre i554, le dict défunt Jacques
de Mornay a acquis de défunt Loys de Gatlien, ung jar-
din, séant hors, et près la poterne Sainct Germain, près
Beâuvais, contenant trente huict verges, moyennant
deux cens tant de livres comme appert par iedict contrat.
Par aultre contrat du 12 juillet i557, icelui défunt
Jacques de Mornay a vendu le susdict jardin audict
PROCES. 5l5
défunt pour Poqueliii , avec promesse de garantie
moyennant la somme de deux cens escus.
Le 28 novembre et 4 décembre, ledict Pierre de Ca-
then et consors ont faict appeller iceulx Carrette et con-
sors, héritiers dudicl défunt pour Poquelin, afin d'eulx.
départie de la jouissance de la moitié dudict jardin ,
pour leur en laisser jouir comme à eulx appartenant au
moyen du douaire acquis par leur mère avec ledict
Loys de Cathen leur père.
Le 12 mars, ladicte damoiselle Françoise du Becq
et ledict Pierre de Mornay, escuyer, seigneur de Buhy ,
ont esté appelles comme héritiers dudict défunt Jacques
de Mornay, à la requeste de sieur Carrette et consors ,
afin de leur garantir ledict jardin , et faire cesser les con-
clusions desdicts Cathen et consors.
Et par sentence du i" aoust audict an, ils sont con-
damnés à faire cesser lesdictes conclusions prises par
ledict de Cathen, et les acquitter de ladicte poursuite
pour le regard de la moitié dudict jardin : à ceste fin
prendre la cause pour le sieur Carrette et consors comme
leurs garands et dedommagemens. Et en cas d'évic-
tion de ladicte moitié ^ ladicte damoiselle et le seigneur
de Buhy ont esté condamnés en toutes leurs despenses ,
dommages et interests procedens , à raison de ladicte
éviction , et à rendre au sieur Carrette et consors les des-
penspar eulxfaicts en défendant contre les héritiers ori-
ginaires et en despend de la poursuite de sommation.
Suivant ladicte sentence, ladicte damoiselle et ledict
seigneur de Buhy se sont joints avec les sieurs Carrette
et consors.
Et par acte, de mardi iL\ avril , le sieur de Cathen et
consors ont affirmé qu'ils n'ont pris aulcungs biens
appartenant audict défunt Loys de Cathen et sa femme.
5i6 PROCES.
leur père et niere, et qu'il ne leur a esté donné aulcune
chose à mariage par ledict défunt, ni à eulx faict aul-
cung advantage.
Et comme ont ledict sieur de Cathen prouva par onze
tesmoings anciens que audict défunt Loys de Cathen,
lors de son mariage avec de Janne Barbier, appartenoit
ledict jardin, et qu'ils sont provenus dudict mariage, et
que ladicte Jeanne Barbier estoit decedee desjà avoit
vingt ans ou environ, comme il appert par l'enqueste
faicte le 28 juillet.
Enfin est interveneu sentence du ■y septembre , par
laquelle ledict sieur de Carrette et consors ont esté con-
damnés a eulx désister et départir de la jouissance de
la moitié dudict j ardin , et en laisser jouir lesdicts de-
mandeurs originels , comme a eulx appartenant avec
tiltre de douaire ;etaleur rendre et restituer lesfruicts
depuis attestation en cause , selon Veslimation de gens
a ce cognoissant et des despens du procès.
Geste sentence a esté exécutée, et à ceste fin faict par-
tage dudict jardin, et en ce faisant, en a esté baillé moitié
au sieur de Cathen et consors^ comme appert par acte
expédié le 28 avril, laquelle moitié a esté depuis ven-
due , par le sieur de Cathen et consors , 4oo livres.
Et comme ont le sieur de Cathen et consors faict
taxer leurs despens contre le sieur Carrette et consors,
qui se montent suivant l'exécutoire, à 26 livres tant
de sols.
C'est le sommaire du procès qu'il est de besoing faire
entendre à monseigneur Duplessis, par lequel on peult
juger qu'il n'y a moyen d'empescher à présent la pour-
suite qui se faict; ains assiste en composition, sur la-
quelle désirant venir, ledict serviteur Poquelin faict telle
demande.
PROCES. 5 1 7
A sçavoir.
Pour le principal, lors de l'éviction, soustiennentque
ladicte moitié du jardin évincé a esté vendue comme
de faict, et aussi qu'il appert la somme de. ...» »
Deux exécutoires de despens, payés du jour
ou peu après ladicte éviction, montant ensemble
à la somme de » >»
Demandent les despens, en défendant ceulx en
sommation, et de la présente poursuite qui doibt
du moins pouvoir monter à la somme de. ...» »
En conséquence, demandent les dommages et
interests procédant à raison de ladicte éviction,
faicte i6anssoubsou environ, pour la non jouis-
sance de la part du jardin évincé , à raison de 20
livres par an, qui seroit pour lesdictes 16 années. » »
Plus les interests des deniers déboursés, en de-
fendant contre les sieurs ***, originaires de la-
dicte année, montant du moins » »
Somme TOTx\ LE. . . » »
Dient qu'en baillant argent comptant, ils re-
mettront toute la susdicte somme.
A quoi l'on a encores conclud, attendant la volonté
sur ce, de mon dict seigneur Duplessis : en conséquence ,
demandent les serviteurs dudict sieur Poquelin, et font
apparoir comme par sentence obtenue au bail et siège
presidial de Senlis, le 26 juin, signée Laurent, en icelle
damoiselle Françoise du Becq est condamnée provisoi-
rement, et en vertu de deux défauts obtenus avec sen-
tence , à payer au susdict serviteur Poquelin la somme
de cinquante deux escus vingt cinq sols, sur plu-
sieurs ceduUes et mandemens de ladicte dame du
Becq » j)
5i8 ' PROCES.
Plus, demandent les despends de la poursuite
pour l'obtention de ladicte sentence, qui se peu-
vent monter à la somme de » 'j
Les interests de ladicte somme appartenant à
mineurs, montant du moins à pareille somme de. » »
Pour le regard de la susdicte somme de cinquante
deux escus vingt cinq sols , je crois qu'en la payant l'on
demeurera quitte, moyennant que ce soit en bref.
LXXXIX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
J M. de Montaigne, en ï an i584-
Monsieur , nous avons ouï M. de Bellievre. A dire
vrai , il n'a proposé aultre satisfaction que l'indignité
faicte à la royne de Navarre , et l'auctorité et liberté
qu'a ung roy à l'endroict de ses subjects. Raison , comme
vous sçavez, qui tient plus du vinaigre que de l'buiie,
et malpropre à une plaie si sensible , et en partie si
nerveuse, et, je ne sçais si j'ose dire, peu convenable i
à la grandeur de nos princes françois qui ont tousjours
attrempé leur souveraine puissance d'une équité gra-
cieuse , et n'ont jamais disposé de l'honneur de leurs
moindres subjects que de gré à gré. Toutesfois le roy
de Navarre a voull eu monstrerqu il aimoitmi£ulx rendre
le roy satisfaict , que de l'estre en soi mesmes. Et , pour
cet effect, s'est resoileu de ployer son honneur soubs
le respect de ses commandemens. Se resolvant d'aller
voir et recevoir la royne sa femme, en sa maison de
Nerac : seulement qu'on levast les garnisons qu'on
avoit mises aulx environs, tant afin que ceste réception
n'eust aulcune apparence de force , que pour la seureté
de leur séjour. Vous sçavez s'il est civil de la recevoir
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 5 19
en maison empruntée , ou incivil de demander libei;té
en la sienne. M. de Bellievre toutesfois en a faict dif-
ficulté très grande; et, de ce pas, a esté despeché, ce
jourdliui, M. de Clervant vers la royne de Navarre,
et delà tirera vers leurs majestés, lesquelles, à mon
advis, se représentant le faict passé, et le considérant
en la personne du roy de Navarre , ne le vouldront es-
conduire en si petit accessoire , puisqu'en chose de
telle importance il a cédé le principal. Jugez en quelle
peine ces gens nous mettent. Nous avions reduict tout
à meilleur poinct que presque il n'estoit à espérer , et
maintenant ils marchandent sur ung rien, et nous font
perdre crédit, si nostre sincérité n'estoit bien cogneue
envers nostre maistre. Je remets le tout à Dieu, mon-
sieur, lequel je prye , etc.
XC. — INSTRUCTION
De M. de Laverdin , s'en allant vers son altesse.
Du 20 janvier i584«
Le sieur de Laverdin dira à son altesse ce qui s'est
passé en la negotiation du sieur de Bellievre avec le
roy de Navarre , pour le regard de la royne sa femme,
comme celui qu'il a désiré estre présent à la pluspart
des propos qui se sont passés entre eulx, afin qu'il peust
tant mieulx représenter et tesmoigner à sadicte altesse
la raison à laquelle il s'est soubmis pour donner con-
tentement à leurs majestés et à sadicte altesse.
Mais particulièrement qu'encores que ledict sieur de
Bellievre, parlaveneue duquel il attendoit quelque sa-
tisfaction de l'indignité faicte à ladicte royne sa femme,
ne lui apportant telle qu'elle lui avoit esté promise, et
^20 INTSRUCTION
qu'il s'asseure que son altesse jugeoit estre requise ; ce ,
nonobstant ledict roy de Navarre , pour leur satisfaire
plustost qu'à soi mesmes , se seroit resoleu de voir et
recevoir sans délai ladicte royne sa femme, en sa mai-
son de Nerac. Seulement qu'on levast les garnisons
mises fraischement es villes circonvoisines, en aulcunes
desquelles n'y en avoit poinct eu , mesmes en pleine
guerre ; tant pour la liberté et seureté de leur séjour
audict lieu de Nerac , que pour oster occasion à ceulx
qui n'en avoient desjà que trop , d'estimer que ceste
réception feust procedee d'ailleurs que de bonne vo-
lonté et de la raison. Chose, après ce qui s'est passé,
peu convenable à son honneur et à la réputation de
la royne sa femme.
Là dessus , son altesse jugera, selon sa prudence et
équité , s'il seroit bien séant de la recevoir en maison
empruntée ; et s'il peult estre trouvé mauvais de de-
mander quelque seureté et liberté en la sienne propre.
Et toLitesfois a trouvé, ledict sieur de Bellievre, une
grande difficulté en chose si raisonnable. Tellement que
ledict seigneur roy de Navarre auroit despeché le sieur
de Clervant vers leurs majestés, pour leur faire entendre
le tout bien amplement; auquel aussi il a donné charge
de visiter à Agen ladicte royne sa femme.
Espère, ledict seigneur roy de Navarre, que, quand
leurs majestés auront bien considéré le debvoir où il se
met de leur complaire , jusques à ployer son honneur
propre sous le respect de leurs commandemens, elles ne
vouldront, estant obeies et satisfaictes au principal,
l'escoiiduire en ung petit accessoire qui ne leur importe
rien, lui qui raisonnablement pouvoit faire instance
d'est re deuement satisfaict premier que passer si avant.
Mais que comme il a pieu à son altesse entrevenir
A M. DE LA.YERDTN. 59.1
en cest affaire , ledict seigneur roy de Navarre le supplie
aussi très humblement d'y voulloir tenir la main, at-
tendu qu'il y va si avant de la réputation tant de lui
que de la royne sa femme , qui leur est commune avec
son altesse. Et mesmes que le respect qu'il lui désire
rendre, l'a en partie faict passer par dessus les obsta-
cles qui se rencontroient en cest affaire , ainsi que ledict
sieur de Laverdin lui saura dire plus particulièrement.
Est marry, ledict seigneur roy de Navarre , que son
altesse n'ait receu tel contentement qu'il eust esté à dé-
sirer par l'entreveue de la royne sa mère; espère toutes-
fois que ses remonstrances ne seront sans fruict, non
seulement pour le regard de son particulier, mais aussi
pour le bien et repos de toute la France; mesmes main-
tenant que le roy délibère sur la reformation générale
de son estât, auquel nul n'a plus d'interest , ni peult ou
doibt , par conséquent, apporter meilleur advis que
sadicte altesse.
Surtout se confie le roy de Navarre, que les conseils
de son altesse tendront tousjours à l'establissement de
la paix , quelques préparatifs qu'on voie çà et là d'une
guerre, ne pouvant icelle estre mieulx maintenue que
par celui qui l'a en partie faicte.
Quant audict seigneur roy de Navarre, il ne fera rien,
comme il espère, qui puisse ni doibve changer la vo-
lonté que sa majesté auroit jusques ici montrée envers
icelle, encores qu'à la vérité il ne veult et peult dissi-
muler qu'il paroist des effectsen divers lieux qui seroient
suffisans , sans l'asseurance qu'il prend de l'intention
de sa majesté, de lui donner ombrage.
Pour la fin, ledict sieur de Laverdin asseurera son
altesse que ledict seigneur roy Navarre ne désire rien plus
que sa bonne grâce , laquelle il s'essaiera tousjours de
522 INSTRUCTION A M. DE LAVERDIN.
mériter par prompte et ficlelle obéissance, lui corres-
pondant avec autant de service qu'il attend de son al-
tesse de bonne volonté en son endroict. Et pour garant
de sa sincère affection, supplie très humblement sadicte
altesse de prendre et accepter, en attendant les effects,
le sieur de Laverdin, qui peult autant qu'aulcung aultre
respondre de ce qu'il a de plus intérieur en ses pen-
sées; sur la suffisance duquel il remettra le surplus,
dont il plaira à son altesse le croire comme sa personne
propre.
XCI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Ju roj de Navarre.
Du lundi '20 febvrier i58/J.
SiRE, j'advertis vostre majesté, de Sainct Justin, du
retardement que j'avois eu par la grandeur des eaux. De
là je veins prendre la poste à Montlieu où estoit M. de
Duras , revenant de brouage; et pourtant n'y saluai
personne : et le lendemain avant jour rencontrai M. de
Clervant, auquel je dis ce que m'aviés commandé en
tout cas; ce que j'estime qu'il aurafaicl, encores que
sa response ne feust ni du tout bonne ni du tout mau-
vaise. Le samedi ensuivant, veille du dimanche gras,
j'arrivai en ceste ville assés tard, et communiquai avec
M. deChassincourt. Le roy, qui estoit à Sainct Germain,
veint le lendemain en la ville loger chez M. d'Esper-
non; et des le vendredi, monseigneur y estoit arrivé en
habit dissimulé, lui quatriesme, ayant laissé toute sa
maison à Chasteau Thierry, au desceu du roi, et,
comme on asseure , de la royne sa mère.
Pour negotier ma charge avec plus de poids et de
LETTRE DE M. DUPLESSIS , etc. 59.3
silence, nous resoleumes de coulourer mon voyage sui-
un procès qui m'est d'importance , que j'ai ici fort
proche , ou d'un accord ou d'un arrest. Et à tous j'ai
teneu ce langage, fors qu'à M. de Chassincourt.
Le dimanche, ledict sieur de Chassincourt trouva
moyen de parler au roy, encores qu'il feust fort em-
pesché aulx préparatifs des jours gras. Lui dict quej'es-
tois veneude vostre part, pour lui déclarer ung affaire
très important, et qui meritoit une hien particulière
et secrette audience. Il estoit enveloppé de messieurs
de Guise , et s'en demesla ung petit ; lui demanda fort
instamment que c'estoit : il lui respondit qu'il ne sça-
voit , mais que j'amenois un gentilhomme avec moi,
pour le faire ouïr à sa majesté. Il répliqua que ce ne
debvoit pas estre pour peu, puisque j'estois venu : que,
pendant ces festes, il lui estoit difficile de se depestrer;
cependant que je pourrois parler à M. de Yilleroi.
M. de Chassincourt respondit que je n'avois charge de
m en adresser à personne quelconque qu'à sa majesté
mesmes, que le délai y pouvoit estre dangereux, selon
qu'il jugeoit par mes paroles. Et sur ce, le roy lui com-
manda de le revenir trouver le dimanche à six heures :
mais il feut tant occupé avec monseigneur, qui se ma-
nifesta après avoir parlé à la royne, oultre les jeux de
caresme prenant, auxquels il estoit jà obligé , et les cé-
rémonies du mercredi des Gendres , que nous ne peus-
mes avoir audience jusqu'au jeudi après disner , en la
chambre du roy, d'où on feit sortir ung chacung.
Nous y estant seuls demeurés , excepté du Halde, et
quelques valets de chambre, à sçavoir, M. de Chas-
sincourt, le capitaine Beauregard et moi, le roy m'ap-
pela seul en ung coing, et, après quelques propos com-
muns , je commençai :
5.2 4 LETTRE DE M. DUPLESSIS
Que, depuis quelque temps, vous vous deplaisiés fort
en vous mesme des mauvaises impressions que vous
voyez qu'on voulloit donnera sa majesté de vos actions:
et beaucoup plus de ce que vous vous apperceviez que
sa majesté en avoit receu quelques unes. Que je vous
avoïs souvent ouï dire que vous sçaviez que son naturel
estoit de vous aimer : comme ordinairement vous pro-
testiez avoir tasché par tous moyens de mériter et ac-
quérir sa bonne grâce. Que le debvoir n'ayant point
manqué de vostre costé , comme vostre conscience
vous tesmoignoit, ceste naturelle inclination de sa ma-
jesté envers vous , ne pouvoit avoir esté altérée que par
quelque grande calomnie. Cependant que , veu 1 équité
de sa majesté , vous vous asseuriés qu'elle n'auroit
poinct donné tant de lieu à ces impressions, qu'elle ne
vous eust réservé quelque place vuide en son ame,
pour y en recevoir de meilleures ; aultrement , que
tous mes propos et tous vos effects seroient en vain. Mais
que si vous aviez cest heur que sa majesté vous eust
réservé cela, j'apporterois de quoi lui faire évidem-
ment cognoistre que sa majesté n'avoit plus fîdelle ser-
viteur que vous: et mesmes, qu'elle n'avoit en son
royaume subjects plus francs ni plus François que ceul.s:
de la relligion.
Je m'arrestai ung peu sur ces mots , et lors sa ma-
jesté prit la parole : Qu'il y avoit trois jours qu'il avoit
entendu ma venue , mais que , partie les festes , et partie
1 arrivée de monseigneur, ne lui avoient peu donner le
loisir de m'ouïr. Qu'il lui estoit à la vérité naturel de vous
aimer: et pourtant, quand il se sentoit moins satisfaict de
vous en quelque chose, qu'il le vous declaroit franche-
ment. Que rien ne lui pouvoit estre plus agréable que de
cognoistre vostre affection envers lui, et qu'il seroit
AU ROY DE NAVARRE. 523
toiisjours tout préparé à croire tout bien de vostre
part, comme chose qu'il désire infiniment ; avec une
façon assez doulce et gracieuse.
Je lui dis que Dieu avoit adressé entre vos mains ung
moyen de lui découvrir une grande entreprise sur sa
vie, son honneur et estât. Que j'amenois avec moi ung
gentilhomme, son subject, de ses pays du Dauphiné,
qui lui en diroit les circonstances. Qu'il s'estoit adressé
à M. de Ghastillon pour la lui découvrir, lequel l'avoit
incontinent amené en Bearn, vers vous, afin que, par
vostre moyen, il eust accès vers sa majesté. Que vous
aviez véritablement esté quelque peu en doubte, si vous
debviez donner cetadvertissementà sa majesté,ou non;
craignant qu'il ne feust imputé aulx rancunes et animo-
sités qui peuvent estre entre quelques maisons en son
estât; mais que partie la conscience et le debvoir, partie
l'évidence de la chose, vous auroicnt faict passer par
dessus ces considérations. Que le gentilhomme estoit là
présent, nommé Beauregard , mais que je lui avois
donné le nom de la Roche, de la bouche duquel il en-
tendroit le tout mieulx que de la mienne : encores que ,
des long temps, vous aviez esté adverti de plusieurs
choses tendantes à mesme fin , aulxquels ceste ci vous
auroit donné lumière.
Sa majesté me respondit qu'elle vous en sçavoit beau-
coup de gré; que M. de Ghastillon avoit faict acte de
bon subject; que vous ne pouviez mieulx faire que de
l'advertir, sans avoir égard à telles considérations;
que , pour continuer le silence , je continuasse le nom
que dessus audict Beauregard. Et là dessus me com-
manda de le faire approcher : comme il commença son
propos, je me reculai; mais il me feit rapprocher, e\
feus présent à tout ce qu'il dict , y entrelaçant de
526 LETTRE DE M. DUPLESSIS
rois à aultre quelque mot, pour l'esclaircissement dé
ses propos.
Il discourut premièrement à sa majesté la cause qui
lui avoit donné accès chez M. de Savoye.puis, d'où
estoit venue la confiance qu'il avoit prise de lui. De
là passa à toutes les particularités qu'il a comptées à
vostre majesté de poinct en poinct : la farce qui se joua
pour faire sortir Espiard; comme i\ le conduict en Dau-
phiné, Provence et Languedoc; le langage que lui teinst
M. de Savoy e; les propos, menées , entreprises, engins
et aultres circonstances du faict d'Espiard , qu'il seroit
trop long de repeter (i). Et en somme en dict assez
pour esmouvoir le roy à bon escient, encores qu'il ob-
mit quelques particularités que je lui fais garder pour la
prochaine fois.
Le roy l'escouta fort attentivement et patiemment,
et observasmes des muaisons en son visage, qui tes-
moignoient que ces propos faisoient impression au cœur.
Il s'enqueroit fort de ce qui se debvoit faire en cha-
cune province, nommeement en Bourgogne et Cham-
pagne , quand M. de Savoye se presenteroit sur la fron-
tière; et sembla croire aisément ce qui lui en fut dict,
et en avoir desjcà senti quelque chose.
Quand il eut fini, il tesmoigna en paroles fort ex-
presses vous en scavoir grand gré ; qu'il s'en ressouvien-
droit toute sa vie; qu'en conservant le sien, vous
conserviez le vostre ; que particulièrement il le recog-
noistroit envers M. de Chastillon et le capitaine Beau-
regard. Je lui respondis que le salaire que vostre majesté
desiroit , estoit que sa majesté cogneust vostre sincère
et fidelle affection. Qu'on lui avoit dict que vous traic-
(i) Il y avoit entre aultres une entreprise sur la ville d'Arles.
AU ROY DE NAVARRE. 627
liez avec le roy clEspaigne, par certaines personnes
interposées : ce qui estoit vrai ; mais que sa majesté se
pouvoit ressouvenir qu'elle Tavoit trouvé bon , et que de
fois à aultre on l'avoit advertle de ce qui s'y estoit passé.
Particulièrement que vous ne lui voulliez celer que, de-
puis peu, vous auroit esté déclaré, de la part du roy
d'Espaigne, que, si vous voulliez, on vous donneroit le
moyen de lui faire la guerre , et qu'on le vous conti-
nueroit jusques à vous mettre la couronne sur la leste.
Mais qu'il estoit temps de vous resouldre, sinon qu'il
avoit son marchand prest en France. Et lui dis que
ces propos m'avoient esté teneus k moi mesmes. J'ap-
perceus qu'il s'émeut, et prit grand pied là dessus.
Qu'il ne falloit pas tant s'arrester à la considération du
mal qu'à la provision du remède ; que le temps pressoit,
et que je n'avois parlé à homme de quelque qualité, en
la bouche duquel je n'eusse trouvé quelque chose pour
me confermer en cest advertissement. Que vostre ma-
jesté le supplioit très humblement , venant à penser
aulx remèdes, de se ressouvenir de vous entre les pre-
miers , pour vous y employer, et que vous eussiez cest
honneur d'y donner des premiers coups, comme Dieu
vous avoit adressé Theur d'advertir le premier ; cv
qu'il me promit de faire, avec paroles fort affectionnées.
Que quelques ungs des principaulx des Eglises de Lan-
guedoc et Dauphiné s'estoient apperceus de ces me-
nées, et s'employoient à les rompre, en tant qu'en eulx
estoit, en divertissant ceulx de la relligion, desquels
les esprits pouvoient estre émeus sur le temps de la
restitution des places : mais, qu'oultre cela, particu-
lièrement, ils avoient pryé M. de Chastillon de vous
supplier de faire entendre à sa majesté qu'ils ne desi-
roient que matière de lui monstrer combien ils sont
528 LETTRE DE M. DUPLESSIS
bons François, et qu'ils estoient prests, en une telle
affaire, de répandre, aulx pieds de sa majesté , ce peu
que les misères civiles leur ont laissé de sang et de
moyens. Comme aussi particulièrement M. de Chastil-
lon m'avoit chargé de dire à sa majesté qu'il lui met-
troit Espiard entre les mains , s il lui venoit à gré ,
pourveu que de ceste part les choses feussent con-
duictes avec silence. Il me respondit : Vous voyez com-
ment je traictc mes subjects de la relligion. Je leur en-
tretiendrai le paix , et leur monstrerai que je leur veulx
du bien. Et quant à M. de Chastillon , qu'il lui feroit
chose très agréable, et qu'il l'en pryoit.
Les préparatifs que le capitaine Beaiiregard a dé-
claré s'estre faicls en Savoye , d'hommes , de bleds , etc. ,
n'ont poinct esté nouveaulx , mais bien la cause. Les
pratiques mesmes de M. de Savoye, en divers lieux,
estoient à demi sceues; car le président de Hautfort en
avoit jà escrit quelque chose; et M. de Lion nommee-
ment, que M. de Montmorency attenteroit sur le pont
Sainct Esprit, et seroit secoureu du royd'Espaigne et de
M. de Savoie, desquels il avoit receu argent.
Si n'ai je estimé convenir de scandaliser M. de Mont-
morency davantage; et me suis contenté de dire que
vous vous estiés bien apperceu qu'on l'avoit voulleu at-
tirer à cette cabale, abusant du desespoir où on le pen-
soit de la bonne grâce de sa majesté; mais que vous
pensiés qu'il n'y seroit entré plus avant, et qu'il auroit
préféré le bien de cest estât à ses considérations particu-
lières; et qu'en tout cas vous esperiés avoir le moyen
de l'en retirer , vous asseurant tant de la prudence de
sa majesté qu'elle ne le vouldroit aussi désespérer; et à»
cest offre il adjousta des mots gracieux, comme dessus,
sans faire plus grande instance du principal.
AU ROY DE NAVARRE. 52g
Je verrai s'il m'en fauldra parler plus avant à la pro-
chaine audience. La présence de son altesse en cette
court m'y a rendu plus retenu. Joint que j'ai sceu que
sa majesté faisoit proposer soubs main à M. de Montmo-
rency, avant tout ceci , de le laisser seul en Languedoc ,
et contenter M. de Joyeuse ailleurs, Aultres dient qu'on
est résolu de les appeller tous deux en court, et, en cas
qu'il ne vienne, qu'on procédera contre ses biens.
Je n'omis à sa majesté les entreprises de Provence,
comme les plus pressées, et toutes les particulariiés;
et me dict qu'il y pourvoiroit incontinent. Mais , parce
qu'il estoit besoing de penser à tout, me commanda
d'aller trouver la royne sa mère, et lui communiquer
le tout , et non à aultre , et lui foire ouïr le sieur de Beau-
regard sur tout ce que dessus. Il estoit logé en l'hostel
de Longueville, et elle aux Repenties.
Je fis quelque instance, au contraire, sur le comman-
dement que j'avois de vostre majesté de n'en parler
qu'au roy. Il me répliqua qu'il ne lui celoit rien ; qu'elle
estoit et sa mère, et de son estât par plusieurs fois;
que pour remédier il l'en falloit informer , et que ce
mesme jour ils en traicteroient ensemble.
ri nous recommanda le silence; et lors nous nous
departismes. Arrivans chez la royne, elle estoit au lit,
et monseigneur auprès d'elle. En sortant il m'advisa ,
et je lui fus baiser les mains. Il me demanda si la royne
de Navarre estoit avec vous. Je lui dis qu'on attendoit
le retour de M. de Clervant. S'il y avoit apparence d'une
bonne reconciliation entre vous; je lui dis qu'il n'y avoit
poinct eu de différend : au contraire, que vous n'aviés
cherché que l'honneur commun de vous deux, après l'in-
dignité receue, et quelque bienséance en sa réception,
esloignee de toute apparence de force qui n'eust peu
MÉM. DE DuPLESSIS-MoRIÎA.T. TojWE II. 34
53o LETTRE DE M. DUPLESSIS
qu'adjouster aux sinistres interprétations qu on avoit
faict de ce qui s'estoit passé. Il me pressa fort si c'es-
toit à bon escient; et à mon advis, parce qu'il n'avoit
pour l'heure aultre chose à me dire.
L'ayant conduictjusques en son cabinet, M. de Chas-
sincourt feit sçavoir à la royne qu'il estoit là; et lui dict
que le roy m'avoit commandé de la venir trouver pour
un affaire de très grande conséquence. Elle commanda
à madame la princesse de Lorraine de ne laisser appro-
cher personne de son lict, et me feit entrer avec le capi-
taine de Beauregard.
J'estime qu'elle pensoitque je veinsse pour les affaires
de la royne vostre femme. Car soudain elle s'en encjuit,
et me dict qu'elle s'asseuroit que vous auriés tout con-
tentement par la depesche de M. de Clervant. Je crois
qu'on s'est plus eslargi par la depesche qu'on a envoyée
à M, de Bellievre ; et vostre majesté, selle tient ungpeu
ferme sur Bazas , s'en pourroit appercevoir ; car j'estime
qu'on se contentera de la citadelle , et qu'il a charge
aussi du payement des garnisons des villes de seureté.
Je tins à la royne presque les mesmes propos qu'au
roy, et elle les mesmes responses ; puis lui feis ouïr le ca-
pitaine de Beauregard qui lui dict des particularités qu'il
avoit omises au roy, que je lui avois ramenteues par
le chemin. Elle dict par deux ou trois fois : « Ceci ne se
couve pas d'aujourd'huy. Il y a long temps qu'on y
travaille ; il est temps d'y pourvoir. »
Comme je lui touchai que ces entrepreneurs s'asseu-
roient d'Orléans , elle me dict qu'ils y avoient pourveu ,
il y avoit jà trois sepmaines , sur aultres bruits qui en
estoient venus au roy. Si n'a on laissé d'y depescher de
nouveau encores hier, pour cet effect.
Elle recognut aussi la vérité de plusieurs circonstances
AU ROY DE NAVARRE. 53 1
contenues en l'advertissement du capitaine de Beaure-
gard, qui lui verifioient le reste. Et comme je vis qu'elle
prenoit pied, je lui adjoustai le discours du sieur que
sçavés, que vous estiez d'advis que je ne disse au roy
du premier coup; elle en voulleut sçavoir le nom, et
me dict qu'il estoit assés traistre pour cela : et me
commanda de le dire au roy, ce que je n'ay encores
faict.
Venant aulx entreprises particulières, je lui dis le
debvoir que vous aviés rendeu, et les églises de Langue-
doc , et M. de Chastillon , à soustraire les moyens de
les exécuter aux entrepreneurs. Que l'assemblée des
églises qu'aviés prétendu assembler soubs le bon plaisir
de leurs majestés, y eust bien aidé; mais, puisque sa
majesté ne l'avoit trouvé bon , qu'on n'en parleroit
poinct. Elle me dict que j'en parlasse au roy encores,
et que peult estre changeroit il d'advis : qu'il se falloit
unir; que, quand le sang de France seroit d'accord,
toutes ces menées seroient sans efFect : plusieurs propos
au reste, pleins de gratification, et nul contredict. Et
craignant qu'aulcungs ne survinssent, nous demanda s'il
restoit plus rien à dire, qu'il falloit y mettre la main,
et nous retirasmes.
Je dis au roy et à la roy ne que je depescherois vers
vostre majesté. Ils me commandèrent de vous asseurer
fort de leur bonne vollonté , et qu'ils feroient profit de
cet advertissement; et que je demeurasse ung petit,
qu'ils voulloient encores parler à moi , et puis me re-
depescher avec une resolution. Je crois qu'ils différe-
ront jusques après le partement de son altesse, qui s'en
va lundi ou mardi.
Les signes que nous avons remarqués depuis, sont
ceulx ci : Le roy, après nostre audience, demeura seul
532 LETTRE DE M. DUPLESSIS
en sa chambre quelque temps fort pensif : puis , sur le
soir, alfa trouver la royne.
Hier, tout le jour, feut avec la royne, monseigneur,
et M. de Villeroy près du lict de la royne , traiclant d'af-
faires. MM. de Guise y entroient de fois à aultre, mais
sans s'approcher.
Le soir M. de Villeroy feut si occupé d'affaires, qu'il
ne voulleut ouïr aulcung particulier, et prya ung cha-
cung de ne l'importuner poinct , mesmes ses plus privés.
Aujourd'huy le roy , des trois heures du matin , n'a
faict qu'escrire , et personne n'a entré chez lui. (i)
Depuis aussi a commencé , au sortir du disner et du
soupper, d'entretenir et caresser la noblesse plus qu'il
ne souloit, et commandé qu'on laissast entrer en sa
chambre à telles heures. A MM. de Guise, plus de ca-
resses beaucoup que de coustume : lesquels toutesfois
disent privement à leurs amis qu'ils cognoissent bien
une haine mortelle du roy contre eulx. Quelques ungs
m'ont parlé de les faire entrer en amitié avec vous ,
auxquels j'jai respondu ce que j'ai deu , et que vostre
majesté peult assés penser. En somme, que vous ne
négligés l'amitié de personne, moins de seigneurs de
telle qualité , et que c'est à eulx à commencer.
On dict que son altesse venant ici , les a faict recher-
cher par Marchaumont, comme ci devant par M. de la
Chastre. Ils ne s'y sont osés fier; ils ont tenu ung con-
seil ici avec leurs plus féaux amis. L'ung d'iceulx (on dict
que c'est le baron d'Osson ville) a révélé à la royne
tout ce qui s'y est dict et faict. Nous ne sçavons bon-
nement quoi. Bien est il vrai qu'ils minutent leur
congé.
JPI^I^—^.— M I ■ Wl ■■! ■■■,■■ ■———■I I III ■■■■■■-■ ■! ■■ ■ M»»^ Wi^^.^^ ^
(i) Ceci est escrit du samedi i8 febvrier.
AU ROY DE NAVARRE. 533
Le meilleur signe que je voie, c'est qu'on tient
îiostre faict secret : qui est le moyen d'y pourvoir.
Monseigneur est venu ici , à ce qu'on dict , voyant
sa maison réduite à extrémité , ses dessein^s inutiles
sans l'aide du roy, les moyens d'acquérir ou recog-
noistre des serviteurs , près de lui estre retranchés , par
ces nouveaux reglemens, etc. Les estats résolus de ne
traicter avec lui, sinon en tant qu'ils voyent le roy résolu
de le secourir. Ainsi , après les démonstrations d'amitié
accoustumees, le roy lui accorde cinquante mille escus
pour le secours de Cambrai, qui consiste en ung avic-
tuaillement que doibt faire le mareschal de Biron. M. de
Montpensier s'en est excusé sur ses procès.
Le roy, pour y voir plus clair, veult parler avec les
députés de Flandres. Son altesse part demain, ou mardi
au plus tard, et prend son chemin à Monceaux.
Je double que le roy n'aura pas communiqué le fonds
de nostre affaire à son allesse ; car il est certain qu'il a
tenu ung conseil (i) chez M. de Villequier, qui a duré
plus de quattre heures, où n'y avoit que MM. de Joyeuse
et d'Espernon, M. le mareschal de Rets, M. le chancel-
her, M. de Villeroy , M. de la Vallette. Au sortir il alla
trouver la royne , et tira le rideau sur lui , et feut une
heure seul avec elle. Et M. le mareschal de Rels depes-
cha quelques commissaires des guerres à Lyon. L'estat
de la guerre a esté traicté en ce conseil là, et M. de
"Villeroy le faict dresser : on l'augmente de douze cens
mille escus.
Monsieur de la Noue a escrit à madame de la Noue
par trois fois, qu'elle advance sa délivrance tant qu'elle
(i) Ce conseil feut vendredi 17.
534 LETTRE DE M. DUPLESSIS
pourra, parce qu'il voit que Testât se pourra brouiller;
qu'il est très certain que le roy d'Espaigne veult avoir
raison du roy, et qu'il s'asseure de lui arracher la Bour-
gogne et la Picardie , et le marquisat de Saluées tout
au moins.
C'est, sire, ce que j'ai pensé digne de vous estre es-
crit par ce porteur exprès, que je vous depesche en
poste, et n'ai peu plus tost. J'estime qu'après le parte-
ment de son altesse, nous serons rappelles : et fais es-
tât d'adjouster lors beaucoup de choses que j'ai réser-
vées, pour voir comment ces premières seroient receues,
si j'apperçois qu'ils procèdent bien; car je ne me suis
voulleu haster, ni le ferai. Dieu aidant, qu'à temps. J'ai
pensé aussi de dire à sa majesté que vous m'aviés donné
charge de vous porter ses commandemens, afin que
vous ayez cest honneur d'estre partie du remède qui
sera apporté : et ce me sera ung moyen de voir au fonds
de la resolution qui aura esté prise.
Si vostre majesté s'advise de chose que je doibve faire
plus avant ,. elle me fera redepescher ce porteur incon-
tinent , s'il lui plaist. Il seroit bon que je sceusse ce
qu'aura rapporté Undiano , pour m'en aider selon l'oc-
casion. Je n'omettrai, au reste, l'aultre affaire, duquel
j'ai parlé à vostre majesté en tout cas.
Il est tout certain, mais je supplie vostre majesté de le
tenir secret, pour le lieu dont je le sçais, que son altesse,
premier que se manifester au roy, vouUeut avoir ung
escrit signé de la main du roy, et fort exprès, par lequel
il lui promettoit de le laisser aller, toutes les fois que
bon lui sembleroit; et le bailla à une tierce inain, que je
vous dirai , à garder, pour s'en servir, en cas qu'il lui
feust faict chose au contraire. Il part lundi, qui est de-
AU ROY DE NAVARRE. 535
main, et ne faict estât de revenir de six mois, si aultre
occasion ne survient, (i)
J'ai veu M. le chancelier, qui m'a bien faict sentir
que le roy lui avoit communiqué bien avant de ma
charge; m'adjoustant qu'elle lui a esté très agréable, et
qu'il a envie d'y pourvoir. Je n'ai peu encores voir M. de
Villeroy chez lui , depuis ma première audience , et ne
feut jamais si empesché. Je le trouvai enfermé avec
M. Pinart, ayant defendeu de ne faire parler quelcon-
que personne que ce feust , à lui , feust ce mesmes de
la part du roy.
Le roy avoit resoleu, pour esviter les difficultés ac-
coustumees en la vérification des edicts, de transporter
au privé conseil l'auctorité souveraine du parlement de
Paris, en tant qu'elle est court des pairs, qu'elle vérifie
tous edicts , et reçoit les sermens des officiers de la cou-
ronne , etc. Plusieurs en murmuroient, et la court ne
s'en pouvoit taire. Depuis deux jours le roy a déclaré
à quelques ungs qu'il a changé d'advis, et se veult tenir
à l'ancienne façon.
La court de parlement n'a poinct visité son altesse
en corps , mais bien les presidens le sont allés visiter.
Il sembla n'en estre content , par ung mot qu'il dict
fort cruement au premier président, après une longue
harangue : « Vous debvés cognoistre que je suis la pre-
mière personne de France. » M. de Villequier demanda
au roy s'il iroit en qualité de gouverneur. Il ne feut
trouvé bon qu'en qualité de particulier. Le grand con-
seil, par l'advis de M. le chancelier, n'y feut aussi en
corps.
Il fault que je laisse quelque subject d'escrire à M. de
(i) Ceci est escrit du dimanche 19.
5'^6 LETTRE DE M. DUPLESSIS
Ciiassincoiirt, duquel je vous dirai, sire, en ung mot,
qu'il faict très dignement sa charge ici en toutes sortes.
Et, sur ce, finirai, suppliant le Créateur, sire, qu'il doint
vostre majesté en santé et prospérité longue vie.
De Paris.
Vostre très humble et très obéissant serviteur à jamais,
DuPLESSIS.
Je vous achèterai plusieurs beaux livres, dignes de
vostre librairie , selon vostre commandement.
XCII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
j4u roj de Ncwarre.
Du g mars 1584 ■> à midi.
Sire, lundi 30 de ce mois de febvrier, je depeschai
Bouchard vers vostre majesté, par lequel vous aurés
entendeu tout ce qui s'est passé en l'affaire que m'avés
commandé, jusques audict jour. Si tost qu'il feut parti,
le roy envoya quérir M. de Chassincourt, par lequel
je lui fis dire que nous avions encores plusieurs parti-
cularités à déclarer à sa majesté; et si tost qu'il le veit ,
il lui dict : Tous ces jours ici je ne vous ai poinct veus,
et ai regardé si je vous verrois poinct; ce que nous
avions faict exprès, pour tant mieulx appercevoir si la
chose avoit touché au cœur, et si on s'en ressouvien-
droit de soi mesmes. Ledict sieur de Chassincourt lui
respondit que nous avions craint d'importuner sa ma-
jesté. Et lors il lui commanda de me faire trouver le
lendemain à l'issue de son disner, en sa chambre, et
qu'en attendant j'informasse M. de Villeroy de toutes les
depesches qu'il fauldroit faire , pour remédier au mal.
Mais ledict sieur de Villeroy n'estoit poinct chez lui,
AU ROY DE NAVARRE. 537
et ne le peus voir jusques au lendemain chez le loy.
Ledict lendemain, après disner (i), nous entrasmes
en la chambre du roy, oii nous trouvasmes le comte de
Sault, que le roy avoit mandé , suivant le moyen qu'a-
vions proposé, de remédier à la Provence, par son en-
tremise envers le sieur de Vins son beau frère. Le roy,
qui estoit seul en son cabinet, avec le sieur de Villeroy,
le fît appeller, l'y retint bien une heure, et pouvions
entendre partie de ce qu'il lui disoit. Et comme il feut
depesché, sortit M. de Villeroy, qui nous feit entrer
M. de Chassincourt et moi. Ce que nous apperceusmes
que le roy se soubvenoit de cest affaire, sans le lui ra-
nientevoir, nous feut ung bon signe.
Là je lui rafraischis les propos precedens; puis lui
adjoustai plusieurs particularités, non déclarées en la
première audience; j'apperceus tousjours le roy fort
attentif, testifiant avoir mesmes advis de divers lieux,
mais non si clairs, et qu'à la vérité le noslre estoit ce-
lui qui premier lui avoit donné lumière ; qu'il s'en res-
sentoit fort obhgé à vous, et qu'il le recognoistroit à
bon escient.
Lors je n'omis le faict du gentilhomme voisin de
Saincte Foi , et le roy nous dict l'avoir entendeu de la
royne sa mère, comme aultres circonstances, qui me
feirent cognoistre qu'ils avoient devisé ensemble de cest
affaire avec grand loisir.
Surtout le roy s'arrestoit sur le Languedoc, et m'en-
qucroit de M. de Montmorency, duquel je parlai tous-
jours fort sobrement, et que, s'il s'estoit laissé emporter
trop avant, vous esperiés l'en retirer, vous asseurant
aussi que sa majesté ne le vouldroit désespérer. Et en
(i) Mardi 21 febvrier.
538 LETTRE DE M. DUPLESSIS
somme il taschoit de dériver le plus grand blasme sur
lui , comme aussi M. de Villeroy , auquel je respondis
que sa majesté pouvoit avoir advis d'ailleurs; de vostre
part , que vous ne lui voulliés poinct alléguer des soup-
çons, mais des certitudes.
