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»4
ne
151
-7
/
e
MEMOIRES
. DU 3 ' ' ^
général' RAPRr^
.\
AIDEDE-CAMP DE NAPOLÉON ,
ECRITS PAR LUI-MEME,
BV PUBLIAS PAR SA FAMILX.B/
Edition originale.
a PARIS 1823.
BçHsaASGB, frères. F. Didot, père et fils.
4 FRANCFORT sur le Mei^.
J. D. SaubrlIudieii^
^.
AVERTISSEMENT.
I
<;
Ces Mémoires n étaient pas d'abord des-
tinés à rimpressîon. C'était une esquisse,
une série d'anecdotes que le général écri-
vait pour lui-même. Il cherchait à se con-
soler de nos malheurs; il recueillait ses
sôuveniis. JLa reconnaissance acheva un
travail entrepris par l'ennui. Une foule de
braves qui avaient concouru à la défense
de Dantzic demandaient qu'on rendît à
leur courage la justice dont les événements
les avaient privés. Le général résolut de
le faire de la manière qui lui parut la plus
propre à les venger de cet oubli. Il refon-
dit ses Mémoires, et en fit en quelque sorte
le personnel de ceux qui s'étaient le plus
distingués par leur bravoure. Un écrit avait
été livré à la librairie comme un don du gé-
néral, auquel on l'attribuait Le rang de
celui qui s'en disait le donataire avait dû en
imposer à l'éditeur, qui Timprimaii sous le
titre de Mémoiiies du général Rapp. Cette
circonstance nous a déterminés à publier
les véritables. Nous les livrons' au public
tels que le générlil les avait arrêtés.
V
«.'
MÉMOIRES
DU
GÉNÉRAL RAPP,
PREMIER AIDE-DE-CAMP
DE NAPOLÉON.
( »
CHAPITRE PREMIER.
Je n ai pas la prétention d'être un person-
nage historique:' mais j'ai approché long-temps
d'un homme dont on a indignement travesti
le caractère , j'ai commandé a des braves dont
les services sont, méconnus; Tun ma comblé
de biens , les autres m'eussent donné leur vie :
je ne dois pas l'oublier.
Je servais depuis plusieurs années ; Je don-
nais obscurément quelques coups de sabre,
comme cela se pràticme quahd on est subal-
terne- Je fus a la nn assea heureux pour
être remarqué par le général Desaix. Notre
avant-garde en désordre était vivement rame-,
née , J accourus avec une centaine de hussards ;
nous chargeâmes les Autrichiens, et nous ré-
ussîmes a les mettre en fuite. INous étions
presque tous couverts de blessures , mais nou$
Mémoires
en fumes bien décLommagés par les éloges que
nous reçûmes. Lé général daigna m'engager
à prendre soin de inoi , et me fit délivrer l'at-
testation la plus flatteuse 'que jamais soldat ait
obtenue. Je note cette circonstance , non parce
queue tut l origine
L'attestation était ainsi conçue:
Armée de Rhin et Moselle.
yyAiwfuartier général à Bloteheîm, le 3o fructidor, an 3 de la
république irattçaise, une et indivisible»
,, Je soussigné, général de division comman*
dànt l'aile droite de ladite armée , certifie que le
citoyen Jean Rapp , lieutenant au dixième régi-
ment de chasseurs a cheval , a servi sous mes
ordres avec ledit régiment pendant les deux
dernières campagnes ; que dans toutes les occa-
sions il a donné dçs preuves d'une intelligence
rare, d'un sang-froid étonnant, et d'une bra-
voure digne d'admiration ; qu'il ^ été blessé
très grièvement a trois reprises différentes , et
3ue notamment le 9 2>rairial de Tau 2 , a la tête
une comi^agnie de chasseurs, il s'est jVrécipité
sur une colonne de hussards eimemis, plus que
quintuple, avec un dévouement si intrépide,
qu'il calbuta cette masse redoutable , protégea
.la retraite d'une partie de nos troupes, et rem-
porta l'honneur de là journée. On ne peut trop
regretter que , victime de son aèle , il ait été
blessé très dangereusement et de manière a ne
pouvoir plus se servir de son bras. "^11 est trop
du général Rapp. S
digne de la reconnaissance nationale pour ne
pas mériter d'être honorablement employé dans
une place ^ si un service plus actif n'est plus en
son pouvoir. J'atteste que le citoyeji Rapp em-
porte avec lui l'amitié et l'estime de tous ceux
qui le connaissent.
„Desaix,"
Devenu aide - de - camp du modeste vain*
queur d^Offenbourg, je fis auprès de lui les cam^
pagnes d* Allemagne et dlEgjpte. J'obtins suc-
cessivement le grade de chet d'escadron à Sé-
diman , oii j'eus le bonheur , a la tête de deux
cents braves, d'enlever 'le reste de l'artillerie
des Turcs; et de colonel a Samanhout sous les
ruines de Thèbes. Je tus grièvement blessé
dans cette dernière affaire « mais aussi je his
cité bien honorablement dans les relations du
général en chef.
A la mort du brave Desaix , tué a Marengo
au moment où il décidait la victoire , le j^re-
mier consul daigna m'attacher a sa personne.
J'héritai de sa bienveillance pour le conqué-
rant de la haute Egypte. J'eus dès lors quel-
que consistance ; mes rapports devinrent plus
étendus.
Du sèle , de la ârauchise , quelque aptitude
aux armes, me méritèrent sa confiance. Il a sou-
vent dit à ses alentours qu'il était difficile d'a-
voir plus de bon sens naturel et de discerne-
ment que Rapp. On me répétait ces éloges, et
j'avoue que j'en étais flatté : si c'est une faiblesse,^
qu'on me Ja pardonne; chacun aies siennes. Je
me serais fait tuer pour lui prouver ma recon-
naissance, il le savait: aussi repétait-il fréquem*
1 .
4 Mémoires,
metit ^ mes amis que j'étais un frondeur , une
mauvaise tête, mais que j'avais un bon coeur.
Il me tutoyait, ainsi que Lannes ; quand il nous
appelait c^ii« ou Monsier le général^ nous étions
inquiets , nous étions sûrs d'avoir été Resservis.
11 avait la faiblesse d attacher de Timportance a
une police de caquetage , qui ne lui faisait la
plupart du temps que de faux rapports. Cette
méprisable police! elle a empoisonné sa vie;
elle Ta souvent aigri contre ses amis , ses pro-
ches , contre sa propre épouse.
Napoléon faisait peu de cas de la bravoure;
il la pegaixlait comme une qualité ordinaire,
commune a tous les Français: l'intrépidité seule
était quelque chose a ses yeux; aussi passait-
il tout a un intrépide. C'était son expression :
quand quelqu'un sollicitait une grâce, soit aux
audiences , soit aux revues , il ne manquait ja-
mais de lui demander s'il avait été blessé. Il
prétendait que chaque blessure était un quar-
tier de noblesse. Il tionorait , il récompensait
cette espèce d'illustration : il savait pourquoi.
Cependant il s'aperçut bientôt qu'elle n'allait
pas aux antichambres, el les ouvrit a l'ancienne
caste. Cettej préférauce nous déplut: il le rer
marqua , et nous en sut mauvais gré. „J<i vois
^,bien, me dit*il un jour, que ces nobles que je
«^place dans ma maison vous donnent de l'om-
t^nrage/^ Javais pourtant assex bien mérité du
privilège. J'avais fait rayer de la liste des émi*
Sres plusieurs gentilshommes ; j'avais procuré
«« places aux uns, donné de l'argent , fait des
ptn^ions aus autres ; quelques uns s'e^ souvien-
i^nl> U plupart l'ont oublié. A la bonne heure ;
Ma «^ai^^e est fermée depuis le retour du roi.
du général Rapp, 5
Aussibien n etait>ce pas de la reconnaissance
que je cherchais. Je voujiais soulager Tinfor-
^une; mais je ne voulais pas que les émigrés
vinssent s'interposer eutre nous et le grand
homme que nous avions élevé sur le pavpis.
J'avais oublié cette scène désagréable: mais
Napoléon n'oubliait pas les choses pénibles^ qui
lui échappaient; il avait beau chercher a se
montrer sévère, la nature était plus forte, sa
bonté l'emportait toujours. Il me fit appeler;
il *me parla de noblesse , d'émigration , et re-
venant tout a coup a la scène qp/il m'avait
faite, „Vous croyez donc que j'ai de la prédi-
,,lection pour ces gens-la! vous vous trompes.
,,Je m'en sers; mais vous savea pourquoi: car
„enfin suis-je noble moi, mauvais gentilhomme
„corse ? — Ni moi, ni Tannée, lui répliquai- je, ne
,,nous sommes jamais informés de votre origine .
,,Vôs action^ nous suffisent.** Je rendis comptje
de cetle conversation a plusieurs de mes amis,
entre autres aux généraux Mouton de Làuriston.
La' plupart de ces mêmes nobles préten-
dent cependant qu'ils ont cédé k la violence.
Rien nest plus faux. Je n^en connais que
deux qui aient reçu des brevets de chambel-
lans sans les avoir demandés. Quelques au-
tres ont refusé des offres avantageuses; mais, a
ces exceptions près , tous sollicitaient , priaient,
importunaient. C'était un concert de- zèle et
d'abandon dont on n'a pas d'exemple. Le plus
chétif emploi , les functions les plus humbles,
rien ne les rebutait; on eût dit que c'était k
la vie et a la mort. Si jamais quelque main
infidèle se glisse dans les cartons de MM. Tal-
lejrand, Montesquieu, Ségur, Duroc, etc., de
• /
6 Mémoires
quelles expressions brûlantes elle enrichira le
langage du dévouement ! Ils rivalisent aujour-
d'hui de haines et dlnvectives. La chose est'
bien naturelle: s'ils avaient en effet pour lui
la haine profonde qu'ils témoignent, il ^ faut
iM>nvenir aue pendant quinze ans^ qu'ils furent
k ses pieds ils ont du se faire une étrange
violence. Et pourtant toute l'Europe le sait!
k l'aisance dé leurs manières, a la continuité
4e leur sourire , a la souplesse de leurs révé-
rences , on eût dit qu'ils y allaient de coeur
et que cela leur coûtait bien peu.
du général Rapp.
mBÊ^
CHAPITRE IL
Beaucoup de gens dépeignent Napoléon
comme un nomme violent, dur et emporté:
c'est qil'ils ne Font jamais approché. Sans dou-
te , absorbé comme il l'était par les affaires ,
contrarié dans ses vues , entravé dans ses pro-
jets , il avait ses impatiences et ses inégalités.
Cependant il était si bon , si généreux , qu'il se
fut bientôt calmé: mais, loin de l'apaiser, \m
confidents de ses ennuis ne faisaient qu'exciter
sa colère. „Votre Majesté a raison , lui disai-
ent - ils : un tel a mérité d^étre fusillé ou desti-
tué, renvoyé ou disgracié.... Je savais depuis
lop^-temps qu'il était votre ennemi. II faut des
exemples ; ils sont nécessaires au maintien de
la tranquillité, "
S'agissait-il de lever des contributions sur le
pays ennemi, Napoléon demandait , je suppose,
vingt millions : on lui conseillait d'en exiger dix
de plus. Les contributions étaient*elles acouit-
tées, „II faut, lui disait-on , que Yotre Majesté
ménage son trésor, qu'elle fasse vivre ses troupes
aux dépens des pays conquis, ou les laisse en sub»
distance sur le territoire de la confédération. **
Etait - il question de lever deux cent mille
conscrits, on lui persuadait d'en demander trois
centmille; de liquider un créancierdontle droit
était incontestable , on lui insinuait des doutes
sur la légitimité de la créance , on lui fsdsait ré«
duireà moitié , au tiers , souvent arien , le mon-
tant de la réclaïaation,
g 'Mémoires
Parlait-il de faire la guerre , on applaudissait
a cette généreuse résolution : la guerre seule
enrichissait la France ; il fallait étonner le mon-
de, et rétonner d une manière digne de la grande
nation:
Voila Comment, en provoquant, en encoura-
geant des vues, des entreprises encore incertai-
nes, on Ta précipité dans des guerres conti-
nuelles. Voila comment on est parvenu a impri-
mer a son règne un air de violence qui n'était
point dans son caractère et dans ses habitudes :
elles étaient tout- a -fait débonnaires. Jamais
homme ne fut plus enclin a l'indulgence , et
plus sensible a la voix de l'humanité. Je pour-
rais en citer mille exemples : je me borne au
suivant.
George et ses complices avaient été condam-
nés. Joséphine intercéda j^our MM. Polig]A|c,
Murât pour M. de Rivière : ils réussirent l'un et
l'autre. Le jour de l'exécution, le banquier Sché-
rer accourut tout en pleurs a Saint-Clond : il
demanda a me parler. C'était pour que je solli-
citasse la grâce de son beau-frère , M. de Russil-
lon, ancien major suisse, qui se trouvait impli-
qué dans cette affaire. 11 était accompagne de
auelques uns de se^ compatriotes , tous parents
u condamné. Ils savaient bieu, me dirent-ils,
que le major avait miérité la mort; mais il était
père de famille, il tenait aux premières maisom
du canton de Berne. Je cédai , et n'eus pas lieu
de m'en repentir.
Il était sept heures du matin ; Na])oléon, déjà
levé, était dans son cabinet avec Corvisart ; je
me fis annoncer. „Sire^ lui dis-je , il ny a pas
,,long- temps que Votre Majesté a donné sa mé-
du général Rapp. \ 9
„diatîon aux Suisses. Elle saîtquetous n'en ont
„j)as été également satisfaits , les Bernois sur-
„tout. . . Il se présente une occasion de leur prou-
,,ver que vous êtes grand et généreux: un de
yjetirs compatriotes doit être exécuté aujourd'-
„hui; il tient ace qu'ily a demieux dans le pays,
„et certes la grâce que vous lui accorderez fera
,, sensation, et vous y attachera beaucoup de
„monde. — Quel est cet homme 5 Comment
,,s'appelle-t-il ? — Russillon." A ce nom, il
devint furieux. — „I1 est plus dangereux , plus
^coupable que George même. — Je sais tout ce
„que Votre Majesté me fait l'honneur de me
^,aire ; mais les Suisses , mais sa famille , mais
,,ses enfants, vous béniront. Faites. lui grâce,
,,non pas pour lui, mais pour tant de braves
„gens qui ont assea gémi de ses sottises. —
„Éntenaea-vous ?" dit-il en se tournant vers
Cofvisart. En même temps, il m'arrache la
{)étition, l'approuve; et me la rendant avec
a même impétuosité , „Envojez au plus vite
,,un courrier pour qu'on suspende l'exécution.**
On peut aisément se figurer la joie de cette
famille, qui me témoigna sa reconnaissance par
la voie des papiers publics. Russillon fut enier-
mé avec ses complices, et obtint plus tard sa
mise en liberté. Il a fait, depuis le retour du
roi , plusieurs voyages a Paris , sans que je l'aie
vu. Il a pensé que j'attachais assea peu d'im-
portance a ce petit, service ; il a eu raison.
10 Mémoires
CHAPITRE III.
Personne n était plus sensible, personne
n'était plus constant dans ses alFections que
Napoléon. Ilr aimait tendrement sa mère, il
adorait son épouse , il chérissait ses soeurs , ses
frères, tous ses proches. Tous, excepté sa mère,
l'ont abreuvé d'amertumes: il n'a cependant
cessé de leur prodiguer les biens et les honneurs.
Lucien est celui qui s'est le plus opposé a ses
vuesr, qui a plus obstinément contrarié ses pro-
jets. Un jour, dans une vive discussion qu'ils
eurent, je ne sais a quel sujet, il tira samontre,
la jeta j^ar terre avec violence , en lui adressant
ces paroles remarquables : „Vous vous briserea
„comme j'ai brise cette montre , et un temps
„viendra où votre famille et vos amis ne sauront
„où. reposer leur tête.*' Il se maria quelques
jours après, sans avoir obtenu son agrément ^
ni même lui avoir fait part de son dessein.
Tout cela ne l'a j3as empêché de l'accueillir en
1815: a la vérité, il se fit presser 5 Lucien fut
pbligé d'attendre à l'avantderhière poste , mais
il ne tarda pas a être admis.
Napoléon ne se bornait pas a ses proches:
l'amitié , les services , tout avait part a ses bien-
faits. Je puis en parler par expérience. Je suis
revenu d'Egypte , alors aide-de-camp du brave
général Desaix , avec deux cents louis d'éparg-
nes; c'était tout ce que je possédais. A l'époque
de l'abdication , j'aVais quatre cent mille francs
de revenus, tapt en dotations, qu'appointe-
du génénd Rapp. 11
ments^ gratifications » fraid extraordinaires,
etc. J*en ai perdu les cinq sixièmes; je ne les
regrette pas : ce qui me reste forme encore un
assez beau contraste ai^eç ma fortune primitive.
Mais ce que je regret* , c'est ce long amas de
doire acquise au prix de tant de sang et de
fatigues; elle est a jamais perdue: voila de
quoi je suis inconsolable.
Je ne suis pas le seul qu'il ait comblé de
biens. Mille autres ont été accablés de faveurs,
sans que jamais les torts que plusieurs de nous
ont eus envers lui aient pu nous faire perdre
sa bienveillance. Quelque forts que fussent
ces griefs, il les oubliait toujours, dès qu'il
était convaincu que le coeur ny était pour
rien. Je pourrais citer cent exemples de sou
indulgence a cet égard : je me borne aux suivants.
Lorsqu'il prit le titre d'empereur^ les chan-
gements qu'il fut obligé de faire dans sa mai^^^
son, ,qui jusque-la n'avait été que militaire, dé-
plurent a plusieurs d'entre nous : nous étions
Habitués a l'intimité de ce grand homm^e ; la
réserve que nous imposait la pourpre .nous
blessait. ..
Les généraux Reynier et Damas étaient
alors en disgrâce : j'étais lié avec l'un et avec
, l'autre , et je n'avais pas l'habitude d'abandon-
ner mes amis malheureux. J'avais tout fait pour
dissiper les préventions de Napoléon contre
ces deux officiers généraux, sans pouvoir y
i:éussir. Je revins un jour a la charge au sujet
de Reignier; Napoléon impatienté prit de
rhunieur, et me dit sèchement qu'il ne voulait
plus entendre parler de lui. J'écrivis a ce brave
général que toutes mes démarches avaient été
12
Mémoires
infructueuses; je Texhortai a la patience, et
j'ajoutai quelques phrases dictées par le dépit.
JTeus rimprudence de confier ma lettre a la
fjoste ; elle fut ouverte et^nvoyée a l'empereur.
1 la lut trois ou quatr# fois , se fit apporter
de mon écriture pour comparer , et ne pouvait
se persuader que je l'eusse écrite. Il se mit '
dans une colère affreuse, et m'envoya de Saint-
Cloud un courrier aux Tuileries, où j'étais
logé. Je .crus être appelé pour une mission,
et partis sur7le-champ. Je trouvai Caulain-
court dans le salon de service avec Cafarelli: je .
lui demandai ce qu'il y avait de nouveau. Il
connaissait déjà TaiFaire , il en paraissait peiné ;
mais il rie m'en dit pas un mot. " J'entrai chex
Napoléon , qui, ma lettre a la main , sortait du
cabinet comme un furieux. Il me regarda avec
ces yeux étincelants qui ont fait trembler tant
de monde. „Connaissez -vous cettç écriture ? —
„Oui, Sire. — Elle est de vous? — Oui, Sire.
„ — Vous êtes le dernier que j'aurais soupçonné.
,,Pouvez-vous écrire dépareilles horreurs a mes
„ennemis ? vous que j ai toujours si bien traité I
„vous pour qui j'ai tout fait ! vous le seul de
„mes aides-de-camp que j ai logé aus Tuileries !"
La porte de son cabmet était entr'ouverte ; il
s'en aperçut, et alla l'ouvrir tout- a- fait, afin -
que M. Menneval , un des secrét^tires , entendit
la scène qu'il me faisait. „Âlle2 , me dit-il en
„me toisant du haut en bas, vous êtes un in-
„grat! ^— Non, sire; l'ingratitude n'est jamais
„entrée dans mon coeur. ~ Relises cette lettre
„(il me là mit. devant les yeux), et décide». —
,,Sire, de tqus les reprocnes que vous pouvex
„ine faire I celui-là m'est le plus sensible.
du général Rapp. 13
„Puisque j'ai perdu votre confiance, je ne
,,puis plus vous servir. — Oui, f. ...e, vous
,,ravea perdue." Je le saluai respectueuse-
ment , et m'en allai.
J'étais décidé à me retirer en Alsace. Je fis
mes préparatifs de départ. Joséphine m'envoya
dire de revenir et de faire des excuses a Napo-
léon ; Louis me donna un conseil tout opposé.
J'eusse pu m'en passer, ma résolution était
déjà prise. Deux jours se passèrent sans que
l'eusse reçu de nouvelles de Saint-Cloud. Quel-
âues amis, au nombre desquels était le maréchal
essières , vinrent me faire visite. „Vous avex
,,eu tort, me dit-il, vous ne pouvez en dis-
„convenir. Le respect , la reconnaissance que
„vous devex a l'empereur , vous en imposent
,,le devoir; faites-lui l'aveu de votre faute."
Je cédai. A peine Napoléon eut- il reçu ma lettre,
u il me fit dire de monter a cheval avec lui.
me bouda cependant quelque temps. Enfin,
un jour , il me demanda de très bonne heure
a Saiiit-Cloud. „Je ne suis plus fâché contre
„toi, me dit-il avec bonté : tu as fait une lourde
„sottise; je n'y pense plus, tout est oublié.
,,Mais il faut que tu te maries." Il me nomma
deux jeunes personnes qu'il me dit me con-
venir» Le mariage se fit : malheureul^ment il
ne fut pas heureux.
Bernadotte était en pleine disgrâce , et le
méritait. Je le trouvai a Plombières, où on
lui avait permis d'aller prendre les eaux avec
sa femme et son fils , et où j'étais pour le même
objet. J'ai toujours aimé son caractère affable
et bon; je le voyais souvent; il me confia ses
ennuis , et me pria de m'intéresser auprès de
»
12
Met*:'
\
infructueuses; \e Te
l'ajoutai quelaues ph'
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de monde.
„Oui, Sir
,,- — Vous <
, , Pouvez -
„enneini
„vous ]^
„mesai'
La porî
s'en ap
que IVl
a sce:
„me î
„en(i
„(il
„Sir
„mt
^ J, cessé
^, :•« odom-
«^jDiis, son
_-,#e, avaient
Hi|ioléon ne
^ cirs plus ir-
. allait tenir
. >e rendre a
:ir tête : il était
■tfr/Aer de cette
. iM»n projet au
-. je Taccompa-
1 ^^rit que ma-
..ic .i matin même
^, rwartie tout en
^ obtenir. Cette
^tr i m mspirer de
^ ^ <!i5»ninoins. Je dis
Vmadotte a Plom-
n* aâecté de sa dis-
. .u.-^* çu'îl n'a jamais
^ j< ïous être dévoué.
^^^ x^ ce b e-la; il a
^ i fiartit au galop. Je
5^.^ H son épouse : je
^^•«ture. Bernadotte
' ^ ^ <c fre de ma démarche.
^^xtï^iï contre ce prince
^ it Ittî pardonner plus
- x*n5 «^ d'honneurs. Le
j[ >^àle de monter sur le
^ l^%rtime exilé au milieu
du général Rapp.' • 15
CHAPITRE IV.
Il y en a qui prétendent que Napoléon n'a
jamais été brave. Un homme qui de simple
lieutenant d'artillerie est devenu chef* d'une
nation comme la nôtre ne peut être dépourvu
d'aucune espèce de courage. Au surplus , le
18 brumaire, le 3 nivôse, le complc^t aArena,
attestent s'il en manquait. Il savait . combien
il avait d'ennemis parmi les jacobins et les
chouans: cependant presque tous les soirs il
sortait à pied; il se promenait dans les rues,
se perdait au milieu des groupes, sans^être
jamais accom])agné de plus de deux personnes.
C'étaient ordinairement Lannes, Duroc, Bes-
sières , ou quelques uns de ses aides-de-camp^
qui le suivaient dans ces courses nocturnes. Ce
fait n'était ignoré de personne a Paris.
On n'a jamais bien connu dans le public l'af-
faire de la machine infernale. La police avait
prévenu Napolépti qu'on cherchait a attenter a
sa vie, et lui avait conseillé de ne pas sortir. Ma-
dame Bonaparte, mademoiselle Beauhamais,
madame Murât, Lannts, Bessières, l'aide-de-
camp de service, le lieutenant Lebrun, au-
jourd'hui duc dé Plaisance, étaient au salon;
le premier consul travaillait dai^s son cabinet.
On donnait ce/ jour-la l'Oratorio d'Haydn 5 les
dames avaient grande envie de l'entendre, et
nous le témoignèrent. On demanda le piquet
d'escorte; et Lannes se, chargea de proposera
Napoléon d être de la partie. Ce prince y con-
16 • ' Mémoires
sentit; et trouvant sa Voiture prête, il prit avec
lui Bessières et Faide-de-camp de service. Je
fus charge d'accompagner les danies. Joséphine
avait reçu de Constantinople un schall magni-
fique, qu elle mettait pourTa première fois. „r er-
„mettea, lui dis-je, que je vous en fasse Fobser-
„vation, votre schall n'est pas mis avec cette grâce
„qui vous est habituelle.*' Elle me pria, en riant,
de le ployer k la manière des dames égip tiennes.
Pendant cette singulière opérations, on entendit
Napoléon qui s'éloignait. „pé2>êchez-vous, ma
^, soeur, dit madame Murât impatiente d'arriver
„au spectacle; voila Bonaparte qui s'en va." Nous
montâmes en voiture : celle du premier consul
était déjà au milieu du Carrousel ; nous la suivi-
m^: mais nous étions k peine sur la 2>lace, que
la machine fit explosion. Napoléon n'échappa
que par un singulier bonheur. Saint-Régent, ou
son oomestique François, s'était placé au milieu
de la rue Nicaise. Un grenadier de l'escorte,
qui les prit pour de véritables porteurs d eau,
leur appliqua plusieurs coups de plat de sabre
9ui les éloignèrent; il détourna la charrette,
onaparte passa , et l'e^cplosion se fit entre sa
voiture et celle de Joséphine. A cette explo-
sion terrible, les dames jetèrent les hauts cris;
les glaces furent brisées, et mademoiselle Beau-
harnais fiit légèrement blessée k la niain. Je
descendis et rtraversai la rue Nicaise au milieu
des cadavres et de8 pans de murs que la détona-
tion avait ébranlés. Le consul m personne de
sa suite n'avaient éprouve d'accident fâcheux.
Il était dans sa loge , calme , paisible , occupe
k lorgner les spectateurs ; il avait Fouché a ses
côtés. „Joséphine!" dit-il dès qu'il m'aperçut.
Elle
du général Rapp. 17
£lle entrait a Tinstant inéme^ il n'acheva passa
question, ,,Ces coquins ,, ajouta-t-il avec le
„plus grand sangfroid, ont voulu me faire
^sauter. Faites-moi apporter un imprimé de
„rOratorio de Haydn:*'
Les spectateurs aj>prirent bientôt a quel
danger, il avait échap2)é, et lui prodiguèrent
les témoignages du plus vif intérêt. Voila, je
crois , des preuves de courage qui ne sont pas
équivoques : ceux qui 1 ont suivi sur le champ
de bataille ne seraient pas embarrassés d'en
citer d'autres.
9
ê
i
18 Mémoires
CHAPITRE V.
Napoléon, quoi qu en disent ses détracteurs^
n*était ni avantageux ni tenace dans ses opi-
nions. Il provoquait les lumières; il recherchait
les avis de tous ceux a qui il est }>ermis d'en
avoir. L'envie de lui plaire dominait quelque-
fois au conseil: quand il s'en apercevait, il
ramenait aussitôt la discussion à sa sévérité
naturelle. ^^M^^ssieurs disait-il à ses lieutenants,
„ce n'est pas j>our être de mon avis , mais pour
„avoir le vôtre, que je vous ai appelés. Expo-
,,sem-moi vos vues: Je verai si ce que vous pro-
,,poses vaut mieux que ce que je pense.^^
Pendant que nous étions a Boulogne, il
donna une leçon de cette espèce au ministre
de la marine. Il lui avait proposé quelques
Questions auxquelles M. Decrès répondit par
es l>atteries. „Monsieur Decrès, lui écrivit
,, Napoléon, je vous prie de m'envojer dans la
ajournée de demain un mémoire sur cette
,>question: Dans la situation des choses, si
^/aebniral f^illeneuve reste à Cadix , que faut-il
^ faire? £levex-vous à la hauteur des circon-
,,stances et de la situation oii se trouvent la
«^France et TAngleterre. Ne m'écrivea'plus de
.«lettres comme celle que vous m'avex écrite;-
««cela ne signifie rien. Je n'ai qu'un besoin,
««celui de réussir.
l
da générai Ràppi l^
j.Sur ce, je prie Dieu, etc/*
La surveille de la bataille d'Austerlita , une
partie de Farmée était j)lacée dans une position
cfésavahtageuse , et le général qui l'occupait en
exagérait encore les inconvénients. Cependant
lorscme le conseil fut assemblé, il soutint
iu elle était tenable, et promettait de la défen«
re» „Qu est-ce ci? dit le grand - duc de Berç.
„Qué ^nt devenues, monsieur le maréchal,
,,les inquiétudes que vous manifestiex tout a
, ,rheure ? — Pourquoi flatter quand on délibère ?
,,dit a son tour le maréchal Lannes^ Nous
„devons exposer les choses telles qu'elles nous
,,paraissent a l'empereur , sauf a lui de faire
„ce que bon lui semble. — C'est juste , reprit
,,Napoléon; pour me faire plaisir il ne faut pas
,,qu on me trompe."
Mais autant il recherchait les conseils de
ceux qui peuvent en donner, autant il accueil-
lait mal les observations des gens peu ca|>ables.
Fesch voulut un jour lui en faire au sujet de
la guerre d'Espagne. Il n'avait pas. dit deux
{paroles que IVap^léon, le conduisant vers
embrasure d'une fenêtre: ^J,Vo^e«-vpus cette
„étoile?" C'était en plein midi. — „Non,
„repondit l'archévéque. — Eh bien , tant que
„je serai le seul qui 1 aperçoive , j'irai mon train
„et ne souffrirai pas d observations."
Au retour de la campagne de Russie , il dé-
Slorait, avec une vive émotion, la mort de tant
e braves , moissonnés , non par le fer des Co^
saques , mais par le froid et la faim. Un cour-
tisan voulut placer son mot, et*dit d'un ton
de pénitent : „Nous avons fait une bien grande
2.
20 Mémoires
19
Eerte! — Oui, repartit Napoléon , madame
arilli *) est morte.**
n mystifiait l'indiscrétion , mais il ne re*
poussait ni la plaisanterie ni la franchise.
Madame Bacciochi amena un jour aux Tuile**
ries M. d'A. . . » un de ses parents. Elle se re-
tira après *raYoir -introduit au salon de service,
et le laissa seul avec moi. Cet homme avait,
conuiie beaucoup de se» compatriotes, une
mauvaise figure ; je me défiais de lui. Je pré-
vins néanmoins Napoléon, qui le fit entrer. II
avait sans doute des choses importantes a lui
communiquer. Un mouvement de tête m'aver-
tit de rentrer au salon. Je feignis de ne m'en
être pag aperçu , et restai : je craignais pour sa
personne. II vint a moi , et me dit qu'us dési-
raient être seuls. Je sortis , mais je laissai la
porte entr'ouverte.
Quand Napoléon eut congédié M. d'A. . . ;. ,
il me demanda pourquoi je voulais absolument
rester. -^ „ Vous savex , lui répondis-je , que je
„Vie ' suis «pas indiscret ; mais , je vous l'avoue
„franchement , je n'aime pas vos Corses.** II
raconta lui-même cette anecdote, qui déplut
beaucoup a sa famille ; quant a lui , il prit très
bien la caose. Je suis persuadé cependant qu'il
eût mieux aimé ne pas m'entendre ainsi parler
de ses compatriotes.
Un soir, ajvès la bataille de Wagram , nous
étions k jouer au vingt-et-un, Na}>oléon aimait
beaucoup ce jeu: il s'amusait a y tromper, et
riait de ses supercheries. Il avait devant lui
*) Cclèkr* eutatrice d* diéâtre Italieiu
du général Rapp.
21
une gi*andc quantité d'or, qu'il étalait sur la
table. — ,, N'est-ce pas, Ra^^p, me dit-il, eue les
Allemands aiment bien ces petits napoléons ?
— ^^ Oui , Sire , bien plus que le grand. — Voi-
la ,. répliqua-t-il , ce qu'on peut appeler de la
^franchise germanique." ^
»
»
»»
22^ Mémoires
CHAPITRE VI.
J'étais ail camp de 'Boulogne lorsque la troi-
sième ççrerre d'Autriche éclata. îJous passâmes
le Rhin. Coupée , battue , l'armée ennemie alla
s'enfermer dans Ulm ; elle fut aussitôt sommée
de mettre bas les armes. Le détail de cette né-
gociation, conduite par M. de Ségu^, peint^trop
nien le désordre et l'anxiété du malheureu:^
général pour ne pas trouver place ici. Voici
en quels termes il en, rendit compte.
„Hier, 24 vendémiaire (16 octobre), lempe^
reur m'a fait appeler dans son cabinet; il m'a
ordonné d'aller a Ulm , de décider Mack a se
rendre dans cinq jours, et, s'il en exigeait ab-
solument six, de les lui accorder. Je n'ai pas
reçu d'autres instructions. La nuit était noire ;
un ouragan terrible venait de s'élever , il pleu-
vait a flots : il fallait passer ]>ar des chemins de
traverse, et éviter des bourbiers où l'homme,
le cheval et la mission pouvaient finir avant
terme. J'ai été pres^que jusqu'aux portes de la
ville sans trouver nos avant-postes; il ny en
avait plus: factionaîres , vedettes, grandes-gar-
des tout s'était mis a couvert , les parcs d'artil-
lerie même étaient abandonnés; point de feux,
1>oii>t d'étoiles. Il a Êdlu errer pendant trois
leures pour trouver un général. J'ai traversé
plusieurs villages et questionné inutilement
ceux qui les remplissaient.
, J'ai enfin trouvé un trompette d'artillerie
^ inoitié noyé dans la boue: sous son caisson ^ il
N
, du général Rapp. 23
•
était }:aide de ff oid. Nous, nous sommes appro^
chés de? remparts d'Ulm. On nous att^endait
sans dQute»; car , au jyremier appel ^ M. de La-
tour^ officier parlant bien français, 3*çst. pré-
senté* Il ni'a bandé les y eux, et m'a, faitjjravir*
par-^essvLs le3 fortifications. J'observai ^ mon
conducteur que la nuit était si npire aiji'eUe
rendait le bandeau inutile ; mai6> il n'objecta
l'uçage^ La course fue paraissait longue. Je fis
causer mon guide: mon but était de savoir
.quelles troupes rei^fermait la ville, je lui de-
mandai si nous étions encore loin de la demeure
du général Mack et de celle de Farchiduc. C'est
tout près , me répondit mon guide. J'en con-
clus que nous tenions dans Ulm tout le reste
de l'armée autrichieimç. La suite de la conver-
sation me confinna dans cette conjecture. Nous
arrivâmes enfin dans l'auberge où le général en
chef demie^rait. Il m'a p^iru grand , âgé, pâle ;
Texpressiot) Se sa figure iinnonce une imagina-
tion vive.^ Ses traits étaient tourinentés par
une anxiété qu'il cherchait a cacher. Après avoir
échangé quelques compliments, je me nommai;
Suis, entra^it en matière, je lui dis que je venais
e la part de l'empereur le sommer ae se rendre,
et régler avec liiii les conditions de la capitula-
tion. Ces expressions lui parurent insuppprtaL-
bles , et il ne convint pas d'abord de la néces-
sité de les entendre. J'insistai , en lui obser-
vant qu'aj^ant été reçu, je devais supposer,
ainsi que l'empereur, qu'il avait apprécié sa
poisition ; mais il me répondit vivement qu'elle
allait bien changer; que l'armée russe s'ap-
prochait pour le secourir, qu'elle nous mettrait
entre deux feux, et que peut-être ce serait
24 Mémoires
bientôt a nous a capituler. Je lui répliquai
que, dans sa position; il n était pas étonnant
qu'il ignorât ce qui se passait en Allemagne;
qu'en conséquence, je devais lui apprendre
*que le maréchal Bernadotte * occupait Ihgol-
stadt et Munich , et qu'il avait ses avant-postes
siu: rinn, où les Russes ne^ s'étaient pas encore
montrés. „Que je sois le plus grand; :.. . . . ,
s'écria le général Màck tout en colère , si je
ne sais pas, par des rapports certains, que les
Russes sont a Dachau! Croit -on m'abuser
ainsi? Me traite-t-on conune un enfant? Non,
^monsieur de Ségur. Si dans huit jours je ne
„suis pas secouru, je consens a rendre ma place,
„a ce que mes soldats soient prisonniers de
„guerre , et leurs officiers prisonniers sur pa-
,,role. Alors on aura eu le temps de me secourir,
„ j'aurai satisfait à mon devoir: mais on me
secourra, j'en suis certain! — J[[aî l'honneur
„de vous répéter, monsieur le général, que
„npus sommes non seulement maîtres de Da-
„chau, mais de Munich: d'ailleurs, en sup-
„posant vraie votre erreur, si les Russes sont
,,k Dachau > cinq jours leur suffisent pour venir
„nous attaquer, et Sa Majesté vous les accorde.
„ — Non, monsieur, reprît le maréchal; fe
„demande huit joiurs. Je ne puis entendre a
,,aucune autre^ proposition ; h me faut huit
„ jours, ils sont indispensables a ma respon-
„sabilité. — Ainsi, rejms-je, toute la difficulté
,,consiste dans cette différence de cinq a huit
jours? Mais je ne conçois pas l'importance
que votre excellence y attache, quand Sa
,,Majesté est devant vous^ a la tête de plus de
^cent mille hommes, et quand les corps du
»
»
9 •
du général Rapp. 25
„màréchal Bernadotte et dru général Mamiont
„sufiSsent pour retarder de ces trois jours la
„marche des Russes, même en les supposant
„où ils sont encore bien loin d'être. — Ils sont
„a Dachau, répéta le général Mack. — Eh
„bien! soit, monsieur le baron, et même a
„Augsbourg; nous en sommes d'autant plus
„pressés de terminer avec vous: ne nous force»
„aonc pas d'emporter Ulm d'assaut; car alors,
„àu lieu de cinq jours d'attente , l'empereur y
„serait dans une matinée. — Ah! monsieur,
„répli(jua le général en chef, ne pensez pas
„que quinae mille hommes se laissent forcer
„si facilement; il vous en coûterait cher! —
„ Quelques centaines d'hommes, lui répondis-
„je ; et a vous votre armée et la destruction
„d'Ulm, que TAllemagne vous repirocherait;
„enfin tous les malheurs d'uir assaut que Sa
„Majesté veut prévenir par la proposition
„ quelle rn'a chargé de vous faire. — Dites,
,, s'écria le niaréchal, qu'il vous en coûterait
„dix mille hommes ! La réputation d'Ulm est
^,asseK connue. — Elle consiste dan^e^g^iauteurs
„qui l'enviroïment , et nous les occupons. —
„ Allons donc, monsieur, il est impossible que
„vous ne ccmnaissiea pas la force d'Ulm! -^
„Sans doute , monsieur le maréchal , et d'au-
,,tant mieux que nous voyons dedans. — Eh
„bien! monsieur, dit alors ce malheureux
„général , vous j vojea des hommes, prêts a se
„ défendre jusqu'à la dernière extrémité, si
„votre empereur ne leur accorde pas huit jours.
„Je tiendrai long-temj>s ici. Il y a dans Ulm
,, trois mille chevaux que noiis mangerons,
„plutôt que de nous rendre, avec autant de
V
26 Mémoires
y^plaisir que vous le ferles a notre i>lace. -^ —
„Trois mille chevaux ? repliquai-je ; ah ! mon-
,,sieur le maréchal , la disette que vous deves
^éprouver est donc déjà bien grande, puisque
,,vous songes a une si triste ressource?"
yyLe maréchal se dépêcha de m assurer
qu'il avait pour dix jours de vivres j nciais je
nen crus rien. Le jour commençait a poindre;
nous n'avancions pas. Je pouvais accorder six
jours ; mais le général Mack tentait si obstiné-
ment a ses huit jours, que je. jugeai cette con-
cession d'une jour inutile; je ne la risquai pas.
Je me levai, en dissant que mes instructions
m'ordonnaient d'être revenu avant le jour , et,
en cas de refus, de transmettre, en passant,
au maréchal Ney l'ordre de conunencer l'atta-
que. Ici le général Mac)i se plaignit de la vio-
lence de ce maréchal envers un de ses parle-
mentaires , qij'il n'avait pas voulu écouter. Je
profitai de cet incident pour bien faire remar-
quer qu'en effet le caractère du maréchal était
bouillant, impétueux, imposible a contenir;
qu'il coBwiandait le cor]>s le plus nombreux
et le plus rapproché; quil attendait avec im-
patienceTordre de livrer l'assaut, et que c'était
a lui que je devais le transmettre en sortant
d'Ulm. Le vieux général ne s'est point laissé
ef&ayer; il a. insisté sur leti huit jours, en me
pressent d'en porter la proposition à l'empe-
reur.
„Ce malheureux général est prêt a signer la
perte de l'Autriche et la sienne; et pourtant
dans cette position désespérée , oii tout en lui
doit soui&ir cruellement^ il ne s'abandonne
pas encore ; son esprit conserve ses facultés, sa
dti' général Rapp. . 27
discussion est vive et tenace. Il défend la seule
cho^ qui lui reste a défendre , le temps. Il
cherche à retarder la chute de l'Autriche dont
il est cause; il veut lui donner quelque jours
de plus j>our s'y .préparer : lui perdu, il dispute
encore pour elle. Entraîné par son caractère
plus , politique que militaire , il veut encore
jouer au plus fin contre le plus fort; sa tête
s'égare dans une foule de conjectures.
,,Le 25, vers neuf heures du matin, j'ai re-
trouvé l'empereur a l'abbaje d'Elchingen, oii
je lui ai rendu compte de cette négociation ; il
en a paru satisfait: û m'a fait rappeler, et com-
me je tardais , il a envoyé le maréchal Ber-
thier me porter par écrit les propositions nou-
velles qu'il voulait que je fisse signer au géné-
ral Mack sur-le-champ. L'empereur accordait au
général autrichien huit jours , mais a dater du
23, premier jour du blocus; ce qui les réduisait
en effet aux six jours que j'avais du d'abord pro-
poser, et que je n'avais! pas voulu concéder.
. , ,Tout€fois , en cas d'un refus obstiné, j'é-
tais autorisé a dater ces huit jours du 25, et
l'empereur gagnait encore un jour a cette con-
cession. Il tient à entrer promptement dans
Ulm , pour augmenter la ^oire de sa victoire
par sa rapidité, pour arriver à Vienne avant
que cette ville soit remise de sa stupeur et que
l armée r4isse ait pu se mettre en mesure, et
enfin parce que les vivres ^^ox^mencent à nous
manquer. ^^
„JLe major-général maréchal Berthier me
prévint qu'il s'approcherait de la ville , et que,
les conditions réglées, il serait bien aise que
je l'y fisse pénétrer.
28
Mémoires
„ Je suis rentré dans Ulm vers midi , toujours
avec les mêmes précautions; mai» cette foi3 j'ai
trouvé le général Mack a la porte de la ville ;
je lui ai remis Tultimatum de Tempereur. Il
est allé le discuter avec plusietirs généreaux,
Earmi lesquels je crus remarquer un prince de
ichtenstein , et les généraux Klénau et Giulay •
Un quart d'heure après , il revint disputer en-
core avec moi sur la date. Un malentendu lui
persuada qull obtenait les huit jours entiers
a partir du 25. Alors , avec une émotion de joie
bien singulière: „Monsier de Ségur! mon cher
^monsieur de Ségur! s'écria-t-il , je comptais
„sur la générosité de l'empereur: je ne me suis
„pas trompé,.. Dites au maréchal Berthier que
jje le respecte... Dites a l'empereur que je n'ai
„plus que de légères observations a taire; que
„e signerai tout ce que vous m'apportea,..
„Mais dites a sa majesté que le maréchal Ney
„m'a traité bien durement...; que ce n'est pas.
,, ainsi qu'on traite... Répétex bien a Tempe-
„reur que je comptais sur sa générosité..."
Puis , avec une effusion de cœur toujours crois-
sante, il ajouta: ^Monsieurde Ségur > je tiens
„a votre esti^ne...; je tiens beaucoup k l'opi-
„nion que vous, aurez de moi: Je veux vous
„faire voir l'écrit que j'aVais signé, car j étais
„décidé." En. parlant ainsi, u déploya une
feuille de pajîier où je lus ces mots: Huit jours
ou la mort! signé Mack.
,yje restai frappé d'étohnement en voyant
l'expression de bonheur qui brillait sur sa
figure; j'étais et comme consterné de cette
Siérilé joie pour une si vaine concession,
ans un naufrage si considérài>le , a quelle
du général Rapp. 29
faible branche le malheureux général crojait-
il donc ppuvoîr rattacher' son honneur, celui
de son armée et le salut de Tautriche ! 11 me
prenait les mains , me les serait » me permet-
tait de sortir d'Ulm les yeux libres ; il me lais-
sait introduire le maréchal Berthier dans cette
f^lace sans formalités. Enfin il était heureux !
1 y eut encore devant le maréchal Berthier
une discussion sur les dates. J'expliquai le
malentendu: on s'en remit a Tempereur. Le
général Mkok m'avait assuré le matin qu'il
lui restait pour dix jours de vivres; il en
-^tyait si peu , comme au reste j'en avais pré-
venu sa majesté, qu'il demanda devant moi
la permission d'en faire^ entrer dès le jour
même.
„Mack, se voyant tourné, s'est imaginé qu'en
se jetant et restant dans Ulm, il attirerait
l'empereur devant ses remparts , Xy retiendrait,
et favoriserait'ainsi la fuite que tenteraient ses
autres cor|3s par différentes directions. Il pense
s'être dévoué: c'est ce qui soutient son courage.
Lorsque je négocie avec lui, il croit notre ''
armée tout entière immobile, et comme en
arrêt devant Ulm. Il en a fait sortir furtive-
ment l'archiduc et Werneck. Une autre di-
vision avait tenté de s'évader vers Memmingen ;
une autre encore fuyait vers les montagnes du
Tyrol : toutes sont ou vont être faites prison-
nières.
„ Aujourd'hui 27 le général Mack est venu
voir l'empereur a Elchingen: Toutes ses illusions
se sont évanouies.*
„Sa majesté: pour le persuader de ne plus
le retenir inutilement devant Ulm, lui a fait
30 Mémo&es
envisagea sa position et celle de rAutriclie dans
toute son horreur. Il lui a appris nos succès sur
tous les points'; que le corps de Werneck , ]t6ute
son artillerie et huit généraux capitulaient;
que l'archiduc lui-même était atteint , et qu'on
n'entendait pas parler des Russes. Tant de
coups ont anéanti le général en chef; les forces
lui ont manqué , il a été obligé de s'appuyer
contre la muraille ; il s'est affaissé sous le< poids
de son malheur. Il est convenu de sa df tresse,
et qu'il n'avait plus de vivres dans iTlm ; qu'au
lieu de quinze mille hommes, il s'y trouvait
vingt-quatre mille combattants et trois mille
blessés; qu'au reste la confusion était telle
qu'a cliaque instant on en découvrait davantage ;
qu'il voyait bien qu'il n'avait î)1us d'espoir , et
qu'il consentait a rendre Ulm dès le lendemain
28 , a trois heures.
„En sortant de chez sa majesté, il nous vit,
et je l'entendis dire: „I1 est cruel d'être dés-
„honoré dans Tespritde. tant de braves ofBciers.
„J'ai pourtant dans ma poche mon opinion
„écrite et signée, par laquelle je me refusais.
„a ce qu'on disséminât mon armée; mais je ne
„la commandais pas : l'archiduc Jean était la.*^
Il se peut qu'on n'ait obéi a Mack qu'avec
répugnance.
„ Aujourd'hui 28 , trente-trois mille Autri-
chiens se sont rendus prisonniers; ils ont défilé
devant l'empereur. Lmfanterieajeté les armes
sur le revers du fossé ; la cavalerie a nSis pied
k terre , s'est désarmée , et a livré ses chevaux
k nos cavaliers à pied. Ces soldats ^ en se dé-
pouillant de leurs armes, criaient, „Vive
„rempereur!'* Mack était la , il répondait aux
du général happ. 31
officiers qui s'adressaient k lui sans le connaître:
,,Vous vojea devant vous lemalheureuxMack !"
J'étais a Elchingen avec les généraux Mouton
et Bertrand lorsqu'il vint rendre ses hommages
a Napoléon. „Je me flatta^ Messieurs, nous
„dit-il en traversant le salott de l'aide-de-canip
,,de service, que vous ne cessez pas de nie
, , regarder comme un brave homme, quoique
„j aie été obligé de capituler avec des forces
,,aussi considérables. II était difficile de résister
„aux manoeuvres de votre empereur ; ses combi-
„naisons m'ont perdu." *
Napoléon , plein de joie d'une aussi bonne
afFaii;^ , envoya le général Bertrand vérifier les
états de situation de l'armée qui se trouvait
dans Ulm. Il vint rendre compte qu'il y avait
21 ,000 hommes ; l'empereur ne pouvait le croire.
„Vous parlea leur langue, me dit-il, allea voir
„ce qui en est." J'allai, je questionnai les
chefs de corps, les généraux, les soldats | et
je trouvai , cl'après ces renseignements , que là
«lace renfermait vingt-six mille combattants,
apoléon me réjiondi^que j'étais un fou, que
cela ne se pouvait pas. Effectivement quand
cette armée défila devant nous , eUe comptait
trente-trois mille hommes, comme le dit M. de
Ségur, dix-neuf généraux, une cavalerie et
une artillerie superbes.
52 Mémoires
CHAPITRE VIL
Nous n'avions pas pu enfermer tous les Au-
trichiens dans Ulm, Werneck s'était échappé
par Heydenheim, l'archiduc courait après.
Tous deux fuyaient a tour de route: mais le
sort avait prononcé; on n'appelle pas de ses
décisions. JNapoléon, prévenu au milieu de la
nuit qu'ils gagnent^Albeck , mande, aussitôt
le grand-duc. „Une division, lui dit-il, est
^,sortie de la place et rnenace nos derrières.,
„Suivex , prenex , dissipez-la. Que pas un n'e-
„chappe.*' La pluie tombait par torrents , les
chemins étaient affreux: mais la victoire fait
oublier les fatigues! On allait, on courait, on
ne songeait cpi^a vaincre. Murât joint l'etinemi,
l'attaque et le culbuté. Il le presse , le pousse
dans sa fuite j pendant deux lieus il ne lui
laisse pas le reprendre haleine. Des masses
occupaient Erbreetingen avec du canon. La
nuit était close , nos chevaux exténués. Nous
fimes halte. Le 9® léger arriva sur les dix
heures. Nous marchâmes en aA'^ant. Ji'attaque
recommença ;} village , artillerie , caissons , tout
fut enlevé. Le général Odonel cherchait a faire
ferme avec son arrière-garde; un maréchal-
* des-logis Tajjperçoit , le blesse et le prend. Il
était minuit; la troupe tombait de lassitude.
Nous ne poussâmes pas plus loin nos succèç.
L'ennemi fuyait en toute hâte sur Nordlin-
gea, où nous avions de l'artillerie et des dé-
pôts. Il était important de le prévenir. Murât
détacha
* du général Happ^ 33
«
détacha des partis qui le karcelaient, . Tiiiquié*
taient dans sa marche, le forçaient a prendre
position , c'est-a-dire a perdre du temps. D'u|i
autre côté, le général Rivand devait mettre le
{>ont de Donna vert en sûreté, et se porter avec
e surplus de ses forces sur la Wies^nita. Tout
fvassage était intercepté. Ces dispositions prises^
e prince se mit en mouvement et atteignit
larchiduc, qui se déployait a Neresheim. mus
l'abordâmes avec cet élan que doimela victoire ;
le choc fut irrésistible; la cavalerie fuyait, Tin-
fanterie mettait bas les armes ; les pièces, les
drapeaux , les soldats , se rendaient en masse.
Tout était dans un désordre affreux. Klein^
Fauconet , Lanusse^ , les poussaient , les cou-
paient dans tous les sens, les chassaient dans
toutes les directions- On somma Werneck de se
rendre : il hésitait ; un concours de circonstance
inouïes le décida. L'officier chargé d'escorter le»
parlementaire français cherchait soii chef a tra-
vers champs. Il rencontra le prince de Hohen-
xoUern, auquel-il fit part de l'objet de sa mission*
Celui-ci voulut .l'accompagner, ne doutant pas
que le feld-maréchal n'acceptât : ils se dirigèrent
. sur Nôrdlingen, qu'ils trouvèrent occupé non par
ce général, mais par les troupes françaises. D un
autre côté le général Lasaîle s'était porté sur
Merktng, et y avaitenlévéun millier d hommes;
les fuyards vinrent jeter l/^^pouVante au quartier-
géiiéral. Ces rapports ébranlèrentWerneck, il se
montra dispose a traiter \ il retint l'ofGcier fran-
çais, et donna en otage le major du régiment de
Kaunits. Il remit cependant la négociation au
lendemain: ilvoulait tenter les chances de la nuit.
Dès qu elle fut close» il essaya de se rallier à Tar-
3
54 Mémoires
<^iduc; mais les troupesf rançaiâas interceptaient
la route, le général "Rivaud culbutait Lichteh-
stein 9 et coupait le grand pare que nos hussards
pressaient en queue. Werneck n osa passer outre;
il se crut enveloppé et négocia. Le général Bel-
liard se rendit aux avant-postes : nos troupes
occupèrent les hauteurs , afin d'être en nvesure
contre les superchmes* Mais la nuit approchait;
Hohenaollern , qui , la veille , avait trouvé la
capitulation inévitable , profita des ténèbres
pour l'éluder, le général Mecaery suivit son
exemple : ils s'échappèrent avec la cavalerie et
quelques fantassins ; ils faisaient partie du corps
qui avaitmis has lesarmes. On pouvait croire
âu'ils ^ient lié» par les actes d^ leur chef;
tCen était, rien cependant ; ces messieurs le
crurent du moins , |>uisqu'ils rejoignirent les
débris de larçhiduc, avec lequel ils se jetèrent
*sur le territoire de Prusse. Nous les atteignîmes
a Gunderhausen; nous les sommâmes d'exécu-
ter la convention . Le prince de Schwartzenberg
alléguait dès ordres , voulait éclaircir des dou-
tes, écrire, s'expliquer en un mot gagner du
temps.
Les Prussiens k leur tour criaient a la nea-
\tralité; ils demandaient que la ville ne fût }>as
aUaquée, que la colonne ennemie pût l'évacuer.
Uii^ personnage k rabat vint , sous Péscorté, des
officiers de l'archiduc , nous menace de la co-
lère du rôi Guillaume. Le général Klein
n'était pas homme k se payer d'une mascarade :
il envoya au grand-duc ce magistrat a livrée
autrichienne, elafit sonner la charge. Le prince
de Schwartxenberg accourut tout, décon-
tenancé : il ne croyait pas que le général fût si
\
'' du génf^ral Rapp. S5
proche. Il prétendit aussi que nous iie^ devions
pas violer le territoire de la Prusse., proposa
dé le respecter^ et de ne i>as occuper Gunaer*
hausen. nlein lui répondit de prêcher d'exem-
ple ^ qu'il l'imiterait. On avançait toujours,
et cependant Schwartxenberg ne se décidait
pas. Murât, £atigué d'être pris pour dupe,
ordoima de cesser ces discussions et de marcher,
L'arrière^arde ennemie prit alors le galop , et
nous céda la place. INous la poursuivîmes '
pendant ipielques lieues, sans pouvoir l'attein-
dre. Il était nuit: nous primes position. Nous
nous remimes eu .marche k la pointe du jour;
mais 'l'archiduc avait tellement précipité sa
fuite , ^ue ce ne fut f|li a Nuremberg que nous
atteigniiAes la queue de ;s«s équipages. Un
Eiquet d'avant-garde les chargea , et fit mettre
ks les anneis au bataillon d'esciorte. De là, il
1>oussa eh avant, et s engagea dans un chemin
>oisé, a travers l'artillerie et les bagages , pous-
sant , culbutant quelques centaines de dragons
3ui cherchaient vainement a se rallier. Le gros
es Aul^richiens nous attendait dans une posi-
tion avantageuse.. Nos chasseurs furent cott^
traints de plier. Les hussards , les carabiniers
accoururent: tout fut culbuté. L'archiduc lui-
même faillit être pris. Ce fut le coup de grâce
du corps qui s'était échappé d'Ubn. En cinq
jours, sept mille braves parcoururent un espace
de quarante-cinq lieues, détruisirent une armée
de vingt - cinq mille hommes , lui enlevèrent
sa caisse , ses équipages , s'emparèrent de cent
vingt-huit pièces de canon, onae drapeaux,
et mrent douxe a quinse mille prisonniers. I^
tout ce qu'avait ramené l'arcniduc, a peine
^ 3 .
36 Mémoires
restait-il quelques milliers de malheureUx dis-
persés dans les bois.
Cependant le général Klein* persistait dans
ses réclamations :Wemeck lui-mé^ie insistait
sur la foi jurée. Ils exigeaient que les officiers
compris dans la capitulation vinssent se con-
stituer prisonniers. Le général français adressa
sies plaintes a 1 archiduc , ou , en son abisence,
au général commandant Tarmée autrichienne;
mais le désordre était tel , que le pîfflementaire
fut obligé de courir jusqu'au fond de la Bohême
pour trouver un officier qui pût recevoir ses
dépêches. La réponse se fit 'long-tenips atten-
dre : elle arriva enfit^ C*était une lettre du
général Kollowra^d, qtfi lui transmettait la
correspondance qui suit : ^
Au lieutenant-général de sa majesté impériale' et rojale,
. , comte de Hpfaérèzollem.
iyMonsieur le Ueutenant^général^ -
,,Vous m avex soumis la lettre du lieutenant-
„général Wemeck; Je vous répondrai que,
,ySelon.les lois de la guerre et les droits de§
^nations, je trouve très illégales les prétentions
„du général français,
,,En conséquence, je déclare que vous et
„les troupes avec lesquelles vous êtes rentré
,,,ne pouvez être compris dans la capitulation.
„Je vous ordonne donc, ainsi qii^ elles, de
„continuer à servir comme auparavant.**
Signé j Ferdiitand.
Et plfiS 6a5^ MÔBTALH,
major et aide-de-camp.
£gra , U a5 octobre i8o5» '
du général Rixpp. ^ * 37
Au moyen de cette piècç la ca|)itulation
n'étiat pas une capitulation. Hoh^nxbllern fu-
yait sans forfaire a l'honneur. Il s'ëtonnaît
qu'on ^ voulût lui faire rendre en niasse des
soldats qu'il perdait aussi bien en détail. Sa
lettre était curieuse ; la voici :
> ■ • • , '. .
