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University of Ottawa
Iittp://www.arcliive.org/details/mmoiresetcorre05morn
MEMOIRES
ET
CORRESPONDANCE
DE DUPLESSIS-MORNAY.
TOME V.
ÉCRITS POLITIQUES ET CORRESPONDANCE.
A. iSgi-iSgS.
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET,
rne de Yangirard, n* g.
MÉMOIRES rMATiôiaii'
CORRESPONDANCE
DE DUPLESSIS-MORNAY,
POTJR SERVIR
A l'histoire de LA RÉFORMATION ET DES GUERRES CIVILES ET
RELIGIEUSES EN FRANCE , SOUS LES REGNES DE CHARLES IX , DE
HENRI III, DE HENRI IV ET DE LOUIS XIII, DEPUIS l'aN 1671
jusqu'en 1628.
ÉDITION COMPLÈTE,
Publiée sur les manuscrits originaux, et précédée des MÉMOIRES
DE MADAME DE MORNAY sur la vie de son mari, écrits par
elle-même pour l'instruction de son fils.
TOME CINQUIÈME.
A PARIS,
CHEZ TREUTTEL ET WURTZ, LIRRAIRES,
RUE DE BOURBON, N° I7.
A Stkasbockg et a Londres , même Maison de Commerce.
1824.
îi
;.; IJUI
MEMOIRES
ET CORRESPONDANCE
DE
DUPLESSIS-MORNAY.
T. _i;^DISCOURS
Au vrai de ce qui s'est passé en taj-niee conduicte
par sa majesté , depuis son avènement a la cou-
ronne jusqu'à la prise des faulxbourgs de Paris.
JLfs volontés et deportemens des roys et princes sont
d'autant plus subjects à estre scindiqués et censurés,
qu'ils ne peuvent rien entreprendre où leurs peuples et
subjects ne soient intéressés avec eulx, et les conjec-
tures des hommes n'ont en rien tant de privilège et
advantage qu'au jugement qu'ils font des desseings et
actions de leurs princes, d'autant que, sur le moindre
indice qu'ils en ont , ils concluent nécessairement de
la qualité de l'événement qui en doibt estre, qu'ils com-
mencent des lors à louer ou reprouver, comme si l'ef-
fect en estoit adveneu , et plus ordinairement s'atta-
chent au blasme ou contrerolle, qu'à l'approbation:
et neantmoins sans contredict ni défense , parce que
les princes et ceulx qui manient les affaires, ne pour-
roient publier toutes les raisons et possibilités qu'ils ont
de leurs entreprises , sans en gaster et ruyner les effects.
De sorte qu'il fault , par nécessité, qu'ils ayent ceste
Mém. de Duplessis-Moknay. ToMi: v. I
2 DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
patience de se sentir injustement blasniés de leurs meil-
leures et plus utiles opinions , et qu'ils attendent que
la fin et événement d'icelles les en justifie envers leurs-
dicts subjects, et leur fasse recognoistre leur erreur.
Il est infaillible qu'il en est ainsi adveneu du desseing
que l'on a veu faire au roy , de séparer son armée peu
après le deces du feu roy son frère , et depuis laùicte
séparation , au lieu de passer la rivière de Loire , comme
il se publioit qu'il voulloit faire, destre descendeu en
la Normandie, dont il est très certain qu'il a esté
blasmé de beaucoup , et en a faict peine à plusieurs de
ses serviteurs, et plaisir à tous ses ennemis qui se sont
rencontrés en ce jugement, que ce seroit la ruyne de
ses affaires : mais maintenant que l'événement leur a
donné occasion de s'en dédire, il est permis des cboses
qu'ils ont veues, de leur aider à en cognoistre les cau-
ses , et voir que ce ne sont poinct effects de basard ou
de fortune, mais de pure prudence et de raison; et ce
faisant, leur exposer une narration simple et véritable
de tout ce qui s'est passé entre son armée et celle de
ses ennemis durant ung mois, qu'elles ont tousjours
logé à la veue l'une de l'aultre. L'effroyable sacrilège
et accident de la mort du feu roy adveint le deuxiesme
du mois d'aoust : et est certain qu'il feut d'autant plus
advancé que ses ennemis se veirent si pressés qu'ils ne
recogneurent plus aullre remède pour éviter (ou pour
le moins faire différer pour quelque temps) la justice
de leurs crimes : son desseing estoit de recouvrer Pa-
ris, comme il eust peu faire s'il n'eust voulleu trop de
bien à ceulx qui lui avoient tant faict de mal ; et est
mort quand il estoit quasi à son option de la prendre
par amour ou par force. Le roy son successeur eust
aussi volontiers succédé à ce desseing. Mais ce qui feut
EN L'ARMEE DU ROY. 3
possible à l'ung, ne le pouvoit pas estre sitost à l'aultre
de qui l'auctorité ne peult estre si promptement esta-
blie qu'elle feut acquise : car les volontés de ceulx de
dedans , affectionnés au feu roy, qui s'estoient eschauf-
fées par sa présence , ne peuvent sitost estre trans-
férées à ce nouveau roy, qu'il y a près de quinze ans
que Ton avoit veu de deçà, et où il n'estoit quasi cog-
neu que par les proscriptions publiées contre lui par
l'artifice de ses ennemis , par le moyen desquelles ils
avoient accoustumé les peuples à ne le recognoistre
quasi plus. Pour ce qu'il estoit de ceulx de l'armée ,
combien qu'à la mesme heure que la succession lui feut
esclieue, tous les princes de son sang et aultres, les mares-
chaulx de France , officiers de la couronne , et les prin-
cipaulx seigneurs et capitaines quiy estoient, lui eussent
faict la submission et recognoissance de leur roi et
prince légitime, avec les protestations accoutumées,
toutesfois plusieurs, les ungs qui, à la vérité, avoient
eu congé du feu roy, pour le long séjour qu'ils avoient
faict en l'armée , et aussi que c'estoit en la saison que
chacun veult aller faire sa récolte ; les aultres , sur ce
prétexte , pour prendre loisir de se resouldre de ce
qu'ils atiroient à faire, se retirèrent de ladicte armée,
ayant eu , sa majesté, ceste force de ne s'estre jamais
desmis de refuser congé à qui l'a voulleu demander.
Ainsi, voyant l'armée fort diminuée, comme ung moin-
dre accident pouvoit suffire d'en rompre une plus
grande, et celle de l'ennemi mieulx entretenue que la
sienne, voyant aussi l'aultre fondement du recouvre-
ment de Paris, qui estoit sur l'affection de ceulx de de-
dans, aulcunement refroidi, il jugea prudemment que
l'effect de ce desseing se debvoit différer à une aultre
fois, et qu'il suffisoit, pour ccste première, d'avoir re-
4 DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
cogneii qu'il estoit fort possible d'y parvenir, et cepen-
dant garder les advantages qui y estoient acquis par la
prise des villes d'Estampes et de Pontoise. Estant né-
cessaire d'occuper à quelqu'autre exercice ladicte ar-
mée, le premier et le plus digne qu'il estima lui pou-
voir donner, ce feut de conduire le corps du feu roy
en depost de seureté, sachant que la rage desdicts en-
nemis estoit si envenimée, que, n'ayant poinct trouvé
de quoi se satisfaire en sa mort , elle passoit encores
sur ses os et ses cendres. Ainsi l'ayant conduict à Com-
piegne , où il estima qu'il pouvoit demeurer plus di-
gnement et seurement, et ayant pris en passant les
villes de Meullan , de Gisors et Clermont, considérant
qu'il ne parpissoit rien à combattre à la campagne; que
lesdicts ennemis s'estoient tous renfermés dans les mu-
railles; qu'il ne lui restoit pas assez de temps pour en-
treprendre ung aultre siège digne de l'occupation de
son armée; qu'il approchoit du temps auquel il avoit
faict convoquer, eu la ville de Tours, les princes, offi-
ciers delà couronne, seigneurs, gentilshommes et aul-
tres, ses principauîx officiers et ministres, pour, avec
eulx , prendre une resolution sur les affaires de son
estât ; que pour y aller, ceste grande armée ne lui estoit
aulcunement nécessaire, n'y ayant rien à entreprendre
par delà , qui en meritast la présence , et que ce n'eust
esté que consommer les vivres du pays, sans aulcun
fruict ni desseing; sa majesté, judicieusement, se re-
solleut de séparer son armée en trois; d'en envoyer une
partie en Picardie, soubs la charge de M. de Longue-
ville; une aultre en Champaigne, soubs M. le mareschal
d'Aumont, et lui d'en retenir une aultre : et avec tel
ordre, neantmoins, que pendant que sadicte majesté
demeureroit en ses quartiers.de delà auparavant son
EN L'ARMEE DU ROT. 5
passage, que si Tennenii lui venoit en gros sur les bras,
que lesdictes deux parties séparées se peussent en peu
de temps rejoindre, comme lui passer de deçà la rivière
de Loire , ce mesme ordre demeureroit entre lesdicts
sieurs de Longueville et d'Aumont, soit que l'ung des
deux feust assailli , soit que Tennemi voulleust attaquer
quelque place qu'il feust besoing de secourir. De ceste
partition et séparation, sadicte majesté en recueilloit
deux ou trois grands avantages. Le premier est que,
envoyant les deux parts de son armée esdictes provinces
de Picardie et Champaigne, y prendre quelque ville, pour
le moins fourrager la récolte des principales de celles que
tiennent les ennemis, dont elle recevroit très grande in-
commodité, au lieu que sans cela ils y estoient les mais-
tres, et s'y pouvoient grandement accroistre. L'aultre,
qu'estant la pluspart de la noblesse qui estoit demeu-
rée en ladicte armée, desdictes provinces de Picardie
et de Champaigne, y envoyant ses forces , c'estoit comme
Jes conduisant chez eulx les retenir toujours au corps
de ladicte armée, en cas qu'il en survint occasion, ce
qui n'eust pas esté aultrement; car se retirant, comme
ils eussent indubitablement faict, ce n'eust plus esté
pour revenir, s'il n'y eust poinct eu dans le pays de
corps et de chefs pour les recueillir. Et puis par le
moyen desdictes armées, sa majesté faisoit saouler de
la guerre les villes et peuples de ces provinces là, qui
ont monstre en avoir tant d'appétit et d'envie ; de la
part de ladicte armée, que sa majesté retenoit près
d'elle, elle resolleut aussi de ne la laisser pas inutile,
et de s'en servir plus par industrie que par grand
effort, ayant avec icelle, reteneu MM. les princes de
Conty, de Montpensier, le Grand Prieur, colonel de
îa cavalerie légère, mareschal de Biron, et les sieui^
6 DISCOURS SUPc CE QUI S'EST PASSÉ
Dampville, colonel des Suisses, de Rieux, mareschal
de camp , de Chastillon , commandant à l'infanterie , et
plusieurs seigneurs de son conseil , capitaines et aultres
gentilshommes de qualité; etpouvoit estre, ladicte ar-
mée, de plus de mille bons chevaulx, de deux regi-
mens de Suisses, et d'environ trois mille François; et,
parce que le temps ne le pressoit poinct encores de se
trouver à la convocation qu'elle avoit faict publier à
Tours , dans la fin du mois d'octobre ; que ce qui lui
restoit de temps ii'estoit pour entreprendre aulcung
siège , elle voulleut que sa forme de cheminer lui ser-
vist, pour le moins, d'empescher que les ennemis ne
peussent faire, comme il leur eust esté aisé , d'attaquer
lesdictcs villes d'Estampes, Pontoise, Meulian, Senlis
et aultres, spécialement les deux premières, qui ne ve-
noient que d'estre prises par batterie, et dont les ruy-
nes n'avolcnt pu encores estre réparées, de sorte que
les ennemis y retournant avec furie, ils les pouvoient
emporter auparavant que les aultres deux parties de
l'armée se feussent peu rassembler et accourir assés à
temps au secours. Pour ceste occasion , et avec l'advis
dudict sieur mareschal de Biron , il se ressoUeut de des-
cendre uhg peu plus avant en la Normandie, à double
desseing. L'ung pour y conforter ses affectionnés servi-
teurs, en sorte qu'ils peussent prendre toute confiance
de sa bonne grâce et protection ; et l'aultre , pour, fei-
gnant d'y voulloir entreprendre quelque chose , y atti-
rer une partie des forces des ennemis, et ainsi les sépa-
rant, leur faire perdre le temps et l'occasion d'assiéger
lesdictes villes d'auprès de Paris, et donner patience à
ceulx de dedans de se fortifier et reparer, parce que,
gagnant six sepmaines de temps, c'estoit leur donner
quattre ou cinq mois de loisir : ce qui lui réussit et en
EN L'ARMEE DU ROY. 7
l'ung et en Taultre fort heureusement. Car, estant pre-
iiiiereuient veneu au village du Pont Sainct Pierre , le
capitaine Roullet , qui commande dans la ville et fort
du Pont de l'Arche, l'estant veneu trouver , lui apporta
toute asseurance de la fidélité et obéissance de tous les
habitans de ladicte ville, et encores plus particulière-
ment de la sienne; et en remporta de samajesté tant de
contentement, qu'il en demeura encores plus confirmé
en la promesse qu'il lui avoit faicte de lui conserver
ladicte ville où est le dernier pont de la rivière de Seine,
€t qui peult grandement incommoder ladicte ville de
Piouen, qui n'en est esloignee que de cinqpetites lieues,
et empescher tout le trafic qui se souloit faire desdictes
deux villes de Paris et Rouen. Dudict Sainct Pierre,
sadicte majesté faict acheminer son armée à Darnetal,
qui est ung fort grand bourg , à une lieue près dudict
Rouen , pour la rafraischir commodément. Elle en partit
des le lendemain , à Timproviste, avec trois ou quattrc
cens chevaulx seulement, et donna jusques à Dieppe,
qui est ung des meilleurs ports de mer de toute la
Normandie , et la ville bonne et riche, fort affectionnée
à sa majesté, qui sera ung jour le salut de toute la
province, comme des à présent elle lui en conserve
une grande partie. Elle y feut aussi reçue et honorée,
et du cœur et de la voix de tout ce peuple , autant
qu'ung bon roy, bien chéri des siens, le pouvoit estre
de bons, fidelles et bien aimés subjects. A cela estant
leur bon naturel aidé et esmeu par l'exemple du com-
mandeur de Chastes , gouverneur de ladicte ville , qui
a rendeu ung tesmoignage singulier de fidélité, comme
elle receut en mesme temps et audict lieu , une con-
firmation très certaine de celle du sieur de la Verine ,
gouverneur de la ville et chasteau de Caen , de qui,
^ DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
ainsi que desdicts sieurs de Chastes et Roullet, il se
peult dire qu'ils ne sont poinct de ceulx qui sont justes
et innocens, pour ce qu'ils n'ont poinct eu occasion de
faillir; car leur vertu et loyaulté a esté combatteue de
toutes les tentations et charmes qui peuvent séduire les
plus resolleus , dont neantmoins la victoire leur est de-
meurée avec une grandissime recommandation de leur
mérite, d'autant plus que le vice du siècle ne le com-
porte pas, et que c'est maintenant comme chose extra-
ordinaire , de garder la foi à son prince. Pendant ce
peu de séjour qu'il feit à Dieppe, ayant sceu que la
ville de Neufchastel , qui en est à sept lieues près, in-
commodoit fort le passage , il l'envoya investir par les
sieurs de Guytri et de Hallot , avec partie de la cava-
lerie qu'il avoit menée , et quelques gens de pied de la
garnison dudict Dieppe. Et s'estant assemblé grande
quantité de paysans et soldats pour la venir secourir,
et s'y acheminant soubs la conduicte de Chastillon ,
gentilhomme dudict pays, ladictc cavalerie leur alla
au devant, qui les defeit tous, et en tailla en pièces sur
le champ plus de sept ou huit cens ,etfeut, ladicte ville,
rendue ; qui feut une fort agréable nouvelle à Dieppe,
où sadicte majesté , en ce qu'elle y demeura, s'y acquit
telle bienveillance de tous les habitans , et de ceulx qui
y estoient réfugiés des aultres villes, que non seulement
lui accordèrent tout le secours qu'il leur vouUeut deman-
der, mais d'eulx mesmes lui feirent la proposition du
siège de la ville de Rouen, pour lequel ils offrirent de
défrayer quasi l'armée , pour le temps qu'ils estimoient
qu'il pou voit durer. Ce que sa majesté escouta voloita-
tiers, parce que cela se rapportoit à l'exécution d^a
seconde partie de sondict desseing , et remit à s'en re-
souklre avec l'advis de MM. de Montpensier, mareschal
EN L'ARMEE DU ROY. 9
de Biron, et aultres seigneurs et capitaines qui estoient
demeurésenladictearmee, où, estant arrivé, et ayant faict
ceste proposition, il la sceut si bien dissimuler que la plus-
part de ceulx qui l'approchoient de plus près, croyoient
que ce feut son intention que d'assiéger ladicte ville de
Rouen, qui est oii il tendoit de le faire croire en son
année , afin que tant plus volontiers ceulx de ladicte ville
et ses ennemis le creussent, n'estant pas niarry que les
raisons qu'il y avoit infinies de ne le faire pas , feussent
pour lors légèrement traiclees. Ainsi pendant cinq ou
six jours qu'il y séjourna , il feit, excepté de la battre,
tout ainsi que si sa resolution eut esté de l'assiéger, et
commença des les premiers jours à leur oster tous leurs
moulins, qui feut ung grand estonnement dans ladicte
ville, où il faisoit aussi incessamment attaquer des es-
carmouches jusques dans leurs portes, afin de les presser
dadvantage de reclamer du secours , ce qu'ils feirent
avec telle instance que, malgré que M. d'Aumalle et le
comte de Brissac y feussent, ils ne se peurent jamais
asseurer si M. de Mayenne n'y venoit avec toute son
armée; ce qu'enfin ils obtinrent, qui estoit ce que sa
majesté desiroit autant qu'eulx, et en quoi consistoit
la perfection du desseing qu'elle avoit d'empescher que
lesdictes villes qu'elle tcnoit près de Paris, ne feussent
assiégées par la diversion des forces de son ennemi. Et
ayant sceu qu'il s'estoit acheminé à Mante et à Vernon ,
commença à mieulx recevoir les raisons qu'il y avoit
de n'entreprendre pour lors ledict siège, et à descou-
vrir comme ce n'avoit esté que à ce desseing qu'il avoit
vouUeu faire ceste contenance qu'il sceut fort dextre-
nient^dissimuler, comme ce n'est pas ung moindre
effect de la prudence et jugement d'ung grand capi-
taine, de sçavoir bien sceler ses délibérations, que de
lO DISCOLmS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
les bien et meurement délibérer. Ainsi il resoleut de
partir dudict Darnelal, et feiit sa retraicte dressée de
sorte , que combien que ce feut à la veue quasi des
murailles de Rouen, et que lesdicts sieurs d'Aumalle
et de Brissac y feussent avec grand nombre de cava-
lerie, neantnioins il ne comparent personne pour le
venir tastcr, où s'ils sortirent, ils se contentèrent d'en
voir l'ordre sans y chercher rien dadvantage. Sadicte
majesté estant veneue à bout de sesdicts deux desseings
qui Favoient amenée en Normandie, les voulleut ac-
croistre de recouvrer, pendant qu'elle esloit sur les
lieux, et qu'il restoit encores du temps assés pour son
retour à Tours, quelques petites villes qui n'incommo-
doient pas moins les chemins et les passages que les
plus grandes , et y establir autant de garnisons entre-
teneues qui pourroient servir à ung gros, quand il
seroit besoing d'en amasser ung dans la jjrovince : elle
voulleut commencer par celle d'Eu qui est une assés
bonne petite ville, et ung chasteau qui appartient à
madame de Guise, ladicte ville située sur la rivière de
Bethune, ung peu dans le vallon , veue de la Montagne ,
mais non pas de si près que la batterie s'en pcust faire;
il y avoit garnison de plus de quattre cens hommes de
guerre, commandés par le sieur de Launoy qui estoit
gouverneur de la place. Le roy feit trois logis depuis
Darnetal jusqu'audictEu, lequel ayant envoyé sommer,
ledict gouverneur feit contenance de se voulloir dé-
fendre, et commença à mettre le feu dans l ung des
faulxbourgs, de peur que l'on y logeast; toutes fois il
ne demeura gueres en ceste opinion. Car, ayant sceu
que le roy estoit arrivé devant ladicte ville , et que le
canon commençoit à approcher, et voyant mesmes les
soldats, qui sans attendre aulcune tranchée, estoient
EN L'ARMEE DU ROY. 1 1
desjà sur la contre escarpe du fossé, il demanda à par-
lementer, et deux heures après il rendit ladicte ville,
de laquelle il lui feut permis sortir avec lesdicts gens
de guerre, lui et les gentilshommes avec leurs armes
et chacung ung cheval, et les soldats avec l'espee : leur
ayant la capitulation esté fort bien entreteneue, comme
aussi la ville feut préservée d'estre pillée et saccagée,
n'ayant voulleu permettre que aulcung y entrast, que
le sieur de Cliatillon , qui y tint l'ordre et la police
exacte qu'il a accoutumé de faire en toutes choses, de
sorte qu'il n'y adveint aulcune insolence , ni force à
aulcung des habilans de ladicle ville , en laquelle sa
majesté ne voulleut entrer, et alla loger au bourg de
Trcport, qui en est à ung quart de lieue près. Il eut la
nouvelle que le sieur duc de Mayenne ayant veu l'ar-
mée de sa majesté tourner de ce costé , avoit aussi faict
passer la rivière de Seine à la sienne, et faisoit estât
d'aller assiéger le village de Gournay qui avoit peu de
temps auparavant esté pris par le sieur de Longueville,
que de là il n'y avoit plus aulcune rivière entre les
deux armées , ni rien qui peust empescher de venir
droict à lui. Ledict sieur de Mayenne que Ton disoit
avoir plus de trois mille chevaulx et de quatorze à
quinze mille hommes de pied , et qui s'est trouvé depuis
en avoir encores dadvantage que ne portoit le premier
advis, qui estoit de cavalerie, près de trois fois autant
que le roy en pouvoit avoir, et d'infanterie la moitié
dadvantage. En cela il y eut deux choses qui estoient
par de là le discours qu'en avoit faict sa majesté, qui
procedoient d'une mesme cause, laquelle elle n'avoit
peu prévoir, parce qu elle n'estoit pas née lorsqu'il feit
sa resolution; l'une, qu'elle n'avoit pas estimé que le-
dict duc de Mayenne venant au secours de Rouen , y
12 DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
deiist amener toute son armée ; et l'aultre , qu'il deuét
passer la rivière pour le suivre dadvantage, parce que
y amenant toutes ses forces, il se pouvoit engager à
ung combat, pour lequel il n'estoit pas assés fort s'il
feust demeuré en Testât que sadicte majesté l'avoit
laissé; mais lui estant depuis surveneu Bassompierre,
avec trois cornettes de Reystres, Ballagny d'ung aultre
costé y ayant envoyé ce qu'il avoit de forces, le prince
de Parme d'ailleurs , quattre ou cinq cens chevaulx
avec quelque infanterie de Wallons, et encores depuis
estant arrivé M. le marquis de Pont, qui leur amena
comme il est dict plus de mille chevaulx et deux mille
hommes de pied , cela feit prendre audict sieur de
Mayenne cesle resolution d'y amener tout, de passer
la rivière et venir chercher le roy, qu'ils publioient
desjà par tout tenir en leurs mains , et discouroient
plus de la forme d'user de leur victoire que des moyens
de l'acquérir , tant ils la tenoient certaine et infaillible,
comme il sera mal aisé que de long temps ils en recou-
vrent une si belle occasion. li restoit encores ce subjecl
pour faire cognoistre de deçà une vertu qui est très
familière à ce prince, et par sa naturelle générosité et
par longue expérience qu'il en a faict , qui est la con-
stance et resolution aulx nouveaulx accidens, mesmes
à.ceulx qui portent apparence de péril ^ comme cestui
ci en avoit tous les signes; toutes fois il y montra une
telle asseurance que les plus estonnés trouvoient de
quoi s'asseurer en sa contenance pour apporter à ce
mal un g remède qui feut honorable et salutaire. Pre-
mièrement il depescha vers lesdicts sieurs de Longue-
ville et mareschal d'Aumont pour les advertir de Testât
de ses affaires, et qu'ils feissent toute la dihgence qu'ils
pourroient de se joindre pour le venir rencontrer, pre-
EN L'ARMEE DU BOY. î *>
voyant que ceste partie ne se demesleroit pas sans
quelque grand combat, qui feroit une crise de la ma-
ladie; puis il resoleut, en allant au devant desdicts en-
nemis , et s'approchant d'eulx , d'aller loger à Arques ,
qui est ung assés bon bourg non fermé, l'assiette du-
quel il sert à ce discours de descrire. De Dieppe sortent
deux costeaux au milieu desquels est une petite rivière
nommée Bethune, qui n'est pas longue, mais en la-
quelle la mer reflue à plus de deux lieues par de là
ledict Dieppe ; des deux costés de ladicte rivière jusqjies
au pied des costeaux, est une prairie et plustost ma-
rais qui est tousjours humide, à une lieue et demie
dudict Dieppe, sur ladicte rivière, et à bas duilict
costeau, qui est à main gauche en venant audict Dieppe,
est assis ledict bourg d'Arqués, auquel il y a ung chas-
teau appartenant à sadicte majesté,- qui est sur le haut
dudict costeau qui commande et voit partir dudict
bourg, qui est au reste fossoyé et assés fort d'assiette,
ayant en face de l'aultre costé dudict bourg, la plaine
de tout ledict costeau, qui est grande; c'estoit uni^
logis que sadicte majesté, en son voyage qu'il feit à
Dieppe, avoit en passant par là, recogneu estre fort
propre à y faire et dresser ung camp retranché et
fortifié , qui ne feut une des moindres considérations
qui le feit resouldre de le venir prendre, et de faict v
estant arrivé, l'ayant faict voir audict sieur mareschal
de Biron qui en feit le mesme jugement, soudain eulx
deux , sans aidlre ingénieux , commencèrent sur le
plein dudict costeau qui estoit au dessus dudict bourg,
à tracer la forme de leur camp avec les flancs et def-
fences nécessaires. A quoi ils feirent besongner en telle
diligence, qu'à leur exemple, tous ceulx de l'armée,
depuis le plus grand jusqu'au moindre, y travailloient,
ll\ DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
tout le long du jour, plus ardemment que ne feroit
ung manœuvrier qui entreprend de la besongne à la
tasche. De sorte, qu'en moins de trois jours, ledict
camp feiit tellement fortifié, que le fossé aulx moindres
lieuK, n'avoit poinct moins de sept ou huict pieds de
hault, et commença des lors à y loger de l'artillerie,
et y faire entrer quattre compagnies de Suisses en
garde. Les adveneues dudictcamp fortifié estoient veiies
dudict cliasteau où il avoit faict mettre bonne quantité
de pièces, de sorte que, pour en approcher, il falloit
passer à 4a mercy des canonnades dudict chasteau; les
adveneues dudict camp, du costé dudict bourg, estoient
par deux vallons qui aboutissent les deux testes d'icelui,
oïl partie de la cavalerie pouvoit estre commodément
logée et à couvert de Tarlillerie de Tennemi, en quel-
que lieu qu'elle y eust peu estre mise, et de là faire de
belles charges, si leur infanterie en gros eust voullcu
taster les fossés dudict retranchement; ainsi en peu de
temps, l'industrie lui revaleut l'advantage que les en-
nemis pouvoient avoir sur lui en nombre d'hommes.
Cependant les ennemis avoient repris les lieux de
Gournay, de Neufchastel et ladicte ville d'Eu , et che-
minoient avec asseurance d en faire le semblable dudict
Arques, et d'en desloger le roy et son armée; mais en
approchant de plus près, ayant par eulx esté recogneu
ce qui avoit esté faict, comme ils ne manquent pas
d'advis et en sont fort bien servis, parce que le naturel
du siècle incline plus à l'infidélité qu'aultrement; com-
bien que ce feut leur droict chemin pour s'approcher
de l'armée de sa majesté, de venir, sur ledict costeau,
trouver ledict camp fortifié, et qu'ils n'en peussent
prendre d'aultres, sans faire ung grand détour, toutes
fois plustost que d'en prendre le hazard , après en avoir
EN L'ARMEE DU ROY. l5
Jonguement demeuré en incertitude, ils résolurent de
passer bien plus hault ceste petite rivière qui sépare
lesdicts deux costeaulx, et de s'aller loger sur Taultre
qui est vis à vis de celui où est ledict chasteau d'Arqués ,
dont sa majesté ayant esté advertie , considérant que,
se logeant sur ledict costeau , ils pouvoient attacquer
ledict bourg d'Arqués, par le bas du coslé de ladicte
rivière, et aller droict à Dieppe pour surprendre ung
grand faulxbourg nommé le Pollet, qui est du mesme
costé et au bout du pont de ladicte ville , grand et
logeable , et qui pourroit beaucoup incommoder le
port et ladicte ville , et peult estre attacquer ensem-
blement l'ung et l'aultre, il advisa de pourvoira l'in-
stant à tous les deux, et en mesme temps il feit retran-
cber le bas dudict bourg d'Arqués , approchant de la
rivière, et qui estoit l'unique lieu par où l'ennemi v
pouvoit venir, feist dans ledict retranchement mettre
deux pièces de canon qui battoient le long de la plaine
qui estoit depuis le passage de ladicte rivière par où
il falloit nécessairement venir, et y logea ung de ses
regimens de Suisses, et à mille pas de là assist ung
corps de garde de soldats François dans une maladrerie
qui y est, pour soubtenir quelques soldats qu'il logea
î\ trois cens pas encores de là, quasi sur le bord de la
rivière; afin que, quand les ennemis seroient logés au
village de Martinglise, qui est sur l'aultre bord de la-
dicte rivière, comme il ne doubtoit poinct qu'ils n')""
logeassent, de les empescher de passer ladicte rivière,
du costé dudict Arques; il pourveut aussi audict faulx-
bourg du Pollet, et l'ayant trouvé ouvert de tous les
costés , il resoleut retrancher ung moulin qui est à la
teste par où l'ennemi pouvoit venir, et comprendre
nudict retranchement des chemins bas qui en estoient
l6 DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
proches, feit pallisser et barriquer les aultresadveneues,
et y feut faict une diligence incroyable, à quoi les ha-
bitans de la ville et dudict faulxbourg de tous aages et
de tous sexes n'espargnerent poinct leur peine, et de
telle affection qu'il n'y falloit aulcune contraincte; de
sorte qu'en moins de deux ou trois jours, toute ceste
fortification feut achevée, Pour le regard dudict faulx-
bourg , sa majesté y feit venir M. de Ghastillon, avec
une partie de son infanterie; il y ordonna aussi le sieur
de Guytri qui n'en bougea jusqu'à ce que lesdicts en-
nemis feussent délogés dudict costeau. Ils y arrivèrent
le treizième du mois de septembre, et se teinrent pour
les trois premiers jours logés ung peu loin g; souffrans
que les chevaulx légers de sa majesté les allassent
reveiller dans leurs logis, sans pour cela qu'ils en dé-
partissent, qui faisoit croire qu'ils se reserveroient à
quekpie grand effort. Le seizième dudict mois ayant
mis toute leiu- armée en bataille, ils commencèrent à
paroistre, et des les cinq heures du matin feirent che-
miner la plus grande partie de leur infanterie, et bon
nombre de cavalerie vers ledict faulxbourg du Pollet;
et le reste de ladictc infanterie et la plus grande partie
de la cavallerie légère se lo£[ea audict village de Mar-
tinglise. Sadicte majesté ayant cest advis, resoleut de
laisser mondict sieur le mareschal de Biron , pour com-
mander audict Arques, et s'en venir en personne audict
Pollet, ou d'arrivée il alla loger en pleine campagne,
loing dudict moulin retranché, quelque cavalerie et
bonne trouppe de gens de pied , par lesquels il feit
entretenir les escarmouches des ennemis tout le long
du jour à leur grande honte et perte : car ils ne sceu-
rent jamais les faire reculler d'ung seul pas : ils leur
tuèrent de leurs capitaines et soldats , en eurent les
EN L'ARMEE DU ROY. 17
corps et en prirent plusieurs de prisonniers, par où
l'on commença à faire jugement, qu'il y avoit grande
différence des soldats d'une atmee à l'aultre. Enfin, sur
les cinq heures, lesdicts ennemis s'estans les premiers
lassés desdictes escarmouches , logèrent qualtre de leurs
regimens en ung village, le plus proche dudict faulx-
bourg, où ils avoient bien faulle de couveri;, ayant
deux jours auparavant estes bruslés en leur présence,
sans qu'ils entreprissent de le venir empescher. S'ils
eurent pour ce jour mauvaise fortune du costé dudict
Pollet, ils l'eurent encores pire de l'aultre, à Arques;
car, après s'estre logés. audict village de Mnrtinglise,
où estans veneus à l'escarmouche pour desloger les
soldats qui estoient demeurés dans les plus prochaines
haies de ladicte rivière du costé dudict Arques, mon-
dict sieur le mareschal de Biron qui estoit prest de
ladicte maiadrerie regardant ce qui se passoit, faisoit
entretenir lesdictcs escarmouches, jusques à ce qu'ayant
veu sortir ung grand nombre de gens de guerre, tant
de pied que de cheval , pour enfoncer lesdicts soldats
et venir forcer les corps de garde de la maiadrerie,
il leur feit faire une si furieuse charge par mesdicts
sieurs le Grand Prieur, et de d'Anville, et ce qu'il
avoit de noblesse près de lui, que tout ce qui estoit
sorti dudict village, et ce qui estoit demeuré féut mis
en route, et y en eut plus de cent cinquante tués,
entre lesquels estoient huict ou dix, portans titre de
commandement, et trois capitaines d'Albanois; il y en
eut plus de blessés que de tués, leur demeura plusieurs
prisonniers; entre nultres , le sieur du Monestier, cor-
nette de M. de Nemours, le jeune Vieulx-Pont et
plusieurs aultres , jusqu'au nombre de vingt qui ont
payé bonne rançon. Les ennemis feurent si estonnés de
MÉM. DE DUPJLESSIS-MOR.WY. ToMH V. 2
l8 DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
ce mauvais traiclement qu'ils receurent esdicts deux
endroicts, qu'ils ne se peurcnt resouldre de rien entre-
prendre le lendemain ; mais ceulx du Pollet, impatiens
que Ton leur donnast tant de patience , les feurent
cherclu'r jusques dans le village où ils estoient logés,
en tuèrent plus de cent, et entre aultres le lieutenant
de la Cliastaigneraie, l'ung de leurs maistres de camp,
et qui connnandoit les Irouppes dudict village, sans
perte que d'ung seul soldat de ceulx qui feirent ceste
entreprise; en quoi il parent comme en tous les aultres
combats que la première impression qu'ils avoient
prise les ungs des aultres, en faisoient les ungs plus,
les aultres moins vaillans que par raison iU ne debvoicnt
estre. Le mesme jour ce que les ennemis n'avoient peu
le jour précèdent, du costé d'Arqués, par la force et
vertu de leurs gens, ils le voulleurent tenter par l'efTect
du canon , et feirent du costé de leur costeau battre
de trois pièces ladicle maladrerie, et ung petit retran-
chement qui y estoit; mais il n'y peut porter aulcung
dommage. Au contraire, sa majesté, pour piéger les
salves de leurs canonnades, feit mener deux pièces de
canon au hault dudict retranchement, dont il feit tuer
quelques voilées dans le village, qui y donnèrent tel
effroi , que l'on en veit incontinent sortir tout le bagage
et la cavalerie qui y estoit logée, n'y pouvant plus de-
meurer en seureté; il en demeura à toute leur armée
ung extresme depeit,et malgré que la raison eut voulleu
qu'ils eussent faict leur plus grand effort contre le Pollet,
et pour leur réputation qui est Tinstrument dont ils
s'aident le mieulx, et encores pour l'effect et l'advantage
qu'ils en eussent tiré, toutesfois toute leur fureur et
animosité se convertit sur la maladrerie, laquelle ils
résolurent de forcer à quelque prix que ce feust; et a
EN L'ARMEE DU ROY. 19
quoi s'estant en chacung des trois jours suivans pré-
parés et resoleus de l'entreprendre, chaque fois ils y
trouvèrent des defaults qui les empescherent, sur quoi
ils pouvoient juger que telles incertitudes sont ordinai-
rement mauvais prestiges et augures de ce que l'on
veult faire. Enfin le jeudi a3*^ dudict mois de septembre
ils résolurent de l'exécuter, ayant des la minuict faict
mettre toute leur armée en bataille, ils coiçmencerent
a la faire passer la petite rivière, sans sonner tabourin
ni trompette, pour, à la poincte du jour, estre prests de
donner et forcer ledict retranchement. Dont sa majesté
estant advertie, ayant appelle ledict sieur mareschal de
Biron, se rendirent ensemble à ladicle maladrerie des
trois heures avant le jour, ayant ordonné d'y faire
venir à la poincte du jour quattre ou cinq cens che-
vaulx seulement, n'estimant poinct que cela deust at-
tirer ung tel combat que celui qui y feut faict. Lequel,
pour estre remarquable, mérite d'estre escrit, et pour
le pouvoir mieulx comprendre, sert de parler de la
situation de ladicte maladrerie qui en feut la cause.
Sa majesté ayant ordonné du retranchement qu'il feit
faire h l'adveneue dudict bourg d'Arqués, du costé de
l'ennemi , elle s'advisa quasi après coup de faire h plus
de deux mille pas dudict retranchement, une tranchée
perdeue, qu'il feit commencer du hault du costeau ,
jusqu'à la prairie ung peu par de là ladicte maladrerie,
pour se tenir plus près des ennemis, et eulx plus loing
de sondict retranchement, n'ayant pas faict desseing
de s'opiniastrer contre une grande force, toutesfois les
y ayant veu venir les jours precedens si mollement,
elle prit opinion de la disputer d'advantage et de la leur
faire acheter, s'ils l'a voulloient avoir; ladicle mala-
drerie a parle devant du costé de l'ennemi deux plaines;
20 DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
l'une, du costé du bois, qui est au hault du costeau;
l'aultre, devers la prairie, séparée d'ung chemin creux
planté des deux costés d'une forte haye; le derrière
de ladicte maladrerie est une aultre plaine sur le
pendant dudict costeau jusques au retranchement de
l'advenue dudict bourg d'Arqués, bordée dudict chemin
creux au delà duquel est ladicte prairie. Le poinct du
jour veneu , ayant sa majesté recogneu toute l'armée
de l'ennemi en bataille , qui paroissoit de plus de mille
chevaulx et grand nombre d'infanterie, il resoleut pre-
mièrement, avec l'advis dudict sieur mareschal deBiron,
de loger dans ladicte maladrerie sept à huict cens har-
quebusiers, et de garnir ladicte tranchée de deux com-
pagnies de lansquenets, et de deux aultres d'advantu-
riers suisses et de quelque peu de François; il ordonna
au dessoubs de ladicte maladrerie trois compagnies de
chevauk légers, à sçavoir la sienne, que commandoit
Harambure , celle dudict sieur de Lorges et du capitaine
Fournier, qui pouvoient faire six vingts bons clievaulx ,
lesquels il feit commander par ledict sieur Grand-Prieur;
ordonna aussi pour les soubstenir, les compagnies d'or-
donnance des sieurs de la Force, de Bequeville, et de
l'yVrchant, et encore ung peu au dessoubs celles de
MM. les princes de Condé et de Conty, et au hault de
ladicte tranchée demeura ledict sieur maresclial de
Biron avec les compagnies des sieurs de Chastillon et
de Malligny, et quelque aultre troupe de noblesse, qui
feut par où commença l'escarmouche, laquelle feut très
bien soubsteneue par la prudence et sage conduicte
dudict sieur de Biron , et de qui les yeux seuls valloient
la force et les bras de deux mille aultres. De l'aultre
costé , estant appareu quatre ou cinq cens chevaulx que
mcnoit feu Sagonne, ils feurent si furieusement chargés
EN L'ARMEE DU ROY. al
par lesdictes trois compagnies de chevaulx , qui les
remenerent battans jusqiies dans ung aultre semblable
gros de leur cavalierie , et en ceste charge feut ledict
Sagonne tué d'ung coup de pistolet que ledict sieur
Grand-Prieur lui donna, l'ayant choisi et recogneu
pour commencer par là de venger la mort du feu roy
son oncle, toutes les aultres compagnies ordonnées
pour soustenir lesdicts chevaulx légers feirent chacung
leur charge et fort à propos , et , s'estant après les pre-
mières charges rallies ensemble , donnèrent jusques à
la cornette blanche, laquelle, avec le reste de leur ca-
valierie les suivant, feurent arrestcs par le régiment des
Suisses du colonnel Galati, à la teste duquel estoit avec
lui ledict sieur d'Anville, qui avoit choisi sa place de
Kitaille à plus de cinq cens pas au delà dudict retran-
chement que gardoit Taultre régiment desdicts Suisses,
si avantageusement et à propos que ladicte cavalierie,
revenant de la charge, eut moyen de s'y rallier, et celle
des ennemis n'osa jamais entreprendre de Tenfoncer;
ne pouvant neantmoins gueres séjourner près d'eulx,
tant à l'occasion des arquebusiers que ledict sieur
d'Anville feit loger dans les hayes, et encores plus de
ce qu'elle estoit veue des pièces qui estoient dans le
chasteau , de l'autre costé de la rivière; des premières
voilées desquelles ils feurent tellement incommodés,
qu'ils feurent contraincts de se retirer avec grandissime
perle au mesme temps que se feit la seconde charge par
la cavalierie des lansquenets, les ennemis donnèrent
à ladicte tranchée perdeue : et en approchant, soit qu'il
se veissent trop engagés , où que ce feust leur desseing
de se rendre à bon escient ou par trahison , ils com-
mencèrent à crier qu'ils se voulloient rendre et servir
le roy, dont ils feurent trop tost creus par ceulx de
22 DISCOURS STJR CE QUI S'EST PASSÉ
ladicte tranchée et aultres , qui leur baillèrent les mains,
et les attirèrent dans leur retranchement. Ce que n'es-
tant poinct encores entendeus par ledict sieur de Biron,
et les tenant pour ennemis , leur feit une charge , et lors
ils levèrent les mains et lui dirent qu'ils s'estoient ren-
deus. Ils passèrent plus oultre et vinrent jusqu'où estoit
le roy, lequel n'en estant poinct encores adverti, et re-
cognoissant leurs enseignes, leur voulleut aussi faire
une charge, laquelle ils arresterent par les mesmes pro-
testations de voulloir servir sa majesté; plusieurs de
leurs capitaines lui estans veneus toucher les mains, le
suppliant de faire traicter avec eulx par ledict sieur
mareschal de Biron, pour leur donner asseurance de ce
qui leur estoit deu par ledict sieur de Mayenne, que
cela estant teneu en compte de debte de la couronne
de France, ils scrviroicnt sa majesté. Ce qui leur feut
accordé par le roy, qui les renvoya audict sieur de Biron ,
estant pesle mesle nostre cavallerie, la pluspart de la-
quelle leur voyant encores les armes entre les mains,
n'estoit poinct d'advis de traicter avec eulx de ceste
façon, et plutost les tailler en pièces, et commencer
par eulx la victoire sur les ennemis, dont ils ne feurent
pas creus. Cependant sadicte majesté et ledict sieur de
Biron estans occupés aulx aultres combats qui se fai-
soient, et se voyans lesdicts lansquenets séparés d'eulx,
comme ils veirent le gros de ceste cavallerie qui venoit
donner jusques aulx Suisses, estimant qu'ils les deus-
sent enfoncer, commencèrent h tourner leurs armes
contre sadicte majesté, et gaignant le hault du bois,
Veirent une salve d'arquebuzades à la troupe oii estoit
le sieur de Biron , qu'ils contraignirent de reculer de
ladicte tranchée, de laquelle ils se saisirent, dévali-
sèrent la pluspart des soldats v estans, prirent les en-
EN L'ARMEE DU ROY. 20
seignes descîictes deux compagnies de lansquenets, el
une de celles des Suisses ndvanturiers qui y estoient en
garde, ayant par ceste insigne trahison et perfidie qui n'a
poinct encore en de semblables, gaigné ladicte tranchée ,
et icelle livrée aulxdicts ennemis, de laquelle Dieu ne
permit pas qu'ils jouissent longuement. Car estant sur-
\eneu M. de Montpensier avec sa cornette et une com-
pagnie de gensdarmes de Tavant garde, et ledict sieur
de Chastillon avec un rafraischissement de cinq cens
bons arquebusiers, lesdicls ennemis feurent contraincts
de se retirer et abandonner lesdictes maladrerie et tran-
chée , en laquelle sadicte majesté. feit, au mesme instant,
amener deux canons dont il feit tirer dans les Suisses
des ennemis, qui avec quelque cavallerie faisoient la
retraicle, en laquelle ils feurent fort incommodés des-
dicts canons , sans que jamais on leur veit tourner la
teste pour voir d'où leur venoit le mal. Ainsi sa majesté
demeura victorieuse et maistresse du champ de leur
bataille, qui estoit couvert d'une grande quantité de
morts des ennemis , qu'ils n'eurent pas soin et plustost
le cœur de retirer. Il se vérifie qu'il leur feut tué en
ce combat plus de quattre cens hommes, dont il n'y en
eut peu avoir cent cinquante de l'infanterie, tout le
reste estoit noblesse , ou pour le moins de leur caval-
lerie, entre lesquels l'on nommoit pour principaulx,
Sagonne, maistre de camp de leur cavallerie légère, le
baron de Saint André, frère du feu comte de Saulx,
celui qui portoit la cornette dudict Sagonne; Bourg,
l'ung de leurs maistres de camp , quattre capitaines de
leurs compagnies d'Albanois, les deux mareschanlx de
camp du sieur marquis de Pont, et plusieurs aultres
gentilshommes, la pluspart François, dont la perte
paroist beaucoup en leur armée, qui en est très mai
^4 DISCOURS SUPt CE QUI S'EST PASSÉ
fournie. De blessés, il y eut bien plus grand nombre,
de prisonniers aussi, entre lesquels sont le sieur comte
de Blain , l'ung de leurs mareschaulx de camp, Trem-
blecourt Lorrain , l'ung de leurs maistres de camp, et
plusieurs aultres , tant que les prisons de Dieppe en
sont toutes pleines. De ceulx de sa majesté, il s'y perdit
six ou sept gentilshommes, entre lesquels le sieur comte
de Roussi est seul de remarque; il y en eut davantage
de blessés, entre aultres les sieurs Baqueville, qui en est
mort depuis , et de l'Archant , qui en est guéri : des gens
de pied, il en feut tué quelques ungs, et y en eut beau-
coup de blessés par la trahison desdicts lansquenets,
qui emmenèrent aussi prisonniers avec eulx les sieurs
comte de Rochefort, IVere de M. le duc de Montbazon ,
et le sieur de Rivau qui estoient demeurés avec eulx,
comme les tenans pour rendeus. La sagesse et toute
puissance de Dieu reluist en toutes ses œuvres, mesmes
à la conduicte des actions humaines, mais il n'y a lieu
où elle soit plus remarquable qu'aulx evenemens de la
guerre : pour ceste raison s'est il nommé le Dieu des
batailles , parce que lui seul veult et peult distribuer la
force, et estans lesdictes batailles les arrests des souve-
rainetés et qui décident les plus grandes querelles des
hommes; il s'est vouleu reserver ceste dernière cognois-
sance , et faire voir que ce n'est poinct le nombre des
gens de guerre ni la puissance des armées , mais sa
seule vollonté qui donne les victoires à qui il lui plaist.
Il en a donné en ce combat un bien particulier tesmoi-
gnage, ayant permis que quattre ou cinq cens chevaulx,
mille ou douze cens hommes de pied, François, et la
présence de deux mille cinq cens Suisses, ayent mis en
route ceste grande et puissante armée qu'ils publioient
' eulx-mêmes estre de vingt ou trente mille hommes, dont
EN L'ARMEE DU ROY. a 5
à Dieu seul soit la gloire, et non à ceulx qu'il y a em-
ployés, car Teffect en est par dessus les forces liumaines.
.Ainsi sa majesté estant demeurée maistresse de ceste
tranchée, qui avoit esté cause du combat, estoit dheure
à aultre attendant que les ennemis y deussent revenir
pour reparer promptement ceste honte auparavant
qu'elle peust estre divulguée; toutesfois ils laissèrent
passer le vendredi et samedi ensuivant , sans monslrer
aulcung ressentiment du dommage qu'ils avoient receu.
JMais elle feut inesperement advertie, comme le di-
manche 24*^ dudict mois de septembre, des la minuict,
qu'ils estoient délogés de leur quartier, et avec tel effroy
et diligence, qu'ils laissèrent de leurs blessés, munitions
et esquipage, qui eust esté assés pour juger que ce feut
pour se retirer du tout. Toutesfois sa majesté feut le
lendemain advertie comme ils estoient seulement allés
tourner le costeau, pour, passant le plus loing qu'ils
peurent de son armée, se venir camper entre Dieppe
et Arques. Pour ceste occasion ayant sadicte majesté
laissé dans le chasteau dudict Arques le sieur de la
Garde, l'ung de ses maistres de camp, avec une partie
de son régiment , vint loger en ladicte ville de Dieppe ,
et feit loger une partie de son armée dans les faulx-
Lourgs, et le reste dans les plus prochains villages.
L'ennemi, après avoir faict sept grandes iieues, arriva
le mardi 26^ ensuivant, quasi vis à vis d'où il estoit
parti, et ne feit que changer de costé, pour y cher-
cher, comme font les malades, quelque allégement
ou meilleure fortune. Il ne feut plustost logé en de
petits villages qui avoient auparavant esté tous bruslés,
que sa majesté feit au dessus du faulxbourg dudict
Dieppe, qui estoit de leur costé et à deux arquebu-
zades d'où ils estoient logés, retrancher une petite
o.G DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
(Toupe , où il logea p;>rlie de son infanterie, et y feit
mener deux canons; ce que ayant esté recogneu par les
ennemis, ils en feirent le semblable, et se retrancberent
à bon escient en tous les logis qu'ils tenoient, de sorte
qu\'i voir l'assiette du camp desdictes deux armées, il
eust esté malaisé de juger quels esloient les assiégés ou
les assiegcans; mais à la forme du combat Ton les eust
tousjours recogneu pour estre les assiégés; car de leur
part l'on n'en avoit bruit ni allarme quelconque. Au
contraire, il n'estoit jour que ceulx de sa majesté ne
donnassent dans leurs tranchées et barricades de leurs
logis , ne prissent prisonniers et ne tuassent beaucoup
de leurs gens. Ils en envoyèrent quelques ungs loger au
bourg d'Arqués, où ils ne feurent pas plustost arrivés,
que ledict sieur de la Garde feit, du chasteau et en
plein jour, une sortie sur eulx, en tua grande quantité,
en desarma plus de cent cinquante, et meit le reste en
route. De sorle que de toutes parts il leur succedoit
très mal, et vouleurent le dimanche commencer pour
le moins à faire ung peu de bruit, et meirent sept ou
huict de leurs pièces en batterie de bien fort loing, et
en tirèrent cinq voilées seulement, dont les aulcunes
arrivèrent jusques sur les tuilles des premières maisons
d'auprès de la porte, sans qu'ils feissent aultre dom-
mage que d'ung seul homme qui feut tué; mais ils ne
peurent gueres continuer. Car aussitost leur feut faicte
une aultre contre batterie, qui des prenners coups des-
monta l'une de leurs pièces, et eurent assés de peine
de retirer promptement les aultres, qui ne demeurèrent
pas à la batterie trois heures entières. En revanche sa
majesté feit mener à plus de mille pas hors de son fort
deux canons qui battoient sur le corps de garde de leur
cavalleric; dont ils receurent grande perte; enfin, après
EN L'ARMEE DU ROT. 27
avoir demeuré six jours entiers audict pretendeu siège,
et s'y estans comportés tout d'une aultre forme qu'il
ne se feit jamais en aulcung aultre, car ce feut sans
approches, sans allarme , sans escarmouches, et sans
qu'aulcung d'entre eulx, sinon ceulx qui y feurent ame-
nés prisonniers , peust parler du retranchement où sa
majesté feit loger ses canons , tant s'en fault qu'ils sçeus-
sent rien dire de la contre escarpe du fossé, ni de la
muraille de ladicte ville, de laquelle ils se sont con-
tentés de publier la prise avant que de l'avoir veue : ils
se retirèrent fort honteusement le onzième jour. L'on
avoit estimé qu'ils eussent ceste patience et voullussent
mesnager leurs hommes, pour attendre l'armée qu'a-
menoient MM. le comte de Soissons , de Longueville ,
et mareschal d'Aumcnt, et essaj^er de défaire toutes les
forces de sa majesté en une seule fois. Mais tant s'en
fault que cela les arresta audict siège, qu'au contraire
la nouvelle qu'ils eurent le jeudi qu'elle en estoit à
vingt lieues près, feut la seule raison qui les feit, le
vendredi matin , déloger si promptement. Et si bien
que sa majesté se feut mis en bataille avec huict ou
neuf cens chevaulx , à la veue de toute leur cavallerie ,
qui faisoit retraicte; ils curent tant de haste de gaigner
pays , que cela leur feit oublier de monstrer aulcung
debvoir de la venir recognoistre , ce que ne feit pas sa
majesté, qui les feit suivre quasi jusques à leurs pre-
miers logis : bref, si à l'arrivée il ne feirent rien qui
vaille, au deslogement ils feirent encores pis. Et ceulx
qui les veullent excuser se trouvent empescliés par où
commencer, ou de plaindre leurs chefs et capitaines
d'avoir hasardé leur réputation soubs la foi de gens de
si peu de valeur, ou les soldats de n'avoir trouvé en
leurs capitaines tant de resolution et bonne conduicte,
s 8 DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
ni à beaucouj) près de ce qu'ils en avoient espéré,
n .lyant toute ceste armée monstre courage, sinon d'avoir
porté avec force leur honte et leur perte, sans avoir
pour cela désisté de publier leurs souhaits et desseings
pour effects certains, tantost qu'ils avoient contrainct
le roy de se retirer en Angleterre , tantost qu'ils l'avoient
entièrement defaict, jusques à s'attribuer la victoire du
combat du jeudi 21 de septembre, et au lieu des trois
enseignes que leurs lansquenets, par leur trahison sus-
dictc, avoient emportées de la tranchée, en avoir en-
voyé, comme Ton dict, dix huict ou vingt à Paris, à
qui ils ont faict payer le taffetas plus cher qu'il ne leur
avoit couslë, encores qu'ils l'eussent acheté expressé-
ment pour le leur envoyer. Ces vanités et artifices ont
peu leur servir quelquefois, mais ce sont remèdes, les-
quels répétés hors de saison , deviennent poisons et
tuent plus qu'ils ne guérissent. Sa majesté les ayant
veu descamper si inopinément de devant son année
qu'elle tenoit hors de la ville de Dieppe, estima que
ce feut ce que par raison ce debvoit estre, pour aller
au devant dudict secours, et le combattre auparavant
qu'il la peust joindre. Ayant depuis esté confirmée en
cesle première opinion par les trois premiers logis que
feit l'armée ennemie, qui ne feurent qu'en tournoyant
et sans s'esloigner beaucoup de celle de sa majesté , elle
se resoleut , sentant ledict secours proche de Dieppe de
sept ou huict lieues , d'en partir avec trois ou qualtre
cens chevaulx seidement, et l'aller joindre, laissant
M. le mareschal de Biron audict Dieppe avec toute
l'armée, et malgré que l'ennemi ne feut qu'à cinq
lieues du heu où elle joignit ce secours, elle ne laissa à
sa vue, et des le jour de son arrivée, de prendre et
forcer la ville et chasteau de Gamache , et depuis re-
EN L'ARMEE DU ROY. 29
prendre la ville d'Eu, qui estoient les plus belles occa-
sions par lesquelles il pouvoit offrir et semondre ledict
duc de Mayenne au combat : mais au lieu d'y venir,
craignant au contraire que, après les offres, l'on en
veint aulx contrainctes, il se resolleut de passer en
diligence la rivière de Somme, couvrant ceste honteuse
retraite d'une aultre plus grande faulte; et publiant
qu'il avoit esté contrainct de descendre en la Picardie,
pour se saisir lui mesmes des villes de la province ,
lesquelles, par le traicté qu'il avoit auparavant fnict
par ses députés à Arras, il s'estoit obligé de remettre
entre les mains des Espagnols, qui ne vouloient poinct
entrer en leurs secours, sans l'acomplissement de ceste
obligation ; à quoi il doubtoit que ceulx desdictes villes
n'y consentiroient pas aisément. Sa majesté , qui avoit
en principal desseing de les attirer à une bataille, pré-
voyant, puisqu'ils l'avoient évitée, estant de deçà la-
dicte rivière de Somme , que l'ayant passée les premiers,
il seroit du tout impossible de les y forcer, elle se resol-
leut de les y attendre à leur retour, ne s'estant pas
aussi beaucoup esmené pour empesclier leur aultre
desseing de la remise desdictes villes, parce que la rai-
son estoit pour cela de soi mesmes assés forte, sans
qu'elle eust besoing d'estre aidée de sa présence, ni
d'aulcung aultre soing et artifice : se confiant que les
François, bien que leur chaleur et promptitude natu-
relle les esmeuve bien quelquefois ta sédition et rébel-
lion pour quelque temps , qu'ils ne sont poinct encores
neantmoins tant dégénérés de leurs ancestres, que pour
complaire aulx passions d'aultrui, ils voulleussent se
resouidre de se donner à ung maistre estranger : y ayant
trop d'exemples qui les en peuvent faire sages, et re-
cognoistre qu'il n'y a domination au monde plus doulce
3o DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSP!:
que celle de ceste monarchie. Ainsi ayant, sa majesté ,
faict, depuis leur passage de la rivière, encores ung
peu de séjour aùdict Dicj)pe, tant pour pourveoir aulx
affaires de la province de Normandie , en laquelle il
laissoit M. le duc de IMontpensier avec les forces qu'il
avoit amenées , qu'aussi pour recueillir les quattre mille
Anglois qui lui estoicnt envoyés par la royne d'Angle-
terre : elle en partit le 2 i d'octobre, et veint à petites
journées, sans passer la rivière, estant tousjours da
costé de Tennemi, jusqu'à MeuUan ; estitnant que quand
ce n'eust esté que pour la réputation et pour faire val-
loir quelque chose les grandes promesses qu'il avoit
faictes à ceulx de son parti, il seroit quelque journée
en avant : mais enfin , voyant qu'il ne se piquoit poinct
pour tout cela, elle estima que ce qu'il n'avoit voullcu
faire pour acquérir Dieppe, il le feroit pour le moins
pour la défense de Paris. Pour ceste occasion, elle re-
soUeut de passer la rivière de Seine audict Meullan , et
s'en veint droict audict Paris, avec double desseing,
ou de combattre l'ennemi, ou pour le moms de le re-
tirer de la Picardie, où par trahison et intelligence il
avoit surpris la ville de la Fere, et y pouvoit faire d'aul-
tres semblables practiques; mesmes estant, la pluspart
de la noblesse du pays, veneu trouver sa majesté, elle
arriva le dernier jour d'octobre, au village de Baigneux,
distant dudict Paris d'une lieue seulement; et feit loger
là son armée, et es villages de Montrouge , Gentilly,
Ycy, Vaugirard et aultres les plus proches. Des ledict
jour, elle voulleut elle mesme recognoistre tout le tour
des tranchées qui environnent les faulxbourgs qui sont
de deçà la rivière. Soudain , avec l'avis desdicts princes,
mareschaulx de France et aultres capitaines de son ar-
mée , elle resolleut de les faire attaquer le lendemain ,
EN L'ARMEE DU ROY. 3r
à la poincte du jour, par trois troiippes, et en trois
divers endroicts, qu'elle distribua, à sçavoir, l'une
composée desdicts quattre mille Anglois , et de deux
regimens de François, et d'une aultre de Suisses audict
sieur niareschal de Biron, qu'elle feit assister des sieurs
baron de Biron, son fils, de Guytri et aultres sei-
gneurs, et lui ordonna de donner du costé des taulx-
bourgs Sainct Marcel et Sainct Victor; Taultre, com-
posée de quattre regimens de soldats François , de deux
regimens de Suisses conduicts par le sieur d'Anville ,
colonel gênerai de tous lesdicts Suisses, et quattre com-
pagnies d'advanturiers audict sieur mareschald'Aumont,
assisté aussi de MM. le grand ecuvcr, et de Rieux,
niareschal de camp , et bonne trouppe de seigneurs et
gentilshommes, pour assaillir du costé du faulxbourg
Sainct Jacques et Sainct Michel, et aultres. L'aultre
trouppe de dix regimens de soldats frnnçois, du régi-
ment de lansquenets conduict par Tische Scombert et
d'ung régiment de Suisses, aulx sieurs de la Noue et
de Chastiilon , pour donner du costé des portes Sainct
Germain et Bussy et Nesle. Ayant aussi donné à cha-
cune desdictes trouppes ung bon nombre de gentils-
hommes à pied, bien armés pour soutenir rinfanlerie
en cas de quelque grand effort et résistance, et oultre,
à la queue de chacune trouppe, deux canons et deux,
couievrines. Ayant aussi départi toute la cavalerie de
l'armée en trois trouppes, desquelles sa majesté com-
mandoit Tune, M. le comte de Soissons une aultre,
et M. de Longueville Taultre : et estoient icelles desti-
nées chacune pour chacung des trois costés où il estoit
ordonné d'attaquer. Suivant cest ordre , et à la poincte
du jour du i^"" jour de novembre, lesdicts faulxbourgs
feurent tellement attaqués qu'en moins d'une heure
32 DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
ils feurent tous emportés , avec meurtre de sept à huict
cens hommes de ceulx qui estoient veneus à la défense;
perte de quatorze de leurs enseignes, et prise de treize
pièces de canon, tant grosses que petites, sans qu'aul-
cung des assaillans s'y soit perdeu , et feurent les assié-
gés suivis de telle furie, que peu s'en fallut que les
nostres n'entrassent avec eulxpesie mesle dans la ville, et
sans que le canon ne feut pas du tout si diligent à venir,
qu'il avoilesté ordonné, les portes eussent esté ouvertes
et enfoncées auparavant qu'elles eussent esté remparees.
Ainsi sa majesté entra au faulxbourgSainct Jacques, sur
les sept à huict lieures du malin : criant, le peuple par
les rues, à haulte voix, vive le roy, et plus avec dé-
monstration d'allégresse, que d'aulcung etonnement;
ayant esté observé ung ordre non encores practiqué
entre les soldats, mesmes François, que nul ne se dé-
banda pour aller au pillage, ni se loger que les quar-
tiers n'eussent esté faicts. Seulement dans l'abbaye Sainct
Germain , se renfermèrent quelque cent cinquante de
leurs arquebusiers qui feirent ung peu de contenance
de la vouUoir garder, comme ils l'eussent bien peu.
faire pour quelque temps , estant très bonne et forte ;
mais sur le minuict, ayant esté sommés , ils se rendirent,
et demeura, sadicte majesté, maistresse absolue de tous
lesdicts faulxbouros estant de deçà la rivière. A cela et
à se barricader devant les portes de ladicte ville , et à
establir les gardes, se passa tout le reste de la journée
dudict i*^"^ de novembre; et ayant, sa majesté, esté
advertie que des la nuict dudict jour, ledict duc de
Mayenne estoit, avec la pluspart de son armée, entrée
en ladicte ville, et par là obteneu la moitié de son des-
seing qui estoit de la retirer de la Picardie, elle voul-
leut essayer de parvenir à Taultre qui a tousjours plur»
EN L'ARMEE DU ROY. 33
esté de combattre et défaire ses ennemis en campagne,
que non pas d'exercer sa justice contre des murailles,
et ses povres subjects seduicts par faulses inductions
et paroles. Elle attendit tout le jeudi, deuxiesme dudict
mois, pour voir s'ils feroient quelque sortie : et voyant
qu'ils ne monstroient aulcung ressentiment du dommage
qu'ils avoientreceule jour précèdent, elle seresoUeut^
le vendredi matin, de sortir desdicts faulxbourgs , et se
mettre en bataille, à la vue de ladicte ville, pour offrir
le combat aulxdicts ennemis; et y ayant demeuré de-
puis huict heures du matin , jusques sur les onze heures,
sans qu'il parut jamais personne, elle en partit, se con-
tentant, pour ceste fois^ d'avoir entrepris et exécuté
sur ladicte ville ce qui n'y avoit poinct encores esté
faict, laissant ceste honte à sesdicts ennemis, de leur
avoir tant de fois offert le combat, sans qu'ils y soient
jamais voulleu venir : qui doibt servir de suffisantes
raisons de n'adjouster doresnavant plus de foi aulx van-
teries qu'ils publient de leur valeur et grand courage ,
et d'avoir au reste faict cognoistre aulx liabitans de la-
dicte ville, à combien ils ont esté près de leur entière
ruy ne ; et que le reinede que l'on y apporte est quasi pire
que leur propre perte : ayant appris ceste fois, à leurs
despens , qu'ils ne peuvent plus demeurer en seureté
qu'ils n'ayent dedans eulx , ou en leurs portes, une
forte et puissante armée qui enfin fera, à plusieurs fois,
ce que la plus cruelle ennemie pourroit faire, y entrant
en la plus grande furie, qui sera leur ruyne universelle,
et la désolation de ceste belle et opulente ville, qui est
la capitale et le principal ornement de ce royaubne.
Dont sadicte majesté a bien faict cognoistre qu'elle a plus
d'appréhension et de soing de leur propre salut qu'ils
n'ont pas eulx mesmes. Aulxquels peiilt esfre que Dieu
MkM. DR DuriESSIS-MoRNAY. ToJME V. 3
34 DISCOURS SUR CE QUI S'EST PASSÉ
fera la grâce de devenir plus sages ci-apres, et ayant,
eulx et les aultres peuples, eu, en tant d'occasions, la
preuve si prompte de la contrariété de ce qui leur avoit
esté mis, qu'ils commencèrent à ouvrir les yeulx de
l'entendement; et ce qu'ils n'ont vouUeu ci devant céder
à la raison et à la justice, qu'ils le céderont et la ren-
dront maintenant aulx ennemis qu'ils voyent réussir à
leur honte et confusion aussi grande que la gloire que
sa majesté en rapporte est inestimable. Pleust à Dieu,
comme il permet que des herbes les plus ameres se faict
le miel le plus doulx , que ces horribles malheurs que
nous supportons, il veuille qu'il s'en puisse composer
pour nous quelque bonne et heureuse fortune; qu'il
inspirast le roy de continuer à ne procéder pas contre
ses subjecls, comme contre ses ennemis jurés, mais
ainsi contre enfans dépités et opiniastres, les verges
en une main et la pomme en l'aultre. Et combien que
les injures faictes à Testât soient crimes publics, et que
c'est offenser les bons que de les pardonner , pour le
pouvoir faire sans préjudice de personne, qu'il ne les
repute qu'injures particulières ; et comme telles , qu'il
les pardonne et abolisse, sans en rechercher une ven-
geance exemplaire teincte du sang de son peuple, ainsi
que feroient les estrangers conquerans; se contentant
que la justice soit faicte des principaulx aucteurs du
cruel assassinat commis en la personne du feu roy son
frère; que ce seroit trop d'impiété et d'ingratitude à
toute la France de laisser impmii. Qu'il pleust aussi à sa
divine bonté inspirer les peuples à ce que ceulx qui se
sont laissés transporter à la colère , quand ils sont reve-
neusà eulx, lahonte qu'ils ont de leurs fureurs passées
les rend plus doulx et traictables. Ainsi , après tant
de furies et infamies passées, retournant en eulx mes-
EN L'ARMEE DU ROY. 35
mes, qu'ils en puissent devenir maintenant plus sages
et tempérés ; et , voyant à descouvert ce que, jusqu'ici,
ils n'ont veu que au travers d'ung épais brouillard de
la passion d'aultrui , ils recognoissent que l'intention
de sa majesté ne tend qu'à leur repos et conservation,
pendant qu'eulx, agités de furie, ne sont ingénieux
qu'à procurer leur entière ruyne et confusion. Et, pour
ceste occasion , qu'ils recourent à sa clémence, provo-
quant la naturelle inclination qu'il y a par une prompte
repentance : et puisqu'ils ont assez recogneu que la
bénédiction de Dieu est apparente sur lui , l'avant dé-
veloppé de tant de dangers qui lui ont esté préparés,
lui ayant aussi donné d'une main libérale la pluspart
des parties nécessaires à ung grand roy, et à ung grand
capitaine ; qu'ils considèrent qu'il seroit désormais
grande saison de ne lui plus donner occasion d'éprou-
ver sa force et sa valeur contre son peuple , et à son
malheur; et qu'il seroit plus convenable de la reserver
pourestre employée à l'entier establissement et accrois-
sement de ceste couronne , contre les estrangers, nos
ennemis mortels, seuls architectes de nos misères; afin
qu'au lieu qu'ils se préparent de se revestir de nos
ruynes , nous puissions aller haster la leur , qui n'est
différée d'autant que nous différons de nous réunir, et
establir entre nous une bonne et perdurable paix : la-
quelle il ne suffit pas de souhaiter, il fault encores la
mériter, et vivant tout aultrement que nous n'avons
vescu, par bonnes œuvres, nous en rendre dignes.
36 DISCOURS
II. _ DISCOURS ENVOYE AU ROY
En mars iSqi, sur ce que sa majesté retardait la
publication de la déclaration ci dessus (voyez
tome IV, page 49^) j faict yar M. Duplessis,
Il avoit esté trouve bon par MM. du conseil tle sa
majesté, nomnieement M. le chancelier et M. le mares-
chal de Biron, que sa majesté pourveust au contente-
ment de ses subjects de la relligion par une nouvelle
déclaration, laquelle à cest effect auroit esté dressée,
et depuis leue et approuvée par eulx. et plusieurs aui-
tres au pont Sainct Pierre , si , avant que sa majesté
avoit rcsoleu que M. le chancelier allant à Tours, dis-
poseroit MM. de son conseil y residans , et MM. les
presidens et aultres de sa court de parlement, à la vé-
rifier lorsqu'elle leur seroit présentée.
Ladicte déclaration consistoit principalement en
trois articles; le premier estoit la revocation des edicts
de juillet; le deuxiesme , le restablissement de l'edict
de pacification faict Tan 77, et conférences sur ce en-
suivies; le troisiesme, la réintégration des catholiques
romains , et de leur exercice en tous les lieux leneus
par le roy à présent, lors de la trefve , et en consé-
quence d'icelle, demeurant neantmoins en iceulx l'exer-
cice de la relligion reformée.
Le tout jusques a ce que sa majesté, par la grâce de
Dieu, eust peu reunir tous ses subjects en une mesme
foi et relligion ; pour à ([uoi parvenir, elle faisoit ou-
verture par la mesme déclaration d'ung Concile gênerai
ou national, ou d'une assemblée ecclésiastique, libre
ENVOYÉ AU ROY. 3 7
pt légitime, des plus saincls et doctes personnnges de
la clirestienté en son royaume, à laquelle sa ;iinjesié
mesme vouloit acquiescer et se souhmettre.
L'équité de ceste déclaration est si manifeste en tous
ses articles , qu'elle ne semble debvoir rencontrer aul-
cune contradiction. Car, quant ri la revocation des
odicts de juillet, il est certain qu'ils ont esté extorqués
par violence faicte au feu roy , et partant ne peuvent
subsister. Ils ont engendré les extrêmes calamités où est
à présent ce royaume; ils ont assassiné le feu roy,
mesmes desbonoré nostre nation, et confondu Testât :
d'ailleurs, il est bonteux de les avoir supportés si long
temps, veu qu'ils déclarent le roy à présent incapable ,
dégradent de la couronne tous les princes de son sang,
rendent inbabiles à toutes fonctions les officiers de la
couronne , courts de parlement et aultres qui l'assis-
tent, font le procès, au reste, à tous les bons François
qui le recognoissent , ne pouvans iceulx estre jugés que
par les derniers edicts vérifiés en ce royaume, ni estre
que condamnés bonteusement en l'approbation qui y
t'st conteneue du parti de la Ligue.
Et, quant au restablissement du précèdent edict de
paix de 77, et conférences surensuivies, il semble pres-
que estre enclos ipso jure en la susdicte révocation,
estant ung préalable en droict , que de restituer en Testât
celui à qui violence a esté faicte , avant toutes cbosef;.
L'intention du feu roy, mesme sa promesse y estoit;
Tiuclination pareillement de tous les juges , n'alten-
dans qu'un g mot de la bouche du roy pour leur des-
cbarge. D'ailleurs cest edict avoit esté faict avec grande
solemnité. Les .princes du sang plus zélés catholiques
y estoient interveneus. La France s'en e.stoit bien trou-
vée; tous les subjects du roy estoient contens; la relli-
38 DISCOURS
gion catliolicque maintenue en sa dignité, pourveu à la
nécessité de la relligion reformée ; la chose en somme
estoit passée pour jugée, à laquelle ne falloit plus
toucher.
Et pour le regard du troisiesme article, faict à con-
sidérer , que ceste déclaration ne debvoit pas appor-
ter peu de contentement aulx catholicques , lesquels
rentroient en leur exercice par ce moyen , en plus de
cinquante villes, où ils ne l'avoient poinct par la ri-
gueur des troubles, ni teneur de la trefve; tellement
qu'ils en tiroient par Testât présent des choses plus de
présente commodité beaucoup que ceulx de la relligion
reformée.
Or, est il adveneu que M. le chancellier, sur le
poinct de son parlement a esté contremandé du roy ,
lequel sans double venant à Tours eust peu effectuer
son intention susdicte avec grand consentement de tous
ceulx qui désirent le bien des affaires de sa majesté, et
peu de contradiction mesme des malicieux, combat-
tus de l'équité de ladicte déclaration , et honteux d'y
résister.
Sa majesté considérera là dessus, s'il lui plaist, que
cest affaire ne peult ni doibt estre plus différé, sans
inconvénient et blasme. Dieu lui a faict des grâces qui
ne se peuvent dissimuler. Il en veult estre recogneu ;
et qui veut avoir grâces sur grâces, il faut qu'il lui
en rende grâces.
Il l'a faict régner par la main de ses ennemis. Toute
la chrestienté recognoist que Dieu l'a appelle extraor-
dinairement; c'est donc pour choses extraordinaires ,
c'est qu'il doibt régner efficacement pour Dieu, puis-
que si visiblement il règne de par Dieu.
Les difficultés y sont aux hommes , non h Dieu, si
ENVOYÉ AU ROY. ^9
nous l'invoquons et le servons. Il y avoit trop plus
loin g de la loi fondamenlale jusques à la couronne,
qu'il n'y a pas de l'edict de trefve , jusques à l'edict
de 77 ; et si Dieu a faict l'ung pour nous, nous ne lui
pouvons , ni desnier ni dilayer l'autre.
On dit : Que les huguenots ayent patience. Ils ont
pati cinquante ans et plus; ils pâtiront encores pour le
service du roy ; car ils sont ses subjects , et ne varient
poinct d'affection ; mais il n'est de son service de les lais-
ser patienter en telle chose ; et quand ils le vouldroient ,
sa majesté ne le debvroit souffrir. La relligion s'esteint
es hommes , si elles n'est fomentée. C'est à sa majesté
à la rallumer dedans eulx, à requérir d'eulx l'ardeur
qu'ils doibvent, et non la froideur, en la relligion.
Aux particuliers , Dieu demande seulement qu'ils
soient relligieux; de ceulx qui sont nés pour tous, et
soubs qui il a rangé les aultres , Dieu requiert qu'ils
soient pour les aultres , non qu'ils servent simplement
à Dieu , mais qu'ils le fassent servir de leurs subjects.
Aulcungs dient : on fera avec ceulx de la relligion ,
quand on traictera avec ceulx de la Ligue. C'est iniquité
de traicter également inégales causes et personnes.
Ceux ci ont tousjours faict la guerre pour le roy ; il
n'a donc que faire de paix avec eulx. Les joindre en
la paix , c'est les joindre en la gueri'e , c'est les rendre
coulpables de mesme crime. Ils n'ont besoing que de rè-
glement avec les catholiques, d'estre délivrés de l'op-
pression qu'ils souffrent en leurs consciences. Le roy en
est et juge et arbitre ; pour cela n'est il besoing de les
renvoyer à la longueur d'une incertaine negotialion de
paix.
Quelle patience puis après peuvent avoir ces ac-
tions ? Tous les jours il naist , il se marie, ii nîourt
4o DISCOURS
nuelf{(i\in. Les enfaiis mourront ils sans baptesme?
Les mariages se feront ils sans soiemnité , pour estre
disputés? Les corps demeureront ils sans sépulture?
Et tous les jours il s'en veoit, faulte de Texercice, des
scandales , des procès , des inhumanités.
Prier Dieu pour la prospérité du roy , trois fainilles
ensemble , chanter un psalmedans sa bouticque , vendre
un Testament, une Bible en francois, sont réputés
crimes par les juges, et tous les jours en sort des ar-
rêts. Ils allèguent qu'ils sont obligés aulx lois dernières.
Ils mettent en mesme balance , prier Dieu modeste-
ment pour la prospérité du roy en une chambre , et
])rescher seditieusement en une chaire contre sa per-
sonne et ses affaires.
Ces mauîx appellent des remèdes , et , à faulte d'iceux ,
des inconveniens. Quand ung peuple a nécessité , c'est
prudence de la prévenir par libéralité, l'accordant
premier qu'il la demande. Le roy , certes , ne doibt poinct
apprendre à ses bons subjects à se plaindre , moins à
chercher remède à leur plaincte ; quand mesme ils le
rechercheroient du tout en lui, remonstrances ne s'en
peuvent pas former qu'es assemblées; les assemblées
sont subjectes souvent à monopoles ; les syndicats
trop suspects aux princes, et nuisibles aux principau-
tés; et ceulx qui se font pour bien aujourd'hui , don-
neront subject pour faire mal demain. Sa majesté juge
prudemment que ses subjects ne peuvent vivre comme
ils sont ; afin qu'ils ne demandent le superflu , qu'il leur
donne le nécessaire ; afin qu'ils ne pèchent en la forme de
demander, qu'il ne leur en donne ni le loisir, ni la peine.
Une armée estrangere viendra. Deux inconveniens
en sortiront; les princes estrangers supplieront sa
inajesté ç|c rendre la relligion à ses subjects; chose
ï:nvoyé au ROY. 4 ï
peu honorable à lui d'estre sollicité de son debvoir,
et de l'honneur de Dieu par autrui, lui, roy très
chrestien, lui , roy qui des son enfance a entrepris la
protection des vrais chrestiens, et, le faisant alors, il
en aura moins d'honneur et moins de gré. Ils de-
manderont aussi peult estre plus qu'aultrement on ne
trouveroit bon d'accorder. Ores qu'il se fasse pour le
coup, ce sera subject de révoquer après; les catholi-
ques imputeront à la force estrangere tout ce qui aura
esté faict, quand mesme on se contenteroit de moins
que la raison , au lieu qu'en Testât présent des choses ,
tout sera faict avec eulx, et de leur propre advis , non
subject à se résilier, non à alléguer aulcune excep-
tion par ci après.
Rien n'a tant acquis de révérence au roy, à son ad-
venement à la couronne, envers tous ses subjects, que
la profession de craindre Dieu. Cette crainte les con-
vioit à le craindre, et leur faisoit craindre Dieu en lui.
Ils louoient Dieu d'avoir un prince qui Thonorast, au
lieu que les predecessurs le blasphemoient. Ils atten-
doient tout bien en ses affaires, puisqu'il dependoit
de Dieu; toute prospérité aulx leurs propres, servans
ung prince de foi , de preu-d'hommie, d'intégrité. S'ils
voient sa majesté se refroidir, ou rallentir en sa relli-
gion, voire vivre moins religieusement qu'elle n'ap-
prend, ils rabattront de leur révérence. Ils diront: Si
c'est relligion , que n'en faict il donc plus de compte? ou
que ne nous met il en repos en la changeant, si ce no
l'est point ?
42 ADVIS ENVOYE A SA MAJESTÉ
IlL — ADVIS
Sur la Jhrin alité d'escrire par le roi au pape, en-
i^ojé à sa majesté, en ïSqi, après le sieste de
Chartres.
Je considère qu'il importe grandement que sa ma-
jesté contente le pape ; que cela lui facilitera ses affaires
vers tous les princes et estais d'Italie , retenus pour la
plupart de son respect , encore qu'ils soient meus à
secourir sa majesté de leur propre interest.
Mais je contrepese aussi que la grâce et faveur de
Dieu lui spnt trop plus utiles que celles du pape; que
c'est lui qui dispose des rojs et des royaulmes ; qu'en
s:i vocation à ceste couronne il fi'y a rien eu d'humain,
rien moins que divin ; qu'il en a eu une spéciale contre
les abus des papes; que celui, au reste, qui l'a oint,
sçait achever ses œuvres , et accomplir ses vocations
sans repentance ; et conclus donc que soubs ung bien
prétendu de Testât si nous l'offensons, nous ruinons
Testât , et partant, qu'il n'y fault rien consentir contre
la conscience.
On propose à sa majesté d'escrire au pape ; escrire
simplement est peu de chose. On escrit à qui que ce
soit: on peut escrire au pape; mais il fault considérer,
quand on parle d'escrire , que c'est selon sa façon, et
non selon la nostre. Si sa majesté ne suit le style accous-
tumé, elle le veult appaiser, et elle Toffensera. Il est
donc question d'une certaine forme. S'il la suit, il le
nomme son père, et très sainct père; il lui baise en
toute humiUté les pieds , et lui preste Thommage. Il le
APRES LE SIEGE Dl^ CHARTRES. 43
reconnoist en somme chef de l'église chrestienne, vi-
caire de Christ ; et en vain donc a il travaillé par tant
et tant d'années : en vain auroit esté sa vocation tant
approuvée d'en hault contre ses abus.
Escrire donc n'est pas chose indifférente , comme
on dict; et quand sa majesté aura escrit, toute la chres-
tienté le sçaura, et ne sçaura comment. Ses faulx ser-
viteurs le publieront partout, pour esbranler sa répu-
tation et son crédit entre plusieurs, tant dedans que
dehors. On lui fera dire plus que jamais il n'aura
pensé, et que la lettre ne dira; et puis, pour la suite
des affaires, une lettre en engendrera dix; vme indiffé-
rente (que l'on pense) plusieurs scandaleuses , et contre
conscience, et aura ci après sa majesté trop plus de
peine et de péril à escrire pour les divers subjects qu'on
lui en présentera à toute heure qu'elle n'a eu jusques
ici à n'escrire point.
On dit que quelques roys hérétiques, mesmes ar-
riens, ont escrit aux papes de leur temps, et les ont
appelles saincts pères. Cet exemple ne convient ni à sa
majesté ni aux papes, et moins au subject dont est ques-
tion. Le roy très chrestien n'a rien de commun avec
les arriens , les papes d'aujourd'hui peu de conformité
avec ceux de ce temps là ; mais il y a plus; car, quand
les roys susdicts leur escrivoient, ils ne laschoient rien
pour cela des poincts de la relligion, d'autant que leur
différend ne consistoit point là; au lieu que sa majesté
ne peult reconnoistre le pape, qu'elle ne forfasse la
sienne , en laquelle il est enseigné en termes très ex-
près , que le pape se dict à faulx titre vicaire de Christ ,
qu'il a usurpé sa place et son empire, qu'il s'est faict
indignement distributeur de ses miséricordes et mérites.
Que si ceuh de la Ligue ne veulent pas seulement ap-
41 ADVIS FNVOYK A SA MAJESTÉ
])eller le roy , roy , pnrce qu'ayant prononcé ce mot ,
ils se sentent obligés à Ini faire service; sa majesté doibt
penser en quelle conscience elle peult qualifier le pape
très sainct père, et vicaire de Christ, si elle ne veult
consequemment prendre la loi et la règle d'icelui; et
ceci ne dis je poinct selon mon propre advis, mais des
plus notables personnages de la chrestienté , faisant pro-
fession de la reformation , ausquels j'en ai cscrit depuis
que cette question est sur les rangs.
Certes, les voies de l'homme ne prospèrent qu'en-
tant qu'elles sont bénites de Dieu. Combien de mal a
on brassé au roy , et Dieu l'a tourné en bien î Combien
de biens lui a on promis, mal assignés, et Dieu les lui
a changes en maulx î S'il persiste droittement en sa
profession, les conseils des princes et les vies des papes
sont en la main de Dieu pour en disposer selon son bon
plaisir. S'il se laisse aller, oii sont les cautions du bien
qu'on en attend? Je crois que l'Italie rabattra de la
réputation du roy, quand elle verra sa magnanimité
tant célébrée chercher son appui en chose si débile. Je
crains que les secours tous certains des Allemands et
des Anglois ne se destournent, y avant tousjours assés
de gens qui prennent tout subject d'espargner les de-
niers de leurs pays et de leurs princes; et n'y en pou-
vant avoir ung plus puissant que cettui là, qu'on fon-
deia sur le refroidissement prétendu de sa majesté en
sa relligion ; mais sans scrupule de sa majesté et pré-
judice de ses affaires en quelque part que ce soit,
semble qu'il se peult faire une depesche, dont le pape
aura à se contenter demeurant icelle es termes qui
ensuivent.
Blesseigneurs les cardinaux et prélats , messeigneurs
les princes, pairs et officiers de ce royaume, du con-
APRES LE SIEGE DE CHARTRES. 4^
sentement de sa majesté peuvent dcspesclier au pape,
fionime ci devant, et lui faire entendre, avec les
formes de parler accoustumees , qu'ils ont tousjours
persévéré en la relligion catholique, apostolique et
romaine, n'ont rien souffert au préjudice d'icelle , et
ont tenu soigneusement la main vers sa majesté à cette
fin; mesmes tesmoigner que sa majesté, depuis son
advenement à la couronne, a eu ung soing très particu-
lier de leur maintenir leurdicte relligion en son entier;
mais qu'à la vérité ils ont esté peu assistés et favorisés
en leur intention , qui estoit d'attirer par toutes bonnes
voies sadicte majesté à icelle relligion , d'autant que ,
lorsqu'ils travailloient par leurs iîdelles services à l'en
rendre capable, on prenoit plaisir d'ailleurs à traver-
ser leurs procédures par aultres toutes contraires.
Sur cela se peuvent plaindre mesdicts seigneurs ,
qu'estans eulx prés du roy légitime, qui est leur pro-
pre séance, et y faisans le debvoir de vrais membres et
officiers de ceste couronne , et non moins de bons et
vrais clirestiens, comme il a apparu en ce qui s'est
passé depuis tout ce temps en la manutention de la
relligion catholique, nonobstant le pape Sixte les au-
roit tant desdaignés , que d'envoyer le cardinal Caje-
tan son légat, résider au milieu des perturbateurs du
royaulme, et en la ville d'où estoit sorti l'exécrable as-
sassinat de leur roy et souverain seigneur, comme
s'il eust voulleu auctoriser la rébellion , et approuver ung
acte si damnable.
Que ledict légat auroit teneu conseil ordinaire avec
les rebelles contre cest estât , mesme en auroit conjuré la
ruyne et subversion avec l'ambassadeur d'Espaigne y.
comme il leur seroit appareu par les propres despes-
ches de l'ung et de l'aultre. Chgses qui auroient extre-
46 ADVIS ENVOYÉ A SA MAJESTÉ
mement scandalisé tous les bons catholiques François ,
desquels ils font proprement le corps, l'ombre à peine
en estant demeurée par devers les susdicts rebelles ;
mais que justement le roy en auroit esté indigné, et
auroit eu juste occasion de rebuter et rejetter tout ce
qui auroit à venir de la part du pape et de ses mi-
nistres, mesmes d'avoir en horreur la relligion catho-
lique, à laquelle ils le veullent attirer, n'estoit que son
naturel doulx et traictable d'une part, et la fidélité
et continuation de leurs services de l'aultre, lui au-
roient faict prendre toutes choses en moins mauvaise
part.
Et ne fault craindre d'escrire ou dire ces choses
assés librement au pape , parce que ce leur est ung
naturel ordinaire de prendre plaisir au blasme de leurs
prédécesseurs.
Que le pape se doibt remettre en mémoire combien
la précipitation d'esprit de quelques ungs a faict de
plaies en la chrestienté , qui se pouvoient éviter par
modération et patience, et maintenant ne se peuvent
plus guérir, ni par prudence ni par force; nommee-
ment en Angleterre, à Fendroict du roy Henry VIII,
non toutesfois divers en relligion, et lorsque ceulx qui
en font profession n'estoient pas si forts qu'à présent.
Ce qui ne fust pas adveneu si le conseil du grand roy
François au pape Clément eust esté suivi, de ne don-
ner poinct ni la volonté ni l'occasion de désobéir à
ceulx qui en avoient la puissance.
Pourtant que le pape trouve bon de donner quel-
que respiration au roy pendant ses grands affaires; et
de manier les choses par plus doulces voies; estant à
espérer qu'une bonne inspiration ne manquera poinct
à sa majesté par les prières de ses bons subjects, et
APRES I.E SIEGE DE CHARTRES. 4?
Finstance assiduelle de leurs services pour Tadclresser
en la voie de son salut.
Sur lequel poinct lui peult estre mise aussi en con-
sidération la vertu, valeur, magnanimité, équité, de-
bonnaireté de sa majesté, parties très rares et recom-
mendables , et lesquelles doihvent faire surattendre
celles qui lui pourroient défaillir. Estant certain qu'il
y a long temps que la chrestienté n'a produict ung plus
grand prince, ni pour estre plus utile à l'accroisse-
ment direlîe , s'il est prudemment mesnagé; et d'aul-
tant plus que, nonobstant les rigueurs qu'on lui a te-
neues pour le desespérer, il est tousjours prest de re-
cevoir instruction, si on la lui veult donner.
Que cependant mesdicts seigneurs tiendront aussi la
main qu'il ne dépérisse rien en ce qui est de la relligion
catholique en ce royaume; et particulièrement en ce
qui concerne la dignité du pape en icelui, et l'entre-
tenement des concordats qui ont esté entre les roys
prédécesseurs et les papes, sans aulcune diminution
des droicts accoustumés. Et ce poinct doibt estre estendu
et amplifié en toutes ses circonstances.
Qu'ils requièrent le pape de procéder par la rigueur
de ses censures contre les perturbateurs de ce royaulme,
et meutriers de leur prince naturel; d'autant plus sé-
vèrement qu'ils abusent évidemment du nom de la
relligion pour leurs ambitions, à la ruyne de cest estât
et de ce povre peuple.
Et sur ce qui pourroit estre allégué que sa majesté
n'escrit poinct au pape, pourra estre respondeu que
ce n'est poinct par mespris , obstination, ni quelconque
mauvaise affection; mais que les considérations de sa
condition présente le retiennent , n'estant raisonnable
qu'il offense ses amis asseurés par une lettre qu'il
48 ADVIS ENVOYÉ A SA MAJESTÉ, etc.
pourroit cscrire, qui leur seroit desguisee, ou inter-
prétée à aultre fin. Mesmes n'ayant jusques ici receu
de la part des papes prédécesseurs aulcung signe de
Lienveillance; au contraire tous mauvais offices; ce
nonobstant que le pape et tous les princes catholiques
le trouveront tousjours prince très désireux de la paix^
et reunion de la chrestienté , et de leur contentenieniL
et repos particulier ; et non incapable de meilleurs
conseils , si on prend la peine de les lui donner par
une voie digne d'ung prince tel que Dieu l'a fait naistre;
et non par menaces, rigueurs et aultres procédures
indignes, contraires à la charité chrestienne , à la di-
gnité qu'il tient et à son naturel particulier.
IV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. Merlin.
Du !*■■ juillet iSgi.
Monsieur , j'ai receu les vostres en response des
miennes. M. Merlin, votre fils, m'a aussi envoyé votre
Esther, que je lis avec profict et plaisir, et l'ai mis es
mains de M. des Reaux , nostre ami commun , pour lé
présenter au roy , comme très digne de sa personne ,
très convenable au temps et conforme en subject , et
non moins recommandable en la forme que vous lui i
avés donnée, qu'en la matière mesme. Vous m'avés 1
attristé de la mort de M. de Beze (i) quam nondiun \
certo accepi , quanquam jam olim animo prœcepi.
Et trois ou quatre estoiles qui nous restent, couchées,
je ne vois qu'espaisses ténèbres parmi nous. Et c'est ,
(i) Cesle nouvelle estoit fausse.
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 49
pourquoi tandis qu'elles esclairent , je vouldrois bien
nous veoir plus soigneux de rechercher déjeunes gens
pour y allumer nos chandelles. Vous m'exhortes à une
chose à laquelle il n'y a jour ni heure que je ne m'ad-
journe moi mesmes ; quand vous me ramentevés le
Traicté (i) dont nous conferasmes ensemble à Vitrai.
Vous sçavés quelles années nous avons eu à passer,
quelles charges j'y ai portées, et encores n'ai je peu
m'en délivrer. Je n'ai jamais l'esprit plus content , ni
desplaisant, que quand j'y pense; content, lorsque je
me promets de retourner à ces exercices là; desplai-
sant, quand je m'en vois si esloigné par les affaires du
monde, que certes j'aurois bientost secouées si elles ne
touchoient que le monde. Mais vous considérés bien
que cet ouvrage requiert ung lieu et ung homme, et
ung temps de repos; oultre plusieurs aultres aides,
d'autant plus nécessaires à moi, que j'y vois peu de
capacité pour l'entreprendre. Je pleure avec vous la
condition de nos églises; mais je me console que celui
qui ne les faict croistre par ce qui leur debvoit ou
sembloit debvoir servir d'arrousement , les sçaura bien
arrouser et faire prospérer par les choses mesmes qui
semblent préparées pour les estouffer et esteindre. Je
ne doubte poinct de l'intention du roy. Je prie Dieu
qu'il le fortifie. Beaucoup de gens s'opposent à ce qui
est de nostre liberté, et eo propensius ^ qu'il leur sem-
ble [siiperstitionis suce adeo siml conseil) que ceteris
paribus chacung enseignant librement de son costé,
ils ne peuvent longuement subsister. Si espère je que
nous aurons bientost une déclaration , et bien qu'elle
ne soit si ample qu'il seroit à désirer, il n'est pas def-
(i) C'est l'œuvre qu'il fcit depuis l'Eucliaristie.
MjÉM. de DuPiKSSIS-MoKNAY. ToME V.
5o LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
fendu de commencer ung bon œuvre par quelque bout.
Beaucoup de consciences en recevront soulagement,
beaucoup d'aveugles , esclaircissement ; et n'est pas
ung petit accroissement d'edict, que l'aucteur de l'edict
soit intéressé en Tedict mesme. Je lairrai à M. de Pierre-
fite à vous dire des nouvelles. Si madame de Laval con-
tinue à nous donner ici M. son fils, vous promettes
de nous venir veoir. Je vous prends au mot. Asseurés
la qu'il n'y a lieu où elle trouve plus d'obéissance et
de service, madamoiselle d'Andelot aussi, encores que
je n'aye cest heur qu'elle me cognoisse que par la
crayon de M. de Buzanval. Je plainds seulement que
ceste ville ne soit pas si commode que je vouldrois;
mais ce qui defauldra pour leur dignité sera supplée
par nostre affection à leur service.
Monsieur, je vous recommande , etc.
V. — ^REGINA ANGLIA AD HELVETIOS.
Du 18 juillet iSgi.
Genevje aftlictae res, per multos jam annos diuturna
prope obsidione pressae, a potentissimis duobus hosti-
bus hispaniari rege, et ejus genero duce subaneliae ,
quam opem, quodque auxilium desiderant, vos quia
socii et vicini estis non potestis ignorare, extraque du-
bium sumus , V. P. pro fîde fœderum inter vos junc-
torum, proque dignitate gentis, eam rationem habi-
turas esse communis vestrae in bac causa defensionis; 1
ut deseri eam exponique novorum dominorum libidini,
quantum in vobis erit, non sitis passuri, ad quam certe
rem, si necesse esset, vos hortaremur : intenti autem |
qui sua sponte satis sunt in salutem publicam quoniam
REGTNA ANGLÏA AD HELVETIOS. 5l
monitore non habent opus; ab boc génère orationis
libenter abstinemus. Unnm hoc P. V. rogantes pro an-
liqua benevolentia et amicitia, quae regibus Angliae,
majoribus nostris, cum spectabiH gente vestra inter-
cessit; ne salutis privatae vestrœ negb'gentes sitis. Sic
enim P. V. existimare convenit , in obsidione Geneven-
sium peti obsidionem civitatum cujusque vestrûm :
in excidio iUius urbis , verti internetionem omnium
vestrûm. Periculum faciatis licet , ex iis quae in nosmet
nostraque regno quae jam nunc in florentissimum Galb'cR
regnum idem rexmoHtur; propter impotentem domi-
nandi bbidinem cum nihil subsit, aut subesse queat;
quod ab armis movendis et consociandis , per omnes
ferè orbis nostri occidentalis partes, nullam ipsi re-
quiem neque diurnam neque nocturnam impartiat.
Quae tamen arma frustra in vos pari ter consocia-
bit, atque in nos frustra movit; si junctis animis, pro
fide inter vos data acceptaque vestras amicitias et con-
junctiones non patiamini.
în hoc enim uno, posita sunt, tum quorum cunque
hostium maxima praesidia, armorumque momenta; tum
justarum quarumque defensionum fortissima pro-
pugnacula, monumentaque : Ac in utramque partem ,
tantarum virium cum sit hoc unum caput, omnesque
ingenii sui nervos , hue intendant , qui vincisse cupidine
regnandi patiuntur; cautis vos animis esse oportet;
qui istius beneficio muUos jam annos in libertatis ve-
nitis ; in quam majores A^estri sua virtute vindicarunt
vos, quamque vobis supra modum invident superbi
dominatores. Ea si in perpetuum frui , posterisque
vestris tanquam hœreditariam transmittere mavultis;
quam servorum more in iUiberali servitute vivere;
cavendus vobis est hic primus impetus; nec aures
52 REGINA ANGLIA. AD HELVETIOS.
accommodanclae captiosis illecebris : memores, multo
plures vulpeculae fraude deceptos, quam vi leonis de-
viclos, concidisse. Gertumque habetote : ut antiquo-
rum fœderum fucus, diuturnae amicitiae simulachrum,
officiorum in specieni oblatus usus oblendi queant :
nullas tanien esse pejores aut magis capitales inimici-
tias quam quae latent in simulatione officii. Ac sit licet
in opinione hominum, niodica res et minoris momenti,
civilas Genevensium : uli Gorintlius quondam apud
Acliaeos : et Ghalcis apud Eubœos : et Demetrius apud
Thessalos; tamen ut illae totius Grœciae, sic Genevenses
ab Hispano sabaudo subacti, verendum est ne uni-
■versae fœderatae gentis vestrœ, compedes futuri sint.
Naiurani loci , spiritus et animos hostis, ipsius poten-
tiani magnitudine sua laborantem , cum angustis vestris
rébus comparate, qui S. R. F. majestati invidet; qui
contra Belgarum libertates jam supra viginti annos di-
micat : qui Galliae regno insidiati : qui diadematis nostri
siti conficitur; cum credibile est; non eveisis antiqtris
vestris juribus, legibus, libertale , quieturum? quod
quo vobis funestius, et nobis tristius spectaculum fo-
ret : eo vos etiam atque etiam monemus rognmusque:
sitis ineam rem ne eveniat, providi, intentique; ut de
dionitale vestra , prestina libertateque conservata, vo-
bis invicem gratulantes, amicis vestris solatio, vicinis
prœsidio , posteris aeterno emolumento, esse queatis.
In banc arenam, ipsœ, fœmina licet sumus, priores
descendimus; otium , dignitatem, regias opes, quic-
quid denique carum ut habemus ut babere possumus,
libertati vicinarum gentium sartis tectisque conservan-
dis , aliorum justis imperiis post ponenles, ad hoc po-
sitœ et constitutœ a Deo ; ut quantum in nobis est
nullis inferamus, ab omnibus propulsemus injurias;
REGINA ANGLIA AD HELVETIOS. 53
non qui alterum non juvat cum potest : tani
esse in vitio , ac si ipse occidisset ; sed vos ista , pro
vestra prudentia salis edocti estis : et pro optima ves-
tra in vos invicem voluntate , studio pietateque ,
prompti satis ad afflictis succurrendum , vestrseqiie sa-
luti providendum; proptereaque desinimus, recremen-
tum obsidione pressorum, vobis vestraeque fidei, pro
ea quam geritis erga Deutn , hominesque pief ate , com-
mendantes, et vos in aeternum, Deus ille salutis fortu-
net beetque. Datae e regia nostra granviei , 1 8 die
mensis julii, anno Domini post millesimum quingente-
simum , nonagesimo , regni vero nostri , tricesimo se-
cundo. C.
Elisabetha, R.
VI. — -V-ADVIS DE PROVENCE.
Du 17 avril iSqi.
M, Desdiguieres est joinct avec M. de La Vallette,
qui partit de Systeron le troisiesme du présent mois,
pour l'aller joindre du costé de Rion , et ont canon es
campaigne.
Le comte de Martmaigne avec les Savoyards et Pro-
venceaulx, leurs adlierens , s'en vont les trouver, et
peult estre qu'ils viendront aulx mains.
Le duc de Savoye n'est encores de retour d'Espai-
gne; son voyage n'est fondé que pour embarquer son
entreprinse sur Marseille, dans laquelle a esté receu
quelques bleds, et sont tousjours après à sortir dehors
ceulx qu'ils peuvent penser n'adhérer h leurs volontés.
Ades tient tousjours bon pour se maintenir soubs
l'obéissance du roy.
54 ADVIS DE PROVENCE.
En Provence Ton a publié, de la part de M. du
Mayne , une trefve pour les laboureurs, marchands et
gens, à quoi M. de La Vallette a adhéré.
Du 20 dudict mois.
Sparroy est un lieu de Provence, cinq lieues près
d'Aix, village et chasteau. Le sieur dudict lieu s'est
toutes ces guerres teneu dans sondict chasteau sans se
déclarer d'aulcung parti. Une bonne partie de la ca-
vallerie savoyarde allant rencontrer le sieur Desdi-
guieres, s'estant logée dans ledict village, le sieur Des-
diguieres s'en est approché avec ses forces ; d'aultres
part, ledict sieur receut dans sondict chasteau Gamer-
nat et sa trouppe; tous se ruent sur lesdicts Savoyards,
conduicts par Vitelly; tout a esté defaict, hommes et
chevaulx, grande mortalité encores que je cuide que
le pourrés entendre par ceux mesmes qui ont faict la
faction. Je n'ai voulu manquer le vous dire , tenant ce
que dessus de bonne part, et aussi vous en pouvés
asseurer par plus ou moins ce qui advint le lundi sei-
ziesme du présent; depuis j'ai eu asseurance que ladicte
deffaicte est très véritable, treize drapeaulx prins,
quattre cornettes de cavallerie, cinq cens chevaulx et
cavalliers morts sur la place, plus de deux cens cin-
quante chevaulx et les cavalliers prins prisonniers par
composition faicte au village de Sparroy.
Le sieur de Vitelly, colonnel de la cavallerie li-
gueuse du duc de Savoye , et le sieur de Sainct Romain
prins prisonniers.
Les Provenceaulx françois renvoyés avec ung baston
blanc à la main , et plus de cinq cens Savoyards mis
aulx galleres de M. de La Vailelte, à Toulon, qui a
ADVIS DE PROVENCE. 55
londii réciproque audict duc de Savoye en ayant faict
de mesnie à quelques unes de sesdictes trouppes.
Tous les forts de ladicte Provence à cause de ladicte
deffaicte sont rendus soubs l'obéissance du roy, hors
Ives, Aix, qu'ils espèrent blocquer.
Le comte Martmaigne s'en est fuy de vitesse. Ils
ont envoyé quérir en dilligence le duc de Savoye. Des
nostres, il n'est demeuré en ladicte deffaicte que dix
sept sur la place, et quelques uns de blessés. Les
trouppes dudict sieur Desdiguieres ont presque faict
toute ladicte deffaicte.
De Vienne, le i^"" mai iSgi.
M. de Nemours est à Lion, lequel a faict entrer en
Daulphiné trois ou quattre cens chevaulx , conduisant
quantité d'esclielles et pétards, et ont voulleu planter
l'escallade à Vallence , ayant passé le soir vers la Roche
et laissé leurs chevaulx. De Là sont allés une lieue à
pied; arrivés toutesfois ne sont approchés d'une mous-
quetade; s'en retournant ont quitté trente six eschelles
dans une grange, à ung quart de lieue dudict Vallence;
et ont esté tellement combatteus du mauvais temps
et de la longue traicte, qu'ils ont perdeu quattre vingts
ou cent chevaulx, desquels il y en avoit de beaucoup de
valleur, et environ quatorze ou quinze lacquais s'en sont
reveneus sans rien faire. Ils faisoient cela pour contre-
])eser la deffaicte desdicts Savoyards en Provence
comme je m'asseure, comme peulxsçavoir; toutesfois je
ne lairai de vous dire comme, le lundi de Pasques
Desdiguieres deffict quinze enseignes de gens de pieds,
tous tués ou prisonniers, et les drapeaulx prins; defict
aussi huict cens chevaulx que Martmaigne conduisoit
lequel se snulva à Aix à la suite, avec trois cens che-
56 ADVIS DE PROVENCE,
vaulx , le reste tué ou prins, et trois cens cinquante che-
\'aulx de service qu'ils ont gaigné. Le gênerai Alexandre
Vitelly prisonnier, et ledict sieur de Sainct Romain,
gênerai de leur infanterie , et trente capitaines.
VIL —-V- ADVIS DE LANGUEDOC
Par lettres de M. de Fie.
A Langongne , ce mercredi 24 avril i Sg i .
Monsieur , à nostre parlement de Melleau, MM. de
Missiiliat et Morose joignirent monseigneur avec trente
maistres. Il passa à Nonnaite, pensant aller coucher à
Rujon, où après plusieurs remises les portes furent
enfin refusées; cependant nos gens gaignerent lesfaulx-
bourgs jusques à la porte de la ville, et tuèrent deux
ou trois de ces rebelles, sans que de nostre part il y eust
personne de blessé, Dieu mercy. On voulloit forcer la
ville, qui estoit chose assez aisée pour l'estonnement
du peuple et commodité du chasteau. Mais nous rom-
pismes ce coup , de peur que , perdant quelque hon-
neste homme, on ne pillast et possible brusiast ladicte
ville , chose que je craignois fort. La retraite faicte ,
mondict seigneur marcha jusques à onze heures de
nuict, que nous campasmes à ung meschant villaige
à une lieue de ; de là nous fismes le chemin
jusques à Polignac d'une traicte, et demeurasmes qua-
torze heures à cheval. M. de Chates a receu fort hon-
norablement mondict seigneur et toute sa trouppe , qui
est toute dans le chasteau , et y avons logé plus de
quarante estrangers, et séjourné tout le dimanche pour
y attendre MM. de La Fin et Dianna, qui le vindrent
ADVIS DE LANGUEDOC, etc. 37
trouver le mesmejour.Le lundi mondict seigneur s'ache-
mina à Montstier, petite \ille qui appartient à mon-
sieur Tevesque duPuy, qui y faict sa résidence. Pas-
sant le long de la rivière et assez près de la ville
du Puy, on vit cent ou six vingts soldats de la ville qui
estoient sortys sur les collines prochaines, qui donna
occasion à plusieurs de croire que ce n'estoit que pre-
mière trouppe, et que le gros estoit derrière pour se
jecter surnostre queue, estant advizé qu'on les devoit
recognoistre seullement sans attacquer aulcune chose;
on les approcha de si près, qu'estant dans des che-
mins creux et lieux murailles à la mode du pays , qu'ils
commencèrent l'escarmouche; le sieur de Sainct Mar-
cial Dalet en tua deux d'arrivée, puis, en poursuivant
plusieurs dans ung chemin , les fuyards tournèrent
teste, tuèrent son cheval, et lui donnèrent plusieurs
coups d'espee et de halleharde , et l'eussent tué sans
l'assistance des sieurs de Murât et Bossan qui le des-
chargerent et l'amenèrent à pied ; cela encouragea les
habitans qui pareurent derechef, aulxquels on fit une
seconde charge, et feurent repoussez jusques au pen-
dant de leur ville. Nous avons sceu depuis qu'il y en a
sept ou huict de morts, entre lesquels est le plus fac-
tieux de tous, qui estoit apoticquere , nommé Jehan
Faure , et dix ou douze de blessés. Nous y avons perdeu
ung nommé Guytard, natif de ladicte ville, qui suivoit
ledictsieur deSainctMarcial, ung delà compagniedudict
sieur de Chates , et deux blessés; voilà la vérité de ce
qui s'est passé, de quoy je suis tesmoing occulaire. Si
on m'eust creu, cela n'eust esté faict, puisque nous ne
voullions que passer , et que le passage n'estoit em-
pesché. De là nous arrivasmes à Mostel, où hier matin
M. i'evesque du Puy estant à la messe, mondict seigneur
58 AD VIS DE LANGUEDOC
luy osta la croix , et l'a affianchy du veu qu'il avoit
faict, avec pouvoir de se maryer. Les ceremonyes ne
furent longues, que j'espère vous dire ung jour, puisque
je n'ai loisir de les escrire. Nous arrivasmes hier en
ce lieu de Langongne , et espérons partir présente-
ment pour faire une grande traicte, et gaigner demain
Alest. Faictes part, s'il vous plaist, de ce que dessus
aulx sieurs accoustumés , et à MM. les aux-
quels je n'ai loisir d'escrire; j'ai receu hier leurs
lettres et les vostres, et suis bien aise qu'ayez ouvert
les miennes, n'estant comuniquees qu'à M. de Fiorat,
auquel en particulier je me recommande, puis MM. les
generaulx.
A Montpellier, ce dimanche 28 avril 1691.
Monsieur , vous cognoistrez , par mes dernières
lettres , qu'il n'a teneu à moi que n'ayez eu de mes nou-
velles; j'y adjousterai ce mot à la haste, que mon-
seigneur le comte arriva jeudi à Alest, ville qui appar-
tient en propre à M. de Montmorancy, où il feut receu
avec Ses armoyries estoient sur la porte de
la ville, et celles de sa maistresse après avec les
siennes, de quoi sans mentir je fus estonné; vendredi
nous arrivasmes à. . . et hier en ceste ville, receus par
tout avec beaucoup de démonstrations d'aise. Nous
partons ce matin pour aller à Pezenas trouver madame
de Montmorancy et sa M. Dossemont se
doibt rendre cejourd'hui à mi chemin ; M. de Mont-
morancy est aux bains à trois lieues dudict Pezenas ,
où il se doibt rendre demain matin. On s'asseure que
les nopces seront mardi prochain. On eut hier advis
que MM. Desdiguieres et La Vallette ont deffaict trois
ou quatre cens chevaulx et douze cens hommes de
PAR LETTRE DE M. DE VIC. ^9
pied Espaignols ou Savoyards fjui estoicnt en Pro-
vence , et que le duc de Savoye est passé en Espaigne;
d'aultre part les Espaignols , qui sont vers Carcassonne ,
joinct M. de Joyeuse, ont prins deux ou trois forts,
et tué tout ce qu'il s'est trouvé dedans d'hommes de
guerre et dliabitans , et y ont après mis le feu.
VIII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Ju 7'OJ.
Du 4 juillet lôgr.
SiHE , vostre majesté se peult assés ressoubvenir que
je n'ai pas accoustumé de commenter sur ses comman-
demens; et pour ce je me promets aussi que vous
m'aurés faict cest honneur de croire que ce que j'ai
différé de vous envoyer les derniers procèdes de la
commission du domaine de vostre couronne , n'aura
esté que pour vostre seul service.
J'ai considéré, sire, que vostre majesté auroit pro-
mis à M. Palavicin, traictant au nom de la royne d'An-
gleterre et des princes d'Allemaigne , de tenir une
somme notable preste pour l'arrivée de vostre armée
estrangere. Que, pour parvenir à ce poinct, il auroit esté
resoleu en vostre conseil, par vostre majesté , en sa pré-
sence, de procéder à l'aliénation tant de vostre do-
maine que de vostre patrimoine, dont la commission
m'auroit esté adressée. Que du patrimoine^-liçn ne se
pouvoit espérer, d'autant qu'en vostre court de parle-
ment à Tours la non reunion d'icelui n'auroit peu en-
cores estre vérifiée , à faulte de laquelle nul ne pensoit
6o LETTRE DE M. DUPLESSIS
y pouvoir srurement employer son argent; par con-
séquent qu'il ne restoit à vostre majesté aultre moyen
plus prompt que des deniers procedans de la revente
du domaine de vostre couronne.
J'ai donc pensé, sire, que cest argent, selon vostre
intention , debvoit estre mesnagé pour l'effect pour
lequel il estoit destiné; pour maintenir vostre armée,
la vous obliger par serment, y auctoriser vostre créance
et réputation; et consequemment en retirer le profict
attendeu de tous vos bons subjects, pour Testablissement
de vostre auctorité contre l'usurpation de vos ennemis.
Et ai craint au contraire , sire , qu'à faulte de leur
donner ce contentement, le reproche trop ordinaire s'en
ensuivist, d'avoir manqué aulx princes estrangers ; dont
le coup seroit d'autant plus dangereux au service de
vostre majesté, qu'il est tout certain que par les faultes
passées le credict de ceste couronne n'est que trop
esbranlé es nations estranges, lequel se peult relever
par la foi et constance de vostre majesté en ses pro-
messes; mais viendroit aussi à s'atterrer du tout, si elle
y mnnquoit ou sembloit manquer des son entrée.
J'adjousterois, sire, que l'edict de l'aliénation porte
clause expresse, que les deniers en sont affectés à
l'entietenement de ceste armée; que messieurs de
vosire court de parlement l'avoient vérifié, nonobstant
plusieurs difficultés, en cette seule considération,
connue des plus notables d'entre eux m'ont dict, que
la pluspart des acheteurs s'y estoient aussi enhardis,
espérant Kjue ceste armée, en vous faisant régner pai-
siblement, les feroit jouir de mesmes. Et, en oultre, que
les instructions de M. de Turenne estoient chargées
d'asseurtr la royiie d'Angleterre et les princes d'Aile-
AU ROT. T)!
maîgne que vostre majesté m'avoit donné ledict pou-
voir, et ordonné les susdicts moyens pour subvenir à
l'armée qu'ils envoyent à son secours.
Ce que je ne pense pas qu'on vous représente, sire,
quand on presse vostre majesté sous aultres prétextes
de commander que ces deniers vous soient envoyés.
Car vostre majesté sçauroit bien considérer que des
lettres de cachet, pour expresses qu'elles soient, ne
nous pourroient descharger, et principalement ceulx
qui sont chargés des deniers, sur lesquels, à faulte
d'ung acquit vérifié en parlement, ils pourroient estre
répétés à jamais, selon les loix de ce royaume.
Mon but donc a esté, sire, que vostre majesté fust
servie, et n'en ai jamais eu d'aultre; mais elle veult
maintenant estre obeïe, et le sera; et pour cest effect
nous envoyons le porteur qui conduict à vostre majesté
la somme de qui est tout ce que nous pou-
vons présentement, parce que les termes du surplus
ne sont p;is du tout escheus; les ayant mesurés à peu
près au temps que vostre armée auroit à entrer ,
afin que les achepteurs eussent plus de courage d'a-
chepter.
Cependant, sire, sortant des termes de deniers, les-
quels me sont indifferens si ce n'est pour vostre inte-
rest, je vous dirai en serviteur ce que je doibs. Cesle
armée qui vous vient d'Alleniaigne vous est honorable,
utile et nécessaire, soit pour le dedans, soit pour le
dehors de ce royaume. Ce vous sont amis très esprou-
vés , intéressés contre 1 Espagnol , contre le pape ,
contre tous les ennemis de vostre estât et de vostre
personne. Ils ne cognoistront que vous pour tout en
vostre armée, et ne prestront l'oreille aulx monopoles.
Ils ne seront poinct subjects à estre subornés soubs
62 LETTRE DE M. DUPLESSIS
ombre d'heresie , aussi peu à s'estonner des moni-
toires; fortifieront tous les bons à faire leur debvoir,
retiendront les aultres de rien entreprendre ou oser au
contraire.
Ceulx qui s'en ombragent, sire, les desiroient et les
reclamoient quand le duc de Parme entra dedans la
France. Et qui sçait ce qu'il fera dans peu de jours ?
lis vous reprochoient leur peu d'affection, leur fetar-
dise, sçavoient très bien alléguer que vostre majesté
cstoit mal assistée des princes estrangers, qui faisoient
niesme profession quand ils se sont rais en leur deb-
voir, recueilles en le fruict; pensés , sire, que c'est ung
labeur de deux ou trois années, difficile à recouvrer
s'il n'est bien mesnagé. Faites voir a vos subjects bons
et maulvais que vous estes le maistre; que Dieu, qui
vous a donné de naistre roy, ne vous a pas desnié ni
les moyens, ni les forces pour l'estre.
Je le dis, sire , pour ce qu'aulcungs disent tout bault
que ceste armée vous sera inutile. Aulx aultres est
eschappé qu'on s'en desfera bien en lui soustrayant
tous les moyens; calomniant vostre intention par les
provinces; lesquels se debvroient ressouvenir que le
feu roy la feit négocier par leur propre conseil; qu'elle
a esté poursuivie par M. de Scbomberg; que ce sont
les mesmes princes, colonnels et capitaines. Qu'au sur-
plus, soubs vostre auctorité elle ne doibt pas leur
estre plus suspecte, veu la foi que vous gardés à tous,
veu celle particulièrement que vous maintenés aulx
catholiques.
Car, quant à ceulx de la relligion, sire, il n'}' a ca-
tholique d'entendement, qui ne considère bien qu'ils
ne peuvent pas demeurer comme ils sont par les edicts
d'union, confisqués en leurs biens, dégradés en leurs
AU ROY. G3
honneurs, asservis en leurs consciences. Et des devant
qu'il se parlast de ceste armée, vostre majesté avoit
resoleu , avec les principaulx officiers de ceste couronne,
des moyens de leur donner contentement ; chose qu'il
eust esté plus à propos de n'avoir différée pour les
raisons que j'ai discoureu à vostre majesté de bouche et
par escrit assés de fois.
Pour la fin, sire, je me confie que vostre majesté
interprétera en bonne part ce que j'ai faict. Les princes
veullent estre obéis , et il est raisonnable ; mais aussi
escoutent ils quelquesfois les remonstrances de leurs
serviteurs sur leurs commandemens, mesme quand ce
sont personnes esprouvees dont l'intention ne peult
estre suspecte. Or, je pense, sire, que vostre majesté
me faict bien cet honneur de me tenir pour tel. Tant
y a, sire , que je le suis et le serai tousjours, etc.
IX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Au roj.
Du 6 juillet i5gi.
Sire , puisque vostre majesté y est resoleue , j'envoye-
rai au plustost ce que nous avons de prest selon vostre
commandement. Ce que j'ai différé n'a esté pour aultre
fantaisie que de vostre service. Il me suffit, sire, d'avoir
remonstré à vostre majesté ce que j'ai pensé en estre,
dont il lui plaira aussi se ressouvenir. Seulement que
vostre majesté me fasse cest honneur d'interpréter mes
actions en bonne part , esquelles je recognois qu'il peult
avoir de la faulte en beaucoup de façons; mais non.
64 LETTRE DE M. DUPLESSIS
sire, aulcune en fidélité, zele et affection, esquellesjé
ne vouldrois céder à personne.
Sire , je supplie le Créateur, etc.
X. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. cVEmerjy depuis M. le président de Thou.
Du i8 juillet i5()i.
Monsieur , je tiens à faveur que le capitaine Li
Roche vous ait peu faire quelque service pour la seu-
reté de vostre voyage, et suis marri que ne l'ayés mené
jusques au bout. Car je fais tant d'estat et de vostre
amitié et de vostre mérite, que je m'estimerai honoré
de vous pouvoir faire quelque service. Vous ne debvés
doubter que le bruict de la déclaration pour la revocation
des edicts de la Ligue, ne soit desjà partout. Partie la
soif que les ungs en avoient , et partie le despit des
aultres en est cause. Si est ce que tout homme de ju-
gement cognoistra qu'il n'y a rien de si doulx, de si
équitable , de plus nécessaire. Je loue Dieu qu'elle ait
esté mise en vos mains pour l'apporter à Tours. Je ne
doubte poinct aussi que plusieurs ne taschentd'en abu-
ser contre le service du roy ; mais comme ce sont per-
sonnes qui ont plus de passion que de raison, aussi
estimé je qu'ils auront plus de courroux que d'effect.
Et là dessus j'aurois beaucoup de choses à vous dis-
courir; mais, puisque vous vous délibérés de faire ung
tour ici , je le remettrai alors. Et vous supplie de ne
plaindre poinct ce voyage à vostre première commo--
dité , et je vous attendrai pour cest effect ici si longue-
A M. D'EMERY. 65^
ment qu'il vous plaira. Quant à la subvention de
MM. de Tours, la vérité est qu'il y en a clause en
inon pouvoir, que les sieurs de la Marsillière aussi et
de Maupeou , subdelegués de moi , en avoient en-
tamé quelque chose ; ce qui aurait esté interrom-
peu pour les occasions que vous entendrés mieulx
sur les lieux; mais cela n'empeschera poinct, s'il vous
plaist, que vous n'y mettiés la main à bon escient,
suivant la charge que vous en avés; n'estant mon in-
tention en cest affaire, sinon que sa majesté soit se-
courue et assistée pour son armée estrangere, à quoi
nous avons pensé aulcunement pourvoir; mais nous
avons esté tant et si vivement poursuivis de lettres et
de courriers, qu'il nous a falki envoyer partie des de-
niers. Au reste, monsieur, faictes estât de mon service
que je vous doibs pour l'alliance, et qui vous est acquis
pour vostre vertu. Je vous baise bien humblement les
mains.
XL — ADVIS
Sur V institution cfung enfant que Von veult nourrir
aulx lettres y envojè a madame la princesse d'O-
range y h son instance sur le subject de sonjîls.
L'inclination des enfans peult plus que tout l'art
que l'on y péult apporter, et elle vient de Dieu. Le
soing des pères et mères vient après, qui les apprend
à prier Dieu, et provoquer ses bénédictions, qui leur
choisit aussi quelque précepteur proportionné à la qua-
lité de l'enfant, et à celle qu'on désire qu'il prenne
estant veneu en aage.
MÉJt. DE DurLEs?Is-MoR^'\Y. To:>rK v. 5
66 ADVIS
Pour exemple, qui est ne de la noblesse, qui porte
en soi la qualité des armes, faiilt que le train de ses
estudes tende à mesme fin , à sçavoir qu'elles aiguisent
les armes.
Et pour ce que ceste mesme qualité lui peult don-
ner entrée au conseil des roys et des plus grands, il
fault que ses mesmes estudes tendent à lui faire con-
duire les armes par prudence.
C'est pourquoi il fault que le précepteur de per-
sonnes nées de ceste condition, ait du jugement pour
les y adresser, pour accommoder leurs estudes à leur
nature et vocation, c'est à dire qu'il ne soit pas pédant.
Les mathématiciens tiennent que les arresls qu'ils
donnent sur les nativités des hommes sont modifiés
par leurs qualités. Car au fils d'ung maçon et au fils
d'ung prince nés soubs mesme genèse, ils promettent
mesme chose, à sçavoir grandeur et excellence; mais
qui doibvent estre interprétées par la condition en la-
quelle ils sont nés; sçavoir que 1 ung sera grand archi-
tecte , et l'aultre grand prince.
Le mesme se peult dire de la nourriture, selon les
natures qu'elle rencontre. Le labeur du précepteur
appliqué à divers naturels et diverses vocations, et
proportionné à icelles, produict personnes du tout di-
verses, et c'est pourquoi il gist infiniment en l'élection
d'icelui.
Tant, qu'il y a eu des anciens, curieux, ou plustost
vraiement soigneux de la nourriture de leurs enfans,
qui leur ont choisi leurs nourrices , comme premiers
précepteurs: estant certain que nostre nature corrom-
peue ne peult estre redressée de trop bonne heure , et
relient tousjours soit bien, soit mal, et plustost mal
que bien , ce qu'elle aura le premier appris.
ENVOYÉ A. LA. PRINCESSE D'ORANGE. 67
Le premier vice qui paroist aulx enfans , c'est hypo-
crisie, c'est à dire desguisemeiit de leurs faultes; car
l'homme pesche naturellement, et naturellement a
honte de sa faulte.
C'est pourquoi il n'y a rien si nécessaire que de leur
donner une honneste liberté et privante; soubs celle
là ils descouvrent leur naturel , leurs mauvaises incli-
nations, et on a moyen de les leur reprimer tout doul-
cement. La servitude, subjection et crainte servile les
leur faict cacher, de sorte qu'ils ont prins une habi-
tude, premier qu'on s'en soit peu appercevoir.
La première instruction c'est de craindre Dieu , le
commencement , le milieu et la fin de sapience. En après
leur apprendre à bien faire à ung chncung; defFendre
que l'on ne tienne propos mauvais devant eulx , car
ils s'impriment profondement en cest aage, s'entretenir
au contraire de bons. Sans y penser, ou qu'on y pense,
ils en profictent ; estant tout certain que les enfans
prennent la couleur soit du bien , soit du mal , sans y
penser.
La partie qui se doibt plus exercer en l'enfant, c'est
la mémoire. Car en l'imperfection de son aage, elle est
en sa perfection.
En apprenant à lire, que ce soit sur de bons livres
et utiles, sur les plus mouelleux traictés de la Bible,
sur les préceptes moraulx des anciens. Lors il n'y pense
poinct , et la mémoire les ramentoit quelque temps
après au jugement, qui en faict son profict.
Il y a quelques livres d'histoires et aultres, où il v a
des peintures qui délectent cest aage, l'obligent à lire,
et à en scavoir l'interprétation, et lui fault tourner en
jeu ce qui lui seroit labeur aultrement.
Venant à apprendre les langues, le fault charger an
68 ADVIS
commencement de préceptes, puis le faire venir aulx
livres, sur lesquels il practiquera ceulx qu'il aura ap-
pris, et apprendra par usage les aultres. Comme il sera
ung peu advancé, lui fault faire courre les préceptes
exacts desdictes langues , lesquels il n'eust peu dévo-
rer tous ensemble; et estant faict desjà aulx plus gros-
siers, se rendra capable de ceulx qui lui restoient fort
aisément.
Sortant des rudesses de la langue latine, et prenant
jà plaisir à l'entendre, le faidt faire entrer en celle de
la grecque et ainsi consequemment de Thebraïque. Car
de lui faire digérer les difficultés de deux langues en-
semble, on le confondroit. Mais le plaisir qu'il a d'une
qu'il commence à entendre, lui faict passer les diffi-
cultés de celle qu'il n'entend poinct ; espérant sortir de
l'une non moins que de l'aultre.
Les langues se peuvent apprendre sur les histoires;
et, ce faisant, la mémoire s'exerce doublement en la
chose et en la diction.
Les histoires se peuvent lire de temps en temps par
l'ordre des siècles et des monarchies; et afin que de
bonne heure il commence à concevoir le corps de l'uni-
vers et la suite des temps , est à propos de lui lire une
cosmographie légèrement, et mie chionique comme
celle de Melancthon , et la lui faire puis après practi-
tiquer sur les histoires qu'il lit de temps en temps.
Comme aussi, quand il aura leu la pluspart et les
plus notables histoires selon leur entresuite, lui faire
relire ladicte chronologie pour se les remettre en mé-
moire tout en ung coup.
Le précepteur lui doibt lire ses leçons, et sur icelles
lui faire practiquer la grammaire, la rhétorique, la
dialectique, selon qu'il est peu ou moins advancé en
ENVOYÉ A LA PRINCESSE D'ORANGE. 69
icelles. Car en lisant les livres , dès lors que son aage
s'advance , il fault qu'il passe par ses arts.
Mais il est à propos, parce que les langues sont
longues, que l'enfant comme il commence à entendre
ait ses petites lectures à part, ordonnées par le pré-
cepteur, de quelque livre aisé, oii il s'essaye de soi
niesme; car son esprit s'y plaist d'aultant plus qu'il les
lit plus librement, et s'il y rencontre quelques mots ou
passages qu'il n'entende poinct, qu'il en fasse extrait
pour les demander au précepteur ; et ce n'est pas
ung petit abrégé, ni pour les histoires, ni pour les
langues.
Jusques à quatorze ans est le règne de la mémoire.
Le jugement doibt eslre exercé de là en avant princi-
palement; et pour ce je serois d'advis que jusques à
quatorze ans, ung enfant s'exerrast à apprendre des
langues tout ce qu'il [)Ourroit.
De là en avant, qu'il se contentast de polir celles
qu'il auroit apprises, sans en apprendre aulcune nou-
velle, sinon autant que par la hantise des pays estran-
gers il les acquerroit par usage.
Les mathématiques, j'entends l'arithmétique, géo-
métrie théorique et practique , musique, connoissance
de la sphère et de l'astrolabe , sont encores de cest
aage. L'utilité y est meslee avec le plaisir, mesme si
on l'exerce aulx mesures et en la practique des instru-
mens; ce que j'estime nécessaire, n'y ayant règle plus
certaine pour faire estudier et profîcter les enfans que
de leur en donner l'envie, ni rien pUjs à propos pour
la leur donner que de leur en faire prendre plaisir -
ouitre ce que plustost ils auront practique, et mieulx
ils le scauront à l'advenir quand ils en auront besoin «
'A t>'
yo ADVIS
ou pour la guerre, ou pour nultre usnge, selon Icuf
vocation.
La peinture s'apprend avec plaisir en cest aage et
aulx heures du jeu , si on la commence par choses
aisées , qui attireront après les plus difficiles. Fault
seulement avoir esgard qu'ils ne soient tendres de la
veue.
Il y a quelques livres qui contiennent par chapitres
les noms et phrases de chasque mestier par classes ,
comme d'Adrianus Junius et aultres; et se jouant ung
enfant en apprendra ung chapitre par jour, principa-
lement s'il y en a d'aultres qui lui donnent émulation,
et cela se fera mesme hors les heures de son estude.