Là dessus le roy se meit à discourir ; qu'il estoit esbahi
d'où venoit ce mauvais conseil à M. de Montmorency;
qu'il ne pensoit aulcunement à lui oster son gouverne-
ment, et moins que jamais; qu'il avoit deux cens mille
livres de rente , un des plus beaux estats de son royaume,
femme et enfans, grand nombre de parens; que nul
n'avoit occasion d'estre meilleur François que lui; que
vostre majesté lui debvoit remonstrer ces choses pour
le ramener à son debvoir, et qu'il debvoit attendre tout
bien de sa part, etc.
S'enquit puis après, si nous n'avions poinct descou-
vert d'entreprises en Languedoc; qu'il enattentoit tous
les jours , et fraischement lui avoit pris deux places au-
près de Beaucaire ; que , s'il appelloit conserver son
auctorité, prendre ses villes, il lui prendroit bien mal
que tous ses gouverneurs feussent de mesme humeur.
Je lui répétai tousjours que vostre majesté feroit ce
qu'elle pourroit pour le retirer de Là; et me sembla le
trouver bon; mais je crains, en cas qu'il s'opiniastre,
qu'on ne le vueille forcer; et lors l'armée qu'on en-
voieroit contre lui, seroit fort suspecte à nos églises ; ce
qu'il fault destourner par tous moyens.
Pour ceste cause, je lui alléguai qu'oultre les sus-
dictes remonstrances , vous aviés moyen de rompre les
principaulx coups qui se pourroient donner en Langue-
doc , en contenant les capitaines et soldats de la relli-
gion en leurs maisons , et les soustrayant à ceulx qui en
vouldroient abuser; que le temps de la rémise des
AU ROY DE NAVARRE. oStj
places rendoit plusieurs personnes plus capables de re-
muer, d'autant que les remèdes de la défiance leur
semblent cesser, premier que le mal; que c'estoit la
cause en partie qui vous faisoit désirer une assemblée
des églises, par le moyen de laquelle vous pourries
ployer leurs intentions à celle de sa majesté, et rompre
les desseings des perturbateurs. Ce que je ne disois
pour avoir charge de la presser, mais parce que j'esti-
mois consister en icelle partie du remède de Langue-
doc. Et qu'en somme, quand ceulx. de la relligion ne
- s'en mesleroient poinct , qui qui vouUeust troubler la
province, se trouveroit bien abandonné de moyens.
Sa majesté respondit que vous aviés assés d'auctorité
pour composer ces choses, et retenir ceulx de la relli-
gion sans ladicte assemblée ; qu'il ne voulloit poinct
celer qu'il avoit ung peu trouvé estrange que les let-
tres de convocation qu'aviés escritcs aulx provinces, lui
feussent veneues es mains, premier que de l'en avoir
adverti (ce qui doibt estre advenu par la malice, ou
insdiscretion de quelques ungs); et adjousta M. de
Villeroy, qu'on n'appelloit pas seulement les provinces
de delà , mais toute la France. Je répliquai que vous
l'aviés faict pour gaigner temps , et pour tant mieulx
pouvoir respondre et satisfaire aulx commissaires que
sa majesté envoyeroit pour l'exécution de son edict, se
persuadant qu'elle ne feroit non plus de difficulté de
consentir celle ci que les précédentes , desquelles elle
avoit veu le fruict en la remise des places de la confé-
rence, etc.; comme aussi elle auroit de plus en plus
cogneu voslre sincère affection envers son service. Et,
quant à ce que députés y estoient convoqués de toutes
les églises, que sa majesté scavoit que les seuretés es-
toient aussi données à toutes, et la paix pour toutes;
54o LETTRE DE M. DUPLESSIS
joint que plusieurs d'icelles se plaignoient d'estre sur-
taxées en la levée de deniers, accordée par sa majesté
sur elles, aulx plaintes desquelles ne se pouvoit remé-
dier que par ceste voye; comme aussi il apparoistroit à
sa majesté, par lesdictes lettres de convocation, qu'elles
y esloient conviées à ceste fin.
Nonobstant toutes ces raisons, il ne se lascha poinct
plus avant, et je ne voulleus presser davantage, crai-
gnant qu'il ne pcnsast que je voulleusse tirer ce fruict
de nostre advertissement : resoleu toutesfois de lui en
reparler une aultre fois, pour en emporter resolution.
Il me ramenteut d'escrire à M. de Chastillon pour
Espiard. Je lui dis que je Tavois jà faict par un coihr-
rier exprès; aussi qu'il veillast aulx engins qu'on feroit
faire par les menuisiers, qu'il avoit baillés, parce que
par iceulx on jugeroit à peu près de leurs entreprises;
et sur cç que je lui dis que le capitaine de Beauregard
avoit encores plusieurs particularités à lui dire, le fit
appeller, et l'ouït fort patiemment; puis nous com-
manda d'aller cbés M. de Yilleroy, et qu'il prist de nous
mémoire des depesches qu'il falloit faire partout, lequel
nous donna beure à son logis, à quattre beures après
midi; et cependant s'en alla trouver la royne, en sa
maison des Repenties, pour lui communiquer tout ce
que dessus.
J'oubliois que, répétant h sa majesté qu'elle pourroit
remédier à la Provence par le comte de Sault, il me
respondit qu'il l'avoit envoyé quérir exprès en son ca-
binet, et qu'il l'y envoyoit; et que c'estoit ung bon-
neste gentilbomme, qui feroit sans doubte tout ce qu'il
lui commanderoit ; qu'il avoit aussi adverti le grand
prieur, et lui demandoit de ne bouger d'Arles, où il
estoit des ceste beure ; commanda aussi , comme je
AU ROY DE NAVARRE. 54 1
l'avois proposé à M. de Yilleroy, d'escrire au sieur de
Revoie en Piedmont, son ambassadeur, qu'il veillast
plus que jamais sur les actions de M. de Savoye , etc.
A l'heure précise nous vinsmes, M. de Ghassincourt
et moi , chez M. de Villeroy, qui s'y trouva peu après,
et nous mena en ung lieu tout à part. Je lui refis tout
le discours, passant des généralités aulx particularités,
sans rien omettre; puis, venant aulx remèdes, il me prya
fort de lui faire ouverture de ceuls que j'estimois pro-
pres, ce que je ne voulleus faire sans quelques préfaces
de l'importance de la chose, de mon inexpérience, et
surtout que je sçavois qu'ils estoient tousjours suspects,
de la bouche d'ung de ma relligion; toutesfois que je
protestois que nostre seul but estoit de monstrer à sa
majesté que ce ne sont choses incompatibles d'estre bon
huguenot et bon subject tout ensemble. Et qu'au reste
je ne haiois homme du monde, non pas le pape mes-
mes, quelque mal qu'il nous eust faict.
Les remèdes que je proposai feurènt ceulx ci : Que
sa majesté ralliast tout son sang ensemble, lequel na-
turellement court au cœur, quand le danger se pré-
sente; et que le roy de Navarre, en ce que sa majesté
commanderoit, monstreroit le chemin très volontiers;
qu'on ne laissast esloigner les personnes de ceulx qu'on
pensoit aucteurs principaulx de ces remuemens, les-
quels toutesfois avoient envie de prendre congé, afin
qu'on s'en peust asseurer au besoing, non sur une ve-
risimilitude , mais sur une certitude, quand on la ver-
roit. Mais, comme ce remède ne se debvoit pratiquer
qu'avec grande occasion, qu'aussi, icelle y estant, n'y
en avoit il poinct de plus prompt : ce que je lui pou-
rvois tesmoigner par la prise de MM. de Montmorency
et de Cossé, lesquels, sans doubte, estoient compris
542 LETTRE DE M. DUPLESSIS
en Tentreprise de monseigneur, et soubs eulx branloient
en chacune province plusieurs seigneurs, gentilshom-
mes et places, qui demeurèrent ou suspendues, ou en
debvoir par ce moyen ; que le roy prist garde à sa per-
sonne, veu la façon de procéder du roy d'Espaigne,
qui abbregeoit, en tant qu'il pouvoit, les guerres par
assassinats, comme il s'estoit veu en la personne du
prince d'Orange, et tout fraischement de la royne d'An-
gleterre; que sa majesté pourveust aulx provinces et
lieux qui lui avoient esté dénommés, et considerast,
quand nous en sçavions tant , que nous en ignorions
beaucoup davantage , et partant qu'il falloit veiller par-
tout ; qu'on divertist les forces d'Espaigne par tous
moyens; ce qui estoit aisé, en secourant M. le prince
d'Orange et les estats , de quelques sommes de deniers,
en gardant Cambrai, etc. ; mais surtout en faisant exé-
cuter quelques entreprises notables en la comté de
Bourgogne, qui couperoit le passage aulx forces, de-
niers et intelligences d'Espaigne, et arresteroit la guerre
sur le leur, qui aultrement passeroit sur le nostre ; que
sa majesté rafraischist ses alliances en Angleterre , en
Allemaigne , en Suisse; et de défensives, si elle voyoit
que ses entreprises procédassent plus avant , les feist
offensives. Et finalement, qu'on attaquast le roy d'Es-
paigne dedans son Espaigne mesmes , en donnant les
moyens au roy de Navarre d'y poursuivre son droict ,
lequel ne demandoit que subject de monstrer au roy
la faulseté des calomnies qu'on lui aurcit vouUeu im-
poser, etc.
Ces remèdes lui pleurent assés, et nous respondit
qu'il falloit surtout conj oindre les intentions du roy, de
monseigneur et de vous, à mesme but. Cela estant, que
les aultres seroient au bout de leur rollet; qu'il falloit
AU ROY DE NAVARRE. 543
veiller sur les aucteurs de ces menées, qu'il estoit bon
de ne les laisser esloingner, et que le roy en trouveroit
assés de prétextes; mais qu'il ne falloit précipiter une
main mise , que le roy n'eust pourveu à se rendre le
plus fort; qu'ils sçavoient la disposition intérieure de
chaque province; que M. de Guise avoit peu de crédit
en Champagne, M. de Maine ( r) ung peu plus en Bour-
gogne; mais que M. le Grand estoit homme d'honneur
qui neferoit poinct de faulte;que, depuis son partement
de Dauphiné, il avoit à demi perdeu les amis qu'il y avoit
acquis; qu'es aultres provinces ils en avoient presque
plus qu'en leurs gouvernemens , mais qu'il y avoit
moyen partout ; que le roy prendroit garde à soi , selon
que j'avois dict, veu les procédures du roy d'Espaigne,
et que c'estoit le principal ; qu'on feroit depesches de
toutes parts, et que, devant la fin du mois, le roy seroit
le plus fort partout où besoing seroit, et pour y parve-
nir , prit mémoires fort particuliers de nous , qu'il es-
crivit de sa main; que, sur nostre advertissement, leroy
s'estoit rendeu plus facile aulx propositions de son al-
tesse pour le secours de Cambrai , qu'il estoit resoleu
de conserver ; qu'en Suisse tout estoit bien ; et là dessus
nous conta comme, par la pratique de l'ambassadeur du
roy, la sentence des arbitres avoit esté remise à aultre
temps, pour le faict de Genève, estant tout certain
qu'ils estoient gaignés par M. de Savoye , et prests de la
donner à son profit ; et que , pour le regard d'Angle-
terre , on estoit en bon train, comme de faict audience
est donnée à l'ambassadeur à ceste fin. Approuva fort
aussi de tramer quelque chose contre la Bourgogne ; et ,
pour le surplus, que le roy se resouldroit avec plus de
(i) C'estoit M. le comte de Charny, grand escuyer.
544 LETTRE DE M. DUPLESSIS
loisir, de ce qu'il auroit à vous mander, par mon re-
tour, après que les depesches plus pressées seroient
faictes.
C'est le sommaire à peu près de nos propos. Et ne
veulx cependant omettre de vous dire que, sur ce
que je dis au roy, que le roy d'Espaigne avoit faict re-
cognoistre vostre port d'Albret depuis quelque temps,
il me demanda si vous ne Taviés poinct encores accom-
modé ; et lui respondis que non, qui me faict penser
qu'il ne trouveroit mauvais qu'y fissiés bastir pour le
conserver.
Nous estions en peine de sçavoir jusques à quel
poinct le roy auroit communiqué de cest affaire à sa
majesté, dont, le mercredi 22 de février, feusmes esclair-
cis par le qui le feut conduire jusques à Claye, et, à
son retour, voulleut parler avec nous; il lui dict que
le roy estoit en meilleur train de negotier avec eulx
que jamais , que telle et telle conspiration avoit esté
descouverte , et par ceulx mesmes dont moins on l'es-
peroit. Que j'avois amené homme qui en parloit fort
clairement ; offrois d'en faire attrapper ung aultre , qui
s'y mesloit des plus avant; que le roy m'avoit ouï et
receu fort volontiers et vous en sçavoit grand gré ;
que, pour m'ouïr, la royne sa mère avoit faict esloingner
de son lit jusques à sa nièce (i), etc., choses qui ne
pouvoient estre devinées. Adjousta que M. de Mont-
morency y trempoit, et, cela estant, qu'il n'avoit plus
d'amis. De ceci, sans nommer personne, nous nous
servismes, le vendredi ensuivant 24, vers M. de Ville-
roy, l'admonestant qu'on teinst l'affaire secret : et très à
(i) C'estoit madame Catlierine de Lorraine, depuis grande
duchesse.
AU ROY DE NAVARRE. 545
propos est advenue l'arrivée de son altesse en ceste ville ,
au mesme temps que j'arrivai ; car, ce peu qui s'en es-
vente s'attribue à lui, qui de faict a descouvert au roy
tout ce qu'il avoit faict traicter avec MM. de Guise et
de Nevers , par M. de la Chastre, lesquels , sur les pré-
paratifs qu'ils voyent, en sont fort en allarme.
Le samedi aS, le roy alla coucher au bois de Vin-
cennes, et y a tardé jusques au mardi 28. C'estoit pour
ses dévotions, et contre sa coustume il y mena ses
gardes. Le conseil ne bougea cependant d'ici. Aussi se
voit cette mutation , tant chés le roy que cliës la royne,
qu'on n'entre plus en l'antichambre ; mais les gardes
sont à la porte, et fault estre cognu premier que
d'entrer.
Nous avons sondé les effecls surensuivis sans nous
arrester aulx paroles. On a depesché en Suisse , pre-
mièrement pour lever 6,000 Suisses; et puis, pour une
creue de l^^ooo. On a envoyé grand quantité de pou-
dres à Lion ; et y faict on acheminer quattre compagnies
de gensdarmes. On a remué les garnisons de lieu en
aultre en plusieurs places ; et ne voit on qu'expéditions
et courriers ; nul toutesfois que de par le roy , ou de son
sceu; car on a defendeu , depuis quattre jours et du
lendemain que Bouchart feut parti, de bailler chevaulx
de poste sans passeport , sur peine de la vie. Le roy a
envoyé quérir les députés des Pays Bas , pour traicter
avec eulx et arriver ici le dernier febvrier, conduits
par Alferan. A traicté aussi fort favorablement avec
l'ambassadeur d'Angleterre ; et semblent pied à pied
suivre le chemin où nous les avons mis.
Ces choses emplissent MM. de Guise de soupçons :
et non moins ung propos que le roy teint à M. de Nevers
et à M. du Maine , samedi aulx Tailleries. L'ambassa-
MÉM. DE DUPLESSIS-MORXAY. ToME II, 35
546 LETTRE DE M. DUPLESSIS
deur de Venise , leur dict il , m'est venu trouver ceste
après disnee. Je suis fort tenu à ces gens là , pour la
bonne réception qu'ils nie feirent à mon retour de Pou-
longne ; et maintenant ils me demandent conseil sur
ung affaire, oii je le leur vouldrois bien donner bon.
Ils ont découvert une conspiration de quelques ungs
des principaulx sénateurs contre leur estât : la chose
est avérée ; mais ils ne sçavent comment ils en doib-
vent user. Que vous en semble? M. de Nevers respon-
dit que c'estoit chose qu'il falloit manier avec grand'
prudence , et ne rien précipiter. Qu'il falloit la bien
vérifier ; puis prendre garde qu'on n'esmeust plus de
mal qu'on n'en pourroit vuider. M. du Maine de
mesmes. Et le roy les pressoit fort; et enfin leur dict:
C'est grand pitié ; je vouldrois bien que ceulx que Dieu
a assubjettis^à ung prince, se considérassent en sa
personne; et plusieurs propos semblables. M. de Ne-
vers à ce propos se souvint de l'histoire du comte Her-
bert de Yermandois; et comme il feut au logis, envoyé
visiter tous les ambassadeurs d'Italie , celui de Venise
nommeement , pour sonder s'il estoit rien de ceste pro-
position : et trouva que non ; cela redoubla l'allarme ;
et le dimanche 16 ensuivant, M. de Guise dict à ung
de nos amis : Ceste ineschante ame nous a tous gastés ;
nous sommes ruynés. Il a raconté tout ce que nous
avons faict avec la Ghastre , et pis.
Depuis ces jours, les susdicts nous ont faict tenir
propos, que toutes ces nouveautés se preparoient con-
tre vous ; qu'ils prevoyoient vostre ruyne , qu'il la fal-*
loit prévenir. Ce faisant , que vous ne manqueriés poinct
d'amis et serviteurs ; et ne demandent qu'à bailler le
change. Nos responses ont esté que vous ne desiriés
que la paix; que vous patienteriés pour Tavoir; qu'à
AU ROY DE NAVARRE. 547
rextremité vous sçaviés vous resouldre. Que vous ne
voulliés plus qu'on dist que ce n'est qu'aulx hugue-
nots à remuer; au reste, que vous faisiés cas de 1 ami-
tié d'ung cliacung ; que ceulx qui recliercheroient la
voslre , la trouveroient. Que, selon les degrés , ce n'es-
"^ toit à vous à commencer, etc. Et selon que les allarmes
leur croissent, ces propos s'eschaiiffent ; je pense qu'il
ny a poinct de resolution huguenotesque parmi eulx,
et qu'ils se desfient d'ung parti non encores essayé.
Lundi 27 fehvrier , je feus voir M. de Villeroy , Tad-
vertis "qu'il estoit sorti artillerie de la ville d'Alexan-
drie de la Paglie, frontière de Lombardie*, pour passer
I en Piedmonf. Qu'il debvoit veiller sur l'arsenal , etc. Il
i respondit qu'ils avoient l'œil à 'tout; que leurs advis se
conformoient fort aulx nostres et de plus en plus : mais
que , grâces à Dieu , ils voyoient plus de njauvaise vo-
lonté que d'effect. Il m'insistoit tousjours sur le Lan-
guedoc, et j'en parlois tant plus sbbrement; cela feut
cause que je lui dis que, quelque provision dont ils
usassent, ils se debvoient garder de mettre nos Eglises
en desfiance; lesquelles ne pouvoient voir approcher
des forces d'elles sans en prendre juste ombrage, veu
mesmes la circonstance du temps. Il me dict qu'ils le
sçavoient bien, (prils y auroient esgard ; qu'ils ne fe-
roient passer la rivière de Loire à leurs forces , etc. Mais
qu'aussi ne debvions nous pas légèrement entrer en
soupçon des actions du roy. Je répliquai qu'il nous
estoit aisé de nous en fier , nous qui voyons les causes
de ses actions ; mais que ce n'estoit le mesme de ceulx
qui n'en voyoient que les effects, et auxquels on ne
pouvoit sans danger en manifester la cause. Cela ne
me satisfaict poinct encores. Car, sans qu'ils passent
Loire, ils peuvent aller en Dauphiné et Languedoc, et
548 LETTRE DE M. DUPLESSIS
de ce poinct suis délibéré de m'esclaircir avec le roy
mesmes.
Il nous dict que le roy seroit bien aise que vous
communiquassiés de tout cest affaire à M. de Bellievre.
Que vous vous en pouviés fier à lui, comme au roy
mesmes. Nous respondismes que vous l'aviés voulleu
respandre au sein de sa majesté, et ne vous dispensiés
d'en parler que par son advis. Que j'estimois que vous
ne fériés difficulté d'en parler audict sieur de Bellievre;
mais qu'à tout aultre vous la pourries faire , veu les pro-
fondes racines que peult avoir jettees ceste conspira-
tion , et nous sembla le trouver bon.
Nous avions eu advis que Beringhen avoit esté pris
le 12 febvrier, près de Mets, et mené au chasteau de
Moulin sur Selles, et delà, en la citadelle. Nous le prias-
mes qu'on l'amenast à sa majesté, et qu'on veist ses de-
pesches. Il nous dict qu'il n'en sçavoit rien, et que ce
n'estoit de son département. Ce qu'on en parle si peu,
nous faict croire qu'on n'a pas trouvé grand' chose. Et
aussi dict on qu'il avalla une petite lettre. Cependant,
pour couvrir les remuemens qu'on faict , on prend
envers plusieurs ce prétexte , mesmes envers les plus
grands. j
Lui dismes aussi qu'il estoit besoin g de renvoyer
Beauregard, craignant qu'il ne feust descouvert; mais
que , pour lui donner courage, il le fallait recognoistre,
comme sa majesté avoit promis. Il se chargea d'en par-
ler au roy, ce qu'il feit le mercredi 29, à son retour du
bois de Vincennes ; et le jeudi i"' mars, feusmes mandés
vers sa majesté pour sçavoir son intention, tant sur
cela qu'aultres choses ; mais il ne se peut développer
de plusieurs personnes suspectes en ces affaires; qui
feut cause que M. de Villeroy eust charge de nous re-
AU ROY DE NAVARRE. 54g
mettre au samedi 3 de mars , parce que le vendredi es-
toit jour des penitens.
Ce vendredi 2 mars , nous avertismes ledict sieur de
Villeroy que Espiard avoit esté tué à Beaucaire , en fai-
sant jouer ung artifice de feu, et trouvasmes par les
circonstances qu'il nous remarqua , qu'ils en avoient
nouvelle. Aussi , que son neveu revenant de Savoye , et
l'ayant trouvé mort, estoit au desespoir; et le lendemain
sceusmes de sa majesté mesmes , qu'il estoit venu le
trouver, et lui avoit desclaré plusieurs particularités.
Nous entrasmes avec ledict sieur de Villeroy fort avant
sur l'assemblée générale et sur le payement des garni-
sons. Mais n'en peusmes enfin tirer aultre conclusion,
sinon , qu'il vauldroit mieulx traicter ces choses sur les
lieux avec M. de Bellievre, auquel sa majesté donneroit
tout pouvoir en ce qui concernoit la paix.
Le samedi 3 mars, après disner , feusmes appelles
chés le roy, et, avant qu'estre introduits au cabinet de
sa majesté, entretinsmes bien deux heures M. de Villeroy
en la chambre, et sembloit en divers propos s'ouvrir
fort à nous. Puis, estant appelle du roy, il me dict les
préparatifs qu'il avoit faicts sur vostre advertissement ;
qu'il lui estoit venu très à propos; que de plus en plus
il cognoissoit vostre bonne volonté envers lui, qu'aussi
y aviés vous interest après lui et son frère, plus que
personne. Qu'il faisoit faire une levée de Suisses , equip-
per son artillerie, acheminer cinq compagnies de gens-
darmes vers le Beaujoulois , et quelques troupes d'in-
fanterie, pour estre toutes portées contre les effects
qu'on pourroit faire vers la Provence ou Bresse. Que
contre une descente du prince de Parme , il avoit pour-
veu à ses frontières de Picardie et Champaigne. Cepen-
dant qu'il ne laissoit pas de prendre garde à sa personne,
55o LETTRE DE M. DUPLESSIS
et de veiller sur ceulx que vous lui aviés desclaré pou-
voir entreprendre sur son estât. Que je vous en adver-
tisse en renvoyant Beauregard , duquel il voulloit re-
cognoistre le service, et vous asseurasse de sa bonne
affection , tant envers vous, que tous ses subjects de la
relligion; et plusieurs propos à mesnie but. Je lui dis
que vous sériés très aise que sa majesté eust cogneu la
vérité de vos advis, puisque ce mal avoit h naistre ; et
encores plus, de ce qu'elle y avoit pourveu à temps,
cependant que je m'enbardirois de lui dire francbe-
ment que, tout ainsi que vous ne pouviés prendre
d'ombrage sur ces préparatifs , parce que vous en sça-
viés la cause, qu'aussi estoit il impossible que ceulx
qui ne la sçavoient pas , comme nos églises de Langue-
doc , Provence et Daupbiné, n'en prissent allai me,
voyant tant de forces fondre à l'entour d'eulx. Pour-
tant , que c'estoit à sa majesté, selon sa prudence , d'ad-
viser aulx moyens de lever les desfiances , et d'adminis-
trer à vostre majesté les moyens de le faire envers
lesdictes églises.
Que j'appercevois bien que sa majesté avoit de
grands mecontentcmens de M. de Montmorency, et
lui attriljuoit partie des remuemens de delà. Mais
qu'elle se soubvint qu'ung serviteur de telle auctorité,
devenant malcontent, soit à tort, soit à droict, avoit
souvent ouvert la porte à l'ennemi d'ung estât, lequel,
estant contenté et appaisé à temps, en eust esté préve-
nue la ruyne, qui , à faulte de ce , s'en seroit ensuivie ;
et que je n'estimois poinct que ledict sieur de Mont-
morency feust si avant en cliemin, qu'on ne l'en peust
retirer, comme plusieurs fois je lui avois proposé de
vostre part. Que, s'il s'opiniastroit, s'ensuivoit ung
aultre remède, à sçavoir de soustraire aulx pertubateurs,
AU ROY DE NAVARRE. 55 1
ceulx: lie la volonté desquels ils pourroient abuser ,
inesmes en ce temps qu'il y a tant d'esprits impatiens et
suspendus pour la remise des places. Lesquels deux
moyens se pouvoient pratiquer premier que de venir
nulx plus rigoureux et désespérés, qui ne se pouvoient
pratiquer sans altérer grandement les susdictes pro-
vinces.
Lcà dessus , il me commanda de vous escrire comme
ci devant, que vous advisassiés par tous moyens de re-
gaigner ledict sieur de Montmorency à son service , et
le ramener à son debvoir ; que vous le pouviés asseurer
qu'il ne pensa jamais moins à lui diminuer de ses hon-
neurs et degrés, etc. Qu'il a des biens et honneurs en
France , plus qu'il n'en peult espérer ailleurs; femme ,
enfans, parens ; et de l'aage assés pour se reposer, etc.
Ce que je lui dis avoir desjcà faict, et me le recommanda
derechef. Quant à ceulx de la relligion, me demanda
les moyens de les asseurer. Je lui proposai première-
ment de rafraischir la publication de son edict et
conférences partout, et en recommander l'exécution à
tous les magistrats et officiers de son royaume, à bon
escient; secondement, parce que les effects persua-
doient plus que les paroles , d'envoyer des commis-
saires, amateurs de paix, sur les lieux, assistés de quel-
ques gentilshommes de la relligion , bien qualifiés , pour
l'exécution del'edict; et, sur ces mots, il appella M. de
Villeroy, disant qu'il trouvoit ces expediens fort bons,
et qu'il ne sçavoit homme plus propre que M. de Bel-
Jievre , parce qu'il y avoit danger, au lieu de pacifi-
cateurs, en l'obscurité de ces affaires, d'y envoyer des
])rouillons. Tiercement, que sa majesté contentast et
gratifiast ceulx de la relligion, en quelque chose, afin
qu'on n'abusast de la saison pour les faire remuer, et
552 LETTRE DE M. DUPLESSIS
que vous eussiés plus de moyens pour les divertir des
mauvais desseings. Il me dict que volontiers, pourveu
que l'edict demeurast en son entier. Je voullois que
par là il entendist une surseance de la reddition des
places , et ne la lui voullois nommer, craignant qu'il ne
pensast que nous voulleussions trop tirer de profit de
nos advertissemens ; mais il n'en feit aultre semblant.
Si estime je que c'est chose que vostre majesté pourra
commodément traicter avec M. deBellievre, et avec
espérance de l'obtenir.
Je pris la hardiesse de demander à sa majesté s'il ne
paroissoit rien en Provence. Il me dict que Vins ne tas-
choit qu'à revenir à bien ; et le recherchoit d'oublier
tout, et que, pour ceste cause, il auroit encores reteneu
le comte de Sault , ne l'y voullant envoyer qu'au be-
soing ; et de faict, je le rencontrai ce mesme jour :
aussi, s'il ne se decouvroit rien en Bourgongne; il me
dict que le duc de Savoye avoit mis garnison à Bourg
en Bresse; qu'aussi il s'y dressoit des estappes; que les
Espaignols y passoient , etc., etc. ; qu'il y avoit grande
apparence à tout ce que j'avois rapporté. Cela faict ,
feit appeller le capitaine de Beauregard , qui prit congé
de sa majesté , avec commandement à M. de Villeroy
de lui faire bailler sa recompense, et promesse de faire
dadvanlage pour lui à l'advenir. Et, pour la fin, me
commanda de le revenir trouver dedans cinq ou six
jours , et qu'il vous rendroit content. Il n'y avoit en
ce cabinet que M. d'Espernon , mais trop loing pour
pouvoir ouïr ces propos.
Le dimanche matin , 4 mars , nous feusmes trouver la
royne, M. de Ghassincourt et moi. Je lui tins presque
mesmes propos qu'au roy ; adjoustant que tous les
jours on nous donnoit des allarmes, mesmes de la plus
AU ROY DE NAVARRE. 553
part des plus grands ; qu'on nous lamentevoit que
plus habiles gens que nous avoient esté trompés cl de-
vant, soubs semblables prétextes; que si nous ignorions
les causes de ces préparatifs , sans double , nous les in-
terprétions de mesmes. Pourtant, que sa majesté pou-
voit penser que nos églises qui les ignoroient , seroient
en grande perplexité, et qu'il falloit rechercl>er les
moyens de les asseurer. Elle sembla le prendre en
bonne part, et recognoistre que nous avions grand' rai-
son. Et sur les remèdes , je lui parlai des places ung
peu plus clairement qu'au roy, et promit fort d'y tenir
la main. Sur le propos de M. de Montmorency, je lui
dis qu'elle se soubvinst qu'ung prince d'Orange malcon-
tent , avoit ouvert la Flandres à la France , et qu'il n'a-
voit teneu qu'à nous que n'y feussions entrés. Que plu-
sieurs grands estats s'estoient ruynés par ce moyen ;
pourtant , qu'il estoit plus convenable de chercher de
le ramener par doulceur ; elle sembla approuver ceste
voie ; plus que celle de la rigueur , vous pryant de vous
y employer; et, au surplus, me tint tels propos que le
roy, et parloit d'affection de vous. Nous lui parlasmes de
Beringhen; elle nous asseura de n'en avoir ouï parler.
Ce que M. de Villeroy nous jura le jour précèdent ; et
craignons qu'on ne lui ait faict ung mauvais tour.
S'excusa sur sa goutte à la main droicte de ne vous
escrire de sa main, et commanda ses lettres au sieur de
l'Aubespine. De la royne vostre femme ne nous en ont
parlé, ni le roy, ni elle, depuis le premier jour.
Les effects qu'avons observés depuis , sont ceulx ci.
On a accordé à M. de Bouillon des creues pour ses
places : on a logé grande quantité d'artillerie sur la
terrace de la Bastille, toute tournée vers la ville; on a
envoyé lever deux mille reystres. Le roy n'a poinct vou!-
554 LETTRE DE M. DUPLESSIS
leu loger au Louvre , afin que MM. de Guise n'y faus-
sent logés. Allant à la cérémonie des penitens , aulx
Bons Hommes , ses gardes l'ont suivi. M. de la Guichê
a eu charge de faire ung grand attelage , et a dict à ung
de ses amis, qu'il vouldroit estre endormi pour six
ans. En tous les conseils de ces affaires, n'ont esté ap-
pelles ni les princes, ni la plus part des mareschaulx ;
et se sont teneus cliés M. de Villequier , et sur ce que
j'ai dict à M. de Villeroy, que plusieurs s'en offensoient ,
Que vonllés vous? me dict il , le méritent ils pas bien?
à qui s'en doibvent ils prendre qu'à eulx mesmes ?
Cependant, je suis en peine de ce que toutes ces
forces s'acheminent en lieux , d'où ils peuvent fondre
sur nos églises, en cas que ceulx pour qui elles sont
préparées se raccommodent. Et, pour obvier, ai varié
de proposer deux moyens, mais n'ai osé, sans sçavoir
de vos nouvelles. Que, si leurs majestés le trouvoient
bon, vous vous achemineriés en Languedoc, soubs
prétexte de tenir le fils de M. de Chastillon , comme en
estiés pryé, pour leur regaigner M. de Montmorency
et soubstraire aulx perturbateurs les moyens de mal
faire : ou , qu'en tout cas , vous sériés très aise d'y
faire la guerre à l'Espaignol et tout aultre estranger,
s'il s'y presentoit, et que nul n'y debvoit estre pré-
féré à vous, qui aviés devancé tous les aultrcs en ce
service.
Je crains seulement, qu'ils ne veuillent vous estre
tant obliges ou que vous vous obligiés tant M. de
Montmorency. De faict, nous sommes advertis que leurs
majestés ont depesché ung courrier vers lui, et que la
royne lui offre de conférer avec lui en quelque lieu
qu'il vouldra choisir, et faict estât de passer en Guyenne
pour prendre advis de vous. Et le rov prendra le che-
AU ROY DE NAVARRE. 555
min de Lion , pour lui monstrer la verge d'ung costé ,
et bon visage de l'aultre. Sa majesté aussi s'offre d'aller
en Guyenne avec la royne , et faict monstre d'y avoir
grand crédit envers mondict sieur de Montmorency.
Mardi au soir, 6 mars, arrivèrent nouvelles, que
les Espaignols estoient assés proches du marquisat de
Salusses; que le duc de Montalto est arrivé en Testât
de Milan; que le duc d'Urbin commandera à la caval-
lerie , et le jeune prince de Florence à l'infanterie;
qu'il est sorti quatorze canons de Milan, etc. Que la
charge de la mer a esté oslee au marquis de Saincte
Croix, pour la bailler à Jean André Doria , qui ne cog-
noist que nostre Méditerranée. Tout cela leur faict
croire que c'est à eulx qu'on en veult; car tels person-
nages n'iroient pas pour obéir au prince de Parme, et
l'artillerie ne passeroit pas en Flandres : et par mer,
le roy d'Espaigne n'a affaire que contre la France; le
Turc estant occupé contre la Perse ; et ledict seigneur roy
d'Espaigne ayant faict ligue fraischement avec le roy de
Fez. J'adjouste les lettres que le neveu d'Espiard a ap-
portées, qu'il avoit receues du duc de Savoye, pour son
oncle , qui parlent assés clairement.
Jeudi matin, 8 de ce mois, je receus les lettres de
vostre majesté du o.-j febvrier , par la poste. Je feis
plainte incontinent, au disner de la royne, des façons
du mareschal de Matignon, en la levée des garnisons
d'Agen et Condon. Elle feit mine de le trouver estrange;
et je lui feis fort sentir combien cela importoit à
l'honneur de la maison de France et vostre. Elle me
promit d'en parler au roy et lui en faire escrire, adjous-
tant que ce n'estoit aulcunement leur intention. Je lui
feis pareillement ouverture d'ung moyen , par lequel
le roy pourroit recognoistre vostre bonne volonté ,
556 LETTRE IJE M. DUPLESSIS
montant à cent mille escus ; sans nouveau edict , la sup-
pliant d'y mettre la main , de sorte que , soubs un
prince si libéral, vous ne feussiés pas seul qui ne se
sentist poinct de sa libéralité ; et me promit de s'y em-
ployer à bon escient. Mais je ne fais estât de rien, si je
ne le tiens.
J'envoye à vostre majesté Testât des compagnies,
qu'on envoyé en garnison et leurs departemens. Elles
attendront nouveau commandement pour marcber plus
loing. Jeudi au soir, le capitaine de Beauregard récent
sa depesche des mains de M. de Villeroy. Le roy et la
1 oyne vous escrivent fort favorablement ; à M. de Clias-
tillon aussi. On a donné audict Beauregard 4oo escus
au soleil; une lettre de noblesse qu'il a demandée,
qui lui eust cousté 1 3oo escus, de prix faict; et plusieurs
bonnes paroles. Il s'en rêva , resoleu de servir à vostre
majesté avant tout aultre , cas advenant que soyés em-
ployés contre l'Espaignol , et mesmes en tout cas.
Un nommé Vergerius, serviteur du duc de Virtem-
Lerg, neveu de feu Vergerius, qui quitta pour la relli-
gion l'evesclié de Justinopolis en Istrie (Capo d'Istria ),
nous est veneu faire ouverture à M. de Chassincourt et
à moi du mariaige de madame vostre sœur avec ledict
seigneur duc. C'est à la vérité ung prince riche, de
grande maison , fort allié en Allemaigne, parle fran-
çois , etc. Les mœurs de la nation sont ung peu dissem-
blables et le pays rude. Il a emporté le pourtrait de ma-
dicte dame. Nous lui avons respondu en sorte que
nous ne l'en avons mis hors d'espoir.
Nous appercevons de plus en plus que le faict de
M. de Montmorency se pourra composer , pourveu
qu'il se desparte de ceulx avec lesquels il pourroit
avoir joint sa fortune ; j'entends le roy d'Espaigne et
AU ROY DE NAVARRE. 557
M. de Savoye. Car M. d'Espernon ne veult pas se per-
dre, pour assouvir l'ambition de M. le mareschal de
Joyeuse; et M. de Joyeuse mesmes craint Tissue d'une
guerre entreprise à l'appétit de son père, de laquelle le
mauvais succès lui pourroit tomber sur les espaules.
M. de Chassincourt escrit à vostre majesté quelque par-
ticularité , qu'il n'est besoing de repeter à ce propos.
Au reste, nostre negotiation a esté si secrète que,
mesmes aujourd'hui, ceulx qui sçavent plus de la court,
n'en sçavent rien. Et par delà je sçai que la prudence
de vostre majesté l'aura teneu de mesmes. Je supplie le
Créateur , etc.
Le roy m'a encôres faict dire qu'il veult parler à moi ,
et que j'attende quelques jours. Je crois qu'il attend ce
que fera l'Espaignol et le Savoisien , se contentant de se
garder, premier que se resouldre.
De Paris.
XCTII. — LETTRE DE DISCOURS
Sur les divers jugemens des occurrences du temps y
faicte par M. Duplessis.
Du i8 mars i58/|.
Monsieur , je vous escrivis n'agueres les grands ap-
prests de guerre qui s'ordonnoient en ceste court; et
maintenant vous en désirés entendre la cause. Je ferois,
peult estre, mieulx de vous dire que ce n'est chose ni
de ma capacité, ni de ma condition; et par ainsi me
serois délivré d'une fascheuse peine. Toutesfois, puis
qu'ainsi le voullés, je suis content de vous rapporter
ici les divers discours que j'en oi de plusieurs; sauf à
558 LETTRE DE DISCOURS
vostre bon jugement de discerner la cause du prétexte ,
et le vrai du vraisemblable.
La commune opinion est, je dis celle qui se pour-
mene par les marchés et par les rues , que ces prépa-
ratifs se font à la ruyne de ceulx de la relligion pre-
tendeue reformée ; et les deux parlis se rencontrent
aisément en ceste voix : les ungs , parce qu'ils désirent ;
les aultres, parce qu'ils craignent; selon que ces deux
passions, bien que contraires, sçavent bien souvent à
personnes contraires persuader une mesme chose. Car,
dict on , c'est , depuis vingt ans , Tunique subject de nos
armes ; et puis, en ceste année, tombe le terme de re-
mettre les places; et, ce qui presse plus, les forces et
les munitions s'acheminent vers Lion : qui ne peult
estre que pour fondre tout d'ung coup sur le Dauphinéet
Languedoc , ou ceulx de ceste relligion ont le princi-
pal siège. Que, si on allègue les promesses du roy, frais-
chement réitérées , à ce contraires , les soupçons qu'on
a des grandes levées de l'Espaignol ; les menées tout
avérées du duc de Savoye , et la règle générale en tout
estât bien gouverné, de s'armer quand le voisin s'arme;
soudain oies vous répliquer qu'ainsi a on traicté ceulx
de ladicte relligion par le passé. Que, pour la guerre
de l'an 67 , les forces se dressèrent soubs le prétexte du
passage du duc d'Albe et de l'armée dEspaigne en
Flandres; qu'ores mesmes qu'à bon escient on les meist
sus à ceste occasion , on sçaura bien se rappointer à
leurs despens. Bref, si quelques ungs d'adventure,
moins subjecls à mal penser, veullent donner conten-
tement sur ces doubles, entre la pluspart des catholi-
ques, on les estime idiots et gens de la basse court,
que l'espreuve de tant d'années n'ait peu encores in-
SUR LES OCCURRENCES DU TEMPS. obg
troduire en l'intention de nos princes ; entre les hugue-
I nots, aveugles incurables, et coupables d'une seconde
Sainct Barthélémy, auxquels ung si miraculeux apostre
n'ait peu esclaircir la veue.
Si je vous en doibs dire mon advis, à peine d'estre
' mis au nombre des idiots, je pense que ceste opinion
est de celles desquelles il est dict qu'il y a beaucoup
de choses fausses plus vraisemblables que les vraies. La
guerre despend principalement du mouvement d ung
roy. Nous en avons ung , ce me semble , qui aime, en
son repos, le repos de son peuple. Elle a pour subject
I ordinaire les corps et les biens; pour instrumens, les
' armes et la force; ici au contraire, il s'agit des âmes et
consciences , sur lesquelles ces instrumens ne trouvent
poinct de prise; contre lesquelles ung prince sage et
expérimenté, comme le nostre , ne jugera la force rai-
sonnable; et puis, toute guerre s entreprend avec ap-
parence d'en venir à bout, comme ainsi soit , toutesfois ,
que vingt ans de folies nous ayent deu apprendre
ceste sagesse; que ceste cy ne peult finir que par la
finale ruyne de nostre estât ; veu, certes , que nous les
avons veu tant de fois abattus et relevés ; morts et re-
suscités; veu aussi que tant de fois mourir, les a ap-
pris à s'y resouldre ; tant de fois se relever, à ne craindre
plus de se voir par terre; nostre roy donc, qui sçait
joindre, et la raison à son naturel pacifique, et à la
raison une expérience si manifeste , ne peult aulcune-
I ment avoir envie de ceste guerre. J'adjousterai , sur la
circonstance du temps qu'on allègue , que les places qui
leur ont esté bailieesen garde, ne leur ont encores esté re-
demandées, au refus desquelles on les deust faire venir
à raison par force. Joint que sa majesté sçait assés
qu'elles sont es mains de gens qui n'ont pas intelli-
i
ô6o LETTRE DE DISCOURS
gence avec les ennemis de ceste couronne; qui faict ,
quand mesmes elles ne lui seroient remises à poinct
nommé, qu'elle ne s'en liastera pas d'y employer la
force.
Ceulx qui pensent voir plus clair, et de plus près
aulx affaires, ayant peult estre considéré les occasions
que dessus, et voyant neantmoins que les préparatifs
s'approchent de Lion , jugent que ceste nuée doibt
tomber sur M. de Montmorency. Et voici leurs raisons:
Que le roy a eu désir de loger M. de Joyeuse en Lan-
guedoc , en accommodant ledict seigneur de Montmo-
rency ailleurs; en quoi il ne lui a voulleu complaire.
