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Full text of "Mémoires et correspondance de Duplessis-Mornay : pour servir à l'histoire de la réformation et des guerres civiles et religieuses en France, sous les règnes de Charles IX, de Henri III, de Henri IV et de Louis XIII, depuis l'an 1571 jusqu'en 1623"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/mmoiresetcorre02morn 


MEMOIRES 

ET 

CORRESPONDANCE 

DE  DUPLESSIS  MORNAY. 

TOME  II. 

ÉCRITS  POLITIQUES  ET  CORRESPONDANCE. 

A.  i57T-r584. 


DE  L'IMPRIMERIE  DE  CRAPELET. 


MEMOIRES    (*   MARi^ii 

CORRESPONDANCE 

DE  DUPLESSIS-MORNAY, 

POUR    SERVIR 

A  l'histoire  de  la  réformation  et  des  guerres  civiles  et 

RELIGIEUSES  EN  FRANCE  ,  SOUS  LES  REGNES  DE  CHARLES  IX,  DE 
HENRI  III,  DE   HENRI  IV  ET  DE   LOUIS   XIII,   DEPUIS  l'aN   lÔyl 

jusqu'en  1623. 

ÉDITION  COMPLÈTE, 

Publiée  sur  les  manuscrits  originaux,  et  précédée  des  MÉMOIRES 
DE  MADAME  DE  MORNAY  sur  la  vie  de  son  mari,  écrits  par 
elle-même  pour  l'instruction  de  son  fils. 


TOME  SECOND. 


A  PARIS, 

CHEZ  TREUTTEL  ET  WÙRTZ,  LIBRAIRES, 

rue    de    BOURBON,    N°    17. 

A  Strasbourg  et  a  Londres,  même  Maison  de  Commerce. 


182/1. 


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MEMOIRES 

ET  CORRESPONDANCE 

DE 

DUPLESSIS-MORNAY. 

AVERTISSEMENT. 


Les  Mémoires  contemporains  offrent  à  l'histoire  ses 
matériaux  les  plus  précieux.  Ils  excitent  le  plus  vif 
intérêt  lorsqu'ils  retracent  la  conduite  d'hommes  qui 
ont  joué  un  grand  rôle  ,  et  le  tableau  fidèle  des  évé- 
nemens  sur  lesquels  ils  ont  exercé  une  forte  influence. 
Jamais  peut-être  cet  intérêt  ne  fut  aussi  général  et 
aussi  sérieux  que  de  nos  jours  :  ils  est  aisé  d'en  re- 
connoître  la  cause.  Tant  et  de  si  grands  événemens 
se  sont  accomplis  sous  nos  yeux,  tant  d'idées  sont 
entrées  dans  nos  esprits,  tant  de  sentimens  ont  agité 
les  âmes  ,  que  nous  retrouvons  pour  ainsi  dire  par- 
tout quelque  chose  de  nous-mêmes  :  en  peu  d'an- 
nées nous  avons  parcouru  le  cercle  immense  de 
l'expérience  humaine.  Tous  les  faits  réveillent  en 
nous  quelque  émotion,  quelque  idée  qui  nous  avoit 
déjà  frappés  :  tous  les  récils  nous  rappellent  quelques 
uns  de  nos  propres  souvenirs.  Quelle  époque  aussi 


6  AVERTISSEMENT. 

est  plus  propre  que  les  temps  qu'agitèrent  nos  guerres 
de  religion  a  nous  inspirer  cet  intérêt?  L'histoire 
seule  de  la  révolution  nous  touche  plus  directement  ; 
et  peut-être  a -t- elle  l'inconvénient  de  nous  tou- 
cher de  trop  près.  Du  moins  est-il  certain  que  nous 
sommes  loin  de  posséder  toutes  les  relations ,  tous 
les  Mémoires  originaux  qui  la  feront  complètement 
connoître.  Que  d'événemens  dont  nous  sommes  con- 
damnés à  ignorer  et  les  causes  secrètes  ,  et  les  véri- 
tables  auteurs  !   ce    n'est    qu'après   que   la    tombe 
aura  dévoré  les  générations  intéressées  a  tenir  dans 
l'ombre  du  secret  le  récit  authentique  et  contem- 
porain de  ces  faits  extraordinaires  qui  ont  changé 
la  face  de  l'ordre  social ,  et  renversé  les  institutions 
établies  pour  en  élever  d'autres  sur  leurs  débris ,  que 
les  âges  suivans ,   calmes  héritiers   d'une  histoire 
qu'ils  pourront  lire  sans  passion,  seront  pour  les - 
faits  légués  par  leurs  aïeux  ce  que  nous  sommes 
aujourd'hui  pour  le  récit  des  grands  événemens  qui 
agitèrent  si  violemment  la  France  au  seizième  siècle. 
C'est  alors  seulement  que  les  ressorts  long-temps 
demeurés  cachés  qui  ont  mis  en  jeu  tant  d'hommes 
et  de  choses,  seront  bien  connus  :  c'est  seulement 
alors  qu'on  pourra  connoître  les  véritables  acteurs 
de  ce  terrible  drame  politique.  Nous  sommes  pour 
les  troubles  du  seizième  siècle,  ce  qu'il  ne  sera  donné 
qu'à  nos  neveux  d'être  pour  les  orages  qui  ont  boule- 
versé et  ensanglanté  les  temps  où  nous  avons  vécu. 
Les  trames  criminelles  de  la  Ligue  sont  des  évé- 


AVERTISSEMENT.  7 

nemens  clos  depuis  long-temps;  assez  éloignés  pour 
que  l'histoire  en  ait  pris  pleine  possession,  trop 
rapprochés  pour  que  l'oubli  s'en  soit  déjà  emparé, 
nous  avons  à  espérer  sur  leur  compte  bien  peu  de 
documens  nouveaux  ;  et  presque  aucun  de  ceux  qu'on 
a  publiés  n'est  encore  devenu  indifférent.  On  peut 
pénétrer  l'histoire  de  cette  époque  dans  tous  ses 
détails  ,  et  la  considérer  dans  son  ensemble  ;  ses 
causes  sont  clairement  révélées  dans  ses  conséquen- 
ces ;  rien  ne  s'oppose  plus  à  ce  que  toute  vérité  soit 
dite ,  et  toute  justice  rendue  à  ses  acteurs  et  à  leurs 
actions.  Elle  procure  enfin  à  l'observateur  ce  genre 
de  satisfaction  qui  s'attache  au  spectacle  d'un  drame 
complet ,  et  dont  il  peut  contempler  le  cours  sans 
que  rien  lui  manque  pour  l'intelligence  de  tous  les 
ressorts,  depuis Torigine  jusqu'au  dénoûment.  C'est 
ce  grand  drame  que  nous  remettons  en  entier  sous 
les  yeux  du  lecteur,  en  publiant  les  Mémoires  d'un 
homme  qui  eut  une  très  grande  part  aux  événe- 
mens  de  cette  époque,  et  qui  expose  ce  qu'il  a  vu, 
fait,  dit,  pensé  et  entendu.  Ces  Mémoires  sont 
nombreux  et  très  variés.  Les  convulsions  de  la  Ligue 
ont  soulevé  a  la  fois  les  questions  politiques  et  les  pas- 
sions religieuses;  c'est-à-dire  ce  qui  peut  mettre  en 
jeu  toutes  les  puissances  de  la  nature  humaine.  Elles 
se  lient  aussi  d'une  part  à  la  grande  époque  de  la  ré- 
formation, et  de  l'autre  à  cette  époque  nouvelle  et 
plus  grande  encore ,  à  laquelle  nous  avons  assisté. 
La  réformalion  a  éclaté  au  seizième  siècle  comme 


8  AVERTISSEMENT, 

le  résultat  des  événemens  qui  l'avoient  précédée, 
elle  est  le  précurseur  du  dix-neuvième  siècle  ;  elle 
explique  à  la  fois  ce  que  ce  siècle  termine  et  ce  qu'il 
prépare.  Aussi  les  événemens  et  les  hommes  s'y  pré- 
sentent à  nous  avec  un  double  attrait,  celui  de  la 
singularité  et  celui  de  la  ressemblance.  Ce  qui  les 
distingue  de  nos  temps  éveille  la  curiosité;  ce  qui 
les  en  rapproche  excite  l'intérêt.  Quoi  de  plus  at- 
trayant et  de  plus  instructif  tout  ensemble  que  la 
présence  simultanée  et  la  lutte  des  plus  énergiques 
senlimens  qui  puissent  agiter  le  cœur  de  l'homme? 

Une  autre  circonstance  donne  aux  Mémoires  re- 
latifs à  cette  époque  un  nouveau  degré  d'intérêt. 
Bien  que  la  nation  entière  y  ait  pris  part,  cette  époque 
a  été  moins  tumultueuse,  moins  livrée  aux  masses 
populaires ,  qu'il  n'est  arrivé  de  nos  jours  :  les  Mé- 
moires en  sont  d  autant  plus  curieux  et  importans; 
car  presque  toujours  les  hommes  y  racontent,  non 
seulement  ce  qu'ils  ont  vu,  mais  ce  qu'ils  ont  fait;  et 
ce  qu'ils  ont  fait  a  quelquefois  exercé  une  grande  in- 
fluence. De  plus,  la  lutte  a  été  longue  et  opiniâtre; 
Henri  IV  n'a  point  emporté  d'assaut  la  victoire  :  la 
force  et  le  courage  n'ont  manqué  ni  à  l'un  ni  à  l'autre 
des  partis.  Dans  l'un  et  l'autre  se  sont  rencontrés 
des  esprits  distingués,  de  grands  caractères 'qui  ont 
constamment  occupé  la  scène,  et  déployé,  pour 
soutenir  leur  cause,  toutes  les  ressources  du  talent 
et  de  la  force.  Aussi  les  deux  partis  ont-ils  laissé  des 
Mémoires  presque  également  étendus,  et  où  on  les 


AVERTISSEMENT.  9 

retrouve  tout  entiers.  Le  cours  des  e've'nemens  ayant 
d'ailleurs  développé  des  deux  parts  des  nuances  d'opi- 
nions fort  diverses,  chacune  de  ces  nuances  a  eu 
ses  représentans,  et  il  n'en  est  aucune  dont  il  ne 
nous  reste  quelque  monument  fidèle. 

La  colleclion  de  ces  monumens  forme  le  tableau 
le  plus  complet  et  le  plus  animé  de  cette  grande 
crise  sociale,  et  de  toutes  les  vicissitudes  à  travers 
lesquelles  elle  a  passé.  Ainsi,  soit  que  l'on  considère 
les  troubles  du  seizième  siècle  en  eux-mêmes,  soit 
qu'on  les  compare  à  ceux  dont  nous  avons  été  té- 
moins, acteurs  ou  victimes,  les  Mémoires  qui  s'y 
rapportent  offrent  sous  ce  double  point  de  vue  une 
source  féconde  d'instruction  et  d'intérêt. 

Abreuvé  de  cliagrins  dans  les  dernières  années  de 
sa  vie;  témoin  des  longues  guerres  civiles  qui ,  pen- 
dant cinquante  ans,  avoient  ensanglanté  la  France, 
JVIornay^  à  l'exemple  des  hommes  éminens  qui, 
après  avoir  employé  leurs  talens  et  leur  vie  au  ser- 
vice de  leur  pays,  consacrèrent  leurs  derniers  jours 
a  transmettre  à  leurs  enfans  le  récit  des  événemens 
auxquels  ils  avoient  eu  part,  rechercha  dans  ses 
longs  travaux  ce  qui  pouvoit  être  utile  à  l'instruc- 
tion de  ses  neveux;  son  âme  avoit  toujours  été  l'asile , 
le  refuge ,  le  sanctuaire  de  la  justice ,  de  toutes  les 
pensées  nobles  et  généreuses ,  de  l'héroïsme  et  du 
désintéressement;  et,  sous  ce  rapport  comme  éous 
beaucoup  d'autres,  il  fera  toujours  l'honneur  et  la 
gloire  de  la  France.  Dans  aucune  circonstance  on  ne 


lO  AVERTISSEMENT, 

le  vit  transiger  avec  ce  qu'il  crut  être  son  devoir;  il 
fut  toujours  sincère  alors  même  qu'il  se  trorapoit  : 
Mornay  est  du   petit  nombre  des  hommes  qui  ne 
peuvent  jamais  perdre  dans  l'estime  générale ,  par  la 
raison  qu'il  défendit  constamment  les  droits  de  l'hu- 
manité et  ceux  de  la  conscience,  et  que  cette  cause 
n'eut  jamais  de  plus  ferme  appui.  Au  milieu  des  opi- 
nions les  plus  diverses  et  les  plus  opposées,  il  reste 
l'immuable  défenseur  de  ces  principes  sacrés;  il  est 
sagement  pieux  parmi  les  fanatiques ,  tolérant  au 
milieu  de  l'intolérance.  Le  véritable  philosophe,  tel 
qu'on  pouvoit  l'être  dans  le  seizième  siècle,  et  comme 
le  fut  Mornay ,  ne  se  rend  point  le  détracteur  de  son 
siècle  et  de  la  nation  ;  il  n'accuse  point  la  religion  des 
crimes  du  fanatisme.  C'est  cette  doctrine  dont  il  ne 
s'écarte  jamais,  qui  a  fait  de  Duplessis-Mornay  un 
des   beaux   caractères    des   siècles    modernes,    un 
homme  auquel  il  n'a  manqué  que  d'autres  temps 
pour  être  associé  à  la  gloire  des  premiers  hommes  de 
l'antiquité.  Mornay  est  grand  et  vertueux,  à  quelque 
époque  qu'on  le  considère,  et  dans  quelque  circon- 
stance qu'il  se  trouve  :  il  résiste  au  funeste  génie  des 
Guise,  dès  qu'il  voit  ce  génie  en  révolte  contre  l'Etat; 
il  s'efforce  d'arracher  un  prince  foible  à  la  funeste 
influence  d'un  conseil  désastreux  et  d'une  mère  cou- 
pable :  envoyé  comme  ambassadeur  auprès  de  plu- 
sieurs souverains,  il  ne  s'y  montre  accrédité  que 
par  sa  vertu  et  le  nom  de  son  roi.  Il  est  aussi  inté- 
ressant dans  la  vie  privée  qu'admirable  dans  la  vie 


AVERTISSEMENT.  1 1 

publique;  comme  père,  comme  c'poux,  comme  ami, 
il  attache  par  des  traits  de  la  plus  touchante  simpli- 
cité qui  deviennent  sublimes  dans  une  grande  âme; 
enfin,  il  prouve  par  toute  sa  conduite  la  vérité  de 
cette  réflexion  du  plus  profond  des  historiens,  qu'il 
peut  exister  de  grands  hommes  même  sous  les  plus 
mauvais  princes,  (i) 

Si  les  temps  de  troubles  conviennent  à  la  muse 
de  l'histoire,  nulle  époque  ne  lui  fut  plus  favorable 
que  le  seizième  siècle.  Nous  avions  déjà  des  vies 
particulières ,  écrites  avec  talent  ou  avec  une  can- 
deur, une  naïveté  qui  suppléent  au  talent.   Jom- 
ville  avoit  peint  le  héros  dont  il  fut  le  compagnon 
et  l'ami,  dont  un  zèle  peu  éclairé  fît  le  malheur  et 
une  partie  de  la  gloire  :  Joinville  fait  aimer  son 
prince  ;  aucun  art  ne  paroit  dans  sa  narration  ;  il 
raconte  tout  ce  qui  l'a  intéressé  ,  et  sa  bonhomie 
rend  piquans  les  plus  petits  détails.  Philippe  de  Co- 
mines  avoit  à  peindre  le  plus  sombre  des  tjrans  : 
celui  qui  érigea  en  maxime  la  dissimulation  sur  le 
trône ,  qui  jouissoit  des  supplices  que  sa  froide  ven- 
geance lui  faisoit  inventer,  dont  le  palais  impéné- 
trable étoit  moins  une  demeure  royale  qu'un  re- 
paire, et  qui  en  faisoit  redouter  l'approche  comme 
celle  du  temple  des  Euménides.  Mais  Comines  avoit 
eu  trop  de  rapports  de  confiance  avec  Louis  XI ,  pour 
qu'on  pût  attendre  qu'il  traceroit  ce  tableau  avec 


(i)  Tacite,  Vie  d'Agricola. 


1 1  AVERTISSEMENT, 

l'horreur  qu'il  devoit  inspirer,  pour  qu'on  lui  en 
reconnût  même  le  droit  :  dans  cette  position  si  ditFi- 
cile,  il  faut  lui  savoir  gré  d'avoir  osé,  même  après 
la  mort  de  ce  prince,  être  impartial  et  sincère; 
d'en  avoir  raconté  avec  calme,  et  pourtant  avec 
une  frappante  vérité ,  les  détestables  actions  ;  d'avoir 
pénétré  et  dévoilé  ses  ruses  les  plus  cachées ,  ses 
intentions  les  plus  secrètes,  ses  motifs  les  plus 
dissimulés,  et  tous  les  replis  de  son  infernale  poli- 
tique :  de  telle  sorte  que  si  ses  Mémoires  n'offrent 
pas  l'histoire  de  Louis  XI,  décrite  avec  les  vives 
couleurs  qu'elle  comportoit,  rien  n'y  manque  pour- 
tant de  ce  qui  doit  immortaliser  son  effrayante 
mémoire  ;  et  sans  doute  l'on  ne  pouvoit  désirer 
davantage  de  Comines. 

Le  président  de  Thou  conçut  un  projet  bien  plus 
hardi ,  celui  d'écrire  l'histoire  des  terribles  événe- 
mens  qui  venoient  de  se  passer,  et  dont  les  funestes 
résultats  pesoient  encore  sur  la  nation.  Horace, 
dans  une  de  ses  odes  ,  retrace  à  son  ami  Pollion  ,  le 
danger  de  peindre  les  guerres  civiles  qui  avoient 
désolé  Rome,  lorsque  le  sang  des  citoyens  fumoit 
encore.  Quel  courage  ne  faut-il  pas  pour  se  montrer 
impartial  au  milieu  des  violentes  factions  qui  toutes 
s'élèvent  avec  fureur  contre  l'écrivain  résolu  à  ne 
déguiser  aucune  vérité  ,  à  ne  flatter  aucun  parti,  à 
ne  pallier  aucun  crime,  quelque  part  qu'il  se  rencon- 
tre! Tel  fut  de  Thou.  Aussi  on  ne  lui  épargna  aucune 
calomnie;  on  l'accusa  surtout  de  tendance  au  calvi- 


AVERTISSEMENT.  i3 

nisme ,  parce  qu'il  abhorroit  les  horreurs  de  la  Saint- 
Barthéiemi;  sa  narration  animée,  abondante,  rap- 
pelle celle  de  Tite-Iiive ,  dont  il  emploie  la  langue  , 
et  dont  il  s'approprie  quelquefois  le  style.  Ses  ré- 
flexions annoncent  un  esprit  étendu  ,  exempt  de 
toute  prévention  :  i'homme  de  bien  et  le  cœur  sen- 
sible se  révèlent  dans  l'indignation  que  lui  inspirent 
l'injustice  et  la  perversité.  Il  parcourt  l'univers  à 
l'époque  où  les  plus  grands  mouvemens  en  changent 
la  face,  oii  le  Nord  maîtrise  la  politique  ,  à  l'aide  de 
la  révolution  religieuse  qui  s'est  opérée  dans  les 
croyances;  où  la  navigation  ouvre  à  TEurope  des 
régions  immenses  et  d'inépuisables  richesses.  De 
Thou  fut  le  premier  François  qui  fit  une  histoire 
générale,  et  qui  offrit  l'exemple,  trop  peu  suivi, 
d'un  grand  amour  pour  la  vérité,  et  d'un  respect 
religieux  pour  les  droits  de  l'espèce  humaine. 

Ce  n'est  point  une  histoire  des  événemensqui  agi- 
tèrent la  France  pendant  le  seizième  siècle,  que  nous 
donnons  ici;  c'est  la  part  que  Mornay  eut  à  la 
plupart  de  ces  mêmes  événemens  que  nous  avons 
exhumé  de  ses  papiers,  telle  qu'il  avait  commencé 
lui-même  à  la  faire  connoitre  à  ses  contemporains, 
dans  le  recueil  de  pièces  qu'il  avait  formé.  Ces  pièces 
n'ont  souvent  entre  elles  d'autre  liaison  que  l'ordre 
chronologique,  qui  rapproche  les  uns  des  autres 
des  récits  d'événemens  qui  ont  eu  pour  acteurs 
et  pour  théâtres  des  hommes  et  des  lieux  différens. 
Dans  une   récapitidation  rapide  qui  sera  placée  à 


l4  AVERTISSEMENT, 

la  fin  du  dernier  volume ,  nous  nous  sommes  atta- 
ché à  rassembler  et  à  présenter  dans  un  ordre  con- 
venable ,  le  tableau  historique  des  traits  épars  dans 
la  collection  des  Mémoires  de  Mornay,  pour  rendre 
plus  facile  et  plus  profitable  la  lecture  de  pièces  qui, 
prises  isolément,  ont  chacune  leur  genre  d'intérêt, 
mais  qui  n'ont  entre   elles  d'autre  transition  que 
Tordre  des  dates.  C'est  en  quelque  sorte  le  porte- 
feuille de  Mornaj  que  nous  livrons  au  public ,  c'est- 
à-dire,  la  collection  des  pièces  qu'il  a  laissées,  et 
non  l'histoire,  rédigée  par  lui,  des  événemens  aux- 
quels il  a  pris  part.  A  l'aide  de  ces  matériaux  pré- 
cieux, il  sera  facile  de  rédiger  des  Mémoires  comme 
on  a  rédigé  ceux  de  Sully  long-temps  après  sa  mort; 
mais  ce  sera  des  Mémoires  sur  Mornay,  et  non  les 
Mémoires  de  Mornay;  et  c'est  ce  que  nous  n'avons 
pas  cru  devoir  entreprendre.  Nous  ne  voulons  pas 
faire  ce  qu'il  n'a  pas  fait,  nous  voulons  le  faire  con- 
noître  par  ce  que  nous  avons  de  lui;  car  c'est  le  seul 
moyen  d inspirer  une  entière  confiance;  et  telle  a 
été,  telle  a  dû  être  notre  unique  ambition.  Toutes 
les  pièces  dont  le  titre  est  précédé  d'un  astérisque, 
sont  publiées  pour  la  première  fois. 

La  Vie  de  Mornay,  écrite  par  Charlotte  Arba- 
îeste,  sa  femme,  compose  le  premier  volume  de 
cette  collection.  On  aime  à  voir  avec  quel  soin  reli- 
gieux madame  de  Mornay  se  plait  à  recueillir  les 
moindres  actions  de  la  vie  de  son  mari  ;  sa  narra- 
tion simple  et  sans  art  a  quelque  chose  de  pieux  et 


AVERTISSEMENT.  1 5 

d'ëvangélique  qui  lui  donne  un  caractère  particulier. 
Le  second  volume ,  et  ceux  qui  le  suivront ,  offriront 
un  autre  genre  d'intérêt  au  lecteur,  en  mettant  sous 
ses  yeux  les  pièces  mêmes  dont  se  compose  l'histoire 
politique  et  religieuse  de  la  France  et  d'une  partie 
de  l'Europe,  sous  le  règne  des  derniers  Valois. 

Les  Me'moires  de  Mornaj  offrent  les  détails  et  les 
fruits  de  ses  travaux  pendant  le  long  espace  de 
temps  où  il  eut  une  part  très  active  au  gouverne- 
ment de  Henri  IV,  comme  roi  de  Navarre ,  et  pen- 
dant le  temps,  trop  court  sans  doute,  où  il  lui  fut 
permis  de  le  servir  aussi  comme  roi  de  France. 
Cest,  dans  l'une  et  l'autre  période,  les  pensées 
généreuses  et  trop  peu  connues  de  cet  excellent 
prince,  qu'il  se  plaît  surtout  à  bien  faire  connoître, 
et  que  nul  ne  pouvoit,  ni  plus  vivement  sentir  ni 
mieux  apprécier  que  celui  qui ,  ayant  été  le  ministre 
le  plus  intègre  de  la  finance  dans  son  royaume  de 
Navarre ,  eut  à  remplir  les  missions  les  plus  impor- 
tantes et  les  plus  délicates  auprès  des  souverains  de 
l'Europe,  recevant  de  Henri  un  blanc  seing  pour 
toute  instruction,  et  qui  se  vit  en  même  temps 
chargé  du  fardeau  et  de  la  direction  de  la  guerre 
que  ce  prince  avoit  résolu  de  soutenir  avec  vigueur 
contre  la  Ligue. 

Lorsque  Henri  IV  fut  reconnu  roi  de  France, 
après  sa  conversion,  il  conserva  une  profonde  estime 
pour  Mornay,  et  même  une  amitié  très  vive,  jusque- 
là  qu'il  eût  été  prêt  à  venger  avec  son  épée  un  ou- 


ï6  AVERTISSEMENT, 

trage  que  Mornay  avoit  reçu ,  ainsi  qu'il  le  lui 
te'moigna  par  la  lettre  la  plus  amicale  à  la  fois  et  la 
plus  chevaleresque;  mais  ce  brave  et  digne  ami  de 
Henri  n'étoit  pourtant  plus  aussi  avant  dans  la  con- 
fiance de  son  roi,  qu'il  l'avoit  été  par  le  passé.  Son 
inflexible  rigidité  de  principes  n'avoit  pu  lui  faire 
approuver  le  changement  de  religion  de  ce  prince; 
et  aucune  considération  politique  ne  l'ébranla  sur  ce 
point.  C'étoit  un  malheur  pour  Henri  :  car  cette  dis- 
position de  Mornay  le  rendoit  moins  propre  a  l'aider 
dans  ses  conseils  ;  aussi  ne  manqua-t-on  pas ,  dans 
plus  d'une  occasion,  de  le  présenter  à  ce  prince 
comme  un  de  ses  ennemis.  La  grande  âme  de  Henri 
ne  consentit  jamais  à  le  croire.  Sully  ,  resté  toujours 
protestant,  mais  n'ayant  point  improuvé  le  chan- 
gement de  Henri,  le  regardant  même  probablement 
comme  un  événement  heureux  pour  la  France,  put 
continuer  à  lui  rendre  d'inappréciables  services;  et 
son  nom  s'est  trouvé  de  la  sorte  associé  sans  inter- 
ruption à  celui  de  Henri.  Quel  dommage  que  deux 
hommes,  tels  que  Mornay  et  Suily,  n'aient  pas  uni 
constamment  leurs  efforts  et  leurs  talens  pour  la 
prospérité  de  l'État ,  à  laquelle  une  divergence  d'opi- 
nions, ou  plutôt  une  différence  d'énergie  dans  ces 
mêmes  opinions,  n'auroit  dû  apporter  aucun  obs- 
tacle! La  postérité  jugera  sur  ces  Mémoires  à  qui 
des  deux  en  doit  être  imputé  le  tort.  Il  est  trop 
vrai  que  ces  deux  grands  hommes  se  regardèrent 
après  ce  changement,  non  pas  avec  des  yeux  jaloux 


AVERTISSEMENT.  17 

(un  tel  sentiment  nepouvoit  entrer  dans  leur  âme)  , 
mais  avec  des  jeux  inquiets  et  défians.  Ce  n'est  pas 
tout,  et  Ton  s'en  afflige  ;  chacun  d'eux  vit  plus  d'une 
fois  dans  l'autre  son  ennemi  personnel.  On  les  vit 
aussi  quelquefois,  mais  pas  aussi  souvent  qu'on  le 
dësireroit,  se  protéger  l'un  l'autre  avec  une  hono- 
rable loyauté,  contre  d'indignes  accusations,  soit  de 
complots,  soit  de  perfidie,  dont  ils  étoient  frappés 
tour  à  tour.  Leurs  Mémoires  en  font  foi. 

Ceux  de  Moniaj,  que  ce  grand  homme  rédigea 
pendant  les  loisirs  d'une  longue  disgrâce,  seront 
désormais  inséparables  de  ceux  de  Sully. 


Mkm.  de  Duplessis-Mornay.  Tome  11. 


lî^  ADVIS  SUR  LE   MARIAGE 


IL  — -V^ADVIS 

Sur  le  Mariage  de  la  royne  Jeanne  cC Albret.  (i) 

Nous  tenons  que  le  mariage  estant  fait  entre  per- 
sonnes capables  de  contracter,  et  par  consentement  mu- 
tuel, mesmement  la  conjonction  y  estant  intervenue, 
est  indissoluble;  toutesfois,  pour  le  regard  de  la  forme, 
les  parties  se  doibvent  ratifier  de  parole  en  la  présence 
d'un  bon  nombre  de  tesmoins ,  attendans  ung  temps 
plus  propre  que  celui  cy  pour  le  déclarer  publique- 
ment. 

Le  synode  ne  doibt  presser  les  parties  de  dire  s'il  y 
a  mariage  ou  non,  d'autant  que  cela  appartient  plus 
tost  au  consistoire  qu'au  synode.  Et  si  on  sçait  que  le 
synode  les  veut  presser,  nous  conseillons  lesdictes  par- 

(i)  Aucun  historien  contemporain  ne  parle  d'un  mariage  de 
conscience  i\\x<è  Jeanne  d'AIbiet  auroit  contracté  en  1571  ,  à 
l'âge  de  quarante-trois  ans ,  r.euf  ans  après  la  mort  de  son  mari , 
Antoine  de  Navarre.  Seulement  Bayle  s'exprime  ainsi  :  «  II  faut 
«  que  je  dise  un  mot  touchant  je  ne  sais  quelle  tradition  qui 
«  porte  que  Jeanne  d'Albret  se  remaria  clandestinement  ,  mais 
«  non  pas  sans  l'approbation  de  ses  ministres.  «  Et  il  ajoute 
qu'après  avoir  fait  beaucoup  de  recherches ,  il  n'a  pu  acquérir 
aucune  certitude  sur  ce  fait. 

Lorsque  madame  de  Maintenon  £ut  en  faveur,  on  prétendit 
que  son  aïeul  d'Aubigni  étoit  né  de  ce  mariage  clandestin  con- 
tracté par  Jeanne  d'Albret.  Mais  il  est  aisé  de  montrer  la  fausseté 
de  cette  conjecture,  puisqu'il  est  prouvé  que  d'Aubigni  naquit 
en  i55o,  époque  à  laquelle  Antoine,  roi  de  Navarre,  vivoit 
encore. 

Les  deux  avis  rapportés  dans  les  Mémoires  de  Duplessis— 
Mornaj  donnent  beaucoup  de  poids  à  la  première  tradition 
rapportée  par  Bayle. 


DE  LA  ROYNE  JEANNE  D'ALBRET.  19 

tics  de  s'absenter  pour  oster  l'occasion  de  faire  telle 
demande;  car  aultrement  nous  craignons  qu'il  n'en  ad- 
vienne quelque  mal;  et  ayant  meurement  et  diligem- 
ment regardé  d'un  costé  et  d'aultre,  ne  trouvons  meilleur 
expédient  que  celui  là.  Fait  à  Paris,  23  febvrier  iS^i. 
Signé  Pierre  Viret,  Barbaste,  Pierre  Hesperiew. 

Aullre  Advis donne  a  LaRochelle  quelques  moys après. 

Quant  au  mariage  duquel  il  nous  a  esté  parlé, 
présupposant  le  faict  estre  tel  qu'on  nous  a  desclaré, 
c'est  à  sçavoir  que  les  promesses  des  deux  parties  ont 
esté  volontaires,  et  faictes  devant  deux  ou  trois  tesmoins, 
dont  seroit  ensuivie  la  consommation,  nous  trouvons 
que  l'une  ne  l'aultre  des  parties  ne  se  peut  marier  ail- 
leurs. Ce  non  obstant,  nous  disons  qu'il  y  a  plusieurs 
grands  défauts  en  un  tel  mariage  ,  lesquels  n'eslant  au 
plus  tost  corrigés,  rendroyent  les  parties  du  tout  in- 
dignes d'estre  tenues  membres  de  l'Eglise  ,  comme  pour, 
non  seulement  avoir  mesprisé  les  bonnes  mœurs  en  fai- 
sant lesdictes  promesses,  mais  aussi  n'avoir  observé, 
devant  la  consommation  d'icelles,  la  publication  el  béné- 
diction ecclésiastique  ;  et  surtout  à  cause  du  scandale, 
qui  en  est  si  grand  dedans  et  dehors  de  l'Eglise,  qu'il 
est  comme  impossible  que  quelque  bien  estrange  juge- 
ment de  Dieu  ne  s'en  ensuive ,  tant  sur  les  deux  parties, 
que  sur  tous  ceux  qui  les  toléreront,  s'il  n'y  est  promp- 
tement  remédié. 

Le  remède  est  que  le  dict  mariage  soit  notifié  le  plus 
tost  qu'il  sera  possible,  non  pas  comme  estant  à  faire, 
mais  comme  estant  faict  avec  telle  recognoissance  des 
faultes  que  dessus ,  qu'il  apparoisse  de  la  repentance 
des  parties ,  à  la  qualité  desquelles  toutesfois  on  aura 
tel  égard  qu'on  pourra  en  bonne  conscience. 


20  ADVIS  SUR  LE  MARIAGE  ,  etc. 

Pendant  et  atandant  le  temps  de  la  dicte  publication , 
nous  desirons  grandement,  prions  et  conseillons,  au 
nom  du  Seigneur,  que  les  parties  ne  s'entrevoyent  d'au- 
tant que  ce  seroit  tousjours  entretenir  le  scandale  au- 
quel il  faut  nécessairement  remédier  pour  éviter  l'ire 
de  Dieu  :  et  s'il  advient  que  les  parties  se  voyent,  faudra 
que  ce  soit  fort  rarement,  et  pour  deux  ou  trois  jours 
au  plus,  durant  lesquels  elles  se  porteront  si  sagement, 
que  le  scandale  n'en  soit  resveillé.  A  faulte  de  ce  faire  , 
les  parties  méritent  à  bon  droit,  sans  attendre  plus  lon- 
guement, d'estre  forcloses  de  la  cœne;  et  là  où  le  mal 
continueroit ,  ce  que  Dieu  ne  veuille ,  faudroit  aussi 
que  l'Eglise  passast  plus  outre,  estant  un  tel  et  si  grand 
scandale   du  tout  intollerable  en  l'Eglise  du  Seigneur. 

Signé  f  De  Beze  ,  N.  Des  Galars  ,  Chandieu  ,  Pierre 
Hesperien,  Barbaste,  Devaux. 


III. —DISCOURS  AU  ROY  CHARLES  IX, 

Pour  entreprendre  la   Guerre  contre  l'Espagnol  es 
Pays-Bas.  (i) 

Sire,  encores  que  la  contrariété  des  humeurs  fran- 
coises  ,  et  les  longues  recheutes  de  ceste  vieille  maladie , 
causée  par  le  différend  delà  relligion, ne  pouvoient faire 
juger  de  vostre  estât  que  la  ruine  d'icelui ,  ou  que  du 
moins  il  y  deust  laisser  partie  de  ses  membres  et  de  sa 
force;  Dieu  neantmoins ,  comme  le  seul  médecin  qui 
en  ceste  maladie  désespérée,  lui  pouvoit  donner  remède, 

(i)  Il  fut  escrit  par  M.  Diiplessis ,  lors  aagé  de  -singt-trois 
ans,  en  l'an  1672 ,  et  par  lui  mis  es  luains  de  M.  l'admirai  de 
Chastillon ,  qui  le  présenta  au  roy. 


DISCOURS  AU  ROY  CHARLES  IX.  ai 

fait  tant  de  grâce  à  vostre   majesté  de  le  voir  guéri, 
refait,  et  remis  sur  pied.  Reste  de  le  préserver  d'une 
recheute  ,  et  le  maintenir  en  santé  par  tous  moiens  loi- 
sibles et  possibles.  A  ceci  n'y  a  rien  plus  propre  qu'un 
exercice  prisa  temps,  qui  consume  les  mauvaises  hu- 
meurs qui  la  pourroient  causer,  et  confirme  ce  qui  entre- 
tient la  santé  ;  c'est  d'entreprendre  une  guerre  dehors 
pour  entretenir  la  paix  dedans,  et,  comme  tous  bons 
politiques  ont  de  tout  temps  fait  metti'Ê  un  ennemi  en 
teste  à  un  peuple  aguerri,  de  peur  qu'il  né  le  devienne 
à  soi  mesme.  Chacun  sçait  comme  le  François  qui  a 
gousté  les  armes,  malaisément  les  peut  laisser,  et  comme 
souvent  de  gaieté  de  cœur,  par  faulte  d'ennemi ,  il  que- 
relle son  compagnon  ,  et  ami  mesme.  L'Italien ,  l'Alle- 
mand, le  Suisse,  la  paix  faicte,  retourne  à  son  mestier  : 
le  François  desprise  tous  aultres  mestiers,  demeure  sol- 
dat ;  et ,  par  faulte  de  plus  commode  exercice ,  plusieurs 
aiment  mieux,  ou  chercher  la  guerre  au  loin,  ou  la 
faire  aux  passans  sur  les  chemins ,  que  de  se  reposer 
chez  eulx.  Pour  vuider  donc  tant  de  sang  corrompu  et 
superflu ,  qui  pourroit  créer  quelque  nouvelle  maladie 
au  corps  de  vostre  Estât ,  il  fault  ou  saigner,  ou  pour 
le  moins  esventer  la  veine,  entreprendre,  dis-je,  une 
guerre. Mais  il  fault  qu'elle  soit  juste,  facile  et  utile,  et 
que  le  profit  n'y  soit  moins  honorable  que  l'honneur 
profitable  :  et  telle,  pour  le  faire  court,  n'en  voit  on 
aujourd'hui  que  contre  le  roy  d'Espagne.  Justement  la 
lui  pouvez  vous  faire  pour  les  injures  qu'avez  receues 
de  lui  en  vostre  bas  aage,  qui  descouvrent  bien  com- 
bien peu  il  vous  est  ami.  Car  non  content  de  vous  avoir, 
plus  par  fraude  que  par  force,  dépossédé  d'une  bonne 
partie  des  provinces  héréditaires  de  vos  aieulx,  pour 
vous  braver  jusques  au  nouveau  monde ,  et  entre  les 


22  DISCOURS 

plus  barbares  faire  paroistre  que  pour  quelque  tort  qu'il 
vous  feit,  n'en  faisiez  aucun  semblant,  il  a  taillé  en  pièces 
vos  soldats  en  la  Floride,  et  vous  en  a  chassé  hors  lors 
que  les  dissensions  de  vostre  peuple  ne  vous  donnoient 
le  loisir  de  vous  en  ressentir.  Des  biens,  il  est  venu  à 
l'honneur.  Il  vous  a  osté  la  préséance  en  la  court  de 
l'empereur,  et  a  enjambé  l'égalité  en  celle  de  Rome, 
qui  sont  les  deux  oii  chacun  a  esgard;  et  brigué  le 
mesme ,  non  à  Rome  seulement ,  mais  partout  où  vos 
ambassadeurs  se  sont  rencontrez,  en  quoi  le  pape  s'est 
monstre  si  semblable  à  son  prédécesseur,  que,  contre 
le  droit  duquel ,  de  tout  temps,  vous  avez  esté  en  pos- 
session, il  n'a  voulu  bailler  la  paix  à  vostre  ambassa- 
deur, pour  ne  sembler  faire  tort  à  l'aultre.  Et  c'est,  ce 
semble,  avoir  donné  un  augure  de  guerre,  vous  aiant 
refusé  la  paix  à  tous  deux;  comme  si  le  roy  d'Espagne, 
pour  les  cruautés  qu'il  a   exercées  contre  les  chres- 
tiens,  debvoit  vous  desemparer  du  tiltre  que  vos  pré- 
décesseurs ont  acquis  par  infinies  victoires  conquises 
sur  les  Turcs.  Nagueres,  voiant  vostre  majesté  avoir 
aultrefois  tenu  propos  d'acheter  le  marquisat  de  Final , 
et  récompenser  le  marquis  ailleurs ,  il  l'a  envahi  de 
faict  et  de  force,  craignant,  comme  les  chefs  de  l'en- 
treprise  disoient  ouvertement,    que  les  François   ne 
meissent  le  pied  en  lieu  si  important ,  c'est  à  dire  fief  de 
l'empire  et  pays  d'Italie,  en  quoi  il  monstroit  qu'il  se 
deffioit  de  vous,  et  défiance  est  tousjours  accompagnée 
de  peu  d'amitié.  Ce  faisant,  sa  réputation  est  tellement 
accrue  aux  despens  de  la  vostre,  qu'il  sembloit  pres- 
que à  toutes  contrées  et  provinces  neutres  d'Italie, 
que  vous  dépendissiez  en  quelque  façon  de  lui,  et  les 
lys  fussent  du  tout  flestris  sans  espoir  de  refleurir  jamais, 
jusques  là  qu'en  leurs  courts,  à  la  grande  honte  et  contre 


AU  ROY  CHARLES  IX.  23 

cœur  de  tous  vrais  François,  on  Tappelloit  simplement 
le  Roy,  comme  s'il  estoit  non  seulement  le  premier, 
mais  seul  en  la  chrestienté ,  de  ce  tiltre.  Si  l'on  dit  qu'il 
est  doublement  vostre  beau  frère,  doublement  vous  a 
il  offencé ,  vous  portant  si  peu  de  respect  ;  ou  pour  le 
moins  ne  vous  est  pas  bon  frère,  qui  dresse  des  embus- 
ches  à  vos  biens  et  honneurs.  Si  on  cotte  pour  bon  office 
le  secours  qu'il  vous  donna  en  vos  guerres  civiles,  est 
à  considérer  si  ceslui  là  sera  estimé  bon  ami  de  quel- 
qu'ung,  qui,  le  voyant  transporté  de  colère  et  passion 
jusques  à  se  voulloir  tuer  soi  mesme,  lui  baille  la  dague 
en  sa  main  pour  se  desfaire  ;  et  non  plustost  celui  qui 
la  lui  cache  et  refuse,  tant  que  la  colère  ait  cédé  à  la 
raison.  Il  n'y  a  François,  s'il  n'est  transsubstantié  en 
Espagnol ,  qui  ne  confesse  bien  ceste  avoir  esté  son  in- 
tention. Et  ce  sont  vieilles  finesses  de  nourrir  la  guerre 
en  un  estât  voisin,  tant  que,  ou  la  part  veincuë  nous 
appelle  au  secours,  ou  toutes  les  deux  abbatuës  soient 
contraintes  de  nous  recevoir.  Il  n'attendoit,  sire,  que 
de  voir  vostre  sceptre  brizé  et  vostre  couronne  en  pièces 
pour  en  ramasser  les  esclats  et  en  recueillir  les  fleurons. 
Si,  depuis  la  paix  faicte,  on  eust,  à  l'imitation  de  Maxi- 
milian  r' ,  diligemment  escrit  et  enroollé  toutes  les  oc- 
casions qu'il  vous  a  données  de  la  rompre,  et  les  in- 
jures dont  il  vous  a  provoqué  à  guerre  ouverte,  le 
volume  seroit  pieça  plein.  Il  suffît  d'en  avoir  touché 
quelques  unes.  Pour  conclurre,  si  les  torts  receus,  qui 
rendent  la  guerre  juste,  se  laissent  en  arrière  ou  se  di- 
laient  plus  long  temps  ,  vostre  action  se  passera ,  vostre 
droit  deviendra  tort,  et  vostre  cause  légitime  semblera 
prétexte  ;  dont,  en  l'occasion  qui  se  monstre,  vous  ne  la 
pourrez  laisser  sans  y  laisser  de  vostre  honneur,  vous 
ne  la  pourrez  dilaier  sans  perdre  le  profit  de  la  pour- 


24  DISCOURS 

suite.  Et  si  on  dit  qu'il  fault  plus  avoir  d'esgard  au  profit 
gênerai  de  la  chrestienté  qu'au  vostre  propre,  veu  qu'il 
est  aujourd'hui  empesché  contre  le  Turc,  c'est  encore 
un  des  vieils  coups  d'escrime  de  ses  ancestres,  qui, 
contre  tous ,  se  sont  parez  de  la  guerre  des  infidèles , 
usans,sous  ce  beau  manteau,  de  plus  d'infidélité  envers 
les  fidèles,  que  le  Turc  envers  ceux  qu'il  tient  pour 
infidèles.  S'il  est  si  zélateur,  qu'il  commence  à  establir 
les  princes  en  tout  ce  qu'il  leur  tient  et  usurpe,  res- 
tablissant  vostre  majesté  en  ses  patrimoines,  ung  roy  de 
Navarre  en  son  roiaume.  Aultrement  d'autant  est  il 
plus  à  liair  que  le  Turc ,  que  plus  est  haissable  le  chien 
qui  mange  l'aultre  que  le  loup  mesme.  Je  laisse  qu'on- 
ques  l'on  n'ouit  parler,  que  pour  procès  d'une  partie 
contre  qui  que  ce  soit,  l'aultre  soit  tenue  de  différer 
son  action  et  poursuite.  Mais  qu'est-il  besoin  ores  de  dis- 
puter si  elle  se  doit  faire?  Considérons  plustost  comme 
elle  se  doit  conduire  et  entretenir.  Vous  l'avez  ja  com- 
mencée, sire-,  et,  quelque  mine  qu'il  face,  autant  vous 
en  sçait-il  de  gré  que  si  vous  aviez  mis  armées  en  cam- 
pagne sous  vos  enseignes  ,  et  y  eussiez  esté  en  propre 
personne;  quand  il  voit  que  votre  majesté  a  reçu,  favo- 
risé, honoré  et  gratifié  le  comte  Ludovic  de  Nassau 
eu  sa  court,  et  aultres  seigneurs  et  gentilshommes, 
qu'il  tient  pour  rebelles;  quand  il  sait  que  votre  ma- 
jesté a  communiqué  avec  le  sieur  de  Genlis  ,  revenu  de 
Mons  en  espérance  de  retourner  et  mener  des  forces , 
et  choses  encore  qui  passent  plus  oultre.  Que  peut-il 
aultre  chose  penser,  sinon  que  votre  majesté  lui  vou- 
droit  nuire,  mais  qu'elle  fait  couvertement  ce  qu'ou- 
vertement elle  n'oseroit?  L'Espagnol ,  sire  ,  n'en  pense 
pas  moins.  Autant  vous  est  il  ennemi  pour  lui  avoir 
monstre   vostre   espee,    que  pour  l'en   avoir   battu  : 


AU  ROY  CHARLES  IX.  2 5 

autant  pour  avoir  descouvert  des  signes  de  mauvaise  vo- 
lonté ,  que  pour  en  avoir  produit  des  effects.  En  temps 
et  lieu  il  le  vous  garde;  mais  vostre  majesté  se  doit  sou- 
venir que  le  premier  coup   en  vaut  deux.  La  guerre 
n'est  point  juste  seulement,  mais  nécessaire,  si  l'on  ne 
veut  en  avoir  à  l'advenir  une  très  périlleuse;  et  vous 
déclarant,  vous  lie  faites  point  un  ennemi ,  mais  com- 
battez celui  qui  est  desja  faict;  mais  pour  ce  que  maint 
bon  procez  se  perd  ,  quand  la  partie  est  plus  forte  que 
le  droit,  et  que  le  moien   de  poursuivre  défaut ,  s'en- 
suit de  monstrer  que  la  poursuite  vous  est  très  facile , 
et  ce  tant  pour  l'augmentation  de  vostre  force  depuis 
la  paix  faite  avec  lui ,  que  diminution  de  la  sienne.  La 
guerre,  sire,  se  faict  plus  par  fer  que  par  or,  plus  par 
hommes  que  par  argent.  La  force  des  hommes  consiste 
en  ce  qui  est  dedans  le  pais  sous  nous,  et  dehors  sous 
nos  alliez,  et  en  tous  les  deux  vous  le  passez.  Dedans 
vos  pais,  au  lieu  que  jadis  le  peuple  fuioit  les  armes, 
il  les  suit;  qu'il  fremissoit,  il  saute  au  son  du  tambour. 
L'espee  du  gentilhomme  est  aiguisée ,  du  bourgeois  des- 
rouillee,  le  soc  du  laboureur  forgé  en  cousteau.  Autant 
que  votre  majesté  a  de  bourgades ,  autant  de  garni- 
sons et  pépinière  de  soldats,  et  non  bisognes ,  mais  très 
aguerris,  aians  plus  veu  de  sièges,  routes,  escarmou- 
ches, surprises,  en  un  an  des  guerres  civiles,  qu'en  dix 
auparavant;  jusques  là  que  qui  obeissoiten  vos  guerres, 
commande  aux  estrangers,  et  qui  estoit  capitaine,  a 
tiltre  de  coUonel.  Et  si  l'on  dit  que  ce  n'est  rien  d'avoir 
des  soldats ,  qui  ne  les  a  obeissans,  et  que  les  factions 
n'ont  du  tout  amorties  y  mettent  la  désobéissance;  on 
respond  qu'entre  les  hommes  particuliers   et  simples 
soldats  n'y  a  point  de  faction;  que  s'il  y  en  a ,  c'est  entre 
les  chefs,  qui  l'oublieront  à  vostre  parole,  voire  mesme, 


26  DISCOURS 

à  l'endroit  de  l'ennemi  :  où  Tiin  mettra  le  bout  du  pied, 
Taultre  taschera  de  mettre  le  talon ,  comme  l'on  a  veu 
au  siegedu  Havre.  Lors  vostre  majesté  verra  quel  advan- 
tage  à  celui  qui  se  sert  des  siens  sur  celui  qui  se  sert 
d'estrangers.  Le  subject  sert  et  obéit  comme  fils,  l'es- 
tranger  comme  serviteur;  le  subject  pour  sa  vie  et  pour 
son  honneur,  avec  expectation  de  ses  services,  estant 
à  la  vue  de  son  maistre  et  prince  pour  se  veoir  de  lui 
recompenser  ou  chastier,  l'estranger  sert  seulement 
pour  acquérir  des  biens.  S'il  ne  vous  couste  rien,  il 
n'obéit  qu'à  demi ,  et  ores  qu'il  soit  à  vostre  solde  ,  on 
n'en  peut  jouir  qu'avec  coust  et  consentement  des  par- 
ties. L'or  le  tire  et  le  fer  le  repousse;  l'or  l'attire  et  la 
peur  de  mort  l'en  retire.  Et  comme  chacun  laisse  les 
biens  pour  la  vie  pour  ne  se  hasarder,  l'estranger  laisse 
la  vie  pour  le  butin,  qui  seul  l'invite  à  combattre.  Je 
laisse  que  forces  estrangeres  sont  tousjours  suspectes 
en  un  royaume ,  et  que  le  degast  d'un  païs  est  trop 
plus  grand,  estant  que  le  citoien  espargne  le  sang  de 
son  concitoien,  l'estranger  espargne  le  sang  de  son  en- 
nemy  plus  que  celui  du  paysan,  pour  ami  et  confédéré 
qu'il  soit.  Dont  est  à  penser  à  qui  a  vu  la  France  non 
aguerrie  quand  la  noblesse  feit  teste  à  l'Italien,  Espa- 
gnol, Allemand,  Anglois  et  les  Reytres  liez  ensemble, 
ce  qu'elle  feroit  aujourd'hui  que  toute  qualité  de  gens, 
tout  aage  et  presque  tout  sexe  est  accoutumé  au  bruit, 
expérimenté  aux  armes.  Or  les  estats  du  roy  d'Espagne 
ne  sont  pas  pour  le  jourd'hui  ainsi;  car,  oultreque  l'Es- 
pagne n'est  pas  si  peuplée  que  la  France,  les  gentils- 
hommes de  toute  ancienneté  marchent  selon  le  con- 
tract  qu'ils  ont  avec  le  roy,  n'estans  tenus  que  de  dé- 
fendre le  païs  contre  qui  l'assaillira,  et  ne  passent  trop 
volontiers  les  monts  Pyrénées,  comme  ainsi  soit  que 


AU  ROY  CHARLES  IX.  27 

vostre  noblesse  va  chercher  la  guerre  où  elle  est ,  fust 
en  la  mer  glaciale  ou  en  la  zone  torride.  Au  plus  grand 
camp  que  l'empereur  ait  jamais  faict ,  ne  se  trouvèrent 
onc  plus  de  sept  mille  hommes  de  pied  Espagnols  en- 
semble, et  quelques  sept  ou  huict  cens  chevaux  légers. 
S'ils  en  tirent  de  nouveaux,  ce  seront  bisognes,  tels 
que  ceux  qu'a  ce  grand  besoin  ,  le  duc  de  Medina-cϔi 
a  amenés  demi  deffaits  de  la  mer  en  Flandres.  Cepen- 
dant il  faut  que  l'Espagne  fournisse  à  tout  ;  car  estant 
la  coustume  de  l'Espagnol  de  réduire  ses  païs  en  pro- 
vinces, et,  pour  la  défiance  et  besoin  qu'il  en  a,  de 
tenir  partout  citadelles  et  garnisons  contre  ses  sub- 
jects,  il  faut  qu'il  en  envoie  es  royaumes  de  Naples,  de 
Sicile,  de  Navarre,  en  Barbarie,  aux  Païs  Bas  et  à  Mi- 
lan ;  il  en  faut  maintenant  un  bon  nombre  contre  le 
Turc,  et  tous  les  ans  pour  les  Indes,  dont  elle  demeure 
enfin  bien  dépeuplée.  Les  roiaumes  de  Naples  et  Si- 
cile,  et  Testât  de  Milan  ont  affaire  à  fournir  l'armée 
contre  le  Turc;  et  Sicile  ,  pour  estre  près  de  lui,  a  be- 
soin de  grandes  garnisons,  comme  plusieurs  aultres 
lieux  ;  et  si  l'on  dit  que,  pour  la  victoire  de  l'an  passé, 
il  n'y  ait  que  craindre  de  ce  costé  là ,  un  petit  coup 
desrobé  n'a  pas  mis  un  si  fort  ennemi  en  terre  qu'il  ne 
se  puisse  promptement  relever.  Il  nous  appreste  la  mort , 
cependant  que  nous  triomphons  de  la  sienne.  Oncques 
ne  se  vit  un  grand  empire  qui  n'ait  vengé  sa  perte  au 
premier  jour  pour  maintenir  son  peuple  en  obéissance 
craintive  et  l'ennemi  en  peur;  et  outre  ce  qu'en  la  guerre 
commencée  pour  un  soldat,  un  capitaine,  qu'il  a  perdu, 
les  chrestiens  en  ont  perdu  deux  ;  Tisle  de  Gypre  con- 
quise sans  espoir  de  la  lui  arracher,  suffit  bien  pour 
payer  les  frais  des  galères  et  instrumens  de  navigage 
qu'il  a  perdus.  Joint  que,  quand  il  se  voudroit  reposer, 


2»  •  DISCOURS 

la  Ligne  contraindroit  le  roy  d'Espagne  après  avoir 
vaincu,  d'user  de  la  victoire.  Du  bas  Pais,  qui  jadis  nous 
a  donné  plus  de  travaux  que  toute  l'Espagne,  il  peut 
attendre  plus  de  dommage  que  de  profit;  car,  oultre 
ce  qu'il  a  perdu  le  cœur  du  peuple  et  de  la  noblesse  ,  qui 
est  en  bon  François  plus  qu'à  demi  avoir  perdu  le  païs, 
une  bonne  partie  des  gentilsbommes  a  esté  exécutée  ou 
bannie.  Les  ordonnances,  qui  montent  à  trois  mille 
cbevaux  ou  six  cens  lances  à  cinq  chevaux  pour  lance, 
sous  la  charge  de  quatorze  capitaines,  n'en  fourni- 
roient  pas  mille  aujourd'hui;  car,  pour  n'avoir  esté 
payez  de  trois  années  entières ,  la  pluspart  sont  sans 
chevaux  et  armes ,  et  le  pais  mal  fourni  de  chevaux 
faits.  Bref,  plusieurs,  pour  fuir  la  sédition,  sont  allés 
passer  le  temps  en  divers  lieux  ,  comme  es  courts  de 
l'empereur  et  dltalie.  D'infanterie,  il  n'en  sçauroit  trop 
avoir;  car,  oultre  ce  qu'il  y  a  vingt  et  huit  places  où 
il  tient  garnisons  ordinaires  sur  les  confins  de  vostre 
majesté ,  il  a  tant  de  bonnes  villes  dont  il  craint  la  ré- 
volte, qu'il  ne  les  peut  pas  fournir  à  demi.  Des  Indes, 
il  se  peut  dire  ,  sans  crainte  d'y  passer  mesure  ,  qu'elles 
sont  désormais  sa  foiblesse;  car  estant,  que  qui  acquiert 
païs  et  non  force  se  ruine, «d'autant  que  ce  païs  acquis 
ne  lui  donne  point  d'hommes,  ains  faut  que  l'Espagne 
s'en  despeuple  pour  l'en  peupler,  et  lui  en  advient 
comme  à  ceux  qui  acquièrent  par  quelque  faveur  un 
honneur  qui  requiert  despense,  et  ne  donne  point  moien 
d'en  faire,  qui,  après  maint  calcul  de  lombard,  sont 
contrains  de  faire  banqueroute.  Si  l'on  dit  qu'il  est  armé 
par  mer,  et  que  vostre  majesté  ne  l'est,  et  que  les 
Gaules  en  sont  demi  environnées  ,  il  est  vrai  ;  mais  il 
ne  nous  peut  nuire  sur  la  coste  delà  grand  mer,  car  il 
n'y  a  que  galères  sur  la  mer  de  Levant,  la  coste  de  Lan- 


AU  ROY  CHARLES  IX.  29 

guedoc  est  forte  assez;  celle  de  Provence  ,  bien  que  non 
forlifiee,  partout  est  bien  fortifiable  et  à  peu  de  frais. 
S'il  met  pied  à  terre,  le  païs  e.^t ,  par  nature  et  par  exer- 
cice ,  aguerri  pour  les  rembarrer,  comme  il  se  vit  à 
Marseille ,  où  Charles  le  Quint  s'aheurta  deux  fois  en 
vain.  Puis  courant  nos  costes  il  se  desiie  d'avec  les  Vé- 
nitiens, avec  lesquels  il  est  ligué  contre  le  Turc,  qui  lui 
est  sur  les  bras,  et  qui  l'empeschera  assez.  Voilà  comme, 
quant  aux  forces  intérieures ,  il  est  affoibli ,  et  vous 
grandement  renforcé.  Venons  maintenant  à  celles  de 
dehors,  qui  consistent  en  ce  qu'on  peut  espérer  des 
alliés  et  des  confédérés.  Il  fault  ici  considérer  que,  de- 
puis que  la  France,  desmembree  par  partages  ,  s'est  ras- 
semblée sous  un  prince,  jamais  l'Espagne  seule,  quoi- 
qu'elle ait  esté  reunie  de  mesme ,  ne  l'a  osé  attaquer  ; 
mais  ce  qu'en  avons  eu  de  dommage,  a  esté  par  les 
forces  d'Allemagne  haute  et  basse,  ou  d'Italie,  reunies 
toutes  au  parti  d'icelle  sous  l'empereur  Charles  et  le 
roy  Philippe  son  fds  avec  l'alliance  des  Anglois,  qui 
ne  nuisoient  gueres  moins,  et  souvent  avec  l'auctorité 
du  pape,  tellement  que,  tout  calculé,  oncques  ne  per- 
dismes  bataille ,  où  l'Espagnol  feit  le  quart  de  l'armée 
ennemie.  Si  par  force  il  ne  vainquoit,  moins  par  son 
astuce  qui  se  peut  comprendre  en  un  mot ,  de  ne  dire 
jamais  ce  qu'il  fait,  et  ne  faire  jamais  ce  qu'il  dit.  Ains 
plustost  nous   a  tourmentés  par  l'astuce  des  malcon- 
tens  et  subornés  qui  se  retiroient  vers  lui,  que  par  force 
et  finesse  subtile  qui  feust  en  lui.  Ores  ne  sommes  nous 
plus  ainsi.  L'Anglois,  jadis,  espousoit  la  querelle   de 
tous  nos  voisins  contre  nous  pour  la  mutuelle  desfiance; 
mais  laroineElizabelh  vous  est  confédérée  et  son  enne- 
mie, comme  la  première  offensée.  Joint  que  pour  l'envie 
qu'elle  a  de  Zelande,  pour  les  Anglois  nouvellement 


3o  DISCOURS 

descendus  à  Flessingue,  et  pour  les  hostilités  passées 
entre  eux ,  elle  y  pourra  aisément  condescendre.  Escosse 
ne  nous  doit   pas  nuire  pour  la  très  ancienne  ligue 
qu'elle  a  avec  nostre  nation,  et  ne  le  vouldroit  pour  la 
liaine  de  l'inquisition  d'Espagne,  et  ne  pourroit,  veu 
sa  foiblesse  ordinaire  pour  les  factions  du  roy,  de  la 
3'oineet  desHamiltons  ,  briguans  le  gouvernement,  qui 
s'entretravaillent  assez  eulx  mesmes.  L'Allemagne,  qui  le 
temps  passé  nous  battoit,  nous  preste  aujourd'hui  la 
main,  et  nous  présente  une  ligue,  qui  oste  d'un  costé 
les  forces  de  l'Espagnol ,  et  de  l'aultre  double  les  nos- 
Ires.  L'empereur,  qui  est  chef  de  cet  empire,  pour  estre 
beau  père  de  tous  deux  ,  se  pourra  en  cet  endroit  mons- 
trer  neutral.  Et  s'il  se  formalize  pour  le  roy  d'Espagne 
ou  pource  qu'il  est  son  beau  fils,  beau  père  et  cousin 
germain ,  oU  pour  la  succession  dont ,  par  la  naissance 
de  D.  Ferdinand,  il  est  esloigné,  ce  sera  avec  peu  d'ef- 
fect,  ayant  le  Turc  voisin  en  Hongrie,  qui,  durant 
les  trêves,  ^ar  ses  continuelles  courses,  lui  fait  peur, 
et  après  la  ^n.  d'icelles,  qui  est  trop  loin,  lui  fera  la 
guerre  tout  à  bon  escient.  Les  ecclésiastiques,  partie 
pour  la  povreté,  ne  lui  peuvent  donner  aucun  secours, 
partie  pour  la  haine  qu'ils  ont  à  l'Espagnol.  Et  ceux 
qui  ont  plus  de  pouvoir  et  de  voulloir,  pour  estre  nos 
voisins  et  limitrophes ,  de  peur  d'estre ,  comme  entre 
deux  fers  ,  e^iserrés  entre  vostre  majesté  et  les  pro- 
testans,  n'oseront  s'esbranler.  Et  encoresque,  qui  a  de 
l'argent,  semble  en  pouvoir  tirer  des  hommes,  si  est 
ce  que,  ou  peu,  ou  tard,  en  tireront  les  Espagnols, 
si  les  priii-res  protestans  les  voulloient  empescher  de 
tout  leur  pouvoir  et  auctorité ,  laquelle  ils  emploie- 
ront très  volontiers  à  la  ruine  du  roy  d'Espagne,  leur 
capital  ennemy,  s'ils  se  voioient  conjoins  avec  vostre 


AU  ROY  CHARLES  IX.  3l 

majesté.  Les  disons  et  les  Suisses  des  sept  cantons  sont 
tousjours  à  vostre  dévotion.  Et  les  aultres ,  qu'ils  pri- 
sent plus  que  tous  les  aultres  en  guerre,  ne  veulent , 
comme  ils  parlent,  vendre  leur  sang,  lequel  ils  don- 
neront librement  en  ceste  occasion ,  d'où  dépend  en 
partie  le  repos  de  leur  estât.  En  Italie ,  le  pape  est  li- 
gué avec  l'Espaignol  ;  mais  estans  aujourd'hui  ses  ca- 
nons pour  la  plus  grand  part  encloués ,  et  ses  forces 
engagées  en  la  guerre  du  Turc,  qui  est  ung  ennemi 
contre  qui  le  plus  grand  de  la  chrestienté  auroit  bien 
affaire  de  ses  deux  mains,  il  ne  vous  sauroit  en  quoi 
nuire.  Adjoustons  que  l'office  du  pape  semble  estreplus- 
tost  de  se  mettre  entre  deux  combattans ,  que  de  se 
ranger  avec  l'ung  d'eulx,  si,  au  grand  dommage  de  la 
chrestienté,  chacung  ne  voyoit  le  contraire.  Les  Véni- 
tiens, pour  les  mesmes  empeschemens,  ne  nous  peu- 
vent rien  faire;  et  veu  la  ligue  qu'ils  ont  avec  vostre 
majesté,  se  monstreront  au  moins  neutres.  Et  afin  qu'ils 
ne  se  glorifient  point  de  la  touche  qu'ils  donnèrent,  l'an 
passé,  au  Turc,  oultre  mesme  que  leur  seigneurie  est 
en  tel  estât  pour  ceste  ligue,  que,  victoi.e  ise  ou  vam- 
cue,  elle  s'abaisse  tous  les  ans  d'un  quart,  ils  vivent  et 
se  maintiennent  par  le  trafic,  qui  est  en  Levant ,  ou 
en  Ponent,  pour  la  pluspart  en  Allemagne.  Du  Levant , 
pour  cause  de  la  guerre,  ils  n'apportent  rien,  et  pour- 
tant n'ont  que  porter  en  Ponent,  telleme  '.t  que,  d'une 
mesme  barrière  leurs  deux  portes  sont  œrmees.  Ainsi 
la  guerre  désire  grands  frais;  les  grands  frais  se  font  par 
le  trafic,  et  la  guerre  l'empeschant ,  n'y  a  moyen  de  la 
maintenir  longuement.  Maintenant  D.  Jear    d'Austri- 
che,  ou  pour  le  soupçon  qu'il  a  de  vostre  majesté,  ou 
pour  Tesperance  de  quelque  bon  succès  en  Barbarie , 
ne  veut  aller  en  Levant.  En  ce  cas  il  rompt  la  ligue  que 


'd'i  DISCOURS 

le  roy  d'Espaigiie  a  avec  les  Vénitiens,  dont  sera  bien 
aise  de  faire  la  paix  avec  lesdicls  Vénitiens,  si  mattez, 
qu'ils  ne  peuvent  à  la  longue  attendre  de  la  guerre  que 
la  ruine  de  leur  estât  et  du  particulier,  et  faire  tomber 
tout  l'orage  sur  les  terres  de  l'Espaignol.  Tous  les  po- 
tentats .d'Italie  qui,  pour  une  mutuelle  haine  ou  en- 
vie, vivent  en  perpétuelle  défiance,  contribuent  si  peu 
qu'ils  ont  de  trop  contre  le  Turc;  et  encores  qu'aulcungs 
soient  comme  tributaires  au  roy  d'Espaigne ,  ou  pour 
mieux  dire  à  ses  gages,  est  à  sçavoir  s'ils  le  desireroient 
voir  si  grand.  Et,  ores  qu'ainsi  feust,  les  Italiens  ne  s'en- 
Irebattent  pas  volontiers  à  qui  premier  passera  les  Al- 
pes. Le  duc  de  Savoye  est,  par  le  traicté  de  la  paix  et 
par  la  nature  de  son  estât,  enfermé  de  tous  costés ,  neutre  ; 
et  quand  il  vouldroit  estre  de  la  partie,  seroit  plus  en- 
clin à  vostre  majesté  qu'au  roy  d'Espaigne,  partie  pour 
l'alliance  et  partie  pour  le  duché  de  Milan,  qui  est  trop 
fort  et  trop  près  de  lui;  reste  à  voir  les  moyens  né- 
cessaires à  la  conduite  de  ceste  guerre.  Les  ungs  estiment 
les  deniers  nerfs  d'une  armée,  les  aultres  y  préfèrent 
les  hommes.  Comme  que  ce  soit,  l'ung  et  l'aultre  vous 
est  en  main  et  à  plaisir;  vostre  royaume  fourmille  de 
gens  qui  ne  demandent  que  :  Où  est-ce  ?  Et  ne  feut  onc- 
ques  la  France  tant  chargée  d'hommes ,  soit  pour  la 
cavallerie  ,  soit  pour  l'infanterie,  l'une  et  l'aultre  mal 
disciplinée;  mais  puisque  nos  troubles  y  ont  amené  le 
desordre  avec  le  nom,  subiect  et  occasion  de  la  guerre, 
se  change  aisément  la  forme  et  conduicte  d'icelle,  mes- 
mement  lorsque  le  soldat,  se  trouvant  loin  de  retraicte 
cl  faveur  en  païs  estranger,  verra  l'insolence  de  son 
naturel  arrestee  par  la  rigueur  d'une  punition  aucto- 
rizee  de  vostre  majesté  ,  pourveu  aussi  qu'il  soit  bien 
payé  et  satisfait  en  la  recognoissance  de  son  debvoirror 


AU  ROY  CHARLES  IX.  33 

la  paie  ne  vous  peut  manquer  pour  la  libérale  dévotion, 
que  vos  subjects  vous  rendront  si  vous  les  descliargës 
de  nos  mutineries  demi  envieillies  es  entrailles  de  la 
France  ;  tous  y  contribueront  plus  largement  et  avec 
plus  de  gaieté  de  cœur  qu'on  ne  sçauroit  croire,  joint 
lesmoiensque  vous  avés  desjà  prests  :  d'ailleurs,  bonne 
troupe  de  noblesse  et  aultres ,  nommément  de  nostre 
relligion ,  passeront  partie  du  temps  à  leurs  propres 
frais.  Et ,  qui  est  bien  à  considérer,  veu  l'offre  de  plu- 
sieurs estrangers,  on  pourra  faire  la  guerre  en  tel  païs, 
dont  les  naturels  fourniront  la  plus  part  des  moiens  à 
vostre  armée,  selon  les  ouvertures  que  l'on  vous  en  a 
desjà  faictes,  D'aultre  part  l'infanterie  ne  vous  montera 
gueres  plus  à  paier  que  d'ordinaire;  tant  par  ce  qu'en 
temps  de  paix  il  vous  en  fault  ung  grand  nombre ,  et  ré- 
duisant la  guerre,  comme  il  fauldra,  au  païs  de  l'en- 
nemy ,  la  guerre  mesme  fournira  le  reste,  et  paiera  à 
demi  les  soldats.  Je  laisse  que  les  ecclésiastiques  ne 
voudroient  pas  estre  moins  libéraux  contre  l'estranger, 
qu'es  guerres  civiles;  non  moins  volontaires  envers 
vostre  majesté  qu'envers  vos  prédécesseurs,  qui,  au  be- 
soin, aulcunes  fois  ont  pris  la  moitié,  voire  presque  tous 
les  revenus  et  le  fond  mesme ,  sans  parler  ici  des  an- 
nates  et  aultres  droits  suffisans  de  paier  ce  qui  sera 
extraordinaire  de  ceste  guerre.  Si  l'on  dit  que  le  roy 
d'Espagne  ait  moien  d'emprunter  la  bourse  d'Anvers, 
qui  est  son  principal  fondement,  elle  ne  lui  aidera  pas 
beaucoup  ;  car ,  par  les  ports  de  mer  que  tiennent  ceulx 
qu'on  appeWegueus,  le  trafic  est  nul,  et  par  conséquent 
la  bourse  mal  garnie.  Les  marclians  ont  tant  preste  qu'ils 
en  sont  las;  et  ce  peu  qui  leur  en  reste ,  pour  la  baine 
qu'ils  portent  à  sa  façon  de  gouverner,  n'est  guère  à 
son  commandement.  Et  la  ville  d'Anvers  est  tellement 

MÉM.  nF.  Dupi.Kssis-MoRîfAY.  Tome  ir.  j 


4  DISCOURS 


endebtee,  qu'elle  ne  s'acquitteroit  poinct  pour  deux  mil- 
lions d'or,  tant  qu'il  fault  qu'elle  emprunte  à  six ,  huit 
et  douze  pour  cent.  Les  Genevois,  depuis  la  prise  de 
Final,  qui  leur  importe  de  60000  livres  tous  les  ans  de 
perte ,  ne  sont  plus  si  affectionnés  à  lui  ;  d'ailleurs  qu'en 
peut  il  espérer?  Et  partant,  estant  vostre  majesté  plus 
forte  que  lui  en  gens  de  guerre ,  et  égale  en  finances , 
n'y  a  doute  que  la  guerre  ne  vous  soit  facile  à  entre- 
tetenir  ;  or  nous  pouvons  donc  justement  et  facilement 
faire  la  guerre  à  l'Espagnol.  Mais  où?  Premièrement 
ne  la  fault  faire  qu'en  ung  lieu;  car  pour  avoir  embrassé 
la  guerre  en  plusieurs  lieux  tout  en  un  temps,  nous 
avons  ruiné  toutes  nos  entreprises.  Il  n'y  a  meilleur 
qu'à  la  romaine  ou  à  la  turquesque,  mettre  toutes  ses 
forces  d'ung  costé ,  de  peur  que ,  mengeans  trop,  ne  di- 
gérions mal ,  et  ne  soyons  contrains  de  revomir  ;  et  ce 
lieu  ne  doit  point  estre  l'Espagne;  car  c'est  un  pays 
montagneux ,  avantageux  pour  le  tenant,  et  où  la  no- 
blesse est  forcée  de  se  défendre ,  qui  aullrement  ne  bou- 
gera du  pais.  Pour  l'Italie,  il  fault  passer  les  Alpes,  et 
chacun  sçait  que,  quoique  le  païs  ait  esté  engraissé  de 
nostre  sang  et  honneur,  jamais  les  lys  n'y  ont  peu  bien 
fleurir.  Il  fault ,  sire,  entreprendre  sur  le  Bas  Pays ,  où 
le  peuple  vous  appelle,  où  l'occasion  vous  invite,  où 
la  division  vous  ouvre  les  portes  des  villes,  etvousfaict 
bresche  raisonnable  pour  donner  l'assaut  à  tout  le  païs. 
Justement  irés-vous  sur  les  justes  prétentions  qu'avés 
sur  Flandres,  Artois  et  Hainaut ,  ausquelles  la  seule 
adversité  a  faict  renoncer  à  vos  prédécesseurs ,  et  en 
viendrés  facilement  à  bout,  aiant  l'ennemi  loin  et  dis- 
traict,  et  vos  forces  et  de  vos  alliés  tout  à  l'entour.Pour 
ce  faire  ,  vostre  majesté  pourra  traicler  accord  avec  le 
prince  d'Orange,  qui,  tant  par  une  bonne  et  forte 


AU  ROY  CHARLES  IX.  35 

armée  qu'il  a  au  pays,  que  par  les  cœurs  du  peuple 
enclins  à  lui,  comme  libérateur  vous  y  pourra  beau- 
coup servir,  et,  sans  doute,  ne  demandera  pas  mieux, 
considéré,  qu'ores  qu'il  prospère  à  son  gré  dans  le 
païs  jusques  à  le  mettre  en  ses  mains,  il  ne  se  peut 
maintenir  que  par  vostre  alliance  et  faveur.  En  après 
faire  la  guerre  comme  ami  du  pays  et  ennemy  des  en- 
nemys  du  pays,  vengeur  de  la  tyrannie  et  restituleur 
de  la  liberté  ;  car  pour  bien  conquérir  fault  commencer 
par  la  conqueste  des  cœurs,  et  le  reste  vient  après  tout 
à  son  aise ,  et ,  pource, sera  besoin  d'entretenir,  comme 
es  premières  guerres  de  Piedmont ,  une  severe  disci- 
pline, et  par  conséquent  bien  paier  le  soldat,  afin  qu'es- 
tant paie  il  ne  pille  ,  et  s'il  pille  n'ait  de  quoi  se  plaindre 
d'estre  puni  ;  mettre  une  bonne  et  suffisante  armée  tout 
en  un  coup,  pour  faire  grosse  guerre  et  courte,  et  non 
de  petits  camps  connne  jadis;  car  si  elle  dure,  le  trafic 
fault,  le  païs  se  ruine,  le  peuple  s'attiédit  et  se  rend 
prompt  à  se  révolter;  assaillir  le  cœur  du  pays,  non  les 
frontières,  qui  est  la  vieille  escrime,  dont  les  coups 
ne  portent  que  sur  les  bras  et  sur  les  jambes,  car  ainsi 
couppés  vous  la  racine  des  nerfs,  desquels  dépend  tout 
le  mouvement.  Et  n'y  aura  danger  qu'elles  coupent  les 
vivres;  car  vous  sentant  suffisamment  fort  pour  les  dé- 
livrer, elles  ne  vouldront  le  faire,  ores  qu'elles  le  voul- 
droient,  ne  pourront,  pour  la  mer,  qui  vous  en  donnera 
assez,  laquelle  vous  sera  ouverte  par  tout;  défier  le 
chef  du  païs  en  bataille  par  le  siège  de  quelque  ville 
capitale,  riche  et  foible ,  comme  Bruges,  etc.  Et  s'il 
fuit  le  choc,  il  ne  fuit  la  perte  ;  car  la  prenant  d'assault 
ou  par  composition  ,  vous  y  gaignerés  beaucoup  d'auc- 
torité  d'entrée,  et  il  y  perd  toute  la  sienne  ;  et  s'il  se  veut 
bazarder,  il  hazardc  lout  le  succès,  et  le  joue  en  ung 


36  DISCOURS 

coup  de  dé.  Apres  l'avoir  prise,  pour  inviter  les  aul- 
tres ,  si  c'est  par  accord ,  rendre  la  liberté ,  restituer 
les  immunités,  augmenter  les  privilèges  et  diminuer 
les  exactions; si  c'est  parassault,  monstrer  exemple  de 
rigueur  en  la  personne  ,  non  du  peuple  ,  mais  de  quel- 
ques chefs  hais  du  peuple  mesme  ;  ne  s'aheurter  poinct 
à  une  petite  place  forte,  où  le  gain  est  petit  et  la  perte 
grande,  quand  ce  ne  seroit  que  du  temps,  mais  en  lieu 
dont  la  surprise  acquiert  réputation  par  tout  le  pays. 
Ce  faisant,  les  murailles  tomberont  en  vostre  main 
d'elles  mesmes,  et  les  portes  s'ouvriront  sans  y  mettre 
la  clef.  L'aiant  acquis  ,  vostre  majesté  le  pourra  facile- 
ment garder,  non  par  garnisons  ni  citadelles,  aiant 
l'ennemi  si  loin  ,  mais  ,  comme  vrai  prince ,  par  les  raser 
plustost,  et  les  mettre  es  mains  des  villes;  et  ainsi  se- 
ront les  murailles  gardées  par  les  hommes,  qu'auriés 
premièrement  acquis  par  vostre  libéralité  et  debonnai- 
reté ,  et  non  les  hommes  asservis  et  captifs  par  rempars 
et  murailles  basties  pour  les  emprisonner.  Or  à  plaider 
ce  procès,  les  despens  ne  passent  poinct  le  principal  ;  car 
s'il  y  a  de  l'honneur,  vostre  majesté  y  aura  du  profîct  en 
ce  que  vous  mettrés  vostre  ennemy  fort  loin  ,  et  lui 
osterés  le  moyen  de  regarder  sur  vostre  court.  Vous 
eviterés  la  despense  des  garnisons,  aiant  pour  frontière 
ou  liziere  le  Brabant ,  ou  si  les  Brabançons  vous  esli- 
sent,  la  Meuse  ,  bien  remparee  ou  remparable  de  tous 
costés  ;  et  leurs  privilèges  veulent  qu'au  cas  qu'aulcun 
d'iceux  soit  rompu ,  ils  soient  absous  du  serment  preste 
à  leurs  princes ,  et  en  liberté  de  se  donner  à  qui  ils 
veulent;  et  plus  commode  prince  ne  peuvent  ils  avoir 
qu'un  roy  de  France,  pour  les  raisons  qu'il  n'est  ores 
temps  de  discourir.  En  somme  vous  acquerés  un  païs 
auquel  n'avés  province  qui  se  puisse  comparer  en  gran- 


AU  ROY  CHARLES  IX.  ^7 

deur,  beauté  ,  richesses,  peuples,  \illes  et  commodités 
tant  de  mer  que  de  terre,  et  dont,  sans  fouler  per- 
sonne, vous  pourrés  chascun  en  tirer  un  million  d'or. 
L'Allemand  vous  redoutera  si  puissant  voisin;  l'An- 
glois  vous  respectera,  ne  se  pouvant  aisément  passer 
du  commerce  avec  le  Pays  Bas;  autant  en  fera  le  Da- 
nois et  le  Suéde  ;  vostre  peuple  s'en  enrichira  pareille- 
ment. L'Espagnol ,  comme  en  estant  loin  par  terre , 
sans  espérance  d'y  revenir,  et  forclos  de  mer,  y  aura 
perdu  le  plus  beau ,  et  vous ,  sire ,  qui  aurés ,  avec  l'hon- 
neur immortel,  receu  le  profict  incroyable  de  telle  vic- 
toire ,  serés  à  l'advenir  si  crainct  de  vos  contraires,  tant 
chéri  de  vos  amis  et  alliés,  que  vostre  bonheur  vous 
tracera  assés  tost  le  chemin   pour  estre  le  plus  grand 
monarque  de  la  chrestienté. 


IV. —-^LETTRE  DE  M.  DEMAZELIERES. 

Monsieur,  par  la  lettre  qu'il  vous  pleust,  ces  jours 
passez,  m'escrire  responsive  à  la  mienne,  touchant  ung 
mandement  de  mil  escus  à  moi,  ci  devant  expédié  sur 
M.  Pajot,  je  le  debvois  estre  commué  et  converti  sur 
des  arrérages  de  l'ancien  domaine,  respondant  à  ceste 
chambre.  Vous  m'avés  faict  entendre  les  difficultez  pour 
lesquelles  vous  ne  l'avés  visé,  disant  qu'il  y  a  des  assi- 
gnations précédantes  en  faveur  de  M.  de  Laborde  el 
de  quelque  pourvoyeur.  Mon  mandement  est  fondé  sur 
frais  par  moi  faicts  et  sur  labeurs  et  services  qui  sont 
considérables  et  préférables  à  tous  dons.  J'ai  veu ,  par 
un  estât  du  trésorier  de  Perigort,  que  l'assignation  du- 
dict  sieur  de  Laborde  est  de  dixhuit  cens  escus.  Ceste 
somme  n'est  pas  petite,  mais  grande,  ou  les  arrérages 


38  LETTRE 

sont  petits.  Je  vous  asseure  bien  qu'il  en  est  deu  fort 
peu  en  la  receste  d'Albret,  en  Armagnac  peu;  en  Ro- 
dez, la  Ligue  a  levé  tout  ce  qu'elle  a  peu.  Si  par  raisons 
vous  jugés  que  lesdictes  assignations  doibvent  précéder 
la  myenne,  et  que  vous  y  aiez  de  l'affeciion,  je  con- 
sentiray  et  obeyray  à  vostre  désir  et  intention  pour  le 
regard  dudict  sieur  de  Laborde ,  et  que  en  vostre  visa 
vous  mettez  de  vostre  main  ceste  condition,  sans  faire 
mention  d'aultre,  pour  ce  qu'aultrement  vousme  met- 
tryez  bors  de  toute  espérance  et  de  ressource,  comme 
il  m'en  est  advenu  d'un  aultre  mandement  que  j'avois 
sur  les  lods  et  ventes  de  main  morte  de  Foix  avec  La- 
coste,  sans  que  j'enaye  peu  toucber  un  sol,  pour  les 
empeschemens  que  vous  avés  entendus ,  et  pourtant  il 
vous  plaira ,  monsieur,  commander  à  vostre  secretayre 
de  recbercber  parmi  ses  papiers  mondict  mandement , 
et  le  vouloir  viser,  avec  conditions  ou  sans  conditions , 
et  ainsi  qu'il  vous  plaira  ;  encores  je  me  deffîed'en  estre 
jamais  satisfaict ,  non  plus  que  je  ne  l'ay  encores  esté 
de  Taultre  sur  Foix,  si  ce  n'est  que  la  longueur  du  temps 
et  le  bénéfice  de  la  paix  et  la  voye  de  la  justice  nous 
donnent  les  moyens  et  la  facilité.  Mon  indisposition  et 
l'esloignement  me  font  restraindre;  car  aultrement  je 
m'asseure que  vous  m'oyant,  et  entendant  mes  raisons, 
vous  consentyriez  que  je  fusse  aultrement  gratiffié.  Je 
vous  avois  aussi  faict  entendre  que  non  obstant  la  dis- 
pense de  service  à  moi  accordée  par  le  roy,  et  par  vous 
visée,  M.  Malet  avoit  faict  difficulté  (non  de  payer,  car 
il  n'a  point  d'argent)  ,  mais  de  m'assigner  sur  lesdicts 
arrérages  sans  vostre  commandement,  h  cause  de  cer- 
taine ordonnance  du  conseil ,  faicte  à  Tours,  vous  sup- 
pliant lui  mander  de  m'assigner  en  quelque  lieu  que 
ce  fust  :  je  n'ai  poinct  entendu  sur  ce  vostre  intention. 


DE  M.  DEMAZELIERES.  89 

Je  vous  supplie  très  humblement,  monsieur,  m'ac- 
corder  ces  deux  poincts,  affin  que  si  je  ne  puis  toucher 
argent,  je  puisse  pour  le  moings  m'aider  à  ladvenir 
des  expéditions  pour  la  conservation  de  mes  droicts, 
et  je  ne  lerrai  pas  d'en  avoir  autant  d'obligation  avec 
service ,  et  mettrai  peyne  de  le  tesmoigner  à  toutes  les 
occasions  qu'il  vous  plaira  m'employer. 

Des  nouvelles  de  deçà  je  ne  vous  sçaurois  repré- 
senter rien  qui  vaille.  M.  de  sentant  la  trêve, 
a  voulleu  faire  sa  dernière  main,  et  a  couru  jusques  à 
Saint-Palays  en  Navarre  ,  qu'il  a  surprins,  pillé  et  sac- 
cagé, tué  et  prins  beaucoup  de  gens;  M.  Desponcle 
le  père  est  des  morts.  M.  de  la  Monnoye  est 
des  prisonniers  avec  aultres  conseillers.  Le  butin  est 
grand  et  la  désolation  estrange.  Vous  aviez  entendu  la 
mort  de  M.  de  Ghoisy,  et  hyer  nous  entendismes  celle 
de  M.  Descaudemat,  ci  devant  gouverneur  de  la  cita- 
delle de  Condom ,  qui  s'estoit  rendu  fort  bon  serviteur 
du  roy. 

Nous  avons  délégué  pour  aller  vers  le  roy,  en  l'assem- 
blée proposée  par  le  sieur  de  Viçose ,  ceulx  là  mesmes 
que  le  roy  a  nommés ,  à  sçavoir,  M.  de  Fabas  pour  la 
noblesse ,  et  M.  de  Feydeau  pour  la  justice.  Il  a  esté  aussi 
advisé  d'y  renvoyer  un  ministre,  qui  est  le  sieur  de 
Chauveton  ,  ainsi  que  vous  entendrez  par  ledict  sieur 
de  Viçose. 

Monsieur,  faites-moi  ce  bien  et  faveur  de  me  tenir 
en  vos  bonnes  grâces,  et  me  tenir  pour  jamais  pour 
vostre  très  humble,  etc. 

De  Nerac ,  ce  23*  aoust  1 573. 


4o  REMONSTRANCE 


1 


V.  —  REMONSTRANCE 

Aulx  Estais  de  Blois  pour  la  Paix ,  sous  la  personne 
d'ung  Catholique  romain ,  Van  1576. 

Nous  avons  grandement  à  louer  et  remercier  Dieu 
de  ce  qu'après  tant  de  maladies  et  de  recheutes  l'une 
sur  l'aultre,  qui,  selon  toute  raison,  debvoient  mettre  ce 
povre  roiaume  en  terre,  il  lui  plaist  toutesfois,  par  sa 
singulière  bonté,  lui  donner  encores  quelque  respit  pour 
se  relever.  Mais  singulièrement  avons  à  le  louer  de  ce 
qu'il  lui  a  pieu  mettre  au  cœur  de  nostre  roy  de  mettre 
la  main  à  ceste  cure,  autant  digne  de  sa  grandeur, 
que  grand  est  le  mal  qui  l'afflige;  et  par  moiens  autant 
propres  à  le  remettre  sus ,  que  les  precedens  estoient 
expediens  à  le  ruiner.  Le  médecin,  qui  voit  son  pa- 
tient débilité,  commence  sa  guerison  par  le  faire  re- 
poser, par  le  mettre  au  lit.  Nostre  roy  voiant  ce  povre 
roiaume,  par  ung  flux  de  sang  de  douze  ou  quirtze  an- 
nées, si  pasle  qu'il  faict  pitié  à  tout  le  monde  ,  et  si  de- 
bile  qu'il  n'en  peut  plus ,  veut  ensuivre  la  mesme  mé- 
thode. Pour  en  commencer  la  cure  il  le  met  en  paix. 
Le  médecin,  en  une  maladie  longue,  dangereuse,  em- 
brouillée, où  l'estomac  ne  se  peut  amander  sans  faire 
tort  au  foie,  quelque  sage  et  expérimenté  qu'il  soit, 
quelque  bien  versé  en  la  complexion  du  patient ,  ap- 
pelle toutesfois  de  Taide,  et  entre  en  consultation  avec 
d'aultres,  pour,  de  tous  les  advis,  recueillir  le  plus 
salutaire.  Nostre  roy,  pareillement  en  la  maladie  de 
ce  povre  roiaume,  qui  procède  de  plusieurs  causes, 
qui  a  divers  symptômes,  divers  accidens ,  et  tels  que 
l'ung  ne  peut  s'alléger  sans  nuire  presques  à  l'aultre. 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  4i 

ne  se  veut  fier  ni  en  sa  prudence  seule,  ni  au  bon  ad- 
vis  de  tant  de  vieux  conseillers  qu'il  a  près  de  lui  ;  mais 
veut  convoquer  toute  la  sagesse  ,  tout  le  conseil  de  ce 
roiaume  ensemble  pour  y  pourvoir,  et  ce  d'autant  plus 
soigneusement,  que  le  patient  dont  est  question  est 
tel,  qu'en  sa  vie  nous  vivons,  et  en  sa  mort  nous  pé- 
rissons tous  ;  mais  comme  en  vain  le  médecin  ordonne  , 
et  pour  néant  se  font  les  consultations,  si  le  patient 
veut  faire  des  excès  à  sa  teste ,  au  lieu  d'aider  lui  mesme 
à  se  guérir;  en  vain  aussi  nostre  roy  a  il  ordonné  la 
paix  et  convoqué  les  estats,  qui  sont  les  deux  remèdes 
propres,  l'ung  pour  r'estancher  le  sang  ,et  l'aultre  pour 
consolider  la  plaie,  si  nous  ne  nous  abstenons  tous  una- 
nimement de  la  regratter,  et  ne  nous  disposons  à  ai- 
mer avant  toute  chose  le  repos  et  la  paix,  sans  laquelle 
toutes  les  ordonnances  des  estats  et  toutes  les  receptes 
et  régimes  qu'on  nous  sçauroit  prescrire  ne  peuvent 
de  rien  profiter. 

Je  dis  que  sans  la  paix  les  estats  ne  nous  servent  de 
rien ,  ce  qui  se  peut  prouver  en  peu  de  mots.  Es  es- 
tats le  tiers  estât,  réduit  pour  la  pluspart  à  extrême 
povreté,  demandera  d'estre  soulagé,  ce  qui  sera  ma- 
laisé tant  que  le  roy  soit  acquitté;  or  tant  s'en  fault  que 
le  roy  s'acquitte  par  la  guerre,  qu'il  lui  fauldra  créer 
tous  les  jours  nouvelles  debtes.  Et  le  povre  laboureur 
souffre  plus  en  un  jour  par  les  excès  de  la  gendarmerie 
qui  fourrage  tout  pendant  la  guerre,  que  par  la  taille 
et  les  taillons  de  toute  une  année.  Le  gentilhomme  re- 
quiert que  le  tiers  estât,  en  la  personne  duquel  il  paie 
et  l'impost  et  la  taille,  soit  soulagé;  que  son  sang 
propre ,  dont,  ces  dernières  années ,  on  a  esté  trop  pro- 
digue ,  soit  espargné;  que  ses  honneurs  et  préroga- 
tives lui  soient  rendues  et  conservées  :  or  il  est  certain 


42  REMONSTRANCE 

que  la  guerre,  qui  ne  se  peut  faire  sans  hommes  et 
sans  argent,  ruinera  ses  fermiers  et  pillera  ses  subjects 
de  plus  en  plus;  qu'elle  espuisera  jusques  à  la  der- 
nière goutte  le  suc  et  le  sang  de  la  noblesse;  bref  que, 
comme  mère  de  desordre  et  de  confusion ,  elle  trans- 
férera tousjours  ailleurs,  et  le  plus  souvent  aux  plus 
indignes ,  l'honneur  et  la  prérogative  qui  lui  est  deue. 
Le  clergé  se  plaindra  que  ses  biens  sont  ruinés  par  ses 
ennemis,  mangés  par  ceulx  qui  s'en  disent  amis,  ven- 
dus tous  les  jours  par  le  roy  mesme.  Ce  sont  tous  maux 
procedans  de  la  guerre ,  laquelle  coustumiement  se 
faict  payer  des  maulx  mesmes  qu'elle  faict ,  et  qui  s'aug- 
menteront tant  plus  elle  continuera.  Tous  d'un  accord 
requerront  la  reformation  de  la  justice ,  de  la  vente  des 
offices,  etc.;  or  est  il  que  la  vente  des  offices,  c'est 
à  dire  de  la  justice,  a  esté  ordonnée  et  entretenue  pour 
la  nécessité  des  guerres ,  et  partant  durera  autant  que 
ceste  nécessité;  que  les  injustices  dont  on  se  plaind 
proviennent  pour  la  plus  part  de  là;  bref  que  c'est  ung 
proverbe  ancien  assés  approuvé  par  ces  derniers  temps. 
Qu'entre  les  armes,  et  parmi  les  bruits  de  trompettes,  la 
voix  des  bonnes  loix  ne  peut  pas  bien  estre  entendue. 
Nous  aurons  donc  beau  proposer  de  beaux  cahiers  aulx 
estats,  nous  aurons  obtenu  de  beaux  reglemens,  à  cha- 
que plaie  on  nous  aura  donné  emplastres;  mais  tout 
cela  en  vain,  si  nous  regrattons  les  plaies  qu'on  a  eu 
tant  de  peine  à  resserrer,  et  sommes  si  malavisés  que 
de  rentrer  de  gaieté  de  cœur  en  la  guerre  dorit  elles 
procèdent.  Concluons  donc  que  si  nous  desirons  les 
estats ,  il  nous  fault  embrasser  la  paix  ;  et  si  nous  n'em- 
brassons la  paix,  pour  néant  courons  nous  après  les 
estats,  desquels  aussi  bien  les  effects  seront  nuls  sans 
la  paix. 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  4^ 

En  ce  poinct  y  en  aura  peut  estre  qui  diront  qu'ils 
désirent  bien  la  paix,  mais  non  selon  les  articles  qui  ont 
esté  accordés  en  ceste  dernière.  Telles  gens  se  pourroient 
paieren  un  mot,  qu'il  n'y  a  telle  paix  qui  ne  vaille  mieux 
que  la  meilleure  guerre  du  monde  ;  que  celle-ci  est 
exaulcée  par  les  larmes  de  tout  ce  povre  roiaume,  et 
receue  avez  ung  singulier  applaudissement  de  tous 
ceulx  qui  portoient  les  armes ,  tant  d'une  part  que  d'aul- 
tre  ;  bref,  que  comme  il  y  a  certaines  guerres  qui  sont 
justes,  entant  qu'elles  sont  nécessaires,  que  par  con- 
traire ceste  paix  se  peut  appeller  très  juste,  n'y  eust  il 
mesme  que  ce  seul  poinct,  qu'elle  estoit  très  nécessaire 
à  tout  ce  roiaume^  mais  je  désire  que  ceux  qui  l'ont 
moins  approuvée  entrent  en  considération  de  plusieurs 
choses,  que  peut  estre,  ou  le  zèle,  ou  la  passion,  ou 
le  peu  qu'ils  en  ont  pati,  ou  le  peu  de  compassion 
qu'ils  ont  de  ceulx  qui  en  patissoient,  ne  leur  a  peu 
encores  laisser  bien  considérer.  Ils  ne  peuvent,  disent 
ils,  endurer  ni  approuver  qu'on  laisse  vivre  deux  rel- 
ligions  en  France  :  Je  desirerois  avec  eux  qu'il  n'y  en 
eust  qu'une,  selon  laquelle  Dieu  feust  servi  en  tout  et 
par  tout  comme  il  appartient  ;  mais  puis  que  souhaits 
n'ont  poinct  de  lieu  ,  il  fault  vouloir  ce  qu'on  peut,  si 
on  ne  peut  tout  ce  qu'on  veut.  Nous  ne  sommes  pas  les 
premiers  qui  ont  eu  ceste  querelle  a  debatre;  nos  voi- 
sins, presque  tous,  y  ont  esté  devant  nous,  et  spécia- 
lement les  Allemans.  Ils  avoient  un  empereur,  Charles 
cinquiesme ,  sage  et  puissant,  qui  entreprit  de  ruiner 
ceste  relligion  en  Allemagne,  lors  qu'elle  n'estoit  en- 
cores à  rais  de  chaussée  ;  il  y  employa  l'Allemagne,  l'Ita- 
lie, l'Espagne,  il  y  gaigna  bataille,  il  eut  les  chefs  pri- 
sonniers en  ses  mains,  il  réduit  tout  à  tel  poinct  qu'il 
vouUeut,  réservé  une  seule  ville  deMagdebourg.  Fina- 


44  REMONSTRANCE 

lement,  ceiilx  mesmes  qui  l'avoient  aidé  à  la  ruiner, 
conjurèrent  contre  lui,  tellement  que,  ne  voiant  nulle 
fin  à  son  desseing,  ains  d'une  guerre  naistre  Taultre, 
et  du  serpent  le  basilic,  il  aima  mieux  et  trouva  plus 
seur  de  permettre  la  liberté  à  ceste  relligion,  que  de  voir 
l'empire  empirer  d'heure  à  aultre,  et  prest  à  tomber 
sur  sa  teste  en  ruine.  Depuis  ceste  paix  qu'il  leur  ac- 
corda et  entretint  ^de  laquelle  le  feu  roy  Henry  feuten 
partie  cause),  l'Allemagne  est  paisible  et  tranquille 
par  tout,  et  regarde  à  son  aise  la  ruine  de  ses  voisins, 
voire  leur  fournit  de  massons  pour  se  desmolir,  au  lieu 
que,  sans  icelle  paix,  elle  s'en  alloit  en  ruine.  Peu  de 
temps  après  nostre  tour  est  venu,  comme  des  aultres; 
et  si  nous  considérons  comme  nous  nous  sommes  gou- 
vernés envers  ces  gens-ci ,  plus  ne  nous  reste  qu'où  de 
ruiner  et  périr  tous  ensemble  sans  que  l'un  ait  à  se 
mocquer  de  son  compagnon,  ou  de  laisser  vivre  les 
aultres  en  paix  et  liberté  de  conscience.  Au  commen- 
cement nous  les  avons  bruslés  tous  vifs  à  petit  feu  , 
sans  distinction  de  sexe  ni  qualité;  tant  s'en  fault  que 
nous  les  aions  consumés  par  là  ,  qu'ils  ont  esteint  nos 
feux  de  leur  sang ,  et  se  sont  nourris  et  multipliés  au 
milieu  des  flammes.  Depuis,  nous  les  avons  noies,  et 
semble  qu'ils  aient  fraie  dedans  les  eaux  ;  comme  le 
nombre  s'est  accreu,  nous  les  avons  combatus  et  batus 
en  diverses  batailles,  nous  les  avons  desfaits  quelque 
fois  à  plate  cousture,  si  ne  les  avons  nous  jamais  peu 
abbatre.  Nous  les  avons  enyvrés  de  vin  aulx  nopces  ; 
nous  leur  avons  couppéles  testes  en  dormant,  et  à  peu 
de  jours  de  là  les  avons  veu  de  nos  yeux  resusciter  aussi 
forts  que  paravant,  et  avec  testes  plus  dures  et  plus 
fortes  que  jamais.  Reste  donc,  puisque  nous  ne  les 
avons  peu  faire  mourir,  que  nous  les  laissions  vivre, 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  4  5 

puis  que  par  la  force  nous  n'avons  rien  profité,  que 
par  amour  nous  essaions;  puis  que  la  guerre  n'a  de  rien 
servi,  en  laquelle  toutesfois  nous  n'avons  espargné  ni 
nos  biens,  ni  nos  vies,  ni  nostre  honneur  mesme,  que 
maintenant  nous  les  laissions  au  milieu  de  nous  en  paix. 

Et  ne  trouvons  ceste  mutation  en  rien  estrange  ;  es 
maladies  ou  incogneues,  ou  difficiles,  il  en  prend  ordi- 
nairement ainsi.  On  esprouvela  recepte  bonne  ou  mau- 
vaise du  premier  venu;  s'il  n'amande,  on  n'a  point  de 
honte  pour  sa  santé  de  se  repentir  et  de  changer  de 
façon  de  faire  ,  ainsi  nous  en  est  il  advenu.  Quand  pre- 
mièrement ces  povres  gens  apparurent  en  ce  roiaume, 
on  nous  dit  qu'on  les  avoit  bruslés  chés  nos  voisins, 
nous  fismes  de  mesme  ;  qu'on  leur  avoit  faict  la  guerre 
à  toute  outrance,  nous  avons  faict  encores  pis  qu'eux. 
Puis  donc  que  nos  cautères,  puis  que  tous  nos  remèdes 
corrosifs  ,  au  lieu  de  réduire  la  plaie  en  cicatrice  ,  n'ont 
faict  qu'aggrandir  l'escarre,  que  reste  il,  sinon,  à  l'exem- 
ple de  nos  voisins  ,  y  appliquer  de  bonnes  huiles  ,  et  de 
bons  lenilifs?  Si,  à  nostre  grand  malheur,  nous  avons 
suivi  leur  premier  advis,  aurons  nous  honte  de  suivre 
à  nostre  salut  leur  repentance? 

Aultres,  possible,  le  trouveront  mauvais,  les  uns  pour 
la  conscience ,  les  aultres  pour  Testât  :  les  uns  par  un 
zele  moins  que  prudent ,  les  aultres  par  une  fausse  ombre 
de  prudence  :  les  uns  estimant  qu'il  n'est  pas  loisible  de 
laisser  vivre  les  hérétiques  entre  les  catholiques;  les 
aultres,  qu'il  n'est  pas  expédient  d'avoir  deux  relligions 
en  un  estât.  Quant  aux  premiers,  je  les  supplie  de  se 
desfaire,  entant  qu'en  eulx  est,  des  passions  ou  illusions, 
qui  leur  ont  jusques  ici  faict  voir  une  chose  pour  l'aul- 
tre.  On  nous  a  faict  accroire  que  ces  gens  ci  sont  mons- 
tres; on  nous  a  liarés  après  eulx,  comme  après  des  chiens. 


46  REMONSTRANCE 

Si  nous  les  regardons,  ce  sont  hommes  de  mesme  nature 
et  condition  que  nous.  On  nous  a  desfendu  leur  compa- 
gnie et  communication  comme  d'infidèles.  Or  ils  sont 
chrestiens ,  adorans  un  mesme  Dieu ,  cherchans  salut 
en  un  mesme  Christ,  croiant  une  mesme  bible,  enfans 
de  mesme  Père,  demandans  part  à  mesme  héritage,  et 
par  mesme  testament  que  nous.  On  nous  a  voulleu  faire 
accroire  qu'ils  ne  sont  pas  vrais  François.  Leur  langue, 
leur  propos ,  leur  amour  envers  la  patrie,  leur  haine 
envers  les  estrangers  qui  en  pourchassent  la  ruyne  ,  nous 
monstrent  assez  quels  ils  sont.  Et  y  en  a  plusieurs  qui, 
contre  les  ennemys  de  cest  estât,  ont  faict  des  services 
notables,  prests  encores  de  recommencer.  Toute  la  diffé- 
rence, qui  est  entre  eulx  et  nous,  gist  en  ce  poinct; 
qu'eulx,  trouvans  beaucoup  d'abus  en  nostre  Eglise  (dont 
nous  mesmes  confessons  une  partie),  ils  en  ont  requis  la 
reformation,  et,  au  refus  d'icelle  pour  la  crainte  de  leur 
ame,  et  au  désir  de  leur  salut,  s'en  sont  promptement 
retirés;  et  nous  voians  une  partie  de  ces  abus,  comme 
eulx ,  attendant  la  reformation  d'iceulx  ,  avons  pensé 
que,  sauf  nostre  conscience,  nous  y  pouvions  demeurer. 
Tous  deux  cherchons  nostre  salut  ;  tous  deux  craignons 
d'offencer  Dieu;  tous  deux  tendons  à  un  mesme  Christ. 
Or,  sera  il  dit  que,  pour  tenir  divers  chemins,  nous  nous 
devions  couper  la  gorge  les  ungs  aulx  aultresPSi  quel- 
qu'un est  en  ténèbres,  on  lui  esclaire,maison  nelebrusie 
pas;  s'il  est  infecté,  on  le  lave,  mais  on  ne  le  noie  pas; 
s'il  est  malade  ,  on  le  pense ,  mais  on  ne  l'achevé  pas  ; 
s'il  est  desvoié  ,  on  le  raddresse,  mais  on  ne  l'esgorge 
pas.  Nous  disons  qu'ils  sont  en  ténèbres,  infects,  malades, 
etdesvoiés,  et  sommes  toutesfois,  ou  si  fort  ignorans, 
ou  si  peu  charitables,que  nous  les  voulions  barbarement 
Lrusler,  tuer,  noyer  et  brigander.  Et,  qui  pis  est,  desi- 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  47 

rions  leur  salut  de  si  sauvagesorte,  qu'entant  qu'en  nous 
estoit ,  nous  avons  perdeu  le  corps  et  Tame  de  tels,  que 
par  amour  et  par  douceur  nous  pouvions  aisément  re- 
gaigner,  et  rattirerà  nostre  compagnie.  La  guerre,  ni  la 
rigueur,  ne  feurent  jamais  moiens  propres  pour  parve- 
nir à  une  union.  Celui  qui  veut  reunir  l'Eglise,  tend  à  y  ra- 
mener ceux  qui  s'en  sont  destournés ,  et  rappeler  au  trou- 
peau ceux,  qui  s'en  sont  esgarés.  La  guerre  au  contraire 
et  les  rigueurs  tendent  à  les  ruiner  et  exterminer  ;  non  dis 
je ,  à  ce  qu'ils  reviennent ,  mais  à  ce  qu'ils  ne  soient  plus. 
C'est  un  remède  pire  que  la  maladie.  C'est  proprement 
au  lieu  d'accorder  deux  cordes  ensemble,  et  les  remettre 
en  ton ,  en  couper  ou  rompre  l'une  par  fureur  et  impa- 
tience, et  gaster  tout  l'instrument.  Que  ferons-nous 
donc?  Comme  hommes  capables  de  raison,  il  les  nous 
fault  gaigner  par  raison.  Sur  In^ teste  et  sur  le  cerveau 
il  n'y  a  prise  que  par  les  oreilles.  On  la  leur  pourroit 
rompre  à  tous,  que  leur  opinion  toutesfois  y  demeure- 
roit  entière.  Comme  François,  il  les  faut  gaigner  par 
douceur  et  aimable  conversation.  Accordant  les  per- 
sonnes, les  procès  tost  après  se  verront  esteints  et  as- 
soupis. Comme  chrestiens,  il  les  fault  prescher;  il  leur 
fault  interpréter  les  Escritures;  il  les  fault  appeller  à  un 
concile  libre,  pour  y  déclarer  leurs  raisons.  Ainsi  en 
ont  fait  les  apostres;  ainsi  la  primitive  Eglise,  ainsi 
tous  les  anciens  empereurs  qui  en  ont  désiré  l'union, 
lesquels  en  ont  tousjours  eu  bonne  issue;  au  lieu  que 
par  toutes  ces  voies  rigoureuses,  la  plaie  s'eslargit  tant 
qu'elle  ne  se  peut  jamais  refermer,  ny  consolider  aorès. 
Et  ne  disons  plus  qu'ils  sont  pertinaces,  qu'ils  s'opi- 
niastrent  en  une  errein  ,  dont  ils  sont  pieça  convein- 
cus  :  et  que  partant,  il  y  fault  procéder  par  le  glaive. 
Ce  sont  les  belles  raisons  de  nos  evesques  qui  ont  perdeu 


48  REMONSTRANCE 

pour  la  pluspart  le  glaive  spirituel  de  sainct  Pierre , 
et  veullent  maintenant  «ivoir  recours  à  celui  qu'il  tira 
contre  le  serviteur  du  sacrificateur.  Il  est  tout  certain 
que ,  depuis  que  ces  povres  gens  sont  appareus  entre 
nous ,  il  ne  s'est  teneu  concile  où  ils  eussent  peu  seu- 
rement  comparoistre.  Nous  sçavons  comme  les  papes 
de  nostre  temps  ,  craignant  qu'on  ne  procedast  à  leur 
reformation  mesme  ,  s'en  sont  tousjours  sceu  desfaire. 
Ce  leur  a  esté  autant  d'occasion  de  scandale,  et  autant 
d'argument  de  persévérer  en  leur  opinion.  On  fait  un 
concile,  dient  ils,  et  ceulx  le  fuient,  qui  tiennent  le 
premier  lieu  en  l'Eglise  catholique.  Ils  ont  donc  peur 
de  la  dispute,  ils  craignent  d'estre  convaincus;  ils  ne 
se  sentent  pas  bien  fondés  en  droict ,  puisqu'au  lieu  de 
plaider,  ils  ont  recours  à  la  force.  A  entendemens  ja 
préoccupés  d'une  opinion,  ces  circonstances  ne  font 
pas  peu  d'effect.  Et  quant  à  l'opiniastreté,  ancienne- 
ment s'est  il  bien  trouvé  des  sophistes  et  des  sectes  de 
philosophes,  qui,  de  gaieté  de  cœur,  ont  sousteneu  à 
pleine  teste  des  opinions  absurdes,  et  du  tout  contre 
raison,  mais  c'estoit  en  un  pré,  en  une  belle  galle- 
rie  ,  en  une  eschole ,  où  les  ungs  les  applaudissoient , 
les  aultres  pour  le  moins  prenoient  plaisir  à  leurs  fan- 
taisies  ;  bref,  en  lieu  où  n'y  avoit  que  craindre.  Mais 
qui  aient  abandonné  les  cours  des  princes  où  ils  pou- 
Yoient  eslre  favorisés;  qui  aient  laissé  leur  maison,  leur 
famille ,  leur  patrie  ;  qui  aient  espousé  une  haire  de 
malheur  pour  toute  leur  vie  ;  qui  se  soient  laissés  brus- 
1er  vifs ,  massacrer  cruellement  par  une  simple  opinias* 
treté,  jamais  ne  s'en  vit.  Pourtant  fault  il  croire  que  ce 
que  ces  gens  ici ,  qu'en  aultres  choses  nous  cognoissons 
prudens  et  avisés ,  eslisent  de  vivre  et  mourir  miséra- 
blement,  n'est  poinct  par  un  esprit  de  contradiction, 


AUX  EST  ATS  DE  BLOIS.  49 

par  une  désobéissance  à  leur  prince,  de  qui  aultrement 
ils  recevroient  toute  faveur ,  mais  pour  le  salut  de  leurs 
âmes,  qu'ils  préfèrent  à  toutes  choses  mondaines.  Ce 
que  nous  debvons  d'autant  plus  supporter,  que  nous 
tenons  vulgairement  contr'eulx  en  nostre  relligion,  que 
toutes  choses  qui  se  font  à  bonne  intention  ,  sont  bien 
faictes  et  bonnes. 

Or,  jecroy  que  la  pluspart  des  gens  de  bien  approu- 
veront ceste  voie,  comme  la  plus  propre.  Car  de  faict 
en  toutes  les  cruautés  qui  se  sont  exercées  contr'eulx, 
il  ne  se  trouvera  guère  que  des  malautrus  attirés  par  le 
pillage ,  ou  des  gens  sans  ame  et  conscience,  qui  en  aient 
souillé  leurs  mains.  Mais  peut  estre  auront  ils  trouvé 
dur  de  leur  accorder  l'exercice  de  leur  relligion ,  et 
singulièrement  dedans  les  villes,  comme  il  a  pieu  à 
sa  majesté  par  ceste  dernière  paix,  et  penseroient  assés 
faire  pour  eulx ,  de  ne  les  forcer  poinct  en  leurs  con- 
sciences. 

Premièrement  je  les  prie  de  considérer  que  ceci  leur 
a  esté  accordé  non  du  premier  coup  ,  mais  après  avoir 
en  vain  esprouvé  les  feux  et  les  eaux  ,  et  toutes  espèces 
de  tourmens  contr'eulx;  non  légèrement,  mais  par  une 
meure  délibération  des  estats  teneus  solennellement  à 
Orléans;  non  pour  mettre  division  en  l'Eglise,  mais 
pour  prévenir  la  ruyne  et  division  aultrement  prochaine 
de  Testât;  que,  depuis  que  par  ung  zele  imprudent  on  le 
leur  a  vouUeu  oster ,  nous  n'avons  veu  que  guerres  , 
que  malheurs,  queruynes;  et  que,  pour  prévenir  la  to- 
tale et  inévitable  ruyne,  il  ne  s'est  trouvé  aultre  moyen, 
après  avoir  longuement  marchandé,  que  d  en  venir  à 
ce  poinct.  Et  partant,  que,  comme  nous  avons  ja  dict, 
que  la  paix  est  juste  entant  que  nécessaire,  cest  article 
aussi  de  l'edict  de  paix  est  juste,  entant  que  ceste  neces- 

MÉ>I.  DH  DuPLESSIS-MoRMAY.  ToME  II,  ^ 


5o  REMONSTRANCE 

saire  paix  ne  pouvoit  estre ,  ni  durer  sans  cest  article.  Je 
demande. en  après,  lequel  nous  aimons  le  mieux,  ou  que 
ces  gens  deviennent  atheistes,  ou  bien  qu'ils  demeurent 
tels  qu'ils  sont.  Si  atheistes,  ils  en  seroient  pire  pour 
eulx,  en  ce  que,  ne  croyans  rien ,  on  n'en  pourroit  espé- 
rer d'amendement;  pires  pour  nous,  en  ce  que,  ne  crai- 
gnans  ni  reverans  rien ,  nous  ne  pourrions  avoir  aul- 
cune  fiance  en  chose  qu'eussions  à  traitter  avec  eulx; 
pires  pour  Testât,  en  ce  que,  n'attendans  Dieu  pour  juge, 
ils  se  soucieroient  peu  des  juges  et  magistrats  qu'il  a 
ordonnés  en  terre  :  au  lieu  de  tous  ces  maulx  ,  nous  n'en 
aurions  aultre  bien  que  d'avoir  contenté  une  aveugle 
et  immodérée  passion  qui  est  en  nous.  Or ,  qui  doute 
qu'une  partie    n'en   retombe    là,   si  nous  les  laissons 
comme  bestes,  sans  nulle  forme  de  relligion?  On  me 
respondra  qu'ils    auront  la  catholique.   S'ils  n'y   vont 
poinct,  il  ne  leur  sert  de  rien.  S'ils  y  vont,  de  gens  de 
bien  en  leur  relligion  ils  deviendront  non  catholiques , 
juais  hypocrites,   non  fidèles,  mais  infidèles  en  l'une 
et  en  l'aultre  ;  et  tant  s'ascoutumeront  à  tromper  le 
Dieu  qu'ils  servent,  et  forcer  leur  propre  conscience, 
qu'ils  ne  feront  plus  de  conscience  de  tromper  ceulx 
qui  auront  affaire  avec  eulx.  D.fvantage  les  estimons 
nous,   je  vous  prie,  pire  que  les  juifs?  ou  nous  pen- 
sons nous  plus  saincts  que  le  pape,  et  nos  villes  plus 
privilégiées  que  celle  de  Rome?  Les  juifs  blasphèment 
désespérément  le  Christ  ;  ceulx  ci  l'adorent ,  et  n'espè- 
rent salut  qu'en  lui  :  ils  lisent  l'Evangile  comme  une 
fable;  ceulx  ci,  comme  la  seulle  asseurance  de  leur 
foi,  ils  souhaitent  la  ruyne  de  nostre  Eglise;  ceulx  ci 
en  requièrent  la  reformation  ;  il  y  a  quinze  cens  ans  et 
plus  que  les  juifs  s'opiniastrent  contre  toute  apparence 
de  raison  :   ceulx   ci,  au   contraire,  depuis  quelques 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  5f 

années  ne  demandent  que  lieu  ou  débattre  librement 
leurs  raisons.  Toutes  différences  y  sont  en  la  doctrine, 
et  es  mœurs ,  et  en  la  commune  conversation.  Puis , 
quant  au  pape ,  nous  le  tenons  pour  chef  de  l'Eglise, 
et  nous  n'en  sommes  que  les  membres  :  pour  docteur, 
et  nous  n'en  sommes  qu'auditeurs  :  nous  tenons  bref 
ses  décrets  pour  oracles,  son  exemple  pour  règle  infail- 
lible. Regardons  toutesfois  comme  il  en  use.  Il  permet, 
au  milieu  de  sa  ville  de  Rome ,  des  synagogues  public- 
ques  aux  juifs,  en  toutes  les  terres  de  son  patrimoine, 
et  tous  les  princes  d'Italie  à  son  exemple:  voire  mesmes 
pour  ung  certain  nombre  de  ducats  donne  licence,  à  qui 
le  veut,  d'en  ériger  de  particulières.  Or,  ce  que  ce  père 
sainct  permet  à  ces  ennemys  de  Christ ,  estrangers  du 
païs,  pour  gaigner  quelques  ducats,  pour  un  profit  de 
néant,  le  dénierons  nous,  nous,  dis  je,  qui  faisons  estât 
de  le  suivre  et  de  le  croire ,  à  ces  povres  chrestiens ,  à 
iîos  frères,  et  concitoyens ,  pour  nostre  repos,  pour  la 
nécessité  publique,  pour  racheter  ce  povre  royaume  de 
ruyne  et  de  confusion?  ne  faisons  pôinct  de  difficulté 
sur  nos  villes.  Ce  qui  est  tolerable  aux  champs  ,  est  to- 
lerable  aux  bourgs;  ce  qui  l'est  aux  bourgs,  l'est  es 
places  et  es  marchés  des  villes.  Les  peuples  font  les  villes 
et  non  les  murailles.  Pour  cela  ne  sera  nostre  relliorion 
ni  plus  reculée  ,  ni  la  leur  plus  avancée.  Ce  que  Jésus 
Christ  avoit  dict  en  l'oreille ,  a  esté  presclié  sur  les 
toicts,  et  à  peu  de  temps  de  là  a  retenti  par  toute  la 
terre;  et  les  vaines  fantaisies  que  les  pharisiens  pres- 
choient  au  temple,  en  la  chaire  de  Moyse,  se  sont 
trouvées  ensevelies.  En  ce  leur  devons  nous  scavoir 
bon  gré,  et  recognoistre  qu'ils  n'ont  point  intention  de 
tromper  personne  à  leur  escient,  quand  ils  désirent  faire 
profession  publiquement,  et  devant  tous,  de  leur  doc- 


52  KEMONSTRANCE 

trine.  Ceulx  qui  vendent  lesliapelourdes,  les  monstrent 
par  dessous  le  manteau;  ils  retirent  les  gens  en  quelque 
recoin  bien  obscur.  Ceulx  qui  veulent  exposer  la  fausse 
monnoie,  ne  la  baillent  qu'à  la  chandelle.  Les  bons 
et  loiaux  inarchands  au  contraire  mettent  leur  mar- 
chandise en  veue ,  et  la  desploient  en  pleine  halle  au 
milieu  des  revisiteurs.  Ceulx  qui  ont  de  bon  argent,  le 
mettent  à  toute  heure  entre  toutes  gens,  et  ne  crai- 
gnent touche  ni  couppelle.  Si  ces  gens  ci  ont  de  la  fausse 
monnoie,  si  quelque  mauvaise  denrée,  pour  le  moins  en 
ce  qu'ils  désirent  la  mettre  en  veue,  monstrent  ils  assés 
qu'il  n'y  a  point  de  dol  en  eulx,  ains  qu'ils  en  sont 
circonvenus  les  premiers.  Or ,  s'ils  sont  trompeurs , 
c'est  donc  le  moyen  de  les  descouvrir;  si  trompés  si 
simplement  ,  ils  méritent  qu'on  ait  pitié  d'eulx  ,  et 
mieux,  ne  sçanroit  on  que  les  délivrer  d'abus  comme  , 
d'ung  diable  qui  les  possède,  au  milieu  d'une  belle  et 
grande  assemblée.  Il  me  souvient  que,  lorsqu'ils  s'as- 
sembloient  la  nuict  pour  prescher  aux  cavernes ,  nous 
disions  :  S'ils  s'assemblent  pour  bien  faire ,  que  ne  le 
font  ils  en  plein  jour!  Que  ne  nous  viennent  ils  pres- 
cher en  nos  églises  ?  Les  portes  en  sont  ouvertes  à 
tout  le  monde.  Ce  qu'ils  preschoient  en  secret,  les  nous 
faisoit  détester.  Et  le  faict  à  la  vérité  ne  dépend  point 
de  cela.  Comme  les  pharisiens  de  la  maison  d'oraison 
faisoient  une  caverne  de  brigans;  d'une  caverne  aussi 
ies  anciens  chrestiens  ont  bien  sceu  faire  une  maison 
d'oraison.  Le  lieu,  le  temps,  l'heure  n'y  font  rien, 
pourveu  que  ce  qui  se  faict  soit  bien  faict.  Mais  en  ce 
poinct  toutesfois  avions  nous  raison,  que,  pour  cognois- 
tre  la  vérité  de  ce  qui  s'y  faisoit  etdisoit,  nous  voullions 
qu'il  se  feist  publicquement ,  et  à  nostre  veue.  Or  ce  que 
iors  nous  requérions  en  eulx ,  est  ce  qu'ils  désirent  au- 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  5''> 

joiircrhiii  leur  estre  permis  entre  nous ,  que  peut  estre 
nous  ne  devrions  pas  moins  désirer  qu'eulx;  car  s'ils 
preschent   vérité,  la   preschant   publiquement,  et  es 
lieux  plus  remarqués,  c'est  le  moyen  de  la  pulilier.  Or 
est  ce  le  but  et  le  souverain  désir  de  nous  tous  qu'elle 
soit  cognue  entre  tous.  Que  s'ils  preschent  mensonge, 
c'est  le  plus  court  chemin  et  le  plus  expédient  pour  les 
abolir.  Es  villages  ung  basteleur  vend  son  triade;  ung 
empirique  faict  miracles;  un  imposteur  faict  voir  et 
croire  au  peuple   ignorant  tout  ce  qu'il  veut.  H  n'y  a 
valet  de  mule  qui  n'y  puisse  jouer  le  docteur  en  méde- 
cine; laissés  les  pratiquer  es  bonnes  et  notables  villes, 
où  il  y  a  gens  de  sçavoir,  des  docteurs,  des  universités: 
les  petits  enfans  s'en  mocquent  ;  les  femmes  les  renvoient 
à  l'escole,  et  les  plus  rusés  d'entr'eulx,  de  peur  d'estre 
surpris  par  les  revisiteurs ,  ou  attrapés  en  ung  examen , 
ferment   tout    doulcement   boutique   :   faisons    en    de 
mesmes  en  cest  endroit.  C'est  aulx  bonnes  villes,  plus- 
tost  qu'aulx  champs,  qu'il  les  fault  laisser  prescher  : 
c'est  là  qu'il  lesnous  fault  convier.  Lésâmes  des  paysans 
ne  sont  pas  moins  chères  à  celui  qui  les  a  rachetées, 
que  celles  des  citoyens;  ains  peut  estre  d'autant  plus , 
qu'elles  sont  simples  ,  et  plus  esloignees  de  la  contagion 
du  monde.  Pour  le  moins  elles  sont  toutes  à  ung  prix, 
tant  plus  simples  elles  sont ,  et  plus  doibvent  elles  estre 
contregardees.  Aulx  champs  ils  s'addresseront  à  pres- 
cher à  ung  povre  villaige,  où  n'y  aura  qu'ung  curé  faict 
à  lahaste,  comme  nous  n'en  avons  que  trop.  Le  bon 
homme  s'estonnera  par  adventure  au  premier  mot  de 
latin  qu'il    n'entendra;   c'est  pour  esbranler  toute    la 
paroisse.  Le  pasteur  sera  frappé ,  et  les  brebis  seront 
dissipées.  Au  contraire  il  n'y  a  bonne  ville,  où   il  n'y 
ait  quelques  docteurs  capables  et  suffisans  :  quand  ces 


54  REMONSTRANCE 

ministres  prescheront,  ils  les  iront  ouir.  S'ils  disent  rien 
de  travers ,  des  le  lendemain  ils  les  conveincront  en  leur 
sermon  publiquement  par  lEscriture  saincte  ;  et,  par  ce 
moien,  voiià  les  ungs  confirmés ,  et  les  aultres  esbranlés 
en  leur  doctrine.  Soubs  la  primitive  Eglize  il  se  nour- 
rit, une  espace  de  temps,  une  infinité  d'heresies  es- 
tranges  et  insuportables;  nous  en  trouvons  la  cause  en 
l'histoire  ecclésiastique;  parce,  dict  elle,  que  soubs  la 
grande  et  longue  persécution  des  empereurs,  s'es- 
toient  fiîicts  plusieurs  conventicules,  et  de  diverses 
sortes  de  gens.  Mais,  quand  Constantin  le  Grand,  Venant 
à  régner,  eut  donné  liberté  à  tous  ceulx  qui  s'attri- 
buoient  le  nom  de  chrestiens,  soit  à  tort,  soit  à  droit, 
on  vit,  en  ung  instant,  toutes  ces  sectes  abolies,  et  fon- 
dues comme  la  neige  au  soleil,  qui  a  esté  long  temps 
cachée  au  fond  d'une  caverne.  Or  n'avons  nous  pas 
moins  de  quoi  nous  confier,  que  les  chrestiens  de  ce 
temps  là.  Nous  avons  la  vérité  pour  nous;  la  voix  de 
vérité,  dit  TEscriture,  est  plus  forte  que  les  roys  mes- 
mes  :  et  d'abondant  encores  nous  avons  les  roys  et  les 
plus  grands,  du  monde  avec  nous.  Jésus  Christ,  qui 
estoit  la  vérité  mesme  sur  laquelle  l'Eglize  est  fondée , 
■venant  au  monde  pour  conveincre  les  ministres  de  men- 
songe, n'alla  poinct  requérir  Caesar,  ni  ses  lieutenans, 
de  chasser  les  scribes  et  pharisiens  du  temple;  ains  il 
les  alloit  par  la  force  de  vérité  conveincre  en  pleine 
chaire.  Il  leur  faisoit  peser  les  Escritures  qu'ils  pres- 
choient ,  et  ses  apostres  à  son  exemple  ,  dont  le  peuple 
s'en  alloit  converti  par  miUiers.  Or  avons  nous  cest 
advantage  de  plus,  qu'oultre  la  parole,  nous  avons  le 
bras  séculier  pour  nous  desfendre  si  on  nous  veult  of- 
fencer ,  que  Jésus  Christ  au  contraire  avoit  bandé  contre 
lui  et  les  siens.  Ne  disons  plus  que  l'afféterie  de  ces  gens 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  55 

nouveau  venus  subornera  nostre  peuple;  ceste  réplique 
nu  poinct  de  grâce  en  la  bouche  de  personnes  qui  s'as- 
seurent  de  la  vérité.  Ciceron  avec  toute  son  éloquence 
ne  peut  presque  jamais  gaigner  une  mauvaise  cause. 
Or  y  en  a  il  d'aussi  eloquens  pour  le  moins  entre  nous, 
qu'entr'eulx  ,  et ,  quant  aulx  persuasions  ou  dissuasions 
extérieures,  considérons,  je  vous  prie,  de  quel  costé 
elles  sont  plus  fortes.  Ung  evesque,  ung  docteur  renommé 
preschera  d'une  part;  de  l'aultre,  ung  povre  homme 
incogneu ,  de  nulle  estime  et  réputation.  Or  est  il  que 
la  personne  et  l'auctorité  persuade  bien  souvent  autant 
le  peuple  que  la  parole;  l'ung  annoncera  une  doctrine 
née,  nourrie,  imprimée,  et  enracinée  au  cœur  du 
peuple  :  l'aultre  taschera  de  la  lui  arracher,  ou  plus- 
tost  lui  arracher,  par  manière  de  dire ,  son  cœur  mesme. 
Or  sçavons  nous  tous  combien  nous  plaist  nostre  slile 
accoustumé,  et  combien  il  nous  est  fascheux  de  le  lais- 
ser. L'ung  sera  en  possession  de  son  peuple;  l'aultre  en 
procès  pour  y  rentrer;  si  est  il  certain  que  le  posses- 
seur a  l'advantage  par  tout.  Le  peuple  d'une  part  verra 
de  l'aise,  de  la  prospérité,  des  faveurs,  des  bénédic- 
tions, des  roys,  des  princes,  des  grandeurs;  de  l'aultre 
ne  verra  que  des  croix,  des  tourmens,  des  disgrâces, 
de  povres  gens  combattus  et  battus  de  toutes  sortes 
d'afflictions.  Or  est  il  que  chacun  aime  son  aise,  que 
nul  ne  veut  perdre,  que  tous  hommes  de  leur  naturel 
sont  convoiteux  de  biens  et  d'honneurs.  Bref,  toutes 
les  promesses  de  ces  ministres  seront  menaces,  toutes 
leurs  persuasions  pleines  de  dissuasion  aulx  hommes, 
«jui  ne  verront  à  leur  suite  qu'une  suite  de  malheurs  ;  au 
lieu  que  les  roys,  les  magistrats,  les  voisins,  les  mai- 
sons, le  temps,  les  commodités  qui  se  présenteront  de 
l'aultre  part,  seront  autant  de  prescheurs  pour  repres- 


56  REMONSTRANCE 

cher  ce  que  nos  docteurs  auront  presché  au  peuple. 
Conclusion  semble,  si  nous  ne  nous  deffions  srande- 
inent  de  nostre  cause,  que  nous  devons  entrer  très 
volontiers  en  ceste  lice  (ou  Dieu  et  les  hommes  sem- 
blent du  tout  estre  pour  nous)  pour  l'instruction  de 
rostre  peuple,  et  la  destruction  totale  de  Theresie; 
car  nostre  doctrine  est  foible,  et  nous  pusillanimes, 
si  elle  se  laisse  veincre ,  et  si  nous  craignons  d'estre  vein- 
cus  au  milieu  de  tant  d'adventages  :  ou  fauldra  néces- 
sairement dire,  et  à  nostre  honte  et  confusion,  que 
Taulfre  soit  ou  se  sente  bien  forte,  qui  oze  combatre, 
et  espérer  victoire  en  lieux,  temps,  et  toutes  circon- 
stances si  desadvantageuses,  que  nous  les  pouvons  tous 
juger.  S'ensuit  donc  en  ung  mot,  pour  ceulx  qui  font 
conscience  de  leur  endurer  leur  relligion,  et  l'exercice 
d'icelle,  que  la  conscience  ne  leur  permet  poinct  de  les 
forcer  en  leurs  conscic^nces  ;  que  le  bien  et  le  repos  de 
ce  royaume  veult  qu'on  les  laisse  exercer  leur  relligion; 
et  de  plus ,  que  l'advancement  de  nostre  Eglize  mesme 
requiert  qu'ils  l'exercent  par  tout,  et  plustost  es  villes 
qu'es  villaiges,  d'autant  que,  preschans  par  tout,  ils  se- 
ront descouverts  publicquement  par  tout,  s'ils  preschent 
mensonge;  et,  preschans  par  les  villes,  conveincus  par 
les  docteurs  des  villes,  au  lieu  qu'ils  pourroient  con- 
"veincre  les  curés  de  nos  villaiges. 

Reste  à  respondre  à  ceulx  qui  en  font  difficulté  pour 
le  faict  de  l'Estat,  et  proposent  que  deuxrelligions  ne 
peuvent  demeurer  ensemble  sans  le  diviser,  axiome  à 
la  vérité  qui  nous  a  plus  divisés  que  la  diversité  de  rel- 
ligion mesme;  mais,  ou  il  fault,  par  l'expérience  qui 
s'en  voit  ailleurs,  que  nous  confessions  qu'il  est  faulx , 
ou  que  nous  sommes  plus  incompatibles  que  gens  du 
monde.  Les  Allemans  ont  les  deux  relligions  en  mesmes 


AtlX  ESTATS  DE  BLOIS.  5; 

villes,  et  vivent  selon  icelles  sous  mesme  empereur, 
lîiesmes  loix  et  mesmes  toits ,  sans  trouble  ni  querelle 
quelconque.  Il  fault  donc  dire  que  cène  sont  nos  rel- 
ligions,  mais  nos  passions  qui  nous  troublent,  et  nos 
pas>ions,disje,  provenantes,  pour  la  plus  part,  de  celles 
de  quelques  personnes  qui  n'ont  amour  de  relligion 
quelconque.  Avant  que  les  Allemans  les  permissent, 
ils  ont  esté  quelques  années  en  guerres,  n'ont  jamais 
peu  voir  paix  asseuree,  quelques  batailles  qu'ils  eussent 
gaigné  contre  eulx;  au  contraire,  depuis  qu'ils  les  ont 
Dcrmises,  ont  tousjours  vescu  en  paix;  s'ensuit  donc 
que  la  diversité  permise  pacifie  le  pays  comme  la  re- 
.sistance,  qui  sous  ung  bon  zèle  s'y  faisoit,  troubloit 
la  paix. 

Les  Polonois  ont  eu  de  tout  temps  la  grecque  et  la 
romaine  ensemble  ,  divers  evesques  et  divers  synodes , 
et  des  différends  sur  articles  de  grande  importance , 
si  ne  sont  ils  toutesfois  venus  des  disputes  à  la  guerre. 
De  nostre  temps,  ils  souffrent  les  deux  relligions  qui 
sont  entre  nous,  et  plusieurs  aultres  sectes  ,  et  ne  lais- 
sent pour  cela  d'obéir  unanimement  à  leurs  roys,  et  de 
contribuer  également  contre  les  ennemis  du  pays:  s'en- 
suit par  là  que  ces  relligions  d'elles  mesmes  ne  trou- 
blent pas  l'Estat.  Finalement  on  leur  a  voulleu  troubler 
ceste  liberté  ,  dont  ils  sont  entrés  en  trouble  et  divi- 
sion. S'ensuit  donc  que  la  liberté  des  diverses  relligions 
n'a  poinct  troublé  d'elle  mesme  l'Estat,  mais  la  licence 
et  insolence  de  ceulxqui  ont  voulleu  troubler  ceste  li- 
berté permise  par  le  commun  consentement  des  estats. 
N'allons  poinct  si  loing.  Quand  es  estats  d'Orléans  et 
de  Pontoise,  à  la  requeste  du  tiers  estât  et  de  la  no- 
blesse, la  liberté  feut  permise  à  ceste  relligion  dont  est 
à  présent  question,  nous  vivions  en  paix;  chacun  t.as- 


58  REMONSTRANCE 

choit  d'attirer  son  voisin  à  soi ,  nul  de  le  fascher,  ni  in- 
quiéter en  rien;  la  France  estoit  autant  heureuse  qu'elle 
est  maintenant  misérable.  Au  contraire,  on  ne  l'eut  pas 
si  tost  voullea  troubler,  que  le  royaume  ne  feust  trou- 
blé, dont  depuis  un  trouble  a  tellement  suivi  l'aultre , 
que  la  semence  n'en  peut  presque  faillir;  si  tost  au 
contraire  que  la  paix  estoit  faicte,  nous  nous  entre- 
voiions,  nous  passions  le  temps,  nous  trafiquions  les 
ungs  avec  les  aultres.  Je  dis  plus,  qu'au  milieu  des  es- 
carmouches mesmes  nous  parlementions  ensemble, 
comme  si  nous  n'eussions  esté  ennemys  que  lors  que 
nous  avions  la  visière  baissée;  encores  n'y  a  il  catholi- 
que qui  n'ait  ung  huguenot  ami ,  huguenot  qui  n'ait  ung 
catholique  pour  qui  ilmourroit  au  besoin.  Or,  qui  nous 
gardera  de  faire  tous  pour  tous  ce  que  chacun  fera  pour 
son  ami  particulier?  Quelle  conscience  ferons  nous  de 
souffrir  pour  l'amitié  des  deux  pars  de  ce  royaume,  ce 
que,  pour  l'amitié  de  deux  personnes,  nous  ne  faisons 
difficulté  de  souffrir?  Ce  n'est  donc  poinct  la  relligion, 
mais  les  passionsd'aultrui,ausquel!espartrop  nousnous 
conformors,  qui  troublent  nostre  repos.  Defaictnous 
avons  veu,  ces  dernières  années,  qu'en  Languedoc, 
Guienne,  Dauphiné  et  aultres  provinces  de  delà  Loire,  et 
mesme  en  ceste  dernière  guerre  ils  ont  vescu  en  mesmes 
villes,  combattu  sous  mesmes  enseignes,  marché  sous 
mesmes  commandemens,  maintenu  les  relligions  les 
ungs  des  aultres  en  liberté,  sans  schisme  ni  division,  en- 
cores que  nous  ayons  tasché ,  par  tous  moyens,  d'en 
souffler  parmi  euîx;  et,  quant  à  l'obéissance  deue  aulx 
supérieurs,  l'empereur  est  obéi,  révéré  et  secouru  éga- 
lement en  Allemagne  ;  nostre  roy  a  esté  unanimement 
esleu ,  désiré  et  recherché  de  Pologne.  Le  Turc,  qui 
ne  srait  que  trop  bien  dominer,  est  obéi  des  juifs  et 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  ^9 

des  chrestiens ,  grecs  et  latins ,  mieux  que  de  ses  turcs 
mesmes.  Les  Romains  anciens,  sous  divers  dieux  et 
mesmesloix  ,  trouvoient  lessubjects  d'une  façon  ;  et  les 
empereurs  païens  mesmes  ont  eu  des  légions  toutes 
clirestiennes,  qui  leur  ont  gaigné  des  batailles  miracu- 
leuses. Sans  partir  de  chés  nous,  nous  vismes  de  quelle 
affection  s'emploioient  ceulx  de  ceste  relligion  au  recou- 
vrement du  Havre  sur  les  Anglois,  et  depuis  à  Mons  ,  et 
à  la  conqueste  prétendue  des  Pais  Bas ,  pensans  faire 
ung  service  agréable  au  feu  roy.  Pourveu  qu'on  les  laisse 
vivre  en  liberté  de  leur  conscience,  ils  ne  sçavent  que 
faire  pour  faire  paroistre  à  leur  prince  qu'après  le  ser- 
vice qu'ils  veullent  faire  à  Dieu,  ils  n'affectionnent  rien 
plus  que  le  sien.  Laissés  leur  les  âmes  libres,  vous  faictes 
des  corps  et  des  biens  plus  que  vous  ne  voulés. 

Je  ne  dis  pas  pourtant  qu'il  ne  feust  plus  à  désirer 
qu'il  n'y  eust  qu'une  relligion  en  ung  Estât,  telle  union 
ne  se  peut  trop  souhaiter;  et  qui  auroit  option  de  n'en 
avoir  qu'une,  elle  seroit  trop  plus  séante  que  plusieurs; 
mais  puis  que,  ou  le  destin  de  ce  royaume,  ou  le  des- 
ordre de  nostre  Eglise ,  a  faict  que  nous  en  ayons  eu 
deux ,  mieux  vault  à  la  vérité  les  souffrir  que  se  ruyner, 
comme  nous  avons  faict  jusques  ici  pour  n'en  avoir 
qu'une ,  ce  n'est  chose  qui  n'advienne  quelques  fois  au 
corps  humain.  Il  y  a  des  maladies  qu'il  fault  bien  sou- 
vent entretenir  pour  la  santé ,  parce  qu'elles  servent 
de  remède  contre  une  plus  grande;  il  y  a  au  contraire 
des  remèdes  qu'il  fault  fuir  comme  plus  dangereux  que 
la  maladie  mesme;  c'est  une  subjection  grande  que 
d'avoir  en  quelque  endroit  du  corps  une  fontaine  qui 
coule  tousjours.  Il  vauldroit  mieux  n'en  point  avoir  qui 
pourroit  ;  mais  elle  a  esté  ouverte  pour  divertir  un  plus 
grand  catharre,  qui  menaçoit  ou  Festomac  ou  le  poul- 


6o  REMONSTRANCE 

mon  ;  elle  ne  se  peut  refermer  sans  danger  tout  appa- 
rent de  mort.  Mieux  vault  donc  la  tenir  ouverte  qu'en 
mourir;  c'est  ung  mal  nécessaire  pour  en  éviter  ung 
plus  grand.  H  se  voit  de  fasclieux  catharres  dont  il 
seroit  bon  de  se  délivrer;  mais  si  violens  sont  ils  bien 
souvent,  qu'en  les  pensant  purger*,  ils  nous  pourroient 
estrangler  et  suffoquer.  Le  bon  médecin  aura  patience , 
il  les  divertira  petit  à  petit,  parce  que  telle  purgation 
seroit  plus  pernicieuse  que  le  catharre  ;  nous  en  sommes 
aujourd'hui  de  mesme.  Refermés  cesle  plaie  de  nostre 
Eglise  sans  que  le  dedans  soit  bien  repurgé,  la  mort 
est  prochaine;  tenés  là  ouverte,  vous  vivres,  et  aurés 
peut  estre  et  le  loisir  et  le  moyen  de  la  purger  et  net- 
toyer de  telle  façon  qu'avec  succession  de  temps,  elle 
se  refermera  d'elle  mesme.  Esmouvez  ce  catharre  par 
une  purgation  violente,  il  vous  estoufera;  donnés  lui 
cours  petit  à  petit ,  il  s'escoulera  finalement  de  soi 
mesme.  L'intempérie  de  toute  la  chrestienté  est  aujour- 
d'hui telle  qu'il  n'y  a  royaume  ni  estât  qui  s'y  puisse 
maintenir  en  paixsansla  liberté  des  deux  relligions ,  voire 
qui  ne  se  ruyne  si  on  s'opiniastre  contre  l'une.  Ceulx 
qui  dient  qu'attendant  la  détermination  d'un  concile, 
il  ne  fault  permettre  exercice  que  d'une  relligion,  s'abu- 
sent grandement.  Premièrement  c  est  contre  l'article 
exprès  de  la  paix,  qui  permet  que  l'exercice  des  deux 
relligions  soit  libre,  tant  que,  par  ung  libre  concile  gê- 
nerai ou  national,  tous  soions  leunis  en  une  relligion; 
et  par  conséquent  c'est  r'entrer  .en  la  guerre,  qui  est 
la  source  de  nos  maux,  et  anéantir  tout  le  profict  que 
nous  avons  peu  espérer  des  Estats.  Secondement,  c'est 
contre  toute  raison  et  forme  de  justice  ;  car  nous  atten- 
dons, par  ung  concile,  d'estre  reunis  et  non  d'estre  di- 
visés; de  cicatriser  nostre  plaie,  non  de  l'entretenir; 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  6l 

d'accorder  les  parties,  non  de  les  mettre  en  procès. 
C'est  comme  qui  diroit  :  Il  n'y  aura  exercice  que  d'une 
relligion ,  tant  que  le  -concile  ait  déterminé  qu'il  n'y 
en  ait  qu'ung  et  quel  ;  ou  :  Nous  n'entreprendrons 
rien  les  ungs  sur  les  aultres,  tant  que  les  arbitres  nous 
aient  accordés.  Au  contraire,  tout  ainsi  qu'en  attendant 
la  décision  des  arbitres,  les  parties  demeurent  en  leur 
estât,  les  procès  au  croc,  les  armes  suspendues,  sans 
entreprendre  rien  l'ung  sur  l'aultre;  aussi  est  il  raison- 
nable, attendant  la  détermination  d'ung  saint  et  libre 
concile,  auquel,  comme  arbitre  de  nos  differens,  nous 
compromettions  tous  que  nos  parties  demeurent  en 
la  liberté,  de  laquelle,  par  la  paix,  ils  sont  en  pos- 
session; et  devons  considérer  que,  si  nous  estions  en 
leur  place,  nous  ne  vouldrions  pas  que  la  messe  nous 
fiist  interdite  jusques  à  telle  détermination,  encores  que 
nous  feussions  tout  asseurés  qu'elle  y  deut  estre  confer- 
mee.  Tiercement,  c'est  le  vrai  moyen  de  n'en  tenir 
poinct,et  vauldroit  autant  dire  tout  en  ung  mot  que 
nous  ne  voulions  ni  leur  liberté,  ni  détermination  de 
concile;  car  c'est  troubler  le  compromis,  c'est  ung  cas 
de  novalité ,  c'est  revenir  aux  animosités,  durant  les- 
quelles ne  se  peut  ni  tenir  ni  espérer  ung  bon  concile, 
lequel  certes  nous  n'avons  que  faire  de  troubler,  d'au- 
tant qu'il  y  en  aura,  comme  tousjours,  assés  qui  ne 
demanderont  qu'à  le  troubler.  Fault  donc  demeurer  es 
termes  de  l'edict  composé  pour  nostre  repos,  et  selon 
toute  règle  de  justice ,  par  lequel ,  attendant  le  concile, 
la  liberté  est  permise  aux  deux  relligions,  c'est  à  dire, 
attendant  le  remède,  la  maladie  tolérée,  et  non  pas  ai- 
grir la  maladie,  à  ce  que  le  remède  ne  trouve  plus 
de  lieu. 

Mais  je  demande  à  cest  homme  d'estat,  qui  ne  veult 


62  BEMONSTRANCE 

poinct  endurer  les  deux  relligions  en  ce  royaume  ,  ce 
qu'il  prétendra  faire  maintenant  pour  en  abolir  l'une  , 
j'entens  celle  qu'il  juge  la  plus  foible.  Il  se  voit  claire- 
ment que  vous  n'en  pouvés  abolir  l'exercice  sans  r'en- 
trer  en  la  guerre,  puis  que  sans  l'octroier  vous  n'avés 
peu  obtenir  la  paix.  Nous  voil.à  donc  revenus  aux  armes 
civiles.  Or,  par  la  guerre,  je  vouldrois  bien  sçavoir  ce  que 
nous  ferons.  Nous  l'avons  desjà  esprouvé  par  quattre 
ou  cinq  fois,  et  pour  la  fin  de  toutes,  après  beaucoup 
de  ruynes  ,  avons  esté  contrains  de  permettre  ceste  rel- 
hgion.  Nous  les  avons  réduits  par  moyens  plus  qu'ex- 
traordinaires dedans  les  murailles  d'une  ville;  encores 
avons  nous  esté  réduits  nous  mesmes  après  ung  long  et 
ruyneux  siège,  à  les  laisser  vivre,  et  n'ont  voulleu  ac- 
cepter la  paix ,  si  tous  ceulx  du  roiaume  de  leur  relli- 
gion  n'avoient  liberté  de  conscience.  Si  nous  mettons 
une  armée  en  campagne  ,  ils  se  retireront  sur  la  défen- 
sive; si  nous  les  assaillons  sur  leur  défensive,  autant 
de  sièges ,  autant  de  pièges  pour  nous ,  autant  de  bonnes 
armées  perdeues  et  ruynees.  Nous  devons  avoir  cogneu, 
tant  d'une  part  que  d'aultre,  que  c'est  aujourd'hui  que 
d'assiéger  places.  Les  défendeurs  s'opiniastrent  jusques 
au  bout  ,  et  n'est  tantost  plus  de  gens  d'assaut  pour  les 
forcer.  Ainsi  avons  nous  veu  ruyner  l'armée  de  S. -Jean, 
de  La  Rochelle,  de  Livron  et  aultres,  toutes  grandes 
et  royales  ,  avec  grande  perte  de  deniers  ,  d'hommes  et 
de  réputation;  dont  la  plus  part  de  nos  soldats  qui 
restent,  sont  aujourd'hui  rebutés  de  sièges.  La  moindre 
place  barrant  sa  porte  sur  elle  est  presque  suffisante 
d'attendre  la  plus  belle  armée,  qu'on  puisse  mettre  en- 
semble; et  quand  nous  en  aurons  pris  deux  ou  trois 
des  plus  foibles  ;  que  de  force ,  que  de  composition , 
nous  aurons  gaigné  des  murailles  ,  et  perdeu  ung  monde 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  63 

d'hommes,  recouvré  des  ruyries,et  au  contraire  espreint 
tout  ce  qui  peut  rester  de  suc  au  peuple ,  et  de  sang  à  la 
noblesse;  bref  achevé  de  ruyner  tout  ce  povre  roiaume. 
Ce.qu'ils  peuvent  défendre  en  Languedoc,  en  Guienne, 
ou  mesme  en  Dauphiné,  est  suffisant  tout  seul  pour 
avoir  le  bout  de  tout  ce  qui  reste  de  deniers,  d'hommes 
et  de  moyens  en  toute  la  France.  Car  n'abusons  point 
le  roy  de  vaines  offres,  ou  plustost  ne  nous  abusons 
point  nous  mesmes  en  les  lui  faisant.  Que  nous  reste  il , 
je  vous  prie,  à  lui  offrir,  que  nous  n'ayons  ja  baillé  ? 
Que  peut  il  requérir  de  nous,  qu'il  n'ait  desjà  obtenu 
en  vain?  Nous  offrirons  nos  bourses;  regardons  s'elles 
sont  mieux  fournies  que  paravant.  Nous  offrirons 
nostre  sang;  jugeons  si  nous  en  avons  autant  refaict, 
que  nous  en  avons  espandeu  par  ci-devant;  s'il  est  ac- 
creu  quelque  chose  à  nos  possessions,  s'il  s'est  rien  ad- 
jousté  à  nos  forces.  Au  contraire  nous  n'avons  maison 
qui  ne  s'en  sente ,  nerf  qui  n'en  soit  foulé  ;  et  nous  reste 
toutesfoys  plus  long  et  plus  cher  chemin  à  passer  que 
celui  que  nous  avons  faict.  Il  me  souvient  à  ce  propos 
d'une  response  de  ce  grand  capitaine  romain  Paul 
^myle.  Quand  il  eut  à  plate  cousture  desfaictle  roy  de 
Macédoine,  comme  il  enclinoit  à  faire  la  paix  avec  lui , 
ses  amis  le  trouvoient  fort  mauvais,  disans  qu'il  en 
pouvoit  fort  aisément  avoir  le  bout,  par  la  oruerre.  Il 
est  aisé ,  leur  dict  il  lors  ,  de  ruyner  ung  prince  ou  ung 
estât,  jusques  à  la  moitié  ;  mais  de  ceste  moitié  le  ruyner 
jusques  au  bout,  c'est  chose  plus  difficile  que  vous  ne 
pensés.  La  raison  en  est  toute  claire  :  celui  qui  se  sent 
fort,  donne  une  bataille,  et  couche  la  moitié  de  son 
vaillant  au  hazard  du  dé.  Mais  quand  il  l'a  perdeue,  il 
se  retire  sur  l'aultre  moitié,  s'il  est  sage,  et  la  mesnage 
et  la  défend  pied  à  pied.  Il  ne  veut  plus  jouer  si  gros 


64  REMONSTRANCE 

jeu;  et  souvent  le  reste  du  vainceu  suffit  à  ruyner  le 
victorieux.  Vous  lui  présentés  la  bataille  ;  il  quitte  la 
main  ,  et  se  retire  sur  la  défensive;  il  la  vous  faict  perdre 
devant  une  ville.  La  response  de  Paul  ^Emyle   estoit 
vraie  des  lors;  mais  plus  vraie  est  elleencores  en  nostre 
endroit.   Lors  le   pays  estoit  presque  plat,   tellement 
qu'une  bataille  gaignée  gaignoit  un  roiaume.  Aujour- 
d'hui comme  il  est  fortifié  ,  on  ne  combat  que  quand  on 
veut,  et  se  perd  le  plus  souvent  le  gain  d'une  bataille 
devant  une  bicoque.  En  l'exemple  de  Paul  iEmyle,  ce 
qui  estoit  oslé  à  Tennemy,  estoit  autant  d'acquis  au  ro- 
main. En  nos  guerres  civiles,  ce  que  nous  gaignons,  est 
autant  de  perdeu  ;  ce  que  nous  ruynons ,  nous  ruyne 
nous  mesmes.  Paul  ^myle,  de  la  moitié  qu'il  avoit 
gaignee  ,  pouvoit  faire  guerre  à  l'aultre.  Nous  au  con- 
traire, jouons  à  bander  et  à  racler,  ou  tous  deux  perdent, 
et  nul  ne  gaigne;  et  nostre  povre  roy ,  a  qui  gaigtie  il 
perd,  qui,  de  quelque  costé  que  le  sort  tombe ,  perd 
ses  subjects,  et  ruyne  ses  villes;  et  au  lieu  de  triomphes 
romains ,  ne  doit  célébrer  qu'exeques  et  funérailles.  A 
plus  forte  raison  donc  devons  nous  conclurre  avec  Paul 
^myle,  qu^il  vault  trop  mieux  entretenir  la  paix  avec 
eulx ,  que  de  nous  ruyner  à  la  poursuite  d'une  guerre 
hazardeuse  ,  ruyneuse,  longue  et  difficile ,  ou  plustost 
perpétuelle   et   impossible.  Nous  avons  en  somme  de 
ces  deux  à  choisir  l'ung  ;  ou  de  les  laisser  vivre  paisi- 
blement avec  nous,  ou  de  mourir  tous  ensemble;  ou 
de    les   laisser  debout  ,   ou  d'estre  ,   en   les   voullant 
ruyner,  accablés  de  leurs  ruynes.  Samson,  à  la  vérité, 
en  usa  comme  il  semble  que  nous  vouliions  faire  ;  mais 
en  cas  trop  dissemblable.  Il  estoit  assiduellement  recer- 
ché  des  Philistins  ;  ces  gens  ici  au  contraire ,  battus  et 
rebattus  tant  de  fois ,  pourveu  qu'on  ne  les  recerche 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  65 

poinct,  ne  demandent  que  le  repos.  Il  estoit  seul  contre 
plusieurs,  et  ne  pouvoit  espérer  que  par  desespoir; 
nous  plusieurs  contr'ung  ,  qui  avons  prou  dequoi  nous 
conserver  sans  nous  perdre  de  gaieté  de  cœur.  Bref,  à 
ces  povres  gens  ici,  quand  on  les  poursuit  à  mort  de 
toit  en  toit ,  il  seroit  aulcunement  supportable  de  met- 
tre le  feu  en  leur  propre  maison  pour  esteindre  la  fu- 
reur de  leurs  ennemys,  ou  embraser  avec  eulx  toute  la 
ville;  à  eulx,  dis  je,  appartiendroit,en  ceste  extrémité, 
de  se  résoudre  à  la  Saguntine  ;  à  nous  nullement,  qui 
ne  sommes  pressés,  qu'autant  que  bon  nous  semble, 
qui  avons  la  plus  grand  part  à  la  maison  ,  qui  devons 
conserverie  royaume  dont  nous  faisons  presque  tout  le 
corps.  Ains  plustost  seroit  faire  aussi  mal  à  propos  que 
celui  qui,  pensant  brusler  une  araignée,  ou  une  poi- 
gnée de  mouscbes,  mit  le  feu  à  son  plancher  ,  et  brusia 
le  dedans  de  sa  maison.  Puis  donc  qu'on  ne  peut  oster 
à  ces  o^ens  Texercice  de  leur  relligion  sans  rentrer  en 
guerre ,  ni  les  ruyner  par  la  guerre ,  sans  estre  accablés 
de  leur  ruyne  mesmes  ,  concluons  ,  contre  cest  homme 
d'estat,  qu'il  les  fault  laisser  vivre  en  paix  ,  et  pour  ce 
faire,  leur  entretenir  la  liberté  selon  l'edict,  puis  que,  sans 
cest  article,  nous  avons  tant  de  fois  esprouvé  que  ne  la 
pouvons  avoir. 

Mais  il  y  a,  certes,  grand  danger  que  ces  gens,  qui 
nous  tranchent  tantost  de  la  conscience  ,  et  tantost  de 
la  police,  si  nous  regardons  leur  intention  de  plus  près, 
n'ayent  esgard  ni  à  l'Eglise,  ni  à  la  patrie,  mais  veil- 
lent seulement  faire  leur  profict  particulier  aulx  despens 
de  l'ung  et  de  l'aultre.  Il  y  a  long  temps ,  pensent  ils  ,  que 
chacun  crie  après  l'assemblée  des  estats,  comme  après 
l'unique  remède  de  tous  nos  maux.  Ils  les  voient  accor- 
dés par  la   paix,  convoqués  à  brefs  jours,   qu'on  ne 

MÉw.  nF.  Dum-essis-Morkay.  Tome  h.  5 


Qô  REMONSTRA.NCE 

peut  plus  reculer  à  les  tenir,  qu'on  leury  vouldra  faire 
rendre  compte  de  la  substance  du  peuple  qu'ils  ont  de- 
"voree ,  et  les  oster  d'ung  lieu  et  rang,  qu'indignement 
et  illégitimement  ils  occupent.  A  ces  inconveniens ,  qui 
les  menacent ,  ils  n'apperçoivent  que  deux  remèdes , 
ou  de  ne  les  tenir  point ,  ou  d'en  troubler  l'exécution. 
De  ne  les  tenir  point,  il  y  a  peu  de  moyen  ;  ils  ont  esté 
long  temps  différés;  ils  sont  maintenant  accordés,  con- 
voqués ,  préparés.  Le  peuple  en  a  desjà  faict  les  frais. 
Si  on  l'abuse  maintenant,  il  y  a  danger  d'une  révolte, 
telle  qu'en  Flandres,  ou  que,  pour  mesme  occasion,  elle 
s'est  veue  aultresfois  en  France  pour  les  tenir  de  sa 
propre  auctorité.  Reste  donc  d'en  empescher  l'exécution. 
Or ,  est  il  que  si  la  paix  dure ,  elle  en  fera  exécuter  les 
conclusions,  et  les  ordonnances,  comme  elle  les  nous 
a  faict  tenir.  Il  les  nous  fault  donc  empescher  par  la 
guerre.  Et  le  moyen?  c'est  de  bailler  le  change  ;  c'est  de 
renverser  tout  sur  ces  povres  gens  ;  c'est  de  crier  au 
huguenot,  de  peur  qu'on  ne  crie  au  larron  contr'eulx  ; 
c'est  de  se  venger  par  les  estats  sur  eulx  de  ce  qu'ils 
ont  à  leur  sueur  et  travail  procuré  les  estats.  Il  fault 
donc  resusciter  ceste  vieille  querelle  de  relligion,  pen- 
sent ils,  dont  y  a  tant  d'années  que  nous  amusons  et 
abusons  le  peuple;  et  cependant  qu'on  courra  après  eulx, 
nous  nous  tirerons  de  la  meslee.  Ainsi  feurent  rompus 
les  estats  promis  y  a  quelque  temps  à  Gompiegne  par 
ces  comptables ,  qui ,  ne  plus  ne  moins  que  la  seiche 
quand  on  la  veut  prendre  ,  sçavent  très  bien  jetter  leur 
ancre  ,  et  troubler  l'eau  tout  à  l'entour.  Et  cependant 
ces  bons  conservateurs  de  Testât  ne  veullent  pas  voir 
que,  si  les  estats  ne  sont  deuement  tenus,  et  la  paix  eu 
premier  lieu   ratifiée  par  les  estats  ,   sans  laquelle  ils 
n'ont  peu  estre ,  et  ne  peuvent  de  rien  servir ,  que  ce 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  ^j 

royaume  s'en  \.i  tomber  en  une  ruyne  inévitable. 
Or,  y  en  a  il  peut  estre  qui  ne  pensent  pas  ni  le 
malade  si  bas  ,  ni  la  maladie  de  soi  si  dangereuse  :  je 
veulx  dire  ce  royaume  si  proche  de  sa  ruyne,  ni  ces 
guerres  si  dangereuses  pour  Ty  précipiter.  Première- 
ment, je  les  prie  de  considérer  que  la  maladie  qui, 
depuis  quelques  ans,  nous  tourmente,  et  celle  mesme 
qui  a  porté  en  terre  tous  les  grands  empires  qui  ont 
jamais  esté  au  monde  ,  et  le  romain  notamment , 
qui  ayant  eschappé ,  des  son  enfance ,  et  par  tout  le 
cours  de  sa  vie,  toutes  sortes  de  plaies,  de  calamités, 
d'injures  du  temps,  ausquelles  il  s'estoit  mesmes  en- 
durci, ne  peut  jamais  eschapper  la  troisiesme  recheute 
de  ceste  maladie,  ores  qu'il  feust  trop  plus  puissant 
que  le  nostre,  et  qu'il  n'eust  voisin,  qui  osast  presque 
s'arrester  à  regarder  la  ruyne.  En  après  que  c'est  celle 
mesme  ,  ou  à  peu  près  ,  qui  nous  pensa  accabler  sous 
les  roys  Jean  ,  Charles  V,  VI,  et  VII,  lors  que  ce  royaume 
vint  si  bas  ,  qu'il  n'en  meritoit  presque  plus  le  nom; 
celle  qui  a  mis  la  Hongrie ,  et  l'empire  de  Grèce  entre 
les  mains  du  Turc,  et  lui  livre,  si  nous  n'y  donnoïis 
ordre  bien  tost,  le  reste  de  la  chrestienté  ;  celle  mesme 
qui  trouble  et  renverse  aujourd'hui  les  Païs  Bas  ,  ans- 
quels  nous  faisons  mine  de  courir,  encores  que  nous  ne 
puissions  pas  bien  nous  soustenir  nous  mesmes  ;  celle 
bref  dont  la  fin  finale  a  tousjoursesté,  ou  de  bailler  Tes- 
tât à  ung  tiers ,  ou  s'il  n'y  en  avoit  poinct ,  de  le  partir,  et 
deschirer  en  pièces.  Et  quant  au  patient,  aïKjuel  toutes 
les  guerres  estrangeres  avoient  plustost  esté  exercices, 
que  travaux  ,  qu'ils  regardent  combien  il  est  empiré  en 
celles  ci.  Les  roys  bien  souvept  et  leurs  favoris  ne  s'en 
apperçoivent  pas,  parce  qu'ils  ne  voient  que  des 
pompes ,  des  bravades ,  des  danses  et  des  festins.  Et 


68  REMONSTRANCE 

cependant  il  leur  en  advient,  comme  aulx  Philistins, 
qui  banquetoient,  et  faisoient  grand'chere  ^  pendant 
que  Samson  escrouloit  les  colomnes  du  bastiment  qui 
leur  ruyna  sur  la  teste.  Mais  c'est  à  nous ,  puisqu'ils 
nous  appellent  à  leur  conseil  par  ceste  assemblée ,  de 
leur  en  descouvrir  la  vérité.  Qui  verra  le  patient,  que 
nous  avons  en  cure,  si  hâve,  décharné,  pasle,  hideux, 
comme  il  est ,  en  aura  horreur,  et  ses  ennemys  presque 
pitié  :  mais  ce  n'est  rien  au  prix  du  dedans,  dont  les 
parties  vitales  sont  si  corrompeues,  et  si  de  gastees, 
qu'il  n'y  reste  presque  plus  espérance  de  santé.  De 
pieté  et  de  justice ,  il  n'en  fault  tanstost  plus  parler  : 
ce  ne  sont  plus  entre  nous  que  prétextes  et  couver- 
tures de  révolte  et  d'ambition.  Et  cependant  voilà  le 
sage  qui  dit  :  que ,  pour  impieté  et  injustice ,  Dieu  trans- 
fère les  royaumes  de  famille  en  famille,  et  de  nation  en 
nation.  Et  quant  au  prince,  voies  comme  on  lui  es- 
branle  les  colomnes  qui  soustiennent  sa  maison  ,  cepen- 
dantqu'il  passe  son  temps  enjeux  et  en  festins.  Plus  n'ont 
les  subjects  d'amour  envers  lui  pour  lui  obéir  volon- 
tiers ;  plus  n'a  il  de  forces  pour  se  faire  craindre,  et 
obéir  par  contraincte.  Or,  ostés  aulx  roys  l'amour,  et 
aulx  tyrans  la  craincle  de  leur  peuple ,  leur  princi- 
pauté est  du  tout  ruynee.  Les  grands  en  ce  royaume 
sont  aulx  petits  exemple  de  désobéissance  ;  les  petits 
aulx  grands  aide  et  instrument  de  révolte.  Les  soldats 
prennent  tout  parti ,  où  y  a  dequoi  gaigner  ;  et  c'est  à 
qui  leur  donnera  plus  de  licence  pour  en  avoir  le  plus. 
Ce  sont  maladies  que  la  grand'  maladie  des  guerres 
civiles  a  amenées  avec  elle.  Et  quels  accidens  s'en  en- 
suivent? Que  les  grands,  qui,  pour  la  pluspart,  ne  le 
sont  jamais  assés  à  leur  gré ,  voyans  leur  souverain  des- 
nué  de  forces ,  et  les  volontés  des  subjects  aliénées  de  lui 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  69 

par  les  maux  qu'ils  ont  soufferts  (  dont  ils  accusent 
toujours  la  teste,  et  non  le  temps),  et  les  soldats  au 
commandement  de  qui  plus  leur  donne ,  et  plus  leur 
lasche  la  bride,  entreprenent  tant  plus  hardiment 
d'assouvir  leur  ambition  ,  qu'ils  ont  de  quoi  espé- 
rer d'en  venir  à  bout ,  et  à  faulte  d'y  parvenir  ne 
voient  rien  à  craindre ,  ains  s'asseurent  qu'au  pis 
aller,  on  sera  tousjours  bien  aise  de  les  pouvoir  ap- 
paiser  :  dont  s'ensuivent  finalement,  après  beaucoup  de 
ruyne  du  peuple ,  mutations  d'estat ,  dissipation  de 
monarchie,  ou  changement  de  monarque.  Sans  spéci- 
fier les  noms  des  dieux ,  et  des  personnes ,  les  plus 
prudens  voyent  cela  ,  comme  tout  présent  ,  si  nous 
r'entrons  une  seule  fois  en  ces  misères  civiles.  Ceulx 
que  l'ignorance ,  ou  la  passion  aveugle ,  ou  ceulx 
mesmes  qui  en  ce  cas  sont  contens  de  faire  des  aveu- 
gles ,  diront  qu'il  y  a  long-temps  qu'on  tient  ce  propos 
là;  que  ce  sont  fables,  et  discours  en  l'air,  que  tous- 
jours  au  pis  aller  en  pourra  on  sortir  par  la  porte 
accoustumee  ;  je  respons  que  les  estats  ,  comme  les 
corps,  tant  plus  grands  sont  ils,  et  plus  tardifs  ont  ils 
leurs  mouvemens.  Il  ne  fault  qu'ung  vent  pour  abbatre 
une  petite  maison  ;  pour  ung  bastiment  massif,  bien 
cimenté ,  et  de  bonne  estoffe ,  il  fault  une  longue  ba- 
terie  ,  une  forte  mine  ;  encores  quand  il  renverse ,  les 
pans  de  muraille  tombent  ils  tous  entiers.  Ainsi  en  est 
il  du  nostre.  Quelque  petit  estât  basti  sur  quatre  four- 
ches, du  moindre  coup  de  vent  que  nous  ayons  eu, 
feut  pieça  par  terre;  quelque  tiers  l'eust  emporté  tout 
incontinent.  Le  nostre  qui  est  trop  grand,  et  trop 
pesant  pour  la  serre  de  tous  nos  voisins,  oultre  ce  qu'ils 
ont  esté  troublés  en  mesme  temps  que  nous,  ne  se 
peut  pas  ruyner  de  ceste  façon.  Il  fault  qu'il  se  ruyne 


jo  REMONSTRANCE 

de  soi  mesme.  Et  qui  veut  voir  comme  il  s'approche 
de  sa  ruyne,  considère  seulement  combien  il  s'est  cre- 
vasse etesbranlé  depuis  la  journée  de  SainctBarthelemi, 
depuis,  dis  je,  que  la  foi  du  prince  envers  le  subject,  et 
du  subject  envers  le  prince,  qui  est  le  seul  ciment 
qui  entretient  les  estats  en  ung ,  s'est  si  outrageusement 
desmentie.  Il  n'estoit  paravant  question  que  de  la  relli- 
gion  de  ces  gens  ci  ;  la  leur  permettant,  on  estoit  asseuré 
d'avoir  la  paix.  Depuis  ce  jour  là  ,  on  a  commencé  à 
parler  de  lestât,  à  recercher  les  actions  du  gouverne- 
ment, et  s'en  est  trouvé  qui  se  sont  bien  sceu  servir  du 
desespoir, auquel,  par  tant  de  cruautés,  nous  les  avions 
réduis.  Il  n'estoit  question  que  de  huguenots  ;  il  s'est 
eslevé  des  malcontents  ,  race  tvès  dangereuse  en  ung 
estât,  et  la  pluspart  qui  ne  sçauroient  dire  dequoi  ,  ni 
pourquoi.  Ce  sont  tous  symptômes  procedans  de  la 
maladie  que  j'ai  ci  devant  remarquée  en  celle  partie 
vitale  du  royaume,  qui  est  l'amour  des  subjects  envers 
le  prince.  A  la  vérité ,  quand  le  huguenot  prend  les 
armes,  il  se  peut  aucunement  excuser.  Il  craint  d'of- 
fenser Dieu  ;  Dieu,  dis  je,  qui  est  le  roy  de  tous  les  roys; 
il  craint  de  perdre  son  ame,  qu'il  a  plus  chère  que 
€este  vie.  Son  désir  est  bon;  son  intention  n'a  rien 
d'énorme.  Le  malcontent  au  contraire  ne  se  peut  excu- 
ser; car  il  n'est  poussé  que  de  convoitise  de  gain,  et  de 
vain  honneur,  et  se  révolte  quand  on  ne  lui  donne  ,  non 
autant  qu'il  en  mérite  ,  mais  qu'il  en  cuide  mériter,  et 
qu'il  en  souhaite.  L'ung  est  poussé  de  l'amour  de  Dieu; 
l'aultre  d'ung  fol  amour  de  soi-mesme.  L'ung  veut  obéir 
au  roy  en  tout  ce  en  quoi  il  ne  pense  désobéir  à  Dieu; 
l'aultre  autant  seulement  qu'il  est  expédient  pour  son  ad- 
yantage.  L'ung  préfère  le  supérieur  à  l'inférieur,  à  sçavoir, 
selon  son  opinion,  Dieu  au  roy,  qui  est,  selon  l'ordre 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  71 

de  nature;  l'aultre ,  contre  tout  ordre  de  police,  préfère 
Tinferieur  au  supérieur,  suivant  pour  sa  convoitise  ung 
prince  ,  ou  seigneur  subalterne  contre  son  roi  et  souve- 
rain seigneur.  L'ung  prend  les  armes  après  qu'on  l'a  ré- 
duit au  desespoir;  l'aultre  de  gaieté  de  cœur,  parce 
qu'on  n'a  pas  respondu  à  toutes  ses  vaines  espérances. 
Voilà  donc  comme  Dieu  a  puni  nostre  desloyauté ,  quand 
nous  voulans  deffaire  illicitement  de  ces  povres  gens, 
qui  font  tout  à  bonne  intention  ,  il  nous  a  suscité  ceste 
espèce  de  gens  qui  n'ont  aulcune  intention  de  bien 
faire  ;  quand ,  dis  je ,  voulans  reunir  tout  par  voies  si  dé- 
testables, par  les  mesmes  il  nous  a  ruynés.  En  somme, 
c'est  grand  pitié  qu'il  s'est  veu  qu'ung  Charles  de  Bour- 
bon, connestable  de  France,  quittant  le  service  du 
roy,  ne  peut  jamais  faire  parti  en  France,  ains  feut 
contraint  de  se  retirer  vers  l'ennemy  avec  deux  ou  trois 
des  siens;  et  que  maintenant,  au  contraire,  par  le  chan- 
gement des  cœurs  qui  y  est,  le  moindre  seigneur  de  ce 
roiaume ,  voire  un  voleur  public  ,  puisse  trouver  de 
qui  s'accompagner,  et  de  qui  faire  partie  contre  le  roy, 
mesnie  en  France.  Or  qui  doute  que  ceste  disposition 
d'esprits,  qui  n'ont  roy,  ni  loi  que  leur  fantaisie  et  leur 
advantage,  ne  soit  ung  préparatifs  la  dissipation  totale 
d'un  estât?  Qui  doute,  si  nous  avons  à  r'entrer  en  la 
guerre,  que  tous  les  jours  nous  n'en  ayons  quelque 
nouvel  ordre  es  champs,  es  villes,  es  cours,  es  mai- 
sons des  princes,  et  d'autant  plus  que  chacun  redoute 
moins  que  jamais,  les  forces  et  moyens  du  roy?  Vous 
me  dires  que,  non  obstant  tout  cela,  la  paix  s'est  faicte; 
je  l'avoue  :  mais  je  nie  qu'elle  se  puisse  refaire  de 
mesmes,  si  nous  la  rompons.  Elle  s'est  faicte  voirement, 
mais  après  quatre  ans  de  negotiation  assiduelle ,  et 
mille  difficultés  avant  qu'y  parvenir.  Elle  s'est  faicte , 


qi  REMONSTRANCE 

mais  par  le  changement  tl  ung  roy,  en  la  foi  duquel  ceulx 
de  ceste  relligion  ont  quelque  reste  d'espérance.  Ce 
lien  qui  restoit  à  peu  tenir  Testât  en  nng,  et  le  tiendra 
tant  qu'il  demeurera  inviolable  ;  mais  si  nous  permet- 
tons une  fois  que  ceste  foi  promise  soit  rompue,  les 
voilà  tous  en  défiance  de  nostre  roy  ,  comme  du  feu 
roy  Charles  son  frère.  La  défiance  les  mettra  au  deses- 
poir, et  le  desespoir  aulx  armes ,  qui  leur  fera  faire  tout 
le  pis  qu'ils  pourront,  comme  le  meilleur  pour  leur 
conservation.  Les  provinces,  qui  ont  pati  de  la  guerre, 
et  qui  sçavent  combien  elle  leur  couste  ,  comme  toutes 
celles  qui  sont  delà  la  rivière  de  Loire,  feront  ligues  et 
associations  ensemble  pour  se  conserver  les  iings  les 
aultres,  tant  d'une  que  d'aultre  relligion,  en  paix  et 
en  repos,  et  petit  à  petit  s'accoustumeront  à  ne  des- 
pendre que  de  leur  propre  auctorité.  Les  capitales 
villes  ne  recevront  forces  ni  de  l'ung  ,  ni  de  l'aultre, 
tant  pour  n'offencer  personne,  que  pour  n'estre  offen^ 
sces  par  l'insolence  de  la  gendarmerie  de  ce  temps. 
De  neutres,  par  succession  elles  voudront  estres  libres, 
et  ne  le  penseront  jamais  estre,tant  qu'elles  aient  se- 
coué le  joug  du  prince.  Les  seigneurs  principaux  du 
pays  se  donneront  la  main  les  ungs  aux  aultres  de  ne 
plus  faire  les  fols  à  l'appétit  d'autrui ,  conserveront  le 
plat  pais  soubs  eulx  ,  duquel  ils  seront  plus  obéis  et  re- 
cogneus  que  le  souverain  :  par  ainsi,  au  lieu  d'une  pré- 
tendue union  de  relligion  ,  voilà  un  grand  advancement 
de  division  d'estat  ;  voilà  la  rivière  de  Loire  pour  borne 
de  l'auctorité  du  roy  de  ce  costé,  au  lieu  que,  conser- 
vant ses  subjects  également  en  paix,  il  peut  tenir  tout 
Testât  uni  en  sa  main,  et  par  les  occasions  qui  le  con- 
vient présentement,  ausquelles,  moyennant  la  paix,  tous 
à  Tenvi  désirent  s'emploier,  estendre  ses  limites  plus 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  73 

loin  d'une  moitié.  Aulcunes  provinces  de  deçà  la  rivière, 
plus  proches  de  Paris  ,  comme  elles  n'ont  pas  tant,  ni 
si  long  temps  souffert  de  la  guerre,  peut  estre  aussi  ne 
désirent  pas  tant  la  paix.  Elles  se  voient  maistresses  par 
toutes  leurs  villes  ,  les  villes  meslees  de  peu  de  hugue- 
nots, ce  qui  leur  faict  peut  estre  encores  démanger  les 
doigts  pour  revenir  aux  armes.  Mais  je  les  prie  de  con- 
sidérer que,  s'il  fault  faire  la  guerre  à  ceulx  de  la  relli- 
gion  prétendue  reformée  qui  sont  delà  Loire,  d'autant 
que  le  roy  n'en  pourra  tirer  aulcuns  moyens,  le  tout  se 
fera  aulx  despens  de  leur  vie  et  de  leur  bourse  :  que 
pour  néant  donc  elles  auront  obtenu  d'estre  soulagées 
par  les  estais;  que  si  les  Allemans  reviennent  en  France 
pour  le  secours  de  ceulx  de  ceste  relligion ,  comme 
tost  ou  tard  ils  ne  leur  manquent  jamais  ,  que  c'est  par 
dessus  leur  ventre,  et  par  dessus  leur  terre  qu'ils  ont 
à  passer;  que,  quand  au  milieu  d'elles,  elles  auront  es- 
teint  ceux  de  ladicte  relligion  ,  par  cela  ils  n'auront  faict 
que  la  resveiller  et  relever  ailleurs  ;  et  qu'ils  ne  soient 
pas  si  peu  ou  charitables,  ou  prudens,  que  de  dire 
qu'il  ne  leur  en  chaut,  pourveu  que  ceste  relligion 
ne  soit  poinct  exercée  au  milieu  d'elles  :  ce  n'est  parlé 
ni  en  subjects  du  roy,  ni  en  amateurs  de  la  patrie. 
Tout  ce  royaume  n'est  qu'une  cité,  qu'une  maison, 
qu'nng  corps  ,  qui  n'a  qu'ung  roy  ,  ung  père  de  famille, 
ung  chef;  qui  se  ruyne ,  se  brusle,  se  meurt  tout  en- 
senîble.  Par  une  bresche ,  toute  une  ville  se  prend;  par 
ung  coing,  toute  une  maison  s'embrase,  autant  le  haut 
que  le  bas  estage;  par  le  talent  quelquefois  tout  le 
corps  meurt,  encores  que  les  bras  en  soient  bien  sains, 
bien  refaits,  bien  entiers.  L'estiomene  monte  tant 
qu  elle  saisit  universellement  tout  le  corps:  aussi  fault  il 
s'asseurerquesinous  endurons  que  le  moindre  coing  de 


ç4  REMONSTRANCE 

cest  estât  commence  à  s'escorner,  petit  à  petit  l'ambi- 
iion  des  grands  ,  qui  est  en  la  division,  comme  le  feu 
en  une  plaie,  trouvant  le  mescontentement  des  sub- 
jects  pour  matière  propre  à  se  nourrir,  gaignera  fina- 
lement tant  que  lestât  en  sera  totalement  enflambé. 
Vous  mesmes  qui  aurés  conseillés  la  guerre,  quand 
vous  l'aurés  portée  ,  quand  elle  vous  aura  vuidé  vos 
bourses,  quand  vous  y  aurés  perdeu  vos  plus  proches , 
en  vain  vous  vous  en  prendrés  au  roy  que  vous  y  aurés, 
parvoslreopiniastreté  ,  à  demi  contrainct,  et  seréspeut 
ÊStre  encores  pis  que  les  aultres.  Ne  disons  poinct, 
comme  aulcuns,  que  le  pays  se  gaste,  mais  qu'il  ne  se 
perd  poinct  :  le  pays  sont  les  hommes.  Qui  perd  le 
cœur  perd  le  pays  aussi,  encores  que  le  fond  en  demeure; 
rien  en  ce  monde  ne  se  perd,  mais  il  est  bien  perdu 
pour  quelqu'ung,  quand  il  change  de  maistre.  La 
France  demeurera,  mais  le  royaume  de  France,  tel 
qu'on  Ta  veu,  ne  sera  plus  :  la  matière  y  sera,  mais  la 
forme  en  sera  changée.  Cest  estât  se  résoudra  comme 
un  corps  mort  en  serpcns,  en  vers,  en  crapaux,  en 
ung  million  de  bestes  sans  raison  qui  s'entremangeront 
les  unes  les  aultres,  et  feront  trop  plus  de  mal  au 
peuple,  que  ne  font  tous  ceulx  dont  il  se  plaint.  Il  s'en 
lèvera  quelqu'ung  qui  se  dira  protecteur  de  la  liberté, 
qui  accablera  le  peuple  de  plus  dure  servitude  qu'il  ne 
porte;  protecteur  de  l'Eglise,  qui  n'aura  ame  ni  con- 
science, et  soubs  ombre  de  pieté  commettra  mille  im- 
pietés. Les  seigneurs  des  pays,  qui ,  pour  n'avoir  plus  de 
maistre,  se  seront  un  temps  accordés  ensemble,  deba-^ 
tront  à  peu  de  temps  de  là,  à  qui  sera  le  maistre  l'ung 
de  l'aultre.  Les  villes,  qui  de  neutralité  seront  venues 
à  liberté ,  de  ceste  liberté  viendront  à  une  licence  po- 
pulaire ,  de  la  licence  retomberont  à  la  tyrannie   de 


AUX  ESTATS  DE  BLOIS.  7^ 

quelqu'ung,  et  toutes  les  semaines  par  sédition  auront 
nouvelles  révolutions.  Le  povre  peuple  pâtira  de  toutes 
ces  folies.  Il  s'eslevera  ung  ordre  de  las  d'endurer,  qui 
n'aura  poinct  faulte  et  de  fondateur  et  de  chef,  contre 
la  noblesse.  Ils  l'accoustreront  à  la  Suisse;  et,  comme 
de  toutes  nations  nous  sommes  les  plus  légers,  et  préci- 
pités en  nos  passions,  aussi  pâtirons  et  ferons  nous  les 
plus  énormes  actes,  qui  s'ouirent  jamais  entre  les 
hommes.  Lors  verrons  nous  en  quel  labirinthe  de  mal- 
heurs nostre  opiniastreté  nous  aura  conduits;  il  n'y 
sera  plus  question  de  reliigion  :  les  soldats  ne  catechi- 
zeront  plus  les  hommes  que  par  la  bourse  :  qui  aura  de 
l'argent  sera  huguenot ,  sera  calholique  ,  tel  qu'il  plaira 
à  celui  qui  le  voudra  brigander.  Celui  qui  estoit  ne 
sera  plus  ;  celui  qui  n'estoit  rien,  sera  en  sa  place.  Grand 
crime  et  irrémissible  sera  d'avoir  du  bien;  grand  mal- 
heur d'estre ,  ou  paroistre  homme  de  bien.  D'ung  mal 
nous  serons  tombés  en  infinis,  d'ung  petit,  en  plusieurs 
grands;  et  lors,  mais  trop  tard,  nous  repentirons  nous 
d'avoir  esté  si  mal  conseillés  que  de  n'avoir  vescu  en- 
semble, comme  nous  pouvions,  en  paix  et  en  union. 
Telles  grandes  mutations  ne  se  feirent  jamais  sans  grands 
desordres;  et,  devant  que  revenir  à  l'ordre,  il  se  passe 
des  ans,  des  siècles,  des  révolutions  toutes  entières. 
Les  plus  notables  familles  sont  esteinles;  les  plus  mas- 
sives maisons,  ruynees,  avant  que  d'en  pouvoir  venir 
à  bout.  Je  ne  vous  annonce  poinct  choses  loingtaines  : 
je  vous  annonce  choses  que  je  prevoy,  que  je  voy,  qui 
sontconceues,  qui  sont  prestes  à  naistre,  qui,  en  quel- 
ques lieux,  sont  jà  nées;  choses  advenues  en  tous  pays 
gouvernés,  comme  est  maintenant  le  nostre  ;  et  qui  sont 
prcï^tes  à  advenir,  si  nous  n'amendons  par  une  paix, 
tant  publique  que  domestique,  toute  nostre  façon  de 


76  REMONSTRANCE 

yivre.  Quand  par  la  foiblesse  et  mespris  des  empereurs 
l'empire  romain  s'abolit  en  Allemaigne,  les  villes,  qu'on 
appelle  libres  et  impériales,  se  mirent  en  liberté.  Les 
capitaines  et  seigneurs,  mesmeles  evesques  qui  avoient 
auctorités  en  aulcunes  villes,  se  feirent  princes;  les 
juges  des  bailliages,  comtes  de  l'empire.  Devant  que 
les  r'amener  aux  empereurs  selon  l'ordre  qui  y  est 
maintenant,  il  se  passa  ung  long  temps;  et  voit-on  au- 
jourd'hui qu'au  partage  qui  se  feit  de  ce  gasteau,  l'em- 
pereur ,  quoique  en  honneur  le  premier,  a  eu  la  der- 
nière part.  En  Italie  les  villes  usurpèrent  leur  liberté; 
les  gouverneurs  des  provinces  en  demeurèrent  princes; 
les  capitaines  des  villes  s'en  feirent  seigneurs,  dont  est 
aujourd'hui  l'origine  de  tous  les  princes  d'Italie.  L'auc- 
torité  de  l'empereur,  ruynee  de  guerres  tant  civiles 
qu'estrangeres,  y  feut  assés  tost  abolie,  estant,  lui  dé- 
laissé du  cœur  du  peuple,  et  l'ambition  allumée  au 
cœur  des  plus  grands.  Mais  feut  ce  pourtant  la  fin  des 
maux  du  peuple?  ainçois  à  peine  le  commencement. 
Les  seigneurs  eurent  des  guerres  entr'eulx,  qui  y  attirè- 
rent les  barbares  de  tous  costés ,  qui  meirent  le  feu 
partout.  Ils  en  eurent  après  contre  les  villes  plus  nota- 
bles, sur  la  liberté  desquelles  ils  voulloient  enjamber. 
Tantost  l'ung  s'y  portoit  pour  viceroy  ,  tantost  l'aultre 
pour  protecteur  de  la  liberté  :  puis  veinrent  les  Guel- 
phes  et  Gibelins  impériaux,  contre  papistes;  puis,  en 
chacune  ville,  factions  contraires;  la  haulte  ville 
contre  la  basse;  ceulx  de  deçà  contre  ceulx  de  delà 
l'eau.  D'une  guerre  universelle  ilsfeurent  réduis  à  mille 
guerres  particulières  ;  d'ung  grand  tyran,  à  infinis  petits, 
qui  1  estoient  d'autant  plus  grands  ,  qu'ils  avoient  moins 
de  terre  pour  estendre  leur  tyrannie.  On  n'y  oioit  par- 
ler que  de  proscriptions,  de  bannissemens  ,  d'assassine^ 


AUX  EST  ATS  DE  BLOIS.  77 

mens  ,  de  trahisons.  Une  famille  faisoit  guerre  mortelle 
à  l'aultre.  Le  gouvernement  s'y  changeoit  toutes  les 
semaines;  et  dura  ce'ste  calamité  si  long  temps  par  le 
moyen  des  querelles  testamentaires,  qu'ils  laissoient  de 
père  en  fils  ,  que  n'agueres  encores ,  c'est  à  dire  plus  de 
cinq  cens  ans  après  la  totale  ruyne  de  l'empire  d'Italie, 
elles  duroient  et  durent  encores  en  la  mémoire  de 
ceulx  qui  vivent.  En  somme ,  telle  dissipation  d'estat  ne 
se  peult  faire  sans  la  ruyne  du  prince;  mais  aussi  peu, 
sans  la  ruyne  du  peuple  et  des  particuliers  ,  estant  tout 
certain  que  la  maison  ne  se  peut  ruyner,  ni  le  navire 
périr  sans  accabler,  ou  submerger  ceuk  qui  sont  dedans. 
Or  vaut  il  pas  trop  mieux  laisser  vivre  les  ungs  les 
aultres  en  liberté  de  relligion,  telle  que  la  paix  der- 
nière l'ordonne  soubs  Tauctorité  du  roy ,  qu'il  a  pieu 
à  Dieu  nous  donner,  que,  soubs  une  vaine  espérance  de 
le  reunir,  ruyner  ce  povre  estât,  qui  panche  de  toutes 
parts  sur  nos  testes? 

Considérons  donc  que  nous  sommes  tous  hommes , 
tous  chrestiens  ,  tous  François ,  tous  amateurs  de  nous 
mesmes  ,  de  l'Eglise,  de  la  patrie,  croyans  en  ung  Dieu , 
confessans  ung  Christ,  desirans  une  reformation  en  cet 
Estât;  comme  homme,  aimons;  comme  chrestiens, 
enseignons;  comme  François,  supportons  les  ungs  les 
aultres.  Nous  nous  ruynons  nos  maisons  par  la  guerre  : 
comme  amateurs  de  nous  mesmes,  et  de  ce  qui  nous 
touche,  demandons  la  paix.  L'Eglise  se  ruyne  quand,  de 
chrestiens  nous  devenons,  parmi  les  armes,  contemp- 
teurs de  toute  relligion.  Laissons  donc  là  les  armes,  et 
recourons  avec  larmes  à  Dieu ,  le  suppliant  de  la  r'es- 
tablir  à  sa  gloire  au  milieu  de  nous.  L' Estât  est  com- 
composé  de  deux  relligions;  si  on  ne  les  permet  toutes 
deux  libres,  il  nous  fault  r'entreren  la  guerre,  si  on  y 


78  REMONSTRANCE  AUX  ESTATS  DE  BLOIS. 
rentre ,  il  est  dissipé  ,  et  en  ceste  dissipation  nous  nous 
perdons  tous.  Vivons  donc  amiablement  les  ungs  avec 
les  aultres ,  entr'aidons  nous  à  l'estançonner  contre  la 
ruyne  ,  et  nous  entr'approchons  si  près  l'ung  de  l'aultre , 
que  la  division  ne  se  puisse  jamais  fourrer  au  travers 
de  nous.  Finalement,  nous  avons  tous,  long  temps  a, 
souhaité  les  estats  pour  le  r'establissement  de  ce  royaume, 
lesquels  ces  gens  ci  nous  ont  obtenu  parleur  guerre, 
et  fait  accorder  par  la  paix.  Le  clergé,  la  noblesse,  le 
tiers  estât  désirent  tous,  et  chacun  en  droit  soi ,  d'estre 
soulagés  par  ceste  voie  ;  ce  soulagement  ne  se  peult 
espérer  si  ceste  paix  ne  se  garde,  ains  mille  aultres 
maux  sont  à  craindre  si  la  guerre  a  à  revenir.  Accor- 
dons nous  donc  tous,  gentilshommes,  ecclésiastiques, 
marchands ,  laboureurs  ,  à  demander  en  premier  lieu 
l'observation  de  la  paix,  sans  laquelle  toutes  aultres 
requestes  se  font  en  vain  ;  que  ce  soit  Là  nostre  avant- 
proceder,  nostre  préface ,  nostre  fondement.  Sur  ce  bon 
fondement  nous  pourrons  bastir  nostre  repos,  nostre 
conservation  ,  nostre  soulagement.  Là,  ou  sans  ce  fon- 
dement, quoique  nous  demandions,  et  quoiqu'on  nous 
octroie,  nous  n'en  pouvons  attendre  que  confusion, 
désolation  et  ruyne  totale.  Je  prie  Dieu ,  qui  est  le  roy 
des  roys ,  et  qui  dispose  des  royaumes  selon  son  bon 
plaisir,  qu'il  lui  plaise  nous  conserver  et  confermer 
nostre  roy  en  ce  royaume,  régner  avec  lui,  establir  son 
règne  au  milieu  du  sien  ,  et  lui  donner,  et  à  toute  l'as- 
semblée qu'iljui  plaist  convoquer,  si  bon  advis  et  con- 
seil, que  son  Eglise  en  soit  de  plus  en  plus  establie,  ce 
sceptre  affermi,  et  tout  le  peuple  remis  et  réuni  en 
bon  repos  et  tranquillité.  Amen. 


LETTRE  DE  M"  LE  DUC  D'ANJOU.  79 


VI. —  LETTRE  DE  M-^"  LE  DUC  D'ANJOU 

A  M.  Duplessis. 

Du  dernier  septembre  1576. 
Monsieur  Duplessis ,  ayant  recogneu  par  bons  et 
certains  advis  que  le  voyaige  ,  pour  lequel  je  vous  avoie 
depesché  en  Angleterre  devers  la  royne  madame  et 
bonne  sœur,  a  esté  par  artifice  suspendu  ,  et  que  cela 
est  advenu  à  la  suscitation  de  ceulx  qui,  par  jalousie, 
sous  aulfre  prétexte,  auroient  faict  trouver  mauvais  au 
roy,  monseigneur  et  frère,  que  j'entrasse,  estant  la  paix 
faicte  ,  en  aulcune  communication ,  ne  fréquentes  de- 
pesches  avec  les  princes  et  estais  circonvoisins  pour, 
parce  moyen,  diminuer  ou  du  tout  altérer  la  confidence 
et  amitié  d'entre  ladicte  dame  et  moi ,  estant  chose  que 
je  veulx  non  seulement  conserver  précieusement,  mais 
plustost,  s'il  se  pouvoitjd'advantagel'accroistre;  je  vous 
ai  bien  voulleu  faire  la  présente,  me  confiant  en  vostre 
affection ,  pour  vous  prier  bien  fort  que  vous  veilliés 
tant  faire  pour  mon  service,  postposant  tous  aultres 
affaires  que  vous  veilliés  parfaire  ledict  voyaige  pour 
aller  devers  la  royne  d'Angleterre  lui  porter  la  lettre 
que  je  vous  envoie ,  que  j'ai  foict  laisser  en  cachet  vo- 
lant, à  ce  que  vous  la  puissiés  voir  et  fermer  après, 
pour  la  lui  présenter,  et  lui  faire  entendre  les  .raisons 
de  vostre  retardement ,  selon  qu'il  est  porté  par  fins- 
truction  que  je  vous  envoie  aussi ,  et  aultres  plus  con- 
venables que  vous  ju gérés  estre  à  propos  plus  décent, 
et  requis  pour  entretenir  ladicte  dame  en  la  dévotion 
et  bonne  volonté  qu'il  lui  a  pieu  me  porter  jusques  à 
présent  ;  car,  oultre  que  cela  m'importe  infiniment,  je  me 


8o  LETTRE  DE  M"  LE  DUC  D'ANJOU, 

sens  tantteneu  et  obligé  à  elle,  que  je  serois  plus  marri 
que  de  chose  qui  me  sçauroit  advenir,  qu'elle  entrast 
en  aulcune  sinistre  appréhension ,  veu  les  bons  offices 
dont  elle  a  usé  lors  que  j'en  ai  eu  besoin  ,  de  sorte  que, 
par  le  moyen  de  vostre  légation ,  elle  puisse  estre  si  bien 
édifiée  de  moi,  que  ceulx  qui  ont  esté  causes  du  retar- 
dement de  vostre  voyaige  se  trouvent  en  fin  deceus  de 
leur  dessein.  Et  vous  me  ferés  un  bon  et  signalé  ser- 
vice, que  j'aurai  si  agréable,  que  vous  pouvés  vous 
asseurer  qu'il  ne  se  présentera  occasion  que  je  ne  le 
recognoisse  envers  vous  d'aussi  bon  cœur  que  je  prie 
Dieu  qu'il  vous  ait,  monsieur  Duplessis,  en  sa  saincte 
et  digne  garde. 

Du  Plessis  les  Tours,  etc. 

Vostre  ami,  Fiiançois. 
Et  au  dessus  estoit  escrit  : 

A  Monsieur  Duplessis ,  gentilhomme  de  ma  chambre. 


VIL  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  Langiietiy). 

Gand,  le  i5  novembre  1679. 
Monsieur  ,  j'ai  receu  les  vostres  du  19 ,  bien  am- 
ples, et  d'autant  plus  agréables;  depuis,  je  pense  que 
vous  en  aurés  receu  une  mienne.  Vous  m'avés  fait  pen- 
ser à  l'histoire,  et  par  l'aide  que  j'espère  de  vous,  peut 
estre  je  m'enhardirai;  mais  j'ai  de  grands  scrupules,  et 
tandis  que  nous  sommes  voisins,  je  vous  tiens,  par  vos 
suasions,  comme  obligé  à  me  les  vuider.  Geste  histoire  , 

(i)  Hubert  Languet ,  Bourguignon,  personnage  notable  en 
son  temps. 


LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS  A  M.  LANGUET.  8l 
comme  sçavés,  aura  pour  principale  matière  et  ^é»/*  j-e 
la  restauration  de  la  vraie  relligion  en  nos  temps,  après 
tant  de  confusions  dont  l'ignorance  des  siècles  prece- 
densTavoit  remplie.  Per  accidens  aussi  il  fauldra  traic- 
ter  les  oppositions  qu'a  faict  le  monde  à  Tencontie ,  prin- 
ces ,  republicques,  pieslats,  etc.  Ce  qui  se  peut  dire 
en  passant  des  affaires  politiques,  je  n'en  ferai  poinct 
de  mention  pour  cesle  heure.  Quant  au  premier,  j'oi 
blasmer  Sleidan  par  plusieurs  de  passion  ,  disans  qu'il 
ne  l'a  peu  celer  des  le  commencement,  comme  à  la 
vérité  des  le  beau  premier  mot  il  se  déclare  ennemi  du 
pape  et  des  siens  ,  et  cela  faict  révoquer  les  histoires  en 
doubte.  Orayantà  mettre  son  nom,  et  par  vostre  advis 
moi  le  mien,  on  cognoistra  prou  raffeclion  de  l'auc- 
teur;  mais  le  remède,  comme  je  pense,  seroit  de  dire 
la  vérité  sans  blasonner  les  personnes  de  leurs  couleurs. 
Comme  il  me  semble  que  celui  se  faict  plus  croire, 
qui  dict  que  Néron  tua  sa  mère,  que  qui  dict  ;  Ce  mes- 
chant  parricide  Néron,  etc.,  parce  que  la  chose  parle 
d'elle  mesme  assés,  et  le  plus  lourd  esprit  du  monde 
en  tire  la  conclusion  de  lui  mesme.  Une  aultre  chose 
aussi,  quand  le  nom  n'y  seroit  poinct,  feroit  rccog- 
noistre  le  parti  de  l'aucteur,  à  sçavoir  ce  qu'il  parlera 
plus  solidement  des  affaires  du  sien  que  de  l'autrui 
duquel  la  plus  part  du  temps  nous  ne  jugeons  les  con- 
seils que  par  les  effects;  c'est  en  quoi  je  desirerois  que 
m'enseignassiez  ung  chemin  de  modération.  Quant  au 
second  ,  je  trouve  peu  de  difficulté  à  en  inscrire,  mais 
très  grande  à  le  publier,  sinon'souvent  il  fauldra  allé- 
guer, pour  cause  d'ung  effect ,  ce  qui  ne  l'aura  pas  esté 
une  cause  généreuse  au  lieu  de  l'amour  dune  femme, 
et  d'une  querelle   de  bordeau  ;  car,  ainsi  que  nostre 

MÉM.  DE  DUPLESSIS-MORNAY.  ToME  II.  (} 


S'i  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

court  a  esté  ces  dernières  années  gouvernée,  vous 
n'ignorés  pas  que  les  piques  sont  venues  pour  la  plus  part 
de  là,  qu'il  n'y  est  appareu  une  seule  espèce  de  géné- 
rosité ni  de  prudence  :  or  le  dire ,  cela  est  fascheux  pour 
ceste  vie  ,  et  le  celer  ou  desguiser,  pour  ma  conscience, 
non  que  je  ne  sçaclie  que  nous  ne  sommes  pas  tenus  de 
tout  dire  ;  mais  certes  le  lecteur  apprend  plus  à  la  vé- 
rité qu'au  mensonge;  et,  descrivant  ung  bruslement,  il 
est  besoin  de  dire  par  où  est  pris  le  feu.  Joint  qu'ayant 
à  déduire ,  puis  après  une  mauvaise  et  imprudente  con- 
tinuation de  dessein,  et  une  fin  encores  pire,  con- 
viendra mal  de  lui  avoir  donné  ung  beau  commence- 
ment, et  seroit,  à  mon  advis ,  Hiimano  capiti  ceivi- 
cem  jiingere  equinam  y  etc.  Mais  en  cela  nous  aurions 
à  recueillir  les  mémoires  à  loisir,  dresser  une  sque- 
lette de  Tbistoire,  et  le  temps  cependant  se  pourroit 
cbanger;  sinon  ,  imiter  plusieurs  bons  aucteursqui  n'ont 
parlé  par  leurs  livres  qu'après  leur  mort,  encores  cer- 
tes que  c'est  ung  grand  plaisir  à  qui  met  ung  tableau 
en  vue  des  passans,  d'estre  caclié  derrière,  et  ouïr  ce 
qu'ils  disent,  jusques  aulx  cordonniers  mesmes;  car  on 
a  le  moyen  d'y  mettre  la  dernière  main.  J'ai  ung  aultre 
scrupule  encores  pour  ceste  lettre;  j'oi  blasmer  plu- 
sieurs historiens  pour  avoir  donné  leur  jugement  sur 
les  affaires  ;  il  y  en  a  d'aultres  qui  prennent  plaisir 
d'ouïr  ce  qu'ils  en  jugent.  J'ai  aultres  fois  pensé  que 
l'historien,  qui  est  comme  ung  rapporteur  de  procès, 
en  doibt  laisser  le  jugement  libre  aux  juges,  sans  leur 
prejudicier  par  une  première  voix;  mais  que  l'histo- 
rien le  pourroit  faire  en  tierce  personne,  disant  :  On 
croioit,  ou  on  jugeait ,  ou  les  plus  sages  disoient,  etc., 
ce  que  j'ai  observé  en  quelques  ungs  des  plus  no- 
tables; mais  je  ne  regarde  pas  que  je  fais  la  mesme 


A  M.  LANGUET.  83 

faulte,  quand,  vous  demandant  vostre  advis  sur  ces 
poincts,  je  dis  le  mien  tout  d'ung  coup  ,  lequel  toutes- 
fois  je  ne  vous  escris  que  pour  estre  plus  amplement 
corrigé  par  le  voslre.  De  M.  du  Pin(i),  je  n'en  attens 
rien  ;  car  il  m'a  souvent  dict  que  tous  ses  papiers  feu- 
rent  portés  à  la  court  de  parlement ,  et  à  peine  aussi 
m'cust  il  celé  ce  thresor  là.  Quant  au  dessein  du  Pé- 
rou, je  Tapprouve  infiniment;  mais  je  crains  que  nous 
n'ayons  plus  de  difficulté  h  trouver  un  prince  capable 
d'y  prester  l'oreille,  qu'à  prendre  pied  ferme  en  ce  pays 
là.  Je  le  thésauriserai  donc  attendant  que  Dieu  ad- 
jouste  la  puissance  à  ung  que  je  sçai  qui  en  auroit  bien 
la  volonté.  L'effect  d'Angleterre  me  semble  indigne  : 
à  la  vérité  j'eusse  désiré  qu'ils  eussent  suivi  une  aullre 
voie,  car  les  libelles  fameux  ne  se  doibvent  pas  ainsi 
mettre  à  tous  les  jours;  mais  on  se  plainct  fort  que  la 
loi  a  esté  tirée  par  les  cheveux,  et  que,  pour  les  faire 
punir,  on  a  déterré  une  vieille  ordonnance  de  la  royne 
Marie;  Dieu  veille  qu'on  ne  la  déterre  poinct  elle 
mesme.  On  m'escrit  que  M.  de  Cimiers  feut  prié  par 
la  femme  de  M.  Stupp  et  aultres  ses  parens  d'inter- 
céder pour  lui.  S'il  est  ainsi,  et  qu'il  ne  l'ait  faict,  comme 
ils  dient,  je  pense  qu'il  a  laissé  eschapper  une  belle 
occasion  d'acquérir  la  bienveillance  du  peuple  à  son 
maistre,  ou  d'en  diminuer  la  haine;  il  est  assez  pra- 
dent  pour  s'en  estre  advisé,  et  pourtant  plusieurs  ju- 
gent de  là  que  monseigneur  enfin  descondra,  s'il  peut, 
ce  mariaige,  ayant  tenu  si  peu  de  compte  de  se  faire  ai- 
mer au  païs.  liiitia  malorani  /lœc ,  tieduin  finis.  J'ai 
veu  ici  des  lettres  d'Allemaigne,  escrites  à  Couloigne, 
qui  parlent  d  une  grande  armée  qui  s'y  prépare  soubs 

f  i)  Secrétaire  d'eslat  du  roy  de  Navarrq. 


84  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

un  chef  muet,  avec  plusieurs  particularités.  Je  crois  que 
ce  seroit  ces  levées  de  bouclier  de  la  Franche  Comté; 
toutesfois  nos  petits  brouillons  ne  travaillent  pas  en 
vain ,  pour  le  moins  sans  dessein.  Je  ne  vous  escris 
poinct  de  nouvelles,  vous  estes  à  la  source.  D'ores  en 
avant  je  prendrai  les  argumens  de  vous  escrire,  puis 
que  ce  désert  m'excuse;  mais  vous  ne  me  rendrés  pas 
la  pareille,  s'il  vous  plaist.  Vous  sçavés  comme  Phi- 
lippe Melancthon  a  esté  bruslé  en  grand  triomphe  à 
Munich ,  et  comme  le  feu  se  meit  au  chasteau  pendant 
la  feste ,  et  les  lions  eschapperent  qui  empescherent 
de  courir  au  feu.  Justa  Domini  judicia.  Sur  ce ,  nous 
saluons  humblement  vos  bonnes  grâces,  et  supplions 
le  Créateur,  etc. 


VIII.  — ->;«'LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.   de  Danzaj,   ambassadeur  du  roy  de  Dan- 
nemarck. 

Monsieur  ,  ayant  receu  vostre  lettre  du  29*  de  dé- 
cembre, je  A'ous  y  avois  faict  response ,  et  dressé  ung 
petit  mémoire  que  je  vous  envoie;  mais  comme  je  des- 
peschois le  messager ,  celle  du  1 1''  de  novembre  me  feut 
rendeue ,  et  aussi  deux  de  M.  Languet,  et  parce  qu'il 
me  prye  de  lui  escrire  particulièrement,  comme  le 
faict  gênerai  que  nous  poursuivons  a  esté  conduict  des 
le  commencement,  je  lui  ai  bien  voulleu  satisfaire; 
je  vous  en  envoie  une  copie.  Je  serois  fort  aise  qu'il  y 
exist  chose  qui  vous  pleust  et  donnast  quelque  soula- 
gement. Ce  m'a  esté  très  grand  plaisir  d'avoir  cognu 
par  vostre  dernière  lettre  du  3*  de  novembre ,  que  ne 
désespérez  du  succès  de  ma  négociation ,  comme  pour 


A  M.  DE  DANZAY.  85 

certain  nous  ne  debvons;  mais  plustost  recognoistre  le 
fniict  qui  est  proveneu  de  nostre  labeur  en  ce  faict.  Car, 
si  le  roy  de  Dannemarck  n'eust  esté  confirmé  par  les 
lettres  du  roy  de  Navarre,  je  ne  sçais  qu'il  feust  adveneu  ; 
et  si  ledictroy  de  Dannemarck  eust  subscript  au  livre  de 
Concorde,  il  eust  esté  soudain  publié,  au  grand  préju- 
dice de  toute  la  chrestienté;  mais  par  la  constance  et 
libres  remontrances  ,  il  a  donné  craincte  aulx  auc- 
teurs  du  livre  de  Concorde,  confirmé  ceulx  qui  s'y 
opposoient,  et  donne  occasion  à  plusieurs  de  n'y  sub- 
scrire  par  les  raisons  qu'il  allégua  publicquement  à 
Gustrau ,  l'an  passé,  en  la  présence  de  l'électeur  de  Saxe 
(  combien  qu'ils  ne  contestèrent  ensemble  de  la  relli- 
gion),  ou  plus  de  cinq  cens  gentilshommes  allemans 
se  trouvèrent.  Car  le  roy  de  Dannemarck  n'est  poinct 
dissimulateur. 

Si  les  roys  et  princes  accusés ,  auxquels  ce  faict  touche , 
ne  s'en  veullent  mesler,  de  telle  affection  que  l'impor- 
tance le  mérite  ,  il  est  évident  que  les  particuliers  tra- 
vaillent en  vain ,  et  combien  que  leurs  escrits  et  remons- 
trances  servent  beaucoup  ,  si  est  ce  qu'elles  tourneront 
à  néant,  si  lesdicts  sieurs  princes  ne  veullent  faire  leur 
debvoir. 

Il  nous  fault  asseurer  que  la  royne  d'Angleterre  s'y 
emploiera  fidèlement  (veu  la  déclaration  qu'elle  en  a 
faicte),  et  que  plusieurs  seigneurs  d'auctorité,  qui  sont 
auprès  d'elle,  sçauront  bien  user  de  l'occasion  quand 
elle  se  présentera ,  car  ce  faict  ne  touche  moins  sa  ma- 
jesté et  le  royaume  d'Angleterre  que  celui  de  France. 

Cependant  le  roy  de  Navarre  ne  se  doibt  oublier,  ne 
délaisser  la  poursuite  de  ce  qui  a  esté  si  heureusement 
avancé  en  son  nom.  Je  vous  proposerai  deux  moyens 


86  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

pour  ce  faire;  i'iing  gênerai,  l'aulfre  particulier.  Quant 
à  la  généralité,  nous  poursuivons  ung  synode  gênerai. 
Le  roy  de  Dannemarck  ne  defauldra  à  son  debvoir,  et 
vous  voyez  que  les  ducs  Cazimire  de  Hanhald    de  Po- 
meranie,   et   le  landgrave  de  Hesse  poursuivent   plus 
vivement  et  diligemment  ledict  synode  gênerai,  que  les 
princes  accusés,   qui   demonstrent  n'en  avoir  aulcun 
soin.  Puisque  les  piinces  sont  insimulés  de  plusieurs 
hérésies,  il  me  setuble  qu'ils  ne  sçauroient  plus  com- 
modément ne  facilement  desmontrer  leur  innocence, 
et  le  tort  qui  leur  est  faict,  que  par  une  confession  de 
foi,  qui  soit  proposée  au  nom  desdicts  seigneurs  princes; 
car  il  ne  nous  fault   tant  travailler  à  prouver  nostre 
innocence,  qu'à  clairement  desmontrer  les  calomnies 
des  théologiens  qui  ont  persuadé  à  plusieurs  princes  et 
seigneurs,  et  au  commun  peuple  d'Allemaigne,  que  nous 
ne  croyons  point  que  le  vrai  corps  de  Christ  nous   soit 
comnuuiiquéen  sa  sainte  Cène,  quoique  nous  le  disions, 
et  que  nous  nions  que  Jésus  Christ  soit  Dieu  tout  puis- 
sant. Davantage  ceux  qui  nous  accusent ,  ne  sont  poinct 
incités  d'un  vrai   zèle   de  la  relligion,  ains  seulement 
d'une  ambition  et  cupidité  insatiable  de  vengeance,  qui 
est  le  pis ,  et  où  des  théologiens  à  leur  dévotion  doctes, 
eloquens  et   d'esprit  aigu  et  subtil  ,  qui ,  volentes  et 
scientes j  peccciiii,  et  qui  peuvent  desguiser  ung  chat 
en  loup.  Mais  Dieu  soit  loué  ,  qu'il  y  ait  des  princes  en 
Allemaigne  qui  le  cognoissent.  Ce  considéré ,  il  seroit 
à  désirer  qu'il  pleust  au  roy  de  Navarre  envoyer  une 
pure  et  simple  confession  de   sa   foi  aux  princes  sus- 
dicts,en  son  nom,  et  en  demander  leur  advis.  Cettecon- 
fession  sera  d'aultant  plus  agréable  à  tous,  et  plus  fa- 
cilement receue ,  qu'elle  sera  simple  et  claire.  Que  le 


A  M.  DE  DANZAY.  87 

roy  de  Navarre  déclare  son  opinion  des  articles  qui  sont 
en  controverse,  entre  ceulx  de  la  relligion  reformée 
(  à  quoi  les  Eglises  des  Pays  Bas  ont  amplement  satis- 
faict,  selon  mon  advis).  Qu'il  demonstre  les  calamités 
qui  proviennent  de  telles  controverses,  et  qu'elles  ne 
se  peuvent  mieux  finir  que  par  ung  synode  gênerai , 
comme  iesdicts  princes  confessent.  Pour  ceste  cause, 
qu'il  les  prye  joindre  leurs  pryeres  aux  siennes,  pour 
plus  facilement  obtenir  de  l'électeur  de  Saxe  (duquel 
le  tout  dépend)  qu'il  consente  au  synode  :  je  ne  puis 
penser  qu'ils  ne  s'y  emploient  aussi  facilement  que  le 
rov  de  Dannemarck  :  et  si  ledict  électeur  refuse  leur 
intercession  (ce  que  je  ne  puis  croire,  veu  l'équité  et 
l'importance  de  la  cause),  il  est  certain  qu'ils  lui  con- 
trediront, d'aultant  plus  quant  au  livre  de  Concorde, 
et  par  ce  moyen ,  nous  romperons  ou  empescherons 
tous  les  desseins. 

Puisque  le  roy  de  Navarre  est  publicquement  blasmé 
de  son  honneur,  je  ne  puis  voir  cause  qui  le  doibve 
garder  ne  empescher  de  se  défendre  et  conserver,  et 
de  promptement  envoyer  quelques  suffisans  ministres 
devers  Iesdicts  princes,  pour  leur  faire  cognoistre  son  in- 
nocence. Je  crains  seulement  que  pour  ce  respect  ses  ad- 
versaires en  France  ne  le  accusent  envers  le  roy ,  qu'il 
faict  nouvelles  pratiques  en  Allemaigne  contre  sa  pro- 
messe, et  qu'il  veult  troubler  son  estât.  Pour  ceste  cause, 
je  vous  ai  escrist  ci  devant  qu'il  ne  seroit  mal  à  propos 
qu'il  fist  entendre  au  roy  de  France  (  s'il  ne  l'avoit  au- 
paravant faict),  pour  quelles  causes  il  estoit  contrainct 
d'envoyer  en  Allemaigne,  car  tels  voyages  ne  se  peu- 
vent celer.  Voilà ,  quant  au  gênerai ,  qui  ne  se  peult 
procurer  ne  accomplir  sans  ung  long  temps.  Quant  au 
particulier ,  il  est  nécessaire  de  user  promptement  et 


88  LETTRE  DE  M.  DUPLESSÏS 

diligentement  de  l'occasion  qui   se  présente,  que  je 
vous  déclarerai. 

Il  est  certain  que  l'électeur  de  Saxe  sera  en  Danne- 
marck  sur  la  fin  du  mois  d'avril  prochain ,  et  plusieurs 
princes  d'Allemaigne  de  la  relligion  reformée;  pourtant 
il  me  semble  qu'il  seroit  bien  nécessaire  que  le  roy  de 
Navarre  escrivist  derechef  <?//!  roy  de  Dannemarck  pour 
]e  remercier  du  fidèle  debvoir  qu'il  a  faict  pour  avancer 
la  cause  commune,  et  le  pryer  de  continuer,  s'offrant 
l'occasion  (comme  pour  certain  il  fera),  et  y  adjouster 
les  aullres  argumens  que  vous  savez  propres,  pour  as- 
seurer  et  augmenter  leur  commune  amitié  ,  et  croyez 
qu'il  lui  peut  escrire  comme  à  ung  prince  qui  lui  est 
ami  très  affectionné.  Aussi  qu'il  lui  plaise  escrire  une 
aullre  \^i\.Ye  ^wàSx.  électeur  de  Saxe .  i  ".Qu'il  l'a  tousjours 
teneu  pour  ung  de  ses  meilleurs  amis,  voire  pour  père. 
1^ .  Que  quehjues  théologiens  d'Allemaigne  l'ont  public- 
quement  insimulé  de  plusieurs  hérésies,  et  les  Eglises  re- 
formées de  France,  contre  tout  droict  et  raison.  3°  Qu'il 
est  contrainct  de  défendre  son  honneur,  et  remonstrer 
l'innocence  desdictes  Eglises.  4"-  Ql'c  P'^i'  telles  accusa- 
tions ,  le  roy  de  France  est  irrité  contre  lui  ;  il  est  rendu 
odieux  à  plusieurs  grands  seigneurs  qui  lui  esloient  au- 
paravant amis,  et  ses  ennemis  daubant  plus  incités  à 
lui  nuire  davantage,  que  le  pape  et  ses  adherens  ont 
d'aultant  plus  d'occasion  de  lui  covu^^e  sus,  et  convertir 
leurs  forces  contre  les  Eglises  reformées  de  France,  qui 
ne  se  peult  faire  sans  l'effusion  du  sang  d'une  grande 
noblesse  et  de  plusieurs  gens  de  bien  (  qui  ont  tant  de 
fois  demonstre  vertu  et   consîance  pour  la  défense  de 
la  vraie  relligion),  et  d'ung  nombre  infini  de  povres 
femmes  et  enfans  innocens.  5".  Qu  il  désire  surtout  que 
ledict  électeur  ait  vraie  cognoissance  de  son  intégrité 


A  M.  DE  DANZAY.  89 

et  innocence,  aussi  que  ce  lui  est  une  véhémente  dou- 
leur d'entendrê~qu'il  n\t  conceu  une  mauvaise  opinion 
de  lui.  Pour  reste  cause,  qu'il  le  prye  très  affectueuse- 
ment vou  Hoir  lire  et  considérer  la  confession  de  foi  qu'il  lui 
envoiera  de  brief,  par  homme  exprès,  et  la  déclaration 
de  son  opinion  sur  les  articles  de  la  relligion  qui  sont 
en  controverse;  et  s'il  y  trouve  quelque  erreur,  ou 
chose  ambiguë,  ou  qui  ne  soit  assez  clairement  expli- 
quée, qu'il  le  prye  lui  voulloir  doulcement  remonstrer 
selon  la  charité  chrestienne ,  et  qu'il  suivra  volontiers 
son  ad  vis,  s'asseurant  qu'il  sera  conforme  aux  escrits 
des  prophètes,  apostres  et  le  commun  consentement  de 
l'Eglise  orthodoxe.  6°.  Cependant  qu'il  prye  ledict  élec- 
teur user  de  son  auctorité  envers  lesdicts  théologiens, 
afin  qu'ils  le  déportent  de  le  blasmer  et  detracter  de  lui  et 
des  Eglises  de  France,  jusqu'à  ce  qu'ils  y  aient  esté  suf- 
fisamment ouïs.  7°.  Parce  que  le  droict  des  parties  ne 
peultestre  plus  facilement  cognu  ne  déclaré  ,  ne  les  dis- 
sentions qui  sont  entre  ceulx  de  la  relligion  reformée 
plus  promptementne  seurement  finies,  ne  composé  que 
par  ung  synode  gênerai  et  libre,  qu'il  prye  très  affec- 
tueusement ledict  électeur  de  voulloir  nommer,  quelque 
lieu  oh  il  puisse  estre  teneu ,  et  aussi  le  jour ,  et  qu'il 
ne  fauldra  d'y  envoyer,  et  les  Eglises  de  France.  8°.  Qu'il 
a  envoyé  pour  mesme  cause  et  fin  devers  tous  les  roj^s 
et  princes  de  la  relligion  reformée, afin  qu'ils  ne  adjou- 
tent  foi  à  ceulx  qui  detracteront  de  lui  et  des  Eglises 
de  France.  Aussi,  pour  faire  cesser  telles  calomnies  et 
injures  aux  pays  de  leur  obéissance,  jusques  à  ce  que, 
par  ledict  synode  gênerai ,  il  soit  suffisamment  demons- 
tré  en  quoi  les  Eglises  de  France  errent  en  la  relligion. 
9°.  Qu'il  ^  expressément  commande  à  ceulx  qui  sont 
allez  devers^les  aultres  princes,  que,  après  avoir  eu  leurs 


90  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

advis,  ils  aillent  trouver  ledict  électeur,  afin  que  le  tout 
soit  resoîeu  et  concleu,  selon  qu'il  advisera  et  jugera 
estre  expédient  pour  composer  lesdictes  pernicieuses 
contentions  en  la  relligion,  ([ui  sont  cause  de  tant  de 
tristes  calamités  que  la  clirestienté  a  soufi'ertes,  et  par- 
tira ,  ci  après,  s'il  n'y  est  promptement  pourveu,  et  qu'il 
approuvera  volontiers  son  advis. 

Les  articles  qui  touchent  l'honneur  du  roy  de  Na- 
varre, sa  personne,  ses  mérites  envers  ceulx  de  la  relli- 
gion, et  la  guerre,  aussi  l'effusion  du  sang  du  povre 
peuple,  se  doibvent  traicter  gravement  et  amplement , 
les  ungs  afin  que  ledict  électeur  voye  les  malheurs  que 
telles  condamnations  et  dissentions  apportent.  Que  le 
roy  de  Navarre  lui  a  esté  tousjours  vrai  ami  ,  qu'il  ne 
Fa  jamais  offensé  ;  néanmoins  qu'il  semble  que  lesdictes 
condamnations  ayant  esté  seulement  faictes  pour  tota- 
lement le  destruire;  les  aultres,  pour  esmouvoir  ledict 
électeur  à  pitié,  qui  sont  champs  assés  amples,  pour 
donner  plaisir  à  tel  esprit  que  le  vostre. 

Jai  expressément  dict  que  le  roy  de  Navarre  avoit  en- 
voyé devers  les  roys  et  princes  de  la  relHgion  reformée 
pour  trois  causes.  L'une ,  afin  que  ledict  électeur,  estant 
pryé  du  roy  de  Dannemarck  d'accorder  au  roy  de 
Navarre  sa  juste  pryere,  il  y  veuille  plustost  consentir 
et  avec  son  honneur,  que  d'attendre  que  les  aultres 
princes  l'en  requièrent.  L'aultre,  afin  qu'il  cognoisse 
que  toute  la  chrestienté  entendra  le  tort  qu'il  faict  à 
plusieurs  roys  et  princes  par  telles  condamnations.  La 
troisiesme  qu'il  n'a  occasion  de  deffendre  l'insolence  de 
quelques  corrompeus  théologiens,  pour  offenser  tant 
de  princes.  J'ai  ceste  espérance  en  Dieu ,  si  le  roy  de 
Navarre  escrit  une  si  honneste  et  affectionnée  lettre 
audict  électeur,  qu'il  en  aura  bonne  responce;  car  je 


A  M.  DE  DANZAlY.  91 

vous  puis  asseurer  que  le  roy  de  Dannemarck  lui  en 
parlera  de  très  grande  affection ,  aussi ,  qu'on  ne  de- 
mande (qui  est  le  principal)  que  chose  saincte,  juste  et 
très  raisonnable. 

