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Full text of "Mémoires et lettres de François-Joachim de Pierre, cardinal de Bernis (1715-1758), Publiés avec l'autorisation de sa famille d'après les manuscrits inédits par Frédéric Masson"

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MEMOIRES    ET    LETTRES 


DE 


FRANCOIS-JOACIIIM  DE  PIERRE 


CARDINAL  DE  BERNIS 


L'autour  cl  les   L'ditcitrs  ddclaroiit  rescinder  laurs  iln>its  de  traduction   et  de 
rcproducliûii  à  rùtraiiiçor* 

Cle  volume  &  été  dèivosé  au  ministère  de  l'intérieur  ^section  de  la  librairie)  an 
novembre  1876. 


PAurB.  —  mv,  B^MumU  it  c'*^. 


FREDERIC    MASSON 

de  r Académie  française 


MÉMOIRES  ET  LETTRES 


DE 


FRANÇOIS-JOACHIM  I>E   PIERRE 

CARDINAL  DE  BERNIS 

(1715-1758) 

PUBLIÉS  AVEC  lADTORISATIOH  DE  SA  FAILLE.  D'APRÈS  LES  lAHDSCRITS  DIËDITS 


TOME    SECOND 


PARIS 

SOCIÉTÉ  d'Éditions  littéraires  et  artistiques 

Librairie  Paul  OUendorff 

5o,   CHAUSSÉE    d'antin,   5o 

1903 
Tous  druiu  rc&crvés. 


MEMOIRES 


DU 


CARDINAL  DE  BERNIS 


DEUXIÈME    PARTIE 

(SlilTE) 


CHAPITRE   XXXVIII 

ENVOI     DU    MARQUIS     DE    FRAIGNE    A    ZERBST,    SON    ENLÈVEMENT, 
ET    TOUT    CE    QUI    A    RAPPORT    A    CETTE    AFFAIRE. 


A  peine  je  remplissais  la  place  des  affaires  étrangères 
au  mois  de  juin  1757,  qu'un  premier  commis,  chargé  du 
département  de  la  Pologne,  de  la  Porte  et  de  la  Russie  *, 


*  Jean- Pierre  Tercier,  ne  à  Paris  le  7  octobre  1704,  secrétaire  du 
marquis  de  Menti,  ambassadeur  en  Pologne  en  1729,  accompagne  son 
chef  à  Danzig  en  1734,  est  emprisonné  par  les  Russes  à  Ëil)ing,  puis  à 
Thorn,  aprt-s  la  prise  de  Danzig,  revient  en  France  en  1736,  et  depuis 
celte  date  jusqu'en  1748  est  employé  sans  titre  dans  les  bureaux  ; 
en  1748  il  accompagne  le  comte  de  Saint-Scverin  à  Aix-la-Chapelle,  et,  à 
son  retour,  est  nommé  premier  commis.  Chargé  plus  tard  de  la  Corres- 
pondance secrète  et  en  même  temps  rédacteur  de  Mémoires  au  Dépôt, 
II.  1 


«  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE   BERNIS. 

me  parla  avantageusement  du  marquis  de  Fraigne,  jeune 
gentilhomme,  né  en  Provence  et  de  bonne  maison,  que 
M.  Rouillé  m'avait  déjà  annoncé  comme  un  homme  qui 
pouvait  être  employé  '  :  il  me  fit  entendre  qu'il  serait 
utile  au  service  du  Roi  qu'il  fût  accrédité  auprès  de  la 
princesse  d'Anhalt-Zerbst  et  du  duc  régnant,  son  fils*. 
Cette  princesse,  sœur  du  roi  de  Suède  *  et  mère  de  la 
grande-duchesse  de  Moscovie,  aujourd'hui  impératrice*, 
avait  été  assez  belle,  et  continuait  d'être  galante  :  elle  ne 
manquait  ni  d'esprit  ni  d'intrigues,  et  passait  pour  avoir 
de  l'ascendant  sur  l'esprit  de  sa  fille  la  grande-duchesse; 
le  jeune  marquis  de  Fraigne,  qui  avait  été  à  Berlin  avec 
son  parent,  M.  de  Valory  *,  et  que  le  roi  de  Prusse  avait 


Tcrcier  mourut  le  21  janvier  1767.  (Voir  sur  sa  mort  et  ce  qui  suivit  : 
Politique  des  cabinets  de  VEurope  du  conte  db  Ségur,  t.  I,  p.  55.) 

1  Jean-Jacques-Gilbert  de  Fraigne,  fils  naturel  et  légitime  de  M.  Gabriel 
de  Fraigne,  écuyer,  officier  des  vaisseaux  du  Roi,  et  de  dame  Thérèse 
Daniel,  né  à  Toulon,  le  24  septembre  1726.  Dans  un  mémoire  que  M.  de 
Fraigne  adresse  au  ministre  en  1774,  il  donne  des  détails  sur  sa  famille, 
■  une  des  plus  anciennes  du  Bourbonnais  »•  Sa  septième  aïeule  (1363) 
était  Françoise  de  Bourbon,  demoiselle  de  Gannat,  de  Tancienne  maison 
de  Bourbon. 

2  Jeanne-Elisabeth  de  Holstein-Gottorp-Eutin,  née  le  24  octobre  1712, 
mariée,  le  10  novembre  1727,  à  Christian-Auguste,  prince  d'Anhalt- 
Zerbst,  mort  le  16  mars  1747,  avait  eu  pour  fils,  le  17  novembre  1730, 
Guillaume-Christian-Frédéric. 

5  Adolphe-Frédéric  de  Holstein-Gottorp. 

^  Sophie-Frédérique«  rebaptisée  sous  le  nom  de  Catherinc-Alexicwna, 
née  le  2  mai  1729,  mariée,  le  1®'  septembre  1755,  à  Pierre-Feodorowitz 
(ci-devant  Charles-Pierre-Uliir);  impératrice  sous  le  nom  de  Catherine  II. 

^  En  sortant  du  régiment  de  BaufTremont  (dragons),  de  Fraigne  fait  en 
1754  un  voyage  en  Allemagne  et  dans  le  Nord.  Le  6  avril  1756  il  remet 
à  M.  de  Valory  la  lettre  d*introduction  qu'il  a  reçue  du  ministre.  Valory 
se  loue  fort  de  ses  sei-rices  {Corrrsp,,  t.  II,  p.  10  et  suiv.),  le  fait  voyager, 
renvoie  à  Altona  (29  mai),  et,  au  moment  de  Tinvasion  de  la  Saxe,  le 
charge  d*aller  chercher  et  de  rapporter  des  nouvelles  (11  septembre, 
18  septembre,  24  septembre).  En  octobre  1756,  Valory  reçoit  Tordre  de 
partir  de  Berlin,  sans  prendre  congé.  Fraigne  va  alors  à  la  cour  de  Zerbst, 
où  il  arrive  avec  une  recommandation  du  comte  de  Broglie.  Il  ne  dit  point 
dans  les  dé|)èches  qu*il  envoie  an  ministre  ■  quels  moyens  il  a  cru  devoir 


AFFAIRE  DU   MARQUIS  DE  FRAIGNE.  3 

regarde  comme  un  esprit  dangereux,  avait  passé  quelque 
temps  à  la  cour  de  Zerbst,  et  avait  su  plaire  à  la  princesse 
douairière,  au  point  qu'on  les  croyait  mariés  secrète- 
ment*. 

J'étais  au  fait  de  ce  roman,  et  je  proposai  au  Roi  d'ac- 
créditer ce  jeune  homme  à  la  cour  de  Zerbst  par  une 
simple  lettre  écrite  par  moi  au  nom  de  Sa  Majesté  à  la 
princesse  et  au  duc,  son  fils,  qui  se  piquaient  l'un  et 
l'autre  d'un  grand  attachement  pour  la  France*.  Je 
donnai  des  instructions  au  marquis  de  Fraigne ,  dont  le 
point  principal  était  de  ménager  l'esprit  de  la  grande- 
duchesse,  au  cas  que  l'impératrice  Elisabeth  ,  qui  était 
menacée  d'un  ulcère  à  la  matrice,  vînt  à  mourir  :  cette 
mort  pouvait  faire  changer  le  système  de  la  Russie  et 
déranger  celui  de  la  guerre. 

J'étais  parvenu  à  faire  renvoyer  le  grand  chancelier 
Bestuchew  *,  ministre  accrédité,  grand  partisan  du  roi 
d'Angleterre  et  du  roi  de  Prusse.  Il  fut  remplacé  par  le 


employer  pour  inspirer  de  sa  confiance  à  cette  princesse  avec  toute  la 
circonspection  requise;  mais  dans  plusieurs  entretiens  particuliers  qu'il 
a  eus  avec  elle,  il  ne  lui  est  resté  rien  à  désirer  sur  ce  point  • . 

*  Voir  la  lettre  de  Louis  XV  à  Tercier,  du  23  avril  1760  (Campardow, 
Corresp,  secr.,  tome  I). 

^  On  trouvera  à  TAppendice  les  pièces  relatives  à  cette  affaire. 

^  Alexis,  comte  de  Bestudieff-Riumin,  né  à  Moscou  en  1693,  d'une 
famille  d*ori{;ine  anglaise  établie  en  Russie  depuis  le  commencement  du 
quinzième  siècle,  entra  fort  jeune  dans  la  carrière  diplomatique  et 
accompagna,  comme  chevalier  d'ambassade,  les  plénipotentiaires  russes 
envoyés  au  congrès  d'Utrecbt  ;  il  passa  ensuite  au  service  de  Télecteur  de 
Brunswick,  Georges- Louis,  plus  tard  roi  d'Angleterre,  rentra  au  service 
de  Russie  en  1718,  fut  ministre  à  Copenhague  et  à  Hambourg,  puis  con- 
seiller privé  et  ministre  du  cabinet  en  1740.  Disgracié  avec  Biren  en  1740, 
il  rentra  en  faveur  en  1741,  sons  le  règne  d'Elisabeth,  fut  nommé,  en 
1744,  vice-chancelier,  sénateur  et  directeur  général  de  l'Empii-e,  enfin 
chancelier.  Disgracié  le  15/26  février  1758,  il  fut  rappelé  à  la  cour  le  3/14 
juillet  1764  par  Catherine  II,  rétabli  dans  ses  places  un  mois  après,  et  mou- 
rut le  10/21  avril  1766. 

1. 


4  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE   BERNIS. 

vice-cijancelier  Voromzow',  homme  doux  et  affectionné 
à  la  nouvelle  alliance,  dont  il  avait  ëlë  le  promoteur.  Le 
marquis  de  l'Hôpital,  ambassadeur  du  Roi  à  la  cour  de 
Saint-Pétersbourg  *,  avait  gagné  les  bonnes  grâces  de 
l'Impératrice  régnante;  il  ménageait  la  jeune  cour  de 
Russie  avec  beaucoup  de  discrétion  :  car  l'Impératrice 
voyait  de  mauvais  œil  tous  ceux  qui  s'y  attachaient  ;  mais 
il  était  d'autant  plus  important  pour  nous  de  n'y  être  pas 
haïs,  que  la  grande-duchesse  avait  marqué  beaucoup  plus 
de  bonté  pour  le  chevalier  Williams*,  ministre  de  Londres, 
avant  l'accession  de  la  Russie  au  traité  de  Versailles  :  ce- 
lui-ci avait  mis  à  sa  place,  en  partant,  le  jeune  comte  de 
Poniatowski  *,  aujourd'hui  roi  de  Pologne.  Le  comte  de 


*  Michel  Woronzoff,  né  en  ilJO,  favori  de  l'impératrice  Elisabeth, 
vice-chancelier  en  1744,  succède,  en  1758,  à  BestuchefF,  et  meurt  en  1767. 
Il  avait  été  créé  comte  du  Saint-Empire  romain  par  Charles  VII  le 
27  mars  1744.  (Voir,  sur  les  moyens  employés  par  Remis  pour  s'acquérir 
Woronzoff,  le  Livre  rouge,  année  1758,  p.  153  et  suiv.) 

2  Paul-François  de  Galucci,  marquis  de  l'Hôpital,  né  le  13  janvier  1607, 
chevalier  de  Saint- Lazare  le  17  décembre  1711,  cornette  au  répriment 
Royal -étranger  le  2  avril  1711,  enseigne  aux  gardes-françaises  (1716),  aux 
grenadiers  (1718).  aux  gendarmes  du  Roi  (1719),  mestre  de  camp  d'un 
régiment  de  son  nom  en  1725,  brigîAlier  en  1733,  maréchal  de  camp  en 
1740,  ambassadeur  à  Naples  le  2  février  même  année,  lieutenant  générai 
en  1745,  chevalier  de  Saint-Janvier  en  1746,  premier  ccuyer  de  Mesdames 
le  25  septembre  1750,  chevalier  des  Ordres  du  Roi  le  2  février  1753, 
ambassadeur  en  Russie  en  septembre  1756  (première  audience  :  8  juillet 
1757),  rappelé  en  juin  1761,  meurt  le  30  janvier  1776, 

3  Sir  Charles  Hanbury  Williams  ofColdbrook,  né  en  1709,  fut  lord- 
lieutenant  et  custos  rotttlorum  du  comté  de.  Ileresford,  puis  payeur  central 
de  la  marine.  Chevalier  de  l'ordre  du  Rain  en  1746^  il  fut  envoyé  à  Dre.<de 
en  1749,  et  plus  tard,  sur  le  désir  de  Frédéric  II,  nommé  ministre  pléni- 
potentiaire à  Rerlin.  En  1751,  il  retourna  à  Dresde,  et  le  11  avril  1755 
remplaça  à  Saint- Péterbourg  M.  Guy  Dickens.  Rappelé  en  1757,  il  mou- 
rut le  2  novembre  1759.  Il  a  laissé  un  poème,  Isabella  or  the  Morning, 
qu'on  dit  remarquable. 

4  Stanislas-Auguste,  comte  Poniatowski,  quatrième  fils  de  Stanislas- 
Ciolek  Poniatowski  et  de  Constance  Czartoryska,  né  à  Wocizia  le  7  janvier 
1732.  Après  avoir  été  nonce  à  la  diète  de  1752,  il  voyagea  en  France  et  en 
Russie,  fut  accrédité  à  Saint-Pétersbourg,  par  Auguste  III,  près  de  l'impé- 
ratrice Elisabeth,  et  sut  s'attirer  les  bonnes  grâces  de  la  grande-duchesse 


AFFAIRE  DU  MARQUIS   DE  FRAIGNE.  5 

Brûhl  ',  premier  ministre  du  roi  de  Pologne,  électeur  de 
Saxe,  homme  fastueux  et  intrigant,  avait  accrédité  Ponia- 
towski  à  la  cour  de  la  Czarine,  dans  la  vue  de  ménager 
aussi  la  jeune  cour  à  tout  événement,  et  l'on  peut  dire 
qu'en  cela  il  avait  raison;  mais  le  comte  de  Broglie,  notre 
ambassadeur  à  Varsovie,  à  qui  Poniatowski  avait  déplu, 
et  qui  gouvernait  les  affaires  en  Pologne  beaucoup  plus 
d'après  son  système  particulier  que  conformément  aux 
instructions  que  je  lui  avais  envoyées,  et  aux  idées  des 
cours  alliées  à  la  nôtre,  fit  tant  auprès  du  roi  de  Pologne, 
que  Poniatowski  fut  rappelé  :  la  grande-duchesse  en  fut 
affligée,  et  je  crois  qu'elle  ne  Ta  pas  encore  pardonné  au 
comte  de  Broglie,  quoique  cette  princesse  ait  eu  le  temps 
d'effacer  de  sa  mémoire  ce  déplaisir  passager. 

Ces  détails  ne  sont  pas  inutiles  pour  faire  comprendre 
combien  il  était  sage  et  politique  d'envoyer  le  marquis  de 
Fraigne  à  la  cour  de  Zerbst,  celui-ci  ayant  toute  la  con- 
fiance de  la  princesse  douairière,  et  celle-là  pouvant  faire 
pencher  en  notre  faveur  l'inclination  de  la  grande-du- 
chesse, sa  fille,  naturellement  portée  pour  l'Angleterre. 
D'ailleurs,  la  cour  de  Zerbst  étant  dans  le  voisinage  de 
Magdebourg  *,  que  nous  devions  assiéger,  dont  le  roi  de 
Prusse  avait  fait  sa  place  d'armes,  où  il  avait  déposé  ses 
trésors  et  toutes  ses  ressources  militaires,  il  était  très-in- 


Catherine.  Rappelé  en  1758,  élu.  roi  de  Pologne  en  1764,  il  assista,  en 
17 7f,  au  premier  partage  de  la  Pologne,  abdiqua  après  le  second  partage, 
le  25  novembre  1795,  et  se  retira  à  Grodno,  où  il  mourut  le  11  février 
1798. 

1  Henri,  comte  de  Bruhl,  ministre  d* Auguste  III,  né  le  13  août  1700. 
Parvenu  comme  ministre  d* Auguste  II  à  gouverner  la  Saxe  et  la  Pologne, 
il  conserva  sous  Auguste  III  le  même  pouvoir,  réunit  en  1738  tous  les  mi- 
nistères en  sa  personne,  et  fut  premier  ministre  en  1747.  Il  mourut  le 
28  octobre  1763,  vingt-trois  jours  après  son  maître  et  ju9te  à  temps  pour 
échapper  à  la  haine  du  prince  Xavier,  devenu  administrateur  de  la  Saxe. 

^  A  cinq  lieues  de  Magdebourg. 


6  MÉMOIRES  DU   CARDINAL   DE  BERNIS. 

tëressant  pour  nous  d'être  informes  de  tout  ce  qui  se  pas- 
serait dans  ce  centre  des  opérations.  Mais  la  commission 
du  marquis  de  Fraigne  était  dangereuse  :  Tambition  et 
l'amour  la  lui  firent  désirer  ardemment.  Il  n'y  avait  qu'à 
gagner  pour  le  service  du  Roi  de  mettre  à  profit  ces  deux 
passions,  qui  étaient  jointes  au  plus  grand  zèle  pour  la 
gloire  de  Sa  Majesté,  et  surtout  pour  l'humiliation  du  roi 
de  Prusse,  dont  le  marquis  de  Fraigne  disait  avoir  à  se 
plaindre. 

Il  lui  était  spécialement  recommandé  de  brûler  ses 
instructions  au  cas  qu'on  fit  quelque  entreprise  sur  sa 
personne.  Le  roi  de  Prusse  devina  ce  qu'elles  contenaient  : 
il  essaya  de  faire  enlever  le  marquis  de  Fraigne  peu  de 
temps  après  son  arrivée  à  Zerbst.  Celui-ci  se  défendit, 
après  avoir  brûlé  ses  instructions,  ses  chiffres  et  tous  ses 
papiers,  avec  une  présence  d'esprit  et  un  courage  admi- 
rables ;  le  duc  de  Zerbst  à  la  tête  de  sa  garde  vint  le  déli- 
vrer, et  le  logea  dans  son  palais.  Peu  de  jours  après  cette 
entreprise  infructueuse ,  Sa  Majesté  Prussienne  envoya 
quatre  mille  hommes  et  du  canon,  avec  ordre  d'enlever 
de  force  le  marquis  de  Fraigne,  et  de  le  conduire  à  Mag- 
debourg.  Leduc  de  Zerbst  voulait  s'exposer  généreusement 
à  un  siège;  mais  le  marquis  de  Fraigne,  avec  plus  de 
générosité  encore,  se  livra  lui-même  pour  éviter  à  ce 
malheureux  prince  une  ruine  totale.  Le  duc  de  Zerbst  se 
plaignit  vainement  de  la  violation  du  droit  des  gens,  et 
de  l'insulte  faite  à  une  des  plus  anciennes  et  illustres 
maisons  des  princes  de  l'Empire.  Le  roi  de  Prusse  refusa 
constamment  de  rendre  son  prisonnier  ;  on  essaya  inutile- 
ment tous  les  moyens  de  crainte  pour  lui  arracher  son 
secret,  et  toutes  les  ruses  imaginables  ;  le  cachot,  les  pro- 
messes et  les  menaces  furent  également  inutiles  :  il  n'a  été 
élargi  qu'après  la  paix. 


AFFAIRE   DU   MARQUIS   DE  FRAIGNE.  7 

La  princesse  de  Zerbst,  en  hëroïne  de  roman,  était  par- 
venue à  corrompre  la  garde  qui  veillait  sans  cesse  auprès 
de  la  prison  de  son  favori  ;  elle  lui  6t  passer  des  habits  de 
fille,  h  la  faveur  desquels  il  sortit  heureusement  de  Magde- 
bourg;  son  secrétaire,  revêtu  de  ses  habits,  eut  la  g[éné- 
rosité  de  rester  à  sa  place  dans  la  prison.  Si  Tamour  et  la 
reconnaissance  n'avaient  pas  fait  une  loi  au  fugitif  de 
passer  par  la  cour  de  Zerbst  avant  de  se  rendre  à  Ham- 
bourg, le  marquis  était  sauvé,  et  sa  fortune  aurait  été 
faite,  parce  que  j'aurais  fait  valoir  ses  services;  mais  il  fut 
reconnu  par  la  garde  que  le  roi  de  Prusse  avait  mis  à 
Zerbst,  et  reconduit  dans  un  cachot  à  Magdebourg,  où  il 
a  passé  plus  d'un  an,  et  ensuite,  jusqu'à  la  paix,  dans  la 
citadelle  de  cette  place. 

Il  prétend  que  si  le  maréchal  de  Richelieu  avait 
marché  à  Magdebourg,  quand  le  roi  de  Prusse  eut  ras- 
semblé ses  forces  pour  combattre  M.  de  Soubise  et  l'armée' 
de  l'Empire,  il  aurait  pu  se  rendre  maître  de  cette  place, 
où  il  y  avait  sept  mille  prisonniers,  tant  Autrichiens  que 
Russes,  et  seulement  dix-huit  cents  hommes  de  recrues 
pour  les  garder.  Magdebourg  est  une  place  très-forte  du 
côté  de  terre,  mais  le  côté  de  la  citadelle,  qui  est  défendu 
par  l'Elbe,  n'a  qu'une  simple  muraille,  et  il  est  ordinaire 
qu'à  la  fin  de  l'été,  l'Elbe  n'ait  pas  plus  de  deux  pieds  d'eau. 

Si  le  sentiment  du  marquis  de  Fraigne  n'est  pas  juste 
quant  à  la  prise  de  Magdebourg,  il  est  du  moins  fort  rai- 
sonnable par  rapport  à  la  diversion  que  cette  attaque 
aurait  faite  :  le  roi  de  Prusse  aurait  été  obligé  d'aban- 
donner M.  de  Soubise  pour  voler  au  secours  du  plus  ferme 
appui  de  sa  puissance.  M.  de  Fraigne  prétend  avoir  averti 
le  maréchal  de  Richelieu  de  l'état  de  Magdebourg;  mais 
celui-ci  préféra  manger  la  principauté  d'Halberstadt,  sans 
faire  refluer  sur  ses  derrières  des  provisions  pour  l'hiver  : 


8  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE  BERNIS. 

il  y  a  des  choses  dans  les  {grandes  aflaires  qui  paraissent 
incroyables,  mais  elles  s'expliquent  presque  toujours  par 
quelque  motif  d'intérêt. 

Le  marquis  deFraigne»  de  retour  de  sa  longue  captivité, 
fut  récompensé  médiocrement  de  son  zèle.  II  6t  un  voyage 
imprudent  à  la  cour  de  Vienne,'  et  des  tentatives  inutiles 
et  mal  combinées  pour  aller  en  Russie  solliciter  les  bontés 
de  la  czarine  Catherine  :  celle-ci  ne  se  soucia  pas  de  voir 
l'amant  de  sa  mère,  qui  était  morte  à  Paris,  ennemie  du 
roi  de  Prusse  son  allié. 

A  l'égard  de  la  princesse  de  Zerbst,  elle  vint  à  Aix-la- 
Chapelle,  sous  prétexte  de  sa  santé,  dans  l'été  de  1758; 
elle  pria  le  Roi  de  lui  permettre  de  se  retirer  à  Paris  ;  ce 
que  Sa  Majesté  ne  put  lui  refuser,  malgré  les  jalousies  que 
son  séjour  en  France  pourrait  causer  à  l'impératrice  Elisa- 
beth, au  roi  de  Suède  et  même  à  la  cour  de  Vienne.  Tant 
que  je  fus  dans  le  ministère,  elle  suivit  mes  conseils  :  après 
mon  exil,  elle  fut  abandonnée  à  elle-même,  elle  se  jeta 
dans  la  mauvaise  compagnie,  eut  des  aventures  galantes, 
et  choisit  pour  ses  amants  des  personnes  peu  estimables  : 
toute  sa  considération  se  perdit  dans  un  instant  :  elle 
mourut  avec  la  honte  des  vieilles  coquettes,  et  ses  pierre- 
ries, qu'elle  avait  assurées  au  marquis  de  Fraigne,  furent 
perdues  pour  lui. 


CHAPITRE    XXXIX 

NÉGOCIATIONS  DU  COMTE  DE  STAINVILLE  A  VIENNE,  HEUREU- 
SEMENT TERMINÉES  PAR  UN  TRAITÉ  AVEC  LE  DUC  DE 
BRUNSWICK,    AU   MOIS    d'aOUT    1757. 


Le  comte  de  Stainville  ne  perdit  pas  de  temps  à  son 
arrivée  à  Vienne  :  on  ne  peut,  sans  injustice,  lui  refuser 
de  l'esprit,  de  la  pénétration,  des  grâces  et  de  la  gaieté; 
mais  son  principal  talent  est  de  brusquer  les  affaires ,  et 
d'abréger  des  formalités,  souvent  utiles,  au  hasard  des 
inconvénients  qui  résultent  de  la  précipitation  et  de  la 
trop  grande  confiance  :  il  aperçoit  promptement,  il  voit 
bien ,  mais  ne  lie  pas  assez  ses  idées ,  et  il  vise  plus  à  la 
célébrité  qu'à  la  réputation. 

La  bataille  d'Hastembeck  et  la  retraite  du  dUc  de 
Cumberland  au  camp  sous  Stade ,  où  l'on  prétendait  que 
le  roi  d'Angleterre  avait  déposé  ses  trésors,  laissaient  à 
découvert  les  États  d'Allemagne  de  Sa  Majesté  Britannique 
et  le  pays  de  Brunswick.  Dans  cette  position,  le  duc  de 
Brunswick,  qui  avait  un  ministre  à  Vienne,  proposa  des 
arrangements  au  comte  de  Stainville,  par  lesquels  le  duc 
son  maître  promettait  de  retirer  ses  troupes  de  l'armée 
hanovrienne,  de  les  désarmer,  de  nous  remettre  ses 
places,  son  artillerie  et  ses  arsenaux,  et  de  fournir  des 
vivres  à  nos  troupes  pendant  l'hiver  à  un  prix  dont  on 
conviendrait.  Cette  convention  fut  promptement  négociée, 


10  MÉMOIRES   DU  CARDINAL   DE  BER>^IS. 

conclue  et  ratifiée  par  le  dac  de  Brunswick'.  Elle  eut 
des  suites  fort  considérables  :  le  landgrave  de  Hesse' 
demanda  à  traiter  avec  nous,  et  oflFrit  de  mettre  ses 
troupes  à  notre  solde  :  le  doc  de  Saxe-Gotha',  le  comte 
de  la  Lippe  ^  et -autres  alliés  de  TAngleterre  en  firent 
autant  :  en  sorte  que  de  mon  cabinet  à  Versailles,  j'avais 
réduit  Tannée  hanovrienne  à  dix-huit  mille  hommes ,  qui 
étaient  obligés  de  passer  TElbe ,  et  d*aller  se  joindre  au 
roi  de  Prusse  de  la  Save,  et  préparer  pendant  l'hiver  le 
si^^  de  Magdeboorg.  De  plus,  le  duc  de  Meckelbourg^ 
nous  livrait  la  forteresse  de  Doemitz*  sur  l'Elbe,  à  la 
Caiveur  de  laquelle  nous  pourrions  donner  la  main  aux 
Soédcùs. 

Le  comte  de  Montaaet  '^^  que  le  Roi  avait  envoyé  pour 


*  Tw  c«tt«  pi^-Y  ÎMpg»'f  ifiT  W  i^ir^fc'^^  emire  It  eomJuUe  du  roi 
làt  Friâmcyt^  Hl^*  a*  7.  Li  oM>ttîi>a>  «^^Bee  a  TiesBc  le  20  septembre 
I753r«  A  êiir  jt>«fe»or«ie  par  BomunA^PMdl  4e  Xj^B^  coaieiner  iotuie  de  léga- 
ùkMi  4t  Ia  Hat^Mi  «luMmle  «ie  BnaKwîcL.  V«ir>  for  ce  fl^et,  les  dépêches  de 
dMftml  «lit  S>.a»ét  ITSr.  Fk&o.^  Amd.  et  CLêùrmi^^  91.) 

)  i:«aLitt«ii»^  »ê  w  1#  «^  tCâ,  kMi0m«  ée  Hcsse-Cassel  le  18  arril 
IT^L  Le  p<v««<  ^  Qrjicê  eeicre  U  Fraace  ec  Wâ  est  sralf  fut  do  18  oc- 
lM4re>  Voir  l^x-uA^V»  pMv^r  XI3L 

^  rv^fOecic  IIU  a«:  «k  $ai!«<UKki  ec  J^Ahi»ti»g^  m  le  S5  *rn\  1699, 
$«ccè4e  ^  $c^  p<or  Fnf^knc  IL  W  SS  ■birs  I71S;  seMor  des  d«es  en  Saxe 
«W  U  WnmcW  er«te>ùuMrw 

^  4ll^«rt<^Wg|iéui^^  <\MMe  <ie  la  Lîyps  Itf  t*fcM^>  cwie  de  Sdiaanburg 
<K  ^  $«nnii^«r«^  ifeè  kf  S*  avhl  KMHi»  j^ectA  à  «as  pcve  le  13  join  1728. 

^  FirvUnN-ts^  duc  de  >l«^ie«i6«mff;^  aê  W  9  muadUc  1717,  svccède,  le 
M  «MA  173$^  À  M»  pèrr  CIràdM-LiMyB  IL  et  M«rt  le  1%  «tHI  1785. 

«  IVw^U.  e«  b^*»e  $Ji\ev  da»  W  diaeW  le  IfecklMalMMBis-Scli^eriD, 
«M  sNMid«i<f«i(  de  i  KUe  ei  de  TCSbif.  Cène  vitte.  sàcwe  da»  la  pnadpaaté 
d#  Wircde^  e<  wu^Ue  de  b*jf  ei>  fiictîlicaMK^  «et  à  dix  beâe»  sad  de 

^  AMvhvm^-M^^  de  MjtK^ùft^  v>MMe  de  MeMUttet^  oanwtle  aa  régiment 
dWtli»»»  ^di\^»«k*'  eu  17;IU  aide  iMeiAal  fnaènl  des  logis  à  Tannée  du 
Mmi  e«i  inix  W^fftdîee  ««  I7U.  bc^fad^r  deéri((MS  s«r  les  côtes  de 
l\V.>Mi  yiar  M*w*  d«  !•*  «m»  17»  ;  9  «lUtut  la  pnaaink»  de  scn ir 


NEaOCIATIONS   A   VIENNE.  11 

servir  à  Tarmée  de  rimpératrîce-ReiDe,  avait  gagne  la 
conBance  de  cette  princesse,  celle  des  ministres  et  du 
prince  Charles  :  il  avait  des  talents  militaires  et  Tart  de 
les  faire  valoir.  Je  lui  avais  donné  pour  instruction , 
lorsqu'il  partit,  de  faire  combattre  les  Autrichiens  contre 
le  roi  de  Prusse  sans  cesse,  afin  de  ruiner  les  vieilles 
troupes  de  Sa  Majesté  Prussienne,  et  de  les  réduire  à  des 
recrues,  qu'elle  ferait  désormais  difficilement  en  Alle- 
magne, dont  nos  troupes  occupaient  la  partie  la  plus 
considérable.  Les  grands  princes  de  l'Empire  nous  ayant 
donné  leurs  soldats  moyennant  des  subsides ,  l'Impéra- 
trice-Reine  ne  pouvait  jamais  manquer  d'hommes,  et, 
lorsque  le  roi  de  Prusse  aurait  été  obHgé  de  combattre 
avec  de  nouvelles  levées ,  ses  armées  n'auraient  plus  eu 
l'avantage  de  la  discipline. 

M.  de  Montazet  s'acquitta  avec  beaucoup  de  cou- 
rage, de  dextérité  et  de  bonheur  de  la  commission.  Il 
y  eut  onze  grandes  affaires  dans  la  même  campagne  ;  le 
roi  de  Prusse  y  perdit  les  généraux  en  qui  il  avait  le  plus 
de  confiance  :  toutes  ces  choses  combinées  formaient 
l'heureuse  perspective  du  plus  brillant  et  du  plus  prompt 
succès. 

L'armée  russe  s'était  mise  en  mouvement,  et,  quoique 


comme  volontaire  dans  les  armées  de  rimpératrice-Reine;  à  la  suite  de 
ses  actions  d*éclat,  le  Roi  le  nomme  commandeur  de  Saint-Louis  (23  sep- 
tembre 1757)  et  maréchal  de  camp  (i*'  décembre).  Après  le  départ  du  duc 
de  Choiseul  de  la  cour  de  Vienne,  il  reste  en  qualité  de  ministre  plénipo- 
tentiaire du  Roi  pour  les  affaires  militaires  (2  décembre  1758).  En  janvier 
1759,  il  apporte  le  résultat  des  conférences  militaires  tenues  en  présence 
du  maréchal  Daun,  retourne  ensuite  à  son  poste  et  fait,  avec  les  armées 
autrichiennes,  les  campagnes  de  1700  et  1701.  Grand-croix  de  Saint-Louis 
en  1759,  lieutenant  général  le  18  mai  1700,  inspecteur  de  la  cavalerie  et 
des  dragons  le  l»""  février  1701,  chevalier  de  l'Aigle  blanc,  gouverneur  de 
Saint-Malo,  il  meurt  au  château  de  Guissac,  en  Agénois,  le  27  janvier 
1708,  âgé  de  cinquante-sept  ans. 


lî  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE  BERNIS. 

le  général  Apraxin  ' ,  gagné  par  les  Anglais ,  ne  se  souciât 
pas  de  vaincre,  après  avoir  été  battues  par  les  Prussiens, 
ses  troupes ,  poursuivies  avec  trop  de  chaleur,  se  retran- 
chèrent derrière  leurs  chariots,  et  remportèrent,  malgré 
leur  général ,  une  victoire  signalée ,  laquelle  aurait  eu  les 
plus  grandes  suites  si  Apraxin  avait  voulu  en  proBter*. 

Dans  le  même  temps,  le  Danemark,  qui  n'avait  pas 
voulu  se  déclarer  a  la  diète  de  l'Empire  contre  le  roi  de 
Prusse,  lié  à  la  France  par  un  traité  de  subsides^, 
désirant  en  secret  l'abaissement  de  la  cour  de  Berlin, 
craignant  encore  plus  l'agrandissement  de  la  maison 
d'Autriche,  celui  des  Suédois,  et  par-dessus  tout  celui 
de  la  Russie,  temporisait,  et  laissait  entrevoir  l'espérance 
de  prendre  parti  et  de  foire  cause  commune  avec  nous  ; 
mais  sa  principale  vue  était  de  jouer  un  rôle  dans  la 
médiation  pour  la  paix  ,  soit  en  Allemagne ,  ce  qui  était 
difficile,  soit  dans  notre  querelle  particuhère  avec  la  cour 
de  Londres.  On  verra  dans  quelle  circonstance  le  Dane- 
mark consentit  à  se  déclarer  :  personne  dans  le  conseil 
du  Roi  ne  pouvait  croire  que  je  pusse  l'y  amener. 

Tous  ces  succès   et  toutes  ces   heureuses  dispositions 


1  Étienne-FéodorQwitch  Apraxine,  feld-maréchal  et  président  du  collège 
delà  guerre  sous  le  règne  d'Elisabeth,  appartenait  à  l'illustre  famille  dont 
UDe  fille  avait  épousé  le  czar  Théodore,  frère  de  Pierre  I"",  et  dont  plusieurs 
membres  furent  titrés  par  le  grand  empereur.  (Almacro,  Notice,  etc.^ 
p.  46.)  A  la  suite  de  la  retraite  qu'il  opéra  après  sa  victoire  de  Gross- 
Jagendorff  (30  août  1757)  sur  l'ordre  de  Bestucheff,  Apraxine  fut  rap- 
pelé. La  nouvelle  de  la  disgrâce  de  Bestucheff  le  surprit  à  Tochetisaeseki, 
sur  la  route  de  Tsarâcoë-Tselo  ;  il  fut  frappé  d'apoplexie  et  mourut  sur 
place.  (Voir  Anecdotes  tirées  des  archives  de  la  Russie,  t.  VI,  p.  136.  Ce 
livre,  trop  peu  consulté,  est  de  Scuérer,  dont  j*ai  eu  ailleurs  occasion  de 
parler.) 

*  Voir  le  bulletin  de  la  bataille,  Gazette  de  France,  p.  485  ;  Napoléoiv, 
Précis  des  guerres  de  Frédéric  II,  t.  XXX II  de  la  Correspondance; 
Mémoires  de  Frédéric,  î,  534,  et  Jomimi,  Traité  des  opérations  miVi- 
taires,  t.  I. 

3  30  janvier  1754. 


NEGOCIATIONS   A    VIENNE.  13 

subsistèrent  jusqu*à  l'époque  de  la  capitulation  deCloster- 
Seven;  il  paraissait  que  rien  désormais  ne  pouvait  em- 
pêcher le  plan  de  la  guerre  de  réussir  ;  une  seconde  cam- 
pag[ne  devait  nous  conduire  au  plus  heureux  dénoûment. 
Le  Roi  aurait  joué  un  plus  grand  rôle  qu'aucun  de  ses 
prédécesseurs  :  il  aurait  marqué  les  limites  de  l'affaiblis- 
sement et  de  l'agrandissement  des  États;  et  sa  modération 
n'aurait  pas  été  poussée,  comme  au  traité  d'Aix-la-Cha- 
pelle, au  delà  des  bornes,  'par  les  avantages  réels  qu'il 
aurait  procurés  à  la  France  et  à  sa  maison;  sa  gloire 
aurait  couvert  nos  misères  intérieures;  le  crédit  de  la 
France,  sa  réputation,  se  seraient  relevés,  et  en  suivant 
de  meilleures  maximes,  soit  pour  les  finances,  soit  pour 
la  discipline  militaire ,  soit  pour  le  rétablissement  des 
mœurs,  je  pouvais  espérer  que  dans  dix  ans  le  royaume 
aurait  repris  son  ancienne  splendeur.  Je  m'étonnais  que 
de  si  grandes  choses  pussent  s'exécuter  avec  des  instru- 
ments aussi  faibles  que  ceux  que  nous  mettions  en  œuvre , 
et  que,  malgré  l'anarchie  du  gouvernement,  malgré  les 
intrigues,  l'indocilité,  l'avidité  et  le  peu  de  talents  de  nos 
généraux,  un  si  grand  projet  pût  réussir.  Je  disais,  en 
réfléchissant  aux  suites  de  mes  négociations  :  Pauvre 
postérité!  combien  tu  seras  trompée  si  tu  juges,  par  la 
grandeur  des  événements,  de  la  grandeur  des  hommes 
qui  les  ont  préparés  ! 

Le  Roi  était  le  maître  de  tout  le  pays  qui  est  entre  la 
Meuse  et  la  Sarre  :  sans  combattre,  nous  avions  anéanti 
l'armée  du  roi  d'Angleterre;  j'avais  incorporé  toutes  les 
forces  des  princes  de  l'Empire  dans  nos  armées;  nulle 
puissance  intermédiaire  ne  coupait  notre  communication 
avec  le  bas  Rhin  ;  nous  occupions  la  Hesse  ;  nous  aurions 
été  maîtres  de  Francfort  à  la  première  réquisition  ;  le  cours 
des  fleuves  et  des  rivières  était  à  notre  disposition  pour 


14  MÉMOIRES   DU   CARDINAL  DE  BERNIS. 

nous  défendre  ou  pour  nous  approvisionner.  Tout  cela 
était  vrai;  tout  cela  était  exécuté  sans  coup  férir,  et 
malgré  cela  je  n'étais  pas  entièrement  rassuré  :  j'avais 
prédit  au  comte  de  Stareraberg  que  le  projet  périrait  par 
la  multiplication  des  branches  de  ce  grand  arbre ,  dont 
la  réunion  et  l'ensemble  étaient  trop  difficiles  à  entretenir. 
D'ailleurs,  les  efforts  de  la  France  et  de  toutes  les  puis- 
sances liguées  étaient  trop  grands;  il  était  aisé  de  voir 
que  l'argent  manquerait  :  la  Suède,  divisée  intérieurement, 
ne  pouvait  agir  sans  subsides;  l'impératrice  de  Russie 
pouvait  se  lasser  de  porter  le  poids  de  la  guerre  avec  de 
faibles  subsides  et  sans  espérance  fondée  d'un  agran- 
dissement à  la  paix. 

Le  conseil  de  Vienne  était  intérieurement  aussi  opposé 
a  l'alliance  avec  notre  cour  que  celui  de  Versailles  ;   les 
ministres  et  les  généraux  ne  voyaient  dans  tout  cela  que 
le    renversement    des  bons   et  anciens   principes;    tout 
conjurait  sourdement  contre  le  succès  de  cette  guerre  ; 
ni   Vienne    ne   voulait  contribuer   à  l'augmentation  du 
crédit  du  comte  de  Kaunitz,  ni  Versailles  à  l'affermisse- 
ment du  pouvoir  de  madame  de  Pompadour,  ni  à  mon 
élévation.    Les    puissances    neutres   craignaient   que    la 
maison  de  France  et  celle  d'Autriche  ne  devinssent  les 
seules  véritables  puissances  en  Europe  ;  les  princes  pro- 
testants craignaient  d'être  écrasés;  ceux  d'Italie,  d'être 
obhgés  d'attendre  dans  l'antichambre  du  Roi  et  de  l'Impé- 
ratrice  le  moment  de  l'audience;  l'Espagne  elle-même 
ne  voyait  qu'avec  inquiétude  l'ascendant  que  la  France 
allait  perdre  dans  le  système  de  l'Europe;  je  sentais  que 
ce    volcan    intérieur  n'attendait  qu'un   événement  pour 
s'ouvrir.   Il  n'y  avait  pas  de  temps  à  perdre  pour  frapper 
les  coups  décisifs;  il  ne  fallait  pas,  du  moins,  faire  de 
grandes  fautes,  et  elles  furent  faites  au  moment  où  l'on 


NÉGOCIATIONS   A   VIENNE.  15 

devait  le  moins  le  craindre  :  c'est  ce  que  l'on  verra  dans 
le  chapitre  suivant. 

J'ajouterai  seulement  ici  que  le  ministère  de  la  {juerre, 
en  s'assurant  de  quelques  places  du  vieux  landgrave  de 
Hesse,  n'avait  pas  songe  à  l'obliger  d'évacuer  la  forteresse 
de  RheinsFeld  '  sur  le  Rhin ,  dans  laquelle  il  entretenait 
garnison ,  et  cette  même  garnison  fut  relevée  deux  fois , 
en  passant  à  travers  les  quartiers  de  notre  armée,  sans 
qu'on  s'informât  seulement  où  allaient  ces  troupes  dé- 
guisées. Cela  parait  incroyable;  car  on  pouvait  arrêtera 
Bheinsfeld  tous  les  convois  qui  descendaient  le  Rhin  pour 
la  subsistance  de  notre  armée.  Ce  ne  fut  qu'à  la  6n  de  la 
seconde  campagne  que  le  marquis  de  Caistries,  par  les 
ordres  du  maréchal  de  Belle-Isle,  s'en  empara  fort  heu- 
reusement*. 

Le  duc  de  Cumberland  disait  après  la  bataille  d'Has- 
tembeck  :  «  Le  maréchal  d'Estrées  et  moi  sommes  bien 
malheureux;  il  commande  une  armée  de  cent  mille 
voleurs,  et  moi  une  armée  de  quarante] mille  poltrons.  » 
Cependant  ces  prétendus  poltrons ,  dès  qu'ils  furent  aux 
ordres  du  prince  Ferdinand  de  Brunswick,  instruit  à 
l'école  du  roi  de  Prusse,  manœuvrèrent  à  merveille;  et 
nos  cent  mille  voleurs  observèrent  une  exacte  discipline 
sous  les  ordres  du  maréchal  de  Broglie.  Il  faut  dire  à  la 
louange  de  notre  milice  qu'elle  n'a  jamais  mal  fait  dans 
cette  guerre,  quand  elle  a  été  bien  commandée,  et  que. 


^  Forteresse  importante  située  entre  Bingen  et  CoblenU,  à  six  lieues 
sud  de  cette  dernière  ville.  Elle  appartient  à  la  maison  de  flesse-Rheinfels; 
mais,  par  une  convention  de  1754,  la  maison  de  Hesse-Cassel  a  droit  d*y 
tenir  garnison. 

2  La  Gazette  de  France  du  9  décembre  1757,  en  racontant  ce  fait 
d'armes,  dit  que  ce  fut  le  maréchal  de  Soubise  qui  donna  Tordre  de  s'em- 
parer de  Rheinfels. 


16  MEMOIRES   DU   CARDINAL   DE   BERNIS. 

dans  une  guerre  si  honteuse  pour  la  nation,  si  préjudi- 
ciable et  si  destructive  de  tous  les  projets  qu'on  avait 
formés,  aucun  malheur  ne  peut  être  imputé  à  la  fortune  : 
ils  sont  tous  arrivés  par  notre  faute  et  par  un  enchaîne- 
ment d'intrigues  également  criminelles  et  impunies. 

Le  comte  de  Stainville  s'étonnait  à  Vienne  qu'avec  la 
faveur  dont  je  jouissais  je  ne  pusse  pas  forcer  le  militaire 
français  à  mieux  seconder  le  plan  politique;  il  ne  savait 
pas  alors ,  comme  il  l'apprit  depuis,  qu'on  ne  voulait  me 
donner  que  le  crédit  de  ma  place ,  et  point  d'influence 
sur  les  autres  départements  :  j'avais  fait  le  plan  de  la 
guerre,  mais  on  ne  prétendait  pas  que  l'exécution  dépendit 
de  moi,  tant  la  Jalousie  du  pouvoir  est  inconséquente! 
La  finance  eut  le  droit  de  me  faire  manquer  de  parole 
pour  le  payement  des  subsides ,  et  la  guerre  de  s'écarter 
impunément  du  plan  politique.  Je  traiterai  dans  un  cha- 
pitre particulier  de  la  conduite  que  tint  à  mon  égard  la 
finance  ,  et  de  ce  que  je  proposai  pour  la  soutenir  pendant 
la  guerre /.  On  peut  dire  que  le  cabinet  fit  des  miracles 
politiques ,  mais  que  le  ministère  de  la  guerre  multiplia 
les  fautes  et  n'en  punit  aucune. 

On  pouvait  prévoir,  comme  une  chose  possible ,  que  la 
France,  avec  toutes  ses  forces,  échouerait  contre  l'électorat 

de  Hanovre,  mais  non  comme  une  chose  vraisemblable 

H  est  singulier  que  toutes  les  cours  aient  manqué  leur  but 
dans  cette  guerre  :  le  roi  de  Prusse,  qui  l'avait  com- 
mencée ,  prétendait  opérer  une  grande  révolution  en 
Allemagne,  rendre  l'Empire  alternatif  entre  les  protes- 


*  l>«  Mi'iiHÙrrt  n'ont  jamais  été  terminés.  Ils  ont  sans  doute  été  iiitei- 
l'Oiupiu  lor*  (lu  iléunri  du  Cardinal  pour  le  conclave  tenu  après  la  mort  de 
(élément  XIII,  «m»  1709.  le  manuscrit,  tout  entier  de  la  main  de  la  nièce 
%\\\  ilanliual,  madame  d©  Puymonlbrun,  se  termine  par  l'indication  sui- 
v«iU«  î  ClwjUtii?  VUl,  PltinJiHancier  piHtposé pendant  la  y uerre. 


NÉGOCIATIONS    A   VIENNE.  17 

tants  et  les  catholiques ,  échanger  les  États ,  et  prendre 
ceux  qui  seraient  le  plus  à  sa  bienséance ,  et  qui  pour- 
raient rendre  sa  puissance  plus  solide  et  plus  respectable. 
Il  a  acquis  beaucoup  de  gloire  à  résister  aux  grand.es  cours 
de  l'Europe  et  souvent  à  les  dominer  ;  il  s'est  fait  un  nom 
immortel  parmi  les  généraux  d*armée  et  les  politiques  ; 
mais  il  laissera  à  son  héritier  une  puissance  qu'il  a  sou- 
tenue et  rendue  formidable  par  la  seule  force  de  son 
génie,  et  dont  les  fondements  ne  sont  rien  moins  que 
soHdes  :  il  a  ruiné  ses  peuples,  épuisé  ses  trésors, 
dépeuple  ses  États.  Une  longue  paix,  dira-t-ron,  réparera 
ces  malheurs.  Oui,  mais  une  longue  paix  l'approchera  de 
la  vieillesse,  et  lorsqu'il  ne  pourra  plus  commander  ses 
armées,  elles  n'auront  plus  le  même  nerf,  ni  une  si 
savante  direction. 

L'Impératrice -Reine  a  augmenté  dans  cette  guerre 
l'idée  que  l'on  avait  de  son  courage,  de  sa  puissance  et  de 
la  bonté  de  ses  troupes,  ainsi  que  de  la  fermeté  de  ses 
résolutions;  mais  elle  n'a  rempli  aucun  des  objets  qu'elle 
s'était  proposés. 

La  Russie  a  montré  à  l'Europe  la  milice  la  plus  invin- 
cible et  la  plus  mal  conduite. 

Les  Suédois  ont  joué  inutilement  un  rôle  subalterne  et 
obscur  :  le  nôtre  a  été  extravagant  et  honteux. 

Le  Danemark  n'a  tiré  aucun  parti  de  ses  finesses  :  il 
voulait  la  médiation,  il  l'a  manquée. 

Combien  les  passions  des  princes  causent  de  malheurs 
à  l'humanité  !  Combien  les  fautes  des  généraux  renversent 
de  plans  les  mieux  concertés ,  et  en  apparence  les  plus 
infaillibles  ! 


CHAPITRE  XL 


DE   LA    CAPITULATION    DE    CLOSTER-SEVEN   ET   DE    SES    SUITES 


Le  maréchal  de  Bicfaelieu,  &  qui  j'avais  promis  de  dire 
exactement  la  vérité  dans  mes  lettres  particulières,  de 
l'instruire  de  tout  ce  qui  se  passerait  d'important  et  de 
relatif  au  succès  de  sa  conduite  militaire  et  politique,  me 
manda  un  jour,  dans  une  lettre  écrite  de  sa  main,  «  si  je 
ne  penserais  pas  qu'il  'était  avantageux  à  la  cause 
commune  et  aux  intérêts  du  Roi  d'abandonner  le  pays 
de  Brem.en  et  de  Verden  à  une  partie  de  l'armée 
des  alliés,  tandis  que  l'autre  passerait  TElbe,  et  se 
porterait  dans  le  duché  de  Saxe-Lauenbourg  pour  y 
observer  une  exacte  neutralité  ;  que  cette  idée  lui  était 
venue  dans  la  tête  depuis  qu'il  avait  reconnu  combien 
il  serait  difficile  de  forcer  le  camp  de  Stade;  et  qu'il  ne 
me  cacherait  pas  qu'il  en  avait  écrit  quelque  chose  au 
président  Ogier  \  ambassadeur  du  Roi  h  la  cour  de 
Danemark,  pour  que  le  roi  de  Danemark  s'employât 
à  faire  réussir  ce  projet  ;  qu'au  reste,  il  n'y  avait  aucun 


1  Jean-François  Ogîer  d'Énouville,  né  en  1708,  conseiller  à  la  deuxième 
chambre  des  requêtes  du  Parlement  le  4  septembre  1722,  président  en  la 
même  chambre  le  17  juin  1729,  surintendant  de  la  maison  de  madame  la 
Dauphine  le  23  janvier  1745,  nommé  ministre  plénipotentiaire  de  France 
près  S.  M.  le  roi  de  Danemark  le  31  mars  1753,  et  ambassadeur  à  la  même 
cour  le  i«'  février  1755,  reçoit  à  son  retour,  le  6  avril  1766,  une  pension 
de  6,000  livres  et  un  brevet  de  conseiller  d*£tat,  et  meurt  le  23  février 
1775.  Il  avait  épousé  Marie-Guyonne  Cavelier  de  Tour%'ille,  morte  le 
12  septembre  1790. 


CAPITULATION  DE  CLOSTER-SEVEN.  19 

inconvénient  à  celte  démarche ,  puisque  M.  Ogier  était 
un  homme  sage  et  éclairé,  et  que  s'il  était  contre  ses 
instructions  de  mettre  en  jeu  le  Danemark ,  ce  mi- 
nistre était  trop  prudent  pour  le  hasarder  '  » . 

Dans  le  temps  que  le  maréchal  de  Richelieu  m'entrete- 
nait si  légèrement  de  ce  projet  comme  d'une  idée  qui  nais- 
sait au  bout  de  sa  plume  en  finissant  sa  lettre,  la  négocia- 
tion était  bien  avancée  à  Closter-Seven ,  et  le  comte  de 
Lynar  ',  envoyé  par  le  roi  de  Danemark  pour  cette  belle 
opération,  enivrait  le  maréchal  d'encens  et  de  louanges. 
Il  avait  fait  exécuter  son  buste  en  marbre  avec  une  cou- 
ronne de  laurier  sur  la  tète ,  et  l'on  dit  de  plus  qu'il  fut 
payé  de  sa  médiation  par  le  roi  d'Angleterre  '. 

Pour  moi,  qui  ne  croyais  pas  le  maréchal  capable  d'une 
semblable  imprudence,  je  pris  sa  lettre  comme  une  simple 
idée  qui  s'était  offerte  à  son  esprit  et  dont  il  me  faisait 
part.  Je  me  rassurais,  d'ailleurs,  par  l'opinion  que  j'avais 
du  président  Ogier,  assez  instruit  et  assez  éclairé  pour  ne 
pas  être  soupçonné  d'une  fausse  démarche.  Je  répondis 
donc  à  cette  lettre  du  maréchal  «  qu'il  n'y  avait  point 
d'autre  négociation  à  faire  avec  les  Hanovriens  qu'en 
forçant  leur  camp  et  en  les  culbutant  dans  l'Elbe ,  et 
qu'il  ne  devait  pas  oublier  comment  ils  avaient  violé, 
en  1744,  la  convention  de  neutralité  que  le  Roi  avait 
stipulée  avec  eux  » .  Après  avoir  fait  cette  réponse  et 
dépéché  le  courrier,  j'apportai  au  Roi  la  lettre  du  maré- 


1  Voir,  à  l'Appendice,  les  dépêches  de  l'abbé  de  Bernit  au  président  Ogier 
et  au  duc  de  Richelieu,  et  cf.  Filoei,  p.  99,  les  dépêches  du  ministre  au 
comte  de  Stainville. 

'  Hoch-Frédéric,  de  la  branche  cadette  des  comtes  de  Lynar,  seigneur 
de  Lubbenau,  etc.,  né  le  16  décembre  1708,  ministre  confèrent  de  Sa 
Majesté  Danoise,  chevalier  de  l'Éléphant  et  de  l'Union  parfaite,  ambassa- 
deur en  Suède  et  en  Russie,  mort  le  13  février  1781. 

S  Cf.  DucLos,  II,  p.  288. 


iO  MEMOIRES  DU   CARDINAL  DE   RERNIS. 

chai  de  Richelieu ,  et  je  fis  part  à  Sa  Majesté  de  ma  réponse 
à  ce  général.  H  me  dit  :  «  Tous  avez  bien  répondu;  mais 
vous  ne  connaissez  pas  le  maréchal  :  ce  qu'il  annonce 
comme  un  projet  est  peut-être  déjà  exécuté;  dépéchez 
un  second  courrier,  et  ordonnez  de  ma  part  à  H.  de 
Richelieu  de  n 'entamer  aucune  négociation ,  et  de  ren- 
voyer à  Fontainebleau  (où  la  cour  était  alors)  toutes  celles 
qui  pourraient  être  entamées,  p 

J'écrivis  sous  les  yeux  du  Roi  et  presque  sous  sa  dictée, 
et  un  second  courrier  partit  à  l'instante  Deux  ou  trois 
jours  après  arriva  le  duc  de  Duras,  porteur  de  la  capitula- 
tion conclue  et  signée  par  le  duc  de  Cumberiand  *  et  le 
maréchal  de  Richelieu.  Jamais  surprise  ne  fut  égale  à  la 
mienne;  elle  augmenta  en  voyant  la  manière  dont  cet  acte 
était  dressé.  J'y  vis  h  l'instant  tons  les  malheurs  qui 
devaient  naître  d'une  si  dangereuse  imprudence.  Le  ma- 
réchal de  Richelieu  avait  déjà  instruit  toute  la  cour  et 
Paris  de  son  triomphe  par  ses  lettres  :  on  disait  hautement 
qo*il  avait  faài  mettre  bas  les  armes  à  une  armée  entière, 
que  b  paix  était  faite.  Dans  la  même  matinée  arriva  la 
nouvelle  de  la  victoire  des  Russes ,  remportée  bien  malgré 
lui  par  le  général  Apraxin  '  contre  les  Prussiens,  en  sorte 
que  le  public  ne  dcuta  pas  que  ces  deux  événements  ne 
terminassent  la  guerre;  presque  tous  les  ministres  applau- 
dissaient à  la  gloire  du  maréchal,  et  les  (inumes,  qui 
comptaient  revoir  bientôt  leurs  maris  et  leurs  amants, 
étaient  enchantées. 


>  T«^  cette  «irpécke  à  TAfftmAce. 

S  La  G^cscor  <ik  <fK  ie  4«c  4e  Dwas  anrra  à  FiwriJ—KIriwi  le  iê  lep- 
tiM iiii,  La  pif  w If,  miMTtfc  4e  la  linrMBf  de  Cronn  Jt^nmJmUwe  trosTe 
^Hfes  11  G>Kstmt  ém  i*'  «ctebce. 

'  9  AMI  ïTSé^  À  Gwiiii  Jyfaff,  s«r  la  Pke^pei,  m  ccrde  èe  S^Êam- 
Sem«  ro^iiiT  4e  f^wse.  Toèr  le  pbs  4e  cette  JurMli  éams  TJêLs  d^ 
irnÊÈt  des  nfn'rmimmr  ■■'litirirry  4e  Joaoï. 


CAPITULATION   DE   CLOSTER-SEVEN.  21 

Cette  capitulation  avait  été  dressée  par  le  duc  de  Duras^ 
qui  devait  en  être  le  porteur.  Le  duc  de  Gêvres  '  se  mou- 
rait lorsqu'elle  se  négociait,  et  comme  la  charge  de  gen- 
tilhomme de  la  chambre  qu'il  allait  laisser  vacante  était 
sollicitée  par  le  duc  de  Duras,  il  y  a  apparence  que  la 
négociation  fut  un  peu  brusquée,  de  peur  que  la  charge 
vacante  ne  fût  donnée  avant  son  arrivée.  Le  Roi  la  fit 
attendre  quelque  temps  au  duc  de  Duras ^,  et  finit  par  la 
lui  donner  de  préférence  ii  ses  deux  rivaux ,  à  cause  d'une 
promesse  qui  lui  avait  été  faite,  au  retour  de  son  ambassade 
d'Espagne,  d'une  charge  de  capitaine  des  gardes  que  la 
marquise  avait  fait  donner  au  ^maréchal  de  Mirepoix^. 

Pour  bien  entendre  cette  affaire  de  la  capitulation  de 
Closter-Seven ,  il  faut  se  rappeler  que  le  maréchal  de  Ri- 
chelieu n'avait  aucun  pouvoir  pour  traiter  avec  aucune 
cour,  ni  avec  aucun  ministre.  Tout  général  d'armée  a  le 
pouvoir  de  faire  des  capitulations;  il  est  le  maître  d'im- 
poser, par  rapport  aux  troupes  et  aux  places,  telles  condi- 
tions qu'il  juge  à  propos  et  que  l'ennemi  veut  accepter  : 
il  n'est  comptable  qu'au  Roi  seul  de  sa  conduite  à  cet 
égard.  Les  capitulations  militaires  ne  sont  point  soumises 
aux  ratifications  des  cours  respectives;  car,  aussitôt  qu'il  y 
a  ratification,  la  capitulation  change  de  nature  et  devient 
une  véritable  convention  ou  traité,  pour  la  conclusion 
duquel  il  est  nécessaire  que  les  pouvoirs  respectifs  aient 
été  communiqués  de  la  part  des  parties  contractantes,  et 


*  François -Joacbim  Potier,  duc  de  Gévres,  pair  de  France,  chevalier 
des  Ordres  du  Boi,  premier  {gentilhomme  de  la  chambre,  brigadier  de  cava- 
lerie, gouverneur  de  la  ville,  prévôté  et  comté  de  Paris,  mort  à  Paris  le 
19  septembre  1757,  à  l'âge  de  soixante^inq  ans  moins  dix  jours. 

3  Pas  longtemps,  car  la  Gazette  du  24  septembre,  qui  parle  de  l'arrivée 
du  duc  de  Duras,  annonce  sa  nomination  en  remplacement  du  duc  de 
Gêvres. 

3  Le  2  mai  1756. 


tt  MÉMOIRES  DU   CARDINAL   DE   BER>MS. 

trouvés  en  bonne  fbrme^  Un  général  qui  (bit  un  traité  avec 
l*ennemi  contre  la  teneur  des  instructions  qu'il  a  reçues, 
et  sans  être  muni  de  pouvoirs,  tombe  dans  une  faute  très- 
grave  et  souvent  criminelle.  Ces  principes  sont  incontes- 
tables; reste  à  en  faire  Tapplicution  dans  le  cas  de  la  con- 
vention de  Closter-Seven. 

1*  On  voit  dans  le  préambule  que  le  roi  de  Danemark 
y  est  reconnu  comme  médiateur.  La  médiation  du  Dane- 
mark n*avait  été  nullement  réclamée  par  la  France,  qui 
s*y  serait  même  opposée  comme  une  chose  contraire  aux 
intentions  des  cours  de  Vienne,  de  Stockholm  et  de  Russie, 
ses  alliés. 

S*  Certains  articles  de  la  convention  de  Closter-Seven 
sont,  à  la  vérité,  conclus  sous  la  garantie  de  la  parole 
d*honneur  du  duc  de  Cumberland  ;  mais  beaucoup  d*autreSy 
remis  à  la  négociation  entre  cours,  sont  soumis  à  leurs 
ratifications.  Les  premiers  articles  semblent  avoir  le  carac- 
tère d'une  capitulation  militaire;  mais  tous  ensemble, 
devant  être  ratifiés,  ne  peuvent  appartenir  qu'à  un  véri- 
table traité  ^  Le  duc  de  Cumberland  y  déclare  n*avoir  pas 
encore  reçu  les  pouvoirs  du  Roi  son  père,  et  le  maréchal 
savait  bien  que  le  Roi  ne  les  lui  aurait  pas  donnés.  Ainsi, 
voilà  un  traité  conclu  sans  pouvoirs  respectifs. 

La  capitulation  de  Closter-Seven  est  imprimée  en  entier 
dans  une  espèce  de  manifeste  qui  fut  répandu  dans  TEo- 
rope,  et  traduit  en  plusieurs  langues,  intitulé  :  Parallêlede 
la  conduite  du  Roi  at*€c  ceUe  de  rélecteur  du  Hanovre,  roi 
d'Angleterre*,  Il  n*y  a  qu'à  lire  cet  ouvrage  pour  être  con- 

*  V<Mr  U  dbcuJskMi  «ar  ce  point  dans  les  MewÊoires  de  MiekeBem  et 
ëaas  U  Vie  prircf, 

^  P«ntJlr/<-  de  U  ccmdmiie  dm  Roi  mrec  ce^  du  rM  ^ÂmfieÊtrre,  âeç^ 
temr  de  H^mcrre  «  reitùrewiemt  mmx  mj^tres  de  tEm^ire  et  mcmtmèéuÊemt  m 
U  rmptune  de  là  €»pkmLuîom  de  Ctoiirr^-Seeen  f*r  tes  Bmm^mriems,  Paris, 
rie  royale,  i75S.  la-S*  de  4,  Iriij,  IS7  passes. 


CAPITULATION   DE  CLOSTER-SEV^N.  tZ 

vaincu  que  toutes  les  fautes  que  peuvent  faire  à  la  fois  un 

ministre  et  un  général  y  sont  accumulées Les  articles 

convenus  sur  la  parole  d'honneur  seront,  dit  la  capitula- 
tion, exécutés  le  plus  tôt  possible...  Le  plus  tôt  possible  ne 
signifie  rien ,  puisque  les  ennemis  ne  voulaient  que  trom- 
per le  maréchal  de  Richelieu ,  gagner  du  temps  et  lui  faire 
perdre  au  moins  le  reste  de  la  campagne;  ils  pouvaient 
toujours  dire  qu'ils  n'avaient  pu  encore  séparer  leur  armée, 
qu'ils  attendaient  l'approbation  du  roi  d'Angleterre  et  l'épo- 
que où  les  cours  respectives  seraient  convenues  des  articles 
menés  en  négociation.  Dans  cette  position,  M.  le  maré- 
chal de  Richelieu  aurait  consommé  le  reste  de  la  belle 
saison  à  garder  l'armée  hanovrienne.  Si,  au  contraire,  il 
avait  voulu  poursuivre  les  opérations  de  la  campagne  et 
s'éloigner  de  l'armée  du  duc  de  Gumberland,  il  la  laissait 
sur  son  flanc  ou  sur  ses  derrières.  Dans  tous  les  cas,  les 
Hanovriens  lui  avaient  tendu  un  piège  bien  dangereux  pour 
nous  et  bien  utile  pour  eux,  dont  il  ne  s'était  pas  aperçu. 

Il  est  sans  exemple  que  dans  une  capitulation  militaire, 
ou  dans  un  véritable  traité,  on  n'ait  pas  fixé  l'époque  de 
l'exécution  des  articles  convenus.  Le  roi  de  Prusse  avait 
donné  à  Pirna  \  à  tous  les  généraux,  un  beau  modèle  de 
la  seule  manière  sûre  de  faire  capituler  une  armée;  il  fal- 
lait le  suivre ,  ou  du  moins  marquer  des  époques  et  deman- 
der des  otages. 

Il  faut  convenir  que  si  la  capitulation  de  Closter-Seven 


'  La  capitulation  de  Pima,  «  Capitulations-Puncte  der  Roniglich.  Chur 
Sachsisclien  Armée  mit  Sr.  Ronig.  Majestatin  Preussen,  de  dato,  Ebenheid 
den  15  octobr.  1756  >,  est  imprimée  dans  Sammlung  der  neuesten  Staatt 
Schrifften  tum  Behufder  Historié  desJet^igen  Grieges  aufdasJahr  1756. 
Francfort  et  Leipzig,  1757,  petit  in-4<*,  quatrième  partie,  p.  217.  La  ca- 
pitulation de  Pirna  n'a  pas,  en  effet,  la  forme  d*une  convention.  Elle  pro- 
cède par  demandes  de  la  Saxe  et  Accord  du  roi  de  Prusse.  Il  est  à  remar- 
quer que  cet  Accord  est  en  français. 


Î4  MEMOIRES   DU   CARDINAL   DE  BERNIS. 

n'est  ni  capitulation  railitaire  ni  traité  diplomatique ,  on 
peut  la  regarder  du  moins  comme  le  chef-d'œuvre  de  lu 
maladresse  et  de  l'imprudence.  Le  Roi  pouvait  la  désa- 
vouer et  faire  le  procès  à  son  auteur;  mais  Sa  Majesté, 
sachant  que  le  maréchal  de  Richelieu,  sans  attendre  seu- 
lement d'être  informé  des  intentions  de  sa  cour,  s'était 
éloigné  avec  toutes  ses  forces  et  avait  marché  pendant 
quatorze  jours  pour  se  porter  dans  la  principauté  d'Hal- 
berstadt,  sous  prétexte  de  repousser  le  prince  Ferdinand  ', 
qui ,  à  la  tête  de  six  à  sept  mille  hommes ,  faisait  reculer 
le  duc  d'Âyen,  chargé  de  lever  des  contributions  dans  le 
pays  de  Brunswick,  Sa  Majesté,  dis-je,  se  crut  obligée 
d'approuver  la  capitulation  de  son  général,  et  lui  ordonna 
de  le  déclarer  au  duc  de  Gumberland. 

Il  est  vrai  que  le  Roi  apprit  avec  surprise  la  négocia- 
tion, le  traité,  l'intervention  du  roi  de  Danemark  et  le 
départ  précipité  du  maréchal  de  RicheUeu  pour  Hal- 
berstadt,  lequel  ne  laissa,  pour  contraindre  l'armée  hano- 
vrienne  à  exécuter  la  capitulation,  que  six  bataillons  et  six 
escadrons,  aux  ordres  de  M.  de  Villemeur*,  ancien  lieute- 
nant général,  homme  faible  et  temporiseur.  Dans  cette 
circonstance,  le  conseil  du  Roi  fut  fort  embarrassé;  car 
quel  parti  prendre?  Désapprouver  la  capitulation,  et  ordon- 


^  Le  prince  Ferdinand  de  Brunswick-Bevern.  Voir  Gazette  de  France, 
page  490. 

^  Jean-Baptiste-François  de  Viilemeur-Biotorf  marquis  de  Villemeur, 
né  le  30  juillet  1698,  maréchal  des  logis  de  la  compagnie  des  grenadien  à 
cheval  le  9  mars  1716,  colonel  du  régiment  d'infanterie  de  Bassigny  en 
1730,  brigadier  en  1734  à  la  suite  de  la  bataille  de  Guastalla,  où  il  fut 
blessé,  maréchal  de  camp  en  1740,  inspecteur  général  de  Tinfanterie 
en  1741,  lieutenant  général  le  2  mai  1744  (campagnes  de  1744  à  1747). 
Employé  à  l'armée  du  bas  Rhin  en  1727,  il  commanda  cette  armée  de- 
puis le  départ  du  maréchal  de  Richelieu  jusqu'à  l'arrivée  du  comte  de 
Glermont,  sous  lequel  il  fut  employé.  Nommé  en  1759  gouverneur  de 
Montmédy,  il  mourut  à  Paris  le  2  janvier  1763. 


CAPITULATION   DE  CLOSTER-SEVEN.  25 

ner  au  maréchal  de  Richelieu  de  revenir  sur  ses  pas  pour 
combattre  le  duc  de  Cumberiand.  Outre  la  long[ueur  et  les 
inconvénients  de  cette  marche,'  toute  la  France  aurait 
blâmé  le  Roi  de  préférer  des  combats  incertains  à  un  traité 
qui  nous  donnait  la  totalité  du  pays  de  Hanovre,  par  lequel 
l'armée  des  alliés  était  séparée,  la  majeure  partie  devant 
passer  dans  le  duché  de  Saxe-Lauenbourg,  au  grand 
déplaisir  des  Suédois,  et  la  moindre  occuper  le  petit  pays 
de  Bremen  et  de  Yerden.  Le  public  n'aurait  pas  manqué 
de  dire  qu'on  aimait  mieux  sacrifier  des  hommes  que  de 
vaincre  à  coup  sûr. 

Il  est  certain  cependant  que  si  j'avais  été  le  maître 
absolu,  j'aurais  rejeté  cette  monstrueuse  capitulation,  et 
rappelé  le  général  qui  avait  eu  l'imprudence  ou  la  malice 
de  la  conclure. 

Mais,  comme  je  le  dis  au  Roi,  si  cette  capitulation  est 
exécutée ,  elle  sera  avantageuse  et  glorieuse  à  Votre  Ma- 
jesté; ainsi  il  faut  l'adopter,  et  envoyer  au  maréchal  une 
instruction  pour  réparer  les  fautes  commises  et  éviter  celles 
qui  naissaient  de  la  convention  même.  En  conséquence, 
le  Roi,  dans  son  conseil,  répondit  au  maréchal  qu'il  ap« 
prouvait  sa  conduite,  acceptait  la  convention  et  promet- 
tait de  la  ratifier  aussitôt  que  l'Angleterre  l'aurait  ratifiée 
elle-même.  Il  l'instruisait  du  traité  du  duc  de  Brunswick  ', 
qui  avait  promis  de  désarmer  ses  troupes  ;  lui  faisait  sentir 
combien  il  serait  dangereux  de  laisser  les  Hessois  armés 
et  rassemblés  en  Hesse,  où  étaient  nos  dépôts  de  farine 
et  notre  boulangerie;  combien  il  y  aurait  à  craindre,  s'il 


*  Convention  entre  la  France  et  rimpératrice-Reine  et  le  duc  de 
Brunswick,  signée  le  20  septembre  1757,  à  Vienne,  par  le  comte  de  Stain- 
yille,  au  nom  de  la  France,  le  comte  de  Raunitz,  au  mom  dé  l'Impéra- 
trice, et  Bernard- Paul  de  Moll,  au  nom  de  Charles,  duc  de  Brun&wick  et 
Lunebourg. 


26  MÉMOIRES  DU  CARDINAL   DE  BERI^IS. 

Dous  arrivait  des  malheurs,  que  les  troupes  armées  et 
rassemblées  ne  levassent  le  masque  et  n'attaquassent  nos 

communications  et  nos  magasins,  etc Il  envoyait  à 

son  général  une  instruction  pour  l'aider  à  corriger  les 
vices  de  la  convention  et  pour  remédier  aux  suites  funestes 
qu'elle  pourrait  avoir,  s'en  remettant,  pour  parvenir  à  ces 
fins,  à  sa  prudence  et  à  son  expérience  '. 

La  manière  dont  Sa  Majesté  l'instruisait  était  pleine 
d'éloge,  de  modération  et  de  douceur.  Le  maréchal ,  qui 
croyait  a  voir  fait  un  clief-d'œuvre,  ne  vit  dans  ces  réflexions 
qu'une  improbation  de  sa  conduite  dans  le  temps  qu*il 
prétendait  avoir  rendu  un  service  signalé ,  et  posé  le  fon- 
dement le  plus  solide  d'une  paix  prochaine  et  générale. 
L'humeur  le  prit,  il  proposa  grossièrement  au  landgrave 
le  désarmement  de  ses  troupes;  les  Hanovriens  réclamè- 
rent la  teneur  de  la  capitulation,  qui  ne  portait  nullement 
le  désarmement,  et  le  landgrave  refusa  de  se  soumettre  à 
une  pareille  honte.  II  amusait  le  maréchal  par  un  traité  de 
subsides  qu'il  sollicitait,  au  moyen  duquel  il  nous  aurait 
donné,  disait-il,  ses  troupes'.  D'un  autre  côté ,  madame 
de  Pompadour,  pressée  pur  M.  de  Soubise,  accusait  le 
maréchal  de  vouloir  livrer  ce  général  au  roi  de  Prusse  en 
refusant  de  lui  envoyer  les  troupes  qui  étaient  destinées  à 
Tannée  de  Saxe.  Effectivement,  Sa  Majesté  Prussienne 
pensa  surprendre  le  prince  de  Soubise  à  la  cour  de  Gotha, 
et  le  fit  rentrer  dans  les  montagnes  de  la  liesse  '. 

Toutes  ces  choses  ensemble ,  et  l'envoi  de  M.  de  Cre- 


*  Voir  cette  dépèche.  Filon,  p.  103. 

^  Voir  toutes  les  pièces  indiquées  par  Bemis  dans  le  Parallèle  cité 
plus  haut. 

'  Voir  ce  que  dit  Napoléon,  Précis  des  guerres  de  Frédéric  //,  p.  225 
et  231.  Ce  n'est  pas  le  roi  de  Prusse,  mais  Seydlitz,  avec  quinze  escadrons, 
qoi  fit  éracuer  Gotha  à  Soubise,  qui  avait  huit  mille  grenadiers  et  use 
&TBSÎOII  de  cavalerie. 


CAPITULATION    DE   CLOSTER-SEVEN.  ÎT 

milles  à  Halberstadt ,  donnèrent  au  maréchal  de  Richelieu 
une  aigreur  et  une  indisposition  qui  ne  6rent  qu'augmenter. 
Il  envoya,  fort  tard  à  la  véritë,  à  M.  de  Soubise  plus  de 
troupes  qu'il  n'en  demandait.  Il  se  plaignait  des  entraves 
que  la  cour  mettait  à  l'éxecution  de  la  capitulation  de 
Closter-Seven.  Pour  faire  finir  ses  plaintes,  je  lui  envoyai 
les  ratifications  du  Roi  et  le  plein  pouvoir  pour  convenir 
avec  le  duc  de  Cumberland  de  toutes  les  manières  qu'il 
jugerait  convenables  et  utiles  au  service  du  Roi  et  de  ses 
alliés.  M.  de  Voltaire  a  dit  que  cette  ratification  et  ces 
pouvoirs  arrivèrent  trop  tard  ',  tandis  que  la  ratification 
de  l'Angleterre  ne  fut  jamais  envoyée.  Il  aurait  dû  dire 
que  le  maréchal  de  Richelieu,  s'étant  aussi  éloigné  des 
armées  alliées ,  ayant  fait  partir  un  renfort  considérable 
pour  l'armée  de  Soubise,  çt  ayant  séparé  sa  propre  armée 
avant  la  bataille  de  Rosbacli ,  sans  vouloir  attendre  quel 
serait  le  dénoûment  de  la  capitulation  de  Closter-Seven, 
ni  celui  de  la  campagne  de  M.  de  Soubise ,  s'était  trouvé 
hors  d'état  de  faire  tenir  la  parole  donnée  par  le  duc  de 
Cumberland,  et  d'en  imposer  au  vieux  landgrave,  qui  se 
moqua  de  lui  en  ne  cessant  de  l'amuser. 

A  l'égard  du  duc  de  Brunswick,  lié  par  le  traité  parti- 
culier conclu  à  Vienne  le  mois  d'août  précédent,  il  fit 
semblant  de  se  plaindre  de  la  violence  qu'on  exerçait 
contre  ses  troupes;  il  leur  donna  ordre  de  se  retirer  de 
l'armée  des  alliés  ;  il  jeta  des  hauts  cris  de  ce  qu'on  rete- 
nait son  fils  le  prince  héréditaire  *,  malgré  ses  ordres.  En 
un  mot ,  il  joua  la  comédie  avec  un  air  fort  naturel.  Il 
écrivit  des  lettres  qui  respirent  Thonneur  et  la  bonne  foi; 
on  les  trouvera  imprimées  à  la  fin  de  l'écrit  intitulé  :  Parai-- 


>  Siècle  de  Louis  XV,  t.  III,  p.  184  (XXII  de  ledit,  de  1784). 
^  Le  prince  héréditaire,  pris  le  24  novembre  par  les  Autrichiens. 


2S  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE  BERNIS. 

lêle  de  la  conduite  du  Roi  en  opposition  avec  celle  du  roi 
d^ Angleterre.  Toute  celle  comédie  finit  par  le  rappel  du 
duc  de  Cumberland ,  que  le  Roi  son  père  ne  voulut  pas 
exposer  plus  longtemps  aux  reproches  qu'on  lui  faisait  de 
manquer  si  formellement  à  sa' parole;  on  mit  le  prince 
Ferdinand  de  Brunswick  à  sa  place ,  et  les  choses  chan- 
gèrent de  face.  Ce  ne  fut,  comme  disait  Louis  XIY  de 
M.  de  Vendôme,  qu'un  homme  de  plus,  et  cet  homme 
valut  une  armëe. 

La  convention  de  Closter-Seven  aurait  pu  être  exécutée 
si  M.  de  Richelieu  avait  fait  séparer  l'armée  hanovrienne 
avant  que  de  se  porter  à  Halberstadt  avec  la  totalité  de  la 
sienne;  si,  en  homme  de  guerre  et  en  homme  prudent,  il 
avait  stipulé  le  désarmement  des  troupes  de  Hesse,  qui, 
en  se  retirant  dans  leurs  pays,  nous  faisaient  craindre 
pour  nos  dépôts  et  pour  nos  communications;  s'il  avait 
fixé  l'époque  de  l'exécution  de  chaque  article;  s'il  avait 
pris  des  otages  et  des  sûretés;  s'il  n'avait  pas  laissé  la 
porte  ouverte  à  la  mauvaise  foi  des  Hanovriens,  en  remet- 
tant plusieurs  articles  importants  à  la  négociation  des  cours 
de  Versailles  et  de  Londres,  et  la  totalité  de  la  conven- 
tion à  la  ratification  des  mêmes  cours  '. 

Quand  la  France  aurait  ratifié  sur-le-champ  (ce  qu'elle 
promit  de  faire  à  Tinstant  que  l'Angleterre  s'y  détermi- 
nerait) ,  cela  n'aurait  avancé  en  rieji  l'exécution   de  la  . 
capitulation  ;  car  certainement  l'Angleterre  aurait  différé 
de  donner  sa  ratification ,  et ,  après  avoir  amusé  longtemps 


^  SorLATiB  Ta  plus  loin  que  Bernis  (Mém,  de  Richelieu,  t. 'IX,  p.  198), 
poisqu'il  afiinne  que  Richelieu  correspondait  avec  Frédéric  au  moyen 
d'une  macliine  à  chiffrer  que  lui,  boulavie,  avait  remise  à  Lebrun  le 
10  octobre  1792.  Il  tire  de  cette  comph'cité  entre  les  deui^  amis  de  Vol- 
taire des  conclusions  auxquelles  je  renvoie  le  lecteur,  et  qui  sont  de  na* 
tare  à  édifier  sur  le  patriotisme  des  diplomates  révolutionnaires. 


CAPITULATION   DE  CLOSTER-SEVEN.  29 

le  tapis  y  cette  cour  aurait  fini ,  comme  elle  le  fit,  par  rap- 
peler le  duc  de  Gumberland ,  qui  avait  seul  engagé  sa 
parole.  Le  roi  d'Angleterre  aurait  toujours  préféré  le  parti 
de  compromettre  son  fils  à  celui  de  livrer  ses  États  et  de 
détruire  sa  puissance  en  Allemagne.  Un  enfant  de  quinze 
ans,  bien  organisé,  aurait  prévu  toutes  ces  choses,  et 
n'aurait  pas  accumulé  les  imprudences  au  point  où  elles 
ont  été  multipliées  dans  cette  malheureuse  affaire.  Mais  le 
maréchal  de  Richelieu ,  s'étant  trop  avancé  dans  le  pays 
de  Stade,  craignait  d'y  séjourner  plus  longtemps,  de  peur 
d'y  être  enfoncé  dans  les  boues  dès  que  les  pluies  survien- 
draient. En  approchant  du  camp  de  Stade,  il  avait  trouvé 
qu'il  n'était  pas  aisé  de  l'attaquer;  il  craignait  un  échec 
(car,  d'ailleurs,  il  faut  rendre  justice  à  sa  valeur),  mais  il 
ne  voulait  pas  compromettre  la  gloire  qu'il  avait  acquise 
à  Minorque. 

Il  est  certain  qu'en  forçant  le  camp  de  Stade,  l'armée 
hanovrienne  était  perdue  sans  ressources,  ayant  l'Elbe  à 
son  dos,  lequel  dans  cet  endroit  est  une  mer;  c'est  alors 
qu'elle  aurait  véritablement  capitulé  et  mis  bas  les  armes. 
Le  succès  de  cette  attaque  était  pourtant  infaillible,  si  le 
maréchal  avait  pris  toutes  les  précautions  nécessaires  pour 
y  parvenir;  la  supériorité  de  ses  forces,  la  consternation 
de  l'ennemi  et  la  meilleure  qualité  de  nos  troupes  l'assu- 
raient entièrement.  Mais  le  maréchal  de  Richelieu  avait 
alors  d'autres  projets  :  il  ne  voulait  pas  laisser  à  M.  de 
Soubise  la  gloire  de  conquérir  la  Saxe  et  d'en  chasser  le 
roi  de  Prusse.  C^est  dans  cette  intention  qu'il  se  porta  sur 
Halberstadt  immédiatement  après  que  la  convention  de 
Closter-Seven  fut  signée,  sans  attendre  les  ordres  du  Roi 
et  sans  savoir  si  Sa  Majesté  approuverait  la  convention. 

Arrivé  à  Halberstadt,  il  trouva  qu'il  était  doux  et  utile 
de  lever  des  contributions  et  de  dévorer  un  pays  riche 


80  MEMOIRES   DU  CARDINAL  DE  RERNIS. 

qui  aurait  dû  approvisionner  nos  quartiers  d*hiver  en  fai- 
sant refluer  ses  productions  sur  nos  derrières.  De  plus ,  il 
vit  clairement  que  madame  de  Pompadour  voulait  que 
M.  de  Soubise  eût  la  gloire  de  s'établir  en  Saxe.  Elle 
demandait  vivement  qu'on  envoyât  les  troupes  convenues. 
Les  intrigantes  de  Paris  et  de  Versailles,  ses  anciennes 
maîtresses,  lui  échauffaient  la  tète  par  leurs  lettres; 
M.  Rouillé,  par  sa  femme ,  lui  faisait  parvenir  toutes  les 
«réflexions  du  conseil  du  Roi.  Alors  le  dépit  s'unit,  dans 
l'âme  du  maréchal ,  au  mécontentement  du  peu  d'appro- 
bation que  la  cour  avait  donné  à  la  convention  de  Gloster- 
Seven;  il  se  livra  à  l'humeur  comme  un  jeune  homme. 

Le  maréchal  se  détermina  enfin  à  envoyer  à  M.  de 
Soubise  les  troupes  qu'il  demandait,  et  sépara  son  armée  : 
une  partie  rejoignit  le  bas  Rhin,  et  l'autre  passa  ce  fleuve; 
de  sorte  que  lorsque  le  prince  Ferdinand  ,  successeur  du 
duc  de  Cumberland  ,  sortit  de  ses  quartiers  et  leva  le 
masque  après  la  bataille  de  Rosbach ,  le  maréchal  ne  put 
aller  à  lui  qu'avec  quarante  bataillons.  Il  fit  dans  cette 
occasion  une  grande  faute  ;  car  il  ne  faut  jamais  marcher 
à  Tennemi  quand  on  n'est  pas  assez  fort  pour  lui  en  impo- 
ser, ni  pour  le  combattre.  Aussi  le  maréchal  fut-il  obligé 
de  reculer  de  Lunebourg  jusqu'à  Zell  *,  et  défaire  revenir 
dans  la  mauvaise  saison  les  troupes  qui,  après  de  longues 
marches,  avaient  à  peine  rejoint  leurs  quartiers.  Ces  mar- 
ches et  contre-marches  ruinèrent  en  partie  la  plus  belle 
armée  que  le  Roi  ait  jamais  eue.  La  conduite  du  maré- 
chal à  Halberstadt  fut  incompréhensible. 

M.  de  Soubise,  ayant  reçu  des  renforts,  s'avança  en 
Saxe  témérairement,  et  contre  la  teneur  de  ses  instruc- 

Wl  y  a  treize  lieues  de  pays  entre  ces  deux  villes,  qui,  situées,  toutes  deux 
dans  la  principauté  de  Lunebourg,  appartenaient  à  Télecteur  de  Hanovre, 
roi  d'Angleterre. 


CAPITULATION   DE  CLOSTER-SEVEN.  81 

lions»  qui  lui  défendaient  de  s'exposer  à  une  action  avec 
le  roi  de  Prusse ,  lui  ordonnaient  de  l'amuser  et  de  reculer 
devant  lui  pour  favoriser  les  opérations  des  Autrichiens 
en  Silésie;  ou  si,  trop  pressé  en  Silésie,  le  roi  de  Prusse 
abandonnait  la  Saxe,  il  était  ordonna  à  M.  de  Soubise  de 
s'y  établir  militairement.  Voilà  quelles  étaient  ses  instruc- 
tions, sagement  dressées  par  le  maréchal  de  Belle-Isle. 
Impatient  d'acquérir  de  la  gloire,  d'être  maréchal  de 
France,  et  peut-être  de  commander  seul  la  grande 
armée,  M.  de  Soubise  poussa  une  tête  jusqu'aux  portes  de 
Leipzig. 

C'est  à  cette  époque  que  le  maréchal  de  Richelieu  sé- 
para son  armée.  L'armée  hanovrienne  demandait  déjà  à 
étendre  ses  quartiers,  et  annonçait  dès  lors  la  rupture  de 
la  capitulation.  C'était  une  autre  considération  impor- 
tante pour  ne  pas  séparer  l'armée.  Le  maréchal  de  Riche- 
lieu avait  un  coup  sur  à  faire  :  en  supposant,  comme  cela 
était  vraisemblable,  que  M.  de  Soubise  fût  battu  par  le  roi 
de  Prusse,  le  maréchal,  en  se  portant  sur  la  Saxe  et  choi- 
sissant un  bon  poste,  mettait  le  roi  de  Prusse  dans  la  né- 
cessité ou  de  le  combattre  avec  des  forces  inférieures,  ou 
il  contraignait  ce  prince  de  rester  en  Saxe,  d^  peur  que  le 
maréchal  ne  s'en  emparât.  Dans  les  deux  cas  les  Hano- 
vriens  n'auraient  eu  garde  d'enfreindre  la  capitulation, 
tant  que  le  roi  de  Prusse  aurait  été  dans  l'embarras  pour 
la  Saxe  :  ils  ne  se  déterminèrent  en  effet  et  ne  pouvaient, 
sans  imprudence,  se  déterminer  à  la  violer,  qu'après  la 
séparation  de  l'armée  du  maréchal  de  Richelieu.  La  dé- 
faite de  M.  de  Soubise  n'était  donc  rien,  si  le  maréchal 
avait  menacé  la  Saxe  avec  toutes  ses  forces  :  l'armée 
battue  rentrait  en  Hesse,  et  mettait  le  landgrave  et  son 
pays  sous  notre  domination  immédiate.  Le  maréchal  de 
Richelieu  avait  soixante  et  dix  mille  hommes,  et  le  roi  de 


3«  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE   BERNIS. 

Prusse  n'avait  pu  en  rassembler  que  vingt  •huit  à  trente^ 
même  en  tirant  les  garnisons  de  ses  places. 

Ainsi  les  fautes  commises  dans  la  capitulation  ou  con- 
vention de  Closter-Seven,  quelque  grandes  qu'elles  soient» 
ne  sont  pas  comparables  à  celle  d'avoir  séparé  l'armée 
dans  le  moment  le  plus  critique.  En  évitant  cette  faute,  le 
maréchal  de  Richelieu  aurait  pu  justifier  sa  marche  impru- 
dente et  son  séjour  inutile  à  Halberstadt;  il  aurait  réparé 
le  malheur  de  Rosbach  par  sa  seule  contenance,  décon- 
certé les  projets  du  roi  de  Prusse,  favorisé  les  opérations 
de  nos.  alliés  et  empêché  la  trahison  des  Hanovriens.  Ceux- 
ci  ne  manquèrent  pas  d'en  rejeter  la  honte  sur  nous,  dans 
de  beaux  manifestes,  en  nous  accusant  d'avoir  violé 
les  premiers  la  capitulation.  Le  succès  justifie  tout  à  la 
guerre  :  les  malheureux  et  les  dupes  y  sont  les  seuls  con- 
damnés. 

On  sait  ce  qui  se  passa  après  la  bataille  de  Rosbach  et 
la  rupture  de  la  capitulation  :  le  maréchal  de  Richelit^u, 
ainsi  qu'il  a  été  dit,  marcha  sur  le  prince  Ferdinand  avec 
peu  de  forces,  et  rétro»jrada  jusqu*à  Zell,  où  Tarmée  des 
alliés  fit  mine  de  fattaquer.  On  délibéra  à  Zell  d'éva- 
cuer la  totalité  de  Télectorat  de  Hanovre  :  l'ordre  de  la 
retraite  était  donné,  mais  l'arrivée  de  seize  bataillons 
détermina  le  maréchal  à  passer  la  rivière  et  ii  offrir  le 
combat  aux  Hanovriens.  Cette  démarche  audacieuse  et 
bien  combinée  força  le  prince  Ferdinand  à  aller  prendre 
ses  quartiers,  bien  résolu  d'attaquer  bientôt  les  nôtres.  Le 
comte*  de  Maillel>ois  donna  de  bons  conseils  dans  cette 
circonstance  :  il  avait  joué  le  rôle  d'un  personnage  muet 
(I  la  capitulation  de  Closter-Seven  et  avait  certainement 
trop  d*esprit  pour  ne  pas  en  sentir  le  vice  ;  mais  il  était  de 
son  intérêt  que  nos  généraux  se  perdissent  Vun  après 
l'autre  par  leurs  foutes,  afin  de  n*avoir  personne  devant 


CAPITULATION   DE  CLOSTER-SEVEN.  33 

lui,  qui  pût  lui  disputer  le  commandemeut  de  l'armée. 

Après  la  retraite  du  prince  Ferdinand,  le  maréchal  de 
Richelieu  songea  à  mettre  son  armée  eu  quartiers  d'hiver  : 
elle  avait  grand  besoin  de  se  reposer  et  d'être  réparée.  Il 
manda  à  la  cour  que  l'armée  du  Roi  était  placée  dans  des 
citadelles  inexpugnables  (ce  furent  ses  termes),  et  qu'il 
était  nécessaire  pour  sa  santé  et  le  s^lut  de  l'armée  qu'il 
vînt  passer  l'hiver  à  la  cour.  On  résista  quelque  temps  h 
cette  proposition;  mais  enfin  madame  de  Pompadour,  qui 
le  haïssait,  détermina  le  Roi  à  le  rappeler,  et  à  envoyer  h 
sa  place  M.  le  comte  de  Clermont,  prince  du  sang  ',  avec 
M.  de  Gremilles  pour  l'assister  de  ses  conseils. 

J'avais  été  d'avis  qu'au  lieu  de  rappeler  le  maréchal,  on 
lui  mandat  qu'il  était  maître  de  revenir  a  Versailles;  mais 
que,  comme  le  Roi  était  informé  que  ses  quartiers  d'hiver 
devaient  être  attaqués.  Sa  Majesté  serait  obligée  de  nom- 
mer un  autre  général,  n'ayant  pas  assez  de  confiance  en 
M.  de  Viilemur  pour  lui  laisser  le  soin  de  commander 
jusqu'au  printemps  une  si  grande  armée.  Si  on. avait  pris 
ce  parti,  le  maréchal  ne  serait  pas  revenu,  et,  comme  il  a 
de  l'audace  et  qu'il  est  heureux,  il  aurait  peut-être  décon- 
certé les  opérations  de  l'ennemi^  ou  se  serait  retiré  avec 


1  Louis  de  Bourbon-Condé,  comte  de  Clermont,  frère  du  duc  de  Bour- 
bon et  du  comte  de  Charolais,  né  le  15  juin  1709,  reçut  les  ordres  à 
neuf  ans  et  fut  nommé  abbé  de  Saint-Germain  des  Prés,  du  Bec,  de 
Saint-Claude  et  de  Marmoutiers.  Une  dispense  de  Clément  XII  (1733)  lui 
ayant  permis  de  porter  les  armes,  il  servit  de  1743  à  1747  et  fut  nomme 
commandant  de  l'armée  de  Hanovre  le  17  janvier  1758.  Battu  à  Creweld, 
il  fut  remplacé  et  mourut  le  16  juin  1771.  Le  comte  de  Clermont  était  de 
r Académie  depuis  1754.  Voir  le  Comte  de  Clermont,  etc.,  par  M.  Jules 
CoDsiM,  2  vol.  in-12  carré,  de  l'Académie  des  Bibliophiles,  et  le-  Comte  de 
Clermont,  par  M.  Sainte-Beuve,  1  vol.  même  format,  même  librairie  ;  voir 
surtout  le  Comte  de  Gisors  de  M.  Cam.  Rousset,  1  vol.  in-12,  Didier,  où 
se  trouvent  des  lettres  du  prince,  qui,  si  elles  étaient  publiées  m  extenso, 
pourraient  bien  changer  sur  son  compte  Topinion  de  Thistoire. 
II.  3 


34  MÉMOIRES   DO    CARDINAL    DE   BERNIS. 

moins  de  pertes  et  plus  de  gloire.  La  vérité  est  que  peu  de, 
jours  après  le  retour  du  maréchal  de  Richelieu,  on  apprit 
qu'un  de  nos  quartiers  avait  été  forcé  *  et  que  nous  aban- 
donnions toutes  nos  conquêtes,  nos  malades,  nos  maga- 
sins, notre  grosse  artillerie,  la  garnison  de  Minden  *  et 
tous  les  avantages  de  la  campagne  précédente. 
.  Le  maréchal  de  Richelieu,  qui  se  plaignait  de  niioi  se- 
crètement, me  voyait  tous  les  jours,  et  ne  m'accusait  pas 
en  public  d'avoir  voulu  lui  nuire  :  il  pouvait  s'en  prendre 
de  préférence  h  ses  propres  fautes  et  à  l'inimitié  de  ma- 
dame de  Pompadour  et  du  maréchal  de  Belle-'lsle;  car 
pour  mojiy  je  l'avais  traité  comme  un  ami,  tandis  que, 
comme  ministre  des  affaires  étrangères,  je  pouvais  de- 
mander qu'il  fût  puni.  Je  crus  même  qu'il  était  de  la 
dignité  du  Roi  de  ne  pas  faire  retomber  sur  l'imprudence 
de  son  général  la  rupture  de  la  capitulation  de  Closter- 
Scven. 

Dans  le  Parallèle  de  la  conduite  du  Roi  avec  celle  du  roi 
if  Angleterre,  électeur  de  Hanovre,  on  rejeta  tout  l'odieux  de 
cette  rupture  sur  la  mauvaise  foi  de  la  cour  de  Londres  ; 
on  y  excusa  les  fautes  du  maréchal  sur  l'opinion  où  il 
était  que  le  duc  de  Cumberland  ne  pouvait  pas  manquer 
à  une  parole  d'honneur,  ni  le  roi  d'Angleterre  déshonorer 
son  fils  en  se  jouant  de  la  parole  qu'il  avait  donnée.  Je 
chargeai  Bussy,  premier  commis  aux  affaires  étrangères 
et  ancien  secrétaire  d'ambassade  du  maréchal  de  Richelieu ', 


^  Le  18  février,  le  marquis  de  Saint-Chamans  est  forcé  à  Verden;  le  23, 
le  comte  de  Cbaliot  la  Serre  est  attaqué  et  forcé  dans  Hoya. 

^  Minden  capitule  le  14  mars  1758. 

3  Bussy,  secrétaire  du  duc  de  Richelieu  dans  sa  première  ambassade  à 
Tienne,  reste  chargé  d'affaires  depuis  son  départ  jusqu'à  l'arrivée  du  comte 
de  Cambis;  puis,  suivant  A.  Bàschet  (Histoire  du  Dépôt)^  est  employé  aux 
bureaux  politiques  ;  en  1737  il  est  ministre  à  Hanovre,  en  1740  cbaiigé 
d'affaires  à  Londres  après  la  mort  du  comte  de  Cambis.  Kommé  premier 


CAPITULATION   DE  CLOSTER-SEVEN.  35 

de  dresser  cette  pièce,  assez  mal  faite  pour  la  forme,  et  de 
la  communiquer  au  maréchal,  qui  y  donna  son  approba- 
tion, avec  d'autant  plus  de  plaisir  qu'il  s'est  servi  depuis 
de  cet  écrit  politique  comme  d'un  bouclier,  pour  disculper 
son  imprudence  et  sa  duperie;  mais  comme  la  capitulation 
est  imprimée  h  la  suite  de  ce  manifeste,  à  travers  le  voile 
qui  cache  les  fautes  du  maréchal,  il  est  bien  aisé,  à  des 
yeux  un  peu  attentifs,  de  les  deviner  et  de  voir  que  le  Roi 
n'a  pas  voulu  accuser  son  général ,  n'ayant  pas  jugé  à 
propos  de  le  punir. 

Le  maréchal  entretint  avec  moi  un  commerce  d'hon- 
nêteté et  d'amitié  tant  que  je  fus  en  place;  mais  il  se  dé- 
chaîna pendant  mon  exil  :  il  aurait  été  plus  noble  de  se 
brouiller  avec  moi  quand  je  pouvais  me  défendre.  Je  l'a- 
vais fait  nommer  pour  l'expédition  de  Minorque;  je  venais 
de  disculper  sa  conduite  militaire  et  politique  à  la  face  de 
l'Europe  :  il  aurait  pu  se  dispenser  de  se  déclarer  contre 
moi  au  moment  de  ma  chute;  c'est'au  moins  ainsi  que 
j'en  aurais  usé,  si  j'avais  été  à  sa  place.  A  l'égard  du  pré- 
sident Ogier,  il  se  disculpa  en  envoyant  les  lettres  du 
maréchal  de  Richelieu,  qui  faisaient  entendre  qu'il  était 
autorisé  à  traiter  avec  le  duc  de  Cumberland. 

Cette  évacuation  du  pays  de  Hanovre  coûta  a  la  France 
quarante  millions,  outre  la  honte 


commis  le  24  mars  1749,  il  est  de  nouveau  ministre  à  Hanovre  en  1755  et 
quitte  ce  poste  le  26  juillet,  sans  prendre  congé.  Enfin,  en  1761,  il  est 
ministre  près  du  roi  de  la  Grande-Bretagne. 


CHAPITRE  XLl 

DE    L*AFFAIRE    DE    ROSBACH,    LE    5    NOVEMBRE    1757 


J'ai  dit  prëcédemment  que  les  instructions  de  M.  de 
Soubise  portaient  qu'il  amuserait  le  roi  de  Prusse  en  Saxe 
pendant  que  les  Autrichiens  feraient  le  siège  de  Schweidnitz 
et  tenteraient  tout  pour  s'établir  en  Silésie;  qu'il  était 
défendu  à  ce  général  de  s'exposer  à  une  action  décisive. 
Ce  plan  fut  suivi  tant  que  M.  de  Soubise  eut  peu  de 
troupes;  mais  sitôt  qu'il  eut  reçu  le  renfort  que  M.  de  Ri- 
chelieu lui  envoya,  malgré  lui,  les  mains  lui  démangèrent, 
et  il  envoya  le  comte  de  Saint-Germain  ',  homme  d'es- 
prit, homme  de  guerre,  qui  sait  commander,  mais  qui 
obéit  difBcilement,  avec  une  tête  de  troupes  aux  environs 


1  Louis-Claude,  comte  de  Saint-Germain,  né  à  Vertamboz  (Jura)  le 
15  avril  1707,  lieutenant  au  bataillon  de  milice  de  la  Franche-Comté  en 
17S6,  quitte  en  1729  le  service  de  France  pour  entrer  h  celui, de  Félecteur 
palatin,  puis,  en  1730,  à  celui  de  l'Empereur.  En  1741,  il  entre  au  service 
de  rélecteur  de  Bavière,  qui  le  crée  major  général  et  lieutenant  général  de 
ses  armées.  Après  avoir  essayé  vainement  de  s'entendre  avec  le  roi  de 
Prusse  (1745),  il  revient  en  France,  où  il  obtient  (1^  avril  1746)  le  grade 
de  marécbal  de  camp,  et  bientôt  (10  mai  1748)  celui  de  lieutenant  général. 
Employé  en  1757  à  l'armée  de  Soubise,  en  1758,  1759  et  1760  en  Alle- 
magne, il  quitte  de  nouveau  le  service  de  France,  à  la  suite  de  discussions 
avec  le  duc  de  Broglie,  son  général,  entre  au  service  du  Danemark,  où  il 
devient  feld-maréchal,  le  quitte  bientôt  pour  rentrer  en  France,  devient 
ministre  de  la  guerre  avec  Turgot  en  1775,  est  renvoyé  à  la  suite  de  ses 
ordonnances  sur  les  châtiments  corporels  (1777),  et  meurt  à  Paris  le 
15  janvier  1778.  (Voir  sa  Correspondance  avec  Paris-Duvernay,  2  vol.  in-8*. 
Paris,  1789.) 


AFFAIRE   DE   ROSBACH.  37 

de  Leipsick  :  ce  général  n'approuvait  pas  cette  pointe  ; 
mais  il  sut  s'en  tirer  en  habile  homme.  Cependant  le  roi 
de  Prusse  rassemblait  ses  forces. 

Quand  on  apprit  a  Versailles  la  position  de  M.  de  Sou- 
bise,  on  examina  dans  le  conseil  du  Roi  s'il  était  expédient 
de  changer  les  instructions  qu'on  lui  avait  données.  L'avis 
fut  unanime  de  lui  ordonner  de  s'en  tenir  au  premier  plan 
et  de  ne  rien  hasarder  :  on  savait  que  le  roi  de  Prusse 
était  fort  pressé  de  repasser  en  Silésie,  et  ce  n'était  pas  le 
cas  de  hasarder  une  bataille.  Madame  de  Pompadour  fut 
fort  choquée  que  les  ministres  du  Roi  s'opposassent  ainsi 
à  la  gloire  de  M.  de  Soubise;  chacun  nia  avoir  été  d'avis 
de  lui  ordonner  de  revenir  sur  ses  pas  :  il  n'y  eut  que  moi 
qui  eus  le  courage  de  garder  mon  opinion  et  d'oser  en 
convenir.  Cependant  M.  de  Paulmy  *  écrivit  une  lettre  tor- 
tillée à  M.  de  Soubise,  pour  lui  faire  entendre  l'avis  du 
conseil  du  Roi,  sans  lui  défendre  de  combattre,  s'il  croyait 
pouvoir  le  faire  avec  avantage. 

Voilà,  après  la  convention  de  Closter-Seven,  la  seconde 
époque  des  malheurs  de  la  guerre.  C'est  la  première  de 
l'aigreur  qui  commença  à  se  glisser  dans  mes  relations 
avec  madame  de  Pompadour  :  elle  voulait  que  j'eusse 
les  mêmes  préventions  et  le  même  zèle  qu  elle  en  faveur 
de^.  de  Soubise,  et  cela  n'était  pas  possible. 

...  Il  faut  dire,  à  la  louange  de  ce  général,  que  dès  qu'il 
connut  les  intentions  du  Roi,  il  se  retira,  non  sans  quel- 
ques risques,  et  fut  prendre  un  camp  près  de  Rosbach,  où 


1  Antoine-René  de  Voyer,  dit  le  marquis  de  Paulmy,  fils  du  marquis 
d'Argenson  (ancien  ministre  des  affaires  étrangères)  et  de  Marie-Madeleine 
Méliand,  né  le  22  novembre  1722,  conseiller  au  Parlement  (1744),  maître 
des  requêtes  (1747),  ambassadeur  en  Suisse  (1748),  secrétaire  d'État  de  la 
guerre  en  survivance  (1751),  titulaire,  du  l*'  février  1757.  à  mars  1758, 
ambassadeur  en  Pologne  (1762),  à  Venise  (1766),  mort  le  13  août  1787. 


38  MEMOIRES  DU   CARDINAL   DE   BERMS. 

il  manda  qu'il  attendrait  le  roi  de  Prusse.  Ce  prince,  en 
effet,  vint  le  tâter Favant-veille  de  la  bataille;  malg^  la 
bonté  du  poste,  il  aurait  attaqué  M.  de  Soubise  par  la 
droite,  occupée  par  l'armée  de  l'Empire,  dont  le  roi  de 
Prusse  ne  Faisait  pas  grand  cas,  et  où  il  avait  beaucoup  de 
partisans  ;  mais  le  maréchal  Keith  et  le  prince  Henri,  son 
frère,  grands  généraux,  ne  furent  pas  de  cet  avis.  On  dit 
même  que  M.  Keith  osa  dire  au  roi  de  Prusse  :  «  Sire,  sou- 
\enez-vous  de  Kollin.  »  Cette  journée  se  passa  en  canon- 
nades :  le  roi  de  Prusse  regagna  son  camp,  dans  le  dessein 
de  décamper  bientôt  et  de  marcher  en  Silésie.  Le  surlen- 
demain de  cette  tentative  inutile,  et  glorieuse  pour  M.  de 
Soubise,  ce  général  tint  un  conseil  de  guerre,  où  il  fut 
résolu  de  laisser  décamper  tranquillement  le  roi  de  Prusse 
et  de  prendre  ensuite  ses  quartiers  d'hiver. 

Je  ne  sus  qu'un  an  après  ce  qui  avait  décidé  d^attaquer 
le  roi  de  Prusse  après  la  résolution  contraire  prise  le 
matin;  le  duc  de  Choiseul,  en  revenant  de  Vienne  pour 
remplir  à  ma  place  le  poste  des  afiiiires  étrangères,  m'ap- 
prit que  c'était  lui  qui  avait  décidé  cette  action.  Le  cour- 
rier qu'il  avait  dépêché  au  maréchal  de  Soubise  arriva 
après  le  conseil  de  guerre  dont  je  viens  de  parler,  et  dé- 
cida l'affaire  '  :  la  cour  de  Vienne  jetait  feu  et  flammes  de 
ce  que  M.  de  Soubise  n'osait  attaquer  le  roi  de  Prusse 
avec  des  forces  supérieures  ;  elle  craignait  que  Sa  Majesté 
ne  vînt  interrompre  les  succès  du  prince  Charles  en  Silé- 
sie, et  madame  de  Pompadour  avait  écrit  au  duc  de  Choi- 
seul que  le  conseil  du  Roi  ne  tendait  qu'à  déshonorer 
M.  de  Soubise.  M.  de  Choiseul  prit  sur  lui  d'exhorter  ce 
général  à  plus  de  hardiesse  et  de  confiance.  L'ordre  pour 
marcher  au  roi  de  Prusse  fut  donné  à  midi.  Nous  reçûmes 

*  Voir  celte  lettre  dans  Filos,  Ambass,  de  Choiseul,  p.  107. 


AFFAIRE   DE   ROSBACH.  39 

deux  courriers  ce  jour-là  :  l'un  nous  apportait  la  résolution  de 
comhuttre,  Fautre  annonçait  la  défaite  complète  de  notre 
armée  :  le  premier  courrier  m'avait  fait  deviner  le  second. 
On  voit  par  cette  anecdocte  que  M.  de  Soubise  fut  en 
quelque  sorte  excusable  d'avoir  déféré  aux  conseils  d'un 
ministre,  qu'il  savait  bien  instruit;  mais  on  voit  aussi  par 
quelles  intri(][ues  sourdes  toutes  les  affaires  étaient  menées. 

Je  ne  dirai  rien  de  cet  événement  honteux,  et  dans  le- 
quel M.  de  Soubise  donna  des  preuves   de  valeur,    les 
troupes  de  lâcheté*,  le  comte  de  Saint-Germain,  qui  6t 
la  retraite,  d'habileté,  et  le  roi  de  Prusse,  de  la  supériorité 
de  son  coup  d'œil  et  de  ses  talents.  Il  dit  aux  oFBciers 
français  qui  eurent  l'honneur  de  souper  avec  lui  le  jour  de 
la  bataille,  qu'il  n'avait  pas  cru  être  attaqué  par  les  Fran- 
çais, qu'il  avait  pris  nos  premières  troupes  pour  des  ma- 
raudeurs de  l'armée  de  l'Empire;  qu'il  avait  fait  d'assez 
bonne  beso{][ne  dans  cette  journée,  mais  qu'il  lui  en  restait 
de  plus  importante  ailleurs.  En  efFet,  il  partit  le  lendemain 
pour  se  rendre  en  Silésie;  chemin  faisant,  il  apprit  la  prise 
de  Schweidnitz  *,   et  continua  sa  marche  ;  peu  de  jours 
ensuite,  il  apprit  la  bataille  deBreslaw',  la  défaite,  la  dis- 
persion de  son  armée,  la  prise  du  prince  de  Bevern  *,  qui 
la  commandait,  et  marcha  en  avant.  C'est  peut-être  dans 
cette  occasion  que  ce  prince  a  marqué  le  plus  de  présence 
d'esprit  et  de  courage. 

On  sait  ce  qui  se  passa  à  Lissa  ^  un  mois  après  la  bataille 

^  Voir  la  Dépêche  de  Bernis  à  Stainvilley  Filon,  p.  113. 

*^  12  novembre  1757.  (Supplément  à  la  Gazette  de  France  du  26  no- 
vembre 1757.) 

3  22  novembre. 

^  Le  24  novembre,  à  quatre  beures  du  matin,  le  duc  de  Bevern,  allant 
reconnaître,  fut  pris  par  un  poste  avancé  de  Croates,  dont  un  petit  corps 
avait  passé  TOder,  sous  les  ordres  du  général  Beck. 

^  Bourg  de  Silésie,  dans  le  cercle  de  Neuraarkt;  la  bataille  fut  livrée 
le  5  décembre  1757. 


40  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE   BERNIS. 

de  Rosbach.  Il  ne  m'appartient  pas  de  dire  leâ  fautes  que 
les  généraux  autrichiens  firent  dans  cette  journée,  puis- 
qu'ils surent  si  bien  les  réparer  la  campagne  d'après,  au 
siège  d'Olmiitz,  et  que  l'Impératrice- Reine  et  le  comte  de 
Kaunitz,  son  ministre,  créèrent  dans  l'espace  de  trois  mois 
une  nouvelle  armée  qui  obligea  le  roi  de  Prusse  à  lever  le 
siège  de  cette  place,  et  à  renoncer  au  grand  projet  de 
marcher  h  Vienne  et  de  renverser  la  puissance  autri- 
chienne. 

Après  Rosbach,  je  fus  d'avis,  encore  avec  tout  Je  con- 
seil, d'ordonner  au  prince  de  Soubise  de  joindre  ses 
troupes  à  celles  du  maréchal  de  Richelieu,  qui,  ayant 
séparé  son  armée,  aurait  été  suffisamment  renforcé  pour 
en  imposer  au  prince  Ferdinand,  qui  avait  rompu  la  capi- 
tulation de  Closter-Seven.  Madame  de  Pompadour  se 
fâcha  qu'on  eût  mis  son  général  aux  ordres  du  maréchal 
de  Richelieu  :  chaque  ministre  retira  son  avis,  je  conservai 
le  mien  et  j'osai  le  soutenir.  Elle  m'en  témoigna  son  indi- 
gnation ;  je  lui  répondis  que  j'étais  serviteur  de  M.  de  Sou- 
bise, mais  que  ses  intérêts  m'étaient  encore  moins  chers 
que  ceux  de  l'État.  Voilà  l'époque  où  l'amitié  de  ma- 
dame de  Pompadour  pour  moi  commença  à  se  refroidir; 
elle  se  ranima  un  peu,  la  campagne  suivante,  quand  je 
fus  d'avis  qu'on  donnât  à  M.  de  Soubise  vingt-quatre  mille 
hommes  à  commander  et.  à  joindre  aux  Autrichiens.  On 
verra  plus  loin  que  cette  ^mée  fut  ensuite  dirigée  sur  la 
Hesse,  et  obligea  le  prince  Ferdinand,  après  la  bataille 
de  Grevelt,  de' repasser  le  Rhin  pour  venir  couvrir  son 
pays.  Ainsi  la  campagne  de  1757  se  termina  par  les 
batailles  de  Rosbach  et  de  Lissa,  qui  causèrent  aux  Autri- 
chiens et  à  nous  un  dommage  incalculable. 

Je  songeai  entre   ces  deux  batailles  aux  moyens  de 
terminer  la  guerre,  et  je  commençai  à  y  préparer  de  loin 


AFFAIRE  DE  BOSBACH.  41 

nos  allies.  En  même  temps  je  projetai  de  faire  pencher  la 
balance  par  la  déclaration  du  Danemark  :  la  négociation 
fut  si  secrète  qu'elle  n'a  pas  encore  beaucoup  transpiré. 
Le  baron  de  BernstorfF',  ministre  des  affaires  étrangères  à 
Copenhague  y  homme  fin  et  habile,  ne  désirait,  comme 
je  crois  l'avoir  déjà  dit,  ni  notre  triomphe,  ni  l'agran- 
dissement du  roi  de  Prusse,  ni  celui  de  nos  alliés.  Il 
ménageait  l'Angleterre,  aspirait  au  rôle  de  médiateur 
dans  la  paix  générale,  et  voyant  que  le  roi  de  Prusse 
allait  prendre  un  ascendant  trop  fort,  il  prêta  l'oreille 
aux  insinuations  que  je  lui  fis  foire,  en  lui  rappelant  une 
phrase  d'une  de  ses  dépêches,  qui  m'avait  frappée  :  le 
conseil  du  Roi  approuva  ma  négociation,  sans  croire 
qu'elle  pût  réussir.  Il  fut  fort  étonné  quand  je  mis  sous 
ses  yeux  en  très-peu  de  temps  la  convention  toute 
signée  ^.  Ce  ne  fut  pas  sans  peine  que  je  calmai  les  inquié- 
tudes de  nos  alliés  sur  cette  négociation.  Le  président 
Ogier  répara  bien  dans  cette  occasion  la  faute  qu'il  avait 
faite  lors  de  la  convention  de  Closter-Seven.  Il  s'agissait 
d'avancer  au  Danemark  une  somme  assez  modi(]ue  pour 
le  mettre  en  état  de  paraftre  sur  la  scène  avec  quarante 
mille  hommes,  et  de  lui  assurer  à  la  paix  nos  bons  offices 
pour  un  arrondissement  qui  lui  convenait.  Le  contrôleur 
général  me  permit  tout  :  il  manqua  de  parole  :  une  nou- 


1  Jean-Harlwîg-ErnesC,  comte  de  BernstorfF,  né  à  Hanovre  le  13  mai 
1712,  entre  de  bonne  heure  au  service  du  Danemark,  est  envoyé  d'abord 
près  la 'diète  de  Ratisbonne  (172Ï),  puis  à  Paris  (1744).  Secrétaire  d'État 
en  1750,  titré  comte  par  Chrétien  VU,  disgracié  par  Frédéric  V  en  1770, 
il  mourut  sur  la  route  de  Copenhague,  où  il  était  rappelé  à  la  suite  de  la 
chute  de  Struensée,  le  10  février  1772.  On  a  la  Correspondance  entre 
Bernstorff  et  Choiseul.  Copenhague,  1871,  in-8°, 

^  Le  traité  définitif  auquel  Bernis  fait  allusion  plus  loin,  conclu  à  Co- 
penhague, le  4  mai  1758,  et  publié  par  Koch  (11,  125),  porte  qu'une 
armée  danoise  doit  être  réunie  dans  le  Holstein,  et  que  la  France  favori- 
sera réchange  du  Holstein  contre  Oldenbourg. 


44  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE   BERNIS. 

plus  porter  le  poids  des  dépenses  ;  que  dans  cet  état  il  y 
aurait  de  la  folie  à  continuer  une  guerre  ruineuse  ;  que 
nous  devions  nous  occuper  sérieusement  de  la  paix  de 
'concert  avec  nos  alliés;  que  la  Suède  et  la  Russie  s'y 
porteraient  aisément ,  ainsi  que  la  Saxe  et  TEmpire,  et 
qu'il  fallait  attendre  qu'il  arrivât  quelque  disgrâce  à  la 
cour  de  Vienne  ,  déterminée  à  continuer  la  guerre,  pour 
la  faire  entrer  dans  nos  vues;  que  par  rapport  à  notre 
guerre  maritime,  j'avais  déjà  préparé  la  cour  de  Madrid  à 
se  prêter  pour  médiatrice ,  et  à  faire  respecter  sa  média- 
tion par  l'augmentation  de  ses  forces  de  terre  et  de  mer; 
que  la  reine  d'Espagne,  si  opposée  à  entrer  dans  nos 
querelles,  commençait  à  sentir  combien  il  importait  à 
cette  monarchie  que  nos  colonies  ne  tombassent  pas  dans 
les  mains  de  l'Angleterre,  et  combien  le  rôle  que  nous 
voulions  faire  jouer  à  l'Espagne  était  honorable  pour  elle  ; 
que  j'avais  déjà  fait  le  modèle  de  trois  traités  différents 
avec  la  cour  de  Londres  :  le  premier,  dans  le  cas  où  nous 
aurions  des  succès  sur  cette  puissance;  le  second,  dans  le 
cas  où  ces  succès  seraient  partagés  entre  les  deux  nations; 
le  troisième,  dans  le  cas  où  la  supériorité  se  serait  dé- 
clarée du  côté  de  l'Angleterre;  que  les  deux  premiers 
projets  étaient  si  raisonnables  que  l'Espagne  n'aurait  pas 
grand'peine  à  nous  en  faire  obtenir  les  conditions  si  nous 
avions  l'avantage,  ou  si  la  balance  était  égale;  mais  que 
dans  le  cas  de  malheur,  l'Espagne,  intéressée  à  la  conser- 
vation de  nos  colonies  qui  couvrent  et  défendent  les 
siennes ,  adoucirait  aisément  la  dureté  des  conditions  que 
voudrait  nous  imposer  le  vainqueur,  et  nous  obtiendrait, 
en  menaçant  de  se  déclarer,  l'acceptation  des  sacriBces 
raisonnables  que  nous  étions  disposés  à  faire  dans  un  cas 
pareil. 

J'ajoutai  à  ces  considérations  celle-ci,  encore  plus  im- 


NEGOCIATIONS   POUR   LA   PAIX.  45 

portante  :  c'est  que  la  cour  de  Vienne  ne  peut  nous 
dédonomager  de  la  perte  de  nos  colonies  et  de  notre 
commerce ,  source  abondante  de  richesses  de  la  France  ; 
que  si,  pour  son  intérêt  particulier,  elle  persistait  u 
vouloir  nous  ruiner ,  nous  ne  devions  compter  ni  sur  son 
amitié,  ni  sur  la  fidélité  de  son  alliance,  parce  que,  si  ses 
sentiments  à  notre  égard  étaient  sincères,  elle  était 
presque  aussi  intéressée  que  nous  à  la  conservation  de  la 
puissance  de  la  France,  puisque  c'était  sa  plus  grande 
ressource,  au  moins  pendant  la  vie  du  roi  de  Prusse,  et 
qu'ainsi  l'obstination  qu'elle  pourrait  montrer  à  la  con- 
tinuation de  la  guerre  ne  mériterait  de  notre  part  que 
des  ménagements  politiques ,  et  que  le  Roi  devait  toute 
préférence  à  son  royaume  sur  ses  alliés. 

Ces  considérations  ne  persuadèrent  pas  madame  de 
Pompadour,  qui  voyait  en  enfant  les  affaires  de  l'État; 
mais  elle  n'eut  pas  de  bonnes  raisons  à  y  opposer.  En 
conséquence,  je  pris  les  ordres  du  Roi  pour  préparer  la 
Suède  et  la  Russie  à  la  paix ,  et  j'attendis  le  moment 
favorable  pour  les  premières  ouvertures  à  la  cour  de 
Vienne. 

La  perte  de  la  bataille  de  Lissa,  la  paix  de  Breslaw 
et  l'anéantissement  de  l'armée  de  l'Impératrice,  m'en 
fournirent  à  propos  l'occasion.  Cette  cour  était  dans  le 
plus  grand  embarras,  mais  non  dans  la  consternation 
comme  la  nôtre.  L'Impératrice  déclara  au  Roi  qu'elle 
ferait  la  paix  si  la  France  le  voulait,  mais  que  pour  elle, 
si  elle  était  la  maîtresse,  elle  était  résolue  à  se  défendre 
dans  son  dernier  village  avec  son  dernier  bataillon ,  plutôt 
que  de  tomber  dans  la  dépendance  du  roi  de  Prusse;  que 
cependant  elle  consentait  à  ce  que  Ton  s'occupât  de  la 
paix ,  pourvu  qu'en  y  travaillant  on  continuât  la  guerre 
avec  plus  de  sagesse  et  de  vigueur.  Le  consentement  ne 


46  '  MÉMOIRES  DU  CARDINAL  DE  BERNIS. 
fut  d'abord  que  verbal;  mais  je  profitai  de  la  crainte  que 
le  siège  d'Olmûtz  inspira  à  la  cour  de  Vienne  pour  avoir 
son  consentement  à  la  paix  par  écrit.  Il  fout  convenir  que 
le  duc  de  Choiseul  conduisit  bien  cette  négociation  :  il 
pensait  comme  moi  alors  sur  l'inutilité  et  le  danger  de  la 
continuation  de  la  guerre.  Il  pressa  la  cour  de  Vienne 
avec  une  activité  qui  est  dans  son  caractère  '  ;  il  faut  con- 
venir aussi  qu'il  fut  aidé  par  les  circonstances,  et  que  le 
comte  de  Montazet ,  qui  avait  gagné  la  confiance  de  rim- 
pératrice  par  les  services  qu'il  lui  rendait  dans  ses  armées 
et  par  sa  liaison  avec  la  princesse  d'Esterhazy  ',  favorite 
de  l'Impératrice,  lui  fut  d'un  grand  secours. 

Le  comte  de  Kaunitz,  auteur  du  projet  de  l'alliance, 
avait  beaucoup  de  peine  à  renoncer  à  l'espoir  de  conquérir 
la  Silésie  :  car  l'Impératrice-Beine ,  il  faut  en  convenir  à 
sa  gloire ,  n'a  mis  dans  toute  cette  guerre  que  de  la  dignité, 
de  la  raison  et  du  courage.  Mais  l'amour-propre  du  mi- 
nistre était  intéressé  à  ne  pas  abandonner  son  ouvrage. 
L'Impératrice,  sentant  combien  la  jalousie  que  la  faveur 
de  ce  ministre  inspirait  a  tout  son  conseil  était  préjudi- 
ciable à  ses  affaires,  prit  le  parti  utile  de  lui  donner  tous 
les  pouvoirs  nécessaires  pour  ordonner  à  toutes  les  parties 
de  TÉtat  relatives  à  la  guerre  :  elle  ne  craignait  pas  que 
son  ministre  abusât  de  cette  autorité,  parce  qu'elle  était 
bien  sûre    de  la  retirer  quand  il  lui  plairait.  La  guerre 


'  Dans  son  Ambassade  de  Choiseul  à  Vienne,  M.  Filon  parle  à  peine  de 
cette  négociation.  Il  est  vrai  qu'elle  est  de  nature  à  gêner  les  apologistes  de 
Choiseul.  «. 

3  II  s*agit  sans  doute  ici  de  Marie-Elisabetli,  fille  du  comte  Ferdinand 
de  Weissenwolf,  née  le  21  mars  1718,  mariée  le  7  mars  1737  à  Micolas- 
Joseph,  prince  Estberazy  de  Galantha,  né  le  18  décembre  1714,  chevalier 
de  la  Toison  d*or,  chambellan  de  l'Empereur,  commandeur  de  Marie-Thé- 
rèse, lequel  hérita  de  son  frère,  Paul- Antoine,  le  18  mars  1762,  et  mourut 
le  28  septembre  1790.  Quant  à  la  princesse,  elle  mourut  le  26  février  179%. 


NÉGOCIATIONS   POUR    LA   PAIX.  47 

aurait  été  mieux  conduite  si  le  Roi  en  avait  fait  autant 
en  France,  quand  le  maréchal  de  Belle-Isie,  qui,  avec  de 
grands  défauts,  avait  des  talents  et  de  l'expérience,  prit 
le  département  de  la  guerre;  mais  la  marquise,  sans  en 
avoir  le  titre,  était  effectivement  le  premier  ministre  du 
Roi,  et  elle  ne  pensait  pas  que  Sa  Majesté  dût  suivre 
l'exemple  de  l'Impératrice. 

L'armée  autrichienne,  rentrée  en  Bohème  après 
l'affaire  de  Lissa,  était  diminuée  de  moitié;  on  peut 
même  dire  qu'elle  n'existait  plus;  en  moins  de  trois  mois 
elle  fut  complète ,  et  si  formidable  qu'elle  fit  lever  le  siège 
d'Olmûtz  * ,  que  le  roi  de  Prusse  eut  l'audace  «d'entre- 
prendre si  loin  de  ses  magasins.  Cette  création  d'armée 
fit  beaucoup  d'honneur  au  comte  de  Kaunitz  ;  en  même 
temps  elle  fit  connaître  les  ressources  de  la  puissance 
autrichienne.  Si  le  maréchal  Daun,  en  enlevant  deux 
convois  au  roi  de  Prusse,  et_en  lui  dérobant  une  marche, 
le  contraignit  à  lever  le  siège ,  et  sauva  ainsi  la  cour  de 
Vienne,  il  faut  convenir  aussi  que  ce  prince  fit  devant 
ce  général  la  retraite  la  plus  glorieuse  et  la  mieux  or- 
donnée :  le  maréchal  Keith  en  fut  chargé. 
*  Je  crus  avoir  rendu  un  service  important  à  l'État  en 
obtenant  du  Roi  la  permission  de  traiter  fa  paix ,  et  en 
réussissant  à  y  amener  nos  alliés;  mais  cette  paix,  pour 
être  honorable,  exigeait  que  la  campagne  de  1758  fût 
mieux  conduite  que  la  précédente.  Ce  fut  alors  que  je 
traitai  avec  le  Danemark,  et  que  je  le  fis  consentir  à  se 
déclarer  avec  une  armée  de  quarante  mille  hommes,  qui, 
prenant  celle  des  alliés  par  le  centre,  devait  décider  de 
notre  supériorité.  Je  m'attendais  bien  que  la  cour  de 
Vienne,  si  elle  avait  des  succès,  se  rendrait  difficile  pour 

«  Nuit  du  l»'  au  2  juillet  1758. 


48  MEMOIRES   DU   CARDINAL   DE   BERNIS. 

la  paix  y  quoiqu'elle  y  eût  consenti.  Mais  le  conseil  du  Roi 
convint  avec  moi  de  la  nécessité  de  ne  point  mettre  dans 
cette  affaire  si  importante  de  fausse  complaisance,  et  je 
me  chargeai  d'y  amener  cette  cour,  sans  nous  brouiller 
avec  elle ,  ni  sans  risquer  de  ruiner  le  royaume  pour  le 
seul  intérêt  mal  entendu  de  notre  allié. 

Je  profilai  des  pertes  que  nous  occasionna  la  retraite  de 
Hanover  pour  faire  sacrifier  à  la  cour  de  Vienne  les  arré- 
rages considérables  des  subsides  que  nous  lui  devions ,  et 
qui  étaient  échus  depuis  six  mois,  et,  lorsque  M.  Boul- 
longne,  au  mois  d'avril  1758 ,  me  montra,  par  ordre  du 
Roi,  l'état  des  finances,  j'entrepris  de  faire  diminuer  le 
subside  accordé  à  la  cour  de  Vienne  de  moitié  et  de 
ménager  encore  une  autre  diminution  dans  le  courant  de 
la.  campagne.  J'envoyai  à  cet  effet  les  instructions  néces- 
saires, et  même  le  projet  dressé  de  la  convention  a  l'am- 
bassadeur du  Roi..  M.  de  Choiseul  vint  à  bout  de  ces  deux 
négociations  à  l'aide  des  mémoires,  instructions  et  modèle 
de  traité  que  je  lui  adressai. 

Je  voulus  même,  quand  il  me  succéda  dans  le  ministère, 
qu'il  jouit  de  cette  gloire  pour  affermir  son  crédit  dans  le 

public  ' Mais  qui  croirait  que  quinze  jours  après  son 

retour  de  Vienne  et  après  ma  disgrâce,  ses  partisans 
aient  eu  l'impudence  de  débiter  que  j'avais  accordé  les 
subsides,  et  que  M.  de  Choiseul  les  avait  supprimés 
depuis  son  retour"?  H  y  aurait  eu  à  peine  le  temps  d'en- 
voyer un  courrier  à  Vienne  et  d'en  recevoir  réponse,  en 
supposant  même  que  cette  cour  se  fût  déterminée  sur  une 


^  Le  plan  de  cette  nouvelle  convention,  lu  par  Cboiseul  dans  la  séance 
du  conseil  du  9  décembre,  est  annoté  de  la  main  de  Bernis,  et  tous  l^s 
documents  préparatoires  ont  été  rédigés  par  le  cardinal.  Il  est  bon  de 
comparer  à  ce  pa9sa{;e  des  Mémoires  ce  que  dit  Choiseul.  (^Mémoiref, 
Paris,  1790.  ln-12,  1«  partie,  p.  72.) 


NÉGOCIATIONS   POUR    LA    PAIX.  49 

affaire  si  intéressante  pour  elle  à  faire  notre  volonté  et  à 
exécuter  nos  ordres  à  l'ouverture  du  paquet.  Cependant 
cette  absurdité  prit  créance  dans  le  public;  et  plusieurs 
écrits,  quelques  gazettes  étrangères,  ont  eu  la  maladresse 
de  l'avancer,  en  sorte  qu'on  voulut  tourner  contre  moi 
mon  propre  ouvrage,  et  profiter  de  Téloge  que  j'avais 
fait  du  négociateur  pour  lui  donner  l'honneur  et  le  mérite 
de  l'affaire,  tandis  qu'il  n'avait  été  que  l'instrument  dont 
le  ministre  s'était  servi  :  il  pouvait  partager  la  gloire, 
mais  non  pas  se  l'approprier.  L'auteur  du  Codicille  politique 
du  maréchal  de  Belle-Isle  *,  homme  mal  instruit  et  de  peu 
d'autorité,  a  eu  la  bassesse  de  jeter  le  blâme  des  subsides 
sur  moi ,  et  d'attribuer  le  mérite  de  la  réduction  h  mon 
successeur;  mais  cette  opinion  n'a  pas  duré,  parce  qu'on 
s'est  trop  pressé  de  la  répandre;  tout  le  monde  a  calculé 
les  époques,  et  l'on  a  vu  qui  était  le  véritable  auteur  :  l'im- 
pudence ne  réussit  qu'un  moment.  Je  suis  persundé  que 
M.  le  duc  de  Choiseul  n'a  eu  aucune  part  à  cette  injustice, 
mais  il  aurait  eu  très-bonne  grâce  à  la  détruire. 

Je  me  sentis  soulagé  dès  que  j'eus  le  consentement 
formel  de  la  cour  de  Vienne  pour  traiter  la  paix  à  la  fin 
de  la  campagne  de  1758.  J'avais  terminé  les  affaires  du 
Parlement,  et  établi  des  principes  dans  celles  du  clergé, 
comme  on  le  verra  dans  le  chapitre  suivant.  Je  me 
souviens  que  lorsque  M.  de  Puysieulx  rentra ,  dans  l'été 
de  1758,  au  conseil  du  Roi ',  il  fut  fort  étonné,  lui  qui 
n'avait  pas  approuvé  la  guerre,  quand  je  lui  dis  :  Est-ce 


*  Le  Codicille  de  l* esprit,  ou  Commentaires  des  maximes  politiques  de 
M.  le  maréchal  de  Bflle-Isle,  avec  des  notes  apologétiques,  bistoriqucs  et 
critiques,  le  tout  publié  par  M.  D.  C.  (de  Chevricr).  La  Haye,  Veuve  van 
Dureu,  1762,  inlS,  2«  partie,  p.  42. 

2  II  s'en  était  retiré  en  juillet  1756  et  y  rentra  en  juillet  1758. 


50  MÉMOIRES  DU  CARDINAL  DE  BERKIS. 

trop  tard  cl*uvoir  son^jé  à  faire  la  paix  avant  la  fin  de  la 
première  camp«igne?  Eh!  n*est-il  pas  assez  adroit  et 
assez  heureux  d'y  avoir  fait  consentir  formellement  la 
cour  de  Vienne?  Depuis  cette  époque  ce  ministre  a  tou- 
jours eu  pour  moi  une  estime  plus  marquée,  et  qui  n*a 
(ait  que  s'augmenter.  Si  on  ne  peut  le  placer  au  rang  des 
grands  ministres,  on  ne  peut  se  dispenser,  sans  injustice, 
de  lé  ranger  au  nombre  des  ministres  sages;  et  je  Tai  vu 
dans  le  conseil  du  Roi  ouvrir  de  bons  avis,  et  les  soutenir 
avec  courage  et  dignité. 


CHAPITRE  XLIII 

AFFAIRES    ECCLÉSIASTIQUES    DES    ANNÉES    1757    ET    1758 


Aussitôt  que  j'eus  rétabli  et  pacifié  le  parlement  de 
Paris,  sur  la  fin  de  Tété  de  1757,  je  m'occupai  de  remettre 
le  calme  dans  l'Église.  Le  Roi  avait  exilé  à  Conflans 
M.  l'archevêque  de  Paris  (Beaumont)  pour  le  soustraire 
aux  poursuites  du  Parlement,  qui  avait  convoqué  les 
princes  et  les  pairs  pour  citer  et  juger  ce  prélat,  les 
chambres  assemblées.  Cette  affaire  n'était  pas  finie;  mais 
il  me  parut  injuste  que,  le  Parlement  ayant  été  rétabli, 
M.  l'archevêque  de  Paris  ne  fût  pas  rappelé  dans  sa  mé- 
tropole. J'engageai  le  Parlementa  suspendre  les  poursuites 
jusqu'à  ce  qu'on  fut  convenu  d'un  plan  de  conduite  avec 
l'archevêque  pour  étouffer  le  feu  qu'avaient  d'abord 
allumé  les  affaires  de  l'Hôpital,  ensuite  les  billets  de 
confession,  le  refus  des  sacrements,  et,  en  dernier  lieu, 
l'affaire  des  Hospitalières  du  faubourg  Saint-Marcel  Ces 
religieuses,  par  leur  constitution,  doivent  élire  après  un 
certain  temps  leur  supérieure,  et  cette  élection  doit  être 
précédée  par  une  communion  générale  dans  leur  église, 
que  l'archevêque  avait  interdite  sans  déclarer  ses  motifs, 
mais  sous  prétexte  de  jansénisme,  ou,  ce  qui  revient  au 
même  aujourd'hui,  sous  prétexte  que  ces  religieuses  étaient 
rebelles  à  la  constitution  Unigenitus.  Effectivement  plu- 
sieurs d'entre  elles  ne  pensaient  pas  bien  à  cet  égard,  mais 
elles  n'avaient  fait  aucun  acte  extérieur  qui  prouvât  leur 

4. 


52  MÉMOIRES  DU  CARDINAL   DE  BERNIS. 

désobéissance;  toute  leur  faute  se  réduisait  a  la  lecture  des 
livres  de  Port-Royal,  à  quelques  propos  dans  leur  inté- 
rieur qui  étaient  immédiatement  rendus  à  M.  l'arche- 
vêque, et  à  quelques  visites  de  prêtres  soupçonnés  de 
jansénisme  et  de  ma{[istrats  accusés  de  révolte  à  la  bulle 
Unigenitus.  Le  chapelain  que  l'archevêque  avait  donné 
aux  hospitalières  rendait  un  compte  exact  et  minutieux , 
jour  par  jour,  de  toutes  ces  choses;  et  M.  de  Beaumont, 
sur  cette  gazette,  sans  enquête  juridique  et  sans  confron- 
tation ,  s'était  persuadé  que  toutes  ces  choses  établissaient 
une  véritable  notoriété  de  fait,  et  même  une  évidence  si 
sensible  qu'il  ne  croyait  pas  pouvoir ,  en  conscience , 
admettre  les  religieuses  hospitalières  h  la  sainte  table. 

Voilà  quel  était  l'état  des  choses.  Le  Parlement  ayant 
commencé  une  procédure  contre  l'archevêque,  suspendue 
par  l'exil  de  ce  prélat,  ne  pouvait ,  disait-il,  se  dispenser 
de  la  poursuivre  aussitôt  que  M.  de  Beaumont  aurait  sa 
liberté.  Je  demandai  du  temps  pour  négocier  avec  ce 
prélat,  et  je  l'obtins  du  Parlement.  Je  concertai  avec  le 
premier  président ,  les  gens  du  Roi ,  le  président  d'Ormes- 
son  et  l'évêqûe  d'Orléans',  nouvellement  chargé  de  la 
feuille  des  bénéfices,  une  lettre  que  les  religieuses  hospi- 
talières devaient  écrire  à  M.  de  Saint-Florentin  pour  porter 
ce  ministre  à  assurer  le  Roi  du  regret  qu'elles  avaient 
d'avoir  encouru  la  disgrâce  de  M.  l'archevêque,  qu'elles 
respectaient  comme  leur  supérieur,  et 'dont  elles  admi- 
raient les  vertus.  Elles  protestaient  de  leur  soumission  à 
tous  les  décrets  de  l'Église  et  à  toutes  les  bulles  du  Pape, 

*  Louis  .'^extius  de  Jarente  de  la  Bruyère,  évêque  d'Orléans  de  jan- 
vier 1758  .*!  1788,  né  à  Marseille  le  2  octobre  1750,  fils  de  messire  Fran- 
çois de  Jarente  la  Bruyère  et  de  dame  Marie-Thérèse  de  Jarente.  Voir  le 
magnifique  in-folio  :  Collection  des  principaux  titres  de  la  maison  de  Ja^ 
rente  en  Provence,  Paris,  veuve  Ballard,  1768,  in-folio,  particulièrement 
p.  490  et  suiv. 


AFFAIRES   ECCLÉSIASTIQUES.  53 

de  la  manière  dont  elles  étaient  reçues  et  autorisées  dans 
le  royaume  ;  ne  pouvant  faire  une  déclaration  plus  détaillée 
ni  plus  expresse,  a  cause  de  la  déclaration  du  Roi  enre- 
gistrée au  Parlement,  qui  impose  un  silence  absolu  sur  les 
matières  qui  avaient  agité  l'Église  de  France;  promettant, 
au  reste,  de  porter  le  même  hommage  de  leur  soumission 
aux  pieds  de  leur  pasteur  toutes  les  fois  qu'il  l'exigerait. 
Cette  lettre  fut  communiquée  au  nonce  du  Pape,  GuaU 
terio  \  qui  en  fit  part  à  Sa  Sainteté,  laquelle  jugea  (c'était 
Benoit  XIV)  que  la  déclaration  de  ces  religieuses  était 
suffisante  et  qu'on  devait  s'en  contenter. 

Dès  que  le  Roi  m'eut  chargé  des  affaires  de  l'Église, 
voici  sur  quels  principes  je  lui  proposai  de  les  gouverner  : 
1°  Avant  de  rien  faire  dans  des  matières  si  délicates,  de 
prendre  l'avis  de  son  conseil  d'État  et  des  dépêches  réunis* 
en  comité  chez  M.  le  chancelier,  où  les  matières  seraient 

discutées  à  fond 2°  De  composer  un  autre  comité  de 

cardinaux  et  d  evéques  les  plus  instruits  et  les  plus  expé- 
rimentés, où  l'avis  de  son  conseil  serait  porté,  afin  de  voir 
s'il  ne  blessait  aucun  principe  théologique  ou  canonique, 
et,  lorsque  les  conseils  politique  et  ecclésiastique  seraient 
d'accord,  de  faire  un  mémoire  en  conséquence  pour  être 
communiqué  à  la  cour  de  Rome,  laquelle,  y  ayant  donné 


*  Louis  Gualterio,  neveu  du  cardinal  Philippe-AufruAteGuaUerio,  arrière- 
petic-neVeu  du  cardinal  Charles  Gualterio,  archevêque  titulaire  de  Myre 
en  Lycie,  né  le  12  octobre  1706,  d'abord  camériér  d'honneur  du  pape 
Benoît  XIII,  prélat  domestique  du  même  pape,  chargé  en  1726  d'ap|»orter 
la  barrette  au  cardinal  de  Fleury,  vice-légat  à  Ferrare  en  1730,  inquisiteur 
du  saint  ofHce  à  Malle,  nonce  près  du  roi  des  Deux-Siciles  en  1743, 
nomraé  nonce  en  France  en  novembre  1753,  y  resta  jusqu'en  1759. 

^  Le  conseil  d'Ktat  ou  conseil  d'en  haut  se  composait,  comme  on  Ta  vu, 
du  Roi  et  des  ministres  nommés  par  lui;  le  conseil  des  dépêches,  qui  déci- 
dait des  affaires  provinciales,  des  placets,  etc.,  était  composé  à  peu  près 
de  la  même  façon.  Le  contrôleur  général  et  tous  les  secrétaires  d'État  y 
astistaient. 


54  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE  BERNIS. 

son  approbation ,  mettait  le  Roi  en  toute  sûreté  pour  agir 
en  souverain  dans  les  affaires  de  l'Église.  J'ai  observé  cette 
conduite  pendant  tout  mon  ministère,  et  j'avais  l'air  de 
disposer  le  Parlement  h  adopter  l'avis  du  conseil  du  Roi, 
moyennant  quoi  le  clergé  et  le  Parlement  n'avaient  rien  à 
objecter:  la  cour  de  Rome  était  contente  de  la  déférence 
qu'on  lui  montrait;  les  choses  se  passaient  en  règle ,  et  les 
évéques  trop  échauflés  devaient  nécessairement  se  tran- 
quilliser sur  un  plan  de  conduite  étudié  par  leurs  princi- 
paux confrères,  approuvé  par  le  Pape,  adopté  par  le 
conseil  et  respecté  par  les  parlements.  En  suivant  cette 
route ,  j'aurais  répondu  au  Roi  d'éteindre  entièrement,  en 
quelques  années,  la  fermentation  de  l'Église,  des  parle- 
ments et  de  l'État  en  général  ;  ce  que  j'ai  fait  en  deux  ans 
montre  évidemment  ce  que  j'aurais  pu  faire  si  j'avais  été 
plus  longtemps  en  place. 

Il  faut  convenir  que  le  pape  Benoit  XIV,  avec  beaucoup 
de  lumières,  de  droiture,  d'amour  de  la  paix,  aidait  pro- 
digieusement à  l'établissement  d'un  système  si  sage  et  si 
religieux  ;  mais  j'aurais  eu  le  même  avantage  avec  son  suc- 
cesseur, dont  je  connaissais  le  caractère,  et  qui  aurait  été 
content  si  on  avait  usé  de  plus  de  ménagements  avec  lui 
dans  l'affaire  des  Jésuites  (que  je  traiterai  séparément  à  la 
fin  de  ces  Mémoires)  et  dans  plusieurs  autres  affaires,  où 
l'on  peut  dire  que  l'on  en  a  usé  avec  le  Pape  avec  trop  de 
légèreté  et  quelquefois  avec  violence. 

Il  ne  faut  pas  que  les  princes  apprennent  au  peuple  à 
mépriser  l'autorité  du  chef  de  l'E^glise,  et  il  ne  faut  pas 
croire  non  plus  que  la  cour  de  Rome  renonce  jamais  aux 
principes  d'après  lesquels  elle  a  étendu  autrefois  trop  loin 
ses  prétentions,  ni  qu'il  y  ait  à  craindre  désormais  qu'elle 
V(M]ille  réaliser  une  chimère  de  pouvoir  universel  qui  a 
été  favorisé  autrefois  par  la  grossièreté  et  l'ignorance  des 


AFFAIRES  ECCLÉSIASTIQUES.  55 

siècles,  et  que  personne  aujourd'hui  ne  voudrait  ni  secon- 
der ni  défendre,  depuis  que  les  esprits  sont  plus  e'clairés. 
Ainsi,  il  n'y  a  qu'à  ne  jamais  attaquer  hors  de  propos  les 
prétentions  de  la  cour  de  Rome,  car  elle  se  croirait  alors 
dans  l'obligation  de  se  défendre;  mais  si  on  parait  les 
oublier,  et  si  on  marque  à  cette  cour  les  égards  et  la  défé- 
rence qui  lui  sont  dus ,  on  peut  être  assuré  qu'elle  ne  fera 
pas  d'entreprises,  ou  que,  s'il  elle  en  fait,  rien  ne  sera 
plus  aisé  que  de  les  arrêter  sans  brouillerie  et  sans  éclat. 
L'autorité  de  l'Église  n'est  fondée  extérieurement  que  sur 
l'opinion  des  esprits;  or  les  esprits  d'aujourd'hui  ne  sont 
que  trop  enclins  à  la  discussion,  on  les  a  laissés  pencher 
vers  l'incrédulité,  et  l'on  a  mal  fait,  car  les  lois  humaines 
tirent  leur  principale  force  du  respect  religieux  que  l'on 
rend  aux  lois  divines.  La  France  n'a  rien  à  craindre  des 
évêques,  ni  du  chef  de  l'Église;  aujourd'hui  elle  n'a  à 
redouter  que  de  voir  leur  autorité  légitime  méprisée,  et 
c'est  au  Roi ,  pour  son  propre  avantage,  à  la  maintenir  et 
à  la  faire  respecter. 

Dès  que  je  fus  assuré  que  le  conseil  du  Roi,  les  princi- 
paux membres  du  clergé ,  le  Pape  et  les  parlements  adop- 
taient le  plan  de  conduite  que  j'avais  proposé  pour  les 
affaires  de  l'Église,  je  me  chargeai  volontiers  de  la  com- 
mission que  le  Roi  me  donna  de  négocier  avec  M.  l'arche- 
vêque de  Paris ,  dont  je  ne  connaissais  que  le  zèle ,  les 
vertus  et  l'inflexibilité,  mais  nullement  la  personne.  Je 
lui  parlai  avec  franchise  et  fermeté.  Je  lui  fis  sentir  les 
avantages  qui  résulteraient  pour  l'ÉgUse  de  notre  union; 
je  l'assurai  que  nous  pensions  de  même  sur  le  fond  des 
choses ,  et  que  nous  ne  différions  que  sur  la  manière  de 
les  conduire;  j'insistai  sur  la  nécessité  d'éteindre ,  pour  la 
conservation  de  Ja  personne  sacrée  du  Roi,  cet  esprit  de 
fanatisme  dont  il  venait  d'être  la  victime;  je  lui  exposai 


56  MÉMOIRES  DU   CARDINAL  DE  RERNIS, 

la  nécessité  où  était  le  Roi  d'avoir  de  grands  ménagements 
pour  les  parlements,  surtout  dans  un  temps  d'une  guerre 
qui  ne  pouvait  être  soutenue  que  par  des  édits  vérifiés  et 
enregistrés.  Il  me  demanda,  pour  rétablir  la  paix,  des 
choses  assez  difficiles;  je  les  lui  accordai  toutes,  et  n'exi- 
geai de  lui  qu'un  peu  de  temps  pour  les  arranger.  Nous 
fûmes  d'accord  sur  tous  les  points  dans  cette  première 
conférence.  Une  seconde  fut  indiquée  pour  tout  finir; 
mais,  dans  l'intervalle,  on  fit  naître  des  soupçons  et  des 
craintes  à  ce  vertueux  prélat,  dont  les  lumières  ne  sont  pas 
si  grandes  que  les  vertus. 

J'avais  annoncé  au  Roi  la  paix  dans  la  seconde  confé- 
rence :  cette  espérance  s'évanouit.  Je  trouvai  l'archevêque 
tout  changé.  Il  me  demanda  des  préliminaires  à  remplir; 
il  ne  voulut  se  relâcher  sur  rien ,  ni  m'accordtr  un  temps 
suffisant  et  convenable.  Son  inflexibilité  se  montra  dans 
tout  son  jour,  et  comme  il  me  parlait  sans  cesse  de  sa 
conscience,  qui  lui  défendait  de  se  prêter  à  aucun  tempé- 
rament, il  m'échappa  de  lui  dire  que  sa  conscience  était 
une  lanterne  sourde  qui  n'éclairait  que  lui  :  ce  mot  a  beau- 
coup couru.  En  effet ,  la  conscience  est  aveugle  ou  éclairée  ; 
la  conscience  aveugle  fait  des  fanatiques ,  et  la  conscience 
éclairée,  des  hommes  sages  et  soumis  aux  règles  sans  en- 
thousiasme et  sans  excès. 

Tout  fut  fini  entre  nous  dès  la  seconde  entrevue.  Il  y 
eut  une  troisième  conférence  avec  l'archevêque  chez  le 
maréchal  de  Belle-Isie ,  qui  n'eut  pas  plus  de  succès.  Alors, 
comme  il  était  indispensable  de  l'éloigner  pour  le  sous- 
traire aux  poursuites  du  Parlement,  je  conseillai  au  Roi 
de  mettre  l'archevêque  aux  prises  avec  un  comité  composé 
de  cardinaux  et  d'évêques,  afin  que  M.  l'archevêque  put 
être  jugé  par  ses  pairs;  ce  moyen  n'eut  pas  plus  de  succès 
que  ma  négociation.  Il  ne  me  fut  plus  possible  d'arrêter 


AFFAIRES   ECCLÉSIASTIQUES.  57 

le  Parlement,  et  le  Roi  exila  l'archevêque  dans  sa  famille, 
quoique  je  lui  représentasse  que  ce  moyen  n'était  bon  que 
pour  gagner  du  temps,  mais  qu'il  ne  finissait  pas  Taffaîre, 
puisque  M.  l'archevêque  ne  pouvait  pas  toujours  être  exilé, 
et  que,  d'ailleurs,  cette  dureté  exercée  à  son  égard  ne  ser- 
virait qu'à  donner  le  lustre  de  la  persécution  à  ses  prin- 
cipes de  conduite  et  ne  changerait  certainement  pas  ses 
opinions.  Mais  à  la  cour,  quand  on  gagne  du  temps,  on 
croit  avoir  tout  gagné. 

Il  fut  question  alors  de  finir  l'affaire  des  Hospitalières 
par  l'autorité  de  la  primatie  de  Lyon  '  ;  ce  furent  les  gens 
du  Roi  qui  proposèrent  ce  moyen,  et  ils  citèrent  des 
exemples.  Le  conseil  adopta  cet  expédient.  Le  Pape,  con- 
sulté par  le  cardinal  de  Tencin  ,  et  précédemment  par  le 
Roi,  approuva  beaucoup  ce  moyen  hiérarchique,  et  cita 
dans  l'antiquité  chrétienne ,  qu'il  connaissait  bien  ,  plu- 
sieurs exemples  d'affaires  importantes  terminées  par  les 
primats. 

J'avais  envoyé  le  sieur  Afforty*,  ancien  secrétaire  du 


1  Gébiiyn,  archevêque  de  Lyon,  ayant  fait  entendre  au  pape  Gré- 
goire Vil  que  les  papes  ses  prédécesseurs  avaient  donné  aux  archevêques 
de  Lyon  la  primaiie  sur  quatre  provinces  des  Gaules,  savoir  :  Lyon,  Tours, 
Sens  et  Paris,  obtint  en  1079  une  bulle  par  laquelle  il  fut  reconnu  et  con- 
firmé primat  sur  ces  provinces.  Les  archevêques  de  Sens  et  de  Rouen  refu- 
sèrent de  ae  soumettre  à  cette  décision  rendue  sur  un  faux  exposé,  et  por- 
tèrent la  quoslion  au  concile  de  Clermont,  qui  la  résolut  en  faveur  de 
rarchevc(|ue  de  Lyon.  La  résistance  des  prélats  de  Sens  et  de  Tours,  aux- 
quels se  joignit  celui  de  Rouen ,  n*en  dura  pas  moins  pendant  trois  cents 
ans.  Les  deux  premiers  cédèrent  sous  Charles  Vil.  Le  troisième  en  appela 
au  Pape,  qui  lui  donna  raison  et  confirma  son  indépendance,  laquelle  fut 
reconnue  par  un  arrêt  du  conseil  du  11  mai  1702. 

Le  droit  de  cette  primatie  consiste  dans  le  pouvoir  de  juger  les  causes 
pour  lesquelles  on  appelle  des  sentences  des  métropolitains  et  de  leurs  suf- 
fragants.  (V.  dom  Beaukier,  Ioc.  cit,) 

^  Afforty,  Tun  des  secrétaires  de  la  chancellerie.  Fauteur,  avec  Monti- 
court,  des  Etrennes  badines,  ou  le  Poète  de  cour,  vers  1739,  in-8°.  Em- 
ployé aux  affaires  étrangères,  je  ne  sais  à  quel  titre,  vers  1750,  1760, 1761. 


58  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE   BERNIS. 

chancelier  d'Aguesseau,  au  cardinal  de  Tencin  ,  qui,  après 
avoir  reçu  l'avis  du  Pape,  s'était  charge'  de  juger  cette 
affaire.  M.  Afforty,  qui  lui  apportait  les  pièces  et  mémoires 
y  relatifs,  arriva  à  Lyon  le  jour  même  où  le  cardinsil  avait 
reçu  le  viatique.  H  mourut  peu  de  jours  après,  et  alors  on 
eut  recours  à  M.  révéque  d'Autun  (Montazet) ,  adminis- 
trateur-né  du  siège  de  Lyon  pendant  la  vacance,  soit  pour 
le  spirituel,  soit  pour  le  temporel.  H  s'en  chargea  d'abord 
avec  peine.  Ensuite  il  demanda  la  permission  d'aller  traiter 
cette  affaire  avec  l'archevêque  de  Paris;  cette  permission 
lui  fut  refusée,  parce  que  M.  de  Beaumont  pouvait  le 
détourner  du  dessein  de  le  juger ,  s'il  lui  avait  témoigné  sa 
répugnance  à  cet  égard.  On  ne  voulut  pas  que  les  bien- 
séances d'évéque  à  évéque  pussent  empêcher  de  terminer 
par  une  voie  canonique  et  approuvée  du  Pape  une  querelle 
qui  échauffait  le  Parlement  et  le  public.  L'évêquc  d'Autun 
demanda  qu'il  lui  fut  permis  au  moins  d'écrire  à  l'arche- 
vêque de  Paris,  ce  qui  lui  fut  refusé  par  les  mêmes  raisons. 
Il  jugea  de  la  manière  dont  on  sait,  et  ce  jugement  déter- 
mina le  Roi  et  son  conseil  à  le  nommer  quelques  mois 
après  à  l'archevêché  de  Lyon,  parce  que,  l'affaire  n'étant 
terminée  que  provisionnellement  et  devant  recommencer 
à  la  prochaine  élection  d'une  supérieure,  il  était  naturel 
que  le  même  tribunal  et  le  même  juge  en  fussent  saisis. 
On  peut  lire  à  ce  sujet  le  beau  mémoire  de  l'archevêque  de 
Lyon ,  auquel  il  est  difficile  de  répondre  solidement. 

Cependant  ce  jugement  lui  fit  perdre  la  confiance  du 
clergé  et  celle  de  la  famille  royale.  A  sa  place,  je  me  serais 
laissé  nommer  à  l'archevêché  de  Lyon ,  et  je  l'aurais  refusé 
pour  ne  pas  donner  occasion  à  mes  ennemis  de  dire  que 
j'avais  sacrifié  ma  conscience  à  mon  ambition  ;  cette  action 
noble  et  désintéressée  aurait  augmenté  sa  réputation,  et 
n'aurait  pas  nui  à  sa  fortune.  J'étais  son  ami,  je  lui  en 


AFFAIRES   ECCLÉSIASTIQUES.  59 

aurais  donné  le  conseil  si  je  n'avais  pas  été  ministre  du 
Roi  ;  mais  je  ne  pouvais  pas  aller  contre  la  direction  du 
système  que  le  Roi  avait  embrassé. 

Cette  affaire  mit  beaucoup  de  chaleur  dans  le  clerjjé , 
mais  elle  tranquillisa  les  parlements.  M.  Boullongne,  con- 
trôleur général ,  étant  à  bout  de  ses  ressources ,  crut  qu'il 
ne  pouvait  en  trouver  de  plus  promptes  que  dans  une 
assemblée  extraordinaire  du  clergé ,  à  qui  le  Roi  deman- 
derait seize  millions  de  don  gratuit.  En  même  temps,  on 
craignit  dans  le  conseil  que  cette  assemblée  ne  fût  ora- 
geuse, et  qu'elle  n'occasionnât  du  mouvement  dans  les 
esprits  et  surtout  dans  les  parlements;  je  promis  au  Roi 
qu'elle  se  passerait  tranquillement ,  malgré  les  apparences. 

Le  cardinal  de  Tavannes  '  y  présidait;  l'archevêque  de 
Reims,  alors  archevêque  de  Narbonne*,  en  était  le  second , 
président.  Tout  s'y  passa  avec  la  plus  grande  décence  et 
tranquillité;  jamais  apparence  d'orage  n'a  été  suivie  par 
un  plus  grand  calme.  Les  évêques  les  plus  prévenus  contre 
mes  maximes  paciBques  revinrent  de  leurs  préventions; 
je  gagnai  la  confiance  des  prélats  comme  j'avais  gagné 
celle  des  ministres  étrangers  et  des  parlements.  Il  y  a  un 
moyen  sûr  pour  cela  :  c'est  d'être  juste,  d'être  vrai,  d'être 
ouvert  et  fidèle  à  sa  parole.  Aucune  cour  de  l'Europe  ne 


^  Nicolas-Charles  de  Saulx  de  Tavannes,  cardinal  de  la  sainte  Église 
romaine,  né  le  17  septembre  1690,  chanoine  de  Lyon,  grand  vicaire  de 
Pontoise,  puis  évêque  comte  de  Châlons  en  1731,  premier  aumônier  de  la 
Reine  en  1725,  archevêque  de  Rouen  en  1733,  grand  aumAnier  de  la 
Reine  en  1743,  commandeur  du  Saint-Esprit  en  1748,  cnidinal  le  9  avril 
1756,  grand  aumônier  en  1757,  abbé  de  Saint-Michel  en  Thiérache,  de 
Sainl-Etienne  de  Caen  et  de  Signy,  proviseur  de  Sorbonne,  mort  à  Paris 
le  10  mars  1759,  dans  sa  soixante-neuvième  année.  (V.  les  Saulx-'To' 
vannes,  par  M.  Pi>caud,  p.  262.) 

2  Charles- Antoine  de  la  Roche-Aymon,  né  le  17  février  1692,  évêque 
deTarbescn  ociobre  1729,  archevêque  de  Toulouse  en  janvier  1740,  de 
Narbonne  en  octobre  1752,  de  Reims  en  décembre  1762,  cardinal,  grand 
aumônier  de  France  en  1770,  mort  le  27  octobre  1777. 


60  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE  RERNIS, 

s'est  méfiée  de  ma  bonne  foi.  Les  finesses  ne  trompent 
qu'un  instant.  La  probité  reconnue  ne  perd  jamais  son 
pouvoir;  elle  agit  dans  tous  les  temps  et  dans  toutes  les 
circonstances.  La  confiance  de  l'assemblée  générale  du 
clergé  en  moi  alla  si  loin  qu'elle  délibéra ,  sans  mon 
agrément,  de  demander  au  Roi  le  premier  grand  siège 
qui  viendrait  à  vaquer  ;  M.  le  cardinal  de  Tavannes  vint 
m'en  parler  de  la  part  de  l'assemblée,  que  je  suppliai  de 
ne  point  faire  cette  démarche. 

La  veille  de  mon  exil ,  au  mois  de  décembre  1758,  je 
travaillai  une  partie  de  la  nuit  à  ménager  le  retour  de 
M.  l'archevêque  de  Paris,  et  à  suspendre  une  dénoncia- 
tion qui  devait  être  faite  contre  un  membre  distingué  du 
clergé  aux  chambres  assemblées.  Les  évéques  zélés  trou- 
vaient, dans  tes  commencements,  que  mes  principes  dans 
les  affaires  ecclésiastiques  étaient  trop  doux;  ils  ont  senti 
depuis  combien  ils  étaient  sages,  et  combien  ils  ont  perdu 
de  leur  juridiction  pour  n'avoir  pas  su  s'accommoder  aux 
circonstances.  Aujourd'hui  que  l'épiscopat  est  en  souf- 
france, il  voudrait  m'avoir  à  sa  tête.  Mais  ne  pouvant  pas 
espérer  d'être  utile  h  l'Église  et  à  l'État,  je  me  suis  res- 
treint à  l'administration  de  mon  diocèse,  qui  m'occupe 
uniquement.  La  Providence,  qui  m'avait  élevé  aux  pre- 
mières places,  n'a  pas  voulu  sans  doute  que  je  les  occu- 
passe plus  longtemps  ;  je  ne  les  désirerai  jamais,  et  je  m'en 
tiendrai  toujours  fort  éloigné.  Pour  un  homme  qui  veut 
le  bien  et  qui  pense  avec  élévation,  il  n'y  a  que  deux 
choses  en  ce  monde  :  la  réputation  ou  le  repos. 


TROISIÈME   PARTIE 


CHAPITRE   PREMIER 

DES  ÉVÉNEMENTS  QUI  PRÉCÉDÈRENT  ET  SUIVIRENT  LA  BATAILLE 
DE  GREVELD.  RETRAITE  DE  M.  DE  PAUIJIY  :  LE  MARÉCHAL 
DE    BELLE-ISLE,    MINISTRE    DE    LA    GUERRE. 

Le  marquis  de  Paulmy,  sentant  que  le  fardeau  de  la 
guerre  était  trop  pesant  pour  ses  épaules,  demanda  à 
quitter  ce  département.  Madame  de  Pompadour  voulait 
le  faire  passer  à  M.  de  Contades  ' ,  et  les  Paris,  ne  pouvant  le 
faire  donner  à  M.  de  Crémilles,  ami  de  M.  Duverney, 
le  désiraient  pour  le  maréchal  de  belle-Isle,  quoiqu'il  fût 
anciennement  leur  ennemi.  Je  fus  chargé  par  le  Roi  de  le 
déterminer  à  l'accepter  :  il  était  encore  dans  la  vieille 
erreur  qu'un  duc  et  pair,  et  un  maréchal  de  France,  ne 
pouvait  pas  sans  déroger  être  secrétaire  d'État,  comme 
s'il  était  au-dessous  de  quelque  dignité  que  ce  soit  de 
gouverner  un  grand  royaume*. 


I  Louis-Georges-Érasrae ,  marquis  de  Contades,  né  le  il  octobre  1704, 
mort  à  Livry  le  19  janvier  1793,  maréchal  de  camp  en  1740,  lieutenant 
général  en  1745,  maréchal  de  France  en  1758,  battu  à  Minden  le  l**"  août 
1759,  gouverneur  de  l'Alsace  en  1762. 

^  Les  provisions  de  secrétaire  d'État  au  nopi  du  maréchal  de  Belle» Isie 
portent  la  date  du  3  mars  1758.  M.  G.  Rousset  (le  Comte  de  Gisors, 


62  MÉMOIRES   DU   CAIIDINAL   DE   BERKIS. 

La  première  opération  du  maréchal  de  Belle-Isie  fut 
de  mettre  M.  de  Mortagne',  son  ami,  à  la  tête  de  notre 
armée  du  bas  Rhin  :  M.  le  comte  de  Giermont  n'en  (ut 
plus  en  réalité  que  le  doyen.  Ce  Mortagne  était  un  bon 
officier  de  cavalerie,  à  qui  le  maréchal  de  Belle-Isle,  par 
an  entêtement  auquel  il  était  sujet,  croyait  autant  de 
génie  militaire  qu'au  roi  de  Prusse.  Cet  officier  cepen- 
dant ne  conseilla  et  ne  fit  que  des  sottises  pendant  tout  le 
temps  qu'il  fiit  le  bras  droit  de  M.  le  comte  de  Clermont, 
lequel,  après  la  bataille  de  Creveld,  dit  modestement  : 
«  Mais,  j'en  aurais  bien  fait  autant  tout  seul.  »  La  conduite 
de  M.  de  Mortagne  fut  d'autant  plus  inconcevable  que  le 
maréchal  de  Belle-Isie  lui  avait  mandé  qu'il  serait  maré- 
chal de  France  et  général  de  l'armée  du  Boi  à  la  première 
action  heureuse  à  laquelle  il  se  trouverait  :  on  ne  peut 
donc  pas  supposer  qu'il  ait  conseillé  mal  le  comte  de 
Clermont  pour  lui  Paire  ôter  le  commandement  de  l'armée, 
puisque  ce  commandement  lui  était  assuré  au  premier 
événement  heureux.  Il  est  plus  naturel  de  penser  que 
M.  de  Mortagne  n'en  savait  pas  davantage,  pu  que,  s'il 


:.  299.  ooCt^  croit  qu'elles  avaient  été  antidatées,  et  que  ce  ne  ffiit  que  le 
m  -M  ie  16  oiars  que  le  maréchal  se  détermina  à  accepter  le  portefeuille. 

3  £rcie«(-IxFoif  de  Morcani,  comte  de  Mortagne,  rolonuire  an  léfi- 
wR.:  £  oral- Allemand  en  170(>,  était  capitaine  en  pied  en  1719,  major  aa 
nmw  RpkAcnt  en  1728,  brigadier  en  1741,  et  passa  à  cette  époqae«  avec 
ti  txAKsteaieot  du  Roi ,  au  service  de  l'empereur  Ckarles  Vil,  qui  le 
uHdu  marédul  de  camp  cl  lui  donna  un  régiment  de  dragons.  Après  la 
A'jr:  àe  Ckarles  VII,  il  renira  au  service  de  la  France  cl  fàt  lienieaant 
pfs<f^l  *n  1745.  Maréchal  («énéral  des  logis  de  Tarméc  da  dnc  de  Belle- 
}«•*  rt,  1747.  commandant  dans  les  Trois-Évèchés  en  rabsenceda  maréchal 
<K  h^iit-l^it  en  1751,  employé  à  l'armée  d'Allemagne  pour  lettres  da 
i^  nar»  1757  ef  da  16  mars  1758,  il  se  trouva  à  la  bauille  d*Haatembcck 
^.  a  'jeùit  de  Oeveld.  et  revint  en  France  au  mois  de  jaillet;  il  reprit  le 
•  '.»B.fka^d»ibefit  du  pays  messin  et  fixa  sa  résidence  ^  Sedan.  Il  ae  retira  à 
>  «r^  aie*:*  la  mort  de  M.  de  Belle-Isle,  et  y  mourut  le  15  octobre  17CS. 

u^  *ur  ici  «le  C^mie  de  Gisors  •  de  M.  G.  Rocssrr,  p.  395  ctsair. 


LA   BATAILLE  DE    CREVELD.  63 

avait  été  plus  savant  autrefois,  sa  science  s'était  évaporée. 

Je  ne  cessai  dès  le  commencement  du  printemps 
d'ayertir  M.  le  comte  de  Clermont  des  préparatifs  que  les 
alliés  faisaient  pour  passer  le  Rhin  ;  j'indiquai  le  Heu  où 
le  pont  de  bateaux  devait  être  jeté  :  tous  ces  avis  furent 
inutiles;  on  ne  voulut  rien  en  croire  à  notre  armée;  enfin 
ce  passage  s'exécuta  sans  qu'elle  daignât  s'en  apercevoir. 
Cette  entreprise  du  prince  Ferdinand  était  fort  audacieuse, 
presque  folle,  si  nous  avions  eu  des  généraux  :  on  pouvait 
combattre  avec  avantage,  on  aima  mieux  reculer.  Chaque 
jour  un  courrier  de  l'armée  annonçait  qu'elle  avait  rétro- 
gradé pour  choisir  un  champ  de  bataille  qu'on  désignait, 
et  le  lendemain  un  autre  courrier  apprenait  que  le  poste 
si  vanté  par  la  dernière  dépêche  ne  valait  rien.  Le  Roi, 
impatienté  de  la  timidité  de  ses  généraux,  écrivit  de  sa 
propre  main  au  comte  de  Clermont  qu'il  aimait  mieux 
voir  son  armée  battue  que  déshonorée  par  ses  retraites'. 
Pendant  ce  temps  on  disait  à  l'armée  que  la  cour  ordon- 
nait de  fuir  devant  un  ennemi  inférieur  de  beaucoup  : 
celte  armée  grossissait  les  forces  du  prince  Ferdinand,  et 
méconnaissait  les  siennes. 

Nous  apprîmes  par  le  comte  de  Gisors,  fils  du  maréchal 
de  Belle-Isle,  jeune  homme  d'une  grande  espérance,  quel 
était  l'ordre  de  bataille,  et,  en  cas  d'échec^  que  la  retraite 
de  notre  armée  se  ferait  sur  Liège  en  abandonnant  Wezel, 
le  Rhin,  tous  nos  alliés  de  l'Empire,  et  livrerait  l'Alle- 
magne au  roi  de  Prusse.  On  défendit  au  comte  de  Cler- 
mont de  s'éloigner  du  Rhin;  il  projeta  où  plutôt  on  lui  fit 
projeter,  après  la  bataille  de  Creveld  et  la  prise  de  Dussel- 
dorf,  de  ramener  l'armiée  du  Roi  par  l'électorat  de  Trêves 


1  Publié  par  M.  C.  Rocssbt,  le  Comte  de  Gisors,  La  lettre,  datée  du 
16  avril  1758,  est  de  Bemis,  suivant  les  lettres  à  Choiseul. 


th  MÉMOIRES  DU   CARDINAL   DE   BERNIS. 

sur  la  Moselle  en  passant  par  les  défilés  d'Andernach^  où 
le  prince  Ferdinand  aurait  pu  Técraser  sans  ressource. 
Cette  retraite  livrait  non-seulement  le  Rhin  à  nos  enoemis, 
mais  la  Meuse  et  les  Pays-Bas,  et  faisait  déclarer  la  Hol- 
lande :  à  moins  de  soupçonner  une  trahison  manifeste, 
on  ne  pouvait  expliquer  une  pareille  conduite;  d*un 
autre  côté,  le  Roi  avait  peine  à  mortifier  le  comte  de 
Clermont  en  lui  ôtant  le  commandement  de  son  armée. 
Pour  déterminer  le  comte  de  Clermont  à  le  quitter,  je  fus 
obligé  de  proposer  au  Roi  de  lui  nommer  un  conseil,  et 
je  moyen  réussit. 

Cependant,  et  antérieurement  à  la  nomination  de  œ 
conseil,  arriva  la  journée  de  Creveld  ',  où  les  ennemis  sur- 
prirent notre  {jaucbe  pendant  que  nos  généraux  étaient  à 
table.  Le  comte  de  Saint-Germain,  aujourd'hui  feld- 
maréchal  en  Danemark,  soutint  toute  la  journée  Teffurt 
des  alliés  ;  et  si  ou  avait  bien  voulu  Taidcr  de  quelques 
brigades  d'infanterie,  la  bataille  était  gagnée;  car  les  en- 
nemis avaient  plié  leurs  tentes  pour  faire  leur  retraite.  Le 
comte  de  Gisors  fut  Messe  à  mort  dans  une  charge  que 
M.  de  Mortagne  fit  fiiire,  suns  aucune  raison  ni  succès, 
par  les  carabiniers.  L'armée  se  retira  sans  être  battue,  et 
au  lieu  d'aller  occuper  les  hauteurs  de  l'Erfl*,  elle  vint 
camper  sous   Neuss^,  et  le  surlendemain  sous  Cologne. 

1  Dnru  le  cercle  du  bas  Rhin  et  dans  rarchcvèché  de  Cologne,  sar  le 
Rliin,  à  troiif  iiciici)  nord-ouest  de  Coblentz  et  «i  six  lieues  sud-est  de 
Ronn. 

2  23  juin  1758. 

3  Kiviêrc  d'Allemagne  qui  nnlt  aux  monts  Ëifci,  à  deux  lieues  sud-oueit 
de  lUi4'iiibarli,  baigne  Mcckenhrim,  Bedbourg  et  Castcr,  puis,  se  dirtgeaot 
au  nord-f«l,  (ircvenbroich,  et  se  jette  dans  le  Ufain  à  Griinligliausen,  à 
une  licMie  v.t  demie  sud  de  Dusseldorf,  après  un  cours  d*environ  vingl-deui 
lif;u''4,  dont  truii^  navigables. 

*  Ville  de  réiectorai  de  Cologne,  à  une  lieue  et  demie  sud-ouest  de  Dus- 
•cldorf,  sur  TKrft,  à  une  lieue  et  demie  du  llhtn. 


LA    BATAILLE   DE   CREVELD.  65 

C'est  là  qu'on  engagea  le  comte  de  Clermontà  essayer  de 
regagner  la  France  par  Télectorat  de  Trêves,  et  que  ce 
prince,  à  qui  on  avait  donné  pour  conseil  MM.  de  Con- 
tades  et  de  Chevert  ^  se  démit  du  commandement.  J'obtins 
avec  beaucoup  de  peine  du  maréchal  de  Belle-Isle  le 
sacrifice  de  M.  de  Mortagne. 