Que, depuis, s'est tousjours nourrie une inimitié entre
M. de Montmorency et M. le mareschal de Joyeuse ; ti-
rant ung chacung l'auctorité à soi en la province;
l'ung, en vertu de son estât; l'aultre, à l'adveu de la
faveur que M. le duc de Joyeuse son fils a auprès du
roy. Que , contre ceste pretendeue inégalité de traicte-
ment, M. de Montmorency se seroit appuyé de l'amitié
du duc de Savoye , et mesmes d'une intelligence avec
le roy d'Espaigne. Et finalement , que l'Espaignol et le
Savoisien auroient là dessus fondé leur desseing de
troubler la France; dont auroient desjà paru plusieurs
entreprises , tant en Languedoc qu'en Provence.
Comme je recognois de la vérité en quelque partie
de ce discours, aussi pense je avoir remarqué trop de
prudence es actions de ceulx desquels est ici question,
pour en conclurre de mesmes. Nostre roy a désiré esta-
blir M. de Joyeuse en Languedoc; mais, par prière, et
non par commandement; par amitié , et non par force.
Tant de gouverneurs de places que le roy a requis de
mesme chose, pour mettre en leur place ceulx qu'il
lui a pieu , ont esté receus à faire leurs remonstrances
SUR LES OCCURRENCES nu TEMPS. 56 1
au contraire. Qui vouldroit croire de ia bonté de nostre
roy, que cestui ci en feust seul maltraicté, seul pour-
suivi à ia rigueur; né d'une maison de tant de mérite;
premier officier de ceste couronne, gouverneur d'une
si notable province,- capable de si grands services ? et
qui derechef croira que ceste simple appréhension ait
conduit M. de Montmorenc}' si avant que de traicter
avec ung estranger , ancien ennemi de cest estât, lui
qui possède deux cens mille livres de rente en ce
royaume, et y avoit ung million de parens et d'amis
pour les appuyer? Qui a mère , frères, femme, enfans
et tout ce qui peult avoir force de l'y obliger; au reste
(|ui a de l'aage assés pour désirer repos; assés aussi
pour cognoistre qu'entrant une fois en ce chemin , il
n'en peult jamais resortir? Un grand, malcontent de son
prince, peult ouvrir la porte de son estât h son en-
nemi ; c'est chose qui s'est faicte aultresfois, mesmes de
nostre temps : et ung sage prince doibt regarder plus
d'une fois à ne désespérer telles personnes. Mais ce
grand , quand il a faict du pis qu'il a peu, qu'a il faict
que se perdre, en despit d'aultrui? Et quels efforts
quelles peines , quels murmures aura il eu a soubstenir ?
Le prince enfin , qui n'aura lasché quelque chose à la
juste remonstrance de son subject, reçoit par son deses-
poir des plaies mortelles de son ennemi; et le subject
qui n'aura voulleu endurer des humeurs et volontés
de son prince, de serviteur de prince, devient esclave
de tous ses partisans et des moindres soldats : l'ung et
l'aultre enveloppé de mille maux , qu'une doulce parole
pouvoit prévenir, que mille traictés ne peuvent après
composer. Adjoustons ûng aultre inconvénient; c'est
que si le roi veult faire la guerre à M. de Montmorency
avec ceste armée , il fauldra qu'elle passe devant les
MÉM. DF. DuPIESSrS-MoRNAY. ToMK II. 36
562 LETTRE DE DISCOURS
portes deceulx de la relligion pretendeue reformée, en
Dauphiné et Languedoc, où les défiances ne sont en-
cores esteintes , où mesmes elles sont journellemenl en-
treteneues , tant par les attentats mutuels, que parle
bout des six ans, qui redemande les places. De là donc
pourra advenir , en ces peuples chatouilleux, une re-
prise d'armes , qui courra d'une province à aultre ,
tant qu'elle ait embrasé tout cest estât. Le mal seroit
prou grand , en la condition de nostre France, quand ,
ou M. de Montmorency , ou ceulx de ladicte relligion à
part, viendroient à remuer. Que sera ce donc quand ils
joindront leurs forces et conseils? quand l'ung parlera
de la relligion, et Taultre de Testât ; l'ung accueillira les
huguenots, et l'aultre les malcontens à soi; et quel re-
mède après, si ung estranger mesle sa force et leur
folie ensemble ?
Aulcungs donc passent plus oultre , que sa majesté
auroit découvert quelque conspiration de ceulx de la
maison de Guise contre sa personne et son estât , soubs-
tenue, au dedans, de partie de la noblesse, et, au dehors,
appuyée des forces et alliances d'Italie et d'Espaigne ;
contre laqifelie il se seroit resoleu de border sa fron-
tière, et asseurer Testât de son royaume. Allèguent,
pour vérifier ce discours, que long temps a, la maison
de Guise prétend la couronne de France lui apparte-
nir- et de jour en jour plus hardiment, selon que les
obstacles qui leur sont au devant, viennent à diminuer,
ou par la mort de nos princes , ou par Taffoiblissement
de cest estât. Que, des le temps du roy François I",
Henry II et François II, ceulx de ceste maison, pré-
décesseurs de ceulx ci, feirent consulter leurs préten-
tions en divers parlemens; que, soubs le roy Charles IX ^
le cardinal de Lorraine en feit dresser des mémoires „
SUR LES OCCURRENCES DU TEMPS. 563
qu'il proposa à ses confîdens à Rome, comme s'il eust
jà esté à la veille de se servir de rauctorité du pape
Zacharie , contre Chilperic , pour lever la couronne à
nos rois, et la mettre sur sa maison. Que, depuis trois
ans en ça , ceulx ci ont faict publier ung livre , compose
par l'archidiacre de Thoul, par lequel ils prétendent
prouver qu'ils sont roys de France, avant la race de
Merouee, de Charles le Grand et de Gapet; lequel
auroit esté monstre h sa majesté, qui auroit pris peine
d'en lire les plus notables passages, dont seroit en-
suivi que l'archidiacre, pris, et son procès faict, auroit
recogneu sa faulte digne du dernier supplice, et d'i-
celle neantmoins obteneu pardon de sa majesté. Que,
pour fortifier ce droict , ils auroient entreteneu les
guerres civiles en ce royaume , soubs ombre de relli-
gion , tant qu'ils auroient peu; tant pour exterminer
partie de la maison de Bourbon , qui leur faisoit empes-
chement, que pour establir leur créance entre les ca-
pitaines et gens de guerre , en commandant aulx ar-
mées. Que ceste ruse auroit esté apperceue par la
prudence du roy à présent régnant , et de la royne sa
mère, bien que trop tard; lesquels, pour leur en re-
trancher le fruict, se seroient très sagement resoleus
de perpétuer la paix à leurs subjects , remettant à
Dieu les différends de relligion, qui seul les peult com-
poser. Mais qu'aussi tost ils auroient brassé des ligues
par les provinces, soubs ombre du bien public, pour
eslever le peuple , nommeement en Picardie, Norman-
die, Bretagne, Bourgongne, Dauphiné , Provence, etc.
Aulxquelles mesmes auroient tasché attirer ceulx de
la relligion pretendeue reformée , avec promesse de
leur laisser , voire accroistre leurs libertés et exercices.
Item , auroient envové negotier avec le duc Casimir
564 LETTRE DE DISCOURS
pour le joindre à eulx , soubs prétexte de ce qui lui
est deu en France; en lui offrant des frontières de ce
royaume (qui lors estoient plus à leur dévotion que
maintenant ) pour gages de leur fidélité. Bref, auroient
à ces fins faict provision de grandes sommes de deniers,
traicté par divers entremetteurs en Espaigne , Italie et
Savoye, assemblé plusieurs fois les plus notables d'entre
leurs partisans , pour resouldre de la conduite de leur
entreprise, comme encores, depuis n'agueres, au
Temple, à Paris. Toutes lesquelles choses seroient
comme publicques, et ne pouvoient estre secrettes ni
cachées à la vigilance de leurs majestés. Adjoustent,
que ces messieurs voyant le roy sans enfans , et mon-
seigneur non encores marié , pour forclorre le roy de
Navarre de la succession , et régner à l'ombre d'ung
chapeau, auroient, depuis deux: ans en ça, commencé à
rechercher monseigneur le cardinal de Bourbon , avec
toutes espèces d'hypocrisie , lui faisant entendre qu'il
debvoit précéder ledict seigneur roy de Navarre son
neveu (comme si les successions des couronnes se re-
gloient par l'ancienne coustume du Chastelet de Paris),
mesmes auroient faict composer en sa faveur ung certain
livre en latin, auquel sa prétention seroit vivement
débattue , lequel auroit esté envoyé à Rome , et com-
muniqué à plusieurs jurisconsultes d'Italie, et mainte-
nant couroit en diverses mains de ce royaume. Ce que
voyant sa majesté se reschauffer de plus en plus , et
considérant que, qui n'est plus qu'à deux degrés d'une
longue attente et d'une grande prétention , s'en voyant
si près , de bien loing qu'il estoit, est souvent emporté
de l'object, et forcé de la violence du désir , pour fran-
chir d'ung sault ce qui lui reste, au lieu de suivre tout
doulcement les degrés, auroit pensé de mettre quelque
SUR LES OCCURRENCES DU TEMPS. 565
bride à leur cupidité, en pourvoyant de bonne heure
à ses affaires; c'est à dire en leur rendant leurs des-
seings plus difficiles, et leurs espérances moins cer-
taines.
A ce discours , si j'avois à adjouster le mien , je vous
dirois, qu'à la vérité je me suis long temps apper-
ceu que ces messieurs tendent voirement à ce but.
Que, depuis que la paix s'est affermie, pour le faict de
la relligion, ils ont cherché tous moyens d'estre armés
soubs aultre prétexte, et à ces fins ont faict sonder
tantost monseigneur, tantost le roy de Navarre, pour
s'auctoriser de leur nom. Qu'ayans apperceu qu'ils res-
sentoient plus ung interest public à venir, qu'ung mé-
contentement particulier , bien que présent, ils s'en se-
roient retirés tout doulcement, et auroient eu leur
principal recours à lEspaignol , pour la force, et au
bon homme monseigneur le cardinal de Bourbon, pour
le nom ; qui ne sent poinct que ces gens se veullent
servir de lui , comme d'ung eschaffault pour bastir
leur grandeur, et puis lejetterau feu. Que, depuis la
grande maladie de son altesse, ils ont rafraischi toutes
leurs pratiques, negotié de nouveau leurs alliés et par-
tisans, et particulièrement recommencé à flatter mon-
seigneur le cardinal si ouvertement que chacung s'en
seroit apperceu. Ces jours passés de faict ( et j'estime
que sa majesté l'aura bien sceu),M. de Guise estant
allé voir une après disnee madame de Nemours sa mère,
qui se trouvoit ung peu mal, assis sur le bord de son
lict, eut de grands discours avec elle, l'espace de trois
ou quattre heures. Ils revenoient là que le roy s'en
alloit tout perdeu en ses dévotions; je n'ose dire le
reste; que son altesse ne pouvoit vivre trois mois au
plus : ainsi en parlèrent ils comme d'ung feu terminé-
566 LETTRE DE DISCOURS
qu'il estoit temps de penser à leurs affaires, sans plus
y perdre le temps ; que le bon homme M. le cardinal
de Bourbon feroit ce qu'on vouldroit ; et ( disoit M. de
Guise à madame sa mère ) je m'en vais lui refaire
les doulx yeulx. Que la royne, selon sa coustume,
seroit tousjours du parti des plus forts; du roy de Na-
varre, qu'il estoit trop loing, qu'il ne viendroit jamais
à temps, et qu'ils auroient moyen de s'auctoriser soubs
le nom du cardinal de Bourbon , premier que Taage
l'emportast. Surtout, qu'il leur falloit adviser,à quel-
que prix que ce feust , de n'abandonner poinct Paris.
Et la dessus ladicte dame admonesta fort M. de Guise
de ployer à tout , pendant que leurs affaires se feroient ,
et ne se formaliser de rien , nommeement de s'abstenir
( c'estoient ses mois) de faire des boutades contre les
mignons, qui ne pouvoient que beaucoup nuire en
leurs affaires. Quand ces choses se scavent, combien en
ignore on d'aultres ? Et qui trouvera estrange que nostre
roy pense à soi, quand tant de gens pensent à le trou-
bler ? mais plus j'entre en la profondeur de ce qui peult
réussir de ces desseings , et moins, certes, je les appré-
hende , quand je me mets au devant, ou les actions
de ceste maison, ou la nature du François, quelque
corrompu qu'il soit.
Laissons leurs prétentions. Car aussi ne sont ce que
i^enealogies mal cousues , descentes par filles, en plu-
sieurs mstances , contre nostre loi Salique , actions
prescrites par le temps , et abolies long temps jà , par
l'auclorité de nos estais : à ces choses , qui d'elles
mesnies ne sont rien , et qu'ils auroient honte de pro-
noncer , quelle force , ou quel prétexte nous apporte-
ront ils? Je présuppose , car la patience leur commence
à cschRpper, qu'ils soient si précipités, que de prendre
SUR LES OCCURRENCES DU TEMPS. 567
le tiltre de remuer qui feut pris souhs le roy Charles VI
(et ainsi en osent ils parler) : quel sang, comme lors,
nous allèguent ils pour s'auctoriser? ils parlent du bien
public de ce royaume , de la liberté du peuple , des
dignités de la noblesse , des privilèges du clergé ; et je
confesse volontiers que Testât de ce royaume est tel ,
qu'il a bien besoing, veu les misères passées, de re-
dressement en tous ses estais, de soulagement en tous
ses membres. Mais qui prendra jamais la main de ces
gens pour celle du médecin? la voix du mercenaire
pour celle du pasteur? Tant de fois le peuple a sou-
spiré; tant de fois il s'est plaint, et à leur oreille et tout
hault , lors qu'ils avoient l'auctorité au conseil , lors
qu'ils l'avoient aulx armes. Qui jamais ouït sortir une
parole de leur bouche, pour le repos du peuple; qui
jamais, pour le soulagement de ses maulx? depuis,
nonobstant leurs pratiques, par la prudence de nostre
roy, la paix est affermie, les armes dorment; ils ne
peuvent plus à leur gré se bastir de nos ruynes , s'ac-
commoder de nos misères. Et soubs couleur que nos
roys dispenseront, peult estre, leurs libéralités ailleurs
qu'à eulx , ils vouldront sonner le tocsin , planter la
bannière du bien public , nicttre ciel et terre pesle
mesle. Qui ne verra que leur particulier engloutit
le public? qu'ils ne sont pas marrys que le peuple
souffre, mais qu'il souffre par aultre que par eulx ; que
nos princes donnent , mais qu'ils donnent à aultres qu'à
eulx. Que si leur particulier vient à estre satisfaict , qui
double qu'ils ne quittent la partie? voire jusquesà li-
vrer les partisans mesmes? et quand mesme ils se resoul-
dront de voir la fin du jeu , que sera ce qu'une entre -
suite de calamités et misères estranges , telles que nous
déplorons en nos voisins ? pour d'ung maistre en
508 . LETTRE DE DISCOURS
somme, naturel, légitime, supportable , retomber en
plusieurs, estrangers , usurpateurs, insolens , intollera-
bles à leur propre maison ?
Je vis , n'a pas long temps , ces messieurs en leurs
plus gr^inds despits. Ils promettoient à quelques uns
de la noblesse de faire merveilles, et decouppoient les
favoris de nostre roy à leur plaisir; de ce pas, vien-
nent à la court avec tous leurs amis, se trouvent à
Paris treize princes de Lorraine ensemble , en la ville
où ils pensent avoir plus de seureté et de créance, et
lorsqu'il y avoit quelques cdicts sur le bureau , qui
sembloient odieux au peuple. Je ne dis pas que ce feut
à eulx de s'y opposer, car je sçais la révérence que nous
debvonsànos princes. Mais que servoit il donc de tant
se vanter pour ce faire? Et, pour le moins, qui les
eust empeschés (veu la privante que donnent nos roys
aulx grands de leurs royaumes, et à ceulx de leur con-
seil ) d'en dire modestement leur advis? Ce que font
tous les jours les courts de parlement et des aides; ce
que nos roys ont tousjours trouvé bon, et qui n'est
jamais tourné à aulcung, ni à dommage ni à danger.
Au contraire , ils ne sont pas si tost là , qu'ils plongent
comme canes sous ceulx qu'ils menaçoient trois jours
auparavant; les recherchent au dessoubs des loix de
courtoisie et d'honneur, endurent mesmes des indi-
gnités et des bravades; au reste, se font très bien
assigner leurs recompenses sur ces nouveaux edicts ;
je dis sur les plus odieux de tous ; tant s'en fault qu'ils
eussent eu le cœur ou la volonté d'y contredire : je
sçais que, quelque temps après, leurs partisans s'en
plaignirent, avec propos fort rigoureux, en une assem-
blée qu'ils feirent à Paris, et ils tascherent fort h s'en
excuser : mais si ne peurent ils si bien faire, que la
SUR LES OCCURRENCES DU TEMPS. 56()
compagnie ne se separast avec une persuasion toute
formée, que ces gens voulloient manier leurs plaies,
non pour les guérir, mais pour s'en nourrir. Que, s'il
estoit question d'aller au remède, n'y auroit plus fidelles
chirurgiens que ceulx qui avoient interest en la gueri-
son et vie du patient. Et au reste , qu'il valloit trop
mieulx laisser la plaie ainsi, que d'y admettre leurs
ferremens,qui ne feroient, sans doubte, qu'y mettre le
feu et la gangrené , au lieu de les cicatriser.
Leurs raisons estoient que ces gens ci , comme chi-
caneurs, leur conseilloient procès, soit à droict, soit
à tort, pour en tirer profict; que, quand ils avoient de
près recherché quels ils estoient es lieux de leur auc-
torité, eulx qui pretendoient reformer les autres , ils
trouvoient que M. de Guise, le premier de tous, estait
concussionnaire sur ceulx de son gouvernement, dissi-
pateur des biens de l'Eglise, là où il en tient, et op-
presseur de ses vassaulx et subjects. Alleguoient en tes-
nioignage la haine qu'il a acquise par tels deportemens
en son gouvernement de Champagne, les extorsions
dont il use, mesmes envers la noblesse, en sa comté
d'Eu et ailleurs. Les extraordinaires imposts dont il ac-
cable ses povres habitans de Chasteau Renauld, et Lin-
champ en Ardennes , qu'il tient en souveraineté. Quand,
disoient ils , les ongles seront creus à ce jeune lion, qui
durera auprès de lui? Et si l'espoir de si grandes choses
ne peult contenir son oppression, s'il vient une fois à
y atteindre , comment, je vous prye, s'en abstiendra
il? Bref s'en départirent en une opinion que je vois
maintenant en la pluspart; que c'est ung homme cor-
rompu , hypocrite, dissimulé, sans foi, qui ne leur faicL
caresse qu'à mesure qu'il en a besoing , n'en pense avoir
besoing qu'aultant qu'il ne peult régner en court.
Syo LETTRE DE DISCOURS
Or, c'est aussi pourquoi ils ont tousjours doubté qu'il
ne leur suffiroit de troubler la France par la France,
pour la résistance qu'ils y trouveroient , mais qu'ung
appui estranger leur estoit nécessaire pour venir à bout
de leurs desseings. Et de faict, long temps a qu'ils traic-
tent, eulx et les leurs, avec le roy dEspaigne; et cha-
cung sçait que la maison d'Espaigne, soit en paix, soit
en guerre, n'a eu barre sur nous que par le moyen de
leurs conseils. S'est il présenté une occasion de s'ad-
vanlager justement et utilement sur le roi d'Espaigne?
ils ont mieulx aimé nous jetler aulx guerres civiles, et
le faire spectateur de nos ruynes. Lui est il aussi suc-
cédé quelque cliose à la perte et dereputation de cest
eslat , ou mesmes du noni de France? ils en ont faict
les feux de joie en leurs coeurs, comme d'une bataille
gaignee pour leurs affaires. Et, à la vérité, ils ont si bien
imbu leurs partisans de ceste humeur, que vous lirez
en leurs visages, s'il y a bonnes ou mauvaises nouvelles
pour le roy d'Espaigne ; et ne sentez en tous leurs do-
mestiques , en toute leur suite, rien moins que Fran-
çois, rien que pur Espaignol, beaucoup plus qu'en quel-
conque contrée d Espaigne.
Mais posons maintenant qu'ils viennent pour eulx,
qu'ils soient jà à nos portes; que feront ils que rallier
nos cœurs et nos forces ensemble? Et cela estant, que
sera leur effort, sinon celui de ce Milon de Crotone
qui, voulant esclater ung chesne, demeura pris en la
fente? Combien y en aura il de ceulx qu'ils pensent tout
dédiés à eulx (et cela ont ils trouvé en la recherche qu'ils
ont faicte ces jours passés), qui, pour leur service par-
ticulier, monteront à cheval, s'ils y meslent tant soit
peu de Testât, retourneront chez eulx? Combien, les
oyans parler fraiiçois , auront pris la casaque, qui,
SUR LES OCCURRENCES DU TEMPS. ôyi
voyant la croix rouge sur la leur, se mettront en ba-
taille contre eulx? Et puis ceulx mesmes qui prendront
parti avec eulx, pour combien? Tel est mal content
du refus d'ung prieuré , qui se regaignera par l'octroi
d'une abbaye, etsa débauche en eslevera plusieurs; tel
aussi, selon l'humeur de la patrie, aura mis les aultres
à cheval, qui sera le premier à en descendre, le pre-
mier à décourager la trouppe. Gens accoustumés à
suivre les armées royales , esquelles rien ne manque,
se trouveront en campagne, contre leur prince, sans
ville, sans retraites, sans passages , sans équipage, sans
artillerie, sans provoyeurs, sans deniers publics, sans
deniers particuliers, confisqués en leurs biens, ruvnés
en leurs maisons, molestés en leurs familles, loing de
femmes et d'enfans , diffamés en leurs honneurs , escha-
faudés sur les marches, chargés de la malédiction du
prince et du peuple, desquels ils souloient avoir et
l'auctorité et les vœux. Aujourd'hui les ungs mutinés,
demain les aultres; les chefs, en jalousie entre eulx;
nul content de son compagnon, nul de sa charge;- le
chef mal obci du capitaine, le capitaine du soldat;
l'ungetfaultre gourmandes d'une nation estrangere, qui
rira de leur folie, et fera pont et litière de leurs corps.
Ils n'auront essayé trois mois ceste vie, que les dra-
peaux se verront ployés , et les regimens reduicts à
compagnies. L'ung fera sa paix par le moyen d'ung pa-
rent qu'il aura en court; l'aultre, par quelque notable
desservice à son parti. Le soldat emportera sa picoree
chez lui, et lairra une ville à l'heure du siège; le canon
forcera une ville, et ung pardon , trois jours après, en
prendra plusieurs. L'Espaignol , alors, accusant leur lé-
gèreté et inconstance, ou se retirera de la partie par
une paix , en retenant quelque pièce pour sa part
572 LETTRE DE DISCOURS
(chose coustumiere entre les grands), ou mesmes s'ac-
cordera à leurs despens , les laissant en proie pour estre
chastiés selon leurs mérites.
Et ne fault que ces messieurs se fondent sur ceulx de
la relligion prétendue reformée, qui ont duré contre
tant de heurts, et survescu à tant de morts et de des-
faictes; la nature de leur entreprise sera bien toute
aultre. Ces gens combattoient pour leur relligion; et
chacung sçait la profonde impression qu'elle faict
aulx hommes; ceulx ci, pour légers mescontentemens,
plus prompts à quitter qu'ils ne sont à prendre. Et
en ceulx là se sentoient intéressés plusieurs princes
et peuples voisins, Allemands, Anglois , Escossois ,
Suisses, etc. , qui compatissoient à leurs rnaulx , et con-
tribuoient à leurs peines. Au contraire, n'y aura prince
ni republique qui fasse ceste querelle sienne. Car, qui
a interest à l'ambition de ceulx de Guise ? Non pas
monsieur de Lorraine mesmes, leur aisné, qui a tous-
jours condamné ces folies. Je dis plus, n'y aura prince
ni republique qui n'estime ceste conjuration faicte
contre soi mesmes, estant la nature de tout prince et
de tout estât, à cause de l'exemple, de se sentir offensé
en Toffense faicte à la majesté et souveraine puissance,
non en la personne d'ung voisin et estranger, mais
d'ung ennemi mesmes.
Adjoustons que tous les estats de la chrestienté, qui
ne s'entretiennent que par contre poids , ont la gran*
deur d'Espaigne pour suspecte , et n'attendent que de
voir la bannière de France relevée contre elle pour s'y
ranger de toutes parts; que les subjects du roy d'Es-
paigne en Flandres, Lombardie , Naples, Sicile, Por-
tugal, Espaigne mesmes, les ungs accables d'imposts,
les aultres ennuyés d'indignités, les aultres pressés des
SUR LES OCCURRENCES DU TEMPS. ôyS
rigueurs de l'inquisition , partie reprendront haleine par
ceste occasion, partie prendront courage de se resoul-
dre, et par ainsi le rappelleront bientost de la circon-
férence au centre. Que naturellement aussi , pourra
lors entrevenir la mort du roy d'Espaigne, prince desià
vieil , à l'aage de la mort de ses pères, qui a accreu ses
maladies héréditaires, de celles qu'une continuelle vo-
lupté et intempérance traisne ordinairement après elle.
Mort qui, selon le discours de tous les sages , dissipera
ses estais, ou confondra leurs conseils; tout au moins
les mettra en estât d'estre, ung long temps, trop occupés
chez eulx, pour tailler de la besogne aulx aultres. Ces
choses considérées, qui ne voit le parti de ceulx qui
auront troublé cest estât soubs ung faulx prétexte , et sur
ung si foible fondement, calamiteux et misérable? Et
qui, soubs ombre de quelques petits maulx que cest estât
endure, aura recours à ung si extrême remède, que faict
il, si non pour s'exempter d'une migraine, porter sa
teste au bourreau?
Ce sont les divers discours qu'on faict sur ces grands
préparatifs, desquels je vous ai ci devant escript ; et de
tous vous choisirez ce qui vous semblera plus raison^
nable. Quant à moi, comme je cognois nostre roy bon
et sage , j'estime qu'il faict en cest endroict ce qui con-
vient à une vraie bonté et sagesse ensemble; c'est de se
garder de tous, et ne se méfier de personne; il ne veult
pas que ceulx de la relligion prétendue reformée abu-
sent d'une somme d'argent qu'ils ont en depost en Alle-
maigne; aussi ne leur veult il pas faire la guerre : ni
que M. de Montmorency, par ung despit , se jette en
ung conseil dangereux ; aussi n'a il pas intention de le
désespérer : ni que ceulx de Guise , vaincus de la gran-
deur, ou attirés de la facilité de la proie, entrepren-
5y4 LETTRE DE DISCOURS, etc.
nent contre son estât; aussi ne veult il entrer en soup-
çon d'eulx, ni sur conjecture, ni sur apparence. Contre
eulx tous, il prend ung remède salutaire à tous; c'est
d'estre craint, obéi et révéré de tous. Salutaire, je le
dis ; car la paix est le salut de cest estât , en la vie du-
quel nous vivons tous ; la paix, qui ne se peult entre-
tenir sans le respect du prince, ni ce respect en la
division et confusion qui nous reste, sans une aucto-
rité armée de force et de justice.
Or, monsieur, d'ung vice je suis retombé en l'aultre;
car vous vous plaignez de ma brièveté , et je vous aurai
ennuyé de longueur; mais vous n'en debvez accuser que
vous mesmes. Pour donc faire fin, je vous baiserai bien
humblement les mains, et pryerai Dieu vous avoir en
sa saincte garde.
De Paris.
XCIV. — LETTRE DE MM. DUPLESSIS,
De Clervant et de Chassincourt ^ au roy de Navarre;
dressée et escrile par ledict sieur Daplessis.
. Du i4 avril i584-
Sire , j'ai escrft à vostre majesté , comme je fus re-
mis , après les festes de Pasques pour ma depesche ,
quelque instance que je peusse faire; et pendant icelles
empira la maladie de son altesse qui feut cause que la
royne s'achemina à Chasteau Thierry , et n'amenda pas
la sienne. Depuis, on m'a reteneu jusqu'à son retour
auprès du roy qui est à présent à Sainct Germain, près
duquel elle faict estât d'estre mardi prochain, l'y de
ce mois.
Cependant, Testât des choses , tel que nous le voyons,
Li^/ITRE DE M. DUPLESSIS, eic. oyS
nous a conseillé de depescher le porteur exprès vers
vostre majesté, pour le vous représenter en nos lettres,
plus librement et seurement que par aultre voye.
Selon le jugement de tous les médecins unanime-
ment, son altesse est phtysique formé; oultre l'incon-
vénient d'une veine ouverte près du foie; et la plus-
part craignent qu'il ne passera pas deux mois. Ainsi en
parle le roy , non seulement entre ses familiers, mais
mesmes en public. On prépare aussi la royne de loing
contre ce coup, laquelle on a ramenée à toute force
de Chasteau Thierry, pour ne voir poinct ce mauvais
jour. Et sa majesté mesmes parlant de vous, à nous , ne
feint poinct de dire que vous estes aujourd'hui la se-
conde personne de France, comme aussi nous retrou-
vons ceste mesme parole en la bouche de ses plus
proches et intimes serviteurs.
Nous avons escrit à vostre majesté par M. de Mouy
le propos qu'eut le roy, au retour de ses dévotions,
avec monseigneur le cardinal de Bourbon vostre oncle.
Il est très certain, et s'en va commun à toute la court,
et à toute ceste ville par sa bouche mesmes.
Ces jours passés aussi sa majesté, après son disner,
estant devant le feu , M. de Mayenne présent, et grand
nombre de gentilshommes, après ung long discours
de la maladie de son altesse, dict ces mots : Aujour-
d'hui je recognois le roy de Navarre pour mon seul
et unique héritier. C'est ung prince bien né et de bon
naturel. Mon naturel a tousjours esté de l'aimer, et je
sçais qu'il m'aime. Il est ung peu cholere et piquant;
mais le fonds en est bon , je m'asseure que mes hu-
meurs lui plairont, et que nous nous accommoderons
bien ensemble.
Ces propos, et aultres de mesme sorte, feurent re-
576 LETTRE DE M. DUPLESSIS
cueillis d'ung chacung , et courent maintenant par
tout : et semblables a tenus le roy à plusieurs , mesmes
au président de Nueilli, prevost des marchands de ceste
ville : Qu'il avoit ung grand contentement de vos ac-
tions; qu'il y en avoit qui taschoient de vous mettre
le pied devant, mais qu'il les en empescheroit bien;
qu'il trouvoit, au reste, fort estrange qu'on disputast
qui debvoit estre son successeur, comme si c'estoit
chose en débat ou en doubte.
Nous ne pouvons certes dire aultre chose , sinon ,
que Dieu vous inspira la resolution, que vostre majesté
prit à Pau sur l'arrivée de M. de Chastillon, pour en
faire depesche au roy, lui ayant par ce moyen disposé
le cœur envers vous, au mesme temps qu il voulloit
affliger son altesse d'une maladie si extrême.
Aujourd'hui donc , vostre majesté se doibt repré-
senter qu'elle est le propos ordinaire de toute la France,
et mesmes d'une bonne partie de la chrestienté. Que les
yeux d'ung chacung sont arrestés sur vous, et vous
voient d'aultant plus clairement, qu'ils vous tiennent
desjà rehaussé de degré et de lieu. C'est pourquoi vous
avés à composer vostre vie et vos actions , en sorte
que , s'il est possible , il ne s'y trouve rien à reprendre;
ains que chacung y puisse remarquer ce qui peult
plus contenter son affection.
J'entends, sire, que le roy y recognoisse une révé-
rence envers lui; les princes, une fraternité; les par-
lemens, une amour de justice; la noblesse, une ma-
gnanimité; le peuple, ung soing de son soulagement;
les ecclésiastiques, une modération d'esprit; vos en-
nemis, une clémence et facilité; tous en gênerai, ung
naturel débonnaire, esloigné de perfidie, dissimulation,
animosité, vengeance : vertus, qui, à la vérité, ne vous
AU ROY DE NAVARRE. ;')77
sont poinct acquises , mais naturelles ; mais surtout ,
sire, que vous embrassiés à bon escient la crainte de
Dieu , qui vous semble appeller à si grandes choses ;
par qui seul les roys régnent, et les peuples appren-
nent obéissance ; qui sçait applanir les chemins à ceulx
qui le craignent, quelque montueux qu'ils semblent, et
au contraire les rend inaccessibles à ceulx qui naiment
son nom, lors qu'ils les pensent avoir mieulx applanis.
Doresnavant , sire , faictes estât , que vous serés
l'abord des nations estrangeres, et surtout des peuples
ou princes affligés. Il fault donc qu'en voslre maison
on voie quelque splendeur; en vostre conseil, une
dignité; en vostre personne, une gravité; en vos actions
sérieuses , une constance , es moindres mesmes une
égalité. Par ces choses extérieures on juge bien souvent
de l'intérieur; et de la disposition de l'esprit, par la
composition du corps. Et de telles actions s'engendre
la réputation entre les hommes, plustost que des plus
solides, parce que celles là sont exposées à la veue
d'ung chacung ; et qu'en celles ci , au contraire, ils ne
voient goutte.
Nous disons ceci, sire, parce que vostre majesté s'est
contentée jusqu'ici, ou du tesmoignage de sa con-
science contre les calomnies des hommes, ou du soing
intérieur de ses affaires, sans la forme extérieure de
les manier; à ung particulier ceste façon de vivre
seroit propre, qui n'a à respondre que de soi et à soi
mesmes. A vous , sire, qui estes né pour tous, non la
vertu et la prudence seulement, mais la réputation de
vertu et de prudence est nécessaire. De vertu, afin
que tous la voyans en vous , vous en honorent ; de
prudence, afin que venans à estre à vous, ils espèrent
tout heur soubs vostre conduite.
MÉM. DE DUPLESSIS-MOUNAY. ToME U. 3?
578 LETTRE DE M. DUPLESSIS
Pardonnes encores iing mot à vos fidèles serviteurs,
sire. Ces amours si découverts , et aulxquels vous donnés
tant de temps, ne semblent plus de saison. Il est temps,
sire, que vous fassiés l'amour, et à toute la chrestienté,
et particulièrement à la France. Que par tous vos
mouvemens vous vous rendiés agréable à ses yeux. Et
croyés, sire, que vous n'y aurés pas employé beaucoup
de mois, veu ce que nous lisons en son visage, que
vous ne gaigniés sa bonne grâce , et n'en recueillies
les laveurs honnestes et légitimes , qui se peuvent ,
pour en jouir à vostre aise et contentement , quand
Dieu, le droict et Tordre vous y appelleront.
C'est, sire, ce que nous avons jugé digne de repre- î
senter à vostre majesté sur ceste nouvelle occasion, par
ceste depesche expresse , laquelle nous vous supplions
très humblement recevoir de l'intégrité et -fidélité que
nous apportons à vostre service ; et sur ce supplions
le Créateur, sire, qu'il doint à vostre majesté en toute
prospérité longue vie.
De Paris.
Vos très humbles, très obeissans et très fidèles servi-
teurs à jamais.
Clervant, DuPLESsis, Chassincourt.
XCV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Au roy Beniy IIl.
Du 24 avril i584.
Sire, je pense que vostre majesté ne doubtera plus
de la mauvaise volonté du roy d'Espaigne. Et, cepen-
dant, je n'ignore pas que vostre estât est tel, par les
misères passées , que c'est prudence d'esloigner une
AU ROY HENRY III. Syg
guerre ouverte , aussi long temps qu'il se peult. C'est
ce qui me faict penser aux moyens de rompre le cours
de sa grandeur, sans en venir là, tels que je les ai cou-
chés par escrit ; et si j'ai cest heur que vostre majesté
les juges utiles, j'espère, avec l'aide de Dieu, qu'ils
se trouveront faciles; et j'en serai tant plus encouragé
à rechercher tout ce qui sera de vostre service. Mais ,
au moins, m'ose je promettre qu'ils vous seront agréa-
bles, quand vostre majesté considérera que telles herbes ,
quelles qu'elles soient, ne peuvent estre produites que
d'ung bon champ, et vraiement François; je dis, sire,
d'ung cœur et d'ung esprit totalement dédié à la gran-
deur et prospérité de vostre couronne; qui sur ce , etc.
XCVL — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. Miron, premier médecin du roj Henry III ^ et
son confident serviteur.
Du 24 avril i584.
Monsieur , j'ai désiré d'avoir cest honneur que le
roy veist ces mémoires que j'ai dressés pour son service;
mais vous premièrement, pour lui en aiguiser le goust
par celui, peult estre, que vous y prendrés. J'espère
que vous les trouvères utiles; et cela estant, ce sera à
vostre discrétion et vertu de les rendre agréables; au
moins , s'il plaist à sa majesté y entendre , je me pro-
mets qu'ils se trouveront faciles; j'en proposerois d'aul-
tres et plus grands, si l'inclination y estoit. Le temps
meurist et assaisonne toutes choses , auquel je les re-
serve. Et tousjours, selon que ceulx ci auront pieu à
sa majesté , ceulx là auront plus de hardiesse s'il vient
à propos qu'ils se présentent ung jour devant elle.
58o LETTRE DE M. DUPLESSIS , etc.
Monsieur, je désire pour ung heur singulier d'estre par
là particulièrement cogneu de vous ; cependant , je vous
baiserai humblement les mains , etc.
XCVII. — DISCOURS AU ROY HENRY III,
Sur les mojens de diminuer l'Espaignol.
Du 24 avril i584.
Tous estats ne sont estimés forts et foibles, qu'en
comparaison de la force ou foiblesse de leurs voisins;
et pourtant, les sages princes entretiennent le contre-
poids tant qu'ils peuvent; tant qu'il y demeure, ils
peuvent demeurer en paix et en amitié ensemble;'
comme il vient à faillir, aussitost la paix et l'amitié se
dissolvent, n'estans icelles fondées entre eulx, que sur
une mutuelle crainte, ou estime l'ung de l'aultre.
La maison de France et la maison d'Austriche sont
celles aujourd'hui, à cause de leurs grandeurs, en la
paix ou guerre desquelles toute la chrestienté est pai-
sible ou troublée. Il importe donc grandement , pour
le repos d'icelle, qu'elles soient teneues, aultant qu'il
se peult , entre deux fers.
Mais particulièrement à la maison de France, qui
en sentiroit le premier danger ou dommage, de penser
à bon escient à ses affaires; d'autant que, depuis quel-
ques années , non seulement elle s'est affoiblie par la
perte de beaucoup de sang, mais aussi celle d'Austriche
s'est grandement renforcée et accreue et de réputation
et de pays. Tellement que la balance et sans doubte
trop chargée d'ung costé , et s'en va temps de peser
ung peu sur l'aultre, qui ne veult que nostre France en
soit enfin emportée.
DISCOURS SUR LES MOYENS, etc. 58 1
Es longues guerres, qui ont esté entre ces deux
couronnes de France et Espaigne , ces princes estans
essayés en diverses preuves , recogneurent qu'ils ne
pou voient pas beaucoup gaigner l'ung sur l'aultre, et
pourtant se resoleurent de se reposer, dont s'ensuivit
la paix.
Depuis, nostre malheur a voulleu que nous soyons
tombés en guerres civiles; autant de batailles que nous
avons gaignees les ungs sur les aultres , autant fault il
faire compte que l'Espaignol en a gaigné sur nous; et qui
plus est, sans rien perdre. Il s'est, en oultre, accreu de
la couronne de Portugal, des isles et des Indes orien-
tales, desquelles la richesse est cognue; et puis, parce
que nous avons faict mine de nous opposer à lui, par
le support de ses suhjects, et que, nonobstant cela, il
en est veneu au dessus, il faict croire qu'il nous a
vaincus et domptés en leurs personnes. Le voilà donc
triplement advantagé sur nous, depuis la paix faicte
avec lui; à sçavoir , de nostre affoiblissement , de son
augmentation et de la réputation des armes.
Lesquels trois advantages toutesfois réussiront, si
nous en sçavons bien user à son desadvantage. Car nos
guerres civiles ne nous ont pas proprement affoiblis
d hommes, mais de concorde et discipline. Je dirai
plus , elles nous ont engendré nombre infini de soldats,
lesquels nous pouvons exercer et entretenir aux despens
de l'Espaignol, et desquels l'emploi hors du royaume,
rendroit en partie la santé, la tranquillité et l'union
à nostre estât.
Aussi , ce grand accroissement de l'Espaignol a mis
tous les princes voisins en crainte et jalousie. Telle-
ment que la bannière de France sera si tost levée qu'ils
ne soient prests à s'y rallier, avec tous leurs moyens,
582 DISCOURS SUR LES MOYENS
contre la grandeur mal proportionnée et l'ambition
desreglee de la maison d'Austriche.
Et quant à la réputation qu'a le roy d'Espaigne sur
nous, tant s'en fault qu'elle nous doibve ravaller, qu'au
contraire elle nous doibt reveiller l'esprit, la force et
le courage. Car, grâces à Dieu, il ne Ta pas gaignee
par ung essai de sa force contre la nostre; mais parce
qu'en chose trop sérieuse nous avons pensé nous jouer,
et il a faict tout à bon escient.
Attendant qu'avec le temps nostre estât se consolide
mieulx en dedans, deux choses se peuvent commodé-
ment faire sans venir à guerre ouverte. L'une est de
faire une puissante ligue contre cette grandeur d'Es-
paigne, qui se déborde; l'aultre est de lui susciter et
entretenir des empeschemens domestiques , afin qu'elle
soit contrainte de se contenir entre ses bords.
Quant à la première, la puissance de l'Angleterre est
prou cogneue, et semble que la royne d'Angleterre
entrera volontiers en ceste ligue ; et son interest par-
ticulier l'y conviera assés. Conspiration a esté décou-
verte, suscitée par le roy d'Espaigne et conduite par
son ambassadeur, non seulement contre son estât, mais
contre sa personne propre. De là s'est ensuivi qu'elle
a donné consjé à l'ambassadeur d'Espaigne, et, en-
voyant ung gentilhomme vers le roy d'Espaigne, pour
lui en déclarer la cause; sans aulcunement l'ouïr,
commandement lui a esté faict, de sortir en dedans
quarante jours de ses pays. Elle apperçoit aussi les
grandes menées qu'il faict en Escosse, pour animer
ce jeune prince contre elle; et jà les Escossois com-
mencent à gouster l'argent d'Espaigne.
Oultre les précédentes altérations , ceste nouvelle
occasion faict penser la royne d'Angleterre à ses affaires ;
DE DIMINUER L'ESPAIGNOL. 583
et ne reste qu'à lui faire l'ouverture d'une ligue , qui
doibttousjours commencer du plus grand, auquel ap-
partient en toutes sortes de compagnies de proposer
et mettre en avant les matières.
Avec les princes d'Allemaigne, y a plus de difficulté,
parce qu'ils sont plusieurs, et non encores reunis en
ung corps ; mais l'occasion aussi n'en feut jamais si
belle, parce que ne voullans plus la pluspart des princes
que l'empire soit continué ci après en la maison d'Aus-
t riche , ils se résolvent de maintenir en l'électoral,
Ghebart , archevesque de Cologne , par l'adjonction
duquel ils auront en l'élection d'ung nouveau empe-
reur, des sept voix, les quattre.
Pour à ce parvenir , sont délibérés de faire une
ligue ensemble, en laquelle entreront la pluspart des
princes protestans et plusieurs villes impériales ; et
s'accorderont d'une somme nécessaire, et de ce que
chacung aura à contribuer pour iceile. Adviseront aussi
aulx forces qui seront requises, tant pour se défendre,
que pour soubtenir contre tous, celui ou ceulx qui se
seront jettes, ou qu'ils auront pris en leur protection
et sauvegarde.