Et  quoi  qu'il  fasse,  si  les  princes  susdicts  demeurent 
en  leur  opinion,  et  y  soient  contlrmés  par  les  remons- 
trances  diidicl  roy  de  Navarre,  nostre  parti  en  Allemai- 
gne  ne  sera  moindre  que  celui  de  nos  adversaires.  Mais 
j'ai  ceste  opinion  que  ledict  électeur  sera  à  la  fin  vaincu 
par  prières  et  par  la  raison,  quand  il  verra  la  déli- 
bération et  poursuite  qu'en  faict  ledict  roy  de  Na- 
vaire. 

Je  fay  souvent  mention  d'une  confession  de  foi  géné- 
rale escrite  au  nom  du  roy  de  Navarre  pour  ces  causes: 
1°.  Que  je  ne  me  puis  apercevoir  d'aullre  moyen  pour 
deraonstrer  son  innocence  en  la  relligion  que  celui  là. 
2^.  Qu'on  y  ajoutera  plus  de  foi,  et  sera  plus  agréable 
qu'à  ung  particulier.  3".  Qu'on  ne  lui  reprochera  qu'il 
confesse  aultrement  de  bouche  qu'il  ne  croit  de  cœur, 
comme  à  ung  tlieologien,  aussi  j'ai  cesle  opinion  que 
les  théologiens  d'vlllemaigne  accepteront  plustost  la 
confession  dudict  roy  de  Navarre,  que  du  plus  docte 
théologien  qui  vive  mesmement ,  s'd  met  en  l'article  de 
la  samcte  Cène  une  pure  et  simple  confession  de  ce  qui 
est  suffisant  à  nosire  salut,  car  cela  est  le  subject  de 
union  et  concorde.  J'envoie  à  présent  une  reforme  d'une 
particulière  confession  de  la  saincte  Cène,  parce  qu'elle 
est  agréable  au  roy  de  Dannemarck,  et  approuvée  des 
principaulx  théologiens  de  son  royaume,  et  quand  il 
la  monstrera  audict  électeur,  il  lui  dira  que  telle  est  son 
opmion  ,  et  espère  que  ledict  électeur  ne  la  rejeitera. 
Aussi  j'ai  mis  la  controverse  qui  est  entre  les  théolo- 
giens «c //2o«f6>/?/-<^j-e/z//^,  et  mandiLcationis  corporis 


ga  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

Christi  m  sacra  Cœna  ,  vous  y  ajoulerés  et  changerés 
ce  qu'il  vous  plaira.  Quand  nous  conviendrons  de  ce 
qui  est  nécessaire  à  nostre  salut,  il  est  certain  que  ceste 
controverse  sera  d'autant  plus  facilement  finie.  Je  fay 
mention  de  Chytraeus  et  de  Jacobus  Andrse,  princi- 
paulx  aucteurs  du  livre  de  Concorde,  afin  que  Tung 
soit  cogneu  impudent  calomniateur  par  ses  escrits,  s'il 
attribue  telle  erreur  aux  Eglises  de  France;  et  l'aultre 
ung  pernicieux  docteur,  par  le  jugement  de  plusieurs 
princes  et  doctes  théologiens  d'Allemaigne.  J'ai  ci  devant 
envoyé  à  M.  de  Villiers  ung  exemplaire  de  la  raison 
dudict  Chytraeus  :  je  vous  prye  ,  monsieur,  pourvoir  en 
tout  comme  vous  jugerez  estre  expédient  et  néces- 
saire; quant  à  moi ,  je  n'ai  rien  promis,  ne  donne  espé- 
rance à  personne  quelconque  de  ce  que  je  vous  escris; 
ne  ferai  que  selon  vostre  advis;  nul  n'aura  occasion  de 
s'en  plaindre  :  Dieu  veuille  conduire  le  tout  à  son  hon- 
neur et  gloire.  Si  le  roy  de  Navarre  s'y  veult  employer, 
je  vous  prie,  monsieur,  autant  affectueusement  qu'il 
m'est  possible,  que  vous  m'en  veuilliez  en  gênerai  ad- 
vertiren  toute  diligence,  et  que  c'est  qu'il  veut  pour- 
suivre généralement  ou  particulièrement ,  afin  que  je 
puisse  préparer  ce  qui  sera  nécessaire  pour  l'avance- 
ment et  accomplissement  de  ce  qu'il  désirera.  Estant 
en  doute  si  l'électeur  de  Saxe  viendroit  par  deçà  ,  je  ne 
vous  en  ai  osé  asseurer,  afin  que  ne  fissiez  entendre 
chose  au  roy  de  Navarre,  audict  électeur,  estoit  agréable 
à  M.  Languet,  et  la  lui  voulleust  présenter,  je  vouidrois 
de  bon  cœur  que  sa  majesté  lui  en  donnast  la  charge , 
car  il  la  sçauroit  mieulx  conduire  que  personne  que  je 
sçache;  mais  il  ne  fault  mettre  ce  bon  sieur  là  en  peine. 
Jesçai  que  vous  ne  ferez  rien  que  de  son  consentement; 
ledict  électeur  doibt  partir  de  Dresden  le  troisiesme 


A  M.  DE  DANZA.Y.  gS 

d'avril ,  pourtant  il  ne  sera  en  Dannemarck  que  sur  la 
fin  dudict  mois.  v 

Le  roy  de  Pologne  avoit  ci  devant  pryéje  roi  de  Dan- 
nemarck d'envoyer  ses  députés  à  Stettin ,  ville  du 
duché  de  Pomeranie,  au  commencement  du  mois  de 
janvier  dernier  passé  ,  et  qu'il  ne  fauldroit  d'y  envoyer 
les  siens  pour  convenir  des  articles  d'une  ligue  ou  con- 
fédération ensemble  contre  le  Moscovite  :  ceulx  du  roy 
de  Dannemark  s'y  sont  trouvés,  mais  le  Polonnois  s'est 
excusé.  L'on  dict  que  ledict  Moscovite  a  envoyé  devers 
lui,  pour  faire  paix  ou  trêves.  Je  ne  doute  poinct  qu'il 
n'accepte  volontiers  l'une  des  deux  conditions,  veu  le 
peu  de  moyen  qu'il  a  de  continuer  la  guerre,  aussi  que 
les  estats  de  Pologne  veullent  avoir  la  paix.  Je  suis  très 
marry  que  monsieur  se  soit  allé  embrouiller  avec  ce  ma- 
riaige,  car  cela  ne  faict  que  diminuer  sa  réputation  et 
honneur;  et  s'il  ne  succède  ,  je  crains  que  telle  pratique 
ne  soit  grandement  préjudiciable  à  l'une  et  à  l'aultre 
partie.  Pour  le  moins,  il  n'y  aura  jamais  amitié  entre 
eulx  ,  dont  infinis  maulx  peuvent  advenir  et  à  eulx  et  à 
plusieurs  aultres.  Si  vous  entendes  quelque  chose  cer- 
taine de  laroyne  d'Angleterre  ,  je  vous  prye  très  affec- 
tueusement, monsieur,  m'en  advertir;  car  comme  vous 
sçavez  cela  est  d'importance  par  deçà.  Aussi  je  vous 
prye  me  faire  cest  honneur  que  je  sçache  souvent  de  vos 
bonnes  nouvelles,  car  je  vous  promets  qu'elles  me  sont 
de  très  grande  consolation.  Je  ne  vous  puis  dire  aultre 
chose  de  feu  M.  de  Varenes ,  sinon  qu'il  estoit  de  Picar- 
die, et  que  feu  madame  la  duchesse  de  Valentinois,  pour 
quelque  faulte  qu'il  feit,  eut  la  confiscation  de  son 
bien.  Je  vous  envoie  la  forme  de  son  cachet  :  je  ferai 
pour  son  fils  comme  s'il  estoit  le  mien  propre. 

Monsieur,  je  me  recommande  bien   humblement  à 


94  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS ,  cic. 

vostre  bonne  grâce,  et  prye  Dieu  de  vous  donner  très 

heureuse  et  longue  vie. 

Ce  dernier  de  febvrier  i  58o. 

Vostre  obéissant  ami. 


IX.  —  ADVTS  DE  M.  DUPLESSIS 

Sur  les  moyens  de  contenter  les  catholiques  romains 
demandans  le  restablissement  de  Vexercice  de  leur 
relligion  en  Bearn ,  envoyé  au  roy  de  Navarre  en 
Van  i58o. 

Il  est  mal  aisé  de  parler  pertinemment  des  choses  à 
qui  n'est  sur  les  lieux;  car  la  moindre  circonstance  en 
change  la  nature,  et  aussi  n'est  le  présent  mémoire  que 
pour  servir  au  meilleur  advis  de  ceulx  qui  voient  les 
choses  de  plus  près. 

Partie  des  subjecls  du  roy  de  Navarre  en  Bearn  lui 
demandent  Texercice  de  la  relligion  romaine,  et  sont 
leurs  requestes  favorisées  du  roy.  Or,  soit  que  ledict  sei- 
gneur roy  l'accorde  ou  le  refuse,  il  y  a  des  inconve- 
niens  grands  et  difficiles  à  éviter. 

S'il  le  refuse,  partie  de  son  peuple  sera  mal  content, 
aussi  sera  le  roy  mesme  ,  et  ses  ennemis  prendront  ceste 
occasion  pour  susciter  ses  subjects  contre  lui,  que  par 
après  ils  aideront  de  tous  leurs  moyens;  de  là,  par  une 
suite  comme  nécessaire,  nous  rentrons  en  guerre  en 
France  ;  davantage  le  roy  alléguera  que  le  roy  de  Na- 
varre l'aura  pressé  d'une  chose  qu'il  n'aura  voulleu 
pratiquer  en  son  propre  Estât. 

S'il  l'accorde  ,  en  voici  derechef  d'aultres.  Toute 
mutation  ,  quelque  licite  qu'elle  puisse  estre,  a  du  dan- 
ger en  soi;  l'aultre  partie  de  son  peuple  ,  qui  est  la  plus 


ADVIS  DE  M.  DUPLESSIS,  etc.  gS 

affectionnée,  le  trouvera  mauvais;  les  princes  et  estats 
qui  font  profession  de  nostre  relligion  pareillement,  et 
sa  majesté  sçait  assés  qu'il  n'y  a  poinct  faulte  de  gens 
qui  embrassent  volontiers  ung  subject  de  calomnier, 
veu  que,  sans  subject,  ils  n'en  ont  faict  conscience;  or 
est  il  trop  plus  à  craindre  d'offenser  ses  amis  et  bien- 
veillans ,  que  non  pas  ceulx  dont  l'amitié  ne  se  peut 
acquérir,  ni  Fiinmitié  diminuer ,  ni  peut  estre  accroistre. 

De  deux  maulx  c'est  quelque  prudence  de  choisir  le 
moindre ,  plus  grande  de  les  éviter  tous  deux  ,  mais 
très  grande  quand  on  les  convertit  à  son  bien  et  advan- 
cement. 

Le  roy  de  Navarre  y  a  prudemment  procédé  quand 
il  a  respondu  que  la  relligion  romaine  avoit  esté  abolie 
en  ses  pais  par  une  légitime  convocation  d'estats,  et 
ne  s'y  pouvoit  ni  ne  debvoit  r'establir  que  par  une  sem- 
blable; car  par  ce  moyen  il  a  gaigné  temps,  et  qui  a 
temps  ,  dit  l'Italien,  a  vie.  Davantage  il  se  gaigne  tou- 
jours quelqu'ung  à  nostre  relligion,  et  les  aultres  s'ac- 
coustument  plus  à  se  passer  d'idolâtrie;  qui  pourroit 
tousjours  dilaier  ainsi,  ce  seroit  ung  grand  bien,  et 
peut  estre  que  la  déloyauté  ordinaire  de  nos  ennemis 
en  continuera  les  occasions  au  roy  de  Navarre,  veu 
qu  ils  ne  se  peuvent  contenir  de  surpendre  ores  une 
place,  et  ores  l'aultre  ,  et  faire  des  infractions  évidentes. 

Mais  parce  qu'il  est  mal  aisé  que  tous  délais  n'aient 
une  fin ,  et  que  la  longueur  pourroit  estre  interprétée 
pour  ung  refus ,  semble  que  le  roy  de  Navarre  en  pour- 
roit tirer  de  l'advancement  pour  la  relligion,  et  de  la 
réputation  grande  pour  lui ,  s'y  conduisant  en  la  façon 
qui  s'ensuit,  asçavoir  : 

Qu'estans  les  choses  en  quelque  repos  en  France,  il 
publiast  un  concile  ou  conférence  pour  le  faict  de  la 


gG  ADVIS  DE  M.  DUPLESSIS 

relligion  en  ses  pays  souverains  en  dedans  ung  temps 
prefîx  et  limité,  pour  donner  contentement  à  to  st  son 
peuple ,  avec  une  préface  bien  fondée ,  telle  qu'on  la 
pourroit  dresser  à  ce  propos. 

Qu'à  icelle  il  conviast  par  lettres  les  plus  capables 
ministres  des  Eglises  françoises,  entre  lesquels  il  pour- 
roit choisir  MM.  de  Beze  ,  Chandieu,  Villiers  ,  Merlin, 
de  Spina  et  aultres,  oultre  ceulx  qu'il  a  près  de  sa  per- 
sonne ,  ou  bien  en  ses  pays. 

Qu'il  y  conviast  pareillement,  par  l'escrit  qui  se  dres- 
seroit  pour  ladicte  convocation,  tous  ceulx  de  la  relli- 
gion contraire  ,  clercs  et  laïcs  qui  vouldroient  entrer  en 
ladicte  conférence  ,  de  quelconque  nation  que  ce  feust, 
leur  y  promettant  libre  et  seur  accès  et  reces  en  foi  et 
parole  de  prince  chrestien. 

Que  ladicte  convocation  feust  imprimée  et  divulguée 
par  tout  et  en  toutes  langues,  et  mesmes  que  le  roy  de 
Navarre  en  escrivist  lettres  bien  solennelles  aux  princes 
voisins  ses  amis  ,  tant  d'une  que  d'aullre  religion. 

Là  dessus  ne  fault  doubter  que  le  paj)e  et  les  prélats 
n'usent  de  leurs  façons  accoutumées,  asçavoir  de  pu- 
blier des  nullités  contre  ladicte  assemblée,  comme  ne 
se  pouvant  telles  choses  faire ,  sinon  de  par  l'evesque  de 
Rome;  item,  interjeter  des  excommunications  contre 
tous  ceulx  de  l'Eglise  romaine  qui  s'y  trouveront ,  et 
lors  telles  responces  ne  seront  pas  sans  bonnes  répli- 
ques. 

Cependant  de  ces  fuites  et  chicaneries  on  se  pourra 
prévaloir  envers  le  peuple,  auquel  il  sera  aisé  de  faire 
voir  que  les  prélats  fuient  la  lumière  ,  craignans  que 
leur  imposture  ne  soit  descouverte. 

Que  si,  non  obstant  icelles  excommunications,  aul- 
cuns  se  veullent  trouver   en  ladicte  assemblée,  tant 


TOUCHANT  LES  CATHOL.  DE  BEARN.  97 

plus  beau  sera  le  champ  au  roy  de  Navarre  d'advancer 
la  oloire  de  Dieu,  et  d'acquérir  une  réputation  mer- 
veilleuse par  toute  la  chrestienté;  alors  donc  il  pourra 
commencer  ladicte  conférence  par  une  prière  à  Dieu, 
suivie  d'une  belle  harangue  à  tout  son  peuple,  lui  re- 
raonstrant  le  soin  qu'il  a,  non  de  son  repos  seulement, 
mais  aussi  de  son  salut;  qu'il  auroit  appelle  une  telle 
assemblée  pour  lui  faire  voir  avec  quel  droit  la  feue 
royne  sa  mère  et  lui  auroient  procédé  à  la  reformation 
de  l'Eglise. 

Lors  pourroit  addresser  sa  parole  indifféremment, 
tant  aulx  ecclésiastiques  romains,  qu'aulx  ministres, 
leur  demandant  précisément  si  Jésus  Christ  n'est  pas 
venu  pour  nostre  salut  ;  s'il  ne  nous  en  a  pas  donné  la 
règle  par  escrit  par  les  mains  de  ses  apostres;  si  ce  n'est 
pas  la  parole  de  Dieu  contenue  au  vieil  et  nouveau  Tes- 
tament; si  celui  qui  a  accompli  nostre  salut,  ne  nous 
y  a  pas  enseigné  tout  ce  qui  y  est  nécessaire  ;  si  ce  qui 
s'y  trouve  ne  doit  pas  estre  pratiqué  en  l'Eglise ,  et  ce 
qui  non,  rejeté  comme  inutile;  si  les  romanistes  s'y 
opposent ,  il  est  aisé  de  les  convaincre  comme  blasphé- 
mateurs ,  et  on  pourra  armer  sa  majesté  mesme  de  telles 
raisons,  qu'il  leur  clorra  la  bouche;  s'ils  s'y  accordent, 
c'est  encores  le  meilleur,  car  leur  doctrine  ne  pourra 
subsister. 

C'est  la  loi  que  proposa  le  grand  Constantin  à  l'en- 
trée du  concile  de  Nicee  pour  vuider  le  différend  d'A- 
rius;  que  l'Escriture  sainte,  qui  estoit  receue  des  deux 
parties,  en  feust  juge.  C'est  aussi  ce  qui  feut  pratiqué 
par  les  cantons  protestans  de  Suisse  en  la  mutation  de 
la  relligion,  les  magistrats  demandans  en  paroles  d'auc- 
torité  aux  presbtres  si  la  Bible  n'estoit  pas  la  règle  de 
salut,  et  leur  commandansde  trouver  en  icelle  ce  qu'ils 

Mém.  de  DuPiF.ssis-MoRNAy.  Tome  ir.  n 


98  ADVIS  DE  M.  DUPLESSIS 

enseignoient  au  peuple  ;  dont  tout  le  peuple  cogneut 
combien  les  prélats  redoutoient  d'avoir  Jésus  Christ 
pour  juge  ,  et  condescendit  unanimement  à  la  reforma- 
tion. En  Angleterre ,  aussi  semblable  procédure  feut 
tenue ,  les  ecclésiastiques  estans  en  pompe  d'ung 
costé ,  et  trois  ou  quatre  povres  ministres  de  Taultre; 
ceux  là  honorés,  ceux  ci  rudoyés  de  ceulx  qui  presi- 
doient;  le  peuple  au  reste  encores  nullement  instruit 
en  la  relligion.  Cependant  les  docteurs  du  pape,  re- 
fusans  d'entrer  en  lice  soubs  une  si  juste  loi  ,  il  com- 
cençaà  les  siffler  comme  imposteurs,  dont  ils  se  cachè- 
rent de  honte. 

Telles  procédures  sont  légitimes,  et  pourtant  bénites 
et  favorisées  de  Dieu  ;  les  plus  obstinés  mesmes  s'en  es- 
tonnent ,  n'ayans  rien  à  apporter  à  l'encontre  ,  et  n'y  a 
celui  si  peu  soigneux  de  son  salut  entre  les  papistes, 
auquel  elles  ne  donnent  à  penser,  principalement  quand 
une  conférence  est  bien  conduite ,  et  qu'on  commence 
par  les  poincts  les  moins  tenables  ;  car ,  comme  on  voit 
ployer  les  adversaires ,  on  entre  en  pareille  double  de 
tout  le  reste  :  or  cet  ordre  dépend  de  celui  qui  y  pré- 
side, qui  seroit  le  roy  de  Navarre. 

Les  subjects  papistes  du  roy  de  Navarre  n'auroient 
poinct  d'occasion  de  mécontentement ,  car  ils  verroient 
le  soin  qu'on  auroit  de  les  contenter;  le  roy  ne  le  pour- 
roit  trouver  mauvais,  car  on  pourroit  alléguer  l'exem- 
ple du  colloque  de  Poissi ,  tenu  à  mesme  fin,  et  lui 
niesme  remet  la  définitive  de  la  relligion  à  un  libre 
concile  ;  ce  sont  les  niaulx  qu'il  y  eust  eu  aultrement  à 
craindre,  que  par  une  si  légitime  voie  nous  pouvons 
éviter. 

Mais  les  voici  au  contraire  convertis  en  un  grand 
bien;  car  ce  petit  concile,  tenu  avec  telles  formalités. 


TOUCHANT  LES  CATHOL.  DE  BEARN.  99 

seroit  un  preparatif  pour  l'assemblée  des  estats,  de 
laquelle,  à  mon  advis,  on  auroit  par  après  à  espérer 
l'affermissement  de  la  vraie  relligion ,  ayant  honte  un 
chacun  du  pays  de  porter  la  parole  pour  la  fausse ,  ou 
condamnée  par  défaut ,  ou  convaincue  par  la  parole 
de  Dieu.  Davantage  ce  seroit  une  ouverture  pour  les 
aultres  princes  et  estats ,  qui  pourroient  se  trouver  en 
pareilles  difficultés.  Bref,  cest  acte  si  solemnel  de  pieté 
et  prudence  acquerroit  au  roy  de  Navarre  une  répu- 
tation qui  retentiroit  par  toute  la  chestienté ,  demen- 
tiroit  tous  ceulx  qui  l'ont  calomnié  par  le  passé,  et 
lui  feroit  le  chemin  pour  parvenir  à  ceste  insigne  gran- 
deur, que  nous  voyons  préparée  en  nostre  siècle  pour 
le  premier  prince  qui  embrassera  la  vraie  sagesse  et  vertu. 

Et  ne  fault  poinct  que  le  peu  d'estendue  de  ses  terres 
souveraines  l'en  destourne ,  comme  quelques  uns  pour- 
roient alléguer.  Tant  moindre  est  sa  puissance ,  et  tant 
plus  grande  et  redoutable  sera  sa  vertu  et  réputation. 
Le  duc  de  Saxe,  qui  premier  chassa  la  messe  en  son 
pays,  estoit  subject  de  l'empire,  qu'il  avoit  tout  con- 
traire, et  n'avoit  pas  ni  les  forces  ni  les  amitiés  qu'a  le 
roy  de  Navarre.  Et  estoit  la  disposition  de  la  chres- 
tienlé  tout  aultre  qu'elle  n'est  aujourd'hui;  mais  la 
crainte  de  Dieu  lui  chassa  du  cœur  toute  crainte. 

Cependant  le  roy  de  Navarre  pourra  demander  advis 
sur  ceste  affaire  aux  EgHses  de  France,  à  la  royne  d'An- 
gleterre ,  à  M§'  le  duc  Gazimir,  à  M.  le  prince  d'Orange , 
aux  cantons  protestans  de  Suisse  et  leurs  alhés,  les- 
quels en  seront  d'autant  plus  obligés  à  le  soustenir,  si 
aulcuns  le  vouloient  troubler,  ayant  suivi  leur  conseil. 
Je  prye  Dieu  qu'il  le  lui  inspire  tel  en  ung  faict  si  im- 
portant ,  qu'il  soit  au  bien  de  son  Eghse  et  au  conten- 
tement  de  tous  les  gens  de  bien.  Amen. 


loo  LETTRE  DE  M.  DE  DANZAY 


X.  —  ^  LETTRE  DE  M.  DE  DANZAY, 

ambassadeur  du  roj  de  Dannemarck ,  a  M.  Duplessis- 

Momaj. 

Du  i4  juin  i58o. 

Monsieur,  j'ai  receu  vos  lettres  des  dernier  de  feb- 
vrier  et  1 2  d'avril ,  aussi  celles  du  roy  de  Navarre  au  roy 
de  Dannemarck,  auquel  je  les  ai  présentées,  et  vous 
asseure  d'homme  de  bien  ,  qu'il  les  a  eu  très  agréables , 
et  qu'il  lui  est  très  affectionné  ami;  comme  les  offres 
qu'il  m'a  particulièrement  faictes  en  pourroient  donner 
suffisant  témoignage;  mais  parce  qu'il  ne  gouverne 
seul ,  et  qui  trop  embrasse  peu  estraint  (comme  on  dict 
communément) ,  il  m'a  semblé  que  nous  debvions  pre- 
mièrement asseurer  le  principal,  et  ce  qui  est  de  plus 
grande  importance  ,  où  je  vous  promets  que  j'ai  eu  de 
la  peine  et  de  la  fasclierie  à  bon  escient ,  car  nous  avons 
de  puissans  et  vigilans  adversaires;  mais  Dieu  soit  loué 
qui  a  tellement  meu  et  confirmé  le  cœur  du  roy  de 
Dannemarck  ,  que  c'est  chose  admirable.  Sa  majesté 
promet,  par  les  lettres  qu'elle  escrit  à  la  royne  d'Angle- 
terre et  au  roy  de  Navarre,  de  s'employer  fidèlement, 
tant  envers  l'électeur  de  Saxe,  que  les  aultres  princes 
d'Allemagne,  que  ung synode  gênerai  puisse  estre  tenu, 
pour  composer,  par  l'auctorité  et  commun  consente- 
ment des  roys  et  princes  de  la  relligion  reformée,  les 
differens  qui  sont  en  leur  relligion.  Aussi  il  conseille 
à  ladicte  royne  et  au  roy  de  Navarre  de  envoyer  devers 
ledict  électeur  pour  obtenir  ledict  synode ,  et  donner 
espérance  que  leurs  majestés  en  auront  bonne  response. 
Davantage  il  promet  que  cependant  il  usera  diligente- 


A  M.  DUPLESSIS.  lOT 

ment  des  occasions  qui  se  présenteront  pour  persuader 
audict  électeur  qu'il  veuille  consentir  etaprouverledict 
synode,  aussi  qu'il  n'est  raisonnable  que  les  Eglises 
accusées  soient  condamnées  ne  rejetees,  premier  qu'elles 
aient  esté  suffisanlement  et  diligentement  ouïes. 

Apres  que  ladicte  lettre  du  roy  de  Navarre  eust  esté 
traduicte  et  leue  au  roy  de  Dannemarck ,  il  se  fit  relire 
en  peu    de  temps,   plusieurs  fois   avecques   ung  sin- 
gulier plaisir,    ces  mots  :    XJtrumque  peccatiun  est, 
utrique peccatum  agrioscamur^  utriqae  mamim  medi- 
cam  afferamus;  allegant  que  c'estoit  le  vrai  moyen 
de  poursuivre  paix,  union  et  concorde,  non  pas  user 
de  detraction,  injures   et  conviées,  comme  faisoient 
les  théologiens.  Pour  certain,  monsieur,  si  ceulx  qui 
traiteront  des  moyens  de  concorde  en  la  relligion ,  ne 
sont  fort  prudens  et  modestes,  il  ne  s'eh  ensuivra  que 
toute   confusion  et  desordre,  et  à  la  fin  la  ruyne  de 
tous.  Je  vous  dirai  ici  en  passant  (pour  parler  entre 
nous  sincèrement  et  librement),  que  les  lettres  de  la 
royne  d'Angleterre  ont  esté  rendues  au  roy  de  Danne- 
marck, au  temps  que  sa  lettre  au  roy  de  Navarre  es- 
toit  escrite.  Les  Anglois  n'ont  tant  estimé  l'importance 
du  faict  qui  se  poursuit,  que  d'avoir  daigné  envoyer 
ung  homme  exprès  devers  le  roy  de  Dannemarck  pour 
lui  présenter  lesdictes  lettres,  et  en  demander  la  res- 
ponce,  ce  qui  a  bien  esté  noté;  elles  ont  esté  délivrées 
à  un   facteur  de  marchand  du   port  de   Helseigneur, 
qui  les  a  bailliees  au  secrétaire  d'estat  du  roy  de  Danne- 
marck, parce  que  M.  Walsingham  m'avoit  recommandé 
l'affaire,  j'en  ai  poursuivi  la  responce,  comme  j'avois 
des  lettres  du  roy  de  Navarre.  Aussi  que  les  princi- 
paulx  de  ceste  court  ont  opinon  que  je  sois  cause  de 
l'une  et  l'àultre  lettre;  mais  quoi  qu'il  y  ait,  c'est  une 


102  LETTRE  DE  M.  DE  DANZAY 

singulière  bénédiction  de  Dieu   que  le  roy  de  Danne- 
marck  ait  faict  une  si  sincère,  libre  et  ample  déclara- 
tion de  sa  volonté  envers  ladicte  royne  et  roy  de  Na- 
varre, et  mention  des  lettres  de  l'ying  aulx  lettres  de 
Taultre,  car  elles  seront  communiquées  à  plusieurs, 
et  j'espère  que  la  resolution  de  ces  deux  roys  et  de  la 
royne  d'Angleterre  confirmera  à  plusieurs  princes  qui 
sont  de  bonne  volonté  en  leur  opinion,  excitera  les 
ignorans  d'en  considérer  les  causes,  et  donnera  crainte 
aulx  adversaires.  Ce  sera  maintenant  à  vous  d'employer 
ce  que  vous  aurez  de  moyen  pour  inciter  ladicte  royne 
à  poursuivre   ce  qui   est  commencé,  de  plus  grande 
affection  et  zèle  qu'elle  n'a  faict  jusqu'à  présent.  Vous 
verrez  par  le  discours  que  j'ai  envoyé  audict  sieur  Wal- 
singbam,  le  debvoir  que  je  y  ai  faict.  Parce  que  le  roy 
de  Navarre  et  les  Pays  Bas  (auxquels  l'on  en  veult  prin- 
cipalement) sont  en  guerre,  leurs  prières  n'auront  pas 
beaucoup  de  lieu  envers  nos  accusateurs,  si  elles  ne 
sont  assistées  de  l'auctorité  de  la  royne  d'Angleterre, 
du  roy  de  Dannemarck  et  des  princes  d'Ailemaigne. 
Vous  m'escriviez,  par  vostre  dicte  première  lettre,  que 
vous  aviez  délibéré  de  venir  en  Dannemarck  au  prin- 
temps ,  ou  au  commencement  de  l'esté ,  ceste  présente 
année,  et  de  là  passer  en  Allemaigne,  si  vous  enten- 
diez que  ce  voyaige  ne  feut  suspect  au  roy  de  France , 
je  vous  ai  ci  devant  escrit  deux  ou  trois  fois  que,  pour 
éviter  telles  suspitions ,  il  ne  seroit  hors  de  propos  que 
le  roy  de  Navarre  envoyast  devers  le  roy  de  France 
pour   lui  faire  entendre  que  quelques  malins  esprits 
avoient  publicquement  escrit  contre  son  honneur  en 
Allemaigne  ,  et  faulsement  accusé  de  plusieurs  erreurs. 
Pour  ceste  cause,  qu'il  avoit  envoyé  devers  les  princes 
de  Allemaigne  pour  leur  faire  cognoistre  son  innocence 


A  M.  DUPLESSIS.  Jo3 

et  le  tort  qui  lui  estoit  faict,  aussi  pour  le  prier  qu'ils 
fissent  une  exemplaire  punition  de  tels  calomniateurs  et 
détracteurs  ;  mais  si  la  copie  de  lettre  qu'on  dictque  le  roy 
de  Navarre  a  escrit  à  Nerac  le  1 5  d'avril  de  ceste  présente 
année,  à  la  royne  de  Navarre ,  sa  femme ,  est  véritable , 
vous  n'aurez  besoin  de  telles  excuses ,  ne  déclarations, 
dont  je  suis  bien  marry,  considérant  que  ceste  guerre  , 
si  elle  continue ,  sera  l'entière  ruyne  et  destruction  du 
royaume  de  France.  Dieu ,  par  sa  miséricorde ,  ait  pitié 
de  nous  !  quand  l'exécution  de  ce  tant  cruel  et  inhu- 
main conseil  feut  faicte  à  Paris ,  le  jour  Saint  Barthe- 
lemi ,  les  Pays  Bas  se  rendoient  au  roy  de  France,  du 
consentement  de  la  royne  d'Angleterre ,  du  roy  de  Dan- 
nemarck  et  de  tous  les  princes  protestans  d'Allemai- 
gne  ,  et  une  si  belle  occasion  feut  empêchée  par  ce  tant 
détestable  acte.  A  présent ,  ceulx  qui  en  feurent  les  auc- 
teurs  ,  veullent ,  par  semblables  moyens ,  rompre  ce  qui 
se  traicte  entre  le  duc  d'Alençon  et  les  dicts  Pays  Bas  ; 
mais  si  le  duc  a  quelque  mémoire,  sens  ou  jugement, 
il  se  souviendra  du  danger  où  il  s'est  aultre  fois  trouvé, 
et   considérera    que  ceulx    qui   procuroient  sa  ruyne 
et  destruction ,  n'ont  rien  remis  de  leur  mauvaise  vo- 
lonté contre  lui ,  et  qu'ils  sont  plus  puissans  qu'ils  ne 
furent  oncques,  qui  ne  fauldront  s'accomplir  leur  pre- 
mière délibération  contre  lui,  après  avoir  rompu  le 
roy  de  Navarre.  Je  prye  Dieu  de  tout  mon  cœur  qu'il  le 
veuille  bien  conseiller.  A  présent,  si  nous  avons  guerre 
en  France,  il  ne  fault  doubter  que  le  roy  de  Navarre  ne 
fasse  une  pubiicque  déclaration  de  ces  causes  ,  qui  l'ont 
contraint  à  prendre  les  armes  ,  et  qu'il  en   advertira 
particulièrement  les  princesses  amis,  mesmement  le  roy 
de  Dannemarck  et  les  princes  protestans  d'Allemaigne. 
Si  vous  persévères  en  vostre  première  délibération ,  ceci 


I04  LETTRE  DE  M.  DE  DANZAY 

pourroit  servir  de  l'une  des  causes  de  vostre  voyaige. 
Davantage,  vous  pourrez,  par  mesme  moyen,  conférer 
avec  le  landgrave  de  Hesse,  les  ducs  Cazimir,  de  Anhald, 
de  Pomeranie  et  de  Holstein,  des  controverses  qui  sont 
en  la  relligion ,  et  prendre  quelque  resolution  ensemble, 
des  moyens  pour  les  compos-  Russi  les  pryer  de  pro- 
curer diligentement  le  synode  rai. 

J'ai  mon  opinion ,  et  me  tiens  o  .ne  asseuré  que  le 
landgrave  de  Hesse  ,  les  ducs  Cazimir  et  de  Anhald  s'y 
employeront  de  très  grande  affection,  et  j'espère  que 
les  ducs  de  Pomeranie  et  de  Holstein  suivront  volon- 
tiers leurs  advis,  et  encores  plus  facilement  le  roy  de 
Dannemarck.  Pourtant  il  me  semble  qu'il  seroit  néces- 
saire de  parler  aulxdicls  princes,  selon  l'ordre  que  je 
déclare,  afin  que  les  plus  sages  et  affectionnés  instrui- 
sent les  aultres ,  et  les  incitent  h.  faire  leur  debvoir. 

Il  y  a  deux  factions  entre  les  princes  et  villes  d'Alle- 
maigne  de  la  confession  de  Auguste  ,  comme  vous  sça- 
vez.  L'une  demande  le  synode  gênerai ,  et  que  les  Eglises 
accusées  soient  ouïes,  comme  aussi  faict  le  roy  de  Dan- 
nemarck. Vous  avez  juste  et  suffisante  occasion  de  aller 
devers  ceulx  de  ceste  faction,  s'il  vous  plaist,  pour  les 
causes  ci  dessus  deduictes  et  déclarées.  L'aultre  rejette 
le  synode.  Les  causes  principales  que  les  théologiens 
allèguent  pour  l'empescher,  sont  que  leur  confession 
est  il  y  a  long  temps  publiée,  et  parce  qu'elle  est  con- 
forme à  la  doctrine  des  prophètes  et  des  apostres,  qu'elle 
doibtestre  receue  et  approuvée  de  tous,  davantage  que 
les  Eglises  qui  y  contredisent,  ont  esté  suffîsantement 
convaincues  de  leurs  erreurs,  et  assés  admonestées  de 
les  recognoistre  et  corriger.  Pourtant,  si  elles  veullent 
opiniastrement  persévérer  en  leurs  manifestes  erreurs, 
qu'il  n'est  besoin  d'aulcun  synode  pour  leur  respect, 


A  M.  DUPLESSIS,  io5 

aîns  que  à  bon  droict  elles  doibvent  estre  rejetees  et 
condamnées  comme  leurs  erreurs  mérite.  Ce  considéré, 
il  seroit  bien  nécessaire  que  le  roy  de  Navarre  fist  une 
confession  de  sa  foi ,  en  son  propre  et  privé  nom,  comme 
j'ai  souvent  remonstré  ,  oui  feust  pure  et  simple  ,  et  re- 
mist  les  controyerses  r  jnt  en  la  relligion,  au  synode 
gênerai  ;  que  ceste  _ssion  feust  communiquée  aulx 

princes  d'Allemai^  ,  qui  désirent  ledict  synode,  pour 
en  avoir  leur  advis,  mesmement  du  landgrave  de  Hesse, 
des  ducs  Cazimir  et  de  Anhald ,  comme  ceulx  qui  en- 
tendent très  bien  les  vraies  causes  des  différends  en  la 
relligion,  et  cherchent  fidèlement  les  moyens  de  les 
composer.  Aussi  qu'on  les  pryast  et  les  aultres  princes 
qui  seront  de  leur  opinion,  d'envoyer  devers  l'électeur 
de  Saxe,  avec  les  députés  dudict  roy  de  Navarre.  Car, 
si  tant  de  princes  ensemble  envoyoient  devers  ledict 
électeur,  leurs  communes  pryeres  auroient  plus  de 
force  et  d'auctorité  que  si  elles  sont  séparées.  Si  ceste 
généralité  ne  se  peut  obtenir  ,  les  pryer  qu'ils  envoient 
séparément  devers  ledict  électeur ,  ou  que ,  pour  le 
moins,  ils  lui  veuillent  très  affectueusement  escrire.  Si 
les  députés  de  la  royne  d'Angleterre  se  trouvoient  auprès 
des  princes  d'Allemaigne  qui  tiennent  nostre  parti,  au 
même  tenipsque  ceulx  du  roy  de  Navarre,  cela  pour- 
roit  infiniment  servir,  à  cause  de  l'auctorité  et  répu- 
tation de  ladicte  royne  (i).  Je  vous  dirai  en  cest  endroict 
qu'il  vous  fauldraconsiderement  parler  avec  les  susdicts 
princes ,  de  modo  verœ  prœsentiœ  veri  corporis  Christi 
in  sacra  Cœnd  ^  afin  que  ne  les  offensiez.  Ce  qu'il  fault 

(i)  J'ai  entendu  que  ladicte  royne  ne  feroit  confession  de  sa 
foi  que  en  synode  gênerai  ;  car  il  fault  opposer  nostre  confession 
à  la  leur,  si  nous  voulons  estre  cogneus  innocens  ,  veu  que  nous 
sommes  publicquement  attaqiiés. 


Io6  LETTRE  DE  M.  DE  DANZAY 

nécessairement  éviter  pour  le  présent,  de  paour  de  les 
aliéner  de  nous,  et  perdre  tous  moyens  de  paix  et  de 
concorde,  car  je  prévois  bien  que  vous  y  aurez  de  la 
peine;  pourtant  je  vous  remettrai  en  mémoire  la  forme 
de  profession  de  foi  touchant  la  saincte  Cène ,  que  j'ai 
souvent  envoyée,  parce  que  le  roy  de  Dannemarck  ,  et 
tous  ceulx  deçà,  l'ont  agréable,  et  crois  qu'elle  ne  sera 
rejetee  de  personne,  car,  ayant  une  confession  de  foi  de 
la  sainte  Cène  nécessaire  et  suffisante  à  nostre  salut,  ce 
sera  la  base  et  fondement  de  union  et  concorde ,  et  si 
on  ne  peult  à  présent  convenir  d'une  phrase  ou  mode 
de  parler  ,  ou  d'une  commode  explication  de  modo 
verœ prœsentiœ  corpo?'is  Christi  in  sacra  Cœnâ.  Geste 
controverse  se  pourra  d'autant  plus  aisément  différer 
ou  suspendre  ,  quand  nous  conviendrons  de  ce  qui  sera 
nécessaire  et  suffisant  à  nostre  salut.  Aussi,  quand  nous 
condamnerons  les  erreurs  qui  nous  sont  faulseinent  im- 
j)utees ,  la  controverse  de  impiis  et  oralL  mandiica" 
tione^  se  finira  facilement  d'elle  mesme.  Le  principal 
est  à  présent  que  nous  demonstrions  le  tort  et  l'injure 
que  lesdicts  théologiens,  par  leurs  inventions  et  ca- 
lomnies ,  font  aux  Eglises  accusées. 

1.  D'aultrepart,  ceulx  qui  iront  devers  les  princes  ac- 
cusateurs ,  se  pourront  premièrement  plaindre  que  les 
aucteurs  du  livre  de  Concorde ,  et  quelques  aultres 
théologiens  d'Allemaigne  leur  imputent  faulsement  plu- 
sieurs erreurs  et  hérésies. 

2.  Que  lesdictà  théologiens,  pour  couvrir  leur  mali- 
gnité, prennent  quelques  passages  des  livres  de  Luther, 
Calvin,  Zuingle  et  d'aultres  docteurs  qui  ont  escrit  de- 
puis cinquante  à  soixante  ans,  qu'ils  interprètent  à  leur 
fantaisie ,  et  par  ce  moyen  condamnent  les  aultres  Eglises 
contre  droict,  vérité  et  raison. 


A  M.  DUPLESSIS.  107 

3.  Comme  la  foi  des  Eglises  accusées  n'est  fondée 
sur  les  escrits  desdits  Calvin,  Luther  ne  Zuingle,  aussi 
qu'elles  ne  veullent  estre  condamnées  par  leurs  escrits; 
ains  seulement  par  ceulx  des  prophètes,  apostres  et  les 
décrets  de  l'Eglise  orthodoxe ,  selon  la  coustume  de 
l'Eglise  ancienne. 

4.  Que  les  erreurs  ne  peuvent  mieux  estre  considé- 
rées ne  cogneues  que  par  ung  synode  libre  et  gênerai. 
Aussi  qu'il  n'est  raisonnable  de  condamner  quelqu'un 
premier,  qu'il  ait  esté  suffisamment  ouï.  Davantage,  re- 
monstrer  que  les  hérésies  et  erreurs  qui  ont  esté  en 
l'Eglise  chrestienne,  ont  toujours  esté  condamnées  par 
les  conciles  et  synodes  généraux ,  et  l'union  des  Eglises  , 
par  ce  moyen,  restituée  et  conservée.  Pour  ceste  cause 
qu'il  est  nécessaire  que  ung  synode  gênerai  soit  in- 
stitué. 

5.  Pryer  ledict  électeur  qu'il  veuille  cependant  com- 
mander à  ses  subjects  de  ne  blasmer,  accuser  ne  delrac- 
ter  des  Eglises  de  la  relligion  reformée ,  et  faire  puni- 
tion de  ceulx  qui  y  contreviendront,  comme  de  vrais 
perturbateurs  du  repos  public. 

6.  Que,  s'il  n'y  est  diligentement  et  sincèrement  pour- 
veu  ,  que  les  roys ,  princes  et  Eglises  accusées  protes- 
tent des  calamités  qui  en  adviendront  à  la  chrestienté, 
et  du  sang  innocent  qui  en  sera  espandu,  dont  ils  ren- 
dront un  jour  raison  devant  le  juste  jugement  de  Dieu  , 
et  d'avoir  plustost  creu  aux  menteries  et  calomnies  de 
quelques  ambitieux  et  corrompeus  théologiens,  que  au 
vrai  tesmoignage  de  plusieurs  roys ,  princes  et  respu- 
bliques  chrestiennes. 

Les  Eglises  des  Pays  Bas  adviseront  s'il  seroit  expé- 
dient qu'elles  s'assemblassent  par  manière  de  synode ,  et 
pryassent  le  prince  d'Orange  d'envoyer  en  leur  nom , 


lo8  LETTRE  DE  M.  DE  DANZAY 

devers  les  princes  protestans  d'Allemaigne,  pour  obte- 
nir le  synode  gênerai ,  et  proposer  ce  qui  sera  néces- 
saire pour  la  reconciliation  des  Eglises  reformées ,  et  que 
cela  s'accomplisse  le  plus  tost  que  faire  se  pourra,  car 
il  est  fort  à  craindre  que  dans  ceste  diète  impériale  qui  se 
doibt  tenir  à  Nuremberg,  où  tous  les  électeurs  se  trou- 
veront ,  et  plusieurs  princes  d'Allemaigne,  il  ne  soit  ré- 
solu quelque  cliose  au  préjudice  des  Eglises  de  France 
et  des  Pays  Bas. 

Par  vostre  lettre  du  12*  d'avril,  vous  me  mandiez 
que  les  injures  que  journellement  recevoit  le  roy  de 
Navarre  et  les  Eglises  reformées,  faisoit  perdre  patience 
à  sa  majesté ,  et  qu'il  seroit  bon  que  le  roy  de  Danne- 
inarck ,  le  confirmant  en  son  sainct  zèle  par  une  hon- 
neste  lettre  ,  moderast  ung  peu  ceste  ardeur  qui  est 
cause  que  je  y  ai  faict  adjouster  le  récit  que  le  sieur 
Danzay  avoit  auparavant  faict  au  roy  de  Dannemarck, 
de  la  volonté  du  roy  de  France,  touchant  la  conser- 
vation de  Tedict  de  pacification;  combien  qu'il  soit  à 
craindre  que  quelques  ungs  ne  preignent  tels  propos 
en  mauvaise  part. 

L'on  m'asseure  de  plusieurs  lieux  que  l'électeur  pa- 
latin a  révoqué  la  subscription  qu'il  avoit  faicte  au 
livre  de  Concorde,  et  protesté  de  l'injure  qui  lui  seroit 
faicte,  s'il  estoit  publié  en  son  nom. 

Quant  au  voyaige  que  l'électeur  de  Saxe  avoit  entre- 
prins  par  deçà ,  il  y  a  eu  d'estranges  pratiques ,  que 
je  ne  puis  déclarer  pas  bien.  Seullement  je  vous  asseu- 
rerai  que  ledict  électeur  en  a  ploré  à  chauldes  larmes , 
plus  d'une  fois.  Si  son  voyaige  eust  plus  apporté  de 
fruicts  que  de  dommaige ,  s'il  eust  esté  accompli ,  Dieu 
le  sçait ,  il  y  en  a  diverses  opinions. 

L'on  m'escrit  que  le  roy  de  Polongne  prespare  une 


A  M.  DUPLESSIS.  109 

fort  grande  armée  contre  le  Moscovite.  J'ai  entendu  que 
le  duc  Richardus ,  palatin  ,  et  le  duc  Jehan  ,  des  Deux- 
Pontz ,  et  plusieurs  aultres ,  desnient  de  subscrire  au 
livre  de  Concorde,  qu'il  ne  fault  mettre  en  oubli;  car 
nous  abstiendrons  d'autant  plus  facilement  ce  que  nous 
poursuivons,  qu'il  se  trouvera  des  roys,  princes  et  res- 
publiques  qui  unanimement  s'y  employeront.  Aussi  il 
ne  fault  obmettre  d'escrire  aux  villes  d'Allemaigne, 
aulx  unes,  pour  les  confirmer  en  leur  sincère  volonté; 
et  aulx  aultres,  pour  les  admonester  de  faire  leur  debvoir 
et  se  déporter  de  calomnies,  et  detracter  des  roys  et 
princes ,  sans  occasion  ,  et  par  telles  inventions  troubler 
la  chrestienté.  (i) 

Monsieur,  je  me  recommande  bien  humblement  à 
vostre  bonne  grâce,  pryant  Dieu  vous  donner  très  heu- 
reuse et  longue  vie. 

De  Hambourg,  le  1 4'' de  juin  i58o. 

Monsieur,  je  vous  supplie  me  faire  cognoistre  en- 
tièrement vos  délibérations  en  ceste  négociation  ,  et  de 
la  royne  d'Angleterre;  car  je  ne  defauldrai  à  mon  deb- 
voir, et  m'excuserai,  s'il  vous  plaist,  car  je  suis  si 
foible  de  corps  et  d'esprit,  que  je  n'en  puis  plus.  Pryez 
Dieu  pour  moi  comme  je  ferai  pour  lui  ,  afin  que  ma 
dernière  heure  soit  à  sa  gloire  et  à  mon  salut. 

Vostre  très  humble  serviteur. 

A  Monsieur,  Monsieur  Duplessis  ,  Conseiller  du  roy  de 
Navarre ,  et  son  Ambassadeur  es  Pays  Bas  de  Flandres. 


(i)  On  pourra  sçavoir  la  volonté  de  ce  prince  de  Saxe  parle 
duc  Cazimir  et  le  landgrave  de  Hesse ,  et,  selon  leurs  advis , 
l'ung  estoit  pour  se  prévaloir  de  leur  faveur  et  intercession. 

/ 


I  lo  LETTRE  DE  M.  DE  DANZÂY 


XI. —'^LETTRE  DE  M.  DE  DANZAY, 

Ambassadeur  du  roj  en  Dannemarck ,  hM,  Duplessis- 
Mornaj. 

.  Du  6  novembre  i58o. 
Monsieur  ,  j'ai  souvent  faict  response  à  vos  lettres 
des  seizième  de  juillet  et  douzième  daoust,  mais  crai- 
gnant que  mes  lettres  aient  esté  surprises  comme  quel- 
ques aultres  ont  esté,  je  vous  ferai  sommaire  récit  des 
principaulx  poincts.  Ce  m'a  esté  et  est  ung  singulier  plai- 
sir que  nos  desseins  par  deçà  aient  prins  fin  à  vostre  con- 
tentement; car  je  vous  promets  que  j'ai  eu  de  si  puis- 
sans  et  vehemens  adversaires,  et  en  si  grand  nombre, 
que  je  me  suis  souvent  repenti  de  vous  y  avoir  si  avant 
embarqué,  et  je  sçai  bien,  si  ceste  négociation  n'eust 
heureusement  succédé,  que   vous  en  eussiez  esté  en 
peine.  Mais  loué  soit  Dieu  que  nous  ayons  tant  faict  que 
le  roy  de  Dannemarck  a  eu  les  remonstrances  de  la 
royne  d'Angleterre  et  du  roy  de  Navarre  très  agréables. 
Si  quelqu'ung  allègue  que  cela  n'a  empesché  la  publi- 
cation du  livre  de  Concorde,  ni  esté  de  grand  fruict, 
je  n'y  contredirai,  mais  je  le  pryerai  considérer,  si  le 
roy  de  Dannemarck  n'eut  esté  confirmé  par  la  royne 
d'Angleterre  et  principalement  par  le  roy  de  Navarre  , 
et  n'eust,  par  une  publique  déclaration  de  sa  volonté, 
asseuré  et  retenu  plusieurs  princes  et  republiques  qui 
estoientsur  le  point  de  varier,  à  qui  nous  nous  pour- 
rions à  présent  adresser;  et,  grâce  à  Dieu,  le  tout  est 
encores  à  présent  en  son  entier.  Quant  audict  livre  de 
Concorde,  devant  qu'il  feust  publié  ,  plusieurs  en  espe- 
roient  quelque  chose  de  grand ,  maintenant  qu'il  est 


A  M.  DUPLESSIS.  HT 

mis  en  lumière ,  ung  chacun  s'en  moque.  Pour  ceste 
cause,  ceulx  qui  en  sont  les  aucteurs,  demonstrent  voul- 
loir  approuver  le  synode  gênerai  qu'ils  ont  si  opiniâtre- 
ment rejeté,  parce  qu'ils  prevoyent  bien  qu'ils  y  seront 
à  la  fin  contraints  par  l'auctorité  de  la  royne  d'Angle- 
terre, des  roys  de  Dannemarck  et  de  Navarre  et  des 
princes  d'Allemaigne  qui  sont  de  ceste  opinion ,  et  ne 
doublent  poinct  qu'il  n'eust  de  long  temps  esté  obtenu  , 
si  les  princes  accusés  eussent  aussi  diligentement  faict 
leur  debvoir  que  leur  honneur  et  l'importance  du  faict 
leurendonnoient  très  juste  occasion.  Je  vous  ai  ci  devant 
envoyé  et  envoyé  derechef  la  copie  d'une  lettre  du 
doyen  et  de  l'université  de  Rostock  à  Jacobus  Andréa 
et  Selneccerus;  encores  que  peut  estre  vous  l'aurés 
recouvrée  d'ailleurs. 

Ung  petit  escrit  intitulé  :  Ratio  m  eundœ  concordiœ 
inter  ecclesias  reformatée  religionis y  tourmente  infi- 
niment les  séditieux  théologiens  d'Allemaigne  ,  comme 
leurs  livres  le  demonstrent  et  verres  par  ung  escrit  qu'ils 
ont  envoyé  en  divers  lieux,  et  que  j'ai  pour  ceste  cause 
faict  traduire  de  allemand  en  latin.  Quelques  ungs  esti- 
ment que  David  Chytraeusen  soit  aucteur,  dont  je  suis 
en  double,  combien  qu'il  le  nie  fort  asseurement;  mais 
je  sçai  bien  qu'il  avoit  juré  qu'il  y  seroit  respondu, 
estant  en  telle  colère  qu'il  oublia  sa  dissimulée  mo- 
destie. Je  vous  dirai  la  cause  de  son  courroux  et  fas- 
cherie  :  c'est  que  le  roy  de  Dannemarck  et  ledict  élec- 
teur de  Saxe  se  veirent  à  Gustrau ,  au  duché  de  Mcckle- 
bourg,  il  y  a  deux  ans,  comme  vous  sçavés,  ledict  Chy- 
traeus  y  estoit  pour  ne  défaillir  à  son  debvoir,  combien 
que  ce  feut  secrètement.  En  ce  mesme  temps  ,  ledict 
escrit,  de  Ratione  in  eundœ  concordice  feut  publié,  et 
grand  nombre  distribué  entre  cinq  ou  six  cens  gentils' 


I  1 2  LETTRE  DE  M.  DE  DANZA^Y 

hommes  qui  se  trouvèrent  audictGustrau,  que  plusieurs 

eurent  agréable. 

Davantage,  en  cemesme  tempsleroy  deDannemarck 
présenta  audict  elecleur  la  lettre  que  le  roy  de  Navarre 
lui  avoit  escrite,  et  le  pria  de  la  considérer.  Je  laisse 
ici  juger  à  ung  chacun  combien  ladicte  lettre  du  roy  de 
Navarre,  présentée  en  temps  si  opportun,  feut  profitable; 
car,  parles  remonstrances  que  le  roy  de  Dannemarck 
feit  audict  électeur,  lui  donnant  la  lellre  du  roy  de  Na- 
varre ,  il  lui  osta  l'occasion  de  lui  parler  et  importuner, 
pour  subscrire  audict  livre  de  Concorde,  combien  que 
ledict  électeur  feust  principalement  venu  audict  Gus- 
trau  pour  ceste  fin  et  effet,  comme  l'on  dict.  Par  ce 
moyen,  toute  ceste  espérance  que  lesdicts  théologiens 
et  ceulx  de  leur  faction  avoient  conceue  que,  par  les 
pryeres  dudict  électeur,  le  roy  de  Dannemarck  approu- 
veroit  ses  desseins,  et  subscriroit  audict  livre  de  Con- 
corde, s'en  alla  en  fumée.  Néanmoins  ledict  électeur  ne 
perdit  l'espérance  qu'il  avoit  de  gaigner  le  roy  de  Dan- 
nemarck, et,  pour  ceste  cause,  délibéra  de  le  venir  visiter 
ceste  année  en  son  royaume;  et,  pour  ceste  cause,  vint 
jusqu'à  Suerin  au  duché  de  Mecklebourg,  et ,  dekà, 
retourna  en  Saxe  pour  les  causes  que  vous  avés  enten- 
dues, et  que  ung  chacun  sçait.  Apres  que  ce  voyaige  feut 
rompu ,  le  marquis  de  Brandebourg  de  Anspach  vcint 
voir  le  roy  de  Dannemarck  au  mois  de  juin,  auquel  il 
esperoit  persuader  de  subscrire  audict  livre  de  Con- 
corde ;  mais  il  le  trouva  si  résolu ,  qu'il  perdit  inconti- 
nent ceste  opinion,  mesmement  quand  ledict  roy  de 
Dannemarck  lui  eust  monstre  les  lettres  de  ladicte  royne 
d'Angleterre  et  du  roy  de  Navarre,  desquelles  il  lui 
donna  la  copie  et  aux  aultres  princes  et  seigneurs  qui 
se  trouvèrent  au  baptesme  de  la  fille  dudict  roy,  ainsi 


A  M.  DUPLESSIS.  1 1 3 

que  j'ai  entendeu  de  bon  lieu.  Lorsque  ledict  marquis 
partit  de  Dannemarck,  le  bruit  estoit  qu'il  iroit  droict 
au  duché  de  Prusse,  duquel  il  est  gouverneur  à  cause 
de  la  maladie  du  duc.  Neantmoins,  il  alla  devers  Telec- 
teur  de  Saxe,  et  puis  reprit  le  chemin  de  Prusse.  En  ce 
mesme  temps,  il  envoya  le  livre  de  Concorde  au  roy 
de  Dannemarck  qui  en  feut  si  offensé,  que  soudain  il 
feit  publier  par  tous  ses  royaumes  et  pays  de  son  obéis- 
sance que  nul  n'eust  à  l'acheter  soubs  peine  de  la  vie,  et 
que  ceulx  qui  Tauroient  feussent  punis  de  semblable* 
peine. 

Par  ce  récit,  qui  est  véritable ,  vous  voyés ,  monsieur, 
les  grands  efforts,  le  soing  et  diligence  de  plusieurs 
princes  ,  pour  gaigner  le  roy  de  Dannemarck,  et  pour 
avancer  leurs  desseings  ;  en  quoi  ils  n'épargnent  ne  leurs 
biens,  ne  leurs  personnes,  et  vous  avés  travaillé  plus  de 
dix  huit  mois  pour  seulement  obtenir  une  lettre  d'An- 
gleterre. Pourtant  il  ne  se  fault  émerveiller  si  les  af- 
faires des  aultres  s'avancent,  et  les  nostres  succèdent 
si  mal. 

J'ai  esté  adverti  que  Vigaudus  avoit  escrit  contre 
ledict  livre  de  Raiione  ineundœ  concordiœ ,  et  envoyé 
à  l'université  de  Rostock,  pour  le  considérer  et  corri- 
ger, et  puis  le  faire  imprimer,  mais  qu'ils  ne  l'avoient 
vouileu  permettre  :  je  ne  sçai  qu'il  s'en  ensuivra.  Si  je 
me  trouve  quelque  jour  à  repos,  je  déclarerai  plus  am- 
plement quelques  articles  dudict  escrit.  Mais  je  ne 
m'ose  nominer  de  peur  de  perdre  les  moyens  que  j'ai 
de  servir  au  public,  et  ne  sçai  s'il  se  pourra  trouver 
quelque  gentilhomme  qui  voulleust  prester  son  nom 
après  que  vous  y  auriés  mis  la  main.  Je  vous  prye  y 
penser,  car  si  l'aultre  petit  escrit  a  faict quelque  fruit, 
l'aultre  le  fera  encores  plus. 

Miai.  DE  DuPiEssis-MoRNAY.  Tome  ir.  8 


Ii4  LETTRE  DE  M.  DE  DANZAY 

La  royne  d'Angleterre  a  envoyé  devers  le  roy  de 
Dannemarck  ,  pour  le  remercier  de  sa  sincère  et  chres- 
tipnne  volonté ,  pour  l'avancement  de  la  gloire  de  Dieu, 
et  pour  reconcilier  les  princes  de  la  relligion  reformée 
et  subvenir  aux  églises  affligées,  et  le  prye  de  vouUoir 
continuer  :  elle  a  aussi  envoyé  devers  les  princes  d'Al- 
lemaigne,  Dieu  y  veuille  donner  sa saincte  bénédiction. 
Mais  si  tels  affaires  et  de  si  grande  importance  ne  sont 
vivement  poursuivis,  et  par  personnes  d'honneur, 
d'auctorité  et  de  sçavoir,  et  qui  les  entendent,  je  ne  sçai 
qu'il  s'en  ensuivra.  Ceci  est  le  debvoir  des  princes,  et 
mesmement  de  ceulx  qui  sont  blasmés;  car,  oultre  leur 
salut,  il  y  va  aussi  de  la  conservation  de  leur  estât. 

Vous  avés  opinion  que  ceste  subscription  du  livre  de 
concorde  ou  confédération  faicte  par  la  maison  d'Au- 
triche, dont  il  ne  fault  aulcunement  doubter.  J'en  en- 
voyai expressément  ung  discours  à  M.  de  Villiers ,  il  y  a 
trois  ans,  que  je  pensais  que  vous  eussiés  leu,  qui  sera 
causé  que  je  le  comprendrai  en  peu  de  paroles,  espé- 
rant que  ce  vous  sera  plaisir.  Depuis  quatorze  ou  quinze 
ans,  Jacobus  Andraea  n'a  faict  que  courir,  tant  en  Dan- 
nemarck que  par  toute  l'Allemaigne,  pour  cognoistre 
ceulx  qui  vouldroient  favoriser  ses  folles  opinions,  et 
blasmer  les  calvinistes.  Il  y  a  eu  deux  factions  en  la  mai- 
son de  l'électeur  de  Saxe ,  l'une  avoit  opinion  que  le- 
dict  électeur  ne  se  debvoit  aulcunement  fier  en  la  mai- 
son d'Autriche,  parce  qu'ils  estoient  povres  et  ambi- 
tieux ,  et  ne  se  pouvoient  plus  facilement  agrandir  que 
par  sa  ruyne.  Pour  ceste  cause,  ils  feirent  le  mariaige 
du  duc  Cazimir  de  Bavière  avec  la  fille  aisnee  dudict 
électeur,  espérant  que,  par  ceste  alliance,  les  differens 
qui  estoient  en  la  relligion  ,  se  finiroient  par  l'auctorilé 
et  conseils  du  feu   électeur  Palatin  et  dudict  électeur 


A  M.  DUPLEvSSIS.  il5 

de  Saxe.  Aussi  ils  moyenerent  une  confédération  entre 
la  plupart  des  princes  d'Allemaigne  qui  sont  de  ladicte 
relligion  qui  pouvoient  prornptement  assembler  une 
puissante  armée.  Par  ces  moyens,  ils  esperoient  unir 
et  conjoindre  tous  les  princes  d'Allemaigne  de  la  rel- 
ligion reformée  ensemble ,  et  faire  cesser  toutes  les  con- 
troverses qui  estoient  entre  eulx.  Davantage,  il  con- 
seilloit  audict  électeur  de  Saxe,  de  s'asseurerde  l'ami- 
tié du  roy  de  France,  qui  lui  pouvoit  grandement 
aider  et  peu  nuire,  ce  que  ledict  électeur  eut  tousjours 
agréable,  jusqu'à  ceste  funeste  et  maudite  journée  de 
Sainct  Barthelemi.  Il  est  certain  que  ceulx  de  ceste  dicte 
faction  avoient  plusieurs  ennemis  et  envieux,  comme  il 
advient  communément  aulx  cours  des  grands  princes 
où  l'on  joue  principalement  au  boutehors  ,  qui  s'offrant 
l'occasion  de  chasser  leurs  compétiteurs,  en  sceurent 
très  bien  user,  et  pour  les  rendre  plus  odieux  audict 
électeur,  les  appeloient  calvinistes  et  sacramentaires. 

L'empereur  IVIaximilian  ,  qui  estoit  prince  vigilant  et 
d'ung  très  gentil  esprit ,  cognoissant  que  ledict  électeur 
est  de  son  naturel  fort  véhément  et  opiniastre  ,  le  vint 
trouver  avec  l'impératrice  et  la  plupart  de  ses  enfans 
qui  feirent  si  bien  par  leurs  remonstrances ,  qu'ils  per- 
suadèrent audict  électeur  que  toutes  les  susdictes  pra- 
tiques provenoient  du  royaume  de  France,  et  par  telles 
inventions  moyenna  que  son  fils  aisné  feust  élu  roy  des 
Romains,  contre  les  loix  et  privilèges  de  l'Empire,  ce 
qui  n'est  advenu  que  par  la  grande  neghgence  desroys 
de  France ,  et  par  les  dissentions  et  divisions  de  leurs 
ministres. 

Peu  auparavant ,  ledict  empereur  avoit  envoyé  quérir 
le  docteur  David  Chytraeus  et  quelques  aultres  doc- 
teurs  d'Allemaigne  ,  pour   reformer  les  églises    aux- 


Îl6  LETTRE  DE  M.  DE  DANZAY 

quelles  il  permettoit  la  confession  d' Auguste.  Lors  il  feut 
persuadé  audict  Ghytraeus  que,  si  les  princes  d'Alle- 
niaigne  de  ladicte  confession  condamnoient  les  hérésies 
des  calvinistes  et  sacramentaireset  pour  ceste  cause  se 
separoient  d'eulx,  que  ledict  empereur  et  les  princes 
d'Au  triche  l'approuveroient  facilement,  et  permettroient 
qu'elle  feust  receue  par  tous  leurs  subjects,  qui  est  le 
commencement  et  vraie  source  des  dissentions  et  divi- 
sions, qui  sont  depuis  advenues  entre  ceulx  de  la  relli- 
gion  reformée.  Or  il  est  évident  et  certain  qu'il  ne  se 
pouvoit  inventer  plus  commode  ne  plus  expédient 
moyen  pour  ruyner  les  églises  d'Allemaigne  et  celles 
qui  sont  hors  d'Allemaigne,  que  par  telles  séparations 
et  divisions ,  et  pour  causes  si  après  et  véhémentes  que 
pour  estre  hérétiques.  Ce  conseil  a  esté  favorisé  par 
ceste  dissention  de  la  maison  de  Saxe  par  l'accident 
que  j'ai  ci  dessus  déclaré;  car  la  partie  victorieuse, 
pour  se  venger  de  leurs  adversaires,  et  les  rendre  plus 
odieux  audict  électeur,  moyennerent  que  Ghytraeus  et 
Jacobus  Andrsea  et  Selneccerus  et  quelques  aultres  feu- 
rent  appelés. pour  la  reformation  des  églises  de  Saxe, 
qui  s'y  sont  comportés  comme  ung  chacun  sçait  et  voit, 
dont  s'ensuivra  l'eversion  de  toutes  les  églises  de  ladicte 
relligion  ,  veu  la  puissance,  vigilance  ,  diligence  et  ad- 
mirables conseils  des  papistes ,  s'il  n'y  est  prompte- 
mcnt  pourveu  ,  et  n'y  vois  aulcun  aultre  moyen  que 
par  ledict  synode  gênerai  ;  car  si  toutes  les  églises  re- 
formées ou  la  plupart  se  pouvoient  reconcilier  comme 
plusieurs  personnes  de  sçavoir  et  de  grand  jugement 
espèrent  par  ledict  synode,  lors  quelque  bonne  et  salu- 
taire resolution  se  pourroit  prendre  d'ung  commun 
consentement  pour  la  conservation  de  tous.  Aultre- 
ment  il  ne  fault  parler  d'aulcune  ligne  ne  confedera- 


A  M.  DUPLESSIS.  II7 

tion,  ne  niesmes  espérer  aulcun  secours  d'Allemaigne, 
que  par  de  l'argent.  Le  roy  de  Dannemarck  s'est  assés 
déclaré  et  conseillé  à  la  royne  d'Angleterre  et  au  roy 
de  Navarre  d'envoyer  devers  l'électeur  de  Saxe  duquel 
il  donne  bonne  espérance,  combien  que  je  n'en  puis 
encore  rien  promettre  de  certain,  et  ne  me  puis  advi- 
ser  d'ung  plus  commode  ne  seur  moyen  ,  que  celui  que 
je  vous  ai  souvent  déclaré.  C'est  que  la  royne  d'Angle- 
terre et  aussi  le  roy  de  Navarre  envoyassent  quelques 
personnes  d'honneur  et  réputation  devers  le  duc  Cazi- 
mir,  les  landgraves  de  Hesse,  le  duc  de  Anhald ,  et  à 
ceulx  que  ces  princes  conseilleront  pour  communiquer 
de  ce  qui  sera  nécessaire  pour  convenir  du  synode,  et, 
après  avoir  pris  leur  advis ,  venir  trouver  le  roy  de 
Dannemarck,  et  lui  communiquer  l'opinion  des  aultres 
princes  et  pryer  d'envoyer  avec  eulx  devers  ledict  élec- 
teur de  Saxe  ,  afin  que  par  la  cognoissance  de  la  vérité, 
il  change  la  mauvaise  opinion  que,par  faulx  rapports  et 
calomnies  ,  il  a  conceu  des  églises  qui  sont  hors  d'Alle- 
maigne  :  aussi  de  la  royne  d'Angleterre  et  du  roy  de 
Navarre.  Dieu,  par  sa  grâce,  veuille  donner  les  moyens 
qui  y  seront  propres  et  convenables. 

Pour  conclusion,  les  forces  de  nos  ennemis  sont 
grandes  et  s'augmentent  journellement.  Ils  sont  tous 
unis  et  bien  d'accord  ;  ils  ne  perdent  une  seule  occasion 
qui  leur  puisse  profiter,  et  exécutent  diligentement  et 
vivement  leurs  desseings.  Au  contraire  nos  forces  sont 
petites  et  se  diminuent  journellement:  nous  sommes 
si  irrités  les  ungs  aulx  aultrps ,  que  nous  ne  cherchons 
qu'à  nous  ruyner,  et  s'il  se  propose  quelque  sage  et 
utile  conseil ,  il  le  fault  poursuivre  trois  ans  premier 
qu'il  y  soit  pourveu.  Pourtant  si  Dieu  n'y  met  la  main, 
et  n'use   d'une    singulière    miséricorde,  je  vois   une 


Il8  LETTRE  DE  M.  DE  DANZAY ,  etc. 

extrême  désolation  des  églises  chrestiennes.  Dieu  par  sa 

bénigne  bonté  y  pourvoie  ! 

Quant  aulx  nouvelles  de  deçà ,  les  députés  des  roys 
de  Dannemarck  et  de  Suéde  se  sont  ces  jours  passés  as- 
semblés sur  la  frontière  des  deux  royaumes,  et  entiè- 
rement composé  leurs  differens.  Le  vieux  duc  Jehan  de 
Holstein  ,  oncle  du  roy  de  Dannemarck ,  est  decedé.  Le 
duc  Adolphe  son  frère ,  s'est  ung  peu  avancé  pour  s'as- 
seurer  des  meubles,  dont  ledict  roy  a  esté  fasché  :  mais 
cela  s'accordera  facilement.  Le  roy  de  Pologne,  après 
avoir  forcé  les  villes  et  chasteaux  de  Vielis  et  Vilikiluki, 
et  aussi  pris  le  fort  de  Pleunis,  s'est  retiré  et  mis  gar- 
nison sur  la  frontière.  Le  bruit  est  que  les  Tartares  sont 
aussi  entrés  dans  le  pays  du  Moscovite,  au  nombre  de 
cent  cinquante  mille  hommes,  qui  lui  donnent  bien  à 
penser.  L'on  dict  aussi  qu'il  se  traite  de  la  paix  entre 
ledict  roy  de  Pologne  et  le  Moscovite,  et  que  les  offres 
que  lui  faict  ledict  Moscovite  sont  tels  qu'il  y  a  appa- 
rence qu'il  les  acceptera. 

Monsieur,  je  me  recommande  bien  humblement  à 
vos  bonnes  grâces,  et  prie  Dieu  vous  donner  très  heu- 
reuse et  longue  vie. 

De  Hambourg,  ce  6*  jour  de  novembre  i58o. 

Monsieur,  je  vous  supplie  que  je  puisse  cognoistre 
tousjours  de  vos  nouvelles,  car  je  vous  promets  que  ce 
m'est  une  très  grande  consolation. 

A  Monsieur,  Monsieur  Duplessis ,  Conseiller  du  roy  de 
Navarre  ,  et  son  Ambassadeur  es  Pays  Bas  de  Flandres. 

(Le  blason  da  cachet  consiste  en  trois  étoiles  2  et  i,  avec  an  point  an 
milieu ,  fond  d'or.  ) 


LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE,  etc.  i  19 

XII.  —  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

A  M.  Duplessis. 

Du  23  novembre  i58i. 
Monsieur  Duplessis  ,  j'envoie  le  sieur  Chartier ,  pré- 
sent porteur  ,  expressément  vers  monsieur ,  pour  les 
affaires  qu'il  vous  communiquera;  sur  quoi  je  vous 
prye  le  croire  de  ce  qu'il  vous  dira  de  ma  part  comme 
moi  mesme,  traittnnt  avec  lui  confidemment ,  comme 
avec  celui  que  je  n'estime  moins  mon  fidèle  serviteur 
que  de  monsieur.  Et  me  remettant  à  sa  suffisance,  je  ne 
vous  ferai  ceste  ci  plus  longue,  que  pour  vous  asseurer 
que  vostre  livre  (1)  a  esté  bien  receu  et  recueilli,  et 
grandement  loué  et  estimé  des  meilleurs  esprits.  Dont  je 
suis  fort  aise,  tant  pour  le  fruit  qu'il  fera,  que  pour 
sortir  de  la  boutique  d'ung  auteur  que  j'aime  et  désire 
lui  faire  paroistre  mon  amitié,  des  effets  de  laquelle  je 
vous  prye  faire  estât  pour  jamais.  Je  fais  tout  ce  que 
je  puis  pour  exécuter  la  paix ,  de  quoi  j'espère  ung  bon 
succès,  non  seulement  en  ce  pays,  mais  au  plus  loing- 
tain  qui  désire  la  pacification  d'icelui  ;  ainsi  que  vous 
pourra  faire  entendre  ledict  Chartier  ,  qui  me  gardera 
d'en  direaultre  chose;  pryant  Dieu,  M.  Duplessis,  vous 
avoir  en  sa  saincte  garde. 

De  Nerac,  etc. 

Vostre  bien  bon  maistre  et  ami ,  Henri. 

(1)  De  la  Vérité  de  la  Relligion  chrestieiine. 


120  LETTRE  DU  ROY  DE  NA.VARRE 

XIII. —  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

^  M.  Biiplessis. 

Du  14  janvier  i582. 
Monsieur  Duplessis,  avant  la  réception  de  vostre 
lettre,  et  celles  que  m'ont  escrit  M.  le  prince  d'Orange, 
et  messieurs  des  estats  des  Pays  Bas,  j'estois  sur  le  poinct 
devons  envoyer  une  des  miennes,  pour  vous  pryer  de 
me  venir  trouver  suivant  la  promesse  que  vous  m'aviés 
faicte;  mais,  puis  qu'ils  ont  si  grand  besoing  devons  en 
la  conduite  et  direction  de  leurs  affaires  ,  011  les  Eglises 
de  ce  royaume  ont  ung  si  grand  interest ,  et  qu'ils  me 
pryent  avec  une  si  grande  affection  vous  permettre  de 
demeurer  de  par  delà  quelque  temps,  je  leur  accorde 
qu'ils  puissent  vous  y  retenir  six  mois  durant ,  si  tant  ils 
en  ont  besoing.  Parquoi  je  vous  prye  de  les  satisfaire , 
et  vous  accommoder  en  cela  à  leurs  désirs  et  inten- 
tions. Et  ce  faisant ,  je  vous  en  sçaurai  aussi  bon  gré 
que  si  c'estoit  pour  mes  affaires  particulières.  Mais  je 
vous  prye ,  le  terme  expiré,  de  me  venir  retrouver,  et 
croire  que  vous  serés  le  très  que  bien  venu.  Cependant 
faictes  moi  ce  plaisir  de  continuer  à  m'escrire  tout  ce 
que  vous  apprendrés  de  plus  important ,  sous  ceste  as- 
seurance  que  vous  pouvés  faire  autant  d'estat  de  mon 
amitié  que  de  personne  de  ce  monde,  et  que  je  la  vous 
ferai  paroistre  en  tout  ce  que  j'en  aurai  le  moyen ,  et 
que  vous  le  sçauriés  désirer  de  moi ,  qui  prye  Dieu  vous 
avoir,  M.  Duplessis,  en  sa  saincte  et  digne  garde. 
A  Nerac ,  etc. 

Vostre  bien  affectionné  ami ,  Henri. 
Et  au  bas ,  par  apostille ,  cstoit  escrit  de  la  main  dudict  roy  : 
Monsieur  Duplessis,  si  avec  le  gré  et  consentement 


A  M.  DUPLESSIS.  121 

de  messieurs  des  estats  de  ce  pays  là  vous  pouviés  re- 
venir plus  tost,  j'en  serois  fort  aise.  Je  vous  prye  me 
tenir  en  bonne  volonté  et  affection  envers  eulx.  Moyen- 
nes aussi ,  je  vous  prye ,  avec  le  sieur  de  Valsingam  que 
je  puisse  r'avoir  mes  bagues  engagées  en  Angleterre, 
et  asseurés  vous  si  vous  pouviés  moyenner  cela  que  je 
le  recognoistrois. 

Et  au  dessus  de  la  lettre  estait  escrit  : 

A  Monsieur  Duplessis ,  mon  Conseiller  et  Chambellan. 


XIV.  —  ^  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Sombre. 

Du  I"  janvier  i582. 
Monsieur  de  Sombre,  vous  aurés  seu  que  son  excel- 
lence est  venue  en  Zelande  pour  recevoir  son  altesse, 
suivant  les  lettres  qu'elle  a  escrit  par  son  commande- 
ment ;  je  l'ai  aussi  suivi,  joinct  le  désir  que  j'aurai  de 
baiser  les  mains  de  son  altesse  ,  et  lui  dire  quelque  bon 
mot,  et  selon  ma  liberté  accoustumee  à  ce  commence- 
ment; maintenant  nous  l'attendons  d'heure  «\  aullre  , 
son  bagage  estant  jà  embarqué  à  Douvres  et  son  train 
acheminé,  et  lui  n'attendant  que  le  vent  ;  et  Dieu  veuille 
que  ce  soit  en  la  gloire  de  son  nom ,  et  au  soulagement 
de  ces  pays.  Il  fault  que  je  vous  die  qu'il  vient  ici  divers 
bruits  de  vos  quartiers;  car  on  dict  qu'il  se  faict  des 
novalités  à  Gand,  qui  pourront  tendre  à  desunir  les 
provinces  au  préjudice  des  unions  passées  et  de  celle 
qu'on  doibt  maintenant  avancer  de  tout  son  pouvoir; 
mesme  on  voit  des  livrets  qui  se  servent,  fondés,  à 
mon  advis,  sur  les  complaintes' de  quelques  infirmes 
ou  discours  de  mal  contens,  ou  bruits  et  rapports  de 


122  LETTRE  DE  M.   DUPLESSIS 

marchés,  qui  enhardissent  les  malveillans  à  esciorre 
leurs  mauvais  desseings;  ce  sont  choses  dangereuses  en 
une  ville,  mesme  en  temps  de  guerre  ,  telles  qu'elles  ci, 
et  auxquelles  devés  prendre  garde;  et  je  vous  escris 
tant  pour  le  désir  que  j'ai  d'en  sçavoir  la  vérité  en  ceste 
diversité  de  bruits,  que  pour  sçavoir  le  remède  qui  s'y 
pourroit  donner.  Je  fais  scrupule  de  vous  dire  qu'on 
adjoute  qu'aulcuns  parlent  de  faire  la  paix  avec  l'en- 
nemi soubs  ombre  qu'on  leur  parle  d'une  liberté  sans 
scandale,  dont  on  auroit  bien  de  la  peine  à  trouver 
la  deffinition;  car  je  pense  que  tous  gens  d'entende- 
ment doibvent  estre  résolus  que  la  paix  avec  le  roy  d'Es- 
paigne  et  l'exercice  de  la  relligion,  dont  faisons  profes- 
sion, et  laquelle  debvons  maintenir  jusques  à  la  mort, 
sont  choses  trop  incompatibles.  On  n'ignore  point  que 
ce  retardement  de  son  altesse  n'ait  ouvert  la  bouche 
et  les  oreilles  aulx  malveillans  pour  découvrir  plus  har- 
diment leurs  intentions  et  déployer  leurs  artifices,  et 
aulx  infirmes  et  ennuies  de  partis ,  pour  y  prester  plus 
facilement  l'oreille,  et  vous  savés  combien  tousjours 
j'ai  blasmé  ces  longueurs  ;  mais  il  me  semble  que  sa 
proche  venue  doibt  abolir  tous  ces  discours;  et  puis 
il  me  semble  que,  selon  la  profession  que  nous  faisons, 
si  nous  sommes  sages ,  nous  nous  debvrons  fonder 
premièrement  sur  Dieu ,  et  puis  après  sur  nos  moyens 
propres,  comme  souvent  je  vous  ai  escrit  reputare  in 
lucro,  ce  qui  pourra  venir  d'ailleurs,  et  j'estime  non 
tant  fructum  quam  obventionem.  Je  vous  escris  à  ma 
façon  ,  librement ,  et  vous  prie  d'en  faire  de  mesme  ;  et 
si  je  puis  servir  de  quelque  chose,  le  me  mandés  ouver- 
tement. Je  suis  sur  ceste  conjoncture  que  nous  attendons 
de  çà,  car  on  cognoistra  tousjours.  Dieu  aidant,  que 
je  préférerai  l'honneur  de  Dieu  et  le  bien  de  ce  peuple 


A.  M.  DE  SOMBRE.  12^ 

à  toute  aultre  considération.  Au  reste ,  je  suis ,  comme 
sçavés,  de  vos  bons  amis,  et  ains  particulièrement  en 
quoi  le  voulleu  essayer  et  cognoistre;  et  sur  ce  vous 
saluerai affectionnement,  et  prierai  Dieu, monsieur,  etc. 
De  Mildebourg. 

Croyez  qu'il  me  fasche  quand  j'oy  dire  que  Gand 
se  porte  mal ,  et  que  je  le  prens  au  poinct  d'honneur; 
car  je  ne  puis  oublier  la  bonne  affection  qu'on  m'y  a 
porté,  ne  l'ayant  mérité. 

DUPLESSIS. 


XV.  —  ^  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

J  M.  Massie. 

Du  7  de  janvier  i582. 
Monsieur  ,  je  suis  venu  accompagner  ici  son  excel- 
lence pour  la  réception  de  son  altesse,  qu'on  attend, 
selon  ses  lettres  de  Ben  Dieu  lui  doint  servir  à 

son  Eglise  et  au  bien  de  ce  peuple!  cependant,  sur  les 
bruits  qui  nous  viennent  de  vos  quartiers,  je  ne  me 
puis  tenir  de  vous  escrire.  On  nous  dict  qu'il  se  faict 
ou  brace,  à  Gand,  des  nouveautés  tendant  à  desunion 
et  destruction  ;  et  vous  sçaurés  combien  est  difficile  la 
reunion  de  provinces  estant  qu'aulcuns  s'en  hardissent 
de  discourir  de  la  paix  avec  l'Espaignol,  et  sont  si  fols 
que  de  l'espérer,  et  vous  n'ignorés  combien  telle  paix , 
et  l'exercice  de  nostre  relligion  son  incompatibles,  et 
là  dessus  les  ennemis  prennent  occasion  d'esclore  leurs 
mauvaises  intentions  et  desployer  tous  leurs  artifices. 
Certes,  je  pense  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  pernicieux,  et 
par  tout  encores  que  je  sçache,  combien  vous  estes  zé- 
lateurs et  vigilans  pour  le  peuple,  je  ne  puis  tenir  de 


124  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS  ,  etc. 

vous  donner  ce  coup  d'esperon  pour  vous  solliciter  à 
rompre  ces  artifices.  Je  n'ignore  que  les  retardemens 
de  son  altesse  n'aient  donné  lieu  à  ces  discours  :  nous 
si  fault  il  se  résoudre,  que  jamais  nous  ne  feumes 
fondés  en  nostre  relligion  sur  les  preuves.  Dieu  doubte 
qu'il  vienne  bénir  sa  venue,  mais  son  retardement  ne 
nous  doibt  pas  précipiter  par  la  fenestre ,  puisque  sa 
présence  abolira  ou  aidera  à  abolir  tout  cela;  mais  à 
tout  événement,  nous  debvons  tenir  la  main  qu'il  y  ait 
une  estroite  union  entre  ces  provinces,  lesquelles  son 
altesse  humainement  peult  garder  si  elles  sont  unies  , 
mais  qu'ung  trop  plus  fort  que  lui  ne  peult  conserver, 
si  d'elles  mesmes  elles  se  desunissent  ou  se  rendent  las- 
ches  et  irrésolues  en  la  relligion  et  en  leur  deffense;  sur- 
tout je  désire  que  nous  ayons  égard  à  la  relligion,  que 
certes  nous  avons  entreprise  contre  les  princes  persé- 
cuteurs, et  debvons  préférer  à  tout  ce  qui  dépend  des 
princes.  Vous  voyez  combien  je  vous  escris  librement; 
je  me  desplais  quand  je  puis  dire  que  Gand  se  porte 
mal  ,  qu'il  y  a  danger  de  quelque  malentendu  procé- 
dant de  là ,  parce  que  je  me  suis  obligé  à  Gand ,  et  qu'il 
n'y  a  ville  au  Pays  Bas  ,  à  laquelle  je  porte  plus  d'af- 
fection qu'à  celle  là.  Je  prye  Dieu  que  par  quelque 
œuvre  je  le  puisse  monstrer,  et  qu'il  vous  doibve,  mon- 
sieur, etc. 

De  Mildebourg. . 

DuPLESSIS. 

Je  vous  prye  que  la  présente  soit  communiquée  à 
M.  de  Hess. 


AFFAIRES  DE  FLANDRES.  125 


XVI.  —  INSTRUCTION 

Baillée  aux  sieurs         ,  allant  de  la  part  de  M^''  le 
prince  d'Orange  vers  MM.  des  quatre  membres  de      i 
Flandres ,  et  de  la  ville   de   G  and;  dressée  par 
M.  Duplessis  en  janvier  i  582. 

Remonstreront  lesdicts  sieurs  tant  à  MM.  les  dé- 
putés des  quatre  membres  à  Gand  ,  comme  à  MM.  du 
collège  et  du  conseil  des  guerres,  et  mesmes  en  par- 
ticulier aux  doyens  de  la  ville ,  ministres  de  l'Eglise,  et 
aultres  personnes  qu'ils  cognoistront  affectionnées  à  la 
conservation  de  la  relligion  et  défense  de  la  cause  com- 
mune ,  les  choses  qui  ensuivent. 

Et  premièrement,  qu'il  est  assés  notoire  à  un  chacun 
combien  la  concorde  est  nécessaire,  tant  de  toutes  les 
provinces  ensemble,  que  des  membres  en  chacune 
d'icelJes,  et  que  son  excellence  n'a  rien  plus  tasché,  de- 
puis qu'il  est  appelé  en  ce  pays,  que  reunir  lesdictes 
provinces  si  estroitement,  qu'elles  tendissent  toutes  de 
mesmepied  à  ung  mesme  but,  comme  le  seul  et  unique 
moyen  de  les  conserver  et  maintenir,  ainsi  que  nagueres 
encores  il  auroit  soigneusement  et  expressément  re- 
monstré  à  MM.  de  la  ville  de  Gand. 

Cependant  que  son  excellence  est  advertie  que  jour- 
nellement il  se  tient  à  Gand  des  conseils  particuliers 
composés  de  peu  de  personnes  et  aulcunes  suspectes, 
esquels,  au  desceu  de  MM.  des  estais  généraux  et  du 
Lautrath^  se  traitent  affaires  de  conséquence  pour  tout 
le  gênerai,  et  se  proposent  certains  desseings  particu- 
liers ,  qui  ne  peuvent  que  retarder  la  concorde  et  union 
des  provinces,  désirée  et  procurée  et  par  tous  les  gens 


126  INSTRUCTION 

de  bien  ,  comme  le  seul  remède  des  misères  présentes, 
et  engendrer  des  divisions  et  arrière  pensées,  non  entre 
les  membres  de  la  province  seulement,  mais  en  la  ville 
mesme  :  qui  est  le  plus  abrégé  chemin  d'une  ruyne. 

Cela  est  l'occasion  que  ledict  seigneur  prince  n'a  peu 
omettre ,  tant  pour  l'acquit  de  sa  conscience  ,  que  pour 
l'interest  de  MM.  de  Gand  en  particulier,  et  de  tous 
en  gênerai,  d'envoyer  lesdicts  sieurs  vers  eux  ,  les  priant 
voulloir  considérer  à  bon  escient  combien  toutes  les 
novalités  et  particularités  sont  dangereuses  et  préju- 
diciables à  ung  estât ,  lors  principalement  qu'il  est  agité 
et  tourmenté  de  guerre,  et  nommément  se  ressouvenir 
combien,  ces  dernières  années,  semblables  pratiques  ont 
faict  de  mal  à  ladicte  ville  de  Gand  ,  et  par  conséquent 
à  toute  la  généralité  des  provinces,  afin  de  s'abstenir 
dorénavant  de  toutes  telles  choses,  et  par  ung  commun 
advis  tendre  au  bien  gênerai  de  tous. 

Particulièrement  son  excellence  ne  leur  veult  celer 
qu'il  entend  qu'on  auroit  parlé  de  quelque  reconcilia- 
tion prétendue  avec  l'ennemi,  laquelle,  ceulx  qui  la 
mettent  en  avant,  honorent  du  nom  de  paix,  pour  la 
faire  trouver  meilleure  au  peuple,  qu'ils  cognoissent 
trop  affectionné  à  son  bien  pour  jamais  prester  l'oreille 
à  une  lascheté  ;  et  là  dessus  forgent  et  imaginent  une 
neutralité ,  qui  ne  peult  estre  que  la  ruyne  totale  de  la 
ville  et  du  peuple,  en  quelque  f;içon  qu'ils  la  veillent 
desguiser. 

S.  E.  donc  désire  que  chascun  entende  qu'elle  peult 
estre  ceste  pretendeue  paix ,  et  quelle  ceste  imaginaire 
neutralité,  et  a  pryé  lesdicts  sieurs  de  la  leur  exposer 
de  sa  part. 

Et  premièrement  présuppose  S.  E.  comme  chose 
toute  certaine,  que  messieurs  de  la  ville  de  Gand,  qui 


POUR  LES  AFFAIRES  DE  FLANDRES.  127 

jusques  à  présent  se  sont  monstres  si  zélateurs  de  la 
vraie  relligion,  et  de  leur  liberté,  voudront  inviolable- 
inent  retenir,  garder ,  et  asseurer  l'une  et  l'aultre  avant 
toutes  choses,  et  sans  icelle  estimeront  quelque  paix 
que  ce  soit  la  peste  du  pays  ,  et  leur  ruyne  totale.  Et 
ce  fondement  estant  mis,  il  les  prye  d'examiner  quelle 
espérance ,  ou  apparence  de  paix  ou  reconciliation 
avec  l'ennemi  il  y  peult  avoir. 

Le  traicté  de  Couloigne  a  suffisamment  monstre 
quelle  a  esté  l'intention  de  l'ennemi  en  proposant  ce 
beau  nom  de  paix ,  asçavoir  de  diviser  et  rompre  les 
provinces,  et  suborner  les  villes,  comme  il  a  faict  de 
quelques  unes  ,  en  haine  de  nostre  relligion.  Aussi  nous 
avons  veu  qu'après  une  longue  negotiation  ,  en  laquelle 
l'empereur,  et  plusieurs  princes  de  l'empire,  pour  y 
donner  plus  d'apparence,  estoient  entrevenus,  on  n'a 
jamais  peu  tirer  aultres  articles  ,  sinon  que  l'exercice 
de  la  relligion  romaine  seroit  r'establi ,  et  le  nostre 
aboli  et  desfendeu  ,  et  que  ceulx  qui  voudroient  jouir 
de  la  liberté  de  leur  conscience,  auroient  certains 
temps  pour  vendre  leurs  biens  ,  et  se  retirer  du  pays. 

Dont  se  voit  que  ceulx  qui  parlent  maintenanL  d'une 
paix,  ou  reconciliation  avec  l'ennemi,  oii  sont  trop 
ignorans  de  faire  espérer  au  peuple  à  son  grand  dom- 
mage ce  qu'il  ne  peult  aucunement  oblenii  ,  ou  plus- 
tost  vraiement  nialicieux  de  lui  voulloir  faire  perdre, 
sous  le  nom  de  paix,  la  vrai  relligion,  et  liberté,  en 
laquelle  il  a  protesté  de  voulloir  vivre,  et  mourir,  et 
sans  laquelle  il  ne  peult  y  avoir  de  vraie  paix. 

Mais  S.  E.  leur  accorde  que  l'ennemi  voulleust 
maintenant  octroier  meilleure  condition  qu'alors  , 
mesme  qu'il  baille  à  ceulx  de  la  relligion ,  et  de  ce 
parti  la  carte  blanche,  et  les  face  arbitres  de  leur  capi- 


128  INSTRUCTION 

tulation,  tant  pour  les  privilèges  et  libertés,  que  pour 
l'exercice  de  leur  relligion ,  qui  est  tout  ce  qu'ils  peu- 
vent demander  :  quelle  asseurance  auront  ils  mainte- 
nant que  ceste  paix  leur  dure,  et  que  les  conditions 
leur  en  soient  observées?  Au  contraire ,  en  moins  d'ung 
an  ils  ne  voyent  leur  ruyne  extrême,  et  sans  remède? 

Chascun  sçait  que  par  une  paix  il  sera  tous] ours 
dict  que  les  armes  soient  posées,  les  forces  licenciées, 
les  garnisons  mises  hors ,  les  bourgeoisies  désarmées , 
le  commerce  remis  en  son  entier;  et  l'ennemi,  pour 
nous  oster  toute  défiance  ,  ne  demandera  peut  estre  pas 
mieux  que  de  commencer  l'exécution  de  ces  choses, 
dont  aulcun  dommage  ne  lui  peult  advenir,  veu  la  na- 
ture des  villes  de  son  parti,  afin  que,  sans  difficulté, 
nous  facions  le  mesme ,  que ,  veu  la  nature  des  nos- 
tres  ,  nous  ne  pouvons  faire  sans  apparente  ruyne. 

Joint  qu'alors  nous  n'aurons  point  faulte  de  gens, 
qui  croiront  comme  des  maintenant,  que  tout  est  per- 
deu  et  ruyné ,  afin  de  se  desarmer  incontinent,  et  se 
desfaire  de  tous  gens  de  guerre,  et  seront  peut  estre 
si  endormis.,  ou  occupés  chascun  en  son  particulier 
mesnaige  ,  que  nous  lairrons  aisément  surprendre  le 
public. 

Or,  quand  les  choses  seront  réduites  à  ce  poinct, 
comme  par  telle  paix,  elles  ne  peuvent  faillir,  S.  E.  prye 
tous  ceulx  qui  affectionnent  la  vraie  relligion  et  liberté, 
de  se  proposer  ce  qu'elles  peuvent,  et  eulx  mesmes 
devenir. 

Il  est  trop  certain  qu'il  n'y  a  gueres  ville  en  ce  pays  , 
et  nommément  en  Flandres,  en  laquelle  les  ennemis 
de  nostre  relligion  ne  soient  encores  aujourd'hui  en 
plus  grand  nombre,  et  qu'ils  no  sont  retenus  que  par 
l'auctorité  du  magistrat,  et  la  force  de  la  garnison; 


POUR  LES  AFFAIRES  DE  FLANDRES.  129 

joint  que,  quand  ces  inégalités  seront  ostees,  est  à 
craindre  que  plusieurs,  qui  ores  se  feignent  estre  des 
nostres,  ne  se  descouvrent  tout  aultres,  et  que  des 
plus  affectionnés  ne  se  refroidissent. 

En  après ,  ceulx  de  la  relligion  romaine  se  plaignent 
d'avoir  esté  et  estre  opprimés  par  nous,  excleus  des 
charges  et  dignités ,  privés  de  la  liberté  de  leurs  cons- 
ciences et  de  leur  exercice ,  etc.  Joint  que  plusieurs 
offences  et  animosités  particulières  sont  nées  pendant 
ces  troubles,  lesquelles  en  ung  temps  favorable  ,  ils  res- 
veilleront  incontinent ,  veu  que  des  ceste  heure  mesmes 
quelques  ungs  ne  le  peuvent  dissimuler. 

Jugent  ceulx  de  la  relligion,  et  particulièrement 
messieurs  de  Gand  par  leur  conscience  ce  qu'on  pèult 
et  doibt  espérer  de  ceulx  de  la  relligion  contraire ,  si 
jamais  on  revenoit  à  estre  exposés  à  leur  discrétion  , 
comme  infailliblement  on  seroit  par  une  telle  paix  Et 
pour  leur  en  ouvrir  le  jugement,  les  exemples  de  France 
suffisent  assés. 

Ne  fault  aussi  doubter  que  les  ennemis  voudroient 
lors  r'entrer  es  biens  ecclésiastiques  vendeus  ,  aliénés , 
ou  appliqués  à  aultres  usages,  dont  ceulx  qui  ont  eu 
plus  d'auctorité  es  villes,  seroient  les  plus  comptables.  Et 
peult  estre  ceulx  mesmes  qui  se  flattent  en  ceste  vaine 
espérance  de  paix  ,  s'en  trouveroient  sans  y  penser  les 
plus  empestrés. 

Et  quand  du  premier  coup  Testât  ne  se  changeroit 
poincten  quelque  ville  à  cause  du  bon  magistrat,  peut 
estre,  qui  pour  le  reste  de  son  temps  y  tiendroit  la 
main,  encores  certes  qu'il  est  apparent  que,  se  voyant 
dénué  de  support,  il  s'affoibliroit  de  courage  ;  il  est  au 
moins  évident  que  l'establissement  de  la  loi  en  chacune 

MÉM.  I»E  DuPLESSIS-MoRNiY.  ToME  II.  Q 


l3o  INSTP^UCTION 

ville  despendroit  alors  en  partie  d'ung  conseil  d'estat 
suspect  et  dangereux  ,  lequel  y  admettroit  ceidx  de  la 
relligion  romaine ,  sans  que  contre  iceulx  nous  puis- 
sions alléguer  nos  privilèges,  et  d'entr'eulx  les  plus 
contraires  à  nostre  parti ,  et  plus  affectionnés  au  sien  ; 
et,  par  ce  moyen,  en  moins  d'ung  an  Testât  du  pays  seroit 
tout  changé  et  corrompeu  ,  et  d'aultant  plus  que  les 
magistrats  ont  ordinairement  plus  d'auctorité  et  de 
suite  à  advancer  le  mal  que  le  bien. 

C'est  quant  à  la  paix  générale ,  pretendeue ,  comme 
S.  E.  entend,  par  quelques  ungs,  laquelle  l'ennemi  ne 
nous  à  onc  offert  telle,  ni  approchante  de  là,  combien 
qu'.i  ceulx  qui  aiment  la  vraie  relligion,  et  prospérité 
de  la  cause  commune,  elle  ne  peult  sembler  que  très 
préjudiciable. 

Et  quant  à  la  paix  particulière ,  qu'ils  appellent  neu- 
tralité, moyennant  laquelle  l'ennemi  promettroit  au 
peuple  de  le  laisser  vivre  en  repos,  et  à  sa  fantaisie  pen- 
dant qu'il  tueroit  et  ruyneroit  ses  voisins ,  il  répugne 
trop  à  la  réputation  de  messieurs  de  Gand  d'abandon- 
ner une  si  honorable  partie  ;  et  ont  tous  assés  d'enten- 
dement pour  cognoistre  que  ceste  neutralité  ne  seroit 
qu'une  trêve  jusques  à  la  ruyne  des  aultres  provinces. 
Et,  partant,  n'en  auroientaultre  advantage  que  d'appré- 
hender journellement  leur  mort  et  ruyne  en  celle  de 
leurs  compatriotes  ,  sans  les  oser  secourir,  ni  s'aider  eulx 
mesmes. 

Mais ,  qui  plus  est ,  sous  ombre  de  ceste  neutralité , 
ils  seroient  contraints,  et  n'oseroient  refuser  de  donner 
passage  à  l'ennemi  sur  leurs  terres;  et,  quant  aux  gens  de 
guerre  de  deçà,  justement  ils  leur  feroient  la  guerre, 
comme  à  déserteurs  de  la  cause  commune,  et  leur  rava- 
geroient  leur  pays.  Et  par  ainsi  le  peuple  se  trouveroit 


POUR  LES  AFFAIRES  DE  FLANDRES.  l3l 
trop  plus  intéressé  de  ceste  neutralité  prétendue,  que 
de  la  présente  guerre. 

Et  particulièrement  lesdicts  sieurs  leur  diront 

et  feront  sentir  que  messieurs  de  Zelande  ayant  en- 
tendu ces  discours,  les  trouvent  fort  estranges,  estans 
résolus  à  toute  extrémité  de  poursuivre  la  guerre,  et 
mourir  plustost  jusquesau  dernier,  que  de  se  laisser  ainsi 
abuser  à  l'ennemi,  encores  que  tels  traités,  comme  cha- 
cun sait,  ne  leur  seroient  si  dangereux  qu'aulx  dicts 
sieurs  deGand;  et  pourtant,  en  cas  qu'on  voullust  pas- 
ser ouhre ,  en  tels  traités,  ne  pourroient  qu'ils  ne  se 
départissent  de  leur  amitié  et  correspondance,  parce 
qu'en  se  perdant ,  il  est  tout  apparent  qu'ils  avancent , 
en  tant  qu'en  eulx  est,  la  ruyne  de  tous  les  aultres. 

Ce  que  dessus  diront  lesdicts  sieurs  et  selon 

qu'ils  jugeront  estre  besoing ,  et  que  le  mal  sera  passé 
avant,  ou  aulx  collèges  en  public,  ou  seuUement  aulx 
particuliers ,  qui  en  pourront  faire  leur  profit  entre  le 
peuple ,  ce  que  S.  E.  remet  à  leur  discrétion  et  pru- 
dence, parce  que,  si  les  choses  n'estoient si  eschauffees , 
ne  seroit  besomg  d'en  faire  si  grand  bruit. 

Reste  ung  aultre  poinct;  c'est  que,  pour  rendre  le 
peuple  plus  enclin  à  telle  lascheté,  et  afin  qu'il  se  jette 
dedans  le  lac  ,  sans  regarder  comment ,  on  lui  oste  tout 
espoir,  disant  qu'il  n'y  a  plus  de  moyen  de  faire  la 
guerre,  etc.  De  quoi  plusieurs  gens  de  bien  mesmes  se 
peuvent  mettre  en  peine  pour  les  difficultés  qu'ils  pré- 
voient, et  qu'ils  voudroient  prévenir. 

Sur  ce,  S.  E.  a  donné  charge  aux  dicts  sieurs 
de  déclarer  à  messieurs  de  Gand  les  offres  et  proposi- 
tions que  faict  son  altesse*,  duquel  on  attend  la  veneue  au 
premier  jour,  et  avec  lequel  on  espère  en  l'assemblée 


i32  INSTRUCTION,  etc. 

des  estats  généraux  prendre  une  bonne  resolution,  et 

salutaire  à  tous  ces  pays. 

Mais  quand  ores  sa  venue  seroit  retardée  pour  le 
mariaige  avec  la  royne  d'Angleterre ,  soit  pour  aultre 
cause  qui  peut  survenir,  S.  E.  espère  qu'en  ceste  pro- 
chaine assemblée  on  fera  ouverture  de  si  bons  et  conve- 
nables moyens  pour  maintenir  la  guerre ,  payer  et  dis- 
cipliner la  gendarmerie ,  et  soulager  le  peuple,  que  si 
on  les  veult  suivre ,  Testât  en  sera  avec  l'aide  de  Dieu, 
relevé ,  et  chacun  en  particulier  aura  contentement.  Et 
ces  moyens  dépendent  de  la  resolution ,  union  et  con- 
corde des  provinces ,  et  de  chacune  ville. 

Seullement  lesdicts  sieurs  requerront  et  exhorteront 
messieurs  de  Gand,  des  collèges,  et  tous  gens  de  bien 
affectionnés,  d'envoyer,  ou  faire  envoyer  au  plus  tost 
que  faire  se  pourra,  des  députés  en  ladicte  assemblée  , 
gens  notables,  et  bien  instruits  et  auctorisés  pour  ré- 
soudre de  toutes  choses.  Et  qu'attendant  la  resolution 
générale ,  ils  veillent  pourvoir  au  payement  et  con- 
tentement des  gens  de  guerre,  afin  que  desordre  n'y 
intervienne;  les  asseurant,  qu'aidant  Dieu,  l'ordre  y 
sera  mis  en  ceste  assemblée  pour  l'advenir,  pourveu, 
comme  S.  E.  les  en  prye  de  tout  son  cœur,  que,  de 
leur  part,  ils  s'y  employent  à  bon  escient,  et  ne  per- 
mettent que,  par  ces  novalitéset  desseings  particuliers, 
l'union  et  concorde  générale  soit  empeschee  ou  retar- 
dée ,  de  laquelle  seulle ,  après  la  faveur  de  Dieu ,  despend 
le  salut  de  ces  pays. 


LEGATION  D'AUSBOURG.  l33 


XVII. —  PROJET  DE  LA  LEGATION 

Que  monseigneur  d'Jnjou,  esleu  duc  de  Brahant, 
destinait  en  Allemaigne ,  à  la  diète  d Ausbourg , 
Van  i582. 

Il  semble  que  ceste  légation  doit  tendre  à  deux  fins. 
La  première ,  d'empescher  que  la  diète  ne  nous  apporte 
du  mal  :  la  seconde ,  de  tascher  qu'elle  nous  apporte 
du  bien. 

Le  mal  qui  est  à  craindre ,  c'est  que  le  pape ,  l'em- 
pereur et  le  roi  d'Espaigne  principalement,  avec  leurs 
adherens ,  prétendent  que  les  princes  d'Allemaigne,  c'est 
à  dire  l'Empire,  se  bande  contre  les  Pays  Bas,  nommé- 
ment contre  monseigneur  le  duc  de  Brabant. 

Le  bien  qui  s'en  peult  raisonnablement  désirer,  c'est 
que  l'élection  faicte  par  les  estats  soit  confirmée  par  l'Em- 
pire ,  et  mondict  seigneur  le  duc  receu  à  foi  et  hom- 
mage ,  selon  la  forme  des  prédécesseurs ,  et  en  toutes 
les  prérogatives  qui  en  dépendent  ;  mais  pour  ceste 
première  fois  malaisément  se  peut  elle  espérer. 

Pour  parvenir  à  ces  fins,  semble  que  seroit  bon  de 
tenir  la  procédure  qui  en  suit. 

Que  ceulxquiseroient  depeschés  des  pays  de  deçà  à 
la  diète  impériale,  eussent  double  instruction  et  doubles 
créances.  Les  unes,  comme  envoyés  purement  de  par 
les  estats  généraux  de  ces  pays;  les  aultres,  comme 
envoyés  avec  charge  de  monseigneur  le  duc  de  Bra- 
bant, et  que  cela  demeurast  secret  jusques  au  besoing. 

Qu'arrivant  au  lieu  de  la  diète,  ils  ne  parlassent  que 
des  estats  généraux ,  et  demandassent  audience  en 
vertu  de  leurs  lettres,  au  nom  d'iceulx,  laquelle  ne  leur 


l34  LEGATION 

pourroit  estre  déniée ,  veu  qu'elle  est  assemblée  pour 
leur  faict,  au  lieu  que,  soubs  le  nom  du  nouveau  duc 
de  Brabant,  elle  le  seroit  sans  double  ;  et,  icelle  octroyée, 
fissent  leur  barangue  ,  qui  pourroit,  pour  la  justifica- 
tion des  actions  desdits  estais  généraux,  contenir  ce 
qui  en  suit  : 

1.  L'obligation  mutuelle,  qui  est  naturellement  du 
prince  envers  les  subjects,  et  des  subjects  envers  le 
prince ,  laquelle  est  de  droict  divin ,  veu  que  nature 
n'est  aultre  cliose  que  l'institution  de  Dieu ,  et  partant , 
ne  se  peidt  ne  doibt  enfraindre. 

2.  L'obligation  mutuelle,  qui  est  de  droict  civil  par 
conlract  et  serment  réciproque ,  exprès  entre  les  sei- 
gneurs des  Pays  Bas  et  leurs  subjects ,  dont  fauldra 
faire  apparoir  par  les  joyeuses  entrées,  etc.,  confirma- 
tive  et  interprétative  de  la  précédente. 

3.  Fauldra  discourir  combien  lesdicts  estais,  tant  en 
gênerai  qu'en  particulier,  ont  rendu  de  tout  temps 
d'obéissance  à  leurs  seigneurs,  à  l'acquit  desdictes  obli- 
gations naturelle  et  civile,  nommément  à  l'empereur 
Charles,  et  depuis  résignation  faicte  au  roi  d'Espaigne, 
son  fils;  ce  qui  se  pourra  confirmer  par  histoires  et  tes- 
moignages. 

4.  Au  contraire,  en  combien  de  sortes  le  roi  d'Es- 
pagne a  violé  lesdictes  obligations  ;  sur  quoi  sera  bon 
de  s'eslendre  à  reciter  les  principaux  articles  portés  par 
les  contracts  mutuels  et  les  infiactions  d'iceulx. 

5.  Qu'en  ceste  oppression,  lesdicts  des  Pays  Bas,  qui 
eussent  pu,  cà  la  rigueur,  selon  le  serment,  user  de 
leur  puissance,  ont  eu  recours  à  se  plaindre  aulx  gou- 
verneurs establis  par  ledict  sieur  roy  ;  nommément  à 
la  duchesse  de  Parme ,  sa  sœur  naturelle ,  aimant  mieux 
en  accuser  tout  aultre  que  le  roy  absent. 


D'AUSBOURG.  l35 

6.  Mais  que,  voyant  qu'elle  alleguoit  le  commande- 
ment d'icelui ,  se  seroient  résolus  d'envoyer  des  princi- 
paux seigneurs  du  pays  sur  les  lieux ,  pour  mieux  in- 
former ledict  sieur  roy  de  Testât  desdicts  pays,  lesquels 
feurent  traictés ,  comme  chacun  sçait ,  etc. ,  et  n'en  sortit 
aultre  fruict,  sinon.que,  pour  ung  reformateur,  leur  feut 
envoyé  ung  bourreau,  etc.,  à  sçavoir  le  duc  d'Albe. 

7.  Et  ici  fauldra  raconter  les  cruautés  et  tyrannies 
commises  soubs  son  gouvernement,  contre  les  loix  et 
statuts  de  ces  pays,  et  contre  tout  droict  dénature, 
notoires  h  ung  cliacun. 

8.  A  ces  cruautés  et  tyrannies  s'opposa  un  temps 
M.  le  prince  d'Orenge ,  es  provinces  de  Hollande  et 
Zelande,  tant  comme  appelé  par  icelles,  que  pour 
l'acquit  de  son  debvoir ,  leur  estant  gouverneur,  comme 
aussi  aulx  efforts  du  grand  commandeur  qui  le  suivit; 
tant  que  par  la  mort  dudict  commandeur,  les  aultres 
provinces  respirèrent  et  ressentirent  le  mal  commun, 
dont  non  seulement  elles  se  relevèrent  de  dessous  le 
joug,  mais  tascherent  mesme  à  délivrer  tout  le  pays 
des  guerres  qui  l'accabloient. 

9.  De  là  nasquit  la  reconciliation  des  provinces  en- 
semble, pratiquée  en  la  viile  de  Gand;  et  parce  que 
les  estats  et  provinces,  pour  le  grand  nombre  de  gens 
qui  adheroient  à  la  relligion ,  et  s'y  adjoignoient  de  jour 
en  jour,  apperceurent  que  leur  estât  ne  pouvoit  estre 
en  paix  si  les  placarts ,  recherches  et  persécutions  con- 
tinuoient,  feut  accordé  que  telles  choses  cesseroient , 
dont  lesdicts  pays  commencèrent  à  se  r'avoir  et  reve- 
nir à  leur  première  splendeur. 

]0.  Mais  l'Espaignol,  impatient  de  leur  repos,  et  dé- 
sireux de  leur  ruyne ,  envoya  don  Juan  sous  ombre  de 
gouverneur  desdicts  pays ,  lequel  n'y  fust  si  tost  qu'il 


1 36  LEGATION 

y  voulleut  remettre  le  feu  par  infinies  pratiques,  etc., 
dont  les  estats  feurent  contraints  de  prendre  les  armes, 
et  lui,  voyant  sa  trame  rompue,  se  retira  à  Namur , 
dont  il  saisit  le  chasteau.  Appert,  par  ses  lettres  inter- 
ceptées, qui  ont  esté  ci  devant  produites. 

1 1.  Ce  feut  la  cause  de  r'embraser  les  troubles,  qui 
depuis  n'ont  cessé,  et  encores  <|ue,  sur  ces  commence- 
mens,  icelui  estant  desnué  de  forces,  eust  esté  aisé  à  ruy- 
ner,  toutesfois,  pour  le  remettre  en  son  tort,  se  ressen- 
tant de  leur  obéissance  accoustumee,  tentèrent  encores 
tous  moyens  de  paix  ,  tant  que  les  Espaignols  feurent 
rappelés  au  pays  ,  et  toutes  choses  en  pire  estât  que 
jamais. 

J2.  Voyant  les  estats  qu'ils  ne  pouvoient  plus  rien 
espérer,  ni  des  gouverneurs  leurs  capitaux  ennemis, 
ni  du  roy  mesme ,  qui  interpretoit  leurs  requestes  en 
rébellion,  et  faisoitmourir  leurs  députés,  etc. ,  pour  n'ob- 
mettre  aulcune  des  voies  douces,  eurent  recours,  par 
plusieurs  fois  à  l'empereur  et  à  l'empire,  desquels  aul- 
cuns  desdicts  pays  meuvent  en  fief,  espérant  justice  par 
leur  moyen  comme  du  juge  légitime  entre  le  seigneur 
et  les  vassaux,  tant  pour  l'honneur  qu'ils  désirent  tou- 
jours leur  rendre,  que  nommément,  etc. 

i3.  Mais  que,  par  les  pratiques  des  Espaignols  et 
leurs  adhérens ,  et  aultres  preocupations  seroit  advenu 
que,  nonobstant  qu'ils  eussent  receu  pour  gouverneur 
le  frère  de  l'empereur,  etc. ,  ils  ont  esté  abandonnés  en 
leur  oppression  ,  et  mesmes  nullement  assistés ,  soit  en 
la  guerre,  soit  en  la  paix,  (i) 

\f\.  Nommément,  comme  ainsi  soit,  que  pour  l'es- 
pérance  qu'ils   auroient  eu  d'obtenir  la  paix    par  le 

(i)  iXolez  que  jamais  l'empereur  n'a  advoué  sa  venue. 


D'AUSBOURG.  1  ^J 

moven  et  entremise  de  l'empereur,  ils  eussent  refusé  le 
secours  présent  du  duc  d'Alençon,  qui  leur  estoit  né- 
cessaire pour  le  secours  de  Maestricht,  est  toutesfois 
advenu  qu'au  traicté  de  Coidogne,  ne  leur  ont  esté  pro- 
posées que  conditions  très  déraisonnables,  asçavoir, 
conjointes  avec  le  bannissement  de  ceulxqui  font  pro- 
fession de  l'Evangile  es  dicts  pays,  c'est  à  dire,  de  la 
plus  grande  partie,  dont  feut  advenue  la  ruyne  et  dé- 
solation totale  d'iceulx. 

1 5.  Et  de  ce  sont  tesmoings  messeigneurs  les  électeurs 
et  aultres  seigneurs  qui  ont  pris  la  peine  de  s'y  trou- 
ver, et  les  actes  de  part  et  d'aultre  en  peuvent  faire  foi. 
i6.  Apres  ce  traicté,  qui  feut  si  long  temps  entretenu 
que  la  ville  de  Maestnclit  s'en  perdit,  que  pouvoient 
faire  les  estats ,  forclos  de  toutes  voies  équitables,  de 
tout  secours  en  guerre  et  de  toute  espérance  de  paix, 
sinon  d'user  de  leurs  droits,  et,  selon  iceulx,  pourvoira 
leurs  nécessités  ,  etc. ,  cbercbant  en  leur  conseil  ce  qu'ils 
ne  pouvoient  trouver,  ni  cliés  le  roy  d'Espaigne,  ni  par 
le  moyen  de  l'empereur? 

17.  Or  delà  est  ensuivie,  selon  le  droict  naturel  et 
civil,  la  répudiation  du  roy  d'Espaigne,  pratiquée  ci 
devant  en  cas  semblables,  et  plusieurs  fois  en  tous 
pays,  en  ceulx  mesuies  dont  est  question,  comme,  etc. , 
n'y  ayant  rien  ni  plus  naturel  ni  plus  civil,  que  la 
resolution  d'un  contract,  par  la  rupture  intervenue 
par  une  des  deux  parties,  etc. 

18.  Quoi  faict,  ne  voulans  iceulx  vivresans  légitime 
prince,  ni  pouvans  résister  à  l'oppression  sans  secours, 
ont  eu  recours  à  eslire  celui  qui  les  recherchoit  de  long 
temps;  et,  pour  le  lieu  dont  il  est  issu,  et  les  vertus 
dont  il  est  doué,  auroit  le  moyen  de  les  maintenir  et 
conserver,  etc. 


l38  LEGATION 

ic).  Premièrement,  parce  qu'ils  se  souvenoient  que 
tout  fraischementlesdicts  pays avoient grandement  fleuri 
sous  le  juste  et  légitime  gouvernement  d'un  fils  de  ceste 
mesme  maison  ,  le  duc  de  Bourgoigne  ,  etc. ,  et  ses  suc- 
cesseurs. 

20.  Secondement ,  que  tant  lui  que  les  siens  avoient 
toujours  tenu  bonne  amitié  avec  i'Allemaigne,  comme 
appert  par  les  histoires,  etc.,  dont  ils  esperoient  le 
mesme  ,  et  partant  se  promettoient  qu'il  seroit  agréable 
à  l'empire,  qui  sauroit  bien  considérer  combien  il  lui 
est  plus  utile  d'avoir  le  François  voisin  que  l'Espaigriol, 
etc.,  et  là  discourir  par  exemples,  quels  de  tout  temps 
leur  ont  esté  plus  amis. 

21.  Tiercement .  parce  qu'ils  l'ont  appelé  à  condi- 
tion de  maintenir  lesdicts  pays  en  leurs  lois  et  statuts, 
en  quoi  ils  ont  prétendu  que  les  droicts  deubs  à  l'em- 
pire soient  conservés  et  entretenus  pareillement. 

22.  Et  surtout ,  d'autant  qu'ils  ont  espéré,  comme  ils 
l'apperçoivent,  que  ce  prince  scauroit  bien  cognoistre 
et  discerner  le  debvoir  qui  lui  est  deupar  ses  subjects, 
et  celui  qui  est  deu  à  Dieu ,  pour  lui  reserver  ce  qui  lui 
appartient ,  dont  ils  pensent  estre  venu  tout  le  mal  de 
ces  povres  pays ,  veu  ce  qui  est  advenu  de  pareilles 
faultes  en  France  ,  Allemaigne,  Angleterre  et  ailleurs. 

23.  Ces  choses  considérées  espèrent  que  lesdicts  sei- 
gneurs ne  trouveront  mauvais  qu'après  avoir  tenté  toutes 
voies  de  justice  et  équité,  et  usé  de  toutes  les  formes 
requises ,  ils  aient  pourveu  à  la  nécessaire  defence  de 
leur  pays  par  l'élection  de  ce  prince,  nécessaire  à  leur 
Estât,  non  dommageable,  ains  utile  pour  le  voisinage 
à  l'empire,  ains  l'approuveront  très  volontiers,  et  ad- 
mireront, au  milieu  de  tant  et  si  longs  maux,  leur  si 
grande  et  si  longue  patience. 


D'AUSBOURG.  1 89 

La  harangue  estant  dressée  et  prononcée  sur  les  sus- 
dicts  Mémoires ,  en  fauldra  bailler  une  copie  par  escrit, 
et  faire,  s'il  est  possible  ,  soit  par  impression,  soit  aul- 
trement,  que  tous  les  princes  et  seigneurs  en  ayent 
un  exemplaire  ,  auxquels  soient  adjoints  et  attachés  les 
principaux  papiers  cités  pour  la  vérification  de  chacun 
article. 

Puis  icelle  s'estant  pourmenee  quelques  jours  ,  pour- 
ront lesdictes  ambassades  présenter  les  lettres  de  créance, 
et  demander  audience  pour  et  au  nom  de  monseigneur 
le  duc  d'Anjou,  taisant  le  nom  du  duc  de  Brabant, 
afin  que,soubs  ce  prétexte,  on  ne  lui  refuse  l'audience 
que  plus  malaisément  on  lui  peut  refuser  en  ladicte 
qualité;  et,  ladicte  audience  accordée,  pourroit  estre 
remonstré  ce  qui  ensuit  : 

1.  Que  les  estats  des  Pays  Bas  ayans  eu  recours  en 
leur  oppression  audict  seigneur  duc ,  selon  la  coustume 
et  louable  mémoire,  tant  de  ses  prédécesseurs,  que 
de  tous  généreux  princes,  il  auroit  volontiers  preste 
l'oreille  à  leur  cause,  et  défendu  leur  querelle  ,  prin- 
cipalement voyant  que  toutes  équitables  conditions  de 
paix  leur  estoient  desniees;  toutesfois,  pour  esprouver 
s'ils  pourroient  avoir  la  paix,  leur  auroit,  non  obstant 
le  traicté  jà  faict  avec  eulx,  accordé  de  lui,  etc. 

2.  Dont  seroit  ensuivi,  que  continuant  d'une  part 
l'oppression,  et  de  l'aultre  son  secours,  il  auroit  esté 
appelle,  esleu,  couronné ,  proclamé ,  receu,  etc.,  duc 
de  Brabant. 

3.  Et  parce  que  son  desseing  n'avoit  onc  esté  d'en- 
treprendre sur  l'autrui,  ains  de  rendre  à  chacun  ce 
qui  lui  est  deu,  incontinent  qu'il  auroit  entendu  la 
diete  ,  se  seroit  délibéré  d'y  envoyer,  comme  il  faict,  etc., 
pour  leur  déclarer  comme  il  a  accepté  et  accepte  le- 


l4o  LEGATION 

dict  tiltre  et  seigneurie;  que  ce  n'est  poinct  invasion, 

comme  Navarre  ou  Portugal ,  mais  légitime  élection. 

/(.  S'offrant  à  accomplir  les  traictés,  droicts,  deb- 
voirs,hommages  accoustumés  par  les  prédécesseurs,  etc., 
pareillement  à  se  conformer,  des  que  la  guerre  lui  don- 
nera relasche,  à  ce  qui  sera  ordonné  pour  l'utilité  de 
l'empire,  suivant  l'ordonnance  de  la  journée  d'Aus- 
bourg,  i548,  etc.;  comme  aussi  ne  souffrira  que  par 
les  siens  aulcun  tort  soit  faict  à  l'empire ,  ou  subjects 
d'icelui,  etc. 

5.  Conclura  par  requérir  d'estre  receu  en  foi  et 
hommage,  d'avoir  séance  en  l'empire  et  assesseur  à 
Spire,  comme  tel,  etc.,  promettant  toute  amitié,  ser- 
vice, etc. 

Cela  faict ,  se  pourra  traicter  particulièrement  avec 
les  princes ,  proposant  à  chacun  les  raisons  qui  lui  se- 
ront plus  propres. 

Aux  électeurs  ecclésiastiques,  leur  remonstrer  com- 
bien de  fois,  à  Cologne,  on  leur  a  prédit  ce  qui  ad- 
viendroit,  si  on  ne  proposoit  plus  équitables  condi- 
tions de  paix ,  veu  qu'ils  n'accordèrent  oncq  que  des 
bannissemens ,  et  virent  qu'on  ne  cherchoit  pas  de 
pacifier,  mais  de  diviser.  Que  ce  n'est  poinct  de  la  part 
du  sieur  duc  une  invasion,  mais  une  élection  juste, 
telle  que  leurs  prédécesseurs  ont  aultres  fois  pratiquée 
contre  des  empereurs  mesmes ,  pour  n'avoir  gardé  le 
serment  faict  à  l'empire. 

A  l'électeur  Palatin ,  la  justice  de  la  cause  des  Pays 
Bas ,  approuvée  par  tant  de  gratifications  que  leur  a 
faict  feu  M.  l'électeur  son  père,  et  d'aultre  part  le  voi-^ 
sinage  et  parentage  de  France,  dont  ces  prédécesseurs 
n'ont  jamais  receu  qu'amitié,  etc. 

A  l'elecleur  de  Saxe,  lui  ramentevoir,  pour  justifi- 


D'AUSBOURG.  l4l 

cation  d'une  pareille  action,  l'entreprise  généreuse  du 
duc  Maurice  contre  la  tyrannie  espaignolle,  oultre  tout 
ce  que  dessus;  item  au  marquis  de  Brandebourg  et 
aultres. 

Au  landgrave,  oultre  les  susdictes  raisons,  alléguer 
l'amitié  de  la  couronne  de  France,  laquelle,  en  pareille 
cause ,  a  secouru  et  délivré  feu  son  père. 

Faire  aussi  signifier,  par  interposés,  au  cardinal 
Madrucce  ou  de  Trente ,  ambassadeur  du  pape,  en  quel 
danger  se  met  le  pape,  irritant  son  altesse,  de  perdre 
tout  le  crédit  qu'il  a  en  France,  qui  seroit  son  extrême 
ruyne. 

Pratiquer  les  ambassadeurs  de  Florence  ,  et  Ferrare, 
et  Venise,  et  aultres,  pour  leurs  interests  contre  la  gran- 
deur d'Espagne,  etc. 


XVIII.  —  INSTRUCTION 

De  M^''  le  duc  cT Anjou,  etc.,  à  MM.  de  Bouillon  (i) 
et  Duplessis y  allans  de  sa  part  a  la  diète  d'Aus- 
bourgy  fan  i582. 

Desclaueront  premièrement  à  sa  majesté  impé- 
riale (2)  et  aulx  très  révérends,  très  illustres  et  très 
notables  princes,  seigneurs,  députés  et  estats  du  sainct 
empire,  l'honneur,  le  respect,  l'affection  et  la  bien- 
veillance que  monseigneur  le  duc  d'Anjou  ,  fils  et  frère 
de  rois  de  France,  leur  porte  et  désire  à  tousjours 
porter,  tant  en  gênerai  qu'en  particulier;  en  tesmoi- 

(i)  Messire  Guillaume  Robert  de  la  Mark ,  duc  de  Bouillon. 
(2)  Geste  négociation  feut  rompue ,  et  n'y  allèrent  poinct  les- 
dicts  sieurs. 


l42  LEGATION 

gnaige  de  (juoi  il  auroit,  long  temps  a,  proposé  d'en- 
voyer vers  la  majesté  impériale  et  les  princes  et  estats 
dudict  sainct  empire,  pour  leur  faire  entendre,  selon 
l'honneur  qu'il  leur  veult  rendre ,  et  le  debvoir  d'amitié 
nécessaire  entre  princes  bons  voisins  et  anciens  amis , 
les  causes  de  ses  conseils  et  desseings,  nommément 
en  ce  qui  touche  les  affaires  des  Pays  Bas. 

Mais  en  auroit  esté  quelque  temps  retenu  sur  ce  qu'il 
entendit,  des  le  commencent  de  l'année  présente,  que 
la  diète  impériale  se  debvoit  tenir,  laquelle  depuis  au- 
roit esté  par  plusieurs  fois  différée,  estimant  qu'il  seroit 
trop  plus  à  propos  de  leur  déclarer  le  tout  en  telle  très 
notable  et  très  célèbre  assemblée ,  comme  aulx  oreilles 
et  à  la  vue  de  tout  le  sainct  empire. 

Leur  diront  donc  que ,  comme  les  estats  des  Pays 
Bas  lui  eussent  par  plusieurs  fois  unanimement  re- 
monstré  la  misérable  servitude  dont  ils  seroient  et  au- 
roient  esté,  par  longues  années,  opprimés  iniquement 
par  les  Espaignols,  le  debvoir  au  contraire  que  de  tout 
temps  ils  auroient  rendu,  nommément  au  roy  d'Es- 
paigne,  et  estoient  encoresprests  de  lui  rendre,  suivant 
les  accords  et  sermens  mutuels  ;  il  auroit  esté  meu  pre- 
mièrement pour  le  debvoir  de  nature,  et  par  l'exemple 
de  tous  princes  généreux ,  d'embrasser  leur  défense  et 
protection  en  une  si  juste  cause,  espérant  que  ledict 
sieur  roy,  se  resouvenant  de  la  fidélité  et  obéissance  de 
son  peuple,  et  de  la  bienveillance  réciproque  que  les 
princes  doibvent  à  leurs  subjects,  changeroit  d'advis ,  et 
mettroit  fin ,  par  une  bonne  et  équitable  paix ,  aulx 
longues  et  insupportables  misères  de  ses  povres  pays. 

Qu'à  ceste  fin  il  y  seroit  lors  venu  avec  une  bonne 
et  florissante  armée ,  et  auroit  esté  receu  en  plusieurs 
bonnes  et  notables  villes   desdicts  pays,    desquelles, 


D'AUSBOURG.  i43 

comme  chacun  sait,  il  eust  peu  se  prévaloir,  si  son  in- 
tention eust  esté  d'envahir  l'aultrui;  mais  qu'au  con- 
traire ,  voyant  la  voie  de  paix  ouverte,  comme  il  sem- 
bloit,  nommément  par  la  médiation  de  l'empereur  et 
entremise  de  quelques  très  révérends  princes  et  illus- 
tres personnages  du  sainct  empire  ,  il  auroit  très  volon- 
tiers et  de  lui  mesme  retiré  et  abstenu  totalement  ses 
forces  desdicts  pays ,  pour  ne  sembler  troubler  un 
si  sainct  et  si  nécessaire  affaire  ;  encores  que  par  les 
choses  passées  il  apperceust  très  bien,  et  feust  aussi  de 
plusieurs  parts  adverti  quesdicts  traictés  de  paix  les 
Espagnols  n'avoient  aultre  but,  que  d'esloigner  le  se- 
cours desdicts  pays,  et  en  les  entretenant  en  longues 
et  vaines  espérances ,  leur  faire  tant  plus  avantageu- 
sement la  guerre. 

Sur  quoi  remarqueront  particulièrement  que  com- 
bien qu'iceulx  sieurs  des  estats  eussent  accordé  una- 
nimement avec  lui  d'ung  certain  terme,  en  dedans  le- 
quel la  paix  deust  estre  ou  conclue  ou  rompue,  pour 
ne  tenir  ses  forces  inutiles  et  en  suspens  (comme  ap- 
pert par  le  traicté  de  Tan  i  5^8  en  aoust)  ;  feut  toutesfois 
mondict  seigneur  content  d'allonger  le  terme  tant  qu'il 
leur  pleut  et  qu'ils  jugèrent  bon  estre,  afin  que  ledict 
seigneur  roy  d'Espaigneeust  loisir  de  retourner  à  soi ,  et 
eulx  moyen  de  sonder  tout  ce  qu'ils  en  pourroient  ob- 
tenir, n'y  faisant  icelui  aultre  difficulté,  sinon  qu'il 
avoit  regret  de  les  voir  périr  pièce  à  pièce  ,  soubs  om- 
bre de  vaines  espérances,  au  lieu  qu'acceptant  à  temps 
le  secours  qu'il  presentoit ,  ils  se  pouvoient,  parla  grâce 
de  Dieu,  conserver. 

Cependant  seroit  advenu  que  la  paix,  après  avoir 
esté  debatue  six  mois  entiers  à  Coulogne ,  seroit  non 
seulement  venue  à  néant,  mais  mesme  tournée  à  leur 


l44  LEGATION 

grand  dommage  ,  ne  leur  restant  du  traicté  qu'ung  de- 
sespoir de  jamais  y  revenir,  et  ung  regret  d'y  avoir  tant 
perdu  et  d'occasion  et  de  temps,  leurestans,  non  ob- 
stant  leurs  remonstrances  ,  proposées  les  mesines  con- 
ditions qui  avoient  causé  leur  calamités  depuis  quinze 
ans,  comme  ledict  seigneur  duc  ne  doubte  que  lesdicts 
sieurs  des  estats  l'auront  faict  amplement  entendre  à  sa 
majesté  impériale  et  aulx  très  révérends,  1res  illustres 
et  très  notables  princes,  seigneurs,  députés  et  estats  du 
sainct  empire,  sans  qu'il  soit  besoin  de  la  leur  ramen- 
tevoir  en  cest  endroit. 

Qu'en  ceste  extrémité  se  ressouvenans  lesdicts  sieurs 
des  estats  de  la  bonne  affection  qu'il  auroit  eue  ci  de- 
vant de  les  défendre  contre  l'oppression  et  tyrannie, 
après  longue  et  meure  délibération,  auroient  una- 
nimement envoyé  vers  lui  une  notable  ambassade  (l'an 
i58o),  composée  de  toutes  lesdicles  provinces,  l'au- 
roient  appelé  pour  leur  prince  et  seigneur,  suivant 
leur  puissance  et  auctorité  portée  par  les  loix  et  statuts 
dudict  pays,  moyennant  certains  articles  accordes  en- 
tr'eulx  pour  leur  bien  et  repos,  dont  seroient  entre- 
venus mutuels  et  réciproques  sermens. 

Mais  que  ledict  seigneur  duc  désirant  esteindre  la 
guerre  en  France,  premier  que  partir,  suivant  le  pou- 
voir qu'il  en  auroit  eu  du  roy  très  cbrestien ,  son  très 
lionoré  seigneur  et  frère  ,  y  auroit  tardé  assés  long  temps 
pour  establir  la  paix  :  depuis  auroit  secouru  la  ville 
de  Cambray  assiégée  par  le  parti  dEspaigne,  et  seroit 
peu  après  passé  en  Angleterre  pour  très  grands  et  im- 
portans  affaires  qu'il  avoit  avec  la  serenissime  royne 
d'Angleterre;  pendant  lequel  temps,  (jui  contient  près 
de  deux  ans,  ledict  sieur  roy  d'Espaigne  auroit  eu  assés 
de  loisir  de  s'amender  envers  sou  peuple,  et  présenter 


D'AUSBOURG.  l45 

conditions  recevables  pour  asseurer  leur  vies  et  con- 
tenter leurs  consciences;  quoi  faisant,  eust  apperceu 
que  ledict  seigneur  duc  ne  tendoit  poinct  par  ses  armes 
à  usurper  Taultrui,  mais,  selon  le  debvoir  de  tous  princes 
Lien  nés ,  à  conserver  et  r'establir  un  chacun  ,  autant 
qu'en  lui  est,  en  ce  qui  de  droit  lui  appartient  contre 
la  violence  de  ceulx  qui,  se  fondans  sur  leurs  seules 
forces,  veulent  fouler  tous  droits  et  toutes  loix  aulx 
pieds. 

Qu'ainsi  donc  le  roy  d'Espaigne,  continuant  de  plus 
en  plus  à  opprimer  lesdicts  sieurs  des  estats,  et  iceulx 
d'aultre  part  à  reclamer  son  aide  en  ceste  griefve  op- 
pression, très  volontiers  seroit  venu  esdictspays,  enau- 
roit  accepté  les  titres  et  seigneuries  selon  les  solem- 
nités  accoustumees,  et  y  auroit  apporté  tout  ce  que 
Dieu  lui  a  donné  d'auctorité,  de  forces,  de  moyens 
pour  la  tuition  et  desfense  d'iceulx;  et  espère  ledict 
sieur  duc  que  Dieu  lui  fera  la  grâce,  tant  de  deffendre 
et  de  délivrer  de  toute  oppression  ung  si  grand  peuple, 
qui  ,  pour  la  bonne  opinion  qu'il  en  a  eue,  a  faict  élec- 
tion de  lui ,  et  s'est  jette  entre  ses  bras  ,  qu'aussi  de  con- 
server et  maintenir  la  principauté  et  seigneurie  qui  1  ui  en 
est  si  légitimement  acquise,  et  à  laquelle  il  se  sent  vrai- 
ment appelle  de  Dieu  mesme,  puis  qu'il  y  est  venu 
aulx  souhaits  de  tant  de  gens  de  bien  de  toutes  qualityes , 
et  aux  cris  redoublés  de  tant  de  povre  peuple,  opprimé 
sous  la  servitude  espaignole. 

Et  ce  d'autant  plus,  que  ce  n'est  point  une  con- 
queste  de  gaieté  de  cœur,  procédante  ou  de  pure  am- 
bition ,  ou  de  la  seule  bienséance  desdicts  pays,  comme 
le  roy  d'Espaigne  en  tient  et  en  a  entrepris,  et  de  fresche 
mémoire,  nommément  le  duché  de  Milan,  fief  ancien 
et  chambre  de  l'empire,  le  royaume  de  Navarre,  et  à 

MÉM.  DE  DUPLESSIS-MORNAY.  ToME  II.  10 


l46  LEGATION 

présent  celui  de  Portugal ,  etc. ,  lesquelles  ne  sont  fon- 
dées que  sur  la  seule  force  et  contrainte,  et  partant 
suivies  d'une  servitude  extrême  des  pays  et  du  peuple  ; 
mais  certes,  de  la  part  desdicts  estats  des  Pays  Bas,  une 
nécessité  et  oppression  extrême,  de  la  part  dudict  sei- 
gneur duc  une  affection  de  les  soulager  pure  et  simple, 
attendu  ,  comme  il  est  tout  évident,  qu  il  ne  lui  en  re- 
vient pour  le  présent  (qui  toutesfois  vient  tousjours  le 
premier  en  considération) ,  que  beaucoup  de  travaux  , 
de  haines  et  de  frais ,  et  que  de  telle  entreprise,  veu  le 
lieu  que  par  la  grâce  de  Dieu  il  lient ,  il  se  pouvoit  ho- 
norablement et  utilement  passer,  si  l'amour  de  justice 
et  la  compassion  des  affligés,  qui  tousjours  ont  eu 
beaucoup  de  puissance  sur  les  cœurs  généreux,  ne  l'y 
eussent  poussé  et  conduict. 

Suivant  ceste  mesme  intention  ,  déclareront  à  S.  M. 
impériale,  et  aulx  très  révérends,  très  illustres,  très 
notables  princes,  seigneurs  ,  députés,  et  estais  du 
sainct  empire ,  que  ledict  seigneur  duc  de  Brabant  et 
d'Anjou,  etc.,  comme  il  est  légitimement  entré  en  la 
seigneurie  desdicts  Pays  Bas,  prétend  aussi  observer  et 
accomplir  soigneusement  tous  les  traictés,  qui  sont 
d'ancienneté  entre  tous  les  princes  et  estats  voisins , 
et  sesdicts  estats  des  Pays  Bas.  Nommeement  s'offriront 
de^sa  part  à  faire  le  deu  et  accoustumé  hommage  à 
l'empereur  et  au  sainct  empire  des  terres  et  seigneu- 
ries qu'il  en  relevé,  selon  la  forme  qu'il  a  esté  faict  par 
le  feu  empereur  Charles  et  le  roy  d'Espaigne,  ses  pré- 
décesseurs, et  à  icelui  requerront  présentement  estre 
receus  en  cesle  tant  célèbre  assemblée. 

En  conséquence  de  quoi  requerront  que  ledict  sei- 
gneur duc  de  Brabant,  etc. ,  soit  avec  les  susdicts  pays 
receu  en  la  protection  du  sainct  empire  ,  et  honoré  de 


D'AUSBOURG.  i/^j 

la  séance  accoustumee  es  journées  impériales,  et  aultres 
prérogatives  à  icelui  appartenantes  :  au  contraire,  que 
ceulx  qui  leur  font ,  ou  feront  la  guerre  ,  soient  déclarés 
ennemis  du  sainct  empire,  comme  tels  mis  au  ban  im- 
périal ,  et  reboutés  de  tout  ce  qu'ils  voudroient  pré- 
tendre vers  icelui  empire  ,  ou  par  son  moyen  ,  attendeu 
qu'ils  en  auroient  vouleu  descliirer  et  arracher  uncr  si 
notable  membre ,  et  maintenant  en  chercheroient  en- 
cores  la  finale  désolation ,  et  ruyne. 

Moyennant  quoi,  ledict  seigneur  duc  sera  de  plus  en 
plus  obligé  de  continuer,  et  observer  l'amitié,  qui,  de 
temps  immémorial,  a  esté  entre  les  estais  du  sainct  em- 
pire ,  et  la  maison  et  couronne  royale  de  France;  et, 
pour  les  susdicts  pays,  qui,  par  la  grâce  de  Dieu,  lui 
sont  si  légitimement  acquis  ,  leur"  rendra  tousiours 
honneur,  obéissance  et  service. 

Ce  sont  les  instructions  de  monseigneur  le  duc  de 
Brabant  et  d'Anjou  a  MM.  de  Bouillon  et  Duplessis  , 
allans  de  sa  part  vers  la  majesté  impériale,  et  les  très 
royaulx  ,  très  imperiaulx ,  très  nobles  princes  ,  seigneurs 
et  députés  du  sainct  empire,  ausquelles  ils  pourront 
adjouster,  tant  vers  tous  iceulx  en  gênerai,  que  vers 
chacun  en  particulier,  ce  qu'ils  jugeront  convenir  à 
ceste  fin,  etc. 

XIX.  —  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

^  M.  Duplessis. 

Du  1 1  mai  iSSa. 

Monsieur  Duplessis,  j'ai  veu  par  une  lettre  que 

vous  avés  escrite  au  sieur  de  Segur ,  comme  monsieur 

désire  vous  envoyer  en  Allemaigne  pour  déclarer  les 

droicts  et  fondemens  de  son  entreprise  à  la  diète  de 


l48  LETTRE  DU  IlOY  DE  NAVARRE ,  etc 

l'empire  qui  s'y  tient  solennellement.  C'est  ung  voyaige 
digne  de  vous,  et  auquel  vous  aurés  moyen  de  faire 
paroistre  la  dextérité  de  vostre  esprit;  et  si  je  m'as- 
seure  qu'estant  occupé  au  service  de  S.  A.  vous  ne  serés 
inutile  au  mien.  Faictes  le  donc,  je  vous  prie,  etescrivés 
moi  souvent.  Car,  pour  si  longues  que  soient  vos  let- 
tres, elles  seront  tousjours  bien  receues  de  celui  qui  prie 
sur  ce  le  Créateur ,  M.  Duplessis ,  vous  tenir  en  sa  garde. 
De  Pau. 

Vostre  meilleur  maistre  et  ami,  Henry. 


XX.  —  LETTRE  DE  M.  DE  DANZAY, 

Ambassadeur  du  Roy  en  Dannemarck ,  a  M.  Duplessis. 

Du  18  mai  1082. 
Monsieur,   premier  que   vostre  lettre   du  i5  no- 
vembre m'ait   esté  rendeue ,  qui  a  esté  bien  tard ,  à 
cause  du  véhément  hiver  que  nous  avons  eu  par  deçà  , 
et  des  glaces  qui  nous  ont  tenus  assiégés  longuement, 
i'estois  affligé  d'une   si  véhémente  et  aspre  maladie, 
que,  Vespace  de  trois  mois,  je  n'ai  eu  une  demie  heure 
de  continuel  repos  ;  cela  a  esté  cause  que  ne  vous  ai  de 
long  temps  escrit.  Je  vous  supplie  m'excuser.  Aussi,  veu 
la  despesche  que  vous  attendiés  pour  continuer  la  ne- 
gotiatioii  que  vous  sçavés,  que  me  voulliés  faire  tenir, 
je  desirois  dresser  quelques  mémoires  pour  plus  faci- 
lement l'avancer,  et  les  vous  envoyer,  pour  voir  s'il  y 
auroit  chose  qui  y  peust  servir.  Mais  ladicte  maladie 
ne  la  peu  permettre.  Ce  sera  pour  la  première  commo- 
dité. Je  ne  vous  parlerai  des  accidens  communs  qui 
nous  sont  advenus,  ce  que  je  ne  pourrois  faire  sans 
une  extrême  douleur.  Et  il  faut  louer  celui  qui  ne  faict 


LETTRE  DE  M.  DE  DANZAY,  etc.  l49 

rien  que  bien.  Durum^  sed  levius  fît  patientiâ  quid- 
quid  corrigera  est  nefas.  Vostre  livre  de  l'ancienne 
relligion  est  cause  que  plusieurs  doctes  personnes 
ni'escrivent  souvent,  pour  sçavoir  si  la  traduction  la- 
tine aura  esté  imprimée ,  pour  en  avoir  des  exemplaires  ; 
Comme  aussi  de  "vostre  livre  de  l'Eglise  ,  qui  mérite  bien 
d'estre  mis  en  latin. 

Je  vous  remercie  très  affectueusement  de  la  bonne 
souvenance  que  vous  avés  eu  de  mon  neveu  de 
Danzay.  J'espère  qu'il  est  à  présent  en  France  ,  et  m'as- 
seure  qu'il  ne  fauldra  de  se  trouver  aulx  Pays  Bas  pour 
continuer  le  service  qu'il  doibt  à  Son  Altesse.  Il  est  de 
bonne  volonté,  mais  il  a  encores  besoing  d'estre  retenu. 
Il  vous  remerciera  de  l'honneur  que  lui  avés  faict ,  et 
vous  obéira  et  servira  comme  il  y  est  tenu.  Dieu  le 
garde  de  mauvaise  compaignie.  Ladicte  Altesse  m'a 
escrit  qu'elle  envoyeroit  de  brief  personne  de  qualité 
devers  le  roy  de  Dannemarck  pour  l'affection  qu'il  a  de 
donner  commencement  à  une  vraie  et  sincère  amitié 
entr'eulx  ;  renouveler  les  anciens  traictés  et  confédé- 
rations qui  ont  de  long  temps  inviolablement  esté  con- 
serves entre  les  roys  de  Dannemarck  et  les  Pays  Bas  ; 
et  pour  confirmer  leurs  privilèges  et  libertés;  dont  la 
resolution  a  esté  telle.  Il  y  a  controverse  entre  le  roy 
d'Espaigne  et  lesdicts  pays.  Le  roy  de  Dannemarck 
ne  veult  entrer  en  cognoissance  de  cause,  et  moins 
en  donner  jugement.  Il  est  allié  et  confédéré  dudict 
roy  d'Espaigne,  qui  lui  a  tousjours  esté  bon  voisin 
et  ami.  Pour  ceste  cause ,  il  ne  le  veult  offencer  sans 
juste  cause,  ne  contrevenir  à  la  foi  qu'il  lui  a  ju- 
rée et  promise  ;  comme  il  feroit  manifestement ,  s'il 
s'allioit  ou  confederoit  durant  ceste  contention  avec 
Son  Altesse  comme  duc  de  Brabant  et  seigneur  des- 


l5o  LETTRE  DE  M.  DE  DA.NZA.Y 

dicts  pays.  Mais,  veu  les  honnestes  offres  qu'il  lui  a 
faicts,  qu'il    recevoit    d'une   singulière   affection   son 
amitié ,  comme  prince  de  France ,  et  frère  du  roy  très 
chrestien ,  qui  lui  avoit  tousjours  esté  très  fidelle  ami, 
et  qu'il  conserveroit  et  augmenteroit  iaclicte  amitié  par 
tous  les  honnestes  services  qui  lui  seroient  possibles. 
Aussi ,  que  pour  son  respect ,  il  permettra  que  ceulx  des- 
dicts   pays  trafiquent  librement  par  ses  royaumes  et 
pays,  et  ne  diminuera  aulcunement  leiu's  privilèges. 
Par  ce  moyen,  il  me  semble  (jue  sa  dicte  Altesse  a  de 
faict  ce  qu'elle  demande  audict  roy  de  Dannemarck,  et 
que,  veu  l'occasion  présente,  elle  s'en  doibt  contenter, 
sans  presser  ne  importuner  le  roy  de  chose  qu'il   lui 
peust  justement  refuser.  Je  vous  asseure ,  monsieur, 
que  j'ai  eu  de  la  peine  premier  que  réduire  ceste  nego- 
tialion  en  tel  estât.  Et  sans  les  moyens  desquels  j'ai 
usé,  ledict  roy  de  Dannemarck  se  feust  apertement  dé- 
claré pour  l'Espaignol  ,  comme  plusieurs  princes  lui 
conseilloient,  et   lui  faisoient  de  si  grans  et  asseurés 
offres,  qu'il  a  esté  bien  esbranlé.  Mais,  j'espère  qu'il 
ne  contreviendra  à  la  promesse  qu'il  m'a  faicte ,  si  sa 
dicle   Altesse    envoyé  promptement  vers  sa  majesté  , 
comme  elle  a  promis,  ce  qui  est  merveilleusement  né- 
cessaire. Et  s'il  est  possible  qu'il  ait  lettre  de  faveur  du 
roy  très  chrestien  audi<'t  roy  de  Dannemarck.  Car  cela 
est  de  très  grande  importance  pour  faire  cesser  plu- 
sieurs sinistres  suspicions,  qui  sont  si  imprimées  en  l'es- 
prit de  plusieurs,  qu'il  est  presque  impossible  de  les 
effacer.  Je  ne  double  poinct  que  M.  de  Villiers  ne  vous 
communique  familiairement  ce  que  je  lui  ai  escrit,  qui 
m'engardera  de  vous  faire  plus  longue  lettre;  aussi  que 
je  suis  si  débile  que  je  n'en  puis  plus.  Je  vous  supplie 
m'excuser. 


A  M.  DUPLESSIS.  l5ï 

Monsieur ,  je  me  recommande  bien  humblement  à 
vostre  bonne  grâce,  et  prye  Dieu  vous  donner  très 
heureuse  et  longue  vie. 

De  Helseigneur. 
Vostre  bien  humble  serviteur  et  entier  ami,  Danza^y. 

Et  estait  escrit  au  bas ,  en  apostille  : 

Celui  qui  viendra  par  deçà,  de  la  part  de  Son  Altesse, 
pourra  demander  et  proposer  au  roy  de  Dannemarck 
ce  qui  lui  plaira.  Mais  qu'il  se  contente  d'une  hon- 
neste  response ,  sans  presser  ledict  roy  de  chose  qu'il 
peust  justement  desnier.  On  nesçait  encores  quel  succès 
prendront  les  desseings  de  Son  Altesse ,  et  nos  actions 
sont  si  suspectes,  qu'ung  chacun  en  est  tousjours  en 
crainte  et  do'ibte.  Et  en  telles  occasions,  celui  est  bon 
ami  qui  ne  nuit  poinct.  Je  desirerois  grandement  sca- 
voir  si  Son  Altesse  envoyera  à  ceste  diète  impériale, 
comme  il  seroit  bien  nécessaire,  pour  plus  facilement 
rompre  les  conseils  de  ses  adversaires  ,  qui  ne  perdront 
ceste  occasion  de  lui  nuire,  s'ils  peuvent. 

Et  au  dessus  de  la  lettre  estait  escrit  : 

A  Monsieur^  Monsieur  Duplessis ,  Conseiller  du  roy  de 
Navarre  ^  et  son.  Ambassadew  aux  Pays  Bas.  « 


XXI.  —  INSTRUCTION 

Pour  le  sieur  de  Clervant ,  allant  de  la  part  du  roy  de 
Navarre  vers  M.  de  Savoie;  dressée  par  M.  Duplessis. 

Représentera  à  M.  le  duc  de  Savoie  le  grand  con- 
tentement que  le  roy  de  Navarre  a  receu  de  l'asseu- 
rance  qu'il  à  pieu  audict  seigneur  duc  lui  donner  de 
sa  sincère  et  entière  amitié,  Tasseurant  que  ledict  sei- 


l52        INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE 
gneur  roy  n'a  rien  en  ce  monde  plus  cher  ,  comme  de 
sa  part  il  ne  fauldra  aussi  d'y  correspondre  par  tous 
bons  offices ,  qui  se  peuvent  attendre  d'ung  très  affec- 
tionné parent  et  entier  ami. 

Et,  quant  à  la  démonstration  que  ledict seigneur  duc 
lui  a  faict  de  voulloir  confermer  et  estreindre  ceste 
amitié  par  ung  lien  de  mariaige  avec  madame  sa  sœur, 
lui  déclarera  que  ledict  seigneur  roy  auroit  ung  singu- 
lier désir  que  les  choses  peussent  estre  conduites  à 
ceste  fin. 

Mais,  sur  ce  que  le  sieur  de  Bellegarde  lui  auroit  tenu 
propos,  qu'il  seroit  requis,  pour  y  parvenir,  que 
madicte  dame  sa  sœur  changeast  sa  relligion,  ne  peult 
ledict  seigneur  roy  lui  celer  que  ceste  condition  lui  a 
semblé  dure  et  estrange,  comme  il  ne  double  qu'elle 
semblera  telle  audict  seigneur  duc  ,  quand  il  y  aura  ung 
peu  pensé,  (j) 

Car  ledict  seigneur  duc  sçait  très  bien  que  Tobliga- 
tion  que  les  hommes  ont  envers  Dieu  ,  précède  de  bien 
loing  toutes  aultres;  et  les  princes  l'ont  d'aultant  plus 
grande,  qu'ils  ont  plus  receu  de  lui.  Et  ne  sçait  ledict 
seigneur  roy  quelle  amitié  ,  sincérité  et  fidélité,  ledict 
seigneur  duc  pourroit  ci  après  attendre  ou  espérer  du- 
dict  seigneur  roy,  par  le  moyen  de  ceste  alliance  ,  s'il 
avoit  conseillé  à  madame  sa  sœur  de  faire  une  telle 
faulte  envers  sa  conscience  propre.  Comme  aussi ,  il  ne 
voit  poinct  quel  heur  et  prospérité  il  pourroit  attendre 
d'ung  mariaige,  qui  auroit  esté  commencé  par  ung  si 
misérable  commencement  que  celui  là. 

Joint  que,  s'il  plaist  audict  seigneur  duc  entrer  en 
profonde  considération  de  ce  faict,  ledict  seigneur  roy 
»i  I   ..       .  — ——.——.— ^»— .—.-—— — 

(i)  Ceste  considération  achoppa  le  mariaige. 


AU  SIEUR  DE  CLERVANT.  l53 

nepeult  faire  chose  plus  préjudiciable  à  sa  réputation  , 
inesme  entre  tous  hommes,  que  celle  là ,  par  laquelle  il 
meriteroit  de  perdre,  et  perdroit  sans  doubte  l'amitié 
et  alliance  de  tous  ceulx  desquels  jusques  ici  il  a  esté 
fortifié  et  appuyé.  Au  lieu  que  le  but  de  telles  alliances 
est  d'accroistre  d'amis  et  d'appuis  ;  et  que  ledict  sei- 
gneur duc  désirant  ceste  ci ,  doit  désirer  par  mesme 
moyen  que  ledict  seigneur  roy  garde  et  maintienne  les 
siens  de  plus  en  plus,  lesquels  par  ceste  alliance  lui  se- 
ront acquis  ,  pour  en  estre  fortifié,  appuyé,  et  servi  es 
occasions  qui  se  peuvent  présenter. 

Sur  ce  que  ledict  sieur  de  Bellegarde  a  faict  entendre 
et  cognoistre  audict  seigneur  roy,  que  ledict  seigneur 
duc  auroit  agréable  qu'il  s'employast  pour  accommoder 
le  différend  survenu  entre  ledict  seigneur  duc  et 
messieurs  des  cantons  et  de  Genève,  déclarera  audict 
seigneur  duc  que  ledict  seigneur  roy  a  esté  très  marri 
desdicts  differens  ,  lesquels,  à  son  advis,  ne  peuvent 
réussir  qu'au  dommage  et  incommodité  des  ungs  et 
des  aultres.  Pourtant  a  donné  charge  audict  sieur  de 
Clervant ,  si  ledict  seigneur  duc  estime  que  son  entre- 
mise lui  puisse  estre  en  rien  utile ,  de  s'y  employer  en 
son  nom  ;  auquel  ledict  seigneur  duc  faisant  entendre 
son  intention ,  ledict  sieur  de  Clervant  essayera  d'ame- 
ner les  choses  à  la  raison  et  au  contentement  des  par- 
lies,  encores  que  le  roy  y  a  ja  interposé  son  auctorité, 
lequel  y  peult  trop  plus  que  lui. 

Ramentevra  audict  seigneur  duc  la  prière  qu'il  lui 
a  de  long  temps  faicte  d'employer  sa  faveur  et  aucto- 
rité pour  la  liberté  des  sieurs  de  Turenne  et  de  la 
Noue,  pour  en  faire  une  nouvelle  despesche,  et  bien 
affectionnée  au  roy  d'Espaigne,  suivant  les  ouvertures 
qu'il  verra  convenir.  Gomme  aussi,  ledict  seigneur  roy 


1 54  INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE ,  eic, 
tienclroit  à  grand  plaisir  qu'en  sa  faveur  ledict  sei- 
gneur duc  fcist  sentir  sa  bonté  aulx  sieurs  d'Escroz  , 
desquels  les  biens  sont  saisis  seulement  pour  le  faict 
de  la  relligion  ,  le  suppliant  de  ks  en  voulloir  remettre 
en  plene  et  entière  jouissance. 


XXII.  ~  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

Au  duc  de  Savoie. 

Monsieur  ,  je  nv3  sens  grandement  obligé  à  vous  des 
grands  témoignages  de  vostre  amitié  qu'il  vous  a  pieu 
naguère  me  demonstrer  par  l'envoi  du  sieur  de  Belle- 
garde  ,  et  vous  supplie  croire  que  de  ma  part  j'essayerai 
par  tons  les  moyens  de  la  rendre  perpétuelle,  comme 
les  effets  le  vous  feront  cognoistre,  quand  me  ferez 
cette  faveur  de  m'employer  en  cbose  qui  vous  loucbe. 
Pour  le  vous  témoigner  tant  plus,  j'envoye  le  sieur  de 
Clervant  vers  vous,  lequel  je  vous  supplie  ouïr  et 
croire  en  ce  qu'il  vous  dira  de  ma  part  comme  de  moi- 
mcsme.  Comme  aussi  je  lui  ai  donné  charge,  s'il  se  pré- 
sente occasion  en  laquelle  vous  jugiez  que  son  entre- 
mise puisse  aider  vostre  service,  d'y  apporter  de  ma 
part  et  de  la  sienne  tout  ce  qu'il  pourra  pour  vostre 
contentement  :  sur  lequel  remettant  le  tout,  je  ne  ferai 
celle  ci  plus  longue,  sinon  pour  vous  dire  que  je  fais 
tant  de  cas  de  vostre  amitié,  et  la  désire  si  chèrement 
conserver  et  si  étroitement  entretenir,  que,  quand  je 
cognoistrai  pouvoir  faire  chose  qui  vous  agrée,  il  n'y 
a  rien  qui  me  puisse  estre  difficile  à  passer,  sinon  cela 
seul  que  le  doibt  estre  à  toutes  personnes  de  vertu  et 
d'honneur,  qui  est  le  respect  de  Dieu  et  de  la  con- 
science sans   lequel  je  m'estimerois   indigne,  non  de 


LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE,  etc.  l55 

vostre  amitié  seulement,  mais  de  quelconque  aultre 
personne.  A  tant  monsieur,  etc. 

XXIII. —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Mezieres.  (i) 

Du  5  décembre  i582. 
Monsieur  ,  m'en  venant  en  ce  pays  de  Gascogne 
trouver  le  roy  de  Navarre,  j'eus  cest  heur  de  rencon- 
trer à  Artenay  près  d'Orléans,  à  la   couchée,  M.  du 
Ferrier  nostre   commun  ami ,  lequel  je  trouvai  plein 
d'une   bonne  et  saincte  resolution;  mais  qui,  à  mon 
advis,  pour  l'infirmité  de  ceste  chair,  et  les  appâts  et 
accroches    du   monde,  a  besoin   d'estre   fortifiée,    et 
d'autant  plus  qu'il  va  à  la  cour,  où  il  n'aura  faulte  de 
gens  qui  tascheront  de  l'en  détourner.  Croyés  que  je 
n'ai  rien  omis  de  ce  que  j'ai  deu  et  peu  ,  et  à  mon  advis 
non  en  vain;  car  il  me  sembloit  (jue  Dieu  le  m'avoit 
conduit  en  mon  chemin  ;  mais  il  faultque  vous  acheviés 
l'œuvre  que  vous  avés  commencé.  Et,  pource,  serois 
d'opinion  que  le  veinssiez  voir  à  Paris  ,  pour  l'arracher 
du  tout  de  là  et  le  transplanter  en  meilleure  terre;  et 
j'ai  apperceu  qu'il  vous  en  pryeroit  instamment ,  s'il  ne 
craignoit  de  vous  importuner.   Or  combien  la  profes- 
sion publique  d'ungsi  grand  personnage  fera  de  fruit, 
et  envers  les  ignorans  ,  et  envers  les  temporiseurs,  je  le 
vous  laisse  à  penser.  Mais  je  desirerois  fort  que,  comme 
Dieu  lui  a  fSict  des  grâces  singulières,  qu'il  y  eust  aussi 
quelque  chose  de  singulier  en  ceste  profession  ;  car  vous 
sçavés  qu'à  qui  plus  il  donne,  plus  aussi  il  redemande; 
et  qu'il  compensast  en  quelque  façon  ceste  tardiveté 

(  i)  François  Perrot ,  sieur  de  Mezieres. 


i56  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

de  resolution,  par  la  forme  qu'il  tiendroit  à  se  déclarer, 
laquelle,  comme  je  lui  ai  dict ,  peult  estre  telle ,  que  lui 
qui  n'est  venu  que  sur  le  soir,  fera  plus  de  fruit  et  de 
profit  en  ceste  vigne  que  nous  avons  à  cultiver,  que 
ceulx  qui  ont  houé  des  le  matin  et  porté  tout  le  chaud 
de  la  journée.  Ceulx  comme  vous  savés  qui  nous  ont 
précède  en  ceste  arène,  n'en  ont  pas  eu  si  bon  marché 
que  nous;  ils  ont  esté  bruslés,  noyés,  massacrés;  aujour- 
d  hui  le  martyre  est  changé  en  confession,  le  martyr 
en  confesseur.  Dieu  s'estant  contenté  des  persécutions 
passées,  el  nous  donnant  une  paix,  en  laquelle  nous 
pouvons  librement  et  seurement  faire  profession  de  ce 
qu'il  nous  a  donné  de  croire.  Mon  désir  seroit  que 
M.  du  Ferrier  se  retirast  en  quelque  église  notable  et 
libre,  comme  pourroit  estre  Sedan;  s'il  n'aime  mieux 
faire  cest  honneur  au  pays  de  sa  naissance.  Que  là, 
ayant  conféré  avec  les  ministres,  publicquement  eu 
pleine  assemblée  il  feist  une  confession  de  sa  foi  bien 
préméditée,  comprenant  les  fondemens  de  nostre  sa- 
lut, et  déduisant  sommairement  les  raisons  qui  l'au- 
roient  meu  de  se  départir  de  l'église  romaine.  Que  sur 
la  fin  il  sommast  les  consciences  de  ceulx  qui  cachent  la 
cognoissance  que  Dieu  leur  a  donnée,  de  rendre  à 
Dieu  l'honneur  qui  lui  appartient.  Et  qu'après  que  ceste 
harangue  auroit  esté  prononcée ,  elle  feust  imprimée  en 
latin,  françois,  italien,  etc.,  et  envoyée  partout,  mesmes 
au  roy  en  lui  rendant  compte  de  ceste  mutation  de  vie, 
moyennant  quoi,  j'espererois  que  sa  confession  et  pro- 
fession ne  feroit  moins  de  fruit  que  le  martyre  de  feu 
M.  du  Bourg  son  collègue  :  je  pense  qu'il  doibt  cela  à 
Dieu  et  à  son  Eglise  ;  et,  si  vous  estes  de  cest  advis,  je 
vous  prye  d'y  tenir  la  main,  et  me  mandant  en  quoi 
j'y  pourrai  servir,  je  le  ferai  de  tout  mon  cœur.  Mon- 


A  M.  DE  MEZTERES.  167 

sieur,  vous  userés  de  ce  mien  advis  selon  vostre  pru- 
dence et  discrétion.  J'honore  le  personnage,  et  j'estime 
que  par  ce  moyen  en  honorant  Dieu,  il  seroit  vraiment 
honoré  de  Dieu  et  des  hommes.  Je  prye  Dieu  qu'il  Tin- 
spire  et  vous  doint  heureuse  et  longue  vie. 
De  Nerac,  etc. 

XXIV. —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  Taffin. 

Du  7  décembre  lôSa. 
Monsieur  ,  encore  que  je  sois  loing  de  vous  en  corps , 
j'en  suis  tousjours  près  en  esprit,  et  ne  puis  oublier 
le  pays  que  de  long  temps  je  n'ai  moins  affectionné 
que  ma  patrie.  Je  suis  depuis  quelques  jours  auprès  du 
roy  de  Navarre  où  je  me  suis  souvenu  que  vous  avés 
par  delà  ,  par  la  misère  des  guerres,  ung  nombre  infini 
de  povre  peuple  réduit  à  grande  nécessité;  dont  on  ne 
voit  encores  prochain  remède  ny  apparente  issue.  Sur 
cela  j'ai  proposé  au  roy  de  Navarre  d'en  retirer  quelque 
bon  nombre  de  familles  en  ses  pays  souverains  de 
Bearn,  lequel  n'en  a  si  tost  ouï  l'ouverture,  qu'il  l'a  em- 
brassé de  tout  son  cœur,  pour  les  accommoder  er  tout 
ce  qu'il  sera  possible;  afin  que  vous  y  advisiés  avec  plus 
de  fondement,  les  commodités  sont  telles.  Le  pays  a  ce 
don  de  Dieu  spécial ,  que  sa  parole  y  est  purement  pres- 
chée  en  françois ,  et  toute  idolastrie  et  superstition  for- 
close et  bannie.  Si  quelque  nombre  de  Flamans  s'y  veu- 
lent retirer,  ils  auront  semblable  exercice  en  leur  langue. 
La  paix  y  est  profonde  et  àsseuree;  la  justice,  qui  en 
dépend,  soigneuse  et  droicte,  je  dirai  sans  passion, 
autant  qu'en  petit  climat  du  monde.  Geste  région  est 
sur  les  marches  dé  France  et  d'Espaigne,  proche  de  la 


l5S  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

mer  oceane  vers  Bayonne,  et  de  rivière  navigable  pour 
y  descharger  les  marchandises.  D'Espaigne  on  a  fort 
commodément  les  soies;  du  lieu  mesmes  les  laines  et  le 
lin.  Les  rivières  y  sont  très  propres  pour  les  teintures. 
J'estime  toutes  les  commodités  que  vos  réfugiés  on  eu 
ailleurs,  incommodités  au  regard  de  celles  ci.  Le  bled 
et  le  vin  y  est  très  bon  et  à  vil  prix.  Toutes  aultres  choses 
nécessaires,  de  mesme;  et  pour  attirer  toutes  per- 
sonnes industrieuses,  le  roy  de  Navarre  leur  départira 
des  terres  fort  bonnes  à  cultiver,  des  villes  bien  assises 
à  habiter,  des  privilèges  tels  qu'ils  sçauroient  honnes- 
tement  refjuerir  pour  les  accommoder.  Ils  trouveront 
au  pays  tout  ce  qui  est  nécessaire  à  leurs  exercices  et 
manufactures,  et  en  la  dehonnaireté  du  prince  recou- 
vreront tout  ce  qui  pourrait  défaillir  au  pays.  J'omet- 
tois  à  vous  dire  qu'il  y  a  une  université  audict  pays, 
où  ils  pourront  faire  nourrir  leurs  enfans  aux  bonnes 
leîtres ,  bien  pourveue  de  gens  doctes  en  toutes  sciences 
et  langues.  La  longueur  du  chemin  les  en  pourroit  des- 
tourner; mais  Dieu  y  a  pourveu,  et  ledict  sieur  roy  de 
sa  part  y  pourvoira  en  ce  qu'il  pourra.  La  mer  les  peult 
apporter  juscjues  à  Bayonne  qui  est  sur  les  marches  ;  et, 
pour  amoindrir  les  frais,  ils  pourroient  venir  jusques  à 
La  Rochelle  dedans  les  vaisseaux  des  Pays  Bas  qui  vont 
au  sel  en  Brouage  et  en  Ré,  ou  dedans  ceulx  de  La  Ro- 
chelle qui  portent  des  vins  aux  Pays  Bas.  Quand  ils  se- 
roient  là  ,  on  donneroit  ordre  qu'ils  seroient  accom- 
modés de  vaisseaux  nécessaires  jusques  à  Baybnne;  et 
le  roy  de  Navarre  mesme  facilitera  leur  voyage  en 
tout  ce  qu'il  pourra  adviser.  Mon  advis  seroit,  s'il  y  en 
a  par  delà  qui  vueillent  accepter  ce  parti,  qu'ils  en- 
voyassent au  phistot  quelque  honneste  homme  par  deçà 
pour  recognoistre  les  lieux  ,  auquel  on  feroit  voir  le 


A  M.  TAFFITY.  iSg 

tout;  et  par  mesme  moyen  il  pourroit  requérir  ce  qu'il 
cognoistroit  nécessaire  pour  cest  effet;  et  il  trouveroit 
ici  ung  nombre  de  gens  d'honneur  et  de  vertu,  qui  l'as- 
sisteront de  bon  cœur,  et  ne  le  lairront  retourner  vide. 
Cent  familles,  pour  le  commencement,  voire  deux 
cens ,  y  seroientles  très  bien  venues ,  et  m'asseure  qu'ils 
s'y  trouveront  si  bien,  qu'à  peine  auront  ils  jamais 
envie  d'en  partir.  Nous  désirerions  des  tapissiers ,  dra- 
piers ,  teinturiers,  tanneurs,  tisserans,  faiseurs  de 
serges,  ostades  ,  trippes,  passemens,  etc.  ;  un  excellent 
peintre,  et  qui  tirast  au  vif,  y  seroit  particulièrement 
appointé  du  roy  de  Navarre;  et  si  quelque  ministre 
veult  conduire  la  petite  colonie,  il  y  sera  le  très  bien 
venu  et  entretenu  comme  l'ung  de  ceulx  du  pays.  Je  re- 
mets la  conduite  de  ce  faict  à  vostre  prudence  et  discré- 
tion pour  ne  le  communiquer  à  ceulx  qui  l'interprète^ 
roient  mal.  De  moi  je  n'y  cherche  que  le  bien  et  soula- 
gement de  plusieurs  povres  gens,  aulxquels  je  serois 
marry  de  conseiller  que  pour  leur  bien  et  repos.  Je 
vous  prye  donc  de  m'en  donner  response  au  plustot  que 
pourrés ,  adressant  vos  lettres  à  Paris  chés  M.  de  Torsay 
vostre  frère,  pour  les  bailler  à  M.  de  Chassincourt.  Je 
n'en  ai  escrit  qu'à  M.  Macis  de  Gand  et  à  M.  Haren  de 
Bruges  ,  aulxquels  en  pourrés  communiquer  et  à  aultres 
que  verres  bon  estre.  La  désolation  que  je  vis  deHunds- 
cot  m'émeut  le  cœur  pour  penser  à  ceci,  et  vous  n'avés 
faulte  de  semblables.  Au  reste,  faictes  tousjours  estât  de 
mon  amitié,  et  vous  souvenés  de  nous  en  vos  prières, 
comme  nous  de  vous  aulx  nostres.  Je  prye  Dieu,  mon- 
sieur ,  qu'il  ait  pitié  de  vostre  povre  pays ,  et  vous  doint 
en  particulier  heureuse  et  longue  vie. 
De  Nerac,  etc. 
Le  roy  de  Navarre  m'a  commandé  de  vous  escrire 


l6o  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

tout  ce  que  dessus ,  et  en  pouvés  faire  estât  et  fondement 

comme  de  ses  lettres  propres. 

XXV. —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  du  Ferrier.  (i) 

Du  22  décembre  i582. 
Monsieur,  depuis  que  je  vous  vis  à  Artenay,  j'ai 
tousjours  pensé  à  vous;  et  en  vous,  à  Tavancement  de 
la  gloire  de  Dieu,  et  du  salut  des  hommes.  Vous  scavés 
les  propos  que  nous  eusmes  ensemble  :  en  contentant 
vostre  conscience  vous  pouvés  faire   un  grand  fruict  à 
tout  le  monde.  Je  sçai  que  vous  aurés  trouvé  le  monde 
en  personne  aulx  lieux  où  vous  alliés,  qui  vous  en  aura 
voulleu  divertir;  car  il  est  ennemi  et  de  vous  et  de  son 
bien.  Mais  il  est  temps  de  le   vaincre,  et  la    victoire 
n'en  est  en  ce  temps  fort  difficile  ;  quand  il  est  mesprisé , 
il  est  vaincu.  Sans  faire  tort  à  vostre  constance  et  ma- 
gnanimité, j'ose  vous  ramentevoir  ce  que  je  vous  disois 
lors.  Ces  ans  passés  Dieu  requeroit  de  nous  le  martyre, 
et  maintenant  il  se  contente  de  nostre  confession.   Si 
nous  la  dénions,  vous  en  scavés  la  peine;  c'est  qu'il 
nous  desavouera,  nous  frustrant  de  trop  meilleur  héri- 
tage que  ceulx  que  nous  perdons.  Etencores,  toutes 
choses  considérées,  c'est  un  marché  sans  peur;  aujour- 
d'hui ,  nous  le  pouvons  posséder  sans  rien  hasarder  ni 
perdre.  Permettes  que  je  passe  oultre;  les  rares  et  sin- 
guliers dons  que  Dieu  vous  a  départis  requerent  je  ne 
sçai    quoi   de   particulier  en   vostre  confession.  Vous 

(i)  Arnaud  du  Ferrier,  eraployé  par  les  roys  en  diverses 
charges  et  ambassades  au  Concile  de  Trente ,  à  Venize^  etc.  etc. . 
et  depuis  chancelier  de  Navarre. 


A  M.  DU  FERRIER.  l6l 

avésune  grande  repiUatioh  en  diverses  nations;  il  fault 
donc  que  la  cognoissance  qu'il  vous  a  donnée  éclate 
par  tout.  Vous  avés  aussi  par  plusieurs  grands  et  nota- 
bles services  acquis  de  rauctorité  auprès  du  roy  ;  il  fault 
pareillement  qu'elle  parvienne  jusques  à  lui  niesmes. 
Mon  advis  seroit,  monsieur,  (et  vous  ne  le  recevrés 
comme  de  moi;  mais  rexaminerés  selon  le  debvoir  de 
conscience  )  qu'au  plus  tost  vous  vous  retirissiés  en 
quelque  lieu  seur  ,  oii  il  y  eust  une  notable  église  re- 
formée, comme  à  Sedan,  ou  en  ces  quartiers  s'il  vous 
sendile  meilleur.  Que  là,  ayant  communiqué  avec  les 
ministres,  vous  requissiés  défaire  une  confession  de 
vostre  foi  devant  toute  l'église  bien  préméditée,  qui 
comprist  les  fondemens  de  nostre  salut  et  renversast 
brievcmentles  superstitions  destjuelles  vous  vous  dépar- 
tes (i).  Qu'icelle  feust  iinpriince,  puis  envoyée  avec  une 
préface  au  roy,  qui  lui  rendist  raison  de  ceste  conver- 
sion ;  et  consequemment  traduite  en  latin  ,  italien,  etc., 
pour  estre  semée  par  toutes  les  nations  ou  vostre  nom 
est  cogneu.  Je  conçoi  ung  tel  fruit  de  cela,  qiïe  j'oserois 
presque  vous  adjurer  de  le  faire;  et  vous  sçavés,  mon- 
sieur, qu'à  qui  nous  a  donné  le  corps  et  l'ame,  la  lan- 
gue et  le  cœur,  les  actions  et  les  affections,  tout  ce  que 
nous  avons  en  somme,  et  (jue  nous  sommes,  nous  ne 
lui  en  pouvons  soubstraire  une  partie  par  dissimulation 
et  froideur,  ou  aultre  considération  humaine  ,  sansim»- 
manifeste  tacrilege.  Considérés,  monsieur,  combien  il 
y  a  que  vous  cachés  ce  talent  ;  il  en  fault  payer  les  arré- 
rages tout  en  ung  coup.  Dieu  vous  a  attendu  en  ces 
miséricordes,  dont  je  suis  tesmoing,  il  y  a  plus  de  quinze 

(i)  Il  feit  profession  de  la  relligion,  mais  non  en  la  forme 
qu'on  requeroit  de  lui,  pour  quelque  considération  particulière. 

MÉM.  DE  DUPLESSIS-MORJNAT.  To.lIE   II.  I  I 


102  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

ans;  depuis  tout  ce  temps  il  frappe  à  vostre  porte,  et 
crie  à  vostre  oreille.  Gardons  nous,  monsieur ,  d'abuser 
de  sa  patience  et  longanimité,  comme  plusieurs  qui 
mesmesen  leur  jeunesse  ont  esté  surpris  et  prévenus  en 
temporisant.  J'en  dy  peut  estre  trop  pour  vostre  con- 
stance ,  mais  non  pour  l'infirmité  humaine ,  et  pour  les 
tentations  mondaines  qui  nous  environnent.  Donnés 
cela  à  l'affection  que  je  vous  porte  et  au  désir  que  j'ai 
de  vous  voir  vraiment  honoré  de  Dieu  en  l'honorant.  Je 
suis  ici  près  du  roy  de  Navarre;  s'il  y  a  service  que  je 
vous  puisse  faire,  commandés  comme  à  vostre  fils.  Il  vous 
a  en  réputation  bonne  et  grande  ;  et  l'esprouverés  s'il 
est  besoing.  Monsieur,  je  prie  Dieu  qu'il  vous  conseille 
et  conforte  par  son  esprit  à  sa  gloire,  à  vostre  salut  et 
repos,  et  à  l'instruction  de  son  peuple.  Amen. 

De  Nerac ,  etc. 

XXVI. —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

J  M.  de  Pibrac.  (i) 

Du  2  3  décembre  i582. 
Monsieur,  je  suis  venu  en  ce  pays  au  mandement 
du  roy  de  Navarre,  et  pensois  avoir  ce  bien  de  vous  y 
trouver  encores.  En  ce  default,  je  me  suis  enquis  soi- 
gneusement de  vous,  à  ung  vous  mesmes;  je  dis  de 
vous,  et  de  ce  qui  est  plus  vostre  en  vous.  Il  m'a  dict 
que,  depuis  quelque  temps,  vous  preniez  ung  singulier 
plaisir  aux  sainctes  lettres ,  et  nommeement  en  la  mé- 
ditation des  psalmes.  Je  m'en  suis  esjoui  et  en  loue 
Dieu.  Tout  bien  compté,  ce  doibt  estre  là  le  port  de  nos 
estudes,  puis  qu'il  nous  addresse  le  port  de  nostre  vie. 

(i)  Guy  du  Faur,  sieur  de  Pibrac,  lors  chancelier  de  la  roy  ne 
de  Navarre. 


A  M.  DE  PIBRA.C.  l63 

Monsieur,  il  est  désormais  temps  de  penser  h  sortir  de 
ce  monde;  celui  en  part  plus  aisément,  qui  s'en  est 
départi  des  ici ,  c'est-à-dire ,  qui  l'a  banni  de  soi  mesme. 
Autresfois  il  a  esté  plus  décevant  qu'il  n'est;  il  sousrioit 
quelquesfois  à  la  vertu  ,  et  se  deguisoit  pour  la  tromper. 
Aujourd'hui,  qu'y  voyons  nous  qui  la  convie?  tant 
moins  qui  doibve  charmer  ses  volontés  ,  ou  seulement 
ses  yeux?  Au  contraire,  qui  ne  la  regarde  de  travers  et 
qui  ne  lui  rechigne?  Or,  ce  bandeau  hors,  je  n'ai  plus^ 
monsieur,  que  vous  dire;  vos  yeux  sont  prou  clairvoyans 
pour  juger  de  tout  le  reste.  Excusez  si  l'amitié  que  je 
vous  porte  a  vaincu  le  respect ,  pour  m'arracher  ces 
mots.  Les  hommes  sont  âmes,  et  les  amitiés  des  hom- 
mes sont  amitiés  d'ames.  Celui  duquel  l'amitié  ne  pénètre 
jusques  là,  n'aime  pas  à  demi,  n'aime  du  tout  poinct. 
Des  affaires  de  deçà ,  M.  de  la  Burthe  vous  en  dira  plus 
qu'une  mienne  longue  lettre.  Je  voi  ce  prince  du  tout 
dédié  à  extirper  les  racines  des  guerres  civiles  ,  et  à  con- 
vier le  roy  par  bons  et  agréables  services  à  l'employer 
quand  il  sera  temps  es  estrangeres  ;  et  ne  voi  homme 
d'honneur  auprès  de  lui  qui  n'ait  ce  mesme  but. 

Monsieur,  je  suis  vostre  serviteur  et  vous  honore 
profondement.  Je  vous  prie ,  aimez  moi  et  permettez 
aussi  que  je  vous  aime  entièrement.  Je  supplie  le  Créa- 
teur qu'il  vous  doint  heureuse  et  longue  viç. 

De  Nerac ,  etc. 

XXVIL— LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 
Au  roy  Henij  III ,  rédigée  par  M.  Diiplessis. 

Du  21  décembre  i582. 
Monseigneur  ,  je  ne  pourrois  représenter  à  vostre 

majesté  le  contentement  que  j'ai  eu  des  lettres  qu'il 


t64  lettre  du  ROY  DE  NAVARRE 

vous  a  pieu  m'escrire  du  ^3  du  mois  passé;  es  quelles 
me  faictes  ceste  faveur  de  m'asseurer  de  plus  en  plus 
de  vostre  bonne  grâce  et  bienveillance,  et  de  me  dési- 
rer auprès  de  vous  pour  m'en  faire  plus  vivement  sen- 
tir les  effects.  Seulement,  monseigneur,  je  supplie  très 
humblement  vostre  majesté  de  croire  que  je  cognois 
très  bien  qu'après  la  faveur  de  Dieu,  je  ne  puis  désirer 
rien  de  plus  grand  que  la  vostre,  et  que  le  plus  grand 
bien  et  honneur  que  je  puisse  avoir,  c'est  d'estre  près 
de  vostre  majesté ,  pour  pouvoir  desployer  mon  cœur 
devant  elle  par  quelques  bons  services  :  mais  une  chose 
me  retarde  d'avoir  cest  heur  si  tost,  qui  est  que  je 
desirerois  premier  que  partir  d'ici,  suivant  les  précé- 
dentes de  vostre  majesté,  emporter  ce  contentement 
avec  moi,  d'avoir  esteint,  en  ceste  province,  toute  se- 
mence de  troubles  et  altérations,  pour  n'avoir  ce  mal- 
heur et  regret ,  quand  je  serois  près  de  vostre  majesté, 
qu'il  y  advint  encores  quelque  folie.  Et  pour  parler  fran- 
chement,  quelque  peine  que  nous  y  ayons  prise,  M.  le 
mareschal  de  Matignon  et  moi ,  je  ne  vois  encores 
cela  si  bien  et  si  seurement  accompli  ,  qu'il  seroit  à 
souhaiter.  C'est  pourquoi  j'escrivois  n'agueres  à  vostre 
majesté  qu'il  y  avoit  grand  nombre  de  personnes 
par  deçà,  qui  se  plaignoient  d'estre  recherchées  par 
messieurs  de  la  chambre  de  justice  et  aultres  juges,  et 
pareillement  par  les  prevosts,  de  plusieurs  cas  compris 
en  i'edict  et  conférences,  comme  de  rançons  payées  du- 
rant la  guerre,  de  fermes  et  receptes  de  biens  ecclésias- 
tiques, de  levées  de  contributions,  de  ports  et  exploits 
d'armes  faicts  avant  la  conférence  de  Flex,  et  choses 
semblables,  desquelles  devant  tous  juges  ils  seroient  ren- 
voyés absous  par  la  volonté  de  vostre  majesté  déclarée 
en  sesdicts  edicts.  Mais,  monseigneur,  ce  sont  gens  de 


AU  ROY  HENRY  III.  l65 

guerre,  qui  ne  s'entendent  en  procès,  et  des  qu'ils 
oient  parler  d'ajournement  ou  d'assignation ,  pensent 
estre  pris;  et  ceste  alarme  les  pourroitjetteren  ung  des- 
espoir qui  les  precipiteroit  en  quelque  faulte ,  dont 
Testât  présent  de  ces  pays  n'a  besoing.  Pour  ceulx  ci  et 
semblables ,  monseigneur  ,  j'ose  requérir  très  humble- 
ment vostre  majesté  voulloir  accorder  une  interdiction 
à  toutes  courts ,  chambres ,  juges ,  prevosts ,  etc. ,  de  pro- 
céder contre  eulx,  comme  plus  amplement;  le  sieur  de 
Lesignan,  présent  porteur,  le  vous  fera  entendre;  re- 
servant tousjours ,  ainsi  qu'il  est  porté  par  les  articles 
secrets,  les  cas  exécrables,  violemens,  meurtres  de 
parti  à  parti ,  bruslemens  sans  occasion  de  guerre,  etc. , 
contre  lesquels  au  contraire  je  desirerois  jetter  la  pre- 
mière pierre,  et  employer  tout  ce  que  Dieu  m'a  donné 
d'auctorité  sous  la  vostre.  Par  ce  moyen ,  ceulx  que 
vostre  majesté  veult  conserver  par  ses  edicts,  seront 
hors  de  peine,  et  nous  ,  par  conséquent,  de  celle  qu'ils 
nous  pourroient  peult  estre  donner  au  préjudice  du  re- 
pos que  vostre  majesté  désire  tant;  et  les  aultres  qui 
se  pourroient  cacher  sous  l'alarme  et  défiance  com- 
mune ,  et  qui  font  maintenant  profit  de  la  crainte  que 
ceulx  là  ont  sans  cause,  seront  plus  aisés  à  trouver  et 
punir  comme  ils  méritent.  Que  s'il  advient  quelques 
difficultés  pour  la  distinction  des  cas,  et  qu'il  pleust 
à  vostre  majesté  trouver  bon  de  s'en  remettre  à  M.  le 
maresclial  et  à  moi ,  nous  nous  accorderons  ensemble 
d'ung  petit  nombre  de  gentilshommes  et  personnages 
capables ,  qui  les  termineroient  equitablement  et  sans 
longueur,  renvoyant  à  la  justice  ceulx  qui  se  Irouve- 
roient  estre  de  leur  cognoissance,  et  deschargeant  les 
aultres  desdictes  poursuites.  Non,  monseigneur,  que  par 
là  je  veuille  rien  rabattre  de  la  dignité  et  intégrité  de 


l66  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

messieurs  de  la  chambre,  que  j'honore  et  estime  comme 
je  doibs;  mais  parce  que  les  cas  dont  les  dessusdicts 
sont  recherchés,  dépendent,  pour  la  pluspart,  de  la 
guerre  et  du  droict  militaire,  qui  est  d'aultre  nature  que 
celui  dont  ils  font  profession ,  lequel  repute  plusieurs 
choses  criminelles  qui,  selon  l'aultre,  sont  civiles  ;  comme 
aussi  quelques  choses  se  souffrent  en  ung  corps  infirme 
qui,  en  ung  bien  sain,  ne  se  tolereroient  pas.  Touchant 
l'ampliation  de  la  chambre  de  justice  sur  les  seneschaul- 
cees  d'Armagnac,  Querci  etRoûergue,  vostre  majesté  a 
peu  cognoistre, par  mes  précédentes,  que  s'il  n'eustesté 
question  que  de  mon  particulier,  je  n'en  eusse  faict  in- 
stance; car,  nommeement  pour  Armagnac,  je  ne  l'eusse 
désiré  aultrement.  Mais  j'en  voyois  plusieurs  qui  en- 
troient en  défiance ,  et  interpretoient  à  leur  dommage 
ceste  ampliation,  comme  si  elle  eust  esté  introduite 
pour  retarder  la  chambre  de  Languedoc;  et  d'autant 
plus  qu'ils  voyoient  qu'elle  avoit  esté  poursuivie  si  long 
temps,  et  qu'il  ne  tenoit  qu'à  quelque  somme  d'ar- 
gent pour  le  remuement  et  ameublement  de  ceulx  qui 
se  debvoient  transporter  à  Lille  pour  la  tenir.  Et  parce 
que  leurs  plaintes  estoient  fondées  es  termes  de  l'edict , 
je  n'ai  peu  refuser  de  les  vous  faire  entendre.  Mainte- 
nant qu'il  a  pieu  à  vostre  majesté  faire  si  expresse  jus- 
sion  à  messieurs  du  parlement  de  ïhoulouse ,  et  pour- 
voir aux  deniers  requis  pour  leur  acheminement , 
comme  toutes  occasions  de  retardement  cesseront,  on 
doibt  espérer  qu'ils  s'y  rendront  au  plus  tost,  et  qu'il 
ne  sera  plus  besoin  de  ceste  ampliation;  et  vostre  ma- 
jesté, sans  prejudicier  à  ses  intentions,  donnera  grand 
contentement  à  plusieurs  de  ses  subjects  en  la  révo- 
quant, et  ostera  le  prétexte  à  ceulx  qui  vouidroient  cher- 
cher refuge  à  leurs  forfaits  soubs  ceste   couleur.  Et 


AU  ROY  HENRY  III.  167 

certes,  je  crois  que  messieurs  de  la  chambre,  qui  ont 
assés  de  besoigne  taillée  plus  près  en  Perigord,  Limo- 
sin  et  ailleurs,  ne  seront  marris  d'estre  deschargés  de 
ceste  peine.  Quant  à  ce  que  les  conseillers  catholiques 
qui  doibvent  servir  à  ladicte  chambre  de  l'edict  du 
ressort  du  parlement  de  Thoulouse ,  allèguent  les  vo- 
leries  qui  se  font  es  pays  où  ils  ont  à  résider,  je  ne  fais 
doubte  qu'il  n'y  a  poinct  faulte  de  gens  mal  condition- 
nés en  ces  quartiers  là,  tant  d'une  que  d'aultre  relli- 
gion;  et  c'est  pourquoi,  depuis  deux  ans,  j'ai  tant  faict 
d'instance  pour  l'establissement  de  ladicte  chambre.  Et 
de  ma  part,  monseigneur,  j'apporterai  tout  ce  que 
Dieu  m'a  donné  de  moyen  ,  sans  acception  de  persçn- 
nes,  et  exception  de  relligion  ,  pour  y  faire  obéir  vostre 
volonté  et  justice;  comme  aussi  es  senechaulsees  d'Ar- 
magnac ,  Querci ,  Roûergue ,  et  tous  aultres  lieux  qu'il 
appartiendra.  Mais  il  fault  que  je  vous  die ,  monseigneur, 
que  des  plus  criminels  hantent  familièrement  des  prin- 
cipaux de  la  court  de  parlement  de  Thoulouse,  tant 
s'en  fault  qu'ils  s'attendent  de  ceste  part  d'estre  recher- 
chés par  eulx.  Du  faict  de  la  maison  de  du  Casse,  j'ai 
ci  devant  escrit  à  vostre  majesté  comme  il  est  passé. 
Plusieurs  gens  de  bien  ont  esté  bien  aises  de  l'exécution , 
pour  l'enormité  de  ceulx  qui  y  sont  demeurés  :  mais  j'ai 
esté  marri  de  l'excès ,  et  vouidrois  qu'on  eust  suivi 
aultre  procédure,  encores  que  la  main  forte  que  j'ai 
baillée  ait  esté  à  la  réquisition  des  marchands  intéressés, 
portant  un  arrest  de  condamnation  à  mort,  et  contre 
personnes  nommeement  qui  avoient  tousjours  suivi  le 
parti  de  la  relligion  ;  je  vous  supplie  très  humblement 
de  l'oublier,  et  en  considération  de  la  nécessité  de  ce 
pays,  et  des  inconveniens  qui  aultrement  seroient  à 
craindre,  en  octroyer  une  abolition,  en  laquelle  toutes- 


l68  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

fois  je  n'entends  parler  pour  celui  qui  auroit  tué  le 
jeune  la  Fitle  de  sang  froid,  ains  tiendrai  volontiers  la 
main  à  la  punition.  Je  ne  requiers  ceci,  monseij^neur , 
pour  favoriser  à  la  violence;  car  je  sçais  que  c'est  par 
la  seule  justice  que  les  rois  régnent  et  que  les  estats  se 
maintiennent;  et  qu'ayant  cest  honneur  de  vous  appar- 
tenir de  si  près,  et  d'avoir  esté  nourri  avec  vous,  je 
doibs  estre  principal  exécuteur  de  vostre  justice  et  de 
"VOS  cotnmandemens.  Mais  je  cognois  ung  peu  les  mœurs 
et  humeurs  de  ce  pays,  auquel  une  estincelle  allume 
souvent  ung  grand  feu  par  lequel  plusieurs  innocens 
pourroient  pastir  en  la  poursuite  de  quelques  coupa- 
bles, qui  seroit,  en  voullant  punir  une  injustice,  perdre 
le  but  et  l'intention  de  la  justice,  qui  tend  principale- 
ment à  la  conservation  dos  bons.  Et  à  la  vérité,  mon- 
seigneur, si  j'eusse  peu  trouver  aultre  remède  à  ce  mal 
que  celui  de  ladicte  interdiction  pour  les  cas  assoupis 
par  Tedict,  et  de  l'abolition  pour  le  faict  de  du  Casse, 
je  n'eusse  voulleu,  ne  vouldrois  en  requérir  vostre  ma- 
jesté, tant  pour  ne  lui  estre  désagréable,  que  pour  la 
conséquence.   Au   reste,   monseigneur,  j'espère  vous 
faire  paroistre,  et  à  tout  le  monde,  par  bons  et  visibles 
effecls,  que,  sans  distinction  ,  je  désire  voir  la  punition 
des  meschans   en  ce  pays  ,  comme  j'en  ai   devisé  plus 
amplement  avec  M.  le  mareschal  de  Matignon.  Seu- 
lement ,  je    supplie  vostre   majesté   de    donner  ceste 
faulte  au  bien  et  repos  d'icelui,  pour  avoir  tant  plus 
de  moyen  d'en  poursuivre  d'aultres  plus  pernicieuses 
et  plus  dommageables  ([ue  celle  ci,  qui  certes  a  esté 
plus  en  la  forme  qu'en  la  matière,  veu  que,  toutes  choses 
considérées,  ça  bien  esté  une  exécution  extraordinaire 
et  mal   conduite ,  mais  d'ung  juste  arrest  contre  des 
meschans  recogneus  d'ung  chacun.  Quant  au  mur  de 


AU  ROY  HENRY  III.  l6g 

Barrez,  je  crois  que  mondict  sieur  le  mareschal  vous 
aura  escrit  comme  il  a  esté  réduit  selon  vostre  inten- 
tion. Et  quant  à  Bazas,  je  lui  ai  offert  de  le  mettre  en 
Testât  qu'il  doibt  estre  par  Tedict ,  des  ceste  heure,  et 
toutes  les  fois  qu'il  vouldra;  ce  que,  pour  plus  urgentes 
affaires,  il  a  mieux  aimé  différer  jusqu'à  quinze  jours. 
Et  pour  Lunel ,  je  ne  fauldrai  à  escrire  à  ceulx  de  Lan- 
guedoc, selon  que  vostre  majesté  me  commande,  afin 
que  vostre   majesté,    autant  qu'il   me   sera   possible, 
soit  contente  des  deportemens  de  ceulx  de  la   relli- 
gion  de  toutes  parts.  Et  quant  à  ce  qu'ils  excusent  leur 
longueur  sur  moi ,  vostre  majesté  peult  considérer  que, 
m'employant  si  vivement  par  deçà ,  pour  l'exécution 
de  vos  edicts  et  réduction  des  places ,  je  ne  tiendrois 
pas  la  main  à  l'inexécution  ailleurs.  En  somme,  mon- 
seigneur, je  vous  supplie  1res  humblement  me  faire  cest 
honneur  de  croire  que  je  n'ai  aujourd'hui  aultre  but 
que  de  vous  faire  paroistrela  sincère  affection  que  j'ap- 
porte àl'effect  de  vos  intentions,  et  d'amener  les  choses 
par  deçà,  hors  de  tout  soubçon  et  incertitude,  pour, 
en  vous  allant  baiser  très  humblement  les  mains,  em- 
porter ce  repos  en  mon  esprit,  d'avoir  laissé  vos  pro- 
vinces de  deçà  en  repos.  Or,  monseigneur,  je  remet- 
trai le  surplus  sur  le  sieur  de  Lesignan,  lequel  il  vous 
plaira  ouïr  et  croire  ,  de  ce  qu'il  dira  à  vostre  majesté, 
de  ma  part,  comme  moi  mesmes,  qui,  sur  ce,  supplierai 
le  Créateur  vous  voulloir, 

Monseigneur,  conserver  longuement  et  très  heu-- 
reusement  en  très  parfaite  santé. 

De  Nerac ,  elc. 


Ï70  DELIBERATION  SUR  UNG  VOYAIGE 

XXVIIT.  —  DISCOURS, 

Si  le  roy  de  Navarre  doit  aller  en  court ,  ou  non. 

Du  26  décembre  i582. 

En  toutes  délibérations  humaines  il  se  présente  des 
inconveniens  d'une  part  et  d'aultre ,  et  là  gist  la  prudence 
de  choisir  premièrement  celle  où  ils  sont  moindres  et 
moins  certains,  et  puis  adviser  des  moyens  par  les- 
quels se  peuvent ,  sinon  éviter,  pour  le  moins  amoin- 
drir ceulx  qui  demeurent  en  la  part  qui  a  esté  conclue 
et  suivie. 

C'est  ce  qui  se  voit  en  la  question  qui  se  remue  main- 
tenant, si  le  roy  de  Navarre  doit  aller  en  court  ou  non; 
et  c'est  à  lui  d'eslire  le  parti  où  se  trouveront  les  plus 
grandes  et  plus  certaines  utilités,  et  les  plus  petits  et 
moins  apparens  dangers. 

Le  voyaige  de  la  court,  considéré  selon  que  les  cho- 
ses y  debvroient  estre  ,  a  en  soi  beaucoup  d'apparentes 
utilités;  car  il  y  a  apparence  que  le  roy  de  Navarre, 
par  ce  moyen,  se  reconcilieroit  pleinement  au  roy  ert 
desployant  son  cœur  devant  lui ,  dont  seroit  à  espérer 
la  reconciliation  de  toute  la  France. 

Que  les  catholiques,  qui  sont  esloignés  de  lui  pour 
le  voir  esloigné  et  de  la  court  et  du  cœur  du  roy,  s'en 
r'approcheroient ,  l'en  voyant  r'approché  à  bon  es- 
cient ,  ce  que  nous  sçavons  pouvoir  grandement  servir 
es  occasions  qui  se  pourront  ci  après  humainement 
présenter. 

Que  ceulx  de  la  relligion  mesmes,  principalement  de 
ia  noblesse ,  desquels  le  cœur  est  affadi ,  se  reverdiroient 
*t\.  rechaufferoient  à  sa  seule  veue ,  lesquels  ?i  la  vérité^ 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  lyl 

par  estre  loing  de  tout  support,  sont  depuis  quelques 
années  sous  un  perpétuel  hiver. 

Bref,  que  le  roy  de  Navarre  pourroit  recevoir  beau- 
coup de  bien  de  la  main  et  faveur  du  roy,  tant  pour  re- 
lever sa  maison  de  tant  de  pertes,  que  nommeement 
pour  le  recouvrement  de  son  royaume  ,  auquel  appa- 
remment il  ne  peult  prétendre  ni  parvenir  aujourd'hui 
que  par  son  moyen. 

Ce  sont  de  grandes  utilités  si  elles  sont  autant  en  effet 
qu'en  apparence  ,  et  surtout  si ,  pour  l'essayer,  il  n'y  a 
poinct  de  danger. 

Et  quant  au  danger,  il  semble ,  non  obstant  les  choses 
passées,  qu'il  ne  soit  pas  à  craindre;  car,  dict  on,  on 
ne  peult  pas  tousjours  tuer  et  massacrer,  et  l'issue  des 
massacres  n'a  pas  esté  telle  qu'elle  convie  à  les  réité- 
rer ;  et,  qui  plus  est,  tant  s'en  fault  qu'en  la  personne 
du  roy  de  Navarre ,  le  roy  esteignist  ou  la  relligion  ou 
la  guerre  civile,  qu'au  contraire  il  la  r'allumeroit  plus 
ardente  et  plus  difficile  à  amortir  que  jamais,  qui  faict 
qu'il  a  mesmes  interest  particulier  à  la  conservation  du 
roy  de  Navarre. 

Ceulx  qui  d'aultre  part  considèrent  ce  voyaige,  non 
selon  que  les  choses  debvroient  estre ,  mais  selon  qu'à 
la  vérité  elles  sont ,  et  qui  les  comparent  à  la  nature 
des  personnes  desquelles  est  question  en  ceste  délibé- 
ration ,  prétendent  que  ces  prétendues  utilités  ne  sont 
que  veines  ombres,  qui  couvrent  beaucoup  de  domma- 
ges et  inconveniens;  et  voici  les  raisons  sur  lesquelles 
ils  sont  fondes. 

Premièrement ,  que  l'entreveue  des  princes ,  dient  les 
plus  sages  politiques,  apporte  rarement  quelque  bien, 
et  non  seulement  ne  les  reconcilie  pas  s'ils  sont  enne- 
mis, mais  refroidit  l'amitié,  s'ils  ont  esté  amis;  car, 


ly^  DELIBERATION  SUR  UNG  VOYAIGE 

dient  ils,  ils  fondent  par  là  de  plus  près  les  mœurs  et 
esprits  les  ungs  des  aultres ,  et  si  ils  y  rencontrent  de 
la  vertu,  elle  leur  est  suspecte,  dont  s'engendre  une 
envie,  et  de  l'envie  la  haine;  et  s'ils  remarquent  du 
vice,  comme  en  tous  hommes  il  n'y  a  cpie  trop  d'imper- 
fection ,  ils  en  entrent  en  mespris  l'ungdel'aultre,  dont 
ils  ne  tiennent  plus  compte  de  s'entretenir  ni  recher- 
cher. Sans  aller  plus  loing,  l'exemple  s'en  est  veu  en 
ceste  dernière  entreveue  de  monseigneur  et  du  roy  de 
Navarre,  qui  s'en  sont  refroidis  plus  que  jamais;  et  si 
on  dict  que  ce  propos  est  dict  pour  Tentreveue  de  princes, 
égaux,  et  non  del'ungqui  soit  subject  à  l'aultre,  j'ad- 
voue  bien  qu'il  est  vrai;  mais  parce  que  le  roy  de  Na- 
varre a  esté  chef  d'ung  parti,  contre  l'intention  du  roy, 
dont  il  est  esloigné  si  loing  et  de  si  long  temps  de  la 
court,  en  ceste  considération  il  lui  convient,  et  n'est  pas 
dict  mal  à  propos  pour  lui. 

Dient  au  surplus  que  par  la  reconciliation  du  roy  de 
Navarre  avec  le  roy  ne  s'ensuit  la  reconciliation  de 
toute  la  France ,  ains  tout  le  contraire,  parce  que  le  but 
du  conseil  du  roy  ne  sera  pas  de  rejoindre  le  parti  de 
larelligion  au  roy  par  ce  moyen,  mais  de  desjoindre, 
soubs  ce  prétexte,  le  roy  de  Navarre  du  parti  de  la  relli- 
gion  ,  et  le  soubstraire  de  leur  cause  ;  et  par  ce  aussi , 
d'aullre  part,  que  les  Eglises  généralement  n'approu- 
veront poinct  ce  voyaige  ,  ains  l'interpréteront  comme 
si  le  roy  de  Navarre  les  abandonnoit ,  dont  adviendra 
qu'ils  chercheront  leurs  recours  et  secours  ailleurs  ;  et 
quand  viendra  le  temps  de  la  rendition  des  places,  le 
roy  de  Navarre  n'y  aura  plus  de  crédit.  De  là  donc 
s'enstiivra  que  le  roy  entrera  en  mespris  du  roy  de  Na- 
varre, comme  lui  estant  inutile  envers  son  propre 
parti ,  et  prendra  occasion  de  ruyner  ledict  parti,  comme 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  lyS 

désobéissant  à  ses  commandemens,  et  négligeant  ies 
conseils  dudict  sieur  roy  de  Navarre,  n'agueres  leur 
chef  et  protecteur,  lequel,  sans  y  penser,  se  trouvera 
enseveli  en  leur  ruyne,  à  sçavoir  au  milieu  de  ses  en- 
nemis et  sans  parti. 

Dient  qu'à  la  vérité  Dieu  a  mis  des  grâces  au  roy  de 
Navarre,  qui  le  pourroient  rendre  agréable  à  la  no- 
blesse s'il  pouvoit  converser  de  plus  près  avec  eulx; 
mais  requiert  aussi  estre  receus  à  dire  que  beaucoup  de 
princes  se  sont  maintenus  en  réputation  par  absence, 
plus  qu'ils  n'eussent  par  présence,  d'autant  que  leurs 
vertus,  qui  ont  l'aile  plus  légère ,  esclatoient  partout, 
et  les  vices  ou  defaidts  ,  qui  sont  bas,  pesans  et  abjects , 
ne  sortoient  poinct  de  chés  eulx  ;  que  nous  ne  nous 
pourrons  peult  estre  despouiller  de  certains  plaisirs  de 
jeunesse,  qui  seront  fomentés  à  Tenvi  par  nos  enne- 
mis mesmes,  qui  puis  après  s'esbattront  à  les  divulguer 
calomnieusement  envers  tous.  Au  reste ,  si  ceulx  de  la 
noblesse  d'une  ou  d'aultre  relligion  viennent  recher- 
cher le  roy  de  Navarre,  qu'on  l'en  rendra  suspect  au 
roy  mesmes,  et  qu'il  sera  plus  court  à  ses  ennemis,  nom- 
meement  à  ceulx  de  Guise  qui  le  redoutent ,  de  lui  faire 
oster  la  vie  par  quelque  pratique  ,  que  de  lui  soustraire 
la  créance.  Et  si  la  noblesse  ne  s'en  eschauffe  pas  beau- 
coup ,  comme  il  y  a  plus  d'apparence,  ies  ùngs  pour 
le  peu  d'affection,  et  les  aultres  pour  la  crainte,  ses 
ennemis  s'en  orgueilliront  et  le  mespriseront,  ses  amis 
mesmes  et  serviteurs  s'en  refroidiront,  et  sera  cogneu 
et  desployé  à  ung  chacun  ce  qui  est  en  doubte  et  enve- 
loppé maintenant,  et  que  les  bonsmarchans  ne  descou- 
vrent que  le  moins  qu'ils  peuvent,  à  sçavoir  le  fonds  de 
nostre  crédit  et  de  nos  moyens  et  facultés. 

Dient    que   véritablement  les   grands  bienfaicls   se 


174  DELIBERATION  SUR  UNG  VOYAIGE 

reçoivent  auprès  des  grands  roys ,  et  par  les  presens  trop 
plus  que  par  les  absens  ;  mais  que  Testât  de  la  France  est 
aujourd'hui  tel,  que  le  roy  de  Navarre  n'en  peuk  re- 
cevoir qui  soient  proportionnés  à  sa  dignité,  que  par 
quelque  invention  dommageable  au  peuple ,  qui  lui 
cousteroit  trop  plus  de  réputation ,  qu'il  n'en  rappor- 
teroit  de  profit ,  et  rabattroit  de  ceste  gloire  qui  est  par- 
ticulière à  la  maison  dont  il  est  issu,  qui  jamais  ne  feit 
son  profit  du  dommage  du  peuple.  Et  quant  à  estre  se- 
couru pour  le  recouvrement  de  son  royaume  ou  aultres 
entreprises  en  Espaigne,  quelle  apparence,  dient  ils, 
que  le  roy  l'aide  à  bon  escient,  veu  qu'il  s'esmeut  si 
peu  jusquesici,  et  pour  le  secours  de  monseigneur  son 
frère,  et  pour  la  conqueste  de  pays  si  bien  seans  à  sa 
couronne?  veu  qu'il  ne  lui  baille  argent  qu'à  lesclie- 
doigt  et  en  rechignant,  et  de  peur  seulement  qu  il  n'en 
levienne  ?  veu  mesmes  qu'il  a  refusé  les  beaux  moyens 
que  le  roy  de  Navarre  lui  a  présentés  d'y  despendre 
ung  tiers  de  son  bien?  veu  au  reste  sa  complexion,  sa 
vie,  toute  sa  procédure?  et  s'il  a  envie  de  faire  davan- 
tage ci  après  comme  l'on  dict ,  vault  il  pas  mieux  en 
voir  quelques  effets  premier?  que  s'il  veult  l'aider  se- 
crettement,  comme  il  est  plus  apparent,  à  quel  propos 
le  voyaige  de  la  court,  qui  ne  servira  qu'à  descouvrir 
les  entreprises,  à  advertir  l'Espaignol,  à  le  mettre  en 
défiance?  qui  despouillera  mesmes  le  roy  de  la  couver- 
ture qu'il  veult  avoir  et  garder  envers  lui,  pour  éviter 
la  guerre  ouverte?  veu  mesmes  qu'il  a  jà  adverti  le 
roy  de  Navarre  que,  s'il  a  envie  d'entreprendre  contre 
l'Espaignol,  il  n'est  poinctà  propos  qu'il  l'aille  trouver? 
Ainsi  interprètent  ils,  ou  à  néant,  ou  à  dommage, 
les  utilités  prétendues  du  voyaige  de  la  court,  en  lieu 
desquelles  ils  produisent  oultre  les  precedens  des  griefs 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  lyS 

et  interests  trop  plus  certains  à  leur  jugement  que  les 
susdites  utilités,  lesquels  ils  désirent  estre  pesés  soi- 
gneusement. 

1°.  Doublent  que  le  roy  de  Navarre  ne  perde  par  là 
la  créance  qu'il  a  en  France  entre  ceulx  de  la  relliorion. 
laquelle,  par  divers  artifices,  est  de  long  temps  briguée 
par  personnes  que  cbacun  sçait,  qui  tascbent  à  la  lui 
soubstraire,  et  qui  prendront  occasion  de  ce  voyaige 
d'altérer  les  cœurs  des  personnes  et  mesmes  dés  princes 
estrangers,  qui  Tont  en  estime  et  réputation,  et  des- 
quels l'amitié  lui  peult  estre  utile. 

2°.  Allèguent  que  monseigneur,  sur  lequel  aujour- 
d'hui, à  cause  de  l'indisposition  du  roy,  plusieurs  ont 
plus  d'esgard  que  sur  le  roy  mesmes,  n'aura  agréable  ce 
voyaige,  soit  par  jalousie  ou  aultrement;  et  d'autant 
plus  quaulcuns,  lorsqu'il  s'en  est  parlé,  lui  ont  voul- 
leu  mettre  en  opinion  que  les  favoris  du  roy  faisoient 
appeller  le  roy  de  Navarre  en  court  pour  en  faire 
bouclier  contre  lui,  et  auctoriser,  sous  son  nom,  leurs 
actions  et  intentions. 

3°.  Craignent  que  le  roy,  qui  aime  sans  borne  le  duc 
d'Espernon ,  ne  presse  le  roy  de  Navarre  de  lui  céder  son 
gouvernement  de  Guienne,  et,  qui  plus  est,  de  lui  bailler 
madame  la  princesse  sa  sœur  en  mariaige  ;  ainsi  que  ci 
devant  il  a  faict  ce  qu'il  a  peu  envers  M.  de  Montmorenci 
pour  lui  faire  céder  son  gouvernement  de  Languedoc 
au  duc  de  Joyeuse,  et  n'a  faict  conscience  d'escrire 
à  M.  de  Lorraine  pour  faire  espouser  audict  duc  d'Es- 
pernon la  princesse  de  Lorraine  sa  nièce;  choses  qui, 
sans  doubte,  offenseroient  tellement  le  cœur  du  roy  de 
Navarre,  qu'il  regretteroit  de  jamais  y  avoir  mis  le 
pied ,  et  que  toutesfois  il  ne  pourroit  refuser  brusque- 
ment et  tout  à  plat,  sans  se  mettre  en  manifeste  danger 


176  DELIBERATION  SUR  UNG  VOYAIGE 

de  sa  vie,  dont  enfin  le  loy  de  Navarre  sera  contraint 
de  s'arracher  violemment  de  la  court ,  au  lieu  de  s'en 
descoudre,  comme  monseigneur,  la  dernière  fois  qu'il 
en  partit,  lequel  depuis  n'a  peu  rentrer  en  confiance 
aulcune  avec  le  roy.  Or,  dient  ils,  il  vault  trop  mieux 
n'y  aller  poinct,  que  d'y  estre  ou  en  revenir  mal;  et 
qui  peult  espérer  que  le  roy  do  Navarre  y  puisse  estre  bien 
en  telle  confusion  ,  veu  son  courage  et  sa  magnanimité, 
veu  aussi  les  dignilés  qu'y  tiennent  ceulx  là,  et  les  in- 
dignités qu'ils  y  font  aulx  plus  grands? 

Et  quant  au  danger,  que  ceulx  qui  conseillent  le 
voyaige  prétendent  estre  nul ,  respondent  qu'à  la  vé- 
rité, de  la  part  du  roy,  cesle  opinion  ne  doibt  légèrement 
entrer  au  cœur,  et  croient  que  sa  volonté  en  est  à  pré- 
sent très  esloignee  ,  mais  dtsirent  aussi  qu'on  considère 
que  ceulx  qui  pensoient,  par  une  grande  fomiliarité , 
estre  entrés  dans  le  cœur  du  feu  roy  Charles,  n'y  avoient 
rien  leu  de  semblable;  que  même  les  desseings  du 
Pays  Bas  qu'il  affectionnoit,  y  estoient  du  tout  con- 
traires, et  que  non  obstant  l'importunité  qui  lui  feut 
représentée  par  quelques  pernicieux  esprits,  le  tenta 
tellement,  qu'il  feit  chose  à  laquelle  peu  de  jours  au- 
paravant on  eust  faict  conscience  de  penser,  et  lui 
mesmes  en  eust  horreur.  Et  qui  double  qu'il  n'y  ait  en- 
cores  de  semblables  gens  auprès  du  roy,  qui  lui  diront 
qu'il  tient  le  chef  de  la  guerre  civile  de  son  royaume 
entre  ses  mains,  et  lui  raujenlevront  les  promptitudes 
du  roy  de  Navarre  à  prendre  les  armes,  les  pratiques 
mesmes  que  nous  avons  faict  depuis  la  paix?  des  jé- 
suites aussi  qui,  abusans  de  sa  superstition  et  cons- 
cience, lui  promettront  pleiniere  remission  de  tous  pé- 
chés par  ce  sacrifice?  et  puis  un  cardinal  Borromee  se 
fourrant  à  la  traverse,  qui  ne  voit  la  chose  en  péril 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  177 

évident,  si  le  roy  n'apporte  une  grande  fermeté  au 
contraire? 

Laissons  le  danger  de  la  vie,  disent  ils;  quand  mon- 
seigneur, aj)res  la  paix  de  iS^ô,  feut  venu  à  Paris  se 
jetter  entre  les  bras  du  roy,  on  sçait  ce  qui  lui  advint; 
il  fallut  qu'il  quiltast  son  parti,  qu'il  consentist  à  toutes 
les  brigues  des  estais  de  Blois  contre  Tedit  qu'il  avoit 
lui  mesme  procuré ,  qu'il  prist  les  armes  contre  ceulx 
de  la  relligion  qui  l'avoient  maintenu.  Avec  tout  cela, 
si  estoit  il  tenu  de  si  près ,  qu'il  feut  contraint  de  se 
saulver,  après  une  longue  servitude,  par  dessus  les  mu- 
railles de  Pai  is.  Qui  oseroit  garentir  le  roy  de  Navarre 
d'une  semblable  servitude,  qui  tant  de  fois  a  pris  et 
repris  les  armes,  qui  sans  doubte  ne  vouldra  pas  ployer 
à  leurs  intentions,  comme  feit  monseigneur  alors,  et 
qui  là  n'aura  pas  une  mère  pour  adoucir  à  toute  beure 
les  rigueurs  de  telles  passions?  Adjoustons  que,  pour 
la  nous  rendre  plus  doulce ,  ils  nous  cbatouilleront  de 
délices  et  de  plaisirs,  lesquels  peut  estre  ne  nous  seront 
moins  périlleux  que  leurs  plus  durs  liens  ,  et  seroient 
pour  nous  oster  la  réputation  et  la  liberté  ensemble. 

Mais  posons,  disent  ils,  que  tout  cela  n'ait  lieu, 
combien  est  grande  l'auctorité  de  messieurs  de  Guise 
à  Paris,  qui  n'ont  personne  pour  plus  les  traverser  que 
le  roy  de  Navarre?  qui  ont  bien  eu  le  moyen  n'agueres, 
comme  il  a  esté  vérifié  en  plein  conseil  ,  de  faire  en- 
trer de  la  cavallerie  de  nuict  dedans  la  ville,  au  desceu 
du  roy,  par  la  porte  du  Temple,  et  qui  ont  le  prési- 
dent de  Neuilly  prevost  des  marcbans,  faict  de  leur 
main  et  tout  à  leur  commandement?  en  après,  com- 
bien est  il  aisé  d'y  dresser  telles  parties  soubs  ombre 
d'une  sédition  populaire,  ou  de  les  exécuter  par  un  as- 
sassin à  gages,  tel  qu'ils  en  ont?  et  que  leur  reste  il 

MÉM.  DH  DUPLESSIS-MORMAY.  ToME  II-  I  2 


iy8  DELIBERATION  SUR  IJNG  VOYAIGE 

plus  maintenant  qu'ils  ont  ung  i  oy  non  soigneux  de  la 
posterité,monseigneur  oblige  contre  iing  grand  ennemi 
qui  leur  est  ami,  ceulx  qui  gouvernent  le  roy,  ou  leurs 
alliés  ou  proches  de  l'estre,  et  des  plus  impoitantes 
villes  et  provinces  du  royaume  entre  leurs  mains  ? 

Tels  sont  donc  les  dangers  qu'ils  trouvent  en  ce 
voyaige  qui  touchent  en  somme  la  vie  et  la  liberté ,  et 
peut  estre  vont  jusques  à  la  réputation  et  conscience, 
lesquels,  si  nous  balançons  avec  eulx ,  qui  peuvent  estre 
à  ne  faire  point  ce  voyaige ,  ce  sera  pour  tout  que,  veu 
les  propos  que  nous  en  avons  faict  tenir,  le  roy  n'en 
ait  quelque  mescontentement ,  auquel  il  sera  plus  aisé 
de  satisfaire  qu'aulx  inconveniens  susdicts  qui  sont 
irrévocables. 

C'est  au  roy  de  Navarre  maintenant  d'adviser  sur 
les  divers  advis  de  ses  serviteurs ,  qui  toutesfois  s'ac- 
cordent en  ung  but  gênerai  de  chercher  sa  grandeur, 
quel  pour  le  meilleur  il  doibt  choisir,  comparant  les  uti- 
lités et  dangers  de  part  et  d'aultre;  et  Dieu,  qui  a  les 
cœurs  des  princes  en  sa  main ,  le  lui  doint  prendre  pour 
son  bien  et  salut! 

Mais,  quelque  voie  qu'il  élise  pour  la  meilleure,  tous- 
jours  fault  il  essayer  de  surmonter  les  inconveniens  qui 
resteront,  dont  les  moyens  pourroient  estre  tels,  tant 
d'une  part  que  d'aultre. 

S'il  choisit  d'aller  en  court ,  premier  qu'y  aller,  semble 
nécessaire  qu'il  fasse  entendre  son  intention  aux  plus 
notables  églises,  afin  qu'elles  n'en  prennent  alarme, 
mesmes  s'il  se  peult  commodément,  aux  princes  des- 
quels l'amitié  lui  peult  estre  utile  et  lui  doibt  estre  chère; 
pareillementqu'il  fasse  provision  dequelque  somme  d'ar- 
gent, et  le  fasse  transporter  secrètement  en  lieu  seur 
et  hors  de  prise ,  comme  Sedan ,  etc. ,  au  sceu  de  ses 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  179 

principaux  amis  d'Allemaigne.  Cela  faict,  qu'il  attende 
ung  temps  cjue  les  plus  suspects,  comme  ceulx  de  Lor- 
raine et  ceulx  qui  principalement  favorisent  l'Espaignol, 
soient  csloignés  ou  de  la  court  ou  du  cœur  du  roy  ,  et 
pareillement  que  le  roy  soit  plus  résolu  contre  lEspai- 
gnol  qu'il  n'est,  ce  qui  s'appercevra  sur  ce  printemps, 
qu'il  fauldra  armer  pour  Portugal  et  pour  Flandres, 
et  qu'on  aura  veu  l'issue  de  la  négociation  du  cardinal 
Borromee  en  France,  qui  est  créature  du  siège  papal 
etsubject  de  l'Espaignol. 

Et,  quant  au  lieu ,  nul ,  à  mon  advis,  ne  conseillera 
au  roy  de  Navarre  d'aller  trouver  le  roy  à  Paris  où, 
comme  en  une  forest,  se  peuvent  cacher  mille  em- 
busches,  mais  bien  en  quelque  maison  escartee,  où  il 
aime  d'estre  peu  accompagné ,  et  plustost  à  l'impro- 
■viste  qu'aultremcnt. 

Le  moins  qu'il  pourra  mener  avec  lui  de  ceulx  qui 
ont  crédit  es  provinces,  qu'ils  appellent  chefs  de  part, 
sera  le  plus  seur,  afin  que  les  églises  soient  mieux  pour- 
veues ,  et  que  la  tentation  ne  soit  si  grande. 

Et  sera  bon  qu'on  pense  qu'il  aille  en  intention  d'y 
demeurer  long  temps,  afin  que  l'on  ne  haste  les  mau- 
vaises pratiques,  si  aulcunes  y  en  a;  mais  qu'il  soit 
résolu  en  son  cœur  de  n'y  faire  séjour  que  peu  de  jours. 