M.  de  Contades  prit  le  commandement  de  Tarmée  et 
se  porta  fort  à  propos  sur  les  hauteurs  de  l'Erfl  dans  le 
même  moment  que  les  ennemis  marchaient  pour  les  oc- 
cuper. Il  perdit  dans  cette  circonstance  l'occasion  de  dé- 
truire Tavant-garde  du  prince  Ferdinand.  Si  M.  le  prince 
Ferdinand  ne  s'était  pas  amusé  trop  longtemps  à  Neuss 
et  s'il  eût  occupé  ces  hauteurs,  c'en  était  fait  de  notre 
armée.  Il  avait  pris  Dusseldorf,  où  étaient  nos  magasins 
avec  une  garnison  de  six  mille  palatins,  en  jetant  seule- 
ment trois  bombes  d'un  bord  du  Rhin  à  l'autre  (il  ne  pou* 
vait  pas  en  jeter  une  quatrième,  parce  qu'il  n'en  avait 
que  trois).  L'électeur  palatin^  conjura  M.  le  comte  de 
Clermont  de  secourir  cette  ville,  qui  ne  courait  aucun 
danger,  et  de  ne  pas  laisser  brûler  la  belle  galerie  de 
Dusseldorf,  ou  de  lui  permettre  de  composer  avec  l'en- 
nemi; notre  général  répondit  qu'on  ne  pouvait  secourir 
Dusseldorf,  et  que  c'était  à  l'électeur,  lié  par  des  traités 
avec  le  Roi,  de  savoir  s'il  pouvait  disposer  de  cette  place. 
L'électeur  prit  le  parti  de  capituler,  et  le  commandant 
français  de  se  soumettre  à  une  capitulation  qu'il  devait 
empêcher*. 

*  François  de  Chevert,  né  à  Verdun  en  1695,  mort  à  Paris  le  24  janvier 
1769,  enga(»é  à  onze  ans  dans  le  rrgiment  d^infanterie  de  Carné,  sous-lieu- 
tenant au  régiment  de  Beauce  en  1710,  lieutenant-colonel  au  même  régi- 
ment le  l*"*"  août  1739,  brigadier  le  15  décembre  1741,  maréchal  de  camp 
le  2  mai  1744,  lieutenant  général  le  10  mai  1748,  commandeur  de  Saint- 
Loui.s  en  1754,  grand  croix  en  1758. 

2  Charles-Théodore,  électeur  palatin  depuis  le  4  janvier  1743. 

3  Les  Haiiovriens  entrent  à  Dusseldorf  le  9  juillet. 

II.  5 


66  MÉMOIRES  DU    CARDINAL   DE  BERNIS. 

Jamais  la  France  n'a  couru  de  plus  grand  dang[cr  que 
dans  cette  circonstance  :  nous  n'avions  d'autre  armée  que 
celle  aux  ordres  du  comte  de  Clermont.  Si  cette  armée 
avait  été  obligée  de  se  retirer  sur  la  Moselle,  le  prince 
Ferdinand  s'emparait  non-seulement  de  tous  les  États  du 
bas  Rhin,  mais  il  passait  la  Meuse,  envahissait  les  Pays- 
Bas  dégarnis  de  troupes,  et  pouvait  nous  enlever  Lille,  où 
il  n'y  avait  alors  que  trois  cents  hommes  de  milice  et 
dont  toute  la  grosse  artillerie  avait  été  transportée  à 
Wesel;  il  aurait  fallu  plus  de  six  semaines  pour  que  notre 
armée  pût  se  porter  en  Flandre  pour  défendre  nos  fron- 
tières; la  Hollande,  où  la  gouvernante  avait  le  plus  grand 
crédit,  se  serait  déclarée  malgré  elle  par  le  soulèvement  des 
peuples  '  ;  l'Allemagne  presque  entière  passait  sous  la  do- 
mination du  roi  de  Prusse  et  de  ses  alliés,  et  la  France 
avait  à  peine  une  armée  pour  défendre  ses  provinces, 
après  avoir  été  maîtresse,  la  campagne  précédente,  de 
tous  les  pays  qui  sont  entre  la  Meuse  et  l'Elbe. 

C'est  dans  cette  circonstance  que  j'écrivis  une  lettre  au 
Roi  pour  lui  faire  sentir  combien  il  était  nécessaire  et 
instant,  ou  de  décider  par  lui-même,  ou  de  donner  à  un 
ministre  capable  l'autorité  nécessaire  pour  faire  aller  la 
machine  du  dedans  et  du  dehors.  Je  proposai  le  maré- 
chal de  Belle-Isle,  à  cause  de  son  expérience,  ou  tel  autre 
que  Sa  Majesté  voudrait  choisir,  et  je  me  donnai  l'exclu- 
sion; j'ajoutais  qu'à  la  paix  le  Roi  rétablirait  la  forme  or 
dinaire  de  son  gouvernement.  J'écrivis  en  même  temps  à 

*  Anne  d'Angleterre,  fille  de  Geoi^ges- Auguste,  n>i  d'Aoçleierre,  et  de 
\Vinirlminfî-I)oroihée-Can)line  de  nrandebour|>-Anspach,  née  a  Hanorre 
lo  2  novembre  1709,  maiiio  le  25  mars  1734  à  Guillaume-Cliarles-HeDn 
FriîJon,  prini  e  de  Nassau-Pioiz,  siathouder  {;énéral  et  héréditaire  des  Pro- 
vinces-Unies,  mon  le  22  octobre  1751,  (;ouvernanle  des  ProTÎnces-Cnie*, 
moiio  le  13  janvier  1759.  Elle  avait  été  un  intermédiaire  actif  |>our  les 
né^uu'iations  entre  la  France  et  TAnyleierre. 


LA   BATAILLE  DE   CREVELD.  67 

adame  de  Pompadour  une  lettre  plus  forte  et  plus  dé- 
taillée,  en  la  priant  de  remettre  au  Roi  celle  dont  je  viens 
de  parler,  qui  était  tout  ouverte  afin  qu'elle  pût  en 
prendre  connaissance.  J'envoyai  ce  paquet  à  la  marquise, 
et  je  fus  quelques  heures  après  pour  savoir  si  elle  avait 
remis  ma  lettre  au  Roi,  et  ce  que  le  Roi  avait  pensé ^  Je 
la  trouvai  froide  et  aigre  :  elle  me  dit  qu'elle  n'avait  point 
remis  ma  lettre  à  Sa  Majesté,  parce  qu'elle  était  sûre 
qu'elle  lui  déplairait.  Je  combattis  ses  raisons  pendant 
quelque  temps;  mais  voyant  qu'elle  persistait  à  penser 
que  cette  lettre,  au  lieu  de  produire  un  bon  effet,  en  pro- 
duirait un  mauvais,  je  la  priai  de  me  la  rendre,  je  la  dé- 
chirai devant  elle,  et  je  la  brûlai.  J'aurais  craint  de 
l'offonser  et  de  lui  montrer  une  défiance  injuste  et 
déplacée,  si  je  lui  avais  demandé  en  même  temps  la  lettre 
que  je  lui  avais  écrite  à  elle-même.  D'ailleurs,  ayant 
déchiré  celle  qui  était  destinée  pour  le  Roi,  l'autre  ne 
signifiait  plus  rien,  puisqu'elle  n'était  que  la  préface  de  la 
première.  J'étais  bien  éloigné  de  penser  que  madame  de 
Pompadour  pût  se  servir  de  la  lettre  que  je  lui  avais  laissée 
pour  persuader  au  public  que  j'avais  présenté  un  mémoire 
au  Roi,  par  lequel  je  demandais  à  être  déclaré  premier 
ministre. 

Après  ma  disgrâce,  elle  répandit  ce  bruit  ridicule,  mais 
qui  prit  faveur  en  France  et  dans  les  pays  étrangers  :  elle 
détacha  pour  cela  quelques  phrases  de  la  lettre  qu'elle 
avait  gardée,  qu'elle  donnait  comme  des  fragments  du 
prétendu  mémoire  envoyé  au  Roi.  A  mon  retour  de  Ver- 
sailles, elle  s'est  bien  gardée  de  toucher  cette  corde,  parce 
que  je  l'aurais  confondue.  Il  n'y  a  guère  d'exemple  d'une 
pareille  noirceur;  mais  ce  qui  est  encore  plus  rare,  c'est  de 
l'avoir  pardonnée,  comme  je  l'ai  fait. 

'  Cf.  Mémoires  de  madame  du  /fausset,  p.  122,  cdit.  Baudoin. 


5. 


68  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE   BERNIS. 

Après  la  bataille  de  Creveld,  je  persuadai  au  Roî 
d'ëcrire  au  maréchal  d'Estrées  pour  l'appeler  à  Versailles, 
lui  foire  prendre  place  au  conseil,  et  l'engager  par  cette 
marque  de  confiance  à  oublier  le  passë^  et  à  reprendre  le 
commandement  de  l'armée,  au  moins  jusqu'à  ce  qu'il  eût 
forcé  le  prince  Ferdinand  à  repasser  le  Rhin,  ce  qui  n'était 
pas  difficile  à  exécuter. 

Ce  général  arriva  le  jour  que  le  maréchal  de  Belle-Isle 
apprit  la. mort  de  son  fils*.  Il  soutint  cet  événement  avec 
beaucoup  de  courage.  Le  Roi,  la  Reine  et  la  famille 
royale  l'honorèrent  d'une  visite  *.  Je  valus  cette  grande 
distinction  au  maréchal  :  ce  ne  fiit  pas  sans  peine  que  le 
Roi  se  détermina;  mais  il  faut  dire  à  sa  gloire  qu'il  parla 
à  son  ministre  avec  une  noblesse  et  une  bonté  touchantes 
et  remarquables. 

Rien  ne  put  décider  le  maréchal  d'Estrées  à  partir  pour 
l'armée  :  ni  les  bontés  du  Roi,  ni  les  prières  du  maréchal 
de  Belle-Isle  son  ami,  ni  les  instances  de  la  marquise,  qui 
lui  dit  en  ma  présense  que  le  Roi  le  ferait  duc,  s'il  voulait 
commander  son  armée  :  le  maréchal  lui  répondit  que  ce 
que  sa  santé  ne  lui  permettait  pas  de  faire  pour  l'amour 
du  Roi,  il  ne  le  ferait  pas  pour  la  plus  grande  fortune. 

M.  de  Contades  prit  le  commandement  de  l'armée, 
comme  on  Ta  dit,  et  perdit  encore  l'occasion  de  battre 
M.  le  prince  Ferdinand,  qui  repassa  tranquillement  le 
Rhin  sans  être  entamé.  Cette  retraite  des  alliés  fut  décidée 
par  une  diversion  en  Hesse  que  je  proposai  et  qui  fut  exé- 
cutée par  vingt-quatre  mille  hommes  que  M.  le  prince 


ï  29  juin  1758. 

2  Le  30  juin  1758  {Gazette  de  France,  p.  328).  Cf.  C.  Rousset,  /e  Comte 
de  Giwrs,  p.  501.  Lettre  de  Brrnis  au  comte  de  Clermont.  Les  Mémoires 
de  madame  du  Hausxet  attribuent  Tinitiative  de  cette  démarche  à  madame 
«le  Poropadour  (p.  127,  édit.  in-12). 


LA   BATAILLE  DE   CREVELD.  69 

de  Soubise  devait  conduire  à  l'armée  de  l'Impëratrice. 
Cette  princesse  se  prêta  généreusement  à  nos  besoins. 
Mais  il  est  remarquable  que  ce  soit  le  ministre  des  affaires 
étrangères,  et  un  homme  d'Église,  qui  ait  proposé  cette 
diversion  à  un  maréchal  de  France  chargé  du  détail  de  la 
guerre.  Je  pris  sur  moi  tous  les  enibarras  de  la  négocia- 
tion pour  rompre  un  engagement  que  j'avais  contracté 
moi-même.  Si  je  n'avais  pas  proposé  cet  expédient,  per- 
sonne ne  l'aurait  imaginé,  ou  n'aurait  osé  l'indiquer,  de 
peur  que  je  n'y  misse  opposition. 

Le  maréchal  d'Estrées  resta  dans  le  conseil,  aida  le 
maréchal  de  Belle-Isle  pendant  tout  le  reste  de  la  cam- 
pagne. S'il  avait  toujours  eu  autant  de  répugnance  pour 
commander  l'armée  qu'il  en  montra  dans  cette  occasion, 
il  aurait  conservé  la  réputation  militaire  que  la  victoire 
d'Hastembeck  lui  avait  acquise,  et  que  les  fautes  de  ses 
successeurs  avaient  beaucoup  augmentée.  C'est  un  hon- 
nête homme,  un  homme  de  valeur,  qui  a  des  parties  de 
général;  mais  ses  vues  ne  sont  pas  si  étendues  que  ses 
sentiments  sont  honnêtes. 


CHAPITRE  II 


D  UN  SERVICE  IMPORTANT  RENDU  A  MADAME  DE  POMPADOUR 


En  lisant  ce  chapitre,  on  m'accuserait  avec  justice  de 
hardiesse  et  de  témérité,  si  on  n'était  pas  instruit  de  la 
confiance  que  le  Roi  m'avait  accordée  sur  les  points  les 
plus  relatifs  à  sa  personne  sacrée  et  à  la  famille  royale  * .  Le 
Roi,  depuis  bien  des  années,  n'avait  plus  d'amour  pour 
madame  de  Pompadour,  et  certainement  l'amitié  qu'il 
avait  pour  elle  était  bien  pure.  Elle  tenait  plus  aux 
affaires  et  à  l'habitude  qu'à  la  différence  des  sexes;  il 
aurait  voulu  faire  cesser  le  scandale  qu'il  avait  donné  à  la 
cour  et  au  public,  sans  se  séparer  d'une  femme  qui  lui 
était  toujours  utile,  et  souvent  agréable. 

Il  s'ouvrit  à  moi  sur  toutes  les  consultations  qu'il  avait 
fait  faire  en  Sorbonne,  et  jusqu'à  Rome.  Ses  confesseurs 
jésuites,  qu'on  accuse  de  morale  relâchée,  n'admet- 
taient aucun  tempérament;  ils  ne  croyaient  pas  que 
le  scandale  pût  être  réparé  autrement  que  par  l'éloigne- 
ment  de  la  marquise.  Si  quelques-uns  de  leurs  ennemis 
liiaient  ceci,  ils  re  manqueraient  pas  d'expliquer  ce  rigo- 
risme par  la  certitude  que  ces  Pères  avaient  d'être  pro- 
tégés par  M.  le  Dauphin,  protection  plus  sûre  et  plus 
honorable  peur  eux  que  celle  d'une  favorite.  Quoi  qu'il  en 
soit,  il  est  certain  que  s'ils  avaient  été  plus  relâchés,  ils 

*  C'est  ici  qu'il  importe  tout  parliculitrimcDtde  comj:arei  à  ces  Mémoires 
eux  de  madiime  du  Ualsset,  p.  b9  et  suiv. 


SERVICE   RENDU   A   MADAME  DE   POMPADOUR.      71 

pouvaient,  avec  adresse,  conserver  M.  le  Dauphin  et  se 
ménager  la  marquise.  Ils  avaient  refusé  de  le  faire  dès  les 
premières  années  qu'elle  parut  à  la  cour,  je  le  sais  positi- 
vement :  alors  M.  le  Dauphin  était  encore  bien  enfant,  et 
sa  protection  n'était  pas  d'un  grand  poids.  On  les  avait 
accusés  du  temps  du  feu  Roi  d'être  amis  de  madame  de 
Maintenon  :  ils  ne  voulurent  pas  encourir  le  même  blâme, 
et  l'on  peut  dire  que,  s'ils  furent  molinistes  alors,  ils  ont 
été  de  nos  jours  jansénistes  sur  ce  point.  Le  Roi  a  de  la 
religion  :  il  n'a  jamais  voulu  suivre  poifr  sa  conduite  chré- 
tienne que  les  avis  les  plus  sévères  :  il  a  mieux  aimé 
s'abstenir  des  sacrements  que  de  les  profaner.  C'est  une 
justice  que  j'ai  été  à  portée  plus  que  personne  de  lui 
rendre.  Son  goût  pour  les  femmes  Ta  emporté  sur  son 
amour  pour  la  religion;  mais  il  n'a  jamais  étouffé  le  res- 
pect dont  il  est  pénétré  pour  elle,  et  je  ne  crois  pas,  de- 
puis que  je  ne  lis  plus  dans  son  âme,  qu'il  soit  changé, 
ni  qu'il  puisse  changer  à  cet  égard. 

Le  Roi  m'avait  permis  de  lui  écrire  franchement  sur 
tout  ce  qui  regardait  ses  affaires,  et  même  sa  personne  : 
j'écrivais  à  demi-marge,  et  Sa  Majesté  me  faisait  réponse 
à  coté,  et  souvent  aussi  bien  qu'aurait  pu  le  faire  Henri  IV. 
Les  courtisans  ne  jugeaient  de  ma  faveur  que  par  les  places 
que  j'occupais,  et  par  l'air  de  famiharité  et  d'aisance  que 
Sa  Mfijesté  voulait  bien  avoir  avec  moi;  mais  personne  ne 
savait  jusqu'à  quel  point  allaient  ses  bontés.. z*.  Tout  ce 
préliminaire  est  nécessaire  pour  qu'on  ne  soit  pas  étonné 
de  la  démarche  que  je  fis  pour  sauver  la  marquise,  jalouse 
d'une  femme  de  la  cour,  avec  laquelle  le  Roi  avait  eu  déjà 
quelque  galanterie.  Le  goût  du  Roi  s'était  réveillé,  et 
cette  femme  était  soutenue  par  des  puissances,  et  conseillée 
par  les  ennemis  de  la  marquise,  dont  le  nombre  était 
grand.  Celle-ci  avait  demandé  au  Roi  la  permission  de 


72  MEMOIRES   DU   CARDINAL   DE  BERNIS. 

se  retirer  :  le  Roi  ne  lui  avait  pas  encore  fait  de  réponse, 
elle  l'attendait.  La  voyant  triste  un  jour,  elle  me  confia  sa 
situation,  la  démarche  qu'elle  avait  faite,  et  la  consolation 
qu'elle  avait,  en  quittant  la  cour,  de  laisser  dans  ma  per- 
sonne un  ministre,  disait-elle,  honnête  homme,  éclairé, 
et  selon  le  cœur  du  Roi. 

Je  ne  saurais  exprimer  l'émotion  que  je.  ressentis, 
mais  je  la  maîtrisai  dans  un  instant,  en  lui  disant: 
^(t  Madame,  ce  n'est  pas  ainsi  qu'un  ministre  d'État  doit 
prouver  ses  sentiments.  »  Je  me  levai  et  voulus  sortir  de 
son  cabinet;  elle  me  retint,  et  me  força  de  lui  dire  quel 
était  mon  projet.  Je  lui  avouai  que  j'allais  écrire  au  Roi, 
lui  représenter  combien  une  nouvelle  maîtresse  affichée 
nuirait  à  sa  réputation,  à  ses  affaires,  et  donnerait 
d'ombrages  à  la  cour  de  Vienne,  qui,  pour  son  alliance 
avec  lui,  s'était  adressée  à  madame  de  Pompadour;  et 
comme  il  est  dans  Tusage  d'une  nouvelle  maîtresse  de 
renverser  tout  ce  que  l'autre  a  établi,  l'Impératrice 
n'aurait  plus  de  confiance  dans  la  fermeté  du  nouveau 
système  politique  de  la  France;  que  de  plus  je  déclarerais 
au  Roi  que  je  ne  travaillerais  certainement  pas  avec  une 
autre  femme,  qui  n'aurait  sur  moi  aucun  des  droits  de 
l'amitié  et  de  la  reconnaissance. 

La  marquise  trembla  de  ma  résolution.  Elle  me  fit 
sentir  (|ue  je  m'exposais  à  déplaire  au  Roi,  en  lui  parlant 
avec  cette  liberté,  et  que,  s'il  avait  la  faiblesse  de 
montrer  ma  lettre  à  sa  maltresse,  je  courrais  encore  de 
plus  grands  risques.  Je  lui  répondis  avec  fermeté  que 
j'avais  fait  tous  ces  calculs,  mais  que  le  plus  mauvais 
parti  pour  moi ,  c'était  de  m'exposer  à  être  chassé  de  ma 
place  par  une  nouvelle  favorite,  qui,  me  sachant  lié  avec 
l'ancienne,  me  regarderait  toujours  comme  suspect, 
et  mettrait  tout  en  œuvre  pour  traverser  l'alliance  du  Roi 


SERVICE   RENDU   A   MADAME   DE   POMPADOUR.     78 

avec  la  cour  de  Vienne.  Je  connaissais  le  conseil  de  cette 
femme  ;  il  était  oppose  au  nouveau  système  ' . 

Malgré  les  frayeurs  de  la  marquise,  je  fus  écrire  au  Roi  : 
jamais  on  n'a  dit  la  vérité  à  son  souverain  avec  plus  de 
respect  ni  avec  plus  de  fermeté  que  je  le  fis  :  la  con- 
clusion était  que,  si  le  Roi  persistait  à  déclarer  une 
nouvelle  maîtresse ,  je  le  suppliais  de  me  permettre  de  me 
retirer.  Je 'portai  cette  lettre  à  la  marquise,  qui  pleura 
d'admiration  et  de  reconnaissance  de  trouver  en  moi  une 
amitié  si  courageuse.  Mais,  contente  de  connaître  le  secret 
de  mon  cœur,  elle  ne  voulait  pas  consentir  que  cette  lettre 
fût  remise  au  Roi.  Je  la  cachetai  à  l'instant,  et  comme  le 
Roi  entra  chez  la  marquise  un  moment  après ,  j'attendis 
que  Sa  Majesté  s'en  retournât  pour  la  suivre  et  lui  remettre 
ma  lettre,  en  la  suppliant  d'y  faire  grande  attention  et 
une  prompte  réponse. 

Cette  réponse  ne  tarda  pas  ;  le  Roi  me  la  remit  lui- 
même  le  lendemain ,  et  je  la  portai  toute  cachetée  à  la 
marquise.  Le  Roi  m'y  parlait  avec  la  plus  grande  bonté 
et  franchise;  il  détaillait  les  qualités  de  la  marquise  et 
ses  défauts ,  et  me  promettait  de  renoncer  au  goût  qu'il 
avait  pour  sa  rivale ,  parce  qu'il  en  sentait  le  danger 
pour  ses  affaires  et  pour  sa  réputation. 

Qui  croirait  que  madame  de  Pompadour,  dix  mois  après 
un  pareil  service,  eût  été  capable  de  me  sacrifier  h  son 
engouement  pour  le  duc  de  Choiseul,  bien  plus  qu'à  la 
crainte  qu'on  cherchait  à  lui  inspirer  du  crédit  que  je 
prenais  dans  l'esprit  du  Roi  et  de  l'amitié  qu'avait  pour 


^  Marie-Anne-Louise-Adélaïde  de  Maîlly,  mariée  au  marquis  de  Coislln, 
colonel  du  régioieot  de  Brie.  Cf.  sur  madame  de  Coislin  Mémoires  de 
madame  du  Hausset,  p.  185;  Mémoires  secrets  de  Duclos,  II,  112,  Cor^ 
resp,  secr,;  Ed.  Boutabic,  I,  58,  sur  le  prince  de  Gond,  et  CàMPABDOEf, 
Madame  de  Pompadour^  p'.  209. 


74  MÉMOIRES   DU  CARDINAL  DE  BERNIS. 

moi  la  famille  royale?  Je  blessais  souvent  son  amour- 
propre  en  combattant  ses  avis  dans  les  affaires.  Moitié 
lé(;èretc^,  moitié  amour-propre,  moitié  jalousie  de  pou.voir, 
elle  sollicita  ma  disgrâce  avec  une  importunité  a  laquelle 
le  Roi  céda  enfin,  lors(|ue  j'eus  remis  le  département  des 
affaires  étrangères  :  dès  qu'un  ministre  cesse  d*être 
nécessaire,  il  est  à  demi  renversé. 

M.  de  Macbault,  à  l'instigation  des  dévots  et  dévotes 
de  la  cour,  et  pour  complaire  à  la  Reine  et  à  la  famille 
royale,  avait  conseillé  à  madame  de  Pompadourde  n'aller 
plus   au   spectacle,  d'entendre  la  messe  tous  les  jours, 
d'assister  aux  vêpres  les  dimanclies  et  fêtes  ;  en  un  mot, 
de  prendre  la  livrée  de  la  dévotion.  M.  de  Soubise  lui  avait 
proposé  le  Père  Sacy,  jésuite,  pour  son  directeur*.  Celui- 
ci  ne  voulut  pas  se  charger  d'une  pareille  direction  :  la 
destruction  de  son  ordre  en  France  vient  en  plus  grande 
partie  de  ce  refus.  M.  Berryer,  confident  de  la  maixjuise, 
qu'il  avait  le  secret  de  rassurer  et  d'épouvanter  à  son  gré 
par  Tespionnage  de  la  police,  lui  choisit  un  confesseur, 
qui   la  trouva  en   état  de  faire  ses  pàques  sans  exiger  de 
renoncer   à  la  société   du   Roi ,  et  par  conséquent  à  la 
réparation  du  scandale.   Elle  me  fit  part  un  jour  de  cette 
pieuse  intrigue,  en  s'excusant  de  me  l'avoir  cachée.  J'eus 
le  courage  de  lui  dire  que  cette  comédie  n'en  imposait  à 
personne;  qu'elle  passerait  pour  fausse  et  hypocrite;  que, 
n'étant  pas   touchée    dans  le  cœur,  la  dévotion  finirait 
bientôt  par  l'ennuyer  ;  qu'elle  se  donnerait  un  ridicule  en 


^  Voir  sur  le  P.  Sacy,  né  gentilhomme,  et  qui  était  procureur  {général  de* 
Miidionit,  LuYNKS,  Mémoires,  XV,  322,  323  et  324;  Madame  de  Pompa- 
dour  f't  ta  cour  de  Louis  XV,  p.  291  et  suiv.;  les  MuStresses  de  Louis  AT, 
I,  p.  271  ;  Mémoires  historiques  de  la  cour  de  France,  p.  99,  et  Crétiseac- 
JoLT,  Clément  XI V  et  les  Jésuites,  p.  91.  Généralemcrl  on  met  cette  anec- 
dote eu  ft'ViicT  1756,  et  l'on  donne  pour  but  à  madame  de  Pompadoor 
VohUrtttion  d'une  charge  de  dame  de  la  Ueine. 


SERVICE   RENDU    A   MADAME  DE   POMPADOUR.      75 

prenant  l'état  de  dévote,  et  un  plus  grand  encore  en  le 
quittant  par  ennui.  Ma  prédiction  ne  lui  plut  pas;  mais 
elle  s'exécuta  à  la  lettre  peu  de  temps  après  le  retour  du 
duc  de  Choiseul. 

La  marquise  n'avait  aucun  des  grands  vices  des  femmes 
ambitieuses;  mais  elle  avait  toutes  les  petites  misères  et 
la  légèreté  des  femmes  enivrées  de  leur  figure  et  de  la 
prétendue  supériorité  de  leur  esprit  :  elle  faisait  du  mal 
sans  être  méchante ,  et  du  bien  par  engouement  ;  son 
amitié  était  jalouse  comme  l'amour,  légère ,  inconstante 
comme  lui,  et  jamais  assurée. 


CHAPITRE  III 


DE    LA    RETRAITE    DE    PLUSIEURS   MINISTRES 


M.  de  Paulmy,  en  quittant  le  dëpartement  de  la 
guerre  * ,  conserva  quelque  temps  sa  place  dans  les  conseils. 
M.  de  Moras  s*était  débarrassé  de  la  finance  peu  après 
avoir  été  nommé  secrétaire  d*Etat  de  la  marine*  ;  la  prise 
de  Louisbourg  acheva  de  ruiner  le  peu  de  crédit  qui  lui 

restait^ Pour  M.  Rouillé,  il  jouait  un  personnage  si 

indifférent  dans  les  conseils,  que,  malgré  le  goût  de  sa 
femme  pour  la  cour,  il  sentit  enfin  qu'il  y  était  déplacé^. 
Il  ne  restait  plus  au  conseil  d*État  que  le  maréchal  de 
Belle-Isle,  le  maréchal  d'Estrées,  M.  de  Saint-Florentin  et 
moi.  Ces  trois  ministres  se  concertaient  très-bien  avec 
moi  et  ensemble,  et  si  j'avais  eu  l'ambition  que  mes 
ennemis  feignaient  de  me  supposer,  il  m'aurait  été  biea 
aisé  de  jouer  le  premier  rôle  dans  ce  conseil  ;  mais  comme 
en  effet  je  n'aurais  eu  aux  yeux  du  public  que  l'apparence 
de  cette  situation  sans  en  avoir  la  réalité ,  je  trouvai  que 
c'était  jouer  trop  gros  jeu ,  et  faire  courir  des  risques  à 
l'État.  Je  demandai  donc  à  madame  de  Pompadour 
qu'elle  déterminât  le  Roi  à  renforcer  son  conseil  d'hommes 
capables  d'en   relever   le   crédit.   Cette    proposition   lui 

'  23  mars  1758 

3  25  auiit  1757,  donne  sa  dcmission  de  contrôleur  général. 

«^  Il  8C  relire  le  30  mai  1758  de  sa  charge  de  secrétaire  d*État. 

4  5  avril  1758. 


RETRAITE   DE   PLUSIEURS   MINISTRES.  77 

déplut  ;  elle  me  répondit  sèchement  :  «  Pourquoi  voulez- 
vous  de  nouveaux  ministres?  Est-ce  que  vous  n'êtes  pas  le 
maître?  —  C'est,  madame,  parce  que  je  ne  le  suis  pas, 
que  je  ne  veux  pas  l'être,  encore  moins  en  avoir  l'air,  que 
je  demande  du  secours  et  des  lumières.  Ce  ne  sont  pas  des 
créatures  que  je  sollicite ,  ce  sont  des  hommes  qui  ras- 
surent le  public  par  leurs  lumières  que  je  propose.  Il  faut, 
lui  dis-je,  un  ministre  politique,  et  un  ministre  au  fait 
des  lois  et  des  formjes,  pour  empêcher  qu'en  les  violant  on 
n'excite  des  fermentations  dans  le  royaume.  Si  vous 
n'aviez  pas  a  vous  plaindre  de  M.  de  Maurepas,  ajoutai-je, 
je  vous  le  proposerais  pour  les  affaires  intérieures;  et  si 
j'étais  h  votre  place,  j'aurais  la  grandeur  d'àme  de  le 
rappeler;  mais  vous  êtes  bien  éloignée  de  penser  comme 
moi.  Ainsi  c'est  à  vous,  madame,  à  choisir  le  ministre 
qui  manque  au  conseil  pour  tout  ce  qui  a  rapport  au 
clergé ,  au  Parlement  :  dès  que  cet  homme  y  sera  entré, 
ou  je  me  concerterai  avec  lui ,  ou  je  lui  remettrai  le  porte- 
feuille des  affaires  qui  intéressent  ces  deux  corps.  » 

Cette  dernière  proposition  adoucit  la  marquise  :  elle 
vit  jour  à  faire  entrer  M.  Berryer  au  conseil  d'État, 
comme  elle  Tavait  fait  entrer  au  conseil  des  dépêches 
quand  je  proposai  d'y  admettre  M.  Gilbert  de  Voisins*. 
L'élection  d'un  ministre  pour  la  politique  lui  parut  plus 
difficile;  cependant,  pour  le  bien  de  la  chose,  et  pour 
guérir  son  esprit  des  craintes  qu'on  lui  avait  déjà  inspirées 
sur  ma  prétendue  ambition,  je  lui  proposai  (si  toutefois 
le  Roi  n'avait  conservé  aucun  dégoût  pour  ce  ministre) 
de  rappeler  l'ancien  garde  des  sceaux,  Chauvelin.  La 
marquise  savait  que  je  ne  le  connaissais  pas  même  de 

^  Pierre  Gilbert  de  Voisins,  avocat  général  au  parlement  de  Paris,  avait 
été  nommé  conseiller  d*£tat  et  membre  du  conseil  des  dépècbes  en 
avril  1740. 


78  MÉMOIRES  DU  CARDINAL  DE  BERNIS. 

vue,  qu'il  n'approuvait  pas  le  traité  de  Versailles,  et 
qu'il  jouissait  en  Europe  d'une  grande  rëputatîon.  Cette 
proposition  l'étonna.  «  Vous  voyez  bien,  lui  dis-je,  qu'après 
dix-huit  ans  de  connaissance  et  d'amitié,  vous  êtes  encore 
bien  éloi{jnéc  de  me  connaître;  je  ne  demande  pas 
d'associer  mes  amis  au  ministère,  ni  des  gens  sur  qui  je 
puisse  prendre  de  l'ascendant;  je  demande,  au  contraire, 
tout  ce  qui  se  passe  pour  être  le  plus  éclairé,  v 

La  marquise  me  promit  d'en  parler  au  Roi  :  je  ne  sais 
SI  elle  le  fit;  mais  quelques  jours  après  elle  me  dit  qu'il 
ne  fallait  plus  sonyer  a  M.  Chauvelin,  et  qu'il  convenait 
de  chercher  parmi  les  ambassadeurs  celui  que  le  Roi 
pourrait  nommer  ministre  d'État.  Je  proposai  le  duc  de 
Nivernais,  à  qui  elle  donna  l'exclusion  comme  parent  et  ami 
de  M.  de  Maure;)as*.  Aucun  des  nouveaux  et  anciens  am- 
bassadeurs ne  lui  ayant  convenu,  j'insistai  sur  le  rappel  du 
marquis  de  Puysieulx,  qu'elle  avait  beaucoup  aimé  et  qu'elle 
n'aimait  plus;  elle  m'objecta  que  ce  ministre  ne  voudrait 
pas  rentrer  au  conseil  a  cause  de  sa  santé.  Je  l'assurai 
qu'il  ne  résisterait  pas  au  Roi,  si  Sa  Majesté  lui  faisait 
l'honneur  de  l'en  prier  :  M.  de  Puysieulx  obéit  en  effet*, 
mais  à  condition  que,  la  paix  étant  faite,  il  aurait  la  liberté 
de  se  retirer.  Il  a  tenu  parole  :  cette  sajjesse  et  celte 
modération  supposent  bien  des  vertus. 

M.  Uerryer,  comme  ancien  mag[istrat,  fut  choisi  par  la 
marquise.  Cet  homme  m'a  plus  nui  que  toute  la  cour 
ensemble  :  il  espionnait  ma  maison ,  ma  personne  et  mes 
amis,    et   faisait   un   très-mauvais   usage,   auprès  de  la 

1  Loui5-Ji)lrs  Rirlton  M.incini-Mazarini,  duc  de  Nîvemni»,  etc.,  arait 
<*|uuis^  II*  18  déotMnbi-e  1730  Hélène- Angélique-Françoise  Phély|»«a*JK) 
néo  en  in;n  171  >,  socomle  tillr  «le  Jérôme  Phély|>eaux,  comte  de  Ponl- 
chartmin  (|»rro  du  comie  de  Manrfpas\  et  d'IIélène-RoMlie- Angélique  de 
Laubrs|)ine  do  Verden>ne. 

*  Le  2  j;iillt*l  I7«*>8,  suivant  VEurope  vivantt',  Bruxelles^  1759. 


RETRAITE   DE   PLUSIEURS   MINISTRES.  79 

marquise,  des  propos,  souvent  indifférents,  quelquefois 
imprudents,  des  g[ens  qui  se  piquaient  d*avoir  de  l'amitié 
pour  moi.  Madame  de  Pompadour  était  persuadée  que  la 
vigilance  de  Berryer  l'avait  sauvée  mille  fois  du  fer  et  du 
poison  :  elle  n'avait  aucun  goût  pour  cet  homme  grossier 
et  bourgeois,  mais  elle  le  croyait  nécessaire  à  sa  sûreté. 
Elle  le  fit  bientôt  après  ministre  de  la  marine  et  garde  des 
sceaux  :  une  mort  prématurée  en  délivra  la  France  '. 

Le  marquis  de  Paulmy,  après  sa  retraite,  désira  rentrer 
dans  la  carrière  des  ambassades  :  je  lui  offris  celle  de 
Pologne,  qui  venait  de  vaquer  par  le  rappel  du  comte  de 
Broglie,  et  il  l'accepta  peu  de  temps  après.  J'envoyai 
dans  cette  cour,  où  mille  intrigues  avaient  brbuillé  les 
affaires,  le  marquis  de  Monteil,  ci-devant  ministre  du 
Roi  à  Cologne  *,  homme  d'esprit ,  homme  sage,  et  sur  la 
probité  et  la  fidélité  duquel  je  pouvais  compter.  Après 
ma  disgrâce,  il  eut  la  prudence  de  demander  a  revenir,  et 
de  remettre  son  ambassade  à  des  conditions  honorables. 

Aussitôt  que  M.  de  Puysieulx  et  le  maréchal  d'Estrées 


^  «  Le  29  du  mots  dernier  (juin)^  dit  la  Gazette  de  France,  p.  328,  le  sieur 
Rouillé,  ci-devant  ministre  des  affaires  étrangères,  |e  marquis  de  Paulmy 
et  le  sieur  de  Moras  eurent  l'agrément  du  Roi  pour  se  retirer  du  conseil. 
Le  2  de  ce  mois,  Sa  Majesté  admit  au  conseil  le  maréchal  d*Estrées  et 
M.  Berryer,  qui  était  déjà  du  conseil  des  dépèches.  Le  marquis  de  Puy- 
sieulx y  reprit  aussi  séance.  • 

^  Charles-François  de  Monteil,  fils  de  Balthazar  Aymar  de  Monteil,  mai-w 
quis  de  Durfort,  et  de  Marie-Françoise  Faure  de  la  Farge,  lieutenant- 
colonel  de  dragons  réformé,  se  distingue  h  Gênes  en  1747,  est  fait  la  même 
année  colonel  du  régiment  de  Nivernais  et  s'en  démet  en  1753  pour  être 
nommé  colonel  dans  les  grenadiers  de  France.  Le  7  février  1756,  il  est 
nommé  ministre  plénipotentiaire  du  Roi  près  l'électeur  de  Cologne;  le 
22  juillet  1758,  il  va  remplacer  à  Varsovie,  en  qualité  d'envoyé  extraordi- 
naire et  de  ministre  plénipotentiaire,  M.  le  comte  de  Broglie.  Le  22  juin 
1759,  il  demande  à  être  employé  avec  son  grade  (brigadier  des  armt^cs  du 
Roi)  dans  les  armées.  Maréchal  de  camp  le  20  février  1761,  lieutenant 
général  le  l»""  mars  1780,  il  servait  encore  en  1789,  et  depuis  le  9  avril 
1777  était  envoyé  extraordinaire  près  la  république  de  Gènes. 


80  MÉMOIRES  DU  CARDINAL  DE  BEBNIS. 

furent  rétablis  dans  le  conseil ,  je  m'occupai  sërieusement 
de  quatre  choses  :  la  première ,  de  mettre  une  forme  dans 
le  gouvernement;  la  seconde,  de  soulager  la  finance;  la 
troisième ,  de  forcer  la  cour  de  Vienne  à  tenir  sa  parole 
pour  traiter  de  la  paix  dans  l'hiver  de  1 759  ;  la  quatrième, 
enfin ,  d'assurer  des  moyens  pour  la  continuation  de  la 
guerre ,  au  cas  que  la  paix  ne  pût  se  conclure  aussitôt  que 
je  le  désirerais  pour  le  bien  de  la  France  et  pour  l'intérêt 
bien  entendu  de  nos  alliés. 


CHAPITRE  IV 

PLAN    DE    GOUVERNEMENT    PROPOSÉ    ET    ACCEPTÉ    DANS    l'eTE 
DE    1758 


Le  duc  de  Choiseul,  n'étant  pas  encore  instruit  du 
refroidissement  de  la  marquise  à  mon  égard ,  et  voyant 
que  toutes  les  affaires  de  Talliance  se  décousaient, 
hasarda  comme  Tunique  remède  de  proposer  à  madame 
de  Pompadour  d'engager  le  Roi  à  me  faire  premier 
ministre.  Je  blâmai  fort  cette  démarche,  et  je  pouvais 
même  la  regarder  plutôt  comme  une  méchanceté  que 
comme  un  service.  La  marquise  me  montra  la  lettre  de 
son  ami,  qui  était  des  plus  fortes,  et  m'assura  qu'elle  se 
garderait  bien  de  la  montrer  au  Roi ,  de  peur  qu'il  ne  prît 
le  duc  de  Choiseul  en  aversion;  qu'elle  convenait  que  ce 
parti  serait  peut-être  le  meilleur,  mais  que  le  Roi  avait 
une  répugnance  invincible  à  faire  un  premier  ministre. 
Il  est  certain  que  ses  maîtresses  avaient  un  grand  intérêt  à 
lui  persuader  que  ce  serait  se  mettre  en  tutelle  et  se  choisir 
un  maître,  que  de  confier  son  autorité  à  un  de  ses  sujets. 
Une  femme  croit  faire  moins  de  tort  à  un  prince  de 
disposer  de  sa  confiance  et  de  son  pouvoir;  ou  si  elle  ne 
le  croit  pas,  elle  est  bien  aise  que  le  prince  se  l'imagine. 
Je  persuadai  facilement  la  marquise  que  le  duc  de 
Choiseul  avait  fait  cette  démarche  à  mon  insu;  mais  ce 
qui  m'étonna  beaucoup,  c'est  que  dans  la  réponse  qu'elle 
Ht  au  duc  de  Choiseul,  elle  ne  le  gronda  nullement  de  la 


82  MÉMOIRES  DU   CARDJNAL   DE  BERNIS. 

proposition  qu'il  avait  faite,  et  convint  de  bonne  (bi  que 
le  Roi  ne  pourrait  prendre  un  meilleur  parti ,  mais  qu*il 
en  était  fort  éloigné.  Pour  achever  de  bien  convaincre  la 
marquise  combien  je  songeais  peu  à  me  rendre  le  maftre 
des  afiaires,  je  lui  proposai  de  présenter  au  Roi  un  plan 
de  "gouvernement  par  lequel  j'étais  réduit  à  ma  simple 
voix  dans  le  conseil. 

J'établissais  dans  mon   mémoire  la  nécessité  de  Ten- 
ssmble,  de  l'accord  et  de  la  correspondance  réciproque 
de   toutes    les   parties    du    gouvernememt  ;   qu'il   fallait 
qu'elles  aboutissent  à  un  centre  pour  y  recevoir  un  mou- 
vement et   une  direction  analogues  à  chaque  branche. 
Ce  centre  est  nécessairement    le  Roi   pour  donner  les 
ordres  ;  mais    pour    épargner  a   ce  prince    les   longues 
discussions,  nécessaires  h  la  bonne  conduite  des  affaires, 
le  proposai  que  toutes  celles  de  l'État  fussent  discutées 
dans  des  comités,  composés  du  conseil  d*en  haut',  et 
lorsqu'il  serait  nécessaire,  de  tout  le  conseil,  et  auxquels  le 
contrôleur  général  des  finances  serait  toujours  présent. 
Je  demandais  que  ce  comité  examinât  d'abord  toutes  les 
dépenses,    afin    de   parvenir   à    les   diminuer;    que  cet 
examen  commençât  par   la   maison  du  Roi,  et  ensuite 
s'étendit  a  tous  les  départements  de   secrétaire  d'État, 
ainsi  qu'à  toutes  les  parties  de  dépenses  quelconques  ;  que 
les  affaires  majeures  de  l'intérieur  et  du  dehors  y  fussent 
également  approfondies  :  ce  qui  ne  peut  être  fuit  dans 
je   conseil  où  le  Roi  préside,   parce  que,  outre  que  la 


1  Le  ronsoil  d'en  haut  se  tenait  le  cfimanche  et  le  mercredi,  et  se  com- 
posait du  Roi,  du  Dauphin,  du  maréchal  de  Relle-Isie,  de  M.  de  Saint-Flo- 
rentin, dit  mart'chal  d^Estrées,  de  M.  de  Puysieulx,  de  Tabbé  de  Beniis  et 
de  M.  Berryer.  Le  conseil  des  dépèches  comprenait  en  outre  des  membres 
du  conseil  d'en  haut  :  le  chancelier,  le  duc  de  Béthune,  M.  Gilbert  de 
Voisins,  M.  de  Boullongne. 


PLAN    DE   GOUVERNEMENT  (ETE   DE  1758).  83 

longueur  le  fatiguerait,  sa  présence  empêche  trop  souvent 
qu'on  ne  dise  franchement  son  avis. 

Ces  comités  que  je  proposais  devaient  se  tenir  trois  fois 
par  semaine  chez  le  ministre  d'État  le  plus  constitué  en 
dignité;  on  devait  tenir  registre  de  toutes  les  décisions 
qui  y  seraient  prises  :  tout  devait  s'y  résoudre  à  la  plu- 
ralité des  voix;  chaque  décision  devait  être  signée  de  tous, 
et  présentée  au  Roi  pour  y  mettre  son  bon,  ou  pour  la 
réformer  en  tout  ou  en  partie ,  selon  que  Sa  Majesté  le 
jugeait  à  propos.  La  marquise  devait  remettre  au  Roi 
chaque  décision  des  comités,  signée  par  les  ministres  du 
Roi  :  c'était  lui  conserver  une  fonction  bien  honorable  :  mais 
il  faut  convenir  que  c'était  lui  ôter  les  rênes  du  gouverne- 
ment pour  les  remettre  au  conseil  du  Roi Tous  les 

gens  sensés  et  tous  les  bons  citoyens  penseront  que 
c'était  assez  de  laisser  à  une  femme,  à  une  ancienne 
maîtresse,  le  crédit  pour  faire  donner  les  places  de  ia 
cour,  et  qu'il  était  juste  et  raisonnable  de  l'empêcher  de 
décider  à  sa  fantaisie  des  affaires  d'État. 

Par  ce  plan,  le  conseil  du  Roi  devenait  le  pren^ier 
ministre  de  Sa  Majesté;  il  ne  s'agissait  que  d'en  bien 
choisir  les  membres,  et  d'y  introduire  le  zèle,  Texpé-  * 
rience,  la  maturité  et  les  lumières.  L'État  aurait  été  ainsi 
bien  gouverné,  et  dans  ces  comités  chaque  ministre  n'au- 
rait eu  que  sa  voix.  Je  sais  bien  que  le  plus  habile  et  le 
plus  adroit  y  aurait  eu  plus  de  crédit  que  les  autres;  mais 
enfin  ce  n'aurait  été  qu'en  réunissant  le  plus  grand  nom- 
bre de  suffrages  qu'il  aurait  pu  influer  dans  les  décisions; 
chaque  ministre  aurait  été  plus  courageux  pour  proposer 
la  réforme  des  abus,  parce  que  le  conseil  tout  entier,  et 
non  chaque  ministre  en  particulier ,  aurait  été  l'auteur  de 
l'avis  et  le  promoteur  du  retranchement  de  l'abus. 

Par  cet  arrangement,  je  me  réduisais  à  ma  seule  voix 

6. 


84  MÉMOIRES   DU  CARDINAL   DE  BERNIS 

dans  le  conseil.  Si  mies  avis  y  étaient  suivis  de  préférence, 
on  pouvait  croire  qu'ils  étaient  mieux  fondés  que  ceux  de 
mes  confrères,  parce  (praucun  d'eux  n'avait  enyie  de  me 
faire  jouer  le  premier  rôle.  Cela  était  si  connu  de  madame 
de  Pompadour  que,  soit  par  l'embarras  des  affxiires  et  les 
mauvais  succès  de  la  guerre,  soit  parce  qu'elle  n'osa  pas 
s'opposer  à  un  plan  si  sage,  elle  feignit  d'adopter  cet 
arrangement.  Effectivement  elle  fit  approuver  par  le  Roi, 
à  qui  cela  donnait  plus  de  tranquillité ,  en  songeant  que 
chaque  décision  n'était  pas  seulement  conforme  à  l'avis  de 
quelques-uns  de  ses  ministres ,  mais  était  l'avis  même  de 
son  conseil.  Les  secrétaires  d'État,  par  cet  arrangement, 
n'étaient  plus  despotiques  dans  leurs  fonctions.  Ils  étaient 
obligés  de  soumettre  leur  conduite  à  l'examen  du  comité; 
ils  ne  pouvaient  proposer  de  nouvelles  dépenses  dans  le 
travail  avec  le  Roi  qu'avec  l'approbation  du  conseil  et  dn 
contrôleur  général  des  finances,  sur  lequel  tout  le  monde 
tire,  sans  qu'il  ait  été  instruit,  avant  la  décision,  s'il  y  a 
des  fonds  pour  payer  les  nouvelles  dépenses  qui  sont  pro- 
posées au  Roi  :  vice  incroyable  dans  notre  gouvernement, 
qui  réduit  le  ministre  des  finances  au  simple  rôle  de  cais- 
sier, le  force  à  faire  argent  de  tout,  et  l'expose  à  perdre 
sa  place  faute  de  fonds,  dans  le  temps  qu'il  s*était  montré 
plus  capable  de  la  remplir. 

Ces  détails  suffisent  pour  indiquer  les  avantages  et 
l'étendue  du  plan  que  j'avais  présenté,  et  que  le  Roi 
accepta  :  un  lecteur  intelligent  en  saisira  aisément  toutes 
les  parties.  Je  me  contenterai  de  dire  ici  qu'après  un  tra- 
vail assidu  de  quatre  mois,  le  conseil,  réuni  en  comité, 
trouva  que,  sans  rien  diminuer  de  l'éclat  extérieur  de  la 
maison  du  Roi,  ni  sans  le  gêner  dans  ses  plaisirs,  on  pou- 
vait, pour  une  première  réforme,  retrancher  pour  six 
millions  de  dépense  annuelle  dans  la  maison  de  Sa  Majesté. 


PLAN   DE   GOUVERNEMENT  (ÉTÉ   DE   1758).  85 

Le  comité  présenta  sa  décision  si(jnée  au  Roi  ;  tous  les 
valets,  toutes  les  charges  crièrent,  et  cette  réforme,  qui 
en  amenait  encore  d'autres,  se  réduisit  à  une  centaine  de 
mille  écus  que  le  Roi  voulut  bien  retrancher.  Sa  bonté  ne 
put  soutenir  le  spectacle  des  criailleries  et  des  plaintes  des 
parties  intéressées  à  la  conservation  des  abus. 

Après  la  maison  du  Roi,  je  donnai  Texemple  aux  autres 
secrétaires  d*Etat  de  soumettre  la  dépense  de  leurs  dépar- 
tements respectifs  à  la  révision  du  conseil.  Quoique  mon 
ministère  fût  le  plus  secret  de  tous,  je  levai  le  voile  qui  le 
couvre,  et  je  proposai  moi-même  le  retranchement  de  la 
moitié  des  subsides,  avec  promesse,  exécutée  peu  de  temps 
après,  de  porter  cette  diminution  encore  plus  loin,  en  pro- 
fitant des  circonstances  qui  pourraient  y  déterminer  nos 
alliés.  Tout  le  conseil  applaudit  au  courage  avec  lequel  je 
m'étais  exécuté  moi-même;  mais  lorsqu'il  fut  question  de 
venir  à  la  réforme  des  dépenses  du  département  de  la 
guerre,  le  maréchal  de  Belle-Isle  éluda  cet  examen  en 
mettant  sur  le  tapis  l'examen  de  la  marine.  Ce  départe- 
ment était  occupé  depuis  peu  par  M.  de  Massiac,  aujour- 
d'hui vice-amiral ',  auquel  madame  de  Pompadour  avait 
donné  pour  adjoint ,  ou  plutôt  pour  maître  ,  un  intendant 
de  marine,  parent  de  son  mari  *.  Comme  cette  partie  était 
des  plus  essentielles,  on  convint  de  l'examiner. 

Il  n'est  pas  nécessaire  que  je  dise  que  le  premier  travail 


'  Claude-Louig,  marquis  de  Massiac,  capitaine  de  vaisseau  en  avril  1738, 
conclut  en  1743  un  traité  de  paix  avec  le  bey  de  Tunis.  Chef  d*escadre  en 
1751,  lieutenant  {vénérai  des  armées  navales  en  1756,  secrétaire  d*Ëtat  au 
département  de  la  marine  du  l^^'  juin  au  30  octobre  1758^  grand-croix 
effectif  de  Saint-Louis  le  18  octobre  1762  vice-amiral  des  mers  du  Po- 
nent  en  novembre  1764,  mort  à  Paris  le  15  août  1770,  dans  sa  quatre- 
^nngt-quatrième  année. 

2  Lenormand  de  Mézy,  adjoint  au  ministre  pendant  ces  cinq  mois  avec 
le  titre  d*intendant  général  de  la  marine  et  des  colonies.  Cf.  sur  lui  Mé- 
moires de  madame  du  Hausset,  éd.  Didot,  p.  113. 


86  MÉMOIRES   DU  CARDINAL  DE  BERNIS. 

des  comités  roula  sur  l'administration  desBnances,  comme 
étant  la  partie  la  plus  importante  et  la  plus  dérangée. 
Chemin  faisant,  on  s'occupait  de  quelques  autres  parties 
les  plus  pressées;  mais  on  songea  d'abord  au  rétablisse- 
ment des  finances,  pour  s'occuper  sérieusement  ensuite 
de  toutes  les  autres  branches  du  gouvernement. 

Quand  les  affaires  de  la  marine,  toujours  ignorées  du 
conseil  du  Roi  (les  ininistres  chargés  de  ce  département 
décidaient  tout  depuis  très-longtemps  ^ans  le  travail  avec 
le  Roi ,  sans  jamais  prendre  l'avis  de  son  conseil) ,  quand , 
dis-je,  l'intérieur  de  cette  administration  fut  mis  au  jour, 
tout  le  conseil  frémit  d'une  administration  si  vicieuse  dans 
la  partie  de  la  finance  :  nulle  comptabilité,  nul  ordre;  des 
lettres  de  change  tirées  sur  le  Trésor  royal  pour  payer  des 
dépenses  dont  le  compte  n'était  réglé  que  plusieurs  années 
après  ;  les  intendants  en  même  temps  ordonnateurs  et  revi* 
seurs  des  dépenses  ;  en  un  mot,  un  chaos,  un  abime  d'abus 
et  de  faux  principes  d'administration.  Il  n'est  pas  éton- 
nant qu'une  machine  si  mal  montée  ait  presque  péri.  On 
nomma  une  commission  pour  apurer  les  comptes  et  régler 
l'état  des  dettes  '.  M.  de  Berryer  succéda  à  M.  de  Massiac. 

Je  fus  exilé  au  mois  de  décembre  1758.  Le  plan  de 
gouvernement  que  j'avais  proposé  et  qui  avait  été  suivi 
pendant  six  mois  fut  abandonné;  il  fallait  travailler  sérieu- 
sement et  utilement  trois  jours  de  la  semaine,  et  cela  parut 
incommode.  D'ailleurs,  le  conseil  était  un  censeur  trop 
rigide;  chacun  trouvait  plus  agréable  de  gouverner  son 
département  à  sa  tète  que  d'en  soumettre  la  direction  à 
l'examen  du  conseil  du  Roi.  Dès  que  je  fus  éloigné,  les 
comités  ne  s'assemblèrent  que  dans  les  événements  for- 

'  XI  V«  bureau  des  commissions  ettraordinnires  du  conseil.  MM.de  Fon- 
tanieu  et  de  la  Bourdonnaye,  conseillers  d*£tat.  (Àlmanach  royal  de 
1759.) 


PLAN   DE   GOUVERNEMENT   (ÉTÉ   DE   1758).         87 

tuits,  qui  exigeaient  une  conduite  particulière  pour  les 
aJFIaires  intérieures  ;  tous  les  autres  points  du  gouverne- 
ment furent  abandonnés  au  libre  arbitre  de  chaque  secré- 
taire d'État;  il  n'y  eut  plus  d'ensemble,  ni  de  centre  com- 
mun ;  madame  de  Pompadour  reprit  le  timon  que  le  conseil 
lui  avait  enlevé;  les  désordres  anciens  reprirent  leur  cours 
et  se  multiplièrent  par  de  nouveaux  abus. 

On  a  dit,  depuis  ma  disgrâce,  que  j'avais  visé  au  pre- 
mier ministère.  Voila  cependant  un  plan  bien  opposé  à 
cette  vue  que  j'avais  non-seulement  fait  adopter,  mais 
mis  en  exécution  pendant  six  mois,  au  vu  et  au  su  de  toute 
la  cour  et  de  toute  la  France.  Il  est  vrai  que  j'avais  senti 
la  nécessité  d'une  direction  dans  les  affaires  du  royaume; 
je  l'avais  fait  attribuer,  cette  direction,  au  conseil  du  Roi  : 
c'était  assurément  le  meilleur  moyen  pour  m'empécher  de 
l'avoir.  Au  surplus,  quand  je  fus  exilé,  il  fallait  bien  dire 
quelque  chose  au  public  au  sujet  de  ma  disgrâce.  On  parla 
de  mon^  ambition ,  parce  que  cette  accusation  vague  est 
toujours  vraisemblable  dans  un  ministre;  mais  les  gens 
instruits,  qui  se  ressouvinrent  de  mes  vues  et  des  principes 
que  j'avais  établis  dans  le  gouvernement,  n'y  reconnurent 
que  le  bon  citoyen  et  nullement  l'ambitieux'. 


*  Il  est  ju8te  de  rapprocher  de  ce  passage  celui  des  Mémoires  de  ma-- 
dame  du  Haussel,  p.  89,  où  se  trouve  rapportée  d'après,  Quesnay,  la 
conversation  entre  le  Roi  et  madame  de  Pompadour  au  sujet  du  centre 
commun  dont  parle  ici  fiernis.  Voir  aussi  la  Notice  du  cardinal  de 
Brienne,  éd.  Didot,  p.  203. 


CHAPITRE  V 


DU    CHAPEAU    DE    CARDINAL 


Après  raoD  retour  de  Venise,  madame  de  Pompadour, 
que  j'interro{jeai  sur  le  motif  qu'avait  eu  le  Roi,  en  1754, 
de  refuser  son  consentement  à  ma  nomination  en  qualité 
d'ambassadeur  à  la  cour  de  Pologne  pour  remplacer  le 
comte  de  Bro{;lie,  me  répondit  que  le  Roi  ne  voulait  point 
nommer  d'ambassadeur  ecclésiastique  à  Varsovie,  parce 
que  d'ordinaire  les  gens  de  cette  robe  ne  sont  occupés 
dans  cette  place  qu'à  s'assurer  le  chapeau  de  cardinal ,  et 
que  le  Roi  ne  voulait  pas  que  je  parvinsse  à  cette  dignité. 
Je  ne  m'étais  pas  trouvé  à  portée  jusqu'alors  d'y  aspirer; 
mais  dès  que  je  connus  les  intentions  du  Roi,  j'en  chassai 
même  l'idée  comme  une  mauvaise  pensée.  Je  venais  de 
terminer,  à  la  satisfaction  du  Pape,  le  différend  que  Sa 
Sainteté  avait  avec  la  république  de  Venise  ^  Les  cours  de 
France  et  de  Vienne  y  avaient  employé  vainement  leurs 
bons  offices.  Le  Pape  était  vieux,  craignait  de  terminer  sa 
carrière  avec  peu  de  gloire,  si  cette  affaire  n'était  pas  finie 
avant  sa  mort.  Il  avait  cru  d'abord  que  j'étais  trop  favo- 
rable aux  Vénitiens;  mieux  instruit,  il  désira  que  le  Roi 
retirât  cette  négociation  des  mains  de  M.  Rouillé ,  secré- 
taire d'État  pour  les  affaires  étrangères,  pour  me  la  re- 
mettre entièrement.  L'expédient  que  je  proposai   donna 

*  Voir  l'Appendice. 


BTJ  CHAPEAU  DE  CARDINAL.  89 

satisfaction  au  Saint-Siège,  sans  blesser  la  souveraineté  de 
la  République.  Benoît  XIY  fut  transporté  de  joie  en  appre- 
nant cette  nouvelle;  il  lui  échappa  de  dire  à  mon  sujet  : 
«  Qu'on  obtienne  le  consentement  des  cours  de  Vienne  et 
d'Espagne,  et  je  le  ferai  cardinal.  »  On  me  manda  ce  pro- 
pos de  Rome  ;  je  n'y  fis  aucune  attention ,  parce  que  je 
savais  les  intentions  du  Roi  à  cet  égard. 

Le  duc  de  Choiseul,  ambassadeur  à  Vienne,  avsrit  con- 
servé une  correspondance  directe  avec  le  Pape ,  du  con- 
sentement du  Roi.  Sa  Sainteté,  qui  s'était  déjà  adressée 
au  cardinal  de  Tencin  pour  être  informée  s'il  serait  agréable 
au  Roi  que  je  fusse  cardinal ,  n'étant  pas  sans  doute  satis- 
faite de  la  réponse  de  cette  Éminence ,  écrivit ,  dans  l'été 
de  1758.  au  duc  de.  Choiseul  pour  lui  faire  la  même  ques- 
tion. Celui-ci,  sans  attendre  les  ordres  du  Roi,  répondit  à 
Sa  Sainteté  qu'il  ne  pouvait  pas  douter,  à  la  confiance  dont 
le  Roi  m'honorait,  que  Sa  Majesté  ne  fût  bien  aise  de  me 
voir  revêtu  de  la  pourpre  romaine.  Il  me  dépêcha  un  cour- 
rier pour  me  faire  part  de  la  lettre  du  Pape  et  de  sa  ré- 
ponse. Mon  premier  mouvement  fut  de  craindre  que  M.  de 
Choiseul  ne  m'eût  fait  une  noirceur  en  ayant  l'air  de  me 
rendre  service.  J'envoyai  sa  dépêche  et  celle  du  Pape  au 
Roi ,  et  lui  témoignai  combien  je  craignais  que  Sa  Majesté 
ne  me  soupçonnât  d'avoir  conduit  cette  intrigue  avec  son 
ambassadeur.  Le  Roi,  après  un  conseil,  m'appela  dans  sa 
chambre,  et  me  dit  :  «  Vous  êtes  bien  fâché  ?  —  Oui,  Sire , 
répondis-je,  je  le  suis,  parce  que  non-seulement  je  n'ai 
rien  fait  pour  m'attirer  cette  dignité,  mais  je  proteste  que 
je  suis  incapable  d'en  avoir  eu  l'idée  sans  y  être  autorisé 
par  votre  volonté.  »  Le  Roi  me  répondit  ces  propres  pa- 
roles :  «  Rassurez-vous  ;  je  sais  que  vous  n'avez  point  tra- 
vaillé à  vous  procurer  le  chapeau ,  et  je  vpus  crois  incapable 
d'y  songer  sans  être  assuré  de  mon  agrément.  Je  me  charge 


go  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE  BERNIS. 

de  laver  la  tête  à  M.  de  Ghoiseul,  et  vous  lui  répondrez, 
de  ma  part,  que  si  le  Pape  veut  vous  faire  cardinal,  appa- 
remment qu'il  m'en  dira  quelque  chose.  »  Je  remerciai  le 
Roi  ;  je  grondai  un  peu  M.  de  Choiseul  sur  sa  légèreté,  et 
je  crus  qu'il  ne  serait  plus  question  de  cette  affaire,  parce 
.  qu'il  était  vraisemblable  que  si  le  Pape  écrivait  au  Roi,  ce 
prince,  en  le  remerciant,  lui  dirait  que  cette  grâce  était 
trop  prématurée.  Madame  de  Pompadour  me  parut  fort 
aise  de  cette  affaire;  je  n'étais  pas  encore  perdu  dans  son 
esprit,  et  quand  je  lui  rappelai  la  répugnance  que  le  Roi 
lui  avait  montrée,  il  y  avait  quelques  années,  sur  l'idée  du 
cardinalat  lors  de  l'ambassade  de  Pologne,  elle  me  dit  que 
les  choses  étaient  bien  changées,  que  le  Roi  ne  me  con- 
naissait pas  alors,  que  je  n'étais  pas  alors  son  ministre  de 
confiance. 

Trois  semaines  ou  un  mois  après  la  réponse  que  j'avais 
faite  au  duc  de  Choiseul,  arriva  un  courrier  de  sa  part,  qui 
m'apporta  le  consentement  le  plus  formel  et  le  plus  flatteur 
de  l'Empereur  et  de  l'Impératrice.  M.  le  comte  de  Kaunitz, 
dans  un  billet  écrit  au  duc  de  Choiseul,  mandait  que  l'Im- 
pératrice exigeait  que  la  dignité  de  cardinal  ne  m'empê- 
cherait pas  de  conserver  le  département  des  affaires 
étrangères  :  rien  n'était  plus  honnête  que  cette  condition. 
Dès  que  j'eus  reçu  cette  dépêche,  je  ne  doutai  plus  que  le 
Roi  n'eût  autorisé  le  duc  de  Choiseul  a  traiter  cette  affaire 
avec  le  Pape.  J'envoyai  le  paquet  du  duc  de  Choiseul  à 
madame  de  Pompadour,  qui,  après  l'avoir  communiqué 
au  Roi,  m'écrivit  un  petit  billet  que  j'ai  encore  :  «  Eh! 
vite,  l'abbé,  le  Roi  vous  ordonne  d'envoyer  un  courrier  à 
Madrid  pour  demander  le  consentement  du  Roi  son  cou- 
sin. »  Je  répondis  sur-le-champ  à  la  marquise  qu'un  cour- 
rier coûterait  beaucoup  d'argent,  et  qu'il  ne  fallait  pas 
que  le  Roi  en  dépensât  pour  mes  propres  affaires,  que  je 


DU   CHAPEAU  DE  CARDINAL.  91 

profiterais,  pour  faire  passer  à  M.  d'Aubeterre  les  ordres 
du  Roi ,  d'un  exprès  que  Tambassadeur  de  Tlmpératrice 
devait  dépécher  dans  quelques  jours.  Dans  rintervalle ,  le 
Pape  ayant  écrit  au  nonce  d'Espagne  de  demander  à  Sa 
Majesté  Catholique  son  consentement  à  ma  promotioti ,  ce 
prince  Tavait  accordé  sur-le-champ ,  et  avait  dépéché  un 
courrier  à  son  ambassadeur  en  France  pour  en  instruire  le 
Roi,  et  un  autre  au  cardinal  Portocarrero  '  pour  deman- 
der au  Pape  que,  par  é{}ard  pour  la  couronne  d'Espagne» 
je  fusse  nommé  cardinal  tout  seul. 

Dès  que  le  consentement  de  la  cour  de  Madrid  (ut  arrivé 
à  Versailles,  au  heu  de  l'en  voyer  tout  de  suite  à  Rome  avec 
celui  de  l'Empereur  par  un  courrier  extraordinaire,  comme 
je  le  pouvais,  je  le  fis  partir  par  la  voie  ordinaire,  toujours 
dans  le  principe  d'épargner  l'argent  du  Roi ,  en  sorte  que 
ces  consentements  n'arrivèrent  à  Rome  que  la  surveille  de 
la  mort  du  Pape  *.  Le  Roi  fut  sensible  à  cet  événement  : 
il  aimait  le  Pape  et  en  était  aimé.  En  apprenant  les  instruc- 
tions que  je  lui  communiquai  pour  son  ambassadeur  à 
Rome,  M.  le  cardinal  de  Rochechouart ,  alors  évéque  de 
Laon  ^,  le  Roi  ajouta  de  mander  à  cet  ambassadeur  que. 


1  Joachiqa-Ferdinand  Portocarrero,  de  Tillustre  maison  de  Portocarrero, 
à  laquelle  appartient  S.  M.  Timpératrice  Eugénie,  éuit  né  le  2  avril  1681. 
Patriarche  d*Antioche,  cardinal  de  la  création 'de  Benoit  XIV  en  1743, 
évèque  de  Sabine,  président  de  la  congrégation  des  indulgences  et  des  re- 
liques, grand-croix  de  Tordre  de  Jérusalem,  ministre  plénipotentiaire  de 
Sa  Majesté  Catholique  près  la  cour  de  Rome  et  protecteur  de  la  couronne 
d*Espagne,  il  mourut  à  Rome  le  22  juin  1760. 

3  Le  pape  Benoit  XIV  mourut  le  3  mai  1758,  à  Tàge  de  quatre-vingt- 
trois  ans.  Charles  Rezzonico,  né  à  Venise,  fut  élu  pape  le  6  juillet  1758. 

3  Jean -François-Joseph  de  Rochechouart  de  Faudoas,  né  le  28  janvier 
1708,  abbé  de  Châteaudun  le  15  août  1731 ,  sacré  le  15  octobre  1741, 
évèque  duc  de  Laon,  pair  de  France,  comte  d'Anisy,  abbé  commendataire 
de  Saint-Remy  de  Reims  en  1745,  cardinal  en  1756,  grand  aumônier  de  la 
Reine  en  1757,  ministre  à  Rome  de  1758  à  1762,  prélat  commandeur  du 
Saint-Esprit  le  30  mai  1762,  mort  k  Paris  le  20  mars  1777. 


92  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE   BERSIS. 

lorsque  le  nouveau  Pape  serait  élu ,  il  eût  à  lui  rappeler  la 
promesse  que  son  prédécesseur  lui  avait  faite  de  me  créer 
cardinal  h  la  première  promotion ,  ce  qui  fut  exécuté.  Le 
nouveau  Pape,  en  effet,  promit  de  ratifier  les  anciennes 
promesses ,  et  ce  fut  alors  que  je  remerciai  publiquement 
le  Roi  de  la  grâce  qui  m'était  assurée  ' . 

Les  tracasseries  entre  madame  de  Pompadour  et  moi 
étaient  dans  ce  moment  fort  vives;  M.  Berryer  et  une 
partie  de  la  cour  les  échauffaient  :  c'étaient  des  explica- 
tions perpétuelles.  On  lui  avait  fait  peur  de  mon  chapeau 
rouge,  en  lui  représentant  que  les  cardinaux  avaient  tou- 
jours ambitionné  les  premiers  rôles,  et  que  je  ne  résisterais 
pas  aux  tentations  attachées  à  ma  future  dignité.  Cela  fiit 
poussé  si  loin,  que  je  proposai ,  après  une  scène  fort  vive, 
de  demander  au  Roi  la  permission  de  remercier  le  Pape 
et  de  renoncer  au  chapeau.  Je  fis  cette  demande  au  Roi 
en  plein  conseil,  et  Sa  Majesté  me  refiisa  son  consente- 
ment. M.  le  Dauphin  et  tous  les  ministres  furent  étonnés 
que  je  jouasse  ainsi  au  hasard  une  si  grande  dignité.  Je 
ne  fus  pas  fâché  de  prouver  combien  je  tenais  peu  à  la 
fortune,  et  que  je  n'étais  sensible  qu'à  la  réputation. 

L'intrigue  de  mes  ennemis  alla  si  loin  à  Rome  qu'on 
dit  au  Pape  que  je  ressemblais  comme  deux  gouttes  d'eau 
au  cardinal  Dubois,  que  j'étais  marié  depuis  deux  ans ,  et 
que  j'étais  auteur  de  poésies  infâmes.  Le  Pape,  qui  m'avait 


*  «  La  {jrande  nouvelle  ici,  du  dernier  juillet,  par  courrier  de  Rome,  est 
que  le  nouveau  pape  Clément  XIII  a  dé/:laré  que  dans  la  première  promo- 
tion de  cardinaux  soit  compris  M.  Tabbé  comte  de  Bernis,  ministre  d*Etat. 

K  La  première  promotion  du  nouveau  Pape  se  fait  toujours  ex  proprio 
mo/u,  sans  qu'il  soit  question  de  la  recommandation  des  puissances,  et  il 
est  rare,  en  général,  qu'il  en  nomme  d'autres  que  des  Italiens...  On  peut 
dire  que  voilà  une  grande  fortune  bien  subite.  Dans  les  circonstances  pré- 
sentes, cela  pourrait  bien  le  conduire  au  premier  ministère.  ■  (Journal de 
Barbier,  mois  d'août  1758.) 


DU   CHAPEAU   DE   CARDINAL.  93 

connu  h  Venise,  repoussa  toutes  ces  méchancetés,  dont 
j'avais  soin  d'instruire  le  Roi,  qui  en  riait.  On  excita  le 
Portugal  à  mettre  opposition  à  ma  promotion  par  une 
prétention  nouvelle,  qu'il  essaya  de  faire  réussir  à  mes 
dépens,  en  soutenant  qu'on  ne  pouvait  m'accorder  le 
chapeau  sans  son  consentement.  Le  roi  de  Sardaigne , 
qu'on  voulut  mettre  en  jeu,  envoya  sur-le-champ  son 
approbation,  que  le  cardinal  Archinto,  secrétaire  d'État 
du  Pape\  ne  voulut  pas  recevoir.  Tout  fiit  employé  pour 
traverser  ou  du  moins  pour  reculer  la  promotion  ;  on  cor- 
rompit des  courriers  que  j'envoyais  à  Rome  pour  retarder 
leur  arrivée.  Le  cardinal  Archinto  mourut  subitement 
avant  le  consistoire;  le  Pape  tomba  malade.  Malgré  tous 
ces  accidents  et  toutes  ces  intrigues,  le  Pape  me  déclara 
cardinal  le  2  octobre  1758. 

Le  jour  que  le  courrier  arriva,  le  Roi  marqua  publique- 
ment sa  joie  devant  les  ministres  étrangers,  en  sorte  que 
la  plupart  écrivirent  à  leurs  cours  que  j'allais  être  déclaré 
premier  ministre.  Leurs  lettres  ayant  été  interceptées  a  la 
poste,  madame  de  Pompadour,  qui  ne  pouvait  plus  me 
souffrir,  persuada  sans  doute  facilement  au  Roi  que  je  lui 
forcerais  la  main  s'il  ne  m'exilait  dans  une  de  mes  abbayes  •. 
Il  est  à  remarquer  que  le  jour  que  le  courrier  dç  Rome 
arriva  fut  le  même  où  le  Roi  me  permit ,  par  une  lettre 
pleine  de  bonté ,   de  quitter  les  affaires  étrangères  *.  Le 


'  Albert  Archinto,  né  le  8  novembre  1698,  gouTerneur  de  Rome,  puis 
secrétaire  d*Etat,  cardinal  le  5  avril  1756,  appartenait  à  une  illustre  famille 
du  Milanais  qui  a  fourni  plusieurs  cardinaux  et  plusieurs  chevaliers  de  la 
Toison  d'or.  Il  est  mort  en  septembre  1758. 

^  «  La  santé  du  cardinal  de  Bernis,  dérangée  depuis  longtemps,  ne  loi 
permet  plus  de  continuer  les  fonctions  pénibles  du  département  des 
afKiires  étrangères  ;  le  Hoi  a  agréé  sa  démission  et  a  nommé  à  sa  place  le 
duc  de  Choiseul,  ambassadeur  à  Vienne  (sous  le  nom  de  comte  de  Stain- 
ville).  Le  Roi  conserve  au  cardinal  de  Bernis  sa  place  dans  ses  conseils,  et 


9*  MÉMOIRES  DU   CARDINAL   DE  BERNIS. 

jour  de  la  cérémonie  du  chapeau,  quinze  jours  avant  mon 
exil ,  le  Roi  me  combla  de  bontés  en  public.  En  me  met- 
tant la  barrette  sur  la  tête,  il  me  dit  assez  haut  pour  être 
entendu  de  tout  le  monde  :  «  Je  n'ai  jamais  fait  un  si  beau 
cardinal,  n  On  débita  que  ma  harangue  était  celle  d'un 
premier  ministre  :  on  la  trouvera  à  la  fin  de  ces  Mémoires. 
Je  savais  qu'on  s'était  décidé  à  répandre  ce  bruit;  ainsi 
c'aurait  été  bien  ma  faute  si  ma  harangue  avait  eu  ce  ton. 
L'assemblée  du  clergé ,  tous  les  ministres  étrangers  assis- 
tèrent à  cette  cérémonie  '. 


Tintention  de  Sa  Majesté  est  que  le  cardinal  assiste  dans  le  plus  (^rand 
concert  avec  le  duc  de  Choiseul  pour  tout  ce  qui  aura  rapport  aux  affaires 
étrangères.  »  (Gazette  de  France,  p.  569;  cf.  Barbibii,  journal  de  novembre 
1758.)  La  Lettre  du  Roi  est  publiée  plus  loin. 

'  Voici  le  récit  de  cette  cérémonie  d*après  la  Gazette  de  France  .• 

•  De  Versailles,  dO  novembre  ITftS. 

«  Le  sieur  de  la  Live,  introducteur  des  ambassadeurs,  est  allé  aujoar- 
d*hui  prendre,  dans  les  carrosses  du  Hoi  et  de  la  Reine,  le  cardinal  de 
Bernis  en  son  hôtel,  et  l'a  conduit  chez  le  Roi  avec  Tabhé  Archinto,  camé- 
rier  du  Pape,  nommé  par  Sa  Sainteté  pour  apporter  le  bonnet  an  cardinal 
de  Bernis.  Avant  la  messe  du  Roi,  Tabbé  Archinto  a  été  conduit  avec  les 
cérémonies  accoutumées  à  l'audience  que  le  Roi  lui  a  donnée  dans  son 
cabinet,  et  il  a  présenté  à  Sa  Majesté  un  bref  de  Sa  Sainteté.  Après  cette 
audience,  le  Roi  est  descendu  ù  la  chapelle  où  le  cardinal  de  Bernis  s*est 
rendu  i\  la  fin  de  la  messe,  étant  conduit  par  le  même  introducteur.  Le 
sieur  Desgranges,  maître  des  cérémonies,  a  reçu  à  la  porte  de  la  chapelle 
le  cardinal  de  Remis,  lequel  est  allé  se  placer  auprès  du  prie-Dieu  du  Roi« 
du  côté  de  Tévangile,  et  s*est  mis  à  genoux  sur  un  carreau.  L*abbé  Archinto, 
revêtu  dc'son  habit  de  cérémonie,  ayant  remis  entre  les  mains  du  cardinal 
de  Bernis  le  bref  du  Pape,  est  allé  prendre  sur  la  crédence  près  de  Tautel, 
du  côté  de  Tépître,  un  bassin  de  vermeil  sur  lequel  étoit  le  bonnet,  et  il 
Ta  présenté  au  Roi.  Sa  Majesté  a  pris  le  bonnet  et  Ta  mis  sur  la  tète  du 
cardinal  de  Bernis,  qui,  en  le  recevant,  a  fait  une  profonde  inclination  et 
à  l'instant  même  s*est  découvert.  Dès  que  le  Roi  a  été  en  marche  pour 
sortir  de  la  chaj>elle,  le  cardinal  de  Remis  est  entré  dans  la  sacristie,  où  il 
a  pris  les  habits  de  sa  nouvelle  dignité.  Il  est  monté  ensuite  chez  le  Roi, 
étant  accompagné  du  maître  des  cérémonies.  Le  sieur  de  la  Lrve,  introduc- 
teur des  ambassadeurs,  qui  étoit  toujours  resté  auprès  du  cardinal  de  Bernis, 
l'a  introduit  dans  le  cabifiet  du  Roi,  où  le  cardinal  a  fait  son  remeix*iment 
à  Sa  Majesté.  Le  cardinal  de  Bernis  a  été  conduit  avec  les  mêmes  cérémo- 
nies à  l'audience  de  la  Reine,  à  laquelle  il  a  présenté  l'abbé  Archinto,  qui 


DU  CHAPEAU  DE  CARDINAL.  95 

Le  Roi  répondit  à  ma  harangue  ces  propres  paroles  : 
«  Monsieur  le  cardinal,  après  la  belle  harangue  que  vous 
venez  de  faire,  je  n'ai  autre  chose  à  souhaiter  que  de  voir 

exécuter  tout  ce  que  vous  y  annoncez »   Je  Savais, 

quand  je  la  prononçai,  que  ma  disgrâce  était  résolue  :  et 
Ton  remarqua  beaucoup  celle  que  je  fis  à  M.  le  Dauphin, 
qu'on  regarda  comme  fort  adroite.  On  ne  comprit  pas 
bien  le  sens  de  celle  que  j'avais  faite  au  Roi  ' . 

Sa  Majesté  avait  créé  pour  moi  un  nouveau  dépar* 
tement  pour  les  affaires  du  clergé  et  du  Parlement.  Il 
m'avait  donné  des  commis,  et  m'avait  permis  d'annoncer 
cette  détermination  au  clergé  assemblé  et  au  Parlement, 
sans  doute  pour  faire  tomber  les  bruits  qui  couraient  déjà 
de  ma  disgrâce,  qu'on  ne  voulait  effectuer  que  lorsque 
les  édits  bursaux  seraient  enregistrés. 

On  répandit  dans  le  public  que  Madame  Infante,  qui 
m'honorait  de  ses  bontés^,  et  s'il  est  permis  de  le  dire, 
de  son  amitié,  avait,  par  le  canal  de  madame  la  princesse 
Trivulce,  sa  dame  d'honneur,  et  sœur  du  cardinal  Ar- 
chinto  ',  secrétaire  d'État  du  Pape ,  négocié  mon  chapeau  : 


a  remis  à  Sa  Majesté  un  bref  du  Pape.  Pendant  Faudience,  on  a  apporté 
un  tabouret,  et  le  cardinal  de  Bcmis  s'est  assis.  Il  a  été  conduit  ensuite  à 
Fandience  de  Monseigneur  le  Dauphin,  de  Madame  la  Dauphine,  de  Mon- 
seigneur le  duc  de  Bourgogne,  de  Monseigneur  le  duc  de  Berry,  de  Mon- 
seigneur le  comte  de  Provence,  de  Monseigneur  le  comte  d'Artois,  de  Ma- 
dame Infante,  de  Madame  et  de  Mesdames  Sophie,  Victoire  et  Louise. 
Après  toutes  ces  audiences,  le  cardinal  de  Bernis  a  été  reconduit  par  le 
même  introducteur  dans  les  carrosses  du  Roi  et  de  la  Reine  avec  les  mêmes 
cérémonies  observées  lorsqu'on  étoit  allé  le  prendre  pour  le  mener  chez 
le  Roi.  a 

'  Comparez  ce  que  dit  MARMonTEL,  Mémoires,  t.  II,  p.  64.  Il  semble 
que  par  cette  simple  comparaison  l'on  saura  à  quoi  s'en  tenir  sur  la  valeur 
des  Mémoires  de  Marmontel. 

2  Nous  renvoyons  les  lecteurs  curieux  de  scandale  aux  Mémoires  de 
Richelieu,  IX,  p.  S40. 

3  Camerera  mayor  de  l'Infante  et  grande  d'Espagne,  a  pris  le  tabouret  en 
celte  qualité  le  6  septembre  1757.  Voir  Lutkes,  XVI,  466. 


96  MÉMOIRES  DU   CARDINAL   DE  BERNIS. 

l'une  et  l^aiitre  n'y  avaient  passon{][é;  et  le  Roi  m*avait  dé- 
fendu de  leur  en  parler  avant  la  déclaration  qui  en  fut  fiiite. 

Reste  à  éclaircir  le  zèle  que  le  duc  de  Ghoiseul  mit 
dans  cette  affaire.  La  distinction  des  époques  explique 
cette  énig[me.  Quand  le  Pape  s'adressa  à  lui,  j'étais 
encore  bien  avec  la  marquise ,  ainsi  que  lorsqu'il  m'envoya 
le  consentement  de  la  cour  de  Vienne;  on  se  ressouvient 
que  ce  ministre  avait  proposé  à  madame  de  Pompadour 
d'engager  le  Roi  à  me  donner  la  première  autorité  dans 
son  royaume  :  n'ayant  pu  y  réussir,  il  fut  bien  aise  de 
contribuer  à  mon  élévation  par  la  dignité  de  cardinal;  il 
me  croyait  inamovible,  et  il  savait  que  je  n^étais  pas 
ingrat.  Le  refroidissement  de  madame  de  Pompadour 
n'éclata  que  lorsqu'il  n'était  plus  possible  de  m'ôter  le 
chapeau.  Je  témoignai  ma  reconnaissance  à  M.  de 
Ghoiseul  en  demandant  au  Roi  qu'il  fût  mon  successeur 
aux  affaires  étrangères,  ce  qui  me  fut  accordé  aisément, 
car  c'est  ce  que  madame  de  Pompadour,  depuis  nos  tra- 
casseries, désirait  le  plus,  tout  en  feignant  d'en  être  fâchée. 

Je  me  souviens  qu'en  revenant  de  la  chapelle  de  Ver- 
sailles le  jour  de  la  cérémonie  du  chapeau,  un  courtisan, 
en  me  voyant  entouré  du  clergé,  du  Parlement,  des 
ministres  étrangers,  me  dit  :  u  Monsieur  le  cardinal^  voilà 
un  beau  jour!  »  Je  répondis  :  «  Dites  plutôt  que  voilà  un 
bon  parapluie.  »  Je  savais  ma  disgrâce  très-prochaine.  La 
dignité  de  cardinal  augmenta  sensiblement  le  nombre  de 
mes  ennemis  et  les  inquiétudes  de  la  marquise;  elle 
excita  la  jalousie  des  autres  ministres  du  Roi,  et  je  voyais 
bien  qu'elle  ne  me  préservait  pas  de  la  disgrâce;  mais 
quand  je  fus  exilé  je  trouvai  qu'effectivement  c'était  un 
bon  meuble;  car,  à  la  manière  dure  dont  on  me  traita,  et 
à  l'humeur  que  la  marquise  fit  paraître  contre  moi,  je  ne 
sais  si,  sans  cette  dignité,  il  ne  me  serait  pas  arrivé  pis. 


CHAPITRE  VI 


AFFAIRES     D  ESPAGNE 


Le  Roi  avait  essayé  vainement  de  tirer  quelques  secours 
d'argent  du  roi  d*Espagne;  Tlmpératrice  avait  tout  aussi 
infructueusement  tenté  la  même  démarche  :  la  mauvaise 
volonté  que  mettait  le  contrôleur  général  et  ses  subor- 
donnés à  trouver  des  ressources  Forçait ,  malgré  qu'on  en 
eût ,  à  ces  fausses  démarches  ;  il  s'était  fait  une  espèce  de 
conjuration  dans  la  finance  pour  faire  finir  la  guerre 
faute  d'argent,  et  cette  conjuration  avait  commencé  dès 
la  première  campagne;  on  avait  persuadé  au  contrôleur 
général  et  à  M.  de  Montmartel  que  tant  qu'il  y  aurait  des 
fonds,  la  guerre  durerait,  et  que  le  seul  moyen  de  la  ter- 
miner était  d'assurer  le  ministère  de  l'impossibilité  d'en 
trouver.  On  comprend  combien  ce  parti  est  imprudent  et 
même  criminel  :  on  fiiisait  manquer  les  opérations  faute 
de  les  préparer  à  temps ,  et  le  Hoi  ne  pouvait  tenir  les 
engagements  qu'il  atait  pris  avec  ses  alliés;  j'avais  beau 
diminuer  les  subsides,  l'argent  se  resserrait  de  plus  en 
plus.  Cependant  on  en  trouvait  encore  pour  continuer  la 
guerre  quatre  ans  après  les  deux  premières  campagnes. 
La  chose  fut  poussée  au  point  que  l'écurie  du  Roi  manqua 
de  fourrages  et  d'avoine,  et  que  les  ministres  furent 
obligés  pendant  quelque  temps  de  payer  de  leur  poche 
les  courriers  qu'ils  dépéchaient  au  dedans  et  au  dehors  du 
royaume.  La  disette  força  M.  Silhouette,  contrôleur 
II.  7 


98  MÉMOIRES   DU   CARDINAL   DE   RERNIS, 

gënëral  et  successeur  de  M.  BouUongne*,  d'inviter  les 
sujets  du  Roi  d'apporter  leurs  vaisselles  d*ar{jent  et  leurs 
bijoux  à  la  monnaie.  OpeVation  vicieuse,  qui  acheva  de 
ruiner  le  crédit,  et  fit  contracter  une  nouvelle  dette  au 
Roi  :  on  m'avait  présenté  le  projet  de  cette  opération  que 
j'avais  rejeté*. 

Voyant  que  la  finance  avait  fait  manquer  la  diversion 
convenue  du  Danemark ,  je  mis  tout  en  usa{][e  pour  déter- 
miner la  cour  de  Vienne  a  consentir  à  l'assemblée  d*un 
cong[rès  dans  l'hiver  de  1759 ,  sans  que  les  opérations  de 
la.  campagne  suivante  pussent  être  suspendues;  j'essayai 
aussi  de  faire  une  paix  particulière  avec  1' An{][leterre ,  ce 
qui  aurait  entraîné  nécessairement  la  paix  générale. 
M.  Wall,  ministre  d'Espagne  pour  les  affaires  étrangères, 
s'entendait  fort  bien  avec  moi.  J'étais  d'un  autre  côlc 
venu  à  bout  de  guérir  la  reine  d'Espagne ,  toute-puissante 
sur  l'esprit  du  roi  Ferdinand  son  mari ,  de  la  défiance 
qu'elle  avait  conçue  du  projet  qu'elle  supposait  à  la 
France  d'entraîner  l'Espagne  dans  la  guerre;  elle  avait 
enfin  compris  que  mon  système  n'était  pas  d'associer  cette 
puissance  h  nos  querelles,  mais  de  lui  faire  jouer  un  beau 
rôle  en  la  rendant  médiatrice  de'  nos  différends  avec 
l'Angleterre.  Elle  était  d'accord  de  rendre  sa  médiation 
respectable ,  en  mettant  en  état  ses  forces  de  terre  et  de 
mer.   Le  comte  de  Fuentès'  devait  venir  recevoir  ses 


^  Etienne  de  Silhouette,  né  Ik  Limoges  le  5  juillet  1709,  mort  à  Brie- 
sur-Marne  le  20  janvier  1767,  maître  des  requêtes  en  1745,  conseiller 
d*£tat  chargé  de  la  négociation  relative  à  TAcadic  en  1755,  contrôleur 
général  du  4  mars  au  21  novembre  1759. 

*  Ce  projet  fut  exécuté  en  novembre  1759.  Dès  le  11  de  ce  mois,  le 
cardinal  se  hâta  d'envoyer  sa  vaisselle  à  la  Monnaie. 

'^  Joachim-Athanase  de  Pignatelli,  comte  de  Fuentès,  grand  d'Espagne 
de  la  maison  d'Aragon,  gentilhomme  de  la  chambre  du  roi  d'Espagne, 
ambassadeur  en  Angleterre  de  mai   1758  à  1762,  ambassadeur  en  France 


AFFAIRES  D'ESPAGNE.  99 

instructions  dans  raon  cabinet  pour  aller  négocier  en 
Angleterre  :  tout  était  convenu  et  arrangé  à  cet  égard.  Ce 
premier  pas  en  préparait  un  second,  sur  lequel  je  ne 
m'étais  encore  ouvert  qu'a  demi  au  ministre  de  Madrid  : 
c'était  de  déterminer  cette  cour  à  accéder  au  traité  de 
Versailles  pour  ce  qui  concernait  l'Italie.  L'Espagne  y 
avait  encore  plus  d'intérêt  que  noue  pour  la  sûreté  des 
infants;  il  ne  m'aurait  pas  été  difficile  d'y  amener  le 
ministère  espagnol,  dès  quç  je  ne  voulais  pas  l'engager 
dans  les  affaires  de  l'Âlleniagne  pour  le  continent,  ni 
dans  la  guerre  de  là  marine  pour  la  défense  de  nos 
colonies,  quoique  je  fusse  venu  à  bout  de  lui  démontrer 
que  les  colonies  françaises  étaient  le  boulevard  des  colonies 
espagnoles.  L'accession  de  l'Espagne  au  traité  de  Ver- 
sailles assurait  la  paix  de  l'Italie,  comme  elle  devait 
assurer  un  jour  la  paix  dans  l'intérieur  de  l'Empire  '. 

La  mort  de  la  reine  d'Espagne  ^  déconcerta  tous  ces 
grands  projets  :  il  ne  fiit  pas  possible  de  tirer  le  roi  Fer* 
dinand  de  la  profonde  mélancolie  où  cette  mort  le  jeta  : 
on  ne  put  jamais  lui  faire  signer  les  instructions  du  comte 
de  Fuentès,  dont  le  départ  fut  retardé  de  jour  en  jour. 
L'état  de  Sa  Majesté  Catholique  empirant  tous  les  jours, 
et  cependant  pouvant  durer  encore  longtemps,  je  re- 
doublai d'activité  pour  presser  la  cour  de  Vienne  de 
travailler  à  la  paix;  mais  le  duc  de  Choiseul,  qui 
jusqu'alors  avait  secondé  mes  intentions  pacifiques  de 
son  pouvoir,  commença  à  changer  d'avis  dès  qu'il  fut 


du  25  février  1764  (première  audience)  au  16  septembre  1774,  où  il  est 
remplacé  par  le  comte  d'Aranda.  Il  fut  nonymé  chevalier  des  ordres  du 
Roi  le  2  février  1768,  et  mourut  en  1777. 

1  On  voit  par  ceci  rjue  le  pacte  de  famille  avait  été  préparé  de  lonjrue 
main  par  le  ministre  prédécesseur  du  duc  de  Choiseul  aux  affaires  étran- 
gères. 

2  27  août. 

7. 


iOO  MÉMOIRES  DU  CARDINAL  DE  BERNIS. 

instruit  que  la  marquise  n'avait  pas  la  même  confiance  en 
moi ,  et  qu'elle  avait  fait  craindre  au  Roi  qu*en  pressant 
si  fort  la  cour  de  Vienne  de  tenir  une  parole  qu'elle  avait 
donnée  dans  la  consternation  où  la  jetèrent  et  la  défaite 
de  Lissa  et  la  prise  de  Breslaw,  je  ne  finisse  par  brouiller 
le  Roi  avec  Tlmpératrice.  Alors  l'ambassadeur  changea 
de  ton  j  argumenta  contre  la  paix ,  et  y  fut  autorisé  par 
des  ordres  particuliers ,  dont  je  ne  fus  instruit  que  par 
hasûrd.  Ce  fut  dans  ces  circpnstances  que  le  marquis  de 
Puysieulx,  à  la  suite  d'un  conseil,  médit  :  «Vous  apercevez- 
vous  que  depuis  quelque  temps  le  ministre  des  afReiires 
étrangères  est  à  Vienne?  »  Je  lui  répondis  :  «  Sans  doute, 
je  m'en  aperçois  ;  mais  je  me  tirerai  de  ce  mauvais  pas  le 
plus  tôt  que  je  pourrai.  >»  On  verra  la  suite  de  cette  réponse 
dans  les  chapitres  suivants. 

Cependant  j'appris  la  nouvelle  de  l'assassinat  du  roi  de 
Portugal  ' .  Cet  événement  ne  frappa  pas  autant  le  Roi 
que  je  le  craignais  ;  il  ne  fut  peut-être  pas  fâché  de  voir 
qu'il  n'était  pas  le  seul  dans  l'Europe  contre  la  vie  duquel 
on  eût  conspiré,  et  que  la  France  n'était  pas  non  plus  le 
seul  royaume  qui  enfantât  des  régicides.  Ce  ne  fut  que 
deux  ans'  après  l'attentat  commis  contre  Sa  Majesté  Portu- 
gaise que  je  liai  aux  événements  des  choses  terribles  qu'un 
homme  de  qualité  de  Portugal  m'avait  annoncées  'comme 
très-prochaines  dans  sa  patrie  sur  la  fin  de  1755.  Lefrèrie 
de  ce  seigneur  fut  impliqué  dans  la  conjuration,  et  mourut 
en  prison.  J'ai  donc  pu  comprendre,  après  cet  attentat, 
que  la  trame  avait  été  ourdie  depuis  longtemps ,  et  il  n'est 


^  Voir  sur  cet  événement,  arrivé  dans  la  nuit  du  3  septembre  1758,  le 
récit  de  Dumouriez  {Etat  présent  du  royaume  de  Portugal,  1.  IV,  eh.  vin, 
p.  257),  les  Mémoires  du  martjuis  de  Pombal,  t.  I,  p.  li,  et  surtout  t.  IV, 
Pièces  jusu'ficativcs. 


AFFAIRES   D'ESPAGNE.  101 

pas  douteux  que  quelques  Jésuites,  amis  des  conjurés, 
n'en  aient  été  ou  les  confidents  ou  les  complices.  Voilà  ce 
qui  est  la  vraie  origine  de  leur  expulsion  en  France ,  qui 
n'aurait  peut-être  pas  eu  lieu  si  les  Jésuites  s'étaient  mieux 
conduits. 


CHAPITRE  VII 

DE    L*AFFAIRE    DES    JÉSUITES    EN    FRANGE 


Lorsque  la  marquise  parut  à  la  cour,  un  ami  raison- 
nable lui  conseilla  d*étre  bien  avec  les  Jésuites,  parce  que 
ces  bons  Pères  pourraient  disposer  le  clerg[é  en  sa  faveur. 
Elle  sentit  la  justesse  de  cette  réflexion;  mais  les  Jésuites 
refusèrent  de  signer  ce  traité.  Ils  représentèrent  que  la 
conscience  et  la  prudence  s'opposaient  également  à  cette 
liaison  même  secrète.  On  crut  que  cette  austérité  tenait 
moins  à  leurs  principes  de  morale  qu'à  la  protection  de 
M.  le  Dauphin,  qui  leur  était  assurée,  et  qu'ils  regardaient 
avec  raison  comme  plus  solide  et  plus  honorable  pour  eux 
que  celle  d'une  maîtresse  du  Roi.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  a 
vu  précédemment  que  les  confesseurs  de  Sa  Majesté  n'a- 
vaient voulu  se  prêter  à  aucun  accommodeme*nt  ni  arran- 
gement, et  qu'ils  avaient  toujours  insisté,  pour  la  répara- 
tion du  scandale ,  sur  le  renvoi  de  la  marquise.  Le  Père 
de  Sacy  refusa  la  direction  de  cette  daiçe,  en  sorte  qu'elle 
ne  devait  pas  regarder  les  Jésuites  comme  ses  amis. 
M.  Berryer,  son  confident  et,  pour  dire  les  choses  comme 
elles  sont,  son  espion,  n'aimait  pas  les  Jésuites;  le  duc  de 
Ghoiseul ,  dont  la  marquise  fut  longtemps  engouée ,  n'ai- 
mait pas  les  Jésuites ,  et  toute  la  nation  depuis  longtemps 
s'était  déclarée  contre  la  Société. 

L'assassinat  du  roi  de  Portugal  donna  des  armes  à  leurs 
ennemis  pour  faire  craindre  au  Roi  que  leur  morale  ne 


AFFAIRE   DES  JÉSUITES.  103 

fût  effectivement  favorable  aux  régicides;  le  parti  qu'oa 
appelle  janséniste  n'avait  pas  manqué  de  rejeter  l'assassi- 
nat du  Roi  sur  les  Jésuites,  en  disant  que  ceux-là  devaient 
être  regardés  comme  les  auteurs  de  l'attentat ,  qui  devaient 
en  recueillir  les  fruits.  Les  Jésuites  étant  protégés  spé- 
cialement par  M.  le  Dauphin,  le  parti  concluait  que  les 
Jésuites  avaient  tout  à  gagner  à  la  mort  du  Roi...  Le  Par- 
lement n'avait  jamais  été  favorable  aux  Jésuites;  le  procès  ' 
de  Damièns  le  rendit  encore  plus  opposé  à  cette  société. 
C'est  au  milieu  de  ces  circonstances  qu'arriva  l'affaire  de 
Léonci  '•,  qui  a  tant  fait  de  bruit.  Les  Jésuites ,  £iu  lieu 
d'assoupir  cette  affaire  en  apaisant  leurs  créanciers ,  les 
traitèrent  avec  dureté  et  hauteur,  et,  au  lieu  de  laisser 
juger  ce  procès  par  le  Grand  Conseil ,  où  toutes  leurs  affaires 
étaient  attribuées,  ils  crurent,  par  une  fausse  spéculation, 
qn'en  portant  celle  de  Léonci  au  Parlement ,  ils  désarme- 
raient ce  tribunal  par  cet  acte  de  confiance  ridicule   et 
déplacée  ;  ils  furent  la  dupe  de  leur  finesse.  Le  Parlement, 
pour  juger  si  la  compagnie  des  Jésuites  était  solidaire, 
ordonna  le  rapport  de  ses  constitutions;  elles  furent  exa- 
minées à  la  rigueur  et  dénoncées  au  Roi ,  au  public  et  au 
clergé  comme  contenant  des  principes  opposés  à  tout  bon 
gouvernement.  Il  y  joignit  des*  extraits  de  leurs  théolo- 
giens  et  de   leurs  moralistes,    et  offrit  le   tableau  des 
opinions  les  plus  pernicieuses.  La  cour  laissa  agir  le  Par- 
lement. Les  principaux  ministres  conseillaient  aux  Jésuites 
de  ne  pas  se  défendre,  parce  qu'on  prendrait  leur  parti 
quand  il  en  serait  temps;  ils  suivirent  ce  conseil*  funeste. 
Le  Parlement,  voyant  que  le  Roi  laissait  aller  à  grands 
pas  à  la  destruction  de  cet  ordre  en  France,  frappa  le  der- 

'  La  banqueroute  du  Père  la  Valette  et  le  procès  qui  suivit,  terminé  le 
8  mai  1761.  La  maison  Léonci  était  la  maison  de  Marseille  la  plus  inté- 
ressée dans  la  banqueroute. 


104  MÉMOIRES   DU  CARDINAL  DE  RERNIS, 

nier  coup,  et  le  Roi  se  vit  ensuite  dans  la  nécessité  de 
confirmer  par  une  déclaration  les  arrêts  de  son  Parlement  ; 
sans  quoi ,  la  destruction  d'une  société  qu'il  avait  toujours 
protégée  se  serait  effectuée  sans  le  concours  de  son  auto- 
rité'. Quand  l'affaire  commença,  ni  la  cour,  ni  le  Parle- 
ment ,  ni  le  public  n'avaient  imaginé  qu'elle  fut  poussée 
si  loin  ;  un  pas  fut  suivi  d'un  autre,  et  l'on  arriva  jusqu'au 
bout  de  la  carrière  presque  sans  s'en  douter. 

Le  clergé  de  France ,  à  force  de  vouloir  être  favorable 
aux  Jésuites ,  hâta  leur  ruine  ;  il  les  aurait  soutenus  si ,  en 
demandant  à  réformer  ce  qu'il  y  avait  de  vicieux  soit 
dans  leurs  constitutions,  soit  dans  leur  exemption  de 
l'évéque  ordinaire,  soit  dans  plusieurs  de  leurs  livres,  ils 
avaient  tenu  la  conduite  de  leurs  juges,  et  non  de  leurs 
panégyristes.  Tout  concourut  à  leur  ruine,  et  il  faut  con- 
venir que  ce  qui  y  aida  le  plus  fut  la  pénurie  des  grands 
sujets,  car  il  faut  avouer  que  depuis  vingt  ans  cette  société 
était  fort  tombée  :  deux  ou  trois  grands  prédicateurs  ou 
écrivains  parmi  eux  auraient  conjuré  l'orage,  parce  que  le 
public  aurait  réclamé  en  faveur  de  ces  grands  hommes. 

D'ailleurs,  tous  les  autres  ordres  religieux,  et  en  général 
le  clergé  de  France,  étaient  révoltés  contre  la  hauteur 
avec  laquelle  les  Jésuites  se  conduisaient  avec  eux  ;  plu- 
sieurs évéques  avaient  à  se  plaindre  du  despotisme  qu'ils 

essayaient  d'exercer  dans  leurs  diocèses Les  Jésuites 

avaient  traité  leurs  ennemis  sans  miséricorde;  ils  furent 
traités  de  même,  et  les  pierres  de  la  maison  de  Port-Royal 
qu'ils  avaient  détruite  leur  retombèrent  sur  la  tête. 

Cet  événement  extraordinaire  était  préparé  de  longue 
main  ;  il  avait  été  retardé  par  la  confiance  que  le  feu  Roi 
leur  avait  accordée.  Le  Roi  régnant,  en  les  protégeant, 

1  Ordonnance  royale  de  novembre  1764. 


AFFAIRE  DES  JÉSUITES.  105 

avait  toujours  craint  leurs  intri{][ues;  les  cens  de  lettres  et 
ceux  que  Ton  appelle  philosophes  avaient  souvent  eu  à  se 
plaindre  de  leur  journal  imprimé  à  Trévoux.  Leur  ancien 
crédit  avait  révolté;  la  médiocrité  de  leurs  sujets  inspirait 
le  mépris,  et  on  ne  leur  pardonnait  plus  leur  orgueil 
depuis  qu'il  était  séparé  du  mérite  et  des  talents. 

C'est  le  concours  de  toutes  ces  circonstances  qui  rendit 
possible  la  destruction  d*une  société  dont  les  branches 
étaient  si  étendues  en  France  et  les  fondements  si  pro- 
fonds. La  révolte  de  Madrid',  dans  laquelle  ils  furent 
accusés  par  le  roi  d'Espagne  lui-même  d'être  impliqués; 
leur  expulsion  des  États  de  Sa  Majesté  Catholique ,  et  la 
conduite  violente  de  la  cour  de  Rome  enveris  l'infant  de 
Parme,  petit-fils  du  iîoi  et  neveu  du  roi  d'Espagne,  dont 
les  Jésuites  sont  accusés  d'être  les  auteurs,  ont  achevé 
d'indisposer  l'Europe  contre  eux  :  il  semble  qu'un  esprit 
de  vertige  les  anime,  et  qu'ils  ne  sont  plus  ressemblants  à 
eux-mêmes. 

Cependant,  s'ils  ne  sont  pas  totalement  détruits  sous 
un  nouveau  pontificat,  que,  corrigés  par  leurs  foutes,  ils 
soient  plus  sages,  plus  modestes,  plus  politiques,  plus 
châtiés  dans  leurs  livres  de  morale,  moins  méprisants 
pour  les  autres  ordres,  plus  soumis  aux  évêques,  moins 
présomptueux  avec  le  clergé,  et  surtout  s'il  se  forme  encore 
parmi  eux  de  grands  écrivains ,  de  savants  hommes ,  de 
bons  prédicateurs,  il  ne  serait  pas  impossible  qu'ils  ne 
se  relevassent  'de  leur  chute  et  qu'ils  ne  regagnassent  peu 
à  peu  une  partie  du  terrain  qu'ils  ont  perdu.  Cette  révo- 
lution parait  aujourd'hui  incroyable  ;  un  petit  nombre  de 


1  "L'Émeute  des  chapeaux,  occasionnée  par  la  défense  tlu  minisire  Squil- 
lace  de  porter  des  capas  et  des  chambergosy  sortes  de  chapeaux  qui  ren- 
daient impossible  la  surveillance  de  la  |K)lice. 


106  MÉMOIUES  DU  CARDINAL   DE  BERNIS. 

circonstances  favorables  pourrait  la  rendre  aisée  :  en 
France  et  en  Espag[ne ,  il  ne  faut  que  deux  rois  qui  pen- 
sent fovorableraent  de  leur  société.  D'ailleurs,  s*ils  avaient 
jamais  du  crédit  dans  une  grande  cour,  ils  en  auraient 
bientôt  dans  toutes  les  autres.  Serait-ce  un  bien ,  serait-ce 
un  mal?  C'est  ce  qu'on  ne  peut  pas  décider  encore;  ils 
ont  été  utiles  et  nuisibles ,  ils  peuvent  encore  être  l'un  et 
l'autre.  Cependant,  si,  au  lieu  de  les  laisser  gouverner , 
on  les  avait  gouvernés,  on  peut  dire  hardiment  qu*on 
aurait  pu  les  rendre  plus  utiles  que  nuisibles  à  la  société. 
Il  est  remarquable  que  le  roi  de  Prusse,  qui  les  avait  gardés 
dans  ses  États  \  et  que  la  République  de  Venise,  qui  les 
avait  chassés  de  chez  elle  et  qui  ne  les  a  repris  que  par 
force,  n'aient  pas  suivi  l'exemple  des  cours  de  Portugal, 
de  France,  de  Madrid* et  de  Naples.  A  l'égard  de  la  mai- 
son d'Autriche,  je  ne  suis  pas  étonné  qu'elle  les  ait  con- 
servés; elle  sait  combien  il  lui  importe  de  conserver  l'épi- 
thète  que  lui  donne  l'Italie,  en  la  nommant  la  Santa  Casa 
d'Ausiria, 


*  Voir  Saint- Pribst,  Histoire  de  la  chute  des  Jésuites,  Paris,  1846,  îii-12, 
p.  225,  sur  les  motifs  qui  ont  déterminé  Frédéric  à  protéger  les  Jésuites. 


CHAPITRE    VIII 

PLAN  DE  FINANCE  PROPOSÉ  PENDANT  LA  GCERRE' 


^  Fin  du  manuscrit  des  Mémoires. 


LETTRES 


DE 

L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS 

AU    ROI,    A    HADAME    LA    HARQUISE    DE    POMPADOUR 
ET    AU    DUC    DE    CHOISEUL- SX  AINVILLE 

*20  JARVIER   1757  JAHVIER   1759 

Tirëef  des  Archives  du  château  de  Mouchy 


LETTRES 


L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS 

AU    ROI,    A    MADAME    LA    MARQUISE    DE    POMPADOUR 
ET     AU     DUC     DE     CHOISEUL-ST  AIN  VILLE 

20  JAKTiEa  1757  —  jakvier  1759 


A  Monsieur  le  comte  de  Stainville. 

Versailles,  ce  20  janvier  1757. 

Je  vous  crois  à  Parme,  mon  cher  comte',  et  je  prie 
M.  de  Bochechouart  de  vous  rendre  cette  lettre.  Le  Roi 
a  été  assassiné ,  et  la  cour  n'a  vu  dans  cet  affreux  événe- 
ment qu'un  moment  favorable  de  chasser  notre  amie. 
Toutes  les  intrigues  ont  été  déployées  auprès  du  confes- 
seur. Il  y  a  une  tribu  à  la  cour  qui  attend  toujours 
Textréme-onction  pour  tâcher  d'augmenter  son  crédit. 
Pourquoi  faut-il  que  la  dévotion  soit  si  séparée  de  la 
vertu?  Notre  amie  ne  peut  plus  scandaliser  que  les  sots 
et  les  fripons.   Il  est  de  notoriété  publique  que  l'amitié 


'  M.  le  comte  de  Stainville  revenait  de  llome.  Il  arriva  à  Paris  vers  le 
10  février,  fut  présenté  au  Roi  le  12,  fut  nommé  en  mars  ambassadeur  prèi 
de  r Impératrice-Reine,  prit  congé  du  Roi  le  29  juillet  et  arriva  à  Vienne 
e  20  août. 


llî  LETTRES 

depuis  cinq  ans  a  pris  lu  place  de  la  g[aianterie.  C'est  une 
vraie  cagoterie  de  remonter  dans  le  passe,  pour  noircir 
l'innocence  de  la  liaison  actuelle.  Elle  est  fondée  sur  la 
nécessité  d'ouvrir  son  âme  à  une  amie  sûre  et  éprouvée, 
et  qui,  dans  la  division  du  ministère,  est  le  seul  point  de 
réunion.  D'ailleurs,  pourquoi  vouloir  diriger  laconscienœ 
de  personne,  et  pourquoi  faire  servir  la  religion  de 
masque  à  l'intrigue,  à  l'ambition  et  à  l'esprit  de  ven- 
geance? Que  d'ingrats  j'ai  vus,  mon  cher  comte,  et 
combien  notre  siècle  est  corrompu!  Il  n'y  a  peut-être 
jamais  eu  plus  de  vertu  dans  le  monde ,  mais  il  y  avait 
plus  d'honneur.  Vous  trouverez  l'Infante  dans  de  bonnes 
dispositions  pour  notre  amie ,  c'est  à  vous  à  l'y  fortifier. 
Ses  affaires,  liées  avec  celles  de  Vienne,  dépendent  de  la 
conservation  de  madame  de  Pompadour,  et  l'alliance 
avec  Vienne  est  tacitement  contrariée  par  tout  le  monde. 

Je  crois  nécessaire  que  vous  soyez  envoyé  à  cette  cour; 
le  petit  Broglie'  sollicite  cet  emploi,  mais  il  y  aurait  à 
craindre  qu'il  n'y  réussit  pas  par  les  préjugés  qui  sont 
établis  contre  lui  dans  ces  pays-là.  Vous  avez  les  lumières, 
les  bonnes  intentionset  le  courage  nécessaires  pour  étayer 
une  besogne  qu'il  est  si  avantageux  de  suivre  et  qu'il 
serait  si  dangereux  d'abandonner.  Venez  donc  prompte- 
ment  ici.  Vous  trouverez  dans  le  conseil  un  ami  déplus, 
qui  connaît  tout  ce  que  vous  valez  et  qui  se  fait  un 
plaisir  de  le  dire.  Je  vous  embrasse,  mon  cher  comte, 
de  tout  mon  cœur. 

Le  Roi  se  porte  bien ,  et  voit  bien  tout  ce  qui  s'est 
passé  et  tout  ce  qui  se  passe  encore. 

'  Le  comte  de  Broglie. 


DE   LABBE   COMTE  DE   BERNIS.  113 

Le  l«f  août  1757. 

J'ai  l'honneur,  nfion  cher  comte,  devons  envoyer  vos 
derniers  sacrements.  C'est  à  regret  que  je  vous  vois  partir, 
mais  c'est  pour  le  bieA  de  l'État  et  le  vôtre.  J'ai  oublie 
dans  vos  Instructions  '  de  parler  de  l'afFaire  de  Lucques  * 
h  laquelle  l'Infante  s'intëresse;  d'ailleurs,' j'ai  tâché  de  ne 
rien  omettre.  Le  maréchal  d'Estrées  a  gagné  une  plate 
bataille^,  soit  dit  entre  nous,  mais  elle  aura  les  suites 
d'une  grande  victoire  s'il  sait  prendre  de  bons  partis. 
L'Infante,  comme  vous  savez,  part  le  14*.  J'attends  votre 
laquais  qui  doit  rapporter  des  lettres  au  bureau.  Portez- 
vous  bien ,  faites  nos  affaires,  et  ne  soyez  pas  en  peine  des 
amis  que  vous  laissez  ici. 

« 

Le  10  septembre. 

Je  suis  enchanté,  mon  cher  comte,  de  vos  succès,  comme 
ATitre  ami  et  comme  ami  de  la  besogne  dont  vous  êtes 
chargé.  Il  me  revient  que  Leurs  Majestés  Impériales,  leurs 
ministres,  et  principalement  M.  de  Kaunitz,  sont  con- 
tents de  votre  début.  Je  vois  même  que  ce  dernier  prend 
confiance  en  vous.  La  confidence  qu'il  vous  a  faite  par 
rapport  à  l'archiduc  ne  m'a  point  surpris.  Je  m'étais 
douté    qu'il   y   avait   quelque   engagement.   Lé   Roi  ne 


'  Publiées  par  Filon,  Ambassade  de  Choiseul  a  Vienne,  Id-S^,  chez 
Durand,  p.  79.  Elles  sont  en  date  du  31  juillet. 

^  Il  s'agissait  d*un  chemin  établi  sur  le  territoire  de  la  république  de 
Lucques  et  dit  le  chemin  de  Monte-Gragno ,  sur  lequel  la  régence  de  Flo« 
rence  prétendait  exercer  un  droit  de  presidio,  La  négociation  relative  à 
cette  affaire  durait  depuis  1749. 

3  Bataille  d*Hastembeck,  livrée  le  26  juillet. 

^  L*Infante  devait,  suivant  la  Gazette  de  France,  partir  le  16  août  de 
Parme  pour  se  rendre  en  France.  Elle  arriva  à  Choisy  le  3  septembre  et  à 
Versailles  le  4. 

II.  8 


114  LETTRES 

veut  pas  que  Tlnfante  soit  instruite  que  cet  engag^ement 
a  été  contracté  avec  Leurs  Majestés  Siciliennes.  Je  dirai 
à  cette  princesse  que  vous  êtes  chukrgé  de  pénétrer 
ce  secret.  Au  reste,  les  deux  princesses  de  Naples  ne  se 
portent  pas  trop  bien ,  et  votre  étoile  pourrait  bien  leur 
porter  malheur  * .  Tâchez  de  pénétrer  en  efFet  si  le  second 
archiduc  n*cst  pas  aussi  engagé.  Car  il  fout  se  retourner 
sur  cette  même  idée. 

M.  de  Starhemberg  a  été  instruit  de  la  confidence  de 
M.  de  Kaunitz,  et  je  lui  ai  répondu  (ainsi  que  vous 
i*avez  foit)  fort  simplement.  11  m'a  paru  fâché  des  mesures 
qui  avaient  été  prises  à  cet  égard,  mais  on  ne  pouvait  pas 
deviner  alors  où  nous  en  serions  aujourd'hui. 

J'imagine  que  vous  instruirez  exactement  M.  de  Soubise 
(le  tous  les  mouvements  des  armées  autrichiennes  et  de 
tous  les  plans  de  leurs  opérations.  Ainsi  je  crois  superflu 
de  vous  le  recommander. 

L'affaire  du  Parlement  est  arrangée,  comme  vous 
savez.  Ceux  qui  ont  vu  cette  affaire  séparée  des  autres 
trouvent  que  le  Roi  a  mal  fait  d'y  mettre  tant  de  bonté; 
pour  moi ,  je  crois  lui  avoir  rendu,  dans  les  circonstances 
combinées  où  nous  sommes,  un  service  très-important; 
Paris  est  au  comble  de  la  joie.  Le  Roi  y  est  aimé  ;  et  moi, 
j'ai  excité,  par  les  bénédictions  qu'on  me  donne  dans  la 
capitale,  la  jalousie  de  mes  entours;  mais  vous  connaissez 
mon  courage  et  ma  patience;  je  tâche  de  bien  voir  avant 
<|ue  d'agir,  et  puis  je  ne  regarde  plus  en  arrière,  ni  à  côté. 
L'Infante  fait  fort  bien  ici  a  tous  ceux  que  nous  aimons; 
elle  se  conduira  bien  et  ne  se  laissera  pas  mettre  le  grap- 


'  Dona  Marie-Josèphe,  née  Je  16  juillet  1744,  et  dona  Marie-Louise, 
née  le  24  novembre  1745.  Celle-ci  épousa  l'archiduô  Léopold,  (p*and-duc 
de  Toscane  et  plus  tard  Empereur.  Sa  sœur  mourut  en  1804,  sans  avoir  été 
mariée. 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE   BEBNIS.  115 

pin;  du  moins,  toutes  les  apparences  l'annoncent.  Je  n'ai 
pas  le  temps  de  vous  en  dire  davantage.  Faites  ma  cour, 
je  TOUS  prie,  à  l'Impératrice,  et  cultivez  l'estime  et  l'amitié 
que  son^ ministre  me  témoigne.  Au  surplus,  je  vous  re- 
commande une  seule  chose,  c'est  de  ne  pas  vous  lasser 
(V avoir  envie  de  plaire.  Sur  tout  le  reste,  je  suivrais  volon- 
tiers vos  conseils.  Comptez  éternellement,  mon  cher 
comte,  sur  mon  tendre  attachement  pour  vous. 

Paris,  le  20  septembre  1757. 

M.  de  Richelieu,  mon  cher  comte,  a  un  peu  brusqué 
l'affaire  de  la  convention  '.  Jamais  acte  n'a  été  ni  moins 
réfléchi,  ni  contracté  avec  moins  de  formes.  M.  le  duc  de 
Mecklembourg  et  les  Suédois  n'en  seront  pas  fort  aises , 
et  je  crains  bien  qu'il  en  arrive  des  inconvénients  qui 
balanceront  les  avantages.  Il  est  certain  que  cet  événe- 
ment est  glorieux  en  apparence,  et  qu'il  donne  à  M.  de 
Richelieu  la  facilité  de  se  porter  en  avant;  mais  gare  les 
suites.  M.  de  Duras  recueillera  les  fruits  de  cette  conven- 
tion ,  qui  le  fera  vraisemblablement  premier  gentilhomme 
de  la  chambre. 

M.  de  Gèvres  est  mort.  Faites-vous  parler,  par  M.  de 
Raunitz,  des  Saxons.  On  voudrait  que  nous  payassions  la 
moitié  de  la  dépense  qu'ils  ont  occasionnée  à  la  cour  de 
Vienne  depuis  le  dernier  traité  de  Versailles.  Gela  serait 
peu  juste,  quoique  avec  une  apparence  de  justice.  Si  nous 
allons  mettre  tout  notre  argent  à  payer  les  étrangers,  il 
ne  nous  restera  rien  pour  acquitter  nos  propres  charges. 
D'un  autre  côté,  nous  nous  sommes  engagés  à  faire 
quelque  chose  pour  les  Saxons.  M.  BouUongne  tâchera  de 

t  Gonvention  de  Clostor-Seyen,  signée  le  8  septembre. 


9 


116  LETTRES 

leur  donner  un  million;  mais  nous  ne  pouvons  guère 
aller  au  delà.  Voyez  de  préparer  cette  matière ,  et  si  vous 
y  trouvez  de  la  facilité ,  de  la  porter  jusqu*à  un  acoord 
que  nous  conclurons  ici  avec  M.  de  Fontenay^*.  Nous 
sommes  en  peine  de  M.  de  Soubise.  Quoiqu'il  soit  sage, 
et  que  ses  relations  soient  excellentes,  on  craint  que 
l'envie  de  gagner  une  bataille,  ou  la  crainte  de  reculer, 
ne  l'expose  à  en  perdre  une.  Pour  moi,  je  compte  sur  la 
double  étoile  du  Roi  et  de  l'Impératrice,  sur  la  vôtre,  et 
un  peu  sur  la  mienne.  Adieu,  je  suis  excédé  de  fatigue, 
mais  je  ne  vous  en  aime  pas  moins. 

Fontainebleau,  le  2^  septembre  1757.    , 

Madame  de  Pompadour,  mon  cher  comte,  se  porte 
très-bien,  elle  a  été  affligée  pendant  quelque  temps  de 
l'arrangement  du  Parlement;  elle  convient  aujourd'hui 
que  son  orgueil  pour  le  Roi  a  souffert;  mais  peu  à  peu 
elle  sentira  les  bontés  du  maître  affermissant  sa  puissance 
et  son  autorité.  Les  Anglais  attaquent  Rochefort*.  On  y 
envoie  un  détachement  dés  gardes-françaises  et  suisses, 
des  mousquetaires  et  des  gardes  du  corps.  Vous  pouvez, 
sans  rien  hasarder  de  contraire  à  la  vérité,  faire  sentir 
à  M.  le  comte  de  Kaunitz,  et  même  à  l'Impératrice, 
que  la  seconde  armée  que  nous  avons  envoyée  en  Aile* 
magne  pour  sa  défense  nous  a  valu  la  visite  des  Anglais, 
qui  ne  se  seraient  jamais  hasardés  d'attaquer  nos  côtes  et 
nos  ports,  si  nous  ne  les  avions  pas  dégarnis.  Ceci  n*est 


*  Gaspard- FrançôÎA  de  Fontenay,  général  feld-maréchal-lieutenant  des 
armées  de  Saxe,  envoyé  extraordinaire  de  Sa  Majesté  Orthodoxe  à  Paris 
depuis  avril  1757  jusqu*en  1770.     , 

2  La  flotte  anglaise  avait  fait  voile  de  Porstmouth  le  8  septembre.  L€ 
23,  eut  lieifla  descente  dans  i'ile  d*Aix. 


DE   L'ABBÉ   COMTE   DE   BERNIS.  117 

pas  une  plainte,  il  s'en  faut  bien  :  le  Roi  ne  regrettera 
jamais  les  marques  d'amitié  qu'il  a  données  à  sa  bonne  amie 
r Impératrice ,  mais  il  est  nécessaire  qu'on  connaisse  le 
prix  et  l'étendue  de  ce  service.  M.  de  Starhemberg  me 
presse  beaucoup  pour  entrer  en  payement  de  ce  qu'il  en 
coûte  à  l'Impératrice  pour  l'entretien  des  transfuges 
saxons  depuis  la  signature  de  notre  dernier  traité.  Il  est 
vrai  que  nous  sommes  convenus  de  payer  par  moitié  le 
subside  qui  serait  nécessaire  pour  l'entretien  de  dix  mille 
Saxons.  Il  est  vrai  aussi  que  la  dépense  que  la  cour  de 
Vienne  Fait  pour  les  Saxons  a  été  jusqu'ici  à  sa  charge, 
mais  en  vérité  celle  que  nous  faisons  pour  l'Impératrice 
est  si  fort  au  delà  de  nos  conventions  qu'il  serait  bien 
juste  qu'on  ne  proGtât  pas  d'un  article  qui  n'est  obli- 
gatoire que  lorsque  nous  serons  d'accord  sur  la  quotité 
du  subside  à  accorder  à  la  Saxe,  pour  faire  de  nouvelles 
demandes  pécuniaires.  Nous  ne  refusons  pas  de  nous 
arranger  pour  l'avenir  sur  cet  article ,  mais  faut-il  que 
nous  payions  la  générosité  dont  en  a  usé  l'Impératrice 
envers  les  Saxons  opprimés?  Je  vous  avertis,  d'ailleurs, 
que  l'état  de  nos  finances  ne  nous  permettra  pas  de  porter 
bien  haut  le  subside  à  accorder  à  la  Saxe ,  sans  quoi  nous 
ne  serions  pas  en  état  jd'en  payer  de  plus  essentiels.  Les 
hostilités  des  Anglais  sur  nos  côtes  vont  augmenter  nos 
dépenses,  et  les  dommages  qu'ils  peuvent  nous  causera 
Rochefort,  en  brûlant  nos  magasins  et  quatre  vaisseaux 
de  guerre  qui  y  sont,  ne  rendront  pas  plus  aisés  nos 
moyens  de  finance;  d'où  je  conclus  que  la  cour  de  Vienne 
doit  entrer  dans  ces  considérations  comme  si  elle  était 
de  notre  propre  famille.  Il  ne  s'agit  pas  ici  de  tirer  au 
court  bâton ,  ni  de  chercher  à  faire  sur  tous  les  points 
des  marchés  avantageux;  nous  agissons  avec  noblesse, 
et  nous  avons  dépensé  bien  des  millions  au  delà  de  nos 


118  LETTRES 

promesses  et  de  nos  obligations;  par  consëquenti  il  faut 
nous  ménager  dans  tout  ce  qui  n'est  pas  absolument 
convenu  ni  absolument  nécessaire.  L'Impératrice  'est 
bien  faite  pour  répondre  parfaitement  à  la  noblesse  des 
procédés  du  Roi;  je  vous  prie  de  traiter  tout  ceci  avec 
amitié;  tout  autre  ton  en  pareille  matière  ne  serait  pas 
convenable. 

La  négociation  de  l'électeur  palatin  à  Vienne  par 
rapport  à  la  garantie  de  Berg  et  Juliers  va  se  terminer. 
Je  crois  que  le  nouveau  ministre  palatin  vous  mettra  au 
fisiit  de  cette  affaire  et  vous  demandera  vos  bons  offices; 
s'il  'ne  le  Faisait  pas ,  vous  le  lui  feriez  sentir  convena- 
blement ;  il  ne  faut  accoutumer  nos  amis  à  être  ingrats  ni 
négligents'. 

Le  Roi  a  accordé  le  cordon  rouge  à  M.  de  Montazet', 
et  il  veut  que  ce  soient  Leurs  Majestés  Impériales  qui  loi 
annoncent  cette  grâce,  qui  est  accordée  à  leur  témoi- 
gnage. 

M.  de  Soubise  ne  parait  plus  en  danger;  mais  il  est  bien 
embarrassé  des  troupes  des  Cercles;  il  faut  que  chacun 
agisse  de  son  côté ,  sans  quoi  le  mélange  gâtera  tout. 

La  convention  de  M.  de  Richelieu  est  très-bonne  dans 
un  sens;  elle  nous  gène  beaucoup  dans  un  autre.  Mais 
quel  est  l'ouvrage  humain  qui  n'a  pas  de  défouts?  Les 
Suédois  ont  commencé  leurs  opérations ,  et  la  convention 
entre  les  trois  cours  doit  être  signée  actuellement*.  Je  vous 
embrasse ,  mon  cher  comte ,  de  tout  mon  cœur. 

'  La  France  avait  f;arantî  par  un  acte  du  2S  mars  1757  la  possession  de 
Berf;  et  de  Juliers  à  la  maison  palatine  deSultzbach.  L* AuUicbe  s*associa  à 
cette  garantie  par  un  acte  signé  à  Vienne  en  date  du  30  octobre  1757. 

3  Suivant  les  Mémoires  historiques  de  Meslix  concernant  tordre  de  Saint- 
Louis,  Imprimerie  royale,  1785,  in-4<>,  M.  de  Montazet  obtint  le  23  sep- 
tembre 1757  Texpectative  de  la  dignité  de  commandeur,  et  le  9  janvier 
1759  l'expectative  de  la  dignité  de  grand-croix. 

'  Elle  est  signée  en  effet  le  22  septembre.  Voir  Roch,  II,  97. 


DE   L*ABBE   COMTE   DE  BERIQIS  119 

L'ëvéque  d'Orléans'  sera  transféré  à  Gondom,  on 
réserve  M.  votre  frère*  pour  un  grand  siège  :  c'est  ce 
que  m'a  répondu  l'évéque  de  Digne'.  L'Infante  vous  écrit; 
elle  a  réussi  à  merveille. 


Fontainebleau,  27  septembre  1757. 

Je  reçois  dans  le  moment,  mon  cher  comte,  votre 
expédition  du  20.  Je  rendrai  compte  demain  au  Roi  de 
la  convention  que  vous  avez  signée  avec  le  ministre  de 
Brunswick.  Je  la  trouve  bien,  et  elle  servira  de  règle  pour 
les  autres  princes,  avec  lesquels  j'ai  différé  de  m'arranger 
jusqu'à  ce  que  j'eusse  reçu  de  vos  nouvelles.  Je  ne  doute 
pas,  quoique  vous  n'en  disiez  rien,  que  vous  n'ayez 
instruit  sur-le-champ  M.  de  Bichdieu  de  cette  convention; 
car,  sans  cela,  il  n'aura  pas  manqué  de  feire  désarmer 
toutes  les  troupes  auxiliaires  de  Hanovre.  Ce  n'était  pas 
à  moi  à  lui  en  donner  l'ordre  ni  le  contre-ordre.  Je  me 
suis  tenu  coi  et  tranquille. 

Nous  n'eûmes  aucune  nouvelle  hier  de  M.  de  Soubise, 
mais  sa  dernière  lettre  était  rassurante.  Nous  sommes 
inquiets  avec  raison  du  débarquement  des  Anglais  à  l'île 
d'Aix*,   et  de  ce  qu'ils  peuvent  entreprendra  sur  Ro- 


?  Louis-Joseph  de  Montmorency-Laval,  né  le  11  décembre  1724, 
évèque  d*Orléans  de  novembre  1753  à  octobre  1757 ,  évêque  de  Condom 
d  octobre  1757  à  août  1760. 

2  Léopold-Cbarles ,  frère  cadet  du  duc  de  Choiseul,  né  à  Lunéville  le 
6  décembre  1724,  vicaire  général  de  Cbâlons,  abbé  de  Saint-Arnoul  de 
Metz  en  juin  1757,  évêque  d*Evreux  en  mai  1758,  arébevèque  d*Alby 
(avril  1759)  et  de  Cambrai  (mai  1764),  mort,  le  11  septembre  1774. 

^  Louis-Sextius  de  Jarente  de  la  Bruyère,  évêque  de  Digne  d'octobre 
1746  à  janvier  1758,  évêque  d'Orléans  jusqu'en  1788,  cbargé  de  la  feuille 
des  bénéfices. 

*  23  septembre.  Voir  Histoire  de  la  guerre  contre  les   Anglais,   par  ■ 
PoDLLiif  DE  LuMivA.  Gcnève,  1759,  t.  I,  p.  201. 


120  LETTRES 

chetbrt.  Le  maréchal  de  Senneterre  '  et  Lang^eron  *  ne 
sont  pas  fort  rassurants.  Nous  avons  pris,  d*ailleurs,  toutes 
les  précautions  possibles  pour  que  nos  ennemis  n'excitent 
aucun  mouvement  dans  nos  provinces  protestantes. 
Toutes  nos  troupes  sont  au  service  de  l'Impératrice  ;  elle 
doit  se  souvenir  éternellement  du  dommag[e  que  notre 
fidélité  et  notre  générosité  peuvent  causer  au  royaume. 
Si  les  Anglais  brûlent  Bochefort,  nous  perdrons  deux 
vaisseaux  de  guerre,  quatre  frégates  et  des  magasins 
immenses.  Ce  dommage  leur  donnera  du  courage .  et  des 
moyens  pour  continuer  la  guerre.  D'ailleurs,  cela  ne 
changera  rien  au  fond  des  choses.  Je  crains  que  M.  de 
l'Hospital  n'ait  un  peu  plus  saisi  les  afiaires  de  Pologne  en 
courtisan  qu'eu  ministre.  Je  serai  bientôt  éciaircî  de  mes 
craintes  à  cet  égard.  Je  sais  qu'il  y  a  beaucoup  à  craindre 
aussi  des  projets  des  Busses  sur  la  Gourlande  et  sur  la  Sa- 
mogitie,  ainsi  que  des  intrigues  de  M.  Brulh;  au  reste, 
M.  de  l'Hospital  nous  donne  de  grandes  espérances  pour 
notre  commerce  en  Bussie.  Nous  verrons;  il  nous  coûte 
trop  cher  pour  qu'il  ne  soit  pas  à  désirer  qu'il  nous  soit 
utile   au  moins  sur   cet   article'.   Madame   de   Pompa- 


1  Jenn-Charleâ  de  Saint-Nectaire  ou  de  Senncteri^e,  né  le  11  novembre 
1685,  colonel  en  1705,  brigadier  en  1719,  colonel  du  régiment  de  la 
Marcbe  en  1731,  lieutenant  général  et  ambassadeur  à  Turin  en  1734, 
chevalier  des  ordres  du  Roi  en  1745,  commandant  en  Aunis  et  en  Saia- 
tonge  en  1756,  marécbnl  de  IVance  le  24  février  1757. 

3  Chnrle!»-Clnude,  marquis  de  Langeron,  né  le  7  décembre  1720,  colonel 
du  régiment  de  Condé-infantcrie  en  1743,  brigadier  en  1747,  maréchal  de 
camp  le  l**"  mai  1758. 

^  La  correspondance  de  M.  de  l'Hospital  est  curieuse  au  point  de  vue  de 
ses  demandes  d'argent.  Il  prétendait  que  son  mobilier  acheté  à  Paris  lui  coû- 
tait 308,222 livres;  l'envoi  de  son  mobilier,  21,152  livres;  que  ses  dépenses 
d'installation  ù  Saint-Pétersbourg  montaient  à  99,652  livres,  et  que  pen- 
dant un  seul  mois  sa  table  avait  coûté  10,500  livres.  Il  est  vrai  qu'il  avait 
trente-six  chevaux  dans  .ses  écuries.  On  peut,  au  reste,  consulter  sur  cette 
ambassade  le  Voyage  à  Petersbourtf  y  par  M.  de  la  MesseliÈre,  gentil- 
homme d'ambassade.  Paris,  an  XI,  in-8<>  de  342  pages. 


DE   L'ABBE   COMTE   DE   BERNIS  121 

dour  a  eu  une  très-forte  liiigraine,  dont  elle  est  quitte  ce 
matin.  M.  Mole  est  premier  président';  ce  choix  est 
approuvé.  D'un  autre  côtéj  Tarchevéque  de  Paris  est 
sorti  d*exily  et  les  autres  évéques  sont  rappelés.  Le  Roi 
fait  grâce  des  deux  côtés.  Notre  amie  m'a  presque  boudé , 
pendant  quelques  jours,  de  l'arrangement  du  Parlement. 
Mais  j'ose  dire  que  sans  cela  tout  était  perdu.  C'est  peut- 
être  le  plus  grand  service  que  je  rendrai  de  nâa  vie, 
mais  il  faut  l'envisager  dans  son  véritable  point  de  vue  ; 
avant  que  la  chose  fût  faite,  on  en  croyait  le  succès 
impossible;  quand  j'en  suis  venu  à  bout,  on  dit  que  rien 
n'était  plus  aisé.  Il  y  a  longtemps  que  je  suis  corrigé  de 
mettre  de  l'amour-propre  dans  les  affaires,  je  n'y  vois 
plus,  et  je  n'y  cherche^  Dieu  merci,  que  les  moyens 
d'arriver  au  but  que  je  me  propose.  L'Infente  se  conduit 
à  merveille  à  la  cour  ;  elle  traite  bien  notre  amie ,  et  cela 
sans  être  boudée  ni  contrariée  par  ses  parents.  M.  de 
Starhemberg  en  mandera  sûrement  du  bien  à  l'Impéra- 
trice. Ce  ministre  chante  vos  louanges,  et  personne  n'y 
applaudit  de  meilleur  cœur  ni  de  meilleure  foi  que  moi. 

Les  Suédois  ont  pris  Anclam*,  à  ce  que  disent  les  nou- 
velles de  Hambourg;  ainsi  tout  va  bien.  Pourvu  que  M.  de 
Soubise  ait  le  temps  d'être  secondé  par  M.  de  Richelieu, 
ie  roi  de  Prusse  aura  de  la  peine  à  se  sauver  de  l'équipée 
qu'il  a  faite. 

Adieu,  Monsieur  l'ambassadeur;  soyez  sûr  pour  jamais 
de  mon  tendre  attachement. 

Je  répondrai   à   vos  dépêches  à   mon  retour  à  Ver- 


1   Gazette  du  i^*^  octobre. 

3  Anclam,  ville  de  la  Poméranie  prussienne,  port  sur  la  Baltique  à 
4  kil.  0.  du  Frische-HafF.  Voir  sur  Toccupation  de  celte  ville  le  14  sep- 
tembre par  le  (général  de  Lantigshausen,  Théâtre  de  la  guerre  pre'sente  en 
Allemagne*  Paris,  1758,  in-12,  p.  150,  t.  I. 


lîî  LETTRES 

sailles.  Je  vais  demain  à  Paris,  et  le  Roi.  après-demain  à 
Choisy '. 

Versailles,  le  3  octobre. 

M.  de  Richelieu,  mon  cher  comte,  est  un  peu  embar- 
rassé d'une  lettre  pleine  de  louanges  que  le  roi  de  Prusse 
lui  a  écrite  en  lui  proposant  de  faire  la  paix  '•  Le  maré- 
chal ne  serait  pas  fâché  de  la  faire  en  effet,  et  le  Dane- 
mark aussi.  Mais  j'ai  cassé  bras  et  jambes  à  toutes  ces 
fausses  mesures,  et  j'ai  communiqué  toute  l'histoire  à 
M.  de  Starhemberg,  qui  en  rendra  compte  à  sa  cour.  De 
plus,  j'ai  fait  mettre  à  la  Bastille  un  certain  émissaire  du 
comte  de  Neuvied  ^,  le  plus  intrigant  des  comtes  de  l'Em- 


'  Il  y  est  le  29,  suivant  la  Gazette  de  France, 

2  Mémoires  de  Richelieu,  t.  IX,  p.  175. 

3  Cette  affaire,  qui  reste  encore  obscure,  mériterait  une  étade  particu- 
lière. Voici  ce  que  j'ai  t(^uvé  aux  Archives  des  affaires  étrangères.  A  la 
suite  d'une  lettre  qu'écrivit  Jean-Baptiste  Fischer,  le  commandant  des 
chasseurs  de  Fischer,  qui  de  simple  domestique  était  devenu  chef  d'une 
compagnie  de  chasseurs  créée  en  1743,  et  qui,  brigadier  d'infanterie  le 
21  avril  1759  à  la  suite  de  l'affaire  de  Gruuberg,  mourut  en  juillet  1762  ï 
l'année  du  Bas-Rhin,  le  comte  de  Neuwied  s'était  cru  autorisée  envoyer 
un  agent  à  Paris.  Ce  comte  de  Neuwied  (Jean-Frédéric «Alexandre,  comte 
de  Wied-^]euwied ,  né  le  18  novembre  1706,  qui  avait  succédé  le  17  sep- 
tembre 1737  au  gouvernement  de  la  principauté  et  qui  ne  mourut  que  le 
7  août  1791)  était  un  bas  intrigant  en  correspondance  avec  Berlin  et  Vienne, 
espion  sans  doute  des  deux  côtés.  Il  expédia  donc  à  Paris  un  nommé  Barbut 
de  Maussac,  chambellan  du  margrave  d'Anspach  et  particulièrement  at- 
taché à  la  maison  de  Neuwied.  Ce  Barbut  de  Maiissac  était  déjà  connu  du 
ministère  des  affaires  étrangères.  Depuis  février  1757,  époque  où  il  était 
venu  faire  un  premier  voyage  à  Paris,  il  servait  d'agent  secret,  du  consen- 
tement du  comte  de  Neuwied,  et  envoyait  une  correspondance  sur  les  af- 
faires d'Angleterre.  Barbut  arrive  à  Compiègne  le  6  août  et  remet  au  ma- 
réchal de- Belle-Iàle  une  lettre  du  comte.  Belle-lsie  accorde  plusieurs  au- 
diences ù  cet  individu  et  lui  remet  lè  16  une  réponse  pour  le  comte  de 
Meuwied. 

Barbut  repart  de  Paris  le  17  et  arrive  le  22  à  Neuwied,  où  il  trouve  un 
nommé  Van  dcr  Hayn  envoyé  par  le  roi  de  Prusse  pour  lui  rendre  un 
compte  immédiat  de  la  négociation.  Qu'est-ce  que  ce  Van  der  Hayn,  et 
serait-ce  par  hasard  le  même  homme  qu'un  certain  colonel  de  Balby  envoyé 
à  la  même  date  à  Neuwied?  Ce  Balby  serait-il  le  même  que  Frédéric  avait 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  1Î3 

pire,  dont  la  correspondance  avec  le  roi  de  Prusse  a  été 
découverte  à  Vienne.  On  n'a  rien  découvert  dans  les 
papiers  de  l'émissaire;  mais  il  a  dit  qu'un  secrétaire  de 
M.  de  Richelieu,  qu'il  suppose  en  correspondance  avec  un 
ancien  ministre  prussien  à  Francfort,  avait  proposé  de 
donner  Neuchâtel  à  notre  amie  pour  l'attacher  au  roi  de 
Prusse.  Toutes  ces  intrigues  ont  commencé  par  le  sieur 
Fischer,  qui  a  écrit  une  lettre  des  plus  imprudentes  au 
comte  de  Neuvied.  Dans  le  fond,  tout  cela  me  parait 
misérable.  Mais  ce  qui  ne  l'est  pas,  c'est  que  M.  de  Sou- 
bise  a  besoin  d'être  renforcé,  quoique  le  roi  de  Prusse  ait 
abandonné  Erfurt,  sans  quoi  le  Roi  gardera  sa  Sala,  et, 
d'un  autre  côté,  M.  de  Richelieu  ne  se  trouve  pas  en  sûreté 


envoyé  déguisé  en  bailli  auprès  du  marécbal  de  Richelieu ,  après  Closter- 
Seven?  (Voir  Guerre  de  Sept  ans,  t.  I,  p.  145,  éd.  de  Berlin.)  Ce  qui  est 
8Ûr,  c'est  qu'une  lettre  signée  :  Van  der  Hayn,  et  peut-être  écrite  par  Balby 
à  la  date  du  23  août,  contenait  la  première  idée  d'une  nouvelle  négociation 
à  entamer  relativement  à  Neucbâtel  :  •  Il  est  connu,  écrivait-on,  que 
madame  de  Pompadour  est  Tunique  mobile  qui  conduit  fette  grande 
intrigue.  Il  sera  de  même  connu  à  Votre  Majesté  l'énorme  richesse  que 
cette  femme  insatiable  a  amassée.  Avec  tout  cela  elle  doit  être  à  ce, 
nous  a  assuré  le  sieur  de  Barbut,  dans  des  craintes  et  soucis  continuels 
à  trouver  un  endroit  où  elle  puisse  établir  un  chez  so\  avec  dignité. 
Comme  Votre  Majesté  ne  tire  presque  rien  de  ces  principautés  de  Neu- 
châtel et  de  Valengin,  ces  messieurs  sont  dans  la  ferme  croyance  que  si 
Votre  Majesté  voulait  se  résoudre  d'en  faire  la  donation  à  cette  femme, 
qu'elle  viendrait  à  son  but  immanquablement,  mais  que  cette  affaire 
devrait  se  faire  avec  toute  la  précaution  possible,  pour  ne  pas  mettre  Votre 
Majesté  en  compromis.  Pour  cet  effet,  le  sieur  de  Barbut,  qui  est  au  cou- 
rant de  toutes  ces  choses,  devrait  entreprendre  un  second  voyage  à  Paris, 
moins  qu'il  lui  fut  payé  ayant  fait  le  précédente  ses  dépenses.  Cet  homme, 
plein  de  zèle  pour  Votre  Majesté  et  des  plus  intrigants,  nous  promet  une 
heureuse  issue.  Quoique  je  n'ajoute  pas  toute  la  foi  possible  à  ce  projet,  je 
n'ai  pourtant  pas  voulu  manquer  de  le  proposer  à  Votre  Majesté.  • 

En  même  temps  (!«''  septembre)  que  Neuwied  faisait  à  Kaunitz  ses  offres 
de  service,  l'agent  du  roi  de  Prusse,  Balby,.  partait  pour  Paris  avec  Barbut 
de  Maussac  :  il  avait  pour  but  soit  d'acheter,  soit  de  renverser  madame  de 
Pompadour  (lettre  du  comte  de  Neuwied  à  Frédéric  II  en  date  du  24  août). 
Ces  deux  individus  étaient  arrêtés  et  mis  à  la  Bastille  le  24  septembre;  mais  la 
cour  de  Vienne  avait  eu  vent  sinon  des  deux  voyages,  au  moins  d'un  des 


124  LETTRES 

à  Halberstadt  avec  sa  g[rosse  armée,  pour  y  établir  ses 
quartiers,  d'où  il  s'ensuit  que  le  roi  de  Prusse  avec  une 
petite  armée  tient  en  échec  Tarmée  de  Darius  et  vient 
manger  a  sa  barbe  nos  subsistances.  Gela  n'est  ni  glorieux 
ni  utile;  mais,  mon  cher  comte,  tout  le  monde  ne  veut 
pas  comme  nous  que  notre  alliance  subsiste,  ou,  du  moins, 
tout  le  monde  voudrait  être  le  maître,  et  gouverner 
l'affaire  générale,  sans  être  instruit  des  arrangements 
particuliers.  Il  Faut  nécessairement  rompre  notre  union 
avec  l'armée  des  Cercles  et  mettre  M.  de  Soubise  en  état 
d'agir  sur  la  Sala.  Il  faut  que  M.  de  Richelieu  vienne  ici 
s'arranger  pour  la  campagne  prochaine,  sans  quoi  nous 
n'en  viendrons  jamais  à  bout.  Les  Anglais,  après  avoir 
ruiné  le  petit  fort  à  moitié  construit  de  l'Ile  d'Aix,  ont 
commencé  à  faire  leur  retraite.  Le  courrier  qui  nous 
apprend  cette  nouvelle  est  venu  ce  matin.  Le  maréchal 
de  Senneterre  s'est  mieux  conduit  que  je  n'aurais  cru. 
Nous  verrons  s'ils  tenteront  quelque  autre  entreprise. 
Celle-ci  sera  un  peu  trop  chère,  pour  être  si  hon- 
teuse. J'ai  'envoyé  à  M.  de  Richelieu  votre  convention 
avec  Brunswick  pour  servir  de  règle  pour  toutes  les 
autres.  LesHessois  ne  veulent  pas  être  désarmés,  et  depuis 
que  M.  de  Richelieu  marche  en  avant,  M.  de  Cumberland 
se  rebecque  sur  ce  désarmement,  et  M.  de  Lynar  aussi. 


deux  (lettre  du  comte  de  Stainville  à  Bernis  du  3  septembre  1757).  Je  crois 
que  Taffaire  en  est  restée  1^,  et  je  n*ai  trouvé,  malgré  mes  recherches,  au- 
cune trace  d'une  prétendue  mission  donnée  par  madame  de  Pompadour  à 
M.  de  la  Live  de  Juilly,  beau-frère  de  madame  d*Epinay,  relativement  à 
la  même  principauté.  Je  mets  formellement  en  doute  jusqu'à  nouvel  ordre 
la  vérité  de  ce  passage  des  Afémoiresy  d'ailleurs  si  suspects,  de  madame 
d*Epinay  {tome  II,  p.  253).  M.  Boitcau,  le  dernier  et  savant  éditeur  de  ces 
Mémoires,  a  peut-être  quelques  éclaircissements  à  fournir  sur  ce  sujet.  Pour 
moi,  toutes  les  recherches  que  j*ai  faites  ou  qu'on  a  bien  voulu  faire  pour 
moi  en  France  et  en  Suisse  sont  demeurées  infructueuses. 


DE  L'ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  iî5 

Voilà  ce  que  c'est  que  de  ne  paâ  expliquer  clairement  les 
choses  clans  les  actes.  Celui  que  vous  avez  passé  à  Vienne 
est  à  merveille,  et  ne  laisse  point  de  queue.  L'archevêque 
est  revenu  à  Paris.  Il  était  hier  ici,  et  il  a  rencontré  chez 
moi  le  nouveau  premier  président;  ils  se  sont  cordiale- 
ment embrassés.  Mon  Dieu,  il  n'y  a  en  tout  que  la  ma- 
nière! Si  on  me  laisse  faire,  tout  cela  finira  avec  un  peu 
de  patience.  L'évéque  de  Digne  me  seconde  bien.  La 
retraite  des  Busses  nous  avait  fort  alarmés  et  fait  craindre 
une  révolution  à  la  mort  de  l'Impératrice.  Les  lettres  de 
Kônigsberg  qui  viennent  d'arriVer  nous  rassurent  un  p^u. 
J'ai  dit  à  l'Infante  notre  idée  sur  le  second  archiduc  *  (avec 
la  réserve  que  vous  y  aviez  mise).  Elle  l'approuve;  traitez 
cela  comme  de  vous-même,  jusqu'à  ce  que  la  chose  ait 
pris  une  véritable  consistance.  L'Infante  se  conduit  tou- 
jours bien.  Elle  vous  aime^  et  ne  perd  pas  ses  affaires  de 
vue,  ni  les  gens  qui  peuvent  lui  être  utiles.  C'est  beaucoup 
pour  une  personne  royale.  Je  suis  étonné  de  n'avoir  pas 
eu  de  vos  nouvelles  cette  semaine.  M.  dé  Starhemberg  est 
dans  le  même  cas.  Vous  ne  vous  plaindrez  pas  de  la 
brièveté  de  cette  lettre;  cela  vous  prouvera  que  je  n'ai 
rien  à  foire;  au  moins  pourres-vous  penser  que  j'aime  à 
m'entretenir  avec  vous.  On  dit  que  madame  de  Stainville 
réussit  très-bien  ^  Vienne.  Âssurez-la  de  mes  respects. 

Versailles,  ce  8  octobre  i757. 

J'ai  brûlé,  mon  cher  comte,  la  lettre  particulière  que 
m'a  apportée  le  dernier  courrier  de  M.  de  Broglie.  Le 


1  Josepb,  plus  tard  empereur  d'Allemagne  sous  le  nom  de  Joseph  II, 
épousa  le  6  octobre  1760  dona  Elisabeth- Marie- Louise- Antoinette,  pre- 
mière princesse  de  Parme,  fille  ainéo  de  Tlnfante,  n^  à  Madrid  le  31  dé- 
cembre 1741. 


126  LETTRES 

détail  qii*elle  contient  m'a  affligé  par  les  mauvaises  suites 
que  je  prévois.  Il  y  a  eu  un  moment  où  j'ai  vu  la  guerre 
finie.  Si,  d'un  côté,  M.  de  Soubise  eût  été  renforcé, 
et  si,  de  l'autre,  les  Autrichiens  eussent  divisé  leurs 
forces,  le  roi  de  Prusse  était  pris  entre  deux  feux;  on  a 
perdu  un  mois  de  temps  qui  était  bien  précieux,  et  le  roi 
de  Prusse  en  a  bien  profité!  Je  voudrais  comme  vxius 
qu'une  bataille  précédât  le  siège  que  nos  alliés  doivent 
faire  en  Silésie.  La  supériorité  des  forces  autrichiennes 
doit  naturellement  leur  assurer  le  succès  d'un  combat,  et 
alors  on  n'aurait  pas  à  craindre  les  mauvaises  suites  d'un 
siège  qu'on  serait  forcé  de  lever. 

On  ne  peut  pas  se  défier  plus  que  je  ne  me  défie  des  rela- 
tions de  M.  de  Broglie  sur  les  Russes;  mais  en  écartant  les 
préventions  et  les  systèmes  particuliers  de  cet  ambassa- 
deur, il  resle  tant  de  faits  sur  lesquels  il  a  raison  que  je 
ne  puis  guère  blâmer  son  opinion,  quoique  j'en  rejette 
quelques  conséquences;  heureusement  j'ai  à  la  Porte  un 
homme  '  qui  se  conduit  à  la  lettre  par  les  ordres  que  je  lui 
ai  fait  passer,  et  c'est  pour  moi  une  grande  tranquillité 
La  retraite  de  M.  Apraxin  est  un  événement  inconce- 
vable. M.  de  THospital,  qui  m'écrit  du  16  septembre, 
n'apercevait  alors  aucun  changement  de  principes,  et  il 
croyait  même  que  M.  de  Bestuchef  appuyait  et  pressait  de 
bonne  foi  le  progrès  des  armes  moscovites.  Quelques 
jours  de  plus  nous  éclairciront.  Notre  convention  avec  la 
Suède  a  dû  être  signée  le  23  septembre;  mais  nous  aurions 
fait  un  bon  marché  l'année  passée  de  laisser  les  Moscovites 
chez  eux  et  d'armer  puissamment  les  Suédois.  C'est  à 
quoi  vous  devez  tendre  de  toutes  vos  forces  (s'il  est  Vfai 
que   M.   Apraxin   regagne   la   Courlande).   Notre   grande 

*  M.  (le  Vergennes. 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE   BERNIS.  It7 

affaire  ne  pourra  finir  que  par  là;  je  veux  croire  cepen- 
dant encore  qu'il  n'y  a  rien  d'absolument  gâté.  M.  de  Ri- 
chelieu m'a  su  mauvais  gré  d'avoir  voulu  rendre  sa  conven- 
tion moins  imparfaite;  comme  s'il  n'était  pas  plus  glorieux 
pour  lui  d'avoir  fait  un  bon  ouvrage  qu'un  mauvais. 
Quant  à  M.  Ogier,  je  lui  ai  dit  mon  avis  si  ferme  qu'il 
n'y  reviendra  pas;  et  M.  de  Richelieu  dorénavant  voudra 
bien,  dans  ce  qui  touchera  au  politique,  attendre  que 
je  lui  fasse  passer  les  ordres  du  Rqi.  Il  me  boudera  un 
moment;  mais  je  suis  fait  pour  ne  jamais  voir  que  le 
bien  des  affaires  et  pour  fermer  les  yeux  sur  tout  le 
reste.  Consolez  les  affligés  et  donnez-nous  de  bonnes 
nouvelles  de  Silésie.  Qui  est-ce  qui  commandera  cet  hi- 
ver dans  l'absence  de  M.  de  Richelieu?  Croyez-vous  que 
le  roi  de  Prusse  ne  tente  rien  sur  nos  quartiers  (à  moins 
que  nous  ne  les  reculions  jusqu'à  Brunswick)?  En  ce 
cas- là,  que  deviendra  le  pays  d'Halberstadt?  Aura-t-il  de 
quoi  nous  nourrir  fiu  printemps?  On  ne  peut  douter 
que  le  roi  de  Prusse  ne  le  dévaste  :  c'est  le  propre  de 
cette  guerre-ci  de  craindre  toujours  son  ennemi  avec  une 
supériorité  du  double;  c'est  un  grand  éloge  pour  les 
troupes  prussiennes.  On  croit  (Jue  M.  de  Beauvau  '  sera 
capitaine  des  gardes,  et  que  le  maréchal  Thomond^  com- 
mandera en  Languedoc.  Portez-vous  bien  et  comptez 
toujours  essentiellement  sur  mon  attachement  et  sur  mon 
amitié. 


<  Charles-Just  de  Beauvau ,  marquis  de  Craon  et  d'Harrouel ,  cheralier 
det»  ordres  du  Roi,  colonel  du  régiment  des  gardes  lorraines,  né  le  10  no- 
vembre 1720,  .pourvu  de  la  charge  de  capitaine  des  gardes  du  corps  le 
11  novembre  1757. 

^  Charles  O'Brien,  lord  et  comte  de  Thomond,  deux  fois  pair  d'Irlande, 
né  à  Saint-Germain  en  Laye  le  27  mars  1690,  entré  au  service  le  24  oc- 
tobre 1706,  maréchal  de  France  le  24  février  1757,  commandant  en  Lan- 
guedoc en  novembre  même  année. 


128  LETTRES 

P.  S.  —  MM.  Glaubitz*  et  de  Gribeauval*  sont  parfai- 
tement inutiles  à  Danzig,  et  ils  pourraient  ne  Tétre  pas 
en  Siiésie. 

Le  9  octobre. 

Madame  la  Dauphine  vient  d'accoucher  heureusement 
et  promptement  d*un  quatrième  prince  que  le  Bjoi  a 
nommé  le  comte  d'Artois^,  Je  n'ai  pas  le  temps  de  ré- 
pondre à  votre  expédition  du  2  de  ce  mois  que  j'ai  reçue 
la  nuit  passée.  M.  de  Courten^  est  arrivé  en  même  temps. 
Bien  n'est  mieux  que  le  pian  que  vous  avez  envoyé  d'une 
nouvelle  convention  du  siège  de  Magdebourg  et  de  l'entretien 
des  Saxons.  Toutes  ces  affaires  passeront  par  vos  mains, 
et  je  saurai  bien  empêcher  que  M.  de  Starhemberg  n'en 
soit  jaloux  ni  inquiet..  Arrangez-vous  sur  ce  pied-là,  et 
préparez  les  matières  et  les  moyens  par  avance.  Je  vous 
renverrai  votre  courrier  dans  trois  jours;  il  faut  ce  temps 
pour  discuter  et  s'entendre  ici.  Je  vous  dirai  eu  confi- 
dence qu'on  vous  envoie  Crémille  aux  armées  de  Riche- 
lieu  et   de    Soubise    pour  l'établissement   des    quartiers 

I  Chrétien- s igisDiond,  baron  de  Glaubitz,  né  en  1711,  parti  arec  M.  de 
Gribeauval  pour  Tartnce  du  maréchal  Daun,  revenu  à  Vienne  le  8  juin, 
reçoit  le  15  de  l'Impératrice  une  bague  de  brillants.  Il  meurt  en  1765  lieu- 
tenant général,  inspecteur  des  iles  et  redoutes  du  Rhiu  et  chevalier  du 
Mérite  militaire  (son  portrait  dans  Armoriai  tT Alsace,  t.  II,  p.  207). 

3  Jean-Baptiste  Vaquettc  de  Gribeauval,  né  à  Amiens  le  15  septembre 
1715 ,  mort  le  9  mai  1789 ,  passa  ù  ce  moment  (1757),  au  service  d'Au- 
triche. On  sait  que  Gribeauval,  lieutenant-colonel  au  service  de  France, 
parvint  par  ses  services  au  grade  de  feld-maréchal-lieutenant  en  Autriche, 
que,  sur  l'invitation  de  Ghoiscul,  il  rentra  en  France  en  1763  et  fut  nommé 
successivement  maréchal  de  camp,  lieutenant  général,  inspecteur  général 
de  l'artillerie,  grand'croix  de  Saint-Louis  et  gouverneur  de  l'Arsenal. 

3  9  octobre  1757. 

^  Le  comte  de  Gourten ,  lieutenant  général  des  armées  du  Roi ,  avait  été 
envoyé  à  Vienne  pour  y  porter  la  nouvelle  de  la  victoire  d'Hastembeck. 
La  première  lettre  qu'il  adresse  de  Vienne  est  du  10  août.  Il  est  arrivé  la 
veille.  Il  repart  le  28  septembre.  Ge  comte  Maurice  de  Gourten ,  entré  au 
service  de  France  comme  cadet  au  régiment  de  Gourten  en  1706 ,  lieute- 
nant général  en  1748,  grand-croix  de  Saint-Louis  en  1757,  mourut  en  1766. 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE   BERNIS.  129 

d'hiver  et  pour  mille  autres  arrangements  pour  lesquels 
on  a  besoin  d'un  homme  qui  voie  bien  et  qui  lève  les 
difficultés  et  sache  y  répondre;  je  vous  confie  de  même 
que  l'intention  du  Roi  est  que  M.  de  Richelieu  reste  à 
l'armée  pour  empêcher  la  billebaude  dans  le  cas  où,  cet 
hiver,  le  roi  de  Prusse  attaquerait  nos  quartiers.  Vous 
n'avez  pas  bien  compris  M.  d'Havrincourt  si  vous  avez 
pensé  que  les  Suédois  veulent  marcher  à  Berlin  sans  s'être 
assurés  de  notre  secours  et  de  notre  concours;  l'un  et 
l'autre  seraient  bien  placés  s'ils  étaient  possibles.  Nous 
avons  laissé  M.  de  Richelieu  le  maître  d'y  pourvoir  en  lui 
faisant  sentir  la  conséquence,  mais  sans  lui  donner 
d'ordre  positif  sur  une  matière  si  délicate,  et  qu'il  est  im- 
possible d'arranger  d'après  les  cartes.  M.  de  Courten  se 
loue  beaucoup  de  l'accueil  qu'on  lui  a  fait  à  Vienne  ;  il  a 
été  bien  reçu  ici.  Pour  vous,  mon  cher  comte,  vous  me 
tranquillisez  infiniment  où  vous  êtes;  soyez  toujours  pa- 
tient et  mattre  de  vous;  tout  ira  bien,  puisque  les  Anglais 
ont  dépensé  trente  millions  pour  ne  pas  brûler  Rochefort. 
A  l'égard  des  négociations  de  la  Hesse  et  de  Saxe-Gotha, 
je  les  ai  renvoyées  à  M.  de  Richelieu  en  lui  donnant  pour 
modèle  la  capitulation  de  Brunswick  qui,  comme  vous 
savez,  est  très-bien  faite.  Adieu,  mon  cher  comte;  je  suis 
si  pressé  que  je  ne  sais  ce  que  j'écris;  mais  je  sais  bien 
que  je  vous  aime  de  tout  mon  cœur.  Dites  mille  choses 
pour  moi  à  M.  de  Kaunitz.  Je  compte  sur  son  amitié,  ou 
du  moins  j'y  vise,  et  je  la  désire  infiniment. 

Ce  17  octobre. 

Je  n'ai  pas  le  temps,  mon  cher  comte,  de  vous  écrire 
aujourd'hui.  Premièrement,  je  boude  de  ce  que  vous  ne 
m'écrivez  plus  qu'en  style  de  chancellerie,  et  puis  je  suis 
II.  9 


130  LETTRES 

pressé  de  dépêcher  mon  courrier.  Nous  avons  M.  Berryer 
et  M.  Gilbert'  pour  nous  éclairer  sur  les  formes;  quant  à 
moi,  je  prétends  que  la  bonne  méthode  pour  finir  les 
affaires  du  clergé  et  du  Parlement,  c'est  d*écarter  les  fonds 
et  les  formes.  Ces  affaires-là  ne  finissent  jamais  qu'en 
cessant  de  les  traiter.  La  cachoterie  de  M.  de  Kaunitz  ne 
doit  pas  vous  étonner.  Il  y  a  toujours  eu  du  ménagement 
pour  l'Angleterre;  mais  dès  qu'on  voit  ces  choses-là,  elles 
ne  sont  pas  dangereuses.  Je  vous  embrasse  et  vous  aime 
de  tout  mon  cœur. 

Versailles^  ce  24  octobre. 

Ne  soyez  pas  en  peine,  mon  cher  comte,  de  M.  vptre 
frère  ;  je  vous  confie  sous  le  sceau  du  secret  que  M.  Tévê- 
que  de  Digne  lui  destine  l'évéché  de  Laon  à  la  mort  du 
cardinal  de  Tavannes,  qui  n'ira  pas  bien  loiq^.  Il  compte 
alors  proposer  M.  de  Rochechouart  pour  Rouen.  A 
l'égard  d'Orléans,  l'évéque  de  Digne  a  d'excellentes  rai- 
sons pour  ne  pas  proposer  M.  l'abbé  de  Choiseul  pour.  le 
remplir.  Ne  voyez  point  noir,  mon  cher  comte,  pour  ce  qui 
vous  regarde;  vous  avez  pour  vous  la  naissance,  le  mérite, 
les  services,  et  des  amis  sincères.  M.  de  Kaunitz  m'a 
communiqué  le  mémoire  du  ministre  de  Hanovre  par 
M.  de  Starhemberg.  Ne  soyez  pas  étonné  de  cette  mé-  • 
thode  :  elle  est  assez  familière  à  toutes  les  cours.  Au  reste, 
je  puis  vous  assurer  que  jusqu'à  présent  nous  n'avons  pas 
à  nous  défier  de  sa  bonne  foi  ;  nous  pouvons  nous  mettre 
en  garde  sur  quelques  principes  politiques  (reste  des  an- 
ciens  préjuges)  ;  mais  en  les  combattant,  ou  en  les  écar- 
tant avec  douceur  et  sagesse,  nous  en  viendrons  à  bout 

1  Gilbert  de  Voysins ,  nommé  au  conseil  des  dépêches  le  16 ,  en  même 
temps  que  Berryer. 

S  Voir  aux  Mémoires ,  t.  II,  p.  59  et  p.  91,  note. 


DE  L'ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  131 

fort  aisément.  Je  vois  la  campagne  finie  infructueusement; 
nos  troupes  sont  sur  les  dents,  sans  subsistances,  sans 
souliers,  sans  habits,  sans  tentes,  et  la  saison  rend  désor* 
mais  la  guerre  impossible.  Le  grand  point  aujourd'hui 
(après  les   fautes  que  nous  avons  faites  respectivement 
dans  le  militaire) ,  c'est  de  conserver  des  armées  au  prin- 
temps; sans  quoi,  le  vaincu  donnera  la  loi  au  vainqueur. 
M.  de  Richelieu  va  la  recevoir  tout  à  l'heure  du  land- 
grave de  Hesse  secondé  du  Danemark.    Les  auxiliaires 
de  Hanovre  ont  menacé  de  rompre  la  capitulation,  si  Ton 
s'obstinait  à  les  désarmer;  et  M.  de  Richelieu,  pour  main- 
tenir une  armée  encore  toute  rassemblée  à  Stade,  n'y  a 
laissé  que  six  bataillons  qui  puissent  se  réunir;  en  sorte 
que,  toutes  réflexions  faites,  et  de  peur  de  nous  laisser 
couper  nos  derrières,  le  Roi  a  permis  à  son  général  de 
s'en  tirer  comme  il  pourra,  et  avec  le  moins  de  honte 
possible.  Vous  croyez  bien  que  je  souffre  le  martyre  dans 
le  fond  de  mon  âme;  mais  que  faire  quand  un  général 
mande  qu'il  est  effrayé  des  suite^  que  pourrait  avoir  la 
rupture  de  la  capitulation?  J'ai  fait  ce  qui  a  dépendu  de 
moi,  qui  est  de  ne  pas  permettre  que  l'armée  de  M.  de 
Gumberland  se  retirât  dans  le  Holstein,  chose  à  laquelle 
M.  de  Richelieu,   qui  n'est  pas  bon  politique,   inclinait 
beaucoup;  au  reste,  il  a  fait  verbalement  la  réponse  que  je 
lui  avais  dictée,  à  l'envoyé  du  roi  de  Prusse.  Je  me  ser- 
virai de  l'expédient  que  vous  me  proposez  pour  l'infante 
Isabelle.  J'ignore  où  l'on  en  est  eii  Silésie;  mais  je  m'en 
doute;  la  guerre  était  finie  si  l'on  avait  chassé  le  roi  de 
Prusse  de  la  Saxe  cette  campagne.  Dieu  veuille  que  les 
deux  cours  ne  se  repentent  pas  des  fautes  de  leurs  géné- 
raux. Je  commence  à  faire  sentir  au  Danemark  qu'il  ne 
nous  convient  pas  qu'il  se  mêle  si  fort  de  nos  affaires.  Je 
prends  des  mesures  pour  instruire  l'impératrice  de  Russie 


130 


,  ,     , .  ^  ,  er  la  Suéde;  mais  il  faut 

presse  de  dëpécber  m  *      »      i        ,     , 

*,    r,.iL  ^1  ^^  9"""  '«eu  de  cher 

et  M.  Gilbert'  pour  ,  ^ 

^,     j    .    ^  tes,  elle  sente  qu  • 

moi,  le  prétends .   $  •    *  i»  i   .. 

^  .       /    j          t  est  d  abattre 

afiaires  du  dêrp .  ,  . 

}  le  pas  lu- 
et  les  formes- 

cessant  de  1  ' 

doit  pas  T 

pour  r> 


JEnro- 
e 

.OUS    h 


ne  80 


61  cela  s'alloiîfje. 


.    ^  .lie,  à  ce  que  j'espère,  nioit 


.4  vous. 


.,  envoie  une  lettre  de  l'Infante  que  j'ouvris, 
ni  qu'elle  m'était  adressée.  J'envoie  M.  Ménager*  à 
I -^lée  russe,  et  M.  de  Vitinkof  à  Pétersbourg\ 


Ce  i**"  novembre. 

Si  l'on  n'y  prend  garde,  mon  cher  comte,  notre  grande 
niachine  se  détraquera.  M.  de  Riclielieu  a  de  mauvais 
conseils.  On  m'a  averti  que  Maillebois  le  menait  par  le 
nez ,  et  que  ledit  Maillebois  ne  voulait  pas  que  le  roi  de 
Prusse  cessât  d'être  notre  allié.  La  convention  d'Hal- 
berstadt  est  une  faute  grossière  de  politique  qu'un  enfant 
de  quinze  jours  n'aurait  pas  faite.  Le  bruit  court  déjà  que 

1  Sulun  Osman  Khan  III,  monte  sur  le  trône  le  22  safer  1168  (13  dé- 
cembre 1754),  à  la  mort  de  sultan  Mahmoud  Khan  I<<^,  son  frère,  et  meurt 
le  15  safer  1 171  (20  octobre  1757),  à  l'âge  de  cinquante-sept  ans,  et  après 
un  règne  de  trois  ans. 

S  Le  Baillif  de  Ménager,  neveu  ou  fils  de  Nicolas  Ménager,  plénipoten- 
tiaire du  Roi  pour  la  paix  d'Utrecht,  était,  suivant  Luynes  (XVI,  172), 
capitaine  de  cavalerie.  Il  fut  fait  en  1762  brigadier  de  cavalerie,  nommé 
en  1764,  suivant  la  Gazette  de  France,  gouverneur  de  File  de  Gorée,  et 
monrat  probablement  en  1771. 

S  Michel,  baron  de  Vietinghof,  maréchal  de  camp  en  1789,  avait  été 
anCcrieorrment  colonel  du  régiment  de  Royal-Bavière.  Il  jouissait  d'une 
pension  de  12,000  livres  en  récompense  de  set  services.  Vietinghof  avait 


i3î  LETTRES 

de  ce  qui  se  passe,  et  pour  fortifier  la  Suède  ;  mais  il  faut 
que  la  cour  de  Vienne  nous  aide,  et  qu'au  lieu  de  cher- 
cher à  faire  toujours  de  bons  marchés,  elle  sente  qu'il  n'y 
en  a  qu'un  seul  qui  soit  fort  bon,  c'est  d'abattre  promp- 
tement  un  ennemi  redoutable  et  de  ne  pas  lui  donner  le 
temps  de  trouver  de  l'existence  en  Europe.  Le  Grand 
Seigneur  est  assez  malade';  ce  serait  encore  un  g^^pd 
événement.  Tout  est  pour  nous  si  nous  finissons  promp- 
tement,  tout  est  contre  nous  si  cela  s'allonge.  Vous  con- 
naissez, mon  cher  comte,  à  ce  que  j'espère,  mon  tendre 
attachement  pour  vous. 

Je  vous  envoie  une  lettre  de  l'Infante  que  j'ouvris, 
croyant  qu'elle  m'était  adressée.  J'envoie  M.  Ménager*  à 
l'armée  russe,  et  M.  de  Vitinkof  à  Pétersbourg*. 

Ce  i*^  noyembre. 

Si  l'on  n'y  prend  garde,  mon  cher  comte,  notre  grande 
machine  se  détraquera.  M.  de  Richelieu  a  de  mauvais 
conseils.  On  m'a  averti  que  Maillehois  le  menait  par  le 
nez,  et  que  ledit  Maillebois  ne  voulait  pas  que  le  roi  de 
Prusse  cessât  d'être  notre  allié.  La  convention  d'Hal- 
berstadt  est  une  faute  grossière  de  politique  qu'un  enfaut 
de  quinze  jours  n'aurait  pas  faite.  Le  bruit  court  déjà  que 

^  Sultan  Osman  Khan  III,  monte  sur  le  trône  le  22  safer  1168  (13  dé- 
cembre 1754),  à  la  mort  de  sultan  Mahmoud  Khan  I^^^  son  frère,  et  meurt 
le  15  saFer  1171  (29  octobre  1757),  à  l'âge  de  cinquante-sept  ans,  et  après 
un  règne  de  trois  ans. 

2  Le  Baillif  de  Ménager,  nc^eu  ou  fils  de  Nicolas  Ménager,  plénipoten- 
tiaire du  Roi  pour  la  paix  d'Utrecht,  était,  suivant  Luynes  (XVI,  172), 
capitaine  de  cavalerie.  Il  fut  fait  en  1762  brigadier  de  cavalerie,  nommé 
en  1764,  suivant  la  Gazette  de  France,  gouverneur  de  File  de  Corée,  et 
mourut  probablement  en  1771. 

^  Michel,  baron  de  Vietinghof,  maréchal  de  camp  en  1789,  avait  été 
antérieurement  colonel  du  régiment  de  Royal-Bavière.  Il  jouissait  d'une 
pension  de  12,000  livres  en  récompense  de  ses  services.  Vietinghof  avait 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  133 

nous  avons  signé  un  armistice  avec  le  roi  de  Prusse  ^ 
Il  faut  la  patience  d'un  ange  pour  ne  pas  jeter  son  bonnet 
par-dessus  les  moulitis.  M.  de  Munckauzen  est  parti  pour 
Stade'.  Je  ne  serais  pas  étonné  que  la  belle  convention  de 
M.  de  Richelieu  ne  s'en  allât  en  fumée.  Les  Danois  pré- 
parent déjà  des  quartiers  pour  les  Hessois.  Il  est  arrivé 
des  dragons  et  des  hussards  à  Rinsfeld  sur  le  Rhin.  Rien 
ne  serait  plus  pressé  que  d'avoir  let  troupes  dé  Hesse; 
mais  nous  ne  pouvons  pas  tout  payer  à  la  fois  ;  c'est  avec 
grand 'peine  que  nous  nous  acquitterons  du  subside  stipulé 
en  faveur  de  la  cour  de  Vienne.  Nous  avons  soixante  mille 
hommes,  tant  de  nos  propres  troupes  que  d'auxiliaires, 
de  plus  que  nous  n'y  étions  engagés.  Si  nous  traitons  rie- 
à-ric  et  si,  dans  cette  affaire,  nous  ne  nous  regardons  pas, 
la  cour  de  Vienne  et  nous,  comme  les  enfants  de  la  même 
femille  qui  soutenons  le  même  procès,  tout  sera  perdu 
avec  le  plus  beau  jeu  du  monde.  Si  j'étais  le  maître,*  je  ne 
ferais  guère  de  compliments  et  j'enverrais  des  ordres,  et  je 
révoquerais  immédiatement  ceux  qui  les  transgresseraient. 
M.  de  Broglie  fait  le  despote  à  Varsovie  comme  il  le  fera 
partout  ailleurs.  Je  lui  ai  écrit  si  clair  que,  s'il  ne  veut  pas 
m'entendre,  il  faudra  qu'il  revienne  poUtiquer  aux  Tuile- 
ries. Au  surplus,  l'indiscipline  de  nos  troupes,  l'avarice  sor- 
dide de  nos  généraux  et  leur  âpreté  insatiable  indisposent 
tout  l'Empire  contre  nous.  On  n'observe  aucune  forme 
avec  les  villes  impériales,  et  nous  déshonorons  le  nom 
français,  et  nous  mourrons  de  faim  par  l'accumulation  de 

été  chargé  de  suivre  les  opérations  da  maréchal  Apraxin.  Il  allait  en  rendre 
compte  à  M.  de  l'Hospiul  à  Saint-Pétersbourg. 