AM. le feld-maréchal baron de Wernech.
• ■
y^Mon très cher camarade^
»
„Je ne puis voua, cacher ma surjmce sur là /
,, proposition de me rendre avec la cavalerie
„qui était de A'^otre corps. Lorsque je vous ai
,, quitté, vous avies refusé toute capitulation,
„en ma présence, et pour moi; je pensais au
,, moyen de ramener, colite qui coûte, la ca-
,, Valérie a larmee, si vous, avec l'infanterie, .
„ne pouviez vous tirer d'affaire. J'ai essayé,
,, j'ai réussi. Je ne conçois pas de quel droit
,,je pourrais être prisonnier dé guerre, n'ayant
„pas été présent a vos arrangements , auxquels
„ jamais , par ma personne , je nVurais pu me
, , prêter. Maintenant que depuis hier je suis
„séparé de vous, il ne m'appartient plus de
„remplir vos ordi-es: je les reçois de son al-
„tesse royale notre général en chef.
*„J'ai rhonneur dêtre votre très humble et
„très obéissant serviteur.**
Signé, le lieutenant-gën^ral db HooEiirxoLLBBsr,
conseiller intime. « *
Napoléon était content dé lui , de l'armée,
de tout le monde. Il nous témoigna sa satis-
factiçMi par la proclamation qui suit:
58 :\/rmotrrs
r,Scidat» de la grande armée!
„Eii quiose jouis nous aroiis &it une cun-
„pagiie. Ce que nous nous proposions d«
„niire est rempli: nous avons chassé de la Ba-
,,viëre les troupes de la luaîson d'Autxîciic,
,,et rétabli notre allié dans la soureraineté de
„»ei éuis.
„CeUc aaimêc qui avec autant d'ostentation
„que dlmpradciice était venue se placer sur
^os firontieres est anéantie.
f,Naïs qu'ini|KMrte ^ l'Angleterre? Son but
„est rempli: nous ne sommes plus à Boulo-
„gne, et son subside ne «era ni plus ni moins
„grand.
,J)e cent mille hoiumes qui compo^jiiftit
„cette armée, soixante mille sont prisonniers;
„ils vont remplacer nos conscrits dans les tra-
„vaux de la campagne.
„Deux cents pièces de canon, tout le ^»arc,
(.quatre-vingt-dix drapeaux. , tous leurs gêné-
„raux, sont en notre pouvoir. Il ne s'est pas
„échappé de cette année quinse raille hommes.
„$oldats! je vous avais annoncé une grande;
^bataille; mais, grâces aux mauvaises coinbi-
„naisons de l'ennemi, j'ai pu obtenir les mêmes
(«résultats sans courir aucune chance; et, ce
,,qui est sans exen^le dans l'histoire des na-
„tion3 , un si grana résultat ne nous afiiaiblit
quinse cents homme«^ hors
:cès est dû k votre confiance
k'otre empereur, a votre pa-
les fatigues et les privations
L votre rare intrépidité.
du génér^ai M&pp. 39
,,Mais nous ne nous arrêterons pas 1^, Vous
„éte8 impatients de commencer une seconde
,)Campagne.
„Cette^mée russe <jue l'or de l'Angleterre a
„ transportée des extrémités de l'univers* nous
, , allons lui fiire éprouver' le méme'wrt.
,vA ce combat est ettaché plus spécialeiiient
,,1'hçnneur de 1 infanterie française > c'çstlaque
,9va se décider, pour la seconde fois, »cette
,,question, qui la déjk été une fois en Suisse
,,et en Hollande, si l'infanterie f rançaise^ est
„la première ou la seconde de TEurone.
,41 n'y a pas la de généraux contre lesmieU
„je puisse avoir de la gloire k acquérir. Tout
„mon soin sera d'obtenir la victoire avec le
y,moins d'ejSusion de sang possible: mes sol-
«vdats sont mes enfants/^
•
^*j
\
(
I
40 Mémoires " .
CHAPITRE VIII. «
Les Autrichiens avaient fiiii, nous .courûmes
au-devant des Russes. Kutusoif aflFectait de la
rësolutiçu, nous le croyions disposé a combattre,
nousmous félicitions de cette nouvelle occasion
de gloire: mais toute cette contenance n'était
qu'un simulacre; il abandonna l'Inny la Traun^
ITEms; on ne le vit plus. Nous poussâmes sûr
Vienne; nous avancions, nous allions, nous
marchions à tour déroute: jamais mouvement
n avait ;é té si rapide. L'empereur en fui inquiet,
il craignaitqiie cette préci|>itation ne compro-
miît nos derrières, qiïe les Russes ne nous
prissent par le flanc. „Murat , me dit- il court
„comme un aveugle; il va, comme s'il ne
,,s'agissait que d'entrer a Etienne : rennemi n'a
^persopne en face , il peut disposer de toutes
„ses forces et écraser Mortier. Avertis Bertliier
„qu'il arrête les colonnes.** Berthier vint, le
maréchal Soult eut ordre de rétrograder jusqu'à
Mautérn; Davoust prit position a l'embrancne-
ment dis routes de Lilienfeldt et de Neustadt,
et Bernadette a Moelck. Ces dispositions ne
purent prévenir l'engagement dont Napoléon
craignait Vissue. Quatre mille Français furent
chargés par l'armée ennemie tout entière;
mais l'habileté, le courage, la nécessité de
vaincre, suppléèrent au nombre: les Russes
furent culbutés. A la nouvelle de cette éton-
nante victoire, to\it se remit en mouvement:
l'empereur pressa là marche avec encore plus
du général Happ. ' 41
de vivacité qu'il ne Favait suspendue? ;. il voulait
gagner les Autrichiens de vitesse , surprendre
le passage du Danube; tourner, couper leurs
allias , les battre avant l'arrivée de nouvelles
forces. Il expédiait, hâtait les ordres: hommes
et chevaux, tout éta^ten mouvement. „Le
„champ est ouvert, Murât peut se livrer a
„toute son impétuosité; mais il faut qu'il agra»-
,, disse le terrain, il faut qu'il surj>renne le
„pont.** Et il lui écrivit sur-le-champ: „La
,, grande affaire, dans le moment actuel,; est
, jde passer le Danube , ; afin de déloger les
„ Russes de Krems en se jetant sur leurs der-
„rières ; rennemî coupera probablement le
„pont de Vienne: si cependant il j avait pos-
,,sibilité de l'avoir en entier, il faut tâcher de
,,8*en emparer. Cette considération seule peut
,,forcer l'empereur a entrer dans Vienne; "et
,,datis ce cas vaus y fere^ entrer une partie de
,, votre cavalerie et les gtenadiers seulement.
,,ll faut que vous connaissiez la force des
„ troupes bourgeoises cpii sont armées a Vienne.
,,1/empereur imagine que vous avez fait placer
,,quel(ques pièces de canon pour intercepter le
„pa8sàge sur le Danube entre Krems et Vienne J
„ll doit y avoir des partis de cavalerie . sur la
,, rive droite du fleuve; vous n'en parlés pas a
,,rempereur. Sa majesté trouve nécessaire de
„savoir a quoi s'en tenir, afin que s'il avait été
„possiblè d^intercepter le Danube au-dessous
„aè Viennfe, on eut pu le faire. La division
„du général Suchet restera avec une partie de
„ votre cavalerie sur la grande route de Viehne
„a Burkersdorf , a moins que vous né soyez
,,maitre dû pont sur le Danube^ s'il na pas
42 Mémoires
„ëté brvilé; et dans ce cas , cette division sj
^„porterait, afin de pouvpir passer , le. fleuve
„avec votre cavalerie et vos grenadiers , et se
^^mettre le plus tôt possible en marche pour
,, tomber sur les ôommunications des Russes,
y, Je pense que l'empereui; restera toute la
,yjournee a Saint-Pôlten*
^ „Sa majesté vous recommande , prince , de
,4ui rendre compte fréquemment.
,,(}uand vous serez a Vienne, tâche» d'avoir
„les meilleures cartes qui s'y trouvent des
5,environs de Vienne et de la Easse- Autriche.
„Si M. le général comte de Giulay se pré-
yysente , ou toute autre personne , , pour parler
^a 1 empereur , envoyea-le en toute hâte ici.
^Jlol garde bourgeoise qui fait le service K
„ Vienne doit avoir, tout au plus cinq cents
^,fusils.
„I1 vous sera facile » une fois a Vienne,
..d'avoir des nouvelllss sur l'arrivée > des autre»
, y colonnes russes/ ainsi que sur le projet des
j^^utres , en se cantonnant a Krems.
,^Vous aurez pour tourner les Russes et
„pour tomber sur leurs derrières votre cavalerie,
„le corps du' maréchal Lann^s et celui du
„maréchal Davoust. Quant aux corps de»
^,m^réchaux Bernadotte et Soult, ils ne peuvent
^,êt3re disponibles que lorsqu'on saura définitive-
„ment le parti qu auront pris les Russes./
,,Passe dix heures 4^ matin vous pourres
„donc entrer a Vienne j tâcheis d'y surprendre
,4^ pont du, Danube, et s'il est rompu avises
„a'trouv«r les plus prompts moyens de passage :
„c'est la seule grande affaire dans ce moment.
„Si cependant^vant dix heures M. de Giulay
du général Rapp.
43
,96 présentait pour apporter des propositions
,de négociations, et qu'il vous engageât a
^suspendre votre marche, tous suspendrieji
,votre mouvement sur Vienne , mais vous ne
,vous occuperiea pas moins de trouver tous
,les moyens de passer le Danube k Kloster Neu-
,bourg ou a tout autre endroit favorable.
-^„L*empereur ordonne que depuis Siegharts<^
,kirchen jusqu'à Vienne vous placiez de deux
,en deux lieues de France un poste de cavalerie
,de ^x hommes , dont les chevaux serviront
,à r A^er les officiers que vous enverreii pour
,rendre compte de ce qui se passera* Les
,hommes du même poste pourront porter les
,dépéches de Sieghartskirchen a Saint-Pôlten.
,Le maréchal Bessières fera placer des postes
,de la garde de Tempereur»"
\
mé
,44 Mémoires
CHAPITRE IX. ,
Nous étions a Saint-Pôlten. Napoléon $e
13romenait a cheval sur la route de Vienne,
lorsqu'il vit arriver une voiture ouverte ou se
trouvaient un prêtre et une daine tout en pleurs .
Il était, comme a son ordinaire, en costume
de colonel de chasseurs de la earde. Elle ne
\e reconnut pas. Il s'infprma de la cHfp^ de
5es lai:mes et du lieu où elle dirigeait sa course.
Monsieur, lui dit-elle, j^ai été pillée dans
une caippagne a deux xbeue^ d'ici par des
.^,soldat$ qui ont tué inori jardinier. Je vais
,, demander une sauvegarde à votre eçtipereur,
. ,jqui a beaucoup connu ma famille, a laquelle
„il a de grandes obligations. — Votre nom ? —
,*,De Bunny; je suis la fille de M. de Mdraoeuf,
„autrefois gouverneur en Corse. — Je suis
^charmé, madame, répliqua Napoléon avec
„beaucoup d'amabilité , de trouver une occasion
„de vous être agréable: Cest pioi qui suis
, jl'empereur. * ' Elle fut tout interdite . Nepoléon
la rassura et lui dit d'aller l'attendre à son
Suartier-général. Il la traita a merveille , lui
onna un piquet de chasseurs de sa gardé , et
la renvoya heureuse et satisfaite.
Napoléon avait reçu un rapport, qu'il lisait
avec satisfaction; j'entrai dans son cabinet. „Eh
,^bien ! Rapp, sais-tu que nous avions des partis
,, jusqu'au fond de laBohême? — Oui, sire. — Sais-
,,tu quelle cav^lierie a battu les houlans, enlevé
,,des poistes, pris des magasins? — Non, sire.
du général Rapp, A^b
„ — ^^Nbs fantassins perches sur des chevaux de
, y trait ! — Comment cela ?** Il me donna le rap-
port. Des détachements qui avaient pénétré eri
Bohême s'étaient tout k coup trouvés dans iin
pays découvert: ils n'avaient qu'une vingtaine
de dragons ; ils ne voulaient pas rétrograder, ils
n'osaient pénétrer plus avant. Dans cette per-
plexité, le chef imagine un expédient: il réunit
les chevaux dés hagages^ monte ses fantassins,
et les lance ainsi équipés à travers les épaisses fo-
rêts qui avoisinent Egra. Des partis de caValerie
vinrent a leur rencontre et furent culbutés ; nous
primes des hommes, des chevaux et des approvi-
sionnements qui furent livrés aux flammes. Je
rendais le rapport : ^Eh hien, que te semble de
„cette nouvelle espèife de cavalerie? — Admirâ-
,,ble, sire. — C'est que quand on a dù^angfran-
„çàis dans les veines , on fait toujours entrer la
„mort dans les rangs ennemis."
Nous itiàrchiotis a la suite de rarrièrè-gafde.
Il nous eût été facile de l'enlever ; nous n'eûmes
garde de le faire: nous voulions endormir sa vi-
gilance: nous ne la poussions pas, nous ré-
pandions des bruits de paix. jNous laissions
écha])pçr des trouj^es, des bagages ; mais quel-
ques hommes de plus n'étaient pas une affaire :
la conservation des ponts était a une bien autre
importance. Rompus, il fallait reprendre sous
œuvre une question déjà résolue. L'Autriche
assemblait de nouvelles forces ; la Prusse levait
lé masqué, et la Russie se présentait sur le
champ' de bataille avec tous les ^nojeiis de ces
deux puissances. LapoMpssioii des ponts était
une victoire, et il rfyTfvait que la surpris^
qui pût nous la faire remporter. Nous prîmes
\
V
\
46 Mémoires
iios mesuras en consécjuence. On défendit au^
troupes échelonnées sur la route de faire au-
cune démonstration capable de donner réveil,
on ne permit a personne d'entrer a Vienne.
Quand tout fut bien vu, bien examiné, le
grand-duc prit possession de cette capitale et
chargea Lanusse et Bertrand de faire sans délai
une reconnaissance sur le fleuve. Ces deux
oificiers étaient suivis du 10^ hussards ^ Ils trou*
vèrent aux portes du faubourg un poste de ca-
valerie autrichienne. On ne se battait plus
depuis trois jours; il jr avait une espèce de sus-
pension d*armes. Ils abordent le commandant,
tient conversation avec lui, s'attachent a ses pas,
ne rabandonnent plus. Arrivés sur les bords
du fleuve ; ils s'obstinen\ encore à le suivre
malgré lui; TAutrichien s'emj^orte, les Français
demandent a communiquer avec le général
qui commande les troupes stationnées sur la
rive gauche : il y consent , mais il ne souffire
pas que uqs hussards les accompagnent; le 10^
est obligé de prendre position. Cependant nos
troupes arrivaient , conduites par le grand-dUc
et le maréchal Laniiés. Le pont était encore
intact, mais les conducteurs étaient établis,
les canonniers tenaient leurs mèches: le moin-
dre signe qui eût décelé le projet de passer de
force eût tait avorter l'entreprise. Il fallait
jouer de ruse; là bonhomie des Autrichiens
s j prétait. Les deux maréchaux mirent pied
k terre , la colonne fit halte , il n'y eut qu un
petit détachement qui se porta sur le pont et
s y. établit. Le général Bernard s'avança eji ^e
proipenant les inainsKlerrière le dos avec deux
officiers d'état-major. Lannes le joignit avec
du général Rapp. 4?-
d'autres; ils allaient, venaient, causnient,' et
arrivèrent àiu|L jusqu'au milieu des Autrichiens.
L officier du p<me ne voulait pas d'abord les
recevoir, mais il finit par céder , et la conver-
sation s'établit. On lui répéta les propos qu'a-
vait déjà tenus le général Bertrand , que les
négociations avançaient» que la guerre était
finie , qu'on ne se battrait, au on ne se déchi-
rerait plus. ^Pourquoi , lut- dit le maréchal,
„teneB-vous encore vos canons braqués sur
,,nous? N'est-ce pas assea cfe sang, decon>bats?
Youles^vous nous aMaquer y prolonger des
malheurs qtîi vous pèsent plus qua nous?
, , Allons , plus depro vocations : toumea vot piè-
„ces. ^Moitié subjugué , moitié convaincu, le
commandant obéit. L'artillerie i^t dirigée sur
les troupes autrichiennes , et les armes mises
en faisceau , Fendant ces pourparlers , lepelo-
ton d'avant-garde avançait lentement, mais en*
fin il avançait , masquant des sapeurs , des ca«
nonniers, qui jetaient dans l6 fleuve les matièrea
combustibles, répandaient de l'eau sur les pou-
dras et coupaient les conducteurs. L'Autrichien,
trop peu familier avec riptre langue pour s'inté-
resser beaucoup a la conversation , s'aperçut,
3ue la trouj>e gagnait du terrain, et s'enorçait
e faire comptendre q^ue cela ne devait pas
être y qu'il ne le souSrirait pas. Le marécnal
Lannes, le général Belliard, tâchèrent de le
rassurer; ils lui dirent que le froid était vif,
qiie nos soldats marquaient le pas, qu'ils cher«>
chaient à s'échaufFer en se donnant du mouve-
ment. Mais la colonne approchait toujours, elle
était déjà aux trois quarts du pont ; il perdit
patience et commanda le feu. Toute la troupe
48 Mémoires
courut aux armes, lesnrtilleurs apprêtaient leurs
Siècles, la«jK>sition était terrible ^un .peu moins
e présence d'esprit, le pont m,Mt en Tair, nos
soldats dans les flots,, et la camj3agne compro-
mise.. Mais r Autrichien avait affaire a des Hom-
mes qui n'étaient pas faciles a déconcerter. Le
maréchal Lannes le saisit d'un côté , le général
Belliard de l'autre; ils le secouent, le mena-
cent, crient, empêchent qu'on ne 1 entende.
Arrive sur ces entrefaites le prince d'Auersberg,
accompagné du général Bertrand. Un officier
court rendre compte ai||grand-duc de Fétat des
choses ; transmet a la troupe , en passant, Tor-
dre d'allonger le pas et d'arriver. Le maréchal
s'avance au-devant du prince, se plaint du chef
du poste , demande qu'il soit remplacé , puni,
éloigné d'une arrière-garde où il peut troubler
les négociations. Auersberg donne <lan3 le
piège. Il discute, approuve, contredit^ se pe»:d
dans «ne conversation inutile. Nos troupes met-
tent 1^ temps a prpfit; elles arrivent, débou-
chent, et le pont est emporté. Des reconnais-
sances sont aussitôt dirigées. dans tous les sens,
et le général Belliard porte nos colonnes sur
la route de Stokerau , où elles prenent position «
Auersbei^^ confias; de sa loquacité intempestive,
se rend auprès • du grand-duc, qui,.a|>irè$ un
court entretien , l'adresse a Napoléon ^t passe
aussi le fleuve.
' Le piquet autrichien veillait, toujours ^ la
farde du pont« Nous bivouaquions péle-mèle«
es^ trpiipes étaient confondues a Stokeravi
comme sur lés bords du fleuve. Napoléon, trou-
va ce mélange inutile. Il envoya les houlans
a Vienne » où ils furent désarmes.
Nous
\ ;
du général Rapp. 49
Nous aiTÎA^âriies k Aùsterlita. Les Russes
avaient des forces supérieures aux nôtres ; ils
avaient replié nos ayant-gardes et nous cro-
yaient déjà vaincus. I/action s'engagea; mais,
au lieu de ces succès faciles -que leur garde
seule devait obtenir ^ il trouvèrent partout une
résistance opiniâtre. Il était déjà une heure,
et la bataille était loin de se décider pour
eux. Ils résolurent de tenter au centre un
dernier effort, La garde impériale se déploya;
infanterie, cavalerie, artillerie, marchèrent
sur le pont sans que Napoléon aperçût ce mou-
vement, que lui dérobaient les accidents du
terrain. Un feu de mousqueterie se fit bien-
tôt entendi^e , c'était une brigade commandée
par le général Schinner que les Russes enfon-
çaient. Nai>oléon m'ordonna de j^rendre les
Mamelouks , deux escadrons de chasseurs , un
de grenadiers de la garde , et de me porter
en avant pour reconnaître l'état des choses.
Je partis au galop , et n'étais pas k une portée
de canon que j'apperçus le désastre. La cava-
lerie était au milieu de nos carrés, et sabrait
iios soldats. *Un peu en arrière nous discer-
nions les masses a pied et k cheval qui for-
maient la réserve. L'ennemi lâcha prise et
accourut k ma rencontre. Quatre pièces d ar-
tillerie arrivèrent au galop et se mirent en
batterie. Je m'avançai en boii ordre; j'avais k
ma gauche le brave colonel Morland , et le
général Dallemagne k ma droite. „Vojca-
„vous, dis-je k ma troupe, nos frères, nos amis
„qu'on foule aux pieds : vengeons-les , ven-
„geons nos drapeaux." Nous nous précipitâ-
mes sur l'artillerie , qui fut enlevée. La cava-
. 4
DÔ
Mémoires
lerie nous attendit de pied ferme et fût cul-
butée du même choc ; elle s'enfuit en désor-
dre , passant , ainsi que nous , sur le cor^s de
nos carrés enfoncés. Les soldats qui n'étaient
pas blessés se rallièrent. Un escadron de gre-
nadiers a cheval vint me renforcer; je fus a
même de recevoir les réserves qui arrivaient
au secours de la garde russe, rîous recom-
mençâmes. La charge fut terrible ; l'infanterie
n osait hassarder son feu ; tout était pêle-mêle ;
nous combattions corps a corjjs. Enfin l'intré-
pidité de nos troupes triomphe de tous les
obstacles.; les Russes fuient et se débandent^
Alexandre et l'empereurs d'Autriche furent
témoins aja défaite ; placés sur une élévation
a peu de distance du champ de bataille , ils
rirent cette garde qui devait fixer la victoire
taillée en pièces par une poignée de braves,
Les canons , le nagage, le prince Rephin,
étaient dans nos mains ; malheuresement
nous avions un bon nombre d'hommes hors de
combat , le colonel Morland n'était plus , et
- j'avais moi-même un coup de pointe dans la
tête. J'allai rendre compte de cette affaire a
l'empereur ; mon sabre a moitié cassé, ma blessu-
re , le sang dont j'étais couvert , un avantage
qui lut exécute pi
Les Russes, comme je l'ai dit, se flattaient
de nous battre avec leur garde seule. Cette
jactance avait blessé Napoléon, il s'en est rap-
pelé long-temps.
Après la bataille d'Austerlitz. Napoléon me
nomma général de ' division , et m'envoya au
f
du général Rapp. 51
château d'Austerlîts pour soigner ma blessure,
qui n'était pas dangereuse. Il daigna nie faire
{plusieurs visites , une entre autres le jour de
'entrevue qu'il accorda a l'empereur d'Autriche*
Il me remit deux lettres que les avant-postes
avaient interceptées ; Tune était du prince
Charles, l'autre d'un prince Lichtenstein. Elles
se trouvèrent assez importantes : je les fis
traduire. Le soir Napoléon vint en .prendre
lecture a son retour. Il me parla beaucoup de
François II, de ses plaintes, de ses regrets; il
me dit à ce sujet des choses fort curieuses. .
Nous partîmes pour Schônbrunn. Il y
avait a peine quinze iours que nous y étions
lorsque Napoléon me nt demander. „E tes- vous
,,en état de voyager? — Oui, sire. — En ce
,,cas, allez raconter les détails de la bataille
„d'AusterlitzkMarmont, afin de le faire enrager
,-,de n'y être pas venu; et voyez lefFet qu'elle
„ a produit sur les Italiens . Voici vos instructions.
^^Monsieur le général Rapp^
„ Vous vous rendrez a Gratz . Vpus^y resterez '
„le temps nécessaire pour faire connaître au
,, général Marmont les détails de la bataille
,*d'Austerlitz^ que des négociations sont ouvçr-
,,tes, mais que rien n^est fini: qu'il doit donc
„se tenir prêt k tout événement et en mesure ;
„et pour prendre connaissance de la situatioa
„dans laquelle se trouve le général Marmont et
„du tiomnre d'ennemis qu'il a devant lui. Vous
lui direz que je désire qu'il envoie dès espions
en Hongrie et qu'il m instruise de tout ce
,, qu'il apprendra. Vous poursuivrez votre route
„ jusqu'à Laybach , où vous verrez le cor]>sdu
4,
%
52 Mémoires
,, maréchal Masséna , qui form€ le huitième
„corps de Tàrmée; vous m'en enverrea Tétat
^exact. Vous lui ferez connaître que si les
j,négociations se romi>aient , comme cela est
^possible , il serait appelé sur Vienne. Vous
„m'ïnstruirez du nombre de troupes ennemies
„que le maréchal Massena a devant lui, et de
„la situation des siennes sous tous les points
„devue. Vous vous rendrez a Palmanova, après
„ avoir beaacoui> pressé le maréchal Masséna
„de bien armer et approvisionner cette place,
„et vous me ferez connaître dans quel état elle
„se trouve. De la vous vous rendrez devant
„Venise , vous y verrez les postes que nous y
„occupons et la situation de nos trouj^es. Vous
„irez de la a l'armée du général Saint-Cjr, qui
„marche sur Napleis ; vous verrez sa composition
„et sa force. Vous reviendrez par Klagenfurth,
„oii vous verrez le maréchal riey; et vous n\e
„re joindrez. Ayez soin de m'écrire de chaque
„lieu où vous vous arrêterez: expédiez-moi
„des estafettes de Grat;ç, Lajbach, ralmanova,
„ Venise, et du lieu où se trouvera l'armée de
,,Naples. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait
„en sa sainte garde."
, ^ Napolé n.*
Schonbrunn, le 25 frimaire an 14.
Je rajoignis Napoléon a Munich, où il se
trouvait pour le mariage du prince Eugène, qui
vint d'Italie , et que j accompagnai.
• Nous partîmes pour Paris. Ce fut partout
des cris ae joie : jamais Napoléon n'avait été
reçu avec autant d'enthousiasme.
du général Rapp. 53
CHAPITRE X.
Pendant que nous étions a Ulm , les Prus-
siens s'étaient tout- a -coup souvenus, qxfils
.avaient Théritage d'une longue gloire k défen-
dre ; les iêtès s'échauffèrent , on courut aux
armes. Haucwitx vint nous signifier cette ré-
miniscence mojîinée. Mais la bataille d'Au-
sterlitK eut lieu dans l'intervalle, "Quand le mi-
nistre arriva, il ne fut plus question que d'al-
lience et de dévouement. Napoléon ne fut pas
dupe de ces protestations , diplomatiq;ues ^ 11 sa-
vait les intrigues , les scène» de chevalerie qii'on
avait employées jiour agiter la multitude. Déjà
avant l'action il avait dit: ,,81 je suis battu, ils
,, marcheront sur mes derrières, si je suis vain-
^queuf , ils diront qu'ils voulaient être i>our
,,moi/' Ils ne surent opter ni pour le paix ni
pour la guerre; ils éj^ièrent les événements.
Cette politique tortueuse porta son fruit,, elle
leur <îOÛta le pays d'Ansjjach, Baiieùthf un^
partie du grand auché de Berg , et les posses-
sions qu'ils avî^iept en Westphalie : il& étaient
furieux." Je fus envoyé dans le Hannovre, que
nous leur avions abandon né. Le motif apparent
démon voyage était la remise* de la forteresse
de Hameln ; le véritable , de s'assurer de la si-
tuation des esprits. J'étais chargé de voir com-
ment ils étaient vus dans le pays, si l'on y par-
lait de guerre , si les militaires la désiraient,
enftn d'acheter a Hambourg tout ce que je pour-
54 Mémoires
ttkvi de pamphlets contre Napoléon et contre la
France.
Ma mission n'était pas difficile a remplir.
Les Prussiens étaient exaspérés : les Hannovriens
les détestaient. Cependant le nord de l'Alle-
magne comptiiit encore sur cette puissance qui
s'était jusque-lk maintenue intacte. Le comte
de*Schulenbourg était gouverneur de la nou-
velle ac(|uisition du roi Guillaume ; il me reçut,
assez mal. Nos succès dUlm et d'Aiisg.erlitjs lui
paraissaient médiocres; cette dernière bataille
même avait été indécise; elle ressemblait à celle
de Zorndorf/ livrée autrefois par le grand Fré-
déric aux Russes , et a laquelle il avait assistée
^Comment les lui faut-il donc ?" mé dit Napo-
léon lorsque je lui racontai cette anecdote.
J'allai de là a Hambourg, oii je trouvai Bou-
rienne; on me fit beaucoup d*'accueil: je savais
pourquoi.
Je retournai en France. Je passai a Munster,
où était le général Bliicher, que j'avais Vu quel-
ques années auparavant. Je lui fis une visite.
Il était indispose contre nous : il me reçut néan-
moins avec beaucoup d'égards.
Je m'arrêtai huit jours à Francfort chea Au^
gereau pour voir et pour entendre : c'étaient
mes instructions. Napoléon venait de demander
des contribiftions a cette ville; elle craignait
d'être obligée d'en payer encore.}
Nous occupions le paps de Darmstadt. Le
maréchal — qui avait son quartier-général dans
la capitale jie cette principauté n'était pas plus
aimé de la cour que des habitants; son etat-
major encore moins. Madame la grande du-
chesse me fit inviter par Augereau qui parais-
du ^général Rapp. ' 55
sait alFectioner ce pays; je refusai, je n avais
pas d'ordre : elle le chargea de me transmettre
ses plaintes. Elles étaient aïkières.
Je partis pour WeseL Je devais examiner
les dispositions du pays. Nos troupes loccu-
paient déjà.
de
rien. Je lui parlai surtout en taveur du pauv
paysdeDarinstadt; mais il était outré contre la
duchesse. Elle avait écrit au roi de Bavière une
lettre terrible, au sujet de la mésallience de sa
nièce Auguste avec- le prince Eugène. Entre
autres expressions outrageantes se trouvait 'celle
de horrible mariage. L'empereur, qui croyait
que la gloire d'avoir fait de grandes choses va- ^
lait bien Tavantage de descendre de ceux qui
peut-être n'en, avaient pas faites, ne lui pardon-
nait pas ses préventions féodales. Il fut sur le
point de lui ôter ses états; mais Maximilien
intercéda 2>our elle; elle en fut quitte pouir une
occupation de quelcpies mois \ c'est-a-dire que
son peuple ^xjîia les forts de sa vanité.
Il n'y avait pas quinze jours que j'étais ren-
tré, ta cour était a Saint-Cloud, et Napoléon
assistait au spectacle; au milieu de la pièce,
il reçut une aépéche du grand-duché de Bcrg.
Il rouvrit. Cétait des détachements prussiens
qui avaient attaqué nos troupes. „ Je vois bien,
„me dit-il , qu'ils veulent absolument en tâter ;
.„montejB a cheval, et allez chercher le grand-
„duc k Neuilly." Murât connaissait déjà l'af-
faire ; il vint aussitôt. Napoléon s'entretint un
moment avec lui, et me donna ordre le lende-
main d'alleç preaidre le commandement de la
I
56 - Mémoires .
divinion militaire a Strasbourg, d'y organiser
des bataillons, 'des escadrons de marche, de
les 'diriger au fur et a mesure sur Mayence , .et
d'y expédier beaucoup d'artillerie. L'infante-
rie s'embarquait sur le Rhin pour arriverplutôt.
Je correspondais di rectementaveclSapolëon .
J'employais les courriers, les télégraphes, tout
ce qui allait plus vite. Je ne devais pas mettre
cent hommes en mouvement, déplacer un ca*
non, remuer un fusil, sans l'en prévenir. J'é-*
tais depuis deux mois occupé de ces apprêts,
lorsqu il arriva a Mayence , d'où il m'écrivit
d'aller le rejoindre a Wurzbourg. Il m'envoya
une lettre pour le grand-duc de Bade , et me
chargea de la porter moi-même k ce prince.
C'était pour l'engager d'envoyer a l'armée son
petitofiis, le grand duc actuel. Je trouvai ce
respectable vieillard dans son ancien château
de jSade ; il parut très affecté de l'invitation ;
il se résigna néanmoins , et donna des ordres
pour les préparatifs de départ. Il me fit l'hon-
neur de me recommander d'une manière fort
touchante le jeune prince, qui se mit en route
deux jours plus tara, et nous rejoignit a Wiirx-
boûrg. Le roi de Wurtemberg y était déjà. Il
venait d'arrêter le mariage de sa fille av#c Jé-
rôme. Napoléon était d'une humeur charmante.
Cette alliance lui souriait. Il n'était ])as moins
satisfait du grand duc. Murât l'avait singuliè-
rement disposé en faveur de ce prince. „Jc me
„sui8 rendu ,^ lui avait-il écrit quelques jours,
^auparavant, cheale ^rahd duc de Wurabourg,
„que la lettre et ensuite la nouvelle que je lui
9 lui donnée , que le ttaité qui l'admet dans la
^confédération a été signé à Par;isf ont tire de
du général Rapp. bl
„la plus granidè inquiétude , Unt il craignait
„de ne pas y être reçu. Lès sentiments de bien-
„veillance que je lui ai annoncés de la part de
„ votre majesté ont surtout paru le toucher vi-
„venient. Il montre la meilleure volonté pour
„tbut ce qui concerne le service de Tarniée.'
„ Aujourd'hui on a proclamé son admission dans
,4a coîifédération du Rhin. On a tout préparé
„pour recevoir votre majesté au château , où
„il paraît qu'on ne néglige rien poiir tâcher de
„lui en rendre le séjour commode ej, agréable.**
Nous n avions encore aucune donnée précise
au sujet des Prussiens ; nous ne savions s'ils
étaient sur la route de Magdebourg, en Saxe,
a Gotha, ni quel était leur nombre. Nous
avions pourtant assea de monde en campagne. .
Les gentishommes ne manquent pas phis au-delà
du Rhin qu'ailleurs ; mais les rapports étaient
si contradictoires qji'on ne pouvait asseoir au-
cune idée. Tantôt l'avant-garc^e ennemie était
\\ HofF, Coboui'g et Meiriungen étaient occu-
pés; les Prussiens dédaignaient toute action
partielle, ils voulaient tenter le fortune en ba-
taille rangée, ils ne voulaient point d'affaire
de détails : tantôt Hohenlohe s'avançait sur
Schleita, Rachelavait fait sa jonction, la reine
s'était rendue a Erfurt; Oe n'était plus a Hoff,
c'était a Nàumbourg que leitroupes se réunis-
saient. Cette disposition n'était pas en harmonie
avec la nature des lieux. Elle sembl{iit inconce-
val^le. Nous étionsaussi incertains sur la masse
des forces ennemies que sur leu# lignes d'opé-
rations*
Km milieu de cette incertitude , nous ap-
prîmes que Cronach était occupé. Le grand duc
58 Mémoires
manda qu'on travaillait a réparer cette citer
délie, qu'elle serait bientôt en état. Napoléon
fut étonné c[ue les Prussiens ne s'en fussent |)a3
rendus maîtres. 9,'Quel motif les arrêtait, puis-
^qu'ils voulaient absolument la guerre? Les
difficultés! ilnV avait ni approvisionnementà
),ni artillerie ; 1 entreprise n était pas au-dessus
„de leur courage. Ne la jugaient-ils pas asses
,, importante pour s'essayer? Ccjfort coiïimaude
,; trois grands débouches; mais ces Messieurs se
„soucient peu des positions , ils se réservent
„pour les grands coups ; nous les servirons a
„souhait.^^
Il recevait k* chaque instant des nouvelles de
l'armée prussienne, fiuchel, Blûcher, le duc
de Brunswick, étaient impatients de commen-
cer la guerre , et le prince Louis encore plus.
Il hâtait, il pressait 1$^ hostilités, il craignait
de laisser échapper l'occasion. C'était, du reste,
t^un homme plein de courage et de capacité;
tous les rapports s'accordaient a»cet égard/ Na-
poléon, a qui cette pétulance ne déplaisait pas,
s'entretenait un soir avec nous des généraux
ennemis. Quelqu'un prononça le nom du prince.
.„QuantH celui-lk, dit-il, je lui prédis qu'il
,,sera tué cette campagne." Qui aurait ôru que
la prédiction dût se vérifier si vite ?
lia Prusse s'était enfin expliquée. Elle exi-
geait que nous abandonnassions nos conquêtes,
et nous menaçait de toute sa colëre si nous
persistions a ne pas évacuer l'Allemagne , si
nous ne repaSions pas le Rhin. La prétention
était modeste et bien digne de ceux aui f éle-
vaient. Napoléon n'acheva pas, il jeta la pièce,
de dédain: „Se croit-il en Campagne? veut-il
du général Rapp. 59
^reproduire son manifeste ? Quoi! par journée
„d'étapes! Vraiment, fai pitié de la* Prusse,
,,je plains le roi. H ne sait pas quelles rapso«
„dies on lui fait écrire. C'est par trop ridi-
„cule. Il ne le sait pas. Bertnier on nous
„donne pour le 8 un rendez- vous d'honneur;
^allons, marchons.** Se tournant ensuite vers
son secrétaire , il lui dicta tout d'une haleine
la proclamation qui fut insérée dans les feuil-
les publiques d'alors. .
Les soldats ne demandaient qu'a combattre*
Les Prussiens occupaient Saalfeld et Schleitx i
nous les chargeâmes , nous les culbutâmes,
nous les fimes un millier de prisonniers. Ce
furent les deux* premiers engagements que nous
eiimes avec eux. Je quittai Murât, que j'avais
eu ordre de suivre , et allai rendre compte de
l'affaire de Schleitx a Napoléon , qui avait son
quartier-général a quelques lieues en arrière,
chez une princesse de Reus-Lobenstein. Il tra-
vaillait avec Berthier. Je lui appris les suc- ,
ces du grand-duc et la déroute cle Tauenaien.
Il me dit crue je pouvais me coucher; que dans
quelques neures on m'éveillerai pour aller en
mission. J'ignorais où ce pouvait être. Je fus
effectivement appelé vers le cinq heures. L'em-
pereur me remit une lettre pour le roi de Prusse,
gui avait alors, je crois, son quartier-général a
ondershausen. ,,VousireB, me dit-il, courir
„après le roi de Prusse ; voto lui remettrez cette
„lettre de ma part. Je lui demandé encore une
„fois la paix , quoique les hostilités soient déjà
,, commencées. Vous ferez bien sentir a ce sou-
„Verain le danger de sa position et les suites
„f unes tes qu'elle peut avoir. Vous reviendrez
60 Mémoires
,,6Ut-le- champ m'apjiorter sa réponse ^ Je niar-
„che sur Géra/V iNos équipages étaient encore
€n arrière , je n'avais pas de voiture ; j en em-
pruntai une des remises de la princesse, je la
fis atteler de quatre bor)s chevaux, et me mis
en route vers les six heures. Je n'avais pas
fait une lieu, que Napoléon fit courir après
moi. Je montai dans son cabinet, où il avait
travaillé toute la nuit. Il me dit de remettre
la lettre «a Berthier: ,, Toute reflexioq faite, je
^,ne veux pas qu'un de mes aides-de-camp soit
„chargé d'un semblable message. Vous êtes
„des personages trop importants pour ique je
„vous expose a être mal reçus.*' Elle fut en-
voyée deux jours plus tard par M. de Mon-
tesquieu. Il partit, je crois, de Géra On sait
le traitement qu'il essuya. . li fut aarêté par le
Iirince de Uohenlohe, alors commandant de
'armée pruissicnne, qui le fit assister a la ba-
taille^de Jéna, et n'expédia, h ce qu'on assure,
là lettre qu'après l'affaire.
Plusieurs personnes de la suite de Napoléon
ont prétendu que si j'eusse achevé la mission
dont j'étais d'abord chargé, je serais arrivé
chea le roi de Prusse , et que peut-être la guerre
n'etit pas en lieu. Je ne le jiense pas. Le gant
était jeté, il fallait le ramasser. Je ne crois pas
même ([uè Napoléon fiit plus enclin a la paix
que le roi Guillaume, ' .
■*«iB«.
du général Rapp. 61
CHAPITRE XL
Quoi qu'il en soit , nous étions maîtres du
cours de la Saale et. en mesure de tourner
Tarmée ennemie; le duc de Brunswick était
bien déchu. Il avait imaginé de nous aller
chercher sur le Mein , d'occuper nos ailes par
des corps déCachés et de nous rompre au centre
avant que nous fuissions réunis. • Il avait en-
core tous les fils de ce vaste systèrfle d'espion-
nage -qui pesait sur la France depuis l'émigra-
tion : il coiwiaissait la force et l'itinéraire^ de
divers corps qui partaient de Meudon. Il ne
doutait pas de nous prévenir. Napoléon se plai-
sait a nourrir cette illusion; il faisait des ap-
prêts, des reconnaissances sur toute cette ligne.
Le duc ne douta plus de nous avoir pénétrés:
nous devions. déboucher par Kœnigshoven; il le
'certifiait^ il en était convaincu. Nos mouve-
ments sur son centre n'étaient qu'un piège,
une ruse de guerre ; nous voulions lui donner
le chïtng?, empêcher qu'il ne débouchât par
les forêts de la Thuringe , tandis que nous nous
porterions vers Cobourg, Meinungen dans des
Sajs boisés, mpntueux, où sa cavalerie per-
rait l'occasion d'agir ou tout au moins sa su-
périorité. Il était urgent de nous prévenir, il
courut sur Kœnigshoven.
L'ennemi était, engagé dans le bois ; Napo-
léon se porta surSchleitz, a soixante lieues du
point d attaque présumé. Le troisième corps
couchait paisiblement le 10 a Naumbourg s«;r
92 Mémoire^
les derrières du duc de Brunswick. Les ho-
stilités ne dataient que de deux jours, et ce
Iirince, déjà débordé sur sa gauche, était a
a veille d'être toul-k- faire cou^ïé ; ses commu-
nications avec l'Elbeétaientcoraproinises, ilal-
lait essu^yer les mêmes diserâces queMack, contre
lequel il avait tant parlé. Son avant- garde
arrivée sur le Meiii ny trouva personne. Cette
circonstance lui parut inouïe sans néan-
moins lui faire soupçonner le danger où
il était: la déroute de Saalfeld put seule
le tirer de ^a sécurité. Il rebroussa en toute
hâte j le duc de Weimar , le prince de Hohen-
lohe, eurent ordre d'accouru:, et l'armée de
réserve de forcer de' marche ; mais les uns s'é-
garèrent, les autres ne firent pas assea de dili-
gence î une partie des troujies ne put prendre
part à- la bataille. Le duc , déconcerte par un
système de mouvements si nouveaux pour lui,
ne savait quel parti prendre : ces marches , ces
dispositions, -qui se pressaient, se succédaient
l'une a l'autre , formaient un imbroglio dont il
ne saisissait ni la cojnbinaison ni le but. L'oc-
cupation de ?Jaumhourg' le tira de cet état
d'anxiété; il vit que son aile gauche allait êti-e
■ tournée ou tout au moins débordée ; il ne vou-
lut pas attendre , il courut rallier l'armée de
réserve qui aA'ançait sur Halle et laissa Hoheii-
lohe au cani]» de Capellendorf pour mas<|uer
le mouvemeait de flanc. Ses trou]}es , qui n'a-
ies disgrâces de Saalfeld et
laient les corps battus; elles
, la reine, tout le monde:
er l'afïronl fait aux amies
avait pas assea de Français
du général Rapp. 63
pour elles. Le duc lui-même avait repris toute
sa confiance. Il ne trouva sur la chaussée d'Auer-
staedt au'une trentaine de chasseurs. Ses
communications étaient libres ; il était impos-
sible qu elles fussent interceptées. Un manœu-
vrier comme lui n était pas facile k surprendre.
Les Prussiens dé Hohenlohe campaient derrière
les hauteurs de Jéna \ il eu avait a perte de ^iie ;
ils se prolongeaient par-delà Weimar ► Napoléon
les reconnut dans la soirée du 13 et fixa l'atta-
que au lendemain : il expédia dans la nuit les
ordres de mouvements pour les divers corps.
,,Quant a Davoust, il faut qu'il marche sur
„Apolda,^ afin de tomber sur les dei'rières de
„cette armée; qu'il tienne la route qui lui con-
„viendra, je le laisse le maître pourvu qu'il
,, prenne ]>art a la bataille. Si Bernadotte est
„a portée, il faut qu'il q'appuye. Berthier,
,, donnes des instructions en conséquence."
ir était dix heures du soir; toutes les disposi-
tions étaient faites , et cependant le 'général
eimemi se flattait encore que nous ne pour-
rions déboucher; mais la pioche fit justice des
obstacles ,• on creusa le roc , on ouvrit des tran-
chées: Tarmée s'écoula par toutes les issues.
I/action commença; de la droite a la gauche »
la mêlée devint terrible. Davoust surtout se
trouvait dans une position sous laquelle un
homme moins tenace eût succombé. Bernadotte
refusa de le soutenir; il défendit même a deux
divisions de la cavalerie de reserve , qui pour-
tant n'était pas sous ses ordres , de prendre part
a l'action. Il j^aradait autour d'Apolda pendant
que vingt-six miUe Français étaieiit aux prises
avec soixante-dix mille hommes d élite com-
64 Mémoires
mandés par le duc de Bruiiswick et. le roi de
Prusse. Au reste , cette circonstance ne -fit que
rehausser là gloire de celui quelle aurait du
perdre. Le maréchal fit des dispositions si bien
' entendues , ses généraux , ses soldats déployè-
rent tant dliabileté et de courage , que Bluciier
avec ses douze mille chevaux n-eut pas mémie
la satisfaction dentamer une compagnie. Le
roi, les gardes , toute l'armée, se précipitaient
sur nos troupes sans obtenir plus de succès.
Au milieu de ce déluge de feux elles conser-
vaient toute la gaité nationale. Un soldat que
ses camarades appelaient l'empereur s'impa-
tiente' de Tobstination des prussien^: a moi
grenadiers , en avant , s'écrie-t-il , allons suives
Fempereur. Il se j,ette au plus épais de la mêlée,
la troupe le suit et les gardes sont enfoncés.
Il fut fait caporal; ses amis remarquaient qu'il
ne lui manquait plus que le protectorat.
A Jêna, la victoire n'avait pas été moirf^
brillante. La déronte était entière, était géné-
rale^
Je fus chargé vers le soir de poursuivre
avec le grand-duc les débris de l'armée prus-
sienne. iNous primes quelques bataillons saxons.
Nous entrâmes pêle-mêle avec eux dansWeimar.
Nous plaçâmes nos postes en avant de la ville i
nous envoyâmes de la cavalerie sur la route.
d'Erfurt, et nous nous présentâmes au château.
M. de Papi>enheim , que je me rapi>elai avoir
vu a Paris, vint au-devant de nous. Il était
tout effrayé:, nous le rassurantes. La cour
entière, à l'exception du grand-duc et de sa
famille , était a Weimar. La duchesse nous
reçut parfaitement. Je connaissais plusieurs
dames
du général Rapp. 65
daines de sa suite^ dont une est devenue depui»
ma belle-sœ^r. Je les calmai. Chacun reprit
courage. Il y eut bien quelques petits dés-
ordres, mai» ce fyt peu de chose.
Murât s'établit au château. J'allai rejoindre
Napoléqn a Jéna, afin de lui rendre compte
4es événements de la soirée. Il ne croyait pas
qu'on dépasserait Weimar. Il fut extrêmement
satisfait. Le courage de la duchesse l'étonna.
Il n'imaginait pas que cette cour oserait l'atten-
dre. Il ne l'aimait pas, il le répétait souvent*.
La nuit était fort avancée ; il venait de recevoir
des nouvelles du deuxième corps. „Davoust,
,,]ne dit-il, a eu une afFaire terrible. Il avait
^devant lui le roi et le duc de Brunsv^ric. Le»
jPrussiens se s<%nt battus avec beaucoup d'à-.
',charnement : il en a fait une boucherie afîreuse.
' ,Le duc a été dangereusement blessé , et toute
%cette armée parait être dans un désordre
\épouv9ntable. Bernadotte s'<^st mal conduit:
%il aurait été enchanté que Davoust nian/juât
',cette affaire , cpii lui fait le plus grand honneur,
\d'autant plus que Bernadotte avait rendu sa
',position aifficiie. Ce gascon n en fera jamais
\d'autres."
La bataille était perdue. Les Prussiens n'é-
taient plus k la guerre; ils demandaient, ils
invoquaient la paix; ils ne voulaient plus
d'une lutte qui leur réussissait si mal. A force
de désirer une suspension d'armes . ils s'étaient
imaginés qu'elle avait été consentie, Kalkreuth
annonçait, Blûcher jurait qu'elle était conclue;
3ui pouvait refuser d'y croire ? Soult , cepen-
ant, ne donna pas dans le piège. L'imprudente
66
Mémoires
générosité d'AustetUtx ne Tavait pas disposé k
fa confiance. 11 rei^usa de livrer passage aux
troupes cju'il avait coupées. i»La convention
yydont vous parlez, dit-il au feld^maréchal,
,^e8t impossible. Posea les armes , je prendrai
„les orctes de l'empereur , vous vous retireres
„s*il le permet." Kalkreuth ne voulut pas d'un
expédient de cette espèce. Il échappe toujours
quelque chose d'une défaite. Il aima mieux
lessuyer. D'autres colonnes furent plus heu-
reuses; mais ce n'était que partie remise.
Elles furent obligées de rendre les armes qi^el-
ques lieues plus loin.
Le roi lui-même était rebuté de ses dis-
grâces. Il se rappela tout ce que Napoléon avait
fiiit pour éviter les hostilités; il lui écrivit.
C'était un peu tard pour répondre k dés ouvertu-
res qui avaient été si mai accueilies. ,3 ^^^
^mietix valu s'expliquer deux jours plutôt;'
,niais n'importe , ]e veux arrêter l'effusion du
ySang* Je suis^ disposé k mè prêter k tout ce
,€rui est compatible avec la dignité et les intérêts
,ae la nation . J'enverrai Dùroc au roi de Prusse ;
,Tnâis il y a quelcue chose d'encore plus pressé :
,Duroc y partes ae suite : ailes k Naumboùrg^
yk Kôsop, partout oil il y a des- blessés. Aussu-
,res-vous qu'il Tie leur manque rien, voy ca-
bles , visiteir** les de ma part , chacun en parti-
^culier. Donnea-leur toutes les consolations
,dont ils peuvent avoir ^ besoin. * Ditesrleur ,^
,dites au maréchal que lui , que ses généraux,
,c[ue ses tirpupes^ ont acquis pour jamais des
,Qroits à ma reconanissance.^^
Il ne se 4 contenta pas de ce message, il
du général Rapp. ^ 67
écrivit a Desaix combien il était charmé de sa
conduite. Sa lettre &it mise k Tordre du jour»
elle enivra les soldats ; les blésftés même étaient
dans le délire ^
L'empereur porta son quartier-géi^éral k
Weimar. Il eut tous les égards possibles pour
la duchesse , k laquelle il trouva de Tamabilité,
de l'esprit y de grandes manières.
Cependant l'ennemi se ralliait sur Magde-
bourg. Les débris de Jéna , l'armée de réserve,
les troupes de la vieille et de la nouvelle Prusse,
accouraient sur cette place. Le duc de Wurtem-
berg prenait déjà position k Halle ; Bëmadotte
y marcha. . Son corps • n'avait pas combattu a
Auerstaedt; il ne demandait qu'k se dédom-
mager de la part de gloire dont il avait été
privé. Il aborda les rrussiens a baïonnette,
renversa , culbuta tout ce qui se présenta sur
son passage. Le carnage fut alEreux. Le lende-
main Napoléon visita le champ de bataille. Il
fut frappé a la vue des monceaux de cadavres
aui entouraient nos agresseurs et nos soldats ;
s'approcha, et reconnut les numéros du32«.
„J'en ai tant fait tuer, dit- il, de ce régiment-
„là en Italie, en Egypte et partout, qu'il ne
„devrait plus en être question."
Il se' dirigea sur Dessau et traita a merveille
le vieux duc qui y était resté avec soii'fiis. Il
y avait quelques mois qu'un M. de Gussàu,
attaché a la cour de Bade, m'avait dit a Paris:
„yous aures sans doute la guerre avec lea
, ,Prussiens . Si cela arrive et que vous pénétriea,
„cette campagne, jusqu'à Dessau, je vouft
„recomn^ae son respectable souverain, qui
(
68
Mémoires
,yest le père de ses sujets/' M. de Gussau dut
être bien étoiiné de voir que les Français , au
lieu d'aller jusmi'aDessaUy pénétrèrent jusau au
Niémen , et plus tard à vingt lieues au ae là
de Moscou.
• \
du général Rapp. 69
«■™— =— ''■''''■'''=«^*'^^*''*— —— — ' I II. . I . . . UBÎ__|JL_
CHAPITRE XL
Les Prussiens fuyaient partout; mais plus
la fuite était précipitée, plus la poursuite était
ardente. Culbutés a la vue de Magdebourg , ils.
se réfugièrent derrière des retranchements in-
formes où ils furent bientôt forcés et contraints
de mettre bas les armes . La place fut investie . *)
Tous les corps étaient en marche sur la capitale,
et se disposaient a en prendre possession. Napo-
léon réserva cet honneur a celui qaii avait le .
Elus contribué a la Victoire ; c'était celui de
favoust. Voici tes instructions qu'il adressa au
maréchal :
Vittenberg , le aS octobre 1806.
Ordre a M. le maréchal Dav>oust.
„Si les partis de troupes légères , M. le ma-
,,réchal, que vousnaurea pas manqué d'envoyer
„sur la route de Dresde et la Spree, vous assu-
,,rent que vous n'avez pas d'ennemis suir vos
flancs, vous dirigerez votre marche de manière
jy
*) Ce qu^viik bomme d^édncatîon doit surtout éviter , cVst de
faire tuppoter, qnll ii^>n a pas reçu. A cet égard nous
croyons avoir rendu un service à Fauteur en retran-
cbant ici quelque» pbrasês, qui auraient pu lui attirer ca
reproche.
> H OEe de Véditeur aUenum4k
70 Mémoires
„a pouvoir faire votre entrée k Berlin le 26 de
,^ mois a midi. Vous ferez reconnaître le
yygénér^l de brigade HuUin pour commandant
„de la place de Berlin; v0us laisserez dans la
,,ville un régiment k votre choix pour faire le
^service ; vous enverrez des partis de cavalerie
^ylégère sur les routes de Kustrin, deLandsberg,
„et de Francfort sut? TOder. Vous placerez
^vôtre corps d'armée a une lieue et^ une lieue
,,et demie de Berlin, la droite appuyée a la
,ySprée , et la gauche a la roUte de Landsberg.
, y Vous choisirez un quartier général sur la route
„de Kustrin , dans une maison de campagne^
„en arrière de votre armée. Comme TintentioB
,, du l'empereur est de laisser ses troupes quel-
y^quès"^ jours en repos, vous ferez faire des
^baraques avec de la paille 4i^t du bois, Gé*
,,néraux, officiers d'état -major, colonels, et
„ autres, logeront en arrière de leurs divisions
dans les villages, personne a Berlin; l'artillerie
sera placée dans des positions qui protègent le
• y^camp; les chevaux a artillerie aux piquets, et
„tQUs dans Tordre le plus militaire.
„ Vous ferez couper , c'est-a-dire intercepter
„le plus tôt qu'il vous sera possible la navigation
„de la Sprée par un fort parti , afin d'arrêter
„tous les bateaux qui de Berlin évacueraient
„siir l'Oder.
„Le quartier-général sera demain a PotsdâMn ;
^envoyez un de vos aides-de^camp q^ui me fasse
connailbre,aù vous. serez- dans la nuit dii 23 au
^4 , et dans celle du 24 au 25.
„Si le prince Fercfin^nd se trouve. a Berlin,
, ,f aites-le complimenter et accordez-lui une gar-
,,de*kvec une entière exemption de logements.
«9
V.
du général Rapp. 71
9, Faites publier aur-le-champ t!ordre de
^^désarmement, laissant seulement six cents
y, hommes de milice pour la police de la ville.
,,0n fera ti'ansporter les armes des bourgeois
,,dans un lieu désigné, pour être k la disppsi-
yytion de VÊÊmée.
,, Faites connaître a votre corps d'armée que
„rempereur , en le faisant entrer le premier a
,3^rlin , lui donne une preuve de sa satisfac-
,^tion sur la belle conduite ,quil a tenue k la
,, bataille dléna.
„Ayea soin (jue tous les bagages, et surtout
„ceux qui sont si vilains a voir k la suite des
,,divisions , s'arrêtent k deux lieues de Berlin,
,,et rejoignent le champ sans traverser la
„capitaie; mais en s'y rendant par un autre
„chemin sur la droite. Enfin, monsieur le
,.,maréchal, faites votre entrée dans le plus
„grand ordre et par divisions , chaque division
„ayant son artillerie et marchant a une heure
,,dje distance l'une de lautre. \
„Les soldats ayant une fois formé le camp,
„ayez soin qu'ils n'aillent en ville que par tiers,
,,de manière qu'il y ait toujours deux tiers pré-
,,sents au camp. Comme sa majesté pense faire
,,son entrée a Berlin, vous pouvez provisoire-
„ment recevoir les clefs, en faisant connaître
„aux magistrats qu'ils ne les remettront pas
,moins k l'empereur quand il fera son entrée.
Mais vous devez toujours exiger que les
,^magistrats et notables viennent vous recevoir
„aux portes de la ville avec Jtoutes les formes
^convenables ; que tous vos officiers soient
„dans la meilleure tenue autant que les circons-
„tances peuvent le permettre. L'intention d«
72 Mémoires
„rempereur est que votre entrée se fasse par
,yla chaussée de Dresde.
„L'eippereur ira vraisemblablement loger
;,au palais de Charlottenbourg: donnes ** des
i^rdres afin que tout y soit préj>Mé.
„I1 y a un petit ruisseau qui se^tte dans la
,,5prée, a une lieue et demie ou deux de Berlin,
^et qui coupe le chemin d'Eu.
Signe ^ le maréchal Bbrthie».
••■
du général Rapp. . 73
CHAPITRE XIL
Nous partimes pour Potsdam. L'orage ilous
surprit: il était si violent et la pluie sr abon-
dante, que nous nous réfugiâmes dans une mai-
son voisine. Napoléon, enveloppé dans 3a ca-
pote grise, fut bien étonné de voir une jeune
femme que sa présence faisait tressaillir : c'était
une Egyptienne qui avait conservé pour lui
cette vénération religieuse que lui portaient
les Arabes. Veuve d'un officier de l'armée d'O-
rient, la destinée lavait conduite en Saxe dans
cette même maison, oii elle avait été accueillie.
L'empereur lui donna une pension de douse
cents francs, et se chargea de l'éducation de
ses enfants, seul héritage que lui eut laissé son
mari: „C'est la première fois, nous dit Napo-
,yléon, que je mets pied a terre pour éviter un
„orage. J'avais le pressentiment qu'une bonne
^action m'attendait la."