Ce  peu  qu'il  y  sera,  se  fault  résoudre  de  se  disposer 
tout  à  la  vertu,  de  se  rendre  et  aimable  et  admirable; 
de  se  monstrer  capable  de  toutes  grandes  choses  pour 
laisser  une  bonne  odeur  de  soi  à  tous,  et  cependant  ne 
trouver  rien  estrange;  ne  se  formaliser  de  rien,  pa- 
tienter et  complaire  au  roy  en  tout  ce  qui  se  peult, 
ce  que  le  roy  de  Navarre  pourra  gaigner  sur  soi  pour 
peu  de  jours;  mais,  veu  Testât  présent,  ne  pourroit 
continuer  longuement. 


l8o  DELIBERATION  SUR  UNG  VOYAIGE 

L'excuse  d'ung  si  bref  retour  se  pourra  prendre,  ou 
pour  disposer  les  provinces  à  la  reddition  des  villes,  ou 
pour  préparer  ses  entreprises  dEspaigne,  ausquelles 
nous  présupposons  que  le  roy  sera  enclin,  ou  telle 
aultre  que  le  temps  alors  présentera;  toutes  lesquelles 
circonstances  semblent  nécessaires  pour  saulver  de  dan- 
ger et  sa  réputation  et  sa  personne,  et  Dieu  veuille  que 
cet  emplastre  soit  assés  grand  pour  couvrir  le  mal  qu'on 
en  craint. 

S'il  se  resould  de  n'y  aller  poinct ,  reste  à  le  faire 
prendre  de  bonne  part  au  roy,  pour  à  quoi  parvenir,  lui 
pourra  estre  remonstré  par  personne  agréable  et  qua- 
lifiée ce  qui  ensuit  : 

1°.  Que  le  but  dudict  sieur  roy  de  Navarre  auroit 
tousiours  esté  d'aller  trouver  le  roy ,  pour  lui  porter  le 
cœur  de  tous  ceulx  de  la  relligion,  et  esteindre,  soubs 
le  bénéfice  de  ses  esdicts,  la  mémoire  de  tous  partis; 
mais  qu'au  contraire  il  se  seroit  apperceu  qu'aulcuns 
leur  interprètent  ce  voyaige,  comme  s'il  se  voulloit  dé- 
partir totalement  d'eulx  ;  et  là  dessus  pratiquent  de  les 
faire  chercher  leur  support  vers  certains  aultres  qui 
n'auroient  pas  l'interest  qu'il  a  à  la  conservation  de  sa 
couronne ,  et  pourtant  ne  seroient  pas  meus  de  pareille 
affection  envers  son  service  et  le  bien  de  son  estât;  et 
parce  que  de  là  pourroient  ensuivre  des  divisions  et 
ruynes  plus  dangereuses  que  les  précédentes,  attendu 
mesmes  ceulx  qui  lesfomenteroient;  qu'il  suppHe  sa  ma- 
jesté d'interpréter  sa  demeure  en  bonne  part,  qu'il  es- 
time estre  le  seul  moyen  d'empescher  tels  desseings, 
qui  ne  peuvent  avoir  prétexte  que  sur  ce  voyaige;  et, 
à  ce  propos,  pourroit  on  modestement  déduire  combien 
il  importe  au  roy  mesme  que  le  roy  de  Navarre  main- 
tienne son  auctorité  et  créance  envers  ceulx  de  la  rel- 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  i8l 

îigion,  et  se  garde  de  les  rendre  ombrageux  en  son 
endroict, 

1°.  Que  particulièrement,  pour  lui  faire  cognoistre 
sa  bonne  et  sincère  affection,  il  a  désiré  lui  remettre 
les  places  au  temps  porté  par  l'edict,  ne  cherchant  do- 
resnavant  seureté  qu'en  sa  bienveillance.  Au  contraire 
que,  par  ce  voyaige  il  prévoit  qu'il  en  sera  frustré  pour 
les  nouvelles  difficultés  et  défiance  qu'on  sèmera  sous 
ceste  couleur  entre  ceulx  de  la  relligion,  ausquels  la 
continuation  des  inconveniens  a  rendu  toutes  choses 
suspectes. 

3**.  Qu'il  auroit  espéré  d'estre  aidé  de  sa  faveur,  sui- 
vant les  anciennes  promesses,  pour  le  recouvrement  de 
son  royaume ,  qui  n'auroit  esté  une  des  moindres  in- 
tentions de  son  dict  voyaige ,  sur  quoi  il  auroit  pieu  à 
sa  majesté  de  lui  déclarer  que,  sil  avoit  volonté  d'en- 
treprendre telles  choses,  il  vauldroit  mieux,  pour  ne 
donner  soubsçon  à  l'Espaignol,  qu'il  ne  s'avancast 
poinct  de  le  venir  trouver;  qui  auroit  esté  cause  de 
l'y  faire  penser  à  bon  escient,  d'autant  plus  qu'il  en- 
tend que  sa  majesté  est  sur  le  poinct  maintenant  de  se 
resouldre,  considéré  que  sa  présence  ne  serviroit  qu'à 
faire  ouvrir  les  oreilles  aulx  ministres  du  roy  d'Espaigne  , 
et  y  a  bien  apparence  que  le  roy  prendroil  ces  raisons 
en  payement,  veu  que,  de  sa  part,  il  n'a  pas  faict  grande 
instance  sur  le  voyaige. 

Mais  à  ces  paroles  fauldra  qu'il  adjouste  des  effects, 
fasse  cognoistre  qu'il  ne  demeure  que  pour  le  bien  et 
repos,  tant  de  la  France  en  gênerai,  que  particulière- 
ment des  provinces  en  deçà,  en  composant  et  dispo- 
sant toutes  ses  actions,  tant  dedans  que  dehors,  à  la 
vertu,  à  la  paix,  à  l'ordre  et  à  la  justice,  dont  la  ma- 
tière s'offrira  assez  grande  à  toute  heure  en  ce  pays;  et 


i82      DELIBERATION  SUR  UNG  VOYAIGE,  etc. 
pourra  commencer  à  en  donner  le  goust  par  la  reddi- 
tion de  Bazas. 

Adviendra  aussi  de  là  que  le  roy  de  Navarre  n'ac- 
querra moins  la  bonne  affection  du  peuple  et  de  la  no- 
blesse que  par  le  susdict  voyaige,  d'autant  que  ces 
belles  actions  se  feront  à  la  veue  de  plusieurs  notables 
personnages,  qui  sont  maintenant  par  deçà,  qui  s'en 
retourneront  preschant  ses  louanges ,  et  en  la  personne 
desquels  il  peult  contenter  et  acquérir  une  grande  mul- 
titude. Les  particularités  s'en  pourront  déduire  à  part, 
et  suffit  d'en  avoir  touché  ce  mot  en  passant;  et  parce 
que  les  meilleures  actions,  en  ce  misérable  temps,  sont 
calomniées,  fera  entendre  le  but  de  son  intention  aulx 
principales  Eglises  et  aulx  principaulx  d'icelles,  par 
instructions  et  lettres  qui  puissent  estre  divulguées  sans 
danger;  à  sçavoir  que  son  but  est  de  chercher  leur  bien, 
repos  et  tranquillité,  et  d'arracher  à  ceste  fin  ,  par  tous 
moyens,  les  racines  des  troubles,  ayant  assez  cogneu 
par  expérience  qu'ils  n'apportent  que  ruynes  et  cor- 
ruptions et  aulx  affaires,  et  aulx  consciences,  les 
exhortant  à  l'aider  en  ung  œuvre  si  louable  et  si  néces- 
saire ,  et  les  priant,  pour  y  parvenir,  de  repurger  du 
milieu  d'eulx  tous  scandales  et  injustices,  afin  que  le 
nom  de  l'Evangile  ne  soit  poinct  blasphémé,  à  cause 
de  nous,  au  milieu  des  ignorans,  ainsque  Dieu  espande 
sa  bénédiction  sur  nous  pour  l'augmentation  et  refor- 
mation entière  de  ses  église?;  cependant  ne  laina  de 
les  asseurer  qu'il  veillera  lousjours  pour  leiu-  seurelé, 
et  n'espargnera  biens  ni  vie,  comme  il  n'a  faict  jusques 
à  prescn^t,  pour  leur  manutention  et  défense. 

Ce  discours ,  considéré  par  le  roy  de  Navarre,  rompit  son 
voyaige  de  la  court. 


INSTRUCTION  AU  SIEUR  D'ALLERI.  i83 


XXIX.  —  INSTRUCTION  AU  SIEUR  D'ALLERI 

De  ce  qu'il  a  à  dire  de  la  part  du  roj  de  Navarre  a 
monseigneur  le  Prince^  pour  response  de  sa  de- 
pesche  du  24  décembre  1082;  dressée  par  M.  Dti- 
plessis. 

Le  roy  de  Navarre  remercie  grandement  mondict  sei- 
gneur le  prince  de  la  peine  qu'il  a  prise  de  negotier 
avec  les  églises,  sur  les  propositions  qu'il  lui  a  faictes, 
et  demeure  très  satisfait  du  fruict  qu'il  l'asseure  en  avoir 
rapporté,  le  pryant  bien  fort  de  presser  avec  pareil  soing 
les  effects  d'une  si  bonne  resolution,  qui  ne  peult  réussir 
qu'au  grand  bien  et  repos  de  toutes  les  Eglises ,  et  à 
l'affermissement  de  la  paix. 

Singulièrement  désire  ledict  sieur  roy  qu'elles  sa- 
tisfacent  à  la  promesse  qu'elles  ont  tant  de  fois  faicte 
d'envoyer  vers  lui  quelques  personnages  bien  qualifiés 
pour  résider  près  de  sa  personne,  afin  que  toutes  choses 
soyent  maniées  par  commune  intelligence,  estant  le 
désir  dudict  sieur  roy  de  ne  disposer  des  choses  public- 
ques  que  par  eulx  et  avec  eulx  (i  .  Eïi  quoi  il  se  trouve 
journellement  empesché  pour  la  nature  de  plusieurs 
affaires  qui   requièrent  prompte  resolution  (  tant  sur 

(i)  C'estoit  suivant  ung  conseil  donné  par  BI.  Duplessis  au 
roy  de  Navarre  ,  des  qu'il  entra  en  son  service,  de  requérir  les 
églises  d'avoir  de  chacune  province  une  personne  notable  au- 
près de  lui,  dont  feust  composé  ung  conseil  pour  la  dii'ection 
des  affaires  publiques.  Et  se  retireroit  ceste  utilité  contre  les 
calomnies  ordinaires,  qu'en  les  contentant  il  satisferoit  toutes 
lesdictes  églises ,  et  vers  elles  justifieroit  ses  procédures,  # 


i84  INSTRUCTION 

les  contraventions  à  l'edict  et  inexécutions  d'icelui ,  que 
sur  aulhes  notables  occurrences),  et  l'incommodité  de 
l'envoyer  prendre  si  loing,  et  en  si  divers  lieux. 

Sera  très  joyeux  aussi  ledict  sieur  roy,  que  les  églises 
de  Dauphiné  prennent  ce  mesme  chemin ,  à  quoi  il 
prye  ledict  seigneur  prince  tenir  la  main,  comme  desjà 
il  a  si  heureusement  commencé. 

Touchant  la  ville  de  Lunel,  que  le  roy  désire  lui 
estre  rendeue  sans  délai,  il  en  a  escrit  pareilles  lettres 
audict  sieur  roy  de  Navarre,  et  se  plaint  que  ceulx  qui 
la  tiennent,  s'excusent  et  deschargent  sur  lui  de  leur 
longueur  ;  mesmes  dict  estre  adverti  que  ledict  sieur 
roy  de  Navarre  leur  a  escrit  afin  qu'ils  ne  se  hastassent 
tant  de  la  remettre;  chose,  comme  ledict  sieur  prince 
jugera ,  qui  importe  ung  peu  à  la  réputation  dudict 
sieur  roy.  . 

Seroit  donc  d'advis ,  attendu  que  la  ville  n'est  pro- 
prement de  son  auctorité,  et  qu'il  n'a  en  main  excuse 
légitime  vers  le  roy  pour  en  retarder  la  reddition,  que 
ledict  seigneur  prince  advisast  de  ce  faict  selon  sa  pru- 
dence avec  les  principaulx  des  églises  du  Languedoc, 
soit  pour  la  retenir  encores  quelque  temps  pour  quel- 
que inexécution  ou  contravention  notable  de  l'edict  en 
ladicte  province,  telles  qu'il  y  en  peult  avoir  en  les  fai- 
sant ou  accomplir,  ou  reparer;  soit  pour  la  remettre 
entre  les  mains  de  quelque  gentilhomme  non  partial  et 
amateur  du  bien  du  pays  ,  comme  il  s'est  faict  de  quel- 
ques aultres;  dont  on  pourroit  s'accommoder  avec 
M.  de  Montmorency  par  l'advis  desdictes  églises. 

En  ce  qui  concerne  la  garnison  que  le  roy  désire 
estre  introduite  en  la  ville  de  l'Isle ,  pour  asseurer  la 
chambre  de  justice,  ledict  roy  ne  sçait  bonnement  que 


AU  SIEUR  D'ALLERl.  l85 

respondre  audict  sieur  prince,  pour  la  diversité  des 
advis  qu'il  a  receus  sur  ce  faict  des  plus  notables  des 
églises  de  Languedoc,  et  de  ceulx  mesmes  qui  font  par- 
tie de  ladicte  chambre,  desirans  les  ungs  qu'il  y  ait 
une  garnison  en  ladicte  ville,  laquelle  soit  composée 
de  personnes  choisies  d'ung  commun  accord  et  consen- 
tement, pour  l'asseurer  tant  contre  les  séditions  domes- 
tiques; et  craignans  les  aullres  que  la  garnison  mesrne 
ne  leur  soit  convertie  en  instrument  non  de  seureté, 
mais  de  violence  et  d'injustice.  Sur  quoi  ledict  sieur 
roy  de  Navarre  a  eu  remonstrances  diverses ,  et  de  di- 
vers lieux. 

En  ceste  perplexité,  ledict  seigneur  roy  est  bien  aise 
que  ledict  seigneur  prince  soit  sur  les  lieux,  pour  en 
prendre  une  resolution  avec  les  plus  sages  et  prudens; 
et  lui  semble  que  telle  garnison  y  pourroit  estre  mise 
par  l'auctorité  de  M.  de  Montmorency,  qui  souldroit 
toute  difficulté  et  défiance  ;  en  quoi  toutesfois  il  se 
conformera  à  ce  que  ledict  seigneur  prince  en  con- 
clura avec  eulx,  pour,  selon  ce,  en  faire  remonstrance 
à  leurs  majestés. 

Sur  tout  désire  ledict  seigneur  roy  avoir  ce  bien  de 
voir  ledict  seigneur  prince  au  plus  tost  que  les  affaires 
le  pourront  comporter,  pour  avec  lui  resouldre  de  plu- 
sieurs choses  importantes  ,  qui  sont  maintenant  en 
train ,  et  dont  on  le  presse,  et  par  mesme  moyen  vui- 
der  les  difficultés  qu'il  pourroit  avoir  laissées  en  Lan- 
guedoc. Attendant  quoi  ,  suspendra  aussi ,  selon  son 
advis,  toutes  démonstrations  de  mécontentement  contre 
ceulx  desquels  il  lui  faict  mention ,  pour  l'espérance 
qu'il  lui  donne  de  les  ramener  à  raison ,  dont  ledict 
seigneur  roy  se  remet  sur  sa  prudence,  et  sur  l'en- 
tière affection  qu'il  lui  porte,  comme  aussi  de  toutes 


l86  INSTRUCTION  AU  SIEUR  D'ALLERI. 

aultres  choses  qui  se  pourront  présenter  es  lieux  où 

il  est. 

Fait  à  Nerac,  le  4"  jour  de  l'an  i583. 

XXX. —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  VEvesque  de  Nantes,  (i) 

Du  8  janvier  i583. 
MoNSFEUR,  depuis  que  Dieu  m'a  ramené  en  France, 
j'ai  entendeu  à  mon  grand  regret,  que  vous  me  por- 
tiés  quelque  mauvaise  volonté,  et,  à  cause  de  moi,  à 
toute  nostre  maison.  Cela  m'a  faict  fueilleter  ma  vie  et 
regarder  tout  autour  de  moi  ce  qui  vous  auroit  peu 
apporter  tant  de  desplaisir.  Et  m'enhardirois  presque 
de  dire  que,  depuis  plus  de  dix  ans,  que  Dieu  m'a  faict 
la  grâce  de  vivre  en  la  lumière  des  hommes  ,  je  n'ai 
rien  faict  indigne  de  ceulx  ausquels  j'ai  cest  honneur 
d'appartenir,  et  peut  estre,  ai  faict  dequoi  leur  appor- 
ter contentement  et  plaisir.  La  seule  relligion,  dont  j'ai, 
faict  constante  profession  ,  peidt  avoir  esloigné  vostre 
cœur  de  moi,  qui  certes,  quand  y  aurés  bien  pensé, 
debvoit  redoubler  l'amitié  que  m'avés  départie.  Car 
j'estime  tant  de  vostre  vertu  et  magnanimité,  que  sé- 
riés marri  d'avoir  ung  neveu  qui  violast  sa  conscience, 
tant  s'en  fault  que  voullussiés  requérir  de  lui  que, 
pour  vous  plaire,  il  despleust  à  Dieu.  Or,  si  c'est  con- 
science ou  passion,  considération  divine  ou  humaine, 
qui  me  meut,  je  n'en  veulx,  monsieur,  aultre  juge  que 
vous.  Je  suis  homme  et  subject  aulx  affections  humai- 
nes, et  ne  doubtés  poinct  que  je  ne  désirasse  bien  les 

(l)  Philippes  du  Bec,  depuis  archevesque  el  ducdeRheiras, 
oncle  maternel  de  Duplessis. 


LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS ,  etc.  187 

commodités  de  ce  monde,  les  biens,  les  dignités,  les 
grandeurs.  Je  n'ai  poinct  aussi  si  peu  d'esprit  que  je 
ne  sçaclie  qu'ils  ne   se  distribuent  qu'en   la  suite   du 
monde  ,  et  que  je  tiens  ung  chemin  tout  contraire  à  les 
acquérir;  ung  parti   où  il  n'y   a  que  misères  et  indi- 
gnités à  partir.  Et  vous   me  ferés  bien  cest  honneur 
d'advouer  que  ce  n'est  pas  que  je  sois  en  rien  forclos 
de  l'aultre,  et  que,  grâces  à  Dieu,  la  porte  du  monde 
eust  eslé  bien  estroile,  qui  de  tout  temps  a  esté  assés 
large,  veu  le  lieu  dont  je  suis,  et  la  nourriture  que  j'ai 
eue,  si  je  n'eusse  trouvé  moyen  d'y  entrer;  je  di  peut 
estre,  quelque  foule  qu'il  y  eust  peu  avoir.  Ne  doubtés 
aussi,  monsieur,  que  les  pertes,  les  exils  ,  les  prisons, 
les  dangers  assés  ordinaires  de    ma  \ie,  ne  m'ayent 
souvent  et  vivement  presché  et  debatu  la  relligion  ro- 
maine, et  par  argumens  certes  vehemens,  pregnans, 
€ascheux  àsouldre,  ausquels,  par  une  certaine  prévari- 
cation, l'homme  se  laisse  vaincre  et  se  rend  de  son  gré, 
et  ne  peult  résister  qu'en  se  forçant.  Quand  j'ai  suivi 
ma  relligion  à  travers  de  toutes  ces  considérations , 
jugés  si  c'a  esté  raison ,  ou  passion  ?  Et  ramentevés  vous 
ici  la  règle  du  jurisconsulte ,  cui  bono  ?  Certes  je  croi 
que  vous  dires,  raison  ,  veu  que  la  passion  eust  eu  plus 
de  contentement  ailleurs  ;    et    permettes  que    je   die 
raison  vraiement  divine,  et  nullement  humaine,   qui 
m'ait  faict  vaincre  en  moi  ,  et  les  passions  qui  empor- 
tent la  raison  humaine,  et  la  raison  humaine  qui  sou- 
vent se  lie  soi  mesme,  pour  se  livrer  captive  ou  à  l'a- 
varice ,  ou  à  l'ambition.  Vous  dires  (  car  on  me  le  dict 
ainsi)  que  je  pouvois  vivre  en  ma  relligion,  conmie 
tant  d'aultres  ;  mais  il  vous  fasche  de  ce  que  j'en  ai  es- 
crit  et  publié.  Et  certes,  je  me  pouvois  humainement 
passer  de  ceste  peine  et  de  ceste  haine  ;  mais  jugés 


1 88  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS  ,  etc. 

derechef  ici ,  monsieur,  si  je  n'ai  deu  préférer  l'amour 
de  Dieu  à  tout  cela?  et  en  quelle  conscience  je  me 
pouvois  taire  ?  Et  si  celui  qui  croit ,  n'est  pas  tenu  de 
dire ,  et  si  celui  qui  sçait ,  n'est  pas  tenu  d'escrire  es 
choses  qu'il  pense  concerner  la  gloire  de  Dieu  et  le  sa- 
lut du  prochain  ?  Et  comment  vous  m'eussiés  absous 
et  recous  des  ténèbres  extérieures,  lorsque  j'eusse 
esté  devant  celui  qui  redemande  son  talent  et  l'argent 
qui  lui  a  deu  profiter  ?  Celui ,  monsieur ,  qui  nous  a 
donné  la  foy  ,  nous  a  donné  et  la  bouche  et  la  plume , 
qui  nous  a  donné  ce  qu'il  n'a  à  tous  ,  ne  l'a  faict  pour 
nous,  mais  pour  tous.  Sans  peculat  et  sans  sacrilège 
je  n'en  pouvois  soubstraire  une  partie.  Ainsi  la  mesme 
conscience  qui  m'a  obligé  à  confession  privée,  m'obli- 
geoit  à  ceste  profession  publicque.  Et  Dieu  soit  loué , 
qui  l'a  bénite  envers  plusieurs  personnes  et  mesmes 
nations.  Or,  monsieur,  présupposant  ceste  conscience 
en  moi ,  et  vous  rementevant  ce  qu'elle  requiert  d'ung 
chacung,  j'estime  tant  de  la  voslre  que  ne  m'eussiés 
conseillé  que  ce  que  j'ai  faict;  et  pourtant  ne  me  puis 
persuader,  quand  vous  y  aurés  bien  pensé,  que  me 
voulliés  denier  l'amitié  qu'il  vous  a  pieu  autresfois  me 
porter.  De  moi ,  quand  mesmes  j'aurois  ce  malheur 
qu'en  fissiés  aultrement ,  je  vous  rendrai  toute  ma  vie 
révérence,  obéissance  et  service,  m'en  recognoissant 
redevable, non  au  regard  de  vous  simplement,  mais  de 
Dieu  mesmes  ,  qui  me  le  commande  ;  et  sur  ce , 
monsieur,  après  vous  avoir  très  humblement  baisé  les 
mains,  supplirai  le  Créateur  vous  donner  heureuse  et 
longue  vie. 

DeNerac,  etc. 


REGLEMENT,  «te.  189 


XXXI.  —  AD  VIS  DONNE  AU  ROY  DE  NAVARRE 

Sur  le  règlement  de  sa  façon  de  vivre. 

Du  9  janvier  i583. 

Qui  considérera ,  ou  les  grâces  que  Dieu  a  mises  au 
roy  de  Navarre ,  ou  le  temps  auquel  il  l'a  faict  naistre, 
jugera  à  monadvis  qu'il  est  destiné  à  grandes  choses; 
et,  s'il  est  son  serviteur  ,  portera  impatiemment  de  le 
voir  destourné  aulx  petites. 

En  sa  personne,  chacung  recognoist  une  vigueur  de 
corps,  une  grandeur  de  courage,  une  dextérité  d'esprit 
presque  incomparable.  C'est  la  matière  dont  se  font  les 
grands  princes,  et  ne  reste  que  d'y  adjoustrr  la  forme. 

En  ce  siècle  aussi,  on  voit  le  ciel  et  la  terre  dispo- 
sés à  mutations  très  grandes.  Toute  la  chrestienté  sou- 
pire après  un  g  prince  ;  le  roy  et  monseigneur  sans 
enfans;  le  roy  d'Espaigne  aagé  et  caduc,  qui  lairra  ou 
des  filles,  ou  ung  jeune  héritier,  mal  propre  à  con- 
tenir ung  si  grand  estât ,  composé  de  tant  de  pièces 
rapportées.  Ces  belles  occasions  se  rencontrent  avec  les 
belles  parties  du  roy  de  Navarre ,  et  sans  doubte  sont 
nées  pour  lui,  s'il  veult  estre  né  pour  elles  Et  d'autant 
plus  que  la  nature  Tappelle  en  tel  cas  à  la  couronne 
de  France ,  et  l'équité  à  recueillir  les  dissipations  de 
celle  d'Espaigne,  qui  lui  tient  tant  de  tort. 

Le  tout  est  seulement  qu'il  comprenne  qu'il  est  né 
pour  choses  hautes ,  qu'à  ceste  fin  il  compose  sa  per- 
sonne et  dispose  ses  actions,  et  se  rende  autant  capa- 
ble de  ces  occasions ,  comme  elles  sont  dignes  de  lui 
et  des  grâces  que  Dieu  lui  a  faictes. 

Or,  comme  elles  sont  de  plusieurs  sortes  ,  il  ne  peuk 


190  REGLEMENT  DE  LA  VIE 

faillir  que  l'une  on  Taultre  ne  naisse  sans  beaucoup 
tarder  ;  et  pourtant  est  besoing  qu'il  y  pense  des  ceste 
heure,  comme  les  mariniers  à  leurs  appareils,  sur  la 
muaison  de  la  lune  et  du  vent. 

C'est  par  la  grâce  de  Dieu  que  les  roys  régnent,  et 
parla  force  des  loix  que  les  couronnes  sont  affermies. 
Il  fault  donc  qu'il  s'étudie  à  pieté  et  justice;  mais  sur 
tout,  d'autant  que  sa  personne  est  regardée  de  tant  de 
gens,  ne  suffit  que  ses  vertus  soient  cachées  en  lui, 
mais  est  besoing  qu'on  les  voye,  et  que,  selon  la  mesure 
d'auctorité  que  Dieu  lui  a  donnée,  il  en  monstre  ung 
eschantillon  et  ung  modèle. 

La  règle  de  la  vie  d'ung  prince  porte  ung  grand  pré- 
jugé pour  la  règle  de  l'estat,  voir  tel,  que  quelque 
ordre  qu'il  y  ait  en  une  maison  ou  republicque  par  le 
soing  des  serviteurs,  il  ne  peult  couvrir  le  desordre  de 
la  personne  du  prince,  d'autant  que  tous  entrent  dans 
sa  chambre,  et  peu  en  son  conseil;  et  tous  prennent 
.garde  à  ses  desreglemens  ,  peu  au  règlement  de  ses 
affaires.  C'est  pourquoi  nous  désirerions  que  le  roy  de 
Navarre  meist  quelque  règle  à  sa  vie,  sans  laquelle  nul 
prince  ne  feut  o^ncq  estimé. 

La  journée  est  longue  quand  elle  est  bien  départie  , 
y  en  a  assés  pour  les  choses  sérieuses  et  pour  les  exer- 
cices et  plaisirs. 

Le  roy  de  Navarre  pourroit  estre  habillé  à  liuict 
heures  au  plus  tard,  et  commander  au  ministre  de  s'y 
trouver  pour  faire  la  prière;  cela  faict,  entrer  en  son 
cabinet,  et  y  appellerceulv  ausquelsil  confie  ses  affaires  , 
en  forme  de.  conseil  pour  vuider  ce  qui  se  presenteroit 
d'importance  meurement  et  à  loisir,  et  signer  les  de- 
pesches  qui  auroient  esté  resoleues,  dont  il  se  feroit 
lire  celles  qui  le  méritent. 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  igi 

Pour  ne  l'imjDortuner  des  choses  de  peu,  ceulx  de 
son  conseil  s'assembleroient  plus  matin ,  despesclie- 
roient  les  affaires  moins  importans,  esbauclieroient 
ceulx  de  conséquence ,  et  les  lui  rapporteroient  demi 
digérés  ;  visiteroient  toutes  les  despesches  ,  pour  cri- 
bler ce  qui  seroit  digne  de  lui,  tellement  qu'en  moins 
d'une  petite  heure,  sa  majesté  auroit  expédie  le  surplus; 
et  qui  feroit  cela  tous  les  jours,  n'auroit  gueres  affaire 
quelques  jours. 

Le  surplus  jusques  au  disner  se  passeroit  en  tel 
plaisir  ou  exercice  que  le  roy  trouveroit  bon,  sauf 
les  jours  de  prescbe,  et  son  disner  seroit  entretenu  de 
quelques  bons  propos,  auquel  ceulx  de  son  conseil 
pourroient  assister,  parce  que  la  règle  de  ses  heures  " 
regleroit  celles  de  toute  sa  maison. 

L'apres  disnee  lui  seroit  toute  libre  ,  sauf  qu'une 
heure  devant  son  souper,  ou  telle  aultre  qu'il  trouve- 
roit bon  ,  il  entreroit  en  son  cabinet  avec  les  dessusdicts 
pour  sçavoir  ce  qu'il  y  auroit  à  resouldre ,  ou  ce  qui 
auroit  esté  faict  sur  les  choses  resoleues  ,  et  signer  les 
depesches  :  mesmes ,  s'il  ne  se  presentoit  rien ,  le  roy 
auroit  plaisir  à  deviser.  Plusieurs  princes  pour  réputa- 
tion le  font  sans  affaires  ,  et,  par  mine  d'en  avoir  beau- 
coup ,  se  font  priser. 

Quelquesfois  n'y  auroit  poinct  de  mal  qu'il  se  trou- 
vas! au  conseil  de  ses  affaires  domestiques,  tant  pour 
esguillouner  ung  chacung  à  son  devoir  que  pour  l'auc- 
toriser. 

Si  sa  majesté  disnoit  à  dix  ou  onze  heures ,  elle  pour- 
roit  souper  à  six  ou  sept  heures,  et  se  pourroit  retirer  à 
neuf  ou  au  plus  tard  à  dix.  Toute  l'apres  souper  lui  se- 
roit aussi  libre,  et  le  ministre  se  trouverait  à  neuf 
heures  en  sa  chambre  pour  pryer. 


jga  REGLEMENT  DE  LA  VIE 

Ce  faisant, le  roy  de  Navarre  ft-roit  toutes  choses  sans 
s'ennuyer,  et  avec  ample  loisn-;  et  ses  serviteurs  y  au- 
roient  cest  heur  particulier,  qu'il  cognoistroit  ce  qu'ils 
font  et  ce  qu'ils  valent,  dont  tout  le  travail  ne  leur  se- 
roit  que  plaisir. 

Cest  ordre  monstreroit  à  ung  chacung  quel  ordre  se- 
roit  à  espérer,  quand  Dieu  Fappelleroit  à  choses  plus 
grandes;  feroit  présumer  que  tout  ce  qu'il  feroit  par 
ceste  voie,  seroit  faict  avec  la  raison ,  au  lieu  que  ce 
qu'il  fait  aullrement  est  estimé  tumultuaireet  à  lahaste, 
ores  mesmes  qu'il  soit  bon. 

Sur  tout  est  besoing  que  ledict  sieur  roi  se  propose 
ung  but  digne  de  lui,  au(|uel  il  dispose  sa  personne  et 
sa  vie",  et  ses  serviteurs,  leurs  intentions  et  actions.  Car 
à  ung  marinier  qui  n'a  poinct  de  but,  nul  vent  ne  peult 
servir;  à  qui  en  a  ung,  tout  vent  sert  et  abbrege  le 
chemin ,  mesme  le  plus  tempestueux  et  le  plus  con- 
traire. 

Le  règlement  de  sa  maison  suivroit  aisément  celui 
de  sa  personne;  car  chacung,  mesme  en  particulier,  s'y 
"vouldroit  conformer.  Mais  s'il  veult  faire  cognoistre,  et 
aux  siens  et  aux  étrangers,  que  le  vice  lui  deplaist, 
et  qu'il  ne  règne  point  en  son  ame,  il  fault  qu'il  le  laisse 
habiter  le  moins  qu'il  pourra  en  sa  maison,  esloignant 
les  personnes  diffamées  d'auprès  de  la  sienne,  et  en 
approchant  les  vertueuses  et  de  bon  renom  ;  réprimant 
toutes  foules  et  concussions  qui  se  pourroient  faire  par 
les  siens  ,  et  soulageant  par  tous  moyens  ceulx  que  Dieu 
a  faict  naistre  soubs  sa  subjeclion;  les  officiers  nui  déro- 
bent ses  finances,  méritent  chastiment;  combien  plus 
ceulx  qui  dérobent  et  son  peuple,  et  son  honneur  en- 
semble? Et  puis,  qui  verra  ses  subjects  opprimés  sous 
sa  maison,  qu'espevera  il  jamais  sous  sa  domination? 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  ig3 

La  personne  donc  du  roy  de  Navarre  doibt  estre  ung 
exemple  à  sa  maison;  sa  maison,  ung  modèle  d'ung  juste 
gouvernement ,  et  une  arre  à  toute  la  chretiensté ,  d'une 
juste  et  légitime  administration.  Moyennant  quoi ,  Dieu 
le  bénira  sans  doubte  ,  et  lui  monstrera  combien  importe 
aulx  princes  sa  faveur  et  bénédiction.  Amen. 


XXXII.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  Vander  Mjlen^  conseiller  cV estai  au  Pays  Bas. 

Du  y  janvier  i583. 
Monsieur,  je  n'ai  receu  les  vostres  du  22  octobre 
mais  bien  du  a 8.  Je  vous  remercie  de  la  bonne  souve- 
nance que  vous  avés  de  moi ,  que  je  vous  prie  me  con- 
tinuer; car,  encores  que  Dieu  m'ait  conduit  au  fond  de 
Gascogne  près  du  roy  de  Navarre  ,  je  n'oublierai  jamais 
ni  vostre  pays,  ni  les  amis  que  j'y  ai,  surtout  s'il  se 
présente  occasion  de  servir.  Ce  prince  est  une  belle  ma- 
tière dequoi  faire  quelque  cbose  de  grand  ;  car  il  a  de 
la  vigueur,  du  courage  et  de  l'esprit.  L'exercice  de 
ces  belles  parties  y  adjousteroit  la  forme.  Mais  parce 
qu'd  dépend  de  grands  moyens,  et  qu'iceulx  doibvent 
venn^  d'ailleurs,  elles  ne  peuvent  encores  ni  se  desployer, 
ni  s'estendre  par  les  actions  et  effets.  Si  croi  je  que  Dieu 
le  destine  à  cboses  grandes,  et  nommeement  à  la  ruine 
d'Espaigne  ;  et  d'aultant  plus  que  l'injure  qu'on  lui  re- 
tient, l'y  esmeut  et  attire.  Si  nostre  roy  se  voulloit  dé- 
clarer à  bon  escient,  sans  grande  peine  vous  en  senti- 
riés  du  costé  de  delà  grand  soulagement.  Je  suis  bien 
aise  qu  aies  pris  une  bonne  resolution  en  vostre  assem- 
blée pour  assister  son  altesse  en  la  défense  publique. 
Quatre  millions  adjoustes  à  ses  moyens  particuliers  et 

Mém,  de  Duplessis-Mornay,  Tome  ii.  1 3 


ig4  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

auxiliaires,  peuvent  entretenir  une  belle  guerre;  mais 
souvenés  vous  qu'il  vousfault,  comme  souvent  je  vous 
ai  dict,  dresser  ung  estât  de  vostre  guerre  propor- 
tionné à  vos  moyens,  et  réduire  ou  remplir  vos  com- 
pagnies et  regimens,  moyennant  quoi  vos  finances  sa- 
tisferont à  la  guerre  défensive  et  offensive  ;  sinon,  vous 
dependrés  trois  armées  en  ung  an  ,  et  n'en  aurés  jamais 
une.  Je  sçai  que  je  parle  de  ces  choses  de  bienloing; 
mais  je  pense  qu'il  nie  soit  permis,  parce  que  je  les  ai 
en  affection,  quoique  bien  loing.  Nous  descouvrons  de 
grandes  divisions  et  infirmités  en  Espaigne.  Hosle  tan- 
tiun  opiis  est.  Et  jamais  les  princes  chrestiens ,  qui  ont 
la  grandeur  d'Espaigne  suspecte,  n'auront  beau  jeu, 
tant  qu'ils  l'aient  attaquée  chés  elle ,  à  l'exemple  des 
Romains  qui  chassèrent  Hannibal  d'Italie  en  assaillant 
Carthage.  Vous  en  particulier,  au  train  que  vous  tenés  , 
en  avés  pour  vingt  ans ,  au  lieu  que  par  ceste  voie  vous 
sériés  soulagés  en  ung  ;  et  nous  de  deçà  à  la  longue  en 
pourrions  profiter  quelque  chose ,  mais  le  commence- 
ment de  nos  peines  seroit  apparemment  la  fin  des  vos- 
tres.  Monseigneur,  à  mon  advis ,  pourroit  solliciter  le 
roy  de  cela.  De  nostre  part ,  nous  avons  offert  ce  que 
nous  avons  peu  et  deu;  et  certes,  quelque  chose  plus. 
Or  attendant  que  nous  vous  puissions  aider  par  la 
guerre,  nous  le  faisons  par  l'establissement  de  la  paix  , 
auquel  nous  travaillons  de  tout  nostre  pouvoir.  Mais  le 
pape  nous  envoie  en  court  ung  cardinal  Borromee,  pour 
presser  la  publication  du  Concile  de  Trente,  qui  feut, 
comme  vous  sçavés,  le  commencement  de  vos  ruines, 
et  pourroit  estre,  s'il  n'y  est  pourveu,  le  comble  de  la 
nostre.  Il  est  subject  de  l'Espaignol ,  et  créature  du 
pape.  Il  aura  faict  ung  notable  service  à  tous  deux,  quand 
il  aura  remis  la  relligion  en  trouble.  Ainsi  feut  envoyé 


A  M.  VANDER.  MYLEN.  igS 

le  cardinal  Alexandrin  Tan  72  ,  sur  le  poinct  que  le  roy 
Charles  se  voulloit  resouldre  à  la  guerre  conlre  le  roy 
d'Espaigne,  qui  feut  convertie  au  massacre  des  pauvres 
huguenots.  Nostre  roy  sera  plus  sage  à  mon  advis,  que 
de  le  croire,  veu  mesmes  cest  exemple;  mais  il  im- 
porte à  son  altesse  d'y  tenir  la  main,  tant  vers  le  con- 
seil du  roy  que  vers  le  parlement  de  Paris.  On  se  pourra 
servir  des  nullités  dudict  Concile  à  ce  propos;  mais  me 
suffit  de  vous  avoir  faict  ceste  ouverture,  pour  en  user 
selon  vostre  discrétion  et  prudence.  Et  notés  que  ceci 
se  pratique  non  loing  du  temps  que  nous  dehvons  re- 
mettre es  mains  du  roy  nos  villes  d  asseurance,  qui  sera 
cause  de  Jfetter  ceulx  de  nostre  parti  en  défiance,  dont 
s'ensuivroit  ung  refus,  et  du  refus  la  guerre  civile,  de 
laquelle  vous  sçavés  les  conséquences  et  pour  vous  et 
pour  nous.  Pour  mon  particulier ,  je  n'ai  encores  réso- 
lution de  mon  homme  ;  je  vous  prie  l'assister  en  ce  qui 
sera  besoing;  et  faire  au  reste  estât  que  n'aves  ami  au 
monde  qui  plus  vous  honore  et  révère,  et  plus  soit  à 
vostre  service.  Monsieur,  etc. 

De  Nerac  en  Gascogne ,  etc. 

XXXIII.  —  ADVERTISSEMENT  (0 

Su/'  la  réception  et  publication  du  Concile  de  Trente  ^ 
faict  soubs  la  personne  d' ung  catholique  romain. 

Du  dernier  janvier  1  583. 
Le  nonce  du  pape  faict  maintenant  nouvelle  instance 
de  la  publication  du  Concile  de  Trente.  Il  faict  bon  exa- 

(1)  Il  feiit  porté  par  M.  de  Lomenie  avec  letlres  du  dernier 
janvier.  M.  le  chancellier  de  Chevernl  requit  M.  Diiplessis  de 
lui  envoyer  ce  discours,  et  par  lui  feut  monstre  au  roy,  qui  le 


196      ADVERTISSEMENT  SUR  LA.  RECEPTION 
miner  soigneusement  s'il  est  utile  et  à  propos  de  la 
lui  accorder  ou  non. 

C'est  ung  grand  préjugé  à  tous,  contre  ce  Concile, 
que  la  pluspart  des  grands  estais  de  la  chrestienté  ne 
l'ont  encores  receu,ni  veulent  recevoir;  et  que  le  roy 
d'Espaigïie  inesmes  qui  s'en  est  voulu  servir  pour  asser- 
vir ses  subjects ,  et  qui  par  tous  moyens  tasche  de  mé- 
riter le  titre  de  fds  aisné  de  l'Eglise,  après  avoir  long- 
temps tergiversé,  ne  l'a  enfin  receu  qu'avec  plusieurs 
grandes  exceptions,  et  autant  seulement  qu'd  sert  ù 
eslahlir  son  auctorité  el  puissance. 

Mais  ce  nous  est  particulièrement  à  nous  François , 
non  tant  en  préjugé ,  qu'ung  jugement  formé  ,  que  le  roy 
Henri  II,  père  de  nos  roys  d'heureuse  mémoire,  feit  dé- 
clarer l'an  i55i  à  l'entrée  de  ce  Concile  ,  par  ses  ambas- 
sadeurs, à  tous  les  princes  de  la  chrestienté,  qu'il  tenoit 
ledict  Concile  de  Trente  pour  nul  ;  et  comme  tel  n'y 
voulut  envoyer  ambassadeurs,  ains  défendit  mesmes 
aulx  evesques  de  son  obéissance  de  s'y  trouver,  comme 
de  faict  ils  n'y  comparurent  poinct. 

Que  pareillement  le  feu  roy  Charles  IX,  en  l'an  1 56o, 
que  ledict  Concile  feut  renoué  à  Trente,  y  ayant  envoyé 
ses  ambassadeurs  les  sieurs  de  Lansac,  du  Ferrier  et  du 
Faur  (1),  feurent  contraints  par  la  mauvaise  procédure 
qu'ils  y  veirent,  après  deues  protestations,  se  départir 
et  retirer  de  l'assemblée,  en  laquelle  on  sçait  qu'ils 
avoient  charge  de  remonstrer  les  justes  causes  qui 
avoient  meu  le  roy  Henri  son  père  d'interjetter  nullités 
contre  ledict  Concile. 


meil  es  mains  de  M.  d'Epesses  ,  son  advocat  gênerai.  Feut  im- 
primé à  Paris. 

(i)  C'estoit  M.  de  Pibrac. 


DU  CONCILE  DE  TRENTE.  197 

Item ,  que  tout  le  temps  qui  s'est  passé  depuis , 
comme  ainsi  soit  que  le  pape  ait  requis  et  pressé  par 
plusieurs  fois  la  publication  dudict  Concile  en  France, 
se  servant  à  ceste  fin  des  occasions  qui  la  sembloient 
favoriser,  il  ne  l'a  jamais  peu  obtenir,  ains  en  a  tous- 
jours  esté  vivement  débouté  par  messieurs  de  la  cour 
de  parlement,  nonobstant  les  troubles  pour  la  relligion, 
et  les  animosités  qui  en  estoient  ensuivies,  et  les  ex- 
trêmes rigueurs  et  excès  du  mois  d'aoust  1572,  qui 
sembloient  avoir  ouvert  ou  la  porte  ,  ou  la  fenestre  au 
susdict  Concile.  Or,  ces  refus  sont  autant  d'arrests  de 
cour  de  parlement  donnés,  parties  ouïes,  avec  deue 
cognoissance  de  cause,  et  au  temps  que  l'affection  des 
juges,  si  aulcune  y  en  eust  eu,  eust  plustot  encline  en 
faveur  de  la  publication  qu'aultrement.  Et  pourtant, 
le  pape  debvroitestre justement  rebuté  de  la  poursuite; 
nous,  totalement  résolus  pour  l'honneur  de  nos  roys, 
et  l'auctorité  de  leurs  cours  souveraines,  de  l'en  dé- 
bouter. 

Le  roy  Henri  second,  oultre  plusieurs  causes  de  nul- 
lité contre  ce  Concile,  qui  lui  feurent  communes  avec 
la  pluspart  de  la  chrestienté ,  eut  ceste  particulière;  au 
commencement  dudict  Concile  il  y  avoit  envoyé  le  pré- 
sident de  Ligueriz,  pour  en  cognoistre  la  procédure. 
Le  pape,  d'entrée  de  jeu  ,  lui  faict  présenter  ung  grand 
cahier  des  usurpations  qu'il  pretendoit  que  le  roy  et  ses 
prédécesseurs  avoient  faictes  contre  le  siège  romain, 
appellant  usurpations  les  droicts  de  regale  de  nos  roys, 
les  privilèges  immémoriaux  de  l'Eglise  gallicane,  et  la 
pragmatique  sanction,  accordée  entre  nos  roys  et  les 
papes,  et  homologuée  par  les  Conciles  precedens,  aux- 
quelles il  desiroit  estre  par  iceulx  renoncé  expressé- 
ment, Ledict  président,  voyant  le  grand  préjudice  qu'on 


198  ADVERTISSEMENT  SUR  LA  RECEPTION 
voulloit  faire  au  roy  et  au  royaume,  en  protesta  et 
s'en  revint  en  France.  Or,  nonobstant  ces  protestations, 
en  la  continuation  du  Concile  on  a  décidé  de  la  plus- 
part  desdicts  articles  au  préjudice  des  susdicts  droicts 
et  privilèges,  sans  en  traicter  avec  nos  roys,  et  ouïr 
leurs  raisons,  comme  si  nos  roys  et  royaume  estoient 
subjects  au  pape,  veu  qu'il  s'est,  en  ce  Concile,  déclaré 
supérieur  de  tous  Conciles, 

Consequemment  le  roy  Charles  IX  ayant  envoyé  l'an 
j56i  ,  lorsque  le  Concile  feut  remis  sus,  pour  débattre 
ses  dicts  droicts,  y  receutune  noAivelle  offense,  qui  lui 
fournit  une  juste  et  nouvelle  cause  de  nullité.  Car  le 
pape,  pour  en  chasser  subtilement  ses  ambassadeurs, 
aulx  raisons  desquels  il  eust  esté  trop  malaisé  de  con- 
tredire, voulleut  égaler  le  roy  d'Espaigne  à  nostre  roy, 
et  mettre  en  doubte  la  préséance,  de  laquelle  de  long 
temps  il  est  en  possession;  et  de  ceste  ouverture  le  roy 
d'Espaigne  s'est  depuis  voulleu  prévaloir  en  aultres 
lieux  contre  la  dignité  de  ceste  couronne  et  de  nos  roys. 
Ainsi,  approuver  ce  Concile,  est  mettre  en  différend 
l'honneur  de  ce  royaume.  Et  ne  faict  rien  de  dire  que 
ce  faicl  ait  dépuis  esté  vidé  h  Rome  ;  car,  oui  Ire  ce  que 
la  plaie  en  est  demeurée  en  la  cour  de  l'empereur,  et  la 
cicatrice  en  celle  du  grand  Seigneur  et  ailleurs,  qu'es- 
toit  il  besoingde  mettre  en  compromis  la  prérogative  im- 
mémoriale de  nos  roys? 

Quant  à  messieurs  de  la  court  de  parlement  de  Pans , 
auxquels  appartient  de  regarder  de  près.  Ne  qitid  de- 
trinienlL  resp.  capiat y  ils  ont,  oultre  les  susdicts,  pro- 
posé contre  ce  Concile  plusieurs  grands  griefs,  et  re- 
marqué des  poincts,  des  ceste  heure  dangereux,  et  à 
l'avenir  de  plus  dangereuse  conséquence,  tant  pour  le 
corps  de  Testât,  que  pour  chacune  de  ses  parties,  et 


DU  CONCILE  DE  TRENTE.  199 

tant  pour  l'auctorité  du  roy ,  que  pour  l'utilité  de  ses 
subjects,  pour  cause  desquels  ils  se  sont  opposés  ver- 
tueusement, nonobstant  les  artifices  des  plus  grands,  à 
la  publication  et  approbation  d'icelui  Concile. 

Mesdicts  sieurs  donc  ont  remémoré  que,  pendant  que 
les  privilèges  et  libertés  de  l'Eglise  gallicane  cstoient  en 
vigueur,  elle  se  portoit  trop  mieux  que  depuis,  quand 
nous  nous  sommes  lascbés  aulx  pratiques  et  cbicane- 
ries  de  court  de  Rome.  C'est  pourquoi  ils  n'ont  peu  ap- 
prouver ce  Concile  qui  les  improuvoit,  ni  casser  et 
annuller  avec  lui  ce  qui  au  contraire  mérite  d'estre  res- 
titué et  restabli  en  sa  première  auctorité  et  splendeur. 

Alors  les  deux  jurisdictions,  spirituelle  et  temporelle, 
fraternisoient  en  ce  royaume  ensemble,  et  tenoient  la 
main  l'une  h  l'aultre  soubs  l'auctorité  d'ung  souverain. 
Tous  les  ans  le  roy  deputoit  en  cbaque  province  ung 
prélat  et  ung  comte,  qui  assembloient  les  |)relats,  ba- 
rons et  officiers  de  la  province  pour  s'informer  avec 
eulx  de  Testât  de  l'une  et  l'aultre.  Le  rapport  s'en  faisoit 
au  roy  chacung  an  en  une  assemblée  générale ,  où  il 
estoit  assisté  de  ses  princes  et  conseil.  En  icelle  se  fai- 
soient  institutions  et  destitutions,  suspensions  et  con- 
damnations d'evesques,  abbés,  etc. ,  si  besoing  estoit.  En 
icelle  s'ordonnoient  les  loix  nécessaires  pour  maintenir 
la  discipline,  et  repurger  les  abus  de  l'Eglise.  Geste 
assemblée  ,  en  ce  qui  concernoit  le  temporel ,  tenoit  lieu 
d'estats;  en  ce  qui  toucboit  le  spirituel,  de  Concile; 
parce  qu'elle  estoit  comme  ung  abrégé  et  de  Testât  po- 
litique et  de  TEglise  gallicane  ensemble. 

Avenant  qu'ung  evesché  on  prelature  vaquast,  y 
estoit  pourveu,  suivant  les  saincts  Conciles  ,  par  l'élec- 
tion du  clergé  et  approbation  du  peuple;  et  neant- 
moins,  pour  monstrer  tousjours  que  leur  juridiction 


200  ADVERTISSEMENT  SUR  LA  RECEPTION 
spirituelle  ne  les  exemptoit  poinct  de  la  subjection  sé- 
culière, le  peuple  deniandoit  au  roy  congé  d'élire,  et 
Tesieu  lui  frsisoit  exprès  serinent  et  hommage;  et,  avant 
icelui  faict,  ne  pouvoit  estre  consacré  par  le  métropoli- 
tain, ni  par  le  pape  mesmes. 

Cest  ordre  nous  produisoit  de  bons,  doctes  et  cha- 
ritables evesques,  et  ung  bon,  dévot  et  innocent  peu- 
ple. Dieu  estoit  mieux  servi,  le  roi  unanimement  obéi, 
le  royaume  pareillement  en  repos  et  en  paix.  Ne  lais- 
soit  cependant  le  pape  d'avoir  sa  voix  d'admonition 
envers  nostre  Eglise  gallicane,  laquelle  estoit  escoutee, 
révérée  et  ensuivie  selon  les  décrets  des  pères,  en  tant 
qu'elle  tendoit  à  l'édification  et  non  à  la  destruction 
de  l'Eglise. 

Au  contraire,  depuis  que  le  temps,  qui  corrompt 
toutes  choses,  et  les  monopoles  et  collusions  de  quel- 
ques grands ,  eurent  introduit  petit  à  petit  en  ce 
royaume  la  puissance  souveraine  et  absolue  du  pape, 
ont  remarqué  mesdicts  sieurs  de  la  court,  que  con- 
traires effets  s'en  seroient  ensuivis,  au  grand  dommage 
et  de  Testât  et  de  l'Eglise  de  ce  royaume.  Ces  deux  ju- 
risdictions,  qui souloient  fraterniser,  ont  commencé  à  se 
supplanter  l'une  et  l'aultre;  l'une  se  tenant  au  souve- 
rain de  Testât,  Taultre  s'en  émancipant  entant  qu'elle 
a  peu ,  pour  ne  dépendre  que  du  pape  ,  seul  prétendu 
souverain  des  ecclésiastiques;  car  le  pape  a  exempté 
les  ecclésiastiques  de  la  jurisdiction  séculière,  c'est  à 
dire  les  a  soustraits  de  la  subjection  du  roy,  pour  les 
tirer  en  la  sienne;  ce  qu'il  continue,  et  confirme  par 
tout  en  ce  Concile,  et  s'est  constitué  seul  juge  des 
evesques  et  prélats,  quelque  crime  ou  delict  qu'ils  eus- 
sent commis  en  leur  charge,  ou  aultrement;  privati- 
vement  à  tous  aultres,  et  s'en  est  attribué  l'institution , 


DU  CONCILE  DE  TRENTE.  201 

destitution,  suspension,  condamnation  ,  etc. ,  et  iceulx 
evesques  a  faict  juges  des  prestres,  comme  délégué  de 
son  siège,  dont  sont  ensuivies  les  appellations  en  court 
de  Rome,  les  réservations,  expectatives,  préventions, 
bulles,  annates,  dispenses,  indulgences,  et  aultres 
moyens  de  tirer  les  deniers  de  France,  et  presque  la 
France  mesmes  à  Rome;  mesmes  s'est  faict  arbitre,  et 
séquestre  des  povres  consciences,  et  de  leur  salut. 
Or,  par  là  est  entrée  la  simonie,  et  par  la  simonie  Tigno- 
rance  et  la  corruption  en  l'Eglise.  Par  là  aussi,  plu- 
sieurs abus,  pour  lesquels  toute  la  chrestienté  sou- 
pire, et  à  cause  des  abus ,  les  dissensions,  divisions  et 
schismes  ,  et  par  conséquent  les  troubles,  les  séditions 
et  les  guerres  civiles.  Ainsi  ont  esté  énervées  et  esbran- 
lees  par  ceste  déréglée  auctorité  du  pape  la  pieté  et  la 
justice,  vraies  colomnes  de  tout  estât  bien  ordonné. 

S'en  est  ensuivie  aussi  une  division  et  perturbation 
en  Testât,  paravant  solide  et  tranquille;  car  le  pape, 
non  content  de  ceste  usurpation  sur  la  jurisdiction  spi- 
rituelle, par  laquelle  il  a  establi  ung  aultre  royaume  au 
milieu  de  nostre  royaume,  sans  ce  qu'on  y  a  tenu  de 
long  temps  la  main,  enjamboit  bien  avant  sur  la  sécu- 
lière. Les  papes  pied  à  pied  s'enhardissoient  de  faire 
collectes  ,  et  levées  de  deniers  en  France  sur  les  ecclé- 
siastiques, comme  sur  leurs  propres  subjects,  et  au 
contraire  empeschoient  nos  roys  d'en  faire  sur  iceulx 
pour  la  conservation  de  leur  estât ,  comme  s'ils  n'eus- 
sent plus  esté  subjects  à  leur  puissance  ;  et  comme  nos 
roys  vouloient  maintenir  leur  auctorité,  osoient  bien 
dire,  comme  Boniface  VIII  au  roi  Philippes  le  Bel,  par 
bulle  expresse,  que  nos  roys  leur  estoient  subjects,  tant 
en  temporel  qu'en  spirituel  (comme  ainsi  soit  que  an- 
ciennement les  papes  feussent  cixés  par  le  consentement 


202       ADVERTISSEMENT  SUR  LA  RECEPTION 

des  empereurs  et  de  nos  roys)  et  qu'ils  n'avoient  aul- 
cune  collation  de  regales  jusques  à  condamner  d'here- 
sie  ceuk  qni  aultrement  en  croiroient.  Et  est  aisé  à  vé- 
rifier que  les  usures  des  Juifs  ,  pour  lesquelles  ils  feurent 
bannis  de  France  ,  n'apportèrent  oncq  au  peuple  la  cen- 
tième partie  du  dommage  qu'ont  faict  les  exactions  et 
cliiquaneries  de  court  de  Rome.  Or  c'a  esté  une  euerre 
perpétuelle  entre  nos  roys  Philippes  Auguste ,  Philippes 
le  Bel,  sainct  Louis,  Charles  V,  VJ ,  VII,  Louis  XI  et 
XII ,  etc.,  et  les  papes  ;  en  laquelle  ils  eussent  pieça  suc- 
combé s  ils  eussent  approuvé  de  leur  temps  ce  que 
requiert  à  présent  le  Concile  de  Trente.  Et  pour  telles 
usurpations  reprimer,  sont  entrevenus  plusieurs  ordon- 
nances des  estais  de  France,  arrests  de  parlemens  et 
décrets  des  Conciles  de  l'Eglise  gallicane  en  divers 
temps.  ^ 

Mesmes,  la  chose  est  passée  si  avant  que  les  papes, 
pour  s'en  faire  croire,  ont  souvent  jette  des  censures, 
çxcommunicalionsetinterdicts  contre  nos  roys,  et  leur 
royaume  j  abusans  des  peines  et  menaces  spirituelles, 
pour  usurper  les  temporelles,  comme  encores  ils  en 
usent  en  ce  Concile  en  choses  de  pareille  nature;  mais 
alors,  par  le  Concile  de  l'Eglise  gallicane,  et  par  l'auc- 
torité  de  la  court ,  leurs  bulles  ont  esté  biffées ,  lacérées , 
et  bruslees  en  parlement  en  présence  du  roy,  et  en 
pleine  place,  et  les  porteurs  d'icelles  condamnés  à  faire 
amende  honorable;  pareillement  aussi  ont  jugé  les  as- 
semblées de  TEglise  gallicane  et  universités  de  France, 
que  tels  excommunimens  et  interdicts  estoient  nuls  et 
tyranniques,  et  qu'on  se  pouvoit  distraire  et  soubs- 
traire,  mesmes  es  choses  spirituelles,  de  l'obéissance 
de  tels  papes  usurpateurs  et  malversans. 

Quand  je  Concile  de  Trente  sera  receu,  tous  les 


DU  CONCILE  DE  TRENTE.  2o3 

abus  susdicts  seront  pareillement  receus  et  auctorisés. 
Qui  plus  est,  les  remèdes  nous  en  seront  ostés  et  arra- 
chés ,  d'autant  que  par  icelui  le  pape  s'est  déclaré  supé- 
rieur du  Concile  universel,  à  plus  forte  raison  du  na- 
tional; et  par  ainsi  nous  ne  pourrons  plus  appeler  de 
lui  au  Concile,  et  moins  reformer  ses  arrests  es  assem- 
blées de  nostre  Eglise  gallicane,  comme  aultrefois.  Et 
quand  par  quelque  passion  il  nous  excommuniera, 
comme  ils  sont  coustumiers  de  publier  leurs  censures 
pour  choses  nuement  politiques,  ou  à  leur  advantage, 
comme  encores  ils  en  usent  en  ce  Concile  ,  nostre  Eglise 
gallicane  aura  les  mains  liées,  et  ne  nous  pourra  ab- 
souldre. 

Bref,  nous  deviendrons  petit  à  petit  subjects  du  pape , 
qui  aura  un  plus  fort  parti  eh  France  que  le  roy  mesmes , 
par  le  moyen  des  ecclésiastiques  et  de  leurs  grands 
biens,  et  y  donnera  créance  et  auctorité  à  qui  bon  lui 
semblera,  comme  il  a  faict  aultrefois  es  mutations  ave- 
nues à  ceste  couronne;  et  pour  lier  le  peuple  par  la 
conscience,  qui  n'a  rien  de  plus  tendre  et  de  plus  cher, 
le  privera  du  service  divin,  jusques  à  ce  qu'il  ait  pris 
tel  parti  qu'il  vouldra. 

Tels  inconveniens  contre  le  corps  de  Testât  s'ensui- 
vent de  la  réception  du  Concile,  pour  lesquels  il  a  esté 
jusques  ici  rebouté  par  messieurs  de  la  court.  Au  con- 
traire sont  coupés  par  l'ordre  ancien  de  l'Eglise  galli- 
cane, et  par  les  ordonnances  des  estats  d'Orléans  qui 
ont  tasclié  h  le  remettre  sus. 

Ce  Concile  aussi ,  et  par  effect  et  par  parole,  a  décidé, 
au  profit  du  pape,  ceste  fameuse  question  :  si  le  pape 
est  dessus  ou  dessous  le  Concile;  premièrement,  en  ce 
que  le  siège  ayant  vaqué  pendant  le  Concile,  les  cardi- 
naux, comme  représentant  le  siège  papal,  ont  pourveu 


2o4  ADVERTISSEMENT  SUR  LA  RECEPTION 
à  nouvelle  élection  à  Rome  ;  comme  ainsi  soit  que  les 
meilleurs  docteurs  déclarent,  en  ce  cas,  icelle  appar- 
tenir au  Concile.  Secondement,  en  ce  qu'il  a  jugé  né- 
cessaire que  le  Concile  feust  confirmé  par  le  pape,  comme 
supérieur  d'icelui,  c'est  à  dire  quaultrement  il  eust 
esté  invalide.  Question  à  laquelle  ce  royaume  a  inte- 
rest,  et  pour  lEglise,  et  pour  Testât  mesmes. 

Pour  l'Eglise  ;  car  les  fameuses  universités  de  France , 
et  messieurs  de  la  Sorbone  mesmes,  ont  lousjours  dé- 
terminé le  contraire,  et  les  conciles  généraux  de  Con- 
stance  et  de  Basic  pareillement;  lesquels,  par  iceulx,ont 
esté  approuvés  ,  et  maintenant  seroient  condamnés  tout 
à  plat.  Et  par  là  donnons  cause  gaignee  à  nos  adver- 
saires, prétendant  que  l'Eglise  peult  errer,  et  es  choses 
de  plus  grande  importance,  veu  que,  de  deux  proposi- 
tions contraires,  l'une  est  tousjours  fausse.  Joint  qu'il 
est  trop  plus  certain  de  commettre  l'Eglise  à  une  assem- 
blée universelle  d'icelle,  qu'à  ung  membre  seul,  lequel, 
quelque  eminent  qu'il  soit,  est  bien  souvent  non  moins 
pourri  et  corrompu  que  les  moindres. 

Pour  Testât  ;  car,  par  ce  moyen  ,  nous  blasmons  et 
condamnons  la  mémoire  de  nos  anciens  rois,  qui  ont 
appelé  (par  advis  de  leurs  estais  et  conseil)  du  pape  au 
Concile  universel,  et,  en  default  d  icelui,  à  leur  national 
mesmes;  et  révoquons  infinis  arrests  de  la  court  de  par- 
lement, donnés  solemnellement  contre  le  pape  en  ceste 
cause.  Qui  plus  est,  approuvons  plusieurs  décisions  du 
pape,  esquelles  il  nous  avoit  condamnés,  de  sa  pure 
auctorité,  es  differcns  que  ceste  couronne  a  eus  avec 
les  princes  voisins,  nommément  avec  les  Anglois,  et 
faisons  une  ouverture  de  longue  et  dangereuse  consé- 
quence pour  la  postérité  de  nos  roys,  qui  seront  sub- 
jects  à  passer  par  l'arbitrage  du  pape,  et  à  le  tenir 


DU  CONCILE  DE  TRENTE.  2o5 

pour  arrest  ;  et  qui,  comme  les  histoires  tesmoignent, 
est  subject ,  de  son  costé,  à  prendre  parti ,  ores  avec  ung 
prince,  ores  avec  ung  aultre;  et  accommoder  ses  ar- 
rests,  comme  Apollo  ses  oracles,  à  celui  qui  a  plus 
de  pouvoir  de  lui  bien  faire. 

Est  aussi  ce  Concile  directement  contraire  au  repos 
et  tranquillité  de  ce  royaume,  c'est  à  dire  à  son  bien 
et  salut,  qui  aujourd'hui  ne  dépend  de  rien  plus  que 
de  la  paix;  car  il  n'y  a  celui  qui  ne  voie  que  la  moindre 
rencheute  de  guerres  civiles  lui  sera  mortelle,  et  qui 
n'aie  peu  cognoistre,  en  l'eschole  des  années  passées, 
que  la  paix  n'y  peult  subsister  sans  l'exercice  des  deux 
relligions ,  desquelles  l'une  est  condamnée,  anatbema- 
tisee,  et  en  tant  qu'en  lui  est  interdicte  par  ce  Concile,  à 
l'exécution  duquel,  s'd  est  une  fois  approuvé ,  on  in- 
voquera et  exhortera  le  bras  séculier  ,  c'est  à  dire  l'auc- 
torité  et  force  du  roy. 

Qui  plus  est,  par  nos  edicts  de  pacification,  l'exer- 
cice tles  deux  relligions  est  permis  jusques  h  ce  que  Dieu 
ait  faict  la  grâce  à  nos  roys  de  les  reunir  par  ung  libre 
et  légitime  Concile  ;  lequel  article  est  violé  par  la  récep- 
tion du  Concile  de  Trente,  qui  décide  ce  qui  est  en  con- 
troverse, et  préjuge  le  prétendu  futur  Concile,  et  rend 
le  pape  non  seulement  juge  en  sa  propre  cause,  mais 
au  dessus  de  tout  Concile.  De  là  donc  adviendra  ,  ou  , 
unç  persécution  contre  larelligion  prétendue  reformée, 
de  laquelle,  certes,  ni  les  temps ,  ni  les  humeurs  de  la 
relligion  contraire,  ne  sont  plus  capables  ;  ou  véritable- 
ment une  guerre  civile,  sans  espoir  de  ressource.  Et 
quand  je  dis  guerre,  je  pense  comprendre  toutes  sortes 
de  maux  ,  et  pour  le  publicque  de  i'estat,  et  pour  le  par- 
ticulier d'ung:  chacune. 

Encores  ne  semble  il  pas  que  le  mal  s'arreste  entre 


2o6  ADVERTISSEMENT  SUR  LA  RECEPTION 
ces  bornes.  Le  nerf  de  la  loi,  c'est  la  peine.  Aulx  opi- 
nions donc  contraires  aulx  décrets  du  Concile,  sera  ad- 
joustee  peine  corporelle  par  l'auctorité  du  magistrat; 
et  pour  néant  est  ordonnée  et  la  loi  et  la  peine,  s'il  n'y 
a  recherche  ex  q/jîcio  ou  délation.  De  là  donc  s'ensuit, 
par  une  conséquence  nécessaire,  une  inquisition,  de 
quelque  nom  qu'on  la  pallie,  c'est  à  dire  un  expédient 
pour  faire  le  procès  aux  plus  innocentes  personnes  de 
ce  royaume,  selon  qu'on  en  a  usé  en  Espaigne,  Naples, 
Sicile ,  Pays  Bas  et  ailleurs ,  où  plusieurs ,  que  nous  eus- 
sions estimé  1res  bons  catholiques,  ont  esté  censés  héré- 
tiques et  crimineux  de  lèse  majesté  divine  et  humaine, 
estant  en  la  discrétion  de  messieurs  les  inquisiteurs, 
d'estendre  le  poinct  d'heresie  si  avant  que  bon  leur 
semble. 

Que  si  es  susdicts  pays  ladicte  inquisition,  corollaire 
tout  évident  du  Concile,  a  esté  intolérable,  beaucoup 
plus  le  sera  elle  en  France;  je  dis  au  regard  des  ca- 
tholiques mesmes.  Car,  je  vous  prye,  combien  y  a  il 
des  callioliques  d'aujourd'hui  qui  eussent  esté  bruslés 
il  y  a  trente  ans?  Et  combien  s'en  trouvera  il  qui  soient 
onini  exceplione  majores ,  c'est  à  dire  à  toute  épreuve, 
veu  que  tous  unanimement  recognoissent  infinis  abus  en 
l'Eglise,  et  souspirent  après  la  reformation  d'iceulx?  et 
la  pluspart  tiennent,  ou  pour  doubteux  ou  pour  indif- 
fèrent ,  ce  que  le  Concile  commande  de  croire  à  peine 
d'anathesme.  Car  si  nous  entrons  en  nos  consciences , 
combien  y  en  a  il  qui  se  fassent  brusler  pour  le  pur- 
gatoire, pour  l'invocation  des  saincts,  pour  le  sacre- 
ment soubs  une  espèce,  pour  la  Feste  Dieu ,  pour  la  dé- 
fense des  images,  pour  un  million  de  cérémonies?  Et 
combien  moins  encores,  pour  la  primauté  du  pape  ou 
pour  ses  indulgences,   qui   toulesfois  sont  passés  ejx 


DU  CONCILE  DE  TRENTE.  207 

articles  de  foi  necessairesàsalut,  parle  ConciledeTrente, 
puisqu'à  faulte  de  croire  on  tombe  en  Tanatlieme  ? 
Ainsi  adviendrait  il  de  l'inquisition  comme  du  gouver- 
nement des  trente  tyrans  en  Athènes.  Au  commence- 
ment ils  feirent  mourir  les  coulpables,  et  on  le  trou  voit 
bon  ;  à  peu  de  jours  de  là  ils  se  jetterent  sur  les  plus 
gens  de  bien  ,  et  chacung  se  trouvoit  coulpable. 

Venons  aux  griefs  particuliers.  Encores  que  le  Con- 
cile soit  fabriqué  à  l'avantage  des  ecclésiastiques,  si  sont 
toutesfois  plusieurs  evesques  et  églises  cathédrales  frus- 
trés de  leurs  droicts,  par  lesquels  ils  peuvent,  de  loute 
ancienneté,  conférer  les  heneficea , ple/io  jure ^  en  cer- 
tain cas.  Comme  aussi  le  clergé  de  France  peult  cog- 
noistre  en  chacung  diocèse  des  faultcs  des  ecclésias- 
tiques, lesquelles,  pour  une  grande  partie,  ce  Concile 
renvoie  au  pape. 

Sont  aussi  intéressés  les  seigneurs,  gentilshom- 
mes, corps  et  communautés,  en  ce  que  leurs  titres  de 
patronage  et  fondation  sont  tirés  en  controverse  de- 
vant les  evesques,  et  partie  supprimés  et  abrogés  de 
pure  auctorité;  et  qu'il  donne  pouvoir  aulx  evesques, 
chapitre  et  clergé  de  prendre  partie  du  revenu  des  hos- 
pitaux  et  dismes  infeudees  appartenant  aux  gens  laïcs, 
qui  en  sont  patrons  et  fondateurs  mainteneus  de  temps 
immémorial  par  les  ordonnances  de  ce  royaume.  Pa- 
reillement, qu'il  les  trouble  en  la  jouissance  de  droicts 
de  patronat,  qui  dépendent  nuement  de  l'auctorité  du 
roy,  desquels  il  taille  et  coupe  à  son  plaisir;  comme 
aussi  sont  iceulx  frustrés  des  meubles  de  leurs  parens 
beneficiers  ,  auxquels,  par  ledict  Concile,  toute  dispo- 
sition en  est  ostee. 

Et,  quant  au  povre  peuple  du  tiers  estât,  chacung  sçait 
que  plus  le  cleVgé  a  d'exemptious  et  d'immunités,  et 


2o8  ADVERTISSEMENT  SUR  LA  RECEPTION 
plus  il  est  accablé  de  charges,  d'autant  que  le  fardeau, 
qui  doibt  estre  commun  ,  en  est  moins  départi,  et  re- 
tombe sur  lui;  comme  ainsi  soit  toutesfois  que  les  ec- 
clésiastiques possèdent  aujourd'hui  en  France  autant 
que  la  noblesse  et  le  tiers  estât  ensemble.  Qui  plus  est, 
s'il  est  receu ,  fault  que  le  marchand  se  délibère  de  fer- 
mer boutique,  car  les  eslrangers,  Allemans,  Anglois, 
rlamans ,  Danois,  etc.,  n'oseront  venir  en  France,  et 
c'est  une  des  causes  qui  le  feit  rejeter  par  les  estats  des 
Pays  Bas,  qui  en  prevoyoient  leur  ruyne  totale,  lors 
mesmes  qu'ils  estoient  catholiques. 

Adjouslons  plusieurs  loix  et  décisions  particulières, 
que  ne  sçaurions  recevoir  sans  déroger  aulx  nostres, 
c'est  h  dire  à  l'auctorité  de  nostre  estât,  qui  ne  prend 
loi  que  de  soi  mesme.  Car  il  approuve  le  mariage  des 
enfans  de  famille  sans  le  consentement  des  parens, 
contre  toutes  bonnes  mœurs  et  loix,  et  contre  l'ordon- 
nance de  France  publiée  es  courts  de  parlement,  et  sui- 
vie es  arrests  et  jugemens,  et  excommunie  ceulx  qui 
sentent  au  contraire,  c'est  à  dire  nos  roys  et  courts  sou- 
veraines. Item ,  condamne  les  mariages  qui  ne  sont 
célébrés  en  l'Eglise  romaine,  et  les  déclare  nuls  et  in- 
valides ,  contre  les  edicts  de  pacification  dont  Testât  d'in- 
finies notables  familles  seroit  troublé,  et  peut  estre,  par 
conséquent,  Testât  mesmes.  Item,  excommunie  ceulx  qui 
disent  que  les  causes  matrimoniales  n'appartiennent 
poinct  aux  juges  ecclésiastiques,  comme  si  ce  doubte 
estoit  ung  article  de  foi.  Item,  juge  les  dismes  estre  de 
droict  divin  ,  contre  les  opinions  de  tous  les  docteurs 
et  les  jugemens  de  nos  courts  souveraines;  et  y  a  plu- 
sieurs décrets  semblables  contraires  aux  nostres.  Bref, 
il  renouvelle  toutes  les  anciennes  constitutions  et  de- 
cretales  faictes  au  préjudice  de  nos  roys  et  loix,  les- 


DU  CONCILE  DE  TRENTE.  209 

quelles  estoient  demeurées  abrogées  par  divers  concor- 
dats entre  nos  roys  et  les  papes. 

On  ne  veult  cependant  nier  qu'il  n'y  ait  quelques  bons 
statuts  audict  concile,  desquels  l'usage  peult  estre  utile  à 
ce  royaume  ;  mais  lesquels  doibvent  nécessairement  estre 
desmelésd'aveclessusdicts,qui  portent  ung poison  avec 
eulx  contre  la  justice ,  paix  et  police  de  cest  estât ,  et  en 
font  le  corps  principal.  Et  au  reste  ne  doibvent  estre 
rcceus  qu'en  la  mesme  façon  que  nous  recevons  en  la 
court  de  parlement  de  Paris,  le  droict  civil  et  canon, 
non  pour  servir  d'auctorité,  mais  de  raison. 

On  dira,  veu  que  ce  Concile  a  esté  des  le  commen- 
cement condamné  de  nos  roys,  et  tant  de  fois  depuis 
rejette  parla  court  de  parlement,  et  en  ung  temps  qui 
sembloit  estre  tout  à  lui,  qui  peult  maintenant  avoir 
encouragé  le  pape  à  renouveler  ceste  poursuite  en  sai- 
son,  ce  semble,  moins  favorable  pour  lui?  Ici  gist  le 
nœud  de  la  matière  ,  que  tout  liomme  amateur  de  ce 
royaume,  doibt  examiner  à  bon  escient. 

Chacung  sçait  qu'il  y  a  long  temps  que  le  pape  et  le 
roy  d'Espaigne  s'entretiennent  la  main ,  et  s'entrepres- 
tent  l'espaule,  l'ung  pour  la  monarchie  spirituelle,  et 
l'aultre  pour  la  temporelle.  Que  ledict  roy  d'Espagne 
est  le  fils  bien  aimé  du  pape ,  pour  l'accroissement  du- 
quel, en  tant  qu'en  lui  est,  il  nous  desheriteroit ,  s'il 
pouvoit;  comme  réciproquement  aussi,  ledict  roy  lui 
est  comme  le  baston  de  sa  vieillesse ,  et  son  recours  et 
secours  en  tous  ses  maux  et  adversités.  Or  ,  voit  le  pape 
maintenant  que  nostre  roy  découvre  ce  monopole;  que 
la  France  revient  ung  peu  de  sa  langueur,  et  commence 
à  se  reveiller  de  ce  profond  somme  ;  pour  donc  lui  don- 
ner beau  jeu ,  il  cherche  de  nous  mettre  aulx  troubles; 


2IO       ADVERTISSEMENT  SUR  LA  RECEPTION 

et  pour  y  parvenir,  nous  envoyé  ce  Concile ,  c'est  à  dire 

la  pomme  de  discorde. 

Les  grandes  affaires  de  la  chrestienté  depuis  quelques 
siècles  se  traitent  auprès  des  papes;  les  grandes  conju- 
rations se  font  en  leurs  Conciles  ,  et  ce  Concile  particu- 
lièrement ne  feust  si  tost  ouvert,  qu'il  alluma  une  guerre 
sanglante  au  milieu  de  l'Alleniiaigne.  L'an  63  ,  le  roy 
d'Espaigne,  sçachant  bien  que  ses  estais  du  Pays  Bas,  qui 
en  avoient  gousté  l'amertume  en  Espaigne,ne  l'accep- 
teroient  jamais ,  l'y  voulleut  introduire  ;  c'estoit  parce 
que ,  sur  leur  résistance ,  il  cherchoit  occasion  d'y  in- 
troduire les  troupes  espaignoles ,  et  les  mettre  en  ser- 
vage. Aussi  n'en  eust  il  si  tost  ouvert  la  bouche,  que 
tous  ses  estats ,  bien  que  catholiques  ,  se  meirent  à  pro- 
tester ;  et,  sur  les  protestations,  il  feit  venir  le  duc  d' Albe 
en  armes ,  dont  sont  nées  les  guerres  civiles  esquelles 
il  s'agit  aujourd'hui,  ou  de  leur  ruyne ,  ou,  si  nous 
sommes  bien  conseillés ,  de  la  sienne. 

Alors  avions  nous ,  par  la  grâce  de  Dieu ,  la  paix 
en  France,  laquelle,  comme  toutes  nos  prospérités,  lui 
estoit  fort  suspecte.  Pour  la  troubler,  il  nous  fait  en- 
voyer un  nonce  avec  ce  Concile.  Et  bien  que  nostre  roy, 
son  conseil  et  sa  court,  selon  leur  sagesse  ,  en  vissent 
les  inconveniens  et  n'eussent  garde  de  le  recevoir,  si 
ne  laissèrent  ceulx  de  la  relligion  contraire  d'entrer  en 
telle  allarme  et  défiance  ,  que  tost  après  en  reprirent  les 
armes.  Dont  s'ensuivit  que  le  roy  d'Espaigne  eut  ce 
contentement  de  tyranniser  ce  povre  pays  à  loisir,  et 
de  voir  entretuer  ce  royaume  à  son  plaisir. 

Geste  guerre  dura  jusqu'en  l'an  70,  que  Dieu  nous 
donna  deux  ans  de  paix,  pendant  lesquels  nous  com- 
mencions ,  ce  sembloit ,  à  nous  deciller  les  yeulx ,  et  à 
cognoistre  que  l'Espaignol  bastissoit  pour  nous  oster  le 


DU  CONCILE  DE  TRENTE.  211 

jour;  sur  quoi  se  faisoient  plusieurs  beaux  desseings  à  la 
diminution  des  siens.  Le  pape  donc,  comme  à  ses  gages, 
envoyé  le  cardinal  Alexandrin,  son  neveu,  vers  le  roy 
d'Espaigne  ,  pour  prendre  instruction  de  lui ,  et  de  là 
le  faict  passer  en  France,  pour  presser  derechef  la  pu- 
blication du  Concile  de  Trente ,  comme  le  plus  abrégé 
moyen  de  troubler  nostre  repos ,  et  donner  temps  à  ses 
victoires.  Avec  lui  feut  conclu  et  basti  le  massacre  ,  c'est 
à  dire,  à  proprement  parler,  l'exécution  du  Concile  , 
dont  la  France  a  esté  long  temps  sans  repos,  et  sous- 
pirera  sans  doubte  à  jamais. 

Or,  pendant  ces  huict  années  de  misères,  le  pape  n'en 
a  pas  fait  grande  instance  ;  c'est  que  nous  estions  prou 
acharnés  les  ungs  contre  les  aultres  sans  cela;  et  que 
nous  ne  pouvions  rien  contre  l'Espaigne;  et,  en  somme, 
qu'il  ne  poursuit  pas  le  Concile  pour  le  Concile ,  mais 
nostre  ruyne  par  le  Concile.  Maintenant  que  Dieu  nous 
a  donné  de  respirer,  au  temps  que  moins  il  le  doibt  es- 
pérer, il  presse;  c'est  que  monseigneur  est  es  Pays  Bas, 
retardant ,  par  ses  armes,  les  trophées  d'Espaigne;  c'est 
que  la  roy  ne  veult  débattre  ses  justes  prétentions  de 
Portugal  contre  la  violence;  c'est  que  plusieurs  princes 
et  seigneurs  se  préparent  de  toutes  parts  à  venger  l'hon- 
neur de  cest  estât;  c'est  que  le  roy  d'Espaigne  mesme 
sent  en  sa  conscience  qu'il  a  attenté  par  diverses  pra- 
tiques ,  découvertes  à  sa  grande  honte  et  confusion , 
contre  l'honneur  et  le  sang  de  France.  Et  ne  peult 
se  persuader  qu'en  temps  et  lieu ,  le  roy  ne  s'en  res- 
sente. Il  a  donc  recours  à  son  remède  ordinaire;  c'est 
d'allumer  les  troubles  en  France,  et  à  ce  flambeau,  qui 
si  souvent  lui  a  réussi ,  c'est  l'entremise  du  pape  et  de 
son  nonce  qui  faict  instance  du  Concile  de  Trente;  et, 
après  le  nonce  ,  pour  traicter  la  chose  avec  plus  d'auc- 


ui-2      ADVERTISSEMENT  SUR  LA  RECEPTION,  eu, 
torité  ,  viendra  le  cardinal  Borromee,  digne  instrument 
de  ceste  négociation  ,  pour  eslre  créature  du  pape  et 
subject  du  roy  d'Espaigne  ensemble. 

Or,  la  procédure  du  nonce  a  ja  esté  telle  que  le  but 
de  son  voyaige  doibt  estre  assés  descouvert  à  toutes  per- 
sonnes de  sain  jugement  es  affaires  du  monde.  Car, 
oultre  les  aultres  présomptions,  en  ce  seul  poinct  qu'il 
a  récusé  messieurs  de  Bellievre  et  du  Ferrier,  chose 
non  paravant  ouïe  en  ce  royaume,  il  a  suffisamment 
monstre  qu'il  abhorroit,  en  ces  deux  personnes,  la  paix 
et  la  justice  de  France,  et  n'en  desiroit  que  la  confu- 
sion et  ruyne.  Et  n'y  a  doubte,  quand  ce  viendra  à  la 
court  de  parlement,  qu'il  ne  la  veuille,  si  on  le  croit, 
cribler  à  sa  fantaisie;  au  lieu  que  paravant  les  mesmes 
papes  lui  souloient  rendre  tant  de  respect,  que  de  la 
faire  juge  en  leurs  plus  importantes  causes. 

Cependant,  encoresque  ces  choses,  joinctes  aulx  pas- 
sées, fassent  assés  croire  à  ung  chacung  que  les  conseils 
et  courts  de  ce  royaume  ne  seront  moins  prudens  et 
circonspects  en  cest  endroict ,  que  les  precedens  ont 
esté,  sans  préjudice,  expériences  et  exemples;  soit  per- 
mis à  ceulx  qui  craignent  le  mal,  et  désirent  le  bien 
de  la  France,  d'avoir  remis  ces  inconveniens  devant 
leurs  yeulx  ;  et  d'autant  plus  que  nous  sommes  bien 
proches  de  la  saison  (non  sans  astuce  de  nos  ennemis  < 
que  ceulx  de  la  relligion  contraire  se  doibvent  dessaisir 
des  villes  qui  leur  sont  baillées  en  asseurance  ;  c'est 
à  dire,  de  la  saison  qu'ils  sont  et  doibvent  estre,  veu  les 
choses  passées  qui  seront  ramenteues  par  les  présentes , 
plus  proches  d'allarme ,  de  soupçon  et  défiance. 

Par  lettres  en  date  du  'èfebvricr,  le  roy  asseure  le  roy  de  Na-- 
varre  de  ne  recevoir  ce  Concile  comme  préjudiciable  a  son  estât ^ 
et  aux  libertés  de  V Eglise  gallicane  ;  mais  bien  dict  qu'il  en faict 
tirer  quelques  articles  pour  le  règlement  des  ecclésiastiques. 


LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS,  etc.  210 


XXXIV  —LETTRE  DE  M.  DUPLESSTS 

A  M.  de  Cleivant^  estant  en  courte  de  la  part  du  roj 
de  Navarre, 

Du  dernier  janvier  i583. 
Monsieur,  je  respondrai  à  vos  amples  lettres,  de 
poinct  en  poinct.  Touchant  vostre  voyaige  deçà  ,  sur  le 
doubte  que  faictes,  qui  n'est  mal  fondé,  je  ne  vous 
puis  dire  aultre  chose,  sinon  que  si  vous  pouvez  venir 
en  dedans  la  fin  du  mois  de  febvrier ,  vous  le  pouvez, 
sans  inconvénient,  pour  raisons  qui  seroient  longues  à 
déduire. 

Le  prince  de  la  Petite  Pierre  a  monstre  son  incon- 
stance; il  y  a  deux  ans  qu'il  offrit  son  service  aulx  estais; 
depuis  ung  an ,  à  S.  A.  à  laquelle  il  faisoit  des  proposi- 
tions dignes  de  sa  suffisance,  et  depuis  au  roy  d'Es- 
paigne.  Je  crois  que  c'est  ung  banqueroutier  qui  se  veult 
remettre,  en  inventant  des  partis. 

Pour  mon  particulier,  je  ne  presse  rien ,  et  me  semble 
que  Testât  que  savez  n'est  pas  mon  cas ,  en  la  façon 
qu'on  le  me  propose.  On  m'a  faict  quelque  aultre  ouver- 
ture; et  de  moi  il  ne  m*en  chault  à  quel  titre,  pourveu 
que  j'aye  moyen  de  servir.  Mais  je  n'ose  proposer  les 
reglemens  nécessaires,  pour  ne  sembler  entreprendre 
sur  aultrui  ;  ce  que  je  ferois  plus  hardiment,  si  on  en 
eust  du  tout  poinct  parlé;  si  n'y  suis  je  pas,  grâce  à 
Dieu,  du  tout  inutile. 

M.  de  Lesirnan  est  de  retour  d'hier  seulement.  De- 

o 

main  nous  partons  pour  remettre  Bazas,  selon  i'cdict , 
et  appaiser  toutes  ces  démangeaisons.  M.  le  mareschal 
de  Matignon  s'en  approchera  pour  cest  effet.  Une  îroupi^ 


2l4  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

de  cinq  cents  arquebusiers ,  soubs  certains  picoreurs 
malcontens ,  s'est  levée  en  Xaintonge ,  a  passé  la  Dor- 
dogne,  et  donné  sur  le  bord  de  la  Garonne,  sans  que 
sachions  pourquoi.  Le  prétexte  de  les  lever  a  esté  sur 
Flandres;  et  vous  voyez  comme  ils  en  tenoient  le  che- 
min. Hier  nous  feusmes  sur  le  poinct  de  monter  à  che- 
val, le  roy  de  Navarre  mesme  en  personne,  pour  les 
rompre  ;  mais  M.  de  Lesignan  l'asseura  qu'ils  rebrous- 
soient.  Nous  n'en  sçavons  le  fonds,  mais  tels  remueurs 
nous  font  grand  tort.  Favas  faict  contenance  de  n'y  par- 
ticiper. On  ne  l'a  voulleu  chasser  de  sa  maison,  ains  prié 
seulement  de  s'aller  promener  pour  trois  semaines,  en 
Bearn,  pour  oster  l'occasion  d'allarme,  l'asseurant  à  son 
contentement,  de  la  garde  de  son  bien  et  famille.  Nous 
quittons  les  nostres  bien  souvent  à  moins  ;  et  vous  sça- 
vez  que  le  public  doibt  emporter  le  particulier.  Bazas 
remis,  nous  requerrons  que  ceulx  du  Mont  de  Marsan 
fassent  leur  debvoir  envçrs  le  roy  de  Navarre,  ce  qu'ils 
n'ont  encores  faict,  et  que  plusieurs  petites  citadelles 
en  Armagnac  soient  rasées,  selon  l'edict,  car  il  est  rai- 
sonnable que  nous  ne  jouions  pas  la  partie  tous  seuls. 
Et  les  choses  ainsi   composées,   le  beau  temps   nous 
emmènera  hors  de  ces  quartiers,  et  nous  acheminera 
en  France,  selon  l'intention  du  roy,  qui  requiert  cela 
du  roy  de  Navarre  pour  le  repos  public ,  premier  qu'il 
parte. 

Je  vous  ai  respondu  de  M.  du  Ferrier;  nous  en  avons 
parlé  au  roy  de  Navarre ,  selon  son  mérite  ;  il  le  desire- 
roit  auprès  de  lui;  mais  je  crains  qu'il  ne  s'y  veuille  re- 
souldrc,  à  cause  des  assignations  qu'il  poursuit  en  court. 
Il  sera  bon  de  l'en  faire  sonder,  et  alors  on  aviseroit 
à  ce  qui  se  pourroit  pour  lui,  ou  plus  tost  pour  nous. 
Mais  pensez  derechef  aux.  considérations  que  je  vous 


A  M.  DE  CLERVANT.  2l5 

ai  mises  en  avant.  M.  de  Pibrac ,  à  mon  advis ,  ne  pourra 
embrasser  tout  à  la  fois.  Je  ne  vois  rien  plus  propre 
que  de  le  mettre  en  son  lieu  pour  les  affaires  de  Paris. 

C'est  une  chose  pernicieuse  que  ceste  mauvaise  in- 
telligence entre  monseigneur  et  M.  le  prince  d'Orange. 
Mais  il  est  dangereux  de  s'y  entremettre,  car  c'est 
comme  entre  mari  et  femme;  encores  qu'on apperçoive 
les  riottes  ,  il  ne  fault  faire  semblant  de  les  voir  ;  et  ne 
sçais  s'il  seroit  trouvé  bon  de  nous.  J'estime,  si  cela 
a  à  se  faire,  qu'il  fauldra  que  celui  ^ui  sera  envoyé,  ait 
quelque  aultre  charge,  et  fasse  celle  là  comme  par  oc. 
casion  ,  selon  la  créance  qu'il  aura  envers  l'ung  et  l'aul- 
tre,  feignant  ne  l'avoir  apperçue  que  sur  les  lieux,  et 
ne  l'avoir  peu  celer  pour  son  debvoiret  la  conséquence. 
Le  prétexte  seroit  beau  sur  la  continuation  de  nos  em- 
barquemens  et  entreprises.  Nul  n'y  sera  plus  propre 
que  vous;  et  en  a  esté  parlé,  mais  non  encores  à  fonds 
de  cuve.  Je  crains  pareilles  difficultés  pour  la  royne 
d'Angleterre,  et  plus  grandes, car  je  crains  qu'on  n'a- 
grandist  la  plaie. 

M.  de  Guitry  est  aulx  eaux.  Il  est  fort  bien  veu  du 
roy  de  Navarre,  et  s'en  retournera  content,  mais  je 
crois  qu'il  veult  penser  à  son  mesnage.  Il  seroit  fort  bien 
auprès  de  ce  prince.  M.  de  Mouy  y  est  maintenant, 
que  je  désire  ,  fort  arresté  en  ceste  court, 

A  la  depesche  d'Allemaigne  n'a  esté  ni  ne  sera  rien 
respondu  que  ne  soyez  ici.  Voilà  comme  il  fault  demesler 
le  poison  d'avec  la  viande,  et  l'intempérance  des  servi- 
teurs d'avec  le  bon  naturel  des  maistres. 

J'estime  que  le  mariaige  qu'on  poursuit  en  Escosse , 
du  roy  avec  la  fille  de  Lorraine ,  mettra  les  Anglois 
en  aliarme,  et  les  fera  penser  à  en  conseiller  quelque 
aultre  qui  leur  soit  moins  suspect.  Nos  amis  s'en  sou- 


•2l6  LETTRE  JJE  M.  DUPLESSIS 

viendront  sur  ceste  occasion ,  et  le  leur  fauldra  aussi 
ramentevoir.  Car,  de  Savoie,  je  pense  qu'on  ne  s'y  doibt 
attendre,  veu  que  le  duc  le  remet  à  la  faveur  du  roy, 
qui  ne  nous  en  départ  pas  beaucoup  en  cest  endroict. 
On  nous  a  parlé  aussi  d'ailleurs  de  celui  du  marquis  de 
Pont,  S'il  se  voulloit  faire  de  la  relligion ,  ainsi  qu'on 
nous  propose ,  il  seroit  beau  et  avantageux.  Le  poinct 
est  que  la  recherche  ne  doibt  procéder  du  costé  des 
filles.  Geste  altération  d'Allemaigne  est  de  grande  itn- 
poxtance;  si  crois  je  qu'en  une  nation  qui  faict  tout 
gravement,  elle  n'esclatera  pas  si  tost.  Il  est  bon  que 
vous  en  pénétriez  le  fonds  pour  le  service  du  roy  de 
Navarre;  la  France  ne  s'en  portera  pis,  car  on  est 
ordinairement  pacifié  par  les  guerres  circonvoisines. 
L'Allemaigne  mesme  en  amendera,  car  elle  s'en  alloit 
endormir;  et  le  mariaige  des  ecclésiastiques  ,  s'il  y  est 
bien  conduict ,  achèvera  d'y  ruyner  l'Eghse  romaine. 
Quant  à  l'élection  d'ung  roy  des  Romains ,  je  n'y  trouve 
qu'une  difficulté ,  en  ce  que  la  Hongrie  est  le  boule- 
vart  de  l'Allemaigne,  laquelle  appartient  a  la  maison 
d'Austriche,  et  que  comment  qu'il  en  soit,  il  fault  que 
i  Allemaigne  l'entretienne  à  ses  despens.  Je  doubtc  que 
l'électeur  de  Saxe  ne  vouldra  estre  roy  des  Romains , 
car  il  n'est  prince  ambitieux  d'une  charge  litigieuse  et 
de  grands  frais;  et  d'aultre  part,  à  peine  donnera  il  sa 
voix  à  une  aultre.  Il  importe  beaucoup  de  sçavoir  s'il 
est  de  là  partie,  et  quel  jeu  il  y  joue.  En  ces  difficultés 
et  jalousies,  l'Allemaigne  a  eleuaultresfois  ung  comte  de 
Hollande ,  ung  roy  d'Angleterre ,  ung  roy  de  Castille.  Le 
roy  de  Navarre  leur  seroit  plus  propre,  moins  suspect 
qu'aulcun ,  n'ayant  moyen  de  leur  mal  faire,  et  estant 
plein  de  valeur  et  de  bonne  volonté  pour  les  bien 
servir.  Je  n'ignore  les  difficullés  et  presque  impossible 


A  M.  DE  CLERVANT.  21; 

lites  qui  s'y  rencontrent;  mais  quelles  estoient  elles  en 
l'élection  de  Pologne?  Ce  n'est  pas  peu  à  qui  veult 
ruyner  et  arracher  la  grandeur  d'Austriche,  de  lui  mettre 
en  teste  ung  prince  de  valeur,  et  de  la  maison  de  France  ; 
et  irréconciliable  ennemi  de  ceulx  d'Austriche. 

Le  procès  de  l'archidiacre  de  Thoul  ira  bien  loin, 
si  on  ne  Testeint,  car  c'est  ung  estrange  livre.  Je  ne 
sçais  qu'aura  faict  M.  de  Chassincourt,  de  ce  que  je  lui 
envoyai  partant  de  chez  moi.  Je  vous  prye  me  mander 
ce  qui  en  réussira  ,  car  je  crains  enfin  d'y  estre  em- 
brouillé pour  l'advertissement  que  j'en  donnai  au  roy. 
Je  vous  prye  aussi  sonder  si  ceulx  qui  y  sont  intéressés 
n'en  ont  rien  descouvert.     ' 

On  nous  dit  que  M.  de  Beauvais  arrive  demain  ici. 
Nous  les  orrons  parler,  et  verrons  quel  moyen  d'ap- 
pointement;  ce  sont  toutesfois  choses  entamées  avant 
ma  venue,  dont  je  me  mesle  mal  volontiers. 

Nous  avons  ici  entendu  que  le  nonce  du  pape  pres- 
soit  la  publication  du  Concile  de  Trente;  ceseroitTabo- 
lilionde  la  paix.  J'envoye  ung  advertissement  que  j'en  ai 
fait  à  la  catholique  ,  qu'il  sera  bon  de  faire  courre.  Vous 
en  adviserés  ensemble,  s'il  vous  plaist:  pour  lui  donner 
goiist,  il  importe  de  celer  d'oii  il  vient. 

C'est  ce  que  je  sçache,  sinon  vous  baiser  bien  hum- 
|jlement  les  mains  et  pryer  Dieu  ,  etc. 

De  Nerac,  etc. 


XXXV.  —-EXTRAIT  DE  LETTRE 

De  M.  Duplessis  a  M.  d'Jngrongne, 

Du  dernier  janvier  i583. 
Monsieur  de  la  Motte  Fenelon  va  sans  doubte  pro- 
poser le  mariaigc  de  madame  la  princesse  de  Lorraine 


2l8  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

avec  le  roy  d'Escosse  ;  et  à  mesme  fin  vont  le  sieur  de 
Meneville  que  cognoissés,  et  le  fils  du  baron  d'Osson- 
ville  de  la  part  de  M.  de  Lorraine. 

Geste  alliance,  à  mon  advis,  sera  suspecte  à  l'Angle- 
terre,  et  pourtant  s'offre  l'occasion  de  leur  ramente- 
voir  les  propos  qu'aultresfois  je  leur  ai  ouverts  du  ma- 
riaige  de  madame  la  princesse,  dont  peult  sortir  autant 
de  bien  que  de  l'aultre  de  mal. 

Il  est  certain  que  ce  jeune  prince  ne  demeurera 
long  temps  sans  se  marier,  car  ce  qu'il  est  tant  recher- 
ché l'y  faict  penser.  C'est  une  princesse  chrestienne, 
bien  nourrie,  sage  ,  belle  ,  de  grand'  expectation;  s'elle 
eust  voulleu  tant  soit  peu  rabattre  de  la  relligion,  elle 
espousoit  le  duc  de  Savoie,  et  encores  ne  s'en  rebute 
il  pas  du  tout.  Ce  seroit  ung  heur  pour  l'Escosse,  ung 
repos  pour  l'Angleterre,  et  de  quelque  part  qu'on  se 
tourne,  n'y  a  rien  à  craindre  ni  soubçonner  de  ceste 
part ,  pour  ce  qui  concerne  l'auctorité  de  la  royne. 

J'en  parle  pour  le  bien  delà  chrestienté,  et  vous  prye, 
par  l'advis  de  M.  de  la  Fontaine,  en  traicter  avec  nos 
amis ,  et  m'en  faire  response  au  plus  tost. 

Pour  le  manier  secrètement,  vous  sçavés  quels  ils 
sont,  etc. 


XXXVI.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

J.  M.  Valider  Mjlen. 

Du  i^febvrler  i583, 
MoNSinun,  je  vous  ai  escrit  du  9  janvier;  et  de  Tes- 
tât de  deçà  ne  puis  qu'adjousler,  sinon  qu'en  ce  corps 
y  a  tousjours  quelques  démangeaisons  que  nous  tas- 
chons  à  oster,  lantost  par  légères  purgations,  et  tantost 


A  M.  VANDER  MYLEN.  219 

par  medicamens  topiques  le  mieux  que  nous  pouvons. 
Si  espère  je  que,  non  obstant  icelles,  nous  demeure- 
rons en  paix.  En  vostre  estât ,  j'entends  avec  grand  re- 
gret que  les  calamités  croissent;  Dieu  les  abrégera 
quand  il  lui  plaira  pour  le  soulagement  de  tant  de 
povres  gens  qui  souffrent  tousjours  le  pis  des  confu- 
sions publicques.  JJnum  me  lorquet ,  quia  in  uno  mili- 
ta. Simultatem  inter  Alenconium  et  Aransionensem 
ali  scribimt.  Vous  en  sçavés  la  conséquence,  et  selon 
vostre  prudence  y  pourvoirés;  elle  est  grande ,  mesmes 
en  nostre  court  de  France.  Non  deerunt  enim  qui 
exacerbent,  si  possint,  au  préjudice  de  vos  affaires; 
et  pourtant ,  piincipiis  ohstandiim  :  vous  sçavés  que 
c'est ,  Inter  corticem  et  arborem  digitum  inserere ,  pe- 
riculosum.  Toutesfois  plusieurs  gens  de  bien  en  escri- 
vent  au  roy  de  Navarre.  Si  voyés  qu'il  y  puisse  servir, 
vous  m'en  escrirés,  s'il  vous  plaist.  Mais  je  serois  d'ad- 
vis  qu'il  le  feist  tanquam  aliud  agens.  Hœc  tibi , 
prœier  te  nemini.  Au  reste,  il  fault  que  je  me  plaigne 
de  la  longueur  en  laquelle  on  retient  mon  homme  par 
delà.  Je  vous  prye  de  l'abréger  par  vostre  intercession, 
s'il  se  peult.  Je  suis  à  vostre  service,  et  sur  ce  salue 
humblement  vos  bonnes  grâces,  et  prye  Dieu,  etc. 

De  Nerac ,  etc. 


XXXVII. —LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Buzatival. 

Du  I"  febvrier  i583. 
Monsieur,  j'ai  receu  les  vostres  du  huictiesme  décem- 
bre, et  dixhuictiesme  janvier;  j'estois  en  peine  d'en  re- 
cevoir; et  plus,  en  ayant  receu  ,  ne  pouvant  que  par* 


220  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

ticiper  à  vos  ennuis.  Je  prye  Dieu  qu'il  vous  consolé  en 
la  guerison  de  celle  dont  la  maladie  vous  afflige,  et  se 
contente  de  l'affliction  publicque ,  dont  avez  eu  vostre 
part  par  delà ,  sans  nous  frapper  des  particulières.  C'est 
une  dure  séparation  que  du  corps  et  de  l'esprit ,  et  à 
qui  sçait  que  c'est  que  vraiment  aimer,  elle  n'est  moins 
dure  de  deux  esprits.  Mais  si  la  volonté  de  Dieu  est 
telle ,  il  s'y  fault  resouldre  ;  car  il  aime  ce  que  nous  ai- 
mons mieulx  que  nous  mesmes;  l'aimant  simplement 
pour  lui  bien  faire ,  non  pour  en  recevoir  du  bien  et  du 
contentement  comme  nous.  Je  prye  Dieu  derechef  qu'il 
change  vostre  tristesse  en  joie,  c'est  à  dire,  sa  maladie  en 
santé;  et  permettez  qu'avec  vous  je  change  de  propos. 
On  m'escrit  beaucoup  de  calamités  du  Pays  Bas  :  Sed  in 
una  omnes ,  la  mauvaise  intelligence  entre  son  altesse 
etM.  le  prince  d'Orange;  c'estung  grand  mal  que  cela  soit, 
et  pire  qu'on  l'ait  peu  cognoistre;  car  voussçavez  l'his- 
toire de  Milo.  Il  ne  fault  qu'une  fente  pour  démembrer 
un  chesne;  et  n'y  a  faultc  de  gens  qui  la  cherchent. 
Aulcuns  y  cherchent  ung  remède,  et  tous  le  désirent, 
mesmes  on  nous  escrit  pour  nous  employer.  Il  est  dan- 
gereux, comme  sçavez,  de  se  mesler  entre  l'arbre  et 
l'escorce;  peu  sont  receus  à  parler  des  riottes  d'ung 
mesnage;  et  nous,  peult  estre,  le  serions  moins  que 
beaucoup  d'aultres.  Si  quelqu'un  s'en  doibt  mesler,  ce 
doibt  estre ,  à  mon  advis  ,  tanquam  aliud  agens  et  ve^ 
luii  e  re  nata,  ac  si  id  in  Flandria  prinium  lesci- 
verit  ^  etc. 

A  Ncrac. 


A  M.  DU  FERRIER.  221 


XXXVIII. —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  du  Ferrier. 

Du  i*"'  febvrler  i583. 

Monsieur,  je  vous  escrivis  du  11  décembre,  sur  les 
propos  que  nous  eusmes  à  Artenay.  Je  loue  Dieu  qui 
vous  les  continue,  et  sçais  presque  bon  gré  au  monde 
qui  ne  vous  en  divertit  poinct,  encores  que  n'avez  ami 
qui  vous  désire  plus  d'honneur  que  moi.  Le  roy  de 
Navarre  vous  escrit ,  vous  priant  d'accepter  la  super- 
intendance de  ses  affaires  et  procès  à  Paris;  comme 
l'avoit  M.  de  Pibrac.  C'est  ung  prince  qui  mérite  d'estre 
assisté  ;  car  il  y  a  en  lui  une  matière  de  faire  un  très 
grand  prince.  Et  je  vois  que  ceste  matière  se  veulfc 
unir  à  sa  forme,  puisqu'elle  cherche  les  gens  de  bien, 
pour  s'y  conformer.  Quand  vous  vous  y  serez  résolu  , 
nous  mandant  /ostre  intention ,  nous  pourvoirons  à 
vous  accommoder  du  reste.  Et  vous  y  serez  servi  ici 
de  plusieurs  gens  de  bien  et  d'honneur.  Mais  je  vous 
prye ,  que  petites  considérations  ne  vous  en  destour- 
nent; car  nous  n'en  accepterons  volontiers  aulcune, 
s'elle  n'est  conjoincte  avec  ung  empeschement  de  la  pro- 
fession que  voulez  et  debvez  faire ,  que  ne  voulions  aul- 
cunement  retarder. 

Au  reste,  monsieur,  je  suis  vostre  serviteur;  et  sur 
';e,  vous  baiserai,  etc. 

De  Nerac,  eic. 


22  2  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

XXXIX.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

À  M.  de  Buzanval. 

Du  14  febvrier  i583. 
MoivsTEUR ,  j'ai  receu  vos  lettres  du  dernier  janvier. 
Je  plains  vostre  dueil,  et  prye  Dieu  qu'il  le  console;  et 
je  ne  sçais  si  le  monde  mesmes  le  doibt  poinct  consoler, 
en  ce  qu'il  nous  est  si  contraire  en  toutes  parts.  Pour 
le  moins,  n'envions  poinct  à  nos  amis  le  bien  auquel 
ils  nous  préviennent,  et  le  mal  que  nous  voyons,  du- 
quel ils  sont  soubstraits.  Voici  comme  Dieu  nous  conduit. 
Tostre  malheur  particulier  vous  a  retiré  d'un  public; 
et(i)rescorne  qu'on  m'a  voulleu  faire  en  nostre  voyaige 
d'Allemaigne,  m'est  tourné  en  ung  honorable  tesmoi- 
gnage  d'estre  trop  homme  de  bien  pour  voir  un  tel  mal. 
Certes,  je  l'ai  souvent  ainsi  pensé  et  quelquesfois  dict, 
et  comme  j'estime  à  vous  mesmes.  Doresnavant  je  m'y 
resouls  encores  plus  ;  car  je  vois  que  nos  souhaits  sont 
aveugles,  sinon  en  tant  qu'ils  sont  sousmis  au  voulloir  de 
Dieu.  Et  pensez  quel  crevecœur  ce  m'eust  esté,  comme 
je  vous  disois,  que  telle  nouvelle  feust  apportée  ou  sur 
nos  harangues  ,  ou  peu  après  !  Mais  Dieu  m'empescha, 
par  mesme  moyen,  le  voyaige  d'Angleterre,  lorsque 
le  mesme  se  resolvoit  à  nous  faire  la  guerre  ;  ce  que  je 
me  suis  souvent  proposé  pour  exemple  d'un  tel  faict  à 


(i)  C'est  que  M.  Duplessis  avolt  esté  nommé  par  monsei- 
gneur et  les  estats  des  Pays  Bas,  pour  aller  présenter  la  foi  et 
hommage  de  mondict  seigneur  aux  estats  de  l'empire  ;  mais  en 
effect  pour  l'csloigner  des  Pays  Bas  ,  où  on  ne  le  voulloit  pour 
tesmoing  de  ce  qu'on  voulloit  faire  à  Anvers. 


A  M.  DE  BUZANVAL.  223 

venir.  En  ce  faict,  je  suis  confus.  Mes  soubçons  vous 
ont  esté  cogneus  et  de  long  temps;  car  que  nous  celions 
nous?  Mais  laissons  la  dissimulation,   que  nous  péné- 
trions, et  la  perfidie  que  nous  craignions;  qui  veit  jamais 
en  telle  perfidie  si  imprudent  conseil?  Et  aulx  maux 
qu'il  en  peult  espérer ,  que  pouvoit  il  attendre  ,  que 
désolation  et  misère?  Mais,  en  toutes  choses,  il  falloit 
surpasser  les  precedens.  Le  massacre  estoit  coulouré  de 
l'animosité  des  guerres;   ces  povres  gens  faisoient  la 
guerre  pour  lui ,  et  avoient  renoncé  à  leur  prince  na- 
turel pour  l'élire.  Le  massacre  s'appelloit  peine  de  ré- 
bellion; mais  quel  salaire  d'élection  etoit  ce  ici?  Et  le 
fruict  sembloit  évident  en  ce  qu'on  pensoit  la  guerre 
civile  esteinte;  au  contraire.  Hollande  et  Zelande  de- 
meurant derrière;  les  villes  prises,  reduictes  en  déserts 
et  brigandages,  l'ennemi  en  teste,  à  costé,  tout  à  l'en- 
tour,  que  pouvoit  il  s'en  suivre ,  que  de  rendre  le  tout 
à  l'ennemi,  c'est  à  dire  le  prix  de  nostre  infamie  et  le 
fruict  de  nostre  honte?  Or,  Dieu  y  a  pourveu ,  et  loué 
en  soit  il.  Seulement  il  me  desplaist  que  nostre  nation 
ait  acquis  de  plus  en  plus  le  nom  de  déloyale ,  et  peult 
estre,  mais  c'est  une  punition  de  Dieu,  perdu,  contre 
des  bourgeois  ,  la  réputation  de  vaillance.  Mais  les  bons 
distingueront  entre  les  loups  et  les  brebis.  Et  le  trait 
de  M.  de  Laval  leur  reviendra  en  mémoire,  digne  de 
la  générosité  de  sa  race ,  digne  de  l'espérance  de  tous 
les  gens  de  bien;  et  que  je  vous  asseure  que  ce  prince 
a  grandement  loué  et  célébré.  Je  vous  prye ,  si  vous  lui 
escrivez,  asseurez  le  qu'il  a  acquis  de  l'honneur  en  ce 
faict  par  deçà.  Et  de  moi,    je  me   surmonterai  moi 
mesmes  en  affection ,  pour  lui  rendre  toute  ma  vie 
double  debvoir  et  service.  Au  reste,  venez  vous  con- 
soler avec  vos  amis.  Ce  prince  a  besoingd'estre  assisté  7 


224  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

et  vous  y  traictera  bien.  Il  a  très  bonne  opinion  de 
vous,  et  je  vous  en  prye  derechef,  car  il  importe,  mon- 
sieur, etc. 

De  Nerac ,  elc. 


XL. —LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Serres ,  sur  le  faict  d'Anvers. 

Du  i3  febvrier  i583. 
Moïf SIEUR,  j'ai  receu  une  lettre  de  vous  par  M.  de 
Bertauville.  Depuis  nous  avons  tousjours  tracassé,  et  je 
n'eu  moyen  de  respôndre  parce  qu'il  ne  retournoit  pas. 
Par  ceste  depesche  vous  entendrés  ce  qui  s'est  passé  du 
17  janvier  en  Anvers.  C'est  chose  que  j'avois  preveue 
etpredicte  des  quej'y  estois,et  devant  que  son  altesse  y 
feust;  mais  encores  pensois  je  que  la  perfidie  deust  estre 
accompagnée  de  quelque  prudence ,  au  lieu  que ,  toutes 
circonstances  considérées,  il  est  malaisé  de  juger  quelle 
y  a  esté  la  plus  grande  ou  la  déloyauté  ou  l'aveuglement. 
C'est  bien  le  contraire  de  ce  précepte  ,  Eslote prude?ites 
sicut  serpentes  y  et  s'wiplices  siciU  coliimbœ.  Le  peuple 
a  monstre  que  vauit  ung  bourgeois^ro  aris  etfocis  en 
sa  ville,  et  l'assistance  de  Dieu  y  est  remarquable;  lés 
gens  de  son  altesse,  combien  est  peu  hardie  en  toutes 
sortes  une  conscience  effrayée  en  elle  mesmes.  Pieca 
avons  nous  perdeu  la  réputation  de  foi,  et  maintenant 
ne  l'avons  peu  retenir  de  vaillance.  Quant  à  moi ,  ce  faict 
m'est  une  arre  d'une  malédiction  sur  nostre  nation ,  et 
d'une  totale  délivrance  pour  ce  peuple  qui  humaine- 
ment debvoit  succomber.  Ne  restoit  en  ce  sep  que  ceste 
branche  non  encores  désespérée  par  ouverte  perfidie. 
Et  pourtant  que  reste  il  sinon  que  securis  ad  radie e m. 


A  M.  DE  SERRES.  225 

Je  me  console  aulcunement  en  ce  prince,  près  duquel 
Dieu  m'a  appelle,  et  par  sa  voix  et  par  la  sollicitation 
de  plusieurs  gens  de  bien.  Non  que  j'y  voye  toutes 
choses  à  souhait  ;  mais  certes,  et  trop  plus  de  bien  et 
trop  moins  de  mal  qu'es  aultres;  et  sur  tout  ung  bien 
incomparable  de  se  confier  totalement  en  ceulx  qu'il 
pense  gens  de  bien.  Dieu  achèvera  ou  suppléera  le 
reste  par  sa  grâce;  et  peut  estre  par  lui,  comme  par 
plusieurs  vaisseaux  infirmes,  veult  il  monstrer  qu'il  est 
puissant  en  infirmité.  Je  le  prye  donc,  monsieur,  etc. 

De  Nerac,  elc. 


XLI.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  le  prince  d'Orange,  (i) 

Du  i4  febvrier  i583. 
Monseigneur,  ce  qui  est  advenu  à  Anvers  nous  a 
esté  plus  desplaisant  qu'estrange.  Loué  soit  Dieu  ,  qui 
vous  a  délivrés,  et  de  vos  ennemis  tant  de  fois,  et 
maintenant  de  tels  amis.  Je  pense  que  vostre  excellence 
se  sera  resouvenue  de  moi  à  ce  propos  ;  car  je  craignois , 
lors  queje  partis,  pis  que  je  n'osois  dire,  et  me  sembloit 
que  ne  vous  faisois  plaisir  de  vous  troubler  la  bonne 
opinion  que  vous  aviés.  De  moi,  j'ai  loué  Dieu  mille 
fois  de  ce  qu'on  me  reculoit  de  là,  et  surtout  de  la 
rupture  du  voyaige  d'Allemaigne,  Au  moins ,  en  me 
faisant  ces  escornes,  m'ont  ils  rendu  ce  tesmoignao-e 
honorable,  qu'ils  m'estimoient  trop  homme  de  bien 
pour  conniver  à  leurs  fraudes ,  et  peult  estre  moins 
simple  qu'ils  ne  vouUoient    pour  ne  les  appercevoir. 


(i)  Guillaume  de  Nassau,  prince  d'Orange. 

Mém.  de  Duplessis-Morxay.  Toaie  ir.  l5 


220  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS,  etc. 

Or,  monseigneur  ,  vos  Ire  excellence  se  souvienne  qu'en 
une  niesme  année  Dieu  vous  a  rendeu  la  vie  deux  fois, 
et  a  tout  le  pays  ensemble.  Cela  vous  estarre  d'espérer 
mieulx  à  Tadvenir,  et  obligation  de  servira  Dieu  de  plus 
en  plus.  Vostre  excellence  peult  faire  entier  estât  du 
roy  de  Navarre,  M.  Caluart  vous  en  dira  davantage. 
De  ma  part  je  vivrai  et  mourrai  vostre  très  humble  ser- 
viteur. Je  prye  Dieu  ,  etc. 

De  Nerac,  etc. 


XLII.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Saine t  Aldegonde. 

Du  i4  f«'bvrier  i583. 
Monsieur  ,  vous  recevrés  une  aultre  lettre  de  moi  ; 
mais  l'argument  nouveau ,  dont  nous  nous  feussions 
bien  passés,  m'arrache  celle  ci.  Louons  Dieu  qui  vous 
a  délivrés ,  et  recognoissons  en  quel  malheur  est  préci- 
pité, et  ung  prince,  et  ung  pays,  par  le  mauvais  con- 
seil de  peu  de  gens.  M.  Caluart  vous  dira  au  reste  de 
nos  nouvelles.  Croyés  que  les  vostres  de  delà  ne  m'ont 
esté  tant  nouvelles  que  fascheuses.  En  somme,  Nun- 
quam  ex  spinis  ui^as,  neqne  ex  tvibulis  ficus.  Et  au 
reste,  Maliun  consilium  consultori  pessimum  erit. 
Je  prye  Dieu,  monsieur,  etc. 

De  Nerac,  etc. 


INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE,  etc.    227 

XLIII.  —  INSTRUCTION  SECRETTE 

Baillée  par  le  roy  de  Navarre  au  sieur  Caluart,  s'en 
retournant  trouver  le  prince  d'Orange  après  lefaict 
d'Anvers. 

Du  i/J  febvrier  i583. 

En  cas  que  les  estais  jugent  nécessaire  de  renouer 
avec  monseigneur,  nonobstant  ce  qui  s'est  passé,  pour 
la  conséquence  des  -villes  qu'd  leur  tient,  le  roy  de 
Navarre  a  dict  au  sieur  Galuart  que,  si  les  estais  peu- 
vent faire  trouver  bon  à  monseigneur  que  le  roy  de 
Navarre  ,  pour  plus  grande  asseurance  ,  leur  soit  donné 
pour  régent  et  lieutenant  gênerai ,  il  acceptera  volon- 
tiers ceste  cbarge,  pour  le  zèle  et  affection  qu'il  a  à 
leur  conservation  et  défense. 

Mais  conviendroit  aussi  que  le  roy  agreast  ce  faict. 
Premièrement,  afin  de  ne  troubler  le  secours  que  le 
roy  de  Navarre  auroit  à  mener  soubs  l'auctorité  de  mon- 
seigneur, lequel  ils  doibvent  requérir  pour  leur  seureté, 
composé  de  chefs,  capitaines  et  soldats  de  la  relligion 
le  plus  qu'on  pourra;  secondement,  afin  que  les  traic- 
tes  de  vivres  demeurent  empeschees  à  l'ennemi ,  à  Me- 
zieres ,  Calais  et  aultres  lieux;  tiercement,  si  faire  se 
peult ,  pour  en  tirer  ung  secours  d'argent  par  mois,  tel 
qu'il  auroit  esté  traicté  ci  devant  par  son  altesse  avec 
leurs  majestés. 

Comme  aussi,  seroit  requis  de  tirer  promesse  de 
monseigneur  de  demeurer  ennemi  del'Espaignol ,  non- 
obstant qu'il  se  retirast  en  France ,  et  d'asseurer  les 
Pays  Bas  d'ung  certain  secours  d'hommes,  composé 
comme  dessus,  payés  par  chacung  mois,  moyennant 
quoi  il  demeurast  seigneur  du   Pays  Bas;  mais  qu'en 


228  INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE 
cas  de  ne  tenir  promesse,  feust  en  l'option  tles  estats 
d'en  élire  ung  aultre  tel  qu'ils  verroient  convenir  à  leur 
estât.  Seroit  pourtant  raisonnable  que  le  roy  de  Na- 
varre eust  le  mot  du  prince  d'Orange  pour  l'accoura- 
ger  à  bien  faire,  qu'il  seroit  préféré  à  tous,  ce  que, 
sans  doubte,  il  meriteroit  par  ses  vertueux  faicts  entre 
ci  et  là. 

En  cas  donc  que  les  estats  fassent  élection  du  roy  de 
Navarre,  il  n'est  raisonnable  qu'il  ait  pires  conditions 
que  monseigneur,  ains  d'autant  meilleures ,  si  faire  se 
peult,  que  la  condition  et  estât  du  pays  auroit  esté  em- 
piree  par  lui. 

Et  quant  au  roy  de  Navarre ,  leur  pourroit  fournir 
trois  regimens  de  gens  de  pied,  de  quinze  cens  hommes 
chacung ,  deux  tiers  harquebusiers,  et  le  tiers  corce- 
lets  :  et  de  cinq  cens  bons  chevaux  qu'il  soudoieroit 
six  mois  durant;  les  chefs  et  capitaines  d'iceulx  agréa- 
bles aux  pays,  et  de  la  relligion,  comme  aussi  les  sol- 
dats pour  la  pluspart.  Leur  en  feroit  en  oultre  couler 
autant  qu'il  seroit  besoing  pour  remplir  les  vieux  regi- 
mens, et  les  compagnies  de  chevaux  légers  françoises 
qui  sont  à  leur  charge. 

Ne  pourroit  le  roy  de  Navarre  promettre  de  faire 
déclarer  le  roi,  comme  monseigneur  ,  ce  qui  toutesfois 
ne  seroit  encores  ensuivi.  Mais,  pour  supplément  de  ce, 
se  fortifieroit  de  bonnes  alliances  des  princes  voisins, 
bien  vueillans  du  Pays  Bas,  et  au  reste  leur  apporte- 
roit  une  sincère  affection  à  la  vraie  relligion,  ung  inte- 
rest  implacable  contre  l'ennemi  commun;  une  intégrité 
exempte  de  tout  soubçon  ,  ung  but  totalement  conforme 
au  leur ,  qui  feroit  prospérer  une  moyenne  force  plus 
que  les  bien  grandes  descousues  et  desunies,  comme 
elles  ont  esté  jusques  à  présent. 


AU  SIEUR  CALUART.  229 

Dieu,  qu'eulx  et  lui  invoqueroient  unanimement, 
beniroit  leurs  labeurs  et  intentions ,  comme  nous  le 
pryons  de  prospérer  ceste  affaire  par  sa  grâce  à  sa  gloire, 
et  au  repos  de  ce  peuple,  auquel  il  consacreroit  de 
tout  son  cœur  ce  que  Dieu  lui  octroira  de  Vie ,  et  lui 
a  donné  de  moyens. 

Au  reste,  le  sieur  de  Caluart  escrira  au  plustost  de 
tout  ce  qu'il  pourra  seurement,  usant  du  chiffre  qu'a 
le  sieur  Duplessis  avec  les  sieurs  de  Sainct  Aldegonde 
et  Vander  Mylen. 


XLIV.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

j4  M^''  le  prince  de  Condé. 

Du  i5  febvrier  i583. 
MoîJSEiGNEUR,  vous  entcudrés  par  ceste  depesche 
ce  qui  est  advenu  en  Anvers,  qui  m'a  esté  plus  fas- 
cheux  qu'estrange,  veu  la  possession  où  nous  sommes 
de  penser  que  négocier  soit  tromper,  et  veu  les  incli- 
nations que  j'avois  laissées  au  partir  en  ceulx  qui  pou- 
voient  le  plus  auprès  de  son  altesse.  Maintenant  ils  me 
ramentoivent  les  propos  que  lors  je  leur  tenois;  je  dis 
les  povres  gens  du  pays.  Et  pleust  à  Dieu  qu'ils  y  eus- 
sent pris  plus  de  fondement;  mais  c'est  le  destin  de 
nostre  nation,  qui  n'a  but,  ce  semble,  que  sa  ruyne  et 
son  deshonneur,  et  abuse  de  toutes  les  occasions  que 
Dieu  lui  présente,  comme  ung  mauvais  estomac,  à  sa 
perdition.  Le  temps  qui  est  le  maistre  des  plus  sages, 
dévidera  ceste  pièce  de  fil  si  embrouillée,  et  cependant 
nous  attendrons  ce  que  Dieu  en  ordonnera;  lequel  je 
supplie,  monseigneur,  etc. 

De  Nerac,  etc. 


23o  LETTRE  DU  ROY  DE  NA.VARRE 


XLV.  —  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

J  M.  ï archevesque  de  Rouen  ^    depuis  cardinal  de 
Vtndosme  ;  rédigée  par  M.  Duplessis. 

Du  6  mars  i583. 
Mon  cousin,  j'ai  receu  vostre  lettre,  et  crois  volon- 
tiers que  Taffection  que  me  portés  ,  et  à  la  grandeur  de 
nostre   maison ,  vous  faict   parler.  Le  bruit  que  vous 
dites  de  mon  intention  d'aller  à  la  court  est  très  vrai. 
Toutes  les  fois  que  je  verrai  plus  d'utilité  pour  le  service 
du  roy,  à  y  aller  que  demeurer  ici,  je  serai  prest  à 
partir;  et  les  choses,  grâces  à  Dieu  ,  s'acheminent  telle- 
ment en  ces  quartiers,  que  j'espère  que  ce  sera  bien- 
tost.  Mais,  sur  ce  que  vous  adjoustés  que  ,  pour  estre 
agréable  à  la  noblesse  et  au  peuple,  il  fauldroit  que  je 
changeasse  de  relligion  ,  et  me  représentés  des  inconve- 
niens,  si  je  fais  aullrement;  j'estime,  mon  cousin,  que 
les  gens  de  bien  de  la  noblesse  et  du  peuple  ,  aulxquels 
je    désire   approuver  mes    actions,    m'aimeront    trop 
mieux,  affectionnant  une  relligion,  que  n'en  ayant  du 
tout  poinct;  et  ils  auroient  occasion  de  croire  que  je 
n'en  eusse  poinct,  si, sans  considération  aultre  que  mon- 
daine (car  aultre  ne  m'allegués  vous  en  vos  lettres),  ils 
me  voyoient  passer  de  l'une  à  laultre.  Dites,  mon  cou- 
sin, à  ceulx  qui  vous  mettent  telles  choses  en  avant, 
que  la  relligion,  s'ds  ont  jamais  sceu  que  c'est,  ne  se 
dépouille  pas   comme    une  chemise;   car  elle  est  au 
cœur,  et,  grâces  à  Dieu,  si  avant  imprimée  au  mien, 
qu'il  est  aussi  peu  en  moi  de  m'en  départir,  comme  il 
estoitau  commencement  d'y  entrer,  estant  cesie  grâce 
de  Dieu  seul,  et  non  d'ailleurs.  Vous  m'allegués  qu'il 


A  M.  L'ARCHEVESQUE  DE  ROUEN.  aSi 

peull  mesavenir  au  roy  et  à  monsieur.  Je  ne  permets 
jamais  à  mon  esprit  de  pourvoir  de  si  loing  à  choses  qu'il 
ne  m'est  bienséant  ni  de  prévenir  ni  de  prévoir;  et 
n'assignai  oncqma  grandeur  sur  la  mort  de  ceulx  aus- 
quels  je  doibs  mon  service  et  ma  vie.  Mais,  quand  Dieu 
en  auroit  ainsi  ordonné  (ce  que  n'advienne),  celui  qui 
auroit  ouvert  ceste  porte ,  par  la  mesme  providence 
et  puissance  nous  sçauroit  bien  applanir  la  voie;  car 
c'est  lui  par  qui  les  roys  régnent,  et  qui  a  en  sa  main 
le  cœur  des  peuples.  Croyés  moi,  mon  cousin,  que  le 
cours  de  vostre  vie  vous  apprendra  qu'il  n'est  que  de 
se  remettre  en  Dieu,  qui  conduit  toutes  choses,  et  qui 
ne  punit  jamais  rien  plus  sévèrement  que  l'abus  du 
nom  de  relligion.  Voilà,  mon  cousin,  mon  intention 
en  laquelle  j'espère  que  Dieu  me  maintiendra,  etc. 


XLVI.  — LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M,  de  Chassincourt.  (  i  ) 

Du  lo  mars  i583. 
Monsieur  ,  on  faict  courre  ici  des  bruits  entre  les 
peuples  ausquels  il  est  besoing  que  vous  pariez  par  de 
là.  Jamais  le  roy  de  Navarre  ne  feut  plus  disposé  à  la 
paix;  et  jamais  ceulx  qui  sont  près  de  lui  ne  recher- 
chèrent plus  soigneusement  les  moyens  de  l'établir  selon 
l'intention  du  roy;  et  cependant  on  semé  que  nous 
sommes  à  la  veille  de  prendre  les  armes,  dont  nous  ne 
feusmes  oncq  plus  loing.  Je  ne  sçais  s'ils  auroient  pris  om- 
brage sur  la  venue  de  monseigneur  le  prince  en  ceste 
court.  Si  vous  puis  je  asseurer  que  je  ne  le  vis  oncq  plus 

(x)  Il  estoit  agent  du  roy  pour  les  affaires  des  Eglises. 


2  32  LETTRE  DE  M.  DIJPLESSIS 

resoleu  à  la  paix  ,  ni  parlant  de  l'asseureres  lieux  d'où 
il  vient,  avec  plus  de  prudence  et  d'affection,  comme 
aussi  faict  M.  de  Chastillon  qui  est  ici.  Cela  me  faict 
craindre  qu'il  n'y  ait  de  l'artifice  ,  et  qu'on  ne  no«s 
veuille  mettre  en  peine  de  nous  excuser,  afin  que  nous 
ne  venions  à  les  accuser  eulx  mesmes,  qui  ont  assés 
faict  paroistre,  en  certaines  actions,  que  si  le  feu  eust 
bien  pris  à  Anvers,  la  traisnee  eust  bien  peu  suivre  jus- 
ques  à  nous,  veu  la  malignité  de  certaines  liqueurs  qui 
sont  en  ces  quartiers  plus  espaignols,  à  la  vérité,   que 
francois.  Le  roy  de  Navarre  a  attendu  M.  le  mareschal 
de  Matignon  neuf  jours,  à  Bazas,  pour  remettre  la  ville 
en  Testât  que  la  paix  requiert,  et  vous  asseure  qu'il 
n'avoit  aultre  intention.  Il  s'excusa  sur  maladie,  et  je 
pense  qu'il  feut  malade.  Mais,  depuis  le  roy  de  Na- 
varre l'a  plusieurs  fois  pryé  de  venir  à  Nerac,  pour  con- 
férer ensemble  de  cela  et  de  choses  semblables ,  ce  que 
aussi  il  lui  auroit  promis  par  plusieurs  lettres,  et  ne  l'a 
peuencores  obtenir.  Je  crains  que  quelques  malheureux 
esprits  ne  l'en  détournent,  en  lui  semant  des  soubcons 
et  défiances  au  cœur,  dont  il  me  semble  qu'il  debvroit 
estre  autant  éloigné  qu'il  nous  a  connus,  en  toutes  oc- 
casions, éloignés  de  lascheté,  de  dissimulation  et  de 
tromperie.  Cela,  toutesfois,  ne  nous  degoustera  jamais 
de  bien  faire.  Mais  il  est  bon  d'en  advertir,  quand  il  vient 
à  propos ,  monsieur ,  etc. 

De  Nerac,  etc. 


A  M.  DE  DANZAY.  2  33 

XLVII.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Danzaj. 

Du  26  mai  i583. 
Monsieur,  depuis  que  nous  avons  eu  lettres Fiing  de 
l'aultre,  il  est  passé  des  choses  qui,  à  mon  jugement, 
vous  auront  apporté  beaucoup  de  fascherie,  comme  à 
tous  ceulx  qui  désirent  l'avancement  de  la  gloire  de 
Dieu ,  et  le  bien  et  repos  de  ceulx  qui  la  recherchent. 
Mais  il  se  fault  enfin  resouldre  en  Dieu  ,  qui  des  grands 
maulx  sçait  tirer  le  bien,  et  des  ténèbres  la  lumière; 
prenant  plaisir  souvent  à  nous  faire  voir  que  nous  som- 
mes des  enfans  qui  cherchons  ung  œuf  au  trou  du  ba- 
silic, et  nostre  guerison  en  la  queue  du  serpent.  Si  ne 
lairra  il  toutesfois  d'acheminer  son  œuvre;  mais,  comme 
il  est  vrayment  sien,  à  son  temps  et  à  ses  moyens.  Je 
vous  escrivois,  par  mes  dernières,  qu'il  se  debvoit  tenir 
un  synode  en  ce  royaume,  auquel  je  ne  fauldrois  de 
remettre  sus  la  negotiation  tant  désirée  de  la  reconcilia- 
tion de  nos  confessions.  Il  s'est  tenu,  au  mois  présent, 
en  ceste  ville  de  Vitray,  en  Bretagne,  et  m'y  suis  trouvé 
au  nom  du  roy  de  Navarre,  de  la  part  duquel  j'ai  re- 
monstré  l'utilité  et  nécessité  de  ceste  œuvre,  exhorté 
nos  églises  à  nommer  certains  personnages  doctes  et 
modérés  pour  envoyer  vers  les  princes  d'Allemaigne,  et 
offert  que  ledict  seigneur  roy  estoit  prest  à  y  envoyer 
de  sa  part  un  gentilhomme  signalé  ,  pour  y  donner 
tant  plus  d'auctorité.  Il  a  esté  concleu  de  n'y  perdre 
plus  temps  ;  et  espère  qu'en  bref  ceste  ambassade  sera 
expédiée,  non  pour  disputer  et  conférer  de  la  reiligîon, 
mais  pour  remonstrer  la  nécessité  de  ceste  reconcilia- 


234  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

tion,  et  requérir  ung  synode  pour  composer  les  diffe- 
rens;  et,  en  attendant  iceliiy,  imposer  silence  à  toutes 
contentions  et  invectives ,  tant  de  bouche  que  par  escrit. 
J'espère  que  la  chose  ne  sera  sans  fruict,  et  que  nous 
demeurerons  frères  et  bons  amis.    Et  me  semble  que 
l'Allemaigne  se  prépare  à  sentir  Tinterest  qu'elle  a  com- 
mun avec  nous  en  ceste  vraie  concorde,  veu  Testât  où 
nous   entendons  qu'elle  est  maintenant.  Ceulx  qui  au- 
ront ceste  charge,  passeront  jusques  à  vous,  et  y  auront 
adresse.  Et,  parce  que  malaisément  pourront  ils  partir 
avant  le  mois  d'aoust,  je  vous  supplie  m'envoyer  ung 
bref  advis  de  la  façon  que  pensez  qui  se  doibt  tenir  en 
ceste  négociation;  par  quels  princes  il  fault  commen- 
cer, par  quelles  villes,  etc. ,  quels  on  pourroit  employer 
pour  entremetteurs  envers  les  aultres,  et  quels  il  fauldra 
regagner,  etc.  Quo  in  locojam  res  sunt'apud  singii- 
los  et  singulis  in  locis ,  etc.  ;  et  tout  ce  que  pourrez 
penser  et  adviser  concernant  ceste  matière.  Non  que 
je  n'aye  bien  gardé  les  utiles  discours  que  m'avez  faict 
ce  bien  de  m'envoyer  quelquesfois  ;  mais  parce  que  le 
temps  peult  avoir  apporté  du  changement  aulx  lieux  et 
personnes,  es  choses  dont  sera  question.  Nous  aurions 
bien  besoing  aussi ,  pour  faire  la  depesche  plus  accom- 
plie, d'avoir  une  liste  des  princes  et  villes  ausquels  sera 
besoing  d'escrire,  leurs  humeurs,  qiiœ  quemque  oratio 
deceat y  quœ  quemque  moi>eat  ratio ^   etc.  En  quoi, 
nul  que  je  sçache,  ne  peult  tant  aider  que  vous;  comme 
aussi  à  quels  docteurs  et  conseillers  il  fauldra  escrire, 
à  quels  s'adresser,  et  quœ  cujusque  conditio,  nal*ira, 
inclinatio.  Vous  pourrés,  monsieur,  adresser  vos  lettres 
à  Paris,  rue  de  Seine,  au  fauxbourg  Sainct  Germain, 
aulx  Trois  l^ensees,  cliés  maislre  Denis  Trouvé,  ou  à 
maistre  Anlhoine  Durant,  qui  font  mes  affaires  à  Paris , 


A  M.   DE  DANZAY.  ^35 

et  me  mander,  par  mesme  moyen,  où  je  vous  adresserai 
celles  que  j'aurai  à  vous  escrire.  Au  partir  d'ici,  je  m'en 
vais  trouver  le  roy  de  Navarre  en  Gascogne ,  et  pense 
que,  vers  le  mois  de  juillet,  il  sera  en  Xaintonge  et  en 
Poictou.  Vous  m'avez  aultresfois  escrit  de  M.  vostre  ne- 
veu ;  s'il  se  présente  occasion  de  lui  faire  quelque  ser- 
vice, et  que  j'en  sois  adverti,  je  le  ferai  de  très  bon 
cœur.  Je  n'ai  poinct  copie  du  chiffre  qu'aviez  envoyé 
au  Pays  Bas,  qui  me  faict  vous  supplier  de  m'en  en- 
voyer, par  mesme  moyen  ,  ung  aultre.  Au  reste,  mon- 
sieur ,  je  vous  prye  faire  estât  que  vous  avez  telle  puis- 
sance sur  moi  qu'ung  père  sur  ung  fils.  Qui,  sur  ce, 
vous  baiserai  bien  humblement  les  mains,  et  supplierai 
le  Créateur,  monsieur,  etc. 

De  Vitray ,  etc. 


XLVIIL  — DISCOURS 

Envoyé  a  M.  de  V alsinghnm ,  secrétaire  cV estât  (V An- 
gleterre ,  pour  induire  la  rojne  Elizabeth  h  em- 
brasser l  union  du  roy  de  Navarre  et  des  princes 
protestans  d'Allemaigne. 

Du  mois  de  mai  i583. 
C'est  chose  toute  claire ,  que  les  estats  ne  doibvent 
estre  estimés  fort  ne  foibles  en  eulx  mesmes;  mais  au 
regard  et  en  comparaison  de  leurs  voisins,  et  de  la 
proportion  qu'ils  ont  avec  eulx.  Et  c'est  en  quoi  la  royne 
d'Angleterre  principalement  doibt  estre  réputée  puis- 
sante, qui  a  veu  depuis  vingt  ans  ceulx  qu'elle  debvoit 
plus  redouter,  ou  s'affoiblir  par  leurs  propres  forces, 
ou  employer  leurs  efforts  ailleurs. 

Maintenant,  si  elle  veult  que  cest  heur  lui  dure, 


236  DISCOURS  POUR  L'UNION 

il  convient  en  continuer  les  causes,  c'est  à  dire  tenir 
tousjours  les  choses  en  ceste  proportion,  soit  en  se 
renforçant  d'alliances ,  à  mesure  que  ses  ennemis  se 
rallient,  soit  en  leur  suscitant  et  entretenant  des  exer- 
cices et  travaux,  qui  divertissent  leur  esprit  et  leurs 
moyens  ailleurs. 

Aultresfois  lui  a  on  dict  qu'il  n'estoit  que  d'estre  allié 
avec  les  plus  grands  princes  de  la  chrestienté,  comme 
le  roy  de  France  et  le  roy  d'Espaigne  ;  alliances ,  par 
l'advis  de  tous  bons  politiques,  qui  gisent  plus  en  papier 
qu'en  effect,  et,  qui  pis  est,  apportent  plus  de  dom- 
mage que  de  profit. 

Qui  est  allié  avec  ung  égal  (à  plus  forte  raison  avec 
plus  fort  que  soi),  perd  sa  liberté  et  son  avantage, 
d'autant  que,  qui  a  compagnon  a  maistre ,  et  que  le 
plus  grand  faict  tousjours  ployer  les  affaires  du  moindre 
aulx  siennes  propres.  Et  oultreque  les  histoires  en  sont 
pleines,  n'agueres  encores  la  ligue  des  Vénitiens  avec 
le  roi  d'Espaigne  contre  le  Turc,  nonobstant  la  néces- 
sité mutuelle,  ne  peult  durer,  parce  que  TEspaignol , 
qui  pense  tenir  ung  degré  sur  eulx,  en  vouUoit  seul 
avoir  et  le  profit  et  l'honneur. 

Au  contraire,  qui  a  ligue  avec  plus  foible  que  soi, 
devient  à  demi  maislre  de  ses  moyens,  conseils  et  forces; 
comme  il  se  voit  que  jamais  la  France  n'a  eu  alliance 
plus  utile  et  plus  secourable  au  besoing  que  celle  des 
Suisses. 

Je  laisse  que  le  différend  de  la  relligion  ne  permet 
poinct  que  ces  ligues  soient  sincères ,  d'autant  que  les 
conseils  de  la  pluspart  des  princes  catholicjues  sont  affi- 
nés en  la  fournaise  de  Rome,  et  dirigés  au  but  du  pape, 
qui  tend  tousjours  à  l'extermination  de  la  relligion, 
comme  il  s'est  assés  veu  par  les  pratiques  du  pape, 


DES  PRINCES  PROTESTANS.  287 

découvertes  en  Angleterre,  dont  il  a  prétendu  rendre 
les  susdicts  princes  exécuteurs. 

La  royne  pensoit  avoir  trouvé  ung  prince  qui  les 
tiendroit  tous  deux  en  eschec ,  et  par  tous  honnestes 
moyens,  pensoit  s'estre  asseuree  de  son  amitié ,  à  sça- 
voir,  monseigneur  le  duc  d'Anjou;  et,  s'il  eust  pris 
ung  bon  train,  le  conseil  n'estoit  mal  à  propos.  Mais, 
par  ce  qu'il  a  faict  es  Pays  Bas,  il  s'est  obligé  à  haïr  et 
à  ruyner  tous  ceulx  de  la  relligion ,  et  s'est  retranché 
toute  espérance  de  faire  partie  avec  eulx  ;  tellement 
qu'il  y  a  apparence  qu'il  se  jettera  à  corps  perdu  entre 
les  bras  des  catholiques,  et  espousera  les  affections  et 
factions  du  pape  ,  qui  doresnavant  le  fera  son  bras 
droict,  et  l'exécuteur  de  ses  plus  pernicieux  desseings; 
comme  ainsi  soit  qu'il  ne  peult  déguiser  ce  desordre 
d'Anvers,  aultrement  exécrable  envers  tous  hommes, 
qu'en  feignant  ung  zèle  d'y  remettre  sus,  à  quelque 
prix  que  ce  feust,  le  parti  de  sa  relligion. 

Et  qui  cognoist  son  humeur  inquiète  et  défiante,  ne 
doubtera  poinct  de  cet  article.  Car,  ayant  en  ceulx  des 
Pays  Bas  offensé  et  endommagé  tous  ceulx  de  la  relli- 
gion, il  ne  s'y  peult  plus  fier;  et,  se  voyant  forclos  de 
ce  parti,  il  vouldra  s'appuyer  d'ung  aultre,  ou  il  y  ait 
de  la  besongne.  C'est  de  se  rendre  chef  ou  instrument 
principal  de  la  ruyne  de  tous  ceulx  de  la  relligion.  Desjà 

il  est  certain  que  sans il  s'en  alloit  traicter  avec  le 

duc  de  Parme,  pour  lui  rendre  les  places  qu'il  tenoit 
aux  estais;  ce  qu'il  lui  dissuada,  pour  sauver  les  prison- 
niers qui  en  eussent  esté  en  danger ,  à  la  grande  honte 
de  la  France ,  et  désolation  de  plusieurs  notables  fa- 
milles. 

Car,  quanta  l'accord  faict  entre  lui  et  les  estats ,  on  a 
assés   apperceu  qu'il   n'a  eu  intention  que  de  sortir 


238  DISCOURS  POUR  L'UNION 

bagues  saulves,  et  ravoir  ses  prisonniers.  Ce  qui  se 
voit  en  ce  qu'il  avance  tous  les  jours  près  de  lui  les  plus 
désagréables  aux.  eslats,  comme  Fervnques ,  La  Ferté, 
Aurilly,  etc.,  en  rejettant  ceulx  qui  avoient  aulcune- 
ment  retenu  leur  créance  et  réputation  enversle  peuple, 
pour  n'avoir  pariicipé  aulx  mesclians  conseils,  desquels 
aultrement  il  eust  eu  à  se  servir. 

Posons  maintenant  ce  fondement  certain,  qu'il  revient 
en  France,  où,  sans  doubte ,  le  roy  craindra  qu'il  ne 
relevé  ung  parti  de  malcontens ,  dont  le  subject  est  assés 
beau  ,  veu  que  le  nombre  en  croist  et  mulliplie  tous  les 
jours  soubs  Testât  présent.  Qu'y  a  il  de  plus  plausible 
que  de  lui  mettre  en  main  ,  pour  le  moins  en  l'esprit , 
quelque  desseing  sur  Angleterre  et  Escosse;  en  délivrant 
par  mesme  moyen  et  le  roy  de  France  de  soubçon  , 
et  le  roy  dEspaigne  de  peine?  Et  je  sçais  que,  des 
l'an  passé,  le  roy  dEspaigne  faisoit  traicter  cela  soubs 
main  avec  lui,  par  un  certain  Italien  qui  sert  d'ingé- 
nieur à  Lisbonne  ,  dont  les  lettres  me  sont  venues  es 
mains.  Maintenant  aussi,  la  royne  sa  mère  va  traicter 
avec  lui  le  mariaige  de  la  fille  de  Lorraine,  pour  le  re- 
joindre, avec  ceste  maison  ennemie  de  la  vraie  cbres- 
tienté,  et  particulièrement  de  Testât  de  l'Angleterre. 

Car,  quant  à  faire  monseigneur  cbef  de  la  guerre, 
contre  ceulx  de  la  relligion  en  France,  le  roy  a  ses  pra- 
tiques et  ses  armes  si  suspectes,  qu'il  ne  lui  lairra  jamais 
tenir  la  campagne  en  France.  Et,  d'aultre  part ,  il  se  défie 
tant  du  roy,  qu'il  ne  prendra  jamais  la  cbarge  d'une 
armée  qui  ne  soit  à  sa  dévotion;  ce  qu'il  n'y  a  appa- 
rence que  le  roy  lui  permette. 

L'Angleterre,  sçai  je  bien,  n'est  pas  facile  à  con- 
quérir. Mais,  qu'on  me  confesse  aussi  qu'elle  est  aisée 
à  troubler;  le  seul  mariaige  de  monseigneur,  agréable 


DES  PRINCES  PROTESTANS.  289 

aux  ungs,  odieux,  aux  anll-res  ,  |)artit  le  pays  en  ligues, 
et  mit  la  court  et  le  conseil  en  coinhustion.  C'est  au 
reste  une^  prince  qui ,  sangles  beaucoup  examiner,  tend 
l'oreille  et  le  cœur  à  toutes  brouillenes,  comme  il  s'est 
veu  au  faict  d'Anvers,  duquel  il  n'avoit  bien  projette 
ni  l'entrée  ni  l'issue,  et  qui,  au  mieulx  qu'il  eust  peu 
souhaiter,  apportoit  sa  ruyne.  Et,  quand  on  vient  jus- 
ques  à  ce  poinct  de  laisser  troubler  son  estât,  beaucoup 
d'accidens  surviennent  au  malade  ,  qui  peuvent  faire 
ouverture  de  pis. 

Pour  contrebattre  ce  mal,  la  royne  d'Angleterre  (je 
laisse  l'ordre  du  dedans)  se  pourroit fortifier  d'alliances 
au  dehors ,  plus  seures  que  celles  qu'on  lui  a  recom- 
mandées jusques  ici. 

Avec  les  princes  protestans,  les  choses  y  seroient 
maintenant  très  bien  disposées;  car,  pour  secourir 
l'archevesque  de  Cologne,  les  plus  grands  se  sont  jà 
alliés  ensemble.  Et  on  pourroit  traicter,  non  avec  cha- 
cung  à  part ,  mais  avec  ce  corps  jà  formé.  Et ,  sans 
doubte ,  ils  ne  refuseroient  l'appui  d'Angleterre,  d'au- 
tant qu'ils  voient  les  catholiques  et  Austrichiens  en 
brasser  une  bien  lourde  contre  eulx.  Par  le  moyen  de 
ceste  alliance  se  creeroit  un  roy  des  Romains  aultre  que 
de  la  maison  d'Austriche,  qui,  aultrement,  va  en- 
gloutir toute  la  chrestienlé,  veu  qu'il  n'y  a  qu'ung  fils 
en  Espaigne ,  fort  débile  et  maladif,  avenant  la  niort 
duquel,  l'empereur,  par  le  mariaige  de  la  fille  d'Es- 
paigne,  rejoint  l'auctorité  de  l'empire  et  la  puissance 
d'Espaigne  ensemble. 

Seroit  en  oultre  la  royne  secourue  à  son  besoing  des 
forces  d'Allemaigne ,  comme  aultresfois  l'Angleterre  l'a 
esté-  très  à  propos  par  les  villes  maritimes.  Et  feroit 
tousjours  de  là  sortir  une  armée  de  Reystres,  pour  la 


24o  DISCOURS  POUR  L'UNION 

jetter  et  espandre  sur  le  pays  de  celui  qui  la  vouldroit 
troubler  chez  elle.  A  ceste  fin,  seroit  nécessaire  qu'elle 
eust  une  notable  somme  de  deniers  en  depost  en  Alle- 
maigne,  qui  tiendroit  ceulx  de  son  parti  en  haleine, 
et  ses  contraires  en  crainte.  Et  ne  seroit  si  tost  faicte, 
ceste  alliance,  que  plusieurs  princes  et  estats  voisins, 
chacung  pour  son  interest ,  ne  s'y  joignissent,  estant  la 
chrestienté  aujourd'hui  tellement  disposée,  qu'il  n'est 
besoing  que  de  quelque  prince  eminent,  qui  fasse  l'ou- 
verture, et  donne  le  signal  aulx  aultres,  pour  penser 
au  bien  commun. 

Sa  majesté  faict  très  sagement  de  renouveller  l'al- 
liance avec  l'Escosse ,  d'où  souffle  le  plus  fascheux  vent 
pour  son  estât.  Mais  doibt  aussi  considérer  que  ce  jeune 
prince  est  recherché  de  beaucoup  de  mariages;  et  que 
les  mariages  des  princes  sont  mariaiges  de  leurs  estats  ; 
et  par  conséquent  adviser  qu'il  s'allie  en  lieu  qui  soit 
bien  affectionné  vers  l'Angleterre.  Cela  se  faisant,  elle 
rompt  les  pratiques  ordinaires  que  ses  ennemis  y  font, 
tant  pour  le  marier  à  bon  escient,  que  soubs  ombre  et 
prétexte  de  mariaige. 

Tandis  que  le  parti  de  ceulx  de  la  relligion  demeu- 
rera ferme  en  France  et  Pays  Bas ,  les  roys  de  France  et 
d'Espaigne  auront  peu  de  moyens  de  lui  mal  faire.  Et 
pourtant  elle  a  interest  à  ne  les  laisser  perdre.  Et  pour 
le  Pays  Bas  ,  si,  des  le  commmencement,  elle  eust  teneu 
la  ligue  qui  s'estoit  traictee,  les  choses  ne  feussent  au 
poinct  oii  elles  sont,  et  n'eussent  esté  en  celui  où  elle 
a  esté  très  marrie  de  les  voir.  Quant  à  la  France,  le  roy 
de  Navarre  et  M.  le  prince  de  Gondé  sont  princes  de 
mérite ,  et  qu'elle  n'a  traictés ,  à  la  vérité ,  ni  selon  sa 
qualité,  ni  selon  la  leur;  elle  les  a  abandonnés  en. leur 
besoing;  les  a  laissés,  en  tant  qu'en  elle  a  esté,  et  en 


DES  PRINCES  PROTESTANS.  ,       241 

risée,  et  en  proie  à  leurs  ennemis;  les  a  mesmes  traictés 
indignement  en  leurs  personnes,  et  des  leurs ,  qui  est 
gracieuse  et  honorable  envers  tous  aultres,  non  de  telle 
qualité  qu'eulx.  Cela  faict  qu'ils  ne  s'osent  plus  attendre 
à  son  amitié ,  qu'ils  ont  tant  recherchée  en  vain  et 
ne  sçavent  s'ils  lui  font  plaisir  de  lui  offrir  leur  service. 
On  dict  toutesfois  à  la  royne  qu'elle  a  faict  merveilles- 
et  quelquesfois  on  reproche  l'ingratitude  ;  mais  elle  se 
peult  souvenir  que,  depuis  l'an  septante,  elle  n'a  pas  de- 
pendu  ung  denier  pour  eulx,encores  que  jamais  ils  n'ont 
eu  tant  d'affaires,  ni  passé  tant  de  périls.  Et  encores 
ce  qu'elle  feit  en  l'an  soixante  et  neuf  feut  moyennant 
certaines  bagues.  Car,  quant  aulx  deniers  prestes  l'an 
1576,  c'est  à  monsieur,  qui  les  eut,  à  en  respondre. 
Et  depuis,  il  en  a  eu,  à  diverses  fois,  grandes  sommes, 
qui,  peult  estre,  eussent  bien  esté  aussi  utilement  em- 
ployées ailleurs.  Si  est  ce  qu'elle  a  inlerest  à  leur  con- 
servation, et  peult  estre  ne  debvroit  permettre  qu'ils  se 
conservassent  d'eulx  mesmes,  sans  avoir  cest  honneur 
d'y  faire  sa  part. 

Et  c'est  en  somme  pour  revenir  aulx  deux  poincts 
proposés,  à  sçavoir  les  moyens  qu'elle  peult  tenir,  et 
pour  se  renforcer  d'alliances,  et  pour  divertir  les  ef- 
forts de  ses  ennemis,  sans  beaucoup  s'incommoder. 


XLIX.  —  ESTAT  DU  ROY  DE  NAVARRE 

Et  de  son  parti  en  France ,  envoyé  aiidict  sieur  de 
Valsingham,  en  mai  i  583. 

Le  roy  de  Navarre  doibt  estre  considéré,  première- 
ment en  la  qualité  en  la({uelle  par  la  grâce  de  Dieu  il 
est  né;  secondement,  en  celle  en  laquelle  \\  a  pieu  à 

Mém.  de  Duplessis-Mormay.  Tome  iij,  j  g 


242  ESTAT  DU  ROY  DE  NAVARRE 

Dieu  l'appeller  depuis,  à  sçavoir  en  tant  que  premier 
prince  du  sang  et  chef  de  la  maison  de  Bourbon  ;  et 
en  tant  que  chef  des  eghses  reformées  de  France. 

En  la  première  quahté  son  auctorité  croist  tousjours, 
et  ne  peult  decroistre ,  le  roy  estant,  comme  on  estime, 
du  tout  hors  d'espoir,  et  monseigneur  loing  d'avoir  en- 
fans;  l'ung  ayant  esté  si  long  temps  marié  sans  en  avoir, 
et  l'aultre  ne  l'estant  encores  poinct.  Cela  est  cause  que 
tous  les  bons  François  commencent  à  jetter  les  yeux  sur 
lui,  et  taçchent  de  plus  en  plus  à  anticiper  sa  faveur. 
Joint  que  le  mal  qu'ils  sentent  du  gouvernement  présent 
du  roy,  et  qu'ils  attendent  à  l'advenir  de  monseigneur, 
veu  les  eschantillons  qu'il  en  monstre ,  donne  grand 
lustre  au  roy  de  Navarre,  duquel  personne  n'a  occasion 
de  se  plaindre,  et  auquel  nul  ne  peult  jusques  ici  repro- 
cher cruauté,  perfidie,  ni  oppression  quelconque. 

Nostre  paix  aussi,  dont  nous  avons  usé  modeste- 
ment, a  faict  oublier  au  peuple  les  plaies  des  guerres 
civiles  dont  on  nous  faisoit  porter  la  haine.  Et,  pen- 
dant icelle,  il  a  tant  pati,  ou  des  nouveaux  imposts  du 
roy  ,  ou  des  mangeries  des  troupes  de  son  altesse,  qu'ils 
ont  succédé  à  nostre  haine,  et  le  roy  de  Navarre,  en 
quelque  façon,  à  leur  bienveillance,  en  tant  qu'on  a  à 
se  plaindre  de  tous,  fors  que  de  lui. 

Une  chose  accroistroit  grandement  son  crédit,  si 
seurement  il  se  pouvoit  que  le  roy  de  Navarre  s'ap- 
prochast  ung  peu  du  centre  de  la  France,  estant  prince 
beau,  agréable,  adroit,  et  doué  de  toutes  parties  re- 
quises, pour  attirer  le  cœur  de  la  noblesse,  et  y  a  ap- 
parence qu'en  ce  cas ,  veu  mesmes  le  desdain  des  aul- 
tres,  la  pluspart  l'approcheroient,  et  prendroient  goust 
à  lui. 

Car,  quant  à  la  faveur  de  messieurs  de  Guise  envers 


ET  DE  SON  PARTI  EN  FRANCE.  243 

le  peuple  et  la  noblesse  ,  elle  déchet  à  veue  d'œil.  On  a 
veu  qu'ils  ont  esté  à  la  court,  dedans  Paris,  bien  accom- 
pagnés, au  milieu  de  leurs  amis  ;  et  n'ont  toutesfois  osé 
dire  ung  mot  de  vérité  pour  la  reformation  du  gouver- 
nement; que  c'a  esté  lors  que  tous  ces  iniques  et  oné- 
reux edicts  se  sont  faicts,  et  que  les  parlemens  ont  esté 
plus  forcés  en  leur  auctorité;  qu'ils  ont  plongé  devant 
M.  d'Espernon  et  M.  de  Joyeuse,  comme  canes  devant 
barbets,  et  en  ont  enduré  mille  vergongnes,  pour  en 
tirer  quelque  vile  commodité.  Qu'ils  ont  me^idié  faveur 
en  s'accommodant  lascliement  à  tous  vices,  à  toutes 
enormités,  à  toutes  fantaisies,  comme  nommeement  à 
ceste  dernière  confrérie,  que  les  parlemens,  la  Sor- 
bonne,  l'Université,  les  convens,  les  prescheurs,  tous 
en  gênerai  ont  condamnée  et  biasonnee  haut  et  clair. 
Cela  a  faict  voir  à  chacung qu'ils  n'avoient  qu'ung  masque 
de  valeur,  qu'ils  ne  taschoient  qu'à  faire  profit  des  ca- 
lamités publiques,  et  que,  quand  on  les  auroit  eslevés 
en  auctorité,  on  auroit  changé  l'enseigne  de  la  taverne, 
mais  pour  y  boire  peult  estre  encores  pire  vin. 

La  relligion  dont  le  roy  de  Navarre  faict  entière 
profession,  lui  est  bien  à  la  vérité  ung  empeschement , 
pour  n'entrer  si  avant  et  si  tost  au  cœur  du  peuple  ; 
mais  si  ne  laissent  les  plus  sages  de  dire  qu'ung  prince 
qui  a  une  relligion  bien  asseuree,  vault  trop  mieux 
que  qui  n'en  a  du  tout  poinct;  que  les  choses  sont  re- 
duictes  à  ce  poinct  en  France ,  qu'elle  ne  peult  estre  pai- 
sible sans  les  deux  relligions.  Et  n'y  a  double,  si  on 
voyoit  le  roy  de  Navarre  aussi  bien  allié  et  appuyé 
dehors  le  royaume,  comme  il  est  bien  fondé  dedans, 
que  plusieurs  personnages  notables  de  toutes  qualités 
s'adjoindroient  et  à  la  reUigion  et  à  son  parti,  qui  sont 


•244  ESTAT  DU  ROY  DE  NAVARRE 

ennuyés  extrêmement  et  des  abus  de  l'Eglise  romaine 

et  des  corruptions  de  Testât  présent. 

En  la  personne  du  roy  de  Navarre  chacung  remarque 
une  vigueur  de  corps,  une  vivacité  d'esprit,  une  gran- 
deur de  courage  presque  incomparable.  C'est  la  matière 
dont  se  sont  créés  les  plus  grands  princes.  Pour  y  ad- 
jouster  la  forme,  il  a  passé  jusques  ici  par  beaucoup 
de  beurts  et  de  traverses,  s'est  trouvé  en  cest  aage  en 
plusieurs  entreprises  bazardeuses  ,  en  plusieurs  traictés 
perplex ,  en  affaires  continuelles  de  paix  et  de  guerre.  Ce 
sont  les  exercices  qui  parfont  et  accompHssent  les  prin- 
ces bien  nés.  En  oultre ,  il  a  pris  ung  pli  depuis  quelques 
années  de  se  commettre  totalement  au  conseil  des  plus 
gens  de  bien,  qu'il  a  peu  choisir  et  recueillir  de  toute  la 
France  ;  qui  donne  espoir  à  tous  que  Dieu  veult  faire  en 
nostre  siècle  de  grandes  cboses  et  par  lui  et  pour  lui. 

Quant  à  ses  biens  et  moyens  patrimoniaux,  ils  ont 
esté,  tant  par  les  mauvais  mesnages  de  ses  prédéces- 
seurs, que  par  les  ruynes  des  guerres  civiles,  bien  en-' 
dommages;  mais  si  jouit  il  encores  de  trois  cens  mille 
escus  de  rente  annuelle  ,  et  s'acquitte  par  la  diligence 
de  ses  serviteurs  de  jour  en  jour;  et  est  à  présent  sa 
maison  en  splendeur  et  en  ordre. 

Les  susdicts  biens  consistent,  partie  en  souveraine- 
tés, et  partie  non;  en  souveraineté,  il  tient  une  partie 
du  royaume  de  Navarre,  appellee  Navarre  basse,  le  pays 
des  Basques  et  de  Donnezan,  qui  sont  tous  les  passages 
de  France  en  Espaigne.  Item,  le  pays  de  Bearn  ,  qui  tient 
deux  journées  ou  plus  de  pays  fertile  en  quarré,  où  sont 
assises  Oleron,  ville  fort  marchande  et  riche,  Pau, 
Lescar,  Orthés,  Naï ,  Morlais,  etc.,  et  sur  toutes  Na- 
varreins ,  place  d'importance  et  fortifiée  à  la  Realle ,  en 


ET  DE  SON  PARTI  EN  FRANCE.  245 

laquelle  il  a  ung  arsenal  bien  fourni  d'artillerie,  de 
poudre,  d'armes  et  de  toutes  munitions  de  guerre. 
Le  seigneur  de  Sainct  Gêniez,  gentilhomme  de  grande 
qualité,  vertu  et  expérience,  commande  aulx  susdicts 
pays  en  titre  de  lieutenant  gênerai;  M.  de  Sales ,  vieux 
chevalier,  en  titre  de  gouverneur  de  Navarreins.  Et  se 
peuvent  tirer  du  pays,  à  tout  besoing,  trois  cens  gentils- 
hommes en  bon  équipage,  et  six  mille  arquebusiers 
bien  armés  ,  soubs  la  charge  de  quattre  gentilshommes  , 
qui  sont  capitaines,  chacung  en  son  quart,  de  la  milice 
du  pays.  En  ce  dict  pays  y  a  une  Université  en  la  ville 
d'Orthés,  bien  pourveue  de  gens  doctes,  en  laquelle  il 
entretient  tousjours  cinquante  escoliers  en  théologie, 
chacung  l'espace  de  dix  ans ,  pour  servir  au  ministère 
de  l'Evangile. 

Soubs  l'hommage  du  roy  de  France ,  il  possède  la 
comté  de  Foix,  qui  tient  presque  depuis  Thoulouse 
jusques  en  Espaigne,  en  laquelle  sont  assises  les  villes 
de  Pamiers,  Foix,  Mazeres ,  Saverdun ,  Madazil  ;  toutes 
fortes  d'art  et  de  nature.  Le  peuple  d'icelles,  pour  la 
pluspart  de  la  relligion,  et  dont  on  peult  armer  pour 
le  moins  six  mille  arquebusiers.  Il  n'en  doibt  au  roy 
que  le  simple  baise  main,  et  y  a  tout  droict  de  regale. 

Item  ,  tient  à  mesme  droict  la  comté  de  Bigorre ,  dont 
est  capitale  Tarbe,  très  grande  ville,  mais  fort  endom- 
magée des  guerres  civiles;  et  la  vicomte  de  Marsan,  où 
sont  les  villes  du  Mont  de  Marsan,  Roquefort,  Ville- 
neuve, etc.  Item,  le  duché  d'Albret,  qui  tient  depuis 
Bayonne  jusques  à  Bordeaux,  et  mesmes  au  deçcà  de  la 
Garonne  et  de  la  Dordogne,  où  sont  Albret,  Tartas, 
Casteljaloux,  Nerac,  Millau,  S.  Bazile,  Castels,  Gi- 
ronde (ces  quattre  sont  sur  la  Gironde),  Aillas,  Gastel- 
moron  ,  Puinormand,  etc. 


246  ESTAT  DU  ROY  DE  NAVARRE 

Item,  la  comté  d'Armagnac  haut  et  bas,  dont  relèvent 
dix  hnict  cens  fiefs  nobles,  où  sont  assises  Ausch,  ville 
archiépiscopale;  Comdon  ,Leitoure,  villes  episcopales; 
Eaiisen,  l'isle  Jourdain,  Gimon ,  Mauvezin ,  Grenade, 
Vuiilac,  Caslelnau  et  plusieurs  aultres.  Item,  le  pays 
et  comté  deRouergue,  qui  contient  près  de  trois  jour- 
nées tirant  vers  le  Languedoc,  où  sont  Rhodez,  ville 
capitale;  Millau,  Vabres,  etc.,  villes  episcopales.  Item, 
le  pays  et  comté  de  Perigord,  le  pays  et  vicomte  de 
Limoges,  etc.,  où  sont  plusieurs  villes  et  chasteaux 
subjects  et  à  la  dévotion  dudict  seigneur  roy,  et  tous  les 
gentilshommes  ses  vassaux  patrimoniaux.  Et  en  somme , 
exceptant  bien  peu  de  villes,  il  tient  tout  ce  qui  est 
depuis  l'Espaigne  jusques  à  la  Dordogne,  tirant  du 
midi  au  nord,  et  de  la  mer  oceane  jusques  en  Langue- 
doc et  en  Auvergne,  tirant  du  ponent  au  levant,  qui 
sont  plus  de  six  journées  de  pays,  fort  peuplé  de  no- 
blesse ,  tant  en  long  qu'en  large.  Et  sçavent  ceulx  qui 
ont  leu  les  histoires  de  France  et  d'Angleterre,  nommee- 
mentFroissart,  quels  estoient,  du  temps  d'Edouard  III, 
ung  comte  de  Foix ,  ung  comte  d'Armagnac,  ung  duc 
d'Albret ,  lors  toutesfois  que  les  pays  n'estoient  si  riclies 
et  cultivés;  dont  ils  peuvent  conjecturer  quelle  peult 
estre  la  puissance  bien  conduicte  de  qui  à  tout  ce  qu'ils 
avoient  ensemble. 

Les  susdictes  provinces  sont  aussi  toutes  soubs  îeroy 
de  Navarre  comme  gouverneur  et  lieutenant  gênerai 
pour  le  roy  en  Guienne,  et  y  a  en  cliacune  quelques 
gentilsliommes  notables,  qui  sont  ou  gouverneurs  en 
titre,  ou  bien  ont  charge  sans  titre,  de  veiller  sur  les 
places  plus  importantes,  comme  en  la  comté  de  Foix, 
le  vicomte  de  Paillez,  le  seigneur  de  Miossens  ,  grand 
seneschal,  le    baron  d'Odoux,  le  sieur  de  Leyran,  le 


ET  DE  SON  PARTI  EN  FRANCE.  24? 

sieur  de  Brigueux,  etc.  En  la  comté  de  Bigorre,  le  baron 
de  Beinac  et  le  sieur  de  la  Roque  de  Beinac.  En  la  vi- 
comte de  Marsan ,  les  sieurs  de  la  Casse  et  d'Aby,  et  le 
capitaine  Mesmes.  En  la  duché  d'Albret ,  les  sieurs  de 
Podeins,  de Favas,  de  Vivans,  et  de  Melon,  de  là  l'eau; 
et  deçà ,  le  baron  de  Montferraut  et  Langouran,  le  baron 
de  S.  Alliais  et  les  sieurs  de  Longa  Barrière,  et  Larmandie. 
En  Armagnac,  le  baron  de  Fontrailles,  le  vicomte  de 
Labbatut,  le  baron  de  Pangcaz,  le  sieur  de  Bourgoi- 
gnan,les  sieurs  de  Saulmont,  elc.  En  Rouergue,  les 
vicomtes  de  Panât,  de  Monclar,  de  Bourniquet,  de 
Paulin.  En  Perigord  ,  Limosin  et  pays  circonvoisins,  les 
barons  de  Campaignac,  de  Boesse,  de  Salaignac,  les 
sieurs  de  Madaillan,  de  Bellefonse,  de  Boisdiman ,  de 
Boisjoulant.  Item,  le  vicomte  de  Lavedan,  le  baron  de 
Cabreres,  le  sieur  de  Giscar,  etc.,  tous  gentilshonjmes 
qualifiés, vassaux  et  subjects  patrimoniaux  dudict  sei- 
gneur roy,  et  faisans  profession  de  la  relligion. 

Au  pays  de  Limosin  particulièrement  est  sis  le  pays 
et  vicomte  de  Turenne,  où  est  le  chd^teau  de  Turenne, 
fort  d'assiete ,  six  ou  sept  villes  es  environs,  et  grand 
quantité  de  noblesse,  qui  peult  tenir  en  subjection  tout 
le  Limosin  et  partie  d'Auvergne.  En  son  absence  y  com- 
mande le  sieur  de  Choupes,  qui  défendit  Lusignan  après 
le  massacre. 

Deçà  la  rivière  de  Loire,  le  roy  de  Navarre  a  aussi 
de  grands  biens ,  comme  le  pays  et  duché  de  Vendos- 
mois ,  le  pays  et  duché  de  Beaumont ,  la  comté  de  Marie , 
1^.  vicomte  de  Ghasteauneuf  et  pays  deThumerais,  etc., 
esquelles  la  pluspart  de  la  noblesse  persiste  en  la  rel- 
hgion,  nonobstant  que,  durant  ces  dernières  guerres, 
ils  n'eussent  poinctde  retraite,  et  sont  particulièrement 
affectionnés  envers  lui.  Es  dicts  pays  il  a  des  gouver- 


248  ESTAT  DU  ROY  DE  NAVARRE 

neurs,  comme  le  sieur  de  Chauvigny  en  Vendosmois ,  de 
la  Lande  Congriere  en  Beaumonlois;  de  Crecy  au  pays 
de  Marie,  de  la  Roque  en  Thumerais,  etc.  Je  ne  tou- 
che poinct  ici  à  ses  grandes  prétentions  ,  ni  aussi  à  ses 
grands  biens  du  Pays  Bas ,  oî^i  il  possède  de  bonnes  et 
notables  villes. 

Tous  ces  biens  sont  administrés  et  conduicts  soubs 
quattre chambres  des  comptes,  qui  sont  establies  à  Pau 
en  Béarn  pour  ses  souverainetés ,  à  Nerac  pour  les  biens 
assis  entre  Loire  et  les  monts  Pyrénées,  à  Vendosme 
pour  ceulx  d'entre  Loire  et  Seine,  à  la  Fere  en  Picar- 
die, pour  ceulx  de  Picardie  et  des  Pays  Bas;  toutes 
lesquelles  sont  pourveues  d'ung  président  et  de  nombre 
suffisant  de  gens  de  conseil ,  et  rapportent  tout  au  con- 
seil privé  dudict  seigneur  roy ,  résident  lez  sa  personne, 
où  sont  le  sieur  de  Grateins  son  chancelier;  le  sieur 
de  Segur,  superintendant  de  sa  maison  et  finances;  les 
sieurs  de  Guitry,  Duplessis  et  aultres  de  robbe  courte,  et 
plusieurs  notables  conseillers ,  maistres  des  requestes 
et  secrétaires.  Et  parce  que  les  susdicts  biens  sont  assis 
soubs  trois  parlemens,  à  sçavoir  Paris,  Toulouse  et 
Bordeaux,  ausquels  ressortissent  plusieurs  affaires  et 
procès  concernant  iceulx ,  en  chacung  desdicts  parle- 
mens il  a  ung  conseil  stipendié  et  arresté ,  auquel  pré- 
side ung  des  principaux  du  parlement.  Pour  celui  de 
Paris  il  a  faict  élection  de  M.  du  Terrier,  n'agueres  am- 
bassadeur pour  le  roy  à  Venise,  Tung  des  grands  person- 
nages de  l'Europe,  et  que  feu  M.  le  cbancelier  de  THos- 
pital  avoit  seul  jugé  digne  de  succéder  en  Testât  de  chan- 
celier pour  son  intégrité  et  suffisance.  Nous  craignons 
qu'il  ne  l  ose  accepter,  parce  qu'il  désire  doresnavant  faire 
ouverte  profession  de  la  relligion  ,  et  vouldroit  demeu- 
rer en  lieu  plus  seur  etplus  libre  pour  l'exercice  d'icelle. 


ET  DE  SO?^  PARTI  EN  FRANCE.  249 

En  qualité  de  chef  et  protecteur  de  ceulx  de  la  relli- 
gion  reformée  en  France,  le  roy  de  Navarre  est  aussi 
assisté  de  plusieurs  seigneurs,  gentilshommes,  capi- 
taines, provinces,  -villes  et  communautés  en  France, 
desquels  les  cœurs,  forces  et  moyens  croissent  de  jour 
en  jour,  et  d'autant  plus  se  fortifient,  quils  le  voyent 
croistre  en  resolution  et  constance ,  et  veiller  et  tra- 
vailler de  plus  en  plus  pour  leur  conservation ,  sans  y 
espargner  chose  qui  despende  de  lui. 

Ainsi  donc,  oultre  plusieurs  bonnes  et  fortes  places 
appartenantes  au  roy,  qui  sont  meslees  dans  ses  pays 
patrimoniaux ,  qui  ont  tousjours  tenu  son  parti ,  comme 
Bazas  episcopale,  Puymirol,  Montsegur,  le  Mas  de  Ver- 
dun, Caumont  sur  Garonne  et  aultres  en  bon  nombre, 
sortant  de  ses  pays  patrimoniaux  ci  dessus  nommés, 
esquels  il  est  fort  aimé  et  révéré  de  ses  subjects  et  vas- 
saux, et  tirant  vers  l'Orient  ou  le  Languedoc,  se  ren- 
contre le  pays  de  Quercy,  contenant  quattre  chastelle- 
nies ,  à  seavoir  Cahors ,  Figeac ,  Montauban  et  Lau- 
zerte;  de  ces  quattre,  les  deux,  à  sçavoir  Figeac  et 
Montauban,  sont  purement  es  mains  de  ceulx  de  la 
relligion;  Lauzerte  est  commune  aulx  deux;  Cahors 
feut  rendue  aulx  dernières  guerres  par  la  paix,  ayant 
esté  prise  si  valeureusement  par  le  roy  de  Navarre.  Et 
soubs  icelles  sont  plusieurs  petites  villes  de  mesme 
parti  et  profession,  comme  Caussade,  S.  Antonin, 
Realemont ,  etc.;  à  Figeac,  est  gouverneur  le  sieur  de  la 
Meausse,  vieux  capitaine;  Montauban  est  régie  par  ses 
consuls,  comme  La  Rochelle  par  ses  maire  et  eschevins. 
Sur  le  pays  veillent  principalement  le  baron  de  Terride, 
vicomte  de  Serignac,  et  le  vicomte  de  Gourdon,  qui 
ont  faict  preuve  de  leur  fidélité  et  valeur  en  tous  les 
troubles.  D'un  costé  ,  est  le  pays  deLauragois,  qui  tient 


2  5o  ESTAT  DU  ROY  DE  NAVARRE 

tout  pour  la  relligion,  où  est  Puyiaurens,  ville  capitale , 
Auriac,  Carmaing,  etc.  :  c'est  le  pays  où  croist  le  pastel. 
D'ung  auiire,  l'Albigeois,  où  est  la  ville  de  Castres, 
grande  et  bien  fortifiée,  assistée  de  plusieurs  forts 
chasteaux.  Et  d'ung  aultre,  le  pays  de  Foix  et  de 
Rouergue  ,  etc.,  patrimoniaux  dudict  sieur  roy.  Et  sont 
tous  ces  pays  aultrement  appelles  bas  Languedoc,  ou 
limitropbes,  ou  meslés  avec  les  siens,  de  telle  sorte  que 
facilement  se  peuvent  joindre  avec  une  médiocre  diver- 
sion avec  celles  des  églises  de  Languedoc,  Dauphiné  et 
Provence. 

Au  bas  Languedoc,  Jes  églises  tiennent  Nismes  et  la 
seneschaussee,  Montpellier,  siège  de  la  cbambre  des 
comptes;  Aiguesmortes  et  les  Salines,  Uzez,  Alez, 
Alezli ,  etc. ,  villes  episcopales  ;  puis  Lunel ,  Aimargues  , 
Marsillargues,  Baionols,  Sommieres  et  plusieurs  aul- 
très.  Item ,  les  pays  des  Sevenes,  Vivarez ,  Vellay ,  Givou- 
dan,  etc.,  où  sont  plusieurs  riches  petites  villes,  im- 
prenables  d'assiete.  Et  maintenant  jouissans  de  l'amitié 
estroite  de  M.  le  maresclial  de  Montmorenci,  auquel 
la  leur  est  nécessaire,  se  peuvent  asseurer,  hors  deux 
ou  trois  places,  de  tout  Languedoc,  qui  est  la  plus 
riche  et  plus  importante  province  de  toute  la  France, 
estant  icelui  asseuré  de  Beaucaire  sur  le  Rhosne  et  la 
seneschaussee  de  Beziers ,  de  Pezenaz,  de  Carcassonne  , 
d'Adge,  de  Leucalhe,  et  aultres  places  d'importance, 
tant  au  bas  que  haut  Languedoc.  De  ceste  province, 
ceulx  de  la  relligion,  je  ne  parle  poinct  des  aultres, 
peuvent  tirer  en  campagne,  les  villes  garnies,  six  mille 
arquebusiers,  ce  qui  s'est  encores  n'agueres  veu,  quand 
M.  de  Chaslillon  voulleut  aller  au  secours  de  Genève; 
mais  non  plus  de  quatlre  cens  chevaux,  parce  qu'elle 
n'est  pas  si  peuplée  de  noblesse  que  les  aultres.  Enicelle, 


ET  DE  SON  PARTI  EN  FRANCE.  25  r 

M.  de  Chastillon,  seigneur  de  grande  espérance,  fils  de 
feu  M.  l'amiral,  veille  sur  la  conduicte  des  affaires,  ac- 
compagné du  sieur  d'Andelot  son  frère,  et  assisté  de 
plusieurs  notables  conseillers  et  capitaines,  comme  des 
sieurs  de  Bouillargues,  Gremian,  Percherez,  Sainct 
Cosmes,  de  Vignolles,  de  Clausonne ,  etc.  Ledict  sieur 
de  Chastillon  est  gouverneur  de  Montpellier,  le  sieur 
de  Gremian,  d'Aiguesmortes,  le  sieur  de  Percherez,  de 
Lunel  ;  les  aultres  en  ce  temps  de  paix  se  gardent  d'elles 
mesmes. 

En  Provence,  les  églises  se  multiplient  à  veue  d'œil 
sous  la  paix  ,  à  Arles  et  Aix,  qui  sont  les  archeveschés 
et  parlemens ,  à  Marseille  mesmes ,  où  il  n'y  a  que 
quattre  ans  qu'on  ne  cognoissoit  homme  de  la  relligion, 
et  maintenant  y  en  a  plus  de  deux  cens  bonnes  familles. 
Plusieurs  villes  y  sont  à  la  dévotion  du  roy  de  Navarre, 
mais  une  seule  ouvertement,  et  soubs  adveu  du  roy,  à 
sçavoir  la  Tour  de  Seine,  selon  ledict  de  l'an  1577.  Le 
baron  de  Rieux  et  le  baron  d'Allemaigne  y  ont  la  charge 
des  affaires. 

En  Dauphiné,  les  affaires  avoient  fort  empiré  en  la 
dernière  guerre,  parce  que  les  églises  feurent  aban- 
données de  tout  secours,  et  feurent  contraintes  d'es- 
sayer la  foi  du  duc  de  Mayenne  ,  dont  leur  advint  beaU'î- 
coup  de  mal.  Dejniis,les  églises  s'y  sont  heureuse- 
ment ralliées  par  la  vigilance  des  sieurs  de  Lesdiguieres, 
de  Gouvernet ,  de  Cugy,  de  Blascons ,  de  Morges  ,  de 
Mirabel,  de  Sainct  Auban  ,  de  Chabert  et  aultres  gentils- 
hommes principaulx.  Il  y  a  en  ceste  province  plus  de 
quattre  cens  gentilshommes  de  la  relligion  qui  ont 
monté  à  cheval  toutes  les  guerres;  et,  les  places  four- 
nies, en  sortiroient  qua:ire  mille  arquebusiers.  Soubs 
fadveu  du  roy  on  y  tient  les  villes  de  Nions  et  Serres 


aSs!  ESTAT  DU  ROY  DE  NAVARRE 

haute  et  basse,  et  couvertement  plusieurs  aultres;  la 
principaulté  d'Orauge  y  est  voisine ,  qui  les  a  tousjours 
appuyés  au  besoing. 

Des  monts  Pyrénées  on  peult  traverser  jusques  en 
Savoie  par  les  susdictes  provinces,  c'est  à  dire  d'ung 
bout  de  la  France  à  Taultre,  logeant  et  séjournant  tous- 
jours  en  places  amies,  de  trois  en  trois  lieues  au  plus 
loing,  en  villes  qui  sont  ou  du  patrimoine  ou  de  la  pro- 
tection du  roy  de  Navarre.  Et  n'est  à  omettre  que  le 
portd'Aiguesmortes  est  à  leur  dévotion,  où  se  peuvent 
armer  frégates  et  galères  pour  endommager  les  costes 
et  rompre  le  trafic  de  la  mer  Méditerranée. 

Tirant  puis  après  du  midi  au  nord ,  c'est  à  dire  de 
la  basse  en  la  haute  Guyenne,  et  sortant  des  duchés  et 
comtés  patrimoniales  du  roy  de  Navarre,  entre  la  Ga- 
ronne et  Dordogne  se  trouve  le  pays  qu'on  appelle  des 
Deux  Mers,  presque  tous  delà  relligion,  dont  j'ai  veu 
lever  en  quattre  jours  quattre  mille  arquebusiers,  où 
sont  Bergerac,  Saincte  Foi,  Castillon,  tous  passages  sur 
la  Dordogne.  Et  delà  en  avant,  les  pays  d'Angoulmois, 
Xaintonge,  Poictou,  et  Aunix,  d'où  sortiront  au  moins 
cinq  cens  gentilshommes  de  la  relligion  et  six  mille 
arquebusiers.  Sur  iceulx  a  esgard  principalement  mon- 
seigneur le  prince  de  Condé,  résident  à  Sainct  Jean 
d'Angely,  duquel  la  pieté  et  valeur  est  cogneue ,  et 
prend  conseil  des  plus  sages  et  plus  expérimentés  sei- 
gneurs et  gentilshommes  du  pays.  Les  principaulx  de 
la  noblesse  v  sont  :  M.  le  comte  de  la  Rochefoucault, 
M. 'le  baron  de  Montandre  et  de  Montguion,  le  baron 
de  la  Roche  Allez,  le  baron  de  Montiâeu,  le  baron  de 
Plassac,  frère  de  M.  de  Mirambeau  ;  les  sieurs  du  Son,  des 
Ageaux ,  de  Boisrond,  de  Vibrac;  puis  en  Poictou,  le 
baron  de  Verac,  le  baron  de  Tonnai   Boutonne,  les 


ET  DE  SON  PARTI  EN  FRANCE.  2  53 

sieurs  de  Sainct  Gelais,  de  Vaudoré,  de  la  Boulaye,  de 
Sainct  Estienne,  de  Vieillevigne,  de  la  Fromentiniere, 
de  Tifordiere,  de  Montfernier,  desEssars,  de  la  Bou- 
cherie, etc.,  desquels  les  noms  sont  prou  cogneus  es 
guerres  de  Poitou  ;  et  oultre  plusieurs  petites  villes  et 
chasteaux,  ils  y  ont  pour  retraite  Ponts,  Sainct  Jean 
d'Angely  et  La  Rochelle.  A  Sainct  Jean  est  gouverneur 
M.  de  Mesme,  très  sage  et  expérimenté  gentilhomme. 
Quant  à  La  Rochelle,  elle  est  gouvernée  par  ses  maire 
et  eschevins  ;  le  maire  est  à  présent  Choisi,  homme  zéla- 
teur de  la  relligion.  Et  par  ces  pays  se  peult  parvenir 
depuis  les  monts  Pyrénées  jusques  en  Bretagne. 

Es  pays  de  deçà  Loire,  le  parti  du  roy  de  Navarre 
n'est  si  apparent;  si  n'y  a  il  province  où  il  n'y  ait  bon 
nombre  de  seigneurs  et  gentilshommes  de  la  relligion 
des  plus  apparens;  entre  aultres,  M.  de  Rohan ,  prince 
en  Bretagne;  M.  le  comte  de  Laval,  M.  de  Rieux  son 
frère,  M.  de  Clermont,  marquis  de  Garlande;  M.  le 
comte  de  Montgommery  et  plusieurs  aultres;  comme 
aussi  y  en  a  infinis  de  toutes  qualités  prests  à  embrasser 
et  la  relligion  et  le  parti,  s'ils  y  voyoient  seureté;  mais, 
depuis  la  Sainct  Barthélémy,  ils  n'ont  point  eu  de  re- 
traite ,  et  n'ont  eu  asseurance  que  dedans  les  armées , 
que  difficilement  ils  pouvoient  joindre,  s'elles  ne  des- 
cendoient  d'Allemaigne.  Cependant,  elles  ne  laissent 
d'avoir  ung  ordre  et  une  forme  de  conduite,  bien  que 
plus  secrète;  et  n'y  a  petit  coing  oii  il  n'y  ait  quelque 
gentilhomme  capable  et  signalé,  auquel  s'adressent 
les  affaires,  qui,  au  besoing,  seroit  suivi  et  obéi  des  aul- 
tres. Et  d'autant  j^lus  sont  ils  maintenant  affectionnés 
au  roy  de  Navarre,  que  plusieurs  d'eulx  avoient  jus- 
ques ici  cherché  retraite  soubs  l'aile  de  son  altesse,  de 
laquelle  ils  n'espèrent  plus  faveur,  ni  support  à  l'advenir. 


2  54  ESTAT  DU  ROY  DE  NAVARRE 

Ainsi ,  en  toutes  et  chacune  les  provinces  susdicteS 
y  a  conseils  establis  pour  la  direction  des  affaires  de 
la  relligion ,  lesquels  rapportent  tout  au  conseil  du 
roy  de  Navarre,  résident  près  sa  personne  ,  qui  est  dis- 
tingué de  celui  auquel  se  manient  ses  affaires  patrimo- 
niales. En  icelui  entrent  M.  de  Rolian  ,  M.  de  Chas- 
tillon,  les  sieurs  de  Clervant,  de  Segur,  de  Guitry,  de 
Lezignan,  Duplessis,  etc.,  les  députés  des  principales 
provinces,  residens  près  dudict  sieur  roy,  à  sa  re- 
queste  et  prière,  partie  de  robbc  courte  et  partie  de 
robbe  longue,  et  un  secrétaire  d'estat  ordinaire  et  per- 
pétuel ,  à  sçavoir,  le  sieur  du  Pin ,  sans  lesquels  il  ne 
faictrien,  et  avec  lesquels,  ou  la  plus  part  d'iceulx , 
il  faict  tout.  Et  parce  que  tous  ceulx  là  n'y  peuvent 
tousjours  résider,  y  a  un  ordre  dressé,  selon  lequel  ils 
y  viennent  les  ungs  après  les  aultres.  De  ce  conseil 
sont  aussi  M.  de  Laval ,  M.  de  Turenne,  M.  de  la  Noue, 
lesquels  Dieu  y  veille  ramener  par  sa  grâce. 

Ce  parti ,  composé  des  moyens  du  roy  de  Navarre 
et  des  églises  de  France ,  conjoints  à  mesme  but ,  à 
sçavoir  à  leur  conservation  ,  est  bien  si  solide  €t  si  fort , 
que  la  puissance  du  royaume  de  France,  voire  une 
plus  grande,  ne  le  sçauroit  ruyner  sans  se  ruyner  elle 
mesmes;  car,  comme  il  s'est  pieça  veu,  il  s'est  relevé  de 
plusieurs  pertes  et  defaictes,  et  delà  journée  SainctBar- 
tlielemy  mesmes,  qui  sembloit  l'avoir  atterré  tout  d'ung 
coup ,  encores  que  ,  depuis  ce  jour  là ,  il  a  esté  lort  peu 
assisté  des  voisins,  et  au  contraire  assailli,  oultre  les 
forces  de  France,  de  partie  de  celles  d  Allemaigne,  de 
Suisse  et  d'Italie. 

Mais,  d'autant  qu'il  a  ceste  incommodité  de  ne  pou- 
voir tenir  la  campagne  contre  telle  puissance,  et  qu'il 
est  contraiiit  de  se  resouldre  des  le  premier  jour  à  la 


ET  DE  SON  PARTI  EN  FRANCE.  -255 

défensive,  que  l'homme  de  guerre  doibt  tousjours  re- 
server à  l'extrémité  ;  cedict  parti  ,  bien  qu'avec  grande 
incommodité  et  perte  des  assaillans,  faulte  d'une  ar- 
mée qui  recueillist  et  ralliast  ses  forces  esparses  par  les 
provinces,  s'est  tousjours  affoibli  par  toutes  les  guerres, 
comme  il  s'est  veu  qu'en  celle  de  l'an  1077,  il  perdit 
la  Charité,  Yssoire  et  Brouage,  et  en  la  dernière  de 
l'an  i58o,  la  Fere  et  Lamure,  places  d'importance, 
et  quelques  bicoques  en  Gascogne  ;  et  en  la  paixmesmes 
quitta  beaucoup  de  ses  advantages  et  seuretés;  estant 
tout  certain  que  qui  en  une  guerre  ne  peult  que  se 
défendre ,  est  tousjours  offencé ,  comme  en  ung  duel 
qui  ne  faict  que  parer,  se  trouve  enfin  offencé  de  son 
ennemi. 

Ce  sont  les  maulx  que  le  roy  de  Navarre  a  esprouvés 
faulte  d'une  bonne  armée ,  par  le  moyen  de  laquelle  il 
peust  parvenir  à  l'offensive;  comme  au  contraire  on  a 
faict  la  paix  et  la  guerre  plus  advantageusement,  quand 
on  l'a  peu  avoir.  Et  pourtant  aimeroit  il  mieux  ra- 
cheter la  paix  et  le  temps  en  rendant  des  places,  bien 
qu'apparemment  nécessaire  à  sa  conservation ,  que 
d'entrer  en  une  guerre  simplement  défensive,  c'est  à 
dire  purement  passive,  faulte  d'une  armée,  encores  qu'il 
n'ignore  les  inconveniens  qui  en  peuvent  advenir,  d'au- 
tant que,  rendant  lesdictes  places,  il  ne  perdra  qu'elles, 
et  les  voullant  défendre  sans  espoir  de  secours ,  il  per- 
dra et  les  places,  et  les  hommes;  qui  plus  est,  en  une 
seule  prise  par  force ,  en  pourra  perdre  plusieurs  par 
l'estonnement  qui  s'en  pourra  ensuivre. 

Ali  mois  de  septembre  prochain  se  doibvent  rendre 
les  places,  et  sont  les  principaulx  et  les  plus  gens  de 
bien  de  la  relligion  perplex  en  cest  affaire.  Elles  ont 
esté  baillées  pour  seureté  contre  la  défiance.  Les  causes 


2^6  ESTAT  DU  ROY  DE  NAVARRE 

de  défiance  durent  encores,  vea  que  l'edict  n'est  exécuté 
en  ung  seul  article  ;  veu  que  de  toutes  les  contraven- 
tions on  se  plaint  en  vain  ;  veu  les  déloyautés  qu'on 
voit  pratiquera  l'endroit  de  ceulx  de  la  relligion;  veu 
aussi  les  préparatifs  et  levées  qui  jà  se  font  en  Suisse 
et  en  Allemaigne,  les  munitions  qui  s'amassent  à  Lyon 
pour  couler  tout  a  coup  par  le  Rhosne ,  et  les  troupes 
qui  s'envoyent  en  Gascogne.  Puis  donc  que  les  causes 
de  défiance  durent  et  multiplient ,  la  raison  de  les  re- 
tenir demeure  pareillement  en  son  entier. 

Mais  tout  ainsi  qu'en  les  rendant,  nous  nous  dé- 
pouillons, et  en  nous  dépouillant  tentons  nos  ennemis, 
qui  voyent  si  beau  jeu  d'achever  nostre  ruyne,  aussi 
en  ne  les  rendant  poinct,  nous  attirons  sur  nous  leurs 
forces  jà  toutes  préparées,  et  hasardons  par  le  refus 
de  trois  ou  quattre,  la  perte  d'infinies  aultres  ,  que  peult 
estre  ils  nous  arracheront. 

En  la  juste  occasion  que  nous  avons  de  différer  la 
rendition  des  places ,  si  on  le  voyoit  asseuré  d'une 
bonne  armée  de  Reystres  qui  peust  tenir  la  campagne , 
et  esloigner  la  guerre  du  centre  de  nos  provinces  vers 
la  circonférence  de  la  France,  il  seroit  aisé  de  se  resouldre 
à  différer  la  remise  d'icelles  ;  et  quand  nos  ennemis  sen- 
tiroient  que  nous  serions  appuyés,  eulx  mesmes  ac- 
cepteroient  nos  justes  raisons  et  rernonstrances  en 
payement.  A  cela  n'espargnera  le  roy  de  Navarre  bien 
ne  moyen  quelconque  ;  mais  il  est  las  de  porter  le  far- 
deau tout  seul  ;  et  est  temps  que  ceulx  pour  lesquels  en 
partie  il  le  porte,  le  soulagent,  s'ils  ne  veulent  porter 
ung  jour  et  leur  fardeau  et  le  sien  ensemble. 

S'd  ne  voit  plus  clair  au  secours  de  dehors  qu'il  n'a 
veu  jusques  à  présent,  il  se  resouldra  par  advis  des 
eghses  de  France   de  contenter  le  roy,  hasardera  ou 


ET  DE  SON  PARTI  EN  FRANCE.  237 

plustost  commettra  à  Dieu  l'issue  de  la  reddition  des 
places  ,  tentera  toutes  voies  doulces  ,  bien  que  péril- 
leuses, de  vaincre  la  volonté  de  ses  ennemis,  puis  qu'il 
ne  la  peult  retenir  par  plus  fortes  et  asseurees;  et  cher- 
chera enfin ,  comme  Samson  ,  le  miel  en  la  gueule  du 
lion  mesmes,  si  les  moyens  lui  sont  refusés  par  ceulx 
pour  la  conservation  desquels  il  ne  travaille  gueres 
moins  que  pour  la  sienne  ,  et  qui  en  la  sienne  ne  sont 
gueres  moins  intéressés  que  lui. 


L.  —  ^  CONFESSION  DE  FOI  ET  TESTAMENT 

de  M'"^  Du  pies  sis  Mornaj. 

Du  1 1  juin  ï583. 

Nous  sçavons  que  nostre  vie  est  fragile ,  qu'il  n'y  a 
rien  plus  certain  que  la  mort ,  ne  si  incertain  que  l'heure; 
nous  sçavons  aussi  que  nostre  félicité  est  de  servir  à 
Dieu  et  d'édifier  nos  prochains  ;  que  nous  debvons  re- 
chercher tous  moyens  d'instruire  nostre  postérité  en 
la  crainte  et  cognoissance  de  Dieu ,  tant  par  admoni- 
tions que  bon  exemple.  C'est  ce  qui  me  faict  désirer  de 
mettre  par  escrit  de  ma  main  ,  ma  profession  de  foi , 
afin  que  par  icelui  escrit  je  puisse  tesmoigner  en  quelle 
foi  j'ai  vécu  depuis  que  Dieu  m'a  faict  la  grâce  de  me 
donner  sa  cognoissance,  et  en  laquelle  je  le  prye  me 
faire  la  grâce  de  continuer  jusques  au  dernier  soupir 
de  ma  vie. 

Je  crois  ung  seul  Dieu  en  une  seule  et  simple  essence, 
tout  sage,  tout  bon,  tout  juste  et  tout  puissant,  qui 
a  créé  le  ciel  et  la  terre ,  qui  s'est  déclaré  à  nous  par 
sa  parole,  rédigée  par  escrit  au  vieil  et  nouveau  tes- 
tament. 

Mém.  de  Duplessis-Mornay.  Tome  ii.  I  n 


25S        CONFESSION  DE  FOI  ET  TESTAMENT 

Je  crois  que  ,  en  ceste  seule  et  simple  essence  ,  il  y  a 
trois  personnes;  le  Pcre,  qui  est  le  commencement  et 
origine  de  toutes  choses  ;  son  Fils,  qui  est  sagesse  éter- 
nelle; le  SainctEsprit,quiest  sa  vertu  et  puissance  éter- 
nellement, éternellement  procédant  du  Père  et  du  Fils  ; 
les  trois  personnes  non  confuses,  mais  distinctes,  toutes- 
fois  non  divisées,  mais  d'une  mesme  essence,  éternité 
et  puissance. 

Je  crois  que  Dieu,  en  trois  personnes,  par  sa  vertu , 
sagesse  et  bonté,  a  créé  le  ciel  et  la  terre,  et  tout  ce 
qu'ils  contiennent;  que,  par  sa  providence,  il  conduict 
toutes  choses ,  et  que  particulièrement  il  a  ung  soing  spé- 
cial de  ses  esleus,  lesquels  il  aime  en  Jésus  Christ  son  fils. 

Je  crois  que  le  premier  homme,  ayant  esté  créé  à 
l'image  de  Dieu,  son  créateur,  pour  sa  désobéissance 
et  propre  faulte,  est  deschu  d'icelle  grâce,  et  s'est  du 
tout  aliéné  de  Dieu. 

Je  crois  que  toute  la  lignée  d'Adam  est  infectée  de 
telle  contagion,  de  sorte  qu'il  ne  nous  reste  rien  pour 
retourner  vers  Dieu  que  sa  pure  grâce,  car  nostre  esprit 
est  aveugle,  nostre  cœur  dépravé  et  nostre  volonté 
pervertie;  mais  Dieu,  de  sa  pure  bonté,  retire  de  cesle 
corruption  et  condamnation  générale,  en  laquelle  tous 
hommes  sont  plongés  ,"ceulx  qu'il  a  esleus  en  son  con- 
seil éternel,  en  Jésus  Christ  son  fils,  sans  considéra- 
tion de  leurs  œuvres,  demonstrant  en  eulx  sa  miséri- 
corde. 

Je  crois  qu'en  Jésus  Christ ,  tout  ce  qui  est  requis 
pour  nostre  salut,  nous  a  esté  donné;  que  lui,  estant 
la  sagesse  de  Dieu  et  son  fils  éternel ,  a  vestu  une  chair 
afin  d'estre  Dieu  ,  et  homme  semblable  à  nous ,  excepté 
pesché  ;  qu'il  a  estéconceu  parla  vertu  secrète  du  Sainct 
Esprit  au  ventre    de  la  vierge  Marie,    et   est  de  la 


DE  M^^  DUPLESSIS  MORNA.Y.  25g 

semence  de  David,  selon  la  chair;  qu'en  une  mesme 
personne  les  deux  natures  y  sont  unies  et  conjoinctes, 
et  neantmoins  qu'en  ceste  conjonction  la  nature  divine 
est  demeurée  increee ,  infinie  et  remplissant  toutes 
choses  ;  la  nature  humaine  est  finie  avec  mesme  forme 
et  propriété  ;  combien  que  Jésus  Christ ,  en  ressuscitant , 
ait  donné  immortalité  à  son  corps,  toutesfois  il  ne  lui 
a  osté  la  vérité  de  sa  nature. 

Je  crois  que  Dieu,  en  envoyant  son  Fils,  a  voulleu 
monstrer  sa  bonté  et  amour  inestimable  vers  nous,  en 
le  livrant  à  mort  pour  nos  peschés ,  et  ressuscitant  pour 
nostre  justification;  que,  par  le  sacrifice  unique  que 
Jésus  Christ  a  offert  en  la  croix,  nous  sommes  récon- 
ciliés à  Dieu  ,  et  lui  sommes  rendus  agréables,  de  sorte 
que  Jésus  Christ  nous  est  faict  sapience ,  justice ,  sanc- 
tification et  rédemption  par  sa  mort,  nous  avons  en- 
tière satisfaction,  et  toute  nostre  justice  est  fondue  en 
la  remission  gratuite  de  nos  péchés;  c'est  ce  qui  nous 
donne  entière  liberté  d'invoquer  Dieu  par  Jésus  Christ 
son  fils ,  nostre  seul  médiateur,  avec  pleine  fiance  que 
Dieu  est  nostre  père. 

Je  crois  que  la  justice  de  Jésus  Christ  nous  est  imputée 
par  la  foi ,  dont  nous  sommes  illuminés  par  la  vertu 
secrète  du  Sainct  Esprit,  tellement  que  c'est  ung  don  et 
grâce  particulière  que  Dieu  départ  à  ceulx  qui  lui  sont 
adoptés  par  Jésus  Christ. 

Je  crois  que  par  icelle  foi  nous  sommes  régénérés 
en  une  nouvelle  vie,  estant  de  nostre  nature  asservis  au 
péché. 

Je  crois  que  Jésus  Christ  nous  est  donné  pour  seul 
advocat  et  intercesseur ,  et  que  nous  pouvons ,  en  son 
nom ,  hardiment  pryer  Dieu  et  lui  demander  les  choses 
nécessaires,  comme  lui  mesmes  nous  a  enseigné  que 


'^6o        CONFESSION  DE  FOI  ET  TESTAMENT 

nous  invoquions  Dieu  son  père  en  son  nom,  en  disant  ; 

Nostre  père  qui  es  es  cieux. 

Je  crois  qu'il  fault  que  toutes  nos  prières  soient  con- 
formes à  icelles. 

Je  crois  aussi  que  chacung  fidèle  doibt  garder  et  en- 
tretenir l'unité  de  l'Eglise ,  et  se  soubmettre  à  l'instruc- 
tion ,  comme  et  au  sang  de  Jésus  Christ ,  et  en  quelque 
lieu  oii  Dieu  aura  establi  un  vrai  ordre  d'Eglise ,  il  s'y 
doibt  ranger  et  soubmettre,  et  ceulx  qui  s'en  retirent, 
se  séparent  de  l'union  de  Christ. 

Je  crois  qu'icelle  Eglise  est  la  compagnie  des  fidèles, 
qui  s'accordent  à  suivre  la  parole  de  Dieu,  contenue  es 
livres  du  vieil  et  nouveau  Testament ,  lesquels  essayent  de 
vivre  en  la  crainte  de  Dieu  et  d'y  profiter  chaque  jour; 
qu'en  icelle  Eglise  aussi  il  y  a  exercice  des  sacremens  or- 
donnés de  Dieu ,  qui  sont  adjoustés  à  sa  parole  pour  plus 
ample  confirmation  de  nostre  foi,  lesquels  nous  sont 
donnés  pour  subvenir  à  nostre  infirmité,  et  nous  sont 
tellement  signes  extérieurs,  que  Dieu  besogne  pariceulx 
en  la  vertu  de  son  Sainct Esprit,  qui  ne  nous  y  signifie 
rien  en  vain;  toutesfois  toute  leur  substance  et  vérité 
est  en  Jésus  Christ ,  et  si  on  les  en  sépare ,  ce  n'est  plus 
qu'une  ombre. 

Je  crois  qu'il  y  a  deux  sacremens  ordonnés  de  Dieu , 
communs  en  son  Eglise  ,  le  baptesme  ,  qui  est  ung  té- 
moignage de  nostre  adoption  ;  et  comme  nous  sommes 
entés  au  corps  de  Jésus  Christ  afin  d'estre  lavés  et  net- 
toyés par  son  sang ,  puis  renouvelles  en  saincteté  de  vie 
par  son  Sainct  Esprit. 

Le  second  sacrement  est  la  saincte  cène,  qui  nous 
signifie  que  Jésus  Christ  n'est  pas  seulement  mort  et 
ressuscité  pour  nous,  mais  aussi  nous  repaist  et  nourrit 
yrayment  de  sa  chair  et  de  son  sang ,  à  ce  que  nous 


DE  M"-^  DUPLESSIS  MORNAY.  261 

soyons  ung  avec  lui ,  et  que  sa  vie  nous  soit  commune, 
de  sorte  que  ,  par  la  vertu  secrète  de  son  Sainct  Esprit, 
il  nous  nourrit  et  vivifie  de  la  substance  de  son  corps  et 
de  son  sang,  et  cela  spirituellement,  lequel  ne  peult 
estre  appréhendé  de  nous  que  par  la  foi;  cependant  je 
crois  qu'au  baptesme  et  à  la  saincte  cène  Dieu  nous 
donne  réellement  et  par  effect  ce  qu'il  nous  y  figure. 

Je  crois  qu'en  icelle  Eglise  doibt  estre  gardée  la  con- 
duicte  et  police  que  nostre  Seigneur  Jésus  Christ  y  a  es- 
tabîie,  c'est  qu'il  y  ait  des  pasteurs  et  gens  qui  ont 
charge  en  l'Eglise,  afin  que  la  pureté  de  doctrine  y  ait 
son  cours;  que  les  vices  y  soient  repris  et  corrigés; 
que  les  povres  et  au I très  affligés  y  soient  secourus  et 
consolés. 

Je  crois  que  tous  vrais  pasteurs,  en  quelque  lieu  qu'ils 
soient,  ont  une  inesme  puissance;  que  nulle  Eglise  ne 
doibt  prendre  aulcune  domination,  et  qu'ils  sont  soubs 
ung  seul  chef,  seul  souverain  et  seul  universel  eves- 
que ,  Jésus  Christ. 

.Te  remercie  Dieu  de  bon  cœur,  qui  a  eu  pitié  de 
moi,  et  qui  m'a  retirée,  des  ma  première  et  tendre  jeu- 
nesse, du  milieu  de  la  superstition  et  ignoranceoii  j'estois 
plongée,  soubs  le  règne  de  l'antechrist  romain,  pour 
me  donner  sa  cognoissance  ;  je  lui  supplie  me  faire  la 
grâce  d'y  bien  vivre  et  persister  en  la  confession  de 
son  sainct  nom,  jusques  au  dernier  soupir  de  ma  vie. 

Je  crois  que,  comme  Jésus  Christ  est  mort  pour  nos 
péchés  et  ressuscité  pour  nostre  justification,  qu'aussi 
il  est  monté  au  ciel  en  nostre  nom  pour  nous  y  donner 
entrée  et  pour  nous  y  estre  intercesseur  et  advocat  ; 
je  crois  que  de  là  il  viendra  juger  les  vivans  et  les 
morts,  apparoistra  lors  en  jugement,  ainsi  que  l'on 
Im  a  veu  monter. 


102         CONFESSION  DE  FOI  ET  TESTAMENT 

Je  crois  que  Jésus  Christ  n'apparoistra  sinon  en  salut 
pour  ses  esleus ,  de  sorte  que  je  suis  très  asseuree  de  mon 
salut,  puisque  mon  juge  est  mon  advocat;  et  sur  ccste 
asseurance  et  fiance,  je  me  remets  en  Dieu,  et  m'esti- 
merai très  heureuse  quand  il  lui  plaira  m'appellcr  hors 
de  ce  monde  caduc  et  misérable  ,  pour  me  retirer  avec 
lui  et  jouir  de  la  félicité  qu'œil  n'a  poinct  veue,  qu'o- 
reille n'a  poinct  ouïe  et  que  cœur  d'homme  n'a  poinct 
appréhendée  ;  lors  je  jouirai  de  la  présence  de  mon  Dieu, 
et  toutes  larmes  seront  essuyées  des  yeulx  de  ses  esleus  : 
en  attendant  ce  jour  heureux,  je  lui  supplie  me  con- 
duire en  ceste  vie  présente  en  sa  crainte  et  amour,  puis 
me  faire  ce  bien  que ,  comme  il  m'a  donné  ung  mari 
doué  de  beaucoup  de  dons  et  de  ses  grâces,  et  duquel 
je  reçois  honneur,  bon  traitement  et  amitiés,  je  lui 
rends  aussi ,  tous  les  jours  de  ma  vie ,  le  debvoir,  obéis- 
sance et  service  que  je  lui  doibs,  et  conforme  à  l'amilié 
que  je  lui  porte. 

Je  recognois  que ,  depuis  que  Dieu  m'a  donnée  à  lui , 
ayant  esté  maladive,  j'ai  esté  souvent  chagririe  et  en- 
nuyeuse ,  mais  l'y  ai  je  tousjours  recogneu  le  soin  que 
Dieu  avoit  eu  de  moi  de  m'avoir,  après  tant  de  fasche- 
rie,  si  bien  adressée,  de  sorte  que  je  proteste  devant 
Dieu  que  je  prens  en  tesmoing  que,  après  ma  nais- 
sance ,  m'ayant  faict  chrestienne  et  m'ayant  donné  la 
cognoissance  de  son  sainct  nom  ,  je  ne  pense  avoir 
receu  tant  d'heur,  honneur  et  contentement,  que  de  lui 
avoir  esté  donnée  de  Dieu  à  femme ,  et  m'estimerai 
1res  heureuse  que,  quand  il  plaira  à  Dieu  que  soyons 
séparés  d'ensemble,  que  ce  soit  par  ma  mort,  car  aul- 
trement  ma  vie  me  seroit  une  langueur,  et  Dieu  ait 
pitié  de  moi ,  s'il  lui  plaist ,  et  m'en  veuille  soulager. 
Je  supplie  aussi  à  Dieu  que,  comme  il  nous  a  donné 


DE  M«^  DUPLESSIS  MORNAY.  ^6'^ 

des  enfans,  qu'il  se  souvienne  de  ses  promesses,  et 
qu'il  soit  nostre  Dieu  et  de  nostre  lignée  après  nous  ; 
qu'il  leur  donne  à  tous  sa  crainte ,  leur  faisant  tant  de 
grâces  qu'en  leur  tour  ils  se  dédient  du  tout  à  son 
service;  que  tant  qu'il  me  prestera  la  vie,  je  fasse  i»on 
debvoir  de  les  y  instruire  en  toutes  sortes,  et  surtout 
par  bon  exemple. 

Je  recommande  à  Dieu  M.  Duplessis,  et  lui  supplie 
de  lui  continuer  et  augmenter  ses  grâces,  nos  enfans 
et  toute  nostre  famille;  je  les  recommande  soubs  sa 
saincte  protection,  et  qu'il  nous  fasse  la  grâce  que  les 
ungs  envers  les  aultres ,  selon  nostre  vocation,  nous 
fassions  nostre  debvoir,  et  que  vivions  d'édification  à 
l'Eglise  de  Dieu. 

Au  reste,  me  voyant  maladive  et  par  conséquent 
menacée  de  la  mort ,  et  que  souvent  nous  sommes  sur- 
prins  ,  j'ai  rédigé  par  escrit  et  de  ma  main  ma  confession 
de  foi;  puis  je  supplie  M.  Duplessis,  que,  quand  telle 
chose  sera  advenue,  de  ne  se  voulloir  attrister,  mais 
se  consoler  en  mon  heur,  en  attendant  que  Dieu  nous 
rassemble  pour  jouir  d'une  mesme  félicité  ;  qu'il  prenne 
pour  lui  la  consolation  qu'en  tel  cas  il  sçait  donner  aulx 
aultres.  Je  lui  recommande  tous  nos  enfans ,  non  que 
je  ne  sçache  bien  son  bon  naturel  et  combien  il  leur  est 
bon  père,  mais  je  lui  supplie  que  l'amitié  singulière 
qu'il  m'apporte ,  il  la  leur  départisse  en  mon  absence. 

J'espère  que  Dieu,  en  son  temps,  fera  des  grâces 
spéciales  à  nostre  fils  Philippe  ;  si  Dieu  preste  la  vie  à 
M.  Duplessis,  je  ne  fais  aulcun  doubte  qu'il  ne  fasse  di- 
ligence à  le  faire  bien  instruire,  sa  présence  y  est  bien 
nécessaire  ;  Dieu  lui  veuille  garder  son  père  en  ce  temps 
et  long  temps  après. 

Je  lui  recommande  aussi  ma  fille  Suzanne;  il  sçait, 


264        CONFESSION  DE  FOI  ET  TESTAMENT 
quand  Dieu  m'aura  retirée  de  ce  monde,  combien  elle 
sera  dénuée  de  tous  parens  et  amis;  mais  je  me  con- 
sole en  l'amitié  qu'il  me  porte ,  de  laquelle  je  le  supplie 
de  lui  départir  et  la  tenir  pour  fille. 

Nos  trois  filles,  Marthe,  Elizabeth  et  Anne  sont 
jeunes;  Dieu  les  adressera,  s'il  lui  plaist  ;  Elizabeth  est 
délicate  et  d'ung  très  bon  naturel,  elle  a  besoing  d'estre 
doulcement. 

Je  désire  que  toutes  soient  nourries  avec  madamoi- 
selle  ma  belle  mère;  car  elles  ne  peuvent  estre  mieux, 
et  pour  l'instruction  et  pour  la  bonne  volonté  ,  s'il 
lui  plaisoit  d'en  prendre  la  peine.  Je  la  supplie  mesmes  de 
voulloir  garder  ma  fille  Suzanne,  car  ailleurs  elle  ne 
peult  recevoir  meilleure  nourriture;  en  ce  cas,  qu'elle 
me  fasse  tant  de  faveur  et  amitié  de  la  garder  jusques  à 
ce  qu'elle  soit  mariée ,  j'entends  que ,  selon  les  moyens 
qu'elle  aura  lors ,  on  subvienne  aux  frais. 

Je  supplie  madainoiselle  ma  belle  mère  d'avoir  tous 
nos  enfans  pour  recommandés;  et  comme  elle  a  esté, 
à  M.  Duplessis  et  à  moi,  bonne  mère,  elle  continue 
cette  mesme  volonté  vers  nos  petits,  qui  ont  besoing 
de  son  secours;  qu'elle  la  départisse  mesmes  à  ma  fille 
Suzanne,  laquelle  je  lui  recommande  de  tout  mon  cœur. 

Nous  sommes  encores  en  aage  d'avoir  des  enfans ,  et 
me  doubte  mesmes  d'estre  grosse.  Je  recommande  à 
Dieu  ceulx  qu'il  nous  a  donnés,  et  lui  supplie,  pour 
eulx  et  pour  ceulx  aussi  qu'il  lui  plaira  encores  nous 
donner,  d'estre  à  jamais  leur  Dieu  et  père,  et  leur  dé- 
partir de  ses  dons  et  grâces. 

Je  supplie  aussi  à  ma  mère  d'avoir  M,  Duplessis 
affectionné ,  l'aimant  comme  je  m'asseure  qu'elle  cog- 
noist  qu'il  mérite  ;  aussi  d'avoir  tous  nos  enfans  pour 
recommandés,  qu'elle  embrasse  ce  qui  leur  touche  et. 


DE  M^^  DUPLESSIS  MOIINAY.  ^65 

qu'elle  ait  pitié  de  leur  jeunesse  j  jVspere  qu'ils  lui  ren- 
dront toute  obéissance  et  service,  ce  que  je  leur  com- 
mande aussi. 

Je  supplie  pareillement  M.  de  Buhy,  mon  frère,  de" 
continuer  de  plus  en  plus  en  Tamitié  qu'ils  se  portent, 
M.  Duplessis  et  lui  ;  je  lui  recommande  aussi  nos  en- 
fans  ,  auxquels  je  commande  de  lui  rendre,  et  à  ma 
sœur,  sa  femme  ,  honneur,  obéissance  et  service. 

Je  les  recommande  aussi  à  mon  frère  de  la  Borde, 
ma  sœur  de  Vaucelas  et  mes  deux  aultres  frères. 

Mais  surtout  pour  l'amitié  que  je  leur  porte,  je  leur 
supplie  de  recognoistre  que  tous  les  biens  qu'ils  ont  ils 
les  tiennent  de  Dieu  ;  que  c'est  une  trop  grande  in- 
gratitude que,  pour  les  conserver,  de  l'abandonner; 
que  ce  monde  est  plein  de  misère  et  calamité ,  dont 
nul  n'est  exempt ,  et  que  c'est  ung  contentement  et  hon- 
neur, que  ce  qu'aultrement  nous  souffririons  justement 
pour  nos  péchés,  que  nous  l'endurions  pour  con- 
fesser le  nom  de  Dieu,  aussi  bien  fauit  il  mourir  et 
quitter  nos  biens.  Je  les  prye,  pour  leur  salut ,  d'adviser 
à  prévenir  le  jugement  de  Dieu,  qui  sera  beaucoup 
plus  rigoureux  sur  eulx  ,  qui  ont  eu  sa  cognoissance , 
qui  ont  esté  instruits  et  en  ont  faict  profession. 

Quant  à  mes  enfans,  je  les  prye  et  commande  à  tous 
de  vivre  et  mourir  en  la  relligion  en  laquelle  nous  les 
faisons  instruire  ;  de  préférer  la  crainte  de  Dieu  à  tous 
honneurs  et  biens,  et  ne  rien  prétendre  que  de  la  bé- 
nédiction de  Dieu;  qu'ils  se  souviennent  que  cette  vie 
est  brève  et  pleine  de  misères  ;  que  ceulx  là  seuls  se 
peuvent  dire  heureux,  qui  ont  repos  en  leurs  con- 
sciences, et  sont  asseurés  de  la  bonne  volonté  que 
Dieu  leur  por-te  en  Jésus  Christ. 

Je  les  prye  et  leur  commande  d'estre  obeissans  à 


^66  CONFESSION  DE  FOI  ET  TESTAMENT 
M.  Duplessis  leur  père  ;  de  lui  rendre  tout  honneur,  con» 
lentement  et  service ,  si  Dieu  leur  faict  tant  de  izraces 
de  le  voir  en  vieillesse,  d'autant  que  cest  aage  là 
est  plus  subject  aulx  infirmités  et  maladies  ;  je  leur 
commande  de  redoubler  leur  soing  et  affection  vers  lui, 
et  qu'il  ait  ceste  consolation  d'avoir  recouvert  en  eulx 
le  service  et  affection  qu'il  aura  perdeu  en  moi. 

Aussi  je  leur  commande  de  lui  rendre  toute  obéis- 
sance ,  croire  ses  advertissemens  et  enseignemens  ;  et 
en  chose  de  conséquence,  quand  ils  seront  en  aage  ,  ne 
rien  faire  sans  son  advis. 

Surtout  je  prye  mon  fils  Philippe  et  aultres  fils ,  si 
Dieu  nous  en  donne  (ce  que  je  dis,  me  doublant  d'estre 
grosse ,  et  que  je  pourrois  mourir  en  accouchant) ,  que 
M.  Duplessis  leur  père  ait  ce  contentement,  en  son  vieil 
aage,  de  se  voir  par  eulx  imité  et  suivi;  c'est  le  plus' 
bel  exemple  et  le  plus  agréable  que  je  leur  puisse 
donner;  Dieu  leur  fasse  la  grâce  de  suivre  sa  vertu. 

A  tous  aussi  je  leur  commande  d'obéir  et  servir  à 
madamoiseîle  de  Buhy  ma  belle  mère,  et  qu'ils  lui  sça- 
chent  complaire  et  souvent  recognoistre  qu'elle  a  esté 
très  bonne  mère. 

A  ma  fille  Suzanne ,  qui  est  grande  et  se  doibt  mieulx 
soubvenir  de  mes  commandemens  que  les  aultres  qui 
sont  si  jeunes,  je  la  prye  et  commande  de  continuer,  jus- 
ques  à  la  mort,  en  la  reliigion  de  laquelle  elle  faict  pro- 
fession ;  que  pour  rien  au  monde  elle  ne  s'en  esloignc; 
qu'elle  ait  tousjours  la  crainte  de  Dieu  devant  les  yeulx, 
et  qu'elle  apprenne  de  bonne  heure  à  se  reposer  en  sa 
saincte  providence;  et  d'autant  que  c'est  chose  natu- 
relle de  s'esmouvoir  et  essayer  de  suivre  ceulx  dont  nous 
sommes  descendans,  elle  a  ung  bel  exemple  à  feu  M.  de 
Feuqueres  son  père,  mon  premier  mari,  lequel  avoit 


DE  M^-^  DUPLESSIS  MORNAY.  267 

receu  beaucoup  de  dons  de  Dieu.  Quand  Dieu  lui  donna 
sa  cognoissance  il  estoit  bien  venu  à  la  cour  et  sur  le 
poinct  de  parvenir  en  biens  et  honneurs.  Il  aima  mieulx 
quitter  le  feu  roy  François  II,  son  maistre,  et  toutes 
ses  faveurs,  afin  de  faire  profession  ouverte  du  nom 
de  Dieu,  combien  que  lors  il  y  eust  danger  de  la  vie; 
depuis  il  a  tousjours  continué  et  n'y  a  espargné  sa  vie 
à  toutes  occasions,  et  beaucoup  en  son  temps  lui  ont 
rendu  bon  et  honorable  tesmoignage  de  sa  vertu  et 
valeur,  finalement  est  mort  avec  asseurance  de  son 
salut;  qu'elle  se  soubvienne  aussi  de  moi,  et  que  j'ai 
rendu  diligence  à  la  faire  instruire. 

Je  la  prye  et  commande  aussi  d'estre  humble  et  obéis- 
sante à  M.  Duplessis,  de  Iniporter  honneur  comme  à  son 
propre  père;  qu'elle  se  soubvienne  qu'il  a  eu  tousjours 
mesme  soing  d'elle  comme  de  ses  aultres  frères  et  sœurs, 
et  qu'il  n'y  a  jamais  faict  aulcune  différence.  Au  con- 
traire ,  d'autant  que  son  aage  presse  davantage  qu'aulx 
aultres  ,  il  a  aussi  plus  diligentement  recherché  son  bien. 