Il est nécessaire qu'il sçache ses leçons par cœur,
qu'il les prononce avec asseurance , qu'il traduise sou-
vent d'une langue en l'aultre , qu'il parle latin ordi-
nairement , car c'est le truchement commun ; qu'il
s'exerce en vers et en prose, comme sur les epigrammes
grecques; et comme le jugement lui croistra, qu'il
essaye quelque chose de soi-mesme sur quelque subject
qu'on lui baillera, sauf à aider ses conceptions, et à
lui monstrer, pom^ lui ouvrir l'esprit, ce qui sepourroit
faire de mieulx.
Pour la langue latine , je prise Ciceron , César ,
Saluste. Qu'il apprenne en Tacitus à serrer ses mots,
et ses sentences plus gravement ; en Pline les termes
de toutes choses ; en Seneque les mœurs , avec les
mots; entre les poètes Virgile et Horace. Qu'on neJui
lise jamais rien de sale. S'il s'en rencontre quelque
mot, qu'il n'en entende que la superficie.
Je dis le mesme pour les aucteurs grecs , esquels j'ap-,
prouve Isocrate, Demoslhene, Xenophon, et pour
ENVOYÉ A LA PRINCESSE D'ORANGE. 7 i
les mots et pour les choses. Thucidide après pour
roidir son slile. Et quant aux poètes, Hésiode, Ho-
mère, Theognis , Phocyllides, et semblables se peuvent
apprendre par cœur pour l'issue de table, comme les
Proverbes de Salomon et semblables.
Je reviens à la qualité de celui dont sera question ,
qui pour tout ccst estude ne doibt laisser d'estre nourri
es compagnies conformes à sa naissance et sa voca-
tion, les lettres estans introduictes pour apprivoiser,
et non pas pour estranger les hommes , non pour
esmousser leurs qualités naturelles, mais pour les ai-
guiser.
Et pourtant en destrempant ses estudes avec plaisir
ne lairra d'estre duit aux jeux et exercices de son aage,
et de se polir en iceulx, comme es lettres (encores que
je confesse qu il est malaisé de tenir tel tempérament
en ung enfant, que Tung ne soit à la diminution de
l'atdtre); mais non tant qu'il se rende hebeté d'ung
costé, si tant est qu'il s'aiguise davantage de l'aultre ,
et l'aage puis après supplée à tous les deux.
C'est ce que j'ai pensé de plus propre pour l'aage
dont il est question. Sauf à en dire plus s'il est agréa-
ble, et selon que je profiterai, ou que le subject pro-
fitera de plus en plus.
XII. — LETTRE
De madame la princesse d'Orange a M. Duplessis.
Monsieur , il y a quelque temps que M. de Buzanval
m'envoya ung discours qu'il vous avoit pieu faire faire
de la manière qui a esté teneue en la nourriture de
72 LETTRE DE LA. PRINCESSE D'ORANGE, eic.
Yostre fils. M. de Turenne et ledict sieur de Biizanval,
et infinis aultres m'ont faict ung si bon rapport de la
grande espérance que donne une si belle jeunesse ,
que cela me feit extrêmement désirer de pouvoir faire
eslevcr mon fils à son imitation, et prier M. de Bu-
zanval de vous en escrire comme il feit; dont, mon-
sieur, je vous rends infinies grâces de ce qu'il vous a
pieu en cela me rendre une preuve du soing que vous
avés du fils , dont je sçais que vous avés tant aimé le
père et le grand père. Je garde bien chèrement ce dis-
cours, avec regret que je ne puis commencera le mettre
en practique. Mais nous sommes ici en ung pays si sté-
rile d'hommes propres pour la nourriture d'une jeu-
nesse, que je désespère d'en pouvoir trouver tant que
j'y demeurerai, et malaisément ailleurs, s'il ne vous
plaist, comme je vous en supplie humblement, m'aider
à ung si bon œuvre, et que par vostre moyen j'en puisse
recouvrer quelqu'ung digne d'une telle charge. Aussi,
monsieur, si je suis si heureuse de vous pouvoir faire
service, emploj-és moi, je vous supplie, comme la
personne du monde qui honore le plus vostre vertu ,
et que vous trouvères toujours la plus humble et affec-
tionnée à vous obéir.
Louise de Colligny.
A Mklelbourg, ce . , juillet.
XIII. — ^ DECLARATION
Du clergé de France.
Du 2 1 septembre 1 59 1 .
Les cardinaulx, archevesques et evesques, abbés,
chapistres et aultres ecclésiastiques, convoqués et as-
DECLARATION DU CLKRGÉ DE FRANCE. yS
semblés à Mantes et depuis à Chartres, pour adviser et
pourvoir aulx affaires de l'Eglise ;
A tous les estats, ordres, -villes et peuples catho-
liques de ce royaulme, salut.
L'apostre parlant aulx pasteurs de l'Eglise, Prenez,
dict il, garde à vous , et à tout le trouppeau sur lequel
Dieu vous a establis pour régir et gouverner son Eglise ,
qu'il a acquise par son sang ; ce que recognoissant estre
de nostre debvoir, et de ne souffrir les aines chres-
tiennes qui sont soubs nostre charge, se divertir des
loix et commandemens de Dieu.
Advertis que nostre sainct père Grégoire XIV, à pré-
sent séant, mal informé de Testât des affaires de ce
royaulme et de nos deportemens, auroit, par les prac-
tiques et artifices des ennemis de cest estât, esté per-
suadé d'envoyer quelques moiiitoires , suspensions ,
interdicts et excommunications, tant contre les prélats
et ecclésiastiques que contre les princes, nobles et
peuples de France, qui ne voudroient adhérer à leur
faction et rébellion.
Apres avoir conféré et mûrement délibéré sur le
faict de ladicte bulle, avons recogneu par l'auctorité
de l'Escriture saincte, des saincts décrets, conciles
generaulx , constitutions canoniques et exemples des
saincts pères, dont l'antiquité est pleine, droicts et
libertés de l'Eglise gallicane, desquels nos prédécesseurs
cvesquessesonttousjoursprevaleus et defendeus contre
pareilles entreprises, et par l'impossibilité de l'exécu-
tion de ladicte bulle, pour les inconveniens infinis qui
en suivroient au préjudice et ruyne de nostre relligion ;
Que lesdicts monitoires, interdictions, suspensions
et excommunications sont nulles, tant en la forme
qu'en la matière, injustes et suggérées par les arti-
74 DECLARATION
fices des eslrangers ennemis de la France , et qu'elles
ue nous peuvent lier ni obliger, ni aultres François
catholiques estant en l'obéissance du roy.
Dont nous avons jugé de nostre debvoir et charge
devons advertir; comme par ces présentes, sans en-
tendre rien diminuer de Thonneur et respect deu à
nostre sainct père, vous advertissons , le signifions et
déclarons, afin que les plus infirmes d'entre vous ne
soient circonveneus, abusés ou divertis de leur debvoir
envers leur roy et leurs prélats, et lever en cela tout
scrupule de conscience aux bons catholiques et fidèles
François.
Nous reservant de représenter et faire entendre
à nostre sainct père la justice de nostre cause et sainctes
intentions, et rendre sa saincteté satisfaicte, de la-
quelle nous nous délavons promettre la mesme res-
ponse que feit le pape Alexandre, escrivant ces mots
à l'archevesque de Ravennes : « Nous porterons pa~
« tiemment quand vous n'obeirés à ce qui nous aura
«esté, par mauvaise impression, suggéré et per-
ce suadé. »
Cependant nous admonestons , au nom de Dieu ,
tous ceulx qui font profession d'estre chrestiens , vrais
catholiques et bons François , et particulièrement ceulx
de nostre profession, de joindre leurs vœux et pryeres
aulx nostres , pour impetrer de sa divine bonté qu'il
lui plaise illuminer le cœur de nostre roy , et le reunir
à son Église catholique , apostolique et romaine ,
comme il nous en a donné l'espérance des son advene-
ment à la couronne, et promis, par ses déclarations,
de conserver nostre relligion et les ecclésiastiques en
toutes leurs libertés, auctorités et franchises , et que
nous soyons si heureux de voir l'Église catholique.
DU CLERGÉ DE FRANCE. 7 5
apostolique et romaine, et ce royaulme florir , comme
aiij3aravant , par une bonne et saincte paix. Faict en
îadicte assemblée à Chartres, le 21 du mois de sep-
tembre iSgi.
Et mandé à tous curés ou leurs vicaires publier la
présente déclaration en leurs prosnes et par affiches es
portes d'églises.
XIV. — ^ LETTRE DE M. SERVIN
j4 m. Duplessis.
Du 22 septembre iSgi.
Monsieur , il s'est présenté quelques officiers pour-
•veus d'estats d'offices, à Poictiers et en aultres lieux,
pour se faire recevoir en la court , comme tenant de
la court des aydes ; mais d'autant qu'ils
sont de la relligion , soubs ombre de la clause portée
par l'edict de revocation des edicts de la Ligue
faicls es années 1 5 . . et 1 5 . . , en ces mots : Pour
estre les edicts de pacification exécutés , gardés et
observés inviolablement par tous les pays , etc., comme
ils estoient du vivant du feu roy, et lors de la revo-
cation d'iceulx.
A ceste cause il se trouve de la difficulté, à la-
quelle, pour mon regard, je ne m'arresterois pas; et
si j'estois seul, il en iroit aultrement. Mais je suis em-
porté de deux, et principalement d'ung qui faict le
catholique (i), usque ad superstitionem . Quant à
raultre(2), il dict qu'en sa conscience il estime qu'il
(1) C'étoit l'advocat Seguier.
(2) Le procureur gênerai La Gueste.
76 LETTRE DE M. SERVIN
est du bien du service du roy de temporiser, et ne
recevoir encorcs ceulx de ceste qualité, es officiers
royanlx, jusques à ce qu'il y ait esté pourveu par
le roy.
De ma part, j'ai soubsteneu que nostre roy estant
de la qualité , puisque nous le recognoissons, comme
nous ne pouvons ni ne debvons aultrement, il semble
que c'est s'attaquer à sa majesté de faire difficulté à
ses subjects pourveus par elle. D'ailleurs, qu'il est rai-
sonnable que ceulx qui ont fidèlement servi sa majesté
du temps qu'elle estoit affligée, soient recogneus et
participent aulx honneurs et dignités ; et puisque nous
sommes tous unis soubs la vraye union et obéissance
d'ung mesme prince, idem jus esse debere , peccan-
tihiis quodforlibas.
Davantage, j'ai remonstré qu'il ne fault attendre
que sa majesté soit suppliée , parce que ce soit une
espèce de parti qui se formeroit, ce que nous deb-
vons empesclier comme tous bons subjects et servi-
teurs de sa majesté et de lestât, veu que nostre roy
est seul chef de tous ses subjects. En dernier lieu, j'ai
représenté ung quatriesme poinct fort considérable ,
soubs vostre meilleur advis, qui est, qu'il ne fault
rejetter l'envie, si aulcune y a, sur sa majesté; ne la
contraindre à faire une déclaration , l'esdict estant
assés précis et formel. Joinct qu'il importe que nul,
mesme nos ennemis, ne pense que ceste double se
soit formée pour ne faire cognoistre qu il y ait de la
division entre les serviteurs de sa majesté.
Toute ceste contestation n'a esté qu'en nostre par-
quet, et je n'ai voulleu m'ouvrir en plein parlement ,
jusques à ce que j'aye vostre advis , non que je craigne
ce qu'aulcungs qui me veullent mal, sèment en plu-
A M. DUPLESSÎS. 77
sieurs endroiéts à l'encontre de moi, disant que je suis
suspect aux bons catholiques, religionis nomine. Mais
d'autant que je ne veulx faire de mon seul advis ung
acte si important, que de protester en la face de la
court sur cest article, sans premièrement en avoir
conféré avec vous , que je sçais estre plein d'affection
et de bon jugement, en ce qui concerne le bien du
service de sa majesté et de cest estât. J'attendrai donc
vostre response, vous suppliant tenir sa majesté adver-
tie de ce qui se passe par deçà , où je suis fort em-
pesché par ceulx qui debvroient assister à mes des-
seings, lesquels ne tendent qu'à ce que sa majesté peult
attendre de nous.
Tout ce que j'ai peu obtenir a esté de proposer à la
court la difficulté pour la mettre en délibération sur
ce que j'avois appris que beaucoup de gens de bien
se trouveroient disposés pour la resouldre. Mais enfin
ceulx qui avoient trouvé bon cest expédient n'ont
persisté en leur opinion ; et hier dressèrent une lettre
pour en demander advis à M. le chancelier; et parce
que j'ai veu qu'ils voulloient escrire que je pretendois
faire vuider en parlement ce qui debvoit estre pre-
mièrement sceu par ledict sieur chancelier, j'ai pensé
qu'il ne fauldroit pas designer la lettre avec eux. Nous
n'aurons, à mon advis, aulcune response sur celle de
M. le chancelier. Et vereor ne omnia referantiiv ad
regem ^ quod an expediar^ tu videris , ego an expé-
diât valde.dubilo.
Hier et devant hier, les sieurs président de Brage-
lonne et Hamelot ont esté remis à l'an, suivant l'ar-
rest de règlement. Il y en a d'aullres qui poursuivent
pour rentrer, entre aultres le sieur Peletier, fort sus-
pect aux gens de bien, et qui m'attaque à l'honneur ,
78 LETTRE DE M. SERVIN
sur ce qu'il flict que j'apporte de l'animosité contre
lui. Se cl in ho s ho mines ira s ci non est peccaiuni. Et
comme Tannée passée j'en sortis honorablement contre
le sieur de Verdun, qui m'avoit aussi voulleu attaquer,
au lieu de se purger, j'attends de Dieu et de la court
la mesme justice, bien qu'il y ait eu quelques petites
divisions ; mais elles ne proviennent que de ce qu'il y
en a en la trouppe qui se disent plus prudens, qui
voudroient que l'on feist comme eulx; et d'autant que j
tous nous avons à tendre à mesme but, si nous v mar-
clions par diverses voies, pour les petites buttes, ou
buschettes qui se rencontrent en chemin, nous n'ar-
resterons nostre course.
Pendant que M. de Sancy a esté en ceste ville, je
lui ai communiqué de cest affaire ; non avec toutes
les ouvertures que je vous fais, mais afin de sçavoir
où il inclinoit. Il me dict qu'il parleroit à quelques
ungs de ceulx de la relligion qui estoient ici; ce que
j'ai sceu qu'il a faict ; et qu'il leur a dict comme il
m'avoit faict entendre qu'il diroit, qu'il estoit bon
qu'ils eussent ung peu de patience. J'ai pensé et pour
l'amitié que me faictes ce bien de me porter, et pour
le service que je doibs à sa majesté, vous debvoir
advertir de ce que dessus.
Excusés la longueur de mon discours. Sed in his
optima quoque longissiina.
Comme j'achevois ceste lettre, j'ai receu une lettre
de Niort, par laquelle le lieutenant du siège nous es-
crit que l'on empesche que la messe n'y soit dicte, ..
et ledict lieutenant demande ung arrest de la court.
C'est ung prétexte que prennent ceulx qui escrivent à
M. le chancelier, disant qu'il fault exécuter l'edict pour
la relligion, devant que Ton en puisse demander Texe^
A M. DUPLESSIS. 7g
CLition pour les réceptions de ceulx qui se prétendent,
ou seront y «après pourveus d'offices.
Je ^ous envoyé la copie de la remonstrance que j'ai
faicte sur Fedict; vous verres que je me suis accom-
modé au lieu 011 je parlois,et n'ayant à persuader aulx,
gens de bien catholiques et aulx serviteurs du roy qui
sont de la relligion, que l'edict fust sainct, juste , utile
et nécessaire, j'ai estimé debvoir instruire le plus po-
pulairement que j'ai peu ces gros catholiques qui res-
tent ici, qui ont cncores du vieil levain de supers-
tition, et leur ai rapporté l'auctorité de sainct Martin
et du pape saint Grégoire I" pour combattre Grégoire,
soi disant pape, XIV.
Je vous envoyé aussi des vers latins que j'ai faicts en
me jouant, et attendant que j'aye parachevé le Her-
cules christianus, contra leones romanos. Vous pouvés
avoir des nouvelles de ce que le clersfé a esté à Chartres,
Je vous supplie, si quelques copies de leurs resolutions
vous ont esté envoyées, m'en voulloir faire part, d'au-
tant qu'au lieu de ce que j'ai commencé a escrire deux
Tr^ictés contre le pape, pour nionstrer qu'il n'a aulcung
pouvoir sur le temporel des princes mesmes en France,
et pour limiter son pretendeu pouvoir au spirituel , et
le réduire ad legilimum modiim , je pourrai changer
l'inscription, et faire cognoistre la mesme chose contre
les menées de ceulx qui ont parlé en l'assemblée dudict
clergé aultrement qu'ils ne debvoient. Je ne m'estois ja-
mais promis grand fruict de ceste assemblée.
Dieu fera la grâce au roy, que par la force de sa
sagesse, veritas omnes sanabit. Cependant je supplie
sa divine bonté vous donner, etc.
8o LETTRE DE M. DUPLESSIS
XV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M, Servin.
Du 24 septembre i5gi.
Monsieur, pour response aulx, vostres je vous
dirai que je ne vois poinct qu'il y ait subject de re-
jetter des estats ceulx de la relligion, soubs ombre de
ces mots, comme ils esloient du vivant du feu roj ;
car, oultre les exemples qu'il y a de plusieurs receus en
diverses charges, il est évident que, de droict, par l'edict
ils y estoient admissibles, encores que, de faict, par la
contravention des exécuteurs d'icelui, la pluspart en
feussent refusés, et la rigueur du temps et des per- 1
sonnes d'alors ne leur peult ni doibt prejudicier à pré-
sent. En après il est certain et évident que l'intention
du roy et de son conseil a esté de faire par cest edict
dernier quelque chose pour le contentement de ceulx
de la relligion, desquels au contraire la condition seroit
pire que pendant la trefve , par laquelle les officiers de
la relligion estoient receus es villes , places et pro-
vinces qui avoient prins les armes soubs le roy à pre- 1
sent. Et ne vois poinct quel privilège aultre que celui là
leur soit octroyé ni acquis par cest edict; oultre ce
que c'est comme une note à sa majesté et ung subject
aulx ennemis d'alléguer exception contre sa royaulté , |
si elle est teneue telle es offices de son royaulme, contre
ceux qui font mesme profession. S'ils en sont excleus,
soit par arrests prononcés , soit par simples refus , ils
se retireront vers sa majesté, pour sur ce déclarer sa
vollonté, et ne peuvent aultrement. Je vous dirai plus,
qu'il seroit trouve estrange par tous les plus certains
A M SERVIN. 8l
alliés de sa majesté, qu'elle decicfast ceste question
aultrement qu'à leur profict , soit pour l'interest de
sa majesté , soit pour la justice de la chose. A quoi
j'adjousterai ce que vous dictes mesmes que cela pour-
roit donner lieu à une requeste de mauvais exemple.
Et j'estimerai tousjours plus à- propos que les princes
préviennent les plainctes de leurs subjects, que de
les recevoir. Quant à temporiser, il y a deux ans que
nous sommes là dessus; et je ne vois poinct que
le temps fasse les hommes plus traictables. Au con-
traire, chaque jour y apporte son animosité et sa ma-
lice; tellement que j'estime que le différend ne peult
estre trop tost vuidé. Bien serois je de vostre advis que
messieurs de la court, qui en recognoissent l'équité,
le finissent, plustost que de le renvoyer à sa majesté
pour la charger de nouvelle envie , encores que la
pluspart de ceulx qui s'en offenseront, ne seront ja-
mais satisfaicts que par sa ruyne-, ou par nostre exter-
mination. En somme, croyez, monsieur, que cela ne
peult demeurer ainsi ; et que nul ne sçauroit empes-
cher que quelqu'ung ne fasse pour son interest inter-
préter la clause, laquelle peult estre ne le peult estre
plus à propos que maintenant. Quant à ce qu'on dict
qu'il fault faire exécuter l'edict en ce qui est de la rel-
ligion premier, et qu'on allègue le faict de Niort (i),
premièrement, je ne vois poinct qu'ung article doibve
empescher l'aultre; secondement, le faict de la relli-
gion doibt estre exécuté des deux costés, au profict
de l'ung et de l'aultre, et, par ainsi, l'ung entre en
caution pour l'aultre. Au contraire , si on voit que
d'abordée on excleue ceulx de la relligion des charges.
(i) Où on empeschoit que Ja messe ne se dist.
MÉM. DE Di;rtEssis-MoKSAY. Tome v.
82 LETTRE DE M. DUPLESSIS
on s'arrestera là dessus tout court , voyant que c'est
comme Tanéantissement total de l'edict , auquel ceulx
de la relligion n'ont presque aultre profict pour le
présent que cestui là. Considérés aussi que vous leur
ostés les chambres, qui leur faisoient justice en corps;
et ne leur pouvés moins laisser qu'une entrée aux of-
fices de justice, afin que pour le moins ils aient quel-
qu'ung aulx compagnies, qui tienne la main qu'injus-
tice ne leur soit faicte. C'est, monsieur, ce que je vous
puis dire succinctement sur ce faict. Au reste, je lirai
vostre remonstrance , et vous remercie de vos beaulx
vers; et si je receois les mémoires de ce qui s^est faict
en l'assemblée (i), je ne fauldrai de les vous envoyer.
Je n'en ai que quelques extraicts , tels que vous aurés
peu voir premier que moi. J'aurois à vous dire là des-
sus plusieurs choses , mais qui excederoient la mesure
d'une lettre. Je salue, etc.
XVI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le vicomte de Tureîine.
Du 3 octobre iSgi.
Monsieur, ceste lettre sera longue; mais prenés la
peine de la bien considérer. Je loue Dieu de vostre ar-
rivée. J'ai bien eu de la peine à saulver ce peu que
nous avons ; car il y avoit desseing de le perdre. Enfin
je pense vous mener soixante mille escus, et partirai
sans faillir le vingtiesme d'octobre. Mais faictes, s'il
vous plaist, que ce porteur me soit tost renvoyé; car
j'ai besoing d'une déclaration pour les aides, qui nous
(i) Du clergé à Chartres.
A M LE VICOMTE DE TURENNE. 83
engendrera dix mille escus presens, et vingt mille ci
après; et povn^ la sceller, escrivés à monsieur le chan-
celier de bonne encre. Je vous advise que l'on veult
affecter l'aliénation du domaine de Normandie pour
les debtes des Suisses. C'est la province la plus riche
et la plus nette; où le domaine est le plus grand , et
se peult vendre sans rembourser, parce que les ventes
n'en ont esté qu'imaginaires. Faictes qu'elle soit ré-
servée pour l'armée , et vous en tirerés cent mille escus
dans peu de temps. On vous parlera de l'edict de vente
perpétuelle du domaine au denier vingt cinq. Il a esté
refusé en ceste court , et avec de grandes raisons. Quand
il seroit accepté, il seroit inutile; car, à mesme prix ,
on acheptera des particuliers plus commodément, plus
seurement. Je vous dis ceci ; car ce n'est assés d'avoir
esclos une armée : il la fault entretenir, ou pour for-
mer la paix, ou pour finir la guerre. Je vous supplie
très humblement, monsieur, de bien considérer les
mémoires que j'envoie à sa majesté, non m'ingerant,
mais requis par les principaulx de sa court de parle-
ment, et par ses meilleurs serviteurs. C'est le fonde-
ment d'ung parti : plusieurs y apportent leur pierre.
Faulte de meilleures estoffes , il s'édifie de despits, de
jalousies, de folles ambitions, de mauvais zèles, de
consciences infirmes, de foibles courages, de lassitudes
de guerre, etc. Foiblesses de corps ou d'esprits, qui
ne peuvent consister devant prudence , ni vertu , et
ne peuvent croistre que par les trop négliger. Je vous
en ouvre les remèdes avec ladvis des plus sages; et les
conséquences iront plus loing que les propositions.
Pensés que ce n'est pas peu d'opposer ung parlement à
l'audace du clergé ; d'apprendre qu'on se peult passer
de pape en France; comme celui dans Tacite, qui pre-
84 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
mier apprit aulx Romains qu'iing empereur se pouvoit
faire ailleurs qu'à Rome. Surtout que sa majesté soit
instruite, sans qu'on sçaclie d'où, et que mes Mémoires
ne passent par aultres yeulx ni mains.
Je vous dis avec regret que jamais on n'a voulleu
que l'arrest contre le pape ait esté publié à Chartres ;
que la chambre d'Auvergne se compose du rebut de
la court , et à fraude. Si elle a lieu , je vous recom-
mande fort particulièrement le sieur de Vergnes, pré-
sident des aides à Montferrand , pour procureur du
roy, comme j'en escris à sa majesté; et ce sont ceulx,
comme vous sçavez , qui remuent les aultres ou à
bien ou à mal. Particulièrement je sçais qu'il vous est
fort serviteur; et je vous supplie de me respondre sur
ccst article. On nous rejette des estats, comme de
coustume , et se fonde on , comme verres par la copie
d'une mienne lettre, sur une sophisterie. Je n'estime-
rois à propos que sa majesté en feist une déclaration
interprétative ; car il sembleroit que ce feust quelque
chose de nouveau en nostre faveur; mais bien qu'elle
feist clairement entendre son intention par l'envoi de
quelque honneste homme et de qualité à M. le premier
président, ses advocat et procureur, et aulx plus con-
fîdens de la court ; lesquels alors , à mon advis , passe-
ront oultre sans aultre déclaration , ni interprétation.
Monsieur, continués moi vostre bonne grâce, et me
faictes incontinent renvoyer le porteur, afin que je
puisse donner quelque résolution à ces messieurs du
parlement, de ce qu'ils ont à faire; car ils désirent sça-
voir si sa majesté approuvera leur vertueuse resolu-
tion. Je vous baise bien humblement les mains , et
supplie le Créateur, etc.
De Tours.
DESPESCHE ENVOYEE DE TOURS AU ROY. 85
XVII. — DESPESCHE
Envojee de Tours par M. Duplessis au roj.
Du 3 octobre i5gi.
Tocs les bons serviteurs du roy ont tousjours estimé
que l'assemblée du clergé re produiroit rien pour son
service, et eussent désiré que le mal en eust esté plus-
tost preveneu par ung refus, que d'estre en peine au-
jourd'hui de courir après les remèdes.
Toutesfois ils considèrent que la prudence de sa
majesté doibt avoir veu plus loing que leur affection; et
que certains maulx s'accordent pour en éviter de plus
grands, qui doibvent estre réputés et utiles et justes,
entant que nécessaires.
Tant y a que les articles qu'elle a produicts sont
ceulx qui ensuivent :
« I. Que l'excommunication du pape sera réputée
« nulle, et le pape non recogneu en icelle. »
A sçavoir parce que les ecclésiastiques estoient ex-
communiés, et y avoient interest, au lieu que les sécu-
liers n'estoient que simplement admonestés.
« 1. Que le roy sera supplié permettre que ladicte
« assemblée escrive au pape et envoyé devers lui. »
Et de ce pas les députés ont esté nommés au pré-
judice de l'arrest de la court, qui a deffendeu d'aller
ou envoyer à Rome, et qui doibt obliger non moins
les ecclésiastiques que les laïcs et séculiers; ce qui met
les subjects du roy en double de son auctorité, et lee;
86 DESPESCHE ENVOYEE DE TOURS
consciences des catholiques en trouble pour la diver-
sité et contrariété des jugemens.
« 3. Que cependant l'ordre que ron--debvoit establir
« pour la provision des bénéfices surseoira. »
Au lieu que c'estoit le seul poinct auquel ils deb-
voient avoir vacqué, selon la permission du roy, faicte
seulement à ceste fin, et présupposer, selon l'arrest de
la court, que le pape n'avoit plus pour ce regard de
puissance en France.
« 4- Que la court de parlement sera interdicte , et ne
« pourra cognoistre d'aulcungs différends, ni se mesler
« de ce qui en pourra dépendre. »
Qui est oster l'auctorité de tout temps attribuée à
la court de cognoistre seule et privativement à tous
aultres des différends entre le pape et le roy, la puis-
sance par lui prestendeue et les privilèges du royaulme;
c'est à dire non seulement abolir ce qu'il a ordonné
pour la manutention de l'auctorité du roy par son ar-
rest, mais tout ce qu'il pourra faire et ordonner sur ce
mesme subject à l'advenir.
« 5. Que le roy sera supplié de se faire catholique et
« de se faire instruire. »
Et c'est pour ce seul article que tous les precedens
sont faicts, à sçavoir, à ce que sa majesté ne leur sa-
tisfaisant en ce poinct, il n'y ait plus de parlement qui
puisse dire qu'on est teneu d'obéir à son prince non-
obstant le prétexte d'heresie; suivant quoi aussi a esté
passé plus avant par quelques ungs en ladicte assem-
blée, qu'il falloit sommer sa majesté de se faire catho-
lique; à faulte de ce faire, qu'on ne la pouvoit plus ser-
vir en bonne conscience. Qui est le vrai fondement de
AU ROT. 87
ceste chimère prestendeue de tiers parti; qui ne sub-
siste à la vérité qu'en la fantaisie des hommes jus-
ques aujourd'hui, et qui toutesfois ne doibt estre mes-
prisé, parce que la fantaisie seule opère aulcunefois
quelque chose.
« 6. Que le roy sera supplié trouver bon que ladicte
« assemblée du clergé s'entremette de faire la paix. »
Comme si le roy n'avoit poinct assés de soing du
repos de soi et de son peuple pour ert perdre l'occa-
sion, qui est pour applaudir à ceulx qui sont malades
de la maladie assés commune de lassitude de guerre;
comme si sa majesté n'avoit pas tousjours dict que,
pour ung pas qu'on feroit vers lui pour la paix, il en
feroit quattre; comme si MM. les officiers de la cou-
ronne et conseillers d'estat qui sont près de lui n'eu
estoient pas capables; comme si mesme le seul clergé,
qui souffre le moins, y avoit interest, et non la no-
blesse qui y espand son sang et le tiers estât qui en est
espuisé. Mais le but en est tout évident, qu'ils en
veullent estre arbitres pour reunir tous les catholiqwes,
en tant qu'ils pourront, soubs ung mesmes prétexte,
pour faire force à sa majesté en sa relligion quand bon
leur semblera. Cela présuppose aussi des practiques
et intelligences avec l'ennemi non supportables. S'il
n'y en a poinct, qu'y sçavent ils plus que les aultres? ou
bien s'ils y sçavent quelque chose de plus , que ne les
rapportent ils devant sa majesté pour en tirer le fruict,
mesme veu qu'ils ont assés d'accès à sa personne, veu
qu'ils sont aulcungs d'entre eulx des principaulx de
son conseil?
Est à adjouster que, pendant ceste assemblée, l'arrest
de MM. de la court de parlement n'a peu estre publié
88 DESPESCHE ENVOYEE DE TOURS
à Chartres , tleffendeu au contraire au lieutenant gênerai
de ce faire, dont la court'de parlement se plaint d'au-
tant plus que c'estoit là principalement qu'il debvoit
estre faict en la face de son conseil.
Que pour la conclusion de ces articles, d'autant
que les voix des serviteurs du roy contrepesoient,
pour les faire emporter par le nombre on a accepté
pour voix les procurations de plusieurs absens , dont
tel a produict jusques à six et sept ; comme ainsi soit
toutesfois qu'en telles assemblées , esquelles il fault
apprendre les ungs des aultres, procurations ne peu-
vent avoir lieu; estant tout certain qu'il y est question
d'une délibération commune, en laquelle l'ung amende
son opinion par celle de son compagnon , au lieu
que la procuration muette ne peult enseigner ni estre
instruite.
Sur ce que l'arrest de la cour feut allégué, feut dict
qu'on ne le mettoit poinct en considération , et qu'il
y en avoit 26 hérétiques. Et toutesfois le parlement
est composé mesme de plusieurs conseillers clercs ;
feut diot que les chanoines de Sainct Martin de Tours
avoient député ung hérétique , parce qu'ils avoient
envoyé M. de Sainct Fuscian, conseiller clerc, frère
de feu M. d'Espesses , chanoine de Nostre Dame de
Paris.
Et a depuis esté escrit par toutes les diocèses et par
tous les diocésains aulx curés de leur estendeue ; qu'ils
louent Dieu du bon progrès de ceste assemblée, que
l'esprit de Dieu y a présidé pour la manutention de
lEglise cathoHque, apostolique et romaine; les articles
susdicts envoyés partout , qui travaillent plusieurs
consciences , distraient les cœurs de l'obéissance , à
laquelle ils estoient resoleus, et révoquent ce qui doibt
AU ROY. 89
estre indubitable, que le ro)- est de par Dieu et ne tient
rien du pape.
Oultre ce que le parlement de Rennes, qui a con-
cleu que remonstrances seroient falotes au pape, se
confirmera en son opinion, celui de Bordeaux s'opi-
niastrera peult estre à pis, se voyant fomenté de l'auc-
torité de cette pretendeue assemblée , au lieu que par
les loix du royauime , jamais il n'y a eu que le parle-
ment de Paris qui ait cogneu entre le roy et le pape,
les aullres estant teneus d'acquiescer à ce qu'il en or-
donne ; jamais aultre que le procureur gênerai en ice-
lui, receu partie contre le pape.
Voyant ces absurdités , et prévoyant les inconve-
niens pour le service de sa majesté, et estant adverti
des mouvemens qu'ils engendroient en l'esprit de tous
les bons serviteurs du roy, j'ai faict présenter à Tours
à messieurs le premier président d'Emery et gens du
roy , le Mémoire ci dessous conteneu, par les mains de
M. de la Marsilïiere.
u La court de parlement de Paris a de tout temps
telle force en ce royauime, que l'auctorité du prince
semble résider en elle ; les trois estats du royauime
mesmes sont tousjours teneus et obligés à ses arrests.
« Moyennant ceste auctorité , elle a aussi mainte-
neu Testât contre les usurpations et entreprises, tant
des subjects que des voisins, particulièrement contre
la violence des papes, qui, sous divers prétextes , ont
vouleu envahir ses libertés.
« Tellement que cest e^tat est presque seul eschappé
par tant de siècles de tels attentats et entreprises ; les
aultres y ont succombé enfin, qui plus, qui moins,
90 DESPESCHE ENVOYEE DE TOURS
pourn'estre munis contre l'audace, d'un pareil appui
de prudence et justice.
« Celle qui réside aujourd'hui à Tours, quand elle
n'auroit succédé à ceste auctorité , comme elle faict
la semble avoir et acquis , et mérité deuement par
ses deportemens ; ce corps ayant presque seul reteneu
cet estât au respect de son prince, obligé par là à
maintenir sa dignité, pour conserver la sienne, les
membres chacung en soi estant recommandables pour
avoir tout postposé à leur debvoir , mesme leur propre
vie , en une révolte si universelle.
« Ce parlement en somme a conservé en soi la di-
gnité royale en France, tellement que nostre roy estant
personnellement occupé es exécutions des armes, si
quelqu'ung a à chercher sa majesté essentielle en quel-
que lieu, il ne la peult rencontrer qu'en ceste com-
pagnie.
« Qui deffend la réputation du roy contre ses enne-
mis, qui les faict punir comme rebelles, qui faict jus-
tice à ses bons subjects , qui faict reluire sa dignité
entre les estrangers ; qui donne au reste force à ses loix
en son royaulme, telle que qui veult diminuer de son
auctorité, ne le peult proprement faire, sans se rendre
criminel de majesté diminuée, sans rabattre de l'aucto-
rité du roy et dignité de son estât.
« Ceste court , selon sa gravité , a donné ung arrest
contre Grégoire pretendeu pape, a annullé son excom-
munication, l'a déclaré schismatique, ordonné que sa
bulle feust bruslee , desfendeu sur peine de crime de
leze majesté de s'adresser plus à lui. Nul ne doubte
qu'elle ne l'ait faict competemment, et selon sa juris-
diction; car soubs Philippe Auguste, Phihppe le Bel,
AU ROY. 91
Charles V, VI et VII, Louis XII, ea pareilles matières,
ont esté donnés pareils arrests, et par ces mesmes juges.
« Elle ne faict donc rien de nouveau , et n'entre-
prend rien qui ne soit sien , et ne se trouvera poinct
qu'alors, ni corps de clergé, ni aultre auctorité ait
contesté ceste puissance ; la Sorbonne en pareil cas ne
pouvant rien donner que ses advis , au lieu que la court
tranche d'arrest et d'ordonnance.
(( Maintenant ceste assemblée de Chartres , depuis
ung arrest si solennel , articule au contraire , a re-
cours au pape contre les mots exprès de l'arrest, et
veult oster toute cognoissance à messieurs de la court ,
et c'est à dire, entant qu'elle peult, au roy mesmes,
mesprise la peine et note de rébellion y adjoustee. C'est
chose non soustenable , selon les droicts du royaulrae ,
et aussi peult supportable par les incoiiveniens qui
s'en ensuivent.
(( Ceste assemblée n'a droict, et n'eut jamais de déci-
der telles matières , et ne le peult avoir , qu'entant que
le roy les lui auroit expressément commises ; encores y
auroit il fort à disputer , si sa majesté les lui pourroit
ou debvroit commettre au préjudice de l'auctorité de
sa court de parlement, et veu la partialité qu'ils y ap-
porteroient évidemment , ayans serment au pape contre
lequel il s'agit.
« Or , n'a elle eu consentement du roy , que pour traic-
ter de l'ordre qui auroit à estre teneu pour la provision
des bénéfices, présupposant sa majesté l'arrest donné
par sa court de parlement contre le pretendeu pape ,
qui lui oste toute auctorité d'en disposer en France , et
pourtant elle l'a deu aussi présupposer.
(c Au contraire , elle remet en question ce qui est
décidé par l'arrest , mal et incompetemment donné , s'in-
92 DESPESCHE ENVOYEE DE TOURS
gère en ce dont elle n'a poinct de charge, et surseoit
de parler de la provision des bénéfices qui estoit le seul
poinct dont sa majesté lavoit auctorisee de donner
advis.
u D'ailleurs il est évident que tout mespris de jus-
tice engendre de grands inconveniens en ung estât;
mais ils croissent évidemment selon la qualité , tant de
ceulx qui sont mesprisés , que de ceulx qui mesprisent ,
comme il se voit apertement au cas présent.
« Le mespris d'ung particulier à l'endroict d'ung
juge subalterne, d'ung sergent mesmes , a esté exem-
plairement puni. Quand une partie de Testât, ung des
principaulx membres d'icelui , mesprise la justice , plus
il est périlleux, et moins il est à supporter, et plus il
est punissable ; mais surtout quand c'est à l'endroict
d'une justice souveraine, non de l'image du roy seule-
ment , mais de sa majesté , et comme de son essence
propre ; car celle là une fois mesprisee , qui restera plus
pour faire justice à la justice ?
« Adjoustés encore que ce mespris croist selon l'im-
portance de la loi , et la griefveté de la peine mesprisee.
La loi , comme en ce cas qu'il est question de l'auctorité
que le pape usurpe sur Testât de ce royaulme , la per-
sonne du prince , les âmes mesmes de son peuple. La
peine , qui ne peult estre ni plus grande , ni avec plus
de péril contemnee, que celle qui est apposée à cest
arrest ; quand nous ne ferons poinct de cas d'estre te-
neus pour rebelles , c'est à dire parricides à l'endroict
de nostre roy , de nostre estât , de nostre patrie.
« S'il est tolleré à une assemblée du clergé de tenir
pour nul ung arrest si solemnel d'une court souveraine, et
de la court des pairs de France ; s'il lui est permis de con-
trebattre son auctorité , et de se soustraire de sa puis-
AU ROY. 93
sance, pourquoi moins la noblesse fera elle son assem-
blée pour s'en dispenser en son interest , lorsque sa
majesté par quelque edict vérifié en sa court , la con-
viera à monter à cheval, pour la deffense de Testât?
Pourquoi moins le peuple , quand le roy lui imposera
des deniers, pour la nécessité de ses affaires?
« Par ainsi chacung des trois estats se fera droict soi
mesme, au lieu que le parlement faisoit droict à tous,
et les tenoit tous trois obligés à ses arrests, comme
le juge souverain de tout Testât. Chacung à son tour
contemnera les lois et les edicts du roy ; la majesté
du roy unie en sa court de parlement , sera dissipée
en ces distractions, et n'y aura plus ni loi ni arrest qui
ne reçoive exception telle que Tinterest d'ung chacung
lui mettra en la teste.
« Aussi de ce mesme esprit requièrent ils que le
clergé s'entremette de faire la paix, pour n'entrepren-
dre pas seulement sur le parlement , mais sur le roy
et son conseil d'estat , comme si sa majesté n'en estoit
pas suffisant arbitre; comme si MM. les officiers de la
couronne , et grands personnages de son conseil n'en
estoient pas capables. Chose non jamais practiquee ,
ni en ce royaulme, ni ailleurs.
« En eschange de quoi seroit plus à propos de les
requérir de ne se mesler poinct ni de Testât, ni de
la guerre, qu'entant qu'ils ont cet honneur aulcungs
d'entrer au conseil de sa majesté; de ne traicter en
leurs conférences que du service divin , et du deu de
leurs vocations, sans s'ingérer en ce qui est de la
personne du roy, de Tauctorité de sa justice, de sa
dignité, de son conseil.
« Messieurs de la court sçauront trop mieplx juger de
la conséquence de cest affaire, et me suffit d'avoir
94 DESPESCHE ENVOYEE DE TOURS
touché les inconvénients plus palpables, et que cha-
cung y remarquera à la première rencontre; et comme
ils en verront mieulx les maulx; aussi, sans doubte, y
sçauront ils pourveoir de remèdes.
« Mais il semble qu'il ne peult estre plus doulx que
de casser et annuUer tout ce qu'ils ont faict en ladicte
assemblée , comme faict sans charge , vocation ni puis-
sance, et surtout contre les loix , droicts et coustumes
de ce royaulme, »
Fin du Mémoire présenté a MM. de la court.
Lesquels ayans icelui veu , l'ayans approuvé , et
m'en ayans remercié, m'ont pryé de venir jusques en
ce lieu , pour conférer ensemble sur icelui , et re-
souldre des remèdes. Ce que nous avons faict. Et les
ai trouvés resoleus de deffendre leur arrest à toutes ^
fins lorsqu'il sera besoing , comme sainct, juste et
légitime, s'attendans d'y estre auctorisés et mainte-
neus par sa majesté, et désireux qu'elle soit instruicte
de l'importance de ce faict , et qu'elle le repute tel
qu'en soi il est. Sur quoi ont aussi voulleu , afin que sa
majesté ne feust preveneue par l'arrivée des députés
de ladicte assemblée, que je lui fisse ladicte depesche,
à eulx communicquee par le porteur exprès.
Sont doncq d'advis que sa majesté' mené en lon-
gueur lesdicts députés le plus long temps qu'elle
pourra , comme elle en a assés d'occasion par les ur-
gentes affaires de la guerre.
Lorsqu'elle verra ne se pouvoir plus eschapper de
l'importunité de leurs poursuites , lesquelles peult estre
seront d'autant plus malaisées à s'en deffaire, qu'ils
ont faict choix exprès de M. de Beauvais , qu'ils pen-
sent estre'en bonhe opinion envers sa majesté; que
AU ROY. ^ 95
sadicte majesté responde qu'elle trouve ce faict per-
plex, à cause de la contrariété qui est entre l'arrest
de sa court de parlement, voire de trois courts, et
le résultat de ladicte assemblée; lesdicts arrests pro-
nonçans rébellion contre ceulx qui s'adresseront à
Rome; et ledict résultat tendant à le requérir de leur
permettre d'y envoyer. Que cest affaire mérite d'estre
délibéré meurement en une bonne et pleine assemblée
de son conseil, pour ne faire rien mal à propos.
Et j'en vois qui adjoustent à cest advis, que sa
majesté die alors en vouUoir avoir advis de ses ad-
vocat et procureur en sa court de parlement de Paris,
transférée à Tours, et leur en faire commandement
par lettres patentes , comme en tel cas est accoustu-
mé; avec lesquels j'ai communiqué, et lesquels sçau-
ront bien les tenir en baleine, pour faire évaporer
tout ce venin avec le temps.
C'est la charge que j'ai eu des dessusdicts sieurs ,
et des plus confidens serviteurs de sa majesté sur cest
article , en conformité duquel, mais briefvement , M. le
premier président escrit à sa majesté , à laquelle j'en
envoie d'aultres de pareil subject.
Ung aultre article les met en peine, qui n'est pas
aussi hors de ce subject. Les provinces de Lionnois,
Forest, Beaujolois, Auvergne, Borbonnois, requièrent
sa majesté de leur accorder une chambre de justice ,
pour résidera Moulins ou Clermont; et en proposent
des raisons, dont la principale est, faulte de justice,
de laquelle sa majesté est débiteur à tous ses subjects;
et est à croire que ceste réquisition se faict avec occa-
sion et sans fraude.
Là dessus ladicte chambre leur a esté accordée ;
96 DESPESCHE ENVOYEE DE TOURS
mais composée pour la pluspart de personnes très
suspectes, rejettees de ce parlement pour avoir parti-
cipé à la Ligue, et adhérantes évidemment aulx pro-
positions de ladicte assemblée. Messieurs de la court
supplient sa majesté de considérer que c'est autel
contre autel ; ung parlement qui se dressera contre ung
aultre; qui auctorisera ce qu'ils aboliront, abolira ce
qu'ils aucloriseront , quand ce ne seroit qu'en haine
d'avoir esté rejettes par icelui. Remonstrent à sa ma-
jesté si la diversité des arrests de divers parlemens in-
commode son service, que fera la contrariété, et non
seulement d'advis, mais d'esprits? Que desja, comme
si l'air parloit de soi mesme, ceste chambre est appel-
lee la chambre du tiers parti , etc. Que ceulx qui la
leur reconnnandent leur dient que ce leur sera ung
moyen de se descharger de ceulx qui les importunent,
au heu qu'il seroit plus tollerable de les recevoir ici,
où ils seroient contrebatteus de plusieurs gens de bien ;
que de les establir là où ils domineront sans con-
tredict , etc.
A ceste occasion, supplient sa majesté de meure-
ment considérer si ladicte chambre est nécessaire ou
non; si elle est vraiement requise de ses subjects,
pour quelles causes, et s'il ne leur peult astre subveneu
par quelque aultre moyen. Et ce pour ne se haster poinct ,
ains commander que les despeches en soient sursises.
Et nonobstant, en cas que la nécessité y soit,
trouvent à propos que sa majesté, comme en pareil
cas est accoustumé, face envoyer une chambre de ce
parlement pour résider là cinq ou six mois au plus ;
la compose de personnes bien cogneues , et surtout
y face choix de président, advocat et procureur du roy,
AU ROY. qrj
tout à sa dévotion , et hors de toute exception ; au lieu
que ceux qu'on nomme, sont ou clairement ou sour-
flement affectionnés à ce qui lui est contraire.
XVIII. -^ARTICLES ARRESTÉS
Par nous soubssîgnès commis et députés par le roy
ai^ec M. de Dampmartin, colonnel de quinze cens
rejstres estans au service de sa majesté.
Le 21 octobre 1691.
Ledict sieur colonnel, tant pour lui que pour ses
capitaines, reystres, maisîres et lieutenans, ayans sup-
plié sa majesté se contenter du service qu'ils lui ont
faict depuis vingt trois mois en ça, qu'ils sont entrés en
son royaulme, sa majesté aura agréable le service qu'ils
lui ont faict en son armée, et que leur licentiement
soit faict, et, pour ce faire, leur fera donner personne
de qualité pour les conduire à la frontière en toute
seureté, selon leur capitulation;
Que le compte gênerai de leur service sera arresté
jusques au 7 novembre prochain, auquel finit le vingt
troisiesme mois de leurdict service , sans y comprendre
le mois de retour ;
Et où ils séjourneront plus en ce royaulme que le-
dict jour 7 de novembre prochain, en attendant les
sommes de deniers qu'on leur promet fournir ci après
comptant, pour leurdict licentiement, ils demeurerontà
la solde du roy pour en estre payés sur les vieulx rolles,
et selon la capitulation, dont le débet sera augmenté
en rabattant les vivres qui leur auront esté fournis,
MÉM. UE DliPI.ESSîS-MoKNAY. ToME V. /^
Ç)8 ARTICLES ARRESTÉS
lesquels seront taxés par le commissaire que sa majesté
commettra à cest effect ;
Et en attendant que les deniers qu'on leur doibt
fournir comptans pour leur licentiement s'amassent,
sa majesté sera suppliée de leur donner une ville pro-
che de Chaalons, ou les f'aulxbourgs de ladicte ville,
où ils puissent estre logés en seureté , auquel lieu leur
sera baillé toute provision nécessaire , à prix raison-
nable, qui sera faict par les commissaires.
Moyennant ce que dessus et faisant ledict licentie-
ment, lesdicts soubssignés promettent au nom du roy
de leur faire payer les deniers comptans qui leur sont ci
dessus promis, en la ville de Chaalons, ung mois de
solde, à sçavoir présentement comptant, la somme de
dix mille escus, et le surplus dans le onziesme jour de
novembre prochain ;
Auquel jour leur sera payé le mois de retour en
monnoie d'Allemaigne, en ladicte ville de Chaalons,
selon qu'il est porté par la capitulation.
Oultre ce, sera baillé audict sieur colonnel, tant
pour lui que capitaines et reytz-maistres , sur estant
moins de ce qui leur est deu pour le service qu'ils ont
faict , assignation par mandement du trésorier de Tes-
pargne, de la somme de cinquante mille escus sur les
receptes générales de Paris, transféré à Senlis, Rouen,
Caen, Champaigne et Poictiers, des deniers de ce pré-
sent quartier d'octobre , payable ladicte somme dans
la fin du mois de décembre prochain.
Promettent lesdicts sieurs députés, au nom de sa- ,
dicte majesté, faire tenir les deniers de ladicte assigna-
tion et les faire conduire , aulx despens de sadicte ma-
jesté, en la ville de Langres, en laquelle ledict sieur
colonnel sera teneu envoyer prendre et recevoir la-
AVEC M. DE DAMPMARTIN. 99
dicte somme de cinquante mille escus, et de là sa majesté
baillera escorte pour icelle faire conduire en la ville de
Montbeliart.
Plus, leur sera baillé le parfaict de la solde de
quattre mois, compris les susdicts cinquante mille escus
d'assignation et dix mille escus fournis complans, oultre
le mois de retour, dans lesdicts jours dernier décem-
bre, si faire se peult.
Et pour le surplus qui se trouvera leur estre deu
par la fin et arrest dudict con)pte, desduction faicte
des vivres qui leur ont esté ci devant fournis, tant à
Langres qu'ailleurs, lui en sera passé obligation par
lesdicts députés, au nom de sadicte majesté, payables
aulx termes qui seront arrestés par ledict sieur colon-
nel avec sadicte majesté, lesquelles obligations seront
ratifiées par sa majesté et scellées du grand sceau.
Promettent lesdicts sieurs députés faire ratifier et
avoir agréable à sadicte majesté le conteneu de tout ce
que dessus , et de le faire observer.
Faict et arresté par noussoubssignés, à Gbaalons, le
2T d'octobre, l'an 1591 ; signé Petremont, Sublet et
Dampmartin; et au bas, soubs ladicte signature,
est escrit soubs protestation de ce qui s'ensuit, d'une
part; et plus bas est encores escrit ce qui s'ensuit : que
si nous faisons séjour en attendant le payement, oultre
et par dessus le 7 novembre prochain, que ledict jour
nous sera payé comptant en la ville de Gbaalons, ra-
battant les vivres qui nous seront lors fournis, et soubs
protestation aussi de n'accepter les obligations qui
nous seront lors fournies par les députés, si elles ne
sont accompagnées de seureté et asseurances qui nous
seront nécessaires.
Apres que lecture nous a esté faicte des articles ci
lOO ARTICLES ARRESTÉS , etc.
dessus, nous, comme ayant agréable ce qui a estéfaict^
avons agréé et ratifié iceulx articles , sans toutesfois
approuver aulcunement la protestation faicte par le
sieur colonnel Dampmartin. Faict au camp de Folle-
ville, le i5 novembre, l'an iSgi. Signé, Henry; et
plus bas , BuzE , avec ung parapbe.
Collation faicte à l'original, estant en papier, par
moi, tabellion au compte du soubssigné , le 19 dé-
cembre iSgi , instance et ce requérant ledict sieur co-
lonnel Dampmartin, pour lui servir ce que de raison.
Après laquelle collation faicte, ledict origmal rendeu
audict sieur Dampmartin , en la présence de Jeban
Vaddel et Nicolas de Verronnaulx.
Merller B.
XIX. — ^ DISCOURS
De la prise et ru y ne de Blein, adveneue en novembre
1591.
Au commencement du mois de novembre iSgr , le
duc de Mercueur, après avoir pris la
s'en alla devant le cbasteau de Blein, accompagné de
bien deux mille Espaignols , et quelque peu d'infan-
terie françoise , où s'estant retranché , tant dans le
bourg de Blein qu'es environs du chasteau, feit venir
de plusieurs endroicts ce qu'il avoit d'eschelles, estant
de longue main sollicité à ce faire par les habitans de
Nantes , lesquels estoient fort molestés en leur bes-
tial parle sieur du Goust, commandant audict chas-
teau, lequel, à la vérité, n'obmettoit rien de son in-
dustrie pour bien faire ses affaires, estant du pays et
DISCOURS DE Lk PRISE DE BLEIN. TOI
ayant cognoissance de tous ceulx qui avoient de Tar-
gent de plus de dix lieues d'alentour de sa garnison.
Si bien qu'il avoit tellement faict la guerre aulx pay-
sans, par emprisonnement et rançonnement, qu'il avoit
acquis par commune réputation la valleur de cent mille
escus; et, par mesme moyen, la haine irréconciliable
de ses voisins, pour les inhumanités dont il usoit pour
parvenir à son intention : car , pour intimider ceulx qui
ne lui voulloient payer rançon, il laissoit mourir de
faim les plus ahurtés , et n'ostoit point les corps
morts d'auprès des vivans, et afin de contraindre
par une telle peine les aultres de payer; comme il
estoit accusé de tant de telles cruaultés, qui, pour la
pluspart, estoient très véritables, que les Nantois, qui
en estoient extresmement animés , n'obmirent rien
pour faciliter ce siège et s'y évertuèrent plus que leur
ordinaire, fournissant de canons et pouldre , et sem-
blablement de munitions pour l'entretien de l'armée,
comme pain, vin, et aultres commodités, ayans la ri-
vière de Loire à trois lieues près dudict Blein.
Quelque temps auparavant, madame de Rohan qui,
de longtemps, prevoyoit quelque insigne orage sur sa
maison, s'estoit essayée d'y pourveoir , redoubtant l'a-
nimosité de ceulx de Nantes, et se défiant d'ailleurs de
la résistance qui leur seroit faicte par ceulx de dedans
sadicte maison , les cognoissant tous pour gens qui
avoient fort peu hanté les armes , et sçachant
mesmes que mille d'eulx ne s'esloient jamais trouvés
en siège. A ceste occasion aussi (qu'elle avoit peu
agréable les inhumanités qui s'y commettoient) , elle
avoit essayé de moyenner une neutralité de ladicte
place, laquelle elle desiroit se faire remettre entre les
mains et la pouvoir tenir, avec le gré des deux parties,
102 DISCOURS
soubs Tobeissance du roy , sans que la guerre s'y feist,
et, pour ccst effect, avoit esté parler à madame de
Martigny , aulx faulxbourgs de Nantes , des le mois
d'avril précèdent, pour negotier ladicte neutralité,
moyennant laquelle elle demandoit que le duc de Mer-
cueur l'accordast semblable pour les chasteaux de
Rohan , Pontiny , Josselin les Salles , la Cheze et Lou-
deac , qu'il détient sur mesdames de Rohan , ce qu'elle
avoit assés heureusement acheminé , horsmis pour le
chasteau de Josselin, qui est le douaire de madame la
douairière de Rohan , sur lequel il lui feut respondeu
se contentast de parler pour elle, sans y comprendre
sa belle belle sœur ; et quant à celui de Blein , ils se
contentoient qu'il demeurast entre ses mains , et qu'elle
le tinst soubs l'obéissance du roy, pourveu qu'il ne feust
poinct faict de guerre.
Sur quoi ayant donné advis du tout à monseigneur
le prince de Bombes, elle envoya vers le sieur du Goust
pour traicter avec lui de quelque recompense , au cas
que le roy et mondict seigneur le prince eussent ceste
neutralité agréable, afin que les choses se faisans avec
son gré, en feussent plus faciles; mais il se monstra si
peu disposé à obéir aulx commandemens qui lui en
seroient faicts , tant il estoit affriandé au gain qu'il fai-
soit en ceste place, qu'il n'y eut jamais recompense
qui lui peust suffire; car il demandoit le gouverne-
ment de certaines places qui ne sont poinct en l'obéis-
sance du roy, comme entre aultres celui de Redon, et
outre cela, des estais d'hommes qui vivoient avec des
sommes d'argent ; et d'ailleurs il disoit ouvertement
que, quelque commandement qu'il eust du roy pour
sortir de cette place , il fauldroit tous] ours capituler
avec lui sur les recompenses; ce qui feit que, voyant
DE LA PRISE DE BLEIN. Io3
In difficulté de cest affaire, elle feut contraincte de dif-
férer ce desseing jusques à ce que, par l'approcliemeut
de monseigneur le prince de Dombes ou aultres Irouppes
du roy, elle eust moyen de lui faire obéir au comman-
dement absolu, au cas qu'elle en obtinst ung pour cest
effect.
Le duc de Mercueur, voyant que cest affaire tirolt
en longueur, rompit toute ceste negotiation, et estant
de plus en plus pressé par ceulx de Nantes, se resoleut
au siège, de quoi ladicte dame de Rohan estant ad-
vertie, et scacbant les préparatifs qui s'y faisoient, feit
tout ce qu'elle peut pour lui faire reprendre les arrhes
de cette neutralité et différer son desseing jusques à
ce qu'elle eust obteneu le commandement absoleu
qu'elle esperoit; mais lui, se persuadant que ce n'estoit
qu'artifices pour éviter ou reculer ce siège, n'y vouleut
plus entendre , et mesmes ne lui voulleut accorder ung
passeport pour elle, qui desiroit aller elle mesme parler
à lui et audict sieur du Goust, pour chercher encores
quelque voye de doulceur; mais seulement lui en en-
voya ung pour ung gentilhomme, de sa part, qu'elle
accepta ; et ayant en mesme temps donné advis du tout
à monseigneur le prince de Dombes, comme elle avoit
desjà faict des préparatifs dudict duc de Mercueur,
selon les advertissemens qu'elle en avoit eus ; elle en-
voya vers le susdict duc le sieur de Beauvois de Mont-
fernier, pour essayer, au cas que les assiégés ne peus-
sent attendre le secours , de faire en sorte qu'elle feust
comprise en la capitulation qu'ils feroient , et que les
Chartres et papiers de la maison de Roban , qui sont
dans Blein, feussent conservés.
Le sieur de BeaUvois estant arrivé en l'armée dudici
duc, qu'il trouva desjà logée et retranchée autour de
Io4 DISCOURS
Blein , et lui estant donné garde pour observer ses ac-
tions, il recogneut ce nonobstant assés les forces des
assiegeans, pour juger qu'ils avoient beaucoup d'ad-
vantages sur les assiégés, veu mesmement le peu de
résistance que lesdicts assiégés avoient faict tant aulx
approches qui s'estoient faictes sans pertes d'hommes,
qu'à la prise d'ung par où se feit la batterie,
lequel ils avoient laissé perdre fort aisément, qui lui
feit craindre qu'estant furieusement attaqués, comme
il voyoit les préparatifs, et battus de seize pièces tant
canons que couleuvrines, ils peussent malaisément
résister.
Cela feit qu'il demanda à parler au sieur du Gonst ,
ce qu'il ne peut obtenir du duc de Mercueur, qu'es-
tant accompagné d'ung conseiller de Nantes , nommé
Kermezin , pour observer ses actions et discours , et
ayant esté tous deux introduits à Blein avec aussi beau-
coup de cérémonie de la part du sieur du Goust , qui
leur feit à tous deux bander les yeulx et amener, par
plusieurs destours, en une des chambres du logis où
les fenestres estoient fermées, ledict sieur de Beauvois
proposa audict sieur du Goust, en présence de son
frère et aultres gentilshommes dudict ehasteau , Tin-
tention de madame de Rohan , qui estoit qu'elle desi-
roit la conservation de sa maison; qu'elle le pryoit de
ne s'opiniastrer poinct à la frime, s'il n'en avoit bien le
moyen; lui feit entendre le nombre de canons dont il
debvoit estre batteu, les forces de l'ennemi , et le prya,
de la part de ladicte dame, que, s'il falloit rendre sa
maison, qu'il la rendist plustost entière que ruynee, et
enfin que, s'il cognoissoit debvoir capituler, qu'ella
feust comprise en la capitulation.
Sur quoi le sieur du Goust , après avoir faict ung
DE LA PRISE DE BLEIN. Io5
long narré de la quantité de bleds et vins qu'il avoit,
rejetta au loing tous pourparlers de capitulation et de
traicté ; usant de plusieurs parolles advanlageuses ,
comme aussi firent les aultres réfugiés , qui se van-
toient fort entre aultres choses de leurs munitions de
vins qui, de faict, paroissoient en plusieurs d'entre
eulx , car une bonne partie estoient yvres.
Sur ce , le sieur de Beauvois lui répliqua que ce
n'estoit pas par famine qu'on les vouloit prendre, mais
par une fort furieuse batterie, et le prya encores, de la
part de madame de Rohan , de ne bazarder poinct sa
maison mal à propos, et enfin lui dict en particulier,
qu'il se resoleust ou d'entrer en capitulation , ou de
rompre tout parlement, comme chose nuisible à gens
assiégés, s'ils ne sont en termes de se rendre; à quoi
le sieur du Goust demanda terme jusques au lendemain
pour y penser et en parler à ses amis.
Deux jours après, ledict sieur du Goust donna en-
cores lieu aulxdicts sieurs de Beauvois et de Kermezin
pour estre introduicts à Blein , où , après quelques dis-
cours de presque semblable style que le premier jour,
ledict sieur du Goust, enfin, monstrant se défier âxi
conseil de monseigneur le prince de Bombes, et crain-
dre de n'estre secoureu à propos , dict qu'il entreroit
en capitulation, et, de faict, il dressa nombre d'articles,
entre aultres qu'il demeureroit gouverneur dans Blein
sans faire la guerre , avec cinquante chevaulx légers
entreteneus , et cent cinquante arquebuziers pour la
seureté de sa personne; et demandoit oultre cela vingt
mille escus, absolution générale de ce qui s'estoit passé
soubs sa charge, et plusieurs aultres choses pour son
particulier.
Ces articles estant rapportés au duc de Mercueur,
To6 DISCOURS
il les trouva du tout esloingnés déraison, veu l'advan-
tage qu'il estimoit avoir sur les assiégés, qui avoient
desjà laissé gagner le pied de leur muraille aux Espai-
gnols. Toutesfois ledict sieur de Beauvois movenna
encores qu'il leuroffrist les conditions suivantes, ayant
les susdictes seize pièces desjà en batterie :
Que le chasteau de Blein seroit rendeu entre les
mains de madame de Rohan , qui promettroit le rendre
entre les mains d'un gentilhomme que nommeroit le
duc de Mercueur, qui y mettroit seulement vingt sol-
dats, sans y faire la guerre ni aulc|.ing acte d'hostilité,
et promettoit de ne faire aulcune desmolition ni des-
mantellement audict chasteau , et que , moyennant cela,
ladicte dame auroit main levée de tous les biens de
messieurs ses enfans, qui sont en la duché de Bretaigne.
Que tous les gentilshommes, soldats et aultres, qui
estoient en ladicte place, jouiroient aussi de tous les
biens qu'ils auroient dans la duché de Bretaigne, et
seroit en leur liberté de se retirer en leurs maisons ,
sans y faire acte d'hostilité, ou d'aller en telle place de
Bretaigne qu'ils adviseront, où ils seroient conduicts
seurement.
Que le capitaine Lagarde , prisonnier à Nantes, se-
roit mis en liberté ;
Que tous actes faicts pendant la guerre , par lesdicts
gens de guerre estans à Blein, seroient assopis, et n'en
seroient recherchés pendant ledict temps de guerre.
Les susdicts articles feurent portés audict sit^ur du
•Goust, par lesdicts sieurs de Beauvois et de Rermezin,
avec les cérémonies accoustumces; mais sitost que
les assiégés ouïrent pailer de sortir de la place, ils
commencèrent à murmurer, comme ceulx qui s'es-
toient proposés cesle maison pour leur perpétuel
DE LA PRISE DE BLEIN. 107
domicile, s'estant de faict auparavant opposés à la neu-
tralité que recherchoit madame de Rohan, de par sa
demeure audict lieu ils ne feussent incommodés de
leurs logis; et là dessus recommencèrent de plus belle
leurs premières resolutions, disans qu'ils estoient ser-
viteurs du roy; qu'ils se voulloient ensevelir dans les
ruynes de Blein ; et que , quant à la démolition de la
maison, le roy avoit bien moyen de recompenser mes-
sieurs ses nepveux; et ainsi, après avoir réitéré plu-
sieurs fois ces trois ou quattre bons mots, ils se
feirent accroire que quelques soldats qu'ils virent par
les fenestres, faisans monstre, venoient pour les atta-
quer; et là dessus rompirent le parlement avec aigreur,
disans que ce n'estoit pas le temps de s'amuser aulx
paroles, lorsqu'on les assailloit en effect; si bien que,
s'escartant sur ceste esmeute sans que pourtant il y
eust occasion d'allarme, lesdicts sieurs de Beauvois et
de Rermezin feurent contraincts de s'en retourner sans
aultre response.
Le duc de Mercueur entendant cela, ne voulleut
plus ouïr parler de capitulation , ni de parlement , et
mesrae ne voulleut permettre que madame de Roban
y vinst de personne, comme elle desiroit, pour essayer
si elle y pourroit davantage et l'avoir faict
d'un passeport pour cest effect; mais il ne le voulleut
jamais accorder, quelques instances qu'on lui en fist ,
et se résolut de faire battre en batterie des le lende-
main, ne voullant plus perdre de temps, pour ce
principalement qu'il avoit admis que monseigneur le
prince de Bombes estoit près, comme de faict il s'estoit
desjà acheminé pour le secours de ceste place , com-
bien que le sieur du Goust lui eust promis de tenir
trois mois ; mais craignant que les effects ne respon-
lo8 DISCOLT.S
dissent à ses promesses, joinct aussi ia sollicitation que
lui f'aisoit madame de Rohan , laquelle se desfioit tous-
jours de la valeur et suffisance de ceulx qui comman-
doient dans sa maison, il s'estoit desjà acheminé avec
son armée jusques à la , huict lieues près de
Blein ; si bien qu'au lieu de trois mois de terme qu'ils
lui avoient donné, il les eust secoureus au bout de trois
sepmaines , ou bien près de là, si par la moindre ré-
sistance ils l'eussent peu attendre.
Le susdict lendemain, qui feut le mercredi uo de
novembre, la batterie commença fort furieuse, et feut
tiré esdict jour de mercredi environ six cens coups
de canon contre une tour nommée la tour du Moulin,
qui est dans le coing des deux grands corps de logis,
tenant d'ung costé au corps de logis de la salle du roy ,
et de l'aultre à la terrasse.
Le lendemain, qui feut le jeudi 21 , il y feut encores
tiré quelque quattre cens coups de canon; si bien
que sur les dix heures la tour tomba, et les Espaignols
s'y logèrent à îa faveur de la ruyne.
Quelques deux heures auparavant , le duc de Mer— ;
cueur avoit faict mener le sieur de Beauvois à Nantes ,
avec gardes, afin qu'ayant recogneu son armée, il ne
peust donner adverlissement aulx assiégés, ni à mon- ||
seigneur le prince de Bombes, lequel on disoit estre
prest.
Soudain que la tour feut h bas, ceulx de dedans
commencèrent à s'estonner et à demander, par dessus
les murailles, qu'ils peussent parler au sieur de Beau- j
vois; mais il n'estoit plus tejnps; on Tavoit desjà em-
mené; aussi le duc de Mercueur n'y voulloit plus en-
tendre : ce que voyans, plusieurs d'entr'eulx se jetterent
par dessus les murailles du costé qu'estoient logés les
"DE LA. PRISE DE BLEIN. lO^
François; mais à la fin le duc de Mercueur commanda
qu'on ne les receust plus.
Environ sur le soir, les Espaignols qui s'estoicnt ,
comme dict est, logés à la faveur de la ruyne de la
tour, voulleurent ung peu paroistre vers le bout de la
terrasse, d'où il leur feut tiré quelque deux ou trois
arquebusades par quelque canonnier; qui feit que,
s'estans seulement ung peu logés plus advantageuse-
ment, ils donnèrent tous à l'instant l'assault; et,
estans montés tout à leur ayse sur la terrasse, en-
trèrent par les fenestrcs et portes de la salle sans trou-
ver résistance , n'ayans eu les assiégés recours qu'au
feu qu'ils mirent en plusieurs endroicts du logis, ayans
pour cest effect ledict sieur du Goust des auparavant
faict sapper et appuyer sur pillolis tout le corps de logis
de la salle du roy, et lui, s'estant retiré dans la tour de
l'horloge, demanda par la fenestre qu'on lui sauvast
la vie, et se rendit à dom Juan, capitaine des Es-
paignols.
Tous les aultres assiégés, qui estoient en nombre
de cent cinquante arquebusiers et de soixante cui-
rasses ou plus, feurent pris et menés à Nantes, ne
s'en trouvant poinct de morts ni de blessés d'entre
eulx qu'on sçache, comme aussi ils ne rendirent aul-
cung combat, et n'y feut tué que le portier, que les
pspaignols se persuadèrent estre ministre, et le geôlier
qui fut pendeu à la requeste des prisonniers, pour le
cruel traictement qu'il leur faisoit.
Les femmes se retirèrent comme elles peurent dans
la troisiesme tour, d'où il leur feut permis de sortir,
€t feurent conduictes, par le duc de Mercueur mesme,
jusqu'à Sainct-Roc, qui est à ung quart de lieue de
31ein.
IIO DISCOURS DE LA PRISE DE BLEIN.
La maison feut bruslee, partie (comme dict est) par
ledict sieur duGoust, et partie par les Espaignols aulx-
quels ceulx de Nantes avoient donné de l'argent pour
y mettre le feu , si bien que les basses courts, chambres
des galleries , granges et escuries , feurent par eulx en-
tièrement bruslees, et le feu du donjon si bien conti-
nué qu'il n'est rien demeuré entier que trois tours, à
sçavoir, la tour de l'horloge, la tour qui règne du
costé du parc près la chapelle , et celle du pont levis
de la basse court où s'estoit logé le capitaine.
Voilà qui doibt servir d'exemple pour ne souffrir
que ceulx qui tiennent les places et gouvernement se
servent de la couverture du service du roy et du pu-
blic pour satisfaire à leur avarice, veu que les exac-
tions et oppressions du pauvre peuple parviennent si
aisément jusques au ciel, que la justice divine n'a peu
estre appaisee de celles qui se sont commises en cest
endroict de paix , que par la ruyne d'une des plus il-
lustres maisons de France , ayant les innocens esté
contraincts de pastir pour les coulpables.
XX. -- ^ DESPESCHE DU DUC DE PARME
Ju roj" d'Espaigne.
Du . . décembre i5gi.
Quant aulx affaires de France, vostre majesté aura
veu, par ma dernière lettre (la double de laquelle je
vous envoyé) , tout ce qui me semble digne de vostre
royale cognoissance , et afin que de main en main
vostre majesté soit advertie de tout ce qui se passe ,
je vous dirai ce qui est surveneu despuis quelques
DESPESCHE DU DUC DE PARME , etc. 1 i I
jours auparavant que je sortis de , qui feut
le du mois passé. J'atlendois les ambassadeurs qui
venoient de la part de l'empereur pour traicter de ce
qui restoit commencé, et m'y arrestai quelque temps;
mais, comme ils tardoient trop, après avoir donné or-
dre à les loger, je me resoleus de m'approcher de ceste
frontière pour faire haster ceulx qui estoient destinés
pour venir avec moi, qui estoit au pays d'en bas, et
aussi pour mettre en ordre Tarlillerie et attirai!, et
resowldre le chemin que je debvois prendre en le
communiquant au duc de Mayenne, quej'attendois avec
celle de Montemarciano, et les trouppes qui Tavoient
accompagné en Lorraine, et lui estant joinct le prince
d'Ascoly avec celles qui estoient demeurées à Rheims ,
et en intention que, si lesdicts ambassadeurs arrivoient
devant que j'entrasse en France , je pourrois employer
à les ouïr trois ou quattre jours , et veoir et entendre
ce qu'ils proposeroient pour après leur faire response,
telle qu'il convient pour vostre service, et, en quel-
que sorte, establir l'affaire. Par ainsi estant à Vallen-
cienne pour haster les trouppes, afin d'entrer en
France, j'eus advis de l'arrivée des ambassadeurs, et
à la fin , nonobstant mes excuses de la goutte qui me
croist à toute heure, je les allai trouver; et après les
avoir ouïs et recogneu leur délégation , et leur ayant
respondeu de paroles, ce que je leur feis aussi bailler
par escript , je revins en ceste ville , où j'arrivai le
du présent, comme j'avois promis à ces François, et
eus advis que le duc de Mayenne estoit parti pour
aller à Paris pour appaiser quelque remuement qu'il
y avoit entre le peuple , à cause de ce que quelques
ungs qui se tiennent pour fort catholiques, et estoient
en tels termes, sans se pouvoir entendre ni pénétrer
ira DESPESCHE DU DUC DE PARME
la fin, avec quoi ils le feirent devenir au poinct de chss^
lier, comme ils feirent en estant les vies au premier
président et à aultres deux du parlement , sans obser-
ver aulcung ordre de justice, qui feut cause que le duc
de Mayenne y alla pour y remédier, et encores qu'il
y donnast ordre promptement. Il semble toutesfois à
dom Diego d'ibara que, en ce faisant, le peuple se
deust esmouvoir , veu la forme qu'il y procède ; mais,
voyant qu'il n'y avoit aulcung inconvénient, il se déli-
béra de la suivre , pour le persuader qu'il y procedast
avec la modestie que tel affaire requeroit. Ores qu'il
eut osté le meilleur de le dissimuler, jusqu'à une aultre
saison, ce qu'on a tasché persuader, estimant toutes-
fois le duc de Mayenne que son honneur y estoit inté-
ressé , et que ce seroit cause que par ci après on ne lui
vouldroit poinct obéir. Apres en avoir conféré avec
quelque François qu'il y a par de là et avec quelques
gentilhommes qu'il mena d'ici, il voullut faire chastier
comme principal oppresseur, le capitaine de la Bas-
tille en le sortant dehors , soubs prétexte d'affaires qui
se feissent tout aussitost, et en feit prendre avec
quattre, lesquels, après avoir faict enfermer en la prison
royale, ayant vérifié leurs faultes , il les y feit pendre.
Ce qu'estant faict , et ayant mis au parlement quelques
ungs de ses plus favorables, demeura la ville plus pai-
sible, et lui de retour à Soissons , et sera bientost ici
avec son armée , et n'attends aulcune chose que son
opinion pour sçavoir quel chemin je doibs prendre.
Les François approuvent fort ce chastiment; mais il
ne semble pas bon à dom Diego d'ibara, d'autant qu'il
estoit de contraire opinion pour ce qu'il estoit question
de punir des gens véritablement catholiques, et par ce
moyen affoiblir ce parti, et fortifier celle du hère-
AU ROY D'ESPAIGNE. 1 1 3
tique et politique ; jusques à ce que je l'aie veu
et enlendeu leurs raillons, je n'en puis dire aultre par-
ticularité.
Avant que je partisse de Vallencienne, je comman-
dai à M. de la Motte qu'il veinst au camp , qui est à
liuict ou neuf lieues d'ici, qu'il prinst le chemin de No-
tron pour communiquer avec le duc de Mayenne, le
prince d'Ascoly , et les aultres qui l'assistent sur le che-
min que debvoit prendre l'artillerie et munitions de
guerre, lequel , en l'absence du duc de Mayenne, la feit
conduire avec le duc de Guise , pour lequel je lui don-
nai des lettres , et pour M. de Rosne aussi comme .
homme fort expérimenté à la guerre et aulx affaires de
France. Par ainsi feut accordé que l'artillerie s'achemi-
ueroit à la ville de LaFere, une des meilleures et plus
fortes de ce pays ; et afin qu'elles fussent en plus
grande seureté, j'ai par le moyen du gouverneur de
Montelymart, qui est très affectionné au service de
vostre majesté , mis dans ladicte ville cinq cens fantas-
sins de vostre royale armée, moyennant quoi il semble
que l'entrée en ce royaulme aura quelque fondement
pour nos affaires; et d'autant que c'est ung de nos
principaulx poincts, je suis très aise d'en dire les par-
ticularités à vostre majesté, à ce qu'elle recognoisse le
zèle et affection de Montelymart qui ne-
gotie que nous sommes assurés de ceste place, don-
nons ordre à ce qu'à son honneur, sans que nous fas-
sions aulcunes démonstrations d'y prétendre , mettre
des gens à nostre dévotion ; ce que nous lui avons de-
mandé de bouche a esté promptement exécuté par lui,
non sans monstrer ung grand sentiment pour ce qui
regnrderoit les capitaines françois qu'il y a encores;
qu'il désire les en jetter dehors, et par ainsi nous fai-
Mém. de DurLEssis-MoRjJAY. ToniE v. §
îl4 DESPESCHE DU DUC DE PARME
sons acheminer l'artillerie à La Fere , ensemble les muni-
tions , et nous est ceste ville donnée bien à propos
pour n'avoir moven de traisner d'ordinaire tant d'atti-
rail par faulte de chevaulx. La nécessité que souffre
ceste trouppe est très grande, et est aisé à juger, at-
tendeu que celle qui esloit l'année passée par de là,
et celle qui a descendeu avec don llodriguo de Tol-
lede, il y a plus de trois mois qu'ils n'ont receu paye-
ment, et le pain de munition vient trop tard, et les
nouvelles levées, aussi bien que la cavallerie , n'ont
receu aulcung denier des le premier mois, qui tous-
cherent il y a jà deux mois à ceste cause; ils vivent
avec le desordre accoustumé ; j'ai grand pitié des pre-
miers, attendeu que, oultre qu'ils ont disette de vivies,
et qu'ils courent ordinairement fortune, je suis coii-
trainct de les chastier , suivant l'ordre de la guerre;
c'est une grande pitié aussi de voir les Espaignols et
Italiens en particulier tout nuds, et y en a ung grand
nombre dans l'hospital, d'où ils ne peuvent sortir pour
n'avoir moyen de s'habiller. On leur envoyé à poinct
quelques habits et souliers pour les distribuer aulx
plus nécessiteux; car, puisqu'on ne leur donne argent
ni vivres, ils auroient au moins ce rafraischissement,
jusques à ce que de la royale main de vostre majesté
il arrive des provisions nécessaires.
J'ai vonlleu donner le régiment du maréchal de camp
don Allonze de Idjaguez à ung aultre, afin qu'ils se
maintissent, ce qui sera très difficile, encores qu'on leur
veuille faire quelque payement.
Ayant ci devant adverti vostre majesté touchant ce
qui !^e passoit en cest affaire, je n'en dirai davantage,
sinon que je supplierai très humblement vostre majesté ,
que, nonobstant les difficultés, la misère, et faulte de
AU ROY D ESPAIGNE. Il5
toutes choses pour entrer en France, ceia ne m'a em-
pesché toutesfois d'y entrer, et satisfaire à ce que
vostre majesté m'a commandé, estant très asseuré de
ce que par sa grande clémence elle ne permettra que,
sans batailler ne travailler à la guerre, les soldats pé-
rissent, puisque c'est pour le service de Dieu, et de
vous en particulier, estant très raisonnable que vostre
majesté par sa grande prudence et expérience pourvoye
avec la briefveté possible à ce qui est forcement nie-
cessaire, inexcusable pour la conduicte de cest affaire,
attendeu que sans cela elle n'est pas seulement avilie ,
mais aussi entièrement tombée en terre; car de s'at-
tendre d'avoir aulcung secours d'ailleurs , il n'en fault
espérer, aussi d'attendre les provisions que nous espé-
rons avoir de vostre majesté ; c'est chose très asseuree,
qu'auparavant qu'elles viennent, tout ce peuple se
consommera sans y pouvoir remédier, et par ainsi
demeureront les estendards seuls, et par conséquent
nos affaires, et le travail et despence que nous y
avons employé perdeu , et les herectiques ,'et en parti-
culier deB establis et victorieux avec le dom-
mage et détriment de toute la chrestienté du service
de vostre majesté , ce qui est grandement considérable;
et je crois fermement, attendu la prudence, bonté et
christianisme, dont Nostre Seigneur vous a doué, que
nous obtiendrons tost le remède que nous attendons.
Pour mesme occasion, le duc de Mayenne n'a faulte
de plainctes, me représentant tousjours les cent niille
escus qu'il prétend chaque mois. Il lui en a esté baillé
cent mille de ceulx qui sont veneus de Boiu'goigne, et
le reste nous est demeuré pour entretenir nos ^ens
aulxqucls encores nous ne pourrons satisfaire un»
seul payement; ce que, ne leur estant continué, nous
î 16 DESPESCHE DU DUC DE PARME
sommes contraincts de dissimuler le jour. Les trouppes
desquelles m'escrit le prince d'Ascoly, qui est cause
qu'ils reviennent souvent fort amoindrés, pour estre
les ungs tués des paysans, et les aultres s'enfuyent; à
quoi nous ne pouvons remédier que par le moyen de
l'argent; car de les entretenir avec une discipline con-
venable, il n'y a ordre ni moyens de pouvoir entretenir
l'artillerie, vivres, hospital ; ce qui doibt estre bien
considéré, mesme estant en ung royaulme estranger,
et tel qu'est celui de France.
Comme j'ai ci devant escrit à vostre majesté , de
Beart alla avec son armée à l'entour de Verdun, où la
vostre estoit, et ce en intention d'empescher le passage,
et que je ne me joignisse avec les aultres. Enfin il se
resoleut de se mettre au large, et s'en est allé avec
sa gent, qu'il a faict marcher petit à petit la route de
Rouen , aulx faulxbourgs de lacjuelle ville il est à présent
logé avec volonté de la battre; ce qu'il n'a fiiict tn-
cores. L'on m'a escrit que le gouverneur a bon cou-
rage, ores qu'il n'ait pas beaucoup de pouldres, mu-
nitions, gens de guerre. Ce qui est à craindre, sont
ceulx qui sont dans la ville mal affectionnés; il semble
qu'on leur peust bailler quelque secours du costé de *
la mer. Nous en avons adverfi ceulx du Hasvre de
Grâce; don Diego de Ibara m'a escrit que le duc de
Mayenne a depesché vers le duc de Mercœur et ledict
don Diego à Juan d'Aquila, afin qu'on y envoyé quel-
que secours de Bretaigne par la voie dudict Hasvre de
Grâce.
Si de Beart bat ladicte ville, il semble qu'il nous la
fnuldra secourir, encores que nous ayons faulte do
beaucoup de choses, dont la première est d'hommes
de pied; encores que en infanterie nous lui soyons
AU ROY D'ESPAIGNE. i 1 7
egaulx , nous lui sommes neantmoins de beaucoup in-
férieurs en cavallerie, pour ce qu'il en a ung bon nom-
bre et bien en ordre, oncques la noblesse qui le suit;
et, pour parvenir à son desseing, il faict sortir celles
qu'il tient aulx garnisons, pour raffraiscbir la sienne,
qui, en apparence, est peu. Celle qu'il a, est lassé et
mal en coucbe, d'autant qu'il y a ung an et demi qu'il
est en campaigne; et nostre cavallerie, oncques ce
qu'elle est peu de service, elle est toutesfois moindre
en nombre que nous ne pensons , pour n'avoir peu
attirer ceulx qui s'estoient offerts à nous au commence-
ment, pour les raisons que j'ai escrites à vostre majesté;
de sorte qu'il fault bien considérer sur la resolution que
nous debvons prendre; car de laisser perdre une telle
ville que Rouen devant nos yeulx, c'est ung mauvais
affaire. Et d'aultre part donner une bataille, à quoi
les choses sont exposées si du Beart veult, c'est ce que
nous pouvons désirer pour secourir ceste ville , atten-
deu que nous pouvons espérer que Nostre Seigneur,
par sa grande miséricorde, nous donnera victoire, en-
cores qu'il y ait bien à penser si , avec la forteresse
oii nous nous trouvons, il s en fauldra adventurer.
Toutesfois le temps et les occasions nous apprendront
mieulx ce qu'il fauldra resouldre.
Pour le service de vostre cbrestienté et majesté, à
quoi je m'y employerai comme ils sont obligés; de sorte
que j'espère que vous serez satisfaict de ma bonne
volonté et de mes actions.
J'ai désiré beaucoup de fois, sçachant que l'on pre-
tendoit exécuter ceste entreprise, qu'on feist une bonne
levée d'hommes pour la tenir asseuree , et fiire con-
sommer, par le moyen de Beart, ce que l'on eust peu
faire avec asseurance d'ung bon succès si ont eust pris
Il8 DESPESCHE DU DUC DE PARME
ce chemin, et l'on m'avoit asseuré tousjours que l'on y
avoit bien pourveu; mais à présent on voit bien le
contraire.
Quant à l'eleelion d'ung roy , ce que j'en peulx
rapporter à vostre majesté, est que je ne laisse passer
occasion quelconque, quand je me vois avec des per-
sonnes de ce royaulme, pour pénétrer leurs cou-
rages; conformément à iceulx, m'y gouverner selon
ce que vostre majesté m'a commandé en particulier par
la depesche que m'apporta donc Allonze de Idjaguez,
et par les aullres que j'ai depuis receus sur ce subject.
Par ainsi je negotie avec le ministre de vostre majesté,
qui y à cest effect , afin qu'ils y soient bien
disposés quand il fauldra traicter de cest affaire avec
le duc de Mayenne et avec les aultres qui sera besoing;
mais que je sois avec eulx , je pourrai mieulx dire à
vostre majesté leurs fins, intentions particulières, et
acheminer l'affaire. Comme vostre majesté me com-
mande et désire , en quoi et en tout le surplus qui
viendra au plaisir, service de vostre majesté, je ferai
ce que j'ai accoustumé et suis obligé.
Estant le duc de Guise en la ville , où il alla voir
sa mère , il voulleut venir à Vallencienne pour me
trouver, d'où j'étois toutesfois parti. Mon fils Ranontio
le recueillit, le feit servir , comme il estoit raisonnable,
puis Ta admis le même jour que je suis arrivé , ou
nous nous sommes veus et avons parlé en parole
générale. Je l'ai caressé le mieulx qu'il m'a esté possible,
il me semble d'une belle posture, représentant quant
et soi la noblesse dont il est isseu. Don Diego de Ibara
ma escrit qu'il a ouï dire à Paris que le duc de Lorraine,
l'oncle et le nepveu , d'estre bien unis en ceste cause,
et que, escheant le sort à qui que soit d'eulx , ils l'ap-
AU ROY D'ESPAIGNE. ÏI9
prouveront, presteront obéissance à celui qui sera
esleu; que nul des trois ne traversera aulcune chose
de ce que vostre majesté désire, et que M. Vaudesmon
signa cest accord pour le duc de Lorraine, le duc de
Mayenne le signa pour soi, et le nepveu différa à le signer,
jusqu'à ce qu'il en eust communiqué avec sa mère.
On ne sçait s'il a après confirmé sa première resolu-
tion en signant ledict accord. Ores que, par l'advis que
nie donne l'evesque de Plaisance, le duc de Guise est
tellement avec le duc de Mayenne et madame sa mère ,
qu'il semble qu'il n'a voulieu reserver le communiquer
avec elle, et partant confirme tout ce qu'escrit don
Diego : ledict duc est fort nécessiteux, et ceulx qui sont
à Fentour de lui le molestent fort pour tirer de lui ce
qu'il tient. Il me l'a descouvert, m'a demandé , au nom
de vostre majesté, que je le secourusse: par ainsi avec
toute la nécessité où je me trouve, je lui ai faict
bailler quattre nulle escus sur ce qu'il fault bailler à
sa maison , qui est tout ce à quoi je me suis peu esten-
dre bien esloigné de qui sont avec lui
esperoient tirei-, estimant que je lui dusse donner pour
le moins cinquante mille escus. Vostre majesté com-
mandera ce qu'il fauldra faire avec lui à l'advenir;
d'autant que si on ne lui aide, il n'a moyen de se main-
tenir : ce qu'd attend et espère de vostre royale main.
Je ne sçaurois représenter lestât des affaires de ce
royaulme, et en particulier de l'union, qui sont tels
que, y entrant avec si peu de forces , et estant appe-
tissees celles qui s'y trouvent, et ayant si peu ou
poinct déforme de pouvoir assister de Mayenne, ni aulx
frais qu'il a ou qu'il pourra avoir, je crains fort les
désordres qui pourroient survenir , lesquels ne seront
de si peu de prix qu'ils ne soient sufiisans pour nous
I20 DKSPESCHE DU DUC DE PARME
faire perdre. Dieu, qui peult tout, y veuille remédier;
car le duc de Mayenne, et les François qui sont avec lui,
est sur le poinct de ne pouvoir n'y avoir moyen de sub-
sister, et, à ce que mande don Diego de Ibara , en-
cores qu'il soit bien peu de cbevaulx allemans nou-
veaulx, il semble toutesfois qu'ils se veuillent mutiner ,
et fault croire que le régiment de don Allonze d'Id-
jaguez suivra les aultres , si on ne leur baille quelque
payement; et les Wallons, par ung mesme exemple,
ne seront meilleurs : et si cela nous advient en une terre
estrangere et affaire si important, vostre majesté con-
sidérera le grand préjudice et dommaige qui y ad-
viendra. .
Les deux regimens d'Allemans vieulx, des comtes de
llaranbergue et Berlaymont , sont demeurés par delà
la nuict n'y a de rien servi que Berlaymont,
assisté du colonnel Verrdiego, pour les faire repasser,
venir avec moi , comme il leur avoit esté commandé ,
ce qui nous fera grand faulte; car, ores qu'ils ne soient
bien complets, ils sont toutesfois vieulx soldats, et qui
pouvoient faire en ceste occasion ung grand service.
D'aultre part, ils demeureront dans le pays sans rien J
faire, et le destruiront sans les en pouvoir sortir, par "
amour ni par forces. Au moyen de quoi j'ai procédé
contre eulx avec toutes les rigueurs possibles, pour ce
que encores qu'il soit raisonnable qu'ils demandent ce
qui leur est deu , suivant les accords faicts avec eulx,
ayant attendeu les termes de leurs payemens, il y a
plusieurs, estant sortis de France l'année passée sans '
aulcung commandement , et ne voullant à présent
marcher là où il leur est commandé: il semble que l'on i
doibt procéder contre eulx par quelque peine. De ce qui '
en adviendra, j'en advertirai vostre majesté.
AU ROY D'ESPAÏGNE. Ï2I
Afin que je représente tout à vostre majesté, je dirai
que encores que Beart ne s'apperceust, ainsi que nous
avons esté advertis d'Allemaigne , qu'il levast quelques
gens, il estoit bien raisonnable que vostre majesté des
lors la preveint, en la levée qu'elle pouvoit faire non
seulement d'Allemaigne, mais de l'espaignole et ita-
lienne, et de la cavallerie; aussi pour ce que, oultre
ce qu'il le fault faire de force forcer, si on n'y donne
ordre promptement devant que l'on mette la main à
ung affaire si important , nous demeurerons ici en ces
estats comme en France , je ne dis pas seulement sans
armées, mais sans aulcune apparence d'armes; car le
temps , la saison , les travaulx , les missives qui passent,
mettront bientost fin à ce qui reste : de sorte que, si
on n'y donne ordre avec diligence, on peultbien tenir
tout pour perdeu ; car si de Beart nous prévient , il
n'en fault faire aulcung doubte, puisque nous voyons
au misérable estât que nous sommes, par raisons qui se
peuvent considérer particulièrement pour l'impossibi-
lité qu'il y a d'entretenir les forces que nous avons par
faulte d'argent , vostre majesté fera bien considérer ,
peser ce poinct sans y perdre temps. Nostre Seigneur
garde la S. C. A. de vostre majesté avec accroisse-
ment de royaulmes et seigneuries que la cbrestienté a
besoing , et ce plus bumble et vrai subject désire. De
vostre majesté, humilde criado que sus pies y manos
heso ,
Alexandre Farnf.zo.
De Landrecy , ce . . décembre iSgi.
Et à la soubscription est escril à la S. C. R. M. D. dcl rey
iny seignor.
1-22, POURSUITE DU RESULTAT
XXI. — CE QUI SE PASS\
En la poursuite du résultat de V assemblée du clergé.
Le i8 décembre i5g».
Le j8 décembre, monseigneur le cardinal portant
la parole pour l'assemblée du clergé , teneue à Char-
tres, assisté dos evesques de Beauvais, du Mans, d'An-
gers, etc., requit sa majesté de donner response sur
les trois poincts , dont elle avoit esté suppliée par ladicte
assemblée.
Le premier estoit de se faire catholique; le second»
de trouver bon que le clergé s'entremist de la paix; le
tiers, qu'ils peussent envoyer devers le pape.
Sa majesté leur respondit sur ces trois poincts, et le
sommaire tut, sur le premier, qu'il estoit tousjours
prest de recevoir instruction , pryoit Dieu tous les jours ,
s'il estoit en erreur, de le radresser; esperoit qu'il lui
feroit la grâce, s'il avoit du repos, de terminer les dif-
férends de l'Eglise. Chose plus louable que de se dé-
partir seul de la relligion en laquelle il avoit esté
nourri. Mais que le malheur avoit esté que, depuis son
avènement h la couronne, il avoit esté et estoit encores
nécessairement distrait pour les affaires de la guerre,
sans pouvoir tant soit peu respirer; et qu'à la vérité
les canons de l'Eglise ne peuvent pas bien estre en-
tendeus au bruict des canons d'ung arsenal , etc. Ce-
pendant qu'il maintiendroit tousjours le clergé en ce
qu'il avoit promis , et ne feroit ni souffriroit rien au
co ntraire.
Sur le second, que Dieu et les hommes lui estoient
DE L'ASSEMBLEE DU CLERGÉ. 123
tesmoings qu'il ne desiroit rien plus que la paix, et
n'avoit pertleu aulcune occasion d'y parvenir. Et sou-
vent mesme il en avoit embrassé l'ombre à faulte du
corps , tant il en estoit désireux ; et ne faisoit poinct
la petite bouche, comme aulcungs qui font difliculté
pour la réputation de leurs affaires d'en parler les pre-
miers; au contraire, qu'il iroit au devant, tiendroit à
grâce singulière de Dieu l'ouverture qui lui en seroit
faicte, et auroit grande obligation à ceulx qui la fe-
roient. Et ceulx qui avoient aultre opinion , lui fai-
soient grand tort, ne l'estimans pas seulement mauvais
prince , mais du tout beste , estant tout certain que
nul n'y avoit tant d'interest que lui , qui ne pouvoit
que perdre à la guerre , et duquel la maison se brus-
loit ; et qui au reste ne pouvoit estre roy , qu'entant
qu'il seroit paisible; au lieu que, pendant la guerre, il
n'estoit proprement que capitaine gênerai des Fran-
çois, chacung usurpant de son auctorité royale autant
qu'il pouvoit.
Sur le troisiesme, que c'estoit ung affaire d'estat très
important et non purement ecclésiastique. Que le pape
deffunct ne s'estoit pas porté envers lui et ce royaulme
comme père commung, ainsi qu'il debvoit, ains comme
prince estranger et ennemi. Que cettui ci avoit con-
firmé l'armce au mesme desseing, et promis de la ra-
fraischir d'hommes et d'argent, comme il apparoissoit
par ses lettres interceptes. Qu'il y alloit de sa réputa-
tion de consentir que ses subjects l'allassent recher-
cher pendant qu'il lui faisoit là le pis qu'il pouvoit.
D'ailleurs que les resolutions de ses courts de parle-
ment se trouvoient fort différentes de celle du clergé,
elles ayans expressément deffendeu par leur arrest d'al-
ler à Rome; qu'à ceste occasion il avoit mandé les
1^4 POURSUITE DU RESULTAT, etc.
premiers presidens de ses courts de parlement de Paris
et de Rouen pour les ouïr là dessus. Qu'au reste, l'en-
trée du duc de Parme en ce royaulme feroit approcher
de lui plusieurs princes, officiers de la couronne, sei-
gneurs et notables chevalliers de ce royaulme, et que
plus l'affaire estoit de conséquence , plus requeroit il
d'estre traicté en compagnie célèbre et forme aucten-
tique; qu'en attendant donc, les evesques députés se
pourroient retirer en leurs diocèses , pour v servir
Dieu et lui , etc.
Monseigneur le cardinal répliqua avec beaucoup de
protestations de son obéissance et affection , et de tout
le clergé; M. du Mans aussi insistant fort sur le voyage
de Rome, mais sa majesté en demeura aulx termes que
dessus.
Mondict seigneur le cardinal prit congé de sa ma-
jesté ce matin mesme pour s'en aller à Gaillon passer
ses festes de Noël, et se rendit après icelles près de
sa majesté.
XXIT. —^ LES PROPOS
Qui semblent debvoir estre teneus par les députés qui
eussent eu a comparoistre pour les estais tant
generaulx que provinciaulx durant l'assemblée de
Blois.
A sçavoir, de remonstrer la ruyne inévitable de ce
royaulme, si, par l'establissement d'ung bon repos,
il n'y est bientost pourveu ; combien Tauctorité du
roy, des magistrats et des loix a esté énervée par les
guerres civiles; et combien Testât est deperi en toutes
PROPOS TENEUS, etc. I'j5
ses parties , par la continuation d'icelles; mais surtout
à Toccasion de ces derniers remuements qui ont comme
anéanti le nom du roy, et amené ce royaulme au borti
d'une dissipation.
Requérir , par conséquent , sa majesté de chercher
les voies de rendre la paix à son estât, et sans s'arrester
à plusieurs scrupules , lesquels à mauvais desseing on
lui pourroit mettre en avant , estimer tout ce qui
peult restablir la paix à ce royaulme, sainct, juste et
expédient, puisqu'il est et salutaire et nécessaire.
Mettre en consultation , si le cas y eschet , combien
il est dangereux de faire , en l'assemblée des estats ,
conclusion qui préjudicie au roy de Navarre, prince
belliqueux, fondé dedans et dehors Testât, appuyé de
Dieu et de la nature en la poursuite de ses droicts ,
qui, sans doute, les scaura bien maintenir, à quelque
péril que ce soit.
Que cela ne seroit aultre chose qu'obliger la France
à une guerre immortelle , ruyne inévitable et dissi-
pation totale, ouvrir la porte à l'estranger, rempbr
îes champs et les villes de meurtre et de sang, et ré-
duire tout ce royaulme à ung misérable sepulchre.
Si on allègue Theresie, répliquer que le roy de Na-
varre a toujours promis de se rendre docile en ung
concile gênerai ou national, et y persiste encore ; qu'il
ne le fault pas désespérer, comme on a vouileu faire
par ces termes de relaps, en lui voullant fermer la
porte de l'église ; et qu'il est tout évident que ceu'x
qui en font instance, ne le font sans mystère.
Qu'aultresfois, pour contenter la conscience d'un
simple archidiacre d'Angers , on a bien teneu trois
conciles Tung après Taultre, encores que, des le pre-
mier, après avoir esté ouy , il eust esté condamné, à
1 26 PROPOS TENEUS , etc.
plus forte raison lorsqu'il est question d'un g grantl
prince , si proche de lestât, duquel la ruyne enveloppe
celle du royaulme, duquel la conscience une fois con-
tentée , contente tant de millions d'ames et en ce
royaulme , et en toute chrestienté.
En somme, que toutes les raisons et exemples ten-
dent à ceste voie, et la seule passion et ambition est
pour le contraire; qu'on sçait bien mesme que le pape
se desplaist, et s'est plainct d'avoir esté emporté par
les violences, importunités et impostures d'aulcungs, à
faire ce qu'il a faict contre ledict seigneur roy de Na-
varre.
Fault aussi faire ouïr et sonner qu'en ceste délibé-
ration, qui n'est que de peu de jours, de peu de per-
sonnes et de peu de mots , il y va de Testât et condi-
tion du royaulme et de toute la postérité, pour siècles
entiers ; et pourtant qu'il n'y fault pas procéder si has-
tivement ; se souvenir tousjours que toute précipita-
tion est dangereuse, et nulle plus que celle-ci; estant
question de franchir les loix plus fondamentales de
lestât, c'est à dire de donner coup à sa ruyne.
XXIII. — ^ LETTRE DE M. D'AVILER
J M. Diiplessis.
MoNSEiGNi UR , partant de Saulmur, j'ai esté trois
jours sur l'eau , qui est la cause que je ne vous ai escrit
qu'à présent, et ai distribué toutes vos lettres. Je vous
advise que l'insolence croist de mal en pis , par les
mauvais bruicts que l'on faict courir journellement
contre les gens de bien : on dict que le roy d'Escosse
LETTRE DE M. D'AVILER, etc. 117
a estédagué par ung nommé Patiiel; si cela est vrai, ce
sont (les fruicts des jesuistes. M. Ferret, secrétaire dia
roy, a escrit à sa femme que sa majesté sera en cestc
ville dans dix ou douze jours; aultres disent que s;i
majesté est partie de Fontainebleau pour aller en Pi-
cardie; ou dit aussi que monseigneur le chancelier est
à Clieverny. M. le comte , que vous verres dans trois
ou quattre jours, aidant Dieu, m'a cejourdhui appris
que M. de Bouillon a pris ung chasteau en Lorraine ,
nommé Ine, à la veue de farmee ennemie, lequel clias-
teau servit de blocus à Sathenay : il a plus de trois cens
douze clievaulx françois, arquebusiers, et achevé
de prendre et ruyner les aultres forts en emmenant
dudict Sathenay en dedans le chasteau : cela faict , il
pourra s'advancer dans le pays. M. le comte Maurice
-3ie faict mal ses affaires; car, après la prise de Saincte
Gertrude Bet gue , il a maintenant assiège Donquerque.
Si MM. de Strasbourg se remettent à la guerre, cela
aidera beaucoup; ils se pourront mutiner, d'autant que
l'empereur veult que l'evesque réside dans leur ville.
Cependant en Saxe se commence quelque persécution
contre les calvinistes, non par justice, mais par le po-
pulaire sans principe. M. de Montigny a escrit du -y du
présent , qu'on se délibère de contenter les députés
des provinces de les gratifier de l'excédent de janvier;
toutesfois que l'on désire que l'exécution en soit dif-
férée jusques à ce que sa majesté soit mieulx establie,
qu'elle et la pluspart de son conseil désespèrent de la
paix, et aultres se le promettent. M. de la Corbiniere,
qui vous va trouver, vous esclaircira des occurrences
de la cour. Tous vos bons amis et ser\itpiirs desnent
que preniés garde à vous. Pour mon particulier, mon-
seigneur, je vous supplie de croire que je prye Dieu
î'^8 LETTRE DE M. D'AYILER, etc
de tout mon cœur vous voiilloir conserver en sasaincte
protection. Yostre très humble , et très obéissant et
très fidèle serviteur,
D'AVILER.
XXIV. — ^ PROMESSE
De M. le prince de Parme pour La Fere.
Le 2 janvier i Sgi.
Nous Alexandre, duc de Parme et de Plaisance, che-
vallier de l'ordre, lieutenant, gouverneur et capitaine
oeneral des Pays Bas, recognoissons que, pour la garde
de nostre artillerie et munition de guerre, estans en la
ville de La Fere, M. le duc de Mayenne, lieutenant gê-
nerai de Testât et couronne de France, nous a permis
de mettre en ladicte ville , oultre les garnisons ordi-
naires de François qui y sont de présent soubs la charge
du sieur gênerai de Montellimart , telle garnison et en
tel nombre de gens que bon nous semblera , soubs la
promesse que nous lui avons faicte, comme nous fai-
sons par ces présentes, signées de nostre main , de re-
tirer ladicte garnison et laisser ladicte ville libre , es
mains dudict sieur duc de Mayenne, à la première in-
stance et réquisition qu il nous en fera, sans user d'aul-
cune remise pour quelque cause que ce soit , après
que nous aurons retiré et mis en seureté nostre artil-
lerie et munitions, et à ce nous obligeons nostre foi et
honneur. Faict à Flanety le Marteau, le 2 janvier 169^^.
Ainsi signé , Alexa.ndre Farnese.
INSTRUCTION DU ROY, etc. 129
XXV. — ^ INSTRUCTION
De la part du roy au sieur Duplessis ^ conseiller en
son conseil cC estât , lequel sa majesté a advisé
d' envoyer pour son service vers la roy ne d' Angle-
terre, sur V occasion pour laquelle elle lui a or-
donné faire ce voyage.
La fin cFicelui est pour tascher d'avoir encores de
îadicte royiie nouveau secours de quattre mille hom-
mes, dont sa majesté desiroit que les trois mille feus-
sent picquiers , et les aultres mille mousquetaires.
Mais, avant qu'entrer en ceste demande, il fauldra
la remercier des trouppes qu'elle a n'agueres envoyées
pour renfort des premières qui estoient desjà en ce
siège, et après lui avoir déclaré les obligations que sa
majesté recognoist lui avoir, tant de cela que de tant
d'anltres bons offices et faveurs qu'elle a receus d'elle,
et le regret qu elle a de la fascher si souvent de nou-
velles demandes, il lui fera neantmoins entendre les
occasions qui la contraignent de ce faire, comme son
engagement en ce siège, l'importance de l'issue d'icelui,
et la ruyne qui seroit à craindre en ses affaires , si le
succès lui en estoit aultre que bon; que la mesme con-
sidération et le long temps qu'il y a que ceste entre-
prise est publiée, a faict préparer les ennemis pour
l'empeschcr; que le duc de Parme (qu'ils ont longue-
ment attendeu et instamment poursuivi de venir pour
cest effect ) est finalement entré en ce royaulme des
le seiziesme jour de ce mois, son armée et son fils y
estant de plusieurs jours auparavant ; que sa maiesté
en a eu les advis si particuliers, par diverses voies rap-
MÉM I3E DuPLr.SSIS-MoRAAY. Top.IF. V. Q
l3o INSTRUCTION DU ROY
portant neantmoins la mesnie chose , qu'elle a occasion
de la tenir asseuree.
Quant à leur desseing, les mesmesadvis conviennent
que c'est plustost pour venir ici que de tenter aulcung
exploit, que aussi l'apparence y est grande, veu que , i
pour ceste heure , leurs forces sont plus grandes que 'j
celles que sa majesté a en ce siège, qui les peult autant
inviter à l'entreprendre qu'aultre chose , car en ce cas
où sa majesté sera contraincte se porter au devant avec
toutes ses forces, et en ce faisant lever le si ge, qui
est leur principal but , où les départant es deux occa-
sions, elles seront foibles en chacune, et le danger i
trop grand pour ses affaires.
Que si ces forces qu'elle a mandées avoient loisir
d'arriver, elle n'auroit rien à craindre pour 1 ung et
l'aultre effecl ; mais c'est ce qui fera tant plus haster ^
l'ennemi, qui constitue partir de son advantage en
ceste prévention , ainsi qu'il se voit es lettres du
duc de Mayenne interceptées dont les mesmes origi- j
naulx ont esté dernièrement envoyés à ladicte dame.
Qu'à ceste cause , sa majesté est contraincte reve-
nir au remède qu'elle peult avoir plus prompt, qui
est le secours de ladicte dame; qu'elle la supplie lui
vouUoir^ncores accorder le nombre susdict de quattre
mille hommes, qui ne sera que pour six sepmaines au
plus, s'asseurant, moyennant cela, de venir à bout de
ceste entreprise dans ledict temps, nonobstant tous les
efforts que les ennemis pourroient faire pour l'em-
pesclier.
Que, oultre l'affection qu'elle a au bien des affaires
de sa majesté, elle a particulier interest en ceste der-
nière entreprise , tant pour sa réputation à cause qu'elle
est en partie faicte sur le fondement et par le moyen
1
A M. DUPLESSIS. i3l
tîe ses forces , que pour son remboursement des des-
penses par elles faictes pour sadicte majesté, qui est
assigné sur les reveneus de Rouen, aulxquelles celle
dudict nouveau secours sera encores adjoustee , s'il lui
plaist qu'il portera , s'il plaist à Dieu , sa vertu d'asseu-
rer le tout.
Si elle retombe sur les plainctes et reproches qu'elle
a desja faicts plusieurs fois, et mesmes par la lettre de
sa main que sa niajesté a de présent receue , tant du
long temps qu'elle dict qu'on a teneu ses forces à se
consommer avant que commencer ladicte entreprise ,
et du changement que, contre le contract sur ce passé,
sa majesté a voullu faire de ce desseing pour les em-
ployer ailleurs, que du défault des forces qu'on lui
avoit asseurees se debvoir trouver en ce siège, oultre
les siennes, qu'elle appelle tout manquement de pro-
messes, ledict sieur Duplessis est assés informé de
tout ce qui se peult respondre là dessus, pour lui faire
cognoistre que sa majesté a faict en cela ce que tout
prince capitaine a accoustumé et est contrainct faire,
de suivre ou changer ses desseings selon ce que font
les ennemis ou les advis qu'il en a qui ont du vraisem-
blable; que si leurs entreprises et effects n'ont esté
plus prompts, ce n'est qu'ils ne le pensent estre , veu
que l'armée du pape pouvoit estre trois ou quattre
mois en France , lesquels elle a consumés inutilement
sur Testât de Milan, et l'ordre qui avoit esté donné de
la part du roy d'Espaigne , tant en Allemaigne qu'en
Italie, pour la levée et accélération d'aulcunes forces
(desquelles une bonne partie a esté defaicte par le
sieur Desdiguieres) , qu'il avoit aussi ordonnée pour
venir en France, et faire une armée si puissante que sa
j
l32 INSTRUCTION DU ROY
majesté ne lui peust résister, laquelle n'a peu aussi
prendre ses resolutions que selon ces fondemens et
moyens de l'ennemi, ni pareillement éviter qu'elle n'ait
perdeu quelque temps pour n'avoir peu deviner les dif-
ficultés et retardement qui y sont adveneus.
Elle se plainct de l'entreprise de Noyon , et qu'au
lieu d'icelle , sa majesté ne s'est trouvée en Normandie ,
lorsque M. le comte d'Essexy est arrivé avec ses troup-
pes, veu l'instance qui lui avoit esté faicte de haster
leur veneue; en quoi elle se dict moquée, mesprisee et
maltraictee.
La response est que, pour oster l'opinion de l'en- ■
nemi de l'entreprise de Rouen , qui estoit desjà trop
divulguée, sa majesté estima à propos d'en faire quel-
que aultre en Picardie, attendant la veneue de ses-
dictes trouppes, et avoit lors celle dudict Noyon en
main, sur quelque promesse du gouverneur, que, s'y
présentant l'armée avec huict canons, qu'on donnast
ordre de n'y laisser poinct entrer de secours (dont il
lui semble ne debvoir perdre l'occasion) , il ne se feroit
battre, et ne le feit sa majesté sans en avoir donné
advis à ladicte dame, pensant bien estre assez tost de
retour en Normandie pour ne laisser perdre de temps
à ses trouppes quand elles seroient arrivées , en quoi
sa majesté auroit esté trompée du temps sur lenoncé
de la date du nouveau kalendrier d'une lettre du sieur
de Rean , selon laquelle elle ne les attendoit que ung
mois plus tard qu'ils ne veinrent; et, lorsqu'elle eut
les nouvelles de leur arrivée , elle se trouva engagée
au siège de Noyon, n'ayant la promesse du gouver-
neur en lieu , à cause que l'armée ne peut y arriver
assés tost après l'avoir' faict investir pour empescher
A M. DUPLESSIS. l33
qu'il n'y entrast secours, comme semblables desseings
ne succèdent pas tousjours selon l'ordre qui y est donné.
Que de s'en retirer lors ( ce qui feut mis en délibéra-
tion), deux choses s'y opposoient ; l'une la réputation ,
par laquelle sa majesté a plus soubsteneu ses affaires
que par les moyens qu'elle a eus, et mesmes que le
duc de Mayenne avoit desja commencé d'assembler
ses forces à Han , pour entreprendre de la secourir : à
quoi l'on eust attribué la retraicte de sa majesté; l'aul-
tre, la difficulté de faire marcher les reytres et Taultre
équipage sans quelque argent , dont n'y avoit aultre
moyen que de la prise dudict Noyon , après laquelle,
et avant que pouvoir tirer quelque somme levée sur
les habitans , elle demeura encores accrochée plusieurs
jours à ladicte difficulté.
Elle reproche le faict de et le voyage de sa
majesté en Champaigne , incontinent au partir do
Noyon en Normandie.
Le premier n'arresta de rien l'armée, laquelle aussi
bien ne se pouvoit plus avancer pour beaucoup d'in-
commodités qu'il y avoit. Et quant au voyage de
Champaigne , il n'a rien retardé les affaires de la Nor-
mandie, y ayant M. le mareschal de Biron faict ce que
eust peu faire sa majesté; car la prise qu'il a faicte de
quelques villes et aultres places, avant que venir à
Rouen , estoit ung préalable et preparatif nécessaire
pour mieulx en asseurer l'entreprise.
Que neantmoins ledict voyage estoit si nécessaire
de la personne inesmes de sa majesté, que , sans icelui,
il y a grande apparence que l'armée d'Allemaigne ne
feust passer oultre, veu les difficultés que encores sa
majesté a eues de les y conduire, et y avoit aussi grande
raison de le faire pour les empeschemens qu'on crai-
l34 IlSrSTRUCTION DU ROY
gnoît en leur passage , de la part des ennemis , ainsi
qu'ils le pouvoient entreprendre si les forces du pape
et de Lorraine , au lieu du séjour qu'elles feirent au-
dict pays de Lorraine , eussent marché droict vers Val-
lenciennes, où la resolution estoit qu'ils se debvoient
assembler avec le duc de Parme, pour s'opposer audict
passage, dont les moyens étoient si apparens et les
advis si communs, que ladite armée eust peu justement
refuser de marcher , si sa majesté n'y eust esté pour
les conduire , laquelle ayant aussi délibéré d'en laisser
([uelque partie en Cliampaigne , pour la seureté des
frontières, attendant ce que les ennemis deviendroient,
(lie feut encores poussée de ceste considération à faire
le voyage, que à peine se voudroient ils séparer que
au moins elle ne les eust veus ensemble, comme aussi
elle pense que les princes qui l'ont envoyée s'en feussent
teneus offensés.
Elle se deut aussi tromper du nombre des forces
qu'on lui avoit faict entendre que sa majesté auroit
en ce siège, comme de chose supposée pour l'y em-
barquer. Sur ce, ledict sieur Duplessis lui sçaura bien
remonstrer que sa majesté ne Ta trompée, mais Ta
esté elle mesme par les accidens de morts, maladies
et aultres que la longueur du temps apporte aulx ar-
mées, et par le besoing, à cause de celles que les en-
nemis ont par les provinces , de les laisser aussi gar-
nies le mieulx qu'elle peult.
Par la lettre qu'elle a escrite à sa majesté, elle Ta
renvoyée aux estats, dont elle dict que le secours lui
pourra estre plus prompt, à cause qu'ils ont leur ar-
mée preste, et elle n'a aulcunes forces amassées, veu
aussi qu'ils se sont vollontairenient offerts, comme
elle dict le bien scavoir, qui semble lui donner quel-
A M. DUPLESSIS. ^?>'^
<]iie jalousie, avec ce qu'on a de long temps cogneu
sur aultres imaginations.
Il lui peult eslre respondeu que quand sa majesté
a désiré quelque chose d'eiilx, elle s'y est adressée
principalement par sa faveur et moyen; que, s'ils ont les
forces sus pieds, ils veullent faire proffiter le loisir que
le duc de Parme leur donne venant en France; ce qui
apporte aussi quelque soulagement à sa majesté, du
plus grand nombre qu'il en pourroit amener sans cest
obstacle.
Que d'offre ils n'en ont faicte aulcune à sa majesté,
sur laquelle elle puisse fonder espérance de ce secours ,
lui ayant seulement faict proposer pour l'incommo-
dité et perte qu'ils ont desjà sentie de l'occupation de
Blanet par les Espaignols, que, s'il plaisoit à ladicte
dame entreprendre de les en oster, comme ils le se
figurent faisable, ils y contribueront vollontiers ce
qu'ils pourroient; de sorte que ceste offre est plustot
attachée au respect qu'ils leur portent et à son bon
plaisir, que à la disposition de sa majesté; que neant-
moins elle n'a laissé d'ordonner au sieur de Buzenval
de sonder sur l'occasion de ce siège et des desscings
forcés des ennemis , si elle pourroit tirer quelque as-
sistance d'eulx; à quoi toutesfois elle ne s'attend nul-
lement pour les raisons susdictes, et que cela aussi ne
se pourroit traicter (à ce que sa majesté a entendeu)
que par assemblée des estats gcneraulx , qui seront
chose plus longue qu'il ne seroil besoing en telle
urgence d'affaires, et ne s'occuper poinct de ladicte
recherche pourra estre teu, si ce n'est que ledict sieur
Duplessis voye que pour ne lui laisser opinion que sa
majesté lui veuille cacher ou desguiser ses actions,
îl le lui faille déclarer.
l36 INSTRUCTION DU ROY
Elle reproche aussi le peu de forces que sa majesté
a eu en Bretaigne contre la promesse qui lui avoit
esté faicte, la consommation de ses hommes et moyens
sans en attendre aucung fruict pour son particulier,
ni que sa majesté en fasse bien son profict, déclarant
que si bientost elle ne sçait qu'il y soit donné meilleur
ordre, et ce qu'on vouldra faire à cest effect , non seu-
lement elle n'y employera rien , mais aussi est resoleue
de retirer ce qu'il y reste de ses trouppes.
Pour le regard du nombre des forces, sa majesté
s'est en partie fondée sur ce que ceulx du pays avoient
promis, et d'ailleurs y avoit ordonné le sieur de La-
Terdin, qui lui avoit asseuré d'y mener de douze à
quinze cens hommes de pied, et de trois à quatre cens
chevaulx , n'ayant peu y envoyer d'aultres provinces,
pour avoir chacune des affaires ; et aussi que sa ma-
jesté n'a moyen de les payer, comme en toutes aultres
choses elle est combatteue de grandes difficultés que la
nécessité lui apporte, et qui lui font perdre beaucoup
de temps et de bonnes occasions.
Que pour ceste heure, elle ne peult pourvoir
aulx affaires de ladicte province comme elle desireroit ;
mais que Dieu lui donnant la bonne isseue qu'elle at-
tend de ceste occasion, qui l'occupe entièrement, et
toutes ses forces et moyens , ce sera l'une des pre-
mières choses aulxquelles elle regardera pour y faire
toute la meilleure provision qui lui sera possible; ce-,
pendant elle a ordonné à M, le prince de Conly se
joindre, avec les forces qu'il peult avoir, à M. le prince
de combien qu'elle eust faict estât de
faire venir ledict sieur prince de Conty et sesdicts
forces, pour s'en servir en ceste occasion, suppliant
h>.dicte dame ne se retirer ni lasser de ses faveurs
A M. DUPLESSÎS. iSy
et assistances envers sa majesté, tant de ce coslé là
que es aultres , où elle en a besoing , sur l'asseurance
qu'elle peult prendre d'avoir à jamais sadicte majesté
et tout ce qui sera en sa puissance entièrement h
sa dévotion.
Lui fauklra faire entendre ce qui est passé avec les
reystres, et la supplier d'y continuer ses bonnes ex-
hortations, ensemble envers les princes d'Allemaigne,
pour la continuation de leur secours et assistance aulx
affaires de sa majesté.
Si ung Mortara qui est par delà dict avoir beau-
coup de choses d'importance à faire entendre à sa
majesté, se présente à lui, ou que aultres lui en
parlent , il taschera de pénétrer en ses intentions
le plus qu'il lui sera possible.
Communiquera avec ledict sieur de Beauvois, am-
bassadeur ordinaire pour sa majesté vers ladicte dame,
avant que rien traicter, prendront audience par en-
semble, ayant en tout la bonne intelligence qui est
requise entre les serviteurs ministres de sa majesté.
Faict au camp devant Rouen, le .. jour de dé-
cembre jSqi. Signé y Henry.
Et plus bas y Revol.
XXYl. — ^ AULTRE DESPESCIiE
Du duc de Parme au roj d'Espaigne.
Du . . janvier i5q2.
Afin de passer plus avant sur cest affaire, et pour
!e désir, que j'ai de donner plus de lumière à vostrc
l38 DîiSPESCHE DU DUC DF, PARME
majesté de tout ce qui se peult discourir, j'ai reteneii
ceste depesche jusques à ce que j'aye sceu ce qui s'est
passé il y a quattre jours, sur les propos teneus entre
]e président Janin et M. de La Chastre, députés du
duc de Mayenne h ceste fin, avec don Diego de Ibara
et le président de Richardet, qui, par nos commande-
mens , les allèrent joindre; les deux veinrent à se
déclarer (encores qu'ils ne l'ozent asseurer , pour les
difficultés qui se présenteront et traverseront l'affaire,
j)0ur esîie de l'importance et nouveaulté qu'nng clia-
cung sçait) que Ton pourroit, pour ceste fois, intro-
duire le propos de la loi salicque, pour faire nommer
la serenissime infante pour royne souveraine de ce
royaulme, avec condition qu'elle y viendroit demeurer
dans six mois , et de là à aultres six mois se marieroit
par l'advis des conseillers et ministres de la couronne,
disant qu'estant l'affaire reduict à ce poinct, et estant
elle souveraine, elle pourroit peult estre eslire tel mary
({ue bon lui sembleroit, sans que personne s'y osast
opposer, adjoustant à ces conditions qu'il falloit con-
tinuer les lois et coue tûmes du royaulme, et les con-
server en son entier, sans prétendre de mettre des
gouverneurs ni des garnisons aulx places d'aultre na-
tion que de la leur naturelle, et que, puisque le
rovauhne estoit divisé, et qu'il n'y avoit apparence de
pouvoir sitost ni si facilement chasser le de Bearn ,
hérétique et puissant comme il est , ni appaiser ceulx
qui se vouldroient opposer à ceste resolution; que, de-
vant toutes choses, il estoit nécessaire que vostre ma-
jesté despendist dans le propre royaulme : première-
ment, ils dirent huict, mais après ils montèrent, dirent
dix millions pour le moins en deux ans, afin d'appaiser
et asseurer le royaulme , et le réduire à l'obéissance
AU ROY D'ESPAIGNE. 1*^9
deTinfante, et que la despeiise s'en feist par les officiers,
ministres du royaulme , en la forme et manière qu'ils ont
accoustumé; adjoustant, pour corroborer leur raison,
que ceste déclaration estant faicte, la porte leur est
du tout fermée pour se pouvoir jamais plus accommo-
der avec du Bearn, ni parler d'aultre expédient; et,
pour parvenir à ceste intention, il leur semble que,
moyennant lesdicts dix millions que l'on pourra des-
pendre en dix années, qui commenceront des lors
que la serenissime infante sera déclarée pour leur royne
et non devant , il se pourra faire quelque grand effect.
Oultre ce, ils concluent qu'il fault de nécessité néces-
sitant s'accommoder avec ceulx qu'ils appellent princes,
avec les gouverneurs provinciaulx particuliers, avec
plusieurs aultres de la noblesse, tant de ceulx qui sui-
vent le parti que de ceulx qui sont du parti contraire, qui
se vouldroient réduire; car, par le moyen de ceulx ci,
on doibt prendre et establir l'affaire en l'assemblée des
estats; car aultrement il ne se peult faire, ni de la sorte
que nous prétendions ; et le duc de Mayenne et ces prin-
ces, avec ceulx de la noblesse qui nous sont bien affec-
tionnés, désirent, nous disans librement, pour y parvenir,
gaigner les cœurs des personnes. Il y falloit une grande
somme de deniers, qui toutesfois se deduiroit sur les-
dicts dix millions , oultre les charges , propriétés et
recompenses qu'on leur feroit dans le propre royaulme,
lesquelles aussi, comme ils disent, seront modérées,
parce qu'il n'est pas raisonnable qu'elles soient telles
qu'elles sont. Leur estât , qu'ils prétendent plus que
jamais conserver en son entier, la nous font ainsi en-
tendre en toutes les occasions que nous venons à parler
de ce faict.
Ledict don Diego de Ibarra , le président Richardet,
l/|0 BESPESCHE DU DUC DE PxVRME
ont respoiulcMi à ces propositions ce qui leur a semblé
plus convenable, et particulièrement qu'il ne falloit
nullement doubler que, en voyant vostre majesté, sa
fille en ce royaulme, vous ne la vouldriez abandonner,
jusques à ce qu'il feust composé comme il est bien rai-
sonnable, puisque, mesme à présent, sans aultre des-
seing particulier, sinon le gênerai de la conservation
de la relligion et bien de la cbrestienté , vostre ma-
jesté despend , comme ils sçavent très bien, peu moins
de quattre millions par an, qu'ils prétendent avoir
asseurés pour les deux premières de la royaulté de la
serenissime infante ; et ores qu'on vienne à ceste pro-
messe, ils ne vouldroient pourtant obliger vostre ma-
jesté qu'elle mist ceste somme toute à la fois en leurs
mains, mais qu'elle se fourniroit à mesure qu'elle se
despendroit , à quoi il semble qu'ils se contenteront,
comme aussi des huict millions qu'ils proposèrent du
commencement, non aulx dix, où ils s'arresterent.
Il feut enfin arresté qu'ils ne feroient response sur
ce qui avoit esté discoureu et proposé entre eulx, pour
leur pouvoir donner la resolution qu'ils pretendoient ,
laquelle ils esperoient estre telle, qu'ils auroient la
satisfaction que justement on leur pouvoit donner; et
ainsi ils me la donnèrent hier en présence de Jehan
Baptiste de Tassis , qui , suivant ce que je lui avois
escrit, s'est resoleu de retourner de Bruxelles, où il
estoit desjà arrivé en ce royaulme, et d'autant que c'est
ung affaire de poids et de telle considération qu'on
peult estimer. Nous nous sommes arrestés pour y pen-
ser ung peu, et le resouldre tard; car, après avoir
bien regardé, considéré et pesé le tout avec ces cir-
constances , despendances, nous vinsmes à la fin con-
former, en ce qu'il nous sembloit, qu'il ne falloit en
AU ROY D'ESPAIGNE. I^î
aiilcune f^içon se laisser entendre que nous n'eussions
pouvoir de passer plus avant et conclure ceste nego-
tiation , sans prendre nouveau conseil de vostre ma-
jesté, altendeu les inconveniens qui peuvent survenir,
desquels l'assemblée des estats n'est le moindre, les-
quels , comme il semble , ils veullent tenir, et le feront
dans peu de temps, et ne sont de moindre importance,
les discours de la paix, qu'ils tiennent tousjours en
estât; laquelle pourroit advenir, par le moyen des
mauvais instrumens que le duc de Mayenne a auprès de
soi, lorsque moins nous y penserions , oultre l'ombrage
et souspçon que quelques potentats ont de vostre ma-
jesté, et de l'opinion que plusieurs du royaulme se
sont imprimés que vostre majesté veuille tenir les
affaires en longueur pour détruire le royaulme, et
donnent occasion à sa division , tellement que n'ayant,
comme j'en ai ad vis, de promettre ceste somme de la
part de vostre majesté, qu'il fault s'en resouldre, sur-
tout ne rien remettre en longueur, ni lasclier de la
main les propos de la serenissime infante ma maistresse,
qui est ce qu'on peult désirer en cest affaire. Nous
concleusmes qu'ils se rassembleroient aujourd'hui de
nouveau, avec eulx Jehan Baptiste de Tassis, et que,
sans accepter ni refuser la somme des huict millions,
on passast oultre en l'affaire, leur disant que , puis-
que on a parlé de cela, on vienne au poinct qui re-
garde les prétentions des princes, des aultres particu-
liers, de la noblesse, et sur les aultres prétentions, s'il
y en a, pour resouldre le tout, haster l'assemblée des
estats; parvenir, avec l'aide de Dieu, à la bonne isseue
que eulx et nous prétendons de cest affaire, espérant,
pendant que nous traicterons de ceci, et incontinent
après de la seureté de l'argent qu'il conviendra defi-
14^ DESPESCIïE DU DUC DE PARME
pendre, oullre ce qui s'est employé pour le bien de la
couronne et pour la seureté de la serenissiine infante,
ma niaistresse, mise dans le propre royaulme, et que
les choses s'accommodent ; et que s'il sera meilleur que
]a somme qu'ils prétendent soit despendeue comme
elle est à présent en une armée d'ung si grand nombre
d'estrangers , et ung aultre de François, et non tant
par leurs mains, qu'il y aura moyen d'avoir response
de vostre majesté, avec déclaration de sa royale vol-
lonté sur ce poinct, mesmement que l'on ne doibt ve-
nir à aulcune exécution sans, au préalable, s'accorder
en ce qui touche la serenissime infante , auquel cas il
semble que toute ceste somme doibt estre, pour bieji
employer que que vostre majesté ait
eu aulcung gaige en main. Elle a despendeu tout ce
qu'ung chacung sçait , et peult estre lui en fauldra
despendre autant pour n'abandonner ceste saincte
cause, sans aulcung aultre interest particulier.
Lesdicts Jehan Baptiste de Tassis , don Diego de
Ibarra et le président Ricbardet s'en retournèrent avec
ceste resolution au quartier du duc de Mayenne, et s'as-
semblèrent, avec euU M. de La Chastre, le président
Janin , procurant de conduire l'affaire comme nous
l'avions resoleu entre nous ; mais cela ne leur proficta
de rien , pour ce que on leur respondit que traicter des
particuliers et de leurs prétentions, ce seroit ung affaire
trop long; qu'il ne s'y falloit arrester, sans première-
ment conclure le principal poinct , qui est des millions,
sur lequel on doibt fonder le reste de la negotiation de
la serenissime infante pour leur royne.