Quand ceste association sera faicte, par le moyen
de laquelle ils seront unis en conseil et en force, il sera
aisé de contracter avec ce corps, par ung seul contract
et une seule entremise. Mais , pour les y acheminer tant
plustost, seroit besoing que sa majesté feist negotier
ses plus confidens entre eulx , leur faisant doulcement
entendre que le support de cette couronne ne leur
defauldra en leur besoing. Ce qui se peult par le moyen
du landgrave Guillaume de Hessen, ancien ami de cest
estât , duquel la prudence a beaucoup de crédit en
Aîlemaigne; et quelques aultres, si sa majesté le trouve
584 DISCOURS SUR LES MOYENS
bon , seront bien aises d'estre employés à ceste fin,
Ne doibt en ceste negotiation estre négligé le roy de
Dannemaick, bien que loing de nous; et la jalousie
du roy de Suéde, favorisé de l'Espaignol , l'y conduira
aisément; l'utilité, peult estre, n'en semblera si grande
que des aultres; si est ce que le roy d'Espaigne, prince
bien conseillé , a faict tout ce qu'il a peu, pour gaigner
son amitié, jusques à lui offrir quattre cens mille escus
en main, pour gage de la sienne.
Moyennant iceile, il pretendoit que ledict seigneur
roy de Dannemark fermeroit le destroict de Sund, que
nous appelions d'Elsignor, à ceulx des Pays Bas, par
lequel ils se fournissent des bleds d'Ostland et Livonie;
item, de bois, de merrain , de brai , de goudron, de
masts et aultres choses propres au navigage, mesmes
des soulphres, salpestres et poudres faictes, etc. Et qui
pourroit obtenir dudict sieur roy qu'il n'en laissast
poinct sortir pour Espaigne, il est certain qu'en peu
de temps ils se trouveroient grandement incommodés
au faict de la marine.
Ceste alliance a esté reculée par le moyen de quelques
gens de bien , qui n'ont vouUeu la ruyne des Pays Bas,
Et il importe , comme il sera dict ci après , qu'elle ne se
çoncleue , parce qu'il ne viendroit à propos à sa majesté
que le roy d'Espaigne achevast la ruyne de ceulx des
Pays Bas.
Quand une telle ligue, oultre les ordinaires et an-
ciennes de ce royaume, viendra à la cognoissance des
princes chrestiens, ne fault doubter que bien tost elle
ne grossisse ; parce que l'Espaignol a offensé plusieurs
princes et republiques qui seront bien aises d'entrer
soubs la protection, et en la participation de ceste
ligue ; et au long aller, les rivières s'enflent de ruisseaux.
DE DIMINUER L'ESPAIGNOL. .^85
Je viens à la seconde , et celle ci se peult pratiquer
des ceste heure, pour ne perdre temps, pendant que
les alliances susdictes se pourront traicler. L'art et la
nature relèvent facilement ung homme de maladie ;
mais s'il vient à estre mort, pour le resusciter, il y
fault du miracle. Geulx aussi qui ont aujourd'hui guerre
avec le roy d'Espaigne, à peu de frais se peuvent, ou
souhtenir ou mesmes relever encores. S'ils sont une fois
accablés du tout , ne nous restera que le regret de
l'avoir peu, et ne l'avoir faict à temps.
L'empire est une des grandes grandeurs de la maison
d'Ausl riche. Et comme de long temps elle a accoustumé
de s'allier en elle mesmes, y a apparence que l'empereur
espousera une fille d Espaigne, parle moyen de laquelle
l'empire d'Allemaigne , et tout Testât que tient le roy
d'Espaigne , veu la délicatesse du fils unique, se verront
en nos jours rejoints ensemble. Alors ce sera la plus
grande monarchie qui feut oncques, redoutable sans
doubte à tous les princes de l'Europe.
Cela se peult empescher avec peu de frais par le
moyen de l'arclievesque de Colongne Ghebart, duquel
s'est parlé ci dessus : au contraire, venant icelui a suc-
comber, voilà quattre voix en la main de la maison
d'Austriche. Car le compétiteur est de Bavière , issu
d'une fille d'Austriche.
Et que le roy d'Espaigne ait ce desseing de se pré-
valoir dudict compétiteur, pour la conservation de sa
maison, appert assez. Car le prince de Parme faict la
guerre à l'arclievesque Ghebart avec les propres forces
d'Espaigne. Et, selon sa coustume, le roy d'Espaigne
en est veneu si avant ces jours passés, que d'avoir sus-
cité ung soldat pour le tuer en sa maison.
Quattre mille arquebusiers et cinq cens chevaulx fran-
586 DISCOURS SUR LES MOYENS
cois menés par de bons capitaines, et joints avec ce qu'il
peult du sien et de ses amis, releveroient et maintien-
droient ledict seigneur archevesque en sa dignité élec-
torale ; oultre ce qu'on pourroit envahir son compéti-
teur dedans son propre pays de Liège, lui en enlever
par pratiques les meilleures places, et lui susciter sa
propre ville de Liège , et une bonne partie de sa no-
blesse contre lui. Et ne sera besoing pour cela que le
roy se déclare. Car sa majesté le commandant au roy
de Navarre, il le sçaura bien effectuer par voies cou-
vertes et par personnes convenables, pourveu qu'il soit
assisté des moyens nécessaires.
Ce seroit ung preparatif pour remettre ung jour
1 empire en la maison de France, lequel s'est contiimé
en la maison d'Austriche depuis ces derniers ans, pour
une seule raison, c'est qu'elle possède les frontières du
Turc, qui sont à la vérité le boulevart de l'Allemaigne,
lequel a bien besoing d'estre defendeu du nom et du
bras de l'empire. Mais à ceste difficulté la solution
seroit preste; car la maison de France, qui a alliance
avec le Turc , exempteroit aisément et l'Allemaigne et
lesdicts pays de la maison d'Austriche de ceste guerre ;
et d'aultant plus que, depuis l'armée de Sigeth, à laquelle
la rigueur du climat porta grand dommage, le conseil
de Turquie s'est resoleu d'estendre ses conquestes vers
les pays plus doulx , comme la Sicile et l'Italie, ne pou-
vans ni leurs hommes, ni leurs^^ chevaulx, qui viennent
de pays tempérés, soubtenir l'air et la rigueur desdicts
pays de la frontière.
Le roy d'Espaigne en tout ce qu'il possède, n'a rien
plus beau, plus riche, plus poli que les Pays Bas; rien
qui ait plus nui à la France, rien qui la puisse plus ac-
commoder en toutes sortes; et il n'est difficile, sans
DE DIMINUER L'ESPAIGNOL. ^87
guerre ouverte, ou de les lui oster, ou de l'y tenir
occupé toute sa vie.
Le pays vit principalement de la France (je parle
des provinces qu'il y tient et qui sont en sa puissance).
Que les traictes soient défendues et resserrées à bon
escient et sans dispense ; les vivres en ung moment
enchériront au quadruple, et à peine s'en trouvera il
pour de l'argent. Le soldat et le bourgeois se mutine-
ront; les troupes ne pourront vivre ensemble, et seront
contraintes de s'espandre; l'ennemi en somme ne pourra
plus assiéger ni faire exploit de conséquence. Et de ce
l'esperience s'est veue en ce peu de temps que la France
leur a esté fermée , encores qu'il s'en escoulast tousjours
par divers endroicts.
Le pays aussi est rafraischi d'hommes , et mainteneu
de deniers par l'Italie et par l'Espaigne, dont la comté
de Bourgongne est le seul passage. Que sa majesté
lasche la bride à aulcungs de ses subjects qui lui pour-
ront estre nommés par le roy de Navarre , ils lui enlè-
veront des meilleures places de ladicte comté , et une
seule suffiroit à cest effect : cela faict, n'y a plus,
qu'avec très grande difficulté, de communication entre
la Flandres et l'Italie et l'Espaigne.
Et ne fault alléguer que les Suisses s'en pourroient
esmouvoir, tant en vertu de l'allinnce, que pour l'in-
terest qu'ils prétendent avoir que ceste barrière soit
tousjours entre eulx et nous. Car il se trouvera des
subjects suffisans pour justifier ceste entreprise; et sera
aisé de leur faire entendre soubs main le desseing qu'a
le roy d'Espaigne de jetter une armée en la duché de
Bourgongne, conduite par le duc de Savoye, laquelle ,
à cause de ceste circonstance, ne leur peult estre que
très suspecte; joint qu'au pis aller l'instance qu'ils en
68S DISCOURS SUR LES MOYENS
feront, ne sera que de parole et de remonstrance, veu
la différence d'advis qui est aujourd'hui entre eulx,
sans venir à la force.
Quant à la mer, par le moyen de la ligue, qui se fera
avec la royne d'Angleterre, elle sera du tout fermée à
l'Espaignol, tellement que, pour secourir son parti es
Pays Bas, il ne s'en pourra prévaloir en aucune sorte.
Ce qui s'est veu toutes les fois qu'il a eu la coste d'An-
gleterre mal favorable ; d'autant que , survenant une
tourmente en la manche d'Angleterre, comme elle y
est assés subjecte , ils ne peuvent qu'avec extrême
danger approcher la coste de France, ni gaigner celle
de Flandres, qui n'est qu'ung banc perpétuel, sans
évident naufrage, et n'ont retraitte qu'en celle d'An-
gleterre, qui a plus de ports et de plus facile accès que
la nostre.
Que si, oultre ce que dessus, sa majesté veult aider
les estats des Pays Bas, soubs main, de quelque somme
de deniers par mois, et permettre à ses subjects de les
cjller servir pour la guerre, n'y a doubte qu'en peu de
temps les provinces qui suivent le parti espaignol , se
sentans mal secoureues, ne se jettent entre les bras de
sa majesté plustost que d'endurer le joug des aultres
qui suivent les estats; et celles ci, oultre les précédentes
obligations, se sentans comblées d'une nouvelle, s'esti-
meront heureuses d'estre siennes. Joint qu'en leur accor-
dant le susdict secours , on leur pourra imposer desjà
quelques conditions.
J'adjouste à ceci, que je sçais de certain que la no-
blesse et les plus notables villes d'Artois, Hainault, etc.,
entrent en grande jalousie du prince de Parme , lequel ,
en toutes les places qu'il a reconquises sur les estats ,
met garnisons du tout à sa dévotion , et non depen-
DE DIMINUER L'ESPAIGNOL. 689
dantes des estats desdictes provinces. Tellement que
lesdictes villes lui sont aultant de citadelles au milieu
d'elles, pour les tenir en subjection ; qui est bien loing
du premier traicté faict avec elles, par lequel ledict
sieur prince ne se rendoit que chef de leurs forces et
conseils, sans y pouvoir introduire garnison ni force
que du pays, avec advis du conseil et de leur consen-
tement.
L'Espaigne tire une grande commodité du destroict
de Gibraltar, qui rend la mer Oceane trafficable avec
la Méditerranée. Car par icelui tout ce que l'Espaigne
amené des Indes tant orientales qu'occidentales, se
transporte commodément en Barbarie, en Italie, et
jusqu'au fonds des terres. Or, non loing de l'entrée de
ce destroict, est assise l'isle de Mallorque, et en icelle
une ville avec ung bon port de mesme nom, qui mais-
trise toute ladicte isie; si sa majesté le trouve bon, il
se trouve personne de qualité, qui a pratiqué desseing
sur ceste place, et en espère bonne issue à peu de frais.
I Ladicte place est bien fortifiée , se garderoit avec
mille arquebusiers ; et mille aultres garderoient les
principales descentes de l'isle, quand elles seroient ung
peu accommodées. Quattre galères au reste, et autant
de flustes, qui s'entretiendroient sur le lieu, oultre la
retraicte qu'on y pourroit donner aux volontaires, ren-
droient à l'Espaignol toute la mer Méditerranée peu
seure et accessible, c'est à dire ses pays propres de
Naples, Sicile et Milan. Telle entreprise s'executeroit
commodément de Languedoc ou Provence. Et pour
espargner le nom de sa majesté on pourroit employer
celui du roy de Navarre ou de Portugal; et au pis
aller , l'entrepreneur bien assisté ne s'en donneroit
pas peine.
590 DISCOURS SUR LES MOYENS
Contre les Indes et navigations occidentales , plu-
sieurs beaux desseings ont esté , long temps a , proposés
à sa majesté , et aulxquels , peult estre , il seroit malaisé
de rien adjouster. Quattre grands vaisseaux, bien ar-
tillés, accompagnés de quattre moyens, peuvent com-
battre la flotte du Pérou, et il s'est faict à moins; et,
quant à faire une descente en la Terre Ferme , j'ai parlé
à plusieurs grands navigateurs de diverses nations, qui
semblent l'avoir bien recogneue , lesquels m'ont souvent
asseuré que quattre mille hommes prenans terre à l'en-
droict de l'isthme appelle Darien, entre Panama et
Nombre de Dios , s'en pourroient aisément rendre
maistres.
Par ce moyen l'on auroit l'une et l'aultre mer, je dis,
du Nord et du Sud , séparée d'ung très estroict destroict
de terre; et de là se peult aller aulx Moluques, sans
circuir l'Afrique; et ne fauldroit craindre alors, avec
ung peu de bonne conduite, que l'Espaignol nous en
chassast jamais. Car le François est aussi paré pour
secourir ledict pays, que l'Espaignol, et aurons plustost
levé mille hommes, tant de main que de manœuvre,
pour telle navigation , que lui cent. Joint que nous
pourrions doulcement traicter avec les habitans du pays,
qui se sont retirés en la montagne pour l'horreur et
cruauté des Espaignols, desquels on pourroit tirer beau-
coup d'aide et de commodité contre lui.
Pour le regard des Indes orientales, j'ai proposé
aultres fois ung moyen, qui eust esté plus pratiquable
lorsque les viceroys et gouverneurs d'icelles n'avoient
encores recogneu le roy d'Espaigne; et encores n'estime
je poinct qu'ils lui soient si affectionnés, qu'ils n'y
prestassent volontiers l'oreille, s'il leur estoit ouvert
DE DIMINUER L'ESPAIGNOL. 691
par sa majesté , laquelle , sur ce , pourroit tirer quelque
ad vis du roy Don Antonio.
La seule cause qui a faict ployer lesdicts viceroys ou
gouverneurs, c'est la descharge de leurs marchandises,
en laquelle consiste toute leur richesse, qu'ils ont estimé
ne pouvoir avoir sans lui obéir, au lieu que sa majesté
leur en peult ouvrir et faciliter une aultre, plus courte
et plus commode que celle là.
Ces marchandises sont, pour la pluspart, espiceries,
drogues, pierres précieuses, etc., auxquelles n'agueres
le Portugais, et aujourd'hui l'Espaignol, faict circuir
toute l'Afrique pour descendre en sa coste , afin que
toute la chrestienté soit contrainte de passer par ses
mains, et ce trafic a grandement enrichi les pays de
l'Espaignol , mesmes les Pays Bas , où ils en avoient
fondé l'estappe pour tous les pays du septentrion , n'y
ayant rien, à la vérité, en tout le commerce de la chres-
tienté, qui soit de bien loing comparable à cestui ci.
Or il se peult divertir et convertir à nous, en re-
prenant le chemin que ces mesmes marchandises pre-
noient sous la grandeur des Romains ; c'est qu'on peult
singler tout d'ungvent, depuis les Moluques, Diu,
Goa, Ormus, etc. , jusques à l'entrée du golfe Arabie,
aultrement la mer Rouge , puis suivre ce golfe tout du
long, jusques au port de Suez, appelle des anciens He-
roiim portas. De là elles se mettront, comme ancien-
nement, sur des chameaux, et viendront en six jour-
nées jusques en Barut, Alep, Tripoli de Syrie, Da-
miette , Alexandrie , etc. , esquels lieux seront embar-
quées sur la mer Méditerranée pour estre distribuées à
Constantinople , Venise, Marseille, etc., qui de long
temps ont leurs facteurs et consulats establis esdictes
villes.
592 DISCOURS SUR LES MOYENS
Lesdicts gouverneurs et viceroys ne demanderoient
peult estre pas mieulx ; car alors ils se passeroient de
l'Espaignol comme ils vouldroient. Le Turc consentira
facilement la seureté et liberté de ce passage à sa ma-
jesté ; car, oultre l'alliance qui est entre eulx, c'est la
richesse de ses pays. Le Vénitien l'en remerciera ; car,
par la diversion de ce trafic des espiceries, la respu-
blique a perdeu plus de deux cens mille escus de rente;
je ne parie poinct du profict qui en revenoit aulx par-
ticuliers; le Marseillois s'en enrichira à bon escient, et
en gênerai le marchand françois; voire toute la France
et mesmes toute la chrestienté en sera mieulx ; l'Espai-
gnol seul en sentira notable diminution ; en la diminution
duquel gist aujourd'hui la conservation de la France
et l'augmentation de tous les princes chrestiens.
En ceste entreprise n'y a ni grands frais ni grand'
peine; une negotiation d'ung an la peult mettre à fin;
et n'est chose qui se doibve trouver, ni estrange, ni
nouvelle; car, de la mémoire des histoires, ce trafic a
changé de chemin cinq fois, selon que s'est diversifiée
la disposition des empires pour la commodité ou in-
commodité de leur voyaige.
Les Genevois , aultrefois , les ont tirées par le travers
de la Tartarie jusques en la Tane, et de là par la mer
Major dedans la mer Méditerranée , et y ont trouvé
profict. Les Anglois ont bien entrepris de les mener du
fonds des Chines par terre jusques au fleuve Obi; là les
embarquer et entrer en la mer du Septentrion , puis
circuir les costes de Tartarie, Suéde, Norvège, etc.,
et n'y pensent perdre leur peine. Les Portugais et Es-
paignols, pour les amener jusques en leur coste, cir-
cuissent toute l'Afrique , au travers de mille dangers et
d'extrêmes chaleurs; et sont dix huict mois en leur
DE DIMINUER L'ESPAIGNOL. ÔqS
voyage ; toute leur commodité ne gist qu'en ung poinct ,
c'est qu'ils font tout ce chemin par mer.
De tous les chemins qu'elles ont teneus , cestui ci que
je propose est le plus court et plus aisé , qui feut jadis
interrompeu par les courses des Arabes et guerres des
sultans, au bout desquelles les Portugais découvrirent
le moyen de circuir l'Afrique, et trouvèrent les Mo-
hiques, et donnèrent ung aultre cours à ce trafic.
Que si on dict qu'on les a à quelque peu meilleur
marché par ceste voie des Portugais, fault aussi ad-
jouster ce que les marchands sçavent, que, de celles
qui viennent à Venise et à Lion par le chemin que nous
disons, une livre en vault trois et quattre, à cause que
celles ci sont gastees et moisies pendant le long temps
et les grandes chaleurs qu'elles passent sur la mer;
joint que les obstacles qui sont aujourd'hui en ce che-
min ancien, estans levés par le moyen du grand sei-
gneur, les peines et frais en amoindriront, et par con-
séquent le prix.
Ce sont les moyens qui se peuvent tenir pour affoi-
blir et apovrir l'Espaignol, et rompre le cours de sa
prospérité et grandeur, attendant une force ouverte;
et iceulx, quand sa majesté y vouldra entendre, se pour-
ront particulariser et faciliter dadvantage ; que si , par
son insolence , qui plus ne se peult contenir, il resoult
enfin sa majesté à venir aulx armes, aultres lui seront
proposés par celui qui met en avant ceulx ci, qui ne
seront inutiles à son service, si tant est qu'il ait cestheur
que ces ouvertures ne lui soient désagréables.
MÉ:\r. DK DUPLESSIS-MORJVAY. l'oiWF. II. 38
594 LETTRE DE M. DUPLESSIS
XCVIII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Au roj de Navarre.
Du 2 mai i584.
Sire, vostre majesté aura sceu par le sieur de la Bi-
vardiere l'extrême extrémité où estoit son altesse lors
qu'il partit. Elle estoit telle , que tous les médecins es-
crivirent au roy que c'en estoit faict , et qu'il ne pou-
voit plus vivre trois heures, le pouls s'estant jà retiré
jusques auprès du coude, toute force lui faillant, et
le sang venant à grande abondance et estrangement
corrompeu, tant par hault que par bas.
Cela feut cause qu'on ordonna de toutes ses char-
ges , et feut depesché vers les gouverneurs de ses places
pour les tenir en debvoir, mesmes au sieur de Balagni
pour Cambray; toutes lesdictes depesches fondées sur
la mort certaine de son altesse, jusques là qu'il feut
commandé aulx tailleurs de se tenir prests pour les ha-
billemens de deuil de sa majesté.
D'aultre part, MM. de Guise tinrent conseil chés
M. de Nevers, et feirent diverses depesches en Bour-
cfogne, Normandie, Picardie, Guyenne, etc. Enfin ar-
riva M. de Clervant de Chasteau Thierry, qui premier
asseura et ceste ville et ceste court que son altesse
vivoit et avoit eu quelque repos depuis ces grandes
vuidanges de sang , ce nonobstant que les médecins J
en estoient en très grande peine, et en tel estât est il
encores maintenant.
Une miette qu'il avala de travers en buvant sa pti-
sane après midi , oîi il avoit trempé du pain , feut
cause de cet accident , lui ayant esmeu la toux , et par
AU ROY Di: NAVARRE. ÔgS
conséquent le poulmon et la veine qu'on estime estre
rompeue ; et depuis on l'a fait tenir coi sans parler el
sans qu'on parle à lui, pour ne l'esmouvoir de sorte
quelconque.
Encores y en a il eu plusieurs qui ont doublé qu'il
n'y eust de la feinte, parce que peu de gens le voyent,
et que ceulx qui sont près de lui ne voullussent par
là se donner le loisir de pourvoir à leurs affaires , ce
qui toutesfois est faulx.
Bien est vrai que les principaulx de sa maison s'es-
toient jà recommandés à leurs amis de ceste court pour
estre mis en la bonne grâce de leurs majestés, et, entre
aultres, quelqu'ung d'eulx escrivoit à M. d'Espernon
avec bien humbles offres de son service , comme son al-
tesse estant hors de tout espoir. Sur ce respit , son al-
tesse a supplié sa majesté que, pour l'espace de deux
ans, les revenus de ses appennages soient reteneus
pour estre employés, tant à l'acquit de ses debtes,
qu'au payement de deux ans de gages de ses serviteurs,
et estime on qu'il n'en sera refusé.
Il dispose aussi de Cambray entre les mains de sa ma-
jesté, et des Pays Bas, en tant qu'il peult; on dit, mais
je ne le sçais de certain, que sa majesté, ne voullant se
déclarer contre le roy d'Espaigne, ce qu'elle seroit
contraincte de faire en acceptant Cambray, désire que
son altesse resigne ceste volonté sur vostre majesté,
afin que ladicte ville de Cambray et les Pays Bas soient
mainteneus soubs vostre nom, et que pour cest effect
M. d'Espernon seroit allé voir son altesse à Chasteau
Thierry, dont il reveint hier.
Ledict sieur duc d'Espernon faict estât de partir
le i5 de ce mois, pour aller en Guyenne. Le prétexte se
prend sur les baings qui lui sont nécessaires ; mais la
Ô96 LETTRE DE M. DUPLESSIS
vérité est que le roy vous veult faire proposer par lui
des tesmoignages de sa bonne volonté, et des moyens
d'establir vostre grandeur, tels qu'à mon advis vostre
majesté peult assés penser. Une entreveue en sera le
commencement, pour laquelle faciliter le roy faict estât
de s'en aller à Blois. J'espère que j'arriverai près de
vostre majesté premier que lui, encores que je voie
qu'on me diffère ma depesche, tantost par un moyen
et tantost par l'aultre , peult estre pour le faire porteur
de ce qu'il y aura d'agreable, et moi de rebut.
Cependant je ne vois poinct qu'ils nous traictent
gueres plus favorablement que par le passé; hier nos
articles nous feurent baillés respondeus. On nous y ac-
corde vos monnoies, vostre compagnie, les privilèges
de vos domestiques en baillant Testât, la composition
de Perigueux, et nouvelles jussions à messieurs de la
court pour la vérification de l'abolition.
Mais on nous refuse les places et le payement des
orarnisons, disant que le temps de la remise est escheu ,
et que M. de Bellievre vous a jà faict instance de les
remettre ; item , l'assemblée des églises et vostre nou-
velle garde.
Nous y ferons les répliques convenables, et ne nous
rendrons pas du premier coup , et desjà nous avons
faict de grandes plainctes à la royne sur ses responses,
qui nous a promis d'en parler au roy; mais toutes ces
longueurs ne m'arrèsteront poinct tant, que je ne soie
près de vostre majesté premier que M. d'Espernon,
quand je debvrois ne porter que simples lettres, si je
ne reçois aultre commandement de vostre majesté.
Aulx propos que nous tient M. de Villeroy, nous ap-
percevons qu'ils ont eu mécontentement de ce qu'estant,
vostre majesté, requise d'aller en Languedoc, au lieu
AU ROY DE NAVARRE. 597
d'accepter ceste charge gaiement, et d'y recognoistre la
confiance que sa majesté prenoit de vous, vostre majesté
auroit demandé plusieurs choses premier que d'y voul-
loir aller, qui auroient accroché ung voyage si nécessaire.
Nous respondons que nous avons à nous plaindre
qu'eslans ici pour vostre service, ils ne nous en ayent
rien communiqué; que nous leur eussions noté les
difficultés, et proposé les moyens de les lever s'ils eus-
sent parlé à nous; mais qu'il fault regarder si ce que
vous demandés à sa majesté premier que d'y aller est
pour vostre particulier ou pour son service, et que
nous estimons que , quand on leconsidereroit bien , qu'on
trouveroit que vous ne demandiés que ce qui estoit né-
cessaire pour faciliter la negotiation qui vous estoit
commandée, à sçavoir quelque surseance pour les villes,
afin de lever les défiances, et vos gardes pour reprimer
plus aisément les turbulens et infracteurs des edicts ^
avec vostre compagnie de gensdarmes.
Sur ceci, il s'est parlé de faire passer M. d'Espernon
jusques en Languedoc , et ne scais encores si on con-
tinuera à faire instance à vostre majesté dV aller; il
semble qu'ils ayent apperceu que ceulx qui feurent
conférer avec M. de Montmorency , de la part des
églises, tinrent son parti plus tost que celui du roy;
toutesfois ils dient qu'ils ont particulièrement à se
louer de M. de Chastillon.
Ledict sieur d'Espernon mené vingt et cinq gentils-
hommes; on a parlé que M. le mareschal de Biron deust
aller avec lui'; mais je ne le puis croire; il semble re-
teneu pour le secours de Cambray. Quand nous pro-
posons les entreprises de Bourgogne ou le secours de
l'archevesque de Coulogne, et choses semblables, on
nous dict que ces propositions seroient belles si vostre
598 LETTRE DE M. DUPLESSIS
majesté estoit ici; mais que le roy n'y peult entendre
qu'il n'ait composé le dedans, qui despend d'une en-
treveue , et pense qu'ils remettent à y penser après le
succès du voyage de M. d'Espernon.
C'est, sire, ce que nous sçachions digne de vostre
majesté, et par où je finirai, suppliant le Créateur,
sire, qu'il vous doint en santé heureuse et longue vie.
De Paris.
Vostre très humble et très obéissant serviteur,
DuPLESSIS.
XCIX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Ja roj de Navarre.
Du 9 juillet i58/l.
Sire, je parts demain, aidant Dieu, de ceste ville,
et n'ai voulleu toutesfois laisser ceste occasion sans
vous escrire ce peu que j'ai entendu. On m'escrit de
Paris que leurs majestés pourvoient au secours de Cam-
bray ; que M. le mareschal de Rhetz y est allé pour re-
cognoistre Testât des choses et y donner ordre. Il a
trouvé moyen d'embler ce voyage à M. le mareschal de
Riron. J'estime plus tost que la royne aura faict choix
de lui, comme de son plus confident; et peult eslre
qu'es menées qui se font, l'aultre n'aura pas semblé
exempt de souspçon. On adjouste que le sieur Caron,
que vostre majesté a veu vers son altesse , député de
la part de la province de Flandres , est arrivé en court;
et attend aultres députés avec lui de la part des estais
generaulx des Pays Ras; lesquels ont charge de supplier
leurs majestés d'entreprendre leur conservation et dé-
fense soubs le nom et tiltre de vostre majesté, puis
AU ROY DE NAVARRE. 599
qu'ainsi est qu'il a pieu à Dieu retirer son altesse ; une
personne qui communique avec eulx le m\i ainsi es-
crit, et peult estre que là dessus on se resouklra d'en
negotier avec vous.
Je désire, sire, beaucoup de bien à ce povre peuple
là, et n'ignore poinct combien importe leur conserva-
tion; mais, quand je considère Testât incertain des per-
sonnes et des affaires , je viens à craindre qu'une mu-
tation n'adveinst pendant que sériés engagés en ces pays
là, d'où vous ne pourries revenir que par la mer. Et,
pendant qu'ung vent contraire ou ung liyver fascheux
vous retiendroit, vos ennemis auroient moyen de s'in-
staller et vous fermer la porte. Le plus seur seroit que
vostre majesté les secoureust par diversion; attaquant
le Hainault , Artois et Luxembourg , d'oii vous tiendriés
tousjours la porte de France ouverte; exécutant quel-
ques entreprises en Franche Comté pour couper che-
min au secours d'Italie, comme les moyens vous en
ont esté ouverts; et le tout par le moyen et secours du
roy , sans la volonté duquel vous ne le devés vouUoir,
non plus que sans son pouvoir vous ne le pouvés faire.
Cependant vostre majesté ne lairra de soustenir les af-
faires du dedans du pays en Hollande, Zeelande, Bra-
bant, Gueldre, Frise, etc., en leur envoyant par mer
quelque nombre d'hommes conduicts par bons capi-
taines, et entreteneus des deniers du roy, pour y relever
la réputation des François en vivant soubs une bonne
discipline.
Le prince de Parme, depuis la mort de son altesse,
prenant prétexte que ceulx des Pays Bas sont comme gens
desadvoués, a rompeu quartier, et commencé à faire
mourir ceulx qu'il prend ; par là il a pensé estonner le
peuple , et degouster du service les estrangers qui le
6oo LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
Servent, Au contraire, on m'escrit que les estais en ont
faict de mesmes; et de faict, que desjà ils ont faict
pendre à Anvers plus de trois cens Wallons et soixante
ou quattre vingts Espaignols; aussi ont ils rompeu tout
commerce par mer; tellement que l'armée du prince de
Parme est repandeue en divers lieux , faulte de vivres.
Au reste, sire, M. de Mouy partit dimanche de ce
lieu, et envoyé son train àMontauban, où il est resoleu
de vous venir trouver au temps de l'assemblée. Gomme
il partit , le bruit vcint ici de la mort de M. de Campa-
gnac , et nous prya , s'il continuoit , de vous ramen-
tevoir l'occasion, qui par là s'offroit à vostre majesté,
de faire pour lui en l'honorant du guidon de vostre
compagnie, qui de degré en degré viendroit à estre
vacant. C'est ung office, sire, que je ne puis denier à
une personne à qui j'ai voué et doibs tant d'amitié; et,
ouUre cela, j'ai pensé que vostre majesté ne pouvoit
estre par aultre plus fidèlement servie. Je m'en suis
donc enhardi, sire, et vous supplie très humblement
de mettre en considération tant le service qu'il vous
peult faire, que mesmes celui qu'avés eu pour agréable
de feu M, de Mouy son frère, auquel vostre majesté
daignoit monstrer beaucoup de bonne volonté, qu'd
s'asseure que vous lui avés résignée, comme il désire
succéder en l'affection de vous faire toute sa vie très
humble service; et par ce, sire, que vostre majesté
cognoist mieulx que nul aultre le mérite de ceulx qui
la servent, je ne la ferai plus longue, sinon pour sup-
plier le Créateur, sire , etc.
De Saincte Foi.
LETTRE DU ROY DE NAVARRE, eic. Oor
C — LETTRE DU ROY DE NAVARRE
Au roy Henry III , rédigée par B'L Duplessis.
Monseigneur, la triste nouvelle que j'ai entendue
par les lettres de vostre majesté, de la mort de feu mon-
seigneur, m'a apporté la tristesse qu'elle a deu ; car
j'y ai recogneu ma perte inestimable selon le debvoir
de nature, et non moins ressenti celle de vos majestés
pour le vif ressentiment que j'ai de tout ce qui leur
touche. Cependant ceste constance, qui a esté parti-
culière à vostre majesté à surmonter tant d'afflictions,
se doibt évertuer en ceste adversité à surmonter elle
mesmes; ce que je m'asseure que vostre majesté fera,
venant à considérer la volonté de Dieu, soubs laquelle
il est raisonnable que toutes les nostres se ploient ;
c'est pourquoi, monseigneur, je ne la ferai plus longue
à vostre majesté pour ce regard, ains remettrai le sur-
plus au sieur de la Roque , que j'envoye exprès à vostie
majesté pour lui tesmoigner combien je pastis de ceste
affliction en moi mesmes, et compastis à celle que je
sçais que vostre majesté en reçoit ; et sur ce , etc.
CI. — INSTRUCTION A M. DE LA ROQUE.
Le sieur de la Roque s'acheminera en court, où il
présentera h. leurs majestés les lettres du roy de Na-
varre, et leur déclarera la douleur qu'a receue le roy
de la mort de son altesse, qui de leur part leur a eslé
signifiée par M. de Bellievre. A ce propos leur dira tout
ce qu'il verra convenir, tant pour tesmoigner son re-
^02 INSTRUCTION
gret et compastir à leur affliction, que pour les con-
soler en la volonté de Dieu. Et surtout leur touchera le
ressentiment qu'a le roy de Navarre de ceste mort,
quand il considère Tappuy qu'a perdeu le roy en ceste
personne, contre les ennemis de sa couronne; la con-
solation dont la royne se sent privée en l'aage où elle
est, après tant d'aultres afflictions, et le malheur de
cest estât, lequel, au milieu des grandes occupations
de sa majesté, se trouvoit en partie couvert de la va-
leur et magnanimité de ce prince.
Que , sur ces considérations , le roy de Navarre a ung
extrême regret que ses services ne sont en quelque
façon capables de soulager les ennuis de leurs majestés.
Tant y a que, s'il ne peult redoubler Taffection qu'il a
tousjours eue de leur en faire , au moins il taschera
d'en redoubler le soing et la diligence; estant, ledit sei-
gneur roy, résolu de ployer toutes ses affections et
actions soubs les sainctes intentions de leursdictes ma-
jestés, et ne viser désormais qu'à ce qu'il leur pourra
apporter contentement et advancement à leur service.
Venant à propos, tesmoignera au roy le plaisir qu'a
receu le roy de Navarre de la veue de M. d'Espernon,
pour le tesmoignage que ce lui est de la bienveillance
de sa majesté envers lui , qui ne lui peult estre niieulx
rendeu que par celui qu'il a choisi pour dépositaire de
ses plus intérieures affections et intentions ; que comme
à tel il lui a aussi ouvert son cœur, qu'il s'asseure qu'il
aura veu et trouvé tout plein de sincérité et fidélité en-
vers son service.
Et si on jette ledict sieur de la Roque sur les propos
desquels nous avons plus particulièrement discoureu en-
semble, se ressouviendra, s'il lui plaist, des responses
qu il seroit ici trop long de desduire. Comme aussi se
A M. DE LA. ROQUE. 6o3
soubviendra des propos teneus au roy de Navarre, par
^.T. d'Espernon, que je lui ai dicts de bouche, pour les
faire entendre à messieurs de Clervant et de Chassin-
court.
Distribuera les lettres du roy de Navarre aulx princes
et seigneurs aulxquels il escrit , leur départant aussi
partie du langage que dessus à chacung, selon sa qua-
lité et condition, y adjoustant ce que, selon sa pru-
dence, il jugera convenable.
Et, parce qu'il importe que ledict sieur de la Roque
soit bien instruict de ce qui s'est passé ici avec M. de Bel-
lievre, c'est en somme ce qui ensuit.
Sur le voyage de Languedoc, duquel le roy escri-
voit ung peu froidement au roy de Navarre , encores
que M. de Bellievre, qui le juge nécessaire, lui voul-
leust persuader que le roy le désire, a remonstré le roy
de Navarre qu'il estoit tout prest de le faire, si tant est
que sa majesté estime que son service lui puisse estre
utile en cest endroict.
Mais a pensé ledict seigneur roy de Navarre qu'il
falloit prendre tout au pis, pour les apparences qu'on
voyoit, à sçavoir que, peult estre, celui dont le roy est
en doubte, se rendroitopiniastre à ses desseings, contre
Je conseil de ses amis. En ce cas , qu'il ne restoit aultrc
moyen que de lui soubstraire la créance de ceulx de
la relligion , de la volonté desquels il pourroit abuser,
et sans l'appuy desquels il lui seroit malaisé de rien
faire, ce qui se feroit beaucoup plus aisément, si le
roy leur avoit levé toutes défiances par la prolonga-
tion du terme des places. Aultrement, qu'on leur feroit
accroire qu'on les vouldroit despouiller pour les fouet-
ter plus aisément après. Et y auroit danger que les
6o4 INSTRUCTION
paroles dudict seigneur roy de Navarre ne feussent pas
suffisamment persuasives contre tels effects.
Ces raisons ont semblé raisonnables audict sieur
de Bellievre, lequel nous a asseuré que. pour le moins,
pendant ce voyage de Languedoc, il ne seroit poinct
parlé de la reddition des places. Mais le roy de Navarre
eust désiré dadvantage , à sçavoir, leur porter asseurance
de la prolongation. Et de ce a fait ledict sieur de Bel-
lievre , depesche à leurs majestés.
Cependant est accordé que les garnisons seront payées
jusques à ce qu'il soit pleinement resoleu desdictes
places. Et, pour en resouldre, consent au nom du roy,
ledict sieur de Bellievre, une assemblée des églises,
laquelle le roy de Navarre assigne à Montauban , au
I 5*^ aoust. A ceste fin sera nécessaire de faire tenir in-
continent les lettres desquelles il est le porteur, aulx
provinces de delà, dont M. de Montigny prendra, s'il
lui plaist, le soing.
Pour la chambre de Tedict de Bordeaux, attendeu que
la chambre de Guyenne se retire, est conveneu qu'elle
sera redressée au plus tost; et à ceste fin, ledict sieur
de Bellievre escrit à leurs majestés d'envoyer commis-
sion à M. lemareschal de Matignon , laquelle aussi il sera
bon de presser en court. Le roy de Navarre requiert
à l'instance des églises de Guyenne, qu'elle tienne sa
séance à Agen; sinon des ceste heure, comme on desi-
reroit fort, à tout le moins, après le premier semestre.
Pour le règlement de la chambre de l'Isle, escrit
aussi ledict sieur de Bellievre. Le roy de Navarre requiert
qu'en attendant qu'aultrement y soit pourveu , il leur
soit commandé de suivre le règlement de la chambre
de Guyenne; sinon il en fault poursuivre ung aultre.
A M. DE LA ROQUE. 6o5
lequel se résolve au conseil privé. Aultrement ne fault
attendre aulcune justice, ains au contraire toute inso-
lence et confusion. Sa majesté accordant qu'il soit pour-
veu audict règlement par son conseil, sera nécessaire
d'en advertirau plus tost, afin que les conseillers de la
relligion de la chambre de l'Isle députent, quelqu'ung
en court, pour aller débattre les articles dudict règle-
ment au conseil.
Pour la maison du Casse , M. de la Roque sçait ce
qui s'est passé en sa personne, et conune il a esté tue
par quelques soldats attirés à ceste fin. Maintenant Birac
son frère est dedans, qui s'est envoyé soubmettre au
roy de Navarre. On lui a mandé qu'il en mette hors
]es soldats; qu'il la garde pour en faire ce qui lui sera
commandé , et est conveneu avec M. de Bellievre que
les fortifications nouvelles seront démolies et rasées. Le-
dict sieur de Bellievre en somme s'en tient pour content.
La place de Belfl.ou détenue par Liques , en ces mar-
ches de Languedoc , a esté délaissée par l'auctorité du
roy de Navarre, et remise es mains du propriétaire,
moyennant une abolition. Elle estoit en telle assiette ,
que, pour en chasser des meschans, il en eust cousté
des gens de bien. Le tout avec l'advis et contentement
dudict sieur de Bellievre.
Quant à Montréal , le roy de Navarre a envoyé quérir
Marion , lequel est prest de la quitter, moyennant que
soixante et dix familles, tant d'Aleth que de Vesplas,
à sçavoir, cinquante et quattre d'Aleth , et le surplus de
Vesplas, soient remises en leurs maisons, et que sa
majesté ottroye une abolition générale de ce qui s'y est
passé. Ces conditions ne déplaisent à M. de Bellievre ,
mesmes veu les effects qu'en vain ont faict ceulx de
Thoulouse contre ledict Montréal.
6o6 AU ROY.
CIL — ^AV ROY.
Sire , il y a ung an , ou environ , que vos très humble^
et très obeissans subjects de la relligion présentèrent à
vostre majesté ung cahier gênerai des inexécutions,
contraventions et infractions qui se tolleroient ou com-
mettoient en vostre royaume, contre l'intention de
vostre m.ajesté, déclarée en ses edicts de pacification et
conférences surensuivies.
Et des lors, sire , estoient vos susdicts subjects de la
relligion honteux de présenter devant vostre majesté
choses si souvent et de si long temps réitérées, n'igno-
rans poinct que vostre majesté, qui a occasion de
croire que ses justes commandemens soyent suivis
d'une prompte obéissance , pourroit tenir leurs plainctes
à importunité comme estant satisfaictes par la diligence
de ses officiers et gouverneurs , soubs ombre que par sa
debonnaireté, elle les auroit ouïes etrespondeues. Jugè-
rent toutesfois vos très humbles subjects qu'il ne leur
serort tourné à blasme, puisque leurs douleurs conti-
nuoient, de continuer leurs plainctes envers elle.
Lesquelles de faict feurent ouïes et receues de vostre
majesté avec sa doulceur accoustumee , qui plus est
respondeues avec autant de bienveillance qu'ils ne font
double qu'ils ne t'eussent jouissans maintenant d'ung
plein et asseuré repos si la bonne et droicte volonté de
vostre majesté , qui debvroit estre la règle des aultres
inférieurs, eust esté suivie.
Mais par ce, sire, qu'à leur grand regret, et comme
ils s'asseurent aultrement mesmes , soit parle malheur
de cest estât, soit par la malice d'ennemis qui en deb-
vroient pourchasser le bien , il s'est au contraire en-
AU ROY. 607
suivi que le mal s'est opiniastré et roidi contre le re-
mède; que les inexécutions n'ont poinct esté satis-
faictes, les contraventions réparées, les infractions
punies et réprimées; que la connivence et impunité au
contraire ont flaté, fomenté et multiplié le mal, et que
les remèdes mesmes que vostre majesté auroit donnés
pour adoucir leurs plaies, leur sont, par l'artifice d'en-
nemis , convertis en venins et en poisons, la justice en
quelques lieux en injustice et laseureté en oppression,
sont contraincts vosdicts très humbles subjects , sire,
de retourner au bout de Tan vers vostre majesté redou-
bler leurs plainctes; lesquelles, sire, ils ne doublent
poinct que vostre majesté ne reçoive de très bonne
part, puisque desjà de sa bonté singulière elle a vouUeu
et permis qu'ils se soyent trouvés ensemble en sa ville
de Montauban, pour les faire entendre comme tous
d'une voix. Ains au contraire s'asseurent qu'elle y pour-
voiera doresnavant d'aultant plus seurement et promp-
tement, qu'elles lui sont de plus long temps confiées
et lui ont esté plus souvent réitérées; c'est à dire que,
de plus longtemps, elles appellent et attendent la seule
main de vostre majesté pour leur apporter soulagement.