>  Voir  Mémoires,  t.  I,  p.  401. 

'  Gerlach- Adolf ,  baron  de  Munchaosen ,  né  en  1688 ,  mort  en  1770, 
ministre  dirigeant  de  l'électeur  de  Hanovre,  roi  d'Angleterre,  pour  les  affaires 
de  l'électorat.  Ce  fut  lui  qui  apporta  Tordre  de  rupture  de  la  convention 
de  Gloster. 


13*  LETTRES 

nos  propres  vols.  Je  vous  assure  que  j'ai  le  cœur  navre  de 
honte  et  de  la  douleur  la  plus  amèra.  Les  nouvelles  de 
Hollande  disent  que  M.  Yorke  a  reçu  par  un  courrier  l'avis 
que  Timpératrice  de  Russie  était  tombée  en  apoplexie, 
et  qu'on  n'avait  pu  lui  tirer  une  goutte,  de  sang.  J'espère 
que  cette  nouvelle  sera  fausse;  mais  la  Russie,  outre  son 
mauvais  gouvernement  et  la  corruption  de  ses  ministres, 
va  devenir  furieusement  embarrassante,  si  elle  demande 
des  avantages  de  territoire.  La  cour  de  Vienne  n'a  pas 
senti  combien  a  été  lourde  la  faute  de  lui  laisser  des  espé- 
rances à  cet  égard,  qui  se  sont  converties  en  engagements 
formels.  L'envie  d'aller  à  son  but  lui  a  masqué  et  déguisé 
bien  des  choses  ;  mais  il  ne  faut  pas  se  reprocher  respec- 
tivement ses  fautes ,  il  faut  les  réparer.  M.  de  Richelieu  va 
revenir  ici;  d'un  côté  c'est  un  bien,  car  on  ne  pouvait 
plus  tenir  à  ses  dissertations.  Toujours  des  embarque- 
ments peu  réfléchis,  et  puis  ^es  plaintes  et  des  justifica- 
tions. D'un  autre  côté,  l'urchevéque  de  Paris  nous  me- 
nace de  sa  barre  de  fer,  et  le  Parlement,  aussi  inflexible 
que  lui,  nous  (ait  trembler,  s'il  arrive  des  cas.  Un  système 
de  ménagement  est  bien  difficile  quand  personne  n'est 
craint  et  que  tout  le  monde  a  à  peu  près  le  même  crédit; 
en  un  mot,  telle  est  notre  situation  ;  elle  ne  changera  pas. 
Je  tâche  d'en  tirer  le  meilleur  parti  que  je  puis,  mais  je 
vous  assure,  mon  cher  comte,  qu'il  faut  un  grand  fonds 
de  patience  et  de  courage.  Je  n'ai  pas  trouvé  sous  ma 
main  le  courrier  de  M,  de  Broglie;  je  vous  envoie 
ses  dépêches  que  vous  lui  ferez  passer  par  un  courrier. 

Versailles,  ce  8  novembre  1757. 

Je  suis  enchanté  de  vous,  mon  cher  comte,  et  très-aise 
que  vous  ayez  lieu  d'être  content  de  la  bonne  foi  et  de  la 


DE  I/ABBÉ   COMTE  DE   BERNIS.  135 

noblesse  que  l'Impératrice  et  M.  le  comte  de  Kaunitz  ont^ 
mises  dans  l'arrangement  que  vous  venez  de  prendre  avec 
eux ,  et  auquel  j'espère  que  vous  donnerez  bientôt  le  der- 
nier degré  de  consistance  et  de  solidité.  J'ai  senti  tout  le 
mérite  et  toutes  les  conséquences  de  cette  opération ,  et 
vous  pouvez  être  assuré  que  je  l'ai  fait  valoir  avec  le  zèle 
le  plus  vrai  et  la  satisfaction  la  plus  sincère.  M.  de  Sou- 
bise  a  reçu  les  ordres  de  passer  la  Sala  quand  il  avait  l'es- 
pérance de  faire  quelque  opération  glorieuse  (car  je  ne 
vois  pas  qu'il  en  êùt  pu  iaire  d'utile ,  n'étant  pas  en  état 
dé  iaire  un  siège,  et  les  mesures  que  vous  avez  prises  pour 
lui  faire  avoir  des  farines,  de  l'avoine  et  de  l'artillerie, 
devant  toujours  emporter  plus  de  temps  qu'on  ne  croyait). 
Par  conséquent,  il  est  fort  douteux  que  M.  de  Soubise  eût 
été  en  état  de  faire  le  siège  de  Torgau  ou  de  Dresde  cette 
campagne;  j'oserais  même  dire  que   le   contraire   était 
presque  certain.  Mais  je  n'en  suis  pas  moins  fâché,  entre 
nous,  qu'on  ne  lui  ait  pas  envoyé  des  ordres  plus  condi- 
tionnels et  plus  mesurés  aux  circonstances  possibles  qu'on 
ne  saurait  prévoir  de  si  loin.  Cette  retraite  de  M.  de  Sou- 
bise, jointe  aux  bruits  du  projet  de  convention  de  neutralité 
pour  Halberstadt  que  le  Roi  (de  Prusse)  a  fait  passer  dans 
toute  TEiirope  pour  un  vrai  traité  avec  la  France,  ont  tel- 
lement fortifié  ce  bruit  et  ce  soupçon  que  les  Suédois  et  les 
Saxons  en  ont  été  aux  plus  vives  alarmes,  et  que  nos  ennemis 
cachés  en  ont  ri  aux  anges.  Voilà  ce  que  c'est  que^d'avoir 
oublié,  étant  général  d'armée,  les  principes  qu'on  a  dû 
avoir  étant  ambassadeur.   La  médiation  du  Danemark, 
dans  la  convention  du  8  septembre,  nous  a  attiré  des  pro- 
positions de  cette  cour  par  rapport  à  la  médiation  de  la  paix 
avec  l'Angleterre;  c'est  ainsi  qu'on  monte  les  échelons. 
Mais  j'ai ,  Dieu  merci ,  écarté  cette  insinuation  (de  manière 
à  ne  pas  déplaire  et  cependant  à  ne  pas  y  revenir),  par  la 


130  LETTRES 

confidence  que  j'ai  faite  des  bons  offices  de  FI 
offerts  dès  l'annëe  passée  pour  le  même  objet.  Le 
mark  commençait  à  nous  faire  des  reproches  sur  nos 
soupçons  injurieux;  les  traites  de  subsides  avecla  Hcsse 
et  Brunswick  vont  remédier  à  tout,  et  quelque  envie  que 
j*eusse  de  faire  passer  toutes  les  négociations  par  vos 
mains ,  j'ai  cru  ne  devoir  pas  indisposer  davantage  M.  de 
Richelieu,  qui  ne  m'a  jamais  entendu  ou  qui  a  touîoiirs 
foit  semblant  de  ne  pas  m'entendre  dans  tout  ce  qui  a  r^ 
port  au  politique  ;  il  avait  été  un  peu  jaloux  de  la  m^o- 
ciation  de  Brunswick.  Le  bien  de  la  paix  m'a  détc 
d'autant  plus  aisément  en  sa  faveur  que  nous  n'a 
jamais  fini,  et  que  M.  de  Richelieu  n'aurait  jamais  iki 
content  des  conditions  d'un  traité  qu'il  n'aurait  pas  fait 
Il  aurait  vu  en  tout  et  partout  le  dessein  formel  de  d^^ra- 
der  l'ouvrage  du  8  septembre.  De  deux  maux,  j*ai  tàtkt 
d'éviter  le  pire.  Ah!  mon  cher  comte,  que  l'argeat  hà 
faire  de  vilaines  choses  !  M.  de  Richelieu  a  vu  un  i 
du  roi  de  Prusse  qui  est  impliqué  dans  l'aflfaire  du  ( 
de  Neuwied  '  ;  il  ne  l'a  pas  fait  arrêter,  quoiqu'il  soit  y 
à  son  armée  sous  un  faux  passe-port;  tout  cela  doni 
tière  ii  des  soupçons  faux,  à  ce  que  je  crois,  ma 
blables;  il  me  faudra  écrire  des  volumes  pour 
toutes  les  chimères.  M.  de  Richelieu  a  trouvé  FI 
qu'on  croyait  son  secrétaire ,  et  qui  avait  proposé  la  pra- 
cipauté  de  Neuchâtel  pour  madame  de  Pompadoor.  3has 
lui  mandons  de  nous  l'envoyer  à  la  Bastille. 

On  ne  peut  pas  en  avoir  agi  avec  plus  de  bonne  fai  qai 
j'ai  fait  avec  M.  de  Richelieu;  cependant  je  lis  sur  levis^ 
de  madame  de  Lauraguais'  qu'il  n'est  pas  content  es 

^  Cf.  Sui'LAViK,  Mémoires  de  Richelieu  y  dépèche  de  Ckotoc^  u  wm- 
réclial,  t.  IX,  |>.  212.  Ce  Dalby  dont  il  est  question  plus  luai. 

*^  Diane- Adélaïde  de  Mailly,  née  en  1714,  épouse  le  19  JMiiu  fX 


DE   L'ABBE   COMTE  DE  BERNIS.  187 

moi.  Mais,  en  un  mot,  je  ne  puis  pas  sacrifier  à  des  com- 
plaisances les  plus  importantes  affaires  de  l'État.  Madame 
la  Dauphine  est  aux  larmes  de  n'avoir  plus  Tespérance  de 
voir  son  pays  délivré  cet  hiver.  Les  Suédois  craignent 
d'être  la  gaufre  '  de  tout  ceci ,  tant  un  ennemi  actif  et 
adroit  est  redoutable ,  même  lorsqu'il  est  lui-même  le  plus 
embarrassé  I  Pour  la  Russie,  on  ne  peut  douter  qu'elle  ne 
soit  menée  par  des  fripons;  et  si  au  lieu  de  donner  de 
l'argent,  qui  est  un  moyen  honteux  inventé  par  l'Angle- 
terre, et  qui  n'assure  de  rien ,  parce  qu'il  corrompt  le  cœur 
qu'il  a  gagné ,  l'Impératrice  prenait  son  parti  de  détruire 
M.  de  Bestuchef  (qui  l'a  bien  servie  autrefois  et  qu'elle 
veut  peut-être  conserver  pour  l'avenir) ,  elle  en  viendrait 
à  bout  en  se  concertant  avec  le  Roi  sur  une  lettre  que  l'une 
et  l'autre  écriraient  de  leur  propre  main  à  l'impératrice  de 
Russie ,  laquelle  pense  bien ,  mais  qui  est  faible  et  d'ha- 
bitude ;  on  trouverait  par  là  le  moyen  de  faire  chasser  un 
ministre  suspect ,  ou  de  le  contenir  tellement  qu'il  n'o^ 
rait,  de  longtemps  au  moins,  trahir  son  devoir.  Si  l'on  ne 
prend  pas  ce  parti,  il  n'y  en  a  point  d'autre  que  de  se 
contenter  d'ufo  concours  faible,  et  d'être  content  que  la 
Russie  ne  soit  pas  contre  nous.  Il  y  aurait  beaucoup  de 
danger  de  l'abandonner  tout  à  fait  à  la  corruption  de  ses 
ministres  et  de  ses  généraux. 

J'ai  lâché,  et  l'Infante  aussi,  à  M.  de  Starhemberg  le 
mot  sur  l'infant  don  Louis  ';  l'occasion  s'en  est  présentée 


Louis  de  Brancas,  dac  de  Lauraguais.  Voir  sur  elle  Vie  privée  du  maréchal 
de  Richelieu  y  t.  II,  passim. 

1  Gaufre  :  être  la  gaufre  dans  une  affaire,  se  trouver  aplad  entre  les 
deux  partis,  comme  la  gaufre  entre  deux  fers.  (Dictionnaire  de  Trévoux.) 

^  Don  Louis- Antoine- Jacques ,  infant  d*Espagne,  né  le  25  juillet  1727, 
nommé  en  1137  archevêque  de  Tolède,  créé  cardinal  le  29  décembre  de  la 
même  année,  se  démet  en  1754,  se  marie  avec  Marie  de  Villabriga  et  meurt 


IM  LETTRES 

natnreUeiiient  ;  ii  n'a  pas  paru  y  faire  grande  attention; 
mais  je  vous  avertis  que  la  reine  d'Espagne  ne  va  pas  bien, 
et  que  le  roi  d'Espagne  parait  un  peu  las  du  rôle  qu'on 
lai  fiut  jouer.  C'est  un  secret  que  je  vous  confie  pour  vous 
seul.  Je  vous  en  dirai  davantage  à  mesure  que  je  serai* 
plus  convaincu  de  la  réalitë  de  ces  premières  apparences. 
Soyez  aussi  content  de  moi  que  je  le  suis  de  vous  ;  je 
n^aurai  rien  à  désirer. 

Versailles,  le  14  noTembre  1757. 

Jugez ,  mon  cher  comte ,  dans  quel  état  nous  sommes. 
Il  y  a  trois  fois  vingt-quatre  heures  que  nous  savons  que 
M.  de  Soubise  a  attaqué  le  5  l'armée  du  roi  de  Prusse, 
qu'il  a  été  repoussé  depuis  le  commencement  jusqu'à  la 
fin,  avec  perte  de  beaucoup  d'officiers,  sans  savoir  aucun 
autre  détail.  Jugez  de  la  situation  de  notre  armée  et  du 
déchaînement  de  Paris.  M.  de  Soubise  ne  voulait  pas  com- 
battre ;  il  a  tenu  un  conseil  de  guerre ,  et  l'avis  général  l'a 
emporté.  Les  troupes  des  Cercles  se  sont  enfuies,  dit-on, 
et  les  nôtres,  si  sujettes  à  la  terreur  panique,  n'ont  pas 
voulu  mordre.  M.  de  Richelieu  s'est  conduit  en  homme  de 
courage  et  de  tête;  il  a  marché  à  la  rencontre  de  notre 
armée,  et  parait  avoir  prévu  tout  ce  que  le  roi  de  Prusse 
pouvait  entreprendre  contre  lui.  Ainsi,  il  faut  attendre  les 
événements  ;  mais  notre  amie  est  bien  à  plaindre.  LfC  pu- 
blic n'aurait  pardonné  le  commandement  de  M.  de  Sou- 
bue  qu*à  la  faveur  d'une  victoire  ;  le  public  est  injuste,  mais 
il  est  comme  cela.  Vous  savez  ce  qu'on  a  dit  de  ma- 
dame de  Maintenon ,  quand  elle  voulait  toujours  faire  avoir 


^  J77C,  I/înfant  don  Louis,  parliculicrement  <^r  i  U  Reioe  sai 
itjé',t  Vr^nç^i*  de  cœur  et  en  relation  avec  la  France.  Je  ne  reCroaTe  pas 
/f-HM  U  rorrcipondance  officielle  le  fait  auquel  Tabbé  de  Berois  fiùt  io 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  139 

la  reyaDche  à  ses  amis  battus.  Je  crois  qu'il  y  a  de  sérieuses 
réflexions  à  faire  sur  cela,  et  que  M.  de  Soubise,  qui  s  est 
conduit  comme  le  plus  sage  de  tous  les  hommes  avant  ce 
malheureux  moment,  et  comme  un  héros  pendant  la  ba- 
taille, devrait  couronner  toutes  ses  vertus  en  se  conten- 
tant avec  bonne  grâce  de  commander  une  réser>'e  distin- . 
guée  dans  la  grande  armée.  Je  pense  cela  comme  ministre 
et  comme  ami;  il  ne  faut  pas  s'acharner  contre  le  public, 
et  prouver  son  crédit  et  la  vivacité  de  son  amitié  par  une 
constance  qui  ne  ferait  ni  le  bien  des  af&ires ,  ni  celui  de 
son  ami.  Ce  que  je  pense  éviterait  à  M.  de  Soubise  les 
inconvénients  d'un  dégoût,  et  les  contradictions  et  les  im- 
probations  de  tout  l'univers.  Je  compte  en  parler  à  notre 
amie  sur  ce  ton-là ,  et  si  j'étais  à  portée  de  donner  un  con- 
seil à  M.  de  Soubise,  je  lui  donnerais  celui-là.  Vous  croyez 
bien  qu'il  n'est  pas  suspect;  d'ailleurs,  jamais  on  n'accor- 
dera deux  généraux  ensemble.  En  voilà  assez  pour  aujour- 
d'hui, aimez-moi  toujours.  On  n'est  point  découragé  ici; 
j'espère  qu'il  en  sera  autant  où  vous  êtes. 

Je  vous  avertis  que  M.  de  Richelieu  se  plaint  de  n'avoir 
pas  reçu  de  réponse  à  une  lettre  très-honnéte  qu'il  a  écrite 
à  M.  de  Kaunitz;  je  crois  que  vous  devez  en  instruire  ce 
ministre  pour  le  bien  de  sa  chose. 

Ce  22  novembre. 

Nous  avons  été  battus,  mon  cher  comte  :  1"  parce  que 
M.  Revel  '  a  fait  de  mauvaises  dispositions  pour  la  marche; 
2®  parce  qu'en  défilant  au  pied  d'un  coteau  nous  n'avons 


^  François  de  Broglie,  comte  de  Bevel,  brigadier  des  armées  du  Boi, 
colonel  du  régiment  de  Poitou,  maréchal  général  des  logis,  né  en  1720, 
fait  prisonnier  et  mort  .de  ses  blessures  le  5  novembre  1757.  Sa  veuve, 
Anastasie-Jeanne-Thérèse  Savalette,  lui  survécut  à  peine  une  année. 


140  LETTRES 

pas  d*abord  su  nous  rendre  maîtres  des  hantears;  3*  parce 
que  nous  avons  fait  Tare  en  marchant  an  roi  de  Prusse, 
qui ,  pour  venir  à  nous ,  a  fait  la  corde  ;  4*  parce  que  nous 
avons  été  attaqués  avant  d'être  en  bataille;  5*  parce  que, 
depuis  trois  jours,  nos  troupes  n'avaient  presque  pas  mangé 
de  pain  ;  6*  parce  que  notre  infanterie  n'avait  pas  encore 
tire  un  coup  de  fusil  ;  7*  parce  qu'elle  est  très-mal  disci- 
plinée ;  8*  parce  que  le  roi  de  Prusse  a  tons  les  avantages 
contraires,  et  qu*il  y  joint  ceux  du  terrain,  de  la  bonne 
disposition,  de  la  ruse  et  de  la  diligence.  Excepté  la  < 
lerie,  rien  n'a  combattu,  et  tout  a  fui  :  la  nuit  a 
l'armée.  1*  A  deux  heures  après  nlidi ,  le  5 ,  et  déjà  en 
marche ,  on  a  fait  halte  pour  tenir  un  conseil  où  les  aris 
ont  été  partagés.  Ce  prélude  annonçait  la  perte  de  la  ba- 
taille ;  mais  je  vous  prie  de  me  dire  qu'est-ce  qu'il  senût 
arrivé  si  nous  l'avions  gagnée.  Comment  peut-on  gagner 
une  bataille  complète  quand  elle  commence  à  cinq  heures 
du  soir  au  mois  de  novembre?  Nous  aurioos  gagné  le 
champ  de  bataille,  et  puis  voilà  tout.  Dès  que  nous  n'a- 
vions pas  de  magasins  pour  aller  en  avant,  ni  d'artillerie 
pour  faire  des  sièges,  il  fallait  toujours  revenir  prendre 
des  quartiers  d'hiver  bien  loin,  puisque  M.  de  Ridieliea 
n'avait  pas  voulu  occuper  en  force  Halberstadt  et  Berne- 
bourg;  la  pointe  en  avant  était  bien  dangereuse  et  très- 
inutile,  car  il  ne  faut  pas  travailler  pour  la  gazette,  ilfimt 
opérer  pour  l'histoire.  Au  reste,  M.  de  Soubise  est,  comme 
vous  croyez  bien,  déchiré  de  tout  le  public,  qui  n*avut 
pas  approuvé  qu'il  commandât  une  armée ,  et  qui  dcpois 
deux  mois  annonçait  sa  défaite;  par  contre-coup,  notre 
armée  est  mise  en  pièces.  Cependant,  comine  tout  passe 
ici,  cette  fureur  commence  à  s'éteindre.  On  ne  pouvait 
laisser  l'armée  qui  vient  d'être  battue  à  M.  de  Soubise: 
V  par  le  fait  (car  elle  ne  peut  plus  exister  sans  être  réps- 


DE   L*ABBÉ   COMTE  DE   BERNIS.  141 

rée)  ;  2*  par  le  cri  public ,  qui  fait  quelque  chose  quand  on 
manque  d'argent  et  qu'on  ne  peut  en  avoir  que  par  la 
confiance.  La  bataille  d'Hochstett  a  été  perdue  parce  qu'il 
y  avait  deux  chefs  '  ;  tous  les  malheurs  de  cette  campagne 
sont  la  suite  de  ce  vice  de  jalousie  inné  dans  le  cœur  des 
hommes,  même  de  soixante  ans.  De  plus,  si  nous  n'y  pre- 
nons garde ,  et  si  nous  ne  sommes  pas  rassemblés ,  nous 
serons  chassés  de  l'Allemagne  ;  nous  avons  derrière  nous 
une  armée  qu'on  n'avait  fait  qu'endormir,  et  qu'on  ne 
s'était  pas  donné  le  temps  de  détruire.  Il  est  inconcevable 
que,  malgré  toutes  les  représentations,  on  quitte  Stade 
pour  aller  passer  un  mois  à  Halberstadt,  qu'on  veut  aban- 
donner. Nous  verrons  ce  que  va  devenir  l'épisode  des 
Hanovriens;  mais,  en  attendant,  que  fera  l'armée  au 
printemps?  Elle  a  déjà  mangé  tout  le  pays  qu'elle  occupe, 
et  celui  qu'elle  doit  occuper  sera  mangé;  si  l'on  nerétabht 
pas  la  discipline,  tout  est  perdu. 

S'il  est  permis  aux  généraux  de  faire  à  leur  tète  et  d'ar- 
gumenter perpétuellement  contre  la  cour,  tout  est  perdu 
encore.  Il  faut  un  gouvernement,  et  il  n'y  en  a  pas  plus 
que  par  le  passé.  Actuellement ,  on  craint  que  je  ne  de- 
vienne premier  ministre.  Cette  belle  idée  me  cantonne 
dans  mes  limites,  et  j'en  siiis  aux  jérémiades  auxquelles 
on  est  accoutumé  depuis  longtemps  et  qui  ne  font  plus  de 
sensation;  les  malheurs  mêmes  affligent  et  ne  corrigent 
pas.  Voilà  l'état  des  choses.  Sensible  (et,  si  j'ose  le  dire, 
sensé  comme  je  suis) ,  je  meurs  sur  la  roue,  et  mon  mar- 
tyre est  inutile  à  l'État.  On  a  voulu ,  dès  le  premier  mo- 
ment, détruire  un  ouvrage  qui,  au  mois  de  septembre, 


1  Le  premier  copiste  avait  lu  de  cette  façon ,  mais  le  mot  est  douteux. 
PourUnt  il  est  bien  vrai  que  les  fruiu  de  la  victoire  d'Hochstedt  (21  sep- 
tembre 1703)  furent  perdus  par  la  rivalité  exisUnt  entre  le  maréchal  de 
Villars  et  l'électeur  de  Bavière. 


142  LETTRES 

allait  tout  seul  ;  la  politique  avait  remué  l'Europe ,  et  le 
succès  était  assuré  sans  nos  Fautes  et  nos  brigandages. 
Quand  je  dis  nos  fautes,  j'entends  aussi  parler  de  celles 
de  nos  alliés  ;  car  la  diversion  de  la  Silésie  est  le  principe 
du  mal   et  l'origine   des  pointes   funestes  qui   nous  ont 
perdus.  Il  a  fallu  aller  rapidement  où  les  armées  autri- 
chiennes ne  voulaient  plus  aller  ;  tout  a  été  précipité,  rien 
ne  s'est  fait  en  règle  ni  de  concert  depuis  cette  époque. 
Vous   êtes  plus   heureux  dans  vos   négociations.    Il   ne 
faudra  pas  manquer  de  consulter  l'Espagne,   car  il   y  a 
quelque  symptôme  de  mieux  dans  ce  pays-là;  mais  gare 
que  nos  revers  ne  refroidissent  ces  premières  dispositions, 
sur  lesquelles  il  n'est  pas  temps  encore  de  rien  dire.  M.  de 
Starhemberg  a  reçu  aujourd'hui  son  courrier,  et  ne  m*en 
a  pas  encore  communiqué  le  contenu.   M.  de  Richelieu 
sent  son  cas  véreux  à  Vienne,  et  il  accuse  M.  de  Starhem- 
berg d'en  être  l'auteur,  ce  qui  est  faux.  Pourquoi  chercher 
si  loin  les  causes?  La  convention  d'Halberstadt,  etia  sépa- 
ration de  l'armée  au  moment  où  M.  de  Soubise  marchait, 
sont  les  vrais  principes  des  soupçons  et  des  plaintes.  Mais 
où  nous  rètournerons-nous  pour  en  avoir  un  autre?  Le 
maréchal  de  Belle-Isie  n'a  pas  voulu  servir,  et  puis  résis- 
terait-il trois  mois?  Tout  cela  est  bien  (acheux  et  bien 
difficile  à  parer  et  à  réparer.  Je  me  soulage  en  vous  parlant 
avec  confiance;  mais  je  ne  m'aperçois  pas  que  je  vous 
fois  mal. 

On  n'a  vu  à  la  cour,  dans  la  bataille  perdue,  que  M.  de 
Soubise,  et  point  l'État.  Notre  amie  lui  a  donné  les  preuves 
les  plus  fortes  d'amitié,  et  le  Roi  aussi  ;  elle  a  donné  en 
même  temps  des  preuves  de  sa  raison  et  de  sa  modération, 
et  moi,  de  ma  vérité,  en  disant  ce  que  je  pensais  et  en 
l'écrivant  à  M.  de  Soubise.  J'ai  trop  bonne  opinion  de  lui 
pour  craindre  que  ma  franchise  me  brouille  avec  lui;  vis-à- 


*  DE  I/ABBÉ  COMTE  DE   BERNIS.  143 

vis  d'un  autre,  cela  serait  infaillible;  mais  cette  crainte  ne 
m'aurait  pas  arrêté,  ^l' na  plus  qu  un  moment  à  vivre  na 
plus  rien  à  dissimuler.  Au  reste,  il  m'a  passé  mille  fois 
par  la  tète  de  planter  là  un  champ  d«  bataille  où  l'on  se 
bat  si  mal;  mais  l'honneur  et  la  reconnaissance  me  font 
une  loi  d'y  mourir,  ou  le  premier  ou  le  dernier,  ainsi  que 
le  sort  l'ordonnera.  Soyez  sûr  que  j'ai  toute  ma  tète;  mais 
elle  m'est  fort  inutile,  parce  qu'il  n'y  a  plus  de  ministres 
ni  de  ministère.  Gela  n'est  ni  pis  ni  mieux  qu'avant  votre 
départ,  excepté  que  nous  vivons  bien  tous  ensemble  et 
que  nous  sommes  également  influents  les  uns  comme  les 
autres.  Adieu,  mon  cher  comte;  je  vous  aime  et  vous 
estime  beaucoup. 

Ce  29  noTembre  1757. 

Il  y  a  dix  jours  que  nous  n'avons  reçu  de  nouvelles  de 
M.  de  Richelieu,  mon  cher  comte;  nous  attendons  avec 
impatience  les  suites  des  dispositions  qu'il  a  faites  pour 
ranger  les  Hanovriens  à  leur  devoir.  Nous  ignorons  encore 
si  les  Brunswickois  se  sont  séparés,  ainsi  que  leur  maître 
l'a  promis.  Toute  cette  affaire  est  un  tissu  de  mauvaise 
foi,  d'une  part;  de  duperie,  d'obstination  et  de  mauvaise 
conduite,  de  l'autre.  Si  l'on  ne  remédie  promptement  au 
militaire,  il  perdra  de  fond  en  comble  la  politique.  L'a- 
charnement contre  M.  de  Soubise  subsiste  toujours.  Le 
public  lie  s*accoutume  point  à  la  honte  de  cette  bataille, 
et  les  frondeurs  et  les  ennemis  de  cour  ont  eu  un  trop 
beau  canevas  pour  n'avoir  pas  pris  de  plaisir  à  le  broder. 
On  me  mande  de  Hambourg  que  le  roi  de  Prusse  a 
assemblé  un  grand  nombre  de  bateaux  pour  faire  passer 
par  l'Elbe  un  corps  de  troupes  à  Stade,  aux  ordres  de 
M.  le  prince  Ferdinand  de  Brunswick.  Cette  disposition 
cadre  avec  celle  des  Hanovriens  et  de  leurs  alliés.  M.  le 


144  LETTRES 

prince  de  Hesse  n'a  pas  voulu  encore  Vëpondre  aux  ani- 
mations et  aux  lettres  de  M.  de  Richelieu.  A  Tégard  du 
Danemark,  vous  verrez  par  mes  dépêches  où  nous  en 
sommes.  Quoique  la  cour  de  Vienne,  et  en  particulier 
M.  de  Kaunitz  qui  y  est  intéressé ,  aient  de  la  répugnaace 
à  céder  i'Ost frise ,  il  ne  faut  pas  écarter  trop  vite  cette  idée 
qui,  flattant  le  grand-duc  de  Russie',  donne  aa  Dane- 
mark Tespoir  d'une  conciliation  prochaine  sur  l'échange 
du  Holstein ,  outre  qu'il  y  aura  moyen  de  s'arranger  peut- 
être  d'une  autre  manière.  M.  le  comte  de  Kaunitz  pense 
trop  noblement  pour  ne  pas  sacrifier  quelque  chose  de  ses 
intérêts  a  l'affaire  générale;  il  comprendra  Timportauice 
d'ôter  aux  protestants  un  chef  et  un  protecteur ,  d'écarter 
une  médiation  dangereuse ,  et  d'attirer  insensiblement  le 
Danemark  au  système  commun,  ce  qui  arrivera  infiùlli- 
blement  si ,  en  travaillant  de  bonne  foi  à  l'échange  du 
Holstein ,  on  ne  commence  pas  à  refuser  nettement  ce  qui 
peut  laisser  au  Danemark  l'espoir  fondé  d'y  parvenir.  Cette 
négociation  aura  encore  l'avantage  de  nous  attacher  le 
grand-duc  de  Russie;  mais,  pour  cela,  il  faut  le  tenter  par 
quelque  chose  qui  en  vaille  la  peine.  En  un  mot ,  je  n'ai 
point  dissimulé  au  Danemark  les  difiBcultés  par  rapport  à 
l'Ostfrise ,  soit  parce  que  c'est  un  fief  impérial  sur  lequel 
plusieurs  maisons  ont  des  droits,  soit  parce  que  c*estiui 
gage  entre  les  mains  de  l'Impératrice  des  dédommage- 
ments qu'elle  a  droit  de  prétendre  contre  rinfracteor  de 
la  paix  (la  Saxe  doit  penser  de  même  à  cet  égard) ,  soit 
enfin  parce  que  la  Hollande  peut  regarder  avec  jalousie  b 
possession  de  l'Ostfrise  entre  les  mains  d'un  prince  qui 
doit  être  un  jour  empereur- de  Russie.  Ainsi,  le  Danemark 
ne  peut  que  nous  savoir  beaucoup  de  gré  de  ne  pas  i 

>  Ckarles-Pierre-Ulricli  de  Holstein -G  ottorp,  celui  qui  imi  Pieire  OI. 


DE  L*ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  145 

rebuter  à  la  vue  de  tant  de  difficultés  qu'il  faut  surmonter  ; 
mais  il  ne  nous  croirait  pas  de  bonne  foi  si  nous  ne  pro- 
mettions pas  d'y  faire  tous  nos  efforts.  Au  reste,  vous 
serez  content,  je  crois,  de  l'adresse  que  j'ai  eue  de  faire 
expliquer  la  cour  de  Danemark  sur  le  démembrement  du 
roi  de  Prusse.  J'ai ,  par  ce  moyen ,  un  gage  de  sa  fidélité 
et  la  ressource  de  le  contenir,  si  M.  de  Bemstorf  ne  vou- 
lait pas  marcher  droit  à  l'avenir.  Je  n'en  serai  pas  moins 
attentif  à  éclairer  ses  démarches ,  parce  qu'il  reste  toujours 
quelque  chose  de  louche  dans  les  préparatifs  que  fait  le 
Danemark  et  dans'les  nouvelles  impositions  qu'il  a  établies 
sur  ses  sujets  (sans  une  nécessité  bien  sensible).  INe  com- 
muniquez point  le  mémoire  de  M.  deBernstorf;  je  ne  vous 
le  confie  que  pour  votre  propre  direction.  J'ai  déjà  fait 
sentir  à  M.  de  Starhemberg  combien  il  était  nécessaire  de 
se  prêter  aux  vues  du  Danemark,  à  ne  pas  l'effaroucher, 
à  ne  pas  le  rebuter,  et  à  le  persuader  enfin  de  la  sincérité 
avec  laquelle  nous  travaillons  pour  son  avantage  s'il  veut 
concourir  sincèrement  au  nôtre.  Je  ne  suis  pas  en  peine 
de  l'adresse  que  vous  mettrez  de  votre  côté  dans  les  préli- 
minaires de  cette  affaire ,  sur  laquelle  je  vous  écrirai  plus 
amplement  dans  quelques  jours. 

La  bataille  du  5  et  les  mouvements  des  Hanovriens  ont 
épouvanté  le  duc  de  Mecklembourg;  cependant  M.  de 
Ghampeaux  '  ne  désespère  pas  de  réussir  dans  sa  négocia- 
tion. Je  lui  envoie  quelque  argument  pour  fortifier  ses 
instances.  Le  duc  de  Mecklembourg  se  plaint  de  la  froideur 


1  Leresque  de  Ghampeaux,  suivant  une  pièce  que  j*ai  eue  tous  les  yeux, 
plus  généralement  et  simplement  Ghampeaux,  employé  d*abord  en  Espagne, 
où  il  fut  chargé  de  commissions  secrètes  et  ensuite  chargé  des  affaires  du 
commerce  de  France,  résident  de  France  à  Genève  de  1739  à  dé- 
cembre 1749,  ministre  en  basse  Saxe  de  1750  à  1761.  Il  fit  de  longs 
séjours  en  France  pendant  cet  intervalle  et  travailla  à  divers  traités.  Retiré 
en  1761  avec  4,000  livres  de  pension,  il  mourut  à  Coucy,  près  de  Soissons. 
II.  10 


146  LETTRES 

des  réponses  de  la  cour  Ce  Y.enne.  Il  serait  bien  maladroit 
de  faire  manquer  une  négociation  de  cette  importance  par 
quelque  pédanterie  du  conseil  aulique,  ou  par  la  seule 
jalousie  de  voir  les  princes  protestants  s'unir  plus  étroite- 
ment à  la  France.  Gela  ne  serait  pas  pardonnable  dans  les 
circonstances.  Je  suis  content,  à  cet  égard,  de  la  façon  de 
penser  du  comte  de  Starhemberg. 

L'escadre  de  M.  Dubois  de  la  Motte  '  est  rentrée  à  Brest, 
et  le  Parlement  a  enregistré  de  bonne  grâce,  ce  matin,  sans 
restriction  et  sans  remontrances,  un  édit  portant  création 
de  rentes  viagères  pour  le  capital  de  quarante  millions'.  Où 
en  serions-nous  aujourd'hui  si  je  n'avais  pas  fait  rentrer  le 
Parlement?  Il  faudrait  mettre  la  clef  sous  la  porte  ;  j'en  dis 
de  même,  si  l'on  ne  veut  pas  se  décider  promptement  àfaire 
cesser  le  brigandage  et  l'indiscipline  de  notre  armée,  ei  k 
défaut  de  concert  du  général  avec  la  cour.  Dans  ces  occa- 
sions il  faut  trancher  net,  ou  bien  avertir  ses  alliés  de  faire 
la  paix  ;  tous  les  milieux  entre  ces  deux  partis  ne  mènent 
qu'à  la  destruction  et  à  la  honte.  Je  n'épargne  pas  la  vérité, 
et  je  suis  toute  la  journée  à  l'embouchure  du  canon,  soit 
pour  le  militaire,  soit  pour  nos  affaires  intérieures  du  clergé 
et  du  Parlement.  Si  nous  venons  à  bout  de  l'archevêque, 
tout  sera  pacifié  ;  mais  si  l'on  craint  de  lui  en  imposer,  le 
Parlement  recommencera  plus  vivement  que  jamais.  Je 
vous  enverrai  bientôt  un  mémoire  concernant  les  Suédois. 
Au  reste,  monsieur  le  comte,  je  désire  fort,  après  la  re- 
traite de  M.  de  Soubise,  que  le  prince  Charles  assiège 
dans  toutes  les  formes  le  camp  de  M.  de  Bevern,  et  qu'il 


1  Le  comte  Dubois  de  la  Motte,  garde  de  la  marine  en  1698,  enseigne 
en  1709,  cbef  d'escadre  en  1751,  lieutenant  général  en  1755,  grand-croix 
de  Saint-Louis  en  1757,  vice-amiral  en  1761,  mort  en  1764.  Cette  escadre 
Tenait  de  Louisbourg.  (Voir  Gazette  de  France,  p.  621.) 

2  29  novembre.  Voir  le  détail  de  la  constitution  de  ces  rentes:  Gasette 
de  France,  année  1757,  p.  617. 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  147 

tâche  de  le  déposter.  Pour  nous,  nous  ne  pouvons  nous 
porter  sur  l'Elbe  que  lorsque  nous  serons  obéis  par  le 
général  de  l'année  et  qu'il  aura  fini  avec  les  Hanovriens. 
Si  M.  de  Bevern  était  battu,  il  n'aurait  guère  de  ressource 
dans  sa  retraite  :  c'est  un  coup  de  partie ,  et  la  partie  est 
belle,  si  elle  est  bien  jouée. 

La  coiir  de  Rome  voudrait  bien  entrer  en  négociation 
avec  le  nouvel  ambassadeur  de  Venise.  Pour  moi,  j'ai 
conseillé  qu'on  s'y  refusât  jusqu'à  ce  que  le  Sénat  ait  con- 
senti à  la  suspension;  sans  cela,  il  n'y  a  ni  sûreté  ni 
dignité.  Je  vous  prie  de  tenir  le  même  langage. 

A  l'égard  du  mariage  de  l'infante  Isabelle,  le  duché  de 
Clèves  *  est  bien  peu  de  chose;  c'est  mettre  l'archiduc  à 
l'aumône  de  la  cour  de  Vienne  et  sa  femme  à  celle  de  la 
France,  et  ces  sortes  de  chargeis  sont  toujours  bien  pe- 
santes et  bien  fâcheuses.  Je  laisse  à  part  les  autres  consi- 
dérations politiques.  D'un  autre  côté ,  ne  dira-t-on  rien  à 
l'E^agne  sur  une  affaire  de  famille?  Gela  serait  malhon- 
nête et  dangereux  ;  si  on  lui  parle,  je  conviens  qu'il  faudra 
lui  dire  le  secret  de  la  cour  de  Naples  et  s'exposer  à  des 
tracasseries  d'une  part  ou  de  l'autre ,  soit  qu'on  le  lui  dise 
ou  que  l'on  lui  cache.  Voyez,  distutez  et  arrangez.  Je 
vous  envoie  une  lettre  de  M.  de  Starhemberg  pour  M.  de 
Kaunitz.  Madame  de  Pompadour  se  porte  assez  bien,  et 
moi   aussi.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

M.  le  comte  de  Mailly  *  vient  d'arriver  ;  il  a  permission  du 


^  Dans  le  partage  de  la  Prusse,  on  songeait  à  enlever  à  l'électeur  de 
Brandebourg  le  duché  de  Cièves  pour  le  donner  \  Farchiduc  Joseph,  futur 
époux  (6  octobre  1760)  de  l'infante  Isabelle,  fille  aînée  de  Tinfant  duc  de 
Parme  et  de  Madame  Infante. 

^  Joseph- Augustin ,  comte  de  Mailly,  marquis  d'Haucourt,  lieutenant 
général  du  mois  de  décembre  1748 ,  blessé  et  pris  à  Rosbach ,  échangé  en 
1759.  Il  était  porteur  d*une  lettre  du  prince  Henri  et  entretint  avec  lui 
une  correspondance  pendant  son  séjour  en  France. 

10. 


148  LETTRES 

roi  de  Prusse  de  demeurer  deux  mois  à  Paris.  Le  prince 
Henri  Fa  chargé,  mais  en  génércl,  de  tâcher  de  diminuer 
l'aigreur  et  de  porteries  choses  à  une  heureuse  conciliation. 
Vous  croyez  bien  que  le  roi  de  Prusse  ne  manquera  pas 
de  faire  semer  le  bruit  que  M.  de  Mailly  est  allé  négocier 
une  paix  particulière.  Nous  sommes  d'honnêtes  gens;  on 
.  n'aura  jamais  de  reproches  à  nous  faire  sur  l'article  de  la 
bonne  foi.  Je  ne  sais  si  ma  lettre  sera  lisible ,  ni  intelli- 
gible; je  n'ai  pas  le  temps  de  la  relire,  encore  moins  de 
la  corriger. 

Je  vous  envoie  une  lettre  du  Roi  en  réponse  à  celle  de 
l'Impératrice'.  L'affaire  de  Schweidnitz*  a  remis  le  cœur 
au  ventre  au  public  de  Paris.  Si  M.  le  prince  Charles  peut 
avoir  un  avantage  sur  M.  de  Bevern  en  le  dépostant, 
l'opération  de  l'Elbe  n'en  sera  que  plus  assurée.  Je  viens 
de  recevoir  votre  dépêche  du  19. 

Je  vous  prie  de  vous  informer  dans  le  plus  grand  secret 
si  la  cour  de  Vienne  n'a  point  fait  de  proposition  à  M.  de 
Saint-Germain  pour  l'attirer  à  son  service.  Nous  avons 
quelques  raisons  d'être  inquiets  à  cet  égard. 

Ce  7  décembre  1757. 

Nous  apprîmes  hier,  mon  cher  comte,  la  reddition  de 
Breslau  et  la  prise  de  M.  de  Bevern  '.  Je  ne  crois  pas  que 
ce  général,  qui  n'avait  pu  avoir  des  nouvelles  de  son 
maître  depuis  la  perte  de  la  bataille  du  22  ^,  ait  osé  se  faire 
prendre  exprès  dans  la  vue  de  négocier;  en  tout  cas ,  vous 
avez  de  bons  yeux ,  et  vous  serez  à  portée  de  l'éclairer. 
Votre  dernière  lettre  à  madame  de  Pompadour  n'a  fait 

•  Publiée  par  d*Arnetb  t.  V,  p.  513,  note  371. 
S  Suppl.  à  la  Gazette  du  26  novembre  1757. 

3  Gazette  du  10  décembre. 

*  La  bataille  de  Bretlau. 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  149 

aucun  mauvais  efiet.  Elle  m'en  a  parlé,  et  comme  elle  a 
toujours  l'espérance  et  Tidée  que  M.  de  Soubise  conser- 
vera le  commandement  d'une  armée,  elle  n'est  plus  si  en 
peine.  MM.  de  Mailly  et  de  Castries  ^  sont  ici,  qui  disent 
mille  biens  de  leur  général,  mais  avec  plus  de  zèle  que 
d'adresse;  il  faut  savoir  ser^'ir  ses  amis,  sans  quoi  on  leur 
nuit,  et  l'on  ne  joue  que  le  rôle  de  bas  courtisan  en  déplai- 
sant beaucoup  au  public.  Pour  moi,  depuis  l'entrée  de 
M.  Keith  en  Bohème  et  le  voisin ag[e  des  troupes  de  M.  de 
Soubise  des  frontières  de  ce  royaume ,  je  vais  proposer  d'y 
envoyer  M.  de  Soubise  avec  une  vingtaine  de  bataillons 
(pour  être  aux  ordres  absolus  de  la  cour  de  Vienne),  soit 
pour  défendre  la  Bohème,  soit  pour  se  porter  en  Saxe, 
soit  pour  grossir  l'armée  de  Silésie,  où  le  roi  de  Prusse 
marche  avec  vingt  mille  hommes.    On  nous  saura  gré 
d'avoir  profité  de  la  circonstance  pour  être  de  quelque 
utilité  à  la  cour  de  Vienne  ;  on  ne  nous  accusera  pas  du 
moins  de  n'être  bons  à  rien  dans  une  circonstance  où 
nous  pourrions  nous  emparer  de  la  Saxe  (si  les  mauvaises 
négociations  de  M.  de  Richelieu  ne  nous  avaient  pas  laissé 
des  ennemis  derrière  nous).  Mais  la  plus  forte  de  mes 
raisons  pour  proposer  ce  projet,  c'est  que  par  là  on  lève 
la  pierre  d'achoppement  entre  M.  de  RicheUeu  et  M.  de 
Soubise ,  qui  ne  s'accorderont  jamais ,  et  de  cette  désunion 
naîtra  infailliblement  le  défaut  de  succès  et  de  concert  de 
tous  nos  projets;  M.  de  Soubise  sera  content,  notre  amie 
aussi,  et  le  public  ne  trouvera  pas  mauvais  que,  la  Bohême 
étant  attaquée ,  et  toutes  les  forces  autrichiennes  se  trou- 
vant en  Silésie,  nous  envoyions  le  surplus  des  vingt-quatre 
mille  hommes  stipulés  par  le  traité  de  Versailles,  sous  les 

'  Charles- Eugène-Gabriel  de  la  Croix,  marquis  de  Castries,  blessé  de 
trois  coups  de  sabre  sur  la  tète  et  fait  prisonnier  à  Rosbach ,  né  le  25  fé- 
vrier 1727,  était  maréchal  de  camp  du  10  mai  1748. 


150  LETTRES 

ordres  du  général  qui  a  toujours  dû  les  commander.  Mais 
pour  que  ce  projet  soit  approuvé  des  deux  càtés,  et  pour 
qu'il  soit  utile,  il  n'y  a  pas  un  moment  à  perdre.  C'est  ce 
soir  que  je  dois  en  parler;  ainsi  n'en  dites  mot  encore. 
Les  Suédois,  à  ce  que  m'a  dit  le  baron  de  SchefFer  \  ne 
pourront  augmenter  leur  armée  en  troupes  nationales  que 
de  six  à  sept  mille  hommes  ;  ils  ne  veulent  pas  dégarnir 
leur  pays,  et  ils  ont  raison.  Ainsi,  il  nous  restera  de  la 
marge ,  soit  pour  les  Saxons ,  les  Bavarois  et  les  troupes  de 
Mechlembourg .  Ceci  ne  serait  pas  clair  si  l'explication  ne 
s'en  trouvait  pas  dans  ma  dépêche.  M.  de  Soubise  a  fort 
bien  pris  la  lettre  véridique  que  je  lui  ai  écrite.  Au  reste , 
je  ne  montre  vos  lettres  qu'au  Boi ,  lorsqu'elles  peuvent 
lui  plaire;  à  madame  de  Pompadour,  lorsqu'il  n'y  a  rien 
qui  puisse  l'inquiéter;  à  l'Infante,  lorsqu'il  y  est  question 
d'elle.  N'en  soyez  donc  pas  en  peine,  mop  cher  comte. 
Tout  le  monde  est  en  joie  sur  Breslau,  en  peine  sur  M.  de 
Richelieu  dont  nous  attendons  le  sort.  Je  vous  embrasse 
de  tout  mon  cœur. 

Versailles,  ce  13  décembre. 

Vous  n'aurez  point  de  dépêche  de  moi  aujourd'hui, 
mon  cher  comte;  j'ai  un  courrier  h  vous  renvoyer,  et  je 
profite  de  celui  que  je  dépêche  à  M.  de  Broglie ,  qui  est 
un  officier  polonais ,  pour  vous  dire  un  mot  de  votre  der* 
nière  expédition.  Le  traité  avec  le  duc  de  Mecklembourg 


<  niricli,  baron  de  Scheffer,  cbevalier  de  l'ordre  deTÉpée,  ambassadeur 
du  roi  de  Suède  à  la  cour  de  France,  ne  le  5  août  1716,  a  été  d*abord 
général-adjudant  au  service  de  Suède,  puis  a  eu  en  France  commission  de 
capitaine  à  la  suite  de  Royal-Suédois  (16  avril  1745),  lieutenant-colonel  du 
régiment  de  Fersen  le  l^^**  novembre  même  année,  colonel  en  1747,  quitte 
le  service  en  1751  et  est  nommé  le  8  juin  1752  ministre  plénipotentiaire 
à  la  cour  de  France. 


DE   L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  151 

a  étë  sig[në  le  l*'  de  ce  mois  \  comme  nous  pouvions  le 
désirer;  M.  de  Richelieu  en  a  été  instruit  :  on  lui  livrait 
Dômitz  et  tout  le  pays.  Il  paraissait  depuis  longtemps 
savoir  l'avantage  de  cette  occupation;  cela  ne  l'a  pas  em- 
pêché ,  sur  le  bruit  d'une  prétendue  attaque  de  M.  d'Âr- 
mentières  *  par  deux  gros  corps  prussiens  partant  de  Mag- 
debourg  et  de  la  Sala  (qui  n'existent  point) ,  de  prendre 
son  parti  de  rétrograder  sur  Zell ,  après  avoir  renforcé  de 
six  cents  hommes  les  deux  bataillons  qui  étaient  dans 
Harbourg  sous  les  ordres  de  M.  de  Péruse  ',  lesquels  seront 
prisonniers  de  guerre.  Le  prince  Ferdinand  marchait  à 
lui;  il  n'a  pas  osé  l'attendre,  voilà  le  fait.  Cette  retraite 
ressemble  assez  à  une  fuite;  il  a  laissé  deux  cents  malades 
à  Lunebourg  et  beaucoup  de  magasins.  M.  de  Garaman  * 


1  II  fut  signé  h.  Scbwérin  le  i^'  décembre  par  Cbampeaux  au  nom  de  la 
France,  Ditmar  et  Baisewitz  au  nom  du  duc.  L'article  I^^*^  stipulait  la 
remise  de  la  forteresse  de  Dômitz  entre  les  mains  de  la  France. 

^  Louis  de  Conflans,  marquis  d'Armentières,  né  le  27  février  1711,  lieu» 
tenant  général  des  armées  du  Roi  du  14  octobre  1746,  était  détacbé  depuis 
le  mois  d'octobre  1757  avec  quatre  bataillons  et  seize  escadrons  pour  lever 
des  contributions  dans  le  pays  de  Quedlimbourg. 

3  Gharles-Prosper  Bauyn,  marquis  de  Péreuse,  né  le  5  janvier  1710, 
maréchal  de  camp  du  1*^  janvier  1748,  commandant  dans  Harbourg, 
fut  attaqué  dès  le  mois  de  novembre  1757»  et  ne  capitula  avec  les  honneurs 
de  la  guerre  que  dans  la  nuit  du  29  au  30  décembre,  après  une  défense  qui 
lui  valut  le  grade  de  lieutenant  général  (15  janvier  1758).  Les  deux  ba- 
taillons qu'il  avait  sous  ses  ordres  appartenaient  au  régiment  de  la  Roche- 
Aymon. 

^  Victor-Maurice  de  Riquet,  comte  de  Garaman,  né  le  16  juin  1722, 
commandait  alors  un  régiment  de  dragons  de  son  nom.  A  la  suite  de 
l'action  d'éclat  dont  parle  Bernis  et  qui  eut  lieu  le  4  décembre  (Gazette  du 
24),  M.  de  Garaman  fut  nommé  brigadier  de  cavalerie.  Lieutenant  général 
le  1*^  mars  1780,  commandant  en  chef  en  Provence,  grand-croix  de  l'ordre 
de  Saint-Louis  (25  août  1784),  il  dut  émigrer  en  1792  et  mourut  à  Paris 
le  24  janvier  1807.  (Voir  Mémoires  du  comte  de  Saint-Germain ,  p.  166  ; 
Dictionnaire  des  généraux  français^  t.  VII,  p.  499.)  La.version  rapportée 
sur  le  combal  du  4  décembre  par  la  Gazette  et  par  Gourcelles  (Pairs ,  IV, 
art.  de  Riquet,  29)  diffère  un  peu  de  celle  adoptée  par  Bernis.  M.  le  comte 
Schulembourg  n'aurait  été  que  blessé,  et  le  nombre  des  prisonniers  ne 
se  serait  élevé  qu'à  une  centaine.  (Gazette,  p.  650  et  672.) 


i5t  LETTRES 

seul  a  soutenu  Thonneur  de  nos  armes  dans  cette  fuite  en 
Ég[ypte;  il  a  battu ,  avec  un  escadron  de  dragons  et  deux 
cents  iischers ,  un  gros  corps  de  cavalerie  hanovrien ,  tué 
M.  de  Schulembourgy  et  pris  un  autre  commandant  et 
cent  cinquante  prisonniers.  M.  de  Richelieu  rassemble  son 
armée  à  Zell.  Il  prétend  que  lorsqu'il  aura  des  tentes  il 
fera  la  guerre.  Dieu  le  veuille  !  En  attendant,  que  sa  retraite 
et  le  bruit  de  notre  traité  avec  le  duc  de  Mecklembourg, 
répandu  d'avance  dans  son  armée  (où  tous  les  secrets  sont 
publics)  y  n'exposent  pas  ce  prince  à  être  dévasté  et  chassé 
de  ses  États  tant  par  les  Prussiens  que  les  Hanovriens. 
Belle  récompense  pour  s'être  sacrifié  à  la  France  !  On  ne 
meurt  pas  de  douleur ,  puisque  je  ne  suis  pas  mort  depuis 
le  8  septembre.  Les  fautes  depuis  cette  époque  ont  été 
entassées ,  de  façon  qu'on  ne  pourrait  guère  les  expliquer 
qu'en  supposant  de  mauvaises  intentions.  J'ai  parlé  avec 
la  plus  grande  force  à  Dieu  et  à  ses  saints.  J'excite  un  peu 
d'élévation  dans  le  pouls,  et  puis  la  léthargie  recommence; 
on  ouvre  de  grands  yeux  tristes,  et  tout  est  dit. 

Si  je  pouvais  éviter  le  déshonneur  qu'il  y  a  de  déserter 
le  jour  de  la  bataille,  je  m'enfuirais  à  mon  abbaye;  je 
sens  que  je  ne  tiens  pas  à  ma  place ,  mais  je  sens  aussi  que 
je  tiens  à  la  réputation,  et  qu'il  est  cruel  de  se  déshonorer 
sans  pouvoir  l'éviter.  La  morgue  du  pays  où  vous  êtes 
augmentera  de  plus  en  plus  et  se  changera  en  mépris ,  si 
l'on  ne  change  pas  ici  de  maximes  ;  mais  le  grand  mal- 
heur ,  c'est  que  ce  sont  les  hommes  qui  mènent  les  affaires, 
et  nous  n'avons  ni  généraux ,  ni  ministres.  Je  trouve  cette 
phrase  si  bonne  et  si  juste,  que  je  veux  bien  qu'on  me 
comprenne  dans  la  catégorie ,  si  l'on  veut.  Je  suis  venu  à 
bout  du  traité  avec  le  Mecklerabourg  après  la  bataille  du  5 
et  la  déclaration  des  Hanovriens.  Cette  opération  pouvait 
,  mériter  quelque  considération,  on  ne  la  sent  presque  pas; 


DE  L'ABBÉ   COMTE  DE   BERNIS.  153 

il  me  semble  être  le  ministre  des  affaires  étrangères  des 
limbes.  Voyez ,  mon  cher  comte ,  si  vous  pouvez  plus  que 
moi  exciter  le  principe  de  vie  qui  s'éteint  chez  nous  ;  pour 
moi  y  j'ai  rué  tous  mes  grands  coups,  et  je  vais  prendre  le 
parti  d'être  en  apoplexie  comme  les  autres  sur  le  sentiment, 
sans  cesser  de  faire  mon  devoir  en' bon  citoyen  et  en  hon- 
nête homme.  Le  projet  d'envoyer  M.  de  Soubise  en  Bo- 
hême n'a  pu  subsister  ;  nous  avons  besoin  de  rassembler 
toutes  nos  forces.  M.  de  Soubise  va  porter  en  Hesse  les 
troupes  qu'il  avait  sur  le  Mein.  Voulez-vous  que  je  vous 
dise  le  secret  de  l'Église?  Les  Ormes  '  conduisent  l'armée  de 
loin  ainsi  que  le  bureau  de  la  guerre.  Je  vois  cela  clair 
comme  le  jour,  mais  je  ne  peux  pas  le  faire  voir  de  même. 
Je  croisy  mon  cher  comte,  que  je  vous  rends  bien  confi- 
dence pour  confidence  y  et  que  vous  serez  content  de  la 
confiance  entière  que  j'ai  en  vous.  Le  mot  de  paix  quon 
vous  a  lâché  ne  me  fait  pas  peur.  On  ne  saurait  la  faire 
sans  nous ,  et  si  nous  disions  seulement  un  mot ,  on  se 
trouverait  dans  le  précipice;  mais  j'avoue  que  nous  ne 
serons  plus  les  maîtres  d'y  jouer  le  rôle  qui  nous  convient. 
J'écris  à  Folard  pour  le  contenir*.  Je  joins  ici  pour  vous 
seul  l'extrait  d'une  de  ses  lettres.  Dieu  veuille  nous  en- 
voyer une  volonté  quelconque,  ou  quelqu'un  qui  en  ait 
pour  nous;  je  serai  son  valet  de  chambre,  si  Ton  veut,  et 
de  bien  bon  cœur. 


'  D'Argenson,  rancien  ministre  de  la  guerre. 

2  Hubert,  chevalier  de  Folard,  né  en  1709,  est  en  1749  ministre  du 
Roi  à  la  diète  de  Tfimpire.  Il  était  le  neveu,  et  fut  en  1752  légataire -uni- 
yersel  du  chevalier  de  Folard,  traducteur  de  Polybe.  Nommé  en  avril  1755 
envoyé  extraordinaire  près  l'électeur  de  Bavière  et  ministre  près  le  cercle 
de  Franconie,  il  obtint  un  congé  le  2  septembre  1776,  fut  présenté  an  Roi 
le  22  septembre,  eut  une  pension  de  7,000  livres  en  1779;  il  vivait  encore 
en  Fan  VIII. 


154  LETTRES 


Ce  18. 


Aucun  ëvënement  de  la  guerre ,  mon  cher  comte ,  ne 
m'a  fait  Tiropression  de  celui-ci  '.  Avec  la  permission  de 
M.  le  prince  Charles ,  c'est  par  trop  prodiguer  les  batailles  : 
on  ne  risque  pas  tous  les  douze  jours  le  salut  d'une 
monarchie.  Au  reste,  je  ne  sais  s'il  a  pu  l'éviter;  s'il  l'a 
pu ,  il  devait  le  faire  :  car  les  combinaisons  heureuses 
s'épuisent  comme  les  malheureuses.  Savez-vous  ce  qui 
m'épouvante?  ce  n'est  pas  le  nouvel  échec,  c'est  la 
position  de  l'armée  de  M.  de  Richelieu,  qui  n'a  point 
d'assiette.  Je  m'attends  que  le  lendemain  de  la  bataille,  le 
roi  de  Prusse  aura  fait  un  détachement  pour  venir  tomber 
sur  le  centre  de  M.  de  Richelieu  ;  car  il  veut  nous  ren- 
voyer sur  les  bords  du  Rhin  dès  cet  hiver,  et  je  crois 
qu'il  en  viendra  à  bout.  Nous  sommes  dans  l'attente 
d'une  bataille  de  notre  côté;  si  nous  la  perdons,  il  faut 
prendre  congé  de  la  compagnie;  si  nous  la  gagnons, 
nous  ne  gagnerons  rien.  Les  ennemis  se  retireront  sous 
Stade  ou  passerpnt  l'Elbe  pour  se  joindre  au  roi  de  Prusse, 
ou  aller  écraser  les  Suédois  par  le  Mecklembourg.  Le  roi  de 
Prusse  devait  tout  risquer  pour  reprendre  Breslau  et 
Schweidnitz.  M.  le  prince  Charles  devait  tout  tenter  pour 
ne  pas  commettre  le  sort  de  toute  la  campagne  et  de 
toute  la  guerre  peut-être,  au  hasard  d'une  action  générale. 
Mais  cela  est  fait;  que  reste-t-il  à  faire?  C'est  de  nous 
mieux  conduire,  c'est  d'avoir  des  généraux,  c'est  de 
savoir  (aire  la  guerre.  Dites-moi  en  conscience  si  nous 
pouvons  espérer  tous  ces  avantages.  D'ailleurs,  quel  parti 
prendre   dans   l'incertitude   où   nous   sommes   de  l'état 

1  La  bataille  de  Lissa,  livrée  le  5  décembre.  (Relation  dans  la  GaseiU 
du  24  et  du  31  décembre.) 


DE  L'AQBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  155 

actuel  de  notre  armée  et  de  Tarmée  inpëriale?  Demandez 
à  M.  de  Kaunitz  de  développer  son  projet  favori  de  la 
neutralité  de  Hanovre.  Je  ne  comprends  pas  où  il  veut 
placer  notre  armée  ailleurs  que  où  elle  est  pour  se  porter 
sur  TElbe;  il  faut  être  établi  quelque  part  avant  que 
d'aller  en  avant,  et  avoir  sur  ses  derrières  des  places,  des 
magasins  et  des  communications  avec  son  propre  pays. 
J'avoue  que,  outre  tous  les  inconvénients  ultérieurs ,  je  ne 
comprends  seulement  pas  la  possibilité  de  ce  projet  dans 
le  moment  présent.  Mais  je  ne  suis  pas  têtu,  je  me  rendrai 
dès  que  je  verrai  clair".  Quelle  secousse  ce  dernier  échec 
va  donnera  l'Empire,  aux  protestants,  à  la  Hollande  et 
peut-être  même  à  la  cour  de  Turin  !  Mon  cher  comte ,  il  y 
a  bien  à  réfléchir.  Je  suis  incapable  de  faiblesse ,  et  encore 
plus  de  mauvaises  manœuvres,  mais  quand  on  risque 
tout,  il  faut  au  moins  avoir  des  moyens  de  ne  pas  tout 
perdre;  on  ne  fait  pas  la  guerre  sans  généraux,  ni  avec 
des  troupes  mal  disciplinées.  Mettez  bien  cela  dans  un 
coin  de  votre  tête.  Nous  ne  nous  séparerons  jamais  de 
nos  alliés,  c'est*  un  fait  sur;  mais  prenons  garde  de  nous 
perdre  les  uns  par  les  autres.  Que  je  voie  un  chef  à  notre 
armée  et  une  conduite  militaire  de  part  et  d'autre,  et  je 
vous  jure  de  dormir  également  le  jour  d'une  bataille 
perdue  ou  gagnée.  Si  je  ne  faisais  pas  ces  réflexions,  je 
ne  serais  qu'un  fol ,  qu'un  téméraire,  et  peu  digne  de  la 
place  que  j'occupe.  Le  Roi,  au  reste,  est  fâché,  mais  point 
consterné.  Il  n'a  pas  dit  un  mot  qui  n'annonçât  une 
volonté  ferme  et  décidée:  c'est  un  grand  point;  mais  ce 
n'est  pas  tout.  Il  faut  savoir  faire  ce  qu'on  veut  qui  soit 
fait,  sans  quoi,  de  concert,  il  faut  prendre  un  parti  sage, 
eu  attendant  qu'il  nous  vienne  des  généraux  aux  uns  et 
aux  autres.  En  attendant,  je  suis  rongé  par  l'incertitude 
de  l'état  de  nos  amis  et  du  nôtre.  M.  le  prince  de  Lob- 


150  LETTRES 

kowîtz^  sera  reçu  comme  il  mérite  de  l'être ,  mais  il  est 

arrive   ici  après  ^a  mauvaise  nouvelle.   Bien  n'est  plus 

fâcheux  y   ni  plus  singulier.    Remarquez  que  c'est  le  5. 

Cette  époque  est  bien  fatale.  Je  vous  ouvre  mon  cœur, 

mon  cher  comte ,  parce  que  vous  avez  de  Tâme  et  de 

l'esprit. 

Ce  5Kt  décembre. 

Je  conviens  avec  vous,  mon  cher  comte,  que  si  nos 
plans  militaires  continuent  à  être  aussi  décousus  qu'ils  le 
sont ,  notre  ennemi  ruinera  le  système  par  son  seul  talent. 
Mais  qui  conduit  ici  le  militaire?  Le  maréchal  de  Belle- 
Isle  fait  des  mémoires  dont  on  ne  fait  aucun  cas  au  bureau 
de  la  guerre.  Duverney  fait  des  mémoires  de  son  côté, 
dont  M.  de  Richelieu,  son  ami,  n'a  voulu  tenir  compte.  La 
discipline  des  troupes  et  des  officiers  dépend  absolument 
du  secrétaire  d'État  de  la  Guerre  ;  il  craint  de  se  faire  des 
ennemis  puissants,  et, moyennant  cela,  il  n'ose  prendre 
des  partis  violents ,  parce  qu'il  voit  que  le  Roi  y  répugne. 
Que  me  reste-t-il  à  faire,  à  moi  chargé  de  la  partie 
politique?  De  prévoir,  d'annoncer  les  malheurs,  de  donner 
du  noir  à  mes  amis  et  d'en  prendre  moi-même.  Cette 
grande  machine  ne  dépend  de  moi  qu'autant  qu'elle  a 
rapport  à  mon  département;  mais  j'ai  beau  écrire  et 
penser,  si  nous  faisons  mal  la  guerre ,  tout  ira  au  diable,  la 
plume  ne  réparera  pas  les  torts  de  l'épée.  Il  n'y  a  pas  d'exem- 
ple qu'on  joue  si  gros  jeu  avec  la  même  indifférence  qu'on 
jouerait  une  partie  de  quadrille,  et  qu'on  ne  laisse  pas 


^  Le  Bis  du  prince  de  Lobkowitz,  qui  était  chargé  par  l'Impératrice  de  ren> 
dre  compte  au  Roi  de  la  bataille  de  Breslau  et  de  la  prise  de  cette  ville,  fut 
présenté  par  Bernis  et  Starhemberg  le  19  décembre  1757  ;  il  rapporta  au 
comte  de  Kaunitz  des  lettres  de  madame  de  Pompadour.  (Voir  d'Aiiseth, 
t.  V,  p.  303.) 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  i5T 

au  moins  le  soin  à  l'architecte,  en  lui  en  donnant  le  droit, 
de  conduire  le  bâtiment  qu'on  l'a  chargé  de  construire. 
L'idëe  de  premier  ministre  fait  peur  à  tout  le  monde,  et 
moyennant  cela  il  n'y  a  pas  de  ministère.  Il  est  très- 
inutile  qu'il  y  ait  ici  un  ministre  qui  fasse  des  autres  ses 
premiers  commis,  qui  les  oblige  à  venir  travailler  chez 
lui ,  et  qui  ait  l'extérieur  de  la  royauté;  mais  il  faut  être 
fol  et  béte  pour  ne  pas  sentir  qu'il  feut  quelqu'un  qui 
fasse  cadrer  les  parties  avec  le  tout.  Ce  que  je  puis  faire, 
je  le  fais.  J'influe  sur  la  financé  en  levant  les  obstacles 
qui  s'imposeraient  aux  secours  dont  le  Roi  a  besoin.  Au 
lieu  de  quarante  millions,  le  Roi  en  a  trouvé  soixante,  et  le 
Parlement  y  a  consenti  de  bonne  grâce*.  J^espère  que  si 
l'on  suit  mon  plan  pour  la  pacification  intérieure ,  il  ne 
sera  plus  question  dans  un  an  de  constitution  Vnigenitus 
ni  de  jansénisme.  Je  regarde  et  je  veux  qu'on  regarde  ces 
affaires  comme  terminées.  Vous  ferez  bien  de  faire  encou- 
rager le  Roi  par  le  Pape  pour  ce  qui  concerne  l'arche- 
vêque*. En  deux  mots,  l'archevêque  refuse  dçs  confes- 
seurs à  des  religieuses  qui  ne  sont  pas  excommuniées, 
dénoncées,  sous  prétexte  qu'elles  sont  jansénistes ,  tandis 
qu'elles  n'ont  jamais  appelé  et  qu'elles  ont  déclaré  par 
écrit  qu'elles  étaient  soumises  à  l'archevêque  comme  à 
leur  supérieur  et  à  toutes  les  décisions  de  l'Église  reçues 
dans  le  royaume;  qu'au  surplus  elles  garderaient  reli- 
gieusement le  silence  imposé  par  le  Roi.  Mgr  l'arche- 
vêque veut  qu'elles  déclarent  expressément  leur  soumis- 
sion à  la  bulle ,  contre  la  teneur  des  déclarations  du  Roi 
qui  imposent  le  silence  sur  cette  matière.  Voilà  l'état  de 

1  Création  de  deux  millions  de  rentes  viagères  sur  les  aides,  gabelles, 
et  cinq  grosses  fermes  en  augmentation  des  quatre  millions  créés  par  l'édit 
de  novembre. 

2  Affaire  des  Hospitalières  du  faubouiig  Saint-Marcel.  Voir  les  Mémoires, 
tome  I,  p.  317. 


158  LETTRES 

la  question.  Nos  cardinaux  et  plusieurs  ëvéques,  arche- 
vêques consultes ,  pensent  que  l'archevêque  de  Paris  a 
tort;  qu'il  doit  donner  des  confesseurs  et  foire  cesser  ie 
scandale.  L'archevêque  s'obstine  au  refus;  il  va  être 
poursuivi  par  le  Parlement.  Le  Roi,  pour  sauver  la 
dignité  épiscopale  et  la  juridiction  ecclésiastique,  peut-îl 
foire  autrement  que  d'exiler  Tarchevéque?  Ce  canevas 
vous  suffira  pour  écrire  pertinemment  à  Rome.  A  V égard 
du  projet  de  la  cour  de  Vienne  de  foire  la  guerre  en 
Silésie,  je  le  trouve  si  contraire  aux  intérêts  communs,  si 
propre  à  prolonger  la  guerre ,  que ,  s'il  subsiste ,  il  foudra 
que  le  Roi  prenne  le  parti  d'envoyer  toutes  ses  troupes 
subsidiaires  a  la  cour  de  Vienne,  et  qu'il  se  contente 
d'avoir  une  armée  d'observation  pour  contenir  la  Hollande 
et  couvrir  les  Pays-Bas  et  la  Flandre,  car  qui  sait  ai  les 
états  généraux  ne  seront  pas  entraînés  et  si  les  Anglais 
n'allumeront  pas  la  guerre  dans  les  Pays-Bas?  D'ailleurs, 
croit-on  à  Vienne  que  le  Roi  doive  laisser  ses  côtes  en 
butte  aux  descentes  des  Anglais,  et  le  Dauphiné  et  la 
Provence  dégarnis  vis-à-vis  le  roi  de  Sardaigne? 

Quelque  projet  militaire  qui  soit  résolu,  ce  sera  vous 
qui  le  discuterez  à  Vienne;  on  n'a  pas  songé  à  y  envoyer 
un  militaire.  Pour  le  voyage  de  l'infonte  Isabelle,  je  vous 
avoue  que  je  n'aime  pas  à  le  conclure  sur  les  brouillards 
de  la  Seine.  Tâchez  d'obtenir  un  établissement  avant  que 
l'Infont  et  l'Infante  écrivent  à  l'Empereur.  A  l'égard  de 
M.  le  duc  de  Bourgogne  * ,  l'infonte  se  flatte  pour  la 
princesse  Louise  *;  elle  ne  veut  pas  sacrifier  l'espérance 
d'une  si  bonne  affoire  qui  n'est  rien  moins  qu'assurée. 
D'ailleurs,  il    ne    fout   pas   nous  brouiller   ouvertement 

*  On  sait  que  le  duc  de  Bourgogne  mourut  le  22  mars  1761. 
3  On  sait  qu'elle  épousa  le  2  mars  1764  Tinfant  don  Charles, prince  des 
Aaturies  (Charles  IV). 


DE   L*ABBÉ   COMTE  DE   BERNIS.  159 

avec  la  cour  de  Naples.  Les  raisons  pour  ne  pas  parler 
encore'  à  TEspagne  sont  bonnes,  mais  il  reste  toujours 
Tinconvénient  de  lui  avoir  fait  une  semblable  cachot- 
terie. Je  parlerai  à  M.  de  Starhemberg  pour  ce  qui 
concerne  les  intérêts  du  comte  de  Kaunitz,  et  il  sera 
content  de  moi  à  cet  égard.  Adieu j^  mon  cher  comte;  je 
vous  suis  dévoué  pour  la  vie. 

Je  n'ai  pas  le  temps  de  relire  ma  lettre. 

Le  31  décembre. 

Je  ne  répondrai,  mon  cher  comte,  à  votre  dernière 
dépêche  que  lorsque  le  sort  de  l'armée  de  M.  de  Biche- 
lieu,  celui  de  l'Allemagne  et  en  quelque  sorte  de  la 
France  sera  décidé.  Si  nous  gagnons  la  bataille  qui  doit  se 
donner  de  l'autre  côté  de  l'Aller ,  nos  affaires  iront  mieux 
dans  la  gazette  '  ;  dans  la  réalité  elles  seront  fort  mauvaises, 
parce  que  nos  subsistances  et  nos  troupes  sont  éparpillées , 
que  nous  ne  prendrons  pas  une  bonne  position ,  et  parce 
que,  avec  l'esprit  qui  règne  à  l'armée,  on  ne  saurait 
prendre  un  bon  parti.  La  division,  la  tracasserie,  et 
peut-être  la  mauvaise  volonté  et  le  dégoût,  y  sont.  On  voit^ 
cela  ici;  je  doute  qu'on  en  soit  frappé  comme  on  devrait 
l'être;  car  il  n'y  avait  pas  un  moment  à  perdre  pour  y 
envoyer  un  général  capable  d'en  imposer  et  de  mettre  de 
l'ordre  en  toute  chose.  Le  prince  de  Prusse  (Henri) 
marche  avec  le  corps  de  M.  Keith  et  une  partie  de  la 
garnison  de  Magdebourg  sur  M.  de  Sou  bise  par  Goslar  et 
Hildesheim ,  et  M.  de  Soubise  est  bien  faible,  comme  on 
l'est  partout  quand  on  est  éparpillé.  Cette  situation,  sans 
m'épouvanter,  me  fait  réfléchir  bien  sérieusement.  Celle 
de  nos  alliés  ne  me  rassure  pas;  les  Suédois  courent  le 

^  Voir  Gazette  du  7  janvier  1758. 


160  LETTRES 

plus  grand  risque;  peut-être  sont-ils  battus  dans  'oe 
moment.  Liegnitz  et  Breslau  sont  bien  aventurés;  le 
Mecklerabourg  est  occupé  en  partie  par  les  Prussiens  qui 
pousseront  une  tête  de  ce  côté-là  :  où  nous  assoirons- 
nous?  Sur  le  Rhin ,  conmie  je  vous  le  dis  depuis  longtemps. 
Mais  comment  arriverons-nous  sur  le  Rhin ,  ne  pouvant 
marcher  en  corps  d'armée?  Je  n'ose  faire  la  réponse  à 
cette  question;  tel  est  notre  état.  Votre  mémoire  est  bon, 
mais  il  suppose  une  situation  où  nous  ne  sommes  plus 
peut-être,  dans  ce  moment.  Ou  d'autres  généraux  plus 
capables  de  part  et  d'autre,  ou  un  parti  décidé;  il  ne  faut 
pas  se  perdre.  Dans  quelques  jours,  je  vous  en  dirai 
davantage.  Je  voudrais  que  l'Impératrice  obtint  trente 
mille  Russes  et  les  Suédois  quinze  pour  se  soutenir  cet 
hiver.  Au  fond,  le  roi  de  Prusse  ruine  ses  troupes;  il  ne 
s'agirait  que  de  lui  tenir  tête  tout  Thiver,  et  de  faire  de 
bonnes  dispositions  pour  le  printemps.  La  vie  que  je 
mène  est  affreuse;  je  sens  le  mal  vivement,  et  je  suis 
tellement  emmaillotté  que  je  ne  puis  y  remédier  en  le 
prévoyant  toujours.  Peut-être  serai-je  moins  triste  dans 
trois  jours;  mais  l'événement  ne  changera  pas  le  fond  des 
choses  :  ainsi  il  ne  faudra  pas  trop  se  réjouir  si  nous 
battons  nos  ennemis.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

Ce  6  janvier. 

Les  nouvelles  de  Leipzig,  mon  cher  comte,  nous 
apprennent  la  prise  de  Breslau  avec  tout  ce  qui  était 
dedans'.  Liegnitz  et  Schweidnitz  tomberont  également 
l'un  après  l'autre.  Je  vois  que  la  cour  de  Vienne  en  dix  ou 
douze  jours  a  perdu  les  trois  quarts  de  ses  troupes  et  de 

*  19  décembre  1757,  reprise  de  Breslau  sur  les  Autrichiens,  qui  y  étaient 
entrés  le  24  novembre. 


DE  L'ABBE  COMTE  DE  BERNIS.  i6S 

mieux  la  guerre.  G*est  le  premier  pas  à  faire  vers  la  paix. 
Tout  ce  que  je  vous  dis  dans  cette  lettre  n'est  que  ma 
seule  façon  de  penser;  elle  vous  mettra  à  portée  de 
m'éclairer  sur  celle  de  la  cour  de  Vienne ,  et  je  prendrai 
ensuite  les  ordres  du  Roi.  Adieu ,  mon  cher  comte;  ne 
perdez  pas  courage. 

Ce  14  janTier  1758. 

Je  vous  en  ai  écrit  bien  long  dans  mes  dépêches,  mon 
cher  comte;  je  vais  récapituler  dans  celle-ci.  Le  roi  de 
Prusse  vient  de  signer  un  traité  secret  avec  le  roi  d'Angle- 
terre', qui  fera  sans  doute  la  contre-partie  du  nôtre. 
Dieu  veuille  qu'il  ne  soit  pas  plus  exécuté!  Gela  ren- 
dra la  paix  avec  l'Angleterre  plus  difficile.  D'un  autre 
côté,  il  est  certain  que  l'Espagne  se  prépare  à  se  join- 
dre à  nous,  mais  elle  s'y  prépare  lentement.  Si  nous 
voulons  suivre  notre  affaire  de  terre,  il  faut  renoncer 
à  celle  de  mer;  nous  ne  pourrions  encore  deux  ans 
soutenir  le  fardeau  de  l'une  et  de  l'autre.  En  attendant, 
il  faudrait  savoir  sur  quoi  compter.  J'imagine  que  la  cour 
de  Vienne  a  renoncé  à  l'idée  du  dépouillement  du  roi  de 
Prusse  et  par  conséquent  de  l'échange  de  ce  que  vous 
savez ^,  mais  elle  n'en  profiterait  pas  moins,  sans  se  faire 
scrupule ,  de  notre  énorme  subside  qui  épuise  TÉtat  en 
faisant  sortir  un  argent  immense  du  royaume.  Il  est 
nécessaire  de  savoir  à  quoi  s'en  tenir  sur  un  point  si 
important,  et  au  cas  que  nous  donnions  de  l'argent,  de 
nous  assurer  de  quelque  avantage  réel  et  ostensible, 
qui  ne   me   fasse  pas  lapider  par  le  peuple   à  la  paix. 

1  Je  ne  trouve  pas  de  traité  correspondant  à  cette  date.  Il  est  possible 
qne  Bernig  fasse  ici  allusion  aux  négociations  préliminaires  du  traité  de 
Londres  du  H  avril  1758.  Publié  par  Wenck,  III,  173. 

*  Les  Pays-Bas. 

Il 


104  LETTRES 

Ostende   et  Nieuport  seront  bien  difficiles  à  avoir,  la 
victoire  ne  s' étant  pas  déclarée  pour  nous  d*iine  façon 
décidée.  Les  Hollandais  réclameront  toujours  les  traités 
d*Utrecbt  et  de  la  Barrière  '.  Il  faut  se  rejeter  du  côté  de 
Luxembourg  et  de  cette  misère  de  Ghimay  et  de  Beau- 
mont,  qui  ne  feit  qu'un  point  dans  la  carte,  mais  qui 
entretient  la  contrebande.  La  démolition  de  Luxembourg 
est  un  point  essentiel  auquel  il  me  semble  qu'il  faut  s'atta* 
cher;  du  reste,  vous  en  tirerez  le  meilleur  parti  que  vous 
pourrez.  Si  la  Russie  voulait  agir  sérieusement  cet  hiver, 
nos  affaires   reprendraient  encore  le  dessus.  Le  roi  de 
Prusse  a  résolu  d'attaquer  M.  de  Richelieu  par  la  Hesse 
et  par  tous  les  côtés;  je  crains  bien  que  la  tête  ne  tourne  à 
cette  armée- là ,  où  Ton  en  a  manqué  ainsi  que  de  volonté 
toute  la  campagne.  M.  de   Richelieu  veut  revenir  id, 
comme  s'il  n'y  avait  rien  à  faire  à  Hanover.  Tous  ses 
généraux   demandent  à  revenir  de  même;  ce  sont  les 
petites  maisons  ouvertes.  Je  crois  qu'on  permettra  à  M.  de 
Richelieu  de  revenir  ici  lorsque  M.  le  comte  de  Clermont 
sera  arrivé  pour  commander  en  son  absence ,  et  vraisem- 
blablement après  lui.  C'est  un  secret  pour  le  public.  Dieu 
nous  préserve  des  têtes  légères  en  fait  de  grandes  affaires; 
et  Dieu  préserve  les  conseils  des  rois  des  petits  esprits 
qui  ne  sentent  pas  la  disproportion  qu'il  y  a  entre  leur 
rétrécissement  et  l'étendue  des  grands  objets.    Si   nous 
gardons  notre  position  de  Hanover ,  j'espère  conclure  la 
neutralité  de  ce  pays  et  ôter  à  l'Angleterre  et  au  roi  de 
Prusse  les  Hessois  et  les  Brunswick  ;  mais,  je  le  répète , 
tous  ces  subsides  doivent  être  en  diminution  du  grand ,  • 
sans  quoi  il  y  aurait  de  l'impossibilité.  Les  fautes  poli- 

I  L^  mité  du  t5  novembre  1715  entre  TAntriche,  U  HoUande  et  U 
Gnndc-BretJigne«  (M>rtant  remise  des  Pays-Bas  à  rAatridie  et  barrière 
pour  les  Hollandais. 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  161 

ses  officiers.  Je  vois  qu'elle  aura  au  printemps  beaucoup 
de  recrues  et  peu  de  soldats.   La  Russie ,  de  son  côté, 
vend  ses  chevaux  d'artillerie  à  cent  sous  la  pièce.  M.  Keith 
va  à  Saint-Pétersbourg-  avec   des  trésors  '  ;   croyez-vous 
que  rimpératrice,  malade  et  faible  conmie  elle  est,  rejette 
les  conseils  du  grand  chancelier  que  les  Anglais  vont 
tenter  par  des  présents  énormes?  Que  restera-t-il  donc 
sur  la  scène?  L'Impératrice  sans  armée ,  et  les  Français 
entre  le  roi  de  Prusse  et  les  Hanovriens,  sans  subsistances, 
sans   général    et    mal    disciplinés.    Si   les  Anglais  font 
déclarer  la  Hollande  en  se  portant  dans  les  Pays-Bas ,  il 
faudra   bien   revenir   chez    nous,    supposé    même   que 
notre  mauvaise  conduite  ou  la  faim  ne  nous  eût  pas  déjà 
chassés  de  l'Allemagne.  Il  ne  faut  pas  espérer  que  cette 
position  change ,  parce  que  la  guerre ,  à  Vienne  et  à  Ver- 
sailles, sera  toujours  dirigée  par  des  gens  qui  ne  l'ont 
jamais  faite.  Notre  marine  s'est  énervée  cette  campagne; 
nous  ne  devons  pas  attendre  de  ce  côté-là  aucune  gloire, 
ni  aucun  dédommagement.  Mon  avis  serait  donc  de  faire 
la  paix  et  de  commencer  par  une  trêve  sur  terre  et  sur  mer. 
Quand  je  saurai  ce  que  le  Roi  pense  de  cette  idée ,  que  je 
n'ai  pas  trouvée  dans  (ma)  façon  de  penser,  mais  que  le 
bon  sens ,  la  raison  et  la  nécessité  me  présentent,  je  vous 
la   détaillerai.    En  attendant,  tâchez  de   faire  sentir  à 
M.  de  Kaunitz  deux  choses  également  vraies:  c'est  que  le 
Roi  n'abandonnera  jamais  l'Impératrice,   mais  qu'il   ne 
faut  pas  que  le  Roi  se  perde  avec  elle.  Nos  fautes  respec- 
tives ont  fait  d'un  grand  projet  qui;  les  premiers  jours  de 
septembre,  était  infaillible,   un   casse-col,  et  une  ruine 

'  Robert  Murray  Reith,  esq.,  envoyé  extraordinaire  du  roi  de  la  Grande- 
Bretagne  en  Russie  en  1758,  à  la  cour  de  Dresde  en  1768,  à  la  cour  de 
Copenhague  en  1771,  chevalier  de  l'ordre  du  Bain  en  1772 ,  ambassadeur 
extraordinaire  et  plénipotentiaire  près  de  Tempercur  d'Allemagne  en  1772, 
mort  à  Edimbourg  le  21  août  1774. 

II.  11 


leî  LETTRES 

assurée.  G*est  un  beau  rêve  qu'il  serait  dangereux  de 
continuer  y  mais  qu'il  sera  peut-être  possible  de  reprendre 
un  jour  avec  de  meilleurs  acteurs  et  des  plans  militaires 
mieux  combines.  Ayez  la  bonté  de  vous  servir  de  tout 
votre  esprit  pour  ne  point  effaroucher  M.  de  Kaunits, 
pour  ne  point  lui  inspirer  de  défiance,  mais  pour  savoir 
précisément  à  quoi  est  résolue  la  cour  de  Vienne.  Si  elle 
aime  mieux  suivre  ce  que  sa  fierté  lui  inspire  que  ce  que 
la  raison  devrait  lui  dicter^  elle  courra  encore  plus  de 
risque  que  nous.  Il  est  certain  que  le  Roi  lui  sera  fidèle; 
mais  il  est  fort  douteux  que  le  Roi  puisse  maintenir  son 
armée  en  Allemagne.  D'ailleurs,  nous  sommes  -vivement 
menacés  sur  nos  côtes,  et  en  Amérique.  Charité  bien 
ordonnée  commence  par  soi-même.  Il  ne  faut  pas  non  plus 
perdre  les  Suédois,  ni  se  fier  au  secours  des  Russes;  ce 
sont  eux  qui  ont  commencé  à  rompre  la  chaîne  de  l'union 
et  de  nos  prospérités.  Le  Roi  fera  tout  ce  qu'il  pourra 
pour  soutenir  ses  alliés;  mais  je  ne  lui  conseillerai  jamais 
de  hasarder  sa  couronne.  Plus  j'ai  été  chargé  immédiate- 
ment  de  cette  grande  alliance ,  plus  on  doit  m'en  croire 
quand  je  conseille  la  paix;  elle  détruira  en  partie  tout 
mon  ouvrage.  Le  sacrifice  de  mon  ampur-propre  et  d'un 
travail  immense  doit  bien  m'empêcher  d'être  suspect.  Au 
reste,  si  je  voyais  des  généraux  pour  commander  nos 
armées  respectives ,  et  un  bon  conseil  de  guerre  à  Vienne 
et  à  Versailles ,  malgré  nos  fautes  et  nos  malheurs  com- 
muns, je  n'abandonnerais  pas  la  partie  ;  mais  comme  ou 
ne  peut  espérer  aucun  changement  à  cet  égard,  et  que  le 
temps  s'écoule,  je  me  retourne  vers  la  paix  que  toute 
l'Europe  attend  de  la  sagesse  du  Roi  et  de  la  modération 
de  la  cour  de  Vienne.  Si  elle  veut  nous  laisser  faire  ou 
agir  de  concert,  nous  nous  en  tirerons  honorablement. 
En  attendant ,  il  faut  se  préparer  des  deux  côtés  à  faire 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  107 

des  gens  capables,  et  de  1  autre  il  n'est  pas  assez  fort 
pour  se  gouverner  lui-même.  Ceci  est  encore  un  secret. 
Je  crois  que  Contades  aura  sa  place;  cela  donnera  un  peu 
de  consistance  à  ce  département  pendant  la  guerre;  mais 
je  ne  sais  si  Contades  sera  capable  du  détail  qu'il  faudrait 
pour  corriger  les  vices  de  toutes  les  parties  de  ce  dépar- 
tement. Au  moins  aurons-nous  pendant  la  guerre  un 
ministre  qui  sera  inWruit  du  militaire.  Grémille  sera  fâché, 
mais  il  est  nécessaire  au  comte  de  Clermont.  Au  reste,  le 
Roi  ne  proposera  point  de  ses  généraux  à  l'Impératrice; 
si  elle  lui  demandait  le  maréchal  d'Estrées,'  il  ne  le  lui 
refuserait  pas,  mais  ce  serait  à  elle  à  lui  donner  des  pa- 
tentes pour  commander.  Au  surplus,  dès  que  notre  armée 
reste  dans  Télectorat  d'Hanover,  il  n'est  pas  possible 
avant  quelle  soit  V  recrutée,  2*"  qu'elle  ait  battu  ou  acculé 
les  Hanovriens,  qu'elle  puisse  être  affaiblie  de  vingt-cinq 
mille  hommes.  Cette  opération  nous  ferait  chasser  de 
l'Allemagne;  ainsi,  sans  la  changer,  ni  y  renoncer,  il  faut 
pousser  le  temps  avec  l'épaule  et  attendre  qu'elle  soit  pra- 
ticable, tant  par  ce  que  je  viens  de  dire  que  par  la  jonction 
des  Saxons.  C'est  sur  quoi  il  est  bon  que  vous  conveniez 
avec  sagesse  et  adresse  avec  la  cour  de  Vienne,  afin  qu'elle 
ne  compte  pas  sur  nos  secours  avant  le  mois  de  mai  ou 
de  juin.  Ce  serait  l'induire  en  erreur  que  de  lui  cacher 
certaines  vérités,  mais  conduisez-la  de  façon  que  ce  soit 
elle  et  non  pas  vous  qui  tiriez  les  conséquences.  Notre 
armée  est  très-faible,  et  nos  communications  à  garder 
sont  immenses.  Qu'importe  que  M.  de  Soubise  parte  six 
semaines  plus  tôt  ou  six  semaines  plus  tard,  pourvu  qu'il 
commande  un  grand  corps?  mais  ce  serait  risquer  tout 
que  de  nous  séparer  avant  que  le  roi  de  Prusse  soit  assez 
occupé  d'un  autre  côté  pour  qu'il  n'y  ait  plus  à  craindre 
qu'il  ne  se  combine  avec  les  Hanovriens  pour  nous  atta- 


168  LETTRES 

quer  après  le  dëpart  des  vingt-quatre  mille  hommes.  Je 
crois  que  vous  sentirez  la  justesse  de  ces  réflexions. 
Nous  lirons  aujourd'hui  un  mémoire  du  maréchal  Daun. 
Je  ne  sais  ce  qu'en  penseront  nos  militaires.  Pour  moi,  je 
crois  qu'il  faudrait  ravitailler  Schweidnitz  et  ne  pas  re- 
conunencer  la  guerre  en  Silésie.  Ce  sera  toujours  un  siège 
à  faire  pour  le  roi  de  Prusse,  qui  occupera  beaucoup  de 
ses  forces  ;  mais  il  faut,  pour  finir  la  guerre,  le  chasser  de 
TElbe  et  pouvoir  attaquer  son  propre  pays.  Montazet  n'est 
pas  encore  arrivé. 

Ce  19  janvier. 

On  me  mande  de  Suède,  mon  cher  comte,  que  M.  de 
Lehwaldt  '  a  fait  un  détachement  de  10,000  hommes  de 
son  armée,  soit  pour  renforcer  Tarmée  hanovrienne,  qui, 
par  parenthèse,  manque  de  tout,  soit  pour  renforcer 
l'armée  du  roi  de  Prusse  en  Silésie;  l'un  et  l'autre  est 
également  possible  et  annoncé;  mais  j'inclinerais  plutôt  à 
croire  que  ces  10,000  hommes  iront  en  Silésie;  car  Sa 
Majesté  Prussienne  a  grande  envie  de  mettre  totalement 
en  désarroi  les  affaires  de  l'Impératrice.  Cette  méthode  ne 
lui  réussirait  cependant  pas  dans  la  saison  actuelle,  s'il 
trouvait  des  gens  préparés  à  le  recevoir.  Je  suis  ftché 
que  M.  de  Richelieu,  par  son  obstination  à  revenir  ici 
et  Iç.  peu  d'ordre  et  de  volonté  qu'il  a  su  mettre  dans 
ses  opérations  et  dans  son  armée,  ait  fait  décider  son 
retour.  Vous  savez  que  le  Roi  ne  se  souciait  pas  de 
l'envoyer.  Il  a  de  bonnes  choses,  mais  il  faut  avouer  que 
la  tète  lui  tourne  aisément ,  qu'il  ne  veut  rien  foire  que  ce 
qu'il  a  imaginé,  et  qu'il  a  plus  songé  cette  campagne  à 
faire  la  paix  qu'à  pousser  la  guerre  avec  vigueur.  M.  le 

1  Hans  de  Lehwaldt,  né  dans  la  province  de  Prusse  en  juin  1685,  feld- 
maréchal  le  22  décembre  1751,  mort  à  Kœnigsberg  le  16  novembre  176^ 


DE  L*ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  105 

tiques  que  fait  le  roi  de  PrcKSse  en  Texant  les  protestants 
devraient  lui  être  bien  funestes  «  si  l'Allemagne  ne  haïssait 
pas  encore  davantage  la  cour  de  Vienne  qu'elle  ne  hait  le 
roi  de  Prusse.  Je  vais  tâcher  cependant  de  profiter  de  tout 
cela  pour  remonter  notre  parti  en  Allemagne  et  nous 
mettre  à  portée  de  sauver  la  cour  de  Vienne  malgré  elle, 
si  elle  n'est  plus  en  état  de  se  soutenir.  Il  me  semble  que 
c'est  comme  cela  qu'il  faut  se  conduire  dans  de  sem- 
blables extrémités.  Le  parti  que  j'ai  pris  de  feire  revenir 
les  Français  près  de  chez  nous  me  parait  un  coup  de 
partie.  Si,  en  attendant,  M.  de  Richelieu  ne  se  laisse  pas 
écaniller,  nous  soutiendrons  la  guerre  bien  longtemps 
encore,  quand  nous  n'aurons  rien  à  craindre  chez  nous, 
et  quand  ^nous  ferons  battre  seulement  nos  étrangers  et 
nos  alliés.  La  Russie  dans^  ce  moment  peut  seule  rétablir 
la  balance  et  donner  le  temps  de  respirer.  Au  surplus , 
mon  cher  comte,  j'ai  surmonté  la  douleur  que  m'ont 
causée  les  fautes  répétées  qui  sont  la  source  de  nos  mal- 
heurs. On  ne  m'a  donné  ni  le  pouvoir  de  les  prévenir,  ni 
celui  d'y  remédier.  Il  est  dur  de  perdre  sa  réputation  et 
le  fruit  de  ses  peines.  Je  ne  songe  plus  aujourd'hui  qu'à 
sauver  l'État,  à  faire  la  paix  et  à  laisser  à  qui  le  voudra 
un  gouvernail  qu'on  ne  gouverne  point.  Je  ne  veux 
mourir  ni  d'inquiétude  ni  de  honte;  mon  parti  est  pris; 
depuis  ce  moment  je  suis  tranquille,  et  ma  tète  est  nette. 
Je  suis  au  désespoir  pour  l'Infante  et  ses  enfants.  Le 
mariage  de  sa  fille  peut  cependant  se  faire.  Ces  gens-là 
ne  manqueront  jamais;  mais  mon  avis  cependant  est 
d'attendre  que  le  chaos  soit  un  peu  débrouillé.  Adieu, 
mon  cher  comte;  on  ne  m'attrapera  plus  à  tracer  de  grands 
plans,  à  m'embarquer,  et  à  ne  pas  me  laisser  après  le 
maître  de  faire  marcher  les  ouvriers  relativement  au  plan 
arrêté,  je  vous  en  donne  ma  parole  d'honneur. 


160  LETTRES 

M.  de  Starhemberg  m'a  jorë  que  tout  ce  que  le  duc  de 
Wurtemberg  avait  dit  sur  la  promesse  du  premier  ëko- 
torat  et  du  coimnandement  de  l'armée  de  l'Empire  était 
absolument  faux. 

Ce  19  janvier. 

J'ai  été  bien  touché,  mon  cher  comte,  de  la  lettre 
particulière  que  vous  m'avez  écrite  le  3  de  ce  mois  ;  elle 
prouve  également  votre  esprit,  votre  jugement,  et  l'amitië 
que  vous  avez  pour  moi.  Mais  ne  touchez  plus  une  corde 
qui  blesserait  tout  le  monde  et  ne  remédierait  à  rien. 
Mon  parti  est  pris  de  ne  me  laisser  aller  ni  au  dégoût  ni  à 
la  crainte ,  de  faire  de  mon  mieux  dans  ma  place ,  "de 
remédier  autant  qu'il  dépendra  de  moi  aux  inconvénients 
généraux  et  particuliers,  de  ne  point  abandonner  la  partie 
tant  qu'il  y  aura  des  coups  de  fiisil  à  essuyer,  et  de  pré- 
parer sagement  ma  retraite  pour  un  temps  opportun ,  en 
évitant  également  d'être  ou  de  paraître  ingrat,  et  en  ne 
courant  pas  le  risque  de  me  déshonorer.  Si  la  fortune 
permet  que  cette  campagne-ci  soutienne  Fhonneur  de 
nos  aHaires,  cela  me  donnera  du  temps. 

Je  crois  que  nous  aurons  de  l'argent  pour  cette  année; 
difficilement  en  trouverons-nous  pour  l'année  prochaine, 
à  moins  que  les  événements  ne  relèvent  le  crédit,  car  nos 
dépenses  sont  de  beaucoup  au-dessus  de  la  circulation. 
Je  vous  mettrai  toujours  au  fait  du  fond  des  choses,  afin 
que  vous  puissiez  juger  sainement  des  partis  à  prendre 
et  en  décider  sagement.  Mais  prenez  garde  qu'on  ne 
connaisse  à  Vienne  mes  lettres  particulières  ;  M.  de 
Starhemberg  m'a  glissé  un  mot  qui  me  le  ferait  craindre. 
M.  de  Paulmy  va  se  retirer.  Il  demande  l'ambassade  de 
Venise  pour  retraite.  C'est  un  honnête  homme;  mais  d'un 
côté  il  a  trop  d*amour-propre  pour  se  laisser  gouverner  par 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  171 

ëtat  d'y  faire  vous-même.  Mais  il  me  parait  intéressant 
d'établir  encore  plus  clairement   l'ëtat  de  la  question. 

l^Le  Roi  n'est  nullement  tente  de  faire  la  paix  avec  le  roi 
de  Prusse.  Ni  le  courage  de  Sa  Majesté  n'^est  abattu,  ni  elle 
ne  s'est  refroidie  sur  les  motifs  qui  lui  ont  fait  prendre  les 
armes.  Ainsi  vous  n'avez  point  à  combattre  l'opinion  du 
Roi.  Madame  de  Pompadour  ne  doit  pas  être  soupçonnée 
non  plus  de  faiblesse.  Pour  moi,  j'imagine  qu'on  ne  peut 
me  taxer  ni  d'inconstance,  ni  de  poltronnerie,  ni  encore 
moins  d'avoir  changé  de  système.  Mais  je  suis  ministre  du 
Roi,  comptable  par  cpnséquent  à  lui  et  au  public  des 
conseils  que  je  donne,  et  de  la  manière  dont  j'envisage 
des  affaires  aussi  capitales  que  celles  auxquelles  nous  nous 
sommes  engagés.  Je  crois  connaître  et  les  ressources  de 
l'État  et  celles  de  nos  alliés,  ainsi  que  la  manière  dont  il 
est  probable  qu'elles  seront  respectivement  employées.  Par 
cet  examen,  je  crois  voir  que  nous  n'avons  rien  à  espérer 
de  mieux  la  campagne  prochaine  que  celle-ci.  Nous  per- 
drons et  gagnerons  des  batailles,  mais  je  ne  vois  pas  que 
nous  puissions  espérer  avec  fondement  d'acquérir  la 
supériorité,  et  je  pense  que  si  nous  ne  parvenons  pas 
à  cette  supériorité,  nous  serons  bien  plus  mal  à  la  fin 
de  l'année,  et  bien  moins  à  portée  de  faire  une  paix  hono- 
rable. Quand  j'ai  parlé  de  paix,  j'ai  toujours  supposé  que 
nous  ne  ferions  que  nous  y  prêter ,.  parce  que  Tintention 
du  Roi  la  plus  précise  et  la  plus  décidée  est  de  ne  point 
traiter  que  lorsque  ses  alliés  seront  convaincus  qu'il  est 
avantageux  pour  la  cause  commune  de  le  faire. 

2®  Il  est  question  d'examiner,  non  pas  légèrement,  mais 
avec  toute  la  maturité  et  la  profondeur  nécessaires,  si  la  cour 
devienne,  en  continuant  la  guerre,  ne  consulte  pas  plus  le 
sentiment  de  sa  hauteur  ou  de  sa  dignité  blessées  que  les 
ressources  réelles  qu'elle  a  pour  la  soutenir,  ou  plutôt  si 


17S  LETTRES 

elle  ne  compte  pas  trop  sur  nos  moyens  en  nous  embar* 
quant  toujours  davantage,  ou  en  les  croyant  plus  étendus 
qu'ils  ne  le  sont  en  effet. 

3^  Je  conviens  de  l'intérêt  que  nous  avons  à  ne  pas  laisser 
le  roi  de  Prusse  devenir  le  dictateur  derAllemagne;  mais 
croyez-vous  que  les  cours  de  France ,  de  Vienne,  de 
Suède,  de  Russie,  de  Saxe,  de  Bavière,  etc.,  restant  unies 
ensemble,  que  cette  ligue,  qu'on  peut  encore  fortiSer,  n'en 
imposera  (pas)  plus  au  roi  de  Prusse  que  des  armées  qui  agis- 
sent mal  ou  qui  sont  mal  dirigées,  et  nullement  concertées 
les  unes  avec  les  autres?  Vous  me  direz  qu'il  n'y  a  qu'à  les 
faire  mieux  commander  et  diriger.  Et  je  vous  répondrai  : 
Mettez-y  donc  de  grands  généraux;  ayez  des  ministres 
et  des  conseils  qui  dirigent  la  guerre  avec  la  supériorité 
de  M.  de  Louvois,  en  un  mot,  avec  le  talent,  qui  seul  est 
capable  d'arranger  les  grandes  choses.  Où  sont  ces  géné- 
raux? Où  sont  ces  ministres?  Et  s'ils  existaient,  les  met- 
trait-on en  place?  Ce  n'est  pas  Fétat  des  affaires  qui  m'ef- 
fraye ;  c'est  l'incapacité  de  ceux  qui  les  conduisent,  à 
laquelle  il  n'est  pas  en  mon  pouvoir  de  remédier.  Daos 
cet  état,  je  pense  toujours  que  le  plus  sage  serait  de  pro- 
fiter d'un  moment  pour  mieux  préparer  par  la  suite 
l'exécution  d'un  ouvrage  qui  n'est  pas  proportionné  aux 
forces  de  ceux  à  qui  la  direction  en  est  confiée.  D'ailleurs, 
j'ai  toujours  douté,  et  avec  raison,  de  la  bonne  foi  de  nos 
bureaux  de  la  guerre  pour  le  maintien  du  système  actuel. 

4"*  Je  suis  bien  aise  que  vous  conveniez  avec  moi  que  la 
meilleure  façon  de  mettre  le  roi  de  Prusse  à  la  raison, 
c'est  de  faire  la  paix  avec  l'Angleterre,  et  c'est  à  quoi  je 
songe  nuit  et  jour.  J'ai  bien  pensé  à  l'Espagne,  et  il  y  a 
longtemps;  mais  si  l'Angleterre  était  moins  folle  du  roi  de 
Prusse  et  moins  persuadée  que  la  guerre  de  terre  nous  ôtera 
les  moyens  de  faire  celle  de  mer,  croyez-moi  que  j'aurais 


DE  L*ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  169 

comte  de  Clermont  vaudra-t-il  mieux'?  Oui,  si  Crëmille 
mérite  la  réputation  qu'il  a.  Au  reste,  je  suis  plus  occupé 
que  jamais  de  mettre  nos  frontières  en  sûreté.  M.  Yorke  a 
proposé  à  plusieurs  membres  de  la  république  de  Hollande 
la  question  de  savoir  comment  serait  pris  par  la  Répu- 
blique un  débarquement  d'Anglais  qui  se  ferait  dans  son 
pays  sans  réquisition.  C'est  par  ce  moyen  que  l'Angleterre 
pense  forcer  la  République,  en  excitant  les  peuples. 

Songeons  d'abord  à  notre  sûreté.  Si  l'Impératrice  veut 
continuer  la  guerre ,  ce  que  je  ne  désapprouve  pas  si  elle 
peut  le  faire  avec  apparence  de  succès,  vous  pouvez 
être  assuré  que  le  Roi  ne  l'abandonnera  jamais ,  et  que 
notre  alliance,  ni  en  paix,  ni  en  guerre,  ne  soufFrira  aucune 
atteinte.  Mais  souvenez-vous  bien  qu'autre  chose  pour 
nous  est  d'avoir  un  objet  d'intérêt  dans  la  guerre,  ou  de  la 
soutenir  simplement  par  noblesse ,  générosité  et  politique. 
Si  nous  en  sommes  réduits  à  ces  derniers  motifs,  on  doit 
prendre  ce  que  nous  pourrons  donner  et  ne  rien  exiger 
de  nous.  Si  l'on  veut  nous  animer  par  le  motif  de  l'intérêt, 
il  faut  que  nous  voyions  clairement  comment  on  espère  de 
soumettre  le  roi  de  Prusse.  Il  faut  qu'on  se  souvienne  que 
nous  ne  sommes  entrés  en  guerre  que  sur  la  certitude 
que  la  Russie  agirait  de  toutes  ses  forces,  et  que  le 
traité  porte  même  que ,  si  quelqu'une  des  puissances  vient 
à  retirer  son  concours,  on  y  suppléera.  Nous  sommes 
embarqués;  la  Russie  se  retire,  ou  autant  vaut;  sonjmes- 
nous  donc  obligés  à  porter  seuls  le  poids  du  chaud  et  du 
jour?  Soyons  nobles,  mon  cher  comte,  mais  ne  soyons 
pas  dupes;  soyons  constants  et  fidèles,  mais  ne  nous 
perdons  pas,  et  commençons  parla  sûreté  du  royaume. 

*  La  Gazette  du  21  janvier  inscrit  la  nouvelle  que  le  Roi  a  donné  le 
commandement  de  l'armée  de  Richelieu  à  M.  le  comte  de  Clermont.  Il 
part  le  l'**  février  à  midi  pour  se  rendre  en  Hanovre.  (Journal  de  Barbier,) 


170  LETTRES 

En  attendant,  préparons  toutes  nos  forces  pour  agir  avec 
vigueur,  ou  pour  être  maîtres,  jusqu'à  un  certain  point, 
des  conditions  de  la  paix.  M.  de  Richelieu  va  bien  fronder 
ici  et  cabaler.  Je  lui  conseillerais  le  contraire;  il  devrait 
aller  à  Richelieu  '  quelque  temps.  Pour  M.  de  Soubise, 
il  feut  qu'il  ait  d'excellents  officiers  avec  lui.  Castries 
propose  Bourcet^  au  lieu  de  Montazet  pour  son  maréchal 
des  logis.  Je  ne  suis  pas  de  son  avis,  quoique  Bourcet 
ait  du  mérite.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  ne  faut  pas  que  M.  de 
Soubise  soit  battu  une  seconde  fois;  notre  amie  serait 
déchirée  par  le  peuple.  Adieu,  mon  cher  comte  ;  c'est  ma 
raison  qui  me  retourne  vers  la  paix.  Si  mon  courage  était 
mieux  secondé  qu'il  ne  peut  l'être,  je  serais  plus  fier  que 
raisonnable. 

Ce  25  janTÎer. 

Je  réponds,  mon  cher  comte,  à  votre  lettre  particulière 
du  15.  Vous  m'y  exhortez  à  ne  pas  songer  à  la  paix,  et 
vous  me  représentez  la  honte  et  le  danger  qu'il  y  aurait  à 
traiter  avec  le  roi  de  Prusse,  tandis  que  la  cour  de  Vienne, 
par  les  mesures  qu'elle  prend,  et  celles  que  nous  sommes 
en  état  de  prendre,  peut  finir  glorieusement  la  campagne 
prochaine,  ou  du  moins  se  trouver,  après  avoir  tenté  des 
efforts  dignes  d'un  grand  courage,  tout  aussi  à  portée  de 
la  paix  honteuse  qu'elle  peut  faire  aujourd'hui.  Je  crois 
que  je  pourrais  me  dispenser  de  répondre  h  ce  raisonne- 
ment par  tout  ce  que  je  vous  ai  déjà  écrit  sur  cette  ma- 
tière, et  plus  encore  par  les  réponses  que  vous  êtes  en 

^  Sa  terre  de  Poitou,  érigée  en  dacbé  -  pairie  poar  le  cardinal  eo 
août  1631. 

^  Pierre  de  Bourcet,  né  le  1'''^  mars  1700,  ofBcîer  pointeur  an  régiment 
RoyaU  Artillerie  en  1720.  Il  fit  tousses  grades  comme  officier  à  la  suite  dans 
Royal-Vaisseaux,  fut  nommé  brigadier  d'infanterie  en  1748,  maréchal  de 
camp  en  1759,  lieutenant  général  en  1762,  grand-croix  de  Saint-Loaii 
le  11  aTril  1770  ;  il  moarut  en  1780. 


DE  L^ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  175 

pour  la  vie.  J'espérais  que  la  même  confiance  qui  m'avait 
choisi  me  donnerait  une  supérioritë  de  conseil  pour  l'exé- 
cution que  je  n'ai  pas  eue,  et  que  je  ne  chercherai  jamais 
à  avoir.  On  fait  plus  de  cas  de  moi  peut-être  que  des 
autres;  mais  mon  influence  n'en  est  pas  plus  grande  dans 
les  moments  décisifs. 

On  ne  verra  dans  cette  plainte  qu'une  ambition  effré- 
née, et  l'on  verra  mal.  Je  n'aime  ni  la  cour,  ni  les  places, 
ni  les  dignités.  Ma  famille  est  même  moins  bien  traitée 
que  les  familles  qui  lui  sont  égales;  d'où  vient  cela  ?  C'est 
que  je  ne  demande  rien  pour  moi.  Je  voulais  assurer  au 
Roi  la  place  qui  lui  convient  dans  l'Europe,  à  mes  amis 
une  considération  stable,  à  moi  une  grande  réputation  ; 
on  m'a  dit  :  Fais  de  grandes  choses,  mais  fais-les  avec  les 
plus  médiocres  ouvriers,  auxquels  tu  n'auras  ni  le  droit  de 
commander,  ni  celui  de  les  faire  obéir  par  des  ordres  supé- 
rieurs. Dès  que  j'ai  vu  capituler  à  Closterseven,  négocier 
à  Halberstadt,  séparer  l'armée  après  la  bataille  de  Rosbach , 
tandis  qu'en  marchant  sur  la  Sala,  M.  de  Richelieu  rete- 
nait le  roi  de  Prusse  sur  l'Elbe,  ou  s'emparait  de  la  Saxe, 
si  ce  prince  se  fût  porté,  comme  il  a  fait  en  Silésie,  j'ai  vu 
que  tout  était  manqué,  et  qu'il  nous  restait  bien  peu  d'é- 
toffe pour  réparer  de  si  grands  malheurs  et  de  si  lourdes 
fautes.  J'ai  vu  cela,  et  je  le  vois  encore  avec  le  plus  grand 
regret  du  monde.  Mais  après  avoir  fait  les  représentations 
d'un  homme  sage,  je  sais  être  tout  aussi  téméraire  qu'un 
autre,  et  bien  plus  qu'un  autre,  car  je  vois  clairement  où 
cette  témérité  nous  conduira. 

M.  de  Kaunitz  a  cru  remarquer  que  vous  étiez  triste  et 
rêveur  ;  il  a  voulu  savoir  d'où  venait  ce  changement  ;  il 
mande  à  M.  de  Starhemberg  qu'il  a  cru  démêler  que  l'af- 
faire de  Lissa  et  ses  suites  nous  avaient  fait  craindre  que 
l'Impératrice  ne  fût  pas  en  état  de  soutenir  la  guerre.  Sur 


176  LETTRES 

quoi  il  entre  avec  beaucoup  d'esprit  et  de  candeur  dans  un 
assez  grand  détail.  C'est  déjà  un  (prand  point  que  M.  le 
prince  Charles  ne  commande  plus  l'armée;  je  tous  dirai 
même  que  je  ne  suis  plus  si  en  peine  des  Autrichiens  que 
de  nous.  Il  y  a  du  zèle  chez  eux,  de  l'obéissance  plus  que 
chez  nous,  et  je  vois  que,  moins  actifs  que  nous  par  nature, 
dans  les  cas  pressés  ils  exécutent  très-vite  de  grandes 
choses.  « 

Enfin  je  suis  ravi  de  voir  à  l'Impératrice  une  belle  ar- 
mée au  printemps  prochain.  Si  j'étais  sûr  de  ce  que 
deviendra  la  nôtre  d'ici  là,  je  serais  moins  en  peine. 
M.  de  Kaunitz  croit  que  les  Russes  vont  se  porter  snr 
Kœnigsberg.  Je  le  souhaite;  mais  les  Suédois  auront-ils  de 
quoi  vivre  à  Stralsund?  Le  duc  de  Mecklembourg,  le  12 
de  ce  mois,  n'avait  pas  encore  signé  de  convention  avec 
le  roi  de  Prusse,  qui,  outre  dix-huit  mille  hommes,  lui 
demande  dix  millions  de  notre  monnaie  en  quatre  paye- 
ments'. M.  de  Richelieu  a  remis  nos  ratifications  à  un 
marchand  que  Champeaux  lui  avait  adressé;  nous  igno- 
rons si  elles  sont  parvenues  à  leur  destination. 

Nous  allons  donner  à  l'Impératrice  tout  l'argent  que 
nous  avons  (ait  arrêter  à  Osnabruk  et  que  toutes  les  vrai- 
semblances nous  Font  croire  appartenir  à  l'Angleterre.  En 
tout  cas,  nous  le  rendrons  quand  on  en  aura  justifié  la 
propriété.  On  croit  qu'il  y  a  environ  huit  à  neuf  millions. 
Avec  ce  que  nous  avons  payé  déjà  à  la  Suède,  nous  serons 
bien  avancés  avec  la  cour  de  Vienne.  La  réponse  que 
M.  de  Kaunitz  a  faite  à  votre  mémoire  m'a  fait  plaisir,  quoi* 
qu'elle  soit  sans  conclusion.  Il  est  bon  de  voir  comment 


i  Voir  ce  que  dit  Frédéric,  Mémoires,  édit.  Pion ,  t.  I,  p.  406  et  419. 
II  n*est  pas  question  de  cette  cocyention,  qui,  d^autre  part,  ne  parait  pas 
avoir  été  imprimée.  Voir  Tetot,  Répertoire  des  traités  de  paix,  partie 
alphabétique,  p.  351. 


DE  L*ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  173 

plus  tôt  fait  en  traitant  directement  avec  elle  et  en  en- 
voyant mon  ultimatum  sur  carré  de  papier. 

5^  Quand  je  vous  ai  parle  d'une  trêve,  je  n'ai  prétendu 
que  donner  à  la  cour  de  Vienne  le  temps  de  reformer  une 
armée,  et  à  nous,  de  pouvoir  la  lui  envoyer.  Si  elle  est  en 
force,  c'est  les  armes  à  la  muin  qu'il  faut  négocier,  j'en 
suis  tout  à  fait  d'accord  ;  et  dès  que  la  cour  de  Vienne  est 
en  force,  il  ne  faut  point  de  trêve. 

6""  Voussentez  que,  puisque»  ne  nousdétachantréellement 
pas  de  la  cour  de  Vienne,  nous  voulons  bien  courir  les 
risques  d'une  seconde  campagne,  plus  il  est  nécessaire  de 
lui  faire  faire  attention  à  ces  mêmes  risques,  afin  qu'elle 
nous  sache  tout  le  gré  que  nous  méritons,  et  qu'elle-même 
sente  tout  le  danger  qu'elle  court  et  nous  fait  courir.  Il  y 
aurait  de  l'imbécillité  à  se  livrerpieds  et  poings  liés  sanssen- 
tir  et  ftiire  sentir  auxautres  que  nous  voyons  notre  situation . 

D'après  tous  ces  points,  vous  devez  conclure  que  nous 
allons  jouer  le  plus  gros  jeu  du  monde.  Des  soixante-dix 
millions  que  nous  venons  d'avoii^,  il  y  en  a  plus  de  vingt 
millions  qui  sont  déjà  dépensés.  La  marine  en  a  coûté 
soixante  cette  année,  sans  payer  un  sou  sur  ses  dettes  an- 
ciennes, ni  la  plus  grande  partie  du  courant.  Où  trouve- 
rons-nous de  nouvelles  ressources  pécuniaires?  Nous 
allons  soudoyer  dix  mille  Suédois  et  plus  de  dix  mille 
Saxons;  quelle  dépense  ajoutée  à  une  dépense  déjà  énorme! 
Si  nous  avions  des  Colbert,  des  Desmarets,  ou  des  fous  in- 
génieux comme  Law,  nous  pourrions  trouver  bien  des 
expédients  ;  le  public  n'a  point  de  confiance,  tout  est 
tourné  en  fronde  et  en  plaintes.  Point  de  ministres,  point 
de  conseil,  point  de  généraux,  point  de  volonté  dans  les 
uns,  ni  d'activité  dans  les  autres.  Je  vous  dis  ma  pensée, 
il  faut  être  fol  pour  ne  pas  désirer  que  la  cour  de  Vienne 
veuille  faire  la  paix,  et  pour  ne  pas  lui  conseiller  de  la 


174  LETTRES 

désirer.  Voilà  mon  opinion,  et  cependant  je  sens  tout 
comme  vous  la  honte  de  céder,  d'abandonner  un  grand 
projet,  de  subir  en  quelque  façon  la  loi.  Mais  donneiHnm 
des  hommes,  et  je  risquerai  tout;  car  tout  incapable  que  je 
suis  de  mener  une  machine  de  guerre,  avec  de  la  fermeté 
et  un  peu  de  prévoyance,  je  m'en  serais  mieux  tiré,  cette 
campagne,  que  ceux  qui  en  ont  été  chargés.  Comment 
voulez-vous  que  je  ne  tremble  pas  de  voir  mon  ouvrage 
dans  les  mains  de  ceux  qui  l'ont  gâté  et  voulu  gâter?  Mais, 
mon  cher  comte,  je  vous  fais  des  réflexions  bien  inutiles, 
puisque  la  cour  de  Vienne  a  pris  son  parti,  et  que  le  Roi  a 
pris  le  sien  de  ne  pas  traiter  sans  elle.  Mais  souvenez-vous 
que  j'ai  trouvé  un  instant  que  la  sagesse  me  montrait  do 
bout  du  doigt  et  dont  nos  alliés  et  nous  gémirons  peut* 
être  bien  longtemps  de  n'avoir  pas  profité. 

Nous  enverrons  vingt-quatre  mille  hommes  en  Bohème. 
Cela  n'est  pourtant  guère  nécessaire  si  la  cour  de  Vienne 
en  a  quatre-vingt-dix  mille.  Mais  quand  les  enverrons- 
nous  ?  Il  y  a  quinze  jours  que  je  presse  sur  cela,  et  il  n'y 
a  rien  de  fait.  En  attendant,  si  le  roi  de  Prusse  est  à  Mag- 
debourg,  comme  on  le  dit,  s'il  joint  seulement  douxe  à 
quinze  mille  hommes  aux  Hanovriens,  je  ne  serais  nulle- 
ment étonné  que  notre  armée  ne  fut  chassée  faute  de  pou- 
voir subsister  ensemble,  et  alors  les  secours  que  nous 
pourrions  envoyer  arriveraient  au  mois  d'août,  car  ce  ne 
serait  pas  une  retraite,  mais  une  vraie  débandade. 

Vous  savez  au  reste  que  les  Suédois  ont  rendu  Andam 
et  Demmin  ',  et  sont  sous  Stralsund  ^. 

Dieu  me  préserve  de  jamais  gouverner  des  aflfaires  dont 
je  ne  serai  pas  totalement  le  maître.  M'en  voilà  corrigé 

»  Le  17  janvier  1758. 

'  Sous  le  commandement  du  comte  de  Rozen,  qui,  à  la  fin  de  janvier, 
succède  au  maréchal  Ungern  de  Sternberg. 


DE  L'ABBE  COMTE  DE   BERNIS.  177 

nos  alliés  envisagent  des  objets  qui  nous  sont  communs. 

A  regard  des  Saxons,  je  vais  travailler  à  un  projet  de 
convention  tant  sur  cet  article  que  sur  celui  des  revenus 
des  pays  conquis,  moyennant  les  Suédois.  Le  départ  de 
M.  le  comte  de  Clermont  et  du  chevalier  de  Gourten  ',  qui 
va  voyager  dans  l'Empire,  comme  je  crois  vous  l'avoir 
déjà  dit,  ne  donne  pas  un  moment  à  mes  bureaux,  et  les 
affaires  ne  m'en  donnent  guère.  Vous  n'en  jugerez  pas 
ainsi  à  la  longueur  de  cette  lettre;  mais  je  crois  très- 
important  de  vous  instruire  de  tout  en  détail,  et  sans  le 
vernis  du  bureau. 

Ne  vous  épouvantez  pas  quand  je  vous  mande  ce  que  je 
pense.  Jamais  vous  ne  me  verrez  conseiller  les  partis 
faibles,  encore  moins  les  partis  de  mauvaise  foi,  j'en  suis 
incapable.  Vous  trouverez  la  copie  du  mémoire  que  nous 
avons  envoyé  en  Hollande.  Je  ne  biaise  point  sur  Ostende 
et  Nieuport.  Nous  en  serons  quittes,  si  la  fortune  nous 
seconde,  pour  une  autre  copie  du  traité  secret  et  d'autres 
ratifications,  ou  simplement  d'en  changer  la  date  lorsqu'il 
sera  communiqué  ou  rendu  public.  Cet  acte  secret  n'est 
jusqu'ici  que  le  gage  que  notre  sûreté  exigeait  de  part  et 
d'autre.  Nous  pourrons  y  donner  l'époque  qu'il  nous  con- 
viendra le  mieux  de  choisir  lorsqu'il  en  sera,  temps. 
Comme  jusqu'ici  nous  sommes  les  seuls  contractants, 
nous  sommes  nos  maîtres' absolus.  D'ailleurs  il  n'est  pas 
question  aujourd'hui  de  la  cession  des  Pays-Bas,  mais  du 
seul  arrangement  provisionnel  d'Ostende  et  de  Nieuport. 
M.  de  Lobkowitz  doit  être  content  du  Roi,  qui  l'a  entre- 


1  Antoine  Pancrace,  cbevalier  de  Gourten,  quittait  le  service  de  Saxe, 
lorsqu'il  fut  reçu  capitaine  au  régiment  de  Gourten  le  24  novembre  1742  ; 
major  le  2  août  1745,  rang  de  colonel  le  15  avril  1759,  brigadier  en  1762, 
colonel  d*un  régiment  suisse  en  1766 ,  maréchal  de  camp  en  1770 ,  il  fut 
élevé  au  grade  de  lieutenant  général  en  1784. 

II.  12 


178  LETTRES 

tenu  près  de  trois  quarts  d*heure  chez  madame  de  Pompa- 
dour»  et  qui,  en  lui  souhaitant  un  bon  yoyag^e,  lui  a  dit 
d*assurer  Tlmpératrice  que  son  alliance  serait  étemelle  et 
qu'au  surplus  il  s*en  rapportait  à  la  lettre  qu*il  écrit  à  cette 
princesse  et  dont  je  joins  ici  la  copie.  Le  Roi  a  donné  son 
portrait  enrichi  de  diamants  fort  beaux  à  M.  de  Lobkowitz. 

Je  remets  mon  paquet  à  M.  de  Lobkowitz.  Je  crois 
qu'on  n'est  pas  trop  curieux  h  Vienne;  en  tout  cas,  on  ne 
verra  dans  cette  lettre-ci  que  des  détails  très-Yrais,  qui 
pourront  faire  naître  des  réflexions  bien  sages. 

J'écrisà  M.  de  Kaunitz  sur  la  mort  de  madame  sa  mère', 
et  j'entre  avec  lui  dans  un  détail  de  franchise  qui  ne  lui 
déplaira  pas,  et  qui,  à  mon  avis,  ne  saurait  produire  ua 
mauvais  effet. 

Nous  allons  donc  nous  rebattre  de  plus  belle.  Je  crains 
l'humeur  et  le  retour  de  M.  de  Richelieu.  La  folie  qu'il  a 
eue  de  vouloir  revenir  dans  les  circonstances  les  plus  cri- 
tiques a  fait  décider  son  rappel. 

Si  nous  nous  soutenons  à  Hanover,  nous  viendrons  à 
bout  de  la  neutralité,  et  la  neutralité  conduira  à  la  paix 
avec  l'Angleterre  tout  naturellement. 

Je  me  ravise,  et  je  vous  enverrai  un  courrier  qui  ne  vous 
apportera  précisément  que  les  points  dont  il  faut  promp- 
tement  convenir  avec  la  cour  de  Vienne  pour  Fenvoi  des 
vingt-quatre  mille  hommes.  M.  de  Lobkowitz  portera  le 
reste  de  ce  que  je  vous  annonce,  si  le  reste  est  prêt.  Hais 
du  moins  le  point  principal  ne  souffrira  aucun  retarde- 
ment. Nous  allons  travailler  aux  Saxons  et  aux  pays  cod« 
quis.  Au  reste,  le  Roi  n'enverra  que  des  Allemands  à  l'Im- 

*  Marîe-Emestine-FrançoI»e,  comtesse  douairière  de  Kaunîu-Ritd)efS 
et  du  Saint-Empire,  née  comtesse  d'Oslfrise  de  Rittberg  et  du  SainC-Eo- 
pire,  morte  à  Brunn,  en  Moravie,  le  l»""  janvier  1758  ,  à  Tâgc  de  soixaote- 
douze  ans. 


DE  L'ABBÉ   COMTE  DE   BEKNIS.  179 

pératrice.  Il  faut  que  les  Français  restent  ensemble  et 
qu'ils  n'inondent  pas  la  France  et  les  pays  étrangers  d'é- 
pigrammes  contre  les  Autrichiens,  et  que  toute  la  cour  ne 
se  déchaîne  pas  contre  M.  de  Soubise,  s'il  y  a  deux  colo- 
nels de  son  armée  de  blessés. 

Adieu,  mon  cher  comte;  le  porteur  vous  dira  le  reste. 
Vous  me  regardez  comme  votre  ami,  et  vous  avez  bien 
raison. 

Je  crois  M.  de  Montazet  parti.  M.  de  Paulmy  ne  veut 
pas  le  faire  maréchal  de  camp  '.  Gela  est  injuste.  Écrivez- 
en  à  madame  de  Pompadour. 

Ce  30  janvier  1758. 

Je  reçois,  mon  cher  comte,  une  lettre  de  M.  Ogier, 
du  14,  qui  m'a  fait  grand  plaisir.  Il  est  certain  que  le 
Danemark  a  rejeté  les  nouvelles  offres,  encore  plus  éten- 
dues que  les  premières,  de  l'Angleterre  et  du  roi  de  Prusse, 
qui  l'ont  attaqué  l'un  et  l'autre,  et  par  l'appât  de  subsides 
plus  considérables  que  les  nôtres,  et  par  l'espoir  encore 
plus  flatteur  de  faire  réussir  l'échange  du  Holstein.  Voilà 
un  grand  inconvénient  de  paré.  La  crainte  du  roi  de 
Prusse  et  de  ses  succès  intimide  cependant  le  Danemark. 
Son  ministre  à  Vienne  lui  a  fait  part  du  plan  que  vous 
aviez  formé  pour  la  défense  du  Mecklembourg  par  les 
troupes  danoises.  Je  crois  qu'il  ne  faut  insister  sur  aucun 
plan  particulier,  mais  songer  à  engager  le  Danemark  à 
prendre  parti,  et  insérer  dans  la  convention  qui  sera  faite 
que  l'on  concertera  les  moyens  de  rendre  actives  les 
troupes  qu'il  mettra  sur  pied,  de  manière  à  ne  lui  faire 
courir  que  les  moindres  risques,  en  aidant  cependant  uti- 

^  Je  le  trouve  pourtant  dans  Pirard,  V,  694,  et  dans  VÀlmanach  royal 
comme  maréchal  de  camp  avec  brevet  du  l"''  décembre  1757. 

iS. 


180  LETTRES 

lement  la  cause  commune.  Ce  point  gagné  une  fois  nous 
mettra  fort  à  Taise.  Un  premier  pas  en  entraîne  un  autre. 
Voici  donc  ma  pensée,  sur  laquelle  j'enverrai  des  instruc- 
tions à  M.  Ogier  :   vu  les  difficultés  du  grand-duc  pour 
l'échange  du  Holstein,  difficultés  qui,  pour  être  aplanies, 
consommeraient  beaucoup  de  temps,  je  penserais  que  la 
cour    de   Vienne  devrait  consentir    à  ce   que  rOstfirise 
fïit  cédée  au   Danemark,  pour   en    faire,   s'il    était  pos- 
sible, l'échange  avec  la  partie  du  Holstein  que  possède  le 
grand-duc,  ou  pour  rester  au  Danemark  en  propriété,  si 
cet  échange  n'avait  pas  lieu  ;  que  pour  le   succès  dodit 
échange  les  cours  de  France  et  de  Vienne  s'engageraient 
à  employer  leurs  bons  offices  et  ceux  de  leurs  alliés.  Lt 
cession  actuelle  de  l'Qstfrise  et  la  garantie  de  cette  pro- 
vince au  Danemark  sont,  selon  moi,  le  moyen  le  plus  court, 
le  plus  simple  et  le  plus  fort  pour  déterminer  prompte- 
ment  cette  puissance.  On  dédommagerait  M.  le  comte  de 
Kaunitz  de  la  manière  dont  il  le  désirerait,  et  conséquemment 
aux  ouvertures  que  vous  lui  avez  faites  à  ce  sujet  *.  Voilà  ce 
que  je  pense.  Je  manderai  à  M.  Ogier  qu'il  attende  votre 
réponse,  pour  agir  d'après  ce  plan  lorsqu'il  sera  adopte 
par  la  cour  de  Vienne. 

Au  reste,  le  duc  de  Mecklembourg  n'attend,  pour  porter 
ses  plaintes  à  la  diète,  que  l'aveu  de  l'Empereur.  Il  n'est 
pas  content  de  la  réponse  que  lui  a  faite  le  conseil  ao- 
lique  ;  il  se  défie  des  intentions  de  quelques  membres  de  ce 
conseil.  Tâchez  de  lui  rendre  la  cour  de  Vienne  plus  favo- 
rable ;  elle  y  a  le  plus  grand  intérêt,  ainsi  que  la  cause 

^  On  sait  que  l*Ostfrîse,  pays  contî|;u  à  la  Westfrise  bollandaUe,  appar- 
tenait  depuis  1744  au  roi  de  Prusse,  qui  y  avait  succédé  en  vertu  d*iioe 
expectative  donnée  en  1694  à  Télecteur  Ftédéric-Guillaume  de  Brande- 
bourg par  Tempereur  Léo|>old  II.  Les  comtes  de  Kaunitz  et  de  Wied- 
Runckel  prétendaient  avoir  des  droits  sur  l'Ostfrise  du  chef  de  leur  ascen- 
dance féminine. 


DE  L'ABBE  COMTE  DE  BERISIS.  181 

commune.  C'est  pour  attacher  le  duc  de  Mecklembourg 
que  j'ai  consenti  beaucoup  de  choses  que  Champeaux  a 
passées  légèrement  afin  de  mieux  engager  ce  prince,  mais 
qui  ne  nous  lient  que  par  les  Hens  des  bons  offices  et  dans 
des  cas  dépendant  du  futur  contingent  et  de  la  volonté  des 
tiers  intéressés.  La  cour  de  Vienne  accédera  aux  articles 
qui  lui  conviendront,  mais  ce  n'est  pas  ici  le  cas  d'être 
pédante,  comme  à  son  ordinaire,  vis-à-vis  des  princes 
protestants. 

M.  le  comte  de  Clermont  part  dans  deux  jours*.  Le 
pillage  de  notre  armée  a  été  poussé  à  l'extrême,  et  sur  cet 
article  M.  de  Richelieu  n'est  pas  excusable.  Ce  qui  est 
fait  est  fait;  il  n'en  faut  plus  parler.  M.  de  Digne*  a  l'évê- 
ché  d'Orléans,  et  M.  de  Troyes  '  a  donné  sa  démission  ; 
je  travaille  à  obtenir  la  même  chose  de  l'évéque  d'Auxerre* 
pour  avoir  la  paix  dans  notre  intérieur.  Adieu,  mon  cher 
comte;  je  crois  que  vous  ne  doutez  pas  démon  amitié. 
Mon  mémoire  envoyé  en  Hollande  a- déconcerté  la  cabale 
anglaise  et  prussienne. 

Ce  4  février. 

Je  sais,  mon  cher  comte,  que  Castries  vous  écrit  pour 
que  la  cour  de  Vienne  ne  soit  pas  chargée  des  subsistances 
des  vingt-quatre  mille  hommes  ;  mais  Duverney  a  compté 
sur  cet  arrangement,  et  n'a  pris  aucune  mesure  en  consé- 

'  Le  commandement  du  comte  de  Clermont  est  annoncé  par  la  Gazette 
^  la  date  du  19  janvier.  Le  29  janvier,  le  prince  prend  congé  du  Roi  et  de 
la  famille  royale. 

3  Louis-Sextius  de  Jarente  de  la  Bruyère,  chargé  de  la  feuille  des  béné- 
fices. L*abbé  Pierre-Paul  du  Caylar  fut  nommé  à  sa  place  à  Digne. 

3  Matthias  Poncet  de  la  Rivière,  sacré  évèque  de  Troyes  le  2  septembre 
1742.  Il  fut  remplacé  par  Jean -Baptiste-Marie  Champion  de  Cicé,  grand 
vicaire  du  diocèse  de  Bourges. 

^  Depuis  1754,  Tévèque  d*Auxerre  était  Jacques-Marie  de  Caritat  de 
Condorcet,  précédemment  évêque  de  Gap. 


182  LETTRES 

quence.  Voyez  dans  quel  chaos  cette  nouvelle  disposition 
jetterait.  Ainsi,  pour  remédier  à  tout,  je  crois  que  vous 
pourriez  pourvoir  a  ce  qu'en  payant,  on  fournit  à  nos 
troupes  les  subsistances  telles  que  nous  les  donnons.  Sans 
cela,  ce  seul  objet  fera  des  galimatias  sans  fin  et  des  retar- 
déments. 

Co  4  février. 

Les  propos  sans  fin  que  le  nonce  vous  a  tenus,  mon 
cher  comte,  sont  destitués  de  tout  fondement.  Apparem- 
ment que  ses  amis  de  Rome  lui  ont  mandé  que  le  bruit 
avait  couru  dans  cette  ville,  lors  de  la  suspension  équi- 
voque du  décret  de  Venise,  que  le  Pape  voulait  me  com- 
prendre dans  la  prochaine  promotion  des  cardinaux.  Je 
n'ai  fait  aucune  attention  à  ce  bruit,  ni  aucune  réponse  à 
ceux  qui  m'ont  donné  cet  avis,  qui  était  accompagné  de 
conseils  pour  assurer  par  quelques  démarches  ma  future 
nomination .  Mon  principe  sur  le  chapeau  est  de  ne  m'en  pas 
permettre  seulement  l'idée,  et  de  laisser  au  Roi  et  aux 
circonstances  le  soin  de  ma  destinée  à  cet  égard.  Je  serais 
flatté  assurément  d'être  cardinal,  et  j'ai  pensé  sur  cela  tout 
ce  qu'il  y  avait  à  penser  ;  mais  comme  cette  ambition  me 
tourmenterait  si  elle  était  forte,  et  que  le  chapeau  ne  me 
rendrait  pas  si  heureux  que  le  désir  de  l'avoir  pourrait  me 
tourmenter,  je  n'y  songe  en  aucune  sorte  de  façon,  et  je 
crois  même  que  je  manquerais  au  Roi  si  j'y  songeais 
jamais.  Je  suis  trop  sous  ses  yeux  pour  craindre  qu'il 
ni'oublie,  et  certainement  je  n'aurai  jamais  rien  que  par 
lui;  il  peut  lui  convenir  et  ne  pas  lui  convenir  que  je  sois 
cardinal;  les  époques  sur  cet  article  peuvent  ne  lui  être 
pas  indifférentes;  par  conséquent,  je  n'y  songe,  ni  ne  crois 
devoir  y  songer.  Voilà  la  vérité  toute  pure.  Ainsi  je  vous 
prie  de  laisser  tomber  les  propos  du  nonce,  de  ne  faire 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  183 

aucune  information  à  ce  sujet,  et  s'il  vous  en  parle,  de  lui 
dire  qu'il  n'a  jamais  été  question  de  cette  nomination  que 
par  des  bruits  répandus  à  Rome  et  qui  ne  méritent  pas  une 
grande  attention. 

Je  vous  avoue,  mon  cher  comte,  que  le  trésor  deWesel 
rempli  de  mitraille  m'a  choqué  à  mourir.  Mais  il  m'em- 
barrasse encore  davantage.  Nous  nous  sommes  avancés 
sur  la  notoriété  publique  vis-à-vis  de  la  cour  de  Vienne. 
L'exposition  pure  et  simple  du  fait  est  la  meilleure  élo- 
quence à  employer  pour  nous  disculper. 

Montmartel  va  fournir  un  million  de  florins,  et  s'arran- 
ger pour  en  donner  promptement  davantage.  Nous  péri- 
rons par  l'argent  :  il  y  a  loujgtemps  que  je  le  vois  et  que  je  le 
crains  ;  et  c'est  sur  cette  crainte  que  sont  fondées  tous  les 
raisonnements  que  je  vous  ai  faits  dans  mes  lettres  précé- 
dentes*. 

Le  Pape,  impatient  et  mauvaisnégociateur,  dans  le  temps 
où  le  Sénat  de  Venise  était  forcé  de  déclarer  la  suspension 
pure  et  simple,  s'est  ennuyé  de  tout  cela,  et  a  permis  que 
le  cardinal  Archinto  ouvrit  les  conférences  avec  l'ambas- 
sadeur de  Venise  à  Rome.  Par  cette  faute,  il  perdra  le 
mérite  de  la  déférence  à  laquelle  le  Sénat  était  forcé  par 
notre  cour,  et  les  affaires  n'en  seront  pas  plus  tôt  arrangées. 
J'en  demande  pardon  à  Sa  Sainteté,  mais  ce  n'est  pas  là 
comment  il  faut  s'y  prendre  avec  les  Vénitiens. 

Nous  avons  avis  que  les  Anglais  veulent  joindre  quinze 
mille  hommes  à  l'armée  hanovrienne.  Gela  va  nous  em- 
barrasser, si  M.  le  comte  de  Glermont  ne  trouve  pas  le 

1  On  sait  par  le  compte  rendu  de  Choiseul  (publié  Mémoires  de  Choi^ 
seul,  t.  I,  p.  98)  que  les  dépenses  des  affaires  étrangères  avaient  été  en 
1757  de  57,500,734  livres  11  sous  8  deniers,  et  en  1758  de  57,622,255 
livres  5  sous  1  denier.  Les  chiffres  donnés  par  M.  de  Boallongne  dans 
son  compte  rendu  ne  peuvent  pas  être  pris  au  sérieux.  (Collection  des 
comptes  rendus  de  1758  k  1787.  Lausanne,  1788,  in^®.) 


184  LETTRES 

moyen  de  casser  le  cou  au  prince  Ferdinand  avant  cette 
jonction  ;  il  en  a  bonne  envie.  M.  de  Richelieu  va  arriver. 
Il  parait  assez  philosophe;  Dieu  veuille  qu'il  soit  sage 
quand  il  sera  ici. 

Le  roi  de  Prusse  a,  dit-on,  envie  d'entrer  en  Moravie 
au  !•'  mars,  et  de  pousser  jusqu'à  Vienne;  ce  bruit  peut 
être  semé  à  dessein  ;  mais  il  serait  bien  fâcheux  de  l'avoir 
méprisé,  et,  en  y  faisant  trop  d'attention,  de  se  trouver 
faible  en  Bohême. 

Adieu,  mon  cher  comte;  je  souhaite  que  mes  derniers 
horoscopes  ne  se  vérifient  pas.  Le  grand  point  est  de  faire 
déclarer  le  Danemark.  La  politique,  si  elle  réussit,  aura 
fait  jusqu'à  l'impossible. 

Adresse  :  A  Monsieur,  Monsieur  le  comte  de  Stainvilk, 

Bkrms. 
(Cachet.) 

Ce  9  feTrier. 

Pouvez-vous  croire ,  mon  cher  comte ,  que  je  prenne  en 
mauvaise  part  vos  conseils,  ni  vos  idées?  Quand  elles  ne 
se  trouveront  pas  conformes  aux  résolutions  du  Roi,  je 
vous  le  manderai  nettement,  et  je  sais  que  votre  méthode 
n'est  pas  d'argumenter  contre  les  ordres  de  la  cour.  Quand 
les  résolutions  du  Roi  ne  seront  pas  absolument  établies, 
je  profiterai  bien  volontiers  et  avec  la  plus  grande  doci- 
lité de  vos  lumières.  Je  ne  suis  pas  assez  sot  pour  être 
jaloux.  Vos  dernières  lettres  ont  donné  très-bonne  opinion 
de  votre  discernement;  mais  on  a  trouvé  que  vous  avici 
parlé  trop  à  cœur  ouvert,  et  que  vous  n'aviez  pas  mis  assez 
de  gradation  dans  vos  ouvertures.  Je  croîs  que  vous  avez 
été  effarouché  par  l'idée  de  notre  faiblesse  ordinaire,  et 
que  vous  avez  communiqué  vos  craintes  par  celles  que 


DE  L'ABBÉ   COMTE  DE  BEUNIS.  185 

TOUS  aviez  yous-méine,  dont  quelque  chose  a  perce  aux 
yeux  de  M.  de  Kaunitz.  Mon  intention  était  que  vous 
levassiez  le  bandeau  qui  obscurcit  souvent  le  conseil  de 
Vienne  lorsque  Tamour-propre  s'en  mêle;  que  si  cette 
cour  vous  paraissait  disposée  à  la  paix ,  vous  n'y  missiez 
point  d'obstacles;  que  si,  au  contraire,  outre  la  volonté  de 
continuer  la  guerre,  elle  en  avait  encore  les  moyens,  de  ne 
point  l'exhorter  a  faire  la  paix.  D'ailleurs,  mon  cher  comte, 
la  peinture  que  je  vous  ai  faite  de  notre  état  n'est  point 
changée;  au  contraire,  il  n'y  a  point  ici  de  gouvernement , 
de  nerf,  ni  de  prévoyance.  Je  soutiens  la  machine  poli- 
tique par  artifice  ;  mais  comme  je  ne  suis  que  le  résultat 
des  autres  départements,  mes  peines  et  mes  soins  sont 
inutiles.  J'ai  du  courage  comme  un  lion,  mais  non  comme 
don  Quichotte,  et  je  ne  sais  pas  me  battre  contre  les 
moulins  à  vent.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  Russes  sont  à 
Kœnigsberg  '.  S'ils  se  portent  sur  la  Vistule,  ils  peuvent 
également  faire  des  courses  dans  le  Brandebourg  et  tirer 
de  presse  les  Suédois.  Le  roi  de  Prusse  a  voulu  faire  enle- 
ver le  marquis  de  Fraigne  à  Zerbst  *  ;  il  s'est  bien  défendu, 
s'est  bien  conduit,  et  a  été  secouru  et  soutenu  par  le  prince 
d'Anhalt.  Voyez  jusqu'où  ce  prince  porte  la  volonté  arbi- 
traire! Vous  me  direz  qu'il  faut  l'enchaîner;  j'en  suis 
d'accord,  mais  qu'on  lui  prépare  des  chaînes  qu'il  ne 
puisse  briser!  L'Infante  est  très-aise.  Elle  veut  absolu- 
ment assurer  le  sort  de  sa  fille,  qui  grandit;  elle  a  raison. 
Mais  moi,  je  songe  au  sort  des  petits-enfants,  et  je  le  vois 
bien  en  l'air.  Nous  allons  manœuvrer  sur  nos  côtes  et  y 
tenir  peut-être  le  prétendant  visiblement  caché.  Au  reste, 
si  j'étais  l'abbé  de  Bernis  tout  simplement,  j'aurais  été 
choqué  à  mourir  de  la  tirade  que  M.  de  Kaunitz  vous  a 

*   Gaxette  de  France,  p.  74,  i  la  date  du  11   *vrier. 

^  Voir  les  Mémoires  et  TAppendice.  ' 


186  LETTRES 

dit  (le  m'envoyer  sur  l'échange  pur  et  simple  de  Parme  et 
Plaisance;  mais,  comme  ministre,  je  suis  inaccessible 4iux 
sentiments  de  Thumanitë.  Je  vous  avertis  simplement  qoe 
le  grand  chancelier,  tout  bonn^te  homme  qu'il  est,  est 
ombrageux  et  défiant.  J'ai  dit  au  comte  de  Starhemberg  les 
mêmes  choses  que  je  vous  avais  écrites  ;  il  n'a  vu  que  du  bon 
sens  et  de  la  sagesse  dans  mes  réflexions,  mais  nullement 
un  changement  de  système.  Ne  dites  pas  cela  à  son  maitre, 
car  vous  lui  feriez  une  tracasserie.  Il  faut  bien  que  Tlm- 
pératrice  ait  un  Broglie,  mais  elle  aura  le  meilleur  sans 
contredit.  Adieu ,  mon  cher  comte;  je  suis  touché  de  votre 
amitié  et  de  votre  confiance ,  et  je  vois  avec  plaisir  que 
vous  comptez  sur  la  mienne. 

Ce  9  février  1758. 

La  lettre  de  M.  le  maréchal  de  Belle-Isie,  monsieur  le 
comte ,  vous  mettra  au  fait  de  ce  qui  se  passe.  Les  mal- 
heurs que  j'ai  prévus  sont  arrivés,  mais  ils  pourront  se 
réparer.  Je  crois  que  notre  armée  se  mettra  en  sûreté.  La 
difficulté  est  de  la  nourrir  derrière  le  Weser.  Nous  avons 
l'obligation  à  nos  généraux  et  au  défunt  ministie  de  la 
guerre  de  tout  ce  qui  arrive  aujourd'hui.  Nos  dépenses 
vont  se  multiplier;  mais  il  est  très-possible  que  les  événe- 
ments de  la  campagne  soient  les  mêmes  qu'ils  auraient  été 
si  nous  avions  conservé  l'électeur  de  Hanover.  Je  ne 
ferai  partir  le  courrier  que  je  vous  ai  annoncé  que  lorsque 
nous  saurons  un  peu  plus  sûrement  quelle  position  prendra 
notre  armée. 

Je  crois  que  la  cour  de  Vienne  devrait  borner  le  com- 
mencement de  la  campagne  à  une  défensive  sûre  en  Mora- 
vie et  en  Bohême,  et  faire  de  bons  camps  retranchés.  Les 
Russes  peuvent  nous  donner  aux  uns  et  aux  autres  le  temps 
de  respirer. 


DE  L'ABBE  COMTE  DE  BERNIS.  187 

Vous  connaissez  y  monsieur  le  comte ,  mon  inviolable 
attachement  pour  vous. 

Ce  20  février. 

Je  VOUS  prie,  mon  cher  comte,  de  vouloir  bien  faire 
parvenir  sûrement  cette  lettre  de  madame  la  Daupbine  au 
prince  Xavier'. 

N'oubliez  pas,  je  vous  prie,  ma  commission  pour  un 
grand  habit  de  femme  fond  bleu  brodé  en  soie  blanche 
sur  une  étoffe  de  printemps. 

Nous  apprenons  que  les  Prussiens  s'assemblent  du  côté 
d'Halberstadt  et  de  Magdebourg  pour  attaquer  d'un  côté 
WolfFenbuttel,  tandis  quelesHanovriens  attaqueraient  du 
côté  de  Vegezack  *.  On  croit  que  le  dégel  et  la  fonte  des 
glaces  rompront  ou  suspendront  cette  entreprise.  M.  de 
Montazet  arrive  dans  ce  moment. 

Ce  28  férrier. 

Je  ne  suis  pas  pédant,  monsieur  le  comte,  parce  que, 
avant  d'être  ministre,  je  n'ai  pas  été  maître  des  requêtes, 
ni  intendant  de  province.  Je  n'étais  pas  en  peine,  avec 
l'esprit  que  vous  avez,  que  nous  ne  fussions  du  même 
avis  dans  le  fond  ;  mais  je  vous  avoue  que  le  second  cour- 
rier dépéché  par  M.  le  comte  de  Glermont  m'a  bien  fait 
craindre  que  nous  n'eussions  perdu  un  temps  précieux 
pour  nous  tirer  de  l'abime.  Je  ne  suis  pas  hors  de  toute 

^  Françoîs-Xavier-Louis-Auguste  Bennon,  prince  de  Saxe,  né  à  Dresde 
le  25  août  1730,  second  fils  d*Auguste  III,  lieutenant  f,énéral  français 
commandant  un  corps  de  10,000  Saxons  auxiliaires  pendant  la  guerre  de 
Sept  ans.  Voir  sur  ce  prince.  Correspondance  du  prince  François" Xavier 
de  Saxe,  publiée  par  A.  THÉVEtiOT.  Paris,  1874,  iii-8°. 

*  Vegezack,  à  six  lieues  nord-ouest  de  la  ville  de  Brème,  sur  le  Weser, 
entrepôt  des  marchandiseï^  qui  vont  à  Brème.  Ce  port  ne  fut  ouvert 
qu  en  1619. 


188  LETTRES 

appréhension.  Si  les  Russes  continuent  à  agir  de  bonne 
foi,  nous  gagnerons  le  temps  de  nous  remettre;  mais  si 
nous  repassons  le  Weser,  soyez  sûr  (à  moins  que  nos  enne- 
mis ne  soient  des  sots)  que  nous  reviendrons  derrière  le 
Rhin ,  et  alors  on  sentira  qu'il  valait  mieux  faire  la  paix 
tandis  que  nous  possédions  encore  Télectorat  de  Hanover 
et  les  États  du  roi  de  Prusse  en  Westphalie ,  que  de  tenter 
fortune  avec  des  moyens  impuissants.  Depuis  qu*on  s*est 
résolu  a  mettre  le  maréchal  de  Belle-Isle  à  la  tête  du  mili- 
taire ,  je  respire  un  peu  ;  il  entend  la  chose ,  il  en  a  le  ton, 
l'expérience  et  la  considération  :  nous  sommes  amis.  Le 
conseil  se  fortifie  comme  un  arbre  dont  on  a  retranché 
une  branche  pourrie;  il  en  reste  encore  deux,  dont  Tane 
est  très-succulente  à  la  vérité,  mais  très- flasque.  Quand  on 
voudra  bien  y  substituer  un  rameau  vigoureux ,  on  remon- 
tera la  machine;  mais  M.  de  Soubise  le  protège,  et  il  a 
très-grand  tort ,  car  les  sots ,  même  avec  un  gros  ventre 
et  une  face  toujours  riante,  ne  sont  bons  qu'à  brouter  et  à 
dormir  \ 

Vous  avez  tiré  parti  de  votre  effusion  de  cœur  avec 
M.  deKaunitz,  parce  qu'un  homme  d'esprit  tire  parti  de 
tout.  Je  suis  bien  aise  qu'il  en  soit  résulté  plus  d'activité 
et  moins  de  confiance.  A  propos  de  cela,  j'ai  écrit  à  ce 
ministre  sur  la  mort  de  sa  mère  et  sur  nos  affaires.  J'at- 
tends la  réponse.  Vous  avez  dit  très-vrai  en  l'assurant  que 
je  n'ai  jamais  de  rancune.  Je  sens,  je  marque  que  j'ai 
senti ,  et  puis  je  suis  sage  ;  c'est  mon  caractère ,  et,  de  plus, 
c'est  mon  rôle  et  ma  charge.  Je  vous  recommande  les 
affaires  des  Génois;  ils  sont  insupportables  et  maladroits, 
quoique  fins;  mais  il  faut  les  protéger  pourtant,  et  voir  si, 
en  élaguant  une  partie  des  demandes  qu'ils  ont  faites ,  on 

^  Ne  s*agit-i1  point  ici  de  Peirenc  de  Moras? 


DE   L*ABBÉ   COMTE  DE   BERNIS.  189 

ne  pourrait  pas  réduire  leur  affaire  à  quelques  points  de 
convenance  réciproque.  Il  est  bon  de  ménager  et  de  pro- 
téger des  gens  qui  gardent  une  des  portes  de  l'Italie. 

Je  crois  que  si  nous  sommes  encore  à  Hanover  dans 
trois  mois,  et  que  tes  Russes,  malgré  Thoroscope  du  comte 
de  Broglie,  ne  restent  pas  sur  la  Vistule ,  nous  pour- 
rons faire  une  paix  honorable.  J'ai  jeté  quelques  petits 
fondements  pour  notre  paix  particulière  avec  les  Anglais. 
L'Espagne  joue  avec  eux  un  rôle  douteux,  qui  ne  me  per- 
suade pas  encore  qu'elle  veuille  se  fâcher  tout  de  bon. 
Mais  enfin,  quand  on  voit  des  indices,  on  doit  supposer 
quelque  principe  intérieur.  Tout  ce  que  nous  pouvons 
faire  pour  l'électeur  de  Bavière,  que  nous  voulons  conser- 
ver sur  le  tableau  des  princes  de  l'Empire ,  c'est  de  lui 
passer  complet  son  corps  de  troupes,  à  mille ,  douze  cents 
où  dix-huit  cents  hommes  près,  pour  cette  campagne  seu- 
lement, et  sans  tirer  à  conséquence  :  d'où  il  résultera  qu'il 
aura  cinq  mille  hommes  effectifs  au  lieu  de  six  mille  huit 
cents.  Il  ne  faut  pas  dire  cela  à  la  cour  de  Vienne,  à 
moins  que  vous  n'y  voyiez  aucun  inconvénient;  je  vous  en 
4is  autant  de  tout  ce  qu'a  écrit  et  qu'on  a  écrit  au  comte 
de  Clermont.  Il  faut  que  vous  sachiez  tout  et  que  vous  ne 
disiez  que  ce  qu'il  faut.  C'est  l'argent  qui  nous  fait  la 
guerre  la  plus  cruelle.  La  marine  manque ,  et  si  nous  ne 
perdons  pas  Louisbourg,  ce  ne  sera  pas  faute  d'y  avoir 
fait  de  notre  mieux  en  n'y  faisant  rien  du  tout.  M.  de  la 
due  '  est  parti  sans  attendre  M.  Duquesne  '  ;  il  pourra  bien 
être  battu.  Adieu,  monsieur  le  comte;  je  vous  aime  de 
tout  mon  cœur. 

1  N.  de  Bertet,  marquis  de  la  Clue,  lieutenant  général  des  ailnées  na- 
vales, mort  le  3  octobre  1754.  Son  escadre  était  en  relâche  à  Carthagène. 
{Gazette  du  18  février.) 

2  Le  marquis  Duquesne  Menneville,  chef  d'escadre  le  25  septembre  1755, 
mort  en  1778. 


190  LETTRES 

Ce  17 

La  moilié  de  mes  prophéties  est  déjà  accomplie ,  moo 
cher  comte;  nous  voilà  sur  le  Weser,  et  nous  serons  bien- 
tôt sur  le  Rhin,  après  avoir  essayé  de  garder  la  Lippe. 
Je  fais  tous  mes  efforts  pour  conserver  Emden,  et  pçir  con- 
séquent rOstfrise;  sans  quoi  notre  négociation  avec  le 
Danemark,  qui  est  en  si  bon  train,  aura  le  col  casse. 
Toutes'  les  fois  que  le  poHtique  fait  un  miracle,  le  mili- 
taire trouve  le  secret  de  tout  ruiner.  J'en  suis  sur  cela  à 
la  quatrième  expérience.  Malgré  Tétendue  de  nos  quar- 
tiers et  le  défaut  de  fourrages,  s'il  y  avait  eu  du  nerf  dans 
le  conseil  de  M.  le  comte  de  Glermont,  nous  n'aurions 
pas  été  chassés  de  l'électorat  d*Hanover  ;  cela  m'est 
bien  démontré.  Mais  Grémille,  qui  est  un  grand  homme 
pour  le  détail,  n'a  pas  cette  âme  vigoureuse  qui  fait  ris- 
quer les  coups  de  partie. 

Mon  avis ,  mon  cher  comte ,  est  que  nous  fassions  la 
guerre  au  roi  de  Prusse  comme  le  cardinal  de  Riche- 
lieu faisait  la  guerre  à  l'Empereur,  c'est-à-dire  par  les 
Allemands;  nous  ne  sommes  faits,  jusqu'à  ce  qu'il  nous 
arrive  des  généraux  et  qu'on  ait  rétabli  la  discipline ,  que 
pour  observer,  menacer,  conserver,  et  non  pas  agir. 
D'Affry  *  me  mande  qu'il  parait  certain  que  les  Anglais 
feront  passer  vingt  mille  hommes  dans  le  continent.  Voyez 
si  nous  pouvons  nous  écarter..  Je  tiens  ferme  à  ma  pre- 
mière idée.  Il  faut  que  le  Roi  envoie  toutes  ses  troupes 
étrangères  à  la  cour  de  Vienne  avec  quelque  cavalerie 
française,  qui  est  aujourd'hui  la  meilleure  espèce  de  nos 
troupes  ;  qu'on  augmente  nos  corps  allemands  de  viogt- 

^  Louis-Augustin  d*Affry,  cadet  dans  la  compagnie  de  son  père  en  1723, 
capitaine  de  la  compagnie  colonelle  en  1733,  maréchal  de  camp  en  174S, 
ambassadeur  en  Hollande  en  1756,  lieutenant  général  le  12  mai  1758.  li 
a  quitté  la  Hollande  le  4  juin  1762  pour  servir  à  Tarmée. 


DE  L'ABBE   COMTE  DE  BERNIS.  iOl 

cinq  ou  trente  homtnes  par  compagnie;  que  Fischer  et 
d'autres  espèces  pareilles  recrutent  perpétuellement  en 
-Allemagne  pour  tenir  nos  corps  complets.  Je  poursuivrai 
la  neutralité  d'Hanover  et  la  paix  avec  TAngleterre 
jusqu'aux  enfers.  Nos  affaires  vont  mieux  en  Espagne; 
mais  le  mariage  de  Tinfante  Isabelle,  s'il  n'était  commu- 
niqué a  propos  au  roi  d'Espagne,  les  gâterait  infaillible- 
ment. C'est  par  ce  côté-là  que  nous  ferons  la  paix  avec  les 
Anglais,  ou  que  nous  aurons  le  moyen  de  les  vaincre; 
faites  sentir  cette  vérité  importante.  Soutenons  les  Russes,' 
les  Suédois,  l'Empire,  et  mettons  en  jeu  le  Danemark; 
contenons  la  Hollande,  et  sauvons  par  là  les  Pays-Bas; 
ne  nous  éloignons  pas  trop  de  nos  foyers,  mais  surtout 
trouvons  de  l'argent,  car  c'est  par  là  que  tout  va  périr.  Il 
n'y  a  qu'un  moyen  pour  cela ,  c'est  de  se  retrancher  et  de 
montrer  au  public  des  espérances  d'une  bonne  adminis- 
tration future. 

Bien  loin  de  diminuer  et  de  suspendre  les  grâces  et  les 
dépenses,  on  les  prodigue.  D'ailleurs,  la  marine  est  un 
gouffre,  elle  n'a  aucun  ordre,  et  tout  ce  qui  est  plume  y 
vole  par  une  longue  habitude.  Vous  savez  bien  le  seul 
remède  à  tous  ces  maux,  mais  il  est  inutile  d'y  penser. 
Il  ne  s'agit  que  de  me  donner  plus  de  crédit  et  de  con- 
sistance. Le  Roi  a  voulu  le  faire  par  une  nouvelle  abbaye 
qui  m'empêchera  de  me  ruiner  ' ,  mais  qui  n'ajoute  rien 
à  ma  considération  personnelle;  cette  grâce  réunie  au 
cordon  bleu  a  pourtant  fait  son  effet*.  A  l'égard  du 
chapeau  dont  vous  m'avez  parlé  une  fois ,  le  Roi  me  dit 
qu'il  était  bien  sûr  que  je  ne  trigauderais  jamais  sur  cela,  et 
que  si  le  Pape  avait  envie  de  me  le  donner,  qu  apparemment 

*  L*abba^e  de  Troîs-Fontaines,  ordre  de  Giteaux,  diocèse  de  Châlons- 
sur-Mame.  (V.  Gaz,  de  France,  16  mars  1758.) 

'  Bernis  était  commandeur  do  ordres  du  Roi  depuis  le  8  février. 


192  LETTRES 

il  Fen  préviendrait.  Hier  ce  bon  prince  m'écrivit  une 
lettre  de  Henri  lY.  Il  veut  que  vous  assuriez  l'Impératrice 
qu'il  a  toujours  voulu  être  uni  avec  elle ,  qu'il  le  voudra 
toujours  et  qu'il  mourra  dans  cette  volonté.  Que  pour  lui, 
il  désire  Taccomplissement  du  traité  secret,  parce  que, 
dit-il  f  il  ny  a  que  le  voisinage  des  Étals  qui  brouillent  Us 
gens  de  leur  sorte.  Vous  pouvez  hardiment  assurer  l'Impé- 
ratrice et  M.  de  Kaunitz  de  ces  sentiments  invariables. 
Mais  ce  n'est  pas  assez  de  vouloir  une  chose,  il  faut  que 
quelqu'un  soit  en  état  de  la  conduire.  Retranchons  tout 
ce  qui  a  l'air  de  premier  ministre,  mais  qu'on  m*accorde 
assez  de  confiance  pour  adopter  et  faire  adopter  ce  que 
je  proposerai.  Je  vous  regarde  comme  mon  ami  intime; 
ainsi  je  vous  parle  à  cœur  ouvert.  L'histoire  de  madame 
de  Goislin  m'a  affligé  pour  le  Roi,  pour  notre  amie  et  pour 
le  système;  mais  je  suis  bien  rassuré.  Si  cette  femme  con- 
seillée,  et.  Dieu  merci,  mal  conseillée  par  les  ennemis  de 
madame  de  Pompadouret  de  l'État,  s'était  mieux  conduite, 
elle  aurait  ruiné  l'alliance  par-dessous  terre  sans  qu'on 
s'en  fût  douté.  Rien  n'est  si  important  pbur  la  cour  de 
Vienne  que  la  conservation  de  notre  amie  et  l'augmentation 
de  mon  influence  sur  les  affaires  générales.  Je  suis  bien 
content  du  Roi  sur  le  premier  article,  et  même  sur  le  se- 
cond ;  mais  il  faut  l'aider  et  se  mettre  à  portée  soi-même 
d'influer  dans  ses  affaires,  car  il  ne  songera  ni  à  vous  le 
dire,  ni  à  vous  le  proposer.  Peut-être  serait-il  même  fâché 
qu'on  lui  en  montrât  la  nécessité.  Vous  verrez ,  par  ma 
réponse  à  M.  de  Kaunitz,  que  je  ne  lui  farde  pas  la  vérité. 
Mais  vous  pouvez  l'assurer  que  s'il  est  brave,  je  le  suis 
aussi,  et  que  le  Roi  ne  pensera  jamais  à  une  réconciliation 
avec  le  roi  de  Prusse,  ni  à  un  affaiblissement  du  traité  secret. 
Pour  moi,  je  ne  crains  que  deux  choses  :  1*  que  nous 
manquions  d'argent;  2"*  que  l'Impératrice  ne  soit  écrasée 


DE  L'ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  193 

dans  les  trois  premiers  mois  de  la  campagne  prochaine. 
Je  voudrais  que  ses  armées  fussent  commandées  par  un 
nouveau  Fabius.  Gomme  homme ,  je  désire  la  continua- 
tion de  la  guerre;  comme  ministre,  j'en  crains  et  j'en 
prévois  les  suites,  et  j'en  sens  toutes  les  difficultés. 

[Aimez-moi  toujours,  et  soyez  bien  sûr  du  plaisir  que 
j'ai  à  vous  rendre  justice  au  conseil  et  en  public  '.] 

Ce  24  mars. 

A  brebis  tondue  Dieu  mesure  le  vent.  Je  vérifie,  mon- 
sieur le  comte,  le  sens  de  ce  proverbe.  Les  accompagne- 
ments honteux  et  Bàcheux  de  notre  retraite ,  en  me  faisant 
tout  le  mal  possible ,  ne  m'ont  pas  tué  roide,  parce  que  je 
les  ai  prévus  depuis  quatre  mois.  Vous  n'avez  su  qu'im- 
parfaitement les  désordres  de  nos  armées,  le  défaut  de 
principes  pour  les  gouverner  et  les  placer;  ainsi  vous 
devez  être  confondu  du  tableau  du  jour.  Je  vous  l'avais 
présenté  avant  les  événements  ;  mais  vous  aurez  cru ,  et 
je  vous  le  pardonne,  mes  peintures  un  peu  trop  chargées. 
Il  y  a  dans  les  grandes  affaires  des  moments  précieux  à 
saisir,  après  lesquels,  quand  on  les  a  laissés  écliapper,  il 
faut  ensuite  courir  avec  beaucoup  de  dangers ,  de  peines 
et  de  dépenses.  H  ne  nous  reste,  aux  uns  et  aux  autres, 
que  d'être  fidèles,  d'être  bien  sages  dans  notre  défensive, 
et  de  ne  pas  perdre  la  tête;  on  revient  de  plus  loin.  Il  ne 
faudrait,  pour  cela,  qu'une  journée  heureuse;  du  moins 
évitons  les  grands  malheurs,  et  serrons  les  nœuds  qui 
nous  unissent  avec  nos  alliés  plus  fort  que  jamais.  Agis- 
sons, et  partageons  nos  moyens  comme  frères;  ce  n'est  pas 
ici  le  cas  de  jouer  au  fin.  M.  Boullongûe  cherche  des  res- 
sources, et  j'espère  même  qu'il  en  trouvera;  je  voudrais 

^  Cette  phrase  ne  se  trouve  pas  dans  le  m^uscrlt  original. 

n.  13 


194  LETTRES 

être  bien  assuré  qu'elles  seront  bien  employées.  Au  reste, 
pour  remédier  à  tous  nos  maux  présents  et  à  venir ,  il  fau- 
drait qu'une  même  tête  conduisit  tous  les  ressorts  de  la 
machine;  vous  le  sentez,  vous  l'avez  dit,  mais  il  est  inu- 
tile d'y  penser.  Voyons  donc  comment  on  peut  éviter  les 
plus  grands  maux ,  et  perdons  l'idée  des  plus  grands  biens. 
J'ai  un  courage  et  une  santé  qui  me  confondent,  car  Tun 
et  l'autre  sont  ébranlés  tous  les  quarts  d'heure  du  jour. 
L'événement  de  Russie  peut  sauver  la  patrie  ',  si  l'armée 
russe  n'est  pas  affaiblie  et  qu*elle  aille  ensemble  et  avec 
précaution  où  elle  doit  aller.  Pour  la  Pologne,  je  n'y  en- 
tends rien ,  parce  que  je  n'entends  rien  aux  affaires  mêlées 
avec  les  tracasseries.  Vous  aurez  bientôt  un  courrier  de 
moi.  Remerciez  madame  de  Stainville  des  soins  qu'elle  a 
bien  voulu  prendre  de  mon  grand  habit  brodé.  Je  vou- 
drais par  reconnaissance  vous  procurer  à  l'un  et  h» l'autre 
une  vie  plus  heureuse.  Vous  savez  que  ce  n'est  pas  ma 
faute  si  vous   n'êtes  plus  brillants.  Aimez-moi  toujours. 
Vous  me  trouveriez  plus  aimable  depuis  quelque  temps, 
parce  que  je  suis  beaucoup  plus  salé  que  je  ne  l'étais. 

'  Versailles,  ce  31  mars  1758. 

J'ai  reçu  hier  au  soir ,  monsieur  le  comte ,  vos  dépêches 
du  22  et  toutes  celles  qui  y  étaient  jointes  avec  le  grand 
habit  brodé,  dont  vous  voudrez  bien  m'envoyer  le  mé- 
moire. Il  est  fond  blanc  et  les  fleurs  bleues;  on  me  le 
demandait  fond  bleu  avec  les  fleurs  blanches,  mais  on 
l'aimera  autant  tel  qu'il  est.  C'est  une  commission  ;  ainsi 
il  faut  que  je  vous  paye  promptement. 

Vous  aurez  reçu  une  grande  lettre  de  M.  le  comte  de 
Clermont.  Il  faut  lui  pardonner  bien  des  choses  dans  le 

'  La  disgrâce  de  Bestucheff.  (Gazette  du  i*'  avril.) 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  195 

chaos  où  il  se  trouve.  Ses  intentions  sont  fort  bonnes, 
et  si  son  conseil  était  plus  ferme,  il  n*y  aurait  rien  à 
désirer.  Crémille  est  ici  ;  il  m'a  soutenu  que  la  position  de 
M.  de  Richelieu  dans  Télectorat  de  Hanover  était  insou- 
tenable, et  celle  du  Wcser  Tétait  aussi,  faute  de  subsis- 
tances rassemblées.  Pour  moi ,  j'aurais  mieux  aimé  détruire 
notre  armée  par  un  combat  que  par  une  retraite;  je  crois 
même ,  sur  cela ,  que  mon  calcul  aurait  été  a  l'avantage 
de  la  conservation  des  hommes;  mais  tout  est  dit.  J'ai 
pensé  en  mourir  de  honte  et  de  douleur.  Il  faut  tacher  de 
vivre.  Au  reste,  tout  ce  qui  arrive  m'a  causé  du  chagrin , 
mais  aucune  surprise.  Les  moments  manques  sur  la  Sala 
et  la  bataille  du  5  décembre  m'ont  mis  à  portée  de  tirer 
l'horoscope  de  tout  ceci.  Il  n'y  aurait  que  demi-mal  si  nous 
pouvions  soutenir  la  guerre,  mais  l'argent  manquera  et 
manque  déjà.  Il  n'y  a  à  l'armée  ni  tête,  ni  courage,  ni  vo- 
lonté ;  à  la  vérité ,  on  a  ici  la  volonté  bien  ferme  d'être  fidèle 
et  de  risquer  même  son  existence  plutôt  que  de  faire  la  paix . 
Gela  est  héroïque;  mais  il  faudrait,  en  conséquence,  trai- 
ter différemment  les  gens  d'honneur,  et  faire  taire  les  ba- 
vards, qui  servent  mieux  le  roi  de  Prusse  par  leurs  propos 
que  les  victoires  mêmes  de  ce  prince  et  les  fautes  énormes 
de  ses  ennemis.  Il  faudrait  gouverner  ou  laisser  gouverner 
en  son  nom  et  par  son  autorité.  Gomme  on  ne  fera  rien 
de  tout  cela,  je  sèche  sur  mes  deux  pieds ,  parce  que  nous 
mettrons  le  comble  à  notre  ruine  et  à  notre  honte.  Je  vois 
qu'à  -Vienne  on  ne  pense  pas  tout  cela;  apparemment 
qu'on  y  a  quelque  révélation  de  sainte  Brigitte  '  qui  an- 
nonce les  succès  de  cette  campagne.  Pour  moi ,  qui  ne 
calcule  que  d'après  les  faits  et  la  connaissance  des  res- 

1  Les  révélations  de  sainte  Brigitte  ont  été  publiées  sous  le  titre  :  Pro^ 
phétie  merveilleuse  de  sainte  Brigitte,  Lyon,  1536,  et  très-fréquemment 
réimprimées. 

13. 


196  LETTRES 

sources  des  uns  et  des  autres,  des  généraux,  de  la  ruine 
du  crédit  et  de  la  mauvaise  volonté  générale  de  notre 
nation ,  je  vois  que  (comme  on  n'emploiera  pas  les  seuls 
remèdes  qui  pourraient  guérir  de  si  grands  maux)  il  serait 
plus  sage  de  remettre  la  partie  que  de  la  perdre  entière- 
ment. J'avoue  qu'il  est  bien  tard  pour  y  songer;  mais  on 
y  songera  dans  un  temps  où  les  choses  iront  encore  plus 
mal  qu'aujourd'hui ,  et  je  n'aime  pas  à  jouer  si  gros  jeu  à 
un  jeu  de  dupe. 

Après  avoir  dit  dans  le  vrai  où  les  choses  en  sont,  voici 
sur  quoi  on  peut  compter  :  le  corps  de  M.  de  Soubise  est 
assuré;  il  se  mettra  en  marche  à  la  fin  de  juin.  Notre 
armée  sera  fortedesoixantemillehommes, indépendamment 
des  Saxons,  des  Palatins  et  des  Autrichiens;  elle  ne  pourra 
agir  qu'à  la  fin  de  juillet.  Si  les  Hanovriens  à  cette  époque 
veulent  être  neutres,  on  augmentera  le  corps  de  M.  de 
Soubise,  et  nous  aurons  une  armée  d'observation.  S'ils 
veulent  faire  la  guerre,  nous  la  ferons  pied  à  pied  et 
méthodiquement,  en  renonçant  aux  marches  d'Alexandre, 
puisque  nous  n'en  avons  pas  le  génie.  Croyez,  monsieurle 
comte,  que  la  plus  méprisable  de  toutes  les  nations  est 
aujourd'hui  la  nôtre,  parce  qu'elle  n'a  nulle  espèce  d'hon- 
neur, et  qu'elle  ne  songe  qu'à  l'argent  et  au  repos.  Il  fen- 
drait changer  nos  mœurs,  et  cet  ouvrage,  qui  demande  des 
siècles  dans  un  autre  pays,  serait  fait  dans  un  an  dans 
celui-ci,  s'il  y  avait  des  faiseurs. 

Minden  s'est  rendu  lâchement  *.  Un  caporal  de  Lyon- 
nais, avec  quelques  centaines  d'hommes,  a  forcé  deux  postes 
hanovriens  qu'il  a  égorgés*.  Morangies  *,  qui  est  de  mes 

1  14  mars  1758. 

^  11  se  nommait  la  Jeunesse.  Voir  Lutkes,  XVI,  473,  n^  2. 