Estans retournés à moi avec ceste response, encores
que tous feussent d'opinion que je ne pouvois refuser,
de faire la promesse soubs le royal nom de vostre
AU ROY D'ESPAIG^^E. i43
iiiajeslé pour lesdicts qualtre millions, pour les raisons
ci dessus mentionnées avec plusieurs aultres, qui se
doibvent assés clairement entendre , ce qui nous
oblige à ne différer à leur donner ces!e résolution
pour estre . Toutesfois, ung affaire si grand ,
de telle importance et si fragile, et qu'il n'est bien
que les subjects soient si hardis d'offrir chose de la-
quelle ils ne soient bien asseurés qu'elle sera agréable
à leur majesté , je leur demandai, puisque nous estions
sur nostre despart , et que par ce moyen ils ne se pour-
roient assembler le jour ensuivant, (ju'ils y pensassent
bien cependant. Ce que je leur dis, afin que pendant
ce temps nous prissions mieulx garde à la despense et
au service de vostre majesté, et nous estans, cbacung
de son costé, entendeus afin d'acheminer ceste pour-
suite, après avoir bien pensé, repensé et considéré les
inconveniens qui pourroient advenir s'ils sentoient que
nous n'avons moyen de le conclure , sans au préalable
avoir advis de vostre royale vollonté, et que de le
mander ainsi au président Janin, et que partant nous
n'y pourrions condescendre, c'estoit chose très asseu-
ree que non seulement il adviendroit que l'affaire de
la serenissime infante se perdroit du tout, mais aussi
que nous tomberions en mille ii. onveniens, sans se
pouvoir asseurer de voir excleus le du Bearn de ceste
couronne. Voir que, sans le pouvoir reparer, nous
establirions son jeu en ung affaire si forcé, contrainct,
au moyen de quoi nous avons, d'ung commung con-
sentement, faiet élection du parti qui nous a seml)lé
le meilleur pour le bien de toute la chrestienté du royal
service de vostre majesté, présupposant qu'elle avoit
plus de desplaisir après tant de peine, et argent des-
pensé, et sang respendeu , qu'on meisl fin à ung affaire
l44 DESPESCHE DU DUC DE PARME
de telle importance, qui est d'avoir offert ce qu'ils pré-
tendent, attendeu que les refusant une fois de l'ung,
on n'y pourroit plus revenir; et pour Taullre, si vostre
majesté ne l'a agréable, il sera en sa puissance de le
refuser, sans consentir ni venir à ce qu'ils proposent et
offrent. Par ainsi nous avons concleu de leur offrir,
non argent net , mais jusques à vingt mille hommes de
pied, et cinq mille chevaulx estrangers, payés par
vostre majesté avec l'artillerie, pouldres, et attirail, et
douze cens mille escus à la disposition de la serenissime
infante , ma maistresse , afin de pouvoir entretenir
ceulx qu'il fauldra du royaulme, procurant toutesfois,
auparavant de les faire contenter, de seize mille hommes
de pied, et quattre mille chevaulx, et ung seul million
en argent , pour les occasions ci dessus , et qu'ils se
contentent de ceste assignation pour ung an seulement,
nous y faisans tout ce q(je nous pouvons, sans rien
rompre encores que quand nous ne pourrions mieulx
faire. Pour ne venir lï ung poinct si pernicieux comme
est la perte de ceste chrestienté, nous sommes resoleus
de nous estendre jusques aulx deux armées qu'ils pré-
tendent, persistant toulesfois qu'il y ait une armée
estrangere soubsteneue pour ce temps par vostre ma-
jesté : pour ce c[uM nous semble, pour plusieurs res-
pects, qu'il le fault ainsi, afin de plus promptement
achever d'appaiser les choses du propre royaulme ,
pour le rendre plus asseuré pour la serenissime infante,
ma maistresse, quand elle y devra entrer, demeurer,
sur quoi , sur le recouvrement de l'argent despendeu et
qui se despendra, et les aultres poincts qui
ceste matière, on les traictera par le moyen desdicts
Jehan Baptiste de Tassis, Diego de Ibarra et le prési-
dent Richardet, avec le soing, diligence et amour que
AU ROY D'ESPAIGNE. l45
vostre majesté peult conférer de cliacung d'eulx et de
moi, qui suis tant vraiment et obligé subject. H reste
à présent que vostre majesté soit servie de se resouldre
en cest affaire , et qu'elle nous commande déclarer sa
royale vollonté en tous les poincts requis fort distinc-
tement; et voullant qu'il se passe oultre sur cest affaire,
commandera faire la nécessaire prévention , provision,
tant dlioinmes que d'argent; pouvoir, et
n'oublier quelque somme particulière pour les extraor-
dmaires, qui, sans doubte , s'en présenteront de très
grands, et pour les vollontés qu'il fauldra secrètement
€t séparément gaigner, ni aussi de ce qui sera néces-
saire pour l'enlretenenient et conservation des Pays
Bas. A quoi il fauldra aussi pourvoir, se resolvant
vostre majesté d'embrasser ceste chrestienne negotia-
tion, par la voye que proposent et prétendent le duc
de Mayenne , ces François ; et, selon mon petit jugement ,
il fault sur toutes cboses tascher de ne leur manquer
d'ung poinct.de tout ce qui leur sera promis, et qu'il
ny ait aulcune dilation, soit pour parvenir à ce qui
est nécessaire, ni en resouldre et conclure l'affaire,
puisqu'avec ces humeurs, quelque ce soit de ces deux
choses, non seulement prejudicier, mais aussi le de- "
truire entièrement, sans espérance de le faire jamais
car, encores que je voye que, pour venir à
nostre intention il y aura une milliace de difficultés,
telles que ce sera plustost une grâce de Nostre Sei-
gneur si nous les surmontons que non industrie hu-
maine, et partant il semble que la craincte surpasse
l'espérance d"y pouvoir parvenir. Toutesfois , s'il y a
aulcung moyen qui y puisse proficter, c'est celui de
briefveté en tout; ce qu'estant cogneu par nous, qui
sommes deçcà, comme nous le cognoissons, nous has-
Mkm- de DurT.ESSTS-rvîonKAY. TOWF V. J Q
l46 DESPESCHE DU DUC DE PARME
tons tant que pouvons la convocation et assemblée des
estais, tout ce qui nous semble propre à ceste fin.
Et pour ce que sans double ils vouldront voir le
pouvoir que nous avons de vostre majesté pour la
conclusion de cest affaire, comme il est très raison-
nable, je supplie vostre majesté l'envoyer au plustost à
celui qu'il lui plaira pour le conclure et y mettre fin,
afin que , faulte de ce , nous ne nous arrestions sur le
meilleur temps; car je crains fort qu'on le nous de-
mande auparavant qu'on vienne à l'assemblée des
estats, et sur le poinct de la déclaration que nous pré-
tendons qu'ils feront en faveur de la serenissime in-
fante, ma maistresse, veu qu'ils sont fort curieux en
toutes choses : et certainement en seroit ung grand
inconvénient de leur dire que nous n'en avons poinct,
encores que nous différassions assés de la leur monstrer.
Certainement c'est ung affaire grand et de grand
poids, et qui a esté, est et sera de grands frais; car,
pourveu qu'on ne passast les huict millions en deux
ans , moyennant lesquels ils prétendent pouvoir appaiser
les choses de ce royaulme, nous nous pourrions con-
tenter ; et , quant à moi , je crains qu'il en faille dadvan-
tage, et pour plus de temps, d'aulcune part, consi-
dérant que la serenissime infante ma maistresse sera
déclarée royne, propriétaire de ce royaulme, qui est
ce que vostre majesté prétend et désire, et qui lui
vient si à propos, non tant pour les choses du propre
royaulme et de la relligion catholique en gênerai
comme pour les royaulmes et estais de voslre majesté
en particulier. Il semble que cela donne courage à ai-
der à la matière , et à procurer de l'advance le plustot
que faire se pourra.
J'ai esté très aise que sa sainteté s'est resoleu de faire
AU ROY D'ESPAIGNE. l/jy
cardinal l'evesque de Plaisance, et de le déclarer son légat
en ce royaulme pour les occasions mentionnées en une
lettre qui va avec ceste ci , et pour estre tout asseuré qu'il
apportera tout ce qu'il pourra à ce que nous prétendons
en cest affaire qui est tout ce que nous pourrions désirer.
Mais venant apparemment d'entendre que ung cour-
rier que le duc de Lesso a depesché des le du
passé la mort du bon pape Innocent qui si bien enten-
doit ces affaires, et les guidoit si prudemment, je con-
fesse qu'il m'a mis en ung grand esmoi, non tant pour
le regard de ma maison , pour l'affection qu'il nous por-
toit comme pour le service de sa majesté , sur ce que
nous avions en main et de toute la chrestienté , atten-
deu que par le moyen de son sainct zèle, expérience,
et prudence dont il estoit doué, on peult présupposer
qu'il eust faict de très grands effects; je dirai bien que
ceste perte nous oblige de accélérer plus que jamais
cest affaire, et à condescendre avec plus de facilité ce
que proposent et prétendent ces François, pour ce que
si le fort tombe sur quelqu'ung qui n'entende ces affai-
res, comme les deux derniers papes, il nous trouve si
avant, et si bien establis en icelui , qu'il ne puisse em-
pescher le bon succès : j'espère en Dieu qu'il nous en
donnera ung bon et bien conforme à son sainct service
et à celui de vostre majesté qui est si conjoinct, puis-
qu'elle aura commandé de faire les préventions pour cest
affaire , lesquelles nous debvons attendre de son sainct
zèle et bonne affection. Nostre Seigneur garde et pro-
spère la S. C. R. P. de votre majesté avec accroissement
de royaulmes et estât, que ce vrai subject plus désire.
De vostre majesté , humilde criado que sus pies r
manos besa, Allexandro FA.Rf\ES£.
Du Lion Santof, ce . . de janvier 1692.
ll^S LETTRE DU ROY
XXVII. — -^LETTRE DU ROY
J M. de Beauvoir, ambassadeur pour sa majesté
€71 Angleterre.
Du . . janvier 1692.
Monsieur rambar.sadeur , vous pouirés faire en-
tendre à la royne ma bonne sœur , comme aussitost
que mon cousin le comte d'Essex a parlé de la volonté
qu'elle avoit qu'il s'en retournast , il ne m'a falleu de
crrandes parolles pour le lui persuader, encores que
l'espérance et l'apparence d'une prochaine battaille ,
dont les ennemis nous menassent , le conviast assés ,
lui plein de valleur et de courage, de demeurer : je lui
ai tant d'obligation , que je ne la vous puis celer , sans
lui faire trop de tort, et vouldrois avoir aultant de
moyen de la lui recognoistre, que je m'y sens obligé
par mondict cousin. Vous entendrés aultant de mes
nouvelles que de celles de mes ennemis que je vous en
pourrai escrire par ung aultre. Aussi c'est ce qui fera
la mienne plus courte , et sur ce je la finirai pour
pryer Dieu qu'il vous ait, M. l'ambassadeur, en sa
saincte garde. De Gournay. Hier j'envoyai cinquante
chevaulx des miens à la rencontre , qui en trouvèrent
cent du prince de Parme. Ils en tuèrent quarante trois
sur la place , cinq de prisonniers , et les aultres furent
mis en déroute et deffaicts.
A M. DE BEAUVOIR. i49
XXVIII. — -^LETTRE DU ROY
A M. de Beauvoir.
M. de Beauvoir, je vous envoyé le mémoire de ce
qui se passa hier. C'est ung eschantillon de plus , si
nous sommes assistés à temps ; car il m'est trop dur
de démordre Rouen; mais je suis en peur, si la royne
ne m'assiste prompteaient, et il y va de trop pour
m'abandonner en ce hesoing ; et plaist à Dieu qu'eire
en vist la conséquence, soit à mal, soit à bien. Pressés
l'en donc, je vous prye, et que bientôt j'en reçoive les
fruicts , que j'attends de sa bonne affection , et de
vostre dilligence, et sur ce, etc.
Et au costé est escript : Je suis en peur du pauvre
Saqueville. Assurés la royne, et ceulx à qui il appartient,
que j'en aurai soing , et desjà j'ai envoyé ung trom-
pette pour sçavoir ce qu'il sera deveneu ; je crains qu'il
ne se soit engagé trop avant.
XXIX. — ^ LETTRE
De Vevesque de Bristone.
Spectatissimo et ornatissimo viro mihique inpri-
mis carissimo domino Philippo Mornayo domino
Duplessis.
Et si (vir ornatissime) mihique multis nominibus,
carissime domine, et de Ecclesia disserentem vide-
rim , et disputantem dilexerim ( ita omnia quœ ad illam
, pertinebant, et orthodoxe doceas et eru-
l5o LETTRE DE LEVESQUE DE BRISTONE.
dite explices, adversus synagogam et cœtum maligna-
tiuin pro communione fidellium) tamen cum nuper in
anglia nostira sermoneiii tecum haberem , et de rebus
vestris. De confederatorurn Galliae plane et
nefaria. Gonjuratione : et de nostris etiam , periculosa
i-idelicet et intempestiva de Ecclesise politica instituta
contentione, intellexi plane quam et in te arteni fece-
rit et quale judicium, multiplex doctrina,sacrae
paginœ versio, et memoria bistoriae confirmaveriint.
Quœ qiiidem omniaquum ad utilitatemEcclesiae Gliristi
a Deo tibi donata perspexissem , videbar niibi sane
incidisse in eum quem prius. Exoptassem toto mihi
dari oui et causam Ecclesiae nostrœ coinniendarem tam
insigni calculo confirniandam et fratrum quorumdam
apud nos obstinatani contentioneni digito demonstra-
rem ; ut etiam probe innotescat, quam faciant inju-
riam huic celeberrimae Ecclesiae quum passim etvestibus
meretriciis eam judici , et Antichristi legibus et politeia
gubernari, vociferantur. Primum ergo (vir spectatis-
sime) mitto tibi bas tabulas sexdecim, quae brevi
metbodo et commodissima formam integram
regiminis Ecclesiae noslrae , complectuntur. In iis
etenim et personae régentes, et regiminis ratio, auc-
toritas , leges et ordines , continentur. In iis plane
perspicies, et quibus fondamentis nilatur, et in quo
cardine vertatur, tam prœclarae Ecclesiae
et judicium faciès, numquid importuni isti obtrecta-
tores non accersant sibi judicium. Illud cujus meminit
beatus Judas apostilus Sozas Mitto insu-
per librum publicarum precum et ministerii sacramen-
torum rituum, caeremoniarum , et liturgiae quae in
Ecclesiae nostra celebratur. Hune tu librum diligenter
precor observa et vide obsecro, num possit aut dcbeat
LETTRE DE L'EVESQUE DE BRISTONE. i5ï
minister Evangelii gregem deserere, cui prœficitur ,
imo quem redeiiiit Christus summus animarum ponti-
fex proprio et pretioso sanguine , et manum ab aratro
monere, sibique os obstruere, fierique mutus canis,
quam ad hanc normam , sacra peragere. Quumqueplu-
rima apud nos hinc inde scriptis utriusque committan-
tur, quorum alia auctoritate publica prodeunt; reli-
qua clandestinis prœliis caduntur, visum est etiam una
cum reliquis tractatusduos uno volumine connexos tibi
dare. Primus auctoritatem habet virum aculum pariter
et doctum , doctorein sublimum Ecclesiae Exoniensis
cathedralis decanum, cui quia in paucis dura Bezam
in ejus vocet pro presbyterio, concludentem, audio
11 une Genevae responsum esse, aut saltem confutatio-
nem , illius ibidem institui, sed qui ego istud grave
oleus vereor enasurum , si ita fiât, quum et sublimus
Cis lUud prosequi , et possit, et velit, vehe-
menter, et nos omnes prœsertim ecclesiasticique non
ita pridem laboranti Ecclesiœ Genevensi opem animis
paratissimis tulerimus , maie repositam gratiam existi-
mabimus, si aut partes nobis contrarias tueantur aut
defensiones nostras convellere conentur. Alter docloris
Saraviae Belgi est jam apud nos pastoris munere ful-
gentes, qui miserabili Ecclesiarum bclgicarum confu-
sione, et depredatione commotus et de diversis gradi-
bus ministrorum et de debito. lllis honore scripsit.
Postremo ut et statum ipsius causœ et quasi
videre possis , mitto etiam theseis quasdam , aut verius
quœ si conformentur ad illam normam
quae apponitur quod aliquando (Deo volente) futurun»
confidos necessarium illud necessitatem
presbyterii manibus prorsus extorquebunt. Restât igi-
tur (doclissime vir ) rt si ut dici solet inter arma silent
l52 LETTRE DE L'EVESQUE DE BRISTONE.
leges, calamumque gladios excutiat e manibus tuis ut
mihi des veniam hoc interpretandi, si modo tantum
otii Deiis aliquando dederit , ut quid tibi videatur, de
re nostra, et me privatim certiorem facere digneris.
Et si aliquam nactus fuerit ut et libère pro-
feras, quœ paci et utilitati totius Ecclesiae inservire
possint. Deus pacis et dileclionis , regem christianissi-
mum ab hostibus luctatur rebelles et perduelliones ,
omnes eorumque conatus evertat , Ecclesiae suœ sanctae
hostes perdat, orbique christiano pacem suam sargia-
tur propter nomen suum.
Bene vale , vir honorande, ex aula regia Londini,
27 die mensis januarii iSqs. Yere tuus in Domino
Jesu , ad omnia pietatis officia, et
llichardo episcopiis Bristodiensis regiae majestatis ab
eleemosinis.
XXX. — NEGOTIATION
De M. Duplessis en Angleterre^ en janvier iSga.
Le roy entendant la prochaine entrée du duc de
Parme en son royaulme, avoit despesché ung huissier
de sa chambre, nommé Launoy, en Angleterre, avec
lettres par lesquelles il en advertissoit la royne d'An-
gleterre, et en oultre la pryoit de l'assister de cinq mille
hommes de guerre, à scavoir trois mille piquiers et
deux mille mousquetaires, attendeu que la pluspart
des Angîois paravant envoyés, soubs M. le comte d'Es-
sex , estoient ou morts ou dissipés, et de quatre mille
reduicts à moins de six cens.
Lequel Launoy auroit rapporté une lettre de ladicte
NEGOTIATION DE 51. DUPLESSIS, etc. i 53
dame royne pleine de reproches des choses passées ,
et portant ung refus absoleu de la susdicte demande ,
quelque debvoir qu'eust faict M. de Beauvoir, ambas-
sadeur résident pour sa majesté en Angleterre, de re-
jnonstrer ce qui estoit de la raison et du service du roy.
Seroit environ ce temps parti d'Angleterre M. lé
comte d'Essex pour revenir en France, selon la pro-
messe qu'il en avoit faicte au roy, auquel ladicte dame
n'auroit vouUeu consentir de tirer des hommes d'An-
gleterre, mais bien seulement ung régiment des vieilles
garnisons de Flandres, lequel estoit payé pour mille
honnnes, et à la vérité n'y en avoit que de six à sept
cens, mais vieulx soldats et en très bon service.
L'absence dudict seigneur comte, uniquement favo-
risé de la royne, aigrissoit extrêmement sa majesté,
et d'autant plus qu'il partoit contre son gré, menacé
de défaveur , et préférant sa réputation à ses com-
mandemens. Et estoit le roy adverti de tous ceulx qui
aimoient le bien de ses affaires, que, s'il ne lui per-
suadoit de s'en retourner, il n'obtiendroit jamais rien
de la royne.
Sa majesté neantmoins feit une auUre despesclie à
la royne sur une plus chaulde nouvelle de l'entrée du
duc de Parme , par Miremont, l'ung de ses aumosniers.
Mais comme elle sceut de certain qu'il estoit entré,
et jà advancé jusques à La Fere en Picardie, se reso-
leut de son propre mouvement d'envoyer le sieur Du-
plessis en Angleterre pour combattre toutes les diffi-
cultés, encores que d'ailleurs il feust fort tenté de le
retenir pour une negotiation encommencee près de sa
majesté, de non moindre importance.
Lequel selon l'humeur de la royne , que de long
temps il cognoissoit, lui remonstra qu'il n'y feroit rien
l54 IVEGOTI/ITION DE M. DUPLESSIS
s'il ne renvoyoit le comte d'Essex ; tant qu'enfin il lui
commanda de voir avec lui s'il pourroit l'y induire, à
quoi il tasclia par plusieurs raisons; mais ledict sieur
comte ny peult estre esmeu , alléguant qu'il lui seroit
trop préjudiciable de sortir de France quand le duc de
Parme y entroit.
Le dernier donc de décembre i5gi, le sieur Du-
plessis partit du can)p devant Rouen , et arriva à
Dieppe, où il trouva le sieur de Leyton, oncle dudict
sieur comte, lequel il alla voir, et lui réciproquement.
Lequel ne lui dissimula poinct qu'il venoit avec charge
de la royne de signifier au comte d'Essex qu'il retour-
nast en Angleterre en dedans le dernier de l'an iSqi ,
qui tomboit au dixiesme janvier , selon nostre style;
sinon qu'elle lui ostoit sa charge des à présent, pour
lors rappelloit tous ses subjects hors de France, et le
despouilleroit de ses estats; tant s'en fault qu'elle fust
en aulcune disposition de le fortifier de nouvelles forces
pour le secours du roy.
Sur quoi le sieur Duplessis feit une despesche au
roy très expresse par le sieur Mercier, aultrement des
Bordes, et pareillement à M. le mareschal de Biron et
M. de Revol , remonstrant qu'il valloit mieulx qu'il
previnst l'attente de son retour pour maintenir son
crédit, que de se faire surattendre, en danger de le
perdre , puis que la royne estoit aheurtee sur ce poinct.
Do Dieppe partit le lendemain premier de l'an 1592;
et le 1, prit terre à La Rie, où il trouva Miremont,
que dessus, attendant le vent, et chargé d'une des-
pesche encores plus resoleue de la royne, de n'assister
})oinct le roy, et de M. de Beauvoir, ambassadeur, que
le roy ne debvoit rien attendre d'elle pendant l'absejjce
du comte d'Essex, auquel la royne vouUoit oster toute
EN ANGI.ETERBE. 1^^
orcnsioii de demeurer en France, qui feut rnnse que
par ledict Mircmont ledict sieur Duplessis feit encores
une recharge au roy de pareil sidDJect.
Le quatriesme janvier arriva le sieur Duplessis à
Londres, communiqua des le soir avec M. l'ambassa-
deur, qui lui donna à souper, et demandèrent le len-
demain leur audience ensemble, qui leur feut accordée
pour le 6, style de France, qui estoit le 27 décembre
1691 , style d'Angleterre.
En ceste audience sa majesté se monstra fort mal
satisfaicte du passé , desgoustee totalement des affaires
de France, protestant de ne les plus assister que de
prycres,etc. Et ses raisons estoient, que quattre mois
durant on avoit laissé consumer ses gens inutilement,
après les avoir demandés si hastivement pour le siège
de Rouen. Que, contre le traicté, le roy s'estoit arresté
au siège de Noyon ; de là s'en seroit allé en Cham-
paigne , dont elle se sentoit mocquee et mesprisee.
Qu'on avoit donné, comme de gaieté de cœur, loisir
au duc de Parme de se préparer tout à son aise. Et
que maintenant on demandoit ung secours à la haste,
dont on n'eust poinct eu besoing si on eust faict les
choses à temps. Et que quand ores on le vouldroit en-
voyer (ce qu'elle ne feroit jamais) ne pourroit aulcune-
ment arriver à temps.
Ces raisons neantmoins tous jours entrecoupées de
digressions de courroux, d'injures et de menaces cor-
tre le comte d'Essex , qu'elle ie feroit> le plus petit
compagnon d'Angleterre ; qu'il faisoit accroire au roy
qu'il gouvernoit tout, et qu'elle lui feroit bien voir
que non ; estant resoleue , non seulement de ne lui en-
voyer poinct nouvelles forces, mais mesmes de rappeller
tous ses Anglois.
î JÔ NEGOTIATION DE M, DUPLESSIS
Aulx plainctes que dessus feut respondea à la royne
par le sieur Duplessis le plus brefvement qu'il peut.
Mais sa principale response , pour couper tout, feut,
que c'estoient choses passées non de son temps, sur
lesquelles le roy l'auroit satisfaicte par ses précédentes
' despesches , et par la bouche de M. l'ambassadeur, sur
la suffisance duquel il ne voulloit entreprendre, etc.
Et parce que ladicte dame se plaignoit de n'avoir poinct '
dormi, et se trouver mal, ne feut poinct passé plus ^
avant; icelle les pryant de se contenter de ceste brefve .
audience pour ceste fois.
Sur quoi le sieur Duplessis la supplia de trouver
bon , qu'il lui baillast le surplus par escrit, afin qu'elle
feut plus esclaicie. Et lors elle lui dict qu'il le pour-
roit bailler à M. le grand trésorier qui estoit là pré-
sent , auquel sur l'heure feut baillé le Mémoire qui
ensuit :
« Le roy très chrestien a despesché exprès le sieur
Duplessis vers la serenissime royne, madame sa bonne
sœur, pour lui représenter Testât où se retrouvent à
présent ses affaires; comme à celle de la faveur et as-
sistance de laquelle elles dépendent pour une bonne
partie, par le soing qu'il lui en a pieu prendre jusques
ici, et au prudent conseil de laquelle aussi il désire
conformer ses desseings et intentions au plus près qu'il
pourra.
« L'estat d^jnc est tel, que sa majesté tres*chres-
tienne tient la ville de Rouen investie et assiégée de
tous costés très estroictement ; la rivière de Seine
mesme bouchée par le moyen de dix vaisseaux de
guerre, oultre ceulx que sa majesté a envoyés, qu'il
y a faict entrer, tellement que désormais elle ne peult
EN ANGLETERRE. ID7
plus recevoir secours aulcung; à quoi toutesfois il est
appareu par lettres interceptées du sieur de Villars ,
qu'il s'attendoit fort; et qu'au default de ce, il ne se
trouveroit suffisamment assisté d'hommes pour la
défense de la ville.
«Et quant au fort, sa majesté, des que le sieur
Duplessis est parti, l'avoit approché de si près par
tranchées, qu'elle estoit au pied de la contrescarpe,
proche d'entrer dedans le fossé, pour venir à la sappe
à la poincte des espérons, au premier jour; ce qu'es-
tant, n'y a pas d'apparence qu'il puisse longuemenr.
durer, si sa majesté a cest heur, comme elle se promet,
de continuer son siège. Et est tout certain, par la con-
sidération du lieu, que le fort pris, la ville ne peult
subsister": joinct que, par les susdictes lettres inter-
ceptées et deschiffrees dudict de Villars au duc de
Mayenne, il déclare, le fort une fois pris, qu'il ne sçait
aulcung moyen de contenir le peuple, ni de le faire
resouldre à sa ruyne.
« Il a esté proposé quelquesfois,niesmes par le comte
d'Essex , qui cherche toutes occasions de bien faire ,
depuis l'arrivée des bandes angloises des Pays Bas, de
se loger en certain bout des faulxbourgs entre le fort^
et la ville , pour rompre la communication de l'ung à
l'aultre. Mais comme il se trouvoit aisé de s'y loger, il
s'est trouvé impossible de s'y tenir qu'avec une inutile
perte d'hommes; qui est cause que le roy s'est teneu
à la voie plus longue en apparence, mais plus seure
en effect; resoileu neantmoins, des que tout le reste
de son artillerie , qu'il faisoit monter par la Seine,
seroit à' terre, de battre furieusement le fort, et pour
distraire leurs forces, une partie aussi de la ville.
« Pendant que ledict seigneur roy est occupé en ce
l58 NEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
siège, et n'oublie rien à l'advancer, et peult estre mes-
mcs y espargner moins sa personne que ses bons servi-
teurs ne vouidroient, sa majesté très chrestienne a nou-
velles certaines que le duc de Parme est entré en son
royauhne, et arrive à La Fere en Picardie, avec com-
mandement très exprès de secourir la ville de Rouen,
d'autant plus que le sieur de Villars, qui y commande,
a traicté particulier, ainsi que Ton tient, avec le roy
d'Espaigne.
« Les forces du duc de Parme sont de quattre mille
hommes de pied Wallons, deux, mille reystres, et deux
mille lances ; et attendoit encores deux regimens d'Es-
paignols;.et se faict estât que, joincts avec l'armée du
pape et celle du duc de Mayenne, ils pourront faire
de vingt à vingt cinq mille honmies. Il conduict aussi
douze pièces de batterie sur des brancards , avec l'é-
quipage convenable , et munitions pour dix mille
coups de canon.
« Est à considérer là dessus que ledict duc n'a qu'ung
effect à faire , et auquel neantmoins il peult tendre
par divers chemins et moyens, à sçavoir le secours de
la ville de Rouen : au lieu que le roy , en ung mesme
instant, en a plusieurs à faire et à pourvoir, à sçavoir,
continuer le siège de ladicte ville, à quoi il est très
resoleu; faire teste au duc de Parme sur les adveneues,
afin qu'il ne vienne troubler son siège par force ou-
verte , et pourvoir aussi à toutes les places qui se ren-
contrent proche de son chemin, en cas qu'il se con-
tentast d'une diversion.
a Le duc de Parme est entré en France; il a falîeu
pourvoir à Sainct Quentin, Corbie, Chauny, Noyon,
Compiegne, etc., parce qu'il estoit en son choix d'en
attaquer Kune, en les tenant toutes en échec; cela a
EN ANGLETERRE. I Sg
reteneu beaucoup de bonnes forces , tant de pied que
de cheval , qui aultrement feussent veneues joindre
sa majesté. Depuis qu'il est arrivé à La Fere, a esté
considéré qu'il pouvoit prendre l'ung des deux che-
mins; ou par le Beauvoisin , droict à la rivière d'Epte
et d'Andele; ou bien au dessus de la source d'Epte,
approchant la coste de la mer, et tirant vers Neuf-
chastel et Dieppe ; chemins tous deux apparens et fai-
sables, et qui plus est, si proches l'ung de l'aultre,
qu'il peult entrer bien avant en pays, premier qu'on
puisse juger lequel il choisira , et prendre tout à coup
l'ung, quand on l'attendra par l'aultre.
« C'est pourquoi il a falleu que le roy ait garni les
villes de Gournai, Gisors , et aultres places sur la ri-
vière d'Epte; celles aussi de Sainct Valleri, Neufchastel
et aultres , sur l'aultre chemin , et y ait mis des forces
de pied et de cheval extraordinaires , nommément
M. le comte de Sainct Pol et le marquis d'Alegre de-
dans Gisors, qui est tousjours aussi une destruction
des forces dudict seigneur roy, mais très nécessaire et
forcée.
« Joinct que ledict seigneur roy, ayant la guerre en
diverses provinces, esquelles l'ennemi n'est oisif, pen-
dant qu'il est occupé en ung grand siège , il est mal
aisé qu'il n'y advienne des inconvéniens qui troublent
Testât de ses affaires ; comme il s'est veu que M. le
duc de Bouillon, qui le debvoit venir trouver avec de
belles forces de Champaigne , et partie des Suisses, a
esté occupé à faire lever le siège d'Astenay sur Meuse,
attaquée par M. de Lorraine; et M. le mareschal d'Au-
mont avec son armée, retardé pour faire teste au di:c
de Nemours, qui se voulloit prévaloir de son absence
es pays de Bourbonnois et Auvergne; et, finalement,
l6o iVEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
monseigneur le prince de Conly avec son nrinee, con-
tremandé par sa majesté, avec commandement de se
joindre avec monseigneur le prince de Dombes, pour
faire teste au duc de Mercutur, accreu de nouveau
secours d'Espaignols en Bretaigne.
« Estant tout certain qu'ung prince qui a la guerre
en tant de lieux, quelque prudent qu'il soit, et quel-
que bien qu'il prenne ses mesures, nepeult si bien pré-
voir tous les accidens, ni prévenir tous les desseings
de ses ennemis, qu'il n'en eschappe tousjours quel-
qu'ung inopiné, qui lui faict faillir son compte, et in-
terrompt le cours projette de ses affaires.
K Le Doinct est maintenant que ledict seigneur roy
est resolleu de continuer le siège de Rouen, et en voir
une fin, pour la conséquence dont il le cognoist estre
à ses affaires; que ledict siège est bien advancé, et
promet jusques à présent une très bonne isseue; qu'ap-
prochant le duc de Parme , est le désir et intention de
sa majesté de ne s'en départir poinct, ains de le serrer
plus estroictement encores, s'il est possible; que, pour
ce faire , il est de besoing d'avoir des forces suffisantes
pour satisfaire aulx deux effects, àsçavoir , à continuer
Je siège, et à faire teste au duc de Parme, afin qu il
ne i'empesche et trouble, soit par force forcée, par
diversion, ou aultrement.
« Et c'est pourquoi ledict seigneur roy auroit supplié
la majesté de la royne, ])ar les despesches précédentes,
de le voulloir assister et secourir de cinq mille hommes
de pied; à sçavoir, trois mille picquiers et deux mille
mousquetaires, pour l'espace de six sepmaines. Moyen-
nant quoi, avec l'aide de Dieu, il se sentiroit assés fort
et pour continuer le siège comme dessus, et pour faire
teste audict duc de Parme; au conlraue, sans le sus-
EN ANGLETERRE. l6i
dict secours, déclare franchement à sa serenissime ma-
jesté, qu'il ne voit poinct comment il se puisse faire;
et qu'au default de ce, il se verroit reduict à l'extré-
mité d'aller chercher une bataille, pour soubstenir la
réputation de ses affaires; au lieu que par le susdict
secours, sans rien bazarder, il peult obtenir Rouen, et
rendre inutile la veneue dudict duc de Parme.
a Sa serenissime majesté considérera donc, s'il lui
plaist, ce que dessus; protestant ledict seigneur roy,
qu'il ne faict rien tant à regret que de l'importuner;
mais qu'il sçait bien aussi que sa serenissime majesté
lui sçauroit encores plus mauvais gré de laisser périr
ses affaires faulte de les lui rej^resenter, et qu'ayant
selon sa prudence bien examiné toutes ses raisons, le
înesme bon entendement qui les lui fera juger et com-
prendre, lui donnera et engendrera la vollonté et af-
fection de l'assister de ce qu'elle jugera lui estre be-
soing; afin que, comme il lui doibt le commencement,
il lui soit obligé de la continuation et perfection de
cest œuvre. »
Le 8 janvier iSgs, qui estoit le 29 décembre iSqi,
au style du pays , leur feut donnée la seconde audience,
après que sa majesté eut veu le mémoire ci dessus; la-
quelle fut en continuation de courroux contre le comte
d'Essex; mais un peu plus gracieuse, en ce qui se di-
soit du roy; et neantmoins terminant tousjours en re-
solution de ne lui envoyer poinct nouveau secours;
mais bien qu'il se pourroit servir de ce qu'il avoit près
de lui; et voulloit ladicte dame, que le sieur Duplessis
acceptast cela pour response finale et prist congé d'elle.
Mais ils lui remonstrerent qu'ung affaire de si longue
MÉM. DE Dl PLLSSIS-MoilNAV. ToME V. 1 |
i62 NEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
conséquence ne se debvoit pas conclure si briefve-
ment , la suppliant d'y voulloir encores meurement
penser. Et sur ce feut envoyé à M. le grand thresorier,
par le sieur Duplessis, le mémoire qui ensuit tendant
à mesme fin , mais plus pregnant que le précèdent, qui
feut le 9 janvier.
a Nous supplions très humblement la majesté de la
royne de considérer qu'il est aujourd'hui en elle de
voir Rouen pris ou délivré ; d'empescher le roy de ha-
sarder une bataille contre le duc de Parme, ou bien
de commettre à ce danger sa personne et son royaulme,
et peult estre encore plus que cela, pour maintenir,
en levant ung siège , la réputation de ses affaires.
« Si le roy est assisté de sa serenissime majesté , de
quattre mille hommes, promptement et seulement pour
l'espace de cinq sepmaines, il n'y a doubte que Rouen
ne soit pris; et y a mesme grande apparence, soit par
composition , soit par assault, que le Hasvre sera reduict
par mesme moyen en son obéissance, se trouvant de-
dans Rouen la personne de Villars , c'est à dire les
clefs du Hasvre : par ainsi la Normandie est nette , ce
que sa serenissime majesté a tousjours monstre désirer,
mesraes pour la commodité des deux estats.
« Si le roy n'est assisté des susdicts gens de guerre,
ne pouvant satisfaire aulx deux effects, au siège et au
duc de Parme ensemble , il est évident qu'il fault lever
le siège par desseing, plustot que d'estre reduict à le
quitter par force ; moyennant quoi sadicte serenissime
majesté considère quelle obligation aura acquis l'Es-
paignol sur le sieur de Villars , oultre les traictés jà
encommencés entre eulx ; dont s'ensuivra que Rouen ,
EN ANGLETERRE. i63
ie Hasvre et aultres places qu'il occupe , seront espai-
gnoles, ainsi qu'il s'est veu practiquer à Paris, et sa-
dicte majesté en sçait assés juger la conséquence.
« Le roy reduict, faulte de secours, à partir de ce
siège, estant périlleux, comme on veit à Pavie, de se
loger entre une grande ville et une armée, se resoul-
dra d'aller au devant du duc de Parme , et de gagner
par une bataille ce qu'il n'aura peu par ung siège.
L'isseue de toute bataille est incertaine, et se donnant
par les mains des liommes , la victoire est en la main
de Dieu seul. Certes, nous sçavons que la niajesté de
la royne , pour la bonne affection qu'elle a tousjours
portée au roy, participeroit à la victoire; mais il nous
sera aussi permis de dire qu'elle comniuniqueroit, et
bien avant, en la perte, si elle advenoit ; et partant,
qu'il lui est plus utile avec ung secours de peu d'hommes
de prévenir ce dommage, que d'avoir après à le repa-
rer avec toute la force de son estât.
u Sa serenissime majesté, princesse qui aime ses sub-
jects, ne les veult pas employer sans grand besoing ;
et sa prudence et bonté sont tellement recogneues de
tous iceulx , qu'ils ne croiront jamais qu'elle le fasse
qu'avec beaucoup d'occasion et pour leur propre bien ;
mais qui sera celui aussi qui ne cognoisse qu'il leur
vault trop mieulx combattre l'Espaignol en France
qu'en Angleterre ? et avec peu d'hommes et de frais
sur le champ d'aultrui, que sur le bord du pays , avec
frais incroyables, et le hazard de Testât.
« La prudence de sa serenissime majesté, sans toutes
nos raisons, doibt estre persuadée par elle mesme.
Ouattre mille hommes qu'elle envoyera à temps peu-
vent réduire la Normandie, et rendre inutile la veneue
du duc de Parme. Quattre mille hommes non envoves
l64 NEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
font quitter le siège de Rouen, font bazarder, et
peult estre perdre une baltaille, qui tireroit avec soi la
perte du royaulme, et en conséquence le péril tout
évident de tous les estais chrestiens.
a Le sieur Duplessis particulièrement, qui a eu cest
honneur d'estre envoyé vers elle pour cest affaire, la
supplie très humblement de considérer que le roy ne
l'eust pas envoyé, si ce faict ne Teust touché de près,
et s'il n'eust estimé qu'il y fust allé de tout ; et pour-
tant qu'elle ne le rende poinct si malheureux que
d'estre porteur d'une response funèbre à la France ,
triomphante pour TEspaigne , et peult être périlleuse
pour son propre estât. »
Lequel mémoire ayant esté communiqué a la royne,
et lui estant bien représenté par les principaulx de son
conseil, elle se lascha entre eulx à accorder au roy
deux mille piquiers, et mille mousquetaires, et furent
proposés les moyens de les accélérer , à sçavoir en les
prenantes pays de Kent, Sussex et isle de Wick, qui *
sont les plus prochaines contrées, d'entre ceulx mes-
nies qui sont destinés et reteneus pour la deffense du
pays, qu'ils appellent en leur langage Treaucthman ,
c'est à dire gens qui ont esté menés à la guerre et exer-
cés ; mais deux heures après, elle changea d'opinion ,
et se courrouça aigrement à ses conseillers , leur re-
prochant qu'elle s'appercevoit bien qu'ils y estoient ve-
neus tous préparés, et que c'esloit une partie faicte
avec les ambassadeurs du roy de France, et qu'elle ai-
meroit mieulx que le comte d'Essex fust mort, que de
lui envoyer nouveau secours.
Et nonobstant, par ce qu'avant ce changement les
sieurs de Beauvoir et Duplessis avoient desjà esté man-
EN ANGLETERRE. l65
tlés ponr le lo janvier, dernier de décembre au vieil
style, ils ne furent contremandés ; mais traicterent seu-
lement avec messieurs le grand thresorier , admirai et
chambellan , ledict sieur grand thresorier portant la
parole, et proposant de la royne deux poincts, par les-
quels la royne demandoit esclaircissement.
Le premier , si le roy avoit besoing de secours , veu
les forces (ju'il avoit tousjours asseuré la royne qu'il
avoit devant Rouen , présupposant sa serenissime ma-
jesté avoir ouï parler de quarante mille hommes, au-
quel cas il n'en avoit que faire; le second, quel moyen
y avoit de l'avoir à temps, le duc de Parme eslant
desjà si avant en France , veu que les gens de guerre
qu'on demandoit , ne se pouvoient lever en moins
d'ung mois.
Le sieur de Beauvoir, parce qu'il s'agissoit du passé,
justifia que jamais n'avoit esté parlé de quarante mille
hommes, qu'il n'avoit jamais eu charge de ceste parole;
qu'il avoit, au reste, tousjours negolié par escrit ,
et qu'il ne s'en trouveroit rien. Toutesfois qu'il aimoit
mieulx confesser avoir parlé contre sa charge, que
desdire sa serenissime majesté s'elle l'affermoit ainsi.
Le sieur Duplessis , reprenant les deux poincts, les
supplia, premièrement, de croire qu'il n'avoit poinct
ce malheur d'estre si inutile auprès du roy son maistre,
que de l'avoir voulleu envoyer en Angleterre sans be-
soing, lorsque les grands affaires lui venoient sur les
]jra,s, près de sa personne, et que son envoy au con-
traire leur debvoit eslre ung argument de la nécessité
que sa majesté très chrestienne avoit d'estre secoureue ,
ce qui feut très bien pris par eulx tous, et monstre-
rent prendre ceste raison pour très forte.
Puis sur le premier, leur deduict les forces de sa
l66 NEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
majesté, tant de cavallerie que d'infanterie, qui ap-
prochoient, voire passoient les quarante mille hommes;
mais les unes occupées es garnisons nécessaires, tant
en Picardie que sur les deux chemins susmentionnés ,
que l'ennemi pouvoit prendre pour venir à lui; les
aultres envoyées en Bretaigne au secours de monsei-
gneur le prince de Dombes, pressé par le duc de
Mercueur, ou retenues en Bourbonnois contre le duc
de Nemours, etc. Oultre les maladies et la rigueur de
l'hiver, qui avoit fort affoibli son infanterie , tant fran-
ooise qu'estrangere, et nonobstant que si sa majesté
très chrestienne estoit assistée de ce peu qu'elle de-
mandoit à sa serenissime majesté , elle se sentoit suffi-
sante pour prendre Rouen , et arrester le duc de
Parme.
Et quant au second , que les gens de guerre ne fai-
soient pas tousjours leurs desseings à poinct nommé ;
que le duc de Parme estoit entré lors de son parle-
ment; mais n'avoit encore ni toutes ses trouppes, ni
toute son artillerie; qu'il avoit des conditions à traic-
ter avec le duc de Mayenne qui le pouvoient accro-
cher pour quelques jours ; que mesmes il s'estoit vcu,
lorsqu'il vint secourir Paris, que, contre toute appa-
rence, il avoit séjourné dix jours à Meaux premier que
rien tenter, et n'avoit faict en quinze jours ce qu'il
debvoit en quattre ; qu'il ne pouvoit pas, au reste, ve-
nir de plein vol au roy pour le combattre , quelque
chemin qu'il prist des deux, ayant d'une part, ou la
rivière d'Epte, ou la forest à passer, dont les passages
lui seroient fort debatteus par l'ordre que sa majesté
très chrestienne y avoit donné ; de l'aultre des marests ,
chemms profonds , difficiles mesmes en esté; qu'un
grand attirail, soit d'artillerie, soit de vivres, qu'il lui
EN ANGLETERRE. 167
fallolt nécessairement conduire avec lui , s'il ne vouiloit
mourir de faim, ne pouvoit passer aisément, mesmes
survenant ung dégel, qui lui rendroit ce chemin là
presque impossible, et semblèrent lesdicts seigneurs
estre satisfaicts sur ces deux poincts , qui leur furent de-
duicts fort au long , et pour le regard du temps qu'il
falloit pour lever le secours, que s'il plaisoit à sa sere-
nissime majesté y apporter la mesme affection qu'elle
auroit faict à la levée qui feut conduicte par milord
Willugbi, qui avoit esté faicte et oultre mer en moins
de douze jours, n'y avoit doubte que ledict secours ne
peust venir assés à temps.
Désirèrent sçavoir, le duc de Parme marchant vers
le roy, ce qu'il feroit; et leur feut respondeu que sa
majesté très chrestienne lairroit Rouen assiégé de la
pluspart de son infanterie, et lui marcheroit au devant
avec toute sa cavallerie , qui seroit de six à sept mille
ohevaulx , et douze à quinze mille hommes de pied,
qu'il pourroit avoir ledict siège garni, s il obtenoit de
sa majesté ce qu'il demandoit.
S'il estoit resoleu à la bataille. Respondeu qu'il lui
suffiroit de parvenir à son but, qui estoit la prise de
Rouen, et ne lui donneroit la bataille s'il ne vouiloit,
estant maistre des passages , et plus fort de cavallerie,
et ne la donneroit qu'avec ung grand advantage.
Dans quel temps on pourroit avoir Rouen. Res-
pondeu que, calc'ulant le temps qu'il falloit par l'art de
la guerre, pour percer la contrescarpe, gaigner le
fossé, sapper et miner les espérons, et pied à pied les
faire abandonner aulx ennemis, le fort pouvoit estre
pris dans la mi febvrier. Quoi faict, la ville ne pouvoit
subsister, et estoit en la liberté de sa majesté de re-
tirer son infanterie pour fortifier son armée, et laisser
l68 NEGOTIATION DE M. DUPLESSÏS
quelque artillerie pour incommoder la ville, et queî--
ques blocus aulx principales adveneues.
Si sa majesté très chrestienne se voulioit servir des
Anglois au siège ou bien contre le duc de Parme. Res-'
pondeu qu'il n'avoit poinct charge de cela; mais bien
sçavoit il qu'il en seroit faict selon le bon plaisir de
sa serenissime majesté; adjoustans iceulx , qu'à la vérité
elle ne prenoit pas plaisir de les voir employer aux
assaulx.
Comme de faict, entendant que M. le comte d'Essex
s'estoit logé, ce qui estoit faulx, entre le fort et la
ville , elle envoya pryer M. l'ambassadeur le soir de
l'arrivée du sieur Duplessis, par le sieur Wilks, clerc
du conseil , d'escrire à sa majesté très chrestienne qu'il
l'en retirast, et ne creust pas ses folies; mais ledict
sieur Duplessis asseura que ledict sieur comte avoit
faict ceste proposition, mais que sa majesté très chres-
tienne lui avoit faict cognoistre doulcement, en louant
sa vertu et bonne affection, que, s'il estoit aisé de s'y
loger, il estoit impossible de s'y tenir, sans une perte
de gens et grande et inutile.
Tous ces propos se passent fort doulcement , et tous-
jours avec pryere d'excuser leurs demandes , par ce
qu'ils desiroient estre esclarcis , afin de lever toutes
difficultés à la royne leur souveraine ; affectionnés à
cest affaire non moins qu'eulx , et y recognoissant
leur interest avec celui de la France.
Ainsi rentrèrent chés la royne, laquelle après les
avoir ouïs , manda aulx sieurs de Beauvoir et Duplessis
qu'elle en dehbereroit, et leur en diroit sa résolution
le dimanche suivant 2 ou i 2 de janvier.
Cependant ne dissimulèrent poinct lesdicts seigneurs
qu
e le comte d'Rssex avoit grand tort de ne revenir
D
EN ANGLETERRE. 169
poinct , et qu'il falloit qu'il contentast sa serenissime ma-
jesté; là dessus, à quoi leur feut respondeu que sa majesté
très chreslienne ne pouvoit mais de tout cela ; qu'elle
l'en avoit pryé, et le lui auroit faict remonstrer par le
sieur Duplessis mesmes; qui n'auroit peu rien gaigner
sur lui , et qu'il seroit trop dur au roy d'avoir à presser
incivilement ung seigneur de qualité de se retirer
d'auprès de sa personne , sur l'occasion qui se pre-
sentoit.
Et neantmoins feurent pryés lesdicts sieurs, par les
plus spéciaux amis dudict comte , qui leur envoyèrent
ung gentilhomme exprès à ceste fin, de lui voulioir
escrire qu'il s'en vinst s'il ne vouloit tout perdre, et
qu'ils feroient tenir les lettres , ce qu'ils feirent par
celles dont la teneur s'ensuit :
«Monsieur, vous excuserés ma privante, puis-
qu'elle ne vient que de l'affection que j'ai à vostre
service particulier, que je vois conjoinct avec le bien
public : c'est sans feintise, et je vous prye de le croire,
que la majesté de la royne est offensée contre vous ,
et n'y a rien que vostre retour qui la puisse con-
tenter. Il est tout certain aussi que beaucoup de bons
affaires s'en reculent, et que tous vos amis vous don-
nent blasme de préférer vostre contentement parti-
culier au bien de Testât et de tous ceulx qui vous
aiment; et à la pryere de ceulx là je vous escris la
présente ; je vous dis pryere réitérée , et par les plus
grands, et par vos plus affectionnés, et avec toute
l'instance que vous sçauriés croire. Je vous supplie
donc, monsieur, d'y bien penser, et considérer que
tousjours vous fauldra il faire dans peu de sepmaines,
ce qu'on désire de vous dans peu de jours; et <[u'cii
170 NEGOTIATION DE M. DIJPLESSIS
prévenant l'attente de vostre retour de ce peu là,
vous pouvés effacer tout ce mescontentement et vous
reloger en vostre place, avec autant d'auctorité, et
plus de réputation que jamais. Je vous parle en vrai
ami et fidèle serviteur, et m'asseure que le prendrés
en cette part. Or, monsieur, je vous baiserai ici bien
humblement les mains, et supplierai le Créateur vous
avoir en sa saincte garde. Ce dernier de Tan 1591,
vieil style. »
Fut faicte aussi du to janvier, nouveau style, par
le sieur Dupiessis la despesche qui ensuit, au roy.
« SrRE, nous avons eu deux' audiences de la royne
depuis mon arrivée. La première se passa presque
en reproches des choses passées, rude et resoleue à ne
rien faire pour le secours de vostre majesté, mais
particulièrement très aspre contre M. le comte d'Essex
et sans feintise, avec menace de lui oster ses estats.
Et pour arrhes, elle a jà faict tomber en aultre main la
chancellerie d'Oxfort, par lui pretendeue par la mort
du feu chancellier. La seconde, toute semblable, en ce
qui estoit dudict sieur comte, mais plus gracieuse en
ce qui concernoit vostre majesté , et neantmoins ter- i
minant toujours en mesme conclusion, de ne pouvoir '
accorder à vostre majesté les hommes qu'elle deman-
doit. Et voulloit la royne que nous la prissions pour 1
finale response. Mais nous la suppliasmes de ne con- *
dure poinct si briefvement sur chose de si longue
conséquence ; et verrons entre ci et trois jours , aidant
Dieu , ce que nos raisons, tant de bouche que par
escrit, auront opéré envers elle. Je dis envers elle,
sire , parce qu'il est certain que tous les principaulx
EN ANGLETERRE. 171
de son conseil recognoissent qu'elle ne vous doibt
manquer en cette nécessité. Mais elle se resoult toute
seule en cest affaire, et n'y en a aulcung, au chagrin
où elle est, qui la veuille presser. Vostre majesté nous
fera cest honneur de croire qu'il n'y sera rien obmis
de nostre part; et moi particulièrement qu'il me fas-
chera prou de manquer à une bonne occasion près de
vostre majesté. Mais nous avons pensé que ce peu de
jours pouvoit amender vos affaires , parce que les
plus sages nous exhortent à cette patience. Sire, je
supplie , etc. »
Et au costé est escrit : « Nous avons traicté ceste
apresdisnee depuis la présente escrite, avec MM. les
grand thresorier, admirai et chambellan , lesquels nous
pensons avoir contentés sur tous les poincts. Mais tout
gist en l'humeur de la royne. »
A M. de Revoly du mesme Jour.
«Monsieur, je ne vous répéterai poinct ce que
j'escris à sa majesté, parce que ce ne vous seroit que
double peine de deschiffrer une mesme chose deux
fois. Vous verres par là Testât des choses; et nous ce
que trois jours de patience auront faict d'opération ,
pour de là reprendre mon chemin vers vous. Croies
qu'il n'y a rien esté obmis, ni de bouche ni par escrit.
Mais cest affaire est gouverné par elle seule , et elle
possédée d'un g chagrin non croyable. M. de Beauvoir
est ici en extresme peine. Une légère provision l'eust
fort soulagé, en attendant mieulx, et encores fault il
le faire par quelque voye que ce soit ; car il est reduict
aulx jours, au lieu qu'il l'estoit ci devant aulxsepmaines;
et certes la despcnsc qu'il faict est honorable, utile, et
17^?' NEGOTIATION DE M. DUPLïïSSIS
en ce pays nécessaire. Je vous dirai ie surplus au re-
tour. Et sur ce, monsieur, etc. »
Le 12 de janvier, i au vieil style, feurent mandés
les sieurs de Beauvoir et Duplessis devant la royne ,
et introduicts en sa chambre tous les gentilshommes
et personnes de qualité qui estoient veneus avec ledict
sieur Duplessis; où sa serenissime majesté reprenant
les premiers erremens des pretendeues faultes passées,
sans avoir esgard à aulcunes raisons deduictes tant de
bouche que par escript, tant en son conseil qu'à elle
mesme, leur prononça qu'elle ne pouvoit envoyer
aulcung secours à sa majesté très chrestienne. Que ses
mauvais subjects lui reprochoient qu'elle faisoit mou-
rir son peuple inutilement. Qu'elle estoit advertie de
conspirations et menées en son estât, qu'elle apperce-
voit par la déposition des prisonniers estre fondées là
dessus. Que c'estoit grand cas de lui demander tousjours
des hommes, lesquels cependant, s'il advenoit incon-
vénient du roy, n'avoient aulcune retraicte en France;
que si on ne lui voulloit bailler ce qui lui estoit deu
par pactes, au moins debvoit elle avoir quelque seu-
reté pour ceulx dont elle employoit le sang. Mais
qu'elle voyoit bien qu'on ne se soucioit gueres d'elle.
Qu'au reste , elle avoit à faire à ung roy qui ne bou-
gcoit des tranchées, qui prenoit plaisir à se perdre,
et que lui perdeu, il n'y avoit poinct de ressource;
que désormais elle se contenteroit de pryer Dieu pour
lui. Au reste, qu'elle estoit bien adverlie que, de
quattre costés qu'on avoit donné à la contrescarpe,
ses Anglois avoient donné par les trois; et que le comte
d'Essex, son lieutenant, estoit si mal habile homme,
que d'estre de ceulx là , et de prendre la garde des
en;^angleterre. i 7 3
iranchees; faisant tousjours assés cognoistre que le
danger dudict seigneur comte lui tenoit au cœur, etc.
Aulxquels propos feut respondeu par interruptions ,
ainsi qu'elle le permettoit , que sa majesté considerast
à bon escient quel regret elle auroit de voir Rouen
perdeu, de le voir Espaignol ; de voir, à faulte de peu ,
Testât de France, le sien peut estre, et de toute la
chrestienté, exposé au liazard d'une bataille.
Que ses subjects auroient tousjours trop meilleur
compte de combattre l'Espaignol delà la mer, que sur
leurs costes , comme ils auroient prou expérimenté
lors de l'armée d'Espaigne : que ceulx qui s'en plai-
gnoient estoient les conspirateurs mesmes , aulx plaintes
desquels, qui lui debvoient estres suspectes, elle ne
debvoit pas conformer ses conseils.
Que tout ce qui obeissoit au roy 1res cbrestien en
France estoit aussi ouvert aulx siens , comme aulx
François meames; et ne feut ce poinct enfoncé plus
avant, parce qu'il sembloit dangereux, et toucher le
poinct de Calais, et que nous n'en avions poinct de
charge.
Que le roy , quoi qu'elle s'imaginast , estoit son
voisin, son ami, son frère, et son serviteur; qu'il
estoit seul en la chrestienté qui eust les armes en la
main contre la grandeur d'Espaigne. Si elle le blas-
moit de se bazarder trop, elle n'accusoit en lui que
trop de valeur, ce qui procedoit de son affection en-
vers lui ; mais si debvoit il estre recogneu de tous que
la France avoit besoing d'ung prince belliqueux, et
qui taillast le sault aulx aultres; aultrement, que Testât
ne pouvoit subsister. Au reste, que ceste valeur n'es-
toit pas sans prudence, mais que bien souvent les per-
174 NEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
sonnes sans expérience estiment dangereux ce qui de
soi ne l'est pas.
Que de pryer Dieu pour lui, elle pardonneroit si
on lui disoit que c'estoit bien le secours d'une femme,
mais non pas d'une royne et grande princesse comme
elle, qui debvoit à ses pryeres adjouster ses moyens.
Que M. le comte d'Essex, gardant partie des tran-
chées, ne faisoit rien que le roy ne fist lui mesmes;
rien de vil ni de téméraire ; mais que ceulx qui lui
mandoient cela ne sçavoient pas la façon de la France,
oîi les princes ont les tranchées départies entre eulx ,
tantost par quartiers, et tantost par journées , comme
mesme feu Monsieur, le roy à présent, le feu prince de
Condé, les ducs de Nevers, Bouillon, d'Uzés et aultres
au sie^e de La Rochelle.
Que sa majesté aussi ne creust poinct qu'on espar-
gnast les François pour prodiguer les siens. Qu'au
contraire il se trouveroit, comme c'estoit la raison,
que les François portoient double fatigue ; mais que
les piques estans armes pour venir aulx mains, la vé-
rité estoit que chacung estoit employé es exploits ,
selon ses armes.
La royne nonobstant persévérant tousjours en son
refus, et faisant principale instance sur une impres-
sion , qu'il y debvoit avoir quarante mille hommes
devant Rouen, qu'on le lui avoit promis, et qu'on
s'estoit moqué d'elle. Mais faisant assés paroistre qu'elle
ne voulloit envoyer secours en France , de peur que
le comte d'Essex, se voyant assisté de belles trouppes,
ne prist plaisir d'y demeurer.
Le sieur Duplessis enfin , ne vouUant, que le plus
tar4 qu'il pourroit, prendre caste response pour congé,
EN ANGLETERRE. 17^
et taschant doulcement à l'amener à quelque chose de
mieulx , la supplia très humblement de ne le rendre
poinct porteur d'une si mauvaise nouvelle; sur quoi
elle lui respondit qu'à la vérité elle en estoit marrie
à son occasion ; que nul ne lui pouvoit estre mieulx
veneu que lui, que particulièrement elle lui avoit de
robligalion de l'affection qu'il avoit tousjours eue au
bien de ses affaires; mais qu'en ung mot, elle ne fe-
roit ni pouvoit faire aultre chose; et qu'il ne pensast
poinct, peult estre en attendant quelqu'ung (voullant
dire le comte d'Essex) lui faire changer sa response ;
aussi peu en traictant avec ses conseillers; qu'il cog-
noistroit que cestui Là avoit fort peu de crédit, et qu'il
n'y avoit qu'elle qui gouvernast l'Angleterre.
Le sieur Duplessis alors prit congé d'elle, lui pro-
testant qu'il se sentoit suffisamment deschargé , pour
ne lui avoir rien celé des inconveniens qui en pou-
voient advenir. Qu'il n'avoit attendeu le mal ou le bien
de sa negotiation que d'elle seule , n'avoit traicté
qu'avec elle et ceulx qu'elle avoit ordonnés pour cest
effect, et n'attendoit que ses lettres et passeport pour
partir au premier vent, et au premier navire, et sur
ce lui baisa les mains, et sadicte majesté se retira.
Tous les seigneurs qui estoient là se monstrerent
fort faschés de ceste mauvaise response ; et les propos
des principaulx, prenant congé d'eulx au mesme lieu,
feurent qu'ils cognoissoient prou et le mérite de cest
affaire, et Tinterest qu'ils y avoient; qu'ils en avoient
acquitté leur conscience envers sa majesté ; qu'il falloit
pryer Dieu qu'il lui touchast le cœur; qu'elle voulloit
estre la maistresse en cest affaire ; et qu'il y avoit à
craindre que Dieu ne feust courroucé contre leur estât.
M, l'admirai ordonna aussitost ung des navires de
176 NEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
la royne, pour le retour du sieur Duplessis, et lui en
délivra le commandement, tesmoignant beaucoup d'af-
fection au bien des affaires du roy.
Le i3 janvier, pour tenter si sa susdicte response se
pourroit amander avant la réception de la denesche,
le sieur Duplessis escrivit à M. le grand thesorier celle
qui ensuit :
« Monsieur, je ne vous veulx celer que je pars fort
ennuyé de ce pays, considérant que mon voyage n'est
pas inutile seulement, mais dommageable. Inutile, en
ce que je ne remporte qu'ung refus tout plat de sa
serenissime majesté en une conjoncture qui desiroit
ung prompt secours; dommageable, en ce que plu-
sieurs, tels que pouvés assés penser, feront leur pro-
fict de ceste desfaveur au préjudice du roy, et de la
relligion qu'il maintient. Sa serenissime majesté accuse
les cboses passées; très bien si elle pourvoyoit tout
ensemble au présent, et prevoyoit à l'advenir; mais
permettes à ma juste douleur de dire que ceste accu-
sation passe mesure, et pour nous, et pour elle. Nous ,
si nous le confessons, qui ne pouvons avoir failli de
gaieté de cœur, veu que c'est à nostre dommage; elle,
certes, qui ne peult aussi abandonner nos faultes, par-
donnés moi si je parle ainsi , sans faire fauUe à elle
mesmes, jugés, monsieur, de quelle boucbe je pourrai
prononcer au conseil du roy très chrestien que ceste
princesse laisse périr ses affaires pour si peu de cliose ;
et jugés de quelle oreille aussi cela sera receu et teneu;
quels reproches s'en ensuivront de maintes gens qui
espient les occasions desbranler sa constance , et quelles
tentations de tous coslés en lui promettant mieulx. Si
fault il que vous pensiés, monsieur, qu'il est de vos
EN ANGLETERRE. î^-;
amis, qu'il est le seul prince en chrestienté ayant res-
pee au poing contre l'Espaigne; que sa magnanimité
mente aussi d'estre ung peu appuyée, estant aultre-
ment à craindre qu'on ne lui fasse trouver ailleurs et
peult estre trop aisément , ce qu'il n'aura peu à son
hesoing en ses meilleurs amis. Ores, j'aurois, monsieur,
sur ce propos trop de choses à dire, et pourtant je
finirai , attendant ma depesche, en suppliant Dieu qu'il
Jui plaise enclijier sa serenissime majesté par son Sainct
Esprit aulx plus salutaires conseils, et vous pryant
aussi , etc. »
Et feut icelle communiquée à sa serenissime majesté ,
mais sans fruict, sadicte majesté commandant audict
sieur thresorier de lui mettre par escrit les raisons pour
lesquelles elle n'accordoit poinct le secours demandé
par le roy; lequel lui respondit qu'il n'en sçavoit aul-
cune; mais bien qu'estant son serviteur, il ne pouvoit
refuser d'escrire celles qu'elle pretendoit, mais non
qu'il les approuvast ; au contraire, qu'il la supplioit
de se souvenir, s'il en mesadvenoit, qu'il estoit de con-
traire advis.
Et lors feurent dressés certains mémoires par Robert
Cecil son fils, contenans icelles raisons, lesquels feu-
rent délivrés le i4 au sieur Duplessis, par le sieur
Waad Clerc, du conseil de sa serenissime majesté, avec
les lettres et passeport d'icelle.
Ledict sieur Duplessis dict audict sieur Waad qu'il
le remercioit de la peine qu'il avoit prise; qu'il accep-
toit de sa majesté tout ce qui lui plaisoit; qu'il n'a voit
attendeu que cela pour partir ; qu'il prevoyoit de grands
inconveniens, qu'il falloit remettre es mains de Dieu.
Quoi qu'il en feust, que le roy ne pouvoit estre que
Mkm. de Duplessis-Mornay. Tome v. 12
178 NEGOTUTION DE M. DUPLESSIS
roy , et que celui qui l'avoit esleu Testabliroit , quelque
troublée que semblast aujourd'hui sa fortune. Mais
qu'il ne desesperoit pas que bientost on ne peust
mettre le roy en ung chemin pour estre en terreur à
ses ennemis , et en révérence à ses voisins , autant
qu'aulcung de ses prédécesseurs.
Le i5 au matin, le sieur Duplessis receut de M. le
grand thresorier la lettre qui ensuit, en responsc à la
précédente :
« Monsieur, je suis plus troublé en mon esprit de ce
que vous partes d'ici mal satisfaict que je ne vous puis
exprimer; mais nous sommes tous deux serviteurs
d'ung mesme Dieu, roy du ciel, et de deux puissans
princes en terre. Le premier, il nous fault obéir de
bonne vollonté, pour ce que tout ce qu'il commande
est pour le meilleur, encores que nous n'en soyons
quelquesfois satisfaicts à nostre gré ; les aultres deux il
nous fault aussi obéir, jusques à tant que le Dieu tout
puissant fasse changer leurs cœurs, qui seul peult
commander et régir. Et ainsi, me reposant sur la bonne
vollonté de Dieu , il convient que vous et moi atten-
dions son bon plaisir, en espoir de mieulx, vous re-
commandant à sa digne garde , comme moi mesmes.
De la court, ce 4* jour de janvier 1592. Et au bas ,
vostre très affectionné à vous faire service ,
BURCLEY. »
A laquelle le sieur Duplessis feit la response qui
ensuit :
« Monsieur, je ne fauldrai de faire tenir seurement ,
aidant Dieu, les paquets à M. le comte d'Essex et à
EN ANGLETERRE. 17g
M. de Houton. Quant à ce qui s'est passé ici, puisqu'il
vous plaist vous en souvenir, j'ai commencé par rai-
sons, et achevé par plainctes; mais je vois bien qu'il
fault avoir recours à Dieu , qui sera le secours de ceulx
qui n'en trouvent poinct. Si je n'avois à resouldre que
moi, monsieur, je serois hors de peine, car je suis
tantost deveneu insensible à tout mal ; mais j'appré-
hende ceulx qui ne sont pas fondés de mesme; et pré-
vois de ceste grande desfaveur en si petite chose une
si longue suite d'inconveniens, que, pour n'en voir les
remèdes humains, je divertis mon esprit d'y penser.
Prenés encores de bonne part que je vous die que le
malade qui se peult soubtenir avec peu, ne se peult
ressusciter à quelque prix que ce soit. Et sur ce en vous
disant adieu , je vous baise bien humblement les
mains, etc. De Londres, ce 5 janvier, vieil style, r Sqa. »
Et partit ledict sieur Duplessis sur les deux heures
après, et veint coucher à Gravezines, oii lui feurent
envoyées par M. l'ambassadeur, le mesme soir, deux
lettres du roy qu'il avoit receues depuis son parlement,
pour ledict sieur Duplessis, dont la teneur s'ensuit:
« M. Duplessis, le lendemain de vostre partement,
j'eus nouvelles par homme à cheval que mon cousin ,
Je duc de Longueville , m'envoyoit exprès en toute di-
ligence, que le duc de Parme estoit parti de La Fere, et
y laissoit la plus grande partie de sa grosse artillerie ,
menant avec lui nombre de pièces de campagne , qui
faisoit cognoistre que son intention n'estoit d'assiéger
places de longue résistance , mais de venir droict , pour
essayer de nous faire lever le siège. En confirmation de
quoi j'ai eu encores la nuict du premier de ce mois
i8o iVEGOTIA^TION DE M. DUPLESSIS
nouvel advis de mesme part, qu'ils marchoient et s en
viennent à Amiens. De là je suis encores incertain quel
chemin ils vouldront prendre, ou par Abbeville et Eu ,
pour attaquer le Paulet, qui mettroit la ville de Dieppe
en grand peine , ou vers Beauvais. Le premier seroit le
plus long; mais pour estre celui qui m'incommoderoit
le plus , c'est aussi celui que je crois plustost qu'ils voul-
dront prendre. Joinct que, de l'aultre costé, je leur pour-
rois donner plus d'empeschement, parle moyen des villes
de Gisors , Gournai et aultres , que j'y tiens, et de l'ad-
vantage que vous sçavés qui se peult prendre pour def-
fendre les passages des rivières et de la forest, qui y
sont. Et ai aussi esté adverti qu'ils se sont laissés en-
tendre, depuis l'ordre que j'ai mis audict Gisors, que
cela a voit en quelque chose fait changer leur desseing.
Je suis après à me résouldre de ce que j'aurai à faire
en l'ung ou en l'aultre cas, selon les nouvelles que j'aurai ,
et que je me trouverai pourveu de forces, dont je crains
bien que la plus grande partie de celles que j'attends
ne vienne plus tard; et que je ne pourrai trouver court
pour continuer le siège, et faire teste à l'armée, mesmes
estant foible d'infanterie, comme vous sçavés que je
suis, de laquelle je ne puis pas espérer grand renfort
avec les trouppes de cavallerie qui me viennent , tant
à cause âe la diligence que je leur mande faire , voyant
le besoing si proche, que pour le grand nombre de
places oi^i il faalt laisser bonnes garnisons par les pro-
vinces, pour les conserver. Ce qui se peult par soing
et diligence, je le puis promettre non seulement de ma
part , mais aussi des seigneurs et bons capitaines dont
je serai accompagné en ceste occasion, comme j'es-
père qu'il n'y aura aulcung manquement de ce qui
peult dépendre de nous. Cependant vous pourrés faire
EN ANGLETERRE. i8ï
entendre à la royne , ma bonne sœur . lesdicts derniers
advis que j'ai eus du progrès desdicts ennemis, comme
je lui ai donné part et communication des precedens,
à mesure que je les ai receus. En quoi je ne suis sans
souspçon que son ambassadeur ne m'afaict les bons of-
fices que je me promettois de lui, \eu le refus qu'il m'a
prononcé de la part de ladicte dame, et que le sieur de
Beauvoir, mon ambassadeur près d'elle, m'a aussi con-
firmé lui avoir esté fait par elle mesme, du nouveau
secours que je lui ai demandé. Et ce que vous sçavcs
que ledict ambassadeur mesmes a faict, pour empescher
que je ne vous envoyasse lui en faire nouvelle instance;
ne pouvant croire qu'elle eust pris telle résolution, s'il
lui eust donné information au vrai de Testât et besoing
de mes affaires , selon la cognoissance qu'il en a. Et
pour ce je serai bien aise que vous taschiés dextrement
de sçavoir quels auront esté ses offices en cest endroict,
afin que je scacbe mieulx de quelle façon j'aurai ù
traicter avec lui à l'advenir. Voulant au demeurant
que vous fassiés cognoistre à ladicte dame, pour le re-
gard de mon cousin le comte d'Essex, qu'encore» que
j'estime beaucoup de l'avoir près de moi, pour le cog-
noistre seigneur de grand mérite et valeur, toutesfois
je porte tant d'iionneur à icelle dame , que je serois très
marri qu'à mon occasion il fist chose qui la peust fas-
cher ; et qu'il n'y aura jamais empeschement de ma
part qu'elle ne soit satisfaicte de ce qu'd plaira lui or-
donner. N'entendant aussi qu'après lui avoir repré-
senté la nécessité qui me faict la requérir dudict nou-
veau secours, vous l'en pressiés qu'autant qu'elle l'aura
agréable; et si je n'ai ce bonheur, je porterai mes in-
commodités le mieulx que je pourrai , sans toutesfois
jamais rien changer , quelque condition où mes affaires
l82 NEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
puissent tomber, de l'affection que de long temps je lui
ai vouée , et que je doibs aussi à tant de faveurs que j'ai
receues de sa part, dont le temps, ni aultre accident,
ne me feront jamais perdre la souvenance et gratitude.
Sur ce je prye Dieu , M. Duplessis , vous avoir en sa
saincte garde. Escrit au camp, devant Rouen, le 3 jan-
vier 1592. Signé Henri , et plus bas , Revol. w
Et Cl coslé est escrit : « M. Duplessis, la présente
estoit preste des le 3 de ce mois, sur l'opinion en la-
quelle mon cousin, le comte d'Essex, estoit d'envoyer
des lors ung des siens par delà ; mais l'ayant retardé, je
n'ai vouleu despescher homme exprès pour vous la
porter. Et s'estant à présent resoleu de faire partir le
sien , j'adjousterai que tous les advisqui me sont encores
veneus depuis , et que mesmes j'ai appris par lettres in-
terceptées du duc de Mayenne, escrites aux sieurs de
Villeroy et d'Halincourt , qui sont à Pontoise , portent
que, toutes aultres choses laissées, ils s'en viennent ici.
Je crois bien que l'embarrassement du grand bagage
qu'ils mènent , et le desgel , qui a commencé des hier ,
me donneront cestadvantage, d'avoir une bonne partie
des trouppes que j'ai mandées , et desja il commence
d'en arriver. Et ai eu ce jourd'hui nouvelles de divers
endroicts que les aultres sont en chemin pour venir.
J'escris ung mot à la royne , et lui mande que, s'il lui
plaist m'envoyer promptement le secours dont je l'ai
envoyé supplier par vous , j'espère avoir de quoi com-
battre lesdicts ennemis sans lever le siège , et que Dieu
me donnera la victoire en l'ung et en l'aultre ; encores
que par les bruicts qu'ils font courir, ils publient leurs
forces fort grandes. Je lui touche ung mot de la consé-
quence qui dépend de ce succès, non seulement pour
mon regard , mais aussi pour toute la chrestienté , en-
EN ANGLETERRE. l83
cores qu'elle la sçaura assés juger d'elle mesmes. Et sçais
bien qu'il n'en sera aussi rien oublié de rostre part.
C'est le 6 dudict mois de janvier.
« M. Duplessis , j'ai receu vostre lettre de Dieppe,
et veu la conférence que vous aviés eue avec le per-
sonnage qui s'y estoit rencontré venant de de là. Vous
estes tesmoing, par l'office que vous avés faict de ma
part, pour persuader ce que l'on désire de celui qui est
ici, qu'il n'a teneu à moi qu'il ne s'y soit resoleu , et
voudrois bien qu'il l'eust faict, ne pouvant que porter
beaucoup de regret du malcontentement dont sa de-
meure par deçà est cause; mais ma pryere et mon advis
n'ayant assés de force, je ne puis pas user d'aultre
moyen pour l'y inciter. Je vous dirai, au demeurant,
que j'ai eu quelque advis que si les cboses sont dextre-
ment maniées, vostre voyage ne sera du tout infruc-
tueux, dont je vous ai bien voulleu adverlir, pour
l'ouverture que cela vous peult faire à mieux cognoistre
et mesnager ce qu'il y peult avoir de bonne disposi-
tion, en quoi n'est besoing que l'on cognoisse rien du-
dict advis. Vous verres ce que je vous escris par mon
aultre lettre. Je serai bien aise que vous fassiés naistre
l'occasion qu'on la veuille voir, si ce n'est la royne,
au moins le grand thrésorier , et que vous fassiés bien
cognoistre le peu de bonne opinion que j'ai de l'am-
bassadeur en ce qui toucbe mes affaires. La présente
et l'aultre mienne susdictes seront communes entre le
sieur de Beauvoir et vous , comme je désire que soit
tout le faict de vostre cbarge et negotiation. Je prye
Dieu vous avoir, M. Duplessis, en sa saincte garde.
Escrit au camp devant Rouen, le 3^ jour de janvier
iSgs. Signé Henry; et plus bas, Revol. »
i84 NEGOTIATION DE M. DUPLESSIS
Lesquelles lettres en original , ledict sieur Duplessis
envoya déchiffrées audict sieur de Beauvoir de Dou-
vre, le i8 janvier; et lui escrivit qu'il estoit d'advis
que l'une, à sçavoir la plus longue, feust communiquée
à M. le grand thrésorier, et ce nonobstant qu'il y feust
faict mention de M. Houton, ambassadeur pour la royne
en France; tant par ce que l'intention du roy estoit
telle, que pour ce aussi qu'on ne nuit jamais à ung am-
bassadeur de l'avoir pour suspect, ains il en est plus
recommendable au prince de qui il a charge; lui en-
voya aussi le chiffre , afin de justifier par icelui les
déchiffre m ens , si besoing estoit; et par mesme moyen
escrivit à M. le grand thrésorier celle qui ensuit :
« Monsieur, pendant que j'attends le vent en ceste
ville de Douvre, j'ai receu du roy des lettres que j'en-
voye à M. l'ambassadeur, le pryant de les vous com-
muniquer. Par icelles vous verres mes propositions
confirmées, et, à mon advis, vos difficultés esclaircies;
la première touchant la nécessité du secours; car sa
majesté très chreslienne déclare expressément qu'il
a besoing d'infanterie, encores qu'il lui fasche prou
d'importuner sa serenissime majesté. La seconde, en
ce qui concerne de sçavoir si le secours requis pourroit
encores venir à temps; parce que le duc de Parme
n'avoit poinct encores monstre quel chemin il voulloit
teiiir; et que le dégel, qui a continué depuis, le lui
«•ira rendeu plus difficile. Oultre les difficultés in-
ternes, que je n'estime estre à négliger, j'en eusse
escrit à sa serenissime majesté, Monsieur, mais j'ai eu
crainte de lui estre fascheux ; oultre ce que j'ai com-
mandement du roy, pîustot de défaillir à ses affaires,
que de lui donner occasion de se sentir importuneev.
EN ANGLETERRE. l85
Vous considererés donc le tout, s'il vous plaist, et en
userés selon vostre singulière prudence ; et sur ce , etc.
De Douvre, ce 8 janvier, vieil style. »
Pryoit aussi ledict sieur Duplessis M. l'ambassadeur
de lui faire sçavoir de ses nouvelles, parce que le
vent estoit contraire, et ne promettoit pas si soudain
changement.
Premier que partir de Londres , ledict sieur Duplessis
feit délivrer à M. l'ambassadeur la somme de quinze
cens escus sur sa parole qu'il donna aulx sieurs le
Fort, Dominique Boucher, et Eustache Trevache, de
les faire rendre à Adrian Le Seigneur à Dieppe dans ung
mois, parce que ledict sieur se trou voit en extrcsme
peine, et qu'il y alloit de la réputation et service
du roy.
N'est il oublier aussi qu'à la première audience sa
serenissime majesté blasma le roy d'avoir faict l'edict
de Mantes, revocatoire des cdicts d'union, comme
faict hors saison ; sur quoi lui feut suffisamment res-
Ipondeu sur l'heure , et neantmoins feut envoyé sur
ce subjet à M. le grand trésorier le mémoire qui
ensuit, qu'il eut très agréable :
« M. le grand thresorier ne prendra en mauvaise
part, s'il lui plaist, si on lui remonstre que quel-
quesfois la royne tient des propos qui nuisent beau-
coup aulx affaires de la relligion sans y penser,
« Ung certain catholique , portemanteau du roy très
chrestien , lui estant nagueres depesché , elle blasma
le roy de ce qu'il avoit faict l'edict de Mantes, par
lequel les edicts extorqués du feu roy par ceulx de la
Ligue contre le roy et ceulx de la relligion , estoient
î86 NEGOCIATION DE M. DUPLESSIS
cassés et révoqués ; lesquels propos ont encores esté
répétés aulx sieurs de Beauvoir et Duplessis par sa
serenissime majesté avec une mesme aigreur, comme
sa majesté très chrestienne ayant faict cela précipi-
tamment et hors de saison.
« Comme ainsi soit toutesfois que cest edict avoit esté
plus de six mois auparavant conclud avec les officiers
de la couronne en son conseil , et sollicité par les prin-
cipales courts de parlement , se plaignans à M. le chan-
cellier qu'ils estoient obligés à ces iniques edicts contre
debvoir et conscience , jusques à ce qu'ils feussent révo-
qués; joinct que les catholiques romains n'y avoient
moins d'interest que ceulx de la relligion , parce que
le roy y estoit déclaré hérétique, et eulx, et tous -
ceulx qui lui adheroient , faulteurs d'heresie , et
par conséquent criminels , et incapables de toutes
charges. ,
« Quant à ceulx là , ils sçauront tout supporter de sa
serenissime majesté, et interpréter en bien toutes ses
paroles et actions ; mais celui que dessus en a faict
mial son profict, envers les seigneurs du conseil du roy,
leur faisant entendre que la royne trouvoit mauvais
que sa majesté très chrestienne feist rien pour ceulx de
la relligion ; mesmes en a voulleu abuser envers le roy,
pour le refroidir, s'il eust peu, en la profession de la
relligion, qu'il a tousjours si constamment embrassée.
« Lesdicts seigneurs du conseil aussi ont depuis plus
hardiment combatteu le roy sur la relligion ; alleguans ,
quand il en changeroit, qu'ils sçavent bien qu'il ne
lairroit pas d'avoir la royne et toute l'Angleterre aussi
favorable , etc.
« Mondict sieur le grand thresorier, selon son pru-
dent zèle, considérera, s'il lui plaist, le mal que cela
EN ANGLETERRE. 187
faict, non à nous seulement, mais à toute la relligion .
et peult estre en quelque façon à cest estât.
La royne sçait quelle asseurance elle peult prendre
de ceulx de relligion contraire, qui nous allèguent et
nous reprochent à tous propos Textirpalion de la rel-
ligion catholique en Angleterre , et les persécutions
contre les catholiques; sçait, au contraire, que ceulx
de la relligion ne peuvent oublier l'obligation qu'ils
lui ont de long temps , ni la haison de hi relligion com-
mune qui les interesse en la prospérité de son estât.
ic Mais il y a plus, que quand les catholiques auroient
peu attirer, ce qu'ils ne feront jamais, le roy à chan-
gement de relligioii, de degré en degré ils le pous-
seroient plus oultre , lui feroient espouser, comme ils
en parlent assés souvent et de fraische mémoire , l'in-
fante d'Espaigne , et tost ou tard l'obligeroient à la
guerre contre la relligion, et tous ceulx qui en font
profession.
« Seroit donc plus convenable que sa serenissime
majesté tesmoignast par ses propos qu'elle désire que
le roy fasse pour ceulx de la relligion, selon les edicts
faicts par les feus roys, et nonobstant sans préjudice
ni diminution des catholiques romains, fidèles servi-
teurs de sa majesté très chrestienne. Car la fidélité des-
dicts de la relligion estant auctorisee affermiroit au
roy Testât de son royaulme, estraindroit de plus en
plus l'amitié et union entre les deux estats, et bor-
neroit plus seurement Testât d Angleterre contre les
inconveniens qui peuvent advenir. »
Nonobstant tout ce que dessus, ne laissa la royne,
des que le comte d'Essex feut de retour en Angleterre,
( car c'estoit la cause qui la retenoit ) d'envoyer deux
l88 NEGOTIA.TION DE M. DUPLESSIS, etc.
raille Anglois au secours du roy, et cî'escrire que c'es-
toit en considération des raisons alléguées par ledict
sieur Duplessis , et de sa negotiation.
XXXI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A 31. de Beauvoir.
Du 2g janvier 1692.
Monsieur, je pense que je suis confiné en Angle-
terre, et à mon grand regret; car le vent qui menaça
de se changer, lorsque je vous escrivis, ne dura qu'une
heure, et nous a ramené tous les vaisseaux qui estoient
partis avec grand tourmente sur les bras, et la pleine
lune qui nous donnoit espérance n'y a rien changé,
qui nous est une mauvaise arrhe pour tout ce quar-
tier. Je vous remercie, monsieur, de toutes vos nou-
velles. Ce nous sont nourriture en ce désert , et vous
prye sans importunité, puisqu'il y fault patienter, de
me les continuer par ce porteur ; particulièrement si
vous avés eu audience , et quelle issue. Il me semble
aussi qu'il importe fort , et pour le service du roy , et
pour la bienséance, que la royne sçache qu'il n'y a
que la violence et contrariété du vent qui me retient ,
et non chose que j'attende ici , et la lettre que j'escri-
vais à M. l'admirai n'estoit que pour cela, laquelle, à
ceste occasion, je vous prye lui faire bailler. On m'as-
seure de Zeelande qu'il y a trois mille hommes embar-
qués ; pleust à Dieu que la jalousie eu peust autant
faire deçà , pour participer à la victoire que je me pro-
mets que Dieu veult donner à nostre roy ; mais j'y vois
encores les choses mal tournées , et pense qu'il est de
LETTRE DE M. DUPLESSÎS, et.. 1 89
l'honneur du roy de les y laisser venir d'eulx mesmes,
sans plus les importuner; car nous leur en avons dict
assés. Je desirerois fort, monsieur, que ma curiosité
feust par vostre moyen contentée de deux choses ,
l'une du vrai discours, s'il se peult avoir, de ce qui
s'est passé en Espaigne ; car de ces seigneurs estrangles ,
et du retour d'Antonio Perés (i) près du roy ne se peult
conclure, sinon qu'il ait faict son appointement en les
descouvrant ; l'aultre comment s'est passé le faict des
villes de seureté requises par le duc de Parme, parce
que j'y vois de la contradiction en La Fere , si M. de
Mayenne y a mis sa femme et ses enfans ; et peu d ap-
parence que M. de Guise se dépouille de sa propre
maison, es mains et en faveur de l'estranger, quelque
affectionné qu'il se vueille monstrer ; aussi j'oi parler
fort différemment du progrès du siège de Rouen. Au
reste, j'aurai en recommandation tout ce que m'escri-
vés , mesmes la requeste de vostre congé, s'il se peult;
et sur ce, je salue , etc.
XXXII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Beauvoir.
Du i*"" febvrier iSga.
Monsieur , vous pouvés penser si je m'ennuye , et
pour ce je pars demain pour aller à la Rie, voir si je
pourrai mieulx passer, d'autant mesmes que par celles
que m'escrit M. de Gourdon, il semble qu'on se pré-
pare à une battaille; et certes ce seroit trop perdre
(i) Le retour d'Antonio Perés se trouva faulx.
190 LETTRE DE M. DUPLESSIS
pour ung coup, le crédit en Angleterre, et une telle
occasion d'honneur en France. Je vois que par vos
lettres, vous espérés que, moyennant une aullre despes-
che du roy , sa majesté feroit quelque chose. Si nous
n'avons rien peu , et si nos raisons ont esté inutiles ,
que pourront des lettres envoyées peult estre par quel-
que valet ? Car quel homme de mérite en vouldra estre
plus le porteur ? Mais quand je vois ce vent contraire
aux bonnes vollontés de ceulx de Flandres ( car leur
secours ne peult venir ) conforme aulx mauvaises d'An-
gleterre; car quand elles s'amenderoient, il les peult
retenir ; je conclus en mon esprit que Dieu veult faire
tout seul ; que seul il veult establir le roy , comme seul
il l'a appelé au royaulme ; qu'il veult faire avec peu
ce que nous ne conseillerions qu'avec beaucoup ; et
qu'après tant de misères, il fera miséricorde à nostre
povre estât, et le choisira ( et lors malheur peult estre
aulx aultres) pour retraicte de son Église à son tour,
port des affligés , et habitacle à soi mesmes. Or , je sçais ,
monsieur, que vous dires ainsi soit il ; et, sur ce bon
propos, je vous baise bien humblement les mains, et
supplie le Créateur, etc.
XXXIII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Au roy. ( i )
Du Gfebvrier iSga.
Sire , je ne sçais si jamais votre majesté me pourra
faire tant de bien, qu'elle m'a faict de mal aujourd'hui.
(i) Après la blessure de sa majesté en la retraicte d'Aumale,
dont la nouvelle vint audict sieur Duplessis aussitost qu'il feust ■
arrivé à Dieppe.
AU ROY. 191
Tous vos serviteurs ont appréhendé leur mort en vostre
blessure; moi, pour plusieurs raisons, plus sensible,
l'y ai presque soufferte entière. Et m'est soubveneu de
ces cartes géographiques, où on marque au bout de
toute cognoissance des déserts et terres incogneues ;
parce que toutes personnes d'entendement, au delà de
vostre vie ne peuvent concevoir que ténèbres espaisses
et misères non compréhensibles. Vostre majesté , qui
ne comprend poinct cela pour soi , le doibt pour tant
de gens de bien ses serviteurs, qui dépendent de là;
et louent tous Dieu, certes, qui leur ait donné en ce
temps ung prince belliqueux, cognoissans bien que cest
estât ne se pouvoit maintenir par ung prince ni de ca-
binet , ni sédentaire; mais vouldroient neantmoins que
vostre majesté, excédant les termes ordinaires de roy,
se continst es bornes de grand capitaine , et estimast
qu'après avoir faict jusques à trente ans l'Alexandre,
les années qui suivent requièrent que vous fassiés le
César. Vostre majesté donnera ma liberté à la néces-
sité de cest estât, à ma juste douleur , et à ma loyale
affection. C'est à nous, sire , à mourir pour vostre ma-
jesté, et nous est gloire; à vous, de vivre pour nous,
et j'oserai dire que ce vous est debvoir. Sire, je loue
Dieu du passé, et le prye de tout mon cœur pour l'ad-
venir, et de mesme affection serai tousjours vostre très
humble , très obéissant et très fidèle subject et serviteur,
DUPLE.SSIS.
Et a costé est écrit : Des que j'aurai peu recouvrer
mes chevaulx, oii j'ai envoyé toute la nuict , j'irai
trouver vostre majesté.
192 LETTRE DE M. DUPLESSIS
XXKIV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le duc de Bouillon.
Monsieur , je désire que vous croyës que vousn'avés
plus fidèle serviteur que moi, iii qui plus se rejouisse
de vostre veneue. Nous sommes sur une grande crise,
et qui semble ne se pouvoir passer sans ung effort de
nature. M. de Morlas vous représentera mieulx le
tout. Nous aurons des x\nglois et des Flamands ; mais
il nous fault du vent : et viendroit à propos que l'en-
nemi s'occupast au chasteau de Neufchastel. Cepen-
dant ce fort s'en iroit et nous espargneroit une bataille.
Ce que j'en puis discourir en mon esprit, je l'ai mis
en celui de M. de Morlas, prou capable toutesfois d'en
ju£;er de soi mesmes. Nous fusmes, le 5 de ce mois , sur
le bord d'ung grand précipice; et ceulx qui l'ont mesuré
de l'œil l'ont appréhendé extresmement, et ne le peu-
vent taire. Je crains mesmes qu'ils n'ayent esté esmeus
de s'y préparer, comme contre ung accident certain,
l'ayans veu si proche d'estre. J'ai souvent dict que le
roy en conservant sa vie, fortifioit ses serviteurs, ostoit
l'espérance aux ligueurs, et eloignoit les desseings d'un
tiers parti. Le contraire advient en la prodiguant; et
d'autant plus aura lieu , qu'on a veu la chose plus
proche d'advenir; non que pour cela je désirasse ung
roy, de cabinet ni de robe longue ; car ung prince belli-
queux nous estoit nécessaire; mais ung roy qui excé-
dant les termes des roys ordinaires, se continst es deb-
voirs de vrai capitaine. Je ne vous en dirai dadvantage
pour ce coup , sinon pour mon particulier, que je me
A M. LE DUC DE BOUILLON. 19''>
suis veu si pies de ma niyne , que je voudrois bien
avoir de quoi plus ne Tapprehender. Mais cela se dira
plus à propos au premier jour. Je loue Dieu de vostre
bonheur. Je vous désire ung fds digne de vous, d'uno-
meilleur temps, et de ce temps. Je suis, au reste, et
serai toute ma vie, etc.
XXXV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
J M. le grand trésorier cU Angleterre jmjlordBitrghlej.
MoissiKiiR, après avoir esté reteneu quinze jours à
Douvre, de vent contraire et de tourmente, je suis
arrivé en ceste ville de Dieppe , le 4 de febvrier à nostre
compte, où le lendemain j'ai eu nouvelles par lettres
de sa majesté très chrestienne , de ce qui s'est passé
entre l'armée ennemie et la sienne. Je sais que le tout
vous aura esté mandé bien particulièrement; et me
contenterai pourtant de vous dire que le roy est con-
trainct de faire des actes du moindre capitaine, parce
qu'il fault que sa valeur supplée au default de ses
forces; qui n'ayant, comme j'ai souvent remonslré
de quoi fournir contre le duc de Parme, et au siège de
Rouen tout ensemble, pour le deffault de l'infanterie
suffisante, il estoit reduict, attendant le secours de ses
amis, pour gaigner temps, à aller disputer tous les logis
au duc de Parme ; ce qui ne se peult faire sans péril
et sans rencontrer en une sepmaine une mauvaise
heure. Que Dieu le nous a conservé avec honneur évi-
dent, et neantmoins a voulleu qu'il ait esté blessé légè-
rement sans incommodité, grâces à Dieu, de sa per-
sonne, pour faire appréhender aulx- gens de bien corn-
MÉ.n. D£ DupLJissis-MoRjfAY. Tome y. j3
194 LETTRE DE M. DUPLESSIS
bien en sa vie il y a de vies encloses; combien en son
danger, de dangers; et après lui , si on avoit à y penser,
de ténèbres et de confusions. Ces considérations par-
ticulières, à la vérité, à nous qui sommes François,
mais non telles toutesfois qu'elles ne s'étendent aussi
plus loin; et principalement à Tendroict des personnes
de singulière prudence, comme vous , qui ne nous de-
battrés poinct que la vie et condition de ce prince ne
doive estre cbere à toute la clirestienté, pour le con-
trepoids qu'elle y apporte à la fortune de celui qui
s'eleve trop fièrement sur tous ses voisins. Or, mon-
sieur, inutilement je vous repeterois ce que je vous ai
souvent dict : croyés de certain que jamais le secours
de la serenissime royne ne feut si nécessaire qu'à pré-
sent; que jamais le deffault d'icelui ne peult estre plus
préjudiciable; qu'il n'y a au reste aulcung temps à per-
dre, et qu'il est en vous aujourd'hui d'obliger cet estât
à jamais , ou de le voir en évident hazard. A vous ,
jnonsieur, qui estes l'œil des aultres, peu de paroles
suffisent , et pour ce je vous baiserai bien humblement
les mains , en suppliant le Créateur vous avoir en sa
saincte garde. Votre bien humble et affectionné servi-
teur, DUPLESSIS.
De Dieppe, ce 7 febvrier, nouveau style.
XXXVI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Beauvoir.
Du 7 febvrier iSga.
Monsieur , j'arrivai le 4 ^^ ce mois en ceste ville
de Dieppe , estant parti le 2 de Douvre. Le 5 j'envoyai
A M. DE BEAUVOIR. igS
îiies yens à Dernetal , pour m'ainener mes clievaiilx ,
lesquels feurent pris à moitié chemin, et menés à Fes-
camp. Le 6, qui est aujourd'hui, M. de Chattes a
reçeu celles de sa majesté qui ensuivent, que vous
deschiffrerés s'il vous plaist vous mesmes. J'ai faict
insérer les lettres en chiffre. La vérité est que sa ma-
jesté, la nuict d'entre le 4 et le 5, a esté chargée en
son logis d'Aumale, par le duc de Parme, qui avoit
marché de poix toute la nuict, n'y ayant poinct d'in-
fanterie en garde; et est veneue aulx mains elle mesmes
par trois fois avec l'ennemi, desarmé, n'ayant que
cinq cens chevaulx. Vous estes vieulx capitaine, pour
juger la confusion qui s'en peult estre ensuivie, la ré-
putation qu'en prendra l'ennemi, etc. Sa majesté a
laict sa retraicte à Neufchastel, pour rallier toutes
ses forces, et arrester l'ennemi , duquel nous espérons
que Dieu rabattra la gloire. Là dessus, monsieur, vous
vous souviendrés de mes protestations en Angleterre,
du danger où on jettoit le roy , à faulle de le secourir
d'infanterie, du besoing extresme qu'il en avoit, que
cela le reduiroit d'une guerre de roy à une guerre de
chevau légers, et l'obligeroit à plusieurs dangers, pour
éviter celui de lever le siège. Toutesfois j'eus ce mal-
heur en si grand chose de n'estre escouté qu'à demi ,
et du tout poinct exaucé. Or je vous dis maintenant
que la conséquence de ceci est telle qu'il n'y a plus
que temporiser; qu'il n'est plus question d'alléguer le
passé; car le présent presse trop; aussi peu de se
paistre de courroux, car ce seroit tenter son propre
dommage. Mais qu'il est besoing de secourir le roy à
bon escient (si on ne prend plaisir à le voir perdre et
à se perdre), et avec telle diligence qu'il ait obliga-
tion à la royne, comme il aura, après Dieu , de la con-
196 LETTRE DE M. DUPI.ESSIS
servation de son eslat. Tout ce que je dirois au delà
seroit inutile. Et pour ce je finis, monsieur, plein de
douleur, en vous baisant bien bumblement les mains ,
et suppliant le Créateur, etc.
XXXVII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le comte d'Essex.
Du 7 febvrier 1692.
Monsieur, j'ai séjourné quinze jours à Douvre, et
enfin embarqué de \ent contraire , suis arrivé à Dieppe
le/, de ce mois à nostre compte. Le 5, le duc de Parme
s'est advancé avec toute son armée vers le roy, qui
estoit à Aumale, avec partie de sa cavallerie, et sans
infanterie, mangeant les vivres au devant de rennemi,
et lui rendant pas à pas les chemins difficiles, pendant
que le secours de ses amis viendroit, comme ses ser-
viteurs lui abordent de toutes parts. Sa majesté très
chrestienne relira prudemment son armée, et en feit
lui mesmes la retraicte, sur laquelle neantmoins A
falleut qu'il se meslast en personne à bon escient,
et si bravement qu'il arresta avec deux cens cbevaulx
tout le gros de l'ennemi, faisant certes plus qu'd ne
convenoitni à prince, m à capitaine gênerai d'armée ;
mais y estant reduict pour n'avoir près de soi , h cause
du siège de Rouen qu'il n'a voulleu abandonner, une ^
assés juste armée. Il feut blessé d'une pistolade, qui
effleure les reins, mais si légèrement, grâces à Dieu,
qu'il n'a laissé de monter à cheval , et le peult fane à
toute heure, s'il se présente une bataille; et assés ,
toutesfois pour avoir faict appréhender à tous ses ser-
A M. LE COMTE D'ESSEX. 197
vifeurs combien pesé sa personne, oultre laquelle ils
ne peuvent voir, en cest estât, que confusion et ténè-
bres. On blasmera ceste valeur; mais c'est une qualité
d'où il est plus aisé de rabattre que d'y adjouster. Et
puis on doibt considérer qu'il est contrainct de faire
avec peu , ce qu'il ne peult avec beaucoup, et que ne
pouvant, comme j'ai souvent remonstré, satisfaire à
iing grand siège, et contre une grande armée tout en-
semble ; pour n'avoir suffisante infanterie, il est con-
trainct de faire les actes de chevau légers, ne pouvant
sans lever le siège donner une bataille, ou arrester le
cours du duc de Parme. Je vous dirai pour la fin,
monsieur, que si sa serenissime majesté veult quelque
bien aulx affaires du roy, comme je m'en asseure, il
n'y a plus que temporiser, ains n'y a diligence qui
puisse estre trop bonne. Et considérés la dessus, vous
qui estes capitaine, que sa majesté très chrestienne,
pour l'incertitude de ce que l'ennemi vouidra faire, a
en mesme temps, en se tenant prest pour l'attendre
devant Rouen , à pourvoir neantmoins à Neufchastel
et à Dieppe; ce qui ne se peult, pour la nature de ces
places, sans diminution de ses forces, et mesmes de
ses gens de pied. Si sa serenissime majesté lui envoyé
le secours requis à temps , elle l'oblige et tout son
estai à jamais. Sinon, je ne sçais si elle pourra relever
avec beaucoup les inconveniens qu'elle pou voit et
peult encores empescber avec peu. Vous excuscrés,
monsieur, ma liberté produicte de la nécessité des
affaires du roy mon maistre, et de l'affection d'un
bon serviteur envers icelles ; que je ne pense pas tou-
tesfois simplement francoises, mais angloises, mais de
toute la cbrestienté. Comme je sçais aussi que je parle
à ung seigneur qui ne veult pas seulement estre né
igS LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
pour sa patrie, mais selon le courage qui est cligne
de lui, pour tout le monde ensemble. Or sur ce pro-
pos je finirai, après yous avoir ramenteu que je suis
vostre affectionné serviteur, et vous désire autant
d'honneur que chacung vous recognoist de mérite,
et en vous baisant, monsieur, humblement les mains,
supplierai le Créateur vous avoir en sa saincte garde.
De Dieppe, partant pour aller trouver sa majesté.
Ce 7 febvrier nouveau style, au matin. Et à coslê
est escrit : Monsieur, croyés que jamais M. Villurgbey
ne vint plus à propos pour les affaires du roy, que
viendra celui qui amènera ce secours.
XXXVIII. — LETTRE
De M. le comte cCEssex a M. Duplessïs. ( i )
Monsieur, je m'estime malheureux que je ne puis
pas faire pour le présent quelque bon service au roy ,
ni de bon office avec vous. Le temps est si court, et
l'humeur de la royne a esté si amere, qu'il est impos-
sible devant vostre partement de recevoir quelque
aultre response ; mais j'espère que bien que vous ne
portiés pas les nouvelles au roy de quelque secours ,
toutesfois sa majesté très chrestienne verra les fruicts
de vos labeurs, et les conclusions de vos argumens
bientost. Oultre le service du roy, pource qu'il y va
de vostre interest, je m'y employerai avec une affection
très grande, et serai vostre solliciteur après vostre par-
tement, et serai tousjours, monsieur, etc.
(i) Ceslp kltre t'eut escrile à M, Duplessïs estant encores à
Douvre.
CE QUI SE PASSA A BURE. 199
XXXIX. — CE QUI SE PASSA A BURE.
Le 17 febvrier i5<j2.
Le 17 febvrier, le roy partit du village de Buchy ,
où il estoit logé, pour entreprendre sur le lieu de Bure,
où estoit locé le duc de Guise avec toute la cavallerie
légère de l'ennemi , et quelques regimens de gens de
pied François, distant de Buchy, sept lieues au plus.
Sa majesté menoit avec elle deux mille chevaulx
françois, et deux mille reystres; d'infanterie, cinq cens
arquebusiers à cheval, et autant à pied pour favori-
ser son entreprise, ou sa retraicte , pour les forests où
elle avoit à passer.
Le rendes vous de sa majesté et de toutes ses forces
feut à Bellencombre distant de Bure, deux lieues, où
elle eust advis que le duc de Parme raarchoit ; mais
elle ne voulloit sur cela quilter son desseing; et la vé-
rité estoit que les ducs de Parme et de Mayenne es-
loient veneus à Bure pour recognoistre les chemins et
logis qu'ils debvoient prendre pour advancer leur
armée , afin de faciliter le secours de Rouen.
Sa majesté, pour pourvoir à tous inconveniens ,
jetta sur la main gauche vers Sainct Martin le Blanc,
M, de Nevers avec six cens bons chevaulx , pour soubste-
nir ce qui de ce costé là pourroit survenir , et empescher
que l'ennemi ne prist quelque advantage.
Et , pour son regard , s'achemina droict à Bure, pour
exécuter son desseing, nonobstant les dix ers advis que
dessus. Sur quoi advint que ses coureurs, conduicts par
les sieurs d'Arambure , et lieutenant du sieur de la
Curée, rencontrèrent une trouppe ennemie d'environ
200 CE QUI SE PASSA A BURE,
octaiiteclievaiilx, laquelle ils chargèrent, et nonobstanî;
en donnèrent advis au roy, lequel, craignant qu'iis ne
fussent suivis de quelque gros , leur envoya le baron
de Biron pour les soubstenir, à la faveur duquel ils se
nieslerent si avant qu'ils les mirent en route, et y en .
eut plusieurs prisonniers, quelques ungs tues, et se
trouva que c'estoit le comte de Chaligny, frère delà
royne douairière, puisné du duc de Mercueur , qui feut
blessé, et tomba par terre, et se rendit prisonnier à
Chicot, (i)
Le malheur feut en ce bonheur que ceuîx qui se
saulverent portèrent Tallarme au village de Bure ,
quartier du duc de Guise, qui eut loisir de se barri-
quer , et mettre en armes, et les ducs de Parme et de
Mayenne qui s'y estoient veneus promener, de se
retirer en haste , sous ombre de faire battre aulx
champs.
Et, nonobstant tout l'ordre qu'ils y peurent laisser,
feut ledict logis forcé et emporté; l'infanterie qui s'y
trouva taillée en pièces , sauf ce qui se retira au
Monstier; plusieurs gentilhommes aussi qui y voulleu-
rent rendre combat, et surtout le bagage du sieur de
Guise , et de ses trouppes pillé et emmené avec nombre
de prisonniers.
Sa majesté ayant faict cela de plein jour sur une
lieure après midi , s'en retira nonobstant sans aulcune
allarme, et quelque esmeute qu'il y en eust en leur
armée , ne se trouva aulcunement fatigué ni incom-
modé sur sa retraicte.
M. le duc de Bouillon et M. le baron de Biron don-
nèrent avec trouppes de cavallerie dans le village , et
fi^ Bouffon du roy.
CE QUI SE PASSA A BURE. 201
poursuivirent rennemi jusques de là la rivière qui y
passe.
Monseigneur le comte de Soissons avait ung régi-
ment pour soubstenir, si l'ennemi eusl paru. Sui voient
monseigneur le duc de Longueville avec son régiment,
puis le régiment de sa majesté, et, au delà de certains
bois, M. le prince d'Anbalt avec deux mille reistres.
Il se trouve de l'ennemi plus de deux cens morts
audict lieu de Bure; mais on n'a peu encore descou-
vrir quels capitaines, encore qu'il est certain qu'il y en
a. Du costé du roy , le sieur de Praslin blessé , et peu
d'aultres; quelques chevaulx tués.
Où estoit monseigneur de Nevers , le sieur des CIu-
seaux, maistre de camp, feut rencontré par le sieur de
Buhy, mareschal de camp, lequel avoit jette le sieur
de Vaubecourt devant lui avec douze coureurs, les-
quels cbargerent ledict des Cluseaux, qui pouvoit
avoir deux cens bons chevaulx , les deffîrent, et l'ame-
nèrent aussi prisonnier, et partie des siens.
Depuis la cornette générale du duc de Guise, prise
en son quartier , a esté apportée à sa majesté.
XL. —LETTRE DU ROY
J la rojne d Angleterre , f aide par M. Diiplessù.
Madame, vous sçaurés mieulx par M. Houton, vostre
ambassadeur , ce qui se passa hier en l'entreprise que
j'avois sur le quartier du duc de Guise; car il feut
présent à tout, et n'y a meilleur tesmoing que lui de
toutes les particularités. Croyés, madame, que, pour
peu de faveur que j'eusse de vous, je vous rendrois
101 LETTRE DU ROY, etc.
bon compte de ces gens, et espererois qu'ils ne feroient
gueres de mal à nos estais, et seroient bien aises de
retourner en seureté, pour conserver les leurs. Mais
vous considererés que j'ai à continuer le siège de
Rouen , que je ne veulx démordre, et en mesme temps
à m'opposer à eulx à la campagne. Ce qui m'est dif-
ficile sans vostre aide; comme souvent je vous ai re-
monstré, et que je pense aussi ne m'estre retardé que
par les vents. Nous en sommes là , madame , que les
armées s'entreregardent , et se feussent desjcà batteues,
s'ils eussent eu autant de resolution de secourir Rouen ,
que moi de continuer le siège pour l'emporter à leur
veue. Et pour ce , je vous supplie de juger selon vostre
prudence, de combien il y va, et ne permettre que, par
faulte d'ung médiocre secours, ung si grand œuvre soit
abandonné, et tant de labeurs perdeus, lorsque nous
sommes sur le poinct d'en recueillir le fruict. J'ai
donné charge à mon ambassadeur de vous en dire là
dessus davantage, sur lequel me remettant, ne ferai
ceste plus longue que pour, etc.
XLI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
J M. de Beauvoir, ambassadeur du roj en Angleterre.
Monsieur , on vous envoyé ung mémoire de ce qui
s'est passé à Bure sur le quartier de M. de Guise le i y
de ce mois. Par là le faict d'Aumale est plus que cou-
vert, et en avons de leurs plumes largement. Mainte-
nant le duc de Parme s'advance, soit pour combattre,
soit pour en faire mine, afin de nous faire lever le siège ,
soit pour jetter des hommes dedans la ville ; et pour
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 2o3
pourvoir à tant de cas , comme j'ai tant de fois dict, il
fault estre assisté dliommes. C'est pourquoi nous avons
extresme besoin» du secours de la royne. Et vous dirai
qu'il ne peult venir ou manquer jamais , avec plus de
bonne ou de mauvaise conséquence. On m'a dict qu'on
vous a faict une depesche, moi absent , pour convertir
deçà ce que la royne vouidroit employer en Bretaigne,
présupposant qu'elle m'auroit dict qu'elle y envoyeroit
deux mille cinq cens hommes. C'est chose que je n'ai
poinct dicte, et fault que sa majesté l'ait entendeu de
quelque aultre. Ce que je vous dis, parce que je ne
vouldrois estre teneu pour advanceur de parole contre
mon naturel, qui est de dire tousjours moins plustost
que plus. J'ai faict , au reste , en vos affaires tout ce
qui a esté en moi , et n'y manquerai. Particulièrement
pour les deux mille cinq cens escus , M. du Jai le
vous peult lesmoigner.
Et sur ce, monsieur, après vous avoir baisé les
mains , etc.
XLII. -. LETTRE DE DOM ANTONIO,
Roj de Portugal, à M. Duplessis.
Illustre signor Duplessi, la condogliensa délia mia
miserabile fortuna, et buona voglia verso di lei , che
ho sentito in V. S. quando lo vidi , et il desiderio che
mi mostro li facessi qualche apertura, mi hà date har-
dieza di mandarli questo discorso, per M. Charhagne,
già che mi manco il tempo di poter a bocca commu-
nicarlo a V. S. Pregovi signor, non mi manqui à me
solo quello del che ogniuno vi commenda , cioé favo-
2o4 LETTRE DE DOM ANTONIO, etc.
rir et soccorir le cause piu debole et giuste, et pero
clie la mia estiino una di queste, ardisco raccomtnen-
darvela , et pregarvi la vogliate presentar a sua M. M. G.
sicurandoui! sua voita la prendere sotto la vostra pro-
teUione, havero il fine che desidero. Prego dauantagio
V. S. mi escusi se nel stilo excedo il modo. Gonfessovi
che la gijusla labbia mi fa saltar le débite trinchiere ,
affirmandovi che (non solo fia H régi et principi), ma
fra tutti li amici che sua M. G. hà, nessuno lo ama ne
h desîdera più félicita che mi. Pero pur che detto
M. de Ghai'hagne hà mio ordine per trattar più parti-
cularmente di queste cose con V. S. per non fastidirla
davanlagio con piu longo discorco, prego V. S. h creda,
et micoiiscrvi ne la buona gratia di V. S. et mi habiate
nella vostra prolettione corne il piu sicuro et sincerato
amico.
Illustre signor Duplessi , prego Iddio doni a V. S.
longa et felice vita, et tutta la prosperità che desiderate
al re vostro patrone. Di Londra, 29 Gennaro ï5ç)2..
Piu affellionato a V. S. ÏIei. s.
XLllI. — SOMMAIRE DU DISCOURS
Envojê par le roj de Portugal h M. Du pies sis , pour
estre communiqué au roy.
QcE le roy estant froidement assisté par la pluspart,
mesuie de sa relligion, et lui manquant l'argent, qui
seul les retient à son service, il semble que raisonna-
blement i! ne peult espérer de venir jamais à bout de
ceste fascîieuse guerre, par les moyens que jusques à
présent il y a teneus : et pour ce, seroit à propos qu'il
SOMMAIRE DU DISCOURS, etc. 2o5
cliaiigeast de procédure, et, à l'exemple de plusieurs
grands capitaines , tant anciens cpje modernes , aliast
attaquer l'Espaignol , aucleur de toutes ses peines, en
sa maison propre; et que s'y résolvant, le meilleur
seroit d'entreprendre sur le Portugal ce qui se pourroit
faire par trois voyes : l'une, dont il auroit desjà entre-
teneu sa majesté; Taultre, qu'on menast quattre mille
hommes à , dont les deux mille feussent levés
et embarqués , avec vivres et munitions pour SiX mois,
par les sieurs de Sainct Luc ou de la Cliastre ; les aidtres
deux mille par messieurs des estais des Pays Bas, qui y
consentiroient aisément, et conduicts par Justin de
Nassau. Qu'il s'obligeroit en ce cas, tous fiais faicts,
d'envoyer deux cens mille ducats à sa majesté dans
deux mois, et de là à six mois encores autant. La troi-
siesme voye seroit d'aller descendre droict en Portu-
gal , dont lestât est tel qu il s'ensuit : Qu'il y a une
province , nommée Entreduero et Minho , joignant la
Galice d'ung costé et la province de Bejza de laultre,
batteue de l'Océan vers le Ponent, longue de dix buict
lieues, large de douze, montueuse, mais très fertile,
coupée de plusieurs grandes rivières, et partant aisée
à garder, riche es biens de la terre, et en traffic y
ayant six bons hasvres; pleine d'ung peuple plus guer-
rier qu'aulcung aultre, ennenîi juré du Castillan, et
très affectionné au contiaire à sa personne; qu'elle
seule entretiendroit aisément dix mille hommes de
pied et mille chevaulx , dont elle mesmes fourniroit
quattre nulle bons anjuebusiers , et quattre ou cinq
cens chevaulx; que la province de Beyza, séparée de !;»
susdicte par le Duero, est aussi très fertile et bien
affectionnée, ayant pour ville capitale l'Université de
Conimbre, forte d'assiette et bien riche. Qu'on y pour-
2o6 SOMMAIRE DU DISCOURS
roit lever et entretenir trois mille hommes de pied et
liuict cens chevaulx, et oullre cela payer six mille
estrangers; que la province d'oultre les monts, qui lui
est extrêmement affectionnée, est très riche, et pour-
roit faire jusques à trois mille soldats et six cens che-
vaulx. Qu'entre ceste province et celle de Beyza, y en a ";
une aultre nommée Riba de Coa^ dont on pourroit tirer
trois mille cinq cens hommes de pied , et l'entretien de
cijiq mille estrangers; que lliha de Coa, et oultre les
monts, sont frontière de Castille, pays nud, et dégarni
de toutes forteresses, d'où , par conséquent, on tireroit
de grands hutins et contrihutions pour l'entretien de
la guerre; qu'on pourroit aussi à peu de travail prendre
Bajonna , proche de la province ^ Entreduero et
Minho , lieu propre pour recevoir toutes les armées i
qu'on y vouldroit mener, et d'aultre part incommoder
grandement le roy Philippe. Que son intention donc
seroit d'entrer avec six mille hommes de pied et six
cens chevaulx en ladicte province d'Entreduero et
Minho; ce qu'il s'asseure pouvoir faire, sans aulcune
difficulté , et y estant, reconquérir aisément les aultres
provinces, pourveu que les lesdictes trouppes feussenl
conduictes par ung bon chef d'expérience et d aucto-
rité, pour contenir ses gens en bonne discipline, à
faulte de quoi il a veu perdre de belles occasions es
affaires de Portugal ; qu'il supplie donc sa majesté de
l'assister de son auctorité, crédit et conseil, pour la-
dicte levée de six mille hommes, vers la royne d'Angle-
terre et messieurs des estais des Pays Bas, à ce qu'ils
lui en fournissent chacung deux mille, et deux cens
chevaulx , payés et embarqués , avec munitions et vivres
pour quattre mois , interposant aussi son auctorité pour
lui faire trouver les aultres deux mille en son royaulme;
ENVOYÉ A M. DUPLESSIS. 207
que moyennant ce, oultre le grand profîct que recevra
toute la chrestienté de l'affciblissement de l'Espaignol,
infaillible par le succès de ceste entreprise, il s'oblige
de rembourser toutes les advances dans le terme de
deux ans, avec recognoissance à tous ceulx qui y auront
faict leur debvoir.
XLIV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Alt roj de Portugal.
Serenissima maestà, ho ricevuto le lettere délie
quali le hà piaciuto honoranni , insieme colli discoris
suoi per M. Charhagne , fondatissimi veramentè, et
degni délia sua rara prudenza. Volesse iddio, ch'io in
cosa tanto giusta, honorevole, utile , potessi far il ser-
vitio ch'ella richiede, et io con tutto il cuore vor-
rei procurare. Di questo prego liumillissimamente
S. M. esser sicura ; che io non le manchero V. S. M.
christianissima aile occasioni , di quel poco che io
posso. Le quali col l'ajuto di Dio, io non stimo forse
tanto lontane da noi , che , lie non possino in poco tempo
farsi piu vicine; massimamente se Iddio, corne io spero,
et ne veggo le apparentie , vuol favorir Timpresa di
Rouano. V. S. M. dunque secondo la sua magnanimità
et virtù, haverà patienza, et aspetterà colla stagione da
me quel servitio che si puo da un gentilhuomo di mia
sorte , ma da un servitor. Di sua maesta fidelissimo et
affettionatissimo. A i3, di Gennaro in Dovra, vec-
chio stilo.
5o8 LETTRE DE M. LE PRESIDENT JEANNIN
XLV. -- ^ LETTRE
De 31. le président Jeannin a M. Villeroy.
Du 2 mars lôga.
Monsieur , oultre les lettres que M. de La Chevalerye
vous rendra, vous avés encores receu celles que je vous
ay depuis escrit par le baron de Mesdavy; toutes deux
vous ont peu tesmoigner, avec ce que vous aura dict
vostre fils, que les princes qui sont ici, toutes consi-
dérations délaissées, s'estoient resoleus à la paix avec
le roy de Navarre, donnant asseurance de se faire ca-
tholique, et que là dessus ils vous envoyèrent le pou-
voir de traicter. Je vous ai encores escrit depuis par
M. , que M. de Mayenne a envoyé vers vous
pour vous supplier de venir ici , qu'ils continuoient
tous en mesme volonté , mais que c'estoit avec beau-
coup moins d'espoir que ccste negotiation deust avoir
effect pour ce que M. de la Chastre ayant veu M. de
Gin, et parle à lui sur ce subject , en avoit depuis
eu response par ung jargon qu'ils avoient pris ensemble
qui lui faisoit assés cognoistre que le roy de Navarre
n'estoit délibéré de quitter sa rclîigion , mais proposent
comme de coustume qu'il voulloit estre recogneu , puis
qu'il se feroit instruire, response à laquelle il a esté
tousjours constant sans varier. On n'avoit rien désiré
du passé de ces princes , sinon qu'ils se voulleussent
disposer à le recognoistre se faisant catholique. Ils
l'ont voulleu et le veullent, ne trouvant poinct mau-
vais qu'il se fasse instruire, que les catholiques avec lui
l'exhortent de se faire s'y on peult porter le pape à
A M. DE VILLEROY. '20g
en faire aultant. Nous le desirons encores ici , et y appor-
teront soubs main tout ce qui leur sera possible qu'ils
prennent à loisir en deux ou trois mois, et procède
comme il jugera debvoir estre faict pour sa conscience ,
sa qualité , son honneur, confère soubs main des con-
ditions et du traicté qu'on en demeure d'accord si
secrètement que personne ne le sache; puis lui, s'es-
tant faict instruire , se déclare catholique , soubs l'as-
seurance secrète de ce traicté ; c'est tout ce que ces
princes disent pouvoir faire en substance; pour l'ordre
et pour la conduicte, elle dépendra de la prudence de
ceulx qui s'y employeront, et ils ont tant de confiance
en la vostre et en vostre intégrité et affection, qu'ils
s'en remettent du tout à vous si ceste ouverture ne
les contente. Considérez, je vous supplie, si en se re-
cognoissant restant huguenot, quel advantage et pré-
texte on donnera au roy d'Espaigne et à beaucoup de
villes et de particuliers qui se mettront en sa protec-
tion pour dissiper Testât ? Tous ceulx qui sont ici
craignent et prévoient cest inconvénient, sans lequel
je tiens pour certain qu'il y auroit plus de moyen d'as-
seurer la relligion avec ledict roy de Navarre, conti-
nuant en sa relligion que s'il se changeoit pour les
raisons que nous avons quelques fois discoureues en-
semble ; or , vous m'escrivez que les habitans de nos villes
sont si las de la guerre et les gentilshommes aussi
et ung chacung veullent tant de mal aulx Espai^^nols
qu'ils ne laisseront de nous suivre en ceste reconciliation •
nous jugeons des maintenant , presque avec certitude du
contraire, par la cognoissance que nous avons de plu-
sieurs desdicts princes et aultres qui ont des gages en
main et sont desjà advancésen traictés secrets , desquels
nous ne pouvons espérer de les faire départir que par
Mii.u. DE Dupx.ESSis-MoE.ifAy. Tome v. . iA
2IO LETTRE DE M. LE PRESIDENT JEANNIN
la conversion du roy de Navarre ; vous adjoustés par
vos lettres qu'on y pourroit disposer le pape, et qu'en
son auctorité deschargeroit M. de Mayenne et clia-
cung. Je le crois j mais il vouldra difficilement faire
cest office, son intention ne nous est encores bien
cogneue tiennent qu'il est ennemi du duc de Flo-
rence, et affectionné aulx Espaignols, non pas à mon
advis, à leur desseing; les aultres qu'il est ami du duc
de Florence; si ce est vrai , M. de Lorraine pourra
sonder par lui sa vollonté; ce que je crains en ce re-
mède', est qu'il a de la longueur et incommodité, et
nous est très difficile en Testât auquel se trouvent les
affaires de prendre du loisir sans rompre avec les Es-
paignols. Nous craindrons moins cest inconvénient,
quand nous serons asseurés de la conversion du roy
de Navarre, c'est à dire quand il en donnera asseurance
secrète , attendant qu'il ait pris temps pour se faire
instruire et convertir publicquemenl. Or, monsieur,
la vollonté de ces princes est encores de recognoistre
ledict roy de Navarre, traicter avec lui s'il donne as-
seurance de se faire catholique. Ils se contentent pour
maintenant que ceste asseurance soit secrète, comme
les conférences pour le traicté le sont aussi, et après,
comme si nous n'estions poinct d'accord, il se fasse
instruire et reconcilier à l'église de lui mesme, ou pris
par les catlioliques qui sont avec lui , ou escorté par
le pape, s'il veult faire cest office comme nous ferions
très volontiers sans la crainte des Espaignols, et d'en
prendre des nouvelles qui se joindroient à eulx. Ainsi
ils jugent que vostre conférence de M. Duplessis ne
peult estre que fort à propos , la désirent , vous en
pryent; advisés donc ensemble, par vos prudences,
ce qui se pourra faire pour le niieulx sur la déclaration
A M. DE VILLEROY. .211
que vous font de leur vollonté ces princes, et nous en
mandés incontinent vostre advis s'il vous plaist, ce
dont je vous puis asseurer, est qu'ils y procèdent de
bonne foi, et avec désir de sortir du mal que chacune^
souffre plustost par ce remède que par ung aultre. Il
est besoing que ladicte assemblée soit fort secrète. Ces
princes m'ont donné charge de vous mander qu'ils ne
vous peuvent escrire ouvertement leur intention de
peur que leurs lettres prises descouvrent leur reso-
lution, ce qui doibt estre pour maintenant secret; mais
ils m'ont commandés de le vous ainsi mander. Ils
nç laissent de désirer que veniés incontinent, tant pour
leur faire entendre ce que vous aurés peu faire en
ladicte conférence que pour nous aider à gaigner le
temps avec ces estrangers. Pour moi, il y a long temps
que ce faict ne se pouvant resouidre à l'usage de ce
remède, que j'ai en horreur sur tous aultres. Je vous
prye donc de faire ce que vous pourrés par de là, et
venés s'il vous plaist bientost, car vous estes néces-
saire en ce lieu pour le publicque, vous asseurant que
j'aurai tousjours la vollonté que doibt ung homme de
bien , mais je cr.iins estre ung instrument trop foible
pour ung si grand faict. Vous aurés maintenant veu
les articles que je vous ai envoyés par M. le baron de
Mesdavy; la lettre que m'avés renvoyée avoit esté
mise dans le pacquet au lieu desdicts arlicles. M. de
Mayenne l'a veue et fort bien interprété le jargon,
que parle assés bien à lui celui à qui elle s'adressoit
est ici.
Pourveu que son maistre fasse ses affaires, je vous
baise très humblement les mains , et suis , etc.
r2i2 LETTRE DE M. DUPLESSIS
XLVL — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M, de Biizanval.
Monsieur, depuis mon retour d'Angleterre, j'ai
receu plusieurs lettres de vous, aulxquelles , pour une
part, j'ai faict response : et par celle-ci , je tascherai de
satisfaire à toutes. Je loue Dieu de voir Testât de
messieurs des provinces unies se raffermir de jour en
jour; ce que j'attribue, après la bénédiction de Dieyi ,
partie à leur prudence, et partie à la vertu de M. le
comle Maurice. Leur estât avoit besoing, comme sou-
vent nous avons dict, d'ung prince qui fist la guerre,
et de la main , et de la teste ; si la main n'y va, chascung
se rend nonchalant, la guerre n'a poinct de vigueur.
Cela estant , je suis bien avec eulx qu'ils n'ont que faire
de paix avec l'Espaignol , qui ne la feroit qu'à desseing
d'opprimer leurs voisins, et clievir après d'enlx tout à
son aise. Mais parce que le nom de paix est si beau,
que le masque mesmes bien recogneu trompe les
hommes; je pense, quand ces ambassadeurs vous en
parlent, que vous les debvés tirer de la paix particulière,
à la générale de la chrestienté, digne du lieu qu'y tient
l'empereur, et salutaire à son empire. Au lieu que la
particulière ne semble procéder que du desseing d'Es-
paigne , qui est tousjours suspect à tous les princes
chrestiens : et lequel est asses recogneu , pour ne tendre
à la paix pour la paix, veu la haine invétérée contre
ces povres princes, mais pour les desmanteler de l'as-
sistance de tous leurs voisins, afin de les ruyner tout en
ung coup. Et quant à ce que l'ambassadeur vous dict
A M. DE BUZANVAL. ^l3
de la particulière intention de l'empereur sur ces pays,
qui sont cercles de l'empire , ce sont propos plus ap-
parens que vrais , et mis souvent en avant du temps
du feu prince d'Orange à mesme fin. Mais il est tout
évident que la nécessité de l'empereur le rend trop
subject aux volontés de l'Es^aignol ; et n'y a appa-
rence qu'il ose esclorre ceste intention , ores (ju'il
l'eust , tandis qu'il vive. Je trouverois cependant fort
bon que vous fissiés entendre par voies obliques ce
propos en Angleterre , où ils auront pour suspect
que la maison d'Autriche, sous quelque nom que ce
soit , se loge si près d'euix , et s'en rendront peult estre
moins solliciteurs de la paix avec ces provinces , la-
quelle vous sçavés qu'ils désirent, pour racheter la li-
berté de leur commerce , dont l'interruption les tra-
vaille infiniment. Pour nostre regard , vous aurés sceu
comme se sont passées les choses à la veneue du duc de
Parme. Nous avons esté logés à deux lieues l'ung de
l'aultre , plus de quinze jours, sans démordre llouen ;
et eussions peu entreprendre sur son armée , si nous
eussions eu plus d'infanterie. Enfin le malheur a voulleu
que nos tranchées, affaiblies de gens de pied par la
longueur du siège , ont esié regaignees en partie par
une trop advantageuse sortie de l'ennemi, et ce qui
s'ensuit, qui a grandement reculé les affaires. Cela a
esté cause que le duc de Parme, adverti du dedans que
la ville n'estoit pas pressée, altendeu leffect de ladicle
sortie, s'est retiré au delà de Somme, pour y vivre
plus commodément, resoleu sans cest accident de tenter
le secours de la ville à pleine force, et sa majesté, si
elle pouvoit, de le combattre. Ores ne pense je poinct
que pour cela il retourne es Pays Bas si tost; ains il se
tiendra sur nostre frontière pour voir ce que deviendra
21 4 LETTRE DE M. DUPLESSIS
Rouen , lequel sa majesté est resoleue de battre à oui-
trance, nonobstant ung secours de trois cens bommes,
qui encores depuis y est entré. Cependant tous nos
François sont fort las de Tinsolence espaignole ; les
ducs de Mayenne , et de Guise mesmes , recreus de
rebuts et discourtoisies ; et recognoissans clairement
qu'il vient faire les affaires de son maistre, et non les
leurs. Comme de faict il negotie ouvertement les villes,
par menées, par promesses, par argent et par jésuites.
Et semble qu'enfin l'Espaignol soit veneu , pour leur
r'apprendre à parler françois. Là dessus il se jette sous
main quelques propos de paix, et s'en faict des allées
et veneues; et mesme^ je suis ici pour en pénétrer le
fonds , et y bastir , s'il y a fondement. Certes nostre
estât est tel que nous en avons besoing, et n'aurons pas
peu gaigné d'estre appelles roys, en mettant nos peu-
ples en repos. Le reste se gaignera par la prudence, et
suis d'advis qu'on mette le patient au lict à quelque
prix que ce soit. Tout à loisir, après on lui fera prendre
médecine ; on advisera des moyens de sa santé , quand
au moins il sera en repos. Si Dieu nous en faict la
grâce, les provinces de delà n'y perdront pas, et l'Es-
paignol n'y gaignera rien! Nous lairrons tousjours la
guerre contre l'Espaignol ouverte , comme ung cau-
tère , pour vuider nos mauvaises humeurs. Nous fo-
menterons les révoltes d'Aragon, et aultres nos amis, _^
ou plustost ses envieulx en Italie , qui souspirent vers
nous. Nous reschaufferons l'Italie (i); nous nous ren-
drons habiles à recueillir le fruict de sa mort, quand
Dieu l'ordonnera , au lieu qu'en cest estât nous ne
sommes capables que de nous perdre; je vous en man-
(i) L'AlJemaîgne.