Remonstrent donc vosdicts très humbles subjects
que comme ainsi que vostre edict de pacification soit
faict des l'année iSyy, y a tantosl sept ans, et que ice-
lui ait esté beaucoup retranché de celui de Tannée
1 576, dont on leur auroit faict espérer qu'il seroit plus
soigneusement observé, à peine toutesfois se trouvera
il aulcung article devenant effectué sinon en tant qu'il
a dépendu de l'obéissance desdicts de la relligion, ou
de l'interest des catholiques romains, pour lesquels en
partie vostre dict edict estoit faict, et ce nonobstant que,
pour l'establissement et éclaircissement d'icelui, se se-
6o8 AL ROY.
roient leneues les conférences de Nerac et du Fieix , par
le moyen desquelles l'exécution seinbleroit estre faci-
litée : ce que vostre majesté cognoistra estre très véri-
table s'il lui plaist faire examiner tous les articles con-
cernant vosdicts subjects de la relligion, lesquels , pour
la pluspart, consistent en la liberté et exercice de leur
relligion , la distribution de la justice et les asseurances
et seuretés.
Pour le regard de la liberté de conscience de ceulx
de la relligion, feut dict par le quatriesme article tant
de l'edict que de la conférence du Fleix, qu'ils pourroient
demeurer seurement par toutes les villes et lieux du
royaume, sans estre enquis, recherchés, molestés, ni
contraints à faire chose pour le faict de ladicte relligion
contre leur conscience.
Sur quoi auroit esté remonstré à vostre majesté, par
le cahier précèdent, qu'il y auroit plusieurs villes no-
tables en ce royaume esquelles ils ne vouidroient souf-
frir ung seul homme de la relligion , Gahors , Castelnau-
dary, Lauzerte en Quercy, et plusieurs endroicts de
Rouergue, et mesmes en Picardie en la ville de Sainct
Quentin.
Item, que ce seroit une chose commune par toute
la France de denier l'habitation aulx ministres et mais-
tres d'école es villes où l'on ne peult prescher selon
Tedict, comme à Metz et pays Messin.
Item , qu'en plusieurs villes lesdicts de la relligion
estoient molestés par continuelles recherches , qui se
faisoient à heures indeues par les maisons , dont seroient
adveneus plusieurs inconveniens.
Item, qu'en plusieurs lieux, s'il advenoit que quel-
qu'ung de la relligion feust condamné à mort , on l'ac-
compagnoit de moines et jésuites, pour lui tourmenter
AU ROY. 609
la conscience jusques à la fin , contre les termes exprès
desdicts edicts et conférences.
Item, qu'on les contraignoit en certaines processions
de tendre leurs maisons ou de payer des tapissiers qui
les tendoient, mesmes de saluer les croix, bannières et
reliques portées à ces processions dont seroient ad veneus
des meurtres, nommeement en Champaigne et Picardie
en l'ardeur des processions blanches, et ce contre le qua-
triesme article des conférences du Fleix.
Item, qu'en certaines courts et sièges, on contrai-
gnoit les advocats et procureurs de payer pour les
confrairies à peine de ne postuler.
Item, que, contre les mesmes articles, ils contrai-
gnoient ceulx de la relligion de contribuer aulx répa-
rations des temples, luminaires, fontes de cloches,
nommeement en pays de Xaintonge, Provence, Nor-
mandie, bailliage deCaux, dont seroient proveneus plu-
sieurs procès. Item , qu'on declaroit les testamens de
ceulx de la relligion nuls, quand ils ordonnoient quel-
que chose pour l'entretenement du ministre.et subven-
tions de leurs povres , comme à Chaslons en Champagne ,
Angers et au Hasvre de Grâce.
Sur lesquelles plainctes à vostre majesté présentées en
son chasteau de Sainct Germain, par le sieur de Clervant ,
au mois de novembre dernier, feut par icelle respondeu
que son intention estoit que son edict feust entreteneu et
exécuté en tous ses articles, et que, pour ce regard, in-
jonction nouvelle seroit faicte àses lieutenans generaulx
de faire punir lesaucteurs, et d'advertir vostre majesté
du debvoir qu'ils y auroient faict, comme aussi aulx
chambres de justice et juges des lieux où ceulx de la
relligion auroient à se retirer, d'en faire bonne et
MÉM. DE DUPLESSIS-MORNAY. ToME ir. 3f)
6ro AU ROY.
prompte justice sans y apporter de négligence ou con-
nivence aulcune.
Ce neantmoins, vosdicts subjects de la relligion n'au-
roient receu aulcung fruict de la response qu'il avoit
pieu à vostre majesté leur faire; ains auroient leurs
maulx et continué et continuent encores; mesmes
accroissent de plus en plus par le peu d'ordre qu'il |
y auroit esté donné jusques à présent, nonobstant
les commandemens de vostre majesté , nommeement
es villes de Rhodez, d'Aurillac, et aultres du hault
Auvergne, ne laissent habiter aulcungs de la relligion,
dont ils sont contraints d'estre vagabonds, et en ceste
qualité poursuivis, et pris par les prevosts , tués et meur-
tris par les champs, n'ayant ung aultre moyen de con-
server leur vie qu'en se retirant avec infinies incommo-
dités es villes qu'il a pieu à vostre majesté leur donner
pour seureté. Le semblable est practiqué en la ville de
Cahors, en laquelle, en haine de la dernière prise d'icelle,
ils ne veullent laisser habiter aulcung de la relligion. A
Lauzerte p^ireillement, ayant esté partie d'eulx reunis en
leurs maisons, après plusieurs poursuites par M. le
mareschal de Matignon, ils ont esté tost après rechassés
par les catholiques du lieu , et s'estant retirés vers la
chambre de l'edict establie àLisle, pour avoir justice
des outrages qui leur sont faicts journellement, leur a
esté respondeu par lesdicts de la chambre qu'ils n'en
peuvent cognoistre.
Agen, et Anonay en Vivarez, ne permettent aulx
voisins d'entrer en leur ville pour jouir de l'exercice
de leur relligion , mesmes renvoyent ceulx qui portent
des enfans pour les faire baptiser; et ce, soubs ombre
qu'ils les appellent estrangers, qui est aussi ung prétexte
commun à ceulx de Languedoc, d'exclure ceulx de la
AU ROY. 61 r
relligion de l'habitation des villes, comme ainsi soit que
tous regnicoles , par l'edict de vostre majesté , y doibvent
avoir indifféremment libre accès et demeure. Aussi
c'est tousjours l'habitation des villes detiiee aulx mi-
nistres, quelque poursuite qu'ils en ayent peu faire,
comme es villes de Lion, Xainctes, Coignac, Angou-
lesme, Chauvigny et plusieurs de Picardie; mesmes sur
les plainctes et remonstrances qui en auroient esté faictes
à la chambre de justice, restante lors à Xainctes, par
le consistoire pour le ministre de ladicte ville-, qui en
auroit esté chassé par le sieur de Ruffecq, gouverneur
de la Provence; icelle chambre craignant de l'offenser
n'en osa prendre cognoissance. Le mesme se faict pour
le regard des maistres d'école et pédagogues, nommee-
ment à Bourges, Mortaigne, Sainct Girons, Uzez,
Agen , Anonay en Vivarez , et Sancerres , desquelles deux
dernières ils ont esté chassés tous fraischement. La court
de parlement de Paris, par arrest du 5 décembre i58a,
a ordonné sur les conclusions du procureur gênerai,
que tous pédagogues , précepteurs , maistres et re.-
gens seront teneus et contraints bailler au recteur leurs
noms et surnoms, et de leurs enfans et disciples, pour
entendre comment ils sont enseignés et quelle relligion
ils tiennent; moyen propre pour les chasser desdictes
villes. Item , les recherches par les villes se continuent
plus rigoureusement que jamais ; car , à Paris , les jours
ordonnés pour les festes, les recherches se font jusques
aulx chambres des artisans pour y voir s'ils travaillent.
A Orléans ils menacent les povres habitans de la relli-
gion d'estre meurtris et saccagés à toutes heures, et en
ont les gardes des portes blessé et offensé plusieurs
n'a pas long temps sans qu'aulcune justice ni mesmes
recherche s'en soit faicte , ni ensuivie , quelque plaincte
6l2 AU ROY.
ou poursuite qu'on en ait faicte envers les juges de la-
dicte ville. Item, à Paris, en Poictou , Provence, Xain-
tonge, continuent, quand ils exécutent quelqu'ung de
la relligion, de l'accompagner de croix, presbtres et jé-
suites qui lui troublent et molestent la conscience
jusques à la mort; et en plusieurs villes, nommeement
à Paris et Limoges, les enfans sont dérobés pour les
baptiser en l'Eglise romaine; à Paris, Lyon, Mascon,
Marchesnois, Montoire , contraignent encores de tendre
es processions, et, à faulte de ce, condamnent à certaines
amendes; raesmes en la ville de Chauvigny ont esté et
sont les biens d'ung particulier nommé Jehan Regnault
annotés pour n'avoir tendu; à Bordeaux, Agen, Poi-
tlîiers, font payer les deniers des confrairies, pains
bénits, messes du palais, aulx advocats, procureurs et
aultres, et aulx écoliers le degré de licencié et doc-
teur est dénié, s'ils n'ont tesmoignage de la relligion
romaine. En mesmes lieux et plusieurs aultres, nom-
meement à Perigueux , on contraint ceulx de la relligion
de contribuer à la réparation des temples, cloches, lu-
minaires; à La Rochelle, s'estant promis mariage ung
jeune homme nommé Pierre Roy et une jeune fille
nommée Marie Dudee, tous deux de la relligion, avec
consentement de leurs parens, leur estant permis de
se marier selon leur conscience, veue l'opposition du
père de la fille qui en auroit appelle à la chambre de
l'edict à Paris, ont esté, par arrest de ladicte chambre,
condamnés de se marier dans deux mois, selon les cé-
rémonies de l'Eglise catholique romaine, sur peine de
deux cens escus avec tous despens, dommages et in-
teresls. En Bretaigne ne veullent recevoir les testamens
de ceulx de la relligion, s'ils ne sont approuvés par
l'official soubs ombre d'ung article de coustume du
AU ROY. 6l3
pays , qui sont tous griefs manifestement contraires à
l'intention de vostre majesté, portées par le susdict
quatriesme article déclaré, par les neuf et treiziesme
articles de vostre edict et quatriesme de la conférence
de Fleix.
Les mesmes plainctes f eurent f aides au roy en Van dernier ,
ainsi qu'il appert par le cahier des remonstrances présentées à sa
majesté par les supplians ; à quoi f eut respondeu {sur le quatriesme
article des remonstrances etaultres concernans les mesmes edicls)
que sa majesté estimoit avoir suffisamment déclaré son intention
par ses edicts de paix qui ont esté publiés par tous les sièges et
lieux de son royaume , et ayant estahli les chambres accordées
par lesdicts edicts , se doibvent lesdicts suppliaiis addresser aulx-
dictes chambres et aultres ses officiers, aulxquels elle commandait
très expressément ( comme derechef elle faict ) de leur faire
bonne et prompte justice ^ en sorte qu'ils jouissent du bénéfice de
tout ce qui est conteneu , et leur a esté accordé par lesdicts edicts *
et où il apparoistroit de négligences ou connivences desdicts of-
ficiers , sadicte majesté en fera faire telle punition que au cas
escherra, et à ce que sa bonne et droicte intention sur l'ob-
servation de ses edicts de paix soit mieulx cogne ue par ung cha^
cung , elle députera promptement aulcungs bons et grands per-
sonnages, qui se transporteront es lieux et endroicts de son
royaume où besoing sera pour faire exécuter , garder et entrete-
nir ses edicts de paix et conférences de Nerac et de Fleix. (i)
Feiit dict, par l'article 5 et 6 de l'edict, que les liaults
justiciers et ayant fiefs de haubert, auroient l'exer-
cice de la reliigion pour tous ceulx qui vouldroient
y aller indifféremment, et sur ce que les procureurs
generaulx, et leurs substituts, en fraude de la loi, au-
roient débattu à plusieurs lieux haulte justice ou
fîef de haubert, pour les exclure de ce privilège, feut
adjousté es conférences de Nerac et Fleix ; pourveu
(i) Les réponses faites par Henri TU,, à ce Mémoire, sont
imprimées en italique.
6i4 AU ROY.
que les haults justiciers feusseiit en possession actuelle
lors de la publication de l'edict , et nonobstant que les-
dicts procureurs generaulx ou leurs substituts feussent
parties contre eulx.
Sur quoi auroit esté remonstré à vostre majesté que
plusieurs gentilshommes haults justiciers, nommee-
ment en Dauphiné, Provence et Beaujolois, estoient
empeschés du susdict bénéfice porté par ledict edict ,
partie par inhibitions expresses du magistrat, partie
par les troubles qu'on leur faisoit susciter par des par-
ticuliers. Item, que le baron de Boudeville, pour son
fîef de haubert de la Rivière Bordet , nonobstant que,
paravant ne lui eust oncques este débattu , n'a peu toutes-
fois jouir du bénéfice de l'edict, pour ce qu'on voulloit
par ce moyen incommoder ceulx de la relligion de la
ville de Rouen. Ce qui pareillement est practiqué à Metz,
Thoul et Verdun , pays de vostre protection, où, pour
tout, ils n'avoient qu'une seule maison de gentilhomme
pour le presche, nonobstant que plusieurs ayent droict
de l'avoir, et en ayent faict instance; qui est contre l'ar-
ticle exprès des articles secrets; qui plus est, qu'on seroit
passé si avant contre les mots exprès de l'edict, qu'on
auroit profité de ce que les gentilshommes, jouissans
actuellement de haulte justice , ne pouvoient toutes-
fois jouir dudict bénéfice, s'ils relevoient en hommage
d'ung seigneur catholique, ce qui nommeement au-
roit esté practiqué en Provence contre le sieur Desguilles
et auhres. Item , que l'exercice de la relligion auroit
esté défendu en vos pays de Picardie , mesmes à la
dame de Pequigny, soubs ombre que c'estoit pays de
frontière : sur quoi auroit pieu à vostre majesté ordon-
ner que ses edicis seroient observes ; et , quant a la
Picardie^ que ladicle de/èfise n'estoit que pour ung
AU ROY. 6i5
temps, et sans préjudice de vostre edict, pendant qu'il
se faisoit assemblée de gens de guerres sur les fron-
tières. Ce nonobstant, soyent demeurées toutes leSsus-
dictes plainctes en leur entier, nommeement celle qui
est pour le regard dudict sieur de Boudeville et de son
fie/ de la Rivière de Bordel, comme encores demeure
la défense de l'exercice de ladicte relligionjaicte de
la la rivière de Somme, et a la dame de Pequigny. Non-
obstant que les prétextes prétendus par le sieur de
Creneveur sont cessés, lesquels, ores qu'ils continuas-
sent , ne semblent avoir deu tenir lieu , veu le peu d'ap-
parence qu'il y a que les assemblées desdicts de la re!-
ligion puissent estre préjudiciables au bien et service de
sa majesté; aussi, en Daupbiné de fraiscbe mémoire,
les sieurs Destapes près Grenoble et Sainct Mauris près
Romans, commençans l'exercice de la reliigion en leurs
maisons, oii ils ont haulte justice, ont esté empeschés
par la court de parlement dudict Grenoble, laquelle
poursuit, tant lesdicts gentilshommes qu'aultres, qui ont
assisté audict exercice, par ajournement personnel. En
Anjou, le seneschal dudict lieu a interdict l'exercice de
la reliigion au sieur de Villiers de Charlemaigne, com-
bien que sa seigneurie de franc aleu ait haulte justice :
de quoi notoirement soit apparu audict seneschal par
bonstiltres et enseisnemens.
Semblables plainctes ont estéfaictes au cahier précèdent es 20,
21, 22 et iZ" articles , entendant sa majesté que les provisions
y ordonnées ayent lieu , et que , suivant icelles, les chambres et
commissaires fassent droict aulx supplians.
Feut dict aussi par l'article 7 de l'edict, et confirmé
parle dixiesme delà conférence du Fleix, que l'exercice
de la reliigion seroit permis es villes et lieux où il estoit
le 18 septembre 1578. Sur quoi auroit esté aussi re-
6i6 AU ROY.
monstre à vostre majesté, par ledict cahier précèdent ^
que l'exercice de ladicte relligion n'auroit encores esté
permis en plusieurs lieux de ceste nature, comme l'isle
d'Albigeois etMontaignac en Languedoc, soubs ombre
qu'audict Montaignac l'exercice de la relligion ne s'y
feit pas le propre jour de l'edict. Item, Villeneufve
d'Agennoys, la Reolle, Perigueux, Lauzerte en Guyenne ,
nonobstant que la chambre de Languedoc auroit esté ,
par la conférence de Nerac , arrestee en ladicte ville de
Lisle, et que la chambre de Guyenne residast lors à
Perigueux , ayant long temps résidé à Agen ; comme
aussi M. le mareschal de Matignon auroit esté plusieurs
fois audict lieu de Villeneufve, desquels lieux debvroit
principalement luire l'exécution de l'edict qui n'est pas
la moindre partie de la justice, c'estoit la principale
cause de l'érection desdictes chambres. Item , qu'en
Dauphiné l'exercice de la relligion auroit esté inter-
dict en la ville de Queras et du bourg Duysens , où il
y a plusieurs paroisses et bourgs; auroit aussi, ledict
exercice , esté interdict à ceulx de la Mure , du bourg
de Moustier et de Glermont; item, qu'en plusieurs
lieux et villes de Provence auroit esté, ledict exercice,
défendu , partie par cri public , partie par arrests pro-
visionnels , sans attendre preuve , contre la teneur dudict
article, nommeement en la ville et ressort de Dragui-
gnan , Digne et Deguille , et par ce moyen, grand nom-
bre de la relligion dcmeuroit privé d'icelle; sur lesquelles
plainctcs à vostre majesté portées comme dessus, feut
par icelle respondeu qu'elle voulloit et ordonnoit le
conteneu audict septiesmc article de son edict, estre
réellement et de faict exécuté, dont seroient expédiées
toutes lesprovisions nécessaires. Ce neantmoins, vosdicts
subjects de la relligion n'auroient senti aulcung fruict
AU ROY. 6 1 7
de ladicte response de vostre majesté, quelque pour-
suite qu'ils en ayent peu faire , tellement que toutes les
précédentes plainctes et causes d'icelles durent encores,
comme nommeement esdictes villes de Perigueux et de
Lisle , quelque instance qui en ait esté faicte vers les lieu-
tenans generaulx et chambres de justice , pareillement
es villes de Florence et Montfort en Armaignac ; l'exer-
cice de la relligion est empesché nommeement au-
dict Montfort, et pareillement audict Florence, par
les garnisons des citadelles y basties depuis la paix.
Item , à Lauzerte en Quercy , Menglon en Daupbiné ,
Mortaigne sur Gironde , en Xaintonge , Brives en Li-
mousin, Tourves en Provence, mesmes à Chastillon sur
Loire , qui est une ville assise loing des animosités ,
des guerres civiles ; ledict exercice qui y estoit le 1 7
septembre 1577, et auroit continué jusqu'en juillet de
l'année 1 58 1 , auroit esté interdict à l'instance de l'abbé
de Sainct Benoist.
Le roy veult que le septiesme article de son edict soit réelle^
ment et tout àfaict exécuté ; et de ce en seront expédiées toutes
les provisions nécessaires.
Feut dict par l'article 8 dudict edict, qu'en chacung
ancien bailliage, c'est à dire, comme exposent les ar-
ticle 2 , article 3, teneus pour tels du temps du roy Henry,
auroit esté ordonné une ville, s'il y en avoit plusieurs,
ou , en default de ville , ung bourg ou village pour l'exer-
cice de la relligion, pour tous ceulx qui y vouldroient
aller; et feut adjousté par la conférence de Nerac, que
ledict lieu seroit à la commodité de ceulx de ladicte
relligion, et, depuis, par celle du Fleix, que lesdicts de la
relligion en nommeroient quattre ou cinq desquels vostre
majesté en choisiroit l'ung; et s'il ne leur estoit com-
mode lieu, en nommeroit dans ung mois après, ung
6i8 AU ROY.
aultre le plus à la commodité que faire se pourroit.
Sur quoi auroit aussi esté remonstré à vostre majesté,
par le précèdent cahier, que l'exercice de ladicte relli-
gion, en plusieurs desdicts bailliages et seigneuries, n'au-
roit encores este establi, comme nommeement en Pro-
vence, Champaigne, Bourgogne, Pays Messin, et ayant
esté establi en quelques lieux , en auroit esté dechassé
par défenses expresses , comme en Picardie et Boulon-
nois , soubs ombre des frontières et de la circonstance
du temps, comme si sa majesté eust eu subject pour le
regard de TEspaignol , moins à doubte que ceux là.
Item, que les gouverneurs les renvoyent à vostre ma-
jesté, quand vostre majesté les avoit renvoyés aulx
gouverneurs , dont advenoit qu'après tant de pertes
passées, ils se consommoient encores en frais; qui plus
est, qu'on leur nommolt le plus incommode lieu de
tout le bailliage, ou esloigné, ou désert, ou dangereux,
contre les mots exprès des conférences. Sur quoi vostre
majesté auroit renvoyé lesdicts supplians à ses lieute-
nans generaulx et aultres officiers , et nommeement aulx
commissaires lors députés , pour se transporter par
toutes les provinces de ce royaume , aulx fins d'y pour-
voir. Ce nonobstant, s'estant retirés lesdicts supplians,
vers lesdicts lieutenans generaulx et commissaires , aul-
cungs, après plusieurs longueurs, auroient esté derechef
remis à vostre majesté , comme ceulx de Chaslons en
Champaigne; à d'aultres auroit esté respondeu, par les-
dicts commissaires , qu'ils n'en avoient aulcune charge;
ensomi^e, n'auroit esté pourveu à aulcungs desdicts
bailliages et seigneuries des lieux, pour ledict exercice,
selon l'intention de vostre majesté , comme nommee-
ment en Perigord, Limozin, Auvergne, Thouraine,
Orléans, Tours, Carcassonne, Coignac, Beziers, Xain-
AU ROY. 619
tonge , Poietou , Lionnois , Beaujolois , Chastelerault
et aultres, mesmes ceulx de la relligion de Lionnois
ne pouvant nommer aultre lieu appartenant a vostre
majesté que Saincte Colombe, ne V avaient pu obtenir,
encores qiiilne leur feust fort commode, soubs ombre
qu'il estait près de la ville de Vienne , en la senes-
chaussée de Sivray en Poietou, combien quelepreschey
eustesté establi parles commissaires designés pour l'exé-
cution de l'edict. Neantmoins les presches auroient esté
interdicts par M. le comte de Lude, gouverneur en
Poietou ; le lieu de Magely ayant esté ordonné par les-
dicts commissaires, pour la seigneurie de Xainctes , et
depuis esté changé par l'auctorité privée de M, de
Ruffecq, en ung lieu plus esloigné et très incommode;
en risle de France la qualité des bailliages, encores
qu'on en faict apparoislre , est débattue comme telui
de Chaumont en Beauvoisis, ou sont renvoyés au gou-
verneur, duquel on ne peult obtenir aulcune provision;
que si on les pourvoit, ou c'est d'ung lieu appartenant
à ung gentilhomme hault justicier, et qui y a desjà esleu
son domicile, comme Mony pour le bailliage de Senlis;
ou si c'est quelque lieu passable , les officiers des lieux
leur forment des oppositions comme ceulx de Mont-
fort et Dreux; ou on les leur baille si incommodes,
qu'ils leur sont du tout inutiles , comme à ceuk de
Meaux; de sorte qu'en toute l'Isle de France ils n'ont
lieux que pour deux bailliages, à sçavoir, Dourdan et
Mantes. Ainsi le lieu de Baugé , qui est très incom-
mode, a esté baillé pour tout l'Anjou , combien qu'ung
aultre beaucoup plus commode eust esté accordé par
feu d'heureuse mémoire , Monseigneur , frère de vostre
majesté, et confirmé par icelle.
Le roy baillera leUres addressees à tous ses lleutenans gène-
bao AU ROY.
raulx aulxquels sera mandé de pourvoir promptement et sans
délai aulx siippUans de lieux pour l'exercice de leur relligion ,
suivant l'edict et les conférences , et en dedans , dix jours pour le
plus tard après que lesdictes lettres auront esté présentées , dont
lesdicts lieutennns donneront advis h sa majesté par ceulx qui
leur auront porté lesdictes lettres ; età faulle d'y avoir esté satis^
faictpar iceulx lieutenans generaulx , sadicte majesté pourvoira
promptement sur les requestes desdicts supplians,
Feut defendeu par l'article 1 1 de l'edict, à tous pres-
cheurs , lecteurs et aultres qui parlent en public, d'user
d'aulcungs propos séditieux; enjoint aulx officiers de
vostre majesté d'y tenir la main , et ce, en suivant la
conférence de Fleix, sur peine d'en respondre en leurs
propres et privés noms , et estre privés de leurs estais,
sans jamais y estre remis. Sur quoi auroit esté vostre
majesté lors advertie parles plainctes contenues au sus-
dict cahier, de plusieurs notables contraventions à cest
article , laquelle auroit promis d'y pourvoir, et mander
à ses officiers de justice d'y tenir la main , sur peine
d'encourir son indignation. Au contraire, ont à se
plaindre , lesdicts de la relligion , que , par la connivence
desdicts officiers, les prescheurs continuent leurs inso-
lens propos de plus en plus , annonçant au peuple que
le temps de la remise des villes est escheu , et par
ainsi rendent les catholiques, en tant qu'en eulx est,
animés à mal faire , et remplissent de défiances lesdicts
de la relligion, au temps qu'ils auroient plus de besoing
de confiance; n'espargnent aussi en leurs presches les
princes qui ont cest honneur d'appartenir à vostre ma-
jesté , mesmes osent bien passer si avant que lascher
des propos contre Testât de vostre majesté, qui est une
plaincte commune en tout ce royaume , et principalement
remarquée en toutes les villes plus notables d'icelui ,
AU ROY. 621
comme Paris , Rouen , Thoulouse , Lion , Orléans ,
Tours, Bordeaux, Aix, Marseille et aultres, esquels
lieux n'y auroit besoing cVauItres lesmoignages pour faire
leurs procès, que les juges et officiers de vostre majesté
qui assistent à leurs presches.
Le roy a déclaré son intenlion sur le conteneu en cest article ,
faisant response au vingt septiesme article du cahier précèdent, et
enjomct ledict seigneur très expressément à ses officiers de tenir
la main à dire qu'il ne soit contreveneu à Vonziesme article de
Vedictdepaix; sur plusieurs demandes arbitraires contre lesdicts
officiers , suspension et privation de leurs offices si elle y eschet.
Feut, parle quatorziesme article de vostre edict, de-
fendeue très expressément l'impression, publication et
vendition de tous livres et escrits diffamatoires, sur les
peines contenues es ordonnances de vostre majesté ,
enjoignant à tous juges et officiers d'y tenir la main;
ce neantmoins, journellement s'in)priment et publient
libelles diffamatoires tendant à sédition, entre lesquels
se trouve aujourd'hui le livre d'un nommé Jean Bru-
neau, advocat, et bien imprimé à Paris avec privi-
lège, et dédié à vostre majesté, auquel livre, entre
plusieurs choses diffamatoires contre ceulx de la relli-
gion, l'aucteur a tant osé que s'attaquer aulx princes
qui ont cest honneur d'appartenir à vostre majesté, les
appelant criminels de leze majesté divine et humaine.
Le roy veult que ce livre soit veu et procédé en cefaict , suivant
la rigueur de son edict de paix.
Feut dict, par l'article i5 dudict edict, que, pour le
regard de la relligion, ne seroit faict d'instruction à
recevoir les écoliers es universités, collèges, écoles,
ni les malades es hospitaulx; sur quoi feut lors par
lesdicts de la relligion remonstré à vostre majesté ,
comme encores à présent ils lui remonstrent, à faulte d'y
622 AU ROY.
avoir esté pourveu par les officiers de vostre majesté,
que es collèges on ne veult recevoiraulcungs regens ni
précepteurs de larelligion, encores qu'il ne soit question
que des lettres humaines; à Paris , Lion , Agen , Thour-
raine , le Maine, Anjou, Vendosmois , Picardie, les
écoliers mesmes n'y en sont en liberté de conscience;
ains sont contraincts d'assister aulx cérémonies de
l'Eglise catholique romaine, nommeement es collèges
d'ancienne fondation, comme celui de Foix fondé par
les prédécesseurs du roy de Navarre, à Thoulouse, où
ceulx de la relligion sont contraincts de céder leurs
places aulx catholiques, d'aultant qu'ils n'y sont souf-
ferts. Item, qu'es villes episcopales, où, par les estats
d'Orléans ont esté destinées certaines prébendes pour
l'instruction de la jeunesse, on ne vouldroit pas seule-
ment recevoir ung soubs précepteur faisant profession j
d'aultre relligion que de la catholique romaine, mesmes
pour enseigner les basses lettres; comme ainsi soit tou-
lesfois que lesdicts biens ne soient moins procédés des
maisons de ceulx de la relligion que des aultres, et
ayent esté affectés par les susdicts estats à ce bon usage,
en considération de tous les deux indifféremment ; bref,
pour empescher les écoliers d'estre gradués en leur pro-
fession, c'est à dire de parvenir aulx dignités qui s'en en-
suivent, en fraude de l'article 19 dudict edict , par le- i;
quel ils en sont déclarés indifféremment capables, ils
les assujettissent en plusieurs universités à certaines
cérémonies répugnantes à leurs consciences , ne les
voullant examiner en quelques villes que devant l'au-
tel, à genoux, et à la fin de la messe, comme à Tour-
non , Aix en Provence et ailleurs; à Nismes, combien
que par le feu roy François I" , de très heureuse mé-
moire, auroit esté fondé ung collège en tiltre d'uni-
AU ROY. 623
versité, et doté de douze cens livres, à prendre sur
les fermiers du scel , et de quattre prébendes à pren-
dre sur les quattre villes plus prochaines; et neant-
moins ont pris depuis quelque temps ledict collège,
tant desdicts quattre prébendes que de la plus grande
part des douze cens livres ordonnées comme dict est,
dont à peine depuis deux ans on a peu tirer desdicts fer-
miers la somme de quattre cens vingt livres.
A Agen les povres de la relligion ne sont aulcune-
ment receus es hospitaulx; à Lion lesdicts povres de la
relligion ne sont receus à l'aumosne générale , sinon
qu'ils assistent à certaines processions et aultres céré-
monies contraires à la liberté de leurs consciences. Aussi
es hospitaulx et aumosnes générales ne sont receus aul-
cuns receveurs que catholiques romains; mesmes quand
ceulx de la relligion font quelques legs pour les povres,
pour l'entretenement du ministre et aultres nécessités
de l'Eglise reformée , les receveurs des hospitaulx et
aumosnes générales se font entièrement payer lesdicts
legs, sans qu'aulcung profit en revienne aulxdicts de la
relligion, comme es susdictes villes de Lion et Agen,
et aussi Chasteaudun et aultres.
Le roy à pourveu sur le conteneu au présent article , faisant
response aulx seiziesme et dix septiesme articles du cahier pré-
cèdent.
Feut, en l'article 8 des articles secrets, dict, pour
l'éclaircissement de l'article 16 dudict edict, que ceulx
de la relligion qui auroient contracté mariage au tiers
et quart degré n'en pourroient estre molestés, ni la
validation desdicts mariages mise en doubte, ne pareille-
ment la succession ostee ne querellée aulx enfans nés
ou à naistre , descendans desdicts mariages. Toutes-
fois, nonobstant ledict éclaircissement et interpréta-
624 AU ROY.
tion , plusieurs de ladicte relligion , mesmes en divers
lieux de Languedoc , Guyenne et Dauphiné , sont mo-
lestés sur le faict desdicts mariages et successions qui
en dépendent, dont peuvent naistre plusieurs procès,
querelles et inconveniens.
Le roy commandera derechef h tous ses officiers de faire
observer ce qui pour ce regard a esté accordé et est conteneu
aulx articles secrets.
Feut dict, par l'article 17 dudict edict, que ceulx
de la relligion ne seroient teneus de prendre dispense
des sermens par eulx prestes en passant les contracts
et obligations , confirmé en gênerai par la conférence
de Fleix , article 4 ; qu'ils ne seroient subjects à aulcung
acte extérieur contre leur conscience ; sur quoi feut
remonstré à vostre majesté, par le cahier précèdent,
qu'il se practiquoit aultrement en plusieurs lieux de ce
royaume, nommeement en Dauphiné, Provence et
Lionnois, oii les lettres de rescision et aultres sembla-
bles , poursuivies par lesdicts de la relligion, n'estoient
scellées, s'ils ne mettoient clause d'obtenir dispense de
leur serment des presbtres et ecclésiastiques, pour forcer,
par ce moyen , la conscience desdicts supplians , ou les
frustrer du bénéfice desdictes lettres. Et combien que,
sur lesdictes remonstrances, ilauroit pieu à vostre ma-
jesté respondre qu'elle feroit donner toutes provisions
nécessaires à ce que lesdicts articles de l'edict et con-
férence feussent observés, toutesfois jusquesà présent
es susdicts lieux et plusieurs aultres ^ comme esparle-
mens de Thoulouse et Bordeaux, la susdicte intention
de vostre majesté n'auroit esté effectuée.
Le roj fera donner toutes provisions nécessaires à ce que le
conteneu en l'article 1 7 ^e son edict soit observé.
Feut dict par l'article 19 dudict edict, que toute
AU ROY. 625
personnes d'une et d'aultre relligion seroient pourveues
et mainteneues indifféremment en toutes charges et di-
gnités, admises et receues en tous conseils et délibéra-
tions , sans estre astreintes à aultres sermens et obli-
gations que de bien exercer leurs charges. A quoi ad-
jousta, pour exposition, la conférence de Nerac, que
lemesmes'observeroites assemblées générales des com-
munautés et villes ; sur quoi feut lors remonstré à vostre
majesté, par ledict précèdent cahier, que notoirement,
depuis que l'edict avoit esté faict, presque aulcun^ de
la relligion n'auroitesté admis en aulcune charge d'im-
portance en tout ce royaume, encores que, grâces à
Dieu, il y en eust assez de capables; que ce peu qui y
estoit entré, y avoit rencontré tant de refus, de frais,
fascheries et dangers, premier que d'en venir à bout,
nonobstant les itératives jussions de vostre majesté
que les aultres en avoient esté comme rebutés d'y pré-
tendre; que ceulx qui, par les troubles, avoient esté
destitués de leurs estats , avoient eu grand peine de s'y
remettre et faire restituer, et que plusieurs encores ne
l'estoient. Item, que, jusques aulx moindres villes,
ceulx de la relligion estoient forclos des moindres es-
tats et de la cognoissance et administration des affaires
communes, et mesmes des élections et délibérations
des maisons des villes, dont advenoit que ceulx de la
relligion, en tailles et impositions, estoient excessive-
ment surchargés, et, qui pis est, qu'en quelques par-
lemens se pratiquoit de n'admettre aulcung en charge,
s'il n'abjuroit la relligion reformée et faisoit serment
de la catholique romaine, dont lors quelques exemples
feurent proposés à vostre majesté. Item , que notamment
la court de parlement de Paris ne recevoit mesmes les
catholiques en charge, s'ils ne faisoient serment de
M£m. de DupLESsis-MoBNvY. Tome ix. Aq
626 AU ROY.
n'estre jamais de la relligion reformée, et s'ils ne con-
sentoient , en cas de changement , que leurs estats feus-
sent Yacans et impetrables. Item , que les commissaires
députés pour pourvoir aulx offices de notaires, ser-
gens royaulx et aultres pareils , mettoient en leurs pro-
visions une clause expresse, qu'il seroit informé si les
pourveus seroient de la relligion catholique romaine,
monstrant par là le désir et le but qu'ils auroient d'a-
néantir et avilir ceulx de ladicte relligion reformée, et les
retrancher, en tant qu'en eulx est, de tout le corps de
Testât, auxquelles plainctes pleust lors à vostre majesté
de faire response qu'elle commanderoit derechef que
sondict edict feust, pour ce regard , effectuellement exé-
cuté. Ce neantmoins, les mesmes contemnemens du-
rent encores en plusieurs provinces de ce royaume, et
de nouveau ont esté pratiqués en personnes de M. Jean
de Lacoste, pourveu de l'office de lieutenant particu-
lier au siège de Montpellier ; de M. Pierre de Valseur,
pourveu d'ung estât de conseiller audict siège; de
M. Pierre de Rudelle , pourveu d'ung office de gênerai
en la court des aides audict Montpellier; de Jacques
de Lorran , pourveu en Testât de prevost de Realmont;
de Lafont, pourveu de Testât déjuge d'Alby, lesquels
n'ont pu jouir de leurs estats, quelques jussions qu'ils en
ayent obtenues, et quelque suffisance qu'il ait esté trouvé
en eulx en Texamen , ne leur restant pour tout que faire
le serment. Le mesme s'est faict en la personne d'ung
aultre, pourveu de Testât de lieutenant particulier au
siège de Bazas, auquel mesmes n'a esté permis de s'en
démettre en faveur d'ung catholique; et mesmes au-
dict parlement de Thoulouse, auquel, de fraische mé-
moire, sur certain différend meu entre des compéti-
teurs pour la régence en la faculté de médecine, en
AU ROY. 627
l'université de Montpellier, ledict parlement auroit or-
donné, par arrest, qu'il seroit informé de la vie , mœurs
et relligion desdicts compétiteurs.
Sur pareilles plaùictes conteneues au vingt nemnesme article
du cahier précèdent , le roy a déclaré son intention, et ordonne
sa majesté d! observer diligente nient le conteneu au dix iieuviesme
article de sondict edict.
Feut dict en l'article 20 dudict edict, qu'il seroit
pourveu promplement en chacun» lieu, par les officiers
et magistrats, d'une place fa plus commode pour l'en-
terrement des morts de ceulx de la relligion, à quoi
adjousta la conférence de Fleix, à cause des remises
et longueurs dont on y usoit, qu'il y seroit pourveu
dans quinze jours après la réquisition, à peine aulx-
dicts officiers et magistrats de cinq cens escus en leur
propre et privé nom ; sur quoi feut aussi remonstré à
vostre majesté par le précèdent cahier à elle présenté,
comme sus est dict , que l'exécution dudict article
auroit esté jusques alors déniée presque partout le
royaume , dont seroicnt ensuivis plusieurs actes inhu-
mains , scandaleux et horribles à ouïr ; et que les offi-
ciers pensoient estre absous de leurs charges, quand
ils auroient allégué que les fonds estoient mouvans
d'ung catholique, ecclésiastique ou communauté, contre
l'intention manifeste de ledict, mesmes que les juges
et ecclésiastiques n'auroient de honte de les persécuter
soubs terre , ordonnant que les corps seroient desfouis
des cimetières où ils gisoient, comme de faict ils l'avoient
esté en aulcungs lieux , combien que lesdicts corps feus-
sent demi pourris. Sur lesquelles plainctes et remons-
trances auroit pieu à vostre majesté faire response
qu'elle voulloit et entendoit les susdicts articles estre
observés et les contraventions punies par telles repa-
GiS AU ROY.
rations qu'il echeeroit, et que, pour cest effect, vostre
majesté commanderoit aux chambres establies pour le
faict de la justice de procéder à la punition des juges
qui n'auroient obéi auconteneududictedict, et mesmes
en escriroit aulx lieutenans generaulx aulx provinces,
afin dV pourvoir et l'advertir de ce qui n'auroit esté
faict pour ce regard : ce nonobstant, quelques pour-
suites qui ayent esté faictes par ceulx de ladicte relligion
envers les officiers de vostre majesté , n'ont peu jus-
ques à présent jouir du bénéfice de vostre dict edict ,
en ce qui concerne l'enterrement et sépulture des morts ,
comme à Paris, Lionnois, Beaujolois, Picardie, Cham-
paigne, Bourgongne, Auvergne, Limozin, Agen , la
Reolle, Bordeaux, Xainctes, Orléans, Gien sur Loire,
Carcassonne, Narbonne, Beziers, Aix en Provence et
plusieurs aultres , et si , en quelques lieux , par grande
importunité , lesdicts de la relligion ont esté pourveus
pour enterrer leurs morts, ça esté en desvoieries et lieux
notoirement infâmes, comme à Riom en Auvergne,
Mascon, Agen et quelques aultres lieux; et qui plus
est, les corps ont esté déterrés comme à Aix , Brignolles
et mesmes à Mauvoisin près Chartres; les corps du
sieur de Lagrappe et de deux aultres de la relligion ont
esté déterrés, traisnés à la voierie et mangés des oiseaux
et bestes. A Chasteauneuf , près Orléans, par faulte de
la susdicte provision, ayant esté ung corps enterré en
uncr coing de cimetière public, depuis ung an, le curé
dudict lieu le feit déterrer de nuict , et lui ayant mis
luie corde au col, le feit traisner à la voierie, où les
chiens le mangèrent. A Vandosmes, Mondoubleau , et
Sanguigny en Vandosmois, le peuple faict sonner le
tocsin pour empescher que les corps des morts de la
relligion soient enterrés; A l'hospital, à Lion, combien
AU ROY. 62g
qu'ils permettent que les corps de ceulx de la relligion
soient enterrés à l'hospital , accompagné par le cheva-
lier du guet, ce neantmoins, cela se faict avec grandes
extorsions et rançonnemens par les chevaliers du guet,
jusques à exiger vingt cinq et trente escus pour acconî-
pagner ung corps, et prendre, des plus povres, ung
escu pour le moins , qui est notoirement contre le qua-
triesme article d." la conférence de Nerac, par lequel
défenses sont faictes, autant aulx officiers qu'aulx aul-
tres, de rien exiger pour la conduicte desdicts corps,
sur peine de concussion.
Le roy enjoinct derechef h tous ses officiers , suivant la res~
ponse contcneue au trente unie sine article du cahier précèdent, de
pourvoir sur la demande des supplians selon le conteneu de son
eclict , en sorte qu'ils riayent occasion de retourner plainctif s à
sa majesté.
Feut aussi dict par le second article de la conférence
de Nerac, qu'il est permis à ceulx de la relligion pou-
voir acheter, faire édifier et construire des lieux pour
faire ledict exercice de ladicte relligion , et que les lieux
qui se trouveroient avoir esté édifiés par lesdicts de la
relligion, leur seroient rendeusen tel estât qu'ils sont; en
conséquence duquel article, ceulx de ladicte relligion qui
sont en la ville de Lion auroient par ci devant obtenu
lettres de vostre majesté pour avoir restitution des lieux
et places acquises par ci devant en ladicte ville de Lion;
ce neantmoins, tant s'en fault qu'ils ayent senti l'effect
desdicteslettres, qu'au contraire, non seulement ne leur
ont esté rendeues les places, mais aussi ceulx de l'au-
raosne générale dudict Lion poursuivent de s'en faire
faire donnation par ceulx soubs le nom desquels elles
auroient esté acceptées, chose notoirement contraire,
tant au susdict article, qu'à toute équité et raison.
63o AU ROY.