Potsdam était intact; rien n'était enlevé,
L'épée du grand Frédéric, sa ceinture, le grand
cordon de ses ordres , y étaient encore. Napo-
léon s'en empara. „Je préfère ces trophées,
„nous dît-il avec enthousiasme , a tous les tré-
,,sors du roi de Prusse. Je les enverrai a nos
„ vieux soldats des campagnes de Hanhovref je
„les donnerai au gouverneur des Invalides, qui
,,les gardera comme un témoignage des victoi-
,,res de la grande armée et de la vengeance
,, qu'elle a tirée des désastres de Rosbach."
Nous étions a peine a Potsdam , que nous
74
Mémoires
fumes assiégés de députations ; il en vint de
Saxe , de Weimar , de partout : Napoléon les
accueillit avec bonté, llenybyé du duc de
Brunswic , qui recommandait ses sujets a la
énérosité française , fut reçu Avec moins de
ienveillance : „Si je faisais démolir la ville de
,Brunswic , si je \\y laissais pas pierre sur
,pierre , que dirait votre prince? La loi du ta-
lion ne m'autorise- 1- elle pas a faire a Bruns-
,Aviç ce qu'il votil^iit faire dans ma capitale ?
jAnnoncer le projet de démolir des villes peut
.être d'un inôensé; mais vouloir ôter Tlion-
,sienne, voilà ce que la postérité aura peine
,a Qi'oire. Le duc n'aurait pas dû se premettre
,un semblable outrage. Lorsqu'on a blanchi
ysous les armes , on doit respecter l'honneur
^militaire. Ce n'est pas d'ailleurs dans les plaines
,de Champagne que ce général a acquis le droit
,de traiter les drapeaux français avec tant de
,mépris. Une pare aie sommation ne déshonore
,que celui qui l'a faite. Ce n'est pas au roi de
,rrùsse qu'en restera la honte , c'est au chef de
,sonN conseil de guerre, c'est au général a qui
,il avait remis, dans ces circonstances diffi-
,ciles , le soin de ses affaires ; c'est: enfin le
,duc de Brunswic que la France et la Prusse
,accuseront des calamités de la guerre. La
,frénésie dont ce vieux général a donné l'ex-
,emple a autorisé une jeunesse turbulante,
,et entraîné le roi contre sa propre pensée et
,son intime conviction. Toutefois, monsieur,
,dites aux habitants du i^ajs de Brunswic
du général Rapp. 75
, , qu'ils- trouveront dans les Français des enne^
y^mis généreux ; .^que je désW adoucir a leur
,,égàra les rigueurs de U guerre , et que le
,,mal que pourrait occasioner le passage des
^ytroupes est contre mon gré. Dites au général
,, Bruns wic qu'il sera traité avec tous les regards
„dus a un omcier ennemi; mais que je ne puis
^reconnaître un souverain dans lui des^énéraiix
du roi de Prusse. S'il arrive que la maison de
Bruns wic perde la souveraineté de sesancê-»
yyt^esy elle ne pourra s en prendre qu'a lauteur
„des deux guerres, qui, dans l'une, voulut
saper jusque dans ses fondements la grande ca-
pitale 9 qui, dans l'autre , prétendit déshono-
rer deux centmille braves, qu'on parviendrait
^, peut-être a vaincre, mais qu'on ne surprenr
,,dra. jamais hors du chemin de l'honneur et
,,de la gloire. Beaucoup de sang a été versé en
„peu de iburs; de grands désastres pèsent sur la
,,m<marcnie ' prussienne. Qu'il est digne de
„blàme cet homme qui^ d'un mot, pouvait les
„prévènir, si, comme Nestor, élevant la voix
„au- milieu des conseils, il avait dit:
„Jeunèsse inconsidérée, taisea-vous; fem-
,,mes, retournez k vos fuseaux et rentres dans
„rintérieur^ de vos ménages ; et vous , sire ,
„crojrea-en le compagnon du plus illustre dç
„vos prédécesseurs. Puisque l'empereur TMa-
„poléon ne veut pas la guerre, ne le places pas
„entre la guerre ^t le déshonneur : ne voùsen-
„gàge8 pas dans une lutte dangereuse avec une
„armée qui s'honore de quinae ans de travaux
„glorieux , et que la victoire a accoutumée k
9, tout soumettre. '
,,Au lieu de tenir ce langage qui coitvenait
76 Mémoires
ê
,,si bien a la prudence de son â^e et a Texpé-
,,rience de sa fongue carrière , il a été le pre-
^yHiier a crier aux armes; il a méconnu jus-
^^qu'aux liens du sang en armant un fils (le
,, prince Eugène de Wurtemberg) contre son
y^père; il a menacé de planter ses drapeaux
„sur le palais de Stuttgardt; et accompagnant
„s'es démarches d'imprécations contre la France,
„il s*est déclaré l'auteur de ce manifeste insensé
,, qu'il avait désavoué pendant quatorze ans,
yyquoiqu il n'osât pas nier de Tavoir revêtu *de
99sa signature/^
Spandau vei;iait de se rendre au maréchal
Lannes. Napoléon la visita en détail, et m'en-
voya a Berlin , où Davoust était entré, compli-
menter de sa part le vieux prince Ferdinand
et son épouse. Le prince était triste et abattu,
' il venait de perdre soii fils; la princesse parais-
sait plus calme et plus résignée. J'allai égale-
ment complimenter la princesse Henry*, et la
sœur de la majesté prussienne , la princesse de
Hesse. La première parut fort sensible k la pré-
venance de Napoléon ; la seconde était retirée
dans une aile du château , où elle vivait tran-
quille avec ses petits-enfants, La position de
cette princesse m'inspira beaucoup d'intérêt,
et de vénération. Elle parut rassurée. £lle
me pria néanmoins de la recommander a Na-
poléon, qui alla lui rendre visite aussitôt
qu'il fut arrivé. Elle lui i^ispira les mêmes
sentiments.
L'empereur porta son quartier* général k
Charlottenbourgé II fit son entrée te lende-
itiain dans la capitale , et adressa a l'armée la
proclamation qui suit.
du général Rapp. T7
„ Soldats!
..Yous aves justiBé mon attente et répondu
,, dignement a la .confiance du peuple français;
jfVous avex supporté lés privations et le fa-
,,tigues avec autant de coorage que vous aves
„montré d'intrépidité et de sang-froid au mi-
„lieu des comhats. Voua létes les dignes dér
,,fenseurs de l'honneur de ma couronne et de
„la gloire du grand peuple. Tant que vous
„8ereB animés de cet esprit, rien ne pourra
,,vou9 résister. Je ne sais désormais à quelle
„arme donner la préférence... Vous êtes tou»
„de bons soldats. Voici le résultat de nos .
,.trayaux.
„Une des premières puissances de l'fiurope,
„qui osa naguère nous pro|)oser une honteuse
„capitulatioa , est anéantie. Les forêts , les dé-
,, filés de la Francouie, la Saale, l'Elbe, que
,,nos pères n'eussent pas traversés en aept ans,
„nou8 les avons traversés en sept jours, et livré
„dans l'intervalle quatre combats e). une grande
„bataille. Nous avons précédé à Fotadam, a
„Berlin, la renommée de nos victoires. Nous
„avons fait soixante mille prisonniers, pris
,, soixante- cinq drapeaux, parmi Itaquels ceux
„des gardes du roi de Prusse, six cents pièi
„ce3 de canon , trois forteresses, plus de vingt
„généraux; cependant plus de la moitié de
„vou9 regrettent de n'avoir pas tiré un coup
„de ftisil. Toutes les provinces de la iiionar-
„chie prussienne jusqua l'Oder 301R en notre
„pouvoir.
,, Soldats, les Russes se vantent de venir k
78
Mémoires
,,leur épargnerons la moitié du chemin ; ils re-
;,trouveront Austerlitaau milieu de la Prusse.
„Une nation qui a aussitôt oublié la générosité
9,dont nous* avons usé envers elle après cette
4, bataille où son empereut, sa cour « les débris
„de son armée, n'ont dû leur salut qu'k la ca-
„pitulation que nous leur avons accordée, est
,,une i|ations qui ne saurait lutter avec succès
y,cohtré nous.
^Cependant, tandis que nous marchons au-
^/devant des Russes , de nouvelles armées , f<»r-
y,mées dans l'intérieur de l'empire, viennent
„prfendre notre place pour garder nos conquêr
,,tes. Mon peuple tout entir s'est levé honteux
„de la honteuse capitulation que les -ministres
y,prussiens, dans leur délire, nous ont proposée.
„Pios routes et nos, villes^ frontières sont remr
plies de conscrits qui brûlent de marcher sur
yos traces. !Ncmi9 ne serons plus désormais les
„îouets d^une paix traitesse , et nous ne nose-
reiis plus les arihes que nous n'ayons, onligé
les Anglais^ ces éternels ennemis de notre na-
tion , a renoncer au projet de troubler le cour
,,tinent, et k la tyrannie des mers.
„Soldats , je ne puis mieux vous exprimer
„les sentiments que j'éprouve pour vous qu'en
,idisant que je porte dans mon cœur l'amour
9ique vous me montres tous les jours.''
M
»♦
f»
f>
♦»
du général Rapp, 79
CHAPITRE XIÏI.
S
Napoléon se rendit ensuite au camp et pas-
sa la revue du troisième corps ; tous ceux qui
s'étaient spécialement 4Mtingués reçurent des
' grades ou des décorations. Les généraux , les
officiers, sous-officiers , furent appelés autour
de sa personne. ^^Jai voulu vous réunir, leur
^, dit-if, pour vous témoigner toute la satisfac-
„tion que mlnspire la belle conduite que vous
-„ave35 tenue a la bataillé du 14, Jai perdu
,^des braves; ils étaient mes; enfants, le le»
,, regrette ; mais enfin ils sont morts au cnamp
y^dnonneur, il» sont morts comme de vrais
„soldats! Vous m'avea rendu un -service sig-
„nalé dans cette circonstance mémorable : c'est
„surtout a la brillante conduite du troisième
„coips que sont dus les grands résultats que
^,nous avons obtenus. Dites a vos soldats que
,,j'ai été satisfait de leur courage. Généraux,
^officiers ,. sous-officieurs et soldats , vous avez
„tous acquis pour jamais des droits a ma re-
^connaissance et a mes bienfaits/V Le maré-
chal lui* repondit que le troisième corps serait
toujours mgne de la confiance , qu'il serait
constamment pour lui ce que la dixième lé-
gion avait été potir César.
M. DenoR assistait a cette scène d'émotion;
peut-être son pinceau en consacrera - 1 - il le
souvenir: mais quel que soit son talent, il ne
peindra jamais 1 air de satisfaction et de bonté
répandu dans les traits du souverain; ^i le
80 Mémoires
dévoaement/ la réc^onnaissance dessines sur
toutes les figurés, d.epuiscéfUe du maréchal
jusqd'k dblle du' aefnier des soldats.
Lift* proclkii/^àtion que 7f apoléon avait adres-
sée aux tèoiipes les avait remplies d'une nou-
velle aWeur*; elle àfe ^précipitaient a la suite
des débris de HaAé^ et ïe Jena.^ Le prince de
Uohènl^he en Wait"fallié une masse considé-
rable , avec ïàqùéllej il.eût pu nous échapper:
il ne fit paâ asses'd^ diligence, il perdit du
temps/ Ces retards nous rendirent Tespérance
dé* le vdîir * fcotipé : INapçleôn 'rattendaît impa-
tie;nmeni. \fierii?Aotle, me dit-il pendant que
^,nou$ nous installions au p^]i^,i9 j doit être k
,,cette' héure'^tf 'Crertien. Il aura stirement dé-
„bordé lés Prussie Anes; Murât les poussera avec
^ „son impétuosité^ ordin^ii*e : ils ont a eux deux
,,plus de monde 'ifu'ii n'en faut' pour les preh-
,,dre. Jauraî; d'ici a'^quelqùés jours ^ le prince
„de Hohenlohe avec tout son corj>s , et bientôt
„après ce qui leur reste d'artillerie et d'équi-
,,pages ; mais il faut de lensenlble : il n Vst p^s
,,présumable qu'ils se laissent prendre sans sa
„battre/* ^" / ' ' ^^\ ^^ ", ' . .
Tout se passa^ comme Napoléon l'annonçait:
les Prussiens, ébranlés par la cavalerie et la mi-
traille, furent sommés parole général Belliard,
et mirent bas les armes. Vingt-cinq mille honi-
mes d'élite, quarante-cinq drapeaux, soixaute-
quatorxe pièces d'artillerie, défilèrent devant
là cavalerie française: c'était une deuxième
{'ournée d'Ulm. L'empereur fut charmé d'un si
)eau résultat: „ C'est bien, dit-il; mais il reste
„encore ce Blûcher si habile a improviser des
„arinistices ; il faut qu'il vienne aussi. „Ét il
écrivit
i
di\ ffénéral Rappt 81
^^ecrivitde suite a Murât: ,J1 n^ a rien de fle^it
„tiint qu'il reste à faire : vous avea débordé la
„cavalerie du général Blûcherj que j'apprenne
,,bientôt que ces troupes ont éj>rouv6 le sort de
„celles de Hohenlohe." Berthier lui écrivit
^,aussi pour lui recommander le duc de Weif
mar: ^Indépendamment des petites colonnes
„égarées> il y en a trois principales: celle du
^prince Hohenlohe ^ oue vous avex prise a
„rrentalow; celle de Bmcher , qui, le 28 a la
I, pointe du jour> a quitté Wessenberg > et cru«
,,vous aurea siir,ement rencontrée aujourd'hui
,,a Pasewalck : enfin , une tvoisième du duc de
,,Weimar, quia surpris a M. le maréchal-Soult
,,le passage de l'Elbe^ qii'elle a passé, k ce qu'il
^paraît, du côté de Saudon etd'navelbergle26^
„d'oùelle s'est dirigée par Wusterhauâen> Neu*
,,ruppin , Grausée ou par Fiirâtenberg. Or^
,,d'Havelberg a Fûrstenberg, il y a vingt-cinq
,4ieuesj le duc de Weimar ne peut donc pas
„être a Fûrstenberg le 28 1 mais de Fûrsten*^
„berg a Pasewalck, il y a vingt lieues; et si
„la colonne ennemie prend cette route, Vous
„la renconterez sûrement a Pasewalck dans la
journée du 50 et du 51* Ainsi il est a présu-
,,mer que rien n'échappera entre Vous ^ les
^maréchaux Lannes et BernadottCi l*els sont
„les renseignements que je puis vous donner
„d'après les rapports parvenus a l'empereur."
Mais le duc se lassa de partfiger les disgrâces
des armées prussiennes ; il Aegocia et re mit
ses troupes a Bllicher, qui, tout occupé de
fuir , ne s'inquiétait pas trop de savoir où il
allait t son itinéraire déconcertait Napoléon*
„Que se propose-t-il ? où va-t-il ? Je ne le
6
il
82 Mémoires ♦
yyConçois pas de se jetter dans le Holstein : que
^yfera-t-il, une fais dans ce cul-de-sac? Il ne
„yeut pas repas&ep UEji^e ; il. serait acculé, noyé :
„il ne songe pas % uries96mblable tentative. Il
i^era bientôt' ici/^ Djnnit'eneiFét bas les armes
^quelques jours* ^^s. Il avait çpuru toute la
Prusse, violé le' t^ritpifl^e danois, pour rendra
quelques jours • pi us t. tardiMingt a vingt-cinq
mille hommes j^ Je^j^j^^p^àux et «le^ <^)^niers
jittelac^es de l'arwée |)ri^$sîjen|K^., Avec un peu
plus oie capacité Vi ileût tir.é i|i,LeiJileur p^r^i de
son obstination. >, 4 lafbrt^nïiét ^fjLire^.4it]yapa-
,yléon en apprenant ce succès. Les voila en
^avance avec les Autrichiens : ils seront jîlus
^réservés a l'avenir ; ils ne parieront plus d'U Im :
„en trois semaines ils Vont renouvelé quatre
„fois. Il faut envoyer Blûchcren France, aDi-
„jon. Il y forgera a loisir des suspensions d'ar-
ômes. Écrives au général Bêlliard:^^
Berlin, le i3 octobre 1806.
M* le général BeUiard, tihef de Pétat-major général de la
réserve de cavalerie.
„L'intention de l'empereur, général, est que
^J'on porte le plus grand soin k ce que tous les
^prisonniers provenants dé la colonne du gé-
néral Blucheret du duc de Weimar se rendent
comme prisonniers en France. Sa majesté veut
y, que tous les généraux et officiers se rendent
également en France ; M. le général Blûcher
„8erà conduit par un biBcier k Dijon : le jeune
1>
du général fiapp^
83
y^prince de Brunswic sera aussi conduit par
9,un oiHcier a Châlons-sur-M&me; Tous les au-
fytres officias seront diri^es^' ttix ^ les^ différents
fypoints de la France- désignés pir 4e'Wiinsire
,iDejean peur les prisonnière^ de gueiire/*
"^INous laissâmes dicter^ ta i dépêche. 'Quand
elle fut écrite» nous ckei^^hàmes a Tadoucir en
faveur de cet officier. Nous lui f aprésentâmes
qu'il avait mis bsCs les armes , qtl^il n'était pas
dangereux, 'qu il ^ fallait donner quelque chose
a ses habitudes de hussard 1 il ^n convint , et ,
Blûcher se retira à Hambourg. ' ^ ^ '
' »
1 i
*>
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/
84 'Mémoires
tfse
Le prinie Ifatzf^ld était venu k Potsdam,
comme déi>uCé dé'fla vilte de Berlin , et avait
été bien reçu/ Il^fèridït Compte de sa mîssioa,
autant que je^p^is^ftie rappeler, au comte de
Hohenlohe, et lin dontia des détails sur les
troupes, les ^piècei, les muiiitions cpii seî
trouvaient daâi^ ïa capitale , ou qu'il avait ren-
contrées sur ta routfe; sa lettre fut interceptée.
Napoléon *ie la^eriiit, avec ordre de le faire
arrêter •sui^le-chattrii[) , ^et de Renvoyer au quar-
tier-général du mai^<;hui*<Davoust,. qui était à
deux lieues de là. Bcrthier, oDuroc, Caulin-
court et moicherchâmed vaineiiïen%alecalmer;
il ne voulait rien «entendre. M. de Hat;sfeld
transmettait des détaiisy ^desîji'eiiseignements
militaires, qui n'avaient rien de commun avec
sa mission : c'était • > évidemment un , délit
d'espionnage. 8avary, qui,>^n^sa •qualité de
commandant de la gendarmerie impériale,
était ordinairement chargé • de oei/ «ortes
d'affaires, était en mission .^3 Je fus obligé Ae
suppléer a son absence. J'ordonnai l'arwstA-
tion du prinde ; mais au lieii de le faire conduire
elles le maréchal, je le plaçaiidansla chambre
de lofficier de garde du palais^; que je chargeai
de le traiter avec les plus g;rands éffards.
Caulmcourt et Duroc quittèrent 1 apparte-
ment. Napoléon, resté seul avec Berthier,
lui dit dé s asseoir pour écrire Tordre en vertu
duquel M. de Uatsfeld devait être traduit
\
i
du gméral Happ. 85
devant une commission Tnilitaire. Le majof<-
général essaya quelques représentations. „ Votri
,,inajesté ne peut, pas faii:e fusiller un homm«
,,qui^ appartient aux prefmères , familles de
„BerTin, pour aussi peu dé chose; lasupposi-
9 ,tiôn est im^^ossible , voufi^ijiei^ le>^ voulez pas/ '
L'empereur s'eitiportdt^^avtinllaget. m Nétifchâtel
insista; Napoléopuioei^it pa(ienoa; Berthier
sortit. <J)efus appelé: j'aViOLiSr^ptendu la scène
qui venait devoir liou^,|e xple gardai bien djà,
hasaràerrlâ jxiôindzié réflexioa. J'étais au suppli-
ce: loutre leDdésagréinH^Pî d'écrire un ordre
aussi 4B^ère , il fallait aller aussi vite que la
parole, et j-av.oue que je nai jamais eu ce
taleat-là ; il me dicta littéralement ce qui suit :
, ,Notre cousin le maréchal Davoust nommera
,,une comonisfiion militaire composée de sept
9, colonels de 54m corps d armée, dont il sera
, ,]>résident,tafinde faire j Uger, comme convaincu
9,de trahison ^d'espionnage , te prince de Hats-
9,£eldé •
„Le jugement jsera rendu et exécuté avant
„six heure^s du soir/*
Il était éiïviron midi. Napoléon m'ordonna
d'expédier sur-le-ïchamp cet ordre, en y joignant
la lettre du prince de Hatafeld; je n'en fis rien.
J'étais néanmoins dans une transe mortelle;
je tremblais pour le prince , je tremblais pour
moi, puisqu'au lieu de l'envoyer au quartier-
général je 1 avais laissé au palais.
Napoléon demanda ses chevaux pour aller
faire visite au jirin ce etkla princesse Ferdinand.
Comme je sortais pour donner ses ordres, on
m'annonça que la princesse de Hatafeld était
tombée évanouie dans l'antichambre , qu'elle
S6 Mémoires
désirait m« fyaiier. J'allai a elle, et ne lui
^issimiiUi pas la colère de IVapoléon. Je lui
dis que iiéus allions monter k chev^, et lui
conseillai de nous devancer sches le prince
Ferdinand,: pour l'intéresser au sort de son
mari. J'ig«uo¥e si elle eut recours à lui ; mais
elle* s(^ *tvouva dans> un des corridors de soù
yalai^ , et se jeta tout éjplorée aux pieds de
ierniîereur/à-qup je* décimai son nom.
-Elle é()âit enceinte. Napoléon patut touché
ae sa Mtuatimi , et lui dit de se rendre ati ohâ^
teauf en même temj>s*il me chargea d'écrire
\^ Davoust de «uspendre le jugement ; ^ croyait
M. de fiatafeld partie ^
IXà^poy&it'renl^a âiu) palais v où madame ^e
Hat^feld l'attendait; il lafitehtterdansle salon»
où je restai; ^Yotre mari, lui dit-il avecixynté,
^, s'est mis ^ans »uti cas fâcheux; d'après nos
,,lois il a mérité Umoi^. <7énàr$il>j|^ap|>, donnes-
,,moisa lettre^ 'Voyex, liaez; mâdïinie/' Elle
était toute tremblante. ^ Napoléon reprend
aussitôt la lettre, la déchire.^ la j^tte au feu.
„Je n'ai j^lus de preuve , madame; votre mari
„a sa grâce. ^^ Il me donl^a ordté de le faire
revenir sur-le-^champ du quartier-général ; je
lui avouai que je ne l'y avais pas envoyé; il
ne me fit pas de reproche , il paurut même en
être satisfait.
Berthier, IKiroc, et Caulincoàrt, se con«
duisirent dans cette circonstance comice a leur
ordinaire, c'est-k-dire comme de 'braves gens,
Berthier surtout. ?
A peine le prince de Hatzfeld fut-il de
retour dans sa famille qu'il sut tout ce qui
s'était passé. Il m'écrivit • — *--**re qifi peint
du général Rapp^ 87
sa reconnaissance et les émotions dont il était
agité. La voici: • - ; »
, ^^Mon général^ j» kh
♦ s ai
,;Au mili^i des sentinikenAs^de toute espèce
„que j'ai éprpuyés daas lat)ôuri»ée d'hier» le»
^,marque8 ae- votre sçnsibiUté:,^dè votre intérêt,
,,n ont pas échappé a ma r^Qj^naissance:; mais ^'
^,hier au soir j'appartenais tout entier au bon»
^yheur de ma Emilie ,- et je ine pws-m'acquitter
„qu aujourd'hui envers vo.us. m
„Crojea,.aure^ta5 ma^^énéral, qu'il est
,,des moments dans la vie d^tle souvenir est
^/ineiFaçablef'OstvStiJâ pri>fQiide retonnaissance,
,,restime d'un-homniiQ>d$i[ bien peuvent être de
, ^quelque ^rixb vos ^yeux , voais devea être ré^
,,compense de rintéirét que vous m avex montré.
• ,^Agréea Tassurai^ce de oua haute considé-
,, ration et^de ^tou^snlas sentiments qui m'atta^
^ ^ychent a votive soJLiveiiir;r '-.
J'ai rhénneu^ d^éte^,
. • „%^n,g^éral, ./
9^àtl^i^très humble et très obéissant serviteur,
". •erlîiiy le 3o ifi|tobra f8o6»i
On vit/ bientôt arriver k Berlin des envo-
yés de; presque (toutes les cours d'Allemagne,
qui venaient réclamer pour leur prince la
bienveillance de INapoléon. La duchesse de
Weimar nous députa un certaiai M. de MûUer ^
qui demandait une déduction d'impôt et le
retour du* duc , qui était , je crois , k Ham-
88 Mémoires
bou]*g. L'empereur ne iut pas^ content des for*
mes. du diplomate; il le trouva ennuyeux et
me le renvoya, „J'ai, me dît-il, chargé TfiUey-
,,rand de t'adresser ce monsieur^-lk, pour que
„tu arranges les petites affaires de la cour de
„Weiniar.'^ Il ne voulut pas entendre parler
du 4^^ j contre lequel il était a^ussi courroucé
qu il était bien disposé en faveur de la du*
, ohesse^ . Il se calma néanmoins et traita celle-
ci de cousine^ ce qui était alors quelque chose.
Son altesse reçut l'autorisation de rentrer dans
ses états. Il demanda a son passage d'être pres-
sente k Napoléon, mais ce jour-la même nous
Sartimes pour la Pologne. Il me fit Thonneur
e m'écrire pour me remercier de, ce ^ que j'a-
vais £ait pour sa famille. Je crois que je lui
avais eiFeotivement rendu quelques services.
Je lui en rendis - encore quelque temps après»
comme on \^ verra plus tard. Au reste, voici
sa lettre r je cite ces sortes de pièces, autant
parce qu'elles peignent l'époque que parce
qu'elles sont hanpra|>les pour celui , qui les a
reçues,
^Pénétré de la plus vive recommissance pour
yytoutes les bontés que vous avea bien voulu mar-
„quer a itia famille , pour les sentiments d'un
«^intérêt noble que vous avea prouvés a celle-ci,
,, J'étais très empressé de vous en protester de
,fvive voix le témoignage, et de vous dire en
.„même(eiups, monsieur le général, que la
i,duche6se m'avait chargé tout particulière-
f ^ntei^t de vous dire comnien grande est les*
du général Rtipp,
89
„time quf'elle vous a vouée. Malh^reusèment
„le départ précipité de ^a majesté l'empereur
,,et roi m'empêche de vous prét^enter aujjôur-
,,d'hui mes hommages personnellement. Mais
„ j'ose me flatter que Vépoqufe ne sera pas
,yéloignée où je jouirai de Pavahitage de vous
,, assurer de Houche qute la considération 'feute
^particulière que fe vous porté' est inaltérà-
.^ble, et que je ne cesserai olètrè^àvec ce sen-
^timént, * *^
^Monsieur,
^Yotre très humble et très obéissaniserviteu^,
Beirlin/Ie s4 novembre lÔoél * •'<*!'
.5
^^A
• *
f •
V J
)
90 Mémoires
V
CHAPITRE XV.
L'électeur de Hesse voulait aussi traiter:
mais l'empereur était si .courroucé contre ce
prince cjuil ne reçut j>as son envoyé: „Quant
„a celui-la, dit-il, il a fini de régner.** .
Magdebourg ouvrit ses portes au maréchal
Ne j : on apporta avec les clefs une j>etite cas-
sette cfui renfermait des objets précieux appar-
tenants, disait-on, a cet électeur. Ils avaient été
trouvés dans la place.
Colbert, Custrin, Stettin, capitulèrent. Le
^and duc avait détaché la cavalerie légère de
Jrrentzlow; elleseprésente inopinément devant
la place. Le jour baissait. 'Le général Lasalle
annonce que des troupes le suivent , que l'ar-
mée prussienile a capitulé. Il somme , menace,
intimide le gouverneur ; il l'armène à des ou-
vertures. Le général Bélliard arrive , i^rusque
la négociation, et déclare que si clans une heure
la place n'est pas rendue , il l'inonde de pro-
jectiles. Les Prussiens prennent l'alarme; il»
imaginent que l'armée , que le parc , que tout
est prêt k les foudroyer , et livrent leurs mu-
railles k «os hussards . C ustrin fit encore mieux .
Nos troupes faisaient leur mbuveitient pour
franchir l'Oder; elles rencontrent, chemin fai-
sant, quelques centaines de Prus^siens. qu'elles
dispersent; la place tire sur elles, des boulets
tombent dans nos rangs. Le général Gudin lui
signifie que , si elle ne cesse pas un feu inutile,
elle sera mcendiée sur l'heurCi Le gouverneur
du général Rapp.
91
♦ J
»r
effrayé propose des arrangements; on refuse,
on répond qu'il n'y en a j)oint*afairet il insiste;
mais le général avait continué sa marche , il
n'y avait personne pour le recevoir. On court
avertir le général^ Petit, qui se trouvait a une
assea grande distancer le parlementaire s'obsti-
nait toujours affaire des arrangements, ,,A quels
,, arrangements voulezrvous que j'entende? lui
,, répondit gravement le général ; mes instruc*-
"^^tions sont précises : si la place n'est pas rendue
,,dans deux heures , j'ai ordre de^la foudroyer.
„0n prépare les batteries ; quatre-vingts mor-
„tiers ou obusiers vont tout a l'heure vomir le
„fer et la flamme sur vos remparts. Voici le
, ^colonel d'artillerie (c'était au contraire celui
du quatre-vingt-cinquième de ligne qui arri-
vait) ; vous allez voir si j'exagère. Vos pièces
,,sont-elles placées, colonel, vos dispositions
^achevées? — Tout est prêt, général; je n'at-
^,tends que vos ordres . — Suspendez un instant^
^,monsieur apporte des paroles de paix. Vous
„le voyez, dit-il k l'officier prussien, votre ville
„touche a sa ruine; évitez-lui des malheurs qui
,,ne changeront pas la face des affaires. Abattue
„ou debout, nous n'en pousserons pas moins
,,nos avantages: la capitulation ou le siège, peu
„m'importe; choisissez, mais choisissez vitéi.
„Je ne veux, du reste, traiter qu'avec le gou-
„verneur." Celui-ci parut bientôt sur l'Oder.
Le général GauthierallaTecevoir le gouver-
neur et le conduisit dans une maison voisine;
le général Petit les joignit, et la cajritulation
fut signée. Quatre mille Prussiens, qui regor-
geaient de vivres et de munitions , mirent Jbas
les armes devant un régiment d'infanteiie qui
92 Mémoires
ne les sommait pas , .qui ne pouvait aller a eux.
De tels homtnes avaient droit de nous deman-
der de repasser le Rhin : notre voisinage était
trop dangereux.
Napoléon envoya Dutoc au roi de Prusse;
mais personne ne croyait a la paix. •
Comme nous nous promenions , Caulincourt
et moi 9 dans la cour du château , nous vîmes
arriver a nous un grand jeune homme blond
très simplenvent vêtu ; il nous salua: c'é^tait le
prince Paul de Wurtemberg. Il venait de quit-
ter Tarmée prussienne, où il avait servi contre
la volonté de son père , av^c Içquel il était fort
maLainsi qu'avec Napoléon. „Que, vient, faire
ici votre altesse?" lui demanda Caulincourt.
Il répondit qu'il désirait rentrer dans les bonnes
grâces de Tempereup, et pria ce général de
['annoncer. Le duc de Vicence y consentit;
mais Napoléon ne voulut pas recevoir le prince :
il le fit arréjter et conduire par un officier de
gendarmerie dans les états du roi son père,
où il fut détenu pendant plusieurs années* Cau-
lincourt fit t^ut au monde jiour adoucir sa capr
tivité.
Le quartier-général fut transféré a Posen ;
l'insurrection qui s'était manifestée dès que nos
troupi^s avaient paru éclata avec une nouvelle
force. Kalisch avait désarmé la garnison prus-
sienne; une foule de places suivaient cet exr
emple : ce n'était qu'imprécations contre les au-
teurs du partage. Les villes, les villages, Var-
sovie même , quoique occujiée par les Busses,
envoyaient des députations , demandaient que
rindéj>endance de la Pologne fût proclamée.
„Jele voudrais bien, me dit Naj^oléoi^i; mais
du général Rapp. 93
^4^ mèche une fois allumée , qui sait oii s'ar-
„rêtera rincendie? Mon premier devoir esten-
„vers la France ; je ne dois pas la sacrifier ^ la
,, Pologne: il faut s'en remettre au souverain
y,qui régit tout , au temps ; lui seul nous ap-
„prendra ce que nous aurons a faire."
Durocnous rejoignit a Posen. Nous partîmes
„pour Varsovie : le grand maréchal verse dans
ce trajet , et se cassa la clavicule. Na]>oléon en
fut très affecté. Duroc a toujours été pour lui
un homme presque indispensable ; il a constam-
ment joui de la plus haute faveur et de la plus
rande contîance : il le méritait a tous égards.
1 était difficile d'avoir plus de tact, d'esprit de
conduite , d'habileté, et en même temps plus
de modestie : son dévouement était illimité ;
il avait le cœur, droit, il était honnête homme :
on ne pouvait lui reprocher que là crainte de
déplaire et une excessive timidité.
INous arrivâmes enfîp dans la capitale de la
Pologne ; le roi de Nai)les nous y avait j^récédés
et en avait chassé les. Russes. Napoléon fut reçu
avec enthousiasme; la nation croyait toucher
au moment où elle allait renaître; elle était au
comble de ses vœux. Il est difficile de peindre
la joie des Polonais et le respect qu'ils avaient
pour nous. Nos' soldats étaient moins satisfaits;
ils montraient surtout ime vive répugnance k
passer la Vistule. La misère, l'hiver, le mauvais
temps , leur avaiefit inspiré pour ce pays une
extrême aversion : c'étaient des plaisanteries
continuelles sur la nation , les épigrammes ne
tarissaient pas. Ils n'en battirent pas moins les
Russes dans les boues de Nasielsk, a Goljmin,
a Pultusk, et plus tard à £ylau.
94 Mémoires
A une revue où les Polonais se pressaient
sur nos troupes , un soldat se mit a )urer tout
haut contre le pays et le mauvais temps. ^^Vous
,^yea bien tort , lui dit une demoiselle» de lie
^pas aimer notre paji^^ .car nous vous aimons
yybeaucoup. — Vous êtes fort aimable , luiré-
f^pliquale soldat; mais si vous voulez que je
«yVous croie . vous nous fere^ faire un bon di-
t,ner a mon camarade^ et a moi/' Les parents
delà jeune personne emmenèrent eiiectivement
les deux soldats; et les traitèrent.
C'était surtout au spectacle que la troupe
se donnait beau jeu. La toile tardait un soir a
se lever; un grenadier perdit patience : „Coi|i-
„mencex donc, messieurs les relouais, cria-t-il
„du fond du parterre; commence» donc, ou je
„ne passe j^as la Vistule." ' .,
M. de Talleyrand s'embourba avec sa voiture
à quelque distance de Varsovie et resta une-
douzaine d'heures avalit de pouvoir s'en tirer.
Les soldats, d'assez mauvaise humeur, demandè-
rent qui c'était. „Le ministre des relations
^extérieures ,** répondit quelqu'un de 3a suite.
9,Que diable aussi vient-il faire delà diplomatie
%,dans un pajs de cette espèce ?" ^ *
Quatre mots constituaient , pour eux , tout
l'idiome polonais ; Klebq! niema; pota? sara:
du pain f il n'y en a pas ; de l'eau ? on va en
apporter. C'était Ik toute la Pologne.
Napoléon traversait un joiu: une colonne
d'infanterie aux environs de Nasielsk., oii la
troupe éprouvait de grandes privations a cause
des boues qui empêchaient les arrivages. „Papa,
„kleba?'^ lui cria un soldat. 9,Niema,*' répondit
du générfd Rapp.
95
rehipereur. Toute la colonne partit d'un éclat
de rire; personne ne demanda plus rien.
Je rapporte ces anecdotes parce quelle»
font voir' quel esprit animait nos. soldats. Ces
respectables vétérans méritaient plus' de recon^
naissance qu'ils n'en ont obtenu.
Napoléon s'amusait de ces plaisanteries , et
riait quand on lui parlait de la i*épugnance de
I armée a passer la Vistule. Quelques généraux
auguraient • mal de sa situation morale , et s(?
plaignaient de voir le dégoiit succédera l'enthou-
siasme. „Leur avea-vous parlé de Venhemi?
„Sont-elles sans élan quand elles l'ai^erçoivent ?
„Ces^ens-ra, me dit -il ensuite, ne sont pas
„f ait pour apprécier mes troupes ; ils ne savent
„pas qu'elles bouillent dès qu'il est question
,.ae Russes', de victoire: je vais les réveiller.**
II appela un secrétaire^t lui dicta la proclama-
tion suivante :
„I1 y a aujourd'hui un an , à cette heure
„même, que vous éties sur le champ mémorable
„d'Austerlita : les bataillons russes épouvantés
), fuyaient en désordre , ou envelçjjpés rendaient
^yles armes a leurs vainqueurs. Le lendemain
,'41s firent* entendre des paroles de paix; mais
,yelles- étaient trompeuses : a peine échappés,
„par TeiFet d'une générosité peut-être condam-*
,,nable, aux désastres de la troisième coalition,
,,ils en ont ourdi une quatrième ; mais l'allié sur
la tactique duquel ils {bndaientleur principale
espérance n'est déjà plus : ses places fortes, ses
),capitales, ses magasms, ses arsenaux, deux
»
99
96 Mémoires
„cent quatre-vingts dra|)eaux, sept ceutd
„pièces de bataille, <^inq grandes places de
„guerre, sont en notre pouvoir. L'Oder, la
„Wartha, les déserts de laPologne, les mauvais
jjtemps dé la saison , . n'ont pu vous arrêter un
„moment; vous avea tout bravé, tout sur*
„inonté; tout a fui a votre approche. C'est en
„vain que les Russes ont voulu défendre là
^capitale de cette ancienne et illustre Pologne i
„raigle française plane sur la Vistule. Le brave
„et infortuné Polonais, en vous voyant, croit
„revoir les légions de Sobieski de retour de'
„leur mémorable expédition.
„Soldats ! nous ne déposerons pas les armes
„que là paix générale nait affermi et assuré la
„puissance de nos alliés , n'ait restitué a notre
„commerce sa liberté et ses colonies. Nous
„avons conquis sur l'Elbe et l'Oder Pondichéry^
„nos établissements des Indes, le cap de Bonne*
,, Espérance et les colonies espagnoles. Qui
^donnerait le droit aux Russes de balancer
„les destins? Qui leur donnerait le droit de
„renverser dé si justes desseins ? Eux et nous,
„ne sommes nous plus les soldats d'Austerlit» ?"
Les troupes .furent réunies sur la place de
Saxe: c'était l'anniversaire du couronnen^ellt ;
les Russes occupaient le faubourg de Prague.
Ces circonstances , ces souvenirs, cette perspec-
tive de gloire , furent accueillis par de longues
acclamations. On ne songea plus qu'a vaincre ;
toutes les préventions disparurent^ L'ennemi
couvrait la rive gauche, il avait remorqué
tous les bâtiments; un maréchal-des4ogis
brava les lances des Cosaques , et réussit a
s'emparer d'un bateau. C'eil fut assea, l'armée
oppo-
du général Rapp. 97
opposée leva son camp pendant la nuit; nous
Sassâmes sans obstacle. Le Bug nous of&itplus
e difficultés ; sa rive gauche est plate,
marécageuse, disposée pour la défense; mais
Beningsen ne sut pas profiter de ses avantages.
Nous le menaçâmes sur ses ailes, nous re-
mimes a flot les bateaux qu'il avait submergés ;
il hésita, le fleuve fut franchi. Les Russes
revinrent à la charge , ils essayèrent d'enlever
la tête du pont que nous avions élevé k
Okuniew; mais tout avait été prévu : Dovoust
était en mesure , l'ennemi fui culbuté , battu,
obligé de repasser le Wkra.
iàmmmi-im
98 Mémoires
. CHAPITRE XVI.
Cependant le vieux Kaminskî avait pris le
(Commandement de Tarmée russe, il avait
porté son quartier-général a Pultusk. Ses
généraux se concentraient, tout annonçait le
projet de se porter en deçà dii fleuve. Napoléon
accourut pour les déloger; il visita le champ
iretranehé d'Okimiew, reconnut la rivière , la
osition des Russes, et la plaine qu'il fallait
ranchir pour arriver a eux. Couverte de bois,
d'abatis , de marécages , elle était presque aussi
difficile a emporter que les redoutes derrière
lesquelles s'abritaient les Cosaques. L'empe-
reur l'examina longtemps et à j^lusieurs re-
prises : des bouquets de bois lui masquaient la
vue ; il se fit apporter une échelle , monta sur
le faite d'une chaumière , observa la disposi-
tion des lieux, les mouvements qui s'opéraient
a l'autre rive. „C^est bien , nous allons passer;
faites venir un officier.*' Le souschef d'état-
major du 3^ corps se présenta, et écrivit sous
sa dictée les disposition suivantes :
„La première division passeravdai;is l'île,
„et se formera le plus loin possible de l'en-
nemi.
„Tout ce qui appartient a la 3® division res-
„tera dans la tête du pont; ne devant parti-
,,ciper en rien à l'attaque, elle demeurera
„en réserve.
,,0n formera des bataillons avec les huit
„compaguies de voltigeurs, ce qui , avec le ba-
du général Rapp. 99
„taillon du 13* léger, formera trois colonnes;
„ces trois colonnes se porteront dans le plus
„grand silence sur les trois extrémités du ca-
nnai et s'arrêteront au milieu de l'île, de ma-
„nière a être hors de portée de la fusillade ;
j,elles auront chacune derrière elles trois pièces
^,de canon.
„Chaque colonne détachera ses pièces, escor-
,,tées par une compagnie de voltigeurs; ces
„compagnies commenceront la fusillade, se
„covivrant par les haies. Pendant ce temps
„les officiers d'artillerie 2>laceront leurs batte-
„ries, et tireront a mitraille sur les bataillons
„et les troupes que l'ennemi ne manquera pas
„d'opposer au passage.
„0n jettera les ponts sous la protection de
,, cette artillerie.
jjLes trois colonnes passeront; et du mo-
„ment où elles seront placées de Tâutre côté,
,, trois piquets de chasseurs à cheval, chacun
„de soixante hommes , passeront pour charger
,,rennemi, le gagner de vitesse et faire des
,, prisonniers.
„Le 17® régiment passera immédiatement
„après, se mettra en nataille, laissant entre
„chaque bataillon un intervalle de vingt-ctnq
^, toises , en arrière desquelles seront placés trois
,,escadrons de cavalerie légère; le reste de ladi-
„vision passera après et seïormera en arrière."
Nous nous portâmes sur les hauteur^'^qu'oc-
cupait l'ennemi ; nous l'attaquâmes parla droite,
nous l'attaquâmes par la gauche : il ne put sup-
porter le choc , tout fut culbuté. Les troupes
avaient déployé une valeur sans exemple ; Na-
poléon applaudit a leur courage. Il fit appeler
7 ..
s
-»• ••*
.100 Mémoires
les généraux Morand et Petit , auxquels il dit
les choses les plus flatteuses; il voulut que les
corps qui venaient de combattre prissent quel-
que repos , et détacha la division Friant a la
poursuite des Busses. Nos voltigeurs les attei-
gnent a Nasielsk , se jettent sur leur -gauche,
les coupent, les culbutent, leur prennent trois
|)ièces de canon. Ils les suivent au milieu des
)ois , la fusillade s'engage , nous éj)rouvons une
vive résistance; nous n'avions pas d'artillerie,
nous ne pouvions débusquer des colonnes que
les lieux et la mitraille protégeaient. A défaut
de pièces, on recourt a 1 audace; la charge bat;
le 48«, conduit par l'intrépide Barbanègre , se
jette tête baissée sur les masses ennemies , et les
ren\erse. La nuit approchait, elle les déroba
a nos boïnonnettes. rJous ramassâmes une mul-
titude de pièces embourbées sur la route.
Nous avions en vue des masses formidables,
mais elles n'osaient nous attendre; elles fuyaient
l'une vers Goljmin, l'autre vers Pultusk. Je sui-
vis la première avec la division de dragons que
l'empereur m'avait confiée ; le maréchal détacha
Daultane pour couvrir les derrières du 5^ corps,
qv'il savait s'être porté sur Pultusk. Le dégel
étiiit comj^let depuis deux jours , ce qui , dans
la jsaison, est rare en Pologne. Le terrain
qi^ nous parcourions est un fond dargile
entïjpcoupé de marécages; les cljemins étaient
airrei\\; cavalerie, infanterie, artillerie, se
perdaient dans ces fondrières; personne ne
pouvait s[en tir«r qnavec des peines inouïes;
il fallait deux heures pour faire une ])etite
lieue. Des officiers, des soldats restèrent
enfoncés dans la boue 2>éndant tout le temps
v» •:
du général Rapp. lOl
aue dura la bataille de Pultusk. Ils servaient
e point de mire a Tennemi.
La 3« division avait a peine débouché du^
village qu'elle fut prévenue par ses éclaireurs
qu'une ma^se considérable de cavalerie couvi'ait
a quelque distance une colonne d'artillerie et
d'équipages. Le général Priant les fit observer
par des détachements de troupes a cheval , bien
convaincu que cette nuée de Cosaques se dissi-
perait dès qu'elle verrait paraître Tiiifanterie.
En effet, ils s'enfuirent; nous prîmes de
l'artillerie i des munitions, des voitures, des
caissons de toute espèce. Le général, satisfait
de ces avantages, allait asseoir sa position de
nuit, lorsqu'une canonnade terrible se Kt
entendre; c'était le maréchal Lannes qui
chassait les Russes de Pultusk. Nous eûmes
notre tour le lendemain; ils occupaient un
bois, nous voulions les en déloger: nos colon-
nes s'avancèrent, les voltigeurs étaient en tête,
et l'infanterie disposée derrière par éclielons.
L'ennemi opposait une vive résistance ; il nous
aborda, nous chargea a la baïonnette; mais
nos. bataillons le refoulèrent sur ses masses.
Nous restâmes maîtres du champ de bataille;
il était couvert de cadavres et de sacs; les
Russes les avaient jetés pour être plus alertes^
L'infanterie était débusquée, la ça^alerie
s'avançait: j'allai a sa rencontre-et la culbutai:
mais les voltigeurs répandus dans les marais
nous accablaient de balles^; j'eus le bras gauche
fracassé.
J'avais été blessé ^fctiVfois dans nos pre-
mières campagnes aulWmiées du Rhin, sous
Custine, Pichegru, Moreau, Desaix; deux
102 Mémoires
fois sous les ruines de Meipphis, et cUns la
Haute - Egypte sous les murs de Thébes ; a la
bataille d Austerlits et a Golyinin : je le fus
encore quatre fois , comme on le verra par la
suite , a la Moskowa.
De Golymin je fus transporté a Varsovie/
Napoléon y entra le \^^ janvier; il me fit Thon-
neur de venir me voir. „Eh bien, Rapp, tu
,,es encore blessé, et toujours au mauvais bras."
C'était la neuvième blessure que j'avais reçue
a ce bras seulement, qull ajipelait le bras
malheureux. „Cela n'est pa§ étonnant, sire;
„toujours des batailles!" — „Nous finirons,
„répiiqua-t^il, quand nous aurons quatre-
„ving;ts ans."
MM. Boyer et Yvdn me pansèrent en sa
présence. Quand il vit que la fracture était
réelle, il dit aces messieurs: ,,I1 faut lui cou-
„per le bras; il est déjà trop malade , il pour-
„rait en mourir." M. Boyer lui répondit en
riant : . „Votre majesté veut aller trop vite en
besogne; le général est jeune, il est vigoureux,
nous le guérirons." — „J'espère bien, lui
„répUquai-je , que ce n'est pas la dernière
„fois que vous me martyriserex.*'
Na|)oléon partit bientôt de Varsovie pour
la batadle d'Éjlau , et établit son quartier
général a Osterode ; c'est là que je reçus Tordre
'aller prendre le commandement du gouverne-
ment de Thorti , pour achever de me rétablir.
J'expédiais des vivres, de Tartillerie, des
munitions 9 pour presser le si<^!;e de Dantsiô.
Tétais alors la^>n|udence des généraux
Srussiens. Ils m'écmneut, ils me priaient
'intercéder jvonr eux* BluoUer lui-même ne
99
99
du général Rapp, 103
dédaignait pas de solliciter la grâce de sa
majesté lempereur et roi d'Italie. Il devait
d'aoord être conduit a Dijon , comme on-l'a
vu; mais il avait mis bas les armes: qu impor^
tait qu'il fût a Dijon ou ailleurs ? On lui per-
mit de se retirer a Hambourg. Il s y ennuya
bientôt et demanda a se rapprocher de Berlin.
Voici sa lettre :
^^Mon^ieur le général^
j, Votre excellence se rappellera peut-être
,,que j'ai eu Thonneur de faire votre connais-
,,sance, il y a quelques années , à votre passage
,,a Munster; et les témoignages d'attention que
,,vous avea bien voulu me donner alors me
,,font espérer que la situation malheureuse dans
,, laquelle je me trouve actuellement ne vous
,,sera pas absolument indifférente. J'ose ainsi
,,m'adresser a votre excellence pour vous deman-
,,der votre intervention près de sa majesté
,,rempereur des Français, roi d'Italie, afin
„qu'elle ait la grâce de me faire délivrer des
„passe " ports jjour moi , mes deux fils officiers,
et le reste de ma famille, pour pouvoir nous
retirer dans les environs de Berlin ou dans
„la Poînéranie , sur une de mes terres. Ajant
„perdu tout par le sort des armes, il m'est
„impossible de faire face aux dépenses que lé
„séjour d'une ville où tout est aussi énormé-
„ment cher qu'a tiambourg exige. D'ailleurs
,,je suis malade, et je sens que ce ne sera qye
„d^ns le sein de ma famille, et menant une
„vie très retirée, que je pourrai rétablir ma
9, santé. .
1Ô4 Mémoires
yyCes raisons et la générosité de sa majesté
,,r«nipereur me font esj^érer quelle daignera
,bien soulager mon sort pénible en me permet-
tant de choisir mon séjour; et la protection
_<[ue votre exceflençe voudra bien m'accorder
„k ce sujet joindra les sentiments de la plus
y^vive reconnaissance k ceux de la plus haute
^^considération , avec lesquels jai rhonnetir
„d'être.
„De votre excellence
,,Le très humble et très obéissant serviteur,
,,Blucher , lieatenant-géoéral/^
Hambourg, le i5 novembre ï8o6,
L'empereur refusa ; mais le général doit se
rappeler la manière dont je le traitai. Il peut
dire si les Français savent respecter le malheur.
A la reddition de Dantzic , je fus nommé
gouverneur , avec le rang de général en chef.
Napoléon arriva dans cette place le 29 msti;
il y passa deux jours. Il comptait en tirer des
ressources immenses, en argent surtout. Je
rôçus les ordres les plus sévères de faire rentrer
les contributions , qui s'élevaient a vingt mil-
lions , et qui furent portées a une trentaine en
denrées par le traite que je fis avec cette ville
quelque temps plus tard. J'avais carte blanche ;
j'étais autorisé a tout pour effectuer ce recou-
vrement ; mais il était im])ossible : il m'a causé
bien des ennuis. Tantôt c'était une mesure de
sévérité, tantôt une alitre. La population , les
citoyens les plus riches et les plus influents
étaient tour k tour menacés. J'ai constamment
éludé ces ordres violents; j'ai évité aux Dant»*^
du ge*néral Rapp. JL05
cois toutes sortes de déboires. A la paix, ils
devaient encore dix-sept millions.
!Napolëon assista aux batailles d'Heilsberg,
de Friedland, Huit jours après son départ il
m écrivit :
„M. de Tallejrrand se rendra a Dantxic;
,yilv restera avec vous pendant quelque temps.
„Vousle recevrea et vous le traiterez en jjrince.
,,Vous connaisez toute l'estime et tout lattache-
„ment que j'ai j)our ce ministre, etc,'* il eût
évité bien des malheurs s'il ne se fut jamais
brouillé avec ce dijîlomate.
Après le traité de Tilsit , Napoléon m'en-
voya des instructions particulières. Il m'an-
nonça la paix et m'ordonna d'exercer une sur-
veillance sévère sur la Prusse et la famille
royale. Il était toujours courroucé contre le
roi et ses sujets. Je cherchais pourquoi, je ne
trouvais le deviner; Berthi#r me Texplicjua:
à cause ne me parut pas tfès juste. Le prince
était venu a Dantzic me transmettre de nou-
veaux ordres , et me renouveler celui d'avoir
toujours l'œil ouvert sur les menées qui se fai-
saient autour de moi. Je devais rester dans cette
S lace jusqxi'a la cessation des hostilités. Les
us^es étaient pour nous; Nous avions beau
1*eu avec les Anglais , avant deux ans ces insu-
aires devaient être obligés de demander la
paix.
Enfin je restai a Dantzic. Je correspondais
directement avec Napoléon ; presqtie toutes ses
lettres respiraient une humeur extraordinaire ^
et j'avoue que je l'ai moi-même partagée long-
temps.
Les propos , la conduite de quelques offi-
s
106 Mémoires
ciers prussiens, contribuaient a entretenir cette
prévention. Je sévissais contre eux, ïa moin-
are faute était sévèrement punie ; mais aussi je
leur faisais rendre justice , je ne soulFijais pas
u pn les molestât. Tout se calma cependant.
In mit de part et d'autre le fiel de côté, la
confiance se rétablit. Je les voyais , je les re-
cevais, et je puis dire que dès la première an-
née de mon commandement tous les rapports
3ue j'envoyais a Paris étaient marqués au coin
e la modération et de la vérité. Je représen-
tais à Napoléon qu il était difficile aux Prussiens
d'oublier si vite leur grandeur passée, que les
esprits se calmaient , que le roi, les ministres,
la famille royale , ne cessaient d'inviter la na-
tion a cette résignation que le malheur rend
indisjiensable.
J'ai toujours écrit dans le même sens. Je
n'avais a me plaindre de personne; de mon
côté j'étais très bien avec les autorités civiles
et militaires. Je les voyais souvent ; et toutes,
j'ose le dire, avaient en moi la j>lus grande
confiance: elles étaient sensibles a mes bons
procédés.
Mais tous les commandants n'y mettaient
f)as la même bienveillance. Leurs raj>ports,
es désastres de Baylen, donnèrent a Napoléon
de nouveaux doutes çur la conduite de la r russe.
Il me chargea de redoubler de surveillance.
„Ne passez rien aux Prussiens , me disait-il
„dans une lettre; je ne veux pas qu'ils lèvent
„la tête.*'
La nouvelle des revers que nous avions
éprouvés dans la péninsule se répandit de suite
en Allemagne; elle éveilla de nouvelles espé-
du général Rapp, 107
rances ; toutes les têtes étaient en fermentation.
J'en rendis compte a* Napoléon; mais il n ai-
mait pas qu'on lai rappelât des souvenirs pé-
nibles y encore moins qu'on lui montrât un
avenir malheureux. lime répondit: „LesAIle-
„mands ne sont pas des Espagnols ; le caractère
'«^flegmatique d'un Allemand n'a rien de commun
y^avec celui des féroces Catalans/^
108
Mémoires
CHAPITRE XVII.
L'entrevue d'Erfurt eut lieu. Napoléon par-
tit pour l'Espagne ; il battit, il dissipa tout ce
qui lui fut opposé ; Farmée anglaise était per-
due s'il avait pu lui-même la poursuivre ; mais
la quatrième guerre d'Autriche avait éclaté, il
fut obliglWfeccourir au secours de la Bavière.
Le prince Berthier m'envoya l'ordre dé rejoin-
dre! armée; l'empereur y était déjà: je le trou*
vai a Landshut , qui venait de remporter la
victoire de Ratisbonne ; je ne fus pas contept
de sa réception. Il me demanda d'un air assez
sec: ,, Comment se portent vos Prussiens et vos
„Pantaicois? Vous auriex dû faire payer a ces
„derniers ce qu'ils mie doivent. Vous levoyex,
,,nous ne sommes pas tous morts en Espagne;
„il me reste encore asses de monde pour battre
„les Autrichiens." Je sentis l'allusion. *
.Nous marchâmes sur Vienne. L'empereur
s'adoucit et me traitait avec plus de bienveil-
lance. L'affaire d'Esslingen eut lieu : une foule
de braves avaient perdu la vie ; le maréchal
Lannes était hors de combat; la cavalerie, l'ar-
tillerie, étaient détruites; et le village d'Ess-
lingen , le point le plus important qdi nous
restait a défendre, inondé par vingt bataillons
de grenadiers hongrois: nous ne pouvions pi us
nous y maintenir; déjà ils pénétraient dans la
maison carrée que Napoléon avait fait fortifier
la veille. Le comte Lobau s'avança a leur ren-
contre et les arrêta ; mais ils reçurent tout de
du général Rapp. 109
suite des renforts. L'empereur s'en aperçut:
je fus chargé de prendre deux autres bataillons
de la jeune garde et de voler au secours des
nôtres; je 4evais les dégager, faire retraite
avec 'eux, et prendre position^ entre le village
et le reste de la garde, sur les bords du Da-
nube , près du pont qui avait été rompu. lies
colonnes autricniennes s'avançaient de tous les
côtés sur ce point ; la position devênai t terrible:
a noire gauche, Ma^éna occujiait encore Gros-
asj^ern ; il avait perdu beaucoup de monde,
mais enfin il se maintenait. Je me mis k la
tête de mes deux bataillons, et j'entrai dans le
village: je disposai mes troupes en arrièi'e du
jénéral Mouton, et fus lui porter les ordres de
'empereur ; mais toute la réserve ennemie,
conduite par l'archiduc Charles , se déployait
a quelques j^as. ,,Vous avez, dis-je au comte
„Lobau, étonné ces masses par votre résistance ;
,, abordons-les a la baïonnette, rejetons-les sur
,,les colonnes qui s'avancent: si nous réussis-
„sons, l'empereur et l'armée nous sauront gré
„du succès ;^ si nous sommes malheureuxi, la
„tesponsabilité pèsera sur moi. — Sur tous les
„deux, reprendle général.*' Nos cinq bataillons
s'ébranlent, culbutent, dispersent tout a coups
de baïonnettes : nous sommes maîtres du vu-
lage. L'archiduc cherche en vain a le rej)ren-
dre: cinq fois il ramène ses troupes a la charge,
cinq fois il est défait; nous lui rimes éprouver
une perte immense. Nous en avions essuyé ,
aussi une considérable : le général Mputon , le
général Grosse, étaient blessés; beaucoup d'au-
tres officiers avaient perdu la vie. Napoléon
fut enchanté de cette aftaire ; il me ait des
1 10 Mémoires
choses flatteuses, et ajouta: yySi jamais tu as
^.bien fait de ne pas exécuter mes ordres,
,,c'est aujourd'hui; car le salut de Tarmée dé-
„pendait de la prise d'Esslingen.' •
Napoléon trouvait les Viennois plus exaltés
que dans nos campagnes précédentes ; il m'en
fit la remarque. Je lui répondis , que le déses-
poir y était pour beaucoup; que partout Ton
était fatigué de nous et de nos victoires. Il n'ai-
mait pas ces sortes de réflexions.