A M. DE BUZANVAL. 21 5
derai fladvantage lorsque nous y verrons plus clair. Et
cependant hcec tlbi habeto pour vous diriger en vos
affaires. M. de Bouillon m'a parlé du mariage que
scavés que j'approuve long temps jà , et en vois les
utilités; mais la difficulté est de le faire aggréer à la
partie imbeue à d'aultres affections. Et vous scavés qu'il
en est comme de l'œil, s'il est imbeu d'une couleur, il
n'en reçoit poinct d'aultres. Toutesfois nous la pou-
vons voir dans peu de temps et juger à peu près, ISuin
quis sit huic desiderio reliquus lociis. J'ai conféré
avec M. de Revol de vostre particulier, et de bouche,
et par escrit , avec M. de Bouillon aussi , qui vous est
fort affectionné. Omnino il est du service du roy que
vous soyés là en qualité d'ambassadeur, soit pour
auctoriser ses affaires , soit pour fortifier la dignité des
estais qui importe à la nostre ; car il fault que cest
estât demeure soubverain , et quand il n'y seroit en-
cores formé, qu'on lui donne l'envie et le moyen de
Testre. Consequemnjent, que vous soyés traicté en ceste
qualité, et en puissiés faire la despense; à quoi je ne
vois poinct qu'on puisse répugner. Mais le tout est
que les moyens vous en soient administrés , qui ne
vous peuvent estre plaints, veu les services que vous
faictes , et les fruicls qui en sortent. Rien vous dirai je
que sur nos remonstrances on ne nous paye que de
nécessités. Des que je serai de retour près de sa majesté,
qui pourra estre dans dix jours, nous y ferons une
vive batterie pour vous ; et espère que vous en sen-
tirés , aidant Dieu , quelques effects. Le jeune homme
dont m'escrivés sera le bien veneu en vostre considé-
ration ; seulement, prenés garde que ceste vie tumul-
tuaire ne le desbauche ouilre l'intention de son père,
comme je vois advenir à plusieurs. Pour Testât, dont
2l6 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
madame la princesse (i) m'a cscrit , celui en faveur du-
quel elle s'affectionnoit, m"a dict que je ne m'en misse
poinct en peine, parce qu'il y est ja pourveu. Je m'es-
timerois heureux de lui pouvoir faire service en chose
qui le vallust. Je salue, monsieur, etc.
De Mantes, le 16 mars iSga.
XLVII. —MEMOIRE
Enç'ojé au roy.
De Mantes , le . . mars i5g2.
Monsieur de Fleury nous a veus , duquel nous
avons appris ce qui ensuit :
Le duc de Parme presse les François de recognoistre
son maistre roy de France, sauf toutesfois àeslire ung
prince françois qui règne soubs sa prortection ; aultre-
ment qu'il ne fault plus rien attendre de lui : cela
aliène la noblesse de l'Espaignol , et convie les chefs à
la paix; mais les villes entendent à ses practiques,
mesme pour ung prince françois catholique; sur quoi
les ducs de Mayenne et de Guise auroient dict , puisqu'il
fault se resouidre à subjection, qu'ils aiment mieulx
celle du roy avec des croustes que celle de l'Espaignol
ou de quelconque aultre , avec toute sorte de biens.
Ces propos sont rapportés par le sieur de Halincourt.
Lequel aussi a apporté paroles au sieur de Villeroy,
son père, que si le roy l'a agréable, on lui envoyera
charge de traicter de la part de M. de Lorraine , ducs
de Mayenne, de Yaudeniont, de Guise, en attendant
(1) D'Orange.
MEMOIRE ENVOYÉ AU ROY. 217
que les aultres s'y conforment. Ledict sieur de Villeroy
avoit envie de nous voir; mais nous avons estimé plus
à propos d'advertir sa majesté de ce que dessus, et
cependant il a despesché pour avoir ladicte charge. Si
sa majesté approuve qu'alors nous le voyons, il sera
besoing qu'elle m'envoye ung mot de sa main , dont je
puisse faire apparoir , portant qu'elle trouve bon que
je confère avec lui de sa part, parce que, pour ne le
voir poinct inutilement , j'ai vouUeu sonder s'il avoit
charge.
XLVIII. — -î;^ LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. de Biihy.
D'Halincourl, le .. mars i5ga.
Monsieur , vous verres , s'il vous plaist , et entendrés
la response que ce porteur m'a rapportée sur la des-
pesché que j'en avois faicteà M. de Villeroy, dont l'on
ne peult faire encores certain jugement jusques à ce
qu'il ait celle de M. de Mayenne, trouvant fort estrange
que ledict sieur mette en avant ce dont il debvoit estre
eclairci par les negotiations qui se sont passées depuis
ung an et demi ; mais c'est à ce coup que l'on y verra
une fin. Dieu veuille la nous donner bonne, puisque le
temps en est si brief , il fault avoir patience et en user
comme aulx remèdes d'ung cancer très dangereux, où,
avec l'aide de Dieu , la prudence et la bonne main de
M. vostre frère y sont bien requises , si le malade per-
met que l'on le secourt. Je n'adjousterai rien à ce que
vous dira ledict porteur, sinon de vous tesmoigner d'a-
voir reteueu en ces deux dernières conférences tant de
2l8 LETTRE DE M. DE FLÊURY, etc.
bonne vollonté de la part de mondict sieur vostre
frère, que je m'en rejouis infiniment, croyant ferme-
ment qu'il ne tiendra qu'aulx aultres , s'il n'en réussit
le faict tant désiré et si nécessaire; ce que j'ai bien re-
présenté et déclaré audict sieur de Villeroy, qui semble
en estre rechauffé : pour le moins sera ce beaucoup de
contentement et d'honneur, vous , messieurs, d'avoir
apporté tout ce qui vous aura esté possible au salut de
ceste misérable France, au service de son roy et à la
conservation de tant de gens et pauvre peuple, et s'il
fault dire, de nostre liberté, laquelle il semble qu'à
prix d'argent l'on veuille vendre à ces
Comme il y en a de si lasches de cœur, qui se veuUent
vendre eulx mesmes , Dieu les fasse meilleurs et plus
sages, et nous conserve, comme je le prye, après vous
avoir humblement baisé les mains. Qu'il vous donne,
monsieur, etc.
XLIX. — LETTRE A M. DES REAUX.
Monsieur, depuis celle que je vous ai escrite par
vostre homme, j'ai receu letjres de M. de Fleury par
homme exprès. Il m'asseure que son beau frère a lettres
du président Jeannin , en chiffres , par lesquelles ces
princes lui tesmoignent la gesne où l'Espaignol les met,
et le pryent de traicter avec le roy; tellement que c'est
à sa majesté à me commander maintenant, si elle veult
que je confère avec lui, et, en ce cas, me le mander
par une lettre dont je puisse faire apparoir, que je vous
prye estre soigneux de me faire envoyer; ce ne sera
qu'une ouverture; et après avoir tasté le pouls des sus-
dicts princes en la veine de cest homme , j'irai retrou-
LETTRE A M. DES REAUX. ^19
ver sa majesté , qui en jugera pour le surplus. Je n'ad-
jouste rien , par ce que vous aurez veu ma précédente
despesche; et sur ce, monsieur, etc. N'oubliez nostre
artillerie pour celle de Rhé. Je n'escris qu'à vous pour
ce coup.
De Mantes, ce . . mars iSga.
L. — LETTRE DE M. DE FLEURY (1)
A M, Diiplessis.
Du . . mars j5g2.
Monsieur, vous etitendrés , s'il vous plaist, la res-
ponse que j'ai eue de M. de Villeroy, où je n'ai poinct
esté trompé de ce que je vous avois rapporté, qu'à
mon advis il avoit receu charge de traicter : en quelle
sorte je ne m'en estois pas informé : depuis, les lettres
dont son fils lui avoit porté paroles sont arrivées. M. le
président Jeannin lui mande l'intention de ses princes
et le pouvoir qu'ils lui donnent; c'est à vous, mon-
sieur, d'adviser si vous serez content de ladicte lettre.
Seulement vous dirai je ce que j'ai peu recognoistre par
les negotiations passées : c'est que ledict sieur de Vil-
leroy a tousjours teneu les lettres dudict sieur prési-
dent , non seulement pour avoir autant de lieu que
celles du duc de Mayenne, estant escrites par son
commandement , mais encores dadvantage pour ce
qu'ayant à escrire en chiffres ces choses secrètes, il ne
le pouvoit faire de sa main et ne les voulloit remettre
à ung secrétaire : aussi que par ce moyen , elles estoient
(i) 11 estoit beau frère de M, de Villeroy
2 20 LETTRE DE M. DE FLEURY.
mieulx digérées et resoleues. Cepoinct estant donc ar-
resté qu'il traictera au nom et de la part desdicts prin-
ces, il ne reste que d'attendre la response de la des-
pesche qu'il a faicte i! y a aujourd'hui quattre jours,
de laquelle estant adverti, je ne fauldrai de vous aller
trouver, pour,sinvant icelle, adviser ce qu'il vous plaira
de faire et recevoir vos commandemens, si plustost il
ne survient chose où vous jugiés que je puisse ser-
vir, vous suppliant de me faire cest honneur de me
commander aussi librement , comme de croire que je
rendrai toute la fidélité et debvoir de
Monsieur, etc.
LT. — ^ LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Duplessis.
Du . . mars 1692.
Monsieur , je n'ai rien appris de M. de Villeroy ,
sinon que, lui ayant mandé ce que madame de Longue-
ville m'avoit faict entendre que MM. de La Cliastre et
Bassom pierre debvoient se rendre à Dieppe, il m'a faict
response ne croire pas cest advis , comme aussi n'es-
toit il pas vraisemblable, mais bien savoit que M. de
La Chastre a voit veu M. de auprès d'Abbe-
ville , sans m'escrire aulcune chose de leur entreveue
sinon qu'il redoubte infiniment , veu que ses princes
insistoient ton.sjours en leurs opinions sur le premier
poinct, qu'ils n'ayent égard en ces remonstrances : au
contraire, que leur ayant mandé que, s'ils ne s'en re-
laschoient, il ne dcbvoit ni vouUuit plus s'entremettre
de cest affaire, ils ne prennent quelque conclusion ir-
A M. DUPLESSIS. 221
r^mediable , et semble voir par les lettres d'aultres
qui nous ont escrit, qu'il y souffle quelques mauvais
vents pour traverser ceste negotiation : ils ont eu nou-
velles de Paris, que les estats de la ville tous assemblés
avoient député quattre personnes pour aller devers M. de
Mayenne faire certaines remonstrances, pour conclure
à la fin d'une bonne paix. A quoi, depuis deux jours,
ils estoient tellement traversés que l'on ne sçavoit qu'en
espérer. Ung aultre escrit plus ouvertement que les
sieurs Rozé , anciennement evesque de Senlis, le pré-
sident Hacqueville et le prevost des marchands avoient
esté députés pour aller vers M. de Mayenne et le duc
de Parme, afin de les disposer à la paix que les Pari-
siens disoient requérir plus que jamais; jusques à ^ulx
qui avoient esté des plus séditieux, qui à présent se
monstroient des plus doux; mais que l'arrivée de ma-
dame de Guise et ses deportemens avoient refroidi les
affaires,et que ceste ambassade cstoitrompeue, y ayant
de nouveaiilx discours et espérance sur la veneue de
M. de Guise qu'ils attendoient bientost : voilà, s'il est
ainsi, comme les opinions et résolutions des liommes
sont aussi muables et impétueuses que les vagues de la
mer. Or, monsieur, le retour du trompette vous pourra
esclaircir de toutes choses, ne doubtant poinct que la
perte du temps ne vous soit très chère et importante,
mais ils tiennent que ce sera dans demain , s'il ne vient
des aujourd'hui, dont vous serez incontinent adverti,
ainsi que de tout ce que je pourrai apprendre de meil-
leur, n'ayant voulleu faillir de vous faire entendre
sesdictes nouvelles, assés légères , desquelles neant-
moins l'on peult tirer jugement de leurs intentions et
affaires : l'on nous a dict qu'il estoit passé h Magny
quelque lacquay du roy qui s'en alloit à Mantes, du-
322 LETTRE DE M. DE FLEURY
quel vous aurés peu apprendre dadvantage de la sus-
dicte entreveue , pryant Dieu, monsieur, etc.
LU. — LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Duplessis.
Monsieur, à mon arrivée en ce lieu, j'ai receu let-
tres de M. de Villeroy , qui me mande que ce qu'il at-
tendoit de me faire entendre, estoit ce que lui appor-
teroit le retour du gouverneur de Pontoise, qui l'a
asseuré que tant s'en falloit que le duc de Parme fist
estat^de s'en retourner ; au contraire , il attend le comte
Charles de Mansfeld avec cinq ou six mille hommes ,
pour entrer puis après plus avant en ce royaulme,
croyant que la ville de Rouen, quoi que l'on y puisse
entreprendre, n'aura besoing de son secours d'ung bon
mois, voire de six sepmaines, y ayant envoyé ce dont
ceulx de dedans avoient plus grand besoing, qui estoit
de l'argent; et cependant loge son armée en lieu où
elle sera mieulx accommodée de vivres qu'elle n'estoit
à Neufchastel. Au demeurant , que M. de Mayenne n'a
encores traiçté avec les estrangers; mais qu'il est fort
pressé de ce faire , et sera très difficile que ce mois passe
qu'il ne prenne parti , y ayant peu de François en leur
armée qui ne désirent la paix, et ne redoutent ceste
aultre resolution , mesmes les chefs principaulx ; mais
que leur desespoir est qu'il ne se présente ouverture
ni moyen par où ils puissent esviter le commun mal-
heur. Il confirme la création du pape en la personne du
cardinal Aldobrandin , qui se faict appeller Clé-
ment VIII, et l'esperaHce que l'on a en sa capacité et
A M. DUPLESSIS. 2^3
prudence pour les affaires de la chrestienté , estant
Floreiilin, créature du pape Sixte, et faict de la main
du cardinal Montalto, et son nepveu , aagé seulement
de cinquante et cinq , ou cinquante et six ans. il dict
avoir aussi advis conformes à cela, m'adjoustant que,
si nous continuions à mespriser les remèdes à nos maulx,
et attendre qu'ils naissent des armes , nous serons
morts premier que les rencontrions , me pryant de
croire que, s'il y pouvoit servir selon son désir, il ne
s'en feroit pryer. Monsieur, je n'ai voulleu faillir, me
retrouvant si proche de vous, de vous donner cest ad-
vis, et que demain j'envoyerai homme exprès vers le-
dict sieur. Partant , il plaira à M. voslre frère de m'en-
voyer présentement ung passeport pour ung homme
de cheval , espérant de vous en rendre response dans
après demain. Cependant je vous baiserai bien hum-
blement les mains, comme faict le patron de ceste
maison, pryant Dieu, monsieur, qu'il vous donne en
santé bonne et longue vie. Vostre bien humble servi-
teur, Fleury.
D'Halincourt , ce lo mars iSga.
LUI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Reç'ol, secrétaire (ï estât.
, Monsieur, en fiisant nos petits affaires, je tasche
de trouver voye pour les publicques, et n'en déses-
père pas, s'il ne survient quelque accident. C'est ce
qui me faict appréhender les courses de sa majesté, qui
doibt considérer qu'en Testât où nous sommes, les
' petits advantages portent plus de coups aulx grandes
2 24 LETTRE DE M. DUPLESSIS
affaires qu'ils ne pèsent en eulx. mesmes. M. de Fleury
nous est veneu voir, et son beau frère (i) a eu pareille
envie. J'ai pensé qu'il estoit à propos qu'il nous peust
mieulx esclaircir des intentions de delà , afin de ne con-
férer poinct inutilement , soit pour le regard du roy ,
de la dignité duquel il iroit, soit du negotiateur, qui
n'en encourroit que blasme et calomnie; mais je pense
l'avoir mis en train , que nous traicterons, si le roy l'a
agréable, et bientost , et seurement, ou du tout nous
aurons à cognoistre que leurs cœurs sont contraires à
leurs paroles , sans qu'il en faille plus rien attendre.
Vous me ferés ceste faveur de croire que je n'y omet-
trai rien, car je sçais que c'est le salut du roy et du
royaulme; et, lorsque j'y verrai clair, je m'en irai re-
trouver sa majesté , afin qu'elle ordonne ceulx qu'il
lui plaira pour y entendre, me contentant, si Dieu me
faict la grâce d'avoir peu seulement ouvrir la carrière.
Je n'en escris qu'à vous jusques à ung plus solide sub-
ject. J'ai receu lettres de M. de Buzenval. Il me mande
les propos qu'il a eus avec le baron de Reide sur la
paix des Pays Bas, que je ne répète poinct , parce qu'il
vous en aura escrit. J'estime qu'il doibt continuer à le
tirer de ceste negotiation particulière à l'universelle
pour la paix de la cbreslienté, et des principaulx estats
d'icelle, en remonstrant que ceulx des Pays Bas au-
ront aultrement occasion de croire qu'on ne veult paix
avec eulx que pour plus commodément faire la guerre
à leurs amis, et les ruyner infailliblement puis après.
Honesta oralio , et conforme mesmes au désir que
proteste avoir l'empereur. Ledict ambassadeur a faict
sentir que son maistre avoit intention de faire tom-
(i) M. de Villeroy.
A M. DE REVOL. 226
ber en ses mains les Pays Bas , comme cercle de l'em-
pne; mais je double <fue ceste negotiation sera tous-
jours odieuse à l'Angleterre, suspecte aulx estais,
ruineuse à la France, parce que chascung sçait combien
la necessilé de l'empereur l'attache aulx volontés d'Es-
paigne. Pour son particulier, M. de Buzenval me prye
de ramentevoir ces affaires. C'est del'auctoriser par de
là en qualité d'ambassadeur, et de lui donner moyen
d'entretenir ceste qualité. Le premier poinct utile à
mon advis au service du roy , parc- qu'il importe de
donner courage aulx estats , et que leur dignité sert à
la nostre; joinct que tous les voisins commencent à
traicter avec eulx , comme avec ung estât formé , et qu'il
nous importe, quand bien il ne le desireroit, qu'il le de-
vienne. L'aultre certes très pressé, parce qu'il y a long
temps qu'on ne lui a envoyé argent, et qu'il ne sçak
d'où en tirer en ung pays cher et subject à despense,'où
nous avons besoing de reluire , et d'où tous les jours
nous tirons des utilités évidentes, et avec peu de cé-
rémonie. Je sçais, monsieur, combien vous affectionnés
cela pour le service du roy, et pour l'amitié que vous
lui portés; et je vous prye encore d'y adjouster , s'il se
peuit, quelque chose pour celle que me faictes ceste
faveur de me monstrer, et que je lui porte. Nous avons
à peine entamé ici nos petites affaires , que nous hastons
tant que nous pouvons. Je salue, monsieur, humble-
ment vos bonnes grâces, et suis et serai vostre humble
et affectionné à vous faire service.
De Manies, ce i3 mars i5y2.
Mém. de Dup/.essis-Mokîjay. Tu.UE V. |5
/
22G LETTRE DE M. LE MARESCHAL DE BOUILLON
LIV. — LETTRE
De M. le mareschal de Bouillon à M. Duplessis.
Du a 5 mars iSga.
Monsieur , Lomenie veit M. de Villeroy. Sur les pro-
pos qu'il lui teint ne voulloir vous voir, quoique le
pouvoir lui feust offert , le roy a envoyé le sieur de La
Verrière vers M. le cardinal de Gondi, pour apprendre
l'ordre que Ton pourroit tenir à enfourner ceste nego-
tiation. Venés ici, je vous prye. Il paroist de très mau-
vaises volontés au salut de Testât. Je vous aime comme
mon frère , et vous honore comme vostre vertu le
mérite. Je vous baise les mains. C'est vostre humble
âmi à vous servir, Henry de la. Tour.
LV. — LETTRE
De M. le mareschal de Bouillon à M. Duplessis.
Monsieur, j'ai receu ce soir vostre lettre, bien aise
de voir les espérances que vous concevés des discours
de M. de Fleur)'. Nous avons eu de deçà diverses ou-
vertures, mais plustost pour nous desjoindre que pour
faire la paix. Grnmmont dict que Ton n'a pas envie de
traicter, et qu'il ne veult tromper. Cela vous servira
d'advis. J'ai faict aujourd'hui mon serment de mareschal
de France, où chacun g a consenti pour ma personne,
mais diverses voix se sont ouïes pour la relligion. M. de
Pilles est mort, qui n'a peu avoir sépulture à Louviers.
Nous sommes ici pour resouldre ce que nous avons à
A M. DUPLESSIS. 227
faire. Dieu nous conseille bien parmi tant d'opinions
qui conduisent le service du roy par leurs passions.
L'on parle d'ung reglemerrt; mais vous nous cognois-
sés. Je pensois que vous eussiés faict quelque chose pour
la maison de Navarre; mais je vois que vous ne vous
en estes souveneu. M. le comte de Soissons faict uno-
D
voyage , mais l'on ne sçait jusques où. Je travaille pour
M. de Buzenval , qui le mérite. Asseurés vous fort de
mon amitié. Je vous baise les mains. C'est vostre hum-
ble ami à vous servir , Henry de la Tour.
A Dernetal, du i5 mars iSga.
LVI. — LETTRE DE M. DE REVOL
A M. Duplessis.
Monsieur , j'ai veu par vostre lettre que vous n'avés
perdeu temps à dresser les approches pour tirer quel-
que fruict de vostre voyage au bénéfice du public.
J'estime beaucoup qu'ayés trouvé de l'inclination à
l'entreveue. Dimidium facti qui bene cœpit, kabet.
L'affaire ne pourroit estre en meilleures mains pour
applanir le chemin. Je sçais vostre affection ; je la crois
bonne de l'aultre costé. La nécessité et le danger de
pis est une raison commune aulx deux parties, et forte
persuasion à ce que l'on doibt faire plustost aujourd'hui
que demain. Car la longueur ne vault qu'au tiers, qui
veult proficter de la contention. Je prye Dieu qu'il lui
plaise surmonter les difficultés qui pourroient traverser
vos bonnes intentions en la conduicte d'une si saincte
œuvre, afin que vous ayés l'honneur de l'acheminement
et perfection , dont chacung puisse recevoir le bien
2i8 LETTRE DE M. DE REVOL, etc.
désiré d'ung asseuré repos, et vous en recognoistre le
médiateur. Depuis vostre partement d'ici, nous y avons
attendeu le roy de jour à aultre, après que les ennemis
eurent achevé de passer la Somme; mais il s'est ung
peu arresté à Dieppe pour se purger, afin de n'estre
malade, comme il y avoit quelque disposition. Par
lettres que M. le mareschal en a receues ce soir escrites
d'hier, il lui mande qu'il viendroit aujourd'hui à Bac-
queville, pour estre ici demain. Je ne fauldrai au pius-
tost après son arrivée de proposer et poursuivre le faict
de M. de Buzenval , et pour la charge , et pour l'cntre-
tenement. Au premier je ne vois pas grande difficulté,
mais je crains bien qu'il n'en sera de mesme de l'aultre.
Toutesfqis, si je ne puis achever, au moins j'en esbau-
cherai les choses, attendant d'y estre aidé de vostre
présence , de laquelle j'espère que ne serons longue-
ment privés. Cependant commandés moi, s'il vous
plaist, pour vostre service, et j'y rendrai tout dehvoir
et affection, de laquelle, vous baisant bien humble-
ment les mains et à M. de lîuhy , je prye Dieu vous
donner, monsieur, en bonne santé longue et heureuse
vie. Vostre bien humble et affectionné serviteur,
Revol.
A Dernetal, du i5 mars iSga.
I.VIl. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le mareschal de Bouillon.
Monsieur, vous verres ung petit Mémoire que j en-
voyé à sa majesté , non tant pour l'adverlir que pour
l'esclaircir. Je n'ai voulleu voir l'homme que je ne sois
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 229
asseuré qu'il a cliarge. Et |3our ce j'ai besoing d'une
lettre du roy, afin qu'il voye aussi que je ne parle pas
par cœur. Je tiens que vous n'y devés perdre temps;
car je vous vois au premier jour abandonnés des Fran-
çois, cliar£[és des estrangers, le duc de Parme sur la
frontière, attendant le besoing de Rouen, et vous peult
estre contraincts de lever ung siège par impuissance ,
qu'il vauldroit bien mieulx, si vous n'y voyés bien
clair, par ung gênerai traicté. Entrant en règlement
pour la distribution des charges et dignités, j'ai pensé
sentir qu'ils nous en lairroient volontiers lé quart. Car
il m'a esté dict; comme de quattre mareschaulx qu'il
y en eust ung , etc. Je pense qu'on les feroit venir au
tiers. Je vois bien aussi que plusieurs maulx demeure-
ront debout par ce traicté. Mais je pense qu'il fault
commencer par mettre le patient au lict, la France en
repos ; on lui fera prendre tout à loisir médecine après;
et tousjours au reste laisser ung cautère ouvert , la
guerre contre l'Espaignol et le Savoisien, pour purger
les mauvaises humeurs. Dans six jours nous en sçaurons
dadvantage. Faictes moi part, monsieur, de vos nou-
velles, et surtout de vos bonnes grâces. Je supplie le
Créateur vous avoir en sa saincte garde. Vostre très
humble et affectionné serviteur à jamais.
De Mantes, du 16 mars 1592.
LVIII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Au roj.
Sire , en faisant le particulier je tasche de n'estre
inutile à vostre service. Vostre majesté verra en ce Me-
53o LETTRE DE M. DUPLESSIS , efc.
moire ce que nous apprenons ici. Elle en sçaura dad-
vanta^e d'ailleurs; mais la comparaison des propos
esclaircit la vérité. Ung officier principal de vostre ma-
jesté m'escrit que le duc de Mercœur est entré en ja-
lousie que le duc de Mayenne et aultres veullent con-
tenter le roy d'Espaigne aulx despens de la Bretaigne,
sur laquelle il a droict plus apparent , afin de saulver
le reste de la France de sa domination , alleguans
qu*aussi bien en a elle esté ung temps distraicte. Et que
là dessus ung gouverneur tenant le parti dudict duc,
auroit désiré traicter avec ledict officier, ce qu'il n'au-
roit osé sans commandement de vostre majesté. C'est
ung homme de bien, réfugié et exilé pour vostre ser-
vice ; et peult estre pourroit il venir quelque bien de
ceste practique. D'ailleurs M. le président de Riz se faict
fort , si M. de Joyeuse est mort , de retirer ses enfans
à vostre service s'il a moyen de les approcher, et en
parle avec beaucoup de confidence. Vostre majesté,
selofi la nouvelle qu'elle en a , y pensera s'il lui plaist.
Sire, je supplie le Créateur qu'il doint à vostre ma-
jesté en prospérité longue vie. Vostre très humble, très
obéissant, et très fidèle subject et serviteur à jamais.
De Mantes, ce i6 mars lôgz.
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 23 1
LIX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Fleurj.
Monsieur, je ne double aucunement de la bonne in-
tention de M. de Villeroy à ce traicté que nous clier-
cbons ; car il n'y peult avoir de prudence en ceulx
qui fuyent la paix , et la sienne est assés cogneue. Je
pense aussi qu'on peult faire fondement sur la lettre
de M. le président Jeannin, comme d'ung serviteur très
confident. Mais ce qui me meut plus c'est que je in'as-
seure que M. vostre beau frère ne vouidroit se jetter
en ce traicté, s'il n'y voyoit clair, pour le reproche
qu'ont accoustumé de remporter ceulx qui travaillent
moins utilement en une chose désirée d'ung chacung.
J'escrirai à sa majesté des aujourd'hui, et nonobstant
suis de vostre advis d'attendre le retour de celui qui
est allé vers M. de Mayenne; car sa response sur l'ar-
ticle (i) que savés qui depuis si long temps debvroit
estre resoleu, ouvre ou ferme la porte à tous les aultres.
Je pourrai donner ung tour jusques a Dourdan, cepen-
dant, pour trois jours, sans retardement du public;
et sur ce, monsieur, nous saluons mon frère et moi
humblement vos bonnes grâces , et supplions le Créa-
teur de vous avoir en sa saincte garde.
De Mantes, ce i6 mars iSga.
(i) De ne presser poinct le roy de changer de relligion.
2 32 LETTRE DU ROY A M. DLPLESSIS.
LX. — LETTRE DU ROY
A M. Duplessis.
Monsieur Duplessis, ayant veu par la lettre que
vous avés escrite à Revol , que le sieur de Villeroy vous
a faict cognoistre qu'il a charge de traicter, je trouve
bon que vous entriés en conférence avec lui sur les
moyens de la paix ; dont s'il se peult faire quelques
bonnes ouvertures entre vous, il ne tiendra à moi qu'il
n'en sorte le fruict que tous les gens de bien désirent.
Sur quoi j'attendrai de sçavoir de vos nouvelles pour
ne vous en pouvoir à présent dire aultre particularité,
pryant Dieu qu'il vous ait, M. Duplessis , en sa saincte
garde. Signé Henry.
Et plus bas , Revol.
A Dernetal, ce 18 mars i5g2.
LXI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Fleurj.
Du 1 g mars i5j)*.
Monsieur, je désire que vous croyés qu'il n'y a
homme en ce royaulme qui désire plus la paix que moi.
Mais j'en cherche les grands chemins , et m'entends
fort peu aux voies obliques. C'est pourquoi d'abordée
j'ai proposé (1) ce qui la peult faire ou deffaire; qui
(i) Le poinct de la relligion du roy.
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 233
en peiilt ouvrir ou barrer la porte. Sçachant bien com-
bien il y a de péril et de calomnie à ne venir à bout
d'une chose désirée de tous, encores qu'on y apporte
tout ce qui se peult de fidélité, d'affection et d'indus-
trie. Il s'est assés veu depuis trente ans que s'accrocher
sur ce poinct, c'est ne voulloir la paix, ains chercher
subjet de guerre. Il s'est encores veu plus clairement
depuis ces dernières années. Et ne puis croire qu'on
s'y arreste, s'il nous reste rien de François; si mesmes
on n'est jà tout resoleu de se rendre Espaignol. Mon-
sieur, si ita infatis est, que tout la volonté de Dieu
soit faicte. J'attends le trompette. Sa majesté arriva
hier à Dernetal , qu'on amuse de meilleurs propos; et
peult estre propos, comme les aullres. Je vous re-
mercie cependant de tant de soin et public et parti-
culier. Et sur ce je vous baise bien humblement les
mains, et à M. de Villeroy, en pryant Uieu , mon-
sieur, etc.
LXII.— LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Fleurj.
Du 2 1 mars iSgs.
Monsieur, je ne suis ici que pour l'affaire dont est
question; et hier encores receus lettres de sa majesté
qui m'en donnoit charge, s'il y a apparence de rien faire
de bien. Du costé du maistre, ni du serviteur, il ne
s'y trouvera que sincérité envers ung si bon œuvre.
Mais je désire aussi pour la dignité de l'ung et justice de
l'aultre, que nous ne conférions poinct inutilement. Ce
qui seroit, si on voulloit encores disputer ce qui doibt
234 LETTRE DE M. DUPLESSIS', cte.
estre présupposé , si on veult la paix. Du surplus il
sera plus aisé à convenir. Et ne fault doubler que la
prudence du roy ne donne beaucoup au repos de son
royauhne. Par celles que je receus hier, le sieur de
Grammont n'avoit poinct veu le roy ; mais je sçais que
s'il le voit, il lui donnera subjet d'estre content, et de
contenter les aultres. Quant à monsieur vostre beau
frère, je crois qu'il désire la paix; car je l'estime pru-
dent. Je sçais aussi que ceste mesme prudence lui faict
assés voir les chemins qui y mènent, et ceulx qui en
destournent. Et par conséquent ne double poinct qu'il
ne fasse ce qu'il peult , pour ouvrir les ungs et clorre
les aultres. Si son trompette est arrivé avec resolution
sur le poinct tant de fois mentionné, je ne désire rien
plus que de le voir, et me promets que ce sera avec
fruict. Et peult estre la jalousie de ce traicté sera
moindre hors de la présence des parties, parce qu'il
sera moins cogneu. Or, monsieur, je salue humble-
ment, etc.
LXIII. — ^ LETTRE DE M. DE FLEURY
^^ M. Duplessis.
Du 21 mars i5g2.
MoNSiFUR , je ne crois rien plus fermement que ce
que vous me mandez; encores que je ne sois gueres
clairvoyant, si fauldroit que je feusse du tout sans yeulx
et jugeioent, si je ne voyois et jugeois par vos con-
férences et procédures l'affection que vous avés à la
paix, et la rondeur que vous apportés en ceste nego-
tiation ; mais je dirai davantage que ceulx à qui nous
avons ici affaire; je m'asseure par ce que je leur en ai
LETTRE DE M. DE FLEUR Y, etc. ^35
représenté n'en doublent plus aulcunement , et quoi
qu'il en succède jà, oultre le contentement que vous
en recevés en vous mesmes , il ne peult eslre que vous
n'en receviés beaucoup d'honneur; car la vérité en sera
tousjours cogneue. Quant à ce premier poinct, sur le-
quel on attend la resolution , j'ai trouvé aussi estrange
que vous l'instance que l'on en faict , et ne me feusse ci
devant tant travaillé , si je ne l'eusse comme resoleu ;
mais ce qui s'en proposeroit seroit seulement pour
donner ouverture à chercher les moyens plus apparens
de contenter ceulx qu'il est besoing. Toutesfois je n'ai
vouleu manquer de vous advertir de ce qu'ils me font
entendre , et pense que ce ne seroit si instamment
si l'on ne leur eust mandé ; je n'ai peu me contenir que
je ne m'en sois fort picqué. Je vous envoyé la lettre qui
m'en est escrite , afin aussi qu'il vous plaise avoir tel
esgard à ce que l'on me mande du voyage de M. de
Grammont , que vous jugerez pour le mieulx. Ung
aultre m'escript que ceulx de par de là, qui désirent le
bien, sont fort traversés par des âmes espaignoles, et
qu'ils ont faict despescher ledict sieur de Grammont
pour tirer chose qui les puisse fortifier et retarder la
traicte. Vous me ferés aussi sçavoir, s'il vous plaist, la
response que je ferai sur l'aultre poinct; cependant je
leur escrirai présentement comme de moi mesmes que
les moyens et conseils doivent venir d'eulx , puis
qu'ils ont plus de connoissance du mal et des humeurs
de ceulx qui sont par de là ; monsieur, veu que les
choses pressent si fort , le plus tost que vous pourries
faire vostre entreveue seroit le meilleur. Le voyage du
trompette, comme vous verres, a esté retardé d'ung
jour par ce Vachot, et qui est ung des gens de M. de
Villeroy, ayant esté faicte la despesche dudict trompette,
236 LETTRE DE M. DE FLEURY, etc.
soubs le prétexte seulement de la délivrance du sieur
du Gay. Les choses semblent en très mauvais estât;
mais je me persuade que si, après le retour dudict
trompette, vous vous abouchés ensemble, et entrés en
traicté, qu'il en réussira ce que l'on désire. Dieu nous
en doint la grâce et à vous , monsieur, après avoir hum-
blement baisé les mains, etc. Et à costé de ladicte
lettre est escrit : A ce que j'entends, il n'est jour qu'à
Pontoise. ïl ne y plusieurs qui sont pris, entre
auhres la femme d'ung secrétaire des finances nommé
le sieur Bauldet , qui avoit pour cinq ou six mille escus
de bagues et ung passeport du gouverneur; mais l'on
lui dispute pour ce qu'elle menoit avec elle quelques
gens de M. le comte de Soissons, dont il en est de-
meuré à la rencontre. Monsieur , j'escris si mal , que
pour vous relever de la peine de lire ma lettre , je vous
prye me pardonner si j'emprunte aultre main, vous
suppliant croire que je n'ai créance plus certaine que
vostre bonne et sincère intention; par la vostre, celle
du maistre , lui estant très fidèle serviteur et le vostre.
LXIV. — ^ LETTRE DE M. DE VILLEROY
A M. de Fleurj.
Du 22 mars iSga.
Monsieur , vous aurés appris par la lettre que je
vous ai escrite ce jourd'hui par ung petit laquais qui
est à Chandry , et par celles qui Taccompagnoient ,
comme^l'on me presse d'aller en Picardie; celle que je
vous ai mandée que je n'avois lors deschiffree , m'en
presse encores plus que les aultres. Je vois bien que
LETTRE DE M. DE VILLEROY, etc. ^Sy
c'est pour la resolution que Ton y veult prendre de-
vant que les princes qui y sont se séparent. Toutesfois,
j'ai resoleu d'attendre le retour du mesme trompette
pour ne défaillir à ce que j'ai promis , et puis , selon
ce qu'il me rapportera, je me conduirai. Celui qui
m'escrit en chiffre semble estre comme désespéré de
la conversion du personnage que vous savés (i), et
que l'on leur en ait faict par de là une response si
creue qu'ils aient concleu qu'il ne s'y fault plus atten-
dre , chose que j'estime avoir esté faicle très mal à
propos, si elle a esté ainsi faicte, veu les termes ou les
affaires sont reduicts, estimant qu'il falloit plus tost
penser à gaigner quelque temps pour adoulcir et tem-
pérer les humeurs , et nous donner loisir à tous de
nous recognoistre et bien poiser le tout de part et
d'aultre ; il convient faire pour le salut public, sans
trancher si net ceste resolution , ce que l'on n'avoit
poinct encores faict : ce qui me faict doubler qu'il en
ait esté ainsi usé, dont vous vous informerés, s'il vous
plaist , par le moyen du frère de nostre bon voisin.
Estant certain que, s'il fault que nous nous aidions du
conseil et du nom du chef, du quel vostre dernière
faict mention, qu'il ne fault pas précipiter ceste déclara-
tion quand bien l'on y seroit resoleu ; car aultrement
il ne vous pourroit estre favorable. Et toutesfois, je
persiste à vous dire que le meilleur expédient que
nous puissions prendre pour surmonter la difficulté
qui nous accroche, seroit qu'il faille du temps pour le
practiquer ; et c'est pourquoi je desirerois que l'on
advisast maintenant s'il y auroit moyen d'adoulcir ce-
pendant les choses, et arrester le cours de ce torrent
(«) Il entend le roy.
238 LETTRE DE M. DE VILLEROY, etc.
impétueux qui nous noyé tous les jours. Pensés , je
vous prye , et croyés que je continuerai à faire par
lettres tous les offices que je pourrai à ceste mesme
fin, etc.
LXV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de FleuTj.
Du 23 mars i5q2.
Monsieur , j'ai veu les vostres et celles qu'il vous
a pieu m'envoyer, lesquelles je vous renvoyé, et les
précédentes aussi de M. vostre beau frère. Je vous
prye de trouver bon que je demeure en la resolution
d'attendre le retour du trompette, premier que de le
voir. S'il rapporte esclaircissement tel que nous desi-
rons du poinct dont est question , je vois les aultres
faciles; et oserois presque entrer en caution que nous
ne travaillerions poinct en vain. Sinon je n'y vois nul
fondement , et ne sçais quel bien il peult venir de
nostre veue, sinon d'attirer les mauvais propos de plu-
sieurs sur nous, que nous aurons leurrés par nostre
conférence d'une espérance vaine. Quant à la somma-
tion si expresse que M. de Mayenne faict à M. vostre
beau frère d'aller vers lui, je ne doubte poinct, sage
comme il est, qu'il n'y apporte beaucoup , soit pour
retarder le mal, soit pour avancer le bien. Et en cas
qu'il s'y résolve, vous me ferés ceste faveur, s'il vous
plaist, de m'en advenir, afin que je ne m'ennuie poinct
ici plus long temps. Cependant je suis esbabi de ces
gens, qui cognoissent tant qu'il se fault haster pour
prévenir le mal, qui s'en va incurable, et usent de
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 289
tant de longueur à procurer le remède. Or^ monsieur,
je salue , etc.
LXVI. — LETTRE DE M. DE MORLAS
A M. Duplessis.
Du a3 mars iSga.
1 Monsieur, j'ai tousjours attendeu quelque certitude
en nos affaires, afin d'avoir quelque subject de vous
escrire. Mais, puisqu'il n'y a rien plus incertain que
ceste certitude, j'aime plus escrire ce qui en est qu'en
attendant mieulx n'escrire aulcunement. Vous avés
sceu comme le roy attendit Grammont à Dieppe quel-
ques jours; lequel, ne pouvant venir de peur de nous
tromper, voyant la foiblesse de M. de Mayenne, feit
venir Bourg à nous, pour dire que l'argent d'Espaigne,
la présence du duc de Parme, les trahisons de quel-
ques ungs, l'irrésolution de M. de Mayenne rendoit
tellement l'affaire difficile qu'il en desesperoit ; et
neantmoins qu'H tenoit encores ung bout à la main,
lequel il mesnageroit doulcement selon les occasions.
En mesme temps Givri veit son beau père, lequel, ou
jaloux de l'entremise de Grammont, ou du tout aliéné
du bien par l'espérance de la grandeur de M. de Guise,
lui monstre ung résultat de leur dernière volonté, qui
portoit, que si le roy ne sedeclaroit catholique romain,
et ne restabiissoit tous ceulx de la maison et leurs par-
tisans en leurs charges et dignités, ils ne pouvoient
aulcunement entendre à la paix. Chacung de ces
poincts avoit encores son commentaire des asseurances,
et aultres choses vaines, qui descouvroit leur inlen-
ll^o LETTRE DE M. DE MORLAS, etc.
lion. Des lors ce traicté comiiienra à s'allentir en effect,
et plus en nos esprits qui montons de plein sault au
plus liault des espérances , et descendons sans esche-
Ions dans le desespoir. Neantmoins les plus sages qui
attendoient encores le retour de Grammont, et qui ne
vous croyoient pas inutile là où vous estes, retenoient
quelque espérance en cest affaire , ou par désir, ou
par jugement. Je ne sçais pas comme les choses vous
auront succède; mais ici nous n'avons gueres avancé
depuis : car Grammont, qui debvoit venir ici, s'est
contenté de nous envoyer ung trompette; cependant
qu'il est allé faire ung tour à Paris. Le trompette arriva
hier au soir. Il y a beaucoup de traverses en leur ar-
mée et dans Paris. Et toutesfois il semble qu'on ne
veult encores rompre avec nous. Grammont doibt
venir ici dans peu de jours, selon à mon advis qu'à
Paris les choses seront disposées. On y a despesché au-
jourd'hui Benoist avec lettres, pour eschauffer tous-
jours les volontés.
Il est aise à voir que M. de Mayenne ne se trouva
jamais plus empesché, et que sa foiblesse et son irré-
solution apportent ces difficultés. On dict ici que ma-
dame de Guise est arrivée à Paris, qui a reculé presque
autant qu'on avoit avancé. Quanta moi, je tiens cest
affaire assés descouseu de nostre costé et non rompeu
neantmoins jasques ici. Dieu veuille que vous ayés
proficté le temps par delà plus que pour vostre parti-
culier. Je vous jure que vous estes presque seul qui
embrassés ce qui est de nostre bien. La pluspart de
ceulx qui peuvent ici, ou le traversent malicieuse-
ment, ou n'en parlent que fort nonchaleunnent. Pour
le reste de nos affaires, vous aurés sceu comme la
crainte des ennemis, qui ne sont gueres loing de nous,
LETTRE DE M. DE MORLAS, etc. a4r
nous empesche de presser Rouen de plus près; et la
crainte de perdre nos affaires en levant d'ici, nous y
faict encores tenir, resoleus de nous eslargir ung peu
par la prise de Ronfleur, du bourg de Fescamp et
Tanquarville; de fortifier Quillebœuf, el attendre ce-
pendant ce que deviendront les ennemis, en nous ap-
prestant tousjours pour faire ung effort quand le
temps y sera plus commode. I^es ennemis sont autour ^
de Rue sans faire aultre contenance de la voulloiv at-
taquer. On nous asseure qu'ils se desbandent fort; et
particidierement que le prince de Simé s'est retiré avec
quelques trouppes de cavalerie. Nous sommes ici re-
muans toutes cboses pour nos reystres, qui nous don-
nent espérance de demeurer jusques au mois de sep-
tembre, à conditions fort avantageuses pour le roy.
Voiià tout ce que le sçais digne de vous estre escrit.
J'ai pryé M. de Boudlon de prendre la plume, afin que
par ce moyen vous sceussiés tout ce qui se passe; et
M. de Revol pareillement. Je prye Dieu, monsieur,
qu'il bénie vos labeurs, et vous fasse prospérer selon
vostre mérite et mon désir. Vostre très bumble et très
affectionné serviteur, Morlas.
LXV II. — -^LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Fleury.
De Mantes, ce 24 mars iSga.
MoNSiEDR, je receus encores liier lettre de sa ma-
jesté, qui me commande de lui mander ce que je fais;
j'en suis, comme pouvés penser, bien empesche, ne
pouvant encores ni le resouldre ni le faire espérer,
MÉM DF. DurtESSIS-MoRKAY. ToME V. J (>
I
242 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
tant que l'homme que sçavés soit de retour : lorsqu'il
le sera et qu'aurés sceu ce qu'il rapporte, je vous prye
que j'en sois promptement adverti ; mais je desirerois
encores plus, s'il estoit possible, avoir ce bien devons
voir alors , pour chose que j'ai à vous dire de la part
de sa majesté , que je ne puis fier au papier en ce
temps. Sa majesté continue le siège de Rouen, et tient
que le duc de Parme se retire en Flandres , laissant ses
forces, au moins son infanterie, à son fils, près le duc
de Mayenne; cela rendroit et le siège et nostre traicté
plus faciles. Et sur ce, monsieur, je salue, etc.
LXVIII. — LETTRE
De M. le mareschal de Bouillon a M. Duplessis.
Du 24 mars 1692.
Monsieur, Dieu vous donne bonne main pour par-
achever ce que vous avés commencé, vous asseiu'ant
que jamais chose ne feut ni plus juste, ni plus néces-
saire. Je ne vous dirai pas comme nous sommes, m'as-
seurant que vous oïés assés de déclamations de nos •
actions et estât. Dieu y veuille remédier; car, pour les
hommes, il n'y a pas grande apparence qu'ils le fas-
sent. Pressés et hastés la besongne , afin que les ambi-
tieux qui régnent ne vous traversent , et ceulx qui ont
interest que le marché ne se concleue. Je porterai tout )
ce qui sera de moi pour aider à une si bonne œuvre,
croyant que tout ce qui nous pourra donner la paix
est juste. Je vous baise les mains, et vous honore de
tout mon cœur ; et croyez m'en. C'est vostre humble
ami à vous servir, Henry de la Tour.
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 243
LXIX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Marias.
Monsieur , je vous envoyé vostre mandement visé.
Je vous ai escrit ce matin. J'attends tousjours response
sur ce nœud. Cestui là ou resoleu ou adoulci, cetera
eriuit proclii'ia ; et par ce je presse là dessus. J'ai veu
Benoist ce matin; j'ai opinion que le particulier ne pro-
cédera point, etqu'il se fault tenir au gênerai. Ceulx de
Paris ont envoyé vers le duc de Mayenne, et désirent
la paix ; peult estre lui mesmes , mais il nous craint; et
son neveu encores plus, qui pourroit prendre sa place
quand il l'auroit laissée. Je ne sçais si le voyage du
comte (i) les fera poinct tenir plus roides ; comme
nouvelle maladie surveneue à nos affaires, de laquelle
je vous veulx mal que vous ne m'escriviés rien. Et fault
bien dire qu'aultres douleurs nous cuisent, puisque
vous ne sentes poinct celle là. Si estimé je qu'elle va
loin \ et militas partes afficiet per consensum. Mandés
moi ce que vous apprenés et de lui et de M. d'Esper-
non, et si vous vous estes teu de ce mal pour mieulx
l'exprimer par vostre silence. Je trouve le conseil qu'a-
vés pris pour Rouen fort bon; et meilleur, si plustost.
Enfin il n'y a plus honorable voie d'en sortir que par
la paix, si elle se peult. J'escris ung mot à M. de La
Corbiniere ; je vous prye le lui faire bailler. Et sur ce ,
monsieur , etc.
De Mantes, ce 24 mars iSga.
(i) C'estoit M. le comte de Soissons, qui estoit allé en Bearn.
^44 LETTRE DU ROY, etc.
LXX. — -^LETTRE DU ROY
A M. Duplessis.
Du 25 mars i5(^2, au camp devant Rouen.
Monsieur Duplessis , Lomenie ayant esté pris comme
il alloit à la Roche Guyon et mesné à Pontoise , le sieur
de Villeroy lui a teneii quelques propos sur Testât des
affaires, pour me les faire entendre , représentant par-
ticulièrement le danger bien proche de la liaison avec
l'Espaignol , s'il n'y est obvié , laquelle faicte ostera
tout moyen de reconcihation , et lui a dict que le car- i
dinal de Gondy y peult servir, vers lequel à ceste oc- 1
casion j'ai advisé d'envoyer le sieur de la Verrière, *
son cousin , pour voir quelles ouvertures il pourra tirer
des moyens qui seroient à tenir pour empescher le mal
eminent, et parvenir à quelque repos, dont je vous
ai bien voulleu advertir, afin que si vous n'avés veu
ledict sieur de Villeroy, comme par le langage qu'il a
teneu audict Lomenie, il n'en donnoit pas grande opi-
nion, vous teniés tout en surseance , sans plus avant le
convier à vostre entreveue , attendant que nous sça-
chions, par ce voyage du sieur de La Verrière, quel
chemin ils y vouldront tenir. Cependant je prye Dieu
qu'il vous ait, M. Dwplessis, en sa saincte garde, etc.
MEMOIRE ENVOYÉ AU ROY, etc. ^45
LXXI. — MEMOIRE
Ern^ojé au î^oj par M. Duplessis.
Du 28 mars 1692.
J'ai receu la lettre de sa majesté, par M. de La Ver-
rière , en date du ^5 , lequel à la mesme heure a passé
oultre , pour moyenner l'entreveue qui lui est com-
mandée. Je tiendrai tout en surseance, comme sa ma-
jesté le m'enjoinct ; n'ayant ci-devant convié le sieur
de Villeroy à le voir , mais lui moi ; et ne voyant pas
aussi jusques ici grand subject de le désirer, M. de
rleury , une heure après le partement du sieur de La
Verrière , est arrivé ici de Pontoise , lequel m'a monstre
copie de la lettre du président Jeannin à M. de Ville-
roy. C'est en somme :
Que les princes sont resoleus à la paix avec sa ma-
jesté donnant asseurance de se faire catholique , et
d'envoyer là dessus pouvoir au sieur de Villeroy de
traicter. Entendent que sa majesté, pour ne faire rien
indécemment , en dedans deux mois ou plus se fasse
secrètement instruire , et traicte sa reconciliation avec
le pape , à quoi ils tiendront aussi sourdement la main.
Et neantmoins que, pendant ledict temps, on ne
laisse de traicter secrètement avec sa majesté, pour
tomber d'accord des conditions tant générales que par-
ticulières; au bout duquel temps sa majesté venant à
se déclarer, ledict traicté viendra aussi en évidence.
Et c'est , dict la lettre , tout ce qu'ils peuvent en sub-
stance.
Ajouste qu'ils craindroient aultrement de donner
246 MEMOIRE ENVOYÉ AU ROY
prétexte au roy d'Espaigne de leur estre eniieini ; et à
plusieurs villes, et particuliers, qui ont des gages en
main, de se jetter en sa protection. Et ne scavent
inesme s'il sera bien aisé d'y disposer le pape, n'estans
bien esclaircis du parti oii il encline.
Se trouvent au reste en grande peine , voyans de la
longueur en ceste negotiation d'une part; et de l'aultre,
se voyent pressés de conclure ou de rompre avec les
Espaignols. Et nonobstant , le pryent de conférer avec
moi, et puis de s'aclieminer là, tant pour cest affaire
que pour gaigner temps avec les estrangers.
Ces propos m'ont semblé creus; et me font craindre
qu'ils ne soient resoleus à mal , par trop d'irrésolution
au bien ; et qu'ils ne désirent nostre conférence que
pour contenter ceulx d'entre eulx qui crient après la
paix, en leur monstrant qu'il ne tient à eulx qu'elle
ne se fasse. Et quand je n'eusse receu les lettres de sa
n)ajeslé , je me feusse reteneu là dessus.
Le sieur de Villeroy, qui vouidroit bien trouver de
quoi asseoir son pied sur quelque ferme pour parvenir
à ceste negotiation, et semble resoleu en tout cas de
se distraire d'eulx, ainsi que tous les jours il pioteste
à ses amis, me déclare, par M. de Fl<"ury, qu'il trouve
les propos susdicts impies et injustes; et propose pour
expédient, afin de lier la negotiation avec le roy, et la
retarder avec l'estranger, les termes ([ui ensuivent, les-
quels il tascberoit de faire agréer aulx dessusdicts :
Que sa majesté leur donnera asseurance que sa vol-
lonté est de se reconcilier à l'Eglise catholique par
l'instruction qu'il conviendra. Sur quoi je n'ai voulleu
r-en dire, parce que sa majesté m'a fermé la bouche
par M. de La Verrière, et que la chose mérite que
sadicte majesté parle elle mesmcs.
PAR M. DUPLESSTS. ^47
Je trouve difficulté en ce mot i\e donner assearance^
ne sçachant quelle ils la demanderont : trouve aussi
trop creus ceulx ci , de se réconcilier a V Eglise catho-
lique^ pour ce qu'ils présupposent en estre distraict.
Et me semble que ceulx qui ensuivent ne se peuvent
raisonnablement rejetter; que sa majesté promettra
sainctement de rechercher tous moyens convenables
pour estre instruict en la relligion , ne pouvant avoir
plus grand contentement , comme elle en prye Dieu
journellement, que de se voir uni avec la paix de sa
conscience a l'Eglise catholique.
Et comme ils demandent asseurance de la relligion
pour la personne du roy , leur pourra réciproquement
estre demandé quelle ils la veuîlent donner de le re-
cognoistre moyennant icelle, et à quelles conditions ils
veuîlent traicter, tant pour le gênerai que pour le par-
ticulier; dont s'ensuivoient deux effects.
L'ung, que par ce moyen la negotiation se lieroit,
s'ils y procèdent de bonne foi , avec le roy, etc., et se
deslieroit tout doulcement avec les eslrangers. L'aultre,
que les chefs, et principaulx, et plus intéressés, estans
esclaircis etasseurés de leurs conditions, se rendroient
plus traictables au faict de la relligion ; l'ung leur
estant substantiel, et l'aultre accident et prétexte.
Voilà pour la negotiation.
Pour les humeurs, madame de Nemours désire la
paix , et y encline son fils. Madame de Montpensier
s'en bat contre tout le monde. Et ces deux ont envoyé
Piivaude, capitaine du Louvre, vers M. de Mayenne,
pour l'y exhorter. Madame de Guise les traverse, soubs
ung vain espoir que son fils espousera l'infante , que
l'Espaignol lui a faict couler en l'oreille par des propos
de gens de peu , jettes en l'air. Le baron de Senecey,
248 MF.MOIRK ENVOYÉ AU ROT, etc.
qui tend à la paix , s'en est moqué d'elle , et lui a dicl
qu'il ne falloit pas qu'elle pensast que les François faus-
sent ainsi à vendre aulx Marans.
Les députés de Provence , qui sont passés à Pon-
toise allans trouver M. de Mayenne , parlent niesme
langage.
MM. de Joyeuse, depuis la mort du père, ont mandé
leur intention à M. de Mayenne à mesme fin. Et M. de
Mercœur, à ce qu'ils dient, commence à s'ennuyer de
•voir le roy d'Espaigne si avare d'argent, et si libéral d&
lui envoyer des hommes.
Rhosne fort contraire; car il a deux mille escus par
mois du roy d'Espaigne, et negotie les aultres pour lui.
Le sieur de Chemeson, commandeur de la Romaigne,
a passé à Pontoise, venant d'Italie, et nommeement de
Rome, lequel s'en va trouver M. de Mayenne, person- ,
nase fort versé es affaires de delà.
Il asseure bien cognoistre l'humeur du pape; et qu'il
désire la paix de France, et les deux parts du collège;
voire des quattre les trois. Ce pape est celui qui feit la
paix des relligions en Polonge.
Geulx de la duché de Milan aussi ont faict offre
au roy d'Espaigne de lui donner ung million d'or par
an, six ans durant, et qu'il consente à la paix de France ,
se voyans presque ruynés pour i'interest qu'ils souffrent
de nos guerres.
On estime que ces propos enhardiront M. de Mayenne
à la paix, et modéreront les clauses que dessus.
Je fais estât de partir lundi pour aller retrouver sa
majesté, puisque je ne fais aultre chose; et la supplie ,
que ce Mémoire ne vienne es mains de personne , pour
le tort que cela feroit à ceulx avec qui je traicte, et
la promesse que je leur ai faicte.
I
LETTRE DE M. DE VILLEROY, etc. 2^9
LXXII. — ^ LETTRE DE M. DE VILLEROY
yl M. de Fleurj.
Du 27 mars iSga.
MoNSiKUR, si je n'eusse voulleu traicter avec M. Du-
plessis, je n'eusse obteneu permission de M. de Mayenne
de le faire comme il est porté par la lettre , de laquelle
vous lui avés monstre le double ; aussi me semble il
qu'il l'a prins assés cruement sur ceste lettre, dont vous
m'avés envoyé le double ; car l'on ne lui escrit pas que
j'aye dict ne voulloir traicter avec lui ; aussi est ce chose
que je n'ai dicte ni pensée. Quand je veis M. de Lo-
nienie, nostre trompette n'estoit retourné, j'estois en
peine de son retardement mesmes , à cause des advis
que j'avois de ce qui se passoit avec les estrangers.
Souvenés vous de ce que je vous en ai escrit; j'en dis
autant au sieur de Lomenie, adjoustant que je ne de-
sirois ni vouliois voir ledict sieur Duplessis, ni entrer
en lice et conférence avec personne pour abuser le
monde , que je ne veisse les choses disposées au
bien de part et d'aultre ; que je sçavois que la princi-
pale difficulté consistoit à contenter le gênerai pour
le regard de la relligion, et que si l'on ne trouvoit
moyen de surmonter ladicte difficulté, que c'estoit
temps perdeu que de parler de paix.
25o LETTRE DE M. DE FLEUR Y
LXXIII. — ^ LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Duplessis.
Du 28 mars iSga.
Monsieur, je receus dernièrement ung extresme
ennui de voir les affaires en si mauvais estât, pour le
contentement gênerai et particulier. Ce qui feut occa-
sion que je retournai coucher en ce lieu, quoi qu'il
feut fort tard quand je partis de Mantes; aussi que j'y
pensois trouver des lettres qui m'esclairciroient du faict
dont j'estois en peine , suivant ce que m'avoit dict le
sieur du Jon ; mais je n'ai rien veu ni entendeu que ce
que vous m'avés appris ce matin. J'ai despesché à M. de
Villeroy, et lui ai envoyé la copie qu'il vous a pieu me
donner. A quoi vous verres, s'il vous plaist, la res-
ponse qu'il ma faicte conforme à ce que je vous en
avois dict. Et quand il vous plaira revoir vostre lettre,
vous jugerés bien que c en est la vérité; car, oultre ce
que ledict sieur de Yilleroy vous mande , qu'en vain il
eust demandé au roy de traicter avec vous, s'il eust eu
aullre intention, aussi n'eust il pas proposé M. le car-
dinal Gondy, que je pense estre serviteur du roy, mais
non pas si confident, ni particulier, ni mesme si in-
formé des intentions de sa majesté, qu'il feut propre
et capable de traicter. Certainement je vous ai tous-
jours dict, monsieur, que je l'avois recogneu fort dé-
sireux du repos de cest estât, comme celui qui y a
grand interest; et qu'à mon advis , il pourroit beaucoup
servir à la negotiation qui seroit requise de faire à
Rome; de sorte qu'il fault en ce faict qu'il y ait eu de
A M. DUPLESSIS. sSl
mal entendeu, ou que l'intention de sa majesté aye esté
de sonder premièrement de lui ce qui se pourroit faire
sur le poinct dont l'on est en peine; ains surseoir. Il est vrai
que je trouve estrange ladicte surseance, et dadvantage
qu'elle soit remise jusques à ce que sa majesté aye en-
tendeu ce qui sera réussi de l'aultre conférence; l'ose-
rai je quasi dire, que ceste traverse procède de per-
sonnes qui veullent estre de feste. Je crois, monsieur,
que vous vouldriez qu'ung chacung y meist la main, si
la pluralité y pouvoit bien faire. C'est pourquoi , oultre
les aultres incommodités , la longueur qui intervient
en ces affaires est fort préjudiciable. Si fault il que, par
vostre vertu et bonté , vous mettiez peine de surmon-
ter les difficultés, lesquelles, d'autant qu'elles sont
plus grandes, vous en aurés plus de mérite et d'hon-
neur ; je sçais qu'il n'y a que d'aller le grand chemin ,
et prendre la droicte voye; mais celle là estant fermée,
il est loisible d'en rechercher une aultre ; et estant prest
de tomber en ce misérable naufrage, de tenter toute
voye de salut avant que se perdre ; si l'on estoit bien
asseuré qu'il n'y eust poinct de vollonté de l'aultre
part, honteusement l'on debvroit leur parler dadvan-
tage. Mais en vain l'on y auroit preste l'oreille, toutes-
fois je ne le pense pas; car je ne recognois poinct que
tous leurs pourparlers leur apportent aulcung advan-
tage. Pour Thonneur de Dieu advisés si vous pourrés
trouver quelque remède à cest inconvénient. Il est cer-
tain que la raison particulière ne veult que je fasse ce
que la très urgente nécessité requiert; mais la publicque
doibt avoir plus de lieu. Il ne s'agit de la conqueste
d'ung royaulme seulement; ce sont des que
je ne mets en si grande considération; mais, puisque
tout nostre salut despend de la recognoissance de
îâ52 LETTRE DE M. DE FLEURY, etc.
nostre roy , et que par aultre moyen nous n'y pouvons
parvenir, il me semble que, pour délivrer cest estât
de la ruyne inévitable oii il va tomber, de la désolation
de tant de villes et provinces, de tant de cruautés qui
s'exercent , et , qui plus est , d'impiétés exécrables , que
c'est pieté de faire plus que la raison ; l'on dict que la
publicque a tousjours de , pour ce
qu'elle ne se peult faire sans l'office de quelque parti-
culier. C'est pourquoi je concleus, monsieur, que vous
n'abandonniez poinct ceste barque et le salut de vostre
patrie; pryant Dieu, monsieur, après vous avoir baisé
humblement les mains, de vous faire aucteur de ce bon
œuvre, et à nous la grâce d'en pouvoir jouir du fruict.
Et plus bas. Il ne me ressoubvient de ce que M. de
Villeroy m'escrit, que je lui ai mandé d'une lettre de
M. de La Verrière, qu'il n'a receue; car je ne scais ni ai
entendeu aulcunes nouvelles dudict sieur, sinon ce que
vous pleut m'en dire et ledict sieur du Jon. Pardonnes
moi, monsieur, si en la présente le subject m'a trans-
porté.
LXXIV. — 'V' LETTRE DE M. DES REAUX
A M. Duplessis.
Du . . mars i5y2.
Monsieur, j'ai receu vostre despesche par mon
homme, et depuis la lettre qu'avés escrite par la
voye (le M. de Revol , laquelle ayant esté apportée en
mon logis, et ne sçuchant par qui, a esté cause que je ne
sçavois par qui vous faire response, et vous vouUois
depesclier exprès. Enfin, pour ne vous embarrasser de
LETTRE DE M. DES REAUX,etc. 253
ce nialentendeu , le roy vous escrit, ainsi que le dési-
rés, par ledict sieur dellevol, encores qu'il m'a semblé ne
s'estre gueres arreslé à ce qu'avés escrit ; mais si a bien.
M. de Bouillon, à qui il me commanda de communi-
quer le tout; comme à la vérité j'y vois ung commen-
cement de bons fondemens , et suis très aise que vostre
voyage se rencontre si utile , et que les choses soient
en vos mains ; car estant bien mesnagé, je me promets
qu'il y aura peu ou poinct de difficulté de deçà. Au
reste, monsieur, vous aurés sceu comme MM. de La
Chastre et de Givry se sont veus sur le subject avec fort
peu d'espérance de succès, le premier proposant en la
personne du roy la relligion catholique résolument, à
la restitution de tous les estats en la maison et cou-
ronne sans aulcune espérance de modération : depuis
le sieur de Grammont qui debvoit venir, s'est en-
voyé excuser par le sieur de Bourg qui est son parent ,
avec advis au roy de ne se plus attendre à ceste negotia-
tion; et qu'au préjudice d'icelle l'on soUicitoit tous les
partisans d'entrer en la subjection de l'infante. Rou-
lés donc vostre corde; car je vois toutes aultres rom-
peues, et vous resjouissés de M. de Bouillon, qui feit
hier le serment de mareschal de France, oii toutesfois
quelqu'ung des plus apparens ne se voulloient trouver :
nous poursuivons nostre siège, et donne l'on quelques
espérances d'ung mauvais estât dedans la ville : nous at-
tendons les Anglois qui sont embarqués ; le duc de
Parme est toutesfois au pont d'Ormy , qui , en menaçant
Jlouen,nousfaict dessein qu'il n'en veuille à Saihct Quin-
tin. Le roy n'a voulleu touscher à la gallere, ni aulx
pièces. M. de Bouillon a opinion qu'il en ait faict quel-
que promesse à M. le mareschal de Matignon pour
l'en importuner deux fois. Mon frère et moi, vous re-
2 54 LETTRE DE M. DES REAL'X, etc.
mercions de l'advis de Maran. En toute humilité, il
en avoit desjà le don. H y a quatre ou cinq mois, j'ai
faict tenir à monsieur.... Je prye Dieu, etc.
LXXV. — ^LETTRE DU ROY
A M. Duplessis,
De Dernetal, ce . . mars 1592.
M. Duplessis ayant veu par la lettre que vous avés
escrite à Revol , que le sieur de Villeroy vous a faict
cognoistre qu'il a charge de traicter, je trouve bon
que vous entriés en conférence avec lui sur les moyens
de la paix, dont s'il ne se peult faire quelques bonnes
ouvertures entre vous , il ne tiendra à moi qu'il n'en
porte le fruict que tous les gens de bien désirent; sur
quoi j'attendrai de sçavoir de vos nouvelles pour ne
vous en pouvoir à présent dire aultre particularité,
pryant Dieu, M. Duplessis, vous avoir en sa saincte
garde.
LXXVI. — ^ LETTRE DE M. DE MAYENNE
A M. de Villeroj.
Du . . mars 1692.
Monsieur, je vous envoyé ce porteur pour vous
suppher, au nom de Dieu , et par tout ce que je puis,
de vous en venir; je vous supplie donc, monsieur,
d'autant que vous m'aimes et le public, vous y ache-
miner. Je me veulx promettre , monsieur, que ce coup
LETTRE DE M. DE MAYENNE, etc. 255
vous ne m'esconduirés; venés donc, je vous en sup-
plie de tout mon cœur; M. de La Ghastre et M. le pré-
sident Jeannin vous en escrivent. Il est plus que néces-
saire que veniés promptement , et pour Dieu, mon-
sieur, ne me déniés ceste aide en chose où il va de
Testât et de tout ; j'attends en bonne dévotion des
nouvelles de vostre fils. Vous sçavés aussi , monsieur ,
le pouvoir que vous avés sur moi qui me fera finir,
pryant Dieu qu'il vous conserve.
LXXVll. — ^ LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Diiplessis.
Du . . mars 1592.
Monsieur, l'on m'escrivit des hier de Pontoise; mais
le porteur a faict si mauvais debvoir, que je n'ai receu
les lettres que présentement, lesquelles je vous envoyé
pour y donner , s'il vous plaist , tel advis que vous
jugerés pour le mieulx, et le conseil que l'on y doibt
donner; je prendrai la hardiesse de vous dire libre-
ment que si M. de Villeroy est affectionné au bien
comme je le crois, il ne doibt, pour chose quelconque ,
perdre ceste occasion, et s'excuser de la pryere qu'on
lui faict, car il est à juger, veu l'opinion que Ton a
de lui de ce costé là, qu'il pourra beaucoup servir mes-
mement s'il y pouvoit aller après vous avoir veu , car
encores d'aultres qui sont auprès de lui m'escrivent que,
si bientost l'on ne met la bonne main à cest œuvre ,
tout est perdeu ; ayant ce Vacliet faict une grande
faulte d'avoir reteneu le trompette deux ou trois jours,
de sorte que l'on ne l'attend que demain. Quoi qu'il
2 56 LETTRE DE M, DE FLEURY
apporte , il semble estre très à propos que ledict sieup-
de Villeroy fasse son voyage; partant, vous adviserés,
pour gaigner temps , s'il ne sera pas bon qu'il vous
plaise d'en escrire au plus tost au roy, afin d'en avoir
la permission. Il ne parle poinct de passeport, ainsi
que vous verres ; mais vous considererés si vous en
devés demander ung par mesme moyen, pour en user
puis après comme il vous plaira. J'ai opinion que ce
qui est porté à la fin de la lettre de M. de Mayenne ,
qu'il attend des nouvelles de son fils, et sur la charge
qu'il a. Quant à celle de M. de la Chastre , je l'ai en
partie devinée , estant si mal escrite qu'il m'eust faict
plaisir d'en envoyer une copie; je lui al ce matin de-
pesché ung des miens , que j'attends de retour ce
mesme jour; vous serés adverti de ce qu'il me man-
dera et apprendra de plus particulier, par la lettre
de M. le président Jeannin ; pour le moins ses lettres
me donnent quelque consolation , que le marché n'est
poinct encores arresté. L'on m'a dict qu'ils ont révoqué
la depesclie du sieur de Grammont; j'attends le mais-
tre. L'on me mande de l'armée qu'unanimement tous
demandent la paix. J'ai receu aussi lettres présente-
ment de ma maison , par lesquelles l'on m'escrit qu'il
n'y a plus de moyen de venir par de là, à cause des
coureurs de la Ligue, oî^i plusieurs soldats mesmes des
noslres se rendent pour voler encores mieulx et im-
punément, d'autant que ce quartier là estsoubs l'obéis-
sance de sa majesté. Dieu, par sa grâce, veuille avoir
pitié de nous, et vous donner, monsieur, etc. Et h
coslé est escrit : D'autant que le roy scait que je suis
par deçà , je vous prye de lui touscher à quel effect ce
que je servirai comme je doibs, s'il vous plaist, mon-
sieur, de me renvoyer ses lettres, et aussi celles que je;
A M. DUPLESSIS. 2^7
vous envoyois devant hier, me permettant de baiser
humblement les mains à monsieur vostre frère, comme
faict le maistre de ceste maison.
LXXVIII. —-V- LETTRE DE M. DUPLESSIS
^ A M. de Fleiiry.
Du . , mars i5g2.
Monsieur , j'ai veu les lettres et celles qu'il vous a
pieu m'envoyer, lesquelles je vous renvoyé et les pré-
cédentes aussi, de M, vostre beau frère; je vous prye
de trouver bon que je demeure en la resolution d'at-
tendre le retour du trompette, premier que de le voir:
s'il apporte esclaircissement tel que nous desirons du
poinct dont est question, je vois les autres faciles, et
oserai presque entrer en caution que nous ne travaille-
rons poinct en vain , sinon je n'y vois nul fonde-
ment , et ne sçais quel bien il peut venir de nostre
sinon d'attirer les mauvais propos de plusieurs sur
nous , que nous aurons leurrés par nostre conférence
d'une espérance vaine. Quant à la sommation si ex-
presse que M, de Mayenne faict à M. vostre beau frère
d'^aller vers lui, je ne doubte poinct, sage comme il
est, qu'il n'y apporte beaucoup, soit pour retarder le
mal, soit pour advancer le bien , et en cas qu'il s'y ré-
solve, vous me ferez ceste faveur, s'il vous plaist , de
m'en advertir, afin que je ne m'enniiye poinct ici plus
longuement; cependant je suis esbahi de ces gens qui
cognoissent'tant qu'il se fault haster pour prévenir le
mal qui s'en va incurable , et usent de tant de longueur
à procurer le remède. Or, monsieur, je salue, etc.
MtM- DK DuPLESSIfs-lVIoRjNAY. ToME V. I >7
258 LETTRE DE M. DE FLEURY
LXXIX. — ^ LETTRE DE M. DE FLEURY
^ M. Duplessis.
Du . . mars lôga.
Monsieur, ce n'estoit mon intention de me des-
mouvoir de vostie resolution, car je crois que vous
l'avez prise avec prudence et bonne considération ;
mais j'ai pensé que M. de Villeroy ne feroit ce voyage
que son trompette ne feust de retour, ainsi qu'il me le
mande par sa dernière , laquelle est pour me donner
advis de ce qu'il a appris de la lettre de M. le prési-
dent Jeannin, qu'il n'avoit encores déchiffrée et que je
vous envoyé , afin de vous tenir adverti de tout ce qui
se passera en ceste negotiation pour parvenir aux oc-
currences , ainsi que vous jugerez pour le mieulx : ce
chef qu'il dict dont ma lettre faisoit mention est le
pape , parce que je lui mandois qu'il me sembloit que
ce n'estoit à M. de Mayenne de faire demande du pré-
sent poinct , mais lui debvoit suffire de trouver les
moyens les plus apparens de contenter ledict chef;
certainement, monsieur, ses gens ont grand tort d'a-
voir reteneu si long temps ledict trompette , qui n'ar-
riva en leur armée que mercredi , et lui mesmes, puis-
qu'il le despeschoit soubs ung aultre prétexte, debvoit
leur commander de ne l'arrester point ; mais , à mon
advis, qu'il tenoit son homme à l'armée, non à Amiens,
ils attendent dans cejourd'hui ledict trompette, etm'es-
crit on que le duc de Parme ne prétend battre Sainct
Esprit de Tur pour l'opinion qu'il a de le prendre
sans despens de ses munitions, et que M. de Guyse
avoit remis son parlement pour attendre l'evene-
A M. DUPLESSIS. 259
ment du siège de Rouen , ou de la paix ou d'une ba-
taille ; que les humeurs de tous ces princes et des
François y sont fort adoucies et disposées au bien : Dieu
leur en fasse la grâce et à nous aussi; et vous doint,
monsieur , etc.
LXXX. — ^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
^ M. de FleuTj.
Du . . mars iSga.
Monsieur, je presse par ce que je suis pressé de
repondre à sa majesté , ne lui ayant peu encores rien dire
qui mérite : quant au poinct dont M. vostre beau frère
eust voulleu qu'on eust respondeu plus doulcement,
je ne sçais ce qui en a esté dict , mais il me semble qu'il
doibt estre content des propos que nous arrestasmes ,
vous et moi céans. En somme , il en fault parler clair
entre nous, et si nous avons vollonté d'accommoder
les choses, en estant d'accord , nous sçaurons bien
trouver les propos convenables et pour le chef et
pour les membres ; mais je crains qu'il n'y ait du mal
au fonds, et je vous prye, soit que le trompette nous
apporte contentement ou non, que j'aye ce bien de
vous voir, premier que j'aille retrouver le roy. Je vous
renvoyé la lettre de M, le président de Riz , car il est
à Sainct Et sur ce , monsieur , je salue , etc.
26o LETTRE DE M. DE FLEURY
LXXXI. — ^ LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Duplessis.
Du 24 mars iSga.
Monsieur, ce n'esl sans raison que ceste longueur
vous est fascheuse, mesmes ne pouvant informer sa ma-
jesté de ce que l'on doibt espérer du présent poinct,quf
est le fondement du traicté. Toutesfois vous adviserés
si de la despesche dernière , qu'a apportée ce gentil-
homme, vous pourrés tirer chose qui vaille, et puisse
servir; au moins à ce que je puis recognoistre parles
lettres de M. de Villeroy et de ceulx qui sont près de
lui, elles sont à mon advis d'une plus doulce trempe,
et vous font juger que les humeurs sont aulcunement
adoulcies et disposées à recevoir le bien; ce sont per-
sonnes malades à qui il fault préparer peu à peu les
viandes de plus aisées digestions, espérant que le pro-
grès du temps les fera recevoir ce qu'ils eussent pos-
sible rejette du commencement. C'est pourquoi il sem-
bleroit que l'on doibt bien coupper le chemin aux
injustes demandes, mais non pas retrancher du tout
les espérances. J'ai envoyé ung de mes gens à Pontoise,
exprès pour m'apporter en diligence la response du
trompette, laquelle receue , je ne fauldrai de vous aller
trouver incontinent , mettant beaucoup d'honneur de
recevoir en cest endroict les commandemens de sadicte
majesté et les vostres. Il est arrivé ici unglacquais delà
part du du Gay , qui partit hier après disner
deBeauvais, où ledict trompette n'estoit encores ar-
rivé ; ils l'attendent , comme je vous ai mandé, aujour-
d'hui ou demain. Je vous baise, etc.
A M. DUPLESSLS. 261
Et plus bas est escrit : Monsieur , vostre lacquais
est arrivé sur les deux heures. Je le vous renvoyé tout
promptement.
LXXXII. — ^ LETTRE DE M. DE FLEURY
J M. Diiplessis.
Du . . mars iSga.
Monsieur, comme je voullois donner response à
vostre lacquais, ung des miens, que j'avois hier des-
pesché à Pontoise , est reveneu ; mon beau frère m'ayant
mandé qu'il Tavoit reteint pour l'espérance que son
trompette arriveroit des hier, dont il estoit en une
grande peine pour le public et pour vostre particulier,
la crainte le faisant entrer en deffiance que l'on le
retienne par delà exprès, afin par la response que l'on
lui pouvoit faire, de ne le degouster de s'y achemi-
ner, ainsi qu'il en est infiniment sollicité , et me répète
que j'aurai notté les propos qu'il m'avoit escrits par sa
dernière, qui ont scandalisé leurs gens; que s'il estoit
vrai, ce seroit imprudemment et auroit faict préjudice;
que s'il estoit conveneu , il en presumeroit encores
plus de mal , pour ce qu'il craindroit que l'on vouleust
fonder sur ce une querelle d'Allemand pour couvrir
quelque aultre chose; de façon qu'en toute sorte l'advis
qui lui en a esté donné lui a fort despieu, concluant
que ce sont là des discours qui passent par son en-
tendement : à quoi sont subjects ceux qui attendent
en crainte. Mon homme m'a rapporté que partant du-
dict Pontoise, il y arrivoit une grande compagnie,
de laquelle , entre aultres , estoient les barons de Sene-
sey, de Tenize et de Luz et Channeson, qui, à ce
262 LETTRE DE M. DE FLEURY,etc.
que Ton disoit, venoient de Paris et s'acheminoient
vers M. de Mayenne, comme députés. Les dénommés
sont tous de Bourgogne. Je verrai si Ton me mandera
le subject de leur charge ; ne pouvant penser que ce
soit pour l'avancement de la resolution espaignole :
par là vous jugerés, monsieur, comme l'on se remeue
de toutes parts, et qui ne se peult qu'en bref il n'es-
clate quelque chose de grand. Dieu , par sa grâce ,
veuille que ce soit] en bien. Avec les dessusdicts, il
y a environ vingt bourgeois pour le moings que l'on
disoit estre de Paris, d'Orléans et de Sens. H dict aussi
qu'il arriva hier deux commandeurs qui viennent de
Malte, ont passé à Naples, sont venus par Paris, et
s'acheminent vers sa majesté, estans accompagnés de
M. le commandeur de , et avoient ung trom-
pette de M. de Vicq. Toutesfois l'on pensoit qu'ils
feroient leurs pasques audict Pontoise.
LXXXIII. — LETTRE
De M. le duc de Bouillon ci M. Duplessis.
Monsieur , venés vous en , je vous prye, afin d'aider
à vuider tant de difficultés qui nous naissent tous les
jours. Le duc de Parme revient. Le comte Maurice lui
prépare de la besogne. Nous attendons des nouvelles
de M. de La Verrière, J'ai à supporter mille calomnies.
Dieu sera mon protecteur. Je ne partirai si tost. Croyés
moi pour l'homme du monde qui vous aime et ho-
nore le plus. Je vous baise ung million de fois les mains.
C'est vostre humble ami à vous servir,
Henry de La Totjr.
\ Derneial, ce 3o mars iSga.
LETTRE DE M. DES REAUX, etc. ^63
LXXXIV. — LETTRE DE M. DES REAUX
A M. Duplessis.
Monsieur, je vous escrivis devant avant hier par
celui qu'aviés envoyé à M. de Revol, et vous feis res-
ponse à toutes les vostres. Depuis le parlement de
vostre dict homme, M. de Bouillon me feit bailler celle
que je vous envoyé. Et devant hier arriva ici le sieur
de Marconville, qui est à M. deVilleroy avec l'ung des
gens de M. de Vicques , qui a asseuré sa majesté de
beaucoup de bonnes espérances; et que c'estoit à ce
coup. Il n'a eu aultre response (que j'aie sceue) sinon
qu'il vous avoit donné charge de conférer. Depuis
ayant sceu sa majesté comme le sieur de Fleury le fils
avoit esté commandé de M. de Nevers pour aller vers
M. deVilleroy le préparer àuneentreveue d'euls deux
chés M. de pour incontinent après Pasques;
elle m'a commandé de vous depescher ce lacquais ex-
près, pour vous dire que vous ayés à haster vostre
negotiation le plus qu'il vous sera possible , et avant
lesusdict temps, l'advertissant au plustost de vos nou-
velles; et cependant disposant tellement les choses par
vostre prudence que ladicteentreveue ne se fasse poinct.
soit en traictant avec M. de Fleury le père, ou avec
M. de Villeroy, avec la dextérité que vousy sçaurés
bien apporter. Nous sommes resoleus pour beaucoup
de considérations de nous opiniastrer encores à ce
siège, principalement pour les espérances de la néces-
sité qui y commence dedans la place. L'on tient ici le
duc de Parme retiré, ayant laissé la pluspart de son
infanterie à son fils auprès de M. de Mayenne, qui s'en
vont à La Fere quérir les munitions. C'est tout ce que
264 LETTRE DE M. DES REAUX
^'oiis aurés pour ce coup, et en haste. Ledict sieur de
Fleury, le fils, est parti ce matin pour aller à Halin-
court. Ne dictes point que cest advis vous soit veneu par
mon organe. Et je pryerai Dieu , monsieur, vous donner
très contente vie. Vostre plus affectionné serviteur,
Des Reaux.
A Danertal , ce 3o mars 1592.
LXXXV. — ^ LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Duplessis.
Du i" avril iSga.
Monsieur, le lacquais que je depeschai hier matin
à M. de Villeroy à son arrivée , ne le trouva à Pontoise ,
estant monté ù cheval ung quart d'heure au plustost
pour aller à la chasse , et voir M. de La Verrière , au-
quel il avoit promis d'aller cejourd'hui voir M. le car-
dinal de Gondy à Noisy , lui ayant faict paroistre qu'il
avoit charge de parler à lui, et conférer du moyen de
surmonter la difficulté qui nous accroche, et sur la-
quelle les aultres insistent tant : Dieu le veuille, mon-
sieur , et qu'ils y trouvent ung bon emplastre. Ledict sieur
de Villeroy me mande qu'il sera de retour demain , et
pourra estre le jour d'après, qui est le jeudi, de bonne
heure en ceste maison , désirant également de vous
voir, ayant bien considéré ce que je lui ai faict enten-
dre de vostre part, suivant ce que vous m'avés escrit
par vostre dernière , me pryant de croire qu'il n'a
moindre peur que nous de ceste liaison estrangere,
loutesfois il n'estime pas que le nœud s'en fasse sitost ;
enfin, que nous verrons ce que l'on lui en mande
par les dernières qu'il a receues , de sorte que nous en
sçaurons autant que lui. Cependant il me prye de
A M. DUPLESSIS. 265
depescher en diligence ung lacquais vers ledict sieur de
Lomenie, pour le pryer d'envoyer promptement ung
passeport du roy, afin de pouvoir venir en ceste mai-
son, ce que j'ai faict tout présentement, espérant de
l'avoir dans demain au soir : je pensois qu'il se deust
contenter, comme il m'avoit dict , d'ung de M. vostre
frère ; mais je le trouve en ces choses là si scrupuleux,
crainte qu'à la traverse il feist rencontre de quelques
trouppes d'une aultre province ; aussi qu'il espère
que je pourrai avoir ledict passeport dans demain pour
lui faire tenir jeudi de bon matin, dont je n'ai voulleu
faillir de vous advertir incontinent, ainsi que je ferai
de tout ce qui sera de mérite , pryant Dieu après, etc.
Et plus bas: Monsieur, ledict sieur de Villeroy, se
doublant que je m'addressois à vous pour avoir ledict
passeport, m'a mandé que je depeschasse tout droict,
afin de gaigner temps; car ce seroit perte d'ung jour ou
deux; mais à la première despesche que vous ferés d'es-
crire ce que vous m'en aurés mandé. Ledict sieur cardi-
nal lui a faict sçavoir qu'il avoit envoyé à la court , afin
d'avoir ung passeport pour lui ; mais il doubte que ce
sera pour Noisy ou pour Halincourt, qui est cause de
ceste recharge.
LXXXVI. — ^ LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Diiplessis.
Du 2 avril iSga.
Monsieur, suivant la resolution que je pris hier
avec vous, j'ai depesché à M. de Villeroy trois heures
devant le jour , afin qu'il eust le temps de vous en-
voyer ung passeport, et vous de venir encores par
deçà ce jourd'hui , si vous en aviés la voilonté ; mais
266 LETTRE DE M. DE FLEURY
présentement, j'ai receu la response du sieur de Lo-
menie , accompagnée d'une lettre pour vous : par la
sienne, il semble que sa majesté soit d'opinion de
différer vostre conférence encores quelques jours :
Dieu veuille que ses embarrasemens viennent à bien ;
et pour ce que ledict sieur de Villeroy pourroit estre
en chemin , je lui escrit présentement de surseoir son
acheminement par deçà jusques à ce que j'aye aultre-
ment de vos nouvelles. Sa majesté a refusé le passeport
pour ledict sieur de Villeroy, et en a accordé ung à
M. d'Halmerie , que je n'eusse pas pensé; car il est
pour venir ici, aller à Grisors, et puis retourner à
Pontoise , et aller à Paris avec vingt chevaulx, et ce
pour le temps de trois sepmaines. Le lacquais feut si
promptement depesché, qu'il est veneu coucher à
quatre lieues près d'ici, qui sera Tendroict où je vou,s
baiserai humblement, etc.
LXXXVil. ~ LETTRE DE M. DE FLEURY
J M. Duplessis.
Monsieur, suivant l'advis que vous avés receu de
M. de Villeroy, il est arrivé cejourd'hui en ce lieu,
pour avoir ce bien de vous voir; et d'autant qu'il
doubte qu'à l'occasion des lettres que je vous ai en-
voyées, vous remissiés vostre voyage, nous avons
estimé vous debvoir advenir de sa veneue , vous pryant,
s'il vous plaist de venir , que ce soit demain à disner ,
pour pouvoir conférer toute l'apres disnee, sinon de
lui faire entendre sur ce vostre resolution ; car, suivant
celle que nous prismes hier, il a mandé à M. de Nevers ||
qu'il seroit samedi à disner à Grignon , si c'estoit *!
A M DUPLESSIS. 267
chose qu'il desirast et voulleust attendre , dont il doibt
avoir demain response ; et pour ce que le passeport de
M. d'O n'est que pour s'en retourner à Pontoise, et
que le plus court chemin d'aller à Grignon est de pas-
ser à Meulan; il vous supplie lui en faire avoir ung
aultre, pour reprendre son chemin par là. En quelle
sorte que ce soit, monsieur, il me semble que vous
ne devés perdre l'occasion de vous entrevoir pour l'es-
pérance du fruict qui en réussira, dont je prye Dieu
nous en faire la grâce, et vous donner , monsieur, en
santé longue et heureuse vie. Vostre bien humble et
autant affectionné serviteur, De Flkury.
D'Halincourt , ce 2 avril 1592.
LXXXVITI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le duc de Bouillon.
MoNSiEUii, j'ai veu ce matin M. de Villeroy, et
pense que nous avons accroché la negotiation de l'Es-
paignol , et hé la nostre. Je le vous expliquerai mieulx de
bouche dans mardi au plus tard , que je serai près de
sa majesté. 11 est besoing que nous nous bastions, et
que le tout soit secret, surtout l'expédient qui a esté
concerté, et que nous avons ung peu poli. Cependant
je me plains à vous, et par vostre bouche, s'il vous
plaist, au roy. M. de La Verrière avoit une instruction
de sa majesté, contresignée Revol, qu'il ne me com-
muniqua poinct passant à Mantes. Retournant, encores
moins ce qui avoit esté faict avec M. le cardinal de
Gondy, encores que M. de Villeroy l'en eust pryé et
chargé. Cela oste créance aulx bons serviteurs; mais
c'est qu'on m'a suspect en ce qui est de la relligion du
268 LETTRE DE M. DUPLESSIS
roy, à laquelle, certes, je vouldrois tousjours avoir
l'esgard qui se doibt; mais aussi n'ignore je j3as ce qui
se peult en conscience, et ce qui non. M. de Villeroy
a esté tant pressé par M. de Nevers, qu'il le verra ce
jourd'hui. Le tout est que je l'ai veu premier, et pense
qu'il eust esté plus nuisible aultrement ; car, à ce que
j'ai peu juger , il ne veult que sonder ce qui se doibt
espérer de la paix. Monsieur, c'est en attendant; je
vous baise très humblement les mains, et supplie le
Créateur qu'il vous donne en prospérité longue vie.
Vostre très humble et très affectionné serviteur.
' De Buhi, ce 3 avril iSgs.
Et par apostille estait escrit : C'est le duplicat de
celle que je vous escrivis hier en chiffre par mon lac-
quais. Je vous prye, monsieur, de bien digérer ce que
j'escris à sa majesté. Il n'y a plus de temps à perdre :
ou il faut que je vous voye près du roy, ou si n'y estes,
que je vous aille trouver où vous serés, pour concerter
ensemble tous les poincts dont j'aurai à traicter ; car
cest homme ne veult traicter qu'avec moi , afin de gar-
der le secret, qui lui est recommandé sur toutes choses.
Pour Dieu, monsieur, traictons discrètement; car j'en
espère bien, et que peu ne gaste beaucoup.
LXXXIX.— LETTRE ET MEMOIRE
De M. Diiplessis au roy.
Sire, j'ai veu celle qu'il a pieu à vostre majesté
escrire à mon frère , sur laquelle il vous faict response.
Et feusse incontinent monté à cheval sans ung passe-
port qui me tient hé pour quelques jours, à cause des
ATJ ROY. 26g
affaires dont vostre majesté m'a donné charge. J'escri-
vis hier à vostre majesté; et plus amplement à M. de
Bouillon en chiffre, où nous estions demeurés M. de
Villeroy et moi. Je tiens la negotiation avec vostre ma-
jesté liée; et accrochée avec l'Espaignol par cest expé-
dient , que j'ai asseuré ledict sieur que vostre majesté
trouvoit bon. Et sur ce, il attend pouvoir et instruc-
tions de tous ces princes, que M. de la Chastre lui
doibt apporter lui mesmes. Il désire que cela soit hasté
et secret ; et m'a monstre lettres qui font croire que
c'est a bon escient. Et, pour ce, je pensois partir pré-
sentement pour aller trouver vostre majesté à Derne-
tal, afin de m'instruire sur tous les poincts. A ce de-
fault vostre majesté m'ordonnera, s'il lui plaist, ce que
j'aurai à faire, et avec qui j'aurai à concerter ce qui
sera de son service. M. de Villeroy a esté tant pressé ,
qu'il voit aujourd'hui M. de Nevers; mais vostre ma-
jesté se repose sur moi, qu'il profîctera plustost qu'aul-
trement. Si M. de Bouillon est avec vostre majesté, et
que vous lui en commandiés le loisir, nous esbauche-
rons ce que j'aurai à traicter, si bien qu'il n'y fauldra
poinct retourner. Sinon , et que vostre majesté l'ait
agréable , nous nous rencontrerions en lieu à part (car
il veult venir à Dangu), où nous ferions le mesme
sans bruict. Et vostre majesté se confie, s'il lui plaist,
que la chose sera bien difficile, pour l'affection que
nous apportons à vostre service, si nous ne la desmes-
lons. Vostre majesté commandera, s'il lui plaist, ung
passeport pour ung, que ledict sieur de Villeroy des-
pesche vers le duc de Mayenne ; ung aultre pour lui
mesmes pour vingt chevaul.K, pour aller et venir où il
vouldra. Toutesfois ce ne sera pas loing, car nous
avons advisé qu'il ne pouvoit aller pour revenir ici,
270 LETTRE ET MEMOIRE DE M. DUPLESSIS
sans donner trop de soupçon à l'Espaignol. On est sur
le poinct d'esclaircir l'entreprise de ceste ville, qu'on
dict fort grande.
Sire, je supplie le Créateur qu'il doint à vostre ma-
jesté en prospérité longue vie.
De Mantes, le 4 avril 1692.
Et par apostille estait esciit : Je supplie vostre ma-
jesté de rendre la présente despesche au porteur, afin
qu'elle ne s'esgare.
L'expédient proposé.
« Le roy promettra son instruction dans ung temps
prefix, avec désir et intention de s'unir et joindre à
l'Eglise catholique , moyennant ladicte instruction
faicte comme il convient à sa dignité.
« Aura agréable que les catholiques qui l'assistent
envoyent devers le pape, pour estre assistés de son
conseil et auctorité pour faciliter et effectuer ladicte
instruction, comme il appartient.
« Et cependant sera des à présent advisé secrette-
ment aulx moyens plus propres d'asseurer la relligion,
et les particuliers qui ont interest à la cause , soit pour
en user après la conversion ou devant icelle, si besoing
estoit pour descharger le royaulme du faix de la guerre
par une surseance d'armes ou aultrement. »
L'intention est que, si les ennemis approuvent cest
expédient, on arrestera avec M. de Villeroy deux sortes
d'articles; les ungs pour avoir lieu avenant la conver-
sion; les aultres avant icelle. En quoi il fault avoir
ceste dextérité de rendre ceulx ci si bons, qu'ils fassent
négliger ceulx là , et par conséquent moins insister
AU ROY. 271
sur la pretendeue conversion; car ayant levé les inte-
rests, et contenté les désirs particuliers, le prétexte
qui demeurera tout nud n'aura pas grand force en leur
endroict; et peult estre sans attendre nouvelles du
pape, ils passeront par dessus, ou à une paix ou à une
longue trefve, qui les séparera de l'Espaignol.
M. de La Chastre a mandé à M. de Villeroy qu'ils
sont tous resoleus de traicter avec sa majesté, Cas qu'ils
ne puissent, choisiront quelqu'ung de la maison de
Bourbon, mais à l'extrémité; et que desjà l'Espaignol
se relasche de la dégradation de tous les princes du
sang. Le mesme le président Jeannin. J'ai veu de quoi.
On les a retardés sur l'advis du pape, qu'on leur a
dict estre nécessaire ; et sur l'assemblée des députés
des provinces. L'evesque de Plaisance vient avec ceulx
de Rlieinis et aultres; bandés pour l'Espaignol; et
craint on que sa veneue n'altère.
Les séditieux de Paris pressent le duc de Parme de
s'avancer pour fortifier leur faction; lui proposans de
se déclarer pour l'infante , et y convier les aultres
villes à leur imitation. Madame de Montpensier y est
contraire, qu'ils appellent la troisiesme Izabelle, M. de
Belin aussi. Madame de Guise y a esté rabrouée, et
mettra de l'eau en son vin.
M. de Mayenne est auctorisé de M. de Lorraine,
M. de Mercure, M. de Joyeuse pour la paix. M. de
Guise mesmes ne parle pas aultrement; mais on tasche
de nourrir de la jalousie entre eulx.
Rosne, Sainct Paul et Brissac y sont contraires; mais
il y aura moyen de faire leur condition , si non si
grasse , au moins plus seure.
Taxis , le plus habile homme qu'ait l'Espaignol là ,
^'est laissé entendre , que le roy d'Espaigne se iairroit
l']l LETTRE ET MEMOIRE DE M. DUPLESSIS, eic.
bien aller à la paix si les François l'avoient traicté avec
sa majesté.
Ils tiennent hors de difficulté que la relligion de-
meure selon les edicts de conférences, etc.
XC. —^ RESPONSE
Des estais generaulx au baron de Rhejt.
Ayans, messeigneurs les estats generaulx des Pro-
vinces Unies au Pays Bas , entendeu qu'il avoit pieu à
la Romaine impériale, et aussi d'Hongrie et Bohesme
majestés, commettre pour ses ambassadeurs le hault,
illustre, noble, généreux, très sçavant seigneur Va-
lentin, comte d'Issemburgs , sieur de Grenfault , Si-
mon, comte; et très noble sieur A. Lipp , Jean, sieur
d'Ende et A. Peristain , A. T. Sobischaulb , Peostintz
et Jentimiscbel , Ro Henry de Beylandt , baron à
Rheyt, sieur de Brempt, Tbiery Hosten de Mespel-
brun, et François Philippe Faust Rey, afin d'advan-
cer envers eulx l'accord d'une assemblée et confé-
rence pour traicter de paix avec le roy d'Espaigne à
la continuation du traicté de paix teneu à Couloigne,
l'an 1579; à la poursuite d'aulcuns pacifiques élec-
teurs et princes de deux relligions, et ayant esté instam-
ment requis par le susdict noble baron de Rheyt, en
la proposition qu'il a faicte en l'assemblée de MM. les
estats generaulx, le 26 du présent mois de mars, de
pouvoir faire venir les susdicts sieurs ambassadeurs
en ces provinces, pour entrer en ladicte conférence;
lesdicts seigneurs estats , après meure délibération , sur
ce entreteneus , ont sérieusement et en toute rêve-
RESPONSE DES EST ATS GENERAULX, etc. 27'}
reuce remercié la très clémente vollonté de l'impériale
et royale majesté envers le bien et la considération de
ces pays, supplians avec respect et révérence très hum-
blement sa majesté voulloir croire qu'ils ne désirent rien
plus de Dieu tout puissant qu'une fois la sanglante
guerre prenne fin , qui depuis tant d'années par lant
divers endroicts de la chrestienté, et singulieremeiit en
France et en aultres pays, a esté allumée et entiele-
ncue par les Espaignols et leurs adherens, et encores
présentement avec grande diligence, effusion de sano-
se contineue, de laquelle ils ont aussi suffisannnent res-
senti les incommodités et difficultés, et journellement
encores ressentent, et de laquelle seulement par la
puissante main de Dieu , en reveillant les cœurs des
potentats voisins à l'assistance et deffense de ces pays,
ils ont toujours allendeu et encores attendent une heu-
reuse isseue, avec espérance d'ung tranquille et ferme
estât, auquel pouiroit estre converti la misère pré-
sente, et par ainsi toute la chrestienté remise et main-
teneueen bon repos, tellement qu'ils se tiendront tous-
jours fort obligés à sa majesté impériale , de sa tant
affectionnée bonne vollonté et resolution en ce ref>ard
et ne veuillent doubter que sadicte majesté impériale
ne soit meue d'une affection paternelle et d'ung cœur
sincère en cedict affaire; mais considerans ce qui est
surveneu aulx Pays Bas par les precedens proposés
traictés de paix , et ce qui se présente et descouvre à
présent , ne peuvent comprendre que, du costé de l'Es-
paignol, il y ait aultrc intention que celle que par ci
devant , avec grande tristesse et affliction de ces pays
à estre recogneus, tant en la première entremise de la
pacification commencée avec monseigneur le prince
d'Orange , de haulte mémoire , et MM. les estais
Mém. Dr DuPLESsrs-MoRNAT. Tome t. 1 8
'2j![ RESPONSE DES ESTATS GENER AULX
d'Hollande , Zeelande, et leurs associés, tant de l'an ^4»
qu'après à Breda, en l'an yS, qui ont esté trouvées
toutes pleines de fraude , tellement que d'iceulx n'est
ensuivi au niesme an 'y 5, sinon perte de plusieurs villes
et forteresses , comme le traicté avec don Jean , en
l'an iSy^, a esté seulement fondé en pure fraude et
a occasionné une ouverte violation de la pacification
faicte entre les Provinces Unies en Tan -76, dont s'en-
suivit la surprise du chasteau et ville de Namur, item
de Charlemont , Marienburg, avec la ruyne et subver-
sion de plusieurs quartiers, ensemble de plusieurs villes ,
dont est ensuivi une «rande effusion de sang en l'an nS:
depuis, la communication projetée par le baron de
Selles a mis le fondement en la séparation qu'ont faicte
les provinces wallonnes des aultres Provinces Unies ,
et quant au traicté en la ville de Couloigne , n'a opéré
aultre cbose que l'entière et absoleue défection des-
dictes provinces wallonnes , comme aussi la perte de
plusieurs seigneurs des Pays Bas; il est aussi plus que
notoire combien Fisseue a esté triste des traictés frau-
duleux avec les villes de Gand , Bruges et aultres; on
sçait aussi à quoi a tendeu la proposée pacification d'An-
vers, 87, 88, avec sa majesté royale d'Angleterre,
pour, soubs prétexte de paix , ruyner entièrement
et conquérir non seulement ces provinces unies des.
Pays Bas, et les bons subjects d'icelles, mais mesme le
royaulme d'Angleterre, ce qui a esté cogneu à tout le
monde pour la grande et très fameuse armée navale,
audict an 88 , envoyée durant mesme le parlement
entre Angleterre et les députée du roy d'Espaigne,
qui feut cause que les sieurs eslats generaidx, pré-
voyant tel desseing lorsque le précèdent traicté se fai-
soit, ne se peurent laisser persuader en ce traicté, en-
AU BARON DE llHEYT. 0^5
cores qu'ils en feiissent extresmement sollicités, ce qui
leur feroit d'autant plus craindre d'y entrer présente-
ment, veu la grande et véhémente fraude qui feut lors
tant apparente; considérés spécialement qu'après tant
de mauvaises intentions descouvertes, on n'a peu voir
depuis la moindre apparence de meilleure intention à
l'endroict de l'Espaignol et leurs adherens; mais, au
contraire, des desseings ressentant de plus en plus
^ leur tromperie et violences. Il est notoire à tout le
monde de quelle façon les Ligueurs de France se sont
depuis ce temps là soubsteneus et fomentés par les Es-
paignols, qu'ont porté envers leur feu roy; ayant em-
ployé toutes espèces d'indignités contre sa majesté, et
sont veneus enfin à ceste extresmité de le faire Irais-
treusement meurtrir par la main d'une personne ecclé-
siastique. On sçait comme, en divers quartiers et pro-
vinces de la France, les Espaignols et leurs adherens
s'efforcent à se rendre maistres des places, et despouil-
1er, sans aulcune apparence de raison , le roy à présent
régnant, de son droict héréditaire, pour après establir
sur tous royaulmes et pays leur monarchie de long
temps pretendeue; de cela rendent suffisamment tes-
moignage les voyages de l'an 90, puis 91, et encores
de l'an présent, faicts en France par le duc de Parme;
les forces envoyées à mesme fin , et encores estant en
Bretaigne, en Languedoc et en Provence, affirment de
plus en plus ces mauvais desseings ;
Aussi donne grandement à penser à MM. les estats
que justement a esté faict ouverture de ce proposé
traicté en l'an 90, au mois d'octobre, à Francfort, du
temps que ledict duc de Parme , avec les principales
forces du Pays Bas, estoit entré en France afin de ruv-
276 RESPONSE DES EST AÏS GENER AULX
ner le roy présentement régnant, et qu'après son re-
tour la negotiation a esté différée jusques à ce qu'il a
esté de rechef pris en fin de l'an 91 , pour s'acheminer
avec semblables forces et niesme fin vers la France ,
semblablement donné une grande arrière pensée aulx
estais que ceste proposée tractation de paix leur survient
au heu de la promesse et attendeue exécution, décernée
par les principaulx creytz du sainct empire romain ,
contre le roy d'Espaigne et le duc de l'empire; à quoi
les estats se sont si rondement , sincèrement et volon-
tairement de leur part acquittés envers ledict sainct
empire, et ne manqueront en façon quelconque, en-
cores que les eslats feussent bien informés du fraudu-
leux concept des Espaignols, et ceci par les propres
lettres dû roy d'Espaigne, et celles de son privé secré-
taire Indiagues, à l'ambassadeur d'Espaigne, en la cour
de l'impériale majesté, don Guillaume de Sainct Clé-
ment; en oultre ont grandes raisons à bien procéder,
ce que depuis n'agueres a esté décerné de la part du-
dict roy d'Espaigne, par placets publics contre l'an-
cienne ville impériale d'Aix; d'aultre est bien à consi-
dérer ce qui s'est passé aulx derniers mois sur l'ordre
du gouvernement, des duchés de Juilliers, Gleves, et
du Mont en la ville de Dusseldorf ; lesquels sont tels
que, à ceste heure, plus que oncques auparavant, est
révoquée en double si ledict gouvernement n'est plus
espaignol, que du pays mesmes; toutes lesquelles choses
on sçait estre procedees des practiques espaignoles ;
finalement , ne peuvent les estats oublier les tristes et
gricfves procédures , tant anciennement que de mé-
moire d'homme, plusieurs fois practiquees en France
et en ces pays , pris de la maxime romaine , quod hœ~
AU BARON DE RHEYT 277
reticis et rebellibus , au rang desquels les inliabitans
de ces pays; mais , grâces à Dieu, sans cause sont
représentés, non sit servandicejîdes .
Sur quoi, considéré que lesdicts sieurs estats gène-
raulx (qui, suivant leur serment et office, par devant
le Dieu tout puissant et tout le monde, doibvent respon-
dre du debvoir par eulx faict au maniement et con-
servation desdictes Provinces Unies et des bons inba-
bitans d'icelles) ne peuvent voir aulcung fruict par
l'ouverture qui se feroit pour advancer la susdicte pro-
posée negotiation ; ains au contraire beaucoup d'in-
conveniens, tant au dedans desdictes provinces qu'au
debors d'icelles, pour le regard de la royale majesté
d'Angleterre (avec laquelle ils sont en ceci et en plu-
sieurs aultres respects en une ferme alliance), ni aussi
pour le regard de la royale majesté de France et aultres
potentats, princes et republiques, amis et confédérés
de la commune cause chrestienne, il plaira à l'impériale
majesté (à laquelle lesdicts sieurs estats portans tous-
jours tout bonneur et deu respect , demeureront très
bumblement obligés), trcs benignement et en bonne
part entendre, que, suivant leur escrit à sa majesté,
du i*^"^ de janvier iSgr , sur le mesme proposé traie té
pour légitimer de très urgentes raisons, ne peuvent se
resouidre entrer en aulcune conférence de paix. Re-
querans instamment MiVI. les ambassadeurs , que ces
raisons soient représentées au mieulx à sa majesté,
et singulièrement le debvoir auquel se sont mis mes-
sieurs les estats generaulx de decliar£;er lesdicts sieurs
ambassadeurs de la peine de venir deçà; et à icelle
fin incontinent qu'ils feurent advertis de la délibéra-
tion de leur \eneue en ces provinces , par aulcune
278 RESPONSE DES ESTATS GEWERAULX
particulière , peu de jours devant ladicte assemblée,
et escrivirent auxdicts sieurs ambassadeurs pour cest
effect. Cependant remercient messieurs les estais les
susdicts sieurs ambassadeurs en gênerai et en particu-
lier, aussi ledict sieur baron de Rbeyt très affection-
nement de ce qu'il a pieu à sa seigneurie s'employer
aulx affaires de ce pays , ce qu'ils seront prêts de recog-
iioistre en tout temps, comme bons voisins et amis,
envers lesdicts sieurs ambassadeurs en gênerai , et cha-
cung d'eulx en particulier.
Il leur deplaist grandement que , par la séparation
de leur dernière assemblée ( laquelle nécessairement a
falleu faire pour advancer es Provinces Unies , les bonnes
resolutions et attributions à la deffense desdicts pays
pour ceste année), lesdicts sieurs ambassadeurs n'ont
peu obtenir réponse si prompte qu'il eust esté à désirer,
aussi que la présente assemblée des estats n'a peu estre
sitost formée comme il a esté concleu et désiré, en
partie d'autant que les estats des Provinces Unies pour
la j.onderosité des poincts sur lesquels elle se debvoit
tenii , n'ont peu sitost apporter leurs resolutions , et
en partie parce que la situation de plusieurs provinces
est telle que, spécialement en temps d'biver, par les
glaces, tempestes et embarras de passages, les députés
d'icelles ne peuvent sitost convenir les ungs avec les
aultres , mais sitost que l'assemblée feut formée, l'au-
dience feut donnée audict sieur baron de Piheyt, le
second jour après qu'il l'ait désiré, ayant esté toutes
aultres choses postposees, pour donner avec toute
diligence et le plus favorablement que se pourroit
donner, response audict sieur ambassadeur, laquelle
response lesdicts sieurs estats supplient son impériale-
AU BARON DE RIIEYT. 279
majesté de recevoir eu toute beuignité, et tenir les
affaires de ces provinces pour le service de toute la
chrestienté en très bénigne recommandation.
Ainsi faict h l'assemblée desdicts sieurs estais gene-
raulx , à La Haye, resoleu le 8 d'apvril iSga.
XCÏ. —-^ LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Dupîessis.
Du g avril iSga.
Monsieur , vous ayant bier escrit ce que j'avois
appris , digne de vous donner advis depuis vostre par-
lement , je feus au soir, assés tard , adverti que le roy
estoit à Jisors, où je l'ai esté trouver ce matin, pour
le saluer seulement et recevoir ses commandemens. Par
mesme moyen, je lui ai faict entendre ce que P.L de
Villeroy m'avoit escrit, afin que désormais les affaires
feussent traictés plus secrètement; mais il m'a dict
que la faulte provenoit plustost de ceulx de l'aultre part
que de deçà. Je vous envoyé ma lettre , où il y a quel-
ques cbiffres pris de celui que vous m'avés donné.
Vous entendrés comme M. de Vitry a veu sa majesté,
et qu'il a emporté ung passeport pour M. de LaCbastre,
qui se doibvent rendre demain à Pontoise, où sadicte
majesté m'a commandé de me trouver, et les asseurer
qu'elle vous envoyeroit bientost par deçà, où elle les
prye de s'acbeminer au plustost ; à quoi je tiendrai la
main. Cependant, je renvoyé le passeport qui avoit
esté faict par ledict sieur de Villeroy, afin d'en des-
pescber ung aultre. L'espérance de vous voir bientost,
monsieur, me gardera de la faire plus longue, pryant
Dieu , etc.
28o LT'TTRE DE M DE FLEURY
Et plus bas : Monsieur, la présente escrite, j'ai receo
encores iing mot de lettre dudict sieur de Villeroy, qui
me mande que ce jourd'hui ledict sirur de Casteinau
partoit avec sa despescîie, où il m'asseuroit n'avoir rie»
oublié au logis; ayant requis que ces maistres, qui sont
à Beauvais , n'estoient veneus avant le partement de
îadicte despesche ; mais ils s'estoient arrestés , ayant
esté advertis de ce qui leur avoit esté préparé sur le
chemin. Ce que lui a faict aussi advancer Iadicte des-
pesche, le bruict qui court partout que son fils a change
de cœur avec le roy, et lui a promis la place oii il est;
ce que mesme l'on lui escrivoit de Beauvais. Au sur-
plus, il m'envoye une lettre de M. Vetuz, pour vous
supplier, suivant icelle, de lui faire avoir ung passe-
port , ou, en vostre absence, en escrire à M. de Revol.
Il vous plaira donc, monsieur, y pourvoir; car il im-
porte, ayant eu advis qu'il est délibéré , de bien faire
pour ce que c'est l'intention de son maistre.
XCIT. —^ LETTRE
De M. le duc de Bouillon a M. Duplessis.
Du lo avril 1592.
Monsieur, vous ne sçaurés pas grand nouvelles; et
ci nous en oyons dire beaucoup , les ennemis viennent.
Nous délibérons et résolvons fort peu, Dieu nous doint
la paix! c'est le seul remède à nos maulx. Je vous prye
que, quoi qu'il arrive , conduire la chose de telle façon
que l'on ne vous puisse rien imputer; car il y en a
qui , pour vostre particuher et pour la profession que
vous faictes, seroient bien aise de traisner ce subject.
A M. DITPLESSIS. 28 r
Je vous suis si acquis, qu'il n'y a rien qui vous soit si
acquis. Je vous baise les mains. C'est vostrc humble ami
à vous servir, Henry de La. Tour.
XCIII. — ^ LETTRE
De M. le président Jeannin a M. de Villeroy.
Du i3 avril iSgz.
Monsieur, ayant monseigneur despesché M. de Cas-
telnau en extresme diligence, et deux heures après qu'il
est arrivé pour chose qui importe et ne peult souffrir
aulcune remise, nous n'avons eu loisir de pouvoir faire
entièrement deschiffrer vostre lettre , mais seulement d'y
donner demain pour tout le jour. Il la verra, considérera,
et envoyera ung homme exprès pour faire response. Ce
dont je vous peulx asseurer, c'est que le traicté de ce
costé est remis à l'assemblée prochaine des estais, et
qu'il y aura loisir de prendre conseil sur ce que man-
dés. yV quoi monseigneur est fort bien disposé. Et pour
moi, j'y apporterai près de lui tout ce que sçaurés
désirer d'ung homme de bien affectionné à voir la fin
de nos misères. J'escris ceste à la haste et sans chiffre;
c'est pourquoi je n'y peulx rien adjouster dadvantage,
sinon que je suis vostre, etc.
252 LETTRE DE M. DE VILLEPxOY
XCIV. — ^ LETTRE DE M. DE VILLEROY
J M. de Fleiuy.
Du i3 avril iSqî.
MoNSiKUP. de Castelnau est arrivé ceste après disnee.
Je ne rattendois de deux jours. Il ne m'apporte aultre
lettre que celle que je vous envoyé , ni aultre créance,
sinon que l'on estoit bien aise de ce que j'avois conduict
les affaires au poinct auquel elles se retrouvoient , et
que dedans deux jours au plus tard on m'escriroit plus
nmplement de ce que j'aurois à faire. M. de Mayenne ,
n'ayant pas trouvé bon que ledict sieur de Castelnau
ait laissé sa charge pour faire ce voyage , à cause que
son absence engageroit le gouverneur de ceste place
de ne partir, quoi qui surveint, j'ai eu une aultre lettre
du président Jeannin du to, par laquelle il me mande
que le traicté des Espaignols est pour certain remis à
la teneue des cslats , qui se doibt faire au 1 5 de mai ;
que c'est lui qui a faict ceste offre, qui a esté fort
combatteue , et qu'il a faict escrire aulx députés ; que
le cardinal de Plaisance avoit pris à Rheims, et ame-
noit en l'armée de demeurer à Soissons, et de ne suivre
Taultre. M. de Villeroy m'a dict n'avoir jugé à propos
ni nécessaire de voir le sieur Duplessis , sur ce qu'a
rapporté le sieur de Chastelnau , mais qu'il se rendra
volontiers à Halincourt pour cest effect , sitost qu'il
aura la response de M. de Mayenne à la depesche
portée par ledict sieur de Castelnau, si elle est digne
de le faire, ne jugeant d'estre fort à propos d'advancer
son acheminement audict Halincourt , ni de passer
A M. DE FLEURY. 283
€este rencontre, si ladicle response ne le mérite. Toutes-
fois il m'a promis qu'il s'accommodera en cela au désir
'du sieur Duplessis , sans s'arrester à la difficulté du
passeport qui lui a esté envoyé, auquel il est faict
mention que le sieur de Villeroy va trouver M. de
Mayenne, et pour de là aller où bon lui semblera. Je n'ai
«ncores response. Celui que demande le sieur Duplessis
pour ce que l'on n'a eu loisir de le faire en si peu de
temps qu'a esté par delà le sieur de Castelnau; mais
je pense que celui que l'on me doibt despescher le
m'apportera , m'en ayant esté envoyé ung pour M. de
La Verrière , avec la lettre susdicte , que j'ai receue
par ung messager à pied ; et depuis que l'on ne trouve
pas bon d'advancer le voyage de Rome, je me remettrai
au jugement de plus aagés, estimant pour mon re-
gard que , quoi qui succède , telle despesche faicte
comme il convient feroit plus de bien que de mal aulx
affaires du roy. Quant à ceste despesche interceptée,
ce que l'on vous en advise est bien vraisemblable,
n'est poinct allé où le frère de voslre hoste.
A ce faict, je vous renvoyé le passeport pour M. de
La Chastre, pour ce qu'il ne peult servir de rien, et
sçaurai ce que je vous ai dict de M. Vêtus. L'affaire de
Rouen occupe les esprits des ungs et des aultres ; de
façon que l'on y pense plus qu'à tout aultre chose. C'est
ce que je vois ; et ^ur ce , prye, etc.
284 LETTRE DE M. DE FLEURT, eu.
XCV. —-V" LETTRE DE M. DE FLEURY
Jl M. Duplessis.
Du i5 avril 1593.
Pour ce qui touche le cardinal de Plaisance au pré-
cèdent voyage que je feis à Pontoise , et qui feut ung
peu après le passage de madame de Guise, M. de Vil-
leroy me dict qu'il avoit veîi une lettre dudict cardinal
à ladicte dame, par laquelle il lui mandoit comme il
faisoit estât de s'acheminer bientost en Farmee, et y
mener les députés qui sont à Rheims, pour ne destour-
îier et n-e faire perdre temps à ces seigneurs qui y sont
de se rendre audict lieu; mais M. de Villeroy jugea
que c'estoit afin qu'estant lesdicls députés en la puis-
sance du duc de Parme, Teut à sa vollonté , dont M. de
Villeroy donnoit advis pour y pourvoir et mettre J'as-
semblee à Soissons, ville qui est du tout à la dévotion
de M. de Mayenne, par le moyen de la garnison. Quant
au poinct de Roissieux , c'est pour ce que je lui man-
dois que M. des Reaux m'avoit escrit les jours passés
que le bruict estoit par delà qu'il estoit allé en Espaigne ,
et que, pendant son voyage, l'on voulloit nous amuser;
neantmoins l'on ne pouvoit croire , etc.
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 28:
XCVI. — ^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
J M. de Fleiuj.
Du i5 avril i5q2.
Monsieur , j'ai 1 eceu ce qu'il vous a pieu m'envoyer
par ce porteur, et vous renvoie icelles de M. de Vilie-
roy et M. le président Jeaunin. Je crains bien, puisque
le sieur de Castelnau est de retour, que la response
tarde , à faulte de solliciteurs. Toutesfois je me re-
souds de l'attendre, et crois que par le soing qu'ils y
apporteront, nous aurons à juger s'ils concourent
d'affection au bien du royaulme avec nous. Le surplus
me semble aller bien, et y vois de plus en plus des
traces de la prudence et bonne intention de M. de Vil-
îeroy; il remarque quelque faulte en son passeport,
qui est veneu de Lomenie qui les m'envoya, de la main
duquel il est escrit; mais cela ne vault de retarder ung
si bon œuvre. Quant à celui de M. de La Chastre, je
vois bien qu'il a à faire ailleurs. Nous sommes fort re-
soleus à la despesche de Ptome, et bientost; mais il est
bon que sa majesté aye response de nostrc expédient,
pour y conformer les instructions ; et je crois que M. de
Villeroy est bien de cest advis. C'est, monsieur, tout
ce que je vous puis dire, sinon.
Et plus bas : .Te vous prye de ramentevoir mon pas-
seport; aussi celui que j'ai demandé pour ma femme,
avec vingt cbevaulx, pour venir faire nos affaires en
nos maisons , pendant que je m'occupe ailleurs. M. de
La Verrière en avoit ung de M. de Villeroy.
z86 DESPESCHE ENVOYEE AU ROY
XCVII. —^ DESPESCHE ENVOYEE AU ROY
Par M. Duplessis.
Du i5 avril iSyî.
Le sieur de Castelnau, que M. de Villeroy avoit des-
pesché vers M. de Mayenne, pour lui proposer l'expé-
dient qui avoit esté concerté entre nous, et approuvé
de sa majesté, revint le i3 de ce mois au soir, deux
jours plutost que ledict sieur de Villeroy ne Tattendoit.
La cause est que le duc de Mayenne mande tout ce
qu'il peult pour le secours de Rouen , et nommeement
le sieur de Halincourt, avec ce qui est dans Pontoise;
et craignant que l'absence dudict Castelnau, pour la
charge qu'il y a , ne feut cause de retenir ledict sieur
de Halincourt à Pontoise.
Lequel sieur de Halincourt, soit à feinte ou à bon
escient, se mit hier au hct, et ne se haste pas fort d'y
aller. Il appert, quoi qu'il en soit, par celles du sieur
de Villeroy, qu'ils se résolvent au secours de Rouen , et
y en a ung qui escrit qu'ils sont renforcés de cinq cens
chevaulx et trois mille hommes de pied, sans spécifier
d'où; et que d'ailleurs M. de Nemours leur amené ung
notable secours; signe que ceulx de Rouen sont pres-
sés de quelque nécessité.
Pour la negotiation, le sieur de Villeroy m'a envoyé
l'original de la lettre que lui escrit le président Jean-
nin, dont i'envoye copie; m'adjouste par créance que
M. de Mayenne lui mande qu'il est bien aise qu'il aye
acheminé les choses à ce poinct; que le traicté d'Es-
paigne est remis au i5 de mai, à l'assemblée des estats;
PAR M. DUPLESSIS. 287
que les députés de Champaigne et aultres provinces
qui estoient à Rheims, et que le cardinal de Plaisance
pensoit amener, ont commandement de M. de Mayenne
de ne venir poinct avec ledict cardinal, et de se rendre
à Soissons, où se doibt tenir ladicte assemblée audict
jour, sans passer plus oultre , ayant esté descouverts
qu'il les mesnageoit pour le duc de Panne, et que le-
dict lieu de Soissons a esté choisi, parce qu'il est du
tout à la dévotion dudict duc de Mayenne, par le
moyen de la garnison qui ne despend que de lui.
M. de La Chastre a renvoyé son passeport, parce
qu'il va à Orléans pour y mettre ordre, et en retirer
les deux cens cinquante chevaulx estrangers que le
duc de Nemours y a introduicts.
Le sieur Duplessis a pensé debvoir attendre la des-
pesche promise par celles du président Jeannin , et
cependant advertir sa majesté de ce que dessus.
Ledict sieur de Villeroy escrit qu'ils sont occupés
au secours de Rouen plus qu'à tout aultre chose ; parce
que l'on leur remet tousjours cela devant les yeulx, et
que pour ceste mesme cause, M. de Guise a esté rap-
pelle, et pourtant sa majesté y apportera ce qui sera
de sa prudence pour, s'entendant à la paix, ne relascher
rien de ce qui est de la guerre.
XCVIIL — ^ LETTRE DE M. DE NEVERS
^ M. Duplessis.
Du i5 avril 1592,
M. Duplessis, j'ai esté bien aise d'entendre le bon
acheminement que avés donné à vostre negotiation ,
288 LETTRE DE M. DE NEVERS, etc.
lequel, je veulx croire, sera embrassé par ceulx qui ai-
meront le bien. Je vous conjure d'y apporter, jusques
à la fin et perfection de l'œuvre, le soin et dextérité
qui est en vous, comme le besping le requiert; ce que
je veux croire que ferés : et pourtant je ne vous dirai
dadvantage ni de surplus, parce que M. de Fleury le
vous fera entendre, comme je l'en ai pryé estant sur
mon partement, comme je suis, dont, après m'estre re-
commandé de toute à vostre bonne grâce, je supplie
Dieu, etc.
Et plus bas : Je vous supplie de faire aussi entendre
au roy ce ([ue vous dira M. de Fleury, comme je lui
avois asseuré de faire, m'asseurant que sa majesté sera
fort contente de ce qu'avés si bien projette voir
acheminé.
XCIX.— LETTRE DE M. DUPLESSIS
yï M. de Beauvoir.
Du 16 avril 1092.
Monsieur, depuis mon retour d'Angleterre, ou j'ai
esté à lacampaigne, lorsque nous pensions voir le duc
de Parme; ou j'ai esté employé par sa majesté hors
de sa présence; qui m'a faict perdre les occasions de
vous escrire ; et encores y suis-je aujourd'hui. Joint
que j'ai receu toutes vos lettres ensemble, estans ceul.x
qui les recevoient en peine de les m'adresser; et nai
toutesfois laissé de vous escrire de ce que j'ai pensé
estre à propos , pour vous esclaircir des affaires de
deçà, si ce n'est que n'ay es receu toutes les miennes; ce
qui vous pcult estre advencu, comme à moi des vostres..
LETTRE DE M. DUPLESSIS , etc. 289
Car je n'ai receii aulcunc de ces copies de lettres, dont
me faictes mention es vostres; à savoir de M. l'Admirai,
^ du gros ami; de messieurs du Fresne, de Buzenval,
de Chasteauniarlin. Aussi peu celles de M. de Stafford,
en recommendation du sieur de Grimeston , etc. Et
pourtant vous songerés, s'il vous plaist, pour l'advenir,
ce quelles peuvent estre deveneues. Vous vous plaignes
du peu d'accueil faict au sieur de Grimeston. Je vous
puis dire que je ne l'ai point veu depuis le premier
jour; et ne scais à qui il s'est adressé pour estre oui
de sa majesté , car il ne m'en a oncques parle. Si scavés
vous qu à l'endroict d'ung prince tant occupé, il est
besoin de chercher les opportunités, et avoir qui les
observe. Et ne suffit de (hre que l'affaire se ramentoit
de soi mesme, car il.n'y en a faulte de plusieurs de non
moHuhe prix, qui ont besoing d'estre ramenteus de
mesmes. Sur vos lettres j'en parlai ces jours à sa ma-
jesté, qui me dict que ce n'estoit que sa faulte; mais
qu'il voulloit estre oui à ses heures, et non s'accom-
moder à ses affaires. Quant à moi j'estime que ledict
Grnneston a este bien aise de ne presser pas, peult estre
par ce qu'il n'apperçoit si grand fondement en son
affaire, mesmes depuis l'intelligence du bois de Vin-
cennes, où a paru fraischement la foi de la Ligue. Je
loue Dieu qu'après plusieurs traverses et travaulx
vous ayes faict passer les Anglois , desquels sa majesté
sera bien servie, et ne seront poinct veneus en vain
quoique tard. Car je vous advise de certain que les
ducs de Parme et de Mayenne rallient toutes leurs forces
autant qu'ils peuvent, pour donner secours à Rouen
qu ils sentent pressé de la longueur de nostre sie^e •
dont j'ai donné advis à sa majesté très certain depuis
deux jours, sur lequel aussi elle recommande toutes
MÉM. DE DUPLESSIS-MORNAY. loME V. j g
290 LETTRE DE M. DUPLESSTS
les forces de Normandie, Picardie et Isle de France.
Et quant au traicté d'Espaigne, par lequel le duc de
Parme deniandoit que l'infante fust couronnée royne
de France, à condition d'estre mariée à ung prince de
la nation , et que tous les princes du sang fussent dé-
clarés inhabiles à succéder, attendeu l'heresie, ou
faveur d'icelle;les choses en sont veneues là, qu'ils ont
esté sur le bord de ce précipice pour faire le sault; et
par vostre prudence vous en mesurés assés les consé-
quences ; car, moyennant ce, nous avions de la guerre
pour nous et les nostres, et Testât estoit dissippé; le
roy d'Espaigne entretenant, moyennant ce, une armée
au duc de Mayenne , pour laquelle il lui fournissoit tous
les mois cent cinquante mille escus ; et pour une aultre
à M. de Guise cinquante mille escus, oultre une troi-
ziesme que ledict duc de Parme eust commandée sur
la frontière, de laquelle toutes les conquesles eussent
esté directement au roy d'Espaigne, pour asseurer et
estendre sa frontière des Pays Bas. Mais , grâces à
Dieu, nous avons faict appréhender ceste cheute aulx
plus advisés et aulx plus grands; et a esté la délibéra-
tion de cest affaire par eulx remise à la teneue de leurs
pretendeus estats à Soissons , au quinziesme de mai, au
grand desplaisir des Espaignols; et cependant c'est à
nous à si bien negotier, et si diligemment, que nous
trouvions expédient de mettre ou fin , ou relasche
notable à nos misères , dont nous commençons à espérer
quelque chose, si le diable, ou le destin inévitable de
ce royaulme, ne se jette entre deux. Nos voisins,
comme vous dictes, en entrent en jidousie. Mais qu'ils
considèrent lequel leur est meilleur, ou que nous rete-
nions nostre paix en la ehresliente, conservant nostre
estât j pour balancer la grandeur d'Espaigne; ou que, le
A M. DE BEAUVOIR. 291
laissant dissiper et faire naufrage, nous lui laissions
emporter et enlever de sa seule pesanteur tous les aul-
tres estats voisins. Qu'ils regardent aussi que le roy
d'Espaigne faict bien plus pour nostre ruyne qu'eulx
pour nostre conservation; qu'il laisse toutes choses
pour cela; qu'il n'y perd pasung moment, qu'il appelle
cela ses propres affaires; nu lieu que nous marchan-
dons toutes choses, rendons inutiles nos meilleurs
offices par les différer; et prenons la pluspart du temps
au pomt d'honneur, si on nous dict en passant , et bien
modestement, que les affaires de France nous touchent
de quelque chose. J'en ai conféré avec M. l'ambassa-
deur presque en mesmes termes en ami , lequel le re-
cognoist et n'y trouve point d'interest pour la royne,
sa souveraine, au contraire de l'advantage, pourveu
que la paix ne se fasse qu'avec la Ligue de France, ou
bien si on traicte avec l'Espaignol que l'Angleterre y
soit comprise. Or, quant au premier, nous n'en sommes
encoresveneus si avant, et ne voulions attacher les Fran-
çois de la Ligue et les Espaignols en mesme negotia-
tion; au contraire, serons bien aises de les distraire, et
de reserver un exercice à nostre nation pour chastier
l'Espaigne. Et quant au second, si on en venoit jamais
là, ce que je vois fort esloingné, ce ne seroit jamais sans
y comprendre tous les voisins, amis et alliés qui le
desireroient. Ce que, monsieur, je ne vous escris pas
pour le leur dire, mais pour le garder en vostic esprit,
afin de le mesnager aulx occasions , n'estant raison-
nable en la charge que vous avés, de vous laisser en
ténèbres. De ce qu'ils prennent ombrage de M. de
Luxembourg, ils ont esté mal advertis ; car IVL de Vil-
leroy n'a bougé de Pontoise, il y a plus d'ung an ; et ce
igi LETTRE DE M. DUPLESSIS
qui s'est faict avec le baron dOssonville a esté une
negotialion pour la libené du labourage, et quelque
commerce entre les deux froniieres; dont toutesfois il
seroit à désirer qu'il peust sortir quelque chose de
mieulx. Du fonds de la uegotiation que j'ai en charge,
je vous en escrirai plus clairement dans six jours au
plus tard; car j'espère y voir plus clair alors. Mais fiés
vous en moi qu'il ne s'y fera rien de mon advis, qui
doive offenser les gens de bien, quelque labyrinthe, où
nous soyons, et quelques précipices que nous voyons;
mais bien tout ce qui se pourra pour nous mettre en
repos. Les affaires en Aragon ne sont poinct tellement
composés qu'il ne soit très aisé d'y Tailler bien de la
besogne au roy d'Espaigne. Car la citadelle rpi'on
bastit à Sarragosse es!: plustost ung signe de la grande
maladie, qu'ung suffisant remède, et plustost pour
l'esmouvoir, si nous estions sages, que pour la purger.