Supplient donc très humblement vostre majesté,
vos dicts subjects delarelligion reformée, que, comme
il lui a pieu, par sa bonté et équité , leur accorder les
choses qu'elle a jugées leur estre nécessaires pour le
contentement de leurs consciences, il lui plaise aussi,
par son auctorité et justice, pourvoir qu'elles leur
soient entreteneues et observées ; et parce que par les
lussions et expéditions qui lui auroit pieu par ci devant
leur octroyer sur les susdicts articles, il leur soit assez
appareu de la bonne volonté et intention de vostre ma-
jesté, conformément à ses edicts; mais que , par mesme
moyen, ils auroient cogneu le peu d'affection et de
soing que plusieurs de vos officiers, qui auroient as-
sisté et pourroient assister à l'exécution d'icellcs, y ap-
portoient, supplient humblement vostre majesté de
faire si bien paroistre à ce coup vostre volonté et in-
tention , que ceulx qui y contreviendront n'en puissent
attendre aulcune impunité , et que vos officiers n'ayent
excuse, remise ni délai quelconque, suivant ce que,
par vos edicts et-conferences sur ensuivies , il auroit esté
promis et arresté , que, sur les plainctes qui se feroient
à vostre majesté des defaults à l'exécution de vos dicts
edicts, il leur seroit fait droict et satisfaction dedans
ung mois au plus tard, que les plainctes lui auroient
esté adressées.
Or, parce que vos dicts très humbles subjects de la
relligion se ressouvenoient , lorsque le présent edict
feut basti , qu'ils avoient esté diversement exercés par
les precedens, ils prevoyoient assez qu'ils rencontreroient <
à l'avenir telles inexécutions, à quoi auroient tasché
de pourvoir en quelque façon , tant par divers sermens
des principaulx officiers de vostre couronne, parle-
mens, sièges, gouverneurs des provinces, magistrats
AU ROY. 63 1
des villes, etc., adjoustés à icelul que, principalement
par ung certain ordre establi par la debonnaireté de
vostre majesté en vostre justice, moyennant lequel ils
esperoient qu'elle leur seroit droictement et également
distribuée , et à ceste fin feut dict par l'article vingt
uniesme , vingt deuxiesme, vingt troisiesme et vingt qua-
triesme de l'edict , déclaré par le cinquiesme, sixiesme
et septiesme de la conférence de Nerac , et onziesme ,
douziesme et treizicsme de Fleix, que certaines cham-
bres seroient érigées en chacung parlement pour la
cognoissance des faicts esquels ceulx de ladicte relli-
gion seroient intéressés avec les catholiques romains,
le tout pour éviter haine et faveur, et qu'ils les juge-
roient en dernier ressort comme les courts souveraines,
et qu'à toutes aultres seroit defendeu , sur peine de nul-
lité , despens, dommages et interests des parties, de
juger esdicts cas , sinon du consentement des parties.
Sur quoi auroit esté remonstré à vostre majesté, par le
précèdent cahier, que vostre edict estoit ou inexécuté ou
enfreint en diverses sortes qui lui feurent lors repré-
sentées, et auxquelles il lui pleut aussi leur ordonner
tels remèdes que lors lui sembleroit convenir; estimant,
vostre majesté, que les jussions qu'elle leur octroyoit
sur icelles leurs remonstrances seroient incontinent
obeies, comme ainsi soit, toutesfois que pax icelles
leur condition n'ait receu aulcung commandement; au
contraire , comine le mal va tousjours en croissant, soit
tousjours allé de mal en pis.
Premièrement, remonstrent vosdicts très humbles
subjectsdela relligion, qu'encores que, par les dixiesme
et onziesme desdicts articles , soit dict que la liste des
conseillers ordonnés pour les chambres establies par
vostre edict, seroit communiquée aulx députés du roy
632 AU ROY.
de Navarre et ceulx de ladicte relligion , avant qu'estre
admis et receus pour servir en ladicte chambre; neant-
moins, en contrevenant à ce que dessus, aulcungs
conseillers suspects et mal affectionnés aulxdicts de la
relligion , ont esté admis et receus en aulcunes desdictes
chambres, mesmes à celle de Paris , Dijon et Bordeaux ;
parce que ce mal seroit veneu de ce que lesdicts articles
secrets, faicts lors de vostre dict edict, n'auroient esté
encores vérifiés ni enregistrés en vos courts de parle-
mens, et mesmes en celle de Paris, dont aussi soit ad-
veneu que plusieurs ont esté jugés contre la teneur des-
dicts articles ; plaira à vostre majesté ordonner que ,
suivant l'article huitiesme de la conférence de Fleix,
les lettres et expéditions nécessaires pour cest effect,
seront expédiées et envoyées , tant esdictes courts de
parlemens que chambres de l'edict , où lesdicts ar-
ticles nauroient este verijiés et enregistrés , pour , la-
dicte vérification faicte , leur enjoindre de juger et pro-
céder suivant iceulx.
Fassent la' siipplians exécuter les lettres sur ce par eiilx obte-
neues , n' entendant sa majesté avoir faict don au contraire.
Item , remonstrent vos dicts subjects de la relligion,
maintenant, comme ils faisoient lors, que depuis ledict
temps quelques unes desdictes chambres, quelque in-
stance qu'on en ait peu faire, ne sont encores establies,
dont s'ensuit ung notable reculement de justice. De
faict, en vostre pays de Provence, en vostre parlement
d'Aix, la chambre de l'edict n'est encores establie ; qui
plus est , ceulx dudict parlement ont donné plusieurs
arrests contre ceux de ladicte relligion , desquels la cog-
noissance leur est interdicte , par lesquels ils auroient
esté condamnés et exécutés à mort, nommeement le capi-
AU ROY. 633
taine Audebert, Jehan Gippier et plusieurs aultres, aussi
condamnés par default et contumace, et leurs biens
saisis et annotés , oultre ce qu'ils poursuivent journel-
lement ceulx de la relligion , nonobstant le renvoi par
eulx requis à ladicte chambre de l'edict; prévoyant
bien , vos dicts subjects de la relligion , par ce qui
s'est passé en la poursuite de l'establissement de ladicte
chambre jusques ici , qu'elle ne pourra estre sitost
dressée que la nécessité le requiert , qui leur faict sup-
plier très humblement vostre majesté ordonner qu'at-
tendant icelle, toutes leurs causes en icelui pays, meues
et à mouvoir, soient commises à la chambre ordonnée
par vostre majesté en vostre pays de Languedoc, et
tous arrests jà donnés par ladicte court de parlement
d'Aix , déclarés pour non advenues.
Le roy fera proinptement establir la chambre de Fedict accor~
dee pour le parlement de Provence ; et pour cest effcct seront
expédiées toutes les provisions nécessaires.
Item, combien que la chambre de justice du Dau-
phiné ait esté ci devant establie, suivant l'edict, en
la ville de Grenoble, neantmoins depuis, elle auroit
esté, contre la volonté et au préjudice de ceulx de la rel-
ligion , incorporée en la court de parlement dudict Gre-
noble, et qui pis est encores, en ladicte seconde cham-
bre dudict parlement, o\x n'y a aulcungs conseillers de
ladicte relligion : partant , plaira à vostre majesté or-
donner que ladicte chambre soit remise comme elle
estoit, suivant ledict edict, avec un bon règlement pour
l'administration de la justice, et une asseuree assigna-
tion pour le payement des gages des officiers de ladicte
chambre.
Le roy, après avoir eu la response sur la lettre, qui, pour ce.
634 AU ROY.
sera escrile aulx gens tenons la court de parlement de Dau-
phiné , pourvoira au conteneu de cest article ainsi qu'il escherra.
Ilem , la chambre, pour ceulx de la relligion au par-
lement de Bourgongne, est composée des plus pas-
sionnés, et contraires à ladicte relligion.
Et est ce mal adveneii parce que la forme de la no-
mination requise par Tedict, n'a esté gardée ni obser-
vée; car le roy de Navarre, auquel la nomination est
doniiee, n'a oncques esté instruit ni informé de ceulx
de la relligion pour faire l'élection et nomination des
conseillers et presidens de ladicte chambre.
Ains se sont trouvés quelques ungs commis pour les
estats dudict pavs de Bourgongne, instruicts de ceulx
de ladicte relligion romaine, qui ont donné ledict rolle
et déclaration, imposant par ce moyen au seigneur
roy de Navarre, et aulx siens, à la foulée et oppression
desdicts de la relligion, lesquels ont nommé les plus
passionnés de ladicte relligion romaine, selon l'instruc-
tion qu'ils en avoient.
Qui est cause que maintenant on contrainct ceulx
de ladicte relligion de plaider devant eulx, comme
ainsi soit que l'élection des chambres n'est pas une
loi qui leur impose nécessité, ains ung privilège accordé
de grâce par vostre majesté, qui doibt demeurer à leur
option.
Demandent , par supplication très humble , que nou-
velle nomination soit accordée au seigneur roy de
Navarre, et de telle nomination ladicte chambre soit
establie.
Le j-oy accorde qu'il soit procédé à nouvelle nomination pour
la chambre de Vedict au parlement de Bourgongne.
Item, d'autant que la chambre de justice , qu'il avoir
AU ROY. 635
pieu à vostre majesté envoyer en Guyenne , a esté ré-
voquée , et que, depuis la revocation d'icelle, messieurs
de la court de parlement de Bordeaux entreprennent
la cognoissance des procès, esquels vosdicts subjects de
la relligion sont parties, sera vostre bon plaisir, suivant
la teneur de vostre esdict, et l'article ii des articles
de la conférence deFleix, restablir en ladicte Guyenne,
ladicte chambre tripartie, et pourvoir, au lieu des dé-
cèdes, d'aultres juges de la relligion, lesquels ils sup-
plient très humblement vostre majesté, de grâce spé-
ciale, les leur donner; et, attendant que ladicte chambre
soit restablie, soit interdict et defendeu à la court de
parlement de Bordeaux, de cognoistre et juger les
procès de ceulx de ladicte relligion, sur peine de nullité,
suivant l'article i3 de la conférence de Fleix, et que
tous arrests qui se trouveront par elle donnes, soient des
à présent cassés et révoqués; et, après ladicte chambre
restablie, ordonner qu'elle pourra juger les procès au
nombre ordonné et accoustumé , sans garder la pro-
portion du tiers, ains selon qu'elle se trouvera pro-
portionnée et assemblée.
Le roy veult que la chambre de Vcdict soit promplement res-
tahlle au parlement de Bordeaux , suivant les provisions sur ce
expédiées et accordées , et qu'il soit procédé ii nouvelle provision
d'xin^ conseiller en ladicte chambre^ qui soit de la relligion
pretendeue reformée , si tant est que à présent il ne s'en trouve
audict parlement jusques au nombre de quattre qui soyent de la-
dicte relligion.
Item, suivant le cinquiesme article de la conférence
de Nerac, ont esté pourveus deux huissiers en ladicte
chambre de Guyenne, qui sont Jehan Delalane et
Jehan de Bregny, et par vos lettres patentes du 2 de
juin i58i , en conséquence de l'onziesme article de la
636 AU ROY.
conférence de Fleix, vostre majesté auroit déclaré
qu'advenant cassation et interruption de ladicte cham-
bre, lesdicts deux officiers seroient unis et incorporés
en icelle , pour raison de quoi lesdicts Delalane et
Bregny auroient payé , et mis es mains des thresoriers de
vos parties casuelles, la somme de 600 escus chacung,
à la charge de ladicte incorporation , et depuis , ayant
esté ladicte chambre interrompeue et incorporée en
ladicte court du parlement, lesdicts Delalane et Bregny
s'estans présentés à icelle avec vos lettres de déclara-
tion, elle auroit déclaré par son arrest du 28 mai i582,
n'y avoir lieu de ladicte incorporation, qui seroit ung
grand préjudice non seulem.ent à eulx , mais à tous
ceulx de ladicte relligion dudict ressort, pour les refus
et difficultés que les aultres officiers font de faire aul-
cuns exploits et actes pour eulx. Partant plaira à vostre
majesté ordonner que lesdicts Delalane et Bregny
soient des à présent incorporés et rendeus jouissans
desdicts offices en ladicte court de parlement de Bor-
deaux, tout ainsi que les aultres huissiers d'icelle, et
pour servir aulxdicts de la relligion en la chambre
de Tedict, lorsqu'elle sera restablie là partout où elle
fera sa stance.
Lesdicts Delalane et Bregny communiqueront leurs lettres de
provision aul.v advocats et procureurs generaulx du roy au par ^
lement de Bordeaux ., qui donneront advis à sa majesté sur le
conteneu au présent ai-ticle.
Comme aussi Pierre de Lartigue auroit esté ci devant
pourveu de Testât de concierge, et garde de palais de
ladicte chambre, dont il, auroit joui lorsqu'elle faisoit
sa stance à Agen; et depuis, en la court de justice,
par vous envoyée en Guyenne; lequel il plaira à vostre
majesté ordonner qu'il jouira desdicts estats de con-
AU ROY. 637
cierge et garde dudict palais, lorsqu'elle sera restablie ,
en quelque lieu et part qu'elle fasse sa stance.
Seia ordonné sur la demande dudict Lartigue , lorsque le cas
y escherra.
Item , par ledict edict est porté que les conseillers de la
chambre de Languedoc seront pris du grand conseil
ou aultres courts de parlement, hormis celle de Paris,
laquelle est interdicte en toutes les causes de ceulx de
la relligion, dont s'ensuit le partage des procès mesmes
criminels, pour raisons des excès commis par les ca-
tholiques contre ceulx de la relligion, se declarans les
catholiques juges incompetens, et renvoyans les juge-
mens en la court de parlement, au moyen de quoi
lesdicts excès demeurent impunis au préjudice de ceulx
de la relligion , ainsi qu'il a esté ci devant remonstré à
Yostre majesté, sans qu'il y ait esté pourveu. Partant
sera vostre bon plaisir ordonner que les conseillers
catholiques seront pris du grand conseil et aultres
courts de parlemens, aultres que dudict lieu, suivant
ledict edict, et sera par eulx procédé aux jugemens
desdicts procès jà partis suivant le conteneu de l'article
^3 et 24 d'icelui edict, et où il echeoiroit partage à
l'advenir , seront lesdicts procès jugés à la plus prochaine
chambre , sans qu'il soit besoing pour cest effect aulx
parties obtenir aulcune provision.
Feut accordé de prendre les conseillers catholiques du grand
conseil, lorsque la chambre feut composée tripartie, ce qui a
esté changé, ayant depuis esté ladictc chambre faict mipartie
par la conférence de Nerac , et ordonne le roy tant h ladicte
court que h ladicte chambre de V edict , d observer le conteneu
desdicts edicls et conférences , selon le règlement qui leur sera
pour cest effect envoyé.
Item , combien que par ledict edict , soit enjoint à
638 AU ROY.
ladicte court de parlement de Paris renvoyer en ladicte
chambre, tous procès meus et à mouvoir, ou lesdicts
de la relligion sont parties principales ou accessoires,
et soient apportés les procès en ladicte chambre, neant-
moins ladicte court retient à elle lesdicts procès et la
cognoissance d'iceulx, et empesche Texploict des lettres
adressantes à ladicte chambre en cassation, des procé-
dures et arrests donnés par ladicte court de parlement |
sur ladicte rétention et d'aultres, tant de la chancel-
lerie que des commissaires ordonnés par ladicte cham-
bre, contraignans les parties à poursuivre la permission
d'exploict, cpi'on ne peult obtenir qu'à grand' peine et j
difficulté par incidens et arrests de ladicte court, qui .
sont de grandes longueurs et frais insupportables aulx
parties , contrevenant directement au vingtiesme des
articles de la conférence de Fleix , où est dict que tous
exploicts seront faicts sans demander placet, visa ne
pareatis.
£st ordonné sur cest article comme au précèdent.
Plaira donc à vostre majesté faire dresser, le plus
promptement que faire ce pourra, le règlement promis
par l'article i5 de la conférence de Fleix, d'entre la
court de parlement de Thoulouse et la chambre de
justice establie pour le ressort d'icelle, sans avoir esgard
au règlement précèdent revocqué par ledict article, et
aux arrests donnés en conséquence d'icelui, au préju-
dice de l'edict et article a/j, par lequel la cognoissance
de toutesmatieres, indifféremment, sans nulle exception,
où lesdicts de la relligion sont demandeurs ou défen-
deurs ou garans, est attribuée à ladicte chambre, de-
clarans lesdicts arrests de nul effect et valeur comme
non adveneus : et soit porté par ledict règlement que
AU ROY. 639
iadicte chambre pourra cognoistre tant du domaine
du roy, deniers royaulx, règlement des officiers du
roy , estans de Iadicte relligion , police des villes, affaires
et communauté, affermes et reveneus ecclésiastiques,
finalement des cas , excès et contraventions commises
par les catholiques, poursuivis et preveneus par ceulx
de Iadicte relligion, soit pour les contraventions faictes
aulxdicts edicts ou aultrement; et, en attendant ledict
règlement, que celui qui a esté faict par la chambre de
Guyenne, sera suivi en Iadicte chambre, et que le sem-
blable sera faict et observé pour le regard des aultres
chambres.
Le roy , suivant le règlement conteneu au présent article^ a
ordonné qu'il sera procédé à nouveau règlement ^ ainsi qu'il a
esté accordé par le seiziesme article de la coriference de Fleir. ; et,
à ces fins, et pour procéder audict règlement au plus tost que faire
se pourra , sa majesté a commis les cinq presidens et ses gens en
sa court de parlement a Paris.
Item, combien que Iadicte cliambre de Languedoc
ait cogneu et jugé des affaires dont la cognoissance
lui est attribuée, neantmoins, la court de parlement
de Paris, révoquant les arrests de Iadicte chambre, juge
le contraire contre la teneur des edicts et articles des
conférences, comme seroit adveneu au faicl du meurtre
proditoire du sieur de , par aulcungs ses subjects;
les aucteurs duquel estans condamnés à mort, par
arrest de Iadicte chambre , Iadicte court de parlement
par aultre contraire arrest auroit empesché l'effect et
exécution de Iadicte condamnation, qui est une pure
contrariété et contravention aulxdicts edicts; et prac-
tiquent le semblable en plusieurs instances et mille cas,
cassans les arrests donnés en Iadicte chambre, comme
aussi Iadicte court de parlement et aultres prennent
64o AU ROY.
cognoissance, contre ceulx de ladicte relligion, des cas
abolis et assoupis par les edicts et articles des confé-
rences , nonobstant le declinatoire par eulx proposé,
estans sur ce interveneus plusieurs et divers arrests de
condamnation par lesdicts cas abolis, mesmes pour les
débiteurs des affermes ecclésiastiques pris et employés
aulx frais de la guerre pendant les troubles, par ceulx
de la relligion par le commandement du roy de Navarre,
dont ils sont decbargés par lesdicts edicts, et suivant
lesquels ils n'en peuvent estre recberchés. A ceste cause
plaira à vostre majesté interdire aulxdictes courts de
parlement la cognoissance desdicts faicts , attribués aulx-
dictes chambres de Tesdict, privativement à tousaultres
juges; et neantmoins casser et annuller tous arrests
donnés au préjudice de ceulx de ladicte relligion, après
le declinatoire par eulx proposé, et ordonner que tous
procès, concernans le faict des troubles, seront veus
et jugés esdictes chambres, leur enjoignant d'y pro-
céder suivant lesdicts edicts.
Le roy charge l'honneur de ses presidens et conseillers , tant
en courts de parlement que chambres de l'edict , de n'entre"
prendre aulcune cognoissance au préjudice du conteneu en ses
edicts de paix j leur ordonnant d'observer le règlement qui sur
ce sera faict par les susdicts députés. l
Comme aussi , suivant le quinziesme des articles se- |
crets, les presidens et conseillers de nouveau soient
nommés et teneus du nombre des presidens et con-
seillers des parlemens, au ressort desquels sont establis, |
et jouissent des honneurs , auctorités et prééminences ,
gages et droicts semblables que les aultres presidens
et conseillers esdictes courts , et tout ainsi que s'ils
avoient esté receus en icelles ; et , à cest effect , ils auront
entrée, séance et voix deliberative esdictes courts de
AU ROY. 641
parlement selon Tordre de leur réception, enjoignant
auîxdictes courts de les y recevoir sans délai , et attendre
plus spéciale provision.
Comme au précèdent.
Et en oultre, que les chancelleries pour Texpedition
des lettres et actes de justice, soient promptement
establies esdictes chambres , suivant l'article 5 de la
conférence de Nerac, et y soient aussi mis deux huis-
siers et procureurs, postulans jusques au nombre en
chacune d'icelles , aulxquels estats soit pourveu à la
nomination du seigneur roy de Navarre gratuitement
sans payer finance.
Le roy veult que lesdictes chancelleries soyent promptement
établies ; et^ quant au nombre de procureurs et huissiers, sera sceu
s' il y a esté pour \<eu ci devant, et quel nombre y peult estre requis ,
pour cefaict , estre ordonné et pourveu au conteneu en cest article.
Item , comme il auroit pieu à vostre majesté par le
huitiesme article de la conférence de Nerac ordonner
qu'en toutes instructions de procès criminels , es cours
de Bordeaux, Garcassonne , Rouergue , Quercy, Lau-
raguois, Beziers, Montpellier et Nismes, le magistrat
ou commissaire , député pour ladicte instruction , s'il
est catholique, sera teneu prendre ung adjoinct qui soit
de ladicte relligion reformée , gradué et de la qualité
requise, comme ensemble si ledict magistrat ou com-
missaire est de ladicte relligion, il sera teneu en la
mesme forme prendre ung adjoint catholique ; plaira
à vostre majesté ordonner que le semblable soit suivi
et gardé en Dauphiné, Provence, Guyenne et aultres
lieux , et soit aussi mandé et très expressément enjoinct
aux prevosts et lieutenans generaulx qui contrevien-
nent à ce que dessus, en procédant contre ceulx de
MÉIM. DE DUPLESSIS-MORJVAY. ToME II. 4 I
64^ AU ROY.
ladicte relligion , de n'enfreindre ceste ordonnance , et
ne procédera l'instruction et jugement des procès, que
la compétence ne soit au préalable jugée par les cham-
bres, aulxquelles soit aussi enjoint d'y vaquer promp-
tement , toutes affaires cessantes.
Le roy ne trouve bon d'adjouster aulcune chose à son edict.
Par le trente quatriesme et trente huictiesme article
de l'edict, toutes sentences , jugemens, arrests, procé-
dures, saisies, ventes et décrets faicts et donnés contre
ceulx de la relligion, à l'occasion de ladicte relligion;
tumultes et troubles depuis adveneus , ensemble l'exé-
cution d'iceulx, sont cassés et annullés, et semblable-
ment toutes aultres procédures, jugemens et arrests
faicts et donnés en quelque aultre matière, pendant
les troubles, et les parties remises en Testât qu'elles
estoient auparavant ; nonobstant quoi , depuis , on a veu
que plusieurs se seroient aidés des procédures, sen-
tences, jugemens et arrests de la qualité susdicte contre
lesdicts de la relligion; et lorsqu'ils ont requis et pour-
suivi la cassation aulx courts souveraines et subalternes,
les juges, au lieu de promptement ordonner ladicte cas-
sation, auroient longuement différé; et, es causes crimi-
nelles, quand y avoit décret sur l'inquisition, auroient
ordonné que les requerans cassation se presenteroient
en personne; lesquels, s'estans présentés, ont esté re-
teneus prisonniers , sans pouvoir jouir du fruict de l'edict
qu'aulx longueurs et ennuyeuses poursuites; comme
aussi a esté faict le semblable de plusieurs faicts abolis '
par l'edict , pour lesquels , nonobstant ladicte abolition ,
ceulx qui en estoient chargés ont souffert de grandes
vexations, ayant esté faicts prisonniers et longuement
deteneus es prisons. A ceste cause , plaira à vostre ma-
AU ROY. 643
jesté ordonner et enjoindre à vos courts de parlement,
chambres de TedictjSeneschaulx et tous aultres juges, de
bien et dibgentement entretenir ledict edict; et , suivant
icelui, pourvoir sur la cassation desdictes procédures,
jugemens et arrcsts promptement et sommairement,
sans entrer au fonds principal de la matière, ne, soubs
prétexte des décrets, retenir prisonniers ceulx qui re-
querront ladicte cassation, ni aultrement procéder
contre eulx jusques à ce que l'instance de cassation soit
jugée ou cogneue, et jugé si les faicts, dont sera ques-
tion, sont abolis par l'edict; interdisant pareillement
aulx parties et tous aultres de s'aider desdictes procé-
dures, jugemens et arrests cassés et révoqués par l'edict
contre et au préjudice desdicts de la relligion.
Les députés, pour le susdict règlement , donneront advis à sa
majesté sur le conteneu au présent article, pour, icelui veu, cstre
ordonné ce que de raison.
Et d'aultant qu'en plusieurs articles de l'edict et de
la conférence a esté faict distinction de ce qui a esté
faict par hostilité, et hors la voie d'hostilité, soubs la
généralité desquels mots sont surveneus plusieurs dif-
férends et diversité d'opinions, sera le bon plaisir de
vostre majesté pour oster toutes difficultés, en suivant
les déclarations du feu roy, faictes le 8 juin i563 et
17 d'avril i565, déclarer que, soubs ce mot d'hostilité,
sera compris et entendeu, non seulement ce qui aura
esté faict en camp ou assemblée de gens de guerre,
marchant sur les champs ou faisant courses ou entre-
prises, mais aussi tout ce qui se trouvera faict par
force d'armes hors camp ou armée, et par ceulx qui
ont commandement, ou sont commandés et ad voués
d'ung parti contre l'aultre, encores que le faict soit ad-
veneu en l'absence du capitaine , et sans la conduicte
644 ^U ROY.
cl'icelui; au contraire tout ce qui se trouvera faict aul-
trement n'estre compris soubs le mot d'hostilité.
Comme au précèdent.
Feut dict , par l'article ^9 de vostre edict , que toutes
places, villes, provinces, etc., useroient et jouiroient
de mesmes privilèges, libertés, jurisdictions, siège de
justice que par avant les troubles, nonobstant toutes
lettres et transactions à ce contraires , et par exprès
adjousté en l'article 9 de la conférence de Nerac, que
les justices de Montauban , Montpellier, Nismes, seroient
restablies ; sur quoi auroit esté remonstré à vostre
majesté par le précèdent cahier, qu'on enervoit en tout
ce qu'on pouvoit les sièges presidiaux assis es villes
qui auroient faict profession de la relligion , mesmes
en aulcune des susnommées; à quoi encores, non-
obstant leurs plainctes et poursuites, n'auroit esté pour-
veu; remonstrent donc derechef qu'encores à présent
on auroit distrait partie de la ville et seneschaussee de
Nismes , ayant aulcungs poursuivi de faire dresser au
diocèse de Givaudan et dans la ville de Mende, ung
siège de seneschal éclipsant ledict diocèse du ressort
ancien du siège du seneschal de Beaucaire et Nismes ,
séant audict Nismes; ce qui seroit grandement préju-
diciable au bien de vostre service, utilité et commo-
dité de vos subjects, et contre la teneur de vos edicts
de pacification et conférence de Nerac et Fleix. Car,
lorsque l'edict de pacification dernier feut dressé pour
régler le faict de la justice, nudict pays de Languedoc,
vostre majesté trouva expédient et nécessaire dresser
une chambre de justice souveraine mi partie de ma-
gistrats, tant d'une relligion que d'aultre, qui feut mise
en la ville de l'Isle d'Albigeois ; et , quanta la jurisdic-
AU ROY. 645
tîon des prevosts des mareschaulx, elle advisa de lais-
ser la forme ancienne, à la charge que lesdicts prevosts
seroient tenus apporter aulx plus prochains presidiaulx
les informations faictes contre les preveneus, pour cog-
noistre et juger si les cas seroient prevostables : aulx-
quelles plainctes auroit esté satisfaict, et la justice dis-
posée au contentement de l'une et l'aultre relligion
pour l'establissement d'une bonne et ferme paix, d'aul-
tant que les deux sièges principaulx du bas pays de
Languedoc sont ceulx des villes de Montpellier et
Nismes , les magistrats desquels sièges sont partie de la
relligion catholique, partie de la relligion reformée.
Or, si à présent on démembre ledict siège presidial
de Nismes, auquel ressortent les diocèses de Nismes,
Usez, Givaudan et Yivarez, et qu'on dresse ung siège
de seneschal en la ville de Mende , on change l'ordre
establi de la justice par lesdicts edicts de pacification et
conférences susdicts, d'aultant que les magistrats n'y
seront mi partis, comme soubs ceulx de Nismes, estant
d'ailleurs porté par ledict edict, que le siège seroit re-
mis en ladicte ville de Nismes; ce qui ne peult s'en-
tendre qu'avec ses parties et membres anciens, aultre-
ment la loi demeureroit fraudée s'il y avoit aulcung
retranchement , et les privilèges de ladicte ville seroient
violés , ayant esté confirmés par vos prédécesseurs roys,
à icelle ville , laquelle aussi n'a aulcunes commodités ne
marques que ledict siège ; et , par ce moyen , ceulx de
la relligion dudict pays et de ladicte ville auroient juste
occasion de se plaindre du changement de l'administra-
tion de ladicte justice qui revient à leur grand préjudice,
comme il est certain que ceulx de ladicte ville de Mende
ne poursuivent d'avoir ledict siège de seneschal, si ce
n'est pour la haine qu'ils ont conceue contre ceulx de
646 AU ROY.
la relligion reformée, contre lesquels ladicte ville de
Mende est extrêmement animée; et les habitans dudict
Mende monstrent, en plusieurs endroicts, l'inimitié j
qu'ils portent aulxdicts de la relligion; car ceulx de
ladicte relligion n'ont aulcung accès ni entrée audict
Mende , et, depuis l'edict de pacification, ceulx dudict
Mende ont faict plusieurs prisonniers menés à Mende,
jugés par les prevosts des mareschaulx à eulx fort fa-
vorables, et sans faire juger le declinatoire au plus
prochain siège , suivant vos ordonnances ; car ladicte
ville de Mende prétend avoir esté offensée par la plus-
part des aultres villes de Givaudan, qui font profession
de la relligion reformée , et comme ils exécutent leurs
animositéspar plusieurs voies de faict, aussi désirent ils
avoir moyen de leur pouvoir nuire soubs prétexte de
justice; et si le siège de seneschal est dressé audict
Mende , il est certain qu'il n'y aura celui de la relligion
qui ne puisse estre mis en prévention criminelle par
devant le prevost mené audict Mende, déclaré prevos-
table et en grand danger de sa vie et biens, et ceulx de
la relligion mis en desespoir et grandes extrémités. Par-
tant plaira h vostre majesté avoir esgardà ce que dessus,
et ordonner que ledict eclipsement n'aura lieu, et rien
innové de la forme ancienne de l'administration de la
justice audict pays; et que ledict diocèse de Givaudan
ressortira audict seneschal de Nismes, comme il a faict
de tout temps , et toutes provisions et depesches , sur ce
nécessaires , leur estre expédiées , sans avoir esgard aulx
provisions contraires sur l'élection dudict siège, véri-
fication faicte par la court de parlement de Paris,
arrests de vostre conseil d'eslat, réceptions ni aultres
procédures , lesquelles plaira à vostre majesté déclarer
nulles et de nul effect et valeur.
AU ROY. 647
A esté respondeu en Fan dernier sur pareille demande /aide
par les supplians , à quoi sa majesté se remet , ne pouvant (^at-
tendeu F estât où sont les affaires , et considérant les troubles qui
sont en sa province de Languedoc ) changer pour le présent aul~
cune chose , en la responsefaicte sur le cinquante sixiesme article
du cahier précèdent.
Item, en Tan i^Ji, le siège presidial, qui estoit en
la ville de Bergerac, en feut osté , et mis en la ville de
Perigueux, en haine de ladicte relligion, au grand pré-
judice, dommage et incommodité, tant de ladicte ville,
que de tout le pays qui y ressortissoit, contre la teneur
de vostre edict et neuviesme article de la conférence
de Nerac, sur lesquels vos très humbles subjects de la
relligion supplient très humblement vostre majesté faire
droict à vos dicts subjects de Bergerac.
Le siège presidial a esté transféré de Bergerac à Perigueux ,
pour aultres occasions que des troubles , qui est V exception
conteneue en V edict soixante dix huict.
Item, comme la court de parlement de Bordeaux,
durant les troubles , auroit translaté le siège du senes-
chal de Quercy, establi audict Montauban, en la ville de
Moyssac, auroit icelle esté interdicte par arrest du con-
seil privé de vostre majesté de s'entremesler dudict
siège; toutesfois ladicte court, continuant son animosité
à rencontre de ladicte ville de Montauban, par moyens
obliques diminue et anéantit, tant qu'elle peult, la ju-
risdiction et ressort dudict Montauban, renvoyant les
causes dudict ressort en aultre siège; et la chancellerie
dudict lieu, par intelligence avec ladicte court, baille
ordinairement plusieurs committimus extraordinaires,
pour transporter la jurisdiction dudict siège de Mon-
tauban au siège de Cahors; et de mesmes, les sieurs
tenans les requestes du palais audict lien, qui sont du
648 AU ROY.
corps de ladicte court, évoquent à eulx et prennent
cognoissance de toutes matières indifféremment, tant
sur les habitans de ladict€f ville , que ressort d'icelle;
encores que, par leur érection , ne puissent cognoistre
que de matières personnelles et possessoires entre per-
sonnes privilégiées, et par telles voies indirectement
les habitans de Montauban et ressort de ladicte ville
sont tirés hors le siège de leur jurisdiction ordinaire,
et contraints de plaider devant juges incompetens
et -suspects, et constitués en grands frais de procès,
contre vostre edict, et privilèges octroyés par les feus
roys de bonne mémoire, et confirmés par vostre majesté ;
et pourtant plaira à vostre majesté faire inhibitions
et défenses à ladicte court de parlement de Thoulouse,
chambre des requestes et siège presidial deCahors , d'en-
treprendre aulcunefcognoissance des causes du ressort
du siège de Montauban, par committimus extraordi-
naire, ne aultrement contre la teneur de vos dicts
edicts et conférences dudict transport de jurisdiction.
Le roy vetilt que le siège de Montauban soit conservé en ce qui
lui a esté attribué j sans que, par ladicte court, officiers delà
chancellerie , gens des requestes du palais et siège presidial de
Cahors , soitfaict aulcunc chose au contraire.
Dadvantage, les habitans de Marvejols en Givaudan
auroient obteneu arrest du privé conseil pour la stance
alternative des estats particuliers du diocèse, court,
communauté et bailliage de Givaudan, et recepte par-
ticulière dudict diocèse; neantmoins, ledict arrest
n'auroit peu estre exécuté à cause de l'empeschement
sur ce donné par les officiers du bailliage qui oultragent
les sergens qui leur vont faire les cornmandemens, et
le tout en haine de la relligion. Partant, plaira à vostre
majesté ordonner que ledict arrest sera exécuté par
AU ROY. 64 9
expresses injonctions et commandement au seneschal
de Nismes , ou aultre qu'il appartiendra.
Lesdicts de Marvejoh peuvent poursuivre V exécution de leur
arrest.
Item, en plusieurs procès et instances d'erreur pro-
posées contre les arrests de vos courts de parlement,
lesdicts de la relligionont souffert des despenses insup-
portables, oultre la longueur et retardement de la jus-
tice , parce que les chambres de l'edict ne peuvent en
juger ni cognoistre, sans l'assistance des presidens et
conseillers qui ont esté au premier jugement, suivant
l'ordonnance d'Orléans, et lesdicts premiers juges ne
veullent aller aulxdictes chambres, ni envoyer les mo-
tifs desdicts jugemens , quelques jussions qui leur en
ayent esté faictes. A ceste cause , plaise à vostre majesté
ordonner que tous procès et jugemens de proposition
d'erreur, esquels vos dicts subjects de la relligion auront
interest et seront parties, tant en demandant qu'en
défendant, seront jugés en vostre grand conseil, sans
qu'il soit besoing appeller au jugement les juges qui
auront donné les premiers arrests , ne attendre leur
motif; interdisant à vos courts de parlemens la cog-
noissance desdicts faicts , si les parties ne s'en accor-
dent amiablement , et consentent que lesdictes instances
soyent traictees en vos dictes courts de parlement; des-
rogeant, tant que besoing seroit , à ladicte ordonnance
d'Orléans et aultres à ce contraires.
Avant qu'il soitrcspondeu sur le présent article, sera veu l'advis
des députés ordonnés pour ledict règlement.
Item , par les huictiesme et neuviesme articles des
articles secrets , les mariages contractés au second tiers
et quatriesme degré , ne peuvent estre recherchés , ni
65o AU ROY.
ceulx qui les ont contractés , ni leurs enfans , pour raison
de ce vexés, ni molestés comme pareillement, les mariages
de ceulx qui ont esté précédemment relligieux ou rel-
ligieuses , et les enfans issus desdicts mariages , sont
capables de la succession de leurs pères et mères ; toutes-
fois , contre la teneur desdicts articles qui n'ont esté
receus ni publiés en vos courts de parlement, plusieurs
de vos subjects de ladicte qualité en sont recherchés,
vexés et molestés ; mesmes , soubs prétexte de ce , on a
voulleu exclure ceulx qui ont esté relligieux et relli-
gieuses des legs et successions testamentaires de leurs
pères , mères et aultres parens, combien que telles suc-
cessions ne soient comprises esdicts articles. A ceste
cause, plaise à vostre majesté ordonner que vosdicts
subjects de ladicte relligion, qui seroient de la qualité
susdicte, jouiront du conteneu esdicts articles, décla-
rant neantmoins que par iceulx vostre majesté n'a en-
tendeu les exclure des legs et successions , qui leur
peuvent appartenir par testamens , donnations ou aul-
tres dispositions volontaires de leurs pères, mères ou
aultres parens, soit en ligne directe ou collatérale; ni
empescher lesdicts pères, mères ou aultres, qu'ils ne
puissent valablement disposer de leurs biens en faveur
de leurs enfans, nepveux ou parens , encores qu'ils aient
esté presbtres, relligieux ou relligieuses, nonobstant tous
jugemens et arrests qui auroient esté donnés au con-
traire, et iceulx, tant que besoing seroit, cassés des à
présent, révoqués et annullés.
Le roy veult que le conteneu aulx articles secrets soit observé ,
et n'entend adjouster ni diminuer aulcnne chose à ce qui a esté
ci devant resoleu.
Item, par le quarante sixiesme des articles secrets,
est dict qu'en satisfaisant par ceulx du comtat de Ve-
AU ROY. 65 r
nise de la relligion reformée, au conteneu audict article,
ils jouiront de leurs biens, et où ils seront empeschés,
à l'occasion de ladicte relligion, leur seroit pourveu sur
les biens que les aultres subjects du pape de la ville
d'Avignon et comtat ont en terres et pays de son
obéissance, par lettres de marques et représailles; les-
quelles seroient à ceste fin addressees aux juges, aulx-
quels, de droict, la cognoissance en appartient; neant-
moins, encores que ceulx de la relligion dudict comtat
ayent satisfaict au conteneu dudict article , ils n'ont peu
estre réintégrés en la jouissance de leursdicts biens,
quelques diligences et poursuites qu'ils en ayent faict.
A ceste cause, plaira à vostre majesté, suivant la teneur
dudict article , les pourvoir sur les biens que les subjects
dudict pape, en ladicte ville d'Avignon et comtat , ont
es terres et pays de vostre obéissance, par lettres de
marques et représailles, à ceste fin addressees aulxdictes
chambres de l'edict establies en Languedoc, Provence
et Dauphiné , seneschal de Nismes, et aultres juges
plus prochains des parties qu'il vous plaira commettre.
Le roy escrira aulx, officiers de sa sainctetê audict Ai'ignon ,
pour ( leurs responses veues ) estre ordonné ce que de raison , sur
la demande des supplions.
Peut dict, par les articles i", 4o , ^r et 56 de
vostre edict de pacification , que la mémoire de toutes
choses passées des et depuis les troubles , et à l'occa-
sion d'iceulx , demeureroit esteinte et assoupie avec
très expresses défenses à tous d'en faire aulcunes pour-
suites, et que ceulx de ladicte relligion et aultres,
qui ont suivi leur parti , demeureroient quittes et de-
chargés de tout ce qui a esté faict durant lesdicts
troubles, encores qu'il ne soit particulièrement exprimé
et spécifié; et, au contraire , seroit adveneu que, soubs
652 AU ROY.
prétexte de la réservation des cas exécrables, conteneus
au quarante qiiatriesme des articles secrets, faicts lors
diidict edict, répétée en l'article onziesme de la confé-
rence de Nerac, lesdicts de la relligion auroient esté
et seroient recherches , vexes et travailles pour les faicts
desdîcls troubles, parles captieuses interprétations de
ladicte réservation faictes en vos courts de parlement,
sièges presidiaulx et aultres, qui ont estimé que tout
ce qui a esté faict sans combat ou résistance, debvoit
estre censé faict hors de la voie de l'hostilité; et, soubs
le mot de volleries, debvoient estre comprises les
courses faictes sur les champs, et tout ce qui a esté
pris et butiné sans combat et conduicte de capitaine,
comprenant aussi , au nombre des excès exécrables ,
ceulx qui n'ont esté tués à la chaulde et en la plaine
furie d'ung combat; et, soubs le mot de guet à pens ,
tout ce qui a esté faict par embuscade, et pour ven-
geance particulière, tout ce qui estadveneu d'ung parti
contre l'aultre, par la continuation des troubles; et,
soubs ces mots de meurtres faicts par prodition, sans
armée conduicte au commandement du capitaine, tel-
lement que plusieurs de vos subjects appuyés sur l'abo-
lition de vos edicts , se sont trouvés frustrés et privés
du bénéfice d'iceulx; et, s'estans présentés devant les
juges oii ils estoient déférés, y ont resté si mal traictés
que la pluspart ont esté jugés et exécutés à mort , et
d'aultres condamnés aux galleres et en grandes amendes
envers les parties : ce qui auroit autant plus nourri et
augmenté la défiance , et donné occasion à plusieurs
attentats et excès qu'on a vcus depuis la publication
de vos edicts; et la continuation des persécutions et
injustes vexations, ainsi faictes soubs ombre et couleur
de justice, contre la foi publicque, pourroit précipiter
AU ROY. 653
vosdicts siibjects en desespoir du repos tant désiré. A
ceste cause, sire, d'autant qu'à vous seul appartient
l'interprétation de vos edicts et déclaration de vostre
volonté et intention , sans remettre à vos courts de
parlement ne aultres juges qui , préoccupés de passion,
en pourroient abuser, ils supplient très humblement
vostre majesté que son bon plaisir soit déclarer et or-
donner que vosdicts subjects jouiront entièrement de
vos edicts, abolitions et décharges accordées et ordon-
nées pariceulx, tant pour le temps des troubles passés
que jusqu'à la publication des articles de la conférence
de Fleix faicts en vos courts de parlement , bailliages et
seneschaussees de vostre royaume, jusques au temps
porté par les lettres de décharge et abolition, que vostre
majesté a accordées à vos subjects de Languedoc et
Dauphiné ; et que vostre intention a esté que vos
subjects d'une et d'aultre relligion ne soient recherchés
et poursuivis des prises et rançons exigées , levées et
prises des deniers , tant de vos receveurs , receptes ,
fermes et magazins , que villes et communautés des
ecclésiastiques et aultres particulières rentes , fruicts ,
reveneus, argenterie, biens, meubles, ventes d'iceulx,
contributions imposées et levées sur vos subjects, et
pareillement de tous excès et actes d'hostilité, brusle-
mens , desmolitions et ruynes des églises, chasteaux ,
maisons et aultres édifices; meurtres faicts en combats
et hors combat par embuscade, hors la furie du combat
ou aultrement, courses sur les champs, pillages et sac-
cagemens, butins de bestail , marchandises ou aultres
choses, et tous aultres cas commis par ceulx qui ont
porté les armes d'ung parti contre l'aultre, commandés
ou advoues , soit sur ceulx qui ont porté les armes pour
le parti contraire , ou ceulx qui ont demeuré avec eulx ,
654 AU R^^Y.
leur ont adhéré, ou les ont soubteneus et favorisés du*
rant lesdicts temps ; tous lesquels vostre majesté derechef
déclare estre abolis et assoupis sans nul excepter, ou qu'il
feut besoing les exprimer et spécifier dadvanlage, et sans
que les faits susdicts puissent estre compris en ladicte
réservation des cas exécrables ; mais seulement les
ravissemens, forcemens de femmes, filles et meurtres
commis entre personnes de mesme parti, qui n'auront
esté cogneus et jugés par les chefs generaulx ou aultres,
qui audict temps avoient auctorité sur ceulx d'ung
parti , et que de vostre déclaration soient expédiées lettres
patentes aux courts de parlement, chambres de l'edict
et aultres, pour obvier aulx difficultés qui se sont pré-
sentées sur la publication requise de la dernière décla-
ration ou abolition, qu'il vous auroit pieu octroyer,
laquelle n'auroit esté publiée en aulcune desdictes cham-
bres , présupposant que préalablement publication en
debvoit estre faicte esdictes courts de parlement , suivant
l'ordre de l'addresse desdictes lettres, et que par icelles
leur soit mandé de procéder incontinent à la vérifica-
tion et publication et enregistrement desdictes lettres,
sans aulcune modification , restrinction ne reserve se-
crète, et de juger tous procès civils et criminels , selon
la teneur de vostre dicte déclaration , à peine de nullité ,
de tous actes qui seront faicts au contraire; cassant
neantmoins et révoquant des à présent tous arrests,
décrets et procédures, ci devant faictes contre et au
préjudice de vostre susdicte déclaration.