Schill courait alors la Saxe ; il l'apprit et en
fut inquiet : c'était une manière de sonder l'opi-
nion. La Prusse préludait a cette guerre d'in-
surrection qu'elle nous fit plus tard: j'avoue
que je ne le croyais pas; j'avais une trop haute
idée de la loyauté nationale. Je cherchai a dis-
siper les préventions de l'enn^ereur; mais ses
soupçons étaient plus forts que tout ce que je
pouvais lui dire. Une autre circonstance con-
tribuait k le rendre défiant: la marche des Rus-
ses ; n'était pas plus franche que cejile des Prus-
siens ; ils tergiversaient. Ce manque de fois le
rendit furieux. Il résolut d'en tirer vengeance:
mais il lui fallait du temps.
La bataille de Wagram eut lieu : je n'y as-
sistai pas. TÇrois jours auparavant j'accompa-
§nai Napoléon a File Lobau: j'étais dans une
e ses voitures avec le général Lauriston ; nous
versâmes : j'eus une épaule démise et trois côtes
fracassées.
L'empereur poussa jusqu'à Znaim et revint
s'établir a Schœnbrunn; il y apj>rit enfin la
défaite et la mort de Schili; il en fut satis-
fait : il eût Cependant mieux aimé que ce par-
tisan eût été pris.
du général Rapp. 111
Il y eut , pendant les négociations , diverses
émeutes a Vienne. Plusieurs personnes , con-
vaincues dy avoir trempé, furent condamnées
a mort: deux bourgeois e;t un juif allaient être
exécutés; je fus assez heureux pour obtenir
leur grâce.
Napoléon était assez constamment de bonne
humeur; cependant les rapports que lui faisait
la police venaient de temps k autre troubler sa
gaieté. Ses ennemis avaient répandu le bruit
ridicule d^une aliénation mentale: il en fut
blessé. „Cest, dit-il, le faubourg Saint-Germain
„qui imagine ces belles choses; ils en feront
„tant que je finirai par envoyer ce monde-lk
„dans la Champagne pouilleuse.**
Un jour je lui demandai de l'avancement
pour deux officiers. ,;Je ne veux plus, me
„dit-il, en doimef tant; ce diable de Berthier
„m'en a trop fait faire. Puis se tournant vers
Lauriston: N'est-ce pas, Lauriston, que de
_notre temps on n'allait pas si vite? Je suis
„resté lé bien des années lieutenant , moi ! —
„Cela se peut , sire , mais depuis vous avea
„bien rattrape le temps perdu.** Il rit beau-
coup de ma repartie , et ni*accorda ce que je
sollicitais.
1 1.2 Mémoires
CHAPITRE XVIII.
Xependant la paix traînait en longueur; les
négociations n'avançaient pas: et TAllemagne
souffrait toujours. Un jeune homme, égarjé par
un amour aveugle de la patrie, forma le dessein
de la délii^rer de celui qu'il regardait comiiae
la cause de ses maux . Il se présenta k Scbœn*
brunn le 25 octobre , pend!ant que les trou-
pes défilaient : j'étais de service; Napoléon était
placé entre le prince de Neufchâtel et moi.'
Ce jeune homme, nommé St..., s avança vers
l'empereur; Berthier, s'imaginant qu'il venait
Srésenter une pétition, se mit au-devant et lui
it de me la remettre ; il répondit qu'il vou-
lait parler a Napoléon : on lui dit encore que,
s'il avait quel({ues communications a faire , il
fallait qu il s adressât a l'aide - de - cariip de
service. Il se retira quelques pas en arrière,
en répétant qu'il ne voulait parler qu'a Napo-
léon. Il s'avança de nouveau elr s'approcha de
très près : je l'éloignai , et lui dis en allemand
iqii'il eût a se retirer; que, Vil avait quelque
chose a demander, on l'écouterait après la
E." ." ■,' .■.,'./,. '
un papier dont l'extrémité était en évidence.
Il me regarda avec des yeux qui me frappè-
rent; son air décidé me donna des soupçons:
j'appelai un orficier de gendarmerie qui se trou-
vait la; je le fis arrêter et conduire au châ-
teau. Tout le-monde était occupé de la parade;
per-
parade. Il avait la main droite enfoncée dans
[a poche- de côté , sous sa redingote ; il tenait
m papier dont l'extrémité était en évi(
du générai liapp* 113
personne ne s'en aperçut^ On vint bientôt m'an«
noncer qu ati avait trouvé up énorme couteau
de cuisine sur St.k«i je prévins Duroc; nous
nous rendîmes tous au lieu pu il avait été con-
duit. Il était assis sur uii lit où il avait étalé le
portrait d'une jeune femme ,^ son pctrtefeuilléi
et une bpurse qui contenait quelque vieux louis
d'0r« Je lui demandai son nom. — ^,Je ne pub
f^le dire qu a Napoléo^. — Quel usage voulies-
^^vous faire de ce couteau ? — Je ne puis Ife
^ydire qu'a Napoléon* — Vouliea^vous vçus eti
„»ervir pour attester a ^a vie ? — Oui, mon-
«ySieuri — Pourquoi? — Je ne puis dire qu'a
^luiseul."
J'allai prévenir rempereuf de cet éti^ahge
événement; il me dit de faire amener de jeune
hpmroe dans son cabinet; je transmis ses ordres
et je remontaL 11 était avec Bernadotte i Ber-
thier, Savary et Duroc^ l)eux gendarmes
amenèrent St*.. les mains liées derrière le doS:
il était calme ; la présence de Nftpoléon tie lui
fit pas la moindre impression; il le salua ce-
pendant d'une manière respecteuse. L'empe-
reur lui demanda s'il parlait français ; il rèpon-
<Ut avec assurance : ,,Très peu/^ Napoléon me
chargea de lui faire en son nom les questions
suivantes :
„î)'où êtes -vous? — De Naumbourg. ^-^
„Qu'est votre père ? — Ministre protestai^t. -v
^,Quel âge avea-vous? — : Dix-huit ans/-^ Que
^iVouliea-ViOus faire de votre couteau? --^ Vous
,,tuer. — Vous êtes fou, jeune honune; vous
„êtes illuminé. — Je ne suis pas fou^ je ne sais
;,ce que c'est qu'illuminé.^— ^ vous êtes donc ma-
>,lade ? — Je ne suis pa»^ malade > ]é xae porte
8 % ^
114 Mémoires
„bien, — Pourquoi vouliesi-vous mo tuer? -—
„Parce que vous faites le malheur de mon pays.
j,"— Vous ai- je fait quelque* mal? — Comme a
y^totis les Allemands. — Par qui êtes-vous en-
„voyéV qui vous pousse a ce crime? — Per-
,, sonne; c'est l'intime conviction qu'en vous
,ytnant je rendrai le plus- grand swvice k mon
„pays et k l'Europe y qui mt a tnb les armes à la
^,main. — Est-ce la première fois que vous me
,,voyea ? — ^ Je vous ai vu à Erf urt lors de l'en-
„trevue. — Nave»-vous pas eu l'intention de
,,me tuer alors? — Non, ]e croyais que vous ne
,^eriez plus la guerre k TAUemagne; j'étais un
„de vos plus grands admirateurs. — De|>ui5
,,quand êtes-vous a Vieiine ? -— Depuis dix jours.
,, — Pourquoi avea-vous attendu si long-temps
„p6ur exécuter votre projet? — Je suis venu a
„Schœnbrunn il y a huit jours aVec l'intenl^ion
,9 de vous tuer; mais la parade venait de finir, j'a-
,yVais temis l'exécution de mon dessein a aujour»
„d'hui. y- Vous êtes fou, vous dis-je, ou vous
.,étes malade. — Ni l'un ni l'autre. — Qu'on fasse
,,venir Con isart. — Qu'est-ce que Corvisart ? —
,^Cest un médicin, lui réjjondis-je. — Je li'en ai
,, pas besoin.*^ Nous restâmes sans rien dire jus-
qu'à l'arrivée du docteur; St.. était impassible.
Corvisart arriva; Napoléon lui dit de tàter le
pouls du jeune homme , il le fit. „N'est-cepas,
;,inonBie.ur , que fe ne suîs"[)oint malade? —
i^onsieur se porte bien , répondit le docteur
^,en s^adressant à l'empereur* — Je vous l'a-
„vais bien dit, reprit St... avec une sorte de
„f;atisfaction.'^ •
Napoléon , embarrassé de tant d^assàrânee,
rf e<nnmença ces questions. »
99
99
99
99
du général -Rapp. 116
Vous avec une tète èxattée ^ Viilis ll»#<^ji là
perte de votre famille; Je Vous accorderai la
vie, si vous demandez pardon du crime que
„voué avez v^ulu ;cdmmettre« et dôiit iBi>U$ de-
„vea être fâché. — Je ne veux paé de pardon^ J'ér
„prduve le plus vif regret de n avoir, jm^séuiftir.
., — Diable: il parait quuh crime stéàt rien
pour nous? — Vous tuer n'est paë ùncr^e,
c'est un devoir: — Quel est ce poa^trait qu'on
,,â trouvé sur. vous? -^ Celui d'une jeutie pétt5-
,,sonne que* j'aimé. "— Elle; sera bien affligée cle
„ votre avanturè! — Elle ëei*a àfflieée^deçe q;Ué
,,je n'ai pas réussi i elle vous aonorrè aUtali[t
y^qtié tooi. — Mais .enfin si je, vous fais gràce^
^ni'en saur^a-^vous gré ? — r Je né voiis^ feii : tuerai
,,pas moins." -• ? .
Napoléoiï fut stupéfait. Il dohnà ordre d'éi h^ ,
mener le prisonnier: Il s'entretint quelque
temps avec nous , et parla beaucoup dlllumi-
nés; Le soir il me fit demander et jne dit:
,,Savea-vous que l'événement d'aujourd'hui tsl
,, extraordinaire. Il y a dans tout cela deâ
,, menées de Berliil et de Wéimâr." Je repoussai
ces soupçoiis. ,3I^is 1^^ fèmnies sont capables
i,dé tout. — ^ Ni hommes ni femmes de ce*
,^deux cours nç Concevront jamais de projet
i^aiissi atroce. — Voyez leur affaire de ocb"l.
„ — Elle n'a rien de commun avec un Jiarèil
„crimé. — Vous avez beau dire , monsieur le
,, général; on ne m'aime ni a Berlin ni a Wéi-
,ymar. — Cela n'est pas douteux: màispduvêz-
„vous prétendre cju'on vous aikne dans ces
deux cours ? et parce -qu'on ne vous aime
pas, faut-il vous assassiner?'^ Il communiqua,
les mêmes soupçons a.*;»;
a.'
99
116
Mémoires
Naj^oléon me donna l'ordre d'écrire au géné-
ral Lauer d'interroger St..., afin d'en tirer
quelque révélation. Il n'en fit point. Il soutint
qiie c'était de son propre mouvement et sans
aucune ' suggestion étrangère qu'il avait conçu
son d^^ein.
La àé]^t de Schœnbrunn était fixé au 27
octobre. Napoléon se leva a cinq heures du
matin rt me fit appeler. Nous allâmes k pied
sur la grande route voir passer la garde impénale,
ui partait pour la France. Nous étions seuls,
apoléon me parla encore de St.... ,,11 njr a
„pas d'exemple qu'un jeune homme de cet âge,
„Allemand , protestant, et bien élevé, ait voulu
„commettre un pareil crime. Saches comment
„il est mort.^^
s
Ai générai Rapp. f 17
CHAPITRE XIX.
Une pluie abondante nous fit rentrer.
J'écrivis au général Lauer de nous donner des
détails a ce sujet. Il me répondit que St...
avait été exécuté a sept heures du matin , 27,
sans avoir rien pris depuis le jeudi 24 ; qu'on
lui avait offert a manger ; qu'il avait retusé,
attendu, disait -il, quil lui restait encore
assez de force pour marcher au supplice. On
lui annonça que la pailc était faite ; cette nou-
velle le fit tressaillir. Son dernier cri fut A7u#
la liberté! vive t Allemagne ! mortàsontyranf
Je remis ce rapport à Napoléon. Il me chargea
de garder le couteau , que j'ai .chea moi.
jSapoléon me dit que les préliminaires de
la paix n'étaient pas encore signés , mais mie
les articles en étaient arrêtés , et qu'il la ratihé-
rait a !AIunich , où nous, devions nous arrêter.
Nous arrivâmes a Ny mphenbourg : la cour de
Bavière s'y trouvait. Je n'avais pas eu l'hon-
neur de voir le (roi depuis la campagne d'Au-^
sterlitg. Il me logea dans son palais. 11 me^
témoigna beaucoup de confiance et de bonté.
Il me dépeignit la triste situation de ses sujets,
et ajouta que si cet état de choses ne cessait
bientôt, il serait obligé de mettre la clef sous
la porte et de s'en aller. C^ furent ses expres-
sions.
Jeconservaile souvenir de ce dernier propos.
J'étais bien déci^Jéale rendre, non pour lui
nuire, mais pour prouver a Napoléon que
ut • . Mtêmmres
toutes les m^èmnités qu il accordait^ ses^ltit^a
étaient loin de les sfitisfaire et de compenser
les cKarges que la guerre leur imposait.
La paix fut effectivement ratifiée. Nous
quittâmes Nymphenbourg , et nous arrivâmes
aStuÛgard. Napoléon fut reçu avec m:agnifi-
cence et logé au palais, ainsi que toute sa suite.
Le roi faisait construire un grand jardin., et
employait k ces travaux des hommes condam*
nés aux galères. L'empereur lui demanda ce
que c'était que ces hommes enchaînés. Il ré*
Sondit que c'étaient, la plupart, des rebelles
e ses nouvelles possessions. Nous nous remîmes
en route le lendemain. Chemin faisant, Napo*
léon revint sur ses malheureux et me dit:
9^C est un homme bien dur que le roi de Wur«
^,temberg, mais aussi bien loyal. C'est le
^souverain de l'Europe qui a le plus d'esprit/*
Nous nous arrêtâmes une heure a Bast/idt , où
les princes de Bade et la princesse Stéphanie
étaient venus lui faire leur cour. Le grand duc
et la grande duchesse l'accompagnèrent jusquli
Strasbourg. Il reçut a son arrivée dans cette
ville des dépêches qui rindisposèrent de nouveau
contre le faubourg Sainjt-Gérmain. Nous nous
rendîmes k Fontaineb^au : aucun prép*aratif
n'était fait, il n'y i^vimp^ même de service;
mais peu après toute la cour arriva , ainsi qU«
la (aihille de Napoléon.
L'empereur etit de longues conférences Avec'
Te niinistre de la l^olice; il se plaignait du
fieiubourg Saint- Germain. Ce constraste de
souplesse et dliudace, que sa livrée déployait
tour a tour dans ses antichambres et les salons,
le déconcertait; il ne concevait \^9» qu'on fût
du gftiéf'al Rapp.
U9
isi ba^ et si perfide , ^ m déchirât d'une main
tandis qu'on sollicitait de l'autre. Il paraissait
disposé a sévir; Fouché Ten dissuada. „C'eat
,,de tradition, lui dit-il; la Seine coule, le fau^
„bourg intrigue , demande , consomme , et
,,calomnie; c est dans l'ordre , chacun, a 3ea
^attributions/' INapoléon se rendit, il ne se
vengeait que des hommes. On lui proposa
une entrée solennelle dans la capitale , il la
refusa : le vainqueur du monde était bien au-
dessus de ces triomp][ies dont s'enivraient les
Romains. Le lendemain la cour quitta Fon*
tainebleau. L'empereur fit le trajet \ £ranO'
étrier ; toute son escorte resta en arrièi^ » un
chasseur de la garde seul put Iç suivre ; c'est
ainsi qu'il arriva aux Tuileries.
Napoléon touchait a lune des époques les
plus importantes de sa vie«
\ •««-
tcM Mémoirtê
CHAPITRE XX.
n éuit question de divorce; on en parlait
hautement dans Paris, maison n'était pasd'ac-
ciHrd sur le choix de cet homme extraordinaire.
On désignait les princesses de Russie , de Saxe,
I*archiduohesse. Il fut aabord efFectiyenient
question de la première, M, de Metternich Tap-
{^rit et fit des ouvertures ; elles furent acceptées.
[Cependant U>M les membres de la famille impé*
riale étaient opposés a cette alliance ; ils redou-
taient Tastuce autrichienne ; ils prévoyaient que
cette cour consentirait, se }>réterait à tout ce
qu'il lui demandait jusqn a ce que l'occasion de-
vint favors^ble ; qu alors elle lèverait le masque,
et serait la j^remière a provoquer sa perte : mais
le mariage était conclu, les représentations fu-
rent inutiles, Je fus désigné pour assister k la
cérémonie ; c'ét£Ût urte espèce de faveur, puis-
au une grande partie de la cour était confon-
ue dans la foule, Je n avais cependant pas , je
l'avoue , le droit d y prétendre ; je m'étais per-
mis quelques réflexions sur le divorce du chef
de Tetat, et elles lui avaient été rapportées. Je
plaignais l'impératrice Joséphine, qui avait tou-
jours été bonne, simple etsansprétentionst Elle
était reléguéeà la Malm^ison ; j allais la voir sou-
vent^ Elle me confiait ses peines, ses ennuis; je
Tai vue pleurer des heures entières ; elle parlait
de son attachement pour Bonaparte, c'est ainsi
qu elle l'appelait parmi nous ; elle regrettait le
: du général Rapp. 121
beau rôle qu'elle avait joué; ce regret était bien
naturel.
Le lendemain du mariage non reçûmes Tor-
dre d'aller faire les trois révérences devant le
couple impérial assis sur le trône. Je ne pus y
aller, je fus retenu par une migraine que j ai
asses régulièrement toutesj les semaines , j'en
lîrévins le grand maréchal. Napoléon ne crut
pas a mon indisposition; il s'imagina que je n'a-
vais pas voulu me soumettre a l'étiquette, et
m'en sut mauvais gré. Il me fit donnerVordre de
repartir pour Dantaic. Lé duc de Feltre me ren-
contra sur les boulevards et me communiqua les
intentions de lenipereur. Je demandai des in-
structions: Napoléon me répondit sèchement
que je n'avais qu'k surveiller la Prusse, à traiter
avec égard lesïlusses, et a rendre compte de ce
qui se passerait dans les ports de la Baltique;
Sue je pouvais me dispenser de passer par
erlin. Je m'arrêtai quelques jours à Stras-
bourg , a Francfort , et j'arrivai le 10 juin \
Dantzic.
Je fus très bien reçu des troupes et des habi*
tants . On se plaigilait beaucouj) du général Gra-
bowski ! les Dantaicois ne l'aimaient pas ; ils
avaient tort, c'était un excellent homme.
La garnison ne tarda pas a s'augmenter ; elle
reçut des Saxons, des Badois, des Wurtember-
geois , des Westphaliens , des Uessois ; c'était
une armée. Ce sujrcroit de forces me déplaisait
parce qu'il surchargeait la bourgeoisie ; car pour
moi je n'avais pas a me plaindre. Les sentiments
des troupes n'étaient pas équivoques, et les sou-
verains dont elles dépendaient daignaient pre«
122
Mémoires
4fue*tou9 saisir cette occasion ]K>ur mesurer de
leur bienveillance; )e ne citerai que la lettre
du roi de Bavière:
Munich I le i^ ami t8ii.
yyVousallex avoir mon 14* régiment d'infan-
„terie sous vos ordres, mon cher Rapp; je It?
' ^recommande a vos bontés et a vos soins. Le
„colonel est un brave homme qui fera sou de-
„voir. Le lieutenant-colonel et les deux majors
,fSont bons ; le coq>s des officiers de même.
yyCt les soldats beaux et parfaits. Je les trouve
yybien heureux , mon cher général , d'être
,fSOus un , chef tel que vous : und noch dazu ein
yiElsasser.^^
„ Adresses- vous k moi directement toutes les
,yfois qu il s'agira du bien-être de lùa troupe,
,,ouque VOUS' trouvères des défauts » ou qu'elle
f, servira mal ; chose qui , j'espère > n'arrivera
,ypas. Je saisisavec empressement cette occasion,
^ymon cher Rapp, pour vous réitérer l'assurance
,,de ma constante amitié. «
On m'envoya des instructions pour fermer le
Sort de la place, et surveiller ceux de la Prusse,
lavoust vuit prendre le commandement de
Hambourg: je n'étais pas sous ses ordres; mais
S devais correspondre avec lui et M. de Saint-
arsan. Je ne connaissais pas ce dernier , ce-
pendant je l^Bstimais beaucoup ; ses lettres proù-
vaient qu'il était homnie de bien^ .qu'il desirait
' «»
du général Rapp. 1S5
voir la bonne harmonie renaître entre les deux
nations. Je le désirais aussi , nous étions par-*
faitement d'accord..., m'écrivait souvent de
me défier de ce diplomate, que c'était un trai*
tre vendu au roi et a ses ministres. Sans doute n^ ^
qu il ea écrivait autant a Napoléon. Ueureuser
n^nt quand ce prince avait une fois son opi-,
nion fixée sur un homme, il faissait peu de cas
des rapports qu'on lui adressait : a moins, comme
il le disait, de le prendre la main dans le sac,
il ne lui retirait pas sa confiance.
Ma portion cependant devenait péni|)le:
d^un coté, les Danzicois se plaignaient de nour*
rir des troupes , de supporter des charges , et
d'être sans commerce : de l'autre , les ministres
nie pressaient de faire rentrer les contributions,
afin de couvrir les dé]>enses d'une expédition
secrète et du développement des fortifications.
Les fournisseurs menaçaient de suspendre les
livraisons ; je ne savais que devenir. Je retirais
bien quelque argent des impositions frappées
â(Ur la Prusse; mais ces sommes étaient insuffi-
santes. A force cependant de persévérance et de
représentations , ]e réussis a obtenir les fondf
nécessaires pour acquitter les fournitures, et
peu a peu la place fut déchargée de ce service.
On m'assigna des ressources pour les for-
tifications, et des valeurs pour les prépara-
tifs de l'expédition secrète , qui n'était plus
un secret.
Les ministres proj>osèrent un jour a Napo-
léon de faire entretenir la garnison par le gou-
- ver nement prussien. On m'écrivit pour avoii^
mon avis. Je répondis que si jamais semblable
décision m'arrivait, je quitterais «iar-le-chamj>
i24 Mémoires
Dantjiic, sans qu'aucune considération fût ca-
pable de me retenir. Je dois rendre justice au
maréchal Davoust, qui fut également consulté;
il fit voir que cette mesure était dangereuse et
inexécutable. Le projet fut ajbandonné.
Je ne passerai pas sous silence un diiFerent
J>izarre que j eus a Dantsic.
' Je donnais a dîner. J avais entre autres les
résidents de Prusse et de Russie î je plaçai 1 un
k ma droite et Tautre a ma gauche. Celui-ci se
foribalisa d une disposition semblable. Il s'ima-
gina qu>^ j'avais voiilu molester lui » sa cour, et
tout ce (jlU'il y avait de Russes au mondç. Il se
plaignit; sa plainte fut transmise de Saint*Pé-
tersboui^ à M. de Champagny , qui la commu*
niqua aNapoléon. Je reçus des reproches : j'avais
manqué d égards au résident d'une grande na«
tion t j'avais donné la place d'honneur k celui
de Prusse; j'étais invité k réparer cette faute.
J'avoue que je fus piqué. Je répondis au mi-
nistre que je ne donnais pas de dîners diplo*
matiques; que les consuls étrangers n'étaient
pas accrédités auprès du gouverneur > mais au-^
près du sénat ; que je pouvais mettre k côté de
moi k ma table qui bon me semblait; que les
plaintes du résident étaient ridicules ; que je
ne le recevrais plus: j'ai tenu parole, et cette
affaire n a pas eu plus de suite. J'ai cru devoir
rapporter cette anecdote, parce qu'elle prouve ^
combien on cherchait encore k cette époqu^ k
ménager la Russie.
du général Rapp. \2b
«
CHAPITRE XXI.
Il ne pouvait arriver riea. de plus fâcheux
aux Dantxicois que d'avoir . chea eux des
douaniers français. .Depuis long -temps il
était question de les j établir; je les repous-
sais de tputes mes forces. Leur présence de-
vait donner le coup de grâce au peu de com-
jxierce que je tolérais encore malgré les cris
dé Napoléon, ,
Elle ne devait pas être moins k charge a
tout le littoral de la Baltique, que je ne sur-
veillais pas, je lavoue franchement, avec la
sévérité qui m'était prescrite : aussi les dénon-
ciations pleuvaient-ellès contre moi; mais je
savais d'où elles partaient, je ne m'en inquiétais
pas. . Cependant Napoléon était outré ae mon
indulgence ; il m'en fit des reproches . , ,Laisser
„faire du commerce aux Prussiens et aux
„Dantzicois, me mandat-il, c'est me trahir. ".....
écrivait dans le même sens et envoyait des
espions partout. Napoléon était fatigué de
rapports et de dénonciations. Il chargea Ber-
trand de me faire connaître combien il était
.mécontent. „L'empereur, raîon cher Ba]>p»
„m'écrivit ce général , sait que tu laisses faire
,,la contrebande en Prusse et a Dantaic ; je te
„préviehs qu'il est fâché contre toi , etc.** On
cria, je laissai crier, et continuai d'user du
pouvoir avec modération. La douane fut
intsalléè. On sait combien elle était sévère,
f26 ^ -^ Mémoires
dàtis les pays conquis surtout* La (HrMtîon^de
Dantzic singeait rindépendance. Elle préten-
dait ne recevoir d'ordre que du ministre Sucjr;
elle citait en preuve celle de Hambourg^ Je
tranchai la question; J'envoyai le directeur à
Weichselinùnde : six jours de prison firent
justice de ses prétentions. Un tel acte de
siévérité était alors saris exemple ; il fut regai^dé
.comme un crime 4e lèse-majesté. Le minisite
s'en plaignit ; mais; k sa grande surjîrise, Napo-
léoïx lui répliqua que si j'avais puni , . c'est que
j'avais des motii^Si „D'ailleurs Daritxic est en
état de siège , et dans ce cas \xn gouverneur
est tout-puissant.** Les douaniers comprirent
qu'ils avaient trop présumé de leur crédit; ils
furent plus circonspects , et s'en cbnduisireôt
d'autant mieux avec les Dantsicois. Le com-
merce fut rassuré. Il le fut encore plus quand
il me vît relâcher diverses prises faites par nos
corsaires. On dénonça encore, ipais toujours
avec aussi peu de succès. / , /
Je. reçus l'ordre de livrer aux flammés les
marchandises finglaises:' cette mesure était
désastreuse; je réludai* et, malgré la présence
des douaniers, Dantzic n'en perdit pas pour
plus de trois cents francs, et Kœnigsberg encore
moins. Je ne parle pas de ce qui provenait
des prises.
Le système continental et les mesures dé
rigueur qu'employait' Najioléon dans le nord
. de l'Allemagne indisj^odait de plus en plus. La
mulfttion était exaspérée. On me demandait
equemment des rap}>orts sur sa situation
morale : je. la dépeignis telle qu'elle était en
du général Rapp* 127
eifet, accahlée» ruinée, poussée H l>oiit. Je
' signalai ces sociétés secrètes où la nation s'ini-
tiait tout' entière > où la haine préj>arait .la
vengeance, où le désc^spoir rassemblait, combla
liait ses moyens. Mais Mapoléon trouvait ces
associations ridicules^ ILcontuai^sait. peu les
Allemands. Il ne leur supposait ni force ni
énergie ; il les comparait avec leurs pamphlets
y,a ces j>etit8 chiens qui aboient et i^'osent pas
9,niordre.^^ 11 éprouva plus tard de quoi ila
étaient caj>ables. . * .
On me demandait aussi souvent des rap-
ports sus^ ce qui se passait eii Russie , sur l'ar-
mée qui s'assemblait a Wilna. Oiî désirait con-
naître mon opinion sur ce que ferait la nation,
sur ce que lerait l'Allemagne , dans le cas où
une expédition au delà du Niémen serait mal-
heureuse ou viendrait à échouer, tout-à-fait.
Je répondis mot pour mot (on croira avec peine
a une prédiction qui s'est malheureusement si
bien vérifiée):
„Si votre majesté éprouvait des revers, elle
^,peut ,étre assurée que Russes et Allemande,
,,tous se lèveraient eh masse pour secouer le
joug : , ce serait une croisade , tous vos alliés
vous abandonneraient. Leroi de Bavière, sur
y,lequel vous cora]>tez tant , se joindrait lui-
t,ihémé a la coalition. Je n excej>te q^ue le roi
„de Saxe ; peus-être il vous resterait fidèle»
,,mais ses sujets le forceraient de faire cause
',,commune avec vos ennemis."
Napoléon, comme > on peut le 'croire, i^
fut pas content de ce rapport: il lenvova aU
maréchal Davoust afin qu'il en prit lecture^ «l
»»
»>
128 Mémoires
le chargea de m'écrîre qu'il était bien étontké
qu'un de ses aides-de-cam^) se fût permis de lui
adresser une lettre de cette espèce : que mes
rapports ressemblaient aux pamphlets d outre^
Rhin, mie je paraissais lire avec plaisir; qu'au
reste , les Allemands ne seraient jamais des
Espagnols. Le maréchal fit sa commission ; ]Na^
poléon resta long-temps indisposé. L'expé-
rience a jprouvé si je voyais juste; je me suis
permisr d en faire la remarque k ce prince^
comme je le dirai plus tard. .
Lorsqu'il obligea le roi de Prusse a faire con-^
duire a Magdebourg les marchandises prohibées
qui avaient été confisquées a Kônigsberg, \ff
lui adressai les observations les j)lus vives ; je
lui représentai combien cette mesure était pro^
prea soulever, a exaspérer la nation « M. de
Clérambaut , qui était consul général , écrivit
dans le même sens; nous né pûmes rien ob^-
tenir.
La guerre avec la Russie était a la veille
d'éclater ; Napoléon songeait au rôle qu'il de-
vait donner a la Prusse. S'allier au roi Guil-
launie , il conservait ses doutes et ses préven-
tions. Le détrôner, la mesure était violente:
c'était pourtant ce que lui conseillaient plu-
sieurs personnes que je ne nommerai pas ; el-
les voulaient qu'il envahît les états de ce prince
et s'en emparât. Peut-être Guillaume n'a-t-il
jamais été bien au fait . du danger qu'il avait
couru; j'en connaissais toute l'étendue , et j'en
ressentais des peines bien vives ; je plaignais le
souverain , je plaignais la nation : je détournai
ce projet de toutes mes forces.
Des
du général Rapp*
129
Deâ instructions avaient été déjk expédiées
a.... Ce général s'attendait a marcher incessam^
ment. Quelle fut sa surprise, lorsqu'au lieu de
l'ordre d'envahir la Prusse il reçut la nouvelle
du traité d'alliance! elle me parvint de suite;
j'en éprouvai une vive satisfaction.
■' \ ' "
■i
9
130 Mémoire»
CHAPITRE XXII.
•
La grande armée était déjà sur la Vistule.
Napoléon quitta Paris, se rendit dans la capitale
de la Saxe, et de la a.Dantzic. Il avait été
{ précédé par le roi de Naples , qui avait sollicité
a permission d'aller a Dresde , et n avait pu
l'obtenir. Ce refus Tav^it singulièrement cho-
qué: il me fit part des. chagrins et des tribula-
tions que Napoléon lui causait; il le disait du
moins. ]Nou;s fûmes les premiers que yemjje-
reùr reçut; il débuta avec moi par une ques-
tion qui était assea plaisante. ,, Qu'est-ce que
„les Dantzicois font de leur argent , de celui
^qu'ils gagnent , de celui que je déj^ense chex
„eux?*V Je lui répondis que leur situation
était loin d'être prospère; qu'ils souffraient,
qu'ils étaient aux abois. „Cela ch4ll|^era, ré-
„pliqua-t"il; c'est une ^hose convenue, je le»
„garde maintenant pour moi.**
Il était fatigué : nous nous retirâmes le roi
de Naples et moi. Je fus rappelé un instant
après; j'assistai seul a sa toilette: il me fit
diverses questions sur le service de là place.
Quand il fut habillé, son valet - de - chambre
sortit. ,,Eh bien, monsieur le général Rapp,
„me dit-il, voila les Prussiens qui sont nos
,,alliés; *les Autrichiens le seront bientôt. —
^, Malheureusement, sire, nous faisons beau-
„coupdefnal comme alliés; je reçois de tous
1>
du général Rapp* 131
f,côtés des plaintes contre nos troupes^ — C'est
„un torrent momentané î je verrai si Alexan^
„dre veut véritablement la guerre ; je Téviterai
tysi je le puis/^ £t changeant tout k coup de
conversation: „Avea--vous remarqué comme
,,Murat a mauvaise mine ? il parait m^lade^ 7—
9,Malade? non, sire*) mais il a du*chagi*in. —
^Pourquoi du chagrin? £st-ce qu'il nest pas
content d'être roi? — Il prétend qu'il ne lest
_pas. — Pourquoi faitil des sottises dans son
y^royaume? II doit être Français et non pas
^Napolitain/*
Le soir, j'eus l'honneur de souper avec Napo-
léon , le roi de INaples et le prince de Neuchâ-
tel. Avant de se mettre a table , on causa de
la guerre avec la Russie; nous étions dans le
salon. L'emi)ereur aperçut tout a coup un buste
en marbre , placé sur la console* „Quelle est
„cette femme ? — ^ Sire, c'e^t la reine de Prusse*
„ — Ah ! monsieur le général Rapp , vous avea
,,le buste de la belle reine chea vous! Cette
femme^la ne m'aimait pas. — Sire , lui réj^on-
dis-'je, il est permis d avoir chez soi le buste
d'une jolie femme ; elle était d'ailleurs ré|>ouse
,,d'un roi aujourd'hui votre allié.**
Le lendemain nous montâmes a cheval ; Na-
poléon visita la place , et paraissait content des
travaux, lorsqu il aperçut je ne sais quel objet
qui lui déplut; il s'emporta et me dit, devant
un asses grand nombre de personnes, „qu'il
„n'entendait pas que ses gouverneurs tranchas-
,sent du souverain , qu il voulait que les ré-
,,glements fussent exécutés/* Là contravention
était réelle, mais auilsi peu importante; elle
9-
f»
♦>
/
132 • Mémoires
ne méritait pas tant de bruit. ,^Ne vous afFecteii
„nas de ces xeproches , me dit tout bas le roi de
„Waples ; Temperèur est contrarié , il a reçu ce
y, matin des lettres qui l'ont mis de mauvaise
„humeur." Nous continuâmes notre course, et
nous rentrâmes. Napoléon reçut les généraux
et officiers sous mes ordres , ainsi que les auto-
rités civiles: il adressa k celles-ci diverses ques-
tions sur le commerce et les finances ; elles dé-
ploraient leur position : „Elle changera, leur
„dit-il : je Vous garde pour moi, c'est une chose
^convenue: iln j a que les grandes familles
,,qui i>rospèrent.** Il aperçut M. de Franxins
aîné. . „(}uant a vous , monsieur de Franains,
„vous ne vous plaignez pas , vos affaires sont
„en as^ea bon état ; vous avea au moins dix
,, millions de fortune.'*
Le soir, j'eus Thonneur de souper encore
avec Napoléon, le roi de Naples et le prince
de Neuchàtel. Napoléon garda le silence assea
iong-temps: et prenant tout k coup la parole.
Il m.(£ demanda combien il y avait de Dantzic
k Cadix:. ^- „Il y a trop loin, sire. — Ah! je
„vous comprends, monsieur le général: nous
„en serons pourtant bien plus loin d'ici k quel-
,,ques mois. — Tant pis.*' Le roi de Naples , le
prince de Neuchàtel , ne dirent pas un mot.
„Je vois bien, messieurs, reprit Napoléon, que
„vous n'avea plus envie de taire la guerre : le
„roi de Naples ne veut plus sortir de son beau
„royaume, Berthier voudrait chasser k Gros -
„Bois , et Rapp habiter son superbe hôtel a
„Paris. — J'en conviens, sire, votre majesté
„ne m'a jamais gâté; je connais fort peu les
„plaisirs de la capitale.*'
du général Rapp.
133
Murât et Berthier continuèrent a carder le
plus profond silence; ils avaient Tair piqué.
Aï)rès diner ils me dirent que j'avais bien fait
déparier ainsi a Napoléon. „A la bonne heure;
,,inais vous n'auriea pas dû , leur répondis-je,
„me laisser parler tout seul/*
y-
•
134 Mémoires
CHAPITRE XXIII.
Napoléon quitta Dantsic et se rendit a Kœ-
nîgsberg; Murât Tavait accompagné , le géné-
ral Belua'rd s'y trouvait aussi, il leur parla
beaucoup de 1 Espagne et de son frère, dont il
n'était pas content. Le général Flahaut revenait
d'une mission dont il avait été chargé auprès
de Sch wartzenberg; il rendit compte dudévoue-
nient du prince, et, de l'impatience où. il était
de culbuter les Russes : l'empereur n'avait pas
trop l'air d'y croire ; cependant il se laissa per-
suader : il pensa qu a la longue les protestations
peuvent devenir ' sincères , et les bienfaits
inspirer aussi quelque reconnaissance. Il exposa*
son plan et ses projets: „Si Alexandre, dit-il,
„persiste k ne pas exécuter les conventions que
„nous avons faites, s'il ne veut pas accéder aux
„dernières propositions que ^je lui ai soumises^
„]e passe le mémen, je bats son armée et
„m'empare de la Pologne russe; je la réunis
,,au grand duché, j'en fais un royauriie , où je
,, laisserai cinquante ]t\ille hommes que le pays-
,, entretiendra. Les habitants désirent se recon-
„stituer en corps de nation; ils sont belliqueux,
„ils se formeront, ils auront bientôt des trou-
„pes nombreuses et aguerries: la Pologne maii-*
„que d'armes, je lui en fournirai ; elle bridera
„les Russes ; ce sera une barrière contre l'irrup-
,,tiop des Cosaques. filais je suis embarrassé; \à
„ne sais quel parti prendre a l'égard de la Ga-
„licie ; l'empereur d Autriche ou plutôt son con-
du général Rapp.' 155
„s6il ne peut pas s'en dessaisir: j'ai offert d'am*
„ples compensations , elles ont été refusées...
„I1 faiit s'en^ remettre aux événements; eux
„seuls nous apprendront ce qu'il convient Am
y,faire. La Pologne, bien organisée , peut four-
„nir cinquante mille hommes de cavalerie:
yyfanterie de la Yistule ferait une excellente
„€avalerie légère , qu'on pourrait opposer avec
,,succès a cette nuée de Cosaques dont les Russes
„se font précéder. — Nous verrons cela plus
, y tard. Vous retournez avec Murât, vous quit-
„tea vos Suisses; que pensex-vous des Suisses?
„ — Ils iront, sire, ils se battront: ils ontbeau-
,,coup gagné; depuis six' semaines, ils ne sont
„pas cpnnaissables. J'irai les voir demain. —
,, Allons, bien; rejoignez Murât et voyea avec
,, lui toute liv cavalerie.**
Les propositions dont parlait l'empereur ne
fièrent pas accueillies: les Russes se plaignaient
de nos forces , 4^ nos ^mesures commerciales ;
ils exigeaient que nous évacuassions l'Alle-
magne. Nous marchâmes en avant, nous arri-
vâmes au Niémen : cinq ans auparavant il avait
été témoin de nos victoires ; l'armée ne l'aper-
çut qu'avec des cris de joie. Napoléon se ren-
dit aux avant-postes , se déguisa en chasseur et
reconnut les bords du fleuve avec le général
Axo. Il s'entretint ensuite quelques instants
avec le roi de Naples : il lui mdiqua l'endroit
où il convenait de jeter les ponts, et lui donna
ordre Me concentrer ses troupes, afin que le
passage fût rapidement effectué. ' La cavalerie
156
Mémoires
était k cheval, Finfanterie avait pris les armes ;
jamais spectacle ne fut plus magnifique. Êblé
se mit a l'ouvrage) leis pontons furent placés
a minuit: k une neure, nous pétions' sur la rive
droite et le général Pajol k Kowsno ; Bagâ-
wouth Tavait évacué, nous Toccupâmes sans
coup férir. Nous continuâmes le mouvement ;
nous marchions sans relâche : nous n aperce-
vions que quelques j^ulks de Cosaques qui se
perdaient k l'horiaon. Ploiis arrivâmes kWilna;
ses immenses magasins étaient en feu : nous
réteignîmes; la' plus grande partie des subsis-
tances fut sauvée»
mu
I /
du général Rapp. 137
CHAPITBÉ XXIV.
Cet incendie, cette terre qu'avaient tant de
fois foulée les légions polonaises , au retour de
leurs glorieuses expéditions , nous remplirent
d'une nouvelle ardeur: l'armée s'abandionnait
a la puissance des' souvenirs. Nous nous pré-
cipitâmes a la suite de Tennemi ; mais la pluie
tombait par torrents , le froid était dçvenu* sé-
vère; c'étaient les boues, les fondrièrelSi^e Pul-
tusk: nous n'avions ni abri ni aliments. Si du
moins les Russes eussent osé nous attendre;
mais ils gagnaientle Borysthène, -ils se jetaient
sur la Dwina , ils fuyaient , dévastaient: ce
n'était pas une guerre, c'était une lutte a la
nemie parvint cependant a se rallier ; elle se
réfugia dans les ouvrages qu'elle avait élevés a
Drissa ; mais elle se vit bientôt menacée dans
ses retranchements et sa retraite : elle n'osa cou-
rir cette double chance et s'éloigna. Elle était
]^erdue si elle eût tardé quelques heures ; tou-
tes les dispositions étaient faites pour la pren-
dre en flanc et lui intercepter la route : un
coup de main la sauva. Dm corps avancés ne
se gardaient pas avec assex de vigilance ; Witt-
genstein les surprit : Napoléon crut que l-es
Russes marchaient k nous ; il arrêta ses colon-
nes: ce retard les sauva; ils avaient fait leur
mouvement quand nous arrivâmes a Beszenko-
138
Mémoire^
/
wnxi. Le roi de Maples les suivit; il les attei-
gnit, les culbuta a Ostrowno, les chargea (en-
core à quelques lieues plus loin, et dispersa
toute Tatrière-garde. Au reste , voici son rap-
port: je l'insère parce qu'il peint la manière ae
ce prince, qui ne méritait pas de mourir ail-
leurs que sur le champ de bataille.
.,Je mis en mouvement le premier corm de
,,la réserve de la cavalerie et deux bataulofts
„d'infanterie légère: la division Delaons suivit
„le mouvement. Nous rencontrâmes TarrieFe-
,, garde ^nemie ^ environ deux lieues d'Os-
„trowG^; elle était avantageusement placée
^derrière unFavinesoarpéf elle avait une nom-
,,breuse , artillerie, son front et ses flancs étaient
y^couverts par dqs bois touffus : on échangea
,,([uelques coups de canon, on envoya les ba-
„taillons pour arrêter l'infanterie qui faisait
^rétrograder nos hussards. La division Delsons
^arriva; le rôle de la cavalerie était fini. Le
,, vice-roi fit ses diispositions, , on miarcha a Ten-
„nemi; on passa le ravin: la brigade de cava-
„lerie étrangère qui longeait la Dwina proté-^
,,geait notre gauche et débouchait dans la plaine ;
Mie reste des troupes légères marchait sur la
^chaussée a mesure, que Tinfanterie ennemie
^rétrogradait. Les cuirassiers furent laissés en
„réserve en arrière du ravin et les canons mis
,yen batterie. Ma droite était protégée par des
„bois immenses, m, éclairée par de nombreux
„partis. L'ennemi fut poussé jusqu'à la deuxièniie
„position en arrière du ravin où était la ré-
,^serve ; ' il nous ramena a son tour sur le ravin ;
„il en fut de nouveau repoussé: il nous rame-
„nait pour la seconde fois ; déjà il était sur le
du général Rapp. 139
point d'enlever nos pièces, embarrassées dans
un défilé qu'elles traversaient pour aller pren-
dre 2)ositîon sur les hauteurs ; notre gauche
était culbutée , et l'ennemi faisait un grand
mouvement sur la droite : la brigade étran-
gère allait être dispersée. Dans cet état de
choses , il n'y avait qu'une charge de cavale-
rie qui pût rétablir les affaires; je la tentai.
Nous nous portâmes sur cette infanterie qui
s'avançait audacièusement dans la plaine ; les
braves Polonais s'élancèrent sur les bataillons
russes: pas un homme n'échappa, pas un ne
fut fait prisonnier; tout fut tué , tout périt;
le bois même ne put dérober personne au tran-
chant du sabre. En même temps les carrés
s'ébranlaient au pas de charge ; le général
Girardin , qui conduisait! les bataillons de
gau'che , faisait un changement a droite , et
se portait par Ta grande chaussée sur les der-
rières dé fennemi; les troupes qui se trou-
vaient a droite exécutaient la même manœu-
vre. Le général Pire les soutenait ; il chargea
a le tête du huitième de hussards : rennemi
fttt culbuté; il ne dut son salut qu'aux bois
et aux ravins qui retardaient h^ marche.
Toute la division suivait le mou vement ; Tin-
fanterie s'avançait j^ar la chaussée, la cavale-
rie débouchait par les hauteurs : je faisais
çanonrier les cinq a six. régiments k cheval
qu'elle avait en face. Ce fut dans cette posi-
tion que me trouva votre majesté; elle mé
fit poursuivre l'ennemi, je le poussai jusqu'à
une lieue et demie de Witepsk. Voila, sire,
le récit de l'affaire que nous venons d'avoir
avec les Russes : elle leur coûte environ trois
140 Mémoires
yyinille morte et un grand nombre de blessés ;
,,nous njavons presque perdu personne. Ce ré-
yySultat est en grande partie Tôuvrage du comte
„Belliard, quia dontié dans cette journée de
„nouvelles preuves de dévouement et de cou-
„rage. C'est a lui quon doit la conservation de
,,rartillérie de la division Delaons."
Tout fatigue a la longue ; la lassitude même
inspire de courage. Barclay Féprouva : deux
ou trois fois il eut le dessein de tenter le sort
des armes; niais je ne sais quel pressentiment
de défaite l'agitait à la vue de nos soldats : a
peine il les voyait paraître qu'il précipitait sa
mite ; ses magasins , ses pièces , ses ouvrages,
tombaient dans nos mains sans l'émouvoir. Il
nayaii qu'un but, qu'un objet ; c'était d'être
toujours qùelquesiiieues en avance. Bagration
imitait cet exemple , mais montrait parfois
de la résolution ; il eut divers engagements avec
notre avant-garde. Le maréchal Davoust le
poussait vivement;, mais le roi.de Vestphalie
marchait avec mollesse, Vandame discutait
avec ce souverain , les ordres ne s'exécutaient
pas. Cette mésintelligence sauva le prince
russe; il nous gagna de vitesse, atteignit Mo-
hilow, fut battu : il fut bien arrivé pis sans ces
contestations que Napoléon" ne devait pas pré-
voir. Les Russes, éparpillés sur les bords du
Niémeû , se trouvaient réunis sur ceux du Bo-
rysthène : ils se préparaient k défendre Snio-
lensk , et nous a l'emporter.
• •
141
dm gAiérak Bapp-
CHAPITRE
• \j
„ie; ce pays «^{^^SSéB^rr:::L^ et. de
dessteps, "n.****^*;*?* "^^t^tt- éoooue .ie l*«*-
désolauoa. ISôus étions a *5*Jr2r?^r-i*«'
née ou la .«^^"ï* f. g^y^ |ans««-«ue : t -^-
dans ces étales contrée», peiSBai ^
gageait les désastres qm <le.a«^ «^
^""Spluie narrètait p-s.^ «.^ —
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don: dix nuUe <^^*; •^^; . ,.,,. ^ r^v-
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kçnalé le delmt d ««^J^^^^ ^v ..
chancelants sur c«»» — .^.—
caient en vains «c-*^ - -* i i '^i -» ^
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pour nous la £«^« «^ ^ -in»*. ^ ^^^^
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lespronoswc» -^ ^^ -jt.K*»»» -r
ralH^endr? J^^*"*^ ^■,^.^-^^
\e ne cotoniiHa* iiii» «i« '^_ ^s, ^. ^ - ^
mini qui, -î^î'-^ ^t»*et'*
/
H
142
Mémoires
uns et les autres auguraient mieux que moi de
la lutte qui s'était engagée. Elle se présentait
en effet sous des auspices spécieux: la Pologne
entière était en mouvement ; hommes^ femmes,
paysans, bourgeois, gentilshommes, tous étaient
animés du plus noble enthousiasmé; les troupes
s'organisaient, les administrations jse formaient,
an assemblait des ressources,' et on se disposait a
refouler Toppression par-delà le Borysthène.
La diète de Varsovie était ouverte; cette nation,
si long-temps battue par l'orage, dtby ait enfin
toucher au port: aucun sacrifice ne lui coûtait.
Le discours du président avait excité des ac-
clamations générales , partout il avait été reçu
avec transport. Je fus curieux de le lire ; M. de
Bassano me le communiqua: „I1 pourrait être
,,mieux, me dit-il, mais enfin il est passable."
L'empereur eût désiré qéll fût plus fort de
choses et renfermât des pnrases moins savantes.
C'était l'élan du patriote et non les mouvements
comj^assés de lorateur quiLfallait dans une
si grave circonstance ; néanmoins il a produit
son effet.
„Long-tep[ips avait existé dans le centre de
„rEurope une nation célèbre , maîtresse d'une
„contrée étendue et féconde, brillante du dou-
„ble éclat de la guerre et dés arts , protégeant
,, depuis des siècles, d'un bras infatigable, les
„baTrières de l'Europe contre les barbares qui
„frémissaient autour de son enceinte. Un peu-
„ple nombreux prospérait sur cette terre. La
„nature réi>ondait avec libéralité a ses travaux.
„Souvent^es rois avaient pris place dans l'his-
„toire à côté de ceux qui ont le pluif honoré
^,le ran^ suprême.
du général Rapp. 143
,,Mais cette terre c'est la Pologne, le peuple
,c*est vous : que sont-ils devenus? comment
,s'est opéré le déchirement de notre patrie?
,comment cette grande famille, quj même en
,se divisant ne se séparait pas, qui avait su res-
,ter unie k travers des siècles de divisions;
,comment cette puissante famille s'eat-elle vue
,déinembrée? quels ont été ses crimes et ses
,juges ? de quel droit a-t-elle été attaquée,
,envahie, effacée de la liste des, états et des peu-
,ples ? d'où lui sont venus des oppresseurs, des
,Ters? . . . L'univers indigné nous répondrait. . cha-
,que état , chaque peuple nous dirait qu'il a
,cru voir son tombeau s'entr ouvrir a côté de
,celui de la Polongne , que dans l'audacieuse
,profanation des lois sur lesquelles reposent
,également toutes les sociétés, dans l'insultant
,mépris qu'on en a fait pour nous perdre , le
,monde a pu se croire livré au seul empire des
^convenances , et que bientôt, pour lui, il n'jr
,àura plus d'autre maître. L'Europe effrayée)
,menacée, indiquerait surtout k notre juste
,ressentiment cet empire qui, en nous cares-
>sant, se préparait a peser sUr elle d'un poids
,nouveau. C'est la Russie qui est l'auteur de
,tous nos maux. Dej^uis un siècle elle s'avance
,k pas de géant vers des, peuples qui ignoraient
, jusqu'à son nom.
„La Pologne ressentit aussitôt les premiers
,effets de cet accroissement de la puissance
russe. Placée au pfemier rang de son voisi-
nage , elle a reçu ses premiers comn\e ses der-
,niers coups. Qui pourrait les compter depuis
,qu'en 1717 la Russie essaya son influence par
144 Mémoires
„le licenciement de rarmée polonaise? Depuis
„cette épocfue quel instant a été exempt de son
„influence ou de ses outrages ?
„Si cette puissance astucieuse s unit a la Po-
,,logne, c'est ])our lui imposer^ comme en 1764,
„cette funeste garantie qui attachait l'intégrité
„de nos frontières a la perpétuité de l'anarchie;
^pour faire de cette anarchie le mo jen de rem-
9,plir ses desseins ambitieux. Le monde sait ce
„qu ils ont été .depuis cette funeste époque-
„C'est depuis elle que , de partage en partage,
„on a vu la Pologne disparaître entièrement
„sans crime comme sans vengeance : c'est de-
„puiselle que les Polonais ont entendu, en fré-
,,missant , le langage insultant des Repnin,
„des Sivers; c'est depuis elle que le soldat russe
„s'est baigné dans le sang de leurs concitoyens.
„en préludant a ce jour a jamais exécrable,
,,fa\it*il lé rappeler, dans lequel, au milieu
„des hurlements d'un vainqueur farouche,
„ Varsovie entendit les cris de la population
„de Prague qui s'éteignait dans le meurtre et
,,rincenaie. Polonais, car il est temps de faire
„retentir k vos oreilles ce nom qiie nous n'au-
,,rions* jamais dû perdre , voila les routes odieu-
„ses par lesquelles la Russie est parvenue a
„s'approprier nos plus belles provinces ; voila
„les titres, les seuls titres qu'elle exerce sur
„nous. La force seule a pu nous enchaîner, la
„force peut aussi briser les fers qu'elle seule a
„forgés. Ces fers seront brisés, La Pologne exis-
„tera donc; que disons-nous^ elle existe déjà,
„ou plutôt elle n'a pas cessé d'exister* Que
„font a ses droits la perfidie , les complots, les
vio-
du général Rapp. \4&
yyviolenoeft souâ lesquelles elle a su^cconibé? •
9,0ui, nous sommes encore la Pologne , nous
,,le sommes aux titres, que nous tenons de la
nature , de la société , de nos ancêtres ; k ces
titres sacrés que reconnaît Tunivers «t dont le
genre kumain a fait sa sauvegarde/'. M.r .. .
#
Je fus. entraîné. J avai8:tant ;^u «l^s .bl$iV0d
légions polonaises en Italie, en.Égypte jet ailr
leurs ! Ils avaient véritablement. r^i$oa ; ils
étaient encore la Pologne* ^^^ fait de courage,
„disfje au duc, rien ne me . surprendrt^it de la
f^partde cette vaillante nation; mais f avoue
,,que je lie la soupçonnais pas de ce talent* —
„Vous êtes bon, reprit M. de Bassano; ils ont
„bien autre chose a faire que des harangues! — •
,,Qui tient donc la plume ? — • L'abbé. — Quel
„abbé? Crojex*vous que Fempereur aitde la
^prédilection pour les rabats A — Non, mais
„enfin, au temps oii nous sommes; ce n*^t
,,pas sans des considérations puissantes qu'on
„coïifie une ambassade k un prêtre. — C'est
„rarchevêque ? — Lui-même ; nous lavon^ en-
^Voyé a Varsovie pour enivrer lea Polonais de
,,son éloquence. Je ne le crois pas fort habile
„en affaires: mais il est tout dévoué a Tempe-
„reur ; c*est le principal. Ses ennemis laccusent
,,^'étre ambitieux, inquiet, sans consistance
,,dans ses affections , dslns ses idées , de chan«
ter blanc, de chanter noir, d'être tout ce que
les circonstances exigent. ' Je crois ce portrait
chargé. Je suis même persuadé que si les évé-
„nements compromettaient la gloire de nos ar«
mes , on ne le verrait pas dans les rangs de
nos détracteurs. — Je le crois bien } il a trop
10
9t
146 Mémoires
yyinaltrârte^ les Cosaques pour devenir jamaié
„leur 'pafriavche.*'
■
* La déjititation de la diète était jencere à
'Wilnâ; Je oonnuissais quelques uns de ceux qui
la composaient. Je les vis , ils me parlèrent de
leiu's espérances , de leurs moyens et de leurs
'dlroîti^. ^(L^s^iiléeid me frappèrent; j'ed lîèndis
-^otnp^eflr^t dnc. ',, Vous éteâ admirable! nie dit-
,iil.' Qtidi!' vous ne reconnaisses pas rarckevé-
,;que? vous ne voyea pas avec quel art il setra-
,,Iàit?' VA ces réminiscences bibliques, à qui
,{Vmile8-Vous qiï'elled viemient, si ce n'est un
,,prêti*é ? Au reste; je vais Volts passer la pièce.'*
. Mv>i?«f Ifi^ diète du gratid duché de Varsovie,
!,, résilie à rapproche des puissitntes armées de
,,volre .majesté, a l'econnu'dlabord quelle avait
,^des droits a réclamer et xies devoirs a remplir:
r^^d'une voix: unanime « elle i^'est constituée en
;, ^confédération généirajle 4^ J^^ Pologne ;. elle a
'„déclaré le royaume de Pologne rétabli dans
^^es droits,; et en méni[e. temps que les actes
„usurpa,teurs et arbitraires par lesquels ou avait
„détruit àoi> existence étfiient nuls et de nulle
i,valeUr. I ;
„Sire, votre majesté travaille pouf la posté-
„rité et poui^lliistoire^ Si l'Europe ne peut iné-
, ^connaître nos droits, eltje peut encore bien
„moiiis méconnaître nos devoirs. Nation libre
„et indépendante depuis les temps les phis re-
„cùlés, nous n'avons perdu notre territoire et
„notre indépendance ni par des traités ni par
„des conquêtes , mais par la perfidie et par la
;, trahi son. L'a trahison n'a jamais constitué des
du général Rapp*
147
yydroils. -INous avons vu not^e dernier roi traîné
„a Saint-Pétersbourg , oii il a péri, et notre na-
„tion déchirée en lambeaux par des. prince»
„avec qt^i nous n'avions point de guerre et qui
„ne nous ont point conquis.
»
^Nps droits paraissent donc évidents aux
y^yeux de Dieu et des hommes. Nous, Polonais»
y,nous avons le droit .de rétablir le trône des
,,Jagellonsetdes Sobieski, de ressaisir notre in-
y^dépendance nationale, de ràssemblernos mem-
,,bres divisés, de nous armer, nous-mêmes pour
„not£e * pays natal , et de prouver en nou& bat-
„tant pour iMi que nous sommes de dignes des-
y^eendants.de nos ancêtres.
„ Vôtre majesté peut-elle nous désavouer ou
,,nous blâmer, pour avoir Fait ce que notre de-
,.voir, comme Polonais, 'exigeait de nous, et
„pour avoir repris nos droits? Oui, sire, laPo«
„logne est proclamée de ce jour; elle existe par
les lois deTéquité, mais el-Uî doit exister parle
fait; le droit et la justice légitiment notre ré-
„solntion, maîà elle doit être soutenue de notre
„côté. Dieu, nVt-il pisis assea puni la Pologne
„de ses divisions ? veut-il perpétuer nos mal-
„heurs ? et \es Polonais, après avoir nourri la-
„«iour de le\ir patrie , devaienl-ils descendre
„au tombeau ^alheureux et sans espoir ? Non,
„sire. Vous av^a été envoyé par la providence ;
,,le pouvoir est remis dans les mams de votre
y^majèsté, et Texistence du grand duché est
,,due a la puissance de vos armes.