D'ailleurs les royaulmes alliés d'Aragon s'en rendent
tant plusmeffians; mais nous avons à esleindre nostre
feu, premier que de l'allumer ailleurs; et dcbvons faire
conscience d'inciter aulx armes ceulx que nous ne pou-
vons enrores aider. Je suis marri de ce que j entends
par vos lettres que M. le grand thresorier ait eu prise
avec la royne; car je sçais que nul ne peult emplir,
et ne sçais seulement qui peult tenir sa place ; mais je
me confie que cela ne durera pas. Ce qui est plus
fascl^eux, est que ce ait esté à l'occasion des églises,
vers lesquelles elle ne sera pas si tost rappointee qu'avec
lui. Et sur ce propos, je pense que vous aurés receu
celles que je vous ai adressées pour M. l'evesque de
Bristo, que j'honore fort et m'y sens obligé; et vous
prye, monsieur , dt^ me mander, non s'il les a receues,
ou si elles sont veneues en vos mains, car je n'en fais
A M. DE BEAUVOIR. agi
pas doute, mais en quelle part, pour le subject dont
est question, à sçavoir de la paix des églises, etc.
C— ^LETTRE DE M. DE VILLEROY
A M. de Fleurj.
Du 16 ûTril i5g2.
MoTVSiFUR, je n'ai encores receu la response que
j'attends, dont je suis en peine. Ce matin, il a passé ici
ung lacquais de M. de Grammont, venant de l'armée,
qui du commencement m'a voulleu faire croire que
M. de Garcroy lui avoit osté ung pacquet, que M. le
président Jeanniii escrivoit h M. de Villeroy; mais, à
la fin, ma confessé qu'il avoit lui mesmes deschiré
ledict pacquet, craignant d'en estre trouvé chargé,
d'autant qu'il marclioit sans j)asseport : mais, comme
je lui ai dict, il ne s'en debvoit donc charger quand
il est parti : or, je n'en sçais pas plus que cela. J'ai
soubdain donné advis de ce que dessus à M. le pré-
sident Jeannin , en ai autant dict à Lomenie , qui est
ici veneu pour payer la rançon. Tout ceci me desplaist
extresmement; mais je n'y puis apporter aultre re-
mède; je vois que cependant Ton se prépare plus à
faire la guerre que la paix; chacung mande ses forces.
M. de La Chastre a escrit de Paris à M. de Villeroy ; la
paix y est désirée de tout le monde, voire jusques
à ceulx qui y souloient estre les plus contraires, de
quoy il a advertiM. le président Jeannin, et n'oublierai
le passeport de nostre voisin, tant pour lui que pour
sa femme. Mon fils a desjà eu trois accès de fiebvre, et
a pris médecine ce jourd'hui ; il a ung grand mal de
294 LETTRE DE M. DE VILLEROY, etc.
cœur qui le tourmente. Toutes fois , j'espère qu'il en
sera bientost délivré. Il n'y a plus d'Espaignols à Paris;
ceulx qui aiment la paix n'on sont marris. Le povre
M. de Castelnau n'a bougé du lict depuis son retour,
et se porte, je vous asseure, très mal ; je vous envoyé
une lettre de M. le président, en laquelle vous verres
ce qu'il demande. J'estime qu'il sera à propos qu'il
retourne au plus tost doù il est veneu , car vous le
coornoissés. Il désire le repos en homme de bien. Mandés
moi ce que je lui respondrai, et me tenés pour ce que
je vous suis , etc.
CL — ^ LETTRE DE M. DE BOUILLON
A M. Duplessis,
Du i6 avril 1692.
Monsieur, le roy a veu vostre Mémoire, et m'a
commandé vous dire qu'il est aise de voir que
le traicté de l'Espaignol soit remis à mai ; mais le
siège de Rouen sera fini entre ci, et la paix nous est
si nécessaire, que toutes choses doibvent devenir justes
qui la nous peuvent donner; n'ayésesgard aulx calom-
nies, et ne doubtés que Ton n'y espargnera rien, et au
particulier et sur le gênerai. Le duc de Parme passe la
Seine, et le roy est allé à Dieppe pour divers subjects,
mais le public est le payement des reystres. Le com-
mandeur est tousjours fort mal. Assurés vous n'avoir
1 ien au monde plus acquis que vostre , etc.
LETTRE A M. DE LA FONTAINE. 295
CIL — ^LETTRE A M. DE LA FONTAINE.
De Mantes, le 16 avril iStjT..
MoNSTFiTR, ce m'est beaucoup de plaii>ir, en ces
desplaisirs publics, de recevoir de vos lettres, et
vous prye de continuer, sans regarder si je suis assés
soigneux de respondre à toutes; car je suis souvent dis-
trnict et de lieux et rKaffaires, mais non jamais d'af-
fection en voslre endroict. Je loue Dieu que les Anglois
sont arrivés. Ils sont les bien veneus , in quacumque
parte litis , mesnies le duc de Parme au se-
cours de Rouen, comme Ton dict; mais, lorsque nous
les demandions avec les forces qui venoient au roy de
tous costés, nous satisfaisions au siège et à la cam-
paigne, et sortions infailliblement de ces affaires. Celui
qui m'a traversé a faict tout au public , et n'en
doibt ressentir qu'autant que j'y participe, certes, fort
sensiblement; mais ce que j'y ai de particulier, c'est
de l'avoir faict par le moyen que m'escrivés, dont je
m'offense doublement de lui, qui a veu si légèrement;
et adjoustés qued'ung pretendeumescontentement par-
ticulier a voulleu faire une ruyne publicque. J'en ai
parlé à M. fambassadeur, non tant que la chose le
meritoit, mais autant que j'ai deu, sans nommer per-
sonne , et tout en déclarant que je suis satisfaict,
'^ quand Dieu est servi et le roi secoureu; que je ne
suis marri d'en avoir esté refusé , que d'autant que
cela m'oste les moyens de servir, et m'expose au
mespris de nos catholiques. Ceulx qui , par haine
publicque ou particulière, en ont esté cause, ne
peuvent pour cela changer ni mon jugement, iii mon
^>g6 LETTRE
affection, cognoissant combien importe mutuellement
l'intelligence de deux estais, et y désire servir de ce
peu que je puis. M. de est arrivé, avec lequel
je n'ai poinct communiqué; car je n'ai séjourné que
deux jours à Dernetal , et aussi je ne m'ingère pas. Mais
sa majesté m'a faict cest honneur de m'en parler. J'y
apporterai ce qui sera en moi; mais croyés que je
commence fort à me lasser de voir ung roy de France
traicter en Don Antonio ; et que j'y remédierai si je
puis. On vous a parlé de la paix; Dieu en veuille
bénir la negotiation. Nos gouverneurs prmcipaulx font
la Irefve avec leurs voisins chacung à part soi, et lais-
sent tomber toute la guerre sur les espaules du roy.
Nos ennemis sont prests de couronner l'infaule d"Es-
paigne royne de France; la marier à Tung deulx. et
dégrader tous les princes du sang. Le roy d Espaigne
queste tout pour courir sur nous; espargne par tout,
pour prodiguer contre nous; et nos voisins, au con-
traire, tiennent pour perdeu et mal employé ce qu'ils
nous baillent ; ne le font jamais que hors temps et avec
courroux, mespris et desdaing. Jugés si nous debvons
désirer une paix, si nous la debvons accepter, voire
bien chèrement , pourveu que ce ne soit aulx despends
de la gloire de Dieu. Or, je ne vous en ose encores
rien promettre. Ce que nous avons peu, c'est que nous
avons retardé la conclusion avec TEspaignol; et, pen-
dant ce respit, nous traictons : mais j'espère qu'il ne
s'y fera rien dont les gens de bien s'offensent, et
beaucoup de choses dont ils auront contentement. En
attendant, nous avons obteneu en court lentrelene-
ment du ministère pour ung an; en conséquence de
nostre Irefve de l'an 1689, qui nous sera ung préjugé
pour l'advenir, et faict expédier instructions très ex-
A M DE LA FONTAINE. 297
presses aulx paileinens pour la vérification de nostre
edict. M. de Bouillon , niareschal de France, ira aussi
faire son serment en parlement, qui fera la planche
aulx aultres , non sans oppositions ; mais que l'auc-
thorité du roy s'en irrite ; et la teneur de Tedict,
comme j'espère , surmonterons; quant à vostre affaire,
je vous ai f.iict coucher en Testât pour huict cens
escus, à sçavou^ quattre cens de l'an 1391 , et (juatire
cens de celle ci , et dorénavant y seres continue et
recommanderons au thresorier de la maison de vous
en hailler ses provisions sur le thresorier gênerai du
Vendosmois, auquel nous recommanderons de vous
payer. Mais il fiult que vous choisissiez quelqu'un^ de
vos amis pour l'en solliciter, auquel vous envoyrés
vos quittances en bonne forme, parce que je n'v suis
pas tousjours; qui est cause aussi que MM. Lefort et Do-
minique Boucher n ont livré les expediens e^ont ils
n'avoient pryé. Car, quasid j'en ai parle au secré-
taire d'estat , il est besoing que quelqu'ung les en
presse. Du reste, je vous ai autresfois parlé du beaouig
que j'eus d'avoir ung coadjuteur à M. de Spina. Aussi
de mon intention de dresser ung collègue à Saumur,
où il y ait classes, philosophe, mathemalic:en , théo-
logien, et en poursuis les despesches; si j'avois cest
heur de vous y pouvoir eslever, je m'estimerois heu-
reux; et vous prye encores ung coup d'y penser. Sinon
je vous prye de me donner advis de quelque personne
capable; et nommeement vostre jugement de M. Baron,
tant pour professeur que pour docte. Aussi faictes moi
, part de vos belles méditations sur les propos que nous
tenions n'agueres ensemble. Mais c'est asses pour ce
coup ; et sur ce , monsieur, etc.
298 LETTRE DE M. DE FLEURY
cm. — ^LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Diiplessis.
Du 1 8 avril 1 692.
Monsieur, j'avois hier despesché ung lacquais à M. de
Villeroy , estimant qu'il me deust ce jourd hui rappor-
ter response de ce qu'il attendoit , suivant la promesse
que le président Jeannin lui avoi> faicie; mais vous
verres le malheur qui e^t adveneu par la f'aulte d ung
lacquais de M. de Grammont, et apprendrés, parcelles
que je vous envoyé, comme choses se disposent au
bien , moyennant qu'elles ne sovent einpeschees par le
subject du secours qui se prépare, ou quel(|ue aultre
mauvais accident. Il ne seroit à croire que M. le prési-
dent Jeannin eust donné despesches si importantes à
ung lacquais si neuf, sur la confiance de ce qu'il avoit
ung passeport. Je vous monstrai dernièrement quelque
mémoire de ceulx que l'on demandoit ; toutesfois, espé-
rant que vous reviendriës bientost par deçà , j avois re-
mis de vous pryer d'en escrire ; le roy en a desjà ung
donné à M. le président Le Maistre , estant à ce que
j'entends informé de sa bonne intention au bien; mais
à cause qu'il y a quelque rature en la date, doubte
que l'on lui en fasse difficulté. En vérité de ce que j'en
ai peu apprendre et recognoistre, il ne prétend lesdict
passeport, sinon que pour travailler à l'œuvre qui a
esté entrepris. Partant, il vous plaira, monsieur, lui
faire expédier, et avoir au plus tost. Je vous envoyé sa
lettre avec le passeport qu'il a faicl dresser , et dadvan-
A M. DUPLESSIS. 299
tage ung mémoire qu'il me donna escrit de sa propre
main, qui pourra servir d'obligation de sa parolle par
mesme moyen. Vous ad viserez si vous ferés faire les
aultres expéditions, au moing celle de ville Faillyes.
Quanta celle du sieur Lallema?it , je me ressoubviens
qu'il me dict qu'il lui suffisoit qu estant sa despesche
faicte et assurance de ce qu'il désire , elle fcust mise en
ma main, ou aulcung personnage pour s'en servir: imis,
après selon l'événement des affaires , et en cas que sa
majesté cogneust qu'il eust faict son debvoir, qui est,
ce me semble, une condition que l'on ne doibt refuser.
Nous eusmes hier advis , ainsi que vous aurës eu , que
les estrangers de la garnison de Paris avec ceulx de
Ponloise , partirent dudict lieu, et dict on qu'ils es-
toient environ mille huict cens hommes de pied bien ar-
més et bien en couche. Avec eulx s'acliemina la cavalerie
dudict Pontoise, conduicte par le sieur de Sainct Ger-
main, qui pouvoient faire, à ce qu'ils disent , quattre
vingts chevaulx, dont une bonne partie sont arquebu-
siers à cheval. Le fils de M. de La Chastre estoit desjà
retourné de Paris , et partoit aujourd'hui dudict Pon-
toise. Ne pouvant vous mander meilleures nouvelles ,
je vous escris ce que j'apprends de ce costé, là oîi il
ne se passera jour que je ne me desfrische . et des de-
main au retour de mon lacquais. Cependant je vous
baise humblement, etc.
3oo LETTRE DE M. DE VILLEROï
CIV. — ^ LETTRE DE M. DE VILLEROY,
J M. de Fleur j.
Du i8 avril iSgs.
Monsieur , je n'ai nouvelles quelconques de M. le
président Jeannin , dont je l'ai adverti par trois lettres
que je lui ai encores escrites depuis trois jours. Vous
avés veu l'original de sa dernière, apportée par M. de
Castelnau ; elle justifie assés son voyage pour ce qui
me concerne. Il y avoit liuict jours que mon fils avoit
receu commandement de marcher, et pour ce qu'il ne
se hastoit gueres de le faire, ce feut pourquoi l'on nous
renvoya sitost ledict sieur de Castelnau. Là dessus mon-^
dict fils est tombé malade de la fiebvre double tierce ,
pour laquelle il a esté seigné ce matin , et toutesfois
l'accès l'a reprit sur le soir , mais non avec la violence
des precedens ; de sorte que j'espère qu'il en sera bien-
tost deslivré tout à faict, et vous remercie de très
bon cœur du soin que vous en avés. En vérité ceste
précipitation, dont l'on use à rapprocher les armes,
me donne beaucoup à penser; car j'en fais pareil
jugement que vous , concluant que M. de Mayenne est
ung très mal habile homme ; car il est certain qu'il en
portera seul la folle enchère de quelque costé que le
vent vente; ceulx qui l'assistent ont grand tort, et
fault que ceste resolution soit née du retardtinent du
traicté des Espaignols, pensant advancer par ce moyen
leurs affaires , comme il y a apparence qu'ils feroicnt,
s'ils avoient gaigné une bataille , peult estre autant au
dommage de M. de Mayenne et de ce qui en despend
A M. DE FLEURY. 3or
que de sa majesté. Or, nous tenons ici que ceste farce
doict estre jouée dedans trois jours au plus tard ; de
sorte que j'estime qu il seroit inutile concerter les
moyens d'y remédier pour ce qui est chose qui ne
pourroil plus faire à temps, et dont je craindrois que
l'on ne feist ; car où est le duc de Parme, estant certain
que si M. de Mayenne eust voulleu rompre le coup, que
nous lui en avions assés ouvert le chemin par le troi-
sième article du petit mémoire que vous sçavés que lui
a esté envoyé, sur lequel donc je prends à très mau-
vais signe qu'il ne m'ait encore rien faict respondre , et
vous asseure que, par mes dernières , je lui en ai faict
des plainctes, qui retentiront jusques au ciel ; mais
aussi c'est tout ce que je vous en puis mander pour le
présent , et s'il fault que le blasme et la faulte de tout
ceci tombe sur mes espaules, qu'ai je ^ faire aultre
chose qu'à les hausser , et roider contre le wial pour
n'y succomber , fortifié et appuyé de la sincérité de
ma conscience? c'est ce à quoi je me resouds , et de
ne délaisser ceste poursuite pour chose qui m'arrive,
en particulier , tant qu'il me restera quelque espérance d'y
pouvoir proficter, vous promettant de vous donner ad-
vis de ce que l'on m'escrira sitost que j'en serai es-
clairci. Quant au sieur de Castelnau, il est tousjours
très mal. Je vous envoyé au devant ung pacquet de la
forest de De Bure , oî^i ils se plaignent de n'avoir receu
de nos lettres il y a long temps : le principal est que
tout s'y porte bien, grâces à Dieu , lequel je prye Dieu
vous conserver , etc.
302 LETTRE
CV. — ^ LETTRE
A M. de Buzenval.
De Mantes, du 18 avril iSgi.
Monsieur, vous aurés receu une mienne bien ample
pour response à plusieurs des vostres, escrite en ce
mesme lieu de Mantes, où je suis depuis plus d'ung
mois, sauf ung petit tour que j'ai donné à Dernetal de
trois jours. Le subject de mon partement de la court,
après que le duc de Parme feut esloigné de nous , et
l'apparence ou l'espérance d'une bataille perdeue, feut
de venir faire mes partages; lesquels, ainsi que nous
vivons mon frère et moi, n'ont eu besoing ni de longue
consultation entre nous, ni de l'entremise d'anicungs
arbitres. Mais l'estat , à la vérité , où je voyois les
clioses , me faisoit désirer de sonder les moyens d'une
paix, et It's personnes dont j'approcbois, faisant ce
vovaoe, me sembloient la désirer. De là est adveneu
que M. de Villeroy et moi nous sommes veus , et
avons amené les choses à tel poinct, quam eo ipso
teste, et judice ; si elle ne se faict , nos ennemis en
ont le tort; pour le où le roy s'en est mis en
toutes sortes , sans préjudice toutesfois de l'honneur
de Dieu, et de sa conscience. Mais peu de jours nous
esclairciront de leur intention. La paix de soi est sou-
haitable; car le masque mesmes, comme vous apper-
ceves où vous estes, faict courre les gens après soi;
mais à nous massacrer , pour infinies considérations
nos ennemis sont sur le poinct de couronner l'infante ,
la marier à ung prince de leur maison, dégrader tous
A M. DE BFZENVAL. 3o3
les princes du sang. Nos catholiques désirent la paix à
toutes fins; nous blasment qu'il ne tient qu'au roy;
qu'à l'appétit d'une opinion, il perd Testât, et là des-
sus se laissent aller l'ung après l'aultre à des trefves
particulières, qui s'en vont si loing, qu'ung de ces
jours le roy portera la guerre tout seul. Monopoles in-
finis là dessoubs, qui se préparent à pis. Nos voisins,
que bien cognoissés , ne nous secourent que hors
temps à et en chagrin , pendant que le roy
d'Espaigne quitte tout pour courir sur nous, se re-
tranche de tout pour fournir à nos ennemis, estimant
les affaires de France plus siennes que les siennes
propres, au lieu que nosdicts voisins prennent au
poinct d'honneur, si on leur dict en passant qu'ils y
ayent interest. Ces causes nous font rechercher par les
meilleures voyes de parvenir à une paix; à quoi j'ad-
jousterai que ce corps est si , si malefecié ,
que tous les jours il y survient nouvelle playe ou
nouvel accident. Une qu'on ne sçait qui
deviendra une saillie de qui déclare la guerre
à ceulx de Sainct Jehan , qui passera peult estre plus
avant : et plusieurs maladies , au connnencement symp-
tomatiques, s'y rendent sustentielles. Choses aisées à
remédier, si le corps d'ailleurs estoit sain et en repos;
très dangereuse et de difficile curation, en Testât où
il est. Le bien donc qui nous en peult venir est hors
de doubte. Mais il fault voir qu'il ne tourne à mal à
nos voisins. Nous traictons avec ceulx de la Lisue seu-
lement , non avec TEspaignol , qui les assiste; au con-
traire, les en distrayons, ipso Jure, et les en rendons
ennemis, en conséquence, à Tadvenir. Je tiens donc
que cela mesmes ne IcMir peult faire que du bien, veu
qu'alors nous aurons plus de moyen d'assailhr TEspai-
3o4 LETTRE
gnol en ses propres pays, plus de les secourir contre
lui; veu qu'alors nous lui pourrons in ipsis visceribus
cure tormina y dont il se présente de belles occasions,
et en Italie et en Espaigne, qu'en Testât ne nous
sommes, nous en voulions, debsous ni pouvons em-
ployer, pour n'esmouvoir inutilement ce que nous ne
pouvons suffisamment purger. Ce que je pense que
vous deves sourdement faire entendre, et sans esclat,
si on vous parle de ce traicté ; car si cela estoit dict
si ban!t que IFspaignol l'entendist , i! nous rendroit
les choses plus difficiles, par la profusion de ses de-
niers. Touchant ce que n/avés escrit de Tambassadeur
de l'empereur, qui a communiqué avec vous , je vous
ai respondeu et persiste qu'il fault, comme avés bien
commenté, le ramener d'une paix particulière des Pays
Bas, suspecte à eulx et à tous Imirs voisins, à une
paix générale de la chrestienté , utile à tous, et digne
de la majesté de l'empereur : aultrement qu'on ne pour-
roit interpréter ceste negotiation , quune trefve avec
les Pays Bas; tandis qu'on regneroit à loisir et à plai-
sir la France et l'Angleterre; car quant à ce qu'il dict
à l'oreille, de la prétention de l'empereur sur lesdicts
pays, le roy dEspaigne est plus fin, et l'empereur
moins hardi; que cela n'estant la façon de lung, de
rien distraire de sa maison en faveur de qui que ce
soit , et les moyens de despendans ; car ils
font pour la plus part de la libéralité d'Kspaigne Le
mariage de Madame avec M. le comte de N. me
sembleroit très à propos, et j'en ai parlé mesme au'
roy. Mais, qiUd facial, je crains que nous n'ayons de
preoccuppation en l'esprit , et là dessus on discourt du
voyage du comte de Soissons. Toutesfois, si son altesse
vient par deçà, nous y verrons plus clair. De l'aultre
A M. DE BLZENVAL. 3o5
aussi , j'en al conféré avec , qui ne le pense
faisable, ne trouvant peult eslre les mœurs et façons
sortables à nos humeurs; encores que les louanges que
"VOUS donnés à la fille ne sont pas communes; mais
j'esperois , si Dieu nous donnoit la paix , qu'on y pen-
seroit plus sérieusement, et que lors toutes choses se-
roient considérées selon leur prix ; hoc statu ;
et si hœc pax reipublicœ non postretna ; lévite r
prœtervolamus. Je viens à vos affaires. Ce voyage que
j'ai faict à Dernetal , je les ai encores remis sus; et
M. de Revol obteint ung jour prefix, pour eslre reso-
leu de l'enlretenement des ambassadeurs. M. de Bouil-
lon ne vous y manquera poinct , et je lui en escrivis
encores hier. Ratuiii ^ que vous y tiendrés qualité d'am-
bassadeur, et traicter selon icelle. Saltem , je n'ai veu
personne qui en doutast, nisi quid oblique , interve-
niat, ce que je ne présuppose pas. La difficulté est au
recouvrement des moyens, qui tarissent à la vérité de
plus en plus, quand les nécessités, qu'aulcungs pré-
tendent s'y trouver, n'y seroient poinct , je verrai à mon
prochain retour ce qu'on aura faict. Au moins si rein-
pnblicam y commme vous dictes, habitiiri sumiis ; ha-
bebiinus domum , si parern , nous establi-
rons vos affaires en sorte que vous ne rentreriez plus
aulx peines passées. Pour l'ambassade de Levant , ung
personnage avoit esté nommé , qui advançoit les frais ;
duquel je vois quelque refroidissement. M. des Reaux
l'aisné y desireroit aller; si on les lui fournissoit, qui
l'eust faict dignement. Je n'ose la vous conseiller que
je n'en veisse le fond certain; et il n'est pas aisé à veoir
parce qu'on pense que l'ambassadeur ou pour les autres
personnes, il n'y fault moins de trente millions. J'ai mis
en mains de M. de Revol l'expédient des tourbes, pour
Mém. de Dupjlessis-Moknay. Tome v. 20
3o6 LETTRÉ
en fliire rai'raischir la despesche. Vous ne m'avés en-
voyé que la copie non signée de ce que le personnage
en avoit obteneu du feu roy Charles; ores, seroit il
besoing de l'avoir authentique, par devant notaires,
pour faire foi; aultrement, il nous fauldra vérifier cela
"par le tesmoignage et la déclaration de celui qui feit lors
l'expédition, qui sera incertitude et longueur. Il sera
donc bon d'y remédier, si vous pouvés, au plustost;
et cependant je n'y lairrai perdre temps, y trouvant ■
beaucoup d'apparente utilité, et publicque , et parti-
culière. J'ai addresséàM. de Bouillon ung jeune homme
de bonne maison , pour instituer le fils de madame de
Prinass. Il a très bien estudié, et n'a rien de pedan-
tesque. Je crains seulement qu'il ne veuille pas se ra-
vallcr jusqu'à l'enfance. Je le lui ai dit , ce dernier voyage
à Dernetal. Aussi touchant cest estât de thresorier
en Languedoc , celui qu'elle me recommandoit , me
prya de ne m'en travailler poinct pour ce qu'il y estoit
pourveu , et que ce seroit perdre le temps. Je vois que
M. le mareschal de Biron l'avoit jà obteneu pour ung
des siens. Pour le passeport que demandés pour ung
marchand, vostre ami, j'en ai communiqué avec M. de
Kevol ; on y trouve difficulté , parce qu'en la forme
qu'il le demande , il peult couvrir de son nom et de sa
marque le commerce et la marchandise de tout le
monde; et, contre ung tel et si grave inconvé-
nient, on n'a caution que sa preudhommie, que vous
scavés qu'on ne reçoit pas volontiers dans les con-
seils des princes, à cause que chacung se l'attribue,
et que la conséquence en seroit trop longue. Je verrai
({uelle modération on y pourra apporter, et de son »
costé, il sera bon aussi qu'il y advise. Vous 1
pour vous à Dieppe. La ville en est si espuisee, pour les
A M. DE BUZENVAL. 3o7
besoings de l'armée et de la maison du roy , que je n'y
ai pas peu trouver ung liard pour moi mesmes, encores
que j'y aye envoyé Corbiniere et Belengre trois fois ,
avec lettres de change pour toucher pareille somme
à La Rochelle , où j'avois de l'argent, qu'il me fault peu
espérer de le pouvoir pour vous, pour qui j'en ferai
comme pour moi mesmes. Je n'ai encores response de
M. Flagrot du petit affaire dont m'avés escrit. Je vous ai
faict response pour les corselets, que je desirerois de
ceulx de douze florins , pourveu qu'ils soient complets
de tout, sauf de gantelets, et que vous les pouvés
asseurer que je leur en payerai cent à La Rochelle,
argent comptant , s'ils les y veullent porter. Aussi je
vous remercie de ce que m'escrivés des pièces pour
Saulmur, et vous prye de n'en laisser passer l'occa-
sion si vous l'y voyés. Je vous envoyé des lettres de
ma femme. Et pour la fin vous dirai que M. de Bouillon,
aujourd'hui mareschal de France, se comporte très
dignement, et faict taire, par son mérite, ceuk qui
detestoient sa relligion. Sa majesté en a beaucoup
de contentement, et particulièrement il est fort vostre
ami. Ores, monsieur, etc.
Le duc de Mayenne mande tout le monde pour le
secours de Rouen , en danger qu'il ne faille lever le
siège pour aller au devant d'eulx. Sa majesté, de son
costé, rappelle tout ce qu'elle peult; car la pluspart
de la noblesse s'est allée rafraischir, et nonobstant
conseils des moyens de ne démordre la pioche, si en
quelque façon il est possible
3o8 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
CVl. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Fleurf.
MojN SIEUR, VOUS aurés veu M. de La Verrière vostre
frère. Il semble que le destin du royaulme nous oblige
à ruyne , quelque prudence ou affection que nous puis-
sions mettre au devant. Vous sçavés combien il y a que
je suis ici ; ce que j'attends , et pourquoi je suis veneu.
M. de La Chastre ne s'est trouvé où je le pensois voir,
et a ses raisons. Le lacquais maintenant a perdeu le
paquet. Et là dessus nous nous en allons au combat.
Voilà donc nos labeurs perdeus; et ne m'en reste, dont
Dieu et les hommes seront tesmoings, que mes dili-
gences. J'attendrai toutesfois le retour de M. de La
Verrière. Et plus oultre, jugés s'il est de la réputation
de sa majesté , ni mesme de la mienne. Pour les passe-
ports , j'en escrirai à sa majesté et à quelque ami , pour
les solliciter. Je crains que M. de Villeroy ne soit trompé
en son affection , comme moi en la mienne. Mais si
j'en sors à ce coup, c'est avec protestation de ne m'en
mesler jamais ; car de toutes parts on me mande qu'on
nous trompe, et seul j'opiniastre pour le bien; et
seul , comme j'estime , en porterai la peine. Je vous
plains; et toutesfois me plains à vous, parce que c'est
consolation de s'entreplaindre. Et sur ce, monsieur,
je salue, etc.
De Mantes , le i8 avril 1692.
LETTRE DE M. DE FLEURY, etc. ^09
CVII. —-V- LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Duplessis.
Du 20 avril iSga.
Monsieur, vous me faictes beaucoup d'honneur,
et me consolés par le tesmoignage de tant de bonne
vollonté et d'asseurance qu'il vous plaist prendre en
ma dévotion ; mais si ne puis je que je ne m'afflige ex-
tresmement de veoir les affaires en cest estât , et que
lorsque nous nous pensions si proches du port , nous
soyons à présent sur le poinct de faire naufrage. Je
ne veulx , monsieur, m'engager dadvantage sur sa
foi de telles gens ; mais si estimé je que ce sera faict
plus prudemment et utiilement de veoir quel sera le
succès de leur desseing en ceste negotiation , et faire
cognoistre à ung chacung leur mauvaise foi et meschan-
ceté , ce qui ne peult plus tarder, et que l'on ne dé-
couvre la vérité ; et vous dirai que M. de Villeroy est
obligé pour son honneur d'y mettre tellement la main,
ainsi qu'il m'a promis de faire, que ses actions tesmoi-
gneront de sa sincérité. Je lui ai laissé ung lacquais ,
afin de m'apporter aujourd'hui de ses nouvelles telles
qu'elles soient. Je ne fauldrai de vous en escrire de-
main , puisque vous estes encores demeuré , vous sup-
pliant m'honorer, etc.
3jO lettre de m. DUPLESSiS
CVIII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Fleurj.
Monsieur , M. de La Verrière, vostre frère , prend la
peine d'aller trouver le roy, pour lui dire où nous en
sommes. Je vois bien que j'y observe mal la dignité
de sa majesté, veu les longueurs oîi l'on le tient en
une cbose que l'on debvoit recevoir à bras ouverts.
Toutesfois je me rends encores plus à l'utilité de son
service. Nous verrons ce qu'il me commandera ; mais
si on a à se battre , vous sçavés où mon debvoir m'ap-
pelle; et de m'y engager après, je ne le ferai sans ung
bien évident subject. Je vous plains plus que moi
mesmes ; car je connois vostre affection. On nous allè-
gue le secours de Rouen. Nous ne nous plaignons
poinct qu'ils y aillent ; ils y seront, comme j'espère,
bien recueillis ; mais ils ne debvoient pas laisser de res-
pondre, fust ce à la veille mesmes d'une bataille. Dieu ,
qui en est tesmoing, jugera,, s'il lui plaist, entre les
deux, et les malédictions du peuple seront sur qui en
poursuit la ruyne. Or , monsieur , je salue , etc.
De Mantes, ce 20 avril tSga.
CIX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Au roy.
Sire, il y a trois semaines qu'il pleut à vostre ma- ■
jesté agréer l'expédient qui avoit esté pris avec M. de
Yilleroy sur le faict de la relligion , pour vostre per-
AU ROY. 3 1 I
sonne. Sur quoi ledict sieur despescha vers !e duc de
Mayenne, pour le lui faire approuver, afin de passer
plus avant au traicté. Le sieur de Castelnau fut porteur
de sa despesche , lequel feut redespesché deux heures
après pour liaster les trouppes de Pontoise, et asseura
M. de Villeroy que deux jours après il recevroit, par
homme exprès, response de tout ce qu'il auroit à dire
et faire. H s'en est passé plus de huict, pendant les-
quels il mande qu'ung lacquais du sieur de Grammont,
à qui son paquet auroit esté haillé , l'a déchiré , crai-
gnant d'en estre trouvé saisi marchant sans passeport;
et depuis ledict sieur de Villeroy n'a aullres nouvelles.
J'adjouste que M. de La Chastre , qui avoit promis à
vostre niajesté de se trouver à Halincourt, n'en a rien
faict. Cela me faict penser que ces gens veullent voir
l'événement du secours de Rouen , pour renchérir leurs
conditions, s'il réussit, et qu'ils trompent ledict sieur
de Villeroy le premier, lequel, certes, je n'ai poinct
apperceu y procéder de mauvais pied. Toutesîois ,
sire, comme je désire avoir esgard à la dignité de
vostre majesté, en ne monstrant de rechercher trop la
fin de ceste negotiation, aussi ai je estimé ne dehvoir
soubdainement abandonner l'utilité de son service , en
la laissant du tout, tandis qu'il en restera quelque es-
poir. Oui est cause que j'ai esté fort aise , que M. de
La Verrière ait voulleu prendre la peine d'aller trouver
vostre majesté, pour lui déduire tout ce qui s'y est
passé, dont il est tesmoing oculaire, et pense qu'il est
du service de vostre majesté qu'il soit ouï en présence
des principaulx de vostre conseil , afin qu'on cognoisse
la sincérité de vostre majesté en la poursuite de la paix
tant désirée de tous, et qu'il n'y a poinct de la faulte
de ceulx qu'il a pieu à vostre majesté y employer.
3i2 LETTRE DE M. DlIPLESSIS, etc.
Entre ci et son retour , nous verrons ce que M. de
Villeroy produira ; et je recevrai les commandemens de
vostre majesté, s'il lui plaist, sur ce que j'aurai h faire
pour,les effectuer , sire , comme vostre, etc.
De Mantes, ce 20 avril iSgi.
ex. — ^ LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Du pies sis.
Du 21 avril 1692.
Monsieur, il n'y a personne, à mon advis, qui ne
juge que l'on surpasse en ceste negotiation la dignité
quisedoibt mesmcs entre princes esgaulx, si n'estimés
je pour cela que l'on vous en blasme, ni le roy; la
suffisance de l'ung autant cogneue d'ung chacung
comme la grandeur du courage en l'aultre, m'asseu-
rant qu'il n'y a homme de bien et entendement qui ,
au contraire, ne l'impute à très grande bonté et pru-
dence d'avoir postposé ses considérations extérieures
au salut de tant de povres peuples et à la juste affection
de cest estât. Ces actions là portent coup , ce me semble ;
car de rby à roy, ou d'ung prince envers ses subjects
pour quelque rébellion particulière dont la cliente se
peult faire sans une ruyne entière, vous sçavés trop
bien en ces cas ce qui est requis pour la conservation
de la grandeur et auctorité du niaistre ; mais en l'œu-
vre qui se présente je pense que celui qui plus y ap-
porte, plus y aura de mérite et de gloire; le combat
n'est de prééminences entre personnes si dissemblables;
mais c'est ung combat d'honneur de faire autant de
■bien que les aultres du mal, dont, s'il ne reussist le
I
LETTRE DE M. DE FLEUR Y, etc. 3i3
fruict que l'on a désiré, pour le moins est ce ung
grand contentement d avoir bien faict; si espérés je
tant de la grâce de Dieu, qu'enfin il ne rendra vos
labeurs infructueux. Tout ce que Ton pourroit dire
en ce faict c'est de s'estre laissé si long temps entre-
tenir vainement , et qu'en ung si long cours de nego-
tiations Ton n'aye recogneu leurs conseils. Mais, mon-
sieur, personne n'est ignorant de ce qui leur a esté
présenté, et combien l'on a mis peine de les redresser
ci après, tant de belles parolles et sermens; ils man-
quent maintenant à leur foi : que leur en deviendra il?
sinon d'estre desbonorés dadvanlage d'une extresme
perfidie , attirant sur eulx l'ire de Dieu et la baine de
ceulx à qui ils avoient sillé les yeulx par leurs artifices,
ou, au contraire, cela animera encores plus tous
les gens de bien à sacrifier leur vie pour leur prince
et leur patrie. Sçavons, monsieur, que les violentes
présomptions de leurs comportemens doibvent donner
le jugement que vous faictes de leur intention pour
cela; c'est à sçavoir s'il fault abandonner la barque et
rompre du tout, ou ne perdre cœur jusques à ce que
l'on voye toutes cboscs désespérées, et si la consi-
dération du bien ne peult envers eulx, au moins
l'apprebension du mal doibt trouver quelque lieu. A
ce que j'entends, il y a en leurs conseils deux diverses
qualités de personnes, les ungs desjà abandonnés des
médecins, les aultres aulcunement disposés au repos,
le trouvant avec commodité. Quant aux vollonlés des
peuples de leur parti, il est certain que la plus grand
part maintenant sont à la paix , et quasi tous ceulx
qui ne sont de la faction espaignole, d'autant qu'ils
ont recogneu que le secours estranger, par lequel ils
«e promettoient d'estre promptement délivrés des
3l4 LETTRE DE M. DE FLEURY
maulx où ils se voyent plongés , ne sert qu'à les y
entretenir dadvantage; c'est pourquoi les chefs et les
partisans, parce qu'ils prétendent faire en ce siège,
est de faire quelque grand effect à ceste heure que sa
majesté n'a pas ses meilleures forces; mais quand les
ayant rassemblées, il se verra qu'ils n'auront rien ad-
vancé, je crois qu'ils embrasseront plus la paix qu'ils I
n'auront jamais faict. Sur le beau rapport de ce lac-
quais, qui feut jeudi matin, M. de Villeroy, à ce qu'il
me dict, escrivoit; dont il attendoit bientost response;
laquelle receue, si elle n'apporte contentement comme
il y a apparence, j'estime que son debvoir et honneur
l'obligent de s'en aller trouver M. de Mayenne, et lui
faire prendre ceste resolution, que cela justifie la sin-
cérité qu'il a apportée en ceste negotiation; aultrement
je le tiens ruyné de réputation, et le premier me
plaindre de lui, non tant pour mon regard que pour
le respect de ce que vous vous y estes engagé. Le sieur
du Gay arriva hier de Pontoise ici avec le sieur de
Lomenie. Il m'a dict que partant vendredi d'Abbeville,
M. de Mayenne lui donna ung mot de lettre, et le chargea
de dire à M. de Villeroy, qu'il le pryoit sur tous les plai-
sirs qu'il lui sçauroit jamais faire, de l'aller trouver
pour resouldre avec lui de ses affaires; car, à ce qu'il a
peu descouvrir, il est combatteu de divers conseils, ayant
par delà le vicomte de Tavannes, comme les aucteurs
de ceste farine, et le mal est que le comte Charles avec
ses forces , qu'il pense n'estre de six à sept cens che-
vaulx, et deux mille hommes de pied, apportent quel-
ques deniers pour distribuer aulx François , dont ledict
sieur de Mayenne et M. de Guise estoient en très grande
nécessité-. Ledict du Gay n'a apporté aulcunes lettres
du président Jeannin , pour ce qu'il estoit allé trouver
A M. DUPLESSIS. 3(5
lors madame de Guise. Pour son faict il m'a conté que le-
dict sieur de Tavannes qu'il ne cognoissoit aulcunement ,
lui dict que s'il voulloit lui donner cinq cens escus ,
il seroit jugé de mauvaise prise, sinon il seroit con-
damné. Cela feut cause que ledict sieur de Mayenne,
encores qu'il veist la justice de sa cause, n'osa leur
contredire au conseil ; mais puis après lui a donné
une descharge avec toutes les excuses qu'il est pos-
sible. Ce que je vous escris, afin de juger par là ores
qu'il eust bonne vollonté en l'affaire qui se traicte ,
il ne s'en tirera pas si quelques ungs ne lui font tran-
cher le faulxbourg. Vous me pardonnerés, s'il vous
plaist, monsieur, si j'abuse de vostre patience en ceslc
longue et ennuyeuse lettre , ce que je n'eusse entre-
pris si vous eussiez esté à la court; mais l'honneur
que vous me faictes de me permettre de me plaindre
avec vous en ceste cause , vous suppliant de croire
que si je ne puis obtenir d'eulx dadvantage, encores que
ma voix soit bien foible, crierai je si hault que l'on
sçaura comme les choses se sont passées; pryant Dieu
de les réduire en meilleur sens , et vous donner, etc.
CXI. — LETTRE DE M. DE VILLEROY
A M. de Fleurj, em'Ojee et communiquée par ledict
sieur de Fleurj à M. Duplessis.
Vous aurés veu du Gay, qui vous aura dict comme
il ne m'a apporté aulcune lettre du président Jeannin,
! duquel je n'ai depuis voix, ni vent, dont je suis pic-
qué jusques au vif. Cela m'augmente le désir de son-
ner ma retraicte, et d'en user le plustost qu'il me sera
3 1 6 LETTRE DE M. DE VILLEROY, etc.
possible. C'est pourquoi je vous supplie y adviser , et
me faire avoir un g passeport pour aller voir ma sœur ,
et ma maison pour six mois , en attendant que l'on
puisse mieulx faire. Car si ces gens sont resoleus à con-
tinuer la guerre , je me resouds aussi de ne demeurer
plus avec eulx. Je l'ai escrit ainsi ce matin au chef de
ce parti, avec mon advis sur les affaires; mais je n'en
attends aucung fruict, puisqu'il a faict si peu de
compte de l'expédient que j'avois proposé. Je vous
envoyé ung paquet de vostre maison que je receus
hier au soir, et prye Dieu qu'il vous conserve en
santé , me recommandant à vostre bonne grâce.
Du 22 avril i5qi.
CXII. — LETTRE DE M. DES REAUX
^ M. Duplessis.
Monsieur, j'ai receu vos lettres, encores que vos
gens ne feussent ici , ayant ouvert vostre paquet ,
lequel j'ouvris sur l'asseurance que M. de La Verrière
me donna , qu'il y en avoit pour moi. Je ferai distri-
buer les lettres qui y estoient conteneues selon que
les addresses se trouveront. M. de La Verrière a esté
reteneu par le roy, nonobstant toutes exceptions, voul-
lant qu'il serve à la bataille , à laquelle sa majesté
se prépare de tous poincts quand ses forces seront
veneues, et ne veult ouïr parler d'aultre chose. Trou-
vant neantraoins très bon que vous usiés de vostre
prudence , non moins que de vostre patience ; à celle
fin de donner tousjours le tort aulx ennemis, lesquels
arrivèrent hier à Rouen , et se sont logés au dessous
LETTRE DE M. DES REAUX, etc. 3i7
de la ville vers le deux; c'est à dire pesle mesle, la
A'ille entre deux. Nous croyons qu'ils feront diligence
pour n'en venir à la meslee. MM. de Longueville ,
d'Huniieres et force aultres doibvent arriver aujour-
d'hui, niesmes M. de Rubempré. Si les aultres pro-
vinces voisines font pareille diligence, je pense que
nous les verrons, niesmes s'il va à Caudebec, où M. de
La Garde est en resolution d'y bien faire. Peult estre
qu'après ceci il y aura plus de volonté et de moyen de
traicter. C'est pourquoi il est très à propos, s'il est
possible, que la rupture vienne d'eulx. Bien souvent
l'on se veult mocquer que l'on est contrainct de fiire
à bon escient. Excusés moi je vous prye de plus; car
je m'endors, ayant esté toute nuict en garde avec le
roy. Sur ce, monsieur, je prye Dieu vous conserver
en ses sainctes grâces. Vostre plus affectionné serviteur.
Des Re\ux.
A Gouny, le 22 avril 1692.
CXIIL — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Au roy.
Sire, je partois aujourd'hui avec ceulx qui vont
trouver vostre majesté, sans celle que MM. de La Ver-
rière et des Reaux m'ont escrit , que vostre majesté voul-
loit que je patientasse jusques à une response de M. de
Villeroy, pour n'estre blasmé de la rupture de la ne-
gotiation. J'interprète cela à quattre jours au plus ,
pendant lesquels je me promets que je ne perdrai
l'occasion de me trouver à poinct nommé près de
vostre majesté , puis qu'elle attend quelques forces.
3r8 LETTRE DE M. DUPLESSIS
Et pour ce M. de Fleury m'estant veneu voir ici,
nous avons pris advis que M. de Villeroy debvoit des-
pescher demain matin homme exprès pour avoir res-
ponse, qui sera ici dimanche. Peult estre qu'ils auront
voulleu se contenter d'une vanité; car ainsi appelle je
le secours pretendeu de Rouen , s'ils ne font aultre
chose; ne pouvant y mettre des vivres par eau , tandis
que vos vaisseaux y demeurent, ni par terre du pays
circonvoisin , pays ruyné, ni du lointaing sans temps,
péril et peine. Quoi qu'il en soit, j'advertirai vostre
majesté de tout, soit présent, soit par lettres; mais
présent si je n'y vois ung bien évident subject. Il est
certain que vostre ennemi ne craint, sinon que vostre
majesté ne résolve à patienter , parce qu'il n'y peult
vivre. Certain aussi que le duc de Mayenne ne pré-
tend secourir Rouen suffisamment, quoi qu'il y fasse;
et voit bien qu'au mieulx aller d'une contineue ils tom-
beront, comme Paris, en une ectique. Or, sire, elc.
De Mantes, ce 23 avril i5g2.
CXIV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. des Reaiiœ.
Du aS avril iSga.
Monsieur, vous prenés l'action, et me laissés à la
passion ; car ainsi dois je appeler ma patience ; nuée
sans eau , qui en terre si stérile ne peult produire beau- \
coup de fruict. Mais je la borne dans quattre jours, en
dedans desquels aussi M. de Villeroy aura response
d'une vive recharge qu'il faict aujourd'hui , pour
asseurer ou désespérer cest affaire. En cest exil , faictes
A M. DES RE AUX. 319
moi part de vos nouvelles, et ne soyés tant assourdi
de vostre salade, que vous n'escoutiés, si on vous le
demande, quelque propos de paix, que Dieu doint
certes ; car les hommes n'y peuvent plus gueres. Je le
supplie, monsieur, etc.
Et par apostille estait escîit : Vous ne me mandés
poinct ce qu'a dict ou faict Chevallerie, qui promettoit
ici merveilles.
CXV. — LETTRE DE M. DUPLESSTS
A M. de La Verrière.
Du 23 avril i5q2.
Monsieur , j'ai receu les vostres. Vous avés pris le
meilleur parti, la bataille; et me laissés une nego-
tiation stérile. Toutesfois, si sa majesté l'a agréable,
je patiente , sauf à borner ma patience en dedans quattre
jours, pendant lesquels M. de Villeroy aura response
d'une despesche qu'il faict aujourd'hui vers M. de
Mayenne. Et je me promets, puis que sa majesté attend
ses forces, qu'en temporisant la paix je ne perdrai les
occasions de la guerre. Or, monsieur, etc.
CXVl. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Villeroy.
Du 24 avril 1692.
Monsieur, je laisse à M. de La Verrière à vous es-
crire des nouvelles. Sa majesté m'escrit, et trouve bon
que j'attende une response , encores qu'elle a de grands
320 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
ombrages de ceste negotiation. M. de Bassompierre
a mandé au président de Rouen que ceulx s'abusent,
qui pensent negotier la paix, si le roy ne se faict ca-
tholique. M. de Guise a veu M. de Humieres, et lui a
dict qu'il faull qu'aultres personnes s'en meslent que
les sieurs de La Chastre et de Villeroy ; et qu'il est
besoing que les Espaignols parlent. Le pis est que
plusieurs lettres ont esté prises de M. de Mayenne es-
crivant aux villes, qu'il a recherché les moyens d'avoir
la paix avec le roy de Navarre, mais qu'il n'y a voulleu
entendre. En quoi, oultre la mauvaise foi, paroist la
mauvaise intention. Sa majesté en est justement of-
fensée; et toutes fois me commande encores patience,
que je mesurerai à la response que nous attendons.
Quelque. despesche de M. de Villeroy escrivant en l'ar-
mée ennemie a esté prise et portée au roy, lequel l'a
envoyée à M. le président Jeannin. Il n'y a poinct de
mal qu'il soit adverti de ce que dessus. J'espère, veu
les forces qui fondent au roy de tous costés, qu'au
premier jour V Hosanna sera changé en la passion.
Que Dieu doint, etc.
CXVIT. — LETTRE DE M. DE VILLEROY
A M. de Fleury y envoyée et communiquée par ledict
sieur de Fleuij à M. Duplessis.
Monsieur, j'ai bien considéré tout ce que vous
m'avés escrit. Quant à moi , je dis que M. de Mayenne
doibt embrasser la paix à mains joinctes , et que s'il ne
le faict il en maudira l'heure. La Chevallerie ne m'a
rien dict digne d'estre escrit , et crois que M. de Guise
LETTRE DE M. DE VILLEROY, etc. Sat
U parlé à M. d'Hiiniieres comnie il l'entend. Vous sçavés
ce que je sçais de l'intention de M. de Mayenne, car
vous avés veu tout ce que l'on m'a escrit, et ne vous
ai rien caché. Mais il me semble que l'on me feroit tort,
si l'on voulloit se prendre à moi de ce qui en succé-
dera. Vous sçavés ce que j'en ait dict, comme a faict
M. de La Verrière. Et toutesfois il semble par les mots
de sa lettre, que vous avés notés, qu'il ait promis ou
espéré plus que je ne lui ai promis pour ce regard.
Si ces messieurs , qui ont pris et veu mes lettres,
m'eussent envoyé demander mon chiffre pour les mieulx
entendre, je leur eusse envoyé très volontiers; car je
ii'escris rien de contraire à ce que je leur dis, et vous
mande tous les jours sur ce faict là. Je vous prye de le
croire ainsi ; et que je fais ce que je dois et ce que je
puis pour la paix; ce que je continuerai jusques au
bout ; n'ayant receu de la part de Halincourt aulcune
lettre ni advis depuis la réception de celle qui m'a esté
apportée par M. de Castelnau. Au reste, je trouve fort
estrange que M. de Mayenne ait escrit aulx villes de
son parti que le roy ne veult poinct la paix, car
il n'a poinct d'occasion de le faire. Et si je pense que
c'est chose qui ne lui peult servir, que de mander
qu'il l'en ait recherché. Je m'arreste plus à la lettre de
Bassompierre, pour ce qu'elle est conforme à ce que
vous sçavés que l'on m'a tousjours mandé de la con-
version du roy, estimant et colligeant de là que peult
estre l'on voudra s'arrester à ce poinct là, dont nous
serons esclarcis par la première lettre que nous rece-
vrons d'Halincourt. Je vous envoyé le passeport que
demande M. de La Verrière de ce gouverneur, mais je
le supplie aussi qu'il n'en soit abusé. Je n'ai veu le
Mémoire de ceulx que demande M. Duplessis , que vous
MlÏM. r>F. DUPLESSIS-MORHAY. ToJTF. V. m j
?yxi LETTRE DE M DE VILLEROY, etc.
me mandés par une de vos lettres que vous m'envoyés,
et désirés que je vous renvoyé. Il fault que vous l'ayés
oublié. J'en ai escrit suivant ce que vous m'avés ci de-
vant mandé, et mesme par nostre dernier trompette.
Au demeurant, je vous jure n'avoir aucung advis du
succès de l'affaire de M. le comte de Soissons, dont si
j'apprends quelque chose je vous ferai part, comme je
vous prye me faire de ce qui succédera. Pryant Dieu
qu'il vous conserve en bonté santé.
Du 25 avril ib^i.
CXVIII. — ^ LETTRE
A M. de Bouillon.
Du 2 5 avril \5c)i.
Monsieur , puisque sa majesté le me commande et
selon vostre advis, je patiente encores, mesurant tou-
tesfois ma patience à quattre jours, qui nous appor-
teront response si on a envie ou non de bien faire,
et ne vous puis celer que beaucoup de choses me
donnent ombrage ; mais j'estime qu'es affaires de telle
importance, il ne fault pas tout voir, parce que qui
s'arresteroit à tout ce qui justement peult troubler
un^ esprit de souspçon, n'en viendroit jamais au bout,
tant y a de gens qui traversent le bien , et sont aises
de semer des espines sur les chemins qui y semblent
mener. Au moins je me repose sur l'honneur que me
faictes de m'aimer, que, s'il se présente occasion qui
mérite, vous ne me lairiez pas ici parlementer en vain,
et vous supplie très humblement de vous en souvenir.
M. Le Grand n'a poinct occasion de se plaindre de
moi; j'ai escrit au roy selon la fidélité que je lui doibs;
LETTRE A M. DE BOUILLO?;. 'il 3
que personne véritable m'a dict que lui avoit
dict qu'ung seigneuravoit escrit à madame la princesse
de Condé , qu'elle faisoit bien de continuer le desseing
qu'elle avoit, et que quand monseigneur le comte son
fils seroit marié , le roy Thonoreroit , estant le naturel
de tous les princes de faire cas des baultes entreprises
et aultres choses; à ce propos je n'ai point nommé
M. Le Grand; je ne sçais qui l'a interprète ainsi , bien
que je n'en ai parlé à personne, ains escrit au roy seul,
et h cela le cognoistrés vous que je ne vous en ai rien
mandé, cequ'apres le roy j'eusse faict plus premièrement
qu'à quelconque aultre ; cela me fera plus retenir une
aultre fois. Cependant, monsieur, je vous suis obligé
de la peine que vous prenez de m'advertir. J'abuse de
vostre occupation et de mon loisir à vous faire ceste
plus longue. Mon frère n'a point receu commande-
ment de marcher, dont il est ung peu picqué , et lui
semble sa majesté mandant les compagnies de ces quar-
tiers où il a charge, qu'il debvoit avoir receu comman-
dement de les mener ou faire acheminer. Nous sommes,
monsieur, vos très humbles, etc.
CXIX. — ^ LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Duplessis.
Du 25 avril î 5q2.
Monsieur, je vous avofs hier escrit, quand je receus
les lettres, celles de M. de La Verrière. Jai , ce matin,
donné advis de tout à M. de Vilkroy attendant dans
cejourd'hui la response que je vous ferai certain et
demain de bonne heure, de ce qu'il m'apprendra dad-
324 LETTRE DE M. DE FLEURY
vantage; mais à mon opinion qu'il me dira de plus près
ce que j'escris audict sieur de La Verrière , et qu'enfin
j'en sçaurai autant quasi que lui, ne m'ayant rien dé-
guisé; ains faicte beau ses principales despeclies, les-
quelles, comme je vous ai représenté, ne sont poinct
déclarations de bouche faictes particulièrement pour
lui dire; car, oultre ce qu'il en a entendu de M. de
Mayenne, son fils lui a directement rapporté, M. de La
Chastre confirmé et dadvantage tant de lettres du pré-
sident Jeannin, avec asseurance et sermens , et lettres
mesmesde lui , pour non seulement tesmoignage, mais
gage de sa volonté , se faisant encores autant ou plus
de fondement sur la considération de son humeur et
Testât de ces affaires , de sorte qu'à mon advis , quand
il seroit trompé , celui qui sçaura comme les choses
sont passées, jugera qu'il a eu plus de raison de l'estre
que d'en croire aultrement. Je ne puis que dire, sinon
qu'ils seront abandonnés de Dieu , pour sa ruyne et la
nostre. Je le supplie neantmoins qu'il les veuille mieulx
disposer pour la conservation de ce pauvre estât dont
il a eu tousjours soin , et qu'il vous donne , mon-
sieur, etc.
GXX. — -^ LETTRE DE M. DE FLEURY
A M. Duplessis.
Du 25 avril i5g2.
MoiNSiEUii, je vous envoyé la response de M. de
Villeroy, conforme en aulcung poinct à ce que je m'en
estois représenté; vous verres comme il trouve estrange
ce que vous nous mandés avoir esté esciit aulx villes.
I
I
A M. DUPLESSIS. 32 5
Le retour du trompette qui a esté despesché avec mon
homme, à mon advis, nous esclaircira de leur inten-
tion pour y prendre le conseil qu'il conviendra; mais,
ainsi que je vous ai mandé, il est impossible qu'il soit
de retour au temps que nous avions projette , encores
que l'on y use de toute la diligence que l'on sçauroit
désirer, comme il me promet que l'on fera; mais ce-
pendant je ne pouvois penser que ledict sieur de Yil-
leroy n'eust response à aulcunes de ces lettres si pre-
gnantes encores , que la resolution de cet expédient
leur faict difficile , et que pour Testât de leurs affaires
ils rougissent s'excuser de ne pouvoir sitost qu'ils
avoient promis à y respondre , si ne pouvoit il moins
que d'en advertir, et, monsieur, en ce malheur, il
vaut mieulx que la faulte soit de leur costé que du
nostre. Dieu nous donne la grâce qu'ils veuillent repa-
rer, monsieur, après, etc.
CXXI. — LETTRE DU ROY
A M. Duplessis.
MoKSiKUR Duplessis, vous avez bien faict de de-
meurer, et ne laisser l'advantage aulx aultres de dire
que nous avons rompeu les premiers; ce que je serai
bien aise que vous ne fassiés encores tant que vous
verres quelque lieu de plus longue attente. Je partis
hier de nostre logis d'au deçà du Pont de l'Arche, et
vins coucher en ce lieu , en intention d'estre bien tost
près des ennemis , lesquels sont devant Caudebec ;,
qu'ils n'avoient point commencé encores hier de battre
qu'aux deffenses. J'ai chassé en passant des gens qu'ils
3i6 LETTRE DU ROY
•ivoieiit laissé à Martiiiville el clans ce chasteau. Je
prye Dieu qu'il vous ait, monsieur Duplessis, en sa
saincte garde. Escrit au camp de Fontaines de Bourg,
le uô*^ jour d'avril iSga. Signé Hei^ry ^
Et plus bas , Revol.
Et ici y es Mémoires de M. Duplessis , est escrit par
apostille ce qui ensuit :
Est à noter qu'après que M. Duplessis eust ache-
miné la negotiation de la paix si avant, que, sur le
rapport qu'il en feit au roy à Gisors, lui et M. de
E.evol eurent commandement du roy en plein conseil ,
d'en dresser l'edict. Ceux qui voyoient qu'elle se con-
cleuroit sans que le roy feust o^jligé de changer de
relligion ,- prirent occasion pour la rompre de le faire
cjivoyer à Quillebœuf, pour en tirer le sieur Dufai,
qui s'en estoit saisi; dont, et de la conséquence de
ceste rupture, il protesta au roy.
M. de Villeroy se plainct en ses Mémoires que
M. Duplessis divulgua tout le secret de leur negotia-
tion en présence du roy, et de plusieurs de son conseil
àBuhy; sur quoi semble à propos de remarquer en ce
lieu: 1°. que ledict sieur de Villeroy ne dict poinct
avoir aultre certitude de cela , sinon qu'on le lui escri-
voit ainsi de la court; 2". oî^i il dict avoir remarqué
que ceulx avec qui il conféra, estoient jaloux de ce
que le sieur Duplessis avoit seul negotié ce faict ; que
M. le mareschal de Biron , notamment, avoit faict dire
h M. le président Jeannin , que chacungse scandalisoit
de ce qu'on faisoit traicter avec ledict sieur Duplessis;
et que le mareschal d'Aumont s'estoit plainct de ce
que cest affaire se traictoit avec ledict sieur Duplessis,
huguenot, et grandement suspect aulx catholiques;
A M. DUPLESSIS. 027
d'où il appert que ledict sieur Duplessis estoit envié
de force gens en court, qui taschoient de lui oster
ceste negotiation des mains; à la charité desquels on
peult par conséquent avec toute apparence attribuer
les advis que le sieur de Villeroy avoit du peu de secret
qu'il dit avoir esté teneu par ledict sieur Duplessis en
cest affaire; 3". ce que semble aussi induire la contra-
riété des propos qu'il lui attribue; car, lui faisant dés-
espérer de la negotiation tout à faict, peu après estant
avec lui il ne lui dict rien, dict il, de ce qui s'estoit
passé , et ne lui tesmoigne poinct le desespoir qu'il
avoit des affaires; mesmes , qui plus est, ce que disent
MM. d'O et de Beaulieu audict sieur de Villeroy estant
à Gisors , semble signifier que le sieur Duplessis tenoit
la negotiation pour plus que demi faicte , bien loing
d'en avoir désespéré, selon ce qu'il raconte aussi que,
passant à Vernon, il avoit asseuré le cardinal de Bour-
bon qu'il avoit concleu le marché avec M. de Villeroy,
ce qui s'accorde très bien avec l'apostille insérée ci-
dessus; 4°« est estrange que ledict sieur de Villeroy,
ayant ung si grand subject de mescontentement du
sieur Duplessis, qui avoit, contre la foi donnée, publié
le secret, après cela neantmoins s'adresse par deux fois
à lui pour parler au roy; et mesmes sans s'esclaircir
avec lui de ce pretendeu grief, sans lui en dire mot;
sans qu'aussi ledict sieur Duplessis de sa part lui en
entamast le propos; ains lui disant au contraire qu'il
estoit besoing qu'il veist sa majesté et les mareschaulx
deBiron et de Bouillon; le sieur de Villeroy lui mesmes
raconte que le roy lui dict, lorsqu'il le veit, qu'il avoit
du desplaisir des bruicts qui couroient de sa negotia-
tion ; qu'il ne scavoit h qui s'en prendre; mais qu'il
328 LETTRE DU ROY A M. DUPLESSIS.
recognoissoit assés n'y avoir faulte de gens auprès de
lui, qui craignoient autant la paix et la prospérité de
ses affaires qu'il la desiroit ; que ceste faulte n'estoit ,,
veneue de lui et de son consentement, ni, à son advis ,
de ceulx qu'il y avoit employés ; voullant , dict le sieur •
de Villeroy lui mesmes, entendre ledict sieur Duplessis;
5". par où le roy justifie le sieur Duplessis tout évidem-
ment, ce qu'il n'eust pas faict s'il eust esté coulpable
de ceste faulte pretendeue, de laquelle les advis sus-
mentionnés portoient que ledict seigneur roy estoit
demeuré bien offensé; 6°. adjoustés que dans les re-
gistres, papiers et Mémoires dudict sieur Duplessis ne
paroist aucune trace de ce sien desespoir de la nego-
tiation , ni de tous les propos qu'on prétend qu'il teint
à sa majesté à Buhy ; quoique de tout le reste de la
iiegotiation , comme il est aisé à voir en conférant ces
Mémoires avec ceulx dudict sieur de Villeroy , le pro-
grès et la suitte soient assés exactement représentés, et
conformément à ce qu'en a laissé ledict sieur de Vil-
leroy en sesdicts Mémoires; 7°. et certes ledict sieur
Duplessis lui mesmes, quelques mois devant sa mort,
oyant lire les Mémoires de M. de Villeroy, protesta sur
cest endroict n'avoir jamais teneu tels discours au roy ;
de sorte que je ne fais poinct de double que cette ne-
i^otiation n'ait esté rompeue de la sorte qu'il est ici re-
présenté , et non aultremenl..
LETTRE DE M. DE ILEURY, etc. 329
CXXIJ. — ^ LETTTxE DE M. DE FLEURY
u,^ 31. Duplessis.
Du 29 avril i5n2,
MoNSiEUK, celui qui fut hier envoyé vers M. de
Villeroy, est retourné ce jourdliuy avec la despesche
que l'on désire, qui est le duplicata (à ce qu'il dict)
de sa dernière, conforme à trois précédentes sur le
mesme subject, dont s'il a plustost lespondeu il n'y
flmldra de me donner advis; il a esté d'opinion que le
susdict et ung trompette qu'il lui a donné, allassent
pour plus grande seureté tout droit en l'armée du roy,
où il sera baillé ung passeport audict trompette pour
estre porteur de ladicte despesche, ayant exprès com-
mandement rapporter incontinent la response ou s'en
revenir sans icelle ainsi que escript au président Jean-
nin, ce qu'il tiendra pour refus; mais il a estimé à
propos que ledict Rousselet y allast pour aulcunes rai-
sons qu'il m'a faict entendre, entre aultres, que s'il
estoit rencontré par les estrangers, il seroit mené au
duc de Parme qui en prendroit ombrage , mesmes qu'il
est cogneu estre de ceste maison par quelques ungs
qui ne veuillent le bien, aussi que M. de Mayenne et
le président Jeannin ne se vouldront déclarer de bou-
che, de sorte que ledict trompette seul fera le mesme
effect; mais il attendra en l'armée de sa majesté pour
revenir ensemble; car, oultre que par ce moyen il y
a plus de seureté, c'est quasi le chemin , ils sont ailes
coucber à Andry.
33o LETTRE DE M. DE FLEUR Y
I
CXXIII. — ^ LETTRE DE M. DE FLEURY î
^ M. Duplcssis.
Du dernier avril i5y2.
Monsieur, je ne serai point en repos que je ne
sçache si vous estes arrivé à Mantes sans courir for-
tune, veu Tadvis qui nous a esté donné de la partie
que l'on vous dressoit. Ungpeu après vostre partement,
il est arrivé ici ung messager de la paît de M. le pré-
sident Jeannin , despesché à Rouen des le 27 de ce
mois, pour sçavoir de M. de Villeroy s'il avoit receu sa
response, le pryant de Tadvertir de ce qu'il avoit
avancé par deçà avec asseurance; que, de leur costé ,
ils continuoient en la voUonté et resolution , qui lui
avoit déclaré à quoi il travailloit de son possible, et
mesmes, estant audict lieu de Rouen, y avoit despesché
M. de Villars ; njais qu'ils estoient en grand peine de
conduire les choses secrètement, à cause des Espai-
gnols qu'ils craindroient moins d'offenser si les affaires
vont bien par deçà. Ce que j'ay remarqué digne de le
vous faire entendre; il ne faict aulcune mention du
trompette; mais il est à juger que son absence de leur
armée a esté cause de la longueur qui est interveneue.
Ledict M. le président Jeannin faisoit estât de s'en re- 1
tourner; ce qui nous faict espérer que ledict trompette
ne tardera plus gueres à revenir pour ces raisons ;
M. de Villeroy a esté d'opinion de vous supplier de ,
pourvoir tellement à la seureté du porteur de sa des- 1
pesche qu'elle soit rendeue à celui à qui elle s'adresse ;
car il importe grandement qu'il la reçoive bientost , et
que l'on en aye response. Il vous plaira aussi, mon-
I
A M. DUPLESSIS. 33 l
sieur, me faire entendre tout ce que vous jugerés estre
requis pour acheminer les affaires et avoir quelque
lumière des contentemens particuliers, et d'autant
que M. de Villeroy n'a passeport valable si lui con-
venoit de s'aboucher avec M. le président Jeannin, ni
mesmes pour aller aultre part qu'à l'armée du roy ; il
vous supplie lui en voulloir faire avoir ung pour aller
là par oii il sera besoing avec vingt chevaulx , et pour
deux mois. M. de Villeroy, le grand père , suivant la
pryere qu'il vous a faicte, m'a chargé de vous envoyer
celui ci pour le faire aussi s'il vous plaist depescher;
j'estime que le trompette nous rapportera ceulx dont
nous avions ci devant escrit, principalement celui du
président Le Maistre, pryant Dieu, etc.
Et plus bas : L'on mande au susdict qu'après la
reddition de Caudebec il y a eu deux grands vaisseaux
d'Anglois enfoncés à coups de canon; que puis après
leur armée estoit allé présenter la bataille que tous les
leurs monstroient fort désirer; mais qu'après avoir faict
la mine de part et d'aultre, les aultres s'estoient relires,
ne pouvant ladicte armée subsister gueres de temps.
CXXIV. — MEMOIRE DE M. DUPLESSIS, .
Em^ojé dans Rouen durant le siège ^ sur la ^fîn de
mai 1592, le roy estant à Yvetot.
On voit en quel estât est la ville de Rouen , et le
peu de secours qu'elle peult attendre de l'Espaignol ,
puis qu'estant veneu pour l'avictuailler, elle est re-
duicte à le nourrir lui mesmes.
Combien aussi la retraitte de l'Espaignol lui sera
332 MEMOIRE
difficile devnnt ceste florissante armée de sa majesté,
devant laquelle il ne faict que buissonuer; et n'en doit
on attendre au premier jour qu'une misérable des-
route.
Cela avenant, comme on le voit à l'œil, qui doubte
que la ville de Rouen ne soit contraincte de se rendre
la corde au col à sa majesté, perdre ses privilèges,
recevoir de rigoureuses loix, et telles que peult mériter
une ville , qui, par sa désobéissance obstinée, a reduict
son prince à bazarder son estât , et la liberté , vie et
moyens de ses bons subjects , tout en ung jour contre
l'ennemi estranger.
Le remède seroit que les bons aulxquelsil reste ung
cœur touché de leur debvoir; ceulx mesmes qui au-
roient esté ci devant abusés par les vains prétextes et
enchantement de la Ligue, se résolussent à prévenir
ceste ruyne , par une conversion au service de S. M. ,
bien et repos de tout le royaulme et de leur ville ,
.effaçant par là leurs faultes, et le couronnant au con-
traire de mérites.
S'ils attendent les extrémités, on sçait quelles sont
les conditions que donnent les victorieux. On ne leur
en sçaura plus de gré , ains mauvais gré.
S'ils les préviennent , ils les peuvent faire bonnes
pour les chefs et pour les particuliers, pour le corps de
ville et pour les habitans , pour eulx et leur postérité.
La relligion, dont ils ont faict prétexte , ne les doibt
arrester ; car sa majesté leur en donnera telle seureté
qu'ils sçauraient désirer ; et cela estant, ils n'ont plus
rien à dire.
La présence de l'Espaignol au contraire, auquel on
les veult vendre et livrer par ces traictés, les doibt in-
citer à se desvelopper; et ne peuvent prendre plu'i
DE M. DUPLESSIS. 331
honorable subject que cestui là , pour revenir à leur
debvoir, n'ayant jamais esté leur intention aultre que
de maintenir leur relligion , et non d'estre aultres que
François.
Ceulx qui entreprendront cest affaire seront loués
de toute la France, obligeront la postérité, seront
grandement rémunérés du roy ; et n'est question sinon
de se rendre maistre d'eulx mesmes, en secouant l'in-
solence du joug de ceulx qui les oppriment.
Et s'ils en veullent venir là, et s'en faire entendre
à quelqu'ung, il y a personne qui leur donnera con-
tentement sur ce qu'ils peuvent désirer, soit en gêne-
rai, soit en particulier, et en sera très bien avoué,
quand et de qui il appartiendra.
Grande misère à une ville de telle qualité, si elle le
sçaitcognoistre d'estre aujourd'hui en cest estât, que par
l'advantage de ceulx qui lui promettoient secours, elle
soit en proye à l'Espaignol , qui lui ose reprocher sa
liberté et sa vie ; que par la victoire de son prince
d'aultre part tout évidente, elle soit sur le poinct
d'estre en exemple à ses voisins des calamités qui sui-
vent la rébellion; et il est encores temps, si elle veulfe
penser à soi , de se desvelopper de ceste peine.
Quant à celui duquel on désire le soulagement, il
y sera pourveu au contentement de ceulx qui le sou-
hai'tent.
334 LETTRE DU ROY, etc.
CXXV. — -^LETTRE DU ROY
A madame de Moritpensier. (i)
I
MadA-ME, je suis si désireux de la continuation de
vos bonnes grâces et souvenances, que je n'ai voulleu
laisser partir le sieur de La Guiardiere, présent por- |
leur , sans l'accompagner de ce mot , pour vous sup-
plier me les voulloir tousjours conserver ( comme
chose que je ne tiens moins chère que la bonne vol-
lonté dont il vous a jusques ici pieu me faire démons-
tration) ; et si vous apprenés quelques nouvelles du lieu
que sçavés, me tant obliger, que de m'en faire part,
lesquelles attendant donc , accompagnées des vostres ,
je vous supplierai me croyre tousjours autant disposé
à rechercher les occasions de faire chose qui vous soit
agréable, comme à vous tesmoigner l'extrémité de
l'affection que j'ai de demeurer à jamais, madame,
vostre plus affectionné à vous servir, Henry.
Au camp devant Rouen , ce 17 mai iSga.
CXXVI. — ^ MEMOIRE
Envoyé a M. de La Fontaine.
Du 16 mai i5q3 .
Nous sommes en traicté de la paix. Il ne se fera
rien au préjudice de la gloire de Dieu. Sa majesté pro-
(1) C'esloit concernant la recherche qu'il faisoit de Madame,
sœur du roy Henry TV.
I
MEMOIRE DE M. DE LA FONTAINE. 335
met se faire instruire. Cela nous pourra engendrer
une conférence, peult estre dans six ou sept mois. Il
s'y fault préparer, et pour ce, je lui ai faict trouver
bon que je fisse rendre à Saulmur sept ou huict des
plus notables ministres de France, pour se prémunir,
et me promets, par une méthode que j'ai proposée à
M. de Beaulieu , et qu'il embrasse fort, qu'il en réussira
ung grand fruict. Vous cognoissés son jugement. Je
vous ai nommé au roy entre aultres, et Ta eu agréable.
Je vous prye de me mander si vous vous pouvés trou-
ver audict lieu de Saulmur, et efforcés vous y de tout
vostre pouvoir; car cest ung coup de partie. Ce pour-
roit estre au plus tard dans deux mois. Sa majesté
fournira à tous les frais. Mandés moi aussi vostre ad-
vis, de ceulx qui y peuvent estre employés. Il me tar-
dera que je ne vous aye attaché à ceste besogne là ,
pour l'espoir que j'ai que Dieu auquel nous servons
en sera glorifié. Pour le surplus, ces gens avec qui
nous traictons demandent beaucoup ; mais il en fault
sortir asseurement ; et eulx et nous sommes sur ung
précipice, incertain qui y jettera son compaignon, en
danger, mesmes en le poussant, de tomber quand et
lui. Pryez Dieu pour nous.
CXXVII. — ^ LETTRE A M. DE BUZENVAL
Du 16 mai lôya.
MoNSiEUii , depuis trois jours je ne suis près de sa
majesté que par boutades, mal à propos pour mes
amis , que je pourrois mieulx servir par quelque assi-
duité. Ceste negotiation en est cause; autant néces-
saire à nous , comme en aurés entendeu par mes der-
336 LETTRE
nieres, que la vostre au delà vous estoit périlleuse. Eâ
ratio in proinptu^ nous recouvrons nostre estai par
la paix, et vous perdes le vostre. Plusieurs raisons
nous font bien espérer; la nature, la mésintelligence
avec le duc de Parme , Tinconipatibilité des nations ,
la lassitude des villes, quelques unes moins, les espé-
rances anticipées, tant de chefs à contenter, et cliacung
qui présume beaucoup. Et toutesfois il fault tout faire
pour régner. Aujourd'hui nous avons commencé à
donner forme à ce traicté. Haclemis euibrjo, nunc
cœpit cminiavi; j'ai veu vostre proposition : pevplacuit.
Nos emiemis sont fomentés d'ung secours perpétuel
d'Espaigne; de fois à aultre ils reçoivent argent; de
temps en temps sont reparschis d'hommes; et si le
duc de Parme s'en va , c'est en laissant des forces, et
donnant arrhes de son retour avec plus grandes; nous
aurions ung besoing d'estre assistés de nos voisins de
mesme, d'ung secours certain et assideu ; non d'ung
torrent, aujourd'hui qui ravage les champs; dans trois
jours qui n'abbreuve pas seulement les oiseaux. El eo
jeun venimus. Vostre dignité vous a esté envoyée ,
charge pluslost si on ne vous fournit de quoi la soub-
tenir. Et ce matin, j'ai sommé M. de Bouillon et M. de
Revol, afin que, aginine facto ^ nous importunions
pour vous, pendant trois ou quattre jours que nous
aurons à estre ensemble. Croyés que j'en serai soi-
gneux plus que de moi, des deux mille marcs de
Vendosmois. J'ai faict bailler à M. Jutjlet la comiiussioii
des affaires pour la mort de Matras. Il y a de quoi,
pourveu qu'il soit diligent; et je lui ai recommanda
vostre partie profictable à toutes aultres. Quant à]
Dieppe, je vous ai mandé qu'on l'a tellement espuisee,]
que je n'y ai peu trouver ung seul denier pour moi.
A M. DE EUZENVAL. oS^
J'aurai patience pour les corselets encores , puisqu'ils
ne peuvent prendre argent à La Rochelle. Des tourbes,
j'en ai mis les pièces es mains de M. de Revol , qui
n'est d'advis de rien expédier que ne voyons plus clair
en la paix. Cependant m'a promis que les despesches
en seront faictes en faveur de celui qui vous a mis
l'expédient en main. Il n'y auroit poinct de mal que lui
en escriviés ung mot, et seroit aussi besoing d'envoyer
copie authentique de la despesche qui feut faicte du
temps du roy Charles. Sa majesté s'en est allée à Com-
piegne, pour essayer de donner encores quelque at-
teinte au duc de Parme; mais elle n'a que cavallerie,
et le gros de l'armée est ici. Nous l'aurons, aidant
Dieu , bientost de retour. J'escris à madame la prin-
cesse. Je lui avois trouvé ung fort honneste et capable
personnage pour l'instruction et conduicte de son fils,
que j'avois addressé à M. de Bouillon, mais qui est
mort depuis quinze jours. Vous l'asseurerez tousjours,
s'il vous plaist, de mon bien humble service. Vous ne
m'escrivés rien de vos amours. Je salue humble-
ment , etc.
CXXVIII. — ^ LETTRE A M. DE BEAUVOIR .
Ambassadeur pour le roj en Angleterre.
De Gizors, ce 26 mai i5qa.
MoNSiiiUit, je vous escrivis ces jours passés for^
amplement. Mais ne me veuilles pas mal, si à toutes
occasions vous nen avés; car depuis trois jours j'ai
esté vagabond, et ne me suis rencontré près de sa
majesté que par boutades. La negotiation dont avés
Mém. de Duplessis-Moriîay. TO.IIE V. 2 2
338 LETTRE A. M. DE BEAUVOIR,
ouï parler en est cause, pleine d'escueils et de bancs,
mais qu'il fault eschifer au mieulx qu'on peult pour
parvenir au port. La vérité que ces gens ne se con-
tentent pas de peu , et nous veullent faire acheter Tes-
tât. Mais nous avons à considérer qu'il nous coustera
bien plus cher par la guerre que par la paix , et encores
serons nous incertains de l'avoir, après beaucoup de
temps et de sang espandeu. D'ailleurs , qu ils sont
brigués et marchandés de l'Espaignol, qui n'y espargne
rien., Monopolant dedans les villes, le clergé et la no-
blesse , à deniers descouverts; tellement que nous avons
a mesnager , sans perdre temps , ce peu qui reste en-
cores entre eulx de naturel François , ce peu qui n'est
poinct encores corrompeu de l'argent espaignol. Beau-
coup d'aultres maulx au dedans appellent à remède;
quelques imgs au dehors nous y convient. Et j'espère
que Dieu vouldra encores avoir pitié de nous, ne feust
ce que pour n'eslever pas jusqu'au sommet l'orgueil
trop insolent de ceste nation. Le duc de Parme s'est
retiré , après quelques affronts ; mais laissant son fils
avec partie de ses forces, et arrhes, mesme de son re-
tour, oultre ce qu'il a laissé garnison d'estrangers à
Paris, pour y fortifier les cantons : cela doibt exhorter
les bons voisins à accorder à sa majesté ung secours
continuel, puisque le roy d'Espaigne perpétue ainsi le
sien sans interruption : à quoi je sçais bien, monsieur,
que vous n'obmettés aulcune providence, diligence ni
dextérité. Je vous envoyai , avec ma despesche , la res-
ponse à M. de Bristo. Depuis je n'en ai aulcunes de
vous. Ores, monsieur, etc.
LETTRE DE M. DE LA FONTAINE, etc. 33g
CXXIX. — ^ T.ETTRE DE M. DE L\ FONTAINE
^ M. Duplessis.
Du ig juin iSga.
MoNSîFUR, hier j'ai receii la vostre du 25 mai, avec
le Mémoire et chiffre incleus. A ce que je vois, vous
vous promettes quelque isseue utile de vostre negotia-
tion. Je crains que l'accident de Bretaigne et le succès
du Lorrain ne vous y crée de nouveiles difficultés; et
d'adieurs il n'y apparoist de grandes montaignes à
applanir et vallées \ combler : mais j'ai la veue courte,
notamment à regarder de loing, et puis je sçais bien
ce que peult le maistre à qui nous servons. Quoi qu'il
en soit, c'est ung œuvre par lequel et dehors et dedans
le royaulme, et les vivans et la postérité feront juge-
ment de vostre jugement et dextérité. C'est pourquoi
je prye Dieu qu'il vous y bénisse. La royne d'Angle-
terre en est en jalousie avec les leurs ; elle se plamct
qu'on demande conseil en ce qui lui peult importer en
la mesprise, et à la vérité on le leur avoit promis. On
a trouvé remède au passé; il fault y pourvoir pou,
l'avenir, et croyés moi qu'il est nécessaire. Ce qu'on ;i
entendeu de Bretaigne a ici engendré beaucoup de
murmure, et les mal affectionnés s'en servent. Nous
espérons enfin quelque meilleure resolution. Cepen-
dant M. de Norwick passe de delà avec quelque argent et
armes pour recueilHr ce qu'il a de leurs gens. Le reste
se pourra obtenir; mais à la fsç on de ce pays, et ce
seulement pour Bretaigne ; car, quant au reste , je n'en
espère plus rien, sinon par l'entreveue du roy ef
34o LETTRE DE M. DE LA FONTAINE
de la royne. Elle le désire, et de faict ^ le roy en a la
volonté, il n'y peult avoir plus dimportunite' pour la
saison et Testât des affaires, car on tient que le roy
rapproche, et qu'il veult qu'on nestoye les petites
places de ce coslé. Tout cela oste beaucoup de diffi-
cultés , aultrement considérables. Il ne laisse pas d'y
en rester, que vous pouvés mieulx juger que moi,
toutesfois si sa majesté se pouvoit composer et faire
choix de sa suite. On nous a faict ung chancelier, non
de secrétaire. Slafford se promet de l'emporter, et le
comte d'Essex l'entrée au conseil. Nous n'en serons
pas mieulx pour tout cela; neantmoins pour l'aultre
poinct , il en reussiroit du bien, à mon advis, pour
l'estat présent de ses affaires ; aultrement je crains l'opi-
nion de niespris, lequel engendra tous les courroux,
despits et paroles de l'année passée, de quoi vous
mesmes trouvastes encores les cendres toutes chaudes.
Si vous approchiés avec le roy de nostre costé, et que
j'en feusse adverti , je serois homme pour courir à
vous, et vous faire entendre sur ce ma conception,
et pour communiquer des aultres poincts de vostre
lettre, mais je me double que vous restera une be-
sogne qui vous tiendra trop attaché; et partant, en
attendant, je vous dirai que j'approuve grandement,
en gênerai, l'assemblée de laquelle m'escriviés, et l'ai
estimé du tout nécessaire depuis l'advenement du roy à
la couronne. Je vois bien aussi qu'au temps qui sera
ordonné, il ne fault pas donner non pas mesme appa-
rence de voulloir fuir !a lice; mais, cela posé, je ne
laisse pas d'y voir de grandes et notables difficultés,
premièrement, veu la distance des lieux, d'où il vous
fauit recueillir ceulx de qui vous aures affaire, et les
difficultés qui se trouveront de la part des églises et du
A M. DUPLESSIS. û'ii
danger des chemins. Je ne crains que le temps de
qiiattre mois soit trop court, et, quant au nondjre, si
vous en voullés huict, pour les mesmes raisons il en
fault bien convier douze; le lieu à toute commodité,
notamment à cause de vostre présence et de quelques
auitres hommes prudens et modérés qui y est tota-
lement requise; mais il y fault abondance de livres, et
ne sçais d'où vous les pourries recouvrer dadvan-
tage. C'est une arène où la faulte pour une fois est
aussi périlleuse qu'à guerre quelconque, et neantinoins
si le roy n'a son auctorité pour régler ceste conférence
avec bon ordre et liberté royale, on mettra l'attente
à ce petit nombre de gens des plus savans et doctes,
non pour conférer , mais pour enseigner magistra-
lement. Vous en voyés la conséquence, et vous sou-
venés de l'isseue des estats que quelquesfois nous avons
demandés, et pourtant, s'il se pouvoit faire, ceste
délibération dehvroit induire le rétablissement de l'auc-
torité du roy et de nos églises, et que les esprits des
hommes soient mieulx composés. Je ne laisse pas de
voir la perplexité en laquelle vous estes, et qu'on faict
ce qu'on peult : aus;>i m'excuserés vous , s'il vous plaist,
en mes discours; quant au choix des sieurs, si le temps
le permettoit , j'estime qu'il y fauldroit déférer quelque
chose au jugement des provinces et enlises pour beau-
coup de raisons. Vous cognoissés d'advance mieulx que
moi ceulx de de\h la Loire , il me souvient de Serranus et
ceulx de La Rochelle; ailleurs, oultre vostre bonhomme,
il y a celui qui vous est maintenant voisin, M. de
Merlin de la Vigne, de Sainct Lo, et des
et puis, d'aultre part, M. de Gons Daniel Toussain ;
mais ceslui ci est bien nécessaire en ce temps, en sa
fitation à Genève. Il y a là deux hommes de peu de
342 LETTRE DE M DE LA FONTAINE.
grâce externe, mais doués de beaucoup de grâces; et,
en oultre, il y en a deux aultres à Genève , professeurs
bien doctes. Je ne sçais pas leurs noms; quant à Rotan ,
vous le cognoisses , et a du loisir de se faire cognoistre
à La Rocbelle; mais bien suis je adverti quand il est
veneu de deçà, sa disposition estoit mauvaise, et qu'es-
tant en Savoye, pro se reliqnos nu lia pêne loco habebal
nec mortuos quidem antecessores suos. Aultrement
vous sçavés combien il peult estre utile , et je ne double
poinct que vostre présence ne lui peult esire une bonne
bride. Vous m'avés desjà demandé pour diverses occa-
sions mon advis, touchant M. le baron et M. de La
Fontaine. Quant au premier, je vous puis dire véri-
tablement de lui que c'est ung homme de grand es-
prit, et prompt et exercé aulx disputes publicques
depuis vingt ans et plus; et lequel en ce grand loisir a
beaucoup leu ; que si on se pouvoit asseurer qu'il se
voulleust de tout conformer aulx aidtres, sans doubte
il seroit grandement utile, où il proteste d'approuver
de tout et partout nostre confession de foi. Mais attendeu
qu'on a conceu de lui, par ses leçons ordinaires et
quelques livres imprimés, ce qui la rendeu de mau-
vais nom entre plusieurs, je n'oserois conseiller de
l'appeler entre ceulx où une grande union est tota-
lement requise. S'il ne se présente occasion de vous
voir sur la fin de ce mois de juin , je le pourrai voir et
essayerai de doscouvrir du tout ce qu'il a en l'estomach.
De sa part, il ne demande pas mieulx que de se trouver
en ung beau jour, et prendroit de mauvaise part,
comme je crois, s'il n'y tenoit pas son rang. Pour re-
gard du dernier, il prend grand plaisir à cause du ju-
gement que vous faictes de lui, qui est l'amitié, et
l'aime, cl vous en remercie; mais, quant à la chose en soi,
A M. DUPLESSIS. 34^
il VOUS piye l'excuser, s'il n'y peult soubscrire. Mon-
sieur, on vous nomme ung beau catholique, et avec
beaucoup d'aultres de vostre cognoissance, pour choi-
sir, et ce de diverses qualités. Comme il est bien be-
soing , il demande donc que c'est qu'il feroit là entre
tant de cygnes, et ne pense pas que ce soit humilité
affectée. Il ne me paroist pas avoir quelque dextérité et
usage en sa charge ordinaire par la grâce de Dieu ; mais
en ce que vous requerés, il n'est pas besoing de telles
choses : or , il a tousjours esté en l'action et en de
grandes églises , entre beaucoup de distractions et af-
faires, sans loisir quelconque, et n'a jamais esté nourri
aulx exercices scholastiques , joinct quelque indisposi-
tion naturelle, dont il vous toucha dernièrement, et
quelques aultres raisons que je vous déduirai sur
l'aultre poinct de vostre lettre , partant , veu que vous
en avés une centaine qui lui sont à préférer; et, certes,
il dict vrai en une telle action. Je vous supplie, mon-
sieur, sur tous les plaisirs que vous lui pourries faire,
et voudriés se le reserver à quelque aultre chose qui
soit selon sa portée. Cest aultre poinct de vostre lettre
que j'ai touché, est touchant quelqu'ung pour la pro-
vision ordinaire de vostre église , et pour le soula-
gement du bon homme. Ores, voici la response que: je
vous y puis donner comme de sa bouche : Vous sçavés
que Testât de ce pays ne lui agrée pas beaucoup , où
les choses ne vont pas en amandant. Il voit aussi que
vous croyés , oultre ce qui vous est serviteur, que vous
ne lui pourries offrir ni plus grande faveur, ni plus
grand jour : ce qu'il sçait bien recognoistre, à quoi
aussi beaucoup d'aultres choses l'attireront volontiers;
mais il vous laisse à juger ce qui est à faire. Sa pré-
sence, peult estre, n'est pas ici inutile à foutes nos
344 LETTRE DE M. DE LA FONTAINE
églises estrangeres, possible mesmes, en quelque sorte
à nos affaires de France, jusques à ce qu'il soit révoqué
ou par son ancienne église, ou par le mesme synode.
Les églises ici se formaliseront s'il départ sans grande
nécessité, peult estre mesmes la royne; elle l'a dict quel-
quesfois; d'aultre part le remuement et transport des
familles en ce temps ici n'est pas aisé, ni asseuré.
Bref, monsieur, il nous fault estre conscientieux en
faict de vocation telle notamment. Partant il vous
respond ouvertement qu'en ung temps ung peu calme
il desireroit bien de se retirer près du lieu de sa nais-
sance, pour, en servant à Dieu, pourvoir à bien peu de
bien qui lui reste de ces naufrages, en quelque con-
dition plus tranquille que celles où il s'est trouvé parmi
ces grandes églises; mais v]uand se viendroit à ung
synode, après avoir faict entendre ses raisons, il ai-
mera tousjours mieulx estre conduict par l'advis des
aultres que par son propre jugement : voilà , monsieur ,
ce que je vous en puis respondre. Mais, à ce que je j
vois, si Dieu bénit vos desseings et labeurs, vous
n'aurés garde de faillir que vostre église ne se trouve
bien pourveue ; et mesmes je m'esbabis d'une lettre que
j'ai receue de la part de M. Merlin , lequel escrit
qu'ayant adressé à Saulmur ung jeune homme nommé
Parent à vos anciens, ils ont faict response qu'ils es-
toient pourveus ; si pourtant mondict sieur Merlin
retient ledict Parent pour son aide, lequel, à la vérité,
est ung jeune homme de grande espérance , duquei
je vous avois faict ouverture quand vous estiés foi.
Yous aurés desjà une lettre bien longue, si fault il
que je vous remercie , enôores touchant mon man-
dement, comme je piiis de toute mon affection. Mon
gendre, M. de retourna bientost après vous
A M. DUPLESSIS. 345
avoir veu, et si ne sçais qui vous adresser, ni mesmes
ce qu'il me fault faire pour tirer quelque fruict de
vostre faveur. Si le roy approche, et que je sois ad-
verti que vous y veniés, je tascherai d'eschapper jus-
ques là pour y prendre vostre conseil et aide : aultre-
ment il la vault mieuk garder, n'estoit que M. des
Reaux se rencontrast venant à Dieppe; mais encores
ne pourra il aultre chose , sinon me faire tenir le man-
dement, lequel par deçà ne me servira que du pre-
mier. Il y a ung marchand de Paris, natif de Ven-
dosme , et qui y a ses parens , lequel estoit n'agueres
pour poursuivre une partie d'Italie , et y a encores
par deçà ung reste à payer. Si voyés qu'il se peult faire
quelque chose avec lui par l'asseurance qu'on lui don-
neroit, ce me seroit ung bienfaict. Ce marchand se
nomme d'Argange. Je me doubte bien que ce sont des
discours vains; mais la nécessité comme ung malade me
faict tourner de tous costés. Or, vous baisant, etc.
Est à noter qu'après que M. Duplessis eust acheminé
la negotiation de la paix si avant, que, sur le rapport
qu'il en feit au roy, à Gizors, lui et M. de Revol eurent
commandement du roy en plein conseil d'en dresser
l'edict ; ceulx qui croyoient qu'elle se conclueroit tant
que le roy feust contrainct de changer de relligion,
prirent occasion pour la rompre, pour le faire envoyer
à Quillebœuf, pour en tirer le sieur du Fay , qui s'en
estoit saisi , dont et de la conséquence de ceste rup-
ture il protesta au roy.
346 LETTRE DE M. DUPLESSIS
CXXX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Au roj.
Sire, passant au Pont de l'Arche, nous avons donné
ordre pour l'artillerie , tel que j'ai escrit à vostre ma-
jesté, moyennant lequel j'espère que tout sera conduict
en seureté. Depuis sommes veneus en ceste ville du
Ponteaudemer, non sans difficulté. Et hier feusmes à
Quillebœuf. Nous y avons trouvé M. du Fay au huic-
tiesme iour d'une fièvre contineue, et sur la seconde
saignée; plus malade de l'esprit que du corps, pour le
regret du passé , et tesmoignant fort vous vouUoir
donner contentement de ses actions , et pour le pré-
sent, et pour l'advenir. Les sieurs de Tempel et de
Rebours de mesme; le premier jurant (et il est très
vrai) n'avoir eu rien de commun en ce qui s'est faict,
ni voulloir avoir ; l'aultre y avoir esté emporté par la
créance qu'il avoit que M. du Fay sçavoit l'intention de
vostre majesté. Il est question de contenter ces deux
regimens fort dépéris; le capitaine La Verdure, qui
est avec une compagnie de François ; et donner quel-
que moyen de sortir à M. du Fay. Nous sommes en
bon train de to-ut cela; mais avec plus de longueur que
ne vouldrions , partie pour ce que M. Le Grand est
encores à Bernay avec les forces de Normandie , qui en
prétendent tirer hors le sieur de Lonchamp , qui s'y
fortifie; partie parce que les deniers nécessaires pour ce
que dessus ne se peuvent pas tirer d'ici. Mais j'ai des-
pesché vers M. Le Grand, et mandé le receveur qui est à
Lisieux, à la veneue desquels nous abrégerons le temps
I
J
AU ROY. 3/47
et les affaires. Il y a plus, les vaisseaux hollandois,
avec leurs Cromsthevers , s'en veullent retourner en
leur pays, très malcontens du peu de bon traictement
qu'ils ont receu. Les Quillebois aussi, qui sont six na-
vires, appréhendent ce changement, comme vostre
majesté aura peu appercevoir par leurs requesles,
oultre ce que , sur six mois de service , ils n'en ont receu
qu'ung. Qui veult garder Quillebœuf, il fault pourvoir
à cela ; car si les Hollandois s'en vont, les Quillebois ne
sont pas suffisans de garder la mer, et s'en iront. Et
cela estant, le commerce et les subsides cessent, sans
lesquels la place ne se peult achever, ni la garnison
entretenir. J'adjouste qu'il y a huict vaisseaux tout prêts
au Hasvre pour venir à Quillebœuf, des que les Hol-
landois l'auront desemparé. Fault aussi faire fonds,
tant pour lesdicts vaisseaux que pour les gens de guerre
de M. Le Grand qui ont à y entrer, au moins pour ung
mois, afin qu'ils y entrent en ordre. Ce qui ne se peult
faire sans quelque remède extraordinaire et particulier.
En somme, j'aurois trop de regret d'y estre veneu, et
que le service de vostre majesté ne s'y feist pas à son
contentement. Pour dire maintenant à vostre majesté
que c'est de Quillebœuf, c'est une très belle assiette;
rien n'y contredict à la fortification. Elle est assés bien
tracée, advancee selon le temps qu'on y a travaillé, ce
qui se pouvoit; bride la rivière, de sorte que Rouen,
moyennant l'entretien susdict des vaisseaux , n'a que
faire avec le Hasvre , qu'autant qu'il vous plaist ;
le bourg médiocre, mais où jà plusieurs personnes
riches choisissoient place pour bastir qui s'en desbau-
chent, et que j'aurai peine à y rasseurer et retenir,
que par la liberté de la relligion ; et je ne feindrai
poinct de dire à vostre majesté que la playc, à la vérité,
448 LETTRE DE M, DUPLESSIS
estoit à Quillebœuf; mais l'inflammation passoit aulx
environs.
Au surplus , sire , puisque cest affaire me retient ,
je m'enhardirai de ramentevoir à vostre majesté les
aultres affaires qu'en partie elle m'avoit commis. Nous
avions advisé , M. de Revol et moi, des despesches
d'Italie. Ne restoit qu'à vostre majesté à déterminer, le
temps prefix de son instruction. M. d'O avoit aussi
approuvé les moyens par nous proposés pour les
voyages de M. le cardinal de Gondy et M. le marquis
de Pisany, lesquels il est de besoing d'effectuer. Ce que
je dis, afin que le temps ne s'y perde, sire, parce que
ces negotiations sont inutiles à vostre majesté , sinon
en tant que les responses en arriveront sur la teneue de
la pretendeue assemblée de ceulx du parti contraire.
Comme aussi je crains que celle avec la royne Louise,
et par son moyen avec M. de Mercœur, ne puisse
venir à temps, si je ne me demesle bientost d'ici. J'ai
laissé quelques petits mémoires à M. d'Yolet de ce qui
pouvoit estre faict pour la despesche qu'il demande à
vostre majesté, présupposant vostre volonté estre de
faire venir Madame. Qui est tout, sire, sinon que de-
puis trois jours je traisne une maladie, dont Dieu me
gardera, s'il lui piaist; lequel je supplie, sire, donner
à vostre majesté en toute prospérité longue vie.
Du Ponteaudemer, ce 24 juin iSga.
El par apostille estait escrit : M. duFay faict tous-
jours grand' instance, que vostre majesté le loge nom-
meement sur l'emboucheure de Somme, dont il pré-
tend promesse de vostre majesté. J'escris selon le chiffre
que j'ai avec M. des Reaux, estimant M. de Bouillon
parti.
A M. DES REAUX 3^g
CXXXI. — 'V' LETTRE DE M. DUPLESSIS
^ M. des Reaitûc.
Du 24 juin 1692.
Monsieur , je suis arrivé ici avec peu d'escorte et
bonnes corvées , dont je me trouve encores mal. J'ai
veu Quillebœuf, M. du Fay bien malade, plus de re-
gret que d'humeur; les regimens fort malcontens, les
capitaines toutesfois raisonnables. J'espère que tout s'y
passera bien; mais il fault de l'argent pour la nécessité
extresme de M. du Fay, deux prests pour les lansque-
nets, quelque chose pour une compagnie de François
qui y est depuis sept mois. En oultre , retenir les vais-
seaux hollandois , sans lesquels les Quillebois aban-
donnent la mer, et sans la mer la place est perdeue;
contenter les ungs et les aultres pour le passé , et leur
pourvoir d'entretenement pour l'advenir; installer la
nouvelle garnison, qui sont six compagnies aulxquelles
il fault faire monstre en entrant ; pourvoir à la nour-
riture, logis et traictement des malades, tout cela ne
se peult qu'avec argent, qui ne se trouve poinct ici,
et ne se peult tirer d'ailleurs qu'avec ung peu de
temps; oultre ce, que M. Le Gi"and est avec les forces
de Normandie pour réduire Bernay, où le sieur de
Lonchamp se fortifie. C'est pourquoi, voyant que je
ne puis estre de retour là à temps, j'advertis sa ma-
jesté de haster les despesches d'Italie, pour lesquelles
n'y a qu'ung seul mot à remplir, sçavoir, le temps
de son instruction, qu'il peult prendre de mai en ung
an , et lui rament ois que c'est en vain si les responses
35o LETTRE DE M. DUPLESSIS
n'en viennent avnnt la fin de l'assemblée qui se doibt
tenir. Lui parle aussi de la despesche de la royne Louise,
pour laquelle il fault que je me demesle d'ici au plus
tost, qui consiste en une simple créance, mais bien
expresse sur moi; aussi de l'ordre qui s'y peult donner
pour Madame , dont j'ai laissé copie à M. d'Yolet.
Vous vous pourries servir de cela selon l'intention de
vostre vrai ami, duquel le voyage est du tout néces-
saire, et ne se peult aultrement faire, s'il ne le gaigne
entre ces deux ondées. Je lui touchai aussi uncr mot
que tous les Quillebois abandonnent , s'ils n'ont l'exer-
cice de la relligion. Et est très vrai, et croyés que la
playe estoit à Quillebœuf, mais l'inflammation passoit
desjà plus avant. Vous dires à mon lacquais le chemin
qu'il aura à tenir ; car je ne lui ai voulleu dire. Et si
sa majesté .trouve à propos, ferés tenir par delà la
despesche pour la royne , et partir le seneschal de
Nantes, suivant ce qui en a esté resoleu au conseil. Je
vous remercie du passeport, auquel je suis marry qu'on
n'a limité le nombre de chevaulx comme au précèdent;
car ces mots, avec son train et suite , sont subjects à
interprétation. Je ne parle poinct encores à sa majesté
de mon voyage ; mais vous l'y preparerés, s'il vous plaist,
comme estant à propos de son service, outre ce que je
ne sçais plus où trouver argent, et à peine en ai je pour
aller jusques là. Je remets le tout à vostre discrétion.
Faictes , au reste , entier estât de mon service. Et sur
iîe, je salue.
A M. LE PRESIDENT DE ROUEN. 35 1
CXXXIT. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le premier président de Rouen.
Monsieur, ne pouvant avoir ce bien de vous voir,
je suppléerai par ceste lettre, qui vous tesnioignera le
désir que j'ai de la continuation de vostre amitié , et
Tasseurance que devés prendre de mon service. Vous
aurés sceu ce qui s'est passé pour Quillebœuf. Tout y
est maintenant au contentement du roy; mais il est
certain que c'estoit le commencement d'img grand
mal, les humeurs de ce misérable royaulme estans si
corrompeues, que la moindre esgratignure y peult
monter en gangrené. Le remède ne s'en peult trouver
qu'en une paix, aultrefois utile, maintenant plus que
nécessaire. Et là dessus je vous dirai que nos pourpa-
1ers ont amené les choses à assés bon poinct; mais ce
parti estant composé de tant de pièces, M. de Mayenne
a désiré en communiquer; et pour ce, tient une assem-
blée à Soissons sur la fin de ce mois , où tous l«s chefs
doibvent comparoir, ou en personne, ou par députés;
les villes pareillement , et adviser par commun advis
sur les moyens qui jusques ici ont été proposés. Il est
hors de doubte que M. de Villeroy marche de très bon
pied. La volonté des principaulx se monstre aussi assés
bonne; l'inclination des bonnes villes y est. L'argent
d'Espaigne , qui se compte entre deux , nous nuit beau-
coup ; car le duc de Parme negotie dans les villes au-
jourd'hui à bouche ouverte et bourse desliee ; et nous
proficte d'ailleurs en quelque chose, quand on le voit
ainsi ouvertement marchander la couronne. Beaucoup
352 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
de gens de peu pareillement, créés et cslevés de la
misère du royaidme, nous y traversent. Et vous sçavés
que naturellement ung seul peult plus à mal que plu-
sieurs à bien, lant y a qu'il s'y fault efforcer; et pour y
parvenir, abuter tout ce qui reste de François ou de
non Espaignol en ce parti là , pour ung si bon des-
seing. C'est le but du voyage que je fais présentement
vers Tours et Saulmur, parce que nous ne pouvons
passer plus avant en la negotiation générale, jusques à
l'assemblée que dessus , qui nous donne loisir de six
sepmaines, pendant lesquelles nous y pouvons prépa-
rer aulcungs de ceulx qui y pourront le plus. Sa ma-
jesté aussi despesche à Rome, et ses amis en Italie, où
il semble que nous avons ung pape non espaignol , gou-
verné par cardinaulx de mesme humeur; qui ne voul-
dra poinct conjurer à la ruyne de cest estât, ains con-
sentira volontiers aulx expediens qui se prendront pour
l'empescber. J'ai pensé, monsieur, que vous sériés bien
aise de sçavoir par moi Testât des choses, encores que
je ne double poinct que par aultres vous en estes ad-
verti. Et vostre prudence jugera jusques à quoi vous
en pouKi^és ou départir ou restreindre; car vous estes
seul en ceste province auquel j'en escris. Je pe sçais si
je vous doibs adjouster qu'il me semble que la présence
de monseigneur de Montpensier y est bien requise; et
je me suis jà advancé d'en escrire ung mot à sa majesté.
Aultrement je vois qu'à la face de tant de chefs et d'une
si grande noblesse, l'ennemi se logera en quelque lieu,
qui ne s'en pourra chasser qu'avec grand ruyne du
peuple; et le pourroit, pris à temps, sans difficulté.
Ores , monsieur, je salue bien humblement vos bonnes
grâces, et prye Dieu vous avoir en sa saincte garde,
D'Argentan, ce 2 juillet i5g2.
MEMOIRE DE M. DEPLESSIS, etc. 35:
CXXXITL -- MEMOIRE DE M. DUPLESSIS
Envoyé au roj.
« Du 19 juillet 1692.
Il importe que sa majesté fasse partir M. le marquis
de Pisaiiy pour Rome. On lui en proposera d'aultres;
et tel qui s'offrira de faire le voyage à ses despens.
J'ai et sçais les raisons pour lesquelles elle ne doibt
changer ledict seigneur marquis pour quelconque
aultre.
Je supplie sa majesté de m'envoyer lettres de créance
bien expresses vers la royne, tant pour conférer de la
part de sa majesté avec elle de ce qui concerne la mort
du feu roy, que pour lui faire trouver bon de ployer
M. de Mercœur à une paix. Car je sçais d'ailleurs que,
s'il est bien manié, ceste negotiation pourra réussir;
laquelle je ne laisse d'entamer par d'aultres moyens. Il
est besoing de lettres à M. le comte de Fiesque ; aussi
à madame d'Angoulesme, pour la contenter en ce
qui regarde la mort du feu roy. J'attends le seneschal
de Nantes, duquel aussi la despesche feut concleue
avant mon partement; à sçavoir une instruction , pour
monstrer à ceulx vers qui il a accès du désir qu'a sa
majesté de voir son peuple en repos, de la seureté
qu'elle veult donner à la relligion catholique, de l'in-
struction qu'elle veult prendre pour sa propre per-
sonne , et du contentement particulier qu'elle entend
donner à M. de Mercœur, avec la clause de tenir cor-
respondance avec le sieur Duplessis pour l'achemine-
ment de sa negotiation.
MÉ3f. IIF. DUPLESSIS-MORNAY. ToMF. Y. ^33
354 MEMOIRE DE M. DUPLESSIS
Pour ramener M, de Joyeuse , j'estime à propos que
sa majesté employé M. le comte de Torigny, lequel a
quelque désir d'aller voir M. le mareschal son père ; et
sous ombre de voir madamoiselle de Bellegarde, pour-
roit passer jusques à Sainct Félix , et s'aboucher avec
ledict seigneur de Joyeuse. Il est certain que, pour la
privante qu'ils ont eu ensemble, il y peult beaucoup.
Je lui en ai parlé, et partira quand sa majesté le lui
commandera. Sa majesté advisera , oultre les clauses
communes à tous, si elle lui vouldra proposer quelque
gratification particulière, et en envoyer ses instructions
à M. le comte de ïorigny. Mais cela se doibt prompte-
ment, et avant que madame la mareschale de Joyeuse ,
qui s'y en va, y arrive; car elle y gasteroit tout. Fauldra
aussi escrire à M. de Monberant et à son fils , lequel
n'est de la Li'^ue qu'autant que son père lui commande.
Geste negotiation, comme les aultres, ne doibt tendre
qu'à les disposer à une générale paix; car, pour une
particulière, ils sont trop fins pour se voulloir distraire.
J'avois pensé que M. Morlas y pourroit estre envoyé
avec M. le comte de Torigny.
M. Erard est ici, lequel n'attend que quelques lettres
aulx gouverneurs pour lui bailler escorte. Il a eu nou-
velles de l'affaire (i) que sa majesté sçait, lequel prend
assés bon train ; et espère , quand il aura parlé , y frap-
per ung grand coup.
Les affaires de Bretaigne empirent , et crient après
ung prompt secours. Du costé de deçà l'eau , si sa
majesté Tavoit agréable, on pourroit tailler de la be-
soniine à M. de Mercœur, àscavoir, en la duché de Rets.
(i) C'estoit pour la negotiation avec la royne Marguerite,
teudanle à la dissohilioii de sou mariage.
ENVOYÉ AU ROY. 355
en Clissonois, vers Pilletnil et aultres lieux qui Tin-
commoderoient forl. Sa majesté advise s'il seroit à
propos que M. de La Treiuouille, qui se rouille chés
lui , eust charge d'y faire la guerre soubs rauctorité
de M. le mareschal d'Auuiont , qui , la rivière entre deux,
ne peult avoir soing de ceste partie. Les moyens de la
mer Tentretiendroient en partie, parce qu'il n'y a que
le marquis de Narmoutier et M. de Royan , ses cousins,
qui y ayent empesché l'establissement du subside.
CXXXIV. — ^ LETTRE DE M. POUT
A M. Duplessis.
De Pau, le 28 juillet iSgs.
Monsieur , nous vous avons envoyé des le com-
mencement de l'année présente ung estât par estin)a-
tion sur la précédente des deniers qui pourroient estre
mis en mains du thresorier gênerai de la maison de
Navarre, par les receveurs particuliers ressortissans
en nostre chambre et pensions, bien que nostre des-
pesche vous auroit esté seurement rendeue; mais nous
ayant le sieur Malet, puis quelques jours, escrit qu'il
avoit charge retirer de nous ledict estât, et que vous
desiriez sçavoir quels fonds il y pourroit avoir pour le
payement des gages des officiers de la maison, nous
avons advisé pour satisfaire à vostre intention vous en
envoyer par le porteur exprés ung extraict sommaire.
Vous recognoistrez une grande diminution depuis la
guerre en toutes les receptes, excepté celle de Bearn ,
sur laquelle il a falleu prendre plus de quatre mille escus
pour la garnison de Navarrein , d'autant que Testât
356 LETTRE DE M. POUT
ecclésiastique n'y poiivoit suffire, de sorte que le man-
dement de vingt mille escus expédié en faveur de
madame pour le parfaict payement de ses non jouis-
sances, portant préférence à toutes autres assignations,
ne sçauroit estre acquitté qu'avec grand difficulté,
tant s'en fault qu'il reste ung seul denier pour l'acquis
de Testât, debtesetaultres charges de la maison. L'année
prochaine nous espérons qu'il se trouvera fonds sur
l'ecclésiastique sans toucher au domaine pour l'entier
payement de ladicte garnison, parce que les fermes,
fiiictes au mois de mai dernier, ont augmenté beau-
coup plus qu'à l'ordinaire , et vous pryons trouver bon
qu'il y auroit quelque reste, lorsque les rabais, à cause
de la gresle et aultres cas fortuits, seront liquidés; qu'il
soit destiné, suivant ce que sa majesté nous a ci devant
ordonné, à l'acquit de quelques parties empruntées les
années précédentes à rente constituée sur le domaine,
pour fournir à ladicte garnison, oultre que cest amor-
tissement reviendra ci après à descharge par chacung
an; les créanciers nous ont souvent déclaré ne voul-
ioir attendre plus long temps leur payement : au de-
meurant, monsieur, ledict sieur Malet nous a faict
entendre qu'il se tient prest pour venir rendre ses
comptes des années 1 586 et i58(); nous désirerions,
pour éviter confusion, que le sieur du Perray feust
pressé de s'acheminer, afin de compter aussi en son
ordre pour les raisons que nous avons desjà par plu-
sieurs fois escrites ; lui seul a jusques ici acroché ses
compaignons, tellement qu'ils ont à compter de neuf
années, et cependant par les ordonnances ne pouvoit
rentrer en nouvelle charge, qu'ayant au préalable rendcu
leur compte de la précédente; il est à craindre que si
ceste négligence est à plus avant tolérée, elle ne tourne
A M. DUPLESSIS. SSy
enfin à ung notable préjudice, parce que le temps
octroyé, pour le rachat des pièces vendeues , pourra
couler sans qu'on s'en prenne garde. Ce que nous vous
supplions voulloir considérer et le contraindre pour
le moins à bailler par estât et déclaration toutes les
ventes faictes pendant les années de son administra-
tion , afin que de bonne heure on puisse rechercher les
moyens d'y remédier, soit par prorogation de temps,
ou par quelque aultre voye. Et sur ce nous pryons le
Créateur vous donner, monsieur, une parfaicte santé,
heureuse et longue vie. Vos plus affectionnés et
obeissans à vous faire service les gens tenant la cham-
bre des comptes. Pout.
CXXXV. — INSTRUCTION
-A M. Meslier , faicte et baillée par M. Duplessis.
Du I*' aoust 1592.
Le roy ne désire rien tant que la paix en son
royaulme, et fera très vollontiers toutes choses raison-
nables pour y parvenir.
Particuherement pour le contentement de M. de
Mercœur, et de ses subjects deBretaigne qui ont suivi
son parti.
Ce qu'il a donné charge au sieur Duplessis de lui
faire entendre; lequel a esté très aise de le pouvoir faire
à propos par l'entremise de M. Meslier.
Jusques ici ledict sieur Duplessis a conféré diverses
fois par le commandement de sa majesté avec M. de
Yilleroy auctorisé de M. de Mayenne , pour applanir
les chemins qui peuvent mener à la paix; non san^i
il
358 INSTIIUCTIOIV
fruict et espérance, ainsi qu'il est malaisé que leclict
sieur duc de Mercœur n'ait entendeu.
Biais la conclusion de M. de Mayenne a esté qu'on
desiroit tenir une assemblée générale pour en com-
muniquer avec les principaulx chefs et villes, pour
éviter les distractions , qui à faulte de ce pourroient
ensuivre. Ce que sa majesté a trouvé bon, n'estant son
intention de les distraire, ni diviser; ainsi selon su
sincérité de leur donner à tous en gênerai, et chacung
d'eulx en particulier, occasion de se reunir et ré-
concilier tous ensemble à lui , et le recognoistre ce
qu il est. '
Ne voullant cependant laisser de tesmoigner audict
seigneur duc de Mercœur la facilité qu'il trouvera
pour son particulier en lui, en tout ce qui concernera
son contentement; lequel il s'asseure qu'il ne cher-
chera qu'en choses raisonnables.
S'il parle du scrupule de traicter avec ung prince
de différente relligion , les prédécesseurs papes ont
bien traicté avec lui, avant mesmes son avènement à
la couronne; le roy d'Espaigne l'a bien voulleu faire
(ainsi que le sieur Meslier a entendeu) pour l'armer
contre le feu roy; et encores présentement il traicte
de paix avec ses subjects de Hollande et Zeelande ,
sans préjudice de leur relligion. Ce sont donc scrupules
vains et empruntés.
S'il veult voir seureté en la relligion catholique ,
apostolique et romaine, il y auroit plus d'apparence
que le roy en demandas! pour la sienne. Toutesfois ils
doibvent peser la foi et parole du roy, non jamais vio-
lée; la force du roy, qui consistées catholiques; le
conseil du roy qui en est composé , qui ne consenti-
ront pas h la ruyne de leur relligion. Joinct que le roy
A M, MESLIER. SSg
est trop prudent pour ne cognoistre qu'en reinunnt
cela , il tireroit sa ruyne sur sa teste.
S'il insiste sur la relligion pour la personne du roy,
il n'est raisonnable que le changement précède l'instruc-
tion, ni selon le droict humain, ni selon le divin. Il
n'est honorable qu'il se fasse par traicté, les armes en
la main, et comme par force ou par justice, mesmes
du subject au prince. Il n'est utile, ni pour le roy, ni
pour Testât que son peuple ait subject de croire qu'il
n'ait relligion que son interest. Et ce qu'il n'a voulleu
donner à son roy, il n'est à présumer qu'il le lasche à
ses subjects.
Mais bien, pourveu que sesdicts subjects le recog-
noissent ainsi qu'ils doibvent, il leur promettra de se
faire instruire , prendra ung terme prefix pour ce faire,
et recherchera tous moyens à ceste fin, convenables à
sa dipnité et conscience.
Consentira mesmes aulx seigneurs et princes catho-
liques qui l'ont suivi et assisté d'envoyer vers le pape,
pour lui tesmoigner ceste sienne bonne resolution, et
conférer des moyens de ladicte instruction avec lui.
Ce qui a esté trouvé bon par M. de Mayenne, ef ne
peult estre rejette d'aulcung avec raison.
Pour le particulier de M. de Mercœur, M. Meslier
le pourra asseurer comme le tenant de la bouche du
sieur Duplessis, et estant pryé de sa part de l'en as-
seurer que sa majesté entend le maintenir en son gou-
"vernement , en l'auctorité accoustumee à sa charge et
dignité, et désire en oultre l'honorer es occasions qui
SQ pourront présenter à l'advenir.
Et s'il en veult estre plus esclairci , et d'aultres choses
concernant soit le gênerai de son parti , soit le parti-
culier sien, envoyant quelqu'ung avec M. Meslier, plei-
36o INSTRUCTION
nement instruit de ses intentions, ledict sieur Duplessis
espère lui en donner satisfaction.
S'il demande à M. Meslier comment est adveneu qu'il
se soit ouvert avec ledict sieur Duplessis de ce qui se
passoit entre lui et le sieur de Vignau , semble qu'il
peut dire que, sçachant qu'il avoit esté principalement
employé en ce traicté de paix , il avoit pensé à propos
de le voir, premier que d'aller conférer avec le sieur
de Vignau , afin de marcher à pied plus ferme en cest
affaire.
M. Meslier n'oubliera, selon sa prudence, les raisons
qui le peuvent persuader. Que toute guerre veult estre
finie par une paix.
Que celle ci ne peult estre finie ni plustost, ni plus
à propos qu'en traictant avec le roy ; tout aultre traicté
ne pouvant estre que ruyneux à Testât, et suspect à
eulx mesmes.
Que l'ambition de l'Espaignol, comme il a cogneu ,
ne tient poinct de mesure; lequel eschafaudera d'eulx
le bastiment de sa grandeur, et puis les bruslera.
Que le roy est prince bening, non vindicatif, non
motif de ceste guerre , avec lequel ils peuvent tous
espérer d'achever leur vie en honneur et en paix.
Lui alléguer le bon traictement faict au comte de
Chaligny, son frère; llionneur et Fadvantage faict en-
cores n'agueres à la royne.
Qu'il ne permette qu'il soit dict à la postérité qu'il
ait mescogneu les honneurs que leur maison, eulx par-
ticulièrement ont receu en France.
Qu'il est trop sage pour s'élever du succès de Craon.
Que ces heurs sont glissans et passent voUontiers de
main à aultre; et que les plus sages font leurs condi-
tions bonnes, lorsque leurs affaires se portent bien , et
A M. MESLIER. ôGl
ne traictent jamais plus vollontiers de paix que quand
la guerre les veult amorcer par quelque bon succès.
Que la royne d'Angleterre envoyera de grandes for-
ces en Brelaigne ; le roy mesmes y viendra convié et
exhorté par elle, comme il est à toute heure.
Et lors pour s'en défendre , il sera contrainct d'y
mettre l'Espaignol si fort, qu'il ne l'en pourra tirer par
après, tellement que la Bretaigne sera en danger de se
perdre et pour l'ung et pour l'aultre.
Qu'une médiocrité en somme vault mieulx bien
asseuree qu'une grandeur oullre mesure sans fon-
dement.
M. Meslier fera ceste faveur au sieur Duplessis de
Tadvertir incontinent de tout ce qu'il aura faict, selon
le chiffre que pour cest effect ils prennent ensemble.
CXXXVI. —LETTRE DE M. DUPLESSIS
ud M. SeiviTi , conseiller du roy et son advocal en sa
court de parlement a Tours.
Monsieur, je ne puis vous envoyer par ce porteur
les articles que demandés ; car ils ne sont poinct en
ceste ville. Je les ai bien en mes papiers , mais mes cof-
fres sont demeurés à Ghasteaudun , que j'envoye quérir
par la première escorte. Des que j'en pourrai recouvrer,
soit d'une part, soit d'aultre, je les vous ferai tenir et
en serai soigneux. Je vous remercie humblement de ce
qui a esté faict de grascieuseté à M. de Pueilly. Il ne
m'en a encores rien mandé. M. de La Borde m'a mandé
les difficultés où il se trouve. On craint des inconve-
niens, ou on faict semblant d'en craindre, en recevant
362 LETTRE DE M. DUPLESSIS , cic
ceulx de larelligion aulx estais et dignités. J'en crains
et vois de pius grands à ne le faire pas; oultre ce que
c'est contre la vollonté du roy, l'intention des edicts, et
la justice de la société publique. Je vous dis dadvan-
tage , et vous sçavés que je le dois sçavoir, que ceulx
de la Ligue n'y font ces scrupules. Mais c'est une marque
de Tire de Dieu sur nous, que nous ne pouvons oublier
nos animosités. Et jugés si elles sont oultre mesure,
quand tous les jours on voit recevoir des Ligueurs aulx
compaignies, et en mesme temps on faict difficulté d'y
recevoir ceulx qui de tout temps sont serviteurs du
roy. J'en parle plus librement, parce que c'est sans
mon interest particulier; car je signerai vollontiers une
renonciation à tous estats , aussi content de ma con-
dition qu'homme qui vive. Mais je sçais combien cela
nuit, et dedans, et dehors; et ne vois poinct encores
qu'il ait profilé en la moindre chose. Je dis plus, que
ceulx qui maintiennent ceste proposition , s'il leur
estoit loisible, rejetteroient le roy de la couronne; car
si la relligion doibt exclure des petites charges selon
leur advis, comment et de quel cœur le peuvent ils
admettre à la première? Je suis au reste fort aise,
monsieur, que M. le président de Nantes ait obleneu
ce qu'il poursuivoit, car je le tiens pour homme de
mérite. H vous en est obligé, et moi aussi , qui vous en
rendrai service d'aussi bon cœur qu'humblement je
salue vos bonnes grâces, et prye Dieu, monsieur,
vous avoir en sa saincte sarde. Vostre humble et entier
ami et serviteur.
De Saumur, ce 4 aoust iSga.
LETTRE DE M. DE BORN, etc. 3G3
CXXXVÎI. — ^ LETTRE DE M. DE BORN
A M. Diiplessis.
De Bourdeaulx, ce 6 aoust lôga.
Monsieur, je vous escrivis il y a quelque temps que
je vous baillerois les deux bastardes qui feurent gaignees
aulx faulxbourgs de Paris, au prix que le roy me paye
les pièces qui est à buict soûls la livre ; si vous les
voullés à ceste raison, vous me ferez ce bien, s'il vous
plaist, de me le mander, affin que j'envoye charge à
M. Binet , à Tours , pour en faire le marché. Si vous
voullés qu'il soit mis par escrit de vous bailler quittance
de ce que baillerés : je vous escris ceci sur les propos
que me tinstes lors que je m'en allai avec vous devant
Bernay, que desiriés avoir lesdictes bastardes que M. de
Sonnoz vous bailla; je vous supplie bien humblement
m'en mander voslre vollonté, et ferés venir vos lettres
audict sieur Binet, à Tours, qui me les envoyera. Nous
sommes en ceste ville de Bourdeaulx en allarme sur les
advis que M. le mareschal de Matignon a eu que
l'armée de mer que le roy d'Espaigne prépare, est pour
venir en la rivière qui passe ici. L'on s'estoit foit
^ resjoui en ces quartiers des bruicls qui avoient coureu
, que la trefve generalle estoit anestee pour six mois;
If mais l'on ne la voit pas sortir en effect en cest endroicl.
Je vous baiseray bien humblement les mains, pryant
Dieu.
364 LETTRE DE M. DU FAIÎR
CXXXVIIL — LETTRE DE M. DU FAUR,
Conseiller du roj et président en sa court de parle-
ment, a Thoulouse, à M. Duplessis.
Monsieur, parmi les grands et importants affaires
qui passent par vos mains , encores ne vous sçauriés
vous garder de retrancher quelques heures pour les
emplois à la lecture des livres. Je serois trop content
si, parmi ceulx qui vous donnent plus de plaisir, le mien
pouvoit trouver quelque place, qui vous sera offert à
cest effect de ma part par cest honneste homme , qui
m'a promis vous rendre la présente , et me ramente-
voir en vostre bonne grâce. L'impression dudict livre
n'ayant esté faicte comme il appartenoit en plusieurs
sortes 1 comme vous le jugerés bien , me faisoit au com-
mencement doubter de vous l'envoyer. Enfin il ma
semblé que vostre doulx naturel , et l'affection qu'il
vous a pieu me monstrer autresfois et promettre pour
l'advenir , pourroit couvrir tous defaults , quelque
grossiers qu'ils soient. On ne tardera gueres, si j'en
suis creu , à la deuxiesme impression. Entre ci et là
mon livre sera plus grossi et poli , ayant jà en main de
quoi le rendre tel, pour avec moins de honte compa-
roistre devant vous, avec l'aide du seigneur Dieu,
lequel je prye vous donner, monsieur, en sa saincte
grâce tout aultre contentement après mes très hum-
bles recommandations à la vostre.
A Thoulouse, ce 20 aoust i5g2.
Et par apostille estoit escrit : M. de Pujols, mon
cousin , vous aura ci devant faict tenir de ma part
A M. DUPLESSIS. o65
mon petit livre de Dei nomine. Vous tioiiverés en
cestui aussi bien qu'en l'aultre des passages de la
saincte Escriture aultrement espluchés et illustrés
qu'il n'a esté encores faict , que je sçache. Je désire qu'en
l'ung et l'aultre vous me supportiés en mes faultes,
comme estant, monsieur, à tousjours, vostre très
humble et affectionné serviteur, P. du Faur.
CXXXIX. — ^LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. des Reaux.
Du aS aoust iSga.
Monsieur, j'ai ung extresme regret de vostre pri-
son, et pour ie public et pour le particulier, car je
sçais vos incommodités et apperçois des longueurs où
je pense que par vostre entremise nous eussions veu
des diligences. Mais Dieu sçait que ce qui estoit en
moi a esté faict en ce qui estoit de moi. Je n'avois
poinct de puissance; depuis que je suis ici , j'ai mis en
bon train l'affaire principal dont j'ai esté chargé; j'y
vois clair et en espère bien. Mais de quoi servira tout
cela quand nous laissons périr ce qu'on a tant de peine
à faire naistre? Si ne me lasserai je poinct, puisque
j'y vois la bénédiction de Dieu contre les malédictions
. des hommes. Vous me demandés mon advis de Mon-
doubleau ; je n'entends poinct les marchés de feu M. du
Fay; bien sçais je que Mondoubleau vault quatre cens
mille livres. Il y a en ung article douze cens arpens de
., bois, au meilleur marché cent escus l'arpent, calculés
^1 à l'offre de M. de Sourdiz, vous en auriés trente cinq
*i mille livres. J'aimerois mieulx vendre tout mon bien
366 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
que si elle lui demeuroit , pour la honte que ce nous
scroit à tous; il y a cl'aultres moyens pour les voyages
si on se veult efforcer; mais je crains qu'on ne guette
les nécessités au passage pour y envoyer quelqu'ung
qui offre des advances pour gaster ce que nous
taschons d'accommoder. En quoi est Testât des choses
que je vois et crois qu'il ne feroit moins de desplaisir
au plus sage de nos ennemis qu'à nous. Pour vous ,
le receveur de Chasteauneuf m'escrit qu'il s'est ohligë
d'onze cens escus pour vous, en quoi il m'avoit faict
beaucoup de plaisir; et s'il y a aultre moyen où je
puisse , me l'enseignant, je le ferai de très bon cœur,
comme je salue, etc.
CXL. — ^ LETTRE
^ madame Duplessis.
Madame, je vous ai despesché aujourd'hui avec
tant de haste que je me suis oubliée de vous parler de
la devise de Madame, qui me faict vous envoyer ce
lacquais pour vous dire que son altesse n'en a poinct
encores choisi de particulière, et qu'elle a trouvé fort
belle celle que vous m'avés envoyée, dont j'ai pensé
vous debvoir advertir de bonne heure , estimant que
vous la voulliés peult estre employer à son entrée, ■'
Je lui ai aussi faict entendre ce que vous m'aviés w
mandé, par une aultre de vos lettres, touchant le ^5
seneschal de Saulmur. Elle a esté bien aise d'en estre
advertie, et s'y gouvernera comme vous désirés. Au
reste, madame, m'estant faileu resouldre contre mon
premier desseing de l'accompagner jusques à Saulinur,
LETTRE A MADAME DUPLESSIS. 867
d'autant qu'elle ne m'a vouUeu permettre de m'en aller
de Niort, comme je l'avois suppliée; je vous supplie
me faire ce bien de commander que j'aye quelque logis
commode, non esloingné du sien. J'aurois besoing de
quattrc ou cinq chambres, pour ce qu'il en fault trois
pour mes enfans et pour moi , et oultre cela de quel-
que cuisine et aultres connnodités ; si le tout ne se
peult trouver en ung logis, je ferois plustost loger mes
fds en ung aultre; mais je serois bien aise qu'il feust
fort près du mien. Je vous "dis librement, madame,
toutes mes nécessités. C'est pour l'asseurance que j'ai
de vostre bonne volonté qui me faict croire que vous
ne vous ressentirés importunée. Faictes en recompense
estât de la mienne et de moi comme de vostre obéis-
sante et plus affectionnée à vous servir ,
Catherine de Parthenay.