Je  lui  commande  qu'en  quelque  lieu  qu'elle  soit, 
elle  ait  soin  de  sçavoir  de  ses  nouvelles  et  lui  mande 
des  siennes;  qu'elle  le  recherche  comme  elle  le  doibt; 
que  jamais  elle  ne  fasse  rien  d'importance  sans  son  ad- 
vis;  que  surtout  que,  si  quelques  ungs  de  ses  parens  ou 
aultres  la  veullent  marier,  elle  n'y  consente  jamais  que 
premièrement  ce  ne  soit  d'ung  qui  fasse  profession  ou- 
verte de  nostre  relligion,  et  secondement  qu'elle  soit 
asseuree  que  M.  Duplessis  le  trouve  bon,  le  désire  et  en 
soit  d'advis,  et  qu'elle  allègue  ouvertement  que  telle 
est  ma  dernière  volonté;  car  je  lui  commande  et  l'en 
prye  très  affectionnement. 

Aussi,  qu'en  quelque  lieu  qu'elle  soit,  qu'elle  se 
fasse  aimer  d'ung  chacung,  et  soit  soigneuse  de  rendre 


268        CONFESSION  DE  FOI  ET  TESTAMENT 

le  service  h  qui   elle  cognoistra  le  debvoir  ;   surtout 

qu'elle  rende  toute  obéissance  et  service  à  ma  mère ,  à 

madamoiselle  de  Buhy  ma  belle  mère,  à  ses  oncles  et 

tantes. 

Je  la  prye,  comme  aussi  ses  frères  et  sœurs,  de  leur 
entre  aimer  tous ,  et  si  l'ung  d'eulx  a  de  l'honneur  ou 
commodité  dont  les  aultres  ayent  besoing,  qu'ils  s'en 
fassent  part  et  soient  soigneux  et  secourables  les  ungs 
aulx  aultres. 

vlu  reste ,  je  déclare  que  je  n'ai  poinct  mis  la  main 
à  la  plume  pour  ordonner  ni  donner;  je  ne  l'eusse  en- 
trepris sans  le  congé  de  M.  Duplessis ,  qui  est  mainte- 
nant absent.  Je  désire  que  toutes  choses  demeurent  en 
sa  disposition  ;  et  si  les  loix  et  coustumes  me  donnent 
quelque  permission,  je  la  remets  entre  les  mains  de 
3M.  Duplessis,  pour  en  ordonner  et  disposer  à  ceulx 
qu'il  cognoistra  qui  m'auront  faict  service,  et  comme 
il  verra  estre  bon. 

Et  d'autant  que ,  suivant  les  coustumes ,  il  y  auroit 
quelque  partage  ou  différent  pour  le  regard  de  ma  fille 
Suzanne,  j'entends  que  ce  qui  se  fera  avec  M.  Duplessis 
et  ung  aultre  parent,  tel  qu'il  lui  plaira  choisir,  M.  de 
Madeilhan,  mon  cousin  et  tuteur  de  ma  dicte  fille  Su- 
zanne, et  mon  neveu  de  Feuqueres,  soit  faict  et  en- 
tretenu; et  s'il  est  besoing  d'ung  plus  grand  nombre, 
ce  sera  au  choix  d'eulx  quattre ,  tel  qu'il  leur  plaira  ; 
c'est  ce  que  je  désire,  requiers  et  ordonne  très  instam- 
ment. 

Quant  à  nostre  famille,  je  supplie  M.  Duplessis  que, 
si  Gilles  n'est  pourveu  devant  que  je  meure,  d'avoir 
mémoire  de  lui;  il  y  a  longtemps  qu'il  est  à  moi,  et  m\ 
servi  fidèlement  durant  le  temps  de  ma  viduité. 

De  tous  les  aultres  de  ma  famille ,  ils  y  sont  depuis; 


DE  M»^  DUPLESSIS  MORNAY.  269 

que  nous  sommes  mariés,  excepté  Loches ,  qui  y  estoit 
à  moi  quelque  trois  ou  quattre  mois  devant  ;  mais  en 
ce  temps  nous  nous  voyions  tous  les  jours  M.  Duplessis 
et  moi,  de  sorte  qu'il  peult  cognoistre  quel  service,  et 
adviser  de  la  recognoissance  de  tous. 

Pour  ma  sépulture ,  si  c'est  chose  qui  se  puisse  faire 
commodément,  je  désire  et  supplie  très  humblement 
M.  Duplessis  de  me  faire  tant  d'honneur  à  sa  mort, 
d'ordonner  que  son  corps  soit  mis  où  il  lui  aura  pieu 
faire  mettre  le  mien,  afin  que,  comme  nous  avons  vescu 
ensemble  avec  une  mesme  volonté ,  nos  corps  soient 
dissous  en  poudre,  et  finalement  ressuscitions  ensemble 
pour  jouir,  avec  toute  immortalité,  de  la  félicité  éter- 
nelle. 

Et  pour  la  fin,  je  recommande,  entre  les  mains  de 
Dieu  ,  mon  ame,  laquelle  je  lui  prye  laver  et  nestoyer 
au  sang  de  Jésus  Christ  son  fils ,  nostre  Seigneur,  et 
la  recevoir  à  la  gloire  éternelle.  Ainsi  soit  il. 

FaictàBuhy,  et  achevé  ce  onziesme  de  juin  mil  cinq 
cent  octante  trois,  de  mon  aage  ayant  trente  quattre  ans 
au  mois  de  mai  dernier,  (^Slgné)  Charlotte  Arbaleste. 

Sur  le  dessus  est  escrit  : 

Ma  Confession  de  fol  et  dernière  volonté,  faict  à 
Buhy,  ce  1 1^  juin  i5b3  ,  laissé  pour  copie  à  Buhy. 

J'en  ai  copié  une  sur  cestuy  ci ,  qui  a  esté  ma  première 
copie,  l'une  pour  laissera  Paris,  et  une  copie  que  j'ai 
portée  avec  moi ,  tant  pour  avoir  la  volonté  de  M.  Du- 
plessis ,  qu'aultrement  pour  servir. 


270  RESPONSE  A  L'INSTRUCTION 


LI.  —  RESPONSE  A  L'INSTRUCTION 

Du  sieur  de  Servain ,  envoyé  vers  le  roj  de  Navarre 

de  la  part  de  M.  le  duc  de  Savoie  ;  rédigée  par 

M.  Duplessis. 

Du  26  juin  i583. 

Le  roy  de  Navarre  se  sent  honoré  de  la  recherche 
qu'il  a  pieu  faire  à  son  altesse  du  mariaige  de  madame 
la  princesse  sa  sœur,  tant  par  l'envoi  du  sieur  de  Belle- 
garde  des  l'an  passé ,  que  maintenant  encores  par  le 
sieur  de  Servain ,  pour  le  désir  qu'il  a  de  voir  leur 
amitié  bien  estroilement  estreinte  et  renforcée  ;  et  en 
particulier  se  sent  obligé  audict  seigneur  duc  de  ce 
que  ,  pendant  ce  traicté ,  il  n'ait  voulleu  entendre  à  aul- 
cun  aultre  parti ,  combien  que  de  diverses  parts  il  s'en 
soit  présenté,  comme  il  lui  a  déclaré,  tant  par  l'in- 
struction, que  par  la  propre  bouche  et  créance  dudict 
sieur  de  Servain. 

Ne  peult  toutesfois  ledict  seigneur  roy  se  départir 
aulcunement  de  sa  première  resolution,  déclarée  par 
ci  devant  audict  sieur  de  Bellegarde,  et  depuis  con- 
firmée expressément  par  le  sieur  de  Clervant  ;  sçavoir 
est  qu'es  choses  indifférentes  il  seroit  tousjours  d'advis 
que  madame  sa  sœur  s'accommodast  en  tout  ce  qui 
seroit  possible  au  bien  des  affaires  et  estât  dudict  sei- 
gneur duc;  mais  non  qu'elle  se  dispenaast  au  faict  de  sa 
relligion  et  exercice  d'icelle ,  qui  dépend  du  service 
de  Dieu  et  du  tesmoignaige  de  sa  conscience,  ce  qui, 
toutes  choses  bien  considérées ,  ne  pourroit  apporter 
aulcune  utilité  aulx  affaires  de  sadicte  altesse. 

Prye  donc  ledict  seigneur  duc,  selon  sa  prudence, 


DU  SIEUR  DE  SERVAIN.  271 

de  mettre  en  considération  quel  crime  encourroit  ledict 
seigneur  roy  envers  Dieu  ,  quel  remors  en  sa  conscience 
et  quel  blasme  entre  les  hommes,  s'il  estoit  aucteur  et 
conseiller  à  madame  sa  sœur,  pour  espérance  ou  cause 
de  mariaige ,  de  violer  en  sorte  que  ce  feust  son  ame , 
et  contredire  au  sentiment  de  sa  conscience.  A  quoi, 
comme  il  ne  la  vouldroit  ni  inciter  ni  persuader,  aussi 
sçait  il  très  bien  que  nulles  considérations  ni  persua- 
sions ne  la  pourroient  jamais  ni  inviter  ni  induire. 

Mais,  sur  ce  que  ledict  seigneur  duc  allègue  les  dan- 
gers esquels  il  mettroit  son  estât  en  faisant  aultrement, 
pense  ledict  seigneur  roy  que  ledict  seigneur  duc  a  bien 
considéré ,  selon  sa  prudence ,  que  les  mariaiges  des 
princes,  oultre  l'affection  qui  est  entre  les  personnes, 
sont  aussi  mariaiges  de  leurs  estats,  par  lesquels  les 
contractans  désirent  et  prétendent  se  fortifier  l'ung 
l'aultre. 

Duquel  but  ils  seroient  frustrés  sans  doubte  et  l'ung 
et  l'aultre ,  si  ledict  seigneur  roy  venoit  à  condescendre 
aux  propositions  faictes  par  ledict  sieur  de  Servain  ; 
l'ung,  parce  qu'en  ce  faisant,  il  meriteroit  de  perdre  la 
créance  et  auctorité  qu'il  a  acquise  et  maintenue  jus- 
ques  ici  entre  ung  grand  peuple  de  toutes  qualités ,  et 
plusieurs  nations  ,  par  laquelle  Dieu  lui  a  faict  la  grâce 
de  se  maintenir  contre  si  puissans  ennemis  ;  l'aultre , 
parce  que ,  l'ayant  ledict  seigneur  roy  perdue  en  se  de- 
partant  de  la  fermeté  et  constance  qu'il  a  tousjours  eue 
en  sa  relligion ,  il  rendroit  son  amitié  et  alliance  inu- 
tile à  tous  ses  amis  et  alliés,  et  nommeement  audict  sei- 
gneur duc ,  lequel ,  comme  tous  sages  princes  en  se 
mariant ,  a  pour  but  de  s'appuyer  de  bons  et  utiles  amis. 

Espère  pour  ces  raisons  ledict  seigneur  roy  que, 
quand  ledict  seigneur  duc  les  aura  bien  considérées,  il 


272  RESPONSE  A  L'INSTRUCTION,  etc. 

ne  vouldra  faire  instance  sur  chose  par  laquelle  ceste 
alliance  tant  désirée  des  deux  se  rende  dommageable 
à  l'ung ,  et  pour  le  moins  inutile  à  Taultre. 

Mais  comment  qu'il  plaise  à  Dieu,  qui  tient  les  cœurs 
des  princes  en  sa  main,  en  ordonner  et  disposer,  le 
prye  très  affectionnement  de  croire  que  ledict  seigneur 
roy  désire  observer  et  garderavec  lui  une  amitié  estroicte 
et  inviolable,  et  ne  permettra  jamais,  en  tant  qu'en  lui 
sera,  que  ce  pourparler,  qui  auroit  esté  mis  en  avant 
pour  estreindre  leur  amitié  ,  soit  en  aulcune  façon  occa- 
sion de  la  diminuer  ou  dissoudre. 

De  ce  prye  ledict  seigneur  roy  ledict  sieur  de  Servain 
asseurer  de  sa  part  son  altesse,  comme  aussi  il  désire 
singulièrement  qu'elle  en  veuille  faire  preuve  en  l'em- 
ployant en  chose  qui  soit  en  sa  puissance  ,  n'ayant  le- 
dict seigneur  roy  rien  plus  à  cœur  que  de  perpétuer, 
par  tous  bons  offices,  l'amitié  que  nature  a  ordonnée 
entre  eulx ,  et  en  laquelle  particulièrement  le  désir 
qu'il  monstre  de  ceste  alliance  le  confirme  grandement 
et  oblige. 


LU.  —  INSTRUCTION 

Pour  traicter  avec  la  rojne  d' Angleterre  et  aultres 
princes  estrangers proiestans ,  baillée  par  le  roy  de 
Navarre  au  sieur  de  Segur,  f  allant  de  sa  part  en 
juillet  1 583  ;  dressée  et  minutée  par  M.  Duplessis, 

Représentera  à  la  royne  d'Angleterre  Testât  de  la 
France,  et  particulièrement  des  églises  reformées,  le- 
quel ,  grâces  à  Dieu ,  j  usques  ici  est  paisible ,  et  pourroit 
continuer  tel ,  selon  toutes  les  apparences ,  si  nous 
voullions  conniver  aulx  maulx  qui  se  préparent  à  l'ad- 


INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE,  etc.  2^3 
venir,  et  contre  toute  la  chrestienté ,  et  contre  nous 
par  conséquence;  mais  que  nous  appercevons  bien 
que  jamais  le  desseing  du  pape  et  des  princes  qui 
lui  adhèrent,  tendant  à  l'extermination  de  ceulx  de 
nostre  profession  ,  ne  feut  plus  proche  d'exécution  hii- 
mainement  qu'il  est,  dont  ne  pouvons,  pour  nostre 
debvoir  et  conscience,  que  ne  remonstrions  à  tous 
ceulx  qu'il  appartient,  que  dum  singuli  piignamus , 
vincimur. 

Sans  espier  davantage  les  actions  du  pape,  on  scait 
assés  que  son  nom  seul   l'oblige  à  poursuivre  nostre 
ruyne;  et  cestui  ci  qui  règne  à  présent,  n'y  a  poinct 
chommé  depuis  qu'il  y  est  appelle,  ayant  envoyé  jus- 
ques  au  bout  du  monde  des  jésuites  pour  mettre  le  feu 
partout,  nommeement  en  Angleterre,  Pologne,  Suéde, 
Moscovie,    après   les  avoir    pieça  establis    en    Italie, 
Espaigne,  Allemaigne ,  France,  etc.  ,011  ils  prennent 
racine  de  plus  en  plus.  Les  Anglois  n'en  sont  moins 
informés  que  les  aultres  par  les  menées  qu'ils  ont  de- 
couvertes  en  leurs  estats,  desquelles  ils  estoient  auc- 
teurs.  Il  a  aussi  octroyé  au  roy  d'Espaigne  la  jouissance 
des  biens  ecclésiastiques  de  tous  ses  estats,  ce  qu'il  ne 
faict  pas  qu'en  espérance  d'ung  accroissement  pour  son 
Eglise,  trop  plus  grand  que  ceste  diminution;  bref,  il 
a  plus  accreu  la  papauté,  par  ses  doulces  menées  et 
pratiques,  que  son  prédécesseur  par  ses  rigoureuses 
procédures  et  persécutions,  et  a  ratteint  ce  poinct  par 
ces  diligences,  que  son  conseil  est  aujourd'hui  comme 
Faffinoir  de  tous  les  desseings  et  conseils  des  princes 
qui  adhèrent  à  la  papauté. 

Quelle  est  l'intention  du  roy  d'Espaigne  ?  nul  n'en 
peult  doubter.  Il  est  conceu ,  né  et  eslevé  en  l'inquisi- 
tion,  qui  est  la  géhenne  de  la  papauté,  et  en  a  esté 

MÉM.  DE  DUPLESSIS-MORNAY.  ToME  II.  I  8 


274  INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE 
principal  exécuteur  jusques  aujourd'hui.  Il  a  persécuté 
tous  ceulx  qui  en  ont  rejette  le  joug,  mesnies  s'est  mis 
en  hazard  d'en  perdre  ses  meilleurs  pays;  n'a  gloire  au 
reste  que  de  se  dire  (ils  du  pape  el  protecteur  de  l'Eglise 
romaine;  mais  particulièrement  les  Anglois  ne  peuvent 
doubler  de  la  haine  qu'il  porte  à  leur  estât  et  de  l'envie 
qu'il  a  de  leur  prospérité,  veu  les  menées  qu'il  leur  a 
brassées,  tant  en  Irlande  que  par  l'Escosse,  et  en  leurs 
entrailles  mesmes;  veu  aussi  les  torts  qu'il  prétend  avoir 
receus  de  la  royne  d'Angleterre ,  qui  a  en  plusieurs  in- 
stances endommagé  ses  affaires  et  rompu  le  cours  de 
ses  succès  par  le  secours  qu'elle  a  donné ,  tant  à  ses 
subjects  des  Pays  Bas,  qu'au  duc  d'Anjou  pour  eulx  ; 
bref,  veu  qu'elle  a  preste  l'oreille  à  toutes  negotiations 
contre  lui  et  en  tout  temps,  encores  qu'elle  ne  soit 
poinct  venue  jusques  aulx  pleins  effects,  tantost  en  le  me- 
naçant d'une  alliance  avec  les  François,  tantost  d'une 
protection  des  Flamans,  et  tantost  du  secours  de  dom 
Antonio,  jusques  à  avoir  envoyé  sonder  et  espier  le 
fond  des  Indes,  c'est  à  dire  les  plus  secrets  mystères 
de  Testât  des  Espaignols. 

Or  mesme  jugement  pourra  on  faire  de  l'empereur, 
estant  de  mesme  maison,  nourriture  et  superstition, 
austrichien,  espaignol  et  jésuite,  dépendant  aussi  de 
l'auctorité  d'une  mère  très  ennemie  de  nostre  relligion, 
et  des  moyens  du  roy  d'Espaigne ,  sans  lesquels  il  ne 
peult  subsister  pour  des  debtes  et  affaires  esquels  il  est 
enveloppé  ,  sauf  que  la  nature  de  Testât  d'Allemaigne 
le  contrainct  d'atremper  son  humeur  et  de  patienter, 
bien  qu'impatiemment,  avec  ceulx  de  relligion  contraire. 

Quant  au 

Estant  la  constitution  des  susdicts  princes  et  estats 


AU  SIEUR  DE  SEGUR.  Ij5 

telle  que  dessus,  il  est  tout  évident  que  la  royne  d'An- 
gleterre ne  peult  avoir  qu'une  imaginaire  ligue  avec 
eulx.  Premièrement,  parce  que  les  ligués,  pour  estre 
amis,  doibvent  avoir  ung  but  semblable;  au  lieu  que 
ceulx  là  en  ont  ung  non  seulement  divers,  mais  con- 
traire au  sien ,  à  sçavoir  la  ruyne  de  la  relligion ,  en 
laquelle  son  estât  est  fondé.  Secondement,  parce  qu'ils 
doibvent  avoir  une  mutuelle  confiance;  au  lieu  que  les 
offenses  mutuelles  les  rendent  tousjours  ombrageux, 
et  toutes  leurs  actions  respectivement  suspectes. 

La  royne  d'Angleterre  ayant  à  peu  près  apperceu 
l'inutilité  et  danger  de  telles  ligues  ,  y  pensoit  avoir 
pourveu  par  l'estroicte  amitié  qu'elle  avoit  faicte  avec 
monseigneur  d'Anjou,  lequel,  pour  estre  remuant,  eust 
peu  tenir  et  le  roy  de  France  et  le  roy  d'Espaigne  en 
escliec ,  s'ils  l'eussent  voulleu  incommoder,  estant  de 
fois  àaultre  assisté  de  ses  moyens;  et  le  conseil  n'estoit 
mal  convenable,  s'il  eust  voulleu  procéder  loyaument. 
Mais,  en  ce  qu'il  a  commis  à  Anvers  et  à  l'endroict  des 
Pays  Bas ,  il  s'est  totalement  retranché  de  la  commu- 
nication avec  ceulx  de  la  relligion  et  obligé  au  parti 
contraire ,  pour  estre  doresenavant  le  bras  droict  du 
pape,  veu  qu'en  ceulx  là  il  a  offensé  et  meurtri  tous 
ceulx  qui  font  mesme  profession.  Et  de  faict,  s'il  eust 
peu,  sans  danger  de  ses  serviteurs  qui  estoient  prison- 
niers, il  vendoit  les  places  qu'il  tenoit  à  l'Espaignol, 
et  les  rendoit  à  sa  dévotion.  Et,  depuis  qu'il  est  à  Dun- 
kerke,  a  faict  estât  nouveau  de  sa  maison,  duquel  il  a 
retranché  tacitement  tous  ceulx  de  la  relligion,  escri- 
vant  à  ses  officiers  en  France  qu'ils  n'ayent  à  payer 
aulcun  qui  n'ait  attestation  d'avoir  faict  dernièrement 
ses  pasques.  Qui  plus  est,  a  escrit  plusieurs  lettres  à  des 
principaulx  seigneurs  de  France,  par  lesquelles  il  se 


276        INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE 
déclare  du  tout  leur  ennemi,  et  les  divertit  par  pro- 
messes, par  menaces  et  par  toutes  sortes  de  persuasions, 
de  l'amitié  du  roy  de  Navarre,  erc.  Bref,  a  depesché 
Julio  Birague  vers  le  pape,  avec  instruction,  qu'il  re- 
grettoit  principalement  le  mauvais  succès  d'Anvers, 
parce  qu'il  ne  lui  a  peu  monstrer,  comme  il  desiroit, 
ce  qu'il  a  voit  au  cœur  de  faire  pour  le  resfablissement 
de  la  relligion  romaine  (comme  de  faict  il  avoit  eu 
dispense  du  pape  de  s'accommoder  avec  ceulx  du  Pays 
Bas  en  ceste  intention  •  ;  qu'il  n'a  rien  plus  en  affection 
que  de  le  lui  tesmoigner  par  quelque  aultre  effect;  et 
pourtant,  le  supplie  de  vouUoir  presser  et  amener  à 
fin  la  ligue  de  tous  les  princes  catholiques  contre  les 
hérétiques,  e^.  leur  faire  dresser  une  armée  à  communs 
frais,  de  laquelle  il  puisse  estre  chef,  pour  employer  sa 
vie  à  leur  extermination  ;  et  afin  que  le  lien  en   soit 
plus  estroit ,  le  requiert  d'estre  aucteur  de  son  mariaige 
avec  une  des  filles  d'Espaigne.  Chose  certaine,  et  des- 
couverte par  un  moyen  qui  pourra  estre  dict ,  et  dont 
desjà  le  project  avoit  esté  veu  avant  le  faict  d'Anvers 
en  certaines  lettres  à  lui  escrites  par  un  Italien,  qui  est 
ingénieur  à  Lisbonne,  qui  portoient  exprès  que,  s'il 
voulloit,  on  le  feroit  chef  de  ceste  ligue;  que  ce  qu'il 
acquerroit  seroit  sien,  et  qu'ils  lui  feroient  conuuencer 
ses  conquestes  par  un  royaume,  qui  valoit  trop  mieux, 
et  lui  cousteroit  trop  moins  que  les  pays  qu'il  pour- 
suivoit. 

Ceroyaume,  nul  ne  doubte  que  ce  ne  soit  l'Angleterre, 
veu  mesmes  les  mémoires  qui  en  ont  esté  trouvés  sur 
quelques  prisonniers  notables  en  Anvers.  Et  de  faict, 
comme  la  royne  d'Angleterre  a  trouvé  la  seureté  et 
tranquillité  de  son  estât  en  ce  que  les  estats  des  roys  de 
France  et  d'Espaigne  ont  esté  troublés ,  le  roy  de  France 


AU  SIEUR  DE  SEGUR.  277 

et  le  roy  d'Espaigne  se  sentiroient  doublement  deschar- 
gés, s'ils  le  voyoient  bien  avant  engagé  en  la  conduicte 
d'une  guerre  contre  l'Angleterre,  principalement  avec 
une  armée  qui  ne  leur  feust  suspecte ,  comme  celle  ci 
ne  seroit,  estant  composée  de  plusieurs  parties  et  faicte 
de  plusieurs  mains.  Premièrement ,  en  ce  que  la  royne 
d'Angleterre,  qui  paravant  a  secoureu  leurs  subjects, 
se  trouveroit  suffisentement  occupée  en  elle  mesmes , 
laquelle  une  fois  domptée ,  seroit  aisé  d'esteindre ,  ce 
leur  semble,  la  relligion  en  leurs  estais.  Secondement, 
en  ce  que  mondict  seigneur  seroit  diverti  ailleurs, 
duquel  l'esprit  inquiet  est  suspect  à  l'ung  et  à  l'aultre, 
et,  faulle  d'occupation,  remueroit  les  malcontens  en 
France,  qui,  soubs  le  mauvais  gouvernement,  multi- 
plient tous  les  jours ,  ou  renoueroit  à  toutes  fins  avec 
ceulx  du  Pays  Bas.  Car,  quant  à  lui  faire  commencer 
l'exécution  du  desseing  de  la  ligue  papale  par  la  France, 
ils  sont  si  suspects  l'ung  à  l'aultre,  que  le  roy  ne  le 
lairra  jamais  le  plus  fort  à  la  campaigne,  comme  de 
faict,  quelque  apparence  et  asseurance  qu'il  ait  donné 
au  roy  de  son  desseing,  toutes  les  fois  que  Monsieur  a 
voulleu  armer  pour  les  Pays  Bas ,  le  roy  son  frère  a 
toujours  voulleu  avoir  une  armée  sur  la  frontière. 

A  ces  maulx  il  est  aisé  à  la  royne  d'Angleterre  d'ap- 
porter les  remèdes  ,  tant  dedans  que  dehors  son 
royaume ,  s'il  lui  plaist  de  s'aider  des  occasions  que 
Dieu  lui  présente  maintenant. 

Et  pour  le  dedans,  ladicte  dame  royne  y  sçaura  bien 
pourvoir  selon  sa  prudence,  estant  au  surplus  assistée 
d'ung  très  bon  et  très  sage  conseil,  qui  avisera  en  temps, 
que  son  estât  ne  tombe  en  danger  ou  dommage. 

Si  ne  peult  on  laisser  de  lui  dire  que,  comme  ainsi 
.soit  qu'elle  n'ait  vent  plus  à  craindre  que  du  costé 


278         INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE 
d'Escosse,  où  les  roys  de  France  et  d'Espaigne  lui  bras- 
sent journellement  diverses  menées  par  occasion  de 
proposer  divers  mariaiges  au  roy  d'Escosse,  n'y  a  rien 
aujourd'hui  à  quoi  elle  deust  plus  penser  qu'à  le  ma- 
rier bientost  en  lieu  dont  elle  n'ait  aulcun  danger  à 
craindre,  et  neantmoins  quelque  utilité  à  espérer,  si 
besoing  est  :  bientost,  parce  que  les  princes  n'attendent 
pas  volontiers  long  temps  à  se  marier,  et  que  cestui  ci, 
en  ayant  esté  recherché  si  jeune ,  attendra  moins  qu'ung 
aultre  ;  et  que  cependant ,  soubs  ombre  d'ambassades 
pour  mariaige,  on  pratique  de  le  divertir  de  la  relli- 
gion,  de  l'amitié  d'Angleterre,  et  de  la  bonne  opinion 
qu'il  avoit  eue  de  ceulx  qui  auroient  manié  sa  jeunesse 
et   son  estât  pendant  icelle  jusques  à  présent;  et  pa- 
reillement en  bon  lieu,  parce  qu'aultrement  on  l'alliera 
ou  obligera  à  la  maison  d'Espaigne  ou  de  France,  en 
lui  donnant  une  fille  d'Espaigne,  de  Lorraine  ou  de 
Florence,  toutes  ennemies,  soit  pour  Testât  ou  pour 
la  relligion  et  aultres  considérations,  de  Testât  d'An- 
gleterre ,  dont  peult ,  puis  après,  avenir  la  ruyne  de  TEs- 
cosse,  et  par  conséquent  de  lAngleterre  mesmes,  comme 
mieux  sçavent  ceulx  qui  en  cognoissent  de  plus  près 
la  condition  présente  et  les  hu'neurs. 

Le  plus  propre  mariaige  scmbleroit  estre  celui  de 
madame  la  princesse  de  Navarre  ,  princesse  née  et 
nourrie  en  la  vraie  relligion ,  sœur  d'ung  prince  que 
les  Eglises  de  ïVance  ont  choisi  et  recogneu  pour  pro- 
tecteur contre  la  tyrannie  du  pape  et  de  ses  adherens; 
et  qui  ne  peult  estre,  pour  les  torts  qu'il  retient  à  sa 
maison,  qu'ennemie  du  nom  d'Espaigne;  en  oultre, 
pour  Tamitié  que  la  royne  d'Angleterre  portoit  à  la 
feue  royne  sa  mère,  et  pour  les  faveurs  qu'elle  en  receut 
au  fort  de  ses  affaires,  obligée  à  ladicte  dame  et  royne, 


AU  SIEUR  DE  SEGUR.  27g 

estant  tout  certain  qu'elle  serviroit  d'une  liaison  entre 
l'Angleterre  et  l'Escosse  ;  comme  au  contraire  d'une 
barre  bien  forte  entre  les  pratiques  d'Espaigne  et  de 
France  et  Testât  d'Angleterre. 

Ce  que  toutesfois  on  ne  propose  poinct  pour  advan- 
tage  selon  le  monde ,  que  les  serviteurs  du  roy  de  Na- 
varre trouvent  en  ce  mariaige ,  car  ladicte  dame  est  de 
long  temps  recherchée  de  M.  de  Savoye  ,  duquel  la 
grandeur  est  prou  cogneuc,  qui  fraischement  y  a  en- 
voyé le  sieur  de  Servain  avec  conditions  favorables,  et 
de  M.  de  Lorraine  pour  son  fils,  qui  est  prince  riche  et 
aisé ,  et  par  le  moyen  duquel  on  s'obligeroit  la  maison 
de  Lorraine ,  qui  seule  semble  faire  obstacle  à  la  gran- 
deur qui  se  prépare  au  roy  de  Navarre;  bref,  de  mon- 
seigneur d'Anjou  et  du  roy  d'Espaigne  mesmes,  qui 
a  diverses  fois  et  tout  fraischement  en  ont  faict  tenir 
propos.  Mais  parce  que  le  roy  de  Navarre  se  propose 
la  gloire  de  Dieu  ,  qui  doibt  précéder  toutes  aultres  con- 
sidérations en  nos  alliances,  et  qu'on  recherche  sa  bé- 
nédiction sur  tous  advantages,  qui  affermit  et  establit 
les  sceptres  et  thrones  de  ceulx  qui  cherchent  avant 
toutes  choses  l'establissement  et  affermissement  de  son 
royaume. 

Pour  le  dehors,  la  royne  d'Angleterre,  qui  pour  sa 
grandeur  et  richesse  tient  le  premier  lieu  entre  les 
princes  qui  ont  embrassé  la  vérité,  les  peult  tous  réunir 
en  une  contreligue ,  pour  s'opposer  aux  pernitieux 
desseings  des  ennemis  de  la  relligion;  à  quoi  ni  la 
saison  du  temps  ni  l'affection  des  hommes  ne  feut 
jamais  plus  disposée. 

Aultresfois  elle  a  recherché  alliance  avec  les  princes 
protestans  d'Allemaigne.  Ils  estoient  froids  et  sourds , 
parce  qu'ils  ne  voyoient  ni  prevoyoient  aulcun  danger., 


28o  INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE 
faisoient  au  reste  chacung  son  cas  à  part ,  tellewient  qu'il 
les  falloit  aller  rechercher  de  maison  en  maison,  et  per- 
suader Tung  après  Taultre.  Au  contraire,  aujourd'hui 
ils  cognoissent  les  pratiques  de  la  maison  d'Austriche, 
qui  ont  trop  plus  pareu  soubs  l'imprudence  de  ce 
jeune  empereur  nourri  en  Espaigne,  en  peu  de  jours, 
que  soubs  la  prudence  des  precedens  en  plusieurs  an- 
nées. De  là  est  adveneu  qu'ils  ont  communiqué  leurs 
conseils,  pour  empescher  qu'ung  roy  des  Romains  ne 
feust  créé  de  ceste  maison  ;  et  sur  ce  est  adveneu  très  à 
propos  que  l'archevesque  de  Cologne ,  électeur  du 
sainct  empire ,  s'est  déclaré  de  la  relligion  ,  par  les 
moyens  duquel  ils  sont  asseurés  de  la  pluralité  des  voix , 
en  ayant  maintenant,  des  sept  les  quattre,  oultre  celle 
de  l'archevesque  de  Mayence  ,  qui  semble  incliner  à  ce 
parti.  Cela  les  a  obligés  à  le  maintenir  contre  ses  en- 
nemis ;  et,  comme  ils  ont  veu  que  l'empereur,  le  roy 
d'Espaigne  et  les  princes  catholiques  se  joignent  contre 
lui,  et  par  conséquent  contre  eulx  ,  ils  se  sont  reveillés 
et  ralliés  ensemble.  Tellement  qu'il  est  tout  évident 
qu'ils  ouvriront  très  volontiers  les  oreilles  aux  propo- 
sitions qu'il  plaira  à  la  royne  leur  faire  pour  le  bien 
commun  de  la  chrestienté,  et  se  sentiront  honorés  quand 
elle  leur  offrira  son  alliance.  Joint  qu'il  sera  trop  plus 
aisés  de  traicter  avec  eulx  que,  par  ci  devant,  estant 
iceulx  joincts  pour  la  plus  part  en  ung  corps  jà  formé, 
au  lieu  qu'ils  estoient  comme  par  pièces. 

Telle  alliance  sera  honorable  à  la  royne,  et  debvroit 
S.  M.  prendre  au  poinct  d  honneur  qu'aullre  la  pro- 
curast  qu'elle;  lui  sera  utile  à  son  besoing  contre  tous 
les  ennemis  ci  dessus  nommés,  comme  il  feut  très  bien 
recogneu  par  le  feu  roy  son  père,  quand  il  traicta  avec 
les  protestans,  qui  n'estoient  pas  lors  si  forts  d'un  tiers 


AU  SIEUR  DE  SEGUR.  281 

qu'ils  sont  maintenant.  Et,  quant  à  ce  qu'on  l'en  a  des- 
tournee  aultresfois,  disant  qu'elle  n'est  pas  si  honorable 

que  celle  qu'elle  a  avec  les  roys  de et  d'Espaigne,  etc., 

qui  sont  princes  plus  grands  ;  est  à  considérer  pre- 
mièrement qu'elle  n'en  peult  avoir  qu'imaginaire  avec 
ceulx  là,  qui  ont  aultre  but  qu'elle,  comme  a  esté  dict 
ci  dessus.  Secondement,  qu'es  ligues  de  compagnons, 
qui  a  compagnon,  a  maistre,  à  plus  forte  raison,  où 
d  y  a  quelqu'ung  qui  se  présume  plus  grand;  il  faict 
tousjours  ployer  les  affaires  de  ses  associés  aux  siennes. 
Tiercement,  qu'au  contraire  en  ceste  ligue,  la  royne, 
qui  y  tiendra  le  premier  lieu ,  y  présidera,  non  en  ordre 
seulement ,  mais  en  commandement.  Et  de  faict ,  sans 
repeter  de  plus  hault ,  la  ligue  des  Vénitiens  avec  le 
pape  et  le  roy  d'Espaigne,  ces  années  passées,  quelque 
nécessité  qui  les  liast,  et  les  Vénitiens  plus  que  les 
aultres,  ne  peult  durer,  parce  que  le  roy  d'Espaigne 
la  voulloit  accommoder  à  ses  affaires.  Celle  du  roy  de 
France  avec  les  Suisses  est  immortelle,  et  ne  s'interrompt 
jamais,  et  sert  tousjours  en  gênerai  et  en  particulier 
à  ses  desseings. 

Ung  obstacle  pourroit  s'entrejetter  en  ceste  negolia- 
tion  de  ligue ,  à  sçavoir ,  le  différend  qui  est  entre  nos 
confessions  sur  le  poinct  de  la  cène;  pour  lequel  lever 
se  pourroient  aisément  traicter  deux  poinctsaveclesdicts 
princes.  L'ung  est  que  ce  différend  soit  remis,  selon 
l'exemple  de  l'Eglise  ancienne,  à  ung  synode  gênerai  de 
toutes  les  Eglises  reformées  de  l'Europe  ,  quand  il  aura 
pieu  à  Dieu  leur  donner  repos.  L'aultre  ,  qu'en  atten- 
dant, nous  demeurions  frères  et  bons  amis,  et  que  si- 
lence soit  imposé  à  toutes  contentions  dépendantes 
dudict  différend  tant  de  bouche  que  par  escrit. 

A  ceste  negotiation  le  roy  de  Danneraarck  a  jà  beau- 


28-2  INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE 
coup  aidé  envers  monsieur  l'électeur  de  Saxe,  son  beau 
frère,  qui  en  a  modéré  sa  rigueur  envers  ceulx  de 
nostre  confession,  et  diminué  sa  faveur  envers  quelques 
docteurs,  qui  servoient  de  boutefeus  en  AUemaigne.  Et 
Tauctorité  de  la  royne  d'Angleterre  auFa  grand  pou- 
voir vers  lui;  comme  aussi  n'y  a  doubte  qu'il  ne  se 
renge  volontiers  à  ceste  ligue  ,  si  elle  l'entreprend  , 
voyant  les  pratiques  que  les  jésuites  font  avec  le  roy  de 
Suéde  et  aultres  ses  voisins  contre  lui. 

S'y  adjoindront  avec  le  roy  de  Navarre,  et  soubs  son 
auctorité  toutes  les  Eglises  de  France,  qui  ne  désirent 
rien  plus  que  cest  accord.  Mais,  pour  ne  perdre  temps, 
et  parce  que  ceste  roue  se  poussera  mieulx  par  plu- 
sieurs tout  ensemble,  et  en  ung  mesme  temps,  que 
par  cbacung  à  part,  sera  suppliée  la  royne  d'Angle- 
terre d'envoyer  des  ceste  heure  quelque  gentilhomme 
de  son  royaume,  notable  et  qualifié,  vers  le  roy  de  Dan- 
nemark  et  les  princes  d'Allemaigne ,  pour  negotier  ces 
deux  affaires ,  à  sçavoir  la  reconciliation  de  nos  églises 
avec  celles  d'Allemaigne  ,  et  une  ligue  générale  de 
tous  les  princes  qui  ont  embrassé  la  reformation,  de 
laquelle  elle  soit  le  chef,  pour  s'opposer  à  la  ruync 
que  le  paj)e  et  ses  adherans  nous  brassent.  Les  sieurs 
de  Sydney,  deTillegœur,  deRandoIff etDamdson,etc., 
y  seroient  propres  pour  leur  qualité  et  suffisance. 

Quand  les  plus  notables  princes  d'Allemaigne  en  se- 
roient persuadés ,  il  loiu'  seroit  aisé  d'y  induire  les 
villes  impériales,  chacung  cndroictsoi.  Les  Suisses  aussi 
et  leurs  alliés,  que  le  pape  a  voulleu  brouiller  à  diverses 
fois  par  l'envoi  de  ses  nonces,  ne  s'en  reculeroient.  Et 
quant  au  roy  de  Navarre,  il  y  entreroit  volontiers  avec 
tout  ce  qui  dépend  de  lui,  à  telles  char^'es  et  conditions 
qu'il  seroit  trouve  bon ,  estant  resoleu  de  n'espargnev 


AU  SIEUR  DE  SEGUR.  283 

biens  ni  vie  pour  la  défense  de  la  relligion,  et  manu- 
tention de  la  cause  commune.  Comme  aussi  y  a  ap- 
parence que  ceulx  du  Pays  Bas,  en  la  perplexité  où  ils 
se  trouvent,  se  tiendront  heureux  d'y  estre  receus, 
lesquels,  certes,  la  royne  d'Angleterre  doibt  garder 
comme  les  boulevarts  de  son  royaume,  et  non  avec 
moins  de  raison  que  l'Allemaigne  garde  la  Hongrie 
contre  le  Turc. 

Geste  ligue,  qui  seroit  toute  composée  des  peuples 
plus  belliqueux  de  la  chrestienté,  seroit  plus  forte  que 
ligue  que  puissent  faire  les  catholiques  romains;  mais 
d'autant  plus  encores  que  tous  y  tendroient  à  ung  but  ( 
commun  de  défense,  et  n'auroient  rien  à  prétendre  les 
ungs  contre  les  aultres  ;  au  lieu  que  les  roys  de 
France  et  d'Espaigne  et  aultres  leurs  associés  ont 
beaucoup  de  querelles  à  demesler  de  longue  main, 
tendent  tousjours  à  enjamber  sur  Testât  et  honneur 
l'ung  de  Taultre,  et  par  estre  ou  se  penser  éloignés 
de  tout  danger,  ne  se  peuvent  supporter  les  ungs  les 
aultres. 

Et  quant  aux  conditions  de  ceste  ligue,  ce  seroit  à 
chacung  à  se  proportionner  à  ses  moyens;  sauf  qu'on  y 
pourroit  suivre  à  peu  près  les  erres  de  celle  qui  feut 
tracée  entre  le  roy  Henri  d'Angleterre  et  les  princes 
protestans,  et  depuis,  à  diverses  fois  reniise  sus  par  la 
royne,  en  laquelle  il  offroit  de  contribuer  autant  que 
deux  électeurs,  quels  qu'ils  feussent.  Et  ne  fault  ou- 
blier qu'une  chose  hasteroit  bien  ceste  conclusion  ,  sans 
qu'il  en  coustast  rien  à  ladicte  royne,  à  sçavoir  si  elle 
faisoit  porter  deux  au  trois  cens  mille  escus,  qu'elle  lais- 
sast  en  depost  en  Allemaigne,  pour  estre  employés  à 
toutes  occasions  à  la  défense  de  la  cause  commune 
par  quelque  bout  qu'elle  feust  attaquée.  A  quoi  le  roy 


284  INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE 
de  Navarre,  selon  ses  moyens,  nonobstant  qu'il  ne  soit 
pressé  de  mal,  a  désiré  donner  exemple  à  tous,  en- 
voyant présentement  bonne  somme  d'argent  et  grande 
quantité  de  bagues  de  grand  prix,  pour  commencer  la 
masse  commune  en  Allemaigne. 

Es  Pays  Bas. 

Passera  d'Angleterre  par  les  Pays  Bas,  où  il  verra 
M.  le  prince  d'Orange,  et  Tasseurera  de  plus  en  plus  de 
l'amitié  du  roy  de  Navarre. 

Et  parce  que  Dieu  a  faict  la  grâce  aulx  Pays  Bas  de 
les  appeller  à  la  reformation  de  son  Eglise,  et  que 
nommeement  les  églises  de  France  et  des  Pays  Bas  sont 
unanimement  conjointes  en  mesme  confession  de  foi  , 
communiquera  avec  ledict  seigneur  prince  des  moyens 
de  parvenir  à  la  reconciliation  desdictes  églises  avec 
celles  d'Allemaigne ,  suivant  la  conclusion  qui  en  au- 
roit  esté  prise  au  synode  national  de  Vitré  en  Bretagne, 
auquel  lesdictes  églises  auroient,  par  la  grâce  de  Dieu, 
comparu  par  leurs  députés,  et  se  seroient  adjointes 
à  la  negotiation  y  concleue,  pour  ladicte  reconcilia- 
tion des  confessions. 

Pourtant,  requerra  ledict  seigneur  prince  ,  pour  da- 
vantage auctoriser  ladicte  negotiation  ,  en  laquelle 
toute  la  chrestienté  en  gênerai  et  les  Pays  Bas  en  par- 
ticulier sont  très  intéressés,  de  vouUoir  tenir  la  main 
qu'au  plustost  soit  envoyé  quelque  personnage  notable 
et  qualifié  de  la  part  des  estais  desdicts  pays  vers  le  roy 
de  Dannemarck  et  princes  protestans  du  sainct empire, 
pour,  d'ung  commun  accord,  poursuivre  la  reunion 
de  toutes  les  églises  qui  ont  requis  la  reformation. 

Et  sur  tout  ,  attendant  que  Dieu  ait  illuminé  les 
cœurs  de  tous  pour  discerner  la  vérité,  pour  obtenir 


AU  SIEUR  DE  SEGUR.  28  !j 

ces  deux  poincts.  Premièrement ,  que  les  différends. qui 
sont  entre  les  églises  d'Allemaigne  appellees  de  la 
confession  d'Ausbourg  et  les  nostres  de  France,  An- 
gleterre ,  Pays  Bas  ,  Suisse,  etc. ,  soient  remis  au  premier 
synode  gênerai  de  toutes  les  églises  reformées,  auquel 
il  plaira  à  Dieu  de  nous  assembler.  Secondement, 
qu'en  attendant  icelui,  nous  demeurions  frères  et  bons 
amis,  et  imposions  silence  à  toutes  contentions  et  invec- 
tives tant  de  bouche  <jue  par  escrit. 

De  ce  faict  pourra,  selon  qu'il  trouvera  par  advis 
sur  les  lieux  ,  traicter  avec  les  estats  des  Pays  Bas,  ou 
^avec  les  plus  notables  personnages  et  ministres  des 
églises,  encores  qu'il  y  ayt  apparence  qu'aulcuns  feront 
difficulté  de  despescher  ceste  légation  tandis  que  les 
choses  demeureront  en  doubte  avec  S.  A. 

Et,  si  elle  est  resoleue,  seroient  très  propres  pour 
en  avoir  la  charge  ,  M.  de  Sainct  Aldegonde ,  M.  de 
Vander  Mylen  ,  ou  M.  Junius,  desquels  le  premier  et  le 
dernier  sont  maintenant  comme  hors  de  charge  ;  le  se- 
cond retiré  en  Hollande,  mais  qui  se  pourroit  excuser 
pour  cause  de  maladie.  M.  Taffin  ou  M.  Sarravia  de 
Gand,  pour  leur  prudence ,  doctrine  et  modestie  ,  y  se- 
roient aussi  très  idoines,  si  on  y  veult  adjomdre  ung 
ministre. 

Le  tout  sans  séjourner  beaucoup  es  dicts  pays ,  pour 
la  longueur  qui  est  ordinaire  en  leurs  affaires ,  et 
mesmes  en  la  confusion  où  ces  derniers  malheurs  les 
ont  mis.  Et  adjoustera  à  ces  fins  tout  ce  qu'il  verra 
appartenir  pour  les  y  exhorter  et  induire. 

N'oubliera  à  adviser  avec  ceulx  qu'il  verra  bon  estre, 
quel  moyen  il  fauldroit  tenir  pour  faire  achennner  les 
mestiers  de  delà  en  Bearn,  leur  remonstrant  les  com- 
modités dudict  pays,  etc. 


286        INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE 
En  Dannemarck. 

Asseurera  le  serenissime  roy  de  Dannemarck  de  l'a- 
mitié estroicte  et  singulière  du  roy  de  Navarre  envers 
hii  ,  lequel,  bien  qu'esloigné  de  lieux  ,  se  sent  neant- 
moins  très  proche  d'affection  envers  tout  ce  qui  le 
touche,  ayant  pieu  à  Dieu,  pnr  sa  saincte  grâce,  les  unir 
en  une  niesnie  relhgion,  qui  est  le  plus  estroict  lien 
qui  puisse  estre  entre  les  hommes. 

Aussi  le  remerciera  très  affectionnement  de  la  peine 
qu'il  lui  pleut  prendre  ces  années  passées  à  l'instance 
et  prière  dudict  seigneur  roy ,  tant  envers  monsieur 
l'électeur  de  Saxe  son  beau  frère,  qu'aultres  très  illus- 
tres princes  et  estats  du  saint  empire,  pour  la  pacifi- 
cation et  reconciliation  des  différends  qui  sont  entre 
quelques  églises  d'Aliemaigne  et  celles  de  France , 
Angleterre,  Escosse,  Pays  Bas,  Suisse,  etc. , qui  auroient 
esté  enaigris  par  la  précipitée  condamnation  de  peu  de 
docteurs,  et  maintenant,  par  sa  prudence  et  vigilance, 
seroient  en  quelque  meilleur  train  de  s'appaiser  ,  au 
grand  bien  et  advancement  de  l'Eglise  de  Christ  ; 
duquel  œuvre ,  certes  autant  louable  que  nécessaire , 
toute  la  chrestienté  commence  à  sentir  de  loing  le  fruict, 
et  l'espère  percevoir  à  bon  escient  par  la  continuation 
de  son  zèle  et  affection  envers  la  gloire  et  service  de 
Dieu  ;  et  S.  M.  remportera,  sans  doubte  à  bon  droict , 
ung  remerciement  indicible  de  tous  ceulx  qui  vi- 
vent ,  et  une  très  louable  mémoire  envers  toute  la 
postérité. 

Particulièrement,  lui  testifiera  de  la  part  dudict  sei- 
gneur roy  de  Navarre,  combien  les  églises  de  France 
se  sentent  obligées  à  lui  de  ce  qu'il  a  si  vertueusement 
embrassé  une  entreprise  si  royale,  mesmes  au  temps  que 


AU  SIEUR  DE  SEGUR.  287 

la  pluspart  s'endorment  en  leur  repos  avec  peu  de 
soing  du  bien  et  advancement  de  la  chrestienté  ;  et  le 
supplie  de  toute  son  affection  d'y  voulloir  à  ce  coup 
mettre  la  dernière  main  ,  pour  en  avoir  la  louange  en- 
tière, lui  offrant  à  ceste  fin  tout  ce  qui  s'y  peult  apporter 
de  sa  part,  d'aide,  d'auctorité,  de  vigilance  et  de  solli- 
citude ,  et  le  pryant  de  lui  communiquer,  selon  sa  pru- 
dence et  affection,  les  moyens  qu'il  estimera  debvoir 
estre  tenus  pour  y  parvenir  au  mieulx  et  au  plustost 
que  faire  se  pourra. 

Sur  ce  donc  lui  ramentevra  qu'il  auroit  esté  trouvé 
bon  ci  devant  que ,  selon  la  louable  coustume  de 
l'Eglise  ancienne,  qui  a  esté  soigneuse  d'assoupir  les 
différends  et  prévenir  les  schismes  ,  ung  synode  gênerai 
feust  assemblé  de  toutes  les  églises  reformées  de  la 
chrestienté,  auquel  les  differens  qui  sont  entre  nous, 
feussent  meurement  debatteus  ,  deuement  examinés 
et  finalemens  décidés  ;  ce  qua  les  églises  de  France 
désirent  imanimement,et  poursuivront  très  ardemment 
de  leur  part.  Comme  de  faict  elles  supplient  très  hum- 
blement ledict  seigneur  roy  de  tenir  la  main  de  toute 
son  auctorité  envers  tous  les  roys ,  princes  et  estats 
qu'il  appartiendra,  que  ledict  synode  gênerai  soit  con- 
voqué en  sa  deue  forme,  en  lieu  commode,  au  plustost 
que  lestât  de  la  chrestienté  le  pourra  permettre. 

Mais  parce  que,  puis  qu'ainsi  a  pieu  à  Dieu,  plu- 
sieurs notables  parties  de  l'Eglise  reformée  ont  esté  et 
sont  troublées  de  guerres,  ou  cruellement  persécutées, 
des  calamités  et  adversités  desquelles  quelques  doc- 
teurs ,  peult  estre  trop  à  leur  aise ,  n'ont  poinct  eu 
honte  d'abuser,  jusques  à  les  condamner  comme  hé- 
rétiques ,  les  retrancher  de  la  communion  de  leurs 
églises,  et,  en  tant  qu'en  eulx  est,  les  extermnier  du 


288  INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE 
monde,  .tu  lieu  de  compatir  à  leurs  misères,  c'est  à 
dire  aulx  afflictions  de  Christ  ;  proposera  audict  seigneur 
roy,  qu'attendant  que  ledict  synode  gênerai  soit  tenu 
en  temps  et  lieu  propre,  il  veuille  employer  son  ,auc- 
torité  en  ces  deux  poincts  principaulx  ;  premièrement , 
que  les  susdicts  differens  soient  remis  et  renvoyés  audict 
synode  gênerai ,  lequel  neantmoins  on  acheminera  au- 
tant que  faire  se  pourra.  Secondement ,  que  doresena- 
vant  silence  soit  imposé  tant  de  houche  que  par  escrit 
à  toutes  contentions  et  invectives  qui  peuvent  enai- 
grir  la  plaie,  que  nous  debvons  restraindre,  attendans 
une  parfaicte  cure ,  demeurans  réciproquement  frères 
et  bons  amis,  comme  nous  sommes  enfans  de  mesme 
père  et  cohéritiers  en  l'héritage  que  Christ  nous  a 
acquis. 

Pour  ces  choses  acheminer ,  le  pryera  très  affection- 
neement  de  voulloir  envoyer  quelque  personnage  nota- 
ble de  sa  part  vers  monsieur  l'électeur  de  Saxe,  son 
beau  frère,  et  aultres  princes  et  estats  du  sainct  em- 
pire, avec  lettres  et  instructions  favorables,  pour  auc- 
toriser  de  plus  en  plus  ladicte  negotiation;  et,  en  cas 
-  que  sadicte  légation  ne  feust  si  preste,  de  lui  bailler  à 
lui  mesmes  lettres  tendantes  à  ceste  fin  à  tous  ceulx 
qu'il  verra  convenir,  dont,  et  de  tout  ce  qui  concer- 
nera cest  affaire,  prendra  soigneusement  advis  et  con- 
seil de  M.  de  Danzai ,  ambassadeur  du  roy  très  chrestien , 
par  le  moyen  duquel  aura  accès  et  communication  en 
Dannemarck  et  lieux  circonvoisins,  vers  tous  ceulx  qui 
peuvent  aider  en  cest  affaire ,  desquels  il  entendra  de 
lui  les  moyens,  humeurs  et  conditions. 

N'omettra  au  reste  de  remonstrer  vivement  audict 
seigneur  roy  les  pratiques  du  pape ,  de  l'empereur  ,  des 
roys  de  France,  d'Espaigne,  etc. ,  contre  la  vraie  relli- 


AU  SIEUR  DE  SEGUR.  289 

gion  ,  qui  se  découvrent  et  acheminent  de  jour  en  jour; 
celles  mesmes  qui  se  dressent  contre  son  estât  par  le 
moyen  des  jésuites,  telles  qu'il  les  entendra  mieulx  de 
plus  près,  employant  pour  cest  effect  les  raisons  am- 
plement contenues  en  l'instruction  générale  ,  et  aultres 
que  sa  prudence  et  le  temps  mesmes  lui  administrera. 
Le  tout  pour  lui  faire  sentir  combien  il  est  besoing  que 
Jes  princes,  que  Dieu  a  unis  en  la  vraie  relligion  ,  se 
reunissent  de  conseils  et  de  forces,   pour  la  défense 
d'icelle  ;  et  pour  l'exhorter  à  avancer  et  procurer  de 
tout  son  pouvoir  ceste  saincte  et  nécessaire  union  ;  de 
laquelle  aussi ,  sans  lui  fliire  rien  sentir  plus  avant,  pour 
les  causes  à  lui  cogneues,  pourra  sonder  les  moyens,  de- 
visant avec  M.  de  Danzay  et  aultres,  et  remettant  à  celui 
que, la  royne  d'Angleterre  envoyera  exprès,  à  en  traic- 
ter  plus   profondement  avec  ledict  seigneur    roy   de 
Dannemarck ,  ceulx  de  son  conseil ,  et  aultres  person- 
nages affectionnés  au  bien  de  la  relhgion. 
Pour  la  fin,  etc. 

Pour  les  princes  et  estais  du  sainct  empire  ,  faisans 
profession  de  la  relligion  reformée. 

Leur  remonstrera  à  tous  en  gênerai ,  et  chacung  en 
particulier,  combien  l'union  est  requise  entre  princes 
et  estats  qui  font  profession  de  mesme  relligion  ;  et 
combien,  au  contraire,  la  division  qui  est  survenue, 
pour  certains  differens  en  la  doctrine,  a  apporté  de 
reculement  aux  Eglises,  lorsqu'elles  prenoient  leur 
cours,  et  achoppé  les  infirmes,  pour  ne  s'adjoindre 
poinct  à  la  vérité. 

Que  le  roy  de  Navarre  n'en  veult  poinct  rechercher 
les  aucteurs  ni  les  sources,  qu'il  ne  pourroit  sans  leur 
lionte  et  sans  douleur;  mais  qu'il  doibt  suffire  que  le 

MÉM.  DE  DUPLESSIS-MOKNAY.  ToME  II.  1  O 


1^90         INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE 
mal  en  est  prou  cogneu ,  et  que  tous  les  gens  de  bieiï 
souspirent  après  le  remède,  lequel  sera  plus  utile,  et 
peult  estre  plus  aisé  de  trouver,  que  s'accorder  en- 
semble de  ceulx  qui  ont  faict  le  mal. 

Qu'il  est  tout  persuadé  à  toutes  personnes  vrayment 
chrestiennes,  que  nous  sommes  d'accord  des  fonde- 
mens  de  la  relligion,  à  sçavoir,  de  la  gratuite  remission 
des  peschés,  acquise  par  la  mort  de  Christ,  fils  éternel 
de  Dieu  ,  vrai  et  unique  médiateur  du  genre  humain , 
à  ceulx  qui  croient  en  lui  ;  qui  plus  est,  combattons  par 
mesmes  raisons  et  argumens  les  abus  et  erreurs  intro- 
duits en  l'Eglise  par  le  pape  et  les  siens  ;  mesmes  ,  con- 
venons au  poinct  de  la  Cène ,  duquel  est  toute  la  dis- 
pute, en  ce  qui  est  de  la  substance  du  sacrement, 
chacung  estant  asseuré  d'y  recevoir  vraiment  le  corps  de 
Christ.  Partant,  que  ne  restant  controverse  entre  nous 
que  de  la  manière  d'y  participer,  c'est  à  dire,  de  modo 
prœsentiœ ,  c'est  une  chose  insupportable  que  in  que- 
rendo  modo ,  nulliim  plane  modum  adhibeamus,  om- 
nem  excedamus. 

Que  les  catholiques  ont  esté  beaucoup  plus  prudens 
(je  ne  veuk  dire  charitables),  lesquels,  avant  que  le 
docteur  Luther,  de  bonne  mémoire ,  leur  feist  la  guerre, 
exercoient,  pour  ce  mesme  article,  inimitiés  et  que- 
relles mortelles,  et  n'avoient  peu  encores  en  tomber 
d'accord;  jusques  là  qu'il  se  trouve  en  leurs  docteurs 
scholastiques  dix  ou  douze  opinions  sur  ce  ponict ,  ou 
diverses,  ou  contraires,  lesquelles  personne  ne  vouloit 
céder  tant  soit  peu,  comme  il  se  voit  en  Lombard  ,  Tho- 
mas ,  Lescot ,  Durand  ,  Gabriel  Biel ,  Bonaventure  , 
Picus  Mirandula ,  etc. ,  qui  s'entrecoupent  la  gorge  ; 
ce  neantmoins,  qu'ils  ont  trouvé  moyen,  pour  nous 
persécuter  avec  plus  de  repos  et  de  loisir,  d'assoupir 


AU  SIEUR  DE  SEGUR.  agi 

toutes  ces  contentions  entre  eulx;  ce  que,  pour  nous 
défendre  d'une  évidente  ruyne,  nous  n'ayons  encores 
peu  obtenir  de  nous  pour  nous  mesmes,  en  une  cause 
trop  plus  appointable  et  facile. 

Que  l'Eglise  ancienne  nous  en  a  assés  enseigné  le 
remède,  quand,  en  tels  différends,  pour  prévenir  les 
schismes  qui  en  pouvoient  naistre,  elle  a  ordonné  les 
synodes ,  par  le  moyen  desquels  plusieurs  notables  plaies 
ont  esté  heureusement  guaries  et  cicatrisées.  Et  pour- 
tant, qu'à  leur  exemple,  le  roy  ne  Navarre  prye  très 
affectionnement  tous  les  très  illustres  princes  et  estats 
du  sainct  empire,  qui  ont  protesté  pour  la  reformation 
de  l'Eglise  clirestienne,  de  tenir  la  main  qu'un  synode 
gênerai  soit  teneu  au  plus  tost  que  faire  se  pourra  ,  de 
toutes  les  églises  reformées  de  la  chrestienté ,  de  la 
forme  duquel  entre  ci  et  qu'il  se  puisse  assembler, 
on  s'accorde  à  loisir  ensemble,  auquel  tous  les  diffé- 
rends qui  sont  entre  nous  puissent  estre  bien  et  deue- 
ment  débattus,  meurement  examinés,  et  finalement  re- 
soleus  et  décidés. 

Mais  qu'il  déplore  à  bon  escient  que,  pendant  que  ce 
remède  tarde ,  à  cause  des  troubles  dont  les  églises  re- 
formées sont  agitées  en  plusieurs  notables  parties ,  aul- 
cunes  sous  la  croix,  et  aultres  soubs  la  guerre,  ces  plaies 
s'enaigrissent  et  s'enveniment  par  les  importunes  con- 
tentions et  ambitieuses  disputes  de  ceulx  bien  souvent 
qui,  selon  leur  charge  et  vocation,  y  debvroient  princi- 
palement apporter  le  restreintif  et  l'emplastre,  mesmes 
jusques  à  s'entrecondanmer ,  excommunier  et  extermi- 
ner ,  en  tant  que  possible  est.  Choses  qui ,  attendant 
que  ledict  synode  gênerai  se  puisse  commodément  as- 
sembler, requièrent,  à  son  advis,  ung  plus  prompt  et 
plus  présent  remède. 


•^92        INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRL 

Requerra  donc  en  attendant,  que,  pour  éviter  ces 
inconveniens,  par  lesquels  TEvangile  de  nostre  Seigneur 
Jésus  Christ  est  exposé  en  risée,  et  son  Eglise  en  proie, 
lesdicts  très  illustres  princes  et  estats  protestans  du  saint 
empire  y  veuillent  pourvoir,  comme  il  sembleroit  aisé 
par  les  deux  moyens  qui  ensuivent.  Premièrement,  en 
remettant  audict  synode  gênerai  tous  les  différends  de 
doctrine  qui  sont  entre  leurs  églises  et  les  nostres,sans 
qu'aulcune  église  particulière  en  puisse  décider  au  pré- 
judice respectivement  l'une  de  Taultre.  Secondement, 
que  silence  soit  imposé  à  toutes  contentions  et  invec- 
tives ,  tant  de  bouche  que  par  escrit,  et  que ,  nonobstant 
ces  différends,  l'union,  amitié  et  fraternité  demeure, 
et  soit  observée  entre  nous.  Ce  que  ledict  seigneur  roy 
promet,  tant  en  son  nom  qu'au  nom  des  églises  de 
France,  desquelles  il  est  requis,  et  fera  effectuer  par 
tous  ceulx  qu'il  appartiendra  de  poinct  en  poinct. 

Cet  obstacle  estant  levé,  se  promet  ledict  seigneur 
roy  qu'il  sera  trop  plus  aisé  que  ci  devant,  de  j^arvenir 
à  l'eslroicte  union  qui  doibt  estre  entre  tous  les  princes 
et  estats  de  la  relligion  reformée,  et  à  laquelle  non  seu- 
lement le  debvoir  clirestien  nous  convie,  mais  mesmes 
le  pouvoir,  les  effects,  les  brigues  et  les  ligues  de  l'an- 
techrist  et  de  ses  supposts  nous  exhortent  et  contrai- 
gnent. 

Employera  donc,  pour  les  y  amener,  les  raisons  au 
long  déduites  en  ung  mémoire  plus  ample ,  dont  il  est 
chargé;  mais  particulièrement  leur  remarquer  soigneu- 
sement l'interest  qu'ils  y  ont  pour  leur  regard,  qui 
les  doibt  faire  estroictement  rallier  ensemble,  et  puis 
avec  les  princes  et  estats  voisins  qui  ressentent  ce  dan- 
ger avec  eulx. 

Seront  donc  remémorés  lesdicts  seigneurs ,  princes 


AU  SIEUR  DE  SEGUR.  sgS 

et  estais  du  sainct  empire,  que  le  roy  d'Espaigne  n'a 
aujourd'hui  qu'ung  seul  fils,  et  si  maladif  et  délicat, 
qu'on  attend  sa  mort  à  toutes  heures;  icelle  avenant, 
que  toute  ceste  puissante  monarchie  tombe  en  une 
fille  aisnee  qu'il  veult  marier  à  l'empereur  mesmes,  ou 
à  l'un  g  de  ses  frères.  Quand  l'auctorité  de  l'empire  sera 
rejointe  à  la  puissance  et  grandeur  d'Espaigne,  de- 
meurant cependant  l'Allemaigne  déchirée  comme  elle 
est,  et  mal  asseuree  du  secours  des  voisins,  jugent 
]esdicts  seigneurs  princes,  selon  leur  prudence,  quel 
moyen  ils  auront  d'empescher  que  la  maison  d'Aus- 
triche  ne  se  rende  l'empire  héréditaire,  ne  départe  leuis 
honneurs ,  biens  et  dignités  à  ses  partisans ,  comme 
aultresfois  auroit  esté  projette,  et  enfin  ne  mette  soubs 
les  pieds  les  anciennes  libertés  d'Allemaigne. 

A  cest  inconvénient  seroit  remédié,  comme  aulcuns 
sages  princes  auroient  jà  projette  par  l'élection  d'ung 
roy  des  Romains, d'aultre  maison  que  celle  d'Austriche, 
pour  à  laquelle  parvenir ,  Dieu  leur  auroit  suscité  et 
esclairé  en  la  vraie  relligion  l'archevesque  de  Cologne, 
par  le  mesme  moyen  duquel  ils  se  peuvent  asseurer  de 
la  pluralité  des  voix ,  et  lequel ,  oultre  plusieurs  aultres 
justes  causes  et  notables  raisons,  ils  doibvent  mainte- 
nir contre  l'oppression  des  catholiques  romains  pour 
celle  ci. 

Mais ,  parce  qu'il  y  a  apparence  que  la  maison  d'Aus- 
triche ne  se  lairra  despouiller  paisiblement  d'une  di- 
gnité dont  elle  est  vestue  de  si  long  temps  qu'elle  la 
ressent  non  moins  que  la  peau  mesmes ,  et  fera  par  con- 
séquent tous  ses  efforts  par  le  moyen  du  pape,  du  roy 
d'Espaigne  et  ses  aultres  alliés,  pour  la  retenir;  seroit 
besoing  que,  de  bonne  heure,  lesdicts  seigneurs  princes 
et  ostats  du  sainct  empire ,  qui  sont  intéressés  en  ceste 


294  INSTRUCTION  DU  ROY  DE  NAVARRE,  etc. 
cause,  se  liassent  et  unissent  bien  estroictement  en- 
semble. En  après,  traictassent  une  bonne  et  ferme  ligue 
avec  les  estais  voisins  qui  ont  part  à  cest  interest  et  dan- 
ger, comme  avec  la  royne  d'Angleterre ,  le  roy  de  Dan- 
nemarck ,  les  Suisses  et  aultres  qui  ont  occasion  de  s'oppo- 
ser à  la  grandeur  d'Austricbe ,  et  l'avoir  pour  suspecte  ; 
comme  en  pareil  cas  les  dicts  seigneurs  princes  au- 
roient  faict  avec  Henri,  roy  d'Angleterre,  n'estant  en- 
cores,  icelui,  conjoint  en  relligion  avec  eulx ,  au  lieu 
que  tous  les  susdicts  le  sont  aujourd'bui  et  en  relligion 
et  en  cause. 

A  ceste  ligue  ,  très  volontiers  s'adjoindra  le  roy  de 
Navarre  avec  tout  ce  qui  dépend  de  lui ,  pour  la  dé- 
fense des  églises  reformées  contre  la  tyrannie  du  pape 
et  de  ses  adherens.  Lequel,  nommeement  advenant  la 
mort  du  roy  d'Espaigne,  a  de  très  grands  moyens  d'es- 
corner  de  ce  costé  là  la  grandeur  d'Austricbe ,  et  y 
seroit  sans  doubte  béni  de  Dieu  et  du  peuple ,  pour  les 
insignes  torts  qu'il  en  areceus;  dontl'Allemaigne  auroit 
moyen  de  se  décharger  tant  plus  tost  de  la  tyrannie 
qui  est  à  craindre. 

Exhortera  donc  lesdicts  très  illustres  princes,  sei- 
gneurs et  estats  protestans  du  sainct  empire ,  pour  le 
bien  commun  de  la  chrestienté,  d'avancer,  chacung  en 
son  endroict,  ung  si  sainct  et  nécessaire  affaire,  lequel, 
s'il  est  bien  considéré ,  ne  leur  importe  moins  que  la 
crainte  du  Turc  ou  la  défense  de  la  Hongrie  ;  ains , 
peult  estre  d'autant  plus ,  qu'il  leur  est  non  seulement 
proche,  mais  aussi  intérieur;  offrant  de  la  |)art  dudict 
seigneur  roy ,  d'y  apporter  tout  ce  que  Dieu  lui  a  donné 
d'auctorité  ,  de  moyen  et  de  vie ,  etc. 


JUSTIFICATION  DES  ACTIONS,  etc. 


2QJ 


LUI.  —  JUSTIFICATION 

Des  actions  du  roj  de  Navarre,  baUlee  au  sieur  de 
Segur,  pour  le  mesme  vojaige  que  dessus ,  le 
Ç>  juillet  I  583. 

Chacung  sçait  que  nul  n'eust  oncq  plus  grande  occa- 
sion de  se  plaindre  que  le  roy  de  Navarre,  de  ce  qui 
se  passa  en  l'an  72,  le  i[\  aôust,  à  Paris;  car  on  y 
abusa  de  ses  nopces  pour  violer  la  foi  publicque  par 
ung  horrible  massacre.  On  lui  tua  devant  ses  yeulx  les 
plus  notables  amis  et  serviteurs  qu'il  eust  en  France , 
et  nommeement  la  fleur  de  la  noblesse  de  ses  pays ,  qui 
l'estoit  venue  accompagner,  jusqu'à  souiller  sa  JDropre 
chambre,  et  mesmes  sa  couche  du  sang  des  meurtris. 

Depuis  aussi ,  il  feut  long  temps  captif  à  la  court ,  où 
on  parloit  toutes  les  sepmaines  de  le  mettre  à  la  Bastille, 
où  plusieurs  fois  on  meit  en  délibération  de  le  faire 
mourir ,  où  mesmes  on  n'avoit  honte  de  proposer  à  la 
royne,  sa  femme  ,  le  mariaige  d'aultres  princes  pour  la 
faire  consentira  sa  mort.  Ces  choses,  qui  sont  cogneues 
de  tous,  estoient  pour  mettre  ce  jeune  prince  hors  des 
gons,  et  pour  lui  faire  oublier  toute  mesure.  Et  d'au- 
tant plus  que,  par  la  grâce  de  Dieu,  il  est  souverain, 
né,  nourri  et  eslevé  hors  de  France,  et  spolié  de  la  meil- 
leure part  de  sa  couronne ,  pour  avoir  ,  son  aïeul ,  suivi 
l'amitié  de  France.  Au  reste,  on  ne  lui  pouvoit  impu- 
ter chose  qui  se  feust  passée  es  troubles  du  royaume , 
pour  le  bas  aage  auquel  lors  il  estoit. 

Ce  nonobstant,  comme  Dieu  lui  eust  faict  la  grâce 
d'estre  échappé  de  ces  liens  au  commencement  de  l'an 
76,  au  mesme  temps  que  monseiffneur  le  duc  d'Anjou 


296  JUSTIFICATION  DES  ACTIONS 

nvoit  pris  les  armes  contre  le  roy  son  frère ,  à  m-esent 
régnant,  que  ceiilx  de  la  relligion  avoient  heureuse- 
ment relevé  leur  parti,  et  que  M.  le  duc  Casimir  estoit 
avec  une  puissante  armée  en  France  ,  il  ne  voulleut  ja- 
mais se  prévaloir  pour  ses  vengeances,  ni  interests  par- 
ticuliers, de  ces  forces,  qui  estoient  pour  la  meilleure 
part  à  sa  dévotion;  ains  accommoda,  comme  ses  ad- 
versaires mesmes  confessèrent,  toutes  ses  vollontésà  la 
paix,  n'y  feit  jamais  difficulté  aulcune,  pour  son  par- 
ticulier, ni  des  siens  ,  donna  ses  pertes  ,  ses  dommages  , 
ses  injures,  la  mort  mesmes  de  ses  plus  chers,  au  bien 
de  la  republique ,  se  contentant  d'avoir  retiré  sa  vie  et  sa 
conscience  d'oppression  et  de  servitude ,  et  d'avoir  aidé , 
pour  sa  part,  à  remettre  sus  la  prédication  de  l'Evangile. 

De  ce  fera  foi  le  traicté  de  pacification  de  fan  ^6  , 
qui  ensuivit  la  guerre  que  dessus,  auquel  on  ne  verra 
ung  seul  article  qui  concerne  son  particulier  honneur, 
bien  ou  accroissement,  encores  qu'avec  les  moyens 
qu'il  avoit,  il  s'en  pouvoit  faire  croire,  comme  feirent 
quelques  aultres,  qui  n'avoient  receu  ni  pertes,  ni  in- 
jures telles  que  lui. 

Par  ce  traicté  ,  feut  dict  que  l'exercice  de  la  relligion 
reformée  seroit  libre  en  tous  lieux  du  royaume  indiffé- 
remment, sauf  quelques  exceptions  contenues  en  l'edict 
perpétuel  et  irrévocable  qui  feut  faict.  Et,  pour  le  re- 
gard des  dereglemens  et  confusions  de  Testât,  feut  dict 
que,  dedans  six  mois,  se  tiendroit  une  assemblée  géné- 
rale d'estats,  selon  la  forme  ancienne,  en  laquelle  il  y 
seroit  pourveu. 

Pendant  ces  six  mois,  monseigneur  d'Anjou  feut  mis 
en  la  pleine  possession  d'ung  grand  et  riche  appanage 
qui  lui  feut  accordé  par  la  paix,  duquel  se  voyant  pai- 
sible, feut  aisé  de  lui  faire  changer  parti ,  et  de  le  diver- 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  297 

tir  de  la  protection  des  estais  qu'il  avoit  prétendue. 
Ainsi  donc  l'assemblée  de  Blois  feut  convoquée ,  à  la- 
quelle on  donna  le  nom  d'estats,  de  laquelle  feurent 
excleus  par  brigues  tous  les  députés  de  la  relligion , 
tejetés  tous  les  paisibles  catholiques,  mesmes  ceulx  qui 
esloient  du  conseil  du  roi. 

En  icelle  donc,  au  lieu  de  vaquer  à  la  reformation  de 
Testât,  selon  les  cahiers  envoyés  par  les  provinces,  on 
ne  traicte  que  de  la  ruyne  de  ceulx  de  la  relligion  ;  l'edict 
de  pacification,  qui  estoit  irrévocable,  y  est  cassé  et  an- 
nullé,  les  ministres  bannis,  l'exercice  de  relligion  des- 
fendeu.  Ceulx  qui  avoient  eu  charge  de  leurs  provinces 
de  tenir  la  main  à  la  paix,  sans  laquelle  les  estais 
estoient  frivoles  et  inutiles,  sont  menacés  d'estre  jettes 
en  l'eau.  Ligues  se  font  au  reste  par  les  provinces  entre 
les  catholiques,  pour  exterminer  chacung  endroict  soi 
tous  ceulx  de  la  relligion,  sans  exception  de  qualité, 
sexe,aage,  société,  parenté,  fraternité,  etc.  Et  jà  de 
toutes  parts  on  se  preparoit  à  l'exécution. 

Qui  plus  est,  le  roy  faict  signifier  au  roy  de  Na- 
varre et  à  monseigneur  le  prince  de  Condé ,  par  dé- 
putés exprès,  que  c'estoit  son  irrévocable  volonté; 
qu'il  falloit  qu'ils  s'y  accommodassent,  adjoustant  soubs 
uîain  qu'aultrement  ils  seroient  déclarés  indignes  de 
succéder  à  la  couronne  de  France.  Quelle  doibt  estre 
Tauctorité  de  ces  estats,  feut  lors  assés  déclaré  par 
quelques  personnages  catholiques, qui  eulx  mesmes  en 
formèrent  les  nullités.  Joint  que  la  nullité  en  est  évi- 
dente en  ce  qu'ils  ne  feirent  du  tout  rien  de  ce  à  quoi 
ils  estoient  appelles,  à  sçavoir  le  bien  et  soulagement 
du  peuple. 

Le  roy  de  Navarre  donc  remonstre  modestement 
au  roy  par  ses  députés  les  inconveniens  qui  en  advien- 


298  JUSTIFICATION  DES  ACTIONS 

droient,  mais  en  vain.  Et  comme  nonobstant,  il  veit 
acheminer  l'exécution  de  ses  ordonnances  par  les  armes 
de  monseigneur  d'Anjou,  de  ceulx  de  Guise  et  des  sus- 
dictes  ligues  contre  lui  et  les  siens,  se  résolut  de  se 
défendre;  et  delà  naquit  la  guerre  de  l'an  -^-y,  en  la- 
quelle Dieu  lui  feit  la  grâce  de  se  conduire  en  telle 
"sorte,  que,  sans  aide  ni  faveur  de  personne  ,  estant  as- 
sailli de  toutes  les  forces  de  France ,  commandées  par 
monseigneur  d'Anjou  mesmes ,  il  soutint  ceste  tem- 
peste  qui  sembloit  le  debvoir  submerger ,  et ,  avant  le 
bout  de  l'an,  obtint  une  paix,  par  laquelle  l'exercice 
feut  rendu  à  ceulx  de  la  relligion ,  sinon  aussi  libre 
qu'en  la  précédente,  tel  au  moins  qu'au  milieu  de  si 
dures  contradictions  se  pouvoit  espérer.  Tant  y  a  qu'on 
n'y  verra  poinct  ung  seul  mot  qui  concerne  son  parti- 
culier, sinon  en  tant  qu'il  est  membre  du  gênerai;  au 
contraire,  qu'il  est  content  de  surseoir  l'usage  de  son 
auctorité  légitime  en  beaucoup  de  choses,  plustost 
qu'en  la  débattant,  reculer  tant  soit  peu  la  conclusion 
d'une  paix. 

Les  articles  de  ceste  paix  se  réduisent  principalement 
à  trois  poincts,  à  la  relligion,  à  la  justice  et  aulx  seu- 
retés  du  traicté. 

Quant  à  la  relligion ,  l'exercice  en  est  permis,  et  at- 
tribué en  certains  lieux,  en  la  plus  part  desquels  il  n'est 
encores  establi,  ains,  par  diverses  subtilités  et  chicane- 
ries, troublé  ou  défendu.  Quant  à  la  justice,  pour 
éviter  l'animosité  et  partialité  des  juges ,  certaines 
chambres  avoient  esté  ordonnées  pour  juger  des  causes 
de  ceulx  de  la  relligion;  icelles ,  depuis  tant  de  temps, 
ne  sont  encores  establies.  Et  quant  aulx  seuretés  ,  les 
garnisons  non  accoustumees  debvoient  estre  ostees,  et 
les  citadelles  nouvelles  rasées;  et  en  oultre  liuict  villes 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  agg 

leur  avoient  esté  laissées  pour  l'espace  de  six  ans,  en 
dedans  lesquels  la  paix  feut  effectuée  en  toutes  ses 
parties,  et  ledict  sieur  roy  de  Navarre  remis  en  son 
auctorité.  Au  contraire  ,lesdictes  garnisons  et  citadelles 
tlemeurent  debout  en  leur  entier;  et,  quant  aulx  villes, 
les  deux  principales  ont  esté  soubstraites  et  enlevées 
par  pratiques  et  menées;  et  toutes,  si  on  n'y  eust  pris 
garde,  le  seroient  pieça,  veu  les  entreprises  qui  s'en 
sont  découvertes  de  fois  à  aultre;  le  tout  sans  qu'on  en 
ait  peu  avoir  justice,  quelque  plainte  qu'on  en  ait 
<lressee ,  et  quelque  preuve  contre  les  aucteurs  qu'on 
en  ait  peu  faire. 

De  ce  desni  de  la  relligion ,  chose  si  chère  à  tous  gens 
de  bien,  sont  procedees  beaucoup  de  justes  douleurs; 
du  refus  de  la  justice,  beaucoup  d'impunités,  et  par 
conséquent  d'injures  ,  de  meurtres,  d'assassinats,  etc. 
Et  de  l'infraction  des  seuretés,  beaucoup  de  soupçons 
et  défiances  :  tellement  que  la  paix  a  vaincu  en  quel- 
ques lieux  la  guerre,  en  irrelligion,  en  injustice  et 
cruauté  :  dont  est  aussi  advenu  que  la  patience  de 
ceulx  de  la  relligion ,  sentans  les  coups  de  la  guerre 
soubs  le  masque  d'une  paix,  s'est  tournée  quelquesfois 
€n  fureur,  et  ont  repoussé  par  justes  et  naturelles  dé- 
fenses les  injustes  offenses  qu'on  leur  faisoit. 

Mais  tant  y  a  que  le  roy  de  Navarre  faict  ses  plus 
grands  ennemis  juges,  s'il  n'a  pas  effectué  de  sa  part 
tout  ce  qu'il  avoit  promis  par  la  paix;  s'il  n'a  pas  rendu 
ce  qu'il  avoit  convenu;  et  si ,  au  contraire,  on  ne  lui 
retient  pas  encores  de  ses  propres  villes  et  maisons, 
contre  les  termes  exprès  de  ledict;  s'il  n'a  pas  aucto- 
risé  la  justice  contre  les  siens  propres  par  tout  où  il  a 
esté  question  de  l'exécution  de  la  paix,  jusques  à  dé- 
manteler plusieurs  places  et  faire  exécuter  des  princi- 


3oo  JUSTIFICATION  DES  ACTIONS 

])au]x  entrepreneurs  en  divers  lieux,  encores  qu'ils 
n'eussent  que  rendu  l'injure,  et  non  au  regard  de  celle 
qu'ils  avoient  receue. 

Ce  que  peult  estre  il  eust  poursuivi  encores  plus 
vivement,  s'il  n'eustapperceu  par  l'impunité  de  Taultre 
part  (en  laquelle  on  ne  peult  nommer  de  tant  de  mille 
punissables  ung  seul  infracteur  de  paix  puni  )  qu'ils  ne 
desiroient  pas  justice  pour  amour  de  justice ,  ains  soubs 
ombre  de  justice  le  faisoient  exécuteur  de  leur  animo- 
sité  et  vengeance. 

En  cest  espace  donc  de  six  années,  tant  pour  l'iné- 
galité du  traictement  qui  rendoit  les  catholiques  inso- 
lens,  que  pour  l'impunité  des  forfaicts  qui  les  enhar- 
dissoit  à  mal  faire,  sont  entrevenues  plusieurs  altéra- 
tions en  la  paix,  tant  que  la  continuation  de  leurs  in- 
jures et  injustices  a  vaincu  quelquesfois,  comme  dict  a 
esté,  la  constance  de  ceulx  de  la  relligion;  dont  seroit 
advenu  qu'en  quelques  lieux,  des  plaintes  on  auroit  esté 
contraint  de  venir  aulx  défenses,  et  des  défenses  aulx 
offenses;  en  danger  de  s'acharner  en  la  guerre  civile 
plus  que  j'amais,  si  le  roy  de  Navarre  n'eust  cédé  pour 
le  bien  et  repos  public,  non  seulement  de  ses  advan- 
lages ,  maismesmes  de  ses  seuretés;  remettant  son  inno- 
cence et  des  siens  en  la  garde  de  celui  qui  en  est  le 
juge,  et  qui  la  cognoist.  De  faict ,  on  sçait  qu'au  traicté 
de  Flex,  auquel  monseigneur  d'Anjou  entreveint,  pour 
consolider  les  plaies  de  la  guerre,  il  quitta  volontaire- 
ment les  villes  de  Cahors  et  de  Sainct  Milion,  desquelles 
l'importance  est  cogneue  pour  leur  force  et  pour  estre 
icelles  passages  de  notables  rivières;  tant  parce  qu'il 
csperoit  enfui  vaincre  le  cœur  du  roy  par  sa  modestie, 
que  parce  qu'il  s'imaginoit  que  la  guerre,  que  monsei- 
gneur entreprenoit  lors  en  Flandres,  seroit  une  notable 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  3oi 

saignée  à  la  France,  qui,  en  repurgeant  le  mauvais 
sang  et  donnant  respiration  au  bon,  osteroit  toutes  les 
demanwaisons  dont  elle  auroit  esté  molestée  et  tour- 


mentee. 


Au  contraire,  nonobstant  ceste  confirmation  de  paix 
toute  fraische,  on  attaque  ceulx  de  la  relligion  eri 
Daupliiné,  on  démantelé  leurs  villes,  on  y  bastit  des 
citadelles;  le  tout  contre  la  foi  publique  et  les  accords 
traictés  particulièrement  avec  M.  le  duc  de  Mayenne, 
qui  commandoit  aulx  forces  du  roy.  Cela  faict,  on  le 
veult  faire  passer  en  Languedoc  pour  y  faire  de  mesmes, 
ce  qui  s'alloit  effectuer,  n'eustesté  qu'on  entra  en  opi- 
nion que  si  ledict  sieur  de  Mayenne  estant  de  la  maison, 
de  Guise,  entroit  armé  dedans  lé  Languedoc,  auquel 
commande  le  duc  de  Montmorency ,  les  anciennes  que- 
relles de  ces  maisons  se  reveilleroient,  et  le  duc  de 
Montmorency  auroit  juste  occasion  d'entrer  en  soupçon, 
et  par  conséquent  de  se  reunir  avec  le  roy  de  Navarre 
et  ceulx  de  la  relligion  de  sa  province. 

Que  faict  lors  le  roy  de  Navarre?  Pour  lever  à  ses 
ennemis  tout  scrupule  du  cœur,  et  pour  leur  oster  de 
devant  les  yeux  l'object  de  leur  vengeance,  comme  par 
tant  de  bonnes  actions  il  leur  en  avoit  osté  le  subject, 
il  s'avise  d'ung  poinct  :  il  voit  M.  le  duc  d'Anjou  obligé 
en  la  guerre  contre  l'Espaignol  es  Pays  Bas,  le  roy 
d'aultre  part  engagé  de  nature  et  de  promesse ,  non 
seulement  à  le  secourir,  mais  aussi  à  envahir  le  roy 
d'Espaigne;  de  gaieté  de  cœur  il  envoyé  offrir  au  roy 
d'attaquer  le  roy  d'Espaigne  dedans  le  cœur  d'Espaig!ie 
mesmes;  lui  faict  de  grandes  et  notables  ouvertures 
pour  en  venir  à  bout;  présente  d'y  dépendre  en  son 
particulier  cinq  cens  mille  escus.  Et  afin  que  le  roy  ait 
prétexte   de  l'aider  d'argent,  s'il  ne  se  veult  encores 


3o2  JUSTIFICATION  DES  ACTIONS 

déclarer,  lui  veult  mettre  entre  les  mains  ses  comtés  pa- 
trimoniaux de  Rouergue  et  de  l'Isle,  qui  sont  des  plus 
riches,  grands  et  anciens  de  France,  et  ne  seroient 
moins  estimés  d'un  million  d'or.  Qui  plus  est,  afin  que 
le  roy  ne  puisse  entrer  en  juste  allarme  de  ceste  entre- 
prise, offre  de  composer  son  armée  de  Suisses,  alliés 
et  serviteurs  du  roy,  de  Reystres  commandés  par  ses 
colonnels,  reystmaistres  et  pensionnaires,  de  François 
tant  d'une  que  d'aultre  relligion;  d'en  commettre  la 
conduite  à  ung  mareschal  de  France  bon  serviteur  du 
roy,  assisté  des  plus  notables  capitaines  qui  l'auront 
tousjours  servi  et  suivi,  et  des  principaulx  de  la  no- 
blesse catholique  de  la  frontière;  et,  pour  comble  de 
seureté ,  de  bailler  madame  la  princesse  sa  sœur  unique , 
en  ostage  de  sa  bonne  intention;  comme  aussi  eust  faict 
monseigneur  le  prince  de  Condé  sa  fille;  et  ce,  avant 
d'entrer  en  campagne.  Adjoustoit,  quand  l'entreprise 
seroit  en  train ,  de  se  dessaisir  des  villes  de  seureté 
avant  le  temps  escheu,  pour  faire  entendre  à  ung 
chacung  qu'il  ne  cherchoit  son  asseurance  en  la  force 
des  murailles,  mais  en  la  seule  bonne  volonté  du  roy, 
qu'il  avoit  méritée  et  acquise  par  tant  de  notables 
offices. 

Ce  moyen  avoit  semblé  le  plus  prompt  et  le  plus 
expédient  au  roy  de  Navarre  ,  pour  lever  les  défiances, 
assoupir  les  animosités,  esteindre  les  noms  des  partis, 
et  reunir  les  cœurs  en  une  mesme  volonté.  Et  pense 
ledict  seigneur  roy  qu'il  n'y  a  bon  François  à  qui  ceste 
entreprise  ait  esté  proposée,  qui  n'en  ait  jugé  de 
mesmcs.  Cependant,  c'est  de  lors  qu'on  commence  de 
plus  belle  à  brasser  avec  le  pape  une  ligue  générale  à 
l'extermination  de  tous  ceulx  de  la  relligion.  Que  le 
«once  faict  plus  grande  instance  qu'il  n'avoit  mesmes 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  3o3 

faict  après  les  massacres  de  la  réception  et  publication 
du  Concile  de  Trente  et  introduction  de  l'inquisition. 
Que  le  roy  s'en  est  rendu  contre  l'advis  et  arrest  de 
ses  parlemens,  ouvertement  contredisans ,  aucteur, 
faulteur  et  solliciteur  envers  eulx,  tant  en  gênerai 
qu'en  particulier.  Qu'il  a  eslevé  les  jésuites,  boutefeux 
de  la  chrestienté,  en  tel  orgueil  qu'ils  se  sont  fourrés 
jusques  au  plus  creux  du  cabinet,  où  ils  minutent  la 
confiscation  des  corps  et  des  biens  de  ceulx  de  la  relli- 
gion  ,  et  en  sollicitent  l'exécution  autant  qu'ils  peuvent 
par  tous  les  endroicts  de  son  royaume.  Qu'on  a  par 
toutes  sortes  d'artifices  tasclié  de  retrancher  et  abais- 
ser l'auctorité  et  les  moyens  dudict  seigneur  roy  de 
Navarre ,  qu'on  eust  deu  ,  veu  les  choses  susdictes , 
meritoirement  accroistre;  jusques  à  tenter  tous  moyens 
de  lui  suborner  et  soustraire  ses  meilleurs  amis,  leur 
défendant  soubs  grandes  menaces,  d'avoir  amitié  avec 
lui ,  comme  s'il  estoit  ennemi  du  royaume.  Tellement 
que  ledict  seigneur  roy  n'a  peu  jusques  ici  gaigner  par 
sa  modestie,  patience,  équité  et  intégrité  qu'ung  seul 
poinct  (mais  qui  lui  est  inestimable);  c'est  que,  par  ces 
œuvres,  non  tant  de  mérite  que  de  supererogation, 
il  a  plus  qu'acquité  son  debvoir ,  et  satisfaict  humaine- 
ment à  sa  propre  conscience;  et  par  mesme  moyen 
s'est  asseuré  de  la  bénédiction  de  Dieu  sur  ses  affaires, 
et  de  son  secours  contre  ses  ennemis ,  lequel  ne  default 
jamais  à  ceulx  qui  le  craignent ,  qui  reçoivent  en  con- 
sidération de  lui  le  mal  pour  le  bien,  et  qui  apportent 
enfin ,  après  une  longue  patience ,  une  juste  intention  à 
une  juste  cause. 


3o4  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 


LIV.  ^LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

AM.de  Sjdne,  (i) 

En  juillet  i583. 

Monsieur,  M.  de  Segiir,  surintendant  des  affaires 
du  roy  de  Navarre ,  s'en  va  de  sa  part  vers  la  royne  vos- 
tre  souveraine.  Il  vous  souvient  que,  Tan  passé,  ledict 
seigneur  roy  voulloit  aller  visiter  la  royne ,  et  de  là 
tous  les  princes  qui  font  mesme  profession  que  nous. 
Les  vagues  d'affaires ,  qui  s'entresuivent  en  cest  estât , 
lui  feirent  différer  ceste  délibération ,  et  encores  le  re- 
tiennent. Et  cependant,  ne  creetur  ecclesiœ  ex  mora 
penculiun y  il  a  désiré  negotier  en  tant  que  faire  se 
pourra  par  ceste  ambassade  ce  qu'il  pretendoit  par  son 
voyaige  propre.  Cest  ung  gentilhomme,  comme  cog- 
noistrés,  plein  de  zèle  et  de  pieté,  dere ^  timi publica, 
tum  privata  optime  mevitus ;  et  qui  plus  est,  qui  va 
pour  choses  très  recommandables  à  toutes  personnes 
qui  désirent  le  bien  commun  de  toute  la  chrestienté. 
J'estime  cest  œuvre  très  digne  que  vous  y  teniés  la 
main,  et  vous  en  prye  de  tout  mon  cœur.  Et  fault  que 
je  vous  die  que  ce  seroit  à  la  royne  proprement ,  pour 
le  lieu  qu'elle  tient ,  et  pour  le  repos  que  Dieu  lui  donne , 
d'entreprendre  cest  affaire.  Mais  c'est  l'ordinaire  que 
ceulx  qui  ont  plus  ressenti  le  mal,  sont  les  plus  prépa- 
rés à  le  prévoir  et  à  y  pourvoir.  Et  vous  sçavés  que  la 
délivrance  de  Suisse  commença  par  Suitz,  Uri  et  Under- 
vald  ;  non  qu'ils  feussent  plus  forts  et  plus  auctorisés  , 
mais  bien  plus  tourmentés  et  plus  exposés  au  mal,  et 
par  conséquent  plus  affectionnés  au  remède.  Hœc  qunn- 

(/)  PLilippes  Sydne,  seigneur  anglois,  aucteur  de  V Arcadie. 


A  M.  DE  SYDNÉ.  3o5 

tiim  ad  ecclesiam  attinet  in  universum  ;  sunt  vero  et 
topica  îionnulla  quœ  propine  ad  vos ,  de  quibus  ali- 
quando  inter  nos.  Hœc  maliin  tu  ex  ore  ipsius  qiiain 
ex  meis  lilteris  intelligas.  Cœlerum^  cognatum  tuiim 
diii  expectaviet  expetm\  qui  hue  venturus  dicebatar. 
S'il  vient,  il  sera  le  bien  venu;  car  cui  bono  le  pro- 
mettre et  ne  venir  poinct?  Mais  je  sçai  qu'es  courts  on 
ne  faict  pas  ce  qu'on  veuit,  quelque  bonnes  qu'elles 
soient.  Et  pour  le  moins,  prenés  en  bonne  pnrt  que 
nous  vous  sommions  de  ce  à  quoi  vous  nous  devriés  les 
premiers  convier.  Au  reste,  faictes  moi  cest  honneur 
de  croire  que  je  suis  et  serai  à  jamais  vostre  serviteur. 
Je  désire  sçavoir  si  estes  marié  ou  non  ;  j'estime  qu'oui , 
parce  que  j'ai  esté  trois  mois  sans  avoir  lettres  de  vous; 
et  je  présuppose  que  cela  ne  peult  estre  sans  une  occu- 
pation notable.  Monsieur,  je  vous  baise  bien  humble- 
ment les  mains,  et  supplie  le  Créateur  vous  avoir  en  sa 
saincte  garde. 

De  Nerac,  etc. 


LV.— -LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Falsingham. 

Du  . . .  juillet  i583. 
Monsieur,  nous  avons  long  temps  attendeu  vostre 
response  selon  que  nous  aviés  promis,  tant  par  le  sieur 
de  Bornam,  que,  depuis,  parles  sieurs  de  la  Fontaine  et 
d'Angroigne;  et  cela  a  esté  cause  que  plustost  n'avons 
envoyé  vers  vous.  Depuis  aussi  je  vous  ai  escrit  tant  du 
synode  national  de  Vitray  en  Bretagne,  où  je  me  suis 
trouvé  au  nom  du  roy  de  Navarre,  que  mesmes  de  ce 
heu  où  sommes  à  présent.  Maintenant,  parce  que  le 

MÉM.  DE  Duri-Essis-MoRixw.  Tome  ït.  20 


3o6  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

trop  long  délai  seroit  dommageable  en  chose  si  néces- 
saire que  celle  que  nous  pourchassons,  le  roy  de  Na- 
varre envoyé  M;  de  Segur,  surintendant  de  ses  affaires 
et  maison,  vers  tous  les  princes  et  estats  qui  désirent 
le  restablissement  de  l'Eglise.  Et  comme  la  royne  vostre 
maistresse  est  la  première,  il  a  désiré  aussi  que,  de  sa 
part,  elle  feust  •visitée  la  première  et  suppliée  d'y  em- 
ployer a  bon  escient  son  auctorité.  Je  scai  que  jugerës 
la  chose  si  raisonnable  et  si  recommandable  de  soi ,  selon, 
vostre  pieté  et  zèle ,  qu'il  n'est  besoing  de  vous  en  re- 
commander la  negotiation  davantage  ;  car  vous  voyés 
assés  que  le  monde  conspire ,  et  que  si  Dieu  vous  a  faict 
la  grâce  de  respirer  pendant  que  les  aultres  ont  souspiré, 
que  cela  toutesfois  ne  peult  pas  tousjours  durer.  En 
somme ,  le  roy  de  Navarre  a  estimé  ce  faict  pour  lequel 
M.  de  Segur  va  présentement ,  de  telle  conséquence  que , 
pour  le  mettre  à  chef,  il  voulloit,  l'an  passé,  y  aller  en 
personne,  dont  il  vous  souvient  que  je  vous  advertis 
alors  ;  et ,  ne  pouvant  ni  lors  ni  maintenant  pour  la 
continuelle  suite  d'affaires  et  occupations,  il  vous  en- 
voyé l'ung  des  hommes  du  monde  auquel  il  se  fie  et 
repose  le  plus.  Monsieur ,  je  ne  la  vous  ferai  plus  longue, 
sinon  pour  vous  baiser  bien  humblement  les  mains,  et 
supplier  le  Créateur  vous  avoir  en  sa  saincte  garde. 
De  Nerac,  etc. 


LVL  — LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 
A  M.  de  Danzaj, 

Du  ...  juillet  i583. 
Monsieur,  estant  nVgueres  au  synode  national  tenu 
à  Vitray  en  Bretagne,  je  proposai  entre  aultres  choses 


A  M.  DE  DANZA.Y.  3o7 

de  la  part  du  roy  de  Navarre ,  combien  il  estoit  néces- 
saire de  negotier  à  bon  escient  la  réconciliation  de  nos 
differens  pour  la  relligion ,  ce  qui  feiit  trouvé  très  bon  ; 
et,  sur  ce ,  je  vous  escrivis  amplement  là  conclusion  qui 
y  feut  prise.  Maintenant  donc,  en  suivant  icelle,  le  roy 
de  Navarre ,  pour  ne  perdre  temps,  s'est  résolu  d'y  en- 
voyer M.  de  Segnr,  par  lequel  vous  recevrés  la  pré- 
sente, gentilhomme  fort  qualifié,  superintendant  de  sa 
maison,  zélateur  de  la  vraie  relligion,  et  duquel  tant 
lui  que  nos  églises  de  France  ont  grandement  à  se  louer. 
Il  a  commencé  par  TAngleterre,  afin  que  la  royue  joi- 
gnist  son  auclorité  à  cest  œuvre  tant  nécessaire;  puis 
y  a  exhorté  les  églises  des  Pays  Bas;  et  de  là  passe  vers 
le  serenissime  roy  de  Dannemarck  pour  le  pryer  bien 
affectionnement, comme  il  a  heureusement  conunencé, 
de  poursuivre  ceste  saincte  entreprise  envers  les  princes 
et  estats  d'Allemaigne.  Vous  pouvés  beaucoup  y  aider, 
en  lui  départant  vos  bons  advis  et  conseils;  et  le  pouvés 
faire  seurenient  pour  sa  pieté,  discrétion  et  suffisance; 
et  je  sçai  aussi  que  le  voulés,  selon  la  cognoissance  que 
j'ai  de  vostre  zèle  et  affection  envers  l'avancement  de 
la  vraie  Eglise,  et  nommeement  en  ce  qui  touche  cest 
affaire.  Je  vous  supplie  donc,  monsieur,  de  parler  à 
lui,  comme  je  présume  par  la  privauté  dont  m'uses  en 
vos  lettres  que  fériés  à  moi  mesmes,  afin  que  cest  affaire 
puisse  réussir  à  la  fin  que  nous  prétendons.  Au  reste, 
je  suis  vostre  serviteur,  et  serai  tousjours  de  tel  cœur 
que  bien  humblement  je  salue  vos  bonnes  grâces,  et 
supplie  le  Créateur,  monsieur,  etc. 

De  Nerac,  etc. 


3o8  LETTRE  DU  CONSEIL 


LVII.  — LETTRE  DU  CONSEIL  DU  ROY 

De  Navarre  au  roj  de  Navarre,  rédigée  par  M.  Dii- 
plessis. 

Du  16  juillet  i583. 
Sire,  nous  avons  receu  les  lettres  de  vostre  majesté 
du  1 4  juillet,  ensemble  celles  que  le  roy  vous  escrit 
du  3,  desquelles  nous  avons  délibéré  selon  le  com- 
mandement qu'il  vous  a  pieu  nous  en  faire.  Tou- 
chant le  faict  du  Casse ,  nous  semble  qu'il  est  néces- 
saire ,  pour  la  conservation  de  vostre  auctorité ,  d'en  voir 
une  fin.  Et  parce  que,  si  elle  tiroit  en  longueur,  aultres 
affaires  de  non  moindre  conséquence  en  seroient  re- 
tardés, vostre  majesté  y  pourroit  tenir  la  voye  qui 
ensuit;  lui  faire  repeter  par  messieurs  de  Clervant  ou 
d'Esdiguieres  les  admonitions  et  sommations  qui  ci 
devant  lui  ont  esté  faictes;  promettre  vérification  de 
l'abolition  qui  lui  avoitesté  ci  devant  accordée;  et,  pour 
ce  qu'il  auroit  faict  depuis ,  l'y  faire  comprendre  en  tant 
qu'il  vous  sera  possible;  attendant  quoi,  il  se  puisse 
retirer  en  vos  terres  souveraines  en  toute  seureté.  Le 
tout  s'il  obéit  volontairement  et  au  plus  tard  dedans 
trois  jours,  lesquels  vous  lui  donnés  précisément  pour 
y  penser  (et  aussi  bien  ne  sçauriés  vous  estre  prest  pour 
le  forcer).  En  cas  que  non,  que  vous  le  ferés  déclarer, 
des  le  lendemain  de  son  refus,  ennemi  public  et  tous 
ceulx  qui  l'assistent;  serés  vous  mesmes,  avec  M.  le 
mareschal ,  exécuteur  de  la  sentence  pour  lui  ruyner  sa 
maison  sur  sa  teste ,  et  le  ferés  punir  lui  et  tous  ceulx 
qui  se  trouveront  avec  lui  selon  que  sa  désobéissance 
mérite,  et  que  l'exemple  qui  s'en  doibt  donner  à  tous 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  Sog 

semblables,  le  requiert.  Et  afin  qu'il  soit  tant  plus  vive- 
ment pressé  de  penser  à  sa  conscience,  sera  bon  de 
faire  faire  des  maintenant  proclamations  à  Bazas  et  es 
environs,  que  nul  n'ait,  sur  peine  de  la  vie,  à  aller  tra- 
vailler à  ses  fortifications,  ni  à  hanter,  ni  fréquenter  ou 
avoir  quelconque  communication  avec  lui  ni  les  siens; 
ce  qui ,  à  nostre  advis ,  pourra  liaster  sa  resolution.  Cas 
qu'il  s'opiniastre,  et  que  par  conséquent  faille  venir  à 
la  force,  trouvons  que  vostre  majesté  a  pris  ung  très 
bon  advis  de  demander  d'estre  assisté  d'artillerie,  de 
munitions  et  de  pionniers  par  monsieur  le  mareschal, 
et  en  donner  ostages  pour  lever  toute  défiance;  à  la- 
quelle fin  n'y  auroit  mal  d'adjouster  lettres  à  messieurs 
de  la  court  et  de  la  ville  de  Bordeaux ,  afin  qu'ils  cognois- 
sent  de  quel  pied  vous  marchés  en  chose  qu'ils  ont  tant 
en  affection,  et  qu'ils  n'en  puissent  imputer  le  retarde- 
ment qu'à  eulx  mesmes.  Sinon,  qu'ils  trouvent  bon 
que  faciès  venir  des  canons  de  Bearn  pour  le  forcer, 
premier  qu'il  se  soit  davantage  fortifié ,  dont  vous  escri- 
rés  au  roy,  et  prendrés  plustost  tout  le  reproche  sur 
vous.  Et  en  ce  cas ,  seroit  besoing  de  lui  en  faire  une 
bonne  depesche  que  vostre  majesté  pourra  envoyer  à 
M.  le  mareschal  de  Matignon.  C'est  pour  le  faict  du 
Casse ,  auquel  Dieu  doint  plus  de  jugement  que  de 
vous  mettre  en  ceste  peine,  et  lui  en  telle  extrémité! 
Quant  aulx  lettres  du  roy,  serions  d'advis  que  vostre 
majesté  en  differast  la  response  jusques  à  ce  que  vous 
depeschiés  en  court  M.  de  Clervant  comme  sera  besoing 
dans  dix  ou  douze  jours  ;  et  aussi  bien  la  court  est  loing, 
et  chemine  de  lieu  à  aultre  ;  qu'alors  vous  louissiés  le 
roy  de  la  bonne  resolution  qu'il  prend  de  soulager  son 
estât,  digne  d'ung  roy  chrestien  et  père  du  peuple;  re- 
cognoissiés  l'honneur  qu'il  vous  faict  de  vous  semondre 


3jo  lettre  du  conseil 

à  le  servir  a  ung  si  sainct  œuvre,  auquel  vous  vous  sen- 
tiriés  heureux  de  pouvoir  apporter  tout  ce  que  Dieu  a 
mis  en  vous,  et  vostre  personne  propre ,  ^sa  majesté 
l'ayant  agréable.  Et  parce  que  vous  auriés  tousjours  eu 
ce  but  de  n'approcher  près  de  sa  majesté  pour  lui  estre 
importun  en  façon  quelconque,  et  qu'en  ceste  circon- 
stance niesmes  vous  ne  voudriés  comparoistre  en  ceste 
honorable  assemblée  pour  l'occuper  de  requestes, 
remonstrances,  plaintes  et  doléances,  ou  devons  ou  de 
ceulx  de  la  relligion,  chose  qui  seroit  sans  double  mal 
séante  à  celui  auquel  auriés  faict  cest  honneur  de  l'ap- 
peller  pour  vous  assister  de  son  service,  à  contenter  et 
satisfaire  celle  de  son  povre  peuple;  que,  pour  ceste 
considération,  vous  auriés  pensé  de  depescher  vers  sa 
majesté  le  sieur  de  Clervant  pour  le  supplier,  attendu 
que  le  bout  des  six  ans  approche,  en  dedans  lesquels 
sa  majesté  auroit  promis  de  faire  entièrement  effectuer 
son  edict,  lequel,  pour  plusieurs  obstacles  entrevenus, 
ne  le  seroit  encores  en  plusieurs  nécessaires  parties,  de 
voulloir  donner  ordre  par  son  auctorilé  que  cela  se  fasse 
plustost,  etc.  En  laquelle  depesche  de  M.  de  Clervant 
vostre  majesté  pourra  requérir  que  les  notables  con- 
traventions et  inexécutions  y  spécifiées,  soyent  répa- 
rées et  satisfaictes,  comme  en  estant  requis  des  églises, 
et,  pour  vostre  regard,  que  soyés  mis  en  possession 
réelle  et  actuelle  de  vostre  gouvernement,  vous  et 
monseigneur  le  prince,  offrant  par  mesme  moyen  la 
restitution  des  villes  en  leur  temps,  etc.  Moyennant 
quoi,  dira  vosLre  majesté  qu'elle  pourra  alors  se  trou- 
ver en  ladicte  assemblée,  vuide  de  toute  particularité, 
comme  il  appartient  au  lieu  et  rang  que  vous  avés,  cest 
honneur  d'y  tenir  et  y  présenter  et  apporter  à  sa  ma- 
jesté le  cœur  de  tous  ses  subjects  de  la  relligion  avec  le 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  3ll 

sien ,  afin  qu'elle  puisse  doresnavant  les  voir  tous  tant 
d'une  que  d'aullre  relligion  pleinement  reunis  soubs 
son  obéissance;  et,  s'il  est  possible,  sans  qu'aulcune 
marque  ou  cicatrice  y  demeure.  A  ceste  response  se 
pourroit  lors  conformer  monseigneur  le  prince  ,  comme 
il  a  receu  lettres  de  pareilles  substances ,  et  M.  de  Cler- 
vant  en  confereroit  avec  lui  en  passant.  x4lu  reste ,  nous 
aclievons  nostre  depesche,  et  mardi ,  aidant  Dieu ,  serons 
près  de  vostre  majesté  ;  et  cependant  le  sieur  de  Severac 
vous  va  trouver  pour  les  depescbes  qui  se  présente- 
ront, etc. 


LVIII. —  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

Au  roj  Henri  III,  dressée  par  M.  Duplessis. 

Du  29  juillet  i583. 
Monseigneur,  j'estois  venu  exprès  à  Bazas,  pour 
faire  obéir  le  Casse,  ou  par  une  façon  ou  par  aultre, 
comme  j'estime  que  mon  cousin  M.  le  maresclial  de 
Matignon  aura  faict  entendre  à  vostre  majesté.  Mais, 
nousestans  trouvés  lui  et  moi  en  ceste  ville  de  Langon, 
pour  aviser  sur  ce  faict  et  aultres  de  pareille  nature, 
plusieurs  considérations  de  conséquence  nous  ont  faict 
conclure  a  la  voie  moins  rigoureuse ,  telle  que  je  l'en- 
voyé par  escrit  à  vostre  majesté,  et  qu'elle  a  esté  con- 
ceue  entre  nous.  La  somme  est,  monseigneur,  que  la 
faultequ'ila  faicte  de  fortifier  sa  maison,  soit  en  quel- 
que façon  réparée  par  la  démolition  des  fortifications 
d'icelle;  et  que  la  peine  que  par  là  il  avoit  encourue, 
lui  en  soit  remise  et  pardonnee  par  vostre  debonnaireté 
et  clémence,  dont  je  la  supplierai  très  humblement, 
quand  il  aura  satisfaict  à  ce  qui  en  a  esté  arreslé  pour 


3r2  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

"vostre  service.  Il  me  cleplaist infiniment,  monseigneur, 
quand  la  droicte  et  pleine  volonté  que  j'ai  de  rendre 
toutes  choses  au  plaisir  de  vostre  majesté,  rencontre  ces 
aheurts;  mais  j'espère  qu'en  celui  ci  nous  en  avons 
applani  beaucoup  d'auilres  par  la  procédure  que  nous 
avons  tenue.  J'en  aussi  nouvelles  hier  que  le  chasteau 
de  Camaiol,  appartenant  au  sieur  de  Sainct  Sulpice, 
avoit  esté  délaissé,  suivant  les  depesches  que  j'en  avois 
faictes,  dont  j'ai  tenu  vostre  majesté  avertie.  Mais  il 
mevient  degrieves  plaintes  de  l'aultre part,  auxquelles, 
s'elles  continuent ,  je  supplierai  très  humblement  vostre 
majesté  de  donner  ordre.  Je  remettrai  le  surplus  à  quand 
nous  aurons  faict  effectuer  ce  qui  a  esté  anesté  pour  le 
faict  du  Casse,  pour  lequel  je  m'en  retourne  encores 
à  Bazas;  et  supplierai  le  Créateur,  monseigneur,  etc. 


LIX.  —  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

A  M.  le  prince  d'Orange ,  rédigée  par  M.  Duplessis. 

Du  2<)  juillet  i583. 
MoNSiFTJR  mon  cousin,  j'ai  esté  bien  aise  d'avoir 
entendu  de  vos  nouvelles  par  le  sieur  de  Vauffin ,  nom- 
meement  du  bon  accomplissement  de  vostre  mariaige; 
je  prye  Dieu  qu'il  le  comble  de  l'heur  et  pros[)erité  que 
pouvés  désirer,  comme  par  sa  grâce  il  lui  a  pieu  de  si 
loing  r'assembler  vos  vertus  ensemble;  je  m'asseure 
aussi  qu'il  on  tirera  du  fruict  pour  ses  églises,  et  mesmes 
que  nous  y  aurons  nostre  part  pour  la  conjonction 
qu'ont  nos  affaires  avec  les  vostres  ,  que  je  ressens  telle 
pour  mon  regard,  que  je  n'estime  vos  playes  moins 
miennes  que  vostres.  Vous  sravés  la  circonstance  du 
temps  où  nous  sommes,  qui  est  comme  la  crise  de 


A  M.  LE  PRINCE  D'ORANGE.  3l3 

nostre  maladie;  si  espère  je  que  Dieu  bénira  tant 
nostre  patience,  nonobstant  les  traverses  qu'on  nous 
y  donne,  que  nous  demeurerons  en  paix.  C'est  ung 
œuvre  auquel  je  m'employe  volontiers,  comme  ledict 
sieur  de  Vauffin  vous  pourra  dire,  qui  m'a  trouvé  em- 
best'gné  à  ranger  quel({ues  fols  à  la  raison,  qui  pen- 
sent avoir  justifie  suffisamment  leurs  faultes  quand  ils 
allèguent  Timpunité  de  plus  grandes  de  l'aultre  part; 
mais  jai  tousjours  pensé  qu'il  valoit  mieulx  que  les 
aultres  amendassent  leurs  deportemens  sur  les  nostres , 
que  si  no\is  empirions  les  nostres  sur  les  leurs.  Et  au 
reste,  oullre  ce  que  la  paix  est  si  désirable  en  elle 
mesme,  et  si  nécessaire  à  cest  estât,  qu'elle  mérite  bien 
d'estre  racbetee  par  beaucoup  de  grandes  peines  et  de 
médiocres  maux.  Croyés,  monsieur  mon  cousin,  que 
ce  ne  m'est  pas  une  petite  exbortation  à  patienter  pour 
la  retenir,  quand  je  considère,  comme  m'escrivés, 
qu'elle  est  utile  au  bien  de  vos  affaires,  et  pourroit 
estre,  si  nous  venons  enfin  à  nous  reveiller,  domma- 
geable et  ruyneuse  à  ceulx  qui  vous  pressent  ;  or  je 
pryerai  Dieu,  monsieur  mon  cousin,  etc. 


LX.  — LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

Jii  roj^  rédigée  par  M.  Diiplessis. 

Du  12  aoust  i583. 
Monseigneur  ,  j'ai  receu  la  lettre  qu'il  a  pieu  à 
vostre  niîijesté  m'escrire  du  4  tle  ce  mois,  et  ne  sçais 
par  quel  service  je  puisse  jamais  recognoistre  le  soing 
singulier  qu'il  vous  plaist  avoir  de  chose  qui  me  touche 
tant  et  de  si  près,  qui  m'est  uneparfaicte  démonstration 
de  la  bonne  volonté  qu'il   vous  plaist  me  porter,  et 


3i4  LETTRE  DU  ROY  DE  TfAVARRE 

une  admonition  continuelle  de  la  mériter  par  tous  les 
moyens  dont  je  me  puisse  ad  viser.  Je  ne  vous  cèlerai 
donc,  monseigneur,  qu'il  y  a  jà  long  temps  que  le  i^ruit 
de  la  mauvaise  et  scandaleuse  vie  de  madame  de  Duras 
et  de  Bethune  estoit  venu  jusques  à  moi,  dont  je  ne 
pouvois  avoir  grand  contentement,  les  voyant  si  près 
de  chose  qui  m'est  si  proche;  mais  je  coiisiderois  que 
ma  femme  ayant  cest  honneur  de  vous  estre  ce  qu'elle 
est,  et  mesmes  d'estre  près  de  vos  majestés,  je  ferois 
quelque  tort  à  vostre  l)on  naturel  si  j'entreprenois  d'en 
estre  plus  soigneux  de  loin  g  que  vos  majestés  de  près, 
et  à  vostre  prudence  et  sagesse,  si  je  pensois  pouvoir 
voir  d'ici  ce  qu'elles  n'apperceussent  poinct  sur  les 
lieux  ;  et  à  quoi  l'ayant  une  fois  apperceu ,  je  ne  pou- 
vois doubter  qu'elles  ne  sceussent  très  bien  pourvoir 
selon  l'importance  qu'elles  y  cognoistroient.  Bien  vous 
dirai  je,  monseigneur,  que  j'estois  résolu,  quand  ma 
femme  prendroit  son  chemin  vers  moi,  de  la  pryer  de 
s'en  défaire  avec  le  moins  de  bruit  qu'elle  pourroit, 
tant  pour  les  causes  pour  lesquelles  vous  les  avés  jugées 
indignes  d'approcher  de  vostre  sang  et  maison,  que 
pour  avoir  cogneu  les  dangereux  artifices  dont  ils  sça- 
vent  user  pour  troubler  une  saincte  amitié,  et  diviser 
ou  esloigner  d'affection  ce  qui  ne  peult  jamais  estre 
trop  conjoint.  Je  m'asseure,  monseigneur,  que  quand 
ma  femme  aura  sceu  ce  qui  en  est ,  elle  ne  pourra 
qu'elle  ne  recognoisse  l'honneur  que  vos  majestés  lui 
font  d'avoir  tant  de  soing  de  la  dignité  et  réputation 
de  sa  personne  et  maison,  et  estimera  très  mal  em- 
ployée l'amitié  qu'elle  auroit  ci  devant  monstree  à  per- 
sonnes deceste  condition,  en  l'esloignement  desquelles, 
si  elle  les  eust  bien  recogneues,  elle  n'eust  esté  pré- 
venue de  personne,  qui  fera  qu'elle  recevra  de  tant 


AU  ROY.  3l5 

meilleur  cœur  les  personnes  d'honneur,  hommes  et 
femmes,  desquelles  il  plaira  à  vos  majestés  l'accompa- 
gner pour  son  voyaige;  et  de  ma  part  je  ne  fauldrai  à 
l'en  pourvoir  au  pluslost,  selon  le  lieu  qu'elle  tient  et 
dont  elle  est  issue,  obéissant  au  commandement  qu'il 
plaist  à  vos  majestés  m'en  faire,  et  satisfaire  au  debvoir 
dont  je  suis  tenu  en  cest  endroict.  Au  reste,  monsei- 
gneur, il  n'est  pas  besoing  que  je  vous  die  que  je  la 
désire  extrêmement  ici ,  et  qu'elle  n'y  sera  jamais  assés 
tost  venue  ;  car  vous  me  faictes  bien  cest  honneur  de 
croire  que  je  cognois  l'honneur  que  ce  m'est  de  vous 
attoucher  de  si  près  par  elle,  qui  ne  me  peult  qu'en- 
gendrer ung  désir  de  vous  monstrer,  en  lui  rendant 
la  parfaicte  amitié  que  je  lui  doibs,  le  respect  et  la  ré- 
vérence que  je  vous  porte. 

LXI.  — LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Che^^ernjf  chancellier  de  France. 

Du  1 2  aoust  1 58'3. 
MoNSij-UR,  quand  j'eus  n'agueres  cest  honneur  de 
vous  faire  la  révérence  à  Paris,  il  vous  pleut  me  com- 
mander de  vous  escrire  quand  j'en  verrois  subject ,  et 
celui  qui  s'en  présente  aujourd'hui,  m'a  ramenteu  d'user 
de  ce  privilège.  Vous  sçavés,  monsieur,  que,  sur  toutes 
choses,  vous  me  recomniandies  la  paix  que  jugiés  à  tous 
nécessaire;  c'est  le  seul  but  auquel  toutes  nos  actions 
tendent  en  ce  lieu  où  Dieu  nous  a  appelles ,  et  le  voyaige 
de  M.  de  Clervant ,  duquel  la  modération  et  intégrité 
vous  est  cogneue,  ne  tend  à  aultre  chose.  Mais  j'estime 
qu  il  sera  besoing  qu'oultre  la  saincte  intention  que 
leurs  majestés  ont  de  la  perpétuer  à  leurs  subjects, 
vous   y  apporties  aussi   l'auctorité  que  Bieu   vous  a 


3i6  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

donnée,  parce  qu'en  la  circonstance  du  temps  où  nous 
sommes,  il  y  en  pourroit  avoir  auicuns  qui  se  lais- 
sassent emporter  à  conseils  violens.  Il  n'est  ici  ques- 
tion que  de  l'obéissance  du  roy  et  de  la  tranquillité  de 
son  peuple  ;  et  quant  àceulx  delà  relligion,  vous  verres, 
monsieur,  qu'ils  ne  demandent  que  d'obéir  en  tout,  à 
quoi  le  roy  de  Navarre,  que  je  nomme  ici  pour  l'hon- 
neur qu'ils  lui  défèrent,  leur  donnera  tousjours  exem- 
ple; mais  permettes  auwi  que  je  vous  die  qui!  les  fault 
aider  à  bien  faire  en  donnant  quelque  ordre  à  leurs 
plaintes  et  doléances,  afin  que  plus  gaiement  ils  se  dé- 
mettent de  toute  aultre  asseurancepour  se  remettre  do- 
resenavant  en  la  seule  bénignité  du  roy;  car  si  l'humeur 
s'est  trouvée  plus  conlumax  qu'au  commencement  le 
médecin  n'auroit  jugé,  et  que,  par  les  symptômes  qui 
&ont  survenus,  l'opération  du  remède  a  esté  retardée, 
j'espère  qu'on  aura  plus  d'égard  à  la  cure  et  guerison 
entière  du  patient,  qu'à  la  précise  circonstance  du  peu 
de  temps,  qui  n'importe  rien  au  médecin  ,  et  peult  estre 
beaucoup  ,  ne  feust  ce  que  par  imagination ,  au  malade. 
Vous  sçavés,  monsieur,  que  les  anciens  ont  dict  :  Sum- 
mum Jus  summa  injuria;  les  violens  conseils  pressent 
bien  souvent  avec  dommage  ce  que  les  modérés  em- 
porteroient  et  plus  facilement  et  plustost;  en  telles 
choses  donc  les  punctilles  de  droict  ne  doibvent  avoir 
lieu,  mais  bien  ceste  règle  universelle,  soubs  laquelle 
il  fault  quelques  fois  que  toute  la  jurisprudence  ployé, 
Salus  reip.  suprema  lex  esto.  Comment  qu'il  plaise  à 
sa  majesté  en  ordonner,  elle  trouvera  tousjours  ce 
prince  résolu  à  tout  bien,  pour  le  bien  de  son  service 
et  de  son  estât;  et  ceulx  ausquels  il  faict  cest  honneur 
de  se  fier,  ne  traverseront  pas  (afin  que  je  n'en  die  da- 
vantage) ccbte  bonne  volonté;   mais  je  m'enhardirai 


A.  M.  DE  CHEVERNY.  3l7 

de  vous  dire  que  je  desirerois  fort  qu'elle  feust  cogneue 
et  recogneue  par  quelque  faveur,  bienveillance  et  gra- 
cieuseté, afin  que  de  plus  en  plus  elle  s'accreust  en  lui , 
voyant  qu'il  n'auroit  poinct  recherché  la  bonne  grâce 
de  sa  majesté  en  vain;  car  je  ne  vous  cèlerai,  puis 
qu'en  suis  venu  si  avant,  que  les  froideurs  dont  on  a 
usé  depuis  quelque  temps  en  son  endroict,  mesmes  en 
choses  privées  et  ordinaires,  l'en  mettent  quelques  fois 
en  doubte,  et  d'autant  plus  que  personnes  qui  ne  sont 
ni  de  sa  qualité  ni  de  son  mérite,  ne  rencontrent  pas 
le  mesme  visage  en  choses  plus  grandes  et  extraordi- 
naires. Je  vous  parle  librement ,  et  c'est  ma  façon  ,  que 
je  ne  puis  ni  ne  veulx ,  s'il  vous  plaist ,  changer.  Et,  si 
j'entens  que  mes  lettres  aient  cest  heur  de  vous  estre 
agréables,  j'oserois  de  fois  à  aultre  continuer;  cepen- 
dant vous  ferez  estât  de  mon  bien  humble  service  que 
je  doibs  à  vostre  dignité  et  à  la  dignité  que  vous  lui 
avés  apportée.  Et  sur  ce,  après  vous  avoir  bien  hum- 
blement baisé  les  mains ,  je  supplierai  le  Créateur,  mon- 
sieur, etc. 

De  Saincte  Foi  d'Agenois,  etc. 


LXII.  —  INSTRUCTION 

Au  sieur  de  Clairvant^  allant  en  court  de  la  part  du 
roj  de  Navarre ,  pour  response  aux  lettres  de  sa 
majesté;  dressée  par  M.  Duplessis. 

Du  3  juillet  i583. 
Lf  roy  de  Navarre  ne  peult  assés  louer  Dieu  du  bon 
instinct  qu'il  a  donné  à  sa  majesté  de  voulloir  assem- 
bler au  i5  de  septembre  les  principaulx  seigneurs  et 
plus  dignes  personnages  de  son  royaume ,  pour,  avec 


3l8  INSTRUCTION 

eulx,  adviser  des  moyens  de  remettre  sus  son  estât  et 
soulager  son  povre  peuple,  œuvre  vrayment  digne 
d'ung  roy  très  chrestien  qui  le  rendra  recominandable 
à  toute  la  postérité,  et  lui  peult  acquérir  en  nostresiecle 
le  titre  tant  poursuivi  et  désiré  de  tous  bons  roys ,  de 
"vrai  père  du  peuple. 

Ne  mescognoist  aussi  ledict  roy  de  Navarre  l'hon- 
neur qu'il  a  pieu  à  sa  majesté  lui  faire,  non  seulement 
de  lui  faire  entendre  ceste  sienne  saincte  intenlion, 
mais  aussi  de  le  convier  à  le  venir  servir  de  sa  per- 
sonne en  l'exécution  d'icelle,  à  laquelle  il  apportera 
tousjours  volontiers  et  soi  mesme  et  tout  ce  que  Dieu 
a  mis  en  lui  pour  le  très  humble  service  qu'il  lui  doibt 
et  le  los  et  prospérité  qu'il  lui  désire. 

Mais  a  considère  ledict  sieur  roy  là  dessus  qu'ayant 
cest  honneur  d'estre  appelle  de  sa  majesté  à  ceste  no- 
table assemblée,  pour  l'assister  de  son  service  à  con- 
tenter et  appaiser  les  plaintes  et  doléances  de  son  peu- 
ple, il  lui  seroit  mal  séant,  pour  le  rang  qu  il  tient,  et 
pour  l'effect  auquel  il  y  doibt  aller,  dy  coinparoistre 
chargé  de  plusieurs  aultres  remonstrances ,  requestes, 
plaintes  et  doléances ,  tant  siennes  que  de  ceuîx  de  la  rel- 
ligion,  desquelles  ilfeust  contraint  d'importuner  sa  ma- 
jesté pour  l'importance  d'icelles,  au  lieu  de  la  sou- 
lager, comme  il  auroit  désir,  en  lacheminement  de  ce 
tant  désirable  affaire. 

Par  ainsi ,  pour  éviter  cest  obstacle,  il  lui  convenoit, 
avant  que  le  temps  de  ladicle  assemblée  escheust,  en- 
voyer vers  sa  majesté  ung  gentilhomme  qualifié,  bien 
instruit  et  informé  de  toutes  les  susdictes  remonstrances, 
requestes ,  plaintes  et  doléances  ,  la  suppliant  très  hum- 
blement d'y  voulloir  pourvoir  au  plus  tost  que  faire  se 
pourra  ,  selon  i'asseurance  qu'il  lui  auroit  pieu  lui  don- 


AU  SIEUR  DE  CLERVANT.  819 

ner  de  sa  bonne  volonté  envers  lui,  et  sa  bénignité  et 
debonnaireté  accoustumee  envers  son  peuple,  moyen- 
nant quoi  ledict  sieur  roy  de  Navarre  se  puisse  trouver 
vuide  de  toutes  particularités,  comme  il  lui  convient, 
en  ladicte  assenjblee ,  et  y  apporter  et  présenter  à  sa 
majesté  les  cœurs  de  tous  ses  très  bumbles  subjects  de 
ladicte  relligion  avec  le  sien  ,  non  plus  pour  se  plaindre 
des  maux  qui  les  ont  travaillés  jusques  à  présent,  ains 
pour  se  louer  unanimement  de  la  guerison  entière  qu'ils 
en  auront  receue  par  les  mains  de  sa  majesté. 

A  ceste  fin  a  faict  cboix  ledict  sieur  roy  de  Navarre 
du  sieur  de  Clervant,  lequel,  pour  sa  modération  et 
intégrité,  il  a  pensé  plus  agréable  à  sa  majesté,  de  la 
bouche  duquel ,  comme  de  la  sienne  propre,  il  la  sup- 
plie tresbumblement  de  voulloir  ouïr  lesdictes  remons- 
trances ,  tant  siennes  que  de  ceulx  de  ladicte  relligion  de 
diverses  provinces  qui  les  lui  ont  adressées  avec  prières 
instantes  de  les  représenter  à  sa  majesté,  et  ce  d'autant 
plus ,  que  le  bout  de  six  ans  approche,  en  dedans  lequel 
sa  majesté  s'estoit  promis  et  leur  avoit  donné  espoir 
de  voir  l'edict  de  pacification  ,  soubs  le  bénéfice  duquel 
ils  vivent  entièrement,  exécuté  en  toutes  ses  parties; 
comme  de  leur  part  ils  ont  esté,  sont  et  seront  tous- 
jours  prests  d'obéir  à  tout  ce  que  ledict  edict  requiert 
d'eulx,  suivant  l'intention  de  sa  majesté,  déclarée  par 
icelui ,  et  ledict  sieur  roy  de  Navarre  d'y  tenir  la  main 
envers  eulx  de  tout  son  pouvoir. 

A  este  aussi  particulièrement  ledict  sieur  de  Clervant 
saisi  pour  cesteffect  des  mémoires  et  cahiers  ,  tant  gene- 
raulx  que  particuliers,  des  églises  reformées,  desquels, 
là  où  besoing  sera,  fera  apparoir  à  sa  majesté;  et  au 
reste  adjoustera  de  la  part  dudict  sieur  roy,  selon  sa 
prudence,  tout  ce  qu'il  verra  appartenir  à  l'entière  exe- 


320    '  INSTRUCTION,  etc. 

ciition  de  la  pacification  suivant  l'edict,  laquelle  lecîict 
sieur  roy  affectionne  singulièrement ,  comme  très  con- 
forme à  l'intention  générale  de  sa  majesté,  testifiee  par 
tant  de  promesses  et  actions,  et  très  nécessaire  au  désir 
particulier  qu'il  a  maintenant  de  soulager  son  povre 
peuple,  duquel  le  soulagement  dépend  principalement 
de  l'entretenement  de  la  paix,  et  la  paix,  de  l'exécution 
sincère  et  entière  de  son  edict. 


LXIIL  —  CAHIER  GENERAL 

Adressé  par  M.  Duplessis  sur  les  Mémoires  envoyés 
au  roj  de  Navarre  par  les  églises  de  France ,  et 
présenté  au  i^oj  Henri  III ,  par  M.  de  Clervant. 

Vos  très  humbles  subjects  de  la  relligion  ,  sire,  sont 
honteux  de  représenter  devant  vostre  majesté  tant  de 
fois  et  depuis  tant  de  temps,  mesmes  requestes  et  re- 
monstrances,  n'ignorans  poinct  qu  elle  aura  juste  oc- 
casion de  se  sentir  importunée  de  choses  qu'elle  a  si 
souvent  ouïes  et  si  souvent  respondues,  et,  comme  ils 
s'asseurent,  avec  intention  d'y  pourvoir  et  d"y  es*!re 
obéi;  mais  elle  leur  permettra,  s'il  lui  plaist,  selon  sa 
debonnaireté  accoustumee,  de  continuer  leurs  plaintes 
puisque  leurs  douleurs  continuent,  et  leur  fera  ceste 
grâce  de  les  ouïr  à  ce  coup  d'autant  plus  attentive- 
ment, que  le  mal  les  presse  de  plus  long  temps,  et 
qu'avec  le  temps  il  pourroit ,  ce  semble,  s'endurcir  et 
s'opiniastrer  contre  le  remède. 

Ne  représenteront  toutesfois  ici  les  maulx  passés, 
desquels  la  mémoire  est  comme  effacée  par  les  presens; 
ni  les  médiocres  du  présent,  desquels  la  douleur  est 
assoupie  par  les  plus  grands;  ni  pareillement  les  par- 


CAHIER  GENERAL,  etc.  321 

ticuliers ,  desquels  le  sentiment  doibt  estre  englouti  par 
les  generaulx,  maux  sans  doubte  qui  redoubleroient 
le  mal  principal  qu'ils  désirent  esteindre ,  et  feroient 
peult  estre  désespérer  du  remède  qu'ils  cherchent  vers 
vostre  majesté  de  tout  leur  cœur;  mais  se  contente- 
ront de  découvrir  en  toute  humilité  à  vostre  majesté 
les  maulx  presens,  principaulx  et  generaulx,  qui  les 
pressent,  lesquels,  pour  la  plus  part,  gisent  en  con- 
travention et  inexécution  de  vostre  volonté ,  et  pro- 
cèdent, ou  de  l'impunité  envieillie  des  infracteurs  de 
vos  esdicts ,  ou  de  l'inexcusable  nonchalance  de  ceulx 
qui,  pour  le  deu  de  leurs  charges,  en  doibvent  estre 
exécuteurs;  aulxquels  maulx  estant  une  fois  remédié 
espereroient  vosdicts  très  humbles  subjects  que  les  aul- 
tres  plaies,  ou  moindres,  ou  de  moindre  estendue, 
tariroient  et  cesseroient  avec  leurs  causes,  et  pour  le 
moins  ne  pourroient  longuement  durer,  n'estans  plus 
entretenues  et  fomentées  de  plus  hault. 

Remonstrent  donc  vosdicts  très  humbles  subjects 
que  comme  ainsi,  soit  que  l'edict  dont  est  question 
soit  faict  de  l'an  iSyy,  c'est  à  dire  il  y  a  tantost  six 
ans,  et  qu'en  icelui  il  ait  esté  beaucoup  r'abatu  et  rcT 
tranché,  comme  chacung  sçait,  de  ce  qui  auroit  esté 
accordé  par  l'edict  de  l'an  iSyô,  dont  on  leur  auroit 
faict  espérer  qu'il  seroit  plus  soigneusement  observé  et 
plus  aisément  exécuté;  à  peine  toutesfois  s'y  trouvera 
il  article  effectué  comme  il  doibt,  sinon  en  tant  qu'il 
a  despendu  de  l'obéissance  desdicts  de  la  relligion  ou 
de  Tinterest  des  catholiques  romains,  pour  lesquels,  en 
partie,  ledict  edict  s'estoit  faict,  nonobstant  les  confé- 
rences tenues  à  Nerac  et  à  Flex,  pour  l'esclaircisseraent 
et  establissement  d'icelui ,  chose  qui  ne  leur  sera  que 
trop  facile  à  prouver,  en  examinant  tous  les  articles 

Mém.  de  DuPLEssrs-MoHNAY.  Tome  ît.  ai 


322  CAHIER  GENERAL 

qui  les  touchent ,  qui  concernei.t  pour  la  pluspart  la 
liberté  de  leur  relligion ,  la  distribution  de  la  justice  et 
les  asseurances  et  seuretés. 

Pour  le  regard  de  la  liberté  de  ceulx  de  la  relligion, 
feul  dict  par  le  quatriesine  article,  tant  de  l'edict  que 
de  la  conférence  de  Flex ,  qu'ils  pourroient  demeurer 
seurement  par  toutes  les  ville?  et  lieux  du  royaume 
sans  estre  recherchés  pour  le  faict  deladicte  relligion  et 
conscience.  Au  contraire,  y  a  plusieurs  villes  notables 
en  ce  royaume  esquelles  ils  ne  vouidroient  souffrir  ung 
seul  homme  de  la  relligion,  comme  journellement  se 
voit  à  Thoulouse,  Cahors,  Casteinaudarri,  etc.;  et  plu- 
sieurs bonnes  familles  sont  forcloses  dans  leurs  maisons 
par  les  catholiques,  jusques  à  avoir  tué  ceulx  qui  ont 
osé  r'entrer,  comme  à  Lauzerte  en  Quercy  et  en  plu- 
sieurs lieux  de  llouergue ,  oii  ceste  animosité  dure 
encores,  nonobstant  que  M.  le  mareschal  de  Matignon 
se  soit  transporté  sur  les  lieux.  Ce  qui  mesmes  em- 
pesche  le  cours  de  la  justice ,  qu'ils  ne  peuvent  aller 
chercher  seurement  en  plusieurs  lieux;  aussi  est  ce  une 
chose  commune  par  toute  la  France  de  desnier  es  villes 
où  on  ne  presche  poinct,  l'habitation  aulx  ministres 
contre  cest  article;  ce  qui  se  faict  aussi  es  pays  de  la 
protection  du  roy,  comme  à  Mets,  pays  Messin,  etc. 

Feut  dict  par  l'article  5  et  6  de  l'edict,  que  les  haults 
justiciers,  ou  ayans  fief  de  haubert,  etc.,  auroient  l'exer- 
cice de  la  relligion  pour  tous  ceulx  qui  y  vouidroient 
aller  indifféremment;  et  sur  ce  que  les  procureurs  ge- 
neraulx,  en  fraude  de  la  loi,  auroient  debateu  à  plu- 
sieurs leur  haulte  justice,  ou  fief  de  haubert,  pour  les 
exclurre  de  ce  privdege  ,feut  adjousté  es  conférences  de 
Nerac  et  de  Flex  {^pourveu  que  lesdicts  haults  justiciers 
(eussent  en  possession  actuelle  lors  de  la  publication 


DES  EGLISES  DE  FRANCE.  323 

de  l'edict,  et  nonobstant  que  le  procureur  gênerai  du 
roj  feust  partie  contreuLx).  Au  contraire,  plusieurs 
gentilshommes  haults  justiciers,  nommeement  en  Beau- 
joulois,  Dauphiné  et  Provence,  en  sont  empeschés  , 
partie  par  inhibitions  expresses  du  magistrat,  et  partie 
par  les  troubles  qu'on  leur  faict  susciter  par  des  par- 
ticuliers; et  le  baron  de  Boudeville,  pour  son  fief  de 
haubert  d«  la  Rivière  Bourdet,  nonobstant  que  par 
avant  ne  lui  eust  oncq  esté  debateu ,  n'a  peu  jouir  du 
bénéfice  de  l'edict,  parce  qu'on  a  voulleu  par  ce  moyen 
incommoder  ceulx  de  la  relligion  de  la  ville  de  Rouen. 
Ce  qui  pareillement  se  pratique  à  Mets  ,  Thoul  et 
Verdun  ,  pays  de  la  protection  du  roy,  où,  pour  tout, 
ils  n'ont  qu'une  seule  maison  de  gentilhomme  pour 
le  presche,  nonobstant  que  plusieurs  ayent  droict  de 
r<ivoir,  et  en  ayent  faict  instance,  contre  l'article  exprès 
des  articles  secrets.  Qui  plus  est,  on  est  passé  si  avant, 
contre  les  mots  exprès  de  l'edict ,  qu'on  prétend  que 
les  gentilshommes  jouissans  actuellement  de  haulte 
justice,  et  sans  contredict,  ne  peuvent  toutesfois  jouir 
dudict  bénéfice  s'ils  relèvent  en  hommage  d'un  sei- 
gneur catholique  ,  comme  nommeement  a  esté  pratiqué 
en  Provence  contre  le  sieur  d'Aiguller,  relevant  de 
l'archevesque  d'Aix,  et  contre  le  sieur  de  Salles,  près 
Grignan,  relevant  du  comte  de  Grignan,  à  la  requeste 
mesmes  de  l'advocat  du  roy  de  Grignan,  concleuant 
a  mesmes  fins  contre  ledict  sieur  de  Salles,  et  finale- 
ment en  sont  veneus  jusques  à  les  empescher  d'inso- 
lence et  de  force. 

Feut  dict  par  l'article  7  de  l'edict ,  confirmé  par  le 
10  de  la  conférence  de  Flex,  que  l'exercice  de  la  rel- 
ligion seroit  permis  es  villes  et  lieux  où  il  estoit  le  17 
septembre  i^']"]-  Au  contraire,  l'exercice  n'est  encores 


3^4  CAHIER  GENERAL 

remis  en  plusieurs  lieux  de  ceste  nature,  comme  l'isle 
d'Albigeois,  Montaignac,  sonbs  ombre  qu'il  ne  se  feit 
pas  audict  Montaignac  le  propre  jour  de  l'edict,  etc., 
en  Languedoc,  Villeneuve  d'Agenois  ,  la  Reolle ,  Peri- 
gueux,  etc.,  en  Guyenne,  nonobstant  que  la  chambre 
de  Langriedoc  soit ,  par  la  conférence  de  Nerac,arrestee 
en  ladicte  ville  de  Tlsle,  et  que  la  chambre  de  Guyenne 
réside  à  présent  à  Perigueux,  et  que  la  mesme  chambre 
ait  réside  long   temps  à  Agen ,   comme  aussi  M.    le 
mareschal  de  Matignon  a  esté  plusieurs  fois  audict  lieu 
de  Villeneuve  ;  esquels  lieux  debvroit  principalement 
reluire  l'exécution  de  l'edict,  qui  n'est  pas  la  moindre 
partie  de  la  justice,  et  est  la  principale  cause  de  leur 
érection  et  veneue.  Item ,  en  Dauphiné ,  l'exercice  de 
la  relligion  a  esté  retranché  à  la  ville  de  Queras  et  de 
Bourgduisant ,  où  il  y  a  plusieurs  paroisses  et  bourgs ,  et 
interdict  à  ceulx  de  la  Mure,  du  Bourg  et  du  Moustier, 
de  Clermont,  etc.  Qui  plus  est,  en  plusieurs  villes  et 
lieux    de  Provence  a  esté  ledict  exercice   defendeu  , 
partie  par  cri  public,  et  partie  par  arrests  provision- 
nels, sans  attendre  preuve  contre  la  teneur  du  susdict 
article,  nommeement  à  la  ville  et  ressort  deDraguignan, 
en  Provence  ,  à  Sigur ,  à  Esguilles ,  à  Auriol ,  etc.  ;  et  par 
ce  moyen  grand  nombre  de  ceulx  de  la  relligion  en 
demeurent  privés. 

Feut  dict  par  l'article  8  qu'en  chacung  ancien  bail- 
liage ,  etc.  (c'est  à  dire,  comme  exposent  les  articles 
secrets,  article  3  teneu  pour  tel  du  temps  du  feu  roj 
Henri)^  seroit  ordonné  une  ville,  s'il  y  en  avoit  plu- 
sieurs, ou,  en  défaut  de  ville,  ung  bourg  ou  villaige  pour 
l'exercice  de  la  relligion  pour  tous  ceulx  qui  y  voul- 
droient  aller.  Et  feut  adjousté  par  la  conférence  de  N^erac, 
que  ledict  lieu  seroit  à  la  commodité  de  ceulx  de  ladicte 


DÈS  EGLISES  DE  FRANCE.  325 

relligion  ;  et  depuis,  par  celle  de  Flex,  que  lesdicts  de 
la  relligion  en  nommeroient  quattre  ou  cinq,  desquels 
sa  majesté  en  choisiroit  l'ung;  et,  s'il  ne  leur  estoit 
commode,  leur  en  nommeroit,  dedans  ung  mois  après, 
ung  aultre,  le  plus  à  leur  commodité  que  faire  se 
pourroit.  Au  contraire,  se  plaignent  lesdicts  de  la  rel- 
ligion ,  qu'en  plusieurs  desdicts  bailliages ,  seneschaus- 
sees,  etc.,  depuis  ung  si  long  temps  il  n'est  encores 
establi ,  comme  nommeement  en  Provence ,  Champagne , 
Bourgongne,  Bretaigne,  Xaintonge,  pays  Messin,  etc. 
Que,  l'ayant  esté  en  quelques  lieux,  il  en  a  esté  depuis 
excleus  par  défenses  expresses,  comme  en  Picardie  et 
Boulonnois ,  soubs  ombre  des  frontières  et  de  la  cir- 
constance du  temps ,  comme  si  sa  majesté  avoit  subjects 
pour  le  regard  de  l'Espaignol  moins  à  doubler  que 
ceulx  là  :  que  les  gouverneurs  les  remettent  au  roy,  le 
roy  aulx  gouverneurs,  dont  avient  qu'après  tant  de  per- 
tes passées,  ils  se  consument  encores  en  frais.  Qu'après 
tout,  on  leur  nomme  le  plus  incommode  lieu  de  tout 
le  bailliage,  ou  esloigné  ,  ou  désert,  ou  dangereux, 
contre  les  mots  exprès  desdictes  conférences.  A  quoi , 
nonobstant  diverses  plaintes  qui  en  auroient  esté  ci 
devant  faictes  de  diverses  parts  à  sa  majesté ,  n'auroit 
encores  esté  pourveu. 

Feut  defendeu  par  l'article  1 1  de  l'edict  à  tous  pres- 
cbeurs, lecteurs  etaultresqui  parlent  en  public  d'user 
d'aulcuns  propos  séditieux  ;  enjoint  aulx  officiers  du  roy 
d'y  tenir  la  main,  et  ce,  suivant  la  conférence  de  Flex, 
sur  peine  d'en  respondre  en  leurs  propres  et  privés 
noms ,  et  estre  privés  de  leurs  estats  sans  jamais  y 
pouvoir  estre  remis.  Au  contraire,  la  voix  commune 
desdicts  prescheurs  est  par  tout ,  que  le  temps  de  l'ex- 
tirpation totale  desdicts  de  la  relligion  approche ,  soubs 


326  CAHIER  GENERAL 

ombre  que  le  temps  de  la  remise  des  places  est  prochain. 
Et  par  ainsi  rendent  les  catholiques,  en  tant  qu'en  eulx 
est,  animés  à  mal  faire,  et  emplissent  de  défiance  les- 
dicts  de  la  relligion.  N'espargnent  aussi  en  leurs  inso- 
lens  propos  les  princes,  qui  ont  cest  honneur  d'appar- 
tenir à  vostre  majesté,  les  denigrans  en  tout  ce  qu'ils 
peuvent  devant  le  peuple;  qui  pis  est ,  ont  esté  aulcuns 
d'eulx  si  oultrecuidés  en  presche  public,  aux  oreilles 
de  vostre  court  et  mesmes  de  vostre  majesté,  de  tenir 
propos  sanguinaires,  jusquesà  célébrer  et  hault  louer 
les  meurtres  et  massacres,  donner  espoir  de  nouveaux, 
et  y  encourager  les  assistans  comme  à  ung  sainct  sacri- 
fice. Le  tout  sans  que  jusques  ici  aulcune  punition 
ou  reprehension  leur  en  ait  esté  faicte.  Comme  ainsi 
soit  toutesfois  qu'aulcuns  d'eulx  en  ce  mesme  temps, 
pour  paroles  légères  et  de  moins  d'importance,  non 
toutesfois  dictes  devant  vostre  majesté ,  feurent  pris , 
bannis  de  la  chaire,  et  en  peine  de  leur  vie. 

Feut  dict  par  l'article  i5  que,  pour  le  regard  de  la 
relligion,  ne  seroit  faicte  distinction  à  recevoir  les  esco- 
liers  es  universités,  collèges,  escoles,  etc.,  ni  les  ma- 
lades es  hospitaux,  etc.  Au  contraire,  c'est  une  plainte 
générale  qu'es  collèges  on  ne  veult  recevoir  aulcuns 
regens ,  ni  précepteurs  de  la  relligion  ,  encores  qu'il  ne 
soit  question  que  des  lettres  humaines.  Que  les  esco- 
liers  mesmes  n'y  sont  en  liberté  de  conscience ,  nom- 
meement  aux  collèges  d'ancienne  fondation  ,  comme 
celui  de  Foix ,  fondé  par  les  prédécesseurs  du  roy  de 
Navarre  à  Thoulouse,  où  ceulx  de  la  relligion  sont 
contrains  de  céder  leur  place  aux  catholiques,  d'autant 
qu'ils  n'y  sont  soufferts.  Qu'es  villes  espiscopales,  où 
par  les  estats  d'Orléans  ont  esté  destinées  certaines 
prébendes  pour  l'institution  de  la  jeunesse,  on  ne  voul- 


DES  EGLISES  DE  FRANCE.  327 

droit  pas  seulement  recevoir  ung  soubs  précepteur 
d'aultre  relligion  que  de  la  catholique  romaine  ,  mesmes 
pour  enseigner  les  basses  lettres.  Comme  ainsi  soit 
toutesfois  que  lesdicts  biens  ne  soient  moins  procédés 
de  maisons  de  ceulx  de  ladicte  relligion  que  des  aultres, 
et  ayent  esté  affectés  par  les  susdicts  estais  à  ce  bon 
usacre  en  considération  de  tous  les  deux  indifféremment. 
Bref,  pour  empescher  lesdicts  escoliers  d'estre  gradués 
en  leurs  professions ,  c'est  à  dire  de  parvenir  aux  charges 
et  dignités  qui  s'en  ensuivent,  en  fraude  de  l'article  19 
de  l'edict ,  par  lequel  ils  en  sont  indifféremment  dé- 
clarés capables,  ils  les  assujettissent  es  universités  à 
certaines  cérémonies  répugnantes  à  leurs  consciences, 
comme  nommeement  ne  les  veullent  examiner  en  quel- 
ques lieux ,  qu'au  devant  de  l'autel  à  genoux ,  et  à  la 
fin  de  la  messe ,  contre  les  mots  exprès  de  l'article  1 7. 

Feut  dict  par  icelui  article  17  de  ledict,  que  ceulx 
de  la  relligion  ne  seroient  teneus  de  prendre  dispense 
de  serment  par  eulx  preste  en  passant  les  contracts 
et  obligations;  comme  en  gênerai  par  la  conférence  de 
Flex,  article  4,  qu'ils  ne  seroient  subjects  à  aulcung 
acte  extérieur  contre  leur  conscience.  Au  contraire,  se 
pratique  en  divers  lieux,  nommeement  en  Lionnois , 
Dauphiné  et  Provence ,  de  ne  sceller  les  lettres  de  res- 
cision et  aultres  semblables  poursuivies  par  les  sup- 
plians,  s'ils  ne  mettent  clause  d'obtenir  dispense  de 
leurs  sermens  des  prélats  ecclésiastiques ,  pour  forcer 
par  ce  moyen  leurs  consciences,  ou  bien  les  forclorre 
du  bénéfice  desdictes  lettres. 

Feut  dict  par  l'article  19,  que  tous  d'une  et  d'aultre 
relligion  seroient  pourveus  et  mainteneus  indifferem-' 
ment  en  toutes  charges  et  dignités,  admis  et  receus  en 
tous  conseils  et  délibérations,  etc..  sans  estre  adstrains 


328  CAHIER  GENERAL 

à  aultre  serment ,  ni  obligation  que  de  bien  exercet 
leurs  charges.  A  quoi  adjousta  pour  exposition  la  con- 
férence de  Nerac,  que  le  mesme  s'observeroit  es  assem- 
blées générales  des  communautés  et  villes.  Au  contraire 
se  sçait  assés  sans  aultre  preuve,  que  depuis  six  ans 
que  Tedict  est  faict ,  n'a  presque  esté  admis  aulcun  de 
la  relligion  en  aulcune  charge  d'importance  en  tout  ce 
royaume ,  encores  que,  grâces  à  Dieu  ,  il  y  en  ait  d'assés 
capables;  que  ce  peu  qui  y  est  entré,  y  a  rencontré 
tant  de  refus  ,  de  frais ,  de  fascheries  ,   de   dangers , 
premier  que  d'en  venir  à  bout ,  nonobstant  les  itéra- 
tives jussions  de  vostre  majesté ,  que  les  aultres  ont  esté 
comme  rebutés  d'y  prétendre.  Que  ceulx  que  les  trou- 
bles en  avoient  destitués,  ont  eu  grand  peine  à  se  faire 
restituer  en  leurs  places,  et  plusieurs  encores  ne  le  sont. 
Que ,  jusques  aulx  moindres  villes,  ceulx  de  la  relligion 
sont  forclos  des  moindres  estais  et  de  la  cofrnoissance 
et  administration  des  affaires  communs  dont  advient 
que  ceulx  de  la  relligion  sont  surchargés;  et  mesmes 
des  élections  et  délibérations  des  maisons  des  villes, 
dont  advient  que  toutes  les  charges  de  main  en  main 
passent  es  mains  des  catholiques.  Mais,  qui  pis  est,  et 
c'est  d'où  vient  le  mal,  se  pratique  mesmes  en  quelques 
parlemens  de  n'admettre  aulcun  en   charge,  s'il  n'a 
abjuré  la  relligion  reformée  et  faict  serment  de  la  ca- 
tholique romaine.  Nommeementmaisl  re  Jean  delà  Coste, 
ayant  esté  pourveu  de  Testât  de  lieutenant  particulier 
à  Montpellier,  a  esté  promené  qualtre  ans  en  la  court 
de  parlement  de  Thoulouse  sans  pouvoir  estre  receu, 
en  haine  seule  de  la  relligion.  Depuis,  estant  rebuté 
des  longues  poursuites ,  resigna   son  estât  à  maistre 
Valescure  de  Sauvé,  auquel,  après  quelque  longueur, 
a  esté  respondeu  expressément  qu'il  n'y  sera  jamais 


DES  EGLISES  DE  FRANCE.  Ssg 

receu  sans  abjuration  de  ladicte  relligion,  et  profes- 
sion de  la  catholique  romaine.  Item ,  ceste  mesme  court, 
ne  reçoit  mesmes  les  catholiques,  s'ils  ne  font  serment 
de  n'estre  jamais  de  la  relligion,  et  ne  consentent,  en 
cas  de  changement,  que  leurs  estats  seront  vacans  et 

impetrables.  Ce  qui  s'est  pratiqué  à  l'endroit  de 

Rosel  ,  lieutenant  principal  en  la  seneschaussee  de 
Nismes  ;  de  maistre  de  Roux,  conseiller  au  siège  pre- 
sidial  dudict  lieu  et  aultres.  Bref,  jusques  là  a  passé  la 
haine,  <^ue  les  commissaires  députés  pour  pourvoir  aux 
offices  de  notaires ,  sergens  royaulx  et  aultres  pareils , 
mettent  en  leurs  provisions  une  clause  expresse,  qu'il 
sera  informé  si  les  pourveus  sont  de  la  relligion  ca- 
tholique romaine;  monstrans  par  là  le  désir  et  le  but. 
qu'ils  ont  d'anéantir  et  avilir  ceulx  de  ladicte  relligion 
reformée,  et  les  retrancher,  en  tant  qu'en  eulxest,  de 
tout  le  corps  de  Testât. 

Feut  dict  article  20  de  l'edict ,  qu'il  leur  seroit 
pourveu  promptement  en  chacung  lieu  par  les  officiers 
et  magistrats,  d'une  place  la  plus  commode  que  faire 
se  pourroit,  pour  l'enterrement  de  leurs  morts;  à  quoi 
adjousta  la  conférence  de  Flex,  à  cause  des  remises  et 
longueurs  dont  on  y  usoit,  qu'il  y  seroit  pourveu  de- 
dans quinze  jours  après  la  réquisition,  à  peine  aulxdicts 
officiers  et  magistrats  de  cinq  cens  escus  en  leurs  pro- 
pres et  privés  noms.  Au  contraire ,  l'exécution  de  cest 
article  est  jusques  à  présent  desniee  presque  par  toute 
la  France ,  dont  se  sont  ensuivis  plusieurs  actes  inhu- 
mains ,  scandaleux  et  horribles  à  ouïr,  et  pensent  les 
officiers  estre  absoubs  de  leurs  charges  quand  on  leur 
allègue  que  les  fonds  sont  mouvans  d'ung  catholique, 
ecclésiastique  ou  communauté ,  contre  l'iwtention  ma- 
nifeste de  l'edict.  Mesmes  les  juges  ecclésiastiques  n'ont 


o3o  CAHIER   GENERAL 

eu  honte  de  les  persécuter  jusques  soubs  terre,  pro- 
nonçans  sentence  en  plusieurs  endroicts  (comme  vostre 
majesté  a  souvent  esté  importunée  de  ceste  plainte)  que 
les  corps  seroient  defouis  des  cimetières  où  ils  gisoient, 
comme  ils  ont  esté  de  faict ,  estans  jà  demi  pourris. 

Or  est  il  que ,  lors  que  ledict  edict  feut  basti ,  ceulx 
de  la  relligion ,  qui  avoient  esté  diversement  exercés 
par  les  precedens,  prevoyoient  assés  ces  inexécutions, 
à  quoi  auroient  tasché  de  pourvoir  en  quelque  façon , 
tant  par  divers  sermens  des  principaulx  officiers  de 
vostre  couronne ,  parlemens ,  sièges ,  gouverneurs  des 
provinces ,  magistrats  des  villes ,  etc. ,  adjoustés  à  icelui , 
que  principalement  par  une  égale  distribution  de  jus- 
tice,  pour  laquelle  obtenir  ils  auroient  requis  de  vostre 
majesté  des  juges  moins  passionnés  et  partiaux.  Et  à 
ceste  fin, 

Feut  dict,  par  l'article  21  ,  22,  ^3,  ^4  de  l'edict , 
exposé  par  le  5 ,  6  et  7  de  la  conférence  de  Nerac ,  et 
II,  12  ,  i3  de  Flex ,  que  certaines  chambres  seroient 
érigées  en  tous  les  parlemens ,  pour  la  oognoissance 
des  faicts  esqu.els  ceulx  de  ladicte  relligion  seroient  in- 
téressés, avec  les  catholiques  romains,  le  tout  pour 
éviter  haine  et  faveur.  Et  qu'icelles  jugeroient  en  der- 
nier ressort ,  comme  les  courts  souveraines  ;  et  qu'à 
toutes  aultres  seroit  defendeu,  sur  peine  de  nullité, 
despens ,  dommages  et  interests  des  parties,  de  juger 
desdicts  cas,  sinon  de  leur  consentement.  Au  contraire, 
depuis  ledict  temps,  aulcunes  desdictes  chambres  ne  sont 
encQres  érigées,  comme  es  parlemens  de  Rouen,  Aix, 
Rennes,  etc.,  quelque  instance  qu'on  ait  peu  faire, 
dont  s'ensuit  un  notable  reculement  de  justice  pour 
les  susdicts  ,  desquels  les  plaintes  seroient  trop  longues 
à  reciter.  Item,  l.\  où  elles  ont  esté  érigées,  comme  à 


DES  EGLISES  DE  FRANCE.  ^^3r 

Bordeaux,  à  Grenoble,  à  Dijon,  etc. ,  on  débat  à  tous 
propos  la  jurisdiction   desdictes  chambres,  on  les  re- 
tranche, en  tant  qu'on  peult ,  du  corps  desdictes  courts; 
on  dénie  aulx  presidens  la  séance  qui  leur  est  deue  selon 
leur  dignité;  on  ne  tient  séance  à  jours  et  heures  or- 
dinaires, dont  les  parties  sont  teneues  en  longueur  de 
justice;  on  ne  leur  donne  assignation  de  leurs  gages, 
comme  aulx  aultres  ;  on  leur  oste  la  cognoissance  des 
causes  des  communautés  et  du  domaine,  comme  s'elles 
faisoient  corps  à  part.  Le  tout  contre  les  termes  exprès 
de  l'edict  et  des  conférences ,  pour  rabaisser  et  anéantir 
l'auctorité  et  puissance  desdicts  juges,  et  par  consé- 
quent de  leurs  jugemens;  qui  plus  est,  pour  frustrer 
lesdicts  de  la  relligion  du  fruict  qu'ils  en  auroient  espéré, 
ne  laissent  souvent  lesdictes  courts ,  nonobstant  la  dé- 
fense à  eulx  faicte,  de  procéder  criminellement  contre 
eulx;  et,  sans  déférer  à  leurs  demandes  de  renvoi,  en 
précipitent  l'exécution;  décernent,  pour  les  intimider, 
sur  la  moindre  plainte,  prise  de  corps,  afin  qu'ils  fas- 
sent difficulté   de   se  représenter   aulx   chambres   de 
l'edict  en  mesme  estât;  jugent  de  l'interprétation  des 
edicts  et  des  causes  qui  en  dépendent ,  contre  l'expresse 
teneur  d'iceulx,  et  trouvent  en  somme  journellement 
nouvelles  inventions,  pour  les  priver  du  bénéfice  qu'ils 
pensoient  leur  estre  acquis  de  la  bonté  et  bénignité 
de  vostre  majesté,  par  vostre  edict.  Mais  spécialement 
ont  vos  très  humbles  subjects  à  se  douloir  de  la  court 
de  parlement  de  Thoulouse,  laquelle,  après  avoir  différé 
jusques  à  ceste  année,  soubs  divers  prétextes,  l'establis- 
sement  de  la  chambre  de  l'Isle,  pour  le  Languedoc, 
maintenant  que,  par  les  jussions  tant  de  fois  réitérées  de 
vostre  majesté,  elle  se  voit  au  bout  de  ses  tergiversa- 
tions, a  mis  sus  des  pratiques  par  lesquelles  ladicte 


33-2  CAHIER  GENERAL 

chambre  se  voit  premier  abattue  qu'erigee.  Car,  comme 
ainsi  soit  que,  selon  la  teneur  de  vostre  edict ,  elle 
doibve  juger  civilement  et  criminellement  toutes  les 
causes  esquelles  ceulx  de  la  relligion  ontinterest,  pri- 
vativement  à  toutes  aultres ,  les  presidens  et  conseil- 
lers catholiques,  au  contraire  (selon  une  conclusion 
qu'ils  ont  prise  avec  ceulx  du  parlement  de  Thoulouse), 
pour  frustrer  ceulx  de  la  relligion  de  la  réparation 
qu'ils  prétendent  des  meurtres  et  excès  commis  contre 
eulx  et  les  leurs ,  se  prononcent  et  déclarent  tous  d'une 
voix  juges  incompetens,  et  renvoient  les  procès  en 
ladicte  court,  disant  qu'esdicts  procès  criminels  le 
procureur  du  roy  est  principale  partie  ,  auquel  appar- 
tient la  réquisition  et  conclusion  de  ladicte  réparation 
pour  le  regard  du  criminel;  et  que  quant  au  civil  , 
que  ce  n'est  qu'un  accessoire  qui  doibt  suivre  le  prin- 
cipal ;  tantost,  que,  selon  la  règle  du  droict,  qui  tou- 
tesfois  doibt  céder  à  la  loi  de  Testât,  le  demandeur 
doibt  suivre  la  jurisdiction  du  défendeur.  Dont  s'ensuit 
un  partage  desdicts  procès,  et  par  conséquent  une  ac- 
croche de  la  justice,  et  une  impunité  de  tous  maléfices; 
tellement  que  ladicte  chambre  sert  à  les  continuer, 
qui  auroit  esté,  selon  l'intention  de  vostre  majesté, 
érigée  pour  les  esteindre.  Item ,  après  les  provisions 
ordonnées  par  ladicte  chambre  ,  renvoient  les  parties  à 
Thoulouse ,  pour  les  y  faire  sceller,  ori  plusieurs  de  ladicte 
relligion  ,  pour  l'humeur  assez  cogneue  de  ladicte  ville , 
n'osent  aller,  et  nul  ne  peult  obtenir  expédition.  Comme 
ainsi  soit  qu'il  est  dict  par  la  conférence  de  Nerac,  que 
les  expéditions  de  chancellerie  desdictes  chambres  se 
feroient  sur  les  lieux,  en  présence  de  deux  conseillers 
d'icelles,rung catholique,  et  l'aultre  delà  relligion  ;  et 
qu'en  l'absence  d'ung  des  maistres  des  rcquestes  de 


DES  EGLISES  DE  FRAIS  CE.  333 

l'hostel  de  vostre  majesté ,  l'ung  des  notaires  et  secré- 
taires desdictes  courts  de  parlement  y  feroit  résidence, 

ou  bien  l'une  des  secrétaires  ordinaires  de  la  cliancel- 

o 

lerie,  pour  en  signer  les  expéditions.  Item,  pour  im- 
mortaliser les  procès  desdicts  de  la  relligion,  et  les  con- 
sommer en  frais,  a  faict  ladicte  court  défense  à  tous 
huissiers  et  sergens  faire  exploict  des  provisions  d'icelle 
chambre  sans  précédente  permission  d'icelle  ,  contre 
l'intention  de  vostre  majesté  ,  déclarée  en  la  conférence 
deNerac;  qu'oultre  les  huissiers  catholiques  desdictes 
chambres  qui  seroient  pris  des  parlemens ,  seroient  éri- 
gés deux  huissiers,  comme  aussi  deux  sergens  en  cha- 
cune ,  faisant  profession  de  ladicte  relligion.  Et  par 
ainsi  demeure  la  jurisdiction  de  ladicte  chambre  ,  non 
seulement  ebranchee,  mais  comme  arrachée  du  tout. 
Premièrement ,  par  la  protestation  d'incompétence  ;  se- 
condement, ou  icelle  n'a  lieu  par  le  refus  des  provi- 
sions, et  tiercement,  quand  ce  refus  est  surmonté  par 
importunité,  par  la  défense  des  exécutions.  Et  cepen- 
dant ne  laisse  ,  ladicte  chambre,  contre  les  mots  exprès 
de  l'edict  et  des  conférences,  de  s'attribuer  jurisdiction 
es  causes  desdicts  de  la  relligion,  tant  civiles  que  cri- 
minelles ,  et  en  celles  mesmes  desquelles  la  cognoissance 
leur  est  particulièrement  interdicte  ,  et  qu'il  avoit  pieu  à 
vostre  majesté  évoquer  premièrement  à  soi ,  et  depuis, 
à  vostre  chambre  de  Guyenne;  comme  nommeeinent 
le  massacre  adveneu  h  Gimont  en  Armaignac ,  depuis  la 
conférence  de  Flex,  i58i  ,  en  janvier,  défendant  d'en 
poursuivre  la  justice  ailleurs  que  par  devers  eulx  , 
comme  s'ils  prenoient  plaisir  à  faire  tout  le  contraire 
de  vostre  volonté,  qui  de  telles  choses  avoit  attribué 
la  cognoissance  à  ceulx  qui  tiennent  vos  chambres  de 
l'edict^  primativement  à  tous  aultres. 


334  CAHIER  GENERAL 

Feut  dict,  article  'iS  de  l'edict ,  que  les  prevosts  des 
mareschaulx ,  vibaillifs,  viseneschaulx,  etc.,  jugeroient 
les  vagabonds,  suivant  les  ordonnances;  et  quant  aulx 
domiciliés,  chargés  de  cas  prevostaux,  s'ils  estoient  de 
ladicte  relligion,  qu'ils  pouvoient  requérir  que  trois 
des  juges  presidiaux  où  lesdicts  cas  se  debvroient  juger, 
s'absteinssent  du  jugement,  sans  exception  de  cause,  etc. 
Et,  au  reste,  qu'en  vertu  de  ce,  ne  pourroient  prendre 
cognoissance  des  faicts  des  troubles,  estant  iceulx,  par 
l'edict  et  conférence,  renvoyés  aux  susdictes  chambres. 
A  quoi  feut  depuis  adjousté  par  la  conférence  de  Ne- 
rac,  eu  esgard  que  l'inslruction  estoit  l'ame  du  procès, 
et  que  les  inslruisans  estoient  plus  que  demi  juges, 
que  les  susdicts  seroient  teneus  d'appeller  à  l'instruction 
desdicts  procès  ung  adjoint  de  ladicte  relligion,  lequel 
assistast  tant  au  jugement  de  la  compétence  qu'au  dé- 
finitif du  procès,  etc.  Au  contraire,  lesdicts  prevosts, 
vibaillifs  et  viseneschaulx  déclarent  et  tiennent  en  plu- 
sieurs lieux  vagabonds  tous  ceulx  de  ladicte  relligion 
que  le  mauvais  traictement  des  catholiques  chasse  ou 
exclut  de  leurs  maisons.  Et  quant  aux  domiciliés,  ren- 
dent prevostables  tous  ceulx,  de  quelque  qualité  qu'ils 
soient,  qui  se  sont  meslés  des  troubles,  desquels  toutes- 
fois  toute  cognoissance  leur  est  ostee.  Bref,  tant  s'en 
faidt  que  le  règlement  de  vostre  majesté  soit  suivi  pour 
l'instruction  et  jugement  des  susdicts  procès  ;  qu'il  se 
vérifiera  par  exemples  particuliers ,  dont  les  cahiers  des 
provinces  sont  chargés,  que  les  prevosts  en  ont  tué  plu- 
sieurs tout  à  la  chaulde,  et  en  ont  faict  estrangler  mesmes 
dedans  les  prisons.  Comme  ainsi  soit ,  au  contraire,  que , 
pour  prendre  les  catholiques,  quelques  maulxqu'ilsayent 
commis,  quelques  jugemeas  et  décrets  qu'il  y  ait  eu 
contre  eulx ,  mesmes  en  pleine  rue ,  e\  au  miheu  des 


DES  EGLISES  DE  FRANCE.  335 

villes  et  des  palais  où  ils  se  promènent ,  ils  ne  trou- 
vent poinct  de  mains. 

C'est  la  source  et  l'amorce,  sire,  qui  a  produict  et 
qui  nourrit  encores  à  présent  tant  de  meurtres,  excès, 
assassinats  et  brigandages  de  part  et  d'aultre,  en  divers 
lieux  de  ce  royaume,  lesquels  il  seroit  trop  long  de 
vous  raconter  en  particulier,  et  dont  les  plaintes  font 
souvent  horreur  à  vostre  majesté,  se  persuadant  les 
ungs  ,  que,  veu  l'impunité,  tout  crime  leur  est  permis; 
les  aultres,  que,  veu  le  refus  de  justice,  toute  espèce 
de  vengeance  leur  est  loisible.  Et  vostre  majesté  auroit 
coupé  le  cours  à  l'ung  et  à  l'aultre  mal,  en  faisant  exac- 
tement entretenir  ses  edicts  et  conférences. 

Feut  dict ,  par  l'article  26  de  l'edict ,  3^  de  la  con- 
férence de  Flex,  et  35  des  articles  secrets,  que  le  roy^ 
de  Navarre  et  monsieur  le  prince  de  Condé  et  auJ- 
tres,  etc.,  jouiroient  effectuellement  de  leurs  gouver- 
nemens,pour  en  user  en  la  mesme  forme  et  manière 
que  les  aultres  gouverneurs,  etc.  En  quoi  ont  tousjours 
estimé  vos  très  humbles  et  très  obeissans  subjects  de  la 
relligion  que  consisteroit  partie  de  leur  seureté ,  d'au- 
tant qu'icelle  gist  principalement  en  vostre  bienveil- 
lance, de  laquelle  ils  auroient  ung  tesmoignage  en  là 
démonstration  qu'il  vous  en  plairoit  faire  à  l'endroict 
de  ceulx  de  vostre  sang,  qui,  par  la  grâce  de  Dieu, 
font  mesme  profession  qu'eulx.  Au  contraire,  leur  sera 
permis  de  dire  à  vostre  majesté,  qu'en  tous  ces  six  ans 
qui  sont  proches  d'expirer,  leur  condition  n'est  en  rien 
amendée  ;  que  le  roy  de  Navarre  n'a  aulcune  auctorité 
en  son  gouvernement,  ni  amirauté  de  Guyenne,  quel- 
que démonstration  qu'il  ait  tasché  faire  de  son  affec- 
tion envers  vostre  service;  qu'il  n'y  eut  oncq  lieutenant 
de  gouverneur    qui   en   eust  moins  ;    qu'on    la    lui  a 


336  CAHIER  GENERAL 

retranchée  en  tant  qu'on  a  peu,  jusques  à  ne  lui  adres- 
ser jamais  aulcung commandement,  et  rarement  quelque 
despesche ,  ou  mesmes  nouvelle  de  vostre  part,  bien 
moins  qu'au  moindre  capitaine  de  place  de  toute  la 
Guyenne.  Et  quant  à  monseigneur  le  prince ,  cju'il  n'a 
pas  en  tout  son  gouvernement  de  Picardie  où  asseoir 
seurement  le  pied  ;  qu'en  lieu  de  lui  remettre,  on  lui  a 
souvent  parlé  de  le  vendre  pour  le  donner  ailleurs; 
qu'il  est tousjoursreduitàSainct  Jean  d'Angely,  loing  de 
sondict  gouvernement ,  et  mesmes  de  toutes  ses  mai- 
sons; comme  ainsi  soit  toutesfois  que  ladicte  place  ne 
lui  ait  esté  baillée  (comme  parlent  nommeement  les 
articles  secrets  )  qu'en  attendant  qu'il  peust  effectuelle- 
lement  jouir  de  sondict  gouvernement  de  Picardie.  Cho- 
ses qui  font  penser  à  vosdicts  très  humbles  subjects 
de  la  relligion,  que  vostre  bonne  grâce  ne  leur  est  pas 
encores  rendeue,  ne  la  voyant  poinct  luire  en  tels  en- 
droicts  qui  ont  cest  honneur  de  vous  appartenir  de  si 
près;  et,  au  contraire,  animent  leurs  adversaires  à  leur 
mal  faire,  estimant  qu'il  leur  est  loisible,  à  l'endroict 
de  ceulx  auxquels,  ce  leur  semble,  il  ne  vous  ait  en- 
cores pieu  demonstrer  assez  évidemment  vostre  bonne 
volonté. 

Feut  dict  pour  la  seureté  et  sauvegarde  de  chacung 
en  particulier  par  l'article  ^o  et  4  i  de  l'edict,  amplifié 
par  le  55,  que  les  actes  commandés  par  les  chefs  d'une 
part  et  d'aultre  ,  selon  les  reglemens,  demeureroient 
esteins  ,  et  seroient  ceulx  seulement  poursuivis,  qui 
auroient  esté  faicts  contre  iceulx  reglemens,  soit  parti- 
culiers, soit  publics.  Et  parce  que  la  rigueur  dudict  ar- 
ticle eust  mis  tout  homme  de  guerre  en  peine,  dont  eust 
peu  advenir  renouvellement  de  trouble  de  part  et 
d'aultre,  feut  adjousté  es  articles  secrets,  article  44? 


DES  EGLISES  DE  FRANCE.  33 7 

que  de  ceste  générale  abolition  seroient  seulement 
exceptés  les  cas  exécrables ,  comme  ravissemens  et  for- 
cemens  de  femmes  et  filles,  bruslemens,  meurtres  et 
violences  faictes  par  prodition,  et  pour  vengeances 
particulières ,  infractions  de  passeports  et  sauvegardes 
avec  meurtre  et  pillage  et  sans  commandement,  etc. 
Ce  qui  avoit  esté  aussi  inféré  depuis  es  conférences  de 
Nerac  et  de  Flex.  Au  contraire ,  sont  journellement 
lesdicts  de  la  relligion  inquiétés,  adjournés  et  pour- 
suivis par  décrets  de  prise  de  corps  pour  faicts  nue- 
ment  militaires,  et  par  conséquent  exceptés,  comme 
levées  de  contributions,  rançons,  administrations  de 
biens  ecclésiastiques,  etc.  Plusieurs  aussi  saisis  et  con- 
damnés pour  mesmes  faicts  ,  nonobstant  adveu  qu'ils 
en  puissent  avoir  de  leurs  cbefs  et  mesmes  du  roy  de 
Navarre ,  comme  il  sera  aisé  de  vérifier  par  infinies 
particularités.  Et  de  là  advient  qu'il  n'y  a  presque 
homme  de  guerre  qui  ne  soit  en  peine,  et  que  les  mal- 
avisés quelquesfois,  ne  trouvans  seureté  en  l'exécution 
de  l'edict  ,  la  cherchent  en  la  contravention  d'icelui , 
contre  l'intention  de  vostre  majesté,  qui  a  esté  de  cou- 
per la  racine  à  toutes  rencheutes ,  et  au  grand  regret 
de  tous  ceulx  de  ladicte  relligion,  qui  ne  craignent 
rien  plus  que  d'y  retourner;  comme  ainsi  soit  toutesfois 
que,  de  plusieurs  actes  exécrables  tant  exclus  de  l'edict, 
que  perpétrés  depuis  l'edict ,  se  sont  obtenues  grâces, 
remissions  et  abolitions,  contre  la  protestation  expresse, 
qu'il  auroit  pieu  à  vostre  majesté  en  faire  en  vostre 
edict;  et,  qui  plus  est,  d'aultres  de  pareille  nature  les 
coupables  ne  la  daignent  pas  mesmes  demander,  parce 
qu  il  ne  s'en  faict  aulcune  poursuite,  encores  qu'on  les 
voie  tous  les  jours  en  lieux  publics. 

Feut  dictpar  l'article  49  de  vostre  edict,  que  toutes 

MÉxir.  UE  Drpi.Essis-MoR\AY.  Tome  ir.  2  2 


338  CAHIER  GENERAL 

places,  villes  et  provinces  ,  etc.,  useroient  et  jouiroient 
de  mesmes  privilèges,  immunités,  libertés,  etc. ,  jurisdic- 
tions  et  sièges  de  justice,  que  paravant  les  troubles, 
nonobstant  toutes  lettres  et  translations  à  ce  contraires; 
et,  par  exprès,  adjousté  en  l'article  g  de  la  conférence, 
que  les  justices  de  Montauban,  Montpellier,  Nismes,  etc., 
seroient  restablies.  Au  contraire,  on  énerve  tous  les 
jours,  en  tout  ce  qu'on  peult ,  les  sièges  presidiaux  assis 
es  villes,  qui  ont  faict  profession  de  ladicte  relligion; 
et  le  bureau  des  trésoriers  generaulx  de  France ,  et  la 
recepte  générale ,  qui  souloient  estre  de  tout  temps  à 
Montpellier,  ont  esté  transportés  à  Narbonne  ;  et  tout 
fraischement  du  ressort  du  senescbal ,  et  siège  presi- 
dial  de  Nismes,  a  esté  démembré  le  diocèse  de  Mende, 
qui  faisoit  une  troisiesme  partie  dudict  ressort ,  tant 
pour  gratifier  le  sieur  de  Sainct  Vidal ,  senescbal  de 
Mende,  que  pour  flestrir  (comme  on  interprète  com- 
munément) la  ville  de  Nismes,  pour  avoir  persisté,  non- 
obstant toutes  adversités,  en  ladicte  relligion.  Oultre 
ce  que,  par  mesme  moyen,  et  pour  mesme  cause,  est 
ostee  à  la  ville  de  Marvejols  la  jurisdiction  royale  qui 
de  tout  temps  y  souloit  estre,  à  scavoir  exercée  alter- 
nativement par  le  pays  de  Gevoudan  par  ung  baillif 
esleu  du  roy  à  Marvejols  ,  et  par  ung  esleu  de  par 
Tevesque  de  Mende.  Mesmes  on  pratique  encores  de 
retrancher  le  Vivaretz  dudict  siège  de  Nismes ,  sçachant 
bien  que  c'est  la  ruyne  de  la  ville ,  qui  ne  se  maintient 
que  de  là ,  n'estant  ni  port  de  mer ,  ni  passage  de  mar- 
chandise ni  de  rivière.  Comme  aussi ,  contre  le  sens 
de  l'article  5o,  a  esté  démantelée  la  ville  de  Livron  eu 
Dauphlné  depuis  la  paix;  et,  contre  le  texte  exprès, 
sont  troublés  les  povres  gens  qui  se  veullent  raccom- 
moder à  Yssoire  ;  au  lieu  que  vostre  majesté  entend  que 


DES  EGLISES  DE  FRANCE.  339 

toutes  ruynes  et  demantellemens  puissent  estre  redifîés. 
Feut  dict  par  l'article  Bg  de  l'edict ,  que  ceulx  de  la 
relligion  seroient  tenus  vuider  toutes  garnisons  des 
villes,  places,  chasteaux  et  maisons  qu'ils  tenoient  ; 
et  par  le  6i  ,  qu'en  ce  faisant  n'y  seroient  mises  aul- 
cunes  garnisons,  ni  gouverneurs,  sinon  qu'il  y  en  eust 
de  tout  temps ,  et  mesmes  du  règne  du  roy  Henri  ;  et  que 
de  toutes  aultres  de  ceste  nature  les  garnisons,  capitaines 
etgouverneursvuideroient  incontinent,  ce  qui  feut  aussi 
répété  es  conférences.  Et  du  devoir  qu'ont  faict  ceulx 
de  la  relligion  en  l'exécution  de  ces  articles,  appert  as- 
sés,  sans  repeter  de  plus  hault,  par  ce  qui  est  ensuivi 
depuis  la  conférence  de  Flex  i58o,  nonobstant  les 
traverses  qu'ils  auroient  rencontrées  par  les  défiances 
que  les  contraventions  faisoient  journellement  naistre  , 
qu'il  n'est  besoing  de  repeter  ici  plus  au  long.  Tant  y 
a,  que  tout  soudainement  après  la  paix,  selon  qu'es- 
toit  porté  par  l'article  29  de  ladicte  conférence,  le  roy 
de  Navarre  remit  es  mains  de  monseigneur  les  villes  de 
Mende  ,  Cahors  ,  Sainct  Million  et  Montagu  ,  des- 
quelles on  cognoist  assés  l'importance.  Item ,  non- 
obstant qu'il  feust  dict  qu'immédiatement  après  icelles 
remises,  mondict  seigneur  feroit  remettre  audict  sei- 
gneur roy  ses  maisons  ,  villes  et  chasteaux  entre  les 
mains,  et  que  mondict  seigneur  s'en  feust  allé  es  Pays 
Bas  sans  y  avoir  donné  ordre  ,  et  qu'en  trois  ans  qui 
sont  coulés  depuis  n'y  ait  encores  esté  satisfait ,  comme 
il  se  voit  par  la  ville  du  Mont  de  Marsan ,  qui  abeuse 
encores  opiniastrement  de  ces  longueurs  contre  lui  •  si 
ne  feit  difficulté  ledict  seigneur  roy  de  poursuivre  en 
l'exécution  du  surplus ,  ni  ceulx  de  la  relligion  d'obéir, 
comme  il  se  vit  par  tout.  De  faict,  les  sieurs  de  Cler- 
vant  et  du  Pin  ,  envoyés  par  l'advis  de  M.  le  mares- 


J4o  CAHIER  GENERAL 

chai  de  Matignon,  et  de  M.  de  Bellievre  ,  et  subrogés 
par  M.  de  Montmorency  ,  en  Languedoc  ,  remirent 
tous  les  catholiques  et  ecclésiastiques  en  leurs  maisons 
et  biens ,  restablirent  l'exercice  de  la  relligion  romaine 
en  lieux  où  il  n'avoit  esté  de  trente  ans;  reduirent 
plus  de  quarante  places  tenues  par  ceulx  de  la  relli- 
gion ,  qui  eussent  cousté  plus  d'ung  million  à  avoir 
par  force ,  entre  lesquelles  y  en  avoit  une  douzaine 
d'imprenables ,  pour  estre  fortes  tant  d'art  que  de 
nature  ,  et  bien  munies  de  toutes  choses  ;  démantelè- 
rent et  rompirent  les  places,  citadelles  et  chasteaux 
qui  le  debvoient  estre  par  l'edict,  et  en  somme  ne  lais- 
sèrent tant  au  hault  que  bas  Languedoc  ,  que  bien  peu 
de  plaintes  derrière  eulx.  Le  mesme  feirent  aussi  les 
sieurs  de  Chastillon  en  Auvergne  et  divers  lieux  de 
Languedoc;  d'Andelot  en  Givoudan ,  et  le  sieur  de  la 
Meausse  en  Vivaretz  ;  le  tout  aulx  despens  du  roy  de 
Navarre  ,  ou  aulx  leurs ,  et  par  les  moyens  et  forces  de 
ceulx  de  la  relligion.  Item ,  nonobstant  la  surprise  de 
Perigueux  ,  ville  baillée  pour  asseurance  de  ceulx  de  la 
relligion,  qui  les  pouvoit  mettre  en  alarme,  pour  le 
moins  servir  de  juste  excuse,  veu  mesmes  que  les  cin- 
quante mille  escus  qui  auroient  esté  promis  au  lieu 
d'icelle ,  n'estoient  et  ne  sont  encores  payés ,  n'ont  laissé 
lesdicts  de  la  relligion,  induis  par  le  roy  de  Navarre, 
de  remettre  en  Testât  porté  par  l'edict,  la  ville  du  Mur 
de  Barrais  ,  et  depuis  celle  de  Bazas  en  Guyenne,  et  en 
démolir  la  citadelle  (i).  Tellement  qu'i4  n'y  a  aujour- 

(i)  Comme  ce  cahier  se  dressoit,  le  3  aoust  a  esté  surprise  la 
ville  d'Aleth  ,  avec  plusieurs  excès  ,  en  Languedoc  ,  par  le  ma  • 
leschal  de  Joyeuse  et  les  siens  ,  soubs  ombre  d'y  rentrer  comme 
..ienuc. 


DES  EGLISES  DE  FRANCE.  34 1 

d'hiii  lieu  en  toute  la  province,  auquel  on  se  puisse 
plaindre  d'inexécution  pour  ce  regard.  Au  contraire  , 
contre  ce  qui  auroit  esté  promis  par  ledict  6i  article, 
garnisons  et  gouverneurs  ont  esté  mis  en  plusieurs 
places  depuis  qu'elles  ont  esté  remises,  et  citadelles  en 
quelques  unes  basties  contre  les  mots  exprès  de  l'edict , 
comme,  en  Guyenne  ,  à  Agen  ,  Caliors,  Villeneuve  d'A- 
génois,  villes  principales,  etc.;  en  Languedoc,  à  Ville- 
neuve de  la  Cremade,  Mende ,  Sainct  André,  etc  ;  en 
Dauphiné,  à  Die  ,  Gap  ,  etc.  Pareillement  ont  esté  rete- 
nues et  basties,  partie  garnisons  et  partie  citadelles,  en 
plusieurs  aultres,  esquelles ,  du  temps  du  roy  Henri ,  n'y 
en  avoit ,  comme  à'Xainctcs,  Cognac,  Florence, 
Montfort ,  Villeneuve  d'Agenois  ,  en  Guyenne  ;  à  Alby , 
Lavor,  Lodeve,  Nonnay  ,  Clermont ,  Florensac  et  in- 
finies aultres  en  Languedoc  ;  à  Valence  ,  Amhrun, 
Grenoble,  etc.  en  Dauphiné.  Et  mesmes  en  plusieurs 
villes  dedans  le  milieu  du  royaume ,  auxquelles ,  jus- 
ques  ici,  depuis  tant  de  temps  n'a  peu  estrc  donné  aul- 
cim  ordre  ,  tant  s'en  fault  qu'ils  ayent  procédé  à  la 
démolition  deue  des  places  y  adjugée  par  la  conférence, 
s'estans  contentés  par  tout  d'abattre  quelques  guarites 
en  certaines  maisons  rurales ,  et  encores  après  plu- 
sieurs importunités  et  longueurs,  comme  les  procès 
verbaux  des  commissaires  mesmes  de  vostre  majesté 
feront  pleine  foi. 

Et  parce  que  feut  considéré  par  vostre  majesté  en 
bastissant  ledict  edict,  que  plusieurs  particuliers  au- 
roient  receu  et  souffert,  durant  les  troubles,  tant  d'in- 
jures et  dommages  en  leurs  biens  et  personnes  ,  que 
difficilement  ils  en  eussent  peu  si  tost  perdre  la  mé- 
moire, comme  eust  esté  requis  pour  l'exécution  de 
l'intention  de  vostre  majesté,  sur  quoi  il  vous  auroit 


342  CAHIER  GENERAL 

pieu ,  attendant  que  les  rancunes  et  inimitiés  feussent 
adoucies,  bailler  à  vosdicts  subjectsde  larelligion  liuict 
places  en  garde  pour  le  terme  de  six  ans,  au  bout  du- 
quel terme  debvroient  lesdictes  places  estre  remises  es 
mains  de  vostre  majesté  ,  ou  de  tel  que  bon  lui  semble- 
roit ,  l'exercice  de  la  relligion  y  demeurant  neantmoins 
tousjours,,  et  icelle  sans  garnison;  vous  remonstrent 
très  humblement  vos  très  humbles  subjects,  qu'ils  ont 
sur  cest  article  grandement  à  se  douloir.  Car  il  estoit 
defendeu,  sur  peine  aulx  entrepreneurs  d'estre  punis 
comme  infracteurs  de  l'edict,  d'entreprendre  sur  icelles, 
comme  aussi  sur  toutes  les  aultres  qui  auroient  esté 
remises  ;  et  du  contraire  il  ne  s'est  passé  année  que 
plusieurs  entreprinses  ne  se  soyent  vérifiées,  mesmes 
par  l'exécution,  sans  que  punition  s'en  soit  ensuivie. 
Qui  plus  est ,  Perigueux  et  la  Reolle  en  Guyenne  ont 
esté  surprises;  et,  au  lieu  d'en  chastier  les  aucteurs  et 
exécuteurs  ,  ils  commandent  aujourd'hui  aulxdictes 
villes;  tant  s'en  fault  que,  suivant  l'article  aS  de  la 
conférence,  ils  ayent  esté  déclarés  infâmes,  et  inha- 
biles à  tous  honneurs,  et  subjects  aulx  peines  qu'en- 
courent ceulx  qui  sont  crimineux  de  leze  majesté  en 
premier  chef.  Bref,  garnison  y  est  aujourd'hui,  qui  y 
trouble  le  cours  de  la  justice;  et  l'exercice  de  la  relli- 
gion en  est  excleu  ,  nonobstant  que  ladicte  chambre 
de  justice  ait  résidé  en  ladicte  ville  de  Perigueux ,  qui 
estoit  une  commodité  tant  pour  faire  exemple  des  en- 
trepreneurs (  desquels  la  poursuite  nommeement  estoit 
réservée  )  que  pour  y  faire  obéir  l'intention  de  vos 
edicts,  encores  que,  quand  ladicte  ville  eust  esté  remise 
au  temps  prcfix,  la  relligion  y  pouvoit  demeurer,  et  la 
garnison  en  debvoit  sortir  selon  la  teneur  de  vos  edicts 
et  conférences. 


DES  EGLISES  DE  FRANCE.  343 

Ce  sont  les  très  humbles  remonstrances  et  très  grieves 
doléances  de  vos  très  obeissans  subjects  de  la  relligion, 
sire,  fondées  sur  les  contraventions  et  inexécutions  de 
vos  edicts  et  conférences,  et  qui  gisent  pour  la  plus- 
part  en  l'exercice  de  leur  relligion,  en  la  distribution 
de  la  justice,  et  en  i'asseurance  et  protection,  qu'il  au- 
roit  pieu  à  votre  majesté  leur  promettre  contre  l'ani- 
mositë  de  leurs  adversaires.  Tous  poincts,  sans  la  jouis- 
sance desquels  leur  vie  et  condition  ne  peult  estre  au 
jugement  de  chacung  que  très  misérable.  Et  se  peult 
souvenir  vostre  majesté  que  telles  et  semblables  lui  ont 
esté  faictes  long  temps  a  ;  comme  aussi  auroient  les- 
dicts  supplians  grandement  à  se  louer  des  jussions  et 
provisions  qu'il  auroit  pieu  à  vostre  majesté  leur  faire 
expédier  là  dessus,  si  elles  avoient  esté  obeies  de  pa- 
reille affection ,  qu'ils  s'asseurent  qu'elles  leur  estoient 
ottroyees.  Mais  peuvent  dire  en  toute  vérité,  que  vostre 
intention  a  esté  très  mal  secondée  en  cest  endroict  par 
la  plus  part  de  vos  officiers,  lesquels  pensent  avoir  faict 
ung  grand  service  quand  ils  ont  trouvé  quelque  inven- 
tion de  chicaner  quelque  clause  de  vostre  edict,  ou  en 
dilaier  l'exécution  pour  travailler  vosdicts  subjects.  Et 
de  faict,  tant  s'en  fault  que  ce  qui  auroit  esté  dict 
en  la  conférence  de  Nerac  ait  eu  lieu,  à  sçavoir,  que 
l'exécution  de  l'edict  se  commenceroit  incontinent,  et 
se  continueroit  sans  interruption,  et  que  les  infractions 
qui  s'en  feroient,  seroient  incontinent  réparées,  et  cor- 
rection des  coulpables  exemplairement  faicte,  et  exé- 
cutée à  la  diligence  de  vostre  majesté,  au  plus  tard 
dedans  ung  mois.  Qu'au  contraire,  en  tous  ces  six  ans, 
en  dedans  lesquels  vostre  majesté  se  promettoit  une 
entière  exécution  de  son  intention ,  vosdicts  subjects 
n'en  ont  peu  encores  avoir  raison,  et  de  dix  mille  punis- 


344  CAHIER  GEr^ER AL,  etc.  ^ 

sables,  n'en  ont  encores  peu  voir  un  seul  puni.  Bref,  s'en 
retrouvent  tous  les  jours  à  recommencer  par  la  conni- 
vence et  dissimulation  de  plusieurs  de  vos  of6ciers  , 
nonobstant  les  provisions  et  jussions  de  vostre  majesté  ; 
qui  les  faict  très  humblement  la  supplier,  sire,  d'y  user, 
après  ung  si  long  temps,  de  vostre  royale  huclorité,  en 
la  circonstance  oii  ils  se  trouvent  maintenant;  et  en 
telle  sorte  qu'à  leurs  dictes  remonstrances  soit  effec- 
tuellement  pourveu  d'un  prompt  et  salutaire  remède, 
ou  pour  mieulx  dire,  que  celui  qui  y  est  ordonné  par 
vos  edicts  et  conférences,  y  soit  à  bon  escient  appliqué, 
à  ce  qu'iceulx ,  retrouvans  une  pleine  asseurance  de 
leurs  biens,  vies  et  consciences  en  l'auctorité  bien  obeie 
de  vostre  majesté  contre  les  animosités,  vengeances  et 
attentats  des  desobeissans,  puissent  plus  gaiement  re- 
noncer à  toutes  aultres  seuretés,  et  accomplir,  sans  ob- 
stacle et  traverse  aulcune,  tout  ce  que  vostre  majesté 
peult  requérir,  selon  sa  doulceur  et  bénignité,  de  vos 
très  obeissans  et  très  loyaulx  subjects,  comme  ils  ont 
faict  jusques  ici ,  et  seront  prests  et  résolus  de  faire  ci 
après  de  tout  leur  coeur,  moyen  et  pouvoir. 


LXIV.  —  JUSTIFICATION 

Des  actions  du  roj  de  Navarre,  depuis  Van  i58o. 

Ce  n'est  l'intention  du  roy  de  Navarre  de  ramente- 
voir  ici  les  services  des  roys  ses  prédécesseurs  envers 
ceste  couronne,  aux  mérites  desquels  il  pourroit  juste- 
ment participer  comme  aux  pertes;  ni  ses  deporlemens 
depuis  qu'il  est  sorti  de  la  court  pour  se  rapprocher 
de  ses  biens  et  pays,  par  lesquels  il  apparoistra  qu'il 
n'a  jamais  tendu  à  aultre  bien  qu'à  celui  qui  lui  est  com- 


JUSTIFICATION  DES  ACTIONS,  etc.  345 

iniin  avec  toute  la  France,  à  sçavoir  une  bonne  et  né- 
cessaire paix. 

Mais  il  lui  suffira ,  pour  ne  repeter  de  plus  liault,  de 
rapporter  en  peu  de  mots  ce  qui  s'est  passé  depuis  la 
conférence  de  Flex,  j58o,  lorsqu'il  pleut  au  roy,  par 
l'entremise  de  monseigneur  son  frère ,  remettre  les 
choses  en  train  de  paix.  Et  si  la  malice  des  hommes 
lui  desnie  son  tesmoignage,  la  vérité  des  effects  ensui- 
vis lui  en  rendra ,  comme  il  espère ,  assés. 

Il  feut  convenu  que  Cahors,  Mende  ,  Montagu  et 
SainctMillouseroient  remises  es  mains  de  monseigneur, 
villes  desquelles  on  cognoist  assés  l'importance.  Ce  qui 
feut  faict  tout  aussi  tost,  nonobstant  que  les  forces 
de  sa  majesté  demeurassent  debout  en  Dauphiné  contre 
ceulx  de  la  relligion ,  sous  l'auctorité  de  M.  le  duc  de 
Mayenne. 

Estoit  dict  qu'incontinent  après  la  remise  desdictes 
places,  mondict  seigiùur  feroit  remettre  es  mains  du 
roy  de  Navarre  ses  maisons,  villes  et  chasteaux.  Ce  que 
toutesfois  n'est  encores  effectué ,  mesmes  à  l'endroict 
de  sa  ville  du  Mont  de  Marsan ,  qui  lui  a  démoli  sa 
maison  en  pleine  paix.  Et  à  ceste  accroche  se  pouvoit 
justement  arrester  ledict  sieur  roy,  pour  ne  remettre 
si  tost  les  villes  qui  estoient  laissées  à  ceulx  de  la  relli- 
gion par  ladicte  conférence. 

Neantmoins ,  pour  vaincre  le  mal  en  bien  faisant,  ne 
laissa  de  poursuivre  et  employer  son  auctorité  vers  ceulx 
de  larelligion  de  Languedoc,  par  l'entremise  de  plusieurs 
seigneurs  et  personnages  de  qualité,  à  ses  propres  des- 
pens,  tant  que  lesdictes  places  feussent  remises  en  Testât 
que  l'edict  et  conférence  requeroient  d'eulx;  à  sçavoir: 
Ravel ,  Briateste ,  Aleth ,  Saincte  Agrene  ,  Bais  sur  Bais , 
Baignols,  Alletz,  Sommieres,  Aimargues  et  Geignac, 


046  JUSTIFICATION  DES  ACTIONS 

dont  les  unes  ont  esté  rasées,  les  aultres  desmantelees , 
selon  qu'il  a  semblé  convenir  au  bien  et  repos  du  pays. 
A  ces  fins  envoya  ledict  sieur  roy  en  Languedoc ,  par 
advis  de  MM.  de  Matignon  et  de  Bellievre,  le  sieur  de 
Clervant,  gentilhomme  qualifié  ,  et  le  sieur  du  Pui,  son 
conseiller  et  secrétaire ,  desquels  la  sincérité  et  affec- 
tion en  l'exécution  de  la  paix  parut  à  tous  ;  car  encores 
que  le  traictement  qui  avoit  esté  faict  à  ceulx  de  Dau- 
phiné  meist  ceulx  de  Languedoc  en  juste  alarme,  leur 
ayant  M.  de  Mayenne,  oultre  et  contre  l'accord,  partie 
démantelé  leurs  places,  partie  assubjetti  par  citadelles; 
si  ne  laissèrent  ils,  sans  y  avoir  esgard,  à  faire  obéir  par 
toutes  voies  tous  ceulx  qui  n'avoient  encores  osé  laisser 
les  armes.  Le  tout  avec  l'advis  et  subrogation  de  M.  de 
Montmorency,  gouverneur  du  pays.  Et  de  faict,  re- 
duirent  à  la  raison  Villeneuve  de  la  Cremade,  près 
Beziers ,  tenue  par  quatre  cens  hommes  de  pied  et  cin- 
quante bons  chevaux;  où,  depuis,  contre  Tedict,  on  a 
faict  une  citadelle.  Item  ,  les  chasteaux  et  places  de  Ca- 
brieres,  Cornanet,  l'Espinassiere,  Saye ,  Canibonnet, 
Lassou ,  Cambon ,  Varains,  Sainct  Policarpe,  la  Plan- 
que ,  etc.,  la  plus  part  très  forts  d'assiette  et  bien  pour- 
veus  de  soldats  et  de  munitions,  qui ,  au  dire  de  tous 
ceulx  qui  les  cognoissoient,  sans  l'auctorité  du  roy  de 
Navarre,  eussent  cousté  un  million  d'or  à  ranger  à  ce 
poinct.  Desquels  les  ungs  feurent  rendus  aux  proprié- 
taires, evesques,  abbés,  gentilshommes,  les  aultres  rasés 
totalement  par  l'advis  du  pays,  et  les  détenteurs  en 
quelques  ungs,  après  s'estre  opiniastrés,mis  es  mains  de 
la  justice  en  bon  nombre  et  exécutés  à  mort.  En  oultre, 
remirent  la  ville  de  Speran,  et  firent  raser  les  citadelles 
des  villes  d'Aleth  et  de  Bourgerolles,  et  empeschant 
Bacon  d'estre  secouru  à  Menerbe,  s'offrans  mesmes  de 


DU  ROY  DE  NAVA.RRE.  347 

l'aller  forcer.  Et  ce,  nonobstant  qu'ils  eussent  veu  la 
manifeste  désobéissance  d'Albi  et  de  l'fsle,  où  mesmes 
on  les  avoit  menacés,  et  qu'ils  apperceussent  bien  que 
M.  de  la  Croysette  (i)  ne  se  gouvernoit  en  sa  pommis- 
sion  pour  le  regard  des  catholiques  que  selon  les  mé- 
moires de  ceulx  de  Thoulouse,  comme  de  faict  il  ne  fît 
jamais  exécution  notable,  et  pour  tout  feit  rompre  les 
guarites  de  deux  ou  trois  maisons  champestres,  qui  ne 
valoient  ni  le  faire  ni  le  refuser. 

En  ce  mesme  temps,  pour  ne  perdre  un  seul  mo- 
ment, envoyèrent  lesdicts  sieurs  commissaires,  les  sieurs 
de  Causses  et  Paven  en  divers  lieux  du  bas  Languedoc, 
lesquels  firent  ou  raser,  ou  démanteler  une  vingtaine 
de  forts  tenus  par  lesdicts  de  la  relligion.  Item  se  trans- 
porta M.  de  Chastiilon  à  Geignac,  oii  il  remeit  les  clefs 
es  mains  des  consuls,  et  feit  raser  la  citadelle,  comme 
aussi  à  Sainct  André,  où,  depuis,  les  catholiques  l'ont 
rebastie  ,  et  feit  abattre  plusieurs  forts.  Le  mesme  feit  en 
Givoudan  M.  d'Andelot,  son  frère,  à  l'endroict  des  forts 
du  bois  de  Yssels,  de  Quintignac,  de  Peire,  de  Mar- 
chastel,  de  Greze  et  aultres,  tous  bien  pourveus  d'hom- 
mes, de  vivres,  de  munitions,  et  tel  desquels  estoit 
tefiu  de  deux  cens  soldats;  lesquels  feurent  tous  ou 
rendus  aux  propriétaires,  ou  démolis  et  rasés.  Comme 
aussi  d'aultre  part,  en  Vivarez,  feurent  remis  le  comte  de 
Monthor  en  son  chasteau  d'Aubenas ,  par  le  sieur  de 
la  Meausse ,  en  vertu  de  sa  commission,  qui  n'y  estoit 
entré  de  dix  sept  ans;  le  baillif  de  Yivarez,  en  la  ville 
et  siège  de  Villeneuve  de  Bere,  et  le  duc  de  Ventadour 
en  ses  chasteaux  de  Bais  sur  Bais,  qui  depuis  ont  esté 

(i)  Jadis  gouverneur  d'Albigeois  soubs  MM.  de  Montmo- 
rency et  de  Joyeuse. 


348  JUSTIFICATION  DES  ACTIONS 

rasés,  et  aultres.  Le  tout  sans  qu'il  en  ait  cousté  ung 

denier,  ni  au  roy  ni  au  pays. 

De  tout  ce  que  dessus  aperra  par  les  procès  verbaux 
desdicts  commissaires,  qu'ils  mirent  es  mains  de  M.  de 
Viileroy  ;  comme  aussi  par  ceulx  des  commissaires  ca- 
tholiques, qui  leur  estoient  joincts,  lesquels  ne  nieront 
pas  toutesfois  que  plusieurs  citadelles ,  comme  a  esté 
dict ,  que  les  susdicls  avoient  eu  peine  à  démolir,  ont 
esté  relevées  par  les  catholiques;  qu'ils  ne  feirent  vuider 
les  garnisons,  ni  cesser  les  gardes  d'aulcune  ville;  qu'ils 
ne  feirent  démolir  aulcnne  place  qui  feust  tant  soit  peu 
defensable  ;  qu'ils  n'exécutèrent  l'edict  contre  aulcun 
catholique  ;  encores  qu'on  leur  feist  grande  instance  de 
Sainct  Poulet,  Bernard  de  la  Rivière,  et  aultres,  dont  les 
enormités  sont  cogneues.  Si  d'advenlure  ils  ne  veullent 
alléguer  ce  qu'ils  feirent  contre  le  chevalier  Verfait,  le- 
quel ils  contraignirent  de  rendre  une  commanderie 
qu'il  tenoit  à  ung  aultre  catholique,  et  de  vuider  ung 
chasteau  qu'il  occupoit  du  sieur  de  la  Croysettc,  mesmes 
soubs  ombre  d'exécuter  l'edict.  Bref,  que  les  plus  coul- 
pables  infracteurs  de  l'edict  se  trouvoient  tous  les  jours 
auprès  dudict  sieur  de  la  Croyselte,  desquels  n'en  vout- 
lurent  oncques  saisir  un  seul ,.  quelque  instance  qu'on 
en  feist. 

Au  reste,  comme  lesdicts  sieurs  commissaires  eurent 
presque  achevé  d'exécuter  tout  ce  qu'on  pou  voit  re- 
quérir d'eulx,  les  commissaires  catholiques,  voyans  que 
leur  tour  venoit  de  faire  obéir  les  leurs,  et  qu'après  ung 
tel  debvoir  rendu  par  ceulx  de  la  relligion ,  ils  s'en  pour- 
roient  difficilement  exempter,  trouvent  une  invention 
assés  couverte,  mais  bien  malicieuse,  de  rompre  la 
partie.  Ce  feut  sur  la  remise  de  la  ville  de  Vesplas  en 
Lauragois,  près  Castelnaudarri ,  tenue  par  ceulx  de  la 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  34g 

relligion  ,  lesquels  offrirent  d'y  recevoir  tous  les  catho- 
liques; et  d'abondant ,  à  fin  qu'ils  rentrassent  en  pleine 
confiance,  d'accepter  ung  gentilhomme  catholique  du 
voisinage,  qui  se  teinst  en  la  ville  trois  ou  quattre  mois 
pour  les  rappointer  et  raccommoder  ensemble,  lequel 
expédient  feut  refusé,  ne  voulans  lesdicts  catholiques, 
meus  de  plus  hault,  y  rentrer  aultrement  qu'armés; 
et  peu  de  jours  après  surprirent  ladicte  ville.  Et  sur  ce 
que  ceulx  de  larelligion  ne  vouliurent  consentir  à  les 
recevoir  armés  en  leur  ville,  c'est  à  dire,  se  soubsmettre 
à  leur  rage  et  insolence,  après  tant  d'injures  réciproques, 
prirent ,  les  susdicts  commissaires  catholiques, occasion 
de  se  départir.  Geste  pratique  feut  cogneue  des  catho- 
liques plus  paisibles,  lesquels  en  rendront  tesmoignage. 
Et  c'est  la  cause  des  maux  depuis  ensuivis  en  la  province 
de  Languedoc,  s'estans,  d'un  costé,  ceulx  de  la  relligion 
désespérés  de  voir  le  glaive  aiguisé  contre  eulx ,  et 
emoussé  pour  les  aultres;  les  catholiques,  d'aultrepart, 
devenus  insolens ,  comme  les  enfans  gastés,  sur  leurs 
frères  et  compagnons.  Et  les  plus  advisés,  qui  jusques 
ici  avoient  poursuivi  le  chastiment  desdicts  de  la  relli- 
gion à  toute  oultrance ,  comme  lesdicts  commissaires 
nommeement ,  s'estans  en  fin  apperceus  qu'on  ne  leur 
preschoit  pas  proprement  justice  pour  l'amour  de  jus- 
tice ,  mais  pour  désir  de  vengeance. 

Ne  feut  pour  cela  le  roy  de  Navarre  lassé  de  bien 
faire,  ains  continua  peu  après  à  faire  remettre  le  Mur 
de  Barais,  selon  la  conférence,  qui  estoit  le  refuge  de 
quelque  nombre  de  povres  gens  désespérés  d'Yssoire, 
exclus  de  toute  retraite,  ausquels  la  nécessité  avoit  osté 
partie  du  sens.  Mais,  en  la  remise  de  ceste  place,  il  sem- 
ble qu'on  prit  plaisir  à  lui  rendre  celle  des  aultres  plus 
difficile  à  l'advenir,  d'autant  que,  contre  l'abolition  qui 


3jo  justification  des  actions 

leur  avoit  esté  promise,  quelques  jours  après,  on  en  feit 
pendre  plusieurs  qui  furent  partie  exécutés ,  partie  tués 
sur  riieure. 

Pour  cela  ne  laissa  encores  ledict  sieur  roy  de  re- 
mettre Bazas ,  et  en  raser  la  citadelle,  encores  qu'il  pou- 
voit  alléguer  que  Perigueux  avoit  esté  surpris  et  l'as- 
seurance  de  Tedict  violée;  que  les  exécuteurs,  au  lieu 
d'estre  punis,  y  estoient  honorés  et  auctorisés;  que  la 
somme  de  cinquante  mille  escus,  qui  avoit  esté  promise 
au  lieu  d'icelle,  n'estoit  livrée,  comme  encores  elle 
n'est,  etc.  C'estoient  causes  suffisantes  pour  reculer;  et 
toutesfois  il  passa  par  dessus,  et  mesmes  en  tira  hors 
celui  qui  y  avoit  commandé  pendant  la  guerre.  Comme 
encores  tout  fraischement ,  ayant  entendu  qu'il  avoit 
fortifié  une  sienne  maison  proche  de  ladicte  ville,  de 
ravelins,  espérons,  plateformes,  etc.,  contre  les  ordon- 
nances de  ce  royaume,  qui  eussent  cousté  beaucoup 
de  ruyne  au  povre  peuple,  si  on  eust  employé  la  force, 
s'est  transporté  lui  mesmes  sur  le  lieu,  et  les  lui  a  faict 
combler  et  raser. 

Die  en  somme  M.  le  mareschal  de  Matignon  ,  s'il 
reste  rien  de  la  part  dudict  sieur  roy,  oii  de  ceulx  de 
la  relligion,  en  tout  le  gouvernement  de  Guyenne,  à 
exécuter  pour  la  paix  ;  s'il  a  jamais  trouvé  ledict  sieur 
roy  rétif  en  chose  qui  en  dépende;  s'il  l'a  oncques  ad- 
verti  d'une  contravention,  qu'il  n'ait  faict  reparer  tout 
promptement.  Et  de  faict ,  depuis  peu  de  jours  auroit 
esté  prise  par  aulcuns  de  la  relligion  une  maison  du 
sieur  de  Sainct  Sulpice  en  Quercy ,  à  l'exemple  d'aul- 
cuns  catholiques  (qui  peu  auparavant  auroient  envahi 
la  maison  de  la  dame  de  Cantbolit),  contre  laquelle  il 
feit  soudain  marcher  ceulx  de  la  relligion  du  pays,  qui 
la  leur  ont  faict  quitter.  En  un  corps  si  plein  de  mau- 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  35 1 

vaises  humeurs  qu'est  aujourd'hui  celui  de  cest  estât, 
c'est  bien  chose  impossible  d'empescher  totalement 
tels  symptômes.  Mais  en  cela  bonne  volonté  se  peult 
cognoistre,  si  on  court  à  bon  escient  au  mal  pour  l'es- 
touffer. 

C'est  en  peu  de  mots  ce  que  le  roy  de  Navarre  a  faict, 
tant  en  son  gouvernement ,  que  mesmes  es  aultres  pro- 
vinces, et  par  tout  où  Dieu  lui  a  donné  quelque  aucto- 
rité  et  crédit  pour  rexéculion  de  la  paix.  Et  parce  qu'il 
cognoissoit  qu'il  falloit,  non  seulement  accorder  les 
partis,  mais  mesmes  en  esteindre  et  les  noms  et  les 
effects,  pour  en  donner  l'exemple  en  son  gouverne- 
ment, va  visiter  les  gentilshommes  de  sondict  gouver- 
nement, lui  dix  au  douziesme,  sans  exception  ni  accep- 
tion de  relligion ,  se  confie  à  eulx  et  se  convie  chez  eulx 
privement.  En  sa  maison  aussi ,  sans  distinction,  admet, 
gratifie  et  employé  les  ungs  et  les  aultres ,  leur  distri- 
buant ce  peu  d'honneur  et  de  charges  qu'il  a  en  sa 
puissance  indifféremment;  jusques  là  que  ceulx  qui 
tiennent  les  principaulx  estats  et  offices  en  sa  maison , 
comme  de  premier  gentilhomme  de  sa  chambre,  mais- 
tre  de  sa  garde  robbe ,  lieutenant  de  sa  compaignie,  la 
plus  part  mesmes  de  ses  seneschaulx,  etc. ,  sont  catholi- 
ques; mais,  qui  plus  est,  les  capitaines  etlieutenans  de 
ses  gardes  et  bonne  partie  des  archers;  ceulx,  dis-je, 
qui  ont  sa  vie  et  sa  personne  en  leur  puissance.  Leur 
monstrant ,  au  reste ,  à  tous  ung  cœur  si  ouvert  qu'il 
n'y  a  aulcun  de  ceulx  qui  en  approchent ,  de  quelque 
relligion  qu'il  soit,  qui  de  la  confiance  qu'il  prend  d'eulx, 
n'ait  occasion  de  prendre  fiance  de  lui  entière,  pour 
n'avoir  jamais  icelui  usé  de  mauvaise  foi,  jamais  de 
dissimulation ,  jamais  de  vengeance ,  ni  de  précipitation , 
ni  envers  ni  contre  personne.  Et  quant  à  ceulx  aulx- 


352  JUSTIFICATION  DES  ACTIONS 

quels  il  commet  ses  affaires,  on  n'y  trouvera  poinct  tle 
gens  qui  ayent  faict  leur  profit  des  guerres  civiles ,  qui 
soyent  intéressés,  ou  par  gaing,  ou  par  maléfice,  à  les 
continuer,  qui  ayent  commis  quelque  acte  reprochable 
contre  leur  debvoir,  honneur  et  conscience.  Il  n'y  a, 
grâces  à  Dieu,  ni  rigueur  de  justice  entre  les  bons,  ni 
poincte  de  calomnie  entre  les  meschans,  qui  ait,  jus- 
ques  i^i,  prise  sur  eulx.  Mesmes,  comme  n'agueres, 
ledict  sieur  roy  auroit  sceu  que  M.  du  Ferrier ,  person- 
nage renommé  pour  sa  pieté,  doctrine  et  expérience, 
et  pour  les  notables  charges  qu'il  a  exercées  au  service 
du  roy  et  des  roys  ses  ayeuls,  père  et  frères,  seroit  de 
retour  de  l'ambassade  de  Venise ,  l'a  pryé  d'accepter  ses 
sceaux,  et  supphé  le  roy  de  le  trouver  bon,  choisissant 
son  principal  officier  d'entre  ses  officiers ,  son  plus 
privé  conseil  des  plus  privés ,  plus  anciens  et  obligés 
conseillers  de  sa  majesté. 

Je  varie  de  celer  ung  poinct  ;  mais  la  calomnie  nous 
faict  souvent  dispenser  du  secret.  L'an  80,  comme  la 
conférence  de  Flex  feut  conclue ,  le  roy  de  Navarre 
s'offrit  à  monseigneur  d'aller  avec  lui  aulx  Pays  Bas, 
et  d'y  mener  une  bonne  trouppe  de  noblesse  à  ses  des- 
pens.  Cela  feut  trouvé  bon,  mais  enfin  feut  concleu 
pour  le  meilleur,  qu'il  demeurast  pour  quelque  temps, 
tant  qu'il  eust  affermi  la  paix;  et  de  là  en  avant  il  s'y 
employa  de  la  façon  qu'il  a  esté  dict.  Mais,  l'an  passé, 
voyant  qu'il  ne  restoit  presque  plus  rien  à  effectuer  de 
sa  part  en  la  paix;  que  monseigneur  estoit  receu  es 
Pays  Bas;  que  forces  et  moyens  lui  estoient  admi- 
nistrés assez  ouvertement;  qu'on  armoit  mesmes  en 
toutes  nos  costes,  et  nommeement  en  celle  de  Guyenne , 
pour  la  royne  mcrc  du  roy  et  pour  dom  Anthonio 
contre  le  roy  d'Espaigne,  pensa  le  roy  de  Navarre  1  oc- 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  353 

casion  estre  née  en  laquelle  il  peult  faire  ung  service 
agréable  au  roy  et  utile  à  ce  royaume,  non  seulement 
en  ce  qu'il  retarderoit  de  son  costé  la  grandeur  trop 
suspecte  d'Espaigne,  mais  aussi  en  ce  qu'il  divertiroit 
les  cœurs  des  pays  de  Languedoc  et  Guyenne  des  par- 
tialités envieillies,  les  accoustumant  peu  à  peu  soubs 
inesmes  enseignes,  soubs  mesmes  commandement  et 
contre  mesmes  ennemis,  à  sçavoir  soubs  le  seul  res- 
pect du  roy  contre  l'ancien  ennemi  de  ceste  couronne; 
envoyé  donc,  ledict  sieur  roy  de  Navarre,  le  sieur  de 
Segur,  surintendant  de  sa  maison  ,  vers  leurs  majestés, 
lui  faict  ouverture  de  plusieurs  desseings  d'impor- 
tance, et  qui  peult  estre  eussent  mieux  réussi  et  plus 
profité  que  ceulx  de  Portugal;  offre  de  s'y  employer 
en  personne  avec  tout  ce  qu'il  a  d'amis  et  serviteurs, 
d'y  despendre  cinq  cent  mille  escus  de  son  bien,  de 
lui  mettre  entre  mains  ses  comtés  de  Rhodez  et  de  1  Isle, 
qui  sont  des  plus  grandes  et  riches  de  France,  pour 
avoir  argent  à  cest  effect,  à  quelle  condition  qu'il  lui 
plairoit.  Seulement  qu'il  lui  pleust  favoriser  ceste  sienne 
entreprinse  de  ses  moyens;  que  par  icelie  il  peult  tes- 
moigner  à  la  France  combien  il  aimoit  son  bien,  santé 
et  repos,  et  qu'enfin  puisque,  à  toutes  ces  démangeai- 
sons, les  plus  sages  ne  trouvent  plus  prompt  remède 
que  la  saignée,  soit  pour  tirer  le  mauvais  sang,  soit 
pour  donner  vent  au  bon,  il  desiroit  que  ceste  veine, 
comme  la  plus  proche  du  mal  et  de  la  douleur,  feust 
principalement  piquée.  On  pourroit  alléguer  qu'on  eust 
eu  juste  défiance  des  forces  qu'il  eust  peu  lever;  mais 
voici  comment  il  y  pourvoyoit  ;  il  offre  de  composer 
son  armée  ,  pour  le  regard  de  la  cavalerie  et  infanterie 
françoise,  des  deuxrelligions  indifféremment,  et  à  ceste 
fin,  en  distribuer  les  commissions  et  charges,   partie 

MÉM.  DE  DuPtESSIS-MoENAY,   ToME  II,  2  5 


354  JUSTIFICATION  DES  ACTIONS 

aulx  ungs,  partie  aulx  aultres,  et  entre  iceulx  nom- 
moit  plusieurs  vieulx  et  notables  chevaliers  et  capitaines 
catholiques  qui  avoient  tousjours  suivi  sa  majesté  et 
mesmes  porté  les  armes  contre  lui.  Et,  quant  aulx  es- 
trangers ,  que,  pour  l'uifanterie,  il  se  serviroit  des 
Suisses,  alliés  du  roy,  et  entre  iceulx  de  ses  plus  affec- 
tionnés serviteurs,  et,  pour  la  cavalerie,  des  colonnels  et 
reystmalstres  que  sa  majesté  tient  en  Wartgelt ,  ou  qui 
tirent  pension  d'elle.  Quant  au  reste ,  il  prendroit ,  pour 
la  conduicte  de  son  armée,  ung  mareschal  de  France, 
voire  deux,  si  tant  il  le  voulloit  favoriser,  la  loyauté 
desquels  n'estoit  révoquée  ni  en  soupsçon  ni  en  doubte. 
Adjoustoit,  pour  comble  de  seureté,  qu'il  bailleroit 
madame  la  princesse  sa  sœur  unique  comme  hostage  de 
sa  bonne  intention;  comme  aussi  feroit  monseigneur 
le  prince  de  Condé  sa  fille  unique,  sitost  que  le  roy 
auroit  donné  sa  promesse  et  avant  qu'entrer  en  cam- 
paigne;  et  que,  comme  l'entreprinse  seroit  en  train,  il 
remettroit  son  gouvernement  es  mains  du  roy  pour  en 
faire  ce  qu'il  lui  plairoit,  mesmes  se  dessaisiroit  des 
villes  de  seureté  qu'il  tenoit,  pour  donner  exemple 
à  ung  chacung  de  quitter  toute  défiance  ,  et  de  cher- 
cher sa  confiance  et  la  bonne  grâce  en  bienveillance, 
de  sa  majesté. 

De  ces  propos  se  souviennent  leurs  majestés,  et  n'est 
poinct  le  roy  de  Navarre  si  amateur  de  ses  conseils  et 
desseings,  qu'il  voulleust  blasmer  que  cest  advis  n'au- 
roit  esté  suivi;  car  il  sçait  que  sa  majesté  a  peu  avoir 
de  grandes  et  justes  considérations  pour  ne  le  faire 
poinct,  et  présume  tant  de  sa  prudence,  qu'elle  en 
a  choisi  ung  aultre  comme  meilleur.  Mais  ce  seul  poinct 
veult  il  gaigner  par  là  contre  ses  calomniateurs,  qu'il  a 
racheté  le  repos  de  ce  royaume  en  tant  qu'il  a  peu  par 


I 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  355 

une  longue  patience,  par  une  grande  sollicitude,  par 
une  nonchalance  et  mespris  de  ses  propres  affaires  et 
considérations,  et  qu'il  n'a  poinct  tenu  à  lui  (comme 
il  ne  tiendra  jamais)  qu'il  ne  Tait  racheté  de  tout 
son  bien,  de  tous  ses  amis  et  serviteurs.,  et  du  danger 
de  sa  propre  vie. 