3  Pierre  de  Molette,  marquis  de  Morangies,  lieutenant  réformé  au  r%i- 
ment  du  Roî  le  11  juillet  1723,  troisième  guidon  de  la  compagnie  des  gen- 
darmes de  la  garde  du  Roi  par  brevet  du  23  novembre  1727,  avec  rang  de 


DE   L'ABBÉ   COMTE   DE   BERNIS.  197 

parents  et  qui  est  très-brave,  n'a  montré  aucune  tête, 
parce  qu'il  était  entouré  par  des  âmes  faibles  et  lâches. 
Nos  soldats  s'en  vont  par  bandes  sur  le  Rhin.  La  potence 
même  ne  les  contient  pas,  parce  que  le  mal  est  trop 
invétéré,  et  que  la  terreur  panique  est  générale.  Au 
surplus,  nos  généraux  les  plus  huppés  sont  intérieurement 
ennemis  de  la  besogne  ;  ils  rient  dans  leur  barbe  de  la 
déconfiture  qu'ils  ont  occasionnée  tout  doucement  par  des 
conseils  faibles.  Tout  sert  ici  le  roi  de  Prusse,  et  tout  v 
trahit  le  Roi.  Malgré  cela,  si  l'argent  n'était  pas  toujours 
prêt  à  manquer,  j'espérerais  encore.  Vous  me  direz  qu'il 
y  a  encore  des  ressources  de  ce  côté-là  ;  j'en  conviens  ; 
mais  qui  les  mettra  en  œuvre?  Ouest  Colbert  pour  trouver 
les  moyens?  où  est  Louis  XIY  pour  inspirer  cette  âme  qui 
est  la  première  de  toutes  les  ressources  d'un  État?  On  croit 
toujours  ici  qu'avec  des  outils  ordinaires  on  fera  de  grands 
miracles.  Cela  n'est  pas  vrai  et  encore  moins  dans  le  cas 
présent.  N'oublions  jamais  que  nous  avons  affaire-  à  un 
prince  qui  est  son  général,  son  ministre,  son  munition- 
naire,  et  quand  il  est  nécessaire  même  son  grand  prévôt. 
Ces  trois  avantages  sont  au-dessus  de  toutes  nos  ressources 
toujours  mal  employées  et  combinées. 

M.  le  comte  de  Clermont  a  jugé  à  propos,  malgré  nos 
représentations,  de  faire  évacuer  Emden.  On  lui  a  donné 
ordre,  s'il  en  était  encore  temps,  d'y  renvoyer  des  troupes 
et  tout  ce  qui  serait  nécessaire  pour  soutenir  un  siège.  On 
voulait  évacuer  Hanau  tout  de  même';  nous  nous  y 
sommes  opposés  de  toutes  nos  forces  ;  heureusement  le 
prince  Henri  a  pris  la  route  de  Leipzig.  Le  bruit  a  couru 


mestre  de  camp  de  cavalerie,  brigadier  en  1740,  maréchal  de  camp  en  1744, 
lieutenant  général  le  10  mai  1748.  Il  ne  servit  point  depuis  TafFaire  de 
Minden.  Voir  Lutnbs,  XVI,  445. 

*  Voir  Gazette  de  France  du  15  arril,  p.  180. 


198      ^  LETTRES 

à  Francfort  que  Dresde  avait  été  surpris  par  les  Âutriclnens. 
Je  n*en  ai  rien  cru  parce  que  cela  n'était  pas  vraisem- 
blable. Jugez ,  mon  cher  comte,  de  ma  situation  ;  moi 
dont  le  caractère  est  toujours  de  réfléchir,  de  voir  dans  le 
présent  ce  qui  doit  arriver,  et  de  calculer  les  événements 
par  les  hommes  qui  conduisent  les  affaires  et  par  les  res- 
sources qui  nous  restent,  mes  nerfs,  quelque  philosophie 
et  quelque  courage  que  j'aie,  s'en  ressentent  vivement.  Ce 
ne  sont  pas  les  malheurs  qui  m'accablent,  c'est  la  certi- 
tude que  les  vrais  moyens  ne  seront  jamais  employés;  il 
m'est  impossible,  dans  les  affaires  dont  le  succès  dépend 
de  la  conduite,  de  m'en  rapporter  à  la  Providence.  Je  sais 
qu'elle  abandonne  les  sots  et  les  poltrons,  et  qu'elle  favorise 
les  gens  d'esprit  et  de  courage. 

Ma  prétendue  brouillerie  ou  refroidissement  avec  ma- 
dame de  Pompadour  a  couru  tout  Paris.  On  veut  effecti- 
vement nous  brouiller  ensemble;. mais  comme  je  l'aime 
de  tout  mon  cœur,  et  que  j'abhorre  l'ingratitude,  nous 
serons  toujours  amis  intimes,  et  quand  nos  opinions  ne 
seront  pas  les  mêmes,  nous  disputerons,  parce  que  je 
n'abandonne  jamais  ce  que  je  crois  être  la  vérité;  mais 
soyez  sûr  que  nous  ne  nous  brouillerons  jamais.  Lorsque  la 
paix  sera  faite,  je  sais  à  quoi  je  me  destine;  ainsi  mon 
avenir  est  assuré,  pourvu  que  mes  chagrins  journaliers, 
mes  mauvais  jours  et  mes  mauvaises  nuits  ne  ruinent  pas 
bientôt  ma  santé  (cet  ouvrage  est  fort  avancé);  cent  mille 
livres  de  rente  en  bénéfices  ne  valent  pas  le  sacrifice  que  je 
fais  tous  les  jours  de  ma  vie  et  de  mon  amour-propre.  J'aime 
le  Roi,  et  je  le  plains  de  tout  mon  cœur;  honnête  homme, 
capable  d'amitié  et  ne  désirant  que  le  bien,  il  laisse  faire 
le  mal  et  ternir  l'éclat  d'un  règne  qui  aurait  pu  être  glorieux 
et  tranquille.  J'en  suis  bien  fâché,  mais,  au  fait,  il  faut 
prendre  son  parti.  Je  n'en  vois  point  d'autre  que  de  n'être 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  199 

point  comptable  au  public  de  la  mauvaise  besogne  qui  se 
fait.  Tout  le  monde  s'adresse  à  moi  pour  redresser  les  torts  ; 
j*en  ai  la  volonté;  est-ce  ma  faute  si  je  n'en  ai  pas  le 
pouvoir?  Enfin,  mon  cher  comte ,  j*ai  du  plaisir  à  vous 
parler,  parce  que  j*aime  à  parler  à  ceux  qui  entendent  et 
qui  sentent.  Vous  n'avez  rien  à  me  répondre  sur  tout  cela; 
ce  sont  des  cordes  qu'il  est  inutile  et  qu'il  serait  impru- 
dent de  toucher  de  nouveau.  Il  faut  un  maitre  ici;  j'en 
désire  un,  et  je  n'ai  garde  de  désirer  que  ce  soit  moi.  J'ai 
les  plus  fortes  raisons  pour  ne  pas  y  viser,  et  vous  les  com- 
prenez bien.  C'est  d'après  cette  idée  qu'on  calcule  à  Paris 
que  je  me  brouillerai  avec  iK>tre  amie,  comme  étant  un 
obstacle.  1**  Je  ne  sais  pourquoi  c'en  serait  un;  elle 
n'aurait  qu'à  tout  décider  sur  mes  plans;  la  besogne  irait, 
et  chacun  resterait  à  sa  place;  mais  le  pourrait-elle  tou- 
jours et  sur  tous  les  points?  Vous  en  savez  assez  pour  décider 
cette  question.  2""  J'aimerais  mieux  mourir  subitement  que 
de  manquer  en  rien  à  la  reconnaissance  et  à  l'amitié  que  je 
lui  dois.  D'où  je  conclus  qu'il  ne  me  reste  à  la  paix  que  le 
parti  d'une  honnête  retraite;  car  je  ne  veux  pas  traîner 
plus  longtemps  mon  existence.  Mon  honneur  est  à  moi,  et 
je  ne  veux  plus  le  laisser  flétrir  dans  et  par  la  main  des 
autres. 

Je  veux  voir  un  peu  plus  cUir  dans  les  suites  de  la  dis- 
grâce de  M.  de  Bestuchef  et  dans  la  position  du  comte  de 
Briilh  avant  d'envoyer  un  nouveau  ministre  à  Varsovie. 
En  attendant  que  j'en  trouve  un  capable  d'exécuter  dans 
ce  pays-là  une  commission  particulière,  l'eau  trouble 
s'éclaircira.  Il  est  impossible  de  démêler  la  vérité  à  travers 
toutes  les  broussailles  dont  les  affaires  de  Pologne  ont  été 
embarrassées.  Je  crois  dans  le  fond  que  M.  de  Broglie  a 
eu  de  bons  principes,  mais  il  n'a  pas  su  les  concilier  ni 
avec  les  personnes,  ni  avec  les  circonstances.  Il  faut  dire 


200  LETTRES 

pour  sa  justification   qu'il  a  eu   aTaire  aTec  de,  furieux 

hommes. 

Jusqu'à  ce  que  nous  ayons  fini  de  fuir,  il  D*est  pas 
possible  de  nous  réparer;  quand  nous  serons  arrives  aux 
bornes  prescrites,  vous  verrez  quelle  dépense  énorme  il 
faqdra  pour  mettre  en  état  une  armée  si  délabrée.  De 
préférence  à  tout,  on  mettra  en  mouvement  le  coips 
auxiliaire;  cela  est  juste  et  nécessaire.  Après  quoi ,  mon 
cher  comte,  contentons-nous  d'observer,  de  menacer,  d 
tout  au  plus  de  nous  emparer  d'une  partie  des  pays  que 
nous  venons  de  quitter  pour  maintenir  nos  affaires  et  ooi 
alliés;  mais  ne  nous  commettons  plus  aux  voyages  de 
long  cours.  Les  mêmes  fautes  seraient  faites,  et  nous 
essuierions  les  derniers  malheurs. 

Vous  pouvez  compter  sur  mon  éternel  attachement. 

J'ai  parlé  de  l'évéclié  d'Autun  '.  Quoique  médiocre,  3 
est  agréable.  Je  vous  prie  de  faire  passer  cette  lettre  Ai 
maréchal  de  Bellisie  à  M.  de  l'Hôpital,  à  M.  Durand* en 
lui  recommandant  de  profiter  du  premier  courrier  poor 
l'envoyer. 

Ce  31 


Madame  de  Pompadour  vient  de  me  dire,  mon  cher 
comte,  qu*elle  a  vu  hier  Montmartel  à  Paris  et  que  nous 
aurons  de  l'argent.  Je  crois  devoir  vous  donner  cette 
honne  nouvelle  pour  vous  ôter  tout  le  noir  que  ne  man- 
quera pas  de  vous  donner  ma  longue  lettre  pariiculiéfv, 
qu'il  faut  pourtant  que  vous  regardiez  comme  la  loi  et  les 
prophètes,  parce  que  c'est  le  vnii  fond  du  sac. 

Le  Roi  ne  peut  diminuer  avec  noblesse  Taumône  qu'il 

'  M.  de  Montazet  venait  d'èlre  nommé  archevêque  de  I.too. 
S  François'Micliel    Durand  de    DUlrofF,  alors  ministre  en  Pologne  [it 
1755  à  1760;.  V.  sur  lui,  Baschet,  Hist,  du  Dépôts  p.  540. 


DE   L*ABBÉ   COMTE  DE   BERNIS.  201 

fait  à  la  famille  de  Saxe ,  d'autant  plus  que  l'entretien  de 
la  forteresse  de  Kônigstein  est  une  condition  essentielle 
de  cet  arrang[ement. 

On  a  trouvé  le  grand  habit  fort  joli  ;  ainsi  je  vous 
remercie  de  tout  mon  cœur,  mais  envoyez-moi  le  mé- 
moire. 

Ce  7  avril. 

Je  vous  plains  de  tout  mon  cœur,  mon  cher  comte,  du 
rôle  embarrassant,  pénible  et  humiliant,  que  la  conduite 
honteuse  de  notre  militaire  vous  fait  jouer  à  Vienne.  Le 
mien  ici  est  cruel.  Le  public  se  tourne  toujours  de  mon 
côté  pour  me  demander  justice  de  toutes  les*sottises  qui  se 
font.  Nous  dépensons  un  argent  énorme,  et  Ton  ne  sait 
jamais  à  quoi  il  a  été  employé,  ou,  du  moins,  il  n'en  résulte 
rien  d'utile.  Tantôt  M.  de  Boullongne  rit  aux  anges,  est 
assuré  du  secours,  et  tantôt  il  ne  sait  où  donner  de  lu  tète. 
Je  ne  sais  comment  nous  allons  nous  tirer  du  mois  d'avril. 
La  marine  absorbe  des  millions  de  millions,  et  nous  n'avons 
pas  une  escadre  en  mer,  et  il  y  a  mille  à  parier  contre  un 
que  nous  perdrons  Louisbourg,  faute  d'avoir  fait  partir  à 
bonne  heure  les  secours  dont  il  a  besoin.  Un  miracle  seul 
peut  nous  tirer  du  bourbier  dans  lequel  nous  barbotons. 
Montmartel  est  malade  depuis  un  mois  ;  Boullongne  ne  fait 
que  l'état  de  dépense  et  de  recette.  Montmartel  craint  de 
risquer  sa  fortune;  sa  femme  l'obsède  et  le  noircit,  et  moi, 
je  suis  obligé  d'aller  lui  remettre  la  tête  et  de  perdre 
vingt-quatre  heures  par  semaine  pour  l'amadouer  et  lui 
demander  comme  pour  l'amour  de  Dieu  l'argent  du  Roi. 
Il  faut  jouer  le  même  rôle  vis-à-vis  de  son  frère,  sans  quoi 
tout  est  perdu,  on  veut  s'en  aller  et  mettre  tout  en  confu- 
sion. Le  Roi  sait  cela.  J'ai  usé  toute  ma  rhétorique.  On 
ne  veut  point  s'occuper  du  présent  ni  de  l'avenir;  il  faut 


202  LETTRES 

que  je  meure  chaque  jour  de  rindifFérence  des  autres. 
Je  passe  des  nuits  affreuses  et  des  jours  tristes.  Ma  santé 
se  dérange,  et  je  m'étonne  qu'elle  y  résiste.  M.  le  comte 
de  Clermont  est  enfin  à  Wesel;  j'espère  que  ce  seront 
nos  colonnes  d'Hercule  ^  Il  tient  Hanau  et  le  Mein.  Je 
me  flatterais  encore  pour  l'avenir  si  l'argent  ne  man- 
quait pas,  et  si  je  ne  craignais  que  la  prise  de  Louisbourg 
n'anéantit  absolument  le  crédit  et  la  confiance.  Dans 
cet  état,  mon  cher  comte,  qui  ne  changera  pas,  parce 
que  le  gouvernement  sera  toujours  le  même,  eh!  y 
a-t-il  deux  partis  à  prendre  ?  Je  vois  bien  que  la  cour 
de  Vienne  ne  veut  pas  faire  la  paix,  mais  peut-elle  soutenir 
la  guerre,  sans  généraux  et  sans  argent?  Les  Busses  ne 
feront  rien  que  de  donner  un  prétexte  au  roi  de  Prusse  de 
s'emparer  de  la  Pologne  et  de  Danzig,  dont  il  tirera  des  res- 
sources immenses.  Notre  nation  est  plus  indignée  que 
jamais  de  la  guerre.  On  aime  ici  le  roi  de  Prusse  à  la  folie, 
parce  qu'on  aime  toujours  ceux  qui  font  bien  leurs  affaires; 
on  déteste  la  cour  de  Vienne ,  parce  qu'on  la  regarde 
comme  la  sangsue  de  l'Etat,  et  l'on  se  soucie  fort  peu  de  son 
agrandissement  ni  du  nôtre.  La  nation  est  énervée  par  le 
luxe,  gùtce  par  la  faiblesse  du  gouvernement,  dégoûtée 
même  de  la  licence  dans  laquelle  on1a  laisse  vivre  ;  voilà  les 
fruits  de  l'anarchie.  Ainsi  songez  sérieusement  que  nous 
nous  perdrons  si  la  guerre  dure,  et  que  notre  honte  égalera 
nos  malheurs.  Si  les  choses  en  viennent  à  une  certaine  extré- 
mité, soyez  sûr  que  vos  amis  seront  culbutés  et  déchirés. 
Ainsi  faites  en  sorte  que  la  cour  de  Vienne  évite  les 
derniers  malheurs  par  des  batailles  perdues,  et  qu'elle 
soutienne  cette  campagne  la  balance,  de  façon  que  l'équi- 
libre  n'en   soit   pas  absolument    rompu.   Un   bon  camp 

'   Gazette  du  8  avril,  p.  175. 


DE   1/ABBÉ   COMTE   DE   BERNIS.  203 

retranché  sous  Olmutz  et  un  autre  sous  Prag^ue  arrêteraient 
le  roi  de  Prusse,  Il  s'ag^it  moins  de  vaincre  aujourd'hui 
que  de  se  soutenir.  Je  croyais  h  nos  succès  Tannée  passée, 
parce  que  la  raison  me  permettait  d'y  croire;  mais  elle 
mêle  défend  aujourd'hui;  et  ce  n'est  pas  l'imagination  qui 
doit  faire  juger  du  dénoûment  des  affaires,  surtout  quand 
on  n'a  à  la  tète  des  armées  que  des  hommes  médiocres. 
Vous  trouverez  ci-joint  une  lettre  du  Roi.  Il  m'a  dit  qu'il 
vous  grondait;  mais  il  me  l'a  dit  en  riant  et  comme  étant 
content  de  vous. 

Adieu  ;  je  vous  embrasse  et  vous  aime  de  tout  mon 
cœur.  C'est  au  pied  de  la  lettre. 

Le  roi  d'Angleterre  se  refuse  à  la  neutralité  de 
Hanover,  mais  de  façon  à  faire  croire  qu'il  l'acceptera 
quand  nous  marcherons  en  force  pour  y  rentrer. 

Ce  7  arril. 

Depuis  mon  autre  lettre  écrite,  mon  cher  comte,  nous 
recevons  un  courrier  de  Rochefort  qui  nous  annonce 
qu'une  escadre  anglaise,  commandée  par  M.  Hak',  est 
mouillée  à  l'île  d'Aix.  Nos  lettres  du  Languedoc  et  nos 
nouvelles  d'Angleterre  nous  annoncent  aussi  une  escadre 
dans  la  Méditerranée  avec  le  projet  d'une  descente  sur  le 
port  de  Cette.  Nos  reUgionnaires  s'y  attendent  et  font 
beaucoup  de  mouvements  en  conséquence.  II  faut  donc  y 
envoyer  des  troupes  et  de  l'argent;  et  cet  argent  qu'il 


1  Sir  Edward  Hawke,  chevalier  de  Tordre  du  Bain  en  1747,  s'étaic  dis- 
tingué à  la  bataille  de  Toulon  en  1744,  et  avait  fait,  en  1747,  de  nom> 
breuses  prises  sur  les  Français.  Amiral  en  1747,  il  défit,  en  novembre  1759, 
kl  flotte  française  commandée  par  M.  de  Conflans,  fut  premier  lord  de 
lamirauté  en  1766,  éleré  à  la  pairie  en  1776  sous  le  nom  de  lord  Hawke, 
et  mourut  en  1781.  Son  expédition  de  1758  fut  médiocrement  heureuse. 
Mouillée  le  5  à  file  d'Aix,  Tescadre  anglaise  se  retira  après  des  dégâts  insi- 
gnifiants. ^ 


204  LETTRES 

faut  envoyer  sur-le-champ  croise  et  rompt  d'autres  me- 
sures. L'escadre  anglaise,  vis-à-vis  de  RocheFort,  va  inter- 
cepter tous  les   secours  destines  à  rAmérique.   Premier 
point.   Cette  escadre   sera  probablement  suivie   par  une 
autre  avec  des  troupes  de  débarquement.  Second  point 
qui  mérite  toute  notre  attention.  Ajoutez  à  cela  rincerti- 
tude  de  conserver  Louisbourg  et  le  coup  que  cette  perte 
portera  au  crédit  public.   Cet  enchainement   de  circon- 
stances fâcheuses,  joint  à  la  dépense  que  le  délabrement 
total  de  notre  armée  occasionne,  absorbe  nos  ressources 
dans  un  temps  si  critique  pour  nos  alliés  et  pour  nous- 
mêmes.  Que  pouvons-nous  faire  de  mieux  que  de  parta- 
ger avec  eux  ce  qu'il  y  aura  dans  la  bourse  commune? 
C'est  de  cette  manière  qu'il  faut  présenter  les  objets  à  la 
cour  de  Vienne,  en  conversation  amicale,  plutôt  que  par 
de  nouvelles  conventions    qui  l'eFfarouchent  et  lui  font 
croire,  ou  que  le  fond  est  changé,  ou  que   nous  voulons 
gagner  sur  elle.  Qu'elle  choisisse  de  payer  la  moitié  des 
nouveaux  subsides,  ou  de  nous  charger  de  les  payer.  Dans 
ce  second  cas,  il  faut  s'attendre  que,  ne  pouvant  fournira 
tout,  nous  serons  en  arrière  sur  le  subside  de  douze  mil- 
lions de  florins.  Mais  nous  en  payerons  le  plus  qu'il  nous 
sera  possible  et   de  très -bonne  foi.    Nous   sommes  mal 
gouvernés;  on  pille  le  Roi  partout;  ce  qui  coûte  vingt  sols 
à  un  autre  lui  coûte  un  écu.  Il  faudrait  remonter  la  ma- 
chine, mais   ce   n'est  pas   dans  le  moment   où  elle  est 
détraquée  que  cela  est  facile.  L'Infante  se  désespère,  mais 
il  vaut  mieux  sauver  le  royaume  que  de  courir  après  des 
chimères.  J'ai  parlé  français  à  M.  de  Starhemberg;  il  m'a 
parlé  en  honnête  homme,  mais  comme  de  lui-même.  Il  sent 
la  nécessité  de  faire  plutôt  une  mauvaise  puix  que  de  tout 
perdre.  Quand  les  moyens  manquent,  il  vaut  mieux  s'ar- 
ranger mal  que  de  se  détruire  les  uns  et  les  autres.  Si  la 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE   BERNIS.  205 

cour  de  Vienne  adopte  l'idée  de  la  paix ,  nous  pouvons  tirer 
parti  de  l'Espagne,  du  Danemark  et  de  la  Hollande  pour  être 
médiateurs,  et  la  proposition  viendrait  d'eux  et  non  pas  de 
nous.  Il  faudrait  conserver  au  Roi  et  à  la  Suède  le  rôle  de 
garants.  En  un  mot,  dès  que  vous  serez  assuré  du  con- 
sentement de  la  cour  de  Vienne,  nous  conviendrons  du 
plan,  et  je  vais  le  préparer  d'avance.  Ceci  devient  trop 
sérieux,  mon  cher  comte,  parce  que  nos  ennemis  gag^nent 
trop  de  terrain ,  qu'ils  se  conduisent  bien,  et  que  personne 
ne  nous  conduit  ici.  On  n'a  pas  voulu  sentir  la  nécessite 
de  donner  à  une  seule  personne  autant  d'autorité  que  de 
confiance.  C'est  ce  qui  a  tout  perdu,  et  qui  perdra  tou- 
jours tout  à  l'avenir. 

Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

Ce  16  avril  1758. 

Je  ne  réponds  aujourd'hui,  monsieur  le  comte,  qu'à 
quelques  articles  de  votre  expédition  du  8.  J'ai  encore 
deux  courriers  à  vou^  que  je.  dépécherai  successivement. 
Vous  trouverez  des  observations  que  j'ai  jugé  à  propos 
d'ajouter  à  ma  dépêche  sur  l'expédition  de  Francfort,  afin 
que  vous  sentiez  bien  les  inconvénients  de  cette  entre- 
prise que  notre  militaire  juge  essentielle.  Il  faut  du  moins 
savoir  ce  qu'on  fait  avant  de  l'entreprendre.  Cela  diminue 
ensuite  les  inconvénients. 

A  l'égard  de  Danzig,  on  aura  de  la  peine  à  déterminer 
le  magistrat  à  recevoir  garnison  russe.  Il  prend  des  me- 
sures depuis  quelques  mois  pour  se  mettre  en  état  de  dé- 
fense contre  quiconque.  Je  ne  me  fie  guère  à  ces  précau- 
tions. Ainsi,  j'autorise  par  des  ordres  nos  ministres  en 
Pologne  et  à  Danzig  de  fevoriser  l'idée  des  Russes.  Cela 
va  faire  un  furieux  mouvement  en  Pologne.  Mais  nous 


206  LETTRES 

sommes  dans  la  crise  ;  il  ne  Faut  pas  s'épouvanter  du  bruit 

dès  qu'on  suit  son  objet. 

Nous  avons  trouvé  quelques  ressources  d'argent,  mais 
elles  ne  nous  mèneront  pas  à  la  fin  de  l'été.  Les  répara- 
tions de  nos  armées  et  de  nos  places  sont  immenses;  elles 
embrassent  généralement  tous  les  objets. 

M.  le  comte  de  Clermont  a  été  sérieusement  msdade  '  ; 
je  crois  que  son  esprit  s'en  ressent.  Imaginez-vous  que, 
parce  que  l'Impératrice  lui  a  retiré  six  bataillons  et  qu'on 
lui  en  demandait  six  autres  pour  le  corps  de  Bohême,  il 
ne  se  croit  plus  en  sûreté  derrière  le  Rhin  et  parle 
d'abandonner  Wesel  et  DusseldorF,  les  regardant  comme 
des  places  à  être  emportées  dans  six  jours.  La  tète  a  failli 
me  tourner  à  cette  nouvelle.  On  lui  envoie  Montazet 
porteur  d'une  lettre  du  Roi  avec  des  ordres  positifs 
de  défendre  le  Rhin,  Wesel  et  Dusseldorf.  Par  ce  trait, 
désabusez-vous  de  l'idée  où  vous  êtes  que  la  retraite 
de  Hanover  fîit  arrêtée  avant  le  départ  de  ce  prince. 
C rémille  avait  toujours  été  d'avis  de  nous  replier.  Son  avis 
a  fait  impression,  et  Hoya,  par  un  niriracle,  a  été  surpris'. 
La  tête  a  tourné  à  tout  le  monde.  Voilà  l'histoire.  L'igno- 
rance et  la  précipitation  ont  fait  tout  le  reste. 

Nos  soldats  sont  exténués  de  fatjgue,  mais  ils  ont  bonne 
volonté;  nos  officiers  ne  valent  rien  et  ne  veulent  rien 
faire  que  de  revenir  en  France.  Le  public  est  de  leur 
avis  ;  et  le  gouvernement,  qui  est  trop  faible,  qui  n'existe 
même  pas,  est  de  bonne  foi,  mais  il  ne  sait  ni  prévoir, 
ni  remédier,  ni  en  imposer.  On   ne  se  relève  pas  dans 


1  Dans  la  nuit  du  31  mars  au  2  avril,  ec  par  suite  d'une  esquinancie. 
(Gazette  Je  France,  8  avril.) 

2  Sui  prise  de  Hoya  du  23  février,  où  le  régiment  des  gardes  lorraines 
perdit  quinze  officiers  et  \ài  deux  tiers  de  son  effectif.  Voir  Théâtre  de  U 
guerre  présente  en  Allemagne,  t.  III,  p.  76. 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE   BEBP^IS.  207 

un  jour  d'une  chute  aussi  lourde  que  l'a  été  notre 
retraite.  Avec  de  l'argent  nous  aurons  cependant  dans 
trois  mois  une  contenance  qui  pourra  influer  sur  la 
paix.  Mais,  en  attendant,  la  cour  de  Vienne  sera  écrasée, 
et  les  Suédois,  qui  ne  sont  pas  mieux  commandés  que 
les  autres,  ne  profiteront  pas  d'un  bon  moment  pour 
écarter  le  peu  de  Prussiens  qui  sont  devant  eux  aujour- 
d'hui. Si  vous  m'en  croyez,  faites  approvisionner  le 
Danube  à  tout  événement.  Je  crois  que  M.  le  Dauphin 
ne  veut  pas  que  le  prince  Xavier  vienne  à  Versailles.  Le 
Roi  y  avait  consenti.  Ne  dites  pas  un  mot  de  cela.  J'ai 
chargé  Montazet  de  mander  la  vérité,  et  si  M.  le  comte 
de  Clermont  n'est  pas  en  état  de  servir,  de  le  pousser  à 
demander  sa  retraite.  On  reprendra  le  maréchal' d'Estrées, 
et,  pour  comble  de  ridicule,  on  reviendra  d'où  l'on  était 
parti.  Mais  que  faire?  Où  prendre  des  généraux?  Et  com- 
ment n'en  pas  changer  quand  ils  déshonorent  la  nation, 
ou  par  des  fautes  qu'ils  font,  ou  par  celles  qu'ils  laissent 
commettre?  On  nous  méprise  à  Vienne,  et  l'on  ne  soup- 
çonne plus;  on  a  raison.  Il  ne  nous  manque  cependant, 
pour  avoir  de  l'estime  de  cette  cour  et  même  de  son 
respect,  que  d'être  bien  gouvernés.  Mais  cela  nous  manque 
essentiellement  et  nous  manquera  toujours.  Quand  le  roi 
de  Prusse  aura  regagné  une  bataille  en  Bohême,  nous 
serons  tous  de  niveau,  et  la  grande  alliance  n'aura  rien  à 
se  reprocher.  Dans  tout  cela,  mon  cher  comte,  il  n'y  a 
que  deux  points  à  considérer  :  nous  n'avons,  ni  les  uns  ni 
•  les  autres,  ni  argent,  ni  généraux.  Il  ne  faudra  pas  faire 
la  guerre  en  attendant  qu'il  en  vienne.  Je  suis,  monsieur 
le  Comte,  trop  battu  de  l'oiseau  par  notre  militaire,  trop 
certain  que  le  gouverneipent  ira  toujours  sur  la  même 
allure,  pour  m'embarquer  dans  les  horreurs  d'un.e  décom- 
position totale.  Nous  avons  été  au  moment,  il  y  a  huit  jours, 


208  LETTRES 

de  foire  banqueroute  pour  douze  raillions  de  lettres  de 
change  de  la  marine  qui  ont  pensé  être  protestees.  Tant 
qu'on  tirera  toujours  de  Targent  du  royaume,  tant  qu*on 
en  fera  sortir  et  qu'on  n'aura  pas  le  courage  de  faire  rendre 
gorge  aux  fripons ,  de  mettre  de  l'économie  dans  les 
dépenses,  de  n'en  pas  faire  d'inutiles  et  de  retrancher 
toutes  celles  qui  sont  superflues,  on  ne  fera  qu'affaiblir 
l'État,  l'énerver,  et  à  force  de  saignées  on  le  conduira  an 
tombeau  comme  un  malade  qu'on  saignerait  tous  leè  jours 
quatre  fois  sans  lui  donner  de  bouillon.  Voilà  ce  qu'il 
faudrait  faire,  voilà  ce  qu'onne  fera  pas.  J'ai  cassé  toutes 
les  vitres,  j'ai  dit  les  vérités  les  plus  fortes.  Il  ne  me 
reste  plus  qu'à  mourir  de  douleur,  ou  à  me  retirer. 
Mais  je  voudrais  que  ma  retraite  n'eût  pas  l'air  d'une 
fuite  comme  celle  de  Hanover.  Quelquefois  je  désirerais 
que  vous  fussiez  ici.  Vous  avez  de  la  chaleur,  mais  je 
vois  eiisuite  que,  votre  chaleur  épuisée  en  vain,  vous 
prendriez  le  parti  de  jeter  votre  bonnet  par-*dessus  les 
moulins  et  de  rire  ensuite.  Je  tâche  d'en  faire  autant, 
mais  je  ne  ris  que  du  bout  des  dents.  Madame  de  Pom- 
padour  soupe  chez  moi  ce  soir.  On  commence  à  dire  qae 
c'est  un  raccommodement.  S'il  n'y  avait  dans  tout  ceci 
que  des  impertinences  à  dire,  il  serait  aisé  de  prendre  son 
parti.  Mais  je  ne  m'accoutume  pas  au  déshonneur.  Vous 
me  direz  qu'il  n'y  a  qu'à  s'exposer  à  périr  plutôt  que  d'être 
réduit  à  marcher  à  quatre  pattes.  J'en  conviens,  si  l'on 
voulait  périr  en  se  battant  avec  courage.  Mais  on  veut  périr 
en  laissant  tout  aller  sous  soi.  C'est  ce  qui  fiiit  que  j'aime 
encore  mieux  exister,  parce  qu'au  moins  l'existence  laisse 
des  espérances  pour  l'avenir.  Je  ne  crois  pas  que  je  sois 
jamais  attrapé  à  proposer  de  grandes  idées  à  ce  pays-ci. 
J'ai  été  trompé  sur  l'espérance  que  tout  serait  fini  dans 
une  campagne.  Mais  on  ne  l'a  pas  voulu.  Aujourd'hui  je 


DE  L'ABBÉ   COMTE  DE   BERNIS.  209 

ne  vois  de  parti  sensé  que  celui  de  quitter  la  pleine  mer 
pour  revenir  au  rivage.  Les  Anglais  vont  bientôt  nous 
rendre  visite.  Ils  sont  venus  examiner  Rochefort.  Ils  nous 
tàteront  de  plusieurs  côtés  et  nous  causeront  beaucoup  ^e 
peur  et  encore  plus  de  dépenses  inutiles  et  mal  faites. 

Vous  voyez,  mon  cher  comte,  que  je  suis  comme  les 
gens  qui  tournent  le  poignard  dans  la  plaie.  Mais  à  qui 
voulez-vous  que  j'ouvre  mon  cœur? 

L'évéque  d'Orléans  n'a  pu  se  dispenser  de  donner 
l'évéché  d'Autun  au  doyen  du  chapitre  de  Lyon  *,  mais 
j'ai  sa  parole  pour  le  premier  vacant  qui  sera  convenable. 

Je  n'ai  pas  le  temps  de  relire  ma  lettre  :  déchiffrez-la  si 
vous  pouvez. 

Ce  2t  arril  1758. 

Vous  croyez  bien,  mon  cher  comte,  qu'il  m'est  bien 
doux  de  vous  devoir  ma  fortune  et  les  plus  grandes  sûre- 
tés contre  tous  les  événements;  la  vôtre  ne  dépend  pas  de 
moi,  et  je  serais  volontiers  jaloux  de  madame  de  Pompa- 
dour  qui  s'en  charge,  si  elle  n'était  pas  autant  mon  amie.' 
Je  n'aurais  jamais  cru  que  le  Roi  eût  adopté  de  si  bonne 
grâce  Vidée  que  vous  avez  eue  pour  moi.  Sans  vous,  je 
n'aurais  jamais  été  cardinal,  parce  que  je  n'aurais  jamais 
demandé  à  l'être,  et  qu'on  ne  serait  pas  venu  me  chercher 
pour  cela.  Je  m'étais  feit  sur*  ce  point  un  système  qui  m'a 
bien  réussi.  Mais  il  fallait  pourtant  avoir  un  ami  aussi 
chaud  ,  aussi  actif  et  aussi  intelligent  que  vous.  Notre 
amie  m'a  dit  qu'il  fallait  prendre  garde  actuellement  que 
le  Roi  ne  prit  ombrage  de  mon  élévation.  Premièrement,  on 
dit  depuis  assez  longtemps,  pour  me  nuire,  que  je  vais  être 
premier  ministre,  pour  que  si  cette  idée  avait  dû  faire  impres- 

1  Nicolas  II  de  Bouille,  évéque  d*Aatun  du  13  avril  1758  au  22  février 
1767,  était  premier  aumônier  du  Roi  (1757). 

11.  14 


210  LETTRES 

sion  au  Roi,  cela  fût  fait.  Mais,  secondement,  le  Roi  n'a 
jamais  été  plus  à  son  aise  avec  moi  que  depuis  la  première 
explication  sur  le  chapeau,  et  que  depuis  le  consentement 
qu'il  a  donne  à  ma  promotion .  Pour  madame  de  Pompadour, 
elle  est  enchantée  de  la  chose  et  de  ce  que  c'est  vous  qui  Tayez 
faite.  Le  service  essentiel  que  vous  pouvez  me  rendre  et  aux 
affaires,  c'est  de  lui  faire  sentir  combien  on  chercherait  à 
la  tromper,  si  Ton  réussissait  à  lui  persuader  que  mon  in- 
fluence nuirait  à  la  sienne.  Désormais,  madame  de  Pom- 
padour  ne  peut  être  perdue  que  par  les  affaires  ou  par  la 
mort  du  Roi.  Le  Roi  est  jeunci  il  ne  mourra  pas  de  long- 
temps. Restent  les  affaires.  Si  elles  vont  bien,  tout  est  dit; 
que  peut  désirer  madame  de  Pompadour,  si  ce  n*est  que 
son  ami  soit  celui  qui  les  gouverne?  Au  reste,  il  n'est  pas 
question  ici  du  titre  odieux  de  premier  ministre.  Il  est 
question  que  le  Roi  ail  assez  de  confiance  en  quelqu'un 
pour  suivre  son  avis  et  le  faire  suivre  aux  autres.  Ne  trai- 
tez cependant  ces  choses-là  que  peu  à  peu,  et  successive- 
ment. C'est  l'ouvrage  du  temps;  mais  malheureusement  le 
temps  presse  beaucoup,  et  l'honneur  de  la  nation  est 
perdu  si  l'on  ne  le  relève  pas  promptement.  La  tournure 
que  M.  de  Kaunitz  a  donnée  au  consentement  de  la  cour 
de  Vienne  est  très- flatteuse  pour  moi,  LecardinalMazarin 
était  secrétaire  d'État.  En  dernier  Heu,  le  cardinal  Dubois 
l'était  aussi;  ainsi  il  n'y  a  nulle  difficulté  que  je  garde  les 
affaires  étrangères.  Je  m'en  repose  sur  vous  pour  expri- 
mer ma  respectueuse  reconnaissance  à  Leurs  Majestés  Im- 
riales  et  à  leurs  ministres.  Si  j'ai  directement  et  persoo- 
nellement  quelque  chose  à  faire  ou  à  écrire  à  cet  égard, 
vous  voudrez  bien  m'en  informer.  L'ambassadeur  d'Es- 
pagne est  transporté   de  joie^  Il   m'a  bien    assuré  du 

^  M.  de  Masonès. 


DE  L*ABB£  COMTE  DE  BERNIS.  Sli 

consentement  de  sa  cour  aux  mêmes  conditions  de  celui 
de  Vienne.  J'ai  mande  à  M.  d'Aubeterre  qu'il  tâchât  de 
faire  écrire  au  cardinal  Porto-Garrero  pour  qu'il  parlât  au 
Pape  au  nom  du  roi  d'Espagne  sur  ce  sujet,  afin  de  ne  pas 
perdre  de  temps.  Je  n'écrirai  rien  à  l'ëvéque  deLabn^  que 
le  consentement  de  l'Espagne  ne  soit  arrive,  et  j'attendrai 
vos  ordres  pour  remercier  le  Pape  et  son  ministre.  Vous 
parlerez,  en  attendant,  pour  moi,  et  me  ferez  parler  tant 
vis-à-vis  de  Sa  Sainteté  que  du  cardinal  Archinto  et  du 
nonce,  M.  Grivelli.  On  gardera  le  secret  ici  jusqu'à  la  pro- 
motion. J'ai  demandé  de  pouvoir  en  parler  à  l'Infante. 
Mais  je  n'ai  pas  eu  encore  la  permission.  Madame  de 
j^ompadour  voudrait  qu'il  fut  possible  que  je  fusse  nommé 
avant  la  promotion.  Je  ne  sais  si  cela  est  praticable,  et 
s'il  faut  même  le  demander.  C'est  à  vous  à  conduire  toute 
cette  affaire.  A  l'égard  de  l'abbé  de  Ganillac',  M.  Rouillé 
avait  feit  une  démarche  pour  lui,  dans  l'intention  de  me 
barrer  le  chemin  au  chapeau.  Voilà  ce  qui  a  donné  lieu  à 
celle  de  l'abbé  d'Elvincourt  ',  qui  fit  une  étourderie  dont 
il  a  été  tancé.  Le  Roi  ne  s'opposera  jamais  à  la  pro- 
motion de  l'abbé  de  Ganillac  ;  mais  Sa  Majesté  n'a  jamais 
voulu  solliciter  le  consentement  des  cours  de  Vienne 
et  d'Espagne  à  son  sujet.  A  Tégard  de  M.  votre  frère,  je 
pense  comme  l'évéque  d'Orléans  ;  il  faut  qu'il  prenne  le 

'  Le  cardinal  de  Rochechouart,  miDistre  à  Borne. 

3  Claude-FraDçois  de  Montboissier  de  Beaufort-CaDilIac,  né  le  dT  oc- 
tobre 1699,  chanoine  de  Brîoude,  puis  de  Lyon,  auditeur  de  rote  à  Rom« 
depuis  juillet  1733,  commandeur  du  Saint-Esprit  1«  2  février  1758,  mort  à 
Paris  le  27  janvier  1768.  * 

^  L'abbé  Delvincourt  ou  d'Elvincourt,  chanoine,  archidiacre  de  l'église 
de  Laon,  vicaire  ^néral  de  ce  diocèse  et  conseiller  en  la  chambre  du  clergé, 
fut  secrétaire  d'ambassade  du  cardinal  de  Ro<:hechouart  à  Rome  de  1757  à 
1762,  et  chargé  des  affaires  du  Roi  pendant  six  mois,  mais  ne  fut  jamais 
payé  par  le  département  des  affaires  étrangères.  Le  Cardinal  se  démit  en 
sa  faveur  d'un  prieuré,  ce  qui  n*empèchait  pas,  en  1777,  Delvincourt  d« 
demander  une  pension. 

14. 


Î12  LETTRES 

premier  évéclié  vacant,  pourvu  qu'il  soit  honnête.  Cela 
fera  le  pont  pour  le  premier  grand  siège  qui  viendra  à 
vaquer  ensuite.  Le  chevalier  de  Courten  vous  plaint  de 
tout  son  cœur,  et  nous  avions  tous  deux  hier  le  cœur  flétri 
de  la  honte  de  la  nation  et  de  la  misère  profonde  de  nos 
généraux.  Nos  soldats  ont  bonne  volonté  ;  mais  nos  offi* 
ciers  sont  indignes  de  servir.  Tous  soupirent  après  k 
repos,  l'oisiveté  et  l'argent.  Le  maréchal  de  Belle-Isie  ne 
se  porte  pas  bien.  Il  semble  que  le  ciel  soit  conjuré.  Mais 
du  moins  nous  avons  de  l'argent  pour  quelques  mois. 

Le  Parlement  se  prête.  Voilà  depuis  raccommodement 
cent  quinze  million^  qui  ont  été  enregistrés  *•  Où  en  se- 
rions-nous sans  cela?  Je  vais  répondre  tout  à  Theure  à 
votre  seconde  lettre  particulière.  Le  cardinal  Argenvillieri 
se  meurt*. 

Ce  Si  aTrO. 

Mes  dernières  dépêches  vous  auront  niis  au  fait  de 
notre  position  intérieure,  monsieur  le  comte;  il  y  a  assez 
d'argent  dans  le  royaume,  mais  il  n'y  a  pas  de  conBance, 
et  Ton  craint  la  banqueroute  universelle.  D'ailleurs,  nous 
sommes  dépendants  de  Montmartel,  au  point  qu'il  nous 
forcera  toujours  la  main.  J'ai  satisfait  sa  vanité.  Je  le  cul- 
tive, je  Tencourage  et  je  mène  à  cet  égard  une  vie  qui  ne 
peut  être  justifiée  que  par  le  service  du  Roi  et  le  bien  de 
l'alliance.  Malgré  cela,  je  n'ai  jamais  pu  être  assuré  de 
mes  subsides.  Je  crois  que  nous  suffirons  k  la  campagne 

»   Voir  Barbier,  VII,  36. 

2  Le  cardinal  ClcmenC  Argenvillieri,  né  le  30  décembre  1687,  cardinal 
le  26  novembre  i753.  A  la  date  du  15  avril,  la  Gazette  annonçait  qu'après 
avoir  été  à  Textrémité,  il  commençait  à  se  rétablir.  Il  est  de  nouveau 
question  de  sa  santé  le  13  mai,  à  propos  du  conclave.  Il  ne  mourut 
qu'en  1759. 


DE  L*ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  213 

présente,  mais  comment  soutenir  la  prochaine ,  surtout 
s'il  arrive  des  malheurs  sur  terre  et  sur  mer,  comme  il  y  a 
à  parier?  Voilà  pour  ce  qui  regarde  la  finance;  quel  remède 
y  apporter  dans  six  mois  et  avec  les  mêmes  gens?  Quant  à 
Tarmëe,  M.  le  comte  de  Ciermont  végète  complètement. 
Il  est  gouverné,  sans  qu'il  sans  doute,  par  les  terreurs 
vraies  ou  fausses  de  son  état-major,  qui  veut  à  toute  force 
revenir  à  Paris  et  faire  la  guerre  dans  le  royaume.  Le  ma- 
réchal de  Belle-Isle  ne  sera  pas  assez  ferme,  et  il  se  tuera 
d'ici  à  deux  mois  à  force  de  vouloir  faire  tout  à  la  fois  le 
métier  de  général,  de  ministre  et  de  premier  commis.  C'est' 
son  défaut;  il  a  soixante-quatorze  ans,  il  ne  changera  pas. 
Ainsi,  comment  faire  la  guerre  sans  général?  On  remettra 
le  maréchal  d'Estrées;  j'en  suis  d'avis.  Mais  nous  avons 
éprouvé  sa  facilité  pour  l'attrape,  et  le  peu  de  nerf  qu'il 
a  pour  remettre  tout  dans  l'ordre  et  le  respect.  Voilà  quel 
est  le  militaire.  Il  faut  presque  le  refondre  pour  en  tirer 
parti.  On  a  doublé  en  quelque  sorte  la  paye  du  soldat.  Il 
n'en  sera  que  plus  insolent  et  plus  poltron,  s'il  n'a  pas  de 
confiance  dans  ses  chefs,  ou  s'il  est  corrompu  par  leurs 
exemples. 

Cette  réforme  n'est  pas  l'ouvrage  d'un  moment.  Il  fen- 
drait commencer  par  faire  respecter  le  Roi  dans  sa  cour, 
pour  qu'on  respectât  ses  lieutenants  dans  les  provinces  et 
à  la  tête  des  armées.  C'est  par  là  qu'il  faut  commencer. 
Nos  amis  et  alliés  sont  gouvernés  à  peu  près  comme  nous 
(au  respect  et  à  l'obéissance  près).  La  charrue  est  mal 
attelée,  et  notre  ennemi  devient  toujours  plus  fier,  plus  in- 
traitable et  plus  dangereux.  C'est  à  la  politique  à  lui  mettre 
un  frein  et  des  barrières.  Nous  sommes,  nous  et  nos  alliés, 
trop  mal  outillés  pour  le  vaincre.  Ainsi  la  paix  est  la  der- 
nière ressource.  Mais  la  paix  devient  encore  plus  difficile 
depuis  la  convention  signée  à  Londres,  le  II  de  ce  mois, 


914  LETTRES 

entre  Leurs  Majestés  Britannique  et  Prussienne  '  •  L'élec- 
teur de  Hanover,  en  consentant  de  ne  foire  trêve  ni  sur 
terre  ni  sur  mer,  que  sur  le  consentement  du  roi  de  Prusse, 
s'est  mis   dans  sa  dépendance.  Apparemment  que  les 
articles  secrets  lui  promettent  la  sécularisation  de  quelque 
évéché  à  sa  bienséance  pour  l'indemniser '•  Notre  négocia- 
tion  pour  l'électorat  de  Hanover  se  trouve  donc  accro- 
chée. Si  nous  étions  nerveux  et  bien  gouvernés,  je  trouve- 
rais le  remède   à  tous  ces  embarras  en    agissant  avec 
vigueur  ;  mais  notre  gouvernement  ne  vaut  rien  ;  on  y 
défoit  d'une  main  ce  que  l'on  foit  de  l'autre.  Il  n'y  a  aucun 
système  général,  ni  rien  de  concerté,  ni  prévoyance,  ni 
dépense  foite  à  propos,  et  encore  moins  d'économie  ;  peu 
d'argent,  peu  de  crédit,  et  un  militaire  déplorable.  Il  ne 
reste  donc  que  la  paix.  Vous  me  demandez  s'il  faut  que 
vous  attendiez  un  événement  malheureux  en  Bohême  pour 
en  parler  à  Vienne  ;  ce  serait  bien  le  meilleur  parti  pour  ne 
pas  y  déplaire.  Mais  après  un  malheur,  quelles  seraient 
nos  ressources  pour  être  écoutés  de  nos  ennemis?  Je  crois 
donc  qu'il  fondrait  prendre  dès  à  présent  votre  texte  de  ce 
qu'il  y  aura  à  foire  si  l'Impératrice  est  battue  en  Bohème 
et  en  Moravie,  et  foire  sentir  que  c'est  avant  l'événement 
qu'il  fout  avoir  pris  sa  résolution  et  tracé  son  plan.  Le  Roi 
ne  veut  pas  et  ne  voudra  jamais  abandonner  la    partie, 
mais  sa  volonté  n'empêchera  pas  qu'il  ne  l'abandonne  de 
foit  quand  les  ressources  manqueront.  Vous  êtes  sur  les 
lieux,  c'est  à  vous  à  mettre  les  formes,  le   Roi  vous  en 
laisse  le  maître.  Mais  ne  vous  laissez  pas  aller  à  la  fousse 
sécurité  du  pays  que  vous  habitez,  ni  à  des  espérances 
fondées  sur  des  miracles  passés. 

Les  cartes  se  brouillent  en  Pologne.  Je  voudrais  trou- 

t  Wesck,  III,  173. 

'  On  ne  Croule  dans  le  traité  publié  aucune  stipuladoB  de  cette  natniY. 


DE  L*ABBé  COMTE  DE  BERNIS.  Si& 

ver  un  homme  de  poids  à  y  envoyer,  et  en  même  temps 
de  bon  sens.  Je  ne  le  connais  pas.  DumesniP,  dans  Tordre 
d*une  commission  particulière  et  en  qualité  d'agent  plutôt 
que  ministre,  m'était  venu  à  la  tête.  II  a  l'esprit  conciliant 
et  de  l'espèce  qui  peut  plaire  a  des  Russes  et  à  des  Polo- 
nais. Mais  je  crains  qu'il  n'ait  pas  assez  bonne  réputation. 
Donnez-moi  votre  avis  sur  cela,  et  indiquez-moi  vous- 
même  un  sujet  que  vous  croiriez  propre.  J'ai  cherché  vaine- 
ment. Je  ne  trouve  que  des  écoliers  et  des  gens  médiocres. 
On  a  trouvé  une  partie  de  notre  convention  sur  l'objet 
des  fourrages  et  sur  quelques  autres  articles,  intolérable 
par  l'excès  de  dépense  qu'elle  entraînerait.  Il  en  coûterait 
plus  pour  trente  mille  honmies  qu'il  n'en  a  coûté  pour 
cent  mille  dans  la  dernière  guerre.  On  vous  enverra  des 
observations.  Si  M.  le  comte  de  Glermont  reste  à  la  tête 
de  l'armée,  il  aurait  grand  besoin  de  Montazet  pour  le 
conduire  et  être  son  maréchal  des  logis*.  Je  crois  que 
c'est  le  seul  moyen  d'étayer  la  faiblesse  du  prince.  D'un 
autre  côté,  si  M.  de  Soubise  ne  le  fait  pas  maréchal  des' 
logis  de  son  armée,  il  ne  lui  sera  pas  de  la  plus  grande 
utilité.  Je  ne  comprends  pas  comment  il  préfère  le  petit 
Devaux'  à  Montazet,  qui  a  vraiment  du  talent.  Je  ne  re- 
viendrai jamais  de  la  honte  qu'on  nous  a  fait  essuyer  sans 


^  Charles-Louis  de  Chastelier,  marquis  du  Mesnil.  Voir  aux  Mémoires, 
^  Il  semble  que  Montazet  ait  été  envoyé  k  Tarmée  du  comte  de  Cler- 
mont  Ters  cette  date.  Voir  lettre  de  madame  de  Pompadour  publiée  dans 
le  Comte  de  Gisors,  par  M.  Kousset,  p.  422. 

^  Noél  de  Jourda  de  Vaux,  comte  de  Vaux,  baron  de  Roche  et  des  États 
du  Velay,  entré  an  service  le  16  octobre  1723,  comme  ensei(pie  de  la 
colonelle  dd  régiment  d* Auvergne,  colonel  du  régiment  d*Angoamois  en 
mars  1743,  brigadier  le  23  février  1746  (après  avoir  porté  an  Roi  la  nou- 
velle de  la  prise  de  Bruxelles),  fait  prisonnier  en  mars  1748 ,  maréchal  de 
camp  en  décembre  même  année,  commandant  en  chef  en  Corse  en  1757^ 
lieutenant  général  le  17  décembre  1759,  maréchal  de  France  le  13  juin 
1783,  mort  à  Grenoble  le  12  septembre  1788,  à  Tâge  de  quatre-vingt- 
cinq  ans. 


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cup^rtuesw  et  c*jiiiini5    e  jcbs  ul  m  r 
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sus  bitftt  m'A  sersii:  ptiSBOie 

'  eC  le^  iuperHfs  -tn  une  jmre  on 


DE  L*ABBE  COMTE  DE  BERNIS.  217 

cent  millions  de  plus  tous  les  ans  ;  on  peut  les  regarder 
comme  dépensés  inutilement  dans  TÉtat.  Mais  je  ne  vien- 
drai pas  à  bout  de  cette  réforme.  J'ai  proposé  de  me  char- 
ger de  toute  l'iniquité  apparente  de  cette  opération,  et  je 
voulais  bien  m'exposer  aux  cris  de  la  cour,  de  la  ville,  des 
finances,  de  la  guerre  et  de  la  marine.  Mais  ceux  qui  gou- 
vernent ces  parties  m'ont  remercié  de  mes  bonnes  inten- 
tions ;  et  le  Roi,  qui  est  le  meilleur  maître  du  monde,  ne 
sait  pas  dire  :  Je  le  veux,  dès  qu'il  voit  que  d'expliquer 
sa  volonté  fait  de  la  peine  à  quelqu'un.  Dans  cette  posi- 
tion, faut-il  8*exposer  à  des  malheurs  nécessaires  et  à  une 
honte  assurée?  C'est  ce  que  je  n'ai  pas  voulu  risquer.  Le 
grand  point  était  de  porter  la  cour  de  Vienne  à  la  paix,  et 
d'avoir  son  consentement  pour  cela,  afin  de  pouvoir  être 
les  maîtres  de  nous  retourner  sans  dépendre  d'autrui.  Je 
me  sens  aujourd'hui  plus  à  mon  aise,  parce  que  je  crai- 
gnais d'être  obligé  de  nous  brouiller  en  prenant  des  partis 
sages.  M.  de  Kaunitz  a  tort  de  penser  que  nous  voulions 
les  tenir  par  l'argent  en  laissant  accumuler  des  arrérages. 
Nous  n'avons  pas  tout  payé  parce  que  l'argent  nous  manque. 
Un  seul  homme  est  chargé  d'en  fournir,  et  il  ne  veut  em- 
ployer que  les  moyens  qu'il  connaît  et  sur  lesquels  il  gagne. 
Passez-vous  de  cet  homme  sans  avoir  pris  de  longue  main 
des  mesures,  la  banqueroute  s'ensuivra  ;  on  la  rendra 
trop  nécessaire.  Il  en  est  de  même  de  son  frère.  Tous  les 
sous-ordres  des  vivres  dépendent  de  ces  deux  hommes'. 
Choisissez  qui  vous  voudrez,  il  sera  à  leurs  ordres,  et  vos 
affaires  seront  gâtées  parce  que  vous  aurez  voulu  vous 
passer  d'eux.  J'ai  trouvé  en  venant  en  place  tous  les  vices 
d'un  gouvernement  accumulés;  on  ne  peut  remédier  à 
tant  de  maux  qu'avec  du  temps  et  des  circonstances  moins 

'  Voir  dans  le  Comte  de  Gisors,  de  M.  KorssET,  lé  détail  des  difficultés 
relatiTes  aux  agents  des  vivres,  p.  427  et  suiv. 


tl8  LETTRES 

orageuses.  Vous  avez  fait  bien  des  miracles  à  la  fois  d'a- 
voir amené  la  cour  de  Vienne  à  des  sacrifices  d'argent  et 
au  sacrifice  de  son  orgueil.  Je  sens  plus  que  personne  le 
mérite  de  votre  conduite  et  de  vos  services.  La  reconnais^ 
sance  que  je  vous  dois  n'a  nulle  part  à  mon  faible  suffrage. 

Je  vous  prie  de  remercier  M.  le  comte  de  GoUoredo  ' 
des  expressions  obligeantes  dont  sa  lettre  est  pleine. 

Le  Roi  a  été  fort  sensible  aux  motifs  qui  ont  déterminé 
Sa  Majesté  Impériale  de  consentir  à  ma  promotion.  Vous 
aurez  reçu  par  mon  dernier  courrier  le  consentement  du 
Roi.  Nous  attendons  les  nouvelles  de  Madrid. 

Mon  Dieu,  que  nous  avons  de  plats  généraux!  Mon  Dieu, 
que  notre  nation  est  aplatie  !  et  qu'on  fait  peu  d'attention 
à  la  décadence  du  courage,  de  l'honneur  en  France  !  Il 
faut  que  les  honnêtes  gens  qui  ont  du  courage  se  fatiguent 
ensemble  pour  remonter  les  têtes  et  corriger  les  cœurs; 
sans  cela  tout  sera  perdu  pour  jamais. 

Adieu,  mon  cher  comte.  J'ai  été  purgé  aujourd'hui, 
pour  me  préparer  à  recevoir  avec  Intrépidité  les  mauvaises 
nouvelles  que  j'attends  d'un  jour  à  l'autre  de  Bohême. 
M.  de  Montmartel  me  remet  d'un  jour  à  l'autre  pour  le 
payement  annoncé.  Je  suis  honteux  de  quémander  et 
d'annoncer  toujours  ce  qui  n'arrive  point.  Cela  ne  peut 
cependant  plus  retarder  que  de  vingt-quatre  heures. 

Ce  !•'  de  mai.  Quelle  e'poqu^*  ! 

L'archevêque  de  Toulouse  est  mort',  mon  cher  comte; 
je  demande  très-vivement  cette  place  pour  M.  votre  frère, 

1  Rodolphe-Joseph,  comte  de  Colloredo,  vice-chancelier  de  1* Empire, 
élevé,  en  1763,  à  la  dignité  de  prince  du  saint-empire  romain. 

'  Anniversaire  des  deux  traités. 

'  François  de  Crussol  d'Amboise,  archevêque  de  Toulouse,  mort  le 
30  avril  1758,  à  Paris.  Il  avait  été  nommé  à  Tévèché  de  Blois  en  1754  et  k 
l'archevêché  de  Toulouse  en  1753. 


DE   L*ABBé  COMTE  DE  BERNIS.  219 

OU  si  l'archevêque  d'Alby'  y  est. nommé,  l'archevêché 
d'Alby  pour  l'abbé  de  Ghoiseul.  Je  meurs  dix  fois  par  jour. 
La  finance  va  très-mal.  Les  dépensas  n'en  sont  pas  mieux 
faites.  La  friponnerie  et  l'ignorance  dans  les  marchés  sont 
les  mêmes.  Je  crains  quelque  scandale  majeur.  On  me 
rassure  un  jour,  on  m'alarme  le  lendemain.  Je  ne  sais  à 
quoi  m'en  tenir,  parce  que  les  opérations  sont  faites  par 
des  gens  qui  en  répondent  le  matin  et  n'en  répondent  plus 
le  soir.  La  gelée  a  recommencé.  Il  y  a  à  craindre  ppur  la 
récolte.  La  marine  est  en  décadence.  Tous  les  arrange- 
ments sont  mal  pris,  nullement  concertés.  Tout  est  tardif, 
et  les  plus  grandes  dépenses  deviennent  inutiles  faute 
d'être  faites  à  propos.  Voilà  le  tableau  au  naturel.  Le 
remède  sera  saisi  trop  tard.  On  est  mal  gouverné;  on 
cherchera  partout  un  moyen  de  se  tirer  d'aflaire;  ce 
moyen  n'existe  que  dans  un  meilleur  gouvernement.  Tous 
les  jours  mes  prophéties  s'accomplissent;  mais  je  ne  puis 
acquérir  pour  cela  le  droit  de  faire  remédier  sur-le-champ 
au  mal.  Si  j'avais  pu  mourir  ou  devenir  fol,  cela  serait  déjà 
arrivé.  Nous  avions  besoin  de  succès  continuels  pour  nous 
soutenir,  mais  devait-on  s'y  attendre?  Un  seul  revers  nous 
a  culbutés,  parce  que  la  machine  ne  se  soutenait  que  par 
les  faveurs  de  la  fortune.  Avec  de  l'argent  nous  nous  tire- 
rions encore  d'affaire.  Mais  on  attend  de  l'argent  comme 
de  la  rosée  du  ciel,  sans  le  chercher  où  il  est,  sans  frapper 
les  grands  coups  qui  le  font  circuler,  sans  émouvoir  la 
nation  qui  le  jetterait  par  les  fenêtres,  pour  le  service  du 
Roi,  si  l'on  savait  la  remuer.  Cependant  il  ne  faut  perdre 
courage,  ni  le  fil  des  affaires.  Mais  j'achèterais  la  paix  du 


1  Dominique  de  la  Rochefoucauld,  né  en  1713,  d'abord  grand  vicaire 
de  rarchevêché  de  Bourges,  nommé  archcTêque  d*Alby  en  mai  1747, 
archevêque  de  Rouen  en  avril  1759,  cardinal  en  1778,  mort  en  émigration 
k  Munster  le  25  septembre  1800. 


MO  LETTRES 

continent  et  de  la  mer  par  un  bras  et  une  jambe,  si  elles 
se  faisaient  toutes  deux  d*ici  à  trois  mois.  Voilà  assez  de 
noir.  Nous  veillons  à  votre  fortune.  Conservez  voire  santé. 
J'étaye  la  mienne  par  des  réflexions  sages  et  par  un  çnmd 
régime.  Je  vous  aime,  et  vous  suis  attaché  de  tout  mon 
cœur  pour  la  vie. 

Ce  6  mai  1758. 

M.  de  Starhemberg,  monsieur  le  comte ,  a  reçu  un  cour- 
rier de  sa  cour  avec  le  détail  de  la  conférence  qui  s*est 
tenue  sur  les  quatre  points  que  vous  avez  proposés  à 
l'Impératrice. 

Il  me  parait  qu'elle  a  plus  de  courage  que  nous,  et  qu'elle 
n'est  nullement  persuadée  de  la  détresse  où  nous  sommes 
du  côté  des  finances,  puisqu'elle  insiste  sur  le  payement 
des  arrérages  d'ici  au  mois  de  juin.  Comme  nous  sommes 
chaque  jour  aux  expédients  pour  notre  armée  y  pour  nos 
subsides  et  pour  la  marine ,  je  n'ai  pu  lui  promettre  que 
de  faire  encore  un  nouvel  effort  auprès  du  contrôleur 
général  pour  l'acquittement  desdits  arrérages;  mais  je  ne 
lui  ai  guère  laissé  d'espérance  de  réussir  dans  cette  opéra- 
tion ,  qui  est  en  effet  impossible.  Tout  ce  que  nous  pou- 
vons faire,  c'est  d'acquitter,  quand  nous  pourrons,  ce  qui 
est  échu,  et  s'il  nous  vient  de  Targent,  de  donner  des 
à-compte;  mais  soyez  bien  sûr  qu'il  est  aussi  impossible 
de  payer  actuellement  cinq  millions  de  florins  tout  à  la 
fois  comme  de  prendre  la  lune  avec  les  dents.  M.  de 
Starhemberg  m'a  paru  désirer  de  s'arranger  avec  moi  sur 
les  autres  articles,  celui-là  étant  arrêté.  Je  laisse  tomber 
cette  proposition.  11  vaut  beaucoup  mieux  que  vous  finis- 
siez toutes  ces  affaires-là,  puisque  c'est  vous  qui  les  avez 
commencées.  Je  vois  qu'on  imagine  tirer  meilleur  parti 
de  moi  que  de  vous;  mais  j'aurais  beau  consentir,  que  je 


DE   L'ABBÉ   COMTE   DE   BERNIS.  Î2I 

n'en  payerais  pas  davantage.  Nous  sommes  arrêtés,  par  un 
obstacle  insurmontable,  qui  est  l'impossible.  Vous  savez 
que,  selon  moi,  cette  impossibilité  n'est  pas  réelle  en 
prenant  les  seules  mesures  qu'il  y  a  à  prendre,  qui  sont  de 
retrancher  cent  millions  qui  se  dépensent  inutilement  dans 
le  royaume;  mais  on  ne  veut  prendre  de  partis  nerveux; 
ainsi  nous  restons  vis-à-vis  de  notre  misère,  et  nous  ris- 
quons de  nous  perdre,  et  nos  alliés  aussi.  Je  vois  que  la 
cour  de  Vienne  n'a  pas  encore  perdu  Tespoir  d'une  belle 
campagne.  Si  j'avais  de  quoi  en  faire  trois  autres,  je  pen- 
serais de  même.  Mais  nul  ange  ne  m'a  révélé  que  le  roi 
de  Prusse  serait  battu,  ni  que  les  Anglais  ne  nous  enlè- 
veraient pas  nos  colonies,  et  peut-être  Minorque ,  dont  on 
a  retiré  M.  de  Lannion  '  pour  le  faire  marcher  avec  M.  de 
Soubise  au  moment  où  les  Anglais  embarquent  dix-sept 
mille  hommes  avec  de  l'artillerie,  escortés  par  vingt-quatre 
vaisseaux  de  ligne.  Le  bruit  court  qu'ils  vont  en  Flandre, 
à  Lorient,  en  Normandie,  à  Rochefort,  en  Languedoc. 
Pourquoi  n'iraient-ils  pas  à  Minorque ,  où  nous  n'avons 
pas  recruté  nos  troupes  depuis  qu'elles  y  sont,  où  il  n'y  a 
qu'un  brigadier^  pour  commander,  pas  trop  de  vivres, 
point  d'argent,  peu  de  munitions ,  et  point  d'escadre  pour 
faciliter  nos  convois? 

En  un  mot',  mon  cher  comte,  tout  ceci  se  décompose; 
on  a  beau  étayer  le  bâtiment  d'un  côté,  il  croule  de  l'autre. 


1  Hyacinthe  Cajetan,  comte  de  Lannion,  né  le  26  octobre  1719,  gouTer- 
neur  de  Vannes  et  d'Auray  en  1735,  en  remplacement  de  son  père  tué  à  la 
bataille  de  Guastalla,  entre  aux  mousquetaires  en  1736,  est  colonel  du  régi- 
ment d'infanterie  de  Médoc  en  1739,  maréchal  de  camp  en  septembre 
1748,  président  des  états  de  Bretagne  en  1749  et  1750,  gouverneur  de 
Minorque  de  juillet  1756  k  avril  1758  ;  il  sert  alors  sous  le!<  ordres  du 
prince  de  Soubise,  est  nommé  chevalier  des  ordres  du  Roi  le  l'c  janvier 
1759,  et  lieutenant  général  le  17  décembre  même  aniléc. 

2  M.  de  Puisignieux,  colonel  du  régiment  royal.  (Voir  Luttes,  XVI, 
433.) 


M4  LETTRES 

des  Busses  et  de  raccommoder  le  grand  gënëral'  et  le 
premier  ministre  de  Saxe.  Ce  seul  mot  vous  mettra  au  fait 
autant  pour  le  moins  qu'une  longue  dépêche. 

Faites  finir  mon  affaire  de  Rome;  car,  si  elle  vient  à 
éclater,  je  serai  exposé  à  toutes  les  noirceurs  du  monde, 
et  comment  la  tenir  secrète  si  elle  traine? 

Ce  13  mai. 

Nous  ne  sommes  pas  heureux,  mon  cher  comte,  ni  vous 
ni  moi.  Je  crois  cependant  que  vous  aurez  sujet  d'être 
content  du  Roi ,  qui  doit  vous  écrire  et  vous  promettre  ce 
que  vous  désirez  le  plus.  Il  n'a  pas  été  possible  de  foire 
donner  Tarchevéché  de  Toulouse  à  M.  votre  frère.  Je  joins 
ici  une  lettre  de  l'évéque  d'Orléans  sur  cette  matière.  Il 
faut  que  l'abbé  de  Choiseul  accepte  Évreux  '  ;  en  atteiH 
dant,  on  négocie  la  translation  de  l'évéque  de  Toul'  à 
Évreux;  mais  le  grand  point  est  de  faire  l'abbé  de  Choi- 
seul évéque.  Le  Roi  a  promis  de  ne  pas  le  laisser  languir 
dans  un  petit  siège.  L'évéque  d'Orléans  m'en  a  donné 
aussi  sa  parole.  Ainsi  l'on  va  nommer  l'abbé  de  Choiseal 
à  Évreux.  Le  Pape  étant  mort  ^,  il  ne  pourra  avoir  de  long- 
temps ses  bulles;  par  conséquent,  dans  l'intervalle,  ou  la 
négociation  avec  l'évéque  d'Évreux  réussira ,  ou  il  vaquera 

^  Jean-Clément  Branicki,  ué  en  1688,  mort  en  1771.  Il  avait  d'abord 
servi  en  France  dans  les  mousquetaires,  puis,  de  retoar  dans  sa  patrie,  fat 
grand  géAéral  de  la  couronne  sous  Auguste  III.  Il  était  le  dernier  deioa 
nom,  et  sa  famille  n*a  aucun  rapport  avec  celle  des  Branecki,  dont  l'aateiir 
fut  un  des  principaux  agents  de  Catherine  II  dans  le  partage  de  la  Po- 
logne. 

'"^  Arthur-Richard  Dillon,  sacré  évéque  d'Evreux  le  28  octobre  1753| 
venait  d'être  nommé  à  Tarchevêché  de  Toulouse.  Il  était  antérieurement 
grand  vicaire  de  Pontoise,  et  en  176Î  il  fut  nommé  à  l'archevêché  de 
Narbonne. 

3  Claude  Drouas  de  Boussey,  évéque  de  Toul  depuis  le  12  mai  ÏT^, 
antérieurement  vicaire  général  de  l'archevêché  de  Sens. 

*  Le  3  mai  1758. 


DE  L*ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  2S5 

un  meilleur  évéché  ou  archevêché.  Voilà  mon  avis. 
Madame  de  Pompadour  et  moi  avions  failli  à  mourir  de 
douleur  de  manquer  Toulouse,  mais  les  ména(][ements 
pour  Farclievéque  de  Narbonne  et  le  commandant  de  la 
province  l'ont  emporté;  quand  le  {gouvernement  est  faible, 
on  a  peur  de  son  ombre.  M.  Dumont  ^  ayant  reçu 
voire  lettre  sur  l'occupation  de  Danzig[  '  par  les  Rus- 
ses, aurait  dû  ne  pas  attendre  des  ordres  qui  sont  du 
1 5  avril ,  et  qui  n'ont  pu  lui  parvenir  au  plus  tôt  qu'à  la 
fin  du  même  mois.  Je  lui  envoie  un  pouvoir  conforme 
à  celui  que  l'Impératrice  a  donné  à  M.  de  Ralle  ',  et  je 
lui  lave  la  tète  d'importance  de  n'avoir  pas  concouru 
sub  spe  rati;  mais,  en  attendant,  on  écrira  en  Russie  que 
notre  ministre  a  fait  bande  à  part. 

Je  ne  crois  pas  que  M.  de  Gourten  voulût  aller  en  Po- 
logne. Il  y  a  déjà  longtemps  que  je  l'ai  pressenti  sur  cet 
objet.  Il  m'en  a  paru  très-éloigné. 

Pour  le  chevalier  de  Chauvelin ,  il  y  serait  très-propre  ; 
mais  après  ce  qui  s'est  passé  au  sujet  du  P.  de  G.^,- je  ne 
puis  douter  que  Gbauvelin  lui-même  ne  se  trouvât  embar- 
rassé vis-à-vis  d'un  prince  qui  ne  doute  de  rien  et  qui 
nous  ferait  naître  des  soupçons  partout.  On  ne  guérit 
jamais  d'un  violent  soupçon.  J'ai  envie  d'envoyer  à  Var- 
sovie M.  de  Monteil,  sur  qui  je  puis  compter,   chargé 

1  Résident  à  Danzig,  ancien  secréuire  de  l'ambassade  de  France  à 
Vienne  en  1752,  chargé  d'affeires  après  le  départ  du  comte  de  Hautefort, 
du  14  novembre  1752  au  27  octobre  1753,  ministre  résident  à  Danzig 
d*aTril  1756  à  septembre  1767.  Il  fut  retraité  le  1*'  avril  1768  avec  pension 
de  4,000  livres.  Dumont  vivait  encore  en  1775,  retiré  à  la  maison  des  cha- 
noines réguliers  de  Sainte-Croix  à  Paris. 

3  Les  Russes,  malgré  tout  le  désir  qu'ils  en  avaient,  ne  purent  occuper 
Danzig.  Voir  Théâtre  de  la  guerre  présente,  t.  III,  p.  100. 

^  Je  trouve  dans  la  Gazette  de  France  du  10  juillet  1756  un  comte  de 
Raab,  envoyé  extraordinaire  de  Leurs  Majestés  Impériales  à  Hambourg. 
Est-ce  le  même  que  ce  Balte  et  qu'un  Garl-Joseph  ,  baron  de  Raab ,  qui, 
en  1741,  était  commissaire  impérial  au  Reichstag  ? 

^  Prince  de  Gonti.^ 

II.  15 


226  LETTRES 

d'une  commission  particulière.  Il  a  de  l'esprit ,  est  fort 
instruit,  très-ferme  et  très-honnéte  homme;  il  est  inca- 
pable de  se  foire  un  système  particulier.  S'il  réussit  là4>aSy 
on  pourra  l'y  laisser.  Je  n'en  connais  pas  de  plus  instruit 
des  affaires  générales^,  et  qui  joigne  à  cela  plus  de  coo«<^ 
naissances  du  militaire;  il  est  un  peu  de  mes  parents  et  de 
mes  amis.  Madame  de  Pompadour  s'intéresse  à  lui.  Voilà 
bien  des  titres  réunis  et  bien  des  motifs  de  se  rassurer  sur 
sa  conduite.  Le  Pape  est  mort»  voilà  un  château  de  fée 
renversé.  Dès  que  j'ai  vu  que  ma  nomination  pouvait  être 
différée,  je  n'y  ai  plus  compté.  Mais  soyez  sur  que  je 
n'oublierai  jamais  ce  que  vous  avez  fait  pour  moi  dans 
cette  occasion.  Il  est  désagréable,  après  l'éclat  que  (ette 
affaire  ne  manquera  pas  de  faire  (le  secret  en  étant  entre 
les  mains  d'une  douzaine  de  personnes) ,  que  je  reste  là, 
sans  espoir  d'être  pourvu  par  le  successeur  de  Benoit  XIY. 
Jamais  la  fortune  ne  m'a  fait  une  niche  plus  cruelle.  Mais 
soyez  sûr  que  ce  malheur  ne  prend  pas  sur  moi  comme 
les  affaires  générales.  Je  ne  pensais  pas  à  être  cardinal; 
je  me  consolerai  de  ne  l'être  pas.  Le  Roi  était  enchanté 
que  le  Pape  me  nommât  proprio  motu,  mais  il  aurait  peut' 
être  du  scrupule  â  me  proposer  à  son  successeur.  Je  ne  le 
demanderai  pas;. et  à  moins  que  ce  même    successenr, 
quel  qu*il  soit,  ne  sente  qu'il  ferait  bien  de  remplir  les 
intentions  â  cet  égard  des  cours  de  France ,  de  Vienne  et 
d'Espagne,  je  n'y  vois  plus  de  ressources.  Je  m'en  conso- 
lerai aisément  pour  moi;  ce  sera  un  malheur  pour  les 
affaires.  Cette  dignité  m'aurait  donné  plus  d'influence, 
d'autorité  et  de  sûreté.  Il  en  résultera  que  je  prendrai  le 
parti  de  la  retraite.  Croyez-moi,  sans  la  paix  nous  péri- 
rons, et  nous  périrons  déshonorés.  On  voudrait  conserver 
M.  de  Moras  à  la  marine ,  comme  s'il  était  égal  que  la 
marine  fût  bien  ou  mal  administrée.  En  un  mot ,  ce  sont 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  2t7 

des  volontés  d'enfant  qui  dirigent  nos  principes  de  gou- 
vernemept.  Cela  est  insoutenable  quand  on  aime  l'État 
et  qu'on  est  attaché  à  sa  propre  réputation  ;  au  reste,  ne 
craignez  pas  que  je  fasse  un  trou  à  la  lune.  J'ai  l'esprit 
sage,  et  je  suis  courageux.  Mais,  je  vous  le  répète,  nous 
avons  besoin  de  la  paix,  parce  que  toutes  nos  affaires 
sont  en  désordre  et  que  l'argent  manque.  J'en  fais  cherr 
cher  sur  mon  crédit  personnel  pour  soutenir  les  affaires 
politiques.  Croiriez-vous  que  je  n'ai  touché,  pour  la  tota- 
lité des  dépenses  des  affaires  étrangères,  que  trente-deux 
millions  l'année  passée  '  ?  Vous  savez  que  le  seul  sub- 
side de  Vienne  est  de  trente  millions;  ainsi  je  n'ai  eu 
pour  les  autres  subsides,  les  dépenses  des  ambassadeurs 
et  ministres,  pensions,  présents,  etc.,  que  deux  millions. 
Voilà  pourquoi  je  dois  neuf  millions  à  la  cour  de  Vienne, 
Comment  voulez-vous  que  je  soutienne  les  affaires  du  Roi 
et  que  je  tienne  ses  paroles  avec  si  peu  de  ressources? 
Écrasé  d'un  côté  par  le  militaire,  contrarié  par  la  mau- 
vaise administration  des  autres  départements ,  et  mal  payé, 
je  regarde  comme  un  miracle  d'avoir  encore  rassemblées 
entre  mes  mains  toutes  les  branches  du  système.  Mais  il  y  a 
un  terme  à  tout.  Vous  êtes  trop  de  mes  amis  pour  me  con- 
seiller ma  honte  et  mon  malheur  personnels.  Il  n'y  a  dans 
tout  ceci  ni  humeur,  ni  ambitioa  chagrine,  ni  dégoût,  ni  fai- 
blesse. Je  vois  que  je  ne  puis  faire  le  bien,  et  je  ne  suis  pas 
fait  pour  faire  le  mal ,  ni  pour  le  souffrir.  Tirez  la  consé- 
quence. Je  vous  le  répète  encore,  ne  craignez  pas  que  je  mette 
dans  ma  conduite  ni  crainte  déplacée,  ni  précipitation.  Mais 
je  fais  et  je  ferai  usage  de  la  raison  que  Dieu  m'a  donnée. 


^  Suivant  d'Hautbrivb  (Faits,  calculs  et  observations)^  les  dépenses  de 
chacune  des  années  1757  et  1758  montent  à  plus  de  57  millions  (p.  39)« 
(Voir  le  Livre  rouge  de  1793,  p.  125.)  Ce  calcul  est,  comme  nous  Tavons 
dit  plus  haut,  celui  de  Choiseul. 

15 


nn  LETTRES 

f #«i  floi  il  4m  un  peu  de  sciatique  ao  genoa,  oa  peiit*étre 
Ha  C/miU:  '•  Il  se  porte  à  men'eille,  et  D*est  Dallemeot 
inqui«?t  de  nos  inquiétudes,  ni  embarrassé  de  nos  em- 
barras. Dans  un  sens,  cela  est  fort  heureux,  car  nous 
serions  plus  à  plaindre  s'il  voyait  trop  noir  et  s*il  prenait 
de  rhunieur.  N'en  prenez  pas,  tous,  sur  révécbë  de 
Toulouse.  Vous  en  serez,  rous  et  M.  Totre  frère,  bientôt 
dédommages.  Vous  trouTerez  a-joint  mes  lettres  de 
remerclment  à  MM.  le  comte  de  Kannitz  et  de  CoUoredo. 
Le  Roi  m'a  permis  de  les  écrire  ainsi  que  de  remercier 
M.  Wall  et  le  cardinal  Archinto. 

Quel  malheur  que  vous  ne  so^ez  pas  à  Rome  dans  cette 
circonstance  !  Au  re$te,  pourvu  qn*on  ne  nous  donne  pas 
un  frénétique,  nous  nous  tiromis  d*a£Eûre  à  cet  égard,  età 
tout  prendre,  les  cours  étant  bten  unies,  elles  empêcheront 
toujours  bien  le  Pape  de  troubler  notre  intérieur.  Lie  Boi 
regrette  le  Pape  et  a  bien  raison  *.  J'attends  d'un  momeit 
à  l'autre  un  courrier  de  tous,  et  le  cœur  me  bat  en  l'attei- 
dant.  Faites  passer  par  un  courrier  les  lettres  pov 
Varsovie  et  Pétersbourg.  Adieu,  mcm  cher  comte;  nu 
santé  se  soutient ,  et  mon  amitié  pour  tous  est  à  l'épreofe 
de  tous  les  événements. 

Voilà  une  lettre  de  Madame  la  Dauphine  pour  le  Boi 
son  père. 

Le  prince  Xavier  Tiendra  ici*  et  serrira  à  la  gmit 
armée. 

Ce  11 

Je  vous  envoie ,  mon  cber  comte  ,  la  lettre  de  M.  Véyèpt 
d'Orléans  et  plusieurs  autres  qui  tous  fieront  plaisir.  Jeie 

1  Laynes,  XVI.  iî»7.  Le  Fioi  Mit  k  ce  moment  à  CSioisy. 
S  Cf.  Luync»,  XVI,  43S. 

3  II  arrivé  à  Vcraillei  le  H  juin  1758  ai  «art  dans  rarmée  da  Ba»4&ii 
tous  le  nom  de  comte  de  Lusace. 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  2S9 

VOUS  fais  point  de  compliment  sur  l'évêché  d'Évreux; 
c'est  une  simple  pierre  d*attente. 

•  Je  profite  d'un  courrier  de  M.  de  Starhember^  pour  vous 
envoyer  le  traité  avec  le  Danemark  ',  dont  vous  donnerez 
communication  au  ministère  de  Vienne  et  réclamerez  l'ac- 
cession de  cette  cour  audit  traité. 

La  lettre  de  M.  Ogier,  dont  je  joins  pareillement  copie, 
pour  vous  mettre  au  fait  combien  l'accession  est  néces- 
saire à  obtenir  plutôt  que  la  garantie. 

Il  est  fâcheux  que  le  Roi  soit  obligé  de  donner  six  mil- 
lions pour  s'assurer  du  Danemark,  dans  un  temps  où  il  a 
besoin  d'argent  pour  lui-même  et  pour  ses  alliés.  Mais  ce 
n'est  pas  acheter  trop  cher  la  certitude  que  le  Danemark 
ne  prendra  en  aucun  cas  parti  avec  nos  ennemis,  et  qu'il 
aiderait  lui-même  à  la  ruine  du  roi  de  Prusse  si  ce  prince 
essuyait  un  échec.  Au  reste,  on  ne  peut  pas  blâmer  la  cour 
de  Gopenhague.de  se  conduire  sagement  avec  le  peu  de 
ressources  qu'elle  a  pour  soutenir  la  guerre.  La  conven- 
tion avec  la  Suède  est  pareillement  signée*.  C'est  encore 
six  milUons  pour  cette  année.  Qu'on  cite  un  exemple 
d'aussi  grands  efforts  que  ceux  que  la  France  fait  en 
faveur  de  la  cause  commune.  Il  nous  a  manqué,  de  part 
et  d'autre,  des  généraux  comme  nous  en  avons  eu  autrefois. 

J'écrirai  à  M.  Follard  en  conformité  de  votre  Jettre. 

On  ne  peut  rien  ajouter,  monsieur  le  comte,  à  mon 
tendre  attachement  pour  vous. 

Signé  :  l'abbé  comte  de  Bernis. 

Nous  sommes  dans  l'inquiétude  de  voir  le  débrouille- 
ment  du  plan  du  roi  de  Prusse.  Il  n'est  pas  douteux  qu'il 
n'en  ait  un.  Il  a  eu  le  temps  de  l'étudier  cet  hiver. 

1  Signé  à  Copenhague  le  4  mai,  publié  par  Koch,  t.  II,  p.  125. 
^  C'est,  je  crois,  un  simple  renouvellement  du  traité  du  J8  septembre 
1757,  publié  par  Koch,  t.  II,  p.  89. 


230  LETTRES 

M.  Boullongne  m'a  promis  de  me  mettre  en  état  de 
faire  une  réponse  positive  à  la  cour  de  Vienne  à  la  fin 
de  la  semaine,  sur  l'article  du  subside. 

Ce  24. 

Des  nouvelles  secrètes,  mon  cher  comte,  qui  nous  sont 
communes  avec  la  cour  de  Londres,  annoncent  que  M.  Wal 
est  totalement  livré  au  roi  d'Angleterre ,  et  qu'il  lui  donne 
des  avis  et  le  rassure  sur  l'armement  d'Espagne  et  sur 
l'offre  qu'elle  pouvait  faire  de  sa  médiation.  J'ai  peine  à 
croire  quelque  chose  d'aussi  extraordinaire.  J'ai  pourtant 
dit  à  l'ambassadeur  d'Espagne  qu'il  devrait  s'informer  si 
dans  les  sécrétai  reries  il  n'y  avait  pas  quelqu'un  de  vendu  à 
l'Angleterre.  Il  ne  manquera  pas. d'informer  M.  Wal,  et 
si,  ce  que  je  n'ose  croire,  ce  ministre  était  coupable,  se 
voyant  découvert ,  il  ne  pourrait  se  dispenser  de  faire  de 
sérieuses  réflexions.  Cette  matière  est  si  délicate  h  traiter, 
«t  en  même  temps  si  importante ,  qu'il  serait  bon  de  con- 
certer avec  M.  de  Kaunitz  la  manière  de  se  conduire  à  ce 
sujet.  J'ai  personnellement  toutes  les  raisons  du  inonde 
d'être  content  de  M.  Wal,  et  je  vous  assure  que  je  le  crois 
fort  incapable  d'une  pareille  trahison  ;  mais  il  est  fort 
extraordinaire  qu'il  y  ait  des  faits  cités  et  des  circonstances 
qui  s'accordent  si  bien  avec  d'autres.  Causez  sur  ce  cha- 
pitre avec  M.  de  Kaunitz,  afin  que  nous  agissions  de  con- 
cert, soit  pour  faire  et  dire,  soit  pour  nous  taire  et  croire 
les  avis  faux. 

Dieu  merci!  M.  de  Moras  prend  le  parti  de  se  retirer. 
M.  de  Massiac  et  M.  Le  Norman t  seront  à  la  marine  ce 
que  MM.  de  Belle-Isie  et  de  Crémille  sont  à  la  guerre  '. 
Je  ne  connais  ni  Tun  ni  l'autre.  Le  premier  passe  pour 

^  M.  de  Massiac  prête  serment  entre  les  mains  du  Roi  le  l**"  juin.  (^Ga- 
zette de  France,  p.  26.) 


DE  L*ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  231 

un  bonnéte  homme ,  il  a  de  rexpërience;  l'autre,  pour  un 
homme  d'esprit,  un  peu  fin  et  un  peu  porté  pourla  plume, 
dont  il  est  sorti.  Mais  tous  deux  sont  unis,  et  tous  deux 
entendent  la  besogne. 

L'aventure  de  Maillebois  * ,  qui  vient  d'élre  arrêté  et  * 
conduit  au  chàleau  de  Doullens,  est  un  coup  d'autorité 
qui  consacre  le  ministère  du  maréchal  de  Belle-Isle.  Trois 
ou  quatre  exemples  pareils,  bien  placés,  rétabliraient  le 
respect  et  la  subordination. 

Vous  ferez  bien  d'entretenir  correspondance  avec  le 
cardinal  Archinto  et  Spinelli  votre  ami.  Mais  pour  bien 
servir  le  Roi  dans  cette  circonstance,  il  faudrait  éclairer 
en  même  temps  l'évéque  de  Laon,  pour  ne  pas  croiser  les 
mesures  et  ne  pas  gnter  la  besogne  faute  de  concert.  Vous 
sentirez  mieux  que  moi  combien  ce  principe  est  juste.  Il 
faut  donner  sa  confiance  aux  gens  que  l'on  emploie,  ou 
bien  les  retirer.  S'ils  sont  trop  faibles  ou  trop  peu  clair- 
voyants, il  faut  les  illuminer  et  les  élayer,  mais  on  risque 
beaucoup  de  travailler  sans  eux,  et  il  n'est  guère  possible 
qu'il  n'en  résulte  des  inconvénients.  D'ailleurs,  le  Roi  a 
confiance  dans  Tévéque  de  Laon,  et  c'est  pour  cela  que, 
sans  aucun  détail,  je  lui  ai  parlé  sous  le  secret  des  bonnes 
dispositions  que  le  feu  pape  avait  eu  pour  moi  et  aux- 
quelles le  Roi,  les  cours  de  Vienne  et  de  Madrid  avaient 
donné  leur  consentement.  Le  Roi  m'a  permis  de  le  faire. 


1  M.  de  Maillebois,  sar  Taffaire  daquel  on  trouvera  les  détails  néces- 
saires dans  les  Mémoires  du  duc  de  Luynes,  (.  XV,  p.  307  et  suiv.,  avait 
.été  accusé  d'avoir  trahi  le  Roi  en  donnant  à  la  bataille  d*Hastembeck,  où  il 
était  maréchal  général  des  logis  de  Tannée  du  maréchal  d*Estrées,  l'ordre 
de  ne  pas  poursuivre  les  Hanovriens.  Il  essaya  de  se  justifier  dans  un 
Mémoire  réimprimé  dans  Lctkes  (^loco  cit.)y  fut  convaincu  de  mensonge 
.par  le  maréchal  d'Estrées,  destitué  de  toutes  ses  places  et  enfermé  à  la 
citadelle  de  Doullens ,  jusqu*en  1776  suivant  les  uns,  jusqu*en  1784  suivant 
les  autres.  Son  alliance  avec  les  d*Argenson  Favait  sauvé  jus(ju*Gn  mai 
1758. 


t3«  LETTRES 

Il  aurait  ëtë  trop  humiliant  pour  l'ambassadeur  de  Sa 
Majesté  d'apprendre  par  le  public  cette  anecdote,  qui, 
étant  remise  entre  les  mains  da  trente  personnes  ,  ne 
saurait  rester  secrète.  Elle  n'a  cependant  pas  transpiré 
ici,  et  c'est  un  miracle.  Gomme  je  n'y  pense  plus,  je  n'en 
parle  plus  ;  si  tout  le  monde  fait  de  même,  le  secret  se 
conservera  plus  longtemps. 

C'est  à  vous  de  tirer  le  meilleur  parti  que  vous  pourrez 
de  cette  aflaire,  que  je  remets  entre  vos  mains  et  celles  da 
cardinal  Arcliinto.  Il  sera  bien  difficile  que  de  cette  façon 
ou  d'une  autre  je  ne  sois  pas  cardinal  après  ce  qui  s*est 
passé.  Mais  je  vous  jure  que  si  cette  dignité  me  manque, 
je  saurai  aisément  m'en  consoler. 

Notre  honte  et  le  risque  de  notre  prochaine  destruction 
sont  les  seules  choses  qui  m'affectent.  Tous  les  jours  nous 
sommes  à  la  veille  de  la  banqueroute  :  Montmartel  nous 
tient  sous  sa  dépendance,  et  sa  santé  n'est  pas  bonne. 
Nos  gens  de  finance  dépendent  aussi  tous  de  lui.  Nul  n'ose 
s'engager  sans  son  consentement;  personne  n'est  assez 
accrédité  pour  lui  en  imposer,  ni  pour  le  suppléer  :  donc 
il  faut  en  tirer  le  meilleur  parti  que  l'on  pourra.  Le  Boi, 
qui  fait  pour  son  fils  une  chose  bien  forte ,  doit  lui  parler 
avec  bonté  et  fermeté.  Gela  produira  quelque  chose.  Mais, 
au  fond,  Montmartel  est  embarrassé,  parce  qu'il  n'a  de 
génie  que  pour  les  opérations  où  il  gagne,  qu'il  est  inca- 
pable de  coups  de  force,  et  qu'au  fait  l'opération  des 
annuités  de  l'année  passée,  qui  devait  produire  soixante 
millions,  n'a  pas  rendu  deux  millions.  Ge  mécompte  est 

^  Le  Roi  venait  de  donner  au  marquis  de  Rrunoy,  fils  de  Paris-Mont- 
marCel,  la  charge  de  premier  maître  d'hôtel,  vacante  par  la  mort  du  mar- 
quis de  Livry.  (Gazette,  1758,  p.  258;  LrTCiES,  XVI,  456.)  Le  marquis  de 
Rrunoy  avait  alors  de  dix  à  onze  ans.  On  sait  quelle  existence  étrange  il 
mena  par  la  suite.  Voir  sur  lui  Gens  singuliers,  par  M.  L.  Larchet,  1  toI. 
in-lS,  chez  Fréd.  Henry. 


DE  L'ABBÉ   COxMTE  DE  BERNIS.  «33 

bien  fort,  et  c'est  un  vide  difficile  à  remplir.  Celle  de  cette 
annëe  n*a  pas  encore  valu  un  ëcu;  elle  est  de  quarante-six 
millions.  D'un  autre  côte,  la  guerre  monte  à  cent  trente 
millions,  les  affaires  étrangères  a  cinquante-deux,  la  ma- 
rine à  soixante;  joignez  à  cela  la  maison  du  Roi,  les  pen- 
sions et  les  charges  de  l'État,  vous  serez  moins  étonné  de 
la  détresse  où  nous  sommes.  Cette  détresse  cependant  ne 
durerait  pas  avec  un  génie  qui  rendrait  la  confiance  et 
rétablirait  a  circulation.  Mais  où  est-il,  ce  génie?  Et  quand 
on  le  connaîtrait,  voudrait-on  lui  donner  l'autorité  néces- 
saire? Notre  ridicule  est  de  vouloir  faire  de  grandes  choses 
avec  de  petits  esprits  et  de  petits  moyens.  Je  saurai ,  à  la 
fin  de  la  semaine ,  à  quoi  m'en  tenir  pour  l'argent ,  et  je 
vous  dépécherai  un  courrier.  Mais ,  je  vous  le  répète  y  si 
nous  passons  cette  année-ci,  n'attendez  pas  qu'il  soit  pos- 
sible de  soutenir  la  même  dépense  l'année  prochaine,  à 
moins  que  les  plus  grands  succès  ou  de  plus  grands 
hommes  ne  viennent  à  notre  secours ,  ce  qui  n'est  nulle- 
ment vraisemblable.  Il  y  a  un  mot  dans  votre  lettre  parti- 
culière qui  me  donne  beaucoup  à  penser.  Quand  on  a  des 
alliés ,  il  faut  courir  le  risque  d'être  prévenu ,  ou  essuyer  le 
reproche  et  le  danger  de  les  prévenir  ;  j'aime  mieux  essuyer 
le  premier  inconvénient  que  le  second ,  et  je  crois  que  la 
méthode  que  nous  tenons  est  bonne  :  c'est  de  presser  nos 
alliés  de  finir  une  guerre  que  nous  ne  pouvons  soutenir  les 
uns  ni  les  autres ,  et  qui  ne  peut  nous  mener  à  notre  but. 
Si  cependant  vous  aviez  des  notions  certaines  d'une  con- 
duite tortueuse,  il  faudrait  nous  en  avertir  sur-le-champ 
,  et  ne  pas  y  perdre  une  minute.  Si  la  finance  me  soutenait, 
je  serais  le  maître  de  nos  alliés;  mais  trahi  et  déshonoré 
par  la  guerre,  et  mal  secouru  par  la  finance,  il  est  bien 
difficile  que  je  ne  dépende  pas  d'eux,  à  moins  que,  leur 
malheur  nous  mettant  tous  au  même  niveau,  nous  n'ayons 


234  LETTRES 

tous  que  la  seule  ressource  de  nous  tenir  unis  dans  le  pré- 
cipice. Depuis  que  j*ai  réfléchi  sur  la  position  de  Vienne, 
il  ne  parait  pas  à  craindre  que  Leurs  Majestés  Impériales 
l'abandonnent  ;  on  ne  jette  pas  dans  un  moment  un  pont 
sur  le  Danube.  Je  ne  crains  comme  vous  que   le  siège 
d'Olmutz.  Toute  la  question  se  réduit  à  savoir  s*il  est  en 
état  de  résister  longtemps;  dans  ce  cas,  tant  mieux  que 
le  roi  de  Prusse  s*acharnàt   à  l'assiéger.    Ses   derrières 
seraient  facilement  coupés  ou  inquiétés.  Le  roi  de  Prusse 
songe ,  à  ce  que  je  crois,  par  toutes  sortes  de  ruses ,  d'at- 
tirer le  maréchal  Daun   au   combat,  et   peut-être   qu'il 
essayeVa  pour  cela  de  percer  en  Bohème  par  la  Moravie. 
Une  bonne  conduite  peut  embarrasser  le  roi  de  Prusse. 
Montazët  partira  samedi  pour  Vienne*.   Nous  espérons 
que,  étant  ofBcier  général,  l'Impératrice  lui  fera  l'honneur 
de  le  faire  admettre  aux  conseils  militaires  à  l'armée  de 
Daun,  comme  il  y  fut  admis  l'année  passée'.  D'ailleurs, 
on  y  introduit  l'oi&cier  de  Russie ,  et  l'on  ne  voudra  pas 
traiter  plus  mal  que  lui  un  Français  qui  a  du  mérite,  du 
courage  et  de  l'expérience.  Montazët  vous  dira  sur  quelle 
roue  je  suis  attaché  ici  la  nuit  et  le  jour,  ne  pouvant  rien 
obtenir  qu'à  l'extrémité  et  toujours  trop  tard ,  prévoyant 
malheureusement  fort  juste  les  malheurs,  mais  ne  pouvant 
faire  appliquer  les  remèdes  qu'à  l'agonie.  Cependant  je 
vais  toujours;  ma  tête  n'est  pas  encore  mauvaise,  et  je 
suis  digne  descendant  de  ce  géant  dont  vous  m'avez  rendu 
le  nom.  Je  suis  fâché  qu'il  n'ait  pas  l'honneur  de  vous 
appartenir.  Le  bruit  avait ,  en  effet ,  couru  à  Paris  que 
nous  étions  brouillés.  Il  y  avait  longtemps  qu'on  m'avait 
voulu  faire  croire  que  vous  ne  m'aimiez  pas.  J'ai  oublié 

^  Le  27  mai. 

3  11  assista  en  effet  à  ces  conférences,  dont  il  apporta  le  résaltatà  Ver- 
sailles en  janvier  1759. 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE  BERNlS.  235 

toutes  ces  misères-là  à  mesure  qu'on  me  les  a  dites;  nous 
sommes  faits  pour  nous  aimer  et  nous  estimer.  Il  ne  m*en 
coûte  rien  de  vous  rendre  justice ,  et  je  ne  mets  pour  vous 
la  rendre  que  le  premier  mouvement ,  et  nulle  espèce  de 
réflexion.  M.  de  Broglie  servira  à  la  grande  armée ,  ou 
point  du  tout'.  Madame  la  Dauphine  lui  a  valu  dix  mille 
francs  de  pension.  Je  crois  qu'il  devrait  être  content,  s*il 
pouvait  l'être  jamais.  Mais,  en  tous  cas,  le  temps  des  mé- 
nagements est  passé;  il  ne  fera  peur  ni  au  maréchal  de 
Belle-Isle,  ni  à  moi.  Adieu,  mon  cher  comte;  la  main  me 
fait  mal. 

Quand  la  république  romaine  était   dans   l'embarras, 
elle  nommait  un  dictateur.  Nous  ne  sommes  pas  la  répu-^ 
blique  romaine,  mon  cher  comte,  et  nous  aurions  grand 
'besoin  de  l'être. 

Ce  25  mai  1758. 

M.  de  Monlazet,  monsieur  le  comte,  vous  exposera 
notre  vraie  situation  militaire  et  financière  et  intérieure. 
Vous  pouvez  vous  fier  entièrement  aux  détails  dans  les- 
quels il  entrera.  L'époque  du  départ  des  troupes  de  l'ar- 
mée de  Soubise  est  toujours  fixée  du  15  au  20  juin.  Dieu 
veuille  que  ce  secours  arrive  encore  assez  à  temps.  Poui' 
notre  grande  armée,  je  ne  sais  comment  elle  pourra 
marcher  en  avant.  La  Westphalie  est  aujourd'hui  aussi 
pelée  que  les  déserts  de  Barca.  Il  faut  que  la  Providence 
se  mêle  un  peu  de  nos  affaires;  sans  cela,  en  vérité,  il  y  a 
tout  à  craindre.  Il  serait  pourtant  fâcheux,  quand  on 
peut  faire  la  paix,  de  s'ôter  à  jamais  la  faculté  de  jouer 
un  personnage  dans  le  monde.  Je  ne  vous  recommande 
pas  M.    de  Montazet,  c'est  mon  ami  depuis  vingt-cinq 

'  Le  comte  de  Broglie  fut  employé  à  Tarmée  d'Allemagne  par  lettres  du 
!«'  juin  1758. 


236  LETTRES 

ans  ',  et  d'ailleurs  je  ne  connais  personne  de  plus  firan- 
chement  bon  serviteur  du  Roi  et  de  l'Impératrice  que  loi. 
Je  n'imagine  pas  qu'on  refuse  de  l'admettre  au  conseil  de 
guerre.  Il  a  bien  acquis  dans  la  dernière  campagne  le 
droit  d'y  assister.  Je  vous  renouvelle,  mon  cher  comte, 
Tassurance  de  mon  tendre  attachement. 

Un  courrier  qui  devance  le  comte  de  Montazet  vocs 
apportera  la  réponse  sur  l'objet  du  subside. 

Ce  30  mai. 

Le  bruit  courait  ici,  monsieur  le  comte,  depuis  ce 
matin,  qu'il  y  a  eu  une  afFaire  en  Moravie,  malheureuse 
pour  les  Autrichiens  *.  Les  lettres  de  Nuremberg^  en  font 
mention.  On  dit  le  roi  de  Prusse  blessé  au  bras  et* 
M.  de  Daun  tué.  Par  la  date  de  ces  lettres,  on  a  lieu  de 
révoquer  en  doute  cette  mauvaise  nouvelle,  qui  aurait 
déjà  pu  nous  être  annoncée  par  un  courrier.  Malgré  cette 
réflexion  raisonnable,  je  ne  laisse  pas  d'être  en  peine, 
parce  qu'aujourd'hui  les  malheurs  sont  très -vraisem- 
blables,- et  l'on  y  est  par  trop  accoutumé.  Ma  santé  s'est 
un  peu  dérangée;  c'est  par  cette  raison  que  vous  n'aurez 
de  moi  aujourd'hui  que  quatre  lignes.  Mais  soyez  sûr  que 
je  ne  vous  en  aime  pas  moins  pour  vous  écrire  si  en  bref. 

Ce  30  mai. 

Je  reçois  dans  ce  moment,  mon  cher  comte,  votre 
lettre  du  24,  au  moment  où  mon  courrier  allait  partir.  Je 
n'ai  qu'à  vous  remercier  de  ce  que  vous  avez  fait  pour 
moi  de  nouveau  et  vous  assurer  que  vous  me   feriez  roi 

*  On  a  vu  dans  les  Mémoires  que  Demis  avait  été  h  Saint-Sulpice  avec 
le  frère  de  M.  de  Montazet. 

-  Je  ne  trouve  au  mois  fie  mai  aucune  affaire  importante  en  Moravie. 


DE  L'ABBE  COMTE  DE  BERNIS.  t37 

du  monde,  que  mon  amitié  pour  vous  n'en  saurait  aug- 
menter. 

Ce  4  juin  1758. 

J'ai  reçu,  monsieur  le  comte,  votre  dépêche  du  26. 
Vous  m'y  annoncez  une  pièce  chiffirée  qui  aura  été  oubliée 
dans  votre  secrétairerie.  Vous  êtes  instruit  à  présent  de  la 
marche  du  prince  de  Prusse  en  Franconie.  Il  est  arrivé 
de  sa  personne  et  avec  un  gros  détachement  le  26  à  Ba- 
reuth.  Tout  l'Empire  tremble.  On  se  plaindra  sûrement 
de  ce  que  l'armée  de  l'Empire  a  été  retirée  en  Bohème  • 
On  se  plaindra  de  même  que  les  garants  du  traité  de 
Westphahe  envoient  l'armée  du  Rhin  en  Bohème,  tandis 
que  tous  nos  alliés  de  TEmpire  seront  exposés  et  peut-être 
opprimés;  on  se  plaindra  en  France  que  l'Alsace  demeure 
exposée  aux  courses  des  ennemis.  Toutes  ces  plaintes 
seront  fondées;  mais  le  Roi,  invariable  dans  sa  promesse, 
fera  partir  trente  mille  hommes  commandés  par  M.  de 
Soubise  aux  époques  indiquées.  Ils  suivront  le  Danube  et 
marcheront  par  plus  fortes  divisions.  La  dépense  sera 
plus  grande,  mais  tout  objet  cède  au  devoir  de  tenir  sa 
parole  à  son  premier  et  principal  allié.  Au  surplus,  qu'on 
ne  craigne  pas  à  Vienne  que  nous  songions  à  la  paix. 
Nous  songeons  à  trouver  assez  d'argent  pour  continuer  la 
guerre  tant  que  nos  ennemis  seront  en  état  de  nous  don- 
ner la  loi.  Nous  sentons  bien  que  la  paix  ne  doit  ni  s'a- 
chçter,  ni  se  mendier;  et  à  cet  égard,  nous  pensons  hau- 
tement et  honnêtement.  J'ai  fait  attention  à  votre  dépêche 
du  26.  J'ai  vu  des  moments  pareils;  mais  dans  le  fond  je 
ne  croirai  jamais  ce  que  je  ne  dois  pas  croire.  Vous  aurez 
de  mes  nouvelles  par  un  courrier  que  je  vous  dépêchera 
dans  deux  jours.  Vous  connaissez,  monsieur  le  comte» 
mon  tendre  attachement  pour  votis. 


23S  LETTRES 

Ce  6  juin  1758. 
Mon  cher  comte,  cette  lettre-ci  est  bien  pour  vous  seul, 
et  vous  (levez  la  brûler.  Nous  touchons  au  dernier  pë« 
riodedela  décadence.  La  tête  tourne  h  Montmartel  et  à 
Boullongne.  Ils  ne  trouvent  plus  un  ëcu.  Leurs  opérations 
manquent.  La  honte   de  notre  armée  est  aussi    a    son 
comble.  Les  ennemis  ont  passé  le  Rhin  h  Émeric  ^ ,  à  sept 
lieues  de  M.  le  comte  de   Glermont,  au  nombre  de  six 
mille  hommes,  et  ont  construit  un  pont  sans    qu'on  s'en 
soit  douté.  Les  Hollandais  leur  ont  sûrement    Fourni   des 
bateaux  et  leur  fourniront  sans  doute  les  magasins  néces- 
saires. M.  de  Yillemur,  avec  douze  mille  hommes   qu*il  a 
rassemblés  le  lendemain,   s* est   contenté   de    se    fusiller 
avec  eux  et  s'est  retiré  sous  Clèves,  où  M.   le  comte  de 
Glermont  rassemble  son   armée.  Il  y  a   apparence    que 
Tarmée  hanovrienne,  qui  est  cependant  séparée   des  Hes- 
sois  et  par  conséquent  fort  Faible,  a  toute  passé  le  Rhin. 
Ce  coup  est  bien  hardi,  et  si  nous  étions  d'autres  gens,  ils 
seraient  perdus,  soit  en  marchant  a  eux,  soit  en  se  por- 
tant de  l'autre  côté  du  Rhin.   Dieu  en  décidera.   M.  le 
comte  de  Glermont  annonce  positivement    qu'il    va  les 
combattre.  Mais,  monsieur  le  comte,  ne  voyez-vous  pas 
la  suite  affreuse  de  tout  ceci?  Nous  n'avons  point  de  gou- 
vernement. Mes  représentations  sont  inutiles.    Elles  ne 
Font  qu'une  impression  passagère.   Le  public   abhorre  le 
système,  parce  qu'il  abhorre  la  guerre.  Le  militaire  pense 
de  même.  On  me  menace  par  des  lettres  anonymes  d'être 
bientôt  déchiré  par  le  peuple,  et  quoique  je  ne  craigne 
guère  de  pareilles  menaces,  il  est  certain  que  les  malheurs 
prochains  qu'on  peut  prévoir  pourraient  iiisément  réaliser 
ces  menaces.  Notre  amie  court  pour  le  moins    autant  de 

1  Voir  Gazette  du  17  juin,  p.  286. 


DE  L'ABBÉ    COMTE  DE  BERNIS  230 

risques.    J'ai  vu   tout   cela,    mon    cher  comte,    dès  le 
mois  de  novembre.  J'ai  vu  le   peu  de  fond  qu'on  peut 
faire  sur  le  militaire,  j'ai  vu  une  conjuration  sourde  se 
former  dans  tous  les  ordres  de  l'État  contre  la  nouvelle 
alliance  et  contre  ses  auteurs.  Nous  avons  été  trahis  de 
partout.  Et  ceux  qui  nous  ont  aidés  de  bonne  foi  ont  été 
des  imbéciles  qui  ne  sentaient  pas  la  portée  des  grandes 
affaires.  Vous  verrez,  par  mon  mémoire  lu  au  conseil,  si 
j'ai  dissimulé  la  vérité.   C'est  la  centième  démarche  de  la 
même  force.   Qu'est-ce  que   tout  cela  a   produit?  Une 
légère  secousse,  et  puis  on  s'est  renfoncé  dans  la  léthargie 
ordinaire.  Il  n'y  a  pas  exactement  un  écu.  On  me  donne 
des  paroles,  on  m'y  fait  manquer  deux  jours  après.  La 
moitié  de  nos  troupes  ne  sont  pas  habillées,  une  partie 
de  la  cavalerie  est  sans  bottes.    Le  contrôleur  général 
dépend  de  Montmartel,   et  Montmartel  est  effrayé.  Son 
grand  crédit  lui  a  attiré  des  ennemis;  ces  ennemis  con- 
jurent contre  lui   et    l'empêchent   de   trouver  des  res- 
sources. Celles  que  nous   proposons   en  grand  effrayent 
son   esprit  de  routine,  et  le  contrôleur  général  sent  qu'il 
ne  peut  pas  se  passer  d'un  homme  qui  absorbe  seul  tout 
le  crédit  de  l'État  et  empêche  tous  les  autres  de  paraître. 
Où  est  le  remède?  Il  n'y  en  a  qu*un  seul.  C'est  un  premier 
ministre  qui  soit  capable.  Mais  je  vous  annonce  que  je  ne 
veux  pas  Tétre.  Il  faudrait  en  donner  l'autorité  au  maré- 
chal. Ce  serait  le  dégrader  que  d'en  choisir  un  autre,  et 
il  quitterait  certainement  sa  place.  Il  a  de  la  confiance  en 
moi  ;  je  pourrais  lui  être  utile  et  le  conseiller  sur  bien  des 
choses.  Je  connais  ses  défauts,  mais  il  a  des  qualités  et  un 
acquit  qui  fait  beaucoup.   Un    dictateur  est   nécessaire 
quand  la  République  est  en  danger.  La  paix  n'a  jamais 

•  Voir  ce  mémoire  à  V Appendice, 


t40    .  LETTRES 

été  si  nécessaire  ni  si  difficile  à  conclure.  D^un  autre  côte, 
nous  touchons  au  moment  de  nous  réunir  avec  TEspagne. 
Mais  cette  reunion  dépend  de  ne  pas  périr  tout  à  fieiit,  de 
conserver  nos  alliés  et  notre  crédit;  enfin,  que  tout  ne 
périsse  pas  d'ici  au  mois  de  décembre.  Il  y  aura  bien  des 
ressources,  mais  il  faut  un  maître;  cette  véritë  est  sen- 
sible; on  perdra  l'État  par  le  faux  amour-propre  de  vou- 
loir laisser  les  choses  dans  l'égalité.  Je  soutiens  cette 
thèse  vis-à-vis  de  vous  sans  intérêt.  Je  consens  de  tra- 
vailler sous  qui  l'on  voudra,  pourvu  qu'on  me  donne  un 
maître  qui  entende.  Au  reste,  je  vous  avertis  qu'après 
avoir  lutté  depuis  deux  ans  contre  tous  les  obstacles,  je  ne 
puis  plus  répondre  de  ma  santé.  Je  ne  survivrai  sûrement 
pas  à  notre  honte  et  à  notre  malheur.  Quel  service  nos 
alliés  nous  rendraient  et  à  eux-mêmes  s'ils  consentaient 
à  la  paix!  La  résolution  que  j'ai  fait  prendre  au  Roi  au 
dernier  conseil  est  la  voix  du  cygne  mourant.  Je  sens  que 
je  n'aurai  plus  de  force  si  le  Roi  n'en  prend  pas  ou  n'en 
donne  pas.  Est-il  possible  de  périr  tout  entier  avec  huit 
cents  millions  d'argent  dans  le  royaume?  Est-il  possible 
de  voir  la  marine  à  terre  tout  à  fait,  et  les  colonies  per- 
dues après  avoir  pris  Minorque  aux  Anglais  et  les  avoir 
battus  sur  mer?  Il  n'y  a  plus  d'autorité,  et  les  têtes  se 
sont  démontées.  Conservez  la  vôtre,  et  plaignez  un  ami 
qui  le  sera  jusqu'à  la  mort.  Dieu  veuille  favoriser  nos 
armes  et  celles  de  Tlmpératrice. 

Ma  dépêche  est  d'hier,  et  cette  lettre  est  d'aujourd'hui. 
Voyez  par  là  les  progrès  du  mal ,  et  combien  ils  sont  ra- 
pides d'un  jour  à  l'autre. 

Ce  15  juin  1758. 

Il  y  a  un  siècle,  monsieur  le  comte,  que  nous  n'avons 
point  de  vos  nouvelles.  Voici  les  nôtres  :  les  Anglais  se 


DE  L*ABBË  COMTE  DE  BEHNIS.  241 

sont  rembarques  le  13  avec  une  précipitation  incroyable  ^. 
Mais  ils  vont  ailleurs  nous  brûler  encore  quelque  chose. 
Les  ennemis,  comme  vous  savez,  ayant  passé  le^hin, 
sont  rassemblés  et  marchent  du  côté  de  Yenloo.  M.  le 
comte  de  Glermont  a  marché  aussi  le  12  pour  ,les  couper. 
On  s'est  déjà  canonné,  ainsi  la  bataille  est  sûre.  Le  pays 
est  marécageux  et  coupé,  et  par  conséquent  notre  6ava- 
lerie,  qui   est  bonne,  ne  pourra  guère    être    utile.    Nos 
troupes  ont  levé  leurs  quartiers  sans  être  réparées;  mais 
elles   ont  bonne  volonté.    Si  les  dispositions  sont  bien 
faites,  nous  battrons  les  ennemis.  Mais  je  n*ai  pas  sur  ce 
point-là  une  parfaite  confiance.  Il  paraît  que  les  ennemis 
veulent  entrer  dans  les  Pays-Bas  par  Ruremonde.  Si  cela 
est,  nous  avons  la  guerre  en  Flandre,  et,  en  supposant 
que  nous  soyons  battus,   vous  sentez  la  position  et  la 
nécessité  d'avoir  nos  forces  réunies.  Au  reste,  les  Pays- 
Bas  appartiennent  à  l'Impératrice  autant  que  la  Bohême. 
Je  vous  fais  cette  réflexion  d'avance.  Vous  en  sentez  la 
solidité  et  Timportiince. 

Quelle  crise,  grand  Dieu!  M.  de  Yillemur  en  est  la 
cause.  Il  a  laissé  passer  le  Rhin  à  sa  barbe.  En  vérité, 
notre  haut  militaire  est  incroyable.  Dieu  veuille  secourir 
la  bonne  cause,  car  la  guerre  la  défend  bien  mal.  Nous 
imaginons  que  puisque  vous  n'avez  pas  envoyé  de  cour- 
rier, la  tranchée  n'a  pas  été  formellement  ouverte. 
On  dit  que  le  roi  de  Prusse  a  été  malade.  Le  prince 
Xavier  est  arrivé  hier  au  soir  et  part  aujourd'hui  pour 
l'armée^.  Le  Roi  l'a  reçu  à  merveille,  et  tout  le  monde 
aussi.  Il  est  arrivé  dans  la  crise.  Donnez-nous  de  vos 

^  La  flotte  anglaise  avait  para  le  4  devant  Saint-Malo.  Le  5  eut  lieu  un 
débarquement  à  Cancale.  Tout  le  résultat  de  cette  expédition  fut  de  ruiner 
Saint-Servan,  faubourg  de  Saint-Malo.  Les  Anglais  se  rembarquèrent  les 
11, 12  et  13.  {Gazette,  p.  289  et  303,  et  Lctses,  XVI,  459,  note.) 

S  GateUe  du  24  juin,  p.  303. 

'  n.  16 


î*î  LETTRES 

nouvelles.  Vous  sentez  quel  coup  va  faire  sur  le  crédit 
révénement  que  nous  attendons.  Une  victoire .  remonte- 
rait tduty  sans  quoi  je  vois  la  confusion.  Il  faudrait  un 
débrouilleur  général.  Je  me  suis  proposé  moi-même  avec 
courage  jusqu'à  la  paix.  Mais  la  proposition  n'a  pas  pris. 
On  veut  être  comme  on  est.  Dieu  seul  peut  y  mettre 
ordre.  Adieu,  monsieur  le  comte.  J*avais  bien  raison  au 
mois  de  décembre.  Comptez  que  le  courage  De  m'aban- 
donne pas.  Je  n'ai  peur  que  pour  ma  santé,  car  je  ne 
dors  pas. 

Vous  connaissez  mon  attachement  sans  bornes. 

GeîS. 

Le  courrier  de  M.  le  comte  de  Glermonty  monsieur  le 
comte,  nous  jette  dans  la  plus  cruelle  incertitude.  Il  marche 
aux  ennemis,  qui  sont  à  Gampen  dans  des  marais  où  notre 
armée  ne  pourra  ni  agir  ni  vivre,  et  par  conséquent  elle 
sera  obligée  de  rétrograder.  Toute  la  campagne  se  passera 
en  marches  et  en  contre-marches.  Notre  armée  se  ruinera, 
et  elle  est  déjà  bien  fatiguée  par  trois  marches  forcées.  Les 
généraux  sont  divisés.  C'est  une  pétaudière.  Vous  verrez 
qu'on  se  déterminera  à  faire  revenir  M.  le  comte  de  Cler- 
mont  quand  tout  sera  perdu.  Je  ne  sais  en  vérité  comment 
je  suis  encore  en  vie.  Le  Roi  se  déshonore,  et  notre  sys- 
tème se  découd  par  tous  les  bouts.  Nous  ne  payons  per- 
sonne, pas  nous-mêmes,  et  nous  aurons  bientôt  toute 
l'Europe  sur  les  bras.  L'armée  de  M.  de  Soubise  est  en 
panne.  Cette  maudite  bataille  que  nous  attendons  depuis 
trois  semaines  tous  les  jours  ne  laisse  aucun  parti  à 
prendre.  Le  meilleur  était  de  la  faire  marcher  sur-le- 
champ  sur  le  Rhin  ou  dans  la  Hesse  pour  opérer  une 
puissante  diversion.  Le  scrupule  a  pris  au  Roi,  qui,  après 
y  avoir  consenti,  s'y  est  opposé.  Tàdiez  de  nous  tirer  de 


DE  L*AB,BÉ  COMTE  DE  BERNIS.  243 

ce  mauvais  pas.  Je  vous  donne  de  mauvaises  commissions  ; 
mais  vous  voyez  Tëtat  où  Ton  m'a  réduit.  Je  suis  oblig[é 
de  chercher  chicane  au  traité  danois  et  d*en  éluder  la  rati- 
fication faute  d'argent.  Heureusement  que  la  difficulté  que 
je  fais  n'est  pas  nouvelle,  et  que  j'y  ai  toujours  insisté. 
Gomment  voulez-vous  que  nous  nous  tirions  d'affaire  avec 
la  cour  de  Vienne?  On  m'a  promis  qu'elle  aurait  de  l'ar- 
gent. Mais  si  on  lui  en  donne,  nous  en  manquerons.  Il  n'y 
^a  qu'une  bataille  perdue  qui  puisse  nous  débarrasser, 
parce  que  dès  que  la  guerre  s'approchera  de  nous,  on  ne 
peut  plus  défendre  les  autres  quand  on  est  dans  le  cas  de 
se  défendre  soi-même.  Vous  verrez  par  une  note  que  j'ai 
ajoutée  à  ma  dépêche,  et  que  vous  aurez  bien  de  la  peine  à 
lire,  que  la  Russie  cherche  des  prétextes  pour  se  plaindre 
ou  pour  justifier  son  inaction.  Je  plains  l'Impératrice  : 
tous  ses  alliés  la  servent  mal,  et  nous  l'avons  servie  plus 
mal  que  personne  en  nous  ruinant  et  en  nous  déshono- 
rant. Mais  au  fait,  il  faut  se  réduire  au  possible.  Nous  ne 
pouvons  donner  des  troupes  quand  nous  avons  si  fort  à 
craindre  pour  nous-mêmes.  Nous  ne  pouvons  donner  de 
l'argent  que  celui  qui  nous  reste.  Je  ne  vois  de  moyen 
<]ue  d'abandonner  le  second  traité  et  d'en  venir  au  pre« 
mier.  Par  là  nous  cessons  d'avoir  des  obligation^  que 
nous  ne  pouvons  plus  remplir,  et  tout  ce  que  nous  don- 
nerons au-dessus  de  l'évaluation  &ite  de  trente  mille 
hommes  sera  gratuit.  Nous  agissons  avec  toutes  nos 
troupes,  et  nous  entretenons  trente  mille  Suédois.  Je 
comprends  combien  il  sera  dur  à  prononcer  que  nous 
renonçons  à  nos  seconds  engagements.  M.  de  Kaunitz 
vous  en  a  cependant  fait  la  question.  Il  est  bon  que  vous 
ayez  cette  première  ouverture.  Au  reste,  faites  filer  cette 
dure  vérité.  Un  événement  heureux  pourrait  vous  tirer 
d'embarras  ainsi  que  nous.  Mais  comment  Tattendre  de 

16. 


su  LETTRES 

M.  le  comte  de  Giermont?  Au  reste,  j'ai  voulu  quitter.  J*ai 
dit  à  notre  amie  des  vërités  qui  l'ont  afBigée  et  rendue 
même  malade;  mais  cela  ne  remédiera  à  rien.  On  ne  veut 
pas  de  premier  ministre,  et  c'est  la  seule  chose  qui  pour- 
rait tout  raccommoder,  si  cependant  il  en  est  encore 
temps.  Enfin  les  trois  ministres  inutiles  se  retirent  dn 
conseil.  On  y  fait  entrer  M.  Berryer,  qui  a  de  la  tête  pour 
les  affaires  intérieures  et  qui  nous  fournira  des  moyens 
d'avoir  de  l'argent.  Il  faut  du  moins  avoir  un  homme  de 
bon  sens.  Il  aime  notre  amie,  il  est  aimé  à  Paris.  Il  sait 
mener  les  affaires  du  Parlement  et  du  clergé.  D*un  antre 
côté,  pour  rendre  l'assemblée  du  clergé  moins  orageuse, 
le  cardinal  de  Tavannes^  qui  y  présidera,  entrera  le 
même  jour  au  conseil  que  M.  Berryer.  Celui-ci  ne  veut 
pas  qu'on  fasse  une  paix  honteuse.  Il  se  concertera  avec 
moi,  et  notre  amie,  qui  a  de  la  confiance  en  lui,  en  aura 
davantage  dans  mes  avis,  quand  ils  seront  combinés  avec 
l'avis  du  tiers.  Voyez  quelles  machines  il  fSsiut  employer, 
et  dans  quelles  circonstances.  Vous  avez  raison  d'avrâ 
envie  de  revenir.  Cependant  vous  serez  duc  certainement 
Ne  perdez  pas  courage.  Pour  moi,  je  suis  forcé  à  la  re- 
traite, malgré  qu'on  en  ait.  Le  système  croule,  et  le  roi 
de  Prusse  ne  traitera  pas  avec  moi.  Si  l'Impératrice  pou* 
vait  faire  sa  paix  sans  rien  stipuler  contre  nous,  se  char- 
geant, de  concert  avec  la  France,  de  ramener  la  Suède 
et  la  Russie,  et  l'Empire  au  moyen  de  la  restitution  de  la 
Saxe,  les  escabelles  ne  seraient  pas  renversées.  Sans  cela 
tout  croulera.  Il  y  a  huit  mois  et  plus  que  je  le  vois.  C'est 
une  conjuration  de  tous  les  États.  Un  premier  minisbe 
aurait  étouffé  ces  cabales  il  y  a  un  an.  Aujourd'hui  il  au- 
rait bien  de  la  peine  à  en  venir  à  bout.  Pour  moi,  je  ne 

^*  Le  projet  de  faire  entrer  le  cardinal  aa  conseil  ne  s'est  pas  résilie. 
L'assemblée  du  clergé  s'ouvrit  le  17  octobre.  . 


DE  L*ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  S45 

m'en  chargerais  pas  dans  ce  moment.  J'ai  brûlé  mes  pa- 
piers, je  vais  faire  mon  testament,  et  puis  je  mourrai  de 
chagrin  et  de  honte,  jusqu'à  ce  qu'on  me  dise  de  m'en 
aller.  Vous  sentez  combien  il  me  serait  doux  de  me  re- 
tirer actuellement.  Mais  on  ne  le  veut  pas.  Ce  serait  cepen- 
dant une  façon  de  couvrir  bien  des  choses,  parce  qu'un 
nouveau  ministre  ne  se  croit  pas  tenu  à  remplir  les  pa- 
roles de  son  prédécesseur.  Sur  ce  canevas  très-noir,  voyez 
ce  que  vous  pouvez  faire  pour  le  mieux.  La  Providence 
seule  peut  vous  aider,  car  je  ne  saurais  vous  donner  les 
moyens,  lorsque  l'on  me  les  ôte  tous  à  la  fois.  Gomme  je 
suis  résolu  à  tout,  je  ne  manque  pas  de  courage.  Pour  mon 
cœur,  il  est  à  vous  entièrement.  • 

Cet». 

Madame  de  Pompadour,  mon  cher  comte,  est  incom- 
modée d'une  petite  fièvre.  Elle  a  du  chagrin  et  a  biea 
raison  d'en  avoir.  Nous  sommes  sous  la  patte  de  Mont- 
martel,  qui  a  tout  voulu  avoir  et  à  qui  la  tête  tourne  de 
peur,  sans  vouloir  pour  cela  se  dessaisir  de  rien.  M.  Boul- 
longne  est  son  commis.  Cette  partie  fera  périr  tout  le 
reste,  et  notre  dépendance  est  au  point  que,  s'ils  man- 
quent, tout  est  en  confusion;  s'ils  restent,  nous  serons 
toujours  à  leur  merci.  Gomment  se  tirer  de  là?  Il  n'y  a 
qu'un  moyen,  qui  est  une  autorité  absolue  confiée  à  un 
seul.  Mais  personne  ne  veut  de  ce  moyen;  moyennant 
quoi  nous  sommes  à  la  Providence.  D'un  autre  côté,  on  * 
ne  veut  pas  retirer  M.  le  comte  de  Glermont,  dont  l'incar^ 
pacité  est  démontrée.  On  attend  que  tout  périsse  pour 
raccommoder  quelque  chose.  On'meurt  de  peur,  et  l'on  ne 
veut  pas  s'en  garantir  par  de  bons  choix.  Voilà  où  nous 
réduit  la  faiblesse,  et  le  défaut  de  prévoyance.  On  s'est 
tiré  toujours' d'affaire,  on  croit  toujours  s'en  tirer,  mais 


tue  LETTRES 

les  circonstances  ne  sont  plus  les  mêmes,  et  le  public  est 
furieusement  indisposé.  Malgré  cela,  tops  les  jours  je 
reprends  du  courage  pour  le  lendemain.  Donnez-nous  la 
paix  à  quelque  prix  que  ce  soii.  Sans  cela  vous  risquez  Je 
ne  plus  trouver  ici  vos  meilleurs  anus,  dans  le  nombre  deS'^ 
quels  je  me  range. 

Ce». 

Je  me  borne  aujourd'hui,  monsieur  le  comte,  h  vous 
annoncer  la  réception  de  vos  lettres  du  17  et  du  23.  J'es* 
père  que  la  cour  de  Vienne  insistera  sur  riusertion  de  la 
clause  au  traité  avec  le  Danemark  que  les  troupes  assemblées 
dans  le  Holstein  ne  pourront  servir  dans  aucun  cas  contre  le 
Roi,  rimpératrice  ou  leurs  alliés,  sans  quoi  il  se  pourrait 
que  nous  payassions  des  troupes  contre  les  Russes  et  les 
Suédois.  Vous  savez,  d'ailleurs,  quelle  est  ma  raison  pour 

%  insister  sur  cette  clause.  Elle  devient  tous  les  jours  plos 
pressante.  Je  suis  enchanté  que  Tlmpératrice,  d*elle-méme, 
ait  indiqué  le  mouvement  sur  la  Hesse.  M.  le  comte  de 
Glermont,  après  avoir  fait  battre  sa  gauche  avec  toute  la 
maladresse  possible',  avoir  fait  écraser  dix-huit  bataillons, 
les  carabiniers  et  vingt  escadrons  qui  ont  iait  des  pro- 
diges de  valeur,  n'a  osé  attendre  à  Neuss  le  prince  Ferdi* 
nand.  Il  se  retire  à  Cologne,  où  le  Roi  lui  a  donne  ordre 
de  s'arrêter,  de  vaincre  ou  de  périr.  On  a  envoyé  on 
courrier  au  maréchal  d'Estrées  qui  arrive  demain.  Il  est 

'  bien  cruel  de  perdre  la  France  par  des  bêtises  pareilles. 
Il  y  a  deux  mois  que  je  presse  et  tourmente  pour  remettre 
le  maréchal  d'Estrées.  Des  embarras  ridicules  en  ont  em- 
pêché. Nous  avons  appris  aujourd'hui  que    les  Anglais 

'  Le  récit  de  la  bataille  de  Creweld  se  trouve  dans  la  GaseUe  du  !«>' juillet 
avec  la  date  du  25  juin.  La  nouvelle,  suivant  Lutkes,  XVI,  480,  était 
arrivée  le  27  à  Versailles. 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  U7 

faisaient  le  siège  cle  Louisbourg  où  M.  de  Moras  avait  dit 
que  tout  était  en  bon  ordre'.  Et  moi  je  vous  dis  que  cette 
place  ne  tiendra  pas  uo  mois;  que  nous  y  perdrons  six 
vaisseaux  de  guerre;  que  la  marine  est  à  bas,  et  que  le 
royaume  n'a  jamais  couru  plus  de  risque.  Vous  verrez  les 
Anglais  finir  par  aller  en  Flandre.  L'armée  de  Soubise,  par 
sa  diversion  en  Hesse,  peut  rétablir  les  choses  si  d'ici  au 
8  qu'elle  marche  M.  le  comte  de  Glermont  n'a  pas  (ait 
périr  son  armée.  Notre  amie  dit  que  ma  tète  s'échaufFe 
quand  je  lui  représente  la  nécessité  de  prendre  un  parti 
sur  tous  les  points  ou  de  Faire  la  paix  à  quelque  prix  que 
ce  soit.  Son  sort  est  affreux.  Paris  la  déteste  et  l'accuse 
de  tout.  On  ne  trouve  pas  un  écu.  Je  ne  vois  noir  que 
parce  que  je  vois  bien.  Gomment  voulez-vous  queje  reste 
dans  ma  place  en  manquant  de  parole  sur  tous  les  enga- 
gements,   ou    en    montrant  perpétuellement  la   corde? 
En   vérité,   personne  ne  voit  ici  les  choses  comme  elles 
sont.    On  se  fie  au  passé.  Ce  n'est  plus  la  même  chose. 
Toutes  les  parties  sont  anéanties   ou  décomposées.    Je 
tremble  pour  l'Impératrice.  Je  vois  une  révolution  affreuse 
dans  le  monde  poUtique.  Peut-être  que  l'excès  du  mal 
produira  enfin  le  bien  qui  n'est  autre  qu'un  gouverne- 
ment ferme  et  économe.  Ne  parlez  plus  de  moi  pour  la 
première  influence.  Vous  me  faites  tort.  J'ai  l'air  de  vous 
pousser  et  de  n'être  qu'un  ambitieux,  lorsque  je  ne  suis 
que  citoyen  et  homme  de  bon  sens.  Enfin  MM.  Bouille, 
Paulmi  et  Moras  s'en  sont  allés.  On  respire  plus  à  son 
aise.  Je  fais  l'impossible  pour  faire  rentrer  M.  de  Puisieux 
au  conseil,  non  à  cause  de  ses, lumières,  mais  le  public 
déteste  le  nouveau  ministère,  il  faut  lui  donner  de  la  pâ- 
ture et  de  l'espérance.  Le  Roi  sera  touché  des  sentiments 

'  Louisbourg,  cbef-lieu  du  Cap-Breton,  fut  pris  le  27  juillet  1758. 


S48  LETTRES 

de  rimpératrîce.  Je  voudrais  qu'il  exécutât  tout  ce  qa*il 
pense  de  bien.  Adieu;  je  vous  embrasse  et  vous  enverrai 
un  courrier  au  plus  tôt.  Notre  année  n*est  point  décoo- 
ragée,  mais  elle  est  encore  moins  amendée.  M.  de  Gisors 
est  mort  de  sa  blessure'.  Jugez  de  Tétat  du  marédial. 
Nous  le  perdrons,  et  qui  le  remplacera?  Ceci  ressemble  à 
la  fin  du  monde.  Portez-vous  bien,  et  faites  faire  la  paix  à 
l'Impératrice  en  y  comprenant  tous  nos  alliés.  Que  peut 
demander  le  roi  de  Prusse  de  mieux  que  d*aToir  ce  qn'il 
avait  et  de  rendre  ce  qu'il  a  ?  Bien  ne  peut  nous  sauver 
que  cela..  Les  négociations  sont  trop  longues,  et  le  temps 
presse  ;  sans  quoi  il  faut  jouer  à  quitte  ou  à  double.  Si  l'on 
prenait  ce  parti  par  principe  de  courage  et  qu'on  se  con* 
duisit  en  conséquence,  ce  serait  le  meilleur.'  Mais  oo 
attend  tout  ici  de  la  Providence,  et  l'on  ne  fait  rien  pour 
assurer  les  événements. 

Ce  7  jaiUet. 

Mes  grandes  lettres  vous  auront  assez  noirci,  mon  cher 
comte.  Je  vous  épargne  le  noir  de  celle-ci.  Agissez  forte- 
ment pour  qu'on  écarte  Paulmi.  M.  de  Laon  ne  voudrait 
ni  un  moliniste  outré  ni  un  janséniste.  Il  Taut  mieux  aller 
au  plus  sûr.  Je  ne  sais  si  l'on  prendra  un  parti  ici.  Mais 
je  sais  bien  que  si  l'on  n'en  prend  pas^  on  perdra  tout, 
et  nous  ne  serons  plus  en  mesure  sur  rien.  Je  suis  aussi 
dégoûté  de  ma  place  que  vous  de  la  vôtre.  Je  dépends  de 
tout,  et  rien  ne  dépend  plus  de  moi  que  de  dire  brutale- 
ment la  vérité.  Je  ne  m'y  épargne  pas*.  Adieu,  mon  cher 
comte  ;  un  coup  du  ciel  peut  seul  nous  tirer  du  précipice. 
Cependant,  si  nousavions  de  l'argent,  j'espérerais  encore. 
Voilà  une  relation  mal  écrite,  mais  fidèle. 

>  Le  lundi  26  juin,  à  trois  heures  après  midi.  (Lutbes,  XVI,  483.) 


DE  L*ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  t49 

Ce  14  juillet. 

Dusseldorf  a  capitule,  monsieur  le  comte;  les  Palatins 
et  les  Français  ont  dû  sortir  de  cette  place  le  9.  Nous 
avons  jetë  dans  le  Rhin  nos  magasins,  et  je  ne  crois  pas 
que  nous  ayons  eu  le  temps  de  retirer  notre  artillerie.  Le 
prince  Ferdinand  a,  dit-on,  ordre  de  se  porter  dans  les 
Pays-Bas.  M.  de  Gontades  a  pris  le  commandement  de 
Tarmëe  le  8  de  ce  mois'.  Je  ne  suis  content  ni  de  la  posi- 
tion de  notre  armée,  ni  de  Tesprit  qui  rèQue  dans  les 
officiers  généraux.  Le  maréchal  d'Estrées  ne  veut  point 
aller  prendre  le  commandement.  Il  se  défend  sur  sa  santé 
qui  n'est  pas  bonne;  mais  en  tout  il  ci^int  le  mauvais  pas 
où  nous  sommes.  L'argent  devient  tous  les  jours  plus  rare 
et  la  fermentation  dans  Paris  plus  forte  que  jamais.  Il  y  a 
aujourd'hui  un  comité  chez  le  maréchal  de  Belle-Isle  dont  je 
vous  rendrai  compte  demain  par  un  courrier.  Le  malheur 
est  que  notre  communication  avec  la  Meuse  est  coupée, 
et  que  Dusseldorf  pris  nous  ôte  une  partie  du  Rhin.  Les 
Anglais  retiendront  le  corps  de  M.  de  Graville'  sur  nos 
côtes,  et  M.  de  Soubise  en  Hesse  ne  produira  aucune  di- 
version. Son  armée  serait  bien  plus  nécessaire  plus  près 
de  nous.  Voilà  le  fruit  de  l'ineptie,  de  la  mauvaise  volonté 
et  du  défaut  d'argent,  qui  a  tout  fait  manquer  parce  que 
rien  n'a  pu  être  fait  à  propos.  Les  événements  de  Moravie 
auront  réglé  votre  conduite  par  rapport  à  mes  dernières 
dépêches,  et  je  ne  suis  pas  en  peine  que  vous  n'ayez  rien 
précipité.  Le'  fond  des  choses  est  le  même  s'il  n'est  pire 
encore.   Ainsi  mes  réflexions  subsistent.   A   l'égard  du 

^  G  azette  de  France  du  22  juillet.    . 

^  Loui»-RoberC  Malet  de  Valsemé,  comte  de  GrayiUe,  né  le  22  janyier 
1698,  maréchal  de  camp  le  20  février  1743 ,  lieutenant  général  le  1«' janvier 
1748,  chevalier  des  ordres  du  Roi  le  1*'  janvier  1759. 


250  LETTRES 

temps  d'en  faire  usage,  il  dépend  des  circonstances  et 
des  ordres  ultérieurs  que  le  Roi  vous  fera  passer.  Vous 
aurez  demain  un  courrier  qui  vous  instruira  plus  particu- 
lièrement. Nos  résolutions  sont  fermes,  notre  fidëlîté  iné- 
branlable, mais  le  Boi  est  bien  mal  servi.  Ménagez  votre 
santé,  n[U)nsieur  le  comte,  et  ne  doutez  pas  de  mon  atta- 
chement inviolable. 

Ce  15  jatlIeU 

Enfin,  mon  cher  comte,  je  commence  à  espérer.  M.  de 
Gontades  veut  être  maréchal  de  France.   Il  est  sorti  du 
cul-de-sac  et  marche  en  avant  a  Bedburg',  position  excel" 
lente  qui  couvre  Cologne,  le  rend  maître  des  hauteurs  de 
TErft,   et  protège  Juliers.    Un   courrier  qui   arrive  nous 
apporte  cette  bonne  nouvelle.  Nous  voilà  sortis  de  l'en- 
chantement des  reculades.  Nous  aurons  encore  de  Targent. 
Autre  bonne  nouvelle  :   Bezzonico  est  pape*,  Archinto 
secrétaire  d*État.  Cela  va  bien.  Je  serai  cardinal  de  votre 
façon  bientôt.  Le  Boi  a  permis  de  solliciter  cette  grâce 
pour  moi,  et  elle  Test  et  le  sera  par  l'Espagne  et  la  cour 
de  Vienne.  Ne  dites  pas  à  M.  de  Kaunitz  que  j'ai  montré 
son  billet  au  Boi.  Sa  Majesté  est  glorieuse   et  l'a    trouvé 
un  peu  fort.  Nos  alliés  montent  aux  nues  bien  aisément. 
Pour  moi,  je  vois  les  choses  comme  elles  sont;  le  royaume 
a  besoin  de  la  paix;  si  nous  faisons  bien  la  guerre  et  que 
l'argent  ne   manque  pas,   nous   n'y    forcerons   pas  nos 
alliés;  mais  ils  ne  doivent  pas  non  plus  nous  forcer  à  nous 
écraser  pour  servir  leur  vengeance.  Vous  verrez  dans  ma 
dépêche  un  expédient  que  je  vous  fournis  pour  revenir 
ici,  si  les  événements  devenaient  trop  mauvais.  Vous  n'en 

*   Gazette  de  France,  1758,  p.  355. 

^  Le  jeudi  6  juillet,  vers  les  huit  heures  du  soir,  Charles  Bezzonico, 
Vénitien,  cardinal  du  titre  de  Saint-Marc,  évêque  de  Padoue,  créature  da 
pape  Clément  XJI,  fut  élu  et  prit  le  nom  de  Clément  XIII. 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  t51 

profiterez  que  dans  ce  seul  cas;  Madame  de  Pompadour 
ne  veut  pas  que  vous  reveniez  que  lorsque  tout  serait 
perdu.  Jetez  vos  pierres  d'attente  à  tout  événement.  Mon 
amitié  pour  vous  souffrirait  trop  de  iu)us  voir  jouer  un 
vilain  rôle.  Je  n'ai  pas  le  temps  de  vous  en  dire  davantage 
aujourd'hui.  Vous  aurez  après-demain  un  courrier.  Au 
reste;  ne  vous  pressez  jamais  d'exécuter  les  commissions 
qui  peuvent  blesser  la  cour  de  Vienne.  Il  est  toujours 
soUs-entendu  que  l'ambassadeur  qui  est  sur  les  lieux 
choisit  les  moments  et  les  circonstances.  Mais  je  ne  vous 
laisserai  jamais  ignorer  votre  véritable  position,  et  je  vous 
mettrai  toujours  à  portée,  en  la  connaissant  bien,  de  vous 
conduire  selon  les  intentions  du  Roi  et  selon  ensuite  les 
circonstances  qu'on  ne  peut  pas  toujours  deviner  et  qui 
doivent  changer  quelque  chose  à  notre  langage  et  h  notre 
conduite.  Je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur. 

Ce  21  juillet. 

Montmartei  vient  d'éprouver  une  banqueroute  de  son 
caissier',  mon  cher  comte,  qui  â  retardé  le  payement  du 
subside.  On  a  tenu  cet  accident  secret  de  peur  qu'il  ne 
tirât  à  conséquence.  Vous  ne  sauriez  vous  peindre  l'état 
étroit  dans  lequel  la  finance  est  réduite,  par  la  mauvaise 
volonté,  l'intrigue  et  le  gaspillage.  On  parle  tous  les  jours 
de  mettre  la  règle  ;  mais  comme  personne  n'a  droit  d'or- 
donner que  le  Boi,  tout  se  passe  en  dissertations  ou  la- 
mentations. Si  l'État  ne  périt  pas  de  cette  affaire-ci,  il  y 
aura  une  belle  chandelle  à  offrir  à  Dieu.  Ce  qui  est  conso- 
lant, c'est  que  le  Boi  n'en  est  que  plus  tranquille.  Pour 
moi,  j'ai  la  fièvre  continue  et  des  redoublements.  Au 
reste,    le    Pape   a  promis    de  très-bonne   grâce  de    me 

'  Serait-ce  par  hasard  un  M.  Platel?  Voir  Lettre  du  comte  de  Clermont 
marquis  de  Pautmj,  du  18  février  1758. 


Kt  LETTRES 

comprendre  dans  la  première  promotion.  Nous  allons 
avoir  une  assemblée  du  clergé  qui  sera  orageuse,  et  pour 
surcroît  de  bonheur,  nous  sommes  menacés  de  la  fomine 
par  les  pluies  continuelles  qui  ruinent  la  récolte.  Il  &at 
avoir  la  tête  bien  forte  ou  le  cœur  bien  dur  pour  ne  pas 
devenir  fou.  Tout  ceci  cependant  pourrait  se  rétablir  avec 
de  la  règle  et  de  l'autorité.  Mais  faut-il  l'espérer?  Je  suis 
plus  en  peine  de  Louisbourg  que  de  toutes  choses  an 
monde.  Si  cette  place  se  sauvait  et  que  les  AutridiieDS 
eussent  de  l'avantage,  la  paix  se  ferait  cet  hiver  par  l'An- 
gleterre. Je  vous  ai  donné  un  moyen  pour  venir  ici  quand 
il  en  sera  temps.  C'est  à  vous  à  en  juger  par  les  opérations 
de  nos  alliés  et  les  nôtres.  Jugez  de  ma  situation  :  on  me 
fait  manquer  de  parole  tous  les  huit  jours.  Il  faut  bien  être 
attaché  au  Roi  pour  ne  pas  s'enfuir  dans  son  abbaye. 
M.  de  Contades  fait  fort  bien  jusqu'ici.  Les  Hanovrieos 
paraissent  inquiets.  Dusseldorf  les  met  à  portée  de  faire 
courir  des  risques  à  M.  de  Soubise.  M.  de  Daun  déddera 
de  tout  et  les  Busses  s'ils  veulent  agir. 

M.  de  Castries  a  fait  une  merveille  dans  les  Pays-Bas ^ 
Adieu,  mon  cher  comte;  je  ne  veux  pas  vous  noircir  da- 
vantage. Dieu  nous  donne  du  beau  temps  et  un  bon  gou- 
vernement. 

Ce  l«f  aoAu 

J'ai  remercié  hier,  monsieur  le  comte,  pour  le  chapeau 
que  le  Pape  m'a  assuré  à  la  première  promotion';  ainsi 
voilà  une  affaire  déclarée  et  presque  finie.  Il  y  a  déjà  bien 
longtemps  que  mes  ennemis,   ou  mes  prétendus  amis, 

1  Le  marquis  de  Castries  était  à  ce  moment  à  Bmxellcs  et  commaDdait 
un  cordon  de  troupes  forme  depuis  Liège  jusqu'à  la  Campine,  pour  arrêter 
les  courses  des  bussard^  ennemis. 

2  La  Gazette  de  France,  p.  375,  enregistre  la  déclaration  du  Roi  rela- 
tive à  la  promotion  de  Tabbé  de  Bernis. 


DE  L*ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  t53 

cherchent  h  me  brouiller  avec  notre  amie,  sous  prétexte 
qu'en  visant  à  la  suprême  autorité,  je  yeux  la  dépouiller 
de  son  crédit.  Cette  idée  infâme  est  la  plus  dangereuse  de 
toutes.  Il  est  certain  qu'il  faut  ici  un  premier  mobile,  sans 
titre,  et  ce  premier  mobile  ne  peut  et  ne  doit  être  "que 
Tami  sûr.  et  intime  de  madame  de  Pompadour.  Si  l'on 
parvient  à  lui  donner  de  la  méfiance,  il  en  résulterait  deux 
grands  maux,  celui  d'ôter  le  principe  du  mouvement  et  de 
rendre  inutiles  pour  les  afliaires  un  grand  travail  et  de 
bonnes  intentions.  Je  n'ai  qu'à  me  louer  de  l'honnêteté 
avec  laquelle  elle  a  repoussé  jusqu'ici  les  méchancetés 
qu'on  a  voulu  faire  à  tous  les  deux.  Nous  avons  établi  ici 
une  forme  de  gouvernement  en  nous  assemblant  toutes 
les  semaines  pour  approfondir  toutes  les  parties  des  dé- 
penses'. Vous  seriez  effrayé,  mon  cher  comte,  et  vous 
verriez  bien  qu'il  est  impossible,  si  la  guerre  dure  long- 
temps, que  nous  ne  fassions  la  culbute  la  plus  complète. 
Alors  il  n'y  a  plus  de  remède.  Nous  nous  sommes  aperçus 
qu'il  y  avait  trop  de  risque  h  parler  à  Vienne  de  la  paix. 
C'est  une  conunission  désagréable  pour  vous  et  dont  je 
me  chargerai  toujours  en  première  instance  vis-à-vis  de 
M.  de  Starhemberg.  Vous  n'aurez  qu'à  ne  pas  démentir 
mon  langage  à  Vienne,  et  je  vous  informerai  de  tout. 
M.deStarhembergenvoiesonneveuàVienne*pourapporter 
à  l'Impératrice,  m'a-t-il  dit,  diverses  conunissions  dont  son 
ambassadeur  était  chargé.  Je  vous  préviens  de  ce  départ 
sur  lequel  on  m'a  prié  de  ne  former  aucune  idée  étran- 
gère. Ne  faites  pas  semblant  d'en  être  instruit.  Peut-être 
M.  de. Starhemberg  était-il  chargé  de  faire  le  tableau  de 

*  Vpir  le«  Mémoires, 

3  II  8*agicici  de  M.  de  RewenhuUer,  chambellan  de  rimpéraCrice-Reîne, 
qai,  suivant  le  registre  des  passe-ports  du  département,  demande  le  5  août 
un  passe-port  pour  aller  à  Vienne  et  en  revenir,  et  qui  remplace  dans  ce 
Toyage  M.  de  Stemberg. 


t54  LETTRES 

notre  situation  ;  en  ce  cas  soyez  sûr  qu'il  ne  nous  peint 
pas  en  beau.  Je  ne  crois  pas  que  la  cour  de  Vienne  son^^e 
à  nous  tromper,  maigre  ses  ménagements  pour  la  cour  de 
Londres.  Veillez  et  ne  montrez  point  de  soupçon. 
•.    L'affaire  de  M.  de  Broglie  ^  dont  M.  de^Soubise  vous 
aura  instruit,  fait  un  bon  efFet  dans  le  monde.  Il  ne  faut 
pas  avoir  la  maladresse  de  diminuer  cette    impression 
favorable,  en  examinant  s'il  n'>aurait  pas  mieui^  valu  atta- 
quer deux  jours  plus  tard.  M.  le  prince  Ferdinand  s'est 
porté  a  Buremonde.  On  ne  peut  concevoir  son  dessein. 
Est-ce  pour  intimider  la  Hollande,  dont  les  états,  sont 
assemblés?  Serait-ce  pour  entrer  sérieusement  dans  les 
Pays-Bas  ou  pour  regagner  le  long  de  la  Meuse,  qui  n'a 
pas  été  mangée,  ses  ponts  d'Émeric?  Tout  cela  n'est  pas 
bien  clair.  Si  les  Anglais  vont  à  Emden,  il  s'en  éloigne 
pur  ce  chemin;  s'ils  vont  en  Flandre  joindre  le   prince 
Ferdinand,  Fentreprise  est  téméraire^  puisque  M.  de  Gon- 
tades  est  sur  leurs  talons.  Je  viens  de  recevoir  vos  lettres 
qui  sont  du  23,  qui  ne  sont  pas  déchiffrées;  mais  par 
votre  lettre  particulière,  je  vois  que  tout  va  bien.  Vous 
m'annoncez  la  réponse  au  grand  mémoire.  Je  l'attendrai 
avant  de  répondre  en  forme  à  votre  expédition  du  17. 
Évitons  de  faire  de  nouvelles  conventions  autant  qu'il  sera 
possible;  cela  ne  (bit  que  donner  matière  a  manquements 
et  à  plaintes. 

Le  Boi  veut  persévérer  de  toutes  ses  forces  dans  l'al- 
liance; il  s'agit  de  les  bien  employer  et  de  ne  pas  les 
épuiser.  Quand  on  voudra  entrer  dans  notre  situation,  se 
contenter  de  ce  «que  nous  pouvons  faire,  de  nous  traiter 
doucement  parce  que  nous  le  méritons  par  nos  bonnes 
intentions,  si  ce  n'est  par  la  conduite  de  nos  généraux, 

'  Le  combat  de  Soudershausen,  livré  le  23  juillet. 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  255 

tout  ira  encore  assez  bien.  Mais  je  vous  le  dis,  il  ne  Faut 
pas  espérer,  sans  des  succès  marqués  cette  campagne, 
quQ  nous  soyons  en  état  d'en  faire  une  de  quelque  impor- 
tance l'année  prochaine.  Nous  serons  de  plus  en  plus 
épuisés.  Au  reste,  une  fois  pour  toutes,  gardez  pour  vous 
seul  les  textes  qui  déplaisent,  et  laissez-moi  me  charger  de 
tous  les  paquets  désagréables.  Réflécliissez  mûrement  sur 
une  idée  que  j'ai  depuis  longtemps.  Je  crois  que  vous  striez 
plus  propre  que  moi  aux  affaires  étrangères,  en  les  consi- 
dérant sous  le  point  de  vue  de  V alliance.  Vous  auriez  plus 
de  moyens  que  moi  pour  faire  frapper  de  grands  coups 
par  notre  amie.  D*un  autre  côté,  unis  comme  nous 
sommes,  nous  deviendrions  les  plus  forts,  et  mon  chapeau 
rongé,  séparé  du  département,  ne  ferait  peur  à  personne. 
Faites-y  vos  réflexions  pour  le  bien  de  la  chose  et  pour 
vous.  Si  cela  vous  convient  et  vous  parait  bon,  il  faudrait 
y  travailler  promptement.  Ne  croyez  pas  que  je  veuille 
me  débarrasser  du  fardeau  sur  vous.  Celui  que  vous  avez 
a  Vienne' est  le  même  que  celui  que  vous  auriez  ici  ;  mais 
il  est  fort  différent  pour  vous  et  pour  moi  que  la  chose 
aille  bien  ou  aille  mal.  J'ai  une  autre  raison  dans  la- 
quelle vous  devez  entrer.  Comprenez  combien  je  souffre 
de  voir  qu'on  me  représente  perpétuellement  comme  un 
homme  qui  tend  à  détruire  ma  bienfaitrice  et  mon  amie. 
D'un  autre  côté,  je  serais  le  dernier  des  hommes  si  je  lui 
dissimulais  de  certaines  vérités.  Voyez  combien  je  dois 
être  embarrassé  et  gêné.  Toutes  ces  entraves  seraient 
levées  par  l'expédient  que  je  vous  propose.  Il  aurait  encore 
d'autres  avantages  particuliers  pour  vos  affaires  person- 
nelles. On  vous  croit  à  Vienne  bien  intentionné  pour  le 
système;  ainsi  l'on  ne  serait  pas  en  peine  de  voir  les  af- 
faires étrangères  dans  vos  mains.  Je  vous  aiderais  tant 
que  vous  voudriez,  et  je  cesserais  d'être  Tépouvantail  du 


256  LETTRES 

ministère.  A  la  longue,  croyez  que  le  maréchal  de  Belle- 
Isle  ne  résistera  pas  à  tout  ce  qu*on  lui  dira  pour  exciter 
sa  jalousie;  jusqu'ici  cela  va  bien.  Mais  les  aflBaires  sont 
trop  importantes  pour  les  gâter  par  des  misères.  Je  tous 
parle  comme  je  pense.  Répondez-moi  de  même  et  fran- 
chement. Vous  avez  du  nerf  et  vous  en  donnerez  plus  que 
moi,  parce  que  vous  ne  ferez  peur  qu'au  bout  d'un  certain 
temps,  car  vous  méritez  bien  d'en  faire  autant  qu'un 
autre  ;  mais  du  moins  vous  n'en  ferez  pas  à  vos  amis,  et 
je  pense  que  notre  union  à  tous  trois  n'en  sera  que  plus 
forte,  plus  douce  et  plus  solide. 

Adieu,  monsieur  le  comte;  en  voilà  assez  pour  aujour- 
d'hui. Parlez  de  mon  chapeau  'et  de  ma  reconnaissance  à 
Leurs  Majestés  Impériales  et  à  leur  ministre.  Le  maréchal 
de  Belle-Isie  a  été  touché  et  flatté  de  la  lettre  de  l'Impé- 
ratrice', Quand  vous  l'ordonnerez,  je  remercier  ai  à  Vienne 
pour  le  chapeau.  Vous  devez,  comme  de  raison,  en  foire 
les  honneurs. 

Ce  il  août. 

Le  prince  Ferdinand  repasse  le  Rhin  àRées';  il  a  gagné 
par  une  marche  forcée  prodigieuse  deux  marches  sur 
M.  de  Coutades,  qui  aura  bien  de  la  peine  aujourd'hui  à 
le  suivre  par  le  défaut  de  subsistances.  M.  de  Soubise  va 
se  trouver  dans  l'embarras,  quoiqu'il  soit  prévenu  à 
temps.  S'il  avait  eu  quinze  jours  de  plus,  sa  diversion 
aurait  été  bien  utile.  Voilà  les  Anglais   à  Cherbourg  '.  Je 

*  V.  cette  lettre  dans  G.  Roussel.  Le  comte  de  Gisors, 

2  Entre  Wesel  et  Emmerick. 

3  Arrivés  le  3  août  en  vue  de  Cherbourg,  les  Anglais  étaient  débaraaés 
le  7  au  nombre  de  dix  mille  par  Tanse  d*Arville,  h  une  lieue  et  demie  delà 
ville,  et  y  étaient  entrés  le  8  ;  ils  avaient  trouvé  vingt-sept  navires  mar- 
chands, et  avaient  détruit  les  travaux  du  port.  Les  troupes  anglaises  se 
rembar<]uèrent  le  15  avec  leur  butin. 


DE  L'ABBE  COMTE  DE  BERNIS.  257 

ne  crois  pas  qu'ils  y  fassent  un  long  sëjour,  mais  tout  le 
reste  de  Tété  ils  dévasteron  mo  côtes.  Gela  fait  crier  et 
'occasionne  de  nouvelles  dépenses.  Il  paraît,  par  le  silence 
de  TAngleterrey  que  les  affaires  de  Louisbourg  ne  vont 
pas  mal.  Pour  celles  de  notre  finance,  elles  touchent  à 
l'extrémitë  si  l'on  ne  prend  pas  le  parti  d'étayer  ou  plutôt 
de  suppléer  le  crédit  de  Montmartel,  qui  veut  tout  faire 
sans  pouvoir  faire  face  atout.  Il  est  inconcevable  que  le 
royaume  dépende  d'un  seul  bomipe.  Peut-être  enfin  sen- 
tira-t-on  la  nécessité  de  prendre  sur  cela  un  parti  en 
grande  sans  quoi  l'on  déshonorera  tous  les  ministères  à  la 
fois.  On  m'a  promis  pour  un  de  ces  jours  quinze  cent 
mille  francs.  Je  vous  assure  que  tout  l'argent  que  nous 
donnons  aux  autres  est  aux  dépens  de  notre  nécessaire; 
vous  sentez  bien  qu'une  pareille  situation  est  insoute- 
nable, et  '  que  si  la  paix  ne  se  fait  pas  bientôt,  il  sera  im- 
possible de  remplir  d'autres  engagements  que  ceux  de  la 
défensive.  Je  vous  dis  cela  pour  que  vous  soyez  exacte- 
ment et  véritablement  informé  de  notre  situation,  et  non 
pour  en  faire  usage.  J'attends,  mon  cher  comte,  votre 
réponse  à  ma  dernière  lettre.  J'ai  reçu  celle  du  cardinal 
Archinto  que  vous  m'avez  envoyée.  Le  cardinal  de  Rodt^ 
ne  me  paraît  avoir  fait  aucune  démarche  en  ma  faveur 
vis-à-vis  du  Pape;  vous  devriez  en  dire  un  mot  à  M.  de 
Kaunitz.  Je  ne  demande  pas  mieux  que  d'avoir  obligation  à 
Leurs  Majestés  Impériales»  C'est  M.  de  Kevenhuller  qui  est 
allé  à  Vienne,  ^t  non  M.  de  Sternberg  '.  Son  voyage  fait 


<  François-Conrad-Casimir  de  Rodc,  évèque  de  Constance ,  né  à  Mar- 
bourg  le  19  mars  1706,  cardinal  le  5  avril  1756. 

^  Christian  de  Sternberg,  né  en  173t,  cberalier  de  la  Toison  d'or,  etc., 
mort  à  Prague  le  S2  août  1798,  était  en  effet  le  neveu  de  Starhemberg, 
comme  Bemis  le  disait  plus  haut,  son  père,  François- Philippe,  ayant 
épousé  le  18  avril  1731  Marie-Léopoldine ,  fille  du  comte  Conrad  de 
Starhembeiig. 

II.  17 


258  LETTRES 

un  grand  bruit  parmi  les  ministres  étrangers.  Le  Boi  m*a 
.  permis  de  presser  la  promotion.   Ainsi ,  tous  vos  ordres 
sont  exécutes.   On  a  voulu  à  Paris  que  je  fusse  brouille' 
avec  notre  amie.  C'est  une  histoire  qui  se  renouvelle  de 
temps  en  temps.  Si  cela  était,  je  ne  resterais  pas  vingts-quatre 
heures  à  la  cour.  L'ingratitude  n'est  point  mon  vice,  et 
je  ne  crois  pas  que  la  vérité  puisse  me  brouiller  avec  une 
femme  qui  pense  aussi  bien.  Au  reste,  nous  attendons 
avec  impatience  des  nouvelles  de  M.   de  Daun    et  des 
Russes.  Si  nous  avions  écrasé  le  prince  Ferdinand,  tout 
était  réparé  y  et  nous  serions  restés  maîtres  de  l'électorat  de 
Hanover  et  de  la  Hesse;  aujourd'hui,  il  y  a  à  parier  que 
nous  ne  ferons  pas  grand'chose,   et  gare  à  la  manière  dont 
nos  quartiers  d'hiver  seront  établis.  Plus  on  creuse  cette 
af&ire,  plus  il  est  à  désirer  qu'elle  finisse  honnêtement  et 
solidement;  mais  il  est  inutile  de  tourmenter  nos  alliés  et 
de  nous  attirer  des  choses  désagréables.  Nous  irons  tant 
que  nous  pourrons.  Il  nous  faut  un  général  et  de  l'argent. 
Avec  cela,  je  serais  tout  aussi  belliqueux  qu'un  autre  ;  sans 
cela,  je  ne  vois  que  la  honte  et  la  ruine.  J'espère  que  notre 
assemblée  du  clergé  se  passera  bien,  malgré  les  cabales. 
Mon  futur  chapeau  commence  à  me  donner  du  crédit  dans 
notre  prélature.  Nous  continuons  à  nous  occuper  à  réfor- 
mer la  dépense,  mais  cet  ouvrage  durera  trois  mois,  et 
l'on  pourrait  le  terminer  en  trois  jours  si  Ton  en  était  le 
maître.  Au  reste,  il  faut  se  borner  à  faire  le  bien  qui  est 
possible,  ou  du  moins  à  éviter  les  plus  grands  maux.  On 
ne  peut,  monsieur  le  comte,  vous  aimer  plus  sincèrement 
que  je  fais.  Cela  durera  toujours,  je  vous  le  jure. 

Ce  20  août. 

J'ai  cessé,  monsieur  le  comte,  de  vous  peindre  l'état 
violent  où  nous  sonunes.  Plus  de  commerce,  par  consé- 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  259 

quent  plus  d'argent,  plus  de  circulation.  Plus  de  marine, 
par  conséquent  plus  de  ressources  pour  résister  à  l'An- 
gleterre. Là-marine  n'a  plus  de  matelots,  et  l'argent  qui 
manque  lui  ôte  l'espoir  de  s'en  procurer.  Qjuelle  doit  être 
la  suite  de  cet  état?  La  perte  totale  pour  jamais  de  nos 
colonies;  nos  forces  de  terre  ne  nous  servent  pas  même  & 
défendre  nos  côtes;  le  royaume  est  dévasté  par  une 
escadre  qui  fera  le  tour  de  la  Normandie  et  qui  'ne  lâchera 
sa  proie  que  lorsque  la  mauvaise  saison  l'y  forcera.  Quand 
nous  sauverions  Louisbourg,  quels  secours  porterons- 
nou»  à  nos  colonies  sans  argent  et  sans  vaisseaux?  C'est 
donc  de  l'argent  qu'il  nous  faut;  mais  où  en  trouver 
quand  il  n'y  a  plus  de  crédit,  quand  il  en  sort  beaucoup 
du  royaume  et  qu'il  n'en  entre  plus?  Il  faudrait  trouver 
en  soi-même  des  ressources  par  l'économie,  mais  on 
craint  de  taire  les  plus  petits  sacrifices.  On  craint  de  faire 
crier  des  particuliers,  '  des  gens  en  charge,  et  l'on  ne 
craint  pas  de  voir  périr  le  royaume!  D'ailleurs,  on  exa- 
mine lentement  les  états  de  dépense,  tandis  qu'il  faudrait 
prendre  brusquement  le  parti  des  retranchements  et  de  * 
l'ordre  le  plus  sévère  dans  les  dépenses.  Mais  qui  est 
assez  puissant  ici  pour  faire  de  pareilles  opérations?  Je 
vous  le  prédis,  mon  cher  comte,  quand  le  roi  de  Prusse 
serait  écrasé,  nous  n'en  serions  pas  moins  ruinés.  L'An- 
gleterre fait  elle  seule  aujourd'hui  tout  le  commerce,  et 
ce  n'est  que  lorsque  nous  serons  en  état  de  le  troubler 
que  nous  la  réduirons  à  des  conditions  raisonnables. 
Ainsi,  rien  de  plus  nécessaire  que  d'être  en  état,  l'année 
prochaine,  de  troubler  leur  commerce.  Pour  y  parvenir, 
il  faut  de  l'argent  et  du  secours;  mais,  quand  on  trou- 
verait de  l'argent,  où  trouverions-nous  du  secours?  Il  ne 
feut  plus  songer  à  l'Espagne.  Je  doute  qu'elle  nous  soit 
utile,  même  comme  médiatrice;  il  n'y  a  oi  volonté,  ni 

17 


260  LETTRES 

force,  ni  décision  dans  cette  cour.  Peut-être  même  y  est- 
on  intérieurement  bien  aise  de  nous  voir  humiliés.  Le 
Danemark  n'est  qu'un  observateur  adroit  qui  vise  à  s'ac- 
quérir de  la  considération  en  se  faisant  rechercher  par 
tous  les  partis;  les  Hollandais  n'osent  rien  et  craignent 
tout;  les  Suédois  sont  dans  l'impuissance;   vous   savei 
ce   que   c'est  que   la  Russie.   Je  ne  vois  donc  d'assis- 
tance à  attendre  que  du  ciel,  ou  d'un  homme  de  génie, 
si  nous  en  avions  un  ici  à  la  tête  de  la  finance  et  de  la 
marine.  Je    ne  m'étonne   pas  que   la  cour   de  Vienne 
veuille  continuer  la  guerre  ;  elle  ne  perdra  jamais  qiM  des 
hommes  dont  elle  abonde; 'mais  nous,  nous  perdrons  la 
source  de  nos  richesses,  et  avec  quoi  nous  défendrons- 
nous  si  le  roi  de  Prusse  et  son  lieutenant,  le  prince  de 
Brunswick,  reprennent  le  dessus?  Il  faudrait  être  stupide 
pour  ne  pas  sentir  la  différence  prodigieuse  de  la  situa- 
tion de  la  cour  de  Vienne  et  de  la  nôtre.   Je   vous  ai 
désiré  ici,  je  vous  y  désire  encore,  parce  que  votre  acti- 
vité, votre  zèle  et  votre  amitié  donneraient  peut-être 
plus  de  ressort.  Je  sais  bien  que  tous  les   maux  qu'on 
peut  prévoir  n'arrivent  pas;  que  la  fortune  est  une  roue; 
j'ai  lu,  et  retenu  ce  que  j'ai  lu;  mais  nous  sommes  si  mal 
dans  toutes  les  parties,  nous  avons  si  peu  de  force  pour 
sortir  du  bourbier  et  une  si  grande  habitude  de  nous  tirer 
des  mauvais  pas,  que  je  tremble  autant  quand  les  événe- 
ments sont  heureux  que  lorsqu'ils  ne  le  sont  pas.  Je  ne 
reprends  avec  vous  ce  triste  canevas  que  pour  vpus  faire 
sentir  que  je  n'attends  rien  de  la  continuation    de  la 
guerre  qu'un  plus  grand  épuisement.  Je  sais  que  la  cour 
de  Vienne  ne  doit  pas  être  pressée  trop  fort  pour  tra- 
vailler à  la  paix  ;  mais  ést-il  de  son  intérêt  que  nous,  qui 
serons  toujours  les  plus  utiles  et  les  plus  nobles  de  ses 
alliés,  nous  périssions  sans  gloire  pour  son  service?  Dans 


DE   L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  S6i 

les  moments  où  la  confiance  de  cette  cour  n'est  pas  si 
grande,  ne  pouvez-vous  pas,  sans  blesser,  démontrer 
l'inutilité  d'une  guerre  qui  sera  toujours  de  plus  en  plus 
mal  faite  et  malheureuse?  Je  vous  réponds  que  nous 
aurons  l'année  prochaine  le  double  moins  de  ressources 
que  celle-ci.  C'est  bien  alors  qu'il  faudra  avaler  le  calice 
jusqu'à  la  lie.  L'biver  peut  nous  tirer  d'affaire;  je  suis 
d'avis  que  nous  fassions  des  sacrifices  a  l'Angleterre  pour 
avoir  la  paix,  et  je  pense  que  la  cour  de  Vienne  devrait 
en  faire  de  son  côté,  non  pas  de  réels,  mais  d'imaginaires, 
en  renonçant  à  la  plus  grande  partie  de  ses  idées  d'agran- 
dissement. Il  y  a  près  d'un  an  que  je  prêche  cet  évan- 
gile; le  haut  ou  le  bas  des  événements  ne  dérange  pas 
mes  opinions,  parce  que  je  raisonne  d'après  les  fonds,  et 
non  d'après  les  formes  qui  changent.  Le  roi  de  Prusse 
aura  des  armées  l'année  prochaine,  l'Angleterre  aura  du 
crédit;  la  France  n'aura  ni  argent  ni  crédit,  et  c'est  la 
France  qui  peut  seule  fournir  des  moyens  à  ses  alliés. 
Voilà  l'état  véritable.  D'après  cela,  je  pense  que  quand  la 
campagne  sera  finie,  rien  n'est  plus  pressé  que  de  faire  la 
paix.  M.  de  Starhemberg  me  parle  de  celle  avec  l'Angle- 
terre et  ne  me  dit  rien  de  l'autre.  Je  ne  le  pousse  point, 
parce  qu'il  est  inutile  de  rien  faire  pour  la  paix  avant  la 
fin  de  la  campagne.  Si  nous  pensions  de  même,  la  cour 
de  Vienne  et  nous,  on  pourrait  dès  à  présent  arranger 
bien  des  choses;  mais  elle  ne  veut  que  nous  embarquer, 
et  comme  nous  ne  voulons  pas  nous  séparer  d'elle,  il  faut 
bien  se  prêter  à  son  impulsion  ;  mais,  au  bout  du  compte, 
un  État  ne  s'est  jamais  sacrifié  pour  un  autre.  Il  y  a  un 
terme  à  la  vertu,  même  elle  cesserait  de  l'être  si  elle  était 
poussée  trop  loin.  Je  vous  exhorte  donc  à  être  très- 
patient  pendant  l'été  et  à  vous  préparer  à  être  très-ferme 
pour  cet  hiver.  Car,  je  vous  le  jure,  nous  ne  sommes 


262  LETTRES 

d'aucune  façon  en  état  de  continuer  la  guerre.  En  voila 

assez  sur  ce  chapitre. 

L'évéque  de  Laon  aurait  voulu  que  la  dëdaration  de 
mon  chapeau  eut  été  cachée  encore  du  temps.  Le  Pape 
parait  ne  vouloir  faire  sa  promotion  qu'après  avoir  ter^ 
miné  TafFaire  du  décret  de  Venise.  Gela  peut  mener  bien 
loin.  Or,  dans  cet  état,  il  est  fort  bon  que  le  Roi  ait 
déclaré  la  promesse  du  Pape  :  V  cela  me  donne  plus  de 
considération  et  de  poids;  2^  quelques  noirceurs  qu*on 
me  fasse  à  Rome,  je  n'ai  rien  à  craindre,  parce  que  ce 
n'est  plus  aujourd'hui  mon  affaire,  c'est  celle  du  Roi.  Le 
cardinal  Portocarrero  ne  s'est  pas  pressé  d'exécuter  les 
ordres  de  sa  cour,  qui  désire  que  je  sois  fait  cardinal  tout 
seul  par  distinction,  comme  l'ont  été  d'autres  ministres. 
Engagez  la  cour  de  Vienne  à  parler  le  même  langagCi 
ou  du  moins  celui  de  l'intérêt.  Le  Roi  a  publié  le  consen- 
tement qu'elle  a  donné  à  ma  promotion  ;  ainsi  il  y  aurait 
peu  de  bonne  grâce  à  marquer  de  la  froideur  après  avoir 
marqué  le  contraire. 

On  a  bien  fait  ce  qu'on  a  pu  pour  donner  mauvaise 
opinion  de  moi  à  notre  amie  et  pour  nous  brouiller  en- 
semble; mais  on  n'y  est  pas  parvenu,  et  je  vous  assure 
que  j'en  suis  enchanté.  Au  bout  du  compte,  si  l'État 
périt,  ce  ne  sera  pas  ma  faute;  mais  je  veux  au  moins 
mourir  comme  le  chevalier  sans  peur  et  sans  reproche. 
Arrange2>>vous  avec  Montmartel  ;  il  est  en  avance  de  plos 
de  deux  cent  mille  francs;  envoyez  l'état  de  vos  dépenses, 
pour  que  je  fasse  délivrer  à  Montmartel  des  ordonnances 
qui  fassent  sa  sûreté.  Je  l'ai  autorisé,  comme  vous  savex, 
à  vous  avancer  jusqu'à  la  concurrence  de  cent  miUe 
francs  ;  mais  cela  passe  du  double  ;  ainsi  il  est  juste  de 
calmer  ses  inquiétudes. 

Convenez,  mon  cher  comte,  que,  voyant  aussi  noir  que 


DE  L*ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  263 

^  je  le  fais  pour  le  présent  et  pour  Tavenir,  qu'étant  beau- 
coup trop  sensible  aux  événements,  il  faut  que  j'aie  un 
grand  fonds  de  courage ,  de  patience  et  de  force  pour  y 
résister.  Ma  santé  est  meilleure  depuis  un  mois.  Nous 
allons  avoir  une  assemblée  du  clergé  orageuse,  et  je  ne 
sais  trop  si  le  nouveau  pape  nous  traitera  aussi  bien  que 
son  prédécesseur.  Je  crois  qu'il  sera  faible.  Dieu  veuille 
qu'Archinto  se  soutienne^  qu'il  ne  se  brouille  pas  avec 
Spinelli,  et  que  celui-ci  ne  se  perde  pas  par  trop  de  viva- 
cité et  de  roideur.  De  tous  côtés  on  ne  voit  que  des  em- 
barras et  des  périls.  Nous  nous  en  tirerons  comme  nous 
pourrons.  Ce  qui  me  fâche,  c'est  de  ne  pas  trouver  dans 
nos  alliés  plus  de  consolation.  On  nous  gronde  toujours, 
on  nous  fait  sentir  notre  état,  au  lieu  de  chercher  à  nous 
en  tirer  en  entrant  dans  notre  situation.  Si  l'on  est  sin- 
cère, on  devrait  s'intéresser  à  notre  conservation  ;  mais 
on  parait  vouloir  tirer  de  nous  la  quintessence,  sans 
s'embarrasser  de  ce  que  nous  deviendrons.  Dites-moi  si  je 
me  trompe  en  craignant  que  cela  ne  soit.  Au  reste  ,  je  vous 
recommande  de  ne  point  tourmenter  la  cour  de  Vienne 
pour  la  paix,  mais  de  tâcher  de  lui  en  démontrer  la  né- 
cessité indispensable,  lorsque  le  temps  sera  venu.  Si 
Monteil  est  avec  vous,  faites-lui  bien  mes  compliments. 