De Champdenier , ce 24 aoust 1692.
CXLI. — LETTRE DE M. DE HARLAY
A M. Diiplessis.
Monsieur, il y a long temps que la partialité s'est
insinuée en nostre compaignie. La source n'est pas
incogneue aulx serviteurs du roy fidèles et affection-
nés. Elle ne nous a pas encores amenés à une bataille
rangée , mais nous en sommes à la veille. Cest accident
est surveneu sur le restablissement d'ung conseiller
fort diffamé de la Ligue , non seulement pour son sé-
jour à Paris depuis la rébellion, mais pour ses dcpor-
temens aussi peu recommandables, que la suspension
de son estât pour six mois, à laquelle il feut con-
368 LETTRE DE M. DE HARLAY, etc.
damné par arrest , toutes les chambres assemblées il y
a environ douze ans, pour ung mauvais acte. Toutes-
fois la parenté , alliance , amitié et conversation lui
apportent tel support qu'une partie des juges désirent ,
et ses parties poursuivent sa réception. Je puis arrester
le progrès du mal provenant de la division , disant
que j'ai commandement du roy de surseoir la délibé-
ration commencée, jusques à ce qu'il nous ait faict
plus amplement entendre sa volonté. Je ne double
poinct que, si sa majesté estoit bien informée de Testât
de cest affaire , elle ne commandast de le tenir en sur-
seance; mais son commandement ne me pourroit estre
faict qu'après le feu de la division tellement embrasé
qu'il sera impossible de l'esteindre. D'aultre part, je
crains d'entreprendre sans permission. Ce qui me faict
vous supplier m'empertir vostre prudent conseil , si,
pour éviter ung scandale public et entretenir le repos
en nostre compagnie , je puis user de ce moyen, sans
faire chose désagréable à sa majesté. Si le subject de
ma lettre feust surveneu devant le parlement de
M, d'Emery , je l'eusse pryé de conférer avec vous. Je
vous baise bien humblement les mains, et prye Dieu,
monsieur, vous donner longue et heureuse vie. Vostre
bien humble et affectionné serviteur. De Haklay.
A Tours, ce 29 aoust iSga.
CXLII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le premier président de Harlay. \
Monsieur , j'ai receu celles qu'il vous a pieu m'es-
crire, et enlendeuM. Gillot. Je n'ai rien obmis en ma
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 36c)
despesche de ce que je doibs au service du roy , ninsi
que verres par celle que j'en escris à sa majesté exprés,
dont je vous envoyé copie. Mais je déduis le faicfc en
ung mémoire à part , qui lui sera leu. Je serois d'advis
que vous en feissiés ung petit mot à M. de Beaulieu
comme je fais, parce que je me doubte qu'il fera la
despesche. Et là dessus, monsieur, je ne feindrai poinct
de vous dire que Thumeur de ce règne requiert que
personnes constituées en auctorité, et omni excep-
tione majores, comme vous, n'attendent pas d'ung
prince, occupé assiduellement, commandemens parti-
culiers sur toutes choses. Au contraire, j'estime qu'il est
nécessaire que bien souvent vous les receviés de vous
mesmes; c'est à dire de l'intégrité de vostre conscience,
et de la cognoissance que vous avés de ce qui duit
ou nuit à son service. Aultrement, en observant trop
les formalités, on perdroit la nature des choses; et
nous adviendroit comme aux Juifs, qui se laissèrent
battre pour chommer le sabbat. Sa majesté interpret-
tera sans doute tousjours à bien ce que les bons feront,
et les blasmeroit au contraire, si par attendre des in-
structions de loing, ils laissoient périr le sien de près,
cest estât estant aujourd'hui subject à des accidens si
soubdains, que, sans attendre le tocsin, il fault courir
au feu. Vous n'imputerés, monsieur, à présomption,
s'il vous plaist, ce que je vous en dis, selon la cog-
noissance que j'ai de l'équité de sa majesté, pouravoii"
cest honneur de l'avoir servi longuement. En toute
chose prest d'apprendre de vous, et de subir vostre
discipline en toute humilité; comme aussi, monsieur,
je vous baise les mains, et supphe le Créateur vous
avoir en sa saincte garde.
De Saulmur, ce 4 septembre 1592.
MÉM. UE DUPLESSIS-MORNAY. ToME V- ^4
'djo LETTRE DE M. DE HARLAY, eic.
CXLIII. — LETTRE DE M. DE HARLAY
^ M. Duplessis.
Monsieur, je vous ai beaucoup d'obligation de la
peine qu'il vous a pieu prendre d'escrire à sa majesté
de nos affaires. Il en estoit besoing pour arrester le
cours préjudiciable à son service. Je la servirai tous-
jours avec beaucoup de fidélité; mais plus hardiment
quand il lui plaira me tant honorer que de me com-
mander. Je vois tant d'opposition à ce que je crois
n'estre de son intention, les affaires de la justice et
aultres si ouvertement traversés, que je n'estime pas
une simple formalité de désirer d'estre honoré de ses
commandemens plus exprès, que je n'ai receu jusques
à présent. L'attendant , je m'efforcerai faire chose agréa-
ble à sadicte majesté , retenant ses serviteurs en bonne
volonté de la bien servir , et empescher qu'ils ne se
laschent, craignans estre délaissés. Je vous baise bien
humblement les mains , et après vous avoir renouvelé
l'offre de mon service, pryerai Dieu, monsieur, vous
donner longue et heureuse vie. Vostre bien humble et
affectionné serviteur , De Harlay.
A Tours, ce 5 septembre iSga.
LETTRE DE M. DUPIESSIS, eic.
CXLIV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Au roy.
Sire, j'envoye à vostre majesté ung bref mémoire
d'affaires, qui requièrent response. M. de Lomenie lui
en fera lecture , s'il lui plaist. M. le premier président
escrit à vostre majesté. Il est certain que l'auctorité des
bons dépérit en vostre cour par le meslange. Ce qui
ne se peult corriger que par le cas que vostre majesté
fera des ungs plus que des aultres. Oultre ce qu'il ne
reste à vostre majesté marque de majesté plus visible
que là où je sçais qu'elle a nombre de serviteurs, qui
ne regardent ni derrière eulx, ni après vous, ains détes-
tent tout ce qui se bastit ailleurs que sur vous mesmes;
ce que je supplie très humblement vostre majesté
d'estimer selon ma seule passion à son service. Deux
ou trois lettres escrites à propos peuvent remparer
ces bresches là. Et en remparant leur auctorité , qui
n'est combatleue que par le mespris de vos comman-
demens, vous fortifiés la vostre propre. Je pense que
vostre majesté en sera encores adverlie d'ailleurs. L'af-
faire de M. de La Borde a esté et est traversé par
ceulx qui le debvoient requérir, et contre toutes les
formes. M. le premier président y a faict ce qui estoit
de vostre intention et de la justice; et les bons y ont
monstre beaucoup de vertu. Apres l'arrest interveneu,
on le veult éluder par des sophisteries , auxquelles
vostre majesté a interest de ne laisser succomber la sin-
cérité de vostre court de parlement, où réside partie
de vostre auctorité ; mais vostre majesté en sçaura les
372 LETTRE DE M. DUPLESSIS, eic.
particularités il'ailleiirs. A Bayonne, l'evesque faict de
grandes menées , assisté de trois prescheurs, qui sé-
duisent le peuple, en faisant valloir une excommuni-
cation interjeltee particulièrement contre les habitans,
comme fauteurs dheresie. Vostre majesté peult escrire
gravement qu'il en soit informé, et que les séditieux
soient mis hors. Je vois que les bons y craignent le
mal plus prest que je ne l'ose croire. Sire , c'est tous-
jours de ceste mesme affection que je supplie le Créa-
teur qu'il doint à vostre majesté en prospérité longue
vie.
De Savilmur, ce 5 septembre j5g2.
CXLV. — MEMOIRE DE M. DUPLESSIS
Envojé au roj" le 6 septembre iSga.
Sa majesté sera advertie que Testât de sa province
de Brelaigne est tel qu'il s'ensuit. M. de Mercœur en
grand soupçon de l'Espaignol , lequel le presse de re-
cognoistre l'infante ; lui envoyé des forces , plus qu'il
ne veult, et monopole les villes, sans qu'il y ose con-
tredire. L'agent qui est à Nantes faict une despense de
prince. Don Juan se sépara après le siège de Males-
troict, protestant de ne penser de trois mois qu'à la
fortification de Blavet, où ils n'ont laissé ung seul Bre-
ton. Leur insolence lasse tout le monde. Surtout M. de
Mercœur craint qu'ils ne s'aillent loger à Sainct Na-
zare , comme ils en ont desseing au premier renfort
qu'ils auront; et n'ose les prévenir, en le fortifiant,
pour ne donner jalousie à ceulx de Nantes.
Le peuple , las de la guerre et des grands subsides,
MEMOIRE DE M. DUPLESSIS , etc. 37'5
resoleu de ne se distraire poinct de la couronne de
France , abhorrant le nom de duc plus que jamais ;
tellement que M. de Merrœur n'oseroit avoir ouvert
la bouche de ses prétentions; embrouillé neantmoins
du prétexte d'heresie contre le roy, auquel ils desire-
roient pour leur seul salut trouver quelque expédient
Sur ces fondemens j'ai tasché de bastir; et ai trouvé
une adresse avec M. de Malicorne, par Tenlremise de
Meslier, qui , soubs ombre de voir ung ami, s'achemina
h Pillemil , et eut ung passeport escrit de la propre
main de M. de Mercœur, par ce qu'il est en ia mesme
gelienne que M. de Mayenne. Il eut volonté de parler à
lui, lui donna heure, l'envoya entretenir fort honnes-
tement. Le Bossu, œconome de l'evesché, descouvrit
cela, prescha à l'encontre, en voiut faire remons-
trances à M. de Mercœu? , en feit protester l'agent
d'Espaigne. Cela le reteint de parler à lui : nonobstant
il envoya à la mesme heure les passeports aulx prési-
dent Herpin et seneschal de Nantes , lesquels sont allé»
aboucher le sieur de Talloaet, gouverneur de Redon ,
qui traicte pour lui , auquel i! a pleine confiance. J'ai
envoyé aulxdicts sieurs les instructions sur lesquelles
ils ont à negotiep, et pense les avoir bientost de re-
tour; et peult estre quelqu'ung de la part de M. de
Mercœur avec eulx, pour s'esclaircir plus avant.
Il est certain qu'il parle avec beaucoup d honneur
de sa majesté, le tenant pour le senl salut de la France.
Mais il en demeure là que, pour l'aider à contenter
les villes, il les fault satisfaire sur le point de la relli-
gion; et j'estime qu il agréera l'expédient concerté avec
M. de Mayenne, par M. de Villeroy ; car j'ai apperceii
qu'ils marchent de mesme pied, font n?esrnes diffi-
cultés , et reçoivent mesmes solutions. La route de
374 MEMOIRE DE M. DUPLESSrs
Sainct Laurens, et la charge faicte es faulxbourgs de
Dinan, n'y nuiront pas; et la descente des Anglois y
servira fort.
Pour son particulier, quelqu'ung m'advertit qu'il
demandera la comté de Nantes ; chose trop de consé-
quence à sa majesté. Et pour ce il hii plaira adviser
si on lui offrira quelque pension et quelques bénéfices, I
comme à M. de Mayenne ; non toutesfois tant oultre |
son gouvernement; encores que c'est celui qui tient |
le plus, et qui, à la faveur d'Espaigne, se peult mieulx |
deffendre. De toute ceste negotiation, j'ai teneu ad-
verti monseigneur de Montpensier.
Seroit à propos aussi, tant pour prévenir l'EspaignoI
que pour ranger M. de Mercœur, de s'accommoder
de Sainct Nazare, dont j'esrrivis ces jours passés à sa
majesté. Si j'en reçois son commandement, je n'y es-
pargnerai rien, la servirai très fidèlement, et y serai
Lien assisté , mesmes de vaisseaulx et d'artillerie de
Flandres, s'il en est besoin; m'asseurant que sa majesté
me dédommagera tousjours des advances que j'y ferai,
ainsi que plus amplement j'ai pryé le capitaine La Li-
maille lui déclarer; et la place vault bien qu'elle y ait
ung serviteur, qui ne tienne que d'elle. Je sçais d'ail-
leurs que, si sa majesté l'a agréable, monseigneur de
Montpensier en mesme temps attaquera lieu que je lui
proposerai , qui favorisera ceste entreprise; ou à tel
aultre prince qu'il lui plaira ordonner pour comman-
der en Bretaigne. Seulement, à cause de l'EspaignoI et
de la saison, il se fauldroit haster. Et j'en attends la res-
ponse de sa majesté par ledict capitaine La Limaille.
J'avois proposé par M. Morlas à sa majesté ung expé-
dient pour negotier MM. de Joyeuse, dont je n'ai poinct
eu de response. J'y avois laissé M. le comte de Tori-
ENVOYÉ AU ROY. ^yS
gny fort disposé. Il est certain que M. de Joyeuse est
plein de valeur, s'establit fort, et mérite d'estre ne-
gotié. On veult croire qu'il a veu M. d'Espernon en
passant à Chasteau Sainct Michel, près de Thoulouse,
et là dessus on a pensé bastir une grande sédition au-
dict lieu.
Le comte de Brissac est à Ancenis , qui s'en va à
Poictiers; et MM. de Malicorne et de La Tremouille
sont à Montcontour pour incommoder son chemin.
Cependant il a envoyé ung nommé Gode , frère du lieu-
tenant criminel de cette ville , pour negotier avec
Bonnevau la surprise de ceste place , en l'asseurant du
gouvernement. Je veille pour Tattrapper à ce passage,
s'il s'embarque plus avant. Bonnevau a trop d'honneur
et de jugement pour s'y engager, qu'autant que je l'y
pousserai.
Il a esté teneu ung synode en Xaintonge, auquel
j'entends qu'ils ont député M. du Monstier vers sa
majesté , pour lui remonstrer les mauvais traictemens
que reçoivent partout ceulx de larelligion soubs Tinexe-
eution de ses edicts, et le supplier très humblement
d'y pourvoir. Il est certain que les plainctes en sont
grandes, et ont besoing de remède; m.esmes par l'envoi
de commissaires, ainsi que ci devant sa majesté l'avoit
trouvé bon. J'en sçaurai dadvantage et en advertirai
sa majesté.
Je pense que sa majesté ne pouvoit avoir mieulx
faict que de recommander la garde du sceau à M. de
La Burte, pour sceller en conseil. Il y a plusieurs af-
faires à vuider concernant sa maison, pour créanciers,
procès, ventes de bois, rachats de terre escheus, etc.,
qui ne peuvent estre décidés à propos , qu'à Tours.
S'il plaist à sa majesté l'avoir agréable , M. de La Burte
376 MEMOIRE DE M. DUPLESSIS
avec les principaulx pourroient s'acheminer là où je
me trouverois , afin de mettre ungbon ordre, premier
que de partir pour l'aller retrouver.
Aussi sa m^ajesté estant à Sedan , avoit commandé à
M. du Ion, professeur en théologie à Neustat, de s'en
venir en France , pour le servir aulx bonnes occasions
qui se pourroient présenter. Sur quoi ledict sieur du
Ion a quitté son académie, est venu en Hollande, et
se délibère passer au premier jour en France. Le sieur
Duplessis supplie très humblement sa majesté de se
souvenir Là dessus du propos qu'il tint à Louviers, sur
lequel il lui pleut lui commander de faire conférer
ensemble des plus doctes et excellens ministres du
royaulme pour se préparer à une conférence, si Dieu
nous y appelle. Chose du tout nécessaire, et pour la
gloire de Dieu, et pour son service; et en conséquence
de ce, commander qu'il soit escrit et mandé audict
sieur du Ion de se rendre à La Rochelle, et de là à
Saulmur, pour y attendre ses commandemens et la sai-
son où il se pourra servir de lui, selon sa dignité et
suffisance. Auquel lieu de Saulmur, il sera pourveu
par le sieur Duplessis à son logis, et entretenement à
la meilleure commodité, et par lequel aussi il entendra
la vollonté et intention de sa majesté.
Présentement , M. le premier président m'escrit et
m'envoye ung mémoire, dont j'envoye copie, comme
aussi de ses lettres. Il est certain que la court est en
dangereuse combustion pour deux poincls. L'ung est
pour la réception de Pelletier, notoirement ligueur,
comme il appert par deux arrests par lui obteneus à
Paris pendant la guerre, et d'abondant de très mau-
vaise réputation.
L'aultre est pour le faict du sieur de La Borde, à la
ENVOYÉ AU ROY. $77
réception duquel par toutes espèces de cavillations de
l'advocat gênerai Seguier s'opposent. Nonobstant l'ar-
rest interveneu de la court qui a suivi vertueusement
l'intention du roy, par la vertu des bons. Il importe à
sa majesté de ne les laisser succomber, ni en Tune^
ni en l'aultre cause. Ce qu'elle peult , en escrivant aulx
presidens la lettre que demande M. le premier président,
dontj'envoye copie, et aulx gens du roy, une qui tes-
moigne quelque mescontentement , telle qu'elle se
])ourra prendre dudict mémoire. M. de Beaulieu sera
propre à faire ceste despesche.
Il est certain aussi que la suppression qu'on a faict
delà chambre du domaine, a esté interprétée au mes-
pris de ladicte court , en haine de ce qu'ils n'ont voulleu
vérifier les mains levées de madame de Nemours , de
Joyeuse, de Brissac et aultres; et y a danger que ceulx
qui y sont commis n'y tiennent pas la roideur , ni la
rondeur qui y est requise.
Il est nécessaire, si sa majesté a à venir en traicté de
paix, qu'elle commande de bonne heure à messieurs
les secrétaires de faire une liste de tous les gouver-
neurs et capitaines qui sont es villes et chasteaulx de sa
majesté , pour éviter aulx surprises qui se pourroient
faire en traictant la réintégration de ceulx de la Ligue,
au mescontentement de plusieurs de ses serviteurs, et
préjudice de son service ; et est cest article de ceulx
qui méritent plus exacte considération , ainsi que je me
suis apperceu , cheminant de lieu en aultre.
ByS LETTRE DE M. DUPLESSIS
CXLVI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Charrette y seneschal de Nantes.
Monsieur, j'ai esté fort aise d'avoir receu les vos-
tres du 5, et désire ung bon progrès en vostre negotia-
tion. Je double seulement que la voye que vous tenés
ne soit traversée par les pratiques des Espaignols, et
mauvais François , estimant que cest affaire doit estre
conduict de façon qu'il soit plustost concleu qu'apper-
ceu. Ce que j'ai expérimenté estre de l'intention de
M. de Mayenne, de laquelle j'ai opinion aussi que M. de
Mercœur n'est esloingné , selon la prudence que je re-
cognois en lui. Je vous prye donc d'y prendre garde ;
car je sçais combien la générale negotiation a receu de
dommage , par estre traictee trop à descouvert. D'ail-
leurs, je ne sçais si vous serés veneu de la court,
muni des instructions nécessaires sur les articles dont
conviendra traicter , sans lesquelles il est dangereux
de s'ingérer trop avant, pour ne prejudicier par ung
traicté particulier au gênerai de ce royaulme.' Je pré-
suppose toutesfois, selon vostre bon jugement, puis-
qu'en venés en conférence, que ne serés veneu des-
pourveu de cela, afin de conformer vos propositions
particulières aulx publicques, sinon il eust esté bon,
comme j'avois tousjours désiré, que nous eussions parlé
ensemble pour la cognoissance que j'ai eu en ceste
entremise, de ce qui concerne en cest affaire, tant le
bien du roy et du royaulme , que les interests et pré-
tentions de ceulx. du parti contraire. Quant à ce que
m'escrivés du gré que me sravent tous les gens de
A M. DE CHARRETTE. 879
bien de Bretaigne, de l'introduction de ce traicté, je
vous prye de les asseurer de plus en plus que nul
n'apportera plus de soing au repos et restauration de
leur province, de laquelle, oultre l'importance parti-
culière, je recognois prou la conséquence universelle.
J'eusse eu beaucoup de choses à vous dire, si je vous
eusse veu;et,à faulte de ce, que je vous envoyé ung bref
mémoire , seulement pour l'entrée de vostre pourpar-
ler, attendant que , sur les propositions qui vous seront
faictes, je puisse vous esclaircir davantage. Je ne faul-
drai, au reste, d'advertir sa majesté du soing que vous
apportés à ce qui est de son service , et à vous servir ,
s'il s'en présente occasion, d aussi bon cœur, monsieur,
qu'humblement je salue vos bonnes grâces, et prye
Dieu vous avoir en sa garde, etc.
De Saulmur, le 10 septembre lôg?..
CXLVII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
^li roj.
Sire, depuis mes précédentes, j'ai veu M. le mares-
chal d'Aumont à Baugé , sur une proposition que nous
avons faicte d'attaquer Rochefort, qui s'en va hors de
prise , s'il n'y est bientost pourveu. M. de La Tre-
mouille s'y est trouvé aussi. Ceulx d'Angers offrirent
vingt mille escus pour le siège, à condition que la
place seroit rasée. M. de La Tremoille pareille somme ,
moyennant que sa maison lui feust remise entre les
mains ; l'ung et l'aullre soubs asseurance de remplace*
ment de leurs deniers, et l'ung combattant son interest,
l'aultre son droict : enfin, pour ne rompre le bien de
38o LETTRE DE M. DUPLESSIS
vostre service, a esté conveneuque venant ladicte place
à estre prise , elle sera conservée es mains de M. Pui-
cheric, jusques à ce que vostre majesté ordonne sa
volonté, à laquelle sur sa foi et honneur il obéira
sans tergiversation. J'espère donc que bientost on y
mettra la main, à quoi je me délibère de servir mon-
dict sieur le mareschal de tout ce que j'ai en main. Je
ne me liaste poinct d'aller retrouver vostre majesté,
parce que je ne vois poinct encores que l'assemblée pre-
tendeue soit commencée , ni mesmes M. le marquis de
Pisany parti, dont semble principalement despendre le
progrés de la negotiation, et suis toutesfois tousjours
prest à tous les commandemens de vostre majesté.
Sire, je supplie le Créateur qu'il doint à vostre ma-
jesté en prospérité longue vie.
DeSaulmur, le 12 septembre lôga.
CXLVIII. —LETTRE DE M. DUPLESSIS
 monseigneur le pYince de Conti.
Monseigneur, je revins hier au soir de Thouars,
où j'estois allé voir M, de Malicorne , pour Tachemi-
nement de ce que vous désirés de lui. Mais je le trou-
vai mal d'une fiebvre tierce, dont il a eu cinq accès,
et n'en est hors. M. de La Bastide y arriva premier
que nous nous séparassions. Pour sa personne, à cause
de son indisposition difficilement en pouvés vous estre
assisté; mais bien de partie de sa cavallerie. Et M. de
La Tremouille m'asseura encores en partant , qu'il vous 1
mènera trois cens bons chevaulx ; mais il désire que
vous les reserviés pour le besoing, cas que l'ennemi
AU PRINCE DE CONTI. 38 1
voulleust secourir Rochefort ; comme de faict, je pense
qu'ils vous seroient inutiles plustost. M. de Parabere
me promit aussi de marcher, si M. de Malicorne ne
pouvoit. J'ai escrit à MM. de La Rochelle pour vos
poudres et balles; et à plusieurs de mes amis pour v
tenir la main. Les escortes ne leur manqueront poinct;
mais bien y aura il des frais pour le charroi. M. de La
Tremouille est allé à Sainct Jean ; le retour duquel
servira à ceste conduicte là. Et sa présence mesmes
pourra surmonter les difficultés qui s'y présenteront.
Je trouve encores incertitude au recouvrement de deux
canons en Poictou ; car ceulx de Fontenav, en l'absence
de M. de La Boulaye , ne sortiront pas. Mais il fauldra
que M. de La Tremouille essaye de les tirer, partie de
La Rochelle, et partie de Partenay. Et cela meriteroit
que vous, monseigneur, lui en fissiés encores une des-
pesche par ung lacquais, et à M. de Malicorne; mesmes
aussi à ceulx de la ville de La Rochelle , adressant vos
lettres pour eulx à M. de La Tremouille. Pour mon
regard, mes deux canons sont prests; je fais revoir ce
qu'il y fault, et les vous ferai conduire avec vos mu-
nitions de La Rochelle; car vous n'en pouvés avoir
affaire plustost. J'envoyerai aussi une bonne trouppe
d'arquebusiers de ceste ville. Je fais diligenter la levée
des pionniers de ceste ville le premier d'octobre; et ce-
pendant vous envoyerai au premier jour une dou-
zaine d'hommes pour faire des gabions, ou bien une
quarantaine de gabions tous faitcts. De balles, j'ai
tousjours dict que je n'en ai poinct; et la vérité est
que j'en ai envoyé acheter à La Rochelle, n'en ayant
peu trouver aulx forges du Perche ; et encores me
mande on qu'elles me cousteront sept francs le cent
pesant à La Rochelle ; qui seroit à revenir à quarante
38a LETTRE DE M. DUPLESSIS
et six sols la balh; de canon ; donc j'ai donné instruc-
tion à M. de La Bastide. Mais parce qu'il y a doubte
que ceulx de La Rochelle ne vouldront pas se dégarnir
d'une grande quantité , j'estime qu'il est nécessaire
que vous envoyés aulx forges vers Mayenne ou Alen-
çon, pour en faire diligenter quelque bon nombre.
De ma compaignie, il y a trente mois et plus qu'elle
n'a touché ung liard que de ma bourse, et une assigna-
tion de mille escus que vous lui fîstes donner. Ce
n'est pas pour pouvoir estre preste à toutes occasions;
toutesfois, si l'ennemi se présente pour incommoder
le siège, je vous mènerai cinquante maistres et plus,
comme j'espère, me faisant cest honneur de m'advertir
trois jours devant le besoing. De les mettre en cam-
paigne, plustost ils vous seroient inutiles, et à moi
difficiles à retenir. Et de ce pas je m'en vais à Tours
faire quelques affaires, que sa majesté m'a fort exprès
commandés, afin que rien ne me puisse retenir de
vous faire ung bon service, quand l'occasion se pré-
sentera. Les aultres commissions, concernant les pion-
niers de Poictou, je les ai mises es mains du gênerai
Courtigny , pour en faire les departemens , et remplir
le blanc. Qui est, monseigneur, ce que j'estime estre
pour le présent de vostre service; et sur ce supplie
le Créateur qu'il vous ait en sa saincte garde.
De Saulmur, le 2i septembre i5g?.
AU ROY. 383
CXLIX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Au roy.
Sire, j'ai rencontré M. Hesperien , m'en revenant de
Tours. Je supplie vostre majesté de l'ouïr sur ce que
je lui ai dict, nommeement de vostre court de parle-
ment. On vous propose des remèdes plus fasclieux. Je
me tiens au plus expédient; et qui ne lairra de réussir,
si vostre majesté monstre le sourcil droict ; sinon , il en
réussira plus de mal que de bien. Aultrement , M. le
premier président ne vous peult plus respondre de
rien, s'il se présente coup de partie; et proteste de se
retirer. Vostre majesté sçait si j'ai accoustumé de lui
escrire mes passions. Et certes, les ungs et les aultres
indifféremment sont mes amis. Touchant le voyage de
M. Hesperien , j'estime nécessaire de faire changer d'air
à madame, pour lui faire changer l'humeur, qui y
pourroit estre moins convenable à vostre intention.
Lors je ne doubte poinct qu'elle ne fasse ce que vostre
majesté vouldra. Et autrement, les practiques se con-
tinuent, les affections se fomentent, qui se diverti-
roient, soit par le changement de place, soit par la
veue d'ung aultre object. Sur ce, j'ai dict quelques
particularités à M. Hesperien, et sur aultres poincts
concernant le service de vostre majesté. Je supplie le
Créateur, sire, qu'il donne à vostre majesté en prospé-
rité longue vie.
De Langés, le 3 octobre lôga.
384 LETTRE DE M. DUPLESSIS
CL. —LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. du Fresne. (i)
Monsieur , j'estois en peine de vous , quand j'ai
receu vostre lettre; parce que M. le premier président,
vostre frère , m'avoit asseuré qu'estiés en chemin ; et il
nie sembloit que vous tardiés. Maintenant , je me con-
jouis de vostre veneue ; et vous y désire quelque sé-
jour; m'asseurant que le bon sainct aura faict vertu
en vous , pour préférer Tamitié des vostres à l'ambi-
tion de ce monde. Pardonnes, si je vous ramentoi vos
apopbthegmes. Pour la royne , il avoit esté dict que je
la verrois ; et peult estre eust il esté utile ; mais je n'en
ai receu la despesche que depuis trois jours par ung
lacquais de M. de Morlas , ouverte, souillée, et en
pièces; parce qu'il a esté pris , blessé , mené et reteneu
à Orléans. Et, oultre que je serois honteux de la pré-
senter telle, je vois par la vostre qu'elle s'en va à Mou-
lins. La substance de la negotiation requeroit ung de-
vis plus particulier, que nous aurons à vostre commo-
dité. Pour l'aultre poinct, qui concerne mon voyage
vers sa majesté, je n'enchéris jamais mes pas quand
ils servent de quelque chose ; mais je n'en cognois pas
encores l'utilité, si les affaires ne sont plus meurs. Et
je vous ai souvent dict qu'il est mal plaisant de servir '
comme l'une des trois cens drogues qui entrent en la the-
riaque, dont on ne peult cognoistre en ceste confusion
ni la nature , ni la vertu. Vous comprenés assés ce que
(i) Forget.
A M. DU FRESNE. 385
je dis, venant des lieux. Cependant pour ne perdre
temps, ni occasion, j'assiste monseigneur le prince et
M. le mareschai d'Aumont, de ce que je puis au siège
de ceste place, importante infiniment à ces provinces;
forte plus qu'il n'est à croire, et d'art et de nature. Et
dont toutesfois, aidant Dieu, nous aurons le bout, si
nous ne sommes traversés de la Bretaigne , auquel cas
chacung debvroit estre le pied à l't^trier pour nous
secourir. Monsieur, je suis neantmoins tout prest de
faire ce qu'il plaira à sa majesté. Seulement, je la sup-
plie de ne me mettre poinct en des frais inutiles ;
m'estant bien assés , en ma condition, telle que cha-
cung sçait, et que la sienne ne peult facilement soubs-
tenir en Testât où e'ile est, de fournir aulx nécessaires.
Ce que je vous dis avec toute vérité. Au reste je suis,
monsieur, tout à vostre service, et de M. le prési-
dent, vostre frère; et vous baise bien humblement les
mains, pryant Dieu vous avoir en sa saincte garde.
Vostre humble et affectionné ami à vostre service.
Du camp devant Rocbefort^ le 24 octobre i5gi.
CLI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
 M. de Cussé, premier président au parlement de
Bretaigne.
Monsieur, j'ai receu les vostres, dont je vous re-
\ mercie humblement. Nous bastissons sur vos advis,
comme sur le ferme, et nous obligés fort de les conti-
ij nuer. Je juge, et par l'apparence, et par la raison, et
par la nécessité de ses affaires , que M. de Mercœur
prend le chemin de Dinan , pour s'opposer aulx An-
MÉM. de DuPI.ESSIS-MoRIfA.Y. ToME y. 2 5
386 LETTRE DE M. DLIPLESSIS
glois. Et pour ici, désormais je ne vois pas qu'il y veint
à temps , pour Texlremité où sont recluicts ces gens
par maladies, blesseures , et aultres nécessités. Je m'es-
bahi de ce que m'escrivés du nombre des Anglois; et
ne puis penser , veu le grand interest qu'a la royne en
la Bretaigne , veu aussi la teneur du traicté, qu'elle se
contente de cela; ce peult estre le commencement, et
le reste suit après. J'ai communiqué les vostres à M. le
marescbal. Il présuppose que monseigneur de Mont-
pensier a commandement de sa majesté de ne laisser la
Bretaigne qu'il n'y soit arrivé; et sur ce a faict, depuis
que je suis ici , plusieurs despesclies. Il s'asseure aussi ,
veu le soing que mondict seigneur a tousjours eu de
ceste province, qu'il n'obmetlra rien en attendant pour
sa conservation. Mesmes pour le contentement et seu-
reté des Anglois , de l'acheminement desquels il lui
a escrit son advis. Il despesche aussi gentilhomme exprès
vers M. de Norris, pour le gratifier. Et pour vostre
regard, il se promet de vous tous bons offices ; et pour
ce qui touche le bien de la province , et les affaires du
roy, tous fidèles services , selon l'affection qu'y avés
tousjours portée, et vous asseure qu'il aura fort agréa-
ble d'y estre assisté de vous , pour les bonnes qualités
qu'il a entendues estre en vous, qu'il croit contre toutes
calomnies. Vous ferés donc bien de lui escrire ce que
penserés nécessaire pour le règlement de la province.
Et trouvères un seigneur , plein de zèle et d'intégrité
au service du roy et bien public, s'il en fust oncq.
Or, monsieur, continués moi vos bonnes grâces, que
je salue humblement, en pryant Dieu vous avoir en sa |
saincte garde.
Du camp dévalât Rocliefort , ce 21 novembre 1592.
Et par apostile estait escrit: Présentement j'ai let-
A M. DE CUSSÉ. 387
très que Madame est à Bourdeaux , et marche droict
à Saulmur, où elle memande qu'elle sera vers le 20 no-
vembre. Ce pourra estre sur le commencement de dé-
cembre, car elle ne veult poinct séjourner jusques là.
CLII.— LETTRE DE M. DUPLESSTS
Au roy.
Sire , vostre majesté aura esté avertie que le siège
de Rochefort a esté levé. L'issue en pouvoit estre tout
aultre; mais j'ose dire que c'est plustost malheur que
faulte , car chascun y a faict ce qu'il a peu , M. le ma-
reschal d'Aumont surtout. Mais par une certaine faci-
Hté, les mauvais advis ont esté préférés visiblement
aulx bons. Je me console , qu'il rendra tesmoignage à
vostre majesté que je l'y ai assisté oultre mon pouvoir,
depuis le commencement jusques à la fin. Maintenant
c'est à nous à courre; car ces gens enorgueillis seront
tous les jours à nos portes, ce qui me seroit dur, son
altesse ayant à séjourner en ce lieu. Et cependant j'ai
ce malheur que depuis trois ans ma compaignie n'a
peu faire une monstre. C'est pourquoi je supplie très
humblement vostre majesté d'ordonner que ceste gar-
nison soit bien entreteneue , et particulièrement que j'y
puisse avoir vingt et cinq maistres payés , ou en quelque
lieu que je choisirai entre ci et Rocliefort , pour arrester
toutes les courses qui en pourroient venir. Je me pré-
pare d'aller au devant de son altesse jusques vers Nyort,
avec une belle trouppe , ayant ceste faveur que la
noblesse catholique de ces quartiers, au moins une
bonne partie , se monstre fort volontaire à monter à
388 LETTRE DE M. DUPLESSIS
cheval es bonnes occasions. Au reste, sire, j'ai escrit
a vostre majesté comme on est après à me faire perdre
les chasteliers en Ré , qui seul me demeure de vostre
libéralité , par un moyen que j'escris à M. de Lomenie ;
à quoi vostre majesté peult aisément remédier. Je tas-
cherai tousjours de bien employer ses bienfaicts, et ne
prétends acquérir tbresor que vostre bonne grâce,
que je supplie Dieu , sire , me donner avec autant de
service et de mérite , comme de toute loyaulté. Je suis
vostre très humble et très obéissant subject et serviteur
à jamais.
De Saulmur, le 7 septembre 1592.
CLIII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
^u roj.
Du 20 décembre iSga.
Sire , gens dignes de foi parlent fort asseureement
d'une requeste qui vous doibt estre présentée. Je ne
scais à quelle fin ceste assemblée; et me semble veu la
bulle que vostre majesté doibt attendre nouvelles de
M. le marquis de Pisani , et lui despescher quelqu'un
qui rapporte resolution. Si le pape persévère, vostre
majesté , soubs le prétexte de venir veoir Madame , sans
se descouvrir du surplus, doibt venir à mon advis à
Tours, et y tenir son lict de justice, chose qui esclat-
tera par le peuple; mesmes s'y pourroit faire cou-
ronner, comme feit Charles VU cà Poitiers. En ces deux
actions il n'y a aulcune cérémonie contraire à vostre
profession. Vostre majesté y trouvera un parlement re-
soleu à bien faire ; parce que ceulx mesmes qui ne le
seroient pas , le seront par vostre présence , et les bons
AU ROY. 389
s'en fortifieront. Et croyés, sire, qu'il sera aisé à vostre
majesté de faire voir au pape que vous aurés plustost
faict un pape en France, que luy ung roy. J'en ai dict
dadvantage au porteur, et supplie très humblement
vostre majesté de se soubvenir que je n'escris pas vo-
lontiers si clairement sans propos , et brusler la pré-
sente. Sire, etc.
CLIV. — MEMOIRE DE M. DUPLESSIS
Au roy.
De Tours, le 20 décembre i5g2.
L'assemblée de Chartres est fort suspecte aux bons ;
et croit on que c'est pour presser le roy d'aller à la
messe.
M. d'O escrit au président Seguier que son frère est
très nécessaire là, et qu'il vienne. J'ai veu la leitre,
qu'il y va du salut , si le roy ne tient sa promesse à
monsieur le cardinal. De mesnies à plusieurs.
Les plus prudens seroient d'advis qu'elle se differast
jusques à la response de M. le marquis de Pisani , et
si elle ne réussit, qu'alors absolument on renonceastà
Rome. A quoi M. de Hailay est très resoleu , et chas-
cung s'y dispose avec toutes les formalités requises.
Mais en ce cas sera à propos que sa majesté , ne par-
lant à personne que de venir veoir Madame, se rende
à Tours, accompaigné de son conseil, et de ses plus
fidelles , pour fortifier de sa présence les bonnes réso-
lutions.
Sur les circonstances et dépendances de cest affaire,
qui sont grandes, et de longue déduction, mais très
Sgo MEMOIRE DE M. DUPLESSTS
faciles, j'ni pleinement discoureu à M. de Morlas , que
je supplie très humblement sa majesté entendre là
dessus.
La cour des Aides, nouvellement establie ici , a
donné arrest pour la réception indifféremment de ceulx
de la relligion , et en reçoit tous les jours; j'ai frappé
ce coup. Cest un corps fort entier au service de sa
majesté, pourveu qu'il n'y entre de la zizanie. Je pense
que M. du Lac, advocat du roy, va par delà, qui mé-
rite fort un bon visage.
Quant au parlement et Chambre des Comptes , nul
de la relligion n'y est receu jusques à présent ; mesmes
on a usé fraischement d'une rigueur au serment qui
fust introduict par la ligue, par laquelle les receus dé-
clarent "leurs estàts vacans et impelrables , avenant
qu'ils changent de relligion. M. de Vileray va en court,
qui est bon homme , serviteur de sa majesté, el capable
de ses intentions. Ung bon mot lui fera tout faire, et
le m'a promis. Les termes que sa majesté a à tenir sont,
qu'ils lui feront service d'esteindre en tant qu'ils pour-
ront les noms des factions , et ces différences qui ne
peuvent estre sans différend. Et M. de Souvray s'en va
trouver sa majesté , mal content du gouvernemerit
donné à monseigneur le prince de Conty. Il a esté aigri
par lettres de MM. de Laverdin et Rochepot. Je l'ai
adouici par toutes les raisons que j'ai peu , particuliè-
rement que sa majesté n'a peu comment refuser cela à
M. le cardinal, dont il est offensé. J'estime que sa
majesté doibt tascher de le contenter en une façon
ou aultre ; car il est certain qu'il aime le roy, mais il
lui semble que sa majesté se soubvient peu de lui.
J'ai receu plusieurs lettres depuis peu du sieur de
Cussc , sur lequel ordinairement M. de Montpensier se
AU ROY. 391
remet de ce qu'il désire me faire entendre en chiffres.
Il me donne grand espoir qu'il donnera contente-
ment à sa majesté, sur le faict de la relligion ; mais il
désire, pour éviter les traverses, que cela se traicte
entre lui et moi ; et surtout qu'on se cache de
qui s'y oppose cruellement; et diiquel il tarde fort au
maistre qu'il ne soit defaict. Ce seroit un grand coup
pour les affaires de sa majesté.
Au procès de la sédition de Limoges, qui a esté
renvoyé en parlement , il y a des marques tout évi-
dentes des practiques du tiers parti, qui présuppose
qu'il se brouille ailleurs. Et que sa majesté n'en double
poinct.
Nous avons bon espoir de la negotiation de M. Erard ,
que sa majesté concleut à Louviers ; et espère que sa
majesté en recevra contentement. '
Je crains qu'il n'y ait de la brouillerie à La Rochelle,
pour farmee de mer, que dresse M. de Sainct Luc;
car j'y apperceois des desfiances et des plainctes, et,
qui pis est , des resolutions fomentées par ceulx qui
ont auctorité en la coste, pour s'y opposer.
CLV. —-î;^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Fleurj.
Du . . mars i5q3.
MoTYSiFUR, je ne suis ici que pour l'affaire dont est
question; et hier encores receus lettres de sa majesté,
qui m'en donnoit charge; s il y a apparence de rien
faire de bien du cosîé du mais^re ni du serviteur, il
ne s'y trouvera que sincérité envers ung si bon œuvre;
Sga LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
mais je désire aussi, pour la dignité de l'ung et justice
de Taultre, que nous ne conférions poinct inutilement,
ce qui seroit si on vouloit encores disputer , ce qui
doibt estre présupposé si on veult la paix; du surplus,
il sera plus aisé à convenir, et ne fault doubter que
la prudence du roy ne donne beaucoup au repos de
son royaulme. Par celle que je receus bier, le sieur de
Grainmont n'avoit point veu le roy; mais je sçais que
s'il le voit, il lui donnera subject d'estre content et de
contenter les aultres. Quant à M. vostre beau frère,
je crois qu'il désire la paix; car je l'estime prudent; je
sçais aussi que ceste mesme prudence lui faict assés
voir les cbemins qui y mènent, et ceulx qui en des-
tournent, et par conséquent ne doubte poinct qu'il ne
fasse ce qu'il peult pour ouvrir les ungs et clorre les
aultres. Si son trompette est arrivé avec resolution sur
le poinct tant de fois mentionné, je ne désire rien plus
que de le voir; et me promets que ce sera avec fruict,
et peult estre la jalousie de ce traicté sera moindre
hors de la présence des parties , parce qu'il sera moins
connu. Or, monsieur, etc.
CLVI. — LETTRE
De la rojne de Navarre a M. Duplessis, escrite de
sa main.
En avril iSgS.
Monsieur Duplessis , bien que j'attribeue à la seule
bonté de Dieu et bon naturel du roy mon mari, Thon-
neur qu'il lui a pieu me faire par le sieur Erard, de
m'asseurer de sa bonne grâce , le bien du monde que
LETTRE DE LA. ROYNE DE NAVARRE, etc. SgS
j'ai le plus cher, et Thonneur de sa protection, sur la-
quelle, après l'espérance que j'ai en Dieu, je remets
tout le repos de ma vie; scachant neaiitmoins combien
peuvent les conseils de personnes accompagnées de
telle suffisance et aftëction que vous , auprès d'un grand
qui les estime, et y croit, comme je sçais que faict le
roy mon mari; je ne doubte poinct combien vos bons
offices m'y ont peu servir, de quoi j'eusse pensé rester
par trop ingrate de ne vous on remercier par ceste ci,
comme j'ai pryé le sieur Erard le faire plus particuliè-
rement de ma part , et de vous asseurer de l'extresme
désir que j'aurois qu'il s'offrist quelque digne moyen
pour vous faire paroistre combien je p»^ise vostre vertu
et mérite, et combien je désire m'aoquerir et asseurer
pour l'advenir la continuation de vostre amitié , la-
quelle je ne rechercherois si je n'estois très resoleue
d'affectionner avec toute fidélité le bien et la grandeur
du roy mon mari , ou me faisant ce bon office de le
tenir en reste créance , mes actions qui ne se dépar-
tiront jamais de son service vous y rendroni très véri-
table. Ledict sieur Erard vous communiquera toutes
choses. Si vous m'obliges tant de tenir la main à la
perfection d'un si bon commencement, duquel des-
pend tout le repos et seureté de ma vie, vous vous
acquerés une immortelle obligation sur moi , qui par
tous effets serai à jamais désireuse de me tesmoigner
vostre plus affectionnée et fiJeie amie,
r Marguerite.
394 LETTRE DE M. DUPLESSIS
CLVII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Biizenval.
Du 3 avril lôgS.
Monsieur, j'ai rcceu plusieurs lettres de vous, et
m'accuse de n'y avoir pas soigneusement respondeu.
Mais vous excuserez la court qui nous a teneus ici
deux mois : premièrement de Madame ; puis du roy,
qui l'y est veneu trouver; et depuis séjourna trois
sepmaines à Tours avec mille affaires. Le désir de
sa majesté estoit que madicte dame espousast M. de
Montpensier, qui s'estoit rendu ici pour s'y faire recog-
noistre et s'y rendre agréable; mais il s'est trouvé une
promesse que madicte dame a confessé avoir donnée à
M. le comte de Boissons, qui trouble tout. Sa majesté
l'a envoyé redemander , n'ayant peu son altesse s'obli-
ger au desceu de son souverain. M. le comte refuse,
et res novas molitiir , qui ne peuvent tarder. Si son
altesse s'en feust descouverte à temps, à quelque ser-
viteur fidèle, on pouvoit éviter ce scandale; mais elle
protestoit tousjours qu'il n'y avoit rien qui empeschast
sa liberté. Et en ce malheur toutesfois , j'ai eu cest
heur d'en estre doulcement développé , et que le faict
a esclaté h Tours, et non ici, où j'en eusse receu
plus de desplaisir. Sa majesté cependant l'a menée à
Mantes, (ài je crains qu'elle ne reçoive plus aisé-
ment d.es conseils, pour fomenter son opinion contre
la volonté du roy. Voilà comme, en ce misérable
estât, naissent tous les jours nouvelles apostemes de
nos péchés. Vous sçavés mieux ce qui se passe à
A M. DE BUZENVAL. SqS
Noyon que nous. J'espère que ce ?'ege tournera à
dommage à l'EspaignoI. Si ainsi e<^t,nous entrerons
ceste année dans Pans, moyennaitt (|ue le desseing du
rov soit suivi de n'y laisser rien entrer, et sa majesté
bien servie. Je suis ordonné avec ma compagnie de
gendarmes pour deffendre Tung des principaulx pas
par où on les ponrroit avictuailler; et fais mon estât
de m'y rendre au commencement de mai, s'il ne sur-
vient un nouveau cas. De la conférence, aulcungs nous
veullent faire espérer; mais les commencemcns m'en
font doubler ; car ils protestent de ne vouloir traicter
ni avec, ni pour, ni de rhéréfique. 5"/ ita est (car ils
entendent le roy), ciii hono? Toutesfois i! se peult
faire que l'appelit leur en viendra en faisant semblant;
et lousjours nous importe il d'escouter, pour décliner
l'envie, qui tombe ordinairement sur ceulx qui refu-
sent de traicter, encores que ceulx qui les y convient
le fassent à fraude. Tant y a, que M. de Lorraine semble
las de la guerre^, et non nioiiis de l'insolence espai-
gnole; plusieurs aultres aussi de letu' parti. Et n'y a
plus que les désespérés qui le soubsliennent. J'ai receu
r Apocalypse de M. du Ion, m.his non de ses lettres. Je
fai=; conscience de !e presser de sortir de F* poTir en-
trer en nos misères; encores que sa majesté m'a ac-
cordé un collège ici , que je délibère faire baslir. Ce-
pendant je désire fjrt avoir la forme de ! institution
de l'académie de Leiden. Le porteur, qui est l'ung de
mes gardes, neveu de feu M. Oîtoman, vous dira plus
particulièrement de nos nouvelles. Je le vous recom-
mande, Si vons avés à envoyer une despescbe en court,
il s'en a({]uittera fidèlement, me venant trouver. Or,
faictes ;on-jours estât de nous, comme de personnes
sur qui avés toute puissance. Je salue humblement vos
396 LETTRE DE M. DUPLESSIS , ctc
bonnes grâces, et prye Dieu, monsieur, vous avoir en
sa saincte garde. Vostre humble et fidèle ami, à vostre
service.
Et par apostille estait escrit: Je n'ai point receu les
livres que vous m'avés mandé que vous gardiés pour
mon fils. Il s'en va advancé en la langue hébraïque,
continue ses aultres estudes, n'obmet pour cela les
honnestes exercices.
CLVIII. — ^ MEMOIRE
Envoyé au roy par M. Duplessis.
Du ig avril i5tj3.
Le sieur Duplessis travaille avec toute la diligence
qu'il peult au recouvrement des 47,000 liv. qui doib-
vent estre fournis aux Suisses dans la fin de ce mois,
dont ils ne le laissent en repos ung seul jour, parce
que sa majesté a voulu qu'il s'en soit obligé à eulx.
Cependant, pour degouster les acquéreurs des terres
de l'ancien domaine dé sa majesté , aulcungs pren-
nent plaisir à remettre sur la prétendue reunion; mes-
mes le sieur de Liancourt a présenté requeste à la
court , afin de faire déclarer la commission nulle , en
vertu de laquelle il lui avoit esté vendeu pour dix mille
livres de bois en la forest de Gastine , comme n'ayant
icelle esté vérifiée en la court de parlement, à quoi
évidemment les procureurs et advocat Seguier lui tien-
nent la main : seroit à propos que sa majesté escrivist
à M. le premier président , à MM. ses gens , et ce pour
plusieurs considérations qui importent son service. Ils
laissent les affaires de son ancien domaine en Testât qu'ils
i
MEMOIRE ENVOYÉ AU ROY , etc. 897
sont sans y rien immuer, soubs quelque prétexte que
ce soit , jusques à ce qu'aullrement il en soit ordonné
par sa majesté. Ledict sieur Di^plessis ne laisse pour
gaigner temps, de haster la monstre à sa compagnie
de gens d'armes tant qu'il peult, afin que l'affaire des-
dicts Suisses expédié, il n'ait rien qui le retienne, ni
retarde d'aller trouver sa majesté , mesmes pour le des-
sein de Paris, pour lequel il a pieu à sa majesté l'or-
donner, lequel toutesfois semble s'altérer, tant par la
distraction de sa majesté en aultre occupation , que
pour la lenteur qui est en contributions de la pluspart.
Il ne s'est encore rien entrepris en Anjou ; et cepen-
dant les Anglois se dépérissent fort, et l'ennemi pour-
veoit à Laval et à Gliasteaugontier, non seulement
y jettant des forces pour les deffendre, mais mesmes
préparant une armée capable de le secourir, laquelle,
venant sur le déclin d'un siège , pourra mettre en grand
gesne M. le mareschal. Ledict sieur s'en est allé à Chas-
teauroux pour quelques jours. Il semble que, contre
l'intention de sa majesté , on se resoult à Ghasteau-
gonstier, non à Laval. Je crains un second Craon,
auquel cas le pays est perdeu. M. de Mercœur a receu
encore un raffraischissement de deux mille Espaignols.
Madame la princesse de Conty est d'accord avec M. de
La Chastre du mariaige de son aisnee avec son fils, et
a envoyé quérir son conseil à Tours pour passer le con-
trat. 11 laisse le gouvernement de Berry à sondict fils,
et s'attend que sa majesté l'en pourvoie ; cela brouille-
roit M. (le Montigny. M. de Valançay est le negotia-
teur , qui est son ennemy , comme aussi du mariaige de
la seconde avec M. de Puycbier, ledit sieur de Valan-
çay faict aussi traicter par l'entreprise de Bonnevau,
le mariaige de sa fille aisnee avec ledict sieur Milly,
SgS MEMOIRE ENVOYÉ AU ROY, etc.
petit fils de M. de Brezay : elle auroit deux fort bonnea
places aux portes de Saumur, Tun deçà, Taultre de là
la Loire , et tout cela n'est dessein.
La Rochelle est en grande rumeur depuis trois sep-
maines, parce que l'armée, commandée par La Limaille,
est à la rade qui faict payer le subside. Les boutiques
depuis ce jour y ont este fermées surseance de
deux canons logés sur la poincte de Coreille , et deux à
Clef de Bois : il est nécessaire que sa majesté y pourvoie.
Cela vient mal à propos sur les mescontentemcns ,
dont les officiers, qui ont esté refusés à Tours, ont
rempli le pays, et plus encore sur le mois de mai que
sa majesté a esté advei lie qu'il se doibt tenir ung sy-
node, auquel, sans doubtc, ces affaires seront renoués,
et trouveront ces esprits atterés , aussi que pour peu
denoineaulté qui veint de ce costé, donneroit prétexte
à ceulx qui veulent troubler les affaires de sa majesté ;
d'ailleurs qui seront bien ayses d'avoir rencontré cestui
là. Oultre les quarante sept mille livres que nous deb-
vons recouvrer en dedans la fin de ce mois pour les
Suisses, restent encore neuf vingt mille qu'il fault payer
en dedans dix mois à deux termes. Ceste somme ne
sçauroit estre trouvée sur les terres de deçà; mais
partie s'en trouvera plus commodément, et avec moins
de dommage sur les terres de Guyenne, où elles se
vendent plus cberement; c'est pourquoi je vous prye
de faire que sa majesté en die un mot à Madame,
l'asseurant de remplacement es pays de deçà , selon
son désir, en cas qu'd se présente l'occasion de vendre
quelque terre de son partage provisionnel à la bienséance
des acquéreurs; ce que je pense que son altesse aura
agréable maintenant qu'elle est en ses quartiers; je
lui en escrit aussi un mot.
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 899
CLIX. —-V- LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de La Fontaine.
Du 20 avril l5g3.
MoNSiFUR , j'ai receu plusieurs lettres de vous et ai
respondeu à quelques unes; ces grands confluens que
nous avons eu ici m'ont distraict de mon ordinaire
soing de respondre à me^ amis. Nous avons eu ici
Madame, princesse à la vérité de bon naturel : mais il
se trouve une promesse de mariage fa icte au comte de
Soissons, qui lui travaille la conscience, et est en dan-
ger de nous troubler Testât : si elle eust descouvert
cest ulcère, on le pouvoil guérir avec moins de dou-
leur, de danger et de bruict, et ita ùi dies nova
patefiunt voinica ; en ce misérable estât, le roy l'est
venu voir ici, qui y a séjourné dix jours, et trois sep-
maines à Tours. Là, nous avons combatteu jusques en
camp cloz, pour la réception de nos officiers de la
relligion : sa majesté mesmes, y ayant apporté toute la
vigueur qui se pouvoit, veint hactenus quorandam.
pertinacia et eoriim quos , minime oportuit des gens
du roy bandés à ne requérir son intention, dont je
vois que nos églises recevront un grand mescontente-
ment, si sa majesté ne trouve moyen de domter ceste
obstination; encores que la meilleure part de la court
de parlement y feust disposée; et certes, il lui en de-
meurera un mespris entre eulx, sedanimo inconciisso.
Pour mon regard, j'en porte et Tennui et la haine.
J'ai eu commandement de sa majesté de l'aller retrou-
I ver; mais en mesme temps de recouvrer, par vente de
4oo LETTRE DE M. DUPLESSIS
son domaine ancien, deux cens vingt et cinq mille escus
pour les Suisses, dont il fault que dans dix jours j'en
trouve cinquante mille. Ce n'est pas pour diligenter
mon partement, toutesfois omnem moncho lapidem;
et pour mon particulier, je trancherai quelque chose
de ces grandes sonnnes , afin que vous cognoissiés que
je pense à vous, lorsque je semble vous avoir oublié.
Les saisies générales des créanciers sur nostre patri-
moine nous ont jusques ici lié les mains, de sorte que
nous n'avons peu disposer d'ung denier. Nostre roy
est tousjours lui mesmes au faict de la relligion; lui
mesmes, d'aultre part, pour ses plaisirs; l'un me con-
sole quand je vois qu'd n'est poinct honteux de l'Evan-
gile du Christ; l'aultre m'afflige quand je vois qu'il
faict honte à la profession de cest Evangile. Dieu veuille
couvrir et nos faultes et les siennes de sa miséricorde.
Le pape n'a poinct voulleu voir ni le cardinal Gondy,
ni le marquis de Pisany. Par ainsi on ne nous importu-
nera plus d'escrire au pape, ni d'envoyer à Rome. Au
contraire, je crois que le parlement tentera les voies
de monstrer aux Français qu'ils se peuvent passer de
Rome ; aux Romains, qu'on la peult trouver en France,
qui n'est pas un petit coup sur Tauctorité de la beste;
et les interests mesmes des catholiques romnins, qui
veullent estre asseurés de leurs abbayes et eveschés,
nous mènent là, interea crescit tanquam per alluvicH
nem Ecclesia , et s'establit en divers lieux plus que
vous ne croyés, et qu'il n'est besoin qu'on vous voie»
Je vous dis vrai, et si je pouvois parler, vous le ver-
ries clairement. On a parlé d'une assemblée de La
Rochelle; je pense que c'est un synode où on voulloit
prendre quelque ordre. Alias tali sint arena. Je l'ap-
prouve, pourveu qu'il ne se reveille rien qui seroit à la
A M. DE LA FONTAINE. 4oi
venté en voulant guarir le bi^as, tuer le corps; et si
cela a lieu, j'espère y apporter conseils salutaires. Vous
ne me faictes poinct part de vos méditations comme
m'avés promis; de moi, si vous vous en enquerés, vous
scaurés que nous avons fortifié ceste place; basti un»-
beau temple et méditons ung collège; mais je n'ose
penser sans conscience à tirer M. Junius ex ombra
in arenam : d'ung lieu paisible en nos misérables con-
fusions; et sur ce, monsieur, etC;
CLX. — ^ LETTRE
Du corps municipal de La Rochelle a M. Duplessis.
De La Rochelle, le 21 avril 1 593.
MoA'siEUR, nous vous remercions humblement de
l'affection qu'il vous plaist nous continuer, de laquelle
vous faictes ample démonstration par celle qu'il vous
a pieu nous escrire. Les incommodités et traverses
que nous a donné La Limaille, a apporté telle consé-
quence que l'armée d'Espaigne , sans aulcune difficulté,
est entrée en la rivière de Bourdeaulx , à la veue de
partie de ses navires, et neantmoins quelque défiance
qui puisse estre entre lui et nous, nous equippons le
plus grand nombre de grands vaisseaux qu'il nous est
possible, entre lesquels nous en avons ung de quattre
cens tonneaux, et nos galliottes pour secourir M. le
mareschal de Matignon , et charger l'ennemi pour faire
paroir que, quelque dur traictement que nous rece-
vions, nous ne manquerons jamais au service que no'Js
debvonsau roy et à Testât. En cest endroict nous prye-
rons Dieu, monsieur, vous donner en santé et prospe-
MÉM. DE DUPLESSIS-MORNAY. ToMF T. 2C)
4o2 LETTRE DU CORPS MUNICIPAL, ete.
rite longue et heureuse vie. Vos plus humbles et plus
affectionnés serviteurs ,
Les Maire, Eschevins, Conseillers
et Pairs de la ville de La Rochelle.
CLXL —-V- LETTRE DE M. DE VIC,
Conseiller d'estat^ a M. Duplessis,
Monsieur , encores que mon voyage a esté plus
long, à mon grand regret, que je n'esperois, si est ce
que les occasions qui l'ont prolongé sont telles, que
j'cspere en donner quelque contentement à sa majesté
et à voua aussi, monsieur, m'estant instruict de plusieurs
particularités importantes à son service, tant à Bor-
deaulx , Blaye, qu'ailleurs, où j'ai passé. Il y a six jours
tantost que je suis arresté ici pour disposer MM. les
maires et eschevins à donner quelque notable secours
contre l'armée navale d'Espaigne, qui, des jeudi der-
nier, feut veue devant Talmont en nombre de vingt
voiles, et mouillèrent l'ancre à Moche, attendant la
première commodité pour donner à Blaye. Ladicte
armée ne sauroit porter plus de quinze ou dix huicfc
cens hommes, n'estant le plus grand de leurs navires
que de sept ou huict vingt tonneaux. On a advis qu'à
Sainct Ander, en la coste de Biscaye, dont elle est
partie, s'en prépare une aultre de seize grands navires,
et quattre ou six galleres pour la suivre de près; de
sorte que si elles se peuvent joindre, elles partiront
ensemble : ce qui ne leur pourra estre empesché. Les-
dicts sieurs de ceste ville ne se résolurent, au com-
mencement, qu'à deffendre l'isle de Ré, tant pour
LETTRE DE M. DE VIC, etc. 4o3
n'avoir aiileuiîgs grands vaisseaux, qu'ainsi pour les
grandes défiances qu'ils ont du sieur de La Limaille.
Enfin, après l'élection d'ung nouveau maire, qui feut
faicte hier de la personne de M. du Jon Toii je me
trouvai), on advisa d'armer tout ce qui se pourra, et
aller attaquer ladicte armée; et m'asseura qu'avec l'aide
de Dieu , si elle n'est hors de la rivière dans demain
au soir, elle n'en sortira que par pièces. J'estime qu'il
partira de ceste ville sept ou huict bons navires et trois
galliotes, mieulx armés et pourveus de toutes choses
nécessaires que l'Espaignol ne croit , et me promets que
le tout sera prest dans ce jour, et sortira du port, s'il
est possible. M. de Chastillon y doibt aller en personne,
pour oster les contentions qui pourroient naistre pour
le commandement entre ceste armée et celle du sieur
de La Limaille. M. Gargouiilaud commandera les gal-
liotes , et n'y a aulcung des galans et braves qui ne
veuille estre de la partie. J'ai despesché audict sieur de
La Limaille (avec lequel j'avois conféré pour l'accom-
moder avec ceste ville). Il s'est embarqué, et est à Ja
veue de Tarmee ennemie. J'ai obteneu qu'il pourra
prendre ici plusieurs choses qui lui estoient néces-
saires. M. de Retonille lui a baillé quattre ou cinq cens
hommes de guerre ou matelots, qui me faict croire
que, s'ils les peuvent adjoindre, l'Espaignol ne fera pour
ce coup aulcune conqueste, comme il se promeftoit.
J'ai donné advis de tout ce que dessus à M. le mareschal ,
qui m'avoit envoyé homme exprès pour faire embar-
quer ce qui se pourroit de ce costé. Par ce moyen , il
sera servi dudict sieur de La Limaille, qu'il avoit tous-
jours rejette ; et ces messieurs s'apprivoisent avec ce-
lui qu'ils ont voulleu combattre. Bien est vrai qu'ils
désirent de lui quelque asseurance , laquelle j'ai envoyé
4o4 LETTRE DE M. DE VIC, etc.
quérir, afin qu'il ne se parle en ceste assemblée que
de combattre les ennemis de la France ; mais j'espère
que cela n'empesclieia leur embarquement. Estant h
Marennes, où j'eus le premier advis de l'acheminement
de ladicfe armée navale, je despeschai à M. du Masser
pour assembler ses forces. Il me manda hier de Xaintes,
où il s'est rendeu, qu'il a plus de deux cens chevaulx,
et mille ou douze cens soldats , avec lesquels il s'ache-
mine sur la coste, et s'asseure que ce nombre dou-
blera dans deux jours. On me persuade que le service
de ceste ville sera tardif, si je n'envoyé l'embarquement.
Les principaulx m'ont proposé de retarder mon parte-
ment. L'affaire est de telle importance, qu'ayant em-
ployé tout ce peu que j'ai d'industrie, je diffère jusques
à l'effect de ce qu'on m'a promis que j'espère dans
demain pour tout le jour. De quoi , monsieur, j'ai
voulleu vous donner advis, et vous supplier tousjours
me continuer vos bonnes grâces, et me croire, mon-
sieur, après vous avoir bien humblement baisé les
mains , vostre très humble et très affectionné serviteur,
DE Vie.
A La Rochelle, le 26 avril iSgS.
Monsieur, s'il m'est permis de mcsler quelque chose
de particulier avec le public, on m'a abusé d'une ma-
nière imaginaire Si je n'eusse trouvé des amis, ii
lu'eust falleu vendre des chevaulx. Cela degouste ceulx
qui ont l'affection de faire très humble et fidèle ser-
vice. Je vous supplie très humblement envoyer à M. le
président Vergues ce que je lui escris. Ma petite fa-
mille est en peine de moi.
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. /\o5
CLXII. — LETTRE
De M. Ditplessis h M. le duc de Bouillon.
MoNSTEUR, je loue Dieu que vous soyés approché de
sa majesté; car vostre présence ne peult qu'y estre 1res
utile en toutes sortes. En ce voyage de Tours, beau-
coup de bons affaires ont esté et remués , et poussés,
li'entretenement du ministère, la réception de ceulx
de la relligion es charges, la vérification de l'edict es
aultres pnrlemens, etc. L'histoire en seroit longue, et
Taures peu mieulx entendre d'ailleurs. Sa majesté v a
vertueusement apporté son auctorité ; moi ma juste
importunité, autant qu'il se pouvoit. De tout cela il
n'est demeuré, sinon aulx ennemis de l'audace, au roy
du mespris , à moi de la haine. Si suis je d'opinion, si
sa majesté faict ime vive recharge, surtout en les ap-
pellant près d'elle , qu'elle l'emportera. Sa majesté par-
tant me commanda de la suivre le plus tost <pie je j)our-
rois ,'ce que je désire fort; mais à mesme instant me
feit obliger aulx Suisses, qui s'en retournoient, de la
somme de cinquante mille escus, qu'il leur fault payer
pi'omplement, sinon encourir de très grands inconve-
iiicns , portés par leurs protestations. Je travaille main-
tenant au recouvrement de ceste somme (qui est le
premier terme) par toutes sortes de ventes et engage-
mens; et la malice du temps et rareté des deniers m'y
apportent de 1res grandes difficultés. Toutesfois je re-
muerai tant de pierres, que j'espère en sortir en bref.
Et lors je serai plus leste et deschargé, pour aller de
plus près servir sa majesté, et par mesme moyen vous
4o6 LETTRE DE M. DUPLESSIS
rendre le très humble service que je vous ai voué; me
tenant tout prest , à cela près, afin de partir aussitost
que j'en serai veneu à bout. En negotiant cela, je des-
roberai aussi à part quelque somme pour vous, estant
bien marry qu'il n'y a peu estre plus tost satisfaict. Mais ]
je vous jure, monsieur, que les saisies des créanciers
ont esté si générales et si estroictes pour les longs ar-
rérages qui estoient deus , que mes gages des années jà
91 , 92, 93, ne me sont aulcunement payés. Ce que
j'ai peu faire, c'a esté de me desgager depuis quattre
a!is de douze ou quinze mille escus de responsions où
j'estois entré pour le service de sa majesté, pour les-
quelles mon propre estoit saisi , et encores y demeure je
pour deux fois autant. Vous aurés sceu comme La Ro-
chelle est aulx mains avec les vaisseaux de M. de Sainct
Luc , commandés par le capitaine La Limaille, Cel.i
n aigrit pas peu, mesme les circonvoisins, et vient sur
une saison, cor.rme j'ai jà escrit h sa majesté, qu'il ^
pourroit passer plus ouUre. Je vous prye que cest affaire i
ne soit traicté négligemment. Quant aulx desseings de
Laval et Cbasteau Gontier, ils se rendront difficiles pat*
la longueur. M. le mareschal d'Aumont est encores à
Chasteau Roux. Sans lui, il n'y peult avoir grande
créance en ceste armée. Et ne vous véulx Jjoinct dissi-
muler que s'il y est, je ne fais pas estât de tirer les
canons d'ici, veu les mauvais tours qu'on m'a joués par
le passé en mesme chose. Il y a plus, (ju'on a donné
temps à M. de Boisdaulphin de munir les places; à
M. de Mercœiir de préparer ses forces, pour entre-
prendre sur le déclin d'ung siège. Tout cela , et beau-
coup de circonstances que je considère, des lieux et
des personnes, me faict craindre une Craonade. Quoi
advenant, Brctaigne et Anjou sont perdeus. Et n'y aura
A M. LE DUC DE BOUILLON. 4^7
que ce qui est huguenot qui fasse teste. Ce que je vous
prye de bien peser, et en délibérer, posant ce fonde-
ment. Il sera malaisé que sa majesté ne vous ait dict ce
qu'elle a trouvé de ceste place. Je me promets que
ceste année là nous mettra hors de page. Mais ce n'est
pas petite peine d'avoir tout à faire. Les commence-
mens de ceste conférence ont esté tels , que j'en espère
peu. Toutesfois il advient quelquesfois qu'en faisant
semblant on faict tout à bon. Et puis , il importe que
chacun g cognoisse que sa majesté veult le bien de son
peuple , et ne refuse aulcung chemin qui semble y
mener. Mais je n'estime pas peu , comme j'ai estrit à
sa majesté , que MM. de Gondy et Pisany n'ont esté
ouïs du pape ; car si cela est bien mesnagé , mesme du
gré des catholiques , nous rompons le chemin de France
à Rome. Vous ne me mandés plus si vous espérés rien
de Harcy et Moncornet. Vous en disposerés ainsi qu'il
vous plaira. Au reste, monsieur, faictes moi tousjours
cest honneur de me tenir pour vostre très humble
serviteur; et me faictes tant de faveur, que j'entende
de vos belles conceptions; que je supplie Dieu, mon-
sieur, voulloir tousjours bénir, et vous donner en toute
prospérité longue vie.
De Saulmur, le 29 avril iSg^.
CLXIII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Au wj,
^ Sire, mon premier mot sera que je supphe très
humblement vostre majesté de ne s'ouvrir à aulcung
du conteneu en ceste lettre. M. Krard est reveneu d'A.u-
4o8 LETTRE DE M. DUPLESSIS
vergrie. II a concleu l'affaire ts niesnies termes que
■vostre majesté l'a désiré; et à conditions telles, qu'il a
plustost retranché des offres qu'il avoit à faire qu'aul-
trement. Vostre majesté y a très bien esté servie de lui,
et peult désormais faire estât que, sans passer par
dispense du pape ni d'aultre , elle se poiUTa marier.
J'ose vous exhorter h y penser, sire, afin que vos en-
nemis perdent leurs espérances , vos parens leurs pré-
tentions, vos serviteurs leurs desespoirs; afin surtout
que vostre majesté puisse asseurer sa vie et affermir
son throne, quand on verra une lignée par laquelle
vous pourrés survivre à vous mesmes. Alors aussi nous
hastirons sur vostre grandeur et sur nos services; non
plus, comme la pluspart , dessus vostre tombeau. M. le
connestable, sire, vous en monstre le chemin en sa
famille. Combien plus nécessaire, et pour vous, et pour
aultrui, en vostre estât! Ores, sire, je vous mènerai
l'homme, qui vous dira mieulx le surplus. Seulement
afin de tenir les choses mieulx en estât, je supplie
vostre majesté de lui faire escrire img petit mot, par
lequel vostre majesté lui tesmoigne avoir sa negotiation
agréable; car il a rompeu une practique de l'Espaignol
très préjudiciable, laquelle pourroit revivre, s'il n'avoit
subject d'en faire promptement quelque response, en
attendant que vostre majesté, ayant tout ouï, satis-
fasse au surplus. Je supplie le Créateur, sire, qu'il
inspire ung bon conseil à vostre majesté, et lui doint
prospérer en toutes ses voyes.
De Saulmur, le 5 mai i5g3,
A LA ROYNE DE NAVARRE. /jOQ
CXLIV.— LETTRE DE M. DUPLESSIS
A la rojne de Navarre.
Madame, j'ai receu par M. Erard celle dont il vous
a pieu m'honorer, que je tiens chère, pour la confiance
qu'il vous plaist prendre, qu'en ce qui sera traicté par
moi et avec moi es affaires qui vous toucheront, il n'y
aura que sincérité. Je le vous proteste encores par ceste
ci, madame, sçachant très certainement que l'intention
du roy est telle , et que ce que M. Erard a negotié
avec vostre majesté sera accompli entièrement et sans
fraude. De ce pas, et des que nous avons eu parlé en-
semble , j'ai despesché vers le roy pour lui donner
advis sommairement de ce qui s'est faict. Mais à la pre-
mière seure escorte, il prendra son chemin vers sa
majesté lui mesmes. Et je serai, comme j'espère, ceste
escorte là, pour le désir que j'ai que le tout soit con-
duict à fin avec la fidélité et promptitude qui y est
requise. Mon but, madame, en cest affaire, c'est la
grandeur du roy, l'establissement de Testât, vostre re-
pos et contentement. Pouvoir servir à ung seul de ces
poincts, ne seroit pas peu de chose. Et là oii tous les
trois se rencontrent ensemble , comme je l'estime en
ceci, je me tiens trop honoré et trop heureux. Dans
peu de jours donc, madame, vostre majesté sera
esclaircie et resoleue , et le doibt desjà estre. Cependant
je suppHe le Créateur qu'il vous doint heureuse et
lonoue vie. Vostre très humble et très obéissant ser-
viteur.
De Saulinur , lo 5 mai iSqS,
/jIO LETTIIE DE M. DUMAURIER
CLXV. — -V^ LETTRE DE M. DUMAURIER
A M. Duplessis.
De Mantes, le 8 mai 1693.
Monsieur, je receus, le 4 de ce mois, celle qu'il
vous a pieu me faire cest honneur de m'escrire du 28
du précèdent. Je me représente à heur inestimable ,
la confiance que vous me tesmoignés prendre de ma
fidélité à vostre service ; aussi n'apparoistrai je jamais
entrer en tous les effects que je pourrai rendre à vos
commandemens , que je préférerai tousjours , sans fein-
tise, à quelconques oultres, pour n'estre jugé cou-
pable d'ingratitude envers le soing que vo-us daignés
avoir de moi. La commodité de ce porteur m'a esté
offerte fort à propos, pour ramentevoir à monseigneur
le mareschal de respondre à celle que vous lui aves
escrite , ce qu'il faict présentement. Il m'a dict qu'il
n'est jamais entré en double du vrai but de vos sainctes
intentions: mais qu'il reçoit à beaucoup de plaisir,
que vous vous en ouvrirés à lui confidemment, comme
vous faictes, afin qu'une bonne intelligence fomentée
entre vous produise au besoing les remèdes aui.v maulx
qui nous menacent, autant qu'il se poiun a , gaigner
sur ceulx qui s'efforcent de nous les rendre incura-
bles. Ores, monsieur, celle qui vous est faicte par lui
m'empeschera de vous importuner à lire ici des répé-
titions : et puis, vous estes informé par tant d'aultres
de Testai de deçà , que je penserois faillir d'en allonger
ceste lettre. Vostire présence est très désirée et encores
plus nécessaire, n'y ayant ici resolution, que de pcr-
A M. DUPLESSIS. 4^1
sister en i irrésolutions, 4^, 4' ^ 3i ; et cependant,
dinn Hercules lotus inseivit Omphale , les monstres
refoisonnent devant lui. Je crois que vous pourrés en-
cores trouver mondict seigneur près du roy , si vostre
veneue est aussi soubdaine prest de sa majesté comme
on le croit. Au surplus, monsieur, Tasseurance que
vous aurés receue celle que j'ai baillée à Biclr, vostre
lacquais, me gardera de vous faire redicte des parti-
cularités que je vous y ai assés amplement reduictes.
On est après à ménager quelque trefve avec le duc de
Lorraine , et pense qu'il ne s'y rendra pas trop diffi-
cile, estant fort convié par le duc de Florence de ne
s'embarquer dadvantage en ceste guerre. Si cela se
faict, je conçois espérance que mondict sieur de Bouil-
lon résidera dadvantage près du roy, et que tout n'en
ira pas pis. Je vous mandois dernièrement que sa ma-
jesté lui a accordé les trente mille escus que les estats
generaulx près au roy. On tasche de les per-
suader à faire quelque signalé exploict sur la Meuse,
tirant vers Sedan , afin que l'on peust s'entre commu-
niquer et de conseils et de forces, qui seroit, mon-
sieur, comme vous jugés très prudemment, avoir la
cognée à la racine de l'arbre qui nous faict tant de mal ,
et qui reverdira tousjours, tant qu'il ne sera attaqué
que par les rameaux. M. de Mouy est de la partie avec
monseigneur, et espère que vous en aurés parlé. Je
loue Dieu , avec tous les gens de bien , du bel estât où
vous mettes vostre place 43. 7. 121. Plus de personnes
s'en enquierent et s'en resjouissent que vous ne sçauriés
croire , ne doubtant pas qu'il n'y en ait infinis de con-
traire affection. C'est ung œuvre que Dieu a voulleu
eslever par vos mains, et à la conservation duquel je
m'estimerai heureux d'employer ung jour ma vie pour
4l2 LETTRE DE M. DUMAURIER , etc.
la fm. Je vous fais très humble remerciement, mon-
sieur, de la souvenance qu'il vous plaist me promettre
en ce qui me concerne ; ce m'est surcharge d'obligation
à pryer Dieu qu'il vous donne, monsieur, en parfaicte
santé, très heureuse et contente vie. Vostre très humble,
très affectionné et plus obligé serviteur à jamais,
DUMA^URIER.
GLXVl. — -î;^ LETTRE A M. DUPLESSIS.
Monsieur, vous aurés desjà appris la nouvelle du
raccommodement de monseigneur de Bouillon, (pj'on
bastit du nom de soubmission. Monsieur, de plus, je
vis une' lettre du roy escrite de dedans Sedan à la royne
Marguerite, où il lui mande y avoir esté receii avec une
allégresse si universelle, que les cris qui se faisoient toute
la nuict de Vive le roy et M. le Dauphin , l'empeschoient
de dormir ; que le seigneur à qui elle appartient monstre
une grande repentance de ses faultes passées, et qu'il
espère en tirer autant de service qu'il fist jamais,
pourveu que cela deure tout de bon. Je vouldrois vous
entretenir ung peu là dessus; je l'espère bientost, à
ce que les vostres m'ont dict. J'ai ung meschant procès
qui ne me donne le loisir que d'asseurer madame
Duplessis de mon affection à son service et au vostre,
comme les obligations que je vous ai m'y obligent, et
d'estre, monsieur, vostre bien humble cousine à vous
servir. HtNnitTTE de Nassau.
^lù dos : Momieur ^ il vous plaira lire la lettre du
sieur Rivet, et commandés à uiig des vostres de le&
envoyer seurement. Atenays.
SUBJECT D'UNE LETTRE INTERCEPTEE. 4i3
CLXVll. — -V- SUBJECT
D'une lettre interceptée , que V agent du duc de Mer-
cœur estait près le duc de Mayenne , qui est
ung docteur de théologie^ evesque de ,
deschijfree par M, Fit t te.
Eli Eretaigne , le 18 mai i5y3.
Il mande que le roy de Navarre offre de se faire ca-
tholique , et à ceste fin a resoleu en son conseil de
faire une déclaration, et la faire publier en ses courts
de parlemens.
Requiert tous les evesques et docteurs de nostre
parti de se rendre avec ceulx qui tiennent le leur, de
se rendre au lieu assigné, et dedans deux mois, pour
se faire instruire.
Offrant tenir et observer tout ce qui y sera hon-
neste, ce qui a fort esbranlé la vollonté de plusieurs
qui n'ont tant de fermeté qu'il seroit à désirer, et qui
est du debvoir.
Toutesfois l'on espère trouver remède à ce coup,
par plusieurs occasions, qu'on fera naistre pour em-
. pescher qu'il ne soit recogneu.
Le roy d'Espaigne, par ses gens, offre d'entretenir
vingt mille hommes, sçavoir, quattre mille chevaulx.
et seize mille hommes de pied, qui seront prests à se
mettre en campaigne dedans trois mois.
Fournira pour le payement cent mille escus par
mois, à continuer ung an.
Et cinquante mille escus par mois , à continuer en-
cores ung an, après le premier expiré.
4i4 SUBJECT D'UNE LETTRE INTERCEPTEE.
Que les François ligués offrent deux mille chevaulx
et dix mille de pied.
Qu'ils espèrent, avec ceste armée joincte ensemble,
faire tels efforts, qu'ils trouveront en France assés de
quoi soldoyer ladicte armée.
Le roy d'Espaigne désire que l'infante soit recogneue
pour duchesse de Bretaigne.
CLXVIII. •— LETTRE
De M. Sainct Jldegonde a M. Duplessis.
Du 17 mai lôgS.
MoiysriîUR , vostre lettre du 3 d'avril m'a esté livrée
le 29 dudict mois, estant sur le voyage d'Allemaigne;
toutesfois il a encores esté différé jusqu'à ce jourd'hui,
que nous pensons nous embarquer pour entreprendre
le voyage vers Staden. Je prye le bon Dieu qu'il y
veuille donner sa bénédiction. Je crains encores les
traverses pour la mauvaise vollonté, puissance et nom-
bre de ceulx qui taschent l'empescber. Mais Dieu est
plus puissant que tous. Si quelque occasion s'offre de
faire service à nostre maistre, je l'embrasserai de toutes
mains. Si par de là s'offre quelque chose en quoi vous
pensiés que je me doibve employer, je vous supplie
m'en advertir, et informer de ce qu'il fauldra faire. Je
n'escris pas à sa majesté, pour ce qu'il me semble su-
perflu. Et en cela je me règle selon l'advis de M. de
Buzenval. Vous cognoissés mon affection et désir, ou
plustost dévotion; car je me suis une fois consacré au
service de l'église et de ce bon prince , que Dieu a
esleu pour protecteur d'icelle. Je n'attends que les oc-
LETTRE DE M. DE SMNCT ALDEGONDE, etc. 4''''
casions. De les chercher aratitieusement ne me per-
met mon naturel. Mais je les embrasserai avidement
quand elles s'offriront. Toucliant vostre estât j'en ai
fort bon espoir, à cause que le voyant désespéré , j'es-
père que Dieu se soubviendra de ses miséricordes. Mais
le nostre me semble en danger pour ce que ses ulcères
sont cachés et comme cicatrisés dessoubs les ampoulles
de quelque prospérité, laquelle nous advient, pour ce
que Dieu tient l'ennemi empesché ailleurs, et nous le
nous attribuons. Mais quoi, vous sçavés àvî^ipévvy^Ta.
eîvcti Td )cpifjt.ctTet T8 -S-SK. Il faut donc travailler, et lui
en recommander les isseues. Nous avons ici eu nou-
velles que le roy auroit surpris Dreux. Je prye Dieu
qu'il soit vrai. M. le comte assiège Gertrudembergues.
l! faict faire des forts et bouleverts royaulx aulx ave-
neues; du reste est bien retranché et palissade. J'es-
père que l'ennemi n'y vouldra mordre, ou que ce sera
avec honte et perte. Je crains plus la division par la-
quelle il nous pourroit faire du mal , estant nostre
gendarmerie foible, et nos garnisons assés desgarnies.
Mais j'espère que le seigneur sera avec nous.
P. DE Marnix.
.CLXIX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
^u roj.
Sire , j'ai despesché homme exprès vers vostre ma-
jesté y a six jours, pour affaire qui vous touche gran-
dement. Et cependant je fais tout ce que je puis pour
vous aller trouver, ainsi que vous dira mieulx M. Feret.
f,. Je n'ignore poinct la peine où vostre majesté se Irouvej
4i6 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
car je l'ai tousjours preveue. Le commencement, sire
( vostre majesté le prenne en bonne part), c'est de
gémir à bon escient à Dieu, contre l'ire duquel les
hommes ne nous sçauroient aider, ni de conseil, ni de
force. En après , de se commettre et confier en bien-
faisant entre ses mains, resoleu que contre sa béné-
diction toutes les conspirations humaines ne peuvent
rien. Prenant ceste resolution, ne doutés, sire, que les
moyens de vous maintenir vous défaillent, puisqu'ils
abondent en Dieu, que vous aurés pour vous; et que
ne trouviés nombre de bons serviteurs qui vous assis-
tent, quelque orage, quelque inconvénient, qiii se
présente. Surtout, sire, quand vous n'aurés que les
hommes à combattre; quand vous aurés faict vostre
paix avec Dieu, qui seul la vous peult faire, et donner
avec les hommes.
Sire , vostre majesté reçoive ceste lettre du fonds
de mon ame, dont je supplie le Créateur qu'il vous
conforte et conseille par son esprit à sa gloire et à
vostre salut.
Du Saiilraur, le ï5 mai i5g2.
CLXX. — -V- DECLARATION DE MANTES.,
Nous, princes, officiers de la couronne et aultres
seigneurs du conseil du roy , soubsnommés, voullant
oster à ceulx de la relligion, dicte reformée, toute
occasion de doubter qu'au traicté qui se faict de pre-jw
sent à Surenne, entre les députés des princes, offî-l*
ciers de la couronne et aultres seigneurs catholiques
recognoissant sa majesté, et par sa permission, et les
députes de l'assemblée de Paris , soit accordé aultre
BECLARATION DE MANTES. ^ij
chose au préjudice de ceulx de ladicte reliigion, et de
ce qui leur avoit esté accordé par les edicls du feu roy
attendant les resolutions qui pourroient estre prises
pour le rétablissement et Tentretenement du repos de
ce royaulme, avec l'advis des princes, seigneurs et aul-
tres notables personnages, tant d'une que d'aultre relii-
gion, que sa majesté a advisé de faire tenir et assem
bler près d'elle en ceste ville de Mantes, au j6 juillet
prochain; promettons, par la permission de sa majesté
quen attendant lesdictes resolutions, il ne sera rien
taict m passé en ladicte assemblée de par lesdicts de-
putes de nostre part au préjudice de la bonne union
et amitie qui est entre les catholiques qui recognoissent
sa majesté, et ceulx de ladicte relhgion , ni desdicts
edicts , et ne feront rien , ni donneront aulcung conseil
consentement ou aveu au contraire de lad.cie union
et d. ceulx edicts; promettant aussi d'advertir lesdicts
sieurs députés estant à Surenne , de nostre présente
resolution et promesse par nous faicte, comme ju.ees
necessau-es pour esviter toute altercation entre les bons
subjects de sa majesté, afin que de leur part ils aient
a s y conformer; en tesmoing de quoi, nous avons
signe la présente.
A Mantes, le i6 mai iSgS.
^ins^ signé, François d'Orléans, Huhault,
Charles de Mcjvtmoreivcy, Rogier de Bel-
i^EGARDE, François d'O, Franço,s CHi.oT,
CxASPARD DE SCHOMBERG, et JfiAIV DE Lev.S-
Gollationné par nous {sig,ié) Potier,
^Um. HE DuPT.ESSIS-MoRîfAY. ToME V.
A\S LETTRE DE M. LE CIIA.NCELLIER, etc.
CLXXI. — ^ LETTRE
De M. le chancellier a M. le procureur général.
Monsieur, avant que ceste lettre soit à vous, vous
aurez peu entendre la bonne resolution que le roy a
prise de suivre la relligion des roys ses prédécesseur^;
à quoi Dieu l'ayant disposé, je veulx espérer, tant pour
le bien de ce pauvre estât et repos de ses subjects,
que cela nous apportera une bonne et lieureuse paix;
et encores que vous soyés plus particulièrement in-
struict par les lettres que sa majesté mesmes a com-
mandé en estre envoyées en son parlement, de son in-
tention en l'assemblée qu'elle veult faire des prélats
avec notables pasteurs du royaulme sur ce subject, j'eus
esté bien aise de vous envoyer ce petit advis, estimant
que vous recevrés avec autant de contentement une si
bonne nouvelle qu'elle estoit effectivement désirée
€t attendent de tous les gens de bien et d'honneur,
amateurs de la restauration de cest estât; et, me ren-
dant humblement à vos bonnes grâces , je pryerai
Dieu, monsieur, vous donner en très bonne santé très
bonne et heureuse vie.
Nous attendons la response devant samedi prochain,
par MM. de Schomberg et Revol , de ce que messieurs
qui sont à Paris vouldront dire, où tout le peuple a esté
fort rejoui d'entendre ceste bonne et saincte resolution
du roy; mais d'aultres en ont esté bien estonnés. Nous
verrons dans peu de jours si ce pourra réussir. Vostre
humble et plus asseuré ami, à vous faire service,
CliEVERJNY.
De Mantes, ce 18 mai iSgS.
LETTRE DU PRIELK DES JACOBINS. 419
CLXXIL — ^LETTRE
Du, prieur des jacobins.
GoDEAU, je vous envoyé ce mot pour vous ramen-
tevoir mes affaires, et à faire diligence, et
faire tenir ce mot promptement à M. Barre , et dire
tant au prieur qu'à tous aultres des religieux que c'est
à ce coup qu'ils doibvent redoubler les pryeres pour
le roy qui se faict catholique; à quoi il est resoleu, l'a
promis, juré et signé avec grand allégresse, et mande
par tout les evesques et aultres gens doctes pour l'in-
struire, la pluspart des grands pour assister à la céré-
monie qui se fera à Tours ou à Chartres, ne se pou-
vant faire à Sainct Denis comme il desiroit, pour estre
le lieu trop petit pour contenir tout le peuple qui s'y
trouvera; ce qu'il ne faict poinct par capitulation ni
pour avoir la paix ou guerre. Il est resoleu à cela , Dieu
merci. Salués en mon nom M. Archambault, et lui
dictes ces bonnes nouvelles , encores que je pense qu'il
le sçache d'ailleurs, et qu'hier nous feismes procession
fort solennelle; je l'ai presché et en ai asseuré le peu-
ple, en tout et le commandement de sa majesté.
A Mantes, ce 17 mai lôgi.
CLXXIII.-.-V' LETTRE DE M. BORK
A M. Duplessis.
Monsieur, lorsque je m'en allai avec vous trouver
le roy devant Rouen, vous me parlantes en chemin
4^0 LETTRE DE M. BORN, etc.
([ue desiriés acheter les deux bastardes qui sont a
Saulmur, que M. de Sauvrees vous bailla; je vous feis
response que je les avois promises à M. le mareschal
de Biron; et d'autant que j'ai des pièces à Dieppe qui
sont en plus grand commodité de les faire porter par
eau jusques à Biron, si vous estes en la niesme vol-
lonté que vous estiés en ce temps la, je les vous ven-
drai, car elles sont à moi du butin que je feis au faulx-
bourg de Paris, le jour de lacamisade, l'an iSSg; le
roy me donne des pièces que je gaignai aulx prises des
"villes lîuict soulz de la livre; je n'en veulx poinct dad-
vantage de vous, s'il vous plaist me mander ce qu^avés
envie de faire pour ce faict là, et addresser les lettres
qu'il vous plaira m'escrire au sieur de Binet, à Tours,
qui me les fera tenir soubdain que j'aurai receu de
vos nouvelles. J'envoyerai charge à quelqu'ung de mes
amis pour passer le marché avec vous , et recevoir
l'argent; les deux pièces peuvent peser environ six
milliers. Si vous me vouUés envoyer ung formulaire du
marché que voudrés passer, pour monstrer comment
je vous les ai vendeus, je le suivrai et les vous ren-
voyerai. Si vous eussiés estéà Saulmur lorsque j'y passai,
j 'avois délibéré de vous en parler, mais vous estiés au
siégé de Rochefort. Monsieur, vous me ferés ce bien,
s'il vous plaist, de me tenir au nombre de vos humbles
serviteurs; et je pryerai Dieu , monsieur, vous donner
en santé heureuse et longue vie. Vostre humble et
obéissant serviteur, Born.
De Born, ce 20 mai 1693.
LETTRE DE M. DUPLESSIS , etc. 4 ^ f
CLXXIV.—'V- LETTRE DEM. DUPLESSIS
J M. de Beaulieu,
Monsieur, je feusse parti en intention de vous servir
d'escorte; mais diverses causes m'ont releneu , les
Suisses aulxquels il fault que je donne contentement
au moins pour le premier terme , ce que je n'ai peu
encores faire, quelque terre que j'aye mis en vente de
l'ancien domaine de sa majesté; puis le bon traictement
que j'ai receu en cest estât dernier, lequel je scais très
bien n'avoir esté de vostre sceu , et que vous aurés
assés entendeu dé M. de Vie, en conséquence duquel,
cependant, on entreprend des choses contre moi, que
je ne suis aulcunement resoleu de souffrir; au contraire
de postposer toutes considérations au mespris evitlent
que j'apperçois, qui me rendroit inutile au service du
roy et trop dommageable à moi mesmes, mon-
sieur, pour vous dire vrai que je suis bien aise de voir
le cours de ceste conférence pour éviter la calomnie
du passé, par laquelle les bonnes affections que j'ap-
portai à la paix ont esté mal interprétées, et le mau-
vais succès imputé à moi qui le debvoit estre à la
malignité des ennemis; nonobstant cela, j'ai faict faire
monster, mais sans argent que celui que j'ai emprunté
à ma compag'nie , pour au plustost aller trouver sa ma-
jesté; et par ce qu'il vous a pieu , ainsi que m'escrit
M. de Vie, recognoistre le tort qui m'est faict; je
vous prye , afin que je laisse les choses ici en meilleur
estât, et eh partir avec plus de repos, m'envoyer le res-
tablissement de Testât, selon celui de l'an passé, ainsi
422 LETTRE DE M DUPLESSÏS
qu'il a pieu à sa majesté me promettre par ses lettres,
dont je me confie que recevrés aisément et agréable-
ment le commandement, n'estant raisonnable que je
dimineue de ce que je suis, que j'ai tousjours esté, et
dont vous estes trop bon tesmoing, quand les aultres
veullent croistre de ce qu'ils ne sont, ni furent, ni peu-
■vent estre, mesmes au préjudice des princes ; si ce qui
m'est retranché n'estoit marque de la dignité que je
doibs tenir avec seulement ung profict, je n'en par-
lerois jamais : aussi peu , comme quand on m'a retran-
ché de 5oo livres par mois, à 3oo. Mais je vois que la
conséquence va plus loin à l'honneur et à la charge
dont il m'est aussi peu possible de rabattre que de mon
service et vostre debvoir.
Du 2 1 mai lôgS.
CLXXV. — LETTRE DE M. DUPLESSÏS
A M. de Morlas.
Monsieur, j'ai receu les vostres du 8, qui m'ont
obligé de vostre bonne voUonté et ouvert l'esprit par
vos discours. Sa majesté me presse fort d'aller, et ne
considère pas qu'elle m'a attaché aulx Suisses, qui ne
me laissent marcher qu'au pas de la pique. D'ailleurs
je n'ai argent , ni pour moi , ni pour mes compaignons ,
aulxquels loutesfois je fis le dix huictiesme de ce mois
faire monstre sèche. J'attends aussi M. de Vicose , sur
lequel on m'a remis de plusieurs choses ; mais à vous,
je vous dirai encores que je ne suis poinct marry que
ceste conférence prenne son cours, parce que rom-
pant sur ma veneue , elle ouvriroit la bouche aux ca- î
lomniateurs, pour dire que j'aurois pris la poste pour
A M. DE MORLAS. 4 2 5
m'opposer au bien et désir commun de toute la France.
Au moins quand ils auront faict l'effort de leurs ex-
ploicts, ils imputeront à la malice des ennemis par né-
cessite, ce que par industrie ils chargeoient sur moi,
que Dieu sçait y avoir apporté tout ce qui se pouvoit
de foi, de diligence, d'affection. Faictes tant pour moi,
comme m'avés proinis, de me despescher homme ex-
près avec une bonne et ample lettre , que je thésauri-
serai, et sur laquelle je prendrai resolution, laquelle
sera tousjours conforme, aydant Dieu, à sa gloire, au
service du roy, au debvoir de bon serviteur, au désir
des gens de bien , au contentement de moi mesmes. Je
salue, monsieur, humblement vos bonnes grâces, et
prye Dieu vous avoir en sa saincte garde. Vostre
humble et affectionné ami à vostre servix^e.
De Saulmur , le 2 1 mai 1 593.
CLXXVI. — ^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
J M. de Morias.
Monsieur , je n'ai poinct des vostres sur ung sf
ample subject; silentio vir dicam an stiipore? niini-
rum curœ levés loqiiiintiir ^ ingénies stupent , si vera
sunl quœ narranlur absentiam eœcusarem facilius
quam prœsentiain , et suis toutesfois resoleu d'aller,
des que j'aurai veu M. de Vicose, sur lequel on me
remet , j'entends si quid adhuc spirilus puisât in
venis , et si veritatem sine prœvaricatione defendi
volumus, si minus malo sane se ullro dedal, quam
veritatem ipsam tanquam dedititiam , fuco nobis
fado ; secum trahere videatur; o mores imo , o amo-
k
424 LETTRE DE M. DUPLESSIS
resl Et toutesfois je veulx encores espérer en nos lar-
mes; je veulx croire, s'il peult oublier Dieu, que Dieu
pourtant ne l'oubliera poinct; ores, j'attends de vous "
le surplus; et sur ce, etc.
Du 25 mai iSgS.
CLXXVII. — ^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
J M. de Marmet. (i)
Monsieur , vous pleurerés avec nous quand vous
aurés ouï M. de Vicose. Il fault encores espérer que
l'esprit de Dieu n'est poinct esteint en vous, seu-
lement Je crains que nostre vie que nous deussions
plustost avoir changée que nostre relligion , ne nous
amené à pis; il fault dire vrai qu'il nous fault recog-
îioistre que Dieu a vouUeu chastier ung pesché par
raultre,et le moindre par ung plus grand. Il y a eu des
monopoles , mais dont il nous pourra garder qui l'a
faict de plus grand; nostre plus grand ennemi, c'estoit
Tire de Dieu, contre lequel n'y a conseil ni force. Or,
si n'en fault il demeurer là , sa majesté proteste de
voulloir conserver nos esglises,, elle en propose quel-
ques moyens qui vous seront desduicts; j'estime qu'il
ne les fault mespriser, et vous prye de tenir la main; i
par là. Dieu peult estre le nous vouldra fortifier en
mieulx , et nous y rechercherons les moyens paisibles
d'asseurer la prédication de FÉvangile et la condition
des gens de bien. Pryés Dieu, etc.
Du mesme jour.
(i j Ministre de l'église de Nérac.
A M DE CALIGNON. 4^5
CLXXVIIL — ^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Calignon.
Monsieur, vous aurés esté esbahy sur la relation de
M. de Beauchamp ; mais il fault lever les mains à Dieu ,
et le pryer qu'il rende et redouble son esprit au roy.
J'estime aussi qu'il se fault servir des moyens proposés
par sa majesté, qui proteste voulloir avoir soing de
nostre conservation; à quoi la communication des gens
de bien est du tout nécessaire. Je vous prye donc ne
plaindre poinct ce voyage, et vous soubvenir que de
ceste assemblée dépend sommairement une partie de
nostre vie, peult estre aussi la continuation de l'heur
et de l'honneur que M. Desdiguieres a acquis par ses
vertueux labeurs aulxquels vous n'avez pas petite part;
alors donc nous en dirons dadvantage. Je me plains
que je n'ai plus de vos nouvelles, et l'impute toutesfois
à toutes causes, plustost qu'à vous de l'amitié duquel
je ne veulx doubler. Si M. Desdiguieres envoyé quel-
qu'ung fondé de procuration, nous ferons une fin de
son affaire, et si veult en payant la plus valleue de Mor-
ves, il lui pourra demeurer ; vous y penserés, et au
reste me ferés tousjours ceste faveur de croire que n'avés
ami plus à vostre service que moi, qui sur ce salue.
Et plus bas : Oultre les Mémoires que je vous envoyé,
je suis d'advis que ne laissiés d'escrire à messieurs de
la province de Languedoc, à ce qu'ils assignent le
synode national comme ils en ont la charge.
Il seroit à propos que ce feust vers le mois d'octobre,
en dedans lequel nous verrons ce que produira l'as-
semblée convoquée par le roy.
4^6 LETTRE DE M. DUPLESSIS
Aussi qu'il feust convoqué en lieu au millieu du
royaulme, où les provinces puissent convenir moins
difficilement; de ce poinct, je n'ai faict ouverture à;
aulcung.
Du . . mal 1 693.
CLXXIX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Au roj.
Sire, j'ai sceu quelque chose de ce qui s'est passé
du i5, à Mantes; et n'attends que le passage du sieur
de Vicose pour aller trouver vostre majesté, estimant,
après l'avoir ouï, vous y pouvoir faire quelque service.
Car je me confie, sire, quoiqu'on dise que vostre ma-
jesté ne peult oublier les grâces que Dieu lui a faictes,
et ai une confiance encores plus hardie que Dieu , qui
s'est soubveneu de vous premier que vous feussiés, ne
vous oubliera poinct. Si vous tenés ceste conférence
en intention que la vérité soit cogneue , vous vouldrés
qu'elle soit defendeue ; et pourtant y appellerés per-
sonnes capables de ce faire. Si vous ne le faictes, sire,
on dira que vous n'y cherchés que la formalité ; re-
soleu desjà de vous y rendre. Ce qui n'est croyable du
plus grand prince de nostré aage, moins de celui qui
a senti le bras de Dieu pour lui par tant de fois.
Pensés, sire, que tous ceulx qui souloient ci devant
estre en armes pour vous contre vos ennemis , sont
aujourd'huy en l'armée devant Dieu pour le pryer
qu'il vous conforte, et qu'il vérifie en vous ceste pa-
role , que ses dons et ses vocations sont sans repen-
tance. De moi je le débats contre tous en asseurance.
AU ROY. 427
Et supplie très humblement le Tout Puissant, sire,
qu'il vous mesure son esprit selon les tentations, qui
vous en rende victorieux à sa gloire, à vostre salut , et
à l'instruction de vostre peuple.
De Saulmur, le 25 mai iSgS.
CLXXX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le duc de Bouillon.
Monsieur , j'ai receu vos lettres du 1 7, par lesquelles
me faictes cest honneur de m'escrire ce qui s'est passé
le 1 5 et 16 à Mantes. Je vois bien que le combat a esté
grand; et d'autant plus qu'il estoit inesgal, sinon
en tant que Dieu est tousjours esgal à soi : aussi vous
a il assisté contre ces violences, plus fortes certes de
nostre infirmité que d'elles mesmes. En ce ont les
adversaires beaucoup emporté, que l'instruction ait à
se faire sans y appeller des contretenans; car ce n'est
que rechercher une formalité pour se rendre moins
mal à propos selon le monde; mais aussi, si on s'en
resoult là, vault il bien mieulx que la vérité soit con-
damnée sans estre ouïe, qu'en danger par ces collu-
sions d'estremal defendeue. Au contraire, si nous voul-
ions que la vérité soit cogneue, et que la poursuite de
nostre instruction soit ung instrument d'instruire
nostre peuple, il nous fault choisir ung lieu de seur
accès, exempt de monopoles. Il y fault appeller per-
sonnes bien choisies en toutes les provinces. Il fault
concerter une méthode ( comme nous en discourions
autresfois) qui fasse luire la vérité aulx travers des
ténèbres ; ouvre les yeux aulx bonnes consciertces ,
42^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
ferme la bouche aulx mauvaises. J'en escris ung mot a
sa majesté que Dieu bénira , s'il lui plaist; resoleu d'y
servir s'il en reste moyen , à tous hazards. Car c'est
devant les princes, et en leurs assemblées, que la:
vérité de Dieu veult estre dicte; et ne fault pas qu'en
ung siècle, remarqué de si grande doctrine, elle de-
meure sans tesmoignage. Pour Testât de nos esglises, i
vostre prudence n'a pas peu obteneu d'avoir faict
consentir que députés soient convoqués de toutes les
provinces pour y remonstrer leurs interests pour la rel-
ligion, la justice, les seuretés. Au moins que nostre
ruyne se rende si difficile qu'ils en perdent l'envie. Ce
que j'espère que nous parferons, si vous pourvoyés
que personnes d'auctorité y conviennent de toutes
parts; car le naturel du roy ne peult estre changé, et
nos adversaires seront si aises de l'attirer à eulx qu'ils
relascheront vollontiers ce qu'il leur déclarera estre
nécessaire pour avoir une paix asseuree, qui ne le peult
estre qu'en contentant nos églises. J'en ai jà com-
muniqué, et communiquerai avec celles de deçà; et
plus oultre, et n'y obmetterai rien que j'estime tendre
à une si bonne fin. J'estime, au reste, nécessaire de
moyenner qu'au temps de l'assemblée arrivent des
légations honorables , de la part de la royne d'Angle-
terre, des Pays Bas, des princes d'Allemaigne, des can-
tons protestans de Suisses et des Grisons vers sa ma-
jesté, lui offrans leur amitié et leur secours en bons
et advantageux termes, afin qu'il se voye non moins
appuyé de ce costé là que de l'aultre; afin aussi que
les ennemis cognoissent que la vraie relligion n'est
sans amis , s'ils la veuUent opprimer. Le respect des-
quelles, s'il ne retient le prince, au moins lui fera ac-
corder ce qui sera pour la seureté des gens de bien.
A M LE DUC DE BOUILLON. 429
Je vouidrois aussi que les ambassadeurs s'accompa-
gnassent chacung de quelque minisire, ou docteur ex-
cellent, non les luthériens; car ce seroit semence de
zizanie. Vostre auctorité peult beaucoup pourmoyenner
cela. De ce peu que je puis, je m'y employerai aussi
par les amis que j'ai es courts et églises estrangeres,
Faictes moi, au reste, cest honneur, que je sçache si
vous serés de ceste assemblée, et quand, afin que je
vous y rencontre ; où je fais estât de vous porter la
meilleure somme que je pourrai de vos estats.
Du iîS mai i5g3.
CLXXXI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. du Maurier.
Monsieur , je vous prye faire tenir celles que j'escris
à M. de Bouillon , s'il est parti. Elles sont chiffrées et
importent. Il aura veu Durand. Je responds aulx siennes
du l'y. Je vois ung changement qui en peult attirer
d'aultres. Nam Jastigiiiui putas? Gracias est. Certes
je suis bien aise de n'avoir poinct esté là; car il m'est
plus aisé' de respondre de mon absence qu'il n'eust
esté de ma présence. Et m'est dur d'estre en lieu, où
je ne puis ni contredire utilement, ni honorablement
me contrefaire. Si suis je resoleu d'estre en ceste assem-
blée; si qiiid adhiLC spiritus y seu puisât y seu gémit
in nobis. Et Dieu achèvera, s'il lui plaist, le reste.
J'aurai soing de vous. Je salue vos bonnes grâces , et
prye Dieu, monsieur^ vous avoir en sa saincte garde.
De Saulmur , le 25 mai 1 5g3.
fj3o LETTRE DE M. DUPLESSIS
CLXXXII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Lomenie.
Monsieur, je vous prye de faire voir les miennes à
«a majesté. J'attends M. de Vicose; et aussitost je pars.
J'ai veu voslre resolution du i5 : je ne puis entendre
ceste instruction , où la partie parle seule. Si sa ma-
jesté le trouve bon , nous y mènerons des ministres
suffisans ; et ce qu'ils préparent contre la vérité tour-
nera à sa gloire et à la confusion du mensonge. Satis-
faictes moi donc sur cest article ; car si nous nous voul-
ions rendre, ne faisons poinct ce tort à Dieu et à sa
vérité de les comprendre en mesme capitulation que
nous. J'approuve fort au contraire la convocation des
députés d'une et d'aultre relligion , afin que, si nous
avons à voir une paix , elle soit générale ; ce qui ne peult
estre si la seureté et le contentement ne s'estend à
tous. Je ne vouldrois pas pour beaucoup avoir esté à
ce combat si inesgal , où on s'efforce inutilement , où
on ne se peult rendre que honteusement. Mais s'il fault
disputer la vérité, j'y porterai ung front d'airain, et
ferai voir à tous, avec l'aide de Dieu, que ceulx qui
craignent Dieu n'ont rien à craindre. Je pense que sa
majesté pourvoyera que l'assemblée se trouve en lieu
exempt de monopoles, où ses serviteurs puissent parler
en toute seureté; à quoi je vous prye, au nom des gens
de bien, de tenir la main. Je salue, monsieur, etc.
De Saulmur, ce a5 mai lôgS.
LETTRE DU ROY, etc. 43 1
CLXXXIII. —LETTRE DU ROY
A MM. des Eglises reformées , dressée et minutée par
par M. Duplessis.
DE PAR LE ROT.
Chers et bien amés, la longueur des guerres a tel-
lement affoibli et esbranlénostre royaulme, qu'il se peult
dire pencbant à sa ruyne, et proche de sa fin, si Dieu,
par sa faveur, ne l'appuie et redresse. Jusques ici il
nous est tesmoing , si avant et depuis nostre avène-
ment à la couronne nous avons espargné nul remède;
mais l'artifice et la malice des anciens ennemis de cest
estât , et les nouveaux François-Espaignols et aultres
en ont retardé le fi^uict; mesmes à ces derniers jours
leur rage et leur insolence les avoit portés jusques à
procéder à l'élection d'ung roy contre les vraies loix:
fondamentales de Testât. On a arresté pour encores le
cours de ce pernicieux desseing, et resoleu de faire une
assemblée générale des princes, prélats, officiers de la
couronne, seigneurs et aultres de nos subjects, tant
d'une que de l'aultre relligion, au 20 juillet prochain,
en ceste ville de Mantes, pour nous assister de leurs
^dvis et conseils qui seront lors proposés , pour le
salut de Testât, bien et soulagement de nos subjects.
Et desirans qu'on fasse partir et acheminer diligem-
ment les députés que nous attendons des provinces de
Poictou , pays d'Aunix , Xaintonge, Guyenne et Gas-
congne, nous avons advisé d'y envoyer le secrétaire
Vicose, instruict de nos plus intimes vollontés, vous
pryans le croire comme nous mesmes , et vous asseurer
432 LETTRE DU ROY, etc.
que nous continuerons tousjours en la mesme affection
et bienveillance en vostre endroict, que vous avés es-
prouvee et recogneue en nous , en tant de diverses et
périlleuses saisons; n'ayant rien de plus cher que l'advan-
cement de la gloire de Dieu , et vostre conservation et
seureté , ainsi que ledict de Vicose vous fera plus par-
ticulièrement entendre; sur lequel nous remettant,
pryerons le Créateur, chers et bien amés, vous avoir
en sa garde.
Signé , Henry; et plus bas , Potier.
A Mantes, le 26 mai i5<)3.
CLXXXIV. — ^ INSTRUCTION
Au sieur de Beauchamp , gentilhomme de la chambre
du roy y de ce quil aura a traicter pour le service
de sa majesté , au vojage que par son commen-
dement il va /aire en provinces de Languedoc et
Daulphiné.
Ira. droict là par où sera M. le connestable, auquel
il communiquera entièrement tout ce qui est de sa
charge, et venant aulx particularités, lui représentera
que les affaires publicques sont sur un pas si espineux
et glissant, qu'il y fault apporter les remèdes et prompts
et fort considérés;
Que sa majesté tourne la veue vers lui, comme sur
le plus propre et secourable instrument; le prye et
conjure par toute l'affection et fidélité qu'il lui a ci
devant et depuis si long temps tesmôignees, de vouUoir
advancer son voyage, et satisfaire en cela à l'attente de
sa majesté et au commun désir de tous les gens de
bien ;
INSTRUCTION AU SIEUR DE BEAUCHAMP. /,33
Qu'elle s'asseure que le sieur de Belloy n'aura rien
obmis pour figurer audict sieur connestable l'aise
et le contentement que sa majesté receut , par Tas-
seurance qne ledict de Belloy lui donna de son ache-
minement , et celle que sa majesté se propose en l'em-
brassant à la teste de tant de belles et fortes trouppes
qu'il a préparées; mais encores ledict de Beauchamp
lui confirmera ce que sa majesté lui a ci devant escrit
de Youlloir que ledict sieur connestable lui tienne lieu
de père , et aist la plus grand part en la restauration
de Testât.
C'est une œuvre digne de lui , et semble que les prin-
cipales resolutions l'attendent, s'estant rencontré d'a-
voir prolongé et meseuré le temps dans lequel juste-
ment il peuk estre par deçà , n'y ayant rien de tel poids
et importance que l'occasion qui s'offre qui les puisse
retenir.
Lui discourra les occasions d'avoir entrejelté la pro-
position de la conférence parmi les délibérations où
l'on voulloit faire tomber l'assemblée de Paris, de
procéder à l'élection d'un roy qui eust fermé la porte
à toute reconciliation à Tadvenir , et comme ce moyen
a suspendeu les esprits de plusieurs de ladicte assem-
blée qui ne vouldroient tomber sous la domination des
Espaignols, à laquelle ils voient qu'on les veult en
tout soubsmettre, ou à personnes en tout despendantes
d'eulx; et cestecraincte, avec la nécessité qu'ils sentent
de la longueur de la guerre , leur a inspiré ung désir
de s'accommoder avec sa majesté , laquelle aussi a
faict proposer une trefve de trois mois, et qu'on n'es-
time pas que les Espaignols la permettent; mais ce sera
pour les rendre tousjours plus odieux au peuple.
N'obmettra à lui dire ce qu'on a descouvert de l'in-
Mém. de Duplessis-Mouîîay. Tome y. 28
434 INSTRUCTION
tention des chefs de la Ligue qui monstrent en appa-
rence de voulloir adhérer à quelque accord; mais, en
effect, ils forment des impossibilités, quand ils seront
pris au mot sur l'instruction et conversion du roy, la
renvoyant comme ils font au pape, qu'ils présument
n'avoir en cela nommeement nulle volonté que celle du
roy d'Espaigne, pensans , par la difficulté ou refus qui
en seront fnicts , advantager leur protecteur et s'en
prevalloir envers le peuple.
Lui pourra toucher aussi en passant que la froideur
que sa majesté a reconneue en aulcungs des catho-
liques qui l'ont jusfjues ici assisté, est ce qu'elle pre-
voyoit de pis, de sorte qu'un des remèdes plus propres
est de convoquer un nombre de prélats auprès d'elle,
pour , suivant ce qu'elle promet à son advenement à la
couronne . procédera son instruction, et , parle moyen
d'une assemblée générale que sa majesté a resoleue au
20 de juillet prochain, en sa ville de Mantes, des
princes, prélats, officiers de la couronne et députés
de toutes les provinces de son royaulme, tant de l'une
que de l'aullrc relligion , adviser aux moyens de les
maintenir tous en seureté et repos sous son obéissance,
dont on peult attendre pour le moins ceste utilité,
qu'avec ung contentement commung on affermira leurs
volontés , et pour oster tout soubçon et desfiance à
ceulx de ladicte relligion, les princes, officiers de la
couronne et seigneurs catholiques, estant près sa ma-
jesté, ont faict et signé une promesse, de laquelle sa
majesté lui envoie la copie , qu'en ladicte conférence
il ne sera rien consenti et resoleu à leur préjudice , at-
tendant ladicte assemblée générale ouïr la déclaration
que sa majesté a faicte, que si on leur voulloit faire la
guerre , elle est resoleue d'aller mourir avec eulx.
AU SIEUR DE BEAUCHAMP. 435
Faict cognoistre audict sieur connestable combien
sa personne et ladicte assemblée apporteront de fi uict
et de dignité, son exemple et ce qu'il a practiqué de-
puis tant d'années en son gouvernement pouvant servir
de règle et de modèle pour tout le reste du royauhne.
Sa majesté a maintes aultres considérations qui lui
font désirer ladicte assemblée, et pour cest effect elle
mande de toutes parts ses principaulx serviteurs,
mesmes de ceulx de la Guyenne, où elle a envoyé le
secrétaire Vicose pour les faire venir; etledict sieur de
Beaucbamp a cbarge et commandement, après avoir
conféré avec ledict sieur connestable, de rendre les
lettres que sa majesté escrit à ceulx des églises refor-
mées de Languedoc et passer après en Daulphiné jus-
ques à Grenoble et Gap, pour conférer avec le sieur
Desdiguieres , ou pour le moins, en son absence, avec
le président Callignon.
Pryera ledict sieur connestable de faire fournir de
moyens et adresser à ceulx nommés de son gouverne-
ment pour faire le voyage , sa majesté ayant voullcu
dès ici faire le choix des personnes, non pour voulloir
altérer en cela les libertés des peuples de la province
de Languedoc; qu'elle vouldroit , au contraire, les af-
fermir et accroistre , selon qu'ils s'en sont rendus dignes
par leur fidélité et obéissance, mais bien pour éviter
la longueur que la formalité de l'élection pourroit
amener.
Et afin que ceulx du hault Languedoc et Daulphiné
ayent le temps de s'apprester , ledict sieur de Beau-
champ, soubdain après son arrivée près ledict sieur
connestable, Jeur fera une despesche en diligence, et
envoyera les paquets qu'il a pour eulx à Cahors et à
Montellimart, attendant qu'il s'y puisse acheminer.
436 INSTRUCTION
Se rendra après es villes de Montpellier, Nismes et
tJzes, communiquera avec les principaulx de ceulx de
ladicle relligion , et leur représentera surtout la pe-
santeur de la charge que sa majesté soubstient, et pour
qu'elle en quelle extrémité et précipice les
choses sont reduictes; combien de froideur commen-
çoit à naistre en la pluspart de ceux qui l'ont jusques
ici recogneue ; comme ceulx en qui elle se pouvoit le
plus asseurer se sont rendus fort peu soigneux h le
suivre et servir ; combien au contraire les practiques
et conjurations des ennemis de cest estât et des
François, Espaignols, ont faict de force et d'impres-
sion dans l'esprit des peuples, à quoi artificieusement
on les conduisoit mesmes à l'élec-
tion d'un roy , et ceste élection en faveur du roy d'Es-
paigne, pour ne voir aultre assés puissant pour les
maintenir ; les occasions d'avoir faict naistre la con-
fiance , les raisons de la continuer et de faire une as-
semblée et convocation générale au 20 juillet pro-
chain , à laquelle les gens de bien doibvent accourir ;
car c'est là où les plus grands affaires se demesleront;
c'est lorsqu'on pourra jetter les solides et fermes fon-
demens de la conservation de Testât et particulière
seureté de ceulx de ladicte relligion , qui se doibvent
soubsvenir qu'après l'existence de Dieu , rien ne les a
tant conservés que l'union et bonne intelligence qui , à
ceste entreveue, leur réitérera la déclaration de sa ma-
jesté, qu'advenant qu'on leur feist la guerre, elle ira
mourir avec eulx , ayant ung continuel soubvenir de
In fidélité et assistance qu'elle a trouvée parmi eulx,
qu'elle vouidroit, comme père commun de ses subjects ,
leur pouvoir acquérir, avec la perte de son sang et le
hasard de sa vie , une entière reconciliation qui est oîi
T AU SIEUR DE BEAUCHAMP. 487
il fault tendre et apporter de sincères intentions, et
non de l'aigreur et animosité ; et partant , que ceulx
que sa majesté mande ne s'excusent point de venir,
aultrement, comme déserteurs de leurs pays, ils se-
ront coulpables des maulx qui pourront arriver faillie
d'avoir contribué en ce qu'ils ont deu.
Il y a apparence que les premiers bruicts de la con-
férence de Mantes auront esté portés bien loin g et
rendeu cbacung attentif sur ce qu'elle produira ; aiil-
cungs s'aidant de la liberté des temps, en auront peult
estre escrit assés légèrement; ceulx mesmes qui auront
suspendeu leur jugement jusques ici , ne laisseront
pas d'estre assaillis de beaucoup de crainctes et de
doubtes. Ledict sieur de Beauchamp advisera de ren-
dre un chacung capable des procédures de sa ma-
jesté, s'accommodant à lestât des esprits avec la pru-
dence et dextérité que l'expérience et le maniement
des affaires lui ont acquises, autant et comme il cog-
noistra estre besoing pour le service de sa majesté.
Signé, Henrt; contresigné, Potier.
Faict à Mantes, le 26 mai 1693.
CLXXXV. — ^ LETTRE
Des principaulx hahitans de Fronsac à M. Dii-
plessis.
Monsieur, vous aurés peu entendre d'un costé le
debvoir que nous avons faict pour nous opposer à
l'armée d'Espaigne qui est entrée en la rivière de Bourr-
deaux ; d'aultre, la lascheté de ceulx qui , se disans
armés de longue main pour la combattre, en ont favo-
438 LETTPxE
risé la retraite, laquelle nous a esté d'autant plus en-
nuyeuse que , pour Tesperance que nous avions de
faire ung signalé service au roy, nous n'avons crainct
de nous mettre en plusieurs faicts et mises; et cepen-
dant nous sommes advertis que, par deguisemens ex-
quis, ils taschent en obscurcir la vérité. Ce qui nous
a occasionné, monsieur, de dresser un mémoire que
nous vous envoyons , vous supplians très humblement
le voir, car par icelui rien n'a esté employé qui ne
soit véritable. Nous vous remercions humblement ,
monsieur , de l'honneur qu'il vous a pieu nous faire ,
en l'advis que nous avons receu de vous, de la trop
grande liberté qui est en ceste ville au traffic des che-
vaulx. Nous vous pouvons asseurer que nous y avons
jusques ici apporté toutes les precaultions que nous
avons peu penser; car tous ceulx qui acheptent des
chevaulx en ceste ville s'obligent et nous donnent cau-
tions en ceste ville, de fournir dans certain temps des
certificats bons et valables que les chevaulx s'acheptent
pour le service du roy. Si vous trouvez bon, mon-
sieur, qu'il ne soit permis à d'aulcuns d'achepter che-
vaulx de service en ceste ville, qu'au préalable il ne
soit certifié par les gouverneurs et lieutenans gene-
raulx des provinces ou villes qui sont soubs l'obéis-
sance de sa majesté , nous le trouverons fort bon et
serons tousjours bien aises, et tiendrons à honneur
nous conformer aux bons et prudens advis qu'il vous
plaira nous en donner. Nous avons entendeu , monsieur,
avec beaucoup de regret, le bruict qui a couru de ce
qui s'est passé entre M. Desbarreaux et nous; car nous
vous pouvons asseurer que nous l'aimons et respec-
tons de tout nostre pouvoir , et qu'il nous trouvera
tousjours très disposés à le servir. Que s'il s'est retiré
A M. DUPLESSIS. 489
a Sainct Jean pour l'afferme des traictes domaniales,
c est pour nous premières nouvelles. Nous n'en pou-
vons estre aculpés, lui ayant souvent déclaré que nous
ne mettrions aulcung empeschement au bail qu'il voul-
droit faire , pourveu qu'il se feist à la charge de l'exemp-
tion acquise aux marchands de ceste ville par leurs
privilèges desquels nous offrions lui faire apparoistre;
et depuis l'ayant visité par lettres, il a foict response
à M. le maire de ceste ville , pleine de l'affection qu'il
lui plaist nous porter, comme nous serions de nostie
part très marrys lui avoir donné aulcune occasion de
se plaindre de nous.
Les Maire, Eschevins, Conseillers, Pairs
de la ville de Fronsac.
De Fronsac , ce . . mai lôg^.
CLXXXVI. — ^LETTRE DE M. ROTAN
A madame Diiplessis.
Madame, je crois que vous aurés esté advertie par
le sieur Chollet , comment j'ai receu les cinquante escus
qu'il vous a pieu me faire délivrer pour M. de Beze.
Je les lui ai envoyés par lettres de change avec cent
aultres qui m'ont esté baillés par quelques seigneurs
de ces quartiers, et je m'asseure qu'il les recevra dans
vjng mois ou six sepmaines pour le plus tard. C'est
ung secours qui lui viendra très à propos , attendeu la
longue et extresme maladie dont il ne faisoit que sortir
lorsqu'il m'escrivoit. Pour mon particulier, je vous re-
mercie très humblement de ceste charité que vous avés
faicte en son endroict , et m'en tiens comme vostre
44o LETTRE DE M. ROTAN, etc.
redevable, pour Tamour et respect que je porte à ce
sainct personnage. Je vous supplie donc que j'aye cest
honneur de demeurera jamais, madame, vostre humble
serviteur, Rotan.
De La Rochelle, ce 3o mai iSgS.
CLXXXVII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. Servi n.
Monsieur, j'ai veu la copie de celles de M, le chan-
celier h M. le procureur gênerai. J'en ai eu aussi de
ires amples de M. de Bouillon , et de plusieurs de mes
amis. Je vois que le roy s'est resoleu à l'instruction ,
pour laquelle les evesques sont mandés: et ne me dict
on poinct que les ministres y assistent, ce seroit arena
sine pulvere. Dieu conduira le cœur du roy, s'il lui
plaist. Sa majesté mande des députés de la relligion ,
et M. de Vicose, qui va pour cela, doibt passer ici,
qui nous en dira davantage. C'est pour composer, par
mesme moyen, leurs interests. Après avoir veu ledict
sieur de Yicose, je fais estât d'y aller (selon le com-
mandement que j'en ai), s'il y a apparence d'y bien
faire, auquel cas aussi, je pense que vous y devés
estre, et le procurerai volontiers. La déclaration du
pauvre Miseré est misérable, et ceulx qui praticquent
ces expediens encore plus; car c'est y^j a perjurio
auspicari. Il nous fauldra trouver remède ; et les cho-
ses ne peuvent demeurer ainsi. Vous me mandés que
j'ai là des ennemis , et je le crois; mais aulx calomnies
desquels, grâces à Dieu, ma vie a donné peu de prise.
Il V a seize ans que je sers le roy es premières charges,
LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc. 44 ^
et n\ii encore basti , acquis , acquitté pour ung liarH.
Si j'ai des pensions, elles sont fort médiocres, et je
despens le double. Cela est à la veue d'ung cbacung.
Quant à ce qu'ils dient des Suisses, je suis fort peu ca-
pable de ces mystères. Leurs députés sont à Tours , des-
quels on en peult sçavoir la vérité , et qui connoistra
leur humeur, n'en croira rien. Le thresorier des Suis-
ses aussi sçaura dire , s'il a fourni ses quittances, et en-
fin de compte; ce mensonge ne peult durer, quand on
verra qu'il ne s'en fera rien. Aulcungs m'ont voulu accu-
ser d'ambition; nul jamais d'avarice, ciii totâ sublan-
tiâ î'epugno : et si le temps dure, je pense qu'il n'y pa-
roistra que trop en mes affaires. Je n'ai poinct entendeu
que Madame ait l'Anjou en apennage , et ne le crois
pas. Je vous remercie de ce que vous avés faict en ma
considération , lorsqu'il a esté parlé de Sainct Florent.
Le peu qu'il me vault, estant la pluspart en Bretaignc ,
ne me doibt estre envié. J'y ai procédé par les voies
ordinaires, et sans privilège, ni de sa majesté, ni de
ma bienséance. Faistes estât, monsieur, que je suis
tout à vostre service. Je salue humblement vos bonnes
grâces , et prye Dieu vous avoir en sa saincte garde, etc.
De Saulmur , le 3i mai lôgS.
CLXXXVIH. — ^ LETTRE DE M. BRUNEAU ,
Sergent major j a M. Duplessis.
Monsieur, je suis marry que la proposition de La
Farre que avés à parachever en ceste isle, dont je
vous ai donné le premier advis, me soit si préjudiciable,
queensanegotiation, telle que je l'ai peu faire, au lieu de
442 LETTRE DE M. BRUNEA.U
le voir agréable , il faille recevoir blasme de mon labeur
si affectionné ; si dirai je vérité devant Dieu , que ja-
mais plus de volonté n'a esté et ne sera pour jamais
apporté en expédition d'affaire, telle que je l'ai em-
ployée en ceste ci , où je n'ai espargné , ni mon inven-
tion , ni mon travail , et m'asseure que ceulx qui ne
m'aiment poinct , qui, peultestre, vous ont peu rap-
porter aultre chose de moi, que ce qui s'y est passé,
ne vous représentent jamais plus de calomnies. Que
j'espère vous faire connoistre de service, auquel je ne
me suis encore poinct ennuyé ; mais bien à la vérité ,
plainct de la retractation de peu de chose qu'il vous
avoit pieu m'accorder , protestant pour l'avenir ne
vous demander , ni ne prendre jamais aultre chose
que vostre bonne grâce , dont il vous a pieu m'hono-
rer, et ne lairrai aussitost que la commodité se pré-
sentera de vous aller trouver, pour vous rendre raison
de ce que j'ai mesnagé audict affaire , le paracbesve-
ment duquel sera si aisé qu'ung aultre à vostre con-
tentement le pourra très bien exécuter, vous suppliant
très humblement de croire que ce que j'ai différé de
vous escrire , ce qui s'estoit trouvé à l'arpentement,
n'a esté ne par légèreté, dont madame m'accuse, ne
d'ignorance; mais plustost pour avoir trouvé, qui es-
toit nécessaire, que moi mesme vous en fisses le rap-
port. Toutesfois, puisqu'il vous plaist me le comman-
der, je vous dirai, monsieur, que l'arpentement ayant
duré six sepmaines, où j'ai tousjours assisté, si je n'ai
esté reteneu d'indisposition , nous n'avons seu tant
faire que, contre le jugement de tout le monde qui a
veu l'estendue du pays, qui ne le jugeoit à moings que
de trois mille quartiers, et s'en soit peu plus trouvé
que de deux mille deux cens quartiers , ou environ ,
A M. DUPLESSIS. [\[{^
dont je suis fort estonné, combien que la bauge de
quatre mille seize que je leur avois accordée ait mesme
esté quelque peu retranchée , en quoi vous pouvés voir
quel nombre s'en feust trouvé à six mille seize qui leur
avoit esté accordé auparavant. Cela me faict bien ju-
ger que vous y recevez du desplaisir, en ne trouvant ce
que nous y cherchions; toutesfois, je ne désespère
poinct que, avec peu de perte, vous ne fassiés revenir
tousjours le reveneu du mesme prix que vous l'affer-
mies par ci devant ; à sçavoir que si trouvés bon de di-
minuer de quelque chose le prix de l'entrée, je crois
que aisément nous ferons croistre la rente et acense-
ment, oultre que j'ai reconneu trois tonneaux de vin
de rente qui sont usurpés par ung des tenanciers de la
baye, sous un très mal asseuré prétexte ; joinct que avec
peu de frais , l'on peult encore faire ung four aban en
ce bourg, qui ne pourra moings valloir que de trois à
quattre cens livres de ferme, de manière que, en avant
communiqué avec vous, je me fais fort de faire trouver
pour Jes raisons ci dessus, tousjours ce que y avés
désiré, qui est qu'il n'y ait poinct de diminution. Ce
qui a esté ung des principaulx poincts de mon retarde-
mérit à vous aller trouver, c'est que, après l'arpente-
ment , il m'a fallu passer quinze jours et plus avec deux
clercs à redoubler une grande partie des papiers de
i l'arpentement pour tirer la vérité d'icelui ; d'ailleurs ,
que le peuple m'a demandé, premier que passer oultre ,
que je leur fisse passer ung contract gênerai avec l'œco-
nome de l'acensement comme je leur ai promis, et
pour icelui faire , me voulloient tous ensemble passer
procuration que je debvois emporter avec moi; à quoi
; neanmoings je n'ai peu parvenir encore pour les alar-
mes continuelles qui ont esté et sont en ceste isle de-
444 LETTRE DE M. BRUNEAU
puis la veneue de TEspaignol en la rivière de Bourdeaux ,
h quoi le peuple s'empesche tellement , qu'il ne vaque
quebien peu à aultres affaires ; de ne vous avoir asseuré
quel nombre de quartiers il y en avait de depeschez , je
vous en ai rendeu certain desjà deux fois; et ceste ci
sera la troisième , qu'il y en avoit huict cens trente ung |
quartiers , depuis lequel temps , je n'en ai receu que vingt |
cinq aultres quartiers , ou quelque peu plus ; que les
difficultés qui se peuvent rencontrer au paraschevement
de l'histoire, me donnent volonté de m'en divertir , et
non aultre occasion. Je vous supplie derechef, mon-
sieur , croire que je ne trouverai jamais d'empesche-
ment où il y a de vostre service, auquel j'ai telle-
ment aprins de vous de les surmonter, qu'elles seroient
bien grandes premier que me rebuter. Quant aux frais
qu'il a fallu faire, tant en la recompense des fermiers,
que despense soit de l'arpentement , ou de la recette
qui a esté au commencement faicte, je confesse qu'elle
a esté très grande, et plus je n'eusse voulleu ; mais
dirai je bien aussi avec vostre permission , que je ne
sçache homme qui l'eust seu faire avec trois cens es-
cus de plus, que je pense y avoir apporté d'espar-
gne, de toute laquelle despense il n'y a rien à payer,
que ce que prétend madame de La Garde, que je tiens
près pour lui envoyer : toutesfois, puisqu'il fault que je
sois blasmé pour avoir esté le premier inventeur de l'af-
faire, je le prends en bonne part, et prye Dieu qu'il
me fasse la grâce de vous pouvoir mieulx servir ail-
leurs , vous protestant de n y avoir péché par subtilité
aulcune de vous y tromper , mais plustost d'une bonne
et affectionnée intention, à quoi j'ai esté poussé en
vous servant. Voilà en somme tout Testât de l'affaire,
duquel il vous plaira m'envoyer vostre commande-
A M. DUPLESSIS. 445
ment, principalement sur ceste augmentation et dimi-
nution d'entrée , où je tasclierois de parvenir, et vous
en porter nouvelles en m'en allant vous trouver avec
procuration pour l'effect du contract gênerai. Cepen-
dant, à cause des grandes menaces que l'on nous donne
des Espaignols, dont l'arrivée doibt estre prochaine,
je fais porter à La Rochelle tous les papiers concer-
nant la consommation , pour ne les mettre en péril
comme beaucoup d'autres , font leurs plus précieux meu-
bles, qu'ils ne veullent laisser à Ihazard de leur veneue.