Laisse  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  à  juger  à  ung 
chacung  si  ceste  bonne  volonté  mérite  quelque  chose, 
ores  qu'elle  feusten  toutes  sortes  deue;  et  cependant  est 
honteux  que  la  calomnie  le  contraigne  à  dire  et  des- 
couvrir ici  ce  qu'aultrement  il  vouldroit  partout  ense- 
velir et  cacher. 

Le  roy  de  Navarre  ne  se  plaint  poinct  de  ce  qu'en 
ceste  extraordinaire  libéralité  qui  se  veoit  aujourd'hui, 
on  ne  l'en  faict  poinct  ressentir  ;  car  il  seroit  marri  que, 
pour  grand  accroissement  qui  lui  en  peut  venir,  on 
feist  tant  soit  peu  de  surcharge  au  peuple,  et  ne  veult 
dégénérer  en  cela,  non  plus  qu'en  aultre  chose,  de 
ceulx  de  sa  maison,  qui  se  sont  tousjours  réservé  ceste 
louange  de  n'avoir  oncques  faict  profit  des  peines  du 
peuple;  mais  on  scait  que  les  roys  ses  père  et  grand 
père  ont  joui  par  ci  devant  de  quarante  et  huit  mille 
livres  de  pension  annuelle,  à  eulx  assignée  par  les  roys 
prédécesseurs  de  sa  majesté,  en  considération  qu'ils 
avoient  perdeu  leur  royaume  de  Navarre  pour  le  ser- 
vice de  ceste  couronne,  qui  est  une  pension  à  tiltre 
onéreux,  s'il  y  en  eut  oncques;  et  cependant  il  y  a 
quattre  ou  cinq  ans  que  le  roy  de  Navarre  ,  auquel  elle 
avoit  esté  continuée,  n'en  tire  ung  denier,  comme  ainsi 
soit  que  ,  comparant  ce  temps  avec  celui  de  lors  qu'elle 
feut  donnée,  elle  se  trouveroit  petite,  et  que  tous  les 
jours  il  s'en  paye  qui  ne  sont  de  telle  nature,  et  se  faict 
des  dons  qui  excédent  de  beaucoup  et  ceste  pension, 


356  JUST1FICA.TION  DES  ACTIONS 

et  la  proportion  mesmes  de  ceulx  qui  les  reçoivent. 
Il  a  aussi  le  tiltre  de  gouverneur  lieutenant  gênerai 
et  amiral  de  Guyenne,  chose  qui  ne  lui  peult  estre 
enviée,  soit  pour  les  mérites  de  ses  prédécesseurs  ,  soit 
pour  le  rang  qu'il  a  Thonneur  de  tenir  en  ce  royaume, 
si  est  il  qu'il  a  moins  d'auctorité  en  Guyenne  que  n'eut 
oncques  lieutenant  de  roy  en  sa  province  ;  que  nuls  com- 
mandemens,  nulles  depesches ,  nulles  nouvelles  ne  lui 
sont  adressées;  que  les  garnisons  se  remuent  et  intro- 
duisent sans  qu'il  en  oye  parler;  qu'il  n'a  pour  quel- 
conque occasion  que  ce  soit  puissance  d'ordonner  d'ung 
seul  denier  des  finances;  bref  qu'on  ne  lui  a  jusques 
ici  laissé  faire  ung  seul  acte,  ni  de  gouverneur,  ni 
d'amiral.  Au  contraire,  dedans  ses  propres  villes  on 
tient  encores  des  citadelles,  quelque  instance  qu'il  ait 
peu  faire  vers  M.  le  mareschal  de  Matignon ,  qui  allègue 
quelquesfois  le  commandement  exprès  de  sa  majesté 
quand  on  s'en  plaint;  et  exprès  on  ne  veult  pas  payer 
ses  gardes,  afin  qu'elles  soient  contraintes  de  fouler  le 
peuple ,  et  maintenant  moins  que  jamais ,  parce  qu'on 
avoit  veu  que ,  depuis  ung  an  ,  il  y  auroit  mis  un  règle- 
ment bien  entretenu,  par  lequel  ils  payoient  et  vivoient 
en  discipline.  Comme  ainsi  soit  toutesfois  que  les  gardes 
de  tous  les  aidtres  gouverneurs  et  lieutenans  ne  per- 
dent pas  ung  jour  ni  ung  denier,  et  qu'il  voye  à  sa  veue 
payer  celles  de  M.  le  mareschal  de  Matignon ,  pendant 
que  les  siennes  languissent,  et,  qui  pis  est,  qu'on  en 
donne  et  ordonne  à  quelques  aultres  qui  ne  tiennent 
son  lieu  en  aulcune  considération,  ni  de  nature,  ni  de 
mérite,  ni  mesmes  d'office.  Le  mesme  est  de  sa  compai- 
gnie,  qu'on  ne  lui  a  jusques  à  présent  voulleu  donner 
moyen  de  redresser,  quelque  remonstrance  qu'il  en  ait 
faicte,  comme  ainsi  soit  qu'on  a  bien  faict  venir  la  com- 


DU  ROY  DE  NAVARRE.  3  67 

paignie  dudict  sieur  mareschal  en  Guyenne,  et  qu'on 
en  a  donné  plusieurs  nouvelles,  et  qu'il  n'y  ait  gou- 
verneur en  ce  royaume  qui  n'en  ait  que  lui. 

De  son  royaume  de  Navarre,  qui  s'est  perdeu  pour 
le  service  voué  par  ses  prédécesseurs  à  ceste  couronne, 
Dieu  lui  a  réservé  la  Navarre  basse,  qui  n'est  la  meil- 
leure partie;  aussi  a  il  la  principauté  de  Bearn  et  aul- 
tres  petits  pays  qu'il  possède  en  souveraineté,  et  es- 
quels  il  a  tousjours  faict  monnoye.  Ses  monnoyes  de 
long  temps  sont  receues  en  ce  royaume,  mesmes  ont 
cours  par  tous  les  pays  du  roy  d'Espaigne  sans  aulcune 
contradiction;  qui  plus  est,  les  essayeurs  de  France, 
sur  ce  appelles  et  venus  aulxdicts  pays ,  rendent  tesmoi- 
gnaige  qu'elles  sont  de  mesme  titre,  poids  et  alloy  que 
celles  de  France.  Nonobstant ,  elles  sont  encores  défen- 
dues en  France,  quelques  poursuites  que  depuis  deux 
ans  et  plus  on  ait  sceu  faire,  comme  si  on  s'esbattoit  à 
estre  plus  ennemis  du  nom  de  Navarre,  c'est  à  dire 
plus  Espaignol  en  France  qu'en  Espaigne. 

C'est  aussi  une  cbose  ordinaire,  que  ceulx  qui  ont 
cest  honneur  d'avoir  espousé  des  filles  de  France ,  en 
sont  tenus  comme  fils  en  ce  qui  concerne  leurs  affaires 
domestiques,  d'autant  que,  par  ce  mariaige,  leurs  affaires 
deviennent  communs  et  leur  maison  une;  et  le  roy  de 
Navarre,  qui  est  François  et  prince  du  sang  de  France, 
debvroit  plus  tost  participer  à  ce  privilège  qu'ung  aul- 
tre;  si  est  il  que,  quand  n'agueres  il  a  requis  d'avoir  es 
court  de  parlement,  esquelles  il  a  des  procès,  (juelque 
conseiller  et  chef  de  son  conseil  ,  bien  que  catholique, 
il  lui  a  esté  refusé  tout  net ,  encores  qu'il  eust  esté  et 
accordé  et  supporté  paravant  en  la  personne  de  M.  de 
Pibrac,  conseiller  du  conseil  du  roy,  président  en  sa 
court  de  parlement  de  Paris,  comme  ainsi  soit  toutesfois 


358  JUSTIFICATION  DES  ACTIONS,  etc. 

qu'à  personnes  qui  ne  sont  de  sa  qualité,  le  mesme 
soit  ouvertement  souffert  etreceu,  sans  qu'ils  ayent 
eu  la  peine  de  le  demander. 

Or  se  pourroient  alléguer  plusieurs  choses  sembla- 
bles, lesquelles,  si  sa  vertu  et  constance  ne  le  soubste- 
noient ,  seroient  suffisantes  pour  faire  entrer  ou  en 
mespris  de  lui  ceulx  qui  les  voient,  ou  en  impatience 
extrême  lui  mesme  qui  les  sent;  mais  il  s'est  résolu 
(et  désire  que  chacung  le  croie),  pour  le  respect  qu'il 
cloibt  et  qu'il  veult  rendre  au  roy,  de  vaincre  toutes 
ces  indignités  par  patience ,  par  magnanimité ,  par  vertu; 
pour  le  bien  et  repos  aussi  qu'il  désire  à  ce  royaume, 
de  lui  donner  ses  justes  mescontentemens,  ses  iniques 
traictemens,  ses  dignités  et  indignités,  ses  droicts  et 
honneurs  propres.  Et  prye  Dieu  qu'il  fasse  la  grâce  au 
roy  de  distinguer  ses  justes  raisons  d'avecque  les  injustes 
passions  de  ses  adversaires;  de  se  soubvenir  aussi  en- 
fin envers  lui  et  ses  semblables,  de  ses  naturelles  affec- 
tions; et  à  lui  de  surmonter  le  mauvais  voulloir  par 
bien  faire,  les  fausses  paroles  par  vrais  effects,  deust  il 
racheter  la  paix  et  tranquillité  du  povre  peuple  d'une 
peine  et  sollicitude  perpétuelle  et  de  sa  perte  et  ruyne 
propre.  Amen. 


LXV.  — RAISONS 

Pour  induire  le  roj  a  accorder  la  prolongation  des 
places  pour  quelques  ans  a  ses  subjects  de  la  rel- 
ligion  reformée. 

Du  12  aoust  i583. 
Quand  il  pleut  au  roy  accorder  les  places  d'asseu- 
rance  a  ses  très  humbles  subjects  de  la  relligion  refor- 
mée ,  pour  le  terme  de  six  ans ,  ce  feut  parce  qu'il  se 


7 

I 


RAISONS  POUR  LA  PROLONGATION,  etc.  359 
promettoit  qu'avant  ledict  temps  expiré,  son  edict  se- 
roit  effectué  en  toutes  ses  parties.  Et  de  faict,  en  la 
conférence  de  Nerac,  qui  a  expliqué  l'intention  de  sa 
majesté  qui  d'ailleurs  estoit  assés  claire  en  cest  endroict, 
l'article  i6  dit  exprès  que  l'edict  de  pacification,  et  ce 
qui  auroit  esté  resoleu  en  ladicte  conférence,  seroit  exé- 
cuté en  tous  ses  articles,  et  que  l'exécution  s'en  com- 
menceroit  des  le  lendemain  pour  estre  continuée  sans 
interruption.  Et  l'article  17,  que  les  places  seront  re- 
mises audict  temps ,  et  que  l'edict  y  sera  entièrement 
exécuté.  C'est  à  dire ,  que  l'exécution  totale  de  l'edict 
doibt  précéder  ce  qui  est  ordonné  pour  lesdictes  places, 
et  que  l'ordre  desdicts  articles  enclost  Teffect  du  17, 
soubs  la  condition  du  16. 

Ores  que  ceci  n'eust  lieu,  le  but  de  sa  majesté,  en 
ottroyant  lesdictes  places  à  ses  subjects  de  la  relligion, 
est  exprimé  en  son  edict,  à  sçavoir,  qu'elles  leur  sont 
baillées  en  garde  pour  le  temps  et  terme  de  six  ans, 
attendant  que  les  rancunes  et  inimitiés  soient  adoucies, 
comme  aussi  la  ville  de  Sainct  Jean  est  baillée  à  mon- 
sieur le  prince  pour  sa  demeure  ,  en  attendant  qu'il 
peust  effectuellement  jouir  de  son  gouvernement  de 
Picardie.  Par  lesquelles  clauses  est  évidemment  condi- 
tionnée l'intention  de  sa  majesté.  Or,  est  il  tout  certain 
que  lesdictes  rancunes  et  inimitiés ,  oii  qu'en  soit  la 
cause,  ne  cessent  poinct  encores;  qu'en  plusieurs  lieux 
elles  se  sont  enaigries  et  exulcerees,  tant  pour  les  at- 
tentats particuliers,  que  par  la  guerre  ouverte  qui  est 
entrevenue,  comme  aussi,  d'aultre  part,  on  voit  que 
monsieur  le  prince  n'a  encores  ung  seul  pied  en  son  gou- 
vernement ,  auquel  sa  majesté  l'a  promis  effectuellement 
remettre  et  conserver. 

Item ,  est  tout  évident  que,  quand  sa  majesté  a  parlé 


36o  RAISONS  POUR  LA  PROLONGATION 

de  six  ans,  elle  a  entendu  six  ans  de  paix,  c'est  à  dire 
six  ans  propres,  ou  (comme  dient  les  jurisconsultes) 
utiles;  à  sçavoir,  à  appaiser  les  rancunes  et  inimitiés. 
Or,  est  il  que  ces  six  ans  ont  esté  interrompus  d'ung 
an  de  guerre  ouverte ,  et  de  plusieurs  hostilités  parti- 
culières ,  qui  a  arraché  le  cataplasme  et  mis  le  feu  à  la 
plaie.  Tellement  que  sa  majesté  doibt  imiter  en  cela  le 
bon  chirurgien  qui  aura  ordonné  ung  emplastre  pour 
six  jours  seulement,  parce  qu'il  pense  qu'en  ce  temps 
le  mal  cédera  au  remède ,  et  appercevant  toutesfois  au 
bout  du  terme,  que  l'opération  n'en  est  ensuivie  telle 
qu'il  esperoit,  soit  par  la  malice  de  l'humeur,  soit  par 
ung  accident  survenu ,  soit  par  le  remuement  du  patient 
qui  aura  escarté  le  cataplasme ,  ne  faict  difficulté  de  le 
remettre  encores  pour  quelques  jours  dessus,  reputant 
son  lionneur  en  la  guerison  de  la  plaie,  et  non  eu  la 
prefixion  du  remède. 

Geste  raison  doibt  avoir  d'autant  plus  de  lieu  à  l'en- 
drqict  de  sa  majesté ,  que  ce  n'est  poinct  l'impatience 
proprement  de  ceulx  de  la  relligion ,  qui  a  gratté  la 
plaie  et  arraché  le  cataplasme;  mais,  s'il  fault  ainsi 
dire  ,  l'inconsideration  et  témérité  du  valet  du  chi- 
rurgien ,  qui  a  envenimé  et  la  plaie  et  le  remède, 
contre  le  commandement  du  maistre.  Car  oultre,  di- 
verses enlreprinses,  qui  ont  esté  faictes  sur  lesdictes 
villes,  et  sont  venues  jusques  au  poinct  de  l'exécution  , 
la  Reolle  et  Perigueux  en  Guyenne  ont  esté  surprises 
en  effect  long  temps  avant  le  temps  ,  dont  punition 
aulcune  ne  s'est  ensuivie  ;  ains  sont  les  aucteurs 
commandans  en  icelles,  qui,  selon  l'edict ,  doibvent 
estre  infâmes  et  inhabiles  à  tous  estats,  et  traictés  au 
reste  comme  crimineux  de  leze  majesté  en  premier 
chef.  Doibt  donc  imputer  sa  majesté  à  telles  gens  le 


DES  PLACES  DE  SEURETÉ.  36] 

retardement  de  la  cure ,  non  à  ceulx  qui  portent  prin- 
cipalement la  douleur  de  la  plaie. 

La  principale  plaie  qu'il  falloit  guérir,  c'estoit  la 
desfiance.  Au  contraire ,  à  mesure  que  ceulx  de  la  rel- 
ligion  s'en  sont  voulleu  despouiller ,  en  remettant  les 
places,  selon  Tedict,  ceulx  qui  ne  vivent  que  de  trou- 
ble ,  comme  les  barbiers  d'ulcères,  ont  tasché  à  la  leur 
redoubler  en  toutes  sortes.  Les  places  n'ont  esté  si  tost 
remises ,  qu'on  y  a  mis  garnisons  et  basti  citadelles  , 
ou  démoli  les  murailles,  contre  les  mots  exprès  des 
edicts.  Ce  n'est  pas  pour  convier  celles  qui  restent  à 
faire  le  semblable.  Ceulx  qui  les  ont  laissées ,  n'en  ont 
pas  sitost  esté  dehors,  que,  nonobstant  toutes  promesses 
et  abolitions ,  ils  n'ayent  esté  poursuivis ,  pris ,  exécutés , 
massacrés.  Quand  on  est  dissuadé  par  les  effects,  mal- 
laisement  est  on  persuadé  par  les  paroles.  Bref,  on  en 
est  venu  là  ,  qu'on  ne  pense  ville  remise  à  bon  escient, 
s'il  y  demeure  ung  de  la  relligion  en  auctorité ,  si  leur 
vie  n'est  à  la  discrétion  pure  et  simple  du  moindre  en- 
nemi qu'ils  ayent.  Tandis  que  la  foi  a  si  peu  de  lieu ,  il 
est  malaisé  de  lever  la  desfiance. 

Ne  veullent  ceulx  de  la  relligion  doubler  de  la  droicte 
intention  de  sa  majesté.  Mais  leur  doibt  aussi  estre  per- 
mis ,  veu  le  passé ,  de  se  desfier  de  ceulx  qui  en  abu- 
sent ,  et  qui  pensent,  veu  leurs  charges,  avoir  droict 
d'en  abuser.  Or  est  il  que  la  publication  du  Concile  de 
Trente  qu'on  avoit  laissé  dormir  si  long  temps,  mesmes 
l'an  -72  ,  qu'on  estimoit  fatal  à  ceulx  de  ladicte  relli- 
gion,  a  esté  remise  sus  ceste  année,  et  plus  pressée 
qu'oncques  auparavant  ;  que  jamais  on  n'a  negotié  avec 
le  pape  tant  que  ceste  année;  que  les  jésuites,  qui 
sont  les  boutefeux  de  l'inquisition,  croissent  de  jour 
en  jour   en  auctorité;  que  les  prescheurs  en  chaire 


362  RAISONS  POUR  LA  PROLONGATION,  etc. 
prononcent  publicquement ,  que  l'an  de  la  ruyne  des- 
dicts  de  la  relligion ,  etc.  N'ignorent  là  dessus  les  prin- 
cipaulx  de  ceulx  de  la  relligion  que  sa  majesté  n'a  garde 
de  consentir  à  telles  choses  ,  mesmes  audict  Concile  , 
pour  Tinterest  qu'y  a  ,  tant  la  couronne  que  l'Eglise 
gallicane.  Mais  le  peuple,  qui  ne  pénètre  pas  si  avant, 
en  a  pris  une  allarme,  qui  ne  lui  peult  estre  tost  ostee , 
estant  enseigné  pour  toute  escrime  de  ne  regarder,  ni 
la  face ,  ni  la  personne ,  mais  seulement  la  poincte  de 
l'espee. 

Toutes  choses  considérées,  à  denier  la  prolongation 
du  terme  sa  majesté  a  quelque  interest;  car  elle  mettra, 
peult  estre,  au  desespoir  quelque  partie  de  son  peuple. 
A  l'accorder,  elle  n'en  a  du  tout  poinct;  car  il  est  assés 
évident  qu'il  n'y  a  François  plus  François  en  France 
qu'eulx.  L'edict  les  déclare  capables  de  toutes  charges 
et  dignités  ,  et  jusques  ici  ne  sont  en  possession  de  cest 
article.  Il  seroit  donc  raisonnable  qu'en  ce  peu  de 
places,  ils  en  ressentissent  aulcunement  l'effect.  Au  reste, 
quand  ils  en  sortiront ,  on  vouldra  que  d'aultres  entrent 
en  leur  place;  sa  majesté  considère  là  dessus,  si  elle 
en  doibt  avoir  plus  de  fiance  ;  au  contraire ,  si  d'aul- 
cung  elle  n'a  occasion  de  juste  défiance  ;  ce  que ,  grâce 
à  Dieu  ,  elle  ne  peult  avoir  d'eulx. 


LXVL  — LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  H arlaj ,  premier  président  en  la  court  de  par- 
lement de  Paris. 

Du  12  aoust  i583. 
Monsieur,  il  y  a  long  temps  que  j'ai  désiré  cesL 
heur  d'eslrecogneude  vous,  ettousjours  l'occasion  m'en 


LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS,  eic.  363 

est  eschappee;  mais  pour  cela  n'ai  je  laissé  de  m'obli- 
ger  de  service  à  vostre  vertu ,  digne  d'ung  meilleur 
siècle,  et  qui  toutesfois,  en  la  rouilleure  de  cestui  ci,  se 
sçait  faire  honorer  de  tous  ceulx  qui  en  ont  quelque 
sentiment.  Je  suis  ici  appelle  auprès  d'ung  prince  qui 
la  prise  beaucoup  en  tous ,  et  en  vous  particulièrement 
la  révère.  Si  j'estois  solvable  de  si  grande  chose,  je 
vous  asseurerois  que  sa  volonté  tend  toute  au  bien  de 
cest  estât  ;  et  surtout  à  ce  bien  ,  qui  seul  faict  joun-  de 
tous  les  aultres  biens ,  qui  est,  à  mon  advis,  la  paix.  Le 
roy  lui  a  faict  cest  honneur  de  lui  mander  qu'il  tiendra , 
ce  mois  de  septembre,  à  Paris,  une  assemblée  des  plus 
notables  personnages  de  ce  royaume ,  pour  le  soulage- 
ment de  son  peuple.  C'est  l'effect  du  tiltre  de  très  chres- 
tien.  Mais  vous  savés  que  tous  les  beaux  reglemens, 
qu'on  y  sçauroit  minuter,  s'en  vont  en  vain,  si  la  paix 
n'y  est  grossoiee;  comme  les  remèdes  topiques  et  par- 
ticuliers ,  quelque  bons  qu'ils  soient  en  eulx  mesmes , 
sont  inutiles,  si  on  permet  qu'ung  mal  universel 
prenne  possession  du  corps.  M.  de  Clervant  est  en- 
voyé, de  la  part  du  roy  de  Navarre,  vers  sa  majesté  pour 
cest  effect ,  personnage  plein  de  modération  et  inté- 
grité ,  et  digne  en  somme  de  si  digne  charge.  Il  a  com- 
mandement de  vous  en  communiquer  particulièrement. 
Ce  qui  me  reste ,  monsieur,  c'est  de  vous  dire  que  je 
suis  vostre  serviteur,  non  simplement  pour  vostre 
dignité,  mais  doublement  pour  la  dignité  dont  lavés 
honorée  ;  et  sur  ce,  vous  ayant  bien  humblement  baisé 
les  mains  ,  supplierai  le  Créateur  ,  monsieur,  etc. 
De  Saincte  Foi  d'Agenois. 


364  NEGOTIATION  DE  M.  DUPLESSIS 

LXVII.  —  NEGOTIÂTION  DE  M.  DUPLESSIS 

Vers  le  roj  Henry  IIL 

Aoust  i583. 

Le  roy  de  Navarre  estant  à  Saincte  Foi,  récent  une 
lettre  du  roy,  en  date  du  3  d'aoust,  par  ung  valet 
de  garde  robbe  à  chasse,  toute  de  sa  main,  esquelle  il 
lui  mandoit  en  somme,  que,  pour  avoir  descouvert  la 
mauvaise  et  scandaleuse  vie  de. ...  il  se  seroit  resoleu  de 
les  chasser  d'auprès  de  la  royne  de  Navarre,  comme 
une  vermine  très  pernicieuse  et  non  supportable  auprès 
de  princesse  de  tel  lieu. 

Le  roy  de  Navarre  le  remercia  très  humblement  du 
grand  soing  qu'il  avoit  eu  en  ce  faict ,  de  l'honneur  et 
réputation  de  sa  maison  ,  et  le  recogneut  à  une  singu- 
lière obligation  vers  sa  majesté. 

Peu  de  jours  après,  estant  le  roy  de  Navarre  de  re- 
tour à  Nerac  ,  y  receut  la  nouvelle  de  l'affront  faict  à 
la  royne  sa  femme  entre  Palaiseau  et  Sainct  Gler,  dont 
estoient  sortis  divers  bruits  ,  chacung  meseurant  et 
proportionnant  cest  effect  à  telle  cause  qu'il  lui  en 
sembloit  digne.  En  ceste  perplexité,  le  roy  de  Navarre 
se  resoleut  d'envoyer  vers  le  roy,  pour  le  supplier  de 
lui  en  déclarer  la  cause,  et  de  lui  conseiller,  comme 
bon  maistre,  ce  qu'il  avoit  à  faire.  Il  parla  première- 
ment d'y  envoyer  le  sieur  de  Frontenac  ;  puis  se  reso- 
leut du  sieur  Duplessis  ,  qu'il  ne  voulloit  au  commence- 
ment nommer  ,  craignant  quelque  danger  ;  lequel 
partit  de  Nerac  le  17  aoust,  passa  par  Paris,  et  alla 
trouver  le  roy  jusques  à  Lion. 

Là  il  feut  mené  en  la  chambre  du  roy  par  M.  d'Es- 


VERS  LE  ROY  HENRY  III.  365 

pernon  ,  où  il  le  trouva  tout  seul  ;  et  mesmes  ledict 
sieur  d'Espernon  s'en  retira.  Le  roy  leut  ses  lettres  con- 
tenans  créance,  et  lui  commanda  de  Texposer;  ce  qu'il 
feit  en  ces  mesmes  mots. 

Sire,  il  y  a  environ  quinze  jours  qu'il  pleut  à  vostre 
majesté  envoyer  au  roy  de  Navarre,  ung  de  vos  valets 
de  chambre,  par  lequel  vous  lui  escrivistes  qu'ayant 

descouvert  la  mauvaise  et  scandaleuse  vie  de vous 

vous  estiés  resoleu  de  les  chasser  daupres  de  la  royne 
vostre  sœur,  sa  femme,  comme  vermine  très  perni- 
cieuse ,  indigne  d'approcher  d'ung  si  grand  lieu.  Le 
roy  de  Navarre,  sire,  en  remercia  très  humblement 
vostre  majesté,  et  recogneut  ce  soing  particulier,  qu'il 
vous  plaisoit  avoir  de  l'honneur  et  réputation  de  sa 
maison,  à  très  grande  obligation.  Tost  après,  sire,  il  a 
entendeu  que  l'indignation  de  vostre  majesté  ne  s'est 

poinct  arrestee  sur mais  qu'elle  a  passé  jusques  à  la 

royne  sa  femme;  que  vostre  majesté,  revenant  de  Me- 
zieres,  après  ung  esloignement  de  trois  mois,  ne  l'a 
poinct  veue  à  son  arrivée.  Que,  des  les  premiers  jours 
de  son  retour ,  elle  lui  a  faict  commandement  de  s'en 
aller  en  Gascongne  trouver  le  roy  de  Navarre  son 
mari,  qui  n'estoit  pas  pour  la  revoir  bien  tost,  et  toutes- 
fois  sans  qu'elle  ait  eu  cest  honneur  de  vous  dire  adieu. 
Que  s'estant  ainsi  départie ,  vous  passastes  en  vostre 
carosse  au  Bourg  la  Royne ,  où  elle  feit  sa  première  dis- 
nee  ,  les  fenestres  abatteues,  sans  lui  parler.  Qu'à  peu 
d'heures  de  là ,  sire ,  entre  Palaiseau  et  Sainct  Cler ,  pa- 
reut  une  trouppe  d'arquebusiers  commandée  par  ung 
capitaine  de  vos  gardes ,  qui  arresta  son  train  ,  sa  litière 
propre,  la  visita,  mit  le  nés  dedans  ,  jusques  à  lui  faire 
abattre  le  masque  avec  propos  plein  de  rigueur;  qui 
plus  est,  feit  quelques  personnes  de  sa  suite  prison- 


366  NEGOTIATION  DE  M.  DUPLESSIS 

nieres  à  sa  veue.  C'est  ung  affront,  sire  ,  que  princesse 
de  ce  rang  ne  receut  jamais,  mesmes  d'ung  frère  ;  qui 
s'est  faict  au  reste  à  la  veue  du  soleil ,  et  est  aujour- 
d'hui public  par  toute  la  chrestienté.  Quand  le  roy  de 
Navarre,  sire,  vient  à  considérer  quelle  peult  avoir 
esté  la  faulte  proportionnée  à  ceste  amende,  il  est  en 
grande  peine,  et  ne  peult  à  quoi  se  resouldre,  d'autant 
plus  qu'il  a  cogneu  la  modération  de  vostre  majesté  en 
toutes  aultres  actions,  qui  ne  peult  avoir  passé  sans 
*rrande  occasion  à  telle  extrémité.  C'est  pourquoi,  sire, 
il  m'a  commandé  de  venir  trouver  vostre  majesté  et  la 
supplier  très  humblement  de  deux  choses  ;  l'une,  c'est 
qu'il  vous  plaise  lui  déclarer  la  cause  de  ceste  si  grande 
indignation,  qui  la  vous  ait  faict  estimer  digne  de  telle 
indignité.  L'aultre,  qu'en  la  peine  où  il  est,  qui  ne 
peult  estre  que  très  grande  ,  vous  lui  voulliés  dire  ce 
qu'il  a  h  fan-e.  Ce  qu'il  attend  de  vous,  comme  d'ung 
bon  maistre ,  tel  que  lui  avés  tousjours  promis  de  lui 
estre;  tel  aussi  qu'il  l'a  tousjours  espéré;  et  pour  ce, 
sire ,  j'ai  commandement  exprès  de  m'en  adresser  seu- 
lement à  vostre  majesté. 

Le  roy  respondit  que  le  roy  de  Navarre  n'auroit 
peu  mieulx  faire  que  ce  qu'il  faisoit ,  d'envoyer  vers  lui 
pour  ccst  effect ,  mesmes  personne  de  telle  confiance. 
Qu'il  le  tenoit  a  grande  obligation  ,  et  s'en  souviendroit 
toute  sa  vie.  Puis  venant  au  propos  :  Il  est  vrai,  dict  il , 
que  j'envoyai,  comme  vous  dictes,  il  y  a  quinze  jours, 
uncr  mien  valet  de  garde  robbe  au  roy  de  Navarre,  et 

lui  escrivis  telles  choses  de Je  crois  que  cela  ne  feut 

pas  nouveau  au  roy  de  Navarre,  et  qu'il  en  sçavoit  assés 
d'ailleurs ,  et  vous  aultres  mesmes ,  à  mon  advis ,  ne 
l'ignorés  pas.  Nous  adressons  quelquesfois  des  amitiés 
sur  personnes  qui  n'en  sont  pas  dignes ,  et  en  sommes 


VERS  LE  ROY  HENRY  III.  867 

telles  fois  aveuglés.  De  moi,  qui  ne  veulx  pas  vivie 
seulement  comme  bon  prince,  mais  comme  homme  de 
bien,  j'ai  désiré  repurger  tout  ce  qui  est  autour  de 
moi,  et  surtout  qui  me  touche  de  si  près,  de  tout  ce 
qui  y  pouvoit  apporter  tache  ou  blasme ,  m'asseurant 
que  le  roy  de  Navarre  m'en  sçauroit  bon  gré;  et  quel- 
ques semblables  mots  à  ce  propos. 

Ledict  Duplessis,  qui  voyoit  que  le  roy  s'arrestoit 

sur sans   venir  à  la  royne  sa  sœur,  lui  répliqua  : 

Sire,  je  ne  suis  poinct  venu  ici  pour  plaider  la  cause 
de.... Le  roy  de  Navarre  a  recogneu  à  grande  obligation, 
comme  vous  avés  veu  par  ses  lettres ,  ce  que  vostre 
majesté  a  faict  en  leur  endroict  ;  et  me  ferés  bien  cest 
honneur  de  croire  que  le  roy  de  Navarre  ne  faict  pas 
si  peu  de  cas  de  moi ,  que  de  me  donner  ceste  com- 
mission ,  ni  moi  si  peu  de  moi  mesmes,  que  de  la 
prendre.  Il  m'a  despesché  vers  vostre  majesté  pour  le 
faict  de  la  royne  sa  femme.  Si  elle  a  commis  une  faulte 
digne  de  l'affront  qui  lui  a  esté  faict ,  il  vous  en  de- 
mande justice,  comme  au  maistre  de  la  maison  et  au 
père  de  la  famille.  Sinon ,  sire,  comme  il  ne  le  croira 
que  le  plus  tard  qu'il  pourra,  il  la  vous  demande, 
comme  à  prince  qui  en  faict  pofession  ,  des  calomnia- 
teurs ,  sur  le  rapport  desquels  une  telle  injure  auroit 
esté  précipitée. 

Le  roy  alors  voulleut  mettre  l'affront  en  doubte; 
que  le  roy  de  Havarre  pouvoit  avoir  esté  mal  informé  ; 
que  les  choses  n'estoient  pas  passées  du  tout  ainsi  ;  qu'il 
ne  falloit  pas  croire  les  bruits ,  etc.  Ledict  sieur  Duplessis 
répliqua  ;  Sire,  je  n'ai  passé  en  lieu  sur  le  chemin,  où 
ceste  histoire  ne  m'ait  esté  particulièrement  contée  ;  je 
n'ai  veu  depuis  homme  d'honneur  qui  ne  me  l'ait  con- 
firmée. Ce  n'est  pas  la  voix  du  peuple  seulement ,  qui 


368  NEGOTIATION  DE  M.  DUPLESSIS 

peult  parler  par  ouïr  dire,  mais  celle  de  la  court  et 
de  ceulx  qui  y  voyent  plus  clair.  Et  de  faict,  sire,  il 
n'a  pas  esté  faict  pour  estre  celé,  en  plein  midi  et  en 
plein  chemin,  mais  pour  estre  publié  par  tout.  Les 
ambassadeurs  en  ont  escrit  par  tout  à  leurs  maistres. 
Desjà  ceste  nouvelle  est  sceue  par  toute  la  chrestienté  ; 
j'ai  charge  de  vous  dire,  sire,  que  vostre  majesté  a  faict 
en  ce  cas  trop  ou  trop  peu  ;  trop  ,  s'il  n'y  a  poinct  eu 
de  faulte,  ou  si  elle  n'a  esté  extrême  :  car  l'honneur 
des  femmes  ne  se  doibt  jamais  profaner,  si  elles  ne  l'ont 
profané  elles  mesmes.  Trop  peu ,  si  la  faulte  a  esté  digne 
de  ceste  peine;  car  de  qui  vous  n'avés  voulleu  espar- 
gner  Thonneur  ,  quelle  part  réservés  vous  pour  es- 
pargner  ? 

Le  roy  là  dessus  le  pressa  de  dire  ce  qu'il  en  avoit 
entendeu  et  à  diverses  fois;  sur  quoi,  il  respondit  qu'il 
le  supplioit  très  humblement  de  ne  le  faire  poinct  en- 
trer en  ces  fascheux  discours  ;  que  sa  majesté  pouvoit 
assés  penser  la  liberté  que  chacung  se  seroit  donnée 
d'interpréter  la  cause  de  ceste  injure,  que  nul  ne  se 
pouvoit  représenter  que  très  estrange,  veu  les  circon- 
stances; qu'en  somme,  le  jugement  commun  tomboitlà, 
que  l'honneur  ne  s'oste  poinct  qu'à  ceulx  qui  en  effect 
l'ont  jà  perdeu  ;  moins  à  une  sœur  par  ung  frère ,  qui 
a  aulcunement  le  sien  conjoint  avec  le  sang,  et  que 
d'aultre  part,  plus  on  presupposoit  de  sagesse  du  costé 
de  sa  majesté  en  la  considération  de  ce  faict,  plus  on 
estoit  contraint  de  conclurre  de  folie  de  l'aultre ,  etc. 
Le  roy  l'en  repressant,  il  respondict  :  Je  supplie  vostre 
majesté ,  sire ,  de  se  contenter  que  le  roy  de  Navarre 
en  sçait  autant  du  public  comme  vous  en  pensés  sça- 
voir  en  secret.  Les  princes  sçavent  des  petits  ce  qu'ils 
ne  peuvent  sçavoir  des  grands;  des  fols,  ce  qu'ils  ne 


VERS  LE  ROY  HENRY  III.  SGg 

feroient  des  sages;  des  femmes,  ce  qui  leur  seroit  celé 
des  hommes.  Ceci  estant  sceu  de  tout  le  monde ,  il 
estoit  malaisé  qu'il  l'ignorast  tout  seul. 

Puis  l'en  pressant  encores,  sire  ,  le  roy  de  Navarre  a 
sceu,  comme  j'ai  jà  dict  à  vostre  majesté,  qu'au  retour 
d'ung  assez  long  voyaige,  la  royne  vostre  sœur  ne  vous 
salua  poinct;  que,  partant  pour  ung  plus  long,  elle 
ne  vous  dict  poinct  a^lieu  ;  que  voifs  passastes  au  Bourg 
la  Royne  où  elle  disnoit,  sans  qu'elle  eust  cest  honneur 
de  vous  voir;  qu'à  peu  d'heures  de  là,  ung  capitaine  de 
vos  gardes,  nommé  Saliers,  arresta  toute  sa  suite  et  sa 
litière  propre,  lui  fit  abattre  le  masque,  disant  en  avoir 
commandement  de  vous;  que  ce  mesme  se  saisit  en  sa 
présence  de  quelques  ungs  de  ses  serviteurs,  qu'il  em- 
mena prisonniers,  nommeement  l'escuier  Tuti;  qu'en 
mesme  temps  vous  envoyasles  sur  ung  aultre  chemin 
prendre  madame  de  Duras,  de  Bethune  et  Barbe,  et  en 
feistes  poursuivre  et  chercher  quelques   aultres;  que 
vostre  majesté  se  feit  amener  toutes  ces  personnes  en 
l'abbaye  de  Ferrieres ,  près  Montargis ,  les  sépara  en 
diverses  chambres ,  les  interrogea  chacung  à  part,  voul- 
leut  avoir  leur  déposition   escrite  et  signée   de  leur 
main  ;  au  partir  de  là,  en  renvoya  aulcuns  à  la  Bastille, 
où  ils  ont  mesmes  esté  examinés  par  le  lieutenant  du 
prevost. Il  sçait,  sire,  que  vostre  majesté  les  a  enquises 
de  sa  propre  bouche  de  la  conversation,  des  mœurs, 
de  la  vie  et  de  l'honneur  de  la  royne  vostre  sœur.  Quand 
un  roy  prend  ceste  peine,  quand  un  frère  procède  si 
juridicquement,  si  criminellement,  qui  peult  penser, 
sire ,  que  ce  soit  pour  moins  qu'ung  crime  et  encores 
bien  énorme?  Je  reviens  donc,  avec  la  permission  de 
vostre  majesté,  au  commandement  exprès  que  j'ai  eu 
du  roy  de  Navarre  :  si  la  royne  vostre  sœur,  sa  femme, 

MÉM.  DE  DrPLESSIS-MoRNAY.  To.lIE  II.  2 4 


SyO  NEGOTIATÏON  DE  M.  DUPLESSIS 

a  mérité  cest  affront,  il  vous  en  demande  justice  toute 
entière;  sinon,  sire,  il  s'asseure  pour  l'interest  mesme 
de  vostre  maison,  que  vous  lui  ferés  raison  des  auc- 
teurs  d'une  telle  injure. 

Le  roy  ne  nia  ni  affirma  les  propos  que  dessus,  mais 
bien  dict  qu'il  n'y  avoit  personne  qui  peust  eschapper 
des  calomnies.  Que  le  monde  s'estoit  licentié  de  tout 
temps  de  parler  des  plus  gens  de  Jbien,  etc.  Puis  veint 
à  dire  que  ce  faict  estoit  d'importance  ,  qu'elle  estoit 
sa  sœur,  mais  qu'elle  avoit  une  mère  et  ung  aultre  frère 
qui  y  avoient  interest  comme  lui ,  qu'il  esperoit  les  voir 
bientost,  et  se  resolvoit  d'en  prendre  advis  avec  eulx, 
qui  seroit  tel,  que  l'honneur  d'ung  chacung  y  seroit 
satisfaict.  De  là  passa  aux  louanges  de  la  royne  sa  mère , 
de  prudence,  sagesse,  vie  incoulpee,  etc.;  aux  obliga- 
tions qu'il  avoit  envers  elle,  non  seulement  pour  l'avoir 
mis  au  monde ,  mais  pour  lui  avoir  conservé  sa  cou- 
ronne et  la  révérence  que  Dieu  nous  commande  de 
rendre  aux  pères  et  mères,  adjoustant  bénédiction  à 
ceulx  qui  le  feront,  et  malédiction  au  contraire  :  qu'il 
avoit  en  somme  commencé  cest  affaire  avec  son  advis, 
et  se  deliberoit  de  le  finir  de  mesme. 

Ledict  Duplessis  répliqua  que  cela  seroit  bien  long, 
que  sa  majesté  considerast  que  le  roy  de  Navarre  avoit 
le  trait  dedans  le  corps,  et  que  par  là  il  ne  lui  ostoit 
poinct.  Au  contraire ,  que ,  quand  il  entendroit  que  ce 
qui  s'est  passé  auroit  esté  avec  l'advis  de  la  royne  sa 
mère ,  il  y  auroit  de  quoi  redoubler  sa  peine ,  veu  le 
soigneux  égard  qu'ont  ordinairement  les  sages  mères 
de  contregarder  la  réputation  de  leurs  filles,  le  pryant, 
pour  ce  respect ,  d'abréger  la  peine  du  roy  de  Navarre 
par  quelque  response  qui  le  satisfeist  davantage. 

Il  respondit  qu'il  estoit  homme  de  jugement  pour 


VERS  LE  ROY  HENRY  III.  Syi 

cognoistre  que  la  chose  ne  pouvoit  ni  se  debvoit  faire 
aultrement;  qu'il  partiroit  dans  trois  jours  de  Lion, 
s'en  iroit  aulx  bains  de  Bourbon ,  où  il  avoit  à  séjourner 
sept  jours  avec  la  royne  sa  femme,  pour  voir,  selon  le 
conseil  des  médecins,  si  Dieu  leur  vouidroit  donner  des 
enfans  par  ceste  aide  là  ;  que,  si  c'estoit  le  bien  de  son 
estât,  il  l'en  supplioit  de  tout  son  cœur,  sinon  qu'il 
acquiesçoit  volontiers  à  sa  volonté.  Qu'en  somme , 
dedans  le  commencement  d'octobre ,  il  seroit  à  Paris 
avec  la  royne  sa  mère ,  où  peult  èstre  mesmes  il  verroit 
son  frère,  et  tost  après  il  depescheroit  personnage  qua- 
lifié, qui  donneroit  contentement  au  roy  de  Navarre. 

Ledict  Diiplessis  répliqua:  Cependant,  sire,  la  royne 
vostrc  sœur  s'achemine  vers  le  roy  son  mari  :  que  dira 
la  chrestienté  s'il  la  reçoit  ainsi,  par  manière  de  dire, 
toute  barbouillée?  et  s'il  caresse  et  embrasse  ce  que 
vous  aurés  si  indignement  esloigné  de  vostre  court, 
lui  estant  mari,  vous  n'estant  que  frère?  Sire,  le  roy 
de  Navarre  ne  vouldra  poinct  estre  réputé  prince  sans 
courage.  Il  a  cherché  réputation  de  magnanimité  toute 
sa  vie.  Vostre  majesté  juge  s'il  vault  pas  mieux  que  l'in- 
jure soitsatisfaicte,  premier  qu'elle  passe  plus  oultre? 

Le  roy  lui  dict  alors  :  Que  sçauroit  on  dire,  quand  il 
la  recevra ,  sinon  que  c'est  la  sœur  de  son  roy  ?  Oui , 
sire  ,  mais  d'un  roy  juste,  qui  faict  profession  de  droic- 
ture  ,  et  ne  vouidroit  pas  estre  obeï  de  ses  subjects, 
mesmes  de  la  qualité  du  roy  de  Navarre ,  aulx  despens 
de  leur  honneur  et  réputation. 

La  fin  feut  qu'il  ne  se  pouvoit  faire  aultre  chose, 
qu'il  le  feist  trouver  bon  au  roy  de  Navarre ,  qu'il  lui 
renclist  en  cest  acte  preuve  de  bon  subject,  tel  qu'il 
lui  estoit  né  ,  et  asseurast  au  reste  le  roy  de  Navarre 
derechef  qu'il   recognoistroit  ceste  obligation  d'avoir 


37ii  NEGOTIATION  DE  M.  DUPLESSIS 

envoyé  incontinent  vers  lui  personne,  en  qui  il  le  seait 
avoir  pleine  confiance  ,  et  qu'il  tiendra  l'honneur  dudict 
sieur  roy  aussi  cher  que  le  sien  propre,  comme  il  lui 
feroit  appercevoir  dans  peu  de  temps. 

Ledict  Duplessis  le  supplia  d'escrire  au  roy  de  Na- 
varre particulièrement  ce  qu'il  lui  commandoit  de  dire, 
que  c'cstoient  matières  chatouilleuses,  desquelles  il  ne 
se  voulloit  reposer  en  sa  mémoire,  pour  les  inconve- 
niens  qui  en  adviennent,  y  estant  question  d'une  part 
de  son  souverain,  et  de  l'aultre  de  son  maistre.  Le  roy 
respondit  que  telles  choses  ne  se  pouvoient  bonnement 
escrire ,  et  que  le  roy  de  Navarre  s'en  fieroit  prou  en 
lui.  Sur  quoi  il  supplia  au  moins  sa  majesté  de  voulloir 
jetter  en  ses  lettres  quelques  semences  des  responses 
qu'd  lui  avoit  pieu  lui  faire,  afin  qu'il  eust  plus  de 
matière  et  de  parler  et  d'estre  creu.  Ce  que  sa  majesté 
lui  ayant  promis,  lui  demanda  quand  elle  trouveroit 
bon  qu'il  veinst  quérir  ses  lettres;  il  respondit  qu'il  les 
escriroit  présentement  et  tout  devant  lui.  Ce  qu'il  feit 
de  sa  main,  puis  les  lui  leut  (encores,  disoit-il,  qu'il 
n'eust  ceste  coustume  de  monstrer  ses  lettres);  et  les 
ayant  faict  fermer  par  du  Halde,  qu'il  appella  de  la 
garderobbe,  les  lui  bailla,  ajoustant  plusieurs  paroles 
«rracieuses  du  roy  de  Navarre,  et  répétant  le  gré  qu'il 
lui  sçavoit  d'avoir  envoyé  vers  lui  pour  ce  faict,  mesme 
personne  qui  tient  lieu  tel  auprès  de  lui. 

Ce  propos  conclu,  il  dict  audict  sieur  Duplessis  :  Et 
bien ,  ne  verrai  je  jamais  le  roy  de  Navarre  ,  mon  frère? 
Il  lui  respondit  que  ce  lui  estoit  ung  grand  malheur  de 
ne  pouvoir  accomplir  le  désir  qu'il  avoit  de  baiser  très 
humblement  les  mains  de  sa  majesté;  mais  que,  des 
qu'il  tournoit  teste  vers  la  France  pour  s'en  approcher, 
i\  sembloit  qu'on  prist  plaisir  de  le  mordre  par  derrière 


VERS  LE  ROY  HENRY  III.  Sy^ 

pour  le  faire  tourner  ailleurs,  comme  tout  fraischemenl 
se  seroit  veu ,  qu'estant  à  Saincte  Foi  pour  passer  en 
Xaintonge  ,  on  surprit  Alelh  avec  grand  carnage  de 
ceulx  de  la  relligion  ,  dont  le  voisinage  est  troublé,  en 
danger,  s'il  n'y  eust  pourveu  en  se  rapprochant ,  de  re- 
mettre par  là  toute  la  province,  et  consequemment 
"  tout  Testât  en  trouble.  Le  roy  lui  dict  que  telles  choses 
lui  desplaisoient  grandement;  qu'es  provinces  plus  pro- 
ches de  sa  résidence  on  ne  voyoit  telles  choses  advenir, 
parce  qu'elles  se  ressentoient  de  plus  près  de  son  inten- 
tion, qui  n'estoit  que  de  maintenir  ses  subjects  en  paix  ; 
qu'il  s'asseuroit  que  ses  subjects  ne  lui  imputoient  tels 
actes,  et  scavoient  bien  considérer  que  la  prise  d'une 
ville  d' Alelh  n'estoit  pas  l'entreprise  d'ung  prince  tel 
que  lui.  Ledict  Duplessis  répliqua  que  ses  subjects  de 
la  relligion  ne  se  plaignoient  pas  de  l'intention  de  sa 
majesté ,  mais  du  peu  de  debvoir  que  ses  officiers  ren- 
doientà  l'exécution  d'icelle;  que  l'impunité  engendroit 
coustumierement  l'injustice,  et  qu'à  la  vérité  la  tolé- 
rance de  tels  attentats,  en  plusieurs  endroicts ,  n'avoit 
peu  apporter  aultre  chose  ;  que  le  roy  de  Navarre 
supplioit  très  humblement  sa  majesté  d'y  mettre  à  bon 
escient  la  main ,  parce  que  le  povre  peuple  ,  qui  est 
trop  esloigné  de  lui  pour  pénétrer  son  intention,  ne 
la  peult  juger  que  par  les  effects  qu'il  sent,  lesquels 
toutesfois,  le  plus  souvent,  tiennent  plus  de  la  passion 
des  exécuteurs,  que  de  la  nature  de  celui  qui  com- 
mande. De  là  il  veint  à  parler  des  défiances  qu'avoit 
esmeu  en  Dauphiné  et  Languedoc  son  voyaige  de 
Lion,  comme  s'il  y  feust  veneu  pour  y  dresser  la  guerre 
contre  ses  subjects  de  la  relligion.  Qu'estant  veneu  à 
Bourbonnanci  pour  sa  santé ,  il  avoit  esté  pryé  de 
venir  visiter  sa  ville  de  Lion  et  sa  noblesse  des  pnvs 


374  NEGOTIATION  DE  M,  DUPLESSIS 

circonvoisiiis.  Qu'il  n'avoit  aultre  désir  que  la  paix  , 
qu'il  l'avoit  promise  et  la  voulloit  sainctement  tenit, 
comme  prince  qui  faisoit  singulier  estât  de  sa  parole. 
Qu'il  n'eut  jamais  voulloir  de  tenir  la  paix  de  76 ,  mais 
qu'aussi  ne  le  cela  il  poinct,  pour  la  façon  dont  elle 
avoit  esté  faicte.  Qu'aultresfois  il  avoit  pensé  ramener 
ses  subjects  de  la  relligion  par  la  rigueur  des  armes, 
mais  que  Dieu  lui  avoit  faict  cognoistre  avec  l'expé- 
rience,  que  tels  moyens  n'estoient  pas  propres  à  telle 
fin.  Qu'il  faisoit  estât  de  sa  relligion ,  la  croyoit  ferme- 
ment, pryoit  Dieu  de  lui  donner  plustost  la  mort,  que 
de  s'en  départir  tant  soit  peu,  mesmes  vouldroit  avoir 
donné  un  bras  ,  et  que  tous  ses  subjects  en  feissent  pro- 
fession; mais  que  ce  seroit  quand  il  plairoit  à  Dieu,  et 
que  doresnavant  il  esloit  resoleu  de  les  laisser  vivre 
en  paix  soubs  le  bénéfice  de  ses  edicts,  seulement  qu'on 
ne  coinmençast  rien  contre  lui. 

Ledict  sieur  Duplessis  respondit  qu'il  estoit  nulcune- 
ment  à  pardonner  au  peuple,  esloigné  de  sa  majesté, 
s'il  se  defioit  quelquesfois  sans  subject,  parce  que  bien 
souvent  il  sentoit  du  mal  par  la  main  des  serviteurs, 
encores  qu'il  n'y  eust  rien  que  bien,  au  cœur  du 
maistre  ,  qui  n'estoit  découvert  qu'à  ceulx  qui  avoient 
cest  honneur  d'en  approcher.  Qu'il  pryoit  Dieu  qu'il  le 
raainteinst  en  ceste  bonne  resolution,  de  n'attenter  plus 
sur  les  consciences  par  les  armes  qui  sont  naturellement 
instrumens  de  division  et  non  de  reunion  ;  et  qu'y  con- 
tinuant, il  ne  pourroit  attendre  que  toute  bénédiction, 
et  consequemment  toute  prospérité  de  sa  main.  Quant 
au  roy  de  Navarre  et  à  ceulx  de  la  relligion ,  que  sa 
majesté  pouvoits'asscurer  qu'ils  ne  pensoient  qu'à  jouir 
de  ses  edicts,  et  qu'il  n'en  falloit  aultre  argument ,  que 
le  peu  de  profit  qui  leur  peult  revenir  des  guerres  ci- 


VERS  LE  ROY  HENRY  III.  87 5 

viles.  Qu'en  telles  guerres  à  tout  prendre,  ceulxmesmes 
qui  semblent  gaigner,  perdent  tousjours;  toutesfois 
qu'il  n'y  a  double  que  ceulx  qui  se  tiennent  près  du 
souverain,  n'ayent  des  moyens  de  s'avancer,  les  ungs 
aulxhonneurs,  les  aultres  aulx  biens  ,  qui  sont  les  deux 
choses  que  les  hommes  cherchent  ordinairement  par 
leurs  actions;  que  ni  l'ung,  ni  Ta^ltre,  au  contraire  ,  ne 
se  rencontre  en  la  suite  du  parti  auquel  le  souverain 
faicl  la  guerre,  mais  bien  pertes  de  biens,  d'estats, 
dignités ,  ruynes  de  maisons ,  incommodités  de  familles  : 
choses  que  les  hommes  ont  accoustumé  d'éviter  et 
de  fuir  par  mille  aultres  maux  ;  tant  s'en  fault  que,  de 
gaieté  de  cœur,  ils  les  attirent  sur  eulx.  Partant ,  que  sa 
majesté  pouvoit  penser  que  ceulx  de  la  relligion ,  qui 
avoient  esprouvé  ces  malheurs ,  ne  se  jetteroient  volon- 
tiers en  une  guerre  où  ils  ne  pourroient  faillir  de  les 
trouver,  et  que  la  seule  nécessité  les  y  pouvoit  faire 
retomber  ;  de  laquelle  il  loue  Dieu  de  les  voir  exempts , 
veu  la  saincte  volonté  qu'il  avoit  pieu  à  sa  majesté  lui 
déclarer.  Et  sur  ce  poinct ,  pour  mon  particulier,  sire , 
comme  l'ung  de  ceulx  là,  je  ne  feindrai  de  dire  à  vostre 
majesté  qu'il  y  a  douze  ans  et  plus  que  je  tasche  par 
tous  moyens  de  devenir  catholique, et  n'y  puis  jusques 
ici  parvenir.  J'ai  souvent  considéré  qu'après  la  faveur 
de  Dieu,  il  n'y  arien  de  si  précieux  au  monde  que  celle 
de  son  prince;  j'avois  assés  de  chair  pour  convoiter  les 
biens  et  les  honneurs  du  monde,  et  non  si  peu  d'esprit 
que  je  ne  cogneusse  que  la  relligion  que  je  suis,  n'estoit 
pas  le  chemin  pour  les  rencontrer.  Je  n'ignorois  poinct 
aussi  que  vostre  majesté  auroit  tousjours  mon  service 
plus  agréable  estant  catholique  qu'aultrement ,  et  estoit 
peult  estre  assés  présomptueux  pour  ressentir  en  moi 
quelque  petit  moyen  de  vous  en  faire.  Là  dessus  je  me 


376        WEGOTIATION  Dli  M.  DUPLESSIS ,  etc. 
suis  mis  à  lire  tout  ce  que  j'ai  peu  ,  à  conférer  avec 
personnes  doctes  partout  oùje  me  suis  rencontré,  ren- 
contrant tousjours  pour  fortifier  leurs  argumens,  ma 
chair  et  mon  esprit,  qui  ne  desiroient  rien  tant  que  de 
se  rendre.  Enfin,  sire,  il  fault  que  je  die  à  vostre  ma- 
jesté que  ma  conscience  a  vouUeu  vaincre,  cncores  que 
pour  prix  de  ceste  victoire  elle  ne  veist  que  beaucoup 
de  disgrâces,  de  pertes,  de  dangers,  qu'il  m'a  falleu 
passer  depuis.  Le  roy  respondit  que  cela  lui  estoit  ad- 
veneu  parce  qu'il  y  apportoit  de  la  passion.  Il  est  vrai , 
dict  il ,  sire  ;  mais  à  la  vérité  une  passion  qui  combattoit 
contre  ma  relligion  ,  ung  désir  de  m'avancer  ,  d'autant 
plus  ardent  que  j'estois  alors  plus  jeune,  nonobstant 
lequel  toutesfois    la  vive   persuasion  de  la  vérité  m'a 
vaincu.  Sur  ce  propos  il  lui  dict,  avec  une  façon  fort 
doulce  ,  qu'il  ne  voulloit  pas  disputer  avec  lui.  Et  après 
lui  avoir  renouvelle  les  protestations  de  paix  ,  l'exhor- 
tant à  en  asseurer  ,  selon  la  créance  qu'il  y  avoit, toutes 
les  églises  de  la  relligion  ,  et,  pour  la  tierce  fois  ,  répété 
le   contentement  qu'il  avoit    du  roy  de  Navarre,  lui 
donna  congé.  Ces  propos  durèrent  près  de  deux  heures; 
et  de  ce  pas  reprit  la  poste  pour  revenir  trouver  le  roy 
de  Navarre. 


LXVIII, —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSiS 

A  MM.  du  synode  de  Vîsle  de  France. 

Du  22  septembre  i583. 

Messieurs  ,  j'ai  receu  vos  lettres  du  dernier  d'aoust, 

et  considéré  l'advis  y  contenu  touchant  la  procédure 

qu'il  convient   tenir  pour  la  reunion  de   nos  églises. 

M.  de  Beze  m'en  avoit  escrit  de  mesmes  il  y  a  environ 


LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS,  eic.  ^77 

ung  mois,  auquel  je  feis  response.  C'est  en  somme, 
messieurs,  que  le  roy  de  Navarre  ayant,  comme  vous 
sçavés,  à  depescher  M.  de  Segur,  et  craignant  la  lon- 
gueur de  la  negotiation   dont  est  question  ,  pensa  de 
l'ébaucher  par  lui.  Et  ne  tend  son  instruccion  qu'à  re- 
monstrer   aulx   princes  l'utilité  et  nécessité  de   ceste 
reunion,  et  les  maulx ,  dommages  et  inconveniens  pro- 
cédés de  la  desunion,  les  pryant  de  remettre,  selon  la 
forme  de  l'Eglise  ancienne,  tous   ces  differens  à  ung 
synode,  duquel  on  pourra  convenir  quand  les  Eglises 
auront  plus  de  repos;  et,  en  attendant,  d'imposer  si- 
lence à  toutes  invectives  tant  de  bouche  que  par  escrit, 
et  demeurer  frères  et  amis.  Cela,  à  nostre  advis,  ne 
peult  estre  trouvé  mauvais  des  églises  de   Suisse;  car 
nous   ne  touchons  poinct   encores  au  fond ,  et  n'est 
qu'ung  lenitif  ou  plustost  ung  apozeme   disposant  à  la 
médecine.  Cependant  nous  trouverions  très  bon  que,  de 
la  part  de  nos  églises  de  France,  M.   de  Chandieu  ou 
M.  de  Serres  visitast  les  églises  de  Suisse  aulx,  fins  que 
proposés  ,  avec  lettres  du  roy  de  Navarre  et  du  synode, 
tant  aulx  seigneurs  qu'aulx  pasteurs,  et  tant  aulx  can- 
tons de  la  relligion  qu'à  leurs  confédérés,  et  nommee- 
ment  à  messieurs  de  Genève.  Et  nous  ne   laisserons 
d'escrire  à  M.  de  Segur  qu'il  feist  son  retour  par  la 
Suisse  et  par  Genève,  pour  conférer  de  ce  qu'il  auroit 
avancé.  Les  lettres  du  roy  de  Navarre  qui  seront  re- 
quises, nous  les  vous  envoyerons  au  plus  tost,  celles  du 
synode  estant  icelui  dissoleu  ,  pourroient  estre  signées 
par  M.  Merlin,  qui  y  présida  selon  qu'il  feut  arresté  qu'il 
feroitles  depeschcs  procédantes  des  resolutions  y  prises, 
s'il  en  estoit  besoing  ci  après,  au  moins  les  signeroil. 
Il  a  esté  fort  malade,  et  n'ai  encores  nouvelles  de  sa 
pleine  convalescence.  De  quoi ,  messieurs ,  je  ne  refuse- 


iyS  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

rai  jamais  labeur  qui  me  soit  enjoint  pour  œuvre  si 
nécessaire;  mais  il  y  en  a  de  plus  capables,  et  je  ne 
suis  pas,  comme  pourrés  entendre,  sans  besogne  ici. 
Dieu  me  fasse  la  grâce  de  le  servir  en  quelque  sorte 
que  ce  soit,  lequel  je  supplie,  messieurs,  vous  avoir 
en  sa  saincte  garde,  saluant  pour  la  fin  bien  humble- 
ment vos  bonnes  grâces. 
De  Pau. 


LXIX.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

u4  M.  le  prince  cC Orange, 

Du  9  novembre  iSSl. 
MoissEiGNEUU,  ce  ne  m'a  poinct  esté  chose  estrange 
d'estre  calomnié  diversement  en  ce  siècle ,  parce  que 
la  profession  de  vertu  est  subjecte  à  haine  ou  à  envie, 
qui  se  paissent  ordinairement  de  médire  quand  elles  ne 
peuvent  faire  pis.  Mais  bien  m'a  il  esté  fort  nouveau 
d'entendre  que  vostre  excellence  qui  croit  volontiers  le 
bien,  mesmes  de  ceulx  qui  lui  font  mal,  se  soit  aisé- 
ment laissée  aller  à  sinistres  opinions  de  moi,  qui  de 
long  temps  vous  ai  voué  ung  si  libre  service,  et  n'ai 
laissé  passer  (que  j'aie  peu)  aulcune  occasion  d'en  faire 
preuve,  jusques  à  en  avoir  encouru  la  haine  que  je 
soutiens  encores ,  de  tous  ceulx  qu'à  divers  tiltres  vous 
avés  estimé  vous  estre  contraires.  Jesçai,  monseigneur, 
qu'il  est  impossible  qu'à  la  seule  veue  de  ceste  lettre, 
vous  ne  vous  ramenteviés  la  sincère  affection  que  j'ai 
apportée  à  tout  ce  que  j'ai  pensé  vous  toucher.  Et  ceste 
seule  souvenance  me  doibtexempter  de  toute  apologie. 
Mais ,  monseigneur ,  pour  venir  au  poinct ,  on  vous  veult 
faire  croire  que  le  conseil  qui  auroit  esté  donné  aulx 
députés  des  églises  de  Flandres ,  qui  se  trouvèrent  au 


A  M.  LE  PRINCE  DORANGE.  879 

synode  de  Vitré,  auroit  esté  cause  de  tout  ce  tjui  se- 
roit  depuis  advenu  en  Flandres  ;  et  pour  y  avoir  assisté 
au  nom  du  roy  de  Navaire,  j'en  suis  nommeeinent  et 
principalement  calomnié.  En  ce  synode,  nionscigneur, 
il  ne  feut  aulcunement  traicté  de  Testât  de  Flandres, 
ni  d'ailleurs;  seulement  ceulx  qui  s'y  trouvèrent,  louè- 
rent Dieu  unanimement  de  la  veneue  desdicls  députés  , 
pour  se  recognoistre  par  le  moyen  d'icelle  totalement 
unis  en  mesme  confession.  Et  quant  aulx  devis  qui 
pourroient  avoir  esté  entre  nous,  selon  que  la  tragédie 
qui  avoit  esté  fraischement  jouée  aulx  Pays  Bas,  en 
donnoit  à  tous  le  subject,  le  sommaire  feut,  et  eulx 
niesmes  le  diront  ainsi,  que  véritablement  il  estoit  mal- 
aisé, veu  ce  qui  s'estoit  passé,  de  remettre  bien  tost  une 
bonne  créance  entre  son  altesse  et  le  peuple.  Qu'il  estoit 
pareillement  difficdeet  périlleux  de  donner  advis,  ou  en 
l'une ,  ou  en  l'aultre  part ,  pour  les  précipices  qui  se  pre- 
sentoient  de  toutes  parts,  selon  la  proposition  faicte  par 
vostre  excellence,  nommeement  veu  que  le  peuple  inter- 
pretoit  pour  juste  punition  de  Dieu  le  mauvais  succès 
du  traicté  faict  avec  son  altesse;  mais  que,  soit  pour 
traicter  ou  pour  ne  traicter  poinct  avec  icelle  ,  telle  re- 
solution debvoit  procéder  de  l'accord  etarrestde  toutes 
les  provinces  légitimement  assemblées  soubs  l'aucto- 
rité  de  vostre  excellence,  de  peur  qu'ung  symptôme 
de  division  survenant  à  leur  maladie,  qui  de  soi  estoit 
assés  fascheuse  ,  n'affoiblist ,  ou  n'emportast  mesmes  le 
patient  tout  à  coup.  A  ce  propos  feut  mis  en  avant  le 
dommage  universel  qu'avoit  apporté  le  conseil  particu- 
lier de  ceulx  qui  appellerent  le  duc  Cazimir  en  Flan- 
dres. Feut  adjousté  que  tel  aide  ni  aultre  ne  pouvoit 
tourner  à  bien  pour  les  soupsçons  et  jalousies  qui  en 
naistroient,  sinon  en  tant  qu'il  seroit  consenti  de  toute 


38o  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

]a  généralité  des  pays.  Quant  à  son  altesse,  que  si  on 
avoit  à  traicter,  se  pourroient  proposer  des  conditions , 
selon  lesquelles  le  pays  seroit  secouru  sans  crainte  de 
dommage.  Comme  que  le  roy  feist  la  guerre  au  roy 
d'Espaigne  pour  divertir  ses  forces;  qu'il  donnast  moyen 
à  son  altesse  de  la  continuer  vivement  du  costé  de 
Cambray;  que,  pour  le  dedans  du  pays  ,  son  altesse  em- 
ployast,  tant  aulx  affaires  qu'aulx  armes,  personnes 
non  suspectes  et  agréables  aux  estats ,  etc.  Gomme  au 
contraire,  si  on  se  resolvoit  d'ung  consentement  de 
n'avoir  plus  affaire  avec  lui ,  il  se  trouveroit  des  moyens 
de  se  découdre  d'ensemble  sans  rien  déchirer;  et  que 
lui  mesmes ,  veu  les  mutuelles  défiances,  tourneroit 
peult  estre  ses  desseings  ailleurs.  Mais  qu'en  tout  cas, 
attendant  que  le  temps  devidast  une  pièce  si  meslee, 
estoit  nécessaire  de  resouldre  par  une  assemblée  gé- 
nérale des  moyens  de  soubstenir  la  guerre  contre  l'en- 
nemi, qui  aultrement  feroit  profit  de  leur  irrésolution 
et  incertitude  ;  et  que  plus  ils  trouveroient  de  secours 
et  de  force  en  eulx  mesmes,  plus  seroient  ils  capables 
de  se  resouldre  ou  en  une  part,  ou  en  l'aultre,  en  tant 
qu'ils  ne  prendroient  alors  conseil  de  la  nécessité,  mais 
de  la  raison.  Au  reste ,  quant  au  poinct  de  la  conscience , 
ores  mesmes  que  les  alliances  et  les  mariaiges  de  per- 
sonnes de  diverses relligions  marchassent  de  mesme  pied, 
qu'il  estoit  à  considérer,  qu'après  le  serment  donné,  et  le 
mariaige  consommé,  la  chose  n'estoit  plus  en  son  en- 
tier, ains  venoit  à  estre  subjecte  à  la  règle  que  donne 
sainct  Paul ,  que  le  fidèle  tasche  à  amener  à  soi  l'infi- 
dèle, etc.  Et  si  on  objectoit  que,  par  la  foi  rompue,  le 
traicté  estoit  dissoubs ,  comme  le  mariaige  par  l'adultère  ; 
qu  il  y  avoit  à  respondre  que  bien  est  vrai  que  la  per- 
fidie donne  juste   occasion  au  peuple  des  Pays  Bas  de 


A  M.  LE  PRINCE  D'ORANGE.  38 1 

se  départir  du  contrat,  comme  radultere  au  mari,  de 
se  départir  de  sa  femme  ;  mais  que  la  dissolution  du  con- 
trat n'estoit  à  présupposer  tant  que  les  estais  légitime- 
ment assemblés  l'eussent  jugé,  et  prononcé  disertement 
ne  plus  ne  moins  que  la  cause  de  divorce  ne  parfaict 
pas  le  divorce,  mais  l'envoi  du  libelle;  par  ainsi,  que 
c'estoit  toujours  femme  et  mari,  peuple  et  prince,  etc. , 
jusques  à  ce  que  ces  formalités  eussent  esté  observées, 
nonobstant  les  adultères  et  perfidies  prétendues  ou 
intervenues,  après  lesquelles  nous  lisons  assés  de  recon- 
ciliations sans  interruption  de  principaulté  ni  de  ma- 
riaige ,  comme  mesmes  il  auroit  esté  veu  en  la  personne 
du  ro)'  d'Espaigne,  après  tant  d'infractions  des  contrats 
faiets  avec  ses  subjects.  Ce  sont,  monseigneur,  à  peu 
près  les  propos  qui  feurent  tenus  par  forme  de  discours , 
lesquels  je  vous  dis  avec  la  mesme  franchise  que  j'ai 
tousjours  désiré  vivre.  Et  cependant  n'ai  oncq  dissimulé 
ni  dissimulerai  qu'une  des  plus  grandes  et  plus  pro- 
fondes joies  que  je  pense  avoir  eu  de  ma  vie,  feufc 
d'entendre  l'entreprise  d'Anvers  faillie,  pour  l'interest 
commun  de  la  vraie  Eglise,  pour  le  particulier  que  je 
sens  vivement  (et  ne  sçai  bonnement  pourquoi)  eu 
celui  des  Pays  Bas ,  et  pour  la  singulière  affection  que 
j'ai  au  service  de  vostre  excellence  ,  dont  j'aurai  trop 
de  regret  d'avoir  besoing  d'alléguer  aultre  tesmoing 
qu'elle  mesmes.  Or  c'est  trop,  à  mon  advis,  envers 
vostre  excellence,  et  beaucoup  plus  ne  suffiroit  pas 
contre  les  calomniateurs;  et  pourtant,  je  supplierai  le 
Créateur,  monseigneur,  qu'il  assiste  vostre  excellence 
par  son  Sainct  Esprit  en  tant  de  perplexités.  Et  pour 
mon  regard  demeurerai,  s'il  vous  plaist,  vostre  très 
humble,  etc. 

De  Pau  en  Bearn. 


38-2  .  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 


LXX.  —  LETÏKE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Montaigne. 

Du  9  novembre  i58'3. 
MoNSiEtja,  si  mes  lettres  vous  plaisent,  les  vostres 
me  profitent;  et  vous  scavés  de  combien  le  profit  passe 
le  plaisir.  M.  de  Bellievre  conféra  avec  M.  le  mareschal 
cà  Fotenzac.  Soudain  après,  renfort  de  garnison  ,  forme 
de  citadelle,  poursuite  par  ung  viseneschal  contre  ceulx 
de  la  relligion  de  Bazas;  qui  plus  est,  garnison  à  Sainct 
Sever,  Dax ,  Marmande,  Gondom,  etc.  Ce  prince  a 
jugé  qu'on  le  voulloit  mener  à  ce  qu'on  prétend  par 
force;  et  que  ces  deux,  bien  que  par  diverses  voyes , 
tendoient  à  mesme  but.  Vous  scavés  la  profession  qu'il 
faict  àe  couY^Q^e -^  Jlectatar  forte  facile  y  at  frangatur 
nunquam.  Ainsi,  il  a  pryé  M.  de  Bellievre  de  surseoir 
la  proposition  de  sa  principale  charge  jusques  à  ce  que 
ces  rumeurs  d'armes  feussent  accoisees.  Cela  faict,  il 
aura  les  oreilles  plus  disposées,  et  peult  estre  par  les 
oreilles,  le  cœur.  Ung  festin  préparé,  si  le  feu  prend  à 
la  cheminée,  on  le  laisse  pour  courir  à  l'eau  :  nous 
estions  préparés  à  la  réception;  le  feu  se  prend  en  ung 
coing  de  ce  royaume,  mesmes  soubs  nostre  foi,  nos 
amis  sont  en  danger  ;  qui  trouvera  estrange  qu'on  désire 
qu'il  y  soit  pourveu  avant  de  passer  oultre?  Adjoustés 
que  ce  prince  veult  avoir  le  gré  tout  entier  de  ce  qu'il 
veult  faire ,  sans  qu'il  en  soit  rien  imputé  à  aultre  con- 
sidération quelconque.  On  m'a  lasché  ung  mot  que  les 
aucteurs  de  ce  conseil  se  pourroient  repentir.  Le  maistre 
a  assés  d'esprit  pour  le  prendre  de  soi  mesmes;  et  M.  de 
Bellievre  seroit  marry  que  tous  les  conseils  de  France 


A  M.  DK  MONTAIGNE.  383 

lui  feussent  imputés.  Les  persuasions  peuvent  beau- 
coup sur  ma  simplicité,  les  menaces  fort  peu  sur  la  re- 
solution que  j'ai  prise.  Et  vous  saurés  bien  juger  pour 
vos  amis  en  quelle  opinion  on  en  parlera.  Je  ne  vous 
dirai  plus  qu'ung  mot.  L'affaire  pour  laquelle  il  estoit 
veneu,  mérite  sa  gravité  et  expérience;  mais  il  se  tient 
tant  sur  la  réputation  du  roy,  qu'il  semble  avoir  peu  de 
soingde  la  nostre;  et  qui  vient  pour  satisfaire  une  in- 
jure non  tant  prétendue  que  recogneue,  bien  qu'il  ait 
affaire  avec  l'inférieur,  ne  doibt  tant  payer  d'auctorité  que 
de  raison.  Çuo  acriora  ingéras  ^  eo  contumacior  éva- 
dât humoi-  qui  miligandus  est  :  quo  sane  nisi  mitigaio , 
vidniis  convalescere  nidlâ  ratione polest.  Viderintipsi; 
tu  etiam  atque  etiam  vale. 
Du  Mont  de  Marsan. 


LXXL  — LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Saletles. 

Du  23  novembre  i583. 
Monsieur  de  Salettes ,  depuis  vostre  partement , 
l'insolence  extrême  de  ceulx  du  Mont  de  Marsan  ,  et 
les  longueurs  sans  fin  de  M.  le  marescbal  de  Matignon  , 
ont  réduit  le  roy  de  Navarre  à  y  rentrer  de  soi  mesmes. 
Ce  qu'il  a  faict,  grâces  à  Dieu,  si  heureusement  que  j 
lundi  2  1  novembre,  ses  gardes  s'y  logèrent  sans  excès, 
pillage  ni  sang,  et  tost  après  feurent  suivies  de  lui. 
Deux  hommes  pour  tout ,  courans  à  fallarme ,  y  ont  eslé 
tués,  que  la  voix  de  tous  les  gens  de  bien  dç  la  ville 
adjugeoit  de  long  temps  à  fin  plus  misérable.  Nous 
avons  escrit  partout,  afin  que  ceste  reprise  de  posses- 
-sion ,  que  chacung  feroit  chez  soi,  ne  soit  interprétée 


384  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

en  conséquence  du  gênerai.  Et  particulièrement  le  roy 
de  Navarre  en  escrit  amplement  à  leurs  majestés ,  les- 
quelles ,  à  mon  advis,  veu  leurs  ordonnances  tant  de 
fois  réitérées,  ne  le  trouveront  pas  plus  estrange  que 
quand  ung  de  leur  suite  entre  par  la  fenestre  en  une 
maison  qui  lui  est  marquée  par  fourrier  ou  donnée  par 
le  mareschal  des  logis ,  si  on  lui  en  veult  fermer  la  porte  ; 
car  enfin  le  roy  de  Navarre  n'a  faict  aultre  chose  qu'exé- 
cuter l'intention  du  roy  et  faire  obéir  la  craye.  Ici  ne 
les  ayant  peu  vaincre  par  ci  devant  par  patience,  nous 
taschons  à  les  dompter  par  bonté ,  puisqu'ils  nous  en 
ont  voulleu  mettre  à  l'extrême  preuve,  et  j'espère  qu'ils 
sentiront  par  effect  qu'il  nous  est  plus  naturel  de  bien 
faire ,  qu'il  ne  leur  a  esté  coustumier  de  faire  mal  depuis 
quelques  années;  et  peult  estre  ce  subject  nous  aura 
servi  pour  monstrer  quels  nous  sommes.  Je  vous  en 
escris  la  vérité,  parce  que  je  sçais  qu'on  la  déguisera 
de  mensonge,  lequel  se  rendra  d'autant  plus  croyable, 
que  leur  faulte  estoit  réputée  digne  de  plus  rigoureux 
traictement,  et  les  soldats  de  ce  temps  peu  capables 
d'estre  contenus  en  ceste  discipline.  Si  vous  puis  je 
asseurer  qu'il  ne  s'y  est  perdeu  ni  pris  ung  cheval  ni 
ung  denier;  en  quoi  j'ai  eu  trop  plus  de  contentement 
qu'en  la  chose  mesmes.  C'est  ce  qu'aurés  de  moi  pour 
ce  coup,  qui,  sur  ce,  saluerai  bien  affectionnement 
vos  bonnes  grâces,  et  supplierai  le  Créateur,  mon- 
sieur, etc. 

Du  Mont  de  Marsan. 


A  M.  DE  MONTAIGNE.  385 

LXXII.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Montaigne,  (i) 

Du  25  novembre  i583. 
Monsieur,  le  roy  de  Navarre  vous  a  escrit  comme 
il  est  entré  en  sa  ville  de  Mont  de  Marsan.  L'insolence 
extrême  de  ses  subjects,  et  les  remises  sans  fin  de  M.  le 
mareschal ,  lui  ont  faict  prendre  cette  voye.  Vous  scavez 
que  toutes  nos  affections  ont  quelque  borne;  il  estoit 
mal  aisé  que  sa  patience  n'en  eust,  mesmes  puisque  leur 
folie  n'en  voulloit  poinct  avoir.  Cependant  Dieu  nous  a 
faict  la  grâce  que  tout  s'est  passé  avec  fort  peu  de  sang 
et  sans  pillage ,  et  vous  puis  asseurer  que ,  sans  la  crainte 
du  contraire ,  il  y  a  six  mois  que  nous  pouvions  estre 
dedans.  J'estime  que  par  gens  de  considération  ceste 
action  ne  sera  mal  interprétée  :  l'intention  du  roy,  selon 
ses  edicts  et  mandemens ,  estoit  que  nous  y  rentrissions. 
La  seule  obstination  de  ceulx  de  la  ville  supportés, 
comme  les  lettres  que  nous  avons  en  main  nous  tesmoi- 
gnent,  nous  y  faisoit  obstacle.  C'est  comme  si  les  mares- 
cbaulx  des  logis  du  roy  nous  avoient  donné  ung  logis, 
et  que ,  sur  le  refus  de  l'hoste ,  nous  feissions  obéir  la 
craye;  et  j'ose  vous  dire  plus,  que,  sans  encourir  ung 
mespris  public,  que  je  redoute  plus  que  la  haine,  nous 
ne  pouvions  allonger  nostre  patience.  A  ceulx  qui  en 
eussent  peu  prendre  ou  donner  l'allarme,  nous  avons 
soigneusement  escrit  de  toutes  parts,  et  ne  doibvent 
présumer  de  ceste  reprise  de  possession ,  ordinaire  au 
moindre  gentilhomme  de  ce  royaume,  rien  de  public 

(i)  Michel  de  Montaigne,  auteur  des  Essais. 
Mém.  de  Duplessis-Mornay.  Tome  ir.  20 


386  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

ni  extrême.  A  vous  qui  n'estes,  en  ceste  tranquillité 
d'esprit,  ni  remuant,  ni  remué  pour  peu  de  chose, 
nous  escrivons  à  aultre  fin  ,  non  pour  vous  asseurer  de 
nostre  intention ,  qui  vous  est  prou  cogneue  et  ne  vous 
peult  estre  cachée ,  soit  pour  nostre  franchise ,  soit 
pour  la  poincte  de  vostre  esprit ,  mais  pour  vous  en 
rendre  plege  et  tesmoing ,  si  besoing  est ,  envers  ceulx 
qui  jugent  mal  de  nous,  faulte  de  nous  voir,  et  par  voir 
plus  tost  par  les  yeux  d'aultrui  que  par  les  leurs. 
Que  voulez  vous  plus  ?  M.  de  Castelnau  l'a  faict , 
c'est  vostre  ami,  qui  plus  est,  non  suspect  pour  la  rel- 
ligion,  mais  emeu  de  la  seule  équité  de  nostre  cause: 
Si  quid peccatam  dicunt  in  forma ^  compensetur  ve- 
lim  in  materiâ.  Ce  que  certes  nous  faisons,  avons 
faict  et  ferons ,  leur  monstrans  par  effect  qu'il  nous  est 
plus  naturel  de  pardonner  leurs  faultes,  qu'il  ne  leur 
seroit  peult  estre  de  les  amender.  Sur  ces  entrefaictes , 
nous  arrive  M.  de  Bellievre ,  et  vous  savés  pourquoi. 
Gravitati  ego  sane  silentiuni  opponam.  C'est  la  sœur 
de  mon  roy ,  la  femme  de  mon  maistre  ,  Tung  agent  en 
ce  faict ,  et  l'aultre  patient ,  prudent  qui  employé  sa  pru- 
dence à  ne  s'y  employer  poinct.  Si  on  parle  d'une  satis- 
faction d'injure,  ce  n'est  au  serviteur  à  estimer  celle 
de  son  maistre.  Et  qui  n'est  légitime  estimateur  de 
l'injure,  de  la  satisfaction  ne  le  sera  il  poinct?  Je  le 
vous  ai  dict  et  le  redis  encore,  si  j'estois  deschargé  de 
ce  faix,  je  saulterois,  ce  me  semble,  soubs  le  bast  et 
entre  les  coffres  que  j*^  porte  ;  mais  Dieu  a  voulleu  es- 
sayer mes  reins  soubs  une  charge  plus  forte,  et  je  me 
confie  en  lui  qu'elle  ne  m'accablera  point.  Hœc  tibiy 
et  iaojudicio.kw  reste,  faictes  estât  de  nostre  amitié 
comme  d'une  très  ancienne,  et  toutesfois  tousjours 
récente j  et  de  mesme  foi  je  le  ferai  de  la  vostre,  que 


A  M.  DE  MONTAIGNE.  887 

je  pense  cognoistre  en  la  mienne  mieulx  qu'en  toute 
aultre  chose.  Vous  en  ferés  la  preuve  où  et  quand  il 
vous  plaira,  et  me  trouvères  sans  exception  ,  etc. 


LXXIII.  —  INSTRUCTION 

Au  sieur  d'Angroigne ,  retournant  en  Angleterre. 

Le  sieur  d'Angroigne  tesmoignera  à  la  royne  d'An- 
gleterre le  plaisir  qu'a  receu  le  roy  de  Navarre  des 
lettres  qu'elle  lui  a  faict  cest  honneur  de  lui  escrire , 
des  tesmoignages  de  son  amitié  qu'il  a  sentis  par  lui, 
et  de  tout  le  discours  de  la  negotiation  du  sieur  de 
Segur. 

Et  quant  à  ce  qu'elle  n'auroit  trouvé  bon  d'envoyer 
vers  lui  par  ci  devant  comme  elle  lui  escrit,  pour  ne 
donner  lieu  aulx  défiances,  qu'il  recognoist  l'honneur 
et  la  faveur  que  ce  lui  eust  esté  de  recevoir  plus  sou- 
vent de  ses  nouvelles,  lesquelles,  sansdoubte,  lui  eus- 
sent* apporté  plus  de  confiance  et  d'utilité  ,  que  les  dé- 
fiances d'aultrui,  prinses  sans  subject,  ne  lui  eussent  peu 
causer  de  dommage  ;  mais  qu'en  cela  nonobstant  il 
acquiesce  volontiers  au  prudent  jugement  de  sa  ma- 
jesté, s'asseurant  que  ce  qu'elle  s'abstient  envers  lui 
de  ces  gracieux  complimens,  n'est  que  pour  lui  faire, 
en  recompense,  d'autant  plus  sentir  les  effects  de  sa 
bonne  grâce. 

Lui  fera  entendre,  ledict  sieur  d'Angroigne,  le  désir 
que  ledict  seigneur  roy  a  de  long  temps  de  lui  aller 
très  humblement  baiser  les  mains,  qui  auroitesté  cause 
de  lui  faire  entreprendre  visiter  les  princes  chrestiens, 
duquel  elle  avoit  esté  le  principal  et  presque  seul  sub- 
ject; mais  que  l'incertitude  de  ses  affaires,  procédante 


3Ô8  INSTRUCTION 

des  entreprises  entresuivies  de  ceulx  qui  lui  veullent 

mal ,  lui  en  auroient  tousjours  osté  le  moyen. 

Comme  encores  à  présent  sa  majesté  entendra  du 
sieur  d'Angroigne  l'irrésolution  en  laquelle  on  le  tient 
en  ceste  circonstance  de  temps,  qui  est  comme  la  crise 
de  sa  maladie ,  et  les  justes  occasions  de  défiance  qu'on 
lui  donne,  qui  ont  besoing  d'estre  appuyées  de  la  con- 
fiance qu'il  a  prise  d'elle. 

Cependant  qu'il  lutte  de  sa  patience  contre  ces  dif- 
ficultés, et  d'autant  plus  patiemment,  qu'il  espère,  par 
ce  moyen,  se  rendre  ung  chemin  ouvert  pour  lui  aller 
offrir  son  très  humble  service  ;  et  pour  lui  en  faire  plus 
évidente  preuve,  ne  seroit  presque  marri  ledict  sei- 
gneur roy  qu'elle  eust  quelque  digne  subject  d'employer 
ses  amis  et  serviteurs,  entre  lesquels  il  espereroit  se 
faire  remarquer  des  premiers,  encores  qu'il  désire  au 
reste  tout  bien,  repos  et  tranquillité  à  ses  affaires. 

N'omettra  à  lui  dire  les  trames  que  le  roy  d'Espaigne 
faict  pour  lui  troubler  son  estât ,  tant  par  dedans  que 
du  costé  d'Escosse;  et  comme  il  tasche  d'attirer  le  roy 
de  France  en  ceste  pratique ,  s'asseurant ,  s'il  veult  estre 
de  la  partie  ,  qu'elle  ne  peult  eschapper  de  leurs  des- 
seings. Ce  que  ledict  sieur  roy  de  Navarre  a  entendu 
de  personne  bien  qualifiée,  qui  lui  sera  nommée  par  le 
sieur  d'Angroigne ,  et  qu'il  n'a  mesmes  celé  qu'il  y  avoit 
diverses  entreprises  sur  sa  personne,  desquelles,  de- 
puis peu  de  jours,  quelqu'une auroit  esté  faillie.  Pryant 
ladicte  dame ,  pour  l'interest  de  toute  la  chrestienté , 
et  pour  celui  qu'il  y  sent  avoir  plus  qu'aulcun  aultre, 
de  se  conserver  soigneusement  et  contre  le  dol  et  contre 
la  force;  et  quant  au  dol,  il  n'oubliera  les  advertisse- 
mens  particuliers  qui  lui  en  ont  esté  mis  en  main  par 
ledict  seigneur  roy. 


AU  SIEUR  D'ANGROIGNE.  38g 

Pour  la  force,  sçait  ledict  seigneur  roy  de  certain, 
qu'à  ce  commencement  d'esté  prochain,  ceulx  de  la 
maison  de  Guise,  pour  exécuter  ce  qu'ils  ont  conclu 
par  le  sieur  deMeneville  en  Escosse,  font  estât  de  faire 
une  descente  subite  et  inopinée  par  le  pays  de  Galles 
en  Angleterre,  en  laquelle  ils  seront  tost  après  secourus 
d'Espaigne.  Le  moyen  est  que  le  sieur  de  Sainct  Luc, 
gouverneur  de  Brouage,  qui,  pour  cesteffect,  traicte 
maintenant  avec  le  duc  de  Mayenne  ,  à  présent  en  Poic- 
tou ,  et  avec  le  duc  d'Elbœuf  et  aultres  de  ceste  mai- 
son, faict  estât  d'arrester,  tout  en  ung  jour,  tous  les 
grands  vaisseaux  flamans,  hollandois,  zelandois,  sué- 
dois, danois,  ostrelins  et  mesmes  anglois  qui  se  trou- 
veront en  ceste  saison  en  Brouage,  auquel  temps  au- 
ront  donné  ordre  d'assembler  six  ou  sept  mille  hommes 
de  pied  en  Xaintonge  et  Poictou  ,  soubs  ombre  de  Por- 
tugal et  d'une  entreprise  que  redresse  la  royne  mère. 
Tout  à  coup  feront  embarquer  lesdictes  trouppes,  qui 
auront  poiu^  escorte  quelques  vaisseaux  de  guerre  des 
sieurs  de  Lansac,  Sainct  Luc  etRuffec,  et  feront  voile 
pour  mettre  pied  à  terre  en  Angleterre.  Homme  qui 
sert  à  ce  desseing  sans  en  sçavoir  bonnement  le  fonds , 
en  a  communiqué  avec  le  roy  de  Navarre,  qui,  par  ceste 
occasion,  y  a  voulleu  voir  plus  clair,  et  enfin  en  a  sondé 
la  vérité,  qui  est  telle  que  dessus. 

Et  que  ce  desseing  soit  contre  l'Angleterre  et  non 
contre  le  Portugal ,  il  s'apperçoit  par  ceulx  qui  y  frayent 
et  participent;  car  les  chefs  sont  ceulx  de  Guise,  en- 
nemis d'Angleterre  et  amis  d'Espaigne,  et  à  ceste  fin 
est  venu  le  duc  de  Mayenne  passer  son  hiver  en  Poic- 
tou ,  et  les  principaulx  instrumens  sont  les  sieurs  de 
Lansac  le  jeune  et  de  Sainct  Luc,  tenus  en  France  vul- 
gairement pour  pensionnaires  d'Espaigne.  Gest  adver- 


Sgo      INSTRUCTION  AU  SIEUR  D'ANGROIGNE. 
tissement  doibt  demeurer  secret  pour  la  conséquence , 
et  sera  neantmoins  aisé  à  sa  majesté  d'y  donner  ordre. 

A  ceci  doibt  estre  adjousté  qu'il  n'y  a  plus  apparence 
que  la  France  tente  rien  contre  l'Espaigne,  veu  qu'elle 
s'en  va  renoncer  à  la  negotiation  des  Pavs  Bas,  par  le 
moyen  de  laquelle  elle  pourroit  principalement  retarder 
sa  grandeur.  Et  de  faict,  la  paix  se  traicte  maintenant 
entre  le  roy  d'Espaigne  et  monseigneur,  auquel  on 
offre  déjà  ung million  d'or;  que  Cambray  demeure  neu- 
tre, et  qu'il  renonce  à  l'élection  desdicts  Pays.  Quit- 
tant ceste  occasion,  à  quel  propos  en  aller  chercher 
une  aultre  plus  difficile,  plus  loingtaine,  peu  utile  à 
nous  et  moins  nuisible  an  roy  d'Espaigne? 

Ce  sera  à  sa  majesté  à  y  appliquer  les  remèdes  selon 
le  mal;  seulement,  si,  en  ceste  délibération  ,  elle  se  re- 
soult  d'appeller  ses  amis  et  serviteurs ,  le  roy  de  Na- 
varre la  supplie  de  se  ressouvenir  tousjours  de  lui  entre 
les  premiers,  et  de  faire  estât  de  tout  ce  qui  dépend 
de  son  auctorité,  mesmes  de  sa  propre  vie. 


LXXIV.  —  RESPONSE 

A  V instruction  de  M.  de  Lcwerdin  ,  envoyé  de  la  part 
de  Monseigneur  vers  le  roy  de  Navarre. 

Le  roy  de  Navarre  ne  feut  jamais  plus  vivement 
touché  au  cœur  que  quand  il  entendit  l'occasion  du  sou- 
dain parlement  de  la  royne  sa  femme ,  pour  l'interest 
inséparable  qu'il  a  en  tout  ce  qui  la  touche ,  et  ne  cè- 
lera à  son  altesse  que  ce  lui  eust  esté  ung  grand  sou- 
lagement en  ce  malheur  de  se  veoir  assisté  de  son  pru- 
dent advis  par  l'envoi  de  quelqu'ung  de  sa  part  pour 
l'aider  a  en  sortir;  mais  ce  lui  eust  esté  aussi  trop  de 


RESPONSE  A  L'INSTRUCTION,  etc.  Sgi 

regret  pour  la  prospérité  qu'il  lui  désire,  que  cest 
affaire  eust  en  rien  retardé  les  aultres  plus  urgens  qu'il 
pouvoit  lors  avoir,  et  pourtant,  maintenant  qu'il  en  est 
soulagé  ,  il  le  remercie  très  humblement  du  soing  qu'il 
a  eu  de  le  visiter,  mesmes  par  le  sieur  de  Laverdin,  de 
l'affection  et  fidélité  duquel  il  a  tiré  de  si  notables 
preuves. 

Ne  doubte  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  que  son  al- 
tesse aura  très  bien  entendu  que  si  tost  qu'il  sceut  ce 
qui  estoit  advenu  à  l'endroict  de  la  royne  sa  femme ,  il 
depescha  gentilhomme  exprès  vers  le  roy,  duquel  prin- 
cipalement dependoit  le  remède,  avec  instructions  par 
lesquelles  il  feit  assez  cognoistre  combien  il  estoit  soi- 
gneux de  l'honneur  et  réputation  de  ladicte  royne  sa 
femme;  et  pense  en  cela,  ledict  sieur  roy,  n'avoir  rien 
obmis  de  ce  qui  pouvoit  entretenir  leur  bon  mesnage, 
tant  s'en  fault  que  par  là  il  ait  en  rien  facilité  les  ar- 
tifices de  ceulx  qui  auroient  voulleu  essayer  le  con- 
traire. 

Et,  quant  à  ceulx  qui  par  ce  moyen  auroient  pré- 
tendu le  desunir  d'avec  le  roy  et  son  altesse,  ne  sçait 
ledict  seigneur  roy  dç  Navarre  quels  ils  peuvent  estre  ;  et, 
si  aulcungs  y  en  a ,  les  estime  bien  loing  de  compte ,  soit 
pour  le  bon  naturel  de  leursdictes  majesté  et  altesse , 
soit  pour  le  service  très  humble  qu'il  leur  a  désiré  ren- 
dre toute  sa  vie  ;  mais  particulièrement  lui  dira  ledict 
seigneur  roy  de  Navarre ,  que  le  roy  lui  feit  cest  honneur 
d'avoir  pour  très  agréable  la  façon  dont  il  procéda  lors 
en  ce  faict ,  pour  le  debvoir  qu'il  rendit  à  sa  majesté 
en  gardant  son  honneur,  comme  encores  tout  frais- 
chement  il  lui  a  tesmoigné  par  le  sieur  de  Bellievre;  et . 
pour  le  regard  de  son  altesse,  qui  lui  faict  ceste  faveur 
d'estre  jaloux  de  leur  honneur  comme  du  sien  propre  . 


392  RESPONSE  A  L'INSTRUCTION 

il  ne  peult  doubler  qu'elle  n'en  ait  receu  pareil  con- 
tentement. 

C'est  aussi  ceste  considération  de  leur  honneur  com- 
mun et  non  aultre,  qui  auroit  faict  que  ledict  roy  de 
Navarre  auroit  procédé  plus  lentement  en  la  réception 
de  la  royne  sa  femme ,  préférant  la  satisfaction  deue  à 
sa  réputation  ,  à  toutes  aultres  affections  qui  tiennent 
communément  les  hommes  ;  et  craignant  aussi  avec 
quelque  raison  que  leur  rapprochement  ne  feust  cause 
d'esloigner  ou  empescher  ladicte  satisfaction.  Pour 
cette  raison  donc ,  il  supplie  très  humblement  son  al- 
tesse voulloir  tenir  la  main  et  à  bon  escient ,  selon  la 
promesse  et  offre  qu'il  lui  plaist  lui  en  faire,  contre  tous 
ceulx  qui  se  vouldroient  opposer  à  chose  si  juste  et  rai- 
sonnable; et  s'asseure  tant  de  l'amitié  qu'il  leur  porte, 
et  de  l'affection  qu'il  lui  plaist  apporter  à  ung  affaire 
qui  leur  importe  tant,  qu'il  employera  son  auctorité 
pour  lever  au  plustost  les  obstacles  qui  mal  à  propos 
ont  esté  suscités,  mesmes  en  ce  pays,  pour  l'en  re- 
tarder. 

Ne  veult  entrer  ledict  seigneur  roy  aulx  causes  des 
inconveniens  advenus,  se  contentant  den  rechercher  les 
remèdes  là  où  il  espère  les  debvoir  trouver.  Mais  bien 
lui  dira  que  ce  qu'il  en  a  entendu  de  tout  ce  faict,  ne  lui 
est  poinctvenu  par  billets,  ni  par  rapports,  desquels,  en 
tel  cas,  il  requerroit  aussi  peu  de  satisfaction  comme  ils 
méritent  de  créance.  Ains  qu'il  n'en  a  rien  sceu  que  ce 
qu'il  a  pieu  au  roy  lui  mander  ou  escrire,  ou  qui  s'est 
faict  et  sceu  si  publicquement  qu'il  n'estoit  pas  possible 
qu'il  en  feust  seul  ignorant. 

Et  quant  à  l'entresuite  d'affaires  ruyneux  qui  lui 
pourroient  procéder  de  ce  faict,  qu'il  estime  s'y  estre 
si  bien  gouverné  jusques  ici  au  gré  du  roy  et  sien,  que 


DE  M.  DE  LAVERDIN.  SgS 

leur  bonne  grâce  lui  sera  assés  d'appui  et  de  défense 
contre  tous  ceulx  qui  oseroient  rien  entreprendre  contre 
lui.  Et  pour  le  regard  de  ceulx  que  son  altesse  pense 
aucteurs  et  inventeurs  de  ce  mal ,  que  tant  s'en  fault 
qu'il  les  puisse  craindre,  qu'il  se  promet  que  le  roy , 
s'il  s'en  trouve  de  tels,  lui  en  fera  justice  ,  comme  de- 
rechef il  supplie  très  humblement  son  altesse,  pour 
l'honneur  qu'il  a  de  lui  estre  ce  qu'il  est,  d'y  apporter 
la  main. 

En  ce  faisant ,  son  altesse  obligera  de  plus  en  plus 
ledict  sieur  roy  de  Navarre  et  la  royne  sa  sœur,  de  lui 
rendre  l'honneur ,  obéissance  et  service  qu'ils  lui  doib- 
vent.  Ce  qu'il  a  pryé  le  sieur  de  Laverdin  de  lui  décla- 
rer plus  amplement,  dont  il  lui  fera  ceste  faveur  de  le 
croire  ,  selon  l'ancienne  cognoissance  qu'il  a  du  plus 
intérieur  de  son  cœur. 

Comme  aussi  a  pryé  ledict  sieur  de  Laverdin  de  tenir 
son  altesse  bien  particulièrement  advertie  de  Testât  des 
choses  de  deçà ,  tant  pour  le  soing  qu'il  lui  a  pieu  avoir 
de  les  pacifier,  que  pour  le  bien  que  peult  apporter 
l'entremise  de  son  auctorité  contre  les  troubles  qui  y 
semblent  naistre. 


LXXV.  — LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 
A  M.  de  Montaigne. 

Du  i8  décembre  i58'î. 
Monsieur,  nous  appercevons,  par  les  lettres  que 
M.  de  Bellievre  escrit  au  roy  de  Navarre,  que  le  roy  a  esté 
mal  informé  de  ce  qui  s'est  passé  ici.  Sur  fausses  pre- 
suppositions,  on  ne  peult  que  conclurre  faux.  Et  j'es- 
père ,  quand  il  aura  sceu  la  vérité ,  tant  par  lettres  de 


094  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS,  etc. 

M.  de  Bellievre,  que  par  les  nostres,  qu'il  prendra  le  tout 
en  meilleure  part.  Ce  qui  est  véniel  à  M.  de  Joyeuse,  ne 
nous  doibt  poinct  estre  mortel.  Encores  nostre  action 
en  toutes  circonstances  est  elle  plus  supportable.  Ce- 
pendant on  nous  circuit  de  garnisons  pour  tirer  la  chose 
en  conséquence.  On  n'a  poinct  ainsi  procédé  contre  les 
aultres;  et  cette  inégalité  ne  peult  procéder  que  de  la 
passion  de  quelques  ungs.  Ce  prince  ne  pense  qu'cà  la 
paix;  et  je  désire  fort  qu'on  rie  le  presse  poinct  oultre 
mesure  :  vous  le  cognoissés.  Mesmes  lors  qu'il  doibt 
craindre,  il  ne  le  veult  pas.  Je  pense  que  la  prudence  de 
M.  de  Bellievre  modérera  toutes  choses.  Ces  inconve- 
niens  appaisés,  video  cœtera  proclivia;  et  vous  en  aurés 
des  marques,  mais  qui  doibvent  estre  aidées.  Je  suis, 
et  serai  tousjours  vostre,  etc. 
Du  Mont  de  Marsan. 


LXXVI.  —  INSTRUCTION 

A  M.  de  Chassincourt  sur  la  demande  de  l'assemblée 
générale  des  églises. 

Du  23  décembre  i583. 
Le  sieur  de  Chassincourt  fera  entendre  au  roy , 
qu'ayant  le  roy  de  Navarre  entendu,  par  le  retour  de 
M.  de  Clervant,  la  saincte  intention  qu'a  sa  mnjesté 
d'affermir  de  plus  en  plus  la  paix,  et,  à  ceste  fin,  faire 
exécuter  ce  qui  reste  de  part  et  d'aultre  pour  l'entière 
observation  d'icelle,  il  se  seroit  résolu  d'apporter  de  sa 
part,  pour  faciliter  une  œuvre  si  nécessaire,  tout  ce  que 
Dieu  lui  auroit  donné  d'auctorité  soubs  celle  de  sadicte 
majesté,  afin  qu'elle  puisse  ,  après  tant  de  peines,  avoir 
<'e  contentement  tant  désiré ,  de  voir,  Jion  seulement  les 


INSTRUCTION  A  M.  DE  CHASSINGOURT.  31)5 
playesdes  malheurs  passés  bien  refermées,  mais  mesmes, 
en  tant  que  possible  seroit,  les  marques  et  cicatrices 
d'icelles  entièrement  effacées. 

Et  parce  que ,  pour  parvenir  aux  effects  que  dessus 
sa  majesté  auroit  estimé  nécessaire  d'envoyer  certains 
commissaires  es  provinces  ,  personnages  dignes  et  qua- 
lifiés, tant  pour  remettre  ledict  seigneur  roy  de  Na- 
varre, et  monseigneur  le  prince  de  Condé,  en  la  pleine  et 
réelle  jouissance  de  leurs   gouvernemens,  que   pour 
aussi  recevoir  des  mains  de  ses  subjects  de  la  relligiori 
reformée  les  places  qu'il  auroit  pieu  à  sa  majesté  leur 
bailler  en  garde  pour  certaines  années,  dont  l'ung  des- 
pend de  la  seule  auctorité  et  simple  vollonté  de  sadicte 
majesté  ;  l'aultre  de  la  confiance  qu'il  est  requis  que 
sesdicts  subjects  de  la  relligion  reformée  prennent  de  la 
bienveillance  de  sa  majesté  pour  se  remettre  totale- 
ment en  elle  ;  ledict  seigneur  roy  de  Navarre,  pour  les 
y  induire  et  persuader,  estime   très  nécessaire,  pour 
le  service  de  sa  majesté,  qu'il  se  tienne  ,  avec  son  bon 
plaisir,  une  assemblée  générale  des  députés  des  églises 
de  la  relligion  reformée  de  son  royaume ,  où  ledict  sei- 
gneur roy  de  Navarre  se  trouvera  en  personne  pour  leur 
proposer  la  volonté  de  sa  majesté,  délibérer  avec  eulx 
des  plus  propres  et  faciles  moyens  de  l'effectuer,  et,  selon 
ou  au  plus  près  d'icelle ,  le  faire  resouldre.  Moyennant 
quoi,  espère  ledict  seigneur  roy  de  Navarre, que  lesdicts 
sieurs  commissaires  de  sa  majesté  trouveront  les  che- 
mins si  applanis,  et  les  cœurs  si  disposés  à  l'exécution 
de  leur  commission  et  satisfaction  de  sa  majesté,  qu'elle 
cognoistra  enfin  que  ce  qu'il  a  désire  retenir  auctorité 
et  créance  entre  sesdicts  subjects  de  la  relligion  refor- 
mée ,  a  esté  principalement  pour  en  rendre  l'auctorité 
et  volonté  de  sa  majesté  tant  plus  facilement  obeie, 


39^3  INSTRUCTION 

quoique  plusieurs  ayent  tasché  et  laschent  journelle- 
ment de  lui  faire  entendre  le  contraire. 

Adjoustera  ledict  sieur  de  Chassincourt  que  sa  ma- 
jesté a  faict  souvent  cest  honneur  au  roy  de  Navarre, 
de  lui  déclarer  le  desplaisir  qu'elle  avoit  des  courses, 
entreprises  et  attentats,  et  aultres  menus  remuemens 
qui  s'exerçoient  et  commettoient  en  divers  lieux  de 
quelques  provinces,  tant  de  part  que  d'aultre,  pour  aux- 
quels remédier,  ledict  seigneur  roy  de  Navarre,  en  tant 
qu  en  lui  a  esté,  se  seroit  tousjours  diligentement  em- 
ployé ;  mais  non  avec  tel  succès  partout  qu'il  eust  bien 
désiré,  tant  pour  les  défiances  qu'aulcuns  prennent 
plaisir  d'esveiller  et  d'attiser,  à  mesure  qu'il  prend  peine 
de  les  amortir  et  esteindre ,  que  particulièrement  pour 
la  circonstance  de  ce  temps ,  auquel  se  parle  de  re- 
mettre les  susdictes  villes,  dont  plusieurs  esprits  entrent 
en  peine  et  anxiété ,  ne  voyans  encores  les  choses  en 
Testât  qu'on  esperoit  que  le  terme  de  six  ans  les  pou- 
voit  réduire. 

Pour  donc  les  resouldre  de  leurs  défiances  et  incer- 
titudes, en  les  asseurant  de  la  bonne  et  saincte  inten- 
tion de  sa  majesté,  a  pensé,  ledict  seigneur  roy  de  Na- 
varre ,  que  ladicte  assemblée  générale  des  églises  vien- 
droit  très  à  propos.  Car  icelle  estant  amenée  par  les  rai- 
sons qui  pourront  estre  alléguées  à  la  raison  qu'on  de- 
sire,  lesdictes  églises  s'emploieront,  puis  après,  tant  plus 
volontiers  h  resouldre  les  doubtes,  défiances  et  incerti- 
tudes des  particuliers  dont  est  question.  Et  en  ce  cas 
qu'ils  ne  s'y  voulleussent  ranger,  les  feront  soubs  le  com- 
mandement de  sa  majesté  ployer  à  son  intention,  dont 
elles  auront  esté  pleinement  esclaircies.  Joint  que,  si 
aulcuns  prétendent  quelque  cause  de  se  plaindre,  ils  en 
attendront  le  remède  par  le  retour  de  ladicte  assem- 


A  M.  DE  CHASSINCOURT.  ^97 

blee  ;  au  lieu  que  maintenant  aulcuns  sont  contraincts 
de  le  chercher  par  desespoir  en  voyes  moins  licites. 

Ramentevra  à  ce  propos  au  roy  les  précédentes  as- 
semblées de  Montauban  et  Sainct  Jean  ,  combien  elles 
ont  aidé  à  affermir  la  paix,  à  lever  les  doubles  et  dé- 
fiances, à  reprimer  les  boutées,  desreglemens  et  inso- 
lences de  quelques  particuliers,  et  mesmes  à  faire  obéir 
sa  majesté  quand  il  feut  question  de  remettre  en  Testât 
porté  par  l'edict,  les  villes  qu'on  appelloit  de  la  confé- 
rence. Bref,  que  lorsqu'il  a  semblé  que  les  choses  glis- 
soient  vers  le  trouble,  elles  les  ont  souvent  retenues  en 
debvoir,  estant  les  premiers  persuadés  de  la  raison,  et 
employant,  puis  après,  leurs  raisons  vers  les  aullres  pour 
les  y  induire;  ce  qui,  sans  doubte,  réussira  encores  de 
celle  ci  pour  la  bonne  inclination  qu'il  voit  en  tous  les 
gens  de  bien,  pour  le  mouvement  que  ledict  seigneur  roy 
de  Navarre  y  apportera  de  sa  part  ;  mais  surtout  pour 
l'espoir  que  sa  majesté  donne  à  son  peuple ,  de  leur 
voulloir  estabhr  et  perpétuer  un  repos  soubs  le  bénéfice 
de  ses  edicts.  Au  contraire,  il  apperçoitque  l'omission, 
ou  trop  longue  intermission  de  ce  remède ,  est  cause 
en  partie  des  maulx  qui  régnent  en  quelques  lieux,  es- 
tant, pour  le  malheur  des  guerres,  aulcunes  des  provin- 
ces de  ce  royaume  pleines  de  -certaines  humeurs  qui 
ne  se  composent  pas  du  premier  coup  (mesmes  quand  de 
fois  à  aultres  elles  s'entraigrissent) ,  ains  qui  ont  be- 
soing  de  réitération  de  remèdes  qui  en  veult  esviter  la 
maladie. 

Ainsi  ledict  sieur  de  Chassincourt  fera  très  humble 
instance  vers  sa  majesté  de  consentir  ladicte  assemblée, 
pour  estre  icelle  obtenue  au  plus  tost,  et  y  adjoustera  à 
ceste  fin  toutes  aultres  raisons  dont  il  se  pourra  adviser, 
Faict  au  Mont  de  Marsan. 


398  INSTRUCTION 


LXXVTI.  —INSTRUCTION 

De  ce  que  le  sieur  de  Chassincourt  dira  au  roj  sur 
le  vojaige  du  sieur  de  Segur,  pour  response  au 
dernier  article  des  lettres  de  sa  majesté  apportées 
par  M.  de  Cleivant,  en  datte  du  . ..  novembre  1 583; 
dressée  par  M.  Duplessis ,  le  1^  décembre  suivant. 

Le  roy  de  Navarre  ne  pense  poinct  que  sa  majesté 
s'offense  du  voyaige  du  sieur  de  Segur  vers  les  princes 
estrangers  amis  et  alliés  de  ceste  couronne  ,  mais  seu- 
lement de  la  cause  et  fin  dudict  voyaige,  qu'on  lui  a 
faict  tout  aultre ,  qu'à  la  vérité  elle  n'est. 

Car,  pour  y  avoir  envoyé,  sa  majesté  sçaitbien  con- 
sidérer que  Thonneur  qu'a  ledict  seigneur  roy  de  Na- 
varre ,  par  la  grâce  de  Dieu ,  d'estre  ce  qu'il  est ,  non 
seulement  l'exempte  de  tout  blasme  en  cest  endroict , 
mais  mesme  l'oblige  à  le  faire  ,  pour  le  rang  qu'il  tient 
et  qu'il  doibt  conserver,  s'il  ne  veult  perdre  avec  le 
royaume  dont  il  a  esté  injustement  despouillé  ,  tout 
l'espoir  qui  lui  reste  d'y  pouvoir  ung  jour  légitimement 
retourner. 

Et  ne  s'est  jamais  trouvé  estrange  que  MM.  de  Lorraine, 
de  Longueville,  et  mesmes  les  seigneurs  de  la  Mark  et 
aultres  qui  ont  des  biens  en  France,  ayent  traicté  avec 
les  princes  estrangers  en  la  qualité  qu'ils  ont  de  sou- 
verains ,  comme  encores  journellement  messieurs  de 
Nemours  et  de  Guise  traictent  de  leurs  affaires  ou  de 
ceulx  qui  les  touchent  en  Italie,  en  Savoye,  en  Escosse, 
sans  que  sa  majesté  le  prenne  en  mauvaise  part.  A  plus 
forte  raison ,  s'asseure  le  roy  de  Navarre  que  sa  majesté 
ne  peult  trouver  mauvais  qu'il  envoyé  vers  lesdicts 


A  M.  DE  CHASSINCOURT.  Sgg 

princes  estrangers  pour  entretenir  ou  rechercher  leur 
amitié  qui  kii  est  honorable ,  et  es  occasions  que  le 
cours  du  inonde  peult  faire  naistre,  lui  seroit  utile  et 
nécessaire.  Joint  qu'ayant  cest  honneur  de  lui  appartenir 
de  si  près,  ce  qu'il  acquiert  de  support  est  acquis  à  sa 
majesté ,  sans  qu'il  y  ait  apparence  qu'il  soit  converti 
au  dommage  de  son  estât,  en  la  conservation  duquel 
il  a  et  sent  si  notable  interest. 

Et,  pour  le  regard  de  la  cause  et  fin  de  cedict  voyaige, 
dira  ledict  sieur  de  Chassincourt,  que  la  principale  est 
d  exhorter  tous  les  princes  qui  font  profession  de  la 
relligion  reformée  à  ung  synode  gênerai  desdictes 
églises,  auquel  puissent  estre  décidés  et  appoinctés  les 
differens  qui  sont  entr'eulx  pour  l'interprétation  de 
quelques  passages  de  l'Escriture  concernans  aulcuns 
articles  de  leurs  confessions,  comme  sa  majesté  ,  qui  a 
cognoissance  desdicts  pays,  ne  le  peult  ignorer.  Or,  estant 
cest  affaire  nuement  ecclésiastique ,  ledict  seigneur  roy 
de  Navarre  n'a  peu  soupsçonner  que  sa  majesté  entrast 
en  sinistre  opinion  de  ce  voyaige  pour  la  poursuite 
d'icelui. 

En  traictant  ce  poinct  comme  principal ,  le  roy  de 
Navarre  a  donné  charge  audict  sieur  de  Segur,  comme 
chemin  faisant,  de  lui  rafraischir  l'amitié  que  ses  pré- 
décesseurs ont  eue  avec  les  susdicts  princes,  et  qu'il 
doibt ,  s'il  aime  ses  affaires ,  entretenir  avec  tous,  autant 
qu'il  pourra.  Les  princes  bien  conseillés  désirent  amitié 
avec  tous  princes ,  et  les  princes  chrestiens  la  doibvent 
pourchasser  avec  tous  chrestiens,  et  plus  il  aura  d'amis 
par  telles  recherches  d'amitié  ,  plus  aura  il  de  moyen 
de  faire  service  à  sa  majesté  comme  il  le  doibt.  Si  ledict 
seigneur  roy  de  Navarre  eust  eu  desseing  de  rechercher 
leur  amitié  contre  l'estat  de  ce  rovaume,  comme  on 


4oo  INSTRUCTION 

lui  a  voulleu  faire  entendre,  il  ne  se  feust  pas  adressé 
à  ceulx  qu'il  cognoist  pour  amis  et  alliés  de  sa  cou- 
ronne ;  la  royne  d'Angleterre,  le  roy  de  Dannemarck, 
les  princes  de  l'Empire ,  les  estais  des  Pays  Bas ,  mes- 
sieurs des  Ligues.  Et  considérera  sa  majesté  qu'il  y  en  a 
d'aultres  en  la  chrestienté  desquels  peult  estre  l'amitié 
ne  lui  estoit  inaccessible ,  vers  lesquels  il  l'eust  aussi 
tost  peu  envoyer;  joint  que  ledict  seigneur  roy,  appa- 
remment n'y  eust  pas  employé  le  sieur  de  Segur,  duquel 
les  paisibles  deportemenssont  cogneus  d'ung  chacung  , 
et  tesmoignés  particulièrement  à  sa  majesté  par  plu- 
sieurs bons  effects. 

Quant  à  l'argent  qu'on  a  dict  à  sa  majesté  qu'il  a 
mis  es  mains  du  sieur  de  Segur,  pour  déposer  en  Alle- 
maigne,  né  veult  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  nier 
qu'il  y  a  long  temps  qu'il  a  désiré  avoir  vendu  une 
bonne  partie  de  son  bien,  pour  y  avoir  cinq  cens  mille 
escus.  Sa  majesté  sçait  qu'il  a  eu  de  beaux  et  notables 
desseings  qui  lui  ont  esté  communiqués,  lesquels,  faulle 
de  cela,  sont  demeurés  derrière.  Il  en  peult  naistre  à 
l'advenir  de  semblables  ou  plus  grands ,  ausquels  il 
auroit  trop  de  regret  de  se  voir  ou  inutile  ou  mal 
préparé,  faulte  de  les  avoir  preveus ,  et  consequemment 
pourveu  à  ses  affaires.  Cest  argent,  en  somme,  ne  peult 
nuire  à  personne ,  qu'en  tant  qu'il  eust  volonté  d'en 
mal  user  ou  ailleurs  qu'il  ne  doibt. 

Et  il  pense  jusques  ici  avoir  assés  rendu  de  tesmoi- 
gnage  de  son  intention  au  bien  de  la  paix  et  repos  de 
cest  estât.  Si  aulcuns  sont  marris  qu'il  ait  des  moyens, 
et  le  calomnient  soubs  ombre  qu'ung  aultre  en  peult 
abuser,  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  a  désiré  mesmes 
en  avoir,  afin  que  ce  qu'il  fera  de  bien,  ne  lui  soit  im- 
puté à  nécessité ,  comme  plusieurs  font ,  mais  à  la  bonne 


A  M.  DE  CHASSINCOURT.  4oi 

volonté  et  à  la  cognoissance  qu'il  a  du  debvoir;  mais 
a  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  occasion,  ce  lui  sem- 
ble, de  se  plaindre  en  ce  faict,  veu  qu'on  ue  s'est 
poinct  ci  devant  formalisé  que  le  cardinal  de  Lorraine 
eust  argent  à  Venise ,  comme  encores  aujourd'hui  on 
ne  se  pkiind  poinct  que  cenlx  de  Guise  en  font  ung  fonds 
que  chacung  sçait  en  Allemaigne,  qui  n'ont  tel  mterest 
au  salut  de  l'eslat  que  le  roy  de  Navarre,  n'y  ont  pas 
la  nature  obligée  comme  lui,  et,  qui  plus  est,  desquels 
lesprojetsdebvroientestre,  au  jugement  des  plus  sages, 
trop  plus  suspects  au  roy  et  à  son  estât,  que  ceulx  du 
îoy  de  Navarre  qui  naturellement  n'est  grand  qu'en  la 
grandeur  dudict  estât,  au  lieu  que  ceulx  là  ne  peuvent 
s'agrandir  que  de  sa  ruyne. 

Ledict  sieur  de  Chassincourt  tiendra  ces  propos  au 
roy,  sans  en  bailler  rien  par  escrit,  y  adjoustant  ce 
qu'il  jugera  convenable  à  ceste  fin ,  et  observera  soi- 
gneusement les  responses  de  sa  majesté  pour  en  ad- 
vertir  bien  particulièrement  ledict  seigneur  roy  de 
Navarre. 


LXXVIIL  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 
A  M.  de  Montaigne, 

Du  dernier  jour  de  l'an  1 583. 
Monsieur,  nos  conseils  despendent  en  partie  des 
lieux  oii  vous  estes;  car  nous  ne  parons  que  les  coups. 
Si  on  nous  laisse  en  paix,  nous  n'aurons  poinct  de 
guerre;  gens  qui  ne  peuvent  que  perdre,  n'y  entrent 
pas  volontiers  que  pour  sortir  d'ung  plus  grand  mal  ;  et 
nous  avons  assés  d'esprit  pour  cognoistre  qu'au  lieu  que 
les  aultres  la  nous  faisant,  acquièrent  des  biens  et  des 

MÉM.  DE  DuPiESSIS-MoKKAY.  ÏOME  II.  26 


4o2  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS,  etc. 

dignités,  nous,  au  contraire,  hasardons  humainement 
les  nostres.  Si  on  nous  assaull  (  et  je  crois  que  ce  n'est 
la  volonté  du  roy  ),  ce  prince  n'est  pas  né  pour  céder 
à  ung  desespoir,  et  quittera  tousjours  son  manteau 
au  vent  du  midi ,  plustost  qu'au  septentrion.  Vous  sça- 
vés  l'histoire  de  Plutarque.  Nous  appercevons  que  le 
rov  s'offence.  C'est,  à  mon  advis,  sur  les  faulses  nou- 
velles qu'on  lui  a  peu  escrire  ;  aultrement ,  il  n'est  croya- 
ble que  la  prise  d'Aleth  feust  entendeue  de  lui  avec 
moins  de  mescontentement  que  celle  de  cette  ville. 
Vous  sçavés  les  circonstances  des  deux;  ce  qu'il  y  a 
d'inégalité  est  pour  nous  et  à  nostre  advantage.  Du 
voyaige  de  M.  de  Segur  ,  nous  en  satisfaisons  à  sa  ma- 
jesté. Nostre  but  n'a  esté  que  de  monstrer  que  nos 
paisibles  deportemens  ne  procedoient  de  nécessité , 
mais  de  bonne  volonté.  Ce  prince  a  cogneu  qu'on  in- 
terpretoit  sa  patience  à  faulte  de  moyens.  Il  désire  do- 
resnavant  qu'elle  retienne  le  nom  de  patience ,  de  mo- 
dération et  de  vertu.  Je  vous  escris  franchement  à  ma 
façon.  Nous  sommes  prou  advertis  des  préparatifs 
qu'on  faict;  si  on  continue,  au  moins  ne  pourra  on 
trouver  estrange  que  nous  mettions  la  main  au  devant. 
Je  sçai  que  vous  y  apportés  le  bien  que  vous  pouvés. 
Croyés  que ,  de  ma  part ,  je  n'y  obmets  rien  ;  et  au  reste 
je  suis  et  serai  tousjours  ,  etc. 
Du  Mont  de  Marsan. 


MEMOIRE,  etc.  4o3 


LXXIX. —  ^  MEMOIRE 

Contre  la  maison  de  Lorraine ,  qui  pretendoit  a  la 
couronne  de  France;  envoyé  au  roy  (i).  i583. 

C'est  une  chose  commune  en  ce  royaume,  que  la 
maison  de  Lorraine  s'attribue  un  droict  incontestable  à 
la  couronne  de  France  ;  on  pourroit  encores  recouvrer 
des  chroniques  et  généalogies  que  les  princes  de  ceste 
maison  falsifièrent  dans  le  temps  du  feu  roy  Henry,  les 
consultations  qu'ils  feirent  faire  sur  ce  pretendeu  droict, 
sous  le  règne  de  François  II ,  et  les  mémoires  qu'ils  ré- 
pandirent parmi  le  peuple,  sous  Charles  IX;  et  depuis 
encores,  voullant  parvenir  à  leurs  veues,  et  consommer 
leurs  ambitieux  projets.  Voyant  que  la  ruyne  de  cest 
estât  sembloit  s'avancer  par  les  guerres  civiles  ;  que  le 
respect  deu  au  prince  légitime  estoit  fort  diminue ,  les 
nerfs  de  Testât  affoiblis  et  le  chemin  préparé  à  la  nou- 
veauté ,  ils  se  sont  promis  de  s'asseoir  sur  le  throsne 
qu'ils  prétendent  estre  occupé  par  des  usurpateurs. 
Ces  projets  et  ces  tentatives  ont  souvent  esté  repré- 
sentés à  leurs  majestés.  On  leur  a  faict  sentir  le  risque 
qu'ils  couroient  ;  mais  elles  ont  voulleu  croire  que 
c'étoient  choses  controuvees  ,  soubs  quelque  apparence 


(i)  «  Le  nom  du  duc  d'Anjou,  qui  rendoit  le  roi  de  Navarre 
«  le  plus  proche  héritier  de  la  couronne,  sert  de  pr«'!exteau  duc 
«  de  Guise  pour  faire  éclater  la  ligue,  en  faisant  craindre  d'avoir 
«  pour  roi  un  prince  séparé  de  l'Eglise....  Catherine  de  Mé- 
r(  dicis  favorise  la  maison  de  Lorraine  ,  dans  l'idée  de  placer  sur 
«  le  trône  les  enfans  de  sa  fille ,  mariée  au  duc  de  Lorraine.  » 
{^Abrégé  Chronol,  du  président  Hainault.) 


4o4  MEMOIRE 

de  réalité ,  par  cealx  qui  leur  portoient  haine  ou  envie; 
et  ces  remontrances  n'ont  faict  aulcune  impression  sur 
l'esprit  de  leurs  majestés,  et  n'ont  pas  laissé  pour  cela 
de  leur  mettre  l'auctorité  et  les  armes  royales  à  la  main , 
mesmes  leur  ont  permis  de  faire  ligue,  soubs  ombre  de 
la  relligion  romaine ,  c'est  à  dire  de  faire  leur  partie 
toute  preste,  pour,  à  la  première  occasion,  et  par  ma- 
nière d'acquit,  essayer  la  couronne  sur  leurs  testes.  Il 
s'est  trouvé  sur  cela  des  docteurs  de  Sorbonne  qui  ont 
décidé  qu'ung  roy,  manquant  a  son  debvoir  envers 
l'Eglise  romaine,  pouvoit  par  la  court  de  Rome  estre 
dépossédé.  Il  sest  trouvé  des  moines  qui  ont  poussé 
la  témérité  au  poinct  de  prescher  au  mespris  du  roy  et 
des  princes  de  son  sang ,  les  vertus  notables  des  rejet- 
tons  de  Charlemagne  (c'est  ainsi  qu'ils  qualifioient  les 
princes  lorrains),  advertissant  et  excitant  le  peuple  à 
jetter  les  yeux  sur  eulx ,  comme  sur  les  vrais  restaura- 
teurs de  l'Eglise  et  de  Testât,  et  tout  ceci  s'est  fluet  ce- 
pendant, sans  qu'on  y  ait  eu  aulcung  égard. 

Mais  ,  pour  lever  tout  doubte  ,  et  voir  clair  en  ceste 
matière,  je  supplie  très  humblement  le  roy,  monsei- 
gneur, et  tous  les  princes  qui  ont  Thonneur  de  lui  ap- 
partenir, de  se  faire  lire  ung  livre  intitulé,  les  Généalo- 
gies de  ceulx  de  Lorraine  et  de  Bar^  nouvellement 
HTiprimé  à  Paiis,  par  lequel  ils  verront  de  mot  à  mot 
qu'il  n'est  mis  en  lumière  en  ce  temps ,  que  pour  in- 
struire ung  chacung  du  droict  pretendeu  de  ceulx  de 
la  maison  de  Lorraine  sur  ceste  couronne ,  et  du  tort 
que  la  maison  de  France  leur  faict  en  la  retenant,  afin 
que  le  peuple  y  soit  préparé,  arrivant  la  mutation  qu'ils 
présument  estre  prochaine  ;  et  parce  que  ce  volume  est 
gros,  le  venin  qui  y  est  répandu  partout,  est  enve- 


CONTRE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  4o5 

loppé  et  couvert  de  diverses  hystrices  (i),  j'ai  entrepris 
d'en  remarquer  ici  les  principaulx  poincts  et  fonde- 
mens,  de  mot  à  mot.  Ce  livre  est  escrit  en  latin,  com- 
posé par  un  nommé  François  de  Rosier ,  de  Rar  le  Duc , 
archidiacre  de  Toul,  et  dédié  à  M.  de  Lorraine;  et  afin 
qu'il  puisse  estre  facilement  distribué  partout  ,  il  a  esté 
imprimé  ceste  année  à  Paris,  avec  privilège  du  roy,  en 
grandes  feuilles ,  chez  Guillaume  Chaudière. 

Pour  venir  au  faict,  chacung  scait  que,  depuis  que  les 
Françons  sont  veneus  en  France,  alors  appellee  la  Gaule, 
nous  avons  eu  trois  races  de  roys;  les  Mérovingiens, 
descendans  de  Merovee;  les  Carlovingiens,  descendans 
de  Charlemagne,  et  les  Capétiens,  de  Hugues  Capet; 
qui  subsiste  aujourd'hui  dans  nos  roys.  C'est  la  voix 
publicque  que  ceulx  de  Lorraine  prétendent  à  la  cou- 
ronne de  France  ,  comme  estant  descendans  et  héritiers 
de  Charlemagne;  mais  si  cest  aucteur  estcreu,  elle  leur 
est  deue  des  le  cheval  de  Troye ,  et  leur  a  esté  ostee  par 
Merovee  et  ses  descendans,  avant  ces  trois  lignées, 
tellement  que,  par  la  loi,  qui  dict  que  l'on  ne  prescrit 
poinct  contre  l'Eglise  et  contre  son  prince ,  tous  nos  roys 
auroient  esté  usurpateurs  depuis  le  premier  jusques  à 
présent ,  et  le  véritable  héritier  de  la  couronne  de  France 
auroit  esté  en  la  maison  des  ducs  de  Mosellane ,  dont 
se  disent  issus  ceulx  de  Lorraine.  Voici  donc  les  termes 
de  l'aucteur ,  sans  en  rien  déguiser.  (L.3,  Hist.  44?  4^.  ) 

«  Pharamond ,  qui  premier  amena  les  Françons  en 
«  France,  eut  plusieurs  enfans  de  Basine  sa  femme, 
«  fille  du  roy  de  Thuringe ,  dont  l'aisné  estoit  Clodion 
«  le  Chevelu.  Ce  Clodion  eut  entre  aultres  enfans  deux 
«  fils,  Ranchaire  l'aisné  et  Alberon  le  puisné.  Ranchaire 

(i)  Prétextes,  couleurs. 


4o6  MEMOIRE 

a  eut  trois  fils,  Ranchaire  second,  Richer  et  Renaud, 
«  qui  défendirent  long  temps  le  Cambresis  contre  la 
«  tyrannie  des  Mérovingiens  ;  mais  enfin  ils  feurent 
«  subjugués  par  la  puissance  de  Clovis,  roy  de  France, 
«  qui  les  massacra  de  sa  propre  main ,  comme  il  avoit 
«  massacré  Ranchaire  F*",  leur  père.  Ainsi  veint  le  droict 
«  d'aisnesse  à  Alberic  II,  fils  de  Clodion,  lequel,  quoi- 
«  qu'il  feust  roy  des  François  orientaux,  ne  succéda 
«  poinct  cependant  à  Clodion  son  père  ;  mais  Merovee 
«  ayant  usurpé  le  royaume ,  ce  povre  Alberic  ,  après  la 
«  mort  de  son  père,  se  retira  au  pays  d'Aussois,  de 
«  Moselle,  d'Ardenne,  où  il  se  cacha  au  mieulx  qu'il 
«  peut,  pour  éviter  leur  fureur.  Cet  aucteur  adjoute  en- 
«  cores  :  Pensez  en  quelle  peine  estoit  ce  povre  prince 
«  qui,  estant  de  race  royale,  ne  se  voyoit  pas  seule- 
«  ment  frustré  de  son  royaume,  mais  mesmes  con- 
«  trainct  de  se  cacher  à  cause  de  la  cruaulé  de  Me- 
«  rovee,  qui  voulloit  esteindre  toute  la  race  de  Clodion. 
«  Il  se  retira  donc  à  Mons ,  en  Haynault,  pour  attendre 
«  l'i.ssue  de  la  tyrannie  de  Merovee  et  des  siens,  ayant 
«  esté  en  vain  en  l'armée  d'Attila,  pour  se  faire  reta- 
«  blir,  »  Et  si  vous  lui  demandez  qui  estoit  ce  Mero- 
vee, usurpateur  de  la  couronne,  sur  les  prédécesseurs 
de  ceulx  de  Lorraine,  et  premier  tronc  de  nos  roys 
de  France  :  «  G'estoit ,  dict  il,  ung  bastard  de  Clodion 
«  le  Chevelu  ,  ou,  comme  d'aullres  disent,  ung  sien 
«  capitaine  ou  parent,  qui,  estant  instituteur  des  en- 
«  fans  de  Clodion,  par  Clodion  mesmes,  à  cause  de 
«  leur  jeune  aage,  dépouilla  ses  pupilles  de  cest  estât.  » 
Il  continue  ainsi  :  «  que  Vaubert,  descendu  de  Clodion 
«par  cest  Alberic,  feut  ruyné  par  Artaire  ,  roy  de 
«France,  qui  craignoit  tousjours  qu'il  ne  voulleust 
<f  revenir  à  la  couronne;  mais  que  Thierry,  roy  des 


CONTRE  LA.  MAISON  DE  LORRAINE.  l\Orj 

«  Ostrogots ,  le  feit  rétablir  par  force.  Que  pareille- 
«  ment  ces  descendans  de  Merovee  ,  sçavoir  la  race  de 
«  Clovis ,  voyant  que  Ansbert ,  fils  de  ce  Vaubert ,  estoit 
«jeune  homme  d'espérance,  pour  régner  plus  seure- 
«  ment,  le  voulleurent  faire  mourir;  mais  que,  l'ayant  en- 
«  levé  en  cachette,  on  le  transporta  à  Rome  pour  estre 
«  nourri  près  de  l'empereur  Zenon;  enfin  qu'ils  feurent 
«  tousjours  mal  asseurés  de  leurs  vies,  jusqu'au  ma- 
«  riaige  d'Ansbert  avec  Batilde,  fille  de  Clotaire  III,  dont 
«  naquit  Arnaud,  duc  de  Mosellane,  contre  lequel,  à 
«  cause  de  l'alliance ,  et  parce  qu'ils  se  voyoient  bien 
«  établis  ,  ils  se  montrèrent  moins  rigoureux.  » 

Or,  que  ceulx  de  la  maison  de  Lorraine  qui  vivent  à 
présent,  soient  les  successeurs  de  ce  Glodion  et  d'Albe- 
ric  son  fils,  et  par  conséquent  héritiers  de  leurs  droicts; 
voici  comment  cest  aucteur  conduict  son  plan.  Depuis 
Alberic,  il  nous  conduict  par  ligne  directe  jusqu'à  Ar- 
nolphe ,  fils  d' Arnauld ,  et  de  Doda ,  fille  du  roy  de  Saxe, 
lequel  eut,  entre  aultres,  deux  fils,  Cleodulphe  l'aisné  et 
Ancbise  le  puisné  ;  de  Cleodulphe  l'aisné  il  faict  des- 
cendre les  ducs  de  Mosellane  et  de  Lorraine,  et  d'An- 
chise ,  fils  puisné ,  il  faict  descendre  Charlemagne, 

AllNOLPHE. 

Clodulplie,  duc  de  Mosellane.  A  nchise  ,  puisné  de   Cleodul- 

Martin.  pl^e,  épousa  Begglie,  fille  de 

Lambert.  Pépin  des  Landes,  duc  de 

Frédéric.  Brabant,   dont  il  eut  Pepiu 

Sadigere.  Herislel. 

Kanier,  premier  duc  de  Lor-  Charles  Martel ,  né  d'une  con- 

raine,  non  pas  héréditaire,  cubine. 

investi  du  duché  par  Charles  Pépin  le  Bref. 

le  Simple  ;  Gilbert ,  fils  aisné  Charles  Magne, 

de  Ranier,   Henry,  fils  de  Louis  le  Débonnaire. 


4o8  MEMOIRE 

Gilbert ,  mort  sans  enfans.  Charles  le  Chauve. 

Bonne ,  fille  de  Ricuin  II ,  fils  de  Louis  le  Bègue. 

Ranier,  et  frère  de  Gilbert.  Charles  le  Simple. 

Elle  feut  mariée  à  Charles,  Louis  IV. 

duc   de    Lorraine,    fils    de  Lothaire. 

Louis  IV   et  frère   de    Lo-  Louis  V,  mort  sans  enfans. 

thaire ,  spolié  de  la  couronne 

par  Hugues  Capet,  après  la 

mort  de  Louis  V  son  neveu. 

Et  ainsi,  suivant  cest  ancteur,  voici  la  lignée  de  la 
race  de  Clodion  ,  qui  avoit  esté  long  temps  conservée 
dans  les  ducs  de  Mosellane  et  de  Lorraine,  tombée  en 
quenouille,  d'autant  qu'il  ne  paroist  poinct  pour  ce 
moment  d'héritier  masle,  et  conjoincte  avec  celle  du 
puisné,  ou  pour  mieulx  dire,  voilà  la  lignée  de  Clo- 
dion conjoincte  avec  celle  de  Charlemagne ,  par  le  ma- 
riaige  de  Bonne  avec  Charles,  duc  de  Lorraine,  duquel 
sortirent  Othon,  Gerberghe  et  Hermingarde;  Gerberge, 
femme  en  premières  nopces  de  Renier,  comte  de  Mons, 
et  en  secondes  de  Lambert,  comte  de  Louvain,  et  Her- 
mingarde, femme  d'Albert,  comte  de  Namur,  dont  la 
postérité,  dict  il,  vit  encores  en  ceulx  de  Lorraine  et 
dans  les  Capets.  Or,  parce  que  Hugues  Capet,  nonob- 
stant les  instances  de  ce  Charles,  duc  de  Lorraine,  feut 
appelle  à  la  couronne,  ceulx  de  Lorraine  prétendent, 
comme  seuls  rejetions  de  Charlemagne  et  de  Clodion 
mesmes,  la  couronne  de  France.  Mais,  parce  qu'ils  ne 
peuvent  nier  que  cest  Othon  ,  fds  unique  de  Charles 
et  de  Nona,  mourut  sans  lioirs,  et  par  conséquent  ses 
droicts  et  prétentions  avec  lui,  voyons  comment  ils 
rapiècent  ceste  rupture  dans  leur  généalogie,  (i) 


(i)  A  ce  Charles,  frère  de  Lothaire,  et  qui  le  premier  obteint 
le  duché  de  Lorraine  en  héritage  ,  apparlenoit ,  après  la  mort  de 


CONTRE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  l\0() 

Othon,  dict  il ,  fils  de  Charles  et  de  Bonne ,  estant  in- 
vesti du  duché  de  Lorraine  par  l'empereur,  duquel  il 
suivoit  le  parti ,  à  l'exemple  de  son  père ,  se  voyant 
sans  enfans ,  adopta  pour  fils  ,  par  le  consentement 
dudict  empereur,  Geoffroy  le  Barhu,  comte  d'Ardenne, 
fi'ere  de  sa  mère  Bonne,  fille  de  Ricuin,  ou,  comme 
d'aultres  disent,  fils  de  son  frère,  qui  remit  sur  pied  , 
par  ce  moyen,  la  ligne  masculine  de  Clodion  en  Lor- 
raine, à  sçavoir,  fils  de  Ricuin,  fils  de  Ranier,  etc., 
procédant  de  Cleodulphe,  l'aisné  de  la  tige,  comme 
nous  avons  dict  ci  dessus,  et  par  la  mesmes  se  trouve- 
ront encores  les  deux  droicts  conjoincts  en  la  personne 
de  ce  Geoffroy  le  Barbu  ,  le  droict  des  Clodions ,  en  ce 
qu'il  en  est  issu,  le  droict  des  Carlovingiens,  ou  des- 
cendans  de  Charlemagne,  en  ce  qu'il  est  adopté  en 
la  maison  d'Othon,  duc  de  Lorraine;  tellement  que  si 
on  révoque  en  double  Tung  ou  l'aultre  droict,  ils  ont 
à  choisir  auquel  ils  vouldront  se  tenir,  et  suivent  con- 
sequemment  de  père  en  fils. 

Louis  son  neveu ,  la  couronne  de  France  selon  la  succession  de 
Charlemagne.  Et ,  parce  qu'il  épousa  Bonne ,  fille  de  Ricuin  , 
les  deux  droicts  semblent  se  reunir  dans  les  enfans  procréés  de 
ce  mariaige  ,  sçavoir  le  droict  pretendeu  par  les  ducs  de  Mosel- 
lane  sur  les  Mérovingiens  ,  qui  auroient  spolié,  comme  il  dict, 
les  Clodions,  et  le  droict  de  la  maison  de  Cliai'lemagne  ,  dont  ils 
avoient  long  temps  et  paisiblement  joui ,  lesquels  deux  droicts  , 
pour  lever  toute  difficulté,  contiennent  tout  ce  que  l'on  peult 
désirer  ensemble,  sçavoir,  la  propriété  appartenante  à  Bonne 
par  la  succession  de  Cleodulphe  ,  chef  de  la  tige  des  Clodions  , 
et  la  possession  dévolue  entre  les  mains  de  Charles,  de  la  lignée 
de  Charlemagne,  procédant  d'Anchise,  puisné  de  la  tige  des 
Clodions,  et  seroient  ces  deux  droicts  échus  aux  enfans  procréés 
de  Charles  et  de  Bonne,  et  àleursdescendans ,  que  l'auteur  pré- 
tend estre  ceulx  de  LoiTaine. 


/f  i  O  MEMOIRE 

Geoffroy  le  Barbu,  descendant  de  Clodion  par  Rai- 
nier ,  Riciiin  ,  etc.  ,  et  adopté  par  Othon  ,  duc  de  Lor- 
raine ,  fils  de  Charles;  Gothelo,  Geoffroy  IV,  Geoffroy 
le  Bossu,  qui  mourut  sans  enfans,  ne  laissant  qu'une 
sreur  nommée  Itte  ,  retombent  derechef  ces  droicts  des 
Clodions  et  dos  Carlovingiens  en  quenouille. 

Itte,  fille  de  Geoffroy  IV,  et  sœur  du  Bossu ,  mariée, 
ce  disent  les  chroniques,  à  Eustache ,  comte  de  Bou- 
logne, et  parce  qu'il  y  a  encores  interruption  ici,  ils 
la  suppléent  par  adoption  ,  disant  que  cest  Eustache 
feut  adopté  par  Geoffroy  le  Bossu  pour  fils,  par  con- 
sentement de  l'empereur,  en  épousant  Itte  sa  sœur,  et 
par  ceste  adoption ,  vouldroient  faire  entendre  que  les 
droicts  et  prétentions  de  la  maison  de  Clodion  sont 
entés  en  lui  et  en  ses  hoirs.  Et,  pour  parer  à  l'objection 
qu'on  pourroit  faire ,  que  le  droict  des  Clodions  seroit 
esteint  par  un  si  long  espace  de  temps,  et  spécialement 
par  l'intervention  et  auctorité  du  pape  qui  auroit  dé- 
claré Charlemagne  et  ses  hoirs  légitimes  roys  de  France; 
pour  conjoindre  derechef  ces  deux  droicts  ensemble, 
ils  font  venir  cest  Eustache  de  la  race  de  Charlemagne, 
tant  de  par  son  père  que  de  par  sa  mère,  ainsi  qu'il 
suit. 

Du  costé  du  père,  Eusfache  le  Du  costé  de  la  inere ,  Marie, 

Clairvoyant,   par  une  fille  fille  du  comte  Henry  de  Lou- 

de  Charles  le  Chauve.  vain  par  Gerberghe  ,  fille  de 

Charlemagne.  Charles,   duc  de  Lorraine. 

Louis  le  Débonnaire.  spolié  par  Hugues  Capet. 

Charles  le  Chauve.  Charlemagne. 

Judith ,  fille  de  Charles  le  Chau-  Louis  le  Débonnaire, 

ve,  femme  de  Baudouin  le  Charles  le  Chauve. 

Ferré ,  comte  de  Flandres.  Louis  le  Bègue. 

Baudouin  le  Chauve  son  fils  et  Charles  le  Simple, 

de  Judith.  Louis  IV. 


CONTRE  LA  MxVISON  DE  LORRAINE.  4  '  ^ 

Baudouin  III.  Charles  de  Lorraine,  fils  puisné 

Alphonse  ,    dict    Hannequin  ,         de  Louis  IV,  roy  de  France 

frère  de  Baudouin  III,  comte         et  frère  de  Lothaire ,  lequel 

de  Flandres.  feut  vaincu  et  destitué  par 

Ranier.  Capet. 

Guidon.  Gerberghe ,  fille  de  Bonne  et  de 

Eustache    le    Clairvoyant    ou  Charles,  sœur  d'Othon  ,  la - 

Oculatus.  quelle  Bonne  estoit,  disent 

Eustache,  comte  de  Boulogne,         ils,  de  la  race  de  Clodion  , 

mari  d'Itte.  et  feut  mariée  à  Lambert  le 

Barbu  ,  comte  de  Lotivain  , 
père  de  Marie,  mère  d'Eus- 
tache  ,  comte  de  Boulogne. 

Ainsi ,  à  leur  compte ,  cest  Eustache  de  Boulogne  de- 
meure héritier  par  adoption  de  la  maison  des  Clodions, 
et  par  ses  père  et  mère  héritier  de  la  maison  et  droicts 
de  Charlemagne,  c'est  à  dire  de  la  couronne  de  France, 
et  afin  que  Ton  voye  que  Taucteur  ne  prétend  pas  avoir 
relevé  ces  généalogies  en  vain,  mais  qu'il  y  entend 
finesse,  il  se  formalise  fort  et  souvent  de  ce  que  Ton 
ne  croit  poinct  ceste  généalogie  d'Eustache,  qui  faict 
mal  au  cœur,  et  à  beaucoup  de  gens,  car,  à  la  vérité, 
assure  il,  il  est  issu  de  Charlemagne  du  costé  de  père 
et  de  mère  :  «  quelques  uns  dissimulent  ceci ,  voullant 
«  dire  que  cest  Eustache  ne  venoit  de  si  hault  lieu, 
«  et  je  Youldrois  que  ces  calomniateurs  feussent  punis 
«  comme  ils  le  méritent.  »  De  ce  mariaige  d'Eustache 
et  d'Itte  sa  femme,  sortent  quatre  frères,  Godefroy, 
Balduin,  Eustache  et  Guillaume,  qui  feurent  ducs  de 
Lorraine  l'ung  après  l'aultre,  et  le  premier,  au  voyaige 
de  la  Terre  Saincte,  prit  les  armes  qu'ils  portent  au- 
jourd'hui :  mais  les  trois  premiers  n'ayant  poinct  eu 
d'enfans,  quoique  les  annales  de  Lorraine  en  donnent 
à  Baudouin,  la  succession  reveint  à  Guillaume,  baron 


4 1  2  MEMOIRE 

de  Joinville,  quatriesme  fils,  et  à  ses  descendans  de  ceste 
manière.  Eustache ,  comte  de  Boulogne,  mari  d'Itte; 
Guillaume,  son  quatriesme  fils,  baron  de  Joinville,  et  hé- 
ritier de  ses  trois  frères;  Theodoric,  son  fils;  Simon  F''; 
Matthieu  P';  Simon  II  mourut  sans  hoirs,  on  le  mit 
en  relligion;  Frédéric  I",  frère  de  Simon;  Thibault  V% 
mort  sans  hoirs  ;  Matthieu  II ,  frère  de  Thibault  I"  ;  et 
le  plus  jeune  des  enfans  de  Frédéric  I";  Frédéric  II; 
Thibault  II;  Frédéric  III  ;  Rodolphe;  Jean  ;  Charles  II , 
lequel,  de  Margueritte,  fille  de  l'empereur  Robert ,  eut 
Ysabeau,  laquelle  feut  mariée  à  René,  duc  d'Anjou,  de 
Calabre  et  de  Provence,  (i) 

Et  ainsi  default  la  ligne  masculine  d'Eustache,  comte 
de  Boulogne,  et  tombent  ses  droicts  en  quenouille  en 
la  maison  d'Anjou  dans  les  successeurs  de  ce  René,  du 
sang  de  France,  issu  de  Louis  d'Anjou,  fils  du  roy 
Jean.  René,  duc  d'Anjou,  mari  d'Ysabeau,  héritière  de 
Lorraine  ;  Jean  ,  fils  de  René ,  Yolande  sa  sœur;  Nicolas , 
fils  de  Jean, qui  mourut  sans  hoirs  et  sans  amis,  auquel  sa 
tante  Yolande,  fille  René  d'Anjou,  et  d'Yolande,  lui 
succéda,  laquelle  Yolande,  ledict  René  estant  vaincu 
en  guerre,  et  pris  par  Philippe  de  Bourgogne,  associé 
avec  Anthoine,  comte  de  Vaudemont,  il  permit  qu'elle 
feust  mariée  à  Frédéric,  fils  dudict  Anthoine,  pour  eslre 
plus  aisément  délivré  de  prison.  De  Frédéric  et  Yo- 
lande ,  naquit  René,  qui  feut  duc  de  Lorraine,  de  par 
sa  mère  ,  et  comte  de  Vaudemont ,  de  par  son  père ,  au- 


(  1  )  Cesf  aurleu  r,  dans  ung  aultre  endroit,  fait  voir  la  chose  plus 
clairement,  sçavoir,  que  directement  Geoffroy  le  Bossu,  mou- 
rant sans  enfans,  adopta  Godefroy  de  Bouillon,  ûh  de  Geoffroy, 
quatriesme  111s  de  Gothelo  ,  c'est  à  dire  ,  procédant  directement 
de  la  liguée  des  Clodions. 


CONTRE  LA.  MAISON  DE  LORRAINE.  4^^ 

quel  Charles  VIII  défendit  de  prendre  le  tiltre  de  roy. 
Celui  ci  eut  deux  femmes  ,  la  première,  fille  du  comte 
de  Tancarville,  qu'il  répudia  pour  cause  de  stérilité;  la 
seconde  nommée  Philippe,  fille  d'Adolphe,  duc  de 
Gueldres,  dont  il  eut  douze  enfans,  entre  aultres,  An- 
thoine  ,  duc  de  Lorraine  et  de  Bar;  François,  fils  d'An- 
thoine  ;  Charles  III ,  à  présent  duc  de  Lorraine  ;  Claude, 
comte  de  Guise;  François,  duc  de  Guise,  et  Henry,  duc 
de  Guise  d'à  présent.  Ainsi  le  duché  de  Lorraine  est  à 
présent  en  la  maison  de  Vaudemont  ;  ores ,  après  tant  de 
changemens  de  la  maison  des  Clodions,  en  la  ligne  mas- 
culine des  Garlovingiens,  par  le  mariaige  de  Bonne,  et 
de  la  ligne  des  Garlovingiens,  en  celle  des  Clodions, 
par  l'adoption  de  Geoffroy  le  Barhu,  et  de  la  lignée  du 
Barhu  ,  en  celle  des  comtes  de  Boulogne ,  par  le  ma- 
riaige d'Itte,  et  des  comtes  de  Boulogne,  en  la  maison 
d'Anjou  ,  par  le  mariaige  d'Ysabeau,  et  de  ceulx  d'An- 
jou ,  en  la  maison  de  Vaudemont,  par  celui  d'Yolande , 
sembleroient  ces  belles  et  royales  prétentions  preten- 
deues,  pour  avoir  esté  tant  versées  d'ung  vaisseau  en 
ung  aultre,  n'estant  plus  question  depuis  long  temps, 
ni  du  costc  paternel ,  ni  du  costé  maternel ,  de  Clodion , 
ni  de  Charlemagne,  mais  seulement  de  la  maison  de 
Vaudemont.  Mais,  pour  oster  ces  difficultés,  ceulx  de 
Vaudemont,  h  présent  ducs  de  Lorraine  ,  et  comtes  ou 
ducs  de  Guise,  sont  encores,  disent  ils,  de  la  maison  de 
Charlemagne ,  d'autant  qu'ils  se  disent  veneus  de  la 
maison  des  comtes  d'Elsats,  et  iceulx  de  Conrad  l'em- 
pereur, issu  de  Charlemagne.  Maintenant  que  tout 
ceci  soit  dict  pour  reveiller  les  prétentions  de  ceulx 
de  Lorraine  sur  le  sang  de  nos  roys ,  issus  de  Capet, 
l'aucteur  le  monstre  assés  dans  tout  son  procédé;  car 
comme  U  a  vihpendé  tant  qu'il  a  peu  Merovee ,  chef 


4t/|  MEMOIRE 

des  Mérovingiens ,  par  lequel  ils  se  disent  frustrés  du 
royaume  de  France,  avant  qu'il  feust  eclos,  ainsi  ne  se 
peult  il  tenir  de  se  decliaisner  contre  Hugues  Capet,  et 
de  vilipender  toute  sa  lignée.  Ce  Capet,  dict  il ,  feut  ung 
tyran  ,  qui  usurpa  sur  Charles  ,  duc  de  Lorraine  ,  et  les 
siens ,  la  couronne  de  France  par  force  et  par  fraude  ; 
et  non  content  de  Tavoir  faict  prisonnier  à  Orléans,  le 
feit  mourir  misérablement  avec  Louis  et  Charles,  ses 
enfans ,  qu'il  avoit  eue  d'Agnes,  sa  seconde  femme.  Et 
si  après,  vous  lui  demandés  son  origine,  au  lieu  qu'il 
tire  les  aultres  tout  couronnés  du  ventre  du  cheval  de 
Troye,  il  vous  faict  venir  Othon  ,  grand  oncle  de  Capet, 
d'ung  povre  Witichind  ,  bani  de  Saxe,  et  vous  l'amené 
sur  ung  bidet  en  France ,  avec  ung  petit  vallet  et  une 
mallette ,  et  prend  si  grand  plaisir  à  repeter  ce  conte  , 
qu'il  semble,  s'il  estoit  à  son  pouvoir,  il  auroit  bientost 
réduit  nos  roys  à  ce  train  là.  Et  comme  dans  ses  epi- 
taplies  faictes  à  plaisir,  qu'il  avoit  adjoustees  à  la  fin  de 
son  livre  ,  il  avoit  faict  parler  cest  Alberic,  duc  de  Mo- 
sellane  ,  qu'il  prétend  avoir  esté  spolié  par  Merovee,  en 
CCS  termes  .' 

Quceres ,  Alberi,  quœfata  parant ,  fiU , 
Tantum  dissidium  ne  imperio  patris 
lUustratus  agas  quod  rapiunt  traces 
Meruingi? 

aussi  introduict  il  Charles,  duc  de  Lorraine,  appellant 
tous  les  princes  de  la  terre  à  garans  contre  Capet,  et 
ses  parens ,  en  ces  termes  : 

Hue,  hue,  adeste fortes  quique  principes  y 
Hue  advolate,  quceso ,  reges  ac  duces 
Ecquisferet  versum  fati  insolenliam  ? 


Capetus  ille  invasor  regni  Gallici 


CONTRE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  4i5 

Lothario  Francoriirn  rege  mortuo. 
Heu  !  me  satum  quidern  antiqua  prosapia 
Quondam  illius  magni  ac  insigrns  Caroli 

Armis  volens procul  expellere 

TJnuui  rnihi  superest  ut  vindicem  Deuin 
Expectem  in  hisce  angustiis. 

Comme  s'il  voulloit  dire  avec   Didon   dans   Virgile  : 
Exoiïare  aliquis  nostris  ex  ossibus  ultor. 

Je  passe  soubs  silence  une  infinité  de  mots  et  de  traits 
qu'il  lance  contre  la  race  des  Capets,  et  pareillement 
les  protestations  sur  l'Anjou  ,  la  Provence,  Naples,  etc., 
préjudiciables  à  ceste  couronne,  et  qu'il  débat  tant 
qu'il  peult;  mais  la  louange  qu'il  donne  à  ceulx  de 
Guise,  de  nostre  temps,  au  mespris  de  nostre  loi,  ne 
se  peult  nullement  dissimuler.  Les  affaires  de  France, 
dict  il ,  alloient  fort  bien  soubs  le  gouvernement  du  car- 
dinal de  Lorraine,  mais ,  depuis  sa  mort ,  Henry  ,  à  pré- 
sent régnant ,  entra  en  mauvaise  opinion  contre  ses  sub- 
jects,  parce  qu'aussitost  qu'il  feut  sacré  par  le  cardinal 
de  Guise,  il  négligea  les  affaires  pubiicques,  s'amusa  à 
de  vains  plaisirs,  et  se  gouverna  à  sa  teste,  qui  sont 
toutes  cboses  qui  amollissent  et  abaissent  le  cœurd'ung 
roy ,  et ,  par  ce  moyen ,  la  France  commence  à  décliner 
et  à  pencher  vers  sa  ruyne.  Parlant  de  feu  M.  le  prince 
de  Gondé,  il  faisoit,  dict  il,  tout  ce  qu'il  pouvoit  pour 
parvenir  à  la  tyrannie  ;  après  la  mort  du  roy  François  II, 
on  le  laissa  aller  sans  chastiment,  lui  et  tous  les  com- 
plices de  ses  crimes.  De  monseigneur,  et  du  roy 
de  Navarre,  il  n'en  parle  gueres  plus  sobrement.  A 
quoi  tout  cela  tend  il ,  sinon  pour  faire  déclarer  le  roy 
ung  feneant,  les  princes  de  son  sang  rebelles ,  et  in- 
dignes de  jamais  porter  la  couronne, afin,  comme  leurs 
prescheurs  ont  crié  assés  haultement ,  que  chacung  jette 


4l6  MEMOIRE 

les  yeux  sur  ses  misères ,  qui  sont  aulx  hommes  des 
aiguillons  qui  portent  à  la  nouveauté  ^  et  qu'ils  pren- 
nent le  parti  de  ces  pretendeus  rejettonsdeCharlemagne. 

J'ai  seulement  entrepris  ici  de  déclarer  le  but  de 
l'aucteur  en  son  livre  et  de  ceulx  qui  l'ont  faict  im- 
primer, et  qui  prendra  la  peine  de  le  lire,  y  en  remar- 
quera bien  davantage;  mais,  afin  que  personne  ne  s'y 
abuse,  j'examinerai  en  peu  de  mots  les  fondemens  de 
ceste  succession. 

Il  tire  ses  ducs  de  Mosellane  du  cheval  de  Troye 
avec  les  Françons;  en  quelle  histoire  digne  de  foi  a  il 
trouvé  cela?  Il  faict  après  Alleric ,  duc  de  Mosellane, 
fils  de  Clodion  le  Chevelu,  dépouillé  du  royaume  de 
France  par  Merovee;  où  peut  il  monstrer  cela,  sinon 
en  quelques  généalogies  supposées  de  la  maison  de  Lor- 
raine, quoique  sur  la  fin  de  ses  contes  il  cite  plusieurs 
aucteurs  pour  leur  donner  du  lustre ,  qui  n'en  disent 
pas  ung  mot?  Et  que  dira  il  aussi  aulx  historiens  qui 
font  Merovee  fils  légitime  de  Clodion  ?  Et  comment 
pouvoit  il  estre  aultre  que  l'aisné ,  s'il  estoit  si  aagé, 
qu'il  peust  estre  tuteur  d'Alberic?  Mais  qui  plus  est, 
comment  pourra  se  plaindre  Alberic  d'avoir  esté  spolié 
de  la  couronne  de  France,  si  nous  croyons  les  meilleurs 
historiens,  qui  disent  que  Merovee  feut  le  premier  des 
François  qui  eut  le  tiltre  de  roy  en  France?  Accordons 
leur  maintenant  tous  leurs  contes,  depuis  Cleodulphe, 
duc  de  Mosellane,  jusques  à  Bonne,  femme  de  Charles, 
duc  de  Lorraine  ;  comment  lui  aura  elle  apporté  en 
mariaige  le  droict  de  Clodion,  puisque  la  loi  salique 
exclut  les  femelles  du  royaume,  laquelle  loi  mesmes  a 
esté  establie  par  les  François ,  et  comme  nours  lisons  en 
la  préface  des  conseils  mesmes  de  Pharamond?  Accor- 
dons aussi  que  Charles,  duc  de  Lorraine,  a  esté  privé 


1 


CONTRE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  l\\'] 

à  tort  de  la  succession  de  Clinrleniagne,  par  Hugues 
Capet  et  ses  descendans  ;  comment  en  descendent  ils, 
veu    qu'ils    conviennent    qu'Otlion ,   son    fils   unique, 
mourut  sans  enfans;  et  s'ils  y  veullent  admettre  les  filles, 
contre  la  loi  salique,  qu'ils  nous  monslrent  pourquoi 
ceulx  de  Lorraine  doibvent  eslre  mis  à  la  place  de  nos 
roys,  puisqu'ils  conviennent  qu'ils  descendent  de  lui 
par  une  fille?  Que  s'ils  se  veullent  tenir  à  Godefroy  le 
Barbu,  comte  d'Ardenne ,  adopté  par  Othon,  qu'est  il 
donc  besoing  d'alléguer  ces  filles?  et  puis,  où  trouvent 
ils  ceste  adoption ,  et  oia  feut  elle  jamais  homologuée ,  et 
comment  oseroient  ils  dire  que  Ton  pensast  alors  à 
l'estendre  jusqu'à  la  couronne  de  France  ?  Et  quant  à 
celle  d'Eustache  de  Boulogne,  qui  n'en  voit  la  fausseté 
manifeste,  veu  qu'ils  n'en  peuvent  produire  ni  tiltre,  ni 
aulcung  aucteur?  ils  sont  mesmes  en  doubte  qu'estoit 
Godefroy  de  Bouillon,  et  si  ce  feut  lui  mesmes  qui  feut 
adopté  par  Geoffroy  le  Bossu,  ou  bien  si  ce  feut  Eus- 
tache.  Ce  qu'ils  prennent  aussi  tant  de  peine  à  prouver 
quecest  Eustache  estoit  du  costé  paternel  et  maternel, 
issu  de  Charlemagne,  à  quoi  peult  il  servir,  puisque  ce 
n'est  que  par  les  filles ,  si  ce  n'est  en  renversant  la  loi 
salique,  nous  voullions  exposer  le  royaume  en  proye, 
non  aulx  Lorrains  seulement  et  aulx  Ardenois ,  mais  à 
toutesu  les  familles  de  l'Europe  qui  ont  eu  alliance  avec 
la  maison  de  France?  et  quand  encore  Ysabeau  vient 
épouser  René  d'Anjou  et  Yolande  Frédéric,  comte  de 
Vaudemont.  Qui  pourra  donc   dire  qu'elles  ayent  pu 
transférer  en  leurs  hoirs  de  Lorraine  et  de  Guise,  les 
droicts  de  Clodion  et  de  Charlemagne,  qu'elles  ne  pou- 
voient  elles  mesmes  avoir,  ni  aussi  transporter,  à  moins 
qu'elles  ne  les  eussent  eu?  Or,  ce  sont  cependant  les 
fables  dont  ils  repaissent  les  peuples,  en  dénigrant  tant 

MÉir.  DE  DrpLESsis-MoRSAY.  Tome  ii,  27 


4l8  MEMOIRE,  etc. 

qu'ils  peuvent  nostre  loi  salique ,  comme  fausse  et  con- 
iTouvee  tout  à  propos.  Et  quand  bien  mesmes  tout  ce 
qu'ils  avancent  seroit  aussi  vrai ,  comme  il  est  faulx  , 
d'abord  qu'ung  estât  est  affermi  en  une  maison  par  vo- 
cation légitime,  par  une  approbation  de  Testât  et  du 
peuple  ,  mesmes  par  plusieurs  centaines  d'années ,  c'est 
ung  signe  évident  que  Dieu  a  transféré  le  royaume  en 
ceste  maison,  contre  lequel  en  vain  on  s'efforce  de  ré- 
sister ,  et  à  l'arrest  duquel  les  peuples  sont  tenus  d'ac- 
quiescer. Mais  parce  que  plusieurs  droictsbien  liquides 
sont  abondonnés  faulte  d'armées ,  et  que  les  torts  ont 
prévalu  sur  le  droict  et  l'équité ,  parce  qu'après  ces  al- 
légations il  avoit  des  forces  pour  l'auctoriser;  le  prin- 
cipal est  d'empescher  qu'ils  n'accompagnent  leurs  frau- 
des de  force,  et  mesmes  des  nostres  propres;  ce  qui 
arrive  bien  souvent  après  les  misères  des  guerres 
civiles,  qui  rendent  le  peuple  impatient  en  son  estât 
présent ,  et  affamé  de  nouveauté. 

J'ai  bien  vouUeu  envoyer  ce  mémoire  à  vostre  ma- 
jesté, non  pour  elle  seulement,  mais  pour  ceulx  qui  y 
ont  après  elle  le  principal  interest,  et  qui  auront  peult 
estre  ceste  querelle  à  demesler  en  leur  temps ,  ou  la 
laisseront  trop  forte  à  leurs  successeurs,  s'ils  n'y  pour- 
voyent.  Je  prye  Dieu  qu'il  leur  donne  bon  conseil  pour 
sa  gloire,  pour  la  conservation  de  leur  grandeur,  et 
pour  le  bien  de  leur  povre  peuple. 


ADVÉRTISSEMENT,  etc.  419 


LXXX.  — -V^  ADVERTISSEMENT 

Sur  l'intention  et  le  but  de  la  maison  de  Lorraine  en 
prenant  les  armes. 

Jamais  aulx  mauvais  subjects  il  ne  manqua  de  pré- 
texte de  s'armer  contre  leurs  princes ,  jamais  aussi  les 
moyens  ne  manquèrent  aulx  princes  d'avoir  raison  de 
tels  subjects.  Dieu  qui  faict  les  roys,  Dieu  qui  les  a  or- 
donnés dessus  les  peuples ,  prend  leur  cause  en  main , 
et  se  tient  blessé  en  leurs  personnes.  Dieu  qui  voit  les 
cœurs  ,  cognoist  les  couleurs  et  les  prétextes,  les  scait 
distinguer,  les  sçait  demesler  d'entre  les  causes.  Rien 
ne  l'excite  plus  que  l'abus  de  son  nom  allégué  en  vain , 
ou  à  faulx  tiltre;  il  ne  venge  rien  plus  que  l'hypocrisie, 
la  déloyauté  ,  et  la  confusion  déguisée  sous  les  appa- 
rences de  la  foi,  de  larelligion  et  de  la  justice. 

Aujourd'hui  que  tous  ces  mouvemens  se  voyent  en 
ce  royaume,  c'est  à  tous  François  de  tenir  les  yeulx 
ouverts ,  pour  n'estre  pas  menés  à  mal ,  soubs  quelque 
couleur  et  soubs  quelque  apparence  que  ce  soit.  Pen- 
sons au  passé ,  comparons  y  le  présent ,  nous  verrons 
d'où  ils  procèdent,  nous  prévoirons  à  quoi  ils  tendent, 
nous  jugerons  aisément  ce  que  nous  debvons  en  at- 
tendre à  l'ad venir. 

C'est  une  chose  toute  cogneue  et  publique  en  ce 
royaume,  que  ceulx  de  la  maison  de  Guise  se  disent, 
descendus  de  la  race  de  Charlemagne,  et  prétendent 
par  là  que  ce  royaume  doibt  leur  appartenir.  Les  généa- 
logies qu'ils  ont ,  il  y  a  quelque  temps ,  falsifiées  ,  les  mé- 
moires qu'ils  en  ont  semés  de  main  en  main  et  aultres 
semblables  pratiques  nous  en  pourroient  faire  foi  ;  mais 


420  ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 
particulièrement  pour  ne  reprendre  les  choses  de  plus 
hault,  le  volume  qu'ils  feirent  imprimer  à  Paris  il  y  a 
quattre  ou  cinq  ans,  composé  par  ung  de  Rozieres,  ar- 
chidiacre de  Toul,  auquel,  par  passages  faulx  et  sup- 
posés, et  tirés  oultre  et  contre  leurs  sens,  ledict  de 
Rozieres  tasche  de  prouver  que  ceulx  de  ceste  maison 
sont  descendus  de  Pliaramond ,  et  de  ligne  en  ligne 
continués  jusqu'à  eulx,  c'est  à  dire,  que  ceste  couronne 
leur  appartenoit  devant  que  Capet,  Charles  et  Merovee , 
et  leurs  races,  feussent  jamais  appelles  à  la  couronne. 
Ce  livre  feut  lors  publié  à  Paris  et  par  toute  la  France  ; 
et  estant  veneu  à  la  cognoissance  du  roy ,  pour  faire  le 
procès  à  l'aucteur  ,  feut  commis  et  envoyé  à  Toul, 
M.  Bruslard  à  présent  président  aulx  enquestes,  lequel 
le  lui  feit  et  parfeit.  Mais ,  par  la  bénignité  du  roy ,  il 
obteint  grâce,  sauf  à  faire  amende  honorable  de  sa  faulte, 
se  recognoistre  criminel  de  leze  majesté,  et  révoquer 
par  contraire  escrit  le  livre  qu'il  a  voit  faict. 

Or  ont  très  bien  cogneu  de  tout  temps  ceulx  de  ceste 
maison ,  que  ,  tandis  que  ce  royaume  demeureroit  pai- 
sible, il  seroil  mal  aisé  de  parvenir  à  leurs  intentions, 
et  pourtant  ont  tousjours  tasché  de  le  mettre  et  entre- 
tenir en  troubles.  Tandis  qu'ils  ont  peu  gaigner  ce 
poinct,  quelque  misère  que  la  guerre  ait  peu  apporter 
au  povre  peuple,  quelque  confusion  qu'elle  ait  peu  in- 
troduire en  cest  estât,  jamais  ne  s'en  sont  en  rien 
esmeuz,  jamais  n'ont  donné  aulcune  marque  de  le 
ressentir.  Et  la  raison  estoit  que  le  sang  de  France 
s'espendoit  par  ce  moyen,  et  ils  voulloient  faire  leur 
profit  de  sa  foiblesse ,  qu'ils  estoient  alors  les  instru- 
mens  principaulx  des  misères  du  peuple,  et  plus  grandes 
elles  pouvoient  estre  ,  plus  auroient  ils  de  prétextes  de 
les  prendre  ung  jour  pour  subject  de  leurs  émotions  : 


DE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  421 

qu'ils  avoient  les  armes  et  auctorité  en  main  pour  gai- 
gner  créance  entre  les  hommes,  et  par  ce  moyen  jet- 
toient  peu  à  peu  les  fondemens  de  leur  grandeur  pré- 
tendue sur  nos  ruynes,  et  que  la  guerre  petit  à  petit 
alloit  corrompant  les  cœurs  des  hommes,  pour  estre  de 
là  en  avant  plus  capables  de  tous  partis  et  de  tous 
remuemens ,  quand  le  temps  leur  sembleroit  estre  à 
propos. 

La  relligion  leur  servoit  de  subject  à  entretenir  ces 
misères  civiles  ,  et  ne  s'appercevoit  on  du  prMiiier  coup 
qu'ils  abusoient  soubs  ce  beau  tiltre  de  la  dévotion  de 
nos  princes,  et  du  zèle  de  nostre  nation  à  leurs  des- 
seings; et  que  ce  feut  ung  prétexte  et  non  une  vraie 
cause,  qui  aura  bien  cogneu  le  feu  cardinal  de  Lorraine  , 
oncle  de  ceulx  ci ,  n'en  doubtera  poinct.  Car,  pendant 
qu'il  mettoit  le  feu  aulx  quattre  coings  de  ce  royaume, 
en  l'ardeur  de  ce  zèle  prétendu  de  relligion ,  il  decla- 
roit  aulx  princes  d'Allemaigne  qu'il  estoit  de  leur  con- 
fession ,  et  qu'il  la  voulloit  introduire  en  France,  faisoit 
instituer  ses  neveux  en  la  confession  d'Ausbourg  pour 
les  gratifier,  et  ne  feignoit  entre  ses  familiers  de  dire 
que,  si  ceulx  de  la  relligion  prétendue  reformée  n'eus- 
sent comme  pris  à  parti  ceulx  de  sa  maison,  il  y  avoit 
bon  moyen  de  s'accorder  et  accommoder  ensemble  en 
ce  qui  estoit  de  la  relligion. 

Enfin  feut  recogneu  par  la  prudence  de  nos  roys, 
après  avoir  tenté  toutes  extrémités,  que  la  relligion  ne 
voulloit  estre  preschee  par  armes;  que  la  force  pouvoit 
bien  engendrer  des  hypocrites,  mais  non  deschrestiens; 
que  les  guerres,  mères  de  corruption,  au  lieu  de  chasser 
la  relligion  contraire,  introduisoient  Tatheisme;  mais 
particulièrement,  que  ces  gens  qui  conseilloient  tant  la 
guerre  pour  la  relligion,  n'estoient  pas  plus  relligieux 


422  ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 

que  les  aultres;  que  c'estoient  de  fins  barbiers,  qui 
voulloient  entretenir  la  playe  pour  leur  profit,  et  qu'il 
y  avoi't  danger  qu'à  la  longue  ils  ne  vérifiassent  la  pro- 
phétie du  grand  roy  François  en  ces  mots  :  Que  ceulx 
de  la  maison  de  Guise  mettroient  ses  enfans  en  pour- 
poinct  et  son  povre  peuple  en  chemise.  Et  de  faict  feut 
par  aulcungs  zélateurs  catholiques  remarqué  qu'à  la 
Sainct  Barthelemi ,  après  avoir  induit  le  feu  roy  Charles 
à  se  défaire  de  ceulx  de  la  relligion,  ils  se  contentèrent 
de  se  depescher  soubs  ceste  ombre  des  prétendus  enne- 
mis particuliers  de  leur  maison,  et  venger  leurs  que- 
relles propres  ,  et  feirent  les  doulx  et  les  pitoyables  en 
tous  les  lieux  de  leur  auctorité,  faisant  profit,  par  ce 
moyen ,  en  toutes  sortes  ,  de  la  rigueur  et  sévérité  de  ce 
prince,  qui,  selon  la  vigueur  de  son  esprit,  s'en  sceul 
très  bien  appercevoir. 

On  sçait  aussi  que  le  roy,  à  présent  régnant ,  avoit 
employé  ses  jeunes  ans  à  tous  les  heureux  succès  qu'il 
se  pouvoit  à  l'extermination  de  ceulx  de  la  relligion 
contraire  ,  et,  depuis,  venant  à  la  couronne  ,  continua 
ung  temps  toutes  les  rigueurs  précédentes,  tant  qu'il 
recogneut  que  les  consciences  ne  se  domptoient  n'y 
appaisoient  par  la  force  des  armes ,  et  que ,  pour  ex- 
terminer une  partie  de  son  peuple,  il  ruynoit  son 
royaume  et  son  peuple  tout  entier.  Il  se  résolut  donc, 
à  l'exemple  de  plusieurs  grands  princes  et  estats  voisins 
qu'il  avoit  veuz,  de  composer  les  troubles  de  son 
royaume  par  une  bonne  paix,  laissant  ung  chacung 
vivre  selon  sa  conscience ,  en  attendant  que  par  ung  bon 
Concile  il  y  peust  estre  mis  quelque  ordre.  Cependant  se 
délibéra  de  travailler  à  remettre  les  ecclésiastiques  en 
leur  ancien  debvoir,  pourvoir  aulx  dignités  de  l'Eglise 
des  personnages  capables  et  soigneuses  de  leurs  char- 


DE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  42  3 

ges,  en  temps  qu'il  pouvoit,et  sçacbant  combien  peult 
1  exemple  d'ung  prince  en  toutes  choses,  de  se  former 
lui  mesmes  pour  exemple  de  dévotion  à  sa  court,  à  ses 
princes ,  à  sa  noblesse  :  estimant  que  c'estoient  les  vrais 
et  légitimes  moyens  ordonnés  de  Dieu ,  et  pratiqués 
des  plus  sages  princes  pour  la  reunion  de  l'Eglise  et 
réduction  des  consciences. 

Mais  à  peine  eut  il  faict  la  paix ,  qui  feut  sur  la  fin 
de  l'an  1 577 ,  et  faict  paroistre  quelque  désir  de  l'entre- 
tenir de  là  en  avant,  sans  plus  employer  inutilement  ses 
armes  contre  les  âmes  de  ses  subjects,  que  ces  gens, 
voyant  par  là  les  moyens  retranchez  de  s'auctoriser 
dedans  les  armes ,  pensèrent  à  nouveaulx  desseings  ,  et 
feirent  évidemment  cognoistre  que  la  guerre  civile  leur 
estoit  utile,  c'est  à  dire,  que  nostre  ruyne  leur  estoit 
édification.  Et,  pour  ce,  la  relligion  leur  venant  à  faillir, 
ad  visèrent  de  troubler  Testât  soubs  ungaultre  prétexte. 

Alors  donc  ils  font  solliciter  diverses  provinces  de  ce 
royaume  à  rébellion  par  leurs  partisans ,  leur  remons- 
trent  les  foulées  du  clergé,  et  ne  leur  disent  pas  que  les 
guerres  qu'ils  avoient  allumées  et  fomentées  en  estoient 
cause;  et  que  le  feu  cardinal  de  Lorraine,  leur  oncle, 
avoit  esté  celui  qui  le  premier  avoit  proposé  et  procuré 
la  recrue  des  décimes,  et  la  vente  de  partie  du  tempo- 
rel, dont  il  avoit  remporté  à  Rome  mesmes  le  tiltre  de 
fléau  de  l'Église  gallicane.  Allèguent  la  diminution  et 
avilissement  de  la  noblesse,  et  ne  leur  disent  pas  que 
ceulx  de  leur  maison,  tant  qu'ils  avoient  peu  estre  en 
auctorité,  avoient  ravallé,  en  tant  qu'ils  avoient  peu, 
les  princes  mesmes  du  sang,  qui  ne  dédaignent  pas 
d'estre  dicts  les  premiers  de  la  noblesse  :  que  la  di- 
minution de  la  noblesse  en  debvoit  estre  imputée  aux 
aucteurs  des  guerres  civiles ,  comme  aussi  l'avilisse-^ 


424  ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 
ment  des  charges  et  dignités  à  elle  affectées ,  d'autant 
que  qui  introduit  la  guerre  civile  en  ung  estât,  intro- 
duit par  là  mesme  porte  la  confusion  en  tous  estais, 
qu'il  n'est  pas  possible  après  de  repurger  et  ramener 
tout  en  ung  coup  ;  mettoient  tout  en  avant  aussi  les  re- 
crues des  tailles  ,  les  inventions  des  nouveaux  subsides, 
et  imposts  sur  le  povre  peuple,  et  n'adjoustoient  pas 
que  la  guerre  engendre  tousjours  au  prince  nouvelles 
charges,  et  par  conséquent  au  peuple;  que  le  moyen 
unique  de  l'alléger  estoit  laisser  continuer  la  paix;  que 
le  peuple  ne  se  pouvoit  encores  ressentir  de  la  béni- 
gnité de  son  prince,  parce  qu'il  ne  faisoit  que  sortir  de 
la  guerre;  que  rentrer  en  nouveau  trouble  pour  avoir 
soulagement  du  prince,  estoit  ung  remède  pire  que  le 
mal,  et  mesmes  contraire,  c'estoit  dis  je  retrancher  au 
prince  le  moyen  de  décharger  son  peuple,  et,  ce  qui 
est  le  principal ,  que  dix  ans  d'impost  ne  coustent  pas 
tant  au  peuple  qu'ung  seul  an  de  guerre;  que  dix  ans 
de  guerre  bien  ordonnée  ne  lui  font  pas  tant  de  dom- 
mage qu'ung  an  de  sédition  civile,  telle  qu'ils  voul- 
loient  susciter  soubs  ce  prétexte. 

Lors  en  leurs  mémoires  ils  ne  parloient  poinct  de 
la  reUigion.  Ce  zèle  dont  ils  faisoient  bouclier  devant, 
et  dont  ils  l'ont  faict  depuis,  ne  venoit  poinct  en  avant. 
Au  contraire ,  ils  traictoient  avec  ceulx  de  la  reUigion 
contraire,  comme  chacung  sçait,  pour  les  faire  entrer 
en  ce  parti.  Ils  les  asseuroient  de  leur  exercice  selon  les 
edicts,  et  oultre  les  edicts ,  si  besoing  leur  estoit.  Ils 
negotioient  en  Allemaigne  nommeement  avec  le  duc 
de  Cazimir,  tant  pour  entrer  en  ceste  association,  que 
pour  y  induire  ceulx  de  la  reUigion  contraire,  et  estre 
envers  eulx  garands  de  leur  foi  et  promesse  qu'ils 
leur  donnoient  de  ne  faire  rien  à  leur  préjudice,  mesmes 


DE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  4^5 

lui  offroient  des  villes  en  leurs  gouvernemens ,  pour 
contreplege  de  la  foi,  qu'ils  interposoient  en  leur  nom; 
et  les  choses  feussent  peult  estre  des  lors  passées  plus 
avant,  si  ceulx  de  ladicte  relligion  y  eussent  voulleu 
entendre. 

Le  roy  aussi  par  sa  prudence  sceut  bien  divertir  et 
détourner  ce  coup;  il  vit  où  le  mal  leur  tenoit,  et  ne 
voullant  permettre  que  leurs  mecontentemens  particu- 
liers meissent  son  peuple  en  peine,  se  soumeit  jusques  là, 
que  de  tascher  à  les  contenter  :  il  les  appella  donc  près 
de  soi,  leur  feit  de  l'honneur,  leur  donna  occasion  de 
bien  espérer  de  lui,  mesmes  leur  feit  des  dons,  et  leur 
ordonna  des  assignations  de  ce  qui  leur  estoitdeu,  les- 
quelles ils  prirent  et  demandèrent  sur  quelques  edicls 
de  nouvelles  impositions,  qui  feurent  lors  mis  en  avant. 
Tellement  que  les  mesmes  vents  qui  avoient  assemble 
la  nuée,  la  dissipèrent;  il  leur  feut  aisé  d'oublier  le 
clergé,  la  noblesse  et  le  peuple;  et  quand  les  députés 
des  provinces,  qu'ils  avoient  voulleu  soulever,  veinrent 
en  court ,  à  peine  feirent  ils  semblant  de  les  voulloir 
recognoistre,  mesmes  ils  assistèrent  à  la  resolution  et 
homologation  de  plusieurs  edicts,  que  le  roy  a  esteints 
et  abolis  sur  les  remonstrances  qui  lui  ont  esté  faictes 
de  la  charge  qu'ils  apportoient  à  son  peuple,  et  jamais 
ne  leur  soubveint  de  dire  ung  seul  mot  au  roy  ou  prive- 
ment,  ou  en  son  conseil,  pour  le  soulagement  de  ses 
subjects.  Et  de  là  adveint  aussi  que  les  plus  sages  re- 
marquèrent, esdictes  provinces,  qu'ils  n'estoient  pas 
proprement  marrys  du  mauvais  gouvernement ,  s'il  y 
en  avoit ,  mais  bien  de  ni  avoir  telle  part  qu'ils  pen- 
soient  leur  appartenir,  plus  prests ,  sans  doubte ,  d'en 
abuser ,  quand  ils  Tauroient ,  que  ceulx  contre  lesquels  ils 
pretendoientformer  les  plaintes  soubs  le  nom  du  peuple. 


4^6         ADVERTJSSEMEWT  SUR  L'INTENTION 

Ce  qui  leur  a  principalement  rongé  le  cœur  depuis, 
c'est  qu'ils  ont  veu  la  paix  continuer,  c'est  qu'ils  ont 
veu  le  roy  resoleu  de  l'establir  de  plus  en  plus,  et,  par 
le  moyen  d'icelle,  reformer  les  abus  qui  se  seroient 
coulez  es  charges  de  l'Eglise ,  de  remettre  la  noblesse 
en  sa  première  splendeur,  et  soulager  son  povre  peuple 
des  imposts  et  subventions  qui  le  ruynent,  maulx  intro- 
duits pour  la  pluspart  par  la  continuation  des  guerres, 
niaulx  plus  incurables  par  les  conséquences  que  par 
la  continuation  de  la  paix. 

Or,  Dieu  ayant  retiré  de  ce  monde,  monseigneur, 
frère  du  roy,  ils  pensèrent  que  la  saison  estoit  veneue, 
qu'ils  debvoient  penser  à  l'effect  de  leurs  anciens  des- 
seings,  et  pour  ce,  commencèrent  aussitost  à  renou- 
veller  leurs  pratiques,  tant-dedans  que  dehors  le  royau- 
me, avec  les  voisins  plus  suspects  et  plus  dangereux  à 
ceste  couronne,  concluant  ensemble  qu'il  leur  estoit 
nécessaire  d'estre  armés  à  quelque  prix  que  ce  feust, 
pour  faciliter  la  mutation  qu'ils  pretendoient  faire  en 
cest  estât;  et  c'est  la  cause  pour  laquelle  maintenant 
nous  les  voyons  se  jetler  en  campagne ,  quelque  beau 
prétexte  qu'ils  ayent  voulleu  prendre  pour  envelopper 
gens  de  toutes  qualités  au  mesme  crime,  que  certes  il 
n'est  naturel  ne  raisonnable  de  croire  avoir  mesme 
but  et  intention  qu'ils  ont. 

Veult  on  voir  une  marque  qu'ils  ne  sçavent  bonne- 
ment de  quoi  couvrir  leur  entreprise  sur  cest  estât? 
ils  ont  faict  des  protestations  à  l'entrée  de  leurs  armes, 
desquelles  la  seule  diversité  peult  découvrir  la  fausseté 
à  ung  chacung  :  en  une  ils  jurent  l'extirpation  de  la 
relligion  contraire  ;  en  l'aultre  ils  n'en  sonnent  mot  ;  si 
le  zèle  les  esmeut,  comment  ce  zèle  s'est  il  peu  oublier 
en  cest  endroict?  en  une  ils  veullent  que  le  roy  nomme 


DE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  4^7 

ung  successeur  en  son  estât ,  en  aultres  ils  laissent  cest 
article  en  arrière.  S'ils  ont  tant  besoing  de  l'Eglise  ca- 
tholique ,  s'ils  craignent  tant  qu  il  n'en  mesadvienne 
après  la  mort  du  roy,  comment  leur  est  elle  demeurée 
au  bout  de  la  plume?  es  une  ils  se  rendent  protecteurs 
de  l'Eglise  et  du  peuple ,  et  aulx  aultres  ils  prennent 
d'aultres  prétextes  :  qui  ne  voit  en  ses  diversités,  qu'ils 
ne  sçavent  sur  quel  pied  se  mettre?  En  l'incertitude  de 
ces  protestations,  une  incertitude  de  conscience?ung  lan- 
gage ,  en  somme ,  de  gens  qui  ne  sçavent  de  quoi  porter 
leur  mauvaise  intention ,  qui  pensent  couvrir  une  fausseté 
de  deux  et  de  trois,  et  toutes  ensemble  ne  valent  qu'à  les 
démentir,  ne  servent  qu'à  les  découvrir  tels  qu'ils  sont. 
Ils  veullent  qu'il  n'y  ait  qu'une  relligion  en  France, 
et  c'est  le  souhait  de  l'honneur  de  tous  gens  de  bien  et 
de  tous  chrestiens;  mais  quelles  voyes  proposent  ils 
pour  y  parvenir  ?  S'il  est  question  de  force ,  ce  grand 
empereur  Charles  le  Quint,  en  Allemaigne,  en  a  re- 
cogneu  et  la  débilité  etl'inutilité  au  faict  des  consciences. 
Le  roy  d'Espaigne  ,  quelque  catholique   qu'il  veuille 
sembler,  après  avoir  rendeu  ses  subjects  de  Hollande 
et  Zeellande  à  toutes  extrémités  par  les  succès  de  ses 
armes ,  feut  contraint ,  l'ati  soixante  seize ,  leur  accorder 
la  paix,  et  par  la  paix  leur  laisser  leur  relligion  entière, 
sans  mesmes  remettre  la  catholique  et  romaine  esdicts 
pays,  ni  les  ecclésiastiques  dans  leurs  biens  :  et  mesmes 
il  y  a  deux  ans  qu'il  leur  offroit   derechef  pareilles 
conditions  par  le  duc  de  Terra  Nova ,  et  non  seulement 
pour  lesdicts  pays,  mais  pour  quelques  aultres.  Nos 
roys ,  plus  que  tous  ceulx  là,   ont  bruslé,  ont  noyé, 
ont  vaincu  en  plusieurs  batailles,  ont  surpris  en  plu- 
sieurs manières,  ont  tenté  toutes  voyes,  l'espace  de 
cinquante  ans ,   n'ont  épargné   aulcuns  movens  pour 


428  ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 
venir  à  bout  de  ceulx  de  ceste  relligion  en  ce  royaume. 
Ce  qui  a  esté  chrestien  à  Charles  Quint,  ce  qui  a  esté 
catholique  au  roy  d'Espaigne  ,  à  l'ung,  pour  saulver  des 
subjects  plutost  escheuz  par  élection  que  naturels  ,  à 
l'auitre ,  pour  garder  des  pays  qui  ne  lui  sont  rien,  au 
regard  de  tant  de  grands  qu'il  tient;  pourquoi  le  sera 
il  moins  au  roy  pour  épargner  ceulx  que  nature  a 
mis  en  sa  protection  ,  pour  garantir  de  ruyne  inévitable 
son  estât  entier?  Son  estât  jadis  si  florissant,  son  estât 
par  la  resolution  qu'ils  veullent  remettre  sus ,  réduit 
en  l'extrémité  en  laquelle  nous  l'avons  veu;  s'ils  disent 
que  les  guerres  n'ont  esté  bien  conduites,  à  qui  s'en 
pourront  ils  prendre  qu'à  eulx  mesmes?  Et  leurs  pères 
et  eulx  y  ont  ils  pas  commandé  pour  la  pluspart?  Ont 
ils  pas  esté  arbitres,  et  de  la  paix  et  de  la  guerre?  N'ont 
ils  pas  sonné  selon  qu'il  leur  est  veneu  à  propos,  et 
selon  l'humeur  où  ils  estoient ,  tantost  la  charge ,  tantost 
la  retraite?  Que,  s'ils  veullent  obliger  le  roy  par  ser- 
ment à  une  guerre  immortelle,  c'est  à  dire  ce  povre 
estât  et  ce  povre  peuple,  qui  pastit  depuis  tant  d'an- 
nées, à  une  ruyne  finale,  à  une  misère  perpétuelle; 
certes,  c'est  une  loi  trop  insupportable  du  subject  sur 
le  prince;  certes,  c'est  ung  indice  manifeste  qu'ils  ont 
grande  dévotion  à  nostre  ruyne,  de  nous  v  voulloir 
astreindre  par  dévotion.  Disons  plus,  certes,  c'est  ung 
argument  tout  certain  ,  que  ces  gens  veullent  estre 
armés,  qu'ils  ne  veullent  poinct  se  desarmer,  qu'ils 
veullent  enterrer  le  roy  ou  entre  leurs  armes,  ou,  s'ils 
peuvent,  par  leurs  armes.  Et  misérables,  nous  qui  au- 
rions à  vivre  soubs  ceste  insolence;  misérables,  nous 
qui  aurions  à  survivre  si  leurs  desseings  avoient  lieu  : 
nostre  prince,  et  le  sang  de  nostre  prince,  nostre  dé- 
solée patrie,  et  les  loix  de  nostre  estât. 


DE  LiV  MAISON  DE  LORRAINE.  4^9 

Mais  seroit  ce  pas  pitié  de  voir  après  la  mort  du  roy, 
ce  royaume  entre  les  mains  d'ung   hérétique?  Bons 
tuteurs!  et  voyons  l'ordre  qu'ils  y  mettent.  Nostre  roy 
est  jeune,  et  grâce  à  Dieu  se  porte  bien,  ils  veullent 
qu'il  nomme  ung  successeur,  ainçois  ils  le  nomment: 
car  ils  arment  monseigneur  le  cardinal  de  Bourbon, 
bon  prince  qui  n'apperçoit  pas  le  jeu  qu'ils  jouent,  et 
lui  font  prendre  la  qualité  de  premier  prince  du  sang, 
et  présomptif  héritier  de  la  couronne.  Quelle  chimère 
ou  plustost  quelle  grotesque  est  ce  ci  ?  S'il  y  va  de  tant, 
et  s'il  y  a  tant  à  craindre  pour  l'Eglise  catholique,  à 
qui  plustost,  s'en  deussent  ils  adresser  qu'à  nostre  roy, 
prince  très  chrestien  ,   prince  très  devotieux ,  prince 
s'il  en  est  au  monde  zélateur  de  sa  relligion?  A  qui 
moins  penser,  s'ils  le  font  à  bon  escient,  qu'à  mon- 
seigneur le  cardinal  de  Bourbon,  prince  desjà  caduc, 
desjà  près  de  la  fosse?  Et  que  dirai  je  encores?  Prince 
qu'ils  ne  peuvent  espérer  pouvoir  naturellement  sur- 
vivre le  roy,  s'ils  n'ont  limité  le  terme  de  sa  vie,  s'ils 
n'ont  complotté  et  s'ils  n'ont  capitulé  sa  mort.  Gens 
qui,  toute  leur  vie,  se  sont  joué  de  la  relligion ,  monstre- 
ront  à  nostre  roy  le  chemin  de  conscience!  les  Lorrains 
enseigneront  aux  François  le  zèle  de  leur  patrie?  Princes 
estrangers  interpréteront  nos  loix,  régleront  nos  diffe- 
rens,  vouldront  estre  arbitres,  vouldront  estre  juges 
des  princes  du  sang ,  des  degrés  de  nostre  sang  !  Qui 
ne  voit  ici.  Dieu  ouvre  les  yeux  à  monseigneur  le  car- 
dinal, qu'ils  pensent  l'avoir  loué,  l'avoir  emprunté  pour 
jouer  le  roy  sur  l'eschafaud,  peult  estre  six  mois,  tant 
que  leur  partie  soit  bien  dressée?  Et  qui  ne  voit  qu'ils 
ne  pensent  pas  à  lui ,  quand  ils  parlent  de  lui ,  mais  à 
eulx  mesmes  ?  Quand  ils  nomment  au  roy  aagé  de  trente 
trois  ans,  ung  successeur  plus  que  sexagénaire?  Quand 


43ô  ADVEllTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 
ils  veullent  suppléer  le  défaut  d'hoirs  qu'ils  allèguent 
contre  nostre  roy,  par  la  vigueur  de  monseigneur  le 
cardinal,  qui  a  desjà  passé  son  an  climatérique?  Mais 
pour  faire  nommer  ung  successeur  au  roy,  prendre 
les  armes,  et  lui  vouUoir  mettre  le  pied  sur  la  gorge, 
se  saisir  de  ses  places ,  et  abuser  de  l'auctorilé  qu'ils  ont 
contre  lui;  qui  plus,  recevoir  et  distribuer  les  deniers 
du  roy  d'Espaigne,  appeller  et  introduire  les  forces 
d'Espaigne  en  ce  royaume.  Certes ,  me  pardonne  mon- 
seigneur le  cardinal,  si  je  le  dis,  s'il  voit  encores, 
c'est  ne  voir  goutte  ;  car  ce  n'est  certes  plus  estre 
François ,  c'est  avoir  vendeu  ce  royaume  au  roy  d'Es- 
paigne ,  et  avoir  jette  le  sort  sur  nostre  robbe ,  laquelle , 
sans  doubte ,  se  sentant  trop  foible  pour  pouvoir  avoir 
tous  seuls,  ils  en  veullent  faire  part  à  l'Espaignol ,  le 
vendent  à  lui ,  et ,  soubs  ombre  de  liberté ,  nous  exposent 
au  pillage. 

Jugeons  ceste  conspiration,  si  elle  peult  procéder 
d'ailleurs  que  de  l'Espaigne.  On  sçait  que  M.  de  Guise 
est  endebté  jusqu'au  bout,  et  cependant  a  distribué  de 
grandes  sommes ,  et  toutes  en  pistoles ,  par  ce  royaume  ; 
il  en  a  mesmes  envoyé  à  qui  n'en  demandoit  poinct  : 
d'où  peuvent  estre  veneus  ces  grands  deniers,  veu  les 
coings  qu'ils  portent?  et  d'où  peuvent  estre  meus  ces 
desseings  que  du  conseil  d'Espaigne?  Il  est  assisté  des 
forces  du  prince  de  Parme ,  qui  lui  amené  des  lans- 
quenets et  quelques  compagnies  de  cavallerie;  Dieu  y 
a  remédié  depuis,  mais,  contre  leur  espoir;  qui  est  le 
prince  de  Parme ,  sinon  le  chef  et  directeur  des  pays  de 
ueça  de  tous  les  desseings  d'Espaigne?  Il  a  envoyé  ses 
enfans  de  delà  les  monts,  et  le  duc  de  Savoye  a  frais- 
chement  épousé  une  fille  d'Espaigne ,  à  quelle  fin  , 
sinon  pour  les  tenir  en  otage  des  sommes  qu'il  a  re- 


DE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  43  r 

ceues ,  et  pour  les  avoir  pour  gages  des  promesses  qu'il 
a  faictes?  Il  a  demandé  uussi  que  la  ville  de  Cambray 
feust  remise  comme  avant  qu'elle  receust  feu  monsei- 
gneur. Cambray,  ville  impériale,  mais  opprimée  vio- 
lemment par  le  roy  d'Espaigne.  Cambray,  le  seul  reste 
des  si  cbers  et  si  précieux  labeurs  d'un  fils  de  France. 
Cambray  au  surplus ,  le  rempart  de  France  du  costé 
le  plus  desarmé  contre  les  efforts  d'Espaigne.  Qui 
peult  ignorer,  qui  peult  plus  doubter  ceci,  que  soubs 
les  habits  françois  ne  logent  des  cœurs  d'Espaigne?  Ad- 
joustés  les  communications  de  M.  de  Guise  et  du  prince 
de  Parme,  ses  intrinsèques  conférences  avec  les  am- 
bassadeurs d'Espaigne,  les  allées  et  venues  de  don  Gio- 
van  Bardactine  vers  l'evesque  de  Commainge,  bastard 
de  Lansac,  et  infinies  pratiques  de  ceste  nature;  et  qui 
doublera  que  l'armée  de  ces  conjurateurs  ne  soit  au 
service  d'Espaigne?  qui  doublera  donc  que  bientost  on 
ne  voye  éclater  les  escadrons  et  ployer  les  enseignes  : 
quand  ce  qu'il  y  a  de  généreux,  quand  ce  qu'il  y  a  de 
François  entre  eulx,  les  ungs  poussés  d'ung  despit,  les 
aultres  attirés  soubs  ung  faulx  tiltre,  se  ressouviendront 
d'estre  François ,  quel  monstre  seroit  ung  Françoisarmé 
contre  la  France,  et  contre  la  France  pour  l'Espaigne  ? 
Mais  ils  ne  veullent  poinct  tomber  soubs  un  prince 
hérétique ,  et  là  dessus  adjoustent  que  les  François  ne 
font  poinct  serment  au  roy  qu'à  condition  de  maintenir 
l'Eglise  catholique,  apostolique  et  romaine;  dange- 
reuse proposition  ,  et  qui  ne  sent  rien  moins  que  la  de- 
position  de  Chilperic  pour  mettre  Pépin  en  sa  place, 
soubs  ombre  d'avoir  bien  défendu  l'Eglise  contre  les 
Sarrasins;  mais  Dieu  fera  la  grâce  à  nostre  roy  de  dé- 
fendre bien  et  longuement  sa  place.  Quoi  donc?  s'il 
vient  à  mourir,  disons  mieulx,  s'ils  le  font  mourir, 


432  ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 
Comme  ils  l'espèrent,  s'ils  veullent  dire  qu'ils  n'endure- 
ront jamais  que  le  roy  de  Navarre ,  qu'ils  tiennent  pour 
hérétique,  vienne  à  la  succession  de  cest  estât,  qu'en 
leur  conscience ,  quelque  palliation  qu'on  y  puisse  ap- 
porter, ils  cognoissent  bien  lui  appartenir  de  droict. 
Le  roy  de  Navarre  a  assez  de  jugement  pour  s'apper- 
cevoir,  quand  le  naturel  n'y  seroit  poinct ,  combien , 
en  ce  temps  ,  la  vie  du  roy  lui  est  utile  et  nécessaire,  et 
c'est  à  lui,  toutesfois  sur  ce  point,  à  se  défendre.  Le 
roy  de  Navarre  leur  pourra  respondre  là  dessus  qu'il 
est  né  et  nourri  en  la  relligion  de  laquelle  il  faict  pro- 
fession; qu'en  conscience  il  ne  s'en  peult  départir  sans 
estre  instruit;  qu'il  est  prest,  et  le  sera  tousjours,  de 
recevoir  instruction  d'ung  Concile  libre  et  légitime,  et 
de  laisser  l'erreur  quand  il  lui  sera  monstre.  S'ils  de- 
mandent que ,  sans  aultres  instructions  pour  l'espoir 
ou  le  desespoir  d'une  couronne ,  il  passe  tout  à  coup 
d'une  profession  à  l'aultre,  que  requerent  ils  de  lui, 
qu'inconstance,  qu'infidélité,  qu'hypocrisie?  non  pour 
le  rendre  capable  d'estre  roy ,  mais  indigne  plus  tost 
de  l'estre.  S'il  se  présente  à  estre  mieulx  enseigné 
et  s'il  est  prest  d'acquiescer  quand  il  l'aura  esté ,  où 
trouveront  ils  es  anciens  canons  que  ceste  obéissance, 
ceste  soumission  soit  appellee  hérésie?  Toute  erreur, 
disent  les  canons,  n'est  pas  pourtant  hérésie;  hérésie 
est  une  erreur  importante,  une  erreur  où  il  va  du  fon- 
dement de  la  foi ,  des  articles  du  salut.  Or,  le  roy  de 
Navarre  lui  dira  qu'il  est  chrestien,  qu'il  croit  son 
salut  estre  en  ung  seul  Jésus  Christ;  qu'il  tient  et  révère 
sa  parole  comme  la  règle  infaillible  de  vérité;  qu'il 
croit  les  symboles  de  l'Eglise;  qu'il  reçoit  les  Conciles 
universels  qui  ont  esté  teneus  en  la  fleur  d'icelle;  qu'il 
condamne  toutes  les  hérésies  condamnées  par  iceulx 


DE  LA.  MAISON  DE  LORRAINE.  433 

qu'il  se  soubmet  encores  aujourd'hui  à  un  Concile  uni- 
versel duement  convoqué  et  légitimement  tenu.  Il  n'y 
a  donc  poinct  d'heresie,  à  proprement  parler;  car  il 
croit ,  des  ceste  heure ,  ce  que  les  premiers  se  sont  con- 
tentés de  croire  :  il  n'y  a  poinct  aussi  de  schisme    car 
le  schisme  présuppose  une  resolution  en  séparation. 
Or,  tenez  un  bon  Concile,  et  le  voilà  tout  prest  de  se 
reunir.  Il  y  a  plus,  car  tout  homme,  disent  les  canons, 
qui  tient  une  hérésie ,  n'est  pas  pourtant  hérétique  : 
hérétique  présuppose  une  ambition  de  nouveauté    une 
opiniastreté  contre  la  raison  enseignée  et  demonstree- 
or  peult  juger  ung  chacung  si  le  roy  de  Navarre  est 
poussé  d'ambition  en  cest  affaire;  car,  disoit  le  juris- 
consulte, cui  bono y  quel  profict  lui  en  peut  il  venir? 
Telle  ambition  tombe  en  ung  docteur  en  théologie ,  mais 
non  en  ung  prince  :  telle  opiniastreté  tombe  en  ung 
sophiste,  mais  non  en  la  simplicité  d'ung  qui  est  en- 
seigné  par  aultrui.  S'il  estoit  meu  d'ambition ,  estre 
ambitieux  de  la  bonne  grâce  du  roy,  de  la  faveur  de 
tous  les  catholiques  de  ce  royaume ,  des  vœux  et  suf- 
frages  des  plus  grands  princes  de  la  chrestienté,   en 
changeant  tout  soubdain  de  relligion,  lui  seroit  plus  pro- 
fitable; et  sil'ambition  faict  l'heretique,  certes,  les  au- 
teurs de  ceste  conspiration  le  sont  bien  plus  que  lui  ;  mais 
il  est  meu  de  conscience,  la  conscience  lui  faict  passer 
par  dessus  les  considérations  qui  les  emportent;  ets'as- 
seure  qu'il  n'a  poinct  affaire  à  ung  peuple  qui  désire  ung 
prince  perfide  et  déloyal  à  Dieu  et  à  la  conscience ,  ains 
qu'il  se  contente  de  l'avoir  paisible,  capable  de  raison 
prest  à  mieulx  apprendre  et  à  mieulx  faire  quand  on 
le  vouldra  mieulx  enseigner.  La  loi  de  cest  estât  ne  prive 
poinct  ung  fils,  à  cause  de  la  relligion,  d'une  succession 
directe  ni  collatérale;  pourquoi  ung  prince? La  loire- 

MÉM.  DE  DUPLKSSIS-MORWAY.  ToME  H  28 


434  ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 
coit  en  l'administration  de  tous  estats ,  indifféremment 
les  ungs  et  les  aultres  ;  pourquoi  moins  de  Testât  ?  La  loi 
permet  à  ungchaeung  l'exercice  de  sa  relligion,  et  n'en 
exclut  personne  ;  pourquoi  le  prince  seul  sera  il  exclus 
de  ce  privilège,  le  prince  qui  le  donne?  pourquoi, 
seul  esclave  en  sa  conscience,  qui  est  le  plus  précieux 
qu'il  ait,  celui  qui  affranchit  les  aultres?  Je  dis  la  loi 
de  cest  estât,  car  c'est  la  loi  par  laquelle  seule  nous 
vivons  et  pouvons  vivre  en  paix  ,  c'est  à  dire  remettre 
cest  estât  en  son  premier  estât,  et  le  retirer  de  la  mi- 
sère, loi  délibérée  aulx  estats  d'Orléans,  estats  non  for- 
cés ,  non  brigués ,  non  ligués  par  les  menées  et  pra- 
tiques de  ceidx  qui  aujourd'hui  nous  troublent;  je  dis 
plus,  estats  convoqués  par  eulx  au  plus  fort  de  leur 
crédit  et  mesmes  en  leur  instance,  que  jamais  depuis 
nous  n'avons  voulleu  enfreindre  qne  nous  ne  soyons 
entrés  en  guerre  civile;  et  quand  je  dis  guerre  civile, 
je  pense  comprendre  soubs  oe  mot  toutes  sortes  de  ca- 
lamités et  de  confusions;  loi  donc  juste,  car  elle  est 
très  nécessaire;  loi  non  revocable  en  la  condition  de 
l'estat  présent,  car  sa  revocation  nous  remet  en  ruyne; 
loi  jurée  par  tous  les  princes,  gouverneurs,  lieutenans 
aeneraulx,  conseillers  d'estat,  courts  de  parlement, 
sièges  presidiaulx,  villes  et  communautés  de  ce  royaume, 
par  ceulx  mesmes  qui  aujourd'hui  témérairement  en 
veuUent  protester,  et  toutesfois  qui  remet  la  décision 
du  faict  de  la  relligion  à  un  Concile  libre,  attendant 
lequel ,  nul  ne  peult  estre  dit:t  hérétique  en  cest  estât , 
et  auquel  aussi  quiconque  se  soubmet,  ne  peult  estre  à 
bon  droict  tenu  pour  pertinax  ni  schismatique.  Quel- 
ques empereurs,  et  Constantin  mesmes  sur  sa  fin, 
quelques  roys  d'Espaigne  aussi,  par  longues  années, 
ont  eu  des  opinions  erronées,  aux  poincts  plus  im- 


DE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  4^5 

portans,  et,  grâces  à  Dieu  ,  le  roy  de  Navarre  n'en  est 
pas  là;  lit  on  toulesfois  que  jamais  on  ait  pensé  à  les 
déposer;  que  jamais  on  ait  proposé  de  les  exclure? 
Quelques  papes  mesmes ,  les  docteurs  des  aultres ,  aux- 
quels le  nom  d'heretique  et  d'hérésiarque  eut  peu  à 
bon  droict  appartenir,  ont  mal  cru  de  Christ,  ont  mal 
enseigné  de  sa  divinité,  le  fond  du  salut,  le  seul  fon- 
dement de  la  relligion  chrestienne;  la  chrestienté  toute 
entière  y  avoit  interest  ;  la  source  publicque,  où  chacung 
puisoit,  s'en  alloit  gastee,  s'en  alloit  empoisonnée. 

Voyons  ce  qu'on  a  faict  ;  on  a  eu  patience  d'assem- 
bler un  Concile  solemnel ,  on  les  a  ouïs ,  on  les  a  in- 
struits ,  on  les  a  receus  à  amandement  et  à  résipiscence  ; 
jamais  n'ont  esté  prononcés  hérétiques  qu'en  ung  plein 
Concile  ;  jamais  on  n'a  attenté  sur  leur  dignité  par  pré- 
somption ,  jamais  par  prévention  ,  jamais  par  force  : 
on  y  a  tousjours  observé  toutes  formalités,  on  a  tous- 
jours  attendu  la  condamnation;  mesmes  après  icelle 
prononcée ,  on  leur  a  donné  le  temps  pour  y  penser, 
on  leur  a  donné  respit  pour  se  convertir  à  mieulx. 

Mais  il  y  a  danger,  disent  ils,  si  le  roy  de  Navarre 
vient  à  la  couronne,  qu'il  ne  renverse  la  relligion  ca- 
tholique en  ce  royaume.  Je  responds  qu'il  y  a  bon  terme, 
et  le  grand  soing  de  si  loing  hors  de  saison ,  monstre 
une  passion  fort  violente,  et  qui  n'est  poussée  de  rel- 
ligion aulcune  ;  je  responds  que ,  grâces  à  Dieu  ,  nostre 
roy  est  en  la  fleur  de  son  aage,  s'ils  n'y  entendent  quel- 
que finesse  qui  nous  soit  cachée,  et  Dieu  l'en  garde; 
je  responds  qu'il  n'est  hors  d'espoir  d'avoir  des  enfans, 
et  que  lui  et  la  royne  sa  femme,  selon  leur  aage,  en 
peuvent  avoir  une  douzaine  sans  miracle  ;  je  responds 
qu'à  ce  mal  prétendu  ils  apportent  ung  foible  remède , 
ung  cardinal  qui  a  deux  fois  autant  d'aage  que  le  i^oy, 


436        ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 
ung  cardinal  qui  n'est  poinct  marié ,   en  danger  de 
mourir  premier  que  l'estre ,  asseuré  de  n'avoir  poinct 
d'enfans  quand  il  le  sera. 

Et,  quant  à  ce  qu'ils  allèguent  du  changement  de  rel- 
ligion ,  qui  seroit  à  craindre,  le  roy  de  Navarre  leur 
dira  qu'en  sa  relligion  il  a  esté  tousjours  instruit  à  ne 
forcer  poinct  les  consciences;  qu'en  l'ardeur  mesmes 
des  guerres  civiles,  lorsque  tout  exercice estoit défendu 
par  toute  la  France  à  ceulx  de  la  relligion ,  il  a  tous- 
jours  laissé  la  relligion  catholique  en  son  entier,  en 
toutes  les  villes  esquelles  il  avoit  puissance,  et  de  ce  ne 
veult  pour  tesmoings  que  le  clergé  et  les  presbtres  et 
moines  d'Agen,  où  il  faisoit  sa  résidence;  qu'en  paix 
et  en  guerre  il  a  tousjours  esté  servi  indifféremment, 
tant  auprès  de  sa  personne  qu'en  tous  les  estats  et  of- 
fices qui  sont  en  sa  disposition,  des  ungs  et  des  aultres, 
mesmes  en  sa  chambre,  en  son  conseil  et  en  ses  gardes, 
et  n'en  a  jamais  reculé  aulcuns  pour  le  faict  de  con- 
science ;  et  ceulx  qui  ont  tant  soit  peu  approché  de  sa 
maison ,  le  sçavent  bien  ;  qu'en  ce  que  Dieu  lui  a  laissé 
de  son  royaume   de  Navarre ,  qui  est  beaucoup  plus 
grand  que  son  pays  de  Bearn ,  il  a  laissé  la  relligion 
catholique  et  romaine  en  son  entier,  sans  y  avoir  rien 
altéré  ni  innové,  selon  qu'à  son  aVenement  il  l'avoit 
trouvé,  ce  que  malicieusement  on  cele,  se  contentant 
de  le  calomnier  sur  le  faict  de  Bearn  :  et ,  quant  à  son- 
dict  pays  de  Bearn ,  que  l'ayant  trouvé  reduict  par  la 
feue  reine  sa  mère  ,  par  une  convocation  générale  des 
estats,  à  la  relHgion  de  laquelle  il  faict  profession,  il  l'a 
à  la  vérité  laissé  en  ce  mesme  estât  auquel  il  le  trou- 
voit,  ayant  esté  tant  occupé  es  travaux  qu'on  lui  a 
brassés ,  qu'il  ne  lui  estoit  pas  à  propos  d'y  rien  chan- 
ger; cependant  qu'on  sçait  qu'il  en  a  levé  les  rigueurs, 


DE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  4^7 

et  y  a  modéré  les  ordonnances  ,  et  faict  payer  aux  ecclé- 
siastiques leurs  pensions ,  et  mesmes  quelquesfois  de 
ses  propres  deniers ,  ce  que  les  eyesques ,  ecclésiasti- 
ques ,  qui  ont  du  bien  esdicts  pays,  ne  peuvent  nier.  Au 
reste,  il  a  tousjours  offert  d'ouvrir  les  estats  à  son  peu- 
ple, afin  qu'ils  y  peussent  franchement  ouvrir  la  bouche , 
et  lui  déclarer  en  iceulx  ce  qu'ils  auroient  à  requérir 
pour  la  paix  de  leurs  âmes  et  consciences;  que,  si  on 
tire  une  mauvaise  conséquence  de  ce  qu'il  n'a  remis  la 
relligion  catholique  et  romaine  en  Bearn,  qu'on  en 
doibt  donc  tirer  une  bonne  de  ce  qu'il  ne  l'a  ostee  en 
la  basse  Navarre,  où  il  a  pareille  puissance  ;  mais,  quand 
toutes  personnes  non  passionnées  la  debvroient  tirer 
bonne  de  l'ung  et  de  l'aultre,  en  ce  qu'en  l'iing  et  en 
l'aultre  il  n'a  rien  remué  ni  innové  ,  sauf  qu'il  a  modéré 
la  rigueur  des  ordonnances  de  Bearn,  attendant  mieulx, 
à  sçavoir  qu'il  n'est  pas  prince  qui  se  plaise  en  nou- 
veautés ,  qui  procède  légèrement  aulx  changemens  par 
une  violente  passion  contre  une  relligion  ou  contre 
l'aultre,  ains  qui  laisse  volontiers  les  choses  au  poinct 
où  il  les  trouve,  s'il  n'y  avoit  une  utilité  bien  évidente. 
Et  de  faict ,  qui  estimera  le  roy  de  Navarre  si  depourveu 
de  jugement,  si  ennemi  de  sa  grandeur  et  de  son  bien  , 
si  Dieu  et  nature  l'appelloient  à  ung  estât,  dele  voulloir 
perdre  ou  mettre  au  hazard  par  une  violence  sans  rai- 
son ,  et ,  qui  plus ,  par  une  violence  sans  effect,  et  qui  ne 
pourroit  lui  apporter  que  sa  ruyne?  et  qui  croira  que 
celui  qui  n'aura  voulleu  forcer  tant  soit  peu  ung  pays 
de  basse  Navarre,  ce  qu'il  pouvoit  faire  sans  contra- 
diction ,  veuille  forcer  ung  royaume  de  France,  ce  qu'il 
ne  peult  et  sans  le  perdre  et  sans  se  perdre  soi  mesmes? 
Ces  doubtes  peuvent  tomber  aulx  cœurs  des  idiots, 
mais  non  des  sages  •,  ceulx  mesmes  qui  les  protestent  ne 


438  ADV£RTISSEMENT  SUR  L'IlNTENÏiON 

les  font  pas,  encores  qu'ils  taschent  à  desseing  de  les 
faire  croire.  Et  puis,  quand  les  choses  se  voient  réduites 
à  ce  poinct ,  on  peult  prendre  asseurance  des  doubtes 
qu'on  a,  le  peuple  les  requiert  et  le  prince  les  baille; 
et  de  ce  prince,  grâce  à  Dieu,  on  ne  peult  remarquer, 
jusques  ici,  ni  vengeance  ni  perfidie;  mais  de  s'armer 
de  ceste  heure  pour  une  chose  naturellement  si  loing- 
taine  ,  de  parer  ung  coup  qui  vient  de  si  loing,  qui  peult 
estre,  de  vingt  ou  trente  ans,  ne  nous  peult  arriver,  et, 
soubs  ce  prétexte,  mettre  cest estât  en  feu,  l'Espaignol 
dedans  pour  nous  ruyner,  en  tant  qu'en  eulx  il  seroit, 
et  plus  tost  que  le  mal  qu'ils  allèguent,  ne  pourroit  pas 
faire ,  c'est  nous  ordonner  la  ciguë  pour  nous  empes- 
clier  ung  accès  de  fîebvre,  c'est  une  mort  asseuree  pour 
remède  d'une  maladie  incertaine,  c'est  donc  ung  dol 
manifeste,  car  Tignorance  en  seroit  trop  grossière; 
c'est  ung  empoisonnement  au  patient ,  c'est  une  trahi- 
son à  cest  estât,  c'est  une  conjuration  contre  le  roy; 
et  quant  il  aura  nommé  ce  successeur,  successeur  qui 
ne  pourra  espérer  de  le  survivre,  successeur  toutesfois 
nommé  à  ceste  intention,  empli  de  cest  espoir,  quelle 
asseurance  pourra  prendre  le  roy  d'eulx,  qu'ils  ne  s'en 
veuillent  défaire? 

Laissons  le  roy  de  Navarre;  il  sçaura,'  quand  il  en 
sera  besoing,  plaider  sa  cause,  et  Dieu  veuille  que 
jamais  il  n'en  soit  besoing.  Voyons  si  le  reste  de  leur 
protestation  a  plus  de  vérité  et  de  couleur;  ils  se  plai- 
gnent de  quelques  jeunes  gens  qu'ils  disent  posséder 
le  roy,  tirer  de  grands  biens  de  lui  et  en  reculer  les 
princes,  les  vieulx  serviteurs  et  les  principaulx  de  la 
noblesse,  sans  rien  dénommer;  chacung  voit  assés  qui 
ils  désignent ,  ce  sont  les  ducs  de  Joyeuse  et  d'Espernon. 
Si  le  roy  les  aime,  ce  n'est  chose  si  estrange  :  personnes 


DE  LA.  MAISON  DE  LORRAINE.  4^9 

privées  en  leurs  amitiés  désirent  bien  estre  libres;  com- 
bien plus  les  princes  î  et  en  nos  histoires  veit  on  jamais 
prince  qui  n'aimast  quelqu'ung?  S'il  leur  faictdu  bien, 
c'est  la  volonté  qui  produit  son  effect  :  aimer  propre- 
ment c'est  voulloir  du  bien,  c'est  faire  du  bien,  car  le 
vrai  voulloir  s'estend  aussi  tost  à  la  proportion  de  sa 
puissance;  mais  s'ils  disent  trop,  et  que  leur  censure 
ait  lieu  ici ,  bons  reformateurs  !  et  leur  exemple  vaul- 
droit  s'ils  voulloient  commencer  par  eulx  mesmes.  Qu'ils 
nous  disent  donc  d'où  il  s'est  peu  faire  que  leur  feu 
grand'pere ,  quand  il  veint  premièrement  en  France, 
n'eust  pour  tout  que  vingt  mille  livres  de  rente,  et  que 
maintenant  ils  en  ayent  en  leur  maison  plus  d'ung  mil- 
lion ,  si  ce  n'est  par  la  libéralité  et  bonté  de  nos  roys, 
de  nos  roys,  dis  je,  qui  leur  ont  donné  de  belles  char- 
ges, de  grands  eveschés,  de  belles  abbayes,  des  plus 
riches  héritières  de  ce  royaume;  de  nos  roys,  en  la 
bourse  desquels,  tant  qu'elle  leur  a  esté  ouverte,  ils 
ont  si  bien  sceu  fouiller,  qu'ils  se  trouveront  avoir  tiré 
six  ou  sept  millions  d'or,  dont  sontprocedees  leurs  plus 
belles  acquisitions.  A  l'avènement  du  roy  Charles  à  la 
couronne ,  il  avoit  esté  conclu,  es  estats  d'Orléans,  qu'ils 
seroient  appelles  à  reddition  de  compte,  et  recherchés 
des  dons  immenses  qu'ils  avoient  receus  des  prédéces- 
seurs du  roy,  et  tout  fraischement  du  roy  François  II, 
duquel  ils  avoient  emparé  la  personne  et  la  bourse  tout 
ensemble  ;  mais ,  au  lieu  de  penser  à  rendre  compte ,  ces 
bons  reformateurs  adviserent  au  moyen  de  n'en  poinct 
rendre,  commençant,  sans  commandement  du  roy  et 
confiée  les  estats  de  ce  royaume,  à  tuer  ceulx  de  la  rei- 
ligion  contraire  en  la  ville  de  Yassy,  c'est  à  dire  à  allu- 
mer le  feu  parungdes  coings,  qui  puis  embrasa  pour 
ung  long  temps  toute  la  France  ;  le  père,  pour  ne  rendre 


44o  ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 
compte,  nous  met  en  combustion,  et  aujourd'hui  le 
fils  nous  met  à  la  guerre  pour  faire  contre  les  aultres. 
Voyons  donc  comment  ils  respondent  ici,  s'ils  le  font 
à  bon  escient,  s'ils  ne  se  jouent  poinct,  s'ils  n'abusent 
poinct  le  peuple.  Tous  ne  sçavent  ils  pas  que  Sainct  Luc 
et  d'O ,  leurs  principaulx  partisans ,  et  quelques  aultres , 
sont  riches  des  dons  du  roy,  ont  trempé  en  ses  finan- 
ces, ont  teneu  en  somme  ci  devant  mesme  lieu  que 
ceulx  qu'ils  taxent  et  qu'ils  font  semblant  d'amener  ici 
à  compte?  Comptent  les  premiers,  qui  premiers  ont 
faict  recepte,  eulx  donc  les  premiers;  certes,  disons 
mieulx ,  ces  gens  sont  marris  que  les  faveurs  de  la  court 
ne  pleuvent  tousjours  sur  eulx,  et  si  elles  desgouttent 
sur  aultrui,  ils  en  crèvent  d'envie.  Ces  gens  vont  bri- 
guer mal  contens  comme  eulx  de  toutes  parts,  et  ces 
mal  contens  ,  qui  veuUent  garder  leur  condition  sans 
passion ,  sont  si  à  leur  aise,  ont  tant  receu  de  bienfaicts , 
que  l'aise  seul  les  devoye,  et  sans  les  bienfaicts  ils  n'a- 
voient  puissance  de  mal  faire;  le  vrai  mal  content,  celui 
qu'il  fault  plaindre  et  celui  duquel  la  condition  est  mi- 
sérable, certes,  c'est  le  roy,  d'avoir  faict  du  bien  à 
race  si  ingrate ,  donné  du  pouvoir,  donné  du  moyen , 
donné  de  l'auctorité,  pour  estre  employé  aussi  tost 
contre  lui. 