Dites-moi  donc  si  vous  avez  envie  de  négocier  par  le 
canal  de  la  cour  de  Bareuth,  ou  si  c'est  une  fable.  Pour 
moi,  je  ne  compte  pas  sur  tous  ces  princes;  mais  je  suis 
bien  aise  de  savoir  ce  qu'ils  pensent.  Je  vous  crois  trop 
prudent  pour  vous  embarquer  dans  des  intrigues,  et  trop 
de  mes  amis  pour  me  rien  cacher  dans  ce  genre.  Adieu  ; 
je  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur,  et  vous  suis  attaché 
pour  la  vie. 

M.  de  Starhemberg  m'a  demandé  si  je  vous  avais 
envoyé  vos  dernières  instructions  pour  l'afEaire  du  sub- 


264  LETTRES 

side.  Je  lui  ai  dit  qu*il  y  manquait  encore  quelque  chose. 
En  effet,  il  faut  régler  et  convenir  les  arrérages  échus  et 
faire  un  compte  pour  l'évaluation  convenue  des  florins. 
Mais  cela  n'empêche  pas  de  convenir  des  articles  de  la 
convention  et  de  la  signer,  si  vous  jugez  que  cela  con- 
vienne. 

A  Monsieur  le  duc  de  ChoiseuL 

Ce  26  août. 

C'est  avec  la  plus  grande  joie,  monsieur  le  duc  ^y  que  je 
vous  appelle  ainsi.  Vous  n'en  doutez  pas;  le  fond  de 
mon  cœur  vous  est  actuellement  connu.  Votre  dernière 
lettre  particulière  m'a  fait  connaître  le  vôtre.  Madame  de 
Pompadour  n'a  pas  encore  assez  réfléchi  sur  la  bonté  da 
projet  que  je  vous  ai  proposé.  Le  Roi  a  besoin  de  meubler 
son  ministère  de  gens  nerveux  et  bien  intentionnés.  Notre 
amie  a  besoin  à  son  tour  d'y  avoir  des  gens  qui  s'inté- 
ressent réellement  à  elle.  Vous  voyez  la  décadence  doDt 
nous  sommes  menacés.  La  paix  est  le  seul  remède.  Mais 
ensuite  il  faut  une  bonne  administration.  Adoptez  mon 
projet,  mon  cher  duc,  pour  le  bien  de  la  chose  et  l'intérêt 
de  l'amitié.  Le  système  du  Roi  a  besoin  d'aide  pour  être 
soutenu-,  et  l'administration  intérieure  a  besoin  de  nerf. 
Vous  apporterez  ici  l'un  et  l'autre.  Je  ne  mets  d'inter- 
valle à  votre  arrivée  ici  que  celle  de  mon  chapeau.  Diii- 
gentez-le.  Il  est  ridicule  de  faire  traîner  la  recommanda- 
tion des  trois  principales  puissances.  Les  arrangements 
ensuite  se  feront  bien  aisément.  Ne  dégoûtez  pas  ma- 
dame de  Pompadour  de  cette  idée.  Je  vous  le  dis  fran- 

1  Le  Roi  avait  créé  le  comte  de  Stainville  duc  héréditaire  le  25  août 
1758.  Les  lettres  furent  données  à  Versailles  en  novembre  et  enregistrées 
au  Parlement  le  29  du  même  mois. 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  265 

chement,  si  elle  ne  réussit  pas,  je  prendrai  mon  parti.  Ma 
tête  est  trop  sensée  et  mon  cœur  trop  patriote  pour  voir 
l'État  courir  à  sa  ruine,  moi  étant  dans  le  ministère.  J'ai 
besoin  de  secours,  puisqu'on  n'a  pas  voulu  me  donner 
assez  d'autorité  pour  empêcher  de  bonne  heure  tout  ce 
qui  aujourd'hui  ruine  nos  affaires  de  fond  en  comble. 
Votre  séjour  à  Vienne  doit  être  employé  à  retourner  les 
esprits  vers  la  paix  pour  cet  hiver.  Votre  retour  ici  doit 
être  marqué  ou  pour  conclure  cette  paix,  ou  pour  venir 
nous  aider  à  soutenir  une  guerre  malheureuse.  Vous  avez 
du  courage,  et  les  événements  ne  vous  font  pas  tant 
d'impression  qu'à  moi.  Votre  sort  est  assuré;  qu'avez- 
Tous  à  craindre  que  le  malheur  de  TÉtat,  et  à  désirer,, 
que  sa  conservation  et  celle  de  vos  amis?  Les  affaires  de 
Bome  seront  encore  très -bien  entre  vos  mains.  Nous 
agirons  dans  le  plus  grand  concert,  et.  Dieu  merci,  sans 
jalousie  de  métier.  Nous  assurerons  le  sort  de  notre  amie. 
Son  bonheur  et  sa  santé  dépendent  de  l'état  des  affaires. 
Je  ne  vous  en  dirai  pas  davantage.  Vous  creuserez  chaque 
considération,  et  vous  en  verrez  Tétendue  et  la  justesse. 

Adieu.  Je  vous  embrasse  comme  le  meilleur  ami  que 
j'aie  au  monde  et  comme  le  serviteur  qui  peut  être  le 
plus  utile  au  Roi.  Préparez  votre  retour  sans  donner 
d'alarmes  où  vous  êtes.  Quand  il  faudra  fondre  la  cloche, 
la  cour  de  Vienne  doit  voir  dans  cet  arrangement  la 
sûreté  de  l'alliance.  C'est  le  seul  moyen  de  la  rendre  iné- 
branlable. 

Ce  4  septembre  1758. 

Si  nos  affaires  maritimes  n'étaient  pas  désespérées  ;  si 
Tétat  où  elles  sont  n'annonçait  pas  la  perte  de  nos  co- 
lonies ;  si  la  disette  irrémédiable  de  l'argent  ne  nous  ôtait 
pas  les  ressources  pour  nous  défendre  ou  pour  nous  sou- 


266  LETTRES 

tenir  ;  si  toute  la  machine  du  gouvernement  n*avait  pas 
besoin  d'être  réparée  et  étayée,  je  me  livrerais  à  la  joie  et 
à  Tespërance  du  bon  état  où  se  trouvent  les  armées  de 
l'Impératrice  et  des  projets  combinés  du  maréchal  de 
Daun.  Mais  je  vous  en  avertis  très-sérieusement,  TÉtat 
est  perdu  si  nous  ne  faisons  pas  la  paix  cet  hiver;  nous 
allons  tomber  dans  le  désordre  et  la  confusion.  Il  fout  deux 
cents  millions  d'extraordinaire  pour  soutenir  nos  deux 
guerres  et  nos  subsides.  Toutes  les  parties  manquent  oa 
languissent  parce  qu'il  faut  les  alimenter  aux  dépens  des 
unes  et  des  autres.  Notre  armée  vit  et  vivra  à  Tauberge.  Il 
faudra  prendre  de  force  du  fourrage  chez  les  princes  de 
L'Empire.  Il  manque  cette  année  partout.  La  circulatioD 
est  totalement  interceptée;  il  n'entre  plus  d*argent  de 
l'étranger  y  et  il  en  sort  beaucoup. 

Tout  projet  de  papier  nous  donnerait  des  séditions  daos 
Paris.  La  nation  est  au  désespoir.  Quelque  succès  qu'ait 
l'Impératrice,  nous  avons  perdu  notre  procès,  puisque 
notre  marine  est  perdue,  et  que,  si  nous  voulons  soutenir 
la  guerre  maritime,  il  faut  renoncer  à  l'autre  totalement. 
La  marine  doit  cent  millions.  Il  n'y  a  plus  de  matelots 
dans  le  royaume.  Quel  est  le  conseil  d'un  roi  qui  a  des 
enfants,  qui  puisse  lui  proposer  de  sacrifier  toutes  ses 
colonies  à  jamais  et  tout  son  commerce  pour  des  avantages 
en  Flandre  qui  nous  donneraient  la  guerre  encore  dix  ans 
avant  que  de  pouvoir  être  réalisés?  Le  coup  est  manqué. 
Il  ne  faut  jamais  courir  après  son  argent.  Nous  n*avons 
point  d'armée,  nous  n'avons  point  de  généraux;  nous  en 
aurons  encore  moins  en  continuant  la  guerre,  parce  que 
cette  armée  manquera  de  tout,  qu'elle  fait  la  guerre  dans 
un  pays  détestable  par  lui-même  et  ruiné  des  deux  côtés. 
Le  théâtre  physique  de  la  guerre  ne  changera  pas.  Il  ne 
faut  pas  espérer  non  plus  que  notre  gloire  militaire  se 


DE   L*ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  267 

relève  sans  argent  et  sans  le  bien-être  des  troupes  et  des 
officiers.  Ainsi,  monsieur  le  duc,  nous  avons  averti  depuis 
un  an  que,  passé  cette  campagne,  nous  ne  pourrions  plus 
continuer  la  guerre.  La  cour  de  Vienne  espère  nous 
embarquer.  Nous  sommes  honnêtes  gens,  nous  ne  l'aban- 
donnerons pas  de  volonté  ;  mais  la  machine  de  l'alliance 
croulera  par  l'impuissance  de  la  soutenir.  . 

Les  alliés  se  démancheront  les  uns  après  les  autres,  dès 
que  nous  ne  pourrons  plus  les  soudoyer.  Veut-on  attendre 
que  cela  arrive  et  que  le  soulèvement  de  la  France  rompe 
avec  éclat  une  alliance  qui  pourra  se  soutenir  avec  hon- 
neur par  la  bonne  conduite  et  par  une  paix  qui  est  devenue 
nécessaire  à  toute  l'Europe?  Le  Roi  peut-il  sacrifier  à 
l'héroïsme  de  la  fidélité  un  royaume  qui  appartient  à  ses 
enfants  autant  qu'à  lui?  En  vérité,  il  faut  ne  voir  que  ses 
passions  et  ne  consulter  que  ses  espérances  pour  se  con- 
duire d'après  de  pareils  principes.  Je  croirais  être  cou- 
pable à  jamais  devant  Dieu  et  devant  les  hommes  si  je 
laissais  le  Roi  s'abîmer'  pour  toujours.  L'État,  vos  amis, 
tout  exige  que  nous  sortions  du  précipice  où  nous  descen- 
dons à  pas  de  géant.  Profitez-donc,  monsieur  le  duc,  de 
la  modération  que  vous  aperce\rez  dans  les  principes  de 
la  cour  de  Vienne,  pour  l'amener  à  une  paix  qui  est  forcée. 
Nous  ne  voulons  pas  contraindre  la  cour  de  Vienne  ;  mais 
Louisbourg  est  pris,  et  nous  ne  pouvons  plus  soutenir  la 
guerre  de  terre  et  de  mer.  Malgré  notre  état  violent,  nous 
ne  précipitons  rien  ;  mais  il  ne  faut  pas  nous  mettre  dans 
le  cas  de  l'impossibilité  absolue.  Faites  usage  de  ce  que 
j'ai  l'honneur  de  vous  confier,  non  pour  alarmer  trop  fort, 
mais  pour  faire  prendre  un  parti.  Je  vois  avec  douleur  que 
nous  ne  pouvons  rien  espérer  de  la  finance,  et  que  c'est, 
beaucoup  si  nous  évitons  de  ce  côté  la  culbute.  Mes  ta-  . 
bleaux,  depuis  un  an,  ne  varient  pas.  Ainsi,  on  ne  doit 


268  LETTRES 

pas  craindre  que  j'en  impose.  Il  faut  donc  songer  sérieuse- 
ment à  la  paix  pour  cet  hiver,  et,  si  rimpëratrice  veut 
continuer  la  guerre,  voir  avec  quels  moyens  nous  pour- 
rons ia  soutenir  sans  perdre  nous-mêmes  le  royaume  pour 
jamais.  La  désolation  de  nos  côtes  et  les  avanies  que  nous 
recevons  chez  nous  révoltent  la  nation.  Les  religionnaires 
rebâtissent  leurs  temples.  Si  notre  royaume  est  sans 
troupes,  que  ne  peut-il  pas  arriver?  Est-il  raisonnable  de 
s*exposer  à  tous  ces  dangers?  Si  nos  alliés  se  soucient  peu 
de  notre  perte,  ils  ne  sont  pas  nos  amis,  ils  seraient  même 
plus  cruels  que  nos  ennemis.  Prenez  l'Impératrice  du  côté 
de  l'honneur  et  du  sentiment.  Louisbourg  est  pris^  et 
quoique  la  victoire  de  M.  de  Montcalm*  paraisse  sauver 
le  Canada  pour  cette  campagne,  que  deviendra-t-il  la 
campagne  prochaine?  Il  ne  nous  reste  plus  de  matelots, 
comment  y  faire  passer  des  secours?  En  voilà  assez  sur 
ce  triste  article. 

Madame  de  Pompadour  est  bieti  assurée  sur  mon  cœur, 
et  je  le  suis  de  même  sur  sa  façon  de  penser.  Â  l'égard  de 
mon  chapeau,  il  doit  arriver  plus  promptement,  aujour- 
d'hui que  l'affaire  de  Venise  est  finie.  Le  Pape  m'a  écrit 
la  lettre  la  plus  honnête.. Si  le  roi  d'Espagne  abdiquait, 
ce  ne  serait  pas  le  cas  du  traité  d'Aix-la-Chapelle  tout 
à  fait,  puisque  le  cas  regarde  la  mort  de  ce  prince,  et 
non  son  abdication.  Le  papier  finit.  Vous  savez  combien 
je  vous  suis  attaché. 

Le  roi  de  Sardaigne  m'a  fait  témoigner  la  joie  qu'il 
avait  de  ma  promotion.  Ainsi  point  de  chicane  de  ce 
côté-là. 


»  27  juillet  1758. 

3  Le  8  juillet.  Affaire  du  fort  Carillon.  Voir  le  détail  dans  la  Gaxette, 
p.  406. 


DE  L'ABBE  COMTE  DE  BERNIS.  S69 

A  Madame  de  Pompadour, 

Ce  mardi  . .  .  septembre  *  1758. 

Voilà,  Madame,  une  grande  lettre  du  duc  de  Choiseul 
qu'il  faut  lire  avec  attention.  Il  ne  tient  qu'à  vous  qu'il  ait 
une  place.  Les  deux  conditions  qu'il  propose  sont  raison- 
nables. Il  est  juste  de  lui  laisser  F  espérance  de  la  troisième, 
et  les  circonstances  en  décideront.  Rien  nest  plus  néces^ 
saire  que  de  fixer  un  fonds  pour  les  affaires  étrangères, 
parce  que  rien  nest  si  sacré  que  l'exécution  des  traités.  Rien 
ne  sera  mieux  que  le  Roi  déclare  que  nous  travaillons  en- 
semble  et  que  cela  s'exécute  pendant  longtemps,  que  je  voie 
les  ambassadeurs,  et  cœtera,  parce  que,  moyennant  cela,  les 
cours  qui  ont  pris  confiance  en  moi  ne  craindront  rien  du 
changement  de  ministre.  Le  duc  de  Choiseul  a  gagné  M.  de 
Kaunitz,  à  ce  qu'il  me  mande,  et  le  gouvernera.  De  plus,  il 
mettra  ici  une  activité  dans  la  guerre  qui  n'y  est  pas,  il 
en  mettra  dans  la  marine  et  dans  la  finance,  et  certaine- 
ment nous  serons  toujours  d'accord.  Vous  me  ferez  vivre 
trente  ans  de  plus.  Je  mènerai  avec  mon  successeur  le 
clergé,  la  Sorbonne  et  le  Parlement;  je  travaillerai  de 
concert  avec  lui  sur  les  affaires  politiques;  je  ne  sécherai 
plus  sur  pied;  je  ne  manquerai  plus  de  parole,  et  j'aurai  la 
consolation  de  voir  le  Roi  plus  glorieux  qu'il  n'est,  parce 

1  Je  pense  que  cette  lettre  doit  être  du  niardi  iS  septem|>re*  Voici  les 
raisons  sur  lesquelles  je  me  fonde*  La  lettre  de  Choiseul  que  Bemis  com- 
munique à  madame  de  Pompadour  doit  être  cette  lettre  du  4  dont  il  est 
question  plus  bas  (lettre  du  16  septembre).  Cette  lettre  du  4  avait  été 
expédiée  par  un  courrier  qui  a  dû  arriver  le  iS  à  Paris.  Ce  courrier  était 
porteur,  outre  la  lettre  particulière,  des  dépêches  n^  88,  89  et  90,  en  date 
de  Vienne  le  4  et  le  5,  qui  furent  lues  au  conseil  du  13.  D'ailleurs,  le  pas- 
sage de  la  lettre  de  Bemis  à  Choiseul  du  16  :  «  J'ai  communiqué  votre 
lettre  à  madame  de  Pompadeur  • ,  est  concluant. 


270  LETTRES 

que  la  conduite  et  les  projets  militaires  seront  plus  fermes. 
On  ne  craindra  plus  ici  que  je  veuille  être  premier  mi- 
nistre par  ambition.  Vous  aurez  deux  amis  unis  auprès  de 
vous  et  Tami  intime  de  M.  de  Soubise.  Vous  ferez  le 
bonheur  des  trois,  et  le  Roi  en  sera  mieux  servi.  Je  vous 
demande  en  grâce  de  finir  cette  affeire  dont  la  guerre  et 
la  paix  dépendent.  Je  serai  cardinal  dans  ce  mois-ci.  Il 
faut  mettre  le  duc  de  Ghoiseul  à  portée  de  savoir  à  quoi 
8*en  tenir  plus  tdtque  plus  tard,  pour  qu'il  s'arrange  avec 
rimpératrice  et  son  ministre.  Croyez  que  lorsqu'ils  sauront 
qu'ils  auront  affaire  à  lui,  ils  seront  plus  flexibles .  En  on 
mot,  il  a  un  grand  avantage  sur  moi,  c'est  de  connaître  la 
cour  impériale,  et  c'est  elle  seule  qui  m'embarrasse.  Ma 
santé,  ma  vie  et  mon  repos  n'ont  aucune  part  au  parti 
que  je  propose.  Si  je  ne  le  croyais  le  meilleur,  je  n'en 
parlerais  pas.  Par  ce  moyen  le  Roi  aura  deux  hommes  an 
lieu  d'un  pour  diriger  les  affeires  politiques.  Je  ne  man- 
querai plus  de  parole;  la  paix  ne  se  fera  que  lorsqu'elle 
sera  nécessaire;  la  guerre  prendra  une  autre  couleur.  En 
un  mot,  je  vois  à  cela  une^  infinité  d'avantages.  Si  le  Roi 
s'y  refusait,  j'obéirais  ;  mais  je  vous  déclare  que  dès  cet 
instant  je  suis  livré  à  la  plus  noire  et  à  la  plus  affireose 
mélancolie,  parce  que  je  n'aurai  plus  l'espoir  de  voir 
changer  en  bien  nos  affaires.  Vous  pouvez  être  sftre  qœ 
je  tomberai  malade,  et  que  je  ne  serai  plus  en  ëtat  de  tra- 
vailler. Comptez  aflSrmativement  sur  ce  que  je  vous  dis. 
J'ai  la  tête  firappée  de  notre  état,  et  j'ai  besoin  du  secours 
du  duc  de  Ghoiseul  pour  nous  en  tirer. 

{Parafe.) 

Voilà  une  lettre  de  Monteil  qu'il  est  bon  que  vous  lisiez 
aussi. 


DE  L'ABBE   COMTE  DE   BERNIS.  271 

A  Monsieur  le  duc  de  ChoiseuL 

Ce  13  septembre  au  soir. 

M.  de  Brock',  colonel  de  Bourbon,  nous  apporte  l'heu- 
reuse nouvelle  que  M.  le  duc  d'Aiguillon  '  a  attaque  le  11 
les  Anglais,  auprès  de  Saint-Malo',  leur  a  tué  trois  mille 
hommes  et  fait  cinq  cents  prisonniers.  Enfin,  monsieur  le 
duc,  les  voilà  punis  de  leurs  vilains  incendies  et  pillages. 
Le  chevalier  de  Polignac  ^  a  été  dangereusement  blessé, 
ainsi  que  M.  de  la  Tour  d'Auvergne*.  Nous  avons  fait 
cinq  cents  prisonniers  et  beaucoup  d'officiers  de  distinc- 
tion. Il  y  a  eu  beaucoup  d'Anglais  noyés  et  de  chaloupes 
coulées  à  fond.  Nous  aurons  demain  plus  de  détails.  Je 

'  Micbel- Armand,  marqais  de  Broc,  lieutenant  au  rcgiment  du  Roi  en 
1722,  capitaine  en  1734,  colonel  du  régiment  d*  A  unis  en  1747,  dans  les 
grenadiers  de  France  en  1749,  puis  colonel  du  régiment  de  Bourbon  la 
même  année,  brigadier  le  15  octobre  1758  pour  sa  conduite  à  Taffaire 
de  Saint^Cast,  marécbal  de  camp  le  20  février  1761,  commandeur  de  Saint- 
Louis  le  1^  septembre  1764,  commandant  en  Bretagne,  puis  en  basse 
Alsace,  mort  le  4  avril  1772. 

^  Emmanuel- Armand  de  Vignerot  du  Plessis  de  Richelieu ,  duc  d'Ai- 
guillon, né  le  31  juillet  1720,  maréchal  de  camp  le  l^^"  janvier  1748,  com- 
mandant en  chef  en  Bretagne  en  1753,  lieutenant  général  le  1*'  mai  1758, 
ministre  des  affaires  étrangères  en  1771  et  de  la  guerre  en  1774,  disgracié 
en  juin  1774  et  exilé  en  1775  ;  il  mourut  le  1''  septembre  1788. 

3  A  Saint-Gast,  le  11  septembre  1755.  Voir  la  lettre  de  madame  de 
Pompadour  à  M.  d'Aiguillon  publiée  par  la  Correspondance  liuéraire  de 
septembre  1857  d'après  les  originaux  du  British  Muséum  et  republiée  par 
MM.  de  Concourt,  les  Maîtresses  de  Louis  XVy  t.  II,  p.  25  et  suiv. 

^  Louis-Denis- Auguste  de  Polignac,  chevalier  de  Malte,  prieur  de 
Nantua,  colonel  du  régiment  de  Brie,  brigadier  d'infanterie  le  15  octohre 
1758,  mort  en  1759. 

^  Nicolas-Jules  de  la  Tour  d'Apchier,  comte  de  la  Tour  d'Auvergne, 
fils  de  Jean- Maurice  et  de  Claude-Catherine  de  Sainctot ,  né  le  10  août 
1720,  chevalier  de  Malte  de  minorité  et  capitaine  dans  le  régiment  de  Bel- 
lefonds,  colonel  du  régiment  de  la  Tour  d'Auvergne  à  la  mort  de  son 
frère,  puis  colonel  dans  les  grenadiers  de  France,  et  replacé  colonel  du 
régiment  de  Boulonnais,  brigadier  en  1758,  maréchal  de  camp  en  1761, 
lieutenant  général  le  1«'  mars  1780.  Il  était  en  1790  gouverneur  de  Dax  e' 
lieutenant  général  en  Anjou. 


272  LETTRES 

profite  du  courrier  de  M.  de  Starhemberg;.  Vous  en  aurez 
un  de  moi  dans  trois  jours.  Dieu  veuille  conserver  ce  qui 
reste  de  Russes  et  protège  toujours  le  maréchal  de  Daun. 
Bonsoir,  monsieur  le  duc  ;  je  vais  me  coucher. 

Ce  16  septembre. 

Votre  lettre  du  4,  monsieur  le  duc,  est  conforme  à  tout 
ce  que  je  pense.  Si  nous  avions  un  gouvernement,  si  l'on 
voulait  se  résoudre  à  en  avoir  un,  malgré  l'état  afireux  où 
la   mauvaise  adnlinistration  a  réduit  toutes   les    parties 
principales  de  l'État,  je  serais  d'avisde  continuer  la  guerre, 
avec  l'espérance  d'en  bien  sortir.  Mais  nous  n'aurons  point 
de  gouvernement,  parce  qu'on   ne  veut  pas   de    centre 
d'unité,  d'autorité  et  d'influence  générale  sur  toutes  -les 
parties,  sans  lequel  le  gouvernement  n'existe  pas.   C'est 
cette  certitude  physique  qui  me  démontre  la  nécessité  de 
la  paix.    Soyez  sûr  que  l'argent  manquera,    et  que  nos 
armées  ne  feront  qu' (aliéner)  les  cœurs  de  1* Allemagne, 
que  se  dégoûter  elles-mêmes,  et  finiront  par  manquer  de 
tout.    Pendant   ce   temps -là ,    nos    colonies    tomberont 
l'une  après   l'autre.    Quoique,    par  les    avis    que   nous 
avons  de   Québec,  il  paraisse   certain   que  les  Anglais 
ont  menti  sur  l'époque  et  les  circonstances  de  la  prise 
de  Louisbourg,   on   ne  peut  douter  que  cette   place  ne 
soit  tombée   depuis  entre  les  joiains  des  Anglais,  parce 
qu'elle  est  mauvaise  et  ne  peut  être  secourue.  J'ai  com- 
muniqué votre  lettre  à  madame  de  Pompadour  ;  elle  n'in- 
cline pas  à  vous  (faire)  ministre  des  [affaires  étrangères. 
Elle  m'a  dit  de  dresser  un  mémoire  sur  cela  pour  le  mon- 
trer au  Roi.  Je  n'ai  pas  voulu  le  faire,  sentant  quelle  n'y 
était  pas  portée.  Mais  comme  je  pense  que  votre  présence 
ici  est  nécessaire  pour  parvenir  à  avoir  un  gouvernement, 


DE  L*ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  273 

et  que  votre  présence  sera  inutile  si  vous  n'avez  pas  un 
département  qui  nous  lie  l'un  à  l'autre  et  nous  donne  à 
tous  deux  les  moyens  d'avoir  la  supériorité  dans  le  conseil 
et  dans  l'administration,  je  vous  prie  de  laisser  là  toutes 
les  conditions  que  vous  proposez.  Ce  sont  des  choses  qu'il 
fout  foire  et  ne  pas  annoncer.  Le  salut  de  l'État  dépend 
que  vous  soyez  ici  pour  gouverner  notre  amie,  pour  la 
sauver  de  la  rage  de  Paris,  pour  rétablir  nos  affoires  sur 
un  ton  et  un  pied  que  je  n'ai  pu  réussir  à  foire  établir  par 
les  ombrages  que  d'un  côté  ma  franchise,  et  la  malice  de 
l'autre,  ont  trouvé  le  moyen  d'élever.  Au  reste,  ma  santé 
est  dans  un  si  mauvais  état  depuis  un  an  que  je  n'y  suf- 
firai pas  encore  trois  mois.  Arrangez-vous  sur  cela  ;  car , 
pour  moi,  j'ai  pris  mon  parti  de  m'en  retirer  tout  à  fait» 
si  je  n'ai  pas  au  moins  l'espérance  de  voir  les  choses 
changer. 

Mon  chapeau  arrivera  vraisemblablement  dans  ce  mois. 
On  a  cherché  à  me  nuire  auprès  du  Pape.  Les  ordres  de 
la  cour  de  Vienne  ne  sont  partis  que  le  27  août.  On  a  mis 
l'entrave  de  la  cour  de  Turin  qui  m'avait  déjà  fait  féliciter 
par  son  ambassadeur;  en  un  mot,  j'ai  éprouvé  toutes  les 
misères  de  ce  monde.  Si  mon  chapeau  traînait,  je  quitte- 
rais ma  place.  Il  ne  conviendrait  pas  qu'on  donnât  ce 
désagrément  au  ministre  du  Roi.  S'il  arrive,  je  la  quitterai 
de  même,  quand  je  n'aurai  plus  l'espérance  de  voir  la 
France  administrée.  Vous  seul  pouvez  soutenir  mon  cou- 
rage et  les  affaires.  Amenez  madame  de  P.  à  penser 
sur  cela  comme  nous.  Vous  en  viendrez  à  bout  en  em- 
ployant les  moyens  qui  sont  dans  vos  mains.  Ne  perdez 
pas  une  minute,  et,  en  attendant,  convertissez  l'Impéra- 
trice comme  vous  avez  commencé  à  convertir  M.  de  Kau- 
nitz  pour  la  paix.  (Fiez-vous  à  mon  bon  sens,)  elle  est 
nécessaire  et  indispensable.  La  volonté  de  l'Impératrice 
II.  18 


Vtk  LETTRES 

n'y  met  pas,  j*en  conviens,  le  seul  obstacle,  naais  c*esi 
plus  grand  de  tous.  Malgré  les  relations,  j^  ne  TÔis  ] 
clair  dans  TafEaire  des  Russes  '.  Mais  je  Tois  dairem 
que  M.  de  Daun  ne  sera  pas  maître  de  la  Saxe  dans  o 
campagne.  Je  vous  avertis  que  les  Hollandais  8*arrang 
avec  rAngleterre,  et  que  celle-ci,  en  leur  rendant  1 
vaisseaux  et  les  associant  à  leurs  gains  illicites,  trouver 
les  moyens  de  les  mettre  contre  nous.  La  Porte  < 
effirayer  les  deux  impératrices,  et  nous  devons  pren 
garde  au  roi  de  Sardaigne.  Voilà  ce  que  la  raison  di< 
Quand  on  ne  peut  plus  faire  la  guerre,  quand  surtout 
ne  sait  pas  la  faire,  il  faut  s'arranger. 

Adieu,  monsieur  le  duc;  vous  voyez  bien  que  je  sa 
vous  entièrement. 

Adresse   :  A  Monsieur^   Monsieur  le  duc   de   Ctioisi 
ambassadeur  du  Roi  à  Vienne.  Bernis. 

A  Madame  de  Pompadour. 

Ce  19. 
Je  vous  avertis ,  Madame ,  et  je  vous  prie  d*aTertir 
Roi  que  je  ne  puis  plus  lui  répondre  de  mon  travail.  J 
la  tête  perpétuellement  ébranlée  ou  obscurcie.  Il  v  a 
an  que  je  souffre  le  martyre.  Si  le  Roi  veut  me  conserve 
il  faut  qu'il  me  soulage.  Je  n'ai  point  fait  le  mémoire  q 
vous  m'aviez  demandé  sur  M.  de  Stainville  '^  Je  ne  ve 
pas  proposer  une  chose  qui  ne  vous  plait  pas.  Je  vo 
dé6e  cependant  de  faire  occuper  ma  place ,  dans  les  d 
constances  où  nous  sommes,  par  un  autre  que  par  lui. 
est  le  seul  instruit  de  la  totalité  du  système ,  et  il  a  la  ce 

'   Bauille  de  Zorndorff,  lÎTrée  les  25  et  26  août.    Gusette  da  23  ic 
reml^re,  p.  45fi. 

3  Voir  la  lettre  de  Bernis  à  Choiseul  da  16  septembre. 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  275 

fiance  de  la  cour  de  Vienne.  Cette  cour-là  et  celle  de  Rome 
sont  les  seules  aujourd'hui  où  nous  ayons  des  affiaires  épi- 
neuses. Ainsi,  supposez  que  je  sois  mort,  et  il  ne  s'en  faut 
guère,  je  vous  défie  de  me  trouver  un  autre  successeur 
que  M.  de  Stainville,  tant  que  la  paix  ne  sera  pas  faite. 
Voilà  mon  sentiment;  si  ce  n'est  pas  celui  du  Roi ,  il  faut 
chercher  promptement  un  autre  sujet  avec  qui  je  puisse 
me  concerter.  Si  je  puis  respirer  quelque  temps,  ma  santé 
se  rétabUra;  mais  elle  est  affreuse  aujourd'hui.  J'ai  passé 
la  nuit  à  me  trouver  mal.  Je  ne  dors  plus.  J'ai  l'esprit  trop 
juste,  Madame,  et  j'ai  l'âme  trop  sensible  pour  résistera 
l'idée  de  notre  situation  présente  et  à  venir.  Il  est  vrai 
que  l'état  de  mes  nerfs  ajoute  beaucoup  à  ma  sensibilité 
naturelle.  En  un  mot,  je  ne  réponds  plus  de  mon  travail, 
si  le  Roi  n'a  la  bonté  de  me  permettre  de  me  soulager 
promptement.  Je  ne  veux  pas  attendre  à  l'extrémité  pour 
avertir  de  l'état  où  je  suis. 

Le  Turc  parait  se  disposer  sérieusement  à  la  guerre '. 
Jugez  du  risque  que  courent  les  deux  impératrices  !  Mais 
ce  n'est  pas  tout  cela  qui  m'épouvante;  c'est  notre  état. 
Point  d'argent,  point  de  marine,  point  de  généraux,  et 
point  de  remède  à  tant  de  maux. 

La  médecine  du  comité  est  trop  lente ,  elle  ne  guérira 
rien.  Enfin,  ^Madame,  je  n'ai  rien  à  me  reprocher.  J'ai 
toujours  dit  la  vérité,  j'ai  annoncé  d'âvance  les  malheurs. 
Ma  partie  est  la  seule  qui  se  soutienne^^ncore,  mais  je 
n'ai  plus  la  force  de  la  maintenir.  J'en  avertis  et  j'indique 
le  seul  homme  qui  puisse  en  supporter  le  ^oids.  C'est  à 
vous  à  voir  avec  le  Roi  qui  peut  me  remplacer.  Je  n'aurais 

^  Bemis  fait  peut-être  allusion  aux  intrigues  d*un  Prussien  nommé  Hexin, 
envoyé  à  6on8t«nti|iople  par  FrédéHc  en  févner  1757,  et  qui  parvint  plus 
tard  h  faire  sigper  à  la  '^Porte.  qq  traité  de  commerce  et  d*amitié  avec  la 
Prusse,  en  daté  du  89  miàrs  1761.  Voir  Hammbr,  Histoire  de  t Empire 
ottoman  y  t.  XVI,  p.  11  et  67. 

18. 


276  LETTRES 

pas  la  faiblesse ,  pour  conserver  ma  place ,  de  risquer  de 
m'y  déshonorer  et  de  gâter  les  aRaires  du  Roi.  Il  me  but 
un  peu  de  repos  et  moins  d'inquiétude  dans  Tesprit.  Quand 
je  ne  serai  pas  chargé  de  faire  la  paix ,  mon  esprit  se  tran- 
quillisera. Je  crois  que  le  Roi  ni  vous  ne  me  soupçonne- 
rez pas  de  chercher  un  prétexte  pour  me  débarrasser  des 
affaires.  Je  dois  trop  au  Roi  pour  ne  pas  lui  sacrifier  ma 
vie;  mais  je  ne  sacrifierai  jamais  ses  affaires.  Au  reste,  si 
le  Roi  me  soupçonnait  quelque  vue  cachée ,  et  qu'il  crût 
qu'étant  cardinal,  je  veux  me  reposer,  je  vous  prie  de  m'en 
avertir.  J'enverrai  un  courrier  à  Rome  sur-le-champ  pour 
arrêter  le  chapeau ,  ou  je  promets  au  Roi  de  ne  pas  l'ac- 
cepter. Ce  n'est  ni  paresse,  ni  ambition;  c*est  vérité  et 
probité. 

Monsieur  le  duc  de  ChoiseuL 

Ce  23  septembre. 

J'ai  reçu  ce  matin  une  estafette  de  M.  de  Montazet  qui 
nous  ôte  toute  espérance  de  la  délivrance  de  la  Saxe,  et, 
par  conséquent,  de  réduire  le  roi  de  Prusse  autrement  que 
par  l'épuisement,  chose  difficile  et  de  longueur  à  laquelle 
nos  facultés  ne  sauraient  atteindre.  L'objet  de  la  guerre  a 
changé  depuis  que  le  roi  de  Prusse  a  acquis  la  supério- 
rité, et  que  nos  affaires  de  marine  sont  en   décadence. 
Kous  ne  faisons  plus  la  guerre  que  parce  qu'elle  est  com- 
mencée; l'espérance  de  réaliser  nos  traités   ne  subsiste 
plus.  Dieu  sait  comment  finira  la   carapace  eo  Saxe, 
comment  les  armées  impériales  repasseront  les  montagnes. 
Où  et  comment  établirons-nous  nos  quartiers    d'hÎTer? 
Dans  tous  les  cas,  il  faudra  recommencer  la  campa{jne 
prochaine  sans  argent,  sans  recrues  suffisantes,  au  moins 
de  notre  part,  et  sans  généraux.  On  ne  peut  supposer  daos 


DE   L'ABBÉ   COMTE  DE  BERNIS.  Î77 

la  campagne  prochaine  d'autres  éve'nements  que   dans 
celle-ci  ;  mais  il  est  certain  que  nous  perdrons  le  Canada 
et  peut-être  d'autres  colonies,  et  que,  la  guerre  se  prolon- 
geant, nous  achèverons  de  perdre  le  reste  de  nos  établis- 
sements et  de  ruiner  le  royaume.  De  bonne  foi ,  peut-on , 
sans  une  imbécillité  manifeste ,  continuer  une  guerre  avec 
de  pareilles  certitudes,  uniquement  parce  qu'elle  est  com- 
mencée, et  la  fidélité  aux  engagements  doit-elle  mener 
jusqu'à  la  destruction  totale  du  royaume?  Je  ne  suppose 
pas  à  la  cour  de  Vienne  des  sentiments  si  peu  équitables; 
mais  il  peut  arriver  que,   songeant  plus  a  ses  intérêts 
qu'aux  nôtres,  elle  profite  de  notre  probité  pour  tirer  de 
nous  les  secours  tels  quels  que  nous  lui  accorderons  et 
les  diversions  que  nous  pourrons  faire  en  sa  faveur,  pour 
traîner  la  guerre  en   longueur.  Cette  façon  de  penser, 
moins  barbare  que  l'autre,  mais  tout  aussi  dangereuse 
pour  nous ,  est  fort  à  craindre ,  et  nous  ne  devons  pas  en 
être  la  victime  (en  supposant  cependant  qu'elle  existe). 
Revenons  à  ce  qui  a  été  dit  sur  la  fin  de  l'hiver.  Le  Roi  a 
promis  encore  cette  campagne.   On  insiste  actuellement 
sur  la  campagne  prochaine,  et  on  nous  leurre  de  la  mé- 
diation de  r£spagnc,  qui  n'aura  aucun  effet,  soit  par  la 
mauvaise  volonté  du  ministère  espagnol,  soit  par  l'anar- 
chie où  ce  royaume  va  tomber  par  l'hypocondrie  du  roi 
d'Espagne.  Le  temps  s'écoulera,  et  nous  toucherons  au 
printemps.  Alors  on  criera  toUe  si  nous  n'agissons  pas.  Il 
est  donc  temp6  de  rompre  la  glace  et  de  savoir  précisé- 
ment si  l'Impératrice  veut  faire  la  paix  ou  non,  ou  com- 
ment elle  prétend  que  nous  soutenions  la  guerre ,  au  risque 
de  nous  abîmer  à  jamais.  Si  elle  veut  continuer  la  guerre, 
voyons  comment  nous  pouvons  l'assister  sans  abandonner 
totalement  notre  marine,  ou  sans  nous  exposer  à  une  ban- 
queroute générale  et  à  la  cessation  de  tous  les  services, 


278  LETTRES 

car  je  vous  prédis  que  cela  arrivera,  et  mes  prédictions 
ne  sont  malheureusement  que  trop  sûres.  Je  vous  Tai  sou- 
vent dit,  je  ne  vois  pour  nous  qu'un  parti  à  prendre: 
c*est  de  nous  en  tenir  au  traité  définitif,  ou  de  retrandier 
les  subsides  en  donnant  des  troupes,  car  nous  ne  pouvons 
pas  faire  l'un  et  l'autre.  D'ailleurs,  vous  sentez  bien  que, 
lorsque  nous  renoncerons  aux  Pays-Bas,  et  que  nous 
n'aurons  dans  cette  guerre  que  la  certitude  de  nous  miner 
en  nous  déshonorant,  le  marché  est  trop  mauvais,  et  que 
la  paix  est  nécessaire.  Je  sais  que  la  cour  de  Vienne 
croira  que,  déshonorés  comme  nous  le  sommes»  nous  de- 
vons être  dans  sa  dépendance  ;  mais  c'est  ce  qu'il  ne  finit 
pas  souffrir.  Malgré  notre  déshonneur,  nous  avons  armé 
pour  elle  toute  l'Europe  par  nos  négociations  et  notre  ' 
argent;  qu'elle  fasse  comparaison  de  nous  avec  ses  anciens 
alliés,  les  Anglais;  qu'elle  compare  notre  docilité,  et  notre 
générosité,  et  notre  bonne  foi,  avec  les  vices  contraires. 
Il  sera  toujours  de  son  intérêt  de  nous  conserver;  car, 
tout  piètres  que  nous  sommes,  nous  trouverions  aisément 
à  faire  une  autre  partie.  En  faisant  la  paix  et  en  restant 
tous  unis ,  nous  serons  encore  bien  respectables.  Notre 
querelle  avec  l'Angleterre  s'accommodera  avec  des  sacri- 
fices plus  ou  moins  grands,  ou,  si  elle  ne  peut  s'accom- 
moder, nous  nous  défendrons  avec  toutes  nos  ressources. 
Vous  me  direz  :  Gomment  faire  la  paix?  En  faisant  res- 
tituer la  Saxe,  et  en  perdant  Fidée  de  partager  la  peau 
d'un  ours  qui  sait  mieux  se  défendre,  qu'on  n'a  su  Tatta- 
quer.  La  fin  de  campagne  de  M.  de  Daun ,  qni  a  totale- 
ment manqué  son  objet,  est  un  bon  texte  à  commenter. 
Au  reste,  dès  que  l'objet  principal  de  la  campagne  est 
manqué  de  la  part  des  Autrichiens,  le  droit  du  jeu  est  de 
ne  rien  risquer ,  et  de  prendre  de  telles  mesures  que  le  roi 
de  Prusse  ne  soit  pas  le  maître  de  renforcer  le  prince  Fer- 


DE  L'ABBÉ  COMTE  DE  BEKNIS.  «79 

dinand  et  de  le  mettre  en  état  de  nous  faire  la  guerre  tout 
l'hiver.  Il  faut  tourner  toutes  ses  vues  du  côte  de  la  paix , 
du  côté  de  la  conservation  de  ses  forces,  et  par  conséquent 
de  la  défensive.  Avant  de  fondre  la  cloche  avec  la  cour  de 
Vienne,  il  faut ^  monsieur  le  duc,  que  vous  fassiez  votre 
plan,  que  vous  nous  le  communiquiez  promptement,  afin 
quon  vous  envoie  la  résolution  finale  du  Roi,  qui  écrira^ 
s'il  le  faut,  à  t  Impératrice. 

Je  crois  que  la  Porte  doit  faire  autant  d'impression  à  la 
cour  de  Vienne  qu'à  nous  la  Hollande.  Ces  deux  côtés-là 
me  troublent  et  m'inquiètent.  Vous  verrez  ce  que  j'écris  à 
M.  de  Vergennes  *.  Au  reste,  je  vous  dirai  qu'on  ne  peut 
mettre  plus  de  roideur  qu'en  met  M.  de  Gobentzel  ^  dans 
tous  les  arrangements  qui  pourraient  nous  donner  de 
l'aisance.  On  nous  regarde  à  Vienne  comme  des  banquiers 
ruinés  dont  il .  faut  tirer  le  dernier  écu  avant  la  banque- 
route. Il  serait  trop  cruel  de  soupçonner  que,  lorsque  nous 
en  serons  réduits  là,. on  voulût  nous  tourner  le  dos  et  se 
lier  avec  nos  ennemis.  Je  chasse  cette  mauvaise  pensée 
quand  elle  me  vient.  Mais  je  ne  puis  empêcher  qu'elle  ne 
vienne  et  revienne.  Au  bout  du  compte ,  nous  voulions 
faire  la  paix  l'hiver  passé.  Le  Roi  a  eu  la  complaisance 
de  céder  au  vœu  de  l'impératrice  pour  cette  campagne. 
Elle  n'a  produit  qu'un  plus  grand  épuisement  et  la  perte 
de  Louisbourg,  avec  la  certitude  de  perdre  bientôt  le  reste 

1  Charles  Gravier,  comte  de  Vergennes,  baron  de  Velferding,  d*l7clion 
et  de  Saint-Eugène,  né  à  Dijon  le  28  décembre  1717,  attaché  à  Tamba»- 
sade  de  M.  de  Chavigny  en  Portugal,  le  suit  en  1743  auprès  de  Tempereor 
Cbarles  VII,  retourne  arec  lui  en  Portugal  en  octobre  1746,  est  succes- 
sîyement  ministre  à  Trêves,  à  Hanovre  et  à  Constantinople  (1755),  ambas- 
sadeur au  même  poste  jusqu'en  1769,  puis  à  Stockholm  (1771),  est  ministre 
des  affaires  étrangères  en  1774  et  meurt  le  13  février  1787. 

^  Charles-Joseph-Philippe,  comte  de  Gobentzel,  né  le  %i  juillet  1712, 
chevalier  de  la  Toison  d*or  et  grand-croix  de  Saint-Etienne ,  conseiller  de 
cour  de  Tlmpératrice,  puis  ministre  dans  les  Pays-Bas  autrichiens,  mort  à 
Bruxelles  le  27  janvier  1770. 


280  LETTRES 

de  nos  établissements.  Nous  avons  tremblé,  cette  année, 
pour  toutes  les  provinces  maritimes  du  royaume.  Plusieurs 
ont  souffert  de  très-grandes  pertes.  Nous  avons  besoin. 
Tannée  prochaine,  de  plus  de  troupes  pour  nous  défendre 
dans  le^royaume  ;  on  ne  saurait  nous  les  refuser  sans  injus- 
tice et  inhumanité  ;  mais  voilà  un  afiaiblissement  à  nos 
forces  d' Allemag[ne,  et  par  conséquent  une  raison  de  plus 
de  ne  rien  attendre  de  la  campag[ne  prochaine.  D'ailleurs, 
nous  pourrions  peut-être  sauver  nos  colonies  d'une  ma- 
nière et  par  une  entreprise  plus  éclatante,  et  nous  sommes 
dans  le  cas  de  le  risquer.  Je  vous  entasse  toutes  mes  idées, 
et  je  vous  les  donne  à  digérer  pour  en  faire  un  cbyk 
convenable  aux  estomacs  autrichiens.  Renonçons  aoi 
grandes  aventures,  monsieur  le  duc;  notre  gouvernemeot 
n'est  pas  Fait  pour  cèta.  Il  ne  changera  pas,  puisqu'on  ne 
veut  pas  m'associer  a  vous  dans  ce  pays*  C'était  là  et  c'est 
encore  la  seule  ressource.  Employez-y  toute  votre  indus- 
trie par  vous  et  par  vos  amis;  pour  moi,  je  n'y  puis  rien. 
J'ai  été  malade  à  mourir  l'autre  jour.  Je  crève  de  honte  et 
de  désespoir,  mais  je  vous  réponds  qu'on  est  ici  fbrt  tran- 
quille et  qu'on  me  croit  la  tète  malade  quand  je  vois  noir^ 
Sauvons  l'État  et  renonçons  pour  jamais  au  projet  de  rien 
faire  de  grand  ni  d'honorable;  ce  sera-  bien  assez  de 
conserver  son  existence,  et  cela  nous  suffira  ;  je  vous  avoue 
que  je  n'étais  pas  né  pour  vivre  dans  ce  siècle,  et  que  je 
n'aurais  jamais  cru  tout  ce  que  je  vois.  Votre  présen'ceici 
pourrait  remettre  toutes  choses,  si  en  nous  concertant 
nous  pouvions  faire  prendre  certains  partis.  Je  les  ai  tous 
proposés,  mais  je  n'ai  pas  le  crédit  de  les  faire  accepter, 
ou  plutôt  exécuter.  Le  Pape  a  retardé  le  consistoire  ju^ 
qu'au  2  octobre.  Vous  pouvez  compter  que  j'ai  essuyé 
toutes  les  platitudes  et  toutes  les  petites  tracasseries  du 
monde.  Avec  le  concours  de  toutes  les  puissances  catho- 


DE  L'ABBE   COMTE  DE  BERNIS.  281 

liqueSy  on  me  fait  danser  sur  la  couverture,  comme  si  je 
n'étais  pas  le  ministre  du  Roi.  Cela  ne  m'affecte  qu'en 
platitudes  ;  car  je  ne  suis  pas  assez  heureux  pour  être 
inquiet  ou  affecte  de  ce  qui  ne  regarde  que  ma  fortune. 
La  plus  froide  indifférence  a  glacé  en  moi  toute  idée 
d'ambition.  Je  n'aspire  qu'après  la  paix  pour  avoir  mon 
congé  honnêtement.  Abbé  à  simple  tonsure  ou  cardinal , 
tout  cela  m'est  fort  égal.  Je  voudrais  rétablir  ma  santé 
qui  est  détruite,  et  aller  vivre  dans  un  autre  pays  que  le 
mien  y  parce  que  je  ne  saurais  digérer  la  honte  où  il  est 
plongé.  Voilà  mon  àme  tout  entière.  Madame  de  Pom- 
padour  me  dit  quelquefois  de  me  dissiper  et  de  ne  pas 
faire  de  noir.  C'est  comme  si  l'on  disait  à  un  homme  qui 
a  la  fièvre  ardente  de  n'avoir  pas  soif.  Venez  ici,  si  vous 
pouvez.  Si  vous  ne  pouvez  pas  ou  ne  voulez  pas  y  venir, 
faites  la  paix  au  plus  tôt,  ou  du  moins  mettez^nous  dans  le 
cas  de  ne  pas  nous  ruiner  de  fond  en  comble.  Il  vaut  mieux 
conserver  le  royaume  que  de  courir  après  le  leurre  des 
Pays-Bas.  Je  crois  que  vous  vous  rapprochez  de  ma 
façon  de  penser  depuis  le  parti  faible  et  indécis  du  maréchal 
Daun.  Vous  nous  avez  déterminés  à  cette  campagne  par  vos 
raisons;  rendez- vous  à  la  nécessité  qui  nous  accable,  et 
prenez  fortement  la  résolution  d'en  convaincre  l'Impé- 
ratrice. Je  vous  embrasse,  monsieur  le  duc,  avec  l'amitié 
la  plus  tendre  et  la  plus  sincère. 

J'ai  converti  l'Infante  sur  la  paix,  elle  en  sent  la 
nécessité.  Si  le  Roi  son  père  est  ruiné,  que  deviendra*t-elle? 
En  un  mot,  monsieur  le  duc,  rien  n'est  plus  désirable 
que  nous  traitions  la -paix  de  concert  avec  la  cour  de 
Vienne.  Mais  il  ne  faut  pas  qu'elle  nous  embarque 
plus  loin  que  nous  ne  pouvons  aller,  et  comme  pour 
faire  la  paix  il  faut  avoir  en  évidence  des  armées  pouf 
soutenir  la  guerre,   il  faut  que   les  subsides  soient  di-^ 


têt  LETTRES 

minuës  et  réduits  à  ce  qne  nos  facultés  nous  permettent. 
A  l'égard  des  arrérages,  on  pourra  convenir  d'un  sidbside 
annuel  pour  en  acquitter  le  fond.  Mais  renonçons  au  traité 
secret,  qui  est  un  lien  incommode  et  dangereax,  ettetton^ 
nous-en  au  traité  défensif,  en  y  ajoutant  ce  que  Tamidé 
généreuse  peut  y  ajouter.  Je  serais  d'avis  de  donner  de 
l'argent  plutôt  que  24,000  hommes.  En  traitant  de 
concert  avec  la  cour  de  Vienne,  notre  partie  demeurera 
liée  ;  sans  quoi  il  faudra  négocier  avec  chaque  allié,  et  la 
cour  de  Vienne  et  la  nôtre  ne  leur  tiendront  pas  le  même 
langage.  Gela  fera  une  bigarrure  et  mènera  nécessaire- 
ment à  des  aigreurs  et  à  des  tracasseries.  Faites  sur  tout 
cela  votre  plan,  pour  nous  le  communiquer,  et,  en 
attendant,  poussez  les  esprits  à  la  paix  avec  adresse,  pru^ 
dence  et  fermeté. 

L'Infante  vous  foit  mille  compliments'. 

A  Madame  de  Pompadour, 

Ce  26  au  soir. 

Je  n'ai  pu  avoir  l'honneur.  Madame,  de  vous  écrire  ce 
matin,  en  vous  envoyant  la  lettre  du  duc  de  Ghoiseul  qui 
est  arrivée  par  estafette  jusqu'à  Strasbourg  ;  sa  dépêche 
est  en  chiffre.  Il  me  parait  fort  mécontent.  Il  a  raison. 
Je  ne  puis  vous  mander  de  détails  parce  que  sa  lettre  est 
chiffrée.  Dieu  veuille  que  M.  de  Daun  conserve  au  moins 
son  armée. 

Ma  santé  est  plus  mauvaise  que  jamais.  J'ai  eu  une 
colique  d'estomac  qui  m'a  duré  dix  heures.  Les  étourdis- 
sements  deviennent  plus  forts.  Il  n'est  pas  possible  que 
je  résiste  à  l'insomnie,  aux  douleurs,  au  travail  forcé  et 
<!ontinuel,  et  aux  plus  vives  inquiétudes  pour  l'avenir.  S'il 
n'était  question  que  de  ma  vie,  on  pourrait  s'en  jouer  ; 


DE  L*ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  283 

mais  les  affaires  sont  et  seront  trop  dépendantes  de  mon 
*  travail  pour  qu'il  me  soit  permis  de  laisser  ignorer  au  Roi 
mon  état.  Je  suis  désolé  de  vous  désoler;  mais -vous  ne  me 
pardonneriez  jamais  de  vous  avoir  trompée  et  d'avoir  man- 
qué au  Roi,  et  vous  auriez  raison.  En  attendant  toujours 
la  Borde  ',  on  ne  finit  rien  pour  MontmarteK  II  demande 
à  cor  et  à  cri  d'être  débarrassé  de  la  guerre  ;  croyez  qu'elle 
est  au-dessus  des*  forces  du  royaume»  Tous  les  revenus <lu 
Roi  ne  payeront  pas  les  fourrages  qu'il  faudra  pour  la 
nourrir  cet  hiver,  et  cent  millions  ne  rétabliront  pas  la 
marine.  Une  meilleure  administpftion  est  le  seul  remède  à 
tous  les  maux  de  l'État.  La  pajpL.^t. nécessaire,  quelque 
difficile  qu'elle  soit.  Je  fais  l'impossible  pour  y  amener  nos 
alliés.  Il  aurait  fallu  des  succès  pour  y  forcer  nos  enne- 
mis; mais  devons-nous  en  espérer?  Nous  aurons  toujours 
les  mêmes  généraux,  et  le  roi  de  Prusse  en  saura  toujours 
plus  que  nous  en  fait  de  guerre.  Voilà  sur  quoi  il  faut 
tabler.  Lorsqu'on  n'a  plus  d'espérance  raisonnable,  il  faut 
bien  prendre  des  partis  décidés  (quelque  fâcheux  qu'ils 
soient),  pour  éviter  de  plus  grands  malheurs.  Souvenez- 
vous  qu'il  est  impossible  que  ce  soit  n)oi  qui  sois  chargé  de 
rompre  les  traités  que  j'ai  foits.  Ainsi  préparez-vous  d'a- 
vance à  choisir  quelqu'un  qui  puisse  dissoudre  des  enga- 
gements que  nous  ne  pouvons  plus  remplir.  Je  l'aiderai 
de  tous  mes  moyens,  et  j'aurai  la  tête  plus  libre  dès  que  je 
cesserai  de  manquer  à  ma  parole.  Ce  sont  ces  manque^ 
ments  qui   me  déchirent   l'âme.    On   ne   peut  avoir   de 

1  Jean-Joseph,  marquis  de  la  Borde,  père  et  grand-père  d'hommes  qui 
ont  joué  un  rôle  honorable  dans  notre  histoire  contemporaine ,  était  né  à 
Jacca  (Aragon),  en  1724;  fut  d*abord  à  Bayonne  chef  d*  une  grande  maison 
de  commerce,  puis  secrétaire  du  Boi  et  banquier  de  la  cour.  Il  fut  {guil- 
lotiné le  29  germinal  an  II.  Ce  ne  fut  que  le  4  février  1759  que  M.  de  la 
Borde  fut  nommé  banquier  de  la  cour.  La  lettre  qui  lui  fut  adressée  k  cette 
occasion  se  trouve  en  minute.  Arch,  des  aff,  étr,,  France,  série  brune, 
no  611. 


284  LETTRES 

rhonneur  et  jouer  le  rôle  que  je  joue  tous  les  mardis  ▼is-à-vis 
desministres  étrangers  !  V affaire  du  Danemark  est  affreuse. 
Je  voudrais  bien  savoir  si  jamais  ministre  des  affaires 
étrangères  s'est  trouvé  dans  la  situation  où  je  me  trouve. 
Le  système  politique  du  Roi  s'est  soutenu  jusqu'à  présent 
par  mes  soins.  Mu  partie  est  la  seule  qui  ne  soit  pas  en- 
core déshonorée;  mais  elle  va  Tétre.  Il  est  tout  simple 
qu'avec  de  l'honneur  et  de  l'amour-propre  pour  la  réputa- 
tion démon  maître,  je  sèche  sur  pied.  On  ne  résiste  pas 
toujours  à  une  situation  aussi  violente  que  la  mienne. 
Aussi  je  vous  déclare  (avec  la  vérité  que  je  vous  dois} 
que  je  nen  puis  plus,  au  pied  de  la  lettre.  Je  vois  bien  qoe 
tout  le  monde  ne  vous  parle  pas  un  langage  si  franc  qiia 
moi,  et  qu'on  vous  donne  des  espérances.  Mais  moi  qui 
ne  suis  point  courtisan,  qui  vous  aime  de  tout  mon  cœnr, 
et  qui  vois  ce  qui  est  près  d'arriver,  j'ai  le  courage  de 
vous  le  dire,  parce  que  je  le  dois  par  probité,  par  attache- 
ment et  par  reconnaissance. 

Malgré  mes  souffrances,  fai  vu  le  clergé  sage  et  le  clergé 
fou;  j'ai  encouragé  l'un  et  l'autre.  J'espère  que  rAssemblét 
se  passera  sans  éclat.  Demain  je  verrai  les  robes  noires  pour 
les  rassurer  sur  ce  qui  se  passera  à  l'Assemblée ,  Jusqu'au 
tombeau  je  servirai  le  Roi  et  l'État  ;  mais  qu'on  me  sauve 
du  déshonneur,  si  l'on  veut  conserver  ma  tète  et  ma  vie. 

Ce  29. 

J'ai  passé  une  meilleure  nuit,  Madame,  sans  fièvre  et 
avec  moins  de  douleur  au  creux  de  l'estomac,  où  est  le 
siège  de  mon  mal.  J'aurais  besoin  de  travailler  sérieuse- 
ment à  ma  santé,  et  cela  est  impossible  au  métier  que  je 
fais.  Soyez  sûre  cjue  je  n'y  résisterai  pas  longtemps  encore, 
et  comme  on  n'aura  pris  aucune  précaution  pour  me 
suppléer,  ou  se  trouvera  dans  le  plus  grand  embarras.  On 


DE  L'ABBE   COMTE  DE  BERNIS.  Î85 

ne  peut  pas  m'accuser  de  n'être  pas  assez  attache  au  Roi, 
ni  à  ses  affaires.  C'est  parce  que  j'y  suis  trop  sensible  que 
ma  santé  est  détruite.  Croyez,  Madame,  que  ce  que  je 
vous  ai  proposé  est  le  seul  moyen  de  me  conserver  au  Roi 
et  de  faire  prendre  un  tour  heureux  à  ses  affaires.  Je  n'ai 
plus  assez  de  force  pour  lutter  contre  les  événements.  Je 
vous  en  avertis,  ma  tête  est  malade.  Avec  du  repos  et  Cespé- 
.  rancede  ne  pas  me  déshonorer,  je  me  rétablirai;  sans  cela  je 
tomberai  dans  un  état  oîi  il  ne  me  sera  plus  possible  de  faire 
aucun  travail.  Soit  par  amitié  pour  moi,  soit  pour  le  bien 
de  la  chose,  ayez  la  bonté  de  vous  déterminer  à  parler  au 
Roi,  lorsqu'il  sera  question  des  arrangements:  la  chose 
sera  bien  aisée.  On  ne  peut  pas  vivre  sans  manger  ni  dor- 
mir. Ma  bile  est  mêlée  avec  mon  sang,  lequel  se  porte  à 
la  tète.  Je  ne  vois  devant  moi  qu'un  avenir  affreux,  parcie 
qu'il  faudra  rompre  tous  les  traités  que  j'ai  faits.  Le  duc 
de  Ghoiseul  est  le  seul  qui  puisse  soutenir  le  système  du 
Roi,  ou  le  dénouer.  Il  est  instruit  de  tout.  Il  connaît  la 
cour  de  Vienne,  et,  au  bout  du  compte,  ce  n'est  pas  lui 
qui  a  fait  les  traités.  Il  vous  donnera  des  expédients  ;  il 
n'ira  pas  trop  vite,  puisque  nous  travaillerons  ensemble. 
Dès  que  j'aurai  un  peu  plus  de  repos  et  la  certitude  de  ne 
pas  manquer  à  ma  parole,  ma  santé  se  rétablira  ;  sans  cela 
vous  pouvez  me  tenir  pour  mort,  ou  pour  incapable  de 
travail. 

Je  vous  prie  d'envoyer  au  Roi  cette  lettre  de  l'évêque 
d'Orléans.  Je  me  reposerai  encore  aujourd'hui  pour  es- 
sayer de  faire  couler  un  peu  ma  bile. 

Il  est  extraordii^ire  que  nous  n'ayons  pas  de  nouvelles 
de  Saxe. 

Je  vous  envoie  ma  lettre  de  Deguerthy  '  qui  a  trouvé  le 

'  Je  trouve  dans  le  Mercure  de  décembre  1751  Tindicadon  d'une  famille 
de  Guerti,  irlandaise,  qui  a  Fourni  à  la  France  depuis  1690  quatre  officiers, 


286  LETTRES 

secret  d'être  le  confident  du  sieur  Taff*.  Voyez  comment 

et  combien  notre  maréchal  est  trompe  ! 

A  Madame  de  Pompadour. 

Ce  4  octobre. 

J'ai  écrit  y  Madame,  à  Tévéque  de  Laon  pour  le  prince 
Louis  de  Rohan^^  conformément  aux  ordres  de  Sa  Majesté. 
Le  courrier  doit  être  parti.  Je  vous  envoie  la  lettre  de 
M.  de  Ghoisenl.  Il  a  commencé  à  fondre  la  cloche  avec  la 
cour  de  Vienne  ;  d*ici  à  quatre  joursr,  je  lui  dépécherai  un 
courrier  qui  réglera  le  sort  de  Falliance.  Il  est  temps  de 
prendre  ici  un  partie  Je  vous  envoie  le  mémoire  que  vous 
m'avez  demandé  pour  le  Roi.  Je  ne  sais  s'il  pourra  le  lire; 
mais  je  ne  saurais  le  confier  à  un  secrétaire,  ni  le  recopier, 
car  je  souffre  beaucoup  de  mon  estomac.  On  mé  confirme 
d'Angleterre  la  nouvelle  que  ces  messieurs  viendront  en- 
core nous  inquiéter  sur  nos  côtes,  non  pour  réussir  dans 
quelque  entreprise,  mais  pour  nous  fatiguer,  nous  causer 
de  la  dépense  et  du  dommage,  et  nous  empêcher  de  son- 
ger à  autre  chose. 

Je  vous  supplie  de  lire  mon  mémoire  avec  attention. 

dont  un  brigadier  des  armées  dn  Roi  (le  même  qui  fat  blessé  à  Vontenoy), 
un  commandant  à  File  Bourbon ,  plus  tard  directeur  de  la  Société  des 
belles-lettres  de  Nancy,  un  lieutenant-colonel  d*infanterie  et  un  capitaine 
de  vaisseaux  corsaires.  C'est  apparemment  du  premier  de  ces  officiers  qu'il 
est  question  ici. 

*  Luynes  parle  en  janvier  1755  (t.  XIV,  p^  7)  de  deux  MM.  de  Taff, 
Anglais,  appartenant  à  la  maison  de  lord  Carlingford. 

^  Louis-René-Edouard,  frère  du  prince  de  Roban,  appelé  le  prince 
Louis,  né  le  25  septembre  1734,  cbanoine  de  Téglise  de  Strasbourg,  abbé 
de  la  Ch»se-Diea  en  septembre  1755,  coadjuteur  darévcque  de  Strasbourg, 
son  oncle,  en  1760,  cvèque  de  Strasbour{T  en  1779,  ambassadeur  à  Vienne 
(1771-1774),  grand  aumônier  (1777),  cardinal  (1778),  fut  le  principal 
accusé  dans  l'affaire  du  CoUiêr,  où  il  avait  simplement  été  dupe,  émigra  en 
1790  et  mourut  à  Ettenheim  le  17  février  1803.  11  s'agissait  de  sa  nomina- 
tion à  la  prévôté  du  chapitre  de  Strasbourg,  dont  on  prévoyait  la  vacance 
par  suite  de  la  mort  prochaine  de  l'archevêque  de  Reims. 


DE  I/ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS.  287 

Vous  pouvez  le  regarder  comme  mon  testament.  Il  n'y  a  pas 
un  mot  que  je  ne  pense.  On  me  connaîtra  quelque  jour,  et 
Ton  me  rendra  justice.  Jamais  homme  n'a  été  plus  attaché 
au  Roi  et  à  l'État  pour  eux-mêmes,  qUeje  le  suis.  J'ai  fait 
trop  vite  une  grande  fortune  ;  yoilà  mon  malheur.  Vous 
savea  combien  de  temps  vous  m'jrres  persécuté  pour  sortir 
de ïnon  obscurité.  Oe  uest  pas  ma  faêate  si  je  «uis  arrivé 
aux.  honneurs.;  Je  ne  désire  que  le  bonheur  du  Roi  et  la 
gloire  de  la  nâtio»^  inaurir  au  bout  de  tout  cela,  eu  vivre 
tranquille  àv'fàmes  dtndons,  'Voilà  tous  mes  .vceux*  Mais 
réellement  ^e  n  m  puis  plus,  il  faut  que  j'aie  qudque  chose 
au  foie,  car  toiisi  les  jours  je  souffre  de  la  colique  d'es- 
tomac. 

Dieu  nous  donne  de  bonnes  nouvelles  de  Hesse  et  de 
Saxe. 

Mémoire  pour  le  Roi. 

Pour  abréger  ce  mémoire ,.  je  prie  Votre  Majesté  de 
demander  à  madame  de  Pompadour  les  détails  de  l'histo- 
rique que  je  vais  faire  en  bref. 

Depuis  le  passage  du  Rhin  et  tout  le  désordre  et  les 
malheurs  qui  en  ont  été  la  cause;  depuis  que  les  Anglais 
euront  débarqué  à  Louisbourg,  je  n'ai  prévu  que  des  mal- 
heurs* 

Votre  Majesté  se  souviendra  que  dès  l'année  passée,  et 
d'abord  après  la  bataillé  du  5  décembre  \  je  sentis  la  né- 
cessité de  songer  à  la  paix  et  d'y  amener  nos  alliés,  sans 
BOUS  exposer  à  rompre  avec  eux. 

Cependant  Votre  Majesté  sait  quelle  résistance  la  cour 
de  Vienne  oppose  à  ce  projet. 

Je  ne  m^.auiè  pas  rebuté  .parce  que  j'ai  cru  que  vos  en- 
gagements étaient  trop  forte,  que  la  finance  n'y  suffirait 

1  La  ba  taille  de  Lissa. 


t88  LETTRES 

pas,  et  que  l'administration  de  la  guerre  et  de  la  marine 

ruinerait  votre  royaume  en  déshonorant  la  nation. 

Je  fis  alors  diminuer  de  moitié  le  subside  de  Vienne»  et 
je  profitai,  depuis,  de  tous  les  événements  pour  obliger  cette 
cour  de  prendre  le  parti  de  la  paix  ;  elle  promit  d*y  son- 
ger après  cette  campagne.  Mais  il  n'est  pas  difiBcile  de 
prévoir  que  son  but  est  de  gagner  du  temps  et  de  conti- 
nuer la  guerre.  Si  Votre  Majesté  pouvait  se  prêter  à  son 
idée  sans  s'exposer  aux  plus  grands  risques,  je  ne  m'y  op- 
poserais pas  ;  mais  je  trahirais  mon  devoir,  si  je  lui  laissais 
ignorer  que  l'État  est  en  danger,  si  les  dépenses  ne  sont 
pas  considérablement  diminuées,  et  si  l'Angleterre  n'é- 
prouve de  notre  part  la  plus  grande  résistance  la  campagne 
prochaine. 

Ma  santé,  altérée  depuis  plus  d'un  an,  devient  plus 
mauvaise  tous  les  jours.  J'ai  perpétuellement  la  tête  ébran- 
lée et  obscurcie.  Je  ne  dors  point,  et  mon  esprit  se  trouble 
toutes  les  fois  que  j'envisage  l'avenir. 

Si  j'étais  moins  sensible  à  la  gloire  et  au   bonheur  de 
Votre  Majesté,  j'aurais  plus  de  force  pour  la  servir.  Mais 
j'avoue  que  le  rôle  qu'on  m'a  fait  jouer  dans  l'Europe,  en 
me  faisant  manquer  à  toutes  mes  paroles,  m'a   flétri  le 
cœur,  et  qu'aujourd'hui  qu'il  est  question  de  renoncerai! 
traité  secret  et  à  tous  les  autres  traités  qui  en  sont  la  suite, 
non-seulement  je  ne  me  sens  pas  le  courage  de  dire  le 
blanc  et  le  noir,  mais  même  il  ne  m'est  plus  possible  d'être 
utile  à  Votre  Majesté  dans  la  place  de  secrétaire  d'État  des 
affaires  étrangères  après  que  j'y]  aurai  perdu  tout  mon 
crédit.  Il  n'y  a  quun  ministre  nouveau  qui  puisse  prendre 
de  nouveaux  engagements.  Je  suis    si    persuadé  de  cette 
vérité  qu'il  y  a  plus  de  quatre  mois  que  j'en  ai  parlé  for- 
tement à  madame  de  Pompadour,  dans  l'intention  qu'elle 
en  rendit  compte  à  Votre  Majesté.  J'ai  lieu  de  croire  qu'elle 


DU  CARDINAL   DE  BERNIS.  289 

ayait  imaginé  dans  le  commencement  qu'on  m'avait 
échauffé  la  tète,  ou  que  les  vapeurs  me  gagnaient.  J'en 
appelle,  Sire,  à  la  justesse  de  votre  esprit,  et  je  supplie 
Votre  Majesté  de  considérer  si  en  rompant,  on  en  n*ac' 
quittant  pas  mes  promesses,  il  m'est  possible  de  remplir  une 
place  qui  dépend  tout  entière  de  l'opinion  et  de  la  confiance. 
Persuadé  de  cette  vérité,  dévoré  de  chagrins  et  d'inquié- 
tudes, voyant  ma  santé  dépérir,  et  craignant  de  ne  pou- 
voir plus  suffire  à  lu  besogne,  j'écrivis  à  M.  de  Stainville 
une  lettre  particulière,  dans  laquelle  je  lui  exposais  mon 
état.  J'avais  déjà  parlé  de  lui  à  madame  de  Pompadour 
pour  me  remplacer,  et  je  lui  en  avais  dit  les  raisons,  qui 
ne  l'avaient  pas  convaincue.  M.  de  Stainville  me  parut  fort 
éloigné,  par  son  goût,  de  remplir  un  poste  si  embarrassant, 
mais  très  résigné  à  l'accepter  si  Votre  Majesté  le  désirait 
véritablement;  si  elle  consentait  de  lui  rendre  sa  liberté 
dès  que  la  paix  serait  faite  et  tes  affaires  rétablies^  mais  sur» 
tout  si  les  fonds  destinés  aux  subsides  étaient  établis  de  ma- 
nière  qu'il  fût  sûr  de  ne  pas  manquer  à  sa  parole. 

Telles  sont.  Sire,  les  conditions  qu'il  prenait  la  liberté 
de  proposer.  //  aurait  été  bien  difficile  à  un  homme  sage  et  à 
un  homme  d^ honneur  de  ne  pas  y  insister. 

Je  montrai  sa  réponse  à  madame  de  Pompadour,  qui, 
trouvant  M.  de  Ghoiseul  utile  à  Vienne,  et  moi  bien  placé 
aux  affaires  étrangères,  eut  bien  de  la  peine  à  y  donner 
son  approbation.  Mais  comme  elle  sentit  que  le  service  de 
Votre  Majesté  pouvait  y  être  intéressé,  elle  me  dit  de  faire 
un  mémoire  contenant  mes  motifs  et  mes  raisons  pour  que 
Votre  Majesté  eût  le  temps  d'y  faire  ses  réflexions.  J'ou- 
bliais de  vous  dire.  Sire,  qu'une  quatrième  condition  de 
M.  de  Ghoiseul  était  que  nous  travaillassions  ensemble,  et 
due  je  continuasse  même  à  voir  les  ambassadeurs  et  à  leur 
parler  d'affaires,  son  projet  étant  de  se  concerter  en  tout 
11.  W 


MO  LETTRES 

avec  moi.  En  effet,  il  n/y  a  pas  de  jalousie  à  craindre  entre 

nous. 

Les  motifs  pour  me  retirer  de  la  place  que  j'occupe  sont  : 

1*  Ma  santë,  qui  ne  suffira  ni  au  travail,  ni  aux  inquié- 
tudes  »  et  qui  ne  résistera  certainement  pas  à  F  idée  de  rom^ 
pre  ou  de  manquer  à  des  traités  que  fat  faits  moi-même.  Je 
tromperais  Votre  Majesté  si  je  lui  parlais  un  autre  langage, 
et  je  la  mettrais  dans  un  grand  embarras,  si  je  ne  l'avertis- 
sais pas  du  danger  que  je  ferais  courir  à  son  service,  si  je 
conservais  une  place  où  je  ne  puis  plus  espérer  la  confiance 
de  nos  alliés,  et  dont  ma  santé  ne  peut  supporter  le  poids. 

Les  motifs  pour  confier  cette  même  place  au  duc  de 
Ghoiseul  sont  : 

V  Qu'il  est  le  seul  de  vos  ministres  qui  soit  au  fait  de 
toutes  vos  affaires  politiques  ; 

2*  Qu'il  est  le  seul  qui  ait  la  confiance  de  la  cour  de 
Vienne  et  qui  la  connaisse  assez  pour  la  retourner,  ou 
pour  se  retourner  vis-à-vis  d'elle,  sans  inconvénient  ; 

3'  Qu'il  y  a  fait  preuve  de  patience,  de  courage  et  d'a- 
dresse, et  que  son  flegme  l'a  presque  toujours  emporté  sur 
sa  vivacité  naturelle  ; 

4"  Que  si  un  autre  que  lui  me  succédait,  on  dirait  que 
Votre  Majesté  change  de  système.  Cette  considération  est  des 
plus  importantes. 

3*  Que  M.  de  Ghoiseul  est  militaire  en  même  temps 
qu'il  est  politique  ;  que  par  conséquent  il  peut  donner  des 
plans  à  la  guerre  ou  rectifier  ceux  qui  sont  proposés; 

6**  Quil  cannait. la  cour  de  Vienne  et  qu'il  sait  commenta 
faut  traiter  avec  elle;  c'est  encore  un  point  capital  dans  les 
circonstances  présentes  ; 

7**  Qu'il  est  grand  travailleur,  actif,  plein  de  ressources 
et  d'expédients,  et  bien  moins  sensible  que  moi  aux  eVene- 
ments; 


D0  CARDINAL  DE  BERNIS.  t9i 

8*  Sa  naissance,  Tusage  qu'il  a  du  monde,  conviennent 
fort  à  un  ministre  des  affaires  étrangères; 

9"*  Il  peut  se  concerter  avec  moi  ;  fai  des  choses  fu'tl 
n*a  pas  :  il  en  a  qui  me  manquent.  Tout  cela  ensemble  ne 
peut  produire  qu'un  bon  effet.  La  seule  objection  à  faire, 
c'est  que  sa  fortune  lui  a  fait  des  ennemis,  mais  il  ne  s*en 
embarrassera  guère i  Sa  fortune  est  faite  ;  son  ambition  n'est 
pas  à  craindre. 

D'ailleurs,  Sire,  vos  affaires  ont  besoin  d^ activité ^  de 
nerf  et  de  résolution.  Je  ne  saurais  vous  cacher  que  si 
vous  ne  remédiez  pas  promptement  à  l'administration 
de  la  marine,  vous  vous  ruinerez  et  vous  perdrez  vos 
colonies.  Le  ministre  des  affaires  étrangères  est  chargé  de 
faire  la  paix  de  terre  et  de  mer;  mais  quand  il  nesi  se- 
condé par  aucun  département,  il  faut  quil  meure  de  dé- 
sespoir,  s'il  a  de  l'honneur  et  de  l'amour  pour  votre 
gloire. 

Suivez  l'exemple  de  vos  ennemis  pour  votre  marine  ; 
il  Y  Si  un  conseil  à  l'amirauté  composé  de  gens  d'expérience. 
Les  pierres  mêmes  s'élèvent  contre  l'administration  de  la 
marine.  L'État  en  souffre  ;  il  faut  donc  la  changer;  sans 
quoi,  est-il  possible  que  le  ministre  de  la  politique  puisse  faire 
la  paix  avec  l'Angleterre?  J'ai  soutenu  le  système  étant  tra- 
versé par  tous  les  événements  et  par  tous  les  départements. 
J'y  ai  épuisé  mes  forces,  et  mes  représentations  nont  produit 
aucun  effet. 

Je  crois,  Sire,  que  M.  de  Ghoiseul  est  le  seul  homme 
dans  votre  royaume  qui  puisse  conserver  l'alliance  en  déro- 
geant aux  traités  (comme  la  finance  nous  y  force  au- 
jourd'hui). 

Je  ne  puis  m* acquitter  de  tout  ce  que  je  dois  à  Votre  Ma- 
jesté qu'en  lui  disant  la  vérité. 

Au  reste,  si  vous  adoptez  cet  arrangement  (qui   me 

19. 


tn  LETTRES 

parait  nécessaire  et  indispensable) ,  je  ne  deviendrai  pas 
pour  cela  inutile  à  votre  service. 

Le  clergé  commence  à  prendre  confiance  en  moi;  je  finirai 
sa  guerre  avec  les  parlements;  et  peut-^tre  vous  rendraiye, 
Sire,  des  services  bien  importants  pour  la  tranquillité  de  Fin-^ 
iérieur  de  votre  royaume  et  pour  la  suite  de  votre  règne. 

Je  supplie  Votre  Majesté  de  me  parrdonner  toutes  le» 
fautes  de  ce  mémoire,  que  j'ai  écrit  d'un  seul  trait  de 
plume  et  sans  prendre  haleine. 

Votre  Majesté  écrira  ses  ordres  et  ses  réflexions  a  la 
inarge,  si  cela  lui  convient. 

,  A  Madame  de  Pompadour. 

6  octobre. 

J*ai  eu  toute  la  nuit,  Madame,  une  colique  d'estomac* 
affreuse.  Il  est  impossible  que  je  résiste  encore  longtemps. 
Il  faut  donc  que  le  Roi  prenne  un  parti.  Je  vous  envoie 
une  lettre  que  je  lui  écris  qu'il  vous  montrera  sûrement; 
j'y  peins  mon  étal,  je  lui  parle  de  sesafFuires,  je  le  prie  de 
lire  le  mémoire  que  je  vous  ai  remis  et  de  me  donner  ses 
ordres  pour  que  le  duc  de  Glioiseul  s'arrange  avec  la  cour 
de  Vienne.  Je  n'ai  plus  la  force,  ni  la  santé,  ni  le  courage 
de  soutenir  le  poids  des  affaires.  Je  vois  où  nous  allons  ar^ 
river,  et  je  ne  veux  pas  me  déshonorer.  Le  duc  de  Choiseul, 
plus  brave  et  moins  affecté  que  moi,  servira  bien  le  Roi. 
Je  l'aiderai  de  bonne  foi  et  avec  amitié.  En  un  mot, 
Madame,  il  ne  m'est  plus  possible  de  garder  ma  place  ; 
dès  que  je  crois  ne  pouvoir  plus  la  remplir,  il  faut  m'en 
croire.  Si  une  retraite  absolue  convenait  mieux,  et  qu'on 
pensât  qu'elle  ne  ferait  aucun  tort  au  système  du  Roi,  je 
la  demande.  Do  bonne  foi,  peut-on  exiger  de  moi  que  je 
me  déshonore,  et  que  je  fasse  courir  de  si  grands  risques  à 
l'Élat?  Je  parle  au  Roi  de  mon  affaire  de  Rome  qui  fut 


DU   CARDINAL   DE  BERNIS.  ,         298 

traitée  hier  au  conseil,  comme  une  véHtable  affaire , 
puisque  le  Roi  est  compromis.  Mon  avis  serait  que  le  Roi 
tn  ordonnât  de  renoncer  au  chapeau,  et  de  le  faire  annoncer 
au  Pape  par  son  ambassadeur.  Qu'importe  que  je  soiscar-^ 
dinal  ?  Mais  il  importe  beaucoup  qu'on  ne  berne  pas  le 
Roi,  et  qu'on  ne  s'accoutume  pas  à  se  jouer  des  promesseit 
qu'on  lui  fait.  Si  le  Roi  ne  prend  pas  ce  parti,  il  faut  du 
moins  que  son  ambassadeur  parle  ferme  et  demande  avec 
hauteur  F  exécution  de  la  promesse  du  Pape,  Nous  n'avons 
que  faire  de  nous  mêler  d'autre  chose.  On  m'écrit  de  Rome, 
et  c'est  l'enfer  qui  a  fait  courir  ce  bruit,  que  le  duc  de  Choi' 
seul  était  chargé  par  vous  de  traverser  sourdement  ma  pro^ 
motion.  Vous  pensez  bien  que  je  n'ajoute  nulle  foi  à  cette 
horreur. 

Portez-vous  bien  et  rendez  au  plus  fidèle  de  vos  amis 
un  peu  de  repos  dont  il  a  grand  besoin  pour  les  affaires 
du  Roi  et  pour  lui-même. 

Au  Roi. 
Sire, 
Le  bien  de  vos  affaires  m'occupe  uniquement,  j'oserais 
même  dire  qu'il  m'affecte  beaucoup  trop  ;  ma  santé  en 
souffre  à  un  point,  depuis  plus  d'un  an,  que  j'ai  toujours 
à  craindre  de  succomber  et  de  laisser  Votre  Majesté  dans 
l'embarras  au  milieu  des  affaires  les  plus  épineuses  et  les- 
circonstances  les  plus  critiques.  J'ai  d'ailleurs.  Sire,  l'es- 
prit frappé  des  suites  de  cette  guerre.  Je  ne  vois  nul  espoir 
du  côté  de  la  marine.  Il  y  a  trois  mois  que  tious  délibé- 
rons, et  rien  n'est  décidé.  En  dépensant  beaucoup  d'ar- 
gent. Votre  Majesté  n'opposera,  l'année  prochaine,  au- 
cune résistance  aux  Anglais.  L'obstination  de  la  cour  de 
Vienne  à  continuer  la  guerre  va  épuiser  votre  royaume 
d'hommes  et  d'argent.  Je  suis  obligé  de  proposer  le  retran- 


SM  LETTRES 

chement  des  subsides,  et  dès  que  j'aurai  fait  cette  propo- 
sition, je  perds  tout  crédit  auprès  de  vos  alliés,  par  consé- 
quent je  deviens  inutile  à  votre  service.  On  m'a  fait 
.manquer  de  parole  sur  cet  article  si  souvent  que  j*en  ai  k 
cœur  flétri.  Je  suis  déshonoré  et  discrédité  ;  je  vois  que  je 
le  serai  encore  davantage.  Avec  de  l'honneur,  Sire,  il  est 
impossible  à  un  gentilhomme  de  vivre  dans  cette  situa- 
tion ;  mon  esprit  se  trouble,  souvent  même  je  suis  inca» 
pable  du  moindre  travail  ;  je  ne  dors  pas,  et  je  passe  mes 
nuits  dans  des  souffrances  et  des  agitations  auxquelles  il 
m'est  impossible  de  résister  plus  longtemps.  Il  ne  faut  pas 
que  votre  service  en  soufFre,  et  il  est  de  mon  devoir  d'a- 
vertir Votre  Majesté  assez  à  temps  pour  prendre  un  parti. 
Il  y  a  longtemps  que  j'ai  parlé  sur  ce  ton-là  à  madame  de 
Pomnadour  ;  je  lui  ai  remis  un  mémoire  sur  lequel  j'attends 
les  ordres  de  Votre  Majesté.  Si  elle  approuve  mes  idées, 
il  est  nécessaire  d'en  instruire  promptement  le  duc  de 
Ghoiseul,  pour  qu'il  prenne  ses  arrangements  avec  la  cour 
de  Vienne.  Vos  affaires  aujourd'hui  ne  peuvent  plus  souf- 
frir le  moindre  retardement. 

Je  ne  voulus  pas  dire  hier  au  conseil  tout  ce  qu'il  fiiut 
que  Votre  Majesté  sache  sur  le  retardement  de  ma  pro- 
motion. Voire  Majesté,  par  bonté  pour  moi,  l'a  annoncée 
si  souvent  pour  le  2  de  ce  mois  ;  toutes  les  lettres  de  Rome 
le  disaient  si  positivement,  qu'aujourd'hui  il  est  impossible 
qu'on  ne  fasse  attention  en  France  et  dans  l'Europe  au 
peu  d'égards  que  la  cour  de  Ron".e  a  montrés  pour  Votre 
Majesté  dans  cette  circonstance.  Presque  tous  les  ministres 
des  cours  étrangères,  même  les  plus  éloignées,  m'écrivent 
comme  si  j'étais  cardinal.  Le  Pape  a  promis  à  Votre 
Majesté;  vous  avez  déclaré  publiquement  la  promesse  du 
Pape;  cela  a  été  imprimé  dans  les  gazettes;  les  cours 
d'Espagne  et  de  Vienne  ont  donné  leur  agrément;  c'est 


DU   CARDINAL   DE  BERNIS.  295 

traiter  trop  légèrement  la  France,  que  d'avoir  si  peu  d'é- 
gards pour  elle.  On  ne  vient  à  bout  de  Rome  que  par  la  fer- 
meté et  un  peu  de  hauteur.  Les  Vénitiens  se  plaignent 
aujourd'hui  que  le  Pape  ait  fait  un  cardinal  m  petto  sans 
acquitter  sa  dette  envers  la  République  ;  ils  suivent  cette 
affaire  avec  force  et  dignité.  Pour  moi.  Sire,  je  propose 
deux  choses  :  ou  t/ue  Votre  Majesté  se  plaigne  des  retarde^ 
ments,  et  demande  que  le  Pape  acquitte  promptement  sa  pro- 
messe ^  ou  que,  blessée  du  peud* égards  qu'on  lui  a  montrés  sur 
cet  objets  elle  m'ordonne  de  renoncer  au  chapeau  et  le  fosse 
déclarer  à  Rome  par  son  ambassadeur.  Cette  dernière  tour- 
nure me  plairait  plus  qu'aucune  autre,  parce  qu'elle  ne 
ferait  de  mal  qu'à  moi  et  qu'elle  désaccoutumerait  le  Pape 
d'agir  avec  Votre  Majesté  avec  tant  de  faiblesse  et  d'indé- 
cision. Il  faut  attendre  huit  jours  avant  que  de  rien  faire 
sur  cela.  Mais  comme  Votre  Majesté  va  à  Fontainebleau  ', 
il  est  nécessaire  que  je  sache  ses  intentions  avant  son 
départ.  Cette  affaire  va  m'ôter  tout  crédit  ici  dans  le 
clergé  et  (ce  qui  est  encore  plus  fâcheux  pour  les  affaires 
de  Votre  Majesté)  dans  les  cours  étrangères. 

Mon  projet,  Sire,  est  de  vous  servir  toute  ma  vie; 
ayez  donc  la  bonté  de  la  conserver,  et  de  me  donner  le 
temps  de  rétablir  ma  santé.  J'ai  le  foie  attaqué,  et  je  suis 
menacé  tous  les  jours  d'une  colique  hépatique.  Il  me  fisiut 
du  repos  d'esprit  et  de  l'exercice  du  corps.  Ayez  la  bonté 
de  lire  mon  mémoire  et  de  me  mettre  en  état  d'instruire 
le  duc  de  Choiseul  de  vos  volontés. 

Je  suis,  avec  le  respect  le  plus  profond,  Sire,  de  Votre 
Majesté  le  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

L'abbé  de  Berms. 

Paris,  ce  6  octobre  1758. 

*  Le  Roi  partit  de  Versailles  pour  Fontainebleau  le  10  octobre  et  y 
resta  jusqu'au  17.  (GazeUe  de  France,  p.  510.) 


296  LETTRES 

^  Versailles,  ce  6« 

Pouvez-vous  vous  offenser  des  horreurs  de  Tenfer?  Vous 
auriez  trop  à  Faire.  Combien  ne  vous  en  a-t-on  pas  dit  de 
moi  ?  Vous  croyez  bien  que  le  même  esprit  de  discorde 
souffle  à  mes  côtés  pour  me  persuader  que  vctus  ne  m*«ni- 
mez  plus.  Vous  voyez  si  je  soupçonne  M.  de  Choiseul  de 
vouloir  détruire  son  ouvrage.  Je  ne  crois  pas  que  vous 
m'ayez  fait  TafFront  de  tous  croire  capable,  ni  de  vous 
soupçonner  de  vouloir  me  faire  du  mal.  Je  vous  dois  tout. 
Je  crois  que  nous  devons  nous  dire  les  horreurs  qu'on  dé- 
bite. Celle  du  jour  a  été  mandée  de  Paris,  et  je  vais  vous 
dire  ce  qui  peut  y  avoir  donné  lieu. 

Le  lendemain  de  l'affaire  du  duc  de  BrogUe,  vous  dites 
au  duc  de  Villeroy  et  à  une  autre  personne  qui  était  avec 
lui  :  m  Est' ce  que  vous  ne  me  faites  pas  compliment?  ■  Que 
M.  de  Villeroy,  duc  ou  î^arquîs  ' ,  car  je  ne  sais  lequel  (c'est 
en  présence  de  Crémille),  vous  aurait  répondu  :  u  Je  n'ai 
appris  que  hier  que  M.  Cabbé  de  Bernis  devait  avoir  le  cha- 
peau. M  Et  que  vous  lui  aviez  dit  y  ce  qui  était  assez  simple  ; 
«  Eh!  je  ne  vous  parle  pas  de  cela;  je  parle  de  l'avantage 
remporté  en  Hesse.  »  Sur  ce  texte,  qui  est  bien  ouf,  on  a 
débité  dans  Paris  que  vous  étiez  fâchée  de  ma  promotion, 
et  l'on  a  mandé  cette  belle  nouvelle  à  Rome  h  la  suite  de 
celle  de  M.  Berrier  que  vous  aviez  fait  entrer  au  conseil 
pour  m'y  barrer,  et  que  M,  de  Puysieulx  n'était  entré  dans  le 
même  conseil  que  pour  détruire  le  système  et  par  conséquent 
me  renverser.  Vous  avez  vu  dans  les  avis,  vrais  ou  faux,  de 
M.  d'Affry  *,  combien  on  a  saisi  l'idée  du  chapeau.  En 

*  Ou  Louis-Anne-Fran<^ois  de  Neufville,  duc  de  Villeroy  en  1734,  cbc- 
valier  des  ordres  en  1737,  marcclial  de  camp  en  1738,  mort  en  1766:  oa 
Gabriel- Louis-Franf;ois  de  Neufville,  marc](iis  de  Villeroy,  né  le  8  octobre 
1731,  capitaine  des  gardes  en  juin  1758,  assassiné  a  Paris  le  28  avril  1794. 

2  Louis-Augustin  d'Affry,  HIs  de  François  d'Affry,  lieutenant  général, 
tué  à  la  bataille  de  Guastalla,  cadet  dans  les  gardes  suisses  le  15  avril  1725, 


DU   CARDINAL   DE  BERNIS.  297 

effet,  je  ne  serais  pas  étonne  que  les  Anglais  ne  remuas- 
sent ciel  et  terre  pour  me  culbuter  ;  j'en  dis  autant  du  roi 
de  Prusse,  et  de  tous  les  mauvais  citoyens  tant  français 
qu'étrangers. 

Il  faut,  Madame,  se  confier  mutuellement  ces  choses-là; 
mais  il  faut  aussi  se  connaître  assez  l'un  l'autre  pour  être 
à  l'abri  des  soupçons.  La  meilleure  méthode  est  de  tout 
dire.  Je  la  suivrai  toujours^  et,  en  cela,  je  crois  remplir  un 
devoir. 

J'ai  relu,  en  arrivant  ici,  la  lettre  du  Pape  et  celle  du  car- 
dinal Archinto.  Ils  promettent  formellement  au  Roi  de  me 
comprendre  dans  la  première  promotion.  Le  Roi  pourrait 
se  fâcher  qu'on  lui  ait  manqué  de  parole  le  11  septembre  ; 
mais  on  peut  passer  quelque  chose  au  neveu  du  Pape  ; 
mais  s'il  s'en  faisait  une  seconde  sans  m'y  comprendre,  le 
Pape  aurait -manqué  au  Roi,  et  Sa  Majesté  ne  doit  pas  le 
souffrir,  sans  déroger  à  elle-même  et  sans  s* exposer  à  être  à 
PLAIT-IL,  MAITRE?  avec  la  cour  de  Rome  à  l'avenir. 

Ce  n'est  point  au  Roi  à  s'embarrasser  du  PorlugaL  II 
doit  s'en  tenir  à  la  promesse  qui  lui  a  été  faite  et  quil  a  ren- 
due publique.  Avec  la  fermeté  et  la  hauteur  convenables, 
toutes  les  cabales  seront  confondues. 

Au  reste,  si  je  me  portais  bien  et  que  je  crusse  pouvoir 
maintenir  tout  seul  le  système  du  Roi,  je  ne  proposerais  per- 
sonne. Je  propose  celui  qui  peut  le  plus  être  utile,  et  il  ne 
m* est  pas  permis  de  compromettre  les  affaires  du  Roi  quand 
je  ne  me  sens  pas  la  force  d*en  soutenir  le  fardeau.  Voilà  le 

enseigne  en  i729,  capitaine  en  1733,  brigadier  en  1744,  maréchal  de  camp 
en  174  <,  ambassadeur  en  HoUaiide,  présenté  au  Boi  pour  ton  départ  le 
15  novembre  1755,  lieutenant  général  le  i^^-  mai  1758,  prend  congé  des 
états  généraux  le  3  juin  1762,  pour  aller  serrir  à  Tarmée  du  bas  Rhin, 
colonel  des  gardes  suisses  en  1767.  Il  éehappa  par  miracle  aux  massacres 
des  5  et  6  octobre  i7b9  et  des  2  et  3  septembre  1792,  et  se  retira  en  Suisse, 
ou  il  mourut,  en  1793,  à  l'âge  de  quatre-vingts  ans. 


%n  LETTRES 

fond  de  mon  cœur.  J'ai  de  Thonneur,  de  la  raison,  et  je 

ne  vois  rien  par  delà  le  bonheur  de  TÉtat  et  celui  du  Roi. 

Soyez  sûr  que  je  connais  bien  votre  âme,  et  que  je  la  res^ 
pecte  autant  que  je  me  Jlatte  que  vous  rendez  justice  à  la 
mienne. 

Nous  n'avons  rien  de  nouveau  aujourd'hui.  Il  est  cer-  ' 
tain  que  les  vilains  Russes  vont  repasser  en  Pologne.  Un 
coup  de  collier  de^plus  les  aurait  comblés  de  gloire. 

A  Madame  de  Pompadour. 

Ce  8  octobre  1758. 

Je  VOUS  ai  écrit,  Madame,  une  longue  lettre  ce  matin 
que  j'ai  adressée  à  M.  Janel  '.  Elle  vous  mettra  au  fait  de 
la  situation  des  choses  et  des  esprits,  et  de  la  tranquillité 
qui  régnera  dans  les  tètes  des  ministres  étrangers,  du 
clergé  et  du  parlement  et  deMontmartel,  d'après  les  assu- 
rances que  j'ai  données.  J'ai  fait  avec  plaisir  ma  profession 
publique  de  foi  de  mes  sentiments  pour  vous,  et  de  l'ami- 
tié et  de  la  con6ance  que  vous  n'avez  cessé  de  me  mar- 
quer. J'ai  dit  à  l'évèque  d'Evreux  ce  qu'il  fallait  pour 
mettre  au  fait  son  frère  des  premiers  pas  qu'il  doit  faire 
ici,  et  des  pièges  qu'il  doit  éviter  pour  ce  qui  nous  regarde 
tous  les  deux;  en  un  mot,  je  suis  content,  parce  que  j'ai 
bien  exactement  rempli  mon  devoir  envers  le  Roi  et  envers 
vous.  Ainsi  je  compte  que  Votre  Excellence  sera  toujours  la 
bonne  amie  de  Mon  Éminence  et  fort  à  son  aise  avec  elle. 

M.  Duque^ne*  arrive  avec  un  congé  de  six  mois.  On  Ta 

'  Depuis  1749,  date  où  le  nom  de  Jeannel  apparaît  dans  le  Journal  dr 
d'Argenson  (éd.  in-8<',  t.  V,  p.  437),  ce  commis  a  pris  sa  volée.  D'abord 
chef  du  secret,  il  est  en  1756  (janvier)  nommé  intendant  des  postes.  Voir 
sur  lui  H.  BoNuoMME,  Grfmod  de  la  Reynière  et  son  groupe,  p.  343. 

2  M.  du  Quesne  avait  été  pris  par  les  ^n{;lais  avec  le  Foudroyant  et 
V Orphée,  ses  deux  vaisseaux,  en  mars  1758.  Voir  Gazette  de  France, 
p.  187,  et  cf.  sur  la  conduite  déplorable  des  équipages,  Lutxbs,  XVII,  IIV 


DU   CARDINAL   DE  BERMIS.  299 

laissé  le  maître  de  rëg[Ier  ici  ce  qui  reg[arde  rechange  des 
prisonniers.  Je  vous  envoie  la  lettre  de  M.  Pitt  pour  la 
remettre  au  Roi  de  ma  part. 

Je  prends  sérieusement  les  eaux  de  Vichy  pour  me  dés- 
obstruer le  foie  et  guérir  mes  étourdissements  qui  revien- 
nent de  temps  en  temps.  Nous  avons  comité  ce  soir.  Je 
vous  assure  de  mon  tendre  resjpect. 

Le  Roi  à  tabbé  comte  de  Bernis  ' . 

A  Versailles,  ce  9  octobre  1758. 

Je  suis  Fâché,  Monsieur  Tabbé-comte,  que  les  affaires 
dont  je  vous  charge  affectent  votre  santé  au  point  de  ne 
pouvoir  plus  soutenir  le  poids  du  travail. 

Certainement  personne  ne  désire  plus  la  paix  que  moy, 
mais  je  veux  une  paix  solide  et  point  déshonorante/j*y 
sacrifie  de  bon  cœur  tous  mes  intérests,  mais  non  ceux  de 
mes  alliés.  Travaillez  en  conséquence  de  ce  que  je  vous 
dis,  mais  ne  précipitons  rien.  Voici  la  campagne  qui  tire  à 
sa  fin,  attendons  cette  crise,  peut-être  nous  presentera- 
t-elle  des  occasions  plus  heureuses  pour  ne  pas  achever  de 
tout  perdre  en  abandonnant  nos  alliés  si  vilainement. 
C'est  a  la  paix  qu'il  faudra  faire  des  retranchemens  sur 
toutes  les  sortes  de  dépenses,  et  principalement  aux  dépré- 
dations de  la  marine  et  de  la  guerre  ;  ce  qui  est  impos- 
sible au  milieu  d'une  guerre  comme  celle-ci.  Contentons- 
nous  de  diminuer  les  abus,  et  d'empêcher  les  trop  grandes 
dépenses,  sans  aller  tout  boulverser  comme  cela  sera 
indispensable  à  la  paix.  Je  consens  à  regret  que  vous 
remettiez  les  affaires  étrangères  entre  les  mains  du  D.  de 
Ghoiseuil ,  que  je  pense  être  le  seul  en  ce  moment-ci  qui 
y  soit  propre,  ne  voulant  absolument  pas  changer  le  sis- 

*  L'orthographe  est  consenrée. 


300  LETTRES 

thème  que  j*ay  adopte,  n'y  même  qu*on  m*en  parle.  Écri* 
vez-iui  quej*ay  accepté  votre  proposition,  qu'il  en  prévienne 
l'Impératrice,  et  qu'il  voie  avec  cette  princesse  la  personne 
qui  lui  seroit  le  plus  agréable  pour  le  remplacer,  soit  dans 
le  premier,  soit  dans  le  second  ordre  ;  cela  doit  plaire  à 
l'Impératrice  «  et  la  convaincre  de  mes  sentiments,  les- 
quels elle  a  fait  naître  si  heureusement. 

Louis. 
Adresse  :  A  V abbé  comte  de  Bemis, 

(Cachet  de  cire  noire.) 

A  Madame  de  Pompadour. 

.Ce  10  octobre  1758. 

lie  courrier  de  Rome  m'a  apporté  cette  nuit  *  la  calotte 
rouge.  Je  vous  la  dois,  puisque  je  vous  dois  tout.  Soyes 
bien  sûre  que  je  ne  perdrai  jampis  le  souvenir,  ni  de  votre 
amitié,  ni  de  mes  obligations.  Je  vous  demande  pardon  de 
tous  les  tourments  que  je  vous  donne  pour  le  bien  de 
l'État.  Il  est  temps  encore  de  remédier  au  mal.  Combien 
ne  serais-je  pas  coupable  si  j'étoufFais  la  voix  de  ma  con- 
science et  quelques  lumières  naturelles  et  acquises!  J'adore 
le  Roi,  et  sa  gloire  m'est  plus  chère  que  la  vie.  Croyez  que 
nulle  idée  d^urabilion  n'empoisonne  le  zèle  que  vous  me 
voyez  pour  son  service.  J'ai  tout  ce  que  je  puis  avoir; 
mais  il  me  manque  le  bonheur  de  voir  le  Roi  respecté  de 
ses  alliés  et  de  ses  ennemis.  Avec  du  courage  pour  remé- 
dier aux  abus,  on  parviendra  à  rétablir  les  affaires.  Per- 
sonne n'y  est,  après  le  Roi,  plus  intéressé  ^ue  vous,  et 
personne,  par  son  caractère  et  ses  sentiments,  n*est  plus 
faite  pour  concourir  à  un  si  grand  bien.  La  confiance  du 
Roi  vous  en  donne  les  moyens. 

1  Le  10,  à  trois  heures  du  matin.  (Dep,  de  Bernis  à  tév.  de  Laon  du 
16  octobre.) 


DU   CARDINAL   DE   BERNIS.  301 

Adresse  :  A  Madame,  Madame  la  marquise  de  Pompa- 
dour, 

A  Monsieur  le  duc  de  ChoiseuL 

Ce  11  octobre. 

Je  suis  cardifial  depuis  deux  jours,  monsieur  le  duc, 
et  j'en  appris  hier  la  nouvelle.  Archinto  est  mort,  cela 
me  fâche  beaucoup.  Je  voudrais  bien  que  votre  ami 
Spinelli  ^  le  remplaçât.  M.  de  Laon  s*est  assez  bien 
amalgamé  avec  lui.  Spinelli  m'a  écrit  une  lettre  de  sa 
main  en  français,  très-honnéte.  Je  vous  prie  d'être  le 
lien  de  nos  liaisons.  Le  clergé  va  me  regarder  comme 
son  appui ,  et  j'en  ferai  bon  usage  pour  \ïk.  tranquillité 
intérieure.  Je  ne  perdrai  pas  la  confiance  du  Parlement, 
et  mon  système  est  d'empêcher  le  choc  de  ces  deux  corps. 
Les  cabales  qu'on  a  suscitées  à  Rome  pour  éloigner  ma 
promotion  ont  été  impuissantes;  ainsi  tout  est  dit. 
L'évêque  de  Laon  s'y  est  conduit  de  bonne  foi,  et  j'en 
suis  content.  Vous  n'en  faites  peut-être  pas  assez  de  cas. 
Ce  n'est  pas  un  sot,  ni  un  homme  sans  finesse.  D'ailleurs, 
il  est  modéré  et  a  embrassé  avec  probité  les  principes  du 
Roi  qui  ne  sont  pas  tout  à  fait  les  siens.  En  voilà  assez 
sur  l'article  de  Rome.  Le  Roi  a  témoigné  une  véritable 
joie  de  ma  promotion.  Gela  a  été  marqué  et  remarqué. 
Votre  affaire  et  la  mienne  sont  finies.  Je  ne  puis  mieux 
faire  que  de  vous  envoyer  la  copie  mot  a  mot  de  la  lettre 
que  le  Roi  m'écrivit  avant-hier  en  réponse  au  mémoire 
très-fort  et  très-détaiilé  que  madame  de  Pompadour  lui 
avait  remis  de  ma  part.  J'ai  expliqué  nettement  toutes 
vos  conditions.  Elles  ont  toutes  été  bien  reçues.  Au  reste, 

1  Joseph  Spînellî,  Napolitain,  né  le  1*^'  février  1694,  cardinal  de  la 
créntion  de  Clément  XIF. 


30t  LETTRES 

madame  de  Pompadour  vous  en  dira  sur  cela  plus  que  je 
ne  puis  vous  en  dire  moi-même.  Le  grand  point  est  que 
vous  êtes  agréable  au  Roi.  Dans  vos  premiers  six  mois 
vous*  pourrez  faire  prendre  tous  les  partis  que  vous 
jugerez  convenables.  C'est  le  droit  du  nouveau  venu,  et 
il  faut  en  user.  Quant  à  moi ,  je  suis  à  vous  corps  et  àme. 
Il  n'y  aura  pas  de  jalousie  entre  nous,  car  vous  sentez 
bien  que  je  n*aurais  pas  quitte  ma  place  si  j*avais  con- 
servé le  penchant  de  courir  après.  Je  ferai  avec  vous  toat^ 
ce  que  vous  voudrez.  Je  crois  que  notre  amitié  sera  utile 
au  Roi  et  à  l'État,  et  l'esprit  de  domination  ne  l'altérera 
pas.  Nous  discuterons  ensemble  les  matières,  nous  dis- 
puterons peut-être,  et  nous  finirons  par  être  d'accord. 
M.  de  Starhemberg  me  somma  hier  de  la  parole  qu'on 
avait  exigée  de  moi  à  Vienne,  quêtant  cardinal,  je  ne 
cesserais  pas  d'être  secrétaire  d^ État.  Ma  parole  sera  remplie, 
puisque,  selon  notre  système,  nous  ne  serons  que  deux 
têtes  dans  un  bonnet.  Je  ne  crois  pas  que  la  cour  de 
Vienne,  qui  pense  que  j'ai  envie  de  faire  la  paix,  soit 
fâchée  de  vous  voir  à  ma  place.  C'est  à  vous  à  lui  faire 
sentir  l'avantage  qui  résultera  pour  elle  de  cet  arran- 
gement. Je  crois  qu'en  attendant  que  vous  ayez  choisi  un 
successeur  a  Vienne,  vous  pourrez  laisser  Montazet  chargé 
de  la  correspondance.  Il  connaît  le  pays  et  l'armée. 
Vous  le  connaissez;  ainsi  cela  vous  sera  commode  et 
peut-être  plus  utile  pendant  un  temps  que  tout  autre 
arrangement  qui  serait  trop  précipité.  Vous  ne  pouviez 
sortir  plus  agréablement  ni  plus  heureusement  de  votre 
ambassade  que  par  la  porte  que  je  vous  ai  ouverte.  Je  ne 
pouvais  plus  supporter  le  fardeau  du  travail  par  ma 
santé.  J'ai  une  obstruction  au  foie,  des  coliques  d*estomac, 
et  des  étourdissements  continuels.  H  y  a  dix  mois  que  je 
ne  dors  plus.   Mon  visage  est  quelquefois  comme  celui 


D0   CARDINAL   DE  BERNIS.  308 

d*uD  lëpreux ,  parce  que  ia  bile  arrêtée  s*est  portée  à  la 
peau.  J'aurais  succombé  avant  deux  mois.  Je  vous  avoue 
même  que  je  ne  comprends  pas  comment  j*ai  pu  résister 
si  longtemps.  J'ai  toujours  travaillé  étant  malade.  Je 
reçois  dans  le  moment  une  lettre  de  Montazet,  qui 
m'annonce  la  retraite  du  maréchal  Daun,  qui  ne  sera  peut- 
être  pas  aussi  heureuse  que  celle  du  roi  de  Prusse  après  le 
siège  d'OlmUtz.  L'armée  de  l'Empire  surtout  me  parait 
fort  exposée.  Si  la  cour  de  Vienne  n'est  pas  résolue  à  la 
paix,  je  n'y  conçois  plus  rien.  C'est  à  vous  à  convenir 
avec  elle  sur  ce  point.  Soyez  sûr  que  elle  ni  nous  ne 
ferons  rien  qui  vaille.  Nous  voilà  aujourd'hui  en  mouve- 
ment, et  Tarmée  impériale  se  retire.  Que  deviendront  les 
Suédois  et  les  Russes?  Il  faut  que  M.  de  Montazet  n'ait 
pas  aperçu  l'objet  ultérieur  que  se  propose  le  maréchal 
Paun;  car  comment  concilier  la  retraite  du  maréchal 
Daun  avec  les  projets  que  vous  nous  avez  annoncés  par 
votre  courrier  du  2  octobre?  Je  n'y  entends  plus  rien. 
Réglez  vous-même  tous  les  points  qui  peuvent  vous  em- 
barrasser avec  la  cour  de  Vienne.  Convenez  de  celui  de  la 
paix  dans  telle  ou  telle  autre  supposition.  Mettez-vous  à 
Taise  sur  les  subsides,  en  assurant,  au  moins,  des  dimi- 
nutions considérables,  si  la  guerre  dure.  Nettoyez  l'article 
des  arrérages,  des  revenus  des  pays  conquis  et  autres 
drogues  d'intérêt  pécuniaire.  Consolidez  les  arrangements 
qui  regardent  l'infante  Isabelle;  on  me  mande  de  Naples 
que  le  mariage  de  la  princesse  de  Naples  avec  l'archiduc 
parait  se  démancher.  Je  ne  crois  pas  que  l'Impératrice 
puisse  se  plaindre  du  Roi.  Elle  n'aura  jamais  un  pareil 
allié.  Mais  le  Roi  et  elle  ont  furieusement  à  se  plaindre  de 
leurs  généraux.  Nous  avons  besoin  ici  d'un  ministre  de  la 
marine  qui  ait  de  l'esprit.  M.  de  Massiac  est  une  grosse 
bête,   et  son  collègue,  qui  ne  manque  pas  d'esprit,  n'a 


S04  LETTRES 

aucune  vue  de  ministre  et  est  entiché  de  la  préTeotioo  do 
corps  de  la  plume  dont  il  sort.  Tous  troarcrex  ici  vos 
bureaux  bien  montes.  Il  est  fort  aisé  de  tenir  dans  k 
main  leurs  chels.  En  quatre  paroles  toos  sentirez  k 
peu  qu*il  y  a  à  foire  pour  foire  aller  cette  madiine  de 
bureau  qui  est  aujourd'hui  la  mieux  or^ganisée  et  la  plus 
tranquille  de  toutes.  Je  ne  vous  demanderai  que  deux 
grâces  ;  celles  de  foire  réaliser  les  grâces  qae  j'ai 
annoncées  aux  ambassadeurs  et  ministres  da  Roi;  je 
vous  recommande  en  particulier  H.  de  Honteil,  qai  est 
mon  parent  et  mon  ami,  et  je  vous  prie  de  laisser  sur 
l'état  des  bureaux  mes  deux  secrétaires  particaliers, 
jusqu'à  ce  que  vous  ayez  occasion  d'en  placer  on  que 
vous  estimez  et  qui  a  été  en  correspondance  avec  vous 
quand  vous  étiez  à  Rome  et  lui  à  Venise  '.  J'ai  besoio  de 
les  conserver  pour  un  reste  de  travail  que  j'aurai  à  fisiire 
avec  vous  y  pour  copier  des  mémoires ,  etc.,  et  je  ne  sois 
pas  en  situation,  avec  les  dépenses  énormes  de  mon 
établissement  et  de  M.  le  camérier  qui  arrivera  bientôt, 
de  donner  des  appointements  forts  à  des  gens  qui  ont 
beaucoup  travaillé,  et  à  qui  je  n'ai  pu  procurer  aucun 
établissement.  L'estafette  de  M.  de  Montazet  me  donne 
bien  de  l'humeur  et  de  l'inquiétude  pour  lajin  des  cam- 
pagnes respectives.  Vous  pourrez  assurer  Leurs  Majestés 
Impériales  que  vous  et  moi  serons  au  conseil  les  plus 
fermes  appuis  de  l'alliance,  qui  n'en  a  pas  besoin  auprès 
du  Roi,  mais  qui  ne  sera  efficacement  protégée  que  par 
une  meilleure  direction  dans  les  affoires.  Vous  pouvez 
en  toute  assurance  appeler  M.  de  Montazet  à  Vienne,  le 
charger  des  affaires  pendant  votre  absence  et  voir  si  vous 
voulez  l'accréditer   en   lui  donnant  le  titre   de  ministre 

*  M.  Bran. 


DU  CARDINAL   DE  BERNIS.  805 

plénipotentiaire,  ce  qui  serait  assez  convenable.  Le  Roi 
est  prévenu  sur  tout  cela.   Je  vous  conseille  de  mettre 
autant  de  diligence  que  vous  pourrez  dans  vos  derniers 
arrangements  avec  la  cour  de  Vienne.  Prenez  ses  paroles; 
vous  travaillerez  pour    vous-même.    A   l'égard    de   votre 
maison,  etc.,  vous  aurez  ici  tous  les  moyens  du  monde 
pour  prendre  sur  cela  des  arrangements  qui  soient  favo- 
rables à  vos  affaires  pécuniaires.  Je  désire  beaucoup  que 
le  maréchal  Daun  ne  se  fasse  pas  donner  sur  les  oreilles 
ou  à  l'armée  de  l'Empire.  Cela  rabattrait  un  peu  la  fierté 
de  la  cour  de  Vienne;  mais  cela  augmenterait  beaucoup 
l'orgueil  du  roi    de  Prusse,   nuirait  à  la  continuation  de 
la  guerre,  si  elle  était  résolue,   et  n'accélérerait   pas  la 
paix,  puisque  le  roi  de  Prusse  reprendrait  toute  sa  supé- 
riorité. 

Je  crois  que  vous  êtes  bien  persuadé  de  mon  attache- 
ment et  de  ma  sincère  amitié  :  elle  ne  finira  qu'avec  ma 
vie.  Je  vais  travailler  à  rétablir  ma  santé.  Il  serait  inutile 
d'avoir  obtenu  le  titre  de  cardinal  pour  orner  seulement 
mon  épitaphe. 

Vous  saurez  sans  doute  l'aventure  du  roi  de  Portugal  : 
on  dit  que  c'est  une  méprise  de  la  Reine  sa  femme  qui 
est  jalouse  et  qui  a  cru  faire  tuer  sa  rivale.  Quoiqu'il  en  soit, 
le  roi  de  Portugal  a  déclaré  sa  femme  régente  pendant  le 
temps  que  durera  sa  maladie.  A  l'égard  de  l'Espagne, 
cela  fait  horreur  et  pitié.  Je  ne  sais  où  cela  finira. 

Vous  pouvez  dire  à  Tlmpératrice-Reine  que  le  Roi  lui 
donnera  bien  volontiers  le  titre  d'Apostolique'.  En  lui 
demandant  quel  ambassadeur  ou  quel  ministre  lui  serait 
plus  agréable ,  vous  aurez  l'adresse  de  faire  sentir  qu'on 

^  La  Gazette  publie,  ù  la  date  du  19  octobre  (11  novembre,  p.  561),  la 
nouvelle  que  le  pape  a  renouvelé  par  un  bref  ce  tifre  en  faveur  de  la  reine 
de  Hongrie. 

11.  ÎO 


906  LETTRES 

ne  doit  pas  regarder  cette  consultation  comme  un  droit 
acquis  pourTavenir,  mais  comme  uife  marque  personnelle 
de  l'amitié  du  Roi. 

.A  madame  de  Pompadour, 

Je  me  suis  couché  hier  à  onze  heures  précises ,  parce 
que  ma  calotte  rouge  ne  m'a  pas  empêché  d'avoir  mal  au 
foie  toute  la  journée.  Mon  Éminence  a  beaucoup  sué  cette 
nuit.  Elle  avait  grand  besoin  que  le  Roi  çût  la  bonté  de 
lui  donner  le  temps  de  se  remettre  et  de  faire  des  remèdes 
suivis.  Quoique  la  lettre  que  Sa  Majesté  m'a  fait  l'honneur 
de  m'écrire  ne  dise  pas  (|u'elle  me  conserve  ma  place 
dans  le  conseil  y  je  crois  devoir  le  supposer,  puisqu'elle 
ne  dit  pas  le  contraire.  Votre  paquet  est  arrivé  à  huit 
heures  du  matin.  Je  vous  félicite  du  beau  temps  qu*il  fait, 
et  je  vous  souhaite,  et  à  moi  aussi,  quelques  bonnes 
nouvelles  qui  nous  fassent  passer  tranquillement  l'hiver. 

Je  vous  avertis  que  la  suspension  de  la  commission 
pour  la  vérification  des  dettes  de  la  marine  fait  un  mau- 
vais effet  dans  le  public.  Sans  tout  bouleverser,  il  serait 
bon  d'en  établir  une  dans  chaque  port  pour  présider  aux 
marchés. 

Ce  11  octobre. 

Samedi  (14  octobre). 

Je  dois  vous  parler  franchement.  Ainsi  je  vais  répondre 
à  une  phrase  de  votre  lettre  d'hier. 

Vous  dites  que  je  dois  m'attendre  à  la  suiprise  générale, 
étant  comblé  des  bontés  du  Roi.  Il  semble  par  là  qu'en 
remettant  ma  place  de  secrétaire  d'Etat,  j'encoure  le 
blâme  de  l'ingratitude  envers  le  Roi.  Ce  jugement  pourra 
être  celui  de  mes  ennemis,  mais  non  pas  celui  de  l'Europe, 
ni  du  royaume. 


DU   CARDINAL   DE  BERNIS.  307 

On  pensera  en  Europe  deux  choses ,  ou  que  ma 
démission  est  un  commencement  de  disg[râcey  ou  un 
affaiblissement  dans  le  système  politique  du  Roi.  La 
première  opinion  nuira  a  mon  crédit  et  par  conséquent 
aux  affaires  dont  le  Roi  peut  me  charger  à  Tavenir  ;  mais 
elle  sera  aisée  à  détruire.  La  seconde  mérite  plus  d'atten- 
tion ,  et  elle  exige  pendant  longtemps  un  grand  concert 
entre  M.  de  Ghoiseul  et  moi,  sans  quoi  vous  ne  devez  pas 
douter  que  plusieurs  cours  de  FEurope  ne  sauront  à  quoi 
s'en  tenir. 

Ni  vous  ni  le  Roi  ne  m'avez  dit  si  je  resterai  dans  le 
conseil;  si  j'y  reste,  il  faut  éter  l'idée  que  j'aie  perdu  la 
confiance  de  mon  maître ,  sans  quoi  il  vaudrait  mieux 
que  je  me  retirasse  à  Yic-sur-Âisne  ou  dans  ma  famille. 
J'ai  la  confiance  du  Parlement  et  déjà  celle  de  la  moitié  du 
clergé.  Je  puis  donc  tenir  le  royaume  en  paix;  mais  si  l'on 
veut  me  charger  de  cette  besogne ,  il  faut  soutenir  mon 
crédit  et  me  mettre  en  état  de  vivre  décemment  a  la  cour. 

En  quittant  les  affaires  étrangères ,  je  quitte  soixante 
mille  livres  de  rente'.  J'ai  remis  ma  place  de  conseiller 
d'État.  Voici  ce  qui  me  restera  :  Saint^Médard,  qui  rap'-- 
porte  trente  mille  livres  net^;  Trois-Fontaines,  qui  m'en 
rapporte  cinquante  net^,  mais  dont  je  ne  toucherai  les 
revenus  que  dans  un  an;  la  Charité',  seize*.  Le  Roi  sait  que 
la  portion  congrue  d'un  cardinal  est  de  cinquante  mille  écus 
de  rente.  Ainsi  il  s'en  faudra  de  cinquante  mille  livres  au 
moins  que  j'aie  ce  qui  est  nécessaire  pour  soutenir  la 
dignité  de  mon  état. 

1  Les  appointements  du  ministre  ù  département  en  1759  étaient  de 
128,604  livres,  sur  lesquelles  il  fallait  déduire  les  intérêts  des  400,000  livres 
de  la  charge. 

2  Même  chiffre  dans  l'Almanach  de  1758. 

3  45,000,  d'après  TAlmanach. 
^  12,000,  d'après  TAlmanach. 

20. 


308  LETTRES 

Une  abbaye  régulière ,  qui  ne  peut  être  possédée  que 
par  un  moine  ou  par  un  cardinal,  sans  rien  coûter  aa 
Roi  y  me  donnera  de  quoi  vivre  selon  mon  état.  En 
attendant,  je  dois  deux  cent  mille  francs  à  M.  de  Mont- 
martel,  et  je  vais  lui  en  devoir  trois  cents,  pour  la  dépense 
quevam'occasionner  lecamérier'.  On  ne  touche  le  revenu 
d'une  abbaye  qu'au  bout  de  dix-huit  mois  :  il  n'y  a  pas 
longtemps  que  j'en  ai,  des  abbayes.  J'ai  fait  à  la  cour  une 
dépense  fort  honorable,  à  ce  que  je  crois  ;  j'ai  meublé  le 
Palais-Bourbon  ',  Versailles,  Fontainebleau'  et  Compiègoe. 
Vous  savez  que  je  n'ai  que  les  bienfaits  du  Roi  ;  ainsi  vous 
ne  devez  pas  être  étonnée  de  mes  dettes ,  n'ayant  pas  eu 
le  temps  de  jouir  de  mon  revenu,  et  ayant  été  obligea 
une  grande  dépense. 

Au  reste,  vous  savez  que  je  ne  quitte  les  affaires 
étrangères  que  parce  que  ma  santé  est  fort  dérangée  et 
parce  que  je  suis  trop  honnête  homme  et  trop  plein 
d'honneur  pour  me  charger  d'une  partie  que  je  ne 
pourrais  plus  soutenir.  Je  ne  pourrais  manquer  à  la 
longue  aux  engagements  que  j'ai  contractés  sans  perdre 
le  crédit  du  Roi  et  sans  me  déshonorer  personnelle- 
ment. Je  n'ai  pas  le  pouvoir  d'arranger  les  finances,  et 
je  n'ai  pas  la  force  sur  moi-même  de  manquer  de  pa- 
role sans  mourir  de  douleur.  M.  de  Choiseul,  en  entrant 
en  place,   peut  prendre  de  nouveaux  arrangements;  et 

'  Le  Boi  accorda  à  Tabbé  Archinto,  camérier  de  Sa  Sainteté,  une  pension 
de  6,000  livres.  (Lettre  de  Bernis  à  Saint-Florentin  du  31  janvier  1759. 
Arcbives  de  la  famille  de  Berni.<  à  Nîmes.) 

*  Je  n*ai  rien  trou%'é  aux  Archives  nationales  (K  563  et  suiv.)  sur  Tkabi- 
Ution  de  Bernis  au  Palais-Bourbon.  Il  semble  avoir  été  autorisé  à  y  laisser 
jusqu*en  juin  ses  meubles  et  ses  chevaux. 

^  Il  résulte  d'une  lettre  écrite  par  le  Cardinal  à  M.  de  Saint-Florentin 
(Vie-sur- Aisne)  que  Bernis  dut  mettre  ses  meubles  de  Fontainebleau  dans 
l'appartement  du  ministre  de  la  maison  du  Boi,  M.  de  Montmorîn  pou- 
verupur  de  Fontainebleau,  les  ayant  fait  enlever,  dès  le  mois  de  janvier, 
ile  l'ancien  appartement  de  Remis. 


DU  CARDINAL   DE  BERNIS.  309 

si  quelqu'un  peut  mettre  les  affaires  du  royaume  sur 
un  meilleur  pied,  c'est  lui,  par  son  talent,  par  le  zèle 
avec  lequel  je  le  seconderai ,  si  cela  lui  convient.  Au 
reste,  il  ne  croit  pas  la  paix  si  nécessaire  que  moi,  et  il 
est,  par  conséquent,  plus  en  état  de  soutenir  la  con* 
tinuâtion  de  la  guerre.  Voilà  mes  raisons.  //  faudrait 
vouloir  me  méconnaître  tout  exprès  pour  attribuer  ma  rc- 
traite  à  l'ingratitude. 

Les  grâces  dont  le  Roi  m'a  comblé  ont  presque  toutes 
été  déterminées  par  les  circonstances  et  nécessaires  au 
service.  Après  trois  ans  d'ambassade  où  j'avais  réussi,  on 
m'a  donné  trente  mille  livres  de  rente  en  abbayes.  J'avais 
quarante  ans,  et  j'étais  destiné  à  l'ambassade  d'Espagne. 
Cette  grâce  qui  ne  coûtait  rien  au  Roi  était  de  justice. 
Le  Roi  m'a  fait  entrer  dans  son  conseil  parce  qu'il  m'avait 
chargé  de  toutes  les  affaires  de  l'Europe,  et  que  M.  Rouillé 
m'en  refusait  la  connaissance.  Vous  savez  quelle  peine 
vous  avez  eue  pour  y  déterminer  le  Roi.  Son  service 
l'exigeait.  Ce  n'est  pas  ma  faute  si  M.  Rouillé  était  en 
apoplexie ,  et  si ,  contre  mon  goût  et  mon  inclination , 
il  a  fallu  me  charger  d'un  département.  J'y  ai  ruiné  ma 
santé,  et  y  ai  fait  beaucoup  de  dettes  indispensables.  Le 
Roi  m'a  honoré  de  ses  ordres  après  trois  années  d'am^ 
bassade,  dix-huit  mois  de  ministère,  et  après  des  traités 
qui  ont  changé  la  face  de  l'Europe.  Nos  fautes  et  nos 
malheurs  n'ont  pas  empêché  que  tout  ce  que  j'ai  armé  ne 
le  soit  encore,  et  que  tout  ce  que  j'ai  rendu  neutre  ne 
conserve  sa  neutralité.  MM.  de  Baschi',  de  Broglie^  et 

^  François,  des  comtes  de  Baschi,  comte  de  Baschi  Saint-EsteTe,  nommé 
ministre  plénipotentiaire  près  de  l'électear  de  Bavière  en  mai  1748 ,  ambas- 
sadeur près  le  roi  de  Portugal  en  1752,  nommé  chevalier  des  ordres  du  Roi  le 
1"  janvier  1756.  reçu  le  !•' janvier  1757,  ambassadeur  à  Venise  en  févrie 
1760,  more  le  19  décembre  1777,  dans  sa  soixante-diz-septième  année 

>  Le  2  février  1757. 


tllO  LETTRES 

d'Aubeterre  *  avaient  eu  le  cordon  bien  ;  le  Roi ,  sans  me 
maltraiter,  ou  sans  m'ôter  la  considération  qui  est  néces- 
saire dans  les  {prandes  places,  pouvait-il  me  refuser  cette 
grâce?  Il  m'a  donné  l'abbaye  de  Trois-Fontaines  pour 
m'empécher  de  me  ruiner.  Je  soutiens  toute  ma  famille 
qui  est  pauvre ,  je  ne  demande  rien  qui  soit  à  charge  k 
l'État.  Â  l'égard  des  abbayes,  il  vaut  mieux  les  donnera 
ceux  qui  sont  utiles  qu'à  ceux  qui  ne  sont  bons  à  rieD. 
Pour  le  chapeau  y  vous  savez  que  ni  le  Roi,  ni  vous,  ai 
moi  n'y  avions  songé.  J'avais  rendu  service  au  feu  Pape 
dans  rafTaire  de  Venise.  Il  a  voulu  me  marquer  sa  recon- 
naissance; le  Roi  a  bien  voulu  y  consentir.  Et  c'est  un 
chapeau  de  plus  pour  la  France.  Je  crois  que  je  pourrai 
être  plus  utile  dans  un  conclave  que  les  cardinaux  de 
Luynes'  et  de  Gesvres'.  Ainsi  les  grandes  affaires  dont 
j'ai  été  chargé  ont  rendu  comme  nécessaires  les  grâces 
dont  le  Roi  m'a  comblé.  Je  ne  les  ai  point  achetées  par  de 
vilaines  choses.  Ainsi  je  dois  tout  aux  bontés  du  Roi,  à 
votre  amitié,  et  beaucoup  aux  circonstances.  Il  m'a  paru 
nécessaire  de  vous  en  mettre  le  tableau  sous  les  yeux,  afin 
que  vous  ne  perdiez  pas  de  vue  mon  véritable  état  et  ma 
véritable  façon  de  penser.  Je  suis  jaloux  de  votre  estime 
lutant  que  de  votre  amitié,  et  le  moindre  mot  de  votre 
part  qui  peut  être  à  double  sens  m'inquiète,  parce  que  je 
crois  mériter  que  vous  ayez  bonne  opinion  de  moi.  Je  me 
«oucie  beaucoup  de  celle  des  honnêtes  gens  et  très-pea 

*  Même  jour  cjnc  M.  de  Broglie. 

2  Paul  Albert  de  Luynes,  ne  à  Versailles  le  5  janvier  1703,  nominé 
évèque  de  Baveux  en  1729,  arcbevêquc  de  Sens  en  août  1753,  cardinal  (à 
la  nomination  du  chevalier  de  Saint-Georges)  le  5  avril  1756,  commandear 
du  Saint-Esprit  en  1758,  mort  le  22  janvier  1788. 

5  Etienne-René  Potier  de  Gesvres,  né  à  Paris  le  2  janvier  1697,  évèque 
et  comte  de  Bcauvais,  pair  de  France  le  18  février  1728,  cardinal  en 
1756,  commandeur  du  Saint-Esprit  en  1758,  se  démet  de  son  évèdié  en 
1772,  et  meurt  u  Paris  en  juillet  1774. 


DU   CARDINAL  DE  BERNIS.  31i 

des  jugements  hasardés  de  ia  cour  et  du  public.  J'aurai 
l'honneur  de  vous  voir  ce  soir. 

Au  Roi  ' . 

15  octobre. 

J'ai  exécuté  les  ordres  de  Votre  Majesté  mercredi  der- 
nier,  et  j'ai  envoyé  à  Vienne,  par  un  courrier,  la  copie  de 
la  lettre  dont  il  vous  a  plu,  Sire,  de  m'honorer  le  9  de 
ce  mois ,  afin  que  le  duc  de  Choiseul  fût  en  état  de  bien 
rendre  votre  esprit  à  la  cour  de  Vienne. 

Il  est  plus  à  désirer  que  jamais  que  cette  cour  sente  la 
nécessité  de  rendre  la  paix  à  l'Europe.  Son  courage  et  sa 
haine  contre  le  roi  de  Prusse  Taveuglent  ;  elle  ne  sent  pas 
assez  que  ses  alliés  s'épuisent  et  se  dégoûtent,  et  que  la 
France  en  particulier  risque  de  perdre  toutes  ses  colonies 
pour  venger  la  querelle  particulière  de  l'Impératrice.  Je 
persiste  à  croire,  Sire,  que  le  plus  grand  coup  d'État  serait 
de  faire  la  paix  cet  hiver  et  d'y  faire  consentir  nos  alliés^ 
Où  trouvera-t-on  les  hommes  et  l'argent  nécessaires  pour 
continuer  la  guerre?  Au  reste,  Sire ,  le  duc  de  Choiseul, 
qui  a  beaucoup  d'esprit  et  qui  connaît  bien  vos  alliés,  peut 
dès  à  présent  donner  un  meilleur  conseil  que  moi  à  Votre 
Majesté,  et  je  m'en  rapporterai  volontiers  à  son  sentiment 
lorsqu'il  connaîtra  aussi  bien  que  moi  la  situation  de  V9s 
affaires. 

Je  me  borne  aujourd'hui  à  représenter  a  Votre  Majesté 
la  nécessité  de  mettre  en  mouvement  la  marine,  qui  est 
un  corps  sans  âme.  Sans  tout  culbuter,  on  peut  rendre  le 
mouvement  à  cette  machine  engourdie,  et  j'ose  dire  que 
Votre  Majesté  n'a  pas  un  seul  moment  à  peirdre. 

Votre  conseil  vous  a  représenté  qu'il  était  indispensable 
d'arranger  les  anciennes  dettes  pour  employer  les  fonds  de 

^  Ce  mémoire  est  écrit  k  mi-marge. 


8iS  LETTRES 

la  marine  au  payement  des  matelots  et  ouvriers  et  aux 
armements.  Votre  Majesté  a  nommé  une  commission  dpà 
est  suspendue,  parce  que  messieurs  de  la  marine  ne  veulent 
pas  de  cette  commission.  Madame  de  Pompadour  fera 
résider  M.  Le  Normand  quand  Votre  Majesté  l'ordonnera, 
It  faut  entourer  M.  de  Massiac  (qui  est  bon  homme, 
mais  sans  idée  ni  imagination)  de  gens  actifs  et  capables 
de  projets  susceptibles  d'exécution. 

Aucun  de  vos  ministres  ne  vous  proposera  rien  sur  cet 
objet,  parce  que  personne  ne  veut  se  charger  de  F  événement. 
Pour  moi,  Sire,  qui  peux  me  tromper  plus  que  personne, 
je  crois  devoir  vous  dire  ce  que  je  pense  pour  le  bien  de 
votre  service.  J'en  userai  toujours  de  même,  et  sans  cela 
je  ne  croirais  pas  avoir  rempli  mes  devoirs. 

Il  faut  arranger  la  marine  en  conservant  M.  de  Massiac, 
ou  en  le  renvoyant.  Dans  le  dernier  cas,  il  faut  avoir  tout 
prêt  un  excellent  ministre  de  la  marine  et  ne  pas  s  y 
tromper. 

Les  marins  nomment  par  excellence  M.  de  Blenac^. 
Mais  je  ne  le  connais  pas  et  ne  saurais  en  répondre 
d'aucune  façon. 

Le  public  nomme  dans  la  robe  M.  Silhouette^.  Jt 
lui  crois  du  génie  et  peut-être  tout  ce  qu'il  faut  pour  rétablir 
cette  administration.  Mais  on  Ta  vu  bien  petit  garçon; 
il   déplaira  aux   officiers,  et  je  n'ignore  pas  qu'il  a  des 

1  Le  comte  de  Courbon-BIénac,  garde  de  la  marine  en  1725,  ensei^e 
en  1732,  lieutenant  en  1736,  capitaine  en  1746,  chef  d'escadre  en  1757, 
lieutenant  général  le  l«c  octobre  1764,  commandeur  de  Saint-Louis  le 
3  août  1766,  mort  en  1766. 

2  Etienne  de  Silhouette,  né  à  Limoges  le  25  juillet  1709^  conseiller  au 
parlement  de  MeU,  conseiller  au  grand  conseil  4e  30  avril  1745,  secré- 
taire des  commandements  du  duc  d'Orléans  (1746),  son  garde  des  sceaax 
(1748),  son  chancelier  et  son  président  de  son  conseil,  commissaire  pour 
le  règlement  des  limites  de  l'Acadie  en  1749,  commissaire  de  la  Compa- 
gnie des  Indes  en  1751,  contrôleur  génénd  le  4  mars  1759,  démis  le 
21  novembre,  mort  à  Brie-sur-Marne  le  20  janvier  1767. 


DU   CARDINAL   DE   BERNIS.  313 

ennemis  qui  ne  parlent  pas  bien  de  son  caractère.  J'ai 
demandé  des  faits  qui  fussent  contre  lui;  j'avoue  que  per^ 
sonne  ne  m'en  a  cité. 

J'ai  lu  à  Votre  Majesté  un  mémoire  de  M.  de  Monclar' 
l'autre  jour  au  conseil.  C'est  un  homme  éclairé  qui  vous 
-serait  utile  ici  à  plus  d'une  chose  et  un  bon  gentilhomme 
fait  pour  occuper  une  grande  place.  Il  connaît,  d'ailleurs,  le 
corps  de  la  marine  ainsi  que  les  bureaux.  Je  crois  ce  choix 
trèS'bon,  sauf  des  inconvénients  qui  peuvent  m' échapper. 

Vous  avez,  Sire/  sous  votre  main  M.  Berrier.  Il  est  dans 
votre  conseil;  depuis  deux  mois  il  est  occupé  de  tout  ce 
qui  regarde  la  marine;  je  lui  donnerais  la  préférence  sur 
tous  les  autres;  mais  je  doute  qu'il  voulût  se  charger  d'un 
pareil  fardeau.  Votre  Majesté  pourrait  seule  l'exiger,  et  je 
suis  persuadé  qu'il  se  rendrait  non-seulement  à  vos 
ordres,  mais  même  à  vos  désirs,  s'il  était  persuadé  que 
Votre  Majesté  mettrait  en  lui  sa  confiance.  M.  Berrier 
choisirait  dans  les  officiers  de  marine  les  plus  intelligents 
ceux  qu'il  croirait  pouvoir  l'aider. 

Dans  le  cas,  au  contraire,  où,  par  la  difficulté  de  trouver 
un  successeur  à  M.  de  Massiac,  et  pour  éviter  les  fréquents 
changements  de  ministre,  M.  de  Massiac  resterait  en  place, 
je  propose  à  Votre  Majesté  avec  confiance,  pour  travailler 
sous  les  ordres  du  ministre  de  la  marine,  le  baron  de 
Narbonne^y  qu'on  mettrait  à  la  tête  des  armements  en  le 

» 

1  S*agit-il  ici  de  Jean-Pierre-François  de  Ripert  de  Monclar,  né  le 
l«r  octobre  1711  à  Arfc,  procureur  général  près  le  parlement  de  Provence 
%  19  décembre  1732,  célèbre  par  sa  faveur  pour  les  protestants,  sa  haine 
contre  les  jésuites  et  sa  latte  contre  le  Pape?  En  1755,  Luynes  (XIV,  368) 
note  un  voyage  de  M.  de  Monclar  à  Versailles  et  s'étonne  qu'il  ait  été 
présenté  au  Roi.  Mais  la  marine? 

2  Je  dois  à  mon  ami,  M.  Pierre  Mai^gry,  archiviste  de  la  marine, 
les  détails  suivants  sur  Charles-Bernard-Martial,  baron  de  Narbonne- 
Pelet  Melguiet.  11  était  né  en  1720,  garde  de  la  marine  le  5  mai  1738, 
enseigne  le    i*r   janvier  1746,    lieutenant  le    11    février  1756,  chera- 


314  LETTRES 

faisant  capitaine  de  vaisseau.  Cette  grâce  lui  est  due,  car  on 
a  fait  de  ses  cadets.  C'est  un  homme  du  plus  grand  esprit  et 
du  plus  grand  courage.  Le  chevalier  de  Mirabeau  serait 
excellent  à  la  tête  des  classes^ ,  et  je  crois  que  M.  de 
Bompar^,  gui  a  bon  esprit  et  bonne  tête,  serait  fort  bien 
pour  les  colonies  quil  connaît  et  qu'il  a  administrées.  Oa 
pourrait  de  tout  cela  faire  un  conseil  pour  le  ministre 
actuel ,  auquel  conseil  on  pourrait  joindre  Silhouette  pour 
mettre  en  règle  tout  ce  qui  concerne  les  dépenses:  Ces  trois 
officiers  mériteraient  qu'on  leur  assignât  des  appointements 
pour  les  distinguer  des  simples  commis  et  leur  faire  un  étal 
convenable  à  leur  naissance  et  à  leur  profession. 

Voilà,  Sire,  ce  que  je  pense,  sans  autre  intérêt  que 
votre  service. 

Questionnez  vos  ministres  sur  le  même  objet,  et  décidez- 
vous  promptement,  car  la  chandelle  brûle  par  tous  les 
bouts. 

lier  de  Saint-Louis  en  1757.  Il  ublient  le  23  février  1759  une  pension 
de  4,000  livres,  est  nommé  en  décembre  1761  inspecteur  du  dépôt  des 
cartes  et  plans  de  In  marine  et  des  afFaircs  étraii{]cres,  est  capitaine  de 
frégate  en  1764,  capitaine  de  vaisseau  en  1767,  et  meurt  à  la  mer  le  8  dé- 
cembre 1775. 

*  Jean-Antoine-Joseph-Charles-EIzéar  de  Riqueti,  chevalier,  puis  bailli 
de  Mirabeau,  né  à  Perthuis  le  8  octobre  1717,  reçu  chevalier  de  Malte  le 
31  juillet  1720,  entre  dans  le  corps  des  galères  en  1730,  lieutenant  de 
vaisseau  en  1746,  capÎMine  de  vaisseau  en  1751,  gouverneur  de  la  Gua- 
deloupe en  1752,  se  retire  à  Malte  en  1759  et  y  meurt  général  des  galère. 
Voir  sur  lui  Mémoires  de  Mirabeau,  Paris,  1834,  t.  1,  p.  19S  et  suiv.  Snr 
son  entrée  au  ministère,  voir  Lettres  écrites  du  donjon  de  Vincennes y  éd. 
Garnery,  t.  II,  p.  317.  On  y  trouve  une  anecdote  sur  une  entrevue  da 
chevalier  avec  madame  de  Pompadour  à  la  date  du  15  octobre.  Honoré 
dit  1755.  Ne  faut-il  pas  lire  1758?  Voir  enfin  la  Marquise  de  Rockefortet 
ses  amis,  par  M.  de  Loménie,  p.  99. 

2  M.  de  Bompar,  garde  de  la  marine  en  1713,  enseigne  en  1727,  lieu- 
tenant le  25  mars  1738  (voir  Gazette  de  France)^  capitaine  le  1*='  janvier 
1746  (voir  Gazette  de  France,  4  septembre  174.5),  chef  d'escadre  en 
avril  1757,  et  depuis  1750  gouverneur  général  des  îles  du  Vent,  comman- 
deur de  Saint-Louis  en  1757,  lieutenant  général  des  armées  navales  le 
l^*"  octobre  1764,  grand-croix  de  Saint-Louis  en  1770,  commandant  U 
marine  au  port  de  Toulon,  mort  le  23  février  1773. 


DC   CARDINAL  DE   BERNIS.  Si5 

A  Monsieur  le  duc  de  ChoiseuL 

Ce  19  octobre  1758. 

Vous  Toyez,  monsieur  le  duc,  par  mes  dépêches  et 
par  mes  lettres,  que  le  Hoi  voudrait  pouvoir  faire  la  paix 
sans  rompre  son  alliance  et  sans  perdre  Tidée  d'établir 
l'Infante.  Il  consulte  sur  cela  son  cœur,  sans  faire  peut-être 
d'assez  sérieuses  réflexions  sur  l'état  de  son  royaume.  En 
général,  le  Roi  ne  voit  point  noir.  Il  a  été  accoutumé  à  se 
tirer  du  bourbier  sans  s'y  être  donné  beauconpde  peine; 
il  croit  qu'il  en  sera  de  même  toujours.  Mais  les  progrès 
du  mal  ont  énervé  les  forces  intérieures  de  son  État.  Le 
désordre  des  finances  occasionné  par  le  désordre  des 
parties  prenantes  a  affaibli  les  reins  de  cette  monarchie. 
L'autorité  éparpillée  partout  n'est  réunie  nulle  part.  L'es- 
prit de  citoyen  a  disparu.  On  ne  récompense  plus  personne 
qu'avec  de  l'argent.  Le  zèle  n'existe  plus.  Il  n'y  a  guère 
d'honneur  ni  de  vrai  courage.  Je  ne  vois  de  moyen  de 
conserver  l'État  que  par  la  paix  et  l'économie.  Par  rap- 
port au  gouvernement  intérieur,  il  est  certain  qu'il  faut  à 
madame  de  Pompadour  un  ami  en  qui  elle  prenne  une 
entière  confiance,  et  cet  ami  ne  peut  être  que  vous.  Il 
n'est  pas  vraisemblable  qu'on  réussisse  à  mettre  entre  elle 
et  vous  les  petites  entraves  qu'on  a  mises  entre  elle  et  moi. 
Nous  ne  sommes  pas  gouvernés,  et  nous  ne  pouvons  l'être 
que  par  son  influence.  Ainsi  voyez  promptement  ce  que 
vous  pouvez  faire  ou  ne  pas  faire  à  Vienne,  et  venez  ici 
mettre  ce  qui  y  manque,  qui  est  Tunité  de  système  et  plus 
de  décision.  Nous  vivons  comme  des  enfants.  Nous  se- 
couons les  oreilles  quand  il  fait  mauvais  temps,  et  nous 
rions  au  premier  rayon  du  soleil.  Le  moindre  petit  avan- 
tage nous  regrimpe,  et  nous  ne  calculons  pas  l'état  affreux 


316  LETTRES 

OÙ  de  nouveaux  désastres  pourraient  nous  jeter.  Il  y  a 
deux  mois  que  je  presse  inutilement  pour  foire  finir  Ten- 
gourdissement  de  la  marine.  On  les  a  perdus,  ces  deux 
mois,  en  dissertations.  On  a  donné  les  plus  beaux  mé* 
moires,  sans  exécuter  un  mot  de  ce  qu'ils  contenaient.  Je 
vous  le  répète,  vous  seul  pouvez,  en  conduisant  madame 
de  Pompadour,  conduire  le  Roi.  C'est  pour  cette  ralsoo 
que  je  crois  votre  prompt  retour  indispensable.  Si  vous 
pouvez  déterminer  à  la  paix,  vous  rendrez  un  g^and  ser- 
vice à  l'État  et  vous  vous  éviterez  à  vous-même  bien  des 
embarras.  Si  vous  ne  pouvez  y  réussir,  tâchez,  du  moins, 
de  simpliBer  le  système  et  d'en  diminuer  le  fardeau.  J'ai 
prié  le  Roi  de  prévenir  M.  le  Dauphin.  Il  foudra  que  dans 
quelques  jours  je  prévienne  M.  de  Starhemberg,  car 
M.  de  Kaunitz  lui  mandera  la  chose  dès  q^e  vous  lui  en 
aurez  fait  confidence.  Je  crois  nécessaire  de  bien  établir 
dans  t Europe  notre  union  et  notre  concert,  de  peur  que  les 
cours  ne  prennent  de  l'ombrage.  Il  est  certain  que  je  ne 
pourrais  plus  soutenir  le  travail  journalier  que  je  fais, 
avec  les  peines  d'esprit  et  les  inquiétudes  que  me  donne 
notre  manque  de  gouvernement.  Ainsi,  si  ce  n'avait  pas 
été  vous,  c'aurait  été  un  autre.  Car,  au  fait,  il  faut  être 
maître  de  la  partie  qu'on  gouverne,  ou  la  planter  là.  Je 
suis  parvenu  à  la  plus  grande  fortune  par  la  force  et  le 
bonheur  des  circonstances.  Rien  n'est  si  vif  dans  mon 
cœur  que  le  désir  de  marquer  ma  reconnaissance  au  Roi. 
Mais  un  sentiment  au-dessus  de  tout  autre  me  ferait  re- 
noncer à  toutes  les  dignités  du  monde  plutôt  que  de  com- 
promettre mon  honneur.  Je  vois  que  je  ne  suis  pas  le 
maître  de  gouverner  les  choses  de  façon  à  maintenir  mon 
crédit  et  ma  réputation  ;  rien  dans  le  monde  ne  me'  ferait 
conserver  un  gouvernail  qui  vacille  dans  ma  main.  Il  n'est 
pas,  d'ailleurs,  dans  mon  caractère  de  lutter  contre  l'in- 


DU   CARDINAL   DE   BERNIS.  317 

trigue.  Je  ne  tiens  point  à  la  cour  par  ambition  ;  ainsi  rien 
ne  sera  si  aisé  que  de  m'en  écarter;  je  n'aurai  pas  mém& 
besoin  qu'on  me  le  dise;  la  vie  privée  me  convient  plus 
que  toute  autre.  Ou  faire  de  grandes  choses ^  ou  planter  mes 
choux.  Voilà  ma  devise,  je  n'en  prendrai  point  d'autre. 
L'afFaire  de  M.  de  Soubise  m'a  fait  grand  plaisir';  c'est 
une  déroute  plutôt  qu'une  défaite.  Nous  avons  fait  qua- 
torze cents  prisonniers,  vingt-deux  pièces  de  canon  de 
batterie;  cela  est  bien  joli.  Il  y  a  longtemps  que  nous  ne 
sommes  plus  accoutumés  aux  triomphes.  Adieu,  monsieur 
le  duc;  je  vous  suis  attaché  pour  la  vie. 

A  Madame  de  Pompadour. 

Le  26  octobre. 

Gomme  le  courrier  pour  Vienne  ne  partira  que  diman* 
che,  je  n'ai  point  envoyé  hier  le  projet  de  réponse  du  Roi 
à  l'Impératrice.  Vous  le  trouverez  ci-joint. 

On  a  eu  de  Bruxelles  la  communication  d'une  lettre 
d'un  officier  hanovrien  qui  est  venu  rendre  compte  au 
prince  Ferdinand  de  la  bataille  de  M.  d^  Soubise*.  Il 
avoue  qu'ils  ont  perdu  six  mille  hommes.  On  nous  trouve 
bien  modestes  à  Bruxelles  dans  nos  relations.  J'ai  répandu 
ce  fait  aujourd'hui  à  dîner. 

Voici  une  belle  chose  :  M.  de  Massiac  est  venu  ce  matin 
chez  moi.  J'avais  parlé,  en  conséquence  de  l'arrangement, 
à  MM.  de  Narbonne  et  de  Mirabeau.  M.  Berrier  avait  parlé 
au  premier,  qu'il  connaît.  Heureusement  je  leur  avais  de- 
mandé le  secret,  et  en  attendant  je  les  avais  fait  travailler  à 

1  La  nouvelle  de  la  bataille  de  Lutzelbei^  avait  été  apportée  le  18  par 
le  marquis  de  Conflans   La  victoire  était  du  10. 

3  bataille  de  Lntzelber(;.  La  Gatelte  dit  (p.  540)  :  •  La  |>crte  des 
ennemis  monte  à  trois  ou  quatre  mille  hommes  tués  ou  blessés,  et  on  leur 
a  fait  huit  cents  prisonniers.  • 


818  LETTRES 

un  plan  d'opération  concerté  avec  M.  de  BeauvaP,  que 
j'avais  envoyé  a  Bordeaux  pour  s'arranger  avec  Gradis*. 
L'arrangement  avec  cet  honnête  juif  était  fait.  M.  de 
Massiac  est  donc  venu  chez  moi.  Il  m'a  beaucoup  surpris, 
quand  je  lui  ai  parlé  de  ces  messieurs,  en  me  disant  qu'il 
n'avait  besoin  de  personne;  que  ces  messieurs  lui  étaient 
inutiles;  qu'ils  avaient  de  l'esprit,  mais  que  M.  de  Mira- 
beau avait  des  idées  qui  n'iraient  pas  au  bien  de  la  chose; 
qu'il  faisait  grand  cas  de  M.  de  Narbonne;  qu'il  était  juste 
de  le  faire  capitaine  de  vaisseau,  puisqu'on  avait  fait  de 
ses  cadets;  que  c'était  un  homme  de  grande  naissance  et 
de  mérite,  mais  qu'il  ne  voyait  pas  à  quoi  ils  lui  seraient 
bons  ni  l'un  ni  l'autre;  qu'ils  étaient  trop  jeunes,  et  que 
la  préférence  qu'on  leur  donnerait  révolterait  les  anciens 
ofBciers  et  allumerait  la  plume  ;  qu'en  un  mot,  il  était  en 
état  de  faire  la  besogne,  et  que  ce  n'était  que  par  complai- 
sance qu'il  avait  adopté  M.  Le  Normand,  lequel  ne  pou- 
vait lui  être  utile  que  pour  la  comptabilité  ;  mais  qu'étant 
débarrassé  des  anciennes  dettes,   il  conduirait  la  marine 
sans  secours  étrangers.   J'ai  été  confondu,   et  n'ai  point 
insisté.  J'informe  de  tout  ceci  M.  le  maréchùlde  Belle-Isie 
avec  qui  je  dois  dîner  demain  à  Versailles  avec  M.  de 
Massiac.  Vous  croyez  bien  que  je  ne  me  mêlerai  plus  de 
cette  affaire,  et  que  dès  que  M.  de  Massiac  ne  veut  pas 
être  secouru,  je  n  insisterai  pas  pour  qu'il  le  soit  par  mes 

*  M.  de  Beauval  avait  <;té  chargé  à  Londres,  en  1755,  par  M.  Rouille, 
d*une  sorte  de  négociation  avec  Fox.  Cette  négociation  échoua  h  la  suite 
de  la  réquisition  sur  les  vaisseaux,  il  fut  nommé  par  Hernie  ministre  prè» 
du  duc  de  Deux-Ponts  et  envoyé  en  mission  à  Bordeaux.  8ou3  Choijtpnl, 
tout  en  continuant  a  être  titulaire  du  poste  de  Deux-Ponts,  il  fut  employé 
à  des  courses  dans  les  ports,  puis  à  des  vovages  dans  les  colonies.  Il  se 
retira,  en  1775,  av«-c  une  pension  de  6,000  livres,  et  mourut  en  1779.  Il 
avait  épousé  Anne-Henée  du  Vivier. 

2  Miclitrl  Gradis,  juil,  armateur  de  Bordeaux,  armait  des  vaisseauv 
pour  la  course  et  élait  en  1759  en  rapport  à  ce  sujet  avec  Lapérou«p. 
(Renseignements  donnés  par  M.  P.  Margry.) 


DU   CARDINAL   DE  BERNIS.  319 

parents.  Cette  raison  seule  suffit  pour  que  je  cesse  de  parler 
sur  cet  article.  Cette  intrigue  ne  serait  pas  difficile  à  démé-^ 
1er;  et  plus  je  vois  que  j'en  suis  l'objet,  plus  il  me  convient 
de  me  taire;  mais  les  affaires  du  Roi  périront  en  attendant; 
voilà  ce  qui  m'afflige.  Je  ne  demande  donc  plus  qu'une 
seule  chose  :  c'est  quon  rende  justice  à  M,  de  Narbonne  en 
le  nommant  capitaine  de  vaisseau. 

J'ai  vu  aussi  M.  Silhouette.  Il  m'avait  envoyé  un  mémoire 
de  réflexions  touchant  la  commission;  je  lui  en  ai  expliqué 
l'objety  et  il  s'est  rendu  à  mes  bonnes  raisons. 

J'ai  vu  M.  delà  Borde.  J'étais  déjà  averti  que  Montmartel 
était  fraîchement  avec  lui  et  ne  cherchait  pas  à  l'établir. 
La  Borde  ne  veut  pas  s'embarquer  sans  être  assuré  que  Mont- 
martel  ne  le  détruira  pas  en  dessous;  Montmartel  craint 
peut-être  que  M.  Boullongne  ne  veuille  élever  la  Borde 
à  son  détriment.  Bien  des  gens  cherchent  à  fortifier  ce 
soupçon.  En  un  mot,  il  y  a  du  froid  avec  le  contrôleur 
général  ;  mais  comme  le  service  peut  en  souffrir,  il  faut  que 
ce  froid  cesse,  et  M.  Boullongne  y  parviendra  en  s'expli- 
quant  nettement  et  amicalement  avec  M.  de  Montmartel. 
Tout  n'est  qu'intrigue  et  cabale  :  on  cherche  à  dégoiiter  tout 
le  monde.  C'est  l'idée  de  la  faiblesse  du  gouvernement  qui 
produit  tous  ces  maux. 

L'Impératrice  avait  dit  à  M.  de  Stainville  que  M.  de 
Starheraberg  avait  écrit  que  je  lui  avais  déclaré  que  le  Roi 
voulait  absolunient  la  paix  et  que  nos  armées  n'agiraient  pas 
l'année  prochaine.  J'ai  répondu  sur-le-champ  à  M.  de 
Ghoiseul  sur  un  article  si  intéressant,  et  je  lirai  ma  dé- 
pêche au  conseil  samedi.  M.  de  Starhemberg  s'est  expliqué 
avec  moi.  Il  m'a  apporté  la  minute  de  sa  dépêche,  où  il 
rend  un  compte  fort  exact  de  ma  conversation  avec  lui, 
dans  laquelle  //  nv  a  pas  un  mot  de  ce  que  C Impératrice 
suppose  que  j'ai  dit  à  son  ambassadeur,  L'Impératrice  est 


310  LETTRES 

vive,  et  le  mot  de  paix,  de  quelque  manière  qu^il  soit 
prononce,  aigrit  cette  princesse. 

J*ai  profité  de  cette  explication  pour  €X>nfier  k  M.  de 
Starhemberg  le  secret  de  mon  successeur.  Il  peut  en  être 
informé  d*un  moment  à  Tautre  par  M.  de  Kaonitz.  If.  de 
Starhemberg  craint  Jort  que  je  ne  me  retire  tout  à  fait,  et 
j*ai  eu  bien  de  la  peine  à  lui  foire  entendre  que  M.  de 
Choiseul  agirait  de  concert  avec  moi,  et  <|a*il  n*y  anrut 
entre  nous  ni  défiance  ni  jalousie.  Il  a  fini  par  en  être  per- 
suadé ;  du  moins,  il  me  Ta  paru. 

J'attends  avec  impatience  des  nouvelles  de  notre  armée; 
ce  qui  me  foit  le  plus  de  peine,  c*est  que  je  ne  vois  nulle 
consistance  dans  la  marine,  ni  aucun  arrangement  solide 
dans  la  finance. 

ÀM  reste,  en  éismmi  towqours  la  vérité  mm  itot  et  à  vous, 
je  me  garderai  bien  dorénavant  de  me  mêler  die  rieo.  Mt 
calotte  romfe  ferait  peur  à  hiem  des  ffems,  ef  ce  m'est  asswt' 
$memt  pas  atoa  intention^  ni  Moa  projei. 

Montmartel  est  venu  travailler  avec  moi  sur  les  siii>- 
sides,  qui  sont  fort  arriérés.  Cepemlant  il  me  traite  mieux 
à  cet  égard  que  par  le  passé.  Dieu  nous  donne  les  moyens 
de  soutenir  cette  besogne.  J^attends  M.  de  Choiseul  am 
impatience.  Cb  parle  déjà  de  son  retour  à  Paris  ;  mais  oo 
ne  dit  pas  encore  pourquoi.  Il  serait  nëcessaiie  que  M.  le 
Daupbin  en  fot  informé. 

r  w  êtes  wma  comunèêrcy  et  j'ajoute  cse  titre  à  bien  d*aiitRS 
que  vous  avex  et  que  vous  oonserrerez  à  jamais  sur  moa 
coeur  et  sur  ma  sincère  reconnaissance. 

Votn^  ElxceUence  voudra  bien  dire  an  Roi  que,  malgit 
quelques  petiU  ora(:es,  TasEsemblée  dn  dcrgé  va  bien.  Le 
carxlinal  de  T^VAnne?  remettra  à  Sa  Majesté  des  mémoires, 
et  Sa  Mjje>4e  voudra  bien  lui  dire  qn*eUe  v  fera  rétioose 
après  Ws  av^^ir  e5.umic<:^  scriecsement. 


DU  CARDINAL  DE  BERNIS.  321 

A  Monsieur  le  duc  de  Choiseul. 

Ce  29  octobre  175S. 

Vous  croyez  bien,  monsieur  le  duc,  que  nous  atten- 
dons de  vos  nouvelles  avec  impatience.  J'ai  instruit  M.  de 
Starhemberg  de  ma  retraite  des  affaires  étrangères.  Il  est 
fort  aise  que  vous  soyez  mon  successeur,  mais  il  craint 
que  le  changement  n'en  occasionne  dans  les  afiaires  gé- 
nérales, ou  du  moins  ne  le  fasse  craindre.  Je  l'ai  rassuré 
sur  la  conformité  de  nos  principes  et  plus  encore  sur  notre 
amitié  qui  en  sera  la  base.  M.  le  Dauphin  a  été  fort  étonné 
de  ma  retraite,  et  madame  de  Pompadour  me  disait  l'autre 
jour  que  la  surprise  serait  générale,  me  voyant  comblé  des 
bontés  du  Roi.  Ce  serait  me  bien  mal  juger  que  d'attribuer 
à  l'ingratitude  la  cessation  de  mon  travail  dans  cette 
place.  Je  vois  visiblement  que  je  ne  puis  pas  obtenir  ce 
qu'il  faudrait  pour  la  bien  faire,  et  je  crois  qu'il  n'y  a  que 
vous  en  France  qui  puissiez  en  avoir  les  moyens.  Voilà  le 
motif  déterminant;  celui  de  ma  santé  n'est  qu'en  seconde 
ligne;  j'aurais  bien  su  sacrifier  ma  vie  à  l'État,  mais  je  ne 
puis  lui  sacrifier  ma  réputation.  Nos  engagements  sont 
trop  forts,  monsieur  le  duc,  et  notre  administration  est 
trop  mauvaise.  Comment  voulez -vous  trouver  quatre  cents 
millions  pour  l'année  prochaine?  C'est  à  quoi  se  montera 
la  dépense  générale.  Sans  commerce  et  sans  récolte,  cela 
est  bien  difficile,  pour  ne  pas  dire  impossible.  Le  Roi 
courrait  risque  de  soulever  son  royaume.  S'il  abandonnait 
sa  marine,  il  jierdrait  toute  sa  puissance  et  toute  son  in- 
fluence. Voilà  pourquoi,  depuis  un  an,  vous  me  voyez 
acharné  à  la  paix.  C'est  parce  que  je  ne  vois  pas  de 
moyens  de  soutenir  les  engagements  de  la  guerre  pré- 
sente. Ainsi  mettez-vous  à  votre  aise  à  Vienne;  surtout 
II.  Si 


3n  LETTRES 

faites  en  sorte  que  le  Roi  ne  reste  pas  dans  la  dépendance 
servi  le  de  ses  alliés.  Cet  état  serait  le  pire  de  tous.  Au 
reste,  en  me  voyant  retiré  dans  le  conseil,  on  ne  man- 
quera pas  de  dire  que  je  suis  disgracié,  à  moins  que  le 
Roi  ne  me  donne  un  travail.  Il  y  a  des  gens  qui  imaginent 
qu'on  devrait  me  donner  les  sceaux,  que  le  Roi  ne  peut 
pas  garder  éternellement',  afin  de  me  conserver  le  crédit 
dans  les  parlements,  ce  qui  assurera  celui  que  je  com- 
mence à  avoir  avec  le  clergé.   Retournez  cette  idée  dans 
dans  votre  tête.  Je  n'en  ai  parlé  à  personne  parce  que  je 
ne  l'ai  pas  conçue.  Il  y  a   des  exemples   de  cardinaux 
gardes  des  sceaux  ';  de  plus,  j'aurai  en  quittant  ma  place 
quatre-vingt  mille  livres  de  rente  de  moins,  et  cent  mille 
écus  de  dettes  de  plus.  Je  dois  encore  mon  établissement, 
et  ma  calotte  me  coûtera  cent  mille  livres,  tant  à  Rome 
qu'à  la  cour,  et  pour  le  caniérier  qui  est  fort  cher.  Voilà 
ma  situation.  Si  l'idée  qu'on  m'a  donnée  vous  convient, 
je  vous  laisse  le  maitre  de  la  proposer.  Il  est  certain  que 
je  ne  sais  ce  qu'il  faut  faire  pour  moi  en  en  retirant,  mais 
il  faut  faire  quelque  chose,  si  Ton  ne  veut  pas  me  rendre 
nul.  A  l'égard  des  pensions  à  la  charge  du  Roi,  je  n*en 
veux  point,  etje  serais  bien  fâché  qu'on  y  songeât.  Mandez- 
moi  de  quelle  manière  vous  désirez  que  f  écrive  dans  les 
cours  étrangères  pour  les  prévenir  de  ma  retraite  et  de  votre 
arrivée^, 

M.  Le  Normand,   qui  n'était  qu'un  mauvais  commis 
plein  de  hauteur  et  sans  vues,  s'en  est  allé.  M.  deMassiac, 

'  Depuis  la  démission  de  M,  de  Machault  (l'»"  février  1757),  le  Roi 
tenait  le  sceau  en  personne  aux  jours  qu'il  indiquait.  Cet  état  de  choscj 
dura  jusqu'au  13  octobre  17(>1,  où  M.Berryer  fut  nommé  garde  des  sceaai. 

-  Hertraudi,  pour  qui  la  chai-ge  fut  créée  en  1551;  Charles  de  Bourbon, 
cardinal  de  Vendôme  en  1559,  cl  d'autres. 

^  Voir  cette  lettre  à  l'Appendice.  J'y  ai  joint  la  lettre  ^var  laquelle 
M.  Rouillé  annonce  sa  retraite. 


DU   CARDINAL  DE  BERNIS.  3S3 

qui  n'est  qu'une  bûche,  ne  veut  pas  se  laisser  conduire 
par  des  gens  de  génie  et  de  mérite.  Tout  ce  département, 
qui  devrait  être  dans  la  plus  grande  activité  aujourd'hui, 
est  dans  la  plus  grande  langueur.  On  tournera  autour  du 
pot  tant  qu'on  voudra,  il  n'y  a  point  ici  de  gouvernement, 
et  il  en  faut  un.  Ce  doit  être  votre  ouvrage  comme 
c'aurait  pu  être  le  mien,  si  le  diable  ne  s'en  était  pas  mêlé, 
et  si  j'avais  su  mettre  plus  d'art  dans  ma  manière  de  dire 
la  vérité.  Ce  qui  me  fait  grand  plaisir  dans  le  nouvel 
arrangement,  c'est  que  les  affaires  seront  en  bonnes 
mains,  et  que  je  ne  risquerai  pas  de' choquer  une  amie  que 
j'aime  et  de  paraître  lui  manquer,  quand  je  ne  voulais  que 
son  bonheur,  qui  est  devenu  aujourd'hui  dépendant  des 
affaires.  J'attends  donc  de  vos  nouvelles  avec  la  plus  vive 
impatience.  Voilà  la  lettre  du  Roi  à  l'Impératrice,  sa  ré- 
ponse au  maréchal  Daun  et  la  mienne  ^. 

A  Madame  la  marquise  de  Pompadour, 

Ce  dOoctobGe^. 

J'ai  l'honneur  de  vous  envoyer.  Madame,  un  petit  mé- 
moire que  vous  voudrez  bien  remettre  au  Roi  après  votre 
souper,  pour  que  je  sois  promptement  informé  de  ses  in- 
tentions. J'avais  dit  à  M.  de  Starhemberg  qu&je  travaille- 

1  Voir  à  r  Appendice  cette  lettre,  dont  la  minute  est  toute  de  la  main  de 
Bernis. 

3  On  sait  de  longue  date  que  les  Lettres  de  madame  la  marquise  de 
Pompadour  depuis  i75S  jusqu'à  1762,  Londres,  G.  Owen  et  Cadell,  1772, 
4  vol.  in-12,  sont  absolument  apocryphes.  Mieux  que  personne,  j'ai  lieu 
de  croire  qu'elles  ont  été  composées  par  M.  de  Barbé-Marbois.  Je  dois 
indiquer  néanmoins  au  lecteur  le  rapprochement  ;i  établir  entre  cette  lettre 
du  '60  octobre  et  une  lettre  de  la  même  date  qui  se  trouve  dans  le  recueil 
de  Londres  (lettre  xxvi,  t.  IV,  p.  121,  correspondant  à  U  lettre  zlviii, 
t.  1,  p.  175).  Une  note  de  la  page  8  du  tome  IV  que  je  retrouve  fait  allu- 
sion à  une  soi-disant  Lettre  pastorale  adressée  à  la  marquise  par  Bernis  au 
moment  de  son  départ  pour  Venise.  C'est  sans  doute  une  des  pièces  ob- 
scènes qu'il  se  plaint  dans  ses  Mémoires  qu'on  lui  ait  attribuées. 

Si. 


32%  LETTRES 

raisy  ëtant  dans  le  conseil,  de  concert  avec  M.  le  duc  de 
Cboiseuly  et  dans  la  plus  parfaite  union.  Vous  savez  que 
c'était  la  première  des  conditions  que  M.  deCboiseul  avait 
pris  la  liberté  de  proposer  au  Roi;  j'ajoute  même,  pour  le 
bien  de  la  cbose,  que,  s'il  en  était  autrement,  il  pourrait  y 
avoir  des  inconvénients  fàcbeux  pour  les  afiEaires  politiques; 
mais  comme  vous  ne  m'avez  point  fait  de  réponse  sur  cet 
article  à  deux  lettres  où  je  vous  en  ai  parié,  et  que  le  soir 
vous  m'avez  dit  que  vous  n'en  saviez  rien,  il  est  temps  de 
s'éclaircir,  puisque  l'ambassadeur  de  l'Empereur  est  déjà 
instruit  par  sa  cour  et  que  le  public  le  ser^  bientôt  :  je 
viendrai  recevoir  la  réponse  après  votre  souper. 

Au  Roi. 

Votre  Majesté,  en  m'annonçant  par  la  lettre  dont  elle 
m'a  honoré,  le  9  de  ce  mois,  la  permission  qu'elle  me 
donne  de  remettre  au  duc  de  Ghoiseul  le  département  des 
affaires  étrangères,  que  le  dérangement  de  ma  santé  et  les 
autres  considérations  contenues  .dans  mon  mémoire  ren- 
daient trop  pesant  pour  moi,  ne  m'a  point  dit  si  elle  me 
conservait  une  place  dans  ses  conseils,  ou  si  son  intention 
était  que  je  me  retirasse  tout  à  fait.  Il  est  nécessaire  que 
je  sois  informé  de  sa  volonté  à  cet  égard,  pour  diriger 
mon  langage  avec  les  ministres  étrangers  et  les  cours  de 
l'Europe  avec  lesquelles  j'ai  des  négociations  commencées. 
Je  n'aurais  jamais  demandé  à  quitter  le  département  qui 
m'était  confié,  si  j'avais  pu  espérer  d'en  remplir  les  enga- 
gements; mais  Votre  Majesté  doit  aujourd'hui  vingt  et  un 
millions  d'arrérages  de  subsides,  et  le  défaut  d'argent 
m'obligera  de  manquer  à  ma  parole  toutes  les  semaines. 

Si  je  reste  dans  son  conseil  et  que  je  travaille  de  con- 
cert avec  M.  le  duc  de  Ghoiseul  (ainsi  qu'il  l'a  demandé 


DU  CARDINAL  DE  BERNIS.  395 

lui-même)  y  il  sera  bien  aise  d*ôter  toute  inquiétude  aux 
cours  alliées  qui  ont  quelque  confiance  en  moi.  Si,  au^ 
contraire,  l'intention  de  Votre  Majesté  est  que  je  me 
retire  tout  à  fait,  il  faut  qu'Elle  ait  la.  bonté  de  me  pres- 
crire le  langage  que  je  dois  tenir  pour  annoncer  ma 
retraite,  ainsi  que  la  désignation  de  mon  successeur. 

Je  supplie  Votre  Majesté  de  vouloir  bien  me  donner  ses 
ordres. 

Ce  30  octobre  1758. 

A  Madame  de  Pompadour. 

Ce  3  novembre. 

J'ai  exécuté  vos  ordres,  et  grâce  au  petit  billet  qui 
accompagnait  votre  lettre  à  M.  de  Ghoiseul,  je  ne  l'ai 
point  décachetée,  selon  ma  louable  coutume.  J'ai  envoyé 
sur-le-champ  votre  lettre  à  M.  de  Sdint-Florentin. 

Quoiqu'on  ait  bien  fait  de  part  et  d'autre  tout  ce  qu'il 
fallait  pour  nous  brouiller,  je  compte  toujours  sur  votre 
amitié  et  votre  estime,  et  vous  pouvez  être  bien  sûre  que 
jusqu'à  la  mort  vous  aurez,  sur  mon  cœur  qui  est  hon- 
nête, des  droits  bien  étendus. 

En  conséquence,  je  vais  tout  simplement  vous  parler 
de  mes  affaires ,  dont  je  dirai  un  mot  au  Roi  dimanche 
dans  mon  travail.  Je  vous  prie  de  l'en  prévenir. 

Je  crois  que  Sa  Majesté  est  contente  de  mes  services. 
Depuis  trois  ans,  j'ai  fait  un  travail  immense,  et  quoique 
les  événements  et  tous  les  départements  aient  contrarié  le 
mien,  c'est  le  seul  qui,  dans  l'état  où  nous  sommes  ré- 
duits, ait  conservé  sa  réputation. 

Toute  retraite  fait  une  impression  désagréable,  et 
puisque  le  Roi  veut  que  je  travaille  de  concert  avec  le  duc 
de  Choiseuly  que  je  me  mêle  des  affisiires  ecclésiastiques  et 


326  LETTRES 

parlementaires,  il  faut  soutenir  mon  crédit.  Je  désirerais 
donc  que  le  jour  où  je  remettrai  ma  place,  le  Roi  eût  la 
bonté  de  m^accorder  les  grandes  entrées  comme  au  maréchal 
de  Belle-Isle  ' .  Cette  grâce  est  pour  moi  la  plus  précieuse 
de  toutes,  puisqu'elle  m'approche  de  mon  mattre. 

J'espère  que  le  Roi  voudra  bien  me  conserver  inoo 
logement  au  Pàlais-Bourbon.  J^y  ai  dépensé  deux  cent 
mille  francs  pour  le  meubler. 

Mon  Éminence,  en  cette  qualité,  a  besoin  d'un  loge- 
ment honnête  à  Versailles  ^.  Les  ministres  étrangers 
viendront  diner  quelquefois  chez  moi,  et  le  clergé  aussi; 
il  jRaut  que  j'aie  une  table. 

En  remettant  les  affaires  étrangères  et  ma  place  de 
conseiller  d'État,  y 'aurai  cent  treize  mille  livres  de  rente  de 
moins.  Je  n'ai  commencé  à  jouir  de  l'abbaye  de  Saiot- 
Médard  que  cette  année,  et  je  ne  loucherai  rien  de  ceDe 
de  Trois-Fontaines  que  le  mois  de  juin  prochain.  En 
attendant,  la  visite  de  M.  le  Gamérier  et  les  autres  frais 
du  chapeau  me  coûteront  au  moins  cent  mille  francs. 
J'espère  que  le  Roi  me  donnera  une  abbaye  quand  il  en 
vaquera  une  honnête;  je  souhaite  que  ce  soit  une  abbaye 
régulière,  qui  ne  peut  être  possédée  que  par  un  cardinal 
ou  un  moine;  moyennant  quoi  je  n'irai  sur  les  brisées  de 
personne. 

^  Les  entrées  chez  le  Boi  sont  les  familières,  les  grandes  entrées,  la 
premières  entrées  et  les  entrées  de  la  cbambre.  Les  entrées  familières  soot 
quand  le  Roi  est  éveillé  et  qu'il  est  encore  dans  son  lit.  Les  grandes  entrées, 
qui  sont  celles  des  premiers  gentilshommes  de  la  chambre,  sont  lorsque  le 
Roi  vient  de  se  lever.  Les  premières  entrées  sont  lorsqu*il  est  levé  et  qu*îl 
a  sa  robe  de  chambre.  L'entrée  de  la  chambre  est  lorsque  le  Roi  est  dans 
son  fauteuil  vis-à-vis  de  sa  toilette.  (Luykes,  t.  I,  p.  262.) 

3  On  sait  (Luttes,  à  la  date  du  26  juin  1757)  que  les  ministres  avaient 
un  logement  à  Versailles  en  qualité  de  ministre.  Bernis  avait  pris  l'appar- 
tement de  M.  Rouillé  lorsqu'il  lui  avait  succédé  aux  affaires  étraugèrei, 
et  à  ce  moment  l'évèque  de  Digne  avait  repris  celui  que  Bernis  avait  anté- 
rieurement obtenu  et  qui  avait  été  celui  du  maréchal  de  Belle-Isle. 