J'ai faict faire plusieurs copies de ce que m'avez dernière-
ment envoyé , afin de faire assigner plusieurs personnes ,
qui, au préjudice de vostre four aban , en font en
leurs maisons pour servir le peuple , comme aussi quel-
ques aultres qui doibvent des rentes , mesmement pour
les trois tonneaux de vin; mais j'attendois tousjours sur
le coup de mon partement , afin d'en emporter les ex-
ploits, et d'en instruire, estant là, ceulx qui les eus-
sent porté à Tours, ce que je ne lairrai de faire bien-
tost, si mon voyaige estoit retardé , à quoi je ne tends ;
mais d'avoir cest honneur de vous approcher, affia
de vous faire entendre de bouche plus particulièrement
mes raisons. Cependant je vous supplie, monsieur, ne
me tenir pour aultre que pour vostre très humble et
très fidèle serviteur, Bruneau.
^ En Ré , ce 3 juin lôgS.
446 LETTRE DE M. DE FOURCROY
CLXXXIX. — -J^ LETTRE DE M. DE FOURCROY
A M. Dnplessis.
Monseigneur , estant en la ville d'Anvers à la pom-
suitte de la main levée des biens du roy, saisis par les
officiers du roy catholique, ayant veu chose qui regar-
doit le service du roy, je suis veneu à Calais, où j'ai
apprins qu'ils estoient partis quattre en dévotion de
me supplanter, qui m'a esmeu venir, pensant trouver
le roy; mais j'ai esté dévalisé du tout; et une auJtre
fois, estant parti de je me suis saulvé, et ceulx
qui y estoient ont esté prins ou tués. Le messager
d'Angleterre y estoit, en attendant pour passer. J'ai sceu
que ceulx qui briguent ont crochetté quelque com-
mission. Ils ont eu plus tost faict que moi, qui ay esté
trois ans , et ne crois poinct que cela se soit passé devant
vous; car je vous asseure que pour m'en retourner en
dévotion de me bien deffendre, à la vérité, je n'ai
poinct baillé mes cautions pour ce que les terres
estoient saisies et confisquées , et a on ordonné des
deniers aux officiers et en tout disposé, de
quoi ayant demandé main levée et le poursuiveis quat-
tre mois. Elle me le feut accordée le i8 mai dernier^
que je n'avois voulleu craignant prejudicier
au service de sa majesté. De ce jour je suis oublié. Je
m'en retourne pour satisfaire à mon contract et acquit-
ter les deux rescriptions que m'avés envoyées; en atten-
dant ces messieurs qui attendent que je leur eusse plumé
le chaspon, ils se peuvent asseurer que ne serai de
ces commissionnés comme ceulx qui y ont esté depuis
A M. DUPLESSIS. 447
douze ans ; car je m'aiderai fort bien des loix du pays ;
je n'ai poinct failli, j'ai tout faict h mes despens;je
dirai qu'un g ambassadeur n'eust peu faire dad vanta «^e
que j'ai faict, et de m'aller traverser, cela n'est poinct
de justice. J'envoye toutes les pièces au conseil , atten-
dant quelque commandement. Je n'ai mérité une telle
adventure : à quoi je m'opposerai, croyant qu'ils le
pourront avoir de M. de Bevres. J'ai tellement com-
mencé que le roy jouira de ses terres, si je ne suis
empesché. C'est ung pont saffrenier de Calais, qui
se nomme Fedry, et ung aultre mangeur de chaspon
du roy, lesquels voyans les affaires acheminés, les
veullent manier chacung pour leur vie. Nécessairement
j'ose aller faire ung voyage pour demander permission
de pour vous asseurer , monseigneur , qu'il n'est
poinct entré ung sol au proffit du roy catholique : le lar-
' cin s'est faict par les officiers mesmes qui se sont accos-
ités de quelqu'ung du conseil. S'il vous plaist me com-
I mander ce que j'aurai à faire pour vous, pourrai bien vous
;aller trouver. Tout asseuré que j'aurai le commande-
ment , j'ai envoyé ung mot de requeste au conseil , avec
les pièces justificatives, pour ce que n'ai poinct aultre
'Veue pour avoir continuation de les bailler tous,
assigner l'entrepreneur gênerai de Calais et les siens,
qui manie par chacung an bien quarante mille escus. Je
suis bien marri estant serviteur fidelle de me voir exposé
à tant de traverses et mal à propos. Je vouldrois qu'iî
vous eust pieu faire pourvoir du bailliage d'Enghien
pour M. Fourneau de Crucquembourg. Il vous avoit
pieu accorder , ce seroit ung service; je n'en ay eu que
du bailly de Lisie, parent de feu M. Lapre. Il y a ung
gentilhomme de la part de M. de Harancourt, qui faict
448 LETTRE DE M. DE FOURCROY, etc.
rendre compte de ce qui s'est passé , et offre des offices
à vendre. Il me semble que, puisque les officiers ont
tout faict perdre, qui seroit bon de changer; l'on trou-
vera des gens qui auront moyen de leur soubtenir, et
qui bailleront de l'argent. On ne se peult, pour trou-
ver à l'advenir Jacques de Flandres, à celle plus de
trente quarante mille florins ; et si on le laisse
trois ans , il ne sera moins que propriétaire ; mais
ledict sieur de Bazanghien, bailly de Lisle, lui promet
bien se y opposer. Je n'ai peu encores sçavoir si quel-
qu'ung vouidroit achepter quelques terres; mais le
seigneur Alfonse m'a dict que M. desiroit
bien d'avoir la terre de Haut Bourdin. Commandés
moi donc si je vous irai trouver avec ce que j'aurai
d'argertt. Attendant je prye Dieu, monseigneur, vous
donner ses grâces et bénédictions en vostre famille.
Vostre très humble serviteur, Jehan df Fourckoy.
De Dieppe, le g juin iSgS.
GXC. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A plusieurs ministres.
Monsieur, vous sçaurés mieulx par M. de Vicose^
ce qui s'est passé en court, qu'il a charge de sa majesté,
de vous représenter; et par là verres que nous avons
tous grande occasion de pryer Dieu qu'il redouble son
esprit au roy, duquel il lui auroit pieu auctoriser el
confirmer la vocation par tant de grâces et de deli-»
vrances. Il nous fault recognoistre que nos peschés
nous amènent là , et adorer la justice de Dieu, qui les
I
LETTRE DE M. DUPLESSÎS, etc. 449
chastie bien souvent les ungs par les aultres; les moin-
dres, par les plus grands. Si estime je de nostre deb-
\oir , comme des médecins, de l'assister de ce que Dieu
a mis en nous, tant que le pouls lui bat; et pour ce
me resouds en mon particulier de me trouver en l'as-
semblée qu'il a pieu à sa majesté ordonner, tant pour
le bien gênerai de cest estât, que nommeement pour
le contentement et seureté de ceulx de la relliffion ,
desquels il proteste désirer le salut et repos , autant que
jamais. Ores je sçais que particulièrement sa majesté
vous y désire et appelle, pour là réputation en laquelle
elle vous tient. Et j'ose me promettre que vous n'y
vouldrés aulcunement manquer. Là, s'il est question de
conférer de la relligion , n)onstrons, monsieur, nostre
vertu à deffendre la vérité ; et ne souffrons poinct
qu'elle semble avoir ou succombé ou connivé. J'en-
tends, si on veult s'en enquérir à bon escient, et non
par une formalité pour fortifier une résolution jà toute
prise. Si ce poinct est desjà desploré pour son re-
gard, ce que j'ai peine à croire, au moins adviserons
nous ensemble aux moyens d'establir une seureté pour
nos Eglises, puis qu'il plaist à sa majesté en avoir
soing; lui représentant, chacung en son endroict , et
tous ensemble, ce qui sera du bien de ses subjects de
la relligion. A quoi vous avés à venir bien préparé de
bons advis et instructions, pour rendre vostre labeur
iitile, non seulement à Testât présent, mais mesmes à
la postérité. Lors, monsieur, j'aurai ce bien d'en com-
muniquer plus sérieusement avec vous, resoleu d'y
apporter tout ce que les gens de bien jugeront estre
de la gloire de Dieu, du bien de lEglise, du service
de sa majesté. Et pourtant ne vous ferai ceste plus
longue, sinon pour vous tesmoigner le désir que j'ai
MÉIW. DE DUPLESSIS-MORNAY. ToME Y. 2Q
45o LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
de la continuation de vostre amitié, et saluer très
affectionneement vos bonnes grâces , en pryant Dieu ,
monsieur , vous avoir en sa saincte garde.
De Saulmur , le 9 juin iSgB.
CXCI. —MEMOIRE DE M. DUPLESSIS
Envoyé par M. de Vicose,
Sur ce que sa majesté, par l'envoi du sieur de
Vicose en Guyenne, et du sieur de Beaucliamp en
Languedoc et Daulphiné, désire que quelques ungs des
plus notables personnages de la reîligion , et mesmes
ministres de la parole de Dieu , se trouvent près de
lui en l'assemblée qu'il prétend faire tenir à Mantes ,
au 20 juillet; l'advis du sieur Duplessis est tel qui
ensuit.
Pour le regard des ministres , ne voit que l'inten-
tion de sa majesté soit de les faire conférer avec les
evesques; et moins des evesques d'entrer en dispute
avec eulx; soit pour la crainte de la force de la vérité,
soit pour ne desplaire au pape, duquel infailliblement
ils encourroient l'excommunication.
Oultre ce qu'il seroit trop dangereux que les mi-
nistres entrassent en une conférence , avant laquelle
le roy feust resoleu de se rendre.
Mais bien juge le sieur Duplessis que sa majesté
désire avoir des ministres de chacune province , pour
les asseurer du désir qu'il continuera à conserver les
E^ïlises, afin qu'à leur retour ils en puissent emporter
asseurance aulx peuples.
MEMOIRE DE M. DUPLESSIS, etc. 45 r
Est donc d'advis ledict sieur, qu'ils y viennent;
parce que leur piesence sans double engendrera des
mouvemens en lame de sa majesté; sinon pour le re-
tner du changement de relligion, au moins pour leur
accorder plus libéralement ce qui sera de leur bien,
seureté et conservation. Et peult estre Dieu nous ou-
vrira il par ce moyen la porte à quelque chose de
mieulx, puisque par sa providence il a vuulleu qu'ils
y soient appelles.
Il y a plus; qu'il est tout certain que, s'il ne se trouve
des ministres capables près de sa majesté, les eves-
ques offriront à sa majesté de conférer avec ceulx
qu'il vouldra, pour esclaircir sa conscience , se preva-
lans de leur absence. Si au contraire ils sentent qu'ils
y soient, ils n'oseront en parler.
Quant aulx seigneurs, gentilshommes et personnes
notables que sa majesté y aj)pel!e, ledict sieur Du-
plessis estime semblablemenf qu'il en peult réussir
beaucoup de bien pour les églises, si l'affaire est bien
conduict et manié. Et seroit son advis, qu'en chacung
colloque se tinst une petite assemblée des plus notables
personnes de la relligion de tous estats, en laquelle,
pour éviter aulx jalousies, feussent choisis ceulx qui au-
roient à aller trouver sa majesté, au nombre desquels
se trouveroient sans double ceulx aulxquels sa majesté
escrit;aulxquels feussent aussi bailles bons et amples
mémoires, de ce qui auroit à es're représente à sa
majesté par lesdicts sieurs, pour l'exercice de la relli-
gion, la justice, les seuretes.
Pour la relligion, afin de l'obtenir plus ample, est
à remontrer que nous sommes aujourd hui, par la ri-
gueur des troubles, forclos de la crunpaigne; et tendre
452 IVIEMOÏRR DE M. DUPLESSIS
afin d'avoir Texercice public, sinon es villes, au moins
es fauixbourgs.
Item , faire instance de l'avoir en court, et es armées
de sa majesté ; à faulte de quoi ceulx de la relligion en
seroient manifestement forclos , et sa majesté privée
de leur service; estant trop insupportable (jue jusques
ici on ait refusé la sépulture à ceulx qui sont morts
es années,' et en la présence de sa majesté.
Pour la justice, les parlemens ne souffriront jamais
les cbambres portées par fedict. Pour lesquelles sup-
pléer seroit nécessaire d'obtenir qu'en chaque corps
de parlement, ou siège presidial, il peust entrer jus-
qu'à certain nombre de personnes de la relligion ; mes-
mes en conséquence c\e ce que par l'edicl, ils doibvent
estre indifféremment receus es charges. Aultrement,
si la nomination est laissée à la discrétion du roy,
quelque bonne volonté qu'il ait , estant entre leurs
mains il ne pourra disposer des charges en leur faveur.
Le mesme pour celles des finances, de la police, de
la guerre, etc.
Pour les seuretés , fault surtout adviser que les
places d'importance soient bien entreteneues , par ce
qu'on les vou4dra faire périr par soustraction de paye-
ment : auquel cas est besoing qu'il soit dict que , préala-
blement à toutes charges , les garnisons ordonnées
par sa majesté soient payées, jusques à rétention de la
somme à laquelle elles se monteront; cas qu'on les
en voulleust frauder.
L'entretenement du ministère doibt estre pressé,
pour estre assigné en chacune province sur un g de-
nier certain, manié par personnes à ce ordonnées. Et
ENVOYÉ PAR M. DE VICOSE. 4^^^
pour ce fault en chacune province s'acîviser des assi-
gnations qu'il conviendra demander.
Ledict sieur Duplessis faict estât de se trouver en
l'assemblée, comme il est commandé de sa majesté
pour y servir de tout son pouvoir.
Du g juin iÔqS»
CXCII. — LETTRE DE M. DUPLESSTS
Aulx seigneurs et gentilshommes de la relligion.
Monsieur , M. de Vicose vous pourra mieulx dire
ce qui s'est passé n'agueres en court, qui seroirt trop
long pour une lettre. Vous verres aussi par ses instruc-
tions, que nonobstant cela sa majesté veult avoir soing
de nos églises, pourvoir à leur seureté en rassemblée
qu'elle convoque en juillet prochain. A ceste fin elle y
appelle plusieurs seigneurs et personnages notables ,
tant d'une que d'aultre relligion. Et particulièrement
désire que vous y soyés, pour la bonne part qu'elle
sçait que vous avés entre les gens de bien , et pour
l'estime en laquelle elle vous a. Il fault pryer Dieu qu'il
le fortifie par son esprit contre les monopoles de ses en-
nemis; qu'il lui doint aussi de n'estre ni mecognoissant
de ses singulières grâces, ni insensible aulx playes qu'il
redouble sur son estât ; pour noslre regard, nous
debvons faire encores cest effort près de sa majesté,
pour obtenir et affermir une bonne fois le repos de
nous et des nostres, A quoi, pour mon particulier,
je me resouls de servir de tout mon pouvoir; et lors
aussi, de conférer plus particulièrement des moyenjs
avec vous. Quoi attendant je vous ferai ici offre de
454 LETTRE DE M. DUPLESSIS
mon service, et, en saluant bien humblement vos bonnes
grâces, prye Dieu, monsieur, vous avoir en sa sarde.
De Sauliuur, ce 9 juin 1593.
CXCin. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
^ M. de Lesdiguieres.
MoTvsiEUR, vous aurés veu M. de Beauchamp , qui
vous aura dict choses que je sçais qui vous auront
apporté du desplaisir. Toutesfois, il fault pryer Dieu
qu il fortifie le roy par son esprit; et nous servir ce-
pendant des moyens qu'il nous propose, pour asseurer
la condition des gens de bien. Cela me faict espérer
que nous aurons ce bien de voir M. le président de
Calignon près de sa majesté, f Car de vous, les beaulx
aessemgsque vous avés, vous desrobent à vos amis et
serviteurs.) Et lors aussi je me prépare à l'entretenir
de plusieurs choses, peult estre non infructueuses,
que je sçais ne pouvoir commettre plus utilement, ni
plus seurement qu'à lui. De vos affaires, si vous en
donnés toute charge à quelqu'ung, nous en ferons
une fin ; mesmes s'il apporte de quoi justifier toute la
partie employée au contract, par lequel Mervez vous
est obligé. Et peult estre serés receu à retenir la terre,
en payant la plus valleue. En somme je serai très aise
en taisant le service du roy, que vous cognoissiés que
je cherche vostre contentement ; car je suis vostre servi-
teur, monsieur , et honore vostre vertu de sincère
affection, comme bien humblement je salue vos bon-
nes grâces, et prye Dieu vous avoir en sa saincte
garde.
De Saulmur, ce 9 juin lôgS.
A M. DE LA MOTTE. 4^5
CXCIV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
J M. de La Moite ^ lieutenant gênerai au bailliage
cVAlençon.
Monsieur, vous aurés sceu comme la conférence
de Surene, aidée des instances des plus grands près sa
majesté, a amené le roy à ce poinct de promettre de
se faire instruire dedans le mois de juillet prochain,
à laquelle fin il convoque les evesques de ce royaulme.
Je ne vois poinct que les ministres y soient appelles
pour entrer en dispute ; et par ainsi la vérité n'y sera
ni esclarcie, ni defendeue; mais aussi si c'est pour
une pure formalité, que ceste convocation se faict, la
chose comme ils dient , estant jà resoleue , c'eut esté
trop de préjudice et de scandale à la vérité, de la
faire entrer en combat ; et par conséquent vaincre ,
pour neantmoins se rendre comme vaincue. Ores , sa
majesté n'a rien encores changé en son exercice de rel-
ligion, requiert des églises, que le jeusne soit célébré
partout son royaulme pour la pesanteur des affaires
qui se présentent; proteste en oultre, en tout cas,
d'avoir tousjours soing de ceulx de la relligion , etc.
Qui faict encores espérer que les pryeres et les larmes
des gens de bien , aukquelles il a recours , ne seront
inutiles. Mais particulièrement il a despesché les sieurs
de Vicose et de Beauchamp es provinces de Guyenne,
t Languedoc et Daulphiné , pour faire venir des plus no-
' tables personnages de nos églises , tant seigneurs et
gentilshommes que ministres et gens de justice, pour
assister en une assemblée qui doibt estre teneue au 20
fe
456 LETTRE DE M. DUPLESSIS
juillet, composée tant d'une que d'aultre relligion, pour
advjser à lestablissenient des affaires , et nommeement
au contentement de ceulx de la relligion. Et est l'in-
tention de sa majesté, qui m'a esté exposée par le sieur
de Vicose , que des provinces de deçà aulcungs aussi s'y
trouvent, lesquels pour n'estre si esloingnés,sa majesté a
pensé n'estre besoing d'advertir si tost. C'est pourquoi
j'ai pensé de vous en escrire , afin que de bonne beure
vous tenies la main pour la province de Normandie,
qu'il soit procédé à l'élection de personnes notables ,
et capables ; et que mémoires pertinens leur soient
baillés, de ce qui aura à estre remontré; et que nos
églises, par la renconstre de tant de gens de bien en-
semble, puissent obtenir quelque repos et seureté.
Je vous envoyé copie de certain mémoire, que j'ai en-
voyé ailleurs , concernant les principaulx poincts
aulxquels il fault adviser. Comme aussi , j'escris à M. de
la Bencerie, conformément aulx vostres. Ce que je
vous prye inesnager selon vostre zèle, prudence et
dextérité. Je fais estât de me trouver en ladicle assem-
blée pour y faire tout ce qui sera de mon pouvoir; et
n'y oublie rien , encores que de loing, comme j'espère
que vous appercevrés , si la court s'approcbe de vous ,
comme nous tenons ici. Et sur ce, monsieur , je salue
très affectionneement vos bonnes grâces, et prye Diea
"VOUS avoir en sa saincte garde.
De Saulmur, etc.
A M. DE LA BEURIERE. 457
CXC V. — ^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
y4 M. de La Beuriere, ministre de l'Eglise de Caen.
MoNSiEUK, vous aurés assés entendeu ce qui s'est
passé ces jours en court. Nous avons grandement à
pryer Dieu pour le roy qu'il le veuille fortifier contre
ces grands assaux , et en debvons bien espérer , tandis
qu'il implore les pryeres et larmes de I église, comme
vous aurés esté adverti qu'il faict. Mais tant y a, que
nous avons non moins à craindre de l'ire de Dieu ,
laquelle nous deussions, certes, avoir destournee par
ung changetwent de vie, au lieu que, pour appaiser
celle des hommes, nous sommes reduicts à parler du
changement de relligion. En tous cas, sa majesté pro-
teste d'avoir tousjours soing du repos, contentement
et seureté de nos églises, et pour ce, faict une assem-
blée au 20 de juillet , composée des ungs et des aullres ,
où elle appelle nommeement des plus notables et ca-
pables, ministres, gentilshommes et gens de justice
de la relligion, des provinces de Guyenne, Languedoc
et Daulphiné; entendant qu'il y en soit aussi envoyé
des aultres provinces à mesme fin. C'est pourquoi le
sieur de Vicose, ayant eu charge de sa majesté de me
déclarer son intention , j'ai pensé de vous en advertir,
afin que vous prepariés d'avance tant l'élection des
personnages, que les instructions dont vous aurés à
les charger; comme plus amplement j'en escris à M. de
La Motte, et me confie en Dieu; ({ue la rencontre de
tant de gens de bien près de sa majesté ne pourra
produire que beaucoup de fruict ; particulièrement
458 LETTRE DE M. DUPLESSIS
que la condition de ses serviteurs de la relligion, qui a
tousjours flotté depuis son avènement à la couronne,
y pourra estre affermie par quelque règlement cer-
tain et asseuré. Ores , je ne vous ferai ceste plus
longue, me remettant comme dessus ; seulement vous
dirai que je suis resoleu de me trouver en ladicte
assemblée, et peult estre plustost près de sa majesté
pour apporter ce que Dieu me donnera à ung si bon
œuvre. Je le prye, monsieur, qu'il le veuille conduire
à sa gloire, et vous doint en saincte, etc.
Du 14 juin iSgî.
CXCVI. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Buzenval.
Monsieur, je confesse que je vous doibs plusieurs
lettres. Mon absence de la court et le changement y
surveneu en sont causes. Vous Taures sceu de plus
près. Sa majesté s'est resoleue à se faire instruire par
les esvesques ; les ministres n'y sont appelles. J'estois
d'advis que sur le temps de ceste assemblée , la royne
d'Angleterre, les princes protestans, les Provinces
Unies , les Ligues des Suisses , etc. , fissent trouver des
députés vers sa majesté pour lui faire quelques protes-
tations d'amitié et de secours, qu'ils feussent aussi
en tout cas chargés de lui recommander nos églises, et
en avois escrit à M. de Bouillon pour le faire negotier.
J'en escris à M. de La Fontaine; et si vous le trouvés
bon , voyés vous deux si vous pourrés amener cela à
fin. Je desirois aussi que les ambassadeurs des princes
de nostre confession, non les Luthériens, pour éviter
A M. DE BUZENVAL. 45f>
zizanie, s'accompagnassent chacung de quelque théo-
logien excellent; les vostres nonimecment de M. Junius,
pour en ung besoing prester le collet aulx leurs, parce
qu'il est tout certain que, s'ils n'en voyent point près de
sa majesté, qu'ils redoubtent, pour se prévaloir ils
s'offriront à conférer, ce qu'ils fuiront soubs crainte
d'excommunicalion s'ils l'en voyent assisté. Jn lus mo-
tibuSy pour quel je suis teneu entre eulx , je le vous
laisse à penser. Je n'ai qu'advertissement de malveil-
lance à toute heure ; et mullis quideni noniinibus,
contre ma personne, contre cesle place, etc. Mais je
penserois défaillir à moi mesmes , de n'y apporter ce
peu que je suis et que je puis. Je viens aulx notables
services que vous faictes au roy ; ce dernier mesmes des
cent mille florins, je plains qu'ils ne soient mieulx re-
cogneus, et double qu'à l'ndvenir ils le soient moins. Si
j'eusse esté en court, je n'eusse failli à procurer vostre
descharge pour la tare d'Utrecht ; à quoi je pense que
M. de Revol aura ponrveu. Mais je trouve que M. de
Bouillon n'a pas peu faict d avoir obteneu le pouvoir
de faire la guerre contre l'Espaignol ; et pour arrhes,
les deniers par vous obteneus. J approuve aussi fort son
desseing , de faire une gallerie de lui à vous, pour ung
mutuel secours; mais j'eusse voulleu, en recevant les
fruicts de vos labeurs, qu'il eust aussi frappé quelque
coup pour vous. Quant aulx deux mille escus dont
m'escrivés sur Fourcroy, sçachés seulement quels de-
niers il a es mains , et si cest inconsidéré contiact faict
avec le comte de Mombeliard , a poinct troublé sa
ferm.e; car, en ce cas, je vous envoyerois de quoi les
toucher de ces deniers ; je le dis , parce qu'il y a
huict mois qu'il ne m'a escrit, et je ne vouidrois pas
que vous bastissiés sur faulx fondement. Je prye Dieu
46o LETTRK DE M. DUPLESSIS
qu'il vous donne bonne isseue de vostre siège de Ger-
trudeiiberg, car j'en cognois l'importance, et recog-
nois bien par là que vostre guerre est conduicte avec
jugement; s'il succède, obligés moi tant que je puisse
avoir ces deux canons, et quelque quantité de balles de
leur calibre, aultrement difficiles à recouvrer ici, j'ad-
jousterois quelques poudres si j'osois. S'il m'estoit utile
ci devant, vous le jugerés maintenant nécessaire; si
rem , si personas, si lociim , si tempus specles. Je
vous répéterai encores ce dont ci devant je vous avois
quelquesfois escrit. Nous sommes veneus à bloquer
Poicliers, et avois, longtemps a, proposé au conseil du
roy, pour tenir corps en l'armée qu'il estoit besoing
d'avoir ung régiment de bons lansquenets. Ce quiavoit
esté trouvé très nécessaire , et ordonné argent pour
cela , et à moi donnée la cliarge de m'enquerir du
moyen de les recouvrer et faire venir , dont je suis
d'autant plus sollicité qu'on y est maintenant en
œuvre. J'ai donc besoing que me fassiés ce plaisir de
vous enquérir soigneusement : i**. de personne de qua-
lité, capacité et fidélité, pour les lever, et particuliè-
rement entendrions qu'il feust de la relligion ; 2°. de ce
que pourroit monter la levée exactement , ou à peu
près, dont Testât nous feust envoyé , et quelle avance il
en fauldroit faire; 3^. du moyeu de les faire conduire
par mer, jusques en Poictou, des frais qu'il y convien-
droit faire, et en quel temps on les nous y pourroit
rendre, du jour que l'argent seroit délivré par delà,
et de tous ces poincts, et aultres qui en dépendent,
vous prye de m'envoyer bons et particuliers mémoires,
qu'il vous sera aisé de recouvrer, parce que j'estime
que ces dernières années M. le comte Maurice s'est
encores servi de ceste nation , comme souloit feu M. son
A M. DE BUZENVAL. 46 1
père. M. le maieschal de Matignon m'a escrit et faict
parler à mesme fin. Et vous sçavés assés en quantes
façons cela nous pourroit venir à propos par deçà.
Pour ce que m'escrivés du Hourdel , j'ai eu charge du
roy durant le siège de Rouen de le recognoistre , et
trouverois très à propos de le fortifier. Seulement je
crains , veu ceste mutation , que les catholiques qui
gouvernent près de sa majesté ne le nous souffrent
pas. Je sçais bien ung plus beau lieu en Bretaigne, qui
maistriseroit toute la rivière de Loire, et brideroit
Nantes ; mais j'aurois besoing d'y estre assisté des vais-
seaux de messieurs les estais. Et sur ce passage vous
dirai que très à propos se sont arrestés à La Rochelle
douze de leurs vaisseaux, qui estoient veneus escorter
une flotte de marchandise ; maintenant qu'une armée
de mer doibt descendre d'Espaigne en Guyenne, qu'on
dict estre forte de quarante bons voiles. Ores, monsieur,
c'est ce que vous aurés pour ce coup, et le duplicat par
aullre voie. Faiclcs seulement tousjours certain estât
que n'avés ami plus à vostre service que moi, qui sur
ce salue humblement vos bonnes grâces, et prye Dieu,
monsieur, vous avoir en sa saincle garde.
De Saulmur, ce i8 juin iSgS.
CXCVIL — ^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
J M. de La Fontaine.
Monsieur, vous aurés sceu ce qui s'est passé en
nostre court ce mois de mai, ce que je prevoyois et
■predisois prou ; mais on ne me voulloit pas croire.
Pour rompre ce monopole, sa majesté s'est soubmise
462 LETTRE DE M. DUPLESSIS
à l'instruction des evesques ; et cependant convoque
les principaulx de nostre relligion en juillet, avec les
auhres seigneurs de ce royauline, pour advisor à tous
affaires , et particulièrement à nostre contentement.
Je crains fort qu'il soit s'y engaigé , qu'il soit contrainct
de passer oultre. Et si fault il toutesfois s'y trouver,
comme de ma part je m'y resouls, tant pour l'appuyer
contre la chute, et le retenir siu' ce precij)ice, qu'aussi
pour asseurer nostre condition au mieulx qu'il nous
sera possible; je ne \ous cèlerai toutesfois que je ne
suis pas sans ordres, advertissemens du mal qu'on me
veult , pour la roideur que j'y apporte; mais, en sui-
vant ma vocation, je remettrai le surplus à Dieu, s'il
y a tant, soit peu d'apparence de bien faire. Vous sçavés
quelle est la nature du mal : quodfastigiuin pietas ,
gradus est. Nous avons à faire à gens qui appellent
paix de nous faire la guerre , le passé nous y doibt
faire penser. C'est pourquoi j'estime que de bonne
heu-re vous debvés disposer nos amis eslrangers à
deux choses : en ce mesme temps j'estimerois à propos
qu'il se trouvast près de sa majesté une ambassade
honorable de la royne d'Angleterre, qui par la pré-
sentation de son secours ( encores que je déplore
qu'il ait esté et soit si mal employé), le fortifiast au
bon chemin , et contreposast les offres qu'on lui faict
d'Italie pour entrer au mauvais; que si le temps aussi
le permet, que les princes d'AlIcmaigne, estais des Pays
Bas, Ligue de Suisse, fissent de mesmes : deux effects
en pourroient sortir; rung,que, se sentant aussi fort
en faisant bien , qu'en déclinant au mal ; il demoureroit
au bien, a quo et animiun. L'aultre , qu'en tous cas,
ceulx qui par la messe lui promettent la paix, et que
nous sçavons appeller proprement paix, quand on
A M. DE LA FONTAINE. 463
nous faict la guerre, voyant la relligion soubteneue de
si forts estançons, retiendroient leur mauvais cœur,
au moins pour quelque temps; et se lascheroient plus
aiseement aulx conditions nécessaires pour nostre seu-
reté. Ores, je n'ignore poinct les contradictions que
vous y rencontrerés, et n'ai pas oublié les propos qui
me feurent teneus en mon dernier voyage par delà.
Mais je considère que les saiges pèseront de quelle impor-
tance il est pour tous les estats de la relligion qu'ung
roy de France, que Dieu y avoit appelle, se rejette eu
l'idolastrie; que se départir de la relligion, est peu à
peu se retirer de l'alliance dont elle estoit le plus
ferme lien; entendre par conséquent à nouveaulx traic-
tés, mesmes à mariages préjudiciables aulx voisins,
tels que vous pouvés assés penser. Au reste, que de-
puis qu'on s'est laissé aller au mal , c'est ung penchant
sur lequel on ne s'arreste poinct; à peine mesmes y
chemine on par degrés; ores pourtant qu'il fault em-
ployer tous moyens à temps : dum spiritus Dei vel
tanlilliun pulsnt in jiobis. C'est une ouverture, et'
vous la sçaurésmesnager par vostre prudence, selon les
personnes, les lieux. Je ne pense pas aussi que ceste
assemblée puisse estre avant la mi aoust, y ayant nos
députés à venir des plus loingtaines provinces. Interea,
je fortifie ceste place ce que je puis ; quelques tra-
verses qu'on me donne : refiigium , refrigeriumque
piis ; mais vous ne doubtés pas si les malings pré-
valent, quels combats j'aurai à soubtenir , contre les-
quels succurrit illud y Dominiis providebil, que je ne
sçais ne m'avoir poinct logé ici sans cause. Je luc
confie aussi que ceulx qui y ont interest y penseront;
mais particulièrement je vous prye de préparer les
cœurs des gens de bien de delà à secourir nos églises
464 LETTRE DE M. DUPLESSIS, ete.
et la partie plus affectée, si la mesme violence qui vous
opprime la conscience du roy entreprend plus avant.
Madame proteste de persévérer; M. de Montpensier
est assés en sa bonne grâce, nec abhorret a piis. Les
aultres ùifensissinio in nosiros siinl animo. Sa ma-
jesté, entre ceulx qu'elle appelle de la relligion , mande
MM. Payen , de La Tousche, Rotan , de Veaux; nous
y en faisons trouver aussi quelques aultres de deçà.
Mais si les evesques sçavcnt qu'il n'y ait personne à
redoubler, ils s'y offriront. Si on s'y présente, ils ne
vouldront encourir l'excommunication du pape. C'est
pourquoi j'ai engagé nos églises d'y en envoyer. Je
trouverai fort bon aussi,- si vous vous resolviés à l'am-
bassadeur que dessus , tant en Angleterre que Pro-
vinces Unies, que les ambassadeurs, pour les occasions
qui se peuvent présenter, s'accompaignassent de quel-
ques tlieologiens excellens; TAnglois, de vous, de
M. Witaker, ou Rainold; le Flammand , de M. Junius;
et si ce que je vous proposois à Londres eust esté
faict comme je le projettois, nous serions encores
mieulx préparés. Je prye M. Rotan de vous envoyer
copie d'ung petit mémoire que je lui ai envoyé. C'es-
toit pour les advertir sommairement de ce qu'il est
plus nécessaire. Je desirerois fort avoir les œuvres de
M. Rainold, ou en latin, ou en anglois. Je salue,
monsieur, etc.
Du 19 juin i5y3.
LETTRE DU ROY A M. DUPLESSIS. 4G5
CXCVIII. — LETTRE DU ROY
A M. Du pie s sis, esc rite de sa propre main.
M. Duplessis, la conférence est rompeue, et les Es-
paignols ont faict des offres si grandes que les ennemis
y ont preste l'oreille. Ils ne dema^ndent seulement ,
sinon que l'on élise le duc de Guise, et qu'il espouse
la fille d'Espaigne, de quoi le duc de Mayenne semble
avoir quelque jalousie. Nous avons pris assés heureu-
sement ceste ville ; mais le cliasteau tient encores.
J'espère toutesfois, avec l'aide de Dieu, que dans cinq
ou six jours il sera en mon obéissance; car de trois
puits qu'il y a, nous en avons gasté les deux; et uno-
homme qui en vient de sortir tout présentement, m'a
asseuré que nous leur avons rompeu ung seul moulin
qu'ils avoient ; ce que je crois fortaiseement, car d'une
cave qui est sous ledict chasteau, et de laquelle nous
l'oyons moudre , nous ne l'entendons plus. Il y a plus
de quattre mille personnes retirées audict chasteau ;
ce qui m'en faict avoir bonne espérance. Cependant ,
le duc de Mayenne assemble tout ce qu'il peult, pour
nous faire lever siège, ou nous donner la bataille; et
le comte Charles a passé la rivière de Somme avec son
armée, et vient droict à moi. Pour ce incontinent la
présente receue, montés à cheval avec vostre com-
paignie , et le plus de vos amis que vous pouires, et
venes en diligence ; aultrement vous seres des derniers.
Et je m'asseure que vous auriés trop de regret d'y
manquer. Souvenés vous qu'à la bataille d'Yvri vous
n'arrivastes que» fort à propos ; et quel ennui ce vous
Mk.iï. de DurLFSsis-I\IoiiKA.Y. Tome v. 3o
466 LETTRE DU ROY A M. DUPLESSIS. -i
eust esté si à quattre lieues de là vous eussiés appris
des nouvelles de la bataille gaignee sans vous. Aussi
j'ai affaire de vous , et de vostre advis sur ce qui se
présente. Pour ce, sans plus d'excuse, ou de remise,
venés et usés de diligence. Adieu. .Henry.
A Dreux , ce aS juin i5()3.
CXCIX. -^ LETTRE DE M. DE BUZENVAL
A M. Duplessis.
Monsieur, je n'ai rien de vous depuis celles que
m'apporta le nepveu de feu M. Ortoman , que j'espère
despesclier ung de ces jours à sa majesté. Et par lui
vous aurés toutes nouvelles. Hier la ville de Gertru-
denberg se rendit par composition , que les soldats
sortiroient avec l'espee, et y lairroient les enseignes et
drapeaux. Cela s'est faicl à la veue du comte de Mansfeld,
qui ne s'est poinct esloingné depuis deux mois de la-
dicte place de la portée du canon avec une armée
d'ung tiers plus forte que la nostre. Vous pouvés penser
quelle dereputation causera ceste prise aulx affaires
du rov d'Espaigne par deçà. Je ne sçais si nous en
pourrons faire nostre profict ; cap^nous sommes fort
foibles, et ne scaurions mettre plus de six cens reystres
et quinze cens gens de pied en campaigne. Toutesfois
on profitera es occasions. Ce bon succès ne peult qu'il
n'apporte beaucoup d'advantage aulx affaires. J'ai veu
ce siège quelque temps. Il ne se pouvoit rien voir
de mieulx ordonné, et les ouvrages sont incroyables
qui y ont esté fàicts. J'adviserai si je vous pourrai en-
voyer, ce que je remettois à l'isseue de ce succès. Il n'y
LETTRE DE M. DE BUZENVAL, etc. 4^7
a que deux heures que nous en avons les nouvelles.
L'ennemi se relira hier de son logis près de nostre
camp. On ne sçait ce qu'il entreprendra. Il a plus
perdeu qu'il ne gaignera ceste année. Il n'y a rien par
deçà où il puisse attenter quelque chose. Je crains
que vous n'ayés en France la descharge de ceste armée.
On essaiera de le tenir lousjours en haleine. Je vous
supplie bien humblement, monsieur, vous voulloir
soubvenir de la promesse que m'avés faicte, il y a
quelques mois, de recevoir en vostre maison et ser-
vice le fils de M. Aersens, secrétaire d'estat de ce pays.
Je lui ai donné lettres pour vous aller trouver. Je vous
ai desjà dict les qualités du père , qui a bien mérité
du service de sa majesté, et contineue tousjours. Je
m'en sers infiniment. Vous le lierés plus particulière-
ment par ce moyen au service du roi et vostre. Je
vous supplie donc derechef en avoir seing, et lui
faire paroistre que ma recommandation lui aura servi.
Il vous escrira aussitost qti'il sçaura que vous Taures
accepté. Madamoiselle Louise de Nassau fiut fiancée
le 10 du présent à Dildenbourg, avec monseigneur
l'électeur Palatin. C'est une belle alliance pour ceste
maison. Et sur ce, vous baisant bien humblement les
mains, je pryerai Dieu, monsieur, qu'il vous tienne
en sa saincte garde. Vostre bien humble et très obligé
serviteur, Buzejvval.
A La Haye , ce 26 juin lôgS.
468 LETTRE
ce. — ^ LETTRE
Des ministres de la Touraine a M. Duplessis.
Monsieur, quand nostre compaignie, obéissant au
commandement de sa majesté, a voulleu faire choix
d'ung gentilhomme capable de la conférence qui doibt
se tenir le mois prochain , elle vous a déféré l'honneur
de cette negotiation , et m'a chargé vous pryer de l'avoir
pour agréable et l'accepter, considérant l'importance
des affaires qui tomberont en délibération et qui mé-
ritent que vous y employés le meilleur des talens qu'a-
vés receus, dont je vous eusse adverti plustost, sinon
qu'il a falleu attendre l'advis de nos voisins , lesquels
tous ensemble vous donnent leurs voix. Nous avons
seulement doubté si, tenant la place et dignité d'ung
conseiller d'estat, vous pourries ou vouldriés prendre
la qualité de député pour nostre province. Quia nemo
idem et siipplicat et decernit. A cause de quoi nous
avons nommé M. des Mares, soit pour vous accom-
pagner, s'il vous plaist faire le voyage en court, soit
pour suppléer à ce que sera nécessaire , et à quoi n'aurés
loisir de vaquer; mais, en tout événement, nous vous
supplions humblement et affectueusement vouUoir
prendre nostre cause en main, procurant de tout vostre
pouvoir l'entier restablissement et liberté de nos églises,
selon que portent nos mémoires qui vous seront pré-
sentés, ou du moins autant que l'injure du temps le
pourra permettre. Ainsi vous nous obligerés à vous
obéir , et vous ferés service à Dieu , lequel je supplie
A M. DUPLESSIS. 4%
vous maintenir, monsieur, en longue prospérité sous
^ sa protection. Vostre bien humble et obéissant,
Argues , pour tous.
A Tours, ce 22 juin iSg'S.
CCI. — ^ LETTRE DE M. DUMAURIER
A M. Duplessis.
Monseigneur, j'avois le papier devant moi pour
vous escrire, lorsque le sieur Dampvilliers m'a rendeu
vostre lettre du ig; car, sur les nouveaulx advis con-
traires à ceulx qu'on tenoit pour certains et indubi-
tables, j'eusse bien désiré vous faire voler ung lacquais
pour vous oster la peine ou partie d'icelle , à laquelle
le danger de monseigneur de Montpensier vous a peu
soubmettre. Le maire de ceste ville a leu une lettre es-
crite aulx affaires de Champigny, par laquelle l'on les
advertit que les 12, j3, 10, i5 et 16 que la lettre est
datée, mondict seigneur avoit dormi et esté sansfiebvre.
Ung gentilhomme que madame Saincte Croix lui avoit
envoyé, parti du 17, a porté à sa tante lettre signée
de sa main. Il y a cinq ou six lettres particulières , en
substance, que le \l\ décembre l'on l'a jugé hors de
danger, dont beaucoup de personnes ne sont pas beau-
coup joyeuses , mesmes ceulx aulxquels les lettres por-
tans le malheur asseuré estoient addressees, et ont les
gens de bien fort remarqué ceulx qui ont envoyé les-
dicts advis, et plus ceulx qui les ont malicieusement
entendeus. Dieu veuille que ses advis ne soient sem-
blables à ceulx qui se donnoient de la maladie de feu
M. de la Ronei. De l'élection, l'advis en feut porté au
470 LETTRE DE M. DUMAURIER
roy, qui despescha aussitost à madame sa sœur, mais
par lettres de Paris du l'y, du sieur Dormy et m;.damc
de Narmoutier et de quinze ou seize personnes qui en
ont receu lettres de Paris , Sainct Denys ou Poissy, l'on
ne tient pas l'élection parfaicte et confirmée par les
eslats et le parlement , mais concleue ; le duc
de Froia et les princes de la maison de Guise, assis-
tés des chefs de la noblesse de leur parti , que l'in-
fante d'Espaigne sera condiiicte en France par ung
mille clievaulx, seize mille hommes de pied et trois
millions d'or, pour estre couronnée avec le duc de
Guise, son futur mari; que la monnoyc sera effigiee
de tous deux , es tous actes publics nommés tous
deux , comme roy et royne , advenant la mort du
duc de Guise, avant la consommation du mariage
ou après, sans laisser enfans , sera de la puissance
nommer du roy mari de la fille ; et que le lendemain
jà les Espaignols en corps viendront tous saluer le
duc de Guise; toutesfoison ceste resolu-
tion, ou la dict on suspendeue. Si le roy faict le sault
qu'on peult justement appeller périlleux , des ja-
lousies peuvent naistre principalement du duc de Lor-
raine, ses enfans et ses plus proches parens , princi-
palement si on les entretenoit d'espérance d'alliance;
mais, pour le duc de Mayenne, la volonté du roy
d'Espaigne, à laquelle présentement il est asservi, et la
nécessité de ses affaires les y feront d'autant plus ven-
ger, que les frères du duc de Guise ne sont appelles;
mais sa personne, laquelle périra avant la consomma-
tion du mariage, et cependant l'Espaignol rend les
moyens de la reconciliation impossibles, et a plus d'oc-
casion d'espérer pour l'infante que jamais , sans l'arrest
du 28 , qu'on ne cuide pas avoir esté révoqué ni limité,
A M. DUPLESSIS. ^'] l
la proposition eust esté absoleue pour le prince d'Es-
paigne : à quoi le duc de Mayenne tendoit ouverte-
ment , se voyant descheu de son espérance : ne inori
crimine princeps qiiam et quelques
choses qu'on die de ceste élection qui , sans double ,
se consommera; elle ne peult estre que très pernicieuse
aulx affaires du roy, pour infinies raisons que, non
pas vous seulement, monseigneur, mais les hommes
médiocres peuvent comprendre. Je vous dirai une par-
ticularité pour ce qu'elle vous plaira que, 192. i^ig.
1210. 912. 1020. 1710. 172. 7i4- 912. 129. 520.
2210. 149. 199- 78. 57. 913. 817. 129. 1820. 814.
199. 1017. 149. i4'^' 168. 210. 149. 5i5. 98. 28.
44' <ivec les cérémonies et circonstances; actes qu'on
avoit apprins de sept ou huict hommes lors du parte-
ment l'histoire françoise et ancienne
dont j'ai esté l'ung, M. de Villeroy le trouvoit bon, et
avant que l'ennemi parvinst par une aultre fonno
d'arrest , MM. Segur et Forget le trouvoient bon ;
mais, en donnant au préalable advis au roy, lequel
advis n'eust pas esté suivi, M. de Unalgran avoit esté
commis pour déchirer l'arrest, pendant que M. Servin
se prépare pour déclamer ciim consilio pondectuin.
Je plains extresmement Landervie pour la consé-
quence de la place perdeue, pour ce que estoit bon
serviteur du roy, le voyant particulier très affectionné
à mon ami. Cest exemple et celui Duplessis encores,
auquel M. de Rambouillet a receu une insigne perte;
ces deux exemples et celui de 1020. 8i4. 244- 229.
servent de leçon aulx grands de ne pouvoir prendre
fiance , sinon gens de bien , non pas comme on les
interprète aujourd'hui, vaillans et sages seulement,
mais ayans la crainte de Dieu ; mais , cerles , le faict de
472 LETTRE DE M. DUMAURIER
Palîla vous regarde particulièrement, et me faict en-
cores aussi craindre vostre voyage différé jusques
après la ceresmonie qu'on avoit prise pour hontoyer
dadvantage la journée au 11*^ jour de delà Magda-
levne, et depuis a esté différé au 26, qui est dimanche
prochain , comme le gouverneur de ceste ville a es-
crit de Sainct Denys, où le conseil est de présent.
L'on taist ici industrieusement le faict de 2120. 2210.
i4i7« 5i5. 21 4- loio, afin de l'attirer par dou-
leur de la querelle qu'elle a recherchée avec Desme-
tich, contre 82. 810. 2014. 229. 811. Sur laquelle et
l'escarmouche et demande trois mille escus. Jugés le
reste.
A toutes ces nouvelles, l'on adjouste pour miracle
de la messe du roy, que le sieur d'Alincourt, qui est
\euf de sa femme , se rendra serviteur du roy, le père
estant sorti de Paris très malencontreusement, c'est
de la lettre de Dormy à madame de Narmoutier.
Mais pour le jourd'hny, les meilleures nouvelles vien-
nent d'Auvergne : la paix y a esté publiée pour trois
ans entre M. le comte de Clermont et M.d'Andellot, et
de toutes les villes du Pays Bas liguées, horsmis celles
qui ont esté conquises par le duc de Nemours, comme
Sainct Porcain, Ambert , Montpensier, et cinq ou six
aultres de moindre nom. Le sieur d'Andellot est ser-
viteur au roy comme M. le vicomte de Pont de Chas-
teau avec le marquis de Cauilhac : des à présent
la messe du roy, retrouvent toutes les villes
qui sont comprises dans la ligne, le sieur d'Andellot
demeurast lieutenant en ceste province soubs le comte
d'Auvergne , les unes et aultres villes liguées pour
s'opposer des à présent au duc de Nemours, s'il vient
là pour rompre la tranquillité et le repos d'icelle.
Il A M. DUPLESSLS. 47 ^
Le marquis Sainct Sorlin, qui a esté à Montboisier,
supplie de ne s'advancer poinct, et ayant voulleu
envoyer le sieur de Montespan pour successeur au
sieur d'Andellot, ledict Montespan a esté chargé par
le régiment de M. deTomston, Escossois, vingt-deux
maistres des siens tués, seize pris, lui enfui , sans qu'on
sçaclie encores où l'armée du comte d'Auvergne va.
pour laquelle les villes liguées la trefve con-
tribuast à Riom , a fourni cinq mille . Le sieur de
Pont de Ghasteau a envoyé quérir ung relief en ceste
chancellerie; il m'avoit escrit et plusieurs auhres, et
m'avoit on envoyé le traicté de la trefve ; mais on a
i volé trois paquets au messager qui arriva hier et ne
sçait lire, et m'asseure on que ça esté la maison de 192.
78. 5i5. 912. 129, 72. 22i3. 2019. 912. 219. J'ai
fort particulière amitié avec ce vicomte, qui est sei-
gneur d'une bonne ville sur la rivière d'Allier, à deux,
lieues de Clermont, et pour l'amitié particulière que
me porte et M. de Canilhac son aisné ; j'avois tousjours
opinion de les réduire au bon chemin , il passe vingt
mille livres de son aisné le marquis , passe douze
mille livres, qui est oppiniastre.
Le sieur de Montpcsat à Pnisnay batteu une
petite ville presPerigueux, nommée Lisle, avec quattre
pièces et par composition. Les sieurs Daubeterre, Ter-
minas et Misselsac , ayant assemblé douze cens arque-
busiers et plus de six cens chevaulx , pour faire osier
le siège, estant veneus à tard, ont assiégé le sieur
Monlpesat, qui s'est saulvé de nuict, ayant laissé ses
gens et ses pièces , que pour ce à présent s'est rendeu
à discrétion , pouvoir qu'ils n'avoient ni
devant. Par lettres de camp, du sieur Sardaigne
la ville de Sainct feut rendeue par composition ,
474 LETTRE DE M. DUMAURIER
le 28 du passé seulement, Groningue, investi parle
comte Guillaume. AujourcriiuiM. le président Faucher
a faict la despesche à M. de Lescalle, ne l'ayant moi
mesme voulleu faire, pour estre cogncu trop votre ser-
viteur, pour lui persuader que cela ne venoit de vous,
et avons le tout adressé à M. de Vie, qui est à Sainct
Denys, comme ledict sieur de Lescalle : souvenés vous,
monseigneur , qu'Alexandre n'eut jamais ung plus
grand bien que Tinstruction et Aristote, et qu'il n'y a
que vous seul en France capable de diriger une sem-
blable élection ; et certes le bon homme M. Faucher
croit que c'est ung des plus grands services qu'on puisse
faire à la France. Valde. Je crains qu'on ne retire ceste
seconde espérance de ce royaulme : de quoi je serois
bien marry. J'ai réservé à la fin de ceste lettre à vous
dire qu'un nommé Abadre , successeur d'ung premier
président de Paris, et qui souhaitoit estre maistre des
requesles de la maison de Navarre, lorsque M. Bolivon
tenoit les sceaulx, est tout de la maison de Pontac ,
fort gros catholique, pour ne dire pis : je l'ai cogneu
de longue main fort homme de bien et affectionné;
mais depuis il s'est fort enquis de moi de la messe du
roy, que l'on ne pouvoit croire en Bearn , et dict que
les catholiques puis ensuite en avoient fait chanter la
messe à Sainct Palais , et si je croyois que le roy ne la
voulleust pas restablir en Bearn. Je ne lui ai pas voulleu
respondre, ce que je pouvois faire pour le sonder, et
il ne se Je crains qu'il ait charge de parler
sur des lettres de M. de Bazac à M. Vous sçavés
la Je l'ai arrestee demain pour demain, ayant
tiré tout ce que je pourrai pour vous en donner advis.
J'espère lui servir d'advocat que je payerai cher,
et demain c'est à vous escrire sur ce faict ,
DE M. ÛUPLtSSIS. 47f)
car n'esles tost ou tard 'à toucher ceste corde, et je
pense que soit le plus capable et auctdrisé pour re-
muer ceste mauvaise besogne; j'ai prins ce ne peult
estre que le 5io. '2110. 97. QiS. 142. 2120. 2210.
229. 1220, 17 10. 79. 192. 182. i4io. 179. Je doibs
au service que j'ai et aulx obligations que je vous doibs,
et que vous acquerés journellement sur moi le désir de
celui qui vous est et sera à jamais, monseigneur, très
humble, et plus obéissant, fîdele et obligé serviteur.
Je ne manquerai poinct au faict de voisin ni jamais
en chose qui vous regarde sans y estre.
De B , ce mardi . . juin iSgS.
CCII. — -V- ARREST
Du parlement de Paris , en faveur de la légitimité.
Sur la remonstrance faicte à la court par le procu-
reur gênerai, et la matière mise en délibération; la
court, toutes les chambres assemblées, n'ayant, comme
elle n'a jamais eu, auUre intention que de maintenir
la relligion catholique, apostolique et romaine, Testât
et la couronne de France, soubs la protection d'ung
roy très chrestien, catholique et François, a ordonne
et ordonne que remonstrances seront faictes cest après
disner par M. le président Le Maistre , assisté de bon
nombre de conseillers de ladicte court , à M. le duc de
Mayenne, lieutenant gênerai de Testât et couronne de
France, en la présence des princes, pairs et officiers
de la couronne , estant à présent en ceste ville , l\
ce qu'aulcung traicté ne se fasse pour auferer la cou-
47<^ ARREST DU PARLEMENT DE PARIS,
ronne en la main d'ung prince ou princesse étrangers;
que les lois fondamentales de ce royaulme seront gar-
dées, et les arrests donnés en la court pour la déclara-
tion d'ung roy catholique françois, exécutés, et qu'il
ait à employer i'auctorité qui lui a esté commise, pour
empescher que, soubs prétexte de la relligion , la cou-
ronne ne soit transférée es mains estrangeres contre
les lois du royaulme, et pourvoir le plus promptement
que faire se pourra au repos du peuple, pourTextresme
nécessité en laquelle il est reduict; neantmoins, des à
présent , a la court déclaré et déclare que tous traictés
faicts ou à faire ci après, pour l'establissement d'ung
prince ou princesse estrangers, nuls et de nul effect
et valeur, comme faicts au préjudice de la loi salique,
et aultres fondamentales de ce royaulme. Donné en
parlement, à Paris, ce 28 juin iSqS.
CCIIT. — ^ARTICLES
Pour la trefve générale.
Premièrement, qu'il y aura bonne et loyale trefve
et cessation d'armes par tout le royaulme, pays, terres
et seigneuries d'icelui, et en la protection de la cou-
ronne de France, pour le temps et espace de trois mois
à commencer, à sçavoir , au gouvernement de l'Isle de
France, le jour de la publication; le jour qui s'en lairra
à Paris et Sainct Denys, qui sera mesme jour, et des le
lendemain que les presens articles seront arrestés et
signés es gouvernemens de Cliampaigne , Picardie,
Normandie, Chartres, Orléans et Bearn , Touraine,
Anjou et le Maine ; huict jours après la date d'iceulx es
ARTICLES POUR LA. TREFVE GENERALE. 4? 7
goiivernemens de Bretaigne , Poictou , Angoumois ,
Xaintonge, Limosin , Haulte et Basse Marche, Boùr-
bonnois, Auvergne, Lyonnois et Bourgogne; quinze
jours après es gouvernemens de Guyenne , Languedoc,
Provence , Daulphiné , vingt jours après l'exécution
dudict traicté , et finira partout à semblable jour.
Toutes personnes ecclésiastiques, noblesse, habi-
tans des villes, plat pays et aultres. pourront, durant
la présente trefve , recueillir leurs fruicts et reveneus,
et en jouir, en quelques pays qu'ils soient situés et
assis, et rentreront en leurs maisons et chasteaulx des
champs, que tous ceulx qui les occupent seront teneus
leur rendre et laisser libres de tout empeschement, à
la charge toutesfois qu'ils ne pourront establir aulcune
fortification durant ladicte trefve ; et sont aussi ex-
ceptés les maisons et chasteaux où il y a garnisons em-
ployées en Testât de la guerre , lesquels ne seront ren-
deus. Neantmoins les propriétaires jouiront des fruicts
et reveneus qui en dépendent, le tout nonobstant les
dons et services qui en auroient esté faicts, lesquels ne
pourront empescher l'effect du présent accord.
Sera loisible à toutes personnes, de quelque qualité
et conditions qu'elles soient, demeurer libiement en
leurs maisons qu'elles tiennent à présent, avec leurs
familles, excepté es villes des places fortes, qui sont
gardées, es quelles ceulx qui en sont absens à l'occasion
des presens troubles, et ne seront receus pour y de-
meurer sans permission du gouverneur.
Les laboureurs pourront , en toute liberté , faire
leurs labourages , charrois , envoys accoutumés , sans
qu'ils puissent estre empeschés ni molestés en quelque
façon que ce soit , sur peine de la vie à ceulx qui feront
le contraire.
^17^ ARTICLES
Le port et voiture de toute sorte de vivres et com-
merce et trafic de toutes marchandises, fors et excepté
des armes et munitions de guerre, sera libre tant par
eau que par terre, es villes d'ung parti et d'aultre, en
payant les péages et impositions , comme ils se lèvent
à présent es bureaux qui pour ce sont estahlis, suivant
les pancartes et tableaux sur ce et arrestés , excepté
j)Our le regard de la ville de Paris , qui seront payés
suivant le traicté particulier sur ce faict , le tout sur
peine de confiscation en cas de fraude, et sans que
<x;ulx qui les v trouveront puissent estre empeschés de
prendre et ramener les marchandises et chevaulx qui
les conduiront au bureau où ils auront failli d'acquit-
ter, et où sera usé de force et de violence contre eulx;
sera faict justice, tant de la confiscation que des excès
par ceulx qui auront commencé sur les personnes qui
les auront commises; et neantmoins ne pourront estre
arrestees Icsdictes marchandises, chevaulx et vivres,
ni ceulx qui les porteront au dessus de la banlieue de
Paris, encores qu'ils n'ayent acquitté le.sdictes impo-
sitions ; mais , sur la plaincte et poursuite , en sera faict
droict à qui il attiendra.
Ne pourront estre augmentées lesdictes impositions
ou aultres nouvelles mesures durant ladicte trefve , ni
pareillement dressés à aultres bureaux que ceulx qui
sont desjà establis.
Chacung pourra librement voyager par tout le
royaulme, sans estre abstreint de prendre passeport;
neantmoins nul ne pourra entrer es villes et places
fortes du parti contraire avec aultres armes, les gens de
pied que respee,et les gens de cheval l'espee, la pistole
ou arquebuse , ni sans envoyer auparavant advertir
ceulx qui ont commandement , lesquels seront teneus
POUR LA TREFVE GENERALE. 479
de bailler la permission d'entrer, si ce n'est que la qua-
lité et nombre d'hommes portant juste jalon^iièvde la
seureté des places où ils commandent, ce qui est remis
à leur jugement et discrétion , et si aulcungs du parti
contraire estoient entrés en aulcune desdictes places,
sans s'estre déclarés tels et avoir ladicte permission,
et seront de bonne prise ; et pour éviter à toutes dis-
putes qui pourroient sur ce intervenir, ceulx qui com-
mandent esdictes places accordant ladicte permission,
seront teneus de la bailler par escrit et sans frais.
Les deniers des tailles et taillons seront levés comme
ils ont esté ci devant, et suivant les departemens faicts
et commissions envoyées d'une part et d'aultre, au
commencement de l'année; fors le regard des places
prises depuis l'envoi desdictes commissions, dont les
gouverneurs et officiers des lieux demeureront d'ac-
cord par traicté particulier, et sans prejudicier aussi
aulx aultres accords et traictés particuliers desjà fiicts
pour la perception et levée des tailles et taillons, les-
quels seront entreteneus et gardés.
Ne pourront toutesfois estre levées par anticipation
des quartiers, mais seulement le quartier courant, et
par les officiers des estations, lesquels, en cas de rési-
stance , auront recours aulx gouverneurs de la place
prochaine , ville de leur parti , pour eslre assistés de
forces, et'ne pourra neantmoins à ceste occasion estre
exigé pour lesdicts faicts , que à raison d'ung sol pour
livre des sommes pour lesquelles les contrainctes seront
faictes.
Quant aulx arrérages des tailles, il n'en pourra estre
levé d'une part ni d'aultre, oullre ledict quartier cou-
rant et durant icelle, si ce n'est ung aultre quartier,
sur tout ce qui en est deu du passé.
I
48o ARTICLES
Geulx qui se trouvent à présent prisonniers de guerre
et qui n'ont composé de leur rançon , seront délivrés
dedans quinze jours après la publication de ladicte
trefve , sçavoir, les simples soldats sans rançon, les
aultres gens de guerre tirans de solde, excepté les chefs
des gens de cheval , lesquels ensemble les aultres sei-
gneurs et gentilshommes qui n'ont charge , en seront
<|iiittes au plus pour demi année de leur reveneu, et
toutes aultres personnes seront traictees au fur de la-
dicte rançon , Je plus gracieusement qu'il sera possible,
eu esgard à leurs facultés et vacations. S'il y a des
femmes ou filles prisonnières, seront incontinent mises
en liberté sans payer rançon, ensemble les enfans au
dcssoubs de sept ans et les sexagénaires ne faisant la
guerre.
Qu'il ne sera, durant les temps de la présente trefve,
entrepris ni attenté aulcune chose sur les places les
ungs des aultres , ni faict aulcung acte d'hostilité , et
si aulcungs s'oublioient tant de faire le contraire,
les chefs feront réparer les attentats et punir les con-
trevenans comme perturbateurs du repos public, sans
que neantmoins lesdictes contraventions puissent estre
cause de la rupture de ladicte trefve.
Si aulcung refuse d'obéir au conteneu des presens
articles, le chef du parti fera tout le debvoir et effort
<[ui lui sera possible pour l'y contraindre, et en dedans
quinze jours après la réquisition qui lui en sera faicte,
exécution n'en seroit ensuivie, sera loisible au chef de
l'aultre parti de faire la guerre h celle ou ceuh; qui
feroient le refus , sans qu'ils puissent estre secoureus
ni assistés de l'aultre parti , en quel qu'il soit que ce
soit.
Ne sera loisible de prendre de nouveau aulcune
POUR LA TREFYE GENERALE. 48 1
place durant la présente trefvc, pour la fortifier, en-
cores qu'elles ne feussent occupées de personne.
Tous gens de guerre d'une part et d'aultre seront
mis en garnison , sans qu'il leur soit permis tenir les
champs à la fust du peuple et ruyne du plat pays.
Les prevosts des marchands feront leurs charges en
toutes captures aulx champs et en flagrant délit, sans
distinctions de parti, à la charge de renvoyer aulx
juges aulxquels la cognoissance dehvra appartenir.
JNe sera permis de se quereller et rechercher par
voye de faict, duels et assemblées d'amis, pour diffé-
rends adveneus à cause des presens troubles, soit pour
prises de personnes, maisons, bestail, et aultres occa-
sions quelconques , pendant que ladicte trefve durera.
S'assembleront les gouverneurs et lieutenans gene-
raulx des deux partis, en chacune province, inconti-
nent après la publication du présent traicté, ou dépu-
teront commissaires de leurs pays, pour ad viser à ce
qui sera nécessaire pour l'exécution d'icelle, au bien
et soulagement qui seront soubs leurs charges; et où
il seroit jugé entre culx utile et nécessaire d'y adjouster,
corriger ou diminuer quelque chose pour le bien par-
ticulier de la province, en advertiront leurs chefs pour
y estre preveu.
Les presens articles sont accordés, sans entendre
prejudicier aulx accords et reglemens particuliers faicis
entre les gouverneurs et lieutenans generaulx des pro-
vinces, qui ont esté confirmés et approuves par les
chefs des deux partis.
Aulcunes aultres prises ne pourront estre faictes du-
rant la présente trefve, par l'ung ou Taultre parti, sur
les pays, biens et subjects des princes et estais qui les
ont assistés, comme, en cas semblable, lesdicts prince^
MÉ.1T. DE DUPLESSIS-MORNAY. TofllE Y- ^I
482 ARTICLES rOL'R LA. TREFVE GENERALE,
et estais ne pourront, de leur costé, rien entreprendre
sur ce royaulme et pays estant en la portion de la cou-
ronne. Ains lesdicts princes retourneront hors d'icelles
incontinent après l'exécution du présent traicté. Leurs
frères qui sont à la campagne n'en feront poinct ren-
trer durant ledict temps; et pour le regard de celles
qui sont en Brelaigne, seront renvoyées ou séparées et
mises en garnison , dans lieux et places qui ne puissent
apporter aulcung juste soupçon ; et quant aulx aultres
provinces et places, où sont des estrangers en gar-
nison, le nombre de mille estrangers estant à la solde
desdictes provinces , n'y pourra estre augmenté du-
rant la présente trefve, ce que les chefs des deux partis
promettent respectivement, s'engagent et obligent leur
foi et honneur : ladicte promesse et obligation ne s'esten-
dra à M. le duc de Roannes. Mais s'il veult estre com-
pris au présent traiclé , envoyant sa déclaration dans
unsf mois, il en sera lors advisé et resoleu au bien
commun de Tung et Taultre parti.
Des ambassadeurs , agens et entremetteurs des princes
estrangers qui ont assisté l'ung et l'aultre parti, ayant
passeport du chef du parti qui l'ont assisté, s'en pour-
ront retirer hbrement en toute seureté, sans qu'il leur
soit besoing d'aultre passeport que du présent traicté,
à la charge neantmoins qu'ils ne pourront entrer es
villes et places fortes du parti contraire, sinon avec la
permission des gouverneurs d'icelles.
• Que, d'une part et d'aultre, leur seront baillés passe-
ports pour ceulx qui seront respectivement envoyés
porter ladicte trefve en chacune des provinces et villes
que besoing sera. Faict à Sainct Denis, le 2 juillet i 59^.
RELA.TION. 4^3
CCIV. —^ RELATION.
Le dimanche 4 juillet 1 5^3, la messe diète par
M. l'evesque de Digne, et la prédication par M. Teves-
que de Vence , messieurs sont entrés aulx estats, en-
viron les neuf à dix heures du matin, où M, de Mayenne,
MM. les princes et seigneurs du conseil sont veneus
quelque temps après; M. le duc de Feria , le sieur dom
Talles Diego, et les docteurs avec aulcung de leurs
gens, qui sont demeurés à l'entrée de la porte; icelle
fermée, M. le duc de Mayenne, en saluant ledict duc
particulièrement et toute la compagnie, a dict : «Nous
« avons faict dresser par escrit nos responses à vostre
« exposition, dont nous vous pryons vous contenter ;
« et, de ma part , je mettrai peine de tout mon pouvoir
«à satisfaire en toute chose sa majesté catholique.:?
Puis, en tirant la response de sa poche, l'a montrée,
et demandé audict sieur duc s'il lui plaisoit qu'elle feust
leue haultement à la compagnie, qui, l'a pryé de le
faire; au moyen de quoi ledict sieur de Mayenne a
baillé ladicte response à M. l'abbé Dorbet, qui l'a leqe
à voix intelligible, après laquelle lecture ledict sieur
Tassis a dict que ledict sieur de Feria v.erroit et consi-
dereroit ladicte response, pour y respondre s'il y
éscheoit; et cependant pryé de continuer l'assemblée
à une aultre fois.
Response du duc de Feria , traduicte de mot a mot
de respcdgnol.
Messieurs, nous avons veu par la resppnlse quefeités
hier, qu'estiés resoleus de ne faire royaultë à présent;
4H4 RËLA.TÎ-ON.
c'estoit l'uni({ue remède qu'on avoit estimé ponr cou-
per guerre au danger despendant de la feintise du
prince de Bearn , et pour tirer hors de ces misères ;
cependant, puisque l'expédient ne vous sembFe à pro-
pos, nous ne sraurions qu'y faire, et demeurerons très
consolés que pour le moins le roy nostre maistre vous
ai faict toule l'assistance possible , ensemble offert tout
ce que aulcuncmcnt il a peu; nous vous avons aussi
dict que sans royaulté présente, on ne sçauroit, de la
part de sa majesté, passer oultre, avec le secours du-
quel il a accoutumé vous aider jusqu'ici , veu que, sans
Avenir à ce premier chef, ce n'est que jetter en l'eau les
travaulx et la déspense que l'on n'a que trop faicte par
le passé. Toutesfois, afin que le monde cognoisse que
faisons encores plus de ce que nous pouvons , et nostre
bonne volonté, à l'endroict de ceste cause publique,
soit tant plus claire et manifeste à ung chacung, nous
continuerons à vous assister du mieulx que nous pour-
rons , ainsi que permettront nos affaires propres, jus-
qu'à ce que sa'inajesté, après estre jidverti de ce qui
se passe, rioïi^ ayt faict' sçavoir sa volonté; à quoi nolîi
obligerés tant plus si -vovs vous résolves de faire la
trefve avec l'ennemi, et faictes casser Tarrest donné
ces jours passés par la court de parlement ; à quoi iï
semble que debv-iés bien tant plus volontiers, veu que
le premier n'est que de mettre la relligion ail droict
chemin de la mort, et Taultre contredict du tout à
vostre auctorité, et n'est de rien correspondant à la
sincérité et bonne volonté dont avons usé en vostre
endroîct, parmi nos desposilions tendantes à faire pour
vous tout ce qui seroit possible, et il semble que l'on
ayt voulleu priver MM. du sang de Lorraine de lu
grandeur à quoi leur mérite les pouvoit porter.
LETTRE DE M. DUPLESSIS , etc. 485
CCV. — 'V^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. Dumaurier.
M. Dumaurier, je distingue entre la conférence et
l'assemblée; l'une pour l'instruction ou pretendeue con-
version du roy, composée d'evesques; et l'aultre des
principaulx de son estât tant d'une que d'aultre relli-
gion , mesmes de quelques ministres notables, pour
l'affermissement d'un g repos par ung reglemeni cer-
tain , selon lequel nous avons à vivre les ungs avec
les aultres; si je comparois en celle là, je prendrois la
poste pour estrc spectateur ridicule de ce qui s'y pré-
pare pour triompher de la vérité et de ceulx qui en
font profession, puisque nous sommes jà vaincus et jà
rendeus; puisque aussi que sans aultre procès nous
passions condamnation. Pour celle ci je pense que
nous nous debvons esvertuer ; venir armés de conscience
et de constance, tandis que le roy retient encores son
naturel; tandis aussi que la guerre avec la Ligue tient
encores nos ennemis en bride et facilite nos conditions ;
advisons neantmoins que ceulx desquels la violence a
peu forcer l'ame du roy, n'ayent nos vies à leur discré-
tion; car nos Eglises, après tant de calamités, ne peu-
vent plus faire de petites pertes; et de ce que dessus , je
vous prye particulièrement de bien advertir de ma
part M. de Bouillon, et plutost envoyer copie de la
présente. Si je sçais quand il se rendra en court, j'y
conformerai mon voyage, quelque pressé qu'on me fasse
d'ailleurs, et tiendrai la main que les députés des aultres
provinces fassent de mesmes. S'il changeoit d'advis ^
486 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
je penserois avoir subject de le faire aussi. M. le comte
de Soissons a esté quelques jours à Bourgueil ; ses gens
ont lasclié des propres, et de bouche et par lettres,
comme s'ils eussent eu desseing ici. Ce que je ne veulx
pas croire. Il est encores vers Chasteau Renaud , où il
a esté visité du baron de La Chastre, et ne sçavons
encores ce qui en esclatera. Je vous envoyé des lettres
pour MM. de La Fontaine et de Buzenval, que je vous
prye leur faire tenir seurement. Et sur ce , etc.
Du 5 juillet iSyS.
CCVL —->^ LETTRE DE M. DE SERVIEZ
A M. Duplessis.
Monseigneur, aujourd'hui, sur les onze heures, ung
lacquais du rov a apporté les articles de la trefve au
maire de la ville , et une lettre de sa majesté à la court ,
pour la faire publier ; ce qui se fera ici lundi prochain.
J'en ai retiré la copie que je vous envoyé. Elle meri-
toit certes le porteur et non ung herault d'armes,
parce qu'elle est plus honteuse que la paix d'Arras ne
feut au roy Charles VU ; et neantinoifls aussi desadvan-
tageuse pour sa majesté que l'aultre estoit à fin utile.
Ceulx qui ont désiré la messe du roy, et l'ont estimée
la restauration de Testât, prétendent hault et clair que
par icelle le fruict de cesle messe a esté contre nous.
La suite est que M. de Lyon et le grand escuyer sont
à Rome pour le roy. Les grands negotiateurs pensent
avoir éternisé leurs noms pour avoir mis à chef leur
entreprise. Vous en verres la suite par la copie aussi
des lettres que je vous envoyé. Ceste saincte et hauîte
LETTRE DE M. DE SERVIEZ, etc. 487
sagesse clict que la reunion des peuples en despend , et
que par les articles secrets Testranger doiht vuider de
Paris, moyennant six cens mnids de bled, trois cens
muids de vin qui y doibvent entrer sans payer aulcune
taxe. 199. 5i5. 222. 69. 1917- 9i4- O'O. 1220. 814.
717. 121 1. 2022. 1019.922. 109. 181 4- 1722. 129.
O tempora ! o mores ! Geste soubmission sera fascheuse,
car elle portera condamnation de to'.is ceulx qui ont
suivi le parti du roy, qui seront appelles hérétiques
ou déserteurs de leur relligion. M. Foroet me monstra
hier une lettre que M. le premier président lui escri-
voit, du 17, en ces mots : Pour la trefve^ je ne sçais
que vous en escrire, pour ce que le roy la désire à
quelque prix que ce soit, et la tient on pour faicte
sur ce desir. D'ailleurs je y considère tant de difticul-
tés que je ne pense pas qu'on le puisse et doibve con-
cleure par l'effcct de la pénitence romaine , par laquelle
le roy regneroit à la volonté des chefs de contraire
parti , et seroit contrainct à remuer une seconde guerre,
ou à se despartir des alliances des peuples qui \e main-
tiennent. L'ennemi espaignol élèvera ainsi une puissante
armée. Ainsi on pourra reprocher aulx ambitieux de
faire le sacrifice de leur honneur aulx circonstances,
et que jamais conseil n'engage à l'honneur de son
maistre de donner le certain soubs l'espérance de Tin-
certain. Encores, monseigneur, si pendant ces trois
mois on se preparoit à une forte guerre et à avoir une
bonne armée payée , des deux de ceulx qui ont désiré
ceste conversion si soubdaine, peult estre que plusieurs
poussés de honte et de telle et bonne affection comme
j'en cognois, on pourroit leur donner la moitié de la
peur ; mais je crains que le tort demeure du costé du
488 LETTRE DE M. DE SERVIEZ, et«.
plus foible, si le traicté se concleud. Comme M. de
Lorraine et M. de Bouillon doibvent aller en court, sera
utile et advantageux pour faire sçavoir une bonne nou-
velle en Testât de mal qu'on est. Car la conscience des
cœurs est hors de Tattainte des hommes perdeus, que
le roy est 1014. ai 5. l'j. Voilà, monsieur, ce que la
condoléance que je porte au public ne me permet
de taire.
Aujourd'hui la récusation de M, Servin a esté dis-
putée sur le faict de relligion. On dict que le droict
public ne doibt estre altéré, et qu'il fault que le par-
tage soit jugé au conseil d'estat et qu'on attende.
Jamais chose n'a esté tant briguée.
M. de Souvré ne partira que lundi prochain de la
court.
J'ai pour fin de lettre à vous dire qu'on crye impu-
demment par deçà contre les debtes que vous avés
faictes à Grimaudet. On recherche les con tracts ung à
ung; j'en ai rompeu quattre ou cinq, et ferai mieulx
si je puis. Mais, ce me semble, vous debvés adviser à
rompre entre Arnaud et M. Tinnoy; car le reste sera
peu de chose : ceulx là ne pourront donner nulles tra-
verses au service du roy, auquel je ferai tousjours
comme je doibs. Et à vous, monseigneur , comme vostre
très humble et plus obéissant et fidèle serviteur.
J. DE Serviez.
Ce 6 juillet 1 593 , à la haste.
LETTRE DE M. MOLAN , ete. 4^9
ce VII. —-V- LETTRE DE M. MOLAN
A M. Dnplessis.
Monsieur , il y a grande apparence que Dieu nous
veult chastier dadvantage ; nous en voyons de grands
préparatifs. C'est à cause des péchés dont nous regor-
geons , et particulièrement pour le mespris de sa pa-
rolle, laquelle nous avons si mal praticquee, que les dis-
solutions et superfluités superabondent au milieu de
nous , encores que les verges nous pressent de telle
sorte, qu'il semble que nos dos en soient tous décou-
pés. C'est mauvais signe, quand on s'endurcit soubs le
chastiment. Toutesfois j'espère que Dieu nous fera mi-
séricorde, maintiendra son Eglise, et parfera son œu-
vre, et possible sans le ministère des hommes, affin
qu'ils ne s'en attribuent la gloire ; mais ce sera pour
l'amour de soi mesmes seulement et de son Christ. Il
nous est noisible pour quelque temps; mais, puis après,
il nous donnera repos, qu'aulcung ne nous pourra
oster. C'est lui qui est assailli en son Eglise : il en pren-
dra la deffense contre tous ces coups , assés roides à la
vérité pour faire grande playe, s'ils ne sont rabbatteus
par lui. Je crois qu'à l'assemblée de Nerac, il sera ad-
visé à ce qu'on pourra faire pour ceste province. Je
n'ai eu aulcung moyen d'y assister pour ce que je suis
ici en une pauvre église cliampestre, qui nepeult soubs-
tenir le fardeau des frais à cause de sa pauvreté , d'au-
tant qu'elle est mangée jusques aulx os par les passages
ordinaires de la gendarmerie, et assideues incursions
de ceulx de Perigueux: et pour mon particulier, com-
490 LETTRE DE M. MOLAN
bien , monsieur, que je voye que cest affaire est très
nécessaire, si n'y puis je apporter aultre chose que les
pryeres que je ferai à Dieu à ce subject; car, me mesurant
à moi mesmes, je seais que je ne suis doué de ce qui
est nécessaire pour monter sur ung si hault théâtre,
et en la présence de tels spectateurs. Je suis d'ung na-
turel si timide, que la majesté et aspect de telles per-
sonnes m'offusqueroit incontinent la voye. Je scais la
promesse que Dieu faict de parler lui mesmes en tel
cas. Aussi crois je qu'il le feroit au besoing ; mais, n'es-
tant reduict à ceste nécessité, et y ayant tant de per-
sonnes munies de grâces propres pour tel affaire, je
leur donnerai ma voix sans recevoir aulcunement la
leur. Il y a plus , monsieur, c'est que je suis tant valé-
tudinaire , que je traisne avec moi ung corps quasi tous-
jours languissant. Le temps d'esté m'apporte bien quel-
que relasche; mais quelle inlermission de maulx peult
avoir celui qui est subject à une defluxion universelle,
et telle qu'aulcunes fois je ne remue ni pied ni main,
et me fault porter la viande a la bouche, et avec
cela tant tourmenté de la goutte, que, si je fais seule-
ment voyage de deux ou trois lieues , je demeure après
long temps au lict avec une douleur extresme! Je vous
discourre mes infirmités , lesquelles vous pourrés dire
que vous vous passeriés bien de sçavoir; mais c'est,
monsieur , pour vour faire cognoistre qu'en ce faict le
voulloir y est ; mais le pouvoir manque. Je loue Dieu
de la bonne affection qu'il vous a donnée ; je le prye
qu'il la vous continue et augmente, si faire se peult.
Je m'asseure que ceulx qui seront députés de ceste
province vous y seconderont de toute leur puissance,
et moi vous servirai toute ma vie en ce qu'il vous
plaira me commander , et de telle affection que je vous
A M. DUPLESSIS. 491
baise bien humblement les mains; et prye Dieu, mon-
sieur , qu'il vous assiste par son esprit , en tout ce qui
est pour le bien et advancement de son Eglise. Vostre
plus humble et obéissant serviteur , Molan.
De Sontras, ce 12 juillet i5y3.
CCVIII. —-î;^ LETTRE DE M. BENAC
A M. Duplessis.
Monsieur, je ne sçais quel malheur feust le mien,
qu'on ne peut rien prendre en bonne part par de là
de mes escrits , ni de mes actions, quand nous despes-
chasmes ung homme vers sa majesté au nom du conseil
d'estat de Bear; mais il s'en reveint sans pouvoir rien
obtenir pour moi , bien que je ne demandasse chose
qui ne peust m'estre refusée qu'avec grande desfaveur,
si m'asseure je qu'on ne me peult changer à la vérité ,
ni en mes intentions, ni en mes deporlemens de vie
que seit contre le service du roy, et que je n'y aie ap-
porté toute la fidélité et affection qui se pouvoit Si
nous ne pouvons faire par deçà tout ce que vouldrions,
il le fault jmputer à la force des ennemis; le roy l'a
esprouvé d'aultres fois y estant. Où j'ai remarqué plus
d'aigreur contre moi , c'est en me descriant ce que ma-
dame m'avoit promis à son parlement de m'envoyer
ung mandement de sa majesté pour ma despense pen-
dant le temps que je demeurerai en Bear, jusques à
l'installation d'ung lieutenant gênerai , duquel j'ai faict
la charge en effect huict mois entiers soubs le nom de
chef du conseil d'estat ; car aultrement je n'y voullois
demeurer. Je feus tiré de ma maison habitant en aultre
492 LETTRE DE M. BENAC
pays, et sçaîs combien l'absence m'a porté de dom-
mage, et en ma terre quand le marquis de Villars est
veneu en ce pays : la conséquence que vous alleguiés
pour les aultres n'est poinct à considérer ; car la plus-
part du temps, je n'ai esté assisté que de ceulx de robbe â
longue qui estoient dans leurs maisons, et ne deman-
dent rien , que mon frère , M. de Navaillies et M. de
Tours qui sont en leurs maisons, et ont tousjours joui 1
de leurs commodités, et n'ont rien perdeu comme moi. 1
Tout ce que je désire de vous est que , si le roy y a es- '
gard, comme de nouveau j'en fais instance, que vous
voulliés viser la despesche , et avoir en recommanda- I
tion les vieulx serviteurs de ceste maison, qui, estant
esloingnés de sa majesté , ne fault pas qu'ils soient du
tout mis en oubli , et me donnerés occasion de conti-
nuer l'affection que vous ai vouée , et demeurer tous-
jours, monsieur, vostre bien affectionné serviteur,
Benac.
De Benac, ce 19 juillet iSgS.
CCIX. ^^ LETTRE DE M. DUPONT
A M. Duplessis.
Monsieur , nous vous avons n'agueres escrit sur
aulcungs poincts importans le service du roy , nom-
meement pour Taffîefvement de Bayl près Oleron , par
Jacques , lacquais de madame ; lequel vous a rendeu
nostre despesche , encores qu'il ait eu rencontre par
le chemin, comme nous avons peu recognoistre par la
lettre qu'il vous a pieu escrire au sieur Dupont, nostre
président, par laquelle nous avons aussi veu que vous
A M. DT^PLESSIS. l\cy^
avies agréable la minute de rexpedition pour ledict
affiefvemont qu'il vous avoit envoyée par le mesnie
lacquais , qui nous a baillé occasion , parce que le
temps de procéder aulx affiefvemens seroit maintenant
propre et désirant, aussi amortir au plustost qu'il nous
sera possible la rente qui se faict annuellement à ceulx
de ladicle ville d'Oleron sur le domaine, de vous des-
pescher ce porteur exprès , par lequel il vous plaira
nous envoyer la commission de sa majesté en bonne
et deue forme, laquelle nous ne fauldrons incontinent
mettre à efïect. Sans oublier ce qui regarde particu-
lièrement vostre indemnité , soit à la descbarge des
cens livres de rente , tant pour le passé que pour l'ad-
venir, soit au remboursement des frais et mises pour la
construction des verreries, si vous vous estes une fois
desparti du premier contract, et remis vostre droict
entre les mains de sa majesté. Nous avons aussi eu
une nouvelle occasion de faire ceste despesche pour
vous advertir, monsieur, comme le sieur de Luc, ti-
tulaire de l'abbaye de Luc et de la commanderie de
Lespiaub, qui estoit employé sur Testât ecclésiastique,
jouissoit des trois parties de ses bénéfices, selon le
règlement de la royne Jeanne, mère de sa majesté, est
decedé ces jours passés, et bien que par les mesmes
reglemens inviolablement observés ici , quelques pro-
visions que plusieurs ayent sceu obtenir, au contraire le
reveneu desdicts bénéfices dont il estoit pourveu avant
la reformation , s'est réuni et reincorpore au bien de
l'église et destiné aulx charges ecclésiastiques, sans
pouvoir estre impelré par aulcung ; neantmoins plu-
sieurs importuns, comme nous sommes advertis, ont
faict courir vers sa majesté pour avoir sa despouille.
A quoi nous vous supplions voulloir résister par vostre
I
494 LETTRE DE M. DUPONT
auctorlté, ne feust ce que pour aller au devant par cest
exemple, à ceulx qui, soubs prétexte de bruicts qui
courent, se donnent espérance de pouvoir ci après
obtenir les eveschés, abbayes, chanoinies et aultres bé-
néfices, d'où en suivroit, sans aulcung doubte, la des-
titution du ministère, ruyne du collège et aultres
œuvres pies, avec celle de la garnison de N.lvarrieux,
c'est à dire en peu de parolles le renversement de cest
estât , oultre la diminution du domaine qui est des- i
chargé sur ceste nature de deniers d'environ cinquante
mille livres par an , comme vous pourrés voir sur
Testât dernier. A quoi estant asseurés que vous aurés
esgard, ne ferons la présente plus longue que pour
pryer le Créateur, monsieur, vous tenir en sa saincte
garde. Vos bien affectionnés et obeissans à vous faire
service , les gens tenans la chambre des comtes.
Dupont.
De Pau, le 22 juillet iSgS.
CCX. -— ^ LETTRE DE M. DUPONT
^ M. Duplessis.
Monsieur, lorsque ce porteur m'a rendeu vostre
dernière lettre, j'estois sur le poinct de vous envoyer,
par homme exprès , les contracts de et Ver-
rerier , ayant entendeu que le lacquais de madame
avoit esté reteneu à Poictiers ; mais puisqu'il les a con-
servés, j'attendrai l'expédition du Bayl, et ne fauldrai
à tenir main que vos cinq cens escus soyent prests au
plustost qu'il se pourra, quand mesmes il me les faul-
droit faire advancer et en respondre moi mesmes , '
comme je vous ai n'agueres escrit par la voye du ca-
A M. DUPLESSIS. 495
pitaine Laporte de Nerac, désirant, en cela et toutes
aultres occasions qu'il vous plaira m'employer, vous
tesmoigner mon humble affection à vous servir; mais
il y aura difficulté de les faire tenir à La Rochelle, si
vous n'employés M. du qui a moyen de les
prendre ici, et de les délivrer par delà. Vous verres,
au reste , l'occasion pour laquelle ce porteur a esté
despesché, qui est ung affaire de très grande impor-
tance, et auquel, si vous ne vous monstres difficile,
je prévois la ruyne de tous les biens ecclésiastiques
en ce pays, et par conséquent une charge insuppor-
table au domaine, à cause de la garnison des Navar-
rieux , et des gages des officiers qui ont esté rejettes il
y a long temps sur ceste nature de deniers. La pension
de ce titulaire reduicte, montoit par an bien près de
quinze cens escus , qui seroient mieulx employés, s'il
reste toute ceste année , après la liquidation du compte,
et aultres rabais, et l'acquit des gages des officiers de
Ja maison, que non pas à gratifier quelques importuns
qui en poursuivent le roy contre les reglemens et
usages de tous temps observés. C'est à vous, monsieur,
de prévenir en ce subject la conséquence d'ung grand
mal pour nostre regard. Je ne doubte que toutes nos
précautions se trouveront enfin inutiles, parce qu'avec
ce temps misérable , plusieurs se licencient de prendre
par leurs mains sans aulcung ordre, s'ils ont une fois
la volonté du roy en bonne forme. Qui me faict appré-
hender des extresmes confusions en ce petit estât, si
de bonne heure n'y est remédié, comme j'espère vous
faire entendre plus particulièrement dans peu de jours,
par ung homme asscuré , qui partira d'ici bien instruict
de toutes choses. Dupont.
De Pau , ce a4 juillet lôgS.
496 LETTRE DE M. ROTAN,etk.
GCXI. — ^ LETTRE DE M. ROTAN
^ M. Duplessis.
MoNSiFUR, je déplore nostre condition; mais encores
plus celle du prince qui , se rendant plus contemplible
à toul le monde, se va précipiter en une ruyne toute
certaine pour une espérance bien incertaine. O que
les jugemens de Dieu sont admirables ! Tout noslre
recours doibt estre au Seigneur , qui n'abandonnera
jamais son Eglise. Ubi Jnimanum déficit siibsidiuni ,
ibi dwinum incipit aiixilium. Je ne fauldrai de vous
faire sçavoir au premier jour tout ce que vous re-
querés de moi, sinon que je me rendisse dans la sep-
maine prochaine auprès de vous, M. Pacard estant ici,
et désirant que nous nous acheminions au plustost
pour communiquer avec vous à loisir. Rotan.
De La Rochelle, ce 24 juillet lôgS.
CCXII. —^ LETTRE DU ROY
Ail parlement de Paris , séant a Tours.
Nos amés et feaulx., selon la promesse que nous
fîsmes à nostre avènement à ceste couronne, par la
mort du feu roy , nostre 1res honoré seigneur et frère ,
dernier decedé ( que Dieu absolve), et la convocation
par nous faicte des prélats de nostre royaulme, pour
entendre à nostre instruction par nous tant désirée et
tant de fois interrompeue par les arlifices de nos en-
nemis. Enfin , nous avons Dieu merci , conféré avec
LETTRE DU ROY, etc. 497
lesdicts prélats et docteurs assemblés en ceste ville
pour cest effect , des poincts sur lesquels nous desirions
estre esclaircis. Et après la grâce qu'il a pieu à Dieu
nous faire, par l'inspiration de son Sainct Esprit, que
nous avons recherché par tous nos vœux et de tout
nostre cœur pour nostre salut, et satisfaict par les
preuves qu'iceulx prélats et docteurs nous ont ren-
deues, par les escrits des apostres, des saincts pères
et docteurs receus en Eglise : recognoissant Eglise
catholique, apostolique et romaine estre la vraie Eglise
de Dieu, pleine de vérité, et laquelle ne peult errer,
nous l'avons embrassée, et nous sommes resoleu d'y
vivre et mourir; et , pour donner commencement à ce
bon œuvre, et faire cognoistre que nos intentions n'ont
eu jamais d'aultre but que d'estre instruicts sans aul-
€une opiniastreté , est d'estre esclaircis de la vérité et
de la vraie relligion pour la suivre, nous avons esté
ce jourd'hui à la messe, et joinct et uni nos pryeres
avec ladicte Eglise, après les cérémonies nécessaires et
accoustumees en telles choses, resoleu d'y continuer
le reste des jours qu'il plaira à Dieu nous donner en
ce monde , dont nous avons bien voulleu vous adver-
tir, pour vous resjouir d'une si agréable nouvelle, et
confondre par nos actions les bruicts que nosdicts
ennemis ont faict courir jusqu'à ceste heure, que la
promesse que nous en avions ci devant faicte estoit
seulement pour abuser nos bons subjects, et les en-
tretenir d'une vaine espérance , sans aulcune volonté
de la mettre à exécution ; vous pryant d'en faire grâces
à Dieu par processions et pryeres publiques , afin qu'il
plaise à sa divine bonté nous confirmer et maintenir
le reste de nos jours en une si bonne et saincte reso-
lution, et nous le pryons qu'il vous ait, nos amés et
MÉM. UE DtiPLESSIS-MoRSAY. ToME V, ^2
498 LETTRE DU ROY, etc.
feaulx , en sa saincte et digne garde. Escril à Sainct
Denis en France, le dimanche 25 juillet iSgS,
Signé Heivuy. Et plus bas , RuzÉ.
CCXIII. — ^ LETTRE DE M. DE VALENCEY ^
A madame cC Angoidesme.
Madame, je satisfais au cominandement que m'avés
faict au partir. Je vous envoyé ce lacquais en diligence
pour vous donner advis comme j'ai veu le roy à la
messe , avec autant de dévotion qu'il se peult , et presta
le serment entre les mains de MM. du clergé, aupa-
ravant la célébration d'icelle , à la porte de Teglise.
Ores, j'ai veu tant de resjouissance et allégresse, que,
par ma foi, j'en ai pleuré de joie, ce qui ne ni'estoit
arrivé depuis la mort de mon père. Ores, madame ,
cela est vrai, et n'en fault plus doubter. Hier, par la
permission de sa majesté, je feus à Paris, où je les ^
trouvai les ungs bien estonnés, les aultres marris, et
quelques particuliers sont aises. Si je parviens à ce
que je désire, ce sera de vous tesmoigner, madame,
combien je suis vostre très humble et très obéissant
serviteur , de Valencey.
Du 25 juillet iSgS. |
CCXIV. — ^ LETTRE DE M. DUMAURIER
A M. Duplessis.
MoNSEiCxNEUR, depuis le partement de la dernière
patache , lettres sont veneues de plusieurs endroicts , que
le duc de Guise a esté eleu roy à Paris , le président ,
LETTRE DE M. DUMAURIER, etc. 499
ie maire son fils , et trois conseillers de leur court pen-
(leiis; aultrcs disent cinq conseillers : si cela est, ce sont
des fruicts et effects de la nouvelle mesure. Sitost que
j'en aurai plus grande lumière, je ne fauldrai de vous
en donner advis. Monseigneur de Montpensier est fort
mal ; aulcungs tiennent qu'il est mort, après avoir parlé
longuement avec madame de Retz , et plusieurs con-
seillers de la court. On n'entend rien de bon en
ceste ville. M. de La Rochepot y arriva hier soir. Il s'en
va en court; je crois qu'aurës entendeu comme le ca-
pitaine Paradis est dans Montrichard, qu'il a refusé
l'entrée du chasteau , et celui que M. de Souvré y avoit
envoyé. Je vous baise très humblement les mains, et
prye Dieu, monseigneur, vous donner, et à tous les
vostres, très heureuse et longue vie. Vostre très humble ,
très obéissant, et très fidèle serviteur.
De Tours, ce 28 juillet i5g3.
CCXV. — LETTRE DE M. DUPLESSTS
ÂiL rof.
Sire , en attendant que vostre majesté pense ( comme
elle le doibt pour son peuple) à quelque mariage, j'ai
estimé debvoir haster le voyage de M. Erard vers
vostre majesté , lequel vous en a moyenne le chemin
si plein, que j'espère qu'il ne s'y trouvera aheurt quel-
conque, ni pour les conditions de vostre part, que je
m'asseure que vostre majesté trouvera raisonnables,
veu l'importance de la chose , ni pour la volonté de la
personne, qui y est toute resoleue, comme mesmes
elle m'a escrit en termes fort exprès. Le poinct est qu'il
la fault resouldre promptement, de peur que cest
5oo LETTRE DE M. DUI'LESSIS
esprit, agité de divers objects , ne se divertisse, et le
plustost sera le plus seur pour vostre majesté, Aultres
y eussent peu apporter la niesine fidélité que M. Erard,
peu l'industrie et la suffisance, et nul que lui, la
créance qui y estoit requise; et certes, sire, il mérite,
que vostre majesté le recognoisse, et remarque digne-
ment pour ce bon service. Je faisois bien estât de le
mener moi mesmes, mais je supplie très bumblement
vostre majesté d'entendre les raisons qui me retiennent;
toutes fondées sur vostre seul service, nulle sur mon
interest particulier ; que j'ai tous] ours postposé à vos
comniandemens, et n'en puis avoir meilleur tesnioing
que vostre majesté mesmes. Je me reserve donc pour
vous faire en la saison qui s'approche ung très bon ser-
vice , n'y ayant changement, sire, qui me puisse alté-
rer, ni en la cognoissance , ni en la pratique de mon
debvoir envers vostre majesté, de laquelle aussi je
me veulx confier en Dieu , que l'eclipse ne sera pas
longue, dont je le supplie, sire, de tout mon cœur,
et qu'il vous doint heureuse et longue vie.
D<; Saulmur, ce 28 juillet iSyS.
CCXVl. —-V- LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M, de La Burthe.
Monsieur, vous m'obliges fort de vos nouvelles;
j'ai lettres du 16 et 21 de la court; ledict traicté con-
tinue encores : iisdem internunciis. On pressoit le roy
d'excleure ceulx de la relligion de toutes charges et
honneurs. Nul ne s'y opposoit. J'aurois à vous dire ung
aultre monopole là dessus , oîi les deux parties s'en-
tendent, qui a esté descouvert par sa majesté, de
A M. DE LA. BURTHE. 5or
rendre tous les souvernemeris héréditaires. Ce sera
pour le faire mourir trois jours après. Boisse est allé
trouver M. le Comte de la part de Madame, pour avoir
la promesse ; sinon , dénoncer la guerre ; et M. le car-
dinal s'y en va lui mesmes , qui promet au roy de le faire
obéir. M, de Nevers a donné rendes vous aulx eves-
ques , qui vont avec lui en Italie, au 16 de ce mois. Le
roy a escrit une belle lettre au pape, pleine de toutes
soubmissions. La baronne , pour certain , va en Es-
paigne voir si elle est belle. Je vous prye que rien ne se
divulgue de ce que je vous escris en chiffres. Le concile
de Mantes est publié à Nantes. Moncontour non en-
cores pris, et M. le mareschal tasche de le secourir. Je
suis bien aise que vous n'ayés à faire à Vendosme; il
m'ennuye de madame de Sourdis. Conclues avec l'Amy ,
et vous advisés de toute aultre chose; car il est temps
^ de penser à soi. Madame vouldroit bien estre ici, ou à
Vendosme. Je n'cscris poinct encores à ces messieurs
pour ma pretendeue Sainct Barthélémy , parce que je
veulx voir que feront nos juges, qui toutesfois vont
fort mollement revenir tost, afin de faire vostre voyage
à La Rochelle. Je salue, monsieur, etc.
Du 2g juilllet iôg3.
CCXVIL -—-V- REGLEMENT ,
Que monseigneur le duc de Majeiine^ lieutenant
gênerai de V estât et couronne de France, a ordonné
estre observé en ceste vUle de Paris pendant les
levées générales.
Deffenses sont faictes à toutes personnes, tous
bourgeois et habitans de ceste ville que forains, de
5o2 REGLEMENT.
quelque qualité et parti qu'ils soient, tle tenir aulcungs^
propos scauilaleiix, ni au dcsadvantage de l'union des
catholiques et advantage du parti contraire , ni user
de paroles insolentes qui peussent mouvoir à conten-
tion ou sédition, soubs peine d'amende arbitraire et
de punition corporelle s'il est de rechef.
Sont aussi faictes defTenses à toutes personnes du
parti contraire d'entrer en ceste ville sans permission
ou passeports, à peine d'estre reteneus comme prison-
Jiiers de guerre; sçavoir et les gentilshommes et gens
de guerre, ou officiers de M. le gouverneur, et les mar-
chands et habitans des villes et champs, icelui ou des
prevost des marchands et eschevins, desquels passe-
ports il sera faict registre par ceulx qui les donneront ,
soubs peine de nullité d'iceulx.
Ceulx qui entreront en ceste ville en vertu desdicts
permissions et passeports, seront teneus laisser leurs
arquebuses et pistolles au capitaine de la porte, qui
ne les rendra sinon au sortir, ou qu'il y eust notable
bourgeois de la ville qui s'en charge , et seront iceulx
forains teneus déclarer leurs noms et demourances, et
le lieu où ils iront loger.
Les hostelliers seront teneus porter chaque jour à
celui des eschevins, ou aultre à qui sera baillé le dé-
partement du quartier, les noms, surnoms et qualités
de leurs hostes , et pareillement si les bourgeois qui
retireront en leurs maisons aulcungs de leurs amis ou
aultre pour y loger, seront teneus faire le semblable,
soubs peine de cinquante livres d'amende pour le bour-
geois, et du double pour l'hostellier ; en oultre, d'estre
lesdicts forains, des quels n'auront esté portés les noms,
de bonne prise, comme prisonniers de guerre.
Toutes personnes (jui vouldront entrer en ceste
REGLEMENT. 5o3
ville en vertu desdicts permissions et passeports, s'ar-
resteront aulx barrières, esquelles ils seront instruicts
des présentes ordonnances, et seront chariots, char-
rettes chargés, recogneus avant que passer la bar-
rière, afin d'obvier aulx surprises.
La veille du jour, les bastelliers qui viendront
d'amont ou d'aval la rivière , seront teneus d'arrester
en garre au lieu qui sera marqué par ung poteau , et
comme marque de la faire sçavoir à ceulx qui com-
mandent au passage de la rivière, pour envoyer re-
cognoistre leurs basteaux , et ce, soubs peine de con-
fiscation desdicts basteaux et marchandises.
Les capitaines qui entreront en garde aulx portes ,
le matin, feront faire la descouverture es environs
avant que d'abattre le pont levis et ouvrir les grandes
portes , et en après iront en personnes ou envoyeront
ung de ceulx qui auront commandement en la com-
pagnie, par les logis et hostelleries des faulxbourgs ,
recognoistre quelles gens il y aura logés; et le soir
feront le semblable; de quoi ils donneront advis aulx
sieurs gouverneurs, prevost des marchands et eschevins.
Les bourgeois et habitans de la ville qui vouldront
sortir pour leurs affaires, seront teneus en advertir
leurs capitaines, et prendre passeport des prevost des
marchands et eschevins, lequel contiendra les lieux
où ils vouldront aller, et de laisser personnes pour
aller aulx gardes, et satisfaire aulx charges ordinaires,
comme les aultres bourgeois ; de quoi ils apporteront
certification de leurs capitaines, laquelle sera gardée
au greffe de la ville, leur faisant deffense de sortir
sans avoir satisfaict à ce que dessus, soubs peine de
vingt livres d'amende pour la première fois ; du double
pour la seconde, et de plus grande par à propos s'iU
y retournent.
5o4 REGLEMENT.
Avons enjoinct à tous colonnels , capitaines et aullres
ayant commandement, tenir la main à l'observation
et en Tentretenement du présent règlement, soubs
peine d'amende et d'estre dégradés de leurs charges.
Et afin que aulcung ne puisse prétendre cause
d'ignorance, nous avons ordonné que ledict règle-
ment sera leu et publié au son de trompe , et cri pu-
blic aulx lieux accoustumés, et mis par affiches aux
carrefours et portes de ceste ville, ensemble en des
poteaux qui seront apposés au devant des barrières ,
etaulxadveneues de la limite tant dessoubs que dessus.
Faict à Paris, le troisiesme jour d'aoust i5q3.
Signé ^ Charles de Loraine. Et plus bas, Baudoins.
Leu et publié à son de trompe, le quatriesrae jour
de mars suivant.
CCXVIII. — ^ LETTRE DE M. DUMAURIER
A M. Duplessis.
Monsieur, il n'y a aulcune particularité digne de
vous estre escrite; c'est pourquoi je ne vous importu-
nerai pas d'une longue lettre. J'ai nouvelles de mon-
seigneur de Bouillon, qu'il est sur le poinct de tascher
à faire une dernière main sur M. de Lorraine, avec
lequel le roy a conveneu, par traicté particulier, pour
pareille trefve que la générale , en laquelle mondict
seigneur est compris. M. de Bassompierre avoit charge
de traicter et l'a signée pour M. de Lorraine. Cela me
faict croire qu'elle ne sera abusive comme la première,
et que mondict seigneur, soubdain qu'elle sera publiée,
viendra trouver sa majesté. De quoi estant asseuré , je
LETTRE DE M, DUMALRIER, etc. 5oj
ne fauHrois de vous advertir, plutost par homme ex-
près, s'il en est besoing. Au surplus, monsieur, je crains
bien que ceste trefve ne soit cause de faire retarder vos
ouvrages , qui ne debvroient , ce me semble , cesser
pour ung petit repos qui se pourroit bien terminer en
une longue guerre entre nous.
A Sainct Denis, ce 4 aoust iSgS.
CCXIX. —LETTRE DU ROY
A M. DiiplessiSj escrite de sa propre main.
M. Duplessis , je vous ai par tant de fois escrit
que vous me veniés trouver, et vous n'en avés rien
faict. Je ne vous le veulx plus escrire que ceste fois ,
pour voir si J€ serai obéi. Venés donc incontinent après
avoir donné ordre à la seureté de vostre place du-
rant vostre absence. Vous entendrés de mes nou-
velles par Meninville, que vous croirés comme moi
niesmes. Venés, venés, venés, vous ne sejournerés
gueres ici. Henry.
A Sainct Denis, ce 5 aoust iSgS.
CCXX.— LETTRE DU ROY
A M. Duplessis , escrite de sa propre main.
M. Duplessis, je trouve fort estrangc ce que plu-
sieurs , qui vous ont veu , m'ont rapporté de vous .
que vous vous plaigniés de moi, et plus de vous
que de nul autre ; car, oultre que je ne vous en ai ja-
mais donné subject, et que je vous ai plus aimé qiir
5oG LETTRE DU ROY , etc.
gentilhomme de mon royaulme, j'ai tousjonrs parlé
avec vous si librement, que si vous aviés quelque sub-
ject de plaincte vous me le debviés mander, ou venir
dire vous mesmes, sans le dire à aultrui. Je vous ai
escrit p-lusieurs fois de me venir trouver, mais en vain;
et je vois bien que c'est : vous aimés plus le gênerai
que moi. Si serai je tousjours, et vostre bon maistre ,
et vostre roy. Donnés moi ce contentement , que je
vous voye , soit en poste ou aultrement , et ne cherchés
plus d'excuse sur cela ; car, oultre que j'ai à vous dire
chose que je ne vous puis escrire , je veulx adviser avec
vous à mon bien de Navarre. Ma sœur se plainct de
ce qu'à Saulmur on ne prye poinctDieu pour elle. Man-
dés moi ce qui en est ; car je ne le veulx croire. Hes-
perien vous dira comme il a porté à Blois la déclara-
tion nécessaire pour faire assoupir ce qui s'y est passé,
ensemble de mes nouvelles. En attendant vostre veneue,
s'il se passe par delà chose qui importe mon service,
que j'en sois promptement adverti , et par le retour
dudict Hesperien. A Dieu , M. Duplessis, lequel je prye
vous avoir en sa garde. Henuy.
A Mouceaux, ce 7 aoust iSgS.
CCXXI. — ^ LETTRE DE M. BRUNEAU,
Secrétaire des poudres, a M. Duplessis.
Monsieur, il y a deux ou trois jours que je vous ai
envoyé deux paquets , l'iing par ung voiturier de Cou-
longes, le nommé André qui s'en alloit droicl en vostre
ville, et l'auUre par Mesnard, messager de ceste ville,
par lesquels je faisois response à vos lettres. Depuis
LETTRE DE M. BRUN EAU, etc. Bo'j
j'en ai receu d'aultresdu premier du mois, et faict tenir
celles à M. Rotan, lequel ayant communiqué ce que
vous lui mandiés estre arrivé en court à MM. ses con-
frères, ils ont esté tous fort estonnés, et jugé nécessaire
d'avoir doresnavant une meilleure correspondance, et
d'estre d'une grande prévoyance , sur ce que ledict sieur
Rotan leur pourra plus particulièrement escrire. Quant
aulx dix milliers de pouldres fines que vous désirés
avoir, j'ai commencé à negotier pour icelles avec le
sieur Pierre Guybert, marchand de ceste ville; mais il
ne veult, pour rien du monde, entreprendre de les
vous rendre à Saulmur , ains en ceste ville , à raison de
vingt deux livres le cent de pouldre fine d'arquebuse,
qu'il fournira en barils , qui contiennent , les ungs ,
douze, six, trois livres, fort commodément agrées,
dedans de belles et grandes tonnes prestes à charger ,
pour les envoyer par la première occasion qui se pré-
sentera, ou que me semble que pourroit faire M. de Vi-
cose en s'en retournant, ou envoyant ici quelqu'ung
de vostre part : il se contentera d'une moitié du paye-
ment comptant, et de l'aultre moitié dans trois mois.
J'estime que lui escrivant, il la vous lairra pour 21 li-
vres. Pour la tirer , il sera besoing aussi qu'il vous
plaise d'en escrire, tant à M. le maire que MM. de
ceste ville, en quoi je ne fauldrai d'apporter tout le
service que vous saurés désirer de moi, monsieur,
vostre très humble et plus obéissant serviteur.
RRUNEA.U.
La Rochelle , le 7 aoxist 1 5cf'5.
5o(S lj:ttre de m. duplessis
CCXXII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Âii roj.
Sire , j'ai receu I.i trefve qu'il a pieu à vostre majesté en-
voyer ; et l'avois jà faict publier Tous chemins, pleins
ou montueux qu'ils soient, me semblent bons, pour-
veu qu'ils vous mènent à une bonne paix ; mais , certes,
j'ose dire à vostre majesté qu'aultrement ces mots ,
des chefs des deux partis , n'estoient recevables , et ai
veu le temps qu'on ne parloit pas ainsi. Nous l'obser-
verons soig.ieusement selon le commandement de
vostre majesté. Seulement nous avons besoing d'en-
tendre sa volonté sur ung article, qui dit que les tadles
et taillons seront levés , de part et d'aultre^ selon les
commissions qui auront esté envoyées des le com-
mencement de Vannée: et là dessus , ceulx de Roche-
fort prétendent lever toute ceste élection , soubs ombre
que furtivement ils auront faict jetter leurs commissions
par les villages. Vostre majesté ne prendra de mauvaise
part que nous les empeschions ; car il seroit trop dur
que la condition de vos subjects feust pire par la trefve
que parla guerre, estant tout certain qu'à trois lieues
d'ici, voire àquattre, ils n'ont pas paye à la Ligue, et
à ce compte, il fauldroit que nos faulxbourgs leur
payassent. Je me prépare pour aller trouver vostre
majesté, en intention, sire, de lui tesmoigner déplus
en plus que je suis et ne puis estre aultre que vostre
très humble et très obéissant subject et serviteur.
De Saulmur , le 5 aoust iSgS.
A. M. LE DUC DE BOUILLON. Sog
CCXXIir. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le duc de Bouillon.
Monsieur, vous aurés veu la trefve, en laquelle on
a traicté avec moins de respect pour le roy converti ,
que nous ne faisions pour le roy huguenot. Geste las-
cliesté en produira d'aultres. Il est certain qu'en le fai-
sant abjurer, on lui proposera de jurer la guerre aulx
huguenots, qu'il refusa. C'est une grande hardiesse
d'avoir osé requérir cela de lui, n'estant encores que
sur le sueil de leur porte. M. Le Grand, ainsi qu'on
dict , va à Rome de la part de sa majesté, M. de Lion
pour l'aultre parti. Ils s'accorderont entre ci et le mont
Cenis ; car ils ont mesme but. Si le pape refuse l'abso-
lution , ce sera ung schisme; mais il ne le fera pas,
quand on lui représentera la conqueste d'ung roy de
France, et l'honneur que ce lui est à son pontificat. Il
l'acceptera donc, en suppliant par son auctorité ce qui
default à l'absolution, à condition de faire révoquer au
parlement l'arrest contre la bulle, et pour pénitence
lui enjoindra secrètement la guerre contre la relligion.
Reste le contentement du roy d'Espaigne, lequel sera
de marier sa fille au roy , moyennant quoi les deux:
droicts soient confondeus, et pour douaire les pré-
puces des pretendeus Philistins. Pensés, monsieur, à
cela ; je vous vouldrois voir en Guyenne à cest au-
tomne. Tous nos gens sont en bonne volonté , encores
que les ungs ont besoing d'esperon , les aultres de
bride. De moi qui suis à la teste, et sur lequel on
bute, je tiens ceste règle, tant que je puis, de ne me
5io LP:TTRr: de m. duplessis
changer pour tous ces changemens, en me préparant
neantmoins à tout changement. Prenés ce que je vous
escris, non tant pour prophétie que pour histoire. Je
vous baise très humblement les mains, etc.
Du lo aoust iSgS.
CCXXIV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. Diimauner.
Monsieur, je vous prye de faire tenir les miennes
à M. de Bouillon, par la première voye seure. Faictes
moi aussi tousjours part de vos nouvelles. Je ne double
point des jalousies; mais il fault estre pardessus. Je
désire sçavoir ce que M. de Bouillon resouldra pour
m'y conformer. L'insolence croist d'ung costé , et la
patience eschappera en quelque endroict de l'aultre.
Ici , non ; ou je tiendrai le contrepoids tant que je
pourrai. Je salue très affectionneement , etc.
Du lo aoust lôgS.
CCXXV. —^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Lomenie.
Monsieur , j'ai receu les vostres du 25 juillet et 4
aoust. J'ai desjà commencé à pourveoir à MM. les mi-
nistres, et achèverai aulx Suisses aussi, pour lesquels
je n'attends que personne fondée de procuration de
madame de Sourdis, qui se prevault tant qu'elle peult
de nostre nécessité. De Laige aussi pourvoyra à vog
A M. DE LOMENIE. 5l r
gages, et n'en doublés poinct; car vous mérités bien
niieulx. Quant à ce que m'escrivés, je plains et pleure
au fonds de mon ame la géhenne de sa majesté, que
certes je n ignore poinct , et vous prye là dessus de
lui dire que, s'il lui prend jamais envie de sortir de
ceste captivité et spirituelle et temporelle, je ne puis
croistre de fidélité à son service ; mais bien y doublerai
je de courage, pour la juste douleur que j'en ressens.
Ils ne lui donnent poinct la paix de Testât, et lui ostent
la paix de la conscience. Ils ne lui reconcilient poinct
les rebelles, et lui refroidissent ses plus fidèles. Ils ne
lui rendent poinct son royaulme; car c'est à Dieu et
non au diable à le donner, et lui font renoncer autant
qu'en eulx est le royaulme des cieulx. Je endure de
le veoir ainsi servi ; ainsi trompé ^ ainsi trahi , et ne
vois homme de bien , mesmes entre les catholiques de
deçà, qui n'en die de mesmes; mais la resolution doibt
commencer par lui. Nous aultres ne pouvons que
suivre après. Mandés moi ce que sa majesté prétend
de ceste assemblée. Je salue humblement, etc.
Du 1 1 aoust iSqS.
CCXXVI. — 'V^ LETTRE DE M. SOMRAUGES
A M. Diiplessis.
MoNSFEDR, vous m'avés faict beaucoup d'honneur
de vous soubvenir de moi par la veneue de M. de
Vicose , qui m'a rendeu celle qu'il vous a pieu m'es-
crire , et sur icelle nous avons faict beaucoup de
discours. Je finis sur ce subject qui aujourd'hui se
présente , qui est le plus triste que je sentis jamais.
5r2 LETTRE DE M. SOMRAUGES
Mon ame en est triste jusques à la mort. Vous sçavés,
monsieur, combien j'estime le prince plus que ma vie ;
cela me redouble mon tourment, ayant tout à ung
moment voir perdre Tame et l'honneur de ce grand
prince, si Dieu n'a pitié de lui, qui me faict que tous
ceulx qui l'aiment en fassent des pryeres ardentes à
ce grand Dieu, et que vous aultres, messieurs, qui
avés ce bien d'estre près de lui, lui remantevoiés les
grands biens et faveurs qu'il a receus de l'amour de
Dieu. Certes, monsieur, je bénis fort le jour de saul-
ver ce G;rand prince hors de la bergerie du pasteur
(jui l'avoit si heureusement conduict , sans qu'il soit
teneu sous sa houlette. Je crains que Dieu , estant irrité ,
ne le ruyne de la ruyne de Israël ; mais s'il se re-
tourne à lui, il y a miséricorde au Seigneur. Ores,
monsieur, il fault que tous pressions pour chercher
la brebis esgaree, pour la remettre à ce grand et bon
bercail. Certes, monsieur, c'est à ce coup qu'il fault
nous évertuer tous; s'il fault mourir, mourons; louons
Dieu pour le moyen , et ne nous laissons venir à ce
cadet de Guise; mais nous lui ferons sentir à nostre
accoustume que nous sçavons pryer nostre Dieu au
orand besoing. C'est celui qui abat ce grand cèdre tout
à plat. C'est à Dieu sur qui il fault nous arrester.
Plust à mon Dieu que je fusse deux heures avec vous! 1
mais , puisque ne se peult , M. de Vicose vous dira
plus que je ne vous en sçaurois discourir dans trois
mains de papier; et surtout il vous dira que je ne suis
nullement testant , mais fort vostre serviteur. Aimés
moi comme vous m'avés juré; ne faictes pas comme
M. de Vicose , qui aime mieulx. M. Dandon que moi.
Je suis meilleur homme que lui. Si vous aultres ne
vous gardés les espaules, nous viendrons par derrière.
A M. DUPLESSIS. 5i3
Vous ne gardés que Paris; Bourdeaulx vous pouvoit
eschapper, et croyés le; M. de Vicose vous en dira ce
qu'il en cognoist et a veu. Ne m'oublies pas comme
vous avés faict jusques ici. Mais il a esté d'une obli-
geance éternelle. Vous oubliés le meilleur de vos
amis et le plus vostre serviteur. Somradges.
Ce II aoust i5y3.
CCXXVII. — -^ LETTRE DE M. DE BOUILLON
A M. Duplessis.
Monsieur, vous aurés veu, par mes dernières,
mon advis sur le voyage de la court. Il est maintenant
question de penser comment le trefve se finira, soit en
paix ou en guerre. Que ce soit des deux, nous avons
interest , comme semble que nous debvons monstrer
aulx catholiques que le changement de relligion du
roy ne nous faict pas changer d'obéissance. J'ai tant
faict, que j'ai faict retirer l'armée de M. de Lorraine,
et l'ai faict dissiper et séparer, quoiqu'ils feussent aussi
forts que moi. J'ai pris divers forts cbasteaulx qui te-
noient bloquées nos places, si bien qu'elles seront à
ceste heure en bon estât, sinon que par la trefve de
Lorraine que je n'ai pas encores receue, l'on me deffend
les fortifications. M. de Nevers va en Italie, et suis
asseuré que son desseing de lui est de nous faire tout
tomber sur nous, et se reunir par là. Je me dispose
de me trouver à la court, en septembre, environ le 20.
Je ne sçais s'il est à propos que les églises renvoyent
des députés, que premièrement nous n'ayons rompeu
la glace. Considérons le cahier qu'ils pourront porter
MÉM. de DuPiESSIS-MoKHAY. ToME V. 33
5i4 LETTRE DE M. DE BOUILLON
en les personnes qui pourront estre esclieues, et nous
avons besoing de nous mesnager avec une fermeté pru-
dente pour obtenir ce qui nous est nécessaire. Ce que
je crains ne se trouver en ceste multitude de nego-
tiateurs est la forme que nous imprimerons dans l'es-
prit du roy de nostre cbangement, pour lui demeurer à
long temps imprimée ; vous le cognoissés : et combien
l'ombre effaroucbe quelques fois plus que le corps.
Jugés selon cela, travaillés ou à les faire arrester, ou
à les faire demeurer. Tout le monde crie après M. de
La Tremouille; conseillés le, elle tancés. Pour ce qui
est du dehors, j'y travaille. Il seroit fort important que
nous monstrassions aulx estats que nous nous voulions
joindre d'affection à eulx. Des lettres de La Rochelle
qui me feussent escrites, profiteroient. Il leur fault
monstrer de l'union et de la vertu. Je vous supplie me
faire ce plaisir., que j'aye bientost de vos nouvelles.
Henry de La Tour.
Au camp de Monlfanay , ce 12 aoust i5g3.
CCXXVIII. — LETTRE DU ROY
A M. Diiplessis y escrite de sa propice main.
M. Duplessis, je vous fais ce mot à tous hazards,
pour vous dire que , sans attendre les députés que j'ai
mandés, vous veniés me trouver en toute diligence;
car j'ai nécessairement affaire de vous. J'attends, en
peu de jours, mon cousin le duc de Bouillon, que j'ai
mandé. Nous aviserons ensemblement à plusieurs clioses,
que j'ai affaire avant que lesdicts députés arrivent. Mais
venés en toute diligence, car j'ai besoing de vous. Venés,
AU ROY. 5i5
venés , venés. A Dieu, lequel je prve vous avoir,
M. DuplessJs, en sa garde. Hkjnuy.
A Sainct Denis, ce i5 aoust i5g3.
GCXXIX. — ^LETTRE DE M. MALLET
A M. Duplessis.
Monsieur , j'ai receu par ce porteur celle qui vous
a pieu m'escrire du 4 du présent, à laquelle et à toutes
les aultres que j'avois auparavant receues pour mesme
affaire, je vous ai faict ample response du i8 du passé
par le Borgne, messager du Bearn, et du 8 du présent,
par l'ung des hommes de M. de Pujols; c'est qu'il ne
se trouve personne par deçà qui veuille entendre à
l'achat de l'ancien domaine du roy et de madame, res-
pondant en la chambre des comptes de Nerac, si la
vente ne s'en faict par sa majesté et son altesse, con-
joinctement et par lettres patentes en deue et valable
forme vérifiées en ceste court de parlement, MM. du
conseil de son altesse en ladicte court m'ayant déclaré
qu'ils s'opposeront à ladicte vente, soit du domaine
non encores aliéné ou de la plus valeue de celui en-
gagé auparavant le partage provisionnel de son altesse,
si l'aliénation ne s'en faict conjoinctement et par lettres
patentes comme j'ai dict; et quant aulx terres dans
Auberoche et Nontron , je vous ai escrit qu'elles sont
du domaine de la vicomte de Limoges, comme vous le
trouvères par les lettres de M. de Lardjnalye, et de
M. de Charon, thresorier de Perigord , que je vous ai
envoyées par ma dernière despesche baillée à l'homme
de M. de Pujols, Quant au procès de Bruzac , MM. de
5l6 LETTRE DE M. MALLET
Martin et de Matthieu vous en escrivent lestât et ce
qu'il y fault faire. Je yous ai aussi escrit que les assi-
gnations de madame , délivrées sur moi l'année der-
nière et présente, ont emporté tous les deniers de ma
charge , sans que j'en ;jye rien receu , et qu'encores n'y
en a il pas assés pour acquitter leurs assignations
comme vous l'aurés peu vérifier pour les estais que
MM. de la chambre des comptes de Pau vous en ont
ci devant envoyés; et ainsi n'ayant rien receu ni es-
pérance de recevoir desdictes deux années, à cause
des assignations de son altesse, il m'est du tout impos-
sible de rien fournir pour le payement des gages cou-
chés en l'estat de Navarre. De quoi je suis bien marri
pour le gênerai et pour mon particulier, n'ayant pas
touché ung seul denier de mes gages depuis l'an-
née 15B9. Et si n'ai je pas laissé pourtant de travailler
beaucoup, voire plus que si j'eusse manié les deniers
de ma charge ; car alors je n'eusse eu qu'à compter
et paver, et retirer les mandemens et quittances des
assignés; et, n'ayant point d'argent, j'ai esté contrainct
faire response à toutes leurs lettres, et bien souvent
neuf ou dix fois à chacune pour me descharger envers
eulx; et encores avec tout cela je n'ai peu les con-
tenter; et ce que par le moyen de la trefve de Lan-
guedoc, madame peult jouir du reveneu des terres de
son partage , et que les assignations peuvent eslre
d'autant dimineuees; cela gist en cognoissance de cause
et vérification des deniers de clair provenus du reve-
neu de sesdictes terres, pour sçavoir si ce qui en est
proveneu , avec cela que le thresorier de sa maison a
receu de ses assignations, monte plus que ce que les-
dictes terres lui debvoient revenir chacung an. Ce que
je ne puis faire sans niandenient de sa majesté, sinon
A M. DUPIESSTS. ^17
que de moi mesmes je ne m'en veuille prendre à son
altesse; car si, sans mandement du roy , je révoque
mes assignations délivrées il y a long temps sur les
thresoriers particuliers de ma charge, c'est contre les
mandemens obteneus par son altesse qui sont à payer
par préférence à tous aultres mandemens precedens et
subsequens , mettre le doigt entre l'enclume et le
marteau. Ce que je vous laisse à juger. Je vous ai dad-
vantage escrit par ma dernière despesche, que le sieur
Hargues, marchand orfèvre, n'ayant peu estrc payé
des quattre cens escus dont je l'avois assigne sur le
thresorier du domaine de Bearn ^ je l'en aurois depuis
assigné sur M. Charon, thresorier de l'ancien domaine
de Perigord et Limosin ; mais , n'ayant peu estre payé
de l'ung ni de l'aultre, comme vous le verres par les
actes et leurs responses, et ne le pouvant aussi payer
de ma part, comme je vous ai dernièrement escrit, il
s'en va contre mon advis devers vous chercher son
payement; et s'il ne le peult avoir, il a délibéré de
s'en aller plaindre à Madame, laquelle, à mon advis,
debvoit faire payer ceste partie des deniers de son as-
signation par le thresorier de sa maison , attendea
qu'il reçoit tous les deniers de ma charge. Mais n'es-
tant pas assés fort pour contester cela avec son altesse ,
je le remets à vous pour soubstenir mon advis, si
vous voyés qu'il se doibve faire. Ce porteur m'a dict
qu'il n'a receu argent pour fournir à sa despense, que
de Saulmur jusques ici, et que lui avés promis de lui
en faire bailler ici pour son retour. Ce que j'ai faict,
encores que ne m'en ayés rien escrit, lui ayant fourni
trois escus sol, à la charge qu'il ira jusques à Ven-
dosme trouver mon commis, pour lui bailler quittance
de tout ce qu'il aura receu pour son voyage , afin d'en
5 1 8 LETTRE DE M. MALLET
faire despescher ung mandement. J'ai obmis de vous
escrire que ceulx qui veullent acheter du domaine
désirent que tout celui qui respond en la chambre des
comptes de Nerac soit exposé en vente sans en parti-
culariser les membres , afin de pouvoir choisir les terres
qui leur seront plus commodes, et qu'ils désirent aussi
sçavoir à quel prix on le veult vendre à perpétuité, età
quel prix ce pacte de l'achat , et disent que les terres
là où il n'y a logis, ni bois, teneues en tout droict de
justice, haulle , moyenne et basse, ne se peuvent
vendre à perpétuité qu'au denier trente, ou quarante
au plus hault, et les aultres teneues à mesme droict ne
se peuvent vendre à faculté de rachat qu'au denier
douze, selon la valeur des baulx à fermes, faicts pour
neuf années, faisant des neuf une commune. C'est tout
l'advis que je vous puis donner, sur lequel il vous
plaira me donner instruction signée de vous et de
M. de La Burthe , lorsque vous m'envoyrés les pro-
visions nécessaires pour procéder à la vente dudict
domaine, attendant lesquelles je prye Dieu vous donner,
monsieur, en très bonne santé, très longue et heu-
reuse vie. Vostre très humble et obéissant serviteur.
Mallet.
De Bourdeaulx , le i4 aoust iôqS.
La nouvelle de la cérémonie du i5 du passé a ici
beaucoup resjoui les ungs et grandement contrit les
aultres. Mais ceulx qui ne s'appuyent poinct sur le bras
de la chair mettent leur espérance en Dieu; lequel,
pour sa gloire, peult tirer le bien du mal, et la lu-
mière des ténèbres. Je ferai tenir à la première com-
modité, celles que vous escrivés à MM. de Ramgnan
et Dupont ; et s'ils y font response , et qu'ils me
A M. DUPLESSIS. 5 19
l'adressent , je vous la ferai tenir à la première seure
commodité.