„Dites, sire : Oue le royaume? de Pologne
,,existe4 ^t ce décret sera pour le monde équi-
10.
>»
9J
148 Mémoires
^valent ,a la réalité. Nous sommes seixe mil-
^,Uons de Polonais , parmi lesquels il n'y en a
\ ytpas un dont le sang , les bras , la fortune, «ne
^^soiént dévoués a votre majesté. Chaque ^cri-
' ^^fice nous paraîtra léger s'il, a pouî* objet le ré-
^,tablissement de notre pays natal. De la
„Dwina, au Dniester,- du Borysthène àl'Oder,
„un seul mot de votre majesté lui dévouera
,; tous les bras, tous les efforts, tous les cœurs.
^, Cette guerre sans exemple que laRussie*aosé
^, déclarer, nonobstant les souvei>irs d'Auster-
,,lit« ^ de Pultusk , d'Eylàu , de Friedland ,
^malgré les serments reçus a Tilsit, et a Eir-
„furth, est, nous n'en doutons pas, un effet
„de la providence , qui, touchée des infor-
^,tunes de notre nation, a résolu d'y mettre fin.
^,La seconde guerre de Pologne vient seule-
j^ment de commencer , et déjà nous appor-
^,toû^ nos hommages 'a votre majesté dans
.,1a capitale des Jagellons. Déjà les aigles
„de votre majesté sont sur la Dwina ; et
„les armées de la Russie , séparées , di-
„visées , coupées , errent incertaines , et
„cherchent en vain a se réunir et a se^ for-
„mer , etc."
„C'est bien. — Oui, sans doute; mais il
„est si charmé du chef-d'œuvre.,; qu il croi-
„rait manquer a sa gloire s'il ne publiait par-
„tout que son génie jn'otége la Pologne* Vingt
„fois par jour je siiis obligé de modérer ces
„excès d'amo^ir-propre. • Ce matin: encore je
„lui ai fait sentir 1 inconvenance de ses mou-
„vements de vanité. — . Il ossianise : vous
„rappele2-vous le mot? — Il le peint a mer-
,, veille. Au reste,, si sa prose va bien, l'am-
élu général Rapp.
149
,,bassad« ne va guère. Sans Duroc, ^uilecou-
„vre de son ombre , je l'aurais déjà renvoyé a
. ,,ses ouailles. Que diable Taumônerie a-t-elle
„de commun avec les ambassades? C'était bien
,,la peine de sedoimer tant de mouvement pour
i,ne rien faire qui vaille !**
• '
150 Mémoires
CHAPITRE XXVI.
» •
Jeiiieremisenroute: c étaient des bois, des
steps , tout ce que la nature a de plus sauvage ;
mais je rencontrais ackacrue pas des officiers
qui allaient en mission ; ils me donnaient des
nouvelles de mes amis, de l'armée: j'oubliais
les lieux que je parcourais ; je discourais sur
les chances probables, de la guerre; ils me par-
laient de la valeur des troupes, delà prodi-
gieuse activité de l'empereur. Elle était en effet
inconcevable: les mouvements, Fadministra-
tion , les mesures de sûreté et dé prévoyance,
il embrassait tout, il suffisait a tout. Les in-
structions données à M. d'Uautpoult en sont un
exemple. Elles méritent d'être aonservées.
„£'officier d'ordonnance d'Hautpoùlt se ren-
„dra a Ostrowno , et de Ik a Besxenkowicxi. Il
„verra k Ostrowno si lé village est réhabité et
„s'il a un commandant de place pour le réor-
,,ganiser; il verra k Beszenkowicxi si les ponts
,,sont faits, et si on a substitué un pont de ra-
f ,deaux au pont de chevalet qui ne résisterait
f,pa8 aux premières crues de la rivière ; il verra
f,si on travaille k la tête du pont; il verra l'hô-
9,pital, la manutention, les magasins; et enfin,
f ,si le pajs commence a se réorganiser. Il me
f, rendra compte des troupes qu'il rencontrera,
f,soit cavalerie, soit artillerie, soit infanterie,
f,soit équipages militaires. Il verra k Bês^en-
•,kowicai le quatrième régiment des chasseurs
f ,de la garde et le bataillon de Hesse-DarmstaUt,
du général Mapp. 151
y^auxquels j'ai ordonna de rester là en position
,,îusqu a nouvel ordre: il doit y avoir aussi plu-
„sieurs pièces d'artillerie; il niudra avoir' soin
,,que tout cela soit eu position, et qu'on tra-
„ vaille k la tête du pont, afin de la terminer.
,,I1 s'informera si on a des nouvelles des Cosa-
„ques; et, s'il est nécessaire, il restera un jour
,,a Beàaenkowicxi, afin de tout voir et de faire
,,sa dépêche. Il m'écrira de cet endroit, en
„âyant soin de remettre sa lettre a la première
,,/estafette qui passera a Besaenkowicai. Il con-
,,tion. Il me fera connaître combieii de prison-
,,niers a faits le duc de Reggio a ces différentes
„afFaires qui viennent d'avoir lieu ; combien de
„blessés; tout ce qu'il pourra apprendre? sur
cette affaire et sur la situation du corjis du
„duc de Beggio. Le duc de Tarente ayant pris
„Dûnabourg, l'offiicier d'ordooAaqce d'Haut-
„poult s'informera si la coiiimpiiic^tioïi ^ntre
„les deux corps s'est opérer . Il prendjcf( tçujle»
„les informations qui pourront me ffiire cpn-
y,naitre la natvire des forces opposées au duc de
9,Reggio; il restera avec cç maréckal, auquel
„il remettra ]ia lettre ci^jointe , jusqu'^ ce que
,,celui-ci ait attaqué l'ennemi , éclairci la rive
^droite et opéré sa communication avec I)^^
„nabourg.
«
Mais toute cette vigilance ne remédiait pas
au mal. Les traînards se multipliaient a vjLie
d'œil; ils encombraient nos derrières, je rendis
- * * *
V '
152
Mémoires
w
19
cooipte k Tempereur , que je rejoignis au bi-
vouac a trois lieues en deçk de Smolensk , du
triste tableau que je n avais cessé d'avoir sous
les yeux dans mon vojage. ,;C'est la suite des
yjongues marches; je* frapperai un grand coup
et tout le monde se ralliera. Vous venes de
„Wîlnarque fait Hogendorp?,il se bei*ce dans .
„son indolence ? Il n'a pas de femme avec lui?"
Je n'en savais rien, je ne puis rien répondre.
Napoléoil reprit r „S'il a sa femme, il faut
^qu'elle rentre en France , ou du moins qu'il
„la renvoie en Allemagne, sur les derrières.
^B^rthier va lui écrire." On apporta desj. pa-
1>iers qu'on venait de traduire : les uns étaient
es récits de ce^ victoires où quelques po^nées
de Cosaques nous avaient tous battus ; les autres
des proclamations , des adresses oii l'on nous
signalait comme une troupe de fnissionnaires.
„Vojea, mè dit Napoléon; vous ne vous doutiea
„pas que nous fu3sions des apôtres : voila pour-
,itant que noifk venons .damner les Russes. Ces
„pauVres Cosaques , ils vont devenir idolâtres.
„iif ais en voici bien d'une autre! tenez lises;
„c'est du rijjsse tout pur. Le pauvre Platon !
„Tout eàt d^ même force dans xîes tristes cli-
„mats.** JtB lus : C'était un long amphigouri
dont le patriarche assaisonnait une relique du
saint Serge qu'il ofErait k l'empereur Alexandre.
Il le terminait par ce paragraphe : ,,La ville de
^Moscou j la première capitale de l'empire , la
nouvelle Jérusalem, reçoit son Christ, comme
une mère , dans les bras de ses fils zélés ; et,
„k travers le brouillard qui s'élève , prévoyant
, ,1a gloire brillante de sa puissance , elle chante
,,dans ses transporù : Hosanna, béni soit celui
19
>f
du général Rapp.
153
,,qui arrive ! Que TarroganJ, Teflronté Goliath
,, apporte des limites de la France l'eJ&oi mor-
„tel aux confins de la Russie ; la pacifique re-
,4igion , cette fronde du David russe abattra
^soudain la tête de son sanguinaire orgueil.
„Cette image de saint Serge, antique défenseur
,9 du bonheur de notre partie, est offerte a votre
y^majesté impériale;^*
154 Mémoires
'I II I I Be89i^5gBgaaa8gMaBBeaa8BB8gsg j i . L' yg"
CHAPITRE XXyiI.
j
L'affaire de Smolensk «ut lieu. Qn se battit,
on se cancHina avec violence. Les Russes , pris
d'écharp et d'enfilade, furent défaits. Ils ne
purent défendre ces murs tant de fois témoins
de leurs vîctoives et les évacuèrent; mais les
Sonts 9 les édifices publics , étaient la proie des
ammes. Les églises surtout exhalaient des tor-
rents de feu et de fumée. Les dômes y les flè-
ches et cette n^ultitude de tourelles qui domi-
naient l'incendie , ajoutaient encore au tableau
et produisaient ces émotions mal définies qu'on
ne trouve que sur le champ de bataille. Nous
entrâmes xlans la place. £lle était a moitié con-
sumée, d'un aspect sauvage , encombrée de
cadavres et de blessés qu'atteignent déjà les
flanunes. Le spectacle était affreux. Quel cor-
tège que celui de la gloire !
Nous avions besoin de détourner nos regards
de ces scènes de carnage. Les Russes fuyaient/
la cavalerie s'élança sur leurs traces ; elle attei-
Snit bientôt Tarrière-garde. Korff voulut tenir,
: fut accablé. Barclaj accourut avec ses mas-
sesi , nous reçûmes des renforts ; l'action devint
terrible. Ney attaquait en tête, Junotparle
flanc ; l'armée ennemie était coupée , si le duc
se fût porté en avant. Fatigue de ne *|>as le
-voir paraître , Murât courut k lui : „Que fais-
,,tu? que n'avances - tu ? — Mes Westphalieos
„chancellent. — Je vais leur donner l'élan."
Le roi de Naples se jette à la tête de quelqu^es
du général Rapp. 155
escadrons, charge, culbute tout ce qui s'oppose ,
à son passage. ^Yoilk ton bâton de marl^chal k
,,moitié gagné; achève, les Russes sont perdus/.*
Jimot n'acheva pas; soit lassitude, soit défiance,
le brave des braves sommeilla au bruit du ca-
non; et l'ennemi, quiaccour ait pour maintenir
ses derrières, se reporta sur la ligne. La mêlée
devint affreuse ; le brave Gudin perdit la vie,
et larmée russe nous échappa. jSapoléon vi-
sita les lieux où l'on avait combattu. „Ce n'e-
stait pas au pont, c'est Ik, c'est au village oii
„devait déboucher le huitième corps qu'était
„la bataille. Que faisait Junot?^' Le roi de Na-
f^les chercha k attéhuçr sa fautes Les troupes, '
es obstacles , tous les lieux communs d'usage
furent employés. Berthier , qui avait toujours
aimé le duc, s'intéressa pour lui; Caulincourt
en fit autant. Chacun plaida de son mieux en
faveur d'un brave a qui on ne pouvait repro-
cher qu'un instant d oubli. Mais nous avions
Ïerdu de trop grands avantages. Napoléon me
t appeler : „ Junot vient de manquer pour tou-
, Jours son bâton de maréchal. Je vous donne
„ie commandement du corps westphalien : vous
„])arlea leur langue , vous leur donnerez l'ex-
,,emple, vous les ferez battre.^' Je fus flatté
de cette marque de confiance et le lui té-
moignai; mais Junot était couvert de blessu-
res, il s'était signalé en Syrie, en Egypte, par*
tout ; je priai l'empereur d'oublier un moment
d'absence en faveur de vingt ans de courage
et de ^dévouement. „I1 est cause que l'armée
,,rusàe n'a pas mis bas les armes : cette affaire
„m'empêchera peut-étred'aller a Moscou. Met-
„tes*vous.k la' tête des Westphaliens.^ Le ton
156 Mémoires .
• dont il jprononça ces de):nières paroles était
déjkbién radouci. Les services de lancien aide-
de*cainp atténuaient l'inaction du huitième
,,corps. Je repris: „ Votre majesté vient de me
, ^parler ^de Moscou; L'armée ne s attend pas a
„cette expédition* — Le vin est versé, ufaut
„le boire. Je viens de recevoir de bonnes nou-
„velles : Schwaraenberg est en Wolhinie ; la
y^Pologne s organiste , j'aurai toute espèce de se-
„cour8.**
Je quittai Napoléon pour faire part au prince
de Neuchàtel et au duc de Vicence de la dis-
grâce dont Junot était menacé. „Je souffire, me
,,dit le prince , de lui voir ôter ses troupes ;
y^mais je ne ])uis disconvenir qu'il n'ait fait
,, manquer la plus belle opération de la cam-
„pagne. Voilà à quoi tiennent les* succès de la
^guerre, a un oubli, une absence d'un instant:
,,vous ne saisisses pas l'occasionna la volée; elle
,ydisparait et ne revient plus. Personne n'a plus
,,de courage, de capacité. Il joint aux qualités
„dù militaire les connaissances les plus éten-
,,dues; il est intrépide, spirituel, aimable et
„bon. Il s'est ouMié pendant une heure; il
„s'est préparé bien des ennemis. Au reste, je
,',verrai avec Caulincourt.- * Ils agirent si bien
l'un et l'autre que Junot conserva son comman-
dement; j en fus fort aisé, d'abord parce que
cela lui évitait un affront, et qu'ensuite je ne
me ^uciais guère de ses soldats. Malheureuse-
ment la fatigue avait succédé a l'impétuosité
du jeune âge. Il ne montra pas a la bataille de
' Moskowa cet élan , cette énergie dont il avait
tant de fois donné l'exemple; et raflfaire de
( du général Rapp. 157
Tereia mit le comble aii mécontentement de
Napoléon.
Nous apprîmes, quelques jours après, l'irrup-
tion de Tormasow. Nous étions inquiets , nous *
discourions de ces longues pointes, des dangers
auxquels on s'exjîose en s'éloignant outre,
mesure dé sa ligne d'opérations. Sans doute
Napoléon i;ious entendit. Il vint a nous , parla
beaui^oup de la manière dont il avait assuré
ses derrières , des corps qui formaient nos ailes,
et de cette chaîne de postes, qui se liaient
depuis le Niémen jusquaux lieux où nous
nous trouvions. „Tormasow, nous dit-il, amis
,,tous les enfants de Varsovie en l'air. Ils le
^voyaient déjà fonctionnant a Prague ; mais le
„voila renvoyé plus vite qu'il n'était venu."
Il rentra dans son cabinet , et se mit k dicter
avec indifférence, mais assex haut pour que
nous n'en perdissions pas un mot, des instruc-
tions pour le duc de Bellune.
Napoléon au major-général.
Dorogobuj, le 26 août 1812.
• • . «
„Man cousin, écrivez au duc de Bellune de
„se rendre de sa pers<mne a Wilna, afin d'y
„voir . le duc de Bassano et d'y prendre con-
,,naissance des affaires et de l'état des choses ;
,,que je serai aprèsdemain à Wjaeama, c*est-a-
^,dire a cinq marches de Moscou; qu'il est
^possible que, dans cet état de choses^ des
^,communications viennent a être interceptées;
„qu'il faut donc que quelqu'un prenne alors
„le coii[imandement et agisse selon les circon-
^stances ; que j'ai ordonné qu'on dirigeât sur
„Min9k le cçnt- vingt-neuvième régiment, lé
99
158 JMknwirea
»
,,régime0t iUjrrien, le régiment westpkalien,
,,qui était à Kœnigsbetg , et les 4eux régiments
„8axons4 que j'ai en outre placé entre Minsk
,,et Mohilew la division Dombrowski, forte
y,de douse bataillons et d'une brigade de cava-
>,leÀe légère ; qu'il est important que son corps
s'approcuie de W ilna \ et qu il se dirige selon
les circonstances , afin d'être a même de sou-
_tenir Sm^^ensky Witepsk, Mohilew et Minsk;
„que la division Dombrowski doit être suffisante
,.pour maintenir les communications de Minsk
^9par Orsxa jusqu'à Smolensk y puisqu'elle n'a k
«^contenir que la division russe du générs^
^Hextel qui est a Mosyr, forte de six a huit
y^nille hommes , la plupart recrues et contre
^laquelle, d'ailleurs, le général Schwartxen*
nberg peut opérer ; que les nouveaujii; renforts
9,que j envoie à Minsk pourront aussi subvenir
^^a tous les inccoivénients ; et dans tous les cas,
,yle mouvement du duc de Bellune sur Minsk
^et Orsza, et de la s\ir Smolensk , me paraît
,,propre a maintenir tous les derrières ; que
,,]'ai quatre mille hpmmes de garnison a Witepsk
„et autant à Smolensk; que le duc de Bellune,
,, prenant ainsi p'osition entre le Dnieper et la
,,Dwina, sera en communication facile avec
„moi| pourra promptement recevoirmes ordres
,,et se . trouvera en n^esure de protéger les
^communications de Minsk et de Witepsk,
„ainsi que celles de Smolensk sur Moscou;
.„que je simpose que le général Gouvion Saint*
yyùyt a sumsaniment des deuxième et sixième
,^corp9 pour tenir en échec Witgensjbeift, et n'en
i,avoir rien a craindre ; que le duc de Tftirente
',,'peut se porter sur Riga pour investir la place ;
du général Rapp^^
159
„enfin, que j'ordonne aux quatre démi-brîgades'
„de marche, formant neuf mille hommes , qui
^faisaient partie de la division Lagrange, de se
, , diriger sur Kowno: qu'ainsi ce ne serait que
„dans le cas où le général Gouvion Saint -Lyr
,, serait battu par le général Witgenstein et
^fohligé de repasser la Dwioâ que le duc de
, yBellune devrait marcher k son secoura d'abord ;
^.ij^pe, ce cas excepté, il doit suivre, sa direc-
,itïon ^ur SmolemL . .
,^Surcé, etc.
\
A")
160 Mémoires
'h
CHAPITRE XXVIII,
L*armée continuait s<m mouvement , pous*
sant, toujours devant elle les trou][>es €[u elle
avait battues k Yalontina. On chantait bien des
Te Deurn en Russie ; on en chante pour tout
dans cet heureux pays : mais les ^Kctoires k la
façon de Tolly ne calmaient pas Tanxiété de
la nation; elle' sentait que cette manière de
vaincre la refoulerait bientôt en Sibérie : elle
résolut ~ de mettre ses destinées en d'autres
mains, Kutusovir puisait aux pieds des images
ses inspirations militaires; il jeûnait, priait,
flattait les prêtres et la noblesse; le ciel ne
pouvait lui refuser son assistance : il fut nomn^é.
Admirables dans les cours , les pasquinades ne
suffisent pas sur lé champ de bataille ; toutes
les momeries religieuses ne tiennent pas devant
une bonne disposition : il l'éprouva. Le roi de
Naples , qui n'avait pour les amulettes que le
mépris d'un soldat , fond sur lui et le taille en
Ïûèces. Il veut faire ferme à Che varino ; mais
a cavalerie s'ébranle , la charge bat; on le cul-
bute, on le jette dans ses retranchements: le
courage Temporte sur les saints de la Russie*
Ce début n'était pas de bon augure ;^ le
ciel répondait froidement au zèle des Cosacmes.
On redoubla de supplications : Kutusow dé-
5 lova ses images ; on défila devant la vierge
e Smolensk , doiit nous voulions déposséder
la dévote nation : on fit des prières, des vœux,
dea
du général Rapp. 161
des ofErandes; etleâ orateurs des Calmouks dé-
bitèrent rhomélie qui suit :
y,Frères!
„Vous voyea devant vous, dans cette image,
, jobjet de votre piété , un appel adressé au ciel
^,pour qu'il s'unisse aux hommes contre le tyran
^^qui trouble lunivers. Won content de détruire
,,des millions de créatures, images de Dieu, cet
„archi-rebelle a toutes les lois divines et hu*.
,,uiaines pénètre a main armée dans nos sane-
^,tuaires ^ les souille de sang , renverse vos au-
,,telsy et expose l'arche même du Seigneur, con-
„sacree dans cette sainte image de notre église,
,,aux profanations des accidents ,. des éléments
„et des mains sacrilèges. Ne craignes doncJ pas
„que ce Dieu^ dont les autels ont été ainsi in*
,,sultéspar ce vermisseau que sa toute-puissance
„atiré de la poussière, ne soit point avec vous;
„ne craigne,» pas ({u il refuse d'étendre son boû-
„clier sur vos rangSj et de combattre son enne-
.^,mi avec Tépée de saint Michel.
,, C'est dans cette croyance que je veux com-
„battre, vaincre et mourit, certain que mes
„yeux mourants verront la victoire* Soldats,
^remplisse» votre devoir; songea au sacrifice
,,de vos cités en flammes et a vos enfants qui
^implorent votre protection; songex a votre
,,empereur, votre seigneur , qui vous considère
,,comme le nerf de sa force; et demain, avant
„que le soleil n'ait disparu, vous aures tracé
„votre foi et votre fidélité sur le sol dé votre
,,patrie j avec le sang de Fagresseur et d^ ses
„guerriers/* ,
U
l62 Mémoires
«
Uë2>ée de saint Michel est sans doute une
épée redoutable; mais des soldats dispos va-
lent encore mieux: aussi Kutusow n'épargnait-
il pas les libations; il accroissait d'autant la
ferveur des Cosaques. Quant a nous, nous
n'avions ni inspirés , ni prédicants , ni même
de subsistances , mais nous portions l'héritage
d'une longue gloire; nous allions décider oui
des Tartares ou de nous devait donner la loi
au monde ; nous étions aux confins de l'Asie,
plus loin que n'était jamais allée armée eu-
ropéenne.^ Le succès n'était pas douteux : aussi
Napoléon aperçut-il avec la joie la plus vive
les proccessions de Kutusow. „Bon , me dit-il,
„les voila occupés de pasquinades ; ils n'échap-
,,peront plus." Il fit des reconnaissances, ex-
pédia des ordres de mouvement, et se pré-
para a la journée du l'endemain. Le roi de
Naples jugeait ces dis]>ositions superflues: il
s'était emparé de la princii>ale rédoute, la
gauche delà position était débordée; il ne pen-
saiV PAS que les Russes voulussent accepter la
bataille;/ il croyait qu'ils se retireraient pen-
dant la nuit: ce n'était pas leur projet; ils creu-
saient, ils remuaient là terre, ils assajaient leur
position. Le lendemain nous les aperçûmes qui
étaient tous a l'ouvrage: il était onze heures,
Napoléon m'envoya faire une reconnaissance;
j'étais chargé d'approcher le plus près possible
de la ligne ennemie. Je me débarrassai de mes
plumes blanches, je mis une capote de soldat
et examinai tout avec le plus de soin qju'il me
fut possible; je n'étais sun^i que d'un chasseur
de la garde. Dans plusieurs endroits je dépas-
sais les vedettes russes: le village de Borodino
du général Rapp.
t63
n'était séparé de nos postes gue par un rayîn
4troit et profond i je m avançai trop, on me tira
deux coups de canon kmitraiHe; je m'éloignai;
je rentrai vers les deux heures , et vins rendre
compte de tout ce que j'avais vu. Napoléon
s'entretenait avec le roi de Napjies et le prince
de Neuchâtel ; Murât avait bien changé d'opi-
nion : surpris de voir , à la pointe du jour , la
ligne ennemie encore tendue, il avait jugé
l'action imminente et s'y était préparé* D'au-
tres généraux soutenaient cependant encore
que les Russes n'oseraient en courir la chance :
quant à mois , je prétendais le contraire 5 j'ob**
servais qu'ils avaient beaucoup de monde, une
assea bonne position; j'étais convaincu qu'ils
nous attaqueraient si nous ne les prévenions*
Napoléon me fit l'honneur, d'être de mon ayis^.
qui était aussi celui de Berthier : il demanda
ses chevaux, et fit en personne la même re-
connaissance. Il fit reçu comme je l'avais été
devant Borodino ; la mitraille l'obligea de s'é-
loigner : ce qu'il aperçut acheva de le convain-
cre qu'il ne s'était pas trompé ; il donna en
rentraiiit des ordres en conséquence»
La nuit arriva. J'étais de service; je couchai
dans la tente de Napoléon. L'endroit où il re-
posait était ordinairement séparé par une cloi-
son en toile de celui qui était réservé a l'aide**
de-camp de service* Ce prince dormit fort peu*
Je l'éveillai plusieurs foi pour lui remettre des
rapports d'avant-postes, qui tous lui prouvaient
que les Russes s'attendaient a être attaqués*
A trois heures du matin il appela un valet de
chambre et se fitajjporter du punch; j'eus llion-^
neur d'en prendre avec lui. Il me aemanda si
11 .
164 Mémoirea
j'arais bien dormi ; je lui répondU que les nuits
ëtaieiit déjà fraîches , crue j'avais souvent été
réveillé. 11 me dit: y,Nous aurons àlFaire au-
,,jourd'hui a ce fameux Kutusow. Vous vous
,,rapele2 sans doute que c'est lui qui commàn-
,,dait a Braunau lors de la campagne d'Auster-
„lits- Il ^^ resté trois semaines dans cette place
,,san8 sortir une seule fois de' sa chambre; il
,,n'est pas seulement monté a cheval pour voir
„les fortifications. Le général Bennigsen» quoi-
y,que aussi vieux, est un gaillard plus vigou-
„reux que lui. Je ne sais pas poui^cfuoi Alex-
sandre n a pas envoyé cet Hanovrieii poiir rem-
'„placer Barclay.** il prit un verre de punch,
lut quelques rapports et ajouta :
,,Ëh bien ! Rapp , crois-tu que nous ferons
„de bonnes aiFaires aujourd'hui ? — Il ti j a pas
,,de doute, sire; nous avons épuisé toutes nos
,, ressources, nous sommes forcés de vaincre.**
Napoléon continua sa lecture et reprit: ,,La
^yfortune est une franche courtisane ; je l'ai sou-
,,vent dit, et je commence à l'éprouver. — Votre
„majesté se rappelle qu'elle m'a fait l'honneur
y,de me dire k Smolensk que le vin était versé^ '
„quil fallait le boire. Cest maintenant le cas
^plus que jamais ; il n'est plus temps de reculer.
„L'armée connaît d'ailleurs sa position: elle
„sait qu'elle ne trouvera de subsistances qu'à
, ^Moscou et qu'elle n a plus que trente lieues k
,, faire. — Cette pauvre armée, elle est bien
„réduite: mais ce qui reste est bon ; ma garde
,, est d'ailleurs intacte.** Il manda le j^rince
Berthiet et travailla jusqu'à cinq heures et
demie. Mous montâmes a cheval. Les trom-
pettes sonnaient, les tambours battaient; dès
du général Happ. 165
que les troupes raperçurent, ce ne fut qu'accla-
mations. ,, C'est Tenthousiasine d'Auslerlits.
^Faites lire la proclamation.*'
i^Soldats!
^,Voila la bataille que vous avex tant désirée!
, , Désormais la victoire dépend de vous; elle
,,nous est nécessaire ; elle nous donnera l'abon-
,,dancey de bons quartiers d'hiver et un prompt
^,retout dans la patrie. Conduisez-vous commd
„a Austerlitx, kFriedland, aWitej^sk, aSmo-
,,l^nsk, et que la postérité la ])lus reculée cite
,,votre conduite dans cette journée; ([ue Ton
„dise de vous: Il était a cette grande bataille
„sous les murs de Moscou.** Le« acclamations
redoublèrent, les troupes ne demandaient qu'a
combattre , Faction fut bientôt engagée.
166 Mémoires
CHAPITRE XXIX.
Les Italiens et les Polonais tenaient les
ailes. Napoléon opérait sur la gauche des masses
ennemies. Du reste , nous n'avions aucun ren-
seignement précis; femmes, enfants, vieil-
lards , bestiaux , tout avait disparu ; il ne
restait personne qui pût nous donner la moindre
indication. Mey marcha a l'ennemi et l'enfonça
avec cette vigueur, cette impétuosité dont il a
donné tant d'exemples. Nous emportâmes les
trois redoutes qui l'appuyaient. Il accourut
avec dès trou,pes fraîcnes : le désordre se mit
dans nos rangs, nous évacuâmes deux de ces
ouvrages ; le dernier même était compromis.
Les Russes couronnaient déjà la crête des fossés.»
Le roi de Naples voit le danger, vole, met
pied k terre ^ entre, monte sur le parapet; il
appelle , anime les soldats. La redoute se garnit,
le feu devient terrible, les assaillants n'osent
tenter l'assaut. Quelques escadrons paraissent;
Murât monte k cheval, charge, culbute les
colonnes dispersées dans la plaine. Nous repre-
nons les retranchements , nous nous y établis-
sons pour ne les plus quitter. Ce trait d'audace
décida la journée.
Le général Gompans venait d'être blessé;
fallai prendre le commandement de sa division.
Elle faisait partie du corps d'armée du mare-
chai Davoust.* Elle levait enlevé une des posi-
tions retranchées de l'ennemi ; elle avait déjà
beaucoup souffert., Je me concertai en arrivant
du général Rffpp. 1C7
avec le maréchal Nej , dont jdAenais la droite.
Nos troupes étaient pêle-mêle; nous les rallia-
mies, nous nous j^récij^itâmes sur les Russes,
nous leur fîmes expier leur suc(^ès. La canon-
nade, la fusillade, n arrêtaient j^as. Infanterie,
cavalerie, se chargeaient avec fureur d'une
extrémité de la ligne a l'autre. Je n avais pas
encore vu de semblable carnage.
Nous avions trop appuyé sur la droite; le
roi de Naj^les restait seul exposé aux ravages
des batteries de Scminskoé. Il n'avait que des
troupes a cheval; un ravin profond le séparait
du village , il n'était pas facile de l'emporter :
il le fallait cependant sous peine d'être écrasé
par la mitraille. Le général Belliard , qui
n'aperçoit qu'un rideau de cavalerie légère,^
conçoit le dessein de la refouler au loin et de
se porter ]>ar un a gauche sur la redoute. „Couçs
„a Latour-Maubourg, lui répond Murât, dis-lui
„de prendre une brigade de cuirassiers fran-
,,çais et saxons, de passer le ravin, de tout
„sabrer, d'arriver au galop sur le revers de la
„redoute et d'enclouer les pièces. S'il ne réussit
„pas , qu'il revienne dans la même direction.
„Tu disposeras une batterie de quarante pièces
„et une partie de la réserve pour protéger la
„retraite." Latour-Maubourg se mit en mou-
vement, culbuta, dispersales Russes et s'empara
des ouvrages. Priant vint les occuper. Toute
la réserve passa et s'établit a la gauche du village.
Restait un dernier retranchement qui nous pre-
nait en flanc et nous accablait. Elle venait d'en
enlever un, elle pensa qu'elle pouvait en empor-
ter un autre. Caulincourt s'avança, sema au
loin le désordre et la mort. Il se rabattit tout a
168 4, Mémoires
coup sur la Aloute et s'en rendit maître.
Un soldat caché dans une embrasure Fétendit
roide mort. Il s'endormit du soinmeil des
braves; il ne fut pas témoin de nos désastres.
Tout fuyait , le feu avait cessé , le carnage
faisait halte. Le général Belliard alla reconnais
tre un bois place a quelque distance. Il aper-
çut la route qui convergeait sur nous ; elle était
couverte de troupes et de convois qui s'éloi-
Î;naient. Si on l'interceptait^ toute la droite de
'armée ennemie était prise dans le segment
où elle se trouvait. U vint en prévenir Murât.
,, Cours en rendre compte a 1 empereur , lui
„dit ce prince." Il y lut, mais INaj^oléon ne
crut pas le moment venu. „Je n j vois pas. en-
,fCore asses clair sur mon échiquier. J'attends
»,de3 nouvelles de Poniatowski. Retournex,
y^xamines et revenez. ^* Le général retourna
enelFet, mais il n'était plus temps. La garde
russe s'avançait; infanterie, cavalerie, tout ar-
rivait pour renouveler l'attaque. Le général
n'eut que le temps de rassembler quelques pie»-
ces. De la mitraille, de la mitraille, et tou-
jours de la mitraille , dit-il aux artilleurs. Le
feu s'ouvrit , Teffet en ftit terrible ; en un in-
stant la terre se couvrit de morts ; la colonne
écrasée se dissipa comme une ombre. £lle n'a-
vait pas tiré un coup de ftisil. Son artillerie
ai'riva quelques instants après; nous nous en
emparâmes.
La bataille était gagnée, mais le feu était
toujours terrible. Les balles, les obus, pleu-
vaient a mes côtés. Dans l'intervalle d'une
heurfe je fus touché quatre fois, d'abord de
deux coups de feu assez légèrement, ensuite
du général Rçq^p. 1G9
d*un boulet au bras gauche , qui m'enleva le
drap de la manche de mon habit et la chemise
jusqu a la chair. J'étais alors a la tête du soixante-
unième régiment^ que j'avais connu dans la
haute Egypte. Il comptait encore quelques of-
ficiers de cette époque : il était asse^ singulier
de se retrouver ici: Je reçus bientôt une ([ua-
triènie blessure ; un biscaïen me frappa a la
hanche gauche et me jeta a bas de mon cheval:
c'était la vingt deuxième. Je fus obligé decfuit-
ter le champ de bataille : j'en fis prévenir le
maréchal Ney, dont les troupes étaient mêlées
avec les miennes.
Le général Dessaix, le seul général de cette
division qui ne fût pas blessé , me remplaça ;
un moment après il eut le bras cassé: Priant
fut atteint plus tard.
Je fus })ansé par le chirurgien de Napoléon,
qui vint lui-même me faire visite. „C'est donc
,, toujours ton tour? Comment vont les afFai-
,,res? — Sire, je crois que vous serea obligé
,,de faire donner votre garde. — Je m'en gar-
,,derai bien; je ne veux pas la faire démolir.
„Je suis sûr de gagner la bataille sans qu'elle
,,y prenne part." Elle ne donna pas en effet,
a l'exception d'une trentaine de pièces qui firent
des merveilles,
La journée finit; cinquante mille hommes
lisaient sur le champ de b£^ taille. . Une foule
[e généraux étai^.it tués ou blessés : nous en
avions une quarantaine Jiors de combat.
Nous avions iP^it des prisonniers* , enlevé
quelques pièces de canon; ce résultat ne com-
pensait pas les pertes qu'il nous coûtait.
170 Mémoires
CHAPITRE XXX.
L'armée russe se retirait sur sa capitale:
elle fit encore quelque résistance a Moiaïsk et
gagna Moscou. jNous occupâmes cette ville sans
coup férir. Murât j^^ntra à la suite des Cosa-
queSy s'entretint avec leurs chefs et donna même
"^ sa montre a l'un d'eux. Ils lui témoignai<4nt
ladmiration que leur causait son courage ,
rabattement qu'entraînent les longues disgrâ-
ces , lorsque des coups de fusil se firent enten-
dre: c'était quelques centaines de bourgeois
qui avaient pris les armes. Ils firent eux-.'
mêmes cesser ce feu inutile et continuèrent
leur retraite.
Napoléon fit son entrée le lendemain. Il
s'établit au Kremlin avec une partie de sa garde
et les personnes de sa maison; mais nous étions
si mal, que je fus obligé de prendre un autre
logement. Je m'installai a quelque distance
daps une maison qui appartenait a un dés mem-
bres de la famille INareschkin. J'étais arrivé a
quatre heures du soir. La ville était encore in-
tacte : la douane seule était la proie des flam-
mes , qui la dévoraient dc;H avant qu aucun
Français ne parût; mais la nuit. vint , ce fut le
signal de. l'incendie; a gauche, a droite , par-
tout il éclatait.
Les édifices publics, les temples, lespro-
i
du général Rapp. 171
Î)rietés particulières, tout était en feu. La con-
lagration était générale, rien ne devait échap-
per. Le vent soufflait avec violence ; Fembra-
seméiiit fit des progrès rapides. A minuit le foyer
était si èlFrajant, que mes aides-de-camp me
réveillèrent; ils me soutinrent; je gagnai une
fenêtre d où je contemplai ce spectacle , qui
devenait affreux. L'incendie s'avançait sur nous :
a quatre heures on me prévint qu'il fallait
déloger. Je sortis; quelques instants après la
maison 'fut réduite en cendres» Je me us con-
duire du côté du Kremlin; tout y était en
alarmes. Je rétrogradai et me rendis, au quar-
tier des Allemands. On m y avait arrêté Inôtel
d'un g^nér^l russe; j'espérais m'y remettre de
mes blessures ; mais quand j'arrivai , des bouf-
fées de feu et de fumée s'en échappaient déjà.
Je n'entrai pas ; je retournai encore au Kremlin.
Chemin faisant j'aperçus des soldats, des artisans
russes qui se répandaient dans les maisons et
les incendiaient. Nos patrouilles en tuèrent
quelques uns en ma présence et en arrêtèrent
un assez grand nombre. Je rencontrai le maré-
chal Mortier. >,0ù allezvous ? me dit-il. — Le
feu me chasse, quelque part que je me l,oge;
je vais décidément au Kremlin*! — Tout y est
„en désordre, l'incendie gagne partout: éloi-
„ffnez-vous plutôt. — Où se retirer? — A mon
„hôtel; mon aide-de-camp vous conduira." Je
le suivis. La maison était près de l'hospice des
enfants-trouvés. Nous y étions a peine , qu'elle
était déjà embrasée. Je me déterminai de
nouveau a aller au Kremlin. Je passai la Mos-
kowa pour m'établir vis-a-vis le palais, qui
>7
5J
172 Mémoires
était encore intact. Je rencontrai en route le
général Lariboissière , accompagné de son fils,
malade; TaUiouet se joignit a nous; nous nous
logeâmes tous dans des maisons placées sur la
rivière. Mon propriétaire était un brave chai)e-
lier qui apprécia ma position et me prodigua
tous les soins possibles. J étais a peine installé
chex cethonnéte artisan, que le feu se manifesta
de toutes parts. Je quittai a la hâte: les quais
sont étroits; si j'eusse tardé, je n'eusse pu
échapper avec ma voiture. Nous re|>assànjes
l'eau et nous vîmnes nous établir en plein <iir,
derrière les murs du Kremlin; c'était l'unique
movén de trouver quel([ue repos. Le vent
soufflait avec une violence toujours croissante
et alimentait l'incendie. Je me déplaçai encore
\me fois , mais ce fut la dernière. Je me retirai
près d'une barrière : les maisons étaient isolées,
éparses; le feu ne put les atteindre. Celle <|ue
f occupai était petite, commode, et appartenait
a un prince Gallitxin. J'y ai nourri pendant
quinse jotirs au moins cent cinquante habitants
réfugiés,
Napoléon fut a son tour obligé de se retirer
devant les flammes. Il quitta le Kremlin et
porta son quartier-général hors de la ville, dans
une maison impériale., où il s'établit. 11 n'y
resta ])as long-temps; il rentra au iralais des
cxars dès que l'incendie fut tout-a-fait éteint.
Il envoyait presque tous les tnatins le général
Narbonne savoir de mes nouvelles. Ce général,
comme beaucoup de monde, était fort inquiet.
Il me disait souvent çue l'empereur avait tort
de compter sur la paix 9 que nous n'étions pas
du général Rapp*
173
à même de dicter des conditions, que lesRussea
ne s ëuieiit pas résignés au sacrifice de leur
capitale pour accepter des traités désavanta-
geux. „lls nous {amusent pour prendre leur
^revanche et avoir plus beau jeu.**
174 Mémoires
dis*
CHAPITRE XXXI.
Moscou était détruit ; l'occupation de ses
décombres n'était ni sûre ni profitable; nous
étions trop éloignés de nos ailes , nous ne pou-
vions nous procurer de subsistances, et nous
n'avions aucun intérêt a garder des ruines.
Chacun était d'avis qu'il ne fallait pas séjour*
ner; mais on n'était pas d'accord sur ce qu'il
convenait de faire. Le roi de Naples proposait
de marcher sur Kaluga , d'y détruire les seuls
établissements que possède la Russie, et de re-
venir cantonner sur le Boristhène. On ne pou-
vait pas suivre les Cosacjues au bout du monde;
la plus longue fuite doit avoir son terme : nous
étions prêts a combattre ; mais nous ne voulions
plus courir. Tel était le sens de la proclama-
tion qu'il conseillait avant de se mettre en
mouvement. Le vice-roi jpensait au contraire
qu'il fallait marcher aux jRusses , les battre,
pousser sur Pétersbourg , et se diriger ensuite
sur Riga : on eût rallié Macdonald ; après quoi
on se fût établi sur la Dvvina. D'autres présen-
taient d'autres plans: tous étaient bons, tous
étaient praticables; mais l'empereur avait des
données particulières: il vo ja juste si on n'eût
reçu les inspirations de l'Angleterre. On s'est
beaucoup appesanti sur ce séjour: c'est une
faute puisque les événements lont condamné;
mais ceux qui se récrient n'avaient ni le secret
des affaires ni celui des négociations ; ils peu-
vent, sans trop de modestie, croire que la sa-
du général Rapp. > 175'
gacité de ce grand homme n'était pas au-des-
sous de celle que la nature leur a départie^ Il
s'est trompé; nous en avons senti les consé-
quences: on saura peut-être un jour quelles
combinaisons Tont égaré. Quoi qu'il en soit,
on resta, on négocia, on batailla, on n^ décida
rien. L'armée de Moldavie faisait son mouve»-
metit î elle s'avançait, mais on ne savait encore
sur quelle ligne elle allait agir: les uns pré-
tendaient qu elle se rallierait a Kutusow ; les
autres craignaient qu'elle ne se portât sur nos
derrières. On était dans l'attente de ce qui se
préparait : l'empereur n'était pas lui-même sans
inquiétude; mais il savait, jusqu'au dernier
homme, ce qu'il avait de troupes échelonnée^
depuis le Rhin jusqu'à Moscou; Il se croyait
, en mesure; il se borna a expédier des instruc*
lions : celles qu'il adressa au 'duc de Bellune
méritent detre citées; elles prouvent de quelle
nature était ce sommeil qu'on lui reproche.
«
Napoléon an major -géiiéral.
,,Mon cousin, faites connaître au duc de
„Bellune que je île lui ai pas encore donné
„d'ordres pour son mouvement, parce que cela
„dépend du mouvement de l'ennemi; que l'ar-
;,mée russe de Moldavie, forte dé trois divisions
„ou de vingt mille hommes, infanterie, cava-
„lerie et artillerie comprises , a passé le Dnié-
„per dans leà premiers jours de septembre;
„qu'elle peut se diriger sur Moscou pour ren-
„forcer l'armée que cotnmande le général Ku-
„tusow, ou sur la Volhinie pour renforcer celle
,,de Tormassow; que Tarméé du général Kutu-
176 " Mémoires
^soWy battue à la bataille de- la Moskowa, est
,,aii jourd'hui sur Kaluga , ce qui pourrait faire
^penser quelle attend des renforts qui lui vien-
,, liraient de la Moldavie par la route de Kiow;
„que dans cette hypothèse, le duc de Bellune
^recevrait ordre de se joindre \ la grande ar-
mée , soit par la route de Jelnia et de Kar
,yluga, soit par toute autre ; que si au contraire
„1«» vingt mille hommes de la Moldavie s'é-
^,taient portés au secours de Tormassow, ce
,, renfort porterait Tormassowr a quarante mille
,,homines; mais que notre droite, que com-
„mande le prince de Schwarzenoerg , serait
^encore d'égale force , puisque ce prince , avec
„les Autrichiens , les Polonais et les Saxons, a
,, environ quarante mille hommes; que d'ail-
„ leurs j'ai demandé a Tempère ur d'Autriche
„que le coqis que commande le général au-
^trichien Reuss a Lemberg fit un mouvement,
„et gue le prince Schwarxenberg reçut un
jyTentort de dix mille hommes ; que , d'un
, , autre côté , lemjjereur Alexandre renforcé
y,tant qu'il peut la garnison de Riga et le corps
„de Wittgenstein , afin de pouvoir déposter le
,, maréchal Saint-Cyr de PJiozk, et le duc de
„Tarente de Riga et de Dûnabourg ; que des
^lettres qui arrivent du prince de Sch>var-
,,3iènberg, en date du 24, tendraient a prou-
„ver que Tarmée de Moldavie , au lieu de ve-
„nir sur Moscou, s'est rendue a l'armée de
„Torraassow et la renforcée ; qu'il est donc
^nécessaire de savoir ce qui se passera; que
yydans cet état de -choses , je désire que le auc
„de Bèllune cantonne son corps de Smolensk
„a Orsxa; qu'il entretienne une correspondan-
ce
99
9J
9J
du général Rapp. 177
I
,,ce exacte par toutes les estafettes avec le duc
„de Bassano, afin que ce ministre lui écrive et
„lui donne toutes les nouvelles qull aurait des
„diJîérents 2>oints ; qu'il envoie un officier sage,
^discret et intelligent, auprès du général
„Schwartaenberg et du général Régnier; que
„cet officier apprçndra du général Schwart-
^,zenberg ce qui se passe, et du général Rç-
„gnir le véritable état d»es choses; qu^il se mette
,,en corresj)oridance réglée avec le gouverneur
de Minsk , et qu'enfin il envoie des agents
dans diiférentes- directions pour savoir ce qui
se 2>asse; que la division Gérard/ sera placée
„du côté d'Orsisa, oii elle^se trouvera à quatre
„ou cinq niarches de Minsk, a trois de Witepsk,
„a quatre ou cinq de Polozk; que l'autre divi-
„sion qui sera entre Orsxa et Smolensk pourra
„l'ap2)uyer rapidement, et qu'enfin la troisième
„division sera auprès de Smolensk; que, 2)ar
,,ce moyen, son corps d'armée se rej^osera et
,,pourra se nourrir facilement : qu'il faut le
,,placer au haut de la route; afin de laisser la
,,grande communication pour les troupes qui
„arrivent ; que dans cette position, il sera éga-
,,lement a même de se porter sur Minsk et
,, Wilna , si le centre de nos communications
„et de nos dépôts était menacé , et si le maré-
„chal Saint-Cjr était repoussé de Polozk; ou
„d'exécuter Tordre qu'il recevrait de revenir
,,a Moâcou j3ar la route dlelnia et de Kaluga,
„si là prise de Moscou et le nouvel état de
^choses avaient décidé l'ennemi a se renforcer
, jd'une portion des tro^upes de Moldavie ; qu'ainsi
„le duc deBellune formera la réserve générale
„pour se porter , soit au secom-s du prince de
12
v^
99
178 Af empires
,,Schwartaienberg et couvrir Minsk , soit au se-
cours du maréchal Saint-Cyr et couvrir Wil-
na, soit enfin a Moscou j)our renforcer la
,,grande armée; que le général Dombrowski,
„cnji a une division de huit mille hommes dln-
,,{anterie et douae cents chevaux polonais, est
,,sous ses ordres, ce qui portera son corps d'ar-
,,mée a quatre. divisions^; que la brigade de re-
sserve deWilna, composée de quatre régiments
„westphaliens , de deux bataillons de Hesse-
^Darmstadt qui , vers la fin de ce mois , arri-
„vent de la roméranie suédoise , et de huit
^pièces de canon, sera aussi sous ses ordres;
„ qu'enfin, dans le courant de novembre, deux
„noUvelles divisions se réunissent, Tune a Var-
,,sovie, c'est la trente- deuxième division, qui
„8era augmentée de trois bataillons de Wûrta-
„bourg et restera commandée par le général
„Durutte; Vautre k Kœnigsberg, c'est la trente-
„quatrième division, qui était en Poméranie
„sous les ordres du général Morand, et qui,
^augmentée également de quelques bataillons,
,,sera sous les ordres du général Loison ; ainsi,
„soit qu'il faille marcher au secours dû prince
„de Schwartaenberg ou au secours du mâré-
„chal Saint-Cyr, le duc de Bellune pourra tou-
,, jours réunir une masse de quarante mille
^hommes; que comme la correspondance de
, jl'estafette est prompte, je serai toujours a même
„de donner mes ordres, et que ce ne^erait que
,,dan$ le cas où Minsk ou Wilna seraient mena-
„cés que le duc de Bellune devrait se mettre
,,en marche de son autorité pour couvrir ces
9,deux grands dépôts de l'armée; que le duc
^de BeUnne, ayant le commandement général
dii général Rapp.
179
,ySur toute la Lithuanie et sur les gouvernements
„de Smolenks et de Witepsk , doit partout ac-
„tiver la marche de ladministration et surtout
„prendre des mesures efficaces pour que les
^réquisitions dé blé et de fourage aient lieu;
,,quil y a des fours a Mohilew, a Orsza, a Ra-
„sasna, a Dubrowna ; qu'il doit faire faire beau-
,,coup de biscuit, et se mettre en situation
„d'avoir trente jours de vivres assurés pour son
, , corps, sans prendre rien ni sur les transports
,, militaires, ni sur les convois qui viendraient
„de l'armée. Le duc de Bellune aura soin d'a-
„voir aussi une correspondance a Witepsk: il
„estmaitre d'y envoyer des troupes pour sou-
„tenir ce point et s'y maintenir; il pourra, de
,,sa personne, se porter a Mohilew, a Witeiwk,
„a Smolensk , pour connaître le terrain et faire
, , marcher l'administration. Si, par accident
,,quelconque, la communication avec Moscou
„venait a être interceptée , il aurait soin d'en-
„voyer de la cavalerie et de l'infanterie pour
„la rouvrir."
Nous r^'avions plus ni vivres ni fourrages;
hommes et^chevaux étaient également exté-
nués : la retraite devenait indispensable. On
s'occupa des moyens d'évacuer les blessés. Je
commençais a marcher , j'allai le 13 au château ;
Napoléon me demanda avec bonté en quel état
se trouvaient mes blessures , comment j allais ;
il me fit voir le portrait du roi de Rome , qu'il
avait reçu au moment d'engager la bataille de .
la Moskowa. Il l'avait moiïtré a la plupart des
généraux : j'étais a porter des ordres ; TafFaire
commença; nous aumes autre chose a faire.
Il voulut me dédommager ; il chercha le mé-
12.^
180 Mémoires
s,
^fdaillon, et médit avec une satisfaction que
,, ses yeux ne ' cachaient pas : „Mon fils est le
„plus bel enfant de France."
^ On apporta, un instant après, un mémoire
de rintendant-général, oui demandait quarante-
cinq jours pour évacuer les blessés. „Ouarante-
„cmq jours! il se trompe. Si on ne faisait rien,
,, partie guérirait, partie mourrait; il n j aurait
„que le surplus a évacuer ; et Texpérience
,, prouve que trois .mois après une b^itaille. il
„ne reste que le sixième des blessés : je veux
;,les faire évacuer; je ne veux pas qu'ils restent
„exposés aux brutalités des Russes."
Nous apercevions, du salon, les ouvriers
Î[ui travaillaient a enlever la croix du grand
vvan. ,,Vojex quelle nuée de corbeaux volti-
„gent autour de cette ferraille ! Veulent-ils aussi
„nous empêcher de lem mener ? J'enverrai
„cette croix a Paris ; je la ferai placer sur le
9,dôme des Invalides."
Nous étions au 18 octobre ; le départ fut
fixé au 19. Ma blessure n'était pas tout-a-fait
fermée; je montai a cheval poUr yoir si j'en
supporterais le mouvement. . #
du général Rapp. }81
. CHAPITRE XXXII.
I.e lendemain , je me rendis de bonne heure
au Kremlin; a peine arrivais-je au palais , que
Napoléon en sortait pour quitter a jamais Mos-
cou ; il m'aperçut : „ J'espère que vous ne me
,,suivre« jpas a cheval; vous n êtes pas en état
,,de- le faire : vous pouvez vous mettre dans
,yUne de mes voitures.**
Je le remerciai , et lui répondis que je cro-
yais être a même de l'accompagner. Nous quit-
tâmes cette capitale , et nous primes la route
de Kaluga; lorsque nous fûmes k environ trois
lieues , Tempereur s'arrêta pour attendre des
nouvelles de Mortier , qui avait ordre de faire
sauter le Kremlin , en évacuant la j)lace. Il se
1>romenait dans un chamj^ avec M. Daru ; cc-
ui-ci le quitta : je fus appelé. „Eh bien Rapp«
j,nous allons nous i-etirer sur les frontières de
,,la Pologne, par la route deKalouga; jepren-
,,drai de bons qiiiartiers d'hiver: j'espère qu'A-
,,lexandre fera la paix. — Vous avea attendu
y,bien long-temjis, sire^ les habitants prédisent
„un hiver rigoureux. « — Bah! bah! avec vos
,,habitants ! Nous avons aujourd'hui le 19 octo-
„bre, voyex comme il fait beau; est-ce que
„ vous ne reconnaissez pas mon étoile? Je ne
,, pou vais, d'ailleurs, partir avant d avoir mis
„en route tout ce qu'il y avait de malades et
„de blessés; je ne devais pas les abandonner
„a la fureur des Russes. — Je crois, sire, que
„vou8 eussiex mieux fait de les laisser a Mos*-
182 Mémoires
te
,yCou; les Russes ne leur auraient pas fait de
9,mal ; tandis qulls sont exposés , faute de; se-
„cour8, a mourir sur les grandes routes.** Na-
poléon n'en convenait pas , mais tout ce qu il
me disait de rassurant ne le séduisait pas lui-
même ; sa figure portait l'empreinte de 1 inquié-
tude.
Arriva enfin un officier qu'avait dépêché le
maréchal : c'était mon aide-cfe-camp Turkheim,
qui nous apprit que Moscou était tranquille ;
Sue quelques puLks de Cosaques avaient paru
ans les faubourgs, mais qu'ils n'avaient eu
garde d'apprcjpher ni du Kremlin ni des (juar-
tieirs qu'occupaient encore les troupes fran-
çaises.
Nous nous remîmes en route. Le soir nous
arrivâmes a Krasno-Pachra. La physionomie du
5ays rie souriait pas' a Napoléon: laspect hi-
eux , l'air sauvage de ces esclaves révoltait
des yeux accoutumés a d'autres climats. „Je
„voudrais ne pas y laisser un homhie; je ddn-
yyUerais tous les trésors de l'a Russie pour ne
,,pas lui abandonner un blessé. Il faut pren-
^jQxe les chevaux , les fourgons , les voitures,
„tout, pour les transporter. Fais-moi venir un
secrétaire." Le secrétaire^ vint , è'était pour
écrire a Mortier ce qu'il venait de me dire. Il
n çst pas inutile de citer la dépêche : ces in-
structions ne sonjt pas indignes d'être connues ;
ceux qui ont tant déclamé contre son indiffé-
rence pourront les méditer.
An major^çénéral.
^ ^Faites connaître au duc de Trévise qu'ans-
„sitôt que .son opération de Moscou sera finie,
du général Rapp. 183
^c'est-à-dire le 23 , k trois heures du matin ,
„il se mettra en marche , et arrivera le 24 k'
,,Kubinskoé; que, de ce point, au lieu de s^
. \,rendre a Mojaïsk, il ait à se diriger sur Ve-
„réia, oiiil arrivera le 25: il servira ainsi d'in-
,,termédiaire entre Mojaïsk , où est le duc
,,d'Abrantès , et Borowsk , où sera larmée.
,,I1 sera convenable qu'il envoie des officier»
„sur Fominskoé . pour nous instruire de sa
• „marche; il mènera avec lui radjudant-com-
,,mandant Bourmont , les Bavarois et les Es-
„pagnols qui sont a la maison Galitsin. Tous
,,les Westphaliens de la première poste et de la
„deuxième, et tout ce qu'il trouvera de West-
, „phaliens , ils les réunu'a et les dirigera sur
„Mo]aïsk; s'ils n'étaient pas en nombre suffi-
,,sant, il ferait jxrotéger leur passage par de la
.,,cavalerie. Le duc de Trévise instruira le duc
„d'Al?rantès de tout ce qui sera relatif a Téva-
,,cuation de Moscou. Il est nécessaire qu'il nous^
j^écrive demain 22 , non plus par la route de
9,Dessna, mais par celle de Karapowo et Fo-
,,minskoé; le 23 il nous écrira par la route
,,de Mojaïsk : son officier quittera la route a Ku-
„binskoé, pour venir sur Fominskoé, le quar-
,,tier-général devant être probablement le 23
„k Bôrowsk ou a Fominskoé. Soit que le duc'
„de Trévise fasse son opération demain 22 a
„trois heures du matin , soit qu'il la fasse le 23
„a la même heure, comme je lui ai fait dire
,, depuis, il doit prendre ces mêmes dispositions ;
„par ce mojen, le duc de Trévise pourra être
,, considéré comme larrière-garde de l'armée.
„Je ne saurais trop lui recommander de chjar-
,,ger sur les voitures de la jeune garde , «ur
184 Mémoires
yyCelles de la cavalerie a pied; et surtoutes cel-
,, les qu'on trouvera, le$< hommes qui restent
„encore aux hôpitaux. Les Romains donnaient
,,des couronnes civiques a ceux qui sauvaient
„de8 citoyens ; le duc en méritera autant qull
„sauvera de soldats. Il faut qu'il les fasse mon-
„ter sur ses chevaux et sur ceux de tout son
„monde. C'est ainsi que l'empereur a fait au
„siége de Saint- Jean-d' Acre. Il doit d'autant
„plus prendre cette mesure, qu'a peine ce con-
„voi aura rejoint l'armée qu'on lui donnera les
chevaux et les voitures que la consommation
aura rendus inutiles. L'empereur espère qu'il
aura sa satisfaction a témoigner au duc de
„Trévise pour lui avoir sauvé cinq cents honi-
„mes. Il doit, comme de raison , commencer
„par les officiers , ensuite les sous-officiers, et
^préférer les Français. Il faut qu'il assemble
„tous les généraux et officiers sous ses ordres,
„pour leur faire sentir l'importance de cette
,,mesure , et combien ils mériteront de l'em-
9,pereur en lui sauvant cinq cents hommes.**
Nous nous dirigeâmes sur Borusk, nous ar*
rivâmes dans cette ville le quatrième jour:
elle était abandonnée. Cependant KutusoW
s'occupait tranquillement a taire ses proclama»
tions : il était paisible dans son camp de Ta-
" „rentino ; il n'éclairait ni son front ni ses ailes ;
il ne se doutait pa^ du mouvement que noUs
faisions. Il apprit enfin que nous marchions
sur Kaluga; il leva aussitôt se^ cantonnements
et parut k Malojaroslawitss en nȎme temps
que nos colonnes. L'action s'engagea: nous en-
tendions de Borusk une canonnade lointaine.
Je souffrais beaucoup de ma blessure ; mais je
da général Rapp.
185
ne voulais pas quitter Napoléoh: nous mon-
tâmes à cheval. Nous arrivâmes vers le soir ^
la vue du champ de bataille : on se battait en-
core; mais bientôt le feuu cessa. Le prince Eu-
gène avait enlevé une position qui eût dû
être défendue a outrance : nos troupes s étaient
couvertes de gloire. C est une journée que l'ar-
mée dltalie doit inscrire dans ses fastes; Napo-
léon bivouaqua a une demi-lieue de la: le len-
demain nous montâmes a cheval a sept heures
et demie pour visiter le terrain où ion avait
combattu; Tempereur était placé entre le jAnc
de Vicence, le prince de Neuchâtel et moi.