Ils  plaignent  le  peuple ,  et  que  ne  le  laissent  ils  vivre 
en  repos  ?  et  pourquoi  traversent  ils  le  roy  en  la  volonté 
qu'il  a  de  lui  bien  faire ,  dont  desjà  il  faisoit  voir  de 
bons  effects  ?  On  sçait  qu'il  l'avoit  soulagé  pour  ceste 
année  de  sept  cens  mille  livres ,  et  cassé  en  ung  jour 
quattre  vingt  ou  cent  edicts ,  que  l'on  lui  avoit  remons- 
tré  estre  à  la  charge  de  son  peuple ,  et  se  preparoit  à 
une  resformation  générale  de  son  royaume  ;  c'estoit 
commencer  :  en  une  aultre  année  il  eust  faict  dadvan- 


DE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  44' 

tage  ;  et  en  telles  choses  la  volonté  y  estant,  le  progrès 
va  loing  en  peu  de  temps.  Aujourd'hui  qui  doubte  que 
nouvelle  guerre  ne  lui  crée  nouveaulx  despens ,  nou- 
veaulx  maulx  au  peuple  ?  et  puis  quel  ménage  pensons 
nous  que  fassent  ces  bons  ménagers,  qui  desjà  com- 
mencent à  lever  de  grands  deniers  sur  les  villes  qu'ils 
détiennent  ?  mesmes  ont  taxé  la  ville  de  Bourg  en 
Bourdelois  à  dix  mille  escus ,  qu'il  n'eussent  pas  payé 
en  dix  ans  au  roy ,  près  d'envoyer  les  maires  et  jurats 
de  la  ville  prisonniers  en  brouage.  Pensons  puis  après 
aulx  armées  tant  françoises  qu'estrangeres ,  qu'il  faul- 
droit  nourrir  et  soudoyer  de  part  et  d'aultre,  pensons 
aulx  deniers  du  roy ,  que  desjà  ils  usurpent  et  saisissent, 
qu'il  fauldra  remplacer  d'ailleurs  pour  s'opposer  à  leurs 
rebellions,  aulx  estappes,  aulxmunitions,  aulx  contribu- 
tions ,  aulx  passages  des  gens  de  guerre.  Toute  guerre 
est  ung  monstre  desvorant,  combien  plus  la  domesti- 
que? toute  guerre  est  une  vraie  confusion,  combien 
plus  celle  qui  est  conduictc  par  gens  de  confusion 
comme  ceulx  ci  ?  Certes  je  dirai  et  l'ai  dict  :  trois  jours 
de  sédition  civile  cousteront  au  povre  peuple  une  an- 
née de  taille  et  plus;  trois  ans  de  guerre  bien  juste, 
quand  ils  auroient  bonne  intention,  ce  qu'ils  n'ont  pas, 
ne  vauldront  jamais  au  povre  peuple,  ung  jour  de 
paix. 

Mais  le  roy  a  tort ,  c'est  ce  qu'ils  nous  disent ,  car  il 
ne  faict  pas  assés  de  cas  de  la  noblesse.  Voyons  qui  les 
suit  j  et  voyons  qui  proteste  avec  eulx.  Des  princes  du 
sang ,  je  n'en  vois  ung  seul  en  ce  parti ,  si  ce  n'est  ce 
bon  prince  qu'ils  abusent ,  qu'ils  ont  enchanté ,  du- 
quel ils  se  font  donner  le  bien  pour  l'oster  à  ses  neveux  : 
si  sont  ils  les  chefs  et  les  protecteurs  de  la  noblesse , 
des  vieulx  officiers,  des  vieulx  chevalliers,  des  vieulx 


44^  ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 
capitaines  de  la  France,  à  peine  ung  tout  seul;  je  ne 
vois  partout  que  des  Lorrains,  quelques  mal  contens  : 
que  n  eussent  ils  plus  qu'ils  ne  méritent  :  quelques 
gens  perdeus,  gens  de  tous  partis,  gens,  disoit  Gesar, 
à  qui  la  combustion  et  à  qui  la  guerre  civile  duit,  tels 
que  ceulx  que  Catilina  eut  à  sa  suite.  Pensés  que  Lor- 
rains se  soucient  beaucoup  si  nostre  noblesse  est  bien  : 
pensés  que  Lorrains  qui,  tant  qu'ils  ont  peu,  ont  de  tout 
temps  ravalé  la  dignité  de  nos  princes,  prennent  bien  à 
cœur  que  cbacung  tienne  son  rang.  Qu'ils  n'allèguent 
poinct  qu'on  leur  aye  pris  leurs  estais,  ils  les  ont  ven- 
deus,  ils  en  sont  payés  et  chèrement.  N'allèguent  ils 
poinct  aussi  qu'on  en  ait  contraint  aulcungs  de  s'en 
défaire  :  il  leur  tient  au  cœur.  C'estoient  gens  pour 
la  pluspart  à  leur  dévotion,  et  de  leur  ligue,  et  leur 
faict  grand  mal  qu'on  les  en  faict  sortir,  Aulcungs  gens 
d'honneur  ont  accommodé  le  roy  de  leurs  estats  :  mais 
s'en  plaignent  ils  ?  Mais  les  verra  on  rangés  soubs 
leurs  bannières?  mais  plustost  contre  eulx  :  ils  sçavent 
très  bien  que  leurs  estats  sont  charges,  charges  que  nos 
roys,  par  les  anciennes  loix,  avant  tous  nosremuemens, 
souloient  remuer  de  temps  en  temps  :  charges ,  non  estats 
et  non  office  :  car  les  princes  les  en  rappelloient  à  leur 
plaisir,  sans  formalité,  sans  remboursemens ,  sans  al- 
léguer cause  ni  prétexte;  non  pour  les  priver  indigne- 
ment, mais  pour  en  tirer  quelque  meilleur  service  ;  non 
pour  les  frustrer,  mais  pour  les  recompenser  et  hono- 
rer ailleurs  ;  et  ainsi  ne  le  prenoient  ils  à  mal ,  car  ils 
n'abusoient  de  leurs  gouvernemens  pour  se  rendre 
nécessaires  à  leurs  princes,  ou  pour  se  les  faire  ache- 
ter ,  ou  pour  se  les  rendre  héréditaires.  C'est  ung  mal 
nouveau  ,  introduit  par  les  aucteurs  de  ces  nouveautés , 
qui,  pour  s'attirer  quelques  gouverneurs  à  eulx,  plus 


DE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  44^ 

îiberaulx  que  les  maistres ,  leur  promettent  hardiment 
que  leurs  gouvernemens  leur  deviendront  patrimoines; 
car,  parce  qu'ils  ne  tendent  qu'à  la  dissipation  de  cest 
estât,  et  cognoissent  bien  qu'ils  ne  peuvent  pas  le  re- 
tenir tout  en  ung ,  ils  font  bon  marché  du  reste ,  et  ne 
feignent  pas  à  l'exposer  en  proye. 

Et  pour  faire  paroistre  qu'eulx  mesmes  ont  monstre 
le  chemin  ,  et  faict  la  planche  à  ces  abus  pretendeus 
par  eulx ,  aulx  changemens  des  principales  charges  et 
gouvernemens  de  ce  royaume ,  (ju'on  se  ressouvienne 
que,  lorsque  tous  ceulx  de  leurs  maisons  estoient  en 
crédit,  ils  ont  osté  à  ce  grand  connétable,  qui  avoit 
tant  mérité  de  la  France,  Testât  de  grand  maistre ,  et 
celui  de  grand  chambelland ,  à  la  maison  de  Longue- 
■ville ,  qui  leur  estoit  héréditaire  ,  pour  les  services  qu'ils 
avoient  faicts  contre  les  Anglois;  et  de  fi'aische  mé- 
moire ont  tant  faict  (pie  le  gouvernement  de  Bretagne 
est  tombé  en  leur  maison  ,  après  l'avoir  soubstrait  moi- 
tié par  ruse  ,  moitié  par  contrainte ,  à  ce  feu  bon  prince, 
M.  de  Montpensier ,  qui  en  avoit  la  provision  pour 
M.  le  prince  de  Dombes,  son  fds,  qui  en  jouissoit  ;  et 
puis,  ils  se  plaignent  pour  quelques  particuliers  ,  qu'ils 
disent  avoir  trafiqué  leurs  charges ,  et  ne  se  veullent 
soubvenir  de  tant  de  grands  personnages,  lesquels  ils 
ont  despouillés  de  leurs  estats  et  dignités. 

Le  clergé ,  la  cause  duquel  ils  veullent  sembler  en- 
treprendre,  je  demande  quelle  reformation  ils  y  ap- 
porteront, que  nostre  roy  ?  Le  roy,  s'il  est  question  de 
sa  personne,  monstre  à  toute  sa  court  le  chemin  de  Tavon' 
en  révérence.  Il  a  pour  conseil  les  plus  apparens  et  les 
plus  notables  d'icelui.  Aulx  charges  et  dignités  de 
TEglise ,  par  les  bonnes  ordonnances  qu'il  a  faictes, 
conformes  aulx  anciens  canons,  et  desquelles  rni!  de 


444  ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 
ses  prédécesseurs  ne  feut  jamais  si  severe  observa- 
teur que  lui ,  il  choisit  les  plus  excellens  ,  soit  en  vie , 
soit  en  doctrine ,  qu'il  cognoisse  en  son  royaume  ,  ou 
forclot  toutes  personnes  indignes  et  incapables,  sans 
acception  et  exception  de  qualités;  n'y  admet  que 
ceulx  qui  naturellement  peuvent  exercer  les  charges  ; 
contraint  les  evesques  de  résider  en  leurs  diocèses, 
plus  sévèrement  et  plus  exactement  que  ne  faict  le  pape 
mesmes;  monstre  au  reste  à  tous  le  chemin  de  zèle  et 
de  dévotion.  Que  se  peult  il  adjouster  à  ce  bel  ordre , 
sinon  le  loisir  d'en  recueillir  le  fruict ,  de  le  voir  profi- 
ter ?  Mais  ce  n'est  pas  la  prédication  de  la  parole  de 
Dieu  qu'ils  demandent ,  ils  ne  se  soulcient  pas  que  ce 
royaume  soit  peuplé  de  bons  prédicateurs,  que  le 
peuple  soit  instruit  en  son  salut,  que  les  brebis  des- 
voyees  y  soyent  ramenées  ;  ils  veullent  des  ***  qui  in- 
spirent le  venin  de  leurs  conspirations,  soubs  ombre  de 
saincteté  en  ce  royaume ,  et  soubs  couleur  de  confes- 
sion ;  (  quelle  horrible  hypocrisie  )  abusent  de  la  des- 
votion  de  ceulx  qui  les  croyent ,  et  les  obligent  par  ser- 
ment à  ceste  ligue  et  à  leur  parti;  qui  exhortent  leurs 
subjects  à  tuer  et  assassiner  leurs  princes,  leur  promet- 
tent plein  pardon  de  leurs  péchés  ,  leur  font  croire 
que  par  actes  exécrables,  ils  méritent  paradis  ;  vraies 
colonies  d'Espaignols;  mais  disons  plustost ,  vrai  levain 
d'Espaigne,  en  ce  royaume,  qui,  depuis  quelques  années, 
a  enaigri  nostre  paste,  a  espaignolisé,  soubs  ung  sour- 
cil pharisaïc,  les  villes  de  nostreFrance,  desquels  les  cou- 
vens  sont  plus  dangereux  que  citadelles ,  desquels  les 
synodes  ne  sont  rien  que  conspirations.  Tels  sont  ils 
cogneus,  tels  nous  sont  les  fruicts  de  l'assemblée  géné- 
rale qu'ils  tenoient  à  Paris  n'agueres ,  en  septembre  , 
et  presidoit  certain  ***  du  Pont  à  Mousson ,  directeur 


DE  LA.  MAISON  DE  LORRAInE.  44^ 

de  ces  conseils  :  aultresy  en  a  qui  blasphèment  le  roy  en 
pleine  chaire,  suscitent  le  peuple,  s'arment  de  fureur 
contre  les  magistrats ,  preschent  les  louanges ,  recom- 
mandent les  vertus  de  ces  pretendeus  rejettons  de  Char- 
lemaigne.  C'est  ce  zèle  ardent,  c'est  ceste  relhgion  qui 
les  anime;  et  voullés  vous  voir  quand  ils  sont  en  Al- 
lemaigne,  ils  sont  luthériens;  sont  ils  mutinés  contre 
celui  qui  leur  prestoit  la  main  ,  ils  le  remettoient  sur  les 
calvinistes;  soigneux  du  clergé,  soigneux  du  service, 
soigneux  de  tenir  leurs  résidences,  qui  possèdent  nom- 
bre d'eveschés,  nombre  d'abbayes  ,  contre  les  canons, 
contre  les  Conciles  qu'ils  nous  vont  preschant  en  France, 
en  vendent  les  bois,  en  dissipent  le  domaine,  laissent 
les  églises  ,  laissent  les  maisons  aller  par  terre ,  vendent 
les  reliques,  retirent  à  eulx  tout  ce  qu'il  y  a  de  pré- 
cieux, d'aumosnes  fort  peu ,  les  povres  tout  nuds,  et  les 
prestres  mesmes  y  meurent  de  faim.  Vrais  héritiers,  non 
de  Charlemagne,  certes,  mais  de  Charles  de  Lorraine, 
qui  sceut  fort  dévotement  vendre  à  son  profict  la  grande 
croix ,  et  les  plus  riches  joyaulx  de  son  evesché  de 
Metz ,  feit  vendre  au  clergé  de  ce  royaume  partie  de 
son  temporel ,  et  augmenter  les  dismes  :  il  n'eut  poinct 
de  honte  pour  le  bon  service  qu'il  pretendoit  avoir 
faict  en  cest  endroict,  de  s'en  faire  donner  une  partie 
en  recompense. 

Reste  la  justice,  ces  justes  censeurs  la  nous  veullent 
rétablir  en  son  intégrité;  qui  a  jamais  veu  qu'une  guerre 
domestique  ait  esté  propre  à  reformer  la  justice;  qui 
ne  voit  assés  qu'ung  seul  an  de  guerre  lasche  plus  les 
nerfs  des  loix,  et  leur  oste  plus  d'auctorité  que  dix  ans 
de  paix  ne  lui  en  peuvent  rendre?  lasche  plus  la  bride 
au  mal,  que  dix  ans  de  paix  ne  la  lui  peuvent  retenir? 
Ces  gens,  pour  exemple,  quand  ils  auront  faict  leur  ra- 


446  ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTET^TION 
vage,  viendront  à  se  repentir;  il  leur  fauldra  des  par- 
dons, des  remissions,  des  abolitions  :  il  fauldra  que  les 
loix  dorment,  il  fauldra  que  les  juges  connivent,  qui 
recommençoient  à  reprendre  leur  auctorité.  Mal  tous- 
jours  sur  mal;  desjà  les  défiances  des  partis  ,  par  la  pru- 
dence du  roy ,  commençoient  à  se  lever,  ceulx  de  la 
relligion  contraire  recognoissoient  peu  à  peu  que,  par 
la  voye  ordinaire  ,  ils  pouvoient  avoir  justice,  sans  qu'il 
leur  feist  grand  besoing  d'ung  conflit  de  jurisdictioris. 
Ces  perturbateurs  ,  protecteurs  des  parlemens,  qui  leur 
promettent  ici  plénitude  de  puissance,  donnent  nou- 
veaulx  argumens  de  défiance  ,  estent  le  moyen  de  reu- 
nir à  ce  poinct  les  volontés.  Qui  plus  ,  on  s'est  plaint 
souvent  de  la  vénalité  des  offices  de  judicature  ,  intro- 
duite premièrement  pour  aider  à  supporter  les  guerres 
estrangeres,  et,  depuis,  continuée  pour  subvenir  aulx 
civiles.  Or,  sçait  ung  cliacung  que  le  roy  n'a  eu  tant 
soit  peu  de  relasche ,  qu'il  n'ait  aussi  tost  aboli  ceste 
vénalité  ,  et  tous  les  moyens  par  lesquels  indirectement 
on  la  pouvoit  couvrir;  et  si  ceste  saincte  ordonnance 
est  par  lui  sainctement  observée,  tous  les  parlemens  et 
sièges  de  France  en  sont  tesmoings,  qui  se  peuvent  soub- 
venir  que  le  roy  n'a  voulleu  admettre  quelques  résigna- 
tions très  favorables,  desquelles  la  conséquence  eust  peu 
faire  fraude  à  l'ordonnance  à  l'advenir  ;  quel  soing  il 
a  eu  de  pourvoir  aulx  dignités  principales  en  ses  par- 
lemens, quand  elles  sont  veneues  à  vaquer.  On  le  voit 
en  ceulx  qui  aujourd'hui  les  tiennent  nommés  de  son 
propre  mouvement,  et  choisis  par  son  bon  jugement, 
gens  d'intégrité,  de  capacité  et  de  doctrine  ,  desquels 
la  vie  est  une  censure  ,  et  la  doctrine  une  lumière  entre 
les  hommes.  Quel  soing  il  avoit  mesmes  sur  le  poinct 
que  ce  trouble  est  adveneu,  d'abréger  les  procès  entre 


DE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  447 

son  peuple,  et  d'oster  les  mangeries  qui  le  consument  : 
sçavent  ceulx  aussi  qu'il  a  appelles  en  conférence  ,  par 
lesquels  il  en  a  voulleu  estre  informé  par  les  menus  : 
ces  gens  ci  le  sçavent ,  ces  gens  n'en  peuvent  doubter 
y  ayant  partie  d'eulx  esté  mesmes  appelles;  tout  nostre 
mal  est  qu'ils  vouldroient  gouverner  ou  gourmander 
la  court  pour  y  mettre,  comme  ils  faisoient  aultrefois 
gens  à  leur  poste ,  s'ils  eussent  peu  continuer  de 
mesmes,  les  estats  feussent  venaulx ,  la  justice  en  son 
entier,  et  ne  parleroient  ni  de  reformation  à  présent, 
ni  d'abus. 

Par  là  donc,  voyons  nous  que  ces  protections  et  pro- 
testations ne  sont  que  vains  prétextes.  La  vraie  cause 
c'est  l'ambition  de  gouverner,  c'est  la  dissipation  de 
nostre  estât,  pour  en  emporter  une  pièce,  et  y  intro- 
duire l'estranger.  C'est  une  continuation  du  desseing 
qu'ils  ont  eu  de  longtemps,  et  duquel  les  mémoires 
feurent  découverts  des  l'an  76 ,  lequel  se  manifeste  au- 
jourd'hui plus  clairement ,  selon  qu'il  s'approche  plus 
de  l'exécution  ,  et  nous  du  danger.  Cependant  ils 
pryent  le  roy  de  ne  poinct  mal  penser  d'eulx,  que  c'est 
pour  son  bien,  qu'ils  n'ont  tous  juré  que  son  service. 
Amsi  feit  Pépin,  et  ceulx  ci  se  disent  de  la  race,  em- 
ployant contre  son  roy  Chilperic  la  force  et  l'aucto- 
rité  qu'il  lui  avoit  donnée  et  la  saincteté  du  pape  Za- 
carie  :  le  roy  est  prudent,  le  François  loyal ,  le  jeu  des- 
couvert, et  à  vous  appris  que  la  saincteté  condamne  les 
parjures  ,  que  la  saincteté  ne  conseille  jamais  de  faulser 
la  foi ,  forcer  sa  patrie  ,  et  se  rebeller  contre  son  rov  :  à 
ce  beau  desseing  ils  n'ont  poinct  de  honte  de  convier 
la  royne  ,  mère  du  roy,  de  les  assister  de  son  auctorité , 
la  royne  qu'ils  confessent  avoir  conservé  cest  estât  par 
tant  de  fois  ;  à  la  ruyne  et  dissipation  totale  du  rovaume, 


448  ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 
à  la  conjuration  qu'ils  font  contre  le  roy ,  son  fils ,  con- 
viennent les  princes  du  sang  à  transporter  leur  hon- 
neur en  aultre  nation  et  en  aultre  race  ;  tous  les  pairs 
de  France  à  trahir  Testât,  les  faict  comme  tuteurs  , 
soubs  l'auctorité  de  nostre  roy;  les  courts  souveraines 
à  soubscrire  à  leurs  desseings  ,  que  Dieu  a  assés  en  juge- 
ment pour  la  condamnation  de  tels  perturbateurs  :  les 
Gâtons  ,  dis  je,  à  estre  catilinaires,  et  n'ont  poinct  de 
honte  d'invoquer  Dieu  là  dessus ,  et  de  prendre  son 
nom  en  vain ,  de  l'appeller  à  tesmoing  de  leur  sincérité 
et  droicture  en  ceste  cause.  Dieu  jaloux  de  son  sainct 
nom,  scrutateur  des  cœurs  des  hommes,  qui  ne  peult 
tenir  pour  innocent  qui  employé  son  nom  à  vanité. 
Combien  plus  à  desseings  si  exécrables  ?  desseings  exé- 
crables ,  qui ,  soubs  nom  de  pieté ,  de  justice  et  d'ordre , 
confondent  tout  ung  estât,  le  remplissent  de  ven- 
geances ,  de  meurtres ,  de  brigandages ,  font  ung  million 
de  veuves  et  d'orphelins ,  reduicts  à  la  faim  et  au  bissac, 
tout  pour  contenter  la  seule  ambition.  Dieu  voit  tout 
cela  ,  Dieu  pénètre  jusqu'au  fond  :  Dieu  duquel  ils 
vont  se  moquant ,  en  l'invoquant ,  et  duquel  ils  senti- 
ront le  juste  courroux  et  la  malédiction  et  la  ven- 
geance ;  Dieu  garde  des  roys  ,  Dieu  tuteur  des  loix , 
conservateur  des  polices,  protecteur  du  povre  peuple  , 
qui  les  détruira,  qui  les  confondra ,  qui  les  foudroyera , 
detruisans  son  peuple ,  confondans  tout  ordre ,  ren- 
versans  les  loix  ,  conjurans  contre  leur  roy  et  son  estât , 
abusans  surtout  de  son  nom  sacré ,  du  zèle  de  Jésus 
Christ  et  de  son  Eglise,  pour,  soubs  ce  beau  voile,  atten- 
ter à  leur  supérieur ,  voler  la  couronne  ,  exposer  en 
proye  tous  ses  subjects. 

Peuples  qu'on  veult  mutiner,  soubs  ombre  de  bien 
public,  ressouvenés  vous  de  ces  prétendus  rejetions  de 


DE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  44g 

Charlemaigne ,  et  pour  interprètes  de  leur  dire,  lises 
Iturs   precedens  mémoires,  là   verres   qu'ils   veuUent 
estre  royaux  dépens  de  noslre  roy  ;  là  verres  quel_arrest 
ils  ont  conceu  contre  nous  et  nostre  prince  francois. 
Restes  de  la  France,  considérés  moi  ces  gens  soudoyés 
d'ung  roy  d'Espaigne.  C'est  donc  la  guerre  d'Espaigne, 
le  crible  des  vrais  François;  ils  parlent  ici  d'ung  succes- 
seur, et  vous  avés  veu  pourquoi  ils  vouldroient  morts 
tons  nos  princes;  ils  parlent  d'unir  la  foi,  d'unir  les 
relligions  :  mais  pour  diviser  Testât ,  pour  partager  nos 
provinces.  Ici  n'est  poinct  question  de  relligion  ;  nous 
avons  ung   roy  clirestien  trop  plus  zélateur  de  Dieu 
qu  eulx  tous   ensemble,  qui   sçaura   pourvoir,  et  par 
moyens  légitimes  et  convenables,  à  la  seureté  de  la  vraye 
relligion  pour  la  postérité.  Geste  saincteté  donc  n'est 
que    pure    hypocrisie;    ceste    ligue,    qu'ils    appellent 
saincle,une  feinte  dévotion,   une  vraye   conjuration 
contre  lestât;  ici  aussi  peu  est  il  question  de  la  refor- 
mation  de  ce  royaume  :  ces  gens,  quand  ils  n'y  ont  poinct 
veu  leurs  interests,  ne  s'en  sont  jamais  remués;  ces 
gens  au  contraire,  en  ce  peu  que  Dieu  leur  a  donné 
d'auctorité,  à  ce  peu  qu'ils  ont  eu  de  subjects,  n'ont 
iiionstré  qu'eschantillons  evidéns  de  violence  et  tyran- 
nie, et  puis  pensés,  je  vous  prye,  quel  remède  à  tous 
ces  maulx,  de  nous  jetter  en  la  guerre  civile,  c'est  à 
dire,  reformer  le  clergé  par  l'insolence  du  soldat,  espar- 
gner  le  sang  de  la  noblesse  par  une  suite  de  cruau- 
tés et  de  vengeances,  soulager  le  povre  peuple  par 
les  contributions,  les  foulles,   les  rançonnemens,  les 
pillages,  redresser  la  justice  par  l'anéantissement  de 
toutes  bonnes  loix ,  remettre  sus  l'ordre  et  la  police, 
par  la  chose  qui  seule  a  tousjours  introduit  la  confu- 
sion en  toutes  choses  :  mais ,  qui  pis  est     pensés  que 
Mf.m.  de  Dui'Lr.ssis-MoRNAy.  Tome  it.  2Q 


45o  ADVERTISSEMENT  SUR  L'INTENTION 
c'est  de  restaurer  la  France  en  l'ouvrant  de  toutes  parts, 
et  aulx  deniers  et  aulx  forces  d'Espaigne;  c'est  à  dire, 
vendre  à  l'Espaigne  nostre  patrie  ,  et  chasser  la  France 
hors  de  France  pour  y  faire  les  logis  de  la  Lorraine  et 
de  TEspaigne.  N'allèguent  ils  le  roy  de  Navarre  pour 
nous  abuser?  Il  est  prince  courageux,  prince  tout 
françois;  ils  l'ont  pour  suspect  et  le.  redoublent,  et 
taschent  par  tous  moyens  de  le  rendre  odieux,  eulx. 
confédérés,  eulx  amis  et  serviteurs  de  l'Espaignol  ;  lui 
vrai  sang  de  France,  lui  vrai  ennemi  et  à  très  grand 
droict ,  de  la  nation  d'Espaigne.  Reste  donc  que  ce  qu'il 
y  a  de  la  France  en  France  se  rallie  et  rejoigne  contre 
ceste  conjuration  maudite,  qu'on  n'oye  plus  entre  nous 
ces  noms  de  papistes  et  huguenots,  noms  ensevelis  par 
lesedicts  de  la  paix,  noms  bien  plus  à  ensevehr  main- 
tenant en  ceste  guerre ,  qui  n'a  fondement  qu'en  nos 
divisions;  que,  pour  tout,  il  n'en  soit  plus  parlé  entre 
nous  sinon  d'Espaignols  et  de  François  ;  que  nous  nous 
revoyons  à  ceste  occasion  reunis  dessoubs  la  croix,  je 
dis  contre  la 'croix  rouge  dessoubs  la  croix  blanche, 
marque  antique  de  nos  roys  ;  qu'il  soit  dict  à  la  postérité 
que  cette  division,  comme  aultrefois  les  Romains,  nous 
ait  reunis  ensemble ,  que  la  rébellion  de  ces  gens  nous 
ait  ramenés  à  la  vraie  obéissance,  je  dis  de  nos  loix  et 
de  nos  roys.  C'est  la  contre  ligue  que  nous  debvons  faire 
tous  ;  li^ue  née  en  nous ,  Hgue  naturelle  du  chef  avec 
tous  ses  membres  :  pour  y  parvenir  n'est  besoing  de 
brigues ,  n'est  besoing  de  monopoles;  le  sang  court  au 
cœur  et  le  bras  pare  la  teste  sans  délibérer  des  qu'il 
ressent  le  danger,  des  qu'il  apperçoit  le  coup  venir; 
soyons  tous  unis  ,  rangeons  nous  au  roy  ,  chaque  mem- 
bre se  dispose  à  faire  son  office;  je  vois  ces  ligueurs, 
ballais  déliés,  pièces  rapportées,  fondre  dessoubs  nous, 


DE  LA  MAISON  DE  LORRAINE.  45 1 

fondre  devant  nous,  fondre  et  se  confondre  par  eulx 
mesmes;  je  les  -vois  defaicts,  je  les  vois  rompus  et 
plus  par  leurs  propres  armes,  par  leurs  âmes  et  con- 
sciences, par  leur  cause  mesmes,  ou  pour  mieulx  dire 
prétexte,  que  par  les  jusles  forces  de  leur  roy,  de  leur 
prince  et  de  leur  magistrat  :  et  se  lira  partout  au  lieu 
du  tombeau  qu'ils  se  promettent,  ce  dicton  :  Ce  sont 
les  premiers  Espaignols  françois. 


LXXXI.  —  ^  RESPONSE  DE  MM.  DE  GUISE 

A  Vadverlissement  précèdent. 

Combien  que  ceulx  de  la  prétendue  relligion  ayent 
esté  déclarés   hérétiques  par   les  premiers  et  seconds 
Conciles  generaulx  en  sciences  de  l'Eglise,  et  que  les 
roys  François  premier  du  nom  et  Henry  second  son  fils 
les  ayent,  pnr  leurs  edicts,  condamnés,  les  courts  de 
parlement  de  ce  royaume  les  ayent  faict  mourir  par  le 
feu,  que  le  roy  François  second  les  ait  punis  par  glaive 
en  la  ville  d'Amboise,  les  roys  Charles  neuviesme  et 
nostreroy  Henry  troisiesme,  à  présent  régnant,  les  ayent 
poursuivis  comme  leurs  capitaulx  ennemis,  par  sièges 
de  villes,  et  quattre  batailles  données;  que  le  peuple  les 
ait  par  plusieurs  fois  courus  à  forces  aulx  massacres 
comme  gens  reprouvés;  toutesfois  ils  se  sont  particuliè- 
rement tousjours  attachés  à  la  maison  de  Guise  comme 
s'ils  eussent  esté  seuls  aucteurs ,  motif  et  cause  de  ce 
qu'ils  n'estoient  venus  à  leurs  intentions.  Et,  après  avoir 
quelque  temps  combattu  par  passages  de  l'Escriture 
saincte ,  et  par  les  armes  qu'ils  ont  peu  amasser  tant 
parla  France,  Allemaigne,  que  Angleterre;  enfin  ,  met- 
Jant  et  les  armes  spirituelles  et  les  corporelles  en  leur 


452  RESPONSE  DE  MM.  DE  GUISE 

fourreaux,  ils  se  sont  mis  à  calomnier  messieurs  de 
Guise  de  chose  qui  ne  concerne  en  rien  la  relligion; 
c'est  qu'ils  ont  dict  que  feu  monseigneur  de  Guise  pre- 
tendoit  à  la  couronne  de  France,  se  disant  estre  des- 
cendu de  Charlemaigne  ,  sur  la  race  duquel  Hugues 
Capet  a  usurpé  le  royaume;  à  ceste  cause  ils  disent  que 
l'on  a  appelle  huguenots  nos  roys  et  princes  du  sang  des- 
cendus dudict  Hugues  Capet,  comme  si  tous  les  hugue- 
nots feussent  princes  du  sang  de  France  et  héritiers  de 
la  couronne  ,  ou  qu'il  n'y  eust  que  lesdicts  princes  du 
sang  huguenots. 

En  leur  objectant  le  crime  de  leze  majesté,  ils  con- 
damnèrent aussi  quasi  tous  les  princes,  seigneurs,  gen- 
tilshommes et  subjects  du  roy  comme  complices  et 
aucteurs  de  crimes,  quand  ils  ont  pris  les  armes  avec 
ceulx  de  la  maison  de  Guise,  comme  le  feu  roy  de  Na- 
varre qui  feut  tué  au  siège  de  Rouen ,  les  feus  sieurs  de 
Montpensier,  de  la  Roche  sur  Yon ,  prince  dauphin;  les 
ducs  de  Nemours,  de  Longueville  et  de  Nevers,  tant 
père,  fils  que  gendre;  le  feu  connestable  qui  laissa  la 
vie  à  la  bataille  Sainct  Denis ,  le  mareschal  Sainct  André 
qui  feut  tué  à  la  bataille  de  Dreux ,  les  mareschaulx  de 
Montmorency  et  Danville ,  de  Brissac  ,  de  Tavanne  ,  de 
Biron,  de  Matignon;  les  sieurs  de  Martigues  qui  mou- 
rurent devant  Sainct  Jean  d'Angely,  le  sieur  de  Brissac 
qui  mourut  à  Mussidam ,  et  infinis  aultres  qui  ont  per- 
deu  et  les  biens  et  la  vie  pour  ceste  querelle,  lesquels 
tous  ont  esté  traistres  et  deloyaulx  à  leur  roy,  favorisant 
la  maison  de  Guise,  et  ont  esté  déclarés  lordauts  d'avoir 
ignoré  pourquoi  ils  portoient  les  armes. 

Aussi  de  dire  que  nos  roys  ayent  esté  si  peu  voyans 
qu'ils  n'eussent  jamais  cogneu  l'intention  de  ceulx  de 
Guise,  qui  estoit  de  les  despouiller  de  la  couronne  pour 


A  L'ADVERTISSEMENT  PRECEDENT.  4^^ 

s'en  investir ,  ce  seroit  leur  faire  tort.  L'événement  des 
guerres  a  monstre  que  toutes  les  villes  et  places  fortes 
qu'ils  ont  eues  en  leurs  mains,  ils  ne  se  sont  jamais  im- 
patronisés  d'une  seule  place  comme  ont  faict  les  hu- 
guenots ,  qu'ils  ont  retenu  pour  leur  dernière  main  les 
villes  de  La  Rochelle,  Sainct  Jean  d'Angely,  Montau- 
ban  et  plusieurs  aultres,  et  qui  avoient  mis  entre  les 
mains  des  Anglois,  anciens  ennemis  de  la  France,  les 
Havres  de  Grâce  et  aultres  places  de  grande  consé- 
quence. Donc  l'on  peult  dire  à  monsieur  de  Guise  ce 
que  Dion  recite  avoir  esté  escrit  sur  la  sépulture  des 
Ruffus  :  Y  gist  Ruffus,  lequel ,  ayant  chassé  l'ennemi ,  a 
recogneu  l'empire,  non  pour  lui,  mais  pour  sa  patrie; 
car  monsieur  de  Guise,  après  y  avoir  perdeu  la  vie,  a 
laissé  sa  maison  engagée  de  plus  de  six  cens  mille  livres 
comme  il  est  tout  notoire. 

Mais  c'est  aultre  chose  de  mesdire,aultre  chose  d'ac- 
cuser; car  celui  qui  accuse  s'inscrit  à  la  preuve  de  Tullon 
administrer  tesmoing,  use  d'argument,  de  conjecture 
et  indice  violent;  celui  qui  mesdit  se  contente  de  vomir 
tout  ce  qu'il  a  dedans  le  cœurpou^rse  décharger,  et  ne 
se  donne  peine  d'entrer  en  preuve. 

Si  ceulx  de  la  relligion  prétendue  qui  leur  impose 
ce,  craignent  demeurer  quelques  indices  de  ce  qu'ils 
dient  qu'ils  trouvassent  les  imprimeurs  qui  ont  mis 
soubs  la  presse  les  généalogies  dont  ils  parlent,  ils  au- 
roient  quelque  apparence  en  leurs  dires;  mais  ils  en 
parlent  fort  impertinemment  et  sans  verisimilitude  aul- 
cune  :  car  il  est  tout  certain  que  tant  d'historiens  qui  en 
ont  faict  mention,  tiennent  que  le  dernier  de  la  race 
de  Charlemaigne  mourut  sans  aulcung  enfant  raasle, 
comme  mesmes  tesmoignent  les  historiens  de  Lorraine; 
celles  des  evesques  de  Verdun ,  par  ung  nommé  Vas- 


454  RESPONSE  DE  MM.  DE  GUISE 

sabond;  la  généalogie  de  Lorraine ,  par  Charles  Estienne  ; 
aultre  livre  qui  est  intitulé  :  Testamenta  don.  Lotha- 
ringia ,  composé  par  ung  chanoine  de  Thoul ,  subjcct 
du  roy,  lequel,  pour  s'estre  trop  lié  en  parlant  du  roy 
nostre  prince  et  le  sien,  feut  faict  prisonnier  par  mon- 
sieur le  duc  de  Lorraine  et  accusé  par  monsieur  de 
Guise.  Estant  donc  ainsi  que  la  race  de  Charlemaigne 
soit  faillie  en  ligne  masculine,  quand  il  seroit  vrai  que 
ceulx  de  Lorraine  seroient  descendus  des  filles  d'icelui , 
qui  feut  dernier  de  la  race  de  Charlemaigne,  toutesfois 
ils  ne  seroient  capables  d'hériter  à  la  couronne  de 
France,  parla  loi  salique  inviolablement  gardée  en  ce 
royaume  qui  exclus  les  femelles,  et  ne  donne  la  cou- 
ronne à  ceulx  qui  sont  descendus  par  filles,  non  plus 
qu'elles  ne  tombent  en  quenouille. 

Et  si  ceulx  de  Braine  sont  descendeus  par  filles  dudict 
Charlemaigne  ,  aussi  en  sont  descendeus  nos  roys  et 
princes  du  sang  de  par  la  mère  de  Sainct  Louis. 

Et  si,  contre  la  loi  salique,  ceulx  de  Guise  preten- 
doient  à  la  couronne  comme  veneus  des  filles  de  France, 
ils  n'ont  pas  à  rechercher  leur  race  de  si  loing  :  car 
M.  de  Guise  est  petit  fils  du  roy  Louis  XII,  les  enfans 
de  M.  de  Lorraine  sont  petits  fils  du  roy  Henry  II ,  sans 
rechercher  ni  la  maison  d'Anjou  ,  d'Alençon  et  de 
Bourbon,  dont  ils  sont  veneus  par  filles. 

Cela  donc  est  sans  apparence,  et  seroit  leur  droict 
prescrit  par  sept  cens  ans  passés,  il  fauklroit  admettre 
la  succession  à  l'infini ,  où  le  droict  civil  et  canon  n'ad- 
mettent que  le  dixiesme  degré,  et  encores  où  ce  droict 
ne  seroit  prescrit  par  le  temps.  Ceulx  de  Lorraine  y 
auroient  renoncé  se  trouvant  au  sacre  des  roys  Charles  V, 
Charles  VI,  VII,  François  I,  Henry  II,  François  II, 
Charles  IX  et  nostre  roy,  où  ils  ont  assisté  comme  pairs 


A  L'ADVERTISSEMENT  PRECEDENT.  4^5 

et  ont  aidé  à  couronner  nos  roys,  ont  pris  estât  soiibs 
eulx ,  leur  ont  faict  foi  et  hommage  comme  à  leurs 
roys  et  princes  souverains. 

Dadvantage,  si  ainsi  estoit  qu'il  y  eust  quelque  droict 
pour  la  maison  de  Lorraine,  ce  seroit  premièrement 
au  duc  de  Lorraine,  puis  au  duc  de  Mercœur,  à  la 
débattre  ,  avant  que  ceulx  de  Guise  y  puissent  rien 
quereller. 

Donc  il  n'est  vraisemblable  que  feu  M.  de  Guise 
eust  pretendeu  à  la  couronne ,  ni  son  frère ,  et  si  vous 
me  dites  que  ce  n'est  pas  assés  de  le  denier,  et  si  pour 
denier  ung  crime  on  doibt  absouldre  ung  homme,  jamais 
il  n'y  auroit  aulcung  convaincu  :  je  vous  respondrai 
ce  que  dict  ung  grand  empereur  :  S'il  est  ainsi  que  ce 
soit  assés  que  d'accuser  pour  condamner ,  jamais  homme 
ne  se  trouvera  innocent. 

Aussi  ledict  argument  de  ceulx  de  la  prétendue  rel- 
ligion  se  trouvera  bien  foible  et  bien  léger,  quand, 
avec  une  délégation  seule,  il  sera  renversé  et  fellé;  si 
donc  ils  ont  quelques  tesmoings  de  le  dire  ,  ils  les  doib- 
■vent  produire,  et  accuser  seulement  ceulx  de  Guise  de 
si  grand  crime  :  car  qui  ne  deffera  ung  criminel  de 
leze  majesté  par  les  loix  civiles  dudict  royaume? 

J'adjousterai  encores  le  poinct,  que,  quand  ceulx  de 
Guise  seroient  descendeus  par  raison  de  Charlemaigne, 
ce  que  ne  sont,  toutesfois  ce  roy  leur  peult  dire  que 
Pépin,  père  de  Charlemaigne,  avoit  usurpé  le  royaume 
contre  les  successeurs  de  Pharamond ,  consequemment 
que  Hugues  Capet  et  sa  race  y  ont  autant  de  droict  que 
ceulx  de  Charlemaigne  :  mais  qu'est  il  besoing  de  se 
défendre  quand  il  n'y  a  aulcun  procès  intenté  pour  ce 
faict  la,  et  qu'on  ne  doibt  recevoir  ung  criminel  à  ses 
faicts  justificatifs  avant  qu'on  lui  çitparfaict  son  procès.^ 


456  RESPONSE  DE  MM.  DE  GUISE 

Il  est  vraisemblable  assés  que  M.  le  cardinal  de 
Bourbon ,  s'il  cognoissoit  l'intention  de  M.  de  Guise 
estre  telle  qu'il  voulleust  déshériter  de  la  couronne 
MM.  de  Bourbon  pour  se  l'approprier,  il  ne  vouldroit 
adhérer  à  ses  desseings,  ou  il  s'oubliroit  par  trop. 

Mais  c'est  la  façon  ordinaire  des  huguenots  de  se 
mesler  des  choses  qui  ne  leur  appartiennent  en  rien  , 
et  semer  des  noises  entre  les  princes  pour  leurs  rangs, 
où  ils  debvroient  disputer  des  poincts  controversés  en 
la  relligion  par  auctorité  de  la  justice,  Escriture  et  des 
pères  de  TÉglise. 

Ils  n'ont  jamais  cessé  qu'ils  n'ayent  tiré  hors  de  la 
court  le  roy  de  Navarre  à  qui  le  roy  Charles  avoit 
baillé  sa  sœur  en  mariaige,  et  qui  aimoit  singulière- 
ment M.  de  Guise  comme  chacung  sçait,  estant  ordi- 
nairement ensemble  comme  proches  parens  ,  enfans  des 
deux  cousins   germains,  ayant  aussi  M.   de  Guise  sa 
cousine  germaine,  beau  frère  d'ailleurs  de  M.  le  prince 
de  Condé;  et  de  le  rendre  si  ennemi  de  la  maison  de 
Bourbon,  comme  ils  le  font  ,  c'est  dissouldre  une  trop 
grande  alliance  :  il  n'y  a  maison  plus  alliée  de  celle  de 
Bourbon  que  celle  de  Lorraine;  la  graiidmere  de  feu 
Claude  de  Lorraine,  duchesse  de  Gueldres,  sa  femme, 
se  nommoit  Anthoinette  de  Bourbon,  la  mère  de  M.  de 
Guise  estoit  sœur  de  M.  le  cardfnal  de  Bourbon;  la  grand 
mère  du  duc  d'Elbœuf  estoit  sœur  de  feu  M.  de  Mont- 
pensier;  la  grand'mere  du  duc  de  Lorraine  estoit  sœur 
de  Charles  de  Bourbon,  connestable  de  France  ;  feu  M.  de 
Montpensier  avoit   espousé   la    femme   de  feu   M.  de 
Guise;  la  grand'mere  de  M.  le  cardinal   de  Bourbon 
se  nommoit  de  Lorraine,  qui  estoit  duchesse d'Alençon: 
voilà  comment  ils  sont  parens  et  alliés,  et ,  n'estoit  la 
relligion  ,  très  bons  et  fidèles  amis. 


A  L'ADVERTISSEMENT  PRECEDENT.  4^7 

De  les  rendre  aussi  ennemis  de  nos  roys ,  est  chose 
qui  ne  se  peult  croire,  et  qu'ils  voulleussent  les  priver 
de  la  couronne.  Le  roy  François  II  avoit  espousé 
la  royne  d'Escosse,  nièce  de  feu  M.  de  Guise;  le  duc 
de  Lorraine  avoit  espousé  la  fille  du  roy  Henry  II,  dont 
il  en  a  enfans,  et  le  roy  présent  a  faict  cest  honneur 
à  la  maison  de  Lorraine,  que  d'espouser  la  fille  de  feu 
M.  de  Vaudemont. 

Et  combien  que  la  loi  salique  reprouve  les  femelles 
de  la  couronne ,  toutesfois  elle  n'est  si  forte  qu'elle 
puisse  esteindre  le  parentage  qui  est  entre  eulx  de 
droict  de  nature,  plus  ancien  et  plus  fort  que  la  loi 
salique. 

Ils  imputent  à  la  maison  de  Guise  qu'ils  se  sont 
agrandis  aux  despens  du  roy;  toutesfois  les  terres  de 
Guise,  de  Joinville,  du  Maine,  d'Aumalle,  d'Elbœuf 
et  aultres  qu'ils  tiennent,  leur  viennent  d'antiquité  de 
la  maison  de  Lorraine,  le  duché  de  Mercœur  de  la 
maison  de  Bourbon  connestable,  dont  le  duc  de  Lor- 
raine estoitnepveu,  aussi  proche  que  M.  deMontpensier, 
et  n'est  poinct  à  rechercher,  qu'ayant  faict  service  à  nos 
roys,  ils  se  soient  sentis  quelquefois  de  leur  libéralité, 
parce  que  plusieurs  aultres  qui  sont  en  leur  degré,  ou 
de  parenté  ou  de  mérite,  en  ont  beaucoup  plus  em- 
porté en  peu  de  temps. 

Si  vous  me  demandes  quel  service  ils  ont  faict ,  voyant 
les  histoires  de  France ,  qui  sans  passion  en  tesmoignent, 
où  vous  verrez  (ju  il  y  a  peu  de  princes  ou  seigneurs  de 
France,  qui  n'ayent  quelquesfois  faillis, se  rangeant  du 
coste  des  ennemis  du  roy;  mais  nuls  de  ceulx  de  Lor- 
raine, (quoiqu'ils  ne  fussent  subjects,  se  sont  rendeus 
du  parti  contraire  à  nos  roys,  lesquels  ont  faict  comme 
l'oye  nourrie  dans  la  ville  de  Rome,  non  pour  la  garde, 


458  RESPONSE  DE  MM.  DE  GUISE 

toutesfois  feirent  meilleure  guerre  que  les  chiens,  et  les 
mortes  payes  (i)  qui  estoient  ordonnés  et  nourris  pour 
ce  faire. 

On  a  escrit  que  le  roy  François  I"  les  avoit  pour 
suspects  et  ne  les  aimoit  pas  :  si  aultres  que  les  liu- 
guenots  l'avoient  escrit,  j'en  passerois  quelque  chose, 
mais  tel  personnage  est  ainsi  à  reprocher.  MM.  de  Lor- 
raine lui  avoient  tousjours  faict  bon  et  loyal  service  :  à 
la  journée  de  Marignan,  Anthoine ,  duc  de  Lorraine,  y 
estoit,  et  Claude  de  Lorraine,  duc  de  Guise,  son  frère, 
qui  feut  trouvé,  comme  on  recite  tous  les  jours,  parmi 
les  morts,  respirant  ;  son  frère  François  de  Lorraine  feut 
tué  en  la  bataille  de  Pavie,  oii  le  roy  feut  pris.  Le  duc 
de  Guise  feut  employé,  durant  ce  règne,  en  toutes  les 
armées ,  et  est  tout  notoire  que  l'ung  des  plus  favoris 
du  roy  François  estoit  Jean,  cardinal  de  Lorraine;  mais 
je  crois  qu'ils  ont  controuvé  ceste  calomnie,  comme  ils 
ont  faict  beaucoup  d'aultres;  quant  est  du  roy  Henry, 
riiistoire  tesmoigne  assés  comme  ils  estoient  désirés  et 
bien  veneus  vers  lui,  comme  ayant  gouverné  les  plus 
grandes  affaires  de  son  royaume,  tant  en  guerre  que 
pour  la  police;  quand  François,  duc  de  Guise,  en 
combattant  contre  les  Anglois,  receut  ung  coup  de 
Jance  qui  lui  oultrepassa  la  teste  ,  qu'il  combattit  l'em- 
pereur à  Renty,  qu'il  défendit  Metz,  qu'il  reconquit 
Calais,  Guines  et  aultres  places,  qu'il  feut  son  lieutenant 
gênerai  en  l'armée  près  Amiens.  Ung  peu  devant  la  paix 
faicte  entre  le  roy  et  l'Espaignol,  on  lui  objecte  qu'il 
a  mené  une  armée  en  Italie  pour  lui  conquérir  le 
royaume  de  Sicile,  comme  s'il  commandoit  au  roy, 

(i)  Gens  qui,  pour  impôts,  étaient  commis  à  la  garde  de  la 
^■ille. 


A  L'ADVERTISSEMENT  PRECEDENT.  4^9 

autant  aa^e  rjiie  lui  ,  auquel  on  faict  peu  d'honneur 
de  lui  irnpuler  quil  se  Jaissoit  ainsi  gouverner  à  son 
subject. 

Quant  à  Charles,  cardinal  de  Lorraine,  on  lui  im- 
pute qu'il  a  ordonné  des  finances,  et  demande,  ou 
que  ses  Iieritiers  en  rendent  compte,  comme  s'il  eust 
esté  thresorier  de  Tespargne,  et  qu'il  eust  manié  les 
finances  dont  il  feut  comptable.  Les  thresoriers  de  ce 
temps  là  ont  compté  en  la  cbambre  des  comptes ,  où 
lors  les  finances  alloient  bien  d'ung  aultre  train  qu'elles 
ne  font  maintenant  ;  on  sçavoit  alors  que  le  tout  estoit 
devant  jusqu'à  ung  liard  :  les  deniers  ne  se  recevoient 
que  par  les  comptables.  Et  pour  finir  le  règne  du  roy 
Henry  II  lorsqu'il  feut  tué  au  tournoi,  feu  M.  de 
Guise  estoit  l'un^i  des  vivans  avec  lui. 

Depuis  on  les  a  calomniés  qu'ils  s'estoient  saisis  du 
feu  roy  François  II;  mais  quel  tort  lui  ont  ils  faict?  Ils 
l'ont  préservé  des  embusches  contre  lui  dressées  à  Am- 
boise,  ils  ont  faict  révoquer  les  trois  estats  à  Orléans, 
qui  monstre  qu'ils  ne  voulloient  rien  faire  au  préjudice 
du  royaume. 

Lui  decedé,  le  roy  Charles  IX  veint  au  royaume;  in- 
continent les  troubles  commencèrent  tels  que  ung  cha- 
cung  sçait;  la  bataille  de  Dreux  se  donna  où  feu  M.  le 
duc  de  Guise  se  trouva,  comme  il  feit  au  siège  de  Paris, 
à  Rouen  ,  et  d'Orléans,  où  il  feut  proditoirement  occis; 
son  frère,  le  duc  d'Aumalle,  occis  devant  La  Rochelle, 
après  s'estre  trouvé  aux  batailles  de  Dreux,  Sainct  Denis, 
Jarnac  et  Montcontour  ,  et  demeurés  endebtés  tellement 
que  leurs  enfans  n'en  sont  encores  hors  :  quant  à  nostre 
roy,  il  sera  tesmoing  et  juge  de  ce  qu'il  a  veu  à  l'œil, 
comme  des  services  que  Henry  de  Lorraine,  duc  de 
Guise,  le  duc  de  Mayenne  son  frère  ont  faicts  qui  sont 


46o  RESPONSE  DÉ  MM.  DE  GUISE 

trop  recens  pour  le  coucher  en  ce  lieu  ,  et  lesquels,  de- 
puis dix  ans  en  ça,  ont  eu  si  peu  d'entremise  aulx  affaires 
du  conseil ,  qu'ils  n'ont  eu  moyen  ni  de  s'açgrandir ,  ni 
d'avancer  les  leurs,  encores  que  de  ce  règne  certains 
seigneurs  y  ont  tellement  faict  leur  besogne  ,  qu'ils  se 
peuvent  comparer  aulx  plus  grands  princes,  en  biens 
et  honneurs. 

Voilà,  en  somme,  comme  se  sont  gouvernés  mes- 
sieurs de  Guise,  à  qui  est  plus  d'honneur  d'estre  blasmé 
et  calomnié  par  ces  boutefeux  de  ministres,  que  den 
estre  esteint. 

Quand  est  de  la  ligue  qu'ils  ont  entreprise  depuis 
quelques  jours,  pour  ne  voir  la  France  reduicte  en 
l'estat  où  l'Angleterre  est  maintenant,  f]ue  les  princes 
catholiques  sont  gesnés  et  tourmentés  continuellement, 
ou  sont  bannis  et  réfugiés  hors  de  leurs  pays,  et' privés 
de  leurs  maisons  et  biens,  et  de  leurs  parens  et  amis, 
le  réserverai  je  d'en  juger  jusques  à  ce  que  le  roy  lui 
mesraes  les  ait  jugés,  et  l'événement  a  assés  découvert 
quelle  est  leur  intention. 

Or,  d'autant  que,  pour  esblouir  les  yeux  de  quelques 
ungs  qui  ne  seroient  assés  bien  confirmés  en  leur  rel- 
ligion ,  ou  qui  prefereroient  les  misères  de  ce  monde 
aux  béatitudes  de  la  vie  éternelle,  le  diable  et  ceulx 
qui  sont  conjurés  avec  lui  pourroient  leur  proposer 
que  les  princes  catholiques  qui  sont  à  présent  armés, 
vouidroient ,  soubs  le  manteau  de  relligion ,  s'addresser 
à  Testât  et  à  la  personne  du  roy;  iceulx  princes  des- 
clarentappertement,  et  désirent  que  ung  chacung  s'ac- 
corde, que  tant  s'en  fault  que  telle  soit  leur  intention; 
et  qu'avec  la  cause  de  Dieu,  leqiiiel,  avec  la  vérité  de 
sa  parole,  sont  agréables  injures  et  torts  de  ceulx  qui 
les  remettent  en  la  main  de  justice ,  y  veullent  rien  mes- 


A  L'ADVERTISSEMENT  PRECEDENT.  4^1 

1er  de  leur  particulier;  qu'ils  n'ont  aultre  chose  sur  ce, 
comme  n'ont  les  armes  sur  le  dos  ,  et  ne  se  sont  dis- 
posés d'employer  leur  vie  et  leurs  moyens  et  ceulx  de 
leurs  subjects  et  confédérés,  que  pourra  manutention 
de  l'Eglise ,  la  tuition  et  défense  d'icelle  ;  et  comme 
eulx,  estant  les  premiers  princes  du  sang,  pairs  de 
France  et  officiers  de  la  couronne ,  ils  pensent  avec 
raison  et  auctorité  de  Testât,  chacung  sachant  assés 
en  quelle  disposition  il  est  à  ceste  heure.  Ce  n'est  tou- 
tesfois  leur  but  et  leur  fin ,  encores  moins  de  toucher 
aux  deportemens  du  roy ,  la  majesté  duquel  leur  est 
saincte  et  sacrée,  pour  lequel  ils  sont  armés,  et  non 
contre  lui;  pour  la  vie  duquel  ils  veullent  mourir,  et 
non  attenter  à  sa  personne  ;  ainsi  la  seule  cause  de 
l'Eglise  catholique,  de  laquelle  il  s'asseurent  que  le  roy 
ne  se  devoyera  jamais,  les  a  unis,  leur  a  faict  ceindre 
les  armes  et  jurer  qu'ils  mourront  plustost  mille  fois,  si 
faire  se  pourroit,  que  voir  l'Eglise  appovrir  par  ses 
ennemis.  Sçavent  iceulx  princes ,  fort  bien,  que  l'Eglise 
bien  establie,  et  la  reunion  en  nos  cœurs.  Testât  sera 
aussi;  et  qu'icelle  abolie  et  délaissée,  Testât  sera  bien 
ébranlé. 

Pour  ce,  vos  très  humbles  subjects  et  serviteurs, 
qu'ils  sont  du  roy  ses  proches  parens ,  ses  plus  fidèles 
conseillers,  ceulx  desquels  de  ses  yeulx  il  a  veu  lui 
mesmes  combattre  ses  ennemis ,  qu'il  a  veu  au  milieu 
des  batailles,  ramener  blessés  pour  son  service,  non 
une  fois,  mais  plusieurs,  qui  ont  heureusement  de- 
fendeu  les  villes,  assailli  et  pris  celles  de  ses  adver- 
saires, réuni  ses  provinces  en  son  obéissance,  reteneu 
tousjours  celles  qui  leur  ont  esté  commises  en  leur  deb- 
voir  et  fidélité,  desquels  les  membres  blessés  sont  les 
marques  et  le  sceau  de  leur  foi  envers  Dieu  et  envers 


462  RESPONSE  DE  MM.  DE  GUISE 

le  roy,  prosternés  devant  sadicte  majesté,  le  supplient 
embrasser  avec  eulx  la  défense  de  1  Eglise,  ne  se  sé- 
parer poinct,  s'il  lui  plaist,  d'icelle,  et  se  soubvenir 
du  nom  de  très  chrestien ,  qui  est  le  plus  beau  et  re- 
commandable  de  celui  de  monarchie  du  monde;  se 
soubvenir  du  premier  serment  qu'il  a  faict,  prenant  la 
couronne,  non  de  France  seulement,  qui  est  beau- 
coup toutesfois  d'avoir  le  nom  de  fils  aisné  de  l'Eglise, 
du  protecteur  et  défenseur  d'icelle,  qui  est  encore  dad- 
vantage;  et  à  considérer  que  ne  prenant  en  main  ceste 
tuition,  laquelle  et  comme  chrestien  et  comme  roy, 
très  chrestiennement  s'est  obligé,  oultre  les  malédic- 
tions, ruynes,  renversement  d  estât  qui  auroient  et 
sont  adveneus  aulx  anciens  roys  et  princes,  lesquels  ont 
manqué  à  Dieu  ,  à  l'Eglise,  et  à  leur  foi,  et  à  son  ser- 
vice, ou  il  fault  qu'il  demeure  neutre  et  spectateur  des 
batailles  que  donneront  ces  princt'S  ,  que  Dieu,  pour 
la  défense  de  son  Eglise,  a  de  sa  propre  main  armes, 
ou  il  sera  besoing  qu'il  se  range  du  costé  des  ennemis 
de  Dieu  :  demeurant  neutre,  il  n'y  aura  nul  dotibte  que 
sera  la  proye  des  victorieux;  se  rangeant  du  costé  des 
ennemis  de  Dieu  et  de  son  Eglise ,  comme  furieux  et 
reprouvé  du  sens,  il  déchirera  ses  entrailles  et  se  cou- 
pera la  gorge  lui  mesmes.  Aura  il  donc  plus  de  fiance 
aulx  armes  desquelles  il  a  veu  maintefois  les  lances  et 
piques  baissées  contre  lui,  aux  chefs  capitaines,  des- 
quels il  a  veu  l'espee  tirée  pour  la  lui  cacher  dedans 
le  cœur,  qu'à  ceulx  qu'il  a  senti  apposer  leurs  corps 
propres  pour  empescher  que  le  sien  ne  feust  blessé  ? 
aura  il  plus  d'asseurance  en  la  parole  de  ceulx  qui  la 
lui  ont  faulsee  tant  de  fois ,  qu'à  peine  se  peult  i  dire, 
que  non  pas  à  la  foi  des  princes  et  bons  subjects  qui  la 
lui  ont  inviolablement  gardée  et  la  lui  conservent  en- 


A  L'ADVERTISSEMENT  PRECEDENT.  463 

cores  en  son  entier,  sans  jamais  avoir  changé  ni  de  foi, 
ni  de  relligion,  ni  de  roy  ?  aura  il  certitude  des  catho- 
liques incertains,  qui  remercieront  Dieu  pour  s'as- 
seurer  du  monde?  estans  prests  à  combattre,  qui  lui 
proposera  que  Dieu  est  pour  eulx ,  pour  lequel  ils  ont 
pris  les  armes,  qu'il  n'est  pour  leur  foi  et  relligion, 
laquelle  ils  ont  abandonnée  ;  pour  les  sainctes  Eglises 
et  aultres  qu'ils  combattent;  qu'ils  fortifient  et  accom- 
pagnent les  bras  de  ceulx  qui  les  détruisent  ;  pour  leurs 
enfans  et  famille ,  qui  peult  estre  combattront  entre  eulx 
mesmes,  parce  que  nous  ne  sommes  pas  tant  redeva- 
bles à  nos  pères  et  nos  princes  ,  que  nous  sommes  rede- 
vables à  Dieu  et  à  son  Eglise  ,  et  parce  que ,  si  sa  majesté 
se  range  du  costé  de  ses  ennemis  mesmes  et  des  ennemis 
de  Dieu,  il  n'allumera  pas  seulement  ung  feu  qu'il  ne 
pourra  esleindre  dans  les  provinces  de  son  royaume, 
mais  dans  les  maisons  particulières  et  dans  les  cœurs 
de  ses  subjects.  Le  roy,  premier  après,  marchant  à  la 
teste  de  son  arjnee,  desquels  se  gardera  il  plus  tost,  ou 
de  ceulx  qui  seront  derrière  lui  pour  le  tirer,  comme 
par  tant  de  fois  ils  ont  tasché  de  faire  et  l'ont  entrepris , 
ou  de  ceulx  qu'il  aura  en  front,  lesquels  le  salueront 
plus  tost  et  lèveront  les  bras,  que  de  toucher  à  sa  per- 
sonne ,  leurs  armées  n'estant  poinct  duites  ni  prises , 
pour  offenser  le  roy,  comme  sont  celles  des  ennemis 
de  Dieu  et  de  l'Eglise,  entre  les  bras  desquels,  s'il  se 
jette,  il  ne  doibt  attendre  qu'une  subite  mort,  une 
ruyne  et  désolation  de  son  estât;  et  la  raison  de  ceci 
est  que  iceulx  hérétiques,  demeurans  maistres  et  supé- 
rieurs, si  des  l'heure  mesmes  du  combat  ils  ne  mettent 
à  mort  le  roy  après  la  victoire  obtenue,  ils  se  prive- 
ront de  son  auctorité  sans  double,  ou  attenteront 
à  sa  vie. 


464  RESPONSE  DE  MM.  DE  GUISE 

Que  la  volonté  des  hérétiques  n'ait  esté  réelle  jus- 
ques  ici,  chacung  le  peult  considérer;  qui  ne  sçait 
que  la  lance  du  feu  prince  de  Gondé  en  la  rencontre 
de  Jarnac  ,  ne  cherchoit  pas  plus  tost  l'estomac  du  roy 
que  de  nul  aultre  ;  que  l'espee  du  feu  admirai  en  la  ba- 
taille de  Montcontour  n'estoit  pas  traicte  pour  la  bai- 
gner au  sang  de  sa  majesté  ;  que  tous  les  hérétiques 
ne  menaçoient  pas  sa  teste  et  ne  souhaitoient  pas  sa 
mort  plus  tost  que  nulle  aultre?  et  eulx  le  scavent  vrai- 
ment ,  qui  lors  ont  combattu  avec  le  roy,  qui  l'ont  re- 
levé de  cheval ,  et  ont  esté  ministres  et  aucteurs  en  partie 
de  sa  victoire;  or  que  lesdicts  hérétiques  changent 
d'opinion  lorsqu'ils  se  verront  au  dessus  de  leurs  affaires. 
Celui  là  seul  le  peult  comprendre  qui  sçait  si  tels 
personnages  pardonnent  a  leur  ennemi  quand  ils  le 
tiennent  foulé  à  leurs  pieds,  et  ung  tel  ennemi  encores 
qui,  sans  cesser,  leur  a  faict  la  guerre,  les  a  rompus, 
poursuivis  et  domptés  comme  a  faict  le  roy,  duquel  la 
mort  et  la  fin  est  le  commencement  et  la  vie  de  leur 
auctorité,  et  qu'ils  n'ignorent  poinct  estre  vrai  catho- 
lique en  son  courage. 

Le  chef  mis  à  bas ,  que  peuvent  espérer  les  catho- 
liques tiedes  et  fluans  en  leur  foi,  lesquels,  ayant  com- 
battu pour  les  hérétiques,  auront  combattu  contre  eulx 
mesmes  ,  sinon  que  les  hérétiques  estans  venus  au  som- 
met de  leur  puissance,  et  où  il  y  a  si  long  temps  qu'ils 
s'y  désirent  et  se  promettent  quasi  desjà  estre,  rendront 
avec  usure  aulx  catholiques  ce  qu'ils  leur  ont  preste 
par  ci  devant;  c'est  à  dire  ils  osteront  des  gouverne- 
mens,  charges  et  offices,  tant  de  judicature  que  de 
finances  et  des  estats  particuliers  des  villes,  ceulx  qui 
ne  seront  de  leur  relligion,  et  empescherontque  aulcung 
cathohque  y  puisse  parvenir;  car,  quant  aulx  eccle- 


A  L'ADVERTISSEMENT  PRECEDENT.  465 

siastiqiies,  comme  l'extermination  de  leurs  personnes, 
les  massacres  qui  se  commettront  auparavant  sur  iceulx, 
ils  doibvent  estre  asseurés  qu'il  sera  j  etté  sur  leurs  robbes, 
ce  qui  sera  la  dernière  ruyne  de  l'Eglise ,  parce  que 
Tambition  et  l'avarice  ont  tant  de  pouvoir  sur  le  cœur 
des  mortels  que  nous  avons  veu,  depuis  six  ans,  la  cham- 
bre mi  partie  avoir  plus  faict  d'heretiques  en  France , 
seulement  pour  gaigner  le  temps  en  ung  procès,  que 
les  presches  des  ministres  et  leur  institution  n'avoient 
faict  vingt  ans  auparavant.  Que  sera  ce  donc  lorsque 
les  hérétiques  seront  roys,  tiendront  les  armes,  les  pro- 
vinces, la  justice,  les  finances,  et  bref  tout  Testât  en 
leurs  mains,  sinon  qu'ils  se  souilleront  de  la  vengeance 
si  long  temps  préméditée  contre  nous  aultres  povres 
misérables  catholiques?  ou  au  contraire,  s'il  plaist  au 
roy  ne  prendre  poinct  le  nom  de  protecteur  de  l'Eglise, 
lequel,   par  tant  de  victoires,  il  s'est  acquis;  s'il  lui 
plaist  tirer  du  fourreau  le  coustelas  sacré  qui  lui  feut 
envoyé  par  nostre  sainct  père  le  pape  comme  à  celui , 
la  valeur  et  magnanimité  duquel  avoit  faict  paroistre 
qu'il  estoit  lors  le  plus  fort  et  le  plus  vigoureux  défen- 
seur de  l'Eglise  entre  tous  les  princes  chrestiens  ;  s'il 
plaist  à  sa  majesté  estre  chef  de  ceulx  qui  lui  ont  tous- 
jours  obéi,  entendu  sa  voix  et  receu  tousjours  ses  com- 
mandemens ,  et  qui  sont  prests  à  les  recevoir,  qui  ont 
tousjours  combattu  avec  lui,  et  sont  retournés  victo- 
rieux, il  n'y  a  nul  double  que  Dieu  verra  le  cœur  de 
ses  subjects,  renversera  ses  ennemis,  asseurera  les  tro- 
phées que  par  ci  devant  il  a  eslevés  des  despouilles  des 
hérétiques,  et  que  sa   majesté  viendra  h  bout   de  ce 
qu'elle  a  par  tant  de  fois  demandé  à  Dieu ,  qui  est  l'exter- 
mination d'heresie,  restablira   son  estât,   régnera  en 
paix  asseuree  et  non  incertaine,  et  Dieu  enfin  lui  don- 

MÉM.  DE  DUPLESSIS-MORNAY.  ToME  H.  3o 


466  RESPONSE  DE  MM.  DE  GUISE,  etc. 

nera  des  enfans,  ayant  esté  peult  estre  différée  ceste bé- 
nédiction, jusqu'à  ce  que,  suivant  la  trace  de  ses  pré- 
décesseurs ,  ce  que  par  ci  devant  il  a  si  heureusement 
faict ,  la  dextre  de  sa  majesté  soit  armée  pour  la  tuition 
et  défense  des  affaires  de  Dieu  et  de  son  Eglise. 


LXXXII.  —  ^  REGLEMENT  DU  CONSEIL. 

Du  I"  janvier  i584. 

Le  roy  de  Navarre ,  désirant  establir  ung  bon  rè- 
glement pour  la  conduicte  de  ses  affaires  et  pour  Tordre 
et  dignité  de  son  conseil  privé,  a  ordonné  ce  qui  s'en- 
suit. 

Qu'il  y  aura  conseil  trois  jours  la  sepmaine,  pour  les 
affaires  de  la  justice,  et  trois  jours  pour  les  finances, 
scavoir  :  est  le  lundi,  mercredi  et  vendredi  pour  la 
justice  ;  et  le  mardi ,  jeudi  et  samedi  pour  les  finances; 
et  s'assembleront  les  chancelliers  ,  superintendans,  se- 
crétaires d'estat  avec  le  reste  du  conseil,  à  deux  heures 
après  midi  au  logis  du  roy,  s'il  y  a  commodité,  et  en 
salle  ou  chambre  qu'il  fera  marquer  à  ceste  fin,  et  où, 
pour  l'occurrence  des  affaires  ,  sembleroit  nécessaire 
tenir  ledict  conseil  plus  souvent  et  à  aultres  heures, 
les  gens  dudict  conseil  aultres  que  messieurs  les  chan- 
cellier,  superintendant  et  premier  gentilhomme  de  la 
chambre ,  les  secrétaires  d'estat  ordinaires  et  celui  qui 
sera  en  quartier,  et  le  maistre  des  requestes  qui  sera  en 
quartier,  et  non  aultres ,  s'ils  ne  sont  conseillers  du  con- 
seil privé  dudict  seigneur  roy,  et  pour  le  regard  des  ex- 
traordinaires, les  presidens  et  gentilshommes  signalés  qui 
seront  conseillers  dudict  privé  conseil,  et  non  aultres. 
Ne  seront  rapportées  aulcunes  requestes  audict  con- 


REGLEMENT  DU  CONSEIL.  467 

seil  que  par  le  maistre  des  requestes  en  quartier ,  si 
ce  n'est  que  par  les  chancellier  ou  superintendant  elles 
ayent  esté  distribuées  à  ung  aultre  selon  la  nécessité  et 
occurrence  des  affaires. 

Sera  faict  registre  de  tous  les  résultats  dudict  conseil 
par  celui  des  secrétaires  ordinaires  servant  par  quartier, 
qui  se  trouvera  audict  conseil  ;  et ,  s'il  y  a  esté  traicté 
d'aulcungs  affaires  d'estat  et  de  finances,  ledict  secré- 
taire baillera  ung  extrait  desdicts  résultats  aulx  secré- 
taires d'estat  et  des  finances  et  aultres ,  pour,  par  eulx , 
faire  les  expéditions  arrestees  aussi  que  chacung  d'eulx 
escherra  et  appartiendra,  selon  les  différences  et  distinc- 
tion de  leurs  qualités ,  fonctions  et  charges ,  et  pour 
les  rendre  aulx  parties  par  ceulx  qui  les  expédieront 
sans  qu'aulcuns  entreprennent  de  s'advancer  par  dessus 
ce  qui  est  de  leur  charge;  et  seront  lesdicts  résultats 
signés  dedans  ledict  registre  du  conseil  ,  soit  par  le 
chancellier ,  soit  par  voix  de  superintendant  et  aultres 
dudict  conseil,  si  besoing  est,  et  seront  lesdictes  re- 
questes délivrées  à  ceulx  desdicts  secrétaires  à  qu'il 
appartiendra. 

Et  afin  que  chacung  desdicts  secrétaires  entende  dis- 
tinctement sa  charge,  tous  dont  brevets,  lettres  et  pro- 
visions d'estats  et  offices  quelconques,  edicts,  ordon- 
nances ,  reglemens  et  aultres  expéditions  concernans 
Testât ,  seront  expédiés  par  le  secrétaire  d'estat  ordi- 
naire, ou  en  quartier,  primativement  à  tous  aultres,  à 
peine  de  nullité  desdictes  expéditions ,  sans  qu'elles  puis- 
sent aultrement  estre  scellées  ;  et,  quant  aulx  expéditions 
des  finances ,  elles  seront  depeschees  par  lesdicts  secré- 
taires d'estat ,  et  par  les  secrétaires  des  finances  ordi- 
naires et  en  quartier  ;  les  aultres  depesches  ou  expedi- 


468  REGLEMENT 

lions  de  justice  pourront  estre  expédiées  par  les  secré- 
taires ordinaires  estant  en  quartier,  comme  aussi  les 
lettres  missives  quand  elles  leur  seront  commandées. 

Et  pour  esviter  la  contrariété  des  depesches,  qui  est 
quelquefois  adveneue  par  la  confusion  des  secrétaires, 
ne  seront  doresnavant  escrites  soit  de  faveur  et  recom- 
mandation à  la  court,  ni  aulx  gens  de  la  justice ,  sans- 
en  prendre  l'advis  desdicts  chancellier  ou  superinten- 
dant ou  secrétaire  d'estat  ordinaire  ou  en  quartier. 

Ceulx  du  conseil ,  à  sçavoir,  maistres  des  requestes, 
secrétaires  et  aultres ,  se  trouveront  pour  exercer  leur 
charge  au  commencement  de  leur  quartier,  qui  leur 
sera  ordonné,  et  non  plus  tost ,  et  icelui  fini,  se  retireront 
pour  faire  place  à  ceulx  qui  entreront  en  quartier. 

Le  thresorier  gênerai  de  la  maison  rapportera  au  con- 
seil ,  tous  les  mois  ou  de  quartier  en  quartier,  ung  estât 
abrégé  de  la  recette  et  dépense  ordinaire  et  extraor- 
dinaire de  ladicte  maison,  qui  sera  vérifié  sur  les  estats 
et  mandemens  et  acquits  qu'ils  représentera. 

Seront  aussi  ci  après  rapportés  au  conseil  dudict  sei- 
gneur roy,  une  fois  la  sepmaine,  à  sçavoir,  le  mardi ,  les 
journaulx  de  la  dépense  ordinaire,  et  le  rolle  de  l'ex- 
traordinaire à  la  fin  de  chacung  quartier,  pour  y  estre 
leus  et  vérifiés  et  visés  d'ung  superintendant  de  la 
maison,  et  signé  d'ung  secrétaire  d'estat  servant.  Au- 
quel rolle  extraordinaire,  seront  couchées  les  parties 
que  les  marchans  et  aultres  fournisseurs  auront  déli- 
vrées et  fournies  pendant  ledict  quartier  ;  et  icelui 
expiré,  et  ledict  rolle  clos  et  arresté,  ne  sera  eu  aulcung 
esgardaulx  parties  dudict  quartier  qui  seront  présente- 
ment après  la  closture  dudict  rolle;  et  sera  à  cestuis 
le  présent  article  signifié  aulx  maistres  d'hostel  et  con- 


DU  CONSEIL.  4^9 

trosleurs  servans,  qui  feront  entendre  le  contenu  d'ice- 
lui  à  tous  ceulx  qui  y  ont  interest. 
Faict  au  Mont  de  Marsan. 
Henry,  Claude  Antoine  de  Vienne,  Philippe  de 
MoRNAY,  Allier. 


LXXXIII.  —  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

A  MM.   de  la  chambre  de  Gujenne^   rédigée  par 
M.  Duplessis. 

Du  12  janvier  i58/|. 
Messieurs,  je  me  suis  tousjours  grandement  loué  de 
vostre  intégrité  et  justice,  et  n'ai  eu  seulement  regret 
que  de  ne  l'avoir  autant  auctorisee  et  fortifiée  qu'il  eust 
bien  esté  besoing.  Vous  sçavez  que  le  but  de  vostre  veneue 
par  deçà  a  esté  proprement  l'affermissement  de  la  paix, 
ayant  très  bien  considéré,  sa  majesté,  qu'il  dependoit 
principalement  d'une  bonne  et  droicte  justice;  et,oultre 
ce  qu'on  ne  la  pouvoit  attendre  aultre  de  vostre  répu- 
tation ,  plusieurs  l'ont  receue  telle  en  effect  de  vous. 
Mais,  messieurs  ,  il  fault  que  je  me  plaigne  à  vous  que 
le  public  ne  s'en  est  pas  jusqu'ici  ressenti ,  comme  il 
eust  esté  nécessaire  pour  le  bien  de  la  paix  ,  encores 
que  l'object  feust  devant  vos  yeulx,  pour  le  vous  ra- 
mentevoir  à  toute  heure.  Qui  faict  penser  à  plusieurs 
que  vos  bons  mouvemens  n'ont  esté  si  libres,  qu'il 
eust  esté  à  souhaiter,  L'edict  de  paix  requeroit  que 
l'exercice  de  la  relligion  reformée  feust  remis  en  la  ville 
de  Perigueux;  aussi  que  les  aucteurs  et  complices  de 
l'infraction  de  paix  faicte  en  la  surprise  de  ladicte  ville, 
feussent  punis  selon  les  rigueurs  conteneuesaudictedict; 
et  souvent  je  vous  en  ai  escrit,  en  conformité  des  edicts 


470  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

du  roy  monseigneur,   et  des  dépêches  qu'il  lui  en  a 
pieu  expédier  par  diverses  fois.  Cependant ,  messieurs, 
il  n'a  esté  aulcunement  touché  ni  à  l'ung  ni  à  l'aultre. 
Au  contraire ,  les  povres  habitans  de  la  relligion  sont 
privés  de  tout  exercice,  et  les  coupables  se  pourmenent 
devant  vos  yeux,  comme  si  le  crime  avoit  entrepris  en 
vos  personnes  de  triompher  de  la  justice.  Messieurs, 
vous  en  sçavezassés  la  conséquence ,  sans  que  je  la  vous 
die.  Il  importe  grandement  au  repos  de  ce  royaume, 
à  l'establissement  de  la  paix,  et  je  dirai  encores  à  la  ré- 
putation d'une  si  honorable  compagnie ,  que  vous  lais- 
siez, en  la  ville  de  vostre  séance,  après  une  si  longue 
demeure  ,   quelque  trace  remarquable  d'une  vraie  et 
effectuelle  paix  ,  et  quelque  exemple  notable  contre  les 
infracteurs  et  violateurs  d'icelle  ;  et  pour  l'honneur  que 
je  porte  à  la  justice ,  et  mesmes  à  vos  dignités  ,  je  serois 
marri  que,  par  quelconque  occasion,  cette  louange  vous 
feust  détournée.  Je  vous  prye  donc,  pour  l'interest  pu- 
blic, qui  principalement  vous  a  appelle  en  ce  pays, 
d'y  vouUoir  mettre  la  main  à  bon  escient,  premier  que 
partir;  mesmes  maintenant  qu'il  a  pieu  au  roy,  mon- 
seigneur, me  déclarer,  par  le  retour  du  sieur  de  Cler- 
vant,  qu'il  voulloit  et  entendoit  que  son  edict  feust 
pleinement  exécuté ,   et  nommeement  en  ce  qui  con- 
cerne ladicte  ville  de  Perigueux ,  qui  dépend  en  partie 
de  vostre  auctorité  ;  si  non ,  messieurs,  je  vois  par  vostre 
département  toute  espérance  retranchée  de  voir  sa  vo- 
lonté effectuée  en  cet  endroict,  dont  plusieurs  prendront 
occasion  de  nouvelles  défiances  ;  au  lieu  que  nous  som- 
mes en  la  saison  que  chacung  se  doibt  travailler  à  les 
lever.  Au  reste ,  messieurs ,  je  n'ai  rien  plus  désiré , 
comme  vous  sçavez,  que  de  vous  voir  en  ce  pays  de 
Guyenne,  afin  que  vissiez  plus  clair  en  mes  actions. 


A  MM.  DE  LA  CHAMBRE  DE  GUYENNE.  4?  » 
que  je  tascherai  toujours  de  tout  mon  pouvoir  d'ap- 
prouver à  une  si  notable  compagnie.  Et  vous  m'estes 
tesmoings  de  l'affection  que  j'ai  apportée  toutesfois  que 
m'avez  requis  de  tenir  la  main  à  la  justice.  Plus  vostre 
séance  eust  peu  estre  près  de  moi ,  et  plus  ce  m'eust 
esté  de  contentement  et  de  bien;  sçachant  bien,  veu 
vostre  intégrité  ,  que  ce  m'eust  été  autant  de  rempart 
contre  la  calomnie.  Mais,  puisqu'il  plaist  au  roy,  mon- 
seigneur ,  qu'elle  se  transporte  à  Xaintes,  comme  je 
vois  par  les  lettres  qu'avec  les  vostres  vous  m'avez  en- 
voyées par  ce  porteur,  je  vous  pryerai  seulement,  dere- 
chef, de  voulloir  laisser  une  marque  publicque  de  vous  à 
Perigueux  ,  qui  soit  arrhe  à  vostre  séance  prochaine  du 
bien  qu'elle  leur  porte.  Et  pour  fin,  pryerai  Dieu  ,  etc. 


LXXXIV.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  du  Bartas.  (i) 

Du  1 3  janvier  i584. 
Monsieur  ,  je  loue  Dieu  que  soyez  arrivé  à  la  fin  de 
vostre  seconde  sepmaine.  C'est  ung  œuvre  aussi  avide- 
ment attendeu  ,  que  l'aultre  a  esté  joyeusement  receu; 
de  moi ,  je  ne  fais  rien  que  plaindre  ma  vie  détournée 
de  choses  haultes  aulx  basses ,  et  crains  que  mon  es- 
prit enfin  n'en  dégénère,  encores  qu'en  ceste  espérance 
je  lutte  toujours  vivement  de  ma  nature  contre  la  na- 
ture des  affaires  dont  il  me  fèult  mesler.  Vous  verrez 
ma  traduction  latine  de  mon  livre  de  la  Vérité ,  et  en 
jugerez,  s'il  vous  plaist;  j'ai  des  conceptions,  et  pres- 
que m'en  déplais,  parce  que  je  ne  me  vois  ni  le  loisir 


(i)  Auteur  du  poème  intitulé  la  Semaine. 


472  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS,   etc. 

ni  la  saison  de  les  esclorre.  Faisons  estât  que  je  suis  à 
tirer  une  galère  pour  quelques  ans  ;   au  sortir  de  là , 
peult  estre,  aurai  je  durci  mes  nerfs  et  mes  muscles 
pour  quelque  exercice  plus  agréable.  Je  me  sens  honoré 
d'avoir  eu  quelque  place  en  vostre  livre.  La  perle  que 
j'ai  mise  en  œuvre,  m'a  acquis  ce  bien,  et  non  l'œuvre 
mesmes  ;  c'est  le  contentement  que  doibvent  attendre 
mesmes  les  mauvais  ouvriers,  en  maniant  une  bonne 
estoffe.  Un  g  faulx  monnoyeur  y  apporte  plus  d'art  et 
d'industrie,  et  toutesfois  sa  monnoie  n'a  point  grande 
mise.  Je  vous  prye  que  je  voie  des  premiers  vostre  sep- 
maine;  car  entre  ci  et  là  les  sepmaines  me  seront  ans, 
et  les  jours  sepmaines.  Des  que  j'aurai  receu  quelques 
exemplaires  de  ma  version ,  vous  la  verrez  aussi ,  mon- 
sieur, etc. 

Du  Mont  de  Marsan. 


LXXXV.  —  INSTRUCTION 

A  M.  de  Buzanval,  allant  de  la  part  du  roy  de 
Navarre  vers  les  cantons  evangeliques. 

Le  roy  de  Navarre,  depuis  que  Dieu  l'a  appelle  à  la 
conduicte  et  défense  de  son  Eglise ,  tant  en  ses  pays  sou- 
verains que  mesmes  en  France ,  a  souvent  déploré  la 
desunion  qui  se  seroit  coulée  entre  les  plus  notables 
partiesd'icelle,augrandmesprisetreculementde  l'Evan- 
gile, par  le  moyen  d'aulcuns  differens  qui  seroient  nés 
en  mesme  temps  qu'il  auroit  pieu  à  Dieu  le  nous  faire 

renaistre. 

Et  auroit  diverses  fois  proposé  de  rechercher  toutes 
voyes,  de  composer  lesdicts  differens,  et  rallier  les  églises 
en  une  bonne  union  ;  employant  à  ceste  fin  tout  ce  qu'il 


INSTRUCTION  A  M.  DE  BUZANVAL.  4?^ 

a  de  moyen  et  d'auctorité  vers  tous  les  princes  et  estats, 
auxquels  Dieu  a  faict  la  grâce  de  sortir  des  superstitions, 
et  redresser  son  pur  service  entre  leurs  peuples. 

Mais,  comme  chacung  sçait,  il  auroit  esté  jusques  ici 
agité  de  tant  de  flots,  et  traversé  en  ses  bons  desseings 
par  une  suite  de  tant  de  maulx,  qu'il  auroit  eu  assés  de 
peine  à  conserver  ce  qui  estoit  plus  près  de  lui,  sans  se 
travailler  de  ce  qui  seroit  plus  loin  ;  encores  qu'il  lui 
demeurast  tousjours  imprimé  au  cœur  d'employer  le 
premier  loisir  que  Dieu  lui  donneroit  à  la  poursuite 
d'une  si  saincte  entreprise,  de  laquelle  dépend  humai- 
nement la  paix  et  tranquillité  de  l'Eglise. 

Dieu  donc  lui  ayant  faict  la  grâce  de  respirer  des 
travaux  passés,  il  n'a  rien  eu  plus  à  cœur  que  cest 
affaire.  Et  pour  ce  auroit,  des  l'an  passé,  depesché  le 
sieur  de  Segur  son  conseiller,  chambellan  et  surinten- 
dant de  ses  affaires,  vers  la  serenissime  royne  d'Angle- 
terre ,  les  magnifiques  estats  des  Pays  Bas ,  le  très  puis- 
sant roy  de  Dannemarck,  les  très  illustres  électeurs, 
princes  et  aultres  estats  du  sainct  empire,  pour  les 
supplier,  au  nom  de  Dieu,  pour  le  bien  de  son  Eglise, 
et  selon  la  charité  chrestienne ,  d'employer  leur  crédit 
et  auctorité,  chacung,  endroict  soi  et  vers  tous  qu'il 
appartiendra,  pour  faciliter  ung  œuvre  si  nécessaire,  et 
leur  en  remonstrer  à  bon  escient  l'importance,  et  pren- 
dre advis  avec  eulx  des  moyens  qu'il  seroit  besoing  de 
tenir  pour  y  parvenir. 

Et  auroit  semblé  audict  seigneur  roy  que  le  plus 
expédient  estoit  de  remettre  tous  les  différends,  qui 
entretiennent  ladicte  desunion,  à  la  décision  d'un  bon, 
sainct  et  légitime  Concile  gênerai  des  églises  reformées 
de  la  chrestienté,  à  l'exemple  de  l'EgUse  ancienne  et 
des  meilleurs  empereurs  chrestiens  qui  en  ont  eu  soing, 


474  INSTRUCTION 

et,  en  attendant  qu'icelui  se  peust  tenir  (ce  que  main- 
tenant ne  se  pourroit  pour  les  troubles  qui  en  occu- 
pent une  bonne  part),  qu'il  feust  imposé  silence  par 
l'auctorité  des  susdicts  princes  et  estats  à  toutes  invec- 
tives tant  de  bouche  que  par  escrit,  qui  ne  font  que 
gratter  et  escorcher  la  playe  que  tous  vrais  chrestiens 
désirent  guérie,  mesmes  s'il  estoit  possible  sans  cicatrice. 

Ce  que  ledict  seigneur  roy  espère,  sera  aisément  ap- 
prouvé desdicts  princes  et  estats,eten  auroitjàreceude 
bonnes  arrhes,  parcequienaesténegotié  par  ledict  sieur 
de  Sçgur  avec  la  royne  d'Angleterre,  laquelle  il  auroit 
trouvée  pleine  de  zèle  à  l'advancement  de  ceste  union. 

Auroit  aussi  ledict  seigneur  roy  donné  charge  audict 
sieur  de  Segur  de  passer  vers  les  très  puissans  et  très 
magnifiques  seigneurs  des  Ligues  et  leurs  as?  jciés,  pour 
leur  proposer  le  semblable ,  leur  faire  rapport  de  tout 
ce  qu'il  auroit  avancé  en  sa  negotiation,  et  d'iceulx 
prendre  advis  de  ce  qu'il  conviendroit  ci  après  y  faire, 
comme  de  ceulx  avec  lesquels  il  a  cest  heur  d'estre 
conjoint  totalement  en  doctrine,  et  par  conséquent  en 
tout  ce  qui  dépend  d'icelle.  Ce  que  ledict  seigneur  roy 
leur  auroit  ci  devant  escrit  assés  amplement,  dont  il 
attend  leur  response  selon  leur  zèle  et  prudence. 

Mais  comme  ledict  seigneur  roy  seroit  veneu  à  con- 
sidérer que  ledict  sieur  de  Segur  auroit  un  long  et 
fascheux  voyaige  à  faire ,  tant  pour  la  multitude  et 
diversité  des  princes  et  estats  avec  lesquels  il  a  à  traicter, 
que  pour  la  rigueur  et  incommodité  de  l'hyver  es  pays 
qu  il  a  à  passer,  se  seroit  advisé  ledict  seigneur  roy 
pour  gaigner  temps  en  ung  affaire  auquel  tout  délai 
doibt  apporter  impatience,  d'envoyer  vers  leurs  magni- 
fiques seigneuries  le  sieur  de  Buzanval ,  gentilhomme 
ordinaire  de  sa  chambre ,  lequel  il  auroit  nommeement 


A  M.  DE  BUZANVAL.  4?^ 

choisi ,  parce  qu'il  auroit  assisté ,  avec  charge  dudict  sei- 
gneur roy,  à  ce  qui  en  a  esté  fraischement  traicté  avec 
la  serenissime  royne  d'Angleterre,  à  ce  que  plus  clai- 
rement il  leur  puisse  faire  entendre  son  intention ,  et 
ce  que,  suivant  icelle  ,  a  esté  jusques  ici  advancé 
avec  ladicte  dame  royne. 

Leur  dira  donc  ledict  sieur  de  Buzanval,  ce  qui,  pour 
ce  regard,  a  esté  traicté  en  Angleterre,  et  les  pryera 
d'adviser  entre  eulx  les  moyens  les  plus  propres  de 
tirer  fruict  de  ceste  negotiation ,  et  d'iceulx  donner 
advis  audict  sieur  de  Segur  au  plus  tost  ;  estant  très 
raisonnable  que  cest  affaire,  qui  est  commun  au  roy  de 
Navarre  et  auxdicts  très  magnifiques  seigneurs  des  Li- 
gues, soit  traicté  et  conduict  de  commune  main  et  advis. 

Au  reste,  asseurera  de  plus  en  plus  lesdicts  très  ma- 
gnifiques seigneurs  de  la  sincère  amitié  et  affection  du 
roy  de  Navarre  envers  eulx  pour  deux  raisons;  l'une, 
parce  qu'il  est  le  premier  prince  du  sang  de  France, 
et  par  conséquent  leur  ami  et  allié ,  pour  l'estroicte 
union  qu'ils  ont  avec  la  couronne  à  laquelle  il  a  cest 
honneur  de  toucher  de  si  près;  l'aultre ,  qui  est  la  prin- 
cipale, que,  par  la  grâce  de  Dieu,  il  se  sent  conjoinct 
avec  eulx  du  lien  indissoluble  de  mesme  foi  et  relligion, 
qui  rend  tous  leurs  désirs  et  interests  communs. 


LXXXVL  —  INSTRUCTION 

A  M.  de  Cleruant,  allant  trouve?-  le  roj  de  la  part  du 
roy  de  Navarre. 

Du  18  janvier  i584. 
Le  roy  de  Navarre  supplie  très  humblement  sa  ma- 
jesté de  lui  faire  ÇBSt  honneur  de  croire  qu'il  n'a  rien 


47^  INSTRUCTION 

plus  à  cœur  que  de  lui  rendre  tout  debvoir  et  respect, 
qui  se  peult  attendre  d'ung  très  humble  et  très  obéissant 
subject  et  serviteur.  Mais,  par  ce  que  ses  actions  sont 
subjectes,  à  son  grand  regret,  à  estre  interprétées  plus- 
tost  selon  les  passions  d'aultrui,  que  selon  sa  droicte  et 
sincère  intention ,  désire  ledict  sieur  roy  de  Navarre 
ceste  faveur  de  sa  majesté,  qu'elle  se  veuille  en  ce  dis- 
cours représenter  tout  ce  qui  s'est  passé  en  cest  affaire 
qui  concerne  la  royne  sa  femme  ,  afin  que  d'autant 
mieulx  elle  puisse  juger  et  recognoistre  le  respect  et 
honneur  que  ledict  sieur  roy  de  Navarre  lui  a  rendeu 
etvouUeu  rendre,  depuis  le  commencement  jusques  à 
la  fin  dudict  affaire. 

Se  soubviendra  donc  sa  majesté  que  la  royne  de  Na- 
varre sa  sœur  ayant  esté  quelque  temps  avec  lui  en 
Gascongne,  où  il  tascha  de  lui  rendre  tout  l'honneur 
qui  lui  feut  possible ,  prenant  envie  de  s'en  aller  à  la 
court,  tant  pour  y  eslre  diversement  conviée,  que  pour 
le  bien  de  ses  affaires ,  il  la  conduict  et  accompagna 
très  honorablement,  et  selon  la  dignité  et  grandeur  du 
lieu  dont  elle  a  cest  heur  d'estre  issue,  et  ne  la  laissa 
poinct  qu'il  ne  l'eust  mise  entre  les  mains  de  la  royne 
sa  mère ,  qui  lui  feit  ceste  faveur  de  s'advancer  jusques 
à  la  moitié  du  chemin  pour  la  recevoir  et  prendre 
avec  elle. 

Que  pareillement ,  tandis  qu'elle  feut  près  de  leurs 
majestés,  il  lui  continua  ce  respect  et  amitié,  et  tes- 
moigna  par  plusieurs  fois  à  sa  majesté  le  désir  qu'il 
avoit  de  la  revoir  auprès  de  lui,  et  de  voir  à  ceste  fin 
une  fin  des  affaires  qui  l'y  avoient  menée.  Comme  de 
faict ,  sur  ce  qu'elle  lui  manda  que  sesdicts  affaires 
s'advançoient,  il  faisoit  estât  de  passer  en  Poitou  au 
devant  d'elle,  pour  ne  lui  rendre  moins  d'honneur  à 


A  M.  DE  CLERVANT.  4? 7 

son  retour  qu'à  son  département,  lors  que  sa  majesté  lui 
depesclia  ung  sien  valet  de  garderobbe  avec  lettres  toutes 
de  sa  main,  par  lesquelles  il  lui  mandoit  en  somme  qu'il 
estoit  resoleu  de  la  lui  renvoyer  au  plus  lost;  et  que, 
pour  avoir  découvert  la  mauvaise  et  scandaleuse  vie  de 
la  dame  de  Duras ,  il  se  seroit  resoleu  de  la  chasser 
d'auprès  de  la  royne  sa  femme,  comme  vermine  très 
pernicieuse  et  non  supportable  auprès  d'une  princesse 
de  tel  lieu.  Et  pourtant  qu'il  pourveust  à  l'accompagner 
de  personnes  de  qualité,  tant  hommes  que  femmes, 
pour  estre  doresnavant  auprès  d'elle. 

Ledict  seigneur  roy  de  Navarre  receut  ces  lettres  à  la 
chasse  près  Saincte  Foy  sur  Dordonne ,  et  en  date  du 
5  d'aoust.  Et  la  response  feut,  qu'il  remercioit  très 
humblement  sa  majesté  du  grand  soing  qu'il  avoit  eu 
en  ce  faict  de  l'honneur  et  réputation  de  sa  maison, 
qu'il  le  recognoissoit  à  une  singulière  obligation  envers 
sa  majesté;  qu'il  donneroit  ordre  au  plus  tost  d'envoyer 
au  devant  de  la  royne  sa  femme,  quelques  seigneurs  et 
dames  agréables  à  leurs  majestés  et  à  elle,  et  de  lieu  con- 
venable à  sa  grandeur  pour  estre  auprès  d'elle  (selon  que, 
par  les  susdictes  lettres,  sa  majesté  l'en  admonestoit), 
et  suivant  ce  qu'il  avoit  donné  charge  à  M.  de  Clervant 
de  les  nommeV  à  leurs  majestés  pour  les  y  mettre  selon 
ce  qu'ils  trouveroient  bon.  Et,  de  sa  part,  il  se  preparoit 
pour  l'aller  recevoir  en  Poictou,  et  mandoit,  comme 
on  sçait,  la  noblesse  de  Guyenne  tant  d'une  que  d'aultre 
relligion  pour  s'y  accompagner. 

Mais  adveint  en  ce  mesme  temps  ,  et  avant  que  le 
susdict  courrier  peust  estre  de  retour  près  de  sa  ma- 
jesté, que  ladicte  royne  sa  femme  se  départit  tout  à  coup 
de  la  court  sans  avoir  cest  honneur  de  prendre  congé 
de  sa  majesté  pour  ung  si  long  voyaige;  s'en  alla  disner 


478  INSTRUCTION 

au  Bourg  la  Koyiie ,  où  le  roy  passa  sans  la  voir.  A  demie 
heure  de  là,  feut  arrestee  d'une  troupe  d'arquebusiers 
commandés  par  Selar,  qui  a  charge  au  régiment  des 
gardes  de  sa  majesté;  qui  visita  sa  litière,  lui  feit  abattre 
le  masque  ;  feit  quelques  personnes  de  son  train  pri- 
sonnières en  sa  présence  ,  oultre  celles  qui  feurent  prises 
ailleurs;  et  icelles  mena  à  sa  majesté ,  qui  prit  la  peine 
et  le  loisir  de  les  séparer  l'ung  de  l'aultre,  et  de  les 


ouH'  et  mterro2[er. 


Quels  bruits  sortirent  par  toute  la  chrestienté  de  cest 
acte?  le  roy  de  Navarre  le  laisse  considérera  la  prudence 
de  sa  majesté.  Car  ceste  indignilé  feut  faicte  à  la  veue 
du  soleil,  en  plein  chemin,  et  toutes  circonstances  s'y 
rencontrent  pour  la  rendre  bien  tost  publicque  ;  mais 
principalement  trois  choses  ouvrent  la  .bouche  au 
monde ,  et  donnent  lieu  aux  plus  sinistres  interpréta- 
tions; que  ceste  indignité  procedoit  de  l'indignation 
d'ung  frère  contre  une  sœur,  desquels  l'honneur  et  in- 
terest  est  comme  inséparable;  d'ung  grand  roy  envers 
une  royne  et  princesse:  les  faicts  desquels  sont  regardés 
de  plus  loing,  et  par  conséquent  à  examiner  de  plus 
près;  et, qui  plus  est,  d'ung  prince  sage  et  modéré  en 
toutes  ses  actions,  qui  ne  sembloit  pas  avoir  excédé 
mesure  en  celle  ci  de  si  grande  importance,  ainsi  pro- 
portionné la  reprehension  à  la  faulte ,  et  la  peine  h  la 
coulpe. 

Ceste  nouvelle,  tost  après  la  première,  veint  aux  oreilles 
du  roy  de  Navarre  à  Nerac,  où  il  se  preparoit  pour  aller 
au  devant  de  la  royne  sa  femme  ;  et  en  feut  ledict  seigneur 
roy  esmeu  autant  que  le  cas  requeroit,  mesmes  considé- 
rant que  la  royne  sa  femme  avoit  à  estre  si  peu  à  la 
court ,  et  n'attendant  que  l'heure  pour  le  revenir  trou- 
ver ,  quelque  mécontentement  qu'elle  eust  peu  avoir 


A  M.  DE  CXERVANT.  479 

donné,  elle  pouvoit,  pour  peu  de  jours,  y  estre  sup- 
portée et  renvoyée  audict  seigneur  roy  avec  honneur. 

En  ceste  perplexité,  toutesfois,  ledict  seigneur  roy 
de  Navarre  se  resoleut  de  depescher  promptement  le 
sieur  Duplessis  vers  sa  majesté ,  pour  la  supplier  très 
humblement  de  deux  choses  ;  l'une  estoit  qu'il  pleust 
à  sa  majesté  lui  déclarer  la  cause  de  ceste  si  grande 
indignation  contre  la  royne  sa  femme ,  qui  la  lui  avoit 
faict  estimer  digne  d'une  si  grande  indignité  ;  l'aultre 
qu'en  la  peine  où  il  estoit,  qui  ne  pouvoit  estre  que 
très  grande,  il  lui  feist  cest  honneur  de  lui  dire  ce  qu'il 
avoit  à  faire  comme  bon  maistre ,  tel  qu'il  lui  avoit 
tousjours  promis  de  lui  estre.  Et  de  ce,  ledict  sieur 
Duplessis  avoit  charge  expresse  de  ne  s'adresser  qu'à 
sa  majesté  seule,  pour  la  confiance  qu'il  avoit  de  sa 
bienveillance  envers  lui. 

A  ces  poincts  sa  majesté  se  ressouviendra,  s'il  lui 
plaist,  des  propos  qui  lui  feurent  tenus  par  ledict  sieur 
Duplessis,  selon  le  commandement  qu'il  en  avoit  du  roy 
de  Navarre.  Et  la  somme  feut,  que,  si  la  royne  sa  femme 
avoit  commis  faulte  digne  d'ime  telle  indignité,  ce  qu'il 
ne  croiroit  que  le  plus  tard  qu'il  pourroit,  il  lui  en 
demandoit  justice ,  comme  au  maistre  de  la  maison  et 
père  de  la  famille  ;  sinon ,  et  que  cest  acte  eust  esté 
précipité  sur  le  rapport  de  quelques  calomniateurs, 
comme  il  estoit  à  croire,  qu'il  le  supplioit  très  hum- 
blement comme  son  roy  d'en  faire  une  punition  exem- 
plaire, et  telle  qu'ung  scandale  si  grand  et  si  public 
contre  l'honneur  d'une  princesse  pouvoit  requérir. 

Tant  y  a  que  sa  majesté  feit  démonstration  d'avoir 
ceste  depesche  pour  très  agréable,  et  en  remercia  ledict 
sieur  roy  de  Navarre  tant  de  bouche  que  par  lettres; 
ce  qui  lui  a  encores  esté  tesmoigné  par  le  sieur   de 


48o  INSTRUCTION 

Bellievre;  jusques  à  repeter  plusieurs  fois,  qu'il  lui 
feroit  cognoistre  par  effect  le  gré  qu'il  lui  en  sçavoit. 
Et  la  response  feut,  après  divers  propos,  que  ce  faict 
estoit  de  grande  importance;  qu'il  y  alloit  de  l'honneur 
de  toute  sa  maison  ;  qu'il  n'en  voulloit  respondre  ni 
resouldre  qu'avec  l'advis  de  la  royne  sa  mère,  qui  y 
avoit  interest  comme  lui  ;  qu'il  faisoit  estât  de  la  voir  en 
dedans  un  mois  ou  six  sepmaines,  et  peult  estre  mesmes 
monseigneur  son  frère,  et  que  ledict  sieur  roy  de  Na- 
varre s'asseurast  qu'il  avoit  son  honneur  et  contente- 
ment et  recommandation  non  moins  que  le  sien  propre; 
et  qu'alors  ils  prendroient  bonne  resolution  ensemble, 
et  depesclieroit  vers  lui  ung  personnage  qualifié,  qui 
la  lui  porteroit  telle  que  son  honneur  en  seroit  satisfaict 
envers  tous,  et  qu'il  auroit  occasion  d'en  estre  content. 

Le  roy  de  Navarre ,  bien  qu'en  ung  affaire  assés  im- 
patient de  soi  mesmes,  patienta  tout  ce  temps,  et  pen- 
dant icelui  prya  la  royne  sa  femme  par  deux  ou  trois  de- 
pesches ,  pour  l'honneur  de  tous  deux,  de  ne  s'advancer 
poinct  vers  lui  jusques  à  ce  que  ladicte  satisfaction  feust 
effectuée.  Puis ,  le  temps  que  sa  majesté  avoit  donné 
estant  escheu  ,  craignant  ledict  seigneur  roy  de  Navarre 
que  la  satisfaction  à  lui  promise  ne  tardast  trop,  re- 
depescha  ung  des  siens  vers  sa  majesté  pour  la  lui 
ramentevoir,  afin  que  le  rapprochement  de  la  royne  sa 
femme  ne  feust  plus  long  temps  différé.  Et  lors  feut 
envoyé  vers  lui  le  sieur  de  Bellievre,  par  la  veneue  du- 
quel on  lui  faisoit  espérer  toute  satisfaction,  pour  touf 
ce  qui  s'estoit  passé  à  l'endroict  de  la  royne  sa  femme. 

De  tout  ce  (jue  dessus  peult  apparoir  à  sa  majesté, 
que  le  roy  de  Navarre,  avant  ceste  indignité  faicte  à  la 
royne  sa  femme,  n'avoit  aultre  désir  que  d'aller  au  de- 
vant d'elle ,  pour  la  recevoir  avec  tout  l'honneur  dont 


A  M.  DE  CLERVANT.  4^1 

il  se  pouvoit  adviser;  que,  depuis,  il  n'a  eu  aultre  but 
que  de  rendre  à  sa  majesté  tout  respect  et  honneur 
sans  avoir  esgard  à  chose  qui  se  feust  passée  ;  et  que  le 
retardement  qui  est  entreveneu ,  ne  lui  peult  estre  im- 
puté, n'ayant  peu  moins  faire  ledict  seigneur  roy  pour  la 
réputation  de  tous  deux,  qui  leur  est  commune  avec 
sa  majesté ,  que  de  désirer  et  requérir  que  la  chies- 
tienté,  qui  en  avoit  esté  mal  imbue,  en  feust  mieulx 
informée  premier  que  s'entrevoir. 

Est  adveneu  pendant  ces  retardemens  ,  que  le  roy 
de  Navarre,  pour  les  enormités  de  ses  subjects  qu'il  a 
faictplus  particulièrement  entendre  à  sa  majesté,  auroit 
esté  contraint  de  se  remettre  en  sa  maison  et  ville  du 
Mont  de  Marsan  ;  et  ce ,  peu  de  jours  avant  l'arrivée 
dudict  sieur  de  Bellievre.  Sur  quoi ,  M.  le  mareschal  de 
Matignon,  qui,  des  auparavant,  avoit  faict  bastir  une 
citadelle  à  Bazas ,  auroit  pris  occasion  d'y  faire  entrer 
une  forte  garnison ,  dont  commençoient  les  défiances  à 
croistre  par  le  pays.  Et  eut  ledict  seigneur  roy  de  Navarre 
matière  de  craindre  que ,  de  ceste  estincelle ,  ne  s'em- 
brasast  ung  feu  par  toute  la  Guyenne. 

Arrivé  donc  que  feut  ledict  sieur  de  Bellievre,  feu  t  pryé 
instamment  par  ledict  seigneur  roy,  préférant  l'interest 
de  ce  royaume  à  son  particulier,  de  s'y  transporter  pour 
l'esteindreàtemps;  et  pense  que  sa  majesté,  considérant 
la  raison  qui  lui  feit  ainsi  faire,  lui  en  aura  sceu  gré, 
n'y  ayant  personne  qui  ait  tant  d'interest  à  la  conser- 
vation de  son  estât  qu'elle  mesmes. 

Au  contraire ,  seroit  adveneu  qu'après  avoir  conféré 
avec  M.  le  mareschal  de  Matignon  ,  pour  faire  retirer  la 
garnison  dudict  Bazas ,  il  en  auroit  mis  en  toutes  les 
aultres  places, nommeement  à  Dax  et  SainctSever, plus 
voisine  du  Mont  de  Marsan ,  où  estoit  ledict  seigneur  roy 

MÉM.  DE  DUPLESSIS-MOKN AY.  ToAIE  II.  J  ï 


482  INSTRUCTION 

de  Navarre ,  et ,  peu  après ,  à  Coudon ,  Agen ,  etc. ,  pro- 
ches de  trois  lieues  de  sa  ville  de  Nerac,  où  il  faict 
principalement  résidence ,  comme  s'il  lui  eust  voulleu 
rendre  toutes  ses  maisons  inaccessibles  et  inhabitables. 
Le  tout  plus  de  quinze  jours  après  que  toute  l'allarme 
qu'on  pouvoit  avoir  prise  de  la  reprise  de  possession 
du  Mont  de  Marsan,  feut  passée  et  assoupie. 

Le  roy  de  Navarre  pensa  avoir  juste  occasion  de 
croire  que  M.  le  mareschal  de  Matignon  et  M.  de  Bel- 
lievre  tendoient  à  mesme  but  par  différentes  voyes  , 
l'ung  par  paroles,  et  l'aultre  par  force.  Et  juge  s'il  lui 
plaist  sa  majesté  s'il  n'y  avoit  pas  raison.  Et  ne  vouUant 
faire  ce  tort  ni  à  la  royne  sa  femme  d'avoir  esté  reprise 
par  telle  voye ,  qui  ne  lui  pouvoit  estre  honorable, 
mesmes  après  les  précédentes  indignités,  ni  à  soi  mesmes 
d'avoir  faict  par  crainte  ce  qu'il  doibt  par  amitié  et  par 
raison,  prya  derechef  ledict  sieur  de  Bellievre  de  voul- 
loir  surseoir  la  negotiation  de  ce  qui  concernoit  la 
royne  sa  femme,  jusques  à  ce  que  ces  apparences  de 
force  et  évidentes  menaces  feussent  levées.  Et  pour  faire 
entendre  lesjustes  considérations  qui  <à  celé  mouvoient, 
depescha  incontinent  le  sieur  Diolet  vers  leurs  majestés. 

Estimoit  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  que  sesdictes 
raisons  auroient  esté  bien  prises  de  sa  majesté,  estans 
icelles  fondées  sur  l'honneur  de  la  royne  sa  femme , 
inséparablement  conjoinct  non  seulement  avec  le  sien, 
mais  avec  celui  mesmes  de  leurs  majestés;  et  cuidoit 
que  ledict  sieur  de  Bellievre ,  qui  avoit  en  mesme  temps 
eu  response  de  la  court,  auroit  eu  charge,  oultre  la 
satisfaction  par  lui  promise,  de  lever  les  difficultés  sus- 
mentionnées; ne  pouvant  s'imaginer  ledict  seigneur  roy 
de  Navarre  qu'ung  affaire  si  important  se  deust  accro- 
cher à  peu  de  chose  au  regard  de  leurs  majestés ,  et  de 


A  M.  DE   CLERVANT.  483 

grande  conséquence  pour  le  sien.  Et  pourtant  escrivit 
audictsieur  de  Bellievre  qui,  pendant  ce  temps,  se  seroit 
retiré  à  Bordeaux,  qu'il  seroit  le  très  bien  veneu ,  et  qu'il 
estoit  prest  à  ouïr  sa  charge,  résolu  de  lui  donner 
toute  occasion  de  contentement. 

Mais  lui  pardonnera  sa  majesté  s'il  prend  la  har- 
diesse de  lui  dire  qu'es  propos  dudict  sieur  de  Bel- 
lievre, il  n'a  rien  trouvé  qui  approchast  de  la  satisfaction 
qui  lui  avoit  esté  promise,  attendeu  la  grandeur  de 
l'indignité,  et  du  scandale  qui  en  seroit  sorti,  tel  que 
chacung  sçait.  Car  ledict  sieur  de  Bellievre  lui  a  dict 
pour  tout  qu'il  n'avoit  poinct  esté  faict  d'indignité  à  la 
royne  sa  femme,  comme  si  chose  si  publicque  se  pouvoit 
effacer  de  la  mémoire  de  toute  la  chrestienté  par  sim- 
plement la  nier.  Que  si  sa  majesté  avoit  eu  envie  de 
parler  à  quelques  personnes  de  la  maison  de  la  royne  sa 
femme,  il  n'estoit  teneu  d'en  rendre  compte  à  personne 
de  la  façon  qu'il  y  avoit  teneu  ;  qu'il  estoit  son  roy ,  et 
que  son  plaisir  avoit  esté  tel  ;  qu'il  le  pryoit  en  somme 
de  la  recevoir,  et  se  contenter  de  croire  qu'il  ne  s'estoit 
rien  passé  qui  le  deust  offenser.  Adjoustant  des  mots  sur 
toutes  ces  interprétations  qu'il  lui  a  peu  alléguer  si  durs, 
si  crus  et  si  rigoureux,  qu'il  sembloit  n'estre  pas  veneu 
pour  lui  apporter  ung  contentement  tel  qu'il  avoit  pieu 
à  sa  majesté  lui  promettre  par  tant  de  lettres,  mais  ung 
nouveau  mécontentement  et  une  menace. 

Ledict  seigneur  roy  de  Navarre  trouvoit  ceste  façon  de 
procéder  ung  peu  estrange  ;  toutesfois  combatteu  d'ung 
costé  du  respect  qu'il  debvoit  à  son  honneur  propre, 
et  de  l'aultre  de  l'honneur  qu'il  a  tousjours  porté  et 
désire  porter  aux  commandemens  de  sa  majesté,  s'est 
resoleu  de  ployer  mesmes  son  honneur  soubs  le  respect 
de  ses  commandemens ,  et  au  lieu  de  presser  d'estre 


484  INSTRUCTION 

satisfaict,  comme  justement  il  pouvoit  requérir,  a 
vouUeu  chercher  tous  moyens  de  satisfaire  au  désir 
de  sa  majesté. 

A  donc  déclaré  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  aiidict 
sieur  de  Bellievre  ,  que,  pour  le  désir  extrême  qu'il 
avoit  de  complaire  et  satisfaire  à  sadicte  majesté  plus 
qu'à  soi  mesmes  et  à  tout  le  reste  du  monde  ensemble , 
il  estoit  prest  de  se  transporter  en  sa  maison  de  Nerac, 
et  là  ,  voir  et  recevoir  la  royne  sa  femme  avec  tout 
l'honneur  qui  se  pouvoit  désirer  de  lui  sans  s'arrester 
au  peu  de  satisfaction  qu'on  lui  donnoit  de  ce  qui 
s'estoit  passé  au  sceu  d'ung  chacung  ;  seulement  que 
les  garnisons  qu'on  avoit  fraischement  mises  autour  de 
sa  ville  et  maison  de  Nerac ,  de  laquelle  on  cognoist 
la  foiblesse,  feussent  levées  tant  pour  y  séjourner  avec 
plus  de  liberté  et  seureté,  que  pour  oster  occasion  à 
ceulx  qui  jà  n'en  avoient  que  trop  ,  d'estimer  qu'il 
reprist  la  royne  sa  femme  par  une  voye  moins  conve- 
nable à  l'amitié  qui  se  doibt  voir  entre  eulx  et  à  l'honneur 
commun  de  l'ung  et  de  l'aultre. 

Estimoit  ledict  seigneur  roy  de  Navarre,  par  ce  moyen, 
avoir  assés  montré  audict  sieur  de  Bellievre  combien 
il  desiroit  la  bonne  grâce  de  sa  majesté.  Et  si  quelqu'ung 
le  peult  envers  son  prince,  il  pensoit  l'avoir  méritée  par 
ceste  response,  en  laquelle  il  donnoit  au  contentement 
de  sa  majesté  son  honneur  mesmes;  encores  que  les 
grands  princes  n'ont  jamais  voulleu  user  d'auctorité  sur 
l'honneur  de  leurs  moindres  subjects,  quelque  puis- 
sance qu'ils  ayent  eue  et  exercée  sur  leurs  vies. 

Au  contraire  se  plaint  ledict  seigneur  roy  de  Navarre , 
que  ledict  sieur  de  Bellievre  non  seulement  n'a  voulleu 
recognoistre  l'extrême  raison  où  il  se  mettoit  par  ceste 
response,  mais  mesmes  Ta  comme  prise  à  offense;  lui 


A  M.  DE  CLERVANT.  /^S5 

en  a  parlé  et  plus  froidement  et  plus  cruement  qu'au- 
paravant; lui  déclarant  expressément  que  cela  ne  se 
pouvoit  faire,  et  que  sa  majesté  voulloit  estre  simple- 
ment obeie;  qu'il  la  receust  en  tel  aultre  lieu  qu'il 
vouldroit  si  sa  maison  ne  lui  sembloit  seure  au  milieu 
desdictes  garnisons.  Comme  si  c'estoit  chose  civile , 
après  ce  qui  s'estoit  passé,  de  recevoir  ladicte  royne 
sa  femme,  en  maison  empruntée,  ou  chose  incivile, 
de  demander  seureté  en  sa  maison  propre. 

C'est  ce  qui  s'est  passé  entre  ledict  seigneur  roy  de 
Navarre  et  le  sieur  de  Bellievre ,  qu'il  a  bien  vouUeu  faire 
entendre  à  leurs  majestés  par  le  sieur  de  Clervant, 
envoyé  exprès  pour  cest  effect ,  qui  le  leur  pourra 
discourir  plus  amplement,  et  particulièrement  les  sup- 
plier très  humblement  de  bien  considérer  les  raisons 
qui  ensuivent. 

Ledict  seigneur  roy  de  Navarre  n'ignore  et  ne  mescog- 
noist  poinct  la  puissance  et  auctorité  du  roy,  que  ledict 
sieur  de  Bellievre  lui  a  voulleu,  pour  toute  raison  et  sa- 
tisfaction, mettre  en  avant;  mais  aussi  sçait  il  bien  que 
ceste  puissance  et  auctorité  par  tous  princes  chrestiens 
est  toujours  conduicte  et  reduicte  à  équité  et  justice  ;  et 
particulièrement  que  sa  majesté  en  faict  une  profession 
très  grande.  Supplie  donc  sa  majesté  de  considérer  s'il 
l'a  offensé  en  lui  demandant  du  commencement  justice 
ou  d'ung  crime  ou  d'une  calomnie,  et  si  maintenant  il 
doibt  prendre  en  mauvaise  part  qu'y  allant  mesmes  de 
son  honneur,  il  requière  quelque  seureté  en  sa  maison, 
et  quelque  bienséance,  après  ce  qui  s'est  passé,  en  la 
réception  de  la  royne  sa  femme. 

Ne  veult  aussi  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  révoquer 
en  double  la  liberté  selon  laquelle  les  princes  peuvent 
user  de  leurs  subjects,  qui  lui  a  esté  alléguée  par  ledict 


486  INSTRUCTION  A  M.  DE  CLERVANT. 

sieur  de  Bellievre;  mais  supplie  aussi  sa  majesté  de  se 
ressouverwr  qu'envers  les  moindres  d'iceulx ,  elle  ne  l'a 
jamais  employée  aux  despens  de  leur  honneur  et  répu- 
tation ;  que  la  coustume  des  princes  François  ne  feut 
onc  telle,  qui  ont  tousjours  attrempé  ceste  souveraine 
liberté  d'une  douceur  et  gracieuseté,  sans  jamais  or- 
donner de  leur  vie  qu'en  justice,  et  de  leur  honneur 
que  de  gré  à  gré. 

Que  ceste  coustume  de  ses  prédécesseurs  qui  lui  a 
esté  jusques  ici  une  nature,  ne  doibt  pas  se  perdre  et 
se  rompre  à  l'endroict  dudict  seigneur  roy  de  Navarre  le 
premier,  qui  a  cest  honneur  par  la  grâce  de  Dieu  d'estre 
le  premier  prince  de  son  sang ,  d'estre  son  beau  frère , 
d'estre  mesmes  prince  souverain;  qui,  estant  né  tel,  ne 
peult  estre  que  très  sensible  en  ce  qui  touche  l'hon- 
neur; ne  peult  demander  son  honneur  sans  demander 
inséparablement  celui  de  sa  maison  ;  et  toutesfois  s'est 
demis  jusques  là  que  d'en  soubmettre  la  satisfaction  au 
respect  de  ses  commandemens,  pour  le  désir  qu'il  a  eu 
plus  de  satisfaire  à  sa  majesté  que  d'estre  satisfaict  en 
soi  mesmes. 

Pour  la  fin  ,  la  supplie  très  humblement  se  voulloir 
tant  abaisser  pour  juger  mieulx  de  toutes  choses,  de 
se  considérer  simplement  en  la  personne  dudict  seigneur 
roy  de  Navarre,  duquel  il  s'agit  en  ce  faict.  Moyennant 
quoi,  il  s'asseure  qu'il  ne  lui  pourra  que  sçavoir  gré  de 
tout  ce  qui  s'y  est  passé  jusques  ici  ;  et  ne  trouvera 
mauvais  qu'en  donnant  le  contentement  qu'il  désire  au 
principal,  il  en  reçoive  aussi  quelque  peu  en  ce  qui  est 
de  l'accessoire.  Ce  qui  se  peult  sans  dommage  aulcung 
du  service  de  sa  majesté.  Et  ne  se  peult  aultrement 
sans  ung  préjudice  trop  grand  à  l'honneur  dudict  roy 
de  Navarre  et  de  la  royne  sa  femme. 


FRAGMENT  DE  MEMOIRES.  4^7 


LXXXVII.  —  ^  FRAGMENT 

De  mémoires  qui  s'est  trouvé  dans  les  papiers  de 
M.  Duplessis,  sans  titre  ni  indication,  mais  qui, 
par  les  faits  quil  contient ,  semble  appartenir  a 
Tannée  i584- 

Madamoiselle  Dnpiessis  partit  le  i^  juin    i584, 
pour  venir  trouver  M.  Duplessis  qui,  pour  la  charge 
qu'il  a  en  la  maison  du  roy  de  Navarre,  de  superin- 
tendant, malaisément  se  peult  esloingner  de  son  maistre; 
M.  Duplessis, ayant  sceu  son  arrivée  à  Saincte  Foy,  l'y 
veint  trouver,  et  voyant  que  le  ro^  de  Navarre  n'avoit 
encores  resoleu  du  lieu  où  il  feroit  sa  principale  de- 
meure, et,  d'aultre  part,  qu'il  y  avoit  permission  du  roy 
pour   faire  assembler   les  députés  des  églises  au  20^ 
d'aoust,  où  le  roy  de  Navarre  et  toute  la  compagnie 
des  églises  se  debvoit  trouver  à  Montauban ,  M.  Du- 
plessis se  délibéra  d'y  faire  acheminer  toute  sa  famille, 
afin  de  donner  ce  contentement  à  sa  femme,  d'estre  près 
de  lui  durant  ladicte  assemblée,  et  puis,  selon  le  lieu  où 
le  roy  de  Navarre  se  resouldroit  de  passer  son  hyver,  lui 
faire  acheminer.  Après  que  M.  Duplessis  eustconduict  sa 
famille  à  Montauban,  il  alla  trouver  le  roy  de  Navarre 
à  Pamiers;  madamoiselle  Duplessis  ne  changea  audict 
Montauban,  et  n'a  changé  depuis  de  façon  de  faire,  de 
vivre,  d'habillemens  ni  de  coiffure,  non  plus  qu'elle  a 
faict  depuis  quinze  ans,  qu'elle  a  en  cest  heur  de  s'estre 
trouvée  et  teneue  en  plusieurs  grandes  et  belles  églises 
de  la  chrestienté,  comme  à  Sedan,  Allemaigne,  An- 
gleterre, Pays  Bas,  et  celles  de  France;  et  toutesfois 
(à  Dieu  en  soit   gloire),  plusieurs  gens  de  bien  peu» 


488  FRAGMENT 

vent  tesmoigner  en  quelle  modestie  elle  s'est  conduicte 
et  gouvernée.  M.  Duplessis  reveint  audict  Montauban 
lorsque  le  roy  de  Navarre  s'y  achemina,  et  y  avoit  plu- 
sieurs députés  de  la  pluspart  des  églises  de  France, 
qui  peuvent  tesmoigner  si,  en  ses  habits  ou  façons  ,  il  y 
avoit  quelque  marque  de  vanité  ou  d'escandre,  durant 
que  M.  Duplessis  a  faict  séjour  audict  lieu;  il  a  pryé 
quelquesfois  M.  Berault  de  le  venir  veoir,  et  boire  et 
manger  avec  lui,  qui  lui  estoit  assés  de  subject,  en  de- 
visant avec  lui,  de  lui  faire  entendre  le  schisme  de  ceste 
Eglise;  mais,  procédant  de  lui  et  de  sa  teste,  il  n'y  voul- 
loit  aussi  chercher  remède.  Cependant ,  madamoiselle 
Duplessis ,   voyant  quelques  familles  très  modestes  en 
ceste  ville  estre  retranchées  de  la  court,  les  unes  en- 
cores  que  leurs  femmes  ni  filles  ne  portassent  cheveux  ; 
toutesfois  pour  s'esire  opposées  au  rapport  de  M.  Be- 
rault, qui  faisoit  entendre   l'arrest  du  synode  aultre- 
ment  que  l'on  ne  faisoit  aulx  aultres  églises;  quelques 
unes  aussi ,  pour  ne  voulloir  faire  un  serment  que  l'on 
requeroit  d'elles,  qu'elles  ni  leurs  filles  ne  porteroient 
jamais  leurs,  cheveux  ou  fil  d'arecheal  dedans,  estoient 
publicquement  criées   à    l'église  et  retranchées  de  la 
cène ,  dont   s'estoit  ensuivi    ung  tumulte   et  sédition 
en  la  ville,    chose  qu'estoit   grandement  scandaleuse; 
cela  faisoit  qu'elles  desiroient  grandement  de  sçavoir, 
cependant  que  M.  Duplessis  y  estoit ,  comment  elles 
se  debvoient  coiffer,  lui  feut  cause  que,  la  cène  ap- 
prochant, et  que,  selon  la  coustume  de  Montauban, 
M.  Berault  estoit  veneu  en  leur  logis  chez  madamoi- 
selle   de    Bonencontre ,    leur    liostesse,    environ    dix 
jours   devant  la  cène ,   pour  bailler  des  mereaux  à  la 
dixaine  du  quartier;  elle  feut  cause  que  M.   Duplessis' 
s'adressa  à  M.  Berault  pour  avoir  des  mereaux  pour 


I)E  MEMOIRES.  4% 

sa  famille ,  qui  faisoit  la  saincte  cène  ;  ce  qu'elle  n'eust 
voulleu  pourchasser,  si  elle  n'eust  voulleu  s'assujettir 
à  la  discipline  qu'ils  veullent  faire  recevoir  en  l'Eglise 
(le  Montauban  ,  dont  elle  estoit  prou  adverlie  ;  et  eust 
bien  sceu,  sans  que  M.  Berault  lui  eust  appris,  s'adresser 
au  ministre  de  la  court;  mais  elle  desiroit  leur  donner 
toute  édification  et  contentement.  Comme  M.  Duplessis 
eust  donc  envoyé  ung  des  siens ,  avec  mémoire  de  ceulx 
qui  faisoient  la  cène  en  sa  famille ,  pour  le  pryer  de 
lui  envoyer  des  mereaux  pour  tous ,  M.  Berault  feit 
response  qu'il  avoit  assés  à  faire  de  respondre  de  son 
troupeau  ,  sans  se  charger  davantage  ;  ainsi ,  sans  dire 
aultre  raison,  ni  sans  venir  trouver  M.  Duplessis,  qui 
estoit  au  mesme  logis ,  et  n'y  avoit  qu'une  galerie 
à  traverser  entre  la  salle  oîi  estoit  M.  Berault  et  la 
chambre  où  estoit  M.  Duplessis,  où  il  lui  eust  peu 
déclarer  quel  subject  il  avoit  de  faire  ceste  response 
si  vague ,  ou  ce  qu'il  requeroit  de  sa  famille  ,  dont 
il  eust  receu  tel  contentement  qu'il  eust  peu  désirer; 
s'en  alla  en  ceste  façon,  se  contentant  de  rabrouer 
son  homme.  Ceste  response  estant  ainsi  faicte ,  M.  et 
madamoiselle  Duplessis  pensèrent  qu'il  ne  voulloit  le 
requérir  d'aulcung  changement;  mais  ,  afin  de  ne  porter 
préjudice  à  ce  qu'il  voulloit  estorquer  de  son  église, 
qu'il  estoit  bien  aise  que  M.  Duplessis  s'adressast  au 
ministre  de  la  court,  ce  qu'il  délibéra  de  faire,  et  lors 
madamoiselle  Duplessis  ne  pensa  plus  de  changer  de 
coiffure,  comme  elle  faisoit  auparavant.  Quelques  jours 
après,  comme  madamoiselle  Duplessis  partoit  de  son 
logis  à  l'heure  du  presche  du  matin  pour  aller  tenir 
ung  enfant  avec  M.  de  Chastillon,  M.  Maquichon  avec 
ung  aultre,  aulcungs  du  consistoire  de  Montauban  la 
vindrent  prendre  au  sortir  de  la  porte  de  son  logis, 


490  FRAGMENT 

lui  disant  qu'il  y  avoit  long  temps  qu'on  l'attendoit; 
aulxquek  elle  fait  réponse  qu'ils  faisoient  tort  à  M.  Du- 
plessis,  et  qu'ils  sçavoient  bien  que  sa  maison  estoit 
ouverte  à  tous  gens  de  bien  ;  lesquels  lui  feirent  res- 
ponse  qu'ils  avoient  ce  commandement  du  consistoire. 
Afin  que  M.  Duplessis  n'entendist  ce  qu'il  avoit  à  lui 
dire,  elle  lui  respondit  que  malaisément  celleroit  elle 
quelque  chose  à  M.  Duplessis,  auquel,  si  elle  pouvoit , 
elle  diroit  toutes  ses  pensées,  et  trouvoit  ceste  pro- 
cédure estrange,  veu  qu'ils  debvoientcognoistreM.  Du- 
plessis. Somme,  qu'ils  vindrent  à  lui  déclarer  leur  charge, 
que  estoit  de  l'admonester,  d'oster  ses  cheveux;  elle 
leur  respondit  qu'elle  trouvoit  très  estrange,  puisqu'ils 
n'avoient  voulleu  recognoistre  la  famille  de  M.  Du- 
plessis de  leur  troupeau ,  qu'ils  voulleussent  estre  re- 
cogneus  d'elle  pour  ses  pasteurs,  et  que  de  ce  qu'ils 
requerroient  d'elle,  qu'ils  s'adressassent  à  M. Duplessis, 
qu'elle  n'en  feroit  que  ce  qu'il  lui  commanderoit.  Quel- 
ques jours  après,  le  consistoire  se  teint  sur  le  schisme  ad- 
veneu  et  entreneu  depuis  quattre  ans  en  ladicte  église, 
où  estoit  premièrement  le  consistoire,  puis  celui  de 
la  court;  et  oultre ,  M.  de  la  Roche,  Chaudion ,  de 
Serres,  Trimpoullet ,  Triac,  Delaplace,  Deloques,  et 
plusieurs  aultres  ministres  assés  cogneus  en  nos  églises. 
Apres  avoir  parle  pour  quelques  familles  de  ceste  ville ,  le 
faict  de  la  famille  Duplessis  feut  allégué,  combien  qu'à 
la  vérité,  ni  lui,  ni  madamoiselle  Duplessis  n'en  eussent 
pryé  ni  donné  charge;  ains  ils  le  faisoient  pour  la  con- 
séquence. La  compagnie  feut  d'advis,  voyant  la  modestie 
de  toute  ceste  famille,  tant  en  accoustrement  qu'en 
aultres  dépendances ,  et  que ,  grâces  à  Dieu ,  ils  n'ap- 
porteroient  qu'édification ,  et  que  la  façon  de  vivre  de 
M.  Duplessis  debvoit  estre  à  tous  cogneue,  qu'on  ne 


DE  MEMOIRES.  49' 

leur  requerrolt  aulcung  changement;  mesmes,  veu  la 
vie  tracasseuse  et  de  court ,  à  quoi  ils  sont  subjects ,  et 
qu'elle   n'estoit  habitante  de  Montauban,  par  consé- 
quent subjecte  aux  loix  particulières  dudict  lieu;  et  là 
dessus,  feut  dict  à  M.  Cahier,  ministre  de  la  court,  qu'il 
leur  baillast  des  mereaux ,  lequel  passa  par  leur  logis, 
et  ny  trouva  que  madamoiselle  Duplessis,  à  laquelle  il 
dict  que ,  quand  il  plairoit  à  M.  Duplessis  lui  envoyer, 
escript  de  sa  main ,  ceulx  de  sa  famille  qui  faisoient  la 
cène  ,  qu'il  lui  enverroit  des  mereaux  ;  mais ,  peu  après , 
lui  feut  mandé  par  le  consistoire  de  Montauban,  ou 
plus  tost  par  quelques  particuliers  dudict  consistoire 
de  Montauban  ,  de  ne  bailler  des  mereaux  h  M.  Du- 
plessis ,  ni  pour  lui,  ni  pour  pas  ung  de  sa  famille ,  ce 
qui  feut  trouvé  estrange,  la  chose  ayant  esté  délibérée 
en  si  bonne  et  notable  compagnie  ,  d'estre  contreman- 
dee  par  quelques  particuliers  ;  de  sorte  que  M.  Cahier, 
à  qui  M.  Duplessis  en  avoit  envoyé  demander,  se  veint 
excuser  sur  ce  qui  lui  avôit  esté  commandé ,  et  là  dessus 
le^ bruit  feut  tout  commun,    tant  à   la  ville  qu'à  la 
court  (où  mesmes  il  y  avoit  quelques  seigneurs  et  per- 
sonnes de  qualité  de  relligion  contraire),  que  M.  Du- 
plessis, avec  toute  sa  famille,  esloit  excommunié  sans 
que  l'on  lui  eust  parlé  ung  seul  mot,  ne  qu'il  sceust  pour- 
quoi ;  de  sorte  que  le  samedi  matin ,  allant  au  lever  du 
roy  de  Navarre,  l'on  se  prit  à  s'en  gausser  ;  et  entre  aul- 
tres  ,  quelques  ungs  prenoient  de  là  occasion  de  mesdire 
de  nostre  relligion  et  de  nos  ministres ,  ce  qui  fascha 
M.  Duplessis  à  bon  escient.  Madamoiselle  Duplessis  alla 
au  presche,  au  retour  duquel  deux  anciens  du  consis- 
toire de  la  court  la  vindrent  conduire;  comme  elle  estoit 
en  sa  chambre,  devisant  avec  eulx,  entrèrent  MM.  Be- 
rault,  et  Bironier,  ministres  de  Montauban.  M,  Berault 


49^  FRAGMENT 

commence  par  lui  faire  des  excuses  sur  ce  qu'il  n'estoit 
venu  si  souvent  voir  M.  Duplessis,  et  que  l'occasion 
qui  l'en  avoit  empesché ,  estoit  qu'il  avoit  bien  sceu 
que,  pentlant  ceste  assemblée,  il  avoit  esté  fort  empesché. 
Madamoiselle  Duplessis  lui  respondit  que,  de  vrai ,  il 
avoit  esté  fort  occupé,  mais  que,  pour  cela,  plusieurs 
aultres  n'avoient  laissé  de  le  voir  ;  mais  qu'elle  sçavoit 
bien  que  ce  n'estoit  pour  s'excuser  qu'il  venoit  présen- 
tement; qu'elle  ne  lui  voulloit  celler  que  M.  Duplessis 
estoit  aussi  fasché  qu'il  avoit  esté  de  long  temps;  qu'il 
avoit  pensé  mener  sa  famille  à  Montauban  pour  avoir 
quelque  repos  ;  mais  qu'il  en  advenoit  tout  aultrement, 
et  au  lieu  qu'il  avoit  eu  cest  heur  par  tout  où  il  l'avoit 
conduicte  depuis  neuf  ans  de  servir  et  édifier  ung  cha- 
cung  ,  au  contraire  qu'il  avoit  à  Montauban  ce  malheur 
d'y  estre  en  scandale ,  et  ce  qu'il  trouvoit  plus  estrange, 
d'estre  excommunié  et  toute  sa  famille,  sans  que  l'on 
eust  parlé  à  lui  ;  que  ce  n'estoit  suivre  la  règle  de  charité, 
ni  le  commandement  de  Dieu,  d'escandaliser  son  pro- 
chain auparavant  que  de  l'admonester.  Là  dessus,  M.  Be- 
rault  lui  dict  qu'il  venoit  de  la  part  du  consistoire  pour 
lui  faire  entendre  qu'elle  ostat  ses  cheveux;  elle  le  pria 
de  trouver  bon  que  M.  de  Roupeyroux ,  qui  estoit  là , 
et  aultres  du  consistoire  de  la  court,  feust  présent  et 
tesmoing,  tant  de  ce  qu'il  lui  diroit,  que  de  ce  qu'elle 
lui  respondroit.  Là  dessus,  il  lui  dict  qu'il  n'avoit  ceste 
charge;  et  elle  persista  en  appellant  M.  de  Roupey- 
roux :  monsieur  ne  passa  oultre  et  se  retira.  Madamoi- 
selle Duplessis  lui  dict  :  Monsieur,  vous  vous  adresseriés 
donc  à  M.  Duplessis ,  qui  est  chef  de  sa  famille.  Ainsi 
s'en  allèrent  MM.  Berault  et  Bironier  ;  et  une  heure 
après,  derechef,  feut  assemblé  le  consistoire  de  Mon- 
tauban et  celui  de  la  court;  pareillement  MM.  de  la 


DE  MEMOIRES.  49^ 

Roche,  de  Serres ,  Delaplace,  Cahier,  Deloques,  elles 
aiihres  qui  s'estoient  trouvés  au  précèdent  consistoire , 
où  derechef  feut  concki  qu'on  bailleroit  des  mereaux 
à  M.  Duplessis,  pour  lui  et  sa  famille.  Ainsi  M.  Cahier 
leur  en  bailla  la  présidence  depuis  qu'on  eust  baillé  les 
mereaux;  M.  Berault,  et  avec  lui  M.  Maquichon ,  avec 
MM.  du  consistoire  de  Montauban,  vindrent  trouver 
M.  Duplessis,  qui  commença  à  se  plaindre  de  la  pro- 
cédure qui  avoit  esté  teneue  contre  lui  ,  ayant  trouvé 
fort  estrange  que  l'on  eust  parlé  en  leur  consistoire  de 
le  retrancher  de  la  cène,  sans  s'estre  premièrement 
adressé  à  lui.  Ses  propos  feurent  qu'il  trouvoit  estrange 
la  façon  dont  il  avoit  procédé  envers  lui  et  sa  famille; 
que  sa  maison  avoit  tousjours  esté  ouverte  à  toutes 
sortes  de  gens  de  bien,  mesmes  qu'ils  avoient  assez 
d'accès  l'ung  à  l'aultre  pour  lui  avoir  déclaré  son  in- 
tention sur  ce  faict ,  premier  que  parler  plus  avant  ; 
que  cependant  il  s'estoit  adressé  et  faict  adresser  à  sa 
femme,  en  pleine  rue  au  sortir  du  presche,  avec  pré- 
face d'avoir  cherché  ceste  occasion  et  teneu  ceste  façon 
de  lui  parler,  afin  que  son  mari  n'en  sceust  rien,  chose 
mal  séant  et  très  mal  advisé;  que  ,  sans  lui  avoir  dict  ni 
faict  dire  ung  mot  de  ce  faict ,  on  avoit  refusé  des  me- 
reaux à  toute  sa  famille,  hommes  et  femmes.  Combien 
que ,  grâces  à  Dieu ,  il  n'y  eust  personne  en  ladicte 
famille  qui  ne  feust  instruit  en  la  relligion;  que  le  con- 
sistoire de  la  maison  du  roy  de  Navarre  ayant  resoleu 
de  les  y  recevoir,  il  auroit  mandé  et  signifié  à  M.  Cahier, 
ministre  de  ladicte  maison ,  de  se  bien  garder  de  leur 
distribuer  des  mereaux;  donc  soit  adveneu  que  pre- 
mier de  lui  avoir  dict  ung  mot ,  toute  la  court  et  la  ville 
auroit  esté  abreuvée  que  lui ,  sa  femme  et  sa  famille 
estoient  retranchés  de  la  cène  au  grand  scandale  de  plu- 


/igi  FRAGMENT 

sieurs  gens  de  bien ,  et  au  grand  plaisir  de  diverses  per- 
sonnes de  la  relligion  contraire,  de  toutes  qualités, 
qui  se  retrouvoient  lors  en  ladicte  ville  de  Montauban  ; 
que  ceste  assemblée  venant  à  se  rompre,  ce  bruit  se- 
roit  respandu  de  toutes  parts ,  d'aultant  que ,  grâces  à 
Dieu,  il  avoit  quelque  nom,  mais  qu'il  se  consoloit  en 
une  chose,  que  sa  façon  de  vivre,  et  de  sa  famille, 
estoit  connue  en  divers  lieux  où  il  avoit  vescu;  et  qu'il 
esperoit  que  le  blasme  en  demeureroit  plustost  aulx 
aultres  qu'à  lui.  En  quoi ,  toutesfois,  il  estoit  très  marri 
de  voir  enveloppé  le  nom  du  ministre  et  du  consistoire 
d'une  notable  église;  qu'il  avoit  amené,  après  beau- 
coup de  travaux,  sa  famille  à  Montauban  pour  lui 
donner  quelque  repos ,  et  le  contentement  au  moins 
de  n'estre  plus  si  esloignee  de  lui,  puisqu'il  estoit  atta- 
ché au  service  du  roy  de  Navarre  et  aulx  affaires  pu- 
blicques  ;  cependant  qu'il  s'y  voit  plus  maltraicté  qu'en 
lieu  où  jamais  il  eustesté,  bien  que  les  persécutions  et 
les  traverses  de  sa  vie  l'eussent  conduict  en  divers  en- 
droicts  où  il  ne  debvoit  pas  attendre  tant  de  cour- 
toisie, et  qu'il  lui  estoit  fort  dur  que,  des  son  arrivée  , 
le  nom  de  sa  famille  feust  promené  par  les  marchés ,  et 
tiré  en  consistoire;  chose  qui  jamais  ailleurs  ne  lui  soit 
adveneue.  Toutesfois,  qu'il  auroit  tousjours  vescu  en  la 
lumière  des  plus  belles  églises  de  la  chrestienté  avec 
sa  famille ,  en  églises  françoises  qui  sont  recueillies  en 
Allemaigne  et  en  Angleterre,  en  églises  des  Pays  Bas, 

en  diverses de  France  ;  mesmes  que  Dieu  leur 

avoit  faict  la  grâce  et  l'honneur  d'estre  hostes  en  leurs 
maisons  de  son  Eglise ,  où  tant  s'en  fault  qu'ils  eussent 
esté  en  scandale  ,  qu'au  contraire  Dieu  leur  auroit  faict 
la  grâce  d'avoir  ce  tesmoignage,  d'y  avoir  tousjours 
esté  en  exemple.  Cependant  qu'en  tout  ce  temps  ils 


DE  MEMOIRES.  49^ 

n'avoient  pas  changé  de  façon  ni  de  vivre,  ni  d'ha- 
biller, ains  pensoient  d'avoir  apporté  par  deçà  encores 
plus  de  modestie  :  ce  qu'il  laissoit  à  juger  à  ceulx  qui 
cognoissoient  leur  qualité;  que,  de  penser  que  Montau- 
ban  seule  feust  Eglise,  ce  seroit  revenir  à  l'erreur  des 
donatistes;  qu'elle  ne  debvoit  avoir  une  discipline  à 
part ,  ains  commune  à  toutes  les  églises  de  France  ,  et 
que  c'estoit  audict  Berault  à  ployer  ses  opinions  soubs 
l'arrest  d'un  synode  national,  duquel  il  ne  pouvoit 
prétendre  ignorance  ,  et  non  s'obstiner  et  roidir  en  ses 
fantaisies  particulières,  contre  l'advis  de  tant  de  gens 
de  pieté  et  doctrine ,  assemblés  h  Montauban ,  qui 
avoient  condamné  ceste  sienne  procédure,  mesmes  à 
l'endroict  de  lui,  sa  femme  et  sa  famille,  qu'il  s'arres- 
teroit  toujours  à  ce  qu'ils  en  ordonneroient ,  mais  non 
h  ce  qu'ils  en  diroient ,  s'ils  voulloient  estre  cru  au  des- 
sus d'eulx.  Il  lui  teint  ces  propos  avec  affection;  car  il 
lui  tenoit  fort  au  cœur  d'estre  ainsi  promené  par  les 
rues  en  telle  assemblée,  et  lui  adjousta  pour  la  fin 
qu'il  debvoit  estre  honteux  d'avoir  si  violemment  pressé 
ungfaict  indiffèrent;  qu'il  en estoitveneuung  schisme  no- 
table en  sonEglise,  et,qui  plus  est,  ung  procès  d'injures; 
lequel ,  au  grand  mespris  de  nos  églises  et  au  hazard 
de  l'auctorité  de  la  police  ecclésiastique,  avoit  à  estre 
vuidé  au  premier  jour  en  la  court  de  parlement  de 
Thoulouse.  La  somme  feut ,  et  lui  répéta  par  deux  et 
troisfois,  que,  pour  l'édification  de  l'Eglise,  ils  neplain» 
droient  les  cheveux ,  puisque ,  par  la  grâce  de  Dieu  , 
ils  n'avoient  craint  d'en  perdre  la  teste;  mais  qu'il  soub- 
mist  son  jugement  aussi  volontiers  à  la  compaignie, 
comme  ils  faisoient  ;  et  qu'il  ne  s'imaginast  pas  d'estre 
seul  chrestien,  seul  pasteur  ni  seul  sage  :  et  sur  ces  pro- 
pos, se  retira  ledict  sieur  Berault  avec  peu  de  réplique. 


49^  FRAGMENT 

Sur  la  fin  de  ceste  assemblée  les  députés  des  églises 
requirent  le  roy  de  Navarre  qu'il  lui  pleust  permettre 
que  M.  Duplessis  allast  avec  M.  de  Laval,  vers  le  roy, 
porter  les  cahiers  ;  le  roy  de  Navarre  s'en  excusa  sur 
les  affaires  de  sa  maison  ;  mais ,  en  estant  instamment 
pryé  ,  il  l'accorda.  M.  Duplessis  eust  bien  désiré  de 
s'exempter  de  ce  voyaige  pour  se  trouver  mal  et  avoir 
besoing  de  penser  à  sa  santé;  puis,  il  avoit  beaucoup 
travaillé  durant  l'assemblée  :  et  sa  famille,  estant  veneue 
de  si  loing  par  les  chaleurs,  avoit  proposé  demander 
congé  au  roy  de  Navarre ,  pour  ung  mois  ou  six  sep- 
maines ,  pour  adviser  où  il  la  transporteroit  pour  l'iiy- 
ver.  Enfin,  nonobstant  tout  cela,  la  resolution  feut  qu'il 
feroit  le  voyaige  ;  il  laissa  donc  madamoiselle  Duplessis 
malade  d'un  cathare,  dontelle  gardoit  le  lict,  quinze  jours 
devant  son  partement,  et  deux  de  ses  petits  enfans  à 
qui  la  petite  vérole  commençoit  à  venir,  dont  il  estoit 
en  extresme  peine  ;  car  il  n'avoit  que  huict  jours  qu'il  lui 
en  estoit  mort  ung  laquais  ;  enfin  ,  recommandant  à  Dieu 
sa  famille,  il  s'achemina  à  Blois.  Durant  son  voyaige, 
madamoiselle  Duplessis  ne  bougea  quasi  du  lict  ou  de 
la  chambre ,  la  teste  bandée  de  sorte  que  ses  cheveux 
n'ont  guère  donné  de  scandale  durant  ce  temps;  et 
si  elle  est  sortie  ung  jour  pour  le  presche,  elle  a  esté 
contraincte  par  maladie  en  garder  huict  au  lit.  Toutes- 
fois  ,  nonobstant  son  affliction,  tant  pour  l'absence  de 
M.  Duplessis,  que  pour  la  maladie  d'elle  et  de  ses  en- 
fans,  pas  ung  des  ministres  de  Montauban  (qui  sont 
trois),  ne  la  sont  venus  visiter,  encores  qu'elle  s  en 
estoit  plainct  exprès ,  afin  qu'il  leur  feust  dict.  Or,  en- 
viron ung  mois  devant  la  cène  de  Noël,  comme  la  cous- 
tume  est  telle,  que,  toutes  les  dixaines,  l'on  faict  ung  caté- 
chisme où  tous  ceulx  qui  font  la  cène  sont  catéchisés, 


DE  MEMOIRES.  /197 

puis  on  leur  baille  des  mereaux.  M.  Berault  veint  cliés 
madame  de  Bonencontre ,  où  M,  Duplessis  est  logé  , 
pour  catéchiser.  Madamoiselle  Duplessis  avoit  mis, 
pour  que  toute  sa  famille  feust  instruite,  elle  estant 
malade,  se  levé  de  son  lict  et  s'en  va  en  la  salle  oii  estoit 
l'assemblée  de  cinquante  ou  soixante  personnes,  qui 
estoit  la  dixaine  ;  elle  estoit  coiffée  de  nuict ,  la  teste 
bandée  avec  son  mouchoir  tout  noir;  sa  famille  aussi 
estoit  très  modestement  accoustree;  elle  y  alla  ainsi 
avec  ses  enfans,  ses  femmes  et  ses  domestiques,  et 
cependant,  comme  il  appera  par  la  plaincte  qu'elle  en 
fcit  au  premier  consistoire,  d'après,  M.  Berault  les  re- 
trancha lousdeceste  assemblée,  mesmement  les  hommes 
qui  ne  sont  poinct  compris  en  la  règle  des  cheveux ,  ce 
qui  fascha  toute  ceste  famille  pour  le  scandale  qu'en 
pouvoit  prendre  la  compaignie,  et  feut  cause  que  ma- 
damoiselle Duplessis  escrivit  de  sa  main  et  feit  pré- 
senter au  consistoire  ce  qui  s'ensuit  ; 

On  remonstrera  à  messieurs  du  consistoire,  de  ma 
part,  que,  vendredi  dernier,  la  dixaine  de  ce  quartier 
feut  assemblée  chez  madamoiselle  de  Bonencontre  nostre 
liostesse,  pour  faire  le  catéchisme  accoustumé;  et  d'au- 
tant que  partout  où  il  y  a  église  et  assemblées  des 
fidelles,  nostre  famille  s'y  doibt  ranger  comme  es- 
tans  membres  du  corps  de  l'Eglise  dont  Jésus  Christ 
est  chef,  je  me  levai  du  lict  où  j'estois,  me  trouvant 
mal,  et  m'en  allai  au  lieu  où  on  faisoit  le  catéchisme, 
avec  nostre  famille,  tant  hommes  que  femmes,  faisant 
profession  de  la  relligion ,  et  communiquant  aux  saincts 
sacremens  ,  ce  que  je  feis  : 

Premièrement,  pour  protester  que  nous  estions  du 
corps  de  l'Eglise  de  Christ  ; 

Secondement ,  pour  apprendre  à  estre  instruits  ; 

3Ikm.  pe  Duplessis-Morjvay,  To.mf,  ir  39. 


1 


4g8  fragmelNt 

Tiercement,  pour  édifier,  moyennant  la  grâce  de 
Dieu ,  les  assistans. 

Cependant  je  ne  sais  pourquoi  j'eus  ce  malheur,  que 
toute  ma  famille,  tant  hommes  que  femmes,  feut  sé- 
questrée par  M.  Berault,  qui ,  pour  crainte  de  les  rece- 
voir en  la  communion  de  ceste  Eglise ,  rompit  son 
ordre  accoustumé  ,  pensant  ceulx  qu'il  cognoissoit  eslre 
de  la  famille  de  M.  Duplessis;  et  ceulx  dont  il  se  doub- 
toit,  leur  ayant  demandé,  il  les  laissa;  de  sorte  que  je 
feus  freustree  des  biens  que  je  pretendois  de  ceste 
assemblée,  en  deux  poincts. 

Premièrement,  parce  que  toute  la  famille  de  M.  Du- 
plessis, dont  en  son  absence  j'ai  à  lui  respondre ,  en  a 
esté  séquestrée  sans  sçavoir  pourquoi,  ce  que  je  sous- 
tiens  M.  Berault  ne  pouvoir  ni  debvoir;  car,  n'estant 
.appelle  en  l'Eglise  de  Dieu  par  lui,  il  ne  nous  en  peult 
aussi  retrancher. 

Secondement,  au  lieu  que  nous  estions  allé  pour  édi- 
fier l'assemblée,  nostre  présence,  au  lieu  d'édification, 
y  a  esté  en  scandale  ,  et  pourtant  je  supplie  l'assemblée 
du  consistoire  cognoistre  ma  confession  de  foi ,  que  j'ai 
escrite ,  telle  que  je  la  crois  de  cœur  et  confesse  de  bou-  • 
che,  et  leur  prye  de  juger  s'il  y  a  chose  contrevenante 
à  l'analogie  de  la  foi  et  consentement  de  toutes  les 
églises  chrestiennes;  et  leur  prye  aussi  d'adviser  s'il  y 
a  quelque  mauvais  tesmoignage  à  l'encontre  de  M.  Du- 
plessis, de  moi  ou  de  quelqu'ung  de  nostre  famille; 
et  enfin,  si  on  nous  peult  ou  doibt  séquestrer,  ni  nostre 
famille  de  l'assemblée  des  fidèles,  ni  de  l'usage  des 
saincts  sacremens. 

Mais  d'autant  que  M.  Duplessis,  en  son  absence,  en 
ma  présence  et  ensemble  toute  nostre  famille,  avons 
esté  offensés  et  scandalisés  par  M.  Berault  en  ceste  as- 


DE  MEMOIRES.  499 

semblée  de  catecliisine,  dont  il  nous  a  séquestrés,  je 
déclare  que  je  récuse  M.  Berault  au  jugement  que  je 
requiers  du  consistoire  sur  ce  qui  concerne  mon  faict, 
d'autant  que  j'y  ai  trouvé  plus  de  passion  et  aniinosité 
que  de  charité. 

Et  d'autant  que,  sur  le  faict  des  cheveux,  je  vois 
beaucoup  de  schismes  naistre  et  se  nourrir  en  ceste 
Eglise,  avec  grands  scandales,  causés  seulement  pour 
n'avoir,  M.  Berault,  ou  bien  entendu  ,  ou  bien  rapporté 
ce  qui  feut  advisé  sur  ce  faict  au  synode  gênerai,  où 
il  feut  parlé  de  quinquenalets  (i),  qu'il  prit  pour  les 
fils  d'arecheal  dans  les  cheveux,  qui  n'estoit  aulcune- 
nient  l'intention  de  l'assemblée,  comme  il  appert  par 
le  rapport  mesmes  des  aultres  églises,  et  ce  qui  s'y 
pratique  par  ceulx  qui  s'y  sont  trouvés,  en  quoi  il 
semble  voulloir  user  d'auctorité  et  puissance  absoleue, 
sans  avoir  esgard  à  la  régie  de  charité  ;  je  requiers  ceste 
assemblée  voulloir  lire  ce  qu'en  dict  M.  Calvin ,  expo- 
sant le  passage  de  sainct  Paul  à  Thimolee,  qui  en 
faict  mention  ;  lequel  déclare,  par  son  exposition,  que 
l'apostre  entend  plus  reformer  les  mœurs  que  les  habil- 
îemens ,  et  non  pas  s'amuser  à  de  petites  particula- 
rités; que,  plus  est,  il  oste  totalement  toute  puissance 
au  ministre,  et  la  remet  aulx  magistrats. 

Toutesfois,  je  leur  déclare  que  je  n'entends  contre- 
venir à  la  discipline  qui  a  esté  et  sera  receue  par  toutes 
les  églises  de  France,  lesquelles  ont  pour  but  l'hon- 
neur de  Dieu  et  l'édification  du  prochain. 


(1)  Ce  mot  de  quinquenalets  a  esté  ainsi  publié  en  l'église  de 
Montauban,  par  le  rapport  de  M.  Berault,  combien  qu'il  n'ait 
esté  ainsi  couché  en  la  discipline  ,  et ,  des  lors ,  pouvoit  on  trou- 
ver subject  à  troubler  l'Eglise. 


5oo  FRAGMENT 

Je  prye  donc  ceste  assemblée  de  juger  s'ils  m'ont 
veue  en  habillemens,  vestes  ou  aultres  façons  de  faire 
quelques  marques  d'impudicité,  ou  en  quelques  ungs  de 
nostre  famille,  par  lesquelles  façons  ils  nous  puissent 
ou  doibvent  retrancher  de  TEglise,  ni  de  l'usage  des 
saincts  sacremens,  et  pour  les  raisons  que  j'ai  ci  dessus 
deduictes,  je  récuse  derechef  M.  Berault  pour  mon 

S'ensuit  la  confession  de  foi  de  madamoiselle  Du- 
plessis,  qu'elle  a  faict  présenter  au  consistoire  : 

Je  crois  ung  seul  Dieu  en  une  seule  essence,  tout 
sage,  tout  bon ,  tout  juste  et  tout  puissant,  qui  a  créé 
le  ciel  et  la  terre  ;  qui  s'est  déclaré  à  nous  par  sa  pa~ 
rôle,  rédigée  par  escrit  au  vieil  et  nouveau  Testament; 
je  crois  qu'en  ceste  seule  et  simple  essence  il  y  a  trois 
personnes,  le  Père,  qui  est  le  commencement  et  l'ori- 
gine de  toutes  choses;  son  Fils,  qui  est  la  sagesse  éter- 
nelle; le  Sainct  Esprit,  qui  est  sa  vertu  et  puissance 
et  éternellement  procédant  du  Père  et  du  Fils ,  les  trois 
personnes  non  confuses  ,  mais  distinctes ,  toutesfois  non 
divisées,  mais  d'une  mesme  essence,  éternité  et  puis- 
sance. 

Je  crois  que  Dieu  en  trois  personnes ,  par  sa  vertu , 
sagesse  et  bonté,  a  créé  le  ciel  et  la  terre  et  tout  ce 
qu'ils  contiennent,  que  par  sa  promesse  il  conduit 
toutes  choses,  et  que  particulièrement  il  a  ung  soing 
spécial  de  ses  enfants ,  lesquels  il  aime  en  Jésus  Christ 
son  fils. 

Je  crois  que  le  premier  homme,  ayant  esté  créé  à 
l'image  de  Dieu  son  créateur,  par  sa  désobéissance  et 
propre  faulte,  est  descheu  d'icelle  grâce,  et  s'est  du 
tout  aliéné  de  Dieu. 

Je  crois  que  toute  la  lignée  d'Adam  est  infectée  de 


DE  MEMOIRES.  5oi 

telle  contagion,  de  sorte  qu'il  ne  nous  reste,  pour  re- 
tourner vers  Dieu ,  que  sa  pure  grâce;  car  nostre  esprit 
est  aveugle,  nostre  cœur  dépravé  et  nostre  volonté 
pervertie;  mais  Dieu,  de  sa  pure  bonté  ,  retire  de  ceste 
corruption  et  condamnation  générale,  en  laquelle  tous 
hommes  sont  plongés ,  ceulx  qu'il  a  esleus  en  son  con- 
seil éternel  en  Jésus  Christ  son  fils,  sans  considération 
de  leurs  œuvres,  desmonstrant  en  eulx  sa  miséricorde. 

Je  crois  qu'en  Jésus  Christ,  tout  ce  qui  est  requis 
pour  nostre  salut,  nous  a  esté  donné;  que  lui,  estant 
la  sagesse  de  Dieu  et  son  fils  éternel ,  a  vestu  nostre 
chair  afin  d'estre  Dieu  et  homme  semblable  à  nous, 
excepté  pesché  ;  qu'il  a  esté  conceu  par  la  vertu  éter- 
nelle du  Sainct  Esprit,  au  ventre  de  la  Vierge,  et  est 
de  la  semence  de  David,  selon  la  chair;  qu'en  une 
personne  les  deux  natures  y  sont  unies  et  joinctes,  et 
neantmoins  qu'en  ceste  conjonction  la  nature  divine 
est  demeurée  iiicreée ,  infinie  et  remplissant  toutes  cho- 
ses, aussi  la  nature  humaine  est  demeurée  finie  avec  me- 
sure ,  forme  et  propriété;  et  combien  que  Jésus  Christ, 
en  ressuscitant,  ait  donné  immortalité  h  son  corps, 
toutesfois  il  ne  lui  a  osté  la  vérité  de  sa  nature. 

Je  crois  que  Dieu,  en  envoyant  son  fils,  a  voulleu 
monstrer  sa  bonté  et  amour  inestimable  envers  nous, 
en  se  livrant  à  mort  pour  nos  péchés  ,  et  ressuscitant 
pour  nostre  justification;  que  par  le  sacrifice  unique 
que  Jésus  Christ  a  offert  en  la  croix,  nous  sommes  re- 
conciliés et  lui  sommes  rendus  agréables,  de  sorte  que 
Jésus  Christ  nous  a  esté  faict  sapience ,  justice,  justi- 
fication et  rédemption  par  sa  mort;  nous  avons  entière 
satisfaction  ,  et  toute  nostre  justice  est  fondée  en  la  re- 
mission gratuite  de  nos  péchés  ;  c'est  ce  qui  nous 
donne  entière  liberté  d'invoquer  Dieu  par  Jésus  Christ 


502  FRAGMENT 

son  fils,  nostre  seul  médiateur,  avec  pleine  fiance  que 

Dieu  est  nostre  père. 

Je  crois  que  Injustice  de  Jésus  Christ  nous  est  imputée 
par  la  foi  dont  nous  sommes  illuminés  par  la  vertu  se- 
crète du  Sniiict  Esprit;  tellement  que  c'est  ung  don  et 
grâce  particulière  que  Dieu  départ  à  ceulx  qui  sont 
adoptés  par  Jésus  Christ. 

Je  crois  que  par  icelle  foi  nous  sommes  régénérés  en 
une  nouvelle  vie,  estant  de  nostre  nature  asservis  à  pe- 
clié;  qu'elle  produit  en  nous  le  désir  d'obéir  et  servir  à 
Dieu  selon  sa  volonté,  qu'elle  nous  a  déclaré  par  sa 
parole  à  laquelle  nous  ne  debvons  rien  adjousler  ni 
diminuer. 

Je  crois  que  Dieu  a  baillé  sa  loi  à  Moïse,  que  c'est  la 
seule  règle  de  Ihonneur,  amour  et  révérence,  que  nous 
debvons  à  Dieu,  et  aussi  du  debvoir  et  amour  envers 
tous  hommes  qui  sont  nos  prochains. 

Je  crois  que  Jésus  Christ  nous  est  donné  seul  advocat 
et  intercesseur,  et  qu*8  nous  pouvons  en  son  nom  har- 
diment pryer  Dieu,  et  lui  demander  les  choses  néces- 
saires comme  lui  mesmes  nous  a  enseigné  que  nous 
invoquions  Dieu  son  père  en  son  nom,  en  disant: 
Nostre  père  qui  es  en  cieux,  etc. 

Je  crois  qu^d  fault  que  toutes  nos  pryeres  soyent 
conformes  à  icelle. 

Je  crois  aussi  que  chaque  fidelle  doibt  garder  et  entre- 
tenir l'unité  de  l'Eglise,  et  que,  en  quelque  lieu, où  Dieu 
l'aura  assemblée,  il  s'y  doibt  ranger,  et  ceulx  qui  s'en 
retirent,  se  séparent  de  l'union  de  Christ. 

'Je  crois  qu'icelle  Eglise  est  la  compagnie  des  fidelles 
qui  s'accordent  à  suivre  la  parole  de  Dieu,  contenue  en 
hvres  du  vieil  et  nouveau  Testament,  lesquels  essayent 
de  vivre  en  la  crainte  de  Dieu  ,  et  d'y  profiter  chacung 


DE  MEMOIRES.  5o3 

jour;  qu'en  icelle  Eglise  aussi  il  y  a  exercice  des  saincts 
sacremens  ordonnés  cle  Dieu  qui  sont  adjoustés  à  sa 
parole  pour  plus  ample  confirmation  de  nostre  foi ,  les- 
quels nous  sont  donnés  pour  subvenir  à  nostre  infir- 
mité; et  nous  sont  tellement  signes  extérieurs  que  Dieu 
hesoigne  par  iceulx  en  la  vertu  de  son  esprit,  que  ne 
nous  y  signifie  rien  en  vain  :  toutesfois  toute  leur  sub- 
stance et  vérité  est  en  Jésus  Christ  ;  et  si  on  les  en  sépare , 
ce  n'est  plus  qu'ung  ombre. 

Je  crois  qu'il  y  a  deux  sacremens  ordonnés  de  Dieu, 
communs  et  commandés  en  son  Eglise,  le  baptesme  qui 
est  ung  tesmoignage  de  nostre  adoption  ,  et  comme 
nous  sommes  entés  au  corps  de  Jésus  Christ;  afin  d'estre 
lavés  et  nettoyés  par  son  sang,  puis  renouvelles  en 
saincteté  de  vie  par  son  Sainct  Esprit. 

Le  second  sacrement  est  la  saincte  cène,  qui  nous 
signifie  que  Jésus  Christ  n'est  pas  seulement  une  fois 
mort  et  ressuscité  pour  nous  ,  mais  aus^si  nous  repaist 
et  nourrit  vraiment  de  sa  chair  et  de  son  sang, à  ce  que 
nous  serons  ung  avec  lui  et  que  sa  vie  nous  soit  com- 
mune, de  sorte  que,  par  la  vertu  secrète  de  son  Sainct 
Esprit,  il  nous  nourrit  et  vivifie  de  la  substance  de  son 
corps  et  de  son  sang,  et  cela  spirituellement;  lequel  ne 
peult  estre  appréhendé  de  nous  que  par  foi  :  cependant 
je  crois  qu'au  baptesme  et  à  la  saincte  cène,  Dieu  nous 
donne  réellement  et  par  effect  ce  qu'il  nous  y  signifie. 

Je  crois  que  chacung  fidelle  devant  se  présenter  à  la 
saincte  cène,  se  doibt  soigneusement  esprouver  soi 
mesmes;  voir  s'il  a  une  vraie  foi,  repentance  de  ses 
faultes  avec  ung  désir  d'amender  sa  vie  mauvaise,  et 
une  charité  envers  ses  prochains. 

Je  crois  qu'en  l'Eglise  doibt  estre  gardée  la  conduite 
et  police  que  nostre  seigneur  Jésus  Christ  y  a  establie  : 


5o4  FRAGMENT 

c'est  qu'il  y  ait  des  pasteurs  et  gens  de  bien  qui  ont 
charge  en  l'Eglise  afin  que  la  pureté  de  doctrine  y  ait 
son  cours ,  que  les  vices  y  soyent  repris  et  corrigés  , 
que  les  povres  et  aultres  y  soyent  consolés. 

Je  crois  que  tous  vrais  pasteurs  ,  en  quelque  lieux 
qu'ils  soyent,  ont  une  mesme  puissance,  que  nulle  Eglise 
ne  doibt  prétendre  aulcune  domination  ,  et  qu'ils  sont 
tous  soubs  ung  seul  chef  souverain,  et  seul  universel 
evesque ,  Jésus  Christ. 

Je  crois ,  quant  aulx  roys ,  princes  ou  aultres  magis- 
trats tels  qu'il  a  pieu  au  roy  les  establir  sur  nous,  que 
nous  debvons  leur  rendre  obéissance  en  toutes  choses, 
pourveu  que  ce  qu'ils  nous  commandent  ne  soit  con- 
traire à  l'honneur  que  nous  debvons  à  Dieu,  et  à  l'amour 
que  nous  debvons  à  nostre  prochain;  car  en  ce  cas 
il  fault  tousjours  plustost  obéir  à  Dieu  qu'aulx  hommes. 

Je  crois  qu'en  l'Eglise  toutes  choses  indifférentes 
doibvent  estre  conduites  par  la  règle  de  charité,  et 
qu'en  toutes  ordonnances  indifférentes,  qui  ne  sont 
encores  receues  en  la  discipline  de  l'Eglise,  l'on  ne 
doibt  user  légèrement  d'excommunications  ni  retran- 
chement, attendu  que  tout  ce  qui  se  faict^en  l'Eglise, 
doibt  avoir  pour  but  l'honneur  de  Dieu  et  l'édification 
du  prochain;  et  que  ceulx  à  qui  Dieu  a  départis  plus 
de  grâces,  doibvent  monstrer  exemple  de  leur  charité 
en  supportant  les  plus  infirmes,  attendu  qu'il  ne  fault 
ruyner  son  prochain  pour  lequel  Christ  est  mort. 

Je  crois  que  tous  ceulx  qui  se  présentent  en  la  com- 
pagnie des  fidelles  pour  estre  instruits  et  rendre  raison 
de  leur  foi,  ne  peuvent  estre  refusés;  et  que,  après  avoir 
rendu  raison  de  leur  foi,  s'ils  n'ont  aulcune  erreur,  et 
qu'ils  n'ayent  aussi  mauvais  tesmoignage  de  s'estre  com- 
portés scandaleusement,  au  contraire  qu'ils  continuent 


DE  MEMOIRES.  5o5 

de  se  maintenir  en  modestie ,  ne  peuvent  estre  exclus 
des  saincts  sacremens.  Aultrement  cela  est  faict  légère- 
ment et  par  opiniastreté,  c'est  tyrannie  en  l'Eglise. 

Je  crois  que  comme  Jésus  Christ  est  mort  pour  nos 
péchés  et  ressuscité  pour  nostre  justification,  que  aussi 
il  est  monté  au  ciel  en  nostre  nom  pour  nous  y  donner 
entrée,  et  pour  nous  y  estre  intercesseur  et  advocat. 

Je  crois  que  delà  il  viendra  juger  les  vivans  et  les 
morts,  et  paroistra  lors  en  jugement,  ainsi  que  l'on  lui 
a  vu  monter. 

Je  crois  que  Jésus  Christ  n'apparoistra  si  non  en  sa- 
lut pour  ses  esleus,de  sorte  que  je  suis  très  asseuree  de 
mon  salut  puisque  mon  juge  est  mon  advocat,  et  lors 
je  crois  que  je  jouirai  de  ceste  félicité,  que  œil  n'a 
poinct  veue ,  qu'oreille  n'a  poinct  ouie  et  que  cœur 
d'homme  n'a  poinct  aprehendee. 

C'est  le  recueil  de  la  substance  de  ma  foi  en  laquelle 
je  prye  Dieu  par  Jesuî;  Christ  son  fils,  en  la  vertu  de 
son  Sainct  Esprit,  me  faire  la  grâce  d'y  vivre  et  mourir, 
et  la  maintenir  jusques  au  dernier  soupir  de  ma  vie  et 
la  dernière  goutte  de  mon  sang. 

Le  tout  ayant  esté  présenté  au  consistoire  ,  et  lu 
devant  la  compagnie,  M.  Bironier,  ministre,  et  M.  Le 
Clerc, ancien,  feurent  députés  pour  aller  au  logis  dema- 
damoiselle  Duplessis,  lui  faire  entendre  que  la  compa- 
gnie n'avoit  jamais  pensé  de  sa  foi  aultre  chose  que  ce 
qu'elle  en  avoit  baillé  par  escrit;  que  toutesfois  elle  ne 
pouvoit  estre  receue  à  la  cène  sans  oster  ses  cheveux. 
Elle  les  prye  de  donner  jugement  sur  ce  qu'elle  leur 
avoit  présenté  et  requiert.  Huict  jours  se  passent,  et 
au  bout  de  quinze  madamoiselle  Duplessis  renvoyé  de- 
rechef vers  eulx  les  pryer  de  lui  déclarer  si  elle  estoit 
receue  à  la  cène.  Ils  y  envoyèrent  derechef  M.  Bironier 


5o6  FRAGMENT 

avec  ung  aultre  ancien ,  lui  déclarer  qu'elle  ne  seroit 
receue  à  la  cène  sans  oster  ses  cheveux  ;  mais,  quant  aulx 
hommes,  qu'ils  soyent  catéchisés  et  receus  :  à  l'heure 
mesmes  elle  escrivit,  et  leur  envoya  ce  qui  s'ensuit. 

Sur  ce  que  messieurs  du  consistoire  m'ont  faict  dé- 
clarer que  je  ne  pouvois  esfre  receue  sans  abattre  mes 
cheveux,  je  leur  requières  qu'ils  ayent  à  me  faire  appa- 
roir l'article  arresté  par  le  synode  gênerai  où  il  soit 
parlé  d'abattre  les  cheveux:  offrant,  s'ils  en  monstrent 
dudict  synode  gênerai  où  le  faict  soit  déclaré  et  parti- 
cularisé ,  d'acquiescer. 

Aultrement  je  leur  déclare  qu'à  la  cène  dernière  qui 
feut  faicte  ici  où  il  y  avoit  notable  assemblée  des  minis- 
tres de  la  pluspart  des  églises  de  France,  il  feut  advisé, 
voyant  que  je  n'avois  ni  en  mes  cheveux,  ni  en  mes 
habillemens  aidcune  immodestie,  que  je  serois  receue 
en  la  saincte  cène  sans  aulcun  changement;  que  main- 
tenant que  M.  Duplessis  est  absent,  et  comme  ils  sça- 
vent  tous  pour  le  service  des  églises,  je  ne  puis  en  ceci 
faire  changement  que  premièrement  il  n'en  soit  adverti 
et  me  le  commande. 

Si  cependant  ils  persistent,  en  son  absence,  de  me  re- 
trancher de  la  saincte  cène,  je  leur  déclare  que  j'en 
appelle  au  synode  gênerai. 

Huict  jours  après,  madamoiselle  Duplessis,  voyant  que 
la  cène  approchoit ,  se  délibéra  d'envoyer  à  messieurs 
du  consistoire  une  déclaration  qu'elle  leur  feit  présen- 
ter. M.  Berault  presidoit  :  lequel  déclara  qu'il  ne  pou- 
voit  plus  rien  recevoir  par  escrit;  mais  que,  si  elle  avoit 
quelque  chose  à  leur  dire,  qu'elle  s'y  trouvast  elle 
mesmes.  Aussitost  qu'elle  eut  entendu  leur  intention, 
elle  s'y  présenta  en  personne,  et  leur  feit  lecture  de  ce 
qui  s'ensuit,  qu'elle  leuravoit  faict  présenter  auparavant: 


DE  MEMOIRES.  607 

Sur  ce  qui  me  feut  déclaré  mercredi  dernier,  par  vous 

messieurs  du  consistoire,  que  je  ne  serois  receue  à  la 

cène  sans  oster  mes  cheveux,  ou  plustost  le  fil  d'are- 

chal  qui  est  dedans; 

Il  vous  feutrequis  par  moi  de  me  faire  apparoir  d'ar- 
ticle exprès  recelé  et  escrit  au  synode  national  où  ce 
faict  soit  particularisé  et  déclaré ,  pour  le  désir  que 
j'avois  d'y  obéir  :  persistant  encores  ,  et  vous  déclarant 
présentement  que  si  me  monstriés  article  exprès,  que 
j'acquiescerai  tout  aussitost  pour  le  désir  que  j'ai  de  me 
ranger  à  la  discipline  de  TEglise,  pryant  toutesfois  la 
compagnie  Au  consistoire  et  clincung  de  vous  particu- 
lièrement, au  nom  de  Dieu ,  et  pour  le  debvoir  de  cha- 
rité que  nous  debvons  les  ungs  aulx  aultres,  de  me  mons- 
trer  et  exhiber  ledict  article  du  synode  national ,  dont 
quelques  ungs  de  vous  se  vantent,  et  que,  quant  à  moi, 
j'ignore. 

A  faulte  de  m'avoir  monstre  ledict  article,  je  vous 
alléguai  l'absence  de  M.  Duplessis,  employé  présente- 
ment pour  le  service  des  églises ,  sans  le  commande- 
ment duquel  il  ne  m'estoit  loisible  de  faire  aulcung 
changement;  attendu  qu'avec  lui  ce  faict  feut  résolu  à 
la  cène  dernière,  et  enfin  feut  aussi  receu  par  Tadvis 
de  beaucoup  de  gens  de  bien  à  la  saincte  cène. 

Je  prye  donc  toute  la  compagnie  du  consistoire  de 
se  souvenir  du  debvoir  que  les  femmes  doibvent  à  leurs 
maris,  auxquels,  par  exprès  commandement  de  Dieu  , 
leur  volonté  est  assubjettie;  et  comme  sainct  Pierre 
de  ... .  l'explique  au  chapitre  troisiesme  de  sa  première 
epistre,  quel  est  le  debvoir?  lequel  chapitre  vous  nous 
allégués  maintenant  pour  les  tortillemens  de  cheveux; 
et  toutesfois,  messieurs,  vous  ne  pouvés  ignorer,  comme 
il  appert  en  la  lecture  d'icelui,  que  le  but  principal  de 


5o8  FRAGMENT 

Tapostre  est  d'admonester  les  femmes  de  se  rendre  sub- 
jectes  à  leurs  maris  mesmes  infidelles ,  et  d'autant 
plus  suis  je  obligée  à  ce  debvoir,  que  M.  Duplessis  faict 
pareille  profession  de  foi  que  nous  tous,  et,  qui  plus 
est ,  que  Dieu  l'a  doué  de  beaucoup  de  ses  dons  et  grâces 
qu'il  employé  journellement  pour  le  service  des  églises. 

Et  pour  ce  que,  nonobstant  ma  requeste  de  m'exhiber 
ledict  article  du  synode  national ,  ni  ma  remonstrance 
d'attendre  le  commandement  de  M.  Duplessis,  vous 
avés  persisté  de  me  retrancher  de  la  cène ,  je  feis  déclarer 
que  je  m'en  portais  pour  appellant  au  synode  na- 
tional ,  et  vous  aussi  me  receustes  en  mon  appel. 

Maintenant  je  vous  requières  qu'ayant  esgard  en  mon 
appel ,  me  declariés  si  n'entendes  pas  que  toute  ceste 
procédure  soit  et  demeure  suspendue  jusques  à  ce 
qu'ung  synode  national  en  ait  ordonné  ,  ne  laissant 
cependant  de  me  recevoir  et  nostre  famille  à  la  com- 
munion de  la  saincte  cène,  et,  pour  ce  faire,  nous  caté- 
chiser et  bailler  des  mereaux. ....  qu'il  ne  peult  y  avoir 
en  moi  de  désobéissance  puisqu'il  n'apparoist  du  com- 
mandement. 

Mais  si  j'ai  ce  malheur  que  mes  justes  remonstrances 
ne  soyent  receues  de  vous,  et  que,  nonobstant  mon 
appel ,  vous  me  rejettes  de  vostre  communion  ,  je  vous 
déclare  que  j'en  porte  ung  extrême  ennui  et  fascherie 
en  mon  cœur,  et  toutesfois  je  me  délibère  de  le  rece- 
voir en  patience,  et  comme  de  la  main  de  Dieu,  qui 
me  veult  exercer,  et  qui,  peult  estre,  se  veult  servir  de 
ceci  pour  en  tirer  ung  ordre  au  lieu  du  desordre. 

Je  vous  déclare  que ,  moyennant  la  grâce  de  Dieu  , 
j'espcre  aller  faire  la  cène  et  communiquer  au  corps  et 
au  sang  de  Jésus  Christ  en  l'église  et  en  la  compagnie 
des  fidelles ,  où  Dieu  est  servi  et  le  prochain  édifié. 


DE  MEMOIRES.  SoQ 

Et  d'autant  qu'il  me  souvient  du  commandement 
qui  nous  est  faict  :  si  tu  apportes  ton  oblation  à  i'autel , 
et  là  il  te  souvient  que  l'on  a  quelque  chose  à  ren- 
contre de  toi ,  laisse  là  ton  oblation  et  t'en  va  première- 
ment appoincter  avec  ton  frère  ;  pour  la  crainte  que  j'ai 
que  quelques  ungs  de  vous  n'ayent  interprété  ma  pro- 
cédure ou  à  une  désobéissance,  ou  bien  à  aimer  mieuix 
une  vanité  que  de  commimiquer  avec  vous  au  corps  et 
au  sang  de  nostre  Seigneur  Jésus  Christ,  et  par  ce 
moyen  n'ayent  pris  de  moi  quelque  sinistre  opinion  ou 
scandale  ; 

Je  vous  proteste  devant  Dieu,  lequel  j'en  appelle  à 
tesmoing,  que  j'estime  ce  faict  des  cheveux  indiffèrent, 
et  que  si  je  croyois ,  comme  quelques  ungs  soutiennent , 
que  ce  feust  ung  exprès  commandement  de  Dieu  ,  je 
ne  vouldrois  différer  d'y  obéir  promptement,  et  n'en 
attendrois  la  décision  et  ordonnance  du  synode. 

Mais,  ayant,  à  cause  de  la  dissention  survenue  en  ceste 
église,  fort  recherché,  je  n'ai  trouvé,  en  quelque  lieu 
que  ce  soit  de  l'Escriture  saincte,  aulcung  commande- 
ment sur  ce  faict,  bien  ung  sainct  advis  de  sainct  Paul 
à  Thimolee,  sur  les  tresses,  or,  perles  et  aultres  habits 
somptueux,  et  sainct  Pierre,  au  chapitre  sus  allégué,  où 
il  admoneste  que  l'ornement  des  femmes  ne  soit  en  celui 
là  de  dehors,  qui  gist  en  tortillement  de  cheveux,  de 
parure  d'or,  ou  accoustrement  d'habits,  et  n'ai  poinct 
aulcung  passage  en  l'Escriture  saincte,  où  il  soit  parlé 
pour  oster  les  cheveux,  que  l'or,  perles  et  aultres  habits 
n'y  soyent  aussi  conjoincts. 

Et  toutesfois  il  y  a  aujourd'hui  quinze  jours  que  par 
M.  Berault  feut  presché  que  l'or  et  pierreries  estoient 
créatures  de  Dieu  et  indifférentes,  dont  l'on  peult  user 
et  se  parer,  pourveu  que  chacung  eust  esgard  à  son 


5 1  o  FRAGMENT 

estât,  rang  et  vocation,  ce  qui  me  faict  persister  que   1 
les  cheveux  sont  aussi  indifferens,  veu  mesnies  qu'il  n'est 
poinct  parlé   en  l'Escriture  saincte  des  fils  d'arechal, 
qui  est  toutesfois  la  dispute  en  ceste  église,  et  pourquoi 
le  schisme  est  entretenu. 

Et  d'autant  que  c'estoit  chose  très  pernicieuse,  et  que 
les  advis  des  hommes,  quoique  bons  et  saincts,  feussent 
mis  en  la  place  des  commandemens  de  Dieu,  comme 
nous  l'avons  trop  expérimenté  en  l'Eglise  romaine;  c'est 
la  principale  raison  pourquoi  je  désire  que  ce  faict  soit 
esclairci  pour  le  bien  et  concorde  des  églises;  car  si 
c'est  un  g  commandement  de  Dieu  (comme  l'on  prétend  ) 
il  ne  fault  pas  que  Montauban  seule  y  soit  assubjetlie, 
mais  toutes  les  églises  chrétiennes,  lesquelles  feindroient 
lourdement  de  ne  s'y  ranger. 

Aussi,  si  c'est  une  chose  indifférente,  comme  je  le 
crois  telle,  le  pasteur  peult  admonester  et  reprendre 
pour  édification;  mais  je  ne  crois  pas  que  les  églises 
particulières  puissent  et  doivent  de  leur  auctorité 
privée,  retrancher  du  corps  de  l'Eglise  les  membres  de 
Christ,  pour  lesquels  il  est  mort;  les  retrancher,  dis  je, 
de  l'Eglise  ni  de  l'usage  des  saincts  sacremens,  si  ung 
synode  national  et  non  provincial  n'en  a  ordonné  avec 
meure  délibération  pour  la  gloire  de  Dieu  et  l'édifica- 
tion du  prochain;  de  sorte  qu'en  ce  cas,  l'on  ne  retran- 
chera pas  les  personnes  pour  choses  indifférentes  ,  mais 
pour  faire  secte  à  part  et  rompre  l'unité  de  l'Eglise. 

Encores  y  doibt  on  avoir  aultre  respect  quand  il  est 
question   de  la   discipline ,  que    non  pas  quand  il  est 
question  des  exprès  commandemens  de  Dieu ,  aulxquels 
toute  personne,  sans  aulcune  exception,  y  doibt  estre    I 
assujettie. 

Voilà ,  messieurs ,  quel  est  mon  but  et  mon  opinion 


DE  MEMOIRES.  5ll 

en  ce  faict,  vous  pryant  tous  tle  nie  supporter,  et  ne 
vous  offenser ,  ni  prendre  scandale  de  moi ,  et  si  quel- 
qu'ung  particulièrement  a  esté  offensé,  se  souvenir 
que  nous  sommes  tous  subjects  à  faillir,  qu'il  nous  est 
besoing  que  Dieu,  par  sa  miséricorde,  nous  pardonne 
journellement  nos  offenses. 

Et  pour  autant  que  maintiennent  avez  ample  dé- 
claration de  moi,  je  vous  prye,  au  nom  de  Dieu,  de 
pourvoir  pour  que  ,  doresnavant,  les  faultes  que  M.  Be- 
rault  prétend  que  j'ay  faictes  en  ce  faict ,  ne  soient  plus 
preschees  comme  elles  ont  esté  ci  devant  publicque- 
ment,  afin  que  je  ne  serve  de  scandale  au  peuple  au- 
quel je  ne  puis  desduire  mes  raisons  comme  à  vous. 

Vous  protestant  que  ,  s'il  plaist  à  Dieu  me  faire  tant 
de  grâces  que  M.  Duplessis  revienne  en  santé,  je  ferai 
tout  ce  qu'il  jne  sera  possible  pour  lui  faire  trouver  bon 
que  nostre  famille  soit  ici  arrestee  jusques  à  ce  que  le 
synode  national  ait  mis  ordre  en  tels  differens;  afin 
qu'obéissant  à  ce  qui  y  sera  ordonné  par  ce  moven 
avec  la  grâce  de  Dieu,  j'apporte  édification  au  troupeau 
qui  est  dans  ceste  Eglise  ;  au  lieu  qu'à  présent  me  voyant 
retrancher  par  vous  de  la  cène,  je  leur  suis  en  scandale; 
toutesfois,  comme  je  vous  ai  déclaré  ci  dessus,  je  me 
délibère  d'aller  participer  cà  la  saincle  cène,  pourveu 
qu'il  plaise  à  Dieu  m'en  faire  la  grâce,  comme  j'espère. 

Et  d'autant  ,  messieurs  ,  que  nous  sommes  tous 
mortels,  et  n'avons  poinct  de  demain,  si  la  volonté  de 
Dieu  estoit  telle  ,  de  me  retirer  hors  de  ce  monde  au- 
paravant que  ce  faict  feust  vuidé ,  je  crains  que  la  chose 
ne  feust  mal  entendue  et  interprétée;  à  celle  fin  que  le 
tout  soit  cogneu  et  esclairci,  je  vous  prye  de  faire  en- 
registrer et  garder  pour  le  présenter  où  il  sera  besoing  : 

Premièrement',  la  plaincte  et  récusation  que  j'ai  faicte 


5 12  FRAGMENT 

en  vostre  consistoire,  contre  M.  Berault,  et  le  juge- 
ment que  j'ai  requis  de  vous. 

Secondement,  ma  confession  de  foi. 

Tiercement,  mon  appel  que  j'ai  interest  de  vous  re- 
produire au  synode  national. 

Et  quartement,  ceste  mienne  requesteet  déclaration. 

Toutes  lesquelles  pièces  sont  escrites  et  signées  de 
ma  main  et  desquelles  je  garde  copie,  que  j'offre  faire 
collationner  sur  l'original  que  je  vous  en  ai  baillé ,  d'au- 
tant que  je  prétends  m'en  servir  au  prochain  synode 
national. 

Je  désire  que  cest  escrit  soit  receu  de  telle  affection 
que  je  le  vous  offre ,  et  prye  Dieu ,  au  nom  de  Jésus 
Christ,  vous  donner  et  à  nous  son  Sainct  Esprit  pour 
servir  à  sa  gloire  et  à  l'édification  de  son  Eglise. 

Messieurs,  j'ai  oublié  à  vous  déclarer  que,  quand 
monsieur Duplessis  et  moi  sommes  arrivés  en  ceste  ville, 
si  nous  eussions  trouvé  le  faict  des  cheveux  receu  de 
tous  sans  contredict,  nous  eussions  esté  bien  marris  de 
troubler  ceste  Eglise;  et  m'asseure  que  monsieur  eust 
voulleu  que  je  m'y  feusse  rangée,  et  de  moi  je  l'eusse 
ainsi  aussi  désiré;  mais,  au  contraire,  avons  trouvé  le 
schisme  déjà  faict,  tel  que,  quelques  ungs  se  voyant  re- 
jettes de  la  cène,  et,  comme  ils  prétendent,  sans  avoir 
esté  entendus  ni  ouïs,  ont  recours  aulx  magistrats  de 
Thoulouse,  et  que  vous  ne  pouvés  ignorer  estre  au 
grand  mespris  de  nostre  relligion ,  et  regret  des  gens  de 
bien.  Et ,  quand  mesmes  le  faict  seroit  assoupi  dcdajis 
vostre  ville,  je  vois  une  aultre  chose  qui  me  semble 
très  pernitieuse  ici  et  es  environs  :  c'est  autel  contre 
autel,  soit  que  la  noblesse  ne  veuille  condescendre  à 
ceste  façon,  ou  que  vous  aultres  pasteurs  ne  soyés 
d'accord  de  ceste  rigueur,  qui  me  faict  d'autant  plus 


DK  MEMOIRES.  5i3 

Croire  qu'il  n'y  a  aulcung  commandement  exprès  de  ce 
faire  du  synode;  c'est  pourquoi ,  cognoissant  bien  que, 
quand  j'aurois  quitté  mes  cheveux,  les  difficultés  ne  lais- 
sent de  demeurer  en  leur  entier;  et,  comme  je  vous  ai 
protesté  ci  dessus,  je  ne  crois  poinct  que  ce  soit  ung 
commandement  de  Dieu  auquel,  nonobstant  toutes 
occasions,  je  vouldrois  obéir,  et  ne  m'ayant  faict  appa- 
roir d'article  du  synode  gênerai  et  national ,  par  lequel 
l'Eglise  l'ait  ainsi  ordonné  pour  la  gloire  de  Dieu  et 
l'édification  du  prochain,  et  ne  pouvant,  pour  quelque 
changement  que  je  feisse  sur  moi ,  appaiser  le  schisme, 
ou  ces  articles  defauldroient,  sçavoir  :  le  commandement 
exprès  de  Dieu,  ou  l'ordonnance  du  synode  ;  je  ne 
pense  estre  obligée  à  vous  obéir,  veu  que,  par  mon  obéis- 
sance ,  le  scandale  ne  laisse  de  demeurer  :  ains  ,  comme 
Dieu  a  sceu  tirer  la  lumière  des  ténèbres,  j'espère 
qu'il  sçaura,  par  sa  miséricorde,  «^irer  ung  bon  ordre 
de  ce  desordre  au  contentement  de  vos  pasteurs,  et 
au  salut  du  troupeau  ,  dont  je  le  supplie. 

Messieurs,  pour  ce  que  j'ai  adjousté  à  ceste  mienne 
déclaration,  le  schisme  qu'avons  trouvé  en  ceste  Eglise, 
et  que  je  sçai  bien  que  quelques  ungs  de  vous  ont  opi- 
nion que,  combien  que  je  me  soucie  peu  pour  mon  re- 
gard de  mes  cheveux,  que  toutesfois  j'entreprends  ce 
faict,  comme  estant  pryee  et  sollicitée  de  ceulx  qui, 
par  es  devant  et  jusques  ici,  n'y  ont  voulleu  adhérer;  je 
vous  proteste  devant  Dieu,  lequel  j'en  appelle  à  tes- 
moing,  qui  cognoist  le  cœur  des  hommes  et  juge  de 
leurs  pensers,  que  je  n'en  ai  esté  pryee  ni  d'eulx  ni 
de  par  eulx;  et  n'ai,  es  ce  faict,  avec  eulx  aulcune  intel- 
ligence, mais  que,  par  les  raisons  ci  dessus  alléguées,  en 
a  esté  la  seule  cause.  Lesquelles  je  soubmets  toutes 
à  la  volonté  de  M.  Duplessis;  ce  que  je  désire  estre  en- 

Mém.  dk  Duplessis-Mornay.  Tome  ir.  33 


5j4  fragment  de  mémoires. 

tendu  de  vous,  pour  vous  en  esclaircir  et  donner  repos    ; 
en  vos  consciences,  et  aussi  oster  tout  le  scandale  qu'au- 
riés   pris  de   moi.   Faict   le  mercredi  dix   neuviesme 
d'avril  i584. 

Geste  déclaration  ainsi  faicte ,  madamoiselle  Duplessis 
partit  le  vendredi  de  devant  la  cène  avec  tous  ceulx  de 
sa  maison  qui  la  faisoient,  et  allèrent  à  Villenieux  à  trois 
lieues  de  Montauban,  soubs  le  mesme  colloque;  et 
ayant  déclaré  à  M.  l'Hardy,  ministre,  et  à  quelques  an- 
ciens qui  la  vindrent  visiter,  tout  ce  qui  s'esloit  passé 
à  Montauban,  il  la  receut  à  la  cène;  et  depuis  le  tout 
a  esté  remis  au  synode  qui  se  doibt  tenir  à  Montpellier 
ce  mois  de  mai  prochain,  où  je  prye  Dieu  qu'il  lui  plaise 
assister  ceste  compagnie  par  son  Sainct  Esprit. 


LXXXVIII.  —-^EXTRAIT 

Du  procès  d'entre  Pierre  de  Catlien  et  consors ,  contre 
Giif  Carrette  et  consors,  héritiers  de  de/fans,  pour 
P oquelin  y  défendu,  et  de  sieur  Carrette  et  consors , 
despens  en  sommation ,  contre  dame  Françoise 
de  Becq ,  veujvedejeu  Jacques  de  Mornaj,  vivant  ^ 
escuyer,  seigneur  de  Buhj,  et  Pierre  de  Moinaj, 
escuyer,  seigneur  dudict  Buhj,  défendus. 

Premièrement. 

Par  contrat  du  (j  octobre  i554,  le  dict  défunt  Jacques 
de  Mornay  a  acquis  de  défunt  Loys  de  Gatlien,  ung  jar- 
din, séant  hors,  et  près  la  poterne  Sainct  Germain,  près 
Beâuvais,  contenant  trente  huict  verges,  moyennant 
deux  cens  tant  de  livres  comme  appert  par  iedict  contrat. 

Par  aultre  contrat  du  12  juillet  i557,  icelui  défunt 
Jacques  de  Mornay  a  vendu  le  susdict  jardin   audict 


PROCES.  5l5 

défunt  pour  Poqueliii ,  avec  promesse  de  garantie 
moyennant  la  somme  de  deux  cens  escus. 

Le  28  novembre  et  4  décembre,  ledict  Pierre  de  Ca- 
then  et  consors  ont  faict  appeller  iceulx  Carrette  et  con- 
sors,  héritiers  dudicl  défunt  pour  Poquelin,  afin  d'eulx. 
départie  de  la  jouissance  de  la  moitié  dudict  jardin , 
pour  leur  en  laisser  jouir  comme  à  eulx  appartenant  au 
moyen  du  douaire  acquis  par  leur  mère  avec  ledict 
Loys  de  Cathen  leur  père. 

Le  12  mars,  ladicte  damoiselle  Françoise  du  Becq 
et  ledict  Pierre  de  Mornay,  escuyer,  seigneur  de  Buhy , 
ont  esté  appelles  comme  héritiers  dudict  défunt  Jacques 
de  Mornay,  à  la  requeste  de  sieur  Carrette  et  consors , 
afin  de  leur  garantir  ledict  jardin ,  et  faire  cesser  les  con- 
clusions desdicts  Cathen  et  consors. 

Et  par  sentence  du  i"  aoust  audict  an,  ils  sont  con- 
damnés à  faire  cesser  lesdictes  conclusions  prises  par 
ledict  de  Cathen,  et  les  acquitter  de  ladicte  poursuite 
pour  le  regard  de  la  moitié  dudict  jardin  :  à  ceste  fin 
prendre  la  cause  pour  le  sieur  Carrette  et  consors  comme 
leurs  garands  et  dedommagemens.  Et  en  cas  d'évic- 
tion de  ladicte  moitié  ^  ladicte  damoiselle  et  le  seigneur 
de  Buhy  ont  esté  condamnés  en  toutes  leurs  despenses , 
dommages  et  interests  procedens ,  à  raison  de  ladicte 
éviction ,  et  à  rendre  au  sieur  Carrette  et  consors  les  des- 
penspar  eulxfaicts  en  défendant  contre  les  héritiers  ori- 
ginaires et  en  despend  de  la  poursuite  de  sommation. 

Suivant  ladicte  sentence,  ladicte  damoiselle  et  ledict 
seigneur  de  Buhy  se  sont  joints  avec  les  sieurs  Carrette 
et  consors. 

Et  par  acte,  de  mardi  iL\  avril ,  le  sieur  de  Cathen  et 
consors  ont  affirmé  qu'ils  n'ont  pris  aulcungs  biens 
appartenant  audict  défunt  Loys  de  Cathen  et  sa  femme. 


5i6  PROCES. 

leur  père  et  niere,  et  qu'il  ne  leur  a  esté  donné  aulcune 
chose  à  mariage  par  ledict  défunt,  ni  à  eulx  faict  aul- 
cung  advantage. 

Et  comme  ont  ledict  sieur  de  Cathen  prouva  par  onze 
tesmoings  anciens  que  audict  défunt  Loys  de  Cathen, 
lors  de  son  mariage  avec  de  Janne  Barbier,  appartenoit 
ledict  jardin,  et  qu'ils  sont  provenus  dudict  mariage,  et 
que  ladicte  Jeanne  Barbier  estoit  decedee  desjà  avoit 
vingt  ans  ou  environ,  comme  il  appert  par  l'enqueste 
faicte  le  28  juillet. 

Enfin  est  interveneu  sentence  du  ■y  septembre ,  par 
laquelle  ledict  sieur  de  Carrette  et  consors  ont  esté  con- 
damnés a  eulx  désister  et  départir  de  la  jouissance  de 
la  moitié  dudict  j ardin  ,  et  en  laisser  jouir  lesdicts  de- 
mandeurs originels  ,  comme  a  eulx  appartenant  avec 
tiltre  de  douaire ;etaleur  rendre  et  restituer  lesfruicts 
depuis  attestation  en  cause ,  selon  Veslimation  de  gens 
a  ce  cognoissant  et  des  despens  du  procès. 

Geste  sentence  a  esté  exécutée,  et  à  ceste  fin  faict  par- 
tage dudict  jardin,  et  en  ce  faisant,  en  a  esté  baillé  moitié 
au  sieur  de  Cathen  et  consors^  comme  appert  par  acte 
expédié  le  28  avril,  laquelle  moitié  a  esté  depuis  ven- 
due ,  par  le  sieur  de  Cathen  et  consors ,  4oo  livres. 

Et  comme  ont  le  sieur  de  Cathen  et  consors  faict 
taxer  leurs  despens  contre  le  sieur  Carrette  et  consors, 
qui  se  montent  suivant  l'exécutoire,  à  26  livres  tant 
de  sols. 

C'est  le  sommaire  du  procès  qu'il  est  de  besoing  faire 
entendre  à  monseigneur  Duplessis,  par  lequel  on  peult 
juger  qu'il  n'y  a  moyen  d'empescher  à  présent  la  pour- 
suite qui  se  faict;  ains  assiste  en  composition,  sur  la- 
quelle désirant  venir,  ledict  serviteur  Poquelin  faict  telle 
demande. 


PROCES.  5 1 7 

A  sçavoir. 

Pour  le  principal,  lors  de  l'éviction,  soustiennentque 
ladicte  moitié  du  jardin  évincé  a  esté  vendue  comme 
de  faict,  et  aussi  qu'il  appert  la  somme  de.   ...»     » 

Deux  exécutoires  de  despens,  payés  du  jour 
ou  peu  après  ladicte  éviction,  montant  ensemble 
à  la  somme  de »     >» 

Demandent  les  despens,  en  défendant  ceulx  en 
sommation,  et  de  la  présente  poursuite  qui  doibt 
du  moins  pouvoir  monter  à  la  somme  de.   ...»     » 

En  conséquence,  demandent  les  dommages  et 
interests  procédant  à  raison  de  ladicte  éviction, 
faicte  i6anssoubsou  environ,  pour  la  non  jouis- 
sance de  la  part  du  jardin  évincé  ,  à  raison  de  20 
livres  par  an,  qui  seroit  pour  lesdictes  16  années.   »     » 

Plus  les  interests  des  deniers  déboursés,  en  de- 
fendant  contre  les  sieurs  ***,  originaires  de  la- 
dicte année,  montant  du  moins »     » 

Somme  TOTx\  LE.  .  .    »     » 

Dient  qu'en  baillant  argent  comptant,  ils  re- 

mettront toute  la  susdicte  somme. 

A  quoi  l'on  a  encores  conclud,  attendant  la  volonté 
sur  ce,  de  mon  dict  seigneur  Duplessis  :  en  conséquence , 
demandent  les  serviteurs  dudict  sieur  Poquelin,  et  font 
apparoir  comme  par  sentence  obtenue  au  bail  et  siège 
presidial  de  Senlis,  le  26  juin,  signée  Laurent,  en  icelle 
damoiselle  Françoise  du  Becq  est  condamnée  provisoi- 
rement, et  en  vertu  de  deux  défauts  obtenus  avec  sen- 
tence ,  à  payer  au  susdict  serviteur  Poquelin  la  somme 
de  cinquante  deux  escus  vingt  cinq  sols,  sur  plu- 
sieurs ceduUes  et  mandemens  de  ladicte  dame  du 
Becq »     j) 


5i8  '  PROCES. 

Plus,  demandent  les  despends  de  la  poursuite 
pour  l'obtention  de  ladicte  sentence,  qui  se  peu- 
vent monter  à  la  somme  de »     'j 

Les  interests  de  ladicte  somme  appartenant  à 
mineurs,  montant  du  moins  à  pareille  somme  de.    »     » 

Pour  le  regard  de  la  susdicte  somme  de  cinquante 
deux  escus  vingt  cinq  sols  ,  je  crois  qu'en  la  payant  l'on 
demeurera  quitte,  moyennant  que  ce  soit  en  bref. 


LXXXIX.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

J  M.  de  Montaigne,  en  ï an  i584- 

Monsieur  ,  nous  avons  ouï  M.  de  Bellievre.  A  dire 
vrai ,  il  n'a  proposé  aultre  satisfaction  que  l'indignité 
faicte  à  la  royne  de  Navarre  ,  et  l'auctorité  et  liberté 
qu'a  ung  roy  à  l'endroict  de  ses  subjects.  Raison ,  comme 
vous  sçavez,  qui  tient  plus  du  vinaigre  que  de  l'buiie, 
et  malpropre  à  une  plaie  si   sensible  ,  et  en  partie  si 
nerveuse,  et,  je  ne  sçais  si  j'ose  dire,  peu  convenable       i 
à  la  grandeur  de  nos  princes  françois  qui  ont  tousjours 
attrempé  leur  souveraine  puissance  d'une  équité  gra- 
cieuse ,  et  n'ont  jamais  disposé  de  l'honneur  de  leurs 
moindres  subjects  que  de  gré  à  gré.  Toutesfois  le  roy 
de  Navarre  a  voull  eu  monstrerqu  il  aimoitmi£ulx  rendre 
le  roy  satisfaict ,  que  de  l'estre  en  soi  mesmes.  Et ,  pour 
cet  effect,  s'est  resoileu  de  ployer  son  honneur  soubs 
le  respect  de  ses  commandemens.  Se  resolvant  d'aller 
voir  et  recevoir  la  royne  sa  femme,  en  sa  maison  de 
Nerac  :  seulement   qu'on    levast  les  garnisons   qu'on 
avoit  mises  aulx  environs,  tant  afin  que  ceste  réception 
n'eust  aulcune  apparence  de  force  ,  que  pour  la  seureté 
de  leur  séjour.  Vous  sçavez  s'il  est  civil  de  la  recevoir 


LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS,  etc.  5 19 

en  maison  empruntée ,  ou  incivil  de  demander  libei;té 
en  la  sienne.  M.  de  Bellievre  toutesfois  en  a  faict  dif- 
ficulté très  grande;  et,  de  ce  pas,  a  esté  despeché,  ce 
jourdliui,  M.  de  Clervant  vers  la  royne  de  Navarre, 
et  delà  tirera  vers  leurs  majestés,  lesquelles,  à  mon 
advis,  se  représentant  le  faict  passé,  et  le  considérant 
en  la  personne  du  roy  de  Navarre ,  ne  le  vouldront  es- 
conduire  en  si  petit  accessoire ,  puisqu'en  chose  de 
telle  importance  il  a  cédé  le  principal.  Jugez  en  quelle 
peine  ces  gens  nous  mettent.  Nous  avions  reduict  tout 
à  meilleur  poinct  que  presque  il  n'estoit  à  espérer ,  et 
maintenant  ils  marchandent  sur  ung  rien,  et  nous  font 
perdre  crédit,  si  nostre  sincérité  n'estoit  bien  cogneue 
envers  nostre  maistre.  Je  remets  le  tout  à  Dieu,  mon- 
sieur, lequel  je  prye  ,  etc. 


XC.  —  INSTRUCTION 

De  M.  de  Laverdin ,  s'en  allant  vers  son  altesse. 

Du  20  janvier  i584« 
Le  sieur  de  Laverdin  dira  à  son  altesse  ce  qui  s'est 
passé  en  la  negotiation  du  sieur  de  Bellievre  avec  le 
roy  de  Navarre ,  pour  le  regard  de  la  royne  sa  femme, 
comme  celui  qu'il  a  désiré  estre  présent  à  la  pluspart 
des  propos  qui  se  sont  passés  entre  eulx,  afin  qu'il  peust 
tant  mieulx  représenter  et  tesmoigner  à  sadicte  altesse 
la  raison  à  laquelle  il  s'est  soubmis  pour  donner  con- 
tentement à  leurs  majestés  et  à  sadicte  altesse. 

Mais  particulièrement  qu'encores  que  ledict  sieur  de 
Bellievre,  parlaveneue  duquel  il  attendoit  quelque  sa- 
tisfaction de  l'indignité  faicte  à  ladicte  royne  sa  femme, 
ne  lui  apportant  telle  qu'elle  lui  avoit  esté  promise,  et 


^20  INTSRUCTION 

qu'il  s'asseure  que  son  altesse  jugeoit  estre  requise  ;  ce , 
nonobstant  ledict  roy  de  Navarre  ,  pour  leur  satisfaire 
plustost  qu'à  soi  mesmes  ,  se  seroit  resoleu  de  voir  et 
recevoir  sans  délai  ladicte  royne  sa  femme,  en  sa  mai- 
son de  Nerac.  Seulement  qu'on  levast  les  garnisons 
mises  fraischement  es  villes  circonvoisines,  en  aulcunes 
desquelles  n'y  en  avoit  poinct  eu ,  mesmes  en  pleine 
guerre  ;  tant  pour  la  liberté  et  seureté  de  leur  séjour 
audict  lieu  de  Nerac  ,  que  pour  oster  occasion  à  ceulx 
qui  n'en  avoient  desjà  que  trop ,  d'estimer  que  ceste 
réception  feust  procedee  d'ailleurs  que  de  bonne  vo- 
lonté et  de  la  raison.  Chose,  après  ce  qui  s'est  passé, 
peu  convenable  à  son  honneur  et  à  la  réputation  de 
la  royne  sa  femme. 

Là  dessus  ,  son  altesse  jugera,  selon  sa  prudence  et 
équité ,  s'il  seroit  bien  séant  de  la  recevoir  en  maison 
empruntée  ;  et  s'il  peult  estre  trouvé  mauvais  de  de- 
mander quelque  seureté  et  liberté  en  la  sienne  propre. 
Et  toLitesfois  a  trouvé,  ledict  sieur  de  Bellievre,  une 
grande  difficulté  en  chose  si  raisonnable.  Tellement  que 
ledict  seigneur  roy  de  Navarre  auroit  despeché  le  sieur 
de  Clervant  vers  leurs  majestés,  pour  leur  faire  entendre 
le  tout  bien  amplement;  auquel  aussi  il  a  donné  charge 
de  visiter  à  Agen  ladicte  royne  sa  femme. 

Espère,  ledict  seigneur  roy  de  Navarre,  que,  quand 
leurs  majestés  auront  bien  considéré  le  debvoir  où  il  se 
met  de  leur  complaire  ,  jusques  à  ployer  son  honneur 
propre  sous  le  respect  de  leurs  commandemens,  elles  ne 
vouldront,  estant  obeies  et  satisfaictes  au  principal, 
l'escoiiduire  en  ung  petit  accessoire  qui  ne  leur  importe 
rien,  lui  qui  raisonnablement  pouvoit  faire  instance 
d'est re  deuement  satisfaict  premier  que  passer  si  avant. 
Mais  que  comme  il  a  pieu  à  son    altesse  entrevenir 


A  M.  DE  LA.YERDTN.  59.1 

en  cest  affaire ,  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  le  supplie 
aussi  très  humblement  d'y  voulloir  tenir  la  main,  at- 
tendu qu'il  y  va  si  avant  de  la   réputation  tant  de  lui 
que  de  la  royne  sa  femme  ,  qui  leur  est  commune  avec 
son  altesse.  Et  mesmes  que  le  respect  qu'il  lui  désire 
rendre,  l'a  en  partie  faict  passer  par  dessus  les  obsta- 
cles qui  se  rencontroient  en  cest  affaire ,  ainsi  que  ledict 
sieur  de  Laverdin  lui  saura  dire  plus  particulièrement. 
Est  marry,  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  ,  que  son 
altesse  n'ait  receu  tel  contentement  qu'il  eust  esté  à  dé- 
sirer par  l'entreveue  de  la  royne  sa  mère;  espère  toutes- 
fois  que  ses  remonstrances  ne  seront  sans  fruict,  non 
seulement  pour  le  regard  de  son  particulier,  mais  aussi 
pour  le  bien  et  repos  de  toute  la  France;  mesmes  main- 
tenant que  le  roy  délibère  sur  la  reformation  générale 
de  son  estât,  auquel  nul  n'a  plus  d'interest ,  ni  peult  ou 
doibt ,   par  conséquent,   apporter  meilleur  advis  que 
sadicte  altesse. 

Surtout  se  confie  le  roy  de  Navarre,  que  les  conseils 
de  son  altesse  tendront  tousjours  à  l'establissement  de 
la  paix ,  quelques  préparatifs  qu'on  voie  çà  et  là  d'une 
guerre,  ne  pouvant  icelle  estre  mieulx  maintenue  que 
par  celui  qui  l'a  en  partie  faicte. 

Quant  audict  seigneur  roy  de  Navarre,  il  ne  fera  rien, 
comme  il  espère,  qui  puisse  ni  doibve  changer  la  vo- 
lonté que  sa  majesté  auroit  jusques  ici  montrée  envers 
icelle,  encores  qu'à  la  vérité  il  ne  veult  et  peult  dissi- 
muler qu'il  paroist  des  effectsen  divers  lieux  qui  seroient 
suffisans ,  sans  l'asseurance  qu'il  prend  de  l'intention 
de  sa  majesté,  de  lui  donner  ombrage. 

Pour  la  fin,  ledict  sieur  de  Laverdin  asseurera  son 
altesse  que  ledict  seigneur  roy  Navarre  ne  désire  rien  plus 
que  sa  bonne  grâce ,  laquelle  il  s'essaiera  tousjours  de 


522  INSTRUCTION  A  M.  DE  LAVERDIN. 

mériter  par  prompte  et  ficlelle  obéissance,  lui  corres- 
pondant avec  autant  de  service  qu'il  attend  de  son  al- 
tesse de  bonne  volonté  en  son  endroict.  Et  pour  garant 
de  sa  sincère  affection,  supplie  très  humblement  sadicte 
altesse  de  prendre  et  accepter,  en  attendant  les  effects, 
le  sieur  de  Laverdin,  qui  peult  autant  qu'aulcung  aultre 
respondre  de  ce  qu'il  a  de  plus  intérieur  en  ses  pen- 
sées; sur  la  suffisance  duquel  il  remettra  le  surplus, 
dont  il  plaira  à  son  altesse  le  croire  comme  sa  personne 
propre. 


XCI.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

Ju  roj  de  Navarre. 

Du  lundi  '20  febvrier  i58/J. 

SiRE,  j'advertis  vostre  majesté,  de  Sainct  Justin,  du 
retardement  que  j'avois  eu  par  la  grandeur  des  eaux.  De 
là  je  veins  prendre  la  poste  à  Montlieu  où  estoit  M.  de 
Duras  ,  revenant  de  brouage;  et  pourtant  n'y  saluai 
personne  :  et  le  lendemain  avant  jour  rencontrai  M.  de 
Clervant,  auquel  je  dis  ce  que  m'aviés  commandé  en 
tout  cas;  ce  que  j'estime  qu'il  aurafaicl,  encores  que 
sa  response  ne  feust  ni  du  tout  bonne  ni  du  tout  mau- 
vaise. Le  samedi  ensuivant,  veille  du  dimanche  gras, 
j'arrivai  en  ceste  ville  assés  tard,  et  communiquai  avec 
M.  deChassincourt.  Le  roy,  qui  estoit  à  Sainct  Germain, 
veint  le  lendemain  en  la  ville  loger  chez  M.  d'Esper- 
non;  et  des  le  vendredi,  monseigneur  y  estoit  arrivé  en 
habit  dissimulé,  lui  quatriesme,  ayant  laissé  toute  sa 
maison  à  Chasteau  Thierry,  au  desceu  du  roi,  et, 
comme  on  asseure ,  de  la  royne  sa  mère. 

Pour  negotier  ma  charge  avec  plus  de  poids  et  de 


LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS ,  etc.  59.3 

silence,  nous  resoleumes  de  coulourer  mon  voyage  sui- 
un  procès  qui  m'est  d'importance  ,  que  j'ai  ici  fort 
proche ,  ou  d'un  accord  ou  d'un  arrest.  Et  à  tous  j'ai 
teneu  ce  langage,  fors  qu'à  M.  de  Chassincourt. 

Le  dimanche,  ledict  sieur  de  Chassincourt  trouva 
moyen  de  parler  au  roy,  encores  qu'il  feust  fort  em- 
pesché  aulx  préparatifs  des  jours  gras.  Lui  dict  quej'es- 
tois  veneude  vostre  part,  pour  lui  déclarer  ung  affaire 
très  important,  et  qui  meritoit  une  hien  particulière 
et  secrette  audience.  Il  estoit  enveloppé  de  messieurs 
de  Guise ,  et  s'en  demesla  ung  petit  ;  lui  demanda  fort 
instamment  que  c'estoit  :  il  lui  respondit  qu'il  ne  sça- 
voit ,  mais  que  j'amenois  un  gentilhomme  avec  moi, 
pour  le  faire  ouïr  à  sa  majesté.  Il  répliqua  que  ce  ne 
debvoit  pas  estre  pour  peu,  puisque  j'estois  venu  :  que, 
pendant  ces  festes,  il  lui  estoit  difficile  de  se  depestrer; 
cependant  que  je  pourrois  parler  à  M.  de  Yilleroi. 
M.  de  Chassincourt  respondit  que  je  n'avois  charge  de 
m  en  adresser  à  personne  quelconque  qu'à  sa  majesté 
mesmes,  que  le  délai  y  pouvoit  estre  dangereux,  selon 
qu'il  jugeoit  par  mes  paroles.  Et  sur  ce,  le  roy  lui  com- 
manda de  le  revenir  trouver  le  dimanche  à  six  heures  : 
mais  il  feut  tant  occupé  avec  monseigneur,  qui  se  ma- 
nifesta après  avoir  parlé  à  la  royne,  oultre  les  jeux  de 
caresme  prenant,  auxquels  il  estoit  jà  obligé  ,  et  les  cé- 
rémonies du  mercredi  des  Gendres ,  que  nous  ne  peus- 
mes  avoir  audience  jusqu'au  jeudi  après  disner ,  en  la 
chambre  du   roy,  d'où  on  feit  sortir  ung  chacung. 

Nous  y  estant  seuls  demeurés  ,  excepté  du  Halde,  et 
quelques  valets  de  chambre,  à  sçavoir,  M.  de  Chas- 
sincourt, le  capitaine  Beauregard  et  moi,  le  roy  m'ap- 
pela seul  en  ung  coing,  et,  après  quelques  propos  com- 
muns ,  je  commençai  : 


5.2  4  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

Que,  depuis  quelque  temps,  vous  vous  deplaisiés fort 
en  vous  mesme  des  mauvaises  impressions  que  vous 
voyez  qu'on  voulloit  donnera  sa  majesté  de  vos  actions: 
et  beaucoup  plus  de  ce  que  vous  vous  apperceviez  que 
sa  majesté  en  avoit  receu  quelques  unes.  Que  je  vous 
avoïs  souvent  ouï  dire  que  vous  sçaviez  que  son  naturel 
estoit  de  vous  aimer  :  comme  ordinairement  vous  pro- 
testiez avoir  tasché  par  tous  moyens  de  mériter  et  ac- 
quérir sa  bonne  grâce.  Que  le  debvoir  n'ayant  point 
manqué  de  vostre  costé  ,  comme  vostre  conscience 
vous  tesmoignoit,  ceste  naturelle  inclination  de  sa  ma- 
jesté envers  vous ,  ne  pouvoit  avoir  esté  altérée  que  par 
quelque  grande  calomnie.  Cependant  que  ,  veu  1  équité 
de  sa  majesté  ,  vous  vous  asseuriés  qu'elle  n'auroit 
poinct  donné  tant  de  lieu  à  ces  impressions,  qu'elle  ne 
vous  eust  réservé  quelque  place  vuide  en  son  ame, 
pour  y  en  recevoir  de  meilleures  ;  aultrement ,  que 
tous  mes  propos  et  tous  vos  effects  seroient  en  vain.  Mais 
que  si  vous  aviez  cest  heur  que  sa  majesté  vous  eust 
réservé  cela,  j'apporterois  de  quoi  lui  faire  évidem- 
ment cognoistre  que  sa  majesté  n'avoit  plus  fîdelle  ser- 
viteur que  vous:  et  mesmes,  qu'elle  n'avoit  en  son 
royaume  subjects  plus  francs  ni  plus  François  que  ceul.s: 
de  la  relligion. 

Je  m'arrestai  ung  peu  sur  ces  mots ,  et  lors  sa  ma- 
jesté prit  la  parole  :  Qu'il  y  avoit  trois  jours  qu'il  avoit 
entendu  ma  venue ,  mais  que ,  partie  les  festes ,  et  partie 
1  arrivée  de  monseigneur,  ne  lui  avoient  peu  donner  le 
loisir  de  m'ouïr.  Qu'il  lui  estoit  à  la  vérité  naturel  de  vous 
aimer:  et  pourtant,  quand  il  se  sentoit moins  satisfaict  de 
vous  en  quelque  chose,  qu'il  le  vous  declaroit  franche- 
ment. Que  rien  ne  lui  pouvoit  estre  plus  agréable  que  de 
cognoistre  vostre  affection  envers  lui,  et  qu'il   seroit 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  523 

toiisjours  tout  préparé  à  croire  tout  bien  de  vostre 
part,  comme  chose  qu'il  désire  infiniment  ;  avec  une 
façon  assez  doulce  et  gracieuse. 

Je  lui  dis  que  Dieu  avoit  adressé  entre  vos  mains  ung 
moyen  de  lui  découvrir  une  grande  entreprise  sur  sa 
vie,  son  honneur  et  estât.  Que  j'amenois  avec  moi  ung 
gentilhomme,  son  subject,  de  ses  pays  du  Dauphiné, 
qui  lui  en  diroit  les  circonstances.  Qu'il  s'estoit  adressé 
à  M.  de  Ghastillon  pour  la  lui  découvrir,  lequel  l'avoit 
incontinent  amené  en  Bearn,  vers  vous,  afin  que,  par 
vostre  moyen,  il  eust  accès  vers  sa  majesté.  Que  vous 
aviez  véritablement  esté  quelque  peu  en  doubte,  si  vous 
debviez  donner  cetadvertissementà  sa  majesté,ou  non; 
craignant  qu'il  ne  feust  imputé  aulx  rancunes  et  animo- 
sités  qui  peuvent  estre  entre  quelques  maisons  en  son 
estât;  mais  que  partie  la  conscience  et  le  debvoir,  partie 
l'évidence  de  la  chose,  vous  auroicnt  faict  passer  par 
dessus  ces  considérations.  Que  le  gentilhomme  estoit  là 
présent,  nommé  Beauregard ,  mais  que  je  lui  avois 
donné  le  nom  de  la  Roche,  de  la  bouche  duquel  il  en- 
tendroit  le  tout  mieulx  que  de  la  mienne  :  encores  que , 
des  long  temps,  vous  aviez  esté  adverti  de  plusieurs 
choses  tendantes  à  mesme  fin ,  aulxquels  ceste  ci  vous 
auroit  donné  lumière. 

Sa  majesté  me  respondit  qu'elle  vous  en  sçavoit  beau- 
coup de  gré;  que  M.  de  Ghastillon  avoit  faict  acte  de 
bon  subject;  que  vous  ne  pouviez  mieulx  faire  que  de 
l'advertir,  sans  avoir  égard  à  telles  considérations; 
que  ,  pour  continuer  le  silence  ,  je  continuasse  le  nom 
que  dessus  audict  Beauregard.  Et  là  dessus  me  com- 
manda de  le  faire  approcher  :  comme  il  commença  son 
propos,  je  me  reculai;  mais  il  me  feit  rapprocher,  e\ 
feus    présent  à  tout  ce   qu'il    dict ,  y  entrelaçant  de 


526  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

rois  à  aultre  quelque  mot,  pour  l'esclaircissement  dé 

ses  propos. 