DU   CARDINAL  DE  BERNIS.  327 

Le  Roi  voudra  bien  que  les  dettes  que  j'ai  faites 
pour  son  senrice  soient  payées.  Je  m'arrangerai  sur  cela 
avec  M.  le  contrôleur  général  et  M.  de  Montmartel.  Je 
n'ai  point  demandé  de  gratification  pendant  que  j'ai  été  en 
place.  L'univers  sait  que  f  y  ai  bien  vécu.  M.  Rouillé,  en 
passant  de  la  Marine  aux  Affaires  Étrangères ,  eut  deux 
cent  mille  francs. 

Voilà  y  Madame,  mon  état  et  mes  vœux  pour  mon  ar- 
rangement. Je  dois  vous  en  instruire  par  confiance,  et 
vous  prier  par  amitié  de  disposer  le  Roi  en  ma  faveur  sur 
des  objets  justes  et  raisonnables. 

Voici  les  arrangements  de  la  Marine. 

Le  baron  de  Narbonne  aura  la  direction  des  arme- 
ments et  sera  capitaine  de  vaisseau  ;  \e  chevalier  de  Mira- 
beau, celle  des  classes;  et  si  M.  de  Boippar  peut  être  rem- 
placé par  un  autre  pour  commander  l'escadre,  il  sera 
directeur  des  colonies. 

M.  Berrier  assemble  tous  ces  messieurs  avec  le  maré- 
chal de  Gonflans  ^  dimanche,  pour  avoir  leur  avis. 

A  Monsieur  le  duc  de  ChoiseuL 

Ce  3  novembre. 

Je  reçus  hier  votre  courrier,  dont  le  grand  Collet  *  vous 
contera  l'aventure  fantastique.  Je  ne  perds  pas  un  mo- 
ment pour  vous  envoyer  vos  lettres  de  rappel.  J'ai  fait 
confidence  entière  an  comte  de  Starhemberg.   Je  vous 

^  Hubert  de  Brienne,  comte  de  Gonflans,  maréchal  et  vice-amiral  de 
France ,  né  vers  1690,  cbevalier  da  Mont-Carmel  en  1705,  capitaine  de 
vaisseau  en  1734,  gouverneur  de  Saint-Domingue  en  1747,  cbef  d'escadre 
le  1«'  avril  1748,  lieutenant  général  des  armées  navales  le  1*'  septembre 
1752,  vice-amiral  le  14  novembre  1756,  maréchal  de  France  le  18  mars 
1758,  battu  le  30  novembre  1759  à  la  hauteur  de  Belle-Isle,  mort  le 
Î7  janvier  1777. 

,2  Collet  est  le  courrier  qui  apporu  la  dépêche  de  M.  de  Choiseul  en 
date  de  Vienne  le  23  octobre  et  qui  repartit  de  Paris  le  3  novembre. 


328  LETTRES 

annonce  à  lui  et  autres  ministres  comme  un  ami  intime 
et  solide   avec  qui  le  concert   sera  tout   naturellement 
établi.  Je  tiens  le  même  langage  dans  toutes  les  cours. 
Gela  est  nécessaire  dans  les  premiers  temps.  Au  reste,  je 
ne  me  mêlerai  de  vos  affaires  qu'autant  et  si  peu  que  vous 
le  voudrez,    soyez-en   bien   sûr.   1*  J'ai  confiance   dans 
votre  direction,  et  vous  n'avez  pas  besoin  de  conseil; 
2*  mon  caractère  me  porte  tout  naturellement  à  vivre 
tranquille.   Le  vôtre  s'afFccte  moins,  et  vous  êtes  plus 
heureux  que  moi  et  plus  propre  à  résister  aux   grands 
orages.  Dieu  vous  maintienne  en  joie  et  en  santé,  vous  eo 
aurez  besoin.  «Le  seul  roi  de  Prusse,  en  faisant  la  paix, 
peut  nous  la   procurer   avec   l'Angleterre,    et   je  vous 
annonce  que,  sans  un  miracle  éclatant,  le  Canada  va  tom- 
ber. //  sépare  toutes  nos   colonies.    Vous  ferez  un  chef- 
d'œuvre  si  vous  soutenez  la  guerre  un  an  sans  perdre  nos 
colonies.    M.   Berryer  est  ministre   de  la  marine.   Il  va 
s'aider  d'officiers  très- intelligents  et  courageux.  Mais  il 
est  difficile  de  réparer  ce  que  cinq  ou  six  ministères  ont 
gâté.  Je  crois  la  paix  aussi  nécessaire  à  la  cause  commune 
qu'à  nous,  parce  que  si  l'Impératrice  perdait  une  grande 
bataille,  tout  serait  a  bas  à  la  fois.  Or,  quand  on  dépend 
d'un  seul  événement  possible,  on  est  bien  mal;  au  reste, 
personne  n'est  et  ne  doit  être  plus   attaché    que  moi  à 
l'alliance  ;  mais  mon  esprit  ne  se  repose  point  sur  le  futur 
contingent;  il  lui  faut  des  assurances,  au  moins  morales, 
pour  se  tranquilliser.  L'univers  entier  ne  m'empêcherait 
pas,  en  matière  d'État,  de  dire  mon  seqtiment,  au  hasard 
même  de  déplaire.  Je  suis  bien  aise  que  Leurs  Majestés 
Impériales  me  rendent  justice.  Je  les  traiterai    toujours 
comme  mon  maître,  à  qui  je  ne  déguiserai  jamais  la  vérité. 
Vous  croyez  bien  que  déjà  l'on  me  soufQe  que  vous  ne 
serez  uni   avec  moi  que    quinze  jours.  Cela  ne  me  fait 


DU  CARDINAL  DE  BERNIS.  329 

aucune  impression.  Je  crois  que  vous  êtes  mon  ami-,  je 
suis  le  vôtre  ;  tout  est  dit. 

Je  ne  vous  laisserai  chez  moi  que  les  grosses  choses, 
parce  que  j'ai  besoin  de  meubler  mon  appartement  à 
Versailles.  A  l'ëgard  de  mes  deux  secrétaires,  ils  ne  vous 
embatrasseront  pas;  j'ai  fait  leur  arrangement,  jusqu'à  ce 
que  je  puisse  les  placer.  Je  vous  réponds  de  Tabbé  de  La 
Ville.  Bussy  ne  se  porte  pas  bien,  il  voulait  s'en  aller;  je 
l'en  ai  empêche;  il  vous  est  nécessaire  jusqu'à  la  paix. 
Tercier  travaille  vite;  il  faut  revoir  son  travail;  mais  il 
est  docile;  en  généfàl,  cela  est  bien  monté  et  fort  tran- 
quille. Ma  maxime  a  été  de  répondre  au  Roi  et  de  me 
faire  répondre  des  bureaux  par  les  chefs.  Moyennant  cela, 
je  les  ai  laissés  }es  maîtres  de  leurs  subalternes.  Je  crois 
cette  méthode  bonne.  Au  reste,  vous, avez  raison  de  vous 
moquer  des  cris  publics  et  de  vous  y  attendre.  J'ai  ré- 
fléchi sur  Vidée  des  sceaux  que  je  vous  ai  communiquée; 
cela  ne  vaut  rien,  et  je  n'en  veux  pas;  il  me  faut  une 
bonne  abbaye  en  Flandre.  Si  le  Roi  veut  que  je  mène  son 
clergé,  il  me  faudrait  la  feuille  des  bénéfices;  l'évêque 
d'Orléans  n'a  ni*aura  de  considération;  mais  sur  cela  je 
ne  suis  point  pressé  '.  L'intérêt  de  l'État  en  doit  décider. 
Ma  convenance  est  d*étre  un  cardinal  très^tranquille.  Il 
faut  donner  à  Monteil  le  titre  d'ambassadeur;  cela  est 
nécessaire  en  Pologne.  Le  Roi  en  a  senti  la  nécessité.  Il 
aura  ses  lettres  pour  cela  et  n'en  fera  usage  que  lorsqu'il 
aura  fait  son  établissement  d'une  manière  convenable. 
C'est  un  bon  sujet.  L'évêque  de  Laon  *  mérite  le  cordon 
bleu  ecclésiastique  ;  il  a  besoin  d'être  aidé  par  une  abbaye. 
Voilà  tous  mes  arrangements.  Je  vous  attends  avec  impa- 

*  Voir  l'Introduction. 

^  Jean-François-Joseph  de  Rochechouart,  évèque  duc  de  Laon,  ambas- 
sadeur à  Rome,  puis  cardinal.  11  eut  le  cordon  bleu  le  2  mai  1762. 


880  LETTRES 

tience  et  vous  promets  pour   toujours   Tamitié  la  plus 
vraie  et  rattachement  le  plus  immuable. 

Votre  arrangement  pour  Montazet  est  fort  bon.  La 
semaine  prochaine,  M.  de  Starhemberg  aura  le  quartier 
d'octobre. 

G*est  ainsi  qu'en  partant  je  lui  fais  mes  adieux. 

A  Madame  de  Pompadour. 

Paris,  ce  8  novembre  1758. 

Je  vous  prie,  Madame,  de  dire  au  Roi  que  le  roi  de 
Prusse  se  retire  en  Silésie  et  que  le  maréchal  Daun  le  suit. 
Une  lettre  de  M.  de  Ghoiseui  du  28  me  Tannonce.  Le 
siège  d'Olmûtz,  qui  n'était  qu'un  simulacre,  va  être  levé. 
Nous  verrons  quelle  suite  auront  ces  événements. 

Parmi  toutes  les  versions  impertinentes  qui  ont  agité 
Paris  à  mon  sujet,  la  plus  générale,  et  celle  qui  avait  fait 
le  plus  d'impression  sur  le  clergé,  sur  le  Parlement  et  sur 
les  ministres  étrangers,  c'était  que  j'étais  ou  allais  être  dis- 
gracié,  et  qu'on  m'avait  fait  perdre  la  confiance  du  Roi. 
J'avais  prévu  et  je  vous  avais  mandé  que  ce  serait  le 
point  auquel  les  cours  étrangères  et  les  corps  du  royaume 
s'arrêteraient.  J'ai  réussi  à  détruire  cette  impression.  J'ai 
annoncé  aux  ministres  étrangers,  de  la  part  du  Roi,  que 
le  concert  le  plus  intime  régnerait  entre  M.  de  Choiseul  et 
moi,  que  lui-même  l'exigeait  et  le  désirait.  Cela  a  rassuré 
les  têtes  politiques  en  grande  partie.  J'ai  rassuré  le  parle- 
ment et  le  clergé  en  leur  disant  que  le  Roi  voulait  que  je 
continuasse  à  traiter  les  affaires  délicates  avec  M.  de  Saint' 
Florentin,  Jtf.  le  cardinal  de  Tavannes  et  M.  l'évêque  dt Or- 
léans. J'ai  calmé  Montmartel  et  l'ai  disposé  à  un  arrange- 
ment  qui  mettra  M.  de  Choiseul  à  son  aise.  En  un  mol, 
j'ai  dissipé  les  nuages.  Au  reste,   Madame,    la  vérité  et 


DU   CARDINAL  DE  BERNIS.  331 

l'honnêteté  font  la  base  de  mes  sentiments  et  de  ma  con- 
duite. Il  est  tout  simple  que  ces  principes  m'aient  attiré 
la  confiance.  Mes  ennemis,'  les  vôtres,  ceux  de  l'État,  me 
feront  un  crime  de  me  l'être  attirée.  Je  n'en  ferai  usage 
que  pour  le  service  du  Roi.  Je  crois  fermement  que  M.  de 
Choiseul  uni  avec  moi  fera  le  bien  du  royaume.  Cette 
union  est  nécessaire  parce  qu'il  a  des  ennemis  et  que  la  con- 
fiance ne  s* établit  que  peu  à  peu.  J'ai  déclaré  aux  évéques, 
aux  ministres  étrangers  et  à  tout  le  monde  mon  attachement 
pour  vous  et  ma  reconnaissance.  Écartez  les  rapports  et  les 
mauvaises  confidences  qui  tendent  à  nous  désunir.  Je  vous 
suis  attaché  pour  la  vie.  Votre  bonheur  dépend  de  celui  de 
FÉtat.  Le  Roi  a  confiance  en  vous.  Ayez  confiance  dans  vos 
anciens  amis,  ministres  du  Roi;  ne  la  laissez  point  altérer 
par  les  noirceurs  quon  veut  leur  faire,  et  tout  ira  bien. 

L'évéque  d'Orléans,  qui  est  chez  moi,  m'apprend  la 
mort  de  l'évéque  de  Luçon  '  ;  apprenez  cet  événement 
heureux  au  Roi. 

Je  vous  prie  de  m'obtenir  l'appartement  du  maréchal 
de  Noailles  *.  Un  cardinal  ministre  chez  qui  le  comité  se 
tient  doit  être  logé  convenablement.  J'en  ai  écrit  au  comte 
de  Noailles.  Je  vous  avais  parlé  des  premières  entrées  qui 
furent  données  à  M.  d'Argenson  au  renvoi  de  son  frère. 
Ma  vue  a  été  de  faire  tomber  le  propos  de  disgrâce,  et  je 
crois  cela  important.  Au  reste,  il  ne  faut  pas  gêner  notre 
maître. 

1  Samuel-Guillaume  de  Verthamon  de  Cbava{;uac,  évéque  de  Luçon 
depuis  juillet  \  737,  mort  à  Luçon  le  !<'■'  novembre  1758,  à  Tàge  de  soixante- 
cinq  ans.  Voir  sur  cet  évèque  janséniste  et  sur  ses  querelles  avec  son  cha- 
pitre les  Nouvelles  ecciésiastitpies,  passim,  depuis  1744. 

3  Au  moment  où  le  maréchal  s*était  retiré,  en  avril  1756,  le  Roi  lui 
avait  conservé  son  appartement.  Il  semble  évident  que  le  comte  d'Ayen, 
en  demandant  la  survivance  de  la  charge  de  capitaine  des  gardes  dont  son 
père,  le  duc  d*Ayen,  allait  devenir  titulaire  le  23  décembre  1758,  avait 
fait  entrevoir  qu*il  céderait  Tappartement. 


332  LETTRES 

Quoi  qu'on  dise,  Madame,  je  vous  aime  et  vous  sais 
dëvoué  pour  la  vie. 

Ce  9  noTcmbre  1758. 

Je  suis  très-aise  que  vous  n'ayez  jamais  douté  de  moa 
cœur.  Il  n'est  que  trop  bon,  car  il  me  tue.  Je  ne  vois  à 
Paris  que  deux  seules  femmes  de  mon  ancienne  connais- 
sance; Tune  est  madame  de  Chabannes  ',  qui  a  de  l'es- 
prit et  qui  m'a  bien  juré  qu'elle  n'avait  jamais  tenu  un 
propos  qui  pût  foire  tort  à  mes  sentiments  pour  vous;  je 
le  crois,  parce  qu'elle  a  de  l'amitié  pour  moi  et  de  l'es- 
prit. Pour  madame  de  Forcalquier  ^,  je  ne  la  vois  qu'au 
milieu  de  cinq  ou  six  ministres  étrangers.  Je  lui  ai  re- 
commandé la  même  chose.  Mais  il  y  a  tout  plein  de  gens 
de  mon  ancienne  connaissance  qui  croient  se  faire  hon- 
neur en  se  donnant  pour  être  de  mes  amis.  Pour  ceux-là, 
je  ne  répondrais  pas  de  leurs  propos  et  je  ne  saurais  en 
répondre.  En  général,  beaucoup  de  gens  ont  cru  faire  un 
chef-d'œuvre  que  de  nous  brouiller.  Le  maréchal  de 
Belle-Isle  vînt  me  dire  hier  qu'on  me  faisait  dire  **  qutjt 
me  retirais  parce  que  je  tf  ou  lais  faire  la  paix  et  que  vous  ne 
le  vouliez  pas  »  .  Je  pris  le  parti  de  parlefT  tout  de  suite  au 
comité,  très-haut,  sur  cette  impertinence.  Je  n'ai  jamais 
parlé  de  ce  qui  a  rapport  à  la  paix  qu'au  conseil  et  aux 
ministres  en  discutant  les  affaires  et  notre  situation.  Je 
n'accuse  personne,  parce  que  je  ne  veux  pas  augmenter 
le  chaos;  mais  il  me  sufHt  de  vous  dire  que  tous  les  gens 

1  Je  crois,  màîs  sans  certitude,  qu'il  s'agit  ici  de  Charlotte-Josépliine  de 
Gironde,  Hlle  d'André,  comte  de  Buron,  mariée  Je  13  mars  1750  k  Antoine 
de  Chabannes,  marquis  de  Curton. 

2  Marie-Françoise-Renée  de  Carbonnel  de  Canisy,  belle-sœur  du  mar- 
quis de  Brancas,  titrée  comtesse  douairière  de  Forcalquier,  avait  été  mariée 
1»  au  marquis  d'Antin,  mort  le  24-  avril  1741;  2®  à  Louis-BuBle  de  Brancas, 
appelé  le  comte  de  Forcalquier,  {;rand  d'Espaf^ne,  lieutenant  général  ao 
gouvernement  de  Provence,  mort  le  3  février  1753.  Voir  la  Comtesse  de 
Rochefort  et  ses  amis,  par  M.  de  LomÉnie. 


DU  CABDINAL   DE   BERNIS.  333 

qui  veulent  qu'on  les  croie  honnêtes  ne  le  sont  pas.  J'es- 
père que  la  fermetë  et  la  clarté  avec  lesquelles  je  m'expli- 
querai déconcerteront  les  petites  finesses  et  trahisons  de 
certaines  gens.  Pour  M.  de  Ghoiseul,  il  est  nécessaire  que 
vous  détrompiez  le  maréchal  de  Belle-Isle;  on  est  venu 
lui  en  dire  tant  de  mal  qu'il  ne  sait  qu'en  penser.  Imagi- 
nez-vous ce  que  c'est  que  cet  horrible  pays?  On  a  mandé 
peut-être  deux  cents  fois  au  duc  de  Ghoiseul  que  je  le  vili- 
pendais et  que  je  cherchais  à  le  perdre.  Vous  savez  quelles 
ont  été  ma  conduite  et  mon  opinion  sur  son  compte;  le 
grand  point  est  que  nous  sommes  unis,  lui  et  moi,  pour  le 
bien  du  Roi,  et  pour  lui  donner  le  temps  d'acquérir  la 
confiance  des  ministres  étrangers  et  des  cours.  Aussi  ai-je 
cru  nécessaire  d'établir  tout  au  plus  fort  notre  concert  et 
notre  union. 

J'espère  que  le  mémoire  de  l'archevêque  de  Paris  ne 
paraîtra  pas.  L'escadre  anglaise  est  partie.  Il  est  certain 
qu'elle  doit  attaquer  la  Martinique  ou  la  Guadeloupe  '. 

Notre  comité  d'hier  fut  bien  triste.  Il  faudra  trouver 
deux  cent  quarante  millions  d'extraordinaire.  Gela  est 
impossible. 

M.  Berryer  prend  bien.  Sa  première  conférence  avec  les 
marins  a  réussi,  ainsi  que  les  lettres  qu'il  écrit.  Grand 
Dieu!  quelle  différence  s'il  avait  succédé  à  M.  de  Ma- 
chault  ! 


1  Une  escadre  de  douze  vaisseaux,  six  frégates  et  quatre-TÎDgts  transports, 
partie  de  Portsmouth  le  15  novembre  1758 ,  sous  le  commandement  du 
chef  d*escadre  Moore,  se  présenU  le  15  janvier  1759  devant  la  Marti- 
nique, où  elle  tenta  un  débarquement  qui  fut  repoussé,  se  dirigea  sur  la 
Guadeloupe,  où,  le  22  janvier,  elle  bombarda  la  Basse-Terre,  battit 
ensuite  le  pays  en  le  saccageant,  et  contraignit  le  27  avril  le  gouverneur 
Madeau  à  capituler,  juste  au  moment  où  le  marquis  de  Beauharnais,  gou- 
verneur de  la  Martinique,  arrivait  avec  des  forces  qui  eu!»sent  contraint  les 
Anglais  à  se  rembarquer.  M.  Nadeau  fut,  à  la  suite  de  cette  faible  défense, 
dégradé  et  condamné  à  une  prison  perpétuelle. 


3S4  LETTRES 

A  propos,  il  y  a  quelques  difficultés  pour  notre  commé- 
rage. Colin  '  vous  rendra  compte  de  ce  que  mon  avocat 
au  conseil  lui  en  a  mandé. 

Il  est  sûr  ({ue  le  maréchal  de  Noailles  a  remis  son  ap- 
partement. Je  vous  prie  d'en  parier  au  comte  de  Noailles. 

J'ai  sur  le  cœur  que  le  maréchal  de  Belle-Isle  ne  songe 
pas  à  faire  avoir  un  régiment  au  comte  de  Narbonne  mon 
neveu,  qui  a  plus  de  trente-quatre  ans,  qui  sert  depuis 
seize  ou  dix-huit,  qui  a  fait  avec  la  plus  grande  distinction 
le  détail  de  l'infanterie.  Il  lui  a  fait  donner  une  pension, 
cela  est  fort  bien  ;  mais  un  homme  de  qualité,  neveu 
d'un  ministre  du  Roi,  ne  doit  pas  rester  capitaine  d'in- 
fanterie; le  maréchol  me  promet,  mais  il  se  laissera  aller 
si  vous  ne  lui  en  dites  pas  un  mot,  sans  aucune  plainte 
de  ma  part.  M.  de  Puysieulx  voudrait  que  M.  d'Ossun* 
allât  à  Vienne.  Je  compris  cela  à  la  préface  qu'il  me  fit  à 
ce  sujet.  Je  suis  véridique.  Je  lui  répondis  que  le  roi  d'Es- 
pagne pouvant  mourir  bientôt  ou  abdiquer,  il  serait  fol  de 
ne  pas  laisser  M.  d'Ossun  pour  suivre  le  roi  de  Naples  en 
Espagne.  La  cour  de  Vienne  désirerait  de  préférence 
M.  d'Aubeterre',  qui  est  un  homme  de  bon   sens  qui  ne 

1  Colin,  ancien  procureur  au  Châtelet  de  Paris,  intendant  des  affaires 
de  madame  de  Pompadour,  contrôleur  des  trésoriers  de  Tordre  de  Saint- 
Louis.»  nommé  le  iO  juillet  1751,  retiré  en  1762. 

2  Pierre-Paul,  marquis  d'Ossun,  né  le  28  janvier  1712,  capitaine  ao 
régiment  de  Condé  le  18  novembre  1733,  capitaine-lieutenant  de  la  com- 
pagnie des  chevau-légers  de  la  Reine  le  14  décembre  1744,  brigadier  des 
armées  du  Roi  le  10  mai  1748,  ambassadeur  de  France  près  du  roi  àa 
Deux-Siciles,  nommé  le  1*'  avril  1754,  part  le  4  octobre  1752  et  est  accré- 
dité auprès  du  même  souverain  devenu  roi  d*Espagne  jusqu*en  1778.  Il 
aTai(  été  nommé  chevalier  des  ordres  du  Roi  en  1757,  conseiller  d'État 
d'épée  en  1762,  cbevalier  de  la  Toison  d'or  et  grand  d'EIspagne  de  pre- 
mière classe.  Il  mourut  le  20  mars  1788. 

3  Joseph- il  en  ri  Bouchart  d'Esparbès  de  Lussan,  vicomte,  puis  marquis 
d'Aubetcrrc,  né  le  24  janvier  1714,  colonel  du  régiment  de  Provence  en 
1738,  blessé  en  1744  à  l'attaque  des  retranchements  de  Belleius  et  nommé 
brigadier,  maréchal  de  camp  en  1748,  nommé  ministre  plénipotentiaire  à 


DU  CARDINAL  DE  BERNIS.  3S5 

fera  que  ce  qu*on  voudra  qu'il  fasse.  Je  suis  sûr  de  ce 
que  je  vous  dis  là.  D'ailleurs,  la  cour  de  Vienne  ne  sera 
jamais  fort  touchée  de  ce  qui  appartient  au  traité  d'Aix- 
la-Chapelle. 

Je  félicite  Votre  Excellence  de  la  belle  journée  qu'elle 
aura  à  Saint-Ouen  ',  et  je  la  prie  de  m'aimer  toujours. 

Je  vais  ce  soir  à  Versailles. 

A  Monsieur  le  duc  de  ChoiseuL 

Ce  12  novembre. 

Vous  avez  bien  deviné,  monsieur  le  duc,  les  cris  qu'ex- 
citeraient votre  ministère  et  la  fin  du  mien.  Dans  trois 
mois  il  n'en  sera  plus  question.  Mais  il  était  intéressant 
pour  les  affaires  du  Roi  de  rassurer  les  ministres  étran- 
gers. Je  leur  ai  lu  l'article  de  votre  lettre  qui  les  regarde 
et  leur  ai  déclaré  que  l'intention  du  Roi,  comme  la  vôtre, 
étaient  que  vous  agissiez  dans  un  parfait  concert  de  prin- 
cipes et  de  sentiments.  Gela  était  nécessaire  dans  le  pre- 
mier moment  ;  cela  sera  utile  pendant  quelque  temps,  et 
jusqu'à  ce  (jue  vous  ayez  acquis  leur  confiance  et  qu'ils 
sachent  par  vous  que  les  paroles  que  j'ai  données  seront 

Vienne  en  décembre  1752  (arrivée  le  19  octobre  1753;  audience  de  congé 
le  30  juillet  1756);  chevalier  des  ordres  du  Roi  le  Ibi"  janvier  1757,  reçu  le 
fer  février;  nommé  ambassadeur  extraordinaire  et  plénipotentiaire  à  Ma- 
drid en  septembre  1756,  y  arrive  le  14  avril  1757;  lieutenant  général  le 
l'''  mai  1758;  plénipotentiaire  au  congrès  d'Augsbourg  en  1761;  ambassa- 
deur à  Rome  le  1«' janvier  1763,  y  arrive  le  6  décembre  1763  et  y  reste 
jusqu'en  1769  où  il  est  relevé  par  le  cardinal  de  Bernis  ;  maréchal  de  France 
le  13  juin  1783,  mort  à  Paris  le  28  août  1788. 

*  Saint-Ouen  était  une  terre  du  ddc  de  Oesvres  que  madame  de  Pom- 
padour  avait  seuUment  louée,  et  dans  laquelle  elle  dépensa  néanmoins 
500,000  livres,  à  ce  que  dit  Leroy  (Curiosités,  p.  220);  cela  est  contraire  à 
ce  que  prétend  Dulaure,  qui  affirme  que  madame  de  Pompadour  a\ait 
acheté  Saint-Ouen  en  1745.  M.  Al.  Godillot,  l'intelligent  maire  de  Saint- 
Ouen  sousTEmpirc,  avait  chargé  M.  Pannier  d'écrire  l'histoire  de  cette 
ville.  La  première  partie  seule  a  paru,  et  depuis  huit  ans  un  si  honorable 
projet  n'a  point  été  repris. 


336  LETTRES 

tenues.  Le  Conseil  en  a  jugé  ainsi  e(  a  voulu  que  je  rassu- 
rasse leurs  esprits  qui   étaient    fort   efFarouchés.    Notre 
affaire  a  été  menée  fort  secrètement  et  a  causé  une  grande 
surprise  et  frayeur  dans  tous  les  ordres.   On  ne  savait  si 
c'était  disgrâce,  dégoût  de  ma  part  ou  intrigue  de  cour. 
Je   vous   ai   annoncé    que   tout   conspirerait  pour  nous 
brouiller  ensemble;  le  bien  de  la  chose   et  Tamitié  qui 
nous  lie  s'y  opposent  également.  Mais  il  y  a  jusque  dans 
le  conseil  des  gens  dont  le  talent  est  de  faire  de  fausses 
confidences,  pour  s'en  attirer  de  véritables,  et  qui  ensuite 
(en  changeant  quelques  mots)  dénaturent  ce  qu'on  leur  t 
dit.    On   veut,   en   un  mot,    embrouiller  les  affaires  en 
brouillant  les  personnes.  On  u  fait  courir  dans  Paris  un 
bulletin  impertinent  sur  ce  que  j'avais  dit  aux  ministres 
étrangers.  L'évéque  d'Évreux  vous  contera  tout  cela.  Je 
n'ai  ni  impertinence  dans  le  caractère,    ni   sottise  dans 
l'esprit;  ainsi  je  ne  me  défendrai  pas  d'une  pareille  plati- 
tude. J'ai  annoncé  par  ordre  du  Roi  le  plus  grand  concert 
entre  nous  à  toutes  les  cours;  vous  l'avez  désiré,  cela 
était  nécessaire,  et  cela  ne  vous  engage  à  rien,  car  assuré- 
ment vous   connaissiez   assez  mes  intentions   pour  être 
assuré  que  je  ne  veux  pas  quitter  et  retenir.  D'ailleurs,  si 
j'avais  connu  un  homme  en  France  plus  ou  aussi  capable 
que  vous  de  cette  besogne,  je  l'aurais  proposé  en  voyant 
la  répugnance  que  vous  y  avez.  Je  suis  votre  ami,  je  le 
serai  toujours;  je  vous  ai  obligation,  je  le  dis;  ainsi, je 
ne  me  mêlerai  de  vos  affaires  qu'autant  que   cela  vous 
conviendra  et  autant  que  cela  pourra  vous  plaire.  Voilà 
ma  dernière  déclaration  sur  ce  point.  Votre  dernière  dé- 
pêche a  fort  réussi;    on  espère  que  vous  ferez  de  bons 
arrangements  avant  votre  départ,  et  que  vous  rendrez  le 
Roi  aussi  indépendant  qu'il  doit  l'être.  Je  vous  promets 
amitié  et  union,  voilà  ma  profession  de  foi. 


DU  CARDINAL   DE  BERNIS.  337 

Vous  nous  trouverez  fort  à  notre  aise,  notre  amie  et 

moi.  Des  gens  indiscrets  et  méchants  ont  tenu  beaucoup 

de  propos  qui  tendaient  à  nous  brouiller  :  ils  n'ont  pas 

réussi. 

A  madame  la  marquise  de  Pompadour, 

Ce  14  novembre  1758. 

Je  vis  hier.  Madame»  M.  le  contrôleur  général  pour 
savoir  s'il  avait  pris  Tordre  du  Roi  pour  l'arrangement  de 
mes  dettes.  Il  me  dit  que  Sa  Majesté  lui  avait  répondu 
u  quon  arrangerait  cela  avec  M,  de  Montmartel  »  . 

Voici,  Madame,  l'arrangement  que  je  propose  :  je  dois 
actuellement  cent  mille  francs  à  M.  de  Montmartel,  et  je 
vais  lui  en  emprunter  cen|  autres  pour  le  camérier.  Si  le 
Roi  le  permet,  je  ferai  expédier  une  ordonnance  au  porteur 
de  cent  mille  francs,  et  j'écrirai  de  là  part  de  Sa  Majesté  une 
lettre  à  M.  de  Montmartel  pour  l'assurer  quen  cas  de  ma 
mort  y  Sa  Majesté  lui  tiendra  compte  des  cent  mille  francs  que 
Montmartel  me  prêtera.  Si  je  mourais,  les  économats  s'em- 
pareraient de  tous  mes  effets,  et  Montmartel  perdrait  sa 
dette.  Si  je  vis  (comme  le  Roi  voudra  bien  me  donner  une 
abbaye  en  Flandre  ou  ailleurs  pour  m'aider  a  soutenir 
l'état  de  cardinal  et  de  ministre),  je  payerai  M.  de  Mont- 
martel sur  mon  revenu.  Aujourd'hui  cela  est  impossible. 
Je  ne  jouirai  de  la  totalité  de  mes  bénéfices  qu'au  mois  de 
juin  prochain.  Il  faut  que  je  vive  et  que  je  dépense  en 
attendant.  Ma  maison  doit  être  ouverte  au  clergé  et  aux 
ministres  étrangers.  //  est  nécessaire  que  le  Roi,  par  ses 
bontés,  soutienne  ma  considération,  sans  quoi  je  lui  deviens 
drai  totalement  inutile.  Ainsi,  Madame,  je  vous  supplie  de 
vouloir  bien  proposer  et  faire  approuver  au  Roi  l'arran- 
gement ci-dessus,  qui  est  fort  simple  et  qui  m'empêchera 


338  LETTRES 

de  réformer  ma  maison,  de  vendre  ma  vaisselle,  ce  qui  ne 

manquerait  pas  de  produire  un   mauvais  effet  dans  le 

public. 

Au  reste,  je  vous  prie  aussi  de  dire  au  Roi  que  parmi 
mes  confrères  on  dit,  à  t oreille,  que  Sa  Majesté  me  sait  mau- 
vais gré  d'avoir  demandé  à  quitter  les  affaires  étrangères. 
V  Quand  j'ai  demandé  au  Roi  cette  permission,  j'ai  exposé 
les  raisons  qui  intéressaient  son  service  et  celles  qui  ne 
regardaient  que  moi.  2"*  La  lettre  que  le  Roi  m*a  écrite  le 
9  octobre  est  pleine  de  bonté  et  même  de  fieiaiiliarité; 
jamais  le  Roi  ne  m*a  mieux  traité  que  depuis  cette  époque 
jusqu'à  l'arrivée  du  courrier  de  M.  de  Choiseul.  Il  est  vrai 
que,  depuis,  tout  le  monde  croit  voir  que  le  Roi  n'est  pas 
de  bonne  humeur;  mais  après  sa  lettre  et  un  mois  de  bontés, 
je  n'ai  pas  dû  prendre  cela  pour  moi,  3*  Si  le  Roi  n'avait 
pas  trouvé  mes  raisons  bonnes,  il  était  maître  de  m'or- 
donner  de  rester  chargé  des  affaires.  S'il  avait  trouvé  mes 
raisons  équivoques  et  le  choix  que  je  lui  proposais  dou- 
teux, il  aurait  consulté  ses  ministres.  Je  n'ai  pas  eu  tort  de 
faire  la  proposition  de  me  démettre ,  puisque  le  Roi  l'a 
acceptée,  après  avoir  pesé  mes  raisons»  Je  serais  bien 
malheureux  qu'après  coup  on  cherchât  à  noircir  auprès 
du  Roi  mes  intentions.  Elles  sont  pures.  Je  vais  rappeler 
en  quatre  mots  mes  motifs. 

J'ai  vu,  avec  tout  le  conseil,  quon  laissait  échapper  la 
parole  de  la  cour  de  Vienne  de  traiter  la  paix  cet  hiver,  foi 
cru  ceUe  paix  nécessaire  par  l'état  des  finances  et  de  la  ma- 
rine. J'ai  vu,  avec  tout  le  conseil,  que  par  Vidée  de  la  paix 
trop  crûment  présentée  à  l'Impératrice,  on  m'avait  comme 
rehdu  suspect  à  cette  princesse.  Dès  lors  je  devenais  inutile 
dans  ma  place. 

J'ai  senti  qu'il  fallait  diminuer  les  subsides  et  peut-être 
rompre  quelques  traités  de  ce  genre;  nuiis  comme  je  les  avais 


DU  CARDINAL   DE  BEHNIS.  339 

faits,   il  n  était  pas   possible  que  je  fusse  chargé  de  cette 
opération. 

Je  n'ai  pu  résister  à  la  douleur  d'avoir  manqué  person^ 
nellement  de  parole  au  Danemark,  qui  s'était  prêté  par  trois 
fois  à  différents  arrangements  avec  la  France. 

J 'ai  cru  que  les  affaires  étrangères  dépendant  des  opé- 
rations de  la  guerre,  il  fallait  qu'un  militaire  remplit  ma 
place,  parce  qu'on  a  toujours  à  me  dire  sur  la  guerre  que 
je  n'y  entends  rien  et  que  ce  n'est  pas  mon  métier. 

Pour  ce  qui  me  regarde,  j'ai  cru  avoir  perdu  une  partie 
de  votre  confiance,  et  je  sais  que  sans  cela  je  ne  pouvais  pas 
bien  servir  le  Roi.  J'ai  appelé  au  conseil  tous  vos  amis  : 
on  m'accusait  d'ambition  et  d'ingratitude  envers  vous.  Je 
nie  suis  dépouillé  en  faveur  de  vos  amis.  Mais  j'ai  épuisé 
ma  santé.  J'ai  empoisonné  ma  vie  par  des  chagrins  qui 
intéressent  mon  cœur.  Rappelez-vous  l'époque  oii  vous  avez 
cessé  de  me  montrer  les  lettres  de  M.  de  Stainville.  Je  vous 
ai  toujours  communiqué  les  siennes;  de  ce  moment /ai  cm 
avoir  perdu  votre  confiance  ;  soyez  juste;  n'ai-je  pas  dû  le 
croire  ? 

Aujourd'hui,  il  est  question  de  savoir  si  le  Roi  croit  que 
mes  conseils  peuvent  lui  être  utiles.  S'il  le  croit,  il  n'y  a 
rien  de  gâté,  au  contraire.  M.  de  Ghoiseul  a  des  parties 
que  je  n'ai  pas,  j'en  ai  peut-être  qui  lui  manquent.  Soyons 
unis,  vous,  lut  et  moi,  et  tout  ira  bien;  sans  cela  je  n'ose  dire 
tous  les  maux  que  je  prévois  au  dehors  et  au  dedans.  Toute 
la  cour  cherchera  à  me  brouiller  avec  mon  successeur.  J'ose 
vous  dire  que  rien  n'est  plus  essentiel  que  notre  union,  et 
qu'elle  ne  saurait  être  trop  affichée.  Voilà,  Madame,  le  fond 
de  mon  âme  ;  je  vous  la  montrerai  toujours  telle  qu'elle 
est.  Je  ne  respire  qu'après  la  satisfaction  du  Roi,  le  bien  de 
son  État  et  votre  amitié. 


S2. 


340  LETTRES 

Ce  15  novembre  1758* 

J*cnvoie  à  Votre  Excellence,  excellente,  la  traduction 
peu  française  d*une  lettre  en  relation  que  M.  Dabreu  ',  mi* 
nistre  d'Espagne  à  Londres,  a  envoyée  à  M.  de  Massoués. 
Je  vous  prie  de  la  montrer  au  Roi  et  k  M.  Berryer  :  c^est 
toujours  quelque  chose.  M.  de  Saint-Florentin  vous  dira 
combien  l'assemblée  du  clergé  mérite  d'éloges  sur  sa  con- 
duite. Je  dine  aujourd'hui  chez  le  cardinal  de  Tavannes, 
où  nous  verrons  MM.  les  docteurs  de  Sorbonne  ;  avec  un 
peu  de  patience,  on  rétablira  la  paix  dans  le  royaume. 

L*intendant  de  M.  de  Ghoiseul  est  arrivé.  Il  ne  sait  où 
mettre  les  meubles  de  son  maître,  parce  que  je  ne  sais 
où  mettre  les  miens.  Madame  la  Dauphine  m'a  chargé  de 
faire  pressentir  M.  le  comte  de  Glermont  par  Polignac  sur 
son  logement,  et  d'assurer  que  M.  le  comte  de  Lusace* 
n'a  ni  ne  forme  aucune  prétention  quelconque.  Cette  phrase 
fera  réussir  la  négociation. 

Je  vous  prie  tout  franchement,  et  dans  le  style  de  notre 
ancienne  amitié,  défaire  agréer  au  Roi  l*  arrangement  que  je 
vous  ai  proposé  par  ma  lettre  d'hier  avec  MontmarteL 

J'aime  à  mettre  toutes  les  obligations  que  j'ai  dans  un 
seul  panier.  D'ailleurs,  il  ne  serait  pas  juste  qu*ayant 
bien  servi  en  plusieurs  genres,  j'eusse  l'air  et  le  jeu  d'être 
moins  bien  traité  que  mes  confrères.  Où  voulez-vous  que 
je  prenne  les  avances  que  je  suis  obligé  de  faire?  Il  m'au- 
rait été  fort  aisé  de  n'avoir  point  de  dettes,  si  je  pensais 

*  Serait-ce  le  même  que  don  José  de  Abreu  y  Bcrtodano ,  fils  du  mai^ 
quis  de  la  Regalia,  ministre  du  conseil  du  Roi,  qui  fut  chargé,  le  18  juin 
1738,  de  former  une  collection  généralcd  iplomatique?  {CoUeclion  de  tous 
les  traités  des  souverains  cC Espagne,  12  vol.  in-folio  imprimés  de  1744  à 
1751.)  Don  José  de  Abreu  mourut  en  1780. 

2  Le  prince  Xavier  de  Saxe.  Voir  sur  ce  logement  du  comte  de  Glermont, 
qui  était  l'ancien  appartement  de  madame  de  Maintenon,  Leroy,  Ctirio- 
tités,  p.  85. 


DU  CARDINAL  DE  BERNIS.  341 

sur  l'argent  comme  on  pense  aujourd'hui.  Mais  je  ne  con- 
nais d'autre  façon  que  de  demander  au  Roi  et  de  le  servir 
de  bonne  foi  et  noblement. 

J'assure  Votre  Excellence  de  mon  respect. 

A  propos,  je  vous  avertis  qu'on  dit,  entre  autres  choses, 
qu'à  l'arrivée  de  M.  de  Ghoiseul  il  n'y  aura  plus  de 
comités.  Quoiqu'ils  se  tiennent  chez  moi,  ce  ^n  est  pas  ma 
raison  pour  les  conserver;  mais  je  crois  qu'il  est  utile, 
indispensable  même,  que  les  ministres  se  communiquent 
entre  eux,  et  que  chacun  ne  fasse  pas  de  son  département 
comme  des  choux  de  son  jardin.  Tout  se  tient  dans  un 
gouvernement;  il  faut  donc  en  lier  toutes  les  parties.  Voilà 
mon  avis.  On  en  fera  après  ce  que  Ton  voudra.  J'ai  pris  la 
résolution  de  dire  toujours  la  vérité  et  de  ne  contrarier 
personne.  Gela  déplait  et  ne  sert  à  rien. 

A  Monsieur  le  duc  de  Choiseul. 

Ce  15  novembre. 

La  première  noirceur,  monsieur  le  duc,  qu'on  m'a  faite 
n'a  pas  eu  de  succès.  J'ai  dit  mon  sentiment  aux  ministres 
étrangers,  et  ils  ont  tous  rendu  hommage  à  la  vérité.  Je 
suis  excédé  de  la  platitude  de  notre  temps.  Je  n'ai  point 
encore  de  logement  au  château.  M.  le  comte  de  Noailles 
est  attendu  pour  décider  cette  grande  afiaire,  mais  cette 
indécision  en  met  beaucoup  dans  ce  que  je  puis  vous 
laisser  dans  le  pavillon  des  affoires  étrangères  ^  Je  doute 
que  M.  de  Daun,  qui  çiarche  à  Dresde,  vienne  à  bout  de 
son  entreprise  ;  cependant  je  suis  bien  aise  qu'il  ait  pris 
ce  parti  plutôt  que  de  marcher  en  Silésie.  Je  suis  de  votre 
avis  sur  Montazet.  Je  le  croyais  plus  ancien  maréchal  de 

1  L'appartement  des  ministres  dans  la  cour  des  Ministres.  Voir  mon 
lirre  :  le  Département  des  affaires  étrangères  pendant  ia  Révolution,  p.  12. 


Zk%  LETTRES 

camp  qu'il  ne  l'est.  11  ne  faut  pas  faire  des  ennemis  à  ses 
amis.  C'est  un  bon  militaire  qui  nous  sera  utile,  lorsqu*il 
aura  feit  la  besogne  que  vous  ordonnerez  à  Vienne.  Je 
vous  attends  comme  le  Messie.  Je  ne  parlerai  plus  de 
notre  concert  ni  de  notre  union ,  puisqu'on  fait  de  œtte 
phrase  une  impertinence.  Je  n'ai  ni  le  talent  ni  le  goût 
de  précepteur,  mais  je  vous  assure  que  vous  n'aurez  pas 
d'ami  plus  fidèle,  parce  qu'il  n'y  a'pas  d'âme  plus  sincère 
ni  plus  honnête  que  la  mienne,  j'ose  le  dire  hardiment. 

A  Madame  la  marquise  de  Pompadour. 

Ce  16  noTembra  1758. 

On  dit  que  les  comptes  ronds  ibnt  les  bons  amis. 
J'ajoute  à  ce  proverbe  que  les  comptes  les  plus  clairs  sont 
les  meilleurs.  Par  ce  que  vous  avez  dit  ce  matin,  je  vois 
que  M.  Boullongne  a  rappelé  au  Roi  les  deux  cent  trente 
mille  francs  de  l'année  passée,  et  qu'il  ne  s*est  pas  appa* 
remment  ressouvenu  des  motifs  de  cette  grâce. 

//  est  d'usage  que  le  Roi  donne  à  la  fille  d'un  ministre 
secrétaire  d'État  deux  cent  mille  francs  pour  son  mariage. 
Sans  remonter  plus  haut,  le  Roi  les  a  donnés  à  madame 
de  Beuvron  et  à  madame  la  maréchale  d'Estrées  '.  J'en 
sais  le  compte,  car  c'est  moi  qui,  à  roccasion  du  traité 
de  Versailles  (que  M.  Rouillé  n'avait  pas  fait),  vous  tour- 
menta, pour  avoir  la  paix,  de  conxfertîr  le  duché  que 
le  petit  bonhomme  demandait  pour  M.  de  Beuvron,  en 
seize  mille  francs  de  pension,  dont  dix  pour  la  gentilk 
comtesse  de   Beuvron  et  six  pour   la  charmante   comtesse 

'  Adi'lnïilo-Fclicitc  Rrul.irt,  H  Ile  unique  du  marquis  de  Puvsirnix,  mi- 
nistre et  secrélnirc  d  Etat  des  affiiire*  étrangères,  née  le  5  novembre  1725, 
mariée  le  26  janvier  174'f  à  Louis-César  d*£strcc4,  ne  Letellîer  de  Lourois, 
maréchal  de  France  le  24  février  1757. 


DU   CARDINAL  DE  BERNI^.  343 

de  Castellane.  Vous  savez  que  j'ai  fait  auprès  de  vous  la 
même  démarche  pour  la  maréchale  d'Estrées.  Gomme  les 
intéressés  ont  parfaitement  oublié  ces  services,  je  les  avais 
oubliés  aussi  ;  mais  ce  que  vous  m*avez  dit  ce  matin  des 
deux  cent  trente  mille  francs  me  les  rappelle.  Or  donc,  j'ai 
demandé  deux  cent  mille  francs  pour  mes  nièces,  parce 
que  je  nai  point  de  fille  y  au  moins  que  je  sache,  et  cette 
demande  était  conforme  à  l'usage  établi.  Je  ferai  tout  à 
rheure  l'histoire  dçs  trente  mille  francs  en  sus.  Gomme  je 
suis  fort  habile,  j'ai  marié  mes  nièces  pour  cent  mille  francs, 
et  j'ai  employé  les  cent  trente  mille  restant  à  payer  M-  de 
Montmartel  de  la  même  somme  que  mon  frère  lui  avait 
empruntée  pour  des  fiefs  enclavés  dans  la  terre  de  Sainte 
Marcel  que  nous  possédons  depuis  Van  mil  trois  cent.  Le 
Roi  ne  m'a  donc  donné  par-dessus  ce  qu*il  donne  ordinai- 
rement aux  filles  de  ministres  que  trente  mille  francs,  que 
je  demandai  pour  faire  l'appoint  et  que  je  demandai  pour 
gratification  des  voyages  de  Gompiègne  et  de  Fontaine- 
bleau (où  je  ne  fis  pas  mauvaise  chère,  h  ce  que  l'on  dit) . 
La  seule  différence  que  je  mis  dans  ma  demande,  ce  fut 
que  M.  Rouillé  et  mes  prédécesseurs  avaient  obtenu  des 
gratifications,  pour  les  mêmes  objets,  beaucoup  plus  fortes. 
Votre  Excellence  voit  donc  :  V  que  je  n'ai  obtenu  que 
ce  qui  est  ordinaire  au  Roi  d'accorder  à  ses  ministres; 
2°  que  je  n'en  ai  profité  en  rien,  puisque  j'ai  tout  donné  à 
mes  parents;  3^  que  je  ne  suis  pas  mauvais  économe, 
puisquavec  l'état  que  j'ai  tenu,  les  maisons  que  j'ai  meur- 
blées,  je  ne  dois  que  cent  mille  francs  à  M.  de  Montmartel, 
et  que  ce  n'est  pas  ma  foute  si  M.  le  camérier  me  met  dans 
le  cas  d'en  emprunter  encore  cent.  Je  supplie  madame  la 
marquise  de  foire  ce  détail  au  Roi,  parce  qu'en  matière 
d'argent,  j'aime  que  mon  maître  voie  clair.  Au  reste,  la 
lettre  d'assurance  me  suffit.  Mon  plus  grand  plaisir  sera 


su  LETTRES 

toujours  de  servir  le  Roi,  sans  être  à  charge  à  son  trésor. 
Il  se  souviendra  de  moi  et  de  mes  dettes  qumttd  il  vaquera 
des  abbayes  cardinaliciennes.Je  Toos  prie  seulement  de  me 
feire  avoir  le  logement  du  maréchal  de  Noailles.  Les  sou 
du  Parlement,  du  clergé  et  des  ministres  étrangers  attendent 
à  juger,  par  mon  logement,  de  ma  faveur  ou  de  sma  dis- 
grâce. Ce  qui  tient  à  la  considération  me  tient  à  cœur;  ce 
qui  regarde  Tintérét  ne  me  touche  guère,  pourvu  que  je 
puisse  être  tranquille  en  cas  de  mort.  Votre  excelle ntissime 
Excellence  me  pardonnera  ce  détail,  dont  je  ii*ai  pu  ni  dû 
me  dispenser. 

A  Monsieur  le  duc  de  Choiseul. 

Cett  norenlire. 

Je  vous  fais,  mon  cher  successeur,  mon  compliment 
bien  sincère  sur  la  perte  que  tous  venez  de  faire  ';  quoique 
TOUS  dussiez  vous  y  attendre,  je  sais  que  tous  y  avez  e'té 
fort  sensible. 

Madame  de  Pompadour  me  dit  hier  que  tous  resteriei 
à  Paris  jusqu*à  samedi  ou  dimandie*.  Jeudi,  j*ai  ma  fonc- 
tion pour  la  barrette  et  ensuite  consôl  d*£tat.  Samedi, 
comité  le  matin,  conseil  de  dépêches  le  soir;  dimanche, 
conseil  d*État.  Vous  voyez  que  je  ne  puis  vous  donner  qae 

1  FraiKoîse-Loiiise  de  Bassompierre,  fille  d'Anne-Fruiçois-Josepb,  mar- 
quUde  Bassompàerre,  cpoose  de  Fraiiçoi»-Joseiili  de  Gkoûenl  de  Stain- 
TÎUe,  iiiar<|ui5  de  SuioTille,  dieralier  de  U  Toisoa  d^or,  a»ère  da  doc  de 
Ckoiseul,  étaic  morte  le  15  noTcmbre  1758. 

S  Cboiseul  est  parti  de  Vieaoe  le  15  BOTcmbce,  «ÛTsnc  one  lettre  ^ 
Boyer  citée  par  FîIod.  Le  29  noTembre  était  an  mercredi.  Ckotseal  derait 
être  arrivé  au  plus  t«Nt  le  S7:  en  effet ,  le  coarrier  expédié  par  Bover  le 
15  novembre  n'éuît  à  Paris  cpie  le  25.  Les  dépêches  dont  il  était  portear 
furent  lues  au  conseil  le  26.  EUe^  ne  contenaient  çoère  qoe  ce  fait  ioté- 
re!isau(  :  Tunnonce  du  départ  de  Clioideal,  et  il  est  à  prénnner  aa'clles 
ravaieut  précédé  au  moins  de  qnarante^oit  kcnres. 


DU  CARDINAL   DE  BERNIS.  345 

le  vendredi  ;  si  vous  avez  besoin  de  moi,  je  pourrai  vous 
aller  joindre  ce  jour-là  à  Paris,  à  l'heure  que  vous  m'indi- 
querez, et  j'irai  chez  vous.  Je  n'ai  que  depuis  hier  mon 
logement  au  château.  J'y  mets  du  monde  pour  m'y  établir 
au  plus  tôt.  Je  compte  pouvoir  y  coucher  samedi.  Il  faut  que 
vous  écriviez  un  mot  à  M.  de  Saint-Florentin  pour  le  prier 
de  faire  dresser  votre  commission;  que  vous  preniez  des 
mesures  pour  remplacer  les  quatre  cent  mille  francs  de  la 
charge  de  secrétaire  d'État  que  Montmartcl  m'a  avancés 
et  dont  je  lui  paye  la  rente'.  Il  ne  vous  refusera  pas  le 
même  plaisir.  Toutes  ces  opérations  faites,  vous  prêterez 
serment  au  Roi,  et  je  vous  remettrai  de  grand  cœur  le 
timon  de  la  politique.  Malgré  les  platitudes  qu'on  m'a  fait 
dire,  je  n'aurai  avec  vous  que  le  concert  de  l'amitié.  Vous 
n'avez  pas  besoin  de  précepteur  ;  vous  ne  voudriez  pas  que 
je  fusse  votre  commis;  je  serai  donc  votre  ami,  et  je  vous 
parlerai  toujours  le  langage  de  la  vérité.  Il  était  nécessaire 
dans  le  premier  moment  de  rassurer  les  cours  étrangères 
et  leurs  ministres.  Cela  est  fait  ;  je  ne  suis  plus  qu'à  vos 
ordres,  et  je  vais  songer  à  conserver  ma  santé.  Je  ne  vous 
parle  point  d'affaires,  nous  en  aurons  assez  le  temps. 

A  Madame  de  Pompadour. 

Ce  yendredi. 

Je  vous  envoie,  Madame,  les  lettres  de  Montazet  dont 
M.  de  Ghoiseul  a  pris  lecture.  Vous  y  verrez  des  choses 
bien  intéressantes,  quoique  écrites  un  peu  longuement. 

On  a  cru  que  ma  tête  s'échauffait  quand  je  voyais  noir 
dans  Tavenir.  Peu  à  peu  tout  le  monde  pensera  comme 
moi.  Au  reste,,  je  serais  mort  si  je  n'avais  pas  dit  au  Roi  la 

^  Il  8*agit  ici  du  brevet  de  retenue  qui  remontait  an  moins  à  Torcy  tt 
qui  fut  remboursé  ai  M.  de  Montmorin  le  0  janvier  1791. 


346  LETTRES 

vérité,  et  si  j'étais  resté  chargé  des  événements  que  je  pré- 
voyais devoir  arriver  si  Ton  ne  faisait  pas  promptement  I» 
paix,  en  déterminant  nos  alliés,  ou  si  Ton  n'établissait  pas 
un  meilleur  système  de  {juerre.  J'espère  que  M.  de  Choiseul, 
qui  est  militaire,  y  aura  plus  d'influence  que  je  ne  pouvais 
en  avoir.  Mais  songez  de  bonne  heure  que,  sans  argent, 
vous  manquerez  toutes  vos  opérations  de  terre  et  de  mer. 
Je  ne  suis  à  mon  aise  que  depuis  l'autre  jour.  Vous  ren» 
dez  justice  à  mon  âme.  Croyez  qu'il  ny  en  a  pas  une  plus 
honnête.  Je  me  suis  exposé,  en  quittant  les   affaires  étran- 
gères,  à  tous  les  commentaires  les  plus  insultants  ;  mais  foi 
cru  devoir  le  faire,  pour  le  bien  du  Roi,  et  rien  ne  m'a 
arrêté;  je  m^  suis  dépouillé  en  même  temps  de  ma  considéra-- 
tion  et  d'un   grand  revenu;  et  l'on  dit    ici   que  je  suis  ifli 
ingrat  et  un  ambitieux.  Cela  est  absurde.  Votre  amitié  est 
le  seul  bien  auquel  je  suis  attaché.  Je  vous  dois  les  bontés 
du  Roi,  que  j'estime  cent  mille  fois  plus  que  la  fortune  que 
j'ai  faite.  On  ne  peut  être  phis  philosophe  que  je  le  suis 
sur  les  honneurs,  mais  non  pas  sur  ce  qui  touche  à  la 
réputation,  ou  qui  intéresse  le  cœur. 

Comptez  toujours  sur  moi  comme  sur  un  ami  fidèle  et 
honnête  homme,  et  dites-moi  que  je  puis  compter  égale- 
ment sur  votre  amitié.  ^ 

Lettre  de  cachet'. 


A  mon  cousin  le  cardinal  de   Bcrnis. 

Mon  cousin,  les  instances  réitérées  que  vous  m'avez 
faites  pour  quitter  le  département  des  affaires  étrangères 
m'ont  persuade  qu'à  l'avenir  vous  ne  rempliriés  pas  bien 

*  Archives  du  château  de  Saint- Marcel  d*Ardèchc.  L'orthographe  a  dP 
conservée. 


( 


DU  CARDINAL   DE  BERNIS.  347 

des  fonctions  dont  vous  désiriés  avec  tant  d'ardeur  être 
débarassé.  C'est  d'après  cette  réflexion  que  je  me  suis 
détterminé  à  accepter  votre  démission  de  la  charge  de 
secrétaire  d'État.  Mais  j'ay  senti  en  même  temps  que  vous 
ne  répondiés  pas  à  la  confiance  que  je  vous  avais  marqué 
dans  des  circonstances  aussy  critiques ,  n'y  aux  grâces 
singulières  que  je  vous  ai  accumulés  en  si  peu  de  temps. 
En  conséquence  je  vous  ordonne  de  vous  rendre  dans 
une  de  vos  abbayes  à  votre  choix  d'ici  à  deux  fois  vingt- 
quatre  heures,  sans  voir  personne,  et  ce  jusqu'à  ce  que  je 
vous  mande  de  revenir.  Renvoiés-moi  les  lettres  que  vous 
avez  gardé  de  moy  dans  un  paquet  cachepté.  Sur  ce,  je 
prie  Dieu  qu'il  vous  ait,  mon  Cousin,  en  sa  sainte  et  digne 
garde.  A  Versailles  ce  13*  décembre  1758. 

Louis. 

Au  Rot. 

Sire, 

Je  vais  exécuter  avec  le  plus  grand  respect  et  la  plus 
{jrande  soumission  les  ordres  de  Votre  Majesté,  et  me 
rendre  dans  le  terme  prescrit  à  Vic-sur-Aisne  près  de  Sois- 
sons,  où  je  suis  logé.  Je  n'ai  demandé  à  me  démettre  des 
affaires  étrangères  que  parce  que  je  n'ai  pas  cru  pouvoir 
en  supporter  le  fardeau;  que  ma  santé  était  altérée  au 
point  que  je  n'osais  pas  répondre  à  Votre  Majesté  de  toon 
travail.  Je  sentais,  d'ailleurs,  que  je  ne  pouvais  rempHr  les 
engagements  que  j'avais  contractés  de  la  part  de  la  finance, 
et  qu'ayant  manqué  de  parole,  je  n'avais  plus  le  crédit 
qui  m'était  nécessaire.  Je  n'ai  eu  aucune  vue  qui  ne  f&t 
relative  à  votre  service.  Dieu  a  vu  le  fond  de  mon  cœur; 
Votre  Majesté  le  verra  un  jour.  Ma  seule  peine  est  de  lui 
avoir  déplu.  Mais  ma  consolation  sera  toujours  de  n'avoir 


348  LETTRES 

manqué  à  aucun  de  mes  devoirs  envers  elle,  que  par 
erreur.  J'ai  brûlé  toutes  les  lettres  dans  lesquelles  Votre 
Majesté  entrait  avec  moi  dans  des  détails  qui  marquaient 
sa  confiance.  Il  ne  m'en  reste  que  quelques-unes  qui  sont 
dans  un  portefeuille  h  Versailles,  et  je  vais  les  envoyer 
chercher.  Je  supplie.  Sire,  Votre  Majesté  de  vouloir  bien 
confirmer  l'arrangement  qui  a  été  pris  pour  le  payement 
de  mes  dettes.  Je  ne  sais  quel  parti  prendre  par  rapport 
au  camérier  du  Pape.  Je  tâcherai  de  concilier  à  cet  égard 
ce  que  je  dois  à  Sa  Sainteté  avec  ma  fidélité  à  vos  ordres. 
Je  supplie,  Sire,  Votre  Majesté  de  vouloir  bien  regarder 
favorablement  ma  famille  et  mes  neveux  qui  servent  Votre 
Majesté  avec  zèle.  J'espère  par  ma  résignation  et  par  mon 
respect  mériter  que  Votre  Majesté  rende  justice  au  fond 
de  mes  intentions  et  qu'elle  me  pardonne  des  fautes  qui 
n'ont  pas  été  volontaires. 

Je  suis,  avec  le  respect  le  plus  profond  et  la  soumission 
la  plus  parfaite, 

Sire, 

de  Votre  Majesté 

le  très-humble  et  très-obéissant 
serviteur  et  sujet. 

Le  cardinal  de  Bermis. 

Paris,  ce  13  décembre  1758. 

Je  demande  à  Votre  Majesté  la  permission  de  voir  à 
mon  abbaye  mes  neveux  et  mon  frère.  Je  ne  recevrai, 
d'ailleurs,  aucune  visite.  J'espère  que  Votre  Majesté  ne 
désapprouvera  pas  non  plus  que  mes  gens  d'affaires  et 
mes  deux  secrétaires  puissent  me  venir  trouver.  Je  n'abu- 
serai pas  de  cette  permission. 

P.  S.  —  M.  le  comte  de  Starhemberg  était  chez  moi 
quand  la  lettre  de  Votre  Majesté  m*a  été  rendue.  Je  l'ai 


DU  CARDINAL   DE  BERNIS.  849 

renvoyé  le  plus  tôt  qu'il  m'a  été  possible,  ainsi  que  tout  le 
monde  qui  était  dans  mon  antichambre,  à  qui  j'ai  fait  dire 
que  j'avais  affaire.  Je  me  suis  abstenu,  Sire,  de  voir  le 
camérier  qui  loge  chez  moi,  et  je  partirai  sans  lui  parler. 
Ma  réponse  a  été  retardée  parce  que  j'ai  voulu  chercher 
dans  mes  portefeuilles  anciens  s'il  n'y  avait  point  de 
lettres  de  Votre  Majesté. 

A  Madame  la   marquise  de  Pompadour, 

Paris,  ce  13  au  soir. 

Je  crois  devoir,  Madame^  à  notre  ancienne  amitié  et 
aux  obligations  que  je  vous  ai  de  nouvelles  assurances  de 
ma  reconnaissance.  On  les  interprétera  comme  on  voudra  ; 
il  me  suffit  de  remplir  vis-à-vis  de  vous  un  devoir  essentiel 
pour  un  honnête  homme. 

Je  recommande  aux  bontés  de  votre  cœur  et  au  fonds  de 
justice  que  je  vous  ai  toujours  connu,  mes  neveux  et  mes 
proches  parents,  non  parce  qu'ils  m'appartiennent,  mais 
parce  qu'ils  servent  bien  le  Roi. 

Vous  savez  mieux  qu'un  autre,  Madame,  quels  ont  été 
mes  motifs  en  demandant  à  quitter  ma  place  que  je  ne 
croyais  pas  pouvoir  bien  remplir  à  l'avenir;  je  l'ai  désirée 
pour  celui  de  vos  amis  que  j'en  ai  cru  le  plus  digne.  Je  lui 
ai  toujours  écrit  et  me  suis  conduit  avec  lui  comme  avec 
un  frère  :  je  devais  compter  par  ses  réponses  que  nous 
viverions  de  même,  et  que  par  conséquent  le  Roi  n'en 
pouvait  être  que  mieux  servi.  En  un  mot,  Madame,  mes 
intentions  ont  été  droites,  et  je  n'ai  point  eu  de  défiance, 
parce  que  je  n'avais  que  des  motifs  honnêtes,  et  tous 
relatifs  au  service  du  Roi.  Mon  regret  est  de  ne  pouvoir 
espérer  de  jamais  m'acquitter  de  la  reconnaissance  infinie 
que  je  dois  à  ses  bontés. 


85S  LETTRES 

Je  demande  pardon  à  Votre  Majesté  de  mes  fautes,  et 
je  la  supplie  de  ne  voir  que  mes  motifs  ;  ils  ni*ont  mal  con- 
duit, mais  ils  étaient  purs  et  honnêtes. 

Je  suis  avec  le  respect  le  plus  profond  et  la  fidélité  la 
plus  inviolable, 

Sire, 

De  Votre  Majesté, 
Le  très-humble  et  très-obéissant 
serviteur  et  sujet. 

Le  cardinal  de  Bernis. 
Je  pars  demain  pour  Vic-sur-Aisne. 

Ce  13  décembre  au  «oir. 

A  Madame  la  marquise  de  Pompadour. 

Ce  16  décembre. 

Votre  réponse,  Madame,  m'a  un  peu  consolé.  Yous  ne 
m*avez  point  abandonné.  J'avais  pensé  d'abord  devoir  me 
justifier  vis-à-vis  du  Roi.  J'ai  cru  plus  respectueux  de 
m'en  tenir  au  jugement  que  Sa  Majesté  a  porté  de  ma 
conduite.  Je  vous  adresse  une  lettre  de  soumission  pour 
lui.  Je  lui  demande  d'ôter  de  mon  exil  ce  qui  peut  me 
présenter  à  l'Europe  comme  un  criminel  d'État.  Le  Bol 
m'a-t-il  conservé  ma  pension  de  ministre?  Vous  savez 
comme  il  a  traité  les  autres  qu'il  a  renvoyés.  Je  demande 
cette  pension  par  honneur;  mais  elle  m'est  également  né- 
cessaire par  besoin.  Vous  savez  la  dépense  que  j'ai  faite; 
je  ne  jouis  pas  encore  de  la  plus  considérable  de  mes 
abbayes.  Le  Roi,  par  tin  hofiy  a  assuré  le  sort  de  mes  deui 
secrétaires;  ils  ont  été  employés  dans  des  afîbires  de  con- 
fiance pendant  la  né«jaciation  secrète  de  Vienne.  M.  le 
contrôleur  général  pourra  soulager  le  Roi  de  cette  partie, 
eu  leur  procurant  quelque  emploi.  On  m'a  dit  qu  Afforti 


DU   CARDINAL  DE  BERNIS.  353 

était  remis  sur  l'état  des  affaires  étrangères  ;  ainsi  je  n'en 
parle  pas.  Si  M.  de  Choiseul  n'était  pas  logé,  je  ne  deman- 
derais pas  à  conserver  le  Palais-Bourbon.  Mais  où  met- 
trais-je  le  camérier  et  mes  meubles?  D'ailleurs,  ces  gràces- 
là  m'ont  été  accordées  depuis  que  M.  de  Choiseul  a  été 
déclaré  mon  successeur.  Voilà,  Madame,  toutes  mes 
prières.  Mon  cœur  est  flétri  pour  la  vie;  en  consultant  mon 
âme,  je  croyais  impossible  que  je  pusse  déplaire  au  Roi.  Dites 
à  M.  de  Choiseul  que  je  ne  l'accuse  pas  d'avoir  eu  part  à 
ma  disgrâce;  ses  dernières  lettres  seraient  incroyables  si 
cela  était  :  elles  sont  pleines  de  la  plus  franche  amitié  ; 
l'époque  de  ma  disgrâce  aurait  pu  être  arrangée  avec 
moins  d'inconvénients  pour  lui  et  pour  moi.  Au  reste, 
j'ai  fait  un  mémoire  pour  vous  ^eule  des  faits  dont  vous 
êtes  témoin;  je  vous  l'enverrai  quand  vous  voudrez.  S'il 
est  plus  respectueux  de  se  taire  vis-à-vis  de  son  maître, 
il  est  permis  de  se  justifier  devant  ses  amis.  Vous  ne  ferez 
de  ce  mémoire  que  l'usage  que  vous  jugerez  convenable. 
Je  vous  dois  cette  marque  de  confiance.  Je  fais  ce  que  je 
puis  pour  ne  pas  mourir  du  flétrissement  de  mon  âme. 
J'aimerai  toujours  le  Roi,  l'État  et  vous,  Madame,  puisque 
vous  êtes  encore  de  mes  amies. 

Au  Roi. 

Sire, 
J'avais  cru  devoir  me  justifier  auprès  de  Votre  Majesté 
dans  une  lettre  assez  longue  que  je  supprimé  par  respect 
J'aime  mieux  avouer  que  j'ai  tort,  puisque,  malgré  mes 
bonnes  intentions,  j'ai  eu  le  malheur  de  vous  déplaire. 
J'avoue,  Sire,  aussi  franchement,  que  je  suis  un  très-mau- 
vais courtisan,  mais  je  n'ai  jamais  cessé  d'être  un  sujet 
très-fidèle  et  très-reconnaissant*  Je  ne  guérirai  jamais,. 
II.  tz 


354  LETTRES 

Sire,  de  la  douleur  d'avoir  perdu  vos  bontës;  j'y  avais  pris 
une  confiance  si  aveugle  qu'elle  m'a  empêché  de  croire  que 
je  pusse  vous  déplaire  en  vous  suppliant  d*accepter  ma 
démission. 

Je  devais  consulter  Votre  Majesté  avant  de  faire  cette 
démarche;  la  pureté  de  mes  intentions  m'a  trompé;  j'ai 
cru,  Sire,  que  vous  lisiez  au  fond  de  mon  cœur  et  que  vous 
le  voyiez  pénétré  d'amour  et  de  respect  pour  votre  per- 
sonne, et  de  zèle  pour  votre  service.  Je  ne  demande  à 
Votre  Majesté  d'autre  grâce  que  d'adoucir  l'idée  de  ma 
faute,  en  retranchant  de  ma  pénitence  tout  ce  qui  pour- 
rait me  présenter  aux  yeux  du  public  comme  un  criminel 
d'État.  Ayez,  Sire,  cette  bonté  pour  le  sucré  Collège  au- 
quel j'appartiens,  si  vous  ne  me  trouvez  pas  digne  de  me 
l'accorder  pour  moi-même.  Ne  me  traitez  pas  plus  rigou- 
reusement que  d'autres  ministres  que  vous  avez  éloinne's; 
conservez-moi  les  grâces  que  vous  m'avez  assurées  depuis 
que  vous  m'avez  permis  de  remettre  mon  emploi  ;  i)er- 
mettez-moi  de  rendre  quelquefois  à  Madame  Infante  ce 
que  je  lui  dois  de  respect  et  de  reconnaissance,  et  crevez, 
Sire,  que  si  vous  étiez  Dieu,  comme  vous  en  êtes  l'ioia^^e, 
je  ne  vous  aurais  jamais  paru  coupable. 

Je  suis  avec  le  plus  profond  respect  et  !a  plus  parfaite 
soumission, 

Sire, 

De  Votre  Majesté, 
Le  très-humble  et  très- 
obéissant  serviteur. 
Le  cardinal  de  Berms. 

A  Vic-sur-Aisne,  ce  16  décembre  1758. 

P'  S.  —  Votre  Majesté  se  rappellera  qu'elle  avait  ap 
prouvé  que  M.  de  Monteil  m'écrivît  des  lettres  particu- 
lières sur  les  choses  qui  intéresssaient  Madame  la  Dau- 


DU   CARDINAL  DE  BERNIS.  355 

phiiic.  Je  rappelle  cette  circonstance  pour  que  cette 
correspondance  particulière  ne  fasse  pas  tort  à  M.  de 
Monteil. 

A  Monsieur  le  duc  de  ChoiseuL 

A  Vie-sur- Aisne,  ce  17  décembre  1758. 

Madame  de  Pompadour,  monsieur  le  duc,  a  dû  vous 
dire  la  façon  dont  j'ai  pensé  sur  votre  compte  au  premier 
moment  de  ma  disgrâce.  J'aurais  voulu,  pour  éviter  les 
jugements  téméraires,  que  les  circonstances  qui  l'ont  pré- 
cédée eussent  pu  l'annoncer  au   public;  au  reste,   nous 
nous  sommes  donné  réciproquement  les  plus  grandes  mar- 
ques de  confiance  et  d'amitié;  nous  ne  saurions  donc  nous 
soupçonner  l'un  l'autre  sans  une  très-grande  témérité.  Je 
ne  juge  pas  comme  le  peuple,  et  je  n'ai  jamais  soupçonné 
mes  amis.  Il  faut  que,  puisqu'ils  n'ont  pu  empêcher  ma 
disgrâce,  il  ne  leur  ait  pas  été  permis  de  s'y  opposer.  Les 
instances   que  j'ai  faites   pour   vous  remettre   ma  place 
m'ont  perdu;  j'ai  prouvé  par  là  d'une  manière  bien  fu- 
neste pour  moi  la  confiance  que  j'avais  en  vous.  Je  vous 
remercie  des  nouvelles  marques  d'amitié  et  d'intérêt  que 
vous  voulez  bien  me  donner.  J'ai  mandé  à  madame  de 
Pompadour  ce  que  je  désirais  pour  moi.  Je  ne  mérite  pas 
qu'on  annonce  à  l'Europe  que  j'ai  plus  encouru  l'indigna- 
tion du  Roi  que  les  autres   ministres  qu'il  a   renvoyés. 
Gomme  l'honneur  est  attaché  à  ces  sortes  de  traitements, 
il  est  très-simple  que  j'en  sois  inquiet.  D'ailleurs,  je  ne 
désire  que  le  retour  des  bontés  du  Roi,  comme  je  ne  re- 
grette que  son  ancienne  façon  de  penser  sur  mon  compte. 
Je  profiterai  dans  les  occasions  des  offres  que  vous  voulez 
bien  me  faire  pour  moi  et  ma  famille.  Vous  m'ayez  fait 
grand  plaisir  de  m'annoncer  que  l'arrangement  pour  le 

23 


356  LETTRES 

camërier  subsistait.  Je  vous  p^^ie  d'en  marquer  au  Roi  ma 
respectueuse  reconnaissance.  Je  sens  le  plaisir  que  tous 
aurez  à  m'en  faire  par  celui  que  j'éprouverais  mioi-ménie 
si  j'étais  dans  les  circonstances  où  vous  vous  trouvez. 
Soyez  sûr,  monsieur  le  duc,  que  je  ne  manquerai  jamais 
à  l'amitié  que  je  vous  ai  promise,  et  que  je  mériterai  tou- 
jours celle  que  vous  promettez  de  nouveau  par  ratta- 
chement inviolable  avec  lequel  je  vous  honore.  Monsieur, 
plus  que  personne  au  monde. 

Le  cardinal  de  Bernis. 

Vic-sur-'Aisne,  ce  28  décembre  1758. 

Je  VOUS  remercie,  monsieur  le  duc,  et  de  la  forme  dont 
vous  vous  servez  pour  annoncer  ma  disgrâce  à  Rome  \  et  de 
l'attention  que  vous  avez  eue  pour  moi  de  faire  approuver 
cette  forme  à  Sa  Majesté.  Il  est  certain,  quoi  qu'on  en 
puisse  dire  ou  penser,  que  les  bontés  du  Rot  et  ma  répu- 
tation sont  les  choses  auxquelles  je  suis  le  plus  attaché. 

Je  vous  remercie  de  tout  mon  cœur  d'avoir  parlé  à 
l'évéque  d'Orléans  du  camérier.  La  réponse  que  vous  avez 
faite  à  ce  prélat  est  fort  honnête  pour  moi.  Je  lui  en  ferai 
mes  remercîments. 

Puisque  vous  voulez  bien,  et  de  si  bonne  grâce,  vous 
employer  pour  ce  qui  m'intéresse,  je  vous  proposerai  mes 
idées  sur  un  des  points  qui  me  tiennent  le  plus  à  cœur,  qui 
est  celui  de  mes  secrétaires.  A  l'égard  de  ma  pension  de 
ministre,  on  m'assure  que  j'ai  eu  tort  d'en  être  en  peine; 
elle  subsiste  toujours,  à  moins  qu'elle  ne  soit  retranchée 
formellement  par  le  Roi. 

Je  travaille  actuellement  à  réformer  ma  maison  ;  je  suis 
bien  avancé  dans  cette  opération  douloureuse,  car  il  est 

>  Voir  à  rAppendicc. 


DU   CARDINAL   DE  BERNIS.  357 

fâcheux  de  se  défaire  de  gens  qui  vous  ont  bien  servi  et 
qui  vous  sont  attachés.  Je  ne  pourrai  finir  cette  besogne 
qu'après  le  départ  du  camérier.  Mon  principal  soin  au- 
jourd'hui est  de  mettre  de  l'ordre  dans  mes  affaires  domes- 
tiques et  de  soutenir  mes  pauvres  parents  au  service  du 
Roi. 

Je  fais  ici  de  l'exercice  par  un  assez  mauvais  temps  ; 
ma  santé  s'en  trouve  bien. 

Madame  Infante  m'a  fort  assuré  que  je  ne  devais  pas 
croire  que  vous  eussiez  aucune  part  à  ma  disgrâce.  Ce 
témoignage  respectable  ne  m'était  pas  nécessaire.  Vous 
savez  ce  que  je  pense  à  votre  égard  ;  je  serais  mille  fois 
plus  malheureux  si  je  soupçonnais  les  personnes  en  qui 
j'ai  eu  le  plus  de  confiance;  aussi  j'ai  écarté  dès  le  premier 
instant  de  pareilles  idées,  et  je  ne  permets  pas  qu'on  les 
présente. 

Je  vous  prie,  monsieur  le  duc,  de  recevoir  mes  vœux 
à  l'occasion  de  la  nouvelle  année,  et  d'être  assuré  que 
rien  n'est  plus  vrai  que  l'attachement  que  j'ai  pour 
vous. 

Le  cardinal  de  Bernis. 

Ce  29  décembre  1758. 

J'étais  mal  informé,  monsieur  le  duc,  quand  j'ai  cru 
que  ma  pension  de  ministre  me  serait  conservée.  Je  ne 
jouis  encore  que  de  la  moitié  de  mes  bénéfices,  et  je  suis 
obligé  de  garder  à  Paris  une  maison  pour  le  camérier.  Le 
Palais-Bourbon  ne  m'étant  pas  conservé,  j'espère  qu'on 
ne  me  mettra  pas  dans  la  nécessité  de  le  démeubler  jus- 
qu'au départ  de  l'abbé  Archinto.  Il  serait  désagréable  pour 
lui  d'être  délogé.  Plus  j'ai  d'augmentation  de  dépense  et 
de  diminution  de  revenus,  plus  il  m'importe  que  vous 
vouUez  bien  protéger  M.  Brun,   mon  ancien  secrétaire 


358  LETTRES 

d'ambassade.  Vous  avez  été  content  de  sa  correspon- 
dance; il  est  fort  instruit,  Fort  honnête  honiine,  et  je  crois 
que  vous  pourriez  en  tirer  un  bon  parti  pour  le  service 
du  Roi.  L'arrangement  qui  avait  été  fait  pour  lui  et  pour 
le  sieur  Deshaizes  ne  peut  plus  subsister  dans  cette  forme. 
Je  vous  demande  en  grâce  de  lui  faire  continuer  la  même 
gratification  en  l'employant  utilement  pour  le  Roi.  J'es- 
père que  M.  le  contrôleur  général  voudra  bien  faire  quel- 
que chose  pour  celui  qui  m'a  suivi  dans  mon  exil,  en  lui 
faisant  avoir  quelque  intérêt.  Il  se  nomme  Desfiaizes,  et  je 
crois  que  l'abbé  de  la  Ville  vous  en  dira  du  bien.  Vous  oe 
sauriez  me  faire  un  plus  grand  plaisir  que  d'employer 
M.  Brun  et  d'être  utile  dans  l'occasion  à  son  ancien 
camarade. 

Madame  de  Pompadour,  dans  sa  lettre,  paraît  craindre 
que  je  ne  vous  soupçonne  d'avoir  eu  part  à  ma  disgrâce. 
Je  m'en  suis  expliqué  bien  différemment;  et  assurément  je 
ne  suis  pas  faux.  Je  vous  prie  d'inspirer  la  confiance  que 
je  me  flatte  que  vous  avez  dans  ma  façon  de  penser  pour 
vous,  et  d'être  assuré  que  si  je  pouvais  vous  donner  encore 
de  plus  grandes  preuves  de  la  mienne,  je  le  ferais  de  tout 
mon  cœur.  On  ne  peut,  monsieur  le  duc,  vous  être  plus 
attaché  que  je  suis. 

Le  cardinal  de  Berms. 

A  Madame  de  Pompadour, 

Ce  30  décembre  1758. 

Je  ne  me  plaindrai  jamais.  Madame,  de  ce  que  le  Roi 
jugera  à  propos  de  décider  à  mon  égard ,  et  je  m'arran- 
gerai en  conséquence.  J'ai  renvoyé  avec  douleur  «ne 
partie  de  mes  gens  qui  m'avaient  bien  servi  et  qui  m  elaieul 
attachés.  J'imagine  que  l'intention  du  Roi  est  que  le  ca- 


DU   CARDINAL   DE   BERNIS.  35» 

mérier  loge  au  Palais-Bourbon  jusqu'à  son  départ.  S^l 
convenait  au  Roi  d*en  acheter  les  meubles,  cela  m'évite- 
rait une  grande  perte  et  beaucoup  d'embarras.  Vous  avez 
raison,  Madame,  de  dire  que  j'ai  été  aveuglé  en  demai»- 
dant  à  quitter  mon  département.  J'ai  cru  avoir  les  raisons 
les  plus  fortes  et  qui  toutes  intéressaient  le  service  du  Roi. 
Je  me  suis  trompé,  puisque  Sa  Majesté  en  a  décidé  autre- 
ment; mais  en  me  trompant  j'ai  cru  ne  faire  que  mon  de- 
voir :  mon  erreur  n'est  pas  criminelle.  J'ai  supprimé  et 
jeté  au  feu  le  mémoire  que  vous  avez  jugé  inutile.  Mon 
intention  n'est  certainement  pas  de  faire  des  manifestes. 
Vous  connaissez  le  public,  je  le  connais  aussi.  Il  est  impos- 
sible de  parer  aux  indiscrétions  et  aux  noirceurs  ;  il  serait 
trop  injuste  de  m'en  rendre  responsable.  Je  n'ai  eîi  ni 
n'aurai  jamais  de  correspondance  suspecte.  Je  ne  suis 
fourré  dans  aucune  intrigue,  et  je  n'ai,  Dieu  merci,  d'autre 
désir  que  d'être  justifié  dans  l'esprit  du  Roi.  Ce  désir  est 
un  devoir.  Je  n'emploierai  pour  y  parvenir  aucun  moyen 
qui  puisse  lui  déplaire.  Je  voudrais  de  tout  mon  cœur 
n'avoir  aucune  bienséance  à  remplir;  après  les  premiers 
compliments  et  ceux  qui  sont  d'usage  pour  les  cardinaux, 
j'élaguerai  les  écritures,  et  je  n'écrirai  qu'à  mes  parents,  à 
quelques  amis  à  qui  je  dois  cette  marque  d'honnêteté  et 
de  fidélité,  et  aux  gens  qui  sont  chargés  de  mes  affaires. 
Je  voudrais  trouver  un  moyen  d'exister  sans  inconvénient, 
et  sans  qu'on  interprétât  jusqu'à  mon  silence;  vous  sentez 
bien.  Madame,  que  cela  est  impossible  dans  les  circon- 
stances, et  que  plus  on  est  dans  le  malheur,  plus  on  a  de 
faux  amis  et  d'ennemis  dangereux.  Je  mettrai  en  tout  le 
plus  de  sagesse  et  de  circonspection  possibles  ;  mais  encore 
une  fois,  quand  on  n'a  que  de  bonnes  intentions,  on  croit 
toujours  être  en  sûreté  sous  un  bon  maître;  cette  idée  est 
trop  juste  et  trop  consolante  pour  y  renoncer,  et  je  la  con- 


860  LETTRES 

serverai  précieusement.  Au  reste.  Madame,  nou-seulement 
je  n'accuse  pas  M.  de  Ghoiseuly  mais  je  me  loue  beaucoup 
de  lui;  j'avais  annoncé  et  prouvé  que  j'étais  de  ses  amb, 
je  ne  me  démentirai  jamais  à  son  égard,  ni  au  vôtre. 
Quand  les  nuages  dont  on  a  voulu  m'envelopper  seront 
dissipés,  je  suis  sûr  que  vous  me  rendrez  justice  et  que 
vous  me  plaindrez  beaucoup.  J'ai  fait  tout  ce  que  j'ai  pa 
pour  que  mes  amis  ou  mes  connaissances  pensassent 
comme  moi.  Au  reste,  je  ne  réponds  de  personne,  il  me 
suffit  de  n'avoir  pas  dit  un  mot  en  ma  vie  qui  n'eût  pour 
objet  le  plus  grand  service  du  Roi,  la  reconnaissance  que 
je  lui  devais  et  à  vous.  Si  l'on  m'a  Fait  parler,  si  l'on  m'a 
mal  interprété  ou  mal  entendu,  je  proteste  avec  d*autant 
plus  de  confiance  qu'il  est  à  naître  que  j'aie  manqué  à 
ceux  qui  m'ont  rendu  les  plus  légers  services.  Je  vous  sou- 
haite ,  Madame ,  une  bonne  année ,  et  vous  prie  de 
n'écouter  à  mon  égard  que  vous-même. 

A  Monsieur  le  duc  de  ChoîseuL 
•  Ce  31  décembre  1758. 

J'ai  l'honneur,  monsieur  le  duc,  de  vous  présenter 
M.  Brun,  mon  ancien  secrétaire  d'ambassade,  qui  a  été 
chargé  dix-huit  mois  de  la  correspondance  de  Venise,  qui 
a  étudié  avec  beaucoup  de  succès  tout  ce  qui  a  rapport 
aux  affaires  étrangères,  qui  écrit  bien,  et  à  qui  je  ne  con- 
nais que  d'excellentes  qualités.  Ma  disgrâce  lui  ôte  tous 
les  moyens  d'employer  ses  talents.  J'espère  que  mon  suc- 
cesseur voudra  bien  devenir  son  protecteur  ;  je  serai  infi- 
niment reconnaissant  de  cette  marque  de  son  amitié. 

On  ne  peut  rien  ajouter,  monsieur  le  duc,  à  mon  inTio- 
lable  attachement  pour  vous. 

Le  cardinal  de  Besms 


DU   CARDINAL   DE  BERISIS.  361 

Ce  7  janvier  1759. 

Rien  n'est  plus  honnête,  monsieur  le  duc,  que  la  lettre 
dont  vous  m'avez  honoré  le  4,  ainsi  que  vos  procédés  pour 
moi.  La  lettre  que  vous  voulez  bien  écrire  au  grand 
maître  assurera  du  pain  au  chevalier  de  Narbonne,  mon 
neveu. 

Je  vous  remercie  de  tout  mon  cœur  de  ce  que  vous  avez 
fait  et  voulez  faire  pour  M.  Le  Brun.  Vous  ne  pouvez  guère 
employer  de  sujet  plus  distingué  par  l'esprit  et  par  un 
assez  grand  fonds  de  connaissances.  Son  caractère  est  très- 
bon.  Vous  pouvez  compter  sur  son  attachement  et  sa  re- 
connaissance. 

A  l'égard  de  M.  Deshaizes,  rien  n'est  plus  obligeant  que 
ce  que  vous  proposez  de  faire  pour  lui.  Il  a  *été  autorisé 
par  le  Roi  à  écrire  sous  ma  dictée  toute  la  négociation 
secrète  de  Vienne  quand  j^en  étais  chargé  seul  ;  il  a  eu 
depuis  toute  ma  confiance  dans  les  afiaires  les  plus  se- 
crètes. Je  ne  saurais  vous  en  dire  trop  de  bien  ;  je  lui  ferai 
gagner  la  gratification  que  vous  lui  ferez  obtenir,  en  le 
mettant  sur  l'état  des  affaires  étrangères.  J'ai  ici  bien  des 
mémoires  sur  une  infinité  d'objets  intéressants  dont  je  lui 
ferai  faire  des  copies  et  des  extraits  pour  vous  les  envoyer; 
il  est  assez  juste  qu'un  homme  employé  depuis  sept  ans 
dans  des  affaires  importantes  ait  quelque  récompense  ;  il 
était  sur  l'état  pour  une  gratification  annuelle  de  deux 
mille  écus.  Vous  ferez  sur  cela  ce  qui  vous  paraîtra  con- 
venable. Dans  la  suite  vous  aurez  plus  d'une  occasion  de 
fixer  son  sort  sans  charger  le  trésor  royal. 

Vous  ne  pouviez  rien  «faire  pour  moi  qui  me  tînt  plus  à 
cœur  que  l'affaire  de  mes  deux  secrétaires.  Pour  celle  de 
ma  pension  de  ministre,  je  suis  très-fâché  que  vous  n'en 
ayez  pas  entendu  parler;  vous  auriez  bien  senti  que  c'é- 


362  LETTRES 

tait  une  affaire  d'honneur,  et  non  d'intërét.  Mais  nous  en 

parlerons  quand  les  circonstances  seront  plus  favorables. 

Plusieurs  des  ministres  étrangers  m'ont  écrit  pour  la 
bonne  année  ;  j*ai  Thonneur  de  vous  prévenir  que  je  leur 
ai  fait  réponse  dans  le  style  du  jour  de  l'an.  Je  crois  que 
vous  n*étes  pas  inquiet  de  ma  fidélité  à  éviter  toute  ieio- 
ture  d'affaires. 

Pour  le  Palais-Bourbon,  je  voudrais,  si  le  Roi  le  destine 
à  quelqu'un,  que  Sa  Majesté  achetât  les  meubles  qui  sont 
faits  pour  les  places.  Il  n'y  a  rien  au  garde-meuble  qui 
puisse  aller  là.  J'ai  bien  des  dettes  à  payer  que  j'ignorais; 
depuis  trois  ans,  je  ne  savais  pas  un  mot  de  mes  afiRiires, 
et  cette  vente  boucherait  un  trou. 

Au  reste,  je  suis  si  à  mon  aise  avec  vous,  et  je  compte 
tant  sur  votre  amitié  pour  moi,  que  c'est  à  vous  seul  que 
j'aurai  recours,  lorsqu'il  en  sera  temps,  pour  me  tirer  do 
rôle  de  prétendant  universel  qu'on  me  fera  jouer  à  chaque 
occasion  ;  Tâ^je  que  j'ai,  les  places  que  j'ai  remplies  et  ma 
calotte  rouge  fourniront  toujours  un  beau  texte.  Je  vous 
avoue  que  cet  avenir  est  insupportable  ;  que  n'ayant  au- 
cune espèce  de  prétention,  je  ne  veux  point  du  ridicule  de 
prétendant;  j'en  connais,  d'ailleurs,  le  danger,  et  je  veui 
l'éviter.  Vous  révérez  à  cela  à  loisir,  et  vous  me  direz  ce 
que  vous  pensez  ensuite  à  cet  égard.  Les  grâces  que  le 
Roi  destine  au  camérier  ne  peuvent  faire  qu'un  bon  effet  à 
Rome,  et  vous  faire  honneur  à  vous-même.  Je  serai  très- 
aise  de  le  voir  ici  quand  cela  conviendra. 

Je  crois,  monsieur  le  duc,  que  vous  trouverez  dans 
cette  lettre  mon  style  ancien  avec  vous.  Vous  avez  mis 
mon  cœur  à  son  aise,  et  je  puis  vous  assurer  qu'il  vous  en 
coulera  un  peu  cher,  car  vous  serez  le  protecteur  de  mes 
plus  proches  parents  ;  heureusement  ils  servent  tous  avec 
distinction  et  ont  des  noms  faits  pour  les  grâces. 


DU   CARDINAL   DE   BERISIS.  363 

On  ne  peut,  monsieur  le  duc,  rien  ajouter  h  mon  sin- 
cère attachement  pour  vous. 

Madame  de  Pompadour  m'a  fait  donner  de  ses  nou- 
velles ;  elle  était  hors  d'affaire. 

A  Vic-8ur- Aisne,  le  26  janvier  1759. 

M.  Le  Brun  m'a  rendu  compte,  monsieur  le  duc,  d'une 
partie  de  la  conversation  que  vous  avez  bien  voulu  avoir 
avec  lui  sur  mon  compte;  il  m'en  dira  davantage  quand  il 
viendra  ici.  Je  trouve  votre  façon  de  penser  conforme  à 
l'idée  que  j'en  ai  toujours  eue,  et  telle  qu'il  convient  à  un 
homme  de  qualité  et  de  probité.  Je  vous  prie  de  ne  pas 
oublier  l'offre  que  vous  m'avez  faite  de  faire  remettre  sur 
l'état  M.  Deshaizes,  dont  il  est  juste  de  récompenser  les 
services  ;  il  est  d'ailleurs  convenable  à  un  homme  comme 
vous  (indépendamment  de  l'amitié)  de  faire  une  chose  in- 
finiment agréable  à  votre  prédécesseur.  On  ne  peut  rien 
ajouter  à  tous  les  sentiments  d'attachement  que  je  vous  ai 
voués,  monsieur  le  duc,  pour  toujours. 

Le  cardinal  de  Bernts. 

Ce  14  mai. 

Je  vous  envoie,  monsieur  le  duc,  M.  Deshaizes  pour 
vous  faire  sa  cour,  et  en  même  temps  mes  remerciments 
sur  les  témoignages  d'amitié  et  d'intérêt  que  vous  lui 
avez  donnés  à  mon  sujet,  dans  ses  deux  voyages  à  Ver- 
sailles, et  qui  me  sont  revenus  de  beaucoup  d'autres  en- 
droits, et  en  dernier  lieu  par  M.  de  Montazet;  celui-ci  m'a 
fait  de  votre  part  des  offres  très-obligeantes  pour  tout  ce 
qui  peut  m'intéresser,  et  en  particulier  de  recevoir  ici  les 
personnes  qui  me  seraient  le  plus  agréables.  Gomme  je  ne 
suis  pas  assez  au  fait  de  ma  situation  à  la  cour,  je  ne  for- 


364  LETTRES 

merai,  sur  tout  ce  qui  a  rapport  à  ma  liberté,  aucune 
demande  qui  puisse  paraître  prématurée  ou  indiscrète. 
C'est  à  mes  amis,  mais  surtout  à  vous,  qui  m'en  donnez 
des  preuves,  et  qui  êtes  plus  à  portée  que  personne  de 
connaître  les  moments  favorables,  à  qui  je  dois  m'en  rap- 
porter sur  cet  article  ;  dans  tous  les  cas,  je  ne  puis  recevoir 
ici  que  très-peu  de  monde,  ma  maison  étant  occupée  par 
ma  famille,  et  ne  m'étant  réservé  que  deux  logements  pour 
les  étrangers.  A  Tégard  de  Paris  (lorsqu'il  en  sera  temps), 
je  n'irai  jamais  que  pour  deux  fois  vingt-quatre  heures,  soit 
pour  ma  santé,  soit  pour  mes  affaires,  ma  résolution  étant 
bien  prise  de  faire  mon  habitation  ordinaire  de  mon  petit 
château  de  Vie-sur- Aisne.  C'est  le  seul  séjour  qui,  dans 
les  circonstances,  me  convienne  à  tous  ég^ards. 

M.  Deshaizes  m'a  rendu  compte,  dans  le  temps,  de  ce 
que  vous  lui  aviez  dit  au  sujet  de  Rome.    Sur  cet  objet,  je 
m'en  rapporte  entièrement  sur  ce  que  vous  déciderez,  au- 
tant par  confiance  dans  votre  amitié  que  par  déférence  à 
vos  conseils.  De  mon  côté,  je  ne  song^e  qu'à  m'attachera 
mon  état,  et  à  mettre  dans  les  partis  que  je  prendrai  à  cet 
égard  le  temps,  les  réflexions  et  la  droiture  qui  convien- 
nent à  mes  principes  et  à  mon  caractère  ;  au  surplus,  je 
serai  toujours  prêt  à  servir  le  Roi,  quand  vous  croirez  que 
je  puis  lui  être  utile.  Il  est  dans  mon  cœur  de  le  désirer, 
mais  ma  situation  ne  me  permet  pas    de  le    demander. 
Quand  je  dis  servir  le  Roi,  je  n'entends  pas  (comme  vous 
pensez  bien)  une  charge  à  la  cour;  car,  sur  cet  article,  je 
n'ai  pas  plus  de  projet  que  d'espérance. 

M.  le  nonce,  que  je  croyais  sur  son  départ  et  à  qui  j'avais 
fait  faire  des  compliments  par  M.  Deshaizes,  eut  avec 
celui-ci  une  conversation  dont  il  aura  l'honneur  de  vous 
rendre  compte. 

Vous  me  connaissez,  monsieur  le  duc;  vous  savez  que  je 


DU  CARDINAL   DE  BERNIS.  365 

suis  honnête  et  Franc;  ainsi,  je  compte  sur  l'amitié  que 
vous  me  promettez,  et  certainement  vous  pouvez  prendre 
une  entière  confiance  dans  ma  façon  de  penser  à  votre 
égard,  et  être  assuré  pour  toujours  de  mon  inviolable 
attachement. 

Ce  15  juin  1759. 

J'ai  reçu  avant-hier,  monsieur  le  duc,  la  lettre  que  vous 
aviez  remise  à  M.  Deshaizes  et  qu'jl  m'a  rapportée  à  son 
retour  de  Chartres  ;  elle  exige  de  ma  part  une  réponse 
prompte  et  des  remercîments  ;  je  charge  un  de  mes  gens 
de  cette  lettre,  qu'il  a  ordre  de  remettre  à  M.  de  la  Seuze 
pour  qu'elle  vous  soit  rendue  fidèlement. 

Vous  m'avez  fait  grand  plaisir  de  m'apprendre  qu'on 
n'avait  à  la  cour  ni  aigreur  ni  animosité  contre  moi  ;  mais 
comme  on  n'y  rend  pas  encore  la  justice  que  je  crois  due 
à  ma  façon  de  penser  et  à  mon  caractère,  par  rapport  aux 
affaires  présentes,  je  crois  plus  sage  de  ne  pas  profiter 
encore  de  l'offre  que  vous  me  faites  d'obtenir  la  permis- 
sion à  mes  amis  devenir  me  voir  ;  il  y  aurait  des  embarras 
et  des  inconvénients  à  ces  visites  ;  je  n'avais  point  chargé 
du  tout  M.  de  Montazet  de  vous  en  parler.  Quoique  ma 
vie  ne  soit  pas  amusante,  elle  est  pourtant  douce,  depuis 
que  ma  famille  est  réunie  auprès  de  moi,  et  j'attendrai 
qu'on  ouvre  la  porte  entièrement  avant  de  voir  d'autres 
personnes  que  mes  parents.  Je  ne  doute  pas  que  vous  ne 
vouliez  pas  saisir  le  moment  favorable  pour  avancer  cette 
époque  ;  comme  mon  successeur  et  mon  ami ,  ce  bon  pro- 
cédé ne  peut  que  vous  faire  honneur  parmi  les  honnêtes 
gens. 

Rien  n'est  plus  sensé  que  tout  ce  que  vous  me  dites  sur 
l'idée  que  vous  avez  de  m'envoyer  à  Rome  après  le  retour 


366  LETTRES 

de  M.  de  Laon  ;  je  sens  la  solidité  de  vos  raisons,  et  vos 
motifs  sont  très-honnétes  pour  moi.  Ce  projet,  qui  est  venu 
à  la  tête  de  bien  des  gens,  avait  déjà  fait  dire  des  imperti- 
nences à  mon  sujet,  et  Ton  me  prétait  déjà  des  vues  fort 
contraires  à  mon  caractère  et  à  mes  principes  ;  c'est  ce  qui 
me  donnait  une  sorte  de  répugnance,  qui  ne  subsiste  plus, 
dès  que  l'idée  et  l'exécution  de  ce  projet  vous  appartien- 
di^ont  entièrement  ;  ainsi  je  n'ai  qu' à  vous  remercier  de 
tout  mon  cœur  de  ce  que  vous  jugerez  à  propos  de  faire  à 
cet  égard  quand  le  temps  sera  arrivé.  Je  vois  que  vous 
devenez  aussi  philosophe  que  vous  me  Tavez  paru  ;  je  ne 
voudrais  pourtant  pas  que  vous  le  devinssiez  trop  ;  car,  dans 
ce  cas,  l'idée  que  vous  avez  pour  moi  n'aurait  ni  la  même 
^solidité,  ni  les  mêmes  agréments. 

Je  n'attends  point  de  réponse  à  cette  lettre,  et  je  me 
réserve  de  savoir  de  vos  nouvelles  quand  M-  Deshaizes 
retournera  vous  foire  sa  cour.  Vous  connaissez,  monsieur 
le  duc,  mon  amitié  et  mon  attachement  pour  vous  ;  ils  ne 
se  démentiront  jamais. 

Ce  31  décembre. 

J'ai  l'honneur,  monsieur  le  duc,  de  vous  envoyer  à 
cachet  volant  un  billet  que  j'écris  en  réponse  à  l'aaibassa- 
deur  de  Hollande,  et  la  lettre  en  original  de  cet  ambassa- 
deur. 

Vous  lui  ferez  parvenir  ma  réponse  si  vous  le  jugez  à 
propos. 

Je  joins  à  ce  paquet  une  lettre  pour  l'Infante  qui  n'est 
que  de  bonne  année.  Soyez  sûr,  monsieur  le  duc,  que  per- 
sonne ne  vous  sera  jamais  plus  inviolablement  attaché  que 
moi. 

Le  cardinal  de  Bernis. 


DU   CARDINAL   DE   BERNIS.  367 


A  Vic-sur-Aisne,  ce  29  avril  1760, 

M.  de  Montazet,  monsieur  le  duc,  m'a  fait  part  de  la 
réponse  obligeante  pour  moi  que  vous  lui  avez  faite  lors- 
qu'il a  demande  la  permission  de  me  voir  à  son  retour  de 
Lyon  ;  je  vous  en  fais  mes  sincères  remercîments.  Le  comte 
de  Narbonne  m'a  dit  aussi  de  votre  part  des  choses  fort 
honnêtes.  Quoique  je  n'aie  jamais  douté  de  Tamitié  que 
vous  m'avez  promise,  je  suis  très-aise  d'en  recevoir  de 
temps  en  temps  des  témoignages. 

Ma  santé,  que  je  croyais  l'été  dernier  presque  entière- 
ment rétablie,  a  éprouvé  d'assez  violentes  secousses  sur  la 
fin  de  rhiver.  C'est  toujours  cette  ancienne  affection  des 
nerfs  qui  me  tourmente.  Les  médecins  avaient  décidé  qu'il 
était  nécessaire  que  j'allasse  prendre  cet  été  les  bains  et 
les  eaux  ;  mais  avant  que  de  me  déterminer  à  un  pareil 
déplacement,  j'ai  préféré  d'essayer'pendant  la  belle  saison 
le  lait  d'ànesse  qu'ils  m'ont  ordonné,  et  au  mois  de  sep- 
tembre les  bouillons  de  tortue.  Si  tout  cela  ne  me  guéris- 
sait pas,  il  faudrait  bien  se  résoudre  à  suivre  l'ordonnance 
des  médecins,  et  je  demanderais,  en  ce  cas,  la  permission 
d'aller  aux  eaux  le  printemps  prochain  pour  ne  pas  lais§er 
enraciner  davantage  un  mal  qui  pourrait  devenir  plus  fâ- 
cheux et  plus  dangereux.  Heureusement  depuis  quinze 
jours  je  me  porte  beaucoup  mieux. 

Je  compte,  monsieur  le  duc,  pouvoir  sans  inconvénient 
profiter  cette  année  de  l'offre  que  vous  eûtes  la  bonté  de 
me  faire  l'été  dernier,  de  demander  au  Roi  les  permissions 
nécessaires  pour  ceux  de  mes  amis  qui  seraient  bien  aises 
de  temps  en  temps  de  venir  me  tenir  compagnie  ;  je  leur 
manderai  en  conséquence  de  s'adresser  à  vous  pour  obte- 
nir ces  sortes  de  permissions.  Soyez  bien  assuré,  monsieur 


368  LETTRES 

le  duc,  que  je  serai  très-fidèle  à  rattachement  sincère  que 
je  TOUS  ai  voué  pour  la  vie. 

Le  cardinal  de  Bebbhs. 

A  Vic-sur-AUne,  ce  10  juin  1760. 

J*ai  bien  des  grâces  à  vous  rendre,  monsieur  le  duc,  de 

Tamitié  avec  laquelle  vous  vous  chargez  d'obtenir  tontes 

les  permissions  dont  j*aurai  besoin  par  rapport  à  ma  santé 

et  à  Tagrément  de  ma  vie.  Je  vous  dois  encore  plus  de 

reconnaissance  sur  les  autres  objets  que  vous  traitez  dans 

la  lettre  dont  vous  m'avez  honoré  en  dernier  lieu.  MM.  de 

Montazet  et  de  Narbonne  n'étaient  point  au  fait  de  l'idée 

de  Rome.  Je  n'ai  pas  cru   qu'avant  que  vous  m'eussiez 

mandé  que  je  pouvais  la  confier  à  mes  amis,  je  dusse  ai 

faire  aucun   usage.    Vous  devez  vous  rappeler  que  j'ai 

adopté  ce  projet  en  vous  laissant  totalement  le  maître  do 

temps  et  de  la  forme  deson  exécution  ;  je  n'ai  point  chaogé 

d'avis   à  cet  égard,  trouvant  l'idée  convenable  de  tout 

point,  et  par  les  mêmes  raisons  que  celles  qui  vous  l'ont 

fait  imaginer  il  y  a  plus  d'un  an;  mais  j'ai    cru  que  ricD 

ne  s'alliait  mieux  avec  la  résidence  à  Rome  qu'un  siège. 

Tous  les  gens  sensés  du  clergé  m'ont  conseillé  de  me  lier 

entièrement  à  mon  état.  Allant  prêtre  à  Rome,  j'y  aurai 

certainement  plus  de  considération  si  je   suis  évéque  en 

même  temps  ;  d'ailleurs,  avec  le  mal  aux   nerBs  auquel  je 

suis  sujet,  il  pourrait  se  faire  que  le  climat  d*ItaliefûtcoD- 

truire  à  ma  santé,  et  alors  je  serais  fort  embarrassé  si  je 

n'avais  l'asile  décent  et  honorable  d'un    diocèse.   Il  m'a 

paru  aussi  que  rien  ne  pourrait  mieux  convenir  à  tout  le 

monde  que  cette  retraite  habituelle  loin  de  Paris.  Le  Roi 

est  bon  ;  il  ne  voudra  pas  que  je  sois  prisonnier  toute  ma 

vie;  nul  moyen  n'est  plus  doux,   ni   plus  convenable  que 


DU  CARDINAL  DE  BERNIS.  869 

riiabitation  d'un  diocèse.  Vous  avez  bien  raison,  monsieur 
le  duc,  de  penser  qu'il  n'est  pas  indifFérent  dans  quelle 
province  ce  diocèse  sera  situé;  et  puisque  vous  désirez 
que  je  m'explique  entièrement  sur  cet  objet,  je  vous  dirai 
que  Lisieux  et  Gondom  me  paraissent  également  convena-' 
blés.  Mais  par  rapport  au  climat,  au  voisinage  des  eaux 
qui  me  sont  ordonnées,  au  peu  d'étendue  du  diocèse,  au 
génie  des  habitants  que  je  connais,  mais  surtout  à  l'éloi- 
gnement  de  Paris,  Gondom  me  plairait  infiniment  davan- 
tage que  Lisieux.  A  l'égard  de  l'embarras  où  je  pourrais 
mettre  le  Roi  en  me  présentant  devant  li^i  pour  la  presta* 
tion  du  serment,  il  est  aisé  de  lever  cette  difficulté.  Pre- 
mièrement elle  serait  la  même  en  allant  à  Rome,  puisqu'il 
ne  serait  guère  possible  que  je  partisse  sans  prendre  congé 
de  Sa  Majesté  ;  mais  dans  le  cas  dont  il  s'agit,  il  est  très- 
aisé  que  le  Roi  me  donne,  par  exemple,  l'évéché  de  Gondom, 
sans  que  je  sois  obligé  de  paraître  devant  lui,  ni  que  ce 
défaut  dans  la  forme  d'usage  paraisse  extraordinaire  ;  en 
supposant  que  le  Roi  fût  décidé  à  me  nommer  à  cet  évéché, 
vous  aurez  la  bonté  de  m'en  avertir.  Je  demanderais  alors 
à  aller  aux  eaux  de  Gotterets  et  de  Bagnères  qui  me  sont 
ordonnées;  j'irais  passer  quelque  temps  en  Languedoc 
avec  ma  famille  ;  je  recevrais  à  Lyon,  où  je  devrais  m'ar- 
réter  par  égard  pour  mon  chapitre,  la  nomination  du  Roi  ; 
j'adresserais  à  vous  et  à  M.  l'évéque  d'Orléans  des  lettres 
ostensibles  par  lesquelles,  en  remerciant  le  Roi,  je  le  sup- 
plierais de  permettre  qu'à  cause  de  ma  santé,  et  pour  ne 
pas  interrompre  le  régime  des  eaux,  je  pusse,  après  l'arri- 
vée de  mes  bulles,  prêter  le  serment  ordinaire  entre  les 
mains  du  maréchal  de  Thomond  ou  de  tel  autre  commis  à 
ce  sujet  par  Sa  Majesté  ;  il  y  a  des  exemples  de  pareilles 
commissions  données,  et  rien  n'est  moins  contre  les  prin- 
cipes que  cette  forme.  Mon  serment  reçu  par  un  commissaire 
II.  tk 


370  .  LETTRES 

du  Roi  serait  ëgalement  enregistré  à  la  Chambre  des 
comptes.  Je  ne  puis  mieux,  monsieur  le  duc,  répondre  à 
la  manière  honnête  et  franche  avec  laquelle  vous  vous 
ouvrez  à  moi,  que  d'entrer  avec  vous  dans  tous  ces  détails. 
J'ajouterai  que  si  vous  jugez  à  propos  de  demander  an 
Roi  l'évéché  de  Gondom,  vous  aurez  la  bonté  de  dire  an 
comte  de  Narbonne,  mon  parent  et  mon  ami,  ce  qu'il  faut 
que  je  fasse  pour  remplir  vis-à-vis  de  l'évéque  d'Orléans 
ce  qui  est  dû  à  la  place  qu'il  occupe  et  ce  que  je  dois  plus 
particulièrement  à  l'amitié  qui  est  entre  nous  depuis  près 
de  trente  ans.  M.  de  Narbonne  recevra  vos  instructionSi  et 
il  fera  de  ma  part  auprès  de  M.  d'Orléans  les  démarches 
que  vous  voudrez  bien  lui  dicter.  Au  reste,  si  le  Roi  ne 
voulait  pas  dans  ces  circonstances  me  nommer  à  l'évéché 
de  Gondom  ou  de  Lisieux,  je  vous  demande  de  ne  pas 
changer  de  résolution  par  rapport  au  ministère  de  Rome, 
que  je  remplirai  dans  tous  les  cas,  à  moins  que  ma  santé 
n'y  mit  un  véritable  obstacle.  Vous  avez  bien  voulu  afficher 
l'amitié  que  vous  avez  pour  moi  ;  il  est  dans  votre  carac- 
tère et  dans  vos  principes  de  m'en  donner  des  marques. 
Vous  voyez  que  tous  mes  vœux  tendent  à  une  vie  tran- 
quille et  honorable  ;  que  l'éloignement  de  Paris,  bien  loin 
de  me  faire  peur,  a  pour  moi  des  agréments  et  des  avantages. 
Je  vous  prie  donc  d'agir  en  cette  occasion  avec  zèle  ;  heu- 
reusement pour  moi,  avec  la  meilleure  volonté  vous  avez 
tout  le  crédit  et  le  pouvoir  nécessaires.  J'attendrai  par 
M.  de  Narbonne  le  résultat  de  vos  résolutions,  afin  de 
pouvoir  prendre  des  arrangements  en  conséquence.  Vous 
connaissez  ma  façon  de  penser  et  vous  ne  doutez  pas, 
monsieur  le  duc,  que  mon  amitié,  mon  attachement  et  ma 
reconnaissance  ne  soient  éternels. 

Monsieur  le  duc  de  ChoiseuL 


DU  CARDINAL  DE  BERNIS.  371 

A  Vic-sur-Aisne,  ce  8  juillet  1760. 

J'ai  reçu,  monsieur  le  duc,  par  le  comte  de  Narbonne, 
la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire,  le 
27  du  mois  dernier. 

Quoique  vos  diverses  tentatives  n'aient  pas  eu  le  succès 
que  votre  amitié  pour  moi  s*en  promettait,  j'ai  vu  du  moins 
avec  satisfaction  que  le  Roi  rendait  justice  à  mes  sentiments 
et  à  la  pureté  de  mes  intentions,  et  que  vous  pensez  que 
la  répugnance  de  Sa  Majesté  pour  me  nommer  à  un  évè- 
ché,  dans  ce  moment-ci,  pourrait  n'étiapas  invincible 
dans  d'autres  circonstances  :  j'ai  appris  sans  douleur  cette 
nouvelle,  parce  que  j'avais  accepté  avec  reconnaissance, 
mais  sans  chaleur,  la  proposition  très-honnéte  que  vous 
m'avez  faite  de  demander  pour  moi  un  siège.  Mes  prin- 
cipes sur  les  affaires  de  l'Église  sont  suffisamment  connus, 
ainsi  que  mou  éloignement  de  toute  intrigue  et  de  tout 
intérêt  de  parti.  J'attendrai  donc  sans  impatience  que  le 
Roi  daigne  rendre  utile  à  l'Église  le  reste  de  ma  vie,  et  je 
prendrai  la  prêtrise  à  Tépoque  que  j'ai  fixée  Tannée  der- 
nière. 

Je  ne  solliciterai  plus  votre  amitié,  monsieur  le  duc,  il 
me  semble  que  je  vous  ferais  injure,  et  que  je  dois  m'en 
rapporter  entièrement  aux  nouvelles  assurances  que  vous 
m'en  donnez. 

M.  de  Narbonne,  en  qui  j'ai  une  véritable  confiance, 
parce  que  je  connais  la  droiture  de  son  cœur  et  la  sagesse 
de  son  esprit,  est  d'ailleurs  au  fait  de  l'état  de  ma  santé 
et  de  l'espèce  de  liberté  et  de  mouvement  dont  j'ai 
besoin  pour  éviter,  s'il  est  possible,  les  accidents  que  j'ai 
essuyés  l'hiver  dernier  ;  il  ne  manquera  pas  de  vous  en 
instruire. 

Je  vous  prie,  monsieur  le  duc,  d'être  bien  persuadé  que 

n. 


378  LETTRES  DU  CARDINAL   DE  BERNIS. 

VOUS  n'avez  pas  de  serviteur  qui  vous  soit  plus  fidèlemêDt 
attaché  que  moi. 

Le  cardinal  de  Bernis. 

A  Saint-Marcel  par  le  Pont-Saint-Esprit, 
ce  12  mars  1761. 

Mes  religieux  de  Saint-Médard,  monsieur  le  duc,  après 
ra'avoir  laisse  jouir  tranquillement  de  cette  abbaye  de  la 
même  manière  que  mes  prédécesseurs  en    avaient  joui 
depuis  deux  siècles,  me  demandent  aujourd'hui  une  grande 
partie  de  mon  revenu,  ou  un  partage  qui  serait  à  mes  (rais 
et  fort  dispendieux  si  cette  affaire  était  portée  au  grand 
conseil.  Je  vous  supplie  donc  avec  instance  d'appuyer  de 
toutes  vos  forces  la  demande  que  je  fais  à  M.  le  chancelier 
d'un   arrêt  d'attribution  de  V affaire  du  partage  avec  mes 
religieux  au  conseil.  C'est  la  seule  manière  que  j'aie  d'é- 
viter des  dépensés  qui  dérangeraient  totalement  mes  affai- 
res. On  n'en  doit  pas  dire  davantage  à  son  ami,  et  je  sois 
])ersuadé,  monsieur  le  duc,  que  vous  ferez  tout  ce  que  je 
dois  attendre  de  votre  amitié  et  de  mon  inviolable  atta- 
chement pour  vous. 

Le  cardinal  de  Bernis. 
Monsieur  le  duc  de  Choiseul. 


APPENDICES 


APPENDICES 


APPENDICE  N»  VIII. 

L'ENLÈVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE. 
(Voir  page  3.) 

Le  cardinal  de  Bernîs  a  donné  dans  ses  Mémoires  un  récit  de 
renlèvement  du  marquis  de  Fraig^ne  qui  pourrait  sembler  suf- 
fisamment complet.  Mais  le  fait  avait  été  passé  jusqu'ici  sous 
silence  par  la  plupart  des  historiens  ^  Frédéric  II  l'avait  défiguré 
et  arrangée  à  sa  (piise*;  on  aurait  pu  croire  que  le  ministre  des 
affaires  étrang^ères  avait  été  entraîné  à  exagérer  les  griefs  de  sa 
cour  et  à  calomnier  un  souverain  ennemi  de  la  France.  D'ail- 
leurs, l'épisode  en  lui-même  était  entouré  de  détails  si  roma- 
nesques qu'ils  paraissaient  incroyables.  Il  était  donc  nécessaire 
d'appuyer  de  pièces  et  de  témoignages  authentiques  la  narration 
de  Bernisy  et  d'entourer  de  preuves  indéniables,  puisées  dans  les 
archives  publiques,  la  révélation  d'une  a  nouvelle  cause  célèbre 

'  La  Gazette  de  France  en  fait  pourtant  mention  par  deux  fois.  Année  1758, 
p.  112  et  130.  La  Correspondance  secrète  de  Louis  X F,  publiée  par  M.  Boutaric 
(t.  I,  p.  254),  contient  une  lettre  du  Roi  qui  y  fait  allusion,  mais  je  ne  tait  t'il 
en  est  question  ailleurs. 

•  Voici  le  récit  de  Frédéric,  extrait  de  VHistoire  de  la  guerre  de  Sept  tms, 
ch.  \i,  p.  157,  t.  IV  des  Œuvres,  éd.  de  Berlin  :  •  Pendant  cette  campa(«iie  de 
Thuringe,  on  découvrit  qu'un  Français,  nommé  Fraigne,  qui  te  tenait  à  la  cour 
de  Zerbst,  envoyait  des  quincailliers  et  d'autres  gens  déguisés  dans  l'armée  prus- 
sienne, pour  rapporter  ce  qu'ils  pouvaient  y  apprendre  aux  généraux  français.  On 
envoya  un  détachement  à  Zerbst  qui  saisit  cet  aventurier  et  le  mena  à  la  forteresse 
de  Magdebourg  (le  23  février  1758).  Il  se  (rouva  que  par  une  de  ces  bizarreries 
d'amour  dont  on  ne  saurait  rendre  raison,  la  princesse  douairière  de  Zerbst  avait 
épousé  cet  homme  en  secret.  Elle  fit  grand  bruit  de  cet  événement  et  se  retira  par 
dépit  à  Paris.  Cette  affaire  pouvait  avoir  des  suites  par  l'impression  qu'elle  aurait 
pu  faire  sur  l'esprit  de  la  grande-duchesse  de  Russie,  fille  de  la  princesse  de  Zerbst. 
Elle  ignora  ou  désapprouva  peuuétre  les  engagements  que  sa  mère  avait  pris  avec 
cet  aventurier,  et  il  n'en  résulta  rien  de  fâcheux  pour  le  Roi.  > 


376  APPENDICES. 

du  droit  de$  cens  n  que  M.  de  Marrens  a  omis  d'insérer  dans  son 
recueil. 

On  a  vu  que  M.  de  Fraigfne  avait  obtenu ,'  après  que  Valoiy 
eut  quitté  Berlin ,  la  permission  de  se  rendre  à  Dresde  d'abord, 
puis  à  Zerbst  et  à  Weimar.  En  passant  à  Leipzig ,  il  se  munit 
d'une  lettre  de  recommandation  de  la  duchesse  de  Coorlande 
pour  la  princesse  régnante  de  Zerbst;  il  avait  déjà  une  lettre  du 
comte  de  Broglie  pour  la  princesse  douairière.  Fraigne  séjourna 
quelque  temps  à  Zerbst ,  puis  revint  en  France.  Il  demanda  k 
être  employé  à  l'armée  ou  auprès  du  comte  de  Broglie  (18  juil- 
let 1757).  Le  ministre  lui  répondit  immédiatement  qu'il  eût  i 
attendre,  qu'on  avait  des  desseins  sur  lui. 

Le  28  août  1757,  Fraig^ne  reçut  en  effet  des  instructions,  et,  le 
3  septembre,  l'abbé  de  Demis  écrivit  au  duc  de  Zerbst  la  lettre 
suivante ,  qui  devait  servir  à  Frai^ne  de  lettre  de  créance  : 

«  Versaillet,  le  3  septembre  1*57. 

«  Monseig^neur,  l'objet  de  M.  le  marquis  de  Fraig^ne  étant  de 
se  rendre  utile  au  ser\'ice  du  Roi  dans  la  partie  des  affaires 
étrang[ères,  Sa  Majesté  lui  a  permis  de  continuer  les  voyag» 
qu'il  avoit  entrepris  dans  cette  vue.  La  manière  dont  il  a  été 
reçu  l'année  dernière  à  la  cour  de  Votre  Altesse  exige  de  lui  que, 
retournant  en  AUemag^ne,  il  lui  marque  touie  ia  reconnoissaïKt 
qu'il  en  conserve.  C'est  ce  qui  l'ençaçe,  Monseigneur,  à  passer 
d'abord  à  Zerbst,  où,  d'ailleurs,  les  événements  de  la  guerres 
voisine  des  États  de  Votre  Altesse  pourront  satisfaire  le  àésis 
qu'il  a  de  s'instruire.  Je  n'ai  pas  cru  devoir  le  laisser  partir  sans 
avoir  l'honneur  de  prier  Votre  Altesse  de  lui  donner  une  entière 
créance  sur  tout  ce  qu'il  pourra  lui  dire,  si  les  occasions  se  pw- 
sentent  de  l'entretenir  sur  les  affaires.  Je  saisis  avec  empres- 
sement celle  d'assurer  Votre  Altesse  du  respect  avec  lequel  je 
suis,  etc.  » 

Muni  de  recommandations  pour  le  maréchal  de  Richelien, 
pour  le  prince  de  Soubise,  pour  M.  de  Champcaux,  ministre  à 
Hambourg,  Fraigne  arrive  le  1"  novembre  1757  à  Cassel,  leî 

llalberstadt,  le  11  à  Hambourg.  H  en  repart  avec  un  passe- 
port de  marchand  acheté  cent  ducats,  après  de  longues  conver- 
sations avec  Soltikoff,  ministre  de  l'Impératrice  à  Ilamboui^gi 


L'ENLEVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE.      377 

chargé  de  la  correspondance  secrète  entre  la  çrahd&Kiuchesse  de 
Russie  et  sa  mère  la  princesse  d'Anhalt.  Il  a  passe  tout  au  travers 
de  Maçdebourg;.»  et  arrive  à  Zerbst  le  16  novembre.  Sur  sa  route, 
il  a  été  à  même  de*  constater  les  excès  et  les  désordres  des  troupes 
françaises  :  u  L'esprit  du  militaire  est  entièrement  perverti , 
écrit-il,  la  discipline  totalement  perdue;  les  malversations  sont 
flagrantes  et  honteuses.  Chacun  travaille  pour  soi.  Uar^ent ,  les 
proHts  illicites  sont  les  mobiles  de  tout.  Nous  deviendrons ,  si 
cela  continue,  l'objet  de  l'indignation  publique  dans  l'Empire.  » 

A  peine  arrivé  à  Zerbst,  Fraîgne  s'occupe  d'établir  sérieu- 
sement sa  correspondance ,  et  en  même  temps  de  gagner  les 
bonnes  grâces  de  la  princesse  douairière.  Il  la  prend  par  son 
faible,  sa  passion  pour  les  porcelaines,  et  demande  pour  elle  à 
Bernis  un  pot  de  fleurs  de  la  manufacture  de  Vincennes.  Mais 
tout  en  comblant  sa  princesse  de  petits  soins,  il  ne  perd  pas 
de  vue  sa  mission,  et  envoie  des  renseignements  intéressants 
tant  au  ministre  qu'aux  commandants  des  armées  du  Roi. 

Deux  mois  se  passent.  Fraigne  s'est  rendu  utile  aux  Français, 
donc  dangereux  aux  Prussiens.  Une  première  attaque  est  dirigée 
contre  lui.  Voici  la  dépêche  dans  laquelle  il  en  rend  compte  : 

-  Zcrbtt,  10  jaiiTier  1758. 

((  Monseigneur,  vous  allez  sans  doute  être  surpris  de  Tévéne- 
ment  singulier  dont  je  vais  avoir  l'honneur  de  vous  rendre 
compte,  et  qui  n'a  pas  d'exemple  dans  l'histoire.  Hier  au  soir, 
sur  le  minuit,  comme  j'allois  me  mettre  dans  mon  lit,  quatre 
housards  prussiens,  ayant  à  leur  tête  un  officier  nommé  Barowski, 
se  présentèrent  à  la  porte  de  ma  chambre  pour  m'en  arracher  à 
force  ouverte.  Une  voiture  attelée  de  quatre  chevaux  étoit  dans 
la  rue.  Leur  projet  étoit,  à  ce  que  j'ai  su  depuis,  de  m'y  foire 
entrer  et  de  m'emmener  sans  bruit  je  ne  sais  où.  Un  détachement 
de  huit  autres  housards  devoit  me  recevoir  hors  de  la  ville.  Heu- 
reusement, ma  porte  étoit  fermée  à  double  tour.  Au  premier 
bruit,  je  sonnai  mes  gens;  mais  on  avoit  pris  la  précaution  de 
s'en  saisir  le  pistolet  sur  la  gorge.  Alors  on  s'est  mis  en  devoir 
de  la  forcer.  J'étois  si  éloigné  de  penser  au  dessein  qui  étoit  formé 
contre  moi ,  que  je  n'ai  d'abord  pas  balancé  à  croire  que  j'avoîs 
,    affaire  à  des  brigands  qui  en  vouloient  uniquement  à  ma  bourse 


378  APPENDICES. 

et  à  ma  vie.  J'ai  pris  le  seul  parti  convenable.  Deux  pistolets 
étoient  mes  seules  armes.  J'ai  blessé  un  de  mes  assassins  à  la 
tête.  J'ai  été  moi-même  blessé  d'un  coup  de  sabre  à  la  maio. 
Ce  coup  de  vi(^ueur  m'a  donné  le  temps  de  brûler  ce  que  j'avois 
de  papier,  jusqu'à  la  lettre  que  je  venois  de  vous  écrire.  J'ai 
appelé  par  la  fenêtre.  Le  bruit  que  j'ai  feiit  a  mis  l'alarme  dans 
]a  ville.  M.  ]e  prince  d'Anhalt  m'a  envoyé  du  secours,  et,  ne 
consultant  bientôt  que  l'amitié  dont  il  m'bonore,  il  est  acooura 
lui-même  pour  me  dégag^er.  J'avois  jusque-là  tenu  bon  ,  ma  porte 
n'étoit  point  forcée,  et 'j'ai  eu  la  satisfection  de  l'ouvrir  moi- 
même  au  secours  qui  m'est  arrivé  après  une  bonne  heure  d'as- 
saut; pour  lors  l'officier  s'est  nommé.  Il  a  fort  assuré  qu'il  avoît 
des  ordres  du  Roy  son  maitre  d'en  user  comme  il  l'avoit  fût. 
J'ai  toujours  protesté  que  je  ne  pouvois  penser  que  Sa  Majesté 
Prussienne  se  fût  portée,  sans  aucune  réquisition  préalable,  à  une 
démarche  aussi  contraire  au  droit  de  la  nature  et  des  g^ens,  en 
violant  le  territoire  souverain  de  l'Empire  et  neutre.  L'afïaire 
s'est  tournée  en  négociation,  et  mondit  officier,  ne  se  voyant  pas 
le  plus  fort,  a  consenti  à  se  retirer.  J'en  ai  exigé  une  déclara- 
tion signée  de  lui.  Il  m'en  a  demandé  une  aussi,  que  je  lui  ai 
donnée  à  la  hâte.  Je  joins  icy  une  copie  de  l'une  et  de  l'autre. 
Je  ne  puis  assez  vous  exprimer  avec  quel  zèle  et  quelle  fermeté 
M.  le  prince  d'Anhalt  s'est  porté  à  deffendre  ma  liberté  et  ses 
droits  si  singulièrement  violés.  Comme  je  n'avois  pas  heureuse- 
ment perdu  la  tête,  j'ai  réussi  à  calmer  son  ressentiment,  qui 
auroit  pu  l'entraîner  trop  loin.  Il  m'a  fait  conduire  dans  son 
château,  où  il  a  voulu  que  je  prisse  un  logement.  J'y  ai  trouvé 
madame  la  princesse  sa  mère  dans  des  sentiments  bien  di(pies 

de  sa  naissance  et  de  sa  grande  âme J'ai  été  d'avis  que  M.  le 

prince  d'Anhalt  envoyât ,  sans  perdre  de  temps ,  une  estafette  à 
Berlin  pour  porter  ses  plaintes  à  Sa  Majesté  Prussienne,  et  de- 
mander la  punition  de  l'auteur  de  celle  violence.  J'ai  cru  devoir 
y  joindre  une  lettre  à  M.  de  Podewitz,  dont  j'ai  l'honneur  de 

vous  envoyer  la  copie Je  viens  d'aprendre  que  le  hasard  a 

fait  manquer  leur  coup  à  mes  ennemis.  Ils  s'attendoient  que  je 
ne  me  relirerois  de  la  cour  qu'à  minuit.  Leur  projet  étoit  de 
m'enlever  à  la  descente  de  mon  carrosse.  Heureusement  des  af- 
faires lu'avoient  obligé  de  rentrer  chez  moi  une  heure  plus  tôt.  » 


L'ENLÈVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE.      379 

A  cette  dépêche,  Fraiçne  joint  copies  de  la  lettre  qu'il  a  écrite 
au  comte  de  Podewiltz,  ministre  des  affaires  étrang^ères  du  roi  de 
Prusse,  de  la  déclaration  qu'il  a  réclamée  du  lieutenant  Barowsky, 
et  de  la  déclaration  qu'il  a  donnée  lui-même.  Voici  ces  deux 
dernières  pièces  : 

Cl  Moi  soussigné  certifie  être  venu ,  selon  les  ordres  que  j'en 
ai  reçu  en  bonne  forme,  pour  me  saisir  de  la  personne  de  M.  le 
marquis  de  Fraig;ne;  mais  Son  Altesse  Sérénissime  Monseigneur 
le  Prince  m'ayant  fait  représenter  la  neutralité  du  territoire,  et 
ledit  M.  le  marquis  n'étant  pas  officier  français,  mais  à  considé- 
rer comme  un  voyageur  particulier,  et  Son  Altesse  Sérénissime 
l'ayant  pris  par  ces  raisons-là  sous  sa  protection ,  je  me  suis  désisté 
de  mon  entreprise  par  respect  dû  à  Son  Altesse  Sérénissime  et 
en  considération  desdites  circonstances. 

«  Zcrbst,  le  18  janvier  1758. 

M  De  Barowsri  , 

•  Lieutenant  au  régiment  de  Seidelitz.  » 
Copie  de  la  déclaration  donnée  par  M,  le  marquis  de  Fraigne, 

ti  Je  n'ai  pu  regarder  les  gens  qui  sont  venus  m'enlever  cejour- 
d'hui  à  minuit  que  comme  dès  brigands  qui  en  vouloient  à  ma 
bourse  et  à  ma  vie.  Je  les  ai  traités  en  conséquence,  quoique  un 
soi-disant  officier  houzard,  qui  étoit  à  leur  tête,  ait  dit,  après 
coup,  qu'il  étoit  envoyé  de  la  part  du  roi  de  Prusse.  Je  respecte 
trop  ce  prince  pour  présumer  que,  sans  aucune  réquisition  préa- 
lable ,  il  se  soit  porté  à  une  violation  aussi  manifeste  du  terri- 
toire d'un  prince  souverain  de  TEmpire,  et  peut-être  à  une 
démarche  aussi  directement  contraire  aux  loix  et  aux  constitu- 
tions de  l'Empire  germanique.  Si  mon  séjour  ici,  qui  n'a  d'autre 
but  que  d'avoir  l'honneur  de  faire  ma  cour  à  un  prince  qui 
veut  bien  depuis  longtemps  m'honorer  de  ses  bontés,  déplaisoit 
à  Sa  Majesté  Prussienne,  il  y  avoit  des  moyens  plus  simples  et 
plus  convenables  de  me  le  faire  savoir.  Je  proteste  donc  contre 
toute  violence,  et  je  m'assure  que  Sa  Majesté  Prussienne  désa- 
vouera celle  qui  a  été  commise  en  ma  personne,  et  en  punira 
l'auteur,  qui  m'a  laissé  une  déclaration  signée  de  lui.  A  Zerbst, 
le  18  janvier  1758. 

a  Signé  :  Le  marquis  de  Fraigne.  » 


380  APPENDICES. 

Enfin ,  il  envoie  au  ministre  copie  de  la  lettre  que  le  prince 
d'Anhalt  a  écrite  au  roi  de  Prusse.  Voici  cette  lettre  : 

tt  Sire, 

u  Votre  Majesté  permettra  que  j'aie  l'honneur  de  l'informer 
d*un  cas  arrivé  ici  dans  le  lieu  de  ma  résidence,  auquel  je  ne 
me  serois  jamais  attendu.  Un  détachement,  qui  s'est  dît  da  régi- 
ment de  SeidelitZy  est  entré  de  force  cette  nuit  à  minuit  dans  le 
logis  du  marquis  de  Fraigne,  qui  se  trouve  ici  depuis  quel<{ues 
semaines,  et,  sans  m'en  faire  requérir,  ni  montrer  des  ordres  par 
écrit,  a  commis  des  violences  contre  sa  personne  en  le  blessant  à 
la  main  et  en  tâchant  de  l'enlever  de  force  le  sabre  à  la  main. 

a  Aussitôt  que  j'ai  été  informé  du  bruit,  j'ai  fait  demander  an 
détachement  s'il  étoit  muni  d'ordres  par  écrit;  mais  il  n'en  a  pu 
ou  voulu  produire.  Je  me  suis  donc  cru  d'autant  plus  obligé  de 
pourvoir  à  la  sûreté  dudit  marquis  que  c'est  un  homme  de  qua- 
lité, et  qui,  pendant  mon  séjour  en  France,  m'a  rendu  redevable 
envers  lui  de  beaucoup  d'obligations,  m'étant  fait  d'ailleurs  un 
plaisir  de  le  retenir  ici  quelque  temps  avant  que  de  le  laisser 
poursuivre  ses  voyages  en  Allemagne. 

ce  Votre  Majesté  jugera  elle-même  combien  un  tel  procédé  dans 
mon  territoire  et  dans  Tendroit  même  de  ma  résidence  me  doit 
être  sensible. 

u  La  confiance  que  j'ai  dans  les  bontés  et  dans  la  justice  de 
Votre  Majesté  me  fait  donc  espérer  que,  loin  d'aprouver  une 
démarche  aussi  injuste  et  par  conséquent  infiniment  sensible  à 
un  prince  de  l'Empire,  elle  voudroit  la  réprimer  et  y  apporter 
du  remède  d'une  manière  conforme  à  sa  sagesse  et  à  son  équité. 

u  J'ai  l'honneur  d'être  avec  tout  le  respect  imaginable,  etc. 

«  A  Zerbst,  le  19  janvier  1758. 

«  Signé  :  Frédéric-Auguste  d'Anhalt.  » 

A  la  suite  de  cette  première  alerte,  le  prince  de  Zerbst  offrit  à 
M.  de  Fraigne  un  asile  dans  son  château,  et  ordonna  une  en- 
quête sévère  sur  les  faits  qui  pouvaient  avoir  motivé,  précédé  ou 
accompagné  l'attentat  du  18  janvier.  L'enquête  se  trouva  bientôt 
interrompue,  dès  qu'on  reconnut  qu'un  des  instigateurs  princi- 
paux était  la  femme  même  du  prince  d'Anhalt,  Caroline-Amélie 


L'ENLÈVEMENT  DD  MARQUIS  DE  FRAIGNE.      881 

de  Hesse,  belle-sœur  du  roi  de  Prusse.  D'ailleurs,  d'autres  faits 
prémédités  ou  accidentels  venaient  chaque  jour  prouver  à  l'en- 
voyé de  l'abbé  de  Bernis  que  le  séjour  de  Zerbst  était  malsain 
pour  lui.  Ainsi,  le  22  janvier  au  matin,  u  un  coup  de  fusil  à 
vent  fut  tiré  dans  sa  fenêtre  par  un  jeune  homme  lo(jé  vis-à-vis. 
La  balle  passa  fort  près  de  lui,  et  avait  toute  la  force  requise 
pour  faire  beaucoup  de  mal.  Le  jeune  homme  s'excusa  sur  ce 
qu'il  avait  voulu  tirer  des  corbeaux  dans  la  rue,  et  Fraig^ne 
demanda  sa  (;râce.  n  Pour  sortir  d'une  position  aussi  fausse  que 
dan(jercuse,  Fraig^ne  demandait  au  ministre,  par  sa  lettre  du 
25  janvier,  à  être  accrédité  officiellement  près  des  princes 
d'Anhalt. 

Bernis  n'eut  pas  le  temps  de  lui  envoyer  ses  lettres  de  créance. 
Podewiltz,  en  effet,  s'était  hâté  de  répondre  aux  lettres  du  prince 
Frédéric.  Il  réclamait  le  départ  immédiat  de  Frai(jne.  u  Fraigne 
ne  s'est  arrêté  à  Zerbst,  écrivait-il,  que  pour  s'enquérir  de  ce 
qui  se  passe  dans  les  États  voisins  et  dans  les  armées  de  Sa  Ma- 
jesté et  pour  en  informer  les  Français,  et  il  a  insulté  Sa  Majesté 
par  des  propos  très-indécents.  C'est  pourquoi  Sa  Majesté  croit 
qu'une  telle  personne  ne  mérite  point  de  protection  ni  selon  les 
droits  des  gens,  ni  selon  ceux  de  la  guerre.  Sa  Majesté  ne  sau- 
roit  donc  s'imaginer  que  Votre  Altesse  s'intéresseroit  en  sa  faveur, 
ni  qu'elle  regarderoit  l'enlèvement  dudit  marquis  comme  une 
violation,  n 

Cette  lettre  arriva  à  Zerbst  le  5  février;  le  prince  de  Zerbst  se 
hâta  d'y  répondre  le  6,  en  envoyant  au  ministre  prussien  la 
copie  de  la  lettre  d'introduction  que  Fraigne  lui  avait  remise. 
Quelques  jours  s'écoulèrent  pendant  lesquels  le  marquis  aurait 
pu  tenter  de  s'évader;  mais  les  passages  étaient  gardés,  et  d'ail- 
leurs Fraigne  n'était  pas  fiché  peut-être  de  pousser  l'affaire 
jusqu'au  bout.  Le  13  février,  la  bombe  éclate.  Désormais  c'est 
Fraigne  qui  parle.  Voici  sa  narration  : 

«  Zerbst,  19  férrier  1758. 

u  Monseigneur,  dans  la  position  critique  et  embarrassante  où 

je  me  trouve,  il  ne  me  reste  d'autre  parti  à  prendre  que  de  faire 

une  relation  exacte,  en  forme  de  journal,  de  tout  ce  qui  se  passera 

I       jusqu'au  dénoûment  de  cette  étrange  affaire.  Quel  qu'il  soit,  je 

( 


d82  APPENDICES. 

trouverai  moyen  de  vous  faire  parvenir  ma  lettre;  -en  attendant, 
j'ai  les  mains  liées  par  la  parole  d'honneur  que  madame  la 
princesse  mère  et  le  prince  son  fils  ont  donnée  que  je  n'écrirois 
point. 

u  J'ai  eu  rhonneur  de  vous  mander,  Monseigneur,  par  ma 
dernièire  dépèche,  que  sur  la  lettre  du  comte  de  Podewiitx,  dont 
vous  avez  eu  une  copie,  tous  les  passages  étant  trop  exactement 
gardés  pour  que  je  puisse  risquer  de  partir  d'ici,  on  s'est  déter- 
miné à  envoyer  à  ce  ministre ,  le  6  de  ce  mois ,  la  copie  de  celk 
dont  j'ai  été  chargé,  en  venant  ici,  pour  M.  le  comte  de  Zerbst; 
nous  attendions  l'effet  de  cette  démarche  qui  sembloit  me  mettre 
à  couvert  d'un  traitement  violent,  et  la  réponse  de  Sa  Majesté 
Prussienne  annoncée  par  ledit  ministre.  Aujourd'hui  14,  à  neuf 
heures  du  matin,  on  est  venu  aveftir  qu'on  avoit  vu  sur  la  firon- 
tière  un  détachement  de  cavalerie  qui  marchoit  à  grands  pas 
vers  cette  ville.  Je  n'ai  pas  douté  un  instant  que  ce  ne  fut  à  moi 
qu'il  en  vouloit.  A  peine  avoit-on  eu  le  temps  de  se  reconnoltre, 
que  l'officier  commandant  ledit  détachement  s'est  présenté  à  It 
cour  sans  avoir  voulu  permettre  qu'il  fût  annoncé.  Son  dessein 
étoit  de  surprendre  et  d'effrayer.  U  s'appelle  Bessing;  il  est  éapi- 
taine  dans  le  régiment  du  Ck>rps  cavalerie,  et  il  a  sous  ses  ordres 
cinquante  cavaliers  du  même  régiment.  Il  a  demandé  à  parler  à 
M.  le  prince  de  Zerbst,  qui  a  passé  sur-le-champ  dans  l'apparte- 
ment de  la  princesse  sa  mère  pour  se  concerter  avec  elle  snr  le 
parti  qu'il  avoit  à  prendre  dans  cette  conjoncture  délicate.  Cette 
digne  et  respectable  princesse  n'a  pas  démenti,  en  cette  occasion, 
l'opinion  que  j'ai  toujours  conçue  de  sa  fermeté  et  de  sa  gran- 
deur d'âme.  Elle  a  commencé  par  contenir  le  zèle  et  la  vivacité 
du  prince  son  fils ,  qui  n'auroient  pu  que  produire  un  mauvais 
effet  sans  aucun  fruit.  Elle  a  ordonné  qu'on  fit  entrer  cet  offi- 
cier, qai  a  commencé  par  présenter  une  lettre  du  roi  de  Prasse 
servant  de  réponse  à  celle  que  lui  avoit  écrite  M.  le  prince 
d'Anhalt  * ,  ajoutant  qu'il  avoit  ordre  de  se  saisir  de  ma  personne, 

'  Voici  celle  lettre  : 

■  Berlin,  le  31  janvier  I7t8. 

«  J'ai  bien  reçu  la  lettre  que  Votre  Dilcction  m*a  adressée  en  date  du  I9coiirant, 
et  je  m'y  suis  aperçu  à  regret  qu  elle  a  interprété  d'une  façon  contraire  ce  qui  s'est 
passé  avec  le  marquis  de  Fraiçne.  Je  crois  avoir  donné  à  Voire  Dilcction  tant  de 
preuves  de  mon  attention  particulière  ix)ur  sa  personne  et  pour  ses  États  qu'elle 
auroit  pu  être  assurée  que  je  ne  chercberai  jamais  à  lui  causer  du  clia»rin  en  quoi 


L'ENLÈVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE.       388 

et  qu'en  cas  de  résistance  de  la  part  de  Son  Altesse,  le  bataillon 
des  gardes  à  pied  en  garnison  à  Leipzig^  devoit  marcher  pour 
le  soutenir;  que  cependant  il  lui  étoit  enjoint  de  ne  commettre 
:iucune  violence  dans  le  château,  mais  qu'il  supplioit  Son  Altesse 
de  considérer  à  quoi  il  alloit  exposer  ses  États  s'il  s'obstinoit  à  ne 
pas  me  livrer,  et,  s' adressant  à  madame  la  princesse  douairière, 
il  a  invoqué  ses  sentiments  de  mère,  lui  faisant  observer  qu'elle 
seroit  responsable  du  malheur  qui  menaçoit  le  prince  son  fils. 
Un  début  aussi  effrayant  n'a  pas  déconcerté  cette  princesse.  Elle 
a  lu  avec  beaucoup  de  sens  froid  la  lettre  de  Sa  Majesté  Prus- 
sienne, la  sag^acité  de  son  esprit  lui  faisant  sur-le-champ  obser- 
ver qu'il  n'y  étoit  question,  ainsi  que  vous  le  verrez  par  la  copie 
ci-jointe,  que  de  ne  pas  permettre  que  je  séjourne  plus  lon(jtemps 
ici,  avec  une  menace  de  s'assurer  de  ma  personne  d'une  façon 
ou  d'autre.  Elle  en  a  pris  occasion  de  «*emontrer  à  cet  officier 
qu'il  falloit  sans  doute  qu'il  y  eût  du  malentendu  dans  l'exécu- 
tion des  ordres  du  Roy  son  maître;  que  l'intention  du  prince 
son  fils  n'étoit  point  de  résister  aux  volontés  si  clairement  mar- 
quées de  Sa  Majesté  Prussienne  en  s'obstinant  à  me  garder  chez 
lui;  qu'il  se  bomoit  à  demander  que  je  pusse  en  sortir  en  sûreté, 
ne  pouvant  se  résoudre  à  me  laisser  emmener  de  la  sorte; 
qu'après  tout  ce  qui  s'étoit  passé  la  nuit  du  18  du  mois  dernier, 
il  y  avoit  tout  à  craindre  pour  ma  personne.  Sur  cela,  ledit  offi- 

qae  ce  soit/ Mais  aassi  ne  me  serois-jc  jamais  imaginé  que  Votre  Dilection  t'intê- 
retteroic  pour  le  martjuis  de  Fraigne  et  considëreroit  comme  une  offense  quand  je 
tâcherois  de  m'assurer  d'un  homme  qui,  sans  U  moindre  retenue,  ose  pour  ainsi 
dire  faire  à  ma  porte  le  métier  d'espion,  et  qui  non-seulement  avertit  les  François 
de  tout  ce  qui  se  passe  dans  les  Etats  voisins  et  dans  mes  armées,  mais  qui  semble 
encore  avoir  pris  à  tâche  de  me  rendre  des  mauvais  services  par  des  discours  indé- 
cents et  par  toute  sorte  de  voies  dont  son  mauvais  caractère  le  rend  capable.  Ni  le 
droit  des  gens,  ni  les  usages  de  la  guerre  n'accordent  des  asiles  à  des  gens  de  cette 
classe,  et  une  réquisition  préalable  n'auroit  servi  qu'à  avertir  ledit  Fraigne  de 
songer  d'autant  plus  à  prendre  ses  mesures. 

•  J'espère  que  Votre  Dilection  entreverra  maintenant  et  interprétera  cette  aîhirt 
selon  sa  vraie  nature  et  qualité,  et  je  me  promets  de  ses  seiitimcnls  pleins  d'amitié 
pour  moi,  qu'elle  ne  permettra  pas  audit  Fraigne  de  m'insulter  plus  longtemps  par 
la  continuation  de  son  séjour  dans  ses  États,  parce  que  d'ailleurs  je  me  verrois, 
quoique  à  regret,  dans  la  nécessité  de  m'assurer  de  sa  personne  d'une  façonou  d'autre. 

•  Je  répète,  du  reste,  les  assurances  sincères  que  j'aurai  soin  avec  les  miens  d'ob- 
server toujours  vis-à-vis  de  Votre  Dilection  et  de  ses  Étau  tous  les  égards  dus,  et 
qne.  pour  mon  particulier,  je  m'appliquerai  à  prouver  réellement  que  je  suis  inva- 
riablement,  avec  une  considération  et  une  amitié  distinguées,  de  Votre  Diection,etc. 

^  «  Signé  :  Frédéric. 

«  Contre-signé  :  Podewitz.  » 


384  APPENDICES. 

cier  a  juré,  sur  son  honneur,  qu'il  avoit  ordre  de  me  traita 
avec  tous  les  égards  possibles,  de  ne  toucher  à  aucun  de  mes 
effets  ou  papiers,  u  Mais  qui  vous  a  donné  cet  ordre ^  a  r^ptrti 
u  vivement  Son  Altesse,  et  où  devez-vous  conduire  le  marquis  de 
u  Fraigne?»  Il  a  répondu  qu'il  avoit  reçu  l'-ordre  du  prince  Henri, 
ù  qui  il  devoit  me  mener.  Ce  qu'il  a  affirmé*  par  les  serments 
les  plus  forts  et  en  réitérant  sa  parole  d'honneur,  a  Eh  bienlje 
uconnois  assez  la  façon  de  penser  de  M.  le  prince  Henri,  a  dit 
((Cette  princesse,  pour  pouvoir  vous  assurer  qu'il  ne  vous  sanra 
«pas  mauvais  gré  de  suspendre,  à  ma  prière,  l'exécution  de  ses 
u  ordres  jusqu'à  la  rentrée  du  Roy  son  frère.  Mon  fils  va  dépêcher 
a  une  estafette  à  Sa  Majesté  Prussienne.  On  vous  remettra  nue 
a  copie  de  la  lettre  qu^il  lui  écrira.  J'y  enjoindrai  une  dans  les 
u  termes  les  plus  pressants.  Je  ne  puis  pas  douter  que  Sa  Majesté 
u  ne  nous  accorde  une  grâce  aussi  simple  que  celle  que  nous  loi 
a  demandons,  et  qu'elle  ne  vous  sache  même  çréde  votre  modé- 
((  ration.  Quand  elle  a  écrit  la  lettre  dont  vous  êtes  porteur,  elk 
an'étoit  pas  encore  instruite  des  motifs  qui  doivent  mettrek 
a  marquis  de  Fraig^ne  à  couvert  de  toute  violence.  Le  terme d'e»* 
a  pion  dont  il  est  qualifié  dans  ladite  lettre  prouve  évidemment 
a  que  Sa  Majesté  a  été  induite  en  erreur.  »  Son  Altesse  n'a  pis 
manqué  de  faire  ohserver  que  cette  lettre  est  de  la  même  date 
que  celle  que  le  comte  de  Podewiltz  a  écrite,  que  la  réplique 
faite  à  ce  ministre  le  6  de  ce  mois  ne  pouvoit  pas  encore  a?oir 
opéré  Tcffet  qu'on  doit  en  attendre.  Enfin  elle  a  ajouté  tantiie 
honnes  raisons,  qui  seroient  trop  longues  à  déduire,  que  le  capi- 
taine Bissinç  s'est  rendu  après  une  contestation  de  près  de  deox 
heures.  Il  a  été  convenu  que  Leurs  Altesses  dépêcheroieot  sm^ 
le-chaiiip  une  estafette  au  roy  de  Prusse  et  une  autre  au  prince 
Henri ,  actuellement  à  llalherstadt.  Le  capitaine  Bissin(j  a  exip 
qu'elles  eng^açeasscnt  leur  parole  d'honneur  que  je  ne  m'é▼at^^ 
rois  ni  n'écrirois  jusqu'à  la  conclusion  de  cette  affiaire.  Il  a  offert 
de  faire  retirer  son  détachement  jusqu'au  plus  prochain  village; 
on  a  cru  qu'il  valoit  mieux  qu'il  restât  dans  les  £auxboufÇS.  11> 
dit  qu'il  alloit,  de  son  côté,  envoyer  une  estafette  au  colond 
Tadcnsic,  commandant  la  garnison  de  Leipzig^,  le  mêine<pu 
devoit  marcher,  afin  de  le  prévenir  sur  ce  qui  s'étoit  passé. 

u  J'ignorois  Tarrivée  de  cet  officier.  Dès  qu'il  a  été  sorti,  nu- 
dame  la  princesse  mère  m'a  fait  dire  de  passer  chez  elle.  JeTii 


L'ENLEVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE.      385 

trouvée  si  consternée  et  si  excédée  de  la  scène  cruelle  qu'elle 
venoit  d'essuyer,  qu'à  peine  avoit-elle  la  force  de  parler.  L'hon- 
neur du  prince  son  fils,  son  attachement  sincère  aux  intérêts  du 
Roy,  ses  bontés  pour  moi,  tout  concouroit  à  augmenter  sa  sen- 
sibilité. J'ai  tremblé  pour  sa  santé,  déjà  affaiblie  par  la  perte 
d'une  sœur  qu'elle  aimoit  tendrement.  Elle  m'a  instruit  de  ce 
qui  venoit  de  se  passer ,  les  larmes  aux  yeux,  et  en  me  réitérant 
les  assurances  les  plus  positives  qu'elle  persisteroit,  quoi  qu'il 
arrive,  dans  les  sentiments  que  je  lui  connaissois.  Je  n'ai  pu  que 
souscrire  aux  arrang^ements  qu'elle  avoit  pris.  Elle  avoit  plus 
besoin  de  consolation  que  moi-même.  Elle  est  entourée  de  gens 
effrayés  et  qui  ne  cessent  de  lui  répéter  qu'elle  sera  responsable 
du  malheur  dans  lequel  tout  le  pays  va  être  plongfé.  Un  uniforme 
prussien  suffit  pour  faire  mourir  de  peur  tout  ce  monde-ci. 

u  J'ai  travaillé  à  la  rassurer  par  tout  ce  que  j'ai  pu  imag^iner 
de  plus  propre  à  cet  effet.  Je  n'ai  pas  eu  de  peine  à  lui  faire 
sentir  que,  ne  résistant  pas  aux  volontés  de  Sa  Majesté  Prus- 
sienne en  me  gfardant  ici  malg^ré  elle,  il  n'y  avoit  pas  lieu  de 
craindre  un  si  terrible  ressentiment;  que  la  prétendue  marche 
du  bataillon  des  Gardes  n'étoit  probablement  qu*un  épouvan- 
tai!, et  qu'enfin,  vu  les  raisons  allégées  ,  on  nepouvoît  refuser 
d'attendre  la  réponse  de  Sadite  Majesté.  Elle  m'a  promis  de  tenir 
ferme  à  toutes  les  instances  et  menaces  qu'on  pourroit  employer 
jusqu'à  ce  que  cette  réponse  arrive. 

u  II  n'a  plus  été  question  que  de  faire  partir  les  estafettes.  Je 
joindrai  ici  la  lettre  que  M.  le  prince  de  Zerbst  a  écrite  au  roi  de 
Prusse;  elle  est  on  ne  peut  pas  plus  soumise.  Celle  que  la  prin- 
cesse mère  y  a  jointe  de  sa  main  est  plus  étendue  et  pressante, 
qu'elle  ne  peut  manquer  de  faire  beaucoup  d'impression.  Elle  a 
écrit  à  peu  près  dans  le  même  goût  au  prince  Henri. 

u  Le  reste  de  la  journée  s'est  passé  fort  tranquillement.  Leurs 

Altesses  ont  eu  la  bonté  de  laisser  à  mon  choix  d'admettre  deux 

officiers  prussiens  à  leur  table.  Je  les  ai  fort  assurées  que  je 

n'aurois  pas  de  peine  à  les  voir.  Cette  entrevue  s'est  faite  avec 

beaucoup  de  politesse  de  part  et  d'autre.  Le  capitaine  Bissing 

n'a  pas  négligé  de  me  faire  réitérer  la  parole  d'honneur  qui 

«voit  été  donnée  en  mon  nom,  à  laquelle  il  a  fallu  se  soumettre. 

^  a  Je  finirai  le  détail  de  cette  journée  par  quelques  courtes 

«*         réflexions  sur  la  lettre  de  Sa  Majesté  Prussienne. 

*  II.  J5 


386  APPENDICES. 

(I  Les  propos  indécents  dont  ce  prince  se  plaint  sont  le  seul 
article  qui  puisse  me  faire  de  la  peine.  Je  me  suis  attendu  à  cette 
imputation.  Vous  vous  souvenez,  Monseigneur,  que  j'ai  eu  l'hon- 
neur de  vous  en  prévenir  plusieurs  fois,  et  vous  avez  eu  la  bonté 
de  me  rassurer  à  cet  égard ,  de  façon  que  j'ose  espérer  que  vous 
voudrez  bien  me  rendre  la  justice  de  croire  que  je  suis  incapable 
de  pareille  imprudence.  Le  terme  d'espion  dont  Sa  Majesté  Prus- 
sienne me  qualiBe  prouve  la  nécessité  qu'il  y  avoit  de  faire 
usage  de  la  lettre  en  question.  A  quelle  extrémité  ce  prince 
n'étoit-il  pas  capable  de  se  livrer  contre  moi?  La  manière  clan- 
destine et  violente  dont  il  a  tenté  de  me  (aire  enlever  la  nuit 
du  18  janvier  devoit  faire  tout  craindre,  et  l'an imad version  vio- 
lente qu'il  témoigne  dans  sa  lettre  annonce  la  plus  cruelle  ven- 
geance, (c  J'ai  cherché ,  dit-il ,  à  lui  nuire  par  toutes  les  voyes 
«  dont  mon  mauvais  caractère  me  rend  capable.  »  Sa  Majesté  Prus- 
sienne me  fait  beaucoup  plus  d'honneur  que  je  n'en  mérite.  Je 
sais  qu'elle  s'en  prend  à  moi  de  plusieurs  événements  auxqueb 
je  n'ai  pas  eu  autant  de  part  que  je  Taurois  désiré.  C'est ,  en 
effet,  avoir  un  bien  mauvais  caractère  que  de  servir  son  maître 
aux  dépens  de  son  ennemi.  Je  ne  crois  pas  que  je  me  corrige 
jamais  de  cette  méchanceté.  Quelque  chose  qui  arrive,  mon 
zèle  pour  le  service  du  Roy  ne  sauroit  diminuer,  et,  n'ayant  rien 
à  me  reprocher,  tout  ce  que  j'aurai  souffert  à  cette  occasion  ne 
peut  tourner  qu'à  mon  avantage  sous  les  auspices  d'un  ministre 
aussi  éclairé  et  aussi  équitable  que  vous.  Monseigneur. 

((  J'ai  eu  encore  le  temps  et  le  bonheur  d'avertir  assez  à  propos 
*es  généraux  de  Sa  Majesté  des  préparatifs  qui  se  faisoient  pour 
les  surprendre,  et  j'ai  eu  la  consolation  d'apprendre  qu'ils  ont 
pris  les  mesures  convenables. 

u  Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  faire  observer  avec  quel  despotisme 
le  roi  de  Prusse  traite  les  princes  de  l'Empire,  ses  voisins;  vous 
jugerez,  parle  style  de  la  lettre  que  M.  le  prince  de  Zerbst  loi 
écrit,  de  l'extrême  sujétion  dans  laquelle  il  les  tient.  C'est  le  ton 
que  la  chancellerie  de  cette  cour  a  été  forcée  de  prendre  depuis 
longtemps,  et  ce  n'est  pas  ici  le  moment  de  le  changer. 

«  Le  15  février. 

«  La  journée  a  été  fort  tranquille  à  l'extérieur.  J'ai  prw  toutes 
les  précautions  nécessaires  pour  mettre  en  sûreté  quelques  pa- 


L'ENLEVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE.       387 

piers  de  conséquence,  et,  toute  réflexion  feite,  je  me  dispose  à 
suivre  mes  conducteurs  au  cas  où  la  réponse  que  nous  attendons 
ne  soit  pas  favorable.  La  résistance  seroit  inutile,  et  j'aurois 
peut-ôtre  à  me  reprocher  la  ruine  de  ce  pays-ci.  Je  ne  souffre 
déjà  que  du  chag^rin  que  cet  événement  cause  à  Leurs  Altesses. 
Les. bontés  singulières  que  j'en  reçois  ne  me  permettent  pas 
d'être  affecté  autant  que  je  devrois  du  sort  qui  m'attend.  Je 
m'occupe  à  les  consoler.  Je  m'aide  beaucoup  en  cela  des  assu- 
rances de  la  protection  efficace  du  Roi.  J'espère,  Monseig^neur, 
que  vous  voudrez  bien  la  leur  procurer.  Ce  qui  afflige  singuliè- 
rement madame  la  princesse  mère,  c'est  de  voir  que  cette  trame 
odieuse  s'est  ourdie  dans  le  sein  même  de  sa  cour  et  de  sa  fa- 
mille. Il  n'y  a  que  trop  de  preuves  convaincantes  que  sa  propre 
belle-fille,  entraînée  par  de  pernicieux  conseils,  y  a  beaucoup 
de  part.  Jugez  quelles  pourroient  être  les  suites  de  cette  fâcheuse 
découverte  et  à  quel  point  le  Prince  seroît  capable  de  porter  son 
ressentiment,  si  nous  ne  travaillions  sans  relâche  à  la  lui  cacher. 
Ma  position  est  bien  cruelle.  Obligé  de  renfermer  continuelle- 
ment des  mouvements  trop  justes  d'indignation  contre  une  foule 
de  gens  pervers  à  qui  je  n'ai  pas  donné  le  plus  léger  prétexte  de 
me  nuire,  il  faut  encore  que  je  m'intéresse  en  leur  faveur  et  que 
je  me  refuse  à  une  vengeance  qui  me  seroit  si  facile;  mais  telle 
est  ma  fsiçon  de  penser,  à  laquelle  les  sentiments  de  la  princesse 
mère  sont  parfsdtement  conformes. 

u  Le  IG. 

u  Ce  matin  est  arrivé  une  estafette  qui  a  apporté  la  réponse  du 
prince  Henri  aux  deux  lettres  qui  lui  avoient  été  écrites.  Le 
prince  nie  formellement  avoir  donné  aucun  ordre  au  capitaine 
Bissing.  Il  ajoute  qu'il  n'ignore  pas  ceux  du  Roi  son  frère,  mais 
qu'il  en  a  chargé  le  colonel  Tadensie  ',  commandant  à  Leipzig, 
qui  en  sera  seul  responsable  vis-à-vis  de  Sa  Majesté  Prussienne, 
et  que,  quant  à  lui,  cette  affaire  ne  le  regarde  plus. 

u  Ce  prince  entre  dans  de  plus  grands  détails  dans  sa  réponse 
à  madame  la  princesse  mère  :  il  lui  ouvre  son  cœur  avec  la  plus 
grande  confiance  et  dans  les  termes  qui  ne  laisseroient  rien  à 
désirer  sur  sa  façon  de  penser  si  l'on  ne  se  rappeloit  que  le  lieu- 
tenant Barousky  a  été  envoyé  par  son  ordre,  et  qu'il  lui  auroit 

>  Peut-éire  fiiut-il  lire  Fadeniie. 

25. 


3S8  APPENDICES. 

été  facile  de  me  faire  avertir  de  prendre  mes  mesures.  Je  sup- 
prime toutes  les  belles  choses  que  Son  Altesse  Royale  dit  à  œ 
sujet,  ainsi  qu'elle  Ta  exigé.  Elles  pourront  trouver  leur  place 
un  jour. 

tt  Sur  ces  lettres,  madame  la  princesse  mère  a  fait  prier  M.  le 
capitaine  Bissing  de  se  rendre  chez  elle,  et  lui  a  fait  obserrer 
avec  ménagement  la  contradiction  qui  se  trouvoit  entre  les  asio* 
rances  qu'il  avoit  données  en  arrivant  et  la  négative  du  prince 
Henri.  Cet  officier  a  protesté  sur  son  honneur  qu'il  n^en  avoit 
point  imposé,  et  qu'il  ne  pouvoit  qu'être  fort  surpris  que  ledit 
prince  désavouât  les  ordres  formels  qu'il  lui  avoit  donnés,  ajon- 
tant  avec  la  pins  grande  apparence  de  douleur  qu'il  voyoit  bien 
qn'U  seroit  sacrifié  dans  cette  affaire  pour  y  avoir  apporté  trop 
de  ménagements.  Il  n'a  pas  caché  qu'il  avoit  aussi  reçu  une  lettre 
du  prince  Henri ,  par  laquelle  il  le  blâmoit  fort  d^avoir  com- 
promis Son  Altesse  Royale  vis4-vis  de  M.  et  de  madame  la  prin- 
cesse de  Zerbst.  Sur  quoi  il  a  beaucoup  crié  à  l'injustice.  Il  i 
fini  par  implorer  les  bontés  de  Leurs  Altesses  pour  se  garantir 
dn  sort  qui  le  menaçoit.  J'étois  présent  à  cet  entretien  singulier 
qui  DOQs  a  foit  concevoir  l'espérance  qu'il  y  avoit  peut-être  di 
malentendu  dans  l'exécution  des  ordres  de  Sa  Majesté  Prussienne. 

«  Il  a  été  convenu  avec  cet  officier  que  M.  le  prince  de  ZeAà 
dépêcherait  sur-le-champ  une  estafette  au  colonel  Tadensie  pour 
lut  envoyer  la  copie  de  la  lettre  du  prince  Henri,   par  laquelle 
ledit  prince  renvoie  l'afÉsiire  à  ce  colonel  ;  qu'on  y  joindront  une 
copie  de  la  lettre  de  Sa  Majesté  Prussienne  et  de  la  réponse  qui 
T  a  été  faiite,  en  priant  ledit  colonel  de  vouloir  bien  faire  atten- 
tion que  dans  cette  lettre  il  n'est  question  d'autre  chose  que  àt 
ne  pas  permettre  que  je  séjourne  plus  longtemps  ici,  à  quoiSofl 
Altesse  ne  s'opposant  pas,  il  ne  peut  refuser  d'attendre  la  répoiwe 
qu'il  plaira  à  Sa  Majesté  de  faire  sur  la  demande  si  juste  Sa 
passe-ports. 

u  Qu'en  outre,  madame  la  princesse  mère  récriroit  au  prioff 
Henri  pour  faire  auprès  de  lui  de  nouvelles  instances,  et  W 
rendre  des  témoignages  avantageux  de  la  conduite  mesurée  «la 
capitaine  Bissing,  qui  s'est  retiré  avec  des  apparences  de  satisfeo 
tiou.  On  n'a  pas  perdu  un  moment  pour  dépécher  les  estafette 
en  qut*stion.  M.  le  prince  Henri  avoit  fourni  un  beau  cbjmpà 
madame  la  princesse  de  Zerbst  pour  porter  Son  Aleesse  lioyaleà 


I 
L'ENLÈVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FBAIGNE.      389 

prendre  quelque  chose  sur  elle  dans  une  conjoncture  aussi  déli- 
cate :  elle  n'a  rien  obmis  dans  sa  lettre  de  ce  qui  pouvoit  y  con- 
tribuer; en  remerciant  ce  prince  de  la  conBance  qu'il  lui  avoit 
marquée,  elle  lui  a  fait  sentir  poliment  que  cette  confiance  auroit 
pu  parera  tous  les  inconvénients  actuels,  s'il  avoit  jug;é  à  propos 
de  la  témoigner  plus  tôt.  La  façon  dont  il  s'étoit  expliqué  à  mon 
sujet  a  fait  penser  que  je  ne  ferois  pas  mal  de  lui  écrire  aussi , 
ce  que  j'ai  fait  dans  les  termes  les  plus  convenables.  C'est  tou- 
jours beaucoup  dans  toutes  les  affaires  de  gagner  du  temps. 

«  Le  17. 

u  Dès  huit  heures  du  matin,  le  capitaine  Bissing  a  fait  supplier 
madame  la  princesse  mère  de  vouloir  bien  lui  donner  audience. 
Son  Altesse  a  été  effrayée  de  cet  empressement.  Elle  lui  a  fait 
dire  qu'elle  ne  pourroit  le  voir  que  sur  les  onze  heures,  et  elle 
m'a  fait  prévenir  pour  que  je  pusse  être  présenta  cette  entrevue. 

u  Nous  avons  été  assez  agréablement  surpris  de  voir  que  cet 
officier,  sur  une  lettre  qu'il  avoit  reçue  du  colonel  Tadensie  qui 
le  menaçoit  de  répondre  des  suites  que  pourroit  avoir  mon  éva- 
sion, s'est  borné  à  demander  une  attestation  par  écrit  de  M.  le 
prince  de  Zerbst,  sur  laquelle  Son  Altesse  répondit  de  ma  per- 
sonne. On  n'a  fait  aucune  difficulté  de  lui  donner  cette  satis- 
faction, en  lui  faisant  observer  seulement  qu'il  auroit  pu  se 
contenter  de  la  parole  déjà  donnée.  Il  a  observé  que  cette  atten- 
tion étoit  uniquement  pour  le  colonel  Tadensie,  à  qui  il  alloit 
la  faire  passer  par  une  estafette.  Je  l'ai  fort  assuré  en  mon  parti- 
culier qu'au  point  où  en  étoient  les  choses,  il  ne  devoit  pas 
craindre  que  je  songeasse  à  m'évader  comme  pourroit  faire  un 
espion,  et  cela  a  fini  par  des  politesses  réciproques. 

u  J'ai  été  informé  de  bonne  part  que  le  capitaine  Bissing 
s'étoit  ouvert  à  quelqu'un  sur  le  véritable  objet  de  sa  commis- 
sion, qu'il  avoit  avoué  qu'il  n'avoit  d'autres  ordres  que  de 
tâcher,  en  effrayant  Leurs  Altesses  par  une  prétendue  marche 
de  troupes,  de  les  engager  à  me  livrer  entre  ses  mains,  et  qu'il 
devoit  me  conduire  à  la  forteresse  de  Magdebourg.  J'ai  fisiit 
part  de  cette  découverte  à  madame  la  princesse  mère,  et  nous 
nous  sommes  bien  promis  de  ^ire  l'usage  convenable  sans  rien 
témoigner  audit  officier  du  mécontentement  que  son  mensonge 
doit  nécessairement  occasionner* 


390  APPENDICES. 

a  Le  18. 

tt  Ce  matin,  de  très-bonne  heure,  est  arrivée  une  seconde  esta- 
fette du  prince  Henri  avec  les  réponses  aux  lettres  qae  madame 
la  princesse  mère  et  moi  avions  écrites.  Celle  dont  il  m'a  honoré 
est  dans  les  termes  les  plus  oblig^eants,  quoique  fort  vagues,  le 
ne  la  joindrai  point  ici  par  ménag^ement  pour  ce  prince  qm 
exige  que  je  n'en  fasse  aucun  usage. 

u  II  répète  à  madame  la  princesse  mère  qu'il  n'a  donné  aucun 
ordre  au  capitaine  Bissing.  11  pousse  la  confiance  vis-à-vis  d'dtte 
encore  plus  loin  que  dans  sa  dernière  lettre.  Je  dois  suprimer 
les  détails  dans  lesquels  il  entre.  11  assure  qu'il  ne  craint  point 
la  peine  qui  pourra  lui  revenir  du  retardement  de  l'exécution 
des  ordres  du  Roy  son  ft^re,  ajoutant  qu'il  doute  fort  que  le 
prince  se  relâche  de  ses  volontés;  enfin,  pour  prouver  combien 
le  capitaine  Bissing  m'avoit  imposé,  il  avertit  que  cet  officier 
étoit  chargé  d'une  lettre  de  Sa  Majesté  Prussienne  pour  le  com- 
mandant de  la  forteresse  de  Magdebour^  où  il  doit  me  con- 
duire. 

a  Comme  nous  en  étions  à  réfléchir  sur  le  contenu  de  cette 
lettre,  le  capitaine  Bissing  a  fait  demander  audience  :  elle  lai  a 
été  accordée  suivle-champ.  Il  a  paru  embarrassé  de  me  trooTer 
de  si  bonne  heure  dans  la  chambre  de  madame  la  princesse 
mère.  Son  dessein  étoit  de  faire  une  nouvelle  tentative  pour 
obtenir  de  Leurs  Altesses  qu'elles  voulussent  bien  consentira 
me  livrer.  Il  a  inutilement  déployé  la  rhétorique  et  tout  Tépoo- 
vantail  de  la  prétendue  marche  des  troupes  dans  leurs  Ëta(5, 
disant  que  puisque  le  colonel  Tadensie  ne  répondoit  pas,  il  n> 
avoit  pas  à  douter  qu'il  ne  marchât  avec  son  r^iment  :  on  lai* 
demandé  s'il  avoit  reçu  de  nouveaux  ordres,  et  sur  sa  négative, 
sans  paroltre  exiger  qu'il  dit  le  motif  de  sa  démarche,  ni  loi 
faire  sentir  combien  on  devoit  être  indigné  de  sa  mauvaise  foi 
dont  on  avoit  la  preuve  en  main ,  on  s'est  contenté  de  lui  repré- 
senter qu'on   présumoft  trop  bien  de  la    façon    de   penser  et 
M.  Tadensie  pour  craindre  qu'il  se  portât  à  une  pareille  extre- 
mité  avant  d'avoir  répondu  à  la  lettre  que  le  prince  lui  avoit 
écrite;  qu'au  surplus  on  alloit  envoyer  un  gentilhomme  sur  la 
frontière,  chargé  de  lui  faire  les  représentations  convenable, 
au  ras  qu'il  s''avançât,  et  qu'on  emploieroit  du  côté  de  Leuis 


L'ENLEVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE.       391 

Altesses  tant  de  bons  procédés  qu*assurément   ce  colonel  ne 
pourroit  s'empêcher  de  se  rendre  à  leurs  justes  désirs. 

u  Mondit  capitaine  a  fait  semblant  de  se  payer  de  cette  mon« 
noyé  et  s'est  retiré  fort  embarrassé  de  sa  contenance,  se  doutant 
bien,  à  certains  propos  qui  lui  ont  été  tenus,  que  M.  le  prince 
Henri  l'avoit  démasqué.  Il  a  môme  avoué,  sans  qu'on  Ten  prie, 
que  je  devois  être  conduit  à  Magdebourg;.  Tout  cela  n'a  point 
empêché  qu'il  ne  soit  venu  dîner  à  la  cour  comme  à  son  ordi- 
naire. Il  a  seulement  redoublé  d^  politesse  pour  moi,  et  le  reste 
de  la  journée  s'est  passé  aussi  tranquillement  que  les  circon- 
stances peuvent  le  permettre, 

«  Le  19. 

u  Nous  commencions  à  espérer  que  le  colonel  Tadensie  vou- 
droit  bien  attendre  jusqu'à  la  réponse  du  roy  de  Prusse;  mais,  à 
huit  heures  du  soir,  le  ^gentilhomme  que  M.  le  prince  de  Zerbst 
avoit  envoyé  à  la  frontière  à  fait  avertir  qu'un  détachement 
d'infianterie,  avec  quelque  cavalerie  et  une  pièce  de  canon,  étoit 
arrivé  sur  les  trois  heures  à  Dessau  et  devoit  marcher  demain  à 
la  pointe  du  jour  vers  cette  ville.  Son  Altesse  a  mandé  audit 
gentilhomme  de  faire  tout  au  monde  pour  eng^ager  le  comman- 
dant de  ce  détachement  à  s'arrêter  sur  la  frontière  et  de  venir 
bien  vite  rendre  compte  du  succès  de  sa  commission.  Il  est  aisé 
de  le  prévoir,  il  faudra  céder  et  suivre  sa  destinée.  Une  plus 
longue  résistance  me  seroit  mutile  et  ne  pourroit  que  nuire 
beaucoup  à  ce  pays-ci.  Je  compte  partir  demain  matin ,  et  je 
vai#  finir  cette  longue  lettre  en  me  recommandant.  Monseigneur, 
à  vos  bontés.  Mon  malheur  ne  sauroit  m'être  imputé.  Cette  po- 
sition-ci ne  pouvoit  manquer  de  m'être  fiineste.  Je  m'attends  à 
tous  les  mauvais  procédés  dont  ces  gens-là  sont  capables.  Mpn 
extrême  attachement  au  service  du  Roy  me  les  fera  supporter  avec 
patience. 

a  Permettez,  Monseigneur,  que  je  me  mette  aux  pieds  de  Sa 
Majesté  pour  la  supplier  qu'elle  daigne  m'àcquitter  de  tout  ce  que 
je  dois  à  madame  la  princesse  mère  et  au  prince  son  Bis.  C'est 
la  seule  grâce  que  j'ose  lui  demander  qu'elle  ait  la  bonté  de 
faire  sentir  à  Leurs  Altesses  qu'elle  leur  sait  bon  gré  de  ce 
qu'elles  ont  fait  dans  cetle  occasion.  Le  temps  n'est  pas  éloigné 


392  APPENDICES. 

de  leur  en  donner  des  marques  sensibles.  Ce  sera  une  grande 
consolation  pour  moi. 
a  Je  ^is^  etc. 