Nous avions k peme quitté les ^chaumières oii
nous avions passé la nuit , que nous aperçûmes
une nuée de Cosaques ; ils sortaient d'un bois
en avant sur la droite; ils étaient assez bien
pelotonnés ; nous les primes pour de la cavale-
rie française. ^
Le duc de Vicence fut le premier qui les
reconnut. jjSire, ce sont les Cosaques. — Cela
,,nest pas possible/' répondit Napoléon. Ils
fondaient sur nous en criant a tue- tète. Je sai-
sis son cheval par la bride ; je le tournai moi-
même. „Mais ce sont les nôtres ? — Ce sont les
,^Cosaques;* hâtez- vous. — Ce sont bien eux,
„dit Berthier. — Sans aucun doute, ajouta
„Mouton.** Napoléon donna quelques ordres
et s'éloigna: je m'avançaià la tête de l'escadron
de service; nous fûmes culbutés: mon cheval
reçut un coup de lance de six pouces de profon-
deur; il se renversa sur moi : nous fûmes foulés
aux pieds par ces barbares. Ils aperçurent heur-
eusement a quelque distance un parc d'artil-
lerie; ils y coururent: le maréchal Bessièref
186 Mémoires
eut le temps d amver avec les grenadiers a
cheval de la garde ; il les chargea et leur reprit
les fourgons et les pièces qu ils emmenaient.
Je me redressai sur Mçs jambes , on me replaça
sur ma selle, et je m'acheminai jusqu'au bivouac.
Quand Napoléon vit mon cheval couvert de
sang, il craignit que je n'eusse été de nouveau
atteint ; il me demanda si j'étais blessé : je lui
répondis que j'en avais été quitte pour quel-
ques contusions : alors il se prit a rire de ^lotre
aventure, que je ne trouvais cependant pas
amusante.
Je fus bien dédommagé par la relation qu'il
publia sur cette afFaire ; il me combla d'éloges :
]e*n ai jamais goûté de satisfaction comparable
a celle que j'éprouvai en lisant les choses flat-
teuses qu'il disait de moi. „Le général Rapp,
„portait le bulletin, a eu un cheval tué sous lui
„dans cette charge. L'intrépidité dont cet offi-
„cier - général a donné tant de preuves , se
„montre dans toutes les occasions." Je répète
avec orgueil les éloges de ce grand homme : je
ne les oublierai jamais.
Nous retournâmes sur le champ de bataille:
Napoléon voulait visiter les lieux qui avaient
été le théâtre de la gloire du prince Eugène.
Il trouva la position des Russes excellente; il
s'étonna qu'ils se fussent laissé forcer; il re-
connut a l'aspect des cadavres que les milices
étaient* confondues avec les troupes de ligne, et
que, si elles ne se battaient pas avec intelligen-
ce, elles Y allaient du moins avec courage.
L'armée ennemie . se retira a quelques lieues
sur la route de Kaluga , et prit position.
du général Rapp. , 187
La retraite était interceptée : nous nous je-
tâmes a droite sur Veréia; nous y arrivâmes le
lendemain de bonne heure, nousycouchâiiies:
c'est dans cette ville que Napoléon apprit que
le Kremlin était sauté. Le général Wmainge-
rode n'avait pas asses contenu son impatience ;
il s'était aventuré dans cette capitale avant que
Qos troupes l'eussent évacuée : elles le coupè-
rent; il essaya de leur faire croire qu'il venait
parlementer; il était né sur le territoire fl^ la
confédération, il ne se souciait pas d'être fait
prisonnier: {1 le fut cependant, en dépit du
mouchoir blanc qu'il agitait. Napoléon le fit
venir , et s'emporta avec violence ; il le traita
avec mépris , le flétrit du nom de traître , et le
menaça de lui en faire infliger le supplice; il
me dit même qu'il fallait faire nommer une
commission pour instruire le procès de monsieur
sur-le-champ; il le fit emmener par des gen-
darmes d'élite , et donna ordre de le mettre au
secret. Winaingerode chercha plusieurs fois
a se disculper; mais Napoléon ne voulut pas
l'entendre. On a prétendu dans l'armée russe
Sue ce général avait parlé avec courage , et dit
es choses très fortes a l'empereur: cela n'est
pas; l'anxiété était peinte sur sa figure: tout
en lui exprimait le désordre d'esprit où l'avait
jeté la colère de Napoléon. Chacun de nous
s'efforça de calmer ce prince ; le roi de Naples,
le duc deVicence surtout, lui firent sentir com-
bien , dans la situation des chosef , la violence
envers un homme qui cachait son origine sous
la qualité de général russe serait fâcheuse : il
n'y eut pas de conseil de guerre , et l'affaire en
resta là. Quant a nous, Winaingerode ne dut
188
Mémoires
/
1)as se plaindre du traitement que nous lui
■inies ; sa position nous inspirait a tous de Tinté-
rêt. Son aide-de-camp fut traité avec beau*
coup de bienveillance. Napoléon lui demanda
son nom: „Nareschkin, répondit le jeune offi-
„cier. — Nareschkin ! Quand on s'appelle ainsi,
„on n'est pas fait pour être Taide-de-camp d'un
^transfuge." Nous famés navrés de ce manque
d'égards; nous cherchâmes tous les moyen»
imaginables de le faire oublier au général.
N.
du général Rapp* 189
I ULiJLl
CHAPITRE XXXÏII.
INous partîmes le lendemain, et nous ga-
gnâmes la grande route de MoskouparMojaïsk.
Le froid, les privations étaient extrénaes;
rheure des desastres était sonnée. Nous retrou-
vâmes nos blessés morts sur la route, et les
Russes qui nous attendaient a Yiasm a. A la vue
des ces colonnes , le soldat recueillit un resttî
d'énergie, fondit sur elles, et les défit. Mais
nous étions harcelés par des troupes qu'exci*
taient labondance et Tespoir du pillage; h
chaque pas nous étions obligés de prendre
position, de combattre; nous ralentissions notre
marche sur un sol dévasté qu'il eût fallu fran-
chir a tire-d'aile. La température , la faim, les
Cosaques , tout ce qu'il y a de flemix était
déchaîné sur nous. L'armée s'affaissait sous le
1>oids de ses niaux; sa route était dessinée par
es cadavres; ce qu'elle souffrait passe l'imagi-
nation. Combien j'ai rencontre, dans cette
terrible retraite , de généraux malades ou bles-
sés, que je croyais ne jamais revoir! De ce
nombre était le général Friant , dont les bles-
sures étaient encore ouvertes ; le général Duros-
nel, qui fit le trajet avec une fièvre nerveuse,
1>resqufe* constamment dans le délire ; et le
)rave général Belliard, atteint d'un coup de
feu a la bataille de la Moskowa. Il avait autre-
fois pénétré jusqu'en Ethiopie; il avait porté
nos couleurs plus loin que n'avait jamais été
190 Mémoires
Taigle To maine : il devait trouver de la différen-
ce cfntrfi les deux clin\^ts.
Nouis marchâmes surSmolensk; elle devait
être lei terme de nos misères; nous devions y
trouv-er des subsistances et des vêtements, ae
quoi nous garantir des .fléaux qui nous dévorai-
ent: nous n'en étions plus qu'a dix-huit lieues.
Napoléon logea dans un de ces bloctho use qu'on
avfiît construits pour recevoir des postes de
cinquante a soixante hommes , chargés de pro-
t/iger la correspondance et les communications,
J/'etais de service : il y avkit déjà quelque temps
qu'il n'était pas venu d'estafettes ; il en arriva
une, je la remis a l'empereur. Il ouvrit le
paquet avec précipitation; un moniteur lui
tomba sous la main , il le parcourut : le pre-
mier article qui se présenta a ses yeux fut
l'entreprise de Mallet; il n'avait pas lu les dépê-
ches, il ne savait ce que c'était. „Qu'est-ce
„que ceLj ! quoi l des complots ! des conspira-
„tions!*^Il ouvrit ses lettres; elles contenaient
le détail de la tentative : il fut stupéfait. Cette
1>olice qui sait tout, qui devine tout, s'était
aissé prendre au dépourv^i; iln'en pouvait
pas revenir. „Savary à la Force ! le ministre de
,,la police arrêté, conduit, enfermé dans une
is ordres.
surprise,
peints sur toutes les
figures ; on faisait des rapprochements qui jus-
que-la avaient échappé.
I/imprévoyance des suppôts de la police
était manifeste; ils ne sont alertes que parce
qu'on croit a leur vigilance. Napoléon ne s'éton-
nait pas que ces misérables qui peuplent les
du général Rapp. 191
salons et les tavernes , qui obstruent tout , qui
s'insinuent partout, n'eussent pas pénétré la
trame'; mais il ne concevait pas la faiblesse de
Rovigo. ^Comment pe s'est-il pas fait tuet
, , plutôt que de se laisser arrêter! Doucet et
„Hullin- ont montré bien plus de courage." ^
Nous nous remîmes en route ; nous passâmes
le Borjsthène. L'empereur établit son quartier-
général dans un château dévasté, a une douaaine
de lieues en avant de Smolensk , et a une et
demie derrière le fleuve. Les rives en sont fort
escarpées dans cet endroit; elles étaient couver-
tes de verglas. Napoléon craignait que lartil*
lerie ne pût les franchir; il me chargea de
joindre iNej ,^ qui commandait Tarrière-garde,
et de rester avec lui jusqu'à ce que tout iut en
sûreté. Je trouvai le maréchal occupé a donner
la chasse aux Cosaques; je lui communiquai les
ordres que j'avais a lui transmettre, et nous nous
retirâmes a un blockhouse qui devait assurer
le passage , et oîi le quartier-général fut établi.
Une partie de l'infanterie passa; l'autre bi-
vouaqua dans un petit bois, sur la rive oii
nous étions. Nous fûmes occupés toute la nuit
a faire passer les pièces ; la dernière montait
la rampe quand l'ennemi parut. Il attaqua sur*
le-champ avec des masses considérables ; nous
reçûmes ses charges sans nous ébranler: mais
notre but était atteint ; le combat n'avait plus
d'objet; nous nous éloignâmes. Nous abandon-
nions quelques centaines d'hommes que Imani-
tion et les blessures avaient mis hors d'état de
suivre. Les malheureux ! ils se plaignaient, gé-
missaient , derhandaient la mort ; c'était un
spectacle déchirant : mais que pouvions - nous
192 Mémoires
faire ? Chacun pliait sous le faix de la vie ; on
se soutenait à peine; personne n'avait asses
de forces pour les partager. Les Russes nous
suivirent: ils voulaient passer de vive force.
Ney les reçut avec cette vigueur, cette impétuo-
sité qu'il mettait dans ses attaques; ils Turent
repoussés , et le pont devint la proie^des flam-
mes. Le feu cessa; nous nous retirâmes pen-
dant la nuit. Je rejoignis le surlendemain soir
?Ia])oléon a Smolensk. Il savait qu'une balle
m'avait effleuré la tête, qu'une autre avait
abattu mon cheval; il me dit: „Tu peux être
„tranquille maintenant; tu ne seras pas tué
„cette campagne. — Je désire que votre majesté
,,ne se trompe pas ; mais vous ^avex so\]ivent
„donné la même assurance au pauvre Lannes,
„qui a pourtant fini par y passer. — Non, non,
„tu ne seras pas tué. — Je le crois, mais je
},pourrais bie.n être gelé." L'empereur se répan-
dit alors en éloges sur le maréchal Nej. „yuel
„homnie!... quel soldat!... quel vigoureux gail-
lard !...'' Il ne parlait que par exclamations;
il ne trouvait pas de mot pour rendre l'admira-
tion ^ue lui inspirait cet intrépide maréchaL
Le prince de Neuchâtel entra ; il fut de nouyisau
question de Mallet et de Savaiy. NapaBeon
s^égayait aux. dépens du duc; sa surprise, son
arrestation , étaient le sujet ^le mille plaisante-
ries , dont le refrain était toujours qu'il aurait
dû se faire tuer plutôt que de se laisser prendre.
CHA-
du généred Rapp. 11)5
I
CHAPITRE XXXIV.
n
La retraite' avait été cruelle. Tout ce que
la nature a de fléaux nous i'avious éprouvé;
mais chaque jour nous rapprochait de Sino-
lensk: lious devions trouver dans cette ville le
r^ipos et Tabondance^ Nous marchions : l'espé-
rance nous soutenait; elle-même allait nous
abandonner: nos malheurs devaient être inouïe
comme nos victoires: Le quatrième cori)s per-
dit ses pièces; la brigade Auger eau fut détruite,
et Witepsk enlevé. Nous n avions plus ni mu-
nitions , ni subsistances ; nous étions dans une
l>ositi(>n affreuse : il fallut se résigner: Nous
nous remimes en marche. Nous arivâmes le
letidemain a Krasnoï. Kutusow, qui se portait
sur nous avec toutes ses forces, y avait déjà,
une avant-garde ; elle se replia a la vue de noa
soldatâ, et s'établit W une lieue plus loin. Elle
bivouaquait a gauche , sur la lisière d'une foret
€fu elle couvrait de feux. Napoléon me fit ap-
peler^ et me dit : „Nous avons tout près d'ici de
„i'in&nterie russe : c'est la première fois qu'elle
y, montre tant d audace. Je vous charge cie l'at-
,,taquer a la baïonnette vers le milieu de la
,,nuit. Surprenez-la ; faites-lui passer l'envie
,,d'approcher si près de mou quartier-générnl.
,9 Je mets a votre disposition tout ce qui reste;
,,de la }eune garde/ ^ J'avais fait mes apprêts;
j'attendais près d'un feu de bivouac polonais
que l'heure fût venue, quand le général Nar-
boiitie arriva. ^,Remette2 vos troupes au duc
lS4 Mémoires .
„de Trévîse, me dit-il: sa majesté né veut pas
,,vous faire tuer dans cette affaire; elle vous
„réserve une autre destination/* Je reçus ce
contre-ordre avec plaisir, je né le cache pas.
J étais exténué de fatigues , de suf&ances et de
froid. Je ne tenais pas -a marchera Tennemi;
du reste, ses Cosaques lui avaient dé^ donné
Féveil , il était en mesure , il tiotis reçut de son
mieux. Il fut néanmoins rompu et rejeté sur
ses masses. Celles-ci étaient en ])Oï»ition parai*
Tellement a la route; elles s'étendaient pour
ainsi dire de Smolensk à Krasnoï; elles nous
{>renaient en flanc , elles eussent pu nous ac<^-
)ler. Heureusetaent le prestige durait encore:
nous étions protégés par le souvenir de nos
i'îctoires. Kutusow voyait de loin nos eolon*
nés qui défllaient sur, la route, et n'osait le$
âboraer. Il se décidait enfin k courir la &mv
tune; aiiais un paysan lui rapporta que Napo*
léon était a Krasnoï , que la garde en pccu]>ait
tous les alentours. Cette nouvelle gl^Çai son
courage : il révoqua les ordres quHl avait ex-
pédiés.
' Nous avions depuis long-teitaps la mesure
de sa capacité, nous la portions en ligne de
èompte ; .c'était un de nos moyens; il pouvait
néanmoins se raviser, courir aux armes et nons
anéantir: nous le sentions tous; mais nous n'a-
v'îons pas de nouvelles d'Eugène; Davou^ et
Nèy étaient en arrière; nous ne pouvions les
abandonner. La température devenait d ail-
leurs chaque jour plus âpre; les Russes souf-
fraient ; ils avaient somnteillé jusque-la , ils
f mouvaient sondimeiUer encore. Napoléon réso-
ut d'en courir la chance ; il attendit; Tout
p
du général Rapp. 195
réussit comme, il l'avait prévu.. Millpradowitx
voulut intercepter le' quatrième corps; mais
il ne put y parvenir; cinq mille ho^\mes d'in-
fanterie, qui n'avaient ni chevaux. pour s/éclaî-
rer, ni pièces pour se défendre, ,repoi|sse;reht
constamment les flots de soldats qui se précî- ;
pitaient sur eux, firent tête à toute cette avânï-
^arde, et se dégagèrent. Davoust suivait;
'enfiemi se flattait ae prendre sa i|p^anche sur
ce maréchal ; mais l'empereur y jîourvut. Il se
déploya a la gauche àfi Arasnoï , engagea quel-
ques troupes, et fit ouvrir un feu d'artillerie
assex bien nourri. Kutusow ,, effrajé \ la vue
de quatorze a quinze mille hommes qui cou-
raient aux armes, rappela ses corps détachas:
le maréchal passa et vint prendre part a l'action.
Le but était atteint; le feu se ralentit, et^la
retraite commença. L'ennemi vpulut là trou-
bler ; mais le premier de voltigeurs de la ga.rde
repoussa toutes ses attaques : la cavalerie , îi^oi-
fanterie , ni la mitraille , ne jouirent rébrahlèiTj;
il périt sur place. Cette héroïque résistance i
atterra les Russes ; ils cessèrent la poursuite.
Dès que .nous étions hors ? d'ufi. embarras,
nous tombions dans un auJtre : . nous, jivioiîs osé,
quatorze a quinze mille que nous. ^tions^, nous
.mettre en ligne devant, les cent vingt mille
hommes de Kutusovv; nous étions, sortis sàhs
échec d'une position oii nous eussions dû tous
être enlevés; mais nos subsistances, nos der-
rières n'étaient plus a nous: Minsk avait été
surpris , l'armée de Moldavie couvrait la Béré-
sina; Ney était encore en arrière : jamais nôtre
situation n'avait été plus terrible. Napoléon,
que cette complication de circonstances mal-
13..
«
198 Mémoires
lorsque la fusillade le tire de son anxiété: les
reconnaissances sont accueillies a coups de fusil;
les détonations, les cris, les tambours, se mêlent,
se confondent; on eût dit que nous allions avoir
affaire \ toute la Russie. Furieux de voir le dan-
ger renaître au moment oiiil croit en sortir, le
maréchal veut s'ouvrir un passage ; il se précipite
sur ces feux... mais le camp est désert; c est une
ruse, un stratagème. Platow nous avait appa-
remment pris pour les siens ; il avait cru nous
effrayer avec des ombres. Le duc dédaigna de
stuivre quelques Cosaques qui avaient servi a
éette* fantasmagorie; il poursuivit sa route, et
atteignit le quatrième corps trois lieues plus
loin. ■ '
/
)
» )
-■ ■ (.'
du général Jiapp. 199
CHAPITRE XXXV.
•♦'»•, , ■ " ; » » • ,• .
.' PeHiiaut que tout .ceci se passait yiiou^
avi<m3 quitté Krasnoï. îiîapoleon marchait k
Siedikia tête de aa garde, et parlait 90.uvent
e^0sy ; il rappelait ce coup d-ceil si juste et «i
«ûr^ ce courage a toute épreuve, eniia tout et
•qui le rendait si brillant ^aur le champ de h»-
taille. ,,I1 est perdu.' Eh bien ! j'ai 300 uiilliom
'„aux Tuileries, je les donnerais pour qu'il me
,,fût rendu. '^ Il établit son quartier-genéral»K
Dombrowna« JNoius logeâmes ohea une datae
russe qui avait eu le courage de ne pas abandon-
ner sa maison. Jetais de service ce jour- là;
l'empereur me fit ap]>eler vers une heure du
matin; il était très abattu : il était difficile qu il
.ne le fût pas , tant le tableau était aifoeoix^. Jl
me dit: ^M^^ affaires vont bien mal ,^ ew «paiV
vires soldats me déchirentle cœuil; ^ je ile [Hii^
cependant y porter^ remède.*- On cria aux
armes , des coups de feu se firent enteMlre^ totut
était en rumeur. , „Alléa voir ce que .ce»t^;mé*
,,dit Napoléon avec le plus grand sanjpf^froid ; je
9,sutS9ur que cejoht quelques mauvais^Gosaii^es
„qui veulentnous einpéober dedorintr.^'. C'était
enectivemtînt une fausse filerte. Il te'était jm»
OHiteat de certains personi^ges que. je !ui'ab-
stiens de nommer. ,,{>uelS'rois de Uiéàfti:e ! stans
,,énergie., sans courage^ sans forcée miarale ! Ai-
„je pu me mé|>rendre a ce point? A quels bout-
âmes je me suis confié ! ^Pauvre Ney ^.avec qw
9,t'avai8rje appareillé!** *i
^
r
aW) Mémoires
Nous partîmes pour Orsaa, nous logeâmes
çhes des jésuites. ^Iapoleon désespérait de re«
voir 1 arrière-garde, jNous . n'apercevions plus
d'infanterie russe; il était probable quelle
avait pris position: elle ne devait rien laisser
échapper. Le lendemaiIl^0uspous8âm^e9aâeux^
lieues plus loin; nouis fîmes halte dans un mau-
vais hameau. C'est IV que Temp^eur apprit
vers le soir l'arrivée de Ney, et sa jonction avec
le quatrième cor]}s. On peut facilement se faire
une idée de la joie qu'il éprouva, et de l'accueil
qu'il fit le lendemain au maréchal. Nous arrivâ-
mes k Borisow: Oudinot avait battu Lambert;
les fuyards s'étaient ralliés a Tchitschacof , et
couvraient la rive droite de laBérésina. Napo-
léon devait être inquiet: nous n'avions ni équi-
pages 4^ pont ni subsistances. La grande armée
avançait, witgenstein approchait , et les^ troupes
de Moldavie nous fermaient le passage ; nous
étions cernés sur tous les points: la position
éta\t affreuse^ > et n'avait peut-être pas çfexem-
ple« U T|e fallait rien, moins que la tête et le
Srand caractère de l'empereur pour nous tirer
'un ai anauvais pas: aucun Frsinçais, pas même
Napoléon , n'eût dû échapper.
Ce prince s'arrêta < un instant a Borisow^
donna des ordres pour la fausse attaque qui
nous sauva, et s'achemina, vers le quartier -gé-
néral d'Oudinot, qui était a quelques lieues
5 lus loin. Nous couchâmes un f>eu en* deçà,
ans une campagne qui appartenait k un prince
Radssiwill; nous ])asa.âmes la nuit, le. général
Mouton et moi, sur une poignée de paille;
nous pansions k la journée du lendemain , nos
réflexions n'étaient pas gaies. ^Nous nions rmni-
du général Happ. 201
med en route k quatre heures ; ûoxi» étîoâa dans
une des calèches de reni|>ereur« Nous aperce-
V ions, les feux des Russes, ils couvraient fa rive
opposée > les hois,, les marais en étaient remplis i
il, y en avait a perte de vue, La rivière était
profonde , vaseuse » toute couverte de glaçons ;
c était la qu'il fallait la franchir , c^était Ik qu'il
fallait passer ou se rendre : nous augurions itial
du succèd. Le général s'expliquait avec fran-
chise ; il l'avait souvent fait devant Napoléon,
qui le traitait de frondeur , et qui néanmoins
Fainfait beaucoup.
Nous arrivâmes au quartier-général d'Oudi-
not; le jour commençait à poindre; l'empereur
s'entretint un moment avec cemaréchal, mangea
tm morceau et donna des ordres. Nej me prit
en particulier, nous sortîmes; il me dit en
allemand: ,, Notre position estinouïei $iNapo-
yyléon se tire d'afFaire aujourd'hui ^ il faut qu'il
9,ait le diable au cori)s/' Nous étions fort in-
quiets, et il j avait de quoi. Le roi de Naples
vint a nous, et n était pas moins soucieux. 9,J'ai
^proposé k Napoléon , nous, dit- jl , de sauver «a
,^personne, de passer la rivièrek quelques lieues
y, d'ici; j'ai des Polonais qui me répondraient
,yde lui, et le conduiraient k Wilna : mais il
,,repousse cette idée, et ne veut pas enienten-"
„dre parler. Quand k moi, je ne pense pas
,vque nous puissions échapper. '^ Nous étions
tous les trois du. même avis; Murât. reprit:
„Nous y passerons tous; il n'est pas quiestioh
„de se rendre.^*
Tout en causant , nous aperçâmes Tennemi
qui filait; ses .masses avaient disparu , les feux
étaient éteints ; oq ne voyait plus que la queue
202 Mémoires
I, ,
ded cdonnes qui se perdait dans lés bdis , et
cinq k six cents^ Cosaques épars dans la pîlaine.
ïlous examinâmes avec la lorgnette , liôusnous
convainquîmes que le camp était levé. J'en-
trai chez Napoléon , qui s entretenait arec le
maréchal Oudinot. „Sire, Tennemi a quitté
„saposition.* — Cela nesi pas possible." Le roi
de rfaples, le maréchal rîey, arrivèrent, et
tîohfirmèrent ce que j'annonçais^ L'empcrtreur
sortit de sa baraque , jeta un coup d œil sur
l'autre coté de la rivière. ,*J'ai niis dedans l'a-
„miral^il ne pouvait prononcer te nom Tchit-
,;schaGof); il me croit isur le point o^i j'ai or-
,, donné la tausse attaque , il court k Borisow/'
Ses yeux étincellent de joie et d'impatience;
il fit presser rétablissement des" ponts/ mettre
une vingtaine de pièees en batterie. Celles-ci
étaient commandées par' un brave olP&cier k
jambe de bois, nommé Brechtel ; un boulet
a lui emporta j>endaut l'action, et le renversa.
,Cherche-moi , dit-il a un de ses canonnieis,
^,une autre jambe dans^ le fourgon n^ 5/* Il
se l'ajusta, et continua son feu.
L'empereur fit passer a la nage une Soixan-
taine d'hommes, sous la conduite dû colonel
Jacqueminot. Ils s'avanturèrent mal a- propos
k la suite des Cosaques ; un d entne eux fut
pris, questionné, et fit connaître aux Russes
sur quel point se trouvait Napoléon. Tchitschar
^côf irekroussti chemin ; maisdi n'était plus temps^:
Napoléon ^ sa garde , . Ney , Oudinot , • et tout
ce que ces deux maréchaux conservaient de
imupes^' avaient passé. L'amiral, confus d'avoir
pris le change, oublia les marais de Lemblin.
Le pont qui coùif'f^endant cinq quarts de lieue
t
»
du général Rapp. ^ i03
sur ce terrain fangeux était notre seule issue)
s'il Teût détruit , il tenait encore nos destinées
dans ses mains : mais Witgenstein ouvrait le feu
sur la rive gauche ; il occu^^ait la droite , seÉJ
soldats nageaient dans l'abondance ; une poignée
d'hommes , qui succombaient sous le faix de
la vie devaient être foulés aux pieds. Il négli-
gea le défilé , Ejugëne courut s'en emparer;
nous étions sûrs de nos derrières, nous atten-
dîmes Tchitschacof.
Nous n'étions jjas huit mille, haletant de
fatigue et de faim ; il avait toute l'armée dé
Moldavie: l'issue du combat ne lui j^araissait
pas douteuse. Il s'avance avec l'élan de la vic-
toire; on se mêle, on se confond, la terre est
jonchée de morts. Ney dirige , aiiime les char- •
ges: partout les Russes. sont enfoncés. Ils se
rallient, ils appellent de nouvelles forces: mais
Berkeîm arrive ; les cuirassiers se précipitent
sur ces colonnes , tout est taillé en pièces.
"Napoléon était entouré de sa garde , qu'il
avait mise en bataille k lentrée de la forêt;
elle était encore belle et imposante, deux mille
prisonniers niéfilaient devant elle ; nous étions
enivrés d'un si beau résultat : notre joie fut
courte , le Yécit de quelques Russes la calma,
Fartouneau avait été pris , toute sa division
avait mis bas les armes: un aide-de-camp du ,
maréchal Victor vint confirmer cette triste nou-
velle. Napoléon fut vivement affecté d'un mal-
heur si inattendu. „Faut-il après avoir échappé
„comme par miracle,, après avoir cumpléteinent
,, battu les Russes, que cette défection vienne
., tout gâter!"
Le combat était toujours très vif , sur la
204 Mémoù^es
I
rivé* gauche; quatre a cinq mille hommes op-
posaient a l'armée ennemie une résistance opi*
piàtre. ,, Ailes voir quel est Tétat des affaires;
^gravisses la rive droite , examines ce qui se
,, passe sur la gauche , et vous viendrez m'en
^rendre compte.** J'allai, je vis des charges d'in-
fanterie et ae cavalerie très brillantes; celles
que conduisait le général Fournier surtout
étaient remarquables i>ar leur ensemble et leur
impétuosité. Mais la disproportion . était im-
mense, il fallut céder; les horreurs du pont
commencèrent : il est inutile de reproduire^
cette scène de désolation. .
!Nousquittâmesles tristes rivages de la,Béré-
sina, où nous avions acquis tant de gloire, et
essuyé tant de malheurs; nous nous dirigeâ-
mes sur Wilna. On ne s'entretenait , on ne
s'occupait alors que de l'arrivée des Autrichiens ;
le moindre soldat ne rêvait que de Schwarxen-
berg. Où est-il? que fait-il? pourquoi ne pa-
rait-il pas ? Je ne me permettrai aucune ré-
flexion sur les mouvements de ce prince, alors
notre allié.
Depuis long-temps nous n'a\ion|^ pas de
nouvelles de France , nous ne gavions pas même
ce qui se passait dans le ^rand duché; nous
rapprîmes a Malotechno. TNapoléon re9Ut dix-
neuf estafettes a la fois. Cçst la, je crois, qu'il
arrêta le projet de quitter l'armée, mais il ne
lexéauta qu'a Smorgoni , a dix-huit lieues. en
avant de Wilna., Nous y arrivâmes! L'iempe-
reur me fit demander vers les deux; heures;
il ferma soigneusement les portes de la pièce
qu'il occu]>ait, et me dit: „Eh bien, Kapp,
„je j^rs cette nuit pour Paris; ma.présencey
du générfd Rapp. ' 205
„est nécessaire peur le bien de la Frauce , et
,.niêm« pour celui de cette malheureuse ar-
„mée. j en donne le commandement au roi
,,de Naples/* Je n'étais pas préparé a cette
confidence ; car j'avoue franchement que je
n'étais pas dans le secret du voyage. „Sirei
„lui répondis- je , votre départ fera une fâcheuse
^jSensation parmi les troupes, elles ne s'y atten-
,,dent pas. — Mon retour est indispensable;
„tI faut que je surveille l'Autriche , et que je
„ contienne la Prusse. — J'ignore ce que fe*
j,ront les Autrichiens ; leur souverain est votre
^eau-père ; mais pour les Prussiens , vous ne
,,les retiendrez pas, nos désastres sont trop
,, grands; ils en profiteront." Napoléon se pro-
menait les mains derrière le dos; il garda Un
instant le silence, et reprit : „Quand ils me
,, sauront k Paris , qu'ils me verront k la tête de
„la nation , et de douze cent mille hommes
„que j'organiserai , ils y regarderont a deux
,,fois avant de me faire làguerre. Duroc, Cau-
„lincourt et Mouton partiront avec moi , Lau-
„riston ira a Varsovie , et toi tu retourneras
„aDantaic; tu verras Ney a Wilna, tu t'arrê-
„teras avec lui pendant au moins quatre jours ;
„Murât vous joindra, vous tâcherez de rallier
„rarmée le mieux qu'il vous sera possible. Les
,,magasins sont pleins , vous trouverez tout en
,, abondance. Vous arrêterez les Russes; tu fe-
,,ras le coup de sabre avec Ney, s'il est néces-
„saire. Il doit avoir actuellement la division
,,Loyson, qui compte au moins dix-huit mille
„hommes ae troupes fraîches ; Wrède lui am-
„Tnène aussi dix mille Bavarois ; d'autres reii-
„forts sont en marché. Vous prendrez des cait-
206 Mémoires
„toiinements/* !Napoléon partit. Je reçus des
^ordres du major-général , qui me dit dans une
lettre ce que l'empereur m'avait déjà dit de vive
voix , il me remit en même te^nj^â pne lettre
particulière de ce prince , où il me répétait:
,,Fais tout avec Key pour rallier l'armée a
„Wilna, restex-y quatre jours au moins ; tu te
^rendras ensuite à Dantzic/'
Je partis le lendemain: le froid était si. vif
que, quand j'arrivai a Wilna, j'avais le nea,
une oreille et deux doigts gelés. Je descen-
dis chez le général Hogeftdorp et me rendis
de suite au logement du maréchal Ney ; je
lui fis part des ordres de Napoléon et de la
conversation que j'avais eue avec ce prince au
moment de son départ. Le maréchal fut bien
étonné des forces qu'il lui supposait , il me
dit: „J'ai fait tout a l'heure battre la générale,
;„je n'ai pu réunir cinq cents hommes : tout le
„monde est eelé, fatigué, découragé ; personne
„n'en veut plus. Vous avez l'air souffrant; ^llez
„vous reposer, demain nous verrens.** Le len-
demain je me rendis chez lui: le roi.de Na-
ples venait d'arriver avec la garde; nous cau-
sâmes beaucoup de notre situation* Ney opi-
nait pour la retraite; il bi jugeait indispensa-
ble. „Elle est forcée; il n'y a pas moyen de
^,tenir.un jour de plus." Il m'avkit pas achevé,
quelle, canon se nt entendre: les. Russes arri-
vaient en forces ; on se battait a une demi^Uéue
de la. Tout a coup, nous vîmes les Bavorais qui
rentraient en désordre; ils étaieht jiêle-iïiêle
avec nos traînards : la, confusion était au com-
ble ; ainsi que le disait Ney , il était impos-
sible de rien faire avec.' nos troupes. Le roi
du général Rapp. 207
de I^aples vint k nous : il se flattait encore
d'opposer quelque résistance ; mais les rap-
ports qu'il reçut des hauteurs de Wilna le
détrompèrent. Il ordonna sur-le-champ le mou-
vement rétrograde , et se porta sur le Niémen*
„Je vous conseille, me dit ce prince, de partir
,^8ans délai pour Dantaic, où votre présence
,,va devenir nécessaire. Le plus léger retard
„peut vous faire tomber dans les mains des
,,t^osaques: ce serait un accident fâcheux qui
„ne serait profitable ni k l'armée ni k lem*'
,,pereur.**
Je suivis ce conseil; je louai deux juifs, qui
ma conduisirent jusqu'au Niémen. Mes-équi-
pages, qui avaient heureusement échapjïé aux
désastres, étaient déjà partis.
Nous arrivâmes bientôt k cette funeste hau-
teur oii fut abandonné ce qui nous restait de
matériel. Il nous fut impossible de la mon-
ter : nos chevaux s'épuisaient en vains efforts,
nous les aidions , nous les excitions ; mais le
terrain était si glissant, si rapide, que nous
fûmes obligés de renoncer k l'entreprise. Je
délibérais avec mon aide-de-camp sur le parti
qu'il convenait de prendre. Mes Israélites me
proposèrent de suivre un chemin de traverse,
3ui avait d'ailleurs l'avantage d être plus court;
s me dirent que je devais m'en rapporter k
eux, qu'ils répondaient de moi. Je les crus;
nous partîmes, et le lendemain au soir nous
étions au delk du Niémen. Je*sufFrais horri-
blement; mes doigts, mon nés, mon oreille,
commençaient k me donner de l'inquiétude,
lorsqu'un barbier polonais m'indiqua un re-
mède un peu désagréable , mais qui me réus-
208:
Mémoires
sit.- J'arrivai enfin a Dantxic: le roi de Na*
S^es me suivit à quelques jours de distancef-i
acdonald « que les Prussiens avaient si indi-
gnement trahi , venait après. „Ge n'est que
)^par miracle ^ me manda-t-il , que moi ^ mon
,,etat-major et la septième division, nous n avons
,tpas été détruits : nous étions livrés ^ nos jam-
«,Des nous ont sauvés.^^ lime remit ses trou-
pes , qui furent incorporées avec celles que
l'avais sous mes ordres. Les Kusses parurent
presque immédiatement. Le général Bachelet
eut avec eux un engagement des plus < vifs.
Us se répandirent au tour de la pUce, et le
blocu» conunença^
CHA-
du général Rapp. 209
ocsasaaBBHBsaesBeaeEBaaseeBBBiBaaaBBaBSBan
CHAPITRE XXXVI.
/ t
Dantsic semble destinée k être une place
' forte : buic nëe au nord par la Vistule , proté-
gée au sud-ouest par une chaîne de hauteurs
. escaq)ées , elle est défendue dans le reste de
son potirtoUr par une inondation qui s'étend
au moyen de deux rivières qui la traversent,
la Radaune et là Mottlau. Frappé des avan-
tages d'une position si belle , Napoléon avait
^ résolu de la rendre in^xpugnamct ; il avait
fait ouvrir des travaux immenses. Des têtes
de pont , des forts , des camps retranchés de-
vaient la mettre a Tabri d'insultes et dominer
le cours du fleuve j mais le tehips avait man-
qué 9 et la plupart des ouvrages étaient ou
imparfaits ou à peine ébauchés: aucun ma-
gasin n'était k l'épreuve de la bombe; aucun
abri assez solide pour que la garnison pût y
être avec sécurité ; les casemates étaient inha-
bitables j les logem^énts en ruines et les para-
pets dégradés. Le froid , toujours plus sévère,
avait solidifié les eaux ; et Dantzic, dont l'assi-
ette est naturellement si heureuse et si forte, n'é-
tait plus qu'une place ouverte sur tous lespoint».
La garnison n'était pas dans un meilleur
état; elle se composait d*un ramai confus de
soldats de toutes armes et de toutes nations :
il y avait des Français , des Allemands , des
Polonais , des Africains , des Espagnols , des
Hollandais, des Italiens. La plupart, épuisés,
malades , s'étaient jetés a Dantsick faute de
14
I
r
2 10 Mémoires
pouToit continuer leur rotule s ils s'étaient flat-
tés dy trouver ouelque soulagement; inais^
dépourvu de rnédicaments , de viande, de lé-
gumes y sans spiritueux , sans fourrages , j'étais
obligé dé renvoyer ceux qui n'étaient pas ab-
solument incapables d'évacuer la place i Néan-
moins. il m'en resta encore jilus de trente-cinq
mille , qui ne fournissaient pas au delà de
huit a dix mille combattants: encore étaient-
ce presque tous des recrues qui n'avaient ni
expérience ni discipline. Cette circonstance à
la vérité m'inquiétait peu ; je connaissais nos
soldats ; je savais que, pour bien faire, ils n'ont
besoin que de rexempj[e; j'étais résolu de ne pas
m'épargner.
Tel était l'état déplorable où se trouvaient
la place et les troupes; chargée» de la défendre.
Il fallait d abord pourvoir au plus }3cessé , et
nous mettre a 1 abri d'insultes ; la chose n'était
pas aisée: la neige encombrait les fortifications;
elle obstruait tous les chemins couverts» toutes
les avenus; le froid était extrême; le thermo-
mètre iftarquait au-delà de vingt degrés , et l;i
glace avait déjà plusieurs pieds d épaisseur.
Néanmoins il ny avait pas a balance]^; il fallait
se résoudre a être enlevé de vive force, op se
soumettre à de nouvelles fatigues presque aussi
excessives que celles nue nous avions essuyées.
Je me concertai avec deux hommes dont le dé-
vouement égalait les lumières : c'étaient le co-
lonel Richemont et le géi>éral Campredon>, tous
deux attachés au génie, dont le dernier avait
le commj^ndeinent. Je donnai l'ordre d'élever
de nouveaux ouvrages et de dégager les eaux
de la Vistule. Cette entreprise semblait inexé-
du général Rapp. 2.11
cutable par une saison aussi rigoureuse; néau*'
moins, les troupes sV portèrent avec leur aèlc
accoutumé y maigre le froid ^ui les* accablai t,
elles ne laissaient échapper ni ))!aintes ni mur-
mures. Elles exécutaient les travaux qui leur
étaient prescrits avec un dévouement, une con-
stance au-dessus de tout éloge. Enfin , après
des peines inouïes , elles triomphèrent de tous
les obstacles ; la glace , détachée a coups de
hache, et poussée avec des leviers vers la mer,
dont le courant augmentait encore Timpulsiou,
laissa avoir au milieu du fleuve un tanal de
seiae a dix-sept mètres de large, dans une éten-
due de deux lieues et demie. Mais nous étions
destinés a voir les difficultés renaître a mesure
qu'elles étaient vaincues : a peine un succès
inespéré avait-il couronné nos eiforts , que le
froid se fit sentir avec plus de violence; eii
une seule nuit , la Y^^^^^e , les fossés , furent
couverts d'une couche de glace presque aussi
épaisse ciue celle que nous avions rompue. En
vain des bateaux circulaient sans relàcne ]>our
entretenir la fluidité des eaux ; ni ces soins, ni
la rapidité du fleuve, ne purent les préserver:
il fallut reprendre ces travaux qui nous avaient
tant coûte, et. qu'un instant avait détruits. Ap-
pliqués jour et nuit a rompre la glace, nous
ne pûmes cependant Tempécher de se tendre
une troisième fois ; mais, plus opiniâtres encore
que les éléments déchaînés contre nous , nos
.soldats se roidissaient contre les obstacle , et
})arvinrent enfin a en triompher.
Sur tout le reste du front de la place, c'é-
taient même zèle et mêmes dil'ficultés ; la terre,
gelée a plusieurs pieds de profondeur , re]>ous-
14.
2t4 Mémoires
r *
il ne fut pas. possible de faire une seconde ten-
tative. •
11 ne nous restait- de ressources que celles
du courage : ce n'était plus qu'a la pointe de
l'épée que nous pouvions obtenir^ des subsistan-
ces ; mais quel que fat le dévouement des trou-
pes i la prudënoe ne permettait jias de les con-
duire a l'ennemi, consumées comme elles
étaient par les maladies et la-misèrie. Il &liut
se résigner a son étoile, et attendre patiem-
ment que la douce^ influencé de la belle saison
vînt reparer leurs forces : ce terme ne parais-
sait pas éloigné ; tous les signes qui l'annoncent
se manifestaient déjà. La tcJmpérature s'était
adoucie, les glaces commençaient a fondre , la
débâcle était prochaine , et l'on se flattait que
l'inondation apporterait enfin quelque relâche
aux fatigues qu*on essuyait; mais ce qui devait
soulager nos maux était toujours ce qui les par-
tait au comble.
La Vistule se dégagea avec violence : depuis
1775, on n'avait pas eu d'exemple d'une telle
imi>étuosité; la plus belle partie de Dantxic,
ses magasins , ses chantiers , devinrent la proie
des eaux; la campagne en était couverte; elle
ne présentait , dans une étendue de plusieurs
lieues, que l'affligeant spectacle d'arbres déra-
cinés, de maisons détruites, d'hommes , d'ani-
maux sans vie, flottant pèle-méle au milieu
* des glaçons. . Notice perte semblait inévitable :
tous nos ouvrages étaient détruits ; nos palissa-
des emportées , nos écluses rompues, nos forts
éntr ouverts et minés par les 'flots , nous lais-
' saien t sans défense devant un ennemi nom'breux .
du général Aapp.
215
Nous ne communiquions plus avec le Hdlm,
position si importante et dont les fortifications
étaient presque anéanties. L'île d'Ueubude
était dans -un «état déploraole; nos' postes du
Werder , ceux du Nerhung avaient été submer-
gés. Pour comble de maux, nous étions mena-
cés, quand la Vistule reprendrait son cours» de
voir tarir l'inondation qui couvre habituelle-
ment la place.
216 Mémoires
w99fa0thÊmi^mmBmei^B^mmKssmimaaseBSBssasaassgssBasssags^^
CHAPITRE XXXVIL
Mais les alliés secondèrent mal les éléments
qui combattaient pouiiimx. Au lieu .de venir
a nous y ils se consiimaient en intrigues misé-
rables : c'était proelamations.sur proclamations ;
il y en avait pour la magistrature, pour lès ha*
bitants , pour les soldats. Les uns étaient ex*
cités k la révolte, les autres k la désertion; les
braves Polonais, les Westphaliens, les BavsMrois,
étaient tour a tour sollicités , pressés , niena*
ces. Cette guerre de plume mlnquiéta peu;
je connaissais la loyauté de mes troupes, j'a*
vab en elles la plus entière confiance. Je leur
en donnai la preuve : dès que les proclamations
nous arrivaient, je les faisais lire ^ la tête des
régiments. Cette manière franche leur plut,
ils m'en surent gré; ils n'en conçurent que
plus de mépris pour un enhemi qui se promet-
tait .d'avoir meilleur marché de leur honneur
que de leur courage , et souvent ils m'appor-
taient eux mêmes , sans les avoir lues, ces bel-
les productions du génie russe*
Les assiégeants persistaient k se tenir les
bras croisés dans la place ; je les tirais de temps
k autre de là létha^ie où ib étaient plonges.
Ces messieurs nous menaçaient hautement aup
assaut; ils avaient même , sû^ la fin de j jan-
vier , commandé un grand nombre d'échel]|es
dans les villages . du Wherder. Je résolus de
leur faire sentu: que nous n'en étions pas en-
core Ik : le 29 , je mis quelques forces, en mou-
du général Rapp. 217
. vement dans là direction de Brantau ; le géné-
ral Granjean déboucha de Stries avec quatre
bataillons, un peloton de cavalerie, et deux
pièces de camj^agne : il dispersa dans sa tour-
née des partis de Baskirs et de Cosaques. Il *
préludait 'a une action plus sérieuse.
Je savais que des troupes fraiches étaient
arrivées devant la place , qu elles s'étaient ré-
pandues dans le PTerbung , et occupaient en
forces Bohnsack et Strie ]e les fis reconnaître.
Le général I)etrées fut chargé de cette expédi-
tion. Il culbuta d'abord tout ce qui se présenta
sur son passage ; mais ses tirailleurs s'abandon-
nèrent trop a la poursuite , et faillirent être
victimes de leur témérité : une nuée de Cosa-
ques fondit sur eux , et les eût taillés en pièces
si le colonel Farine ne lei eût dégagés. INous
fûmes moins heureux sur un autre point; nos
avant-postes avaient ordre de se tenir sous lès
armes, d observer les mouvements de rennemi,
mais de ne pas engager d'action.. Le colonel de
Ueerii^g , qui commandait k Stolscenberg , ne
})ut se contenir; il descendit mal a propos dans
a plaine , poussa les Cosaques avec une impé-
tuosité irréfléchie : ses troqpes, surprises dans
un défilée , ne purent résister au choc de la ca-
valerie, et furent enfoncées. Cette imprudence
nous coûta deux cents cinquante nommes.
L'ennemi s'échaufFa: ce petit. succès lui avait
donné de la confiance. Vers les trois heurqs de
Taprès-midi, ses colonnes se présentèrent de-
vant Langfuhr , et parvinrent a s'y établir.
Trente hommes postés en avant dét ce ^ illage
furent faits prisonniers; ils s'étaient fêtés dans
une maison, et avaient opposé une longue ré- ,
218 Mémoires
4
distance ; la terre était jonchée de morts, mats,
ne se voyant point secourus , ils furent con-
traints dfe mettre bas les armes , faute de mu-
nitions. Je dfonnai aussitôt Tordre de repren-
dre cette position ; le général Granjean. so mit
en marche avec huit bataillons , quatre pièces
d'artillerie , et quelques troupes a cheval : l'at-
taque eut un plein succès , les Russes furent
culbutés et mis en fuite. Ils tentèrent de re-
venir;: a la çhai/ge ; mais, toujours rompus, tou-
jours écrasés par notre cavalerie, ils parurent
enfin se décider a larétraite. Nous ne tardâmes
pask suivre leur exemple: le champ de bataille
était presque évacué , lorsque les Na]>oUtains»
laissj3s a Langfuhr, futent tout a coup assaillis
par des nuées de Cosaques que soutenait une
infanterie nombreuse. Le général Uusson , le
commandant Szembeck , accourent en toute
hâte avec' un bataillon polonais^ chargent l'en-
nemi a la baïonnette, et en font ufie bouche-
rie affreuse.
Cet échec calma la pétulance des alliés : il
ne fut plus question d'échelles ni d'assaut. De
mon côté, je les laissai tranquilles: je n'étais
pas a méme^ de leur , donner des alertes bien
fréquentes ; mes troupes étaient exténuées :
sur pied nuit et jour , consumées par les> mala-
dies, transies de froid, mal vêtues, plus mal
nourries encore , elles se soutenaient a peine;
rien n'égalait leur misère que la résignation
avec laquelle elles la supjyortaient. Des soldats,
dont le nea , lès oreilles étaient gelés ^ ou les
blessures encore ouvertes , faisaient gaiement
le service des avant-postes. t}^2^nd je les voyais
défiler a la parade aJQfublés de peaux , la tête
du général Rapp. 219
enveloppée dans des linges , ou marchant k
Taide. d un bâton , j'étais touché jusqu'aux lar-^
mes. J'eusse voulu donner quelque relâche a
des hommes si malheureux , et pourtant si dé-
voués; les Russes ne le souffrirent pas. Ils s'é-
taient imaginé que leurs proclamations avaient
produit tout l'effet qu'ils en attendaient, que
nous nous battions entre nous , que le peuple
était en révolte. Ils résolurent de profiter d'aussi
belles circonstances, et de nous enlever.
Nous étions au mois de mars. Le 5 , dès la
pointe du jour, ils fondent comme des essaims
sur mes avant-postes ; ils couvrent, ils inondent
toute ma ligne , et se répandent 2>ar torrents
dans les villages qu'elle renfermé. Au bruit
d'une aussi brusque attaque, je donne les or-
dres nécessaires et je m'achemine vers Lang-
fuhr avec le général de division Granjean. Nous
avions k peine fait quelques pas que nous enten-
dîmes battre vivement la charge; c'étaient les
chefs de bataillon Claumont et Blaer qui se
précipitaient k la baïonnette sur une colonne
de trois k quatre mille Russes, et la dispersaient.
Nous doublâmes de vitesse pour les soutenir;
mais le choc avait été si impétueyx que nous
ne pûmes arriver k temps : nous touchions au
village , lorsque les acclamations des soldats
nous annoncèrent la victoire. J accourus pour
les féliciter de ce beau fait d'armes ; car c'en
était un, -puisque moins de huit cents hommes
avaient fait mordre la poussière k des masses
quadruples d'infanterie et de cavalerie. " Ils
avaient même failli s'emparer des jrièces : trois
voltigeurs napolitains coupaient déjk les trait»
220 Mi
emoires
des chevaux morts, lorsqu'ils furent chargés a
leur tour et ohïigés de lâcher prise.
La fortune nous était moins favorable sur
d'autres points ; le général Franceschi se main-
^ tenait avec peine en avant de Alt-Schottland ; il
cédait le terrain , mais en le défendant pied a
pied : il suivait ses instructions^ il gagnait du
temps. Le brave colones Buthler accourait en
toute hâte a son secours. A peine parvenus
aux premières maisdns du village , les Bavarois
se jettent avec impétuosité sur' l'ennemi , le
poussent y le chargent à la baïonnette , et par»
viennent aie contenir; mais pendant qu'ils font
^ face d'un côte , les Russes les menacent de l'au-
tre. Après trois attaques infructueuses, ils
avaient enfin triomphé de la belle résistance
du chef de bataillon Clément , et s'étaient em-
parés de Stolsenberg; ils débouchaient déjà de
ce village , et allaient nous prendre en flanc*
Ce mouvement eût été décisif: je mé hâtai de
le prévenir ; je donnai ordre au sixième régi-
ment napolitain d'occuper sur la droite un mon-
ticule qui assurait notre position. Le général
Detrées conduisit l'attaque et enleva le plateau
au pas de charge; l'ennemi accourut }>our le
reprendre, mais il: ne put^ y parvenir. Tout
couvert de contusions, ses habits criblés de
balles , le colonel Degennero lui opposa une
résistance invincible, et le força a la retraite.
Cependant le général Bachelu« avec quatre
bataillons sous ses ordres , geirvissait les hau-
teurs à droite de Schidlitz; tout a coup il
fond sur les alliés , les attaque k revers et les
culbute. En vain ils se jettent dans les mai-
du général Rapp. 221
sons es s'y retranchent; nos voltigeurs, con-
duits par le lieutenant Bouvenot et le sous-of-
ficier Tarride , enfoncent les croise.es , brisent
les portes , tuent , prennent ou dispersent tout
ce qu'ils rencontrent , et s'emparent d'une
1)ièce* d'artillerie : un général russe animait
es siens k la défendre ; mais l'iiifipulsion était
donné; trois braves, "^le sous-lieutenent Vanus,
le maréchal - des - loffis Autresol, et le fourrir
Hatuite, s'élancent a la course et s'en emparent.
Il était trois heures après midi , et les alliés
gDCCupaient encore Schottland et Ohra; malgré
tout son courage le chef de bataillon Boulan n'a-
vait pu les déloger. Je résolus d'essayer une sen
•conde fois d'uhe maniBUvre qui m'avait si bien
réussi, je les tournai. Pendant que je menais une
fausse attaque par la tête de Schottland , le gé-^
néral Bachelu masquait sa. marche et se portait
sur Oiira; il était suivi de trois bataillons d'in-
fantefie, de cent cinquante chevaux, et d'une
' batterie légère . Nos troupes bouillaient d'impa-
tience : dès qu'elles entendirent battre la charge,
ce furent des cris de joie; elles s'élancent sur
l'ennemi , le rompent et le culbutent.
Il se rallie et revient a la charge. Mais la
, mitraille redouble, la baïonnette porte Iç dés-
ordre dans ses rangs. Il fuit, il s échappe par
toutes les issues , et n'en trouve aucune qui ne
soit interceptée. La nécessité réveille son cou-
rage, il se recueille, débouche, fond sur nous.
La mêlée devient terrible: il veut se dérober
• a la honte, nos soldats veulent consommer lu
victoire: de part et d'autre on se presse, on se
pousse avec fureur. Un adjudant-major du 2{)^
de ligne , Delondres , s élance au milieu des
222 Mémoires
ê
Russes; quelques braves le suivent: la mort et
la coniusion volent sur ses pas ; accable bien-
tôt par le nombre , épuise par de larges bles-
sures y il est obligé de rendre les armes : mais
ses esprits revienneiit, il se remet; Tindigna-
tion lui donne des forces: il attaque, amène
son escorte, et vient prendre part à la vic-
toire : elle n'était plus disputée. ISqs troupes,
accourues au bruit de la fusillade, s'étaient
formées en levant d'Ohra , et avaient ouvert un
feu meurtrier: Tennemi en est accablé ; il plie,
se débande , et n'échappe a la mort qu'en in§
voquant la clémence du vainqueur.
Dans iin instant les rues sont jonchées de
morts. Cinq cents hommes .mirent bas les ar-
mes: la plupart étaient ae cette armée de Mol-
davie que nous avions presque détruite au pas-
sage de la Bérésina.
L^ennemi fuyait sur tous les points. Dans
le INerbung, k iNeufahtwasser, partout il avait
expié^ par la défaite les succès que la surprise
lui avait donnés» Le major Nougarède n'avait
eu qu'a paraître pour disperser des n\iées de
Cosaques qui s'escrimaient sans succès contre
de faibles postes napolitains que nous avions
sur les derrières. Des postes de dragons don-
nèrent la chasse aux Russes qui s'étaient por-
tés en avant de Saspe , et enlevèrent Braseh,
Nous occupions de nouveau les positions,
que nous tenions avant l'attaque : malheureu-
sement elles nous coûtaient assez cher. Nous
avions six cents hommes hors de combat; il
est vrai que la plupart se rétablirent bientôt de
leurs blessures. De ce nombre étaient le major
Horadam , le colonel d'EgloiFstein et le gêné-
du général Rapp. 223
rai Devilliers, quon verra si trouvent figurer
dans ce récit.
L'ennemi avait été bien plus maltraité:
deux mille des 'siens étaient couchés dans la
poussière; nous^ avions onse à douxe cents pri-
sonniers dans nos mains, et une pièce d'artil-
lerie.
Cette journée fut une .des plus belles du
siège ; elle était un nouvel exemple de ce que
peuvent le courage et la disciphne. Sous les
murs de Dantxio comme au ])assage de k Bé-
résina y consumés par la misère ou le» mala-
dies, nous étions toujours les mêmes f nous pa-
raissions sur le champ de bataille avec le même
ascendant, la même supériorité.
) '
4
er«e L^
H>^/H^ »Hl/tt^/M^<Jtfll# U# ir^U §mi\é§^ mais n»
pro-
/u««ai«it
du général Rapp. 225
provisions touchaient \ leur terme. N0U9
n'avions plus, pour ainsi dire, ni viande ni
bestiaux ; la paille même nous manquait pour
— coucher nos malades. Je résolus de chercher
quelque remède aux maux qu'enduraient tant
de braves. La tentative était périlleuse , mais
ils méritaient bien qu'on s'exposât k quelques
dangers pour les secourir.
Depuis long-temps je projetais une expédi-
tion sur Quadendorf , oii Ton supposait d'abon-
dantes ressources. Jttfi'avais différée jUsque-lk,
parce que lés troupes dont je disposais me
paraissaient insuffisantes; mais la nécessité
parlait plus haut que toutes ces considérations :
]e n'hésitai plus. Le général Devilliers cou^-
ronna les hauteurs de Wonneberg et de Pitx-
kendorf, la droite appuyée à Zigangenberg,
et la gauche soutenue par. la brigade du géné-
ral Uusson. Il ouvrit sans délai un feu rou-
lant d'artillerie et de mousqueterie. Pendant
que l'ennemi ripostait de son mieux k cette
vaine fusillade, le général Heudélet débou-
chait par la vallée de Malsrklâu et enlevait le
poste chargé de la défendre. . Le général Ba-
chelu marchait en tête. Douze cents hommes,
six pièces de canon conduites par le général ,
Gault, s'avançaient en seconde ligne et for-
maient la réserve. Cinq cents Russes voulu-
rent nous interdire l'entrée de Borgfeld. Ils
furent foulés aux pieds. Ce qui échappa a la
baïonnette alla périr sous le tranchant du
sabre: tous reçurent la mort. L'ennemi accou-
rut avec les masses et ne fut pas plus^ heureux»
Accablé, rompu avant d'être en défense , il ne
trouva de salut que dans la fuite. Ses pièces
15
226 Mémoires
ne purent se mettre en batterie ; pours^uivies
sans relâche , elles furent contraintes de vicier
le champ de bataille sans avoir tiré un seul
coup. Les polonais étaient irrésistibles : chefs
et soldats , tous fondaient sur les Russes avec
un abondon, une audace dont on, n'a pas
d'exemple. Un tambour, le brave Mattuaalik,
en terrassa un avec ses baguettes, et le força
a se rendre.
Pendant que nous les chassons devant nous,
le général Heudelet menace leurs derrières.
Dès qu'ils s'aperçoivent- de ce mouvement, ce
n'est plus une fuite, c'^est un désordre, une
confusion dont il est difficile de se faire une
image. Ils abandonnent leurs blessés, leurs
hôpitaux; ils évacuent en toute^ bâte Sch^veis-
kopiF, Saint -Albrecht, et ne s'arrêtent qu'au-
delà dePraust, où nos voltigeurs entrent pêle-
mêle avec eux.