CCXXX. — ^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. Dumaurier.
M. Dumaurier , je vous prye de faire tenir les
miennes à M. de Bouillon, par la première voye seure;
faictes moi aussi tousjours part de vos nouvelles. Je ne
double poinct des jalousies , mais il fault estre par
dessus. Je désire sçavoir ce que M. de Bouillon re-
souldra pour m'y conformer. L'insolence croist d'ung
costé, et la patience eschappera en quelque endroict
de l'aultre. Ici , non , où je tiendrai le contre poids tant
que je pourrai. Je salue très affectionneement, etc.
Du 16 aoust iSgB.
CCXXXL — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Nantes, (i)
Monsieur, j'ai receu deux des vostres de mesme
substance, dont je vous remercie de toute mori affec-
tion , recognoissant celle dont elles partent ; et pour
response , le changement adveneu en la personne de sa
majesté ne changera rien en ma fidélité et obéissance;
car, oultre le zèle que j'ai tesmoigné depuis seize ans
à son service , je suis enseigné de Dieu , que la diffe-
(1) Philippe du Bec, son oncle, depuis archevesque et duc de
Rheims.
520 LETTRE DE M. DUPLESSIS
rence de relligion ne nous dispense poinct envers nos
roys. Que pleust à Dieu que tous ses subjects en ce
royaulme feussent et eussent esté aussi resoleus sur
cest article ! Pour ce qui est de mon particulier, je me
confie aussi que sa majesté est de trop vertueux na-
turel pour changer sa bonne volonté envers moi ; m'as-
seurant, au contraire, qu'elle ne lui peult que croistre,
mesmes par la comparaison de ma fidélité à la des-
loyaulté , que tous les jours elle esprouve d'ailleurs.
Non, toutesfois, monsieur, que j'ignore la nature de
la court, subjecte à oublier assés tost ceulx qui s'en
esloingnent; mais parce que je n'ai jamais basti ma for-
tune, puis qu'ainsi vous l'appelles, sur la fortune; car
j'eusse suivi, comme plusieurs, la prospérité et non
l'adversité, soit des princes, soit des affaires; ains
sur l'espérance que j'ai fondée en Dieu , qui ne me
peult manquer; sur l'intégrité aussi de mes services,
qui laissent, grâces à Dieu, de telles marques qu'on ne
les peult pas tost effacer. J'adjousterai encores que je
me promets que ce ne seront pas les derniers, me
resolvant pour rafraischir les precedens d'aller bien
tost trouver sa majesté selon ses commandemens; et
en occasion qu'elle recognoistra en moi ceste mesme
fidélité, et l'aura autant agréable que je m'efforcerai
de la rendre utile à son service. Touchant , monsieur ,
ce que vous m'escrivés de vos affaires, je les recom-
manderai à M. Pageot , comme aussi j'ai faict tenir
VQstre paquet à Rennes. Il m'ennuye seulement que
je n'ai plus de moyen de vous soulager en vos peines ;
desquelles le remède despend plus de la faveur du lieu
où vous estes , que du peu de crédit que je trouve or-
dinairement en semblables affaires.
Monsieur, je vous baise très humblement les mains ^
A M. DE NANTES. 5^1
et supplie le Créateur vous avoir en sa saincte garde.
Vostre très humble et très obéissant nepveu à jamais.
De Saulmur, le i5 aoust lôgS.
CCXXXIL — -^ LETTRE DE M. MERMET
j4 m. Duplessis.
Monsieur, combien que je vous ai escrit ci devant
par ung messager de ceste ville, qu'on nomme Lai-
chalon , toutesfois M. de Vicose , qui me porta celle
qu'il vous pleut m'escrire , m'ayant faict cest hon-
neur de me communiquer son partement , et de voul-
loir prendre ce mot pour le vous rendre ; j'ai estimé
mon debvoir m'obliger en vous remerciant humble-
ment du bien qu'il vous a pieu me faire, me donnant
advis de ce qui vous sembloit estre à faire sur le sub-
ject duquel vous m'escriviés de vous advertir de la
diligence que nous avons mise en l'exécution de vostre
advis; de quoi mondict sieur de Vicose, qui a esté
présent à tout, vous pourra plus amplement discourir.
Pour le moins il ne tiendra à nous de deçà Garonne,
que MM. de Fabas, de Feydeau et Channeton, députés
de ceste province, ne fassent le voyage. Nous ne sça-
vons si ce qu'on faict courir avoir esté faict le iS
juillet par sa majesté, donnera quelque empeschement
à ce desseing pour crainte de perdre le temps et la
peine, chose qui a estonné beaucoup de personnes,
et ce de tant plus que moins on s'y attendoit. Mais il
ne fault s'émerveiller de voir l'homme corrompeu des
le ventre, trébucher en des lourdes faultes, puisque
les premiers,. qui avoient esté crées purs sont descheus
52 2 LETTRE DE M. MER MET , etc.
de leur intégrité par l'induction de Satan, qui est en-
cores le mesme, forgeant des fantosmes de craintes et
des bouffées d'espérance , pour nous traisner où il
veult. Mais ce grand Dieu veult ainsi nous faire retirer
nostre confiance de l'homme, et nous faire appuyer
en lui seul; ores, d'autant qu'en mon aultre lettre
j'ai ung peu plus copieusement parlé de ce faict, je ne
\eulx ici de redictes. Seulement je vous supplierai,
monsieur, et aussi madame Duplessis, font
mes bons frères et chers compaignons, qu'il vous plaise
nous entretenir tousjours en vostre bonne grâce et sou-
venance ; que ceulx qui désirent de toute leur affec-
tion d'avoir moyen de vous faire très humble service,
à quoi nous nous employerons d'aussi bon cœur que
nous pryons Dieu.
Ajvtoine Mermet.
DeNerac, le i8 aoust lôgS.
CCXXXIIL — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le duc de Bouillon.
Monsieur , le roy me presse extresmement de l'aller
trouver, et me mande qu'il vous attend. Je m'y resouls;
mais je vous supplie que je scache vostre partement,
plustost par homme exprès. Nos députés debvoient
estre le i5 à Bourdeaulx : je dis de Guyenne. Ceulx de
Xaintonge, Poictou, Touraine, Anjou, Normandie et
Bretaigne sont prests , et leurs articles dressés. La pro-
vince du Languedoc , priée et advertie , par le synode
provincial teneu en Xaintonge , de convoquer le na-
tional sur la rivière de Loire , ou de Dordogne , dans
LETTRE DE M. DUPLESSIS, ete. 52*3
le I" octobre ; et y appelle on les églises estran-
geres d'Angleterre et celles des Pays Bas. C'est pour
renouer la communication. Ce qui n'aura esté faict
près du roy, sera remédié par ceste assemblée. M. de
Nevers est parti pour Rome. On espère que le pape ne
s'opiniastrera poinct. Ou ce sera ung schisme entre
eulx, ou ung monopole contre nous. J'attends cejour-
d'hui ici La Varenne ; il prend le chemin de Bearn , où
je ne vois affaire qui mérite. Je crois qu'il va en Es-
paigne; peult estre, pour avoir ung saufconduict pour
M. Le Grand , qu'on dict y debvoir aller ; car on a
proposé le mariage. Jugés où cela va. Toutesfois, le
roy proteste tousjours le contraire, et n'en veult ouir
parler. Monsieur, faictes moi tousjours cest honneur
de m'aimer. Advisés aussi à la seureté de tant de gens
de bien , qui vont en court , qui s'en reposent sur vous.
Nos églises n'ont plus besoing de grand hiver. Je vous
baise, monsieur, très humblement les mains, etc.
De Saulmur , ce 21 aoust iSgB.
CCXXXIV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A MM. des estais des Pays Bas,
Messieurs, pour response à celles quMl vous a pieu
m'escrire, à ce que je vous assistasse vers sa majesté
pour obtenir que M. de l'Escale (i) vous allast trou-
ver; je vous dirai librement que l'honneur que je vous
porte n'a pas esté peu combatteu du debvoir naturel
envers ma patrie, voyant attirer par honnestes voyes
(1) Joseph de l'Escale, fils de Jules César de l'Escale.
59.4 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
ailleurs, ce que par toutes voyes nous debvions retenir
et rechercher. Je n'ai pas esté aussi moins honteux pour
nous tous de voir que la vertu , que Dieu avoit faict
naistre en ce royaulnie , ait esté mieulx cogneue et recog-
neue ailleurs. Ce que je veulx imputer, par faveur, à nos
guerres plutost qu'à aultres causes moins supportables ;
encores certes qu'au milieu des vostrcs vous faictes
faillir le proverbe, appellans de si loing ce personnage,
par la bouche duquel parlent toutes les Muses. Mais
enfin je me suis rcsoleu de me rendre à vostre désir et
intention, tant pour le service que je vous ai voué
de long temps, comme à une seconde patrie, qu'en
haine mesnies de nostre ingratitude ; et vous adjouste-
rai seulement, messieurs, que je ne puis assés louer
vostre niesnage, d'avoir sceu choisir entre tous ung
personnage tel qui seul vous peult tenir le lieu de plu-
sieurs, et duquel plusieurs , quelques bien choisis qu'ils
soient , à peine pourront emplir la place. Messieurs , etc.
De Saulinur, ce 22 aoust lôgS.
GCXXXV. —^ LETTRE DE M. MALLET
A 31. Duplessis.
Monsieur, j'ai receu par MM. de Mazelieres et de
Lignerotte celle qu'il vous a pieu m'escrire du i3 du
présent; je desirerois, pour satisfaire à l'intention du
roy, vostre recommandation; et à leur mérite, avoir
moyen d'acquitter leurs assignations. Je vous ai escrit
deux aultres fois que je n'avois rien receu des deniers
de ma charge de l'année dernière et présente, à cause
des assignations de Madame. Vous l'avés peu vérifier
LETTRE DE M. MALLET, etc. BiB
ninsi par les estais de la chambre des comptes de Pau ,
qui vous en ont esté envoyés, et par les mandemens
desdictes assignations. Si les assignés que vous me ren-
voyés le pouvoient ainsi croire, je ne m'en donnerois
poinct de peine; mais ayans leurs mandemens vérifiés
par vous sans aulcune audition ni cognoissance de
cause, ils s'en prennent à moi, comme si je retenois
les deniers de sa majesté. Vous sçavés, monsieur, que
là oii il n'y a poinct de receptes, il n'y peult avoir de
despense, et que de rien il ne se peult rien faire; et
cependant en vous deschargeant vous me chargés, sans
en mettre la faulte sur les assignations de son altesse.
Je vous supplie donc, monsieur, me voulloir excuser
si je me plains, vous asseurant que si j'eusse pensé
debvoir tomber en ceste peine , j'eusse volontiers quitté
la continuation de Texercice de ma charge pour ceste
année , diu-ant laquelle j'ai plus travaillé sans rien ma-
nier que je n'avois faict toutes les années précédentes
de mon exercice, pour n'avoir peu contenter personne
de tous les assignés sur moi , comme je vous ai ci de-
vant escrit. Si M. de La Porte m'envoye les coffres et
pipes que m'escrivés, je les recevrai et les ferai tenir
à La Rochelle, es mains de M. Bruneau , le plus seurc-
ment que je pourrai, et en payerai la voiture. M. de
Lardynalye m'a escrit celle que je vous envoyé. Vous
trouvères par icelle (jue nous ne pouvons faire aulcune
vente du domaine, soit en gros ou en meneu, que la
vente ne s'en fasse par sa majesté et son altesse con-
joinctement, comme je vous ai aussi escrit; vous pour-
voir donc, s'il vous plaist, d'en recouvrer les pro-
visions et procurations nécessaires , pour les nous
envoyer au plus tost, aultrement nous ne pouvons
rien faire. Et me semble, soubs voslre meilleur advis,
5-26 LETTRE DE M. MALLET,cic.
qu'il sera bon que sa majesté et son altesse en escrivent
audict sieur de Lardynalye, et vous aussi, afin d'y
tenir la main, et m'y estre aidant, en attendant les
despesches ou ce qu'il vous plaira me commander là
dessus.
Je vous envoyé le double d'une lettre que l'on faict
courir ici, soubs le nom de M. l'evesque d'Amiens.
Vous trouvères par icelle qu'il y en a qui taschcnt de
mettre ceulx de la relligion en défiance et aulx cliamps,
afin d'empescher la paix. Dieu veuille empescher l'ef-
fect de leurs maudictes intentions! MM. les députés de
Gascongne et de ceste province doibvent partir dans
le 20 du prochain, pour aller trouver le roy. J'ai en-
voyé vos lettres à M. de Melay. S'il y faict response, et
qu'il me l'addresse , je la vous ferai tenir à la première
commodité. Mallet.
De Bourdeaulx, ce 27 aoust i5g3.
CCXXXVI. — ^ LETTRE DE M. DUMAURIER
^ M. Duplessîs.
Monseigneur, je vous escris à toute, heure, dési-
rant satisfaire à vostre volonté; et pour ce desseing je
ne vous puis dire aultre chose que j'ai apprins de bon
lieu et de bonne part du costé de Sainct Denis , que les
choses qui arrestent la paix sont trois.
La première, que les chefs qui doibvent s'estre em-
barqués, en cas de guerre, par commandement et
advis du pape , qu'ils ne veuUent aulcungs passer
pultre, que sa saincteté n'en soit advertie et soubs son
auctorité.
LETTRE DE M. DUMAURIER , eic. ^27
■ A ces fins , M. Legrand y va d et M. de
Lyon du costé de M. de Mayenne.
La seconde , qu'ils demandent et requièrent le ma-
riage de madame et de M. de Guise, et c'est ung des
poincts principaulx.
La troisiesme, aultre mariage de M. de Montpensier
avec mademoiselle de Guise.
Plus nng troisième qui a esté proposé de la part de
quelques ungs, le mariage de l'infante avec sa majesté;
ce qui n'a esté fort agréable par ceulx du parti de
Lorraine, disans que si sa majesté prenoit ce parti,
ce seroit pour leur faire la loi comme faisant le plus
grand parti.
De tous ces poincts et questions despend la conven-
tion de la paix. Romaina escrit ung d'estat
a aussi mandé de trefve. Et n'ayant aultre chose à vous
dire pour le présent, je vous salue et vous baise hum-
blement les mains. Dumaurier.
A Tours, ce . . aoust iSgB.
Monseigneur, prenés tousjours garde à l'homme et
à qui est avec lui.
I J'ai obmis à vous dire comme mesdames de Nemours
et de Guise sont à Sainct Denis, qui ont proposé les
mariages.
CCXXXVIL — LETTRE DU ROY
A M. Diiplessis , escrite de sa main.
M. Duplessis, je suis las de vous escrire tousjours
, une mesme chose. Je désire infiniment de vous voir,
mesme avant la veneue des députés , qui doibvent
528 LETTRE DU ROY, etc.
venir avec Yicose , et que j'ai mandés par lui. Venés ;
j'ai tant de besoing de vostre présence que je ne m'en
puis passer, pour des raisons que je ne vous puis
escrire. Venés encores ung coup ; vostre séjour près de
moi ne sera que de peu de jours. Je serai bien aise
que vous ayés donné quelque ordre à rendre contens
les Suisses ; mais que cela ne vous attasche poinct tant
par delà , que vous en soyés plus long temps à venir.
A Dieu, lequel je prye vous avoir, M. Duplessis, en
sa garde. Henry.
A Melun, ce 28 aoust iSgS.
Et par apostille estait escrit : Venés, venés, venés,
si vous m'aimes.
CCXXXVIII. — ^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. Rotan.
Monsieur, je vous advise que par lettres que j'ai
de la court, du 21 , il est tout certain que, pour par-
venir à la paix, on presse le roy d'exclure ceulx de
la relligion de toutes charges et honneurs. On pro-
pose aussi aultres articles au préjudice de nos places;
et y a apparence , si nos députés n'y interviennent
bientost, qu'on l'emportera de violence, à cela, ou
à pis. Je sçais aultres choses que je n'ose confier,
et c'est pourquoi j'ai tant désiré que vous m'envoyiés
quelqu'ung. Vous en communiquerés, s'il vous plaist,
aulx plus confidens de nos amis.
Du 3o aoust iSgS.
LETTRE DE M. MERLIN, etc. 629
CCXXXIX. —^LETTRE DE M.MERLIN
J M. Diiplessis.
Monsieur, nous avons tousjours attendeu depuis
vos dernières que, suivant ce qu'il vous avoit pieu
nous promettre par icelles, vous nous fériés ce bien
de nous advertir quand il seroit temps d'envoyer
nostre député en court, lequel nous avons tout prest
il y a jà quelques sepmaines; mais voyans que nous
n'avons eu aulcung advis de vostre part, et d'ailleurs
craignant de défaillir à nostre debvoir, veu que le
bruict est tout commun qu'il se doibt faire quelque
assemblée des députés des Eglises, pour adviser ce qui
sera besoing de demander à sa majesté pour le bien et
establissement d'icelles, nous avons despesché tout
exprès ce porteur, pour vous supplier très humble-
ment qu'il vous plaise nous esclaircir sur ce doubte
et nous advertir, s'il vous plaist, de ce que nous avons
à faire ; car d'envoyer à grands frais ung député en
court, sans qu'il en feust besoing, ce seroit une grande
surcharge, et à lui et à nous. D'aultre part, nous se-
rions marris et honteux d'avoir défailli à ung debvoir
nécessaire, mesmemcnt si vous le juges tel. Vous nous
advertires donc, s'il vous plaist, s'il est besoin^ de
faire le voyaofe, quand il fauldra partir, et le temps
et le lieu où il se fauldra trouver. Velini prœterea ex
te s cire y si licet j quid de hoc lapsii tam repentino
sentias. SU ne res prorsus deplorata ; equorsum tan-
dem evasura putes consilia tam maie atqiie infelici-
ter inila ; quod remedium hmc malo adhibendum,
M RM. DE DuPLESSIS'-MoRîfAY. To3tE V. 3/
5JO LETTRE DE M. MERLIN, etc.
censeas ? Plura non addam ne molestus et imporlu-
nus percunctator videat. J'espère que Dieu tirera la
lumière des ténèbres, et qu'après nous avoir humiliés
il nous eslevera. D. Merlin.
Ce dernier d'aoust 1693.
CCXL. — ^LETTRE DE M. SERVIN
A M. Duplessis.
Monsieur, depuis ma dernière que je vous ai escrite
par M. de Clermont, j'ai descouvert de quelle façon
la requcste que je vous ai envoyée a esté présentée ;
et après que nous en avons conféré , M. de La Burthe
et moi ensemblement , j'ai veu M. le premier président
et lui ai faict entendre que la requeste n'avoit esté
veue par aulcung des conseillers de la court, ni rap-
portée, mais respondeue par ung clerc du greffe,
nommé Poildreau , nagueres clerc de M. de Villeme-
reau , plus par surprise que par malice. Enfin nous
avons resoleu que le meilleur estoit, si la femme du
suppliant me poussoit, que je persiste en ma response,
laquelle je lui ai faicte le matin , et est présumée de ce
jour, à sçavoir que M. l'advocat Seguier, mon collègue,
n'est veneu au Palais, et que je ne puis expédier s'il
ne vient, d'autant que c'est ung faict important , où je
ne veulx loucher moi seul. On m'a dict ce soir qu'il
ne veult venir au Palais d'ung mois entier, suivant ce
que lui mesmes me dict il y a deux jours. Cela estant,
je suis en liberté jusques à ce que nous ayons de vos
nouvelles. Ou rexpos|nt viendra au parquet ou non ;
s'il vient, nous ne sommes prests de nous accorder.
LETTRE DE M. SERVIN, etc. 53 I
encores qu'il veuille s'esmouvoir comme son naturel v
porte. S'il ne vient poinct, je puis gaigner du temps, et
c'est ce qu'il fault en tels affaires. J'ai faict entendre
à M. le premier président qu'il falloit pourvoir à ce
qu'il n'arrive ung nouveau schisme, et Tai trouvé dis-
posé à ce que j'ai désiré; en sorte qu'il m'a dict que, si
on parle plus encores de ce faict , il pensoit qu'il estoit
bon d'en conférer avec M. le président de Yillere, qui
est de laTournelle, où, selon ce que nous apprendrons
de vous , il se parlera de ce faict. Mais intérim nous
donnerons si bon ordre que nul ne remuera rien qui
prejudicie à Testât, et où quelqu'ung le vouldroit nous
l'empescherons bien. Cependant, je vous supplie con-
tinuer tousjours à bien veiller et pourvoir que nos
ennemis n'ayent poinct d'occasion de prise; et que, s'il
arrive ung schisme , la cause soit réservée sur eulx. Il
vault mieulx les rendre demandeurs que nous. J'espère
que Dieu nous fera la grâce de dissiper les mauvais
conseils, et que, de vostre costé, vous ferés tousjours
bien, comme je m'asseure que ne voulés et ne pouvés
aultrement, aimant trop le bien et le repos du roy et
du royaulme. Vous prendrés en bonne part que je
parle à vous avec toute franchise; et si mon style n'est
si poli que mon ame est ronde et françoise , vous le
jugerés comme il est pur et d'ung homme qui désire
mieulx faire que dire en paroles délicates.
Servi N.
De Tours, ce 2 septembre au soir i.^qB.
532 LETTRE DE M. DUPLESSIS
CCXLI. —LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Haiiajy premier président.
Monsieur, je pense que vous aurés sceu comme la
veille Sainct Barthélémy on feit doulcement courir
ung bruict entre les habitans de ceste ville, que la
nuict je debvois faire tuer tous les catholiques. Sur
lequel il s'en absenta bon nombre , tant de la ville que
des faulxbourgs; mesmes quelques marchands de la
Ligue, veneus de Paris, Orléans, Nantes, Poictiers,
s'en allans d'effroi, emportèrent ceste allarme chacung
en son quartier. Je n'en feus adverti que le matin, et
au commencement le mesprisai ; mais voyant que cela
avoit passé si avant, et ne pouvoit tendre qu'à en-
gendrer une sédition en ceste ville, je pryai MM. les
officiers du roy en cestedicte ville d'en informer, et
s'il estoit possible pénétrer jusques à la source, tant
pour le service de sa majesté que pour l'importance
dont ceste calomnie m'estoit : et néant moins parce que
je feus adverti qu'ung nommé Renardière, assés re-
nommé d'ailleurs pour ne rien valoir, estoit notoire-
ment ung des principaulx semeurs de ce pernicieux
bruict, je commandai en l'auctorité de ma charge, et
pour la paix de la ville, au sergent major de se saisir
de sa personne, et le mettre en seure garde, tandis
qu'on procedoit à l'information, en laquelle il se trouve
assés suffisamment chargé. Je vous prye, monsieur,
de considérer là dessus ce que peult et doibt ung gou-
verneur, qui a à respondre d'une place, en matière et
péril de sédition ; remarquer aussi les calomnies ordi-
A M. DE HARLA.Y. 533
iiaires, aulxquclles je suis subject, qui requièrent quel-
que chastiinent. Comme encores une nouvelle depuis
trois jours, qui a esté portée à Tours, dont M. de
Sou vrai m'a faict c'est honneur de m'advertir, que
j'avois emprisonné tous les catholiques , soubs ombre
que j'avois deffendeu de laisser passer personne pour
ung soir, sur ung commandement du roy , que j'avois
receu par ung courrier exprès, d'arrester certaines
personnes qui alloient contre son service; ses lettres
en date du 27 du passé, receues le 3o, par Amberlin.
Si les peuples ont à gloser sur tout ce que nous fai-
sons, il n'y aura poinct de fin; et je pense que vous
sçavés bien à quoi vous en tenir ailleurs. Ores, monsieur,
on procède à l'information; et cependant j'ai pryé ung
de mes amis de vous faire voir ce qui en est faict.
Mais s'il plaist à messieurs de la court en prendre la cog-
noissance, je m'en sentirois honoré; m'asseurant qu'en
faisant le service de sa majesté et la justice, ils ne
peuvent qu'ils ne me fassent par mesme moyen raison
du tort qui m'est faict, qui m'est à la vérité fort sen-
sible, et ne souffriront poinct que des gens de néant,
voués de long temps à ung gibet, osent si téméraire-
ment parler de personnes de ma qualité, et tenans lieu
au service du roy, tel que j'ai cest honneur d'y tenir.
Vous excuserés ceste importunité, monsieur, et pren-
drés, s'il vous plaist, en bonne part que je vous en
escrive si particulièrement. Et sur ce , après vous avoir
protesté de mon affection à vostre service, je vous
baiserai bien humblement les mains, et supplierai le
Créateur, monsieur, vous avoir en sa saincte garde.
De Saulmiir, le 3 septembre iSg'i.
534 LETTRE DE M. DUPLESSIS
CCXLII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
J M. Seivin.
Monsieur , j'ai pryé ci devant M. de La Burthe de
vous faire entendre la meschante calomnie dont on
m'a voulleu souiller ici. Vous pouvés penser si elle
m'est sensible. J'en escris maintenant à M. le premier
président ; et par ce mesme moyen vous envoyé copie
de l'information , qui m'a esté délivrée close et scellée ;
laquelle toutesfois n'est pas achevée, pour le grand
nombre de tesmoings qui renvoyent des ungs aulx aid-
Ires. J'en avois mesprisé plusieurs; mais celle ci m'a
semblé n'estre à négliger, parce qu'elle tendoit à une
manifeste esmotion ; qui a aussi esté cause qu'en l'auc-
torité que le roy m'a donnée ici, j'ai faict saisir Renar-
dière , homme de long temps poursuivi de plusieurs
crimes, notoirement convaincu de cestui ci; lequel j'ai
mis en seure garde, tandis que l'information s'achève,
parce qu'il est factieux et turbulent. Vous scavés, mon-
sieur, trop mieulx, si en tel cas je l'ai peu et deu faire;
et si ces premiers mouvemens ont besoing d'estre re-
primés. Ores, monsieur, j'ai pensé estre de mon debvoir
de vous en advertir, sçachant combien vous avés en
affection le service du roy, la paix de ses subjects et
Ihonneur de ses serviteurs.
De Saulmur, le 3 septembre i5g3.
AU ROY. 535
CCXLIII. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
Ali roy.
SiRK, puisqu'il plaist à vostre majesté s'en informel-,
vos très humbles subjects de la relligion reformée
dient ; Qu'ayans cest honneur de se voir pour roy ce-
lui qu'ils avoient eu l'honneur d'avoir pour pcotec-
teur; et en auctorité d'interiner leurs requestes, celui
qui auroit eu le zèle au milieu de tant de dangers de
les présenter, ils pensoient se pouvoir justement pro-
mettre qu'il auroit soing de les tirer de peine , sans
qu'ils s'en remuassent beaucoup. Et pourtant s'estoient
resoleus à toute patience, pour donner loisir à vos
affaires. Au contraire auroient à se plaindre qu'au
bout de quattre années, vostre majesté ne leur auroit
seulement osté la corde du col; tant s'en fault qu'elle
ait rien faict pour leur establissement; demeurans en la
plus part de vos parlemens les tyranniques edicts de
la Ligue, faicts pour vostre ruyne et pour la leur, en
pleine vigueur et rigueur, nonobstant que vostre ma-
jesté ait deu estre assés esmeue à se soubvenir d'eulx
par la continuation de leurs services, dont ils ne rem-
portent aujourd'hui, sinon pour lad venir une très juste
crainte, pour le passé une trop juste douleur.
Dient toutesfois qu'ils ne demandoient pas, parleurs
requestes, que la loi de Testât feust changée à leur
profict, ou de quelque prince estranger, comme ceulx
de la Ligue; aussi peu que leur prince naturel chan-
geast sa relligion à leur appétit , comme les catholiques
romains qui suivent vostre majesté ; et moins encores que
536 LETTRE DE M. DLTLESSIS
l'estat feust deschiré en pièces peur contenter l'ambi-
lion de peu de gens, aulx despens du public, et
vostres, comme il s'agit aujourd'hui; ains seulement
de pouvoir posséder leurs consciences en paix , et
leurs \ies en seureté, chacung selon la condition et
qualité, en laquelle, soubs vostre auctorité , Dieu
l'avoit faict naistre; ce qui est ung droict commun à
tous, et non ung privilège. Resoleus tousjours d'obéir
à leur prince, tel qu'il plaist à Dieu leur donner, sans
excepfion de sa relligion , et de deffendre au péril de
]eu\s vies, soubs ses commandemens, les sacrées loix
de son eslat.
Et se plaignent neantmoins que ces si justes re-
questes à, eulx accordées par tant d'edicts des roys
prédécesseurs , et par vous demandées et deffendeues
avec tant de zèle et de vertu , n'ont peu estre escou-
tees soubs vostre règne, soubs lequel ils auroient deu
mieulx espérer, et soubs lequel certes aussi, sans l'af-
fection qu'ils avoient h vostre grandeur, et sans le
fondement qu'ils faisoient de vostre bonne volonté
envers eulx , ils eussent peu justement et utilement
practiquer les voyes qu'ils auroient esté contraincts de
tenir soubs les roys prédécesseurs. Mais que n'eussent-
ils attendeu et espéré de celui que Dieu avoit, parla
protection de son Eglise, amené à la succession de ce
royaulme? Et que pouvoient moins obtenir que liberté
et vie, ceulx qui espandoient leur sang si librement
pour vous ?
Maintenant au bout de leur longue patience , ils
vovent pour tout, que, sans leur pourvoir en sorte
quelconque, vostre majesté a changé de relligion en
ung instant. Le vulgaire dict là dessus (car il ne voit
pas plus avant) , si c'est de franche volonté, qu'atten-
AU ROY. 537
dons nous plus de son affection ? Ou , si c'est par con-
traincte, attendons en encores moins; ou n'attendons
que mal, puisque nostre mal est en puissance d'aultrui;
puisque nostre bien n'est plus en sa puissance.
Certes, sire, les plus advisés estiment qu'il est im-
possible que vostre majesté oublie les grâces qu'elle
a receues de Dieu, qui l'a tiré par voies si extraordi-
naires du fond des montagnes, pour l'amener par les
armes propres de ses ennemis à cest estât , et aussi
peu les services qu'elle a tirés de ceulx de la relligion
en ses adversités extresmes , veu que les deservices
ordinaires de leurs ennemis les lui ramentoivent assés.
Croyent , au contraire, que, si une fois le jour vous
vous soubvenés de vous mesmes , il est malaisé que
toute l'année vous ne vous ressoubveniés , et de vostre
conscience envers Dieu , et de vostre ancienne affec-
tion envers vos serviteurs. Mais tout de mesmes ils
discourent , sire : si au milieu de ses prospérités , il
nous a mescogneus ; si lorsque Dieu l'avoit auctorisé
de si belles victoires, il n'a teneu compte de nous re-
mettre au moins en liberté; que fera il maintenant,
ou que ne fera il après ce changement ? Où trouvera il
assés de resolution , en tant de contradictions pour
nous bien faire ? Et qui nous peult garantir que qui a
eu tfop de pouvoir pour ébranler sa conscience , n'en
retienne encores assés pour contraindre sa volonté ,
pour abuser de sa puissance? A cela s'adjoustent les
propos insolens de quelques ungs des catholiques ro-
mains; se rapportent aussi les exemples passés, qui ne
reçoivent aultre response solvable pour les conforter
aulcunement, que vostre magnanimité, vostre con-
stance.
Esbranlees jà toutesfois, en ce qui estoit de Dieu,
538 LETTRE DE M. DUPLESSIS
en ce qui estoit de vostre ame , et pourtant en tire on
derechef ceste conclusion : Que ne fera il donc au
faict d'aultrui? et pourquoi sera il plus constant, plus
courageux pour ses sujets ? et de quoi fera il plus de
difficulté, s'il ne l'a faicle d'offenser Dieu? Pourquoi
sera il plus vertueux pour nous qui s'est rendeu soi
mesmes ? Parce certes qu'il y a bien plus de la pure
relligion à l'idolastrie, qu'il ne vous reste*de l'idolastrie
à la persécution ; par ce aussi, que du bien au mal il y
a ung effort, il y fault quelque sault; d'ung mal à ung
aultre, il n'y a que plein pied; on y va si doulce-
ment , pour énorme qu'il soit, qu'on ne l'apperçoit
poinct.
Voyés, sire, par quels degrés on vous a mené à
la messe. On vous disoit : vous désirés la reforma-
tion; nous sommes pleins d'abus : entrés seulement
dedans , vous les repurgerés. Ores , premier que d'y en-
trer, on vous a obligé aulx plus grossiers, aulx moins
tenables. Ceulx qui sont creus d'ung chacung ne croire
pas en Dieu, vous ont faict jurer les images et les re-
liques, le purgatoire et les indulgences.
On vous disoit : Sire , donnés ce contentement à
vostre peuple; vous en croirés ce que vous vouldrés.
Tant peu de messe qu'il vous plaira, pourveu qu'il
vous y voye; ung voile entre deux, si vous voulés. Ou
est, au contraire, la rigueur qu'on n'y ait observée?
Jurer contre vostre conscience, et abjurer es termes
les plus précis et les moins soubstenables ; ce qu'ils
n'eussent pas requis ni d'ung Turc ni d'ung Juif. Ces
messieurs , en somme, ont pris plaisir de triompher de
vostre foi, foi ci devant triomphante de tant de ten-
tations, de tant d'efforts; quand Satan, pour quitter
Dieu , vous presentoit le monde ; quand le monde ,
AU ROY. 539
mesprisé de vous, armoit contre vous toutes ses mo-
narchies.
Les plus fins vous faisoient croire, sire, que c'estoit
le vrai moyen d'avoir raison du pape ; lui oster l'auc-
torité en vostre estât : cela faict, (flie vous assemble-
riés ung concile national ; esteindriés par ce moyen ce
schisme qui, de si long temps, a tourmenté l'Eglise ;
œuvre digne d'ung roy très chrestien. Mais voyés cn-
cores s'ils y ont bien pourveu. Ils vous font jurer,
comme article de foi , l'auctorité du pape. Que de-
viennent donc vos parlemens et leurs arrests? Et poiu-
couper tout chemin à conférence , obligent vostre
créance, par mots exprès, à toutes leurs /interpréta-
tions , soubs le nom pretendeu de l'Eglise. Qu'est il donc
question d'assembler ung concile , et qu'en debvons
nous attendre mieulx que de celui de Trente?
Vos povres subjects par ce mesme chemin vous
voyent mener plus oultre. Ils voyent que vous envoyés
faire soubmission à Rome; ils sçavent que l'absolution
ne peult estre sans pénitence. Ils lisent qu'en pareil
cas les papes ont imposé à vos prédécesseurs de passeï
oultre mer contre les infidèles. Ils se résolvent donc,
sire, que le pape au premier jour vous envoyera l'espec
sacrée; qu'il vous imposera loi de faire la guerre aulx
hérétiques; et soubs ce nom comprendra les plus chres-
tiens, les plus loyaulx François, la plus sincère partie
de vos subjects.
Cest arrest vous sera dur de prime face; il offensera
vostre bon naturel; et n'en double poinct. Faire la
guerre à mes serviteurs , ceulx de qui j'ai beu le sang
en ma nécessité ? Mais on a prou de moyen pour les
vous adoucir : sire, vous avés tant fnict; il fault passer
plus oultre; il fiult vous rendr? paisible, à quel prix
§4» LETTRE DE M. DUPLESSIS
que ce soit. Accordés le leur enfin , pour leur lever tous
leurs prétextes; faictes en semblant pour trois, pour
quattre mois, vous serés recogneu. Ayant regaignél'auc-
torité, vous leur rendrés la paix; on vous fera naistre
alors une requestéi^ vostre peuple, tant las de pastir,
vous en pryera à mains joinctes. Vostre majesté tout
doulcement s'y lairra engager; celui qui vous deffen-
doit jadis s'armera contre vous ; et contre tel ennemi
n'y a ni conseil ni force. Pour feu de joie de la paix
avec ceulx de la Ligue, on vous aura faict brusler vos
bons subjecls ; embraser de vostre main, pour la der-
nière main, les mazures de vostre estât.
C'est, sire, ce que discourent vos povres subjects
de la relligion ; et par la considération de tout ce qui
s'est passé en ceste conférence, sont émeus à le croire;
qu'ils supplient très humblement vostre majesté de se
repeindre tout en ung tableau devant les yeulx.
Geste conférence a commencé par ung corps qui ne
s'auctorisoit poinct de vous; suspecte des lors à tous
les gens de bien, et depuis trop funeste à vous mesmes.
Le premier mot a esté qu'il ne s'y traicleroit ni de
l'heretique, ni avec l'heretique : et tel estiés vous ré-
puté entre eulx. Qui ne voit que le premier project
estoit et contre vous, et contre nous ? vous qu'ils ont
contrainct en vostre conscience , qu'ils prétendent par
degrés animer contre nous ?
Ils vous figuroient la Ligue en leurs discours, les
bras estendeus, preste à vous recevoir; les grandes
villes à l'envi vous ouvroient les murailles; des aultres
les gouverneurs vous apportoient les clefs de toutes
parts. Sire , où est le gentilhomme , où la bicoque en-
cores ? Et à quoi s'est resoleu tout ce bel apparat, si-
non : faictes nous voir que cette conversion ri est
AU ROY. 54 r
poînct en feinte ; que le pape j inesle son auclorité y
et qu'on vous voye absous. Vers lequel , pendant ce
temps, ils monopolent vostre pénitence, c'es^à dire,
de vous imposer la guerre contre nous.
Car la trefve, au grand regret de tous les bons Fran-
çois , après mesme vostre pretendeue conversion qui
vous debvoit faire roy, vous a elle pas reduict à estre
chef de parti? Et Paris, qui vous debvoit ouvrir les
murailles , vous a elle pas meure toutes ses portes? Et
ces bons conseillers, en leur donnant des vivres, vous
ont ils pas fermé cette seule qui vous restoit pour y
entrer; celle, dis je, de nécessité et de famine? Que,
si vous faictes une paix proportionnée à cette trefve,
sire, comme il semble qu'en soyés en chemin, qu'ont
ils à attendre de degré en degré, sinon que, de roy
par la trefve, vous soyés veneu chef de parti; de chef
de parti , par ceste paix , vous deveniés leur capitaine
gênerai contre les huguenots ?
Disent, sire , l«i dessus vosdicts très humbles subjects
de la relligion , que ceste paix , sans une trop mani-
feste iniquité, sans ung trop juste souspçon , ne se pou-
voit traicter par les catholiques avec vos ennemis sans
eulx; sans les appeller et recevoir en ce traicté; car
ceulx qui sont appelles à ung procès, qu'on a faict for-
maliser contre la Ligue , pourquoi moins le seront ils
à ung accord? Ceulx, disent ils, qui ont voulleu estre
assistés en leur extrémité par ceulx de la relligion soubs
vostre auctorité, lorsque le feu roy estoit en bransle
de se retirer en Limosin ou en ^retaigne ; lorsque le
duc de Mayenne le tenoit , et eulx tous, à la gorge;
qui ont esté remis, ou mainteneus par leurs secours en
leurs honneurs €t en leurs biens; est il juste mainte-
nant qu'ils negotient avec ceulx de la Ligue, sans
r)42 LETTRE DE M. DUPLESSIS
(ju'ils soient parlicipans de ce Iraicté ? eulx , quand
ceste obligation n'y seroit poinct, qui font partie de
Testât ^on moindre que ceulx là ? peult estre mesmes
plus saine et moins passionnée, en ce qui sera de l'in-
terest de vostre majesté et du bien de lestât?
Souspçon aussi, par conséquent; car ceste précau-
tion , des l'entrée du traicté , de ne les y introduire
])oinct, à quoi peult elle tendre, sinon à resouidrc
toutes les difficultés qui s'y présenteront , à leurs des-
pens, faire retomber tout l'orage sur eulx, comme il
l'eut faict sur vous par l'edict d'union? Car de voulloir
croire que MM. du clergé se fassent leurs syndics,
quelle apparence , s ils ont desjà bien osé vous propo-
ser d'extirper Tlieresie ? A vous, sire, qui ne faisiés
<jue sortir de la profession , qu'ils blasonnent ainsi ?
Comme aussi de dire que vostre majesté ait mandé
à ceste fin des députés de la relligion , ne leur peult
satisfaire; qui ont esté convoqués au 'j.5 de juillet par
vos lettres envoyées en Languedoc, Provence et Daul-
phiné, à peine receues au i^"^ d'.ioust, pendant qu'on
traicle non seulement sans eulx , car ce seroit le moins;
mais d'eulx , de leur condition , de leur postérité, c'est
à dire contre eulx; pendant qu'on extorque de vostre
majesté des promesses contre eulx et à leur préjudice,
pour éluder et rendre frivole tout ce qui par ci après
sera faict avec eulx.
Aulx souspçons s'adjoustent des effects , indices des
maulvais desseings de ceulx qui vous possèdent, et pré-
curseurs de plus dangereux à ['advenir. Le presclie
desjà exilé de vostre court, afin de les bannir en con-
séquence de vostre maison : car qui y vouldra n'y
pourra vivre, ou vous y servir sans servir Dieu? Exilé
mesme de vos armées, afin de les reculer de vostre
AU ROY. 543
service, et consequemment des charges et honneurs;
car quel homme de bien y pourra subsister, en danger
tous les jours d'estre blessé, d'estre tué, sans espoir
de consolation, sans asseurance seulement de sépul-
ture? Qu'on minute d'exclure tous ceulx de la relli-
gion des principales charges de Testât, delà justice,
des finances, de la police, dont selon leur modestie
et patience ils prennent à tesmoing vostre majesté ,
qu'ils ne l'ont gueres importunée; mais vous supplient
aussi de juger s'il est raisonnable qu'ils fassent ce tort
à leurs enfans de les en rendre privés par leur stupi-
dité, pour estre ci après teneus en ce royaulme au
rang des Juifs ou des cabots ; au lieu du degré hono-
rable que les mérites de leurs devanciers leur auroient
laissé ; que les services mesmes faicts à vostre majesté
leur debvoient avoir acquis.
Et combien, disent ils là dessus, nous estoit il plus
tolerable de vivre sous la trefve du feu roy , ennemi
toutesfois de nostre profession , qui par icelle nous
consentoit l'exercice de nostre relligion en son armée
et en sa court; consentoit le ministère entreteneu de
ses deniers; nous bailloit des villes pour retraite, en
chaque seneschaulsee ou bailliage ; nous rendoit de-
dans le bout de l'an en leur entier les precedens
edicts?
A tout cela vos bons serviteurs ne sçavent que res-
pondre : aultresfois ils respondoient qu'on attendist le
temps, et le temps s'est perdeu. Les affaires sont pour-
ris en meurissant. Cependant ne peuvent vous celer
que les esprits sont agités , passent de l'espoir du bien
à l'attente du mal; de la longue et inutile patience
en la recherche du remède. Et vous, sire, nous le
sçavons bien , n'en estes sans allarme ; vous ne pren-
544 LETTRE DE M. DUPLESSIS, etc.
cirés plaisir de voir un protecteur ; vous sériés jaloux
s'ils s'adressoient ailleurs qu'à vous.
Sire , voulés vous bien leur oster l'envie d'un pro-
tecteur? ostés en la nécessité; soyés le donc vous
rnesmes; continués dessus eulx ce premier soin, ceste
première affection : prevenés leurs supplications par
ung plein mouvement; leurs justes demandes par ung
volontaire octroy des choses nécessaires. Quand ils J
cognoistront que vous aurés soin d'eulx , ils n'en ont *
plus d'eulx mesmes. Mais pardonnes à qui vous dira
qu'ils doublent tous si vous en avés assés de vous.
Vous sçavés ce qui leur nuit, ce qui leur duit , les re-
questes que vous presentiés pour eulx aulx roys pré-
décesseurs, pour leur liberté, leur seureté , leur di-
gnité , rapportés les vous à vous mesmes. Elles n'ont
certes depuis ce temps rien rabatteu de leur droicture;
elles l'ont comblée depuis de bons services , et doib-
vent avoir gaigné en vostre auctorité; qui pouvés et
rapporter et appoincter leurs justes plainctes; en estre,
sans aultres députés , et avec plus de gré, le juge, si
vous voulés, et Tadvocat , l'impétrant et l'octroyant
ensemble.
CCXLIV. — -2;^ LETTRE DE M. COIGNET
^ M. Duplessis.
Monsieur, j'ai veu lettre du i3, de Bï. de La
Borde, en laquelle il mande avoir esté mieulx veu et
receu du roy qu'il ne fut oncques, et avoir esté ouï
de sa majesté, avec autant de patience qu'il eut jamais
pour lui dire et remonstrer tout ce qu'il a vouleu, dontj
LETTRE DE M. COIGNET , etc. 545
il est demeuré fort content et satisfaict , espérant estre
de retour dedans huict jours après la réception des
siennes , auquel temps le roy debvoit partir pour venir
en ça. Il mande de la querelle d'entre M. de Marolle
et M. de Gyé qui se sont batteus; ledict Marrolle a eu
ung coup d'espee dans le corps, son espee estant tom-
bée; neantmoins on esperoit qu'il n'en auroit que le
mal ; M. de Gyé ung coup de poignard dedans le bras
et dedans la gorge. Il ne parle poinct de paix ni de
guerre. J'ai ce jourd liui receu lettres de M. de Four-
mentieres, du i5 passé, par lesquelles il me mande,
par lettres de Heidelberg, du 21 juillet, qui sont ung
peu vieilles, que le prince d'Anbalt estoit depuis trois
sepmaines aile vers le marquis de Brandebourg , d'oii
il debvoit estre de retour dedans ung mois, avec espé-
rance d'y faire du bien. Ledict sieur marquis parle de
reunir les princes protestans , qui est autant aisé comme
de pescher la lune en ung panier. L'administrateur de
Saxe soubfient le duc Ricliard contre l'électeur Pala-
tin, ceulx de Brandebourg s'y opposent chacung pour
son intere&t.
Le i3 du passé, ledict électeur Palatin feut marié
a Dilenbourg, avec mademoiselle Louise d'Orange, en
quoi il y en a eu de bien trompés et affinés, qui n'es-
peroient rien moins que ce coup, encores qu'ils sem-
blassent le désirer. Dieu l'a voulleu pour ung grand
bien, notamment de son altesse, qui sans cela estoit
mal à clieval. Nos ennemis en despitent et redoublent,
non sans cause; car nous avons, au lieu d'une bourse,
pris une bonne espee pour la nécessité.
Durant a eu connnandemcnt de vaquer aulx affaires
de madame l'electrice. Strasbourg ne veult la guerre,
quoi qu'il en soit, tant elle a esté trompée des princes
MÉM. DE DUPLESSIS-MOKNAY. ToME V. 35
546 LETTRE DE M. COIGNET
protestans, voire vilainement; et le marquis de Bran-
flebourg veult achever son demi quart de lieue, c'est à
dire le reste de sa vie , paisiblement. On m'escrit que
les cantons evangeliques aideront pour certain le roy
dedans peu de temps. La royne d'Angleterre a présen-
tement ambassadeur près de l'empereur; mais ce sera
en vain de parler de paix; l'empereur est trop glorieux
de la victoire qu'il a obteneue contre le Turc; mais
on craint si elle lui sera bien cher vendeue.
Le landgrave Maurice fera mariage en septembre
avec madame Naiguitaire, comtesse de Salmes. La Po-
logne s'embrasera pour le départ du roy.
Le chancelier Reuber et les siens ont quitté Heidel-
berg.
Le comte Maurice a bloqué Bois le Duc, et est à
présent devant Grave ; a faict une course au pays de
Wast, en a ramené grand butin et defaict quelques
garnisons. Le comte Mansfeld est malade à Bruxelles.
L'archiduc Ernest doibt arriver en brief audict
Bruxelles pour commander les Pays Bas.
Monsieur, ce que dessus est la copie d'une lettre
que M. de La Fourmentiere m'a envoyée, de laquelle
je n'ai vouleu faillir vous faire part. Coignet.
A Tours, ce 4 septembre iSgS.
M. d'F.mery (i) n'est encore arrivé; il est demeuré
avec M. le chancelier, qui est maintenant à Chiverny;
et ne sçait on quand il viendra. Madame d'Emery est
de retour, en peine de logis, pour avoir donné charge
qu'on louast celui qu'ils avoient arresté. Le sieur Gar-
dins arriva hier; mais je n'ai peu sçavoir ce qu'il a ap-
porté de bon ou de maulvais. Quelqu'ung m'a dict
(i) Le président de Tliou.
A M. DUPLESSIS. 547
qu'on parloit de la paix , et que Paris demeuroit en
Testât qu'il a esté après les barricades , et que les offi-
ciers ne seroient point restablis ainsi que des aultres
villes. Si cela est, je n'en vois poinct de plus mal que
le roy, ni de inieulx que ceulx qui tiennent des places:
ce n'est pas pour contenter beaucoup les gens de bien
et ceulx qui aiment le repos de la France.
CCXLV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le duc de Bouillon,
Monsieur, je loue Dieu du bon succès que vous
avés eu par delà; et toutesfois ne plaindrai poinct qu'il
ait esté interrompeu par la trefve, si elle se resoult
en une bonne paix; mais les procédures de nos enne-
mis ne la nous promettent poinct, à mon jugement. Et
celles mesmes des amis semblent tendre à passer d'une
guerre en l'aultre; tant y a que nous debvons interve-
nir pour nostre interest. Et afin de vous y servir, je
me rendrai , aidant Dieu, près de sa majesté, au 20 de
ce mois, terme par vous prefix. Mais si vous estes re-
teneu plus longuement, je vous supplie que j'en sois
adverti. Le sieur de Vicose m'escrit de Bourdeaulx , du
26 aoust, que les députés de Guyenne ont leur rendes
vous à Saincte Foy au 20, pour marcher droict en ce
lieu , et y conférer leurs Mémoires avec les députés des
aultres provinces, qui, pour une bonne part, s'y ren-
contreront. Et des demain ceulx deXaintonge et Aunix
y arrivent. Mais je ne suis délibéré de les y attendre
tous; tant pour en éviter la jalousie près de sa majesté
qui m'osteroit le moyen d'^y mieulx servir, que pour
vous aider à rompre la glace, premier qu'il soit près
54î^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
de sa majesté , à quoi il nous fau!t apporter de la mé-
thode de nostre part , autant qu'à eulx de fermeté et
de zèle. Je ne lairrai de leur laisser ung bon mémoire
de ce que j'estimerai estre à propos. Je ne vous veulx
celer que, par celles que je reçois de la court, j'ap-
perçois qu'on est tenté de les contremander, au moins
jusques au retour de M. de Nevers , ce qui m'est sus-
pect. Mais, puisqu'ils sont si avant, je pense que cela
ne se peultsans ung insigne mescontentement, qui pro-
duiroit du mal; et d'ailleurs, je suis d'opinion, puis-
qu'entre ci et son retour on ne laisse d'articuler avec
la Ligue, qu'il nous y fault aussi parler d'heure, afin
qu'il ne s'y fasse rien à nostre préjudice. Et, au reste,
en tout cas, ce retardement, s'il escheoit, ne doibt
aulcunement procéder de nous, ni par nous. Vous
cognoissés assés M. de La Tremouille ; il est plein de
bonne volonté; et certes ne faict pas ce qu'on crie;
mais il a ce malheur de faire plus de jaloux que de
cocus. Je le retiens tant que je puis, et le trouve ca-
pable de conseil. Et sera aisé à mon advis d'en avoir
les lettres que désirés. Vous ne croiriés poinct pour la
fin, par quantes façons on tente ma patience. On semé
des bruicts parmi ce peuple , que mon gouvernement
est donné au comte de Montsoreau, puis que je les
vpulois tous tuer le jour de Sainct Barlhelemi der-
nier ; et enfin que je me vais révolter. Et après tout,
on me faict offrir cinquante mille escus soubs main pour
en sortir. Si vous puis je asseurer que jamais je n'y
apportai plus de modération en toutes sortes ; mais il se-
roit impossible qu'entre ces deux grands villes, ce grand
cliangement n'excitast quelque démangeaison; mesmes
en ung pays où on faict mestier de parler. Je vous
envoyé ung roUe des députés , de ce que j'en cognois.
A M. LE DUC DE BOUILLON. ) 49
Et sur ce , monsieur , vous baise très humblement les
mains , etc.
De Saulmur , le 6 septembre i SgS.
CCXLVI. - LETTRE DE M. DE HÂRLAY,
Premier président en la court de parlement a Tours ^
à M. Duplessis.
Monsieur, le procès faict à Saulmur sur la plaincte
du procureur du roy , ayant esté veu par la court , s'est
ensuivi l'arrest que vous verres. Je loue fort que vous
ayés désiré la calomnie et imposture estre vérifiée , et
la preuve receue par ung de messieurs de nostre compai-
gnie. Vous pouvés croire avec asseurance qu'elle ne
doubte poinct que ce ne soit une aussi meschante
comme artificieuse invention; ce qui m'a confirmé
l'opinion , en laquelle je dis à M. de La Burthe que
j'estois,que ce faict aulx termes où il est demeuré , deb-
voit estre conduict par la. voye ordinaire. Vous avés par
ce moyen , pour le regard de ce qui nous concerne , le
principal fruict que désirés , après lequel ce qui sera
faict en apportera peu , et n'est poinct nécessaire de
rechercher une plus particulière décharge , que vous
avés peu rendre plus apparente , faisant arrester pri-
sonnier avec Renardière l'hoste du Puis-Neuf, aucteur
du mal, et l'indiscrétion duquel a esté cause de la ca-
villation , qui a donné ceste terreur imaginaire. Si cela
eust esté faict , la procédure en eust esté mieulx receue.
Vous me trouvères tousjours désireux de vous pouvoir
faire service. Vostre bien humble serviteur.
De h aria t.
Du 8 septembre 1 5«j3 .
o5o LETTRE DE M. SERVIN
CCXLVII. — LETTRE DE M. SERVIN
A M. Duplessis,
Monsieur, vous sçaurez de M. de La Bnrlhe que
j'ai proposé à la court ce qui s'estoit passé à Saulmur sur
Jes bruicts de la pretendeue Sainct Barthelemi. Ayant
remonstré la conséquence de tels bruicts et le conte-
neu es cbarges commencées , je requis lundi matin , qu'il
pleust à la court députer ung ou deux conseillers
pour aller sur les lieux , ou pourvoir par tel remède
qu'elle adviseroit le meilleur, pour reprimer les des-
seings pernicieux de ceulx qui sèment telles paroles. La
court, ayant délibéré sur ma proposition , a arresté ce
qui me feut dict mardi, et dont j'adverti le mesme jour
ledict sieur de La Burthe. A sçavoir, que le faict n'ayant
passé les termes de paroles, elle n'y envoyeroit ung
conseiller. Que cela s'estoit bien faict à Angers et à
Chastellerault ; mais qu'il y avoit eu sédition et émo-
tion plus grande, et pourtant qu'il falloit que le juge
qui a commencé parachevast ; et s'il n'est rien surveneu
de nouveau, et n'y a plus ample cbarge, qu'il esta
propos que le juge ordonne qu'il sera plus amplement
informé contre La Renardière et aultres , et cependant
que les prisons soient ouvertes audict Renardière, et
deffenses faictes, tant à lui qu'à toutes personnes de
quelque qualité et condition qu'elles soient , de semer
aulcungs bruicts au préjudice du repos public, soubs les ■
peines des ordonnances ; d'ailleurs la court a trouvé
cbarge contre ung nommé Bourgeau , qui mérite d'estre
emprisonné et teneu autant que La Renardière, veu
A M. DUPLESSIS. ^r^^i
ce qui resuite contre lui de la procédure , afin que la
justice soit rendeue également. J'ai apporté ce que j'ai
pensé debvoir, et ce que j'ai peu en cest affaire pour
le bien du service du roy; et encores que M. de La
Burthe vous en puisse bien faire entendre les particu-
larités, je n'ai vouileu faillir à vous en escrire ce mot,
que je finirai par le bien humble baisemain que je vous
présente. Servin.
Du 8 septembre iSgS.
CCXLVIII.—'V^ LETTRE DE M. DUMAURŒR
J M. Duplessis,
Monsieur, je viens de recevoir une despesche de
monseigneur de Bouillon, qui me commande de faire
passer incontinent ce lacquais jusques à vous avec celle
qu'il vous escrit , ou vous verres , à mon advis , ce qu'il
délibère pour son retour près du roy. C'est pourquoi
ce que je vous en pourrois escrire sero^it superflu ;
seulement il me mande que M. Cagnan se trouvera parti
lorsqu'il kii retournera avec vostre despesche, adjous-
tant que par vos lettres vous n'accusés poinct la le-
ception des siennes. Si est ce, monsieur, que je vous
en ai addressé plusieurs et par mains que j'estimois, si-
non regrettant toutesfois infiniment le malheur qui leur
seroit arrivé. Si elles sont parveneues à vous , je vous
supplie lui en donner cognoissance , afin qu'il ne m'in-
putast faulte de soing et diligence de laquelle je man-
querois plustost envers tout le monde qu'envers vous ,
à qui toutes sortes de debvoirs rendeus ne suffiroient à
la volonté que j'aurai toute ma vie de vous eu rendre
55^ LETTRE DE M. DUMAURIER
encore dadvantage. Au surplus, monsieur, je vous ai
si amplement escrit et par vostre lacquais, que je ne
sçais qu\ifljouster, n'eslant pas surveneu grand chan-
gement à J'estai des affaires, ne s'estant encores rien
resoleu ni de la prolongation de la trefve, ni du traicté
de paix : toutesfois on tient comme asseuré que l'on
allongera celle là jusques à la response de la negotia-
tion , et que de celle ci tes volontés de Taultre part n'y
feurent jamais si peu enclins. Le roy se promet tous
fruicts des dissensions que Ton dict croistre entre
M. de Mayenne et son conseil ; mais , d'ailleurs , on
n'espère pas que les partialités de ceulx feussent pour
nous, dont les affections et les desseings ont toiisjours
esté trop veus entre nous. On tient que madame de
Guise traicte avec le duc de Feria pour son fils, et que
le roy dEspaigne , ne pouvant par aultre moyen empes-
cher la paix de France, se resoult de lui faire espouser
sa fille, et que desjà il y a douze cens mille escus tout
prests à Anvers. Vous avez bien sceu, monsieur, que
M. estoit veneu trouver le roy de la part de
la royne d'Angleterre, et que sur les seuretés qu'elle
demandoit , et pour ses hommes, et pour ceulx de
nostre profession , il a remporté force belles paroles
et promesses. On doubte si elles seroient bastantes au
besoing , pour nous garantir de la force qu'il n'a pas
eschappé lui mesmes. Il est veneu ung maulvais bruict
de la mort du roy d'Escosse , adveneue par assassinat.
Geste nouvelle vient de Dieppe ; mais elle n'est encores
asseuree. J'ai faict tenir vos lettres en Angleterre et aulx
Pays Bas , par le sieur Brouard , que M. de Saulx y
renvoyé pour ses affaires. D'Allemaigne, M, deFresnes
mande que les ambassadeurs de Strasbourg et M. de
Lorraine se sont départis fort mal de Spire, et que les-
A M. DUPLESSIS. 553
(licts de Strabourg semblent enclins à rentrer en guerre;
et par la cognoissance qu'ils ont de la volonté de l'em-
pereur qui leur est cogneue , et par la contravention
de M. de Lorraine presqu'à tous les articles , desquels
par ensemble ils avoient conveneu. Si ceste circon-
stance est consultée, elle servira d'amender les condi-
tions de la paix avec lui. On m'a dict que M. d'Estrez
prend le service du roy, moyennant la province de
Brie, et que M. de Guise est recompensé de celle du
pays Chartrain. C'est, monsieur, ce que je vous puis
dire ; car de me ramentevoir à vostre soubvenir , ne
me seroit pas pryere bienséante, ce seroit impor-
tunité, puisque vous m'en daignés honorer des assu-
rances. Les espreuves passées me gardent du double
qu'elles ne produisent leurs effects. Pryant Dieu , mon-
sieur , qu'en très bonne santé , il vous donne très heu-
reuse et très longue vie. Vostre très humble, très fidèle
et très affectionné serviteur à jamais,
DUMAURIEK.
A Melun, ce lo septembre iSgS.
CCXLIX. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Bazenval.
Monsieur, si vous avés toutes les miennes, vous ne
m'accuserés poinct de paresse; mais la mer en perd
une partie, la terre l'aultre , plus périlleuse encores
que la mer. Je me suis tousjours doubté que ce chan-
gement opereroit plus en nos amis qu'en nos ennemis,
comme il se voit vers nous. Toutesfois on nous remet
à l'isseue de ceste conférence , encores que la continua^
554 LETTRE DE M. DUPLESSIS
tion d'une gaillarde guerre eust aidé à pousser hors les
humeurs que le changement du roy avoit esmeues es
entrailles de la Ligue , au lieu que ceste trefve leur
donne temps de se rasseoir , chacung aimant mieulx en
sortir par la voye générale que par soubmission et dé-
fection particulière. Je doubte d'ailleurs que Paris ra-
"victuaillé par ce moyen ne retourne à sa première opi-
niastreté , que sa majesté ayant pris Dreux , tenoit
évidemment à la gorge. Or, les mesmes discours qui
se font par de là , se font tant plus entre les nostres.
jCependant sa majesté proteste tousjours de vouloir
bien traicter ceulx de la relligion , s'offensant contre
ceulx qui lui proposent le contraire , et contre ceulx aussi
qui s'en craignent. Les effects s'en jugeront par l'isseue
de la convocation qu'il a faicte des députés de nos
Eglises, qui s'acheminent de toutes parts en court, oit
je fais estât aussi d'aller dans huict jours, sollicité et
conjuré par infinies lettres très expresses de sa majesté ,
encores que les admonitions d'amis et menacés d'enne-
mis m'en deussent destourner pour mon particulier;
mais, en suivant ma vocation, je me resouls de com-
mettre le surplus à Dieu. Là , si je puis servir à vos
affaires, ne m'espargnés poinct, et surtout advisés à ne
demeurer pas en arrière ; car je crains que désormais
les ambassadeurs de nostre profession seront encores
plus mal traictés. Je vous remercie de tout mon cœur
des deux canons , et vous prye de les faire tenir au
plustost à La Rochelle. Si vous pouviés y faire adjous-
ter à chacung quelques boulets de son calibre, vous
m'obligeriés tant plus; car nous sommes loing de qua-
rante lieues de toutes forges , et ceulx des canons du
roy n'y peuvent servir. Vous me manderés , s'il vous
, plaist, qui, et quels j'en doibs remercier, afin que je
A M. DE BUZENVAL. 555
leur en escrive, encores que je scais que le gré princi-
pal vous en est deu. Je vous ai mandé que si Fourcroy
vous peult bailler deux mille escus sur les terres de
Flandres, je vous en envoyerai l'expédition. Esclar-
cissés moi là dessus. Je pense que des arrérages et du
courant il y doibt avoir du fonds. Je vous dis le mesme
s'il s'y peult vendre quelque chose; car deçà tout est
affecté par contract exprés aulx Suisses et créanciers.
Pour le fils de M. Aersens, je l'ai long temps attendeu,
et retiens sa place vuide. Je le recevrai , et tascherai ,
pour l'amour de vous, à le faire réussir entre mes mains.
Le tout est qu'il le retire d'où il est, à quoi je m'em-
ployerai aussi vers M. de Rebours à l'occasion. Je n'ai
poinct veu Brouart ; il m'a envoyé vos lettres , allé-
guant que vos affaires le retiennent. Je serois bien aise
qu'il y peust frapper ung bon coup. De moi , je prévois
que l'air de la court ne me sera plus gueres salubre ,
et renonce gaiement aulx espérances que seize ans
de fidèles et laborieux services me pouvoient avoir
mesnagé. Il m'en reste ce contentement d'avoir servi
à celui qui est merces nostra magna valde , lequel je
supplie, monsieur, vous avoir en sa saincte garde, et
après nouveaulx embrassemens( comme font les amis se
revoyans au so.rtir d'une bataille), je vous fais nou-
velle protestation d'estre à jamais vostre , etc.
Et par apostille estait escrit : Je vous avois pryé ci
devant de me mander que cousteroit ung régiment de
lansquenets, prises pays maritimes d'Allemague , de
trois mille hommes , tant pour le premier mois et
Lanffgelt , que pour le transport en la coste de Poic-
tou , où le roy en avoit et aura affaire. Je vous prye de
le me mander par ung estât bien particulier. C'est
marchandise dont messieurs des estats ont eu souvent
556 LETTRE DE M. DUPLESSIS , etc.
affaire. Item , quel colonnel on pourroit choisir, expé-
rimenté , fidèle et de la relligion.
Du 12 septembre iSgS.
CCL. —LETTRE DU ROY
A M. Diiplessis y escrite de la main de sa majesté.
M. Duplessis , suivant ce que je vous ai ci devant
escrit par tontes les miennes, je désire que vous me
veniés trouver incontinent la présente receue , pour
me resouldre avec vous de plusieurs choses que je ne
vous puis escrire , mesme avant que les députés que
j'ai mandés soient plus près. Si d'adventure il y en
avoit d'arrivés où vous estes, je suis d'advis qu'ils ne
bougent de Saulmur, et attendent là vostre retour.
Vostre voyage ne sera que de huict ou dix jours au
plus, et je désire vous voir avant que j'arrive à Tours,
où je m'acheminerai dans huict ou dix jours au plus
tard , pour choses qui méritent ma présence. Hastés vous ,
hastés vous , et je m'asseure qu'à vostre arrivée , vous
ne me trouvères poinct changé de bonne volonté pour
vous, et si vous n'adjousterés foi à tous les bruicts que
l'on va semant de moi par tout. Adieu, M. Duplessis.
HCNRY.
A Fontainebleau, ce i4 septembre iS^S.
LETTRE DE M. ERARD, etc. B5'J
CCLI. — LETTRE DE M. ERARD
^ M. Duplessis.
Monsieur , j'ai cejourd'hui receu celle qu'il vous a
pieu m'escrire; et ce par les mains de M. de Lomenie,
qui maintenant m'a donné advis que, dans une heure,
il vous despeschoit ung homme exprès. Cela est cause
que je ne vous puis, à mon grand regret, faire plus
longue lettre, que pour vous dire que, par comman-
dement du roy, j'ai faict rapport de mon voyage à
MM. de Bellievre , Sancy et Revol , lesquels tous ont
admiré ce que j'ai moyenne en Auvergne. Apres par
plusieurs fois en avoir communiqué avec le roy, enfin
il a avec eulx resoleu d'escrire une bonne et fort gra-
cieuse lettre à la personne que sçavés, pour la remer-
cier de la bonne volonté qu'elle désire apporter au
bien et advancement des affaires du roy et de son
royaulme, et l'asseurer qu'il fera de sa part en bref tout
ce que j'ai ai resté avec elle ; dont cependant il l'a bien
vouUeu advertir par sa lettre , afin qu'elle n'en doubte
aulcunement. La minute de la lettre, après avoir passé
par toutes leurs mains , et sur le subject que j'en avois
donné, et après avoir esté veue par le roy, a esté mise
au net par M. de Lomenie. Sa majesté la doibt escrire
et signer à ce soir. Elle est pleine de courtoisies et
honnestes offres. Je l'envoyerai aussitost par homme
exprès , avec celle que j'escrirai , suivant le comman-
dement que m'en a faict le roy. En icelle je n'oublierai
le particulier, suivant ce que sçavés. Il ne se fera rien
de ce que sa majesté doibt faire de sa part que ne
558 LETTRE DE M. ERARD,etc.
soyés en court ; dont je suis très aise. Et c'eust esté
mal à propros qu'aultre que vous, qui estes aucteur et
moyenneur de tout , eust rapporté l'honneur de ceste
belle et heureuse negotiation (i). Je vous escrirai de
bref plus au long comme le tout s'est passé.
Erard.
Escrlt à Fontainebleau, le i/j septembre i5g3.
CCLII. — ^ LETTRE DE M. DE MONTIGNY
A M. Duplessis.
Monsieur , j'ai ce matin receu les vostres du 5 du
présent, et faict entendre à sa majesté le subject d'icelles,
qui a commandé à M. de Lomenie nous faire sçavoir sa
volonté, qui est que les députés l'attendent à Tours,
où il faict estât de s'acheminer incontinent, et là il
resouldra du temps et du lieu de l'assemblée; et m'a
commandé d'escrire aulx provinces de deçà de se tenir
prestes, en attendant ses commandemens. Hier il avoit
pris resolution de les contremander , suivant l'advis
de M. de Bouillon et de quelques ungs qui sont ici,
pour les raisons que je vous ai mandées. Vos lettres
sont veneues à propos pour rompre partie de ladicte
résolution. Je n'estime pas que M. de Bouillon soit ici
que vers la fin d'octobre, ne se voullant trouver au
sacre. M. d'Arambere reveint hier d'Italie , laquelle s'est
fort resjouie du changement du roy ; mais surtout le
pape , qui ne se fera tirer l'oreille pour l'absolution ,
(i) Pour le deraariage du roy et de la royne Marguerite de
Vallois.
LETTRE DE M. DE MOl^JTIGNY, etc. 5^9 ^
tant il a de peur qu'on establisse ung antipape en
Gaule. Joinct que la descente de l'armée du Turc en
Croatie , pour venger la perte receue devant Sija , les
espouvante , comme elle faict toute l'Allemaigne ,
estant de plus de deux cens mille hommes , et n'y
ayant rien de prest en la frontière pour lui faire teste.
Joinct que la maladie incurable du roy d'Espaigne, et
de plus la mort donne espérance aulx potentats d'Italie
d'entreprendre quelque chose sur ses estais. M, de
Sancy part demain pour aller en Lorraine, passe à
Sedan pour communiquer avec M. de Bouillon, et
espère séparer ce duc des conjurés; cependant que
M. Desdiguieres a ouvert le chemin par la prise de
Sainct Geny et aultres places du Daulphiné à Genève,
en espérant de trouver ses Suisses prests, a esté con-
trainct de rebrousser chemin pour aller secourir Ca-
hours, que le duc de Savoye tenoi.t assiégé. Le roy est
allé disner à Fleury, où se doibt trouver M. de Villeroy.
La negotiation de la paix est remise au retour de ceulx
qui sont allés à Rome, qui ne partirent d'ici que sa-
medi. Nous continuons nostre exercice ; et , par la grâce
de Dieu, non sans fruict ; ce qui aussi nous rend nos
adversaires plus fascheux. Le curé de Sainct Eustache,
avec quattre presbtres , feut dimanche tout du long au
presche d'après disner, et rendit ce tesmoignage au
roy, en présence de queUjues prélats et seigneurs, qu'il
n'avoit rien ouï qui feust contraire à la saine doctrine ,
et qu'il seroit aisé de nous accorder. Je vous escrivis
samedi par ung habitant de Niort , qui m'empeschera
de la vous faire plus longue. De Montigny.
De Fontainebleau , le 14 septembre 1593.
56o LETTRE DE M. DLPLESSIS
CGLIII. — ^ LETTRE DE M. DUPLESSIS
yà M. Dumaurier.
M. Dumaurier, j'ai receu les vostres et celles de
M. de Bouillon par le porteur. Je lui satisfais amplement
pour la réception et response de ses lettres. Je fais mon
estât d'eshe en court en mesme temps que lui, encores
que j'eusse grand subject de flotter entre les comman-
demens du roy et les conseils contraires de la pluspart
de mes amis ; et neantmoins, des que sçaurés qu'il sera
parti de Sedan , je vous prye de me despescher ung
lacquais exprès, lui faisant prendre le chemin de Dour-
dan , Ronneval , Chasteaudun et Vendosme, et me man-
dant toutes nouvelles. Vous ne croiriés pas le fiel qui se
descouvre à toute heure contre moi. Mais Doiniiius
providebit. Je me soubviens de vous.
Du i8 septembre iSgS.
CCLIV. — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. le duc de Bouillon.
Monsieur, j'ai respondeu à toutes vos précédentes,
qui estoient en date du 21 juillet et 12 aoust; et de-
puis receu les vostres du 2 septembre par ce lacquais.
J'ai tasché de n'y rien obmettre de ce que j'ai pensé à
propos, comme maintenant de satisfaire à ces dernières
de poinct en poinct.
Vous estes en peine de ce que nos députés auront à
traicter avec sa majesté, incertains ou de paix avec la ,
A M. LE DUC DE BOUILLON. 56 [
Ligue, ou de guerre; mesme ayans esté proprement
convoqués pour le retenir sur le poinct du changement
depuis effectué. J'estime, monsieur, puisqu'ils sont si
avant acheminés (car partie sont jà ici , et les aultres les
suivent de près), qu'ils doibvent achever leur voyage ,
et présenter leurs requestes au roy, qui consistent en
la deuiande des choses nécessaires pour la liberté et
seurelé de la relligion, dont j'ai veu les articles assés
bien couchés. S'ils sont accordés, nous sommes fondés
en droict contre ceulx qui les nous vouldront arracher;
s'ils sont refusés ou remis à longs jours, nous y recog-
noistrons ou la mauvaise volonté, ou l'impuissance; et
sommes advertis de penser à nos affaires. A quoi j'ad-
jousterai qu'il importe que chacung sçache ce qui se
doibt espérer de la court ; car rien ne nuict tant à la
reprise de l'intelligence que la vaine espérance qui se
semé par quelques ungs , mesme des ministres; et rien ,
au contraire, n'y aidera tant que la condition de Testât
présent de la court et l'appréhension de l'advenir.
Cela n'empeschera poinct que vous n'y arriviés pre-
mier pour sonder le guai; et moi , pour vous y servir,
en mesme temps. Car nous les pourrons arrester en
quelque ville prochaine , où "ils s'entr'attendront et
conféreront leurs Mémoires. Mais si nous leur donnions
advis de surseoir, il seroit très mal pris de tous, et
nuiroit mesme aulx affaires du roy, la pluspart des
gens de bien estans aujourd'hui reteneus en debvoir,
ou y retenans les aultres par l'espérance de ceste con-
vocation. Ores, je vous ai mandé, et le vous répète
encores, qui sont les députés; ceulx de Guyenne arri-
vent le 20 à Saincte Foi; de Xaintonge et d'Aunix sont
ici; de Poictou et de Bretaigne y seront au 25; d'An-
jou, Touraine et le Maine sont tous portés.
MÉ3\r. DE DCPLESSIS-MORJÎAY. ToME V. 36
562 LETTRE DE M, DUPLESSIS
Le concile de Trente, publié le i8 d'aoust à Paris,
juré par les princes et pretendeus estais, depuis la
trefve et pendant ung traicté de paix, semble nous
descouvrir assés leurs intentions. C'est en somme, ou
de rendre la paix impossible au roy, ou de la faire
retomber en guerre sur nous. S'ils tendent au premier,
nous avons donc, sans plus temporiser, à demander
ce qui nous est nécessaire; car la guerre continuant,
sa majesté aura besoing du service des gens de bien;
mesme les meschans ne s'en pourront passer; et par
conséquent nos conditions se rendront plus advanta-
geuses. Si au second, il nous est donc nécessaire d'in-
tervenir à temps par nos députés , pour empescber que
sa majesté ne se laisse aller à l'approbation de ce con-
cile ; dont s'ensuit immédiatement la persécution et
l'inquisition; et, au dcfault de les souffrir, la guerre
ouverte.
Je considère bien que sa majesté désirera remettre
à leur respondre jusques au succès de Rome. Mais il y
a plus d'apparence qu'il nous fasse du bien devant
(ju'apres. Apres il ne sera plus temps; car le décret
d'absolution sera à condition d'extirper l'heresie : de-
vant il sera plus supportable, parce qu'il pourra estre
interprété à nécessité, non à désobéissance, n'ayant le
pape encores décerné. Il y a plus, qu'en attendant
ledict succès de Rome on ne laisse de traicter avec les
ennemis, et sans doubte à nostre préjudice, s'obligeant
à des conditions contraires à celles que nous poursui-
vons ; pourquoi moins sa majesté orra elle, et pour-
voyera aulx très humbles requestes de ses plus obeissans
subjecls?
Quel sera ce succès? je varie. Si le pape considère
l'acquisition d'ung grand roy soubs son pontificat, il
A M. LE DUC DE BOtJILLON. 563
semble lui debvoir estre favorable. Geulx qui le sça-
venl ou possédé, ou contrepesé par cardinaulx espai-
gnols, attendent le contraire; tant y a que le juge-
ment donné tout fraischement contre Agostin Mor-
tara, Genevois, au conseil de l'inquisition , y présidant
le pape en personne, semble préjuger contre le roy ;
car, ayant abjuré lors du concile de Trente , pour avoir
esté trouvée une lettre de lui par laquelle il asseuroit
son frère qu'il gardoit tousjours en son cœur la vérité,
il a esté déclaré relaps, et comme tel a eu la teste
tranchée, aagé de soixante et dix liuict ans. Ores,
tient on que le pape prétend faire juger la cause du
roy au conseil de l'inquisition , où ils sont tous triés
sur le volet , comme estant matière de foi , et non
d'estat.
Pour s'en eschapper, je vous disois qu'on propose-
roit le mariage d'Espaigne. C'estoit alors devination ,
maintenant histoire; car La Varenne a passé par ici,
s'allant embarquer à La Rochelle pour passer en Espai-
gne , conduict par ung gentilhomme de Bernardin de
Mendosse , qui mesme a fait ceste ouverture. Il a charge
de rapporter le portraict de l'infante , la voir de la
part du roy; proposer qu'ung grand y sera envoyé, si
le roy d'Espaigne le trouve bon. Bien est vrai qu'on
nous dit que c'est à condition que la royne d'Angle-
terre et les estats des Pays Bas seront compris en la
paix, qui, moyennant cela, se fera. Mais vous sçavés
bien que ceste paix ne se peult accorder avec les
affaires des estats , et ne satisfera pas la royne d'An-
gleterre. Je le sçais de la bouche du porteur, qui ne
le m'osa desguiser, parce que je monstrai en estre
adverti.
Vous n'avés à vous mettre en peine que ce qui se
56/j LETTRE DE M. DUPLESSIS
traictera au synode national pour la discipline offense
la royne d'Angleterre ; car il n'y a que les églises réfu-
giées en Angleterre qui y sont conviées. Et quant à ce
que vous ne trouvés telles assemblées bonnes pour y
traicler la politique , je suis bien de mesme advis. Mais
ce ne sera pas peu d'y prendre langue les ungs des
aultres , et de s'entr'encourager contre le mal à venir.
Et ung habile homme qui s'y trouvera pourra faire
choix des affaires et des hommes aulxquels il fauldra
parler. L'intelligence générale, en somme, se peult
reprendre là. L'exécution particulière s'en fera puis
après par le moyen d'une assemblée politique en cha-
cune province.
Pour ce qui est à Sainct Jean, j'employe de mes
amis pour lever doulcement la défiance que M. de
Sainct Mesme prend de ceulx ([ui touchent madame la
princesse ; car là est tout le mal ; tous les aultres jugent
assés de combien il importe, et lui mesmes autant
qu'aulcung aultre, sauf ce poinct. On a esté en propos
d'envoyer madame de Soissons le quérir. Je suis d'ail-
leurs adverti qu'ung grand y a entreprise, et ne l'ai
peu encores descouvrir. Mais si l'occasion y eschet, ne
doubtés aulcunement du refus. Je n'apperçois certes
rien es actions de M. de La Tremouille dont on ait tant
à s'offenser. Il n'a remué que la cène de madame la
princesse, poinct ecclésiastique, dont mal à propos on
a vouUeu tirer une conséquence d'estat.
Vous aurés quand vous vouldrés les lettres de ceulx
de La Rochelle pour les estats, telles que m'en envoye-
rés la minute. Mesme , selon qu'ils verront les choses ,
ils pensent y despescher exprès. Vous n'ignorés pas, au
reste, qu'on parie bien de moi à la court. Je combats
entre les conseils de mes amis et les commandemens du
A M. LE DUC DE BOUILLON. 565
roy et vostres. Si fault il boire le calice, si rien n'en-
trevient ; mais , si vous m'en croyés , pour peu de
temps; et je desirerois fort que vous fissiés ung tour en
Guyenne.
Ores, monsieur, pour la fin je désire tousjours que
me fassiés cest honneur de croire que vous n'avés rien
de plus acquis que mon très humble service. Et sur ce,
permettes que je vous baise très humblement les mains,
et supplie le Créateur, monsieur, vous avoir en sa
saincte garde.
De Saulmur, le i8 septembre lôgS.
CCLV. — MEMOIRE
Que M. Duplessis feit couler dans Lyon sur la prise
de M. de Nemours.
VosTRE ville de Lyon n'a pas peu faict ces jours
passés d'avoir preveneu le desseing qu'avoit eu le duc
de Nemours de l'asservir. Et la longue patience que
vous aviés eu par avant de ses tyranniques deporte-
mens , faict assés juger que vous lavés veu prest de
venir aulx extresmes , puisque vous avés eu recours à
l'extresme remède.
Mais ceulx qui ont soing de vostre bien, sont en
attente quel conseil vous prendrés maintenant contre
les périls à venir, pour conserver ce qu'avés recouvré;
par ce qu'il advient communeement aulx peuples qu'ils
secouent assés heureusement l'injuste joug par une
boutade de courage; mais ils sont tout esbahis, qu'ils
y sont ramenés par faulte de prudence, n'estant ce
courage esmeu qu'à mesure que le mal les gesne; au
566 MEMOIRE
lieu que l'ayans pour une fois vivement senti , ils deus-
sent avoir du jugement pour n'y retourner plus, ayant
pour suspect tout ce qui en approche.
Vous tenés ung prince prisonnier, et vous avés re-
cours au duc de Mayenne, pour vous en faire raison.
Vous debvés considérer que c'est son frère. La justice
donc qu'il vous fera sera de pallier ses faultes. Tout
au mieulx aller, il le délivrera pour le tirer de là, en
vous baillant aultre gouverneur à sa dévotion. Par
ainsi, vous aurés faict ung ennemi h vostre ville, qui
tient le pays voisin dessoubs sa main , pour se venger
de vous, autant que son insolence, et son aage le
porte. Et en aurés receu ung aultre dedans , qui aura
toutes vos actions suspectes, et espiera de plus près
vostre liberté, ayant veu par expérience que vous la
voulés, et sçavés bien garder, quand il vous plaist.
C'est en somme passer tousjours d'ung mal en ung
aultre, et non pas avoir trouvé santé, comme vous
la cherchés. Et Paris vous en peult estre exemple, où
le duc de Mayenne se sceut bien servir de la dévo-
tion des moins corrompeus de la ville, pour réprimer
l'insolence des Seize , qu'il voyoit trop dependans du
duc de Parme : mais ce coup là faict, tout aussi tost
il leur serra la bride tellement, que leur vigueur ne
leur servit qu'à s'asservir tant plus; à lui au contraire,
à se faire rechercher de l'Espaignol pour s'establir, et
sur eulx, et contre eulx.
Il n'est que de prendre le chemin de liberté, quand
on est en train , sans regarder derrière. La vraie liberté
se trouve soubs les lois; les lois qui ne peuvent onc
tenir leur lieu que soubs le juste prince, celui seul
que Dieu et nature nous donnent. Ceulx qui, par am-
bition (car on le voit assés), font violence à Dieu,
SUR LA PRISE DE M. DE NEMOURS. B6j
ne font pas clroict aulx hommes; ceulx qui veullent
croistre au monde en despit de nature, ne font pas
grand cas du droict des gens ; ont trop d'interest aussi
pour venir à leur but, de restreindre vos libertés, de
raccourcir vos privilèges.
La relligion vous pouvoit avoir meus. Geste pierre
est levée. Une citadelle aussi vous desplaisoit. Elle vous
est ostee. Pour accomplir et perpétuer une vraie li-
berté, ne vous reste qu'ung poinct, de recognoistre ,
sans plus tarder, vostre roy légitime, que tost ou tard ,
quoi qu'on die, il vous fault recevoir : duquel, pour
ce bon exemple, car de tels services en sont la source ,
vous pourrés tirer accroissement de libertés, d'octroys
et privilèges ; mais surtout ce privilège souverain , le
vrai restablissement de vostre ville en sa première
splendeur et dignité, en ung bon et asseuré repos,
qui ne se virent jamais que soubs la paix; la paix,
soubs la justice; la justice, soubs le légitime empire
d'ung roy naturel, donné de Dieu, incompatibles avec
Tusurpation de l'estranger, et de tout aultre, quelque
prétexte qu'il prenne, quelque hypocrisie qu'il pallie.
CCLVI. — -«^^ LETTRE
De la roy ne Marguerite a M. Duplessis.
M. Duplessis , il fault que j'avoue avec non moins
d'expérience que de contentement, que je doibs à vos
bons offices l'heureux succès de mes affaires, es quels
comme avés donné et le principe et l'acheminement
tel que j'ai très grande occasion d'en louer Dieu , et
vous en rester redevable, je vous supplie y voulloir
568 LETTRE DE LA ROYNE MARGUERITE
donner pareille fin , faisant que les biens qu'il plaist
au roy de me faire et dont par le brevet que le sieur
Erard m'a rendeu, il lui a pieu me tesmoigner sa vo-
lonté , me soient tellement asseurés que l'effect en
réussisse. Comme je suis très certaine que c'est la vo-
lonté du roy, j'en ai baillé ung mémoire au sieur Erard,
que je vous supplie prendre la peine de voir, et voulloir
accroistre les infinies obligations que je vous ai de
celle ci, de voulloir supplier le roy m'accorder ma
pension, comme je l'avois du temps des rois, mes
frères. Ce n'est, de plus que les douze mille escus qu'il
lui a pieu m'accorder, que quattre mille six cens escus ,
peu pour lui et beaucoup pour moi , qui reste avec si
j)eu de moyens en rendant tout ce que je rends, qu'il
me sera presque impossible de pouvoir entretenir
mon train selon ma qualité. Il avoit pieu au roy m'es-
crire par sa première lettre qu'il m'avoit accordé tout
ce que j'avois baillé par mémoire au sieur Erard; et
toutesfois l'expédition d'Usson ne m'a poinct esté an-
nexée, qui estoit ung des articles; je ne sçais pourquoi
l'on s'en feroit difficulté, le roy me l'ayant faict offrir
par le sieur Erard à son premier voyage. Je ne désire ,
pour ma seureté, aultre place, et n'en veulx le reveneu
qu'en rabattant autant sur les quinze mille francs de
ma dot , qui sont de tout temps assis sur Tours. Je ne
pourrai croire que l'on voulleust ma conservation , si
l'on me voulloit oster ceste place , où il ne mettra
jamais personne qui la lui garde plus fidèlement, et
vous prye l'asseurer que, lorsqu'il plaira à Dieu le rendre
si paisible en son royaulme que j'en puisse sortir en
seureté, que je ne la mettrai jamais en aultres mains
que les siennes. Il me la doibt plustost fier qu'à ceulx
qui me la voudroient oster. Vous n'en ignorés pas ,
A M. DUPLESSIS. 569
que je crois, les raisons. Je me suis trop arresté sur ce
subject. M. Erard veult en parler au roy de ma part,
auquel Taffection m'a emporté, comme de tous les
poincts qui sont en mon mémoire, conforme au premier,
que le roy m'a accordé ce que j^ veulx supplier prendre
en vostre protection, en laquelle je mets, après Dieu ,
l'espérance de tous mes affaires, aulxquels recevant
tous les jours nouvelles obligations de vos bons offices,
mon désir sera aussi, tousjours s'accroissant, de trou-
ver quelque digne moyen, non de m'en dégager, mais
de m'en acquitter de partie, et est juste que, sur les
cinquante mille escus que m'avés faict donner au roy,
pour augmenter l'assignation de mes debtes, Dieu m'en
offrist une occasion. Je vous y supplie y prendre qua-
torze mille escus pour arrbes de ce que j'estime debvoir
à l'obligation que je vous ai. M. Erard vous en baille
avec le brevet du premier bénéfice vacant en mes
terres. Je vous avois , deux jours avant que M. Erard
arrivast, despesché ung lacquais pour vous porter les
lettres de l'abbaye de Clerac, où je pouvois encorcs
nommer. Je désire qu'il aille à bon port. Je l'addressois à
Chartres, au camp. Mon secrétaire en estimoit qu'elle
vous eust esté commode où elle est. Je tiendrai à beau-
coup d'heur que ces petits tesmoignaiges de mon peu
d'ingratitude vous puissent donner certaine cognois-
sance de ma volonté , et de combien j'honore et prise
le bien de vostre amitié, de laquelle, si je ne craignois
abuser, je vous pryerois encores voulloir tenir la main
à l'accomplissement des articles de mon mémoire, et
d'asseurer le roy que soubdain que j'aurai receu les
expéditions qui restent pour me rendre ces choses as-
seurees , je ne fauldrai lui envoyer la procuration né-
cessaire à l'effect pour lequel est veneu le sieur Erard,
D70 LETTRE DE LA. ROYNE MARGUERITE, etc.
et m'obligerés beaucoup d'empescher que l'on n'y
change la forme cly procéder, en quoi je recognois
avoir une si grande obligation au roy , que ma gran-
deur que je sacrifie pour la sienne, bien que ce soit
ung bien qui, entre le» choses plus chères et plus pri-
sées, doibvent tenir le troisiesme rang, ne se peult esga-
1er au mérite de celui que je reçois de lui, où je sçais
que vostre conseil a beaucoup secondé son bon naturel.
Le sieur Erard vous tesmoignera ce que j'en ressens en
mon ame , le papier ne le pouvant suffisamment repré-
senter , qui m'en fera remettre , comme de tous mes
affaires, à sa fidélité et suffisance pour pryer Dieu,
M. Duplessis, vous donner tout heur et félicité. Vostre
très affectionnée et plus fidèle amie.
Marguerite.
D'Usson, ce lo novembre 1693.
Je vous supplie asseurer le roy que je ne fauldrai
d'envoyer sa susdicte procuration, soubdain que j'aurai
eu l'accomplissement de mon mémoire, qui sont toutes
les expéditions en bonne forme de tout ce qu'il a pieu
au roy m'accorder.
CCLVII. —^ CERTIFICAT
De la rojne Marguerite d'avoir signe ung blanc pour
servir de quittance de 1 4,000 livres , qu'elle donne
a M. Duplessis.
Nous, Marguerite, par la grâce de Dieu, reine de
France et de Navarre, certifions que cejourd'hui nous
avons signé ung blanc de la somme de quatorze mille
escus sol, pour servir de quittance d'icelle somme, en
déduction dé la somme de cinquante mille escus qu'il
CERTIFICAT DE LA. ROYNE MARGUERITE. 57 r
a pieu au roy nous accorder sur les deniers provenans
de Li vente des biens et terres de son ancien domaine
et de Navarre, et lequel blanc nous avons envoyé au
sieur Duplessis Mornay, conseiller du roy en son con-
seil d'estat et privé, pour recevoir ladicte somme de
quatorze mille escus, que nous lui avons donnée pour
les bons et agréables plaisirs et offices qu'il nous a
faict. En tesmoing de quoi avons signé ceste présente,
et faict contresigner à l'ung de nos secrétaires, et y
faict appliquer le placard de nos armes.
Signé Marguerite;
Et plus bas , François, et scellé.
Du I?. novembre lôgB.
CCLVIII. -— ^ LETTRE
De la royne Marguerite a M. Duplessis.
M. Duplessis, j'ai receu , avec extresmement conten-
tement, la souvenance qu'avés eu de moi. Les obliga-
tions que je vous ai m'estant si mises en la mémoire ,
que vous n'aurés jamais amie qui vous souhaitast tant
de bien que moi , qui estime le peu qu'aviés voulleu
recevoir de recognoissance que je doibs à vos bons of-
fices pour chose si petite, que tant nous fault que je
ne veuille que les retiriés, que je desirerois faire infini-
ment dadvantage. Ma quittance de quatorze mille livres ,
que M. Erard vous portera, et ma procuration que je
vous en ai envoyée depuis, vous en doibvent asseurer.
Le temps ni nul accident qui peult arriver ne me fera
jamais changer ceste volonté, et de vous demeurer
pour jamais, vostre très affectionnée et plus fidèle
amie. Ma.rguerite.
^'J-y. LETTRE DE M. DE BONGARS
CCLTX. — ^ LETTRE DE M. DE BONGARS
A M. Diiplessis.
Monsieur , ma dernière est de Guitaine. J'ai depuis
veu M. l'ambassadeur d'Angleterre, qui m'a dict que
vous desiriés que le roy, son maistre, entreprist la re-
conciliation des différends qui sont entre les reformés en
Allemaigne et ailleurs ; m'a faict l'honneur de m'en
demander mon advis qui est qu'il doibt, et il eust peu
en venir heureusement à bout, s'il l'eust entrepris il
y a quelques années. Sa réputation estoit entière, l'es-
pérance de lui très grande, ses alliances embrassoient
partie des princes d'Allemaigne, le gouvernement de
Saxe, Virtemberg estoit obligé de son ordre, et d'ail-
leurs à sa dévotion, qui sont les deux princes soubs
lesquels naissent les plus opiniastres et violens doc-
teurs, qui pouvoient adoulcir ces esprits aigres par
plusieurs moyens ; je sçais que le dernier eust faict
ce qu'il eust voulleu , et de soi estoit porté à ceste
paix. Ne restoit que Neubourg, qui eust nécessaire-
ment cédé aulx aultres. Grefhen n'estoit pas encores
en estre ; mais ce temps là est passé. Je n'en désespère
toutesfois poinct ; je crois que ce roy là s'y doibt por-
ter. Cest électeur de Saxe est plus maniable que le
deffunct; on peult traicter avec lui. Wirtemberg, à
mon advis, n'aura pas moins de respect envers lui.
Mandenbourg y est tout disposé; aussi est Holstein ,
et je crois le mesme de Danemarck. Atlieure distraict
mal à propos à ceste guerre de Suéde, en laquelle
il a du subject qui le destourne de tout aultre chose ,
comme Brouwer par l'entreprise qu'il a contre sa ville,
V
A M. DUPLESSIS. 573
laquelle feut du tout changée. Vous sçavés quels sont
les aultres princes , ou nostres peu esloingnés de
nous. Je vous prye donc, monsieur, de battre ceste
cause. J'espère que ce sera avec succès, si ce roy s'en
rend capable ; j'en ai escrit il y a long temps à M, de
Gourdon, et ai pryé iceulx de Heidelberg de l'en re-
chercher, et je crois vous avoir autre fois escrit qu'ung
gentilhomme, lors d'auctorité près d'ung des premiers
princes luthériens, m'avoit demandé pourquoi que le roy
de Navarre avoit tant pressé cest affaire. Je ne disoismot
à ceste heure, ayant oui qu'il ne falloit pas attendre
cela de lui, que c'estoit du tour donné à l'aultre rel-
ligion; répliqua pourquoi nos églises n'en poursuivent
la recherche, disant n'y avoir comme en Allemaigne,
en laquelle nous n'eussions des amis, défenseurs de la
vérité. Nos églises ne sçauroient faire ceste poursuite
sans jalousie et sans bruict, et ne la sçauroient avec
auctorité. Ce roy la peult faire. Ledict sieur ambas-
sadeur vous prye d'en mettre vostre advis par escrit,
afin qu'il le puisse proposer avec fondement.
Nous n'avons rien de nostre journée de Nuremberg,
sinon que le marquis d'Avespars y doibt estre arrivé
avec charge de l'empereur, lequel il a veu à Prague : c'est
ung prince sage et généreux; mais ses adjoints ne val-
lent rien. C'est ce qui ameute beaucoup de gens à s'ex-
cuser, combien qu'il ait mis en avant la peste , qui est
partout ce pays.
Le roy de Danemarck ayant batteu son ennemi en
campaigne , a mis le siège devant Presbourg, et avec
partie de son armée faict ravager la Suéde. Il faict
nouvelles levées de gens , et la Suéde se fortifie de
Moscovites. C'est une mauvaise besogne. Les remon-
strances des estats arrivées au fort des succès des Da-
574 LETTRE DE M. DE BONGARS , etc.
nois ont esté inutiles. On croit que les marchands,
fort incommodés par ceste guerre, porteront le roy de
la Grande Bretaigne à s'en entremettre.
On dict qu'il n'a pas voulleu permettre la veneue
de la compaignie du duc d'Yorck , signe du mécon-
tentement qu'il a de nos alliances d'Espaigne. Nous
sommes de povres gens; mais Dieu nous aidera, et
amendera nos faultes, si nous nous amendons. Je le prye
pour vostre santé, monsieur, et suis vostre serviteur.
Djî Bongars.
De Paris, ce 17 novembre 1693.
CCLX, — LETTRE DE M. DUPLESSIS
A M. de Bazenval.
MoNSiJ'UK, je vous ai mandé comme j'estois arrivé
y a quelque temps près de sa majesté, où depuis j'ai
receu vos lettres de septembre et octobre. M. Morlas
m'a faict entendre vostre estât , dont je loue Dieu , car
je vois que, par le bon ordre qui y est, il s'affermit
tous les jours. Il nous fault tenir la main à ce que le
roy et son conseil le tiennent au lieu qu'ils doibvent,
n'ayant aussi à la vérité ni plus prompts, ni plus pro-
ches, ni plus sincères amis. Madame la princesse m'es-
crivoit à ce que le gouvernement du Hourdel feust
donné à M. son fils: si j'y feusse veneu à temps, j'eusse
tasché de lui tesmoigner en cela combien je suis sou
serviteur. Mais vous aurés veu , par le retour de M. Ca-
luart, que sa majesté en auroit jà ordonné, proposant
le choix de M. le Vidame, ou de M. de La Noue, sur
quoi on attend la response. Et à ce propos je vous
dirai que sa majesté a trouvé bon que, sur ce prin-
LETTRE DE M. DUPLESSIf?, etc. SyS
temps, je me loge à Sainct Nazare, pour favoriser les
affaires de Bretaigne. Vous en sçavés la conséquence ,
et que cela ne se peult qu'avec l'aide et assistance de
messieurs des estais, pour tenir la mer, tandis que je me
mettrai en défense , c'est à dire qu'il ne se peult sans
vous. Je vous prye seulement pour ce commence-
ment, si aultre en faisoit ouverture, de la repousser
doulcement, vous resouvenant que cela est promis à
vostre ami , qui peult estre a seul le moyen de le faire ;
et dans peu de temps, après en avoir communiqué
avec ceulx dont j'ai besoing d'y estre assisté , je vous
despescherai exprès personne capable avec bonnes let-
tres du roy, en vertu desquelles vous puissiés pour-
suivre les aides nécessaires. Pour vostre particulier ,
maintenant qu'on dresse Testât, nous ramentevons de
vous y faire employer, pour vous tirer désormais de
peine. Je n'oublierai rien ; mais je puis peu aulx finan-
ces. Quant aulx deux mille escus , il les vous fault
faire touscher d'ailleurs que de vostre assignation; car
cela seroit trop long en ce misérable temps que telles
poursuites se rendent difficiles de jour à aultre. Mais
envoyés le mandement et vostre blanc à Durand; et
je trouverai moyen de vous en tirer par aultre voye ,
et au plustost qu'il me sera possible. Le roy a consenti
qu'il seroit vendeu pour deux cens vingt et cinq mille
escus de son ancien domaine pour les Suisses, et au-
tant pour les créanciers de sa maison de Navarre ,
dont nous sommes poursuivis à oultrance. Cela nous
coupe les moyens de faire si aiseement plaisir à nos
amis. Je vous prye cependant d'avoir tousjours en
soing l'envoi de nos canons, et me mander qui il est
besoing que j'en remercie , parce que j'y pourrois pé-
cher en double sorte. J'en escris cependant à madame
576 LETTRE DE M. DUPLESSIS
la princesse, sans rien spécifier; à M. le comte, et a
M. le prince, son frère. J'approuve tout le conseil que
me donnés pour mon fils. Mon intention a tousjours
este qu'il passast par Angleterre , tanquam per hospi-
tiinn , et residast par ses estudes à Leiden , où vostre
œil et nostre amitié le pourroit et diriger et recom-
mander. Ce sera, aidant Dieu, pour ce printemps; et
entre ci et là il se rompt tout doulcement aulx exer-
cices plus nécessaires, sans incommoder ses estudes.
Au moins, si nous ne lui acquérons de quoi splendi-
dement vivre, apprenons lui, et à vivre, et à bien
vivre. De celui de M. Aersens, je n'en oi poinct parler,
et m'ennuye ; et tua, et sua y et parenlis causa; di-
cam et mea : car j'avois envie de le mettre en train de
servir, et au public et à ses amis. Je m'en suis enquis
de M. de Morlas, qui en est en pareille peine.
De republica. Nous ne voyons poinct que les enne-
mis ayent nerf qui tende à la paix. Et puisque la trefve
n'estoit soubstenable que pour icelle, je pense que
erumpet in sœvius et severius bellum ; je dis , et par
la force et par la justice: aultrement, nous n'en au-
rons jamais le bout; car, ayant fait jelter au roy en
vain la seule pierre qui sembloit rester en sa panne-
tiere , s'ensuit que nous venions aulx prises : en quoi
il aura besoing d'estre vivement secoureu de ses voi-
sins. Les Anglois promettent , et nous attendons M. de
Sidney (i). L'Aliemaigne , sur le subject de Strasbourg,
s'escarmouche à bon escient et nous faict de grands
offres. L'Italie continue ses aides. Vous, à monadvis,
surpasserés vous mesmes en toutes sortes : Roina in-
térim, liactenus nihil. M. de Nevers y a esté receu
(i) Robert de Sidney , aujourd'hui comte de I.eycestre.
A M. DE BUZENVAL. 5-7-7
en qualité privée. On tient que, par sa présence , il y
deviendra bientost personne publicque, c'est à dire
qu'il s'y fera recognoistre en la qualité de celui qui
l'envoyé. La guerre du Turc y aidera; car encores
qu'on tienne qu'il a esté batteu de nouveau en Croatie
accersitur potius his cladibus , quam arcetur. Tant
y a que , si le pape nous esconduit, imminet schisma
in Gallia. S'il nous reçoit, verendum est , nefunestis
conditionibus. Dont toutesfois M. de Nevers a man-
dement fort exprès de se dcffendre ; et plustost de
rompre. Cependant nos députés des églises eurent hier
leur première audience. Et sera traicté avec eulx. Il y
sera besoing d'une grande discrétion pour, en les con.-
tentant en choses si justes et nécessaires, ne donner
pas prétextes de malcontentement, ou à Rome, ou à
ceulx qui en despendent : Deus nobis sanam mentem.
C'est ce que vous aurés pour ce coup. Je salue, mon-
sieur, humblement vos bonnes grâces , etc.
Et par apostille estait escrit : Vous pouvés , ce me
semble, aiseement vous eschapper si on parle du faict
de Sainct Nazare, en alléguant que messieurs les estats,
obligés pour le Hourdel, ne peuvent pas mettre la
main à tant de choses à la fois. Et j'estime mesmes
que c'est bien la vérité.
t)u ig décembre i593.
CCLXI. — LETTRE
De monseigneur de Montpensier a M. Duplessis.
Monsieur Duplessis, vos dernières lettres me sont
si libérales d'asseurances de vostre bonne volonté, ac-
compagnées de tant de bons advis qu'il vous plaist me
MÉM. DE DUPLESSIS-MORNAT. ToMlî V. 37
578 LETTRE DE M. DE MONTPENSIER , etc.
donner, que je ne m'en rendrai moins soigneux ob-
servateur , que très affectionné à vous tesmoigner
combien je m'en ressens vostre obhgé. Et parce que
je ne pourrois pas bien seurement vous mander beau-
coup de particularités, qui m'importent fort, je me
servirai du chiffre que M. de Cussé a avec vous, le-
quel est si bien instruict de ces nouvelles , que je me
repose entièrement sur ce qu'il vous en escrira ; vous
suppliant avec toute Taffection qu'il m'est possible d'y
vouUoir apporter les remèdes que vostre prudence ad-
visera estre les plus utiles. Vous estes ung des princi-
paulx instrumens propres pour l'advancement de cest
affaire , qui après mon salut m'est affectionné sur
toutes les choses du monde. Je m'asseure qu'il vous
plaira entièrement m'obliger, et ne laisser cest œuvre
imparfait que vostre dextérité a si heureusement ache-
miné. Ce qui m'a rendeu du tout vostre redevable et
à jamais vostre très fidèle , très affectionné et obligé
ami, Henry de Bourbon.
A Rennes, ce 20 décembre iSgS.
CCLXII. — -V-DON
Du dixîesme des impositions su?' la inviere de Saul-
mur, faict par le roj a M. D u pies sis , /e 23 dé-
cembre 1593.
Aujourd'hui, ^3 décembre i593, le roy estant à
Mantes , en considération des services que le sieur
Duplessis, conseiller en son conseil d'estat, capitaine
de cinquante hommes d'armes de ses ordonnances, et
gouverneur de la ville et seneschaulsee de Saulmur,
lui a faict et continué chacung jour, tant à la conser-
I
BON FAICT PAR LE ROY, etc. 679
"vation de ladicte ville que ailleurs, et pour lui donner
moyen de supporter la despense qu'il est contraint faire
à ceste occasion, lui a accordé le dixiesme denier des
impositions extraordinaires qui se lèvent audict Saul-
mur sur la rivière, pour la garnison et fortifications
de ladicte ville, ayant à cesie fin sa majesté commandé
]e présent brevet lui en estre expédié et toutes lettres
nécessaires. Henry;
Et plus bas y FoRGET.
CCLXIII. — ^ MEMOIRE DE M. DUPLESSIS
A M. Chorîn.
Au mois de décembre iSgS.
M. Cliorin asseurera monsieur le mareschal d'Au-
mont de mon affection envers son service , du désir
que j'ai de sa bonne grâce , et du tesmoignage que
j'en ai rendeu près sa nîrijesté;
Mais, particulièrement, d'une estroicte correspon-
dance que je le supplie d'avoir pour agréable, pour
le servir en toutes bonnes occasions, soit en court,
soit ailleurs , n^esmes en celles esquelles ce peu de
charges que j'ai pourroit apporter quelque commodité
aulx affaires de Bretaigne.
S'il apperçoit qu'il y prenne goust, lui proposera
l'affaire dont avons parle enscjuble; mais avec protes-
tation que ne m'en meslerai point, si aulire en a cog-
noissance que lui.
Lui en fera considérer premièrement l'importance
en soi et la conséquence pour toute la province; puis
lui fera voir que je suis seul par qui il y puisse parve-
nir, et resoleu de n'y parvenir qu'avec lui.
58o MEMOIRE DE M. DUPLESSIS , etc.
Les raisons sont : que j'en ai les expéditions et pré-
paratifs en mes mains; que j'y ferai les frais pour la
levée des hommes, des pionniers, des vaisseaux, l'ar-
tillerie, et aulcunes choses nécessaires qui ne peuvent
estre que très grands ; mais principalement que ceuk
sans lesquels cela ne se peult effectuer ne s'en confie-
ront volontiers en aultre qu'en moi , auquel ils ont ad-
vancé de long temps.
Ne lui cèlera poinct que j'en ai parlé à sa majesté,
laquelle a pris infiniment à cœur cest affaire comme
une grande ressource , si elle est bien mesnagee , et
d'autant plus que je lui ai dict que je n'entendois y
toucher que de l'advis et commandement de mondict
sieur le mareschal.
Comme aussi , Dieu m'y bénissant , je me délibère
de lui rendre tout l'honneur et le service qu'il sauroit
désirer de moi ; et lui ouvrir par ce moyen la porte
à aultres desseings proches de là, que M. Chorin lui
saura mieulx déduire.
S'il s'y resoull, fauldra que ledict sieur Chorin me
vienne trouver à Saulmur, pour le despescher au Pays
Bas, avec les instructions nécessaires, pour l'exploit
desquelles il prendra une despesche de sa majesté en
court et n'obmettra de prendre lettres de mondict
sieur le mareschal au roy, portant créance; aussi à
messieurs les estats du pays; à M. le comte Maurice,
à madame la princesse d'Orange, à M. de Buzenval,
lesquelles lui donnent créance envers eulx pour ceste
neootiation; et me remettant sur le surplus à expli-
quer vos lettres.
FIN DU TOME CINQUIÈME.
TABLE DES PIEGES
CONTENUES DANS LE TOME CINQUIÈME.
I. — * Discours au vrai de ce qui s'est passé en l'armée
conduicle par sa majesté, depuis son avènement à la
couronne jusqu'à la prise des faulxbourgs de Paris. Page i
II. — Discours envoyé au roy en mars iSgi , sur ce que
sa majesté relardoit la publication de la déclaration ci-
dessus ; faict par M. Duplessis 36
III. — Advis sur la formalité par le roy au pape, envoyé
à sa majesté, en iSyi , après le siège de Chartres /^t
IV. — Lettre de M. Duplessis à M. Merlin 48
V. — * Regina anglia ad Helvetios 5o
VI. — * Advis de Provence 53
VII. — * Advis de Languedoc par lettres de M. de Vie. 56
VIII. — Lettre de M. Duplessis au roy 5q
IX. — Letti'e de M, Duplessis au roy 63
X. — Lettre de M. Duplessis à M. d'Emery, depuis M. le
président de Thou 64
XL — Advis sur l'institution d'ung enfant que l'on veult
nourrir aulx lettres , envoyé à madame la princesse
d'Orange, à son instance sur le subject de son lîls 65
XII. — Lettre de madame la princesse d'Orange à M. Du-
plessis y I
XHl. — *' Déclaration du clergé de France 02
XIV. — * Lettre de M. Servin à M. Duplessis ^5
XV. — Lettre de M. Duplessis à M. Servin 80
XVI. — Lettre de M. Duplessis à M, le vicomte de Tu-
renne 82
XVII. — Despesclie envoyée de Tours par M. Duplessis
au roy 85
XVIII. — * Articles arrestcs par nous soubssignés commis
et députés par le roy avec M. de Dampraartin, colonnel
de quinze cens reystres estans au service de sa majesté, na
XIX. — * Discours de la prise et ruyne de Blein , adveneue
en novembre 1 691 100
XX. — * Despesche du duc de Parme au roy d'Espaigne. . 110
XXI. — Ce qui se passa en la poursuite du résultat de
. l'assemblée du clergé 129.
XXII. — * Les propos qui semblent debvoir eslre tencus
par les députés qui eussent eu à comparoislre pour les
eslats tant generaulx que provinciaulx dui'ant l'assem-
blée de Blois 124
582 TABLE DES PIÈCES
XXIIÏ. — * Lettre de "VF. d'Aviler à M Duplessis. . . Page 126
XX IV. — * Promesâe de M. le prince de Panne pour La
Feie 128
XXV. — * Insrnicfion de la par' du roy au sieur Du-
plessis, conseiller en son conseil d'estat , lequel sa ma-
jesté a advisé d'envover ])onr son ser^ice vers la royiie
d'Angleterre, sur l'occasion pour laquelle elle lui a or-
donné faire ce voyaç^e 12g
XX VL — * Aultre despesche du duc de Parme au roy
d'Espaigne iZ-j
XXV IL — * Lettre du roy à M. de Beauvoir, ambassadeur
pour sa majesté en Anp;!eterre i /jS
XXVIIL — * Lettre du roy à !\L de Beauvoir 149
XXIX. — * Lettre de l'evesque de Bristone ibid.
XXX. — Negotiation de M. Duplessis en Angleterre, en
janvier i Sg^ t Sa
XXXI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Beauvoir 188
XXXIL — Lettre de IVT. Duplessis à M. de Beauvoir 189
XXXIIL — Lettre de W. Duplessis au roy . 190
XXXIV. — Lettre de M. Duplessis à !VL le duc de Bouillon, i 92
XXXV. — Lettre de M. Duplessis à M. le grand thresorici
d'Angleterre, mv'lord Burohley ig3
XXX"VI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Beauvoir. . . 194
XXXVIT. — Lettre de M. Duplessis à M. le comte d'Essex. 196
XXXVlir. — Le'frede M. le comte d'Essex à M. Duplessis. i;,8
XXXIX. — Ce qui se passa à Bure 199
XL. — Lettre du roy à la royne d'Angleterre , faicte par
M. Duplessis . ' 201
XLL — Lettre de M. Duplessis à M, de Beauvoir, ambas-
sadeur du roy en Angleterre. 202
XLIL — Lettre de doin Antonio, roy de Portugal, à
M. Duplessis 2o3
XLJII. — Sommaire du discours envoyé par le roy de
Portugal à M. Duplessis, pour estre communiqué au roy. 204
XLIV. — Lettre de IVI. Duplessis au roy de Portugal. . . . 207
XLV. — * Lettre de M. le président Jeannin à M. Villeroy. 208
XLVI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Buzenval 212
XLVII — Mémoire envoyé au roy 216
XLVin. — * Lettre de !M. de Fleury à M. de Buhy 217
XLIX. — Lettre à M des BeauT 218
L. — Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis 219
LI. — * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis 220
LU. — Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis 222
LUI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Revol , secrétaire
d'estat , 2 23
LIV. — Lettre de M. le mai'eschal de Bouillon à M. Du-
plessis , , , 226
CONTENUES DANS CE VOLUME. 583
LV. — Lettre de M. le maieschal de Bouillon à M. Du-
jil'^si.is Page 226
LVL — Lettre de M. de Revo) à M. Duplessis 22n
LVfL — Lettre de M. Duplessis à M. le maresclial de
Bouillon 228
LVjIL — Let'.re de M Duplessis au roy , 2'^q
LIX. — Lettre do M. Duplessis à M. de Fleury 23 1
LX. — Lettre du roy à M. Duplessis. 282
LXL — Leitie de M. Duplessis à M. de Fleury ihid.
LXH. — Lettre de M. Duplessis à M. de F'.-ury 233
LXIIL — * Lettre de M. de Fieury à M. Duplessis 234
LXIV. — * Lettre de M. de Villeroy à M. de Fleury 5.36
LXV. — Lettre de M. Duplessis à M. de Fleury 238
LXVL — Lettre de iVI. de Morlas à M. Duplessis 23g
LXVIL — * Lettre de M. Duplessis à M. de Fleury 241
LXVIII. — Lettre de M. le inareschal de Bouillon à M. Du-
plessis 3^2
LXIX. — Lettre de M. Duplessis à M. de Morlas 243
LXX. — * Lettre du roy à M. Duplessis 244
LXXI. — Mémoire envoyé au roy par M. Duplessis 245
LXXtL —* Lettre de M. de Villeroy à M. de Fleury 249
LXXTIL — * Lettre de M de Fleury à M. Duplessis aSo
LXXIV. — * Lettre de M. des Beaux à M. Duplessis 252
LXXV. — * Lettre du roy à M. Duplessis 264
LXXVI. — * Lettre de M. de Mayenne à M de Villeroy. . ihid.
LXXVII. — * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis 255
LXXVIIL — * Lettre de M. Duplessis à M. de Fleury. . . 267
LXX IX. — * Lettre de M. de Heury à M. Duplessis 258
LXXX. — * Lettre de M. Duplessis à M. de Fleury aSg
LXXXr. — * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis 260
LXXXIL — * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis 261
LXXXIIL — Lettre de M. le duc de Bouillon à M. Du-
Plessis 5(^2
LXXXIV. — Lettre de M. des Beaux à M. Duplessis 263
LXXXV. — * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis. . . . 2R4
LXXXVI. — * Lettre de M. de Kleury à M. Duplessis.. . . 265
LXXXVIL — Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis. . . 266
LXXXVIII. -_ Lettre de M. Duplessis à M. le duc de
Bouillon ^£„
LXXXIX. — Lettre et mémoire de M. Duplessis au roy.. 268
XC — * Kesponse des estats generaulx au baron de Rheyt. 272
XCI * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis. . . .'. . 279
XCfL — * Lettre de M. le duc de Bouillon à M. Duplessis. 280
XCIII. — * Lettre de M. le président Jeannin à M. de
Villeroy 281
XCIV. — * Lettre de M. Villeroy à M. de Fleury 282
XCV. — * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis [ 284
584 TABLE DES PIÈCES
XCVI. — * Lettre de M. Unplessis à M. <le Fleury. . Page 285
XCVII. — * Des|)esdie envoyer au roy par IVI. Unplessis. 286
XCVIIL — * Lettre de M de Nevers à M. Diiplessis. . . . 287
XCIX. — Letire de !VI. Duplessis à M. de Beauvoir 288
C. — * Lettre de M. de Villeroy à M. de Henry agî
CL — * Lettre de M. de Bouillon à M. Duplessis 294
CIL — * Lettre à M. de La Fontaine 295
CIIL — * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis 2y8
CIV. — * Letire de IVI. de Villeroy à M. de Fleury 3oo
CV. — * Lettre à M. de Buzrnval 3o2
CVI. — Letire de M. Duplessis à M. de Fleury 3o8
CVn. — * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis Sog
CVIIL — Letire de M. Duplessis à M. de Fleury 3 10
CIX. — Lettre de M, Duplessis au roy ibid.
ex. — * Lettre de M. de Fleury à M. Dujjlessis 3 12
CXI. — Lettre de M. de Villeroy à M. de Fleury, envoyée
et communiquée par ledict sieur de Fleury à M. Du-
plessis 3 I 5
CXIL — LeUre de M. des Beaux à M. Duplessis 3 1 6
CXIII. — Lettre de M. Duplessis au roy 3 1 7
CXIV. — Lettre de M. Duplessis à M. des Beaux 3i8
CXV. — Letire de M. Duplessis à M. de La \ erriere. ... 3 19
CXVI. — Lcllrc de M. Duplessis à M. de Villeroy ibid.
CXVIL — Lettre de M. de Villeroy à M. de Fleury, en-
voyée et communiquée par ledict sieur de Fleury à
M. Duplessis Sao
CXVin. — * Lettre à M. de Bouillon Saa
CXIX. — * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis 323
CXX. — * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis 324
CXXL — Lettre du roy à M. Duplessis 325
CXXIL — * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis. . . . 32g
CXXIIL — * Lettre de M. de Fleury à M. Duplessis 33o
CXXIV". — Mémoire de M. Duplessis, envoyé dans Bouen
durant le siège, sur la fin de mai 1592, le roy estant à
Yvetot '. 33 1
CXXV. — * Lettre du roy à madame de Montpensier. . . . 334
CXXVI. — * Mémoire envoyé à M, de La Fontaine ibid.
CXX VIL — * Letire à M. de Buzenval 335
CXXVIII. — * Lettre à M. de Beauvoir, ambassadeur
pour le roy en Angleterre 337
CXXIX. — * Letire de M. de La Fontaine à M. Duplessis. 339
CXXX. — I ettre de M. Duplessis au roy 346
CXXXI. — * Lettre de M. Duplessis a M. des Beaux 34ç)
CXXXII. — Lettre de M. Duplessis à M. le premier pré-
sident de Bouen 35 1
CXXXIII. — Mémoire de M. Duplessis envoyé au roy. . . 353
CXXXIV. — * Lettre de M. Pout à M. Duplessis 355
CONTENUES DANS CE VOLUME. 585
CXXXV. — Instruction à M. Meslier, faicte et baillée par
M. Duplessis Page 357
CXXXVI. — Lettre de M. Duplessis à M. Servin , con-
seiller du roy et son advocat en sa court de parlement
à Tours 36 1
CXXXVIL — * Lettre de M. de Born à M. Duplessis. ... 363
CXXXVin. — Lettre de M. du Faur, conseiller du roy
et président en sa court de parlement, à Thoulouse, à
M. Duplessis 364
CXXXIX. — * Lettre de M. Duplessis à M. des Reaux. . . 365
CXL. — * Lettre à madame Duplessis 366
CXLL — Lettre de M. de Harlay à M. Duplessis 367
CXLIL — Lettre de M. Duplessis à M. le premier prési-
dent de Harlay 368
CXLIIL — Lettre de M. de Harlay à M. Duplessis 370
CXLIV. — Lettre de M. Diiplessis au roy 371
CXLV. — Mémoire de M. Duplessis envoyé au roy le 6
septembre 1 692 , 373
CXLVL — Lettre de M. Duplessis à M. de Charrette , se-
neschal de Nantes 378
CXLVIL — Lettre de M. Duplessis au roy 379
CXLVHL — Lettre de M. Duplessis à monseigneur le
prince de Coriti 38o
CXLIX. — Lettre de M. Duplessis au roy 383
CL. — Lettre de M. Duplessis à M. du Fresnc 384
CLL — Lettre de M. Duj)lcssis à M. de Cussé, premier
président au parlement de Brctaigne 385
CLIL — Lettre de M. Duplessis au roy 387
CLIIL — Lettre de M. Duplessis au roy 388
CLIV^. — Mémoire de M. Duplessis au roy 38q
CLV. — * Lettre de M. Duplessis à M. de Fleury 3(^1
CLVI. — Lettre de la royne de Navarre à M. Duplessis,
escrile de sa main 3n2
r.LVIL — Lettre de M. Duplessis à M. de Buzenval 3q4
CLVHL — * Mémoire envoyé au roy par M. Duplessis. . . Sg'j
CLIX. — * Lettre de M. Duplessis à M. de La Fontaine. . . Syg
CLX. — * Lettre du corps municipal de La Rochelle à
M. Duplessis 40 1
CLXL — * Lettre de M, de Vie , conseiller d'estat , à M. Du-
plessis 402
CLXIL — Lettre de M. Duplessis à M. le duc de Bouillon. 4o5
CLXIIL — Lettre de M. Duplessis au roy ^^07
(.LXIV. — Lettre de M. Duplessis à la royne de Navarre. . 4^9
CLXV. — * Lelti-e de M. Dumaurier à M. Duplessis. .... 4.10
CLXVI. — * Lettre à M. Duplessis 4ia
CLXVIL — * Subject d'une lettre interceptée , que l'agent
du duc de Mercœur estoit près le duc de Mayenne, qui
586 TABT.E DES PIÈCES
est ting docteur de tlu^ologie, e\esque de ,
deschilftee par M Vielle Pege 4^3
CLXVni. - Lettrede M. Saintt Aldegonde à M. Duplessis. 4>4
CLXIX. — Lettre de M. Diij)lessis au roy 4^^
CLXX. — * Déclaration de Mantes 4^6
CLXXI. — * Lettre de M. le chancellier à M. le procureur
gênerai » ^ ' "
CLXXn. — * Lettre du prieur des jacobins 4' 9
CLXXDL — * Lettre de M. Born à M. Duplessis ibid'
CLXXIV. — * Lettre de M. Duplessis à M. de Beaulieu. . 4^1
CLXXV. — Lettre de M. Duplessis à M. de Morlas 4^2
CLXXV[. — ** Lettre de M. Duplessis à M de Morlas. . . 4'^3
CLXXVII — * Lettre de M. Duplessis à M. de Marinet. . 4H
CLXXVIIL — * Lettre de M. Duplessis à M. de Calignon. 4.i5
CLXXIX. — • Lettre de M. Duplessis au roy 4^6
CLXXX. Lettre de M. Duplessis à M. le duc de Bouillon. 4.47
CLXXXL Lettre de M. Duplessis à M. Diimaurier. . . . 429
CLXXXIL — Lettre de M. Duplessis à M. de Lonienie, . 43o
CLXXXIII. — Lettre du roy à messieurs des Eglises re-
formées , dressée et minutée par M. Duplessis ASi
CLXXXIV. — * Instruction au sieur de Benucliamp, gen-
tilhomme de la chambre du roy, de ce qu il aura à
traicter pour le ser\ ice de sa majesté, au voyage que par
son commandement il va faire en provinces de Langue-
doc et Daulphiné ^j2
CLXXXV. — * Lettre des principaulx habitans de Fronsac
à M. Duplessis • • ^'^1
CLXXXVL — * Lettre de M. Rotan à madame Duplessis 4^.9
CLXXXVIL — Lettre de M. Duplessis à M. Servin 440
CLXXXVIII. — * Lettre de M. Bruneau, sergejU major,
à M. Duplessis 44 1
CLXXXIX. — * Lettre de M. de Fourcroy à M. Duplessis. 44^
CXC. Lettre de M. Duplessis à plusieurs minisires ... 44^
CXCL — Mémoire de M. Duplessis envoyé par M. Vicose. 4Jo
CXCIL — Lettre de M, Duplessis aulx seigneurs et gentils-
hommes de la relligion 4^^
CXCIII. — Lettre de M. Duplessis à M. de Lesdiguieres. . 454
CXCIV. — Lettre de M. Duplessis à M. de La Motte, heu-
tenant gênerai au bailliage d'Alençon /^bb
CXCV. — * Lettre de M. Duplessis à M. de La Beuriere ,
ministre de l'Eglise de Caen 4^7
CXCVL — Lettre de M. Duplessis à M. de Buzenval. . . . 458
CXCVIL — * Lettre de M. Duplessis à M. de La Fontaine. 461
CXCVIIL —Lettre du roy à M. Duplessis, escrite de sa
propre main 4"^
CXCIX. — Lettre de M. de Buzenval à M. Duplessis 466
ce. — * Lettre des ministres de la Touraine à M. Duplessis. 4^^
CONTENUES DANS CE VOLUME. 587
CCI. — * Lettre^e M. Dumaurier à M. Duplessis. . Page 469
CCII. — * Arrest du parlement de Paris , en faveur de la
légitimité 4/^
CCI 11. — * Articles pour la trefve générale 476
CCIV. — * Relation 483
CCV. * Lettre de M. Duplessis à M. Dumaurier 485
CCVL * Lettre de M. de Serviez à M. Duplessis 486
CCVIL * Lettre de M. Molan à M. Duplessis 489
CCVIIL — * Lettre de M. Benac à M. Duplessis 491
CCIX. — * Lettre de M. Dupont à M. Duplessis 492
CCX. — * Lettre de M. Dupont à Duplessis 494
CCXL — * Lettre de M. Rotan à M. Duplessis 496
CCXIL — * Lettre du roy au parlement de Paris , séant à
Tours ibid.
CCXUI. — * Lettre de M. de Valencey à madame d'An-
goulesme 49"
CCXIV. — * Lettre de M. Dumaurier à M. Duplessis. . . . ihid.
CCXV. — Lettre de M. Duplessis au roy 499
CCXVI. — * Lettre de M. Duplessis à M. de La Burtlie . . . 5oo
CCXVIL — ' Règlement que monseigneur le duc de
Mayenne, lieutenant gênerai de Testât et couronne de
France , a ordonné estre observé en ceste ville de Paris
pendant les levées générales Soi
CCXVin. — * Lettre de M. Dumaurier à M. Duplessis. . . 5o4
CCXIX. — Lettre du roy à M. Duplessis, escrite de sa
propre main 5o5
CCXX. — Lettre du roy à M. Duplessis, escrite de sa pro-
pre main ibid,
CCXXI. — * Lettre de M. Bruneau, secrétaire des pou-
dres, à M. 'Duplessis 5o6
CCXXn. — Lettre de M. Duplessis au roy 5o8
CCXXin. — Lettre de M, Duplessis à M. le duc de Bouillon. 609
CCXXIV. — Lettre de M. Duplessis à M. Dumaurier 5 lo
CCXXV. — * Lettre de M. Duplessis à M. de Lomenie. . , ihid.
CCXXVI. — * Lettre de M. Somrauges à M. Duplessis. . . 5 1 1
CCXXVII. -- * Lettre de M. de Bouillon à M. Duplessis. . 5i3
CCXXVIIL — Lettre du roy à M. Duplessis, escrite de sa
propre main 5 1 4
CCXXIX. — ^ Lettre de M. Mallet à M. Duplessis 5i5
CCXXX, — * Lettre de M. Duplessis à M. Dumaurier ... 619
CCXXXI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Nantes ibid.
CCXXXIL — * Lettre de M. Mermet à M. Duplessis 621
CCXXXin. — Lettre de M. Duplessis à M. le duc de
Bouillon 022
CCXXXIV. — Lettre de M. Duplessis à messieurs des
estais des Pays Bas . ôaî
588 TABLE DES PIÈCES, etc.
CCXXXV. — * Leltre de M. Mallet à M. Du^essis. Page 5*24
CCXXXVI. — * Lettre de M. Diimaurier à IvffDuplessis . 526
CCXXXVIL — Lettre du roy à M. Duplessis , escrlle de
sa main 627
CCXXXVUL — * Lettre de M. Duplessis à M. Rotan, . . 628
CCXXXIX. — * Lettre de M. Merlin à M. Duplessis 629
CCXL. — * Lettre de M. Servin à M. Duplessis 53a
CCXLI. — Lettre de M. Duplessis à M. de Harlay , pre-
mier président 532
CGXLIL — Lettre de M. Duplessis à M. Servin 534
CCXLin. — Lettre de M. Duplessis au roy 535
CCXLIV. — * Lettre de M. Coignet à M. Duplessis 54/»
CCXLV. — Lettre de M. Duplessis à M. le duc de Bouillon. 54?
CCXLVI. — Lettre de M. de Harlay, premier président en
la court de parlement à Tours , à M. Duplessis 549
CCXLVIL — Lettre de M. Servin à M. Duplessis 55o
CCXLVIIL — * Lettre de M. Dumaurier à M. Duplessis. 55r
CCXLIX. — Lettre de M. Duplessis à 31. de Buzenval. . . 553
CCL. — Lettre du roy à M. Duplessis, escrite de la main
de sa majesté 556
CCLL — Lettre de M. Erard à M. Duplessis 55/
CCLII. — * Lettre de M. de Montigny à M. Duplessis, . . 558
CCLIII. — * Lettre de M. Duplessis à M. Dumaurier 56o
CCLIV. — Lettre de M. Duplessis à M. le duc de Bouillon, ihid.
CCLV. — Mémoire que M. Duplessis feit couler dans Lyon
sur la prise de M. de Nemours 565
CCLVI. — * Lettre de la royne Marguerite à M. Duplessis. 567
CCLV IL — * Certificat de la royne Marguerite d'avoir
signé Ting blanc pour servir de quittance de 14,000 liv.
qu'elle donne à M. Duplessis 670
CCLVIII. — ■* Lettre de la royne Marguerite à M. Duplessis. 671
CCLIX. — * Lettre de M. de Bongars à M. Duplessis .... 672
CCLX Lettre de M. Duplessis à M. de Buzenval 674
CCLXI. — Lettre de monseigneur de Montpensier à
M. Duplessis 677
CCLXll. — * Don du dixiesme des impositions sur la
rivière à Saulmur , fait par le roy à M. Duplessis, le
3.3 décembre i ôg'i 57S
CCLXIII. — * Mémoire de M. Duplessis à M. Chorin 57g
FIN nE LA TABLE DU TOME CINQUIEME.
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DC112.M9A2 1824V.5
Mémoires et correspondance de
Princeton Theological Seminary-Speer Library
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