«  Fraigne. 

«  Zerbtt,  le  19  février  1758.  » 

Mémoire. 

(Ce  mémoire  a  été  copié  de  tqriginal  qui  est  de  la  propre  main 
de  madame  la  princesse  de  ZerbsL) 

«a6féTrierl758. 

«  M.  le  marquis  de  Frai(j^ne  n'ayant  pu  achever  le  détail  de 
son  aventure,  on  a  cru  devoir  y  suppléer,  afin  que  la  cour  fut 
entièrement  au  £aiit  de  cette  affaire.  La  matinée  du  lundi  se 
passa  dans  l'attente  de  la  réponse  du  major  de  Zerbst  qui,  comme 
on  le  sait,  avoit  été  envoyé  à  la  frontière.  Pendant  ce  temps-là, 
le  capitaine  Bissing  étoit  revenu  à  la  charge  pour  obtenir  que 
M.  de  Fraigfne  lui  fût  livré.  Ses  instances  furent  vaines,  et  une 
capitulation  de  près  de  trois  quarts  d'heure  lui  valut  un  renvoi 
aux  t'épouses  et  aux  passe-ports  du  Roi  son  maître  qu'on  atten- 
doit.  Environ  à  une  heure  après  diner,  le  major  Zerbst  fit  savoir 
que  le  détachement,  consistant  en  cavalerie  et  infanterie  avec 
du  canon,  ayant  un  major  nommé  Gleist  à  la  tète,  étoit  entré 
sur  ce  territoire;  qu'ayant  (ait  sa  commission,  l'officier  comman- 
dant avoit  beaucoup  résisté,  mais  qu'enfin  il  avoit  cédé  et  promis 
un  répit  jusqu'à  mercredy  matin;  qu'en  attendant,  il  avoit  pris 
son  quartier  dans  la  petite  ville  de  Rossau.  U^e  heure  ou  en- 
viron après,  le  major  Gleist  envoya  un  capitaine  s'excuser  sur 
l'exactitude  militaire  qui  ne  lui  permettoit  pas  de  s'éloigner  de 
sa  troupe  pour  insister  en  personne,  comme  il  en  avoit  chargé 
luy,  sur  la  réussite  de  sa  commission.  Le  prince  et  sa  mère 
répondirent  comme  au  capitaine  Bissing,  mêlant  leurs  termes 
de  politesse  et  de  fermeté.  Il  arriva  sur  le  soir  un  second  officier 
du  même  détachement  qui,  sous  prétexte  qu'il  avoit  parlé  à  l'of- 
ficier de  cavalerie,  se  fit  introduire  à  la  cour.  On  fut  tenté,  les 
voyant  quatre,  de  soupçonner  un  coup  de  main.  Ce  qu'il  y  a  de 
certain ,  c'est  qu'ils  sortirent  fort  tard  de  la  cour,  et  seulement 
après  avoir  vu  que  M.  de  Fraigne  persistoit  à  rester  dans  l'ap- 
partement de  madame  la  princesse  mère. 


L'ENLÈVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FBAIGNE.       393 

tt  Le  mardi  ving^t-un,  la  réponse  du  roi  de  Prusse  n'arrive 
point.  Le  prince  écrivit  à  son  major  de  Zerbst;  M.  le  marquis,  de 
son  côté,  écrivit  au  major  Gleist.  La  réponse  de  cet  officier  arriva 
le  soir  fort  tard.  (Dans  ces  lettres,  le  prince  d'Anhalt  ordonne  à 
son  major  de  continuera  demander  un  délai.  De  Fraig^ne,  tout 
en  déclarant  qu'il  a  l'intention  de  se  rendre,  insiste  sur  ce  délai, 
et  Cleist  répond  qu'il  demande  des  ordres  au  colonel  Tadensie.) 

a  Le  mercredi  22,  à  dix  heures  du  matin,  arriva  le  major 
Zerbst  en  personne  et  annonce  que  le  major  Cleist ,  après  avoir 
expédié  l'estafette  comme  il  en  avoit  été  repris,  s'étoit  ravisé  la 
nuit,  qu'il  avoit  résolu  d'attendre  les  ordres  du  Roi  et  du  colonel 
de  Tadenzin  à  Zerbst  et  qui  marchoit  sur  la  ville.  Il  fut  renvoyé 
sur  ses  pas  avec  ordre  de  réitère  rtout  ce  qu'il  s'étoit  tant  de 
fois  dit.  Le  major  Cleist  répondit  qu'il  ne  l'attendoit  pas  autre- 
ment, qu'il  feroit  observer  une  exacte  discipline,  mais  qu'il  se 
rendroit  responsable  s'il  n'avançoit  pas.  Il  étoit  environ  deux 
beures  après  midy  que  quatre  cents  hommes  de  cavalerie  et 
infanterie  entrèrent  dans  la  ville ,  sans  compter  le  premier  déta- 
chement de  cavalerie  qui  s'y  tenoit  encore.  Ils  saisirent  toutes  les 
portes,  excepté  celles  du  château,  braquèrent  le  canon  sur  la 
place;  les  troupes  log^ées,  le  major  Cleist  se  rendit  à  la  cour.  Le 
prince  se  rendit  dans  l'appartement  de  sa  mère.  M.  le  marquis 
de  Fraigne  s'y  trouvoit.  Le  major  Cleist  débuta  par  présenter 
une  lettre  assez  grossière  et  menaçante  du  colonel  Tadenzin  son 
chef,  qui  étoit  une  espèce  de  réponse  à  celle  que  le  pr^ice  avoit 
écrite  à  cet  officier.  Ensuite,  M.  le  marquis  fut  présenté  à  M.  le 
major  Cleist.  M.  le  marquis,  qui  déjà  (avait)  si^bjuçué  tous  les 
autres  officiers  par  l'ascendant  que  les  belles  âmes  savent  prendre 
sur  toutes  les  autres,  lui  parla  de  cet  air  noble  et  aisé  qui  carac- 
térise si  bien  tout  ce  qu'il  £aiit.  Il  lui  représenta  toutes  les  consé- 
quences de  ce  procédé  d'un  ton  ferme  et  persuasif  qui  parut 
inspirer  du  respect,  de  l'estime.  Il  ne  sut  lui  répondre  qu'en 
levant  les  épaules.  A  sept  heures  du  soir  arrive  la  réponse  du 
colonel  Tadenzin  de  Leipzig.  Elle  étoit  décisive.  Le  major  Cleist 
anonça  qu'il  avoit  ordre  de  se  porter  aux  dernières  extrémités. 
Le  prince  et  sa  mère  répondirent  qu'ils  ne  livreroient  jamais 
M.  le  marquis,  que  sa  personne  étoit  sacrée,  que  ce  n'étoit  point 
à  eux  à  en  disposer.  Alors  M.  le  marquis  déclara  qu'il  étoit  bien 
éloigné  de  permettre  que  l'asile  sacré  do  château  d'un  prince 


394  APPENDICES. 

de  ]*Einpire  fût  violé  à  son  occasion,  qu'il  se  remettroit  lui-même 
une  heure  après  minuit  entre  les  mains  d'un  officier  de  cavalerie. 
Le  prince  et  sa  mère,  au  désespoir,  se  rendirent  alors.  Voici  ce 
qu'ils  prièrent  le  major  de  Gleist  de  noter  : 

a  Vous  aurez  la  bonté  de  noter  ce  que  vous  allez  entendre. 
Ce  n'est  pas  nous  qui  vous  livrons  M.  le  marquis  de  Fraig^ne.  D 
n'est  point  notre  sujet.  Il  a  l'honneur  de  l'être  du  royde  France. 
Il  est  icy  par  son  ordre.  Nous  aurions  tout  sacrifié  pour  le  sou* 
tenir.  C'est  luy-méme  qui  veut  bien  se  remettre  entre  vos  mains 
pour  éviter  des  suites  d'une  résistance  aussi  disproportionnée. 
Nous  espérons  que  vous  tiendrez  la  parole  que  vous  nous  avez 
donnée  de  le  traiter  avec  tous  les  égards  qui  lui  sont  dus. 

u  M.  le  marquis  de  Fraigne  a  tenu  sa  promesse.  Il  s'est  livré 
à  l'heure  marquée.  L'équipage  l'a  mené  à  Magdebourg  escorté 
comme  ils  étoient  convenus.  On  a  sçu  qu'il  fut  mis  en  arrivant 
dans  une  espèce  de  cachot,  mais  qu'il  a  été  transporté  ensuite 
dans  une  chambre  dont  il  fit  sortir  des  officiers  pour  l'y  mettre. 
(On  peut)  l'approcher  en  présence  de  l'officier  de  garde.  Ceux 
de  ses  amis  qui  se  sont  chargés  de  ce  mémoire  espèrent  de  l'équité 
du  Roi  et  du  ministre  qu'on  mettra  tout  en  œuvre  pour  tirer  de 
là  un  sujet  si  fidèle  et  qui  souffre  dans  la  cause  de  son  maître, 
un  si  digne  citoyen  et  un  si  honnête  homme  qui  mérite  assuré- 
ment le  sort  le  plus  doux.  » 

Pendant  que  ces  faits  se  passaient  à  Zerbst,  Bernis  ne  né^fli- 
geait  rien  pour  mettre  authentiquement  le  marquis  de  Fraise 
sous  la  protection  du  droit  des  gens.  Il  lui  écrivait  le  3  mars  : 

«  Sa  Majesté  n'a  pu  voir  qu'avec  beaucoup  de  surprise  la  vio- 
lence que  le  roi  de  Prusse  avoit  ordonnée  d'exercer  contre  vous. 
Ce  prince  a  donné  dans  cette  occasion  une  nouvelle  preuve  do 
mépris  qu'il  fait  des  lois ,  des  procédés  et  des  bienséances.  Yoas 
n'aviez  point,  il  est  vrai,  de  lettres  de  créance  qui  vous  missent 
sous  la  protection  du  droit  des  gens,  mais  vous  ne  deviez  pas 
être  moins  en  sûreté  dans  la  résidence  d'un  prince  qui  vous 
avoit  accueilli  à  sa  cour.  Sa  Majesté  a  fort  approuvé,  Monsieur, 
la  conduite  que  vous  avez  tenue  en  cette  occasion.  Elle  a  été 
dans  les  premiers  moments  aussi  courageuse  que  sage  dans  ce 
qui  l'a  suivi.  Le  conseil,  en  y  applaudissant,  vous  a  rendu  la 
justice  qui  vous  est  due.  La  déclaration  du  lieutenant  de  bas- 


L'ENLÈVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE.      395 

sards  ne  laisse  aucun  doute  sur  les  intentions  du  roi  de  Prusse. 
Ce  prince  n'a  pu  se  plaindre  de  celle  que  vous  avez  donnée  et 
qui  est  conçue  en  termes  très-modérés.  Pour  vous  mettre  à  cou- 
vert d'une  nouvelle  entreprise,  je  joins  ici,  Monsieur,  des  lettres 
de  créance  pour  vous  en  qualité  de  ministre  plénipotentiaire  du 
Roi  auprès  des  quatre  princes  de  la  maison  d'Anhalt.  Vous  pré- 
senterez vous-même  celles  qui  sont  adressées  à  M.  le  prince  de 
Zerbst,  et  comme  vous  ne  pouvez  sans  risque  sortir  de  sa  rési- 
dence, il  suffira  d'envoyer  les  autres  aux  ministres  de  ces  princes 
en  les  accompagnant  des  lettres  de  votre  part,  n 

Ces  lettres,  comme  on  Ta  vu,  devaient  arriver  trop  tard.  Elles 
n'auraient  d'ailleurs  point  fait  revenir  le  roi  de  Prusse  sur  sa 
détermination.  Il  venait  de  l'exprimer  nettement  à  la  princesse 
d'Anhalt  dans  une  lettre  datée  de  Breslau,  le  14  mars  1758,  dans 
laquelle  il  refusait  absolument  de  mettre  Fraigne  en  liberté  ^ 

Le  Mémoire  concernant  les  mauvais  traitements  qu'éprouve 
à  Magdebourg  M.  le  marquis,  de  Fraigne,  envoyé  de  la  cour  de 
France  à  celle  de  Zerbst,  dans  laquelle  il  a  été  enlevé  à  force 
ouverte  le  "22  février  1758  et  conduit  à  ladite  forteresse  où  il  y 
est  encore  étroitement  enfermé  *,  continue  la  relation  dont 
Fraigne  lui-même,  puis  la  princesse  d'Anhalt,  ont  été  les  pre- 
miers rédacteurs.  Ce  mémoire  est  de  la  BoussinièreDestouches , 
secrétaire  du  marquis. 

u  M.  Je  marquis  de  Fraigne,  en  arrivant  à  Magdebourg,  fut 
désarmé;  l'on  se  saisit  de  son  portefeuille,  et  le  premier  endroit 
où  on  le  conduisit  fut  un  cachot  fort  obscur,  extrêmement  hu- 
mide, n'ayant  de  jour  que  par  iine  petite  fenêtre  attenante  an 
plancher,  fermé  d'une  double  porte  et  triples  caguenats.  Un 
pareil  début  dut  le  surprendre,  après  les  promesses  que  le  com- 
mandant du  détachement  prussien ,  entre  les  mains  duquel  il  se 
remit  à  Zerbst,  lui  réitéra,  qu'on  auroit  pour  lui  tous  les  égards 
possibles.  Cette  contradiction  manifeste  lui  fit  croire  qu'il  y 
avoit  un  malentendu.  J'obtins  la  permission  d'aller  chez  M.  le 
commandant  faire  des  représentations  à  cet  égard  et  lui  exposer 
le  mauvais  état  de  sa  santé.  Je  rapportai  pour  toute  réponse  que 

1  Publiée  dans  les  Œuvres  de  Frédéric,  ëd.  de  Berlin,  XV,  588. 
*  Envoyé  par  M.  Laujon,  secrétaire  des  commandemeiilt  de  M.  le  comte  de 
Clcrmont,  le  l«'juin  n58. 


396  APPENDICES. 

les  ordres  de  Sa  Majesté  Prussienne  portoient  précisément  qu'il  fat 
renfermé  dans  le  souterrain,  qu'il  alloit  lui  écrire  sur-le-champ 
en  envoyant  le  portefeuille  de  M.  le  marquis ,  et  qu'en  même 
temps  il  dépécheroit  une  estafette  au  prince  Henri.  J'y  retournai 
une  seconde  fois,  et  cette  tentative  fut  aussi  inutile  que  la  pre- 
mière. Il  fallut  donc  se  résoudre  à  loger  dans  ce  misérable 
endroit  où  je  fus  renfermé  avec  lui.  On  lui  donna  à  peine  ua 
fort  mauvais  lit  pour  son  argent,  et  moi,  je  fus  obligé  de  coudier 
sur  les  paquets.  Alors  Monsieur,  s'abandonnent  à  son  imagina- 
tion frappée  des  discours  des  différentes  personnes  quiravoieot 
approché,  se  figura  qu'on  avoit  l'intention  de  le  transporter  ail- 
leurs à  dessein  de  le  faire  disparaître  :  sa  voiture,  qui  étoit  restée 
devant  sa  porte,  le  confirma  dans  cette  opinion.  Il  me  fit  part  de 
sa  crainte,  et,  pour  prévenir  ce  prétendu  dessein,  nous  jugeâmes 
que  le  seul  parti  à  prendre  étoit  qu'il  fit  beaucoup  le  malade, 
et  moi  fort  l'affligé.  Je  n'eus  pas  de  peine  à  jouer  ce  personnage. 
Je  m'en  acquittai  même  si  bien  qu'on  n'en  douta  pas  un  instant 
Le  médecin  vint,  qui,  heureusement  fort  ignorant,  fugea  M. le 
marquis  à  mort.  M.  le  commandant  en  fut  instruit  et  devint 
plus  traitable.  Dès  le  lendemain,  il  envoya  le  major  de  la  place 
faire  rendre  le  portefeuille  que  M.'  le  marquis  avoit  fait  ofte 
d'ouvrir,  s'excusant  beaucoup  qu'on  l'eût  arrêté.  Il  promit  de 
faire  donner  une  espèce  de  chambre  qu'il  me  mena  voir,  mais  il 
me  fit  faire  une  observation  qu*elle  coûteroit  fort  cher.  Je  répon- 
dis à  cela  comme  je  le  de  vois,  et  dès  le  jour  même  Monsieur  y  fat 
transporté.  Je  continuai  à  être  renfermé  avec  lui,  et  ses  domes- 
tiques n'avoient  la  permission  de  l'approcher  qu^â  l'heure  des 
repas,  en  présence  de  l'officier  de  garde.  Celui-ci,  quelque  temps 
après,  ayant  donné  occasion  de  se  plaindre  à  M.  le  comman- 
dant du  refus  qu'il  faisoit  de  leur  ouvrir  quand  Monsieur  efl 
avoit  besoin,  il  fut  permis  de  laisser  la  chambre  ouverte,  stcc 
défense  d*y  laisser  entrer  toute  autre  pei*sonne. 

u  Comme  je  n'avais  point  été  compris  dans  les  ordres  donoé> 
d'arrêter  M.  le  marquis  de  Fraigne,  il  crut  qu'on  ne  feroil  pa^ 
de  difficulté  de  me  permettre  d'aller  à  Hambourg,  ou  étoit  la 
plus  grande  partie  de  ses  effets.  La  demande  en  fut  faite  à  M.  1? 
commandant,  qui  opposa  les  ordres  du  prince  Henri.  Cela  donna 
occasion  de  demander  la  permission  délai  écrire-  Elle  fiit  accor- 
dée. Par  cette  lettre,  M.  le  marquis  témoignoit  la  surprise  qu'il 


L'ENLEVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE.      397 

éprouvoit  qu'on  lui  objectât  sans  cesse  les  ordres  de  Son  Altesse 
Royale,  ce  qu'il  ne  pouvoit  croire,  connaissant  sa  noble  façon 
de  penser,  et  cela  étant  contraire  à  ce  qu'elle  marquoit  peu  de 
jours  auparavant  à  une  personne  de  confiance  qu'elle  seroit 
bien  fâchée  d'y  avoir  eu  la  moindre  part,  que  c'étoit  jeter  l'huile 
sur  le  feu  déjà  que  trop  allumé.  11  finissoit  par  exposer  à  Son 
Altesse  Royale  que  son  secrétaire  n'ayant  point  été  compris 
dans  les  ordres  de  Sa  Majesté  Prussienne,  il  ne  pouvoit  s'ima- 
giner que  son  courroux  pût  s'étendre  jusqu'à  lui  et  qu'elle 
refusât  de  le  laisser  aller  à  Hambourg^. 

tt  Cette  lettre  fut  remise  à  M.  le  commandant,  qui  fit  dire  le 
lendemain  par  le  major  de  la  place  qu'elle  étoit  partie  par  une 
estafette.  Deux  jours  après,  il  revint  annoncer  que  la  veille  au 
soir  il  étoit  arriTé  un  courrier  du  roi  de  Prusse  qui  enjoig^noit  à 
M.  le  commandant  de  veiller  avec  la  plus  grande  exactitude  à 
ce  qu'il  n'eût  aucune  correspondance,  et  de  ne  point  laisser  aller 
les  domestiques  en  ville  sans  une  ordonnance;  qu'en  consé- 
quence, Son  Excellence  n'avoit  osé  prendre  sur  elle  de  faire 
partir  la  susdite  lettre. 

u  Nous  ne  doutâmes  point  que  ce  ne  fût  la  réponse  de  Son 
Altesse  Royale  qui  ne  vouloit  pas  paroitre  dans  cette  affaire. 
Nous  en  fûmes  convaincus  par  ce  que  fit  dire  M.  le  comman- 
dant qu'elle  étoii  déchirée  ou  brûlée  lorsqu'on  la  fit  redemander. 

u  M.  le  marquis  de  Fraigne  a  pris  patience  tout  le  temps 
nécessaire  pour  faire  les  démarches  convenables  auprès  de 
Sa  Majesté  Prussienne.  Deux  mois  se  sont  écoulés  sans  entendre 
parler  de  rien.  Cependant  sa  santé  dépérissoit  de  jour  en  jour. 
Il  savoitde  plus  que  la  cour  de  Berlin,  profitant  de  sa  détention, 
chcrchoit  à  pallier  la  violence  exercée  contre  lui  jusqu'à  lui 
imputer  des  crimes  que  le  public  seroit  tenté  de  croire  par  les 
apparences  de  vérité  qu'elle  s'efforce  de  leur  donner.  Il  jugea 
donc  qu'il  étoit  de  son  honneur  d'aller  se  justifier  aux  yeux  de 
sa  cour  et  à  ceux  de  ce  même  public.  Dès  lors,  il  ne  songea 
plus  qu'à  tromper  la  vigilance  de  ses  gardes  pour  s'évader.  II 
en  étoit  venu  à  bout;  mais,  malheureusement,  ayant  pris  la 
route  de  Zerbst,  d'où  il  comptoit  se  rendre  à  Hambourg,  il  a  été 
reconnu  à  la  porte  de  ladite  ville  de  Zerbst  par  une  sentinelle 
du  régiment  de  Kalekeret,  qui  avoit  eu  pendant  fort  longtemps 
la   garde  de  la  citadelle  de  Magdebourg.  Bref,  il  a  été  arrêté 


398  APPENDICES. 

et  ramené  à  ladite  forteresse,  où  il  est  maintenant  réduit  dans 
un  cachot,  chargée  de  fers,  privé  de  tout,  même  de  son  linge, 
étant  obligée  de  manger  avec  ses  doigts,  étant  défendu  de  lui 
confier  ni  couteau  ni  fourchette.  M.  le  comm^andaat  a  porté 
sa  vengeance  jusque  sur  moi  et  les  domestiques.  Nous  avons 
tous  été  sur-le-champ  mis  dans  chacun  un  cachot,  et  il  ne  fut 
pas  permis  de  prendre  une  seule  chemise.  Tous  les  effets,  tant 
ceux  de  Monsieur  que  ceux  de  ses  gens ,  furent  renfermés  sous 
le  sceau  dont  il  a  été  fait  inventaire  cinq  jours  après  :  de  sorte 
que  c'est  actuellement  M.  le  commandant  qui  paye  tout  de 
l'argent  qu'il  a  fait  ôter  à  Monsieur. 

alJn  traitement  si  étrange  annonceroit  un  crime  des  plus 
énormesmôme  dans  la  personne  d'un  sujet  de  Sa  Majesté  Prus- 
sienne, s'il  n'é^oit  aisé  de  prouver  que  les  moyens  employés  pour 
Beiciliter  son  évasion  sont  des  plus  permis.  Il  est  vrai  qu'ils  sur^ 
prennent  du  premier  abord  ;  mais  que  pouvoient-ils  désirer  da- 
vantage que  Monsieur  les  révélât  et  de  s'assurer  de  la  vérité  par 
les  déclarations  que  Monsieur  nous  a  ordonné  de  faire,  lesquelles 
se  sont  trouvées  conformes  à  la  sienne?  Cette  complaisance  de  sa 
part  devoit  les  satisfaire  après  s'être  convaincus  qu'il  n'y  avoit 
rien  qui  blessât  Sa  Majesté  Prussienne,  comme  on  peut  en  juger 
par  la  déclaration  que  j'en  ai  donnée.  » 

Copie  de  la  déclaration  louchant  f  évasion  de  M.  le  marquis 
de  Fraigne,  le  7  mai  1758. 

u  Un  des  domestiques,  ayant  connu  une  femme  française  par 
hasard,  eut  occasion  d'éprouver  sa  fidélité  en  lui  proposant 
de  favoriser  révasion  de  M.  le  marquis.  Il  ne  s'agissoit  pour 
cela  que  d'avoir  des  habits  de  femme.  La  première  proposition 
qu'il  lui  en  fit  l'intimida.  Néanmoins,  sous  la  promesse  de  cent 
ducats,  il  la  fit  consentir  de  venir  au  logis  le  lundi  l*'  mai,  où 
elle  s'entretint  avec  M.  le  marquis  dans  la  chambre  des  domes- 
tiques. Bref,  elle  promit  d'apporter  dès  le  lendemain  les  habits 
nécessaires. 

«  Ladite  femme  n'étant  point  venue,  nous  crûmes  qu'elle 
avoit  changé  de  résolution.  Le  domestique  passa  à  l'endroit  où 
il  avoit  coutume  de  lui  parler  et  ne  la  trouva  pas.  Nous  ne  nous 
rebutâmes  point.  Il  y  retourna  de  nouveau.  Pou»  cette  fois,  il 


L'ENLEVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE.      399 

la  détermina  en  lui  donnant  d'abord  un  louis  et  deux  écus,  et 
lui  assurant  de  lui  donner  la  moitié  de  la  susdite  somme  lors- 
qu'elle apporteroit  les  habits.  Elle  n'y  manqua  pas  et  reçut  aussi 
son  argent,  avec  ordre  de  se  trouver  demain  vendredi  à  la  porte 
de  la  citadelle  pour  y  attendre  M.  le  marquis.  Le  jour  arrivé, 
il  se  disposa  à  exécuter  son  dessein.  Pour  y  mieux  réussir,  il 
crut  nécessaire  d'en  faire  part  à  l'autre  domestique,  qui  jusqu'à 
ce  moment  n'en  avoit  rien  su.  Chacun  joua  son  rôle.  L'un  sortit 
dehors  pour  secouer  une  pelisse  en  présence  de  la  sentinelle 
pour  l'amuser,  l'autre  passa  chez  le  major  de  la  ville  pour 
l'occuper,  et  moi  je  restai  dans  la  chambre  à  faire  le  guet.  Tout 
réussit  si  bien  que  M.  le  marquis  passa  sans  être  aperçu. 

a  Nous  n'avions  plus  qu'à  cacher  son  évasion  le  temps 
nécessaire,  qu'on  jugea  être  jusqu'au  dimanche  matin.  Le  plus 
V  difficile  étoit  à  l'heure  de  la  garde  montante.  On  étoit  convenu 
qu'alors  un  des  domestiques  se  mettroit  dans  le  lit  (ce  qui  ne 
devoit  point  paraître  surprenant,  M.  le  marquis  ayant  été  les 
jours  auparavant  malade  et  couché).  La  garde  fut  relevée  sans 
aucun  inconvénient.  Je  continuai  à  dire  qu'il  étoit  malade,  et 
pour  le  mieux  faire  croire,  j'envoyai  sur  les  cinq  heures  du  soir 
une  lettre  que  M.  le  marquis  m'a  voit  laissée  à  l'adresse  de  M.  le 
commandant,  dans  laquelle  en  étoit  une  autre  pour  son  ban- 
quier, avec  un  petit  détail  de  sa  santé.  L'officier  de  garde,  l'ayant 
oubliée,  la  remit  au  domestique ,  et  sur  ce  que  celui-ci  lui  dit 
qu'il  étoit  indifférent  de  l'envoyer  ce  jour-là  ou  le  lendemain, 
il  la  reprît  et  promit  de  l'envoyer.  A  l'heure  de  souper,  je  le  fis 
venir  comme  à  l'ordinaire  pour  deux,  et  dans  la  crainte  que 
l'officier,  en  venant  fermer,  fût  aussi  curieux  qu'il  Ta  voit  été 
avant  midi,  je  jugeai  à  propos  de  faire  encore  coucher  un  do- 
mestique dans  le  lit  ;  l'autre  lui  fit  croire  que  Monsieur  dormoit. 
La  porte  fiit  fermée  de  bonne  foy,  et  tout  fut  dit  pour  ce  jour-là. 
Le  lendemain,  le  domestique  fut  avertir  comme  de  coutume 
d'ouvrir  la  porte.  L'officier,  comptant  encore  que  Monsieur  dor- 
moit, n'entra  pas.  Tout  alloit  bien  jusque-là;  mais  le  malheur 
voulut  que  l'officier^  ayant  envoyé  chez  M.  ie  commandant 
savoir  s'il  pouvoit  lui  remettre  une  lettre  de  M.  le  marquis,  Son 
Excellence,  déjà  instruite  qu'il  avoit  été  arrêté  la  veille  à  Zerbst, 
envoya  à  son  tour  son  secrétaire  pour  vérifier  la  chose.  Alors 
il  ne  fut  plus  possible  de  la  cacher.  Je  fus  mis  sur-le-champ  aux 


400  APPENDICES. 

arrêts  ainsi  que  les  domestiques,  et  conduits'  ensuite  chacun 
dans  un  cachot,  pour  être  interrogés  séparément  avant  rarrÎTée 
de  M.  le  marquis.  Ils  n'ont  pu  rien  savoir  jusqu'à  œ  moment 
que  Monsieur,  jugeant,  par  le  peu  de  ménagement  pour  sa  per- 
sonne, qu'on  en  auroit  encore  moins  pour  nous,  déclara  tout  et 
nous  ordonna  d'en  faire  autant. 

u  Gela  n'a  pas  empêché  que  je  n'aie  été  renfermé  jusqu'au 
25  du  mois  de  mai,  que  j'en  suis  parti  sans  qu'il  me  soit  per- 
mis de  voir  M.  le  marquis  et  de  prendre  plus  de  cinquante  éoB 
de  l'argent  que  je  pouvois  avoir  entre  les  mains.  L'on  a  même 
osé  me  menacer  de  me  renfermer  dans  le  plus  noir  cachot  de 
la  citadelle  si  je  refusois  plus  longtemps  de  partir.  J'ai  donc  été 
obligé  de  me  contenter  de  cette  modique  somme  pour  éviter 
toute  violence. 

a  M.  le  commandant  de  Magdebourg  a  osé  avancer  dans  lei 
papiers  publics  que  M.  le  marquis  lui  avoit  donné  sa  parole 
d'honneur  de  ne  point  échapper  ;  mais  je  puis  attester  que  oda 
est  absolument  faux.  Il  est  bien  vrai  qu'il  l'a  proposée  en  de- 
mandant la  permission  de  prendre  une  maison  en  ville,  n 
qu'il  étoit  ridicule  qu'il  fût  obligé  de  vivre  à  la  (jar;gote,  tandis 
que  sa  table  devoit  être  celle  des  officiers  français  prisonnien 
dans  cette  ville  ;  que,  dans  ce  cas,  il  donneroit  toutes  les  aso- 
rances  possibles  pour  sa  personne.  Il  a  môme  insisté  plusieoB 
fois  sur  la  même  demande,  et  Son  Excellence  n'a  pas  daigné lo 
répondre  ni  lui  faire  dire  la  moindre  chose,  die  s'est  reposée 
sur  la  vigilance  de  ses  gardes  que  M.  le  marquis  avoit  m 
tromper. 

t  u  La  Boussiniere-Destocches.  » 

Le  fait  de  l'évasion  se  trouve  confirmé  par  une  dépèche  écrite 
de  Hambourg,  le  16  mai  1758,  par  M.  de  Champeanx  fils 
ministre  du  Roi  dans  cette  résidence.  Cette  lettre  donne  mène 
des  détails  piquants  : 

a  ...  Il  est  arrivé  ici  de  Zerbst  un  hussard  de  M.  le  dacO 
est  venu  me  trouver  pour  me  raconter  une  fâcheuse  aventuit 
arrivée  à  M.  le  marquis  de  Fraigne.  Il  avoit  trouvé  le  moy» 
de  se  sauver  de  la  citadelle  de  Magdebourg  avec  un  laquais,  toes 
deux  déguisés  en  femmes.  Ils  étoient  parvenus  heureusement 


L'ENLÈVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE.      401 

jusqu'à  Zerbst,  mais  malheureusement  un  régiment  prussien, 
parti  la  veille  de  Magdebourg^,  y  passoit  la  nuit.  Arrivé  aux 
portes,  quelques  soldats  de  la  garde  prussienne,  lui  passant  la 
main  sur  le  menton,  y  sentirent  de  la  barbe.  Ils  le  prirent  pour 
un  espion  travesti  et  l'arrêtèrent  conséquemment.  M.  de  Fraig^ne 
fut  mené  devant  le  corps  des  officiers  et  reconnu  par  un  d'eux, 
qui  avoit  monté  quelques  jours  auparavant  la  garde  à  Magdebourg 
dans  la  citadelle,  et  il  a  été  renvoyé  sous  escorte.  Son  laquais  a 
trouvé  moyen  de  se  sauver.  Tel  est.  Monseigneur,  le  rapport 
que  m'a  fait  le  hussard  de  M.  le  prince  de  Zerbst,  qui  m'a  dit 
avoir  parlé  lui-même  à  M.  de  Fraigne.  n 

Cependant  la  princesse  de  Zerbst,  désespérée  du  malheur 
arrivé  à  Fraigne,  avait,  en  avril,  quitté  Zerbst  avec  son  fils,  et 
s'était  rendue  à  Hambourg,  où  elle  s'était  mise  en  relation 
avec  Ghampeaux  fils.  Après  un  voyage  à  £utin,  elle  partit  le 
16  juin  pour  Brème,  Oldembourg,  la  Hollande  et  les  Pays-Bas, 
dans  le  but  de  s'établir  en  France.  Voyageant  sous  le  nom  de 
comtesse  d'Ornebourg,  elle  arriva  à  Bruxelles  le  5  juillet,  le  7  à 
Yalenciennes,  où  elle  fut  complimentée  par  l'intendant,  M.  de 
Blair  de  Boisemont.  Elle  quitta  Yalenciennes  le  5,  et  à  fin  du 
mois  arriva  à  Paris,  où  elle  ne  reçut  point,  il  faut  le  dire,  un 
accueil  enthousiaste.  Bernis  avait  pu  s'assurer  que  son  influence 
sur  sa  fille  Catherine  était  à  peu  près  nulle,  et  que  tout  ce 
qu'elle  possédait  en  fait  de  moyens  d'action  sur  la  grande-du- 
chesse était  quelques  histoires  scandaleuses,  amusantes  à  vrai 
dire,  mais  sans  portée.  D'ailleurs,  à  Paris,  la  pauvre  princesse 
allait  trouver  bien  des  successeurs  à  donner  à  Fraigne.  Un  certain 
marquis  de  Saint-Simon  parait  jouer  dans  sa  vielin  rôle  impor- 
tant, à  ce  que  démontre  le  testament  de  la  princesse,  ouvert  le 
31  mai  1760,  lendemain  de  sa  mort. 

En  voici  le  paragraphe  principal  : 

o  Voici  mes  dernières  volontés  que  je  veux  et  entends  être 
exécutées  après  ma  mort  : 

a  Au  cas  que  ma  mort  précède  la  lettre  de  change  que  j'attends 
incessamment  de  Russie,  sur  ma  pension  de  ce  pays-là,  consis- 
tante en  68,000  livres  net  et  d'autres  dont  les  sommes  ne  sont 
point  bornées  et  que  j'attends  également  de  ce  pays-là,  j'autorise 
et  je  donne  pleins  pouvoirs  à  M.  le  marquis  de  Saint-Simon  par 
".  26 


402  APPENDICES. 

le  présent  écrit  d^enlever  les  sommes,  et  d'en  donner  les  quit- 
tances. Il  sçait  et  sçaura  par  Pétat  que  je  joins  à  cecy  l'usage 
auquel  je  les  destine.  Telle  est  ma  dernière  volonté.  — A.  Paris, 
6  may  1760. 

u  Signé:  Elisabeth  d'Anhalt,  née  de  HoL.8TEnf.  » 

Ailleurs  on  lit  :  «  Je  déclare  qu'il  ne  doit  être  fait  après  mt 
mort  aucune  recherche  pour  mes  diamants  et  bijoux,  ni  inquiéter  ^ 
personne  à  ce  sujet,  en  ayant  disposé  de  mon  vivant,  n 

Un   certain  bacon   de   Schefifer,  qui 'parait   être   chai^  dtt 
affaires  du  prince  d*Anhalt  à  Paris,  écrivait  au  ministre  pour  le 
remercier  d'avoir  fait  apposer  les  scellés  sur  les  meubles  de  li 
princesse   douairière,    il   envoyait    une  copie    du     testament 
u  Votre  Elxcellence  verra  par  là  que  les  diamants  sont  disparns, 
et  que  ma  crainte  n'a  point  été  mal  fondée  lorsque  je  désirais 
qu'ils  fussent  en  dépôt  chez  le  notaire.  Je  suis  persuadé  que  Votre 
Excellence  formera  sur  cet  article  du  testament  le  même  jn^ 
ment  que  moy.  Il  seroit  à  souhaiter  que  Ton  pût  trouver  an 
remède  contre  une  chose  si  honteuse  et  si  préjudiciable  pour  les 
créanciers.  En  attendant,  comme  je  suis  informé  que  M.  de 
Saint-Simon  se  prépare  ou  peut-être  a  déjà  écrit  au  prince  son 
fils  à  ce  sujet,  et  que  ce  prince,  qui  est  faible,  pourroit  se  laisser 
aller  à  des  conseils  qui  n'ont  été  déjà  que  trop  préjudiciables i 
la  mère,  je  me  crois  obligée  de  mon  côté  de  rendre  compte  de 
affaires  de  la  princesse  d'Anhalt  au  prince  son  fils,  et  lui  repré- 
senter la  nécessité  de  prendre  au  plus  tôt  quelque  arrangement 
pour  satisfaire  aux  dettes  que  la  princesse  laisse n 

Les  scellés  apposés  par  les  créanciers  ne  furent  point  sans 
utilité  pour  le  servi  ce  du  Roi.  Fraigne,  en  effet,  avait  laisséenoe 
les  mains  de  la  princesse,  au  moment  de  son  arrestation,  ob 
paquet  de  papiers  cacheté  de  son  cachet.  Qu'était-ce  que  ce 
papiers?  Des  lettres  d'État,  ou,  comme  dit  Tercier,  «  le  paquet 
renfermait-il  des  choses  que  les  héritiers  de  cette  princesse  t«^ 
raient  avec  peine  pour  Tlionneur  de  sa  mémoire  venir  à  li 
connaissance  des  officiers  dejustice»?  On  tint  compte  des  obse^ 
vations  de  Tercier,  et  un  ordre  du  Roi,  mis  aux  mains  de  Le 
Dran  »,  pennit  de  retirer  sans  bruit  les  papiers  qui  auraient  fait 

»   Indiqué  par  Basciiet,  Histoire  du  dépôt,  p.  300. 


L'ENLÈVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE.      403 

scandale.  Cette  valeur  une  fois  enlevée  à  la  succession,  pour 
laquelle,  par  contre,  il  peut  sembler  qu'on  obtint  la  restitution 
des  diamants,  il  ne  parait  pas  que  Tactif  se  soit  trouvé  à  la  hau- 
teur du  passif.  Ce  fut  à  grand' peine  que  le  baron  de  Burker- 
sroda,  envoyé  du  prince  d'Anhalt,  parvint  à  payer  les  dettes,  et 
quant  aux  leg^s,  on  ne  les  acquitta  point. 

Revenons  à  Fraigne,  que  nous  avons  laissé  dans  sa  prison  de 
Magdebourg^.  Malgré  tous  les  obstacles  qu'on  mettait  à  ses  com- 
munications avec  le  dehors,  il  n'en  était  pas  moins  parvenu  à 
nouer  quelques  relations  et  à  faire  passer  ses  lettres  à  la  cour.  II 
est  vrai  que  l'argent  ne  lui  manquait  pas;  en  mars  1758,  on  lui 
envoyait  150  louis;  le  7  janvier  1760,  30  louis;  le  30  juin, 
120  louis  d'or  vieux;  le  24  novembre,  60  louis  d'or  vieux; 
d'autres  sommes  variant  de  100  à  200  louis  quatre  fois  l'an,  en 
1761,  1762,1763». 

Kn  même  temps  on  s'occupait  avec  activité  de  le  faire  relâ- 
cher; Demis  tentait  démarche  sur  démarche,  s'adressait  à  la 
Russie,  au  Danemark,  à  toutes  les  puissances  neutres.  En  1758 
et  en  1759,  on  trouve  de  nombreuses  dépêches  sur  ce  sujet;  enfin, 
ces  démarches  n'aboutissant  pas,  le  ministre  Choiseul  écrit  au 
maréchal  de  Belle-Isle  la  dépêche  suivante  : 

•  VertaiUet,  Il  février  1759. 

«Vous  savez,  Monsieur,  dans  quelle  dure  captivité  M.  le  mar- 
quis de  Fraigne  languit  depuis  longtemps,  sans  que  les  repré- 
sentations que  l'on  a  faites  au  roi  de  Prusse  aient  pu  engager  ce 
prince  à  lui  rendre  la  liberté.  Il  ne  reste  donc  d'autre  moyen  de 
le  tirer  de  ses  mains  que  par  un  acte  de  représailles.  Je  vous 
serai  très-obligé,  Monsieur,  de  vouloir  bien  renouveler  les  ordres 
aux  généraux  de  l'armée  du  Roy  du  bas  Rhin  ou  de  celle  de 
Soubise  pour  ne  rien  négliger  pour  tâcher  de  faire  enlever  quel- 
que ministre  ou  quelque  personne  de  considération  apparfenant 
au  roy  de  Prusse.  11  ne  faut  pas  même  s'en  tenir  à  un  seul  si  on 
peut  en  avoir  plusieurs.  Il  seroit  bien  important  de  se  saisir  du 
ministre  du  roy  de  Prusse  résidant  à  Cologne,  mais  il  faudroit 
faire  en  sorte  de  l'attirer  hors  de  la  ville  pour  l'enlever,  afin 
qu'on  ne  puisse  pas  dire  que  Ton  a  violé  les  privilèges  d'une 

*  Livre  rouge, 

26. 


.  404  APPENDICES. 

ville  impériale.  Si  Ton  se  saisit  de  quelque  ministre  de  ce  prince 
ou  de  quelque  membre  des  rég^ences  voisines  des  années,  ce  que 
je  crois  facile  lorsqu'on  voudra  l'entreprendre  avec  précaution, 
je  vous  prie  d'ordonner  qu'on  les  conduise  au  Pont-Couvert,  à 
Strasbourg,  sans  aucun  ménagement,  et  qu'on  les  y  retienne  de 
même.  Les  plaintes  que  le  roi  de  Prusse  recevra  Traisemblable- 
ment  de  la  part  des  personnes  qui  s'intéresseront  à  eux  le  por- 
teront sans  doute  à  rendre  M.  le  marquis  de  Fraigne  pour  ne 
pas  laisser  ses  ministres  exposés  aux  mêmes  traitements  qu*il 
luy  fait  éprouver  depuis  si  longtemps, 
a  Je  suis,  etc.  » 

Soit  impossibilité,  soit  mauvaise  volonté,  cet  ordre  ne  fat 
point  exécuté.  Les  prières  de  madame  de  l'Estang,  sœur  du 
marquis,  et  de  l'abbé  de  Fraigne,  son  frère,  n'eurent  point  plus 
de  résultats.  Il  est  vrai  que  celui-ci,  qui  fut  plus  tard  grand 
vicaire  du  cardinal  de  Demis,  se  serait  assez  facilement  consolé 
si  M.  de  Jarente,  l'évêque  d'Orléans,  lui  avait  accordé  un  béné- 
fice. Enfin,  madame  de  l'Estang  se  détermina  à  écrire  directe- 
ment au  roi  de  Prusse  (10  juillet  1762).  La  colère  de  Frédéric 
était-elle  calmée,  ou  jugeait-il  utile  aux  négociations  ouvertes 
de  se  relâcher  de  sa  sévérité?  La  lettre  suivante  de  Fraigne  est 
en  tout  cas  curieuse  et  mérite  d'être  lue  : 

«  FraQcfort-tur-le*Main,  le  29  décembre  1762. 

(t  Monseigneur, 

u  Vous  êtes  probablement  informé  de  mon  élargissement,  mais 
vous  serez  sans  doute  surpris  de  la  façon  singulière  dont  ma 
liberté  m'a  été  rendue.  J'ai  attendu^  Monseigneur,  d'être  en  lieu 
de  sûreté  pour  avoir  rhonneur  de  vous  en  faire  le  détail.  Vous 
y  verrez  que  les  mauvais  procédés  de  Sa  Majesté  Prussienne  ne 
se  sont  point  démentis  jusqu'au  bout. 

«  Le  14  de  ce  mois,  le  commandant  de  Magdebourg  me  fit  dire 
qu'il  a  voit  reçu  les  ordres  du  roi  son  maître  de  me  renvoyer 
dans  ma  patrie,  que  je  dcvois  me  rendre  à  la  citadelle,  ne  pou- 
vant recouvrer  ma  liberté  que  dans  le  lieu  où  Sa  Majesté  me 
supposoit  toujours.  Je  me  rendis  donc  à  l'beure  indiquée  à  la 
citadelle.  J'y  trouvai  le  commandant,  qui  me  fit  lire  une  for- 
mule de  serment  que  je  devois  signer,  dans  les  termes  les  plus 


L*ENLÈVEMENT  DU  MARQUIS  DE  FRAIGNE.      405. 

extraordinaires.  Il  y  étoit  dit  que  je  jurois  sur  mon  âme,  sur  la 
Sainte  Yierg^e,  sur  tous  les  saints  et  les  saintes  du  Paradis,  et 
même  sur  le  saint  Sacrement,  de  ne  jamais  me  venger  du  mal  que 
Sa  Majesté  Prussienne  m'avoit  fait,  de  ne  jamais  rien  faire  contre 
ses  intérêts  ni  par  moi-même,  ni  par  d^autres,  ni  par  mes 
conseils.  Je  me  récriai  comme  de  raison  contre  une  pareille  for- 
malité. Le  commandant  voulut  d'abord  me  dire  que  c' étoit  un 
usage  établi  pour  tous  les  prisonniers  d'État  qui  étoient  re- 
lâchés. Sur  ce  que  je  lui  représentai  que  je  ne  devois  pas  être 
regardé  comme  un  prisonnier  d'État  ordinaire,  puisque  j'appar- 
tenois  à  un  grand  roi,  il  tira  de  sa  poche  la  lettre  de  son  maître, 
qu'il  me  lut  d'un  bout  à  l'autre.  La  formule  du  serment  y  étoit 
effectivement  de  point  en  point.  Ma  route  y  étoit  marquée  par 
Halberstadt  et  Casse],  pour  que  je  ne  passe  dans  aucun  lieu  où 
il  pouvoit  se  trouver  de  ses  troupes.  Je  devois  être  conduit  par 
un  officier  jusqu'à  la  frontière,  et  le  commandant  devoit  me 
signifier  de  sa  part  que  j'eusse  k  ne  plus  remettre  le  pied  dan^ 
ses  États  sous  peine  de  la  vie.  Cet  article  n'est  pas  le  moins  sin- 
gulier. C'est  comme  si  le  dey  d'Alger  faisoit  défendre  à  un 
esclave  qui  vient  d'être  racheté  de  revenir  dans  son  pays.  Je 
priai  fort  ledit  commandant  d'assurer  le  roi  son  maître  que  je 
n'avois  nulle  envie  de  revenir  jamais  dans  son  pays.  J'ajoutai 
que,  ne  m'ayant  pas  pris  dans  ses  États,  j'avois  lieu  d'être  sur- 
pris qu'il  crût  devoir  prendre  cette  précaution,  surtout  après 
tout  ce  que  j'y  avois  souffert.  Je  sommai  ce  commandant  de  me 
dire  si  je  ne  pouvois  absolument  recouvrer  ma  liberté,  sans 
signer  le  serment  en  question,  et  comme  il  m'assura  affirmative- 
ment que  non,  je  crus  que  je  pouvois  le  signer  sans  conséquence 
avec  cette  clause  :  par  ordre  exprès  du  roi  de  Pmsse.  11  n'y  a 
personne  qui  ne  sente  ce  que  peut  valoir  un  pareil  serment.  Sa 
Majesté  Prussienne  le  doit  mieux  savoir  qu'un  autre,  elle  qui  a 
pour  principe  qu'il  ne  faut  en  tenir  aucun  d'aucune  espèce.  11 
est  aisé  d'apercevoir  quel  est  son  but  dans  cette  conduite  à  mon 
égard.  Elle  a  cru  sans  doute  me  mettre  dans  le  cas  de  ne  pou- 
voir plus  être  employé,  comme  si  l'état  dans  lequel  elle  me  rend 
n'étoit  pas  un  plus  sûr  garant  que  tous  les  serments  du  monde. 
Car,  à  moins  d'un  miracle,  je  doute  que  ma  santé  puisse  se 
remettre; je  ne  comprends  pas  moi-même  comment  j'existe 
encore. 


406  APPENDICES. 

u  Quoique  ma  santé  fùt  très-mauvaise,  je  me  suis  pressé. 
Monseigneur,  de  partir  de  Magdebourg,  d'autant  plus  que  je 
savais  de  bonne  part  que  depuis  quelque  temps  Sa  Majesté 
Prussienne  est  sujette  à  certains  accès  de  frénésie  qui  lui 
donnent  des  absences  d'esprit  et  qui  lui  font  changer  ses  ordres 
plusieurs  fois  le  même  jour.  Cest  un  jeune  homme,  bâtard  du 
feu  prince  Maurice  de  Dessau  auquel  elle  a  fait  prendre  le  nom 
d'Anhalt ,  qui  est  aujourd'hui  le  maître  absolu  de  Farmée  et  de 
l'Ëtat.  C'est  ce  jeune  homme  qui  est  chargé  de  lui  rappeler  les 
ordres  qu'elle  a  donnés  et  de  redresser  les  méprises.  Cela  est 
d'autant  plus  singulier  qu'il  y  a  quatre  ans  qu'il  étoit  domes- 
tique servant  à  table.  Il  est  aujourd'hui  lieutenant-colonel... 

tt  Quoique  je  sois  parti  le  17,  je  n'ai  pu  arriver  qu'hier  au  soir 
dans  cette  ville.  La  route  que  j'ai  été  forcé  de  prendre  est  si 
dévastée  que  les  chevaux  manquent  presque  à  toutes  les  postes. 
Il  m'a  fallu  les  payer  jusqu'à  un  ducat.  J'ai  été  obligé  de  passer 
deux  nuits  dans  le  grand  chemin  par  des  accidents  arrivés  à  une 
voiture  toute  neuve,  mon  ancienne  ayant  pourri  dans  une  case- 
mate. Vous  pouvez  juger.  Monseigneur,  combien  ma  santé  a  liù  . 
souffrir  de  tant  de  fatigues...  » 

De  retour  à  Paris,  Fraigne  sollicita  vainement  la  permission 
d'aller  à  Pétersbourg.  Cette  permission  lui  fut  refusée  ;  le  Itoi 
doutait  que  sa  présence  pût  être  agréable  à  la  fille  de  la  prin- 
cesse d'Anhalt,  devenue  l'impératrice  Catherine.  On  lui  acconla 
par  contre  l'autorisation  de  se  rendre  à  Vienne,  où  résidait  le 
prince  d'Anhalt.  Il  semble  que  Fraigne  n'ait  point  été  bien 
reçu  par  lui. 

Là  se  termine  l'épisode  intéressant  auquel  le  nom  de  Fraigne 
devra  peut-être  de  survivre.  Présenté  au  Roi  le  21  février  1763, 
il  avait  obtenu  en  récompense  de  ses  services  une  pension  de 
4,000  livres  (13  février),  portée  à  5,000  le  18  août  1771 ,  et  une 
gratification  extraordinaire  de  10,000  livres.  Cette  pension  ne 
l'empêcha  pas  de  se  plaindre  de  l'injustice  de  leurs  prédéces- 
seurs à  tous  les  ministres  qui  se  succédèrent.  En  1791,  il  de- 
mandait à  l'Assemblée  nationale  une  légation  ou  un  consulat  en 
Italie  ou  dans  TArchipel. 

J'ignore  ce  que  devint  le  marquis  de  Fraigne  pendant  U 
Révolution.  Voulut-on  voir  une  victime  du  despotisme  monar- 
chique dans  l'ancien  amant  de  la  princesse  douairière  d'Anhalt? 


APPENDICE  N*  IX. 

AFFAIRE  DU  DÉCRET  DU  SÉNAT  DE  VENISE. 
(Voir  page  88.) 


Le  7  septembre  1754,  le  sénat  de  Venise  rendit  un  décret 
relatif  aux  affaires  ecclésiastiques ,  par  lequel  il  se  proposait  de 
retrancher  plusieurs  abus  par  rapport  aux  dispenses,  brefs, 
bulles  et  induig;ences  de  la  cour  de  Rome. 

Le  Pape  en  témoigna  son  mécontentement  et  demanda  des 
explications  au  sujet  de  ces  règ;lements  qu'il  traitait  de  nou- 
veautés et  qui,  en  effet,  outre  qu'ils  diminuaient  Tautorité  du 
Saint-Siège,  le  lésaient  dans  ses  intérêts  pécuniaires.  Il  s'en- 
suivit des  négociations  qui  n'aboutirent  à  aucun  résultat. 

Le  comte  de  Stainville,  alors  ambassadeur  à  Rome,  conseillait 
au  Pape  une  hauteur  et  une  inflexibilité  qui  indisposaient  le 
séna^.  Les  Vénitiens,  d'autre  part ,  attaqués  de  front ,  se  trou- 
vaient blessés  par  la  forme  que  Ton  employait  à  leur  égard,  et 
jugeaient  que  leur  dignité  ne  leur  permettait  pas  de  reculer. 

Le  sénat  ordonna  donc  l'exécution  immédiate  du  décret; 
mais  il  eût  accepté,  pour  accommoder  le  différend,  la  média- 
tion d'une  grande  puissance. 

Le  Pape  inclinait  à  demander  celle  de  la  France,  la  coui 
de  Vienne  offrait  la  sienne  à  la  République;  mais.  Remis 
aidant,  la  France  fut  prise  pour  juge. 

L'affaire,  devant  les  prétentions  des  deux  parties,  marcha 
avec  une  lenteur  extrême;  l'année  1755  se  passa  tout  eatière 
sans  que  les  négociations  eussent  amené  aucun  résultat.  La  cour 
de  Vienne*,  après  la  signature  du  traité  de  1756,  unit  vainement 
ses  bons  offices  à  ceux  de  la  France.  Il  était  à  craindre  qu'il  ne 
sortit  un  schisme  de  ce  conflit.  Le  Pape  se  faisait  un  cas  de 
conscience  de  laisser  subsister  aussi  longtemps  un  décret  coo- 
traire  à  ses  prérogatives  et  aux  droits  imprescriptibles  de  l'É- 


408  APPENDICES. 

glise  romaine;  le  sénat  de  Venise  se  refusait  à  une  suspension, 
môme  momentanée,  du  décret,  et  cette  suspension  était  pour- 
tant ]a  condition  sine  qua  non  de  la  reprisé  utile  des  négocia- 
tions. 

Le  comte  de  Stainville,  nommé  ambassadeur  à  Vienne,  et 
qui  continuait,  comme  on  Ta  vu,  à  correspondre  avec  le  Pape, 
écrivait,  le  15  août  1757,  à  Bernis,  devenu  ministre  des  affaires 
étrangères  :  a  J'ai  l'honneur  de  vous  adresser  la  dernière  lettre 
que  j'ai  reçue  du  Pape,  et  qui  m'a  été  remise  par  le  nonce  de 
Sa  Sainteté.  Cette  lettre  est  la  réponse  à  celle  que  j'avois  ea 
l'honneur  d'écrire  au  Saint-Père ,  d'après  la  conversation,  entre 
vous  et  M.  le  nonce  Galtierio,  dont  je  fiis  témoin  à  Compièçne. 

u  Vous  verrez.  Monsieur,  que  le  Pape  se  détermine  à  attendre 
les  bons  effets  de  la  protection  du  roi  de  France  pour  le  Saint- 
Siég^e,  sans  procéder  à  aucun  acte  d'éclat,  comme  il  avoit  pamy 
être  résolu.  Cependant  le  Saint-Père  se  réserve  la  faculté,  s'il  se 
trouve  à  l'extrémité  avant  que  cette  discussion  soit  terminée,  de 
casser  le  décret  vénitien  dans  le  dernier  moment  de  sa  vie.  n 

Il  écrivait  encore  le  20  septembre  : 

o  ...  M.  le  comte  de  Kaunitz  est  convenu  plusieurs  fois  avec 
moi  qu'il  étoit  indécent  que  nos  deux  cours  se  fussent  mêlées 
de  l'accommodement  du  Saint-Siég^e  avec  Venise,  et  que  cette 
affaire  ne  soit  pas  terminée;  mais  nous  en  sommes  toujours  à 
chercher  les  moyens  d'oblig^er  le  sénat  de  Venise  d'acquiescer 
aux  désirs  du  Saint-Père,  et  sur  cela  la  cour  impériale  s'en 
rapporte  entièrement  à  vous.  Monsieur,  et  j'ose  vous  assurer 
qu'elle  suivra  les  démarches  que  vous  lui  indiquerez  sur  cet 
objet.  M 

Dès  ce  jour,  cette  affaire,  qui  traînait  depuis  trois  ans, 
marcha  à  une  solution  aussi  prompte  qu'inespérée.  L'abbé  de 
Bernis  écrivit,  le  7  octobre  1757,  à  l'ambassadeur  de  Venise  la 
lettre  suivante,  où  le  Roi  ne  dissimulait  point  qu'il  entendait  qne 
son  droit  de  médiateur  ne  restât  point  platonique.  Il  est  permis 
de  se  demander  si  la  question  du  chapeau  n'entrait  point  pour 
quelque  chose  dans  l'ardeur  avec  laquelle  Bernis  soutenait  les 
droits  dfi  Pape. 


AFFAIRE  DU   DECRET  DU   SENAT   DE  VENISE.     409 

Vabbé  comte  de  Bemis    à  M.   Erisso,   ambassadeur  de  la 
République  de  Venise. 

«  Vcrtailles,  le  7  octobre  1757. 

u  J'ai  rendu  compte  au  Roî  de  la  lettre  que  Votre  Excellence 
m'a  fait  l'honneur  de  m'écrire  le  2  de  ce  mois ,  et  c'est  par 
ordre  de  Sa  Majesté  que  je  vais  y  répondre. 

u  Le  Roi  ne  pou  voit  qu'être  satisfait  des  termes  dans  lesquels 
Votre  Excellence  m'a  exprimé  les  sentiments  de  la  Sérénissime 
République  pour  Sa  Majesté,  si  les  paroles  pouvoient  Suppléer 
aux  effets  ;  mais  le  Roi  voit  avec  surprise  que  les  marques 
constantes  d'amitié  et  d'intérêt  qu'il  n'a  point  cessé  de  donner  à 
la  République  n'ont  encore  produit,  de  la  part  du  sénat,  que  des 
assurances  stériles  de  respect,  de  déférence  et  de  dévouement 
pour  Sa  Majesté. 

u  C'est  autant  par  affection  pour  la  République  que  pour  le 
Saint-Siég^e,  que  le  Roi  a  employé  ses  bons  offices  pour  procurer 
une  conciliation  amiable  sur  l'affaire  du  décret;  Sa  Majesté  a 
proposé  pour  cet  effet  une  suspension  passag^ère  de  ce  décret, 
comme  un  expédient  qui  n'est  susceptible  d'aucun  inconvénient, 
et  qui  peut  seul  faciliter  un  accommodement  prompt  et  solide. 
Les  instances  réitérées  qui  ont  été  faites  à  ce  sujet,  par  ordre 
du  Roi,  ont  été  jusqu'à  présent  inutiles;  et  je  ne  dois  pas 
dissimuler  à  Votre  Excellence  que  Sa  Majesté  a  dû  être  blessée 
du  peu  d'ég;ardsquelaRépublique]uiamarquésencetteoccasion, 
où  le  sénat  parait  subordonner  à  un  point  d'honneur  mal  en- 
tendu les  désirs  du  Roi,  et  l'avantage  de  terminer  un  différend 
dont  les  suites  pourroient  devenir  aussi  fâcheuses  pour  la  Répu- 
blique que  pour  le  Saint-Siég^e. 

«  Le  Roi,  toujours  animé  des  mêmes  sentiments  pour  la 
Sérénissime  République,  souhaite  que  le  sénat,  après  les  ré- 
flexions sérieuses  que  cette  affaire  exige,  se  détermine  enfin, 
par  égard  pour  la  paix  et  par  complaisance  pour  Sa  Majesté , 
à  suspendre  pendant  quelques  mois  l'exécution  du  décret,  afin 
qu'on  puisse  dans  cet  intervaller  travailler  avec  succès  à  un 
accommodement  final  sur  le  fonds  de  la  discussion;  mais,  si  le 
sénat  perséveroit  encore  dans  le  refus  qu'il  continue  à  faire  à 


410  APPENDICES. 

cet  égard,  le  Roi  prendroit  alors  le  parti  que  Sa  Majesté  jugeroît 
le  plqs  convenable  à  sa  dignité  et  aux  circonstances.  » 

Cette  lettre  produisit  l'effet  désiré.  Le  sénat  rénitien  suspendit 
le  décret,  et  l'ambassadeur  de  Venise  à  Vienne,  en  faisant 
connaître  cette  résolution  an  comte  de  Stainville,  ajouta  c[uh 
la  République  mettrait  tant  de  facilités  à  aplanir  les  difficultés 
qui  pourraient  naître  au  fond  de  la  question,  qu'il  était  vrai- 
semblable que  les  quatre  mois  indiqués  pour  la  discuter  seraient 
plus  que  suffisants. 

Le  14  décembre  1757,  le  comte  de  Stainville  écrivait  de 
Vienne  à  l'abbé  comte  de  Remis  : 

«...  J'ai  reçu  une  lettre  du  secrétaire  d'État  du  Pape,  qui  me 
marque  la  joie  extrême  du  Saint-Père  de  la  suspension  du  décret; 
ainsi  je  ne  doute  pas  qu'avant  même  le  terme  de  quatre  mou 
l'affaire  ne  soit  ajustée.  » 

L'affaire  fut,  en  effet,  bientôt  conclue,  et  R^rnis  en  eut,  aux 
yeux  de  la  cour  de  Rome,  l'honneur  et  le  profit. 


APPENDICE  N»  X. 

CIRCULAIRE  AUX  AMBASSADEURS  DU  ROI 

SUR  LA  RETRAITE  DE  ROUILLÉ  ET  SUR  CELLE  DE  BERMS 

DU  DÉPARTEMENT  DES  AFFAIRES  ÉTRANGÈRES. 

(Voir  paoe  322.) 

Circulaire. 

m  A  VerMiUét,  le  26  juin  1757. 

tt  Sur  les  très-humbles  remontrances,  Monsieur,  que  j'ai  eu 
l'honneur  de  faire  depuis  quelque  temps  au  Roi,  Sa  Majesté  a 
bien  voulu  agréer  ma  démission  de  la  charge  de  secrétaire 
d'Ëtat  des  affaires  étrangères,  et  elle  m'a  donné  pour  successeur 
M.  l'abbé  comte  de  Bernis,  qu'elle  avoit  déjà  admis  dans  son 
eonseil  le  2  du  mois  de  janvier  dernier.  Un  département  si 
important  ne  pouvoit  être  confié  à  un  ministre  plus  capable  par 
ses  talents  et  par  son  zèle  d'en  remplir  toutes  les  fonctions  avec 
le  plus  grand  succès. 

«  C'est  donc  avec  M.  l'abbé  comte  de  Bernis  que  vous  devez. 
Monsieur,  entretenir  désormais  la  correspondance  relative  au 
service  du  Roi,  et  vous  trouverez  certainement  en  lui  un  esti- 
mateur aussi  éclairé  qu'équitable  de  votre  travail  et  de  vos  ser* 
vices.  Sa  Majesté,  en  m'accordant  un  repos  dont  mon  âge  et  ma 
santé  avoient  besoin,  m'a  ordonné  de  conserver  la  place  que  j'ai 
l'honneur  d'occuper  en  son  conseil,  et  elle  a  bien  voulu 
ajouter  à  cette  grâce  des  témoignages  de  satisfaction  et  des  bien- 
faits qui  me  pénètrent  de  la  plus  respectueuse  reconnaissance. 

(c  II  ne  me  reste  qu'à  vous  remercier  de^tous  les  sentiments  que 
vous  avez  bien  voulu  me  marquer  personnellement  pendant 
que  j'ai  été  chargé  du  département  des  affaires  étrangères,  et 
à  vous  assurer  que  je  continuerai  toujours  avec  plaisir  à  rendre 
justice  dans  le  conseil  du  Roi  à  l'application  et  au.  zèle  avec 
lesquels  vous  servez  Sa  Majesté. 

>  Je  suis,  etc. 

«  Rouillé.  » 


412  APPENDICES. 

Circulaire  aux  ambassadeurs  et  ministres  du  Roi  dans  les  cours 

étrangères. 

m  A  Paris,  le  7  novembre  1 758. 

a  Ma  santé.  Monsieur,  considérablement  altérée  depuis  quel- 
ques mois,  m*a  enfin  déterminé  à  supplier  le  Roi  d'ag^réer  ma  dé- 
mission de  la  charge  de  secrétaire  d'État  au  département  de  ses 
a  flaires  étrang^ères,  et  Sa  Majesté  a  nommé  pour  me  remplacer 
M.  le  duc  de  Ghoiseul,  actuellement  son  ambassadeur  à  la  cour 
de  Vienne.  Le  zèle  et  les  talents  supérieurs  avec  lesquels  ce  mi- 
nistre a  rempli  les  différentes  commissions  dont  il  a  été  chargé 
jusqu'à  présent  ne  laissent  aucun  doute  sur  le  succès  avec  lequel 
il  justifiera  le  choix  du  Roi  dans  l'administration  encore  plus 
importante  que  Sa  Majesté  lui  confie. 

u  Ce  changement  n'en  apportera  aucun  dans  les  principes  da 
Roi  ;  ses  résolutions  seront  toujours  dirigées  par  les  mêmes  sen- 
timents d'équité  et  de  modération,  et  le  concert  qui  doit  sub- 
sister entre  M.  le  duc  de  Ghoiseul  et  moi,  relativement  aux 
affaires  générales ,  ne  pourra  qu'affermir  le  système  politique 
que  Sa  Majesté  a  adopté. 

a  Cest  dans  cet  esprit.  Monsieur,  que  vous  devez  vous  expli- 
quer avec  les  ministres  de  la  cour  où  vous  résidez  sur  Tévéne- 
ment  dont  je  ne  diffère  point  à  vous  informer. 

(c  L'intention  du  Roi  est  que  je  conserve  ma  place  dans  ses 
conseils,  et  je  continuerai  bien  volontiers  à  y  faire  valoir,  autant 
qu'il  dépendra  de  moi,  votre  travail  et  votre  attachement  à 
•son  service. 

a  Vous  connaissez ,  etc. 

u  Le  cardinal  de  Bernis.  » 

1  Une  analyse  Je  celte  dépêche  a  été  donnée  par  FIassaD,Hi5t.  <fe  la  diplomatie, 
t.  V,  p.  253. 


APPENDICE  No  XL 

NÉGOCIATIONS  DE  BERNIS  AVEC  LA  COUR  DE  VIENNE 
EN  VUE  DE  LA  PAIX. 


Aussitôt  après  le  désastre  de  Rossbach,  Bernis  comprenait 
l'impossibilité  de  mener  à  bien  une  guerre  offensive  dans  les 
conditions  où  se  trouvaient  désormais  placées  les  armées  alliées,  et 
voyait  tout  compromis  par  l'écbec  qui  avait  terminé  la  première 
campagne  et  qui  réduisait  à  néant  les  espérances  qu'avaient 
pu  faire  concevoir,  au  début,  la  victoire  d'Hastembeck  et  Tinva- 
sion  du  Hanovre.  Continuer  la  guerre  contre  TAngleterre  et  la 
Prusse  réunies,  c'était  contraindre  la  France,  qui,  dans  le  plan 
primitif,  ne  devait  fournir  qu'un  subside  d'hommes  et  d'argent 
à  la  cour  de  Vienne,  qui,  par  suite  des  circonstances,  avait  été 
forcée  de  prendre  aux  opérations  militaires  une  part  directe  et 
même  prépondérante,  à  soutenir  à  la  ibis  sur  terre  et  sur  mer  une 
lutte  qui  était  hors  de  proportion  tant  avec  ses  forces  qu'avec 
le  but  où  elle  tendait ,  et  qui  devait  amener,  à  bref  délai, 
avec  la  ruine  des  colonies  et  de  la  marine,  la  ruine  des  finances. 
Si,  après  la  première  campagne,  la  France  avait  obtenu  des 
avantages  décisif^,  si  même  elle  avait  pu  espérer  qu'une  seconde 
campagne  lui  donnerait  une  incontestable  supériorité  sur  Fré- 
déric II,  l'alliance  se  serait  trouvée  atteindre  son  objectif,  et 
soit  que  les  cours  alliées,  après  avoir  conclu  la  paix  avec  la 
Prusse,  se  fussent  déterminées  à  continuer  la  guerre  <:ontre  l'An- 
gleterre; soit  que  le  roi  Georges  eût  abaissé  les  intérêts  de  l'An- 
gleterre devant  ceux  de  son  électorat  de  Hanovre,  et  fût  devenu 
partie  au  traité,  la  France,  augmentée  des  Pays-Bas,  n^aurait  eu 
qu'à  se  louer  d'une  alliance  qui  lui  aurait  ainsi  rendu  un  terri- 
toire qu'elle  regardait  à  bon  droit  comme  nécessaire  à  sa  dé- 
fense. Le  Roi  qui,  après  avoir  conquis  la  frontière  de  Test  et 
assuré  à  la  France  la  possession  de  la  Lorraine,  aurait  rétabli  la 


414  APPENDICES. 

frontière  du  nord,  eût  mérité  une  place  parmi  les  pins  grands 
rois,  et  les  ministres  auraient  eu  leur  part  de  reconnaissance  de 
la  nation. 

Mais  Richelieu  était  venu;  Pacte  de  Glosterseven  avait  été 
signé,  Soubise  était  battu;  la  France  chansonnait  les  vaincus  et 
se  faisait  prussienne.  L'autorité,  affaiblie  par  la  Régence,  par 
Fleury,  par  le  Roi  même,  rencontrait  des  obstacles  inattendus. 
Une  seconde  campagne  pouvait  conduire  à  d'irréparables  dé- 
sastres. 

Il  restait  à  la  France,  des  deux  gages  qu'elle  avait  conqnb 
depuis  l'ouverture  des  hostilités,  Minorque  et  le  Hanovre.  Mais 
il  était  à  craindre  que  le  Hanovre  n'échappât,  que  la  rupture 
déloyale  de  la  capitulation  die  Glosterseven  ne  forçât  à  évacuer 
tout  ou  partie  des  pays  occupés.  Ce  que  la  France  perdrait  de  ce 
côté,  la  Prusse  le  conquerrait,  et  ce  gage,  qui ,  entre  les  mains 
de  Bernis,  pouvait  forcer  l'Angleterre  à  la  paix,  contraindrait, 
s'il  passait  aux  mains  de  Frédéric,  l'Angleterre  à  la  guerre.  Si 
donc,  avant  Rossbach,  une  paix  séparée  pouvait  être  conclue 
avec  l'Angleterre,  depuis  Rossbach  il  fallait  se  hâter  et  ne  pas 
craindre  de  traiter  d'abord  en  Allemagne. 

La  guerre  avec  TAngleterre  était,  si  l'on  peut  dire,  la  dette 
qu'avait  apportée  la  France  au  fonds  commun  de  l'alliance,  de 
même  que  la  guerre  avec  la  Prusse  était  la  part  afférente  de 
l'Autriche.  Si  Remis  avait  été  pressé  de  conclure  avec  Marie> 
Thérèse ,  c'était  que  la  lutte  maritime  était  déjà  engagée,  et  si 
Marie-Thérèse  avait  été  si  ardente  à  signer  le  traité,  c^était  en 
vue  de  la  guerre  continentale  qu'elle  prévoyait.  Les  obligations 
particulières  des  contractants  étaient  non-seulement  de  nature 
diverse,  mais  de  valeur  différente.  La  France  était  chargée  d'une 
guerre  ouverte,  d'une  guerre  défensive  où  l'Autriche  ne  pouvait 
lui  être  de  nul  secours,  et  l'Autriche  allait  s'engager  dans  une 
guerre  continentale  oii  l'appui  de  la  France  lui  était  nécessaire. 
Si  ralliance  autrichienne  avait  été  indispensable  au  début,  parce 
qu'elle  détournait  des  frontières  l'effort  de  la  Prusse,  et  surtoat 
parce  qu'elle  brisait  une  coalition  possible  entre  Frédéric, 
Georges  et  Marie-Thérèse;  si  l'alliance  avait  eu  pour  résultat 
immédiat  de  résoudre  sans  coup  férir  la  question  italienne,  qui 
eût  pu  devenir  pour  l'Autriche  une  excellente  occasion  d'entrer 
en  lice  contre  la  France,  les  buts  de  l'alliance  étant  divers,  les 


NÉGOCIATIONS  AVEC  LA  COUR  DE  VIENNE.       415 

difficultés  devenaient  intenses  dès  qu'il  s'agissait  de  conclure  la 
paix  sans  que  ces  buts  eussent  été  atteints. 

Pour  la  France,  l'alliance  de  1756  avait  été  surtout  conserva- 
trice. Bernis  l'avait  compris  ainsi,  et  son  but  primitif  n'avait  été 
que  la  neutralisation  de  rAutriche»  Pour  l'Autriche,  l'alliance 
était  surtout  offensive,  et  le  but  était  la  conquête  de  la  Silésie  et 
l'abaissement  de  la  Prusse.  La  France,  dès  la  première  campa^e, 
avait  obtenu  de  l'Ang^leterre,  Qvàce  à  Talliance,  des  QSiQes  qui 
lui  permettaient  de  conclure  honorablement  la  paix;  mais  quels 
gages  avait  obtenus  la  cour  de  Vienne?  La  France,  après  Ross- 
bach,  pouvait  perdre  de  vue  les  avantages  subsidiaires  qu'elle 
devait  tirer  de  l'alliance;  mais  l'Autriche,  qui  n'avait  eu  en  vue 
qu'un  avantage  unique  et  qui  avait  échoué  jusque-là  dans  lés 
moyens  employés  pour  s'en  mettre  en  possession,  pouvait-elle 
abandonner  la  partie  avec  la  même  facilité? 

Donc  c'était  à  Vienne  qu'il  fallait  tout  d'abord  obtenir  que 
l'Lnpératrice,  lasse  des  défaites  subies,  consentit  à  abandonner 
l'idée  de  reconquérir  les  territoires  que  lui  avait  arrachés  la  paix 
d'Aix-la-Chapelle. 

Rassurée  de  ce  côté,  la  Prusse,  épuisée  par  les  défaites  qu'elle 
avait  subies,  menacée,  d'ailleurs,  par  les  armées  russes  et  autri- 
chiennes, devait  accepter  avec  joie  une  paix  qui  pouvait  sembler 
inespérée  et  qui  n'avait,  d'ailleurs,  rien  que  d'honorable.  L'An- 
gleterre, abandonnée  à  elle-même,  se  trouverait  aux  prises  avec 
les  forces  vives  que  la  cessation  de  la  guerre  de  terre  rendrait 
disponibles.  Elle  aurait  à  craindre  une  invasion;  son  roi  serait 
personnellement  atteint  dans  ses  biens  et  ses  possessions  de 
l'électorat.  La  paix  avec  l'Angleterre  découlerait  nécessaire- 
ment de  la  paix  avec  la  Prusse. 

Mais  encore  fallait-il  que  ce  plan  eût  l'approbation  de  la  cour 
de  Vienne.  Les  dangers  qui  existaient  en  1755  pouvaient  se 
réveiller  en  1758.  Qui  assurait  la  France  contre  un  changement 
d'objectif  de  la  part  de  l'Impératrice?  Qui  garantissait  que  les 
alliés  de  la  veille,  coalisés  avec  les  adversaires  du  jour  présent, 
ne  seraient  point  les  ennemis  du  lendemain?  Si  l'on  renonçait 
ainsi  et  brusquement  .à  l'alliance,  quels  avantages  en  aurait 
tirés  la  cour  de  Vienne,  en  échange  de  ceux  qu'y  avait  trouvés 
la  cour  de  Versailles? 

Il   fallait  donc  ou  que  les  nouveaux  désastres  subis  par  les 


416  APPENDICES. 

années  de  rimpératrice  afiaiblissent  à  ce  point  son  coorB(* 
qu'elle  se  résignât  à  abandonner  le  rêve  qu'elle  poursuivait  de 
pais  Aix-la-Chapelle,  ou  que  Talliance  lui  tint  tellement  à  coea 
qu^elle  ùi  passer  son  amitié  pour  Louis  XV  avant  sa  politique 
Pour  elle,  en  effet,  rien  ne  VenQaQesLit  à  cesser  la  guerre;  toul 
i  la  continuer.  Si  l'alliance  avait  été  par  son  début  et  pars 
cooclosion  même  utile  à  la  France,  c'était  par  son  dévelop 
peinent  seulement  qu'elle  pouvait  servir  TAutriche.  Marie-TU 
lèse  avait  le  droit  de  trouver  qu'on  lui  avait  fait  légèrement  sa 
crîEer  le  sang  de  ses  sujets,  et  n'était  point  de  celles  qui  i 
contentent  de  rêves  platoniques  d'avenir.  Que  la  paix  fût  util 
à  la  France,  elle  ne  le  contestait  point.  Que  la  guerre  fia 
onéreuse  à  la  France,  elle  en  convenait;  mais  ce  qu'elle  affii 
mait  avant  tout,  c'est  que  la  (pjerre  était  utile  à  l'Autriche,  e 
qu'dle  entendait  la  continuer. 

Cest  cette  luUe  entre  l'influence  française  et  Tinfluence  autri 
chienne,  entre  les  deux  cours,  entre  Bernis  et  Kaunitz,  qnï 
confient  de  mettre  en  son  jour.  Bernis,  après  Rossbach,  veotii 
paix  à  tout  prix.  Ce  n'est  que  jour  par  jour,  heure  par  heoie, 
que  la  cour  de  Vienne  parvient  à  lui  arracher  la  continuatioa 
àe  la  campagne.  Celle-ci  est  bien  la  dernière  qu'il  entend  faire, 
et  elle  n^est  pour  lui  qu'un  moyen  de  préparer  les  voies  d'aoe 
né^vùtîon. 

IV*  le  14  janvier^  Bernis,  dans  plusieurs  dépêches  adressées  i 
M.  Je  Oboisenl  ',  insiste  sur  la  nécessité  de  la  cessation  des  hosti- 
lite».  Il  a  encore  quelque  espoir  du  côté  du  maréchal  de  Ridl^ 
lîeu«  et  tait  euti^r  dans  ses  prévisions  au  moins  une  neutralisi- 
tioo  des  pays  de  Hanovre,  de  Hesse  et  de  Brunswick,  qui 
dè»uiên»i&ierait  TAn^j^leterre  de  ce  côté  et  ouvrirait  la  porleàone 
nê^^viitîou.  Mais  dt^  maintenant  il  demande  que  rAutridif 
adn^ss«e  i  la  diète  de  TEmpire  une  déclaration  u  portant  en  sab- 
stince  que  u'arani  pris  les  armes  que  pour  secourir  rempire 
nietvKV  et  deux  de  ses  principaux  membres  opprimés,  les  coon 
n»|xviivo:>  ne  prétendent  continuer  la  guerre  que  pour  fofftr 
l\;Tesî?<^ur  à  restituer  des  conquêtes  injustes  et  à  réparer,  d'une 
ttuntèffx^  t\]uitable,  les  donimajjes  qu'il  a  causés  ».  C'est  prendre 
p<Hir  Ka5<'  d'jotion  le  statu  quo  ante  belium, 

*  r,si.  u  cvsrmvHJuc  du  rrcii,  on  nous  permettra  d'appeler  ainsi  de»  à  pwnrt 


NEGOCIATIONS   AVEC    LA   COUR   DE   VIENNE.       417 

Pour  que  Demis  eût  quelque  chance  que  l'Impératrice  acceptât 
son  projet,  il  fallait  que  la  France  fit  militairement  preuve  de 
bonne  volonté.  Elle  avait  tout  à  g;a^er  à  pousser  cette  seconde 
campa(][ne  avec  activité;  car,  si  elle  ne  réussissait  point  vis-à-vis 
de  Tennemi,  elle  montrait  au  moins  à  Marie-Thérèse  une  hono- 
rable sincérité. 

D'ailleurs,  un  armistice  ne  pouvait  être  conclu  dès  le  début 
de  cette  seconde  campagne,  mais  le  ministre  rêvait  de  n'em- 
ployer (juère  en  Alleniag;ne  que  des  troupes  allemandes  ousuisses, 
pendant  que  les  troupes  françaises  réunies  sur  les  côtes  mena, 
ceraient  l'Angfleterre.  Enfin,  les  bases  que  Bernis  voulait  propo- 
ser avaient  à  ce  moment  quelques  chances  d'être  acceptées  par 
le  roi  de  Prusse,  du  moins  une  lettre  du  prince  Henri  pouvait  le 
faire  supposer;  peut-être,  n'était-ce  aussi  pour  Frédéric  qu'un 
moyen  de  presser  une  nég;ociation  qu'il  avait  eng;ag^ée  avec  la 
cour  de  Londres,  et  qui,  le  25  janvier,  aboutissait  au  traité  de 
Breslau . 

La  cour  de  Vienne,  loin  d'accepter  les  insinuations  que  M.  de 
Slainville  était  chargé  de  faire,  rejeta  toute  idée  de  paix.  Le 
Roi  donna  au  comte  de  Clermont  le  commandement  de  l'armée 
que  M.  de  Richelieu  avait  immobilisée,  corrompue  et  presque 
'dispersée,  et  prescrivit  à  son  cousin  de  mener  vivement  la  cam- 
pagne. 

C'était  là  une  des  parties  essentielles  du  plan  que  Bernis  avait 
conçu  :  le  Hanovre  était  compromis,  mais  non  perdu  ;  le  comte 
de  Clermont  pouvait  encore  le  sauver.  Or,  par  le  Hanovre, 
Bernis  comptait  obtenir  soit  de  l'Angleterre,  soit  de  la  Prusse, 
des  conditions  favorables  ;  par  le  Hanovre  il  agissait  sur  la  cour 
de  Copenhague,  et  la  contraignait  sinon  à  joindre  son  armée  à 
l'armée  française,  du  moins  à  prêter  au  Roi  ses  bons  offices. 
Pour  les  intermédiaires  à  employer  plus  tard,  il  n'en  manquait 
pas;  outre  le  Danemark,  il  entretenait  en  Hollande,  depuis 
le  19  février,  une  négociation  ^ui,  passant  par  M.  Torke,  am- 
bassadeur d'Angleterre,  était  favorisée  par  la  gouvernante,  fille 
de  Georges  II;  on  n'était  point  embarrassé  pour  offrir  quelque 
jour  la  médiation  à  l'Espagne,  et  l'on  n'avait  point  à  craindre 
que  ces  ouvertures,  habilement  faites,  fussent  repoussées.  Toutes 
ces  combinaisons  étaient  subordonnées  aux  opérations  militai- 
res. La  retraite  du  comte  de  Clermont  derrière  le  Wcser,  la  prise 
II.  17 


418  APPENDICES. 

de  Minden  (8  mars),  la  suite  d'incalculables  fautes  qui,  après 
avoir  achevé  la  dislocation  de  Tarmée,  amenèrent  la  défaite  de 
Grevelt,  compromirent  tout  plan  de  lutte  ou  même  de  résis- 
tance. Ce  n'était  plus  les  conquêtes  qu'il  s'ag[issaît  de  défendre, 
c'était  le  territoire  niéme  de  la  France  qui  était  menacé. 

Aussi,  à  partir  du  17  mars,  Bernis  s*attaque  résolument  à 
Raunitz  lui-même  et  n'hésite  pas  à  déclarer  que  son  but  unique 
est  désormais  la  paix.  Les  revers  essuyés  à  Lissa  par  l'armée  au- 
trichienne, la  prise  de  Breslau  et  la  retraite  de  l'armée  impé- 
riale en  Bohême  donnent  aux  aro^uments  tirés  de  la  situation 
militaire  une  portée  particulière.  Le  7  [avril ,  revenant  sur  ce 
triste  sujet,  le  ministre  adresse  au  comte  de  Stainville  une  longue 
dépêche,  où,  après  avoir  exposé  la  triste  position  où  se  trouve 
le  Roi,  il  en  arrive  aux  conclusions  suivantes  : 

u  On  ne  peut  demander  aux  hommes  ni  aux  princes  que  ce 
qui  est  possible.  Nous  ferons  nos  derniers  efforts  ;  mais,  à  nioias 
que  des  succès  inattendus  ne  nous  procurent.de  nouvelles  res- 
sources, je  tromperois  le  Roi  et  l'Impératrice  si  je  les  flattois  de 
l'espérance  de  pouvoir  soutenir  la  (j^uerre,  comme  elle  se  fait, 
passé  cette  campa(]fne. 

u  Ainsi,  Monsieur,  vous  devez  vous  occuper  sérieusement  do 
projet  de  faire  la  paix  et  vous  servir  de  toutes  les  ressources  de 
votre  esprit  pour  en  démontrer  la  nécessité  à  la  cour  de  Vienne 
et  pour  l'amener  insensiblement  jusqu'à  la  désirer.  Je  suis  bien 
fâché  qu'on  ait  manqué  le  moment  que  j'avois  indiqué;  nous  se- 
rions convenus  bien  aisément  avec  les  rois  de  Prusse  et  d'Angle- 
terre d'une  trêve  et  d'un  congrès.  L'évacuation  d'Hanover  se 
seroit  faite  sans  perdre  un  seul  homme,  et,  dans  le  cas  où  la 
trêve  auroit  été  rompue,  nous  aurions  eu  au  moins  une  armée 
complète  et  toute  prête  à  entrer  en  campagne. 

u  Je  ne  me  consolerai  jamais  de  la  perte  d'une  occasion  si  es- 
sentielle, et  je  crains  que  nos  alliés  ne  rendent  trop  tard  justice 
à  la  solidité  des  vues  et  des  motifs  qui  avoient  décidé  mon  opi- 
nion à  cet  égard. 

«  Aujourd'hui,  nous  ne  devons  plus  faire  la  guerre  pour  notre 
agrandissement,  parce  que  nous  ne  pourrions  parvenir  à  ce  but 
que  par  une  guerre  longue,  que  nous  ne  sommes  pas  en  état  de 
soutenir.  Cette  campagne  doit  donc  être  consacrée  à  la  seule  vue 
de  faire  la  paix  à  des  conditions  raisonnables.  Notre  position  po- 


NÉGOCIATIONS   AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.      419 

litique  sera  toujours  bien  importante  quand  toutes  les  parties  qui 
composent  l'union  actuelle  resteront  liées  ensemble,  et  le  roi  de 
Prusse  ne  se  hasardera  pas  à  recommencer  la  guerre  contre  tant 
de  puissances  qui  auront  profité  de  leurs  fautes  pour  mieux  se 
conduire  à  Tavenir.  Le  Roi  et  son  conseil,  Monsieur,  pensent 
donc  qu'il  f^ut  tout  sacrifier  pour  maintenir  l'alliance,  mais 
qu'il  ne  Faut  pas  risquer  de  tout  perdre  pour  courir  vainement, 
d'un  côté,  après  la  Silésie,  et  de  l'autre,  après  les  Pays-Bas. 
C'est  sur  ces  principes  fixes  et  non  sur  des  espérances  vagues  de 
quelques  succès  [militaires  que  vous  devez  diriger  désormais. 
Monsieur,  votre  conduite.  Le  Roi  laisse  à  votre  prudence  de 
choisir  les  moyens  que  vous  croirez  les  plus  propres  pour  arri- 
ver à  ce  but.  Vous  connaissez  assez  aujourd'hui  ce  qui  blesse  la 
cour  de  Vienne,  ou  ce  qui  la  flatte,  ce  qui  l'inquiète,  ou  ce  qui  la 
rassure,  pour  l'amener  insensiblement  à  un  système  raisonnable 
que  le  défaut  de  nos  ressources  pécuniaires  rend  désormais  si 
nécessaire.  M.  le  comte  de  Kaunitz  ne  sera  pas  moins  un  grand 
ministre  pour  avoir  combiné  avec  tant  de  sagesse  le  système 
actuel  et  pensé  que  cinq  cent  mille  hommes  et  les  plus  grandes 
puissances  de  l'Europe  réunies  dévoient  donner  la  loi  au  roi 
de  Prusse. 

a  Le  cabinet  n'a  aucune  fauteà  se  reprocher;  c'cs^le  militaire 
qui  a  tout  perdu,  par  la  raison  que,  de  part  et  d'autre^  personne 
n'a  su  faire  la  guerre  que  le  roi  de  Prusse,  contre  qui  on  la 
faisoit.  Mais  si,  par  une  obstination  outrée,  M.  de  Kaunitz 
s'acharnoit  à  continuer  la  guerre  sans  avoir  les  moyens  de  le 
soutenir...  alors  il  deviendroit  l'horreur  des  Autrichiens  et  de 
l'Allemagne,  et  perdroit  la  considération  qu'il  s'est  acquise  en 
Europe,  ainsi  que  la  réputation  d'homme  sage  et  éclairé. 

<( La  Russie,   qui  fait  la  guerre  avec  nous, 

manque  d'argent;  l'Impératrice  en  manque  de  son  côté;  les  Sué- 
dois n'ont  pas  même  de  ressources  pour  en  trouver  ;  tous  les 
princes  de  l'Empire  de  notre  parti  demandent  perpétuellement 
l'aumône,  et  la  France,  qui  doit  faire  face  à  toutes  ces  dépen- 
ses, sera  bientôt  hors  d'état  d'y  fournir.  La  conclusion  à  tirer  de 
ces  faits  incontestables,  c'est  de  travailler  à  la  paix  au  plus  tôt;... 
cette  môme  paix  sera  solide,  si  la  triple  alliance  ne  souffre  point 
d^atteinte. 

u  Au  reste,  Monsieur,  vous  êtes  bien  foit  pour  vous  mettre 

t7. 


4Î0  APPENDICES. 

au-dessus  des  propos  qu'on  peut  tenir  à  Vienne  contre  la  nation. 
J'ai  toujours  méprisé,  de  mon  côté,  les  discours  peu  mesurés 
qu'on  n'a  cessé  de  tenir  ici  contre  les  Autrichiens  et  contre  notre 
alliance.  Mais  j'ima(]fine  cependant  que  ce  n'est  pas  à  Vienne 
où  nous  devrions  recevoir  des  reproches  dans  nos  malheurs. 

a  Les  revers  qu'a  essuyés  l'Impératrice  ne  lui  ont  attiré  de 
notre  part  que  des  secours  et  des  consolations,  et  cependant, 
s'il  étoit  question  de  comparer  les  fautes  commises  de  part  et 
d'autre,  nous  aurions  à  opposer  à  toutes  les  nôtres  celle  d'avoir 
porté  la  ^erre  en  Silésie  lorsque  nous  marchions  sur  TEIbe.  La 
perte  de  la  bataille  de  Lissa  et  la  prise  de  Breslau  peuvent  s'op 
poser  aisément  à  la  journée  de  Rossbach  et  à  notre  retraite; 
mais  il  seroit  honteux,  indécent  et  inhumain  d'entrer  dans  cette 
désagréable  discussion. 

a  Vous  pouvez  donc  assurer  l'Impératrice,  Monsieur,  que  le 
Roi  persistera,  toute  sa  vie,  dans  l'alliance  qu'il  a  contractée  par 

goût  autant  que  par  politique; que  les  secours 

qu'il  promet  à  cette  princesse  doivent  lui  être  d'autant  plus 
chers  qu'ils  seront  désormais  gratuits,  et  que  nous  n'avons  nulle 
espérance  d*obtenir  les  avantages  physiques  que  nous  nous  étions 
promis  ;  mais  que  Sa  Majesté  met  bien  au-dessus  de  tout  agran- 
dissement la  sûreté  qu'elle  espère  trouver  dans  son  alliance  et 
la  considération  qui  en  résultera  nécessairement  pour  l'une  et 
l'autre  puissance,  dès  que  ce  système  sera  bien  affermi. 

tt  Le  bonheur  général  peut  en  dépendra*.  » 

Quelque  désir  qu'eût  la  cour  de  Vienne  de  continuer  la 
guerre,  les  arguments  du  ministre,  joints  aux  désastres  qu'éprou- 
vait l'armée  autrichienne,  produisirent  l'impression  que  Bemis 
en  attendait,  et,  le  20  avril,  M.  de  Stainville  pouvait  expédiera 
Versailles  une  dépêche  dans  laquelle  il  donnait  l'acquiescemeot 
du  cabinet  impérial  : 

« Je  n'ai  trouvé  dans  M.  le  comte  de  Kaunitz, 

écrivait-il,  aucune  répugnance  d'entrer  dans  les  vues  du  Roi,  si 

Sa  Majesté  croyoit  que  la  paix  fût  nécessaire Il  m'a  assoie 

positivement  qu'il  appuieroit    dans  le  conseil  de  l'Impératrioe 
les  intentions  du  conseil  du  Roi,  et  qu'il  ne   représentoit  que 

'  Publiée  en  partie  par  Filon  ,  V Ambassade  de  Choiseulà  Vienne^  p.  124. 


NEGOCIATIONS  AVEC   LA    COUR   DE   VIENNE.      421 

deux  choses  :  la  première,  qu'il  ne  fût  fait  aucune  démarche 
sur  la  paix  sans  que  préalablement  le  Roi  voulût  bien  la  com- 
muniquer à  l'Impératrice;  la  secotide,  que  les  deux  cours  évi- 
assent  d'entrer  en   négociation    sur  la  paix  avant  d*en  avoir 

prévenu  la  cour  de  Russie , 

M.  de  Kaunitz  s*est  chargé  de  prévenir  l'Empereur 

et  l'Impératrice  des  réflexions  que  je  leur  p^ésenterois  sur  leur 
situation  actuelle,  et  il  m'a  paru  avoir  réussi  à  faire  sentir  à  Leurs 
Majestés  Impériales  la  déférence,  même  pour  leur  bien,  que 
l'Impératrice  devoit  avoir  aux  conseils  du  Roi. 

«  L'Empereur  m'adit  : Quelque  paix  que  nous  fassions, 

nous  aurons  gagné  un  grand  avantage  par  cette  guerre,  puisque 
nous  sommes  sûrs  de  rester  unis  avec  la  France;  il  n'est  pas 
possible  que  cette  union  soit  toujours  malheureuse 

u  L'audience  de  l'Impératrice  fut  un  peu  plus  vive  sur  le  cha- 
pitre de  la  paix;  cette  princesse  me  dit  qu'elle  désiroit  bien  de 
^ut  son  cœur  que  nous  pussions  faire  la  paix  avec  l'Angleterre 
et  l'électeur  de  Hanovre,  mais  qu'elle  ne  pouvoit  pas  me  cacher 
sa  répugnance  de  Biire  la  paix  avec  le  roi  de  Prusse;  qu'elle 
alloit  retomber  dans  l'état  violent  crû  elle  étoit  avant  la  guerre.  .  .  . 
•  •  .  .  .  mais  que  comme  elle  avoît  toujours  eu  pour  principe, 
en  s'alliant  avec  le  Roi,  de  n'avoir  d'autres  sentiments  que  ceux 
desla.  convenance  de  Sa  Majesté,  elle  prendroit  le  parti  de  se 
soumettre  au  Roi  plutôt  que  de  contrarier  les  plans  que  le  Roi 
croyoit  indispensables  à  l'utilité  de  son  royaume;  que  pour  elle, 
si  elle  étoit  sa  maîtresse,  elle  se  défendroit  au  dernier  village  de 
sa  domination,  avec  son  dernier  bataillon,  en  personne.  L'Impé- 
ratrice m'a  même  dit,  à  cette  occasion,  qu'elle  espéroit  que  je  la 
suivrois.  —  La  puissance  n'est  rien,  a  ajouté  cette  princesse, 
quand  elle  est  mêlée  d'autant  d'inquiétudes  que  celles  que  j'é- 
prouve; aussi,  la  paix  une  fois  faite,  je  ne  Veux  plus,  dit  l'Im- 
pératrice, entendre  parler  de  guerre  le  reste  de  mon  règne.  » 

Entre  temps  et  avant  que  ces  nouvelles  favorables  lui  soient 
parvenues,  Bernîs  n'a  pas  manqué  de  réchauffer  le  zèle  de  l'am- 
bassadeur. Le  16  avril,  il  lui  écrit  : 

« Rien  ne  seroit  plus  insensé  que  de  ris- 
quer son   existence   pour  courir  après  un  but  auquel  on  ne 


4ÎÎ  APPENDICES. 

pourra  atteindre  que  dans  d'autres  circonstances,  avec  une  plus 
grande  unité  dans  les  mesures  et  dans  les  opérations.  En  atten- 
dant, le  grand  point  et  le  seul  essentiel  aujourd'hui  est  que  l'al- 
liance se  conserve.  Elle  présentera  toujours  un  front  respectable 
au  roi  de  Prusse,  et,  en  se  conduisant  bien  en  paix,  on  rétablira 
peu  à  peu  la  considération  qu'on  a  perdue  pendant  la  guerre. 

u  Nous  sommes  étonnés  du  courage  ou  de  l'indolence  de  la 
cour  de  Vienne.  Nous  lui  avons  parlé  le  langage  le  plus  clair. 
Elle  voit  comme  nous  notre  état.  Peut-elle  se  dissimuler  sa 
propre  faiblesse?  Dans  cette  position,  ce  n'est  pas  le  sort  des 
armes  qu'il  faudroit  tenter;  il  seroit  bien  plus  expédient  de 
parler  net  au  roi  de  Prusse  pour  la  restitution  de  la  Saxe  et  du 
Mecklembourg,  et  lui  laisser  la  Silésie;  la  paix  seroit  bientôt 
faite;,  mais  si  l'on  attend  qu'il  gagne  encore  trois  ou  quatre  ba- 
tailles, on  le  rendra  le  maître  de  l'empire  et  le  despote  de  l'Europe. 

« Ce  tableau,  qui  n'est  pas  chargé,  ne  doit 

effrayer  un  homme  d'État  qu'autant  qu'on  ne  prendra  pas  les 
mesures  convenables  pour  éviter  les  malheurs  qu'il  présente.  Il 
n'y  a  point  d'autre  ressource  assurée  que  la  paix  :  1*  parce  que 
nous  ne  sommes  pas  en  état  de  soutenir  nos  dépenses  plus  d'un 
an;  2*  parce  que  ni  nous,  ni  nos  alliés,  ne  savons  pas  faire  la 
guerre. 

«Je  trahirois  le  Roi,  l'État  et  nos  alliés,  si  je  vous  parlois  un 
langage  plus  obscur  et  plus  incertain.  Sou  venez- vous.  Mon- 
sieur, que  le  Roi  n'est  qu'auxiliaire  dans  cette  guerre,  et  que 
s'il  convenoit  à  la  cour  de  Vienne  que  nous  fissions  les  pre- 
miers pas,  nous  pourrions  le  faire  sans  honte  et  sans  indécence. 
Je  ne  touche  cette  corde,  qui  est  délicate,  que  pourôter  l'embar- 
ras où  vous  pourriez  être,  si  Ton  vous  en  faisoit  à  Vienne  la 
proposition.  Dans  ce  cas,  il  n'y  auroit  autre  chose  à  répondre 
que,  si  on  l'exige  de  nous,  nous  serons  toujours  prêts  à^donner  à 
l'Impératrice-Reine  toutes  les  marques  d'amitié,  même  celles  qui 
nous  coûteroient  davantage.  » 

Le  27  avril,  Bernis  avait  reçu  la  dépêche  de  Choiseul,  et  il  se 
hâtait  d'en  accuser  réception  et  d'en  témoigner  sa  joie.  Il  écrivait 
à  l'ambassadeur  de  France  : 

M Nous   vous  communiquerons  dans   le   plus 


NEGOCIATIONS   AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.      423 

d^rand  détail  ce  que  nous  pensons  sur  la  manière  d'obtenir  et  de 
rétablir  la  paix;  le  peu  de  chose  que  nous  avons  jeté  en  avant 
pour  parvenir  à  une  paix  séparée  avec  l'Angleterre  sera  de  même 
confié,  en  détail,  à  M.  le  comte  de  Kaunitz  avec  lequel  nous 
n'aurons  jamais  rien  de  caché. 

u  Dès  que  l'Impératrice  consent  à  s'occuper  de  la  paix,  il  ne 
faut  plus  songer  qu'à  la  rendre  possible  en  prenant  toutes  les 
mesures  pour  conserver  les  avantages  qui  restent  encore  entre 
les  mains  de  nos  alliés  et  pour  les  augmenter,  si  c*est  possible.  » 

Mais,  dès  le  1*  mai,  Starbemberg  avait  été  chargé  de  témoi- 
gner que  la  réponse  de  l'Impératrice,  transmise  par  Clioiseul, 
n'était  que  préparatoire,  et  Bernis  retombait  dans  ses  anxiétés  au 
sujet  de  la  question  d'argent  et  de  la  question  militaire.  L'opi- 
nion publique  commençait  aussi  à  l'inquiéter.  Il  se  rendait 
compte  que  la  guerre  était  impopulaire  :  «  On  est  persuadé  en 
général,  dans  le  public,  écrivait-il,  que,  si  nous  le  voulions,  la 
paix  seroit  bientôt  faite  avec  le  roi  de  Prusse,  quoique,  en  effet, 
cette  paix  aujourd'hui  doive  dépendre  nécessairement  des  événe- 
ments de  la  campagne  qui  ne  sauroient  être  heureux,  n 

Enfin  arrivait  la  réponse  de  la  cour  de  Vienne  datée  du 
29  avril  (reçue  à  Versailles  vers  le  9  mai,  jointe  à  une  dépêche 
de  Stainville  en  date  du  30),  et  cette  réponse,  contenue  dans  un 
mémoire  du  comte  de  Kaunitz,  était  loin  d'être  aussi  catégorique 
que  celle  qu'avait  reçue  verbalement  l'ambassadeur  de  France. 
Après  s'être  longuement  étendu  sur  des  points  secondaires  qui 
avaient  été  compris  dans  la  même  communication,  le  ministre 

impérial  ajoutait  :  « L'af&iblissement  du  roi   de 

Prusse  est  l'objet  le  plus  important  de  cette  guerre  ;  les  événements 
de  cette  campagne  peuvent  seuls  procurer  des  conditions  de  paix 
dans  le  continent,  que  Ton  ne  sauroit  se  flatter  d'obtenir  actuel- 
lement  Ce  n'est  guère  aussi  que  par  des  succès  dans 

la  guerre  de  terre  que  la  France  peut  sortir  heureusement  et  ho- 
norablement de  celle  de  mer,  et  ainsi  il  seroit  bien  douloureux 
de  devoir  sacrifier  des  espérances  probables,  ou  au  moins  possi- 
bles, par  une  paix  précipitée  qui  forceroit  l'Impératrice  et  la 
France,  après  s'être  épuisées,  à  rester,  même  après,  puissamment 
armées  et,  pour  ainsi  dire,  dans  un  état  de  guerre  continuel, 
parce  que  le  roi  de  Prusse,  conservant  le  même  degré  de  pais- 


4S4  APPENDICES. 

sance,  les  y  oblig^eroit  et  les  délruiroit  moyennant  cela  insensi- 
blement même  au  milieu  de  la  paix. 

a  L'Impératrice  ne  peut  point  dissimuler  par  conséquent  que 
ce  ne  soit  avec  la  plus  g^rande  peine  qu'elle  apprend  la  dore 
nécessité  que  lui  annonce  Sa  Majesté  Très-Chrétienne  de  devoir 
songer  dès  à  présent  à  la  paix.  Quoi  qu'il  en  soit  cependant, 
comme  elle  est  incapable  de  ne  pas  entrer  dans  la  situation  de 
ses  alliés,  elle  donnera  les  mains,  s'il  le  faut,  à  une  paix  con- 
forme aux  circonstances,  juste  et  raisonnable;  mais  comme  ce 
sont  naturellement  les  conditions  qui  doivent  en  décider,  que 
Sa  Majesté,  comptant  absolument  sur  la  parole  du  Roi,  est  per- 
suadée que  non-seulement  il  est  incapable  de  traiter  rien  sépa- 
rément, mais  qu*au  contraire,  avant  de  faire  aucune  démarche, 
il  voudra  bien  lui  communiquer,  sans  réserve,  ses  idées  sur  oe 
grand  objet,  elle  se  le  promet  de  son  amitié  pour  elle,  et  le  prie 
de  vouloir  bien  char(j;er  M.  l'abbé  de  Bernis  du  soin  de  coucher 
le  plan  de  pacification,  personne  n'étant  plus  en  état  de  savoir 
la  totalité  des  affaires  (j^énérales,  et  par  conséquent  plus  capable 
que  lui  de  cet  important  ouvrage n 

C'était  rappeler  de  la  façon  la  plus  nette  au  Roi  la  parole 
donnée;  c'était,  au  cas  où  la  France  persévérerait  dans  sa  résolu- 
tion, se  ménagerquelques  mois  pour né(jocier,  approuver  ou  dés- 
approuver le  plan  de  négociation  qu'on  cbarg^eait  Bernis  de  ré- 
diger ;  c'était  gagner  du  temps,  ce  qui  était  le  gros  point.  En 
môme  temps,  Kaunitz  ne  négligeait  rien  pour  piquer  l'amour- 
propre  français,  au  besoin  se  montrait  presque  insolent  vis- 
à-vis  de  l'ambassadeur,  et  reprochait  directement  au  représen- 
tant du  Roi  l'inaction  des  troupes  françaises. 

Le  mémoire  de  la  cour  de  Vienne  avait  porté  à  Bernis  un 
coup  sensible.  11  trouvait  une  mauvaise  foi  évidente  dans  les  ré- 
criminations de  Kaunitz,  et  avant  de  répondre  officiellement  â 
la  chancellerie  impériale,  il  ne  pouvait  se  retenir  d'envoyer  le 
12  mari  à  Choiseul  les  observations  suivantes  : 

«  Sa  Majesté,  occupée  d'une  guerre  très-dispendieuse  et  dont 
l'objet  est  si  important  qu'il  ne  s'agit  de  rien  moins  que  de  la 
conservation  de  ses  colonies  et  du  commerce  de  ses  sujets,  n*a 
néanmoins  ménagé  ni  ses  troupes  ni  ses  trésors  pour  donnera 
rimpératrice-Reine  les   secours  les  plus   efficaces   et  les  plus 


NEGOCIATIONS  AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.       4Î5 

prompts,  et  îndépendainment  des  cent  cinquante  mille  hommes 
qu'elle  a  entretenus  en  Allemagne  pendant  toute  la  dernière  cam- 
paQnCj  la  seule  partie  des  subsides  a  fourni  un  objet  de  cinquante 
millions.  Rien  n'étoît  plus  largement  combiné  que  ce  projet;  des 
préparatifs  et  des  secours  aussi  immenses  devaient  naturellement 
obliger  le  roi  de  Prusse  à  mettre  bas  les  armes,  la  guerre  se  trou- 
voît  finie  en  une  seule  campagne,  et  Sa  Majesté  ayant  satisfait  à  ce 
que  pouvoient  exiger  d'elle  les  traités  avec  l'Impératrice-Reine  et 
l'Empire,  ayant  délivré  de  l'oppression  la  partie  de  l'Allemagne 
qui  en  étoit  menacée,  n'avoit  plus  qu'à  s'occuper  des  moyens  de 
tirer  une  satisfaction  éclatante  de  la  perfidie  et  des  insultes  des 
Anglois.  Mais  ce  n'est  pas  la  première  fois  que  les  plans  les 
mieux  faits  ont  échoué  dans  l'exécution.  Sa  Majesté,  affermie 
contre  les  revers,  conserve  la  même  fidélité  pour  ses  alliés,  la 
même  volonté,  et  n'épargnera  aucun  des  moyens  d'en  donner 
des  preuves;  mais  ces  moyens  ne  sont  pas  indéfinis,  et  l'immen- 
sité de  ceux  qui  ont  été  employés  infructueusement  l'année  der- 
nière ne  permettent  plus  les  mêmes  ressources  pour  celle-ci...  n 

Le  24  mai,  Demis  insistait  encore  pour  faire  prévaloir  ses 
idées  de  paix,  sinon  immédiatement,  du  moins  à  la  fin  de  la  cam- 
pagne, et  espérait  que  la  cour  de  Vienne  se  contenterait  de  l'es- 
pérance d'une  reprise  ultérieure  de  la  lutte.  Le  ministre  se 
trompait  :  le  même  jour ,  24  mai ,  Choiseul  lui  écrivait  de 
Vienne  pour  lui  faire  part  d'une  conversation  qu'il  avait  eue 
avec  l'Impératrice  et  des  inquiétudes  que  pouvait  faire  concevoir 
l'attitude  actuelle  de  la  Prusse  et  de  l'Angleterre  : 

ti Les  ministres  d'Angleterre  et   de  Prusse 

annoncent,  dans  chaque  cour  où  ils  résident,  un  projet  de  leurs 
maîtres  qui  tend  à  obliger  l'Impératrice  à  faire  la  paix  avec  le 
roi  de  Prusse,  et  que  Sa  Majesté  Prussienne,  après  cette  paix, 
rassemblera  toutes  les  forces  de  l'Empire  à  agir  contre  la  France. 
L'Impératrice  m'a  dit  qu'en  conséquence  de  ces  insinuations, 
faites  par  nos  ennemis,  le  roi  de  Prusse  avoit  dit  à  chaque  offi- 
cier prisonnier  autrichien  qu'il  a  vu  depuis  un  mois,  lorsqu'il 
les  a  envoyés  sur  leur  parole  à  Vienne,  qu'il  désiroit  sincèrement 
de  faire  la  paix  avec  l'Impératrice,  et  que  si  elle  vouloit  y  con- 
sentir, non-seulement  il  ne  demanderoit  rien  pour  lui  des  États 
de  Sa  Majesté  Impériale,  mais  même  qu'il  se  pourroit  faire  des 


426  APPENDICES. 

arran(|[ements  ultérieurs  et  en   faveur  de  la  maison  d'Autrîdie 
qui  lui  conviendroient.  n 

Deux  jours  après,  une  nouvelle  dépêche  de  Stainville  montrait 
l'Autriche  passant  de  la  menace  aux  promesses,  et  donnait  le 
récit  d'une  long^ue  conversation  entre  l'ambassadeur  du  Roi  et  le 
ministre  de  l'Impératrice.  Après  avoir,  suivant  son  usa^e,  récri- 
miné au  sujet  des  lenteurs  de  l'armée  française,  Kaunitz,  rou- 
gissant, avait  démasqué  une  dernière  batterie  :  u  Tenez,  mon- 
sieur l'ambassadeur,  avait-il  dit  à  Choiseul,  le  conseil  du  Roi  a 
établi  un  système  qui  va  nous  forcer  à  la  paix.  II  pense  que  Tac- 
quisition  des  Pays-Bas  n'étant  plus  vraisemblable,  il  est  inutile 
que  le  Roi  dépense  tant  de  millions  et  d'hommes  pour  accroître 
la  puissance  de  la  maison  d'Autriche  sans  nul  profit  pour  la 
France.  Mais  M.  le  comte  de  Bernis  n'a-t-il  pas  vu  dans  la 
lettre  ministérielle  que  je  lui  ai  écrite  que  si  tous  les  avantages 
du  traité  ne  pouvoicnt  pas  avoir  lieu,  etque  l'Impératrice  puisse 
se  rendre  maltresse  de  la  Silésie,  du  comté  de  Glatz,  et  affaiblir 
son  ennemi,  cette  princesse  étoit  disposée  à  prendre  avec  le  Roi 
de  nouveaux  arrangements  qui  pussent  convenir  à  Sa  Majesté 
et  à  l'adfrandissement  de  la  France?  Nous  demandons  que  l'on 
nous  parle  franchement;  nous  sentons  qu'il  est  vraisemblable 
que  le  Roi  ne  ruine  point  son  royaume  en  pure  perte;  mais 
nous  offrons  d'entrer  dans  toutes  les  vues  utiles  pour  la  France, 
que  le  conseil  du  Roi  voudra  adopter » 

Bernis  recevait  presque  en  même  temps  ces  deux  dépêches, 
l'une  presque  comminatoire,  l'autre  pleine  de  promesses.  Le 
contre-coup  s'en  faisait  sentir  dans  la  lettre  qu'il  écrivait  le 
6  juin  à  M.  de  Choiseul  : 

u  Nous  ne  doutons  pas  que  le  roi  de  Prusse  ne  mette  tout  en 
œuvre  pour  engager  ou  pour  forcer  l'Impératrice  à  faire  une 
paix  séparée  avec  lui;  mais  le  Roi,  qui  juge  les  sentiments  de 
cette  princesse  par  les  siens,  ne  la  croira  jamais  capable  de  cette 
trahison  ;  Sa  Majesté  a  la  même  opinion  de  la  façon  de  pense- 
des  ministres  de  Vienne.  Nous  avons  eu  beau  jeu,  si  nous  avions 
été  capables  de  nous  raccommoder  avec  le  roi  de  Prusse. 

u  La  cour  de  Vienne  n'a  pas  oublié  la  conduite  du  Roi  à  cet 
égard  pendant  toute  la  campagne  et  même  après  la  bataille  de 


NEGOCIATIONS   AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.       427 

Lissa;  ma  réponse  au  cardinal  deTeacinen  fait  foi.  Ainsi  nous 
n'attribuons  à  aucun  chang;ement  de  système  le  froid  et  la  ré- 
serve avec  lesquels  M.  le  comte  de  Kaunitz  s'est  entretenu  avec 
vous  en  dernier  lieu.  Le  conseil  du  Roi  n'a  imputé  ce  change- 
ment de  langage  qu'au  chagrin  du  ministre  impérial  sur  le  dé- 
faut de  payement  des  arrérages,  et  sur  la  fausse  opinion  où  il  est 
que  la  France  s'est  refroidie  sur  la  continuation  de  la  guerre, 
au  moment  où  elle  a  cessé  d'espérer  de  parvenir  à  son  but.  Vous 
pouvez  assurer  au  ministre  que  les  arrangements  des  Pays-Bas 
ont  bien  moins  influé  sur  la  décision  d'entrer  en  guerre,  que  la 
vue  du  danger  reconnu  de  laisser  le  roi  de  Prusse  devenir  l'ar- 
bitre de  l'Allemagne,  et  de  donner  par  ce  moyen  un  allié  for- 
midable à  l'Angleterre. 

tt  Ce  motif  puissant  a  décidé  nos  déterminations,  etc'estluiqui 
les  soutient  encore  et  les  soutiendra  toujours,  la  conservation  de 
notre  alliance  avec  la  cour  de  Vienne  étant  une  suite  de  ces 
mêmes  principes.  » 

Le  ministre  terminait  en  i*ecom mandant  à  l'ambassadeur  de 
tirer  néanmoins  du  comte  de  Kaunitz  quelques  éclaircissements 
au  sujet  des  avantages  que  la  cour  de  Vienne  pourrait  procurer 
à  la  France  dans  le  cas  où  la  totalité  du  projet  pourrait  réussir. 
Quant  à  l'opinion  publique,  il  croyait  devoir  se  défendre  d'y  at- 
tacher une  si  grande  importance  :  u  Paris  est  frondeur,  disait-il; 
on  y  adoroit  l'Impératrice  lorsque  le  Roi  lui  faisoit  la  guerre;  on 
y  admire  aujourd'hui  le  roi  de  Prusse  parce  qu'il  gagne  des 
batailles,  et  le  public  s'est  imaginé  en  France  que  nous  avions 
abandonné  l'objet  maritime,  qui  intéresse  si  essentiellement  la 
nation,  par  pure  complaisance  pour  la  cour  de  Vienne,  et  peut- 
être  par  les  motifs  frivoles  d*une  ambition  déplacée.  Cette  opi- 
nion publique  est  très-fâcheuse  en  ce  qu'elle  indispose  les  es- 
prits, et  ôte  la  volonté  d'aider  le  Roi  dans  une  guerre  qui  parolt 
contraire  à  nos  véritables  intérêts.  Mais  tous  ces  discours  n'ont 
aucune  influence  sur  le  système  de  Sa  Majesté,  et  je  ne  suis  pas 
assez  faible  pour  me  laisser  ébranler  par  de  semblables  opinions. 
La  seule  raison  qui  nous  ait  fait  songer  à  la  paix  est  la  crainte 
de  ne  pas  pouvoir  soutenir  la  guerre,  notre  commerce  étant  dé- 
truit, et  nos  principales  opérations  de  fin^ince  ayant  manqué 
en  plus  grande  partie,  n 


4Î8  APPENDICES. 

Il  ajoutait  que,  «  malgfré  la  force  de  toutes  ces  raisons,  le  Roi 
avo'it  décidé  dans  son  conseil  qu'il  falloit  prendre  les  résolutions 
les  plus  vigoureuses  et  les  moyens  les  plus  assurés  pour  conti- 
nuer la  g^uerre  tant  que  le  bien  de  l'alliance  et  la  dig^nité  des 
couronnes  pourroient  Texiçer  ».  Et  il  envoyait  à  Tambassadear 
le  mémoire  après  la  lecture  duquel  le  Roi  avait  pris  a  un  parti 
si  di(jne  de  lui  » . 

Dans  ce  mémoire  curieux  pour  les  idées  nouvelles  qu'il  ren- 
ferme et  que  l'avenir  a  justifiées,  Remis  exposait  nettement  la 
situation  de  la  France  au  point  de  vue  financier,  et  proposait  des 
remèdes  dont  les  plus  insuffisants  seulement  devaient  être 
adoptés  : 

•  A  Versailles,  le  4  juin  1758. 

M  Sire, 

tt  Votre  Majesté  n'ignore  pas  que ,  depuis  le  5  décembre  der- 
nier, tous  mes  vœux  et  tous  mes  soins  tendent  à  la  paix.  La 
mauvaise  conduite  du  militaire,  d'un  côté,  et  le  mauvais  état 
des  finances,  de  l'autre,  joint  à  l'esprit  empoisonné  qui  règne 
dans  le  public,  m'ont  paru  rendre  ce  parti  nécessaire.  Mais,  • 
comme  nos  amis  et  nos  ennemis  ont  également  refusé  de  l'a- 
dopter, il  ne  reste  plus  que  deux  déterminations  à  prendre  : 
celle  de  demander  à  genoux  la  paix  à  nos  ennemis  ,  en  nous 
séparant  de  nos  alliés,  et  nous  exposant  à  un  refus  humiliant 
et  au  danger  de  réunir  l'Europe  contre  nous;  ou  celle  de  se 
déterminer  à  faire  la  guerre  avec  courage  et  constance.  * 

u  Le  premier  parti.  Sire ,  ne  convient  ni  à  votre  gloire,  ni  à 
votre  probité.  11  est,  d'ailleurs,  aussi  dangereux  que  honteux.  Il 
ne  reste  donc  qu'à  prendre  la  ferme  résolution  de  soutenir  la 
guerre  et  d'y  employer  tous  les  moyens  que  peuvent  fournir 
à  Votre  Majesté  et  la  puissance  de  son  royaume  et  l'affection  de 
ses  sujets,  qu'il  est  nécessaire  de  réveiller  et  d'exciter  ,  et  les 
secours  de  ses  alliés. 

u  II  ne  faut  pas  vous  tromper.  Sire;  toutes  vos  affaires  courent 
le  plus  grand  risque  de  périr  par  le  défaut  d'argent.  Vos  armées 
seroient  déjà  en  campagne  et  auroîent  prévenu  celles  de  vos 
ennemis,  si  les  réparations  en  tous  genres  ne  lang^uissoient  faute 
de  moyens  pécuniaires. 

«  Vos  alliés  d'Allemagne  se  plaignent  qu'on  ne  leur  paye  pas 


NÉGOCIATIONS    AVEC    LA    COUR   DE  VIENNE.       429 

les  subsistances  qu'ils  fournissent  à  vos  troupes.  Tous  vos  alliés 
réclament  des  arréragées  de  subsides,  d'autant  plus  sacrés  que, 
sans  eux,  ils  ne  peuvent  pas  soutenir  les  efforts  qu'ils  font  pour 
la  cause  commune.  La  marine  surtout  a  besoin  d'être  secourue 
pour  éviter  sa  perte  totale. 

a  Si  l'arguent  continue  à  manquer,  il  deviendra  tous  les  jours 
plus  rare,  sans  être  au  fond  moins  abondant.  Le  crédit  et  la  con- 
fiance diminuent  tous  les  jours;  les  bourses  se  resserrent,  et  les 
expédients  que  l'on  cherche  pour  le  soutenir  de  semaine  en  se- 
maine, bien  loin  de  remédier  au  mal,  ne  font  que  rau(jmenter, 
par  ridée  qu'ils  donnent  de  notre  misère. 

u  Les  opérations  de  la  finance  n'ont  pas  réussi ,  et  leur  peu  de 
faveur  accroît  chaque  jour  la  défiance. 

«  Vos  ennemis.  Sire,  sont  instruits,  comme  nous-mêmes,  de 
notre  état.  C'est  ce  qui  redouble  leur  audace.  Ils  croient  le 
dernier  jour  de  la  France  arrivé,  et  ils  ne  se  trompent  pas ,  si 
M.  le  contrôleur  général  ne  trouve  pas  promptement  le  moyen 
de  fetire  une  opération  en  grand,  qui  assure,  pour  plusieurs 
années,  à  Votre  Majesté  les  moyens  de  continuer  la  g;uerre. 

«  Pour  y  parvenir,  il  doit  choisir  dans  la  finance,  dans  la  Gom- 
pag;nie  des  Indes,  dans  le  commerce,  des  g;ens  de  g;énie  qui , 
sentant  la  situation  critique  de  l'État,  et  que  la  fortune  des 
particuliers  est  en  dang;er  de  périr  avec  la  chose  publique,  con- 
sultent moins  les  petits  secours  sur  lesquels  il  y  a  à  g^ag^ner,  que 
des  projets  étendus^  qui  remettent  du  jeu  et  du  mouvement 
dans  la  circulation. 

a  L'Angleterre  ne  se  soutient  qu'avec  le  papier  circulant  et  de 
l'argent.  Nous  devons  être  plus  sobres  que  les  Anglab  dans 
l'emploi  de  ce  moyen  ;  mais  il  n'est  pas  possible  de  s'en  passer. 
Si  de  grandes  ressources  pécuniaires  ne  sont  promptement 
assurées,  Votre  Majesté  ne  pourra  ni  faire  la  guerre,  oi  parvenir 
à  faire  la  paix ,  et  la  honte  et  le  malheur  seront  la  suite  néces- 
cessaire  de  cette  position  • 

a  Ce  tableau,  tout  effrayant  qu'il  est,  n'est  point  chargé,  et  vos 
ministres,  Sire,  trahiroient  leur  devoir  le  plus  essentiel  s'ils  cher- 
choient  à  l'affaiblir. 

u  La  situation  politique  de  l'Europe  peut  devenir  très-favorable 
si  l'argent  ne  manque  pas.  Le  ministre  d'Espagne  commence  à 
prendre  une  véritable  confiance  en  moi.  M.  Wal ,  uni  intime- 


430  APPENDICES. 

ment  aujourd'hui  avec  M.  de  Grimaldi,  travaille  efficacement 
à  faire  dt^clarer  l'Espagne.  L'idée  seule  de  notre  faiblesse,  qui 
peut  nous  forcer  à  demander  la  paix,  les  retient  aujourd'hui. 
Ils  veulent  prendre  des  mesures  pour  leurs  colonies,  assurer  le 
refour  de  leur  flotte ,  attendre  le  sort  de  Louisbour(]^  avant  de 
se  déclarer.  Je  profite  de  ces  dispositions,  Sire,  pour  demander 
un  emprunt  à  rEspa{;ne,  en  lui  payant  un  intérêt  raisonnable, 
hypothéqué  sur  l'ile  de  Minorque,  ou  garanti  par  la  parole  sacrée 
de  Votre  Majesté,  avec  promesse  d'acquitter  le  principal  d'année 
en  année,  à  la  paix. 

u  Je  vais  essayer  de  trouver  un  secours  de  la  même  espèce  i 
Gènes,  en  favorisant  l'affaireque  cette  république  nég^ocie  Vienne. 

u  A  l'égard  de  la  Hollande,  Sire,  il  est  nécesssaire  de  la  dé- 
tourner de  l'augmentation  de  troupes,  non  par  des  mémoires, 
qui  ne  feraient  que  compromettre  Votre  Majesté,  mais  par  nue 
négociation  sérieuse  sur  le  renouvellement  du  traité  de  17^. 
Le  commerce  criera  ;  mais  il  vaut  mieux  qu'il  souffre  quelque 
chose,  que  si  la  Hollande  se  déclaroit  contre  nous.  L'augmenta- 
tion une  fois  faite,  la  déclaration  s'ensuivroit  nécessairement. 

uÀu  surplus,  je  pense  qu'il  n'y  a  plus  à  délibérer  d'assembler 
dans  peu  le  clergé  pour  lui  demander  un  don  gratuit,  en  loi 
déclarant  d'avance  que  cette  assemblée  extraordinaire  ne  doit 
avoir  d'autre  objet  que  de  secourir  l'Ëtat  menacé.  Votre  Ma- 
jesté promettra  à  l'assemblée,  indiquée  pour  l'année  prochaine, 
d'écouler  le  cler(r  '  sur  toutes  les  représentations  qu'il  auroit  â 
faire,  les  ci rconsiances  actuelles  ne  permettant  pas  de  s'occuper 
d'autn»  chose  que  de  la  dcfeme  de  l'État  et  des  moyens  de  ré- 
tablir la  paix  en  £urope  et  dans  le  royaume. 

«  Il  n'est  pas  à  craindre  que  le  clergé  se  refuse  à  des  motifs 
si  pressants,  et  qu'il  choisisse  ce  moment  pour  traiter  des  ma- 
tières capables  de  remettre  le  trouble  dans  le  royaume.  Il  seroit 
même  dan^^ereux  de  montrer  qu'on  a  cette  crainte.  Le  présideot 
de  cette  assembh^  pourra  écarter  toute  affaire  qui  ne  sera  pas 
relative  à  Tobjet  que  Votre  Majesté  se  propose.  Il  faudra,  par 
ci>nMH|uent ,  terminer  l'assemblée  dès  que  l'objet  sera  rempli. 
Votn»  Majesté  pourra  cependant,  le  don  çratuit  accordé,  recevoir 
|xir  écrit  les  prières  et  les  supplications  de  son  clergé,  en  pro- 
mettant d'y  faire  attention  et  d'y  avoir  éçard  autant  qu'il  sera 
juste  et  |Hvssible  de  le  faire. 


NEGOCIATIONS   AVEC    LA   COUR   DE  VIENNE.      431 

uj'ai  dit  plus  haut  que  l'affection  de  vos  sujets,  Sire,  pourroit 
fournir  de  grands  moyens,  si  elle  étoil  réveillée  et  excitée. 

u  Le  fond  du  cœur  de  vos  sujets  est  à  vous,  mais  les  têtes  sont 
égarées.  On  ne  peut  les  mettre  à  leur  place  qu'en  punissant 
sur-le-champ  ce  qui  est  punissable,  en  récompensant  sur-le« 
champ  aussi  ce  qui  mérite  récompense.  On  aime  Votre  Majesté  ; 
il  faut  qu'on  la  craigne  autant  qu'on  l'aime. 

u  An  reste,  il  serait  bon  d'instruire  la  nation  des  motifs  de  la 
guerre.  On  hait  en  France  les  Anglais,  et  l'on  admire  le  roi  de 
Prusse.  Il  est  nécessaire  qu'on  sente  que  les  uns  et  les  autres, 
étant  unis  pour  nous  détruire  et  nous  humilier,  méritent  égale- 
ment l'indignation  publique. 

u  Quelques  lettres  de  Votre  Majesté  aux  principaux  corps  de 
son  royaume,  dans  le  style  de  celles  de  Henri  IV  dont  Votre 
Majesté  possède  les  vertus  principales  ;  un  avenir  plus  heureux 
annoncé  à  ses  peuples  ;  des  marques  de  l'intérêt  que  Votre 
Majesté  daigne  prendre  à  leurs  misères,  suffiraient  pour  ré- 
veiller le  zèle  national,  qui  s'endort  quelquefois  chez  les  Fran- 
çais, mais  qui  ne  meurt  jamais. 

u  Tels  sont ,  Sire ,  les  vérités  importantes  et  les  moyens  pos- 
sibles que  j'ai  cru  également  de  mon  devoir  de  mettre  sous  les 
yeux  de  Votre  Majesté  et  de  son  conseil.  » 

Les  insinuations  de  la  cour  de  Vienne  avaient  produit  un 
effet  plus  grand  qu'on  ne  pouvait  raisonnablement  Tattendre. 
Soit  que  le  Roi  craignit  sérieusement  que,  par  suite  de  la  prise 
possible  d'Olmutz ,  Marie- Thérèse  ne  fût  forcée  à  la  paix,  soit 
qu'il  eût  repris  confiance  dans  son  armée  et  dans  le  comte  de 
Clerinont  qu'il  savait  en  présence  de  l'ennemi,  soit  qu'il  voulût 
tout  faire  pour  empêcher  Marie-Thérèse  de  conclura  un  traité 
séparé,  il  écrivait  à  l'Impératrice  (10  juin.)  : 


a  Quels  que  soient  les  événements,  je  ne  ferai  ni  paix  ni  trêve 
avec  nos  ennemis,  que  de  concert  avec  Votre  Majesté,  et  je  lui 
en  donne  de  nouveau  et  de  ma  propre  main  ma  parole  royale. 
Je  ne  doute  pas  que  Votre  Majesté,  par  un  juste  retour  de  sen- 
timent et  de  confiance,  ne  prenne  aussi  avec  moi  et  dans  la 
même  forme  un  engagement  semblable,  n 


432  APPENDICES. 

Cette  lettre,  si  l'on  en  ju(^e  par  la  dépèche  de  Choiseul,  en  date 
du  18  juin,  rétablissait  la  confiance  entre  les  deux  alliés  :  rim- 
pératrice,  dans  l'audience  qu'elle  accorda  à  Tambassadear, 
parut  enchantée.  Ellle  fit  montre  de  son  coura^,  déclara  i(tie 
non-seulement  elle  perdrait  Olmutz  et  Vienne ,  mais  qu'elle 
se  retirerait  à  Peterwardlin,  la  dernière  de  ses  possessions  en 
Hong^rie,  et  qu'elle  y  essuierait  un  siég^  plutôt  que  de  fiiire  la 
paix  sans  le  Roi.  Quant  à  la  paix,  elle  y  opposait  toujoon  la 
mêmes  arguments  ;  elle  assurait  Choiseul  qu'elle  avait  scruté 
sur  le  roi  de  Prusse  ses  sentiments  intérieurs;  par  religion,  elle 
devait  écarter  la  haine  qu'elle  croyait  que  ce  prince  méritait  de 
sa  part  ;  par  ce  même  motif  et  par  celui  de  Pamour  de  ses 
peuples ,  elle  était  fort  éloig^née  d'avoir  aucune  idée  d'ambition, 
mais  elle  n'avait  pas  encore  la  force  de  faire  le  sacrifice  da 
repos  du  reste  de  ses  jours,  et  elle  sentait  que  ce  repos  ne 
pouvait  pas  exister  tant  que  le  roi  de  Prusse  serait  en  état  de  le 
troubler. 

On  devine  déjà  dans  les  dépèches  de  l'ambassadeur  de  France 
qu*il  développe  avec  satisfaction  les  arguments  que  lui  fournit  la 
cour  de  Vienne.  Dès  à  piésent,  il  a  compris  que  la  paix  est  ansâ 
pénible  à  l'orgueil  de  l'Impératrice  qu'à  celui  du  Roi,  et  c'est  avec 
un  évident  plaisir  qu'il  annonce  au  ministre  dc^  Affaires  Étran- 
gères (23  juin)  que  l'article  paix  a  été  renyoyé  pour  être  dis- 
cuté à  Paris  par  le  comte  de  Starhemberg.  En  effet,  si  le  Roi  craint 
que  l'Impératrice  ne  traite  séparément  avec  la  Prusse,  les  inqoié- 
tudes  de  l'Impératrice  ne  sont  pas  moins  vives.  Un  événemeott 
de  long^ue  date  attendu,  doit  trancher  aux    yeux  de  Bemis  la 
question  :  le  comte  de  Clermont  est  en  présence  de  l'eanemi;  si 
la  fortune  le  seconde,  la  face  dos  choses  est  changée.  Bernis n'es- 
père guère  un  succès;  et,  le  22  juin,  dans  une  lettre  particu- 
lière, il  croit  devoir  exposer  de   nouveau    à  i'ambassadear  k 
situation  effroyable  de  la  France.  Après  avoir  montré  le  oMt 
perdu,  la  retraite  du  comte  de  Clermont  livrant   l'Allemagne, 
la  Hollande  déclarée  contre  la  France,  il  insiste  de  nouveau  «r 
la  nécessité  de  réduire  l'alliance  à  n'être  plus  que  défensive.  11 
veut  abandonner  le  traité  secret  pour  s'en  tenir  au  premier  traité 
des  subsides. 

u  Plus  vous  êtes  attaché,  dit-il,  à  l'union  formée  parle  goùtda 
Roi  avec  l'Impératrice,  plus  vous  devez  la    déprévenir  du  feux 


NEGOCIATIONS  AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.      433 

système  de  tout  abtmer  par  une  vaine  gloire.  Dans  quelques 
années  d'ici  nous  serons  plus  à  craindre  en  restant  unis,  que 
nous  ne  le  sommes  aujourd'hui  en  nous  conduisant  comme 
nous  le  faisons  depuis  un  an. 

«  Lorsque  le  roi  de  Prusse  aura  de  certains  avantages,  il  exigera 
la  rupture  de  l'alliance.  Et  qui  l'empêchera  d'y  réussir?  Levez 
le  bandeau  de  l'orgueil  :  faites  comprendre  qu'il  vaut  mieux 
exister  quand  on  est  une  grande  puissance,  que  d'être  détruit. 

u  On  se  relève  de  sa  faiblesse,  on  profite  de  ses  fautes ,  on  se 
gouverne  mieux.  Le  roi  de  Prusse  a  donné  à  tous  les  gouverne- 
ments une  belle  leçon.  Seul  contre  tous,  Louis  XIV  en  a  fait 
autant.  Tout  prince  qui  aura  des  armées,  et  qui  saura  les  con- 
duire, résistera  à  toutes  les  ligues.  » 

u  La  cour  de  Vienne,  ajoute-t-il,  étoit  pressée  de  se  venger  et  le 
Roi  de  s'unir  à  elle;  Famitié  pour  ses  petits-enfants  a  augmenté 
l'impulsion,  et  les  contrôleurs  généraux  n'ont  pas  su  nous  dire 
qu'ils  ne  seroient  pas  en  état  de  fournir  à  la  dépense.  On  s'est 
embarqué  témérairement;  que  reste-t-il?  Rien  que  de  revenir 
d'où  l'on  est  parti ,  et  de  rétablir  sa  considération  par  une  sage 
économie.  Voilà,  Monsieur,  ce  que  vous  représenterez  avec  force 
et  avec  adresse.  On  ne  résiste  point  à  des  vérités  si  lumineuses,  n 

En  ce  moment  même,  le  ministre  se  déterminait  à  enlever  à 
la  cour  de  Vienne  le  secours  militaire  que  devait  y  conduire  le 
prince  de  Soubise  et  à  tenter  avec  ce  général  une  diversion  en 
Hesse  pour  obliger  le  prince  Ferdinand  à  repasser  le  Rhin. 
On  sait  que  ce  fut  ce  mouvement,  ordonné  ainsi  vers  le  24  juin, 
c'est-à-dire  avant  que  la  nouvelle  de  la  bataille  de  Crevelt  arrivât 
à  Versailles,  qui  sauva  la  France  de  l'invasion. 

La  guerre  a  deux  théâtres  :  Tun  où  l'armée  de  F  Impératrice 
joue  son  rôle,  l'autre  où  l'armée  française  tient  le  sien.  Lorsque 
les  deux  aruiées  sont  battues,  le  ministre  de  Louis  XV  peut  en  tirer 
avantage  pour  proposer  la  paix;  lors  même  que  l'armée  française 
est  victorieuse,  il  a  quelque  ouverture  encore  pour  parler  de 
négociations;  mais,  si  l'armée  française  est  battue,  et  que 
l'armée  de  rjmpératri.:e  soit  victorieuse.  Vienne  s'exalte  en  re- 
proches contre  la  France  et  contre  ses  généraux ,  et  trouve  dans 
Fun  et  l'autre  de  ces  événements  des  arguments  puissants  pour 
continuer  la  lutte.  Choiseul,  d'ailleurs  empressé  de  plaire  à 
Marie-Thérèse  et  à  suivre  le  courant  qu'il  sent  à  Versailles,  l'im- 
II.  28 


434  APPENDICES. 

pulsion  de  madame  de  Pompadour,  attachée  à  l'allianoe  par 
tant  et  de  si  forts  liens,  regimbe  contre  les  instructions  qu'il 
reçoit  du  ministre  des  affaires  étrangères,  en  qui,  dès  œ  ma^ 
ment ,  il  ne  sent  plus  le  premier  ministre. 

Le  3  juillet,  la  situation  se  présentait  de  la  façon  suivante.  La 
cour  de  Vienne,  voyant  la  France  battue  â  Crevelt,  craignait 
que  les  conseils  de  Bernis  ne  triomphassent,  et,  en  même  temps 
que  l'Impératrice  ordonnait  au  maréchal  Daunde  pousser  active* 
ment  les  opérations  et  d'obtenir  à  tout  prix  un  succès,  elle  écri- 
vait au  Roi,  de  sa  main,  la  lettre  suivante  pour  le  déterminer 
â  continuer  la  guerre'  : 

u  Monsieur  mon  frère  et  cousin,  j'étpis  oecnpée  de  l'idée  de 
témoigna*  moi-même  à  V.  M.,  combien  j'étois  vivemen  afiîectée 
de  la  fâcheuse  nouvelle  de  l'échec  qu'at  essayé  son  année  le 
23  du  mois  dernier,  lorsqu'il  m'est  arrivé  l'avis  très  consolant 
quelque  succinct  qu'il  soit,  de  l'avantage  qu'ont  eu  mes  troapes 
en  Moravie  et  des  suites  que  nous  pouvons  en  espérer  ainsi  que 
An  parti  qu'a  pris  le  maréchal  Daun  avec  le  gros  de  mon  armée. 
Elle  sentira  toutes  les  conséquences  que  cela  peut  avoir,  cela 
peut  consoler  et  rassurer  et  moyenant  cela,  je  m'empresse  de 
faire  parvenir  confidemment  à  V.  M.  tont  ce  que  je  sais  jus- 
qu'ici par  la  copie  de  la  lettre  du  maréchal  ci-jointe.  J'espère 
en  Dieu  que  peut-être,  dans  peu,  je  pourrai  lui  marquer  des 
événements  encore   plus  essentiels,  qu'il  agrée    en   attendant 
cette  attention  de  ma  part,  je  comte  toujours  sur  la  constance 
que  je  lui  coûois  ainsi  que  sur  sa  fidélité  et  son  amitié,  et  je  lui 
réitère  les  assurances  sincères  de  tont  les  sentimens  qu'elle  peut 
désire  en  moi. 

«  Je  suis  înviolablement,  Monsieur  mon  frère  et  cousin, 

«  De  Votre  Majesté, 

«  Bonne  sœure  et  cousine, 

u  Marie  Thérèse. 

«Vienne,  le  2  juillet  1758.  • 

c  A  Momieur  mon  frère  et  cousin  le  Roy  Très^Chréden  de  France 
et  de  Navarre,  n 

1  Orthographe  contenrée. 


NEGOCIATIONS  AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.       435 

Le  lendemain  (3  juillet),  Ghoiseul  adressait  à  Bernis  une  dé- 
pêche qui  mérite  toute  Tattention  du  lecteur,  parce  qu'elle 
semble  le  point  de  départ  de  la  campagne  antipacifique  que  va 
poursuivre  Tambassadeur  à  Vienne. 

tt  M.  le  comte  de  Kaunitz,  écrivait-il,  m'a  montré  hier  au  soir 
copie  de  la  lettre  que  l'Impératrice  a  écrite  par  un  courrier  au 
Roi.  Depuis  quelques  mois,  la  cour  de  Vienne  prend  des  mesures 
si  justes  et  a  appris  à  faire  usage  de  ses  ressources  en  hommes 
d'une  manière  si  vigoureuse  que,  si  elle  avoit  de  l'argent,  le 
courage  de  T Impératrice,  aidé  de  la  bonne  conduite  de  ses 
armées  seroit  suffisant  pour  écraser  le  roi  de  Prusse.  Vous 
jugerez  aisément.  Monsieur,  que,  dans  ce  moment-ci,  il  ne  seroit 
pas  prudent  à  moi  ni  utile  au  service  du  Roi  que  je  serrasse  de 
trop  près  la  mesure  pour  la  paix  vis-à-vis  du  ministère  autri- 
chien, et  je  crois  que  le  Roi  trouvera  à  propos  que  je  suspende 
toute  insinuation  sur  cet  objet  jusqu'à  ce  que  les  événements  de 
la  campagne  aient  mis  Sa  Majesté  et  son  conseil  à  portée  d'apré- 
cier  de  quel  point  les  deux  cours  peuvent  partir  pour  une  tran- 
quillité désirable,  n 

La  lettre  de  l'Impératrice  du  2  juillet  se  croisait  avec  une  lettre 
que  le  Roi  écrivait  le  6  juillet,  dans  laquelle  Louis  XV,  se  pla- 
çant à  un  point  de  vue  tout  différent  de  celui  qu'avait  adopté 
la  cour  de  Vienne,  n'hésitait  point  à  parler  de  la  paix  :  voici 
cette  pièce  : 

•  A  Venaitles,  le  6  juillet  1758. 

u  Madame  ma  sœur  et  cousine,  les  procédés  généreux  de  Votre 
Majesté  m'ont  touché  vivement  et  ne  m'ont  pas  surpris.  La 
liberté  que  vous  me  laissez  de  faire  usage  du  corps  commandé 
par  le  prince  de  Soubise  sera  fort  utile  à  vos  intérêts  et  aux 
miens. 

«  Ce  corps  doit  marcher  le  8  de  ce  mois,  dans  la  Hesse,  et  j'ai 
lieu  de  croire  que  cette  diversion  forcera  le  prince  Ferdinand  à 
repasser  le  Rhin  et  à  abandonner  l'idée  de  se  porter  sur  Iqs 
Pays-Bas  et  de  s'y  joindre  peut-être  aux  Anglais. 

tt  J'ai  pris  toutes  les  mesures  possibles  pour  mettre  vos  États  de 
Flandre  en  sûreté,  et  je  veillerai,  avec  la  plus  grand  attention,  à 
leur  conservation. 

28. 


436  APPENDICES. 

tt  Le  ciel,  dans  la  journée  du  23  juin ,  n'a  pas  béni  le  succès  de 
mes  armes.  J'espère  et  je  souhaite  que  celles  de  Votre  Majesté 
soient  plus  heureuses.  Chaque  jour  le  parti  de  nos  ennemis  de^ 
vient  plus  fort. 

M  J'ai  rappelé  mon  cousin,  le  comte  de  Clermont;  j'ai  cra 
devoir  ce  sacrifice  à  mes  alliés  ;  mes  troupes  n'ont  point  été  bat- 
tues le  23  juin,  et  si  l'on  n'avoit  pas  ordonné  une  retraite  qui 
n'étoit  pas  nécessaire,  le  prince  Ferdinand  n'auroit  rapporté 
aucun  avantage. 

u  J'avois  destiné  le  maréchal  d'Ëstrées  au  commandement  de 
mon  armée  ;  sa  santé  ne  lui  permet  pas  encore  d'obéir  à  mes 
ordres. 

u  Que  Votre  Majesté  prenne  une  entière  confiance  dans  ma  con- 
stance et  mon  amitié  inaltérable  ;  mais  qu'elle  n'oublie  pas  que 
le  courage  ne  préserve  pas  toujours  des  malheurs,  CTest  à  regret 
que  je  fais  cette  réflexion.  L'amour  que  nous  avons  pour  nos 
peuples  doit  nous  faire  une  loi  de  leur  procurer  la  paix  aus- 
sitôt que  notre  sûreté  et  notre  gloire  pourront  nous  le  per^ 
mettre, 

a  Quoique  les  pertes  que  j'ai  faites  par  la  feute  de  mes  derniers 
généraux  multiplient  à  l'excès  mes  dépenses,  je  partagerai  toa- 
jours  avec  Votre  Majesté  toutes  les  ressources  qui  me  resteront. 
Je  mets  toute  ma  confiance  dans  votre  amitié,  dans  votre  pru- 
dence et  dans  la  connaissance  que  vous  avez  de  l'état  critique  de 
nos  affaires.  » 

En  même  temps  que  Bernis  expédiait  cette  lettre  à  Vienne, 
il  adressait  à  Choiscul  la  dépêche  suivante,  dont  M.  Filon  a 
publié  un  extrait,  mais  dont  il  n'a  point  donné  la  partie  la  ploi 
intéressante,  qui  a  trait  à  la  négociation  : 

a  M.  le  comte  de  Kaunitz  a  envoyé  par  un  courrier  à 
M.  le  comte  de  Starhemberg  des  instructions  pour  traiter  de 
la  paix.  Cet  ambassadeur  m'a  dit  qu'il  seroit  nommé  pléni- 
potentiaire au  congrès  ;  mais  la  cour  de  Vienne  ne  voudroit 
pas  qu'il  fût  question  de  ce  congrès  avant  six  semaines  ou  deux 
mois,  de  peur  que  les  Russes  et  les  Suédois  ne  suspendis&eni 
leurs  opérations  à  la  vue  de  cet  appareil  de  paix.  Cela  peut  être; 


NÉGOCIATIONS  AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.      487 

mais,  en  attendant,  les  affaires  s'embrouillent  et  se  gâtent  de  plus 
en  plus. 

M  L'idée' du  congprès  étoit  très-bonne  quand  je  Tai  proposée, 
c'est-à-dire  avant  le  commencement  de  la  campagne;  mais 
aujourd'bui  il  faut  des  négociations  brusques  et  directes.  Je  vous 
dirai,  Monsieur,  dans  une  seconde  lettre,  ce  que  je  pense  à  cet 
égard. 

«Pressez  la  réponse  de  la  cour  de  Vienne  sur  l'article  des 
arrérages  du  subside,  des  revenus  des  pays  conquis  et  des 
autres  objets  contenus  dans  la  convention  dont  vous  m'avez 
envoyé  ici  le  projet,  et  sur  lequel  vous  ayez  reçu  des  observa- 
tions. 

«Nous  payeront  les  intérêts  des  arrérages,  et  à  la  paix  nous 
prendrons  des  arrangements  pour  acquitter  le  principal.  Nous 
espérons  encore  cette  année  pouvoir  fournir  quinze  cent  mille 
francs  par  mois  à  la  cour  de  Vienne,  pourvu  que  des  événements 
malheureux  ne  nous  en  ôtent  pas  encore  la  possibilité.  La 
finance  est  si  fort  obérée,  et  le  crédit  si  diminué,  que  je  crains 
bien  que  nous  ne  soyons  bientôt  réduits  à  retrancher  à  nos 
alliés  les  secours  pécuniaires.  La  cour  de  Vienne  sera  certaine- 
nement  la  dernière  que  nous  cesserons  d'assister  de  notre  argent. 
La  Suède  ne  nous  presse  pas,  mais  elle  a  un  besoin  absolu  de 
secours. 

u  Je  ne  puis  vous  dissimuler,  Monsieur,  que  tant  que  l'objet 
du  traité  subsistera,  la  cour  de  Vienne  se  croira  en  droit  de  nous 
demander  des  secours  au-dessus  de  nos  forces  ;  aussi  le  conseil 
du  Roi  pense  que  vous  devez,  sans  perdre  de  temps,  déclarer  à 
cette  cour  que  la  conservation  de  Talliance  étant  désormais  le 
seul  objet  de  la  guerre,  nous  ne  pouvons  plus  être  astreints  aux 
conditions  du  traité  secret  auquel  il  faut  nécessairement  re- 
noncer; qu*ainsi  la  guerre  s*approchant  des  Pays-Bas,  nous 
serons  peut-être  forcés  à  borner  nos  efforts  à  les  défendre,  et  à 
contenir,  s'il  se  peut,  l'Empire  et  la  Hollande. 

u  Les  secours  pécuniaires  que  nous  donnerons  seront  par  coa- 
séquent  gratuits  et  proportionnés  à  ce  qu'il  nous  en  restera  pour 
soutenir  la  guerre.  Vous  amènerez  cette  déclaration  avec  art,  et 
vous  la  ferez  avec  courage.  Les  malheurs  arrivés  depuis  peu  vous 
donneront  des  prétextes  suffisants  pour  la  hasarder.  Choisissez 
le  moment  et  la  forme,  mais,  en  écartant  le  traité  secret,  ôtez 


438  APPENDICES. 

toute  crainte  sur  la  diisolation  de  ralliance  à  laquelle  le  Roi  eit 
extrêmement  attaché. 

«Quaiyi  les  circonstances  changent,  il  faut  bien  an  moins 
changer  les  mesures»  si  l'on  ne  change  pas  les  principes. 

«  Il  est  prouvé  que  la  marine  et  le  militaire  ont  miné  la  France, 
et  que  celle-ci  ne  peut  pins  aider  la  politique.  Dana  cet  état,  la 
paix  la  plus  prompte  est  indispensable,  et  comme  nous  avom 
aujourd'hui,  on  que  nous  aurons  bientôt  la  guerre  pour  notre 
propre  compte,  il  faut  qu'il  nous  reste  des  moyens  pour  la  son* 
tenir.  Ainsi,  Monsieur,  nous  sonunes  dans  nn  cas  forcé  auquel 
tout  doit  céder.  J'espère,  comme  je  vous  l'ai  déjà  dit,  que  nous 
pourrons  encore  payer  quelque  temps  les  subsides,  du  moins 
pendant  la  campagne  ;  mais  s'il  y  avoit  sur  cela  de  la  diminotion 
ou  du  retard,  il  ne  £iut  en  accuser  que  nos  malheurs,  et  non 
notre  fidélité,  et  comme  nous  renonçons  aux  avantages  da 
traité  secret,  on  doit  nous  être  bien  obligé  de  tout  œ  que  nous 
faisons  par  delà  les  engagements  du  premier  traité  de  Versailles. 
Nous  nous  perdrions  les  uns  et  les  autres  si  nous  tenions  nn 
langage  moins  franc  et  moins  sincère. 

«  Il  est  temps  que  la  cour  de  Vienne  se  réveille;  il  fiiut  sauver 
tous  ses  alliés  en  se  sauvant  soi-même.  II  est  question  y  en  «n 
mot,  de  voir  les  choses  comme  elles  sont. 

t(  Quoique  ce  qui  est  arrivé  depuis  le  mois  de  septembre  soit 
presque  incroyable ,  je  m'y  suis  attendu,  parce  que  j'ai  bien 
connu  les  principes  du  mal,  et  j'ai  suivi  la  chaîne  des  consé- 
quences qui  devoit  en  résulter.  i> 

Bernis  précisait  encore  dans  une  lettre  particulière  les  inteo- 
tions  du  ministère  français  : 

«  Versailles,  6  juillet  1758. 

«  Vous  avez  vu.  Monsieur,  dans  ma  lettre  précédente,  les  raisons 
indispensables  qui  doivent  nous  engager  à  faire  la  paix  prompt 
temerit.  Je  vais  actuellement  vous  parler  des  moyens  qu'on  veut 
employer,  et  de  ceux  que  les  circonstances  parai troicnt  devoir 
faire  préférer. 

u  Si  l'on  songe  à  faire  la  paix  après  s*étre  concerté  avec  tous 
les  alliés,  la  campagne  sera  finie  avant  que  l'on  ait  reçu  les 
réponses  de  toutes  les  courf . 


NÉGOCIATIONS   AVEC   LA  COUR   DE  VIENNE.       435) 

ce  Le  projet  d*nn  con(p*è$  ne  peut  être  adopté  que  dans  ]e  cas  où 
le  roi  de  Prusse  échoueroît  nécessairement  devant  Olmutz; 
mais  il  me  semble  que  son  entreprise,  quoique  hasardée,  sera , 
au  eontraire,  suivie  de  succès,  si  M.  le  maréchal  Daun,  sans 
livrer  bataille,  ne  trouve  pas  moyen  de  faire  lever  le  siège ,  en 
ôtant  au  roi  de  Prusse  les  moyens  de  le  terminer,  ou  en  ^Elisant 
traîner  si  fort  le  siég^e  en  longueur  que  le  roi  de  Prusse  se 
décourage. 

«  Ainsi,  dans  le  cas  où  la  cour  de  Vienne  jugeroit  la  prise  d*01- 
mutz  immanquable,  je  crois  qu'elle  n'auroit  pas  un  moment  à 
perdre  à  proposer  la  paix  afn  roi  de  Prusse,  en  le  chargeant  d'y 
faire  accéder  tous  ses  alliés,  sans  en  oublier  aucun,  et  en  se 
chargeant  de  faire  ratifier  cette  paix  par  l'Empire.  De  cette  ma- 
nière les  alliés  ne  pourroient  se  plaindre ,  ni  d'être  sacrifiés,  ni 
d'avoir  été  oubliés. 

u  Si  la  paix,  à  cause  de  ladiscussion  de  tant  d'intérêts,  étoit  trop 
longue  à  terminer  promptement,  on  pourroit  convenir  d'articles 
préliminaires,  d'un  armistice  et  d'un  congrès. 

tt  Ces  articles'  préliminaires  pourroient  rouler  sur  les  points 
suivants  :  restituer  la  Saxe,  à  laquelle  on  se  proposeroit  de  pro- 
curer les  dédommagements  qui  seroient  possibles  ;  il  ne  Faut  pas 
s'attendre  que  le  roi  de  Prusse  consente  que  les  dédommagements 
soient  à  sa  charge  :  si  on  lui  en  demande,  il  en  demandera  pour 
ses  États  de  Westphalie,  de  Brandebourg,  de  Poméranie  et  de 
Silésie. 

a  Confirmer  au  roi  de  Prusse  pour  toujours  la  possession  de 
la  Silésie,  telle  qu'elle  est  portée  par  le  traité  d'Aix-la-Chapelle. 

u  Convenir  d'évacuer  respectivement ,  trois  semaines  après  la 
publication  de  la  paix,  les  pays  et  les  places  appartenant  à  l'Im- 
pératrice et  au  roi  de  Prusse,  en  retirer  les  munitions  de  guerre, 
l'artillerie  et  les  vivres. 

u  S'engager  à  ^Eiire  consentir  auxdits  articles  tous  les  alliés  de 
la  cour  de  Vienne  et  de  la  France,  en  les  nommant  tous  sans 
exception. 

a  Assembler  un  congrès  pendant  la  durée  duquel  toutes  les 
hostilités  cesseront. 

«  Convenir  que  dans  ce  congrès,  pour  rendre  la  paix  générale, 
il  sera  traité  de  la  paix  entre  la  France  et  TAngleterre,  et  que  les 
puissances  contractantes  engageront  les  cours  de  Versailles  et  de 


440  APPENDICES. 

Londres   à   convenir    promptement  d'un  armistice    ou   d'une 
trêve. 

tt  Pour  abréger,  on  !pourroit,  dans  les  articles  préliminaires, 
convenir  d'une  trêve  de  dix  ans,  ou  de  six,  ou  de  quatre,  entre 
les  parties  belligérantes  et  leurs  alliés.  Si  le  roi  de  Prusse  vou- 
loir y  consentir,  rien  ne  seroit  plus  à  propos.  Il'seroit  égale> 
ment  à  souhaiter  que  l'Angleterre  voulût  convenir  d'une  pa- 
reille trêve  avec  la  France.  On  auroit  le  temps  pendant  cet 
intervalle  de  traiter  à  fond  dans  un  congrès  tous  les  intérêts 
respectifs. 

a  II  faudroit  convenir,  dans  les  articles  préliminaires,  d'établir 
pour  base  du  traité  de  paix  les  traités  de  Westphalîe. 

((  Telle  est  à  peu  près  la  matière  des  articles  préliminaires,  dont 
on  pourroit  convenir.  Il  vous  sera  aisé.  Monsieur,  de  les  ranger 
dans  un  ovdre  méthodique  pour  en  conférer  avec  M.  le  comte 
de  Kaunitz.  J'en  parlerai  de  mon  côté  à  M.  de  Starbember;;  « 
mais  le  temps  est  précieux.  Vous  êtes  à  Vienne,  et  M.  de  Sta- 
rhemberg  est  à  Paris. 

«  Après  avoir  sondé  M.  de  Kaunitz  sur  ce  plan  et  sur  la  dispo- 
sition où  pourroit  être  la  cour  de  Vienne  de  faire  les  premières 
ouvertures,  vous  ferez  sentir  quelle  est  la  confiance  du  Roi  de 
s'en  rapporter  à  elle  pour  (aire  la  paix. 

a  Si  la  fierté  de  Tlmpératrice  ne  lui  permettoit  pas  de  faire  lo 
premières  démarches,  et  qu'elle  eût  assez  de  confiance  dans  le 
Roi  pour  l'en  charger,  il  n'est  pas  douteux  que  nous  ne  fus- 
sions plus  à  portée  qu'elle-même  de  tenter  des  ouvertures,  puis- 
<|ue,  d'un  côté,  nous  ne  sommes  qu'auxiliaires,  et  que,  de 
l'autre,  le  roi  de  Prusse  nous  a  fait.  Tannée  passée,  des  ouver- 
tures par  la  margrave  de  Baieuth  et  par  le  prince  Henri.  On  doit 
se  rappeler  même  la  lettre  que  ce  prince  écrivit  à  M.  de 
Richelieu. 

V  Si  la  cour  de  Vienne  ne  se  défioit  pas  de  nous,  nous  pourrionj 
nous  charger  des  premières  démarches;  mais  cette  proposition 
doit  venir  de  l'Impératrice.  C'est  à  vous,  Monsieur,  à  vous  l'at- 
tirer. Je  vois  cependant,  à  ce  second  parti,  plusieurs  iucoo. 
vénienis  : 

u  l^  La  cour  de  Vienne  ne  sera  jamais  tranquille;  quelque 
confiance  que  nous  lui  marquions,  elle  soupçonnera  toujours  un 
pot  à  part  entre  nous  et  le  roi  de  Prusse. 


NEGOCIATIOî^S   AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.       *4i 

«  2°  La  Suède  nous  soupçonnera  également  d'avoir  été  les  pre- 
miers à  quitter  la  partie;  il  vaut  mieux  qu'elle  en  accuse  la  cour 
de  Vienne,  avec  laquelle  elle  a  moins  de  liaisons  et  d'intimité 
qu'avec  nous. 

tt  3"  Le  roi  de  Prusse  ne  manquei'oit  pas  de  nous  demander  le 
sacrifice  de  notre  alliance.  J'observerai,  sur  cet  article,  que  cette 
môme  alliance  seia  sa  véritable  pierre  d'acboppement  ;  c'est 
pourquoi  rien  ne  seroit  si  heureux  si  le  roi  de  Prusse  vouloit 
accéder  au  premier  traité  défenstf  de  Versailles,  et  que  la  cour  de 
Vienne  nous  permit  d'avoir  un  traité  purement  défensif  avec  le 
roi  de  Prusse.  Dans  le  premier  cas,  la  paix  seroit  bien  solide; 
mais  est-il  de  l'intérêt  du  roi  de  Prusse  de  la  rendre  telle? 
11  faudroit  flatter  son  ambition  par  l'idée  d'aug;menter  son 
commerce  et  sa  navigation;  nous  pourrions,  à  peu  de  frais, 
lui  en  fournir  les  moyens  en  lui  cédant  quelques-unes  des 
îles  sur  lesquelles  nous  n'avons  pas  de  grands  établissements. 
Ce  seroit  le  moyen  de  rompre  sa  bonne  intelligence  avec  l'An- 
gleterre. 

u  Je  suis  persuadé  que  le  roi  de  Prusse  traiteroit  volontiers  avec 
nous;  mais  la  cour  de  Vienne  le  verroit  de  mauvais  œil  ;  ainsi  il 
vaut  mieux,  tout  examiné,  qu'étant  la  partie  attaquée,  elle  s'ar- 
range elle-même  et  qu'elle  se  charge  de  nous  faire  consentir  à 
ses  arrangements. 

u  Pourvu  que  la  Saxe  soit  restituée ,  que  les  pays  de  nos  élec- 
teurs et  princes  du  Rhin  soient  évacués,  que  le  duc  de  Mecklem- 
bourg  ne  soit  plus  vexé,  et  que  la  Suède,  surtout,  soit  en  sûreté, 
nous  ne  devons  pas  nous  refîiser  à  un  accommodement  devenu 
indispensable.  11  nous  en  coûtera,  à  la  paix,  pour  continuer  à  la 
Suède  l'augmentation  de  subsides,  pour  l'indemniser;  mais 
comme  le  Roi  annulera  d'autres  traités  pareils,  il  aura  le  moyen 
de  dédommager  les  princes  qui  auront  le  plus  souffert  dans  cette 
guerre. 

u  II  est  nécessaire.  Monsieur,  que  vous  fassiez  sentir  à  la  cour 
de  Vienne  l'indispensable  nécessité  de  songer  promptement  à  la 
paix.  Nous  risquons  trop,  tant  du  côté  maritime  que  du  côté  de 
la  terre,  et  nous  n'avons  plus  de  ressources  assurées  pour  conti- 
nuer la  guerre,  ni  pour  assister  nos  alliés...  Quelque  attaché  que 
je  sois  à  l'alliance,  je  ne  conseillerai  jamais  à  Sa  Majesté  de  ris- 
quer le  tout  pour  le  tout. 


442  APPENDICES. 

«  Commencez  donc,  Monsieur,  par  vous  mettre  en  régie  a^ec  la 
cour  de  Vienne  sur  les  arrérages  des  subsides,  sur  le  compte  à 
faire  par  rapport  aux  revenus  des  pays  conquis,  sur  la  nécessité 
de  recourir  au  traité  secret,  afin  de  nous  mettre  à  Taise  par  rap- 
port au  subside,  et  ensuite  vous  traiterez  l'article  important  de 
la  paix  fondée  sur  l'impuissance  de  continuer  la  guerre  tant 
par  le  défaut  d'argent  et  des  généraux,  que  par  le  danger  que 
courent  nos  colonies,  nos  côtes  et  nos  frontières,  par  Tapparenoe 
qu'il  y  a  de  voir  la  Hollande  déclarée,  l'Empire  soumis  ao  rn 
de  Prusse,  la  Porte  armée,  et  la  Russie  et  la  Suède  forcées  par 
des  intrigues  ou  des  menaces  à  faire  leur  paix  particulière,  l'in- 
difft^rence  du  Danemark  et  le  peu  de  secours  que  nous  pouvons 
en  tirer. 

tt  II  s'agiroit  d'abréger  les  longueurs  de  la  médiation  et  de 
tenter  de  faire  un  arrangement  brusque  avec  le  roi  de  Prusse 
sur  le  plan  à  peu  près  contenu  dans  cette  lettre.  Le  Rot  s'en 
repose  sur  votre  prudence  et  la  connaissance  que  vous  avez  de 
la  cour  où  vous  ôtes,  pour  la  manière  d'amener  insensiblement 
toutes  ces  af&ires  importantes  au  point  où  il  faut  qu'elles  arri- 
vent, pour  ne  pas  déplaire  et  pour  avoir  le  succès  qœ  nous 
attendons. 

a  Vous  aurez  soin  de  me  dépêcher  un  courrier  aussitôt  qne  vous 
aurez  quelque  chose  de  décidé  à  me  dire  sur  cette  matière.  ■ 

Ainsi,  voilà  la  situation  nettement  établie  pour  Versailles.  Les 
instructions  de  Remis  sont  formelles,  ses  idées  sont  précises. 
Que  pense-t-on  à  Vienne  à  ce  môme  moment?  S'y  prépare-t-on 
à  la  paix  ?  adhère-t-on  aux  projets  de  Remis  ?  On  ne  veut  que  U 
guerre. 

Kaunitz  pousse  Choiseul  de  tous  ses  efforts.  Il  lui  adresse,  le 
7  juillet,  la  lettre  suivante  : 

u  Je  remercie  Votre  Excellence  de  la  communication  qu'elle 
a  bien  voulu  me  faire  de  la  lettre  ci-jointe  (une  lettre  de  Mon- 
tazet  sur  l'armée  autrichienne),  et  je  voudrois  beaucoup  avoir 
à  lui  apprendre  des  choses  aussi  consolantes  relativement  à 
l'armée  du  Roi,  ou  pour  m'expliquer  plus  exactement  relative- 
ment aux  objets  qui  lui  sont  confiés;  mais  j'en  suis  malheurea- 
«ement  bien  éloigné,  apprenant  par  les  lettres  du  premier,  qai 


NEGOCIATIONS  AVEC  LA  COUR  DE  VIENNE.      448 

me  sont  parvenues  par  estafette,  que,  plus  belle  que  jamais  par 
les  renforts  qui  l'ont  jointe,  elle  étoit  sur  le  point  de  quitter 
Nipper  (?)  ou  Cologne  pour  se  retirer,  à  ce  qu'il  sembloit,  sur 
Coblentz,  pendant  que  les  Hanovriens  divisés  sont  occupés  à 
canonner  Busseldorff,  et  ont  pris,  dès  le  28,  Ruremonde, 
comme  nous  l'apprend  une  estafette  qui  vient  d'arriver  des 
Pays-Bas,  où  tout  est  possible  actuellement  à  l'ennemi,  parce 
qu'il  n'y  a  personne.  Et  quel  ennemi,  hélas!  Gela  est  affreux, 
parce  que  c'est  moins  que  rien  en  vérité  que  la  soi-disant 
armée  de  M.  l'Électeur  de  Hanovre  vis-è-vis  des  armées 
et  du  nerf  de  la  puissance  française;  mais  ce  serait  le  comble  de 
l'horreur  pour  ceux  qui  vivent  actuellement  et  leur  postérité  si, 
dans  un  moment  aussi  humiliant,  on  aUoit  perdre  courage.  Vous 
perdrez  tout  pour  le  présent  et  tavenir,  si  par  du  courage  et  de 
la  fermeté  voi^s  ne  rétablissez  la  considération  du  Roi  et  de  la 
monarchie  française  par  une  conduite  politique  et  militaire 
digne  de  vous  ;  il  le  faut,  ne  jUt^e  que  pour  vous  seuls,  dussiez- 
vous  y  mettre  le  dernier  de  vos  écus.  Que  Sa  Majesté  Trés^-Chré- 
tienne  fasse  cesser  toutes  les  causes  quelconques  de  tout  le  mal 
qui  est  arrivé  ou  de  tout  le  bien  qui  n'a  pas  été  fait  jusqu'ici , 
et  je  vous  réponds,  Monsieur  le  comte ,  que  très-promptement 
et  très-certainement  tout  sera  réparé,  et  que  j'aurai  avec  vous 
la  consolation  de  revoir  le  Roi  dans  la  considération  qui  lui 
est  due  par  tant  d'endroits  différents;  mais  il  faut  vouloir  ,  ce 
qui  s'appelle  vouloir,  se  faire  obéir  sans  quartier  et  n'écouter 
aucune  considération  subalterne.  Excusez  mon  zèle  et  comptez 
toujours  sur  mon  attachement. 

tt  Raunitz  R. 

«Le  7*  juillet  1757.* 


Ghoiseul,.  en  envoyant  cette  lettre  au  ministre,  en  souligne, 
quelques  passages  et  résume  ses  impressions  dans  une  dépèche 
dont  voici  un  extrait  : 

t(...  Le  résultat  de  tout  ce  que  je  viens  de  vous  dire.  Monsieur, 
se  renferme  en  trois  pclints  : 

«  I»  Qu'il  est  peu  raisonnable,  quelque  envie  que  nous  ayons 
de  faire  la  paix,  d'obtenir  de  nos  ennemis  qu'ils  y  acquiescent, 


444  APPENDICES. 

à  moins  que  nous  ne  sacrifiions  absolument  Tboaneur  de  la 
nation  et  des  possessions  considérables  du  Roi. 

u  2*  Que  quand  même  nous  parviendrions^  pour  nous,  à  des 
conditions  humiliantes,  jamais  FI  mpératrice  ne  concoarra,  pour 
ce  qui  la  concerne,  à  cette  paix. 

u  3*  Qu'outre  Pimpossibilité,  il  y  a  un  grand  danger  à  faire  sa 
paix  séparée  avec  TAng^leterre  et  le  roi  de  Prusse. 

u  Si  le  Roi  veut  continuer  lag^uerre,  et,  dans  ce  moment  de  mal- 
heur et  peu  glorieux,  couper  toule  racine  aux  négociations  de 
paix,  ce  qui  me  parait  un  système  aussi  décent  qirutile,  alors 
je  vous  réponds  à  tout  événement  de  la  cour  de  Vienne.  Si,  au 
contraire,  le  conseil  de  Sa  Majesté  décidément  se  croit  forcé  à  la 
paix,  dans  ce  cas  je  suis  persuadé  qu'il  est  possible  que  l'Impé- 
ratrice, qui  aime  la  personne  du  Roi,  ne  se  joigne  pas  à  nos 
ennemis  ;  mais  il  est  certain  que  toute  confiance  en  notre  cour 
sera  perdue  en  Allemagne,  et  que  l'Impératrice  restera  en  guerre 
malgré /lotre  paix  particulière...  n 

Entre  temps,  la  nouvelle  de  la  levée  dr.  siège  d'Olmutz  est 
arrivée  à  Paris  ;  la  pointe  de  Soubise  sur  la  Hesse  a  dégagé  le 
grande  armée,  qui  est  passée  sous  le  commandement  de  M.  de 
Contades.  Une  réaction  s'est  produite  à  la  cour,  et  Louis  XV, 
en  répondant  à  la  lettre  de  Marie-Thérèse  du  2  juillet,  donne 
la  note  exacte  de  cette  impression. 

«  li  juillet. 

b  Madame  ma  sœur  et  cousine,  les  bonnes  nouvelles  que  Votre 
Majesté  a  bien  voulu  m'apprendre  m'ont  fait  oublier  tout  ce 
qui  s'est  passé  sur  le  bas  Rhin.  J'ai  senti  dans  cette  occasion  que 
vos  avantages  étoient  beaucoup  plus  intéressants  pour  moi  que 
Jes  disgrâces  qne  j'ai  essuyées.  Je  viens  d'avoir  par  le  comte  de 
Starhemberg  la  confirmation  de  la  levée  du  siège  d'Olmutz ,  avec 
des  détails  qui  font  beaucoup  d'honneur  aux  généraux  et  aux 
troupes  de  Votre  Majesté.  J'espère  que  les  suites  d'un  si  grand 
événement  rendront  à  vos  armes  leur  supériorité.  J'ai  lieu  de 
me  flatter  aussi  que  les  miennes  seront  plus  heureuses  à  l'avenir, 
et  que  nous  parviendrons  à  rétablir  la  paix  sur  un  pied  solide  et 
honorable.  Votre  Majesté  peut  être  aussi  assurée  de  ma  œn- 


NEGOCIATIONS   AVEC   LA    COUR   DE  VIENNE.       445 

stance  et  de  ma  fidélité  que  je  me  flatte  qu'elle  l'est  de  l'amitié 
inviolable  avec  laquelle  je  suis,  Madame  ma  sœur,  etc.  » 

Bernis  lui-même  avait  subi  le  contre-coup  de  cette  réaction.  Il 
se  croyait  obligé  d'envoyer  à  Choiseul,  non  plus  des  ordres,  mais 
une  sorte  de  justification  personnelle.  Il  écrivait  le  15  juillet  : 


«  Versailles,  le  15  juillet  1758. 

u  Vous  devez  vous  îmag^iner  aisément  la  joie  qu'ont  causée  ici, 
universellement,  la  levée  du  siég^e  d'Olmutz  et  les  circonstances 
glorieuses  et  utiles  pour  la  cause  commune  qui  ont  accompa^jné 
cet  heureux  événement. 

«  Nous  sentons  toutes  les  suites  qu'il  peut  et  qu'il  doit  avoir', 
mais  nous  ne  croyons  pas  pour  cela  le  roi  de  Prusse  perdu;  la 
manière  dont  il  a  levé  ce  siég;e  prouve  avec  quelle  célérité  et 
quelle  adresse  il  sait  se  retirer  des  mauvais  pas  où  sa  trop 
grande  confiance  le  jette  quelquefois.  Nous  ne  sommes  pas  sans 
inquiétude  sur  ce  qu'il  pourroit  exécuter  en  Bohême.  Ce  qui 
nous  rassure  infiniment,  c'est  la  bonne  conduite  du  maréchal 
Daun,  la  fermeté  et  le  courage  de  la  cour  de  Vienne. 

u  Je  ne  rapporterai  que  demain  au  conseil  votre  dépêche 
n^  65  (du  9  juillet);  elle  est  si  importante  que  je  ne  prendrai  pas 
sur  moi  d'y  répondre  sans  avoir  reçu  les  ordres  du  Boi  et  l'avis 
de  son  conseil;  mais  je  crois  d'avance  vous  rassurer  sur  les  in- 
quiétudes que  nous  lui  avons  faites  depuis  le  mois  de  décembre 
dernier  sur  la  nécessité  de  rétablir  la  paix. 

u  II  est  bon  de  rappeler  ici  quels  ont  été  ces  motifs  et  quels 
seront  constamment  nos  principes. 

tf  II  y  auroit  de  l'injustice,  j'ose  même  dire  de  l'ingratitude, 
de  nous  faire  des  reproches  sur  la  mauvaise  conduite  des  géné- 
raux, et  sur  l'épuisement  de  nos  finances,  occasionné  par  les 
frais  d'une  double  guerre  dans  laquelle  nous  n'avons  cessé  de 
faire  des  pertes  de  toutes  espèce,  et  par  l'anéantissement  total  de 
notre  commerce. 

M  A  l'égard  des  généraux,  le  Boi  les  a  renvoyés  dès  que  les 
alliés  ont  paru  le  désirer.  Ce  n'est  pas  la  faute  de  Sa  Majesté  si 
le  siècle  des  Tn renne,  des  Créqui  cl  des  Luxembourg  est  passé. 
Si  nous  connaissions  un  général  en  Eui-ope  capable  de  conduire 


446  APPENDICES. 

supérieurement  nos  armées,  nous  rattacherions  à  «notre  service. 
M.  le  maréchal  d'Estrées  est  le  seul  militaire  en  qui  on  puis^ 
avoir  confiance;  mais,  par  une  fatalité  qui  depuis  près  d*un  an 
gâte  toutes  nos  affaires,  la  santé  de  ce  général  ne  lui  a  pas  en- 
core permis  de  céder  aux  vœux  du  Roi,  et  de  se  rendre  à  ceux 
de  toute  Tarmée. 

u  En  rappelant  M.  le  comte  de  Clermont,  le  Roi  n'a  pu  confier 
le  commandement  de  ses  troupes  qu'à  M.  de  Contades,  dont  jus- 
qu'ici on  a  loué  la  sagesse,  la  capacité  et  l'intelligence. 

u  Mous  ne  justifierons  point  la  conduite,  ni  de  M.  de  Riche- 
lieu, ni  de  M.  le  comte  de  Clermont  :  l'un  a  laissé  régner  la 
licence  dans  son  armée,  l'a  épuisée  par  des  marches  et  des 
contre-marches  inutiles,  et  n'a  paru  avoir  dessein  que  de  né- 
gocier avec  l'ennemi,  au  lieu  de  combattre.  M.  le  comte  de 
Clermont  mérite  quelque  éloge  pour  avoir  rétabli  un  meilleur 
esprit  dans  son  armée;  mais  d'ailleurs  toute  sa  conduite  est 
inexplicable  et  même  incompréhensible. 

tt  On  ne  peut  disconvenir  qu'en  général,  tout  le  militaire,  et 
même  toule  la  nation,  n'aienl  été  opposés  à  la  guerre pi^sen te; 
on  a  vu  avec  douleur  le  royaume  dénué  de  troupes  et  d'argent, 
en  proie  aux  descentes  des  Anglais  dans  un  temps  où  nous 
avions  presque  la  certitude  de  ruiner  ces  implacables  ennemis 
de  la  France,  en  nous  bornant  à  la  guerre  maritime.  Si  l'Impé- 
ratrice et  son  ministre,  en  se  dépouillant  de  leur  intérêt  parti- 
culier ,  veulent  bien  se  mettre  à  notre  place,  ils  excuseront  ce 
sentiment  général  de  la  nation  et  de  l'armée. 

u  Je  ne  disconviendrai  pas  non  plus  que  des  intérêts  et  des 
intrigues  de  cour  n'aient  beaucoup  nui  à  nos  affaires;  on  a 
craint  rétablissement  d'un  système  qui  par  son  succès  auroit 
donné  trop  de  consistance  à  ceux  qui  avoient  concouru  à  le 
former. 

u  Le  public,  d'ailleurs,  qui  ne  juge  que  par  les  événements, 
s'est  épouvanté  à  la  vue  de  nos  malheurs  el  des  disgrâces  de  nos 
alliés.  La  perte  de  la  confiance  a  causé  celle  du  crédit,  et  le  pas- 
sage du  Rhin  ne  s'est  exécuté  que  par  la  lenteur  avec  laquelle 
les  réparations  de  l'armée  se  sont  faites;  le  défaut  d'argent  en  a 
été  l'unique  cause.  Nous  avons  perdu  une  bataille  que  nous 
avions  gagnée;  les  retraites  timides  de  M.  le  comte  de  Clermont 
ont  découvert  Dusseldorff,  occasionné  la  perte  de  cette  place  et 


NEGOCIATIONS   AVEC  LA  COUR   DE  VIENNE.      4*7 

mis  notre  armée  dans  une  espèce  de  cul-de-sac  dont  nous 
sommes  occupés  aujourd'hui  de  la  retirer.  La  retraite  de  Co- 
bientz  n'a  jamais  pu  exister  que  dans  le  cas  où  toute  Tarmée 
auroit  été  battue  et  dispersée.  Cette  retraite,  par  des  défilés 
presque  impraticables,  en  entralneroit  nécessairement  la  perte. 
Les  ordres  envoyés  à  M.  le  comte  de  Clermont,  et  en  dernier 
lieu  à  M.  de  Contades,  portent  expressément  de  passer  la  ri- 
vière d'Erft,  d'y  appuyer  notre  droite  et  de  communiquer  avec 
Juliers  et  Cologne,  afin  de  tenir  également  au  Rhin  et  à  la 
Meuse. 