Il  discourut  premièrement  à  sa  majesté  la  cause  qui 
lui  avoit  donné  accès  chez  M.  de  Savoye.puis,  d'où 
estoit  venue  la  confiance  qu'il  avoit  prise  de  lui.  De 
là  passa  à  toutes  les  particularités  qu'il  a  comptées  à 
vostre  majesté  de  poinct  en  poinct  :  la  farce  qui  se  joua 
pour  faire  sortir  Espiard;  comme  i\  le  conduict  en  Dau- 
phiné,  Provence  et  Languedoc;  le  langage  que  lui  teinst 
M.  de  Savoy e;  les  propos,  menées  ,  entreprises,  engins 
et  aultres  circonstances  du  faict  d'Espiard ,  qu'il  seroit 
trop  long  de  repeter  (i).  Et  en  somme  en  dict  assez 
pour  esmouvoir  le  roy  à  bon  escient,  encores  qu'il  ob- 
mit  quelques  particularités  que  je  lui  fais  garder  pour  la 
prochaine  fois. 

Le  roy  l'escouta  fort  attentivement  et  patiemment, 
et  observasmes  des  muaisons  en  son  visage,  qui  tes- 
moignoient  que  ces  propos  faisoient  impression  au  cœur. 
Il  s'enqueroit  fort  de  ce  qui  se  debvoit  faire  en  cha- 
cune province,  nommeement  en  Bourgogne  et  Cham- 
pagne ,  quand  M.  de  Savoye  se  presenteroit  sur  la  fron- 
tière; et  sembla  croire  aisément  ce  qui  lui  en  fut  dict, 
et  en  avoir  desjcà  senti  quelque  chose. 

Quand  il  eut  fini,  il  tesmoigna  en  paroles  fort  ex- 
presses vous  en  scavoir  grand  gré  ;  qu'il  s'en  ressouvien- 
droit  toute  sa  vie;  qu'en  conservant  le  sien,  vous 
conserviez  le  vostre  ;  que  particulièrement  il  le  recog- 
noistroit  envers  M.  de  Chastillon  et  le  capitaine  Beau- 
regard.  Je  lui  respondis  que  le  salaire  que  vostre  majesté 
desiroit ,  estoit  que  sa  majesté  cogneust  vostre  sincère 
et  fidelle  affection.  Qu'on  lui  avoit  dict  que  vous  traic- 

(i)  Il  y  avoit  entre  aultres  une  entreprise  sur  la  ville  d'Arles. 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  627 

liez  avec  le  roy  clEspaigne,  par  certaines  personnes 
interposées  :  ce  qui  estoit  vrai  ;  mais  que  sa  majesté  se 
pouvoit  ressouvenir  qu'elle  Tavoit  trouvé  bon ,  et  que  de 
fois  à  aultre  on  l'avoit  advertle  de  ce  qui  s'y  estoit  passé. 
Particulièrement  que  vous  ne  lui  voulliez  celer  que,  de- 
puis peu,  vous  auroit  esté  déclaré,  de  la  part  du  roy 
d'Espaigne,  que,  si  vous  voulliez,  on  vous  donneroit  le 
moyen  de  lui  faire  la  guerre ,  et  qu'on  le  vous  conti- 
nueroit  jusques  à  vous  mettre  la  couronne  sur  la  leste. 
Mais  qu'il  estoit  temps  de  vous  resouldre,  sinon  qu'il 
avoit  son  marchand  prest  en  France.  Et  lui  dis  que 
ces  propos  m'avoient  esté  teneus  k  moi  mesmes.  J'ap- 
perceus  qu'il  s'émeut,  et  prit  grand  pied  là  dessus. 
Qu'il  ne  falloit  pas  tant  s'arrester  à  la  considération  du 
mal  qu'à  la  provision  du  remède  ;  que  le  temps  pressoit, 
et  que  je  n'avois  parlé  à  homme  de  quelque  qualité,  en 
la  bouche  duquel  je  n'eusse  trouvé  quelque  chose  pour 
me  confermer  en  cest  advertissement.  Que  vostre  ma- 
jesté le  supplioit  très  humblement ,  venant  à  penser 
aulx  remèdes,  de  se  ressouvenir  de  vous  entre  les  pre- 
miers ,  pour  vous  y  employer,  et  que  vous  eussiez  cest 
honneur  d'y  donner  des  premiers  coups,  comme  Dieu 
vous  avoit  adressé  Theur  d'advertir  le  premier  ;  cv 
qu'il  me  promit  de  faire,  avec  paroles  fort  affectionnées. 
Que  quelques  ungs  des  principaulx  des  Eglises  de  Lan- 
guedoc et  Dauphiné  s'estoient  apperceus  de  ces  me- 
nées, et  s'employoient  à  les  rompre,  en  tant  qu'en  eulx 
estoit,  en  divertissant  ceulx  de  la  relligion,  desquels 
les  esprits  pouvoient  estre  émeus  sur  le  temps  de  la 
restitution  des  places  :  mais,  qu'oultre  cela,  particu- 
lièrement, ils  avoient  pryé  M.  de  Chastillon  de  vous 
supplier  de  faire  entendre  à  sa  majesté  qu'ils  ne  desi- 
roient   que  matière  de  lui  monstrer  combien  ils  sont 


528  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

bons  François,  et  qu'ils  estoient  prests,  en  une  telle 
affaire,  de  répandre,  aulx  pieds  de  sa  majesté  ,  ce  peu 
que  les  misères  civiles  leur  ont  laissé  de  sang  et  de 
moyens.  Comme  aussi  particulièrement  M.  de  Chastil- 
lon  m'avoit  chargé  de  dire  à  sa  majesté  qu'il  lui  met- 
troit  Espiard  entre  les  mains ,  s  il  lui  venoit  à  gré , 
pourveu  que  de  ceste  part  les  choses  feussent  con- 
duictes  avec  silence.  Il  me  respondit  :  Vous  voyez  com- 
ment je  traictc  mes  subjects  de  la  relligion.  Je  leur  en- 
tretiendrai le  paix  ,  et  leur  monstrerai  que  je  leur  veulx 
du  bien.  Et  quant  à  M.  de  Chastillon ,  qu'il  lui  feroit 
chose  très  agréable,  et  qu'il  l'en  pryoit. 

Les  préparatifs  que  le  capitaine  Beaiiregard  a  dé- 
claré s'estre  faicls  en  Savoye  ,  d'hommes ,  de  bleds ,  etc. , 
n'ont  poinct  esté  nouveaulx ,  mais  bien  la  cause.  Les 
pratiques  mesmes  de  M.  de  Savoye,  en  divers  lieux, 
estoient  à  demi  sceues;  car  le  président  de  Hautfort  en 
avoit  jà  escrit  quelque  chose;  et  M.  de  Lion  nommee- 
ment,  que  M.  de  Montmorency  attenteroit  sur  le  pont 
Sainct  Esprit,  et  seroit  secoureu  du  royd'Espaigne  et  de 
M.  de  Savoie,  desquels  il  avoit  receu  argent. 

Si  n'ai  je  estimé  convenir  de  scandaliser  M.  de  Mont- 
morency davantage;  et  me  suis  contenté  de  dire  que 
vous  vous  estiés  bien  apperceu  qu'on  l'avoit  voulleu  at- 
tirer à  cette  cabale,  abusant  du  desespoir  où  on  le  pen- 
soit  de  la  bonne  grâce  de  sa  majesté;  mais  que  vous 
pensiés  qu'il  n'y  seroit  entré  plus  avant,  et  qu'il  auroit 
préféré  le  bien  de  cest  estât  à  ses  considérations  particu- 
lières; et  qu'en  tout  cas  vous  esperiés  avoir  le  moyen 
de  l'en  retirer ,  vous  asseurant  tant  de  la  prudence  de 
sa  majesté  qu'elle  ne  le  vouldroit  aussi  désespérer;  et  à» 
cest  offre  il  adjousta  des  mots  gracieux,  comme  dessus, 
sans  faire  plus  grande  instance  du  principal. 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  52g 

Je  verrai  s'il  m'en  fauldra  parler  plus  avant  à  la  pro- 
chaine audience.  La  présence  de  son  altesse  en  cette 
court  m'y  a  rendu  plus  retenu.  Joint  que  j'ai  sceu  que 
sa  majesté  faisoit  proposer  soubs  main  à  M.  de  Montmo- 
rency, avant  tout  ceci ,  de  le  laisser  seul  en  Languedoc , 
et  contenter  M.  de  Joyeuse  ailleurs,  Aultres  dient  qu'on 
est  résolu  de  les  appeller  tous  deux  en  court,  et,  en  cas 
qu'il  ne  vienne,  qu'on  procédera  contre  ses  biens. 

Je  n'omis  à  sa  majesté  les  entreprises  de  Provence, 
comme  les  plus  pressées,  et  toutes  les  particulariiés; 
et  me  dict  qu'il  y  pourvoiroit  incontinent.  Mais ,  parce 
qu'il  estoit  besoing  de  penser  à  tout,  me  commanda 
d'aller  trouver  la  royne  sa  mère,  et  lui  communiquer 
le  tout ,  et  non  à  aultre ,  et  lui  foire  ouïr  le  sieur  de  Beau- 
regard  sur  tout  ce  que  dessus.  Il  estoit  logé  en  l'hostel 
de  Longueville,  et  elle  aux  Repenties. 

Je  fis  quelque  instance,  au  contraire,  sur  le  comman- 
dement que  j'avois  de  vostre  majesté  de  n'en  parler 
qu'au  roy.  Il  me  répliqua  qu'il  ne  lui  celoit  rien  ;  qu'elle 
estoit  et  sa  mère,  et  de  son  estât  par  plusieurs  fois; 
que  pour  remédier  il  l'en  falloit  informer ,  et  que  ce 
mesme  jour  ils  en  traicteroient  ensemble. 

ri  nous  recommanda  le  silence;  et  lors  nous  nous 
departismes.  Arrivans  chez  la  royne,  elle  estoit  au  lit, 
et  monseigneur  auprès  d'elle.  En  sortant  il  m'advisa , 
et  je  lui  fus  baiser  les  mains.  Il  me  demanda  si  la  royne 
de  Navarre  estoit  avec  vous.  Je  lui  dis  qu'on  attendoit 
le  retour  de  M.  de  Clervant.  S'il  y  avoit  apparence  d'une 
bonne  reconciliation  entre  vous;  je  lui  dis  qu'il  n'y  avoit 
poinct  eu  de  différend  :  au  contraire,  que  vous  n'aviés 
cherché  que  l'honneur  commun  de  vous  deux,  après  l'in- 
dignité receue,  et  quelque  bienséance  en  sa  réception, 
esloignee  de  toute  apparence  de  force  qui  n'eust  peu 

MÉM.  DE  DuPLESSIS-MoRIÎA.T.  TojWE  II.  34 


53o  LETTRE  DE  M.   DUPLESSIS 

qu'adjouster  aux  sinistres  interprétations  qu  on  avoit 
faict  de  ce  qui  s'estoit  passé.  Il  me  pressa  fort  si  c'es- 
toit  à  bon  escient;  et  à  mon  advis,  parce  qu'il  n'avoit 
pour  l'heure  aultre  chose  à  me  dire. 

L'ayant conduictjusques  en  son  cabinet,  M.  de  Chas- 
sincourt  feit  sçavoir  à  la  royne  qu'il  estoit  là;  et  lui  dict 
que  le  roy  m'avoit  commandé  de  la  venir  trouver  pour 
un  affaire  de  très  grande  conséquence.  Elle  commanda 
à  madame  la  princesse  de  Lorraine  de  ne  laisser  appro- 
cher personne  de  son  lict,  et  me  feit  entrer  avec  le  capi- 
taine de  Beauregard. 

J'estime  qu'elle  pensoitque  je  veinsse  pour  les  affaires 
de  la  royne  vostre  femme.  Car  soudain  elle  s'en  encjuit, 
et  me  dict  qu'elle  s'asseuroit  que  vous  auriés  tout  con- 
tentement par  la  depesche  de  M.  de  Clervant.  Je  crois 
qu'on  s'est  plus  eslargi  par  la  depesche  qu'on  a  envoyée 
à  M,  de  Bellievre  ;  et  vostre  majesté,  selle  tient  ungpeu 
ferme  sur  Bazas ,  s'en  pourroit  appercevoir  ;  car  j'estime 
qu'on  se  contentera  de  la  citadelle ,  et  qu'il  a  charge 
aussi  du  payement  des  garnisons  des  villes  de  seureté. 

Je  tins  à  la  royne  presque  les  mesmes  propos  qu'au 
roy,  et  elle  les  mesmes  responses  ;  puis  lui  feis  ouïr  le  ca- 
pitaine de  Beauregard  qui  lui  dict  des  particularités  qu'il 
avoit  omises  au  roy,  que  je  lui  avois  ramenteues  par 
le  chemin.  Elle  dict  par  deux  ou  trois  fois  :  «  Ceci  ne  se 
couve  pas  d'aujourd'huy.  Il  y  a  long  temps  qu'on  y 
travaille  ;  il  est  temps  d'y  pourvoir.  » 

Comme  je  lui  touchai  que  ces  entrepreneurs  s'asseu- 
roient  d'Orléans ,  elle  me  dict  qu'ils  y  avoient  pourveu , 
il  y  avoit  jà  trois  sepmaines ,  sur  aultres  bruits  qui  en 
estoient  venus  au  roy.  Si  n'a  on  laissé  d'y  depescher  de 
nouveau  encores  hier,  pour  cet  effect. 

Elle  recognut  aussi  la  vérité  de  plusieurs  circonstances 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  53 1 

contenues  en  l'advertissement  du  capitaine  de  Beaure- 
gard,  qui  lui  verifioient  le  reste.  Et  comme  je  vis  qu'elle 
prenoit  pied,  je  lui  adjoustai  le  discours  du  sieur  que 
sçavés,  que  vous  estiez  d'advis  que  je  ne  disse  au  roy 
du  premier  coup;  elle  en  voulleut  sçavoir  le  nom,  et 
me  dict  qu'il  estoit  assés  traistre  pour  cela  :  et  me 
commanda  de  le  dire  au  roy,  ce  que  je  n'ay  encores 
faict. 

Venant  aulx  entreprises  particulières,  je  lui  dis  le 
debvoir  que  vous  aviés  rendeu,  et  les  églises  de  Langue- 
doc ,  et  M.  de  Chastillon ,  à  soustraire  les  moyens  de 
les  exécuter  aux  entrepreneurs.  Que  l'assemblée  des 
églises  qu'aviés  prétendu  assembler  soubs  le  bon  plaisir 
de  leurs  majestés,  y  eust  bien  aidé;  mais,  puisque  sa 
majesté  ne  l'avoit  trouvé  bon ,  qu'on  n'en  parleroit 
poinct.  Elle  me  dict  que  j'en  parlasse  au  roy  encores, 
et  que  peult  estre  changeroit  il  d'advis  :  qu'il  se  falloit 
unir;  que,  quand  le  sang  de  France  seroit  d'accord, 
toutes  ces  menées  seroient  sans  efFect  :  plusieurs  propos 
au  reste,  pleins  de  gratification,  et  nul  contredict.  Et 
craignant  qu'aulcungs  ne  survinssent,  nous  demanda  s'il 
restoit  plus  rien  à  dire,  qu'il  falloit  y  mettre  la  main, 
et  nous  retirasmes. 

Je  dis  au  roy  et  à  la  roy  ne  que  je  depescherois  vers 
vostre  majesté.  Ils  me  commandèrent  de  vous  asseurer 
fort  de  leur  bonne  vollonté  ,  et  qu'ils  feroient  profit  de 
cet  advertissement;  et  que  je  demeurasse  ung  petit, 
qu'ils  voulloient  encores  parler  à  moi ,  et  puis  me  re- 
depescher  avec  une  resolution.  Je  crois  qu'ils  différe- 
ront jusques  après  le  partement  de  son  altesse,  qui  s'en 
va  lundi  ou  mardi. 

Les  signes  que  nous  avons  remarqués  depuis,  sont 
ceulx  ci  :  Le  roy,  après  nostre  audience,  demeura  seul 


532  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

en  sa  chambre  quelque  temps  fort  pensif  :  puis  ,  sur  le 

soir,  alfa  trouver  la  royne. 

Hier,  tout  le  jour,  feut  avec  la  royne,  monseigneur, 
et  M.  de  Villeroy  près  du  lict  de  la  royne ,  traiclant  d'af- 
faires. MM.  de  Guise  y  entroient  de  fois  à  aultre,  mais 
sans  s'approcher. 

Le  soir  M.  de  Villeroy  feut  si  occupé  d'affaires,  qu'il 
ne  voulleut  ouïr  aulcung  particulier,  et  prya  ung  cha- 
cung  de  ne  l'importuner  poinct ,  mesmes  ses  plus  privés. 

Aujourd'huy  le  roy ,  des  trois  heures  du  matin  ,  n'a 
faict  qu'escrire ,  et  personne  n'a  entré  chez  lui.  (i) 

Depuis  aussi  a  commencé ,  au  sortir  du  disner  et  du 
soupper,  d'entretenir  et  caresser  la  noblesse  plus  qu'il 
ne  souloit,  et  commandé  qu'on  laissast  entrer  en  sa 
chambre  à  telles  heures.  A  MM.  de  Guise,  plus  de  ca- 
resses beaucoup  que  de  coustume  :  lesquels  toutesfois 
disent  privement  à  leurs  amis  qu'ils  cognoissent  bien 
une  haine  mortelle  du  roy  contre  eulx.  Quelques  ungs 
m'ont  parlé  de  les  faire  entrer  en  amitié  avec  vous , 
auxquels  j'jai  respondu  ce  que  j'ai  deu ,  et  que  vostre 
majesté  peult  assés  penser.  En  somme,  que  vous  ne 
négligés  l'amitié  de  personne,  moins  de  seigneurs  de 
telle  qualité ,  et  que  c'est  à  eulx  à  commencer. 

On  dict  que  son  altesse  venant  ici ,  les  a  faict  recher- 
cher par  Marchaumont,  comme  ci  devant  par  M.  de  la 
Chastre.  Ils  ne  s'y  sont  osés  fier;  ils  ont  tenu  ung  con- 
seil ici  avec  leurs  plus  féaux  amis.  L'ung  d'iceulx  (on  dict 
que  c'est  le  baron  d'Osson ville)  a  révélé  à  la  royne 
tout  ce  qui  s'y  est  dict  et  faict.  Nous  ne  sçavons  bon- 
nement quoi.  Bien  est  il  vrai  qu'ils  minutent  leur 
congé. 

JPI^I^—^.— M  I  ■  Wl  ■■!  ■■■,■■         ■———■I         I  III    ■■■■■■-■  ■!      ■■    ■       M»»^     Wi^^.^^  ^ 

(i)  Ceci  est  escrit  du  samedi  i8  febvrier. 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  533 

Le  meilleur  signe  que  je  voie,  c'est  qu'on  tient 
îiostre  faict  secret  :  qui  est  le  moyen  d'y  pourvoir. 

Monseigneur  est  venu  ici ,  à  ce  qu'on  dict ,  voyant 
sa  maison  réduite  à  extrémité  ,  ses  dessein^s  inutiles 
sans  l'aide  du  roy,  les  moyens  d'acquérir  ou  recog- 
noistre  des  serviteurs ,  près  de  lui  estre  retranchés ,  par 
ces  nouveaux  reglemens,  etc.  Les  estats  résolus  de  ne 
traicter  avec  lui, sinon  en  tant  qu'ils  voyent  le  roy  résolu 
de  le  secourir.  Ainsi ,  après  les  démonstrations  d'amitié 
accoustumees,  le  roy  lui  accorde  cinquante  mille  escus 
pour  le  secours  de  Cambrai,  qui  consiste  en  ung  avic- 
tuaillement  que  doibt  faire  le  mareschal  de  Biron.  M.  de 
Montpensier  s'en  est  excusé  sur  ses  procès. 

Le  roy,  pour  y  voir  plus  clair,  veult  parler  avec  les 
députés  de  Flandres.  Son  altesse  part  demain,  ou  mardi 
au  plus  tard,  et  prend  son  chemin  à  Monceaux. 

Je  double  que  le  roy  n'aura  pas  communiqué  le  fonds 
de  nostre  affaire  à  son  allesse  ;  car  il  est  certain  qu'il  a 
tenu  ung  conseil  (i)  chez  M.  de  Villequier,  qui  a  duré 
plus  de  quattre  heures,  où  n'y  avoit  que  MM.  de  Joyeuse 
et  d'Espernon,  M.  le  mareschal  de  Rets,  M.  le  chancel- 
her,  M.  de  Villeroy ,  M.  de  la  Vallette.  Au  sortir  il  alla 
trouver  la  royne ,  et  tira  le  rideau  sur  lui ,  et  feut  une 
heure  seul  avec  elle.  Et  M.  le  mareschal  de  Rels  depes- 
cha  quelques  commissaires  des  guerres  à  Lyon.  L'estat 
de  la  guerre  a  esté  traicté  en  ce  conseil  là,  et  M.  de 
"Villeroy  le  faict  dresser  :  on  l'augmente  de  douze  cens 
mille  escus. 

Monsieur  de  la  Noue  a  escrit  à  madame  de  la  Noue 
par  trois  fois,  qu'elle  advance  sa  délivrance  tant  qu'elle 

(i)  Ce  conseil  feut  vendredi  17. 


534  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

pourra,  parce  qu'il  voit  que  Testât  se  pourra  brouiller; 
qu'il  est  très  certain  que  le  roy  d'Espaigne  veult  avoir 
raison  du  roy,  et  qu'il  s'asseure  de  lui  arracher  la  Bour- 
gogne et  la  Picardie ,  et  le  marquisat  de  Saluées  tout 
au  moins. 

C'est,  sire,  ce  que  j'ai  pensé  digne  de  vous  estre  es- 
crit  par  ce  porteur  exprès,  que  je  vous  depesche  en 
poste,  et  n'ai  peu  plus  tost.  J'estime  qu'après  le  parte- 
ment  de  son  altesse,  nous  serons  rappelles  :  et  fais  es- 
tât d'adjouster  lors  beaucoup  de  choses  que  j'ai  réser- 
vées, pour  voir  comment  ces  premières  seroient  receues, 
si  j'apperçois  qu'ils  procèdent  bien;  car  je  ne  me  suis 
voulleu  haster,  ni  le  ferai.  Dieu  aidant,  qu'à  temps.  J'ai 
pensé  aussi  de  dire  à  sa  majesté  que  vous  m'aviés  donné 
charge  de  vous  porter  ses  commandemens,  afin  que 
vous  ayez  cest  honneur  d'estre  partie  du  remède  qui 
sera  apporté  :  et  ce  me  sera  ung  moyen  de  voir  au  fonds 
de  la  resolution  qui  aura  esté  prise. 

Si  vostre  majesté  s'advise  de  chose  que  je  doibve  faire 
plus  avant ,.  elle  me  fera  redepescher  ce  porteur  incon- 
tinent ,  s'il  lui  plaist.  Il  seroit  bon  que  je  sceusse  ce 
qu'aura  rapporté  Undiano ,  pour  m'en  aider  selon  l'oc- 
casion. Je  n'omettrai,  au  reste,  l'aultre  affaire,  duquel 
j'ai  parlé  à  vostre  majesté  en  tout  cas. 

Il  est  tout  certain,  mais  je  supplie  vostre  majesté  de  le 
tenir  secret,  pour  le  lieu  dont  je  le  sçais,  que  son  altesse, 
premier  que  se  manifester  au  roy,  vouUeut  avoir  ung 
escrit  signé  de  la  main  du  roy,  et  fort  exprès,  par  lequel 
il  lui  promettoit  de  le  laisser  aller,  toutes  les  fois  que 
bon  lui  sembleroit;  et  le  bailla  à  une  tierce  inain,  que  je 
vous  dirai ,  à  garder,  pour  s'en  servir,  en  cas  qu'il  lui 
feust  faict  chose  au  contraire.  Il  part  lundi,  qui  est  de- 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  535 

main,  et  ne  faict  estât  de  revenir  de  six  mois,  si  aultre 
occasion  ne  survient,  (i) 

J'ai  veu  M.  le  chancelier,  qui  m'a  bien  faict  sentir 
que  le  roy  lui  avoit  communiqué  bien  avant  de  ma 
charge;  m'adjoustant  qu'elle  lui  a  esté  très  agréable,  et 
qu'il  a  envie  d'y  pourvoir.  Je  n'ai  peu  encores  voir  M.  de 
Villeroy  chez  lui ,  depuis  ma  première  audience ,  et  ne 
feut  jamais  si  empesché.  Je  le  trouvai  enfermé  avec 
M.  Pinart,  ayant  defendeu  de  ne  faire  parler  quelcon- 
que personne  que  ce  feust ,  à  lui ,  feust  ce  mesmes  de 
la  part  du  roy. 

Le  roy  avoit  resoleu,  pour  esviter  les  difficultés  ac- 
coustumees  en  la  vérification  des  edicts,  de  transporter 
au  privé  conseil  l'auctorité  souveraine  du  parlement  de 
Paris,  en  tant  qu'elle  est  court  des  pairs,  qu'elle  vérifie 
tous  edicts ,  et  reçoit  les  sermens  des  officiers  de  la  cou- 
ronne ,  etc.  Plusieurs  en  murmuroient,  et  la  court  ne 
s'en  pouvoit  taire.  Depuis  deux  jours  le  roy  a  déclaré 
à  quelques  ungs  qu'il  a  changé  d'advis,  et  se  veult  tenir 
à  l'ancienne  façon. 

La  court  de  parlement  n'a  poinct  visité  son  altesse 
en  corps ,  mais  bien  les  presidens  le  sont  allés  visiter. 
Il  sembla  n'en  estre  content ,  par  ung  mot  qu'il  dict 
fort  cruement  au  premier  président,  après  une  longue 
harangue  :  «  Vous  debvés  cognoistre  que  je  suis  la  pre- 
mière personne  de  France.  »  M.  de  Villequier  demanda 
au  roy  s'il  iroit  en  qualité  de  gouverneur.  Il  ne  feut 
trouvé  bon  qu'en  qualité  de  particulier.  Le  grand  con- 
seil,  par  l'advis  de  M.  le  chancelier,  n'y  feut  aussi  en 
corps. 

Il  fault  que  je  laisse  quelque  subject  d'escrire  à  M.  de 

(i)  Ceci  est  escrit  du  dimanche  19. 


5'^6  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

Ciiassincoiirt,  duquel  je  vous  dirai,  sire,  en  ung  mot, 
qu'il  faict  très  dignement  sa  charge  ici  en  toutes  sortes. 
Et,  sur  ce,  finirai,  suppliant  le  Créateur,  sire,  qu'il  doint 
vostre  majesté  en  santé  et  prospérité  longue  vie. 
De  Paris. 
Vostre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur  à  jamais, 

DuPLESSIS. 

Je  vous  achèterai  plusieurs  beaux  livres,  dignes  de 
vostre  librairie ,  selon  vostre  commandement. 


XCII. —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

j4u  roj  de  Ncwarre. 

Du  g  mars  1584  ■>  à  midi. 
Sire,  lundi  30  de  ce  mois  de  febvrier,  je  depeschai 
Bouchard  vers  vostre  majesté,  par  lequel  vous  aurés 
entendeu  tout  ce  qui  s'est  passé  en  l'affaire  que  m'avés 
commandé,  jusques  audict  jour.  Si  tost  qu'il  feut  parti, 
le  roy  envoya  quérir  M.  de  Chassincourt,  par  lequel 
je  lui  fis  dire  que  nous  avions  encores  plusieurs  parti- 
cularités à  déclarer  à  sa  majesté;  et  si  tost  qu'il  le  veit , 
il  lui  dict  :  Tous  ces  jours  ici  je  ne  vous  ai  poinct  veus, 
et  ai  regardé  si  je  vous  verrois  poinct;  ce  que  nous 
avions  faict  exprès,  pour  tant  mieulx  appercevoir  si  la 
chose  avoit  touché  au  cœur,  et  si  on  s'en  ressouvien- 
droit  de  soi  mesmes.  Ledict  sieur  de  Chassincourt  lui 
respondit  que  nous  avions  craint  d'importuner  sa  ma- 
jesté. Et  lors  il  lui  commanda  de  me  faire  trouver  le 
lendemain  à  l'issue  de  son  disner,  en  sa  chambre,  et 
qu'en  attendant  j'informasse  M.  de  Villeroy  de  toutes  les 
depesches  qu'il  fauldroit  faire  ,  pour  remédier  au  mal. 
Mais  ledict  sieur  de  Villeroy  n'estoit  poinct  chez  lui, 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  537 

et  ne  le  peus  voir  jusques  au  lendemain  chez  le  loy. 

Ledict  lendemain,  après  disner  (i),  nous  entrasmes 
en  la  chambre  du  roy,  oii  nous  trouvasmes  le  comte  de 
Sault,  que  le  roy  avoit  mandé ,  suivant  le  moyen  qu'a- 
vions proposé,  de  remédier  à  la  Provence,  par  son  en- 
tremise envers  le  sieur  de  Vins  son  beau  frère.  Le  roy, 
qui  estoit  seul  en  son  cabinet,  avec  le  sieur  de  Villeroy, 
le  fît  appeller,  l'y  retint  bien  une  heure,  et  pouvions 
entendre  partie  de  ce  qu'il  lui  disoit.  Et  comme  il  feut 
depesché,  sortit  M.  de  Villeroy,  qui  nous  feit  entrer 
M.  de  Chassincourt  et  moi.  Ce  que  nous  apperceusmes 
que  le  roy  se  soubvenoit  de  cest  affaire,  sans  le  lui  ra- 
nientevoir,  nous  feut  ung  bon  signe. 

Là  je  lui  rafraischis  les  propos  precedens;  puis  lui 
adjoustai  plusieurs  particularités,  non  déclarées  en  la 
première  audience;  j'apperceus  tousjours  le  roy  fort 
attentif,  testifiant  avoir  mesmes  advis  de  divers  lieux, 
mais  non  si  clairs,  et  qu'à  la  vérité  le  noslre  estoit  ce- 
lui qui  premier  lui  avoit  donné  lumière  ;  qu'il  s'en  res- 
sentoit  fort  obhgé  à  vous,  et  qu'il  le  recognoistroit  à 
bon  escient. 

Lors  je  n'omis  le  faict  du  gentilhomme  voisin  de 
Saincte  Foi ,  et  le  roy  nous  dict  l'avoir  entendeu  de  la 
royne  sa  mère,  comme  aultres  circonstances,  qui  me 
feirent  cognoistre  qu'ils  avoient  devisé  ensemble  de  cest 
affaire  avec  grand  loisir. 

Surtout  le  roy  s'arrestoit  sur  le  Languedoc,  et  m'en- 
qucroit  de  M.  de  Montmorency,  duquel  je  parlai  tous- 
jours  fort  sobrement,  et  que,  s'il  s'estoit  laissé  emporter 
trop  avant,  vous  esperiés  l'en  retirer,  vous  asseurant 
aussi  que  sa  majesté  ne  le  vouldroit  désespérer.  Et  en 


(i)  Mardi  21  febvrier. 


538  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

somme  il  taschoit  de  dériver  le  plus  grand  blasme  sur 
lui ,  comme  aussi  M.  de  Villeroy ,  auquel  je  respondis 
que  sa  majesté  pouvoit  avoir  advis  d'ailleurs;  de  vostre 
part ,  que  vous  ne  lui  voulliés  poinct  alléguer  des  soup- 
çons, mais  des  certitudes. 

Là  dessus  le  roy  se  meit  à  discourir  ;  qu'il  estoit  esbahi 
d'où  venoit  ce  mauvais  conseil  à  M.  de  Montmorency; 
qu'il  ne  pensoit  aulcunement  à  lui  oster  son  gouverne- 
ment, et  moins  que  jamais;  qu'il  avoit  deux  cens  mille 
livres  de  rente ,  un  des  plus  beaux  estats  de  son  royaume, 
femme  et  enfans,  grand  nombre  de  parens;  que  nul 
n'avoit  occasion  d'estre  meilleur  François  que  lui;  que 
vostre  majesté  lui  debvoit  remonstrer  ces  choses  pour 
le  ramener  à  son  debvoir,  et  qu'il  debvoit  attendre  tout 
bien  de  sa  part,  etc. 

S'enquit  puis  après,  si  nous  n'avions  poinct  descou- 
vert d'entreprises  en  Languedoc;  qu'il  enattentoit  tous 
les  jours ,  et  fraischement  lui  avoit  pris  deux  places  au- 
près de  Beaucaire  ;  que ,  s'il  appelloit  conserver  son 
auctorité,  prendre  ses  villes,  il  lui  prendroit  bien  mal 
que  tous  ses  gouverneurs  feussent  de  mesme  humeur. 
Je  lui  répétai  tousjours  que  vostre  majesté  feroit  ce 
qu'elle  pourroit  pour  le  retirer  de  Là;  et  me  sembla  le 
trouver  bon;  mais  je  crains,  en  cas  qu'il  s'opiniastre, 
qu'on  ne  le  vueille  forcer;  et  lors  l'armée  qu'on  en- 
voieroit  contre  lui,  seroit fort  suspecte  à  nos  églises  ;  ce 
qu'il  fault  destourner  par  tous  moyens. 

Pour  ceste  cause,  je  lui  alléguai  qu'oultre  les  sus- 
dictes  remonstrances ,  vous  aviés  moyen  de  rompre  les 
principaulx  coups  qui  se  pourroient  donner  en  Langue- 
doc ,  en  contenant  les  capitaines  et  soldats  de  la  relli- 
gion  en  leurs  maisons  ,  et  les  soustrayant  à  ceulx  qui  en 
vouldroient  abuser;  que  le  temps   de  la  rémise  des 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  oStj 

places  rendoit  plusieurs  personnes  plus  capables  de  re- 
muer, d'autant  que  les  remèdes  de  la  défiance  leur 
semblent  cesser,  premier  que  le  mal;  que  c'estoit  la 
cause  en  partie  qui  vous  faisoit  désirer  une  assemblée 
des  églises,  par  le  moyen  de  laquelle  vous  pourries 
ployer  leurs  intentions  à  celle  de  sa  majesté,  et  rompre 
les  desseings  des  perturbateurs.  Ce  que  je  ne  disois 
pour  avoir  charge  de  la  presser,  mais  parce  que  j'esti- 
mois  consister  en  icelle  partie  du  remède  de  Langue- 
doc. Et  qu'en  somme,  quand  ceulx.  de  la  relligion  ne 
-  s'en  mesleroient  poinct ,  qui  qui  vouUeust  troubler  la 
province,  se  trouveroit  bien  abandonné  de  moyens. 

Sa  majesté  respondit  que  vous  aviés  assés  d'auctorité 
pour  composer  ces  choses,  et  retenir  ceulx  de  la  relli- 
gion sans   ladicte  assemblée  ;  qu'il  ne  voulloit  poinct 
celer  qu'il  avoit  ung  peu  trouvé  estrange  que  les  let- 
tres de  convocation  qu'aviés  escritcs  aulx  provinces,  lui 
feussent  veneues  es  mains,  premier  que  de  l'en  avoir 
adverti  (ce  qui  doibt  estre  advenu  par  la  malice,  ou 
insdiscretion  de  quelques   ungs);  et   adjousta  M.  de 
Villeroy,  qu'on  n'appelloit  pas  seulement  les  provinces 
de  delà ,  mais  toute  la  France.  Je  répliquai  que  vous 
l'aviés  faict  pour  gaigner  temps ,  et  pour  tant  mieulx 
pouvoir  respondre  et  satisfaire  aulx  commissaires  que 
sa  majesté  envoyeroit  pour  l'exécution  de  son  edict,  se 
persuadant  qu'elle  ne  feroit  non  plus  de  difficulté  de 
consentir  celle  ci  que  les  précédentes ,  desquelles  elle 
avoit  veu  le  fruict  en  la  remise  des  places  de  la  confé- 
rence, etc.;  comme  aussi  elle  auroit  de  plus  en  plus 
cogneu  voslre  sincère  affection  envers  son  service.  Et, 
quant  à  ce  que  députés  y  estoient  convoqués  de  toutes 
les  églises,  que  sa  majesté  scavoit  que  les  seuretés  es- 
toient aussi  données  à  toutes,  et  la  paix  pour  toutes; 


54o  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

joint  que  plusieurs  d'icelles  se  plaignoient  d'estre  sur- 
taxées en  la  levée  de  deniers,  accordée  par  sa  majesté 
sur  elles,  aulx  plaintes  desquelles  ne  se  pouvoit  remé- 
dier que  par  ceste  voye;  comme  aussi  il  apparoistroit  à 
sa  majesté,  par  lesdictes  lettres  de  convocation,  qu'elles 
y  esloient  conviées  à  ceste  fin. 

Nonobstant  toutes  ces  raisons,  il  ne  se  lascha  poinct 
plus  avant,  et  je  ne  voulleus  presser  davantage,  crai- 
gnant qu'il  ne  pcnsast  que  je  voulleusse  tirer  ce  fruict 
de  nostre  advertissement  :  resoleu  toutesfois  de  lui  en 
reparler  une  aultre  fois,  pour  en  emporter  resolution. 

Il  me  ramenteut  d'escrire  à  M.  de  Chastillon  pour 
Espiard.  Je  lui  dis  que  je  Tavois  jà  faict  par  un  coihr- 
rier  exprès;  aussi  qu'il  veillast  aulx  engins  qu'on  feroit 
faire  par  les  menuisiers,  qu'il  avoit  baillés,  parce  que 
par  iceulx  on  jugeroit  à  peu  près  de  leurs  entreprises; 
et  sur  cç  que  je  lui  dis  que  le  capitaine  de  Beauregard 
avoit  encores  plusieurs  particularités  à  lui  dire,  le  fit 
appeller,  et  l'ouït  fort  patiemment;  puis  nous  com- 
manda d'aller  cbés  M.  de  Yilleroy,  et  qu'il  prist  de  nous 
mémoire  des  depesches  qu'il  falloit  faire  partout,  lequel 
nous  donna  beure  à  son  logis,  à  quattre  beures  après 
midi;  et  cependant  s'en  alla  trouver  la  royne,  en  sa 
maison  des  Repenties,  pour  lui  communiquer  tout  ce 
que  dessus. 

J'oubliois  que,  répétant  h  sa  majesté  qu'elle  pourroit 
remédier  à  la  Provence  par  le  comte  de  Sault,  il  me 
respondit  qu'il  l'avoit  envoyé  quérir  exprès  en  son  ca- 
binet, et  qu'il  l'y  envoyoit;  et  que  c'estoit  ung  bon- 
neste  gentilbomme,  qui  feroit  sans  doubte  tout  ce  qu'il 
lui  commanderoit  ;  qu'il  avoit  aussi  adverti  le  grand 
prieur,  et  lui  demandoit  de  ne  bouger  d'Arles,  où  il 
estoit  des  ceste  beure  ;  commanda  aussi ,  comme  je 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  54  1 

l'avois  proposé  à  M.  de  Yilleroy,  d'escrire  au  sieur  de 
Revoie  en  Piedmont,  son  ambassadeur,  qu'il  veillast 
plus  que  jamais  sur  les  actions  de  M.  de  Savoye ,  etc. 

A  l'heure  précise  nous  vinsmes,  M.  de  Ghassincourt 
et  moi ,  chez  M.  de  Villeroy,  qui  s'y  trouva  peu  après, 
et  nous  mena  en  ung  lieu  tout  à  part.  Je  lui  refis  tout 
le  discours,  passant  des  généralités  aulx  particularités, 
sans  rien  omettre;  puis,  venant  aulx  remèdes,  il  me  prya 
fort  de  lui  faire  ouverture  de  ceuls  que  j'estimois  pro- 
pres, ce  que  je  ne  voulleus  faire  sans  quelques  préfaces 
de  l'importance  de  la  chose,  de  mon  inexpérience,  et 
surtout  que  je  sçavois  qu'ils  estoient  tousjours  suspects, 
de  la  bouche  d'ung  de  ma  relligion;  toutesfois  que  je 
protestois  que  nostre  seul  but  estoit  de  monstrer  à  sa 
majesté  que  ce  ne  sont  choses  incompatibles  d'estre  bon 
huguenot  et  bon  subject  tout  ensemble.  Et  qu'au  reste 
je  ne  haiois  homme  du  monde,  non  pas  le  pape  mes- 
mes,  quelque  mal  qu'il  nous  eust  faict. 

Les  remèdes  que  je  proposai  feurènt  ceulx  ci  :  Que 
sa  majesté  ralliast  tout  son  sang  ensemble,  lequel  na- 
turellement court  au  cœur,  quand  le  danger  se  pré- 
sente; et  que  le  roy  de  Navarre,  en  ce  que  sa  majesté 
commanderoit,  monstreroit  le  chemin  très  volontiers; 
qu'on  ne  laissast  esloigner  les  personnes  de  ceulx  qu'on 
pensoit  aucteurs  principaulx  de  ces  remuemens,  les- 
quels toutesfois  avoient  envie  de  prendre  congé,  afin 
qu'on  s'en  peust  asseurer  au  besoing,  non  sur  une  ve- 
risimilitude ,  mais  sur  une  certitude,  quand  on  la  ver- 
roit.  Mais,  comme  ce  remède  ne  se  debvoit  pratiquer 
qu'avec  grande  occasion,  qu'aussi,  icelle  y  estant,  n'y 
en  avoit  il  poinct  de  plus  prompt  :  ce  que  je  lui  pou- 
rvois tesmoigner  par  la  prise  de  MM.  de  Montmorency 
et  de  Cossé,  lesquels,  sans  doubte,  estoient  compris 


542  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

en  Tentreprise  de  monseigneur,  et  soubs  eulx  branloient 
en  chacune  province  plusieurs  seigneurs,  gentilshom- 
mes et  places,  qui  demeurèrent  ou  suspendues,  ou  en 
debvoir  par  ce  moyen  ;  que  le  roy  prist  garde  à  sa  per- 
sonne, veu  la  façon  de  procéder  du  roy  d'Espaigne, 
qui  abbregeoit,  en  tant  qu'il  pouvoit,  les  guerres  par 
assassinats,  comme  il  s'estoit  veu  en  la  personne  du 
prince  d'Orange,  et  tout  fraischement  de  la  royne  d'An- 
gleterre; que  sa  majesté  pourveust  aulx  provinces  et 
lieux  qui  lui  avoient  esté  dénommés,  et  considerast, 
quand  nous  en  sçavions  tant ,  que  nous  en  ignorions 
beaucoup  davantage ,  et  partant  qu'il  falloit  veiller  par- 
tout ;  qu'on  divertist  les  forces  d'Espaigne  par  tous 
moyens;  ce  qui  estoit  aisé,  en  secourant  M.  le  prince 
d'Orange  et  les  estats ,  de  quelques  sommes  de  deniers, 
en  gardant  Cambrai,  etc.  ;  mais  surtout  en  faisant  exé- 
cuter quelques  entreprises  notables  en  la  comté  de 
Bourgogne,  qui  couperoit  le  passage  aulx  forces,  de- 
niers et  intelligences  d'Espaigne,  et  arresteroit  la  guerre 
sur  le  leur,  qui  aultrement  passeroit  sur  le  nostre  ;  que 
sa  majesté  rafraischist  ses  alliances  en  Angleterre ,  en 
Allemaigne  ,  en  Suisse;  et  de  défensives,  si  elle  voyoit 
que  ses  entreprises  procédassent  plus  avant ,  les  feist 
offensives.  Et  finalement,  qu'on  attaquast  le  roy  d'Es- 
paigne dedans  son  Espaigne  mesmes ,  en  donnant  les 
moyens  au  roy  de  Navarre  d'y  poursuivre  son  droict , 
lequel  ne  demandoit  que  subject  de  monstrer  au  roy 
la  faulseté  des  calomnies  qu'on  lui  aurcit  vouUeu  im- 
poser, etc. 

Ces  remèdes  lui  pleurent  assés,  et  nous  respondit 
qu'il  falloit  surtout  conj oindre  les  intentions  du  roy,  de 
monseigneur  et  de  vous,  à  mesme  but.  Cela  estant,  que 
les  aultres  seroient  au  bout  de  leur  rollet;  qu'il  falloit 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  543 

veiller  sur  les  aucteurs  de  ces  menées,  qu'il  estoit  bon 
de  ne  les  laisser  esloingner,  et  que  le  roy  en  trouveroit 
assés  de  prétextes;  mais  qu'il  ne  falloit  précipiter  une 
main  mise ,  que  le  roy  n'eust  pourveu  à  se  rendre  le 
plus  fort;  qu'ils  sçavoient  la  disposition  intérieure  de 
chaque  province;  que  M.  de  Guise  avoit  peu  de  crédit 
en  Champagne,  M.  de  Maine  (  r)  ung  peu  plus  en  Bour- 
gogne; mais  que  M.  le  Grand  estoit  homme  d'honneur 
qui  neferoit  poinct  de  faulte;que,  depuis  son  partement 
de  Dauphiné,  il  avoit  à  demi  perdeu  les  amis  qu'il  y  avoit 
acquis;  qu'es  aultres  provinces  ils  en  avoient  presque 
plus   qu'en    leurs   gouvernemens ,  mais  qu'il  y  avoit 
moyen  partout  ;  que  le  roy  prendroit  garde  à  soi ,  selon 
que  j'avois  dict,  veu  les  procédures  du  roy  d'Espaigne, 
et  que  c'estoit  le  principal  ;  qu'on  feroit  depesches  de 
toutes  parts,  et  que,  devant  la  fin  du  mois,  le  roy  seroit 
le  plus  fort  partout  où  besoing  seroit,  et  pour  y  parve- 
nir ,  prit  mémoires  fort  particuliers  de  nous ,  qu'il  es- 
crivit  de  sa  main;  que,  sur  nostre  advertissement,  leroy 
s'estoit  rendeu  plus  facile  aulx  propositions  de  son  al- 
tesse pour  le  secours  de  Cambrai ,  qu'il  estoit  resoleu 
de  conserver  ;  qu'en  Suisse  tout  estoit  bien  ;  et  là  dessus 
nous  conta  comme,  par  la  pratique  de  l'ambassadeur  du 
roy,  la  sentence  des  arbitres  avoit  esté  remise  à  aultre 
temps,   pour  le  faict  de  Genève,  estant  tout  certain 
qu'ils  estoient  gaignés  par  M.  de  Savoye ,  et  prests  de  la 
donner  à  son  profit  ;  et  que ,  pour  le  regard  d'Angle- 
terre ,  on  estoit  en  bon  train,  comme  de  faict  audience 
est  donnée  à  l'ambassadeur  à  ceste  fin.  Approuva  fort 
aussi  de  tramer  quelque  chose  contre  la  Bourgogne  ;  et , 
pour  le  surplus,  que  le  roy  se  resouldroit  avec  plus  de 

(i)  C'estoit  M.  le  comte  de  Charny,  grand  escuyer. 


544  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

loisir,  de  ce  qu'il  auroit  à  vous  mander,  par  mon  re- 
tour, après  que  les  depesches  plus  pressées  seroient 
faictes. 

C'est  le  sommaire  à  peu  près  de  nos  propos.  Et  ne 
veulx  cependant  omettre  de  vous  dire  que,  sur  ce 
que  je  dis  au  roy,  que  le  roy  d'Espaigne  avoit  faict  re- 
cognoistre  vostre  port  d'Albret  depuis  quelque  temps, 
il  me  demanda  si  vous  ne  Taviés  poinct  encores  accom- 
modé ;  et  lui  respondis  que  non,  qui  me  faict  penser 
qu'il  ne  trouveroit  mauvais  qu'y  fissiés  bastir  pour  le 
conserver. 

Nous  estions  en  peine  de  sçavoir  jusques  à  quel 
poinct  le  roy  auroit  communiqué  de  cest  affaire  à  sa 
majesté,  dont,  le  mercredi  22  de  février,  feusmes  esclair- 

cis  par  le qui  le  feut  conduire  jusques  à  Claye,  et,  à 

son  retour,  voulleut  parler  avec  nous;  il  lui  dict  que 
le  roy  estoit  en  meilleur  train  de  negotier  avec  eulx 
que  jamais ,  que  telle  et  telle  conspiration  avoit  esté 
descouverte ,  et  par  ceulx  mesmes  dont  moins  on  l'es- 
peroit.  Que  j'avois  amené  homme  qui  en  parloit  fort 
clairement  ;  offrois  d'en  faire  attrapper  ung  aultre  ,  qui 
s'y  mesloit  des  plus  avant;  que  le  roy  m'avoit  ouï  et 
receu  fort  volontiers  et  vous  en  sçavoit  grand  gré  ; 
que,  pour  m'ouïr,  la  royne  sa  mère  avoit  faict  esloingner 
de  son  lit  jusques  à  sa  nièce  (i),  etc.,  choses  qui  ne 
pouvoient  estre  devinées.  Adjousta  que  M.  de  Mont- 
morency y  trempoit,  et,  cela  estant,  qu'il  n'avoit  plus 
d'amis.  De  ceci,  sans  nommer  personne,  nous  nous 
servismes,  le  vendredi  ensuivant  24,  vers  M.  de  Ville- 
roy,  l'admonestant  qu'on  teinst  l'affaire  secret  :  et  très  à 

(i)  C'estoit  madame  Catlierine  de  Lorraine,  depuis  grande 
duchesse. 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  545 

propos  est  advenue  l'arrivée  de  son  altesse  en  ceste  ville , 
au  mesme  temps  que  j'arrivai  ;  car,  ce  peu  qui  s'en  es- 
vente  s'attribue  à  lui,  qui  de  faict  a  descouvert  au  roy 
tout  ce  qu'il  avoit  faict  traicter  avec  MM.  de  Guise  et 
de  Nevers  ,  par  M.  de  la  Chastre,  lesquels ,  sur  les  pré- 
paratifs qu'ils  voyent,  en  sont  fort  en  allarme. 

Le  samedi  aS,  le  roy  alla  coucher  au  bois  de  Vin- 
cennes,  et  y  a  tardé  jusques  au  mardi  28.  C'estoit  pour 
ses  dévotions,  et  contre  sa  coustume  il  y  mena  ses 
gardes.  Le  conseil  ne  bougea  cependant  d'ici.  Aussi  se 
voit  cette  mutation  ,  tant  chés  le  roy  que  cliës  la  royne, 
qu'on  n'entre  plus  en  l'antichambre  ;  mais  les  gardes 
sont  à  la  porte,  et  fault  estre  cognu  premier  que 
d'entrer. 

Nous  avons  sondé  les  effecls  surensuivis  sans  nous 
arrester  aulx  paroles.  On  a  depesché  en  Suisse ,  pre- 
mièrement pour  lever  6,000  Suisses;  et  puis,  pour  une 
creue  de  l^^ooo.  On  a  envoyé  grand  quantité  de  pou- 
dres à  Lion  ;  et  y  faict  on  acheminer  quattre  compagnies 
de  gensdarmes.  On  a  remué  les  garnisons  de  lieu  en 
aultre  en  plusieurs  places  ;  et  ne  voit  on  qu'expéditions 
et  courriers  ;  nul  toutesfois  que  de  par  le  roy  ,  ou  de  son 
sceu;  car  on  a  defendeu  ,  depuis  quattre  jours  et  du 
lendemain  que  Bouchart  feut  parti,  de  bailler  chevaulx 
de  poste  sans  passeport ,  sur  peine  de  la  vie.  Le  roy  a 
envoyé  quérir  les  députés  des  Pays  Bas ,  pour  traicter 
avec  eulx  et  arriver  ici  le  dernier  febvrier,  conduits 
par  Alferan.  A  traicté  aussi  fort  favorablement  avec 
l'ambassadeur  d'Angleterre  ;  et  semblent  pied  à  pied 
suivre  le  chemin  où  nous  les  avons  mis. 

Ces  choses  emplissent  MM.  de  Guise  de  soupçons  : 
et  non  moins  ung  propos  que  le  roy  teint  à  M.  de  Nevers 
et  à  M.  du  Maine  ,  samedi  aulx  Tailleries.  L'ambassa- 

MÉM.  DE   DUPLESSIS-MORXAY.  ToME  II,  35 


546  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

deur  de  Venise ,  leur  dict  il ,  m'est  venu  trouver  ceste 
après  disnee.  Je  suis  fort  tenu  à  ces  gens  là ,  pour  la 
bonne  réception  qu'ils  nie  feirent  à  mon  retour  de  Pou- 
longne  ;  et  maintenant  ils  me  demandent  conseil  sur 
ung  affaire,  oii  je  le  leur  vouldrois  bien  donner  bon. 
Ils  ont  découvert  une  conspiration  de  quelques  ungs 
des  principaulx  sénateurs  contre  leur  estât  :  la  chose 
est  avérée  ;  mais  ils  ne  sçavent  comment  ils  en  doib- 
vent  user.  Que  vous  en  semble?  M.  de  Nevers  respon- 
dit  que  c'estoit  chose  qu'il  falloit  manier  avec  grand' 
prudence ,  et  ne  rien  précipiter.  Qu'il  falloit  la  bien 
vérifier  ;  puis  prendre  garde  qu'on  n'esmeust  plus  de 
mal  qu'on  n'en  pourroit  vuider.  M.  du  Maine  de 
mesmes.  Et  le  roy  les  pressoit  fort;  et  enfin  leur  dict: 
C'est  grand  pitié  ;  je  vouldrois  bien  que  ceulx  que  Dieu 
a  assubjettis^à  ung  prince,  se  considérassent  en  sa 
personne;  et  plusieurs  propos  semblables.  M.  de  Ne- 
vers  à  ce  propos  se  souvint  de  l'histoire  du  comte  Her- 
bert de  Yermandois;  et  comme  il  feut  au  logis,  envoyé 
visiter  tous  les  ambassadeurs  d'Italie  ,  celui  de  Venise 
nommeement ,  pour  sonder  s'il  estoit  rien  de  ceste  pro- 
position :  et  trouva  que  non  ;  cela  redoubla  l'allarme  ; 
et  le  dimanche  16  ensuivant,  M.  de  Guise  dict  à  ung 
de  nos  amis  :  Ceste  ineschante  ame  nous  a  tous  gastés  ; 
nous  sommes  ruynés.  Il  a  raconté  tout  ce  que  nous 
avons  faict  avec  la  Ghastre  ,  et  pis. 

Depuis  ces  jours,  les  susdicts  nous  ont  faict  tenir 
propos,  que  toutes  ces  nouveautés  se  preparoient  con- 
tre vous  ;  qu'ils  prevoyoient  vostre  ruyne  ,  qu'il  la  fal-* 
loit  prévenir.  Ce  faisant ,  que  vous  ne  manqueriés  poinct 
d'amis  et  serviteurs  ;  et  ne  demandent  qu'à  bailler  le 
change.  Nos  responses  ont  esté  que  vous  ne  desiriés 
que  la  paix;  que  vous  patienteriés  pour  Tavoir;  qu'à 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  547 

rextremité  vous  sçaviés  vous  resouldre.  Que  vous  ne 
voulliés  plus  qu'on  dist  que  ce  n'est  qu'aulx  hugue- 
nots à  remuer;  au  reste,  que  vous  faisiés  cas  de  1  ami- 
tié d'ung  cliacung  ;  que  ceulx  qui  recliercheroient  la 
voslre ,  la  trouveroient.  Que,  selon  les  degrés  ,  ce  n'es- 
"^  toit  à  vous  à  commencer,  etc.  Et  selon  que  les  allarmes 
leur  croissent,  ces  propos  s'eschaiiffent  ;  je  pense  qu'il 
ny  a  poinct  de  resolution  huguenotesque  parmi  eulx, 
et  qu'ils  se  desfient  d'ung  parti  non  encores  essayé. 

Lundi  27  fehvrier  ,  je  feus  voir  M.  de  Villeroy  ,  Tad- 
vertis  "qu'il  estoit  sorti  artillerie   de  la  ville  d'Alexan- 
drie de  la  Paglie,  frontière  de  Lombardie*,  pour  passer 
I     en  Piedmonf.  Qu'il  debvoit  veiller  sur  l'arsenal ,  etc.  Il 
i     respondit  qu'ils  avoient  l'œil  à  'tout;  que  leurs  advis  se 
conformoient  fort  aulx  nostres  et  de  plus  en  plus  :  mais 
que  ,  grâces  à  Dieu  ,  ils  voyoient  plus  de  njauvaise  vo- 
lonté que  d'effect.  Il  m'insistoit  tousjours  sur  le  Lan- 
guedoc, et  j'en  parlois  tant  plus  sbbrement;  cela  feut 
cause  que  je  lui  dis  que,  quelque  provision  dont  ils 
usassent,  ils  se  debvoient  garder  de  mettre  nos  Eglises 
en  desfiance;  lesquelles  ne  pouvoient  voir  approcher 
des  forces  d'elles  sans  en  prendre  juste  ombrage,  veu 
mesmes  la  circonstance  du  temps.  Il  me  dict  qu'ils  le 
sçavoient  bien,  (prils  y  auroient  esgard  ;  qu'ils  ne  fe- 
roient  passer  la  rivière  de  Loire  à  leurs  forces  ,  etc.  Mais 
qu'aussi  ne  debvions  nous  pas  légèrement  entrer  en 
soupçon   des  actions   du   roy.  Je  répliquai   qu'il  nous 
estoit  aisé  de  nous  en  fier  ,  nous  qui  voyons  les  causes 
de  ses  actions  ;  mais  que  ce  n'estoit  le  mesme  de  ceulx 
qui  n'en  voyoient  que  les  effects,  et  auxquels  on  ne 
pouvoit  sans   danger  en  manifester  la   cause.  Cela  ne 
me  satisfaict   poinct  encores.  Car,  sans  qu'ils  passent 
Loire,  ils  peuvent  aller  en  Dauphiné  et  Languedoc,  et 


548  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

de  ce  poinct  suis  délibéré  de  m'esclaircir  avec  le  roy 

mesmes. 

Il  nous  dict  que  le  roy  seroit  bien  aise  que  vous 
communiquassiés  de  tout  cest  affaire  à  M.  de  Bellievre. 
Que  vous  vous  en  pouviés  fier  à  lui,  comme  au  roy 
mesmes.  Nous  respondismes  que  vous  l'aviés  voulleu 
respandre  au  sein  de  sa  majesté,  et  ne  vous  dispensiés 
d'en  parler  que  par  son  advis.  Que  j'estimois  que  vous 
ne  fériés  difficulté  d'en  parler  audict  sieur  de  Bellievre; 
mais  qu'à  tout  aultre  vous  la  pourries  faire ,  veu  les  pro- 
fondes racines  que  peult  avoir  jettees  ceste  conspira- 
tion ,  et  nous  sembla  le  trouver  bon. 

Nous  avions  eu  advis  que  Beringhen  avoit  esté  pris 
le  12  febvrier,  près  de  Mets,  et  mené  au  chasteau  de 
Moulin  sur  Selles,  et  delà,  en  la  citadelle.  Nous  le  prias- 
mes  qu'on  l'amenast  à  sa  majesté,  et  qu'on  veist  ses  de- 
pesches.  Il  nous  dict  qu'il  n'en  sçavoit  rien,  et  que  ce 
n'estoit  de  son  département.  Ce  qu'on  en  parle  si  peu, 
nous  faict  croire  qu'on  n'a  pas  trouvé  grand'  chose.  Et 
aussi  dict  on  qu'il  avalla  une  petite  lettre.  Cependant, 
pour  couvrir  les  remuemens  qu'on  faict ,  on  prend 
envers  plusieurs  ce  prétexte ,  mesmes  envers  les  plus 
grands.  j 

Lui  dismes  aussi  qu'il  estoit  besoin  g  de  renvoyer 
Beauregard,  craignant  qu'il  ne  feust  descouvert;  mais 
que  ,  pour  lui  donner  courage,  il  le  fallait  recognoistre, 
comme  sa  majesté  avoit  promis.  Il  se  chargea  d'en  par- 
ler au  roy,  ce  qu'il  feit  le  mercredi  29,  à  son  retour  du 
bois  de  Vincennes  ;  et  le  jeudi  i"'  mars,  feusmes  mandés 
vers  sa  majesté  pour  sçavoir  son  intention,  tant  sur 
cela  qu'aultres  choses  ;  mais  il  ne  se  peut  développer 
de  plusieurs  personnes  suspectes  en  ces  affaires;  qui 
feut  cause  que  M.  de  Villeroy  eust  charge  de  nous  re- 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  54g 

mettre  au  samedi  3  de  mars ,  parce  que  le  vendredi  es- 
toit  jour  des  penitens. 

Ce  vendredi  2  mars ,  nous  avertismes  ledict  sieur  de 
Villeroy  que  Espiard  avoit  esté  tué  à  Beaucaire ,  en  fai- 
sant jouer  ung  artifice  de  feu,  et  trouvasmes  par  les 
circonstances  qu'il  nous  remarqua  ,  qu'ils  en  avoient 
nouvelle.  Aussi ,  que  son  neveu  revenant  de  Savoye  ,  et 
l'ayant  trouvé  mort,  estoit  au  desespoir;  et  le  lendemain 
sceusmes  de  sa  majesté  mesmes  ,  qu'il  estoit  venu  le 
trouver,  et  lui  avoit  desclaré  plusieurs  particularités. 
Nous  entrasmes  avec  ledict  sieur  de  Villeroy  fort  avant 
sur  l'assemblée  générale  et  sur  le  payement  des  garni- 
sons. Mais  n'en  peusmes  enfin  tirer  aultre  conclusion, 
sinon  ,  qu'il  vauldroit  mieulx  traicter  ces  choses  sur  les 
lieux  avec  M.  de  Bellievre,  auquel  sa  majesté  donneroit 
tout  pouvoir  en  ce  qui  concernoit  la  paix. 

Le  samedi  3  mars,  après  disner ,  feusmes  appelles 
chés  le  roy,  et,  avant  qu'estre  introduits  au  cabinet  de 
sa  majesté,  entretinsmes  bien  deux  heures  M.  de  Villeroy 
en  la  chambre,  et  sembloit  en  divers  propos  s'ouvrir 
fort  à  nous.  Puis,  estant  appelle  du  roy,  il  me  dict  les 
préparatifs  qu'il  avoit  faicts  sur  vostre  advertissement  ; 
qu'il  lui  estoit  venu  très  à  propos;  que  de  plus  en  plus 
il  cognoissoit  vostre  bonne  volonté  envers  lui,  qu'aussi 
y  aviés  vous  interest  après  lui  et  son  frère,  plus  que 
personne.  Qu'il  faisoit  faire  une  levée  de  Suisses ,  equip- 
per  son  artillerie,  acheminer  cinq  compagnies  de  gens- 
darmes  vers  le  Beaujoulois ,  et  quelques  troupes  d'in- 
fanterie, pour  estre  toutes  portées  contre  les  effects 
qu'on  pourroit  faire  vers  la  Provence  ou  Bresse.  Que 
contre  une  descente  du  prince  de  Parme  ,  il  avoit  pour- 
veu  à  ses  frontières  de  Picardie  et  Champaigne.  Cepen- 
dant qu'il  ne  laissoit  pas  de  prendre  garde  à  sa  personne, 


55o  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

et  de  veiller  sur  ceulx  que  vous  lui  aviés  desclaré  pou- 
voir entreprendre  sur  son  estât.  Que  je  vous  en  adver- 
tisse  en  renvoyant  Beauregard ,  duquel  il  voulloit  re- 
cognoistre  le  service,  et  vous  asseurasse  de  sa  bonne 
affection  ,  tant  envers  vous,  que  tous  ses  subjects  de  la 
relligion;  et  plusieurs  propos  à  mesnie  but.  Je  lui  dis 
que  vous  sériés  très  aise  que  sa  majesté  eust  cogneu  la 
vérité  de  vos  advis,  puisque  ce  mal  avoit  h  naistre  ;  et 
encores  plus,  de   ce  qu'elle  y  avoit  pourveu  à  temps, 
cependant  que  je  m'enbardirois  de  lui  dire   francbe- 
ment  que,   tout  ainsi   que  vous  ne   pouviés  prendre 
d'ombrage  sur  ces  préparatifs  ,  parce  que  vous  en  sça- 
viés  la  cause,  qu'aussi  estoit  il  impossible  que  ceulx 
qui  ne  la  sçavoient  pas  ,  comme  nos  églises  de  Langue- 
doc ,   Provence   et   Daupbiné,  n'en    prissent  allai  me, 
voyant  tant  de  forces  fondre  à  l'entour  d'eulx.  Pour- 
tant ,  que  c'estoit  à  sa  majesté,  selon  sa  prudence  ,  d'ad- 
viser  aulx  moyens  de  lever  les  desfiances  ,  et  d'adminis- 
trer à  vostre   majesté  les  moyens  de  le  faire  envers 
lesdictes  églises. 

Que  j'appercevois  bien  que  sa  majesté  avoit  de 
grands  mecontentcmens  de  M.  de  Montmorency,  et 
lui  attriljuoit  partie  des  remuemens  de  delà.  Mais 
qu'elle  se  soubvint  qu'ung  serviteur  de  telle  auctorité, 
devenant  malcontent,  soit  à  tort,  soit  à  droict,  avoit 
souvent  ouvert  la  porte  à  l'ennemi  d'ung  estât,  lequel, 
estant  contenté  et  appaisé  à  temps,  en  eust  esté  préve- 
nue la  ruyne,  qui ,  à  faulte  de  ce  ,  s'en  seroit  ensuivie  ; 
et  que  je  n'estimois  poinct  que  ledict  sieur  de  Mont- 
morency feust  si  avant  en  cliemin,  qu'on  ne  l'en  peust 
retirer,  comme  plusieurs  fois  je  lui  avois  proposé  de 
vostre  part.  Que,  s'il  s'opiniastroit,  s'ensuivoit  ung 
aultre  remède, à  sçavoir  de  soustraire  aulx  pertubateurs, 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  55 1 

ceulx:  lie  la  volonté  desquels  ils  pourroient  abuser  , 
inesmes  en  ce  temps  qu'il  y  a  tant  d'esprits  impatiens  et 
suspendus  pour  la  remise  des  places.  Lesquels  deux 
moyens  se  pouvoient  pratiquer  premier  que  de  venir 
nulx  plus  rigoureux  et  désespérés,  qui  ne  se  pouvoient 
pratiquer  sans  altérer  grandement  les  susdictes  pro- 
vinces. 

Lcà  dessus ,  il  me  commanda  de  vous  escrire  comme 
ci  devant,  que  vous  advisassiés  par  tous  moyens  de  re- 
gaigner  ledict  sieur  de  Montmorency  à  son  service  ,  et 
le  ramener  à  son  debvoir  ;  que  vous  le  pouviés  asseurer 
qu'il  ne  pensa  jamais  moins  à  lui  diminuer  de  ses  hon- 
neurs et  degrés,  etc.  Qu'il  a  des  biens  et  honneurs  en 
France  ,  plus  qu'il  n'en  peult  espérer  ailleurs;  femme  , 
enfans,  parens  ;  et  de  l'aage  assés  pour  se  reposer,  etc. 
Ce  que  je  lui  dis  avoir  desjcà  faict,  et  me  le  recommanda 
derechef.  Quant  à  ceulx  de  la  relligion,  me  demanda 
les  moyens  de  les  asseurer.  Je  lui  proposai  première- 
ment de  rafraischir  la  publication  de  son  edict  et 
conférences  partout,  et  en  recommander  l'exécution  à 
tous  les  magistrats  et  officiers  de  son  royaume,  à  bon 
escient;  secondement,  parce  que  les  effects  persua- 
doient  plus  que  les  paroles  ,  d'envoyer  des  commis- 
saires, amateurs  de  paix,  sur  les  lieux,  assistés  de  quel- 
ques gentilshommes  de  la  relligion  ,  bien  qualifiés  ,  pour 
l'exécution  del'edict;  et,  sur  ces  mots,  il  appella  M.  de 
Villeroy,  disant  qu'il  trouvoit  ces  expediens  fort  bons, 
et  qu'il  ne  sçavoit  homme  plus  propre  que  M.  de  Bel- 
Jievre ,  parce  qu'il  y  avoit  danger,  au  lieu  de  pacifi- 
cateurs, en  l'obscurité  de  ces  affaires,  d'y  envoyer  des 
])rouillons.  Tiercement,  que  sa  majesté  contentast  et 
gratifiast  ceulx  de  la  relligion,  en  quelque  chose,  afin 
qu'on  n'abusast  de  la  saison  pour  les  faire  remuer,  et 


552  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

que  vous  eussiés  plus  de  moyens  pour  les  divertir  des 
mauvais  desseings.  Il  me  dict  que  volontiers,  pourveu 
que  l'edict  demeurast  en  son  entier.  Je  voullois  que 
par  là  il  entendist  une  surseance  de  la  reddition  des 
places ,  et  ne  la  lui  voullois  nommer,  craignant  qu'il  ne 
pensast  que  nous  voulleussions  trop  tirer  de  profit  de 
nos  advertissemens  ;  mais  il  n'en  feit  aultre  semblant. 
Si  estime  je  que  c'est  chose  que  vostre  majesté  pourra 
commodément  traicter  avec  M.  deBellievre,  et  avec 
espérance  de  l'obtenir. 

Je  pris  la  hardiesse  de  demander  à  sa  majesté  s'il  ne 
paroissoit  rien  en  Provence.  Il  me  dict  que  Vins  ne  tas- 
choit  qu'à  revenir  à  bien  ;  et  le  recherchoit  d'oublier 
tout,  et  que,  pour  ceste  cause,  il  auroit  encores  reteneu 
le  comte  de  Sault ,  ne  l'y  voullant  envoyer  qu'au  be- 
soing  ;  et  de  faict,  je  le  rencontrai  ce  mesme  jour  : 
aussi,  s'il  ne  se  decouvroit  rien  en  Bourgongne;  il  me 
dict  que  le  duc  de  Savoye  avoit  mis  garnison  à  Bourg 
en  Bresse;  qu'aussi  il  s'y  dressoit  des  estappes;  que  les 
Espaignols  y  passoient ,  etc.,  etc.  ;  qu'il  y  avoit  grande 
apparence  à  tout  ce  que  j'avois  rapporté.  Cela  faict , 
feit  appeller  le  capitaine  de  Beauregard  ,  qui  prit  congé 
de  sa  majesté ,  avec  commandement  à  M.  de  Villeroy 
de  lui  faire  bailler  sa  recompense,  et  promesse  de  faire 
dadvanlage  pour  lui  à  l'advenir.  Et,  pour  la  fin,  me 
commanda  de  le  revenir  trouver  dedans  cinq  ou  six 
jours ,  et  qu'il  vous  rendroit  content.  Il  n'y  avoit  en 
ce  cabinet  que  M.  d'Espernon ,  mais  trop  loing  pour 
pouvoir  ouïr  ces  propos. 

Le  dimanche  matin  ,  4  mars  ,  nous  feusmes  trouver  la 
royne,  M.  de  Ghassincourt  et  moi.  Je  lui  tins  presque 
mesmes  propos  qu'au  roy  ;  adjoustant  que  tous  les 
jours  on  nous  donnoit  des  allarmes,  mesmes  de  la  plus 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  553 

part  des  plus  grands  ;  qu'on  nous  lamentevoit  que 
plus  habiles  gens  que  nous  avoient  esté  trompés  cl  de- 
vant, soubs  semblables  prétextes;  que  si  nous  ignorions 
les  causes  de  ces  préparatifs  ,  sans  double ,  nous  les  in- 
terprétions de  mesmes.  Pourtant,  que  sa  majesté  pou- 
voit  penser  que  nos  églises  qui  les  ignoroient ,  seroient 
en  grande  perplexité,  et  qu'il  falloit  rechercl>er  les 
moyens  de  les  asseurer.  Elle  sembla  le  prendre  en 
bonne  part,  et  recognoistre  que  nous  avions  grand' rai- 
son. Et  sur  les  remèdes ,  je  lui  parlai  des  places  ung 
peu  plus  clairement  qu'au  roy,  et  promit  fort  d'y  tenir 
la  main.  Sur  le  propos  de  M.  de  Montmorency,  je  lui 
dis  qu'elle  se  soubvinst  qu'ung  prince  d'Orange  malcon- 
tent ,  avoit  ouvert  la  Flandres  à  la  France ,  et  qu'il  n'a- 
voit  teneu  qu'à  nous  que  n'y  feussions  entrés.  Que  plu- 
sieurs grands  estats  s'estoient  ruynés  par  ce  moyen  ; 
pourtant ,  qu'il  estoit  plus  convenable  de  chercher  de 
le  ramener  par  doulceur  ;  elle  sembla  approuver  ceste 
voie  ;  plus  que  celle  de  la  rigueur ,  vous  pryant  de  vous 
y  employer;  et,  au  surplus,  me  tint  tels  propos  que  le 
roy,  et  parloit  d'affection  de  vous.  Nous  lui  parlasmes  de 
Beringhen;  elle  nous  asseura  de  n'en  avoir  ouï  parler. 
Ce  que  M.  de  Villeroy  nous  jura  le  jour  précèdent  ;  et 
craignons  qu'on  ne  lui  ait  faict  ung  mauvais  tour. 
S'excusa  sur  sa  goutte  à  la  main  droicte  de  ne  vous 
escrire  de  sa  main,  et  commanda  ses  lettres  au  sieur  de 
l'Aubespine.  De  la  royne  vostre  femme  ne  nous  en  ont 
parlé,  ni  le  roy,  ni  elle,  depuis  le  premier  jour. 

Les  effects  qu'avons  observés  depuis ,  sont  ceulx  ci. 
On  a  accordé  à  M.  de  Bouillon  des  creues  pour  ses 
places  :  on  a  logé  grande  quantité  d'artillerie  sur  la 
terrace  de  la  Bastille,  toute  tournée  vers  la  ville;  on  a 
envoyé  lever  deux  mille  reystres.  Le  roy  n'a  poinct  vou!- 


554  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

leu  loger  au  Louvre  ,  afin  que  MM.  de  Guise  n'y  faus- 
sent logés.  Allant  à  la  cérémonie  des  penitens  ,  aulx 
Bons  Hommes  ,  ses  gardes  l'ont  suivi.  M.  de  la  Guichê 
a  eu  charge  de  faire  ung  grand  attelage  ,  et  a  dict  à  ung 
de  ses  amis,  qu'il  vouldroit  estre  endormi  pour  six 
ans.  En  tous  les  conseils  de  ces  affaires,  n'ont  esté  ap- 
pelles ni  les  princes,  ni  la  plus  part  des  mareschaulx  ; 
et  se  sont  teneus  cliés  M.  de  Villequier ,  et  sur  ce  que 
j'ai  dict  à  M.  de  Villeroy,  que  plusieurs  s'en  offensoient , 
Que  vonllés  vous? me  dict  il ,  le  méritent  ils  pas  bien? 
à  qui  s'en  doibvent  ils  prendre  qu'à  eulx  mesmes  ? 

Cependant,  je  suis  en  peine  de  ce  que  toutes  ces 
forces  s'acheminent  en  lieux ,  d'où  ils  peuvent  fondre 
sur  nos  églises,  en  cas  que  ceulx  pour  qui  elles  sont 
préparées  se  raccommodent.  Et,  pour  obvier,  ai  varié 
de  proposer  deux  moyens,  mais  n'ai  osé,  sans  sçavoir 
de  vos  nouvelles.  Que,  si  leurs  majestés  le  trouvoient 
bon,  vous  vous  achemineriés  en  Languedoc,  soubs 
prétexte  de  tenir  le  fils  de  M.  de  Chastillon  ,  comme  en 
estiés  pryé,  pour  leur  regaigner  M.  de  Montmorency 
et  soubstraire  aulx  perturbateurs  les  moyens  de  mal 
faire  :  ou  ,  qu'en  tout  cas  ,  vous  sériés  très  aise  d'y 
faire  la  guerre  à  l'Espaignol  et  tout  aultre  estranger, 
s'il  s'y  presentoit,  et  que  nul  n'y  debvoit  estre  pré- 
féré à  vous,  qui  aviés  devancé  tous  les  aultrcs  en  ce 
service. 

Je  crains  seulement,  qu'ils  ne  veuillent  vous  estre 
tant  obliges  ou  que  vous  vous  obligiés  tant  M.  de 
Montmorency.  De  faict,  nous  sommes  advertis  que  leurs 
majestés  ont  depesché  ung  courrier  vers  lui,  et  que  la 
royne  lui  offre  de  conférer  avec  lui  en  quelque  lieu 
qu'il  vouldra  choisir,  et  faict  estât  de  passer  en  Guyenne 
pour  prendre  advis  de  vous.  Et  le  rov  prendra  le  che- 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  555 

min  de  Lion ,  pour  lui  monstrer  la  verge  d'ung  costé , 
et  bon  visage  de  l'aultre.  Sa  majesté  aussi  s'offre  d'aller 
en  Guyenne  avec  la  royne ,  et  faict  monstre  d'y  avoir 
grand  crédit  envers  mondict  sieur  de  Montmorency. 
Mardi  au  soir,  6  mars,  arrivèrent  nouvelles,  que 
les  Espaignols  estoient  assés  proches  du  marquisat  de 
Salusses;  que  le  duc  de  Montalto  est  arrivé  en  Testât 
de  Milan;  que  le  duc  d'Urbin  commandera  à  la  caval- 
lerie ,  et  le  jeune  prince  de  Florence  à  l'infanterie; 
qu'il  est  sorti  quatorze  canons  de  Milan,  etc.  Que  la 
charge  de  la  mer  a  esté  oslee  au  marquis  de  Saincte 
Croix,  pour  la  bailler  à  Jean  André  Doria ,  qui  ne  cog- 
noist  que  nostre  Méditerranée.  Tout  cela  leur  faict 
croire  que  c'est  à  eulx  qu'on  en  veult;  car  tels  person- 
nages n'iroient  pas  pour  obéir  au  prince  de  Parme,  et 
l'artillerie  ne  passeroit  pas  en  Flandres  :  et  par  mer, 
le  roy  d'Espaigne  n'a  affaire  que  contre  la  France;  le 
Turc  estant  occupé  contre  la  Perse  ;  et  ledict  seigneur  roy 
d'Espaigne  ayant  faict  ligue  fraischement  avec  le  roy  de 
Fez.  J'adjouste  les  lettres  que  le  neveu  d'Espiard  a  ap- 
portées, qu'il  avoit  receues  du  duc  de  Savoye,  pour  son 
oncle  ,  qui  parlent  assés  clairement. 

Jeudi  matin,  8  de  ce  mois,  je  receus  les  lettres  de 
vostre  majesté  du  o.-j  febvrier ,  par  la  poste.  Je  feis 
plainte  incontinent,  au  disner  de  la  royne,  des  façons 
du  mareschal  de  Matignon,  en  la  levée  des  garnisons 
d'Agen  et  Condon.  Elle  feit  mine  de  le  trouver  estrange; 
et  je  lui  feis  fort  sentir  combien  cela  importoit  à 
l'honneur  de  la  maison  de  France  et  vostre.  Elle  me 
promit  d'en  parler  au  roy  et  lui  en  faire  escrire,  adjous- 
tant  que  ce  n'estoit  aulcunement  leur  intention.  Je  lui 
feis  pareillement  ouverture  d'ung  moyen ,  par  lequel 
le   roy   pourroit  recognoistre  vostre   bonne  volonté  , 


556  LETTRE  IJE  M.  DUPLESSIS 

montant  à  cent  mille  escus  ;  sans  nouveau  edict ,  la  sup- 
pliant d'y  mettre  la  main  ,  de  sorte  que ,  soubs  un 
prince  si  libéral,  vous  ne  feussiés  pas  seul  qui  ne  se 
sentist  poinct  de  sa  libéralité  ;  et  me  promit  de  s'y  em- 
ployer à  bon  escient.  Mais  je  ne  fais  estât  de  rien,  si  je 
ne  le  tiens. 

J'envoye  à  vostre  majesté  Testât  des  compagnies, 
qu'on  envoyé  en  garnison  et  leurs  departemens.  Elles 
attendront  nouveau  commandement  pour  marcber  plus 
loing.  Jeudi  au  soir,  le  capitaine  de  Beauregard  récent 
sa  depesche  des  mains  de  M.  de  Villeroy.  Le  roy  et  la 
1  oyne  vous  escrivent  fort  favorablement  ;  à  M.  de  Clias- 
tillon  aussi.  On  a  donné  audict  Beauregard  4oo  escus 
au  soleil;  une  lettre  de  noblesse  qu'il  a  demandée, 
qui  lui  eust  cousté  1 3oo  escus,  de  prix  faict;  et  plusieurs 
bonnes  paroles.  Il  s'en  rêva ,  resoleu  de  servir  à  vostre 
majesté  avant  tout  aultre ,  cas  advenant  que  soyés  em- 
ployés contre  l'Espaignol ,  et  mesmes  en  tout  cas. 

Un  nommé  Vergerius,  serviteur  du  duc  de  Virtem- 
Lerg,  neveu  de  feu  Vergerius,  qui  quitta  pour  la  relli- 
gion  l'evesclié  de  Justinopolis  en  Istrie  (Capo  d'Istria  ), 
nous  est  veneu  faire  ouverture  à  M.  de  Chassincourt  et 
à  moi  du  mariaige  de  madame  vostre  sœur  avec  ledict 
seigneur  duc.  C'est  à  la  vérité  ung  prince  riche,  de 
grande  maison ,  fort  allié  en  Allemaigne,  parle  fran- 
çois ,  etc.  Les  mœurs  de  la  nation  sont  ung  peu  dissem- 
blables et  le  pays  rude.  Il  a  emporté  le  pourtrait  de  ma- 
dicte  dame.  Nous  lui  avons  respondu  en  sorte  que 
nous  ne  l'en  avons  mis  hors  d'espoir. 

Nous  appercevons  de  plus  en  plus  que  le  faict  de 
M.  de  Montmorency  se  pourra  composer ,  pourveu 
qu'il  se  desparte  de  ceulx  avec  lesquels  il  pourroit 
avoir  joint  sa  fortune  ;  j'entends  le  roy  d'Espaigne  et 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  557 

M.  de  Savoye.  Car  M.  d'Espernon  ne  veult  pas  se  per- 
dre, pour  assouvir  l'ambition  de  M.  le  mareschal  de 
Joyeuse;  et  M.  de  Joyeuse  mesmes  craint  Tissue  d'une 
guerre  entreprise  à  l'appétit  de  son  père,  de  laquelle  le 
mauvais  succès  lui  pourroit  tomber  sur  les  espaules. 
M.  de  Chassincourt  escrit  à  vostre  majesté  quelque  par- 
ticularité ,  qu'il  n'est  besoing  de  repeter  à  ce  propos. 

Au  reste,  nostre  negotiation  a  esté  si  secrète  que, 
mesmes  aujourd'hui,  ceulx  qui  sçavent  plus  de  la  court, 
n'en  sçavent  rien.  Et  par  delà  je  sçai  que  la  prudence 
de  vostre  majesté  l'aura  teneu  de  mesmes.  Je  supplie  le 
Créateur ,  etc. 

Le  roy  m'a  encôres  faict  dire  qu'il  veult  parler  à  moi , 
et  que  j'attende  quelques  jours.  Je  crois  qu'il  attend  ce 
que  fera  l'Espaignol  et  le  Savoisien  ,  se  contentant  de  se 
garder,  premier  que  se  resouldre. 
De  Paris. 


XCTII.  —  LETTRE  DE  DISCOURS 

Sur  les  divers  jugemens  des  occurrences  du  temps  y 
faicte  par  M.  Duplessis. 

Du  i8  mars  i58/|. 
Monsieur  ,  je  vous  escrivis  n'agueres  les  grands  ap- 
prests  de  guerre  qui  s'ordonnoient  en  ceste  court;  et 
maintenant  vous  en  désirés  entendre  la  cause.  Je  ferois, 
peult  estre,  mieulx  de  vous  dire  que  ce  n'est  chose  ni 
de  ma  capacité,  ni  de  ma  condition;  et  par  ainsi  me 
serois  délivré  d'une  fascheuse  peine.  Toutesfois,  puis 
qu'ainsi  le  voullés,  je  suis  content  de  vous  rapporter 
ici  les  divers  discours  que  j'en  oi  de  plusieurs;  sauf  à 


558  LETTRE  DE  DISCOURS 

vostre  bon  jugement  de  discerner  la  cause  du  prétexte , 

et  le  vrai  du  vraisemblable. 

La  commune  opinion  est,  je  dis  celle  qui  se  pour- 
mene  par  les  marchés  et  par  les  rues ,  que  ces  prépa- 
ratifs se  font  à  la  ruyne  de  ceulx  de  la  relligion  pre- 
tendeue  reformée  ;  et  les  deux  parlis  se  rencontrent 
aisément  en  ceste  voix  :  les  ungs ,  parce  qu'ils  désirent  ; 
les  aultres,  parce  qu'ils  craignent;  selon  que  ces  deux 
passions,  bien  que  contraires,  sçavent  bien  souvent  à 
personnes  contraires  persuader  une  mesme  chose.  Car, 
dict  on  ,  c'est ,  depuis  vingt  ans ,  Tunique  subject  de  nos 
armes  ;  et  puis,  en  ceste  année,  tombe  le  terme  de  re- 
mettre les  places;  et,  ce  qui  presse  plus,  les  forces  et 
les  munitions  s'acheminent  vers  Lion  :  qui  ne  peult 
estre  que  pour  fondre  tout  d'ung  coup  sur  le  Dauphinéet 
Languedoc ,  ou  ceulx  de  ceste  relligion  ont  le  princi- 
pal siège.  Que,  si  on  allègue  les  promesses  du  roy,  frais- 
chement  réitérées  ,  à  ce  contraires  ,  les  soupçons  qu'on 
a  des  grandes  levées  de  l'Espaignol  ;  les  menées  tout 
avérées  du  duc  de  Savoye ,  et  la  règle  générale  en  tout 
estât  bien  gouverné,  de  s'armer  quand  le  voisin  s'arme; 
soudain  oies  vous  répliquer  qu'ainsi  a  on  traicté  ceulx 
de  ladicte  relligion  par  le  passé.  Que,  pour  la  guerre 
de  l'an  67  ,  les  forces  se  dressèrent  soubs  le  prétexte  du 
passage  du  duc  d'Albe  et  de  l'armée  dEspaigne  en 
Flandres;  qu'ores  mesmes  qu'à  bon  escient  on  les  meist 
sus  à  ceste  occasion  ,  on  sçaura  bien  se  rappointer  à 
leurs  despens.  Bref,  si  quelques  ungs  d'adventure, 
moins  subjecls  à  mal  penser,  veullent  donner  conten- 
tement sur  ces  doubles,  entre  la  pluspart  des  catholi- 
ques, on  les  estime  idiots  et  gens  de  la  basse  court, 
que  l'espreuve  de  tant  d'années  n'ait  peu  encores  in- 


SUR  LES  OCCURRENCES  DU  TEMPS.         obg 

troduire  en  l'intention  de  nos  princes  ;  entre  les  hugue- 

I    nots,  aveugles  incurables,  et  coupables  d'une  seconde 

Sainct  Barthélémy,  auxquels  ung  si  miraculeux  apostre 

n'ait  peu  esclaircir  la  veue. 

Si  je  vous  en  doibs  dire  mon  advis,  à  peine  d'estre 
'    mis  au  nombre  des  idiots,  je  pense  que  ceste  opinion 
est  de   celles  desquelles  il  est  dict  qu'il  y  a  beaucoup 
de  choses  fausses  plus  vraisemblables  que  les  vraies.  La 
guerre  despend  principalement  du  mouvement  d  ung 
roy.  Nous  en  avons  ung  ,  ce  me  semble ,  qui  aime,  en 
son  repos,  le  repos  de  son  peuple.  Elle  a  pour  subject 
I     ordinaire  les  corps  et  les  biens;  pour  instrumens,  les 
'    armes  et  la  force;  ici  au  contraire,  il  s'agit  des  âmes  et 
consciences ,  sur  lesquelles  ces  instrumens  ne  trouvent 
poinct  de  prise;  contre  lesquelles  ung  prince  sage  et 
expérimenté,  comme  le  nostre ,  ne  jugera  la  force  rai- 
sonnable; et  puis,  toute  guerre  s  entreprend  avec  ap- 
parence d'en  venir  à  bout,  comme  ainsi  soit ,  toutesfois , 
que  vingt  ans    de  folies   nous  ayent  deu    apprendre 
ceste  sagesse;  que  ceste  cy  ne  peult  finir  que  par  la 
finale  ruyne  de  nostre  estât  ;  veu,  certes  ,  que  nous  les 
avons  veu  tant  de  fois  abattus  et  relevés  ;  morts  et  re- 
suscités; veu  aussi  que  tant  de  fois  mourir,  les  a  ap- 
pris à  s'y  resouldre  ;  tant  de  fois  se  relever,  à  ne  craindre 
plus  de  se  voir  par  terre;  nostre  roy  donc,  qui  sçait 
joindre,  et  la  raison  à  son  naturel  pacifique,  et  à  la 
raison  une  expérience  si  manifeste  ,  ne  peult  aulcune- 
I     ment  avoir  envie  de  ceste  guerre.  J'adjousterai ,  sur  la 
circonstance  du  temps  qu'on  allègue ,  que  les  places  qui 
leur  ont  esté  bailieesen  garde,  ne  leur  ont  encores  esté  re- 
demandées, au  refus  desquelles  on  les  deust  faire  venir 
à  raison   par  force.  Joint    que    sa  majesté  sçait  assés 
qu'elles  sont  es  mains  de   gens  qui  n'ont  pas  intelli- 


i 


ô6o  LETTRE  DE  DISCOURS 

gence  avec  les  ennemis  de  ceste  couronne;  qui  faict , 

quand  mesmes  elles  ne  lui   seroient  remises  à  poinct 

nommé,   qu'elle  ne  s'en  liastera  pas  d'y  employer  la 

force. 

Ceulx  qui  pensent  voir  plus  clair,  et  de  plus  près 
aulx  affaires,  ayant  peult  estre  considéré  les  occasions 
que  dessus,  et  voyant  neantmoins  que  les  préparatifs 
s'approchent  de  Lion ,  jugent  que  ceste  nuée  doibt 
tomber  sur  M.  de  Montmorency.  Et  voici  leurs  raisons: 
Que  le  roy  a  eu  désir  de  loger  M.  de  Joyeuse  en  Lan- 
guedoc ,  en  accommodant  ledict  seigneur  de  Montmo- 
rency ailleurs;  en  quoi  il  ne  lui  a  voulleu  complaire. 
Que,  depuis,  s'est  tousjours  nourrie  une  inimitié  entre 
M.  de  Montmorency  et  M.  le  mareschal  de  Joyeuse  ;  ti- 
rant ung  chacung  l'auctorité  à  soi  en  la  province; 
l'ung,  en  vertu  de  son  estât;  l'aultre,  à  l'adveu  de  la 
faveur  que  M.  le  duc  de  Joyeuse  son  fils  a  auprès  du 
roy.  Que ,  contre  ceste  pretendeue  inégalité  de  traicte- 
ment,  M.  de  Montmorency  se  seroit  appuyé  de  l'amitié 
du  duc  de  Savoye ,  et  mesmes  d'une  intelligence  avec 
le  roy  d'Espaigne.  Et  finalement ,  que  l'Espaignol  et  le 
Savoisien  auroient  là  dessus  fondé  leur  desseing  de 
troubler  la  France;  dont  auroient  desjà  paru  plusieurs 
entreprises  ,  tant  en  Languedoc  qu'en  Provence. 

Comme  je  recognois  de  la  vérité  en  quelque  partie 
de  ce  discours,  aussi  pense  je  avoir  remarqué  trop  de 
prudence  es  actions  de  ceulx  desquels  est  ici  question, 
pour  en  conclurre  de  mesmes.  Nostre  roy  a  désiré  esta- 
blir  M.  de  Joyeuse  en  Languedoc;  mais,  par  prière,  et 
non  par  commandement;  par  amitié  ,  et  non  par  force. 
Tant  de  gouverneurs  de  places  que  le  roy  a  requis  de 
mesme  chose,  pour  mettre  en  leur  place  ceulx  qu'il 
lui  a  pieu ,  ont  esté  receus  à  faire  leurs  remonstrances 


SUR  LES  OCCURRENCES  nu  TEMPS.  56 1 

au  contraire.  Qui  vouldroit  croire  de  ia  bonté  de  nostre 
roy,  que  cestui  ci  en  feust  seul  maltraicté,  seul  pour- 
suivi à  ia  rigueur;  né  d'une  maison  de  tant  de  mérite; 
premier  officier  de  ceste  couronne,  gouverneur  d'une 
si  notable  province,-  capable  de  si  grands  services  ?  et 
qui  derechef  croira  que  ceste  simple  appréhension  ait 
conduit  M.  de  Montmorenc}'  si  avant  que  de  traicter 
avec  ung  estranger ,  ancien  ennemi  de  cest  estât,  lui 
qui  possède  deux  cens  mille  livres  de  rente  en  ce 
royaume,  et  y  avoit  ung  million  de  parens  et  d'amis 
pour  les  appuyer?  Qui  a  mère  ,  frères,  femme,  enfans 
et  tout  ce  qui  peult  avoir  force  de  l'y  obliger;  au  reste 
(|ui  a  de  l'aage  assés  pour  désirer  repos;  assés  aussi 
pour  cognoistre  qu'entrant  une  fois  en  ce  chemin  ,  il 
n'en  peult  jamais  resortir?  Un  grand,  malcontent  de  son 
prince,  peult  ouvrir  la  porte  de  son  estât  h  son  en- 
nemi ;  c'est  chose  qui  s'est  faicte  aultresfois,  mesmes  de 
nostre  temps  :  et  ung  sage  prince  doibt  regarder  plus 
d'une  fois  à  ne  désespérer  telles  personnes.  Mais  ce 
grand ,  quand  il  a  faict  du  pis  qu'il  a  peu,  qu'a  il  faict 
que  se  perdre,  en  despit  d'aultrui?  Et  quels  efforts 
quelles  peines ,  quels  murmures  aura  il  eu  a  soubstenir  ? 
Le  prince  enfin ,  qui  n'aura  lasché  quelque  chose  à  la 
juste  remonstrance  de  son  subject,  reçoit  par  son  deses- 
poir des  plaies  mortelles  de  son  ennemi;  et  le  subject 
qui  n'aura  voulleu  endurer  des  humeurs  et  volontés 
de  son  prince,  de  serviteur  de  prince,  devient  esclave 
de  tous  ses  partisans  et  des  moindres  soldats  :  l'ung  et 
l'aultre  enveloppé  de  mille  maux ,  qu'une  doulce  parole 
pouvoit  prévenir,  que  mille  traictés  ne  peuvent  après 
composer.  Adjoustons  ûng  aultre  inconvénient;  c'est 
que  si  le  roi  veult  faire  la  guerre  à  M.  de  Montmorency 
avec  ceste  armée  ,  il  fauldra  qu'elle  passe  devant  les 

MÉM.  DF.  DuPIESSrS-MoRNAY.  ToMK  II.  36 


562  LETTRE  DE  DISCOURS 

portes  deceulx  de  la  relligion  pretendeue  reformée,  en 
Dauphiné  et  Languedoc,  où  les  défiances  ne  sont  en- 
cores  esteintes  ,  où  mesmes  elles  sont  journellemenl  en- 
treteneues ,  tant  par  les  attentats  mutuels,  que  parle 
bout  des  six  ans,  qui  redemande  les  places.  De  là  donc 
pourra  advenir  ,  en  ces  peuples  chatouilleux,  une  re- 
prise d'armes  ,  qui  courra  d'une  province  à  aultre , 
tant  qu'elle  ait  embrasé  tout  cest  estât.  Le  mal  seroit 
prou  grand  ,  en  la  condition  de  nostre  France,  quand  , 
ou  M.  de  Montmorency  ,  ou  ceulx  de  ladicte  relligion  à 
part,  viendroient  à  remuer.  Que  sera  ce  donc  quand  ils 
joindront  leurs  forces  et  conseils?  quand  l'ung  parlera 
de  la  relligion,  et  Taultre  de  Testât  ;  l'ung  accueillira  les 
huguenots,  et  l'aultre  les  malcontens  à  soi;  et  quel  re- 
mède après,  si  ung  estranger  mesle  sa  force  et  leur 
folie  ensemble  ? 

Aulcungs  donc  passent  plus  oultre  ,  que  sa  majesté 
auroit  découvert  quelque  conspiration  de  ceulx  de  la 
maison  de  Guise  contre  sa  personne  et  son  estât ,  soubs- 
tenue,  au  dedans,  de  partie  de  la  noblesse,  et,  au  dehors, 
appuyée  des  forces  et  alliances  d'Italie  et  d'Espaigne  ; 
contre  laqifelie  il  se  seroit  resoleu  de  border  sa  fron- 
tière, et  asseurer  Testât  de  son  royaume.  Allèguent, 
pour  vérifier  ce  discours,  que  long  temps  a,  la  maison 
de  Guise  prétend  la  couronne  de  France  lui  apparte- 
nir- et  de  jour  en  jour  plus  hardiment,  selon  que  les 
obstacles  qui  leur  sont  au  devant,  viennent  à  diminuer, 
ou  par  la  mort  de  nos  princes  ,  ou  par  Taffoiblissement 
de  cest  estât.  Que,  des  le  temps  du  roy  François  I", 
Henry  II  et  François  II,  ceulx  de  ceste  maison,  pré- 
décesseurs de  ceulx  ci,  feirent  consulter  leurs  préten- 
tions en  divers  parlemens;  que,  soubs  le  roy  Charles  IX  ^ 
le  cardinal  de  Lorraine  en  feit  dresser  des  mémoires  „ 


SUR  LES  OCCURRENCES  DU  TEMPS.  563 

qu'il  proposa  à  ses  confîdens  à  Rome,  comme  s'il  eust 
jà  esté  à  la  veille  de  se  servir  de  rauctorité  du  pape 
Zacharie ,  contre  Chilperic ,  pour  lever  la  couronne  à 
nos  rois,  et  la  mettre  sur  sa  maison.  Que,  depuis  trois 
ans  en  ça  ,  ceulx  ci  ont  faict  publier  ung  livre ,  compose 
par  l'archidiacre  de  Thoul,  par  lequel  ils  prétendent 
prouver  qu'ils  sont  roys  de  France,  avant  la  race  de 
Merouee,  de  Charles  le  Grand  et  de  Gapet;  lequel 
auroit  esté  monstre  h  sa  majesté,  qui  auroit  pris  peine 
d'en  lire  les  plus  notables  passages,  dont  seroit  en- 
suivi que  l'archidiacre,  pris,  et  son  procès  faict,  auroit 
recogneu  sa  faulte  digne  du  dernier  supplice,  et  d'i- 
celle  neantmoins  obteneu  pardon  de  sa  majesté.  Que, 
pour  fortifier  ce  droict  ,  ils  auroient  entreteneu  les 
guerres  civiles  en  ce  royaume ,  soubs  ombre  de  relli- 
gion ,  tant  qu'ils  auroient  peu;  tant  pour  exterminer 
partie  de  la  maison  de  Bourbon ,  qui  leur  faisoit  empes- 
chement,  que  pour  establir  leur  créance  entre  les  ca- 
pitaines et  gens  de  guerre ,  en  commandant  aulx  ar- 
mées. Que  ceste  ruse  auroit  esté  apperceue  par  la 
prudence  du  roy  à  présent  régnant ,  et  de  la  royne  sa 
mère,  bien  que  trop  tard;  lesquels,  pour  leur  en  re- 
trancher le  fruict,  se  seroient  très  sagement  resoleus 
de  perpétuer  la  paix  à  leurs  subjects  ,  remettant  à 
Dieu  les  différends  de  relligion,  qui  seul  les  peult  com- 
poser. Mais  qu'aussi  tost  ils  auroient  brassé  des  ligues 
par  les  provinces,  soubs  ombre  du  bien  public,  pour 
eslever  le  peuple  ,  nommeement  en  Picardie,  Norman- 
die, Bretagne,  Bourgongne,  Dauphiné  ,  Provence,  etc. 
Aulxquelles  mesmes  auroient  tasché  attirer  ceulx  de 
la  relligion  pretendeue  reformée  ,  avec  promesse  de 
leur  laisser ,  voire  accroistre  leurs  libertés  et  exercices. 
Item  ,  auroient  envové  negotier   avec  le  duc  Casimir 


564  LETTRE  DE  DISCOURS 

pour  le  joindre  à  eulx  ,  soubs  prétexte  de  ce  qui  lui 
est  deu  en  France;  en  lui  offrant  des  frontières  de  ce 
royaume  (qui  lors  estoient  plus  à  leur  dévotion  que 
maintenant  )  pour  gages  de  leur  fidélité.  Bref,  auroient 
à  ces  fins  faict  provision  de  grandes  sommes  de  deniers, 
traicté  par  divers  entremetteurs  en  Espaigne  ,  Italie  et 
Savoye,  assemblé  plusieurs  fois  les  plus  notables  d'entre 
leurs  partisans  ,  pour  resouldre  de  la  conduite  de  leur 
entreprise,  comme  encores,  depuis  n'agueres,  au 
Temple,  à  Paris.  Toutes  lesquelles  choses  seroient 
comme  publicques,  et  ne  pouvoient  estre  secrettes  ni 
cachées  à  la  vigilance  de  leurs  majestés.  Adjoustent, 
que  ces  messieurs  voyant  le  roy  sans  enfans ,  et  mon- 
seigneur non  encores  marié ,  pour  forclorre  le  roy  de 
Navarre  de  la  succession  ,  et  régner  à  l'ombre  d'ung 
chapeau,  auroient,  depuis  deux:  ans  en  ça,  commencé  à 
rechercher  monseigneur  le  cardinal  de  Bourbon  ,  avec 
toutes  espèces  d'hypocrisie ,  lui  faisant  entendre  qu'il 
debvoit  précéder  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  son 
neveu  (comme  si  les  successions  des  couronnes  se  re- 
gloient  par  l'ancienne  coustume  du  Chastelet  de  Paris), 
mesmes  auroient  faict  composer  en  sa  faveur  ung  certain 
livre  en  latin,  auquel  sa  prétention  seroit  vivement 
débattue ,  lequel  auroit  esté  envoyé  à  Rome  ,  et  com- 
muniqué à  plusieurs  jurisconsultes  d'Italie,  et  mainte- 
nant couroit  en  diverses  mains  de  ce  royaume.  Ce  que 
voyant  sa  majesté  se  reschauffer  de  plus  en  plus ,  et 
considérant  que,  qui  n'est  plus  qu'à  deux  degrés  d'une 
longue  attente  et  d'une  grande  prétention ,  s'en  voyant 
si  près  ,  de  bien  loing  qu'il  estoit,  est  souvent  emporté 
de  l'object,  et  forcé  de  la  violence  du  désir  ,  pour  fran- 
chir d'ung  sault  ce  qui  lui  reste,  au  lieu  de  suivre  tout 
doulcement  les  degrés,  auroit  pensé  de  mettre  quelque 


SUR  LES  OCCURRENCES  DU  TEMPS.  565 

bride  à  leur  cupidité,  en  pourvoyant  de  bonne  heure 
à  ses  affaires;  c'est  à  dire  en  leur  rendant  leurs  des- 
seings plus  difficiles,  et  leurs  espérances  moins  cer- 
taines. 

A  ce  discours ,  si  j'avois  à  adjouster  le  mien  ,  je  vous 
dirois,  qu'à  la  vérité  je  me  suis  long  temps  apper- 
ceu  que  ces  messieurs  tendent  voirement  à  ce  but. 
Que,  depuis  que  la  paix  s'est  affermie,  pour  le  faict  de 
la  relligion,  ils  ont  cherché  tous  moyens  d'estre  armés 
soubs  aultre  prétexte,  et  à  ces  fins  ont  faict  sonder 
tantost  monseigneur,  tantost  le  roy  de  Navarre,  pour 
s'auctoriser  de  leur  nom.  Qu'ayans  apperceu  qu'ils  res- 
sentoient  plus  ung  interest  public  à  venir,  qu'ung  mé- 
contentement particulier  ,  bien  que  présent,  ils  s'en  se- 
roient  retirés  tout  doulcement,  et  auroient  eu  leur 
principal  recours  à  lEspaignol ,  pour  la  force,  et  au 
bon  homme  monseigneur  le  cardinal  de  Bourbon,  pour 
le  nom  ;  qui  ne  sent  poinct  que  ces  gens  se  veullent 
servir  de  lui  ,  comme  d'ung  eschaffault  pour  bastir 
leur  grandeur,  et  puis  lejetterau  feu.  Que,  depuis  la 
grande  maladie  de  son  altesse,  ils  ont  rafraischi  toutes 
leurs  pratiques,  negotié  de  nouveau  leurs  alliés  et  par- 
tisans, et  particulièrement  recommencé  à  flatter  mon- 
seigneur le  cardinal  si  ouvertement  que  chacung  s'en 
seroit  apperceu.  Ces  jours  passés  de  faict  (  et  j'estime 
que  sa  majesté  l'aura  bien  sceu),M.  de  Guise  estant 
allé  voir  une  après  disnee  madame  de  Nemours  sa  mère, 
qui  se  trouvoit  ung  peu  mal,  assis  sur  le  bord  de  son 
lict,  eut  de  grands  discours  avec  elle,  l'espace  de  trois 
ou  quattre  heures.  Ils  revenoient  là  que  le  roy  s'en 
alloit  tout  perdeu  en  ses  dévotions;  je  n'ose  dire  le 
reste;  que  son  altesse  ne  pouvoit  vivre  trois  mois  au 
plus  :  ainsi  en  parlèrent  ils  comme  d'ung  feu  terminé- 


566  LETTRE  DE  DISCOURS 

qu'il  estoit  temps  de  penser  à  leurs  affaires,  sans  plus 
y  perdre  le  temps  ;  que  le  bon  homme  M.  le  cardinal 
de  Bourbon  feroit  ce  qu'on  vouldroit  ;  et  (  disoit  M.  de 
Guise  à  madame  sa  mère  )  je  m'en  vais  lui  refaire 
les  doulx  yeulx.  Que  la  royne,  selon  sa  coustume, 
seroit  tousjours  du  parti  des  plus  forts;  du  roy  de  Na- 
varre, qu'il  estoit  trop  loing,  qu'il  ne  viendroit  jamais 
à  temps,  et  qu'ils  auroient  moyen  de  s'auctoriser  soubs 
le  nom  du  cardinal  de  Bourbon  ,  premier  que  Taage 
l'emportast.  Surtout,  qu'il  leur  falloit  adviser,à  quel- 
que prix  que  ce  feust ,  de  n'abandonner  poinct  Paris. 
Et  la  dessus  ladicte  dame  admonesta  fort  M.  de  Guise 
de  ployer  à  tout ,  pendant  que  leurs  affaires  se  feroient , 
et  ne  se  formaliser  de  rien ,  nommeement  de  s'abstenir 
(  c'estoient  ses  mois)  de  faire  des  boutades  contre  les 
mignons,  qui  ne  pouvoient  que  beaucoup  nuire  en 
leurs  affaires.  Quand  ces  choses  se  scavent,  combien  en 
ignore  on  d'aultres  ?  Et  qui  trouvera  estrange  que  nostre 
roy  pense  à  soi,  quand  tant  de  gens  pensent  à  le  trou- 
bler ?  mais  plus  j'entre  en  la  profondeur  de  ce  qui  peult 
réussir  de  ces  desseings  ,  et  moins,  certes,  je  les  appré- 
hende ,  quand  je  me  mets  au  devant,  ou  les  actions 
de  ceste  maison,  ou  la  nature  du  François,  quelque 
corrompu  qu'il  soit. 

Laissons  leurs  prétentions.  Car  aussi  ne  sont  ce  que 
i^enealogies  mal  cousues  ,  descentes  par  filles,  en  plu- 
sieurs mstances  ,  contre  nostre  loi  Salique  ,  actions 
prescrites  par  le  temps  ,  et  abolies  long  temps  jà  ,  par 
l'auclorité  de  nos  estais  :  à  ces  choses ,  qui  d'elles 
mesnies  ne  sont  rien ,  et  qu'ils  auroient  honte  de  pro- 
noncer ,  quelle  force  ,  ou  quel  prétexte  nous  apporte- 
ront ils?  Je  présuppose  ,  car  la  patience  leur  commence 
à  cschRpper,  qu'ils  soient  si  précipités,  que  de  prendre 


SUR  LES  OCCURRENCES  DU  TEMPS.  567 

le  tiltre  de  remuer  qui  feut  pris  souhs  le  roy  Charles  VI 
(et  ainsi  en  osent  ils  parler)  :  quel  sang,  comme  lors, 
nous  allèguent  ils  pour  s'auctoriser?  ils  parlent  du  bien 
public  de  ce  royaume  ,  de  la  liberté  du  peuple  ,  des 
dignités  de  la  noblesse ,  des  privilèges  du  clergé  ;  et  je 
confesse  volontiers  que  Testât  de  ce  royaume  est  tel , 
qu'il  a  bien  besoing,  veu  les  misères  passées,  de  re- 
dressement en  tous  ses  estais,  de  soulagement  en  tous 
ses  membres.  Mais  qui  prendra  jamais  la  main  de  ces 
gens  pour  celle  du  médecin?  la  voix  du  mercenaire 
pour  celle  du  pasteur?  Tant  de  fois  le  peuple  a  sou- 
spiré;  tant  de  fois  il  s'est  plaint,  et  à  leur  oreille  et  tout 
hault ,   lors  qu'ils  avoient  l'auctorité  au  conseil ,  lors 
qu'ils  l'avoient  aulx  armes.  Qui  jamais  ouït  sortir  une 
parole  de  leur  bouche,  pour  le  repos  du  peuple;  qui 
jamais,    pour  le  soulagement  de  ses  maulx?  depuis, 
nonobstant  leurs  pratiques,  par  la  prudence  de  nostre 
roy,  la  paix  est  affermie,  les  armes  dorment;   ils  ne 
peuvent  plus  à  leur  gré  se  bastir  de  nos  ruynes ,  s'ac- 
commoder de  nos  misères.  Et  soubs  couleur  que  nos 
roys  dispenseront,  peult  estre,  leurs  libéralités  ailleurs 
qu'à    eulx  ,   ils  vouldront  sonner  le  tocsin  ,  planter  la 
bannière  du  bien  public ,   nicttre   ciel   et  terre  pesle 
mesle.  Qui    ne   verra   que    leur   particulier   engloutit 
le    public?  qu'ils  ne  sont  pas  marrys  que   le   peuple 
souffre,  mais  qu'il  souffre  par  aultre  que  par  eulx  ;  que 
nos  princes  donnent ,  mais  qu'ils  donnent  à  aultres  qu'à 
eulx.  Que  si  leur  particulier  vient  à  estre  satisfaict ,  qui 
double  qu'ils  ne  quittent  la  partie?  voire  jusquesà  li- 
vrer les  partisans  mesmes?  et  quand  mesme  ils  se  resoul- 
dront  de  voir  la  fin  du  jeu  ,  que  sera  ce  qu'une  entre - 
suite  de  calamités  et  misères  estranges  ,  telles  que  nous 
déplorons    en    nos  voisins  ?   pour  d'ung   maistre    en 


508  .     LETTRE  DE  DISCOURS 

somme,  naturel,  légitime,  supportable  ,  retomber  en 
plusieurs,  estrangers ,  usurpateurs,  insolens ,  intollera- 
bles  à  leur  propre  maison  ? 

Je  vis ,  n'a  pas  long  temps  ,  ces  messieurs  en  leurs 
plus  gr^inds  despits.  Ils  promettoient  à  quelques  uns 
de  la  noblesse  de  faire  merveilles,  et  decouppoient  les 
favoris  de  nostre  roy  à  leur  plaisir;  de  ce  pas,  vien- 
nent à  la  court  avec  tous  leurs  amis,  se  trouvent  à 
Paris  treize  princes  de  Lorraine  ensemble ,  en  la  ville 
où  ils  pensent  avoir  plus  de  seureté  et  de  créance,  et 
lorsqu'il  y  avoit  quelques  cdicts  sur  le  bureau  ,  qui 
sembloient  odieux  au  peuple.  Je  ne  dis  pas  que  ce  feut 
à  eulx  de  s'y  opposer,  car  je  sçais  la  révérence  que  nous 
debvonsànos  princes.  Mais  que  servoit  il  donc  de  tant 
se  vanter  pour  ce  faire?  Et,  pour  le  moins,  qui  les 
eust  empeschés  (veu  la  privante  que  donnent  nos  roys 
aulx  grands  de  leurs  royaumes,  et  à  ceulx  de  leur  con- 
seil )  d'en  dire  modestement  leur  advis?  Ce  que  font 
tous  les  jours  les  courts  de  parlement  et  des  aides;  ce 
que  nos  roys  ont  tousjours  trouvé  bon,  et  qui  n'est 
jamais  tourné  à  aulcung,  ni  à  dommage  ni  à  danger. 
Au  contraire ,  ils  ne  sont  pas  si  tost  là ,  qu'ils  plongent 
comme  canes  sous  ceulx  qu'ils  menaçoient  trois  jours 
auparavant;  les  recherchent  au  dessoubs  des  loix  de 
courtoisie  et  d'honneur,  endurent  mesmes  des  indi- 
gnités et  des  bravades;  au  reste,  se  font  très  bien 
assigner  leurs  recompenses  sur  ces  nouveaux  edicts  ; 
je  dis  sur  les  plus  odieux  de  tous  ;  tant  s'en  fault  qu'ils 
eussent  eu  le  cœur  ou  la  volonté  d'y  contredire  :  je 
sçais  que,  quelque  temps  après,  leurs  partisans  s'en 
plaignirent,  avec  propos  fort  rigoureux,  en  une  assem- 
blée qu'ils  feirent  à  Paris,  et  ils  tascherent  fort  h  s'en 
excuser  :  mais  si  ne  peurent  ils  si  bien  faire,  que  la 


SUR  LES  OCCURRENCES  DU  TEMPS.  56() 

compagnie  ne  se  separast  avec  une  persuasion  toute 
formée,  que  ces  gens  voulloient  manier  leurs  plaies, 
non  pour  les  guérir,  mais  pour  s'en  nourrir.  Que,  s'il 
estoit  question  d'aller  au  remède,  n'y  auroit  plus  fidelles 
chirurgiens  que  ceulx  qui  avoient  interest  en  la  gueri- 
son  et  vie  du  patient.  Et  au  reste ,  qu'il  valloit  trop 
mieulx  laisser  la  plaie  ainsi,  que  d'y  admettre  leurs 
ferremens,qui  ne  feroient,  sans  doubte,  qu'y  mettre  le 
feu  et  la  gangrené ,  au  lieu  de  les  cicatriser. 

Leurs  raisons  estoient  que  ces  gens  ci  ,  comme  chi- 
caneurs, leur  conseilloient  procès,  soit  à  droict,  soit 
à  tort,  pour  en  tirer  profict;  que,  quand  ils  avoient  de 
près  recherché  quels  ils  estoient  es  lieux  de  leur  auc- 
torité,  eulx  qui  pretendoient  reformer  les  autres ,  ils 
trouvoient  que  M.  de  Guise,  le  premier  de  tous,  estait 
concussionnaire  sur  ceulx  de  son  gouvernement,  dissi- 
pateur des  biens  de  l'Eglise,  là  où  il  en  tient,  et  op- 
presseur de  ses  vassaulx  et  subjects.  Alleguoient  en  tes- 
nioignage  la  haine  qu'il  a  acquise  par  tels  deportemens 
en  son  gouvernement  de  Champagne,  les  extorsions 
dont  il  use,  mesmes  envers  la  noblesse,  en  sa  comté 
d'Eu  et  ailleurs.  Les  extraordinaires  imposts  dont  il  ac- 
cable ses  povres  habitans  de  Chasteau  Renauld,  et  Lin- 
champ  en  Ardennes ,  qu'il  tient  en  souveraineté.  Quand, 
disoient  ils  ,  les  ongles  seront  creus  à  ce  jeune  lion,  qui 
durera  auprès  de  lui?  Et  si  l'espoir  de  si  grandes  choses 
ne  peult  contenir  son  oppression,  s'il  vient  une  fois  à 
y  atteindre  ,  comment,  je  vous  prye,  s'en  abstiendra 
il?  Bref  s'en  départirent  en  une  opinion  que  je  vois 
maintenant  en  la  pluspart;  que  c'est  ung  homme  cor- 
rompu ,  hypocrite,  dissimulé,  sans  foi,  qui  ne  leur  faicL 
caresse  qu'à  mesure  qu'il  en  a  besoing ,  n'en  pense  avoir 
besoing  qu'aultant  qu'il  ne  peult  régner  en  court. 


Syo  LETTRE  DE  DISCOURS 

Or,  c'est  aussi  pourquoi  ils  ont  tousjours  doubté  qu'il 
ne  leur  suffiroit  de  troubler  la  France  par  la  France, 
pour  la  résistance  qu'ils  y  trouveroient ,  mais  qu'ung 
appui  estranger  leur  estoit  nécessaire  pour  venir  à  bout 
de  leurs  desseings.  Et  de  faict,  long  temps  a  qu'ils  traic- 
tent,  eulx  et  les  leurs,  avec  le  roy  dEspaigne;  et  cha- 
cung  sçait  que  la  maison  d'Espaigne,  soit  en  paix,  soit 
en  guerre,  n'a  eu  barre  sur  nous  que  par  le  moyen  de 
leurs  conseils.  S'est  il  présenté  une  occasion  de  s'ad- 
vanlager  justement  et  utilement  sur  le  roi  d'Espaigne? 
ils  ont  mieulx  aimé  nous  jetler  aulx  guerres  civiles,  et 
le  faire  spectateur  de  nos  ruynes.  Lui  est  il  aussi  suc- 
cédé quelque  cliose  à  la  perte  et  dereputation  de  cest 
eslat ,  ou  mesmes  du  noni  de  France?  ils  en  ont  faict 
les  feux  de  joie  en  leurs  coeurs,  comme  d'une  bataille 
gaignee  pour  leurs  affaires.  Et,  à  la  vérité,  ils  ont  si  bien 
imbu  leurs  partisans  de  ceste  humeur,  que  vous  lirez 
en  leurs  visages,  s'il  y  a  bonnes  ou  mauvaises  nouvelles 
pour  le  roy  d'Espaigne  ;  et  ne  sentez  en  tous  leurs  do- 
mestiques ,  en  toute  leur  suite,  rien  moins  que  Fran- 
çois, rien  que  pur  Espaignol,  beaucoup  plus  qu'en  quel- 
conque contrée  d  Espaigne. 

Mais  posons  maintenant  qu'ils  viennent  pour  eulx, 
qu'ils  soient  jà  à  nos  portes;  que  feront  ils  que  rallier 
nos  cœurs  et  nos  forces  ensemble?  Et  cela  estant,  que 
sera  leur  effort,  sinon  celui  de  ce  Milon  de  Crotone 
qui,  voulant  esclater  ung  chesne,  demeura  pris  en  la 
fente?  Combien  y  en  aura  il  de  ceulx  qu'ils  pensent  tout 
dédiés  à  eulx  (et  cela  ont  ils  trouvé  en  la  recherche  qu'ils 
ont  faicte  ces  jours  passés),  qui,  pour  leur  service  par- 
ticulier, monteront  à  cheval,  s'ils  y  meslent  tant  soit 
peu  de  Testât,  retourneront  chez  eulx?  Combien,  les 
oyans   parler  fraiiçois  ,   auront  pris    la   casaque,  qui, 


SUR  LES  OCCURRENCES  DU  TEMPS.  ôyi 

voyant  la  croix  rouge  sur  la  leur,  se  mettront  en  ba- 
taille contre  eulx?  Et  puis  ceulx  mesmes  qui  prendront 
parti  avec  eulx,  pour  combien?  Tel  est  mal  content 
du  refus  d'ung  prieuré ,  qui  se  regaignera  par  l'octroi 
d'une  abbaye,  etsa  débauche  en  eslevera  plusieurs;  tel 
aussi,  selon  l'humeur  de  la  patrie,  aura  mis  les  aultres 
à  cheval,  qui  sera  le  premier  à  en  descendre,  le  pre- 
mier à  décourager  la  trouppe.  Gens  accoustumés  à 
suivre  les  armées  royales ,  esquelles  rien  ne  manque, 
se  trouveront  en  campagne,  contre  leur  prince,  sans 
ville,  sans  retraites,  sans  passages  ,  sans  équipage,  sans 
artillerie,  sans  provoyeurs,  sans  deniers  publics,  sans 
deniers  particuliers,  confisqués  en  leurs  biens,  ruvnés 
en  leurs  maisons,  molestés  en  leurs  familles,  loing  de 
femmes  et  d'enfans  ,  diffamés  en  leurs  honneurs  ,  escha- 
faudés  sur  les  marches,  chargés  de  la  malédiction  du 
prince  et  du  peuple,  desquels  ils  souloient  avoir  et 
l'auctorité  et  les  vœux.  Aujourd'hui  les  ungs  mutinés, 
demain  les  aultres;  les  chefs,  en  jalousie  entre  eulx; 
nul  content  de  son  compagnon,  nul  de  sa  charge;- le 
chef  mal  obci  du  capitaine,  le  capitaine  du  soldat; 
l'ungetfaultre  gourmandes  d'une  nation  estrangere,  qui 
rira  de  leur  folie,  et  fera  pont  et  litière  de  leurs  corps. 
Ils  n'auront  essayé  trois  mois  ceste  vie,  que  les  dra- 
peaux se  verront  ployés  ,  et  les  regimens  reduicts  à 
compagnies.  L'ung  fera  sa  paix  par  le  moyen  d'ung  pa- 
rent qu'il  aura  en  court;  l'aultre,  par  quelque  notable 
desservice  à  son  parti.  Le  soldat  emportera  sa  picoree 
chez  lui,  et  lairra  une  ville  à  l'heure  du  siège;  le  canon 
forcera  une  ville,  et  ung  pardon  ,  trois  jours  après,  en 
prendra  plusieurs.  L'Espaignol ,  alors,  accusant  leur  lé- 
gèreté et  inconstance,  ou  se  retirera  de  la  partie  par 
une  paix ,   en  retenant   quelque   pièce   pour  sa   part 


572  LETTRE  DE  DISCOURS 

(chose  coustumiere  entre  les  grands),  ou  mesmes  s'ac- 
cordera à  leurs  despens  ,  les  laissant  en  proie  pour  estre 
chastiés  selon  leurs  mérites. 

Et  ne  fault  que  ces  messieurs  se  fondent  sur  ceulx  de 
la  relligion  prétendue  reformée,  qui  ont  duré  contre 
tant  de  heurts,  et  survescu  à  tant  de  morts  et  de  des- 
faictes;  la  nature  de  leur  entreprise  sera  bien  toute 
aultre.  Ces  gens  combattoient  pour  leur  relligion;  et 
chacung  sçait  la  profonde  impression  qu'elle  faict 
aulx  hommes;  ceulx  ci,  pour  légers  mescontentemens, 
plus  prompts  à  quitter  qu'ils  ne  sont  à  prendre.  Et 
en  ceulx  là  se  sentoient  intéressés  plusieurs  princes 
et  peuples  voisins,  Allemands,  Anglois ,  Escossois , 
Suisses,  etc.  ,  qui  compatissoient  à  leurs  rnaulx ,  et  con- 
tribuoient  à  leurs  peines.  Au  contraire,  n'y  aura  prince 
ni  republique  qui  fasse  ceste  querelle  sienne.  Car,  qui 
a  interest  à  l'ambition  de  ceulx  de  Guise  ?  Non  pas 
monsieur  de  Lorraine  mesmes,  leur  aisné,  qui  a  tous- 
jours  condamné  ces  folies.  Je  dis  plus,  n'y  aura  prince 
ni  republique  qui  n'estime  ceste  conjuration  faicte 
contre  soi  mesmes,  estant  la  nature  de  tout  prince  et 
de  tout  estât,  à  cause  de  l'exemple,  de  se  sentir  offensé 
en  Toffense  faicte  à  la  majesté  et  souveraine  puissance, 
non  en  la  personne  d'ung  voisin  et  estranger,  mais 
d'ung  ennemi  mesmes. 

Adjoustons  que  tous  les  estats  de  la  chrestienté,  qui 
ne  s'entretiennent  que  par  contre  poids ,  ont  la  gran* 
deur  d'Espaigne  pour  suspecte ,  et  n'attendent  que  de 
voir  la  bannière  de  France  relevée  contre  elle  pour  s'y 
ranger  de  toutes  parts;  que  les  subjects  du  roy  d'Es- 
paigne en  Flandres,  Lombardie ,  Naples,  Sicile,  Por- 
tugal, Espaigne  mesmes,  les  ungs  accables  d'imposts, 
les  aultres  ennuyés  d'indignités,  les  aultres  pressés  des 


SUR  LES  OCCURRENCES  DU  TEMPS.  ôyS 

rigueurs  de  l'inquisition  ,  partie  reprendront  haleine  par 
ceste  occasion,  partie  prendront  courage  de  se  resoul- 
dre,  et  par  ainsi  le  rappelleront  bientost  de  la  circon- 
férence au  centre.  Que  naturellement  aussi  ,  pourra 
lors  entrevenir  la  mort  du  roy  d'Espaigne,  prince  desià 
vieil ,  à  l'aage  de  la  mort  de  ses  pères,  qui  a  accreu  ses 
maladies  héréditaires,  de  celles  qu'une  continuelle  vo- 
lupté et  intempérance  traisne  ordinairement  après  elle. 
Mort  qui,  selon  le  discours  de  tous  les  sages  ,  dissipera 
ses  estais,  ou  confondra  leurs  conseils;  tout  au  moins 
les  mettra  en  estât  d'estre,  ung  long  temps,  trop  occupés 
chez  eulx,  pour  tailler  de  la  besogne  aulx  aultres.  Ces 
choses  considérées,  qui  ne  voit  le  parti  de  ceulx  qui 
auront  troublé  cest  estât  soubs  ung  faulx  prétexte ,  et  sur 
ung  si  foible  fondement,  calamiteux  et  misérable?  Et 
qui,  soubs  ombre  de  quelques  petits  maulx  que  cest  estât 
endure,  aura  recours  à  ung  si  extrême  remède,  que  faict 
il,  si  non  pour  s'exempter  d'une  migraine,  porter  sa 
teste  au  bourreau? 

Ce  sont  les  divers  discours  qu'on  faict  sur  ces  grands 
préparatifs,  desquels  je  vous  ai  ci  devant  escript  ;  et  de 
tous  vous  choisirez  ce  qui  vous  semblera  plus  raison^ 
nable.  Quant  à  moi,  comme  je  cognois  nostre  roy  bon 
et  sage ,  j'estime  qu'il  faict  en  cest  endroict  ce  qui  con- 
vient à  une  vraie  bonté  et  sagesse  ensemble;  c'est  de  se 
garder  de  tous,  et  ne  se  méfier  de  personne;  il  ne  veult 
pas  que  ceulx  de  la  relligion  prétendue  reformée  abu- 
sent d'une  somme  d'argent  qu'ils  ont  en  depost  en  Alle- 
maigne;  aussi  ne  leur  veult  il  pas  faire  la  guerre  :  ni 
que  M.  de  Montmorency,  par  ung  despit ,  se  jette  en 
ung  conseil  dangereux  ;  aussi  n'a  il  pas  intention  de  le 
désespérer  :  ni  que  ceulx  de  Guise  ,  vaincus  de  la  gran- 
deur, ou  attirés  de  la  facilité  de  la  proie,  entrepren- 


5y4  LETTRE  DE  DISCOURS,  etc. 

nent  contre  son  estât;  aussi  ne  veult  il  entrer  en  soup- 
çon d'eulx,  ni  sur  conjecture,  ni  sur  apparence.  Contre 
eulx  tous,  il  prend  ung  remède  salutaire  à  tous;  c'est 
d'estre  craint,  obéi  et  révéré  de  tous.  Salutaire,  je  le 
dis  ;  car  la  paix  est  le  salut  de  cest  estât ,  en  la  vie  du- 
quel nous  vivons  tous  ;  la  paix,  qui  ne  se  peult  entre- 
tenir sans  le  respect  du  prince,  ni  ce  respect  en  la 
division  et  confusion  qui  nous  reste,  sans  une  aucto- 
rité  armée  de  force  et  de  justice. 

Or,  monsieur,  d'ung  vice  je  suis  retombé  en  l'aultre; 
car  vous  vous  plaignez  de  ma  brièveté ,  et  je  vous  aurai 
ennuyé  de  longueur;  mais  vous  n'en  debvez  accuser  que 
vous  mesmes.  Pour  donc  faire  fin,  je  vous  baiserai  bien 
humblement  les  mains,  et  pryerai  Dieu  vous  avoir  en 
sa  saincte  garde. 
De  Paris. 


XCIV.  — LETTRE  DE  MM.  DUPLESSIS, 

De  Clervant  et  de  Chassincourt ^  au  roy  de  Navarre; 
dressée  et  escrile  par  ledict  sieur  Daplessis. 

.  Du  i4  avril  i584- 

Sire  ,  j'ai  escrft  à  vostre  majesté  ,  comme  je  fus  re- 
mis ,  après  les  festes  de  Pasques  pour  ma  depesche  , 
quelque  instance  que  je  peusse  faire;  et  pendant  icelles 
empira  la  maladie  de  son  altesse  qui  feut  cause  que  la 
royne  s'achemina  à  Chasteau  Thierry  ,  et  n'amenda  pas 
la  sienne.  Depuis,  on  m'a  reteneu  jusqu'à  son  retour 
auprès  du  roy  qui  est  à  présent  à  Sainct  Germain,  près 
duquel  elle  faict  estât  d'estre  mardi  prochain,  l'y  de 
ce  mois. 

Cependant,  Testât  des  choses ,  tel  que  nous  le  voyons, 


Li^/ITRE  DE  M.  DUPLESSIS,  eic.  oyS 

nous  a  conseillé  de  depescher  le  porteur  exprès  vers 
vostre  majesté,  pour  le  vous  représenter  en  nos  lettres, 
plus  librement  et  seurement  que  par  aultre  voye. 

Selon  le  jugement  de  tous  les  médecins  unanime- 
ment, son  altesse  est  phtysique  formé;  oultre  l'incon- 
vénient d'une  veine  ouverte  près  du  foie;  et  la  plus- 
part  craignent  qu'il  ne  passera  pas  deux  mois.  Ainsi  en 
parle  le  roy ,  non  seulement  entre  ses  familiers,  mais 
mesmes  en  public.  On  prépare  aussi  la  royne  de  loing 
contre  ce  coup,  laquelle  on  a  ramenée  à  toute  force 
de  Chasteau  Thierry,  pour  ne  voir  poinct  ce  mauvais 
jour.  Et  sa  majesté  mesmes  parlant  de  vous, à  nous ,  ne 
feint  poinct  de  dire  que  vous  estes  aujourd'hui  la  se- 
conde personne  de  France,  comme  aussi  nous  retrou- 
vons ceste  mesme  parole  en  la  bouche  de  ses  plus 
proches  et  intimes  serviteurs. 

Nous  avons  escrit  à  vostre  majesté  par  M.  de  Mouy 
le  propos  qu'eut  le  roy,  au  retour  de  ses  dévotions, 
avec  monseigneur  le  cardinal  de  Bourbon  vostre  oncle. 
Il  est  très  certain,  et  s'en  va  commun  à  toute  la  court, 
et  à  toute  ceste  ville  par  sa  bouche  mesmes. 

Ces  jours  passés  aussi  sa  majesté,  après  son  disner, 
estant  devant  le  feu  ,  M.  de  Mayenne  présent,  et  grand 
nombre  de  gentilshommes,  après  ung  long  discours 
de  la  maladie  de  son  altesse,  dict  ces  mots  :  Aujour- 
d'hui je  recognois  le  roy  de  Navarre  pour  mon  seul 
et  unique  héritier.  C'est  ung  prince  bien  né  et  de  bon 
naturel.  Mon  naturel  a  tousjours  esté  de  l'aimer,  et  je 
sçais  qu'il  m'aime.  Il  est  ung  peu  cholere  et  piquant; 
mais  le  fonds  en  est  bon ,  je  m'asseure  que  mes  hu- 
meurs lui  plairont,  et  que  nous  nous  accommoderons 
bien  ensemble. 

Ces  propos,  et  aultres  de  mesme  sorte,  feurent  re- 


576  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

cueillis  d'ung  chacung ,  et  courent  maintenant  par 
tout  :  et  semblables  a  tenus  le  roy  à  plusieurs  ,  mesmes 
au  président  de  Nueilli,  prevost  des  marchands  de  ceste 
ville  :  Qu'il  avoit  ung  grand  contentement  de  vos  ac- 
tions; qu'il  y  en  avoit  qui  taschoient  de  vous  mettre 
le  pied  devant,  mais  qu'il  les  en  empescheroit  bien; 
qu'il  trouvoit,  au  reste,  fort  estrange  qu'on  disputast 
qui  debvoit  estre  son  successeur,  comme  si  c'estoit 
chose  en  débat  ou  en  doubte. 

Nous  ne  pouvons  certes  dire  aultre  chose ,  sinon , 
que  Dieu  vous  inspira  la  resolution,  que  vostre  majesté 
prit  à  Pau  sur  l'arrivée  de  M.  de  Chastillon,  pour  en 
faire  depesche  au  roy,  lui  ayant  par  ce  moyen  disposé 
le  cœur  envers  vous,  au  mesme  temps  qu  il  voulloit 
affliger  son  altesse  d'une  maladie  si  extrême. 

Aujourd'hui  donc  ,  vostre  majesté  se  doibt  repré- 
senter qu'elle  est  le  propos  ordinaire  de  toute  la  France, 
et  mesmes  d'une  bonne  partie  de  la  chrestienté.  Que  les 
yeux  d'ung  chacung  sont  arrestés  sur  vous,  et  vous 
voient  d'aultant  plus  clairement,  qu'ils  vous  tiennent 
desjà  rehaussé  de  degré  et  de  lieu.  C'est  pourquoi  vous 
avés  à  composer  vostre  vie  et  vos  actions ,  en  sorte 
que ,  s'il  est  possible ,  il  ne  s'y  trouve  rien  à  reprendre; 
ains  que  chacung  y  puisse  remarquer  ce  qui  peult 
plus  contenter  son  affection. 

J'entends,  sire,  que  le  roy  y  recognoisse  une  révé- 
rence envers  lui;  les  princes,  une  fraternité;  les  par- 
lemens,  une  amour  de  justice;  la  noblesse,  une  ma- 
gnanimité; le  peuple,  ung  soing  de  son  soulagement; 
les  ecclésiastiques,  une  modération  d'esprit;  vos  en- 
nemis, une  clémence  et  facilité;  tous  en  gênerai,  ung 
naturel  débonnaire, esloigné  de  perfidie,  dissimulation, 
animosité,  vengeance  :  vertus,  qui,  à  la  vérité,  ne  vous 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  ;')77 

sont  poinct  acquises ,  mais  naturelles  ;  mais  surtout , 
sire,  que  vous  embrassiés  à  bon  escient  la  crainte  de 
Dieu  ,  qui  vous  semble  appeller  à  si  grandes  choses  ; 
par  qui  seul  les  roys  régnent,  et  les  peuples  appren- 
nent obéissance  ;  qui  sçait  applanir  les  chemins  à  ceulx 
qui  le  craignent,  quelque  montueux  qu'ils  semblent,  et 
au  contraire  les  rend  inaccessibles  à  ceulx  qui  naiment 
son  nom,  lors  qu'ils  les  pensent  avoir  mieulx  applanis. 
Doresnavant ,  sire ,  faictes  estât ,  que  vous  serés 
l'abord  des  nations  estrangeres,  et  surtout  des  peuples 
ou  princes  affligés.  Il  fault  donc  qu'en  voslre  maison 
on  voie  quelque  splendeur;  en  vostre  conseil,  une 
dignité;  en  vostre  personne,  une  gravité;  en  vos  actions 
sérieuses ,  une  constance ,  es  moindres  mesmes  une 
égalité.  Par  ces  choses  extérieures  on  juge  bien  souvent 
de  l'intérieur;  et  de  la  disposition  de  l'esprit,  par  la 
composition  du  corps.  Et  de  telles  actions  s'engendre 
la  réputation  entre  les  hommes,  plustost  que  des  plus 
solides,  parce  que  celles  là  sont  exposées  à  la  veue 
d'ung  chacung  ;  et  qu'en  celles  ci ,  au  contraire,  ils  ne 


voient  goutte. 


Nous  disons  ceci,  sire,  parce  que  vostre  majesté  s'est 
contentée  jusqu'ici,  ou  du  tesmoignage  de  sa  con- 
science contre  les  calomnies  des  hommes,  ou  du  soing 
intérieur  de  ses  affaires,  sans  la  forme  extérieure  de 
les  manier;  à  ung  particulier  ceste  façon  de  vivre 
seroit  propre,  qui  n'a  à  respondre  que  de  soi  et  à  soi 
mesmes.  A  vous ,  sire,  qui  estes  né  pour  tous,  non  la 
vertu  et  la  prudence  seulement,  mais  la  réputation  de 
vertu  et  de  prudence  est  nécessaire.  De  vertu,  afin 
que  tous  la  voyans  en  vous ,  vous  en  honorent  ;  de 
prudence,  afin  que  venans  à  estre  à  vous,  ils  espèrent 
tout  heur  soubs  vostre  conduite. 

MÉM.  DE   DUPLESSIS-MOUNAY.  ToME  U.  3? 


578  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

Pardonnes  encores  iing  mot  à  vos  fidèles  serviteurs, 
sire.  Ces  amours  si  découverts ,  et  aulxquels  vous  donnés 
tant  de  temps,  ne  semblent  plus  de  saison.  Il  est  temps, 
sire,  que  vous  fassiés  l'amour,  et  à  toute  la  chrestienté, 
et  particulièrement  à  la  France.  Que  par  tous  vos 
mouvemens  vous  vous  rendiés  agréable  à  ses  yeux.  Et 
croyés,  sire,  que  vous  n'y  aurés  pas  employé  beaucoup 
de  mois,  veu  ce  que  nous  lisons  en  son  visage,  que 
vous  ne  gaigniés  sa  bonne  grâce ,  et  n'en  recueillies 
les  laveurs  honnestes  et  légitimes ,  qui  se  peuvent , 
pour  en  jouir  à  vostre  aise  et  contentement ,  quand 
Dieu,  le  droict  et  Tordre  vous  y  appelleront. 

C'est,  sire,  ce  que  nous  avons  jugé  digne  de  repre-   î 
senter  à  vostre  majesté  sur  ceste  nouvelle  occasion,  par 
ceste  depesche  expresse ,  laquelle  nous  vous  supplions 
très  humblement  recevoir  de  l'intégrité  et -fidélité  que 
nous  apportons  à  vostre  service  ;  et  sur  ce  supplions 
le  Créateur,  sire,  qu'il  doint  à  vostre  majesté  en  toute 
prospérité  longue  vie. 
De  Paris. 
Vos  très  humbles,  très  obeissans  et  très  fidèles  servi- 
teurs à  jamais. 

Clervant,  DuPLESsis,  Chassincourt. 


XCV.  — LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

Au  roy  Beniy  IIl. 

Du  24  avril  i584. 
Sire,  je  pense  que  vostre  majesté  ne  doubtera  plus 
de  la  mauvaise  volonté  du  roy  d'Espaigne.  Et,  cepen- 
dant, je  n'ignore  pas  que  vostre  estât  est  tel,  par  les 
misères  passées ,  que  c'est  prudence  d'esloigner  une 


AU  ROY  HENRY  III.  Syg 

guerre  ouverte ,  aussi  long  temps  qu'il  se  peult.  C'est 
ce  qui  me  faict  penser  aux  moyens  de  rompre  le  cours 
de  sa  grandeur,  sans  en  venir  là,  tels  que  je  les  ai  cou- 
chés par  escrit  ;  et  si  j'ai  cest  heur  que  vostre  majesté 
les  juges  utiles,  j'espère,  avec  l'aide  de  Dieu,  qu'ils 
se  trouveront  faciles;  et  j'en  serai  tant  plus  encouragé 
à  rechercher  tout  ce  qui  sera  de  vostre  service.  Mais , 
au  moins,  m'ose  je  promettre  qu'ils  vous  seront  agréa- 
bles, quand  vostre  majesté  considérera  que  telles  herbes , 
quelles  qu'elles  soient,  ne  peuvent  estre  produites  que 
d'ung  bon  champ,  et  vraiement  François;  je  dis,  sire, 
d'ung  cœur  et  d'ung  esprit  totalement  dédié  à  la  gran- 
deur et  prospérité  de  vostre  couronne;  qui  sur  ce ,  etc. 


XCVL  — LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  Miron,  premier  médecin  du  roj  Henry  III ^  et 
son  confident  serviteur. 

Du  24  avril  i584. 
Monsieur  ,  j'ai  désiré  d'avoir  cest  honneur  que  le 
roy  veist  ces  mémoires  que  j'ai  dressés  pour  son  service; 
mais  vous  premièrement,  pour  lui  en  aiguiser  le  goust 
par  celui,  peult  estre,  que  vous  y  prendrés.  J'espère 
que  vous  les  trouvères  utiles;  et  cela  estant,  ce  sera  à 
vostre  discrétion  et  vertu  de  les  rendre  agréables;  au 
moins ,  s'il  plaist  à  sa  majesté  y  entendre ,  je  me  pro- 
mets qu'ils  se  trouveront  faciles;  j'en  proposerois  d'aul- 
tres  et  plus  grands,  si  l'inclination  y  estoit.  Le  temps 
meurist  et  assaisonne  toutes  choses ,  auquel  je  les  re- 
serve. Et  tousjours,  selon  que  ceulx  ci  auront  pieu  à 
sa  majesté ,  ceulx  là  auront  plus  de  hardiesse  s'il  vient 
à  propos  qu'ils  se   présentent  ung  jour  devant  elle. 


58o  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS ,  etc. 

Monsieur,  je  désire  pour  ung  heur  singulier  d'estre  par 
là  particulièrement  cogneu  de  vous  ;  cependant ,  je  vous 
baiserai  humblement  les  mains ,  etc. 


XCVII.  —  DISCOURS  AU  ROY  HENRY  III, 

Sur  les  mojens  de  diminuer  l'Espaignol. 

Du  24  avril  i584. 

Tous  estats  ne  sont  estimés  forts  et  foibles,  qu'en 
comparaison  de  la  force  ou  foiblesse  de  leurs  voisins; 
et  pourtant,  les  sages  princes  entretiennent  le  contre- 
poids tant  qu'ils  peuvent;  tant  qu'il  y  demeure,  ils 
peuvent  demeurer  en  paix  et  en  amitié  ensemble;' 
comme  il  vient  à  faillir,  aussitost  la  paix  et  l'amitié  se 
dissolvent,  n'estans  icelles  fondées  entre  eulx,  que  sur 
une  mutuelle  crainte,  ou  estime  l'ung  de  l'aultre. 

La  maison  de  France  et  la  maison  d'Austriche  sont 
celles  aujourd'hui,  à  cause  de  leurs  grandeurs,  en  la 
paix  ou  guerre  desquelles  toute  la  chrestienté  est  pai- 
sible ou  troublée.  Il  importe  donc  grandement ,  pour 
le  repos  d'icelle,  qu'elles  soient  teneues,  aultant  qu'il 
se  peult ,  entre  deux  fers. 

Mais  particulièrement  à  la  maison  de  France,  qui 
en  sentiroit  le  premier  danger  ou  dommage,  de  penser 
à  bon  escient  à  ses  affaires;  d'autant  que,  depuis  quel- 
ques années ,  non  seulement  elle  s'est  affoiblie  par  la 
perte  de  beaucoup  de  sang,  mais  aussi  celle  d'Austriche 
s'est  grandement  renforcée  et  accreue  et  de  réputation 
et  de  pays.  Tellement  que  la  balance  et  sans  doubte 
trop  chargée  d'ung  costé ,  et  s'en  va  temps  de  peser 
ung  peu  sur  l'aultre,  qui  ne  veult  que  nostre  France  en 
soit  enfin  emportée. 


DISCOURS  SUR  LES  MOYENS,  etc.  58 1 

Es  longues  guerres,  qui  ont  esté  entre  ces  deux 
couronnes  de  France  et  Espaigne ,  ces  princes  estans 
essayés  en  diverses  preuves ,  recogneurent  qu'ils  ne 
pou  voient  pas  beaucoup  gaigner  l'ung  sur  l'aultre,  et 
pourtant  se  resoleurent  de  se  reposer,  dont  s'ensuivit 
la  paix. 

Depuis,  nostre  malheur  a  voulleu  que  nous  soyons 
tombés  en  guerres  civiles;  autant  de  batailles  que  nous 
avons  gaignees  les  ungs  sur  les  aultres ,  autant  fault  il 
faire  compte  que  l'Espaignol  en  a  gaigné  sur  nous;  et  qui 
plus  est,  sans  rien  perdre.  Il  s'est,  en  oultre,  accreu  de 
la  couronne  de  Portugal,  des  isles  et  des  Indes  orien- 
tales, desquelles  la  richesse  est  cognue;  et  puis,  parce 
que  nous  avons  faict  mine  de  nous  opposer  à  lui,  par 
le  support  de  ses  suhjects,  et  que,  nonobstant  cela,  il 
en  est  veneu  au  dessus,  il  faict  croire  qu'il  nous  a 
vaincus  et  domptés  en  leurs  personnes.  Le  voilà  donc 
triplement  advantagé  sur  nous,  depuis  la  paix  faicte 
avec  lui;  à  sçavoir ,  de  nostre  affoiblissement ,  de  son 
augmentation  et  de  la  réputation  des  armes. 

Lesquels  trois  advantages  toutesfois  réussiront,  si 
nous  en  sçavons  bien  user  à  son  desadvantage.  Car  nos 
guerres  civiles  ne  nous  ont  pas  proprement  affoiblis 
d  hommes,  mais  de  concorde  et  discipline.  Je  dirai 
plus ,  elles  nous  ont  engendré  nombre  infini  de  soldats, 
lesquels  nous  pouvons  exercer  et  entretenir  aux  despens 
de  l'Espaignol,  et  desquels  l'emploi  hors  du  royaume, 
rendroit  en  partie  la  santé,  la  tranquillité  et  l'union 
à  nostre  estât. 

Aussi ,  ce  grand  accroissement  de  l'Espaignol  a  mis 
tous  les  princes  voisins  en  crainte  et  jalousie.  Telle- 
ment que  la  bannière  de  France  sera  si  tost  levée  qu'ils 
ne  soient  prests  à  s'y  rallier,  avec  tous  leurs  moyens, 


582  DISCOURS  SUR  LES  MOYENS 

contre  la  grandeur  mal   proportionnée  et   l'ambition 

desreglee  de  la  maison  d'Austriche. 

Et  quant  à  la  réputation  qu'a  le  roy  d'Espaigne  sur 
nous,  tant  s'en  fault  qu'elle  nous  doibve  ravaller,  qu'au 
contraire  elle  nous  doibt  reveiller  l'esprit,  la  force  et 
le  courage.  Car,  grâces  à  Dieu,  il  ne  Ta  pas  gaignee 
par  ung  essai  de  sa  force  contre  la  nostre;  mais  parce 
qu'en  chose  trop  sérieuse  nous  avons  pensé  nous  jouer, 
et  il  a  faict  tout  à  bon  escient. 

Attendant  qu'avec  le  temps  nostre  estât  se  consolide 
mieulx  en  dedans,  deux  choses  se  peuvent  commodé- 
ment faire  sans  venir  à  guerre  ouverte.  L'une  est  de 
faire  une  puissante  ligue  contre  cette  grandeur  d'Es- 
paigne, qui  se  déborde;  l'aultre  est  de  lui  susciter  et 
entretenir  des  empeschemens  domestiques ,  afin  qu'elle 
soit  contrainte  de  se  contenir  entre  ses  bords. 

Quant  à  la  première,  la  puissance  de  l'Angleterre  est 
prou  cogneue,  et  semble  que  la  royne  d'Angleterre 
entrera  volontiers  en  ceste  ligue  ;  et  son  interest  par- 
ticulier l'y  conviera  assés.  Conspiration  a  esté  décou- 
verte, suscitée  par  le  roy  d'Espaigne  et  conduite  par 
son  ambassadeur,  non  seulement  contre  son  estât,  mais 
contre  sa  personne  propre.  De  là  s'est  ensuivi  qu'elle 
a  donné  consjé  à  l'ambassadeur  d'Espaigne,  et,  en- 
voyant ung  gentilhomme  vers  le  roy  d'Espaigne,  pour 
lui  en  déclarer  la  cause;  sans  aulcunement  l'ouïr, 
commandement  lui  a  esté  faict,  de  sortir  en  dedans 
quarante  jours  de  ses  pays.  Elle  apperçoit  aussi  les 
grandes  menées  qu'il  faict  en  Escosse,  pour  animer 
ce  jeune  prince  contre  elle;  et  jà  les  Escossois  com- 
mencent à  gouster  l'argent  d'Espaigne. 

Oultre  les  précédentes  altérations  ,  ceste  nouvelle 
occasion  faict  penser  la  royne  d'Angleterre  à  ses  affaires  ; 


DE  DIMINUER  L'ESPAIGNOL.  583 

et  ne  reste  qu'à  lui  faire  l'ouverture  d'une  ligue ,  qui 
doibttousjours  commencer  du  plus  grand,  auquel  ap- 
partient en  toutes  sortes  de  compagnies  de  proposer 
et  mettre  en  avant  les  matières. 

Avec  les  princes  d'Allemaigne,  y  a  plus  de  difficulté, 
parce  qu'ils  sont  plusieurs,  et  non  encores  reunis  en 
ung  corps  ;  mais  l'occasion  aussi  n'en  feut  jamais  si 
belle,  parce  que  ne  voullans  plus  la  pluspart  des  princes 
que  l'empire  soit  continué  ci  après  en  la  maison  d'Aus- 
t riche  ,  ils  se  résolvent  de  maintenir  en  l'électoral, 
Ghebart ,  archevesque  de  Cologne  ,  par  l'adjonction 
duquel  ils  auront  en  l'élection  d'ung  nouveau  empe- 
reur, des  sept  voix,  les  quattre. 

Pour  à  ce  parvenir ,  sont  délibérés  de  faire  une 
ligue  ensemble,  en  laquelle  entreront  la  pluspart  des 
princes  protestans  et  plusieurs  villes  impériales  ;  et 
s'accorderont  d'une  somme  nécessaire,  et  de  ce  que 
chacung  aura  à  contribuer  pour  iceile.  Adviseront  aussi 
aulx  forces  qui  seront  requises,  tant  pour  se  défendre, 
que  pour  soubtenir  contre  tous,  celui  ou  ceulx  qui  se 
seront  jettes,  ou  qu'ils  auront  pris  en  leur  protection 
et  sauvegarde. 

Quand  ceste  association  sera  faicte,  par  le  moyen 
de  laquelle  ils  seront  unis  en  conseil  et  en  force,  il  sera 
aisé  de  contracter  avec  ce  corps,  par  ung  seul  contract 
et  une  seule  entremise.  Mais ,  pour  les  y  acheminer  tant 
plustost,  seroit  besoing  que  sa  majesté  feist  negotier 
ses  plus  confidens  entre  eulx  ,  leur  faisant  doulcement 
entendre  que  le  support  de  cette  couronne  ne  leur 
defauldra  en  leur  besoing.  Ce  qui  se  peult  par  le  moyen 
du  landgrave  Guillaume  de  Hessen,  ancien  ami  de  cest 
estât ,  duquel  la  prudence  a  beaucoup  de  crédit  en 
Aîlemaigne;  et  quelques  aultres,  si  sa  majesté  le  trouve 


584  DISCOURS  SUR  LES  MOYENS 

bon ,  seront  bien  aises  d'estre  employés  à  ceste  fin, 
Ne  doibt  en  ceste  negotiation  estre  négligé  le  roy  de 
Dannemaick,  bien  que  loing  de  nous;  et  la  jalousie 
du  roy  de  Suéde,  favorisé  de  l'Espaignol ,  l'y  conduira 
aisément;  l'utilité,  peult  estre,  n'en  semblera  si  grande 
que  des  aultres;  si  est  ce  que  le  roy  d'Espaigne,  prince 
bien  conseillé ,  a  faict  tout  ce  qu'il  a  peu,  pour  gaigner 
son  amitié,  jusques  à  lui  offrir  quattre  cens  mille  escus 
en  main,  pour  gage  de  la  sienne. 

Moyennant  iceile,  il  pretendoit  que  ledict  seigneur 
roy  de  Dannemark  fermeroit  le  destroict  de  Sund,  que 
nous  appelions  d'Elsignor,  à  ceulx  des  Pays  Bas,  par 
lequel  ils  se  fournissent  des  bleds  d'Ostland  et  Livonie; 
item,  de  bois,  de  merrain ,  de  brai ,  de  goudron,  de 
masts  et  aultres  choses  propres  au  navigage,  mesmes 
des  soulphres,  salpestres  et  poudres  faictes,  etc.  Et  qui 
pourroit  obtenir  dudict  sieur  roy  qu'il  n'en  laissast 
poinct  sortir  pour  Espaigne,  il  est  certain  qu'en  peu 
de  temps  ils  se  trouveroient  grandement  incommodés 
au  faict  de  la  marine. 

Ceste  alliance  a  esté  reculée  par  le  moyen  de  quelques 
gens  de  bien  ,  qui  n'ont  vouUeu  la  ruyne  des  Pays  Bas, 
Et  il  importe ,  comme  il  sera  dict  ci  après  ,  qu'elle  ne  se 
çoncleue ,  parce  qu'il  ne  viendroit  à  propos  à  sa  majesté 
que  le  roy  d'Espaigne  achevast  la  ruyne  de  ceulx  des 
Pays  Bas. 

Quand  une  telle  ligue,  oultre  les  ordinaires  et  an- 
ciennes de  ce  royaume,  viendra  à  la  cognoissance  des 
princes  chrestiens,  ne  fault  doubter  que  bien  tost  elle 
ne  grossisse  ;  parce  que  l'Espaignol  a  offensé  plusieurs 
princes  et  republiques  qui  seront  bien  aises  d'entrer 
soubs  la  protection,  et  en  la  participation  de  ceste 
ligue  ;  et  au  long  aller,  les  rivières  s'enflent  de  ruisseaux. 


DE  DIMINUER  L'ESPAIGNOL.  .^85 

Je  viens  à  la  seconde ,  et  celle  ci  se  peult  pratiquer 
des  ceste  heure,  pour  ne  perdre  temps,  pendant  que 
les  alliances  susdictes  se  pourront  traicler.  L'art  et  la 
nature  relèvent  facilement  ung  homme  de  maladie  ; 
mais  s'il  vient  à  estre  mort,  pour  le  resusciter,  il  y 
fault  du  miracle.  Geulx  aussi  qui  ont  aujourd'hui  guerre 
avec  le  roy  d'Espaigne,  à  peu  de  frais  se  peuvent,  ou 
souhtenir  ou  mesmes  relever  encores.  S'ils  sont  une  fois 
accablés  du  tout ,  ne  nous  restera  que  le  regret  de 
l'avoir  peu,  et  ne  l'avoir  faict  à  temps. 

L'empire  est  une  des  grandes  grandeurs  de  la  maison 
d'Ausl riche.  Et  comme  de  long  temps  elle  a  accoustumé 
de  s'allier  en  elle  mesmes,  y  a  apparence  que  l'empereur 
espousera  une  fille  d  Espaigne,  parle  moyen  de  laquelle 
l'empire  d'Allemaigne ,  et  tout  Testât  que  tient  le  roy 
d'Espaigne ,  veu  la  délicatesse  du  fils  unique,  se  verront 
en  nos  jours  rejoints  ensemble.  Alors  ce  sera  la  plus 
grande  monarchie  qui  feut  oncques,  redoutable  sans 
doubte  à  tous  les  princes  de  l'Europe. 

Cela  se  peult  empescher  avec  peu  de  frais  par  le 
moyen  de  l'arclievesque  de  Colongne  Ghebart,  duquel 
s'est  parlé  ci  dessus  :  au  contraire,  venant  icelui  a  suc- 
comber, voilà  quattre  voix  en  la  main  de  la  maison 
d'Austriche.  Car  le  compétiteur  est  de  Bavière ,  issu 
d'une  fille  d'Austriche. 

Et  que  le  roy  d'Espaigne  ait  ce  desseing  de  se  pré- 
valoir dudict  compétiteur,  pour  la  conservation  de  sa 
maison,  appert  assez.  Car  le  prince  de  Parme  faict  la 
guerre  à  l'arclievesque  Ghebart  avec  les  propres  forces 
d'Espaigne.  Et,  selon  sa  coustume,  le  roy  d'Espaigne 
en  est  veneu  si  avant  ces  jours  passés,  que  d'avoir  sus- 
cité ung  soldat  pour  le  tuer  en  sa  maison. 

Quattre  mille  arquebusiers  et  cinq  cens  chevaulx  fran- 


586  DISCOURS  SUR  LES  MOYENS 

cois  menés  par  de  bons  capitaines,  et  joints  avec  ce  qu'il 
peult  du  sien  et  de  ses  amis,  releveroient  et  maintien- 
droient  ledict  seigneur  archevesque  en  sa  dignité  élec- 
torale ;  oultre  ce  qu'on  pourroit  envahir  son  compéti- 
teur dedans  son  propre  pays  de  Liège,  lui  en  enlever 
par  pratiques  les  meilleures  places,  et  lui  susciter  sa 
propre  ville  de  Liège ,  et  une  bonne  partie  de  sa  no- 
blesse contre  lui.  Et  ne  sera  besoing  pour  cela  que  le 
roy  se  déclare.  Car  sa  majesté  le  commandant  au  roy 
de  Navarre,  il  le  sçaura  bien  effectuer  par  voies  cou- 
vertes et  par  personnes  convenables,  pourveu  qu'il  soit 
assisté  des  moyens  nécessaires. 

Ce  seroit  ung  preparatif  pour  remettre  ung  jour 
1  empire  en  la  maison  de  France,  lequel  s'est  contiimé 
en  la  maison  d'Austriche  depuis  ces  derniers  ans,  pour 
une  seule  raison,  c'est  qu'elle  possède  les  frontières  du 
Turc,  qui  sont  à  la  vérité  le  boulevart  de  l'Allemaigne, 
lequel  a  bien  besoing  d'estre  defendeu  du  nom  et  du 
bras  de  l'empire.  Mais  à  ceste  difficulté  la  solution 
seroit  preste;  car  la  maison  de  France,  qui  a  alliance 
avec  le  Turc ,  exempteroit  aisément  et  l'Allemaigne  et 
lesdicts  pays  de  la  maison  d'Austriche  de  ceste  guerre  ; 
et  d'aultant  plus  que,  depuis  l'armée  de  Sigeth,  à  laquelle 
la  rigueur  du  climat  porta  grand  dommage,  le  conseil 
de  Turquie  s'est  resoleu  d'estendre  ses  conquestes  vers 
les  pays  plus  doulx ,  comme  la  Sicile  et  l'Italie,  ne  pou- 
vans  ni  leurs  hommes,  ni  leurs^^  chevaulx,  qui  viennent 
de  pays  tempérés,  soubtenir  l'air  et  la  rigueur  desdicts 
pays  de  la  frontière. 

Le  roy  d'Espaigne  en  tout  ce  qu'il  possède,  n'a  rien 
plus  beau,  plus  riche,  plus  poli  que  les  Pays  Bas;  rien 
qui  ait  plus  nui  à  la  France,  rien  qui  la  puisse  plus  ac- 
commoder en  toutes  sortes;  et  il  n'est  difficile,  sans 


DE  DIMINUER  L'ESPAIGNOL.  ^87 

guerre  ouverte,  ou  de  les  lui  oster,  ou  de  l'y  tenir 
occupé  toute  sa  vie. 

Le  pays  vit  principalement  de  la  France  (je  parle 
des  provinces  qu'il  y  tient  et  qui  sont  en  sa  puissance). 
Que  les  traictes  soient  défendues  et  resserrées  à  bon 
escient  et  sans  dispense  ;  les  vivres  en  ung  moment 
enchériront  au  quadruple,  et  à  peine  s'en  trouvera  il 
pour  de  l'argent.  Le  soldat  et  le  bourgeois  se  mutine- 
ront; les  troupes  ne  pourront  vivre  ensemble,  et  seront 
contraintes  de  s'espandre;  l'ennemi  en  somme  ne  pourra 
plus  assiéger  ni  faire  exploit  de  conséquence.  Et  de  ce 
l'esperience  s'est  veue  en  ce  peu  de  temps  que  la  France 
leur  a  esté  fermée ,  encores  qu'il  s'en  escoulast  tousjours 
par  divers  endroicts. 

Le  pays  aussi  est  rafraischi  d'hommes ,  et  mainteneu 
de  deniers  par  l'Italie  et  par  l'Espaigne,  dont  la  comté 
de  Bourgongne  est  le  seul  passage.  Que  sa  majesté 
lasche  la  bride  à  aulcungs  de  ses  subjects  qui  lui  pour- 
ront estre  nommés  par  le  roy  de  Navarre ,  ils  lui  enlè- 
veront des  meilleures  places  de  ladicte  comté ,  et  une 
seule  suffiroit  à  cest  effect  :  cela  faict,  n'y  a  plus, 
qu'avec  très  grande  difficulté,  de  communication  entre 
la  Flandres  et  l'Italie  et  l'Espaigne. 

Et  ne  fault  alléguer  que  les  Suisses  s'en  pourroient 
esmouvoir,  tant  en  vertu  de  l'allinnce,  que  pour  l'in- 
terest  qu'ils  prétendent  avoir  que  ceste  barrière  soit 
tousjours  entre  eulx  et  nous.  Car  il  se  trouvera  des 
subjects  suffisans  pour  justifier  ceste  entreprise;  et  sera 
aisé  de  leur  faire  entendre  soubs  main  le  desseing  qu'a 
le  roy  d'Espaigne  de  jetter  une  armée  en  la  duché  de 
Bourgongne,  conduite  par  le  duc  de  Savoye,  laquelle  , 
à  cause  de  ceste  circonstance,  ne  leur  peult  estre  que 
très  suspecte;  joint  qu'au  pis  aller  l'instance  qu'ils  en 


68S  DISCOURS  SUR  LES  MOYENS 

feront,  ne  sera  que  de  parole  et  de  remonstrance,  veu 
la  différence  d'advis  qui  est  aujourd'hui  entre  eulx, 
sans  venir  à  la  force. 

Quant  à  la  mer,  par  le  moyen  de  la  ligue,  qui  se  fera 
avec  la  royne  d'Angleterre,  elle  sera  du  tout  fermée  à 
l'Espaignol,  tellement  que,  pour  secourir  son  parti  es 
Pays  Bas,  il  ne  s'en  pourra  prévaloir  en  aucune  sorte. 
Ce  qui  s'est  veu  toutes  les  fois  qu'il  a  eu  la  coste  d'An- 
gleterre mal  favorable  ;  d'autant  que  ,  survenant  une 
tourmente  en  la  manche  d'Angleterre,  comme  elle  y 
est  assés  subjecte  ,  ils  ne  peuvent  qu'avec  extrême 
danger  approcher  la  coste  de  France,  ni  gaigner  celle 
de  Flandres,  qui  n'est  qu'ung  banc  perpétuel,  sans 
évident  naufrage,  et  n'ont  retraitte  qu'en  celle  d'An- 
gleterre, qui  a  plus  de  ports  et  de  plus  facile  accès  que 
la  nostre. 

Que  si,  oultre  ce  que  dessus,  sa  majesté  veult  aider 
les  estats  des  Pays  Bas,  soubs  main,  de  quelque  somme 
de  deniers  par  mois,  et  permettre  à  ses  subjects  de  les 
cjller  servir  pour  la  guerre,  n'y  a  doubte  qu'en  peu  de 
temps  les  provinces  qui  suivent  le  parti  espaignol ,  se 
sentans  mal  secoureues,  ne  se  jettent  entre  les  bras  de 
sa  majesté  plustost  que  d'endurer  le  joug  des  aultres 
qui  suivent  les  estats;  et  celles  ci,  oultre  les  précédentes 
obligations,  se  sentans  comblées  d'une  nouvelle,  s'esti- 
meront heureuses  d'estre  siennes.  Joint  qu'en  leur  accor- 
dant le  susdict  secours ,  on  leur  pourra  imposer  desjà 
quelques  conditions. 

J'adjouste  à  ceci,  que  je  sçais  de  certain  que  la  no- 
blesse et  les  plus  notables  villes  d'Artois,  Hainault,  etc., 
entrent  en  grande  jalousie  du  prince  de  Parme ,  lequel , 
en  toutes  les  places  qu'il  a  reconquises  sur  les  estats , 
met  garnisons  du  tout  à  sa  dévotion ,  et  non  depen- 


DE  DIMINUER  L'ESPAIGNOL.  689 

dantes  des  estats  desdictes  provinces.  Tellement  que 
lesdictes  villes  lui  sont  aultant  de  citadelles  au  milieu 
d'elles,  pour  les  tenir  en  subjection  ;  qui  est  bien  loing 
du  premier  traicté  faict  avec  elles,  par  lequel  ledict 
sieur  prince  ne  se  rendoit  que  chef  de  leurs  forces  et 
conseils,  sans  y  pouvoir  introduire  garnison  ni  force 
que  du  pays,  avec  advis  du  conseil  et  de  leur  consen- 
tement. 

L'Espaigne  tire  une  grande  commodité  du  destroict 
de  Gibraltar,  qui  rend  la  mer  Oceane  trafficable  avec 
la  Méditerranée.  Car  par  icelui  tout  ce  que  l'Espaigne 
amené  des  Indes  tant  orientales  qu'occidentales,  se 
transporte  commodément  en  Barbarie,  en  Italie,  et 
jusqu'au  fonds  des  terres.  Or,  non  loing  de  l'entrée  de 
ce  destroict,  est  assise  l'isle  de  Mallorque,  et  en  icelle 
une  ville  avec  ung  bon  port  de  mesme  nom,  qui  mais- 
trise  toute  ladicte  isie;  si  sa  majesté  le  trouve  bon,  il 
se  trouve  personne  de  qualité,  qui  a  pratiqué  desseing 
sur  ceste  place,  et  en  espère  bonne  issue  à  peu  de  frais. 
I  Ladicte  place  est  bien  fortifiée ,  se  garderoit  avec 
mille  arquebusiers  ;  et  mille  aultres  garderoient  les 
principales  descentes  de  l'isle,  quand  elles  seroient  ung 
peu  accommodées.  Quattre  galères  au  reste,  et  autant 
de  flustes,  qui  s'entretiendroient  sur  le  lieu,  oultre  la 
retraicte  qu'on  y  pourroit  donner  aux  volontaires,  ren- 
droient  à  l'Espaignol  toute  la  mer  Méditerranée  peu 
seure  et  accessible,  c'est  à  dire  ses  pays  propres  de 
Naples,  Sicile  et  Milan.  Telle  entreprise  s'executeroit 
commodément  de  Languedoc  ou  Provence.  Et  pour 
espargner  le  nom  de  sa  majesté  on  pourroit  employer 
celui  du  roy  de  Navarre  ou  de  Portugal;  et  au  pis 
aller ,  l'entrepreneur  bien  assisté  ne  s'en  donneroit 
pas  peine. 


590  DISCOURS  SUR  LES  MOYENS 

Contre  les  Indes  et  navigations  occidentales ,  plu- 
sieurs beaux  desseings  ont  esté ,  long  temps  a ,  proposés 
à  sa  majesté ,  et  aulxquels ,  peult  estre ,  il  seroit  malaisé 
de  rien  adjouster.  Quattre  grands  vaisseaux,  bien  ar- 
tillés,  accompagnés  de  quattre  moyens,  peuvent  com- 
battre la  flotte  du  Pérou,  et  il  s'est  faict  à  moins;  et, 
quant  à  faire  une  descente  en  la  Terre  Ferme ,  j'ai  parlé 
à  plusieurs  grands  navigateurs  de  diverses  nations,  qui 
semblent  l'avoir  bien  recogneue ,  lesquels  m'ont  souvent 
asseuré  que  quattre  mille  hommes  prenans  terre  à  l'en- 
droict  de  l'isthme  appelle  Darien,  entre  Panama  et 
Nombre  de  Dios ,  s'en  pourroient  aisément  rendre 
maistres. 

Par  ce  moyen  l'on  auroit  l'une  et  l'aultre  mer,  je  dis, 
du  Nord  et  du  Sud ,  séparée  d'ung  très  estroict  destroict 
de  terre;  et  de  là  se  peult  aller  aulx  Moluques,  sans 
circuir  l'Afrique;  et  ne  fauldroit  craindre  alors,  avec 
ung  peu  de  bonne  conduite,  que  l'Espaignol  nous  en 
chassast  jamais.  Car  le  François  est  aussi  paré  pour 
secourir  ledict  pays,  que  l'Espaignol,  et  aurons  plustost 
levé  mille  hommes,  tant  de  main  que  de  manœuvre, 
pour  telle  navigation ,  que  lui  cent.  Joint  que  nous 
pourrions  doulcement  traicter  avec  les  habitans  du  pays, 
qui  se  sont  retirés  en  la  montagne  pour  l'horreur  et 
cruauté  des  Espaignols,  desquels  on  pourroit  tirer  beau- 
coup d'aide  et  de  commodité  contre  lui. 

Pour  le  regard  des  Indes  orientales,  j'ai  proposé 
aultres  fois  ung  moyen,  qui  eust  esté  plus  pratiquable 
lorsque  les  viceroys  et  gouverneurs  d'icelles  n'avoient 
encores  recogneu  le  roy  d'Espaigne;  et  encores  n'estime 
je  poinct  qu'ils  lui  soient  si  affectionnés,  qu'ils  n'y 
prestassent  volontiers  l'oreille,  s'il  leur  estoit  ouvert 


DE  DIMINUER  L'ESPAIGNOL.  691 

par  sa  majesté ,  laquelle ,  sur  ce ,  pourroit  tirer  quelque 
ad  vis  du  roy  Don  Antonio. 

La  seule  cause  qui  a  faict  ployer  lesdicts  viceroys  ou 
gouverneurs,  c'est  la  descharge  de  leurs  marchandises, 
en  laquelle  consiste  toute  leur  richesse,  qu'ils  ont  estimé 
ne  pouvoir  avoir  sans  lui  obéir,  au  lieu  que  sa  majesté 
leur  en  peult  ouvrir  et  faciliter  une  aultre,  plus  courte 
et  plus  commode  que  celle  là. 

Ces  marchandises  sont,  pour  la  pluspart,  espiceries, 
drogues,  pierres  précieuses,  etc.,  auxquelles  n'agueres 
le  Portugais,  et  aujourd'hui  l'Espaignol,  faict  circuir 
toute  l'Afrique  pour  descendre  en  sa  coste ,  afin  que 
toute  la  chrestienté  soit  contrainte  de  passer  par  ses 
mains,  et  ce  trafic  a  grandement  enrichi  les  pays  de 
l'Espaignol ,  mesmes  les  Pays  Bas ,  où  ils  en  avoient 
fondé  l'estappe  pour  tous  les  pays  du  septentrion  ,  n'y 
ayant  rien,  à  la  vérité,  en  tout  le  commerce  de  la  chres- 
tienté, qui  soit  de  bien  loing  comparable  à  cestui  ci. 

Or  il  se  peult  divertir  et  convertir  à  nous,  en  re- 
prenant le  chemin  que  ces  mesmes  marchandises  pre- 
noient  sous  la  grandeur  des  Romains  ;  c'est  qu'on  peult 
singler  tout  d'ungvent,  depuis  les  Moluques,  Diu, 
Goa,  Ormus,  etc. ,  jusques  à  l'entrée  du  golfe  Arabie, 
aultrement  la  mer  Rouge ,  puis  suivre  ce  golfe  tout  du 
long,  jusques  au  port  de  Suez,  appelle  des  anciens  He- 
roiim  portas.  De  là  elles  se  mettront,  comme  ancien- 
nement, sur  des  chameaux,  et  viendront  en  six  jour- 
nées jusques  en  Barut,  Alep,  Tripoli  de  Syrie,  Da- 
miette ,  Alexandrie ,  etc. ,  esquels  lieux  seront  embar- 
quées sur  la  mer  Méditerranée  pour  estre  distribuées  à 
Constantinople ,  Venise,  Marseille,  etc.,  qui  de  long 
temps  ont  leurs  facteurs  et  consulats  establis  esdictes 
villes. 


592  DISCOURS  SUR  LES  MOYENS 

Lesdicts  gouverneurs  et  viceroys  ne  demanderoient 
peult  estre  pas  mieulx  ;  car  alors  ils  se  passeroient  de 
l'Espaignol  comme  ils  vouldroient.  Le  Turc  consentira 
facilement  la  seureté  et  liberté  de  ce  passage  à  sa  ma- 
jesté ;  car,  oultre  l'alliance  qui  est  entre  eulx,  c'est  la 
richesse  de  ses  pays.  Le  Vénitien  l'en  remerciera  ;  car, 
par  la  diversion  de  ce  trafic  des  espiceries,  la  respu- 
blique  a  perdeu  plus  de  deux  cens  mille  escus  de  rente; 
je  ne  parie  poinct  du  profict  qui  en  revenoit  aulx  par- 
ticuliers; le  Marseillois  s'en  enrichira  à  bon  escient,  et 
en  gênerai  le  marchand  françois;  voire  toute  la  France 
et  mesmes  toute  la  chrestienté  en  sera  mieulx  ;  l'Espai- 
gnol seul  en  sentira  notable  diminution  ;  en  la  diminution 
duquel  gist  aujourd'hui  la  conservation  de  la  France 
et  l'augmentation  de  tous  les  princes  chrestiens. 

En  ceste  entreprise  n'y  a  ni  grands  frais  ni  grand' 
peine;  une  negotiation  d'ung  an  la  peult  mettre  à  fin; 
et  n'est  chose  qui  se  doibve  trouver,  ni  estrange,  ni 
nouvelle;  car,  de  la  mémoire  des  histoires,  ce  trafic  a 
changé  de  chemin  cinq  fois,  selon  que  s'est  diversifiée 
la  disposition  des  empires  pour  la  commodité  ou  in- 
commodité de  leur  voyaige. 

Les  Genevois ,  aultrefois  ,  les  ont  tirées  par  le  travers 
de  la  Tartarie  jusques  en  la  Tane,  et  de  là  par  la  mer 
Major  dedans  la  mer  Méditerranée ,  et  y  ont  trouvé 
profict.  Les  Anglois  ont  bien  entrepris  de  les  mener  du 
fonds  des  Chines  par  terre  jusques  au  fleuve  Obi;  là  les 
embarquer  et  entrer  en  la  mer  du  Septentrion ,  puis 
circuir  les  costes  de  Tartarie,  Suéde,  Norvège,  etc., 
et  n'y  pensent  perdre  leur  peine.  Les  Portugais  et  Es- 
paignols,  pour  les  amener  jusques  en  leur  coste,  cir- 
cuissent  toute  l'Afrique ,  au  travers  de  mille  dangers  et 
d'extrêmes  chaleurs;  et  sont  dix  huict  mois  en  leur 


DE  DIMINUER  L'ESPAIGNOL.  ÔqS 

voyage  ;  toute  leur  commodité  ne  gist  qu'en  ung  poinct , 
c'est  qu'ils  font  tout  ce  chemin  par  mer. 

De  tous  les  chemins  qu'elles  ont  teneus ,  cestui  ci  que 
je  propose  est  le  plus  court  et  plus  aisé ,  qui  feut  jadis 
interrompeu  par  les  courses  des  Arabes  et  guerres  des 
sultans,  au  bout  desquelles  les  Portugais  découvrirent 
le  moyen  de  circuir  l'Afrique,  et  trouvèrent  les  Mo- 
hiques,  et  donnèrent  ung  aultre  cours  à  ce  trafic. 

Que  si  on  dict  qu'on  les  a  à  quelque  peu  meilleur 
marché  par  ceste  voie  des  Portugais,  fault  aussi  ad- 
jouster  ce  que  les  marchands  sçavent,  que,  de  celles 
qui  viennent  à  Venise  et  à  Lion  par  le  chemin  que  nous 
disons,  une  livre  en  vault  trois  et  quattre,  à  cause  que 
celles  ci  sont  gastees  et  moisies  pendant  le  long  temps 
et  les  grandes  chaleurs  qu'elles  passent  sur  la  mer; 
joint  que  les  obstacles  qui  sont  aujourd'hui  en  ce  che- 
min ancien,  estans  levés  par  le  moyen  du  grand  sei- 
gneur, les  peines  et  frais  en  amoindriront,  et  par  con- 
séquent le  prix. 

Ce  sont  les  moyens  qui  se  peuvent  tenir  pour  affoi- 
blir  et  apovrir  l'Espaignol,  et  rompre  le  cours  de  sa 
prospérité  et  grandeur,  attendant  une  force  ouverte; 
et  iceulx,  quand  sa  majesté  y  vouldra  entendre,  se  pour- 
ront particulariser  et  faciliter  dadvantage  ;  que  si ,  par 
son  insolence  ,  qui  plus  ne  se  peult  contenir,  il  resoult 
enfin  sa  majesté  à  venir  aulx  armes,  aultres  lui  seront 
proposés  par  celui  qui  met  en  avant  ceulx  ci,  qui  ne 
seront  inutiles  à  son  service,  si  tant  est  qu'il  ait  cestheur 
que  ces  ouvertures  ne  lui  soient  désagréables. 


MÉ:\r.  DK  DUPLESSIS-MORJVAY.  l'oiWF.  II.  38 


594  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

XCVIII.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

Au  roj  de  Navarre. 

Du  2  mai  i584. 
Sire,  vostre  majesté  aura  sceu  par  le  sieur  de  la  Bi- 
vardiere  l'extrême  extrémité  où  estoit  son  altesse  lors 
qu'il  partit.  Elle  estoit  telle ,  que  tous  les  médecins  es- 
crivirent  au  roy  que  c'en  estoit  faict ,  et  qu'il  ne  pou- 
voit  plus  vivre  trois  heures,  le  pouls  s'estant  jà  retiré 
jusques  auprès  du  coude,  toute  force  lui  faillant,  et 
le  sang  venant  à  grande  abondance  et  estrangement 
corrompeu,  tant  par  hault  que  par  bas. 

Cela  feut  cause  qu'on  ordonna  de  toutes  ses  char- 
ges ,  et  feut  depesché  vers  les  gouverneurs  de  ses  places 
pour  les  tenir  en  debvoir,  mesmes  au  sieur  de  Balagni 
pour  Cambray;  toutes  lesdictes  depesches  fondées  sur 
la  mort  certaine  de  son  altesse,  jusques  là  qu'il  feut 
commandé  aulx  tailleurs  de  se  tenir  prests  pour  les  ha- 
billemens  de  deuil  de  sa  majesté. 

D'aultre  part,  MM.  de  Guise  tinrent  conseil  chés 
M.  de  Nevers,  et  feirent  diverses  depesches  en  Bour- 
cfogne,  Normandie,  Picardie,  Guyenne, etc.  Enfin  ar- 
riva M.  de  Clervant  de  Chasteau  Thierry,  qui  premier 
asseura  et  ceste  ville  et  ceste  court  que  son  altesse 
vivoit  et  avoit  eu  quelque  repos  depuis  ces  grandes 
vuidanges  de  sang ,  ce  nonobstant  que  les  médecins  J 
en  estoient  en  très  grande  peine,  et  en  tel  estât  est  il 
encores  maintenant. 

Une  miette  qu'il  avala  de  travers  en  buvant  sa  pti- 
sane  après  midi ,  oîi  il  avoit  trempé  du  pain ,  feut 
cause  de  cet  accident ,  lui  ayant  esmeu  la  toux  ,  et  par 


AU  ROY  Di:  NAVARRE.  ÔgS 

conséquent  le  poulmon  et  la  veine  qu'on  estime  estre 
rompeue  ;  et  depuis  on  l'a  fait  tenir  coi  sans  parler  el 
sans  qu'on  parle  à  lui,  pour  ne  l'esmouvoir  de  sorte 
quelconque. 

Encores  y  en  a  il  eu  plusieurs  qui  ont  doublé  qu'il 
n'y  eust  de  la  feinte,  parce  que  peu  de  gens  le  voyent, 
et  que  ceulx  qui  sont  près  de  lui  ne  voullussent  par 
là  se  donner  le  loisir  de  pourvoir  à  leurs  affaires ,  ce 
qui  toutesfois  est  faulx. 

Bien  est  vrai  que  les  principaulx  de  sa  maison  s'es- 
toient  jà  recommandés  à  leurs  amis  de  ceste  court  pour 
estre  mis  en  la  bonne  grâce  de  leurs  majestés,  et,  entre 
aultres,  quelqu'ung  d'eulx  escrivoit  à  M.  d'Espernon 
avec  bien  humbles  offres  de  son  service ,  comme  son  al- 
tesse estant  hors  de  tout  espoir.  Sur  ce  respit ,  son  al- 
tesse a  supplié  sa  majesté  que,  pour  l'espace  de  deux 
ans,  les  revenus  de  ses  appennages  soient  reteneus 
pour  estre  employés,  tant  à  l'acquit  de  ses  debtes, 
qu'au  payement  de  deux  ans  de  gages  de  ses  serviteurs, 
et  estime  on  qu'il  n'en  sera  refusé. 

Il  dispose  aussi  de  Cambray  entre  les  mains  de  sa  ma- 
jesté, et  des  Pays  Bas,  en  tant  qu'il  peult;  on  dit,  mais 
je  ne  le  sçais  de  certain,  que  sa  majesté,  ne  voullant  se 
déclarer  contre  le  roy  d'Espaigne,  ce  qu'elle  seroit 
contraincte  de  faire  en  acceptant  Cambray,  désire  que 
son  altesse  resigne  ceste  volonté  sur  vostre  majesté, 
afin  que  ladicte  ville  de  Cambray  et  les  Pays  Bas  soient 
mainteneus  soubs  vostre  nom,  et  que  pour  cest  effect 
M.  d'Espernon  seroit  allé  voir  son  altesse  à  Chasteau 
Thierry,  dont  il  reveint  hier. 

Ledict  sieur  duc  d'Espernon  faict  estât  de  partir 
le  i5  de  ce  mois,  pour  aller  en  Guyenne.  Le  prétexte  se 
prend  sur  les  baings  qui  lui  sont  nécessaires  ;  mais  la 


Ô96  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

vérité  est  que  le  roy  vous  veult  faire  proposer  par  lui 
des  tesmoignages  de  sa  bonne  volonté,  et  des  moyens 
d'establir  vostre  grandeur,  tels  qu'à  mon  advis  vostre 
majesté  peult  assés  penser.  Une  entreveue  en  sera  le 
commencement,  pour  laquelle  faciliter  le  roy  faict  estât 
de  s'en  aller  à  Blois.  J'espère  que  j'arriverai  près  de 
vostre  majesté  premier  que  lui,  encores  que  je  voie 
qu'on  me  diffère  ma  depesche,  tantost  par  un  moyen 
et  tantost  par  l'aultre ,  peult  estre  pour  le  faire  porteur 
de  ce  qu'il  y  aura  d'agreable,  et  moi  de  rebut. 

Cependant  je  ne  vois  poinct  qu'ils  nous  traictent 
gueres  plus  favorablement  que  par  le  passé;  hier  nos 
articles  nous  feurent  baillés  respondeus.  On  nous  y  ac- 
corde vos  monnoies,  vostre  compagnie,  les  privilèges 
de  vos  domestiques  en  baillant  Testât,  la  composition 
de  Perigueux,  et  nouvelles  jussions  à  messieurs  de  la 
court  pour  la  vérification  de  l'abolition. 

Mais  on  nous  refuse  les  places  et  le  payement  des 
orarnisons,  disant  que  le  temps  de  la  remise  est  escheu , 
et  que  M.  de  Bellievre  vous  a  jà  faict  instance  de  les 
remettre  ;  item ,  l'assemblée  des  églises  et  vostre  nou- 
velle garde. 

Nous  y  ferons  les  répliques  convenables,  et  ne  nous 
rendrons  pas  du  premier  coup  ,  et  desjà  nous  avons 
faict  de  grandes  plainctes  à  la  royne  sur  ses  responses, 
qui  nous  a  promis  d'en  parler  au  roy;  mais  toutes  ces 
longueurs  ne  m'arrèsteront  poinct  tant,  que  je  ne  soie 
près  de  vostre  majesté  premier  que  M.  d'Espernon, 
quand  je  debvrois  ne  porter  que  simples  lettres,  si  je 
ne  reçois  aultre  commandement  de  vostre  majesté. 

Aulx  propos  que  nous  tient  M.  de  Villeroy,  nous  ap- 
percevons  qu'ils  ont  eu  mécontentement  de  ce  qu'estant, 
vostre  majesté,  requise  d'aller  en  Languedoc,  au  lieu 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  597 

d'accepter  ceste  charge  gaiement,  et  d'y  recognoistre  la 
confiance  que  sa  majesté  prenoit  de  vous,  vostre  majesté 
auroit  demandé  plusieurs  choses  premier  que  d'y  voul- 
loir  aller,  qui  auroient  accroché  ung  voyage  si  nécessaire. 

Nous  respondons  que  nous  avons  à  nous  plaindre 
qu'eslans  ici  pour  vostre  service,  ils  ne  nous  en  ayent 
rien  communiqué;  que  nous  leur  eussions  noté  les 
difficultés,  et  proposé  les  moyens  de  les  lever  s'ils  eus- 
sent parlé  à  nous;  mais  qu'il  fault  regarder  si  ce  que 
vous  demandés  à  sa  majesté  premier  que  d'y  aller  est 
pour  vostre  particulier  ou  pour  son  service,  et  que 
nous  estimons  que ,  quand  on  leconsidereroit  bien ,  qu'on 
trouveroit  que  vous  ne  demandiés  que  ce  qui  estoit  né- 
cessaire pour  faciliter  la  negotiation  qui  vous  estoit 
commandée,  à  sçavoir  quelque  surseance  pour  les  villes, 
afin  de  lever  les  défiances,  et  vos  gardes  pour  reprimer 
plus  aisément  les  turbulens  et  infracteurs  des  edicts  ^ 
avec  vostre  compagnie  de  gensdarmes. 

Sur  ceci,  il  s'est  parlé  de  faire  passer  M.  d'Espernon 
jusques  en  Languedoc ,  et  ne  scais  encores  si  on  con- 
tinuera à  faire  instance  à  vostre  majesté  dV  aller;  il 
semble  qu'ils  ayent  apperceu  que  ceulx  qui  feurent 
conférer  avec  M.  de  Montmorency ,  de  la  part  des 
églises,  tinrent  son  parti  plus  tost  que  celui  du  roy; 
toutesfois  ils  dient  qu'ils  ont  particulièrement  à  se 
louer  de  M.  de  Chastillon. 

Ledict  sieur  d'Espernon  mené  vingt  et  cinq  gentils- 
hommes; on  a  parlé  que  M.  le  mareschal  de  Biron  deust 
aller  avec  lui';  mais  je  ne  le  puis  croire;  il  semble  re- 
teneu  pour  le  secours  de  Cambray.  Quand  nous  pro- 
posons les  entreprises  de  Bourgogne  ou  le  secours  de 
l'archevesque  de  Coulogne,  et  choses  semblables,  on 
nous  dict  que  ces  propositions  seroient  belles  si  vostre 


598  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

majesté  estoit  ici;  mais  que  le  roy  n'y  peult  entendre 
qu'il  n'ait  composé  le  dedans,  qui  despend  d'une  en- 
treveue ,  et  pense  qu'ils  remettent  à  y  penser  après  le 
succès  du  voyage  de  M.  d'Espernon. 

C'est,  sire,  ce  que  nous  sçachions  digne  de  vostre 
majesté,  et  par  où  je  finirai,  suppliant  le  Créateur, 
sire,  qu'il  vous  doint  en  santé  heureuse  et  longue  vie. 
De  Paris. 

Vostre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

DuPLESSIS. 


XCIX.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

Ja  roj  de  Navarre. 

Du  9  juillet  i58/l. 
Sire,  je  parts  demain,  aidant  Dieu,  de  ceste  ville, 
et  n'ai  voulleu  toutesfois  laisser  ceste  occasion  sans 
vous  escrire  ce  peu  que  j'ai  entendu.  On  m'escrit  de 
Paris  que  leurs  majestés  pourvoient  au  secours  de  Cam- 
bray  ;  que  M.  le  mareschal  de  Rhetz  y  est  allé  pour  re- 
cognoistre  Testât  des  choses  et  y  donner  ordre.  Il  a 
trouvé  moyen  d'embler  ce  voyage  à  M.  le  mareschal  de 
Riron.  J'estime  plus  tost  que  la  royne  aura  faict  choix 
de  lui,  comme  de  son  plus  confident;  et  peult  eslre 
qu'es  menées  qui  se  font,  l'aultre  n'aura  pas  semblé 
exempt  de  souspçon.  On  adjouste  que  le  sieur  Caron, 
que  vostre  majesté  a  veu  vers  son  altesse ,  député  de 
la  part  de  la  province  de  Flandres ,  est  arrivé  en  court; 
et  attend  aultres  députés  avec  lui  de  la  part  des  estais 
generaulx  des  Pays  Ras;  lesquels  ont  charge  de  supplier 
leurs  majestés  d'entreprendre  leur  conservation  et  dé- 
fense soubs  le  nom  et  tiltre  de  vostre  majesté,  puis 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  599 

qu'ainsi  est  qu'il  a  pieu  à  Dieu  retirer  son  altesse  ;  une 
personne  qui  communique  avec  eulx  le  m\i  ainsi  es- 
crit,  et  peult  estre  que  là  dessus  on  se  resouklra  d'en 
negotier  avec  vous. 

Je  désire,  sire,  beaucoup  de  bien  à  ce  povre  peuple 
là,  et  n'ignore  poinct  combien  importe  leur  conserva- 
tion; mais,  quand  je  considère  Testât  incertain  des  per- 
sonnes et  des  affaires ,  je  viens  à  craindre  qu'une  mu- 
tation n'adveinst  pendant  que  sériés  engagés  en  ces  pays 
là,  d'où  vous  ne  pourries  revenir  que  par  la  mer.  Et, 
pendant  qu'ung  vent  contraire  ou  ung  liyver  fascheux 
vous  retiendroit,  vos  ennemis  auroient  moyen  de  s'in- 
staller et  vous  fermer  la  porte.  Le  plus  seur  seroit  que 
vostre  majesté  les  secoureust  par  diversion;  attaquant 
le  Hainault ,  Artois  et  Luxembourg ,  d'oii  vous  tiendriés 
tousjours  la  porte  de  France  ouverte;  exécutant  quel- 
ques entreprises  en  Franche  Comté  pour  couper  che- 
min au  secours  d'Italie,  comme  les  moyens  vous  en 
ont  esté  ouverts;  et  le  tout  par  le  moyen  et  secours  du 
roy ,  sans  la  volonté  duquel  vous  ne  le  devés  vouUoir, 
non  plus  que  sans  son  pouvoir  vous  ne  le  pouvés  faire. 
Cependant  vostre  majesté  ne  lairra  de  soustenir  les  af- 
faires du  dedans  du  pays  en  Hollande,  Zeelande,  Bra- 
bant,  Gueldre,  Frise,  etc.,  en  leur  envoyant  par  mer 
quelque  nombre  d'hommes  conduicts  par  bons  capi- 
taines, et  entreteneus  des  deniers  du  roy,  pour  y  relever 
la  réputation  des  François  en  vivant  soubs  une  bonne 
discipline. 

Le  prince  de  Parme,  depuis  la  mort  de  son  altesse, 
prenant  prétexte  que  ceulx  des  Pays  Bas  sont  comme  gens 
desadvoués,  a  rompeu  quartier,  et  commencé  à  faire 
mourir  ceulx  qu'il  prend  ;  par  là  il  a  pensé  estonner  le 
peuple ,  et  degouster  du  service  les  estrangers  qui  le 


6oo  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS,  etc. 

Servent,  Au  contraire,  on  m'escrit  que  les  estais  en  ont 
faict   de  mesmes;  et  de  faict,  que  desjà  ils  ont  faict 
pendre  à  Anvers  plus  de  trois  cens  Wallons  et  soixante 
ou  quattre  vingts  Espaignols;  aussi  ont  ils  rompeu  tout 
commerce  par  mer;  tellement  que  l'armée  du  prince  de 
Parme  est  repandeue  en  divers  lieux ,  faulte  de  vivres. 
Au  reste,  sire,  M.  de  Mouy  partit  dimanche  de  ce 
lieu,  et  envoyé  son  train  àMontauban,  où  il  est  resoleu 
de  vous  venir  trouver  au  temps  de  l'assemblée.  Gomme 
il  partit ,  le  bruit  vcint  ici  de  la  mort  de  M.  de  Campa- 
gnac ,  et  nous  prya  ,  s'il  continuoit ,  de  vous  ramen- 
tevoir  l'occasion,  qui  par  là  s'offroit  à  vostre  majesté, 
de  faire  pour  lui  en  l'honorant  du  guidon  de  vostre 
compagnie,  qui  de  degré  en  degré  viendroit  à  estre 
vacant.  C'est  ung  office,  sire,  que  je  ne  puis  denier  à 
une  personne  à  qui  j'ai  voué  et  doibs  tant  d'amitié;  et, 
ouUre  cela,  j'ai   pensé  que  vostre  majesté  ne  pouvoit 
estre  par  aultre   plus  fidèlement  servie.  Je  m'en   suis 
donc  enhardi,  sire,  et  vous  supplie  très  humblement 
de  mettre  en  considération  tant  le  service  qu'il  vous 
peult  faire,  que  mesmes  celui  qu'avés  eu  pour  agréable 
de  feu  M,  de  Mouy  son  frère,  auquel  vostre  majesté 
daignoit  monstrer  beaucoup  de  bonne  volonté,  qu'd 
s'asseure  que  vous  lui  avés  résignée,  comme  il  désire 
succéder  en  l'affection  de  vous  faire  toute  sa  vie  très 
humble  service;  et  par  ce,  sire,  que  vostre  majesté 
cognoist  mieulx  que  nul  aultre  le  mérite  de  ceulx  qui 
la  servent,  je  ne  la  ferai  plus  longue,  sinon  pour  sup- 
plier le  Créateur,  sire ,  etc. 
De  Saincte  Foi. 


LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE,  eic.  Oor 

C  — LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 
Au  roy  Henry  III ,  rédigée  par  B'L  Duplessis. 

Monseigneur,  la  triste  nouvelle  que  j'ai  entendue 
par  les  lettres  de  vostre  majesté,  de  la  mort  de  feu  mon- 
seigneur, m'a  apporté  la  tristesse  qu'elle  a  deu  ;  car 
j'y  ai  recogneu  ma  perte  inestimable  selon  le  debvoir 
de  nature,  et  non  moins  ressenti  celle  de  vos  majestés 
pour  le  vif  ressentiment  que  j'ai  de  tout  ce  qui  leur 
touche.  Cependant  ceste  constance,  qui  a  esté  parti- 
culière à  vostre  majesté  à  surmonter  tant  d'afflictions, 
se  doibt  évertuer  en  ceste  adversité  à  surmonter  elle 
mesmes;  ce  que  je  m'asseure  que  vostre  majesté  fera, 
venant  à  considérer  la  volonté  de  Dieu,  soubs  laquelle 
il  est  raisonnable  que  toutes  les  nostres  se  ploient  ; 
c'est  pourquoi,  monseigneur,  je  ne  la  ferai  plus  longue 
à  vostre  majesté  pour  ce  regard,  ains  remettrai  le  sur- 
plus au  sieur  de  la  Roque  ,  que  j'envoye  exprès  à  vostie 
majesté  pour  lui  tesmoigner  combien  je  pastis  de  ceste 
affliction  en  moi  mesmes,  et  compastis  à  celle  que  je 
sçais  que  vostre  majesté  en  reçoit  ;  et  sur  ce ,  etc. 


CI.  —  INSTRUCTION  A  M.  DE  LA  ROQUE. 

Le  sieur  de  la  Roque  s'acheminera  en  court,  où  il 
présentera  h.  leurs  majestés  les  lettres  du  roy  de  Na- 
varre, et  leur  déclarera  la  douleur  qu'a  receue  le  roy 
de  la  mort  de  son  altesse,  qui  de  leur  part  leur  a  eslé 
signifiée  par  M.  de  Bellievre.  A  ce  propos  leur  dira  tout 
ce  qu'il  verra  convenir,  tant  pour  tesmoigner  son  re- 


^02  INSTRUCTION 

gret  et  compastir  à  leur  affliction,  que  pour  les  con- 
soler en  la  volonté  de  Dieu.  Et  surtout  leur  touchera  le 
ressentiment  qu'a  le  roy  de  Navarre  de  ceste  mort, 
quand  il  considère  Tappuy  qu'a  perdeu  le  roy  en  ceste 
personne,  contre  les  ennemis  de  sa  couronne;  la  con- 
solation dont  la  royne  se  sent  privée  en  l'aage  où  elle 
est,  après  tant  d'aultres  afflictions,  et  le  malheur  de 
cest  estât,  lequel,  au  milieu  des  grandes  occupations 
de  sa  majesté,  se  trouvoit  en  partie  couvert  de  la  va- 
leur et  magnanimité  de  ce  prince. 

Que ,  sur  ces  considérations ,  le  roy  de  Navarre  a  ung 
extrême  regret  que  ses  services  ne  sont  en  quelque 
façon  capables  de  soulager  les  ennuis  de  leurs  majestés. 
Tant  y  a  que,  s'il  ne  peult  redoubler  Taffection  qu'il  a 
tousjours  eue  de  leur  en  faire  ,  au  moins  il  taschera 
d'en  redoubler  le  soing  et  la  diligence;  estant,  ledit  sei- 
gneur roy,  résolu  de  ployer  toutes  ses  affections  et 
actions  soubs  les  sainctes  intentions  de  leursdictes  ma- 
jestés, et  ne  viser  désormais  qu'à  ce  qu'il  leur  pourra 
apporter  contentement  et  advancement  à  leur  service. 

Venant  à  propos,  tesmoignera  au  roy  le  plaisir  qu'a 
receu  le  roy  de  Navarre  de  la  veue  de  M.  d'Espernon, 
pour  le  tesmoignage  que  ce  lui  est  de  la  bienveillance 
de  sa  majesté  envers  lui ,  qui  ne  lui  peult  estre  niieulx 
rendeu  que  par  celui  qu'il  a  choisi  pour  dépositaire  de 
ses  plus  intérieures  affections  et  intentions  ;  que  comme 
à  tel  il  lui  a  aussi  ouvert  son  cœur,  qu'il  s'asseure  qu'il 
aura  veu  et  trouvé  tout  plein  de  sincérité  et  fidélité  en- 
vers son  service. 

Et  si  on  jette  ledict  sieur  de  la  Roque  sur  les  propos 
desquels  nous  avons  plus  particulièrement  discoureu  en- 
semble, se  ressouviendra,  s'il  lui  plaist,  des  responses 
qu  il  seroit  ici  trop  long  de  desduire.  Comme  aussi  se 


A  M.  DE  LA.  ROQUE.  6o3 

soubviendra  des  propos  teneus  au  roy  de  Navarre,  par 
^.T.  d'Espernon,  que  je  lui  ai  dicts  de  bouche,  pour  les 
faire  entendre  à  messieurs  de  Clervant  et  de  Chassin- 
court. 

Distribuera  les  lettres  du  roy  de  Navarre  aulx  princes 
et  seigneurs  aulxquels  il  escrit ,  leur  départant  aussi 
partie  du  langage  que  dessus  à  chacung,  selon  sa  qua- 
lité et  condition,  y  adjoustant  ce  que,  selon  sa  pru- 
dence, il  jugera  convenable. 

Et,  parce  qu'il  importe  que  ledict  sieur  de  la  Roque 
soit  bien  instruict  de  ce  qui  s'est  passé  ici  avec  M.  de  Bel- 
lievre,  c'est  en  somme  ce  qui  ensuit. 

Sur  le  voyage  de  Languedoc,  duquel  le  roy  escri- 
voit  ung  peu  froidement  au  roy  de  Navarre ,  encores 
que  M.  de  Bellievre,  qui  le  juge  nécessaire,  lui  voul- 
leust  persuader  que  le  roy  le  désire,  a  remonstré  le  roy 
de  Navarre  qu'il  estoit  tout  prest  de  le  faire,  si  tant  est 
que  sa  majesté  estime  que  son  service  lui  puisse  estre 
utile  en  cest  endroict. 

Mais  a  pensé  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  qu'il 
falloit  prendre  tout  au  pis,  pour  les  apparences  qu'on 
voyoit,  à  sçavoir  que,  peult  estre,  celui  dont  le  roy  est 
en  doubte,  se  rendroitopiniastre  à  ses  desseings,  contre 
Je  conseil  de  ses  amis.  En  ce  cas  ,  qu'il  ne  restoit  aultrc 
moyen  que  de  lui  soubstraire  la  créance  de  ceulx  de 
la  relligion ,  de  la  volonté  desquels  il  pourroit  abuser, 
et  sans  l'appuy  desquels  il  lui  seroit  malaisé  de  rien 
faire,  ce  qui  se  feroit  beaucoup  plus  aisément,  si  le 
roy  leur  avoit  levé  toutes  défiances  par  la  prolonga- 
tion du  terme  des  places.  Aultrement,  qu'on  leur  feroit 
accroire  qu'on  les  vouldroit  despouiller  pour  les  fouet- 
ter plus  aisément  après.  Et  y  auroit  danger  que  les 


6o4  INSTRUCTION 

paroles  dudict  seigneur  roy  de  Navarre  ne  feussent  pas 

suffisamment  persuasives  contre  tels  effects. 

Ces  raisons  ont  semblé  raisonnables  audict  sieur 
de  Bellievre,  lequel  nous  a  asseuré  que.  pour  le  moins, 
pendant  ce  voyage  de  Languedoc,  il  ne  seroit  poinct 
parlé  de  la  reddition  des  places.  Mais  le  roy  de  Navarre 
eust  désiré  dadvantage ,  à  sçavoir,  leur  porter  asseurance 
de  la  prolongation.  Et  de  ce  a  fait  ledict  sieur  de  Bel- 
lievre ,  depesche  à  leurs  majestés. 

Cependant  est  accordé  que  les  garnisons  seront  payées 
jusques  à  ce  qu'il  soit  pleinement  resoleu  desdictes 
places.  Et,  pour  en  resouldre,  consent  au  nom  du  roy, 
ledict  sieur  de  Bellievre,  une  assemblée  des  églises, 
laquelle  le  roy  de  Navarre  assigne  à  Montauban ,  au 
I  5*^  aoust.  A  ceste  fin  sera  nécessaire  de  faire  tenir  in- 
continent les  lettres  desquelles  il  est  le  porteur,  aulx 
provinces  de  delà,  dont  M.  de  Montigny  prendra,  s'il 
lui  plaist,  le  soing. 

Pour  la  chambre  de  Tedict  de  Bordeaux,  attendeu  que 
la  chambre  de  Guyenne  se  retire,  est  conveneu  qu'elle 
sera  redressée  au  plus  tost;  et  à  ceste  fin,  ledict  sieur 
de  Bellievre  escrit  à  leurs  majestés  d'envoyer  commis- 
sion à  M.  lemareschal  de  Matignon  ,  laquelle  aussi  il  sera 
bon  de  presser  en  court.  Le  roy  de  Navarre  requiert 
à  l'instance  des  églises  de  Guyenne,  qu'elle  tienne  sa 
séance  à  Agen;  sinon  des  ceste  heure,  comme  on  desi- 
reroit  fort,  à  tout  le  moins,  après  le  premier  semestre. 

Pour  le  règlement  de  la  chambre  de  l'Isle,  escrit 
aussi  ledict  sieur  de  Bellievre.  Le  roy  de  Navarre  requiert 
qu'en  attendant  qu'aultrement  y  soit  pourveu  ,  il  leur 
soit  commandé  de  suivre  le  règlement  de  la  chambre 
de  Guyenne;  sinon  il  en  fault  poursuivre  ung  aultre. 


A  M.  DE  LA  ROQUE.  6o5 

lequel  se  résolve  au  conseil  privé.  Aultrement  ne  fault 
attendre  aulcune  justice,  ains  au  contraire  toute  inso- 
lence et  confusion.  Sa  majesté  accordant  qu'il  soit  pour- 
veu  audict  règlement  par  son  conseil,  sera  nécessaire 
d'en  advertirau  plus  tost,  afin  que  les  conseillers  de  la 
relligion  de  la  chambre  de  l'Isle  députent,  quelqu'ung 
en  court,  pour  aller  débattre  les  articles  dudict  règle- 
ment au  conseil. 

Pour  la  maison  du  Casse ,  M.  de  la  Roque  sçait  ce 
qui  s'est  passé  en  sa  personne,  et  conune  il  a  esté  tue 
par  quelques  soldats  attirés  à  ceste  fin.  Maintenant  Birac 
son  frère  est  dedans,  qui  s'est  envoyé  soubmettre  au 
roy  de  Navarre.  On  lui  a  mandé  qu'il  en  mette  hors 
]es  soldats;  qu'il  la  garde  pour  en  faire  ce  qui  lui  sera 
commandé ,  et  est  conveneu  avec  M.  de  Bellievre  que 
les  fortifications  nouvelles  seront  démolies  et  rasées.  Le- 
dict  sieur  de  Bellievre  en  somme  s'en  tient  pour  content. 

La  place  de  Belfl.ou  détenue  par  Liques ,  en  ces  mar- 
ches de  Languedoc  ,  a  esté  délaissée  par  l'auctorité  du 
roy  de  Navarre,  et  remise  es  mains  du  propriétaire, 
moyennant  une  abolition.  Elle  estoit  en  telle  assiette , 
que,  pour  en  chasser  des  meschans,  il  en  eust  cousté 
des  gens  de  bien.  Le  tout  avec  l'advis  et  contentement 
dudict  sieur  de  Bellievre. 

Quant  à  Montréal ,  le  roy  de  Navarre  a  envoyé  quérir 
Marion  ,  lequel  est  prest  de  la  quitter,  moyennant  que 
soixante  et  dix  familles,  tant  d'Aleth  que  de  Vesplas, 
à  sçavoir,  cinquante  et  quattre  d'Aleth ,  et  le  surplus  de 
Vesplas,  soient  remises  en  leurs  maisons,  et  que  sa 
majesté  ottroye  une  abolition  générale  de  ce  qui  s'y  est 
passé.  Ces  conditions  ne  déplaisent  à  M.  de  Bellievre , 
mesmes  veu  les  effects  qu'en  vain  ont  faict  ceulx  de 
Thoulouse  contre  ledict  Montréal. 


6o6  AU  ROY. 


CIL  —  ^AV  ROY. 

Sire  ,  il  y  a  ung  an  ,  ou  environ ,  que  vos  très  humble^ 
et  très  obeissans  subjects  de  la  relligion  présentèrent  à 
vostre  majesté  ung  cahier  gênerai  des  inexécutions, 
contraventions  et  infractions  qui  se  tolleroient  ou  com- 
mettoient  en  vostre  royaume,  contre  l'intention  de 
vostre  m.ajesté,  déclarée  en  ses  edicts  de  pacification  et 
conférences  surensuivies. 

Et  des  lors,  sire ,  estoient  vos  susdicts  subjects  de  la 
relligion  honteux  de  présenter  devant  vostre  majesté 
choses  si  souvent  et  de  si  long  temps  réitérées,  n'igno- 
rans  poinct  que  vostre  majesté,  qui  a  occasion  de 
croire  que  ses  justes  commandemens  soyent  suivis 
d'une  prompte  obéissance ,  pourroit  tenir  leurs  plainctes 
à  importunité  comme  estant  satisfaictes  par  la  diligence 
de  ses  officiers  et  gouverneurs ,  soubs  ombre  que  par  sa 
debonnaireté,  elle  les  auroit  ouïes  etrespondeues.  Jugè- 
rent toutesfois  vos  très  humbles  subjects  qu'il  ne  leur 
serort  tourné  à  blasme,  puisque  leurs  douleurs  conti- 
nuoient,  de  continuer  leurs  plainctes  envers  elle. 

Lesquelles  de  faict  feurent  ouïes  et  receues  de  vostre 
majesté  avec  sa  doulceur  accoustumee ,  qui  plus  est 
respondeues  avec  autant  de  bienveillance  qu'ils  ne  font 
double  qu'ils  ne  t'eussent  jouissans  maintenant  d'ung 
plein  et  asseuré  repos  si  la  bonne  et  droicte  volonté  de 
vostre  majesté ,  qui  debvroit  estre  la  règle  des  aultres 
inférieurs,  eust  esté  suivie. 

Mais  par  ce,  sire,  qu'à  leur  grand  regret,  et  comme 
ils  s'asseurent  aultrement  mesmes  ,  soit  parle  malheur 
de  cest  estât,  soit  par  la  malice  d'ennemis  qui  en  deb- 
vroient  pourchasser  le  bien ,  il  s'est  au  contraire  en- 


AU  ROY.  607 

suivi  que  le  mal  s'est  opiniastré  et  roidi  contre  le  re- 
mède; que  les  inexécutions  n'ont  poinct  esté  satis- 
faictes,  les  contraventions  réparées,  les  infractions 
punies  et  réprimées;  que  la  connivence  et  impunité  au 
contraire  ont  flaté,  fomenté  et  multiplié  le  mal,  et  que 
les  remèdes  mesmes  que  vostre  majesté  auroit  donnés 
pour  adoucir  leurs  plaies,  leur  sont,  par  l'artifice  d'en- 
nemis ,  convertis  en  venins  et  en  poisons,  la  justice  en 
quelques  lieux  en  injustice  et  laseureté  en  oppression, 
sont  contraincts  vosdicts  très  humbles  subjects ,  sire, 
de  retourner  au  bout  de  Tan  vers  vostre  majesté  redou- 
bler leurs  plainctes;  lesquelles,  sire,  ils  ne  doublent 
poinct  que  vostre  majesté  ne  reçoive  de  très  bonne 
part,  puisque  desjà  de  sa  bonté  singulière  elle  a  vouUeu 
et  permis  qu'ils  se  soyent  trouvés  ensemble  en  sa  ville 
de  Montauban,  pour  les  faire  entendre  comme  tous 
d'une  voix.  Ains  au  contraire  s'asseurent  qu'elle  y  pour- 
voiera  doresnavant  d'aultant  plus  seurement  et  promp- 
tement,  qu'elles  lui  sont  de  plus  long  temps  confiées 
et  lui  ont  esté  plus  souvent  réitérées;  c'est  à  dire  que, 
de  plus  longtemps,  elles  appellent  et  attendent  la  seule 
main  de  vostre  majesté  pour  leur  apporter  soulagement. 
Remonstrent  donc  vosdicts  très  humbles  subjects 
que  comme  ainsi  que  vostre  edict  de  pacification  soit 
faict  des  l'année  iSyy,  y  a  tantosl  sept  ans,  et  que  ice- 
lui  ait  esté  beaucoup  retranché  de  celui  de  Tannée 
1 576,  dont  on  leur  auroit  faict  espérer  qu'il  seroit  plus 
soigneusement  observé,  à  peine  toutesfois  se  trouvera 
il  aulcung  article  devenant  effectué  sinon  en  tant  qu'il 
a  dépendu  de  l'obéissance  desdicts  de  la  relligion,  ou 
de  l'interest  des  catholiques  romains,  pour  lesquels  en 
partie  vostre  dict  edict  estoit  faict,  et  ce  nonobstant  que, 
pour  l'establissement  et  éclaircissement  d'icelui,  se  se- 


6o8  AL   ROY. 

roient  leneues  les  conférences  de  Nerac  et  du  Fieix ,  par 
le  moyen  desquelles  l'exécution  seinbleroit  estre  faci- 
litée :  ce  que  vostre  majesté  cognoistra  estre  très  véri- 
table s'il  lui  plaist  faire  examiner  tous  les  articles  con- 
cernant vosdicts  subjects  de  la  relligion,  lesquels  ,  pour 
la  pluspart,  consistent  en  la  liberté  et  exercice  de  leur 
relligion  ,  la  distribution  de  la  justice  et  les  asseurances 
et  seuretés. 

Pour  le  regard  de  la  liberté  de  conscience  de  ceulx 
de  la  relligion,  feut  dict  par  le  quatriesme  article  tant 
de  l'edict  que  de  la  conférence  du  Fleix,  qu'ils  pourroient 
demeurer  seurement  par  toutes  les  villes  et  lieux  du 
royaume,  sans  estre  enquis,  recherchés,  molestés,  ni 
contraints  à  faire  chose  pour  le  faict  de  ladicte  relligion 
contre  leur  conscience. 

Sur  quoi  auroit  esté  remonstré  à  vostre  majesté,  par 
le  cahier  précèdent,  qu'il  y  auroit  plusieurs  villes  no- 
tables en  ce  royaume  esquelles  ils  ne  vouidroient  souf- 
frir ung  seul  homme  de  la  relligion ,  Gahors ,  Castelnau- 
dary,  Lauzerte  en  Quercy,  et  plusieurs  endroicts  de 
Rouergue,  et  mesmes  en  Picardie  en  la  ville  de  Sainct 
Quentin. 

Item,  que  ce  seroit  une  chose  commune  par  toute 
la  France  de  denier  l'habitation  aulx  ministres  et  mais- 
tres  d'école  es  villes  où  l'on  ne  peult  prescher  selon 
Tedict,  comme  à  Metz  et  pays  Messin. 

Item ,  qu'en  plusieurs  villes  lesdicts  de  la  relligion 
estoient  molestés  par  continuelles  recherches ,  qui  se 
faisoient  à  heures  indeues  par  les  maisons ,  dont  seroient 
adveneus  plusieurs  inconveniens. 

Item,  qu'en  plusieurs  lieux,  s'il  advenoit  que  quel- 
qu'ung  de  la  relligion  feust  condamné  à  mort ,  on  l'ac- 
compagnoit  de  moines  et  jésuites,  pour  lui  tourmenter 


AU  ROY.  609 

la  conscience  jusques  à  la  fin  ,  contre  les  termes  exprès 
desdicts  edicts  et  conférences. 

Item,  qu'on  les  contraignoit  en  certaines  processions 
de  tendre  leurs  maisons  ou  de  payer  des  tapissiers  qui 
les  tendoient,  mesmes  de  saluer  les  croix,  bannières  et 
reliques  portées  à  ces  processions  dont  seroient  ad  veneus 
des  meurtres,  nommeement  en  Champaigne  et  Picardie 
en  l'ardeur  des  processions  blanches,  et  ce  contre  le  qua- 
triesme  article  des  conférences  du  Fleix. 

Item,  qu'en  certaines  courts  et  sièges,  on  contrai- 
gnoit les  advocats  et  procureurs  de  payer  pour  les 
confrairies  à  peine  de  ne  postuler. 

Item,  que,  contre  les  mesmes  articles,  ils  contrai- 
gnoient  ceulx  de  la  relligion  de  contribuer  aulx  répa- 
rations des  temples,  luminaires,  fontes  de  cloches, 
nommeement  en  pays  de  Xaintonge,  Provence,  Nor- 
mandie, bailliage  deCaux,  dont  seroient  proveneus  plu- 
sieurs procès.  Item ,  qu'on  declaroit  les  testamens  de 
ceulx  de  la  relligion  nuls,  quand  ils  ordonnoient  quel- 
que chose  pour  l'entretenement  du  ministre.et  subven- 
tions de  leurs  povres ,  comme  à  Chaslons  en  Champagne , 
Angers  et  au  Hasvre  de  Grâce. 

Sur  lesquelles  plainctes  à  vostre  majesté  présentées  en 
son  chasteau  de  Sainct  Germain,  par  le  sieur  de  Clervant , 
au  mois  de  novembre  dernier,  feut  par  icelle  respondeu 
que  son  intention  estoit  que  son  edict  feust  entreteneu  et 
exécuté  en  tous  ses  articles,  et  que,  pour  ce  regard,  in- 
jonction nouvelle  seroit  faicte  àses  lieutenans  generaulx 
de  faire  punir  lesaucteurs,  et  d'advertir  vostre  majesté 
du  debvoir  qu'ils  y  auroient  faict,  comme  aussi  aulx 
chambres  de  justice  et  juges  des  lieux  où  ceulx  de  la 
relligion   auroient  à  se  retirer,    d'en    faire  bonne   et 

MÉM.  DE  DUPLESSIS-MORNAY.  ToME  ir.  3f) 


6ro  AU  ROY. 

prompte  justice  sans  y  apporter  de  négligence  ou  con- 
nivence aulcune. 

Ce  neantmoins,  vosdicts  subjects  de  la  relligion  n'au- 
roient  receu  aulcung  fruict  de  la  response  qu'il  avoit 
pieu  à  vostre  majesté  leur  faire;  ains  auroient  leurs 
maulx  et  continué  et  continuent  encores;  mesmes 
accroissent  de  plus  en  plus  par  le  peu  d'ordre  qu'il  | 
y  auroit  esté  donné  jusques  à  présent,  nonobstant 
les  commandemens  de  vostre  majesté ,  nommeement 
es  villes  de  Rhodez,  d'Aurillac,  et  aultres  du  hault 
Auvergne,  ne  laissent  habiter  aulcungs  de  la  relligion, 
dont  ils  sont  contraints  d'estre  vagabonds,  et  en  ceste 
qualité  poursuivis,  et  pris  par  les  prevosts ,  tués  et  meur- 
tris par  les  champs,  n'ayant  ung  aultre  moyen  de  con- 
server leur  vie  qu'en  se  retirant  avec  infinies  incommo- 
dités es  villes  qu'il  a  pieu  à  vostre  majesté  leur  donner 
pour  seureté.  Le  semblable  est  practiqué  en  la  ville  de 
Cahors,  en  laquelle,  en  haine  de  la  dernière  prise  d'icelle, 
ils  ne  veullent  laisser  habiter  aulcung  de  la  relligion.  A 
Lauzerte  p^ireillement,  ayant  esté  partie  d'eulx  reunis  en 
leurs  maisons,  après  plusieurs  poursuites  par  M.  le 
mareschal  de  Matignon,  ils  ont  esté  tost  après  rechassés 
par  les  catholiques  du  lieu ,  et  s'estant  retirés  vers  la 
chambre  de  l'edict  establie  àLisle,  pour  avoir  justice 
des  outrages  qui  leur  sont  faicts  journellement,  leur  a 
esté  respondeu  par  lesdicts  de  la  chambre  qu'ils  n'en 
peuvent  cognoistre. 

Agen,  et  Anonay  en  Vivarez,  ne  permettent  aulx 
voisins  d'entrer  en  leur  ville  pour  jouir  de  l'exercice 
de  leur  relligion ,  mesmes  renvoyent  ceulx  qui  portent 
des  enfans  pour  les  faire  baptiser;  et  ce,  soubs  ombre 
qu'ils  les  appellent  estrangers,  qui  est  aussi  ung  prétexte 
commun  à  ceulx  de  Languedoc,  d'exclure  ceulx  de  la 


AU  ROY.  61  r 

relligion  de  l'habitation  des  villes,  comme  ainsi  soit  que 
tous  regnicoles  ,  par  l'edict  de  vostre  majesté ,  y  doibvent 
avoir  indifféremment  libre  accès  et  demeure.  Aussi 
c'est  tousjours  l'habitation  des  villes  detiiee  aulx  mi- 
nistres, quelque  poursuite  qu'ils  en  ayent  peu  faire, 
comme  es  villes  de  Lion,  Xainctes,  Coignac,  Angou- 
lesme,  Chauvigny  et  plusieurs  de  Picardie;  mesmes  sur 
les  plainctes  et  remonstrances  qui  en  auroient  esté  faictes 
à  la  chambre  de  justice,  restante  lors  à  Xainctes,  par 
le  consistoire  pour  le  ministre  de  ladicte  ville-,  qui  en 
auroit  esté  chassé  par  le  sieur  de  Ruffecq,  gouverneur 
de  la  Provence;  icelle  chambre  craignant  de  l'offenser 
n'en  osa  prendre  cognoissance.  Le  mesme  se  faict  pour 
le  regard  des  maistres  d'école  et  pédagogues,  nommee- 
ment  à  Bourges,  Mortaigne,  Sainct  Girons,  Uzez, 
Agen ,  Anonay  en  Vivarez ,  et  Sancerres ,  desquelles  deux 
dernières  ils  ont  esté  chassés  tous  fraischement.  La  court 
de  parlement  de  Paris,  par  arrest  du  5  décembre  i58a, 
a  ordonné  sur  les  conclusions  du  procureur  gênerai, 
que  tous  pédagogues ,  précepteurs ,  maistres  et  re.- 
gens  seront  teneus  et  contraints  bailler  au  recteur  leurs 
noms  et  surnoms,  et  de  leurs  enfans  et  disciples,  pour 
entendre  comment  ils  sont  enseignés  et  quelle  relligion 
ils  tiennent;  moyen  propre  pour  les  chasser  desdictes 
villes.  Item ,  les  recherches  par  les  villes  se  continuent 
plus  rigoureusement  que  jamais  ;  car  ,  à  Paris ,  les  jours 
ordonnés  pour  les  festes,  les  recherches  se  font  jusques 
aulx  chambres  des  artisans  pour  y  voir  s'ils  travaillent. 
A  Orléans  ils  menacent  les  povres  habitans  de  la  relli- 
gion d'estre  meurtris  et  saccagés  à  toutes  heures,  et  en 
ont  les  gardes  des  portes  blessé  et  offensé  plusieurs 
n'a  pas  long  temps  sans  qu'aulcune  justice  ni  mesmes 
recherche  s'en  soit  faicte ,  ni  ensuivie ,  quelque  plaincte 


6l2  AU  ROY. 

ou  poursuite  qu'on  en  ait  faicte  envers  les  juges  de  la- 
dicte  ville.  Item,  à  Paris,  en  Poictou  ,  Provence,  Xain- 
tonge,  continuent,  quand  ils  exécutent  quelqu'ung  de 
la  relligion,  de  l'accompagner  de  croix,  presbtres  et  jé- 
suites qui  lui  troublent  et  molestent  la  conscience 
jusques  à  la  mort;  et  en  plusieurs  villes,  nommeement 
à  Paris  et  Limoges,  les  enfans  sont  dérobés  pour  les 
baptiser  en  l'Eglise  romaine;  à  Paris,  Lyon,  Mascon, 
Marchesnois,  Montoire ,  contraignent  encores  de  tendre 
es  processions,  et,  à  faulte  de  ce,  condamnent  à  certaines 
amendes;  raesmes  en  la  ville  de  Chauvigny  ont  esté  et 
sont  les  biens  d'ung  particulier  nommé  Jehan  Regnault 
annotés  pour  n'avoir  tendu;  à  Bordeaux,  Agen,  Poi- 
tlîiers,  font  payer  les  deniers  des  confrairies,  pains 
bénits,  messes  du  palais,  aulx  advocats,  procureurs  et 
aultres,  et  aulx  écoliers  le  degré  de  licencié  et  doc- 
teur est  dénié,  s'ils  n'ont  tesmoignage  de  la  relligion 
romaine.  En  mesmes  lieux  et  plusieurs  aultres,  nom- 
meement à  Perigueux ,  on  contraint  ceulx  de  la  relligion 
de  contribuer  à  la  réparation  des  temples,  cloches,  lu- 
minaires; à  La  Rochelle,  s'estant  promis  mariage  ung 
jeune  homme  nommé  Pierre  Roy  et  une  jeune  fille 
nommée  Marie  Dudee,  tous  deux  de  la  relligion,  avec 
consentement  de  leurs  parens,  leur  estant  permis  de 
se  marier  selon  leur  conscience,  veue  l'opposition  du 
père  de  la  fille  qui  en  auroit  appelle  à  la  chambre  de 
l'edict  à  Paris,  ont  esté,  par  arrest  de  ladicte  chambre, 
condamnés  de  se  marier  dans  deux  mois,  selon  les  cé- 
rémonies de  l'Eglise  catholique  romaine, sur  peine  de 
deux  cens  escus  avec  tous  despens,  dommages  et  in- 
teresls.  En  Bretaigne  ne  veullent  recevoir  les  testamens 
de  ceulx  de  la  relligion,  s'ils  ne  sont  approuvés  par 
l'official  soubs   ombre  d'ung  article  de  coustume  du 


AU  ROY.  6l3 

pays ,  qui  sont  tous  griefs  manifestement  contraires  à 
l'intention  de  vostre  majesté,  portées  par  le  susdict 
quatriesme  article  déclaré,  par  les  neuf  et  treiziesme 
articles  de  vostre  edict  et  quatriesme  de  la  conférence 
de  Fleix. 