En arrivant à Saint- Albrecht, j'appris que
les Russes tenaient encore sur les digues de la
Mottlau. Je fis des dispositions pour emjpê-
cher qu'ils ne fussent secourus pendant crue
nous irions les chercher. Le major Scifler-
lita, avec un bataillon du 1S« bavarois, soutenu
par une compagnie de Westphaliens et la flot-
tille, fut chargé de cette attaque. Elle eut lieu
avec beaucouji d'ensemble et d'impétuosité:
trois cents Russes furent couchés dans la pous-
sière avec leur chef, tombé sous les coups du
brave Zarliriwski; le reste fut noyé ou pris.
Une centaine s'échapp^^it a travers l'inondation,
lorsqu'ils furent atteints parle lieutenant Faber,
qui les chargea a la tête de quelques braves,
ajant de l'eau jusqu'au cou , et les ramena. \5\\
du général Rapp. 227
enfant, le jeune Kern, enflammait nos soldats;
il les devance , il les excite , il se jette au plus
épais de la mêlée. Ses camarades balancent,
hésitent à le suivre. Il se retourne avec l'assu-
rance que donne le courage : £n avant , Bava-
rois , s'écrie - 1 - il, et il les enlève.
Le jour tombait. Les Russes montrèrent
des troupes si nombreuses en avant de Quaden-
dorf, que je ne jugeai pas à propos de continuer
l'attaque. • Nous rentrâmes après avoir causé k
l'ennemi une perte^ immense , et lui avoir pris
trois cent cincruante hommes. Ce fut presque
l'unique résultat d'une sortie si brillante. A
peine si elle nous valut une centaine de bestiaux.
Wous avions été prévenus : tout ce que renfer*
maient les villages avait été évacué sur les
derrières.
Indépendamment des subsistances , j'avais
un autre objet qui ne me réussit pas mieux.
Depuis le commencement du blocus j'étais sans
communication avec l'armée française*; je ne
savais ni quelle était sa force, ni avec quelle
fortune elle combattait. J'avais tout mis eji
œuvre pour obtenir quelques lumières k cet
égard ; mais la haine éiait si générale et si pro-
fonde qu'aucune séduction n'avait pu la vaincre.
J'espérais que les bourgmestres seraient plus
dociles , mais ils ne connaissaient que les bruits
1>ropagés par les Russes. Je restai plongé dans
'ignorance la plus complète sur ce qui se j>as-
sait autour de moi.
Après tout, quels que fussent les événe-
ments , il fallait défendre la place , et la défen-
dre le plus long- temps possible, c'est -k- dire
qu'il fallait vivre le. plus long-temps possible
15.
Î2S
ne 1'*^^ '
M1.S '■■
le ol. = -
iVc^ •
\e !-
ho.
<lc-
du général Rapp. 2^9
•patrie, leur père, les amis dé leur enfance;
'Is invoquent, ils repoussent, la destinée des
hrâves qui ne sont plus , et , tour a tour dé-
'"liirés par des passions contraires, ils exhalent
» i n reste de vie dans les horreurs du désespoir.
Plus on prodigue les remèdes , plus les souf«
Krances sont aiguës. Le mal s'étend par les ef-
forts mêmes qu on fait pour le dé(;ruire. Cha-
que jour de la dernière quinzaine de mars nous
«nnporta au delà de dçux cents hommes. L'é-
nidérnie cessa peu a peu d'être aussi meurtrière.
Ce ne fut cependant qu'a la fin de mai qu'on
en triompha tout-a-fait. Elle nous avait a cette
époque enlevé cinq mille cinq cents habitants,
et douze mille braves. De ce nombre était le
général CauU , excellent officier , soldat plein
lie courage , il méritait un meilleur sort.
Les maladies nous faisaient la guerre au
profit des Ruasses; maifreux-mêmes nous inquié-
taient peu. L'expédition de Borgfeld avait
amorti leur courage; ils se retranchaient, ils
se fortifiaient, ils n'étaient plus occupés que
de mesures défensives. Cependant comme il
fallait bien donner quelque signe de vie, ils
cherchaient de temps a autre a surprendre mes
avant-postes. Fatigué de ces attaques insigni-
liantes, je voulus leur rendre les insomnies
âu'ils nous causaient. Ils avaient au-dessus de
rentau un signal qui m'en fournissait les mo-
yens. Il ne s'agissait que de l'incendier; j'en
confiai le soin a deux efficiers dont l'intelli-
gence et la résolution m'étaient connues. C'é-
taient les chefs de bataillon Zsembek et Potocki.
Ils sortent de Langfuhr par une nuit obscure,
et marchent long-temps sans être aperçus. Des
/■
230 Mémoires
coups de fusil leur apprennent enfin qu'ils sont
découverts; alors ils fondent sur Tennemi et
le renversent. Potocki s'avance sur Brentau, et
disperse une infanterie nombreuse oui s'oppose
k son passage. Une quarantaine d'nomnies se
jettent dans une espèce de blockaus. Un vol-
tigeur les suit et les somme de mettre bas les
armes ; il reçoit laj mort. Lés Polonais furieux ^
inondent aussitôt la redoute et exterminent
tous les Russes qu'elle renferme.
Pendant que ces choses se passaient au vil-
lage, Zsembeck s'emparait du signal d'alarmes.
Il le livre aux flammes, et descend aussitôt
daill la plaine ; il culbute, il taille en pièces
les postes qui se trouvent sur son passage, et
pousse jusquesous les murs d'Oliwa, où illance
quelc[Ues obus. En même temps le brave ï)e-
villain , maréchal-des-logis au huitième , ba-'
laie, avec une douzaine de hussards, toute
cette partie de nos avfent-postes. Il charge avec
tant de résolution , qu'il étonne les Cosaques
et les enfonce. Le succès l'enhardit; il se ré-
pand sur la droite , reconnaît , fouille le bois,
et ne joint nos troupes qu'au moment où elles
se retirent.
Cependant tous les signaux étaient en feu.
L'armée russe courait aux armes et s'attendait
d'un instant a l'autre a se voir attaquée ; elle
{mssa dans cette attitude le reste de la nuit et
a journée du lendemain. Nous lui rendîmes
en masse les, alarmes qu'elle nous avait don-
nées en détail.
L'horiaon politique devenait chaque jour
plus sombre. La Prusse avait jeté le masque;
elle nous faisait la guerre par insurrection.
du général Rapp. 231
Cet événeinent ne pouvait être cacké au5c sol-
dats; les Russes avaient trop intérêt de les en
instruire. Aussi ne mis-je*aucun obstacle a ce
qu'il fut divulgué. Aussitôt les séductions re-
commencèrent. On crojait le moral de no$
troupes ébranlé. La disproportion des moyens
d'attaque et de défense, l'argent, les promes-
ses,* tout était mis en œuvre pour les engager
a la désertion. On offrait une prime a la honte ;^
je pouvais bi^en en proposer une a la fidélité.
J'annonçai de\ix cents francs dé gratification
pour quiconque livrerait un homme convaincu
d'embauchage. Cette mesure eut son effet. La
plupart des émissaires que les assiégeants avaient
dans la place liae .furent signalés. D'après no»
lois ils avaient encouru la peine de mort, mai»
les hommes sont en général moins méchants
que malheureux. Presque tous étaient des pè-
res de famille qui avaient cédé a la nécessité.
Je les livrai a la risée de nos soldats , je leur
fis raser la tête, et les renvoyai. Cette mesure
les retint chez eux; j'en fus aélivré sans recou-
rir aux exécutions.
La garnison paraissait peu inquiète du sur-
croit a ennemis qu'on lui annonçait. Cepen-
dant j'étais bien aise qu'elle jugeât par elle-
même de quoi elle était encore caj^ble. Nous
touchions aux fêtes de Pâques. La tempéra-
ture était douce, le ciel sans nuages. J'indi-
quai une revue; elle eut lieu a la face de l'ar-
mée dé siège. Dès la pointe du jour les habi-
tants, les malades même couvraient les hau-
teurs de Langfuhr ; ibse répandent siir les gla-
cis, les. avenues, et couronnent/tous les re-
vers de la plaine qui séparé Stries d^Oliwa.
• \
232
Mémoires
Les troxipes ne tardent pas a paraître. Sept
mille hommes suivis d une artillerie nombreuse,
tous en tenue magnifique , viennent successi-
vement se ranger en bataille. Ils manœuvrent,
ils défilent avec une précision xlont rien n'ap-
proche. Les Russes, étonnés de tant d'assurance,
n'osent nous troubler: formés eux-mêmes en
bataille, ib contemplent nos mouvements sans
y mettre aucun obstacle. Cependant l'occasion
était belle, aucune arme n'était chargée; j'a-
vais spécialement défendu qu'on fit usage de
cartouches. La baïonnette seule devait les pu-
nir s'ils étaient asses téméraires, pour se per-
mettre la moindre insulte. Cette mesure était
peut-être un peu audacieuse, mais il fallait
exalter le courage du soldat et le convaincre
du mépris que méritait la jactance étrangère.
•
»
du général Rapp. 233
CHAPITRE XXXIX.
Après avoir paradé, il s'agissait de vivre ; la
chose était moins aisée. Uennemi avait fouillé
tous les villages et n'y avait laissé ni fourrages
ni bestiaux; plus de ressources, a tnoins de les
chercher à une distance de plusieurs lieues.
J'en avais fait l'expérience a Borg£eld», aussi
je pris mes mesures en conséquence. Je m'é-
tais procuré des renseignements exacts sur les
facilités et les obstacles que présentait une
expédition dans le ]Nehrung; je connaissais le
nombre , la position des trou2>es et leur par-
faite sécurité. Je jSs mes dispositions. Douae
cents hommes d'élite , trois cent cinquante
chevaux , une compagnie d'artillerie légère
avec huit bouches a feu , conduits par le gé-
néral Bachelu, s'avancèrent sur Heubude. L'en-
nemi culbuté cherche vainement a défendre
Bohnsack. Bachelu ne lui donne pas le temps
de se reconnaître ; il le pousse , l'enfonce et
le rejette en désordre jusqu'à Woldern. Ses
principales forces occupaient ce village. Près
de cinq mille hommes l'accueillent et le sou-
tiennent; mais, toujours emportées par le même
élan , nos troupes arrivent a la course et ne
souffrent pas qu'il se déploie. Elles commen-
cent aussitôt l'attaque: une partie se répand
en tirailleurs sur les dunnes et dans la plaine,
l'jautre reste en ligne et ouvre un feu meur-
trier. Nos pièces , notre cavalerie accourent
et consomment Is^ déroute. Elle fut si prompte
234 Mémoires
et si entière que Tartillex-ie n'essaya ])as de tirer
un seul coup ; elle s'échappa en toute hâte du
champ de bataille. Une colonne de Lithua-
niens osa faire têtealorage. Le colonel Fa,-
rine s'élança sur elle avec ses dragons et la
contraignit de mettre bas les armes. La ré-
serve était encore intacte. Le brave Redon
marche a elle , il l'épie , il saisit l'instant où
elle se retire , la charge et la fait prisonnière ;
en même temps 4e capitaine INeuniann se met
a la piste des fuyards ; il vole de la gauche a
la droite 9 sème partout le désordre et ramasse,
avec une poignée de soldats , quelques cen-
taines d'alliés qu'il oblige a se rendre. Cet avan-
tage lui coûta deux blessures. Le sous-lieute-
nant Schneider fut encore plus maltraité et re-
çut a lui seul douze coups de lance.
J'avais suivi de ma personne le mouvement
du général Bachelu; je m'avençai jusquk Wol-
dern. Mais les Russes fuyaient dans un tel
désordre qu'il me parut inutile d'aller plus
loin. Les troupes qui les avaient battus suffi-
saient pour les poursuivre. Dès que j'apj!)ris
qu'elles les avaient poussés a plus de douae
heues de distance, j'arrêtai leur niarche. Elles
prirent position , et se mirent k enlever les
fourrages et les iestiaux qui se trouvaient dans
les lieux dont elles s'étaient emparées.
La réserve que j'avais avec moi était de-
venue inutile, par la pronu)titude et l'habi-
leté avec laquelle le général Éachelu avait con-
duit cette expédition ; je lui fit passer la Vis-
tulc- £lle diébarqua en avant du fort Lacoste,
et se porta sur la digue que l'ennemi occu-
pait encore. £n même temps les chaloupes
du général Rapp. 235
canonnières remontaient le fleuve et commen-
çaient l'attaque. Les Russes plient aussitôt et
se débandent. Nous nous répandîmes sans ob-
stacle dans toute Tétendue du Werder.
NouB restâmes quatre jours clans ces diverses
positions. Le général Bachelu fouillait sur la
rive droite la partie du Nehrung qu'il avait
envahie , tandis qu'a l'aide de nos canots nous
tirions de la rive gauche toutes les ressources
qd'elle nous offrait. Cinq cents bêtes a cor-
nes , quatre cents têtes de menu bétail, douze
cents quintaux de foin, huit cents de paille
et deux mille trois, cents décalitres d'avoine,
furent le résultat de cette expédition. L'en-
jiemi essaya d'en intercepter les convois; mais
le sang- froid , l'habileté du lieutenant Iloé-
kinski et du commissaire des guerres Belisal
triomphèrent de tous les obstacles. Les agres-
sions des Russes tournèrent iiKême a notre avan-
tage et nous valurent encore une centaine de
bœufs que l'intrépide Brélinski leur enleva
après les avoir défaits. L'armée de siège ne
chercha pas a nous troubler. Lnmobile dans
ses lignes , elle ne paraissait occupée que des
démonstrations que faisaient nos troupes du
côté de Langfuhr et du Neuschottlancl. Son
inquiétude était si vive, que le bruit d'une
grosse pluie lui donna le change ; elle se crut
attaquée, mit le feu ^ ses signaux de gauche, et
jeta l'alarme jusqu'à Pitxkendorf.
Nous avions ravitaillé nos hôpitaux ; car pour
nous-mêmes, notre situation n'était pas^chan-
gée. Deux onces de cheval, une onze de boJhf
salé , voila quelle était toujours la ration jour-
nalière. A mesure que^ je sortais d'un embar-
236 ♦ Mémoires
ras, je tombais dans un autre, Je m'étais pro-
curé quelques subsistances, mais la caisse était
épuisée; elle n'avait pu faire face au montant
des comestibles que nous avions enlevés. J'a-
vais été obligé d'émettre des bons payables au
déblocus. Cependant il fallait assurer la solde,
couvrir les dépenses de l'artillerie , du génie,
sans quoi la place tombait d'elle-même. A quel
expédient, quel mojen avoir recours dans cette
extrémité? 11 ny en avait qu'un. Je répugnais
a le prendre;' mais tout plie devant Ta néces-
sité: je demandai un emprunt de trois millions
aux habitants. /
Les Dantzicois étaient révoltés. Ils se plai-
gnaient, ils murmuraient, ils menaçaient de se
porter à quelque émeute. L'ennemi devenait
plus pressant. La flotte , les troupes de terre,
tout préhait une attitude plus hostile. Ce fut
dans ces circonstances qu'un baron Servien,
condamné à mort pour embauchage, accusa
le sénateur Piegelau d'être a la tête d'une cçn-
spiration tramée dans Tintér-et de la Russie.
La réputation de ce magistrat était intacte, mais
les chargés étaient si détaillées, si précises, et
les conséquences d'une imprudente sécurité si
graves, que j'ordonnai son arrestation. Son in-
nocence fut nientôt reconnue: J'avais un instant
compromis la loyauté de cet homme respec-
table; c'était a moi a lui rendre hommage. Je
le fis de la manière qui me parut la plus propre
a calmer l'impression de cette cruelle aventure.
Les bourgeois étaient restés paisibles , et les
fréquentes escarmouches qui m'avient paru si
suspectes étaient dues au surcroît des troupes
qui se succédaient devant la place. Le duc de
du général Rapp. 257
Wurtemberg venait d'en prendre le comman-
dement. Plus entreprenant , plus inquiet que
le général Lévis, il ne laissait pas respirer mes
avant-postes; échouait-il sur un j^oint, il en as-
saillait un autre. Repoussé a Langfuhr , mis en
fuite a Zigangenberg, il se, jette sur Ohra. Aussi
mal reçu dans cette position que dans les pre-
mières, il n'en revient pas moins a la charge;
il attaque a la fois Stolaenberg, Schidlitz et
le poste de la barrière : culbuté sur tous ces
points , il reparait de nouveau ; de nouveau,
ils est défait. Aucun échec ne le rebute , il
tente un dernier effort; il fond avec la nuit sur
mes troupes , qui se remettaient dte leurs fati-
gues, et surprend quelques maisons qu'il livre
aux flammes. Mais a la vue' de^deux nataillons
qui courent aux armes , il se trouble et se
disperse. /
Les patrouilles , les vedettes , étaient conti-
nuellement aux prises. Ces combats, oii le cou-
rage individuel est plus sensible , étaient tout
anotre avantage. Les Cosaques n'y brillaient
>as. Trois d'entre eux se réunissent pour acca-
bler un dragon du 12«, nommé Drumès; ce
brave les attend de pied ferme. Renversé d'un
coup de lance , il se relève , se cramponne au
fer, tire a lui son adversaire et l'étend mort
sur la place. Héquet , autre dragon du même
régiment, fait tête a quatre de ces barbares.
Quoique blessé, il en renverse un, en abat un
autre, et met le reste en fuite. Je pourrais citer
mille traits de ce genre.
Ces agressions continuelles fatiguaient mes
soldats ; je ne devais pas souffrir qu'ils fussent
i
238 Mémoires
insulta par des Cosaques. Nous primes les
armes: le général Granjean commandait la
droite, le général Devilliers était ^u centre,
et la gauche obéissait au comte Heudelet. L'ap-
parition inopinée de nos colonnes glaça Tenne-
mi d'effroi. Ses chevaux paissaient librement,
dans la plaine; son infanterie était paisible
dans ses camps. Il ne s'attendait j^as a cette
attaque. Au moment oii nous commencions
a nous ébranler je reçois la nouvelle authenti-
3ue des immortelles victoires de Lutsen et de
autzen; je la communique , je l'annonce, je
la répands. La joie, l'ivresse, l'enthousiasme,
sdnt au comble; tous les sentiments s'échap-
pent k la fois; il tarde de combattre; on brûle
de vaincre. De Ja gauche a la droite le cri den
avant retentit partout. Le signal est donné.
Aussitôt l'artillerie se démasque; on se mêle,
on se confond; la terre est jonchée de morts.
Le capitaine Preutin foudroie l'ennemi et
l'oblige d'évacuer Schœnfeld. L'artillerie a che-
val polonaise accourt au galop, se.place a demi-
portée et renverse tout ce qui se trouve devant
elle. Le major Bellancout, le chef de bataillon
Duprat, poussent, accablent les fuyards, ils les
dispersent a mesure qu'ils se rallient. Culbuté
au centre,- l'ennemi se jette sur la gauche et
menace Olira. Le major Schneider lui oppose
une résistance opiniâtre. Cet excellent otffcier
se défend sur un point, attaque sur un autre,
et compense par son^ courage la faiblesse des
moyens dont il dispose. Le général Bressau,
le général Husson , volent a son secours. Les
Russes écrasés ne peuvent faire tête a l'or'age;
du général Rapp. 239
ils fuient . et ne s'arrêtent cjue sur les hauteuts
len arrière de Wonneberg. Bientôt ils se ravisent
et fondent sur notre aile droite; elle les reçoit
avec une admirable résolution. Le colonel
d'EnglofFstein, le major Horadani,*le lieutenant-
colonel Hope, combattenjt a l'envi Tun de l'autre.
Le sergent Vigneux , le sergent Auger , don-
nent aussi rexem])le du courage. J'accours au
milieu de cette lutte sanglante ; je fais avancer
le 10^ polonais avec cinq pièces d'artillerie qui
étaient en réserve. La mêlée s'échauffe et de-
vient de plus en plus terrible. Les Russes
cèdent enfin et s'échappent en désordre du camp
de Pitxkendorf. Je ne jugeai ])as a propos de les
suivre: a chaque jouf suffit sa peine. Ils avaient
environ dix huit cents hommes hors de corn-
bat. Je fis cesser le feu. De notre côté nous
comptions quatre cents morts ou blessés.
Les alliés vaincus dans deiix batailles con-
sécutives, avaient sollicité un armistice. La
guerre avait été reportée sur l'Oder. Nous
étions de nouveau les arbitres de la fortune.
Notre gloire était d'autant plus pure qu'elle
était due tout entière a ce courage impétueux
qui supplée à l'expérience et ne recule devant
aucun oJbstacle. Des recrues avaient triomphé
des forces combinées de la Prusse et de la Russie.
Le capitaine Planât nous en apportait la nou-
velle au moment où les assiégeants culbutés
cherchaient leur salut dans la fuite. Napoléon
avait joint a ses dépêches des ]>reuves de sa
munificence. Il daignait m'accorder le grand
cordon de l'ordre de la Réunion. Il m'auto-
risait a faire des. promotions , a conférer dei
240 • Mémoires
grades y et a désigner les officiers supérieurs
que je jugeais susceptibles d'avancement. SeS
victoires avaient exalté tous les courages, on
jurait de nouveau par»son génie, on le voyait
déjà triomphant sur les bords de la Yistule.
Sa dépêche était ainsi conçue:
^^Monsieur le comte Rapp^
„Le major - général vous fait connaître la
^situation des afFaires. J'espère que la j>aix
„sera conclue dans le courant de Tannée; mais
„si mes vœux étaient déçus , je viendrais vous
„débloquer. Nos armées n ont jamais été j>lus
^nombreuses ni plus belles. Vous verrea |>ar
„les journaux toutes les mesures que j'ai pri-
„ses, et qui ont réalisé douze cent mille born-
âmes sous les armes et cent mille chevaux. Mes
,,relationssont fort amicales ayec le Danemark,
„o*à le baron Alquier est toujours mon mi-
„i\istre. Je n'ai pas besoin de.vousrecommari-
„der d'être sourd a toutes les insinuations , et
dans tout événement de tenir la place im-
portante que je vous ai confiée. Faites -moi
„connaitre par le retour de l'officier ceux des
„militaires qui se sont le plus distingués. L'a-
„vancement et les décorations que vous ju-
„gere2 qu'ils auront mérités, et que vous de-
^manderez pour eux , vous pouvez les cônsidé-
„rer comme accordés et en faire porter les
9, marques jusqu'à la concurrence de dix croix
,, d'officiers et de cent croix de chevaliers. Choi-
„sissez des hommes qui aient rendu des servi-
„ces importants, et envoyez-en la liste par le
re-
du général Rapp* 241
^ ^retour de rofficier, afin que le chancelier de
la légion dlionneur soit instruit de ces nomi-
nations. Vous pouvex également remplacer
,,dans vos cadres toutes les places vacantes,
„jusquau grade de capitaine inclusivement.
„Ënvoje2 aussi l'état de toutes ces promotions.
„Sur ce je prie Dieu , etc.
),NAl>OLBOSr.
,,Nettiiiark, le 5 juin, i8i3/*
16
242 • Mémoires
CHAPITRÉ XL.
/
Les souverains avaient régie les conditions
de Tarmistice. Chaque place devait être ravi-
taillée tous les cinq jours , et jouir d'une lieue
de territoire au-delà de son enceinte; mais le
duc de Wurtemberg .se chargea d'éluder cet
engagement. 11 refusait mes états de situa-
tion 9 il contestait sur les limites, Après bien
des conférences nous convînmes d'un arrange-
ment provisoire et nous renvoyâmes la question
k ceux qui devaient la juger. Ce. fut alors de
nouvelles difficultés: tantôt ils alléguaient le
défaut de subsistances , tantôt le manque de
transports, tes fournitures toujours incom-
plètes étaient constemment arriérées, enfin
elles furent tout- a- fait suspendues. Le duc
avait besoin d'un prétexte , il le trouva. Il
prétendit que nous avions rompu là trêve, parce
, que nous avions fait justice d^ je ne sais quelle
bande de 2>illards qui infestaient nos derrières.
Sa lettre, qui eût pu m'étre transmise en deux
heures, fut deux |ours a me parvenir. Tant
de subterfuges me révoltèrent. J'allai droit
au fait. Je lui répondis que je ne voulais plus
de tergiversation , qu'il fallait se battre ou
remplir les conditions stipulées. 11 réi^liqua,
f^arla de^ la cause des peuples et des rois. Ce
angaçe ét^it curieux. Je lui témoignai com-
bien il m'étonnait dans la bouche d'un prince
dont le souverair^iivait été cinq ans notre allié,
et dont le frère combattait encore avec nous.
Ce dernier exenil^le le toucha peu. II me ré-
du général Rapp. ^243
pondit avec humeur „qu'un général en chef
„russe ne se croyait inférieur en aucune ma-
dignité , qi
,,roi tout comme un autre; qu U j mettrait ce-
,,pendant une petite condition, c'est que ce n^
^serait aux dépens d'aucune puissance, ni de
„personne."
On courut aux armes^. Mais le duc ne vou-
lut pas se chareer des conséquences de cette
rupture. Il offrit de coi;>tinuer les livraisons.
Elles devaient' avoir lieu dès le 24 y elles ne
recommencèrent cependant que le 26 et ne fu-
rent jamais complètes. Des viandes corrom-
pues, des farines si mauvaises qu'on n'osait
en faire usage qu'après les avoir éprouvées,
voUa les subsistances que nous fournissaient-
les Russes. Ils n'étaient pas plus fidèles sur la
quantité. Nous ne reçûmes pas au-delà des
deux tiers de ce qui nous était garanti par la
suspension d'armes.
Le prince de Neuchâtel me mandait qu'il
fallait tenir jusqu'au mois de fnai suivant. L^
chose était impossible. Je n'avais ni asses de
subsistance» ni assez de troupes pour une dé-
fense aussi prolongée. Je le lui marquai, ma
dépêche étai,t précise. Tout ce qui était pos-
lible nous étions prêts k l'entreprendre; mais
la bonne volonté ne supplée pas aux moyens.
Dantxîc, le té juin i8i3»
nSIon prince^
J'ai reçu la lettre que votre altesse m'a fait
„rhonneur de ni'écrirç de Neumark le 5 juin.
16.
99
244 Mémoires
y, M. Planai m'a également remis> la collection
,,des moniteurs renfermant lé détail des ha-
^ytailles décisives gagnées par Napoléon sur.l at-
„méé combinée. J'avais, depuis la veille de
l'arrivée de M. Planât, eu connaissance des
brillants succès obtenus par les armées de
Napoléon. Ces heureuses nouvelles ont pro-
,,duit sur la garnison le meilleur eifet, elle a
,,vu que je ne lavais pas flattée d'un vain esjyoir;
„et la patience et le coUrage dont elle a fait
^preuve ont trouvé la récompense^ qu'elles de-
^,vaieiit attendre.
„ïi'armistice m'a été également remis, et
„ j'écris particulièrement sur cet objet à votre
„altesse.
„Je ne dois pas lui dissimuler cependant
jjque cette suspension d'armes , dans l'état oii
^^étaient les choses , ne soit plus défavorable
j,qu'avantageuse à la garnison ; car les niala-
^yladies occasionnent encore une perte de onze
^^cents hommes par mois, d'oii il résulte qu'au
1* août nous serons encore alFaiblis d'environ
dix sept cents hommes.
,,Nos vivres en outre se consommeront, et,
„si le duc de IVurtemberg ne montre pas une
„meilleur volonté qu'il n'a fait jusqu'ici , nous
„ne ferons guère d économie sur ce que nous
,taurions pu mettre a ]>art des subsistances qu'il
„doît nous fournir. Mon état ne m'inquiéterait
„pas jusqu'au mois d'octobre, mais passé cette
„éi>oque ma position deviendra pénible ; car
„nous manquerons de bras pour défendre l'im-
„mense développement donné k nos fortifica-
„tions, de vivres pour les défenseurs, et nous
du général Happi. 245
,,11 aurons pas plus k espérer de ressources du
^dedans que: du dehors. ^
„L'état de composition de la ration depuis
„le blocus fera connaître a votre altesse que
„j'ai apporté dans la distribution des vivres
,, toute! économie que commandait notre posi-
^^tioft, et que j'ai employé a cette fin toutes
„les ressources dont on pouA^ait tirer parti:
„niais ôes ressources s'épuisent , et ce serait
,, vainquent'! qu'on compterait sur celles cfui
„]>ourr»ient être la suite de l'expulsion aes-
,,habitantsL> en effet, il ne faut, pour secon-
„ vaincre de cette triste vérité , que se rappe-
„ler qu'il y a deux ans Napoléon fit requérir a
„Danaic six cent mille quintaux de grains,
,, opération qui fut exécutée très rigoureuse-
,,ment. On ne laissa a cette époque que vingt
,,trois mille quintaux pour la suosistance des.
^habitants. Depuis ce moment, ceux*ci ont
,,vécu avec cette portion et quelques minces
,,quantités qu'ils avaient soustraites aux recher-
ches les plus sévères.
„J'ai exposé phis haut a votre altesse la.
perte mensuelle que nous occasionnant encore
,,les maladies; X'état de situation des troupes
,, présente uriiefFectif de vingt raille cinq cent
cinquante huit hommes ^ ce qui suppose,
d'après les données trop certaines que nous
„avons déjà , que la garnison sera réduite a la
„fin de l'armistice a vingt mille hommes, dont
,, il faut déduire au moins deux mille aux hd-
,,pitaux, en supposant même que lés privations
„n'augmentent pas les maladies. Que serait-ce
„donc au mois de mai, lorsque la progression
„de mortalité que Tétàt actuel des choses sup-
»>
♦>
»>
»*
.246 . Mémoires
„pose aura encore moissonné beaucoup d'hom-
' ,,nies?... Il résulta du calcul quon peut faire,
„quen admettant que les maladies d'hiver
„n augmentent pas beaucoup le nombre des
„morts et qu'il n y en ait que mille par mois,
, „que la perte serait au 1«' mai de huit mille,
„sans compter tous ceux qui périront dans les
^affaires ou par suite de blessures, H ne reste-
„rait donc au 1 <**' mai qu'un effectif de onze
' „mille hommes, sur lesquels il y en aura cer-
,,tainement trois mille aux hôpitaux : or com-
,,ment défendre avec une si faible garnison
„des fortifications aussi étendues.
„Jai déjà donné des ordres pour la construc-
„tion d'ouvrages destinés k défendre la trouée
„de Mottlau, point extrêmement faible lorsque
„les rivières seront giplées. Je fais travailler
d'ailleurs a tout ce quij^eut assurer mes com-
.munications ; mais , je le répète , il faut des
y, défenseurs. Votre altesse ne doit pas douter
y,que , si cela devenait nécessaire , je ne fasse
„pour me maintenir dans un }>oint quelconque
„ae Dantsic tout ce que l'honneur et mon aé-
„vouemfent a remi>ereur pourront me suggérer.
„L'état des magasins prouvera k votre td-
yytesse que nos ressources sont bien bornées:
„elle doit penser que je les ménagerai avec
„tout le soin que m'inspire le désir de faire
;,une défense honorable : c'est pour parA'^enir à
,,ce but que j'ai fait entrer dans la commission
,,des approvisionnements que la loi- a instituée
yydans les places en état de si*ége un nombre
,,bien plus considérable de membres que ceux
^qu^elte détermina.
^ Je les ai réunis sous la présidence du gène-
»
»>
1
\
„mission est chargée de me proposer toute»
,, mesures qui peuvent tendre a l'économie
du général Rapp. " 247
rai de division comte Heudelet. Cette corn-
les
et
, , au bien-être du soldat; elle a rendu de grands
,,services , et je suis fâché de ne pas lui avoir
,, donné plus tôt les attributions qu'elle a au-
,,îourd*hui.
„L'article des finances mérite une attention
„bien particulière de la part de l'empereur et
,.de votre altesse. ^ Tous les fonds qui avaient..
,,été laissés a ma disposition ont été consommés,
„et j'ai été obligé d avoir recours a un emprunt
,, forcé, que j'ai imposé a ceux qui étaient sus-
„ceptibles de donner encore quelque chose.
,,Cet emprunt s'est exécuté avec les formes le»
,,plus rigoureuses envers ceux qui prétendaient
„ne pouvoir contribuer a la dérense commune;
,,mais, quelques soins qu'on se soit donnés a
„cet égard, et quoiqu'on aitv allié toutes les
,. mesures qui pouvaient conduire a des résul-
,,tats prochains , on n'a pu obtenir jusqu'ici
„qu'un million sept cent mille ^ancs , et on
,,aura bien .d^ la peine à f^re rentrer le reste.
„Les déj^enses de la solde, des masses qu^il
,,est nécessaire de payer ; celles des construc-'
étions du génie, quant a ce qui concerne la
9,main-d'œuvre (car on prendra par réquisition -
^payable au déblocus , ainsi qu'on l'a fait de-
„puis deux mois , tous les, matéjbiaux quisdnt
„dans la place); celles de l'artillerie, celles des
y,hôpitaux , des différentes branches de servi*
„ce8 , des subsistances, c'est-a-dire encore tout
„ce qui est journées et main-d'œuvre; les con-
,,structions de la marine, l'habillement; toutes
„ces dépenses , dis-je, dont j'ai fait faire l'éva-
248 • Mémoires
,,luation, se montent a plus de neuf cent mille
^yfrancs par mois.
,,Une maison de commerce étrangère a of-
,,fert de faire ici des fonds moyennant ^iie le
,,payeur-genéral lui assure son remboursement
„a Pari^. Ce serait un grand point de trancjuil-
„lité si je voyais cette affaire réglée; mais je
,,préférerais que les fonds me fussent envoyés,
„car il peut arriver telle circonstance qui arrè-
yyterait dès le second mois le 2>aiement convenu.
,,Votre altesse j>ense bien qu'il n y a pa^ mo-
,,yen de songer a ne pas payer exacte^ient les
,ydépens4^s ci-dessus indiquées , surtout avec
,,une garnison composée comme celle nue je
commande; je la supplie donc de solliciter
de sa majesté des mesurer qui puissent assu-
rer le paiement de^ sommes qui me sont né-
,,cessaires.
, Je ne dois pas terminer sans faire observer
„k votre altesse crue la qi^antité de poudres qui
,, existe encore dans nos magasins n'est pas À
,,beaucoup près len. proportion avec celle qui
,,8erait nécessaire ]^ur un siégé*
„£n|in, monseigneur, j'ai dû vous faire a
yyl'avance toutes ces observations, qui roulent
,,sur l'insqffisance dt^s défenseurs, sur celle des
„moyens de subsistance, sur les fonds néces-
„sairesanos dépenses obligées, enfin sur nos
„approvisionnements en tous genres , qui ne
„sont pas a beaucoup près en raison des be-
,^oins. a venir, je supplie donc votre altesse
,,de mettre sous, les yeux de l'empereur la posi-
,,tion fâcheuse dans laquelle nous nous trouve-
,,rons, si sa majesté ne vient pas k notre aide.
9^Ce (|ui reste de la garnison est d'ailleurs ex-
f9
19
du général Rapp. 249
„cellent, et Ton peut compter de sa part, au
„moyen de quelcjues récompenses bien applî-
,,quées sur un dcA oUenîent sans bornes, tlle
,,fera tout ce que lempereur peut attendre de
,,ses meilleurs soldats, et justinera la confiance
„que sa majesté lui a accordée et la faveur
,, qu'allé lui a faite en la r.eplaçant au nombre.
,,aes corps de sa grande armée.
„Je suis etc.
yiSignê^ Comte Rapp.**
Cependant l'armistice touchait k sa fin. Les
troupes, les munitions, lartillerie de siège, af-
fluaient devant la place. Bientôt nous eûmes
en présence trois cents pièces de gros calibre
et soixante mille combattants. Cette dispropor-
tion était immense; mais nous avions vaincu
malades , nous pouvions ei^pérer dé vaincre en-
core. Il ne nous fallait que des subsistances. Les
Russes en étaient si convaincus qu'ils donnaient
la chasse aux moindres embarcations qui al-
laient a la pèche. Leurs canonnières en avaient
même capturé quelques unes, qui pourtant n'a-
vaient^ pas dépassé nos limites, jf expédiai de
suite un parlementaire a l'amiral. Je lui re-
présentai que la mer devait être libre jusqu'à
une lieu de la côte , et que je saurais faire res-
pecter les conditions de l'armistice si on es-
sayait encore d y porter atteinte. Il promit de
s'y conformer» et de ne plus inquiéter nos ca-
nots. Il ne les inquiéta plus en effet; mais dès
le soir même il fit enlever nos malheureux pê-
cheurs, retirée sans défiance dans leurs cabanes.
Il craignait l'abondance que quelques livres de
250 Mémoires
poisson allaient apporteia^ans la place. Les pay-
sans, les cours d'eaux, ^'étaient paS'mieux trai-
tés. On traquait les uns , on détournait les
autres.* Il semblait que tout était occupé a nous
faire parvenir des subsistances, quelles nous
arrivaient par toutes les issues ; j'avais beau ré-
clamer , on ne manquait jamais de défaftes ni
d'excuse?. J'étais outré de ce système de dé-
ception. Enfin le prince de Wolkonski me dé-
nonça la reprise des hostilités ; je reçus cette
nouvelle avec une véritable satisfaction. Nos
rapports étaient trop désagréables pour que je
ne désirasse pas les voir finir.
du général Rapp. 251
CHAPITRE XLI.
L ennemi était plein de confiance ; il com-
battait 9 il intriguait , il se flattait d'emporter la
place ou de la réduire en cendres; mais toutes
ses tentatives échouèrent devant la vigilance
et l'intrépidité de mes soldats. Ses fusées in-
dendiaires vinrent se perdre sur les remparts ;
ses attaques furent repoussées, et ses émissai-.
res découverts. Plusieurs de ces misérables
s'étaient déjà introduits dans nos magasins , et
se disposaient a les incendier. J eusse peut-être
dû en faire un exemple; mais je craignis que
cet ex;emple ne fût dangereux, je craignis qu'il
ne donnât Tidée du crime a ceux qui ne l'a-
vaient pas, et qu'il ne répandît lalarme parmi
les troupes. Je feignis de croire qu'ils avaient
voulu détourner quelques comestibles, et les
renvoyai; mais je publiai contre le vol des or-
donnances si sévères que je tins la malveillance
a l'écart.
Après^ trois jours d'humiliations et de fati-
gues les assiégeants réussirent enfin k s'empâter
du bois d'Ohra. Chassés presque aussitôt, ils
reparaissent avec de nouvelles forces , et re-
plient le poste. Le bataillon de service prend
une seconde fois 1^ armes , et vole a son se-
cours. Le major Legros attaque le bois, deux
compagnies de grenadiers se portent ^\i village ;
les troupes se joignent, elles se pressent, se
toussent, se ciilbutent ; la mêlée dévint affreuse.
>e capitaine Capgran saisit aux cheveux un offi-
252 Mémoires
cier prussien; tandis qu il le terrasse, lui-même
est sur le point de jjerdre la vie; un soldat l'at-
teint déjà de sa baïonnette : le lieutenant Sa-
batier détourne le coup, serre le Cosaque, et
lui passe son sabre au travers du corps ; mais
au moment où il sauve son chef, il reçoit à ia
goFge une blessure qui le force de quitter le
champ de bataille. Dans le bois ; dans le village,
Surtout les Russes sont accablés ; le capitaine
uchez en abat quatre ; le commandant Char-
ton , les lieutenants Devrine et Blanchard , les
moissonnent a pleines mains; une foule de bra-
ves se répandent au milieu d'eux, et accrois-
sent le désordre. Francou , dont la valeur fut
quelque temps après si fameuse, Martin, Cou-
ture, Rochette, Schiltz, Lepont, Beiinot, Sou-
de, Paris, Belochio, tous sous-officiers de trou-
Ees légères , le carabinier Richida , le tam-
our Breighier, percent jusqu'au centre de
leurs colonnes et les livrent au fer de nos
soldats.
Des troupes fraîches prennent la place de
celles qui sont défaites, et s'établissent dans
le bois; nos braves s'élancent sur les pas du
lieutenant Joly Délateur, les abordent et les
culbutent. L'ennemi néanmoins ne pert pas
courage; il se reforme, et se présente une
troisième fois: mais, toujours vaincu, toujours
taillé en pièces , il cesse enfin ses attaques.
Dès le lendemain il se jette sur Stries, Hei-
ligenbrunn , et s'empare de Langfuhr. Nos
avant -postes se replient sur deux blokhaus
situés a droite et à gauche du village. Le
Russes les suivent et se disposent a donne
l'assaut; mais les Polonais tirent si bien et ^
du général Rapp. 253
juste qu'ils les forcent a la retraite. Ils re-
viennent* en forces . il couvrent , ils inondent
les gorges du Jesch Kenthal ; ils menacent
Heiligenbrunn, ils débouchent par Stries; toute
tna ligne est en feu. Ces manœuvres ne lais-
saient aucun doute sur leurs intentions : il
était palpable qu'ils avaient des vues sérieuses
sur Langfuhr; je résolus de les piwenir et de
marcher a leur rencontre. Je rassemblai mes
troupes , la gauche au ' village , le centre dans
les ravins de Zigangenberg, etla droite ^'éten-
dant jusqua Ohra. Vingt-quatre pièces de ca-
non, conduites par le général Lepin, se placent
a égales distances des deux ailes; elles ouvrent
aiissitôt le feu : les redoutes de Tennemi, ses
masses , son camp de Pitakendorf , tout est sil-
lonné par nos boulets ; nous démontons deux
de ses pièces. Les Polonais , les Bavarois , les
Westpnaliens, et deux cent cinquante chevaux
commandés par le général Farine, débouchent
en même temps. Le brave Szembeck, déjà aux
prises av^c lesRusses^^les chassait deDiwelkauj
dès que nos soldats aperçoivent cette déroute»
ils s'échàu'lFenty ils s animent, ils fondent sur
les redoutes de Pitakendorf. Les alliés, refou-
lés dans leurs ouvrages , essaient çn vain de se
défendre ; le jeune Centiirione a la tête de ses
hussards franchit tous les obstacles , et toihbç
percé de coups. A la vue de cet excellent offi-
cier moissoimé dans un âge aussi tendre, la
soif de la vengeance allume tous les courages:
infanterie, cavalerie, se jettent pêle-mêle sur
les redoutes. Le trompette Bernadin, le chas-
seur Olire, le maréch,ai-des-logis Boucher, s'ér
lancent au milieu des Russes ; le lieutenant Ti*
254 Mémoires -
rion; accueilli par un cou^^ de feu, va droit à
l'officier qui les commande , et le fait prison-
nier. Dès lors ce n'est 2>lus un combat, c'est
une boucherie, c'est un carnage ; tout périt sous
la baïonnette, on ne doit la vie qu'a la clémen-
ce du vainqueur. Tandis que nos soldats s'a-
bandonnent au feu de leur courage, une nuée
de Cosaqui^s fond sur eux et menace de .les
tailler en pièces; mais le général Cavaignac
s'ébranle si a propos avec la réserve de cavale-
rie , les troupes chargent avec tant d'abandon,
l'adjudant- commandant de Erens , Jies chefs
d'escadron Bel et Zeluski, les capitaines Gibert,
Fayaux, VallieV, Pateski et Bagatho, déplo-
ient tant d'intelligence et de conduite , que
l'ennemi culbuté se disperse dans le plus af-
freux désordre.
La canonnade s'échauffait de plus en plu».
Les Russes occupaient. toujours le Johanniâberç^
le plateau en avant de Pitsendorf , et assail-
laient Langfuhr avec violence. Je détachai
contre eux un bataillon de la Vistule^, soute-
nu par les Napolitains que commandait le gé-
nécal Détrées , ayant sous ses ordres le géné-
ral Pépé, que les événements survenus dans
sa patrie ont depuis rendu si fameux. Le brave
Sxembeck commença Tattaque; elle eut lieu
avec beaucoup d'ensemble et d'impétuosité.
Les Russes culbutés a coups de baïonnettes,
renversés par .des charges meurtrièrear, cher-
chent leur salut dans la fuite. Les Polonais
lés pressent avec plus d'audace: le tambour
Hhade en saisit un jmr sa giberne , l'arrache
des rangs et le désarme. Le capitaine Fate-
sinsky oublie qu'il est blessé ; il s'élance dans
du général Rapp. 255.
une maison qu'ils occupent» tue leur chef et
en fait trente prisonniers.
Les ^Napolitains ne sont pas moins impé-
tueux; ils se pressent a la suite des fuyards,
les poussent et les fusillent. Le général Pépé,
le colonel Lebon, les commandants Balathier,
Sourdet, les capitaines Chivandier et Cian*
cuUi, dirigent, excitent leur courage, don-
nent a la fois le précepte et Temple.
Sur le flanc opposé de la montagne , la mê-
lée n'était iii moins opiniâtre ni moins san-
glante. Au signal convenu, le colonel Ka-
minsky avait marché sur les Russes et* les avait
débusqués; il les chassait devant lui , la pour-
suite était ardente. Des renforts surviennent,
Tennemi veut faire tête k Forage ; mais les Po-
lonais le pressent avec impétuosité: Roseiaens-
ky , Drabizclwsky, Doks, Zfaremba, Zygnowiea,
que 'Suivent des hommes dévoués, fondent
sur lui , et le taillent en pièces.
Nous étions maîtres du Johannisberg. Le
temps était af&eux, et l'ennemi fuyait au
loin. Je fis sonner la retraite ; elle s'exécuta
dans Tordre le plus parfait. A six heures tout
était tranquille. Mais les Russes ne tardent
pas>à reparaître. Ils attaquent a la fois le belvé-
der ,. les hauteurs d'Heiligenbrunn , et enga-
gent une fusillade de& plus vi^es ; néanmoins
lU ne peuvent obtenir /le plus léger avantage.
Le colonel Kaminsky et le commands^nt Saem-
beck déploient un courage, une habileté qui
les déconcertent. Ils se retirent, mais en même
temps deux bataillons soutenus par une cava-
lerie nombreuse se portent sur le village de
Stries, Kaminsky accourt pour le défendre.
256 Mémoires
s. \
\
Aussitôt les Russes reviennent a la charge ; ils
escaladent les hauteurs, ils assaillent le oelvé-
der, poussent, pressent leurs. attaques. Toutes
leurs tentative» échouent contre les excellen-
tes dispositions du major Deskur, et la bra*
voure des chefs de bataillon Johman et Bo-
biesky. s
Ce îi'étaît pas la première diversion qu'ils
tentaient. Déjà ils avaient replié nos 'avant
postes depuis Schidlitz jusqu'à Ohra: attaqué
dé front et en flanc, le major Schneider ne se
soutenait dans ce faubourg qu'a force de cou-
rage. Tbut a coup il aperçoit une colonne
nombreuse qui s'engage imprudemment dans
lagrandarue: il la charge, il la mitraille, il
l'anéantit. Le général Uusson survient avec
la réserve. Nous reprenons 1 offensive ; en un
instant le bois , le village , sontenlevés , et les
Russes mis dans le plus affreux désordre; Le
chef de bataillon Boulanger en désarme huit;
un sergent blessé d'un coup de feu , le brave
Vestel, trois; le sous -officier Cornu délivre
un des nôtres, et fait mettre bas les armes a
Fescorte qui le conduisait.
J étais de nouveau maître du Johannisberg
et de Langfuhr, mais ce succès ne pouvait
être durable ; les Russes , revenant continuel-
lement a la charge avec des tromies fraîches,
devaient finir par l'eçiporter, D'ailleurs ces
deux positions étaient si éloignées qu'elles ne
i>ouvaient ni nie nuire , ni m,'être bien utiles.
\e donnai en conséquence Tordre de les éva-
cuer, si les alliés se présentaient en force.
Mais l'audace avait fait place à la réserve. Ils
craignent de s'éloigner des hauteurs ; ils n'o-
sent
^ du général Rapp. 257
sent prendre possession d'un village aban-
donne. Impatients néanmoins de s'en rendre
maître^ , ils engagent une action générale pouTv
s'emparer d'un poste que j'avais résolu de ne pas
défendre. Les troupes prennent les armes; la
flotte les soutient. Toute ma ligne est atta-
quée: quatre - vingts canonnières tpnnent de
concert^ foudroient Neufahrwasser. Schel-
muUe, Neu-Schottland, Olïra, Zigangendorf,
deviennent la }n*ôie des flammes^ Lenneno^i
se réjiand comu^e un torrent dans la plaine ;
il renveJrse^ incendie tout ce qui s oppose a
èen passage. . J'accours au milieu de cet af-
freux dé§oi:dref Mais déjà l^s Ruwsse$ devien-
xieBi; moins impétueux^ ils échouent devai^t
une poignée de oraves que conunande le major
Pojeck , et laissent les avenues de K^btun jon-
chées de morts; Je les fais suivre : le bouillait
Gibert accourt avec ses chasseurs; le capitaine
Maisonneuve se joint a lui; ils poussent ^ ils
ébranlent cette multitude en desordre et la
jettent dans SchelmuUe. Elle se rallie . aux
troupes -qui occu)>âent Je village et soutient,
sans sejronlpre^ les décharges meurtrières du
capitaine Ostrowskj; mais tournée presque
aussitôt par le capitaine Marriier , un des plus
braves officiers de l'année fançaise, elle fuit^
elle se débande , elle cherche un refuge jus-
que- sous les décombres des bâtiments qu'elle
a livrés' aux flammés.
La mêlée n'était pas moins vive a Langf uhir :
assaillis par douae mille Russes , nos postes
luttent y se débattent au milieu de ces épaisses
colonnes.* Le sergent Sahatkowsky eut nesoiri ''
de toute sa bravoure pour échapper aux Gosai-
17
258 Meu\oir€s
ques. Occupé a une Construction en avant du
village , il avait été , lui treisième , en veloj^pé
par ces troupes irrégulières; il rallie aussitôt
ses travailleurs, fait face dun côté, attaique
de Tautre ; il marche , il combat toujours, et
se dégage enfin sans perdre un homme.
Les Russes humiliés se jxirtent au village.
Deux maisons que j'avais mises a même die ré-
sister a un coup de main en défendaient len-
tféet ils les tournent, ils les pressent, ils les
'escaladent; niais une fusillade meurtrîëre les
renverse et les force a s'éloigner. Pour, sur-
croit de maux , les ^Napolitains . paraissent et
les attaquent. lie colonel Lebon , le colonel
Dégennero, pressent, ronq>ent la cavalerie,
et pénètrent dans Langfuhr. EUeVevient à la
^charge plus nombreuse et plus fière; elle pro-
fite dés obstaèles , saisit Ta-prbpos , et s'élance
sur nos bataillons épars dans les rues. Une
i^iéléè sanglante a lieu: le brave Paliaaxi tombe
']iercé. de dix coups de lance; les capitaines
^îcolaii, Angeli, Dégennero, sont couverts
tle blessures et foi-cés d'évaouer le champ de
bataille. En vain l'intrépide Grimaldi^ en vain
leji lieutenants Âmato, Legendre,, Hubert,
Pïiukà, Go^iéx et Zanetti, veulent faire tète
alorage; le nombre l'emporte: nous sommes
forcés a la retraite.... Quelques braves, enga-
gés trop a^ant , ne jjeuvênt suivre et sont cou-
>és : loin de se laisser abattre , ils s'exaltent à
a vue du danger et se rallient autour de l'ad-
judant-major Odiardi. Ils avancent, ils tour-
nent, ils rétrogradent et gagnent enfin les mai-
sons crénelées. Déjà elles étaient assaillies
pour la deuxième fois : les alliés , furieux > se
1,
du général Rapp. 259
jçttent sur les palissades; ils les arrachent, et
semblent devoir triompher de tous ces ob»
stades : mais coucLës dans la poussièra.a me-
sure qu'ils se découvrent; ils désespèrent bien- '
tôt du succès: ne pouvant les emporter,; iî»
les livrent auxf flammes. Nos braves ne sont
j>oint ébranlés : les uns continuent la fusillade,
les autres éteignent le feu ; et l!ennemi n'est
pas plus avancé.
Une fumée épaisse nous dérobait les deux
maisons; j'ignorais si nos troupes le^ QCCt^*
|>aient encore , ou si les alliés s'en étaient Kto-
dus maîtres. Des rapports Tannonçaient; je
résolus néanmoins de faire une tentative ; mais
lea balles parties des maisons tombaient ^ flot^
surnoiis; j^e conclus quelles étaient perdues^.
Une circonstance rendait la chose v^eais^ei»-^
blabie: la* fusillade avait cessé et Tinçendie
était flagrant. Je répugnais ce}>endant a ciboire
quelles eussent été rendues. Je l^s fis de nou-
veau reconnaître: les alentours «de ces deux
postes étaient jonchés de cadavres vêtus de
capoteSb blanches ; abusée par la Couleur du
costume, les officiers que 'j'avais expédiés *e
persuadèrent que les Bavarois avaient péri:
tous l'assuraient^ tous en étaient convaincus.
La perte d'aussi braves gens étais pénible ^ et
méritait bien de ne pas être admise sur dès
apparences^ Je chargeai un de mes s^ides-de-
cainp, ie capitaine Marnier^ de savoir au
juste ce c[u'il en était : cette mission ne pou-
vait pas lui déplaire ; il avait ^ a la bataille
d'Uclès, somme une division espagnole de
mettre bas les armeë, et l'avait amenée: les
lances des Cosaques ne devaient pas l'arrêter.
' 17 .
260 Mémoires
A la pointe du jour, il sort de Kabrun arec
huit hommes qui demandent a le suivra; il
se j>orfce k la course vers la maison' de droite.
Aussitôt les barrières s'ouvrent, le poste se
joint a lui, et faitsa retraite malgré les- Rus-
' sed qui accourent pour l'enlever.
nestait 'CeUii dejgauche; mais le plus diffi-
cile était fait. J'avais la* certitude qu'il exis-
tait encore; Je donnai des ordres pour qu'il
•fûtsécoUru. Un batailloon s'avance: à peine
Fei>rent-ils afperçu que ces admirables soldats
•placent leurs blessés au milieu d'eux, et fon-
detit sur les alliés. Plusieurs sont atteints : le
brafve Dalwick reçoit unft balle qui lui fracasse
répaule gauche; mais il n'en continue pas
moins de combattre avec courage. La mêlée
devient de plus eh plus sanglante. Lès Bava-
rois , qà'échaufFe le noble dessein de sauver
leurs compatriotes et qu'enflamme encore
l'exemple «e deux officiers intrépides, l'adju-
dant-major«Seiferlitz et le lieutenant Muck,
se précipitent sur l'ennemi, le rompent et dé-
gagent enfin cette poignée' d'homme* dévoués.
Ils firent une espèce d'entrée trionn^hale : cha-
cun voulait les voir, voulait les féliciter; on
r'èntreteriait de leur constance, on vantait leur
sésignation. Seuls, abandonnés a eux-mêmes,
sfi^ns vivres , sans munitions , consumée par la
soif, suffoqués par l'incendie , ils avaient oravé
les menaces , repoussé les sommations et rejeté
avec dédain les insinuations de l'ennemi. C'é-
tait surtout le capitaine Fahrenbeck qu'on acca-
blait d'éloges ; on admirait son sangfroid , on
exaltait son courage-; sa fermeté y sa prudence,
étaient le sujet de toutes les conversations, le
du géniBjial JRapp. 261
texte de tous les eptretieas. Il était naturel
cjue je téiiioignasse a ces braves combien j'é-
tais satisfait: je mis U l'ordre du jour les périls
qu'ils avaient affrontés, les dangers, qu'ils,
avaient courus, et j'établis les blessés dans
mon hôtel, Chaque jour je les visitais; cha-
que jour je m'informais de leur situation et^
m'assurais que leurs besoins étaient satisfaits.
Un officier qui avait toute i?ia confiance, M.
Komeru , était en outre chargé de leiu' prodi-
guer les soins, Ips consolations que je ne pou-
vais leur donner moi-nlême.
Dès que lennemi fut maître de Langfuhiç,
il mit la main a l'oeuvre: c'étaient ouvrages sur
ouvrages; il ne discontinuait pas. Son dessein
était de me resserrer de plus en plus et de me
contraindre a m'enfermer dans la place : ce pro-
jet était adrnirable; il ne s'agissait que de l'exé-
cuter; la chose était moins facile. J'avais cou-
vert le front d'Oliwa et celui du Hagelsberg
par un camp retranché formidable ; neuf ou-
vrages le composaient: la lunette d'Is trie occu-
pait le point culminai nt des hauteurs qui domi-
neiit le fort et la gorge d'Hagelsberg ; elle était
flanquée par les batteritjs Kirgener. et Caulin-
court. Ou choisit ensuite, parmi les mamelons
'qui se trouvaient entre ces ouvrages et l'allée
deLangfuhr, ceux qui étaient le plus avanta-
geusement situés, etoa les fortifia, voici quelle
était la disposition de ces redoutes: eu partant
delà droite de Caulincourt,. la redoute Ro-
meuf, ^labaiterie Grabowsky , la redoute De-
roy, la batterie Mont brun. Enfin, pour com-
pléter cette ligne de fortification^ et la prolon-
ger jusqu'il la Vistule, on établit encpre deux
262 Mémoires
batteries; l'une, dite de Fitaer , au travers de
L'allée de Langfuhr': l'autre , <5onaue sous le
nom de Gudin, était un peu plus éloignée:
elle s'appuyait à une inondation artificielle qui
' s'étendait jusqu'à la digue de gauche de la Vis-
tule, et formait la droite de toute la ligne,
qui renfermait encore deux batteries placées
de l'autre côté du fleuve. Tous ces ouvrages
étaient palissades , munis de logements et de
magasins a poudre. Je fis en outre construire
deux camps de baraques : l'un de quatre cents
hommes , vers l'extrême gauche, derrière Kir-
gener; et l'autre, pour cent cinquante, der-
rière Môntbrun. i.a^ partie de cette ligne qui
s'étend de Môntbrun jusqu'à Gudin fut liée par
une espèce de chemin couvert; celle qui se
prolonge sur la gauche était suffisamment ga-
rantie par les difficultés du terrain ; je pensai
d'ailleurs qu'il fallait se ménager la faculté de
prendre l'oiFensivé dans tine portion de ces ou-
vrages.
Ohra fut également mis en état de défense.
Une masse de maisons qui communi,quaient
entre elles et dont les portes , les croisées,
avaient été fermées avec soin ; des parapets,
des palissades , qui n'avaient d'issue qu'une
langue de terre comprise entre deux fîaques
d'eau assex profondes, formaient un retranche-
ment avancé connu sous le nom dé première
coupure dQhra; la deuxième, située a deux
cents toises en arrière, était composée des mê-
mes éléments, et s'appuyait a un grand cou-
vent de jésuites qui avait été crénelé. Les hau-
teurs et les gorges qui pendent vers le fau-
bourg furent fortifiées ; les redoutes dont elles
du général Rapp. ' 263
furent revêtues mirent rennemi hf>rs d'état de
nous tourner, et devinrent bientôt fameusesf^
souj» le nom de batteries et d'avancées FrîouL
Pendant que nous exécutions ces travaux,
rennemi venait fréquemment s'exercer contre
nos avant*postea : Schidlitx, Ohra^ Stoiaenhergj^
étaient tour a tour Tobjet de ses attaques.
Rejxoussé sur tous les )>oints , il tente une sur-
prise sur Heubude ; mais il se jouait a |>lus Bn
que lui: le commandant Carré, vieux mili-
taire plein de vigilance et de ruses, aperçoit
ses colonnes, réussit a les mettre aux prises,
et «e retire sans perte d'une position critique, '
Tout honteux de cette mystification cruelle,
les Russes se flattent de prendre leur reviinche
a Kabrun. Ils Tentourenl , ils l'escaladent»;
mais , accueillis par une fusillade mejurtiière
que dirige le capitaine Naszewski , Us s'é-
loignent et laissent les fossés remplis de morts.