M  Vous  verrez  par  le  mémoire  ci-joint,  qui  m'a  été  remis  du 
bureau  de  la  guerre,  combien  la  situation  de  nos  armées  est 
critique ,  et  par  conséquent  combien  sont  raisonnables  les 
craintes  de  la  continuation  d'une  guerre  où  l'on  fait  des  fautes 
si  capitales  et  des  pertes  si  irréparables.  Nous  avoqs,  en  effet, 
perdu  à  Dusseldorff,  ou  plutôt  les  Palatins  ont  livré  à  nos  en- 
nemis vingt-sept  bouches  à  feu,  dont  quatre  de  gros  canons, 
cinq  mortiers,  deux  mille  tentes,  et  nous  avons  été  obligés  de 
jeter  dans  le  Rhin  nos  poudres,  nos  farines  et  quarante-cinq 
mille  paires  de  souliers  :  en  un  mot.  Monsieur,  depuis  la  Sala 
jusqu'à  la  Meuse,  il  est  certain  que  nous  avons  abandonné 
presque  tous  nos  magasins,  et  qu'il  n'y  a  puissance  au  monde 
qui  puisse  supporter  des  pertes  de  cette  nature. 

u  On  répondra  que  c'est  par  notre  faute  que  ces  malheurs  sont 
arrivés;  mais  en  sont-ils  moins  réels?  et  les  ordres  de  la  cour 
peuvent-ils  empêcher  que  les  généraux,  àtroiscents  lieues  d'elle, 
prennent  de  mauvais  partis,  et  que  les  suites  en  soient  funestes? 
Il  seroit  trop  ridicule  d'accuser  la  cour  d'être  de  moitié  dans  de 
pareilles  manœuvres,  et  de  perdre  le  royaume  dans  la  vue  de 
forcer  les  alliés  à  la  paix 

M  II  n'y  a  nulle  possibilité  de  soutenir  les  dépenses  de  la  ma- 
rine, de  la  guerre  et  des  subsides  ;  il  est  donc  nécessaire  :  1*  de 
£ure  tous  les  retranchements  possibles  dans  les  dépenses  qui  ne 
sont  pas  d'absolue  nécessité,  et  c'est  à  quoi  Ton  travaille  dans 
tous  les  départements  et  principalement  dans  celui  de  la  maison 
du  Roi;  2*  de  prendre  des  mesures  par  rapport  au  militaire, 
pour  que  nos  troupes  ne  vivent  pas  perpétuellement  à  l'au- 
berge, ce  qui  est  insoutenable  ;  il  faut  aussi  feire  renti*er  dans  le 
royaume  une  assez  grande  quantité  de  troupes  pour  mettre  nos 


448  APPENDICES. 

côtes  à  couvert,  et  pour  faire  craindre  à  l'Ang;leterre  des  des- 
centes chez  elle,  unique  moyen  d'empêcher  ses  forces  de  se 
porter  en  Allemagne  ou  dans  les  Pays-Bas;  3*  de  faire  des 
retranchements  sur  les  subsides  accordés  aux  princes  de  l'Em- 
pire. Vous  voyez,  par  l'exemple  des  électeur  palatin  et  de 
Bavière,  combien  Ton  doit  compter  sur  leur  fidélité  et  sur  leur 
constance.  Il  vaudroit  mieux  qu'ils  fussent  nos  ennemis  dé- 
clarés, puisque  nous  vivrions  à  leurs  dépens  dans  leur  pays  et 
que  nous  en  retirerions  des  ressources  infinies  pour  continuer  la 
guerre. 

«  Je  joins  ici  la  déclaration  que  M.  de  Zuckmantel  aura  ordre 
de  faire  à  Télecteur  palatin.  Il  est  nécessaire  que  vous  vous  con- 
certiez avec  la  cour  de  Vienne  sur  la  conduite  à  tenir  avec  ce 
prince.  Nous  nous  proposons  de  dissimuler  profondément,  et  de 
veiller  sur.  ses  troupes  qui  doivent  joindre  M.  de  Contades. 
L'électeur  a  des  ministres  très-suspects,  à  la  tête  desquels  on 
doit  mettre  M.  de  Becker.  Il  faut  avouer  qu'il  n'est  pas  éton- 
nant que  les  princes  de  l'Empire  nous  abandonnent  après  la 
conduite  qu'ont  tenue  nos  armées;  mais  il  y  a  sur  tout  cela  des 
partis  à  prendre,  et  je  désirerois  fort  que  vous  puissiez  venir 
passer  ici  quinze  jours  ou  trois  semaines  pour  vous  mettre  bien 
au  fait  de  notre  situation,  et  rapporter  à  Vienne  le  tableau  fidèle 
de  notre  état,  de  nos  finances  et  de  nos  résolutions. 

ti  Ce  voyage  auroit  encore  une  autre  utilité  qui  consisteroit  à 
bien  instruire  le  conseil  du  Roi  de  toutes  les  mesures  que  la 
cour  de  Vienne  coippte  prendre,  tant  par  rapport  à  la  conti- 
nuation de  la  guerre  qu'au  rétablissement  de  la  paix.  Vous 
pouvez.  Monsieur,  vous  ouvrir  sur  ce  projet,  et,  au  cas  que 
l'Impératrice  et  son  ministre  en  sentent,  comme  moi,  Tutilité, 
vous  pourriez  partir  dès  que  vous  le  jugeriez  à  propos,  et  que 
vous  auriez  mis  en  règle  les  réponses  que  nous  attendons  depuis 
longtemps  de  la  cour  de  Vienne. 

«Je  ne  vois  qu'un  inconvénient  à  ce  projet;  c'est  celui  de 
donner  des  inquiétudes  et  des  soupçons,  d'autant  plus  mal  fon- 
dés que  la  cour  de  Vienne  ne  peut  pas  douter  de  votre  attache- 
ment à  railiance,  et  que,  par  conséquent ,  votre  présence  à  la 
••:our  ne  peut  qu'y  ranimer  le  courage,  entretenir  la  bonne  har- 
monie et  cimenter  l'union. 

«  Si  par  mon  premier  courrier  je  ne  vous  donne   point  de 


NEGOCIATIONS   AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.       449 

contre-ordre  à  cet  égard,  et  que  la  cour  de  Vienne  adopte  de 
bonne  grâce,  sans  mélange  de  crainte  et  de  soupçon,  un  voyage 
qui  n*a  pour  objet  que  son  utilité,  vous  pouvez  vous  mettre  en 

route  lorsque  vous  le  jugerez  convenable  et  utile Je  vois 

qu'il  y  a  bien  des  points  sur  lesquels  nous  ne  sommes  pas  d'ac- 
cord à  Vienne  faute  de  nous  entendre.  Vous  apporterez  avec 
vous  tous  les  écluircissemenrs  et  tous  les  objets  sur  lesquels  les 
deux  cours  doivent  s'arranger.  Réfléchissez  à  cette  idée  avant  de 
la  communiquer,  et  n'en  faites  usage  que  dans  le  cas  où  vous 
n'y  verriez  aucun  inconvénient. 

u  Au  reste,  j'ai  Fait  lire  au  Roi  le  billet  de  M.  le  comte  de  Kau- 
nitz,  qui  étoit  joint  à  votre  dépêche  du  9.  Le  Roi  est  incapable, 
je  ne  dis  pas  de  traiter  séparément  de  ses  alliés,  mais  môme  de 
songer  à  la  paix  autrement  que  de  concert  avec  eux.  Vous 
pouvez  en  réitérer  formellement  l'assurance. 

tt  A  l'égard  des  négociations  dont  vous  me  parlez  sur  cet  objet* 
il  n'en  existe  aucune  que  l'ouverture  qui  a  été  faite  à  la  coui 
d'Espagne,  de  concert  avec  M.  le  comte  de  Starhemberg,  et  en 
conséquence  des  instructions  de  sa  cour.  Vous  savez  que  l'Impé- 
ratrice étoit  convenue  de  la  nécessité  de  songer  à  la  paix  après 
cette  campagne.  L'événement  d'Olmutz  doit  donner  plus  de 
confiance  à  la  cour  de  Vienne;  mais  il  ne  doit  pas  l'enivrer 
puisque  le  fond  des  choses  subsiste  toujours,  et  que  le  nerf  de  la 
guerre,  qui  est  l'argent,  se  retirera  de  plus  en  plus. 

«  Nous  ne  demandons  pas  mieux  que  de  soutenir  la  guerre,  si 
les  événements  nous  donnent  des  moyens  que  nos  pertes  réité- 
rées nous  ont  6tés;  mais  il  faut  que  nos  arrangements  portent 
sur  des  réalités  et  non  pas  sur  des  illusions. 

a  Je  n'ai  pas  été  en  peine  que  vous  ne  fessiez  aucun  usage  de 
mes  dernières  lettres,  puisque  je  m'en  étois  rapporté  à  votre 
prudence,  à  la  connaissance  que  vous  avez  des  dispositions  de  la 
cour  de  Vienne,  et  aux  événements  relatifs  au  siège  d'Olmutz  ; 
mais,  au  reste,  la  crise  présente  est  si  forte  que  je  ne  me  repro- 
cherai jamais  d'avoir  montré  la  vérité  à  nos  alliés.  Cette 
méthode  devroit  les  rassurer  contre  nos  prétendues  négocia- 
tions... 

«  Voilà,  ma  confession,  très-exacte,  que  vous  pouvez  rendre 
littéralement  à  M.  le  comte  de  Raunitz.  Il  nous  faut  un  général 
u.  S9 


.^^     T,^ ■       |M|i»M<— ^i»*<pi*ll  ■■  .^* 


450  APPENDICES. 

et  de  l'argent;  avec  cela  le  courag^e  et  la  constance'ne  nous  man- 
queront jamais,  n 

A  la  même  date  et  poursuivant  la  politique  de  ^erre  à  ou- 
trance, Choîseul  adressait  au  ministre  la  dépèche  suivante,  dont 
il  est  utile  de  donner  un  extrait  et  de  résumer  les  conclusions  '  : 


•  A  Vienne,  le  15  juillet. 

u  Monsieur,  j'ai  remis  ce  malin  la  lettre  du    Roi  à  Tlmpén- 
trice-Reîpe;  cette  princesse  Ta  lue  devant  moi;   elle  m'a  para 
étonnée  de  l'article  où  le  Roi  dit  que  le  couFag^e  ne  préserve  pas 
des  malheurs.  A  cette  phrase,  l'Impératrice  s'est  interrompue  e( 
m'a  dit  que,  hien  loin  de  l'oublier,  elle  en  faisoit  journellemeot 
la  plus  cruelle  expérience.  A  la  phrase  d'ensuite,  où  il  est  pulé 
de  procurer  la  paix  aux  peuples,  l'Impératrice  a  paru  mécontente, 
et,  après  avoir  fini  la  lecture  de  la  lettre  de  Sa  Majesté,  elle  m'a 
dit  que  cette  lettre  étoit  différente  de  celle  qu*elle  avoit  reeae,  0 
y  a  un  mois,  où  le  Roi  lui  &isoit  espérer  les  mesures  les  plus  ri- 
goureuses et  des  ressources  pour  soutenir,  s'il  étoit  nécessaire,  la 
guerre  pendant  plusieurs  années.  L'Impératrice  m'a  demandés 
je  me  rappelois  la  précédente  lettre  que  le  Roi  lui  avoit  écrite  et 
si  je  ne  trouvois  pas  que  le  style  de  celle-ci  étoit  différent 

tt  L'Impératrice  a  ajouté  que  si  actuellement  que  lesdefix 
puissances  avoient  fait  les  plus  grands  efforts,  le  Roi  vooloil 
absolument  faire  la  paix,  elle  étoit  déterminée  à  continuer  h 
guerre,  au  moins  pour  cette  campagne  ;  que  jamais  elle  ne  seroft 
l'ennemie  du  Roi ,  du  moins  qu'elle  l'espéroit,  mais  qu'elle  m 
pouvoit  pas  vivre  dans  l'incertitude  où  elle  avoit  été  tout  soa 
règne,  et  que  cette  inquiétude  ne  diminueroit  pas  tant  que  li 
puissance  prussienne  subsisteroit,  qu'elle  pensoit  ce  qu*elk 
m'avoit  dit  il  y  a  quatre  mois,  et  que  sur  cela  elle  avoit  prissoi 
parti  décisivement,  qui  étoit  que  si  elle  étoit  obligée  de  hiTt)i 
guerre  toute  seule,  elle  la  feroît  autant  qu'il  lui  seroit  possiUci 
et  que  si  Dieu  vouloit  qu'elle  fût  accablée,  elle  seroit  la  premièrt 
à  rendre  ses  hommages  au  roi  de  Prusse  et  à  vivre  tranquille 

'  Celte  pièce  porte  les  indications  suivantet  :  Lu  au  Cofiseil  du  30.  Eèpoi^  ^ 
l^  août.  '    ^^^ 


NEGOCIATIONS   AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.       451 

dans  l'accablement  le  reste  de  ses  jours;  que  si  y  au  contraire,  elle 
abattoit  le  roi  de  Prusse,  elle  jouiroit  avec  bonheur  de  la  tran- 
quillité que  la  ruine  d'un  tel  voisin  devoit  lui  procurer. 

u  L'Impératrice  a  dit  de  plus  que  rien  ne  la  dérang^eroit  de  ce 
système,  qu'elle  n'étoit. point  effrayée  des  malheurs  qui  pouvoient 
lui  arriver,  qu'elle  s'étoit  trouvée  dans  des  situations  beaucoup 
plus  critiques  que  celle  où  elle  étoit,  dont  son  courage  l'avoit 
•tirée,  qu'elle  avoit  encoi-e  dans  ses  États  quinze  fois  plus 
d'hommes  que  le  roi  de  Prusse  ne  pouvoit  en  avoir,  et  que,  pour 
ce  qui  est  de  l'argent  (remarquez  bien  cette  phrase).  Dieu  y  pour- 
voiroit  comme  il  y  avoit  toujours  pourvu;  qu'au  surplus,  sur  cet 
article,  elle  avoit  les  Pays-Bas  à  donner,  lesquels  pays  étoient 
un  morceau  que  beaucoup  de  puissances  envieroient. 

Choiseul  dit  encore  que  l'Impératrice  demande  que  le  Roi 
maintienne  trois  armées  sur  le  Rhin,  la  Meuse,  et  le  Mein  et  lui 
payeseulementquinzecent  mille  francs  par  mois.  Elleajoute  «qu'il 
étoit  hors  de  toute  vraisemblance  que  le  Roi  lui  donnât  un  subside 
sans  l'espérance  d'en  être  dédommagé; 'qu'effectivement  le  traité 
secret  avoit  prévu  ce  cas  avec  désavantage  pour  le  Roi,  mais  que 
M.  de  Kaunîtz,  pour  réparer  ce  désavantage,  vous  avoit  mandé, 
Monsieur,  ministérialement  que  si  les  vues  du  traité  secret  n'é- 
toient  pas  remplies,  l'Impératrice  n'entendoit  pas  que  les  avan- 
tages du  Roi  ne  fussent  pas  exécutés  proportionnellement  à 
ceux  que  pouvoit  acquérir  Sa  Majesté  Impériale.  Cette  princesse 
m'a  dit  qu'elle  renouveloit  la  môme  parole,  et  que  jedevois  faire 
savoir  au  Roi  qu'elle  rectifioit  dans  ce  point  le  traité  secret  ec 
qu'elle  assuroit  Sa  Majesté  qu'elle  lui  céderoit  dans  les  Pays« 
Bas  les  possessions  qui  pourroient  convenir  à  la  France  en  pro- 
portion de  l'affaiblissement  du  roi  de  Prusse,  et  que  pour  cet 
affaiblissement,  elle  ne  demandoit  au  Roi  que  le  nouveau  sub- 
side et  de  garder  les  frontières  de  la  France  et  des  Pays-Bas 
dans  les  proportions  indiquées.  » 

L'ambassadeur  de  France  ne  se  contentait  point  de  rapporter 
fidèlement  à  sa  cour  les  conversations  de  l'Impératrice  et  de 
M.  de  Kaunîtz.  Lui-même,  à  ce  moment,  [prenait  parti  vive- 
ment pour  une  politique  qui  n'était  point  celle  de  Bernis;  il  se 
déclarait  prêt  à  obéir  aux  ordres  du  Roi,  mais  avec  des  restric- 

Î9. 


452  A'PPENDICBS. 

lions  «îng;ulières,  dont  on  peut  ju^r  par  ce  passsage  de  sa  dé- 
pêche du  16  juillet  : 

u  Si  le  nouveau  plan  que  propose  la  cour  de  Vienne,  qui  con- 
siste à  tenir  nos  armées  ensemble,  et  sur  la  défensive  et  à  payer 
six  millions  de  florins  de  subside,  sans  abandonner  le  traité 
secret,  ne  convient  pas  au  Roi  ;  si  la  frayeur  que  je  marque  sur 
les  suites  d'une  paix  précipitée  semble  au  conseil  du  Roi  dénuée 
de  réalité;  enfin,  Monsieur,  si  décidément  le  Roi  pense  qu'il 
faut  ou  obliger  l'Impératrice  à  faire  la  paix,  ou,  ce  qui  arriven 
plus  sûrement,  à  rompre  l'alliance  avec  cette  princesse,  soyei 
sûr,  Monsieur,  que  j'exécuterai  avec  courag[e  et  précision  les 
ordres  du  Roi,  et  désirerai  de  bien  boji  cœur  qu'ils  ne  produi- 
sent pas  les  mauvais  effets  que  j'envisag^e » 

Non  content  de  réfuter  sommairement  dans  ses  dépêches  le 
idées  du  ministre  des  affaires  étrangères,  il  lui  adressait  par  le 
même  courrier  trois  longs  mémoires  dans  lesquels  il  selivrsiti 
une  discussion  approfondie  des  projets  qui  lui  avaient  été  en- 
voyés. Ces  mémoires,  pas  plus  que  les  dépêches  précédentes,  ne 
pouvaient  convaincre  les  partisansde  la  paix;  néanmoins,  il  n'j 
avait  point  à  se  dissimuler  la  mauvaise  volonté  de  Choiseal  et 
les  difficultés  qu'il  ne  manquerait  pas  de  créer.  Que  lui  dire  de 
plus  que  ce  qui  lui  avait  été  dit?  L'arg;ent  manquait;  les  colonies 
allaient  périr.  Nul  espoir  de  se  relever.  Bernis  maintenait  dooc 
fermement  ses  idées,   mais  reconnaissait  en  même  temps  que 
l'occasion  avait  été  mal  choisie  pour  les  exposer  à   la  cour  èe 
Vienne.  Il  avait  compté  que  ses  propositions  arriveraient  après 
la  prise  d'Olmutz  par  les  Prussiens,  lorsque  l'Impératrice,  déses- 
pérée, ne  trouverait  plus  de  chance  de  salut  que  dans  une  paix 
immédiate,  et  son  projet  n'était  parvenu  à  Vienne  que  lorsque 
Olmutz  était  délivré  et  que  l'Impératrice,  qui  d'ailleurs  n'avait 
jamais  perdu  courag^e,  avait  repris  toute  son  assurance.  iHot 
donc  se  déterminer  à  une  résolution  utile  en  ce  qu'elle  suppri- 
mait les  incertitudes  d'une  nég^ociation  déjà  difficile  à  distance, 
mais  rendue  impraticable  dans  un  temps  où  les  nouvelles  arrivant 
à  Tune  des  cours,  et  à  celle  qui  y  était  le  plus  intéressée,  modi- 
fiaient absolument  le  terrain  adopté  et  ne  permettaient  point  de 
réplique  à  l'autre  cour  que  les  nouvelles  favorables  ne  pouvaient 
toucher,  puisque  la  France  ne  voulait  point  la  paix  à  cause  des 


NEGOCIATIONS   AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.       453 

désastres  militaires,  mais  à  cause  de  l'impossibilité  de  soutenir 
la  guerre.  Bernis,  par  une  lettre  en  date  du  I*',  prévint  Ghoi-* 
seul  que  désormais  il  se  chargeait  de  traiter  à  Paris  avec  M.  de 
Starhem  berg. 

u  Par  là,  disait-il,  nous  éviterons  un  double  inconvénient, 
celui  de  vous  charger  d'une  commission  toujours  désagréable  à 
la  cour  de  Vienne,  et  celui  de  mettre  M.  le  comte  de  Kaunitz 
dans  rembarras,  par  la  différence  de  votre  langage  et  de  celui 
de  M.  de  Starbemberg.  n 

Mais  si  Bernis  ne  voulait  voir  que  les  avantages  de  sa  décision, 
il  n'avait  point,  d'autre  part,  à  s'en  dissimuler  les  dangers. 
Retirer  à  M.  de  Cboiseul  la  négociation  à  laquelle  il  était  bos- 
tile,  mais  qu'il  n'eût  peut-être  pas,  s'il  en  fût  resté  chargé,  osé 
combattre  ouvertement,  c'était  lui  donner  toute  liberté  d'atta- 
.quer  la  politique  du  ministre  des  affaires  étrangères,  et  lui 
fournir  l'occasion  de  montrer  à  la  cour  de  Vienne  Bernis  comme 
un  ennemi  de  l'alliance,  tandis  qu'il  s'en  proclamerait  lui-même 
le  partisan  résolu. 

L'ambassadeur  n'y  manquait  point.  Dès  le  14  août,  il  écri- 
vait : 

Le  comte  de  S(ain ville  à  tabbé  comte  de  Bernis ,  n*  79. 

•  Vienne,  le  14  aoAi  1758. 

«J'avoisdit  au  prince  Ksterhazi  que  j'irois  passer  quelques  jours 
avec  madame  de  Stainville  à  une  terre  qu'il  habite  et  qui  est  à 
quelques  lieues  d'ici.  Il  s'est  trouvé  que  précisément  Leurs  Ma- 
jestés Impériales  ont  fait  dire  qu'elles  iroient  dans  cette  terre  les 
jours  que  je  m'étois  proposé  d'y  passer;  et,  comme  il  est  contre 
usage  que  les  ministres  étran^fers  mangent  avec  l'Impératrice, 
je  comptois  différer  mon  voyage,  quand  j'ai  appris  que  Leurs 
Majesté  Impériales  a  voient  mandé  au  prince  et  à  la  princesse 
Estâ*hazi  qu'il  leur  seroit  agréable  que  je  ne  dérangeasse  pas  le 
projet  que  j'avois  d'être  à  cette  campagne  dans  le  temps  qu'elles 
y  seroient.  Effectivement,  j'ai  passé  trois  jours  avec  l'Empereur 
et  l'Impératrice;  ce  qui  m'a  donné  occasion  de  marquer  à  Leurs 
Majestés  Impériales  votre  reconnaissance  sur  leur  acquiescement 
à  votre  prouiotion  au  cardinalat.  » 


454  APPENDICES. 

Celte  dernière  phrase  montre  que  Choiseul  avait  bien  dès  ce 
moment  Tintention  arrêtée  de  i-enverser  Bemis  ;  il  le  tenait  en- 
core, ou  croyait  du  moins  le  tenir  avec  la  promesse  da  chapeau. 
Là  est  un  double  jeu  des  plus  caractérisés,  et  il  n'y  a  point  d'il- 
lusion à  se  faire  sur  le  parti  que  compte  tirer  l'ambassadeur  de 
l'ambition  du  ministre. 

On  a  déjà  vu  que  l'ambition  n'avait  que  peu  de  prise  sur 
Bemis.  S'il  remerciait  comme  il  devait  l'Impératrice  de  la  gp'âce 
qu'elle  lui  accordait  ',  ce  n'était  point  aux  dépens  de  la  France 
qu'il  entendait  prouver  sa  reconnaissance.  Dès  le  11  août,  il  re- 
levait vivement  les  insinuations  que  M.  de  Kaunitz  avait  dirigées 
contre  les  généraux  français,  et  rétablissait  la  question  sur  son 
véritable  terrain.  Il  écrivait  : 

«  Versailles,  le  II  août  1758. 

u Nous  voyons  avec  peine  que  tous  les  mémoires 

de  la  conr  de  Vienne  renferment  toujours  quelques  traits  d'indis- 
position contre  nous.  Il  parait,  par  la  tournure  de  la  réponse  au 
dernier  mémoire  que  vous  lui  avez  remis,  que  l'on  voudroit  re- 
jeter les  malheurs  de  la  dernier^  campagne  uniquement  sur  les 
fautes  des  généraux  français,  et  qu'en  disant  que  la  teneur  des 
traités  fait  la  loi  commune,  on  semble  en  inférer  que  nous  man- 
quons aux  traités  par  l'impuissance  où  nous  prévoyons  que  nous 
serons  de  seconder  les  projets  de  l'Impératrice  au  delà  de  la  pré- 
sente campagne. 

1  Je  publie  ici  la  lettre  de  Bemis  n  l'impcratrice,  lettre  à  laquelle  M.  d'Amelb 
fait  allusion  et  dout  il  tire  des  conclusions  que  je  ne  crois  pas  justes.  Je  n'y  vois 
qu'un  remercîmeot  honnête,  non  un  engagement  formel.  Le  lecteur  jugera. 

«  Madame , 

<•  Les  boutés  de  Votre  Majesté  Impériale  et  Royale  ont  pénétré  mon  cœur  de  U 
la  plus  respectueuse  et  de  la  plus  Vive  reconnaissance.  L'émiaente  dignité  qui 
ni>st  destiné  par  le  consentement  de  Votre  Majesté ,  en  me  donnant  plus  de  con- 
sidération et  plus  de  poids  dans  les  affaires,  me  mettra  plus  à  portée  de  vousvoir- 
quer,  Madame,  mon  zèle,  mon  admiration  et  mon  profond  respect.  Le  bonheur 
que  j'ai  eu  de  contribuer  à  l'union  étroite  et  désormais  inaltérable  entre  Votre 
Majesté  Impériale  et  Royale  et  le  Roi  mon  maître  est  le  trait  le  plus  glorieux  de 
ma  vie.  Klle  sera  toute  consacrée  à  affermir  de  plus  en  plus  cette  heureuse  uaioo. 

«Je  suis,  etc. 

•  Versailles,  le  26  aotlt  I'î58.  • 


NEGOCIATIONS   AVEC    LA   COUR   DE  VIENNE.      455 

u  Nous  avons  reconnu  avec  sincérité  les  fautes  des  généraux  des 
armées  du  Roi  ;  mais  il  faut  avouer  aussi  qu'elles  n'ont  pas  été 
les  seules  causes  des  malheurs  qui  sont  arrivés. 

^a  M.  le  comte  de  Kaunitz  a  été  de  meilleure  foi  après  la 
fatale  journée  du  5  décembre  dernier,  quand  il  a  dit,  dans  le 
mémoire  qu'il  nous  envoya  alors,  u  que  du  défaut  de  concert 
u  entre  les  alliés  il  étoit  résulté  un  défaut  de  liaison  entre  leurs 
a  opérations,  qui  avoit  rendu  infructueuse  la  campagne  la  plus 
u  vive  qui  eût  jamais  été  faite  ». 

u  C'est  aussi  tout  ce  qu'il  y  avoit  à  dire  de  raisonnable;  il  n^y 
a  qu'à  se  retracer  les  faits,  on  trouvera  que  l'inaction  des  Russes, 
contre  les  promesses  de  la  cour  de  Pétersbourg,  et  le  parti  que 
la  cour  de  Vienne  a  pris,  contre  notre  sentiment,  après  la  vic- 
toire du  18  juin,  de  porter  la  guerre  en  Silésie  au  lieu  de  suivre 
le  roi  de  Prusse  dans  sa  déroute,  et  de  le  chasser  des  bords  de 
l'Elbe,  ont  été  les  premières  causes  des  mauvais  succès  de  la  der- 
nière campagne,  qui  ont  été  augmentés  par  la  perfidie  des  Hano- 
vriens  à  l'égard  des  troupes  du  Roi,  et  par  la  perte  de  la  bataille 
du  5  décembre.  Nous  sommes  fort  éloignés,  Monsieur,  de  rap- 
peler ces  époques  par  un  désir  de  récrimination  contre  la  cour 
de  Vienne;  mais  nous  pensons  qu'il  ne  faut  pas  l'accoutumer  à 
rejeter  sur  nous  seuls  les  torts  que  nos  alliés  partagent,  ni  à 
croire,  si  nous  ne  répondions  rien  à  ces  objections,  que  ce  seroit 
faute  d'avoir  à  y  répondre. 

u  Quant  aux  traités,  il  est  certain  qu'en  général  leur  contenu 
fait  la  loi  commune;  mais  il  y  a  une  grande  différence  à  faire 
entre  les  traités  de  paix,  où  il  ne  s'agit  que  d'exécuter  des  arran- 
gements convenus  d'avance  entre  toutes  les  parties,  ou  des 
traités  qui  n'ont  pour  objet  que  des  conquêtes  à  faire  sur  l'en- 
nemi. Comme  en  faisant  ceux-ci  on  travaille  sur  le  pays  des 
idées,  et  que  l'ennemi  n'est  pas  là  pour  y  contredire,  on  leur 
donne  ordinairement  plus  d'étendue  qu'ils  n'en  peuvent  avoir 
dans  l'exécution,  et  depuis  le  temps  que  l'on  fait  de  ces  sortes 
de  traités,  il  n'y  en  a  peut-être  pas  un  dont  l'exécution  ait  ré- 
pondu au  plan  qu'on  s'étoit  formé.  Ils  sont  toujours  subor^ 
donnés  aux  événements,  et  comme  l'impossibilité  donne  la  loi 
aux  souverains  comme  au  reste  des  hommes,  il  faut,  quand  il 
arrive  par  des  pertes  réelles,  et  non  par  aucune  mauvaise  vo- 
lonté, plaindre  l'allié  qui  se  trouve  dans  ce  cas  et  ne  pas  l'accuser. 


456  APPENDICES. 

u  C'est  précisément  notre  état,  et  loin  qu'il  ait  été  causé  par 
aucune  mauvaise  disposition  de  notre  part,  c'est  plutôt  à  un 
excès  de  bonté  qu'on  peut  l'attribuer;  Si  le  Roi  n'avoit  pas 
donné  la  préférence  à  la  défense  de  l'Impératric^e  sur  la  sienne 
propre,  les  moyens  de  continuer  ]a  gfuerre  et  pour  elle  et  pour 
lui  n'auroient  pas  manqué,  et  la  confiance  de  ses  peuples  n'au- 
roit  pas  été  dissipée. 

u  La  cour  de  Vienne  ne  doit  pas  oublier  que  le  Roi  s'est  dé* 
terminé  après  la  bataille  de  Prague  d'envoyer  une  nouvelle 
armée  en  Allemagne.  Le  Roi  a  employé  sans  réserve  toutes  ses 
troupes  et  ses  trésors  pour  la  cause  de  son  alliée;  les  mauvais 
succès  survenus  de  part  et  d'autre  ont  épuisé  le  nerf  de  la 
guerre;  mais  son  amitié  pour  l'Impératrice,  son  envie  de  con- 
tribuera ses  avantages  n'ont  pas  été  altérées  par  les  circonslançei. 
Il  est  vrai  qu'il  a  désiré  la  paix  dans  un  temps  où  il  croyoit 
qu'elle  auroit  pu  se  faire  d'une  façon  raisonnable  pour  l'Impé- 
ratrice et  pour  lui  ;  cette  princesse  a  exigé  qu'il  employât  ses 
dernières  ressources  à  faire  encore  cette  campagne  ;  il  y  a  défëré; 
mais  ce  sont  exactement  ses  dernières  ressources. 

u  Le  commerce  de  ses  sujets  anéanti,  ses  forces  navales  abat- 
tues, la  confiance  bannie,  ses  possessions  de  tous  côtés 'en  proie 
à  la  fureur  des  Anglais,  qui  viennent  nouvellement  de  débar- 
quer auprès  de  Cherbourg,  en  Normandie,  ont  tari  la  source  de 
la  continuation  de  la  guerre;  c*est  un  sujet  de  regrets  et  non  de 
reproche. 

u  Les  apparences  de  cette  campagne,  du  côté  de  la  terre,  soaC 
à  la  vérité  d'un  très-heureux  augure,  et  le  Roi  fera  tous  ses 
efforts  pour  contribuer  à  les  réaliser,  quoi  qu'il  lui  en  coûte; 
mais  il  faudra  nécessairement  s'en  servir  pour  rendre  les  condi- 
tions de  la  paix  meilleures,  et  Ton  risqueroit  de  tout  perdre 
si  l'on  vouloit,  pour  tout  gagner,  tenter  le  sort  d'une  non* 
velle  campagne  sur  la  foi  hasardeuse  de  la  constance  de  la  iioi^ 
tune. 

tt  Ces  réflexions  n'empêcheront  pas  qu'on  ne  se  prépare  à  la 
campagne  prochaine;  mais  nous  tromperions  nos  alliés  de  leur 
faire  espérer  de  pouvoir  la  soutenir  avec  les  mêmes  dépenses. 
Quelque  heureux  que  puissent  être  nos  succès  en  Allemagne, 
ils  ne  rétabliront  ni  la  marine  du  Roi,  ni  son  commerce;  ils  ne 
mettront  pas  ses  colonies  et  ses  autres  possessions  à  couvert  des 


NÉGOCIATIONS   AVEC   LA   COUR    DE  VIENNE.       457 

entreprises  multipliées  de  T Angleterre  ;  ils  ne  feront  pas  renaître 
la  confiance  des  Français,  et  tandis  que  le  Roi  seroit  occupé  à  la 
poursuite  de  nouveaux  avantages  sur  le  continent,  dans  la  cam- 
pagne prochaine,  les  Anglais  pourroient  avoir  contre  nous  des 
succès  décisifs  qui  plongeroient  le  royaume  dans  un  état  de  dé- 
sordre auquel  il  ne  seroit  pas  possible  de  remédier. 

a  Du  côté  de  la  terre,  nos  ennemis  ne  manqueront  pas  d'at- 
tribuer à  une  ambition  démesurée  notre  opposition  à  la  paix. 
Nos  alliés  de  l'Empire,  que  nous  serons  bientôt  dans  l'impuis- 
sance de  retenir  par  l'appAt  des  subsides,  se  détacheront;  les 
principales  puissances  protestantes  qui  se  sont  tenues  dans 
l'inaction  s'attacheroient  aux  Anglais  par  l'espérance  de  s*a- 
grandir.  Quelque  révolution  chez  nos  plus  fidèles  amis  tourne- 
roi  t,  malgré  eux,  contre  nous,  les  forces  qui  agissent  pour  la 
cause  commune;  la  plupart  des  princes  et  États  de  l'Empire, 
qui  verroient  perpétuer  leurs  malheurs  dans  les  temps  où  nous 
pourrions  les  terminer  par  la  paix,  dégoûtés,  fatigués ,  pren- 
droient  parti  contre  nous.  Nos  ennemis  y  trouveroient  des  res- 
sources immenses  en  tout  genre,  et  dans  une  pareille  circon- 
stance, il  ne  seroit  pas  aisé  de  prévoir  toutes  |les  suites  funestes 
que  pourroit  avoir  la  nouvelle  scène  qui  s'ouvriroit  en  Alle- 
magne à  notre  préjudice. 

u  Nous  ne  pouvons  croire  que  si  nous  parvenons  une  fois  à  faire 
la  paix,  elle  soit  sitôt  troublée.  La  nation  anglaise  sentira  alors 
toutes  ses  pertes;  chargée  de  dettes  immenses,  guérie  par  les 
dernières  disgrâces  du  roi  de  Prusse  de  l'enthousiasme  ridi- 
cule dont  elle  a  été  saisie  pour  ce  prince,  elle  ne  lui  prodi- 
guera de  longtemps  ses  trésors  pour  renouveler  une  guerre  in- 
certaine. 

«  Le  roi  de  Prusse  lui-même^  qui  n'a  ni  commerce,  ni  ressources 
du  côté  des  finances,  affaibli  par  les  pertes  immenses  qu'il  a 
faites  et  par  celles  qu'on  lui  causera  vraisemblablement  dans  le 
reste  de  cette  campagne,  sera  obligé  de  Biire  de  grandes  ré- 
formes dans  ses  troupes.  Il  ne  se  trouvera  pas  sitôt  revenu  à 
l'état  formidable  où  il  étoit  au  commencement  de  la  guerre,  et 
la  fidélité  du  Roi  pour  l'Impératrice  doit  lui  répondre  que  la 
France  ne  contribuera  pas  à  relever  sa  puissance. 

u  Le  retourde  la  confiance  parmi  nos  commerçants  ei  dans  toute 
la  nation,  et  le   plan  d'économie  qui  s'établit,  accéléreront  le> 


458  APPENDICES. 

moyens  de  rétablir  la  marine  du  Roi  et  le  commerce,  et  mettront 
la  France  en  état  de  devenir  utile  à  ses  amis. 

u  Telle  est  la  perspective  du  parti  de  la  paix  et  de  celai  de  la 
continuation  de  la  g[uerre  au  delà  de  cette  campagne. 

a  Le  Roi  est  dans  la  ferme  résolution  de  ne  se  prêter  à  aucun 
traité  de  paix  en  Âllema(][ne  que  de  concert  avec  l'Impératrice; 
son  amitié  pour  elle  sera  invariable,  et  il  reg^arde  la  continuation 
de  l'alliance  comme  un  point  d^honneur,  comme  base  de  leur 
politique,  et  comme  la  garantie  lapins  assurée  de  la  tranquillité 
publique  et  de  leur  bonheur  particulier. 

u  Enfin  je  terminerai  cette  matière  par  dire  que  c'est  ici  le  lieu 
d'appliquer  la  maxime,  «  que  le  moment  de  faire  la  paix  est 
u  celui  où  Ton  fait  heureusement  la  guerre.  » 

Bernis  affirmait  encore  la  nécessité  de  la  paix  dans  une  dé- 
pêche en  date  du  19  août,  laquelle  se  trouvait  en  contradiction 
formelle  avec  les  dépêches  de  Ghoiseul  du  15.  Enfin  la  nou- 
velle de  la  prise  de  Louisbourg^,  arrivée  à  Versailles  le  21, 
faisait  sentir  au  ministre  que,  à  moins  de  sacrifier  toutes  nos 
colonies,  il  fallait  traiter  sans  aucun  retard.  Il  écrivait  à  Ghoi- 
seul le  25  août  : 

-  A  Venaillet,  le  25  août  1758. 

u  Nous  avons  appris,  Monsieur,  il  y  a  quatre  jours,  par  un 
courrier  dépêché  de  Londres  à  l'ambassadeur  d'Espagne,  la  red- 
dition de  Louisbourg^.  Cette  perte  est  affreuse  dans  l'opinion  et 
d'une  g[rande  conséquence  dans  la  réalité  ;  elle  va  diminuer  en- 
core nos  ressources  et  augmenter  considérablement  celles  de 
nos  ennemis. 

«Dans  l'état  de  faiblesse  et  presque  d'anéantissement  où  notre 
marine  est  réduite,  nous  avons  4  craindre  la  perte  totale  de  nos 
colonies  et  par  conséquent  de  notre  commerce. 

u  Quelque  succès  que  pût  avoir  la  guerre  de  terre,  on  ne  doit 
pas  s'ima^ner  qu'ils  puissent  être  comparés  au  dommage  qui 
résulteroit  pour  la  France  de  n'avoir  plus  de  commerce  :  nous 
serions  réduits  au  rang  des  secondes  puissances  de  l'Europe,  et 
nos  alliés  y  perdroient  eux-mêmes  un  appui  et  des  ressources 
dont  ils  doivent  sentir  tout  le  prix. 


NEGOCIATIONS   AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.       459 

(f  Le  Roi  a  résolu  de  faire  les  plus  grands  efifbrts  pour  arrêter 
le  torrent  des  prospérités  de  l'Angleterre  ;  mais  £es  efForts  ne 
sont  g^èrè  compatibles,  vu  l'état  de  nos  finances,  avec  ceux 
auxquels  notre  alliance  nous  oblige  tant  du  côté  de  la  guerre  de 
terre  que  pour  la  partie  des  subsides.  Il  n'y  a  que  la  paix  qui 

puisse  donner  le  temps  de  réparer  des  brèches  si  fortes 

Il  y  auroit  de  leur  part  (de  la  part  de  nos  alliés)  autant  d'in- 
sensibilité que  de  défaut  de  prévoyance  s'ils  se  refusoient  à 
entrer  dans  notre  situation,  et  à  prendre  de  concert  des  mesures 
pour  terminer  le  plus  promptement  qu'il  sera  possible  une 
guerre  qui  rendra,  si  elle  dure  encore  quelque  temps,  les  An- 
glais maîtres  absolus  du  commerce  de  foutes  les  nations  et  par 
conséquent  les  arbitres  de  l'Europe. 

u  Nous  espérons  que  la  cour  de  Vienne  voudra  bien,  de  con- 
cert avec  nous ,  éclairer  toutes  les  puissances  maritimes  sur  le 
danger  qu'elles  courent;  si  la  France,  qui  pouvoit  seule  résis- 
ter à  l'Angleterre,  est  abattue,  quelle  sera  la  sûreté  des  autres 
nations  ? 

u  L'Espagne  et  la  Hollande  sont  plus  particulièrement  intéres- 
sées à  faire  sur  ce  sujet  les  plus  sérieuses  réflexions. 

tt  Vous  savez.  Monsieur,  ce  que  l'on  peut  attendre  de  leur 
indolence  ou  de  leur  tait)lesse;  mais  ce  ne  doit  pas  empê- 
cher de  sonner  partout  le  tocsin  contre  la  tyrannie  anglaise, 
et  de  réveiller  de  leur  assoupissement  les  puissances  mari- 
times. 

u  Si  la  cour  de  Londres  pouvoit  craindre  qu'elles  se  réunissent 
contre  son  despotisme,  elle  deviendroit  plus  raisonnable,  et  nous 
pourrions  nous  arranger  avec  elle.  Mais  le  meilleur  moyen  à 
employer,  et  peut-être  le  seul,  est  de  faire  une  paix  qui  est 
devenue  nécessaire,  puisque  les  moyens  de  continuer  la  guerre 
vont  manquer  incessamment. 


M  Vous  ne  ferez  usage.  Monsieur,  de  ces  réflexions  que  sur  ce 
ton  de  l'amitié  et  de  la  confiance,  en  écartant  tout  ce  qui  senti- 
roit  la  précipitation,  l'abattement  ou  le  désespoir.  Nous  nous 
préparons  à  la  guerre  comme  si  elle  ne  devoit  jamais  finir  ;  mais 
nous  tromperions  nos  alliés  si  nous  leur  cachion.s  notre  véritable 
état.» 


460  APPEDDICES. 

Ces  considérations  si  justes  et  si  frappantes  trouvaient  à 
Vienne  un  singulier  accueil.  Ce  qui  à  Versailles  semblait 
devoir  déterminer  à  la  paix,  à  Vienne  produisait  Tefiet  in» 
▼erse,  et  l'Impératrice  en  tirait  des  conclusions  pour  le  profit 
du  parti  qu'elle  soutenait.  Voici  ce  que  Choiseul  écrivait  le 
5  septembre  : 

■  Vienne,  le  5  septembre  1758. 

u  Sa  Majesté  Impériale  m'a  paru  très-afXèctée  de  la  perte 

de  Louisbourg Tai  cm  que  l'attendrissement  où  je   Fai 

trouvée  sur  cet  événement  étoit  une  occasion  de  lui  rappeler 
les  difficultés  qu'il  y  auroit  de  soutenir  la  guerre  encore  une 
campagne. 

«  Sa  Majesté  m'a  dit  un  mot  remarquable,  è  cette  occasion,  qui 
est  qu'elle  avoit  appris,  dès  sa  jeunesse,  que  le  plus  grand  mal- 
heur pour  une  couronne  étoit  de  fiiire  la  paix  dans  les  disgrâces; 
que,  depuis  qu'elle  savoitla  prise  de  Louisbouiig,  elle  avoit  beau- 
coup réfléchi  sur  les  inconvénients  de  la  continuation  de  k  * 
guerre,  qu'elle  les  avoit  discutés  avec  M.  le  comte  de  Kaunitz,en 
qui  elle  entrevoyoit  une  propension  à  la  paix;  mais  que  ce 
ministre  ne  connaissolt  pas  aussi  bien  qu'elle  le  fond  de  ses 
affaires  intérieures,  et  la  nécessité  où  elle  étoit,  pour  la  conser- 
vation de  ses  pays  et  de  ses  siyets,  que  le  roi  de  Prusse  fôt 
affaibli  au  point  de  pouvoir  espérer  une  paix  de  vingt  ans  en 
Allemagne;  que  quant  à  la  guerre  d'Angleterre,  elle  doutoit 
que  le  ministère  anglais  se  prête  à  aucun  accommodement,  qu'elle 
ne  voyoit  point  de  sécurité  pour  ses  États  et  que  des  désavan- 
tages pour  le  Roi  au  parti  de  Faire  une  paix  séparée  avec  le  roi 
de  Prusse,  qu'il  étoit  donc  question  de  trouver  le  moyen  défaire 
la  paix  générale  de  la  France  avec  l'Angleterre,  et  de  l'Impéra- 
trice avec  la  Prusse  ;  qu'elle  n'imaginoit  d'autre  projet  à  suivre 
pour  parvenir  à  ce  moyen  que  celui  que  les  conquêtes  du  conti- 
nent réparassent  les  pertes  de  l'Amérique  et  missent  en  contra- 
diction l'électeur  de  Hanovre  avec  le  roi  d'Angleterre ,  et  par 
conséquent  un  trouble  nécessaire  entre  le  roi,  l'électeur  et  sa 
nation.  » 

Il  est  difficile  de  trouver  dans  cette  dépèche  quelque  trace 
d'une  propension  quelconque  à  la  paix,  fiernis,  profitant  pour- 


NEGOCIATIONS   AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.       461 

tant  de  ce  que  Tlmpératrice  avait  dit  elle-même  des  dispositions 
du  comte  de  Kaunitz,  profitant  en  môme  temps  du  découra([e- 
ment  que  faisaient  éprouvera  Choiseul  les  lenteurs  du  maréchal 
Daun,  et  dont  l'ambassadeur  se  plai(i^nait  dans  sa  dépêche 
du  17  septembre,  se  hâtait  d'écrire  les  deux  lettres  suivantes, 
dans  lesquelles  il  insistait  de  la  façon  la  plus  vive  sur  la  néces- 
sité du  rétablissement  de  la  paix  : 

«  Versailles,  le  16  septembre  1758. 

u  Nous  avons  vu  avec  un  extrême  plaisir  le  penchant  que  M.  de 
Kaunitz  vous  a  montré  pour  la  paix,  et  l'intention  du  Roi  est 
que  vous  employiez  tous  vos  soins  pour  cultiver  ce  sentiment  et 
le  faire  fructifier  au  plus  tôt. 

«  Le  Roi  ne  peut  qu'admirer  le  courage  héroïque  de  l'Impéra- 
trice au  milieu  des  dang^ers  qui  l'environnent.  C'est  la  marque 
d'une  âme  élevée  que  de  concevoir  de  g^rands  projets  dans  le  sein 
du  malheur;  mais  il  en  faut  toujours  revenir  aux  [liirtis  possi- 
bles... Les  Russes  sont  hors  de  combat;  les  Suédois,  privés  de 
toute  diversion  de  leur  part,  ne  feront  pas  plus  l'année  prochaine 
que  celle-ci .  Nous  n'opérerons  pas  davantage  nous-mêmes,  et  nous 
risquerons,  de  plus,  de  perdre  toutes  nos  colonies  et  de  mettre 
dans  l'intérieur  du  royaume  un  désordre  dont  il  n'est  pas  aisé 
de  prévoir  toutes  les  conséquences,  et  qu'il  est  bien  plus  sage  de 
prévenir  par  la  paix. 

M  Le  Roi,  qui  a  des  enfants  et  des  peuples,  se  doit  tout  entier  à 
la  conservation  de  son  royaume,  dont  les  fondements  sont  ébranlés 
de  toute  part. 

M  Nous  manquons  de  généraux,  d'argent  et  d'hommes.  Une  paix 
séparée  entre  le  roi  de  Prusse  et  la  cour  de  Vienne  et  ses  alliés 
nous  laissera  peut-être  en  guerre  avec  l'Angleterre  ;  mais  quand 
nous  n'aurons  que  celle-là,  nous  aurons  plus  de  moyens  de  la 
soutenir  et  de  la  porter  même  dans  le  sein  de  l'Angleterre. 

«  Si,  au  contraire,  le  Roi  continue  à  mettre  ses  plus  grands 
efforts  dans  la  guerre  d'Allemagne,  plusieurs  puissances  d'Alle- 
magne qui  craignent  l'agrandissement  de  la  cour  de  Vienne 
par  les  événements  de  la  guerre,  les  protestants,  ^^qui  envisagent 
la  destruction  du  roi  de  Prusse  comme  celle  du  seul  appui  qu'ils 
aient  pour  eux  et  pour  leur  religion,  ne  s'opposeront  point  aux 


462  APPENDICES. 

pro(p:^s  des  Anglais  par  mer,  quoiqu'ils  les  redoutent,  tant  que 
la  guerre  d'Allemagne  continuera,  parce  qu'ils  ne  voudront  pts 
se  mêler  d'une  guerre  générale  qui  ne  les  intéresse  pas 
personnellement,  et  dont  les  suites  paraissent  contraires  à  leurs 
intérêts  les  plus  directs. 

M  Je  n'ai  point  varié,  Monsieur,  dans  mes  principes  depuis  un 
an  ;  j'ai  prévu  la  nécessité  de  faire  la  paix  tant  par  l'état  de 
notre  marine  et  de  nos  colonies  que  par  la  supériorité  des  talents 
militaires  du  roi  de  Prusse,  par  le  défaut  de  concert  des  alliés, 
enfin  par  la  disette  d'argent  qui  fait  échouer  toutes  les  opéra- 
tions, même  les  mieux  concertées. 

u  Tel  est  le  tableau  politique  de  la  circonstance  actuelle.  Vous 
ne  pouvez  trop  vous  en  pénétrer.  Monsieur,  ni  foire  trop  d'ef- 
forts auprès  de  la  cour  de  Vienne  pour  qu'elle  sacrifie  les  idées 
de  vengeance  et  les  projest  dont  l'apparence  spécieuse  peat 
éblouir  aux  partis  que  les  événements  rendant  possibles  et  la 
prudence  nécessaires. 

tt  Vous  voyez.  Monsieur,  qu'il  n'y  a  aucune  espérance  solide,  et 
au  contraire  beaucoup  de  craintes  fondées  à  concevoir  de  la  con- 
tinuation de  la  guerre  pour  Tannée  prochaine.  Il  ne  s'agit  que 
de  renoncer  aux  avantages  du  traité  secret  et  de  nous  en  tenir 
au  premier  traité  de  Versailles.  Nous  sommes  résolus  à  le 
faire » 

Il  ajoutait  le  23  septembre,  après  avoir  reçu  la  nouvelle  que 
l'armée  de  l'Empire  s'était  emparée  de  la  forteresse  de  Sonnen- 
stein  et  du  camp  de  Pirna  : 

o  Ces  avantages  ne  doivent  être  employés  qu'à  faire  une 
meilleure  paix  cet  hiver,  et  vous  devez  y  insister  avec  force, 
conformément  à  ma  dernière  dépêche,  sans  quoi  nous  nous  ex- 
poserons aux  plus  cruels  dangers  par  les  nouveaux  embarras  que 
nos  ennemis  travaillent  à  nc^s  susciter.  » 

Choiseul  est  donc  mis  en  demeure  d'agir.  Il  se  détermine  à 
aller  trouver  M.  de  Kaunitz  et  à  lui  rendre  compte  des  instruc- 
tions qu'il  a  reçues.  Le  26  septembre,  il  écrit  à  Bernis  pour  lui 
raconter  ses  conversations  avec  le  ministre  autrichien  : 


NEGOCIATIONS   AVEC   LA   COOR   DE  VIENNE.       463 

(c  J'ai  eu  hier  une  longue  conférence  avec  M.  le  comte  de 
Kaunitz.  Ce  ministre  m'avoit  dit,  il  y  a  deux  jours,  en  revenant 
de  Luxembourg,  qu'il  avoit  trouvé  l'Impératrice  plus  opposée 
que  jamais  à  toute  idée  de  paix.  Je  marquai  légèrement  à  M.  de 
Kaunitz  que  cette  fermeté  de  Sa  Majesté  Impériale  n*étoit  point 
analogue  à  la  situation  des  affaires  de  Talliance,  et  qu'il  me 
paraissoit  que  si  l'Impératrice  étoit  déterminée  à  continuer  la 
guerre,  du  moins  falloit-il  convenir  pour  le  bien  de  l'alliance 
d'un  autre  principe  que  celui  du  traité  secret  dont  les  charges 
devenoient  impossibles  à  remplir  pour  la  France. 

u  M.  de  Kaunitz  m'apprit  que  M.  de  Starhemberg  lui  avoit  écrit 
dans  le  même  sens  que  je  lui  parlois,  et  m'ajouta,  je  crois,  que 
cet  ambassadeur  lui  avoit  envoyé  un  billet  de  vous.  Monsieur, 
où  vous  lui  marquiez  que  le  Roi  vouloit  la  paix. 

a  Je  dis  à  M.  de  Kaunitz  que  cette  insinuation  de  votre  part  ne 
m'étonnoit  pas,  d'après  les  relations  que  vous  vouliez  bien  me 
faire  sur  Tétat  des  finances,  du  commerce  et  de  la  marine  de 
France;  qu'enfin  nous  n'avions  que  des  succès  défensifs  de 
tout  côté,  tandis  que  nous  nous  ruinions  pour  un  projet  offensif, 
et  que  cette  différence  d'exécution  rendroit  la  conduite  des  deux 
cours  blâmable,  j'ose  même  dire  peu  éclairée,  si,  en  continuant 
un  projet  offensif,  les  forces  alliées  ne  pouvoient  ou  ne  vouloient 
exécuter  que  la  défensive. 

M  La  conversation  de  ce  jour  se  borna  là...  Avant-hier  au  soir 
nous  reprîmes  sérieusement  la  question  que  nous  avions  déjà 
agitée  plusieurs  fois,  et  ce  ministre  convint  que  le  lendemain 
nous  aurions  une  conférence  sur  cette  matière  délicate;  je  l'ai 
eue  hier  au  soir. 

M  J'ai  exposé.  Monsieur,  à  M.  le  comte  de  Kaunitz  tout  ce  que 
renferme  votre  dépêche  n*  70  (16  septembre).  M.  de  Kaunitz  n*a 
rien  objecté  à  cette  exposition  ;  il  s'est  borné  à  me  dire  que  la 
matière  étoit  si  délicate  qu'il  ne  pouvoit  pas  prendre  sur  lui  d'en 
rendre  compte  à  Sa  Majesté  Impériale,  à  moins  que  je  ne  lui 
donnasse  par  écrit  les  principaux  points  que  je  venois  de  lui 
déduire,  ou  du  moins  que  je  ne  lui  permisse  de  les  écrire  sous 
ma  dictée,  r  .  .  . 

tt  Je  lui  répondis  que  je  n'étois  pas  autorisé  ni  à  donner  par 
écrit,  ni  à  dicter  ce  que  je  venois  de  lui  dire 

u  Le  ministre  de  Tlmpératrice  me  dit  que,  puisque  cela  étoit| 


464  APPENDICES. 

il  me  prioit  de  vous  dépêcher,  Moasieur,  le  plus  tôt  possible,  un 
courrier  pour  obtenir  cette  autorisation,  car  il  me  répétoit  que 
dorénavant,  sur  ce  qui  reg^arde  la  négociation  de  la  paix ,  il 
n'étoit  pas  en  son  pouvoir  de  traiter  cette  matière  autrement 
que  par  écrit. 

tt  J'ai  résumé.  Monsieur,  ce  que  venoit  de  me  dire  d*un  très- 
g^and  sang-froid  M.  le  comte,  de  Kaunitz;  je  lui  dis  qu'il  m'au- 
torisoit  donc  à  vous  d<>mander,  de  la  part  de  l'Impératrice, 
un  plan  de  pacification,  ainsi  qu'un  mémoire  sur  les  moyens 
qu'on  compteroit  employer  pour  parvenir  à  l'exécution  de  ce 
plan. 

tt  J'observai  à  M.  de  Kaunilz  plusieurs  inconvénients  dans  li 
forme  que  nous  allions  suivre  pour  la  paix,  et  quoique  je  parusse 
à  ce  ministre,  et  que  je  le  sois  eFFectivement,  pénétré  de  la  déit^ 
rence  et  de  la  fidélité  de  Tlmpératrice,  cependant,  je  fis  la  re- 
marque que  cette  déférence  pouvoit  ne  produire  aucun  efiet; 
car  la  discussion  des  conditions  et  des  moyens  de  faire  réussir 
les  conditions  pouvoit  être  sujette  à  tant  de  longueurs  que 
l'hiver  seroit  passé  avant  que  Ton  fût  convenu  de  la  question 
Ofî,  que  la  question  quomodo  entratneroit  encore  bien  d'autres 
difficultés,  et  pourroit  même  produire  de  la  mésintelligence 
entre  les  deux  cours,  car  il  me  paraissoit  délicat  pour  le  Roi  et 
son  ministre  de  décider  absolument  la  question  entre  l'Impéra- 
trice et  le  roi  de  Prusse,  d'autant  plus  que  je  ne  pouvois  pas 
douter  que^  si  le  roi  de  Prusse  n'étoit  pas  contraint  à  quelque 
cession  en  faveur  de  l'Impératrice,  Sa  Majesté  Impériale  refa- 
serolt  son  acquiescement,  et  que  d'un  autre  côté  il  paraissoit 
difficile  d'obtenir  du  roi  de  Prusse  des  cessions  ;  par  conséquent 
la  paix  ne  suivroit  point  la  négociation  commencée,  et  par  con- 
séquent encore  la  France  se  trouveroit  surchargée  des  mêmes 
dépenses  pour  la  guerre  d'Allemagne,  ou  obligée  d'abandonner 
l'Impératrice  son  alliée. 

Cl  M.  de  Kaunitz  me  répliqua  que  l'Impératrice  nedemandoit 
ni  ne  vouloit  la  paix,  mais  qu'elle  l'accorderoit  pour  satisfiiire 
le  Roi,  et  que,  comme  c'étoit  le  Roi  qui  l'exigeoit,  c'étoit  à  lui  à 
en  faire  les  conditions. 

«  Je  n'en  restai  pas  là,  Monsieur,  avec  le  ministre  de  Sa  Ma- 
jesté Impériale;  je  lui  dis  que,  mettant  à  part,  chacun  de  notre 


^      :H/^.^  


NEGOCIATIONS  AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.      465 

côté,  le  caractère  de  ministre,  j'interpellois  ses  lumières  et  sa 
probité  pour  lui  demander  s'il  conseilleroit  au  Roi  de  continuer 
la  guerre  sur  le  pied  du  traité  secret.  Je  lui  dis  sur  cet  article  ce 
que  vous  trouverez  dans  mon  mémoire,  joint  à  ma  dépêche 
n»  96. 

u  M.  de  Kaunitz  me  répondit que,   pour  ce    qui 

reçardoit  le  traité  secret,  c'étoit  un  arrangement  particulier  entre 
le  Roi  et  l'Impératrice,  et  qu'il  ne  dépendoit  que  d'eux  que,  sur 
cet  objet,  soit  que  le  Roi  ne  voulût  pas  tenir  le  traité  secret,  soit 
qu'il  parût  à  Sa  Majesté  trop  onéreux,  et  qu'elle  n'en  voulût 
conserver  que  quelque  partie,  soit  que  le  Roi  voulût  établir  pour 
principe  de  l'alliance  le  premier  traité  défensif,  soit  enfin  que 
Sa  [Majesté  voulût  arrêter  tel  autre  plan  qu'elle  jugeroit  conve- 
nable aux  deux  cours  pour  continuer  l'alliance.  Alors  M.  de  Kau- 
nitz m'a  permis  de  vous  solliciter.  Monsieur,  de  m'envoyer  un 
mémoire  précis  des  intentions  du  Roi,  et  m'a  ajouté  que  l'on 
trouveroit  ici  peut-être  moins  de  dijFficulté  que  l'on  ne  pensoit  à 
entrer  dans  les  vues  de  Sa  Majesté,  et  à  se  prêter  à  tout  ce  qui 
pourroit  être  agréable  au  Roi.  ••."•••» 

Ainsi,  aux  demandes  formelles,  pressantes,  réitérées,  que  lui 
adressait  Remis;  à  cet  exposé  si  net  et  si  précis  de  la  situation  de 
la  France,  voilà  comment  répondait  MaricoThérèse.  Huit  mois 
s'étaient  écoulés  depuis  que  les  premières  négociations  pour  la 
paix  avaient  été  engagées,  et  après  huit  mois,  l'Impératrice  re«> 
fusait  encore  de  reconnaître  que  la  paix  était  nécessaire,  et  récla- 
mait des  mémoires,  c'est-à-dire,  s'acharnait  à  gagner  du  temps. 
N'était-elle  pas  au  courant  de  ce  qui  se  passait  à  Versailles?  ne 
savait-elle  point  que  Bernis,  ébranlé,  était  prêt  à  céder  la  place 
à  Choiseul?  Son  intérêt  lui  commandait  d'être  bien  informée*  et 
l'on  peut,  sans  crainte  de  se  tromper,  affirmer  qu'elle  avait  suivi 
attentivement  les  phases  diverses  de  la  révolution  de  palais  qui 
allait  changer  le  système  de  la  France. 

Et  si  Choiseul  n'était  point  d'accord  avec  l'Impératrice,  on  peut 
être  assuré  du  moins  que,  pour  son  propre  compte,  il  jouait  le 
même  jeu  qu'elle.  Rien  que  dans  les  lettres  particulières  que 
Bernis  lui  adressait,  il  lui  était  facile  de  voir  que  le  renvoi  du 
ministre  des  affaires  étrangères  n'était  qu'une  question  de  temps. 

Le  15  juillet,  Remis  lui  avait  écrit  pour  l'inviter  à  faire  un 
II.  80 


466  APPENDICES. 

voyage  à  Versailles  ;  à  défaut  d'autre  symptôme,  et  il  n'est  pas  i 
douter  que  Choîseul  n'était  pas  sans  avoir  de  nombreux  oorresponr 
danis,  celui-ci  devait  suffire.  Il  démontrait  que  le  ministre  des 
aflaires  étrangères  avait  besoin  d'aide  pour  fiiire  triompher  mm 
système  pacifique;  que,  à  Versailles,  il  se  heurtait  à  des  difficul- 
tés telles  qu'il  ne  se  croyait  plus  en  droit  d'envoyer  à  Pambaisa- 
deur  des  instructions  formelles,  et  qu'il  espérait  trouver  en  Im 
un  auxiliaire,  à  condition  que  celui-ci  vint  se  rendre  compte  é$ 
visu  de  la  situation.  Le  17  août,  Bernis  offrait  nettement  à  Choî- 
seul le  portefeuille  des  aflaires  étrangères  et  réclamait  sa  colb* 
boration,  qui  lui  semblait  dès  lors  indispensable.  Le  26  août,  il 
insistait  sur  cette  offre,  et  enfin,  le  16  septembre,  il  écrivait  aoe 
•  longue  lettre  pour  le  déterminer  à  venir  sans  retard.  Le  19,  il 
déclarait  à  madame  de  Pompadour  qu'il  ne  pouvait  plus  répondre 
de  son  travail  ;  le  23  il  envoyait  à  Choiseul  l'ordre  de  hâter  son 
retour;  le  9  octobre,  il  était  définitivement  démissionnaire  et 
remplacé  par  Choiseul. 

Le  15  juillet,  Bernis  sentait  donc  que  la  partie  était  perdue, 
puisqu'il  implorait  du  secours.  Depuis  cette  date  jusqu'au  19  sep- 
tembre, la  lutte  qu'il  avait  soutenue  était  une  lutte  désespérée, 
et  lui-même  ne  se  dissimulait  qu'à  peine  sa  défaite.  Il  avait 
d'abord  envoyé  des  ordres,  et  ses  ordres  n'avaient  point  été 
exécutés.  11  avait  demandé  pour  faire  prévaloir  sa  politique 
l'appui  de  Choiseul,  et  cet  appui  lui  manquait.  Enfin,  il  s'était 
h&urté  à  la  volonté  formellement  exprimée  du  Roi,  et  s'il  avait 
pu  conserver  encore  quelque  illusion,  cette  lettre  de  Louis  XV 
lui  enlevait  ses  dernières  espérances.  Depuis  trois  mpis,  son  pou- 
voir ag^onisait.  A  partir  de  cette  date  du  9  octobre,  il  est  mort 
Bernis  n'est  plus  ministre.  Il  n'a  que  l'intérim  en  attendant  Choi- 
seul. Les  dépêches  que  ce  ministre  adresse  à  Vienne  le  2  et  le 
9  octobre  ont  donc  dans  ces  conditions  la  valeur  d'un  testament. 
Elles  sont  le  dernier  effort  tenté  pour  Êiîre,  au  nom  de  U 
France,  au  nom  de  la  politique  ancienne  que  représentent  les 
bureaux  des  affaires  étran(;ères,  prédominer  l'idée  de  paix.  Le 
ministre  s'y  met  en  g^arde  contre  les  lenteurs  préméditées  de  h 
cour  de  Vienne.  Il  écrit  le  2  octobre  :  u  La  prévoyance  des  rois 
est  le  salut  des  peuples.  La  résolution  de  faire  la  paix  cet  hiver 
n'est  point  un  acte  de  pusillanimité,  ou  de  peu  de  fidélité  à  Fal* 
liance,  ou  de  manque  de  bonne  volonté.  C'est  un  parti  forcé, 


NÉGOCIATIONS   AVEC   LA  COUR   DE  VIENNE.       46T 

dicté  par  la  nécessité  des  circonstances,  par  la  raison,  par  l'in- 
térêt et  par  le  devoir  indispensable  des  rois  de  pourvoir  à  la  con- 
servation de  leurs  États  et  du  rang  qui  leur  est  acquis  parmi  les 
autres  souverains. 

u  Le  Roi  a  donné  Texemple  le  plus  généreux  et  le  plus  rare 
de  fidélité  à  Palliance  et  d'amitié  pour  l'Impératrice,  en  épui- 
sant toutes  ses  forces  et  s'exposant  aux  plus  cruels  dangers  pour 
défendre  cette  princesse  et  la  remettre  en  possession  de  ce  qu'elle 
avoit  perdu  dans  la  dernière  guerre. 

u  Nous  avons  prévu  tout  ce  qui  est  arrivé;  cependant,  par  un 
-excès  de  complaisance  pour  l'Impératrice,  le  Roi  a  fait  cette 
campagne.  Qu'en  est-il  résulté  pour  Sa  Majesté?  De  perdre 
l'importante  forteresse  de  Louisbourg,  de  voir  ravager  ses  côtes 
en  Europe,  au  grand  préjudice  de  sa  gloire,  de  sa  marine  et  de 
ses  sujets;  de  voir  sa  marine  détruite,  son  commerce  ruiné  et  ses 

finances  entièrement  épuisées 

Une  nouvelle  preuve  de  complaisance  seroit  préju- 
diciable à  l'Impératrice  même,  et  ce  seroit  se  tromper  soi-même 
et  la  tromper  que  de  s'engager  à  une  troisième  campagne. 

u  Le  Roi  perdroit  toutes  ses  colonies  et  jusqu'à  l'espoir  de 
«rétablir  jamais  son  commerce,  sa  marine  et  ses  finances.  Enfin, 
ce  seroit  risquer  l'anéantissement  de  son  pouvoir,  par  conséquent 
la  dissolution  de  l'alliance,  par  l'impuissance  de  servir  ses 
alliés,  et  les  accabler  sous  les  ruines  de  la  puissance  de  la  France; 

u  L'animosité  de  Tlmpératrice  contre  le  roi  de  Prusse  est 
juste;  mais  elle  lui  &scine  les  yeux  sur  les  moyens  de  la  satis- 
faire. La  passion  est  un  orateur  suspect  dont  on  ne  peut  trop  se 
déBer,  et  il  ne  faut  pas  courir  à  une  perte  certaine  pour  Satire  un 
peu  de  mal  à  son  ennemi. 

u  Si  l'on  fait  la  paix  cet  hiver,  le  roi  de  Prusse,  dlénué  de  res» 
sources  que  lui  fournit  la  guerre,  sera  plus  épuisé  que  nous, 
parce  qu'il  manque  des  moyens  qui  réublissent  les  forces 
d'un  État.  Nous  serons  plutôt  que  lui  à  portée  de  nous  faire 
craindre,  et  le  maintien  inviolable  de  notre  alliance  sera  le  frein 
le  plus  assuré  contre  les  projets  ambitieux  de  son  imagination 
déréglée. 

u  Vous  voyez,  Monsieur,  que  tout  concourt  À  nous  déterminer 
à  la  paix^  avant  qu'il  s'élève  de  nouveaux  orages,  et  nous  nous 
en  rapportons  entièrement  à  votre  «èle  et  à  votre  dextérité  pour 

80. 


468  APPENDICES. 

foire  valoir  auprès  de  Tlmpératrice-Reine  et  de  son  ministre  k 
multitude  de  raisons  qui  combattent  en  iaveur  du  parti  que 
nous  proposons. 

M  Surtout  vous  devez,  Monsieur,  vous  mettre  en  garde  contre 
tout  plan  qui,  en  traînant  la  nég[ociation  en  longueur,  nous  con- 
duirait à  Commencer  la  campagne  prochaine.  C'est  le  bat  de  la 
cour  de  Vienne,  mais  nous  ne  pouvons  nous  y  laisser  conduire. 

tt  Nous  ignorons  par  quel  moyen  nos  armées  pourront  sub- 
sister dans  leurs  quartiers  cet  hiver.  En  un  mot,  nous  ne  pou- 
vons soutenir  la  guerre  de  terre  sans  abandonner  Ja  marine  et 
les  subsides.  11  ne  nous  reste  de  possibilité  que  pour  payer  en 
argent  le  contingent  du  traité  défensif  de  Versailles.  Toute  autre 
idée  porteroit  à  faux.  11  est  bon,  Monsieur,  que  vous  oonnaisaez 
le  fond  des  choses  ;  l'usage  que  vous  en  ferez  est  remis  à  votre 
prudence,  à  la  connaissance  que  vous  avez  de  la  cour  de  Vienne 
et  des  intérêts  de  Talliance  ;  mais  ceux  de  TËtat  doivent  avoir 
une  entière  préférence. 

u  .  4 11  est  nécessaire  que  vous  prépariez  les  esprits  â 

la  paix^  et  que  vous  profitiez  des  dispositions  que  vous  avez  re- 
marquées dans  M.  de  Kaunitz  pour  s'y  prêter.  Vous  savez  qne 
nous  sommes  très-disposés  à  renoncer  aux  avantages  du  traité 
secret;  mais  il  conviendroit,  du  moins,  qu'en  considération  de 
ce  sacrifice  et  de  tous  ceux  que  le  Roi  a  faits  pour  les  intérêts  d^ 
l'Impératrice,  elle  voulût  bien  régler  tous  les  différends  àes 
limites  et  enclaves  que  nous  avons  pour  les  Pays-Bas  et  qni  ne 
peuvent  que  faire  naître  des  disputes  continuelles  très-nnisibb 
à  la  bonne  intelligence  et  au  bon  voisinage  qui  sont  le  ht^ 
ment  de  l'alliance.  » 

Le  9  octobre,  il  adresse  à  Choiseul  la  dépêche  suivante  : 

«  Versailles,  le  9  octobre  1758. 

a  ...  k  .  Le  tableau  que  je  vous  ai  fait  dans  mes  différentes 
dépêches,  et  surtout  dans  la  dernière,  n^  75,  de  notre  situatioa 
par  rapport  aux  circonstances  actuelles  des  affaires  générales^ 
n'est  que  trop  fidèle,  et  chaque  jour  en  confirme  la  vérité.  Ce 
seroit  manquer  à  ce  que  le  Roi  doit  à  son  État,  à  ses  sujetsetà 
rimpéralrice  elle-même,  que  de  déférer,  uniquement  parcora- 
plaisance,  au  désir  qu'elle  a  de  nous  voir  continuer  la  guerre* 


NÉGOCIATIONS   AVEC  LA   COUR  DE  VIENNE.       4«9 

tt  Le  Roi,  depuis  le  mois  de  décembre  de  Tannée  demièTe, 
a  tâché  de  convaincre  la  conr  de  Vienne  de  la  nécessité  de  faire 
la  paix  par  l'impossibilité  de  soutenir  la  (pierre  et  par  le  peu 
d'espoir  de  remplir  tous  les  objets  du  traité  secret. 

u  L'Impératrice  a  encore  demandé  une  campagne  au  Roi.  Sa 

Majesté  la  lui  a  accordée Qu'en  est^il  résulté?  qu'il  a 

perdu  la  clef  de  ses  colonies  de  l'Amérique,  qu'elles  sont  expo- 
sées à  tomber  au  pouvoir  de  ses  ennemis que  la 

marine  de  France  est  détruite,  le  commerce  anéanti,  la  confiance 
perdue  ;  que  les  Anglais  sont  prêts  à  s'emparer  de  la  monarchie 
universelle  des  mers,  qui  les  mettra  en  état  de  dicter  la  loi  sur  la 
terre  ;  que  l'épuisement  de  la  France  est  total,  que  les  ressources 
sont  taries  et  les  obstacles  multipliés;  d'où  il  s'ensuit  évidem- 
ment que  le  Roi  est  plus  en  droit  que  jamais  de  sommer  l'Impé- 
ratrice de  l'exécution  de  la  parole  qu'elle  lui  a  donnée  de  le 
dispenser  de  la  continuation  de  la  guerre. 

u  Le  Roi  n'a  jamais  entendu  vouloir  forcer  l'Impératrice  à 
faire,  contre  sa  volonté,  la  paix  avec  son  ennemi  ;  Sa  Majesté 
sait  qu'elle  aura  toujours  une  raison  pour  en  retarder  le  moment 
dans  la  condition  de  la  prétendre  sûre  et  honorable  ;  maïs  elle 
ne  l'obtiendra  telle  que  lorsque  le  roi  de  Prusse  sera  affaibli, 
et  pour  affaiiblir  un  prince  qui  Biït  si  peu  de  fautes  et  qui  profite 
si  habilement  de  celles  des  autres,  il  faut  prolonger  la  guerre 
sans  savoir  quand  elle  finira,  et  avant  de  s'y  déterminer,  la  pru- 
dence exige  qu'on  examine  si  l'on  a  les  moyens  de  la  continuer, 
et  si  les  événements  qui  peuvent  survenir  doivent  naturelle- 
ment être  plus  heureux  que  les  événements  passés.  Si  l'on  ne 
veut  pas  s'aveugler,  on  sera  obligé  de  convenir  que  ces  évé- 
nements  ne  peuvent  être  que  de  plus  en  plus  malheureux  : 

u  1«  Parce  que  les  ressources  de  l'alliance  sont  usées;  que  les 
généraux  sont  les  mêmes;  que  la  disette  d'hommes  et  d'ai^gent 
est  plus  grande,  puisque  nous  avons  bien  de  la  peine  à  hire  la 
levée  de  la  milice  cette  année,  que  nous  n'avons  plus  de  com- 
merce et  que  la  récolte  est  mauvaise  ; 

u  2*  Parce  qu'il  est  fort  douteux  que  la  Russie  et  la  Suède 
agissent  l'année  prochaine,  ef  qu'en  supposant  qu'elles  agissent, 
ces  puissances  n'opéreront  pas  avec  plus  d'utilité  que  les  deux 
dernières  campagnes  ; 

u  3*  Que  les  autres  princes,  nos  alliés,  sont  fatigués  pour  la 


470  APPENDICES 

plupart,  et  que  plusieurs  d'entre  eux  sont  malintentionnés,  ou 
par  eux-mêmes  ou  par  les  dispositions  de  leurs  ministres  ; 

a  4*  Parce  que  la  France  ne  peut  pas  fermer  plus  longtemps 
les  yeux  sur  sop  épuisement  et  sur  son  véritable  intérêt  ;  qu'elle 
ne  peut  pas  abandonner  deux  ce^it  millions  que  le  commerce 
maritime  fait  entrer  annuellement  en  France  et  qui  la  mettent 
en  état  d'avoir  de  grandes  armées ,  et  de  soudoyer  celle  de  ses 
alliés;  qu  aucun  intérêt  ne  peut  prévaloir  sur  celui-là ,  puisque  la 
qualité  de  grande  puissance  y  est  attachée;  que  toute  la  nation 
réclame  cet  intérêt  essentiel,  et  que  le  Roi  n'est  pas  le  maître  de 
fermer  l'oreille  à  des  cris  si  légitimes; 

u  5*  Que  l'on  ne  peut  répondre  que  la  Porte  ne  déclare  la 
guerre  aux  deux  impératrices,  ou  à  l'une  d'eux  ;  que  nous  ne 
pouvons  plus  compter  affirmativement  sur  la  neutralité  des  Hol- 
landais, les  républicains  perdant  tous  les  jours  du  terrain 

Si  l'Impératrice  choisit  le  parti  de  la  continuation 

de  la  guerre,  il  faut  que  le  Roi,  pour  la  secourir,  emploie  les 
moyens  qui  restent  en  sa  puissance,  et  comme  Sa  Majesté  nepeat 
pas- manquer  à.  ses  engagements,  et  que,  d'un  autre  côté,  elle 
n'est  plus  en  état  de  satisfaire  à  ceux  du  traité  secret,  elle  se 
trouvera  donc  forcée  malgré  elle,  dans  le  cas  de  la  continnation 
de  la  guerre,  à  ne  donner  que  son  contingent  de  vingt-quatre 
mille  hommes  de  troupes  en  argent,  et  à  s'en  tenir  au  premier 
traité  de  Versailles,  auquel  on  ajoutera  tous  les  arrangements  par 
ticuliers  qui  peuvent  unir  plus  étroitement  les  deux  maisons  et 
les  deux  couronnes,  et  rendre  leur  alliance  perpétuelle  et  indisé 
soluble;  mais  vous  aurez  soin.  Monsieur,  de  ne  faire  entrevou 
cette  conclusion  qu'avec  tout  l'art  imaginable,  de  façon  que  la 
cour  de  Vienne  soit  obligée  de  l'adopter  comme  la  conséquence 
d'un  parti  auquel  elle  auroit  déféré  d'elle-même 

u J'ai  parlé,  dans  le  plus  grand  détail  et  avec  la 

plus  grande  sincérité,  avec  M.  de  Starhemberg,  sur  le  fonil  de 
nos  ressources La  conclusion  a  été  que  nous  trouve- 
rions la  cour  de  Vienne  plus  raisonnable  que  nous  ne  le  croyons, 
tant  sur  la  paix  que  sur  nos  arrangements .  C'est  à  vous.  Mou- 
sieur,  à  la  lui  faire  désirer  et  vous  ne  sauriez  rendre  un  plus 
grand  service  à  l'État  et  au  Roi.  Sa  Majesté  voudroit  qu'elle  fût 
faite 

ce  Si  la  guerre  se  prolonge,  personne  n'y  gagnera  que  l'Angle- 


NEGOCIATIONS   AVEC   LA   COUR   DE  VIENNE.      471 

terre,  en  s'emparant  du  commerce  de  toutes  les  nations  mariti- 
mes, trop  faibles  ou  trop  timides  pour  lui  résister;  elle  deviendra 
le  despote  de  l'univers,  et  elle  soutiendra  toujours  le  roi  de 
Prusse,  qui  lui  fournit  le  moyen  de  remplir  son  objet  en  faisant 
diversion  aux  forces  maritimes  de  la  France,  par  l'épuisement  où 
la  jettent  les  efforts  qu'elle  est  oblig^ée  de  faire  sur  le  conti- 
nent  

« La  conclusion  de  cette  lettre  est,  Monsieur,  que 

vous  devez  employer  tous  vos  efforts...  à  convaincre  la  cour  de 
Vienne  de  la  nécessité  de  la  paix,  tant  par  rapporta  notre  intérêt 
qu'il  lui  importe  si  fort  de  ménag^er,  que  par  rapport  au  sien 
propre  et  à  celui  de  ses  autres  alliés.  Le  Roi  ne  veut  pas  dérog^er 
à  ses  eng[agements,  qu'il  n'y  soit  forcé;  mais  il  ne  peut  se  dis8i«> 
muler  la  crainte  fondée  qu'il  a  de  ne  pouToir  pas  les  remplir  la 
cam pagine  prochaîne,  et  s'il  y  parvient  par  miracle,  ce  seroit  aux 
dépens  de  sa  marine,  de  son  commerce  et  de  la  défense  de  ses 
États » 

Il  n'est  point  utile  de  pousser  plus  loin.  La  démonstration  est 
faite  :  Bernis  a  voulu  la  paix,  et,  à  l'extérieur,  la  cause  principale 
de  sa  chute  a  été  qu'il  voulait  la  paix,  comme  à  l'intérieur  la 
cause  principale  de  sa  chute  a  été  qu'il  voulait  remédier  aux  abus 
de  dépenses.  11  a  été  trop  sage  et,  parce  que,  étant  bon  serviteur 
du  Roi,  donc  bon  gardien  de  ses  secrets,  il  n'a  point  fait  scandale 
de  sa  sagesse,  il  a  été  calomnié. 

Quoi  qu'on  puisse  dire  pour  l'apologie  de  Choiseul,  ce  premier 
point  est  désormais  prouvé,  et  il  en  est  d'autres  dont  l'avenir  est 
destiné  à  faire  la  preuve. 


APPENDICE  N*  XII. 

LETTRES  DU  MARÉCHAL  DALN  AU  ROI  ET  A  BERNIS 
SUR  LA  VICTOIRE  DHOCHKIRCH. 
RÉPONSE  DU  ROI  A  L*IMPÉRATR1CE.REINE. 
RÉPONSE   DE    BERNIS    AU   MARÉCHAL   DAUN. 


La  lettre  en  date  de  Vienne  le  16  octobre,  par  laquelle  Marie- 
Thérèse  envoie  à  Louis  XY  la  lettre  du  maréchal  Daun  annon- 
çant la  victoire  de  Hochkirch,  a  été  publiée  par  Filon,  {jimbop- 
sade  à  Vienne,  p.  163.)  Voici  la  lettre  du  maréchal  Daan  : 

«  Sire, 

u  Voilà  onze  heures  et  demie  du  matin  où  je  puis  avoir 
rhonneur  et  le  bonheur  de  féliciter  \o»  Majestés  sur  une  victoire, 
à  ce  que  je  crois,  bien  complète,  que  le  bon  Dieu  a  accordée  à  Vos 
Majestés,  au  g^lorieux  jour  de  nous  de  demain.  J'ai  attaqué  ce 
matin,  à  cinq  heures,  Fennemi,  qui  a  été  surpris;  Tattaque  et  la 
défense  étoient  vives  pendant  quatre  heures  ;  à  la  fin  la  brave 
armée  de  Vos  Majestés,  et  surtout  les  grenadiers,  ont  derechef  hli 
merveille.  En  général,  généraux,  officiers  et  communs  se  sont 
comportés  de  façon  que,  après  Dieu,  ce  n'est  qu'à  leur  zèle  et 
bravoure  que  je  puis  attribuer  l'heureuse  journée  d'aujourd'hui. 
A  onze  heures  nous  étions  maîtres  du  champ  de  bataille,  qui  ht 
semé  de  morts  et  de  blessés  beaucoup  en  plus  grand  nombre  de 
l'ennemi  ;  mais  je  n'en  puis  faire  un  juste  dénombrement,  comme 
de  même  des  nôtres.  Toutes  leurs  tentes  sont  restées  dans  lecamp, 
marque  de  la  réelle  surprise  ;  nous  avons  déjà  actuellement  an 
delà  de  60  canons,  plusieurs* officiers  et  bon  nombre  d'autres 
prisonniers  dont  je  ne  saurois  non  plus  encore  marquer  le  nom- 
bre ;  le  corps  du  maréchal  Keith  a  été  reconnu  ;  il  y  a  encore 
deux  autres  généraux  parmi  les  morts ,  à  ce  que  l'on  prétend , 
mais  dont  on  ignore  les  noms  ;  on  dit  aussi  le  prince  Ferdinand 
parmi  les  morts,  mais  je  n'en  crois  rien  ;  étendards  et  drapeaux, 


VICTOIRE  D'HOCHRIRCH.  478 

il  y  en  aura  bien  une  dizaine.  Paràii  nos  officiers  de  marque 
morts,  je  n'en  sais  encore  aucun,  hormis  le  colonel  Etienne 
de  Vieux  Lawensthein  et  le  lieu  tenant- colonel|Er]inç  d'Erster- 
hazy;  parmi  les  blessés,  le  général  marquis  d'Àyure,  Broun, 
Zischkowitz,  Herberstein,  colonel  Broun,  mal  que  je  plains  infi- 
niment. 

a  Ce  ne  sera  que  demain  soir  que  je  pourrai  envoyer  la  rela- 
tion en  forme  à  \os  Majestés  parle  général  Tillier,  qui  en  rendra 
bon  compte,  et  lequel,  avec  le  général  Lascy,  je  nesaurois  assez 
recommander  aux  grâces  de  \os  Majestés,  leur  ayant  beaucoup 
d'obligation  à  la  journée  d'aujourd'hui.  L'ennemi  a  pris  sa 
retraite  au  delà  de  Bautzen  ;  le  prince  Durlac,  avec  Laudon  et 
partie  de  la  cavalerie,  est  à  sa  poursuite.  Demain  j'en  ferai  tenir 
le  Te  Deum,  et  ensuite  on  se  réglera  selon][les  mouvements  de 
l'ennemi.  Je  ne  puis  pour  aujourd'hui  en  dire  davantage,  mais 
suis,  avec  d'autant  plus  de  respect,  aux  pieds  de  Votre  Majesté, 

a  Sire, 

^    K  le  plus  humble,  etc.,  etc. 

«  Léopold,  comte  de  Daun. 

«  Da  champ  de  bataille  de  Hochkircb,  le  14  octobre  1758,  à  midi.  • 

Daun  écrivait  le  même  jour  à  Bernis  la  lettre  suivante  : 

•  Du  quartier  s^néral  à  Rittlitx,  ce  14  d'octobre  1158. 

u  Monsieur, 

M  Pour  donner  à  Votre  Excellence  une  pleine  connaissance  de 
la  victoire  complète  que  l'armée  de  Sa  Majesté  Impériale  et  Royale, 
que  j'ai  l'honneur  de  commander,  vient  de  remporter  si  heureuse- 
ment aujourd'hui,  moyennant  l'aide  du  Ciel,  sur  ceUe  du  roi  de 
Prusse  'à  Hochkirchen,  j'ai  cru  ne  pouvoir  faire  mieux  que  de  lui 
adresser  M.  le  colonel  de  Marainville,  qui,  s'étant  trouvé,  selon 
son  zèle  accoutumé,  présent  à  cette  bataille  depuis  le  commen- 
cement jusqu'à  la  fin,  et  par  la  dextérité  qu'il  possède,  pourra  lui 
en  faire  un  rapport  pas  moins  juste  que  détaillé.  J'ai  donc 
l'honneur  de  me  rappeler  entièrement  sur  ce  qu'il  ne  manquera 


474  APPENDICES. 

pas  d'apprendre  à  Votre  Excellence  à  cet  é^rd,  et  j'ai  l'hannenr 
d'être,  avec  la  considération  la  plus  distinguée, 

u  Monsieur, 

a  de  Votre  Excellence, 
u  le  très-humble  et  très-obéissant  serviteur. 

u  Comte  DE  Daun.  » 


Voici  la  réponse  de  Bernis  : 
Le  cardinal  de  Bernis  au  feLd-maréchal  comte  de  Daun, 

m  De  Venailles,  le  29  octobre  1758. 

a  J'ai  reçu,  Monsieur,  la  lettre  dont  Votre  Excellence  m'a  ho- 
noré le  14  de  ce  mois  pour  m'apprendre  la  nouvelle  de  la  victoire 
complète  qu'elle  a  remportée  sur  l'armée  du  roi  de  Prusse,  et  la 
prie  d'être  persuadée  que  <j'admire  bien  sincèrement ,  avec  toute 
l'Europe,  cette  prudence  active  et  éclairée  et  ce  courage  plus 
grand  que  le  danger  qui  animent  dans  toutes  circonstances  ses 
opérations  .militaires. 

Je  sens  en  même  temps.  Monsieur,  toutes  les  obligations  que 
je  vous  ai  pour  les  fiaicilités  que  vos  heureux  succès  doivent 
apporter  à  mes  négociations ,  et  j'espère  que  vous  voudrez  bien 
recevoir  favorablement  les  compliments  de  félicitations  que  je 
vous  dois  par  mon  zèle  pour  la  cause  commune,  par  l'intérêt 
respectueux  que  je  prends  à  la  gloire  de  l'Impératrice-Reine,  si 
étroitement  attachée  à  celle  du  Roi  mon  maître,  et  par  reconnais- 
sance comme  ministre  des  affaires  étrangères  de  France.  Per- 
mettez-moi d'y  joindre  les  assurances  des  sentiments  de  l'attache- 
ment inviolable  que  vos  talents  militaires  et  vos  vertus  m'ont 
inspiré  depuis  longtemps  et  avec  lesquels  je  fais  profession, 
Monsieur,  d'honorer  Votre  Excellence  plus  parfaitement  que 
personne  au  monde.  » 

Enfin,  voici  la  réponse  du  Roi  à  la  lettre  de  l'Impératrice. 
Cette  réponse  a  déjà  été  imprimée  par  M.  Filon  (p.  165);  mais 
il  n'est  point  inutile  de  la  donner  ici,  la  minute  étant  de  la  main 
de  Bernis. 


VICTOIRE  D'HOCHKIRCH.  475 


«  Versaillef,  29  octobre  1158. 


u  Madame  ma  sœur  et  cousine,  j'ai  appris  avec  la  plus  grande 
joie  la  glorieuse  victoire  que  le  Ciel  a  accordée  à  la  justice  de  vos 
armes.  L'amitié  avec  laquelle  Votre  Majesté  a  bien  voulu  elle-même 
m'en  confier  les  premiers  détails  m'a  été  infiniment  sensible.  Je 
ne  doute  pas  qu'elle  n'ait  pris  la  même  part  à  la  victoire  que  le 
prince  de  Soubise  a  remportée  sur  l'armée  combinée  des  Hessois 
et  des  Hanovriens.  Cette  action  a  été  plus  considérable  qu'on  ne 
l'a  cru  d'abord,  et  les  ennemis  conviennent  eux-mêmes  que  leur 
perte  a  été  très-grande.  Si  la  journée  eût  été  plus  longue,  l'avan- 
tage auroit  été  décisif  par  la  sagesse  des  dispositions  qu'avoit 
faites  le  prince  <^e  Soubise. 

u  Le  comte  deMarainville  m'a  instruit  en  détail  de  celles  du  ma- 
réchal  Daun  à  la  glorieuse  journée  du  14.  Je  félicite  Votre  Majesté 
d'avoir  un  général  qui  sache  si  bien  exécuter  ses  ordres.  Je  voit 
avec  plaisir  qu'il  profitera  de  l'avantage  que  lui  donne  sa  victoire, 
et  je  me  flatte  aussi  que  mes  généraux,  animés  par  un  si  bon 
exemple,  finiront  la  campagne  d'une  manière  utile  à  nos  intérêts 
communs.  Il  est  malheureux  que  la  saison  soit  si  avancée,  et  que 
les  pays  où  nos  armées  sont  placées  soient  si  épuisés  et  si  diffi* 
ciles  dans  l'arrière-saison.  Votre  Majesté  peut  prendre  une 
entière  confiance  dans  ma  fidélité  et  ma  constance  ;  ces  senti- 
ments seront  toujours  inséparables  de  l'amitié  sincère  avec 
laquelle  je  suis,  Madame  ma  sœur  et  cousine, 

a  de  Votre  Majesté,  etc.  » 


APPENDICE  N»  XIII. 

LA  DISGBACE   DU   CARDINAL. 
IMPRESSIONS    DES    CONTEMPORAINS. 

Ce  que  j'ai  dit  ailleurs  sur  l'absence  de  documents  publiés 
sur  cette  époque  (fin  de  1758)  fait  que  les  témoignages  manquent 
sur  l'effet  produit  à  Paris  par  la  disgi'âce  du  Cardinal.  En  vaio 
chercherait-on  aux  archives  des  affaires  étrang;ères.  Si  les  agents 
politiques  de  la  France  ont  regretté  et  plaint  Texilé,  il  est  bien 
évident  qu'ils  n'en  ont  point  fait  part  dans  leurs  dépêches  à  son 
successeur.  À  Paris,  reste  en  tout  comme  chroniqueur  Barbier, 
et,  en  fait  de  correspondances  intimes,  celle  de  la  comtesse  de 
Rochefbrt.  Encore  celle-ci  est-elle  la  sœur  du  comte  de  Forçai- 
quier,  auquel  Bernis  dédia  des  vers,  une  Brancas,  amie  de  longue 
date  du  Cardinal.  Sa  société,  les  Mirabeau,  les  Nivemois,  étaient 
les  amis  de  Bernis.  C'était  le  chevalier  de  Mirabeau  qu'atteignait 
la  lettre  du  13  décembre  aussi  bien  que  Bernis.  Néanmoins  il 
convient  de  tenir  compte  de  ce  salon  qui ,  comme  l'a  fort  bien 
montré  M.  de  Loménie^  était  un  des  mieux  fréquentés  de  Paris. 

Barbier  se  contente  de  noter  les  faits,  d'enregistrer  les  com- 
mentaires. Voici  l'extrait  de  son  journal  : 

u  Du  jeudi  14  décembre  1758,  grande  nouvelle  à  Paris: 
M.  le  cardinal  comte  de  Bernis,  ministre  d'État,  a  reçu  hier  au 
soir  une  lettre  de  cachet  du  Roi,  portée  apparemment  par  M.  le 
comte  de  Saint-Florentin,  par  laquelle  il  est  exilé  à  son  abbaye 
de  Saint-Médard  de  Soissons,  et  en  conséquence  il  est  parti  ce 
matin  pour  s'y  rendre. 

u  Cette  nouvelle  a  d'autant  plus  surpris  qu'il  a  reçu  le  bonnet 
de  cardinal  de  la  main  du  Roi  le  30  novembre,  et  qu'on  le  croyait 
dans  la  plus  grande  faveur.  Personne  ne  sait  la  cause  de  cette 

1  La  Comtesse  de  Rochefbrt  et  ses  amis,  Parif,  1870,  in-8*,  p.  98. 


DISGRACE  DU  CARDINAL.  477 

disgrâce.  Les  uns  disent  qu'il  a  manqué  à  madame  de  Pompa- 
dour,  dont  il  tient  son  élévation  ;  d'autres,  qu'il  étoit  fort  lié  avec 
Madame  Infante,  duchesse  de  Parme,  qui  est  encore  à  la  cour, 
et  avec  toute  la  famille  royale.  Le  public  raisonne  sans  savoir... 
Il  n'y  a  pas  eu  de  lettre  de  cachet  (on  dit  qu'il  faut  que  le  Roi 
écrive  lui-même  à  un  cardinal).  Le  Roi  a  écrit  de  sa  propre  main 
tine  lettre  au  cardinal  de  Demis  :  cela  s'appelle  une  lettre  d'ordre. 
Le  Roi  a  remis  cette  lettre  à  M.  le  comte  de  Saint-Florentin  pour 
la  faire  rendre  au  cardinal  de  Remis,  qui  étoit  à  Paris  ce  jour-là, 
mercredi  13,  et  le  Roi  est  parti  sur-le-champ  pour  Ghoisy.  Gela 
s'est  passé  à  Versailles  environ  à  dix  heures  du  matin. 

a  Le  comte  de  Saint-Florentin  en  a  chargé  le  sieur  Jannelle . 
d'Ouville,  prévôt  de  la  généralité  de  Paris.  Cette  lettre  a  été 
rendue  vers  midi  au  Cardinal ,  qui  étoit  à  parler  d'affaires  avec 
le  comte  de  Stahremberg,  ambassadeur  de  Vienne,  et  il  y  avoit 
dans  les  salles  l'archevêque  de  Narbonne  et  M.  le  procu- 
reur général  du  Parlement,  qui  avoit  à  lui  parler  d'affaires 
importantes,  dit-on.  Il  a  cessé  sa  conversation  et  a  renvoyé  les 
autres  sans  vouloir  leur  parler;  ce  qui  a  surpris,  même  indis- 
posé l'ambassadeur  et  M.  le  procureur  général,  qui  ont  appris 
peu  de  temps  après  que  le  Cardinal  avoit  raison  et  qu'il  ne  pou- 
voit  plus  les  entendre. 

u  On  dit  encore  à  Versailles  que  le  Roi  à  écrit  à  Madame  Infante, 
duchesse  de  Parme;  qu'il  avoit  exilé  le  cardinal,  et  qu'elle  devoit 
être  contente  de  cette  satisfaction  que  le  Roi  lui  donnoit,  comme 
s'il  n' avoit  puni  le  Cardinal  que  pour  avoir  manqué  en  quelque 
chose  à  Madame  Infante.  Mai^  ce  prétexte  ne  prend  pas  tout  à 
hih.  On  croit  que  cela  vient  de  plus  loin  et  de  quelque  petite 
querelle  particulière,  mais  personne  ne  sait  bien  le  vrai  de  cette 
affaire*.  » 

Barbier  même  ne  se  laissait  point  prendre  aux  bruits  que 
madame  de  Pompadour  faisait  répandre  dans  le  public,  et 
qu'elle  a  eu  soin  de  faire  transmettre  à  la  postérité  par  sa  femme 
de  chambre.  Inutile  de  dire  que  madame  de  Rochefort  et  ses 
amis  étaient  instruits  des  causes  et  des  motifs.  Le  14  décembre, 
au  matin ,  la  comtesse  écrivait  au  marquis  de  Mirabeau  :  u  Je 
suis  frappée  et  consternée  au  delà  de  ce  que  je  puis  vous  dire, 

>  Darbieb,  Journal,  Ed.  Charpeoiier,  t.  VII,  p.  109  et  taÎT. 


*78  APPENDICES. 

mon  cher  Mirabeau  ;  j'espère  que  je  tous  verrai  dans  la  journée  ; 
voyez  les  heures  qui  vous  conviennent  le  mieux.  J'ai  vu  à  mon 
réveil  Royer,  un  valet  de  chambre  du  pauvre  cardinal  que  je 
lui  avois  donné;  il  a  ordre  de  rejoindre  demain  son  maitre. 
Cest  un  homme  sûr,  vous  pouvez  lui  confier  vos  lettres  :  il 
repassera  chez  moi  ce  soir  ou  demain  matin  avant  de  partir.  Il 
me  semble  que  je  ne  dois  plus  rien  espérer  pour  le  chevalier'. 
Ah!  Messieurs,  le  vilain  pays  que  nous  habitons  :  allons-nous- 
en  aux  Indes,  je  vous  en  prie  !  n 

Et  le  marquis  de  Mirabeau  répondait  le  même  jour  :  u  Je 
reconnais  votre  cœur,  Madame  la  comtesse;  j'ai  appris  cette 
nouvelle  ce  matin  par  un  billet  que  le  Cardinal  a  char^^é  son 
neveu  de  m'écrîre...  Je  suis  sûr  que  l'exil  lui  aura  donné  un 
furieux  coup  :  1*  par  tempérament;  2®  de  peur  du  vernis  d'in- 
gratitude. U  m'a  voit  dit  :  Je  veux  bien  m'en  aUer,  mais  je  ne 
veux  pas  être  chassé.  Ce  qui  me  fâche  y  c'est...  Je  vous  le  dirai  si 
vous  voulez  bien  me  donner  à  dîner  ce  matin.  Quant  au  cheva- 
lier, il  en  a  levé  le  front  de  deux  pouces  plus  haut.  Il  avoit  très* 
bien  remarqué  à  son  dernier  voyage  que  les  entours  du  cardinal 
étoient  fort  déchus,  mais  il  trouva  que  sa  considération  à  lui 
n'avoit  fait  que  croître.  Bon  pays.  Madame  la  comtesse  !  Ils  vont 
tourner  court,  vous  y  pouvez  compter  ;  mais  ils  n'ont  désormais 
personne  qui  ait  désormais  la  confiance  ni  du  corps  ecclésias- 
tique, ni  du  corps  civil*.  » 

Pour  la  cour,  la  nouvelle,  on  vient  de  le  voir,  n'était  pas 
imprévue;  pour  Bernis,  elle  Tétait  moins  encore.  Pourtant  le 
Roi  avait  comme  à  son  ordinaire  tout  fait  pour  dissimuler.  Il 
faut  entendre  à  ce  sujet  Brienne  :  u  Le  cardinal  de  Bernis,  dit-il, 
avoit  prévu,  fixé  le  jour  même  où  il  comptoit  recevoir  l'ordre. 

*  Voir  ci-dessus,  p.  314. 

*  Il  est  à  remarquer  que  le  marquis  de  Mirabeau,  qui  devait  lui-même  être  exilé 
en  décembre  1760,  resta  le  courtisan  de  Bernis  dis(;racié.  Voici  ce  qu'on  trouve  i 
ton  sujet  dans  une  lettre  de  Bernis  à  Saint-Florentin,  du  9  février  1759  :  «  M.  de 
Mirabeau,  qui  est  de  mes  parents  et  qui  m'a  montré  beaucoup  d'empressement  à 
venir  me  voir,  me  mande  que  M.  de  Nivemois  vous  a  demandé  pour  lut  U  per- 
mission de  venir  ici,  et  que  vous  lui  avez  répondu  que  cette  permission  scrott 
accordée  à  M.  de  Mirabeau  lorsque  vous  seriez  informe  que  j'en  serois  bien  aise. 
Si  vous  ne  trouvez,  Monsieur,  aucun  inconvénient  à  ce  voyage,  je  seroi  charmé 
que  M.  de  Mirabeau  ne  puisse  pas  douter  de  la  reconnaissance  que  j*ai  de  l'amitié 
qu'il  me  témoif^ne,  et  je  serai  dans  ce  cas-là  fort  aise  de  le  voir.  ■  La  permission 
était  accordée  le  19  février.  (Arch.  de  la  fom.  de  Bernis.  Nîmes.) 


DISGRACE  DU  CARDINAL.  479 

Il  étoît  certain  que  ce  seroît  immédiatement  après  que ,  par  un 
dernier  effort  de  son  grand  crédit  auprès  du  parlement  de  Paris, 
il  auroit  fait  passer  Tenregistrement  d'un  emprunt  de  quarante 
millions,  qui  souffrit  beaucoup  de  difficultés.  Il  ne  se  trompa 
que  de  deux  jours,  et  cela  à  cause  que  le  Roi,  partant  pour  Choisy, 
lui  avoit  demandé  pour  quel  jour  il  lui  convenoit  mieux  de  s'y 
rendre  pour  le  conseil.  A  quoi  il  avoit  répondu  :  a  Puisque  c'est 
tt  moi  qui  dispose  du  temps  de  Votre  Majesté,  ce  sera  pour  tel 
i(  jour...,  après-demain,  vu  que  demain  j'ai  dû  donner  rendez- 
tt  vous  à  M.  de  Sfarhemberg.  —  Eh  bien  !  avait  répliqué  le  Roi,  à 
a  après-demain  donc. . .  »  Le  départ  de  Ghoisy,  la  demande  du  Roi, 
l'indication  du  conseil  pour  le  troisième  jour,  avoient  eu  lieu  à 
l'issue  de  la  conférence  dans  laquelle  il  venoit  de  rendre  compte 
que  l'affaire  de  l'enregistrement  de  l'emprunt  avoit  été  finie,  ou 
la  veille,  ou  le  matin  même'.  » 

Ce  ne  sont  encor  là  que  des  faits,  et  nulle  part  nous  ne  trou* 
vons  de  commentaire;  car  la  lettre  suivante,  du  comte  de  Saint- 
Florentin*,  n'est  qu'une  lettre  d'affaires,  et  bien  que  les  termes 
en  soient  polis  et  décents,  ils  n'impliquent  point  autre  chose 
qu'obéissance  aux  ordres  du  Roi  et  ne  diffèrent  point  de  ceux 
qu'emploie  Choiseul. 

«  Versailles,  le  18  décembre  1758. 

tt  Je  suis  charmé.  Monseigneur,  que  vous  rendiez  justice  à  mes 
sentiments  et  à  mon  attachement,  et  je  vous  prie  d'être  persuadé 
qu'ils  ne  changeront  jamais.  Vous  pouvez  vous  adresser  à  moi 
avec  confiance,  trop  heureux  quand  je  pourrai  vous  être  bon  à 
quelque  chose.  Le  Roi  approuve  que  vous  voyiez  les  parents  dont 
vous  m'avez  envoyé  la  liste;  à  l'égard  de  M.  l'intendant,  vons 
ne  pouvez  guère  éviter  de  le  voir,  ainsi  que  Mgr  l'évéque;  mais 
le  Roi  trouve  que  vous  pouvez  vous  dispenser  de  dîner  chez 
lui  et  de  vous  lier  avec  quelqu'un  qui  lui  a  déplu';  vous  rece- 
vrez ainsi  le  moins  que  vous  pourrez  de  visites  campagnardes 
du  voisinage.  Il  est  tout  simple  que  vous  ayez  vu  MM.  Brupet  (?) 
et  Brun  ;  vous  pourrez  écrire  aux  ministres  pour  vos  affaires 
particulières  et  celles  de  votre  famille,  ainsi  que  les  lettres  d'usage 

1  Kotice  sur  le  rdinal  de  Bemis,  par  M.  i»b  Brieioib.  Éd.  Dîdot,  p.  204. 
*  Archives  de  la  famille  de  Bemis  é  Kîmes. 

'  Voir  sur  l'év^ue  de  Soissons  les  Mémoires,  t.  I,  p.  89.   Oa  tait  que  cet 
ëvéque  aTait  été  exilé  i  la  suite  de  la  maladie  de  MeU. 


480  APPENDICES. 

et  de  compliments  du  Pape,  au  Sacré  Collège,  aux  princes  étran- 
^rs,  ainsi  qu'aux  membres  principaux  du  clergé,  éTÎtant  ce  que 
vous  me  faites  Fhonneur  de  me  mander. 

a  J'ai  fait  voir  aussi  au  Roi  la  copie  de  la  lettre  qae  vous  ava 
écrite  au  nonce.  Lorsque  le  camérier  da  Pape  demandera  b 
permission  de  vous  aller  voir,  elle  ne  lui  sera  pas  refusée... 

u  J'ai  l'honneur,  etc.  » 

Dans  la  suite  de  cette  correspondance,  on  voit  bien  qae  Bemîs 
était  resté  chargé  du  détail  de  certaines  affaires  ecclésiastiques, 
particulièrement  d'un  négociation  avec  l'évéque  d'Auxene, 
M.  deCaritat  de  Gondorcet;  mais,  en  dehors  des  phrases  d'usa^, 
on  ne  trouve  rien  que  d'officiel  sous  la  plume  du  ministre  de  b 
maison  du  Roi. 

Faut-il  demander  son  avis  à  Marmontel',  à  ceMarmontel  qai, 
le  jour  où  Remis  recevait  la  calotte  de  la  main  du  Roi,  le  nt 
u  glorieux  comme  un  paon,  plus  joufflu  que  jamais ,  s'admirant 
dans  sa  gloire,  surtout  ne  pouvant  se  lasser  de  r^rder  son 
rochet  et  ses  has  ponceau  »?  Et  c'était  le  jour  même  où  Remis 
savait  le  mieux  que  la  roche  Tarpéienne  est  près  do  Capi'tole. 

On  vient  de  voir  l'amitié,  la  politesse;  voilà  l'envie  et  la  haine. 
Mais  nulle  part  le  sentiment  public  n'apparaît. 

Faut-il  donc  aller  chercher  à  l'étran[jer  une  opinion  libremenl 
exprimée?  Faut-il  s'adresser  à  Voltaire?  Hélas  !  Voltaire  a  bien  vile 
oublié  celui  qui  hier  était  par  lui  mis  au-dessus  du  cardinal  de 
Richelieu,  u  On  dit,  écrit-il  à  Cideville  le  12  janvier  1759,  qnek 
cardinal  de  Remis  a  la  jaunisse.  Vous  êtes  plus  heureux  que 
tous  ces  messieurs-là^.  »  £n  mai,  il  écrit  au  duc  de  la  Vallièfe: 
tt  Avez-vous  la  tragédie  de  Mirame,  dont  les  trois  quarts  soot 
du  cardinal  de  Richelieu  ?  La  pièce  est  bien  raie.  C'était  no 
détestable  rimailleur  que  ce  (jrand  homme.  Le  cardinal  de 
Remis  faisait  bien  mieux  les  vers  que  lui,  et  cependant  il  n'a  pis 
réussi  dans  son  ministère ,  cela  est  inconcevable  ;  c'est  apparem- 
ment parce  qu'il  avait  renoncé  à  la  poésie.  »  Il  est  vrai  fa*eB 
même  temps  Voltaire  ajoute  :  m  Je  ne  veux  point  mourir  sa» 
vous  avoir  envoyé  une  ode  pour  madame  de  Pompadour.Jevem 
la  chanter  fièrement,  hardiment,  sans  fadeur,  car  je  lui  ai  obli- 

1  Mémoires,  au  XIII,  t.  11,  p.  6i. 

*   Corrcspoti'fancc,  Ed.  de  Kehl ,  aux  date» 


DISGRACE  DD   CARDINAL.  481 

gatîon.  Elle  est  belle,  elle  est  bienfaisante.  Sujet  d'ode  excellent,  n 
Et  le  15  juin,  il.  écrivait  à  d'Ar(];ental,  nommé  ministre  de 
Parme  à  Paris  : 

a  Mon  cher  ang^e,  quelle  différence  de  M.  le  duc  de  GUoi- 
seul  à  M.  Tabbé!  Cependant  vous  n'aviez  point  hébergé, 
alimenté,  rasé,  désaltéré,  porté  M.  le  duc  de  Chcriseul.  J'augure 
bien  de  nos  affaires  entre  les  mains  d'un  homme  qui  pense  si 
noblement,  qui  fait  du  bien  à  ses  amis  :  c'est  une  belle  âme. 
Dites-moi  donc  un  peu  :  n'est-il  pas  très-bien  avec  la  personne 
envers  qui  on  prétend  que  Babet  fiit  ing^rate?  n 

Voici  la  Gazette  cP Amsterdam  qui,  le  11  janvier  1757,  en  an- 
nonçant l'entrée  de  Bernis  au  conseil,  ajoutait  :  a  C'est  une  bonne 
tête  et  un  bon  esprit,  n  Sur  la  disgrâce,  elle  est  aussi  pauvre  de 
commentaires  qu'un  journal  officieux;  mais  le  ton  dont  elle 
enregistre  la  nouvelle  montre  qu'elle  la  regrette  : 

Suite  des  nouvelles  dC Amsterdam  du  26  décembre  1758. 

«De  Paris,  le  18  décembre.  — Le  cardinal  de  Bernis  s'est  retiré 
par  ordre  du  Roi  à  Vic-sur-Aisne,  dans  une  maison  de  campagne 
de  son  abbaye  de  Saint-Médard ,  à  trois  ou  quatre  lieues  de 
Soissons.  Malgré  cette  disgrâce  qui  étonne  et  attriste  bien  du 
monde.  Sa  Majesté,  ayant  appris  que  Son  Ëminence  étoit  indis- 
posée, lui  a  fait  l'honneur  de  lui  écrire  et  de  lui  recommander 
de  ménager  sa  santé.  »  . 

Bien  qu'on  sente  l'éloge  et  que  ce  document  ait  sa  valeur,  la 
phrase  est  courte  et  sèche.  Rien  chez  les  Anglais,  dans  VAnnual 
Register  de  1758.  Rien  en  Allemagne,  où  l'on  se  borne  volontiers 
à  des  recueils  de  pièces  et  où,  craignant  l'enclume  et  le  marteau, 
on  s'abstient  de  commentaires. 

Vraiment,  fandrait-il  aller  à  Frédéric  II  pour  trouver  une 
libre  parole  ?  Voici  ce  que  dit  le  roi  de  Prusse  '  : 

«  Nous  avons  vu  il  n'y  a  pas  longtemps  à  Versailles  l'abbé  de 
Bemb  devenu  ministre  des  affaires  étrangères  et  bientôt  car- 
dinal pour  avoir  signé  le  traité  de  Vienne.  Tant  qu'il  s'agissoit 
d'établir  sa  fortune,  toutes  les  voies  lui  furent  égales  pour  y 

*  lftftoi)«  de  la  guerre  de  Sept  ans.  Œuvres,  l.  IV,  p.  225. 

it.  31 


USt  APPENDICES. 

parvenir;  mais  aussitôt  qu'il  se  vit  éfabli,  il  sonijca  à  se  main- 
tenir dans  ses  emplois  en  se  conduisant  par  des  principes  moins 
variables  et  plus  conformes  aux  intérôts  permanents  de  TÉtat. 
Ses  vues  se  tournèrent  toutes  du  côté  de  la  paix  ponr  terminer 
d'une  part  une  guerre  dont  il  ne  prévoyoit  que  des  désavantagées, 
et  d'une  autre  pour  tirer  sa  nation  d'une  alliance  contraire  et 
forcée,  dont  la  France  portoit  le  fardeau  et  dont  ]a  maison 
d'Autriche  devoit  seule  retirer  tout  le  fruit  et  tout  l'avantage.  II 
s'adressa  à  l'Angleterre  par  des  voies  sourdes  et  secrètes;  il  y  eut 
ainsi  une  négociation  pour  la  paix;  mais  la  marquise  de  Pompa- 
dour  étant  d'un  sentiment  contraire,  il  se  vit  bientôt  arrêté  dans 
ses  mesures.  Ses  actions  imprudentes  relevèrent  :  ses  vues  sages 
le  perdirent.  Il  fut  disgracié  pour  avoir  parlé  de  paix  et  envoyé 
en  exil  dans  l'évéché  d'Aire.» 

Et  ailleurs*  il  dit  encore  : 

tt  On  a  trop  exagéré  le  mérite  de  Bernis  lorsqu'il  étoit  en 
laveur,  on  le  blâme  trop  à  présent.  Il  ne  méritoit  ni  l'un  ni 
l'autre.  »  (18  janvier  1759.) 

A  cette  cour  de  Vienne  qui  avait  préparé  et  amené  la  chute  de 
Bernis,  Starhemberg  ne  dissimulait  point  que  la  retraite  du  car- 
dinal pouvait,  au  point  de  vue  intérieur,  avoir  les  plus  grands 
inconvénients'.  La  paix  qu'il  avait  rétablie  entre  le  Parlement 
et  la  cour,  celle-ci  si  détestée,  le  refroidissement  qu'on  sentait 
entre  la  Pompadour  et  lui ,  avaient  fait  de  Bernis  une  figure 
presque  populaire,  et  l'opinion  publique,  que  Starhemberg  savait 
juger,  était  très-désagréablement  changée  par  réioignement  du 
cardinal.  C'était,  dit  ailleurs  M.  d'Arneth,  la  seule  voix  qui 
continuellement,  dans  le  conseil  du  Roi,  se  fût  élevée  poar  la  fin 
prochaine  delà  guerre^. 

La  disgrâce  de  Bernis  devait  être  particulièrement  sensible  à 
deux  cours  en  Europe  :  à  la  cour  de  Vienne,  —  mais  on  a  vu  que 
celle-ci  l'avait  préparée,  l'attendait  et  en  récompensa  les  auteurs. 
—  et  à  la  cour  de  Rome,  où  l'on  venait,  sur  l'insistance  marquée  du 
Roi,  de  ftommer  le  ministre  cardinal.  A  Vienne,  nulle  dépêche 

'  Lettre  à  milord  Marischal,  Œuvres,  t.  XX,  p.  277. 
2  D'AnwKTii,  Gcschkhte  Maria  Theresias,  t.  V,  p.  440. 
8  Ibid.,  p.  450. 


DISGRACE  DU   CARDINAL.  483 

officielle  ne  vint  éclairer  sur  Tévéneinent  du  13  décembre.  On 
ne  demanda  point  d'explications;  on  n'en  fournit  pas.  On  corn-* 
prenait  Fort  bien,  M.  d'Arneth  le  reconnaît  %  que  les  arg^uments 
de  Bernis  en  faveur  de  la  paix  étaient  irréfutables;  son  exil 
fut  une  délivrance  tout  au  moins  pour  Kaunitz.  On  cherchait  à 
lui  reprocher  ]a  poursuite  trop  ardente  du  chapeau ,  comme  si 
on  ne  devait  pas  savoir  à  Vienne  que  la  première  idée  en  venait 
de  Choiseul.  On  craignait  peut-être  la  nature  ambitieuse  et  arbi- 
traire de  celui-ci,  mais  on  était  assuré  qu'il  marchaii  la  main 
dans  la  main  avec  la  cour  impériale^.  Choiseul  était  l'homme 
de  la  cour  de  Vienne.  Bernis  n'avait  pour  lui  que  Starbemberg^, 
dont  le  jugement  mérite  d'être  rapporté  en  entier*,  u  Ses  inten- 
tions, écrivait-il,  sont  certainement  bonnes  pour  le  fond  :  il  ne 
veut  que  ce  qui  lui  paraît  juste,  honnête  et  conforme  au  véri- 
table intérêt  de  sa  cour.  Il  est  très-attaché  à  la  nôtre,  il  hait  le 
roi  de  Prusse  et  désire  fort  son  abaissement.  Il  a  de  l'esprit,  de 
la  prévoyance  et  même  de  la  sagacité;  malgré  cela,  il  se  conduit 
très-souvent,  et  même,  depuis  un  temps,  presque  toujours,  absolu- 
ment au  contraire  de  tout  ce  que  je  viens  de  dire,  et  à  n'exa- 
miner que  quelques  traits  de  sa  conduite,  on  jugeroit  qu'il  a  tous 
les  défauts  opposés  aux  qualités  que  je  viens  de  lui  donnera  Ce 
contraste  parait  incompréhensible,  et  il  existe  pourtant  en  effet. 
J'en  ai  dit  déjà  en  plusieurs  occasions  les  causes  les  plus  vraisem- 
blables; de  toutes,  celle  qui  saute  le  plus  aux  yeux,  c'est  le 
manque  de  fermeté,  si  nécessaire  à  un  homme  employé  dans  un 
poste  principal,  et  je  pourrois  peut-être  y  ajouter  un  peu  d'igno- 
rance en  matière  politique,  trop  de  confiance  dans  ses  propres 
lumières  et  la  légèreté  d*esprit  ordinaire  à  sa  nation,  qui  fkit  que 
l'on  y  prend  aisément  des  opinions  et  les  abandonne  de  même, 
que  l'on  se  précipite  presque  toujours  dans  ses  jugements  et 
dans  ses  résolutions,  etc.  £n  un  mot,  je  puis  dire  que  c'est  un 
honnête  homme  très-bien  intentionné,  qui  ne  veut  et  ne  désire 
que  le  bien,  qui  croit  le  faire  en  effet,  mais  qui  ne  le  fait  pas 
toujours...  » 


1  Geschichte  Maria  Thetesias,  t.  V,  p.  4i6. 
«  îbid.,  p.  45). 
»  Ibid.,  p.  536. 

*  Celle  dépêche  de  Starhembero  à  Raonitx  e$t  d'août  175a  C'clail  le  moment 
Bernis  préparait  la  paix  et  allait  irrésistiblement  à  son  but. 

81 


484  APPENDICES. 

La  vérité,  c'est  qu'à  ce  moment  même  la  cour  de  Vienne 
savait  à  n'en  pas  clouter  que  a  madame  de  Pompadour  se  dirige- 
rait plutôt  d'après  l'opinion  de  Stainville  que  d'après  celle  de 
Bernis  *  »,  et  que  Choiseul  était,  il  l'écrivait  lui-même*,  u  comUé 
des  bontés  de  Leurs  Majestés  Impériales,  pénétré  du  bonheur  de 
l'alliance  et  persuadé  de  sa  solidité  n . 

A  Rome,  on  était  loin  d'être  aussi  au  courant  des  hommes  et 
des  choses.  Le  Pape  était  nouveau.  Le  secrétaire  d'État  Archinto, 
ami  de  Bernis,  venait  de  mourir.  Son  successeur,. encore  peu 
instruit,  était  tout  à  Choiseul.  La  poursuite  du  chapeau  de 
Bernis  et  l'affaire  de  Venise  avaient  absorbé  rattentiou  de  la 
cour  pontificale.  Bernis  cardinal  semblait  pour  jamais  étaUi 
comme  pacificateur  de  l'Église,  et  Ton  rêvait  en  lui  un  successeur 
de  Fleury.  Il  fallait  que  le  nouveau  ministre  vint  détruire  ces 
illusions,  sans  blesser  pourtant  ni  le  Pape,  ni  le  Sacré  Collège; 
qu'il  donnât  à  cet  exil  et  à  cette  disgrâce  un  tour  qui  n'effrayât 
point  sur  les  intentions  ultérieures  du  Roi.  C'est  à  quoi^ChoiseuI 
s'employa.  Ses  dépêches  et  celles  de  l'évêque  de  Laon  *  n'ont  pas 
besoin  de  commentaire.  On  remarquera  seulement  que  la 
dépêche  du  18  décembre  avait,  selon  toute  probabilité  (lettre  de 
Bernis  au  duc  de  Choiseul  du  29  décembre),  été  communiquée 
au  Cardinal. 

A  tévêque  de  Laon,  n»  45. 

«  A  Versailles,  le  IS  décembre  175& 

uLa  retraite  de  M.  le  cardinal  de  Bernis  des  conseils  du  Roi  et 
sa  résidence  actuelle  dans  une  de  ses  abbayes  sont  un  événemeot 
qu'on  n'avoit  pas  pu  prévoir  à  Rome  et  qui  sera  sans  doute 
mandé  de  ce  pays-ci  avec  des  circonstances  aussi  différentes  que 
les  préjugés  et  les  affections  des  personnes  qui  écriront.  Il  est 
donc  nécessaire.  Monsieur,  que  vous  ayez  à  cet  égard  des  notions 
précises  pour  diriger  votre  langage  relativement  à  cet  objet. 

«  Il  y  a  voit  déjà  longtemps  que  la  santé  de  M.  le  cardinal  de 
Bernis  étoit  fort  dérangée,  et  il  avoit  supplié  le  Roi  de  vouloir 
bien  le  décharger  du  département  des  affaires  étrangères.  Il  peut 

>  Surhcmberg  à  Raunitz,  7  août  1738. 

'  Choiseul  à  Starhemberg,  le  10  novembre. 

'  Archives  des  affoircs  étrangères. 


rUSGRACE   DU   CARDINAL.  485 

t^lt  il.ms  le  fond,  soit  dans  la  forme  de  ses  instances» 

i  a  déplu  à  Sa  Majesté.  C'est  sur  quoi  vous 

[u'il  ne  m'est  pas  permis  de  rien  savoir  au  delà 

I  Iroit  bien  me  confier  elle-même.  Je  crois  cepen- 

'.ms  assurer  que  le  mécontentement  que  le  Roi 

.|ur't  à  M.  le  cardinal  de  Bernis  ne  doit  pas  être 

nie  11  ne  de  ces  disg^râces  permanentes  qui  ne  laissent 

•«pérarice  au  retour  de  la  bienveillance  de  Sa  Majesté. 

>  r|ti€  vous  connaissez  trop  ma  façon  personnelle  de 

ir  il  ou  ter  du  zèle  avec  lequel  je  contribuerai  à  la  con- 

'  r^ilc  Eminencect  aux  vues  qu^elle  pourra  avoir  dans 

..  ne  vous  dissimulerai  même  pas  que  j'ai  demandé  au 

iiuiâsîon  d'assurer  M .  le  cardinal  de  Bernis  de]la  sincérité 

ftlimcnts  à  cet  égard,  et  que  Sa  Majesté  a  bien  voulu 

ler.  >* 


|uiî  de  Laon  racontait  de  la  façon  suivante  la  démarche 
dit  dû  faire  près  du  Pape  : 

•  A  Rome,  le  3  jacTier  1159. 

iiieur,  j'ai  reçu  jeudi  dernier,  par  le  courrier  extraordinaire 
ï  k  Naplcâ,  la  lettre  dont  vous  m'avez  honoré  le  18  du' 
ifornîer  et  à  laquelle  je  réponds  par  le  même  courrier  qui 
'  aujourd'hui  pour  s'en  retourner  à  la  cour. 
t}is  le  leodeinain  vendredi  à  l'audience  du  Pape.  Je  débutai 
iH  dire  que  je  venois  lui  apprendre  un  événement  qui 
^»f;eoit  d'autant  plus  qu'il  pourroit  lui  faire  quelque 
aidir,  mats  qu'il  étoit  nécessaire  de  le  prévenir  contre  les 
es  îm pressions  qu'on  chercheroit  peut-être  à  lui  donner,  et 
iie  mis,  Monsieur,  à  lui  lire  votre  lettre  afin  de  ne  rien  ajouter 
mîen.  Je  vous  avoue  qu'elle  causa  au  Saint-Père  la  plut 
)ude  émotion,  et  que,  sans  me  donner  le  temps  d'achever,  il 
,  la  parole  et  nie  dit  :  m  Monsieur  l'ambassadeur,  comment  se 
But<^il  faire  qu'un  ouvra^  que  l'on  nous  a  demandé  avec  tant 
^^rd'empreneinent  et  de  chaleur  ait  été  détruit  presque  dans  le 
^^ài  même  moment  qne  nons  nous  y  sommes  prêtés?  »  Et  de  là,  sup- 
^^IMuant,  oomme  de  raison,  persuadé  de  la  bonté  et  de  Téquité  du 
Roi,  qne  M.  le  cardinal  de  Bernis  s'étoit  attiré  sa  disgfrâce,  le 
■jjAttiit-Père  t'emporta  contre  lui  comme  ayant  manqué  au  Roi,  à 


486  APPENDICES. 

Ini  pape  et  enfin  à  la  religion  qu'il  s'étoit  mis  hors  d'état  de 
servir;  et  Sa  Sainteté  montra  une  si  gp*ande  indisposition  contre 
le  cardinal  que  je  crus  devoir  la  supplier  de  mesurer  sa  6aiute 
par  sa  punition,  laquelle  ne  sembloit  pas  supposer   un  crime 
capital ,  puisque  le  Roi  lui  avoit  permis  de  se  retirer  à  son  abbaye 
qui  n'étoit  qu'à  ving^t  lieues  de  Paris,  u  Monsieur  l'ambassadeur, 
a  me  dit-il,  nous  ne  pouvons  point  nous  repentir  d'avoir  fait  ce  que 
a  nous  avons  fait,  puisque  nous  avons  donné  par  là  au  Roi  Trè»- 
a  Chrétien  une  preuve  de  notre  attachement  et  du  désir  que  nous 
tt  avons  de  lui  plaire  ;  mais  nous  ressentirons  toujours  le  plus  grand 
a  déplaisir  d'avoir  fait  un  cardinal  pour  demeurer  oisif  dans  une 
m  abbaye.  >*  Je  ne  pus  que  louer  les  sentiments  du  Saint -Père  et 
lui  faire  remarquer  pourtant  que  vous  me  faisiez  l'honneur  de 
m'écrire  vous-même,  Monsieur,  que  le  mécontentement  que  le 
Roi  venoit  de  marquer  à  M.  le  cardinal  de  Remis  ne  devoit  pas 
être  regardé  comme  une  de  ces  disgrâces  permanentes  qui  ne 
laissent  que  peu  d'espérances  au  retour  de  la  bienveillance  de 
Sa  Majesté;  u  Nous  avions  cru,  reprit  le  Saint-Père,  avoir  ménagé 
b  un  ferme  appui  à  la  religion  en  faisant  un  cardinal  qui  par  sa 
tt  place  et  son  entrée  aux  conseils  du  Roi,  étoit  à  portée  d'en  repré- 
tt  senter  journellement  les  vrais  intérêts.  »  Je  crus  devoir  assurer 
Sa  Sainteté  que  la  religion  n'y  perdroit  rien,  que  c'étoit  au  Roi 
lui-même  que  nous  devions  les  sages  résolutions   qui  étoient 
prises  à  cet  égard,  que  le  Roi  s^en  occupoit  particulièrement, 
qu'il  aimoit  la  religion  et  en  connaissoit  les  véritables  intérêts 
mieux  qu'aucun  ecclésiastique  de  son  royaume,  que  M.  le  cardinal 
de  Remis  n'étoit  pas  le  seul  qui  rendît  compte  au  Roi  des  affaires 
de  l'Église,  que  M.  l'évêque  d'Orléans  en  étoit  plus  naturelle- 
ment chargé  et  autant  à  portée  d'en  parler  tous  les  jours,  s'il  le 
fàlloit,  au  Roi,  aussi  bien  que  M.  le  cardinal  deTavannes,quien' 
avoit  la  même  facilité  par  sa  place  et  par  la  confiance  que  lui 
avoit  méritée  du  Roi  la  conduite  pleine  de  sagesse  et  de  prudence 
qu'il  avoit  eue  dans  la  dernière  assemblée,  à  laquelle  il  avoit 
présidé,  et  celle  qu'il  avait  montrée  pour  les  affaires  de  Sorbonne 
qui  paraissoient  être  dans  le  meilleur  train.  Sa  Sainteté  m'avoua 
qu'on  lui  en  avoit  rendu  le  meilleur  compte  et  s'étendit  beau- 
coup sur  les  louanges  de  M.  le  cardinal  de  Tavannes,  en  mar- 
quant le  plus  grand  regret  sur  les  infirmités  de  ce  cardinal  qui 
l'empêcheroient  de  s'occuper  de  ses  affaires  avec  la  même  suite 


DISGRACE  DU   CARDINAL.  487 

qu'il  a  voit  espéré  que  M.  le  cardinal  de  Bernis  s'en  occuperoit, 
et  en  me  cong^édiant  Sa  Sainteté  finit  par  me  dire  que  véritable- 
ment je  lui  ayois  appris  une  bien  mauvaise  ,  nouvelle,  mais 
qu'elle  ne  lui  faisoit  point  oublier  de  remercier  Sa  Majesté  du 
bien  qu'elle  avoit  fait  à  sa  recommandation  à  M.  l'évêque 
d'Eucarpie  qu'il  estimoit  infiniment.  ^ 

M  Je  descendis  chez  M.  le  cardinal  neveu  et  successivement  chez 
M.  le  cardinal  Torre^jiani,  auxquels  j'appris  cet  événement  et  la 
façon  dont  le  Pape  l'avoit  reçu  ;  ils  me  marquèrent  l'un  et  l'autre 
une  grande  surprise  et  une  grande  consternation.  J'ai  su  qu'on 
tenoit  depuis  dans  Rome  de  fort  mauvais  propos  sur  cet  événe- 
ment :  les  uns  exagèrent  les  fautes  de  M.  le  cardinal  de  Bernis 
pour  augmenter  les  regrets  du  Pape  et  nous  reprocher  d'avoir 
tant  prôné  ce  cardinal  ;  les  autres  le  font  blanc  comme  neige 
pour  indisposer  le  Pape  contre  la  France  et  lui  persuader  qu'on 
y  a  très-peu  d'égards  pour  Sa  Sainteté;  enfin  ceux  qui  veulent 
paraître  impartiaux  disent  que  c'est  l'un  ou  l'autre,  et  en  tirent 
les  mêmes  conséquences...  n 

Il  ajoutait  le  10  janvier  1759  : 

u  Je  m'aperçus  à  cette  audience  que  M.  le  nonce  avoit  marqué 
à  M.  le  secrétaire  d'Ëtat  tous  les  bruits  de  Paris  sur  la  disgrâce 
de  M.  le  cardinal  de  Bernis  sans  en  garantir  aucun,  et  qu'on  lui 
avoit  répondu  qu'elle  avoit  fait  sur  l'esprit  de  Sa  Sainteté  toute 
l'expression  qu'un  événement  aussi  imprévu  pouvoit  faire,  qu'il 
étoit  difficile  de  l'attribuer  à  sa  retraite  des  affaires  étrangères, 
laquelle  avoit  été  suivie  de  bien  des  démonstrations  de  faveur  de 
la  part  du  Roi  ;  qu'au  reste.  Sa  Sainteté  étoit  si  persuadée  de 
l'excès  d'équité  et  de  prudence  du  Roi  qu'elle  ne  doutoit  point 
que  Sa  Majesté  n'eût  eu  les  plus  justes  motifs  d'éloigner  ce  car- 
dinal ,  qu'il  se  pouvoit  faire  même  que  le  Roi,  sans  être  aigri 
contre  cette  Ëminence,  ait  jugé  qu'il  fût  à  propos  de  l'éloigner 
pour  un  temps  :  ce  qui  laissoit  au  Pape  l'espérance  de  le  voir  un 
jour  rentrer  en  grâce.  Imaginez-vous,  Monsieur,  qu'il  ait  passé 
par  la  tète  de  quelque  cardinal  de  vouloir  persuader  à  M.  le 
cardinal  secrétaire  d'État  qu'il  convenoit  que  le  Pape  écrivit  au 
Roi  dans  cette  circonstance.  Mais  M.  le  cardinal  secrétaire  d'État 
répondit  sagement  qu'il  seroit  fort  indiscret  d'écrire  sur  un  fait 


488  APPENDICES. 

dont  on  i^ore  les  causes.  J*ai  su,  Monsieur,  que  M.  le  bailli  de 
Solar  avoit  fait  prévoir  ici  depuis  quelque  temps  cette  disgrâce, 
et  qu'on  en  avoit  prévenu  le  Pape...  n 

Et  le  duc  de  Choiseul  fermait  l'incident  par  la  phrase  sui- 
vante : 

j4  tevéque  de  Laon, 

•  A  Vertaillet,  le  23  janyier  1759. 

u  Vous  avez  parfaitement  rempli  les  intentions  de  Sa  Majesté 
dans  l'audience  que  vous  avez  eue  du  Saint-Père  le  29  du  mois 
dernier,  et  il  ne  doit  plus  être  question  de  votre  part  de  traiter  It 
même  matière.  Vous  en  avez  dit  assez  pour  fixer  le  jugement  de 
la  cour  de  Rome  sur  les  motifs  et  sur  les  suites  de  l'événemeiu 
dont  il  s'ag^it.  » 


FIN    Di;    TOME    SÇCOND. 


INDEX  ALPHABÉTIQUE 

DBS 

NOMS    DE  PERSONNES   CITÉS    DANS    LES  MEMOIRES 
ET  LES  LETTRES  DU  CARDINAL  DE  BERNIS 


Adélaïde  (Madame).  I,  358. 
Adolphe-Frédéric    (roi  de   Suéde). 

I,  299. 
Afforty.  II,  57,  353. 
Affry  (d*).  II,  190,  296. 
Aiguillon  (duchesse  douairière).1 ,87. 
Aiguillon  (duc  d*).  II,  271. 
Alembert  (d'),  I,  96.     * 

AUeurs  (des),  I,  160,  191. 
Anhalt-Zerbst(ducd').  11,2  etsuiv., 

185. 
Anhalt  Zerbst  (princesse  douairière). 

II,  2  et  suiv. 

Apraxin  (le  général).  II,  12,  20, 
126. 

Archinto  (le  cardinal).  II,  93,  95, 
183,211,228,231,232,250,257, 
263,  297,  301,  350. 

Archinto  (abbé).  II,  350  et  suiv. 

Argenson  (le  marquis  d').  I,  138. 

Ai^genson  (le  comte  d*).  1, 138, 152, 
205,  206,  209,  212,  213,  ?20, 
221 ,  237,  238,  251,  253,  266, 
277,  289,  296,  297,  303,  304, 
307,  317,  318,  323,  329,  331, 
343,  353,  358,  360,  366  et  suiv., 
369  et  suiv.,  378,  391  ;  II,  153, 
331. 

ArgenTilliers  (cardinal).  II,  212. 

Armentières  (marquis  d*).  Il,  151. 

Artois  (comte  d*).  II,  128. 


Aubeterre  (marquis  d*).  I,  283;  II, 

91,211,310,-334. 
Auguste  III  (roi  de  Pologne,  électeur 

de  Saie).  I,  244,  245,  270,  294, 

308  ;  II,  228. 
Aumont  (la  duchesse).  I,  54. 
Ayen  (le  duc  d').  1, 137, 405  ;  II,  24- 

Barbarigo  (madame).  I,  184. 
Barbe  de  Portugal  (reine  d*£spagne). 

I,  217,  218, 219, 273  ;  II,  44,  98 

et  suiv.,  138. 
Bareith  (Frédérique-Sophic-Wilhcl- 

mine,  margrave  de).  I,  399,  403, 

404. 
Barjac.  I,  70. 

Baschi  (comte  de).  II,  309. 
Bavière  (Maximilien,  Joseph,   Léo- 

pold,  Ferdinand,  électeurs  de).  II, 

301;  11,189. 
Bayle.  I,  41. 
Beaumont  (archevêque  de  Paris).  I, 

140,  155,  316, 318  et  suiv.,  325, 

347;  II,  51,  52,  55  et  suiv.,  121, 

125, 134, 146, 157,  158,  333. 
Beauval  (df).  II,  318. 
Beauvau  (Charles-Just  de).  II,  127. 
Bedmar  (le  marquis  de).  I,  187. 
Bellay  (Fabbé  du).  I,  124. 
Belle-Isle  (le  maréchal  de).  I,  57, 

133,  156,  202,  253,  254,  266, 


490 


INDEX    ALPHABÉTIQUE. 


297,  303,  304,  307,  353,  358, 
395,  397;  II,  15,  31,  34,  47,  56, 
61  et  suiv.,  66,  68,  6*9,  76,  85, 
142,  156,  186,  188,  200,  212, 
213,223,  230,  231,  235,248, 
249,256,  286,318,  326,  332 
et  suiv. 

Benoît  XIV.  I,  86,  191,  274,  325, 
326;  II,  53,  54,  57,  58  et  «uiv., 
157,  182, 183,  211,  222  et  «uiv., 
231,  310. 

Bernis  (le  marquis  de).  I,  1  ;  II,  343. 

Bernstorf  (comte  de).  II,  41,  145. 

Berryer.  1,333,334,336,  340,  343, 
346  ;  II,  74,  77,  78,  86,  92,  102, 
130,  244,  296,  313,  317,  327, 
328,  333,  340. 

Bestucheff  (comte  de).  II,  3,  126, 
137,  161,  194, 199. 

BeuvroiL  (comte  de).  I,  275  ;  II, 
342. 

Beuvron  (madame  de).  I,  275  ;  II, 
342. 

Biron  (le  maréchal  de),  I,  103. 

Blakney.  I,  256. 

Blénac  (comte  de).  II,  312. 

Blondel.  I,  224. 

Blou-Laval.  I,  5. 

Bplinfvbroke.  I^  35. 

Bompar(de).  II,  314,327. 

Bor{»hèse  (la  princesse).  I,  73 • 

Bouille  (Mgr  de).  II,  209. 

Boullongue.  I,  336,  338  ;  il,  48, 59, 
98, 115, 193, 201,  220,  230,238, 
239,  245,  319,  337,  342,  352, 
358. 

Bourbon  (le  duc  de).  I,  43,  49,  50, 
51,  52. 

Bourcel.  II,  170. 

Bourgogne  (le  duc  de)  fils  du  Dau- 
phin. I,  137,  146;  II,  158. 

Boyer  (cvèque  de  Mircpoix).  I,  34, 
81  et  suiv.,  140,  154,  197,  317. 

Bradock  (le  général).  I,  257. 

Branicki.  II,  224. 

Broc  (marquis  de).  II,  271. 


Broglie  (le  maréchal  de).  I,  i  12, 395; 
II,  15, 156,  254,  296. 

Broglie  (le  comte  de).  I,  244,  381, 
382  ;  11,5,  79, 88,  112, 125, 126, 
133,  134,  150,  189,  199,  235, 
309. 

BrogHe  (François  de)^  comte  de  Re- 
vel.  II,  139. 

Brown.  I,  295. 

Briihl  (le  comte  de).  II,  5,  120, 199, 
223,224. 

Brun.  11,357,  358,  360,  361,  36S. 

Brunswick  (le  duc  de).  1,214,234; 
II,  9,  25,  27. 

Brunswick  (Ferdinand  de).  II,  15, 
40,  43,  143,  151,  184,  249,251, 
256,  258,  260,  278,  31T. 

Brunswick-Bevern  (le  prince  hérédi- 
taire). I,  401  et  suiv.;  11,27,28, 
30,  32,  33,  39,  63  et  suiv.,  68, 
146  et  suiv. 

Buffon.  I,  96. 

Bussy.  II,  329. 

Bussy-Uabutia  (évèque  de  Luçod), 
I,  38,  39. 

Byng.  I,  252,  256  ;  II,  34. 

Campo  Florido  (ambassadeur  d'Es- 
pagne en  France).  I,  55,  56,  83, 
84. 

Canillac  (abbé  de).  II,  211. 

Garaccioli  (nonce  à  Venise).  I,  167, 
185,  186. 

Garanian  (comte  de).  II,  151. 

Cassegrain.  I,  58. 

Castellane  (madame  de).  I,  275;  II, 
342. 

Castries  (le  marquis  de).  II,  15,  U9, 
170,  181,  252. 

Catherine,  grande  duchesse  de  Ru»- 
sie.  II,  2,  4  et  suiv. 

Catinat.  I,  129. 

Chabannes  (madame  de).  II,  •)^3Î. 

Chambonas  (Pabbé  de).  I,  68. 

Champeaux.  II,  145,  176,181. 

Charles  VI  (empereur).  I,  225 


INDEX    ALPHABÉTIQUE. 


491 


Charles  VII  (empereur).  I,  57. 
Charles-Emmanuel  (roi  de  Sardai- 

gne).  I,  157,  158,  iÔ4, 198,  200 

et  suiv.,  379;  11,93,  268. 
Charles  de  Lorraine  (le  prince).    I, 

375,  376;  II,  11,38,  146,  148, 

154, 176. 
Chaste!  de  Coudres.  I,  4. 
Châteauroux  (madame  de).  1, 89,  90, 

108,  119. 
Châteict  (marquise  du).  I,  100. 
Châtillon  (le  duc  de).  I,  89. 
Chauvelin.  I,  53,  54,  56,  71,   207; 

II,  77,  78. 
Chauvelin  (le  chevalier).  I,  200  ;  II, 

225. 
Chavigny.  I,  143,  157,  159,  163, 

172,  173. 
Chevert.  II,  65. 
Chiari.  I,  181. 
Choiseul-StainyiHe  (madame  de).  II, 

125,  194. 
Choiseul-Stainville(Léopold-Charles 

de),éTêque  d*Éyreux.  11,119,130, 

211,  218,  219,  223,  224,  228, 

229,  298,  336. 
Choiseul  (leduc  de).  1, 191,206,325, 

381,  382,  383,  384,  386  et  suiv.; 

II,  9,  16,  38,  46,  48, 49, 73,  80, 

89,  90,  96, 99, 102, 111,  et  suiv. 

à  fin. 
Choiseul-Romanet  (madame  de).   I, 

152,  206,  221. 
Cinq-Mars.  1, 103. 
Clément  XIII  (Rezzonico).  II,  250, 

252,257,262,  263,  268,  273, 

280,  293  et  suiv.,  297,  348. 
Clermont  (comte  de).  11,33,  62,  63 

et  suiv.,  164,167, 169,  177,181, 

183,187,189,  190,  194,  197, 

.202,  206,  207,  213,  215,  216, 

223, 238,  241  et  suiv.,  340. 
Clovis  II.  I,  75. 
Cobentzel.  11,279. 
Coislin  (madame  de).  II,  192. 
Colbert.  II,  173,  197. 


Colin.  11,334. 

Collet.  II,  327. 

Colloredb  (comte  de).  Il,  218,  228. 

Condorcet  (évoque  d*Auxerre).   II, 

181. 
Couflans  (marquis  de).  II,  327. 
Contades.  Il,  61,65,  68,  167,  249, 

250,  252,  254,  256. 
GoDti  (le  prince  de).   I,   140,   141, 

152,205,208,230,318,    324, 

334  ;  II,  225. 
Conrten.   II,   128,   129,   177,   212, 

225. 
Couturier  (Fabbé).  I,    24,   25,  26, 

31. 
CrébUlon.  1,35,  94. 
Crébillon  fils.  I,  94,  95. 
Crémilles.    I,  391,  397  ;  IL  26,  33, 

61,128,  167, 169,190,195,230, 

296. 
Crivelli.  II,  211. 
Crussol  d*Amboise.  II,  218. 
Cumberland    (le   duc  de).   I,    377, 

391,  393,  399, 400, 405, 406 i  II, 

15,  20,  22  et  suiv.,  34,  35, 124, 

131. 

Dabreu.  II,  340. 

Daguesseau.  I,  35,  65  ;  H,  58. 

Damiens.  I,  335,  350  et  suiv.,  357, 
.362;  II,  103. 

Danemark  (roi  de),  II,  18,  19,22, 
24. 

Daun  (le  comte  de).  I,  375,  376, 
388;  II,  47,  168,  234,  236,  252, 
258,  266,  272,  274,  278,  281, 
282 ,  303 , 305, 323,  330,  341. 

Dauphin  (le).  I,  82,  112,  143,  153, 
192,  344,  352,  357  et  suiv.,  363, 
365,  385  ;  II,  70  et  suiv.,  72,102, 
103,  207,  316,  321. 

Dauphine  (Madame  la).  Marie-Josè- 
phe  de  Saxe.  I,  270,  308,  359, 
381,  382;  II,  128, 137  187,5128, 
235,  340,  354. 

Deguerthy.  II,  285. 


494 


INDEX    ALPHABETIQUE. 


Law,  I,  42,69;  II,  173. 

Lehwald  (rnaréchal  de).  II,  168. 

Leczinski  Stanislas  (roi  de  Pologne). 
1,53. 

Lejeiine.  I,  11. 

Le  Normand  de  Mcsy.  II,  85,  230, 
30V,  312,  318,  322. 

Léonci.  II,  103. 

Lesdiguières.  I,  103. 

Le  Tellier  (le  Père).  I,  46. 

Léyis  (madame  de).  Voyez  Venla- 
dour. 

L*HApiul  (marquis  de).  II,  4,  120, 
126,  200. 

Lippe  (comte  de  la).  II,  10. 

Lobkowitz  (prince  de).  II,  156, 177, 
178. 

Louis  XÏII.  I,  103,  104. 

Louis  XIV.  I,  40,  44,  45,  46,  47, 
51,  60,  103,  104,114,258,  315, 
317,  343  ;  II,  28,  197. 

Louis  XV.  I,  47,  48,  49,  50,  51, 
56,  84  et  suiv..  89,  90,  108  et 
suiv.,  117,  118,  120,  124,  132, 
133,  144,  152,  155,  156,  160, 
178,  190,  192,  195  et  suiv.,  201, 
203  et  suiv.,  211,  212,  215  et 
suiv.,  222  et  suiv.,  238  et  suiv., 
257  et  suiv.,  275,  276,  278  et 
suiv.,  299,  306,  308,  310  et  suiv., 
323  et  suiv.,  353  et  suiv.,  370 
et  suiv.,  395  et  suiv.,  II,  13,  19, 
20,  24,  25,  27,  34,  35,  47,  51  et 
suiv.,  61,  63,  66  et  suiv.,  70  et 
suiv.,  77  et  suiv.,  81  et  suiv., 
88  et  suiv.,  97, 100  et  suiv.,  111 
et  suiv.,  116  et  suiv.,  127,  128, 
131,  137,  142,  148,  150,  155  et 
suiv.,  161  et  suiv.,  167  et  suiv., 
174,  177  et  suiv.,  182, 184, 190, 
191,  192,  197,  198,  200,  209, 
210,  213,  214,  116,  217  et  suiv., 
222,  226  et  suiv.,  236,  237,  240, 
242,  246,  247,  250,  251,  252, 
254,  258,  262,  264,  265,  267, 
269,   270,  272,  275,  276,277, 


279,  281,   283,   284,  S85,  286, 

287  et  suÎT. 
Louis  (infant  don).  II,  137. 
Louise  (infante).  II,  158. 
Louise-Ulriqne  (reine  de  Snède).  f, 

299. 
LouTois.  II,  172* 
Lowendahl  (le  marécrhal  <le).  1, 13^ 

391. 
Luxembourg    (le    maréchal   de),  f, 

383. 
Luynes  (cardinal   de).  II,  310. 
Lynar  (comte  de)»  llj  19,    124. 

Machault.  (M.  de>  I,  138,  139, 
144,  153,  195,  196,  205,  909, 
212  et  suiv.,  228,  237,  238,  24*, 
2M,  253,  254,  282,  283,  284,  ' 
296,  297,  303,  304,  308,313, 
318,  319,  328,  343,  355,  360, 
961,  366  et  suiv.;  Il,  74,  333. 

Madame  Infante  (duchesse  de  Par- 
me). I,  161,  190,  192,194,195, 
217,  246,  311,  363,  369,381, 
382  ;  II,  95,  112,  113, 114,  121, 
125,  132,  150,  158,  165,  185, 
204,  211,  281,  282,  315,336, 
366. 

Mahmoud  II  (sultan).  I,  191. 

Mailiebois  (le  comte  de).  I,  391, 
394,  395,  396  ;  II,  32, 132,231. 

Mailly  (comte  de).  Il,  147,  148,149. 

Mailly  (madame  de).  I,  110,   119. 

Maine  (la  ducbesse  du).  I,  63,  6ô, 
66,  67. 

Maintenon  (madame  de).  I,  40;  lU 
71,  138. 

Mairan.  I,  35,  64,96. 

Mandrin.  I,  194,  198  et  suiv. 

Marbœuf  (l'abbé  de).  I,  143. 

Marie-Anne-Victoire  (infante  d'Es- 
pagne). I,  10. 

Marie-Josèpbe  d'Autriche  (reine  Jf 
Pologne).  I,  294. 

Marie-Léczinska.  I,  52,  53,  153: 
11,68,74. 


INDEX    ALPHABÉTIQUE 


Georges- Auguste  II  (roi  d* Angle- 
terre). I,  247,  248,  Î49,  399; 
II,  19,  22,  29,  163,  203,  214, 
230. 

Gesvres  (le  duc  de).  II,  21,  115. 

Gesvres  (cardinal  de).  H,  310. 

Gilbert  de  Voisins.  II,  77,  130. 

Gi»ors  (comte  de).  II,  63,  64,  68. 

Glaubitz.  II,  128. 

Goldoni.  I,  181. 

Gontaut-Biron  (le  duc  de).  I,  114, 

Gourdon.  I,  5. 

Gradis.  II,  318. 

GrayiHe.  II,  249. 

Gresset.  I,  36,  37,  95. 

Gribeauval.  II,  128. 

Gualterio.  II,  53. 

Havrincourt  (le  marquis  d*).  1,298  ; 

II,  129. 
Hawke.  II,  203. 

Hébert  (curé  de  Versailles).  I,  46. 
Henri  III.  I,  155. 
Henri  IV.  I,  102,  103,   104,  343, 

351;  11,71,191. 
Henri  de  Prusse  (le  prince).  11,38, 

148,  159,  197,  237. 
Hesse-Cassel  (Guillaume,  landgrave 

de).  I,  300;  II,  10,  15,  25,  26, 

31,  131,144. 

Isabelle  (Pinfante),  ftUe  de  Madame 
Infante.  II,  125,  147,  158,  191, 
303. 

Issards  (le  marquis  des).  I,  157, 
160. 

Jacques  Clément.  I,  320. 

Jaffier.  I,  187. 

Janel.  II,  298,  351. 

Jarente(évèqae  d'Orléans).  II,  52, 
119,  125,  130,  181,  209,  211, 
224,  228,  285,  329  et  sut.,  350, 
356,  369,  370.  . 

Joly  de  Fleury.  I,  334. 

Joseph  (arcbiduc).  II,  125. 


493 

Kaunitz  (le  comte  de^.  I,  224,  225, 
,  230,  231,  383;  II,  14,  40,  46, 
47,  90,  113  et  suiv.,  129,  130, 
135,  139,  lU,  155,  159,  161, 
162,  175,  176,  178,  180,  185, 
188,  192,  210,  217,  228,  230, 
243,  250,  256,  257,  259,  273, 
316,  320. 

Keene.  I,  218. 

Keith  (Bobert  Murray).  II,  161. 

Keitb  (le  maréchal).  I,  376  ;  II,  38, 
47,  149,  159. 

Revenhuller.  II,  257. 

Rnyphausen  (  baron  de  ).  I,  211, 
212,  213,  214,  274. 


La  Bletterie.  I,  87. 

Laborde.  II,  283,  319. 

La  Chapelle.  I,  171. 

La  Chaussée.  I,  98. 

La  aue  (de).  II,  189. 

La  Cueva.  I,  187. 

La  Encenada.   I,  168,  169,  217. 

La  Fare  (le  maréchal  de).  1,  32. 

La  Fosse  (de).  I,  24. 

La  Galissonnière.  I,  256. 

Lamoîgnon   (  chancelier  ).    I,    137, 

332,  342,  343,  344,  360,  361; 

II,  53. 
Langeron  (marquis  de).  II,  120. 
Lannion.  II,  221. 
La  Boche-Aymon  (cardinal  de).  II, 

59. 
La  Bochefoucauld  (duc  de).   I,  89. 
La  Bochefoucauld  (le  cardinal  de), 

I,  276,    325,  326;     II,    219, 
223. 

La  Santé  (le  Père).  I,  17,  18. 

La  Seoze.  II,  365. 

La  Taste  (évèqoe  de  Bethléem).  I, 

I    8». 

La  Tour  d'Auvergne  (comte  de). 

II,  271. 

Lauragnais  (madame  de)*  II,  136. 
La  Ville  (l'abbé  de).   I,  171,  275; 
II,  329,  358. 


496 

0*DonDel  (le  général).  I,  376. 
Ogier  (le  comte).   II,   18,  19,  35, 

41,  12T,  179,  180,  229. 
Orléans  (le  duc  d'),  régent.  I,  40, 

41,  4Î,  43,  48,  49, 69,  91. 
Ormesson.  I,  334,  335,  341  ;  II,  5!. 
Osman  III  (sultan).  II,  132. 
Ossorio  (le  chevalier).  I,  157,  158. 
Ossun  (d').  II,  334. 

Paris  Duverney.  I,  50,  248,  249, 
252,  376,  391  et  suiv.;  II,  61, 
156,  181,  217,  223. 

Paris-Montmartel.  I,  248;  II,  97, 
183,  200,  201,  212,  217,218, 
223,  332,  238,  239,  245,  251, 
257,  262,  283,  298,  308,  319, 
320,  327,  330,  337,  340,  343, 
345. 

Paulmy  (le  marquis  de).  1, 143,  359, 
368,  371,  391,  396,  397;  11,37, 
61,  76,  7»,  166,  179,  247. 

Penthièyre  (le  duc  de).  1, 178,  180, 
287. 

Pereuse  (marquis  de).  II,  151. 

Philippe  (infant  duc  de  Parme).  I^ 
161,  268,  279,  379  ;  II,  158. 

Pierre- Léopold  (archiduc).    I,  161. 

Pierre  (grand-duc  de  Russie).  If, 
144,  180. 

Piron.  I,  91,  95. 

Pitt.  II,  43,  299. 

Poisson  (madame).  I,  110. 

Polignac  (le  cardinal  de).  1, 19,  35, 
61  et  suiv.,  70,  73. 

Polignac  (chevalier  de).  II,  271. 

Polignac.  II,  340. 

Pompadour  (madame  de).  I,  109, 
110,  111,  114,  115,  118,  119, 
139,141,  143,  154,160,190,195 
etsuiv.,202,205etsuiv.,2i4,22l 
et  suiv.,  230,  255,  274,  282,284, 
306,  307,  313,  328,  329,  331, 
333,  336,  340,  343,  346,  352, 
354  et  suiv.,  361  et  suiv.,  370 
et  suiv.,  381, 382,  383,  384, 386, 


INDEX    ALPHABÉTIQUE. 


387,  388,  390,  391,  392,  393, 
394,  401,  405  ;  II,  14,  21,  2fi, 
30,  43,  34,  36.  40,  43,  45, 47, 
61,  67,  70  et  suit.,  76  et  auiv., 
81  et  suiv.,  87,  88,  90, 100,101, 
111,  112,  116,  120,  121,123, 
136,  142,  147  et  saiv.,  171, 178, 
179, 192,  198,  200,  203,  208  ec 
suiv.,  225,  226,  239,  244«  2tô, 
247,  250,  253,  258,  264,  269  et 
saiT«»  272  et  suiv.  à  fin. 

Pomponne  (l'abbé  de).  I,  275. 

Poncet  de  la  Rivière  (Mgr).  Il,  181. 

Poniatowski.  Il,  4,  5. 

Poréc  (le  Père).  ,1,  IT,  18,  19. 

Porto-Carrero  (cardinal).  II,  91, 
211,  262. 

Portugal  (Joseph,  roi  de).  II,  100, 
103,  305. 

Portugal  (Marie-Anne-Victoire,  reine 
de).  II,  305. 

Prétendant  (le).  I,  70. 

Prié  (le  marquis  de).  1, 169,  184. 

Puysieulx  (le  marquis  de).  I,'  137, 
138,  140,  144,  147  etaui?.,l52, 
155,  247,  266,  320  ;  II,  49,  78, 
79,  100,  247,  296,  334. 

Ralle  (de).  II,  225. 

Ravaillac.  I,  320,  357,  362. 

Renault.  I,  187. 

Revel  (comte  de).  V.  Broglie. 

Rezzonico    (le   cardinal).    Le  pape 

Clément  XIII.  I,  193  ;   II,  92. 
Richelieu  (le  cardinal   de).  I,  277; 

II,  190. 

Richelieu  (le  maréchal  de).  I,  102, 
103,  153,  253,  255,  256,312, 
359,  391,  392  ;  II,  7, 18  et  suiv., 
48,  115,  149,  121  et  suiv.,  iSl 
et  suiv.,  149  et  suiv.,  159,  164, 
167,  168,  170,  175,  178,  181, 
184,  195. 

Rochechouart  (cardinal  de).  H,  91, 

III,  130,  211,  231,  232,248, 
262,  286,  301,  329,  366. 


INDEX    ALPHABÉTIQUE. 


4^7 


Rodt  (cardinal  de).  II,  257. 

Rohan  (le  duc  de).  I,  iOd. 

Rohan  (prince  Louis  de).   II,  S86. 

Rohan-Courcillon  (la  princesse  de). 
I,  107. 

Ronsard.  I,  13. 

Rosembourg  (le  comte  de).  I,  169, 
182. 

Rouillé.  I,  139, 175, 190, 19Î,  195, 
196,  201,  202,  211,  212,  216, 

•  222,  237,  2W,  245,  251,;  264, 
267,  271,  274,  275,  277,  281 
et  suir.,  290,  296  et  suiv.,  903, 
304,  312,  351,  371,  375,  381, 
382,  384,  386  et  suiv.;  II,  2,30, 
76,  88,  211,  247,  309,  327,342, 
343. 

Rouillé  (madame).  I,  387, 388  ;  II, 
76. 

Sacy  (le  Père).  11,74,102. 

Saint -Con test.   I,  144^   153,    154, 

159,  169,  171,  173,  174,  175, 

207,  371. 
SainuFIorentin.   I,  237,  238,  241, 

343,  344;  II,  52,  76,  325,  330, 

340,  345. 
Saint-Germain  (comtesse  de).  I,  52. 
Saist-Germain  (comte  de).    II,   35, 

39,  64,  148. 
Saint-Réal.  I,  187,  188. 
Saint-Séverin  (le  comte  de).  1, 121, 

140, 144. 
Sandwick  (madame  de).  I,  65. 
Saxe  (le  maréchal  de).  I,  112,  113, 

134,  302,  391,  393. 
Saxe  (prince  Xavier   de.)   II,  187, 

207,  228,  241,  340. 
Saxe-Gotha  (le  duc  de).  II,  10. 
Scheffer  (baron  de).  II,  150. 
Schulembourg.  II,  152. 
Séchelles   (de).   I,  204,  228,  237, 

244,251,297;  11,222. 
Seignelay.  I,  308. 
Senneterre    (le  maréchal    de).    II, 

120,  124. 
II. 


Silhouette.  II,  97,  312,  314,  319. 

Solar,  (le  bailli  de).  I,  159. 

Sommery  (de).  I,  49. 

Soubise  (le  prince  de).  I,  196,  390 
et  suiv.,  403,  405  ;  II,  7,  26  et 
•uiv.,  35  et  suiv.,  68,  74,  114, 
116,  119,  121,  123,  124,  126, 
128, 135,  138  et  suiv.,  142, 143, 
146,  149,  150,  152,  159,  167, 
170,  179,  188,  196,  215,221, 
225,  237,  242,  247,  249,  252, 
254,  256,  270,  317. 

Sbuza  (le  bailli  de).  I,  219. 

Spinelli  (cardinal).  II,  231,263, 
301.  . 

Staal  (madame  de).  I,  65. 

Stainville  (le  comte).  Voyez  Ghoi- 
seul  (fce  duc  de). 

Starhemberg  (le  comte  de).  I,  222, 
224,  225,  226,  227,  229,  235, 
238,  239,  241,  243,  246,  261, 
262,  264  et  suiv.,  270, 271,  273, 
278,  280,  281,  287,  308,  309, 
310,  374,  375  ;  II,  14,  114,117, 
121,  122,  125,  128,  130,  137, 
142,  145,  146,  147,  159,  166, 
175,  186,  204,  220,  222,229, 
253,  254,  261,  263,  272,  302, 
316,  319,  320,  321,  323,  327, 
330,348. 

Sternberg.  H,  257. 

Taff.  II,  286. 

Tavannes   (le   cardinal  de).  II,  59, 

60,  320,  330,  340. 
Tencin  (madame  de).  I,  72,  87,91. 
Tencîn  (le  cardinal  de).  1, 56,  68  et 

suiv.,  124,  139,  156,  403,  404  ; 

II,  57,  58,  89. 
Tcrcier.  II,  329. 
Terrasson  (Fabbé).  I,  96. 
Thomond  (le  maréchal  de).  II,  127, 

369. 
Torcy  I,  34,  64,  65. 
Torre  (comte  de  la).  I,  188. 
Toulouse  (la  comtesse  de).  I,  363. 

32 


«08 

Tournemine  (le  Père  de).  I,  18,  66. 
Triyulce  (la  princesse).  II,  95. 

Yalenti  (le  cardinal).  I,  273. 
Valory  (le  marquis  de).  1, 290,  291  ; 

11,2. 
Vaux  (de).  H,  215. 
Vendôme.  II,  28. 
Tentadour  (la  ducbesse  de).  I,  47, 

57,  81,  1S2. 
Vergennes  (le  comte  de).   II,  126, 

279. 
Verdiamon  de  CSiayagnac  (évéqne  de 

Luçon).  II,  331. 
Vietinekhof.  II,  132.         4 
Victor- Amédée  (duc  de  Savoie).  I, 

47, 158,  194. 
Villemor  (M.  de).  II,  24,33,  238, 

241. 
Villeneure  (évèque  de  Viviers).  I, 


INDEX    ALPHABÉTIQUE. 


Vitlenenve  (ambassadeur  à  la  Porte). 

I,  90^  91. 
Villeroy   (le  marédial  de).   I,  47, 

48. 
VUieroy  (duc  de).  II,  296. 
Vintimille  (archevêque  de  Paris).  I, 

38,52. 
Voltaire.  I.  64,  94,  95,  iOO,  121, 

187  ;  II,  27. 

WaU.  I,  217  et  suiv.;  H,  98,  222, 

228,230. 
Williams  (sir  Gk.  H.).  II,  4. 
Woronzow.  1,  298;  II,  4. 
Wurtembein  (Charles-Eugène  duc 

de).  1,300;  II,  166. 
Wurtemberg  (Frédéric  de).  I,  25T. 

Ximenès  (le  marquis  de).  I,  94. 

Yorke.  1,250;  11,134,169. 


FIIC  DE  L* INDEX  ALPHABÉTIQUE. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


MÉMOIRES  DU  CARDINAL  DE  BERNIS. 


DEUXIÈME  PARTIE  (salte). 


Pa0n. 


Chapitre  XXXVIII.  —  Envoi  du  marquis  de.Fraigne  à  Zerbst;  son 
enlèTement ,  et  tout  ce  qui  a  rapport  à  cette 
affaire 1 

Chapitre  XXXIX.  —  Négociations  du  comte  de  StainyiHe  à  Vienne, 
heureusement  terminées  par  on  traité  avec  le 
duc  de  firunswick,  au  mois  d*août  1757 9 

Chapitre  XL.  —  De  la  capitulation  de  Closter-Seven  et  de  ses  suites. 

Chapitre  XLI.  —  De  l'affaire  de  Rossbach,  le  5  novembre  1757. . .       36 

Chapitre  XLII.  —  Négociations  pour  la  paix  sur  la  fin  de  la  campagne 

de  1757 43 

Chapitre  XLIII. —  Affaires  ecclésiastiques  des  années  1757  et  1758.       51 

TROISIÈME  PARTIE. 

Chapitre  I.  —  Des  événements  qui  précédèrent  et  suivirent  la  ba- 
taille de  Creveld.  —  Retraite  de  M.  de  Paulmi. 
—  Le  maréchal  de  Belle-Isle ,  ministre  de  la 

guerre 61 

Chapitkb  II.  —  D*un  service  important  rendu  k  madame  de  Pom- 

padour 70 

Chapitre  III.  —  De  la  retraite  de  plusieurs  ministres 76 

Chapitre  IV.  —  Plan  de  gouvernement  proposé  et  accepté  dans  Tété 

de  1758 : 81 

Chapitre  V.  —  Du  chapeau  de  cardinal 88 

Chapitre  VI.  —  Affaires d*Espagne 97 

Chapitiib  VII.  —  De  Taffaire  des  Jésuites  en  France 102 

Chapithb  VIII..—  Plan  de  finance  proposé  pendant  la  guerre 107 


500  TABLE  DBS  MATI&RB8. 

LETTRES  DE  L  ABBÉ  COMTE  DE  BERNIS. 

L'abM  comte  de  Bernu  li  M.  le  comte  de  Staûmlle.  — Versailles, 

SO  janTier  i75T 111 

—  Au  même«  —  i*'  «oAt •  11) 

—  Aa  même.  —  iO  septembre 11) 

—  Aa  même.  —  Parfa,  M  wptembrs^ 115 

—  Aa  même.  —  Fonuineblesa ,  S4  septembre 116 

—  Aa  mêiae.  —  Fonteinrfilesa ,  S7  Mptembre 119 

—  Aa  même.  —  Versailles,  8  octobre «... ISS 

«—    Au  même*  —  Versailles ,  8  octobre 1S5 

—  Aa  même.  —  9  octobre t 1S8 

—  Aa  même.  —  17  octobre ISO 

—  Aa  même.  —  Versailles ,  S4  octdbre 130 

—  Aa  même.  —  !•'  novembre iSS 

—  Aa  même.  —  Versailles,  8  norendbre 13i 

—  Aa  même.  —  Versailles,  14  novembre  . . . , 138 

-L    Aa  même.  —  9S  noTcmbre 130 

—  An  mèms.  — *  90  noTcmbre. 143 

—  Aa  mêsM* — 7  décembre 148 

—  An  même.  —  Versailles,  18  décembre 150 

»    Anaiéaie.  —  18  décembre 154 

—  Au  même.  -^  Si  décembre 150 

—  Aa  même.  —  31  décembre 159 

-^     An  même.  —  6  janvier 160 

—  Aa  même.  —  14  janyier 163 

—  Aa  même.  —  19  janvier .....*    166 

—  Aa  même.  — 19  janvier 168 

—  Aa  même.  —  S5  janvier 170 

—  Aa  même.  —  80  janvier 179 

—  Au  même.  -^  4  février 181 

—  An  même.  —  4  février 18Î 

—  Aa  même.  —  9  février 18^ 

—  Au  même.  —  9  février 186 

—  Au  même.  —  SO  février 18T 

—  Au  même.  —  S8  février 187 

*  —     Au  même.  -^  17  mars. ...  % 190 

—  Au  même.  —  S4  mars ». 193 

—  Au  même.  —  Versailles ,  31  mars 194 

—  Au  même.  —  31  mars SOO 

—  Au  même.  —  7  avril SOI 


TABLE  DES   MATIÈRES.  501 

PaffM. 

—  Au  même.  —  7  avril.  ; J03 

—  Au  même.  —  16  avril 205 

—  Au  même.  —  21  avril Î09 

—  Au  même.  —  21  avril %i% 

—  Au  même.  —  27  avril..., 216 

—  Au  même.  —  i*'  mai Î18 

—  Au  même.  —  6  mai 5M80 

—  Au  même.  —  13  mai 224 

—  Au  même.  —  16  mai 228 

^     Au  même.  —  24  mai 230 

—  Au  même.  —  25  mai ; . . ,  235 

—  Au  même.  —  30  mai 236 

—  Au  même.  —  30  mai 236 

—  Au  même.  —  4  juin 237 

—  Au  même.  —  6  juin 238 

—  Au  même.  —  15  juin , 240 

—  Au  même.  —  22  juin 242 

—  Au  même.  —  24  juin 5t45 

—  Au  même.  —  29  juin 246 

—  Au  même.  —  7  juillet 248 

--     An  même.  —  14  juillet 249 

—  Au  même.  —  15  juillet 250 

—  Au  même.  —  21  juillet 251 

—  Au  même.  —  !•'  août 252 

—  Au  même.  —  4  août 256 

—  Au  même.  —  20  août 258 

—  A  M.  le  duc  de  Ghoiseul.  —  26  août 264 

—  Au  même.  —  4  septembre 265 

•^     A  madame  de  Pompadour.  —  (12)  septembre 269 

—  A  M.  le  duc  dâ  CboîteuL  —  13  septembre 27i 

—  Au  même.  —  16  septembre 272 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  19  septembre 274 

—  A  M.  le  duc  de  Cboiseul.  —r  fZ  septembre 276 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  26  septembre 282 

—  A  la  même.  —  29  septembre 284 

—  A  la  même.  —  4  octobre 286 

Mémoire  pour  le  Roi 287 

L'abbé  comte  de  Remis  à  madame  de  Pompadour.  —  6  octobre. . . .  292 

—  Au  Roi. — 6  oct&bre 293 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  6  octobre 296 

—  A  la  même.  —  8  octobre 298 

Le  Roi  k  l'abbé  comte  de  Remis.  —  9  octobre 299 


502  TABLE  DES   MATIERES. 

Le  cardinal  de  Remis  à  madame  de  Pompadour.  —  10  octobre.  . . .  300 

—  A  M.  le  duc  de  Gkoiseul.  —  il  octobre 301 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  11  octobre 306 

—  A  la  même.  —  14  octobre 306 

—  Au  Roi.  —  15  octobre 311 

.    —  '  A  M.  le  duc  de  Choiseul.  —  19  octobre 315 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  86  octobre 317 

—  A  M.  le  duc  de  Choiseul.  —  29  octobre 321 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  30  octobre 323 

Mémoire  au  Roi.  —  30  octobre 32V 

Le  cardinal  de  Bernis  à  madame  de  Pompadour.  —  3  novembre ....  325 

—  A  M.  le  duc  de  Gboiseul.  —  3  novembre 327 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  8  novembre • .  330 

—  A  la  même.  —  9  novembre 332 

—  A  M.  le  duc  de  Choiseul.  —  12  novembre 335 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  15  novembre 337 

—  A  la  même.  —  15  novembre 310 

—  A  M.  le  duc  de  Choiseul.  —  15  novembre 341 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  16  novembre 34S 

—  A  M.  le  duc  de  Choiseul.  —  29  novembre 844 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  Décembre , .  345 

Lettre  d*ordre  du  Roi  au  cardinal  de  Bernis.  —  13  décembre 346 

Le  cardinal  de  Bernis  au  Roi.  —  13  décembre^ 347 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  13  décembre 349 

—  Au  Roi.  —  13  décembre  au  soir 351 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  16  décembre 35Î 

—  Au  Roi.  —  16  décembre 353 

—  A  M.  le  duc  de  Choiseul.  —  17  décembre. 355 

—  Au  même.  —  28  décembre 356 

—  Au  même.  —  29  décembre 357 

—  A  madame  de  Pompadour.  —  30  décembre 338 

—  A  M.  le  duc  de  Choiseul.  —  31  décembre 360 

—  Au  même.  —  7  janvier  1759 361 

—  Au  même.  —  26  janvier 363 

—  Au  même.  —  14  mai 36^5 

—  Au  même.  —  15  juin 365 

—  Au  même.  —  31  décembre 3*^6 

—  Au  même.  —  29  avril  1760 367 

—  Au  mcrae.  —  10  juin 368 

—  Au  même.  —  8  juillet 371 

—  Au  même.  —  12  mars  1761 .* 37Î 


TABLE  DES   MATIERES.  503 

APPENDICES. 

Paf« 

.VIII,  —  L'affaire  àa  marquis  de  Fraigne 375 

IX.  —  L*af£iire  du  décret  de  Venise 407 

X.  —  Circulaire  aux  ambassadeurs  et  ministres  du  Roi  sur  l'entrée 

de  Remis  aux  affaires  étrangères  et  sur  sa  retraite 411 

XI.  —  Négociations  de  Remis  avec  la  cour  de  Vienne  en  vue  de  la 

paix. 413 

XII.  —  Lettres  relatives  à  la  victoire  d'Hochkirvh 47$ 

XIII.  —  La  disgrâce  du  cardinal  de  Remb. — Impressions  des  com- 

temporains.  Paris,  Rerlin,  Vienne,  Rome 476 

Index  alphabétique  des  noms  de  personnes  cités  dans  les  Mémoires 

et  Lettres  du  cardinal  de  Rerais 489 


FIN    DE    LA    TABLE    DES    MATIERES. 


PAIIS.    —   TYPOGRAPIIIE   DB    C    PLON   ET   C**,   8,   KCE  GAlAKaîmi.