Le Toy enjoindra derechef très eorprcssement ^ à ses courts de
parlement , de vérifier r abolition qu'elle a accordée.
Et d'autant que vosdicts subjects ont par ci devant
expérimenté que es expéditions, qui se font en vostre
AU ROY. 655
chancellerie, des abolitions particulières, poursuivies
par vosdicts subjects des cas abolis par vosdicts edicts,
on a accoustumé faire Taddresse d'icelles avec cognois-
sance de cause et non de déclaration expresse de vostre
volonté , dont vosdicts subjects souffrent de grandes
incommodités, frais et despens à la poursuite; oultre
ce que le plus souvent les juges aulxquels lesdictes
lettres sont addressees, les chargent de présentations
personnelles, et les retiennent arrestés jusques à ce que
le jugement en soit donné contre l'intention de vostre
majesté, déclarée par vosdicts edicts qui ont auctorité
de loi générale, pour, sans aultre forme ni solemnité,
estre gardée et suivie de tous; plaise à vostre majesté
ordonner et commander que les expéditions des sus-
dictes abolitions particulières , où elles seront requises
par vosdicts subjects, leur seront expédiées en forme
de déclaration de vostre volonté et sans aultre cognois-
sance des faicts conteneus en icelle , conformément à
vosdicts edicts.
Ccst article apporterait trop de longueur et d'incommodité
aulx supplians mesm,es , et ne se peult accorder.
Feut dict, par l'article 46 de l'edict, que ceulx de
la relligion , et aultres qui ont suivi leur parti , ne pour-
ront estre poursuivis pour payement des tailles, aides,
octrois ou aultres impositions quelconques, subsides
escheus et imposés, depuisle temps d'aoust 1672 jusques
au jour de la publication dudict edict , soit par les
mandemens de vostre majesté ou délibération des gou-
verneurs et estats des provinces ou aultres , desquels
deniers ils demeurent entièrement déchargés par ledict
article; neanlmoins les chambres des req lies tes , thre-
soriers de France , generaidx de vos Jînances , esliis
656 AU ROY.
el commissaires a ce députés^ recherchent^ poursuivent
condamnent lesdicts de la relligion au payement des-
dicts deniers imposés par les catholiques , durant les
troubles , et depuis ledict vingt quatriesme d'aoust ,
contre la teneur de vostre dict edict; à ceste cause,
plaira à vostre majesté leur défendre très expressément
lesdictes poursuites et recherches, et casser tous juge-
mens et arrests qui pourroient avoir esté donnés contre
ceulx de ladicte relligion , au préjudice de vostredict
edict.
Le roy enjoint a ses officiers d'observer et laisser jouir les
supplians de la décharge conteneue en son edict.
Comme aussi il ne se faict aulcung département de
tailles, ou aultres subsides imposés par vostre majesté
sur vos subjects, que ceulx de la relligion ne soient
surchargés , et ne payent trois fois plus que les catho-
liques, comme à Limoges, Castillon , pays de Givau-
dan, et en plusieurs aultres lieux, qui les faict sup-
plier vostre majesté commander et enjoindre très ex-
pressément à tous commissaires et aultres, ordonnés
pour faire le département des tailles et impositions,
d'y procéder le plus justement et également que faire
se pourra , sans surcharger ceulx de ladicte relligion.
Accordé.
Ce sont, sire, les plainctes et doléances de vos très
humbles subjects de la relligion, lesquelles plusieurs
fois ci devant lui auroient esté présentées et respondeues
par icelle, selon sa debonnairetéaccoustumee; mais elles
n'ont esté jusques ici ouïes de ses officiers, avec pareil
désir du bien de son peuple , et repos de son estât, dont
seroit aussi adveneu que plusieurs ruynes et excès énor-
mes contre lesdicts de la relligion seroient demeurés
AU ROY. 657
premièrement impunis, et depuis se seroient nourris , ac-
creus et multipliés par l'impunité , au grand préjudice de
"vosdicts subjectsetmesmes de vostre majesté; mesmes
que quelques ungs de ladicte relligion, ne trouvant jus-
tice en la justice, l'auroient cherchée par moyens ex-
traordinaires et illicites , et quelques aultres abusant
d'icelle , au grand regret desdicts supplians , lesquels pro-
fessent en ces faicts de leur innocence et sincérité de-
vant vostre majesté; mais par ce, sire, que lesplainctes
en seroient ennuyeuses , et ne pourroient qu'importu-
ner les oreilles et faire mal au cœur de vostre majesté,
les ont, vosdicts subjects, remises à un cahier particu-
lier qu'ils ont adjoinct au présent présenté à vostre
majesté, lequel, s'il vous plaist, sera leu et veu en
vostre conseil , pour icelui lui estre faict droict aulx
parties qui n'ont aujourd'hui aultre recours , et n'es-
pèrent secours, après Dieu, qu'en vostre majesté.
Aussi feut dict pour l'asseurance de vosdicts subjects
de la relligion , par l'article 26 de l'edict , 87 de la
conférence du Fleix, et 36 des articles secrets, que
le roy de Navarre , et monsieur le prince de Condé et aul-
tres jouiroient effectuellemcnt de leurs gouvernemens,
pour en user en la mesme forme et manière que les aul-
tres gouverneurs ; en quoi ont tousjours estimé , vos
très humbles et très obeissans subjects, que consistoit
partie de leur seureté, d'aultant qu'elle est principale-
ment en vostre bienveillance, de laquelle ils auroient
ung tesmoignage en la démonstration qu'il vous en
plairoit faire à l'endroict de ceulx de vostre sang, qui,
par la grâce de Dieu, font mesme profession qu'eulx;
au contraire leur sera permis de dire à vostre majesté,
qu'en tous ces sept ans qui sont proches d'expirer, leur
Mém. de Duplessis-Mormay. Tome h. 4^
658 AU RO\.
condition n'est en rien amendée; que le roy de Na-
varre n'a aulcune auctorité en son gouvernement, ni
admiraulté de Guyenne , quelque démonstration qu'il
ait tasclié de faire de son affection envers vostre ser-
vice ; qu'il n'y eut oncques lieutenant de gouverneur
qui en eust moins. Et quant à monseigneur le prince ,
qu'il n'a pas en tout son gouvernement de Picardie où
asseoir seulement le pied; qu'il est tousjours reduict à
Sainct Jean d'Angely , loingde sondict gouvernement et
mesmes de toutes ses maisons , ainsi soit toutesfois que
sadicte place ne lui eust esté baillée (comme parlent
nommeement les articles secrets) qu'en attendant qu'il
puisse effectuellement jouir de son gouvernement de
Picardie , choses qui font penser à vosdicts très hum-
ble3 subjects de la relligion que vostre bonne grâce ne
leur est pas encores rendeue en ne la voyant pas luire
en tels endroicts qui ont cest honneur de vous appartenir
de si près ; et au contraire animent leurs adversaires à
leur mal faire, estimant que leur est loisible à l'endroict
de ceulx aulxquels (ce leur semble) il ne vous ait en-
cores pieu de monstrer assés évidemment vostre bonne
volonté.
Feut dict par l'article 69 de l'edict, que ceulx de la rel-
ligion seroient teneus vuider toutes garnisons des villes,
places, chasteaux et maisons qu'ils tenoient, et par le
cinquante et uniesme qu'en ce faisant , n'y seroient mises
aulcunes garnisons ni gouverneurs, sinon qu'il n'y en
eust de tout temps, et mesmes du règne du roy Henry;
et que de toutes aultres de ceste nature, les garnisons,
capitaines et gouverneurs vuideroient incontinent. Ce
qui feut aussi répété es conférences ; et du debvoir
qu'ont faict ceulx de la relligion, en l'exécution de ces
articles, appert assés, sans repeter de plus hault, par
AU ROY. 659
ce qui est ensuivi depuis la conférence du Fleix , non-
obstant les traverses qu'ils auroient rencontrées pour
les défiances que les contraventions faisoient journel-
lement naistre , qu'il n'est besoing de repeter ici plus
au long.
Au contraire , contre ce qui auroit esté promis par
ledict article, garnisons et gouverneurs ont esté mis
en plusieurs places depuis qu'elles ont esté remises , et
citadelles en quelques unes basties contre lès mots
exprès de l'edict, auxquelles ils contraignent vos sub-
jects de la relligion de contribuer, comme en Guyenne,
à Cahors, Villeneuve d'Agennois, Bazas, villes no-
tables, etc. ; en Languedoc, à Mende et plusieurs aultres
en Dauphiné , à Die, Gap, etc.; pareillement ont esté
reteneues et basties, partie garnisons, partie citadelles
en plusieurs aultres , esquelles , du temps du roy Henry,
n'y en avoit, comme àXaintes, Coignac, Florence,
Monlfort en Guyenne , à Alby , Lavaur , Lodeve ,
Nonay , Clermont , Florenssac , en Languedoc , à Va-
lence, Ambouin, Grenoble, etc.; en Dauphiné et
mesmes en plusieurs villes dedans le milieu du royaume,
aulxquelles jusques ici, depuis tant de temps, n'a peu
estre donné aulcung ordre , tant s'en fault qu'ils ayent
procédé à la démolition desdictes places, y adjugées
par la conférence , s'estans contentés pour tout d'ab-
battre quelques guérites en certaines maisons rurales,
et encores après plusieurs importunités , comme les
procès verbaulx des commissaires mesmes de vostre ma-
jesté feront pleine foi.
Et parce qu'il feut considéré par vostre majesté , en
bastissant ledict edict , que plusieurs particuliers au-
roient receu et souffert, durant les troubles, tant d'in-
jures et dommages en leurs biens et personnes , que
66o AU ROY.
difficilement ils en eussent peu perdre sitost la mé-
moire , comme eust esté requis pour l'exécution de l'in-
tention de vostre majesté; sur quoi il vous auroit pieu ,
attendant que les rancunes et inimitiés feussent adou-
cies, bailler à vosdicts subjects de la relligion , huict
places en garde pour le terme de six ans ; au bout du-
quel terme debvroient lesdictes places estre remises es
mains de vostre majesté, ou de tel que bon lui semble-
roit ; l'exercice de la relligion y demeurant neantmoins
tousjours et icelles sans garnisons ; vous remonstrent
très humblement vosdicts très humbles subjects , qu'ils
ont grandement sur cest article à se douUoir, car il
estoit defendeu , sur peine aulx entrepreneurs d'estre
punis comme infracteurs de l'edict , d'entreprendre sur
icelles, comme aussi sur les aultres qui auroient esté
remises, et du contraire il ne s'est passé année que plu-
sieurs entreprises ne se soyent vérifiées mesmes par
l'exécution , sans que punition soit ensuivie ; qui plus
est, Périgueux et la Reolle en Guyenne ont esté sur-
prises , et , au lieu d'en punir les aucteurs et exécuteurs ,
ils commandent aujourd'hui aulxdictes villes, tant s'en
fault que, suivant l'article de la conférence, ils ayent
esté déclarés infâmes et inhabiles à tous honneurs,
et subjects aulx peines qu'encourent ceulx qui sont
convainceus de leze majesté en premier chef; bref, l'exer-
cice de la relligion en est encores excleu : nonobstant
que ladicte chambre de justice ait résidé en la ville
de Perigueux; qui estoit commodité tant pour faire
exemple des entrepreneurs ( desquels nommeement la
poursuite estoit réservée), que poury faire obéir l'inten-
tion de vos edicts; encores que, quand ladicte ville eust
esté remise au temps préfixe, la relligion y pouvoit
demeurer selon la teneur de vos edicts et conférences.
AU ROY. 66 1
Item, se sont, pendant ledict terme de six ans, qui
debvoit servir à radoucir les défiances et animosités at-
tentées , faicts plusieurs aultres entreprises , desquelles
ne s'est ensuivie aulcune punition, ni mesmes infor-
mation.
Comme encores fraischement sur les villes de Figeac,
Mont Segur, Tournon , Lamas de Verdun, Puymerol,
Bergerac, et aultres en Guyenne, mesmes en la ville de La
Rochelle , les particularités desquelles seroienl longues
à déduire , particulièrement est celle de Figeac , ville
baillée pour seureté très remarquable, en laquelle se
sont trouvés ensemble plus de mille ou douze cens
arquebusiers , et les plus notables gentilshommes de
Quercy, et provinces circonvoisines ; jusques à avoir
faict jouer le pétard trois fois, le tout aussi ouverte-
ment qu'en pleine guerre. De ce, se plaignent vosdicts
très humbles subjects , qu'il ne s'en est faict aulcune
punition , mesmes aulcunes recherches , poursuites ni
instance.
Comme aussi , combien qu'il feut dict par exprès
article 72, que vostredict edict seroit juré par tous les
officiers, juges et magistrats des provinces et villes de
vostre royaume, n'auroit esté cest article exécuté en la
plus part des lieux esquels il debvoit avoir esté faict
d'office : et ce, nonobstant instance quelconque qui en
ait peu estre faicte, comme si par là on se voulloit re-
server une liberté de pouvoir mal faire à l'advenir, à
vosdicts très humble subjects , quand l'envie en vien-
droit , ou l'occasion se presenteroit.
Toutes ces choses sont de telle conséquence et im-
portance , sire , que vosdicts très humbles subjects de la
relligion sont contraincts de se jetter avec toute soub-
mission aulx pieds de vostre majesté, ^our la sup-
602 AU ROY.
plier très humblement d'apporter à leurs maulx l'af-
fection et la main d'ung vrai père, et à leurs plainctes
non une rigueur exquise de justice , mais une équité
bien souvent plus juste que la justice mesmes.
Recognoissent donc vosdicts très humbles subjects ,
qu'à la vérité, si vostre majesté veult user envers eulx
de ceste exacte sévérité, ilsseront tenus de lui remettre es
mains les places qu'il auroit pieu à vostre majesté leur
bailler en garde , c'est h dire, à proprement parler , par
le moyen desquelles il lui auroit pieu les prendre en
sa seure et saulve garde, contre la malignité de leurs
ennemis.
Mais, s'asseurant d'ailleurs que, comme elle verra
leur malignité continuer avec le danger de ses povres
subjects, et la juste crainte et défiance qu'on leur
donne , elle redoublera aussi sa clémence et sa bénignité
envers eulx, pour leur continuer, voire redoubler, en
tant que besoing seroit , sa protection et saulve garde.
Telle ont ils cogneu l'intention de vostre majesté en
ses edicts, quand il lui a pieu déclarer en termes exprès
que ces places leur estoient laissées en attendant que
les rancunes et animosités se feussent adoucies; icelles
donc s'estant inaigries et exulcerees, soit par ung mal-
heur, soit par une malice, elle ne leur vouldra oster
l'emplastre, premier que la playe.
Telle derechef, quand elle a dict qu'elle voulloit
et entendoit que l'exécution de son edict commençast
des le lendemain, pour estre continuée sans interrup-
tion : car elle presupposoit en ces mots la diligence
et bonne foi de ses officiers , en l'exécution de ses vo-
lontés, à l'endroict de ses très humbles subjects de la
relligion ; moyennant laquelle il n'y a double que le
terme de six ans , et beaucoup moindre, estoit suffisant
AtJ ROY. 663
d'establir une solide paix, et de consolider toutes les
playes de la guerre , au lieu que par la connivence des
ungs et collusion, peult estre , de quelques aultres ,
l'exécution a esté reculée d'une part, et la contraven-
tion enhardie de l'aultre. Or, si le cataplasme ordonné
par vostre majesté, pour six ans, pour la contumace
de l'humeur, ou aultra cause, n'a faict son opération
si tost , vostre majesté , comme le bon chirurgien , ne
feindra de l'y laisser encores pour quelque temps , qui
estime son honneur en la guerison du mal plustost
qu'en la prefixion du remède.
Telle, bref, desjà pensent ils avoir senti l'intention de
vostre majesté , quand ils ont veu que d'elle mesmes, le
temps estant escheu des ung an passé, elle a usé de tant de
bénignité que de ne les avoir pressés à poinct nommé
d'obéir au terme, considérant très sagement, comme ils
se persuadent, que ces six ans ne debvoient estre teneus
pour vraiment accomplis, puisqu'ils avoient esté entre
coupés de tant d'entreprises , attentats, allarmes et
mesmes du malheur d'une guerre ouverte; et de ce
ont pris vosdicts très humbles subjects ung suhject
d'espérer qu'elle leur feroit tant de faveur et de bien
que de les leur continuer encores pour aultres trois ans
avec les provisions à ce nécessaires, pendant lesquels
ils pensent voir ses sainctes volontés et intentions
mieulx obeies, et leurs défiances plus rassises et com-
posées.
Ce qu'estant , comme ils s'asseurent que Dieu tou-
chera le cœur de vostre majesté , pour condescendre
aulx justes plainctes de son povre peuple, vosdicts très
humbles subjects de la relligion pryeront incessam-
ment le Créateur pour la grandeur et prospérité de
vostre majesté , et seront de plus en plus prests et ap-
664 AU ROY.
pareilles à répandre à ses pieds ce peu de suc et de
sang, qui, par la grâce de Dieu et la bénignité de vostre
majesté, leur reste de tant de pertes, ruynes et misères
civiles.
Faict et arresté en l'assemblée desdictes eslises re-
formées , convoquées par la permission du roy en la
ville de Montauban, où estoient lesdicts seigneurs roy
de Navarre, M. le prince de Condé, MM. de Laval , de
Chastillon , de Turenne, et aultres seigneurs et gentils-
hommes, et les députés desdictes églises , à sçavoir :
Le sieur de Sainct Germain, pour l'Isle de France ;
— les sieurs de Serre, Prunier, de Sainct Rany, Es-
perendict de Martin, pour le bas Languedoc, diocèse
de Montpellier, Nismes et Usez; — les sieurs de Puy-
redon, de Vachères, pour la Provence; — le sieur de
Sainct Ferriol, pour le Dauphiné; — les sieurs Ges-
nard , de Routgerres , pour le Poictou ; — les seigneurs
Delcausse, de la Guarrigue, Dufalgua , Delroux, pour
le hault Languedoc; — le seigneur de Puycheron, pour
la Normandie ; — le seigneur de Floret , pour la Cham-
paigne; — les seigneurs de Lamusse, Duplessis, pour
la Bretagne; — le seigneur de Triail , pour la Xain-
tonge; — les sieurs de Chaudieu, Leboronat, pour le
Lionnois et Beaujolois; — les sieurs de Rochefort et
Galtie, pour Rouergue; — les sieurs Denoit et de Ro-
chelle, pour La Rochelle ; — le seigneur d' Alesme, pour
le hault Limozin ; — les seigneurs de Fontrailles et de
Charles, pour Armaignac; — les sieurs de Fanas, La-
grange et Trinpolet , pour le Bordellois, le Bazadois,
les Landes, Agennois et Condomois; — les sieurs de
Constans et de Vaura, pour le bas Quercy et le bas
Rouergue; — les sieurs de Conforgien et Bretaigne,
pour la Bourgongne; — les sieurs DelameauseetSaincte
AU ROY. 665
Colombe, pour le hault Quercy; — le sieur de Payai,
pour le bas Auvergne; — le sieur de la Croix, pour
l'Angousmois.
A la requeste desquels ledict seigneur roy de Navarre
s'est ci soubs signé le septiesme septembre i 584-
Signé Henry, et plus bas, Dufay.
RESPONSE A LA PRECEDENTE PIECE.
Pareilles demandes ont esté f aides au roy , en l'an dernier ,
tant pour ce qui concerne la prorogation du temps des villes de
seureté , que pour le faict desdicts gouvernemens ; et estime sa
majesté avoir suffisamment faict cognoistrc au roy de Navarre ,
monsieur le prince de Condé et à tous ses subjects faisant profes'
sion de ladicte relligion , sa droicte intention et le désir qu'elle a
de voir observé de bonne foi ce qui a esté promis et accordé par
ledict edictf ainsi qu'il appert par la response faicte sur le cin-
quante troisiesme article du précèdent cahier , qui est telle , et si
conforme au cinquiesme dudict edict , que l'on avoit grande oc-
casion d'espérer qu'on verroit en paix une bonne et finale exé-
cution d'icelui ; ayant mesmement escrit au roy ledict seigneur
roy de Navarre , que le principal retardement à ladicte exécu-
tion et remise des places procédait de ce que sa majesté ne lui
avoit voulleu permettre de pouvoir convoquer une assemblée
générale des députés de ceulx de ladicte relligion, ainsi que
pour cesteffecty il avoit délibéré faire en l'an i583. Ce que lui
ayant esté depuis permis et accordé en l'année présente, et l'as-
semblée requise teneue en la ville de Montauban , en mois
d*aoust et septembre derniers ; etneantmoins sa majesté n 'apoinct
cogneu, ni par le rapport qui lui a esté faict par les députés
du roy de Navarre , ordonnés en ladicte assemblée , ni par les
cahiers à elle présentés , que l'on ait pris la resolution qu'on at-
tendait, que l' edict seroit en tout et partout exécuté , et suivant
ce lesdictes villes baillées en grande remise , en l' estât et liberté
qu'elles ont deu estre selon icelui edict , des le dix septiesme
jour d'aoust i583. A quoi ledict seigneur roy de Navarre , et
mondict seigneur le prince de Condé se seraient expressément
obligés , estant sadicte majesté très marrye de ce retardement et
666 AU ROY.
des causes d'icelui , ce qui nourrit de plus en plus la défiance
entre ses subjects; et neantmoins, pour/aire cognoistre à ung cha-
cun g qu'elle désire plustost ramener sesdicts subjects à une entière
obéissance ( ainsi que naturellement ils lui sont obligés ) par la
doulceur , que de rechercher et user d'aultres voies plus rigou-
reuses , consentira que lesdictes villes délaissées pour seureté à
ceulx de ladicte rèlligion , leur sojent encores laissées en garde
pour ung an ou deux , comme sadicte majesté jugera estre h
propos pour le bien et repos de son estât , soubs les rnesmes
promesses desdicts seigneurs roy de Navarre et prince de Condé ,
et soubmissions portées par le cinquante neuviesme article de son
dict edict , de l'an 1^77 , et conférences depuis faictes ( ne pou-
vant cependant pour les occasions des défiances qui sont et con-
tineuent parmi ses subjects pour n' estre lesdictes villes remises
comme il est porté et conteneu audict edict) , ordonner aultre
chose ( touchant lesdicts gouvernemens de Guyenne et de Pro-
vence) que ce qui est conteneu en la j-esponsefaicte sur le cin-
quante troisiesme article dudict précèdent cahier , estant bien rai-
sonnable qu'il soit satisfaict de part et d' aultre aulx choses res-
pectivement promises. Et est accordée ladicte prorogation de la
garde desdictes villes pour ung an ou deux , à la charge que les
occupateurs de la ville d'Ollargues , au bas Languedoc; et
Montréal , au, Carcassonnois , et Lagne en Lauraguois , de
Connac en Quercy, et de Sainct Affrique en Rouergue ; et aultres
qui se sont mis de leur auctorité , et par force, dedans plusieurs
villes et chasteaux desdictes provinces , en vuideront prompte-
ment ; en quoi sadicte majesté désire que lesdicts seigneurs roy
de Navarre et prince de Condé tiennent la main , et aussi qu'ils
s'employent de leur pouvoir , selon la parfaicte confiance et as-
seurance que sadicte majesté a de leur fidélité et affection au
bien de son service et repos de cest estât; à ce que toutes courses ,
ravages etpilleries , qui se font et commettent à présent par les-
dicts occupateurs et aultres de ladicte rèlligion cessent; et que
punition exemplaù-e se fasse de ceulx qui désobéiront au com-
mandement qui pour ce regard leur estfaictpar sadicte majesté ^
à la charge aussi que la ville de Lunel, au has Languedoc, sera
remise en toute liberté , ainsi que par V edict elle doibt estre. Et ,
quant à ce qui a esté remonstré d'aulcunes citadelles qui sont
AU ROY. 667
encores demeurées en certains lieux , dont estfaict mention en ce
présent cahier, sa majesté ne désire rien plus que de voir toutes
telles marques des guerres passées esteintes et effacées ; ce qui
eut desjà esté faict , si F obéissance avoit esté rendeue touchant
lesdictes villes , qui sont encores reteneues par ceulx de ladicte
lelligion , contre le conteneu audict edict; et neantmoins sa ma-
jesté escrira à sesdicts lieutenans generaulx , en provinces oiiVon
dict estre lesdictes citadelles , à ce qu'il soit pourveu au demolis-
sement d'icelles, tant que le besoing et la nécessité desdicles pro-
vinces le pourra permettre.
Faict à Sainct Germain en Laye , le roy estant en son conseil,
le dixiesme jour de décembre \ 584»
cm. — INSTRUCTION
A M. le comte de Laval et a M. Duplessis , aulxqitels
aussi a este adjoinct le sieur Constant^ de ce qu'ils
auront a dire et remonstrer a sa majesté de la part
du roj de Navarre et de V assemblée des Eglises.,
teneue a Montau ban par la permission de sa majesté;
dressée par M. Duplessis. (i)
Du i3 septembre iSH^.
Premièrement, feront entendre à sa majesté qu'ayant
esté son bon plaisir de permettre au roy de Navarre
de convoquer en la ville de Montauban les députés des
églises reformées de son royaume , pour là prendre ung
advis commun des moyens nécessaires , tant pour Testa-
blissement d'ung repos gênerai, que d'ung chacung
d'eulx en particulier, s'y seroient trouvés plusieurs no-
tables seigneurs, gentilshommes, et personnes quali-
fiées , de toutes les provinces de son royaume , aulx-
(i) M. de Laval avoit appris cesle instruction par cœur, et
la prouoncea devant le roy en son cabinet.
668 INSTRUCTION
quels ledict seigneur roy de Navarre auroit bien au
long faict entendre l'intention de sa majesté, en la con-
vocation de ceste assemblée.
Laquelle par eulx entendue, auroient tous unani-
mement recogneu la paternelle affection de sa majesté
envers ses très humbles subjects de la relligion , qui
auroit tant daigné compastir à leurs douleurs et con-
descendre à leurs plainctes, que de leur avoir permis
de se trouver là tous ensemble, pour les lui prononcer
comme d'une voix; dont ils auroient tous esté émeus à
louer Dieu qui leur auroit donné ung si débonnaire
prince, et à le pryer qu'il lui plaise préserver par sa
bénédiction, et sa personne et son estât.
Mais, que particulièrement ce leur auroit esté, au
milieu de leurs misères, une espèce de rafraischissement
et ung augure certain de quelque meilleur estât àl'ad-
venir, lorsqu'ils auroient considéré qu'il ne se pouvoit
faire que celui qui par sa bonté leur ouvroit la bouche
pour se plaindre, n'eust aussi l'oreille ouverte pour les
ouïr, et la Volonté encline à leurs requestes. Comme
aussi ceste volonté ne pouvoit estre sans ung effect in-
dubitable de leur bien et repos, estant icelle accompa-
gnée d'une auctorité souveraine, et ceste auctorité,
conduicte par une singuhere prudence.
Qu'en ceste assemblée le roy de Navarre n'auroit eu
aultre but que de les rendre capables de toutes les vo-
lontés de sa majesté ployables à toutes ses affections,
qu'il sçait ne tendre en somme qu'au bien , repos et
soulagement de son peuple; et, pour à ce parvenir,
n'auroit rien obmis pour le leur faire vivement et à bon
escient cognoistre, par tous les effecls qu'il leur en
auroit peu représenter.
Comme aussi , de leur part , ledict seigneur roy de Na-
A MM. LE COMTE DE LAVAL, etc. 669
\arre les auroit trouvés très disposés à l'entière obéis-
sance qu'ils lui doibvent; protestans tous n'avoir plus
grand désir que de la lui pouvoir rendre aulx despens de
leur vie , en respandant aulx pieds de sa majesté en
quelque belle occasion , pour son service , ce peu de sang
et de moyen qui, par la grâce de Dieu et la sienne, leur
est demeuré de reste après tant de calamités et misères
civiles.
Mais que certes, comme la clémence et bénignité
de sa majesté s'estoit tousjours veue ( pour le regard de
ceulx qui voyent ung peu clair au monde) reluire et
esclater au travers des orages et tempestes qui avoient
passé sur eulx; qu'aussi estoit il tout évident que plu-
sieurs ne taschoient, et n'auroient depuis long temps
tasclié qu'à l'obscurcir, par leurs pernicieuses practi-
ques; dont seroit adveneu que ses povres subjects n'en
avoient ressenti le soulagement que, selon sa nature,
ils eussent peu recevoir, et par conséquent que sa
majesté n'auroit aussi recueilli tel fruict de sa bonté
qu'il seroit à désirer.
Que, pour preuve de ce, auroient lesdicts de la
relligion apporté, de toutes parts, diverses requestes et
remonstrances, par lesquelles ils lui auroient faict appa-
roir que, depuis l'espace de sept ans, qu'il pleut à sa-
dicte majesté leur accorder son edict de pacification,
confirmé et déclaré par les conférences surensuivies
de Nerac et de Flex , il ne seroit toutesfois encores
exécuté, ains journellement contreveneu et violé en
plusieurs des principaulx articles, quelques jussions
qu'il ait pieu à sa majesté leur octroyer sur les plainctes
qui lui en auroient esté faictes ; choses que lesdicts de
la relligion ne peuvent attribuer qu'à la négligence ,
connivence , ou mauvaise intention d'aulcungs officiers
670 INSTRUCTION
et magistrats de ce royaume; lesquels, au lieu de
ployer leurs volontés soubs celle de sa majesté comme
ils debvroient leurs actions soubs ses commandemens ,
s'efforcent au contraire par leurs mauvais effects, en
tant qu'en eulx est , de rendre doubteuse l'intention de
sa majesté assés cogneue et déclarée par ses edicts, et
par les continuelles expéditions que journellement il
lui plaist leur octroyer, en confirmation d'icelle.
Ce qu'ayant ledict seigneur roy de Navarre recogneu
n'estre que trop véritable, par la cognoissance parti-
culière qu'il a desdictes inexécutions et contraventions,
auroit esté d'advis , avec lesdicts députés , que desdictes
requestes se dressast ungcabier gênerai, lequel, à leur
instance , il auroit mis en main au seigneur comte de
Laval, au sieur Duplessis, et au sieur Constant à eulx
adjoinct par l'assemblée, pour présenter à sa majesté.
En la confection duquel lesdicts députés, pour la
moins importuner, auroient eu cest esgard de n'insérer
que les poincts les plus generaulx ou de plus d'impor-
tance, estans les griefs et attentats particuliers en si
grand nombre, qu'ils n'eussent peu qu'apporter ung
mal de cœur à sa majesté.
Qu'en ce cahier verra sa majesté que son edict de
pacification est bien loing d'estre exécuté de poinct en
poinct, comme auroit esté l'intention de sadicte ma-
jesté ; que l'exercice de la relligion, par la faulle des
officiers, en la pluspart des lieux où il debvroit, n'est
encores establi : mesmes es provinces plus paisibles ,
plus esloignees de l'animosité des guerres civiles, et
plus proches de la résidence de sa majesté. Que les
chambres de justice , en aulcungs parlemens, ne sont
encores dressées ; en aulcungs , à faulte de reglemens , se
convertissent ou en retardement de justice, ou en
A MM. LE COMTE DE LAVAL, etc. 671
instrument d'injustice. Que l'image de la guerre, et pis
que la guerre mesmes, se voit encores en plusieurs
lieux de ce royaume , par le moyen des garnisons et
citadelles qui s'entretiennent es lieux qui en debvroient
estre exempts par les edicts de sa majesté; tellement
que lesdicts de la relligion ne se peuvent rasseurer,
ains vivent comme en perpétuelle menace au milieu
d'icelles. Mesmes que les places qu'il avoit pieu à sa
majesté leur accorder contre les défiances et animosités ,
ont esté plusieurs fois attentées, quelques unes prises,
et celles qui ont esté remises h sa majesté , emplies de
garnisons , et contrainctes par citadelles. Le tout contre
les termes exprès de ses edicts, c'est à dire contre
la volonté de sa majesté, et toutesfois sans que , jusques
ici, punition, justice, ou recherche s'en soit ensuivie.
Que, pour ces causes, ses très humbles subjecls de
la relligion le requièrent très humblement de foire exé-
cuter sesdictes intentions au plus tost que faire se
puisse, à ce que, soubs l'obéissance de sa majesté, ils
puissent avoir quelque contentement pour leurs con-
sciences, et quelque seureté pour leurs biens et vies;
en faveur desquels ledict seigneur roy de Navarre,
oultre l'interest qui lui est commun avec èulx, adjoin-
dra volontiers sa très humble requeste , estant très cer-
tain que sa majesté, qui sur tous aultres princes faict
profession de droicture et vérité, n'a faict son edict
qu'en intention de le voir obéi par ses subjects égale-
ment, et exécuté soigneusement par ses officiers et
magistrats, et que sa prudence a assés cogneu que de
l'observation d'iceulx dépend le repos de son estât ,
qu'elle a principalement devant les yeulx.
Que ledict seigneur roy de Navarre auroit proposé
aulxdicts députés des églises reformées de ce royaume,
672 INSTRUCTION
que le temps pour lequel les places leur avoient esté
baillées en garde, pour les asseurer contre les défian-
ces, seroit expiré; pourtant qu'ils debvoientadviser du
moyen de donner contentement à sa majesté sur ce
poinct; à quoi il n'auroit rien obmis de ce qu'il auroit
peu alléguer; et auroient, à la vérité, tous iceulx dé-
putés, d'ung commun consentement recogneu que
c'estoit cbose deue, à laquelle ils ne dévoient opposer
fuite ni tergiversation quelconque; et qu'ils ne pou-
voientni voulloient denier , si tant estoit que sa majesté
voulleust prendre les mots à la rigueur ; lesquels ils s'as-
seuroient, au contraire, qu'elle ne vouldroit exposer
qu'avec ceste mesme bénignité et grâce , qu'elle les
avoit premièrement dicts et prononcés.
Ainsi , qu'ils se seroient resoleus de se jetter tous en-
semble aulx pieds de sa majesté pour la supplier très
humblement de les leur laisser encores de grâce en
garde pour trois ans, pendant lesquels il lui plaise
faire exécuter son edict, attendeu que leurs mesmes
maulx continuent et par conséquent ont besoing de
mesme remède; ce qu'ils se promettent desjà d'aultant
plus de sa majesté , qu'ils pensent avoir quelques arrhes
de cette sienne bénignité envers eulx; en ce que, depuis
ung an que le terme est escheu, sa majesté leur a esté
si gracieuse , qu'elle ne les en a voulleu presser comme
elle eust peu : faisant en cela, comme ils estiment,
comme le bon chirurgien qui n'oste pas l'emplastre à
poinct nommé , au temps qu'il a prefix du commen-
cement ; mais considère l'opération qu'il a faicte , et le
continue selon le besoing du patient et de la playe.
A ceste très humble requeste desdicts députés, ad-
joindront lesdicts seigneur comte de Laval, et sieur
Duplessis , et celle du roy de Navarre ; et la fortifieront
A MM. LE COMTE DE LAVAL, etc. 67 3
des raisons qui ensuivent, discrètement et prudem-
ment (i); à sçavoir tous] ours en telle sorte que sa ma-
jesté cognoisse qu'ils ne demandent lesdictes places
comme chose deue, ains qui dépend de sa pure libe-
ralilé et grâce.
Lui remonstreront donc que sa majesté, baillant
lesdictes places en garde à sesdicts subjects, eut esgard
comme ung vrai père de son peuple, de les garder et
conserver esdictes places, en attendant que les rancunes
et animosités des guerres civiles feussent amorties,
comme son intention est asscs déclarée es termes exprès
de son edict. Item, espéra que son dict edict seroit
exécuté dedans six ans au plus tard, n'estant apparent
de penser que nostre humeur deust estre si rebelle
que de se roidir et opiniastrer si long temps contre la
médecine, ni raisonnable de prévoir, par ung mauvais
augure, qu'il deust estre enaigri pendant ce temps,
par divers attentats , et mesmes par les nouveaux trou-
bles et accidens qui sont depuis survenus.
Or est il advenu , contre Tespoir de sa majesté , que
l'exécution de Tedict , qu'elle entendoit et s'attendoit
faire exécuter sans interruption, a esté discontinuee
par l'interruption mesmes de la paix; que la guerre,
qui s'est jettee à travers, a continué et accreu les dé-
fiances et comme arraché le cataplasme , tellement que
la prudence de sa majesté semble requérir que, pour
parvenir à son but, qui est le bien de son peuple, le
remède soit continué pour plus long temps, puisque
le mal continue. Comme aussi, d'aultre part, semble
convenir à son équité , plus juste bien souvent que la
justice mesmes, que sa majesté ne considère pas tant
(i) Ces mots n'estoient en celle qui feut baillée au roy.
MÉM. HE DUPLESSIS-MORNAY. ToME II. /Ij.3
674 INSTRUCTION
unof terme de tant d'années , que l'intention et espé-
rance apparente qu'elle auroit eu , en dedans de ce
temps, de composer les animosités et d'éteindre les dé-
fiances de son peuple.
Que ces défiances ne sont poinct imaginaires ni prises
à plaisir, mais fondées en quelque raison, telle, comme
dient lesloix, que toutes personnes sages peuvent avoir;
à sçavoir, en ce que les mesmes villes qui leur au-
roientesté données pour seureté , leur auroient esté en-
levées de force, devant le temps, sans justice; en ce
aussi qu'aulcunes ayant esté remises au temps prefix,
auroient aussi tost esté pourveues de garnisons ou cita-
delles, qui sont apparentes menaces d'en faire aultant
aulx aultres ; bref, en ce que plusieurs de ceulx mesmes
qui debvroient estre faulteurs de l'edict, selon leurs char-
ges, se sont trouvés aucteurs de ces contraventions eu
quelques lieux , à sçavoir les officiers et magistrats mes-
mes. Aussi il semble qu'au lieu de lever les défiances ,
pendant tout ce temps, aulcungs ayent travaillé ma-
licieusement à les nourrir, et ce, sans doubte , afin que
des défiances on veinst à ung refus des places, de ce re-
fus à ung trouble, d'ung trouble à une ruyne, dont
les brouillons feissent leurprofict ; chose, grâces à Dieu ,
trop esloignee , et de l'équité de sa majesté , qui sçaura
bien donner et ordonner à ses subjects ce qui leur sera
nécessaire pour leur repos et convenable à sa bonté ,
et de l'obéissance de sesdicts subjects , qui aimeroient
trop mieulx s'exposer à mille dangers que de faire
chose qui lui deust déplaire.
Qu'ung grand nombre de personnes de toutes qua-
lités , entre lesdicts de la relligion , gentilshommes ,
capitaines et aultres, qui ont porté et suivi les armes,
sont, depuis ce temps et cncores aujourd'hui, pour-
A MM. LE COMTE DE LAVAL, etc. 6j5
suivis à toute rigueur par les prevosts , juges et courts
souveraines , pour cas abolis par l'edict , les ungs di-
rectement et les aultres indirectement; (es ungs contre
les mots exprès , et les aultres soubs l'ambiguité dès
termes, esquels on leur dresse des pièges pour se dé-
faire d'eulx , dont seroit advenu que plusieurs estant en
peine, n'auroient peu avoir seure habitation qu'esdictes
villes de seureté, qui en partie leur auroient esté bail-
lées à ceste fin; et pour en sortir, attendu mesmes que
ladicte seureté ne leur pouvoit tousjours durer, se se-
roient retirés par devers sa majesté, par très humbles
requestes, pour obtenir une déclaration desdictes ob-
scurités et ainbiguités, laquelle, soubs le nom et tiltre
d'abolition, elle leur auroit benignement et libérale-
ment octroyée ; mais que, depuis deux ans qu'ils la
poursuivent , ils n'en auroient peu obtenir la vérifica-
tion en sa court de parlement de Paris, quelque in-
stance mesmes que ledict seigneur roy de Navarre en
ait faict pour eulx, qui est cause qu'ils languissent en
juste crainte et défiance hors de leurs maisons, en
danger des prevosts, qui les courent à force comme
vagabonds et prevostables, soubs ombre qu'ils n'ont seu-
reté chez eulx, estant contraincts de la chercher, bien
qu'incommodement, esdictes villes , à faulte desquelles
peuvent advenir des inconveniens , tels que le deses-
poir tire après soi, et tels en somme qu'en ce royaume
il a engendré en quelques lieux.
Que , contre ces occasions de défiances , ils eussent
pris ung subject d'entrer en confiance, s'ils eussent
apperceu quelques traits apparens de la bonne grâce
de sa majesté envers sesdicts subjects de la relligion,
nonobstant le mauvais traictement qu'ils auroient re-
ceu d'aulcungs des principaulx officiers, spécialement
676 INSTRUCTION
s'ils eussent peu remarquer que le cœur de sa majesté
eust esté vivement touché d'affection envers le roy de
Navarre et monseigneur le prince de Condé, qui, par
la grâce de Dieu, font mesme profession qu'eulx, et
es personnes desquelles ils ont tousjours faict estât de
recognoistre la disposition et inclination de sa majesté
envers la généralité de sesdicts subjects de la relligion ,
et d'aultant plus qu'ils ont cest honneur de lui appar-
tenir de plus près. Au contraire, qu'en tout ce temps
ils n'ont peu appercevoir aulcung progrès de ceste fa-
veur et bonne .grâce de sa majesté envers eulx , en la
dispensation des honneurs, charges, dignités et fonc-
tions, qui , selon l'intention de sa majesté, portée par
ses edicts, debvoient estre indifféremment distribuées ;
que mesmes le roy de Navarre et monseigneur le prince
de Condé ont aussi peu d'auctorité en leurs gouverne-
mens que le premier jour des six ans, moins que le
moindre lieutenant de province, moins que le moindre
gouverneur de place; que ceulx qui veullent mal à ses-
dicts subjects de la relligion, voyant ceste inégalité si
manifeste, s'en rendent orgueilleux et se promettent
impunité, quoi qu'ils leur fassent; comme aussi s'en-
hardissent par là les ennemis de la grandeur et auc-
torité desdicts seigneurs roy de Navarre et prince de
Condé, de s'auctoriser par toutes voies contre eulx et
sur eulx, comme si sa majesté ne le pouvoit trouver
mauvais; qui toutesfois ont cest heur et honneur na-
turel de n'avoir ni pouvoir avoir ennemis de leur auc-
torité et grandeur, que ceulx mesmes qui le sont de
la sienne.