Les  mesmes  plainctes  f eurent  f aides  au  roy  en  Van  dernier , 
ainsi  qu'il  appert  par  le  cahier  des  remonstrances  présentées  à  sa 
majesté  par  les  supplians  ;  à  quoi  f  eut  respondeu  {sur  le  quatriesme 
article  des  remonstrances  etaultres  concernans  les  mesmes  edicls) 
que  sa  majesté  estimoit  avoir  suffisamment  déclaré  son  intention 
par  ses  edicts  de  paix  qui  ont  esté  publiés  par  tous  les  sièges  et 
lieux  de  son  royaume ,  et  ayant  estahli  les  chambres  accordées 
par  lesdicts  edicts ,  se  doibvent  lesdicts  suppliaiis  addresser  aulx- 
dictes  chambres  et  aultres  ses  officiers,  aulxquels  elle  commandait 
très  expressément  (  comme  derechef  elle  faict  )  de  leur  faire 
bonne  et  prompte  justice  ^  en  sorte  qu'ils  jouissent  du  bénéfice  de 
tout  ce  qui  est  conteneu ,  et  leur  a  esté  accordé  par  lesdicts  edicts  * 
et  où  il  apparoistroit  de  négligences  ou  connivences  desdicts  of- 
ficiers ,  sadicte  majesté  en  fera  faire  telle  punition  que  au  cas 
escherra,  et  à  ce  que  sa  bonne  et  droicte  intention  sur  l'ob- 
servation  de  ses  edicts  de  paix  soit  mieulx  cogne ue  par  ung  cha^ 
cung ,  elle  députera  promptement  aulcungs  bons  et  grands  per- 
sonnages,  qui  se  transporteront  es  lieux  et  endroicts  de  son 
royaume  où  besoing  sera  pour  faire  exécuter  ,  garder  et  entrete- 
nir ses  edicts  de  paix  et  conférences  de  Nerac  et  de  Fleix.  (i) 

Feiit  dict,  par  l'article  5  et  6  de  l'edict,  que  les  liaults 
justiciers  et  ayant  fiefs  de  haubert,  auroient  l'exer- 
cice de  la  reliigion  pour  tous  ceulx  qui  vouldroient 
y  aller  indifféremment,  et  sur  ce  que  les  procureurs 
generaulx,  et  leurs  substituts,  en  fraude  de  la  loi,  au- 
roient débattu  à  plusieurs  lieux  haulte  justice  ou 
fîef  de  haubert,  pour  les  exclure  de  ce  privilège,  feut 
adjousté   es  conférences  de  Nerac  et  Fleix  ;  pourveu 

(i)  Les  réponses  faites  par  Henri  TU,, à  ce  Mémoire,  sont 
imprimées  en  italique. 


6i4  AU  ROY. 

que  les  haults  justiciers  feusseiit  en  possession  actuelle 
lors  de  la  publication  de  l'edict ,  et  nonobstant  que  les- 
dicts  procureurs  generaulx  ou  leurs  substituts  feussent 
parties  contre  eulx. 

Sur  quoi  auroit  esté  remonstré  à  vostre  majesté  que 
plusieurs  gentilshommes  haults  justiciers,  nommee- 
ment  en  Dauphiné,  Provence  et  Beaujolois,  estoient 
empeschés  du  susdict  bénéfice  porté  par  ledict  edict , 
partie  par  inhibitions  expresses  du  magistrat,  partie 
par  les  troubles  qu'on  leur  faisoit  susciter  par  des  par- 
ticuliers. Item,  que  le  baron  de  Boudeville,  pour  son 
fîef  de  haubert  de  la  Rivière  Bordet ,  nonobstant  que, 
paravant  ne  lui  eust  oncques  este  débattu ,  n'a  peu  toutes- 
fois  jouir  du  bénéfice  de  l'edict,  pour  ce  qu'on  voulloit 
par  ce  moyen  incommoder  ceulx  de  la  relligion  de  la 
ville  de  Rouen.  Ce  qui  pareillement  est  practiqué  à  Metz, 
Thoul  et  Verdun  ,  pays  de  vostre  protection,  où,  pour 
tout,  ils  n'avoient  qu'une  seule  maison  de  gentilhomme 
pour  le  presche,  nonobstant  que  plusieurs  ayent  droict 
de  l'avoir,  et  en  ayent  faict  instance;  qui  est  contre  l'ar- 
ticle exprès  des  articles  secrets;  qui  plus  est, qu'on  seroit 
passé  si  avant  contre  les  mots  exprès  de  l'edict,  qu'on 
auroit  profité  de  ce  que  les  gentilshommes,  jouissans 
actuellement  de  haulte  justice  ,  ne  pouvoient  toutes- 
fois  jouir  dudict  bénéfice,  s'ils  relevoient  en  hommage 
d'ung  seigneur  catholique,  ce  qui  nommeement  au- 
roit esté  practiqué  en  Provence  contre  le  sieur  Desguilles 
et  auhres.  Item  ,  que  l'exercice  de  la  relligion  auroit 
esté  défendu  en  vos  pays  de  Picardie ,  mesmes  à  la 
dame  de  Pequigny,  soubs  ombre  que  c'estoit  pays  de 
frontière  :  sur  quoi  auroit  pieu  à  vostre  majesté  ordon- 
ner que  ses  edicis  seroient  observes  ;  et ,  quant  a  la 
Picardie^  que  ladicle  de/èfise  n'estoit  que  pour  ung 


AU  ROY.  6i5 

temps,  et  sans  préjudice  de  vostre  edict,  pendant  qu'il 
se  faisoit  assemblée  de  gens  de  guerres  sur  les  fron- 
tières. Ce  nonobstant,  soyent  demeurées  toutes  leSsus- 
dictes  plainctes  en  leur  entier,  nommeement  celle  qui 
est  pour  le  regard  dudict  sieur  de  Boudeville  et  de  son 
fie/  de  la  Rivière  de  Bordel,  comme  encores  demeure 
la  défense  de  l'exercice  de  ladicte  relligionjaicte  de 
la  la  rivière  de  Somme,  et  a  la  dame  de  Pequigny.  Non- 
obstant que  les  prétextes  prétendus  par  le  sieur  de 
Creneveur  sont  cessés,  lesquels,  ores  qu'ils  continuas- 
sent ,  ne  semblent  avoir  deu  tenir  lieu ,  veu  le  peu  d'ap- 
parence qu'il  y  a  que  les  assemblées  desdicts  de  la  re!- 
ligion  puissent  estre  préjudiciables  au  bien  et  service  de 
sa  majesté;  aussi,  en  Daupbiné  de  fraiscbe  mémoire, 
les  sieurs  Destapes  près  Grenoble  et  Sainct  Mauris  près 
Romans,  commençans  l'exercice  de  la  reliigion  en  leurs 
maisons,  oii  ils  ont  haulte  justice,  ont  esté  empeschés 
par  la  court  de  parlement  dudict  Grenoble,  laquelle 
poursuit,  tant  lesdicts  gentilshommes  qu'aultres,  qui  ont 
assisté  audict  exercice,  par  ajournement  personnel.  En 
Anjou,  le seneschal dudict  lieu  a  interdict  l'exercice  de 
la  reliigion  au  sieur  de  Villiers  de  Charlemaigne,  com- 
bien que  sa  seigneurie  de  franc  aleu  ait  haulte  justice  : 
de  quoi  notoirement  soit  apparu  audict  seneschal  par 
bonstiltres  et  enseisnemens. 

Semblables  plainctes  ont  estéfaictes  au  cahier  précèdent  es  20, 
21,  22  et  iZ"  articles ,  entendant  sa  majesté  que  les  provisions 
y  ordonnées  ayent  lieu ,  et  que ,  suivant  icelles,  les  chambres  et 
commissaires  fassent  droict  aulx  supplians. 

Feut  dict  aussi  par  l'article  7  de  l'edict,  et  confirmé 
parle  dixiesme  delà  conférence  du  Fleix,  que  l'exercice 
de  la  reliigion  seroit  permis  es  villes  et  lieux  où  il  estoit 
le    18  septembre  1578.  Sur  quoi  auroit  esté  aussi  re- 


6i6  AU  ROY. 

monstre  à  vostre  majesté,  par  ledict  cahier  précèdent ^ 
que  l'exercice  de  ladicte  relligion  n'auroit  encores  esté 
permis  en  plusieurs  lieux  de  ceste  nature,  comme  l'isle 
d'Albigeois  etMontaignac  en  Languedoc,  soubs  ombre 
qu'audict  Montaignac  l'exercice  de  la  relligion  ne  s'y 
feit  pas  le  propre  jour   de  l'edict.  Item,  Villeneufve 
d'Agennoys,  la  Reolle,  Perigueux,  Lauzerte  en  Guyenne , 
nonobstant  que  la  chambre  de  Languedoc  auroit  esté , 
par  la  conférence  de  Nerac ,  arrestee  en  ladicte  ville  de 
Lisle,  et  que  la  chambre  de  Guyenne  residast  lors  à 
Perigueux ,  ayant  long  temps  résidé  à  Agen  ;  comme 
aussi  M.  le  mareschal  de  Matignon  auroit  esté  plusieurs 
fois  audict  lieu  de  Villeneufve,  desquels  lieux  debvroit 
principalement  luire  l'exécution  de  l'edict  qui  n'est  pas 
la  moindre  partie  de  la  justice,  c'estoit  la  principale 
cause  de  l'érection   desdictes  chambres.   Item  ,  qu'en 
Dauphiné  l'exercice  de  la  relligion  auroit  esté  inter- 
dict  en  la  ville  de  Queras  et  du  bourg  Duysens ,  où  il 
y  a  plusieurs  paroisses  et  bourgs;  auroit  aussi,  ledict 
exercice ,  esté  interdict  à  ceulx  de  la  Mure ,  du  bourg 
de  Moustier  et  de  Glermont;   item,    qu'en   plusieurs 
lieux  et  villes  de  Provence  auroit  esté,  ledict  exercice, 
défendu ,  partie  par  cri  public ,  partie  par  arrests  pro- 
visionnels ,  sans  attendre  preuve ,  contre  la  teneur  dudict 
article,  nommeement  en  la  ville  et  ressort  de  Dragui- 
gnan ,  Digne  et  Deguille  ,  et  par  ce  moyen,  grand  nom- 
bre de  la  relligion  dcmeuroit  privé  d'icelle;  sur  lesquelles 
plainctcs  à  vostre  majesté  portées  comme  dessus,  feut 
par  icelle  respondeu   qu'elle  voulloit  et  ordonnoit  le 
conteneu  audict  septiesmc  article  de  son  edict,  estre 
réellement  et  de  faict  exécuté,  dont  seroient  expédiées 
toutes  lesprovisions  nécessaires.  Ce  neantmoins,  vosdicts 
subjects  de  la  relligion  n'auroient  senti  aulcung  fruict 


AU  ROY.  6 1  7 

de  ladicte  response  de  vostre  majesté,  quelque  pour- 
suite qu'ils  en  ayent  peu  faire  ,  tellement  que  toutes  les 
précédentes  plainctes  et  causes  d'icelles  durent  encores, 
comme  nommeement  esdictes  villes  de  Perigueux  et  de 
Lisle ,  quelque  instance  qui  en  ait  esté  faicte  vers  les  lieu- 
tenans  generaulx  et  chambres  de  justice ,  pareillement 
es  villes  de  Florence  et  Montfort  en  Armaignac  ;  l'exer- 
cice de  la  relligion  est  empesché  nommeement  au- 
dict  Montfort,  et  pareillement  audict  Florence,  par 
les  garnisons  des  citadelles  y  basties  depuis  la  paix. 
Item ,  à  Lauzerte  en  Quercy ,  Menglon  en  Daupbiné , 
Mortaigne  sur  Gironde ,  en  Xaintonge ,  Brives  en  Li- 
mousin, Tourves  en  Provence,  mesmes  à  Chastillon  sur 
Loire ,  qui  est  une  ville  assise  loing  des  animosités  , 
des  guerres  civiles  ;  ledict  exercice  qui  y  estoit  le  1 7 
septembre  1577,  et  auroit  continué  jusqu'en  juillet  de 
l'année  1 58 1 ,  auroit  esté  interdict  à  l'instance  de  l'abbé 
de  Sainct  Benoist. 

Le  roy  veult  que  le  septiesme  article  de  son  edict  soit  réelle^ 
ment  et  tout  àfaict  exécuté  ;  et  de  ce  en  seront  expédiées  toutes 
les  provisions  nécessaires. 

Feut  dict  par  l'article  8  dudict  edict,  qu'en  chacung 
ancien  bailliage,  c'est  à  dire,  comme  exposent  les  ar- 
ticle 2 ,  article  3,  teneus  pour  tels  du  temps  du  roy  Henry, 
auroit  esté  ordonné  une  ville,  s'il  y  en  avoit  plusieurs, 
ou ,  en  default  de  ville ,  ung  bourg  ou  village  pour  l'exer- 
cice de  la  relligion,  pour  tous  ceulx  qui  y  vouldroient 
aller;  et  feut  adjousté  par  la  conférence  de  Nerac,  que 
ledict  lieu  seroit  à  la  commodité  de  ceulx  de  ladicte 
relligion,  et,  depuis,  par  celle  du  Fleix,  que  lesdicts  de  la 
relligion  en  nommeroient  quattre  ou  cinq  desquels  vostre 
majesté  en  choisiroit  l'ung;  et  s'il  ne  leur  estoit  com- 
mode lieu,  en  nommeroit  dans  ung  mois  après,  ung 


6i8  AU  ROY. 

aultre  le  plus  à  la  commodité  que  faire  se  pourroit. 
Sur  quoi  auroit  aussi  esté  remonstré  à  vostre  majesté, 
par  le  précèdent  cahier,  que  l'exercice  de  ladicte  relli- 
gion,  en  plusieurs  desdicts  bailliages  et  seigneuries, n'au- 
roit  encores  este  establi,  comme  nommeement  en  Pro- 
vence, Champaigne,  Bourgogne,  Pays  Messin,  et  ayant 
esté  establi  en  quelques  lieux ,  en  auroit  esté  dechassé 
par  défenses  expresses  ,  comme  en  Picardie  et  Boulon- 
nois ,  soubs  ombre  des  frontières  et  de  la  circonstance 
du  temps,  comme  si  sa  majesté  eust  eu  subject  pour  le 
regard  de  TEspaignol ,  moins  à  doubte  que  ceux  là. 
Item,  que  les  gouverneurs  les  renvoyent  à  vostre  ma- 
jesté, quand  vostre  majesté  les  avoit  renvoyés  aulx 
gouverneurs  ,  dont  advenoit  qu'après  tant  de  pertes 
passées,  ils  se  consommoient  encores  en  frais;  qui  plus 
est,  qu'on  leur  nommolt  le  plus  incommode  lieu  de 
tout  le  bailliage,  ou  esloigné,  ou  désert,  ou  dangereux, 
contre  les  mots  exprès  des  conférences.  Sur  quoi  vostre 
majesté  auroit  renvoyé  lesdicts  supplians  à  ses  lieute- 
nans  generaulx  et  aultres  officiers ,  et  nommeement  aulx 
commissaires  lors  députés ,  pour  se  transporter  par 
toutes  les  provinces  de  ce  royaume  ,  aulx  fins  d'y  pour- 
voir. Ce  nonobstant,  s'estant  retirés  lesdicts  supplians, 
vers  lesdicts  lieutenans  generaulx  et  commissaires  ,  aul- 
cungs,  après  plusieurs  longueurs,  auroient  esté  derechef 
remis  à  vostre  majesté ,  comme  ceulx  de  Chaslons  en 
Champaigne;  à  d'aultres  auroit  esté  respondeu,  par  les- 
dicts commissaires ,  qu'ils  n'en  avoient  aulcune  charge; 
ensomi^e,  n'auroit  esté  pourveu  à  aulcungs  desdicts 
bailliages  et  seigneuries  des  lieux,  pour  ledict  exercice, 
selon  l'intention  de  vostre  majesté ,  comme  nommee- 
ment en  Perigord,  Limozin,  Auvergne,  Thouraine, 
Orléans,  Tours,  Carcassonne,  Coignac,  Beziers,  Xain- 


AU  ROY.  619 

tonge  ,  Poietou  ,  Lionnois  ,  Beaujolois  ,  Chastelerault 
et  aultres,  mesmes  ceulx  de  la  relligion  de  Lionnois 
ne  pouvant  nommer  aultre  lieu  appartenant  a  vostre 
majesté  que  Saincte  Colombe,  ne  V  avaient  pu  obtenir, 
encores  qiiilne  leur  feust  fort  commode,  soubs  ombre 
qu'il  estait  près  de  la  ville  de  Vienne  ,  en  la  senes- 
chaussée  de Sivray  en  Poietou,  combien  quelepreschey 
eustesté  establi  parles  commissaires  designés  pour  l'exé- 
cution de  l'edict.  Neantmoins  les  presches  auroient  esté 
interdicts  par  M.  le  comte  de  Lude,  gouverneur  en 
Poietou  ;  le  lieu  de  Magely  ayant  esté  ordonné  par  les- 
dicts  commissaires,  pour  la  seigneurie  de  Xainctes ,  et 
depuis  esté  changé  par  l'auctorité  privée  de  M,  de 
Ruffecq,  en  ung  lieu  plus  esloigné  et  très  incommode; 
en  risle  de  France  la  qualité  des  bailliages,  encores 
qu'on  en  faict  apparoislre ,  est  débattue  comme  telui 
de  Chaumont  en  Beauvoisis,  ou  sont  renvoyés  au  gou- 
verneur, duquel  on  ne  peult  obtenir  aulcune  provision; 
que  si  on  les  pourvoit,  ou  c'est  d'ung  lieu  appartenant 
à  ung  gentilhomme  hault  justicier,  et  qui  y  a  desjà  esleu 
son  domicile,  comme  Mony  pour  le  bailliage  de  Senlis; 
ou  si  c'est  quelque  lieu  passable ,  les  officiers  des  lieux 
leur  forment  des  oppositions  comme  ceulx  de  Mont- 
fort  et  Dreux;  ou  on  les  leur  baille  si  incommodes, 
qu'ils  leur  sont  du  tout  inutiles  ,  comme  à  ceuk  de 
Meaux;  de  sorte  qu'en  toute  l'Isle  de  France  ils  n'ont 
lieux  que  pour  deux  bailliages,  à  sçavoir,  Dourdan  et 
Mantes.  Ainsi  le  lieu  de  Baugé ,  qui  est  très  incom- 
mode, a  esté  baillé  pour  tout  l'Anjou  ,  combien  qu'ung 
aultre  beaucoup  plus  commode  eust  esté  accordé  par 
feu  d'heureuse  mémoire ,  Monseigneur  ,  frère  de  vostre 
majesté,  et  confirmé  par  icelle. 

Le  roy  baillera  leUres  addressees  à  tous  ses  lleutenans  gène- 


bao  AU  ROY. 

raulx  aulxquels  sera  mandé  de  pourvoir  promptement  et  sans 
délai  aulx  siippUans  de  lieux  pour  l'exercice  de  leur  relligion  , 
suivant  l'edict  et  les  conférences ,  et  en  dedans  ,  dix  jours  pour  le 
plus  tard  après  que  lesdictes  lettres  auront  esté  présentées  ,  dont 
lesdicts  lieutennns  donneront  advis  h  sa  majesté  par  ceulx  qui 
leur  auront  porté  lesdictes  lettres  ;  età  faulle  d'y  avoir  esté  satis^ 
faictpar  iceulx  lieutenans  generaulx ,  sadicte  majesté  pourvoira 
promptement  sur  les  requestes  desdicts  supplians, 

Feut  defendeu  par  l'article  1 1  de  l'edict,  à  tous  pres- 
cheurs ,  lecteurs  et  aultres  qui  parlent  en  public,  d'user 
d'aulcungs  propos  séditieux;  enjoint  aulx  officiers  de 
vostre  majesté  d'y  tenir  la  main  ,  et  ce,  en  suivant  la 
conférence  de  Fleix,  sur  peine  d'en  respondre  en  leurs 
propres  et  privés  noms  ,  et  estre  privés  de  leurs  estais, 
sans  jamais  y  estre  remis.  Sur  quoi  auroit  esté  vostre 
majesté  lors  advertie  parles  plainctes  contenues  au  sus- 
dict  cahier,  de  plusieurs  notables  contraventions  à  cest 
article  ,  laquelle  auroit  promis  d'y  pourvoir,  et  mander 
à  ses  officiers  de  justice  d'y  tenir  la  main ,  sur  peine 
d'encourir  son  indignation.  Au  contraire,  ont  à  se 
plaindre ,  lesdicts  de  la  relligion ,  que ,  par  la  connivence 
desdicts  officiers,  les  prescheurs  continuent  leurs  inso- 
lens  propos  de  plus  en  plus ,  annonçant  au  peuple  que 
le  temps  de  la  remise  des  villes  est  escheu  ,  et  par 
ainsi  rendent  les  catholiques,  en  tant  qu'en  eulx  est, 
animés  à  mal  faire  ,  et  remplissent  de  défiances  lesdicts 
de  la  relligion,  au  temps  qu'ils  auroient  plus  de  besoing 
de  confiance;  n'espargnent  aussi  en  leurs  presches  les 
princes  qui  ont  cest  honneur  d'appartenir  à  vostre  ma- 
jesté ,  mesmes  osent  bien  passer  si  avant  que  lascher 
des  propos  contre  Testât  de  vostre  majesté,  qui  est  une 
plaincte  commune  en  tout  ce  royaume ,  et  principalement 
remarquée  en  toutes  les  villes  plus  notables  d'icelui , 


AU  ROY.  621 

comme  Paris  ,  Rouen  ,  Thoulouse  ,  Lion  ,  Orléans , 
Tours,  Bordeaux,  Aix,  Marseille  et  aultres,  esquels 
lieux  n'y  auroit  besoing  cVauItres  lesmoignages  pour  faire 
leurs  procès,  que  les  juges  et  officiers  de  vostre majesté 
qui  assistent  à  leurs  presches. 

Le  roy  a  déclaré  son  intenlion  sur  le  conteneu  en  cest  article  , 
faisant  response  au  vingt  septiesme  article  du  cahier  précèdent,  et 
enjomct  ledict  seigneur  très  expressément  à  ses  officiers  de  tenir 
la  main  à  dire  qu'il  ne  soit  contreveneu  à  Vonziesme  article  de 
Vedictdepaix;  sur  plusieurs  demandes  arbitraires  contre  lesdicts 
officiers ,  suspension  et  privation  de  leurs  offices  si  elle  y  eschet. 

Feut,  parle  quatorziesme  article  de  vostre  edict,  de- 
fendeue  très  expressément  l'impression,  publication  et 
vendition  de  tous  livres  et  escrits  diffamatoires,  sur  les 
peines  contenues  es  ordonnances  de  vostre  majesté  , 
enjoignant  à  tous  juges  et  officiers  d'y  tenir  la  main; 
ce  neantmoins,  journellement  s'in)priment  et  publient 
libelles  diffamatoires  tendant  à  sédition,  entre  lesquels 
se  trouve  aujourd'hui  le  livre  d'un  nommé  Jean  Bru- 
neau,  advocat,  et  bien  imprimé  à  Paris  avec  privi- 
lège, et  dédié  à  vostre  majesté,  auquel  livre,  entre 
plusieurs  choses  diffamatoires  contre  ceulx  de  la  relli- 
gion,  l'aucteur  a  tant  osé  que  s'attaquer  aulx  princes 
qui  ont  cest  honneur  d'appartenir  à  vostre  majesté,  les 
appelant  criminels  de  leze  majesté  divine  et  humaine. 

Le  roy  veult  que  ce  livre  soit  veu  et  procédé  en  cefaict ,  suivant 
la  rigueur  de  son  edict  de  paix. 

Feut  dict,  par  l'article  i5  dudict  edict,  que,  pour  le 
regard  de  la  relligion,  ne  seroit  faict  d'instruction  à 
recevoir  les  écoliers  es  universités,  collèges,  écoles, 
ni  les  malades  es  hospitaulx;  sur  quoi  feut  lors  par 
lesdicts  de  la  relligion  remonstré  à  vostre  majesté  , 
comme  encores  à  présent  ils  lui  remonstrent,  à  faulte  d'y 


622  AU  ROY. 

avoir  esté  pourveu  par  les  officiers  de  vostre  majesté, 
que  es  collèges  on  ne  veult  recevoiraulcungs  regens  ni 
précepteurs  de  larelligion,  encores  qu'il  ne  soit  question 
que  des  lettres  humaines;  à  Paris ,  Lion ,  Agen ,  Thour- 
raine ,  le  Maine,  Anjou,  Vendosmois  ,  Picardie,  les 
écoliers  mesmes  n'y  en  sont  en  liberté  de  conscience; 
ains  sont  contraincts  d'assister  aulx  cérémonies  de 
l'Eglise  catholique  romaine,  nommeement  es  collèges 
d'ancienne  fondation,  comme  celui  de  Foix  fondé  par 
les  prédécesseurs  du  roy  de  Navarre,  à  Thoulouse,  où 
ceulx  de  la  relligion  sont  contraincts  de  céder  leurs 
places  aulx  catholiques,  d'aultant  qu'ils  n'y  sont  souf- 
ferts. Item,  qu'es  villes  episcopales,  où,  par  les  estats 
d'Orléans  ont  esté  destinées  certaines  prébendes  pour 
l'instruction  de  la  jeunesse,  on  ne  vouldroit  pas  seule- 
ment recevoir  ung  soubs  précepteur  faisant  profession  j 
d'aultre  relligion  que  de  la  catholique  romaine,  mesmes 
pour  enseigner  les  basses  lettres;  comme  ainsi  soit  tou- 
lesfois  que  lesdicts  biens  ne  soient  moins  procédés  des 
maisons  de  ceulx  de  la  relligion  que  des  aultres,  et 
ayent  esté  affectés  par  les  susdicts  estats  à  ce  bon  usage, 
en  considération  de  tous  les  deux  indifféremment  ;  bref, 
pour  empescher  les  écoliers  d'estre  gradués  en  leur  pro- 
fession, c'est  à  dire  de  parvenir  aulx  dignités  qui  s'en  en- 
suivent,  en  fraude  de  l'article  19  dudict  edict ,  par  le-  i; 
quel  ils  en  sont  déclarés  indifféremment  capables,  ils 
les  assujettissent  en  plusieurs  universités  à  certaines 
cérémonies  répugnantes  à  leurs  consciences ,  ne  les 
voullant  examiner  en  quelques  villes  que  devant  l'au- 
tel, à  genoux,  et  à  la  fin  de  la  messe,  comme  à  Tour- 
non  ,  Aix  en  Provence  et  ailleurs;  à  Nismes,  combien 
que  par  le  feu  roy  François  I" ,  de  très  heureuse  mé- 
moire,  auroit  esté   fondé  ung  collège  en  tiltre  d'uni- 


AU  ROY.  623 

versité,  et  doté  de  douze  cens  livres,  à  prendre  sur 
les  fermiers  du  scel ,  et  de  quattre  prébendes  à  pren- 
dre sur  les  quattre  villes  plus  prochaines;  et  neant- 
moins  ont  pris  depuis  quelque  temps  ledict  collège, 
tant  desdicts  quattre  prébendes  que  de  la  plus  grande 
part  des  douze  cens  livres  ordonnées  comme  dict  est, 
dont  à  peine  depuis  deux  ans  on  a  peu  tirer  desdicts  fer- 
miers la  somme  de  quattre  cens  vingt  livres. 

A  Agen  les  povres  de  la  relligion  ne  sont  aulcune- 
ment  receus  es  hospitaulx;  à  Lion  lesdicts  povres  de  la 
relligion  ne  sont  receus  à  l'aumosne  générale ,  sinon 
qu'ils  assistent  à  certaines  processions  et  aultres  céré- 
monies contraires  à  la  liberté  de  leurs  consciences.  Aussi 
es  hospitaulx  et  aumosnes  générales  ne  sont  receus  aul- 
cuns  receveurs  que  catholiques  romains;  mesmes  quand 
ceulx  de  la  relligion  font  quelques  legs  pour  les  povres, 
pour  l'entretenement  du  ministre  et  aultres  nécessités 
de  l'Eglise  reformée ,  les  receveurs  des  hospitaulx  et 
aumosnes  générales  se  font  entièrement  payer  lesdicts 
legs,  sans  qu'aulcung  profit  en  revienne  aulxdicts  de  la 
relligion,  comme  es  susdictes  villes  de  Lion  et  Agen, 
et  aussi  Chasteaudun  et  aultres. 

Le  roy  à  pourveu  sur  le  conteneu  au  présent  article ,  faisant 
response  aulx  seiziesme  et  dix  septiesme  articles  du  cahier  pré- 
cèdent. 

Feut,  en  l'article  8  des  articles  secrets,  dict,  pour 
l'éclaircissement  de  l'article  16  dudict  edict,  que  ceulx 
de  la  relligion  qui  auroient  contracté  mariage  au  tiers 
et  quart  degré  n'en  pourroient  estre  molestés,  ni  la 
validation  desdicts  mariages  mise  en  doubte,  ne  pareille- 
ment la  succession  ostee  ne  querellée  aulx  enfans  nés 
ou  à  naistre ,  descendans  desdicts  mariages.  Toutes- 
fois,  nonobstant  ledict  éclaircissement  et  interpréta- 


624  AU  ROY. 

tion  ,  plusieurs  de  ladicte  relligion ,  mesmes  en  divers 
lieux  de  Languedoc ,  Guyenne  et  Dauphiné ,  sont  mo- 
lestés sur  le  faict  desdicts  mariages  et  successions  qui 
en  dépendent,  dont  peuvent  naistre  plusieurs  procès, 
querelles  et  inconveniens. 

Le  roy  commandera  derechef  h  tous  ses  officiers  de  faire 
observer  ce  qui  pour  ce  regard  a  esté  accordé  et  est  conteneu 
aulx  articles  secrets. 

Feut  dict,  par  l'article  17  dudict  edict,  que  ceulx 
de  la  relligion  ne  seroient  teneus  de  prendre  dispense 
des  sermens  par  eulx  prestes  en  passant  les  contracts 
et  obligations ,  confirmé  en  gênerai  par  la  conférence 
de  Fleix ,  article  4  ;  qu'ils  ne  seroient  subjects  à  aulcung 
acte  extérieur  contre  leur  conscience  ;  sur  quoi  feut 
remonstré  à  vostre  majesté,  par  le  cahier  précèdent, 
qu'il  se  practiquoit  aultrement  en  plusieurs  lieux  de  ce 
royaume,  nommeement  en  Dauphiné,  Provence  et 
Lionnois,  oii  les  lettres  de  rescision  et  aultres  sembla- 
bles ,  poursuivies  par  lesdicts  de  la  relligion,  n'estoient 
scellées,  s'ils  ne  mettoient  clause  d'obtenir  dispense  de 
leur  serment  des  presbtres  et  ecclésiastiques,  pour  forcer, 
par  ce  moyen ,  la  conscience  desdicts  supplians ,  ou  les 
frustrer  du  bénéfice  desdictes  lettres.  Et  combien  que, 
sur  lesdictes  remonstrances,  ilauroit  pieu  à  vostre  ma- 
jesté respondre  qu'elle  feroit  donner  toutes  provisions 
nécessaires  à  ce  que  lesdicts  articles  de  l'edict  et  con- 
férence feussent  observés,  toutesfois  jusquesà  présent 
es  susdicts  lieux  et  plusieurs  aultres  ^  comme  esparle- 
mens  de  Thoulouse  et  Bordeaux,  la  susdicte  intention 
de  vostre  majesté  n'auroit  esté  effectuée. 

Le  roj  fera  donner  toutes  provisions  nécessaires  à  ce  que  le 
conteneu  en  l'article  1 7  ^e  son  edict  soit  observé. 

Feut  dict  par  l'article  19  dudict  edict,  que  toute 


AU  ROY.  625 

personnes  d'une  et  d'aultre  relligion  seroient  pourveues 
et  mainteneues  indifféremment  en  toutes  charges  et  di- 
gnités, admises  et  receues  en  tous  conseils  et  délibéra- 
tions ,  sans  estre  astreintes  à  aultres  sermens  et  obli- 
gations que  de  bien  exercer  leurs  charges.  A  quoi  ad- 
jousta,  pour  exposition,  la  conférence  de  Nerac,  que 
lemesmes'observeroites  assemblées  générales  des  com- 
munautés et  villes  ;  sur  quoi  feut  lors  remonstré  à  vostre 
majesté,  par  ledict  précèdent  cahier,  que  notoirement, 
depuis  que  l'edict  avoit  esté  faict,  presque  aulcun^  de 
la  relligion  n'auroitesté  admis  en  aulcune  charge  d'im- 
portance en  tout  ce  royaume,  encores  que,  grâces  à 
Dieu,  il  y  en  eust  assez  de  capables;  que  ce  peu  qui  y 
estoit  entré,  y  avoit  rencontré  tant  de  refus,  de  frais, 
fascheries  et  dangers,  premier  que  d'en  venir  à  bout, 
nonobstant   les  itératives  jussions  de  vostre  majesté 
que  les  aultres  en  avoient  esté  comme  rebutés  d'y  pré- 
tendre; que  ceulx  qui,  par  les  troubles,  avoient  esté 
destitués  de  leurs  estats ,  avoient  eu  grand  peine  de  s'y 
remettre  et  faire  restituer,  et  que  plusieurs  encores  ne 
l'estoient.   Item,  que,  jusques   aulx  moindres  villes, 
ceulx  de  la  relligion  estoient  forclos  des  moindres  es- 
tats et  de  la  cognoissance  et  administration  des  affaires 
communes,  et  mesmes  des  élections  et  délibérations 
des  maisons  des  villes,  dont  advenoit  que  ceulx  de  la 
relligion,  en  tailles  et  impositions,  estoient  excessive- 
ment surchargés,  et,  qui  pis  est,  qu'en  quelques  par- 
lemens  se  pratiquoit  de  n'admettre  aulcung  en  charge, 
s'il  n'abjuroit  la  relligion  reformée  et  faisoit  serment 
de  la  catholique  romaine,  dont  lors  quelques  exemples 
feurent  proposés  à  vostre  majesté.  Item ,  que  notamment 
la  court  de  parlement  de  Paris  ne  recevoit  mesmes  les 
catholiques  en  charge,   s'ils  ne  faisoient  serment  de 
M£m.  de  DupLESsis-MoBNvY.  Tome  ix.  Aq 


626  AU  ROY. 

n'estre  jamais  de  la  relligion  reformée,  et  s'ils  ne  con- 
sentoient ,  en  cas  de  changement ,  que  leurs  estats  feus- 
sent  Yacans  et  impetrables.  Item ,  que  les  commissaires 
députés  pour  pourvoir  aulx  offices  de  notaires,  ser- 
gens  royaulx  et  aultres  pareils  ,  mettoient  en  leurs  pro- 
visions une  clause  expresse,  qu'il  seroit  informé  si  les 
pourveus  seroient  de  la  relligion  catholique  romaine, 
monstrant  par  là  le  désir  et  le  but  qu'ils  auroient  d'a- 
néantir et  avilir  ceulx  de  ladicte  relligion  reformée,  et  les 
retrancher,  en  tant  qu'en  eulx  est,  de  tout  le  corps  de 
Testât,  auxquelles  plainctes  pleust  lors  à  vostre  majesté 
de  faire   response  qu'elle  commanderoit  derechef  que 
sondict  edict  feust,  pour  ce  regard ,  effectuellement  exé- 
cuté. Ce  neantmoins,  les  mesmes  contemnemens  du- 
rent encores  en  plusieurs  provinces  de  ce  royaume,  et 
de  nouveau  ont  esté  pratiqués  en  personnes  de  M.  Jean 
de  Lacoste,  pourveu  de  l'office  de  lieutenant  particu- 
lier au  siège  de  Montpellier  ;  de  M.  Pierre  de  Valseur, 
pourveu    d'ung   estât  de  conseiller  audict  siège;    de 
M.  Pierre  de  Rudelle ,  pourveu  d'ung  office  de  gênerai 
en  la  court  des  aides  audict  Montpellier;  de  Jacques 
de  Lorran  ,  pourveu  en  Testât  de  prevost  de  Realmont; 
de  Lafont,  pourveu  de  Testât  déjuge  d'Alby,  lesquels 
n'ont  pu  jouir  de  leurs  estats,  quelques  jussions  qu'ils  en 
ayent  obtenues,  et  quelque  suffisance  qu'il  ait  esté  trouvé 
en  eulx  en  Texamen  ,  ne  leur  restant  pour  tout  que  faire 
le  serment.  Le  mesme  s'est  faict  en  la  personne  d'ung 
aultre,  pourveu  de  Testât  de  lieutenant  particulier  au 
siège  de  Bazas,  auquel  mesmes  n'a  esté  permis  de  s'en 
démettre  en  faveur  d'ung  catholique;  et  mesmes  au- 
dict parlement  de  Thoulouse,  auquel,  de  fraische  mé- 
moire, sur  certain  différend  meu  entre  des  compéti- 
teurs pour  la  régence  en  la  faculté  de  médecine,  en 


AU  ROY.  627 

l'université  de  Montpellier,  ledict  parlement  auroit  or- 
donné, par  arrest,  qu'il  seroit  informé  de  la  vie ,  mœurs 
et  relligion  desdicts  compétiteurs. 

Sur  pareilles  plaùictes  conteneues  au  vingt  nemnesme  article 
du  cahier  précèdent ,  le  roy  a  déclaré  son  intention,  et  ordonne 
sa  majesté  d!  observer  diligente  nient  le  conteneu  au  dix  iieuviesme 
article  de  sondict  edict. 

Feut  dict  en  l'article  20  dudict  edict,  qu'il  seroit 
pourveu  promplement  en  chacun»  lieu,  par  les  officiers 
et  magistrats,  d'une  place  fa  plus  commode  pour  l'en- 
terrement des  morts  de  ceulx  de  la  relligion,  à  quoi 
adjousta  la  conférence  de  Fleix,  à  cause  des  remises 
et  longueurs  dont  on  y  usoit,  qu'il  y  seroit  pourveu 
dans  quinze  jours  après  la  réquisition,  à  peine  aulx- 
dicts  officiers  et  magistrats  de  cinq  cens  escus  en  leur 
propre  et  privé  nom  ;  sur  quoi  feut  aussi  remonstré  à 
vostre  majesté  par  le  précèdent  cahier  à  elle  présenté, 
comme  sus  est  dict ,  que  l'exécution  dudict  article 
auroit  esté  jusques  alors  déniée  presque  partout  le 
royaume  ,  dont  seroicnt  ensuivis  plusieurs  actes  inhu- 
mains ,  scandaleux  et  horribles  à  ouïr  ;  et  que  les  offi- 
ciers pensoient  estre  absous  de  leurs  charges,  quand 
ils  auroient  allégué  que  les  fonds  estoient  mouvans 
d'ung  catholique,  ecclésiastique  ou  communauté,  contre 
l'intention  manifeste  de  ledict,  mesmes  que  les  juges 
et  ecclésiastiques  n'auroient  de  honte  de  les  persécuter 
soubs  terre ,  ordonnant  que  les  corps  seroient  desfouis 
des  cimetières  où  ils  gisoient,  comme  de  faict  ils  l'avoient 
esté  en  aulcungs  lieux  ,  combien  que  lesdicts  corps  feus- 
sent  demi  pourris.  Sur  lesquelles  plainctes  et  remons- 
trances  auroit  pieu  à  vostre  majesté  faire  response 
qu'elle  voulloit  et  entendoit  les  susdicts  articles  estre 
observés  et  les  contraventions  punies  par  telles  repa- 


GiS  AU  ROY. 

rations  qu'il  echeeroit,  et  que,  pour  cest  effect,  vostre 
majesté  commanderoit  aux  chambres  establies  pour  le 
faict  de  la  justice  de  procéder  à  la  punition  des  juges 
qui  n'auroient  obéi  auconteneududictedict,  et  mesmes 
en  escriroit  aulx  lieutenans  generaulx  aulx  provinces, 
afin  dV  pourvoir  et  l'advertir  de  ce  qui  n'auroit  esté 
faict  pour  ce  regard  :  ce  nonobstant,  quelques  pour- 
suites qui  ayent  esté  faictes  par  ceulx  de  ladicte  relligion 
envers  les  officiers  de  vostre  majesté ,  n'ont  peu  jus- 
ques  à  présent  jouir  du  bénéfice  de  vostre  dict  edict , 
en  ce  qui  concerne  l'enterrement  et  sépulture  des  morts  , 
comme  à  Paris,  Lionnois,  Beaujolois,  Picardie,  Cham- 
paigne,  Bourgongne,  Auvergne,  Limozin,  Agen ,  la 
Reolle,  Bordeaux,  Xainctes,  Orléans,  Gien  sur  Loire, 
Carcassonne,  Narbonne,  Beziers,  Aix  en  Provence  et 
plusieurs  aultres ,  et  si ,  en  quelques  lieux  ,  par  grande 
importunité ,  lesdicts  de  la  relligion  ont  esté  pourveus 
pour  enterrer  leurs  morts,  ça  esté  en  desvoieries  et  lieux 
notoirement  infâmes,  comme  à  Riom  en  Auvergne, 
Mascon,  Agen  et  quelques  aultres  lieux;  et  qui  plus 
est,  les  corps  ont  esté  déterrés  comme  à  Aix  ,  Brignolles 
et  mesmes  à  Mauvoisin  près  Chartres;  les  corps  du 
sieur  de  Lagrappe  et  de  deux  aultres  de  la  relligion  ont 
esté  déterrés,  traisnés  à  la  voierie  et  mangés  des  oiseaux 
et  bestes.  A  Chasteauneuf ,  près  Orléans,  par  faulte  de 
la  susdicte  provision,  ayant  esté  ung  corps  enterré  en 
uncr  coing  de  cimetière  public,  depuis  ung  an,  le  curé 
dudict  lieu  le  feit  déterrer  de  nuict ,  et  lui  ayant  mis 
luie  corde  au  col,  le  feit  traisner  à  la  voierie,  où  les 
chiens  le  mangèrent.  A  Vandosmes,  Mondoubleau  ,  et 
Sanguigny  en  Vandosmois,  le  peuple  faict  sonner  le 
tocsin  pour  empescher  que  les  corps  des  morts  de  la 
relligion  soient  enterrés;  A  l'hospital,  à  Lion,  combien 


AU  ROY.  62g 

qu'ils  permettent  que  les  corps  de  ceulx  de  la  relligion 
soient  enterrés  à  l'hospital ,  accompagné  par  le  cheva- 
lier du  guet,  ce  neantmoins,  cela  se  faict  avec  grandes 
extorsions  et  rançonnemens  par  les  chevaliers  du  guet, 
jusques  à  exiger  vingt  cinq  et  trente  escus  pour  acconî- 
pagner  ung  corps,  et  prendre,  des  plus  povres,  ung 
escu  pour  le  moins  ,  qui  est  notoirement  contre  le  qua- 
triesme  article  d."  la  conférence  de  Nerac,  par  lequel 
défenses  sont  faictes,  autant  aulx  officiers  qu'aulx  aul- 
tres,  de  rien  exiger  pour  la  conduicte  desdicts  corps, 
sur  peine  de  concussion. 

Le  roy  enjoinct  derechef  h  tous  ses  officiers ,  suivant  la  res~ 
ponse  contcneue  au  trente  unie  sine  article  du  cahier  précèdent,  de 
pourvoir  sur  la  demande  des  supplians  selon  le  conteneu  de  son 
eclict ,  en  sorte  qu'ils  riayent  occasion  de  retourner plainctif s  à 
sa  majesté. 

Feut  aussi  dict  par  le  second  article  de  la  conférence 
de  Nerac,  qu'il  est  permis  à  ceulx  de  la  relligion  pou- 
voir acheter,  faire  édifier  et  construire  des  lieux  pour 
faire  ledict  exercice  de  ladicte  relligion  ,  et  que  les  lieux 
qui  se  trouveroient  avoir  esté  édifiés  par  lesdicts  de  la 
relligion,  leur  seroient  rendeusen  tel  estât  qu'ils  sont;  en 
conséquence  duquel  article,  ceulx  de  ladicte  relligion  qui 
sont  en  la  ville  de  Lion  auroient  par  ci  devant  obtenu 
lettres  de  vostre  majesté  pour  avoir  restitution  des  lieux 
et  places  acquises  par  ci  devant  en  ladicte  ville  de  Lion; 
ce  neantmoins,  tant  s'en  fault  qu'ils  ayent  senti  l'effect 
desdicteslettres,  qu'au  contraire,  non  seulement  ne  leur 
ont  esté  rendeues  les  places,  mais  aussi  ceulx  de  l'au- 
raosne  générale  dudict  Lion  poursuivent  de  s'en  faire 
faire  donnation  par  ceulx  soubs  le  nom  desquels  elles 
auroient  esté  acceptées,  chose  notoirement  contraire, 
tant  au  susdict  article,  qu'à  toute  équité  et  raison. 


63o  AU  ROY. 

Supplient  donc   très   humblement   vostre   majesté, 
vos  dicts  subjects  delarelligion  reformée,  que,  comme 
il  lui  a  pieu,  par  sa  bonté  et  équité ,  leur  accorder  les 
choses  qu'elle  a  jugées  leur  estre  nécessaires  pour  le 
contentement  de  leurs  consciences,  il  lui  plaise  aussi, 
par    son   auctorité    et  justice,  pourvoir  qu'elles  leur 
soient  entreteneues  et  observées  ;  et  parce  que  par  les 
lussions  et  expéditions  qui  lui  auroit  pieu  par  ci  devant 
leur  octroyer  sur  les  susdicts  articles,  il  leur  soit  assez 
appareu  de  la  bonne  volonté  et  intention  de  vostre  ma- 
jesté, conformément  à  ses  edicts;  mais  que  ,  par  mesme 
moyen,  ils  auroient   cogneu  le  peu  d'affection  et  de 
soing  que  plusieurs  de  vos  officiers,  qui  auroient  as- 
sisté et  pourroient  assister  à  l'exécution  d'icellcs,  y  ap- 
portoient,  supplient  humblement    vostre   majesté   de 
faire  si  bien  paroistre  à  ce  coup  vostre  volonté  et  in- 
tention ,  que  ceulx  qui  y  contreviendront  n'en  puissent 
attendre  aulcune  impunité  ,  et  que  vos  officiers  n'ayent 
excuse,  remise  ni  délai   quelconque,  suivant  ce  que, 
par  vos  edicts  et-conferences  sur  ensuivies ,  il  auroit  esté 
promis  et  arresté  ,  que,  sur  les  plainctes  qui  se  feroient 
à  vostre  majesté  des  defaults  à  l'exécution  de  vos  dicts 
edicts,  il  leur  seroit  fait  droict  et  satisfaction  dedans 
ung  mois  au  plus  tard,  que  les  plainctes  lui  auroient 
esté  adressées. 

Or,  parce  que  vos  dicts  très  humbles  subjects  de  la 
relligion  se  ressouvenoient  ,  lorsque  le  présent  edict 
feut  basti ,  qu'ils  avoient  esté  diversement  exercés  par 
les  precedens,  ils  prevoyoient  assez  qu'ils  rencontreroient  < 
à  l'avenir  telles  inexécutions,  à  quoi  auroient  tasché 
de  pourvoir  en  quelque  façon  ,  tant  par  divers  sermens 
des  principaulx  officiers  de  vostre  couronne,  parle- 
mens,  sièges,  gouverneurs  des  provinces,  magistrats 


AU  ROY.  63 1 

des  villes,  etc.,  adjoustés  à  icelul  que,  principalement 
par  ung  certain  ordre  establi  par  la  debonnaireté  de 
vostre  majesté  en  vostre  justice,  moyennant  lequel  ils 
esperoient  qu'elle  leur  seroit  droictement  et  également 
distribuée ,  et  à  ceste  fin  feut  dict  par  l'article  vingt 
uniesme ,  vingt  deuxiesme,  vingt  troisiesme et  vingt  qua- 
triesme  de  l'edict ,  déclaré  par  le  cinquiesme,  sixiesme 
et  septiesme  de  la  conférence  de  Nerac ,  et  onziesme , 
douziesme  et  treizicsme  de  Fleix,  que  certaines  cham- 
bres seroient  érigées  en  chacung  parlement  pour  la 
cognoissance  des  faicts  esquels  ceulx  de  ladicte  relli- 
gion  seroient  intéressés  avec  les  catholiques  romains, 
le  tout  pour  éviter  haine  et  faveur,  et  qu'ils  les  juge- 
roient  en  dernier  ressort  comme  les  courts  souveraines, 
et  qu'à  toutes  aultres  seroit  defendeu  ,  sur  peine  de  nul- 
lité ,  despens,  dommages  et  interests  des  parties,  de 
juger  esdicts  cas  ,  sinon  du  consentement  des  parties. 

Sur  quoi  auroit  esté  remonstré  à  vostre  majesté,  par  le 
précèdent  cahier,  que  vostre  edict  estoit  ou  inexécuté  ou 
enfreint  en  diverses  sortes  qui  lui  feurent  lors  repré- 
sentées, et  auxquelles  il  lui  pleut  aussi  leur  ordonner 
tels  remèdes  que  lors  lui  sembleroit  convenir;  estimant, 
vostre  majesté,  que  les  jussions  qu'elle  leur  octroyoit 
sur  icelles  leurs  remonstrances  seroient  incontinent 
obeies,  comme  ainsi  soit,  toutesfois  que  pax  icelles 
leur  condition  n'ait  receu  aulcung  commandement;  au 
contraire ,  comine  le  mal  va  tousjours  en  croissant,  soit 
tousjours  allé  de  mal  en  pis. 

Premièrement,  remonstrent  vosdicts  très  humbles 
subjectsdela  relligion,  qu'encores  que,  par  les  dixiesme 
et  onziesme  desdicts  articles  ,  soit  dict  que  la  liste  des 
conseillers  ordonnés  pour  les  chambres  establies  par 
vostre  edict,  seroit  communiquée  aulx  députés  du  roy 


632  AU  ROY. 

de  Navarre  et  ceulx  de  ladicte  relligion ,  avant  qu'estre 
admis  et  receus  pour  servir  en  ladicte  chambre;  neant- 
moins,  en  contrevenant  à  ce  que  dessus,  aulcungs 
conseillers  suspects  et  mal  affectionnés  aulxdicts  de  la 
relligion ,  ont  esté  admis  et  receus  en  aulcunes  desdictes 
chambres,  mesmes  à  celle  de  Paris ,  Dijon  et  Bordeaux  ; 
parce  que  ce  mal  seroit  veneu  de  ce  que  lesdicts  articles 
secrets,  faicts  lors  de  vostre  dict  edict,  n'auroient  esté 
encores  vérifiés  ni  enregistrés  en  vos  courts  de  parle- 
mens,  et  mesmes  en  celle  de  Paris,  dont  aussi  soit  ad- 
veneu  que  plusieurs  ont  esté  jugés  contre  la  teneur  des- 
dicts  articles  ;  plaira  à  vostre  majesté  ordonner  que , 
suivant  l'article  huitiesme  de  la  conférence  de  Fleix, 
les  lettres  et  expéditions  nécessaires  pour  cest  effect, 
seront  expédiées  et  envoyées  ,  tant  esdictes  courts  de 
parlemens  que  chambres  de  l'edict ,  où  lesdicts  ar- 
ticles nauroient  este  verijiés  et  enregistrés ,  pour ,  la- 
dicte vérification  faicte ,  leur  enjoindre  de  juger  et  pro- 
céder suivant  iceulx. 

Fassent  la'  siipplians  exécuter  les  lettres  sur  ce  par  eiilx  obte- 
neues ,  n' entendant  sa  majesté  avoir faict  don  au  contraire. 

Item  ,  remonstrent  vos  dicts  subjects  de  la  relligion, 
maintenant,  comme  ils  faisoient  lors,  que  depuis  ledict 
temps  quelques  unes  desdictes  chambres,  quelque  in- 
stance qu'on  en  ait  peu  faire,  ne  sont  encores  establies, 
dont  s'ensuit  ung  notable  reculement  de  justice.  De 
faict,  en  vostre  pays  de  Provence,  en  vostre  parlement 
d'Aix,  la  chambre  de  l'edict  n'est  encores  establie  ;  qui 
plus  est ,  ceulx  dudict  parlement  ont  donné  plusieurs 
arrests  contre  ceux  de  ladicte  relligion ,  desquels  la  cog- 
noissance  leur  est  interdicte  ,  par  lesquels  ils  auroient 
esté  condamnés  et  exécutés  à  mort,  nommeement  le  capi- 


AU  ROY.  633 

taine  Audebert,  Jehan  Gippier  et  plusieurs  aultres,  aussi 
condamnés  par  default  et  contumace,  et  leurs  biens 
saisis  et  annotés  ,  oultre  ce  qu'ils  poursuivent  journel- 
lement ceulx  de  la  relligion ,  nonobstant  le  renvoi  par 
eulx  requis  à  ladicte  chambre  de  l'edict;  prévoyant 
bien  ,  vos  dicts  subjects  de  la  relligion ,  par  ce  qui 
s'est  passé  en  la  poursuite  de  l'establissement  de  ladicte 
chambre  jusques  ici ,  qu'elle  ne  pourra  estre  sitost 
dressée  que  la  nécessité  le  requiert ,  qui  leur  faict  sup- 
plier très  humblement  vostre  majesté  ordonner  qu'at- 
tendant icelle,  toutes  leurs  causes  en  icelui  pays,  meues 
et  à  mouvoir,  soient  commises  à  la  chambre  ordonnée 
par  vostre  majesté  en  vostre  pays  de  Languedoc,  et 
tous  arrests  jà  donnés  par  ladicte  court  de  parlement 
d'Aix  ,  déclarés  pour  non  advenues. 

Le  roy  fera  proinptement  establir  la  chambre  de  Fedict  accor~ 
dee  pour  le  parlement  de  Provence  ;  et  pour  cest  effcct  seront 
expédiées  toutes  les  provisions  nécessaires. 

Item,  combien  que  la  chambre  de  justice  du  Dau- 
phiné  ait  esté  ci  devant  establie,  suivant  l'edict,  en 
la  ville  de  Grenoble,  neantmoins  depuis,  elle  auroit 
esté,  contre  la  volonté  et  au  préjudice  de  ceulx  de  la  rel- 
ligion ,  incorporée  en  la  court  de  parlement  dudict  Gre- 
noble, et  qui  pis  est  encores,  en  ladicte  seconde  cham- 
bre dudict  parlement,  o\x  n'y  a  aulcungs  conseillers  de 
ladicte  relligion  :  partant ,  plaira  à  vostre  majesté  or- 
donner que  ladicte  chambre  soit  remise  comme  elle 
estoit,  suivant  ledict  edict,  avec  un  bon  règlement  pour 
l'administration  de  la  justice,  et  une  asseuree  assigna- 
tion pour  le  payement  des  gages  des  officiers  de  ladicte 
chambre. 

Le  roy,  après  avoir  eu  la  response  sur  la  lettre,  qui,  pour  ce. 


634  AU  ROY. 

sera  escrile  aulx  gens  tenons  la  court  de  parlement  de  Dau- 

phiné , pourvoira  au  conteneu  de  cest  article  ainsi  qu'il  escherra. 

Ilem  ,  la  chambre,  pour  ceulx  de  la  relligion  au  par- 
lement de  Bourgongne,  est  composée  des  plus  pas- 
sionnés, et  contraires  à  ladicte  relligion. 

Et  est  ce  mal  adveneii  parce  que  la  forme  de  la  no- 
mination requise  par  Tedict,  n'a  esté  gardée  ni  obser- 
vée; car  le  roy  de  Navarre,  auquel  la  nomination  est 
doniiee,  n'a  oncques  esté  instruit  ni  informé  de  ceulx 
de  la  relligion  pour  faire  l'élection  et  nomination  des 
conseillers  et  presidens  de  ladicte  chambre. 

Ains  se  sont  trouvés  quelques  ungs  commis  pour  les 
estats  dudict  pavs  de  Bourgongne,  instruicts  de  ceulx 
de  ladicte  relligion  romaine,  qui  ont  donné  ledict  rolle 
et  déclaration,  imposant  par  ce  moyen  au  seigneur 
roy  de  Navarre,  et  aulx  siens,  à  la  foulée  et  oppression 
desdicts  de  la  relligion,  lesquels  ont  nommé  les  plus 
passionnés  de  ladicte  relligion  romaine,  selon  l'instruc- 
tion qu'ils  en  avoient. 

Qui  est  cause  que  maintenant  on  contrainct  ceulx 
de  ladicte  relligion  de  plaider  devant  eulx,  comme 
ainsi  soit  que  l'élection  des  chambres  n'est  pas  une 
loi  qui  leur  impose  nécessité,  ains  ung  privilège  accordé 
de  grâce  par  vostre  majesté,  qui  doibt  demeurer  à  leur 
option. 

Demandent ,  par  supplication  très  humble ,  que  nou- 
velle nomination  soit  accordée  au  seigneur  roy  de 
Navarre,  et  de  telle  nomination  ladicte  chambre  soit 
establie. 

Le  j-oy  accorde  qu'il  soit  procédé  à  nouvelle  nomination  pour 
la  chambre  de  Vedict  au  parlement  de  Bourgongne. 

Item,  d'autant  que  la  chambre  de  justice  ,  qu'il  avoir 


AU  ROY.  635 

pieu  à  vostre  majesté  envoyer  en  Guyenne ,  a  esté  ré- 
voquée ,  et  que,  depuis  la  revocation  d'icelle,  messieurs 
de  la  court  de  parlement  de  Bordeaux  entreprennent 
la  cognoissance  des  procès,  esquels  vosdicts  subjects  de 
la  relligion  sont  parties,  sera  vostre  bon  plaisir,  suivant 
la  teneur  de  vostre  esdict,  et  l'article  ii  des  articles 
de  la  conférence  deFleix,  restablir  en  ladicte  Guyenne, 
ladicte  chambre  tripartie,  et  pourvoir,  au  lieu  des  dé- 
cèdes,  d'aultres  juges  de  la  relligion,  lesquels  ils  sup- 
plient très  humblement  vostre  majesté,  de  grâce  spé- 
ciale, les  leur  donner;  et,  attendant  que  ladicte  chambre 
soit  restablie,  soit  interdict  et  defendeu  à  la  court  de 
parlement   de  Bordeaux,  de  cognoistre   et  juger  les 
procès  de  ceulx  de  ladicte  relligion,  sur  peine  de  nullité, 
suivant  l'article  i3  de  la  conférence  de  Fleix,  et  que 
tous  arrests  qui  se  trouveront  par  elle  donnes,  soient  des 
à  présent  cassés  et  révoqués;  et,  après  ladicte  chambre 
restablie,  ordonner  qu'elle  pourra  juger  les  procès  au 
nombre  ordonné  et  accoustumé ,  sans  garder  la  pro- 
portion du  tiers,  ains  selon  qu'elle  se  trouvera  pro- 
portionnée et  assemblée. 

Le  roy  veult  que  la  chambre  de  Vcdict  soit  promplement  res- 
tahlle  au  parlement  de  Bordeaux  ,  suivant  les  provisions  sur  ce 
expédiées  et  accordées ,  et  qu'il  soit  procédé  ii  nouvelle  provision 
d'xin^  conseiller  en  ladicte  chambre^  qui  soit  de  la  relligion 
pretendeue  reformée ,  si  tant  est  que  à  présent  il  ne  s'en  trouve 
audict parlement  jusques  au  nombre  de  quattre  qui  soyent  de  la- 
dicte relligion. 

Item,  suivant  le  cinquiesme  article  de  la  conférence 
de  Nerac,  ont  esté  pourveus  deux  huissiers  en  ladicte 
chambre  de  Guyenne,  qui  sont  Jehan  Delalane  et 
Jehan  de  Bregny,  et  par  vos  lettres  patentes  du  2  de 
juin  i58i  ,  en  conséquence  de  l'onziesme  article  de  la 


636  AU  ROY. 

conférence  de  Fleix,  vostre  majesté  auroit  déclaré 
qu'advenant  cassation  et  interruption  de  ladicte  cham- 
bre, lesdicts  deux  officiers  seroient  unis  et  incorporés 
en  icelle ,  pour  raison  de  quoi  lesdicts  Delalane  et 
Bregny  auroient  payé ,  et  mis  es  mains  des  thresoriers  de 
vos  parties  casuelles,  la  somme  de  600  escus  chacung, 
à  la  charge  de  ladicte  incorporation ,  et  depuis ,  ayant 
esté  ladicte  chambre  interrompeue  et  incorporée  en 
ladicte  court  du  parlement,  lesdicts  Delalane  et  Bregny 
s'estans  présentés  à  icelle  avec  vos  lettres  de  déclara- 
tion, elle  auroit  déclaré  par  son  arrest  du  28  mai  i582, 
n'y  avoir  lieu  de  ladicte  incorporation,  qui  seroit  ung 
grand  préjudice  non  seulem.ent  à  eulx  ,  mais  à  tous 
ceulx  de  ladicte  relligion  dudict  ressort,  pour  les  refus 
et  difficultés  que  les  aultres  officiers  font  de  faire  aul- 
cuns  exploits  et  actes  pour  eulx.  Partant  plaira  à  vostre 
majesté  ordonner  que  lesdicts  Delalane  et  Bregny 
soient  des  à  présent  incorporés  et  rendeus  jouissans 
desdicts  offices  en  ladicte  court  de  parlement  de  Bor- 
deaux, tout  ainsi  que  les  aultres  huissiers  d'icelle,  et 
pour  servir  aulxdicts  de  la  relligion  en  la  chambre 
de  Tedict,  lorsqu'elle  sera  restablie  là  partout  où  elle 
fera  sa  stance. 

Lesdicts  Delalane  et  Bregny  communiqueront  leurs  lettres  de 
provision  aul.v  advocats  et  procureurs  generaulx  du  roy  au  par ^ 
lement  de  Bordeaux .,  qui  donneront  advis  à  sa  majesté  sur  le 
conteneu  au  présent  ai-ticle. 

Comme  aussi  Pierre  de  Lartigue  auroit  esté  ci  devant 
pourveu  de  Testât  de  concierge,  et  garde  de  palais  de 
ladicte  chambre,  dont  il, auroit  joui  lorsqu'elle  faisoit 
sa  stance  à  Agen;  et  depuis,  en  la  court  de  justice, 
par  vous  envoyée  en  Guyenne;  lequel  il  plaira  à  vostre 
majesté  ordonner  qu'il  jouira  desdicts  estats  de  con- 


AU  ROY.  637 

cierge  et  garde  dudict  palais,  lorsqu'elle  sera  restablie , 
en  quelque  lieu  et  part  qu'elle  fasse  sa  stance. 

Seia  ordonné  sur  la  demande  dudict  Lartigue ,  lorsque  le  cas 
y  escherra. 

Item ,  par  ledict  edict  est  porté  que  les  conseillers  de  la 
chambre  de  Languedoc  seront  pris  du  grand  conseil 
ou  aultres  courts  de  parlement,  hormis  celle  de  Paris, 
laquelle  est  interdicte  en  toutes  les  causes  de  ceulx  de 
la  relligion,  dont  s'ensuit  le  partage  des  procès  mesmes 
criminels,  pour  raisons  des  excès  commis  par  les  ca- 
tholiques contre  ceulx  de  la  relligion,  se  declarans  les 
catholiques  juges  incompetens,  et  renvoyans  les  juge- 
mens  en  la  court  de  parlement,  au  moyen  de  quoi 
lesdicts  excès  demeurent  impunis  au  préjudice  de  ceulx 
de  la  relligion ,  ainsi  qu'il  a  esté  ci  devant  remonstré  à 
Yostre  majesté,  sans  qu'il  y  ait  esté  pourveu.  Partant 
sera  vostre  bon  plaisir  ordonner  que  les  conseillers 
catholiques  seront  pris  du  grand  conseil  et  aultres 
courts  de  parlemens,  aultres  que  dudict  lieu,  suivant 
ledict  edict,  et  sera  par  eulx  procédé  aux  jugemens 
desdicts  procès  jà  partis  suivant  le  conteneu  de  l'article 
^3  et  24  d'icelui  edict,  et  où  il  echeoiroit  partage  à 
l'advenir ,  seront  lesdicts  procès  jugés  à  la  plus  prochaine 
chambre ,  sans  qu'il  soit  besoing  pour  cest  effect  aulx 
parties  obtenir  aulcune  provision. 

Feut  accordé  de  prendre  les  conseillers  catholiques  du  grand 
conseil,  lorsque  la  chambre  feut  composée  tripartie,  ce  qui  a 
esté  changé,  ayant  depuis  esté  ladictc  chambre  faict  mipartie 
par  la  conférence  de  Nerac ,  et  ordonne  le  roy  tant  h  ladicte 
court  que  h  ladicte  chambre  de  V edict ,  d observer  le  conteneu 
desdicts  edicls  et  conférences ,  selon  le  règlement  qui  leur  sera 
pour  cest  effect  envoyé. 

Item ,  combien  que  par  ledict  edict ,  soit  enjoint  à 


638  AU  ROY. 

ladicte  court  de  parlement  de  Paris  renvoyer  en  ladicte 
chambre,  tous  procès  meus  et  à  mouvoir,  ou  lesdicts 
de  la  relligion  sont  parties  principales  ou  accessoires, 
et  soient  apportés  les  procès  en  ladicte  chambre,  neant- 
moins  ladicte  court  retient  à  elle  lesdicts  procès  et  la 
cognoissance  d'iceulx,  et  empesche  Texploict  des  lettres 
adressantes  à  ladicte  chambre  en  cassation,  des  procé- 
dures et  arrests  donnés  par  ladicte  court  de  parlement  | 
sur  ladicte  rétention  et  d'aultres,  tant  de  la  chancel- 
lerie que  des  commissaires  ordonnés  par  ladicte  cham- 
bre, contraignans  les  parties  à  poursuivre  la  permission 
d'exploict,  cpi'on  ne  peult  obtenir  qu'à  grand' peine  et  j 
difficulté  par  incidens  et  arrests  de  ladicte  court,  qui  . 
sont  de  grandes  longueurs  et  frais  insupportables  aulx 
parties ,  contrevenant  directement  au  vingtiesme  des 
articles  de  la  conférence  de  Fleix  ,  où  est  dict  que  tous 
exploicts  seront  faicts  sans  demander  placet,  visa  ne 
pareatis. 

£st  ordonné  sur  cest  article  comme  au  précèdent. 

Plaira  donc  à  vostre  majesté  faire  dresser,  le  plus 
promptement  que  faire  ce  pourra,  le  règlement  promis 
par  l'article  i5  de  la  conférence  de  Fleix,  d'entre  la 
court  de  parlement  de  Thoulouse  et  la  chambre  de 
justice  establie  pour  le  ressort  d'icelle,  sans  avoir  esgard 
au  règlement  précèdent  revocqué  par  ledict  article,  et 
aux  arrests  donnés  en  conséquence  d'icelui,  au  préju- 
dice de  l'edict  et  article  a/j,  par  lequel  la  cognoissance 
de  toutesmatieres,  indifféremment,  sans  nulle  exception, 
où  lesdicts  de  la  relligion  sont  demandeurs  ou  défen- 
deurs ou  garans,  est  attribuée  à  ladicte  chambre,  de- 
clarans  lesdicts  arrests  de  nul  effect  et  valeur  comme 
non  adveneus  :  et  soit  porté  par  ledict  règlement  que 


AU  ROY.  639 

iadicte  chambre  pourra  cognoistre  tant  du  domaine 
du  roy,  deniers  royaulx,  règlement  des  officiers  du 
roy ,  estans  de  Iadicte  relligion ,  police  des  villes,  affaires 
et  communauté,  affermes  et  reveneus  ecclésiastiques, 
finalement  des  cas ,  excès  et  contraventions  commises 
par  les  catholiques,  poursuivis  et  preveneus  par  ceulx 
de  Iadicte  relligion,  soit  pour  les  contraventions  faictes 
aulxdicts  edicts  ou  aultrement;  et,  en  attendant  ledict 
règlement,  que  celui  qui  a  esté  faict  par  la  chambre  de 
Guyenne,  sera  suivi  en  Iadicte  chambre,  et  que  le  sem- 
blable sera  faict  et  observé  pour  le  regard  des  aultres 
chambres. 

Le  roy ,  suivant  le  règlement  conteneu  au  présent  article^  a 
ordonné  qu'il  sera  procédé  à  nouveau  règlement ^  ainsi  qu'il  a 
esté  accordé  par  le  seiziesme  article  de  la  coriference  de  Fleir.  ;  et, 
à  ces  fins,  et  pour  procéder  audict  règlement  au  plus  tost  que  faire 
se  pourra  ,  sa  majesté  a  commis  les  cinq  presidens  et  ses  gens  en 
sa  court  de  parlement  a  Paris. 

Item,  combien  que  Iadicte  cliambre  de  Languedoc 
ait  cogneu  et  jugé  des  affaires  dont  la  cognoissance 
lui  est  attribuée,  neantmoins,  la  court  de  parlement 
de  Paris,  révoquant  les  arrests  de  Iadicte  chambre,  juge 
le  contraire  contre  la  teneur  des  edicts  et  articles  des 
conférences,  comme  seroit  adveneu  au  faicl  du  meurtre 

proditoire  du  sieur  de ,  par  aulcungs  ses  subjects; 

les  aucteurs  duquel  estans  condamnés  à  mort,  par 
arrest  de  Iadicte  chambre ,  Iadicte  court  de  parlement 
par  aultre  contraire  arrest  auroit  empesché  l'effect  et 
exécution  de  Iadicte  condamnation,  qui  est  une  pure 
contrariété  et  contravention  aulxdicts  edicts;  et  prac- 
tiquent  le  semblable  en  plusieurs  instances  et  mille  cas, 
cassans  les  arrests  donnés  en  Iadicte  chambre,  comme 
aussi  Iadicte  court  de   parlement  et  aultres  prennent 


64o  AU  ROY. 

cognoissance,  contre  ceulx  de  ladicte  relligion,  des  cas 
abolis  et  assoupis  par  les  edicts  et  articles  des  confé- 
rences ,  nonobstant  le  declinatoire  par  eulx  proposé, 
estans  sur  ce  interveneus  plusieurs  et  divers  arrests  de 
condamnation  par  lesdicts  cas  abolis,  mesmes  pour  les 
débiteurs  des  affermes  ecclésiastiques  pris  et  employés 
aulx  frais  de  la  guerre  pendant  les  troubles,  par  ceulx 
de  la  relligion  par  le  commandement  du  roy  de  Navarre, 
dont  ils  sont  decbargés  par  lesdicts  edicts,  et  suivant 
lesquels  ils  n'en  peuvent  estre  recberchés.  A  ceste  cause 
plaira  à  vostre  majesté  interdire  aulxdictes  courts  de 
parlement  la  cognoissance  desdicts  faicts ,  attribués  aulx- 
dictes chambres  de  Tesdict,  privativement  à  tousaultres 
juges;  et  neantmoins  casser  et  annuller  tous  arrests 
donnés  au  préjudice  de  ceulx  de  ladicte  relligion,  après 
le  declinatoire  par  eulx  proposé,  et  ordonner  que  tous 
procès,  concernans  le  faict  des  troubles,  seront  veus 
et  jugés  esdictes  chambres,  leur  enjoignant  d'y  pro- 
céder suivant  lesdicts  edicts. 

Le  roy  charge  l'honneur  de  ses  presidens  et  conseillers ,  tant 
en  courts  de  parlement  que  chambres  de  l'edict ,  de  n'entre" 
prendre  aulcune  cognoissance  au  préjudice  du  conteneu  en  ses 
edicts  de  paix  j  leur  ordonnant  d'observer  le  règlement  qui  sur 
ce  sera  faict  par  les  susdicts  députés.  l 

Comme  aussi ,  suivant  le  quinziesme  des  articles  se-  | 
crets,  les  presidens  et  conseillers  de  nouveau  soient 
nommés  et  teneus  du  nombre  des  presidens  et  con- 
seillers des  parlemens,  au  ressort  desquels  sont  establis,  | 
et  jouissent  des  honneurs ,  auctorités  et  prééminences , 
gages  et  droicts  semblables  que  les  aultres  presidens 
et  conseillers  esdictes  courts ,  et  tout  ainsi  que  s'ils 
avoient  esté  receus  en  icelles  ;  et ,  à  cest  effect ,  ils  auront 
entrée,  séance  et  voix  deliberative  esdictes  courts  de 


AU  ROY.  641 

parlement  selon  Tordre  de  leur  réception,  enjoignant 
auîxdictes  courts  de  les  y  recevoir  sans  délai ,  et  attendre 
plus  spéciale  provision. 
Comme  au  précèdent. 

Et  en  oultre,  que  les  chancelleries  pour  Texpedition 
des  lettres  et  actes  de  justice,  soient  promptement 
establies  esdictes  chambres  ,  suivant  l'article  5  de  la 
conférence  de  Nerac,  et  y  soient  aussi  mis  deux  huis- 
siers et  procureurs,  postulans  jusques  au  nombre  en 
chacune  d'icelles ,  aulxquels  estats  soit  pourveu  à  la 
nomination  du  seigneur  roy  de  Navarre  gratuitement 
sans  payer  finance. 

Le  roy  veult  que  lesdictes  chancelleries  soyent  promptement 
établies  ;  et^  quant  au  nombre  de  procureurs  et  huissiers,  sera  sceu 
s' il  y  a  esté  pour  \<eu  ci  devant,  et  quel  nombre  y  peult  estre  requis , 
pour  cefaict ,  estre  ordonné  et  pourveu  au  conteneu  en  cest  article. 

Item ,  comme  il  auroit  pieu  à  vostre  majesté  par  le 
huitiesme  article  de  la  conférence  de  Nerac  ordonner 
qu'en  toutes  instructions  de  procès  criminels ,  es  cours 
de  Bordeaux,  Garcassonne ,  Rouergue  ,  Quercy,  Lau- 
raguois,  Beziers,  Montpellier  et  Nismes,  le  magistrat 
ou  commissaire ,  député  pour  ladicte  instruction ,  s'il 
est  catholique,  sera  teneu  prendre  ung  adjoinct  qui  soit 
de  ladicte  relligion  reformée ,  gradué  et  de  la  qualité 
requise,  comme  ensemble  si  ledict  magistrat  ou  com- 
missaire est  de  ladicte  relligion,  il  sera  teneu  en  la 
mesme  forme  prendre  ung  adjoint  catholique  ;  plaira 
à  vostre  majesté  ordonner  que  le  semblable  soit  suivi 
et  gardé  en  Dauphiné,  Provence,  Guyenne  et  aultres 
lieux ,  et  soit  aussi  mandé  et  très  expressément  enjoinct 
aux  prevosts  et  lieutenans  generaulx  qui  contrevien- 
nent à  ce  que  dessus,  en  procédant  contre  ceulx  de 

MÉIM.  DE  DUPLESSIS-MORJVAY.  ToME  II.  4  I 


64^  AU  ROY. 

ladicte  relligion ,  de  n'enfreindre  ceste  ordonnance ,  et 
ne  procédera  l'instruction  et  jugement  des  procès,  que 
la  compétence  ne  soit  au  préalable  jugée  par  les  cham- 
bres, aulxquelles  soit  aussi  enjoint  d'y  vaquer  promp- 
tement ,  toutes  affaires  cessantes. 

Le  roy  ne  trouve  bon  d'adjouster  aulcune  chose  à  son  edict. 

Par  le  trente  quatriesme  et  trente  huictiesme  article 
de  l'edict,  toutes  sentences ,  jugemens,  arrests,  procé- 
dures, saisies,  ventes  et  décrets  faicts  et  donnés  contre 
ceulx  de  la  relligion,  à  l'occasion  de  ladicte  relligion; 
tumultes  et  troubles  depuis  adveneus ,  ensemble  l'exé- 
cution d'iceulx,  sont  cassés  et  annullés,  et  semblable- 
ment  toutes  aultres  procédures,  jugemens  et  arrests 
faicts  et  donnés  en  quelque  aultre  matière,  pendant 
les  troubles,  et  les  parties  remises  en  Testât  qu'elles 
estoient  auparavant  ;  nonobstant  quoi ,  depuis ,  on  a  veu 
que  plusieurs  se  seroient  aidés  des  procédures,  sen- 
tences, jugemens  et  arrests  de  la  qualité  susdicte  contre 
lesdicts  de  la  relligion;  et  lorsqu'ils  ont  requis  et  pour- 
suivi la  cassation  aulx  courts  souveraines  et  subalternes, 
les  juges,  au  lieu  de  promptement  ordonner  ladicte  cas- 
sation, auroient  longuement  différé;  et,  es  causes  crimi- 
nelles, quand  y  avoit  décret  sur  l'inquisition,  auroient 
ordonné  que  les  requerans  cassation  se  presenteroient 
en  personne;  lesquels,  s'estans  présentés,  ont  esté  re- 
teneus  prisonniers ,  sans  pouvoir  jouir  du  fruict  de  l'edict 
qu'aulx  longueurs  et  ennuyeuses  poursuites;  comme 
aussi  a  esté  faict  le  semblable  de  plusieurs  faicts  abolis  ' 
par  l'edict ,  pour  lesquels ,  nonobstant  ladicte  abolition , 
ceulx  qui  en  estoient  chargés  ont  souffert  de  grandes 
vexations,  ayant  esté  faicts  prisonniers  et  longuement 
deteneus  es  prisons.  A  ceste  cause ,  plaira  à  vostre  ma- 


AU  ROY.  643 

jesté  ordonner  et  enjoindre  à  vos  courts  de  parlement, 
chambres  de  TedictjSeneschaulx  et  tous  aultres  juges,  de 
bien  et  dibgentement  entretenir  ledict  edict;  et ,  suivant 
icelui,  pourvoir  sur  la  cassation  desdictes  procédures, 
jugemens  et  arrcsts  promptement  et  sommairement, 
sans  entrer  au  fonds  principal  de  la  matière,  ne,  soubs 
prétexte  des  décrets,  retenir  prisonniers  ceulx  qui  re- 
querront ladicte  cassation,  ni  aultrement  procéder 
contre  eulx  jusques  à  ce  que  l'instance  de  cassation  soit 
jugée  ou  cogneue,  et  jugé  si  les  faicts,  dont  sera  ques- 
tion,  sont  abolis  par  l'edict;  interdisant  pareillement 
aulx  parties  et  tous  aultres  de  s'aider  desdictes  procé- 
dures, jugemens  et  arrests  cassés  et  révoqués  par  l'edict 
contre  et  au  préjudice  desdicts  de  la  relligion. 

Les  députés,  pour  le  susdict  règlement ,  donneront  advis  à  sa 
majesté  sur  le  conteneu  au  présent  article,  pour,  icelui  veu,  cstre 
ordonné  ce  que  de  raison. 

Et  d'aultant  qu'en  plusieurs  articles  de  l'edict  et  de 
la  conférence  a  esté  faict  distinction  de  ce  qui  a  esté 
faict  par  hostilité,  et  hors  la  voie  d'hostilité,  soubs  la 
généralité  desquels  mots  sont  surveneus  plusieurs  dif- 
férends et  diversité  d'opinions,  sera  le  bon  plaisir  de 
vostre  majesté  pour  oster  toutes  difficultés,  en  suivant 
les  déclarations  du  feu  roy,  faictes  le  8  juin  i563  et 
17  d'avril  i565,  déclarer  que,  soubs  ce  mot  d'hostilité, 
sera  compris  et  entendeu,  non  seulement  ce  qui  aura 
esté  faict  en  camp  ou  assemblée  de  gens  de  guerre, 
marchant  sur  les  champs  ou  faisant  courses  ou  entre- 
prises, mais  aussi  tout  ce  qui  se  trouvera  faict  par 
force  d'armes  hors  camp  ou  armée,  et  par  ceulx  qui 
ont  commandement,  ou  sont  commandés  et  ad  voués 
d'ung  parti  contre  l'aultre,  encores  que  le  faict  soit  ad- 
veneu  en  l'absence  du  capitaine  ,  et  sans  la  conduicte 


644  ^U  ROY. 

cl'icelui;  au  contraire  tout  ce  qui  se  trouvera  faict  aul- 

trement  n'estre  compris  soubs  le  mot  d'hostilité. 

Comme  au  précèdent. 

Feut  dict ,  par  l'article  ^9  de  vostre  edict ,  que  toutes 
places,  villes,  provinces,  etc.,  useroient  et  jouiroient 
de  mesmes  privilèges,  libertés,  jurisdictions,  siège  de 
justice  que  par  avant  les  troubles,  nonobstant  toutes 
lettres  et  transactions  à  ce  contraires ,  et  par  exprès 
adjousté  en  l'article  9  de  la  conférence  de  Nerac,  que 
les  justices  de  Montauban ,  Montpellier,  Nismes,  seroient 
restablies  ;  sur  quoi  auroit  esté  remonstré  à  vostre 
majesté  par  le  précèdent  cahier,  qu'on  enervoit  en  tout 
ce  qu'on  pouvoit  les  sièges  presidiaux  assis  es  villes 
qui  auroient  faict  profession  de  la  relligion  ,  mesmes 
en  aulcune  des  susnommées;  à  quoi  encores,  non- 
obstant leurs  plainctes  et  poursuites,  n'auroit  esté  pour- 
veu;  remonstrent  donc  derechef  qu'encores  à  présent 
on  auroit  distrait  partie  de  la  ville  et  seneschaussee  de 
Nismes  ,  ayant  aulcungs  poursuivi  de  faire  dresser  au 
diocèse  de  Givaudan  et  dans  la  ville  de  Mende,  ung 
siège  de  seneschal  éclipsant  ledict  diocèse  du  ressort 
ancien  du  siège  du  seneschal  de  Beaucaire  et  Nismes , 
séant  audict  Nismes;  ce  qui  seroit  grandement  préju- 
diciable au  bien  de  vostre  service,  utilité  et  commo- 
dité de  vos  subjects,  et  contre  la  teneur  de  vos  edicts 
de  pacification  et  conférence  de  Nerac  et  Fleix.  Car, 
lorsque  l'edict  de  pacification  dernier  feut  dressé  pour 
régler  le  faict  de  la  justice,  nudict  pays  de  Languedoc, 
vostre  majesté  trouva  expédient  et  nécessaire  dresser 
une  chambre  de  justice  souveraine  mi  partie  de  ma- 
gistrats,  tant  d'une  relligion  que  d'aultre,  qui  feut  mise 
en  la  ville  de  l'Isle  d'Albigeois  ;  et ,  quanta  la  jurisdic- 


AU  ROY.  645 

tîon  des  prevosts  des  mareschaulx,  elle  advisa  de  lais- 
ser la  forme  ancienne,  à  la  charge  que  lesdicts  prevosts 
seroient  tenus  apporter  aulx  plus  prochains  presidiaulx 
les  informations  faictes  contre  les  preveneus,  pour  cog- 
noistre  et  juger  si  les  cas  seroient  prevostables  :  aulx- 
quelles  plainctes  auroit  esté  satisfaict,  et  la  justice  dis- 
posée au  contentement  de  l'une  et  l'aultre  relligion 
pour  l'establissement  d'une  bonne  et  ferme  paix,  d'aul- 
tant  que  les  deux  sièges  principaulx  du  bas  pays  de 
Languedoc  sont  ceulx  des  villes  de  Montpellier  et 
Nismes ,  les  magistrats  desquels  sièges  sont  partie  de  la 
relligion  catholique,  partie  de  la  relligion  reformée. 
Or,  si  à  présent  on  démembre  ledict  siège  presidial 
de  Nismes,  auquel  ressortent  les  diocèses  de  Nismes, 
Usez,  Givaudan  et  Yivarez,  et  qu'on  dresse  ung  siège 
de  seneschal  en  la  ville  de  Mende ,  on  change  l'ordre 
establi  de  la  justice  par  lesdicts  edicts  de  pacification  et 
conférences  susdicts,  d'aultant  que  les  magistrats  n'y 
seront  mi  partis,  comme  soubs  ceulx  de  Nismes,  estant 
d'ailleurs  porté  par  ledict  edict,  que  le  siège  seroit  re- 
mis en  ladicte  ville  de  Nismes;  ce  qui  ne  peult  s'en- 
tendre qu'avec  ses  parties  et  membres  anciens,  aultre- 
ment  la  loi  demeureroit  fraudée  s'il  y  avoit  aulcung 
retranchement ,  et  les  privilèges  de  ladicte  ville  seroient 
violés ,  ayant  esté  confirmés  par  vos  prédécesseurs  roys, 
à  icelle  ville  ,  laquelle  aussi  n'a  aulcunes  commodités  ne 
marques  que  ledict  siège  ;  et ,  par  ce  moyen ,  ceulx  de 
la  relligion  dudict  pays  et  de  ladicte  ville  auroient  juste 
occasion  de  se  plaindre  du  changement  de  l'administra- 
tion de  ladicte  justice  qui  revient  à  leur  grand  préjudice, 
comme  il  est  certain  que  ceulx  de  ladicte  ville  de  Mende 
ne  poursuivent  d'avoir  ledict  siège  de  seneschal,  si  ce 
n'est  pour  la  haine  qu'ils  ont  conceue  contre  ceulx  de 


646  AU  ROY. 

la  relligion  reformée,  contre  lesquels  ladicte  ville  de 
Mende  est  extrêmement  animée;  et  les  habitans  dudict 
Mende  monstrent,  en  plusieurs   endroicts,   l'inimitié    j 
qu'ils  portent  aulxdicts  de  la  relligion;  car  ceulx  de 
ladicte  relligion  n'ont  aulcung  accès  ni  entrée  audict 
Mende  ,  et,  depuis  l'edict  de  pacification,  ceulx  dudict 
Mende  ont  faict  plusieurs  prisonniers  menés  à  Mende, 
jugés  par  les  prevosts  des  mareschaulx  à  eulx  fort  fa- 
vorables, et  sans  faire  juger  le  declinatoire  au  plus 
prochain  siège ,  suivant  vos  ordonnances  ;  car  ladicte 
ville  de  Mende  prétend  avoir  esté  offensée  par  la  plus- 
part  des  aultres  villes  de  Givaudan,  qui  font  profession 
de  la  relligion  reformée ,  et  comme  ils  exécutent  leurs 
animositéspar  plusieurs  voies  de  faict,  aussi  désirent  ils 
avoir  moyen  de  leur  pouvoir  nuire  soubs  prétexte  de 
justice;  et  si  le   siège  de  seneschal   est  dressé  audict 
Mende  ,  il  est  certain  qu'il  n'y  aura  celui  de  la  relligion 
qui  ne  puisse  estre  mis  en  prévention  criminelle  par 
devant  le  prevost  mené  audict  Mende,  déclaré  prevos- 
table  et  en  grand  danger  de  sa  vie  et  biens,  et  ceulx  de 
la  relligion  mis  en  desespoir  et  grandes  extrémités.  Par- 
tant plaira  h  vostre  majesté  avoir  esgardà  ce  que  dessus, 
et  ordonner  que  ledict  eclipsement  n'aura  lieu,  et  rien 
innové  de  la  forme  ancienne  de  l'administration  de  la 
justice  audict  pays;  et  que  ledict  diocèse  de  Givaudan 
ressortira  audict  seneschal  de  Nismes,  comme  il  a  faict 
de  tout  temps ,  et  toutes  provisions  et  depesches ,  sur  ce 
nécessaires  ,  leur  estre  expédiées ,  sans  avoir  esgard  aulx 
provisions  contraires  sur  l'élection  dudict  siège,  véri- 
fication faicte   par  la   court  de   parlement  de  Paris, 
arrests  de  vostre  conseil  d'eslat,  réceptions  ni  aultres 
procédures  ,  lesquelles  plaira  à  vostre  majesté  déclarer 
nulles  et  de  nul  effect  et  valeur. 


AU  ROY.  647 

A  esté  respondeu  en  Fan  dernier  sur  pareille  demande /aide 
par  les  supplians ,  à  quoi  sa  majesté  se  remet ,  ne  pouvant  (^at- 
tendeu  F  estât  où  sont  les  affaires ,  et  considérant  les  troubles  qui 
sont  en  sa  province  de  Languedoc  )  changer  pour  le  présent  aul~ 
cune  chose ,  en  la  responsefaicte  sur  le  cinquante  sixiesme  article 
du  cahier  précèdent. 

Item,  en  Tan  i^Ji,  le  siège  presidial,  qui  estoit  en 
la  ville  de  Bergerac,  en  feut  osté ,  et  mis  en  la  ville  de 
Perigueux,  en  haine  de  ladicte  relligion,  au  grand  pré- 
judice, dommage  et  incommodité,  tant  de  ladicte  ville, 
que  de  tout  le  pays  qui  y  ressortissoit,  contre  la  teneur 
de  vostre  edict  et  neuviesme  article  de  la  conférence 
de  Nerac,  sur  lesquels  vos  très  humbles  subjects  de  la 
relligion  supplient  très  humblement  vostre  majesté  faire 
droict  à  vos  dicts  subjects  de  Bergerac. 

Le  siège  presidial  a  esté  transféré  de  Bergerac  à  Perigueux , 
pour  aultres  occasions  que  des  troubles ,  qui  est  V exception 
conteneue  en  V edict  soixante  dix  huict. 

Item,  comme  la  court  de  parlement  de  Bordeaux, 
durant  les  troubles ,  auroit  translaté  le  siège  du  senes- 
chal  de  Quercy,  establi  audict  Montauban,  en  la  ville  de 
Moyssac,  auroit  icelle  esté  interdicte  par  arrest  du  con- 
seil privé  de  vostre  majesté  de  s'entremesler  dudict 
siège;  toutesfois  ladicte  court,  continuant  son  animosité 
à  rencontre  de  ladicte  ville  de  Montauban,  par  moyens 
obliques  diminue  et  anéantit,  tant  qu'elle  peult,  la  ju- 
risdiction  et  ressort  dudict  Montauban,  renvoyant  les 
causes  dudict  ressort  en  aultre  siège;  et  la  chancellerie 
dudict  lieu,  par  intelligence  avec  ladicte  court,  baille 
ordinairement  plusieurs  committimus  extraordinaires, 
pour  transporter  la  jurisdiction  dudict  siège  de  Mon- 
tauban au  siège  de  Cahors;  et  de  mesmes,  les  sieurs 
tenans  les  requestes  du  palais  audict  lien,  qui  sont  du 


648  AU  ROY. 

corps  de  ladicte  court,  évoquent  à  eulx  et  prennent 
cognoissance  de  toutes  matières  indifféremment,  tant 
sur  les  habitans  de  ladict€f  ville  ,  que  ressort  d'icelle; 
encores  que,  par  leur  érection  ,  ne  puissent  cognoistre 
que  de  matières  personnelles  et  possessoires  entre  per- 
sonnes privilégiées,  et  par  telles  voies  indirectement 
les  habitans  de  Montauban  et  ressort  de  ladicte  ville 
sont  tirés  hors  le  siège  de  leur  jurisdiction  ordinaire, 
et  contraints  de  plaider  devant  juges  incompetens 
et -suspects,  et  constitués  en  grands  frais  de  procès, 
contre  vostre  edict,  et  privilèges  octroyés  par  les  feus 
roys  de  bonne  mémoire,  et  confirmés  par  vostre  majesté  ; 
et  pourtant  plaira  à  vostre  majesté  faire  inhibitions 
et  défenses  à  ladicte  court  de  parlement  de  Thoulouse, 
chambre  des  requestes  et  siège  presidial  deCahors  ,  d'en- 
treprendre aulcunefcognoissance  des  causes  du  ressort 
du  siège  de  Montauban,  par  committimus  extraordi- 
naire, ne  aultrement  contre  la  teneur  de  vos  dicts 
edicts  et  conférences  dudict  transport  de  jurisdiction. 

Le  roy  vetilt  que  le  siège  de  Montauban  soit  conservé  en  ce  qui 
lui  a  esté  attribué  j  sans  que,  par  ladicte  court,  officiers  delà 
chancellerie  ,  gens  des  requestes  du  palais  et  siège  presidial  de 
Cahors ,  soitfaict  aulcunc  chose  au  contraire. 

Dadvantage,  les  habitans  de  Marvejols  en  Givaudan 
auroient  obteneu  arrest  du  privé  conseil  pour  la  stance 
alternative  des  estats  particuliers  du  diocèse,  court, 
communauté  et  bailliage  de  Givaudan,  et  recepte  par- 
ticulière dudict  diocèse;  neantmoins,  ledict  arrest 
n'auroit  peu  estre  exécuté  à  cause  de  l'empeschement 
sur  ce  donné  par  les  officiers  du  bailliage  qui  oultragent 
les  sergens  qui  leur  vont  faire  les  cornmandemens,  et 
le  tout  en  haine  de  la  relligion.  Partant,  plaira  à  vostre 
majesté   ordonner  que  ledict  arrest  sera  exécuté  par 


AU  ROY.  64  9 

expresses  injonctions  et  commandement  au  seneschal 
de  Nismes ,  ou  aultre  qu'il  appartiendra. 

Lesdicts  de  Marvejoh  peuvent  poursuivre  V exécution  de  leur 
arrest. 

Item,  en  plusieurs  procès  et  instances  d'erreur  pro- 
posées contre  les  arrests  de  vos  courts  de  parlement, 
lesdicts  de  la  relligionont  souffert  des  despenses  insup- 
portables, oultre  la  longueur  et  retardement  de  la  jus- 
tice ,  parce  que  les  chambres  de  l'edict  ne  peuvent  en 
juger  ni  cognoistre,  sans  l'assistance  des  presidens  et 
conseillers  qui  ont  esté  au  premier  jugement,  suivant 
l'ordonnance  d'Orléans,  et  lesdicts  premiers  juges  ne 
veullent  aller  aulxdictes  chambres,  ni  envoyer  les  mo- 
tifs desdicts  jugemens  ,  quelques  jussions  qui  leur  en 
ayent  esté  faictes.  A  ceste  cause  ,  plaise  à  vostre  majesté 
ordonner  que  tous  procès  et  jugemens  de  proposition 
d'erreur,  esquels  vos  dicts  subjects  de  la  relligion  auront 
interest  et  seront  parties,  tant  en   demandant   qu'en 
défendant,  seront  jugés  en  vostre  grand  conseil,  sans 
qu'il  soit  besoing  appeller  au  jugement  les  juges  qui 
auront  donné  les   premiers  arrests ,  ne  attendre  leur 
motif;  interdisant  à  vos  courts  de  parlemens  la  cog- 
noissance  desdicts  faicts ,  si  les  parties  ne  s'en  accor- 
dent amiablement ,  et  consentent  que  lesdictes  instances 
soyent  traictees  en  vos  dictes  courts  de  parlement;  des- 
rogeant,  tant  que  besoing  seroit ,  à  ladicte  ordonnance 
d'Orléans  et  aultres  à  ce  contraires. 

Avant  qu'il  soitrcspondeu  sur  le  présent  article,  sera  veu  l'advis 
des  députés  ordonnés  pour  ledict  règlement. 

Item ,  par  les  huictiesme  et  neuviesme  articles  des 
articles  secrets ,  les  mariages  contractés  au  second  tiers 
et  quatriesme  degré ,  ne  peuvent  estre  recherchés ,  ni 


65o  AU  ROY. 

ceulx  qui  les  ont  contractés ,  ni  leurs  enfans ,  pour  raison 
de  ce  vexés,  ni  molestés  comme  pareillement,  les  mariages 
de  ceulx  qui  ont  esté  précédemment  relligieux  ou  rel- 
ligieuses ,  et  les  enfans  issus  desdicts  mariages ,  sont 
capables  de  la  succession  de  leurs  pères  et  mères  ;  toutes- 
fois  ,  contre  la  teneur  desdicts  articles  qui  n'ont  esté 
receus  ni  publiés  en  vos  courts  de  parlement,  plusieurs 
de  vos  subjects  de  ladicte  qualité  en  sont  recherchés, 
vexés  et  molestés  ;  mesmes ,  soubs  prétexte  de  ce ,  on  a 
voulleu  exclure  ceulx  qui  ont  esté  relligieux  et  relli- 
gieuses  des  legs  et  successions  testamentaires  de  leurs 
pères ,  mères  et  aultres  parens,  combien  que  telles  suc- 
cessions ne  soient  comprises  esdicts  articles.  A  ceste 
cause,  plaise  à  vostre  majesté  ordonner  que  vosdicts 
subjects  de  ladicte  relligion,  qui  seroient  de  la  qualité 
susdicte,  jouiront  du  conteneu  esdicts  articles,  décla- 
rant neantmoins  que  par  iceulx  vostre  majesté  n'a  en- 
tendeu  les  exclure  des  legs  et  successions ,  qui  leur 
peuvent  appartenir  par  testamens ,  donnations  ou  aul- 
tres dispositions  volontaires  de  leurs  pères,  mères  ou 
aultres  parens,  soit  en  ligne  directe  ou  collatérale;  ni 
empescher  lesdicts  pères,  mères  ou  aultres,  qu'ils  ne 
puissent  valablement  disposer  de  leurs  biens  en  faveur 
de  leurs  enfans,  nepveux  ou  parens ,  encores  qu'ils  aient 
esté  presbtres,  relligieux  ou  relligieuses,  nonobstant  tous 
jugemens  et  arrests  qui  auroient  esté  donnés  au  con- 
traire, et  iceulx,  tant  que  besoing  seroit,  cassés  des  à 
présent,  révoqués  et  annullés. 

Le  roy  veult  que  le  conteneu  aulx  articles  secrets  soit  observé , 
et  n'entend  adjouster  ni  diminuer  aulcnne  chose  à  ce  qui  a  esté 
ci  devant  resoleu. 

Item,  par  le  quarante  sixiesme  des  articles  secrets, 
est  dict  qu'en  satisfaisant  par  ceulx  du  comtat  de  Ve- 


AU  ROY.  65  r 

nise  de  la  relligion  reformée,  au  conteneu  audict  article, 
ils  jouiront  de  leurs  biens,  et  où  ils  seront  empeschés, 
à  l'occasion  de  ladicte  relligion,  leur  seroit  pourveu  sur 
les  biens  que  les  aultres  subjects  du  pape  de  la  ville 
d'Avignon  et  comtat  ont  en  terres  et  pays  de  son 
obéissance,  par  lettres  de  marques  et  représailles;  les- 
quelles seroient  à  ceste  fin  addressees  aux  juges,  aulx- 
quels,  de  droict,  la  cognoissance  en  appartient;  neant- 
moins,  encores  que  ceulx  de  la  relligion  dudict  comtat 
ayent  satisfaict  au  conteneu  dudict  article ,  ils  n'ont  peu 
estre  réintégrés  en  la  jouissance  de  leursdicts  biens, 
quelques  diligences  et  poursuites  qu'ils  en  ayent  faict. 
A  ceste  cause,  plaira  à  vostre  majesté,  suivant  la  teneur 
dudict  article ,  les  pourvoir  sur  les  biens  que  les  subjects 
dudict  pape,  en  ladicte  ville  d'Avignon  et  comtat ,  ont 
es  terres  et  pays  de  vostre  obéissance,  par  lettres  de 
marques  et  représailles,  à  ceste  fin  addressees  aulxdictes 
chambres  de  l'edict  establies  en  Languedoc,  Provence 
et  Dauphiné  ,  seneschal  de  Nismes,  et  aultres  juges 
plus  prochains  des  parties  qu'il  vous  plaira  commettre. 
Le  roy  escrira  aulx,  officiers  de  sa  sainctetê  audict  Ai'ignon  , 
pour  (  leurs  responses  veues  )  estre  ordonné  ce  que  de  raison ,  sur 
la  demande  des  supplions. 

Peut  dict,  par  les  articles  i",  4o ,  ^r  et  56  de 
vostre  edict  de  pacification  ,  que  la  mémoire  de  toutes 
choses  passées  des  et  depuis  les  troubles ,  et  à  l'occa- 
sion d'iceulx ,  demeureroit  esteinte  et  assoupie  avec 
très  expresses  défenses  à  tous  d'en  faire  aulcunes  pour- 
suites, et  que  ceulx  de  ladicte  relligion  et  aultres, 
qui  ont  suivi  leur  parti ,  demeureroient  quittes  et  de- 
chargés  de  tout  ce  qui  a  esté  faict  durant  lesdicts 
troubles,  encores  qu'il  ne  soit  particulièrement  exprimé 
et  spécifié;  et,  au  contraire  ,  seroit  adveneu  que,  soubs 


652  AU  ROY. 

prétexte  de  la  réservation  des  cas  exécrables,  conteneus 
au  quarante  qiiatriesme  des  articles  secrets,  faicts  lors 
diidict  edict,  répétée  en  l'article  onziesme  de  la  confé- 
rence de  Nerac,  lesdicts  de  la  relligion  auroient  esté 
et  seroient  recherches ,  vexes  et  travailles  pour  les  faicts 
desdîcls  troubles,  parles  captieuses  interprétations  de 
ladicte  réservation  faictes  en  vos  courts  de  parlement, 
sièges  presidiaulx  et  aultres,  qui  ont  estimé  que  tout 
ce  qui  a  esté  faict  sans  combat  ou  résistance,  debvoit 
estre  censé  faict  hors  de  la  voie  de  l'hostilité;  et,  soubs 
le  mot  de  volleries,  debvoient  estre  comprises  les 
courses  faictes  sur  les  champs,  et  tout  ce  qui  a  esté 
pris  et  butiné  sans  combat  et  conduicte  de  capitaine, 
comprenant  aussi ,  au  nombre  des  excès  exécrables , 
ceulx  qui  n'ont  esté  tués  à  la  chaulde  et  en  la  plaine 
furie  d'ung  combat;  et,  soubs  le  mot  de  guet  à  pens , 
tout  ce  qui  a  esté  faict  par  embuscade,  et  pour  ven- 
geance particulière,  tout  ce  qui  estadveneu  d'ung  parti 
contre  l'aultre,  par  la  continuation  des  troubles;  et, 
soubs  ces  mots  de  meurtres  faicts  par  prodition,  sans 
armée  conduicte  au  commandement  du  capitaine,  tel- 
lement que  plusieurs  de  vos  subjects  appuyés  sur  l'abo- 
lition de  vos  edicts ,  se  sont  trouvés  frustrés  et  privés 
du  bénéfice  d'iceulx;  et,  s'estans  présentés  devant  les 
juges  oii  ils  estoient  déférés,  y  ont  resté  si  mal  traictés 
que  la  pluspart  ont  esté  jugés  et  exécutés  à  mort ,  et 
d'aultres  condamnés  aux  galleres  et  en  grandes  amendes 
envers  les  parties  :  ce  qui  auroit  autant  plus  nourri  et 
augmenté  la  défiance  ,  et  donné  occasion  à  plusieurs 
attentats  et  excès  qu'on  a  vcus  depuis  la  publication 
de  vos  edicts;  et  la  continuation  des  persécutions  et 
injustes  vexations,  ainsi  faictes  soubs  ombre  et  couleur 
de  justice,  contre  la  foi  publicque,  pourroit  précipiter 


AU  ROY.  653 

vosdicts  siibjects  en  desespoir  du  repos  tant  désiré.  A 
ceste  cause,  sire,  d'autant  qu'à  vous  seul  appartient 
l'interprétation  de  vos  edicts  et  déclaration  de  vostre 
volonté  et  intention  ,  sans  remettre  à  vos  courts  de 
parlement  ne  aultres  juges  qui ,  préoccupés  de  passion, 
en  pourroient  abuser,  ils  supplient  très  humblement 
vostre  majesté  que  son  bon  plaisir  soit  déclarer  et  or- 
donner que  vosdicts  subjects  jouiront  entièrement  de 
vos  edicts,  abolitions  et  décharges  accordées  et  ordon- 
nées pariceulx,  tant  pour  le  temps  des  troubles  passés 
que  jusqu'à  la  publication  des  articles  de  la  conférence 
de  Fleix  faicts  en  vos  courts  de  parlement ,  bailliages  et 
seneschaussees  de  vostre  royaume,  jusques  au  temps 
porté  par  les  lettres  de  décharge  et  abolition,  que  vostre 
majesté  a  accordées  à  vos  subjects  de  Languedoc  et 
Dauphiné  ;  et  que  vostre  intention  a  esté  que  vos 
subjects  d'une  et  d'aultre  relligion  ne  soient  recherchés 
et  poursuivis  des  prises  et  rançons  exigées ,  levées  et 
prises  des  deniers ,  tant  de  vos  receveurs  ,  receptes , 
fermes  et  magazins  ,  que  villes  et  communautés  des 
ecclésiastiques  et  aultres  particulières  rentes ,  fruicts , 
reveneus,  argenterie,  biens,  meubles,  ventes  d'iceulx, 
contributions  imposées  et  levées  sur  vos  subjects,  et 
pareillement  de  tous  excès  et  actes  d'hostilité,  brusle- 
mens  ,  desmolitions  et  ruynes  des  églises,  chasteaux , 
maisons  et  aultres  édifices;  meurtres  faicts  en  combats 
et  hors  combat  par  embuscade,  hors  la  furie  du  combat 
ou  aultrement,  courses  sur  les  champs,  pillages  et  sac- 
cagemens,  butins  de  bestail ,  marchandises  ou  aultres 
choses,  et  tous  aultres  cas  commis  par  ceulx  qui  ont 
porté  les  armes  d'ung  parti  contre  l'aultre,  commandés 
ou  advoues ,  soit  sur  ceulx  qui  ont  porté  les  armes  pour 
le  parti  contraire ,  ou  ceulx  qui  ont  demeuré  avec  eulx , 


654  AU  R^^Y. 

leur  ont  adhéré,  ou  les  ont  soubteneus  et  favorisés  du* 
rant  lesdicts  temps  ;  tous  lesquels  vostre  majesté  derechef 
déclare  estre  abolis  et  assoupis  sans  nul  excepter,  ou  qu'il 
feut  besoing  les  exprimer  et  spécifier  dadvanlage,  et  sans 
que  les  faits  susdicts  puissent  estre  compris  en  ladicte 
réservation  des  cas  exécrables  ;  mais  seulement  les 
ravissemens,  forcemens  de  femmes,  filles  et  meurtres 
commis  entre  personnes  de  mesme  parti,  qui  n'auront 
esté  cogneus  et  jugés  par  les  chefs  generaulx  ou  aultres, 
qui  audict  temps  avoient  auctorité  sur  ceulx  d'ung 
parti ,  et  que  de  vostre  déclaration  soient  expédiées  lettres 
patentes  aux  courts  de  parlement,  chambres  de  l'edict 
et  aultres,  pour  obvier  aulx  difficultés  qui  se  sont  pré- 
sentées sur  la  publication  requise  de  la  dernière  décla- 
ration ou  abolition,  qu'il  vous  auroit  pieu  octroyer, 
laquelle  n'auroit  esté  publiée  en  aulcune  desdictes  cham- 
bres ,  présupposant  que  préalablement  publication  en 
debvoit  estre  faicte  esdictes courts  de  parlement ,  suivant 
l'ordre  de  l'addresse  desdictes  lettres,  et  que  par  icelles 
leur  soit  mandé  de  procéder  incontinent  à  la  vérifica- 
tion et  publication  et  enregistrement  desdictes  lettres, 
sans  aulcune  modification ,  restrinction  ne  reserve  se- 
crète, et  de  juger  tous  procès  civils  et  criminels  ,  selon 
la  teneur  de  vostre  dicte  déclaration ,  à  peine  de  nullité , 
de  tous  actes  qui  seront  faicts  au  contraire;  cassant 
neantmoins  et  révoquant  des  à  présent  tous  arrests, 
décrets  et  procédures,  ci  devant  faictes  contre  et  au 
préjudice  de  vostre  susdicte  déclaration. 

Le  Toy  enjoindra  derechef  très  eorprcssement  ^  à  ses  courts  de 
parlement ,  de  vérifier  r abolition  qu'elle  a  accordée. 

Et  d'autant  que  vosdicts  subjects  ont  par  ci  devant 
expérimenté  que  es  expéditions,  qui  se  font  en  vostre 


AU  ROY.  655 

chancellerie,  des  abolitions  particulières,  poursuivies 
par  vosdicts  subjects  des  cas  abolis  par  vosdicts  edicts, 
on  a  accoustumé  faire  Taddresse  d'icelles  avec  cognois- 
sance  de  cause  et  non  de  déclaration  expresse  de  vostre 
volonté  ,  dont  vosdicts  subjects  souffrent  de  grandes 
incommodités,  frais  et  despens  à  la  poursuite;  oultre 
ce  que  le  plus  souvent  les  juges  aulxquels  lesdictes 
lettres  sont  addressees,  les  chargent  de  présentations 
personnelles,  et  les  retiennent  arrestés  jusques  à  ce  que 
le  jugement  en  soit  donné  contre  l'intention  de  vostre 
majesté,  déclarée  par  vosdicts  edicts  qui  ont  auctorité 
de  loi  générale,  pour,  sans  aultre  forme  ni  solemnité, 
estre  gardée  et  suivie  de  tous;  plaise  à  vostre  majesté 
ordonner  et  commander  que  les  expéditions  des  sus- 
dictes  abolitions  particulières ,  où  elles  seront  requises 
par  vosdicts  subjects,  leur  seront  expédiées  en  forme 
de  déclaration  de  vostre  volonté  et  sans  aultre  cognois- 
sance  des  faicts  conteneus  en  icelle ,  conformément  à 
vosdicts  edicts. 

Ccst  article  apporterait  trop  de  longueur  et  d'incommodité 
aulx  supplians  mesm,es  ,  et  ne  se peult  accorder. 

Feut  dict,  par  l'article  46  de  l'edict,  que  ceulx  de 
la  relligion ,  et  aultres  qui  ont  suivi  leur  parti ,  ne  pour- 
ront estre  poursuivis  pour  payement  des  tailles,  aides, 
octrois  ou  aultres  impositions  quelconques,  subsides 
escheus  et  imposés,  depuisle  temps  d'aoust  1672  jusques 
au  jour  de  la  publication  dudict  edict ,  soit  par  les 
mandemens  de  vostre  majesté  ou  délibération  des  gou- 
verneurs et  estats  des  provinces  ou  aultres ,  desquels 
deniers  ils  demeurent  entièrement  déchargés  par  ledict 
article;  neanlmoins  les  chambres  des  req  lies  tes ,  thre- 
soriers  de  France ,  generaidx  de  vos  Jînances ,  esliis 


656  AU  ROY. 

el  commissaires  a  ce  députés^  recherchent^ poursuivent 
condamnent  lesdicts  de  la  relligion  au  payement  des- 
dicts  deniers  imposés  par  les  catholiques ,  durant  les 
troubles  ,  et  depuis  ledict  vingt  quatriesme  d'aoust , 
contre  la  teneur  de  vostre  dict  edict;  à  ceste  cause, 
plaira  à  vostre  majesté  leur  défendre  très  expressément 
lesdictes  poursuites  et  recherches,  et  casser  tous  juge- 
mens  et  arrests  qui  pourroient  avoir  esté  donnés  contre 
ceulx  de  ladicte  relligion ,  au  préjudice  de  vostredict 
edict. 

Le  roy  enjoint  a  ses  officiers  d'observer  et  laisser  jouir  les 
supplians  de  la  décharge  conteneue  en  son  edict. 

Comme  aussi  il  ne  se  faict  aulcung  département  de 
tailles,  ou  aultres  subsides  imposés  par  vostre  majesté 
sur  vos  subjects,  que  ceulx  de  la  relligion  ne  soient 
surchargés ,  et  ne  payent  trois  fois  plus  que  les  catho- 
liques, comme  à  Limoges,  Castillon  ,  pays  de  Givau- 
dan,  et  en  plusieurs  aultres  lieux,  qui  les  faict  sup- 
plier vostre  majesté  commander  et  enjoindre  très  ex- 
pressément à  tous  commissaires  et  aultres,  ordonnés 
pour  faire  le  département  des  tailles  et  impositions, 
d'y  procéder  le  plus  justement  et  également  que  faire 
se  pourra ,  sans  surcharger  ceulx  de  ladicte  relligion. 

Accordé. 

Ce  sont,  sire,  les  plainctes  et  doléances  de  vos  très 
humbles  subjects  de  la  relligion,  lesquelles  plusieurs 
fois  ci  devant  lui  auroient  esté  présentées  et  respondeues 
par  icelle,  selon  sa  debonnairetéaccoustumee;  mais  elles 
n'ont  esté  jusques  ici  ouïes  de  ses  officiers,  avec  pareil 
désir  du  bien  de  son  peuple  ,  et  repos  de  son  estât,  dont 
seroit  aussi  adveneu  que  plusieurs  ruynes  et  excès  énor- 
mes contre  lesdicts   de  la  relligion  seroient  demeurés 


AU  ROY.  657 

premièrement  impunis,  et  depuis  se  seroient  nourris  ,  ac- 
creus  et  multipliés  par  l'impunité ,  au  grand  préjudice  de 
"vosdicts  subjectsetmesmes  de  vostre  majesté;  mesmes 
que  quelques  ungs  de  ladicte  relligion,  ne  trouvant  jus- 
tice en  la  justice,  l'auroient  cherchée  par  moyens  ex- 
traordinaires et  illicites ,  et  quelques  aultres  abusant 
d'icelle ,  au  grand  regret  desdicts  supplians ,  lesquels  pro- 
fessent en  ces  faicts  de  leur  innocence  et  sincérité  de- 
vant vostre  majesté;  mais  par  ce,  sire,  que  lesplainctes 
en  seroient  ennuyeuses ,  et  ne  pourroient  qu'importu- 
ner les  oreilles  et  faire  mal  au  cœur  de  vostre  majesté, 
les  ont,  vosdicts  subjects,  remises  à  un  cahier  particu- 
lier qu'ils  ont  adjoinct  au   présent   présenté  à  vostre 
majesté,  lequel,  s'il  vous  plaist,   sera  leu  et  veu  en 
vostre  conseil ,  pour  icelui  lui  estre  faict  droict  aulx 
parties  qui  n'ont  aujourd'hui  aultre  recours ,  et  n'es- 
pèrent secours,  après  Dieu,  qu'en  vostre  majesté. 

Aussi  feut  dict  pour  l'asseurance  de  vosdicts  subjects 
de  la  relligion ,  par  l'article  26  de  l'edict ,  87  de  la 
conférence  du  Fleix,  et  36  des  articles  secrets,  que 
le  roy  de  Navarre ,  et  monsieur  le  prince  de  Condé  et  aul- 
tres jouiroient  effectuellemcnt  de  leurs  gouvernemens, 
pour  en  user  en  la  mesme  forme  et  manière  que  les  aul- 
tres gouverneurs  ;  en  quoi  ont  tousjours  estimé ,  vos 
très  humbles  et  très  obeissans  subjects,  que  consistoit 
partie  de  leur  seureté,  d'aultant  qu'elle  est  principale- 
ment en  vostre  bienveillance,  de  laquelle  ils  auroient 
ung  tesmoignage  en  la  démonstration  qu'il  vous  en 
plairoit  faire  à  l'endroict  de  ceulx  de  vostre  sang,  qui, 
par  la  grâce  de  Dieu,  font  mesme  profession  qu'eulx; 
au  contraire  leur  sera  permis  de  dire  à  vostre  majesté, 
qu'en  tous  ces  sept  ans  qui  sont  proches  d'expirer,  leur 

Mém.  de  Duplessis-Mormay.  Tome  h.  4^ 


658  AU  RO\. 

condition  n'est  en  rien  amendée;  que  le  roy  de  Na- 
varre n'a  aulcune  auctorité  en  son  gouvernement,  ni 
admiraulté  de  Guyenne ,  quelque  démonstration  qu'il 
ait  tasclié  de  faire  de  son  affection  envers  vostre  ser- 
vice ;  qu'il  n'y  eut  oncques  lieutenant  de  gouverneur 
qui  en  eust  moins.  Et  quant  à  monseigneur  le  prince  , 
qu'il  n'a  pas  en  tout  son  gouvernement  de  Picardie  où 
asseoir  seulement  le  pied;  qu'il  est  tousjours  reduict  à 
Sainct  Jean  d'Angely ,  loingde  sondict  gouvernement  et 
mesmes  de  toutes  ses  maisons ,  ainsi  soit  toutesfois  que 
sadicte  place  ne  lui  eust  esté  baillée  (comme  parlent 
nommeement  les  articles  secrets)  qu'en  attendant  qu'il 
puisse  effectuellement  jouir  de  son  gouvernement  de 
Picardie ,  choses  qui  font  penser  à  vosdicts  très  hum- 
ble3  subjects  de  la  relligion  que  vostre  bonne  grâce  ne 
leur  est  pas  encores  rendeue  en  ne  la  voyant  pas  luire 
en  tels  endroicts  qui  ont  cest  honneur  de  vous  appartenir 
de  si  près  ;  et  au  contraire  animent  leurs  adversaires  à 
leur  mal  faire,  estimant  que  leur  est  loisible  à  l'endroict 
de  ceulx  aulxquels  (ce  leur  semble)  il  ne  vous  ait  en- 
cores pieu  de  monstrer  assés  évidemment  vostre  bonne 
volonté. 

Feut  dict  par  l'article  69  de  l'edict,  que  ceulx  de  la  rel- 
ligion seroient  teneus  vuider  toutes  garnisons  des  villes, 
places,  chasteaux  et  maisons  qu'ils  tenoient,  et  par  le 
cinquante  et  uniesme  qu'en  ce  faisant ,  n'y  seroient  mises 
aulcunes  garnisons  ni  gouverneurs,  sinon  qu'il  n'y  en 
eust  de  tout  temps,  et  mesmes  du  règne  du  roy  Henry; 
et  que  de  toutes  aultres  de  ceste  nature,  les  garnisons, 
capitaines  et  gouverneurs  vuideroient  incontinent.  Ce 
qui  feut  aussi  répété  es  conférences  ;  et  du  debvoir 
qu'ont  faict  ceulx  de  la  relligion,  en  l'exécution  de  ces 
articles,  appert  assés,  sans  repeter  de  plus  hault,  par 


AU  ROY.  659 

ce  qui  est  ensuivi  depuis  la  conférence  du  Fleix  ,  non- 
obstant les  traverses  qu'ils  auroient  rencontrées  pour 
les  défiances  que  les  contraventions  faisoient  journel- 
lement naistre ,  qu'il  n'est  besoing  de  repeter  ici  plus 
au  long. 

Au  contraire ,  contre  ce  qui  auroit  esté  promis  par 
ledict  article,  garnisons  et  gouverneurs  ont  esté  mis 
en  plusieurs  places  depuis  qu'elles  ont  esté  remises ,  et 
citadelles  en  quelques  unes  basties  contre  lès  mots 
exprès  de  l'edict,  auxquelles  ils  contraignent  vos  sub- 
jects  de  la  relligion  de  contribuer,  comme  en  Guyenne, 
à  Cahors,  Villeneuve  d'Agennois,  Bazas,  villes  no- 
tables, etc.  ;  en  Languedoc,  à  Mende  et  plusieurs  aultres 
en  Dauphiné  ,  à  Die,  Gap,  etc.;  pareillement  ont  esté 
reteneues  et  basties,  partie  garnisons,  partie  citadelles 
en  plusieurs  aultres ,  esquelles ,  du  temps  du  roy  Henry, 
n'y  en  avoit,  comme  àXaintes,  Coignac,  Florence, 
Monlfort  en  Guyenne ,  à  Alby ,  Lavaur ,  Lodeve , 
Nonay ,  Clermont ,  Florenssac ,  en  Languedoc  ,  à  Va- 
lence, Ambouin,  Grenoble,  etc.;  en  Dauphiné  et 
mesmes  en  plusieurs  villes  dedans  le  milieu  du  royaume, 
aulxquelles  jusques  ici,  depuis  tant  de  temps,  n'a  peu 
estre  donné  aulcung  ordre ,  tant  s'en  fault  qu'ils  ayent 
procédé  à  la  démolition  desdictes  places,  y  adjugées 
par  la  conférence ,  s'estans  contentés  pour  tout  d'ab- 
battre  quelques  guérites  en  certaines  maisons  rurales, 
et  encores  après  plusieurs  importunités  ,  comme  les 
procès  verbaulx  des  commissaires  mesmes  de  vostre  ma- 
jesté feront  pleine  foi. 

Et  parce  qu'il  feut  considéré  par  vostre  majesté ,  en 
bastissant  ledict  edict ,  que  plusieurs  particuliers  au- 
roient receu  et  souffert,  durant  les  troubles,  tant  d'in- 
jures et  dommages  en  leurs  biens  et  personnes ,  que 


66o  AU  ROY. 

difficilement  ils  en  eussent  peu  perdre  sitost  la  mé- 
moire ,  comme  eust  esté  requis  pour  l'exécution  de  l'in- 
tention de  vostre  majesté;  sur  quoi  il  vous  auroit  pieu  , 
attendant  que  les  rancunes  et  inimitiés  feussent  adou- 
cies, bailler  à  vosdicts  subjects  de  la  relligion ,  huict 
places  en  garde  pour  le  terme  de  six  ans  ;  au  bout  du- 
quel terme  debvroient  lesdictes  places  estre  remises  es 
mains  de  vostre  majesté,  ou  de  tel  que  bon  lui  semble- 
roit  ;  l'exercice  de  la  relligion  y  demeurant  neantmoins 
tousjours  et  icelles  sans  garnisons  ;  vous  remonstrent 
très  humblement  vosdicts  très  humbles  subjects ,  qu'ils 
ont  grandement  sur  cest  article  à  se  douUoir,  car  il 
estoit  defendeu ,  sur  peine  aulx  entrepreneurs  d'estre 
punis  comme  infracteurs  de  l'edict ,  d'entreprendre  sur 
icelles,  comme  aussi  sur  les  aultres  qui  auroient  esté 
remises,  et  du  contraire  il  ne  s'est  passé  année  que  plu- 
sieurs entreprises  ne  se  soyent  vérifiées  mesmes  par 
l'exécution ,  sans  que  punition  soit  ensuivie  ;  qui  plus 
est,  Périgueux  et  la  Reolle  en  Guyenne  ont  esté  sur- 
prises ,  et ,  au  lieu  d'en  punir  les  aucteurs  et  exécuteurs  , 
ils  commandent  aujourd'hui  aulxdictes  villes,  tant  s'en 
fault  que,  suivant  l'article  de  la  conférence,  ils  ayent 
esté  déclarés  infâmes  et  inhabiles  à  tous  honneurs, 
et  subjects  aulx  peines  qu'encourent  ceulx  qui  sont 
convainceus  de  leze  majesté  en  premier  chef;  bref,  l'exer- 
cice de  la  relligion  en  est  encores  excleu  :  nonobstant 
que  ladicte  chambre  de  justice  ait  résidé  en  la  ville 
de  Perigueux;  qui  estoit  commodité  tant  pour  faire 
exemple  des  entrepreneurs  (  desquels  nommeement  la 
poursuite  estoit  réservée),  que  poury  faire  obéir  l'inten- 
tion de  vos  edicts;  encores  que,  quand  ladicte  ville  eust 
esté  remise  au  temps  préfixe,  la  relligion  y  pouvoit 
demeurer  selon  la  teneur  de  vos  edicts  et  conférences. 


AU  ROY.  66 1 

Item,  se  sont,  pendant  ledict  terme  de  six  ans,  qui 
debvoit  servir  à  radoucir  les  défiances  et  animosités  at- 
tentées ,  faicts  plusieurs  aultres  entreprises ,  desquelles 
ne  s'est  ensuivie  aulcune  punition,  ni  mesmes  infor- 
mation. 

Comme  encores  fraischement  sur  les  villes  de  Figeac, 
Mont  Segur,  Tournon ,  Lamas  de  Verdun,  Puymerol, 
Bergerac,  et  aultres  en  Guyenne, mesmes  en  la  ville  de  La 
Rochelle  ,  les  particularités  desquelles  seroienl  longues 
à  déduire ,  particulièrement  est  celle  de  Figeac ,  ville 
baillée  pour  seureté  très  remarquable,  en  laquelle  se 
sont  trouvés  ensemble  plus  de  mille  ou  douze  cens 
arquebusiers ,  et  les  plus  notables  gentilshommes  de 
Quercy,  et  provinces  circonvoisines  ;  jusques  à  avoir 
faict  jouer  le  pétard  trois  fois,  le  tout  aussi  ouverte- 
ment qu'en  pleine  guerre.  De  ce,  se  plaignent  vosdicts 
très  humbles  subjects  ,  qu'il  ne  s'en  est  faict  aulcune 
punition ,  mesmes  aulcunes  recherches ,  poursuites  ni 
instance. 

Comme  aussi ,  combien  qu'il  feut  dict  par  exprès 
article  72,  que  vostredict  edict  seroit  juré  par  tous  les 
officiers,  juges  et  magistrats  des  provinces  et  villes  de 
vostre  royaume,  n'auroit  esté  cest  article  exécuté  en  la 
plus  part  des  lieux  esquels  il  debvoit  avoir  esté  faict 
d'office  :  et  ce,  nonobstant  instance  quelconque  qui  en 
ait  peu  estre  faicte,  comme  si  par  là  on  se  voulloit  re- 
server une  liberté  de  pouvoir  mal  faire  à  l'advenir,  à 
vosdicts  très  humble  subjects ,  quand  l'envie  en  vien- 
droit ,  ou  l'occasion  se  presenteroit. 

Toutes  ces  choses  sont  de  telle  conséquence  et  im- 
portance ,  sire ,  que  vosdicts  très  humbles  subjects  de  la 
relligion  sont  contraincts  de  se  jetter  avec  toute  soub- 
mission    aulx  pieds  de  vostre  majesté,  ^our  la  sup- 


602  AU  ROY. 

plier  très  humblement  d'apporter  à  leurs  maulx  l'af- 
fection et  la  main  d'ung  vrai  père,  et  à  leurs  plainctes 
non  une  rigueur  exquise  de  justice  ,  mais  une  équité 
bien  souvent  plus  juste  que  la  justice  mesmes. 

Recognoissent  donc  vosdicts  très  humbles  subjects , 
qu'à  la  vérité,  si  vostre  majesté  veult  user  envers  eulx 
de  ceste  exacte  sévérité,  ilsseront  tenus  de  lui  remettre  es 
mains  les  places  qu'il  auroit  pieu  à  vostre  majesté  leur 
bailler  en  garde  ,  c'est  h  dire,  à  proprement  parler  ,  par 
le  moyen  desquelles  il  lui  auroit  pieu  les  prendre  en 
sa  seure  et  saulve  garde,  contre  la  malignité  de  leurs 
ennemis. 

Mais,  s'asseurant  d'ailleurs  que,  comme  elle  verra 
leur  malignité  continuer  avec  le  danger  de  ses  povres 
subjects,  et  la  juste  crainte  et  défiance  qu'on  leur 
donne ,  elle  redoublera  aussi  sa  clémence  et  sa  bénignité 
envers  eulx,  pour  leur  continuer,  voire  redoubler,  en 
tant  que  besoing  seroit ,  sa  protection  et  saulve  garde. 

Telle  ont  ils  cogneu  l'intention  de  vostre  majesté  en 
ses  edicts,  quand  il  lui  a  pieu  déclarer  en  termes  exprès 
que  ces  places  leur  estoient  laissées  en  attendant  que 
les  rancunes  et  animosités  se  feussent  adoucies;  icelles 
donc  s'estant  inaigries  et  exulcerees,  soit  par  ung  mal- 
heur, soit  par  une  malice,  elle  ne  leur  vouldra  oster 
l'emplastre,  premier  que  la  playe. 

Telle  derechef,  quand  elle  a  dict  qu'elle  voulloit 
et  entendoit  que  l'exécution  de  son  edict  commençast 
des  le  lendemain,  pour  estre  continuée  sans  interrup- 
tion :  car  elle  presupposoit  en  ces  mots  la  diligence 
et  bonne  foi  de  ses  officiers  ,  en  l'exécution  de  ses  vo- 
lontés,  à  l'endroict  de  ses  très  humbles  subjects  de  la 
relligion  ;  moyennant  laquelle  il  n'y  a  double  que  le 
terme  de  six  ans  ,  et  beaucoup  moindre,  estoit  suffisant 


AtJ  ROY.  663 

d'establir  une  solide  paix,  et  de  consolider  toutes  les 
playes  de  la  guerre  ,  au  lieu  que  par  la  connivence  des 
ungs  et  collusion,  peult  estre ,  de  quelques  aultres , 
l'exécution  a  esté  reculée  d'une  part,  et  la  contraven- 
tion enhardie  de  l'aultre.  Or,  si  le  cataplasme  ordonné 
par  vostre  majesté,  pour  six  ans,  pour  la  contumace 
de  l'humeur,  ou  aultra  cause,  n'a  faict  son  opération 
si  tost ,  vostre  majesté ,  comme  le  bon  chirurgien ,  ne 
feindra  de  l'y  laisser  encores  pour  quelque  temps ,  qui 
estime  son  honneur  en  la  guerison  du  mal  plustost 
qu'en  la  prefixion  du  remède. 

Telle,  bref,  desjà  pensent  ils  avoir  senti  l'intention  de 
vostre  majesté ,  quand  ils  ont  veu  que  d'elle  mesmes,  le 
temps  estant  escheu  des  ung  an  passé,  elle  a  usé  de  tant  de 
bénignité  que  de  ne  les  avoir  pressés  à  poinct  nommé 
d'obéir  au  terme,  considérant  très  sagement,  comme  ils 
se  persuadent,  que  ces  six  ans  ne  debvoient  estre  teneus 
pour  vraiment  accomplis,  puisqu'ils  avoient  esté  entre 
coupés  de  tant  d'entreprises  ,  attentats,  allarmes  et 
mesmes  du  malheur  d'une  guerre  ouverte;  et  de  ce 
ont  pris  vosdicts  très  humbles  subjects  ung  suhject 
d'espérer  qu'elle  leur  feroit  tant  de  faveur  et  de  bien 
que  de  les  leur  continuer  encores  pour  aultres  trois  ans 
avec  les  provisions  à  ce  nécessaires,  pendant  lesquels 
ils  pensent  voir  ses  sainctes  volontés  et  intentions 
mieulx  obeies,  et  leurs  défiances  plus  rassises  et  com- 
posées. 

Ce  qu'estant ,  comme  ils  s'asseurent  que  Dieu  tou- 
chera le  cœur  de  vostre  majesté ,  pour  condescendre 
aulx  justes  plainctes  de  son  povre  peuple,  vosdicts  très 
humbles  subjects  de  la  relligion  pryeront  incessam- 
ment le  Créateur  pour  la  grandeur  et  prospérité  de 
vostre  majesté ,  et  seront  de  plus  en  plus  prests  et  ap- 


664  AU  ROY. 

pareilles  à  répandre  à  ses  pieds  ce  peu  de  suc  et  de 

sang,  qui,  par  la  grâce  de  Dieu  et  la  bénignité  de  vostre 

majesté,  leur  reste  de  tant  de  pertes,  ruynes  et  misères 

civiles. 

Faict  et  arresté  en  l'assemblée  desdictes  eslises  re- 
formées ,  convoquées  par  la  permission  du  roy  en  la 
ville  de  Montauban,  où  estoient  lesdicts  seigneurs  roy 
de  Navarre,  M.  le  prince  de  Condé,  MM.  de  Laval ,  de 
Chastillon  ,  de  Turenne,  et  aultres  seigneurs  et  gentils- 
hommes, et  les  députés  desdictes  églises  ,  à  sçavoir  : 

Le  sieur  de  Sainct  Germain,  pour  l'Isle  de  France  ; 
—  les  sieurs  de  Serre,  Prunier,  de  Sainct  Rany,  Es- 
perendict  de  Martin,  pour  le  bas  Languedoc,  diocèse 
de  Montpellier,  Nismes  et  Usez;  —  les  sieurs  de  Puy- 
redon,  de  Vachères,  pour  la  Provence;  —  le  sieur  de 
Sainct  Ferriol,  pour  le  Dauphiné;  —  les  sieurs  Ges- 
nard  ,  de  Routgerres ,  pour  le  Poictou  ;  —  les  seigneurs 
Delcausse,  de  la  Guarrigue,  Dufalgua  ,  Delroux,  pour 
le  hault  Languedoc;  —  le  seigneur  de  Puycheron,  pour 
la  Normandie  ;  —  le  seigneur  de  Floret ,  pour  la  Cham- 
paigne;  —  les  seigneurs  de  Lamusse,  Duplessis,  pour 
la  Bretagne;  —  le  seigneur  de  Triail ,  pour  la  Xain- 
tonge; —  les  sieurs  de  Chaudieu,  Leboronat,  pour  le 
Lionnois  et  Beaujolois;  —  les  sieurs  de  Rochefort  et 
Galtie,  pour  Rouergue;  —  les  sieurs  Denoit  et  de  Ro- 
chelle, pour  La  Rochelle  ;  —  le  seigneur  d' Alesme,  pour 
le  hault  Limozin  ;  —  les  seigneurs  de  Fontrailles  et  de 
Charles,  pour  Armaignac;  —  les  sieurs  de  Fanas,  La- 
grange  et  Trinpolet ,  pour  le  Bordellois,  le  Bazadois, 
les  Landes,  Agennois  et  Condomois;  —  les  sieurs  de 
Constans  et  de  Vaura,  pour  le  bas  Quercy  et  le  bas 
Rouergue;  —  les  sieurs  de  Conforgien  et  Bretaigne, 
pour  la  Bourgongne;  —  les  sieurs DelameauseetSaincte 


AU  ROY.  665 

Colombe,  pour  le  hault  Quercy;  —  le  sieur  de  Payai, 
pour  le  bas  Auvergne;  —  le  sieur  de  la  Croix,  pour 
l'Angousmois. 

A  la  requeste  desquels  ledict  seigneur  roy  de  Navarre 
s'est  ci  soubs  signé  le  septiesme  septembre  i  584- 
Signé  Henry,  et  plus  bas,  Dufay. 

RESPONSE    A     LA    PRECEDENTE    PIECE. 

Pareilles  demandes  ont  esté f  aides  au  roy ,  en  l'an  dernier , 
tant  pour  ce  qui  concerne  la  prorogation  du  temps  des  villes  de 
seureté ,  que  pour  le  faict  desdicts  gouvernemens  ;  et  estime  sa 
majesté  avoir  suffisamment  faict  cognoistrc  au  roy  de  Navarre  , 
monsieur  le  prince  de  Condé  et  à  tous  ses  subjects  faisant  profes' 
sion  de  ladicte  relligion ,  sa  droicte  intention  et  le  désir  qu'elle  a 
de  voir  observé  de  bonne  foi  ce  qui  a  esté  promis  et  accordé  par 
ledict  edictf  ainsi  qu'il  appert  par  la  response  faicte  sur  le  cin- 
quante troisiesme  article  du  précèdent  cahier ,  qui  est  telle  ,  et  si 
conforme  au  cinquiesme  dudict  edict ,  que  l'on  avoit  grande  oc- 
casion d'espérer  qu'on  verroit  en  paix  une  bonne  et  finale  exé- 
cution d'icelui  ;  ayant  mesmement  escrit  au  roy  ledict  seigneur 
roy  de  Navarre ,  que  le  principal  retardement  à  ladicte  exécu- 
tion et  remise  des  places  procédait  de  ce  que  sa  majesté  ne  lui 
avoit  voulleu  permettre  de  pouvoir  convoquer  une  assemblée 
générale  des  députés  de  ceulx  de  ladicte  relligion,  ainsi  que 
pour  cesteffecty  il  avoit  délibéré  faire  en  l'an  i583.  Ce  que  lui 
ayant  esté  depuis  permis  et  accordé  en  l'année  présente,  et  l'as- 
semblée requise  teneue  en    la    ville  de  Montauban ,   en  mois 
d*aoust  et  septembre  derniers  ;  etneantmoins  sa  majesté  n  'apoinct 
cogneu,  ni  par  le  rapport  qui  lui  a  esté  faict  par  les  députés 
du  roy  de  Navarre ,  ordonnés  en  ladicte  assemblée ,  ni  par  les 
cahiers  à  elle  présentés ,  que  l'on  ait  pris  la  resolution  qu'on  at- 
tendait, que  l' edict  seroit  en  tout  et  partout  exécuté  ,  et  suivant 
ce  lesdictes  villes  baillées  en  grande  remise  ,  en  l' estât  et  liberté 
qu'elles  ont  deu  estre  selon  icelui  edict ,   des  le  dix  septiesme 
jour  d'aoust  i583.  A  quoi  ledict  seigneur  roy  de  Navarre ,  et 
mondict  seigneur  le  prince  de  Condé  se  seraient  expressément 
obligés ,  estant  sadicte  majesté  très  marrye  de  ce  retardement  et 


666  AU  ROY. 

des  causes  d'icelui  ,  ce  qui  nourrit  de  plus  en  plus  la  défiance 
entre  ses  subjects;  et  neantmoins,  pour/aire  cognoistre  à  ung  cha- 
cun g  qu'elle  désire plustost  ramener  sesdicts  subjects  à  une  entière 
obéissance  (  ainsi  que  naturellement  ils  lui  sont  obligés  )  par  la 
doulceur ,  que  de  rechercher  et  user  d'aultres  voies  plus  rigou- 
reuses ,  consentira  que  lesdictes  villes  délaissées  pour  seureté  à 
ceulx  de  ladicte  rèlligion  ,  leur  sojent  encores  laissées  en  garde 
pour  ung  an  ou  deux ,  comme  sadicte  majesté  jugera  estre  h 
propos  pour  le  bien  et  repos  de  son  estât ,  soubs  les  rnesmes 
promesses  desdicts  seigneurs  roy  de  Navarre  et  prince  de  Condé , 
et  soubmissions portées  par  le  cinquante  neuviesme  article  de  son 
dict  edict ,  de  l'an  1^77  ,  et  conférences  depuis  faictes  (  ne  pou- 
vant cependant  pour  les  occasions  des  défiances  qui  sont  et  con- 
tineuent  parmi  ses  subjects  pour  n' estre  lesdictes  villes  remises 
comme  il  est  porté  et  conteneu  audict  edict) ,  ordonner  aultre 
chose  (  touchant  lesdicts  gouvernemens  de  Guyenne  et  de  Pro- 
vence) que  ce  qui  est  conteneu  en  la  j-esponsefaicte  sur  le  cin- 
quante troisiesme  article  dudict précèdent  cahier ,  estant  bien  rai- 
sonnable qu'il  soit  satisfaict  de  part  et  d' aultre  aulx  choses  res- 
pectivement promises.  Et  est  accordée  ladicte  prorogation  de  la 
garde  desdictes  villes  pour  ung  an  ou  deux ,  à  la  charge  que  les 
occupateurs  de  la  ville  d'Ollargues  ,  au  bas  Languedoc;  et 
Montréal ,  au,  Carcassonnois  ,  et  Lagne  en  Lauraguois ,  de 
Connac  en  Quercy,  et  de  Sainct  Affrique  en  Rouergue  ;  et  aultres 
qui  se  sont  mis  de  leur  auctorité ,  et  par  force,  dedans  plusieurs 
villes  et  chasteaux  desdictes  provinces  ,  en  vuideront  prompte- 
ment ;  en  quoi  sadicte  majesté  désire  que  lesdicts  seigneurs  roy 
de  Navarre  et  prince  de  Condé  tiennent  la  main ,  et  aussi  qu'ils 
s'employent  de  leur  pouvoir ,  selon  la  parfaicte  confiance  et  as- 
seurance  que  sadicte  majesté  a  de  leur  fidélité  et  affection  au 
bien  de  son  service  et  repos  de  cest  estât;  à  ce  que  toutes  courses , 
ravages  etpilleries ,  qui  se  font  et  commettent  à  présent  par  les- 
dicts occupateurs  et  aultres  de  ladicte  rèlligion  cessent;  et  que 
punition  exemplaù-e  se  fasse  de  ceulx  qui  désobéiront  au  com- 
mandement qui  pour  ce  regard  leur  estfaictpar  sadicte  majesté  ^ 
à  la  charge  aussi  que  la  ville  de  Lunel,  au  has  Languedoc,  sera 
remise  en  toute  liberté ,  ainsi  que  par  V edict  elle  doibt  estre.  Et , 
quant  à  ce  qui  a  esté  remonstré  d'aulcunes  citadelles  qui  sont 


AU  ROY.  667 

encores  demeurées  en  certains  lieux ,  dont  estfaict  mention  en  ce 
présent  cahier,  sa  majesté  ne  désire  rien  plus  que  de  voir  toutes 
telles  marques  des  guerres  passées  esteintes  et  effacées  ;  ce  qui 
eut  desjà  esté  faict ,  si  F  obéissance  avoit  esté  rendeue  touchant 
lesdictes  villes  ,  qui  sont  encores  reteneues  par  ceulx  de  ladicte 
lelligion ,  contre  le  conteneu  audict  edict;  et  neantmoins  sa  ma- 
jesté escrira  à  sesdicts  lieutenans  generaulx ,  en  provinces  oiiVon 
dict  estre  lesdictes  citadelles ,  à  ce  qu'il  soit pourveu  au  demolis- 
sement  d'icelles,  tant  que  le  besoing  et  la  nécessité desdicles  pro- 
vinces le  pourra  permettre. 

Faict  à  Sainct  Germain  en  Laye ,  le  roy  estant  en  son  conseil, 
le  dixiesme  jour  de  décembre  \  584» 


cm.  —  INSTRUCTION 

A  M.  le  comte  de  Laval  et  a  M.  Duplessis ,  aulxqitels 
aussi  a  este  adjoinct  le  sieur  Constant^  de  ce  qu'ils 
auront  a  dire  et  remonstrer  a  sa  majesté  de  la  part 
du  roj  de  Navarre  et  de  V assemblée  des  Eglises., 
teneue  a  Montau  ban  par  la  permission  de  sa  majesté; 
dressée  par  M.  Duplessis.  (i) 

Du  i3  septembre  iSH^. 
Premièrement,  feront  entendre  à  sa  majesté  qu'ayant 
esté  son  bon  plaisir  de  permettre  au  roy  de  Navarre 
de  convoquer  en  la  ville  de  Montauban  les  députés  des 
églises  reformées  de  son  royaume ,  pour  là  prendre  ung 
advis  commun  des  moyens  nécessaires ,  tant  pour  Testa- 
blissement  d'ung  repos  gênerai,  que  d'ung  chacung 
d'eulx  en  particulier,  s'y  seroient  trouvés  plusieurs  no- 
tables seigneurs,  gentilshommes,  et  personnes  quali- 
fiées ,  de  toutes  les  provinces  de  son  royaume ,  aulx- 

(i)  M.  de  Laval  avoit  appris  cesle  instruction  par  cœur,  et 
la  prouoncea  devant  le  roy  en  son  cabinet. 


668  INSTRUCTION 

quels  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  auroit  bien  au 
long  faict  entendre  l'intention  de  sa  majesté,  en  la  con- 
vocation de  ceste  assemblée. 

Laquelle  par  eulx  entendue,  auroient  tous  unani- 
mement recogneu  la  paternelle  affection  de  sa  majesté 
envers  ses  très  humbles  subjects  de  la  relligion  ,  qui 
auroit  tant  daigné  compastir  à  leurs  douleurs  et  con- 
descendre à  leurs  plainctes,  que  de  leur  avoir  permis 
de  se  trouver  là  tous  ensemble,  pour  les  lui  prononcer 
comme  d'une  voix;  dont  ils  auroient  tous  esté  émeus  à 
louer  Dieu  qui  leur  auroit  donné  ung  si  débonnaire 
prince,  et  à  le  pryer  qu'il  lui  plaise  préserver  par  sa 
bénédiction,  et  sa  personne  et  son  estât. 

Mais,  que  particulièrement  ce  leur  auroit  esté,  au 
milieu  de  leurs  misères,  une  espèce  de  rafraischissement 
et  ung  augure  certain  de  quelque  meilleur  estât  àl'ad- 
venir,  lorsqu'ils  auroient  considéré  qu'il  ne  se  pouvoit 
faire  que  celui  qui  par  sa  bonté  leur  ouvroit  la  bouche 
pour  se  plaindre,  n'eust  aussi  l'oreille  ouverte  pour  les 
ouïr,  et  la  Volonté  encline  à  leurs  requestes.  Comme 
aussi  ceste  volonté  ne  pouvoit  estre  sans  ung  effect  in- 
dubitable de  leur  bien  et  repos,  estant  icelle  accompa- 
gnée d'une  auctorité  souveraine,  et  ceste  auctorité, 
conduicte  par  une  singuhere  prudence. 

Qu'en  ceste  assemblée  le  roy  de  Navarre  n'auroit  eu 
aultre  but  que  de  les  rendre  capables  de  toutes  les  vo- 
lontés de  sa  majesté  ployables  à  toutes  ses  affections, 
qu'il  sçait  ne  tendre  en  somme  qu'au  bien ,  repos  et 
soulagement  de  son  peuple;  et,  pour  à  ce  parvenir, 
n'auroit  rien  obmis  pour  le  leur  faire  vivement  et  à  bon 
escient  cognoistre,  par  tous  les  effecls  qu'il  leur  en 
auroit  peu  représenter. 

Comme  aussi ,  de  leur  part ,  ledict  seigneur  roy  de  Na- 


A  MM.  LE  COMTE  DE  LAVAL,  etc.  669 

\arre  les  auroit  trouvés  très  disposés  à  l'entière  obéis- 
sance qu'ils  lui  doibvent;  protestans  tous  n'avoir  plus 
grand  désir  que  de  la  lui  pouvoir  rendre  aulx  despens  de 
leur  vie ,  en  respandant  aulx  pieds  de  sa  majesté  en 
quelque  belle  occasion ,  pour  son  service  ,  ce  peu  de  sang 
et  de  moyen  qui,  par  la  grâce  de  Dieu  et  la  sienne,  leur 
est  demeuré  de  reste  après  tant  de  calamités  et  misères 
civiles. 

Mais  que  certes,  comme  la  clémence  et  bénignité 
de  sa  majesté  s'estoit  tousjours  veue  (  pour  le  regard  de 
ceulx  qui  voyent  ung  peu  clair  au  monde)  reluire  et 
esclater  au  travers  des  orages  et  tempestes  qui  avoient 
passé  sur  eulx;  qu'aussi  estoit  il  tout  évident  que  plu- 
sieurs ne  taschoient,  et  n'auroient  depuis  long  temps 
tasclié  qu'à  l'obscurcir,  par  leurs  pernicieuses  practi- 
ques;  dont  seroit  adveneu  que  ses  povres  subjects  n'en 
avoient  ressenti  le  soulagement  que,  selon  sa  nature, 
ils  eussent  peu  recevoir,  et  par  conséquent  que  sa 
majesté  n'auroit  aussi  recueilli  tel  fruict  de  sa  bonté 
qu'il  seroit  à  désirer. 

Que,  pour  preuve  de  ce,  auroient  lesdicts  de  la 
relligion  apporté,  de  toutes  parts,  diverses  requestes et 
remonstrances,  par  lesquelles  ils  lui  auroient  faict  appa- 
roir que,  depuis  l'espace  de  sept  ans,  qu'il  pleut  à  sa- 
dicte  majesté  leur  accorder  son  edict  de  pacification, 
confirmé  et  déclaré  par  les  conférences  surensuivies 
de  Nerac  et  de  Flex ,  il  ne  seroit  toutesfois  encores 
exécuté,  ains  journellement  contreveneu  et  violé  en 
plusieurs  des  principaulx  articles,  quelques  jussions 
qu'il  ait  pieu  à  sa  majesté  leur  octroyer  sur  les  plainctes 
qui  lui  en  auroient  esté  faictes  ;  choses  que  lesdicts  de 
la  relligion  ne  peuvent  attribuer  qu'à  la  négligence , 
connivence ,  ou  mauvaise  intention  d'aulcungs  officiers 


670  INSTRUCTION 

et  magistrats  de  ce  royaume;  lesquels,  au  lieu  de 
ployer  leurs  volontés  soubs  celle  de  sa  majesté  comme 
ils  debvroient  leurs  actions  soubs  ses  commandemens , 
s'efforcent  au  contraire  par  leurs  mauvais  effects,  en 
tant  qu'en  eulx  est ,  de  rendre  doubteuse  l'intention  de 
sa  majesté  assés  cogneue  et  déclarée  par  ses  edicts,  et 
par  les  continuelles  expéditions  que  journellement  il 
lui  plaist  leur  octroyer,  en  confirmation  d'icelle. 

Ce  qu'ayant  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  recogneu 
n'estre  que  trop  véritable,  par  la  cognoissance  parti- 
culière qu'il  a  desdictes  inexécutions  et  contraventions, 
auroit  esté  d'advis  ,  avec  lesdicts  députés ,  que  desdictes 
requestes  se  dressast  ungcabier  gênerai,  lequel,  à  leur 
instance ,  il  auroit  mis  en  main  au  seigneur  comte  de 
Laval,  au  sieur  Duplessis,  et  au  sieur  Constant  à  eulx 
adjoinct  par  l'assemblée,  pour  présenter  à  sa  majesté. 
En  la  confection  duquel  lesdicts  députés,  pour  la 
moins  importuner,  auroient  eu  cest  esgard  de  n'insérer 
que  les  poincts  les  plus  generaulx  ou  de  plus  d'impor- 
tance, estans  les  griefs  et  attentats  particuliers  en  si 
grand  nombre,  qu'ils  n'eussent  peu  qu'apporter  ung 
mal  de  cœur  à  sa  majesté. 

Qu'en  ce  cahier  verra  sa  majesté  que  son  edict  de 
pacification  est  bien  loing  d'estre  exécuté  de  poinct  en 
poinct,  comme  auroit  esté  l'intention  de  sadicte  ma- 
jesté ;  que  l'exercice  de  la  relligion,  par  la  faulle  des 
officiers,  en  la  pluspart  des  lieux  où  il  debvroit,  n'est 
encores  establi  :  mesmes  es  provinces  plus  paisibles  , 
plus  esloignees  de  l'animosité  des  guerres  civiles,  et 
plus  proches  de  la  résidence  de  sa  majesté.  Que  les 
chambres  de  justice  ,  en  aulcungs  parlemens,  ne  sont 
encores  dressées  ;  en  aulcungs ,  à  faulte  de  reglemens ,  se 
convertissent  ou  en   retardement    de  justice,   ou    en 


A  MM.  LE  COMTE  DE  LAVAL,  etc.  671 

instrument  d'injustice.  Que  l'image  de  la  guerre,  et  pis 
que  la  guerre  mesmes,  se  voit  encores  en  plusieurs 
lieux  de  ce  royaume ,  par  le  moyen  des  garnisons  et 
citadelles  qui  s'entretiennent  es  lieux  qui  en  debvroient 
estre  exempts  par  les  edicts  de  sa  majesté;  tellement 
que  lesdicts  de  la  relligion  ne  se  peuvent  rasseurer, 
ains  vivent  comme  en  perpétuelle  menace  au  milieu 
d'icelles.  Mesmes  que  les  places  qu'il  avoit  pieu  à  sa 
majesté  leur  accorder  contre  les  défiances  et  animosités  , 
ont  esté  plusieurs  fois  attentées,  quelques  unes  prises, 
et  celles  qui  ont  esté  remises  h  sa  majesté ,  emplies  de 
garnisons ,  et  contrainctes  par  citadelles.  Le  tout  contre 
les  termes  exprès  de  ses  edicts,  c'est  à  dire  contre 
la  volonté  de  sa  majesté,  et  toutesfois  sans  que ,  jusques 
ici,  punition,  justice,  ou  recherche  s'en  soit  ensuivie. 
Que,  pour  ces  causes,  ses  très  humbles  subjecls  de 
la  relligion  le  requièrent  très  humblement  de  foire  exé- 
cuter sesdictes  intentions  au  plus  tost  que  faire  se 
puisse,  à  ce  que,  soubs  l'obéissance  de  sa  majesté,  ils 
puissent  avoir  quelque  contentement  pour  leurs  con- 
sciences, et  quelque  seureté  pour  leurs  biens  et  vies; 
en  faveur  desquels  ledict  seigneur  roy  de  Navarre, 
oultre  l'interest  qui  lui  est  commun  avec  èulx,  adjoin- 
dra volontiers  sa  très  humble  requeste ,  estant  très  cer- 
tain que  sa  majesté,  qui  sur  tous  aultres  princes  faict 
profession  de  droicture  et  vérité,  n'a  faict  son  edict 
qu'en  intention  de  le  voir  obéi  par  ses  subjects  égale- 
ment, et  exécuté  soigneusement  par  ses  officiers  et 
magistrats,  et  que  sa  prudence  a  assés  cogneu  que  de 
l'observation  d'iceulx  dépend  le  repos  de  son  estât , 
qu'elle  a  principalement  devant  les  yeulx. 

Que  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  auroit  proposé 
aulxdicts  députés  des  églises  reformées  de  ce  royaume, 


672  INSTRUCTION 

que  le  temps  pour  lequel  les  places  leur  avoient  esté 
baillées  en  garde,  pour  les  asseurer  contre  les  défian- 
ces, seroit  expiré;  pourtant  qu'ils  debvoientadviser  du 
moyen  de  donner  contentement  à  sa  majesté  sur  ce 
poinct;  à  quoi  il  n'auroit  rien  obmis  de  ce  qu'il  auroit 
peu  alléguer;  et  auroient,  à  la  vérité,  tous  iceulx  dé- 
putés, d'ung  commun  consentement  recogneu  que 
c'estoit  cbose  deue,  à  laquelle  ils  ne  dévoient  opposer 
fuite  ni  tergiversation  quelconque;  et  qu'ils  ne  pou- 
voientni  voulloient  denier ,  si  tant  estoit  que  sa  majesté 
voulleust  prendre  les  mots  à  la  rigueur  ;  lesquels  ils  s'as- 
seuroient,  au  contraire,  qu'elle  ne  vouldroit  exposer 
qu'avec  ceste  mesme  bénignité  et  grâce ,  qu'elle  les 
avoit  premièrement  dicts  et  prononcés. 

Ainsi ,  qu'ils  se  seroient  resoleus  de  se  jetter  tous  en- 
semble aulx  pieds  de  sa  majesté  pour  la  supplier  très 
humblement  de  les  leur  laisser  encores  de  grâce  en 
garde  pour  trois  ans,  pendant  lesquels  il  lui  plaise 
faire  exécuter  son  edict,  attendeu  que  leurs  mesmes 
maulx  continuent  et  par  conséquent  ont  besoing  de 
mesme  remède;  ce  qu'ils  se  promettent  desjà  d'aultant 
plus  de  sa  majesté ,  qu'ils  pensent  avoir  quelques  arrhes 
de  cette  sienne  bénignité  envers  eulx;  en  ce  que,  depuis 
ung  an  que  le  terme  est  escheu,  sa  majesté  leur  a  esté 
si  gracieuse ,  qu'elle  ne  les  en  a  voulleu  presser  comme 
elle  eust  peu  :  faisant  en  cela,  comme  ils  estiment, 
comme  le  bon  chirurgien  qui  n'oste  pas  l'emplastre  à 
poinct  nommé ,  au  temps  qu'il  a  prefix  du  commen- 
cement ;  mais  considère  l'opération  qu'il  a  faicte ,  et  le 
continue  selon  le  besoing  du  patient  et  de  la  playe. 

A  ceste  très  humble  requeste  desdicts  députés,  ad- 
joindront lesdicts  seigneur  comte  de  Laval,  et  sieur 
Duplessis  ,  et  celle  du  roy  de  Navarre  ;  et  la  fortifieront 


A  MM.  LE  COMTE  DE  LAVAL,  etc.  67 3 

des  raisons  qui  ensuivent,  discrètement  et  prudem- 
ment (i);  à  sçavoir  tous] ours  en  telle  sorte  que  sa  ma- 
jesté cognoisse  qu'ils  ne  demandent  lesdictes  places 
comme  chose  deue,  ains  qui  dépend  de  sa  pure  libe- 
ralilé  et  grâce. 

Lui  remonstreront  donc  que  sa  majesté,  baillant 
lesdictes  places  en  garde  à  sesdicts  subjects,  eut  esgard 
comme  ung  vrai  père  de  son  peuple,  de  les  garder  et 
conserver  esdictes  places,  en  attendant  que  les  rancunes 
et  animosités  des  guerres  civiles  feussent  amorties, 
comme  son  intention  est  asscs  déclarée  es  termes  exprès 
de  son  edict.  Item,  espéra  que  son  dict  edict  seroit 
exécuté  dedans  six  ans  au  plus  tard,  n'estant  apparent 
de  penser  que  nostre  humeur  deust  estre  si  rebelle 
que  de  se  roidir  et  opiniastrer  si  long  temps  contre  la 
médecine,  ni  raisonnable  de  prévoir,  par  ung  mauvais 
augure,  qu'il  deust  estre  enaigri  pendant  ce  temps, 
par  divers  attentats ,  et  mesmes  par  les  nouveaux  trou- 
bles et  accidens  qui  sont  depuis  survenus. 

Or  est  il  advenu  ,  contre  Tespoir  de  sa  majesté  ,  que 
l'exécution  de  Tedict ,  qu'elle  entendoit  et  s'attendoit 
faire  exécuter  sans  interruption,  a  esté  discontinuee 
par  l'interruption  mesmes  de  la  paix;  que  la  guerre, 
qui  s'est  jettee  à  travers,  a  continué  et  accreu  les  dé- 
fiances et  comme  arraché  le  cataplasme  ,  tellement  que 
la  prudence  de  sa  majesté  semble  requérir  que,  pour 
parvenir  à  son  but,  qui  est  le  bien  de  son  peuple,  le 
remède  soit  continué  pour  plus  long  temps,  puisque 
le  mal  continue.  Comme  aussi,  d'aultre  part,  semble 
convenir  à  son  équité  ,  plus  juste  bien  souvent  que  la 
justice  mesmes,  que  sa  majesté  ne  considère  pas  tant 

(i)  Ces  mots  n'estoient  en  celle  qui  feut  baillée  au  roy. 

MÉM.  HE  DUPLESSIS-MORNAY.   ToME  II.  /Ij.3 


674  INSTRUCTION 

unof  terme  de  tant  d'années ,  que  l'intention  et  espé- 
rance apparente  qu'elle  auroit  eu  ,  en  dedans  de  ce 
temps,  de  composer  les  animosités  et  d'éteindre  les  dé- 
fiances de  son  peuple. 

Que  ces  défiances  ne  sont  poinct  imaginaires  ni  prises 
à  plaisir,  mais  fondées  en  quelque  raison,  telle,  comme 
dient  lesloix,  que  toutes  personnes  sages  peuvent  avoir; 
à  sçavoir,  en  ce  que   les  mesmes  villes  qui  leur  au- 
roientesté  données  pour  seureté  ,  leur  auroient  esté  en- 
levées de  force,  devant  le  temps,  sans  justice;  en  ce 
aussi  qu'aulcunes  ayant  esté  remises  au  temps  prefix, 
auroient  aussi  tost  esté  pourveues  de  garnisons  ou  cita- 
delles, qui  sont  apparentes  menaces  d'en  faire  aultant 
aulx  aultres  ;  bref,  en  ce  que  plusieurs  de  ceulx  mesmes 
qui  debvroient  estre  faulteurs  de  l'edict,  selon  leurs  char- 
ges, se  sont  trouvés  aucteurs  de  ces  contraventions  eu 
quelques  lieux  ,  à  sçavoir  les  officiers  et  magistrats  mes- 
mes. Aussi  il  semble  qu'au  lieu  de  lever  les  défiances , 
pendant  tout  ce  temps,  aulcungs  ayent  travaillé  ma- 
licieusement à  les  nourrir,  et  ce,  sans  doubte  ,  afin  que 
des  défiances  on  veinst  à  ung  refus  des  places,  de  ce  re- 
fus à  ung  trouble,  d'ung  trouble  à  une  ruyne,  dont 
les  brouillons  feissent  leurprofict  ;  chose,  grâces  à  Dieu  , 
trop  esloignee  ,  et  de  l'équité  de  sa  majesté  ,  qui  sçaura 
bien  donner  et  ordonner  à  ses  subjects  ce  qui  leur  sera 
nécessaire  pour  leur  repos  et  convenable  à  sa  bonté , 
et  de  l'obéissance  de  sesdicts  subjects ,  qui  aimeroient 
trop   mieulx  s'exposer  à  mille  dangers  que   de  faire 
chose  qui  lui  deust  déplaire. 

Qu'ung  grand  nombre  de  personnes  de  toutes  qua- 
lités ,  entre  lesdicts  de  la  relligion ,  gentilshommes , 
capitaines  et  aultres,  qui  ont  porté  et  suivi  les  armes, 
sont,  depuis  ce  temps  et  cncores  aujourd'hui,  pour- 


A  MM.  LE  COMTE  DE  LAVAL,  etc.  6j5 

suivis  à  toute  rigueur  par  les  prevosts  ,  juges  et  courts 
souveraines ,  pour  cas  abolis  par  l'edict ,  les  ungs  di- 
rectement et  les  aultres  indirectement;  (es  ungs  contre 
les  mots  exprès ,  et  les  aultres  soubs  l'ambiguité  dès 
termes,  esquels  on  leur  dresse  des  pièges  pour  se  dé- 
faire d'eulx  ,  dont  seroit  advenu  que  plusieurs  estant  en 
peine,  n'auroient  peu  avoir  seure  habitation  qu'esdictes 
villes  de  seureté,  qui  en  partie  leur  auroient  esté  bail- 
lées à  ceste  fin;  et  pour  en  sortir,  attendu  mesmes  que 
ladicte  seureté  ne  leur  pouvoit  tousjours  durer,  se  se- 
roient  retirés  par  devers  sa  majesté,  par  très  humbles 
requestes,  pour  obtenir  une  déclaration  desdictes  ob- 
scurités et  ainbiguités,  laquelle,  soubs  le  nom  et  tiltre 
d'abolition,  elle  leur  auroit  benignement  et  libérale- 
ment octroyée  ;  mais  que,  depuis  deux  ans  qu'ils  la 
poursuivent ,  ils  n'en  auroient  peu  obtenir  la  vérifica- 
tion en  sa  court  de  parlement  de  Paris,  quelque  in- 
stance mesmes  que  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  en 
ait  faict  pour  eulx,  qui  est  cause  qu'ils  languissent  en 
juste  crainte  et  défiance  hors  de  leurs  maisons,  en 
danger  des  prevosts,  qui  les  courent  à  force  comme 
vagabonds  et  prevostables,  soubs  ombre  qu'ils  n'ont  seu- 
reté chez  eulx, estant  contraincts  de  la  chercher,  bien 
qu'incommodement,  esdictes  villes  ,  à  faulte  desquelles 
peuvent  advenir  des  inconveniens ,  tels  que  le  deses- 
poir tire  après  soi,  et  tels  en  somme  qu'en  ce  royaume 
il  a  engendré  en  quelques  lieux. 

Que ,  contre  ces  occasions  de  défiances ,  ils  eussent 
pris  ung  subject  d'entrer  en  confiance,  s'ils  eussent 
apperceu  quelques  traits  apparens  de  la  bonne  grâce 
de  sa  majesté  envers  sesdicts  subjects  de  la  relligion, 
nonobstant  le  mauvais  traictement  qu'ils  auroient  re- 
ceu  d'aulcungs  des  principaulx  officiers,  spécialement 


676  INSTRUCTION 

s'ils  eussent  peu  remarquer  que  le  cœur  de  sa  majesté 
eust  esté  vivement  touché  d'affection  envers  le  roy  de 
Navarre  et  monseigneur  le  prince  de  Condé,  qui,  par 
la  grâce  de  Dieu,  font  mesme  profession  qu'eulx,  et 
es  personnes  desquelles  ils  ont  tousjours  faict  estât  de 
recognoistre  la  disposition  et  inclination  de  sa  majesté 
envers  la  généralité  de  sesdicts  subjects  de  la  relligion , 
et  d'aultant  plus  qu'ils  ont  cest  honneur  de  lui  appar- 
tenir de  plus  près.  Au  contraire,  qu'en  tout  ce  temps 
ils  n'ont  peu  appercevoir  aulcung  progrès  de  ceste  fa- 
veur et  bonne  .grâce  de  sa  majesté  envers  eulx ,  en  la 
dispensation  des  honneurs,  charges,  dignités  et  fonc- 
tions, qui ,  selon  l'intention  de  sa  majesté,  portée  par 
ses  edicts,  debvoient  estre  indifféremment  distribuées  ; 
que  mesmes  le  roy  de  Navarre  et  monseigneur  le  prince 
de  Condé  ont  aussi  peu  d'auctorité  en  leurs  gouverne- 
mens  que  le  premier  jour  des  six  ans,  moins  que  le 
moindre  lieutenant  de  province,  moins  que  le  moindre 
gouverneur  de  place;  que  ceulx  qui  veullent  mal  à  ses- 
dicts subjects  de  la  relligion,  voyant  ceste  inégalité  si 
manifeste,  s'en  rendent  orgueilleux  et  se  promettent 
impunité,  quoi  qu'ils  leur  fassent;  comme  aussi  s'en- 
hardissent par  là  les  ennemis  de  la  grandeur  et  auc- 
torité  desdicts  seigneurs  roy  de  Navarre  et  prince  de 
Condé,  de  s'auctoriser  par  toutes  voies  contre  eulx  et 
sur  eulx,  comme  si  sa  majesté  ne  le  pouvoit  trouver 
mauvais;  qui  toutesfois  ont  cest  heur  et  honneur  na- 
turel de  n'avoir  ni  pouvoir  avoir  ennemis  de  leur  auc- 
torité  et  grandeur,  que  ceulx  mesmes  qui  le  sont  de 
la  sienne. 

Sçait  bien  ledict  seigneur  roy  de  Navarre  qu'on  peult 
alléguer  à  sa  majesté  que  le  subject  se  doibt  fier  au 
prince ,  plustost  que  le  prince  au  subject ,  à  quoi  se 


A  MM.  LE  COMTE  DE  LAVAL,  etc.  677 

responcl  en  iing  mot  qu'il  n'est  pas  ici  question  d'une 
défiance  de  prince  au  subject,  mais  de  peuple  à  peu- 
ple, et  (le  subjects  respectivement,  qui  ont  receu  injure 
î'ung  de  l'aultre ,  tous  deux  également  subjects  de  sa 
majesté,  tous  deux  requérant,  par  mesme  droict,  par- 
ticiper en  sa  bonne  grâce,  tous  deux  cherchant  leur 
protection  soubs  son  aile.  Mais,  oultre  ce,  considérera 
sa  majesté,  s'il  lui  plaist,  que  ce  sont  les  foibles  qui 
prennent  défiance  des  forts,  et  partant,  que  c'est  aulx 
forts  à  asseurer  les  foibles,  aulx  pères  les  enfans,  aulx 
maistres  les  serviteurs,  aulx  princes  les  subjects;  et 
d'aultant  plus  qu'ils  sçavent  le  pouvoir  faire  sans  dan- 
ger et  sans  dommage,  au  lieu  que  les  aultres  dépen- 
dent de  leur  pure  discrétion  et  volonté.  Ainsi  sa  ma- 
jesté ,  accordant  les  places  à  sesdicts  subjects  de  la  rel- 
ligion,  comme  ils  l'en  requièrent  humblement,  faict 
proprement,  au  regard  d'eulx,  le  père,  le  maistre  et 
le  prince;  mais,  au  regard  des  ungs  et  des  aultres,  le 
sase  et  le  légitime  arbitre,  qui  faisant  droict,  sans 
acception,  à  fung  et  à  l'aultre,  a  touttsfois  ce  soing 
particulier,  que  le  fort  ne  fasse  injure  au  foible. 

Et  que  sa  majesté  le  puisse  faire  sans  danger  ni  dom- 
mage,  n'est  besoing  de  grande  preuve;  car  sesdicts 
subjects  de  la  relligion  ne  sont  pas  eslrangers,  ni  de 
cœur  estranger,  mais  vraiment  François,  François  plus 
intéressés  en  la  haine  de  l'ennemi  qui  seroit  à  craindre, 
qu'aultres  quelconques,  soit  qu'on  considère  la  cause 
de  la  relligion  ou  de  Testât;  François  qui,  dedans  et 
dehors  du  royaume,  n'ont  aulcune  participation,  ni 
avec  lui,  ni  avec  ceulx  qui  l'aiment;  ains,  comme  cha- 
cung  sçait,  en  toutes  leurs  affections  et  actions,  ont 
tousjours  désiré  et  cherché  sa  ruyne.  Et  après  ledict 
seigneur  roy  de  Navarre  s'est  constitué  respondant  en- 


678  INSTRUCTION 

vers  sa  majesté,  respondant  qui,  après  sa  majesté,  ait 
le  principal  interest  à  la  chose,  qui  mesmes,  oultre 
l'interest  qui  lui  est  commun  avec  sa  majesté,  ait  des 
interests  particuliers  contre  celui  et  ceulx  qui  seroient 
principalement  à  craindre;  et  puis  venant  lesdictes 
places  à  sortir  des  mains  de  ses  subjects  de  larelligion, 
qui  les  tiennent  soubs  la  foi  dudict  seigneur  roy  de 
Navarre,  en  quelle  plus  seure  main  sa  majesté  les 
pourra  elle  mettre?  en  quelle  encores  qui  soit  plus 
esloignee  de  la  jalousie  et  de  l'envie? 

Et  quant  au  dommage  qui  se  peult  proposer  en  ce, 
peult  estre  que  les  garnisons  desdictes  places  chargent 
les  finances  de  sa  majesté,  oultre  ce  que  le  seigneur  roy 
de  Navarre  s'asscure  (pje  sa  majesté  racheteroit  bien 
plus  cher  la  trancjuillité  et  repos  d'esprit  de  ses  propres 
subjects  de  larelligion,  qui  l'attendent  de  lui  seul,  con- 
sidérera sa  majesté  que  celles  de  Languedoc  sont  payées 
d'une  crue  extraordinaire  sans  charger  l'ordinaire  de  ses 
finances  ;  que  celles  de  Dauphiné  et  Provence  ne  montent 
pas  à  grand'somme  ;  et,  quant  à  celles  de  Guyenne,  pense 
ledict  seigneur  roy  de  Navarre  qu'elle  ne  lui  vouldroit 
refuser  quelque  nombre  de  compagnies  entreteneues, 
pour  estre  employées  soubs  lui  en  son  service ,  comme 
ci  devant  les  ont  eues  ceulx  qui  ont  eu  cest  honneur  de 
tenir  le  lieu  qu'il  tient,  lesquelles,  pour  quelque  es- 
pace, tiendroicnt  garnison  esdictes  places;  et  lorsque 
les  causes  en  seroient  cessées,  comme  de  son  costé  il 
y  travaille  de  tout  son  pouvoir,  s'achemineroient  en 
tel  lieu  qu'il  seroit  advisé  pour  le  bien  de  son  service , 
joinct  que  ledict  seigneur  roy  ne  feindra  de  lui  dire  qu'il 
craint  que  ceulx  qui  lui  allèguent  ceste  espargne,  ne  le 
fassent  que  par  prétexte  et  non  à  bon  escient,  veu  que, 
pour  le  regard  des  garnisons  qui  s'entretiennent  en 


i 


A  MM.  LE  COMTE  DE  LAVAL,  etc.  679 

plusieurs  lieux  contre  les  edicts  de  sa  majesté ,  ils  ne 
remonstrent  pas  le  mesme  niesnage. 

Ces  choses  bien  représentées  à  sa  majesté,  espèrent 
ledict  seigneur  roy  de  Navarre  et  sesdicts  subjects  de 
la  relligion ,  assemblés  par  sa  permission  en  ladicte  ville 
de  Montauban  ,  que  sa  majesté  sera  esmeue  de  leur 
accorder  encores  pour  trois  ans  ,  par  sa  clémence  ,  les 
places  qu'elle  leur  avoit  ci  cVevant  octroyées  pour  six , 
pendant  lesquels  trois  ans  son  edict  soit  exécuté  de 
poinct  en  poinct ,  ainsi  qu'il  lui  a  pieu  ordonner  plu- 
sieurs fois. 

Et  ce,  d'aultant  plus  qu'ils  ne  font  doubte  que  sa  ma- 
jesté ne  considère  selon  sa  prudence  et  magnanimité, 
les  grandes  et  belles  occasions  que  Dieu  lui  monstre  et 
présente,  de  toutes  parts  et  à  tant  de  fois,  d'agrandir 
et  establir  son  estât,  qui  seroit  mesmes  le  plus  abrégé 
moyen  de  le  pacifier  et  composer,  et  d'esteindre  et 
Amortir  les  cendres  encores  demi  chaudes  des  guerres 
civiles;  estant  aujourd'hui  telle,  la  disposition  de  la 
nation  françoise,  qu'elle  a  besoing  d'un  subject  pour 
exercer  ses  armes  ,  si  on  ne  veult  qu'à  faulte  d'icelui  elle 
les  emploie  contre  elle  mesmes. 

Ce  sont  les  instructions  qui  ont  esté  baillées  aulxdicts 
sieurs  comte  de  Laval,  Duplessis  et  Constant,  de  la 
part  dudict  seigneur  roy  de  Navarre  et  de  ladicte  as- 
semblée, lesquelles  ils  exposeront  à  sa  majesté,  de  poinct 
en  poinct,  et  y  adjousteront  tout  ce  que,  pour  le  ser- 
vice dudict  seigneur  roy,  bien  et  repos  des  églises  refor- 
mées de  ce  royaume,  ils  verront  et  jugeront  appar-  ' 
tenir,  selon  leur  discrétion  et  prudence. 
Faict  à  Monlauban. 

Signé  Hf.ivrt. 


68o  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

CIV.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

Jit  roy  de  Navarre. 

Du  ili  novembre  i58/{. 
Sire,  nous  n'avons  encores  rien  faicten  la  principale 
charge  que  vous  nous  avez  donnée  ,  parce  que  sa  ma- 
jesté n'est  arrivée  en  ce  lieu  de  Sainct  Germain  que  du 
8  de  ce  mois.  Joinct  aussi  que  M.   le  comte   de   Laval 
estoit  allé  ung  tour  chez  lui,  au  partir  de  Blois,  d'où 
il  n'est  encores  de  retour,  à  cause  de  quelques  accès 
de  fiebvre  qu'il  a  eus.  Il  nous  a  asseurés  d'estre  ici  jeudi 
au  plus  tard;  et  des  le  lendemain  nous  supplierons  très 
humblement  sa  majesté  de  nous  ouïr.  Cependant,  sur 
la  depesche  que  sa  majesté  a  receue  des  affaires  de  Lan- 
guedoc, par  M.   de  Pontcarré ,  elle  nous  a  faict  cest 
lionneur  de  nous  appeller,  et  nous  a  teneu  ces  propos; 
qu'elle  ne  nous  appelloit  poinct  pour  les  affaires  pour 
lesquelles  nous  estions  veneus  ,  lesquelles  toutesfois  elle 
estoit  preste  d'entendre  quand  nous  vouldrions,  mais 
pour  quelques  nouveautés  surveneues  en  Languedoc, 
au  rebours  de  ce  qu'il  avoit  espéré;  lesquelles  il  s'as- 
seuroit  cjue  vous  trouveriez  non  moins  estranges  que 
lui  mesmes.  Qu'il  avoit  pensé  avoir  donné  occasion  de 
contentement  à  M.  de  Montmorency,  par  la  despeche 
envoyée  par  le  sieur  de  Pontcarré,  comme  de  faict, 
il  lui  auroit  accordé  tout  ce  que  vous  auriez  jugé  né- 
cessaire pour  son  contentement, et  vous  auroit  commu- 
niqué ladicte  depesche,  laquelle  trouvant  raisonnable, 
vous  auriez  accompagnée  et  assistée  d'ung  gentilhomme 
exprès  envoyé  vers  M.    de   Montmorency,   de  vostre 
part.  Qu'il  recognoissoit  bien  en  quelle  sincérité  vous 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  68 1 

y  aviez  procédé  et  procédiez  ;  et  mesmes  qu'il  avoit 
certain  tesmoignage  du  bon  debvoir  qu'avoit  faict  le 
sieur  de  Merle  ,  par  vostre  commandement,  tant  envers 
ledict  sieur  de  Montmorency  qu'ailleurs  en  Languedoc, 
pour  retenir  et  contenir  les  choses  en  estât.  Cepen- 
dant ,  que  ni  de  sa  bonne  volonté  à  pacifier  son  estât, 
et  contenter  ledict  seigneur  de  Montmorency ,  ni  de 
la  vostre  mesmes  à  advancer  ce  que  cognoissiez  estre  de 
son  service,  il  ne  voyoit,  à  son  grand  regret,  le  fruict 
qu'il  avoit  espéré.  Au  contraire,  que  les  armes  seroient 
prestes  de  se  prendre  en  Languedoc,  et  en  quelques  lieux 
seroient  jà  prises;  que  M.  de  Montmorency  auroit  jà 
forces  et  artillerie  en  campagne,  pour  battre  Clermont; 
que,  de  l'aultre  part,  on  n'estoit  pas  délibéré  de  le  laisser 
faire;  dont  y  auroit  danger  que  le  feu  ne  s'embrasast  par 
toute  la  province,  et  peult  estre  plus  oultre  ;  le  tout 
soubs  ombre  d'un  certain  chasteau  ou  village,  nommé 
Sessenon,  saisi,  comme  on  dict,  par  M.  le  mareschal  de 
Joyeuse ,  que  sa  majesté  commanderoit  estre  desman- 
telé,  et  qui  estoit  trop  peu  de  chose  pour  tirer  après 
soi  une  telle  ruyne.  Que  son  intention  n'est  poinct,  qu'à 
l'appétit  de  l'ung  ni  de  l'aultre  son  estât  soit  troublé,  ni 
ses  subjects  en  peine;  ains  qu'il  veult  entretenir  cha- 
cung  en  son  degré,  attribuer  à  chacung  ce  qui  lui  ap- 
partient, contenter  en  somme  ung  chacung  de  ce  qui 
est  droict  et  raisonnable.  S'asseurant,  au  reste,  que,  si 
aulcungs  entreprennent  oultre  et  contre  cela,  ce  qu'il 
n'espère,  Dieu  ne  le  lairra  despourveu  de  moyens, 
après  avoir  abusé  de  sa  doulceur,  pour  les  y  amener  par 
force.  Qu'il  s'asseuroit  que  vous  condamniez  telles  ac- 
tions; que  vous  apporterez  tousjours  toute  l'aide  que 
pourrez,  à  la  tranquillité  de  son  estât,  comme  il  s'es- 
toit  apperceu ,  par  ci  devant.  Et  pourtant  qu'il  nous 


68'2  LETTRE  DE  M.  DUPLESSîS 

avoit  mandés  pour  nous  faire  entendre  tout  ce  que 
dessus,  à  ce  que  nous  eussions  à  vous  en  advertir;  et 
qu'il  desiroit  qu'incontinent  vous  depeschissiez  quelque 
genlilhomme  suffisant  et  qualifié  en  Languedoc,  pour 
couper  chemin  à  ces  maulx,  tant  en  ramenant  par  toutes 
les  raisons  que  vous  sçaurez  assés  imaginer,  ledict  sei- 
gneur de  Montmorency  à  fintenlion  de  sa  majesté, 
qu'en  divertissant  ceulx  de  la  relligion  qui  le  voul- 
droient  suivre,  de  prendre  les  armes,  et  sans  subject, 
contre  son  service,  lorsqu'il  n'avoit  aultre  but  que  de 
pacifier  son  royaume,  et  donner  occasion  de  conten- 
tement à  ung  chacung. 

Nous  lui  avons  respondeu,  sire,  que  nous  nous  asseu- 
rions  que  sa  majesté  vous  feroit  cest  honneur,  de  croire 
que  vous  n'approuviez  aulcunes  actions  contre  son 
service  et  le  bien  de  son  estât.  Que  particulièrement 
sa  majesté  auroit  peu  appercevoir  de  quelle  franchise 
vous  vous  seriez  employé  en  tout  ce  qui  vous  auroit 
esté  commandé,  nommeemcnt  pour  le  faict  de  Langue- 
doc ;  et  de  faict,  que  nous  oserions  bien  respondre,  si 
nous  estioiîs  solvables  de  si  grandes  choses,  que  ceulx 
qui  souloient  déférer  à  nos  conseils  et  advis ,  ne  parti- 
ciperoient  aulcunement  à  cest  affaire;  et  surtout  les 
bonnes  villes  de  Languedoc,  comme  Montpellier,  Nis- 
mes,  Uzés,  Castres  et  aultres,  qui  ne  desiroient  rien 
plus  que  vivre  paisiblement  soubs  le  bénéfice  de  ses 
edicts. 

Sa  majesté,  à  ce  poinct,  a  recogneu  vostre  bonne 
affection  qu'il  auroit  remarquée  nommeement  es  sus- 
dictes  affaires  de  Languedoc,  et  qui  lui  auroit  esté  bien 
tesmoignee  par  M.  de  Bellievre,  lequel  estoit  seul  pré- 
sent à  tous  ces  propos;  cependant  que,  soubs  ombre  de 
querelle  particulière  dudict  sieur  duc  de  Montmorency, 


AU  ROY  DE  NA.VARRE.  683 

contre  M.  le  mareschal  de  Joyeuse ,  il  seroit  adverti 
que  plusieurs  de  la  relligion  s'y  seroient  embarqués  et 
jettes  avec  lui  :  entre  aultres,  les  sieurs  de  Lecques  et 
Porclieres,  et  que  nombre  de  soldats  seroit  sorti  des 
villes;  mesmes  que  M.  de  Chastilloii  (ce  qu'il  ne  pou- 
voit  croire,  veu  les  bons  services  precedens  en  la  paci- 
fication des  choses  )  s'y  seroit ,  après  plusieurs  difficul- 
tés, laissé  aller ,  sur  ce  que  ledict  sieur  de  Montmorency 
lui  auroit  remonstré  le  debvolr  et  office  de  parent  et 
d'ami ,  en  telles  querelles  particulières. 

Nous  avons  respondeu ,  quand  les  armes  se  remue- 
roient,  soubs  quelque  prétexte  que  ce  feust,  qu'il  estoit 
malaisé  de  contenir  les  soldats  qui,  pour  la  pluspart, 
ont  accoustumé  ou  par  nécessité,  ou  aultrement,  de 
chercher  la  guerre  sans  en  rechercher  la  raison  ou  la 
cause.  Aussi  qu'ils  ne  debvoient  proprement  estre  nom- 
bres comme  parties,  ou  membres  des  villes,  ni  les  ac- 
tions des  villes  jugées  par  les  leurs.  Mais,  quant  aulx 
corps  des  bourgeoisies,  qui  estoient  régis  par  quelque 
ordre,  qu'il  n'en  adviendroit  ainsi,  comme  aussi  les 
personnes  de  qualité  y  procederoient  plus  pesamment. 
Particulièrement ,  que  nous  espérions  que  sa  majesté 
auroit  meilleures  nouvelles  de  M.  de  Chastillon  lequel 
nous  entendions  vous  estre  allé  trouver  sur  ces  remue- 
mens. 

Le  pis  est  que  nous  appercevons  qu'on  doubte  que 
ce  mal  ne  vienne  déplus  loin,  et  ne  tende  plus  oultre. 
A  quoi  on  est  plus  facilement  persuadé,  pensant  avoir 
accordé  à  ]\1,.  de  Montmorency  tout  ce  qui  estoit  de 
raison  ,  et  au  plus  près  de  ses  demandes;  dont  on  juge 
qu'il  ne  se  departiroit  pas,  s'il  n'avoit  aultre  chose  en 
teste.  La  dessus  aussi  se  ramentoivent  les  vieulx  advis 
qui  sont  rafraischis  par  aultres  nouveaulx.  Tout  cela 


684  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

est  cause  que  sa  majesté  désire  qu'au  plus  tost  vous  y 
envoyiez  quelqu'ung  armé  de  toutes  persuasions  possi- 
bles, et  que,  si  voyiez  que  besoing  soit,  vous  vous  advan- 
ciez  jusques  à  Castres  ,  pour  remédier  au  mal  de  plus 
près.  Plusieurs  raisons,  sire,  vous  doibvent  porter  et 
inciter  à  embrasser  vivement  ceste  occasion  de  faire 
service  au  roy  et  à  ceste  couronne.  Le  roy  monstre  un 
désir  infini  de  voir  son  estât  paisible,  et  semble,  plus 
que  jamais,  en  avoir  occasion;  car  nous  sommes  me- 
nacés de  grandes  tourmentes,  lesquelles  ayant  à  venir, 
bien  nous  servira  d'avoir  nostre  vaisseau  bien  clos  et 
couvert  de  toutes  parts.  La  France  aussi  s'en  va  désor- 
mais lasse  de  ses  folies,  et  aimera,  sans  doubte ,  qui 
aimera  sa  paix.  Plus  à  propos  ne  seauriez  vous  mons- 
trer  à  sa  majesté  vostre  affection  en  son  service,  qu'en 
rapportant  vos  affections  aulx  siennes ,  mesmes  en 
cboses  comme  celles  ci,  et  utiles  et  honorables.  Et  mieulx 
aussi  ne  pouvez  vous  attirer  à  vous  l'amitié  de  toutes 
les  personnes  d'honneur  et  de  vertu,  en  ce  royaume, 
qu'en  vous  employant  soubs  le  commandement  de  sa 
majesté,  pour  le  bien  gênerai  de  tous.  En  somme,  le 
malheur  a  voulleu  qu'ils  aient  senti  vos  armes  ;  il  est 
temps  qu'ils  vous  sentent,  en  tant  qu'en  vous  sera,  ins- 
trument de  leur  repos. 

Le  sieur  d'Espruneaux  est  arrivé  depuis  deux  jours 
des  estats  des  Pays  Bas,  resoleus  d'appeller  le  roy  pour 
leur  seigneur;  la  royne  d'Angleterre  de  sa  part,  d'en- 
trer en  communs  frais  contre  le  roy  d'Espaigne.  Et  vous 
sçavez,  sire,  combien  d'auitres  desseings  pendent  à 
celui  là.  Jugez,  sire,  quel  tort  on  chargera  sur  ceulx 
qui  viendront  à  troubler  les  affaires  en  ceste  circon- 
stance ,  et  combien  il  importe  que  ceulx  de  la  relligion 
ne  se  trouvent  meslés  entre  euix. 


AU  ROY  DE  NAVARRE.  685 

Aussi  vous  sçavez ,  sire,  que  ce  feu  une  fois  allumé, 
s'ils  viennent  à  y  participer,  pourroit  courre  de  ville 
en  ville  ,  et  de  province  en  province.  Qu'en  ce  cas  sa 
majesté  seroit  contraincte  d'opposer  forces  à  forces,  et 
en  donner  la  charge  à  ceulx  qui  par  ci  devant  les  au- 
roient  menées  ;  et  vous  sçavez ,  sire ,  s'il  y  a  chose  qui  ac- 
croisse tant  l'auctorité  de  vos  ennemis  que  la  guerre; 
et  ce  mal  continuant,  vous  ne  doublez  pas  qu'ils  n'y 
soient  des  premiers  employés. 

Ainsi,  sire,  nous  pensons  voir  le  service  du  roy  et 
le  bien  universel  de  son  royaume  estre  de  vostre  bien 
et  service  particulier,  d'embrasser  la  pacification  du 
Languedoc,  pour  laquelle  sa  majesté  vous  escrit,  et 
nous  a  commandé  vous  escrire ,  etc. 


CV.  —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  MM.  des  Eglises  de  Languedoc . 

Du  i4  novembre  i584. 

Messieurs,  nous  n'avons  peu  estre  ouïs  si  tost  sur 
nos  cahiers ,  à  cause  de  la  peste  qui  contraignit  sa  ma- 
jesté de  se  retirer  de  Blois  ,  dont  nous  feusmes  assignés 
au  8  de  ce  mois,  en  ce  lieu  de  Sainct  Germain,  oii  M.  de 
Laval  n'est  encores  arrivé  ,  à  cause  d'une  fiebvre  qu'il  a 
eue.  Ce  sera,  aidant  Dieu,  pour  le  premier  jour.  Ce- 
pendant sa  majesté  nous  a  mandés  ici,  et  se  plainct 
grièvement  des  remuemens  de  vostre  province  de  Lan- 
guedoc, et  particulièrement  que  ceulx  de  nostre  relli- 
gion  y  prennent  les  armes,  soubs  prétexte  de  certains 
differens  enlre  M.  le  duc  Montmorency  et  M.  le  mares- 
chal  de  Joyeuse;  que  sa  majesté  n'entend  tirer  à  telle 
conséquence  que  de  troubler  ladicte  province ,  et  mettre 


686  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

en  danger  de  nouveaulx  troubles  tout  cest  estât.  Ce  sont, 
messieurs,  les  propos  qu'il  a  pieu  à  sa  majesté  nous 
tenir ,  sur  lesquels  nous  l'asseurons  que  vous  ne  ferez 
ni  souffrirez  eslre  faict ,  en  tant  qu'en  vous  sera ,  chose 
qui  trouble  la  paix.  Et  nous  vous  pryons,  pour  le  bien 
de  nous  tous  en  gênerai ,  et  de  chacung  en  particulier, 
de  tenir  la  main  que  les  choses  n'empirent,  et  contenir 
les  personnes  sur  lesquelles  vous  avez  quelque  puis- 
sance ,  par  tous  les  moyens  que  vous  pourrez.  Vous 
voyez  les  affaires  que  nous  avons  à  traicter  ici ,  et  n'igno- 
rez poinct  quelle  défaveur  nouveaulx  remuemens  y 
apporteroient.  Les  députés  de  Flandres  sont  aussi  ici 
pour  choses  grandes.  Ce  nous  seroit  ung  trop  grand  re- 
gret d'avoir  servi  d'achoppement  à  leurs  affaires,  et 
d'empeschement  à  leur  bien.  D'ailleurs,  vous  sçavez, 
messieurs,  ce  qui  feut  dernièrement  concleu  à  Mon- 
tauban,  d'éviter  soigneusement  toutes  actions  et  occa- 
sions qui  nous  pourroient  rejetter  aulx  misères  civiles. 
Et  vous  sçavez  que  le  feu  et  les  armés  ne  tiennent  poinct 
de  mesure  ,  et  qu'on  ne  les  arreste  pas  à  poinct  nommé, 
quand  elles  sont  une  fois  esprises.  Vous  adviserez  donc, 
messieurs  ,  et  nous  vous  en  pryons ,  à  contenir  les 
choses ,  et  d'aultantplus  qu'il  plaist  à  sa  majesté  adviser 
par  sa  prudence  à  les  ramener  en  bons  termes,  et  à 
ceste  fin  escrire  au  roy  de  Navarre ,  pour  s'employer 
vers  M.  de  Montmorency ,  et  tous  aultres  qu'il  appar- 
tiendra; lequel  nous  espérons,  soit  par  l'envoi  de  per- 
sonnes d'auctorité,  soit  par  rapprochement  de  sa  per- 
sonne, y  apportera  bientost  les  remèdes  nécessaires  soubs 
l'auclorité  et  commandement  de  sa  majesté.  C'est , 
messieurs,  ce  que  nous  avons  pensé  de  vous  en  escrire, 
sur  ce  qu'il  a  pieu  à  sadicte  majesté  nous  desclarer  et 
commander;  et  sur  ce,  après  vous  avoir  humblement 


A  MM.  DES  EGLISES  DE  LANGUEDOC.        687 

salué,  pryerons  Dieu  ,  messieurs  ,  vous   avoir  en  sa 
saincte  garde. 

De  Sainct  Germain  en  Laye. 

CVI. —  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Chas ti lion. 

Du  14  novembre  i584' 
Monsieur  ,  nous  n'avons  encores  peu  rien  faire  en 
nos  principaulx  affaires,  parce  que  sa  majesté  n'est  en 
ce  lieu  de  Sainct  Germain  ,  où  avons  esté  assignés,  que 
du  8  de  ce  mois,  et  M.  le  comte  de  Laval,  vostre  cou- 
sin ,  a  eu  quelques  accès  de  fiebvre  qui  l'ont  retardé 
elles  lui;  il  pourra  estre  ici  dans  deux  jours,  et  lors 
nous  supplierons  sa  majesté  de  nous  voulloir  ouïr.  Ce- 
pendant ,  tout  bruït  ici  des  remuemens  de  Languedoc  ; 
qu'il  y  a  forces  et  artillerie  aulx  champs  de  par  M.  de 
Montmorency  ;  que  plusieurs  de  la  relligion  s'y  embar- 
quent ,  nommeement  les  sieurs  de  Lecques  et  Porchères  ; 
que  vous  mesmes  vous  y  sériés  adjoinctsurce  qu'il  vous 
auroit  esté  remonstré;  que  ce  n'estoit  qu'une  particu- 
lière querelle  ,  en  laquelle  ne  pouvés  desnier  l'office  de 
parent  ;  et  la  chose  se  rend  d'aultant  plus  odieuse ,  que 
sa  majesté  déclare  avoir  accordé  à  M.  de  Montmo- 
rency, par  la  depesche  du  sieur  de  Pontcarré  ,  tout  ce 
qu'il  demandoit.  Là  dessus  donc  nous  sommes  appelles, 
et  respondons  que  ceulx  qui  vouldront  croire  le  con- 
seil du  roy  de  Navarre,  ne  troubleront  poinct  la  paix; 
que  nous  pensons  que  les  églises  de  Languedoc  y  dé- 
féreront, et  quant  à  vous,  que  nous  nous  asseurons 
que  ne  vous  lairrés  emporter  aulx  mauvais  conseils. 
Aussi  sçavés  vous,  monsieur,  combien  ces  remuemens 


6S8  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

à  ceulx  de  nostre  relligion  seroient  mal  à  propos  ;  qu'il 
nous  fault  tascher  au  contraire,  par  tous  moyens,  d'ef- 
facer la  mémoire  et  les  cicatrices  des  troubles;  qu'en 
l'assemblée  de  Montauban  ,  tous  attentats  particuliers 
ont  esté  publicquement  condamnés;  que  le  roy  de  Na- 
varre ,  particulièrement ,  n'auroit  rien  tant  recommandé 
à  ung  chacung  que  de  s'en  abstenir,  et  généralement 
de  tout  ce  qui  pourroit  tant  soit  peu  esbranler  la  paix; 
et  puis  vous  n'ignorés  poinct  combien  cela  defavori- 
seroit  nostre  negotiation ,  en  laquelle  vous  avés  parti- 
culier interest.  Cela  nous  faict  confidemment  affirmer, 
monsieur,  que,  veu  vostre  prudence,  vous  estes  trop 
esloigné  de  tout  ce  qui  peult  empirer  les  affaires  de 
Languedoc  ;  veu  mesmes  l'amendement  qu'avés  tous- 
jours  tasclié  d'y  apporter,  comme  de  faict  nous  au- 
rions entendu ,  et  l'avons  dict  à  sa  majesté ,  que  sériés 
allé  trouver  le  roy  de  Navarre  sur  ces  nouveautés.  La 
somme  a  esté  que  sa  majesté,  après  plusieurs  propos, 
nous  a  commandé  d'escrire  au  roy  de  Navarre,  co?nme 
aussi  elle  lui  escrit  pour  s'employer  vers  M.  de  Mont- 
morency à  pacifier  les  choses.  Et  proteste,  sa  majesté, 
n'estre  aulcunement  son  intention  d'affectionner  l'ung 
contre  l'aultre  ;  ains  d'attribuer  à  ung  chacung  ce  qui 
lui  appartient,  ce  qu'il  pensoit  avoir  suffisamment  faict 
par  la  depesche  de  M.  de  Pontcarré  ,  laquelle,  je  crois, 
vous  aura  esté  communiquée  ;  et  quant  au  chasteau  de 
Sassenon^  qui  auroit  enaigri  les  choses,  qu'il  comman- 
dera qu'il  soit  démantelé,  afin  qu'elles  soient  rame- 
nées aulx  premiers  termes.  Pareillement  à  vous,  pour 
y  aider,  selon  la  bonne  affection  qu'avés  faict  paroistre 
par  ci  devant,  et  nous  a  dict  ne  voulloir  croire  qu'ayés 
changé  ccste  intention  depuis,  mesmes  avoir  bon  tes- 
moignaige  du  debvoir  qu'a  faict  le  sieur  de  Blerle.  Les 


A  M.  DE  CHASTILLON.  689 

affaires  des  Pays  Bas  se  traictent  maintenant;  nous  au- 
rions le  blasme  d'avoir  aidé  à  les  troubler.  D'ung  coing 
ce  feu  pourra  passer  à  l'aultre ,  et  embraser  tout  cest 
estât,  et  lors  sa  majesté  opposera  armes  à  armes;  vous 
pouvés  juger  qui  y  commandera  ,  et  si  ce  sera  pas  re- 
mettre la  force  et  l'auctorité  en  la  main  de  nos  enne-' 
mis.  La  France  commence  à  oublier  les  guerres  de  la 
rellisfion;  au  lieu  de  les  effacer,  nous  les  lui  rafraftschi- 
rons;  et  ne  fault  espérer,  pour  estre  la  cause  diverse, 
si  nous  y  sommes  tant  soit  peu  meslés  ,  que  nous  évitions 
ce  blasme,  et  qu'ung  aultre  le  porte;  car  nos  ennemis 
sont  assés  artificieux  pour  nous  faire  tenir  lieu  de  prin- 
cipal, encores  que  nous  n'y  soyons  qu'accessoire.  J'ai 
pensé  vous  en  debvoir  escrire  ce  mot ,  comme  serviteur 
que  je  vous  suis,  que  je  vous  prye  peser  et  prendre 
en  bonne  part  ;  et  sur  ce ,  monsieur,  etc. 
De  Sainct  Germain  en  Lave. 


CVIL  — LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS 

A  M.  de  Saincte  Aldegcnde. 

Du  23  décembre  i584. 
Monsieur,  j'ai  receu  les  vostres  du  29  novembre, 
ensemble  celles  du  prince  de  Parme  à  MM.  d'Anvers, 
et  les  vostres  responsives  aulx  siennes;  je  loue  fort 
vostre  resolution  et  discrétion  tout  ensemble,  et  es- 
time que  n'y  pouvés  mieulx  procéder.  Au  reste,  quand 
tous  les  hommes  vous  fauldront ,  et  peult  estre  à  eulx 
mesmes.  Dieu  vit,  qui  ne  peult  défaillir,  ni  à  nous,  ni 
à  sa  gloire.  En  ces  vagues  ,  je  prise  vostre  constance 
et  n'en  puis  que  bien  espérer;  je  regrette  seulement 
de  ne  la  voir  suffisamment  secondée;  mais,  quand  nous 

MjÉM.  DE  D0PlKSSIS"M0RIfAY,  ToME  II  44 


6go  LETTRE  DE  M.  DUPLESSIS,  eic 

secondons  Dieu,  nous  avons  moins  affaire  de  seconds; 
la  patience  endure  beaucoup ,  mais  surmonte  tout ,  et 
Dieu  la  vous  doint,  à  qui  je  sçais  que  la  demandés.  De 
nos  affaires,  je  vous  en  ai  escrit  de  Paris.  Le  roy  nous 
accorde  la  pluspart  de  ce  que  lui  avons  demandé  pour 
l'exécution  de  l'edict;  mesmes,  oultre  l'edict,  les  villes 
de  seureté  encores  pour  deux  ans  et  les  garnisons  payées. 
Il  désire  la  paix,  et  pour  plusieurs  raisons;  il  n'est 
asseuré  de  l'amitié  d'Espaigne,  voit  au  contraire  des 
menées  en  son  estât,  fortifiées  de  l'Espaignol;  tout 
cela  sert  à  nos  affaires,  et  que  vostre  propre  longueur, 
puisque  la  resolution  en  est  prise,  ne  vous  nuise;  du 
roy  de  Navarre,  quand  la  volonté  du  roy  y  sera,  la  sienne 
doublera,  et  n'en  doubtés;  et  de  moi,  de  ce  peu  que 
ie  suis  et  que  je  puis ,  vous  en  debvés  faire  estât  et 
public  et  privé.  Je  vous  salue  bien  humblement,  et 
prye  Dieu  qu'il  vous  ait  en  sa  garde. 

D'Angerville  en  Bea-isse,  prenant  la  poste. 


CVIII— LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

Ju  roy  Henry  111,  dressée  par  M.  Duplessis. 

De  la  fin  de  l'an  i584. 
Monseigneur,  le  sieur  Duplessis  est  arrivé  ici  depuis 
deux  jours,  par  le  retour  duquel  j'ai  entendeu  ce  qu'il 
a  pieu  à  vostre  majesté  ordonner  sur  les  cahiers  et  ins- 
tructions qui  ont  esté  présentés  à  vostre  majesté  par 
M.  de  Laval  et  lui,  au  nom  de  vos  très  humbles  subjects 
de  la  relligion  reformée,  assemblés  il  y  a  quelques 
mois ,  par  vostre  permission ,  en  vostre  ville  de  Mon- 
tauban  ;  et  s'est  tout  à  propos  rencontré  que  mon  cousin 
M.  le  prince  de  Condé,  et  ung  nombre  de  seigneurs  et 


LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE,  etc.  691 

gentilshommes,  de  ceste  profession,  se  sont  trouvés 
sur  son  retour,  près  de  moi  :  aulxquels  ont  esté  com- 
muniquées les  responses  qu'il  a  pieu  à  vostre  majesté 
accorder  sur  lesdicts  cahiers  et  instructions.  Je  dirai 
avec  vérité  à  vostre  majesté,  monseigneur,  que  tous 
unanimement  ont  recogneu ,  non  seulement  la  saincte 
intention  que  vostre  majesté  apporte  à  Texecution  de 
ses  edicts ,  et  au  bien  et  repos  de  tous  ;  mais  aussi  par- 
ticulièrement, la  paternelle  affection,  de  laquelle  il  lui 
plaist  embrasser  ses  très  humbles  subjects  de  la  rellioion , 
qui  louent  Dieu  de  tout  leur  cœur,  de  l'heur  qu'elle 
leur  faict  espérer  de  se  ressentir  de  plus  en  plus  de  vostre 
bonne  grâce  ;  et  le  supplient  de  voulloir  conserver  vostre 
majesté  longuement ,  pour  tant  de  milliers  de  per- 
sonnes, qui  ne  respirent  que  soubs  sa  sagesse  et  pru- 
dence, et  de  prospérer  et  bénir  tous  ses  conseils  et 
desseings,  pour  l'entier  restablissement  et  heureux  ac- 
croissement de  son  estât.  Entr'eulx  tous,  monseio^neur. 
je  recognois  et  ressens  une  obligation  très  spéciale,  en 
ce  qu'il  a  pieu  à  vostre  majesté  avoir  pour  agréables 
les  très  humbles  remonstrances  que  j'ai  pris  la  hardiesse 
de  vous  faire,  de  ce  qui  m'a  semblé  convenable  à  la  né- 
cessité de  vosdicts  subjects  de  la  relligion ,  pour  les  faire 
vivre  en  quelque  plus  grande  asseurance  ;  attendant 
qu'il  ait  pieu  à  Dieu,  par  la  prudence  de  vostre  majesté, 
ramener  toutes  choses  h  ung  plus  désirable  estât.  Qui 
me  faict  aussi  espérer,  monseigneur,  que  de  plus  en 
plus  vostre  majesté  étendra  sur  moi  ses  bonnes  grâces; 
comme  de  ma  part,  je  me  dispose  et  disposerai  tous- 
jours  à  rechercher  toutes  les  occasions  de  m'en  faire 
digne  :  ne  regrettant  rien  plus  que  de  ne  les  voir 
naistre  telles,  et  aussi  souvent  que  je  les  desirerois, 
pour  rendre  notables  et  continuelles  preuves  à  vostre 


692  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

majesté  de  la  fidélité  de  mon  service.  Reste  mainte- 
nant, monseigneur,  comme  il  a  pieu  à  vostre  majesté 
faire  cognoistre  ceste  sienne  bonne  volonté  à  ses  très 
humbles  subjects  de  la  relligion,  qu'aussi  il  lui  plaise, 
par  une  mesme  bonté,  commander  au  plus  tostqueses 
affaires  le  pourront  permettre,  les  expéditions  néces- 
saires pour  leur  en  faire  sentir  les  effects ,  suivant  les 
mémoires  qui  en  auroient  esté  mis,  par  son  comman- 
dement, es  mains  de  M.  de  Bellievre;  desquels  vostre 
majesté  trouvera  bon  que  le  sieur  de  Chassincourt  fasse 
la  sollicitation  et  poursuite.  Ce  que  sçachant,  monsei- 
o^neur,  estre  très  conforme  à  vostre  intention,  assés 
tesmoit^nee  par  les  precedens  et  recens  effects,  ne  pen- 
sent vosdicts  très  humbles  subjects,  avoir  besoing  vers 
vostre  majesté  de  plus  longue  requeste;  mais  bien, 
monseigneur,  de  supplier  le  Créateur,  comme  je  fais 
de  tout  mon  cœur  avec  eulx  tous ,  qu  il  doint  à  vostre 
majesté,  etc. 

CIX.  —  LETTRE  DU  ROY  DE  NAVARRE 

J  M.  Duplessis,  escrite  de  sa  main. 

Du.....  i584. 
J'ai  receu  ce  soir  la  lettre  et  le  mémoire  que  m'avés 
envoyé.  J'eusse  désiré  que  me  l'eussiés  apporté  vous 
mesmes.  J'avois  dict  à  M.  de  Clervant  que  je  vouUois 
que  veinssiés  quant  et  mon  train ,  mais  la  Fon  m'a  dict 
que  retourniés  à  Montauban  ;  aussi  vostre  lettre  ne 
parle  pas  comme  homme  qui  veuille  venir;  vous 
debvnés  estre  plus  affamé  de  me  voir,  sçachant  comme 
je  vous  aime;  je  ne  me  puis  passer  de  vous,  M.  de 
Clervant  n'y  estant;  venés  vous  en,  je  vous  prye  ,  aussi 


A  M.  DUPLESSIS.  69':^ 

vuide  de  passion  que  -vous  estes  plein  de  vertu  ;  je 
sçais  que  vous  m'aimes ,  et  qu'ayant  parlé  à  moi ,  vous 
recognoistrés  des  erreurs  que  tous  avés  faictes ,  qui  ne 
sont  bien  séantes  ni  aulx  ungs  ni  aulx  aultres.  Si  je 
n'eusse  esté  parti  quand  vous  arrivastes,  les  choses  ne 
se  feussent  remises  ;  vous  me  faictes  tous  ung  grand 
desservice  de  laisser  les  choses,  en  Testât  qu'elles  sont, 
tirer  en  longueur.  Je  vous  en  parlerai  à  tous  franche- 
ment; venés  donc  vistement.  Adieu,  M.  Duplessis;  c'est 
vostre  plus  affectionné  maistre  et  ami, 

Henry. 


FTIV    DU    TOME    DrUXIEME. 


TABLE  DES  PIECES 

CONTENUES  DANS  LE  TOME  DEUXIÈME. 


Avertissement Page       5 

II.        *  Advis  sur  le  Mariage  de  la  reine  Jeanne  d'Albret.      i8 

Anlre  Advis  donné  à  La  Rochelle  quelques  moys  après.  19 
If  I.  —  Discours  au  roy  Charles  ix  ,  pour  entreprendre  la 

guerre  contre  l'Espaignol  es  Pays  Bas 20 

IV.  —  Lettre  de  M.  Demazelieres 87 

V.  —  Renionstrance  aulx  Esiats  de  Blois  pour  la  paix, 
soubs  la  personne  d'ung  catholique  romain /fO 

VI.  —  Lettre  de  monseigneur  le  duc  d'Anjou  à  M.  Du- 
plessis 79 

VII.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  Languet 80 

VIII.  —  *  Lettre  de  M,  Duplessis  à  M.  de  Danzay,  ambas- 
sadeur du  roy  de  Dannemarck 84 

IX.  —  Advis  de  M.  Duplessis  sur  les  moyens  de  contenter 
les  catholiques  romains  demandans  le  reslablissement  de 
l'exercice  de  leur  relligion  en  Bearn  ,  envoyé  au  roy  de 
Navarre  en  l'an  i58o q4 

X.  —  *  Lettre  de  M.  de  Danzay,  ambassadeur  du  roy  en 
Dannemarck,  à  M.  Duplessis-Mornay 100 

XI.  —  *  Lettre  de  M.  de  Danzay ,  ambassadeur  du  roy  en 
Dannemarck  ,  à  M.  Duplessis-Mornay 110 

XIL  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  à  M.  Duplessis iig 

XIIL  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  à  M.  Duplessis 1  20 

XIV.  —  *  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Sombre 121 

XV.  —  *  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  Massie laS 

XVI.  —  Instruction  baillée  aux  sieurs  ,  allant  de  la 
part  de  Ms"^  le  prince  d'Orange  vers  MM.  des  quatre 
membres  de  Flandres  ,  et  de  la  ville  de  Gand  ,  dressée 
par  M.  Duplessis  en  janvier  i582 126 

XVII.  —  Projet  de  la  légation  que  monseigneur  le  duc 
d'Anjou,  esleu  duc  de  Brabant ,  destinoit  en  Allemaigne  , 

à  la  diète  d'Ausbourg ,  l'an  1 682 i33 


TABLE  DES  PIÈCES,  etc.  GgS 

XVIII.  —  Instruction  de  monseigneur  le  duc  d'Anjou ,  etc., 
à  MM.  de  Bouillon  et  Duplessis,  allans  de  sa  part  à  la 
dicte  d'Ausbourg  ,  l'an   i582 Page  x[\i 

XIX.  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  à  M.  Duplessis 147 

XX.  —  Lettre  de  M.  de  Danzay  ,  ambassadeur  du  roy  eu 
Dannemarck  ,  à  M.  Duplessis i  /8 

XXI.  —  Instruction  pour  le  sieur  de  Clervant ,  allant  de 
la  part  du  roy  de  Navarre  vers  M.  de  Savoye  ;  dressée 
par  M.  Duplessis j5i 

XXIL  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  au  duc  de  Savoye. .    i54 

XXIII.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Mezieres 1 55 

XXIV.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  Taffin 157 

XXV.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  du  Ferrier 160 

XXVI.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Pibrac 162 

XXVII.  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  au  roy  Henri  III , 
rédigée  par  M.  Duplessis 1(53 

XXVIII.  —  Discours,  si  le  roy  de  Navarre  doit  aller  en 
court ,  ou  non i  «o 

XXIX.  —  Instruction  au  sieur  d'Alleri  de  ce  qu'il  a  à  dire 
delà  part  du  roy  de  Navarre  à  monseigneur  le  Prince, 
pour  responsc  de  sa  depesche  du  24  décembre  iSSa; 
dressée  par  M.  Duplessis i83 

^XX.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  l'evesque  de  Nantes.  186 
XXXI.  —  Advis  donné  au  roy  de  Navarre  sur  le  règlement 

de  sa  façon  de  vivre i3q 

XXXIL  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  Vander  Mylen , 

conseiller  d'estat  au  Pays  Bas j  q3 

XXXIII.  —  Advertissement  sur  la  réception  et  publica- 
tion du  Concile  de  Trente  ,  faict  soubs  la  personne  d'ung 
catholique  romain jq5 

XXXIV.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Clervant, 
estant  en  court,  de  la  part  du  roy  de  Navarre 2i3 

XXXV.  —  Extrait  de  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  d'An- 

?ff 0"gne 217 

XXXVI.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  Vander  Mylen.  .218 

XXXVII.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Buzanval. .    21g 

XXXVIII.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  du  Ferrier.  .  .    221 

XXXIX.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Buzanval. 


222 


696  ,  TABLE  DÉS  PIÈCES 

XL,  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Serres ,  sur  le  faict 

d'Anvers Page  2^4 

XLI.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  le  prince  d'Orange.  ,   226 
XLIL  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Sainct  Aldegonde.  226 
XLIH. —  Instruction  secrettc  baillée  par  le  roy  de  Navarre 
au  sieur  Caluart ,   s'en  retournant  trouver  le   prince 

d'Orange  après  le  faict  d'Anvers 227 

XLIV.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M"""  le  prince  de  Condé .    229 
XLV,  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  à  M.  l'archevesquc  de 
Rouen  ,   depuis  cardinal   de  Vendosme  ;   rédigée    par 

M.  Duplessis 23o 

XLVI.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Chassincourt.  .  .   281 

XLVII.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Danzay 233 

XLVIII.  —  Discours  envoyé  à  M.  de  Valsingham  ,  secré- 
taire d'estat  d'Angleterre,  pour  induire  la  royne  Eliza- 
betli   à   embrasser  l'union  du  roy  de  Navarre  et  des  • 

princes  protestans  d'Alleraaigne 235 

XLIX.  —  Estât  du  roy  de  Navarre  et  de  son  parti  en 
France,  envoyé  audict  sieur  de  Valsingham,  en  mai 

i583 241 

L.  —  *  Confession  de  foi  et  Testament  de  M™*  Duplessis 

Mornay 257 

LI.  —  Response  à  l'Instruction  du  sieur  de  Servain  ,  envoyé 
vers  le  roy  de  Navarre  de  la  part  de  M.  le  duc  de  Savoye  ; 

rédigée  par  M.  Duplessis 270 

LII.  —  Instruction  pour  traicter  avec  la  royne  d'Angle- 
terre et  aultres  princes  esti-angers  protesta.ns  ,  baillée 
par  le  roy  de  Navarre  au  sieur  de  Segur ,  y  allant  de 
sa  part  en  juillet  i583  ;  dressée  et  minutée  par  M.  Du- 
plessis      272 

LUI.  —  Justification  des  actions  du  roy  de  Navarre ,  baillée 
au  sieur  de  Segur,  pour  le  mesme  voyaige  que  dessus, 

le  6  juillet  i583 295 

LIV.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Sydne 3o4 

LV.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Valsingham 3o.'> 

LVI.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Danzay 3o6 

LVII.  —  Lettre  du  Conseil  du  roy  de  Navarre  au  roy  de 
Navarre,  rédigée  par  M.  Duplessis 3o8 


CONTENUES  DANS  CE  VOLUME.      697 

LVIII.  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  au  roy  Henri  III, 
dressée  par  M.  Duplessis Page  3li 

LIX.  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  à  M.  le  prince  d'Orange , 
rédigée  par  M.  Duplessis 3l2 

LX.  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  au  roy,  rédigée  par 
M.  Duplessis 3 1 3 

LXI.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Cheverny ,  chan- 
cellier  de  France 3 1 5 

LXII.  —  Instruction  au  sieur  de  Clairvant,  allant  en  court 
de  la  part  du  roy  de  Navarre  ,  pour  response  aux  lettres 
de  sa  majesté;  dressée  par  M.  Duplessis.- 3i7 

LXIII.  —  Cahier  gênerai  adressé  par  M.  Duplessis  sur  les 
Mémoires  envoyés  au  roy  de  Navarre  par  les  Eglises  de 
France,  et  présenté  au  roy  Henri  III ,  par  M.  de  Clair- 
vant      3i20 

LXIV.  —  Justification  des  actions  du  roy  de  Navarre, 

depuis  l'an  1  58o 344 

LXV.  —  Raisons  pour  induire  le  roy  à  accorder  la  prolon- 
gation des  places  pour  quelques  ans  à  ses  subjects  de  la 

relligion  reformée 358 

LXVI.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Harlay ,  premier 

président  en  la  court  de  parlement  de  Paris 362 

LXVn.  —  Negotiation   de  M.   Duplessis    vers    le    roy 

Henri  III 364 

LXVIII,  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  MM.  du  synode  de 

risle  de  France 376 

LXIX.  — Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  le  prince  d'Orange.   378 

LXX.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  do  Montaigne 382 

LXXI.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Salettes 383 

LXXII.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Montaigne 385 

LXXIII.  —  Instruction  au  sieur  d'Angrongne,  retournant 

en  Angleterre 387 

LXXIV.  —  Response  à  l'Instruction  de  M.  de  Laverdin, 

envoyé  de  la  part  de  Monseigneur  vers  le  roy  de  Navarre.  3go 
LXXV.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Montaigne. .  .  .    3g3 
LXXVI.  —  Instruction  à  M.  de  Cliassincourt  sur  la  de- 
mande de  l'assemblée  générale  des  églises 3f)4 

LXXVII.  —  Instruction  de  ce  que  le  sieur  de  Chassincourt 


GgS^  TABLE  DES  PIÈCES 

dira  au  roy  sur  le  voyaige  du  sieur  de  Segur,  pour 
response  au  dernier  article  des  lettres  de  sa  majesté  ap- 
portées par  M.  de  Clervant,  en  datte  du  . .  .  novembre 
i583;  dressée  par  M.  Duplessis,  le  2i)  décembre  suivant,  P.  3g8 

LXXVIII.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Montaigne .  .    401 

LXXIX.  —  *  Mémoire  contre  la  maison  de  Lorraine,  qui 
pretendoit  à  la  couronne  de  France*,  envoyé  au  roy. 
i583 4o3 

LXXX.  —  *,Advertissement  sur  l'intention  et  le  but  de  la 
maison  de  Lorraine  en  prenant  les  armes 419 

LXXXI.  —  *  Response  de  MM.  de  Guise  à  l'advertisse- 
ment  précèdent 4^i 

LXXXIL  —  Règlement  du  Conseil 466 

LXXXIII.  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  à  MM.  de  la 
chambre  de  Guyenne  ,  rédigée  par  M.  Duplessis 469 

LXXXIV.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  du  Bartas 47  i 

LXXXV.  —  Instruction  à  M.  de  Buzanval ,  allant  de  la  part 
du  roy  de  Navarre  vers  les  cantons  evangeliques 4?^ 

LXXXVI.  —  Instruction  à  M.  de  Clervant ,  allant  trouver 
le  roy  de  la  part  du  roy  de  Navarre 4?^ 

LXXXVII.  —  *  Fragment  de  mémoires  qui  s'est  trouvé 
dans  les  papiers  de  M.  Duplessis  ,  sans  titre  ni  indi- 
cation, mais  qui,  par  les  faits  qu'il  contient,  semble 
appartenir  à  l'année  i584 487 

LXXXVIII.  — '^  Extrait  Hu  procès  d'entre  Pierre  de  Ca- 
then  et  consors,  contre  Guy  Carretle  et  consors ,  héri- 
tiers de  deffuns ,  pour  Poquelin ,  defendeu ,  et  de  sieur 
Carrette  et  consors ,  despens  en  sommation ,  contre 
dame  Françoise  de  Becq  ,  veufve  de  feu  Jacques  de 
Mornay ,  vivant,  escuyer  seigneur  de  Buhy,  et  Pierre 
de  Mornay,  escuyer,  seigneur  dudict  Buhy,  dcfendeus.  5i4 
LXXXIX.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Montaigne , 

en  l'an  1 684 5i8 

XC. —  Instruction  de  M.  de  Laverdin ,  s'en  allant  vers 

son  altesse 5 1 9 

XCI.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  au  roy  de  Navarre 622 

XCII.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  au  roy  de  Navarre 536 

XCIII.  —  Lettre  de  discours  sur  les  divers  jugemens  des 


I 


CONTENUES  DANS  CE  VOLUME.  699 

occurences  du  temps  ,  falcte  par  M.  Duplessis Page  557 

XCIV.  —  Lettre  de  MM.  Duplessis ,  de  Clervant  et  de 
Chasslncourt ,  au  roy  de  Navarre  ;  dressée  et  escrite  par 

ledict  sieur  Duplessis 674 

XCV.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  au  roy  Henry  III 578 

XCVI.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  Miron ,  premier 

médecin  du  roy  Henry  111,  et  son  confident  serviteur.  .    579 
XCVII.  —  Discours  au  roy  Henry  111 ,  sur  les  moyens  de 

diminuer  l'Espaignol r)8o 

XCYIII.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  au  roy  de  Navarre.  .  .  694 
XCIX.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  au  roy  de  Navarre.  . .  .  598 
C.  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  au  roy  Henry  III,  rédigée 

par  M.  Duplessis 601 

CI.  —  Instruction  à  M.  de  la  Roque ibid. 

CIL  —  *  Au  roy 606 

cm.  —  Instruction  à  M.  le  comte  de  Laval  et  à  M.  Du- 
plessis, aulxquels  aussi  a  esté  adjoinct  le  sieur  Constant , 
de  ce  qu'ils  auront  à  dire  et  remonstrer  à  sa  majesté ,  de  la 
part  du  roy  de  Navarre  et  de  l'assemblée  des  églises, 
teneue  à  Montauban  par  la  permission  de  sa  majesté; 

dressée  par  M.  Duplessis 667 

CIV.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  au  roy  de  Navarre 680 

CV.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  MM.  des  églises  de  Lan- 
guedoc   085 

CVI.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Chastillon 687 

CVII.  —  Lettre  de  M.  Duplessis  à  M.  de  Saincte  Aldegonde.  689 
CVllL  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  au  roy  Henry  HI, 

dressée  par  M.  Duplessis 6yo 

CIX.  —  Lettre  du  roy  de  Navarre  à  M.  Duplessis,  escrite 
de  sa  main 6y2 


FIN    I)K    LA   TABLE    DU    TOME    DEUXIEME. 


DATE  DUE 


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Mémoires  et  coaespondance  de 

Princeton  Theolog.cal  Semmary-Speer  Ubrary 


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