Sçait bien ledict seigneur roy de Navarre qu'on peult
alléguer à sa majesté que le subject se doibt fier au
prince , plustost que le prince au subject , à quoi se
A MM. LE COMTE DE LAVAL, etc. 677
responcl en iing mot qu'il n'est pas ici question d'une
défiance de prince au subject, mais de peuple à peu-
ple, et (le subjects respectivement, qui ont receu injure
î'ung de l'aultre , tous deux également subjects de sa
majesté, tous deux requérant, par mesme droict, par-
ticiper en sa bonne grâce, tous deux cherchant leur
protection soubs son aile. Mais, oultre ce, considérera
sa majesté, s'il lui plaist, que ce sont les foibles qui
prennent défiance des forts, et partant, que c'est aulx
forts à asseurer les foibles, aulx pères les enfans, aulx
maistres les serviteurs, aulx princes les subjects; et
d'aultant plus qu'ils sçavent le pouvoir faire sans dan-
ger et sans dommage, au lieu que les aultres dépen-
dent de leur pure discrétion et volonté. Ainsi sa ma-
jesté , accordant les places à sesdicts subjects de la rel-
ligion, comme ils l'en requièrent humblement, faict
proprement, au regard d'eulx, le père, le maistre et
le prince; mais, au regard des ungs et des aultres, le
sase et le légitime arbitre, qui faisant droict, sans
acception, à fung et à l'aultre, a touttsfois ce soing
particulier, que le fort ne fasse injure au foible.
Et que sa majesté le puisse faire sans danger ni dom-
mage, n'est besoing de grande preuve; car sesdicts
subjects de la relligion ne sont pas eslrangers, ni de
cœur estranger, mais vraiment François, François plus
intéressés en la haine de l'ennemi qui seroit à craindre,
qu'aultres quelconques, soit qu'on considère la cause
de la relligion ou de Testât; François qui, dedans et
dehors du royaume, n'ont aulcune participation, ni
avec lui, ni avec ceulx qui l'aiment; ains, comme cha-
cung sçait, en toutes leurs affections et actions, ont
tousjours désiré et cherché sa ruyne. Et après ledict
seigneur roy de Navarre s'est constitué respondant en-
678 INSTRUCTION
vers sa majesté, respondant qui, après sa majesté, ait
le principal interest à la chose, qui mesmes, oultre
l'interest qui lui est commun avec sa majesté, ait des
interests particuliers contre celui et ceulx qui seroient
principalement à craindre; et puis venant lesdictes
places à sortir des mains de ses subjects de larelligion,
qui les tiennent soubs la foi dudict seigneur roy de
Navarre, en quelle plus seure main sa majesté les
pourra elle mettre? en quelle encores qui soit plus
esloignee de la jalousie et de l'envie?
Et quant au dommage qui se peult proposer en ce,
peult estre que les garnisons desdictes places chargent
les finances de sa majesté, oultre ce que le seigneur roy
de Navarre s'asscure (pje sa majesté racheteroit bien
plus cher la trancjuillité et repos d'esprit de ses propres
subjects de larelligion, qui l'attendent de lui seul, con-
sidérera sa majesté que celles de Languedoc sont payées
d'une crue extraordinaire sans charger l'ordinaire de ses
finances ; que celles de Dauphiné et Provence ne montent
pas à grand'somme ; et, quant à celles de Guyenne, pense
ledict seigneur roy de Navarre qu'elle ne lui vouldroit
refuser quelque nombre de compagnies entreteneues,
pour estre employées soubs lui en son service , comme
ci devant les ont eues ceulx qui ont eu cest honneur de
tenir le lieu qu'il tient, lesquelles, pour quelque es-
pace, tiendroicnt garnison esdictes places; et lorsque
les causes en seroient cessées, comme de son costé il
y travaille de tout son pouvoir, s'achemineroient en
tel lieu qu'il seroit advisé pour le bien de son service ,
joinct que ledict seigneur roy ne feindra de lui dire qu'il
craint que ceulx qui lui allèguent ceste espargne, ne le
fassent que par prétexte et non à bon escient, veu que,
pour le regard des garnisons qui s'entretiennent en
i
A MM. LE COMTE DE LAVAL, etc. 679
plusieurs lieux contre les edicts de sa majesté , ils ne
remonstrent pas le mesme niesnage.
Ces choses bien représentées à sa majesté, espèrent
ledict seigneur roy de Navarre et sesdicts subjects de
la relligion , assemblés par sa permission en ladicte ville
de Montauban , que sa majesté sera esmeue de leur
accorder encores pour trois ans , par sa clémence , les
places qu'elle leur avoit ci cVevant octroyées pour six ,
pendant lesquels trois ans son edict soit exécuté de
poinct en poinct , ainsi qu'il lui a pieu ordonner plu-
sieurs fois.
Et ce, d'aultant plus qu'ils ne font doubte que sa ma-
jesté ne considère selon sa prudence et magnanimité,
les grandes et belles occasions que Dieu lui monstre et
présente, de toutes parts et à tant de fois, d'agrandir
et establir son estât, qui seroit mesmes le plus abrégé
moyen de le pacifier et composer, et d'esteindre et
Amortir les cendres encores demi chaudes des guerres
civiles; estant aujourd'hui telle, la disposition de la
nation françoise, qu'elle a besoing d'un subject pour
exercer ses armes , si on ne veult qu'à faulte d'icelui elle
les emploie contre elle mesmes.
Ce sont les instructions qui ont esté baillées aulxdicts
sieurs comte de Laval, Duplessis et Constant, de la
part dudict seigneur roy de Navarre et de ladicte as-
semblée, lesquelles ils exposeront à sa majesté, de poinct
en poinct, et y adjousteront tout ce que, pour le ser-
vice dudict seigneur roy, bien et repos des églises refor-
mées de ce royaume, ils verront et jugeront appar- '
tenir, selon leur discrétion et prudence.
Faict à Monlauban.
Signé Hf.ivrt.
68o LETTRE DE M. DUPLESSIS
CIV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Jit roy de Navarre.
Du ili novembre i58/{.
Sire, nous n'avons encores rien faicten la principale
charge que vous nous avez donnée , parce que sa ma-
jesté n'est arrivée en ce lieu de Sainct Germain que du
8 de ce mois. Joinct aussi que M. le comte de Laval
estoit allé ung tour chez lui, au partir de Blois, d'où
il n'est encores de retour, à cause de quelques accès
de fiebvre qu'il a eus. Il nous a asseurés d'estre ici jeudi
au plus tard; et des le lendemain nous supplierons très
humblement sa majesté de nous ouïr. Cependant, sur
la depesche que sa majesté a receue des affaires de Lan-
guedoc, par M. de Pontcarré , elle nous a faict cest
lionneur de nous appeller, et nous a teneu ces propos;
qu'elle ne nous appelloit poinct pour les affaires pour
lesquelles nous estions veneus , lesquelles toutesfois elle
estoit preste d'entendre quand nous vouldrions, mais
pour quelques nouveautés surveneues en Languedoc,
au rebours de ce qu'il avoit espéré; lesquelles il s'as-
seuroit cjue vous trouveriez non moins estranges que
lui mesmes. Qu'il avoit pensé avoir donné occasion de
contentement à M. de Montmorency, par la despeche
envoyée par le sieur de Pontcarré, comme de faict,
il lui auroit accordé tout ce que vous auriez jugé né-
cessaire pour son contentement, et vous auroit commu-
niqué ladicte depesche, laquelle trouvant raisonnable,
vous auriez accompagnée et assistée d'ung gentilhomme
exprès envoyé vers M. de Montmorency, de vostre
part. Qu'il recognoissoit bien en quelle sincérité vous
AU ROY DE NAVARRE. 68 1
y aviez procédé et procédiez ; et mesmes qu'il avoit
certain tesmoignage du bon debvoir qu'avoit faict le
sieur de Merle , par vostre commandement, tant envers
ledict sieur de Montmorency qu'ailleurs en Languedoc,
pour retenir et contenir les choses en estât. Cepen-
dant , que ni de sa bonne volonté à pacifier son estât,
et contenter ledict seigneur de Montmorency , ni de
la vostre mesmes à advancer ce que cognoissiez estre de
son service, il ne voyoit, à son grand regret, le fruict
qu'il avoit espéré. Au contraire, que les armes seroient
prestes de se prendre en Languedoc, et en quelques lieux
seroient jà prises; que M. de Montmorency auroit jà
forces et artillerie en campagne, pour battre Clermont;
que, de l'aultre part, on n'estoit pas délibéré de le laisser
faire; dont y auroit danger que le feu ne s'embrasast par
toute la province, et peult estre plus oultre ; le tout
soubs ombre d'un certain chasteau ou village, nommé
Sessenon, saisi, comme on dict, par M. le mareschal de
Joyeuse , que sa majesté commanderoit estre desman-
telé, et qui estoit trop peu de chose pour tirer après
soi une telle ruyne. Que son intention n'est poinct, qu'à
l'appétit de l'ung ni de l'aultre son estât soit troublé, ni
ses subjects en peine; ains qu'il veult entretenir cha-
cung en son degré, attribuer à chacung ce qui lui ap-
partient, contenter en somme ung chacung de ce qui
est droict et raisonnable. S'asseurant, au reste, que, si
aulcungs entreprennent oultre et contre cela, ce qu'il
n'espère, Dieu ne le lairra despourveu de moyens,
après avoir abusé de sa doulceur, pour les y amener par
force. Qu'il s'asseuroit que vous condamniez telles ac-
tions; que vous apporterez tousjours toute l'aide que
pourrez, à la tranquillité de son estât, comme il s'es-
toit apperceu , par ci devant. Et pourtant qu'il nous
68'2 LETTRE DE M. DUPLESSîS
avoit mandés pour nous faire entendre tout ce que
dessus, à ce que nous eussions à vous en advertir; et
qu'il desiroit qu'incontinent vous depeschissiez quelque
genlilhomme suffisant et qualifié en Languedoc, pour
couper chemin à ces maulx, tant en ramenant par toutes
les raisons que vous sçaurez assés imaginer, ledict sei-
gneur de Montmorency à fintenlion de sa majesté,
qu'en divertissant ceulx de la relligion qui le voul-
droient suivre, de prendre les armes, et sans subject,
contre son service, lorsqu'il n'avoit aultre but que de
pacifier son royaume, et donner occasion de conten-
tement à ung chacung.
Nous lui avons respondeu, sire, que nous nous asseu-
rions que sa majesté vous feroit cest honneur, de croire
que vous n'approuviez aulcunes actions contre son
service et le bien de son estât. Que particulièrement
sa majesté auroit peu appercevoir de quelle franchise
vous vous seriez employé en tout ce qui vous auroit
esté commandé, nommeemcnt pour le faict de Langue-
doc ; et de faict, que nous oserions bien respondre, si
nous estioiîs solvables de si grandes choses, que ceulx
qui souloient déférer à nos conseils et advis , ne parti-
ciperoient aulcunement à cest affaire; et surtout les
bonnes villes de Languedoc, comme Montpellier, Nis-
mes, Uzés, Castres et aultres, qui ne desiroient rien
plus que vivre paisiblement soubs le bénéfice de ses
edicts.
Sa majesté, à ce poinct, a recogneu vostre bonne
affection qu'il auroit remarquée nommeement es sus-
dictes affaires de Languedoc, et qui lui auroit esté bien
tesmoignee par M. de Bellievre, lequel estoit seul pré-
sent à tous ces propos; cependant que, soubs ombre de
querelle particulière dudict sieur duc de Montmorency,
AU ROY DE NA.VARRE. 683
contre M. le mareschal de Joyeuse , il seroit adverti
que plusieurs de la relligion s'y seroient embarqués et
jettes avec lui : entre aultres, les sieurs de Lecques et
Porclieres, et que nombre de soldats seroit sorti des
villes; mesmes que M. de Chastilloii (ce qu'il ne pou-
voit croire, veu les bons services precedens en la paci-
fication des choses ) s'y seroit , après plusieurs difficul-
tés, laissé aller , sur ce que ledict sieur de Montmorency
lui auroit remonstré le debvolr et office de parent et
d'ami , en telles querelles particulières.
Nous avons respondeu , quand les armes se remue-
roient, soubs quelque prétexte que ce feust, qu'il estoit
malaisé de contenir les soldats qui, pour la pluspart,
ont accoustumé ou par nécessité, ou aultrement, de
chercher la guerre sans en rechercher la raison ou la
cause. Aussi qu'ils ne debvoient proprement estre nom-
bres comme parties, ou membres des villes, ni les ac-
tions des villes jugées par les leurs. Mais, quant aulx
corps des bourgeoisies, qui estoient régis par quelque
ordre, qu'il n'en adviendroit ainsi, comme aussi les
personnes de qualité y procederoient plus pesamment.
Particulièrement , que nous espérions que sa majesté
auroit meilleures nouvelles de M. de Chastillon lequel
nous entendions vous estre allé trouver sur ces remue-
mens.
Le pis est que nous appercevons qu'on doubte que
ce mal ne vienne déplus loin, et ne tende plus oultre.
A quoi on est plus facilement persuadé, pensant avoir
accordé à ]\1,. de Montmorency tout ce qui estoit de
raison , et au plus près de ses demandes; dont on juge
qu'il ne se departiroit pas, s'il n'avoit aultre chose en
teste. La dessus aussi se ramentoivent les vieulx advis
qui sont rafraischis par aultres nouveaulx. Tout cela
684 LETTRE DE M. DUPLESSIS
est cause que sa majesté désire qu'au plus tost vous y
envoyiez quelqu'ung armé de toutes persuasions possi-
bles, et que, si voyiez que besoing soit, vous vous advan-
ciez jusques à Castres , pour remédier au mal de plus
près. Plusieurs raisons, sire, vous doibvent porter et
inciter à embrasser vivement ceste occasion de faire
service au roy et à ceste couronne. Le roy monstre un
désir infini de voir son estât paisible, et semble, plus
que jamais, en avoir occasion; car nous sommes me-
nacés de grandes tourmentes, lesquelles ayant à venir,
bien nous servira d'avoir nostre vaisseau bien clos et
couvert de toutes parts. La France aussi s'en va désor-
mais lasse de ses folies, et aimera, sans doubte , qui
aimera sa paix. Plus à propos ne seauriez vous mons-
trer à sa majesté vostre affection en son service, qu'en
rapportant vos affections aulx siennes , mesmes en
cboses comme celles ci, et utiles et honorables. Et mieulx
aussi ne pouvez vous attirer à vous l'amitié de toutes
les personnes d'honneur et de vertu, en ce royaume,
qu'en vous employant soubs le commandement de sa
majesté, pour le bien gênerai de tous. En somme, le
malheur a voulleu qu'ils aient senti vos armes ; il est
temps qu'ils vous sentent, en tant qu'en vous sera, ins-
trument de leur repos.
Le sieur d'Espruneaux est arrivé depuis deux jours
des estats des Pays Bas, resoleus d'appeller le roy pour
leur seigneur; la royne d'Angleterre de sa part, d'en-
trer en communs frais contre le roy d'Espaigne. Et vous
sçavez, sire, combien d'auitres desseings pendent à
celui là. Jugez, sire, quel tort on chargera sur ceulx
qui viendront à troubler les affaires en ceste circon-
stance , et combien il importe que ceulx de la relligion
ne se trouvent meslés entre euix.
AU ROY DE NAVARRE. 685
Aussi vous sçavez , sire, que ce feu une fois allumé,
s'ils viennent à y participer, pourroit courre de ville
en ville , et de province en province. Qu'en ce cas sa
majesté seroit contraincte d'opposer forces à forces, et
en donner la charge à ceulx qui par ci devant les au-
roient menées ; et vous sçavez , sire , s'il y a chose qui ac-
croisse tant l'auctorité de vos ennemis que la guerre;
et ce mal continuant, vous ne doublez pas qu'ils n'y
soient des premiers employés.
Ainsi, sire, nous pensons voir le service du roy et
le bien universel de son royaume estre de vostre bien
et service particulier, d'embrasser la pacification du
Languedoc, pour laquelle sa majesté vous escrit, et
nous a commandé vous escrire , etc.
CV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A MM. des Eglises de Languedoc .
Du i4 novembre i584.
Messieurs, nous n'avons peu estre ouïs si tost sur
nos cahiers , à cause de la peste qui contraignit sa ma-
jesté de se retirer de Blois , dont nous feusmes assignés
au 8 de ce mois, en ce lieu de Sainct Germain, oii M. de
Laval n'est encores arrivé , à cause d'une fiebvre qu'il a
eue. Ce sera, aidant Dieu, pour le premier jour. Ce-
pendant sa majesté nous a mandés ici, et se plainct
grièvement des remuemens de vostre province de Lan-
guedoc, et particulièrement que ceulx de nostre relli-
gion y prennent les armes, soubs prétexte de certains
differens enlre M. le duc Montmorency et M. le mares-
chal de Joyeuse; que sa majesté n'entend tirer à telle
conséquence que de troubler ladicte province , et mettre
686 LETTRE DE M. DUPLESSIS
en danger de nouveaulx troubles tout cest estât. Ce sont,
messieurs, les propos qu'il a pieu à sa majesté nous
tenir , sur lesquels nous l'asseurons que vous ne ferez
ni souffrirez eslre faict , en tant qu'en vous sera , chose
qui trouble la paix. Et nous vous pryons, pour le bien
de nous tous en gênerai , et de chacung en particulier,
de tenir la main que les choses n'empirent, et contenir
les personnes sur lesquelles vous avez quelque puis-
sance , par tous les moyens que vous pourrez. Vous
voyez les affaires que nous avons à traicter ici , et n'igno-
rez poinct quelle défaveur nouveaulx remuemens y
apporteroient. Les députés de Flandres sont aussi ici
pour choses grandes. Ce nous seroit ung trop grand re-
gret d'avoir servi d'achoppement à leurs affaires, et
d'empeschement à leur bien. D'ailleurs, vous sçavez,
messieurs, ce qui feut dernièrement concleu à Mon-
tauban, d'éviter soigneusement toutes actions et occa-
sions qui nous pourroient rejetter aulx misères civiles.
Et vous sçavez que le feu et les armés ne tiennent poinct
de mesure , et qu'on ne les arreste pas à poinct nommé,
quand elles sont une fois esprises. Vous adviserez donc,
messieurs , et nous vous en pryons , à contenir les
choses , et d'aultantplus qu'il plaist à sa majesté adviser
par sa prudence à les ramener en bons termes, et à
ceste fin escrire au roy de Navarre , pour s'employer
vers M. de Montmorency , et tous aultres qu'il appar-
tiendra; lequel nous espérons, soit par l'envoi de per-
sonnes d'auctorité, soit par rapprochement de sa per-
sonne, y apportera bientost les remèdes nécessaires soubs
l'auclorité et commandement de sa majesté. C'est ,
messieurs, ce que nous avons pensé de vous en escrire,
sur ce qu'il a pieu à sadicte majesté nous desclarer et
commander; et sur ce, après vous avoir humblement
A MM. DES EGLISES DE LANGUEDOC. 687
salué, pryerons Dieu , messieurs , vous avoir en sa
saincte garde.
De Sainct Germain en Laye.
CVI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Chas ti lion.
Du 14 novembre i584'
Monsieur , nous n'avons encores peu rien faire en
nos principaulx affaires, parce que sa majesté n'est en
ce lieu de Sainct Germain , où avons esté assignés, que
du 8 de ce mois, et M. le comte de Laval, vostre cou-
sin , a eu quelques accès de fiebvre qui l'ont retardé
elles lui; il pourra estre ici dans deux jours, et lors
nous supplierons sa majesté de nous voulloir ouïr. Ce-
pendant , tout bruït ici des remuemens de Languedoc ;
qu'il y a forces et artillerie aulx champs de par M. de
Montmorency ; que plusieurs de la relligion s'y embar-
quent , nommeement les sieurs de Lecques et Porchères ;
que vous mesmes vous y sériés adjoinctsurce qu'il vous
auroit esté remonstré; que ce n'estoit qu'une particu-
lière querelle , en laquelle ne pouvés desnier l'office de
parent ; et la chose se rend d'aultant plus odieuse , que
sa majesté déclare avoir accordé à M. de Montmo-
rency, par la depesche du sieur de Pontcarré , tout ce
qu'il demandoit. Là dessus donc nous sommes appelles,
et respondons que ceulx qui vouldront croire le con-
seil du roy de Navarre, ne troubleront poinct la paix;
que nous pensons que les églises de Languedoc y dé-
féreront, et quant à vous, que nous nous asseurons
que ne vous lairrés emporter aulx mauvais conseils.
Aussi sçavés vous, monsieur, combien ces remuemens
6S8 LETTRE DE M. DUPLESSIS
à ceulx de nostre relligion seroient mal à propos ; qu'il
nous fault tascher au contraire, par tous moyens, d'ef-
facer la mémoire et les cicatrices des troubles; qu'en
l'assemblée de Montauban , tous attentats particuliers
ont esté publicquement condamnés; que le roy de Na-
varre , particulièrement , n'auroit rien tant recommandé
à ung chacung que de s'en abstenir, et généralement
de tout ce qui pourroit tant soit peu esbranler la paix;
et puis vous n'ignorés poinct combien cela defavori-
seroit nostre negotiation , en laquelle vous avés parti-
culier interest. Cela nous faict confidemment affirmer,
monsieur, que, veu vostre prudence, vous estes trop
esloigné de tout ce qui peult empirer les affaires de
Languedoc ; veu mesmes l'amendement qu'avés tous-
jours tasclié d'y apporter, comme de faict nous au-
rions entendu , et l'avons dict à sa majesté , que sériés
allé trouver le roy de Navarre sur ces nouveautés. La
somme a esté que sa majesté, après plusieurs propos,
nous a commandé d'escrire au roy de Navarre, co?nme
aussi elle lui escrit pour s'employer vers M. de Mont-
morency à pacifier les choses. Et proteste, sa majesté,
n'estre aulcunement son intention d'affectionner l'ung
contre l'aultre ; ains d'attribuer à ung chacung ce qui
lui appartient, ce qu'il pensoit avoir suffisamment faict
par la depesche de M. de Pontcarré , laquelle, je crois,
vous aura esté communiquée ; et quant au chasteau de
Sassenon^ qui auroit enaigri les choses, qu'il comman-
dera qu'il soit démantelé, afin qu'elles soient rame-
nées aulx premiers termes. Pareillement à vous, pour
y aider, selon la bonne affection qu'avés faict paroistre
par ci devant, et nous a dict ne voulloir croire qu'ayés
changé ccste intention depuis, mesmes avoir bon tes-
moignaige du debvoir qu'a faict le sieur de Blerle. Les
A M. DE CHASTILLON. 689
affaires des Pays Bas se traictent maintenant; nous au-
rions le blasme d'avoir aidé à les troubler. D'ung coing
ce feu pourra passer à l'aultre , et embraser tout cest
estât, et lors sa majesté opposera armes à armes; vous
pouvés juger qui y commandera , et si ce sera pas re-
mettre la force et l'auctorité en la main de nos enne-'
mis. La France commence à oublier les guerres de la
rellisfion; au lieu de les effacer, nous les lui rafraftschi-
rons; et ne fault espérer, pour estre la cause diverse,
si nous y sommes tant soit peu meslés , que nous évitions
ce blasme, et qu'ung aultre le porte; car nos ennemis
sont assés artificieux pour nous faire tenir lieu de prin-
cipal, encores que nous n'y soyons qu'accessoire. J'ai
pensé vous en debvoir escrire ce mot , comme serviteur
que je vous suis, que je vous prye peser et prendre
en bonne part ; et sur ce , monsieur, etc.
De Sainct Germain en Lave.
CVIL — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Saincte Aldegcnde.
Du 23 décembre i584.
Monsieur, j'ai receu les vostres du 29 novembre,
ensemble celles du prince de Parme à MM. d'Anvers,
et les vostres responsives aulx siennes; je loue fort
vostre resolution et discrétion tout ensemble, et es-
time que n'y pouvés mieulx procéder. Au reste, quand
tous les hommes vous fauldront , et peult estre à eulx
mesmes. Dieu vit, qui ne peult défaillir, ni à nous, ni
à sa gloire. En ces vagues , je prise vostre constance
et n'en puis que bien espérer; je regrette seulement
de ne la voir suffisamment secondée; mais, quand nous
MjÉM. DE D0PlKSSIS"M0RIfAY, ToME II 44
6go LETTRE DE M. DUPLESSIS, eic
secondons Dieu, nous avons moins affaire de seconds;
la patience endure beaucoup , mais surmonte tout , et
Dieu la vous doint, à qui je sçais que la demandés. De
nos affaires, je vous en ai escrit de Paris. Le roy nous
accorde la pluspart de ce que lui avons demandé pour
l'exécution de l'edict; mesmes, oultre l'edict, les villes
de seureté encores pour deux ans et les garnisons payées.
Il désire la paix, et pour plusieurs raisons; il n'est
asseuré de l'amitié d'Espaigne, voit au contraire des
menées en son estât, fortifiées de l'Espaignol; tout
cela sert à nos affaires, et que vostre propre longueur,
puisque la resolution en est prise, ne vous nuise; du
roy de Navarre, quand la volonté du roy y sera, la sienne
doublera, et n'en doubtés; et de moi, de ce peu que
ie suis et que je puis , vous en debvés faire estât et
public et privé. Je vous salue bien humblement, et
prye Dieu qu'il vous ait en sa garde.
D'Angerville en Bea-isse, prenant la poste.
CVIII— LETTRE DU ROY DE NAVARRE
Ju roy Henry 111, dressée par M. Duplessis.
De la fin de l'an i584.
Monseigneur, le sieur Duplessis est arrivé ici depuis
deux jours, par le retour duquel j'ai entendeu ce qu'il
a pieu à vostre majesté ordonner sur les cahiers et ins-
tructions qui ont esté présentés à vostre majesté par
M. de Laval et lui, au nom de vos très humbles subjects
de la relligion reformée, assemblés il y a quelques
mois , par vostre permission , en vostre ville de Mon-
tauban ; et s'est tout à propos rencontré que mon cousin
M. le prince de Condé, et ung nombre de seigneurs et
LETTRE DU ROY DE NAVARRE, etc. 691
gentilshommes, de ceste profession, se sont trouvés
sur son retour, près de moi : aulxquels ont esté com-
muniquées les responses qu'il a pieu à vostre majesté
accorder sur lesdicts cahiers et instructions. Je dirai
avec vérité à vostre majesté, monseigneur, que tous
unanimement ont recogneu , non seulement la saincte
intention que vostre majesté apporte à Texecution de
ses edicts , et au bien et repos de tous ; mais aussi par-
ticulièrement, la paternelle affection, de laquelle il lui
plaist embrasser ses très humbles subjects de la rellioion ,
qui louent Dieu de tout leur cœur, de l'heur qu'elle
leur faict espérer de se ressentir de plus en plus de vostre
bonne grâce ; et le supplient de voulloir conserver vostre
majesté longuement , pour tant de milliers de per-
sonnes, qui ne respirent que soubs sa sagesse et pru-
dence, et de prospérer et bénir tous ses conseils et
desseings, pour l'entier restablissement et heureux ac-
croissement de son estât. Entr'eulx tous, monseio^neur.
je recognois et ressens une obligation très spéciale, en
ce qu'il a pieu à vostre majesté avoir pour agréables
les très humbles remonstrances que j'ai pris la hardiesse
de vous faire, de ce qui m'a semblé convenable à la né-
cessité de vosdicts subjects de la relligion , pour les faire
vivre en quelque plus grande asseurance ; attendant
qu'il ait pieu à Dieu, par la prudence de vostre majesté,
ramener toutes choses h ung plus désirable estât. Qui
me faict aussi espérer, monseigneur, que de plus en
plus vostre majesté étendra sur moi ses bonnes grâces;
comme de ma part, je me dispose et disposerai tous-
jours à rechercher toutes les occasions de m'en faire
digne : ne regrettant rien plus que de ne les voir
naistre telles, et aussi souvent que je les desirerois,
pour rendre notables et continuelles preuves à vostre
692 LETTRE DU ROY DE NAVARRE
majesté de la fidélité de mon service. Reste mainte-
nant, monseigneur, comme il a pieu à vostre majesté
faire cognoistre ceste sienne bonne volonté à ses très
humbles subjects de la relligion, qu'aussi il lui plaise,
par une mesme bonté, commander au plus tostqueses
affaires le pourront permettre, les expéditions néces-
saires pour leur en faire sentir les effects , suivant les
mémoires qui en auroient esté mis, par son comman-
dement, es mains de M. de Bellievre; desquels vostre
majesté trouvera bon que le sieur de Chassincourt fasse
la sollicitation et poursuite. Ce que sçachant, monsei-
o^neur, estre très conforme à vostre intention, assés
tesmoit^nee par les precedens et recens effects, ne pen-
sent vosdicts très humbles subjects, avoir besoing vers
vostre majesté de plus longue requeste; mais bien,
monseigneur, de supplier le Créateur, comme je fais
de tout mon cœur avec eulx tous , qu il doint à vostre
majesté, etc.
CIX. — LETTRE DU ROY DE NAVARRE
J M. Duplessis, escrite de sa main.
Du..... i584.
J'ai receu ce soir la lettre et le mémoire que m'avés
envoyé. J'eusse désiré que me l'eussiés apporté vous
mesmes. J'avois dict à M. de Clervant que je vouUois
que veinssiés quant et mon train , mais la Fon m'a dict
que retourniés à Montauban ; aussi vostre lettre ne
parle pas comme homme qui veuille venir; vous
debvnés estre plus affamé de me voir, sçachant comme
je vous aime; je ne me puis passer de vous, M. de
Clervant n'y estant; venés vous en, je vous prye , aussi
A M. DUPLESSIS. 69':^
vuide de passion que -vous estes plein de vertu ; je
sçais que vous m'aimes , et qu'ayant parlé à moi , vous
recognoistrés des erreurs que tous avés faictes , qui ne
sont bien séantes ni aulx ungs ni aulx aultres. Si je
n'eusse esté parti quand vous arrivastes, les choses ne
se feussent remises ; vous me faictes tous ung grand
desservice de laisser les choses, en Testât qu'elles sont,
tirer en longueur. Je vous en parlerai à tous franche-
ment; venés donc vistement. Adieu, M. Duplessis; c'est
vostre plus affectionné maistre et ami,
Henry.
FTIV DU TOME DrUXIEME.
TABLE DES PIECES
CONTENUES DANS LE TOME DEUXIÈME.
Avertissement Page 5
II. * Advis sur le Mariage de la reine Jeanne d'Albret. i8
Anlre Advis donné à La Rochelle quelques moys après. 19
If I. — Discours au roy Charles ix , pour entreprendre la
guerre contre l'Espaignol es Pays Bas 20
IV. — Lettre de M. Demazelieres 87
V. — Renionstrance aulx Esiats de Blois pour la paix,
soubs la personne d'ung catholique romain /fO
VI. — Lettre de monseigneur le duc d'Anjou à M. Du-
plessis 79
VII. — Lettre de M. Duplessis à M. Languet 80
VIII. — * Lettre de M, Duplessis à M. de Danzay, ambas-
sadeur du roy de Dannemarck 84
IX. — Advis de M. Duplessis sur les moyens de contenter
les catholiques romains demandans le reslablissement de
l'exercice de leur relligion en Bearn , envoyé au roy de
Navarre en l'an i58o q4
X. — * Lettre de M. de Danzay, ambassadeur du roy en
Dannemarck, à M. Duplessis-Mornay 100
XI. — * Lettre de M. de Danzay , ambassadeur du roy en
Dannemarck , à M. Duplessis-Mornay 110
XIL — Lettre du roy de Navarre à M. Duplessis iig
XIIL — Lettre du roy de Navarre à M. Duplessis 1 20
XIV. — * Lettre de M. Duplessis à M. de Sombre 121
XV. — * Lettre de M. Duplessis à M. Massie laS
XVI. — Instruction baillée aux sieurs , allant de la
part de Ms"^ le prince d'Orange vers MM. des quatre
membres de Flandres , et de la ville de Gand , dressée
par M. Duplessis en janvier i582 126
XVII. — Projet de la légation que monseigneur le duc
d'Anjou, esleu duc de Brabant , destinoit en Allemaigne ,
à la diète d'Ausbourg , l'an 1 682 i33
TABLE DES PIÈCES, etc. GgS
XVIII. — Instruction de monseigneur le duc d'Anjou , etc.,
à MM. de Bouillon et Duplessis, allans de sa part à la
dicte d'Ausbourg , l'an i582 Page x[\i
XIX. — Lettre du roy de Navarre à M. Duplessis 147
XX. — Lettre de M. de Danzay , ambassadeur du roy eu
Dannemarck , à M. Duplessis i /8
XXI. — Instruction pour le sieur de Clervant , allant de
la part du roy de Navarre vers M. de Savoye ; dressée
par M. Duplessis j5i
XXIL — Lettre du roy de Navarre au duc de Savoye. . i54
XXIII. — Lettre de M. Duplessis à M. de Mezieres 1 55
XXIV. — Lettre de M. Duplessis à M. Taffin 157
XXV. — Lettre de M. Duplessis à M. du Ferrier 160
XXVI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Pibrac 162
XXVII. — Lettre du roy de Navarre au roy Henri III ,
rédigée par M. Duplessis 1(53
XXVIII. — Discours, si le roy de Navarre doit aller en
court , ou non i «o
XXIX. — Instruction au sieur d'Alleri de ce qu'il a à dire
delà part du roy de Navarre à monseigneur le Prince,
pour responsc de sa depesche du 24 décembre iSSa;
dressée par M. Duplessis i83
^XX. — Lettre de M. Duplessis à M. l'evesque de Nantes. 186
XXXI. — Advis donné au roy de Navarre sur le règlement
de sa façon de vivre i3q
XXXIL — Lettre de M. Duplessis à M. Vander Mylen ,
conseiller d'estat au Pays Bas j q3
XXXIII. — Advertissement sur la réception et publica-
tion du Concile de Trente , faict soubs la personne d'ung
catholique romain jq5
XXXIV. — Lettre de M. Duplessis à M. de Clervant,
estant en court, de la part du roy de Navarre 2i3
XXXV. — Extrait de Lettre de M. Duplessis à M. d'An-
?ff 0"gne 217
XXXVI. — Lettre de M. Duplessis à M. Vander Mylen. .218
XXXVII. — Lettre de M. Duplessis à M. de Buzanval. . 21g
XXXVIII. — Lettre de M. Duplessis à M. du Ferrier. . . 221
XXXIX. — Lettre de M. Duplessis à M. de Buzanval.
222
696 , TABLE DÉS PIÈCES
XL, — Lettre de M. Duplessis à M. de Serres , sur le faict
d'Anvers Page 2^4
XLI. — Lettre de M. Duplessis à M. le prince d'Orange. , 226
XLIL — Lettre de M. Duplessis à M. de Sainct Aldegonde. 226
XLIH. — Instruction secrettc baillée par le roy de Navarre
au sieur Caluart , s'en retournant trouver le prince
d'Orange après le faict d'Anvers 227
XLIV. — Lettre de M. Duplessis à M""" le prince de Condé . 229
XLV, — Lettre du roy de Navarre à M. l'archevesquc de
Rouen , depuis cardinal de Vendosme ; rédigée par
M. Duplessis 23o
XLVI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Chassincourt. . . 281
XLVII. — Lettre de M. Duplessis à M. de Danzay 233
XLVIII. — Discours envoyé à M. de Valsingham , secré-
taire d'estat d'Angleterre, pour induire la royne Eliza-
betli à embrasser l'union du roy de Navarre et des •
princes protestans d'Alleraaigne 235
XLIX. — Estât du roy de Navarre et de son parti en
France, envoyé audict sieur de Valsingham, en mai
i583 241
L. — * Confession de foi et Testament de M™* Duplessis
Mornay 257
LI. — Response à l'Instruction du sieur de Servain , envoyé
vers le roy de Navarre de la part de M. le duc de Savoye ;
rédigée par M. Duplessis 270
LII. — Instruction pour traicter avec la royne d'Angle-
terre et aultres princes esti-angers protesta.ns , baillée
par le roy de Navarre au sieur de Segur , y allant de
sa part en juillet i583 ; dressée et minutée par M. Du-
plessis 272
LUI. — Justification des actions du roy de Navarre , baillée
au sieur de Segur, pour le mesme voyaige que dessus,
le 6 juillet i583 295
LIV. — Lettre de M. Duplessis à M. de Sydne 3o4
LV. — Lettre de M. Duplessis à M. de Valsingham 3o.'>
LVI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Danzay 3o6
LVII. — Lettre du Conseil du roy de Navarre au roy de
Navarre, rédigée par M. Duplessis 3o8
CONTENUES DANS CE VOLUME. 697
LVIII. — Lettre du roy de Navarre au roy Henri III,
dressée par M. Duplessis Page 3li
LIX. — Lettre du roy de Navarre à M. le prince d'Orange ,
rédigée par M. Duplessis 3l2
LX. — Lettre du roy de Navarre au roy, rédigée par
M. Duplessis 3 1 3
LXI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Cheverny , chan-
cellier de France 3 1 5
LXII. — Instruction au sieur de Clairvant, allant en court
de la part du roy de Navarre , pour response aux lettres
de sa majesté; dressée par M. Duplessis.- 3i7
LXIII. — Cahier gênerai adressé par M. Duplessis sur les
Mémoires envoyés au roy de Navarre par les Eglises de
France, et présenté au roy Henri III , par M. de Clair-
vant 3i20
LXIV. — Justification des actions du roy de Navarre,
depuis l'an 1 58o 344
LXV. — Raisons pour induire le roy à accorder la prolon-
gation des places pour quelques ans à ses subjects de la
relligion reformée 358
LXVI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Harlay , premier
président en la court de parlement de Paris 362
LXVn. — Negotiation de M. Duplessis vers le roy
Henri III 364
LXVIII, — Lettre de M. Duplessis à MM. du synode de
risle de France 376
LXIX. — Lettre de M. Duplessis à M. le prince d'Orange. 378
LXX. — Lettre de M. Duplessis à M. do Montaigne 382
LXXI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Salettes 383
LXXII. — Lettre de M. Duplessis à M. de Montaigne 385
LXXIII. — Instruction au sieur d'Angrongne, retournant
en Angleterre 387
LXXIV. — Response à l'Instruction de M. de Laverdin,
envoyé de la part de Monseigneur vers le roy de Navarre. 3go
LXXV. — Lettre de M. Duplessis à M. de Montaigne. . . . 3g3
LXXVI. — Instruction à M. de Cliassincourt sur la de-
mande de l'assemblée générale des églises 3f)4
LXXVII. — Instruction de ce que le sieur de Chassincourt
GgS^ TABLE DES PIÈCES
dira au roy sur le voyaige du sieur de Segur, pour
response au dernier article des lettres de sa majesté ap-
portées par M. de Clervant, en datte du . . . novembre
i583; dressée par M. Duplessis, le 2i) décembre suivant, P. 3g8
LXXVIII. — Lettre de M. Duplessis à M. de Montaigne . . 401
LXXIX. — * Mémoire contre la maison de Lorraine, qui
pretendoit à la couronne de France*, envoyé au roy.
i583 4o3
LXXX. — *,Advertissement sur l'intention et le but de la
maison de Lorraine en prenant les armes 419
LXXXI. — * Response de MM. de Guise à l'advertisse-
ment précèdent 4^i
LXXXIL — Règlement du Conseil 466
LXXXIII. — Lettre du roy de Navarre à MM. de la
chambre de Guyenne , rédigée par M. Duplessis 469
LXXXIV. — Lettre de M. Duplessis à M. du Bartas 47 i
LXXXV. — Instruction à M. de Buzanval , allant de la part
du roy de Navarre vers les cantons evangeliques 4?^
LXXXVI. — Instruction à M. de Clervant , allant trouver
le roy de la part du roy de Navarre 4?^
LXXXVII. — * Fragment de mémoires qui s'est trouvé
dans les papiers de M. Duplessis , sans titre ni indi-
cation, mais qui, par les faits qu'il contient, semble
appartenir à l'année i584 487
LXXXVIII. — '^ Extrait Hu procès d'entre Pierre de Ca-
then et consors, contre Guy Carretle et consors , héri-
tiers de deffuns , pour Poquelin , defendeu , et de sieur
Carrette et consors , despens en sommation , contre
dame Françoise de Becq , veufve de feu Jacques de
Mornay , vivant, escuyer seigneur de Buhy, et Pierre
de Mornay, escuyer, seigneur dudict Buhy, dcfendeus. 5i4
LXXXIX. — Lettre de M. Duplessis à M. de Montaigne ,
en l'an 1 684 5i8
XC. — Instruction de M. de Laverdin , s'en allant vers
son altesse 5 1 9
XCI. — Lettre de M. Duplessis au roy de Navarre 622
XCII. — Lettre de M. Duplessis au roy de Navarre 536
XCIII. — Lettre de discours sur les divers jugemens des
I
CONTENUES DANS CE VOLUME. 699
occurences du temps , falcte par M. Duplessis Page 557
XCIV. — Lettre de MM. Duplessis , de Clervant et de
Chasslncourt , au roy de Navarre ; dressée et escrite par
ledict sieur Duplessis 674
XCV. — Lettre de M. Duplessis au roy Henry III 578
XCVI. — Lettre de M. Duplessis à M. Miron , premier
médecin du roy Henry 111, et son confident serviteur. . 579
XCVII. — Discours au roy Henry 111 , sur les moyens de
diminuer l'Espaignol r)8o
XCYIII. — Lettre de M. Duplessis au roy de Navarre. . . 694
XCIX. — Lettre de M. Duplessis au roy de Navarre. . . . 598
C. — Lettre du roy de Navarre au roy Henry III, rédigée
par M. Duplessis 601
CI. — Instruction à M. de la Roque ibid.
CIL — * Au roy 606
cm. — Instruction à M. le comte de Laval et à M. Du-
plessis, aulxquels aussi a esté adjoinct le sieur Constant ,
de ce qu'ils auront à dire et remonstrer à sa majesté , de la
part du roy de Navarre et de l'assemblée des églises,
teneue à Montauban par la permission de sa majesté;
dressée par M. Duplessis 667
CIV. — Lettre de M. Duplessis au roy de Navarre 680
CV. — Lettre de M. Duplessis à MM. des églises de Lan-
guedoc 085
CVI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Chastillon 687
CVII. — Lettre de M. Duplessis à M. de Saincte Aldegonde. 689
CVllL — Lettre du roy de Navarre au roy Henry HI,
dressée par M. Duplessis 6yo
CIX. — Lettre du roy de Navarre à M. Duplessis, escrite
de sa main 6y2
FIN I)K LA TABLE DU TOME DEUXIEME.
DATE DUE
f^
MA
ot?r^^-
■\.
'^.'
«
Mémoires et coaespondance de
Princeton Theolog.cal Semmary-Speer Ubrary
1 1012 00133 6934 h^.
!^
£C
■:-ïàMu2*J