Ils se portent de nouveau sur Schidlit»; mis
en fuite une première fois , ils reviennent a la
charge avec une vigueur , une impétuosité
nouvelle; mais 1 adjudant-major Boutiiv, Iç?
capitaines Kléber et Feuillade' exaltent Jsi bien
nos soldats, qu'ils se jetteni sur les alliés et les
enfoncent^
La flotte n'était pas non plus oisive : le 4 ,
dès la pointe du jour , elle réparait ea ligne;
elle avait échoué la surveille dans deux attaques
consécutives, et dépensé en pui'e perte plus de
sept mille coups de canon. La honte y la so^f
de la vengeance, t4>ut l'excitait a combaUre:
ce fut l'explosion d'un volcan.. Les frég^^tes
et les canonnières tonnent a la foi?, et nous
couvèrent d'un déluge de projectiles ; -mais, Iqm
264 Mémoires
des^efFrayer , noç batteries redoublent de calme
-et de justesse. Officiers et soldats, tous s'élè-
vent àu-desstte du danger et ne songent qxi a
la victoire. Un canonmer chargé de récouvil-
lon a le bras emporta ; le capitauie Ponierenslû
. s'en einpare et feit le service. Le sei^ent Viard
sert une pièce qui tire ^ boulfets- rouges -, et
t>ointe comme au polygpne ; le lieutenant Mi-
ewski ajuste, surveille les siennes, coule une
canonnière, en endommage d'auti'ès, et les
force d'évacuer le champ de bataille. Le capi-
taine Leppigé , le sergent-major ZackowsKi,
le sergent Râd^miski , le caporal Multarowski,
donnent les exemples les plus admirables de
sang-froid et d'intelligence. Le capitaine Hen-
rion^ le lieutenant Haguenj , le capitaine de
frégate Rousseau, les marins Dëspeî^tre; Coste,
les capqraux Davis, Dubois, s'attachent aux
pièces , et ne cessent de cbmbi^ttre que lorsque
1 ennemi a pris la fuite. La flotte, convaincue
de l'inutilité ^e ses elForts, gagne le large avec
la satisfaction d'avoir tiré neuf mille coups de
canpii pour nous tuer deux hommes: elle nous
avait aussi démonté deux pièces ; mais elle
avait peMu deux canonnières ; neuf autres
étaient fortement endommagées . et ses fréga-
tes criblées d'obus et de boulets.
. Nous eûmes bientôt un ennemi plus redou-
table a combattre. Tout a coup la Vistule
s'enfle; elle franchit, elle rompt les digues
et s'échappe avec impétuosité. La place ; les
fortifications, devi'enneni la proie des flots.
Les |ionts sont ejiftportés , les éclui?es anéanties,
et le$ ' cha^ussées èntro^i vertes : les eaux, dé-
' sorniais -sans obstacles , s'engouffrientdans les
' du général Rapp. 265
fosisés et sapent les bastions. Celui de Bœren,
celui de Braun^Ross , étaient en ruines , et il
était k craindre qu'on ne pût maintenir Tinonr
dation lèrsque la Vistule rentrerait dans son
lit : mais le génie ne s'oublia pas dans cette ^
circonstance désastxeuse; a force d'habileté et
de constance, il parvint k rétablir les brèches^
et', quand le fleuve s'abaissa , l'inondation^
alimenfée par les branches qui sillonnent le
. Werder , n'éprouva qu'une variation de niveau
presque insensible. .
C'était maintenant le tout des Russes: ils '
avaient profité des embarras que ftous causait
la crue des eaux; ils avaient élevé batteries sur ,
batteries, et le 15 novembre ils en démasquè-
rent une vingtaine , armées de pièces du plus
gros calibre. La flotte vint aussi s'essayer de-
vant nos forts. Des masses d'infanterie étaient
prêtes k donner l'assaut dès qiie les palissades
seraient détruites. L'action s'engage ; trois bom*
bardes, quarante canonnières, vomissent lé fer
et la flamme sur Neufahrwasser, Loin de les
abattre, le danger enflamme nos soldats; ils
jurent de vaincre, ils jurent de punir les agres-
seurs. Les troiipes de ligne s'attachent aux
pièces; l'artillerie ' les pointe comme k la ma-
nœuvre; elle endommage, elle démâte une
foule de canoiinières. Tout k coup une explo-
sion' terrible se fait entendre : un boulet a pé-
nétré dans la saintebarbe, et le sloop a disparu.
La même détonation se répète. On se félicite,
on s'encourage ; on brûle d'imiter les braves
qui tirent avec cette admirable justesse. Ti'ois
ei«tbarcatioas deviennent presque en même
temps la proie des flots , et la première ligne
\
266 Mémoires
86 retire toute couverte de débris. La deuxiè-
me prend sa place sans être ]>lus heureuse ; et
les divisions se succèdent ainsi de trois heures
^ sans que le feu se ralentisse. Enfin, rebutée
W des obstacles que lui opposaient le courage de
nos soldats, les excellente^ dispositions du co-
lonel Rousselot, et la vigilance du major Fran-
çois, elle se retire et va réparer ses avaries.
Douae heures de combat, vingt mille coups
de canon, avaient abouti a nous tuer ou bles-
ser une demi - douaaine d'hommes , et a nous
endommager trois aiFuts. Ce fut la dernière
tentative. Quelques mois plus tôt elle eût été
infaillible ; mais a la guerre il faut saisir l a-
propos.
Les troupes obtinrent plus de succès. Elles
attaquèrent nos postes en avant d'Ohra, et
s'emparèrent de celui de l'Étoile sur les hau-
teurs a droite du village. Le major Legros
ne leur laisse pas le temps de s'y établir; qua-
tre compagnies d'élite , sous la conduite des
capitaines Valard et Aubry , s'y portent sans
délai. Elles surprennent, elles taillent les Rus-
ses en pièces. En vain ils reparaissent avec
des troupes fraîches ; culbutés , mis en fuite,
ils se disj>ersent , sans néanmoins perdre cou-
rage. Ils tentent un nouvel effort; mais, a<^-
cueillis par une fusillade meurtrière : ils se dé-
bandent et tombent sous le feu de deux com-
pagnies placées dans la viHage de Stadgebicth,
qui les anéantissent.
du génital Rapp. 267
I,'.'" I
CHAPITR.E XLII.
•
Là saison devenait chaque jour plus âpre.
Les pluies ne discontinuaient pas et entrete-
naient un brouillard fétide, qu'un spleil sans
chaleur pouvait k peine dissiper* Mais , ce qui
était bien plus grave , la disette allait toujours
croissant. Les chevaux , les chiens , les chats,
étaient manges ; nous avions épuisé toutes noê
ressources, lè sel même nous manquait. Il est
vrai que Tindi^strie y suppléa. Quelques sol-
dats imaginèrent de faire bouillir des débris
de vieilles planches, qui avaient autrefois servi
dans un magasin; Texpérience réussit. Nous
exploitâmes cette mine de nouvelle espèce , et
les hôpitaux furent approvisionnés. La popu-
lation était réduite aux abois elle ne vivait
plus que de son et de drèche^ encore n eq avait-
elle pas de quoi se satisfaire. Dans cet état de
détresse , je pensai que les philanthropes alliés
ne repousseraient jims des compatriptes, et j'ex-
pulsai les détenus et les mendiants , tous ceux,
en un mot , qui n'avalent pas de subsistances.
Mais îeâ l^russiens furent inexorables ; et sans
les habitants de Saint- Albrecht, ils Ips eussent
fait périr d'inanition. D'autres se dirigèrent du
du cote qu'occupaient les Russes, et ne furent
pas mieux accueillis. Sans abri, sans aliments
d'aucune espèce , ils eussent expiré sous les
yeux de ces libérateurs de l'humanité, si je
n'eusse pris pitié de leur misère. Je leur dis-
tribuai quelques seç!ours et les renvoyai chea
268 Mémoires.
eux. Plusieurs demandèrent a être employés
aux &>rtiticatious, et recevaient la moitié ou le
quart d'un pain de munition pour salaire.
Cependant l'ennemi avait perfectionné ses
ouvrages. De temps à autre, il essayait ses bat-
teries y et semblait préluder a une action plus
sérieuse. Le 10,. en effet, toutes sont en leu
dès la chute du jour. La ville, le Uolm, le^
camp retranché de Neufahrwasser, sont inondés
de bombes, d'obus, de boulets rouges. L*incen-
die éclate et dévore le couvent des .Domiui-
oains. Les prisonniers russes soignés dans cet
édifice allaient périr; nos soldats accourent et
les arrachent a la mort. Toujours plus arden-
tes, les flammes tourbillonnaient sur les mai-
sons voisines et menaçaient de Içs réduire en
cendres. En même tem]>s, les alliés se présen-
taient en force devant nos.j^ostes d'Ohra et les
repliaient jusqu'à Stadtgebieth. J accours avec
le comte Heudelet. L'ennemi culbuté a la baïon-
nette essaie vainement de revenir a la charge;
le général Uusaon, le major Legros, repoussent
toutes ses attaques. Une méprise augmenta ses
pertes. Deux de ses colonnes se jwennent pour
ennemies, et en viennent aux mains. Elles se
reconnaissent aux cris des blessés; mais plus
de trois cents hommes étaient déjà couchés dans
la poussière. De notre côté, nous en avions une
centaine hors de combat.
Dès le lendemain il reparut devant les mai-
sons situées aurdela de Stadt^cebieth. Repoussé
deux fois, il y mit le feu. Quoique chiii'gé de
deux blessures, le capitaine Basset hésitait en-
core a les évacuer; mais le progrès des flammes
ne tarda pas h l'y contraindre : il se retira en
du général Happ. 269
combattant toujours* Maîtres du village, les
alliés se précipitent tout d'une haleine sur le
plateau d<è TEtoile , et s'en emparent. Lés pos-
tes qui l'estaient sur le rampant de la monta-
gne étant désormais trop faibles, je les rappe-
lai. Lennemf occupait enfin la position; mais
il la payait assez^ cner pour une simple levée
,de terre.
Plus il cheminait du coté de Langfuhr, plus
sa ']>osition devenait fêeheusè; pris en flanc et
a; revers , foudroyé par les batteries du Holni,
il ne put bientôt plus déboucher des redoutes
qu'il avait élevées à Kabrun. Confus de s'être
mépris sur le véritable point d'attaque, il porte,
il concentre ses forces sur les hauteurs d'Ohra.
Il tenle tous les moyens de s'en rendre maître ;
|e n'en^ néglige ^aucun de les défendre. J'amé-
liore, je multiplie mes ouvrages. Je mets a con^
tribution toutes les lumières. Des officiere su-
périeurs de chaque arme, présidés par le géné-
ral Grandjean , avisent aux mesures qu'exige
la sûreté de la place. Ils mettent nos vivçes,
nos munitions a l'abri des ravages de l'incendie.
Ils divisent les approvisionnements, orglanisent
le Service des pompes, et font construire des
moulins, afin que si les bomJ>es venaient à dé-
truire ceux qu'on possédait encore , on fût a
même de les suppléer. Cei:)endant le feu des
. alliés allait toujours croissant. Les incendies
succédaient aux incendies et menaçaient de
tout réduire en cendres. Tout k couj5 les batte-
ries se taisent, la fusillade est suspendue. A ce
silence inopiné , les habitatnts reprennent cou-
rage ; ils courent, ils volent au secours des quar-
tiers embrasés.' Malheureux ! ils disputentaux
- • • • !• !•*.
• • • • • î •
270 Mémoires
flammes quelques pana d'édifices , et la place
touche a sa ruine !...
L'ennemi n'avait cessé le feu que pour le
rendre p^us terrible. Dès que ses dispositions
sont laites, il l'ouvre avec violence. Les batte-
ries de rÉtoile, celles du Johanifisberg , de Ka-
brun^ de SchellmuUey de Langfuhr» tirent a
coups redoublés et nous accablent de bombes,
de l'usées et de boulets rouges. Les incendies
éclatent; les édifices tombent; s'écroulent.
Dantzic ne présente plus que Timage d'un vol-
can dont les éruptions s'échappent^ s'éteignent,
se reproduisent sur tous lespoints« Les deux
rives de laMoltlau, le Butter-Mark, le Prog-
genfull, le' Speicher-Insel , tout eât consumé.
£n vain les troupes accourent au secouirs; une
grêle continue de projectiles triomphe de Leurs
efforts, et une i>erte de plusieurs millions vient
aggraver encore les .malheurs d'une population
désolée.
]Nos forts, nos villages n'étaient pas dans
un meilleur état; Ohra surtout n'était plus
qu'un amas d^ cendres. Cinq batteries le
foudroyaient sans relâche ; des nuées de tirail-
leurs, abrités par les accidents du terrain,
nou^ accablaient de balles , et entravaient le
jeu de nos pièces. La première coupure, pres-
que anéantie par le feu et les boulets y résis-
tais toujours. Le major Schneider la défen-
dait avec une valeur , une sagacité qui pro-
mettaient *encore une longue résistance; mais
elle était sur le point d'être prise par la tran-
chée; je la fis évacuer. Je cédai également
la tête de Schidlitz. L'ennemi avait essayé
quelques jours auparavant de is'en rendre maître.
da général Rapp. 271
Trois compagnies s'étaient présentées devant
nos j)ostes ; chargées avec vigueur par le capi-
taine Leclerc et le lieutenant Kowai^ky, elles
^rent mises en déroute , et cherchèrent leur
salut dans la fuite. Cette leçon ne fut pas
perdue; les alliés revinrent avec des forces
plus considérables, et s y établirent. Un acci-
dent plus grave nous survint bientôt après.
Une bombe éclata dans un magasin de bois et
rincendia. La poudre n'est pas plus prompte :
en un instant tout est embrasé. Les ilanuaes^
dévelo})pées par un vent impétueux , se c6m-
municpient ue proche en proche , et présen-
tent une masse de feu qu'aucuji eÛbrt ne peut
dompter. Triste spectateur d'un désastre aussi
cruel 9 j'espérais au moins préserver les bâti-
timents éloignés. Mon attente fut encore dé-
çue , et nous eûmes la douleur de voir consu-
mer sous nos jeux la plus grande partie de
nos subsistances. Officiers et soldats ^ tous
étaient plongés dans un laorne silence , tout
contemplaient avec stupeur cette scène de dé-
solation j quand tout a coup une fusillade
rible se mt entendra. L'ennemi atu
l'avancée Frioul et s'en emj)arait. Le
taineChambure vole au secours. Cebiaire<
mandait une troupe 4'élite appelée la
nie franche ou les enfants perdus ; il s\
dans la redoute et taille les Russes ea
Aucun n'échappe; ceux qui éviteM la
nette tombent sous le feu des cfaefr été
Ion Clamon etDvbowski. Le
rad fit preuve, dans cette occa«uiia^ 4, y
constance. L'épaule fracansee
il se jette au plus épais de la aar^ifc, L
99
99
272 Mémoires
bùrç le dégage: „Vbus êtes blessé, lui ditril,
„votre place n'est plus ici ; . ailes annoncer au
^général que nous sommes dans la redoute. —
Capitaine , répoftd l'intrépide lieutenant , J'ai
encore mon bras droit, vous n'avea que le
„gàuche!" et il continue de combattre^
Battu à Ja gauche, l'ennemi se jette sur la
droite et nous replié jusque sur nos îortSi Jfd
lie jugeai pas a propos de rej>rendre l'attaque
Sir une nuit obscure , j'attendis a^ lendemain,
eux colonnes commandées pjar les généraux
Breis$an et Devilliers se portent à la fois sur
Stolzenberg et Schidlita: les Russes les occu-
paient en force ; mais nos troupes combattent
avec tant d'abandon , le m^jor Deskur , les
chefs de bataillon Poniatowski , Crikicowski et
Carréy les capitaines Fahrenbeck, Perrin, Ka-
lisa et Ronsin , les guident avec tant d'habileté
et de bravoure, quelles alliés, rompus, laissent
le champ de bataille jonché de morts. Malheu-
reusefnent lé succès nous coûtait cher : le gé-
néral Breissan, si recommandable par ses ta-
lents et son courage , était dangereusement
i>lessé. On lui prodigua vainement tous les se-
cours imaginables, u expira a|H*ès un mois de
souffrances aiguës.
jN os troupes étaient victorieuses ; mais quel
«pectacle les attendait dans la placç ! des ruines,
des décombres , voila ce <jui restait de nos ma-
gasins. Un seul avait échap2>é. Sa conservation,
due au colonel Cottin et au sôus-chef d'état-
major Marqùessac , n'avait été assurée qu'à
force de xêle et de constance. Le chef d'esca-'
dron Turckheim , qui avait déjà donné tant de
preuves de dévouement, et le lieutenant Fleuiy,
étaient
: •-• • •
du général Rapp.
273
étaient aussi parvenus k sauver quatre miile
quintaux de grains ; tout le reste était flagrant»
tout le reste avait j>éri. Nous ne conservions
pas j)out deux mois de subsistances , que les
Siammes toujours plus actives et un bombarde-
ment continuel menaçaient encore.
Les Russes 'cheminaient lentenient , mais
ils cheminaient toujours. Ils s'étaient emparés
de divers ])ostes et s'étaietit portés en masse sut
Stolzenberg. Trop faibles pour opposer une ré-
sistance efficace, nos soldats l'avaient évacué.
Le général Hnsson rassemblé queloties trou-
pes et fait battre la charge. Elle eut lieu avec
une rare impétuosité. Le capitaine Milsent,
l'adjudant-major Rivel, s'élancent a la tête 4^
plus braves, joignent l'ennemi et le culbutent.
Le capitaine Chartibùre lui préparait uA0
leçon plus sévère. Il s'embarque par une nuit
obscure, trompe la vigilance de lu flotte et des-
cend vis-a-vis Bohnsack. Il surprend le village,
incendie les habitations , les magasins , tue 9
égorge les hommes, les chevaux, et regagne
ses chaloupes. Elles n'étaient plus sur le rivage.
Les trompettes sonnaient, la générale se fai-^
sait entendre: la mort paraissait inévitable.
Néanmoins il ne perd pas courage; il calme
ses soldats, se jette a travers les retranchements
eiuiemis, et arriye sain et sauf au moment oii
on le croyait perdu. Il se remet bientôt en
route et marche sur Brœsen ; il tombe a l'im-
2>roviste sur les troupes qui l'occupent , les
renverse , et ne se retire qu'après avoir brûlé
leur camp. A peine rentré, il court a une ex-
pédition plus périlleuse. . Il pénètre dans la
tr^anchée^e lennemi, culbute, <:;hasse sespos-
18
274 Mémoires
tes, et vî^nt s'abriter der&*ière nos, batteries.
Le lieutenant Jaiaiebon , grièvement blessé en
commençant lattaipie , combattit comme si\
n'eût pas été brisé par la douleur > elle était si
aiguë que la crainte de décourager les soldats
fut seule capable d'étoufler ses plaintes. Il mou-
rut cinq jours aj>rès; honneur a sa mémoire!.,.
La compiignie franche devenait chaque jour
plus audacieuse., Les^^tranchées , les palissacieH
étaient des obstacles illusoires; elle pénétrait
partout. , Au* milieu d'une nuit épaisse , elle
se glisse d'arbre en arbre le long,de Tallée de
Langfuhr, et s'approche sans que les Russes
l'aperçoivent.^ £lle s^ute aussitôt dans leurs
pu\Tages, tue les uns., chasse les autres .et les
suit jusque dans Kabrun. Le brave Surimont,
i'intrépide Rozay , Payen , De^seau , Gonipet
et Francou , se précipitent dans la redou^te et
rem|K>rtent. Une cent|tine d'hommes Eurent
{cassés au fil de répée,. les autres ne durent
eur salut qu a la fuite.
INous faisions a l'ennemi une guerre de sur-
prise et <d audace ; il nous en faisait une de ruses
et de j>rocla^ations. Ses batterie$ n'arrêtaient
pasi 9 et nos magasins étaiept d^truit^. IN os trou-
pes, exténuées, haras^sé^s de corvées et dm-
^mnies , n'avaient jMmr réparer, leurs forces
quun peu de pain et une once de viande de
cheval, si toutefois on peut appeler ainsi Ifcs
débris d'animaux qui, rebutés parla.qavalerie,
febuté^ par. les charrois, tournaient la meule
jCisqua ce que, devenus, incapable^ de se sou-
tenir.,, ils étaient traînés a la bouclierîe. C'est
à des homtnes si las de combattre et de souffrir
qu€( les Russes promettaient le repos «t l'abon-
du général Rapp. 275
datice. Tous les genres de flféiuotton étaient'
employés: loi*, rai*gent^ les menacils'^* lir co^^
1ère du prinde^ la voix tie la patrie-^ ëtaieni
ofFerts et invo([ués« Le du<;''Se joignait k ses
émissaires; il écrivait $ priait^ prote^ait^ '•0i¥«>
convenait les cUefs et les soldats* La4esertion
se init dans les troupes étrangères, el bientôt
' elles refusèrent tout service, Les Bavarois, les:
Polonais eux-inénies , trop convaincus de nos
malheurs, craignaient âè f^ire de leiirs'*artnes)
un usage sacrilège et se ten^tient dansl-inaclièn.
Nous étions réduits auxBeules forces 'natietna*^:
leb, c est-a-dire a moins de six mille hommes }
et nous avions plus de deux lieues d'^ndae'
a défendre. Je résolus de faire cônmifl^tt^ k
l'empereur la situation fâcheuse où* nou» étions*
La chose n'était pas aisée ^'F^Adlemaghe entière ^
était en insurrection; la mer ^tait couverte de
croisières ennemies.. Mais aucuÀ péril', '4ts<iun
obstacle n^é tonnait le câpitaineMarni€{r} il» Jwirt
1)our cette expédition aventureuse, capture un.
)âtimént , convoie avec la flotte anglaise et lui *
échappe» / " • . :
Le duc de Wurtemberg semblait' aVoii? 1« '
projet de tout séduire. Jene-fuspasmoi^mértié'
a l'abri de ses tentatives. Il exakait ses ressour*
ces, dépréciait les miennes, parlait d« la France; ^
de la Sibérie, et me proposait de rendre la
place* Ces menaces, ces oppositions s'adres-
saient mal ; je le lui témoignai , et il n'en fut
Î)lus question* Des moyens plus convenables
urent mis en œuvre ; les feux furent doublés^
et le bombardenient , toujours plus terrible,
ne discontinuait ni le jour ni la nuit/ La ville,'
le Bischfberg , les redoutes Frioul , étaient
18.
E-
27è Mémoires i
éorasiéa^ Soutenus par un feu dartiilerie si
formidable^ les Russes imaginent de nous enle-
ver. . Us s'avancent munis de bâches , d'échel-
les, et fondent sur la batterie Gudin. Le capi-
taine Raxumsky la commandait; il les accueille
^ar des décharges à .mitraille , et les renverse,
se remettent néanmoins , et tentent l'esca-
lade^-mais, accablés par une fusillade meur-
trière, ils se dispersent à la vue du major
Deakur et laissent armes et éche)lles dans les
mains des braves capitaines Zbiewiski et Pro-
SQcki.. Ils essaient,, avec aussi peu de succès,
e se rendre maîtres de la batterie Fitxer, dans
l'allée de Langfuhr. Le colonel Plessmanh, le
Capitaine .Reuouard. et Tadjudant StoUing leur
opposent une résistence qu'ils ne peuvent vain-
cre : trois fois ils reviennent à la charge , trois
fois ils sont défait». . ,
' r Cepeiidant les redoutes Frioul étaient dans
un état déplorable : sans parapets , sans fou-
g^siêft, accablées par les obus et la mitraille,
elles ne. présentaient plus aucun moyen de dé-
fense ; je les fis évacuer. La plus grande partie
A^ fortifications était eilcore intacte; mais nos
vivres. touchaient k leur terme. Le temps des
{places était arrivé. Il aurait fallu vingt mille
iomiu^s pour m'opmser aux progrès du siège,
f garder les forts , imondatioii , et maintenir
ibre le cours des eaux. La lutte était trop in-
égale ; c'eût été verser le sang pour le seUl plai-
sir de le verser.
Je crus trouver un moyen qui conciliait
mes diîvoirs et Ihumanité. Je calculai le nom-
bre de Jours que devait fournir ce qui nous
restait de subsistances ; je proposai de suspen-
\
du généra Ràpp. 27'J^
dre les hostilités et de remettre la place a cette
époque , si le cours des choses n en disposait
autrement. Le conseil adopta cet avis a iuna*
nimité. Les négociations s'ouvrirent , le feu
cessa. Le général Ueudelet et le colonel Ri*
chêmont se rendirent au camp , et arrêtèrent
une capitulation oii la faculté de rentrer en
France nous était spécialement garantie. Une
1>artie de ces conventions était déia exécutée;
es prisonniers russes avaient été rendus, les
forts livrés , lorsque j'appris que - l'empereur
Aiexandte refusait sa ratification. Le auc de
Wurtemberg m'oi&ait de remettre les choses
dans leur premier état. C'était une dérision..
Mais que mre ? nous n'avions plus de vivres.
Il fallut se résigner. Il régla les choses eomme
il l'entendit, et nous primes le chemin de la
Russie.
Touchés de nos malheurs, les auxiliaires
eussent voulu les partager. Les Polonais briî-
saient leurs armes ; les Bavarois juraient de ne
jamais les tourner contre nous. Mais le*devair
fait taire les affections. Il fallut se séparer. / Lé
général, prince de Radsiwil et le colonel Butt^
1er, si distingués l'un et l'autre j^ar leur carac-
tère et par leurs actions, les reconduisirei^
dans leur patrie, i
Ainsi nnit , après un an de combats , un^
défense pénible , oii nous eûmes k lutter conf-
tre tous les fléaux , tous les obstacles , et qui
n'est pas une des moindres preuves de ce que
peuvent le courage et le patriotisme des sol-
dats français.
278 Mémc^ea
r=s7S^
CHAPITRE XLIIL
Noiis -fûmes conduits a Kiow. Nous y ap-
prîmes les prodiges de cette poignée de braves
qui n'avaient pas désespéré du salut de la pa-
trie. Us avaient triomj>hé a Montinirail, a
Sesaiinè y a Champaubert, partout où l'enne-
mi avait osé les attendre. L'Europe entière
fuyait devant eux, la coalition était dissoute....
Xi'obstination d'un soldat noiis arracha Les fruits
de la victoire. Il &Uut combattre, vaincre
encore; niais les nvunitions 'manquaient, les
4x>rp8 ii'a;rrivai(mt pas , les généraux haran-
guaien<i la troupe ppur lui faire recevoir des
capitulations, fout fut perdu: notre gloire,
aMS ciônquéteè s'évanouirent comme une om-
bre ; les ^gnes même en furent répudiés.
Le but de la coalition était atteint. Notre
captivité n'était plus profitable; nous fumes
rândiis;a laliberte. Nous revînmes en France:
i{uèl spectacle elle présentait! L'émigration
avait envahi l'armée , les antichambres ;' elle
{>liait sous les insignes du commandement et
les décorations. La première personne que
je rencontrai aux Tuileries ^f ut un chef de ba-
taillon que j'avais autrefois secouru et protégé:
il était devenu lieutenant - général ; il .ne me
reconnut plus. Un autre que j'avais eu long-
temps' a Dantsic, n'avait paô mieux conservé
sa mémoire. Je l'avais accueilli a^a recom-
mandation du duc de Cadore; j'avais essuyé
ses fades adulations : il me traitait de monseig-
du général Rapp. 279
neur, d'excellence^ il m'eiU volontiers appela
réternel. Plus je lui témoignais combien ces
sottises me ^déplaisaient , plu? il renchérissait;
il imagina' même d'assister a mon le^er. Une
tint pas a lui que je ne me crusse un souve-
rain. Ses malversations me délivrèrent de cet
obstiné flatteur; elles devinrent si criantes que
le gouvernement fut près de sévir. Je sauvai
au gentilhomme la honte d'unexondamnatiap;
mais je le fis éloigner : il alla exercer son in-
dustrie a Il eut bientôt connaissance de
nos revers , s'efFraya , prit la poste , et n'arrêta
pas qu'il lie fût en-deça du Rhin: là peur le
servit mieux que n'eût fait le courage. Il ,
avait des épaulettes a gros grains , et quatre
ou cinq décorations : c'était asses bien débuter
dans la carrière; . on ne va pas si vite sur le
chamjî de bataille. Il s'éloigna dès cru il m'a-
perçut:, apparemment que son costume l'em-
barrassait. J'en rencontrai un troisième. , que
ma présence ne mit pas a l'aise. Attaché au-
'trefois a Joséphine, il avait fait preuve d'une
prévoyance véritablement exquise : afin d'être \
en mesure contre les cas imprévus qui pou-
vaient survenir dans les promenades et les voya-
ges , il s'était muni d'un vase de vermeil, qu'il
portait constamment sur lui. Quand la cir-
constance l'exigeait, il le tirait de sa poche,
le présentait , le reprenait, le vidait, Tessu-
{rait, et le serrait avfec soin. C'était avoir
'instinct de la domesticité. . '
Mais tous ces preux si ardents a la caisse,
aux décorations, àUx commandements, don-
nèrent bientôt là mesure de leur coufage.
Napoléon parut, ils s'éclipsèrent. Ils avaient
260 Mémoires
mnégi Loub XVIII dispensateur dM grâces;
ils n eurent pas une amorce k brûler pour
Louis XYin malheureux. Nous essiayàmes
quelques dispositions; mais le peuple, les
soldats n'avaient jamais été complices des
humiliations de la France; ils refusèrent de
combattre les couleurs qulls adoraient , etl'em-
pereur reprit tranquillement les rênes de l'état.
Les géfiéraux Bertrand et Lemarrois m'é- ,
crfvirent de me rendre aux Tuileries. Je re-
vins k Paris. Une nouvelle invitation m atten-
dait .a mon hôtel; le grand maréchal m'an-
nonçait que sa majesté désirait me voir. Je
ne voulus pas me faire attendre ; j allai tel que
1*e lue trouvais, bien sûr que Napoléon saurait
aire \b^ part du devoir et celle des aifec tiens.
Je fus introduit sur-le-champ.
, „NAPOi^ioN. Vous voila , monsieur le géhé-
y^ral Rapp; vous vous êtes, bien fait desurer?
D'où, venea-vous ?
R^PPt D'Écouen , où j'ai laissé mes trou-
„pes k Ja disposition. du ministre de la guerre.
. ,JNapqleoîî. Vouliea-'Vous réellement vous
ttbaittre contre moi ?
,,Bapp, Oui, sire,
„Napp;-eq]s, Piable!
,,Papp. Lfi^ résolution était obligée.
„]SA]poi<ÉoN. (jyun ton animé») F....e, je
yysavais l?ien que vous étiex devant moi. Si Ton
§je fut battu , j'aurais été voVis chercher sur le
chsimp de bataille. Je vous aurais fait voir U
„ tête de Méduse; : £^urie:$-vous osé tirçr sur moi?
,. i,Ra.pp. Sans douter; moji devoir,...
,,]V APOif^EQK . C'est trop fort. Mais les soldat^
;^^fie vous auraient pas obéi; ils m'avaient con-
99
/
»
du généhal Rapp. 281
,,servéplus d affection. Si d'ailleurs vous avîes
„tiré un seul coup , vos paysans d'Alsace vous
,, auraient lapidé.
„Raïp. vous conviendrez, sire, que laposi'^
„tion était pénible : vous abdîquies , vous par- ,
^tes, vous nous engagez a servir le roi; vous
„revenea... ïoute la puissance des souvenirs
,,ne peut nous faire illusion.
„Napoleon. Comment cela? Que voulex-
,,vous dire? Crojea-vous que je sois revenu
„sans alliance, sans accord?... D'ailleurs mon
„système est changé: plus de guerre , plus de
,,conquétes; je veux régner en paix, et faire
„ le bonheur de mes sujets.
'„Rapp. Vous le dites: mais vos anticham-
„bres sont déjà pleines de ces complaisants qui
„ont toujours flatté votre penchant pour les
,,armes. .
,,NapolÉon. Bah! bah! l'expérience. •• Al->
„lie«-vous souvent aux Tuileries ?
„Rapp. Quelquefois, sire.
„Napoleon. Cqmment vous traitaient ces
„gens-ra ?
,,Rapp. Je n'ai pas a m'en plaindre.
jjNapoleon. Le roi paraît vous avoir bien
„reçuâ votre retour de Russie?
„Rapp, Parfaitement, sire.
„]Napoleon. Sans doute. Cajolé çl'abord, mis
^ensuite a la porte. Voila ce qui vous attendait
, „tous ; car enfin vous n étieapas leurs hommes,
„vous ne pouviez leur convenir; il faut d'autres
„titres, d'autres droits pour leur ujaire.
„Rapp. Le roi a débarrassé la France des
,,^lli^s.
„Napoleon. C'est bien; mais a quel prix!
282 Mémoires
„Et ses engagements, les a-t-il tenus ^ Pour-
^,quoi n a-t-il pas fait pendre Ferrand pour son
,,avec trois millions de paysans qui accouraient
,,pour se plaindre et m offrir leurs services.
„Mais j'étais sûr de ne pas trouver de rësis-
„tance devant Paris. Les Bourbons sont bien
„heureux qqe je sois revenu: sans moi ils
,,auraient fini par une révolution épouvantable.
„Avea-vous vu le ^^amphlet d^ Chàteau-
„briand, qui ne m'accorde pas même du courage
,,sur le champ de bataille? Ne m'avez -vous
„pas vu quelquefois au feu? Suis-je un lâche?
„Kapp. J'ai ])artagé l'indignation qu'ont res-
,, sentie tous les honnêtes gens, d'une accusa-
,ytion aussi injuste qu'elle est ignoble.
i,NAPOLEON. Voyiez-vous quelquefois le duc
„d'Orléans ?
„Rapp. Je ne l'ai vu qu'une fois.
jjNapoleon. Cest celui-là qui a de Fesprit
„de la conduite et du tact! Les autres sont
„mal entourés, mal conseillés. Ils ne m^aiment
,,pas. Ils vont être plus furieux que jamais:
„il y a de quoi. Je suis arrivé sans coup
,, férir. C'est maintenant qu'ils vpnt criera
, , l'ambitieux : c'est la l'éternel reproche; ils
„ne savent dire autre chose.
„Rapp. Ils* ne sont pas les seuls qui vous
„accusent d'ambition.
„Napoi.bon. Comment... suis-je ambitieux,
„moi? Est-on gros comme moi qUand on a
„de l'ambition? (Il se frappait avec les deux
.mains sur le ventre.)
du g'^nérul Rajjp: 283
„Rapp. Votre majesté plaisante.
„Napoleok. Non j'ai voulu que la France:
,,fût ce quelle doit être; mais je.n'ai jamais
,,été ambitieux. D'ailleurs de quoi s avisent
,,ces gens-la? Il leur convient bien de faire
,,cie l'importance avec la nation et avec Tàr-
%inée. Est-ce leur courage qui les rend si
,, avantageux? .^
„Rapp. Ils eU/Ont quelquefois montré, a
,,rarmée de Condé par exemple.
„]NapolÉon, Quel est cet ordre que je vous
,, aperçois?
„Rapp. La Légion-d'Honneur.
,,]Napoi>eoi3. Diable! Ils ont eu au moins
„resprit d'en faire une belle décoration. Et ces
„deux croix-la ? (Il les touchait.)
,,Rapp. Saint-Louis et le Lis. (Il sourit.) s^
„]Sapoleon. Concevez- vous cette b.... de^
,,Berthier, qui n'a pas voulu rester. Il revien-
.,dra; je lui pardonne tout, a une condition
,,cependant: c'est qu'il mettra son habit de garde
,,du corps pour paraître devant moi. Mais tout
,,cela est fini. Allons, monsieur le général Rapp,
„il faut encore une fois servir la France, et nous
„nous retirerons d'où nous sommes.
„Rapp. Convenez , sii-e (puisque vous avez
„eu quelquefois la bonté de me permettre de
*„vous parler avec franchise), convenez qiie vous •
y^ave^ eu tort de ne pas faire la paix a Dresde:
„tout était réparé si vous l'eussiez conclue. Vous
„rappelez-vous mes rapports sur l'esprit de l'Al-
,^lemagne ? vous les traitiez de pamphlets; Vous
„iae faisiez des reproches.
„]N apoléon. Je ne |>ouvais pas faire la paix
„k Dresde; les allies n'ptaient pas sincères. Si
99
284 Mémoires
,,d'ailleurs chacun eût fait son devoir au renou-
„vellement des hostilités , fêtais encoce le mai-
„tre du monde. J'avais déjà pris de mon cote
„trente-deux mille Autrichiens.
„Rapp. Il n'y a qu'un instant que votre
majesté n'avait pas d'ambition", et voici qu'A
est encore question de la souveraineté du
monde.
„NapolÉon. Eh ! mais, oui. D'ailleurs, Mar-
^,mont» les sénateurs... Mon plan était combiné
„de manière a ne pas laisser échapper un seul
„allié. •
„Rapp. Tous ces malheurs sont la conse-
,,€juence des revers de Leiptzic: vous les eus-
,,siez prévenus en acceptant la paix a Dresde.
„]Vapoleon. Vous ignores ce qu'eiit été une
,;paix semblable. ^^ £t s'animant tout a coup,
„ Aurais-tu peur , me dit-il avec vivacité , au-
„rais-tu peur de recommencer la guerre, toi
„qui as été -quinze ans 'mon aide - de - camp ?
„Lors de ton retour d'Egypte, à la mort de lîe-
„saix, tu n'étais qu'un soldat, j'ai fait de toi
,,un homme; aujourd'hui tu peux prétendre
„a tout.
„Rapp. Je n'ai jamais laissé passer une occa-
„sion de vou^en témoigner ma reconnaissancei
„et si je vis encore, ce n est pas ma faute.
„Napx)lÉon. Je n'oublierai jamais ta con-
„duite a la retraite de Moscou. Nej et toi,
„vous êtes du petit nombre de ceux qui ont
,4'ânie fortement trempée. D'ailleurs a ton
„siége de Dantaic , tu as fait plus que l'im-
„po8sible.*^
Napoléon me sauta au cou , mè serra avec
véhémence contre lui pendant au moins deux
du général flapp. 285
minutes. Il m'embrassa plusieurs fois, et me
dit en me tirant la moustache:
^Allons, un brave d'Egypte, d'Austerlitx,
,,ije peutm'abandonner. Tu prendras le com-
,, mandement de Tarmée du Rhin, pendant
,,que je traiterai avec Ips Prussiens et les Rus-
,,ses. J'espère que d'ici a un mois tu rece-
,,vras ma femme et mon fils a Strasbourg. Je
,,veux que dès ce soir tu fasses ton service
,, d'aide-de-camp auprès de moi. Ecris au comte
^Maison de venir m'embrasser: c'est un bravé
yyhômme; je veux le voir."
Napoléon raconta une partie de cette con-
versation a quelques personnes de ses alentours.
Il leur dit crue, je lui avais parle avec trop de.
liberté , qu'il m'avait tiré les oreilles.
La fortune lui souriait. Les courtisans ac*
couraient en foule ; c'était un abandon , un.
dévouement ! ils bouillaient de aèle. Ces pro-
testations n'eurent pourtant pas tout l'effet
qu'ils s'en étaient promis. Beaucoup furent
repoussés : un sourtout , qui s'obstinait a faire
accepter ses services, fut durement ^P^^^^^*
Comblé de faveurs , d'or et de dignités , il .
avait accablé d'outrages son bienfait^tu: mal-,
heureux ; il fut conspué , traité de misérable.
Ces messieurs se targuent aujourd'hui d'une
fidélité a toute épreuve. Ils accusent l'indul-
gence du joi dans les salons du fauboiirg 5aint-
Germain. Ils voudraient voir conduire a le-
chafaud tous Ceux qui ont été employés dans
les cent jours.. Le hasard les a servis, les ap-
parences sont pour eux; a la bonne heure:
mais les généraux , les ministres de Napolé-
on, les officiers attachés a sa personne, sa-
4
>
285 Mémoires
vent ce qu'ils doivent penser de. ces stoïciens
d'antichambre. Tôt oii tard le gouvernenienr
royale sera éclairé : il y a de quoi suppléer
au livre rouge.
Napoléon me fît demander le 29 mars, et
m'annonça qu'il fallait partir pour 1 armée du
Rlan. Il me donna le grand aigle de la Lé-
gion-d'Honneur , qu'il m avait destiné a})rès
le siège de Dantxic. Il me dit qu avaiit qumze
jours mes troupes seraient portées a quarante
niille hommes (j'en avais quinae mille au com-
mencement des hostilités); je lui observai que
c'était bien peu en comparaison d^ celles que
nous allions avoir sur les bras , que le congrès
(sa déclaration était déjà connue) nous mena-
çait d'un déluge de soldats. „La déclaration k
^laquelle vous faites allusion est fausse , répli-
,,qua-t«il avec hutfneur; elle est fabriquée à
„Paris. Au reste, allez. Lecourbe commandera
„en Franche - Comté , Suchet dans les Alpes.
9,Clausel sur la Gironde. Nous avons bien des
„chances. Gérard va à Metx; il vient de me
,, tourmenter pour que je lui donne ce Bour-
,,miont, je lui ai accordé a regret; je n'ai ja-
,,mais aimé cette figure-la.
„Les propositions que j'ai faites aux sou-
,verains ont été froidement accueillies. Cepen-
,dant tout espoir d'arrangement n'est pas dé-
,truit. Il est possible que l'énergie avec la-
,quelle se ])rononce l'opinion les ramène à
,des sentiments de paix. Je vais encore faire
,une tentative. Voici la lettre que je leur
décris:
du général Rapp* . 287
^^^onsienr mon frère ,
„Vou8 aurez ^^^ppris dans le çoiir^ du mois
,,demifir mon retour sur les côtes de. France,
„mon entrée a Paris > et le départ de la famille
,,de& Bourbon^. La véritable natur de ces évé-
,,nements doit maintenant être connue de ^ otre
,, majesté. Ils sont touvrage d'une irirésistible
^puissance, louvrage de la volonté unanime
,,d'une grf^nde nation, qui cdnnait sesi devoirs
5, et ses droits. La dynastie que la force avait
,, rendue au peuple français n'était plus faite
,,pour lui: les Bourbons n'ont voulu s'associer
,,ni a ses sentiments ni a ses mœurs; la France
„a du se séparer d'eux. Sa voix appelait un li-
,,bérateur. L'attente qui m'avait décidé au plus
,, grand, des sacrifices avait été trompée. Je sais
„venu; et du point où fai touché le» rivage,
,,ra|iiOur de; mes p^uples^^ ril'a porté jusqu'au
,^sein.,.de. ma capitaltj. Le premier besoin de.
„mo^ coeur est de payer tant d'affection par le
^^aimtien d'une honorable tranquillité. Le ré-
,,tablissement du trône impérial était néces-
,^aii;e àutonheyr des. Français; ma plus, douce
„pensée e$t de le rendre en ipérae t^iaps utile
„a laffermissemerit du rej^os de l'Eufrope. Assea
„de. gloire a illustrée tour à. tour Us drape.aux
„d^*s diverses njationSf^ les vicissitudes du sort
,, ont assez fait succéder, de grands revers a dé
. „grands succès. Une 2>lus belle ârçne est ou-
„verte aujourd'hui auuc souverains, et je suis
„le.prenxier a y descendre. Après avoir pré-.
„senté au monde le spectacle de grands com-
„bats> il sera plus doux de ne connaître désor-
„mais d'autre rivalité quç celle <i«fi avantages
288
y,de la paix, d'autre lutte que la lutte sainte de
,,la félicité des peuples. La France se plaît a
y^proclamer avec franchise ce noble but de tous
y,se3 vœux. Jalouse de son indé|)endance , le
,yprincipe invariable de sa politiaue sera le
„respect le plus ''absolu pour rindépendance
,,des autres nations. Si tels sont, conune j'en
,yai rheureuse confiance , les sentiments per-
,,sonnels de* vojre majesté , le calme général <
y,est assuré pour long-temps , et la justice , as-
,,sise aux confins des divers états , suffira seule
y, pour en garder les frontières.
„Je suis avec empressement, etc."
Mais toutes ouvertures furent inutiles. Il
était hors des proportions humaines, il assurait
la suprématie de la France: c'étaient la des
griefs que rien ne ]>ouvait balancer; j'en étais
convaincu. Sa perte était résolue.
Je jiartis pour l'Alsace; l'attitude hostile des
cours étrangères y avait excité une indignation
générale : toutes les âmes généreuses , tous ceux
qui abhorrent le joug de l'étranger, se dispo-
saient a repousser cette ligue de rois qui , sous
prétexte de combattre un homme , ne cher-
chaient qu'à s'enrichir de nos dé][K>uill^. Les
habitants, de concert et par un mouvement
- spontané , s'étaient portés sur les haiiteurs qui
oominent les défilés, les routes ou passages, et
travaillaient à y construire dés retranchements;
les femmes , les enfants mettaient la main k
l'œuvre. On s'égayait, on s'animait Tun l'au-
tre en chantant des refrains patriotiques. Il y
avait entre tous les citoyens rivalité de sèle et
de dévouement : les uns élevaient des redoutes,
les autres coulaient des balles , remontaient
fie
du général Rapp. ' 289
de vieux fusils , confectionnaient des cartou*
ches.. Enfin tous les bras étaient en mouve-
ment; chacun voulait travailler a la défense
commune. ' .
LTué scène touchante et digne des temps an-
tiques eut lieu a Muhlhausen lorsque j y arrivai.
On donnait un bal , les personnes les plus dis*
tinguées de la ville étaient réunies; rassemblée
était brillante et nombreuse « Vers la fin de la
soirée on parla de la guerre > de l'invasion du
territoire; chacun comnmniquait son avis, cha-
cun faisait part de ses espérances et de ses ctain*
tes. Les^dames discutaient enti'e elles, et ^en-
tretenaient des dangers de la patrie* Tout k
coup une des plus jeunes propose a ses com*
pagnes de jurer qu'elles n'épouseront que des .
Français qui aient défendu les frontières. Dçs
cris de joie, des battements de mains accueil-*
lent cette proposition* DtT^toutes les parties de
la salle on se dirige vers cet essaim de beautés;
on les environne, on se presse autour d'elles*
Je me joignis a la foule , j'applaudis a la motion
- généreuse qui avait été faite, et j eus l'honneur .
de teGevoir* le serment que chacune des jeunea
patriotes vint prêter entre mes mains*
Ce traii rappelle Itis mariages des Samnites,
mais il a peut-être quelque chose de plus admi-^
rable encore : ce qui était une institution cheiï
ces peuples fut parmi nous leiFet d'une résolu*
tion spontanée ; chea eux le patriotisme était '
dans la loi, ches npus il était dans le cœur dès
jeunes «j lies.
MM
19
i
£90
Mémoires
CHAPITRE XLIV. .
Tout ce %e\e cependant ne remplissait pas ^
mes cnda^es ; le temps courait et les recrues n'arri-
vaieiM; pas. Les alliés se concentraient sur la
rive gaïuche, ils pouvaient franchir le fleuve
d'uu instant a l'autre; ma position devenait
critiqu/e. Je fis passer mes états de situation à
l'empereur. Il ne put cacher sa surprise* „Si
,,p^ de monde !.. ; L'Alsace, dont le patriotisme
4,est si ardent!... N'iinporte.... la victoire enfan-
y^tera les bataillons. Tout n'est pas desesi^éré;
^,'la ffuerre a ses chatices ; nous en sottirons.'^
Il m avait ordonné quatre jours auparavant de
ne pas laisser un seul homme de troupes de
UgtMs dans les places fortes , d'exkaire des
dépôts tout ce qui était en état de servir,
d'inonder , de mettre en état les lignes de Weis-
sevnbouvg, et d'assurer avec soin mes commu-
Mcations avec Bitche. Jetais occupé de ces
mesureii; mais il ne trouvait pas que j'allasse
assear vite . il m'écrivit :
^^Monsieur le général Rapp ^
„J'ai reçu votre lettre du 12 maL Je vois,
!»ar l'état ^ue vous y avea joint, que le 18« de
igné, qui a deux bataill9ns a votre armée,
,.forts de douse cents hommes, 2)eut voi#^ four-
„nir un troisième bataillon de six cents hom-
„mes; faites-le partir sur-le-champ de'Stras-
,,bourg pour venir vous rejoindre. Le 32« ne^
if
"1
du générât Rappi «291
,^peut donner que deux cents hommes dereu*
,,tbift a vos bataillons de guerre, ce qui les
^ ^portera k dou%e cents hommes^ Le 39* peut
, ,vous fournir son troisième bataillon ^ faites4e
^,partir* Le Ô5« peut également vous fourtiif
, ,son troisième bataillon. Le 58<* peut tous £oui?^
,,mr deux cents hommes pour compléter se^
,,devi}c premiers bataillons» . Le 105* peut com-
^^pléter ses deux premiers bataillons a douxe
,,cehts hommes; le 104* de même. Le 7« léger-
9,])eut vous fournir son troisième bataillon $ de
^jinpme le 10* léger. Vous pouvea donc avec
^,un peu d'activité renforcer votre infanterie de
,,quatre mille hommes. Je suis surpris qu'il
,yn y ait pas eu plus d'engagements volontaire
,,dans rÂlsace nour ces régiments^ JLcî 39* de
,, ligne se recruW dans le Haut>Rhin; ce dépàr-
,,tement doit^voir fourni au moins deux mille
^jvieux soldats, qui, répartis entre le 39* ,i32*
,,et 18* , devaient porter les troisièmes batail- .
,,l6ns et même les quatrièmes au complets Le
„10* léger, qui se recrute dans la Uaute^Saénei
,,doitrecevoir beaucoup de monde. Le 57*^ , qui
„se recrute dans le Doubs, doit en i*eoevoir,
,4également beaucoup. Le 7* léger, te 58* , et
„le 104* , qui se recrutent dans le Bm- Rhin^
,, devraient être au complet. Faites -moi con-^
,, naître pourquoi tous les homnfieâ que voue
„aye8 à vos dépôts ne sont pas sur «^ le - champ
,, habillés j et n'augmentent pas vos Cadres.- .
„Faites-moi connaître aussi ce qui est annoncé
„a ces régiments des différents départements.
♦,Esi>érea-vous qu'au l*** juin vos troisièmes ba-
^taillons soient complétés, et que chaque ré-
„giment soit a dix^hûit cents hommes ; ce qui
19 .
^
202 JV]é(^oire$
,,igpraît sept mille hommes pour chacune de
„vos div is^Lons ?^ Êtes-vôus content des gêné-
„raux de division et de brigade que vous avez ?
„(}ueUe sera, la situation du 2« de chasseurs,
„du 7* , et du. 19*5 je dragons, qui ont tous
„leur dépôt dans ivotre division, au l^'^juin? '
,,Ces trois régiments avaient a leur dépôt
^quatre cents hoinines et. trois cents chevaux:
„ils doivent en avoir reçu depuis. Aul^'^iuin,
„aveç des mesures actives, cptte division doit
„étre de quinae cents chevaux. La troisièipe.
^,division a également tous ses dépôts dans
„votre arrondissement: elle a douae cents
^hommes a son dépôt; elle devra donc vous
^fournir ,deux mille chevaux.
,,Parî«;^le i4 mai i8i&/^
/Je répondi» sur - le - champ aux questions
qu'il, m'adressait; je "lui exposai l'état déplora -
)>le , dans lequel la troupe était tombée: les
armes, la iiionture, rhabillement, il fallait
tout remettre a neuf. Je ne pouvais pas avoir
aii-delâ de vingt-deux mille hommes disponi-
bles au 1^' Juin. Le tableau n'était pas brillant;
mais l'empereur faisait un si admirable emploi
I de ses ressources, qu'on ne devait jamais déses-
pérer. Il mit de nouveaux fonds a ma disposi-
tion ; il stimulait mon ;sèle, m'engageait a ne
rien négliger j>our accroître mes forces et a
reconnaître tous les délilés. Sa dépêche mérite
d'être connue.
\
jiu général Rapp. 293
^^Monsieur le comte Happ^ '
„Je reçois votre lettre du 18 mai. J'ai ac-
„cordé treixe millions pour Thabillement dans
„la distribution de mai. Des ordonnances jwur
„des sommes considérables ont été envoyées a
„chaque corps de votre armée: assurez -vous
,, qu'elles soient soldées! Je ne puis pas m'ac-
„coutumer k Tidée que Voils né puissiez avoir
„de dispoifiible au l*^juin que vingt-deux mille
,,deux cents lïonlmes, quand la force des dépôts
„est de quatre mille hommes. Appelés a vous
„le ti'oisième bataillon du 18* , le troisième du
„39* , le troisième du 57* , le troisièine du 7'
,, léger, le quatrième du 10* léger; ce qui
„vous formera un régiment a quatre bataillons,
„quatre a trois bataillons , et quatre a deux
^bataillons, ou vingt-<[uatre bataillons. Pousse»
„rhabillement ; l'argent est en expédition , et
„ne. manquera pas. La situation que v-ous
,,m*avea envoyée dç votre cavalerie n'est pas
, , bien faite. Comment le 6* de cuirassiers n'a- 1-
„il qiie ses troisième et quatrième escadrons
,,au dépôt? Qu'est donc devenu son cinquième
,, escadron? Mèuîe observation pour le 19* de
, , dragons. Vous avez mille sept cent quatre-
-vingt-sept hommes , et seulement quatre cçnt
„vingt-sept chevaux; mais vous ne me faites
,,pas connaître combien dlioinmes il y a en
^détachement pour prendre les chevaux des
„gendarmes , combien il y eu a en remonte au
,, dépôt de Versailles, combien le régiment
,,doit recevoir de chevaux par suite des marchés
*, qu'il a passés, combien les départements
,, doivent en fournir. Si vous y mettez Vactivité
294
y
Mémoires
r
,iConvenablç, vous devel sut ces dix-sept cetits^
y^homme^s en avoir bientôt quinze k seise cents
yyUiontés, qui, joints a ceux qui composent
,,aU jourd'hui les escadrons , porteront votre
,yCavalerie a }>rès de quatre mille hommes. Touà
^,voje8 cela trop légèrement; levés les obstac-
^,1<^ par VQus-même; xqYe% les dépôts, et
9,augment0a votre armée, JMlontea un espionnage
pour savoir ce qui ^e passe au- delà du Rhiq,*
et principalement a Mayenee , à Thionville:;
„et connaisses bien tous les débouchés des
„ Vosges.
,,NAPox.iov>^
ff
99
^Parif , le 20 inar i8iâ.*^
du général Rapp. 29»
CHAPITRE XLV:
J'allai occuper les lignes de la Lauter. Viugt-
trois ans auparavant nous les avions déFetidues;
mais alors elles étaient en bon état , la tïve
gauche du fleuve était gardée; nous avions qua- '
tre- vingt mille combattants , un corjw de ré-
serve, et ràrmée du Haut-Rhin nous soutenait.
Rien de tout cela n'existait plus.' Les lignes -
n'offraient que des ruines: les digues et les
écluses qui en faissaient la principale force
étaient presque entièrement détruites, et les
places qui les appuyaient n'étaient ni armées
ni même a Tabri d'un coup de main. Nous
comptions a peine quiniie mille hommes d'in-
fanterie répartis en trois divisions, aux ordres
des généraux: Rottembourg, Albert et Grand-
jean. Deux mille chevaux commandés par le «'
comte Merlin compbsaient toute notre cavale-
rie. De Weissenbourg jusqu'à Huningue d'une
part, et jusqu'à la Belgique de l'autre, la fron-
tière était compléteinent dégarnie. Dans cet
état de choses, Germersheim devenait une po--
sition importante; défendue par une garnison
considérable et vingt -quatre bouches k feu,
elle ne pouvait être emportée que de vive forcé.
Je ne désespérai pas du succès , et je fis ,* dès
que la nouvelle des hostilités me fut ])arveilue,
une reconnaissance générale , dans laquelle je
m'emparai d'Hann , d'Anw^eiller , et de tous
les villages de la Queich. Le chef d'escadron
\ ^
296 Mémoires
TuroMieim enleva au galop celui de Gottenstem
et Içs postes bavarois qui i occupaient. *
Le 21 au milieu de la nuit^ toutes les dispo-
ftilions étaient faites ^ et, déjà les cplonnes d'at-
taque se mettaient en marche, lorsqu'on an-
nonça le désastre de Waterloo. -JËlles furent
{aussitôt rappelées. Je sentais bien que len-
ijiemi ne tarderait pas a franchir le ^ fleuve; je
mç h^tai de prendre les mesures administrati-
ves que les circonstances exigeaient, et de met-
tre en état de. défense les places qui atdient
sous mon commandement. Je jetai un batail-
lon de ligue dans Landau , qù je fis entjler les
caisses du pays. Mai/ déjà , comilie je lavais
J)révu , les troupes de la coalition avaient passé
e RhiuaOppenheim et à* Germersheim, et s'é-
taient partout répandues ; nos soldats furent
obligés d'en venir aux mains poqr arriver à
leur destination: Nous nous retirâmes derrière
la Lauter; et le bruit de l'inv>asion du Haut^
Jlhin par la grande armée spus la conduite de
Schwartsenberg m'étant parvenu au même in-
stant» je fis partir en poste deux bataillons pour
renforcer les garnisons de Neuf-BrisacU etde^
Schelestadt. .
' Leg Russes, les Autrichiens, les Bavarois,
les Wurtembergeois , le^ Badois , et une foule
d'autres nations, réunis aumombre de plus de
soixante mille hommes , sous les ordres du
prince royal aujourd'hui roi de Wurtemberg,
débordèrent aussitôt le faible coq>s qife j'avais
sous nies ordres, /
J av£^is d'abord eu le dessein de défendra
l'Abace pied a pied ," en me repl;iant vers les
Tosges, la Meurthe, la Moselle et la Marne:/
*•
du général Rapp. 297
mais j'appris que larmée de la Moselle, qui
m'appujait par sa gauche , s'était dirigçe vers
le nord; que des colonnes ennemies occupaient
déjà Sarrebruck et inondaient la Lorraine: ce
mouvement n'était donc plus possible. D'un
autre côté , une décision précipité , dans les
circonstances aussi imprévues , pouvait avoir
les plus graves conséquenceé. Je temporisai,
dans l'espérance jle recevoir des ordres pour
régler mes mouvements. Mais , depuis la dé-
pêche qui me donna connaissanc# de nos re-
vers, je n'en reçus aucune jusqu'à la rentrée de
Louis XVIII dans la capitale.
Dans la soirée du 24 , la cavalerie wurtem-
bergeoise attaqua mes avant-postes ; les 7« chas-
seurs et 11 ^ urogons prirent les armes, fon-
dirent sur les assaillants, et les taillèrent en
.pièces. Le lendemain, l'armée continua son
mouvement de concentration. Je m'établis en
avant de la'fprét dé Uaguenau, la droite a Seltz,.
le centre a Surbourg, et la gauche à cheval
sur la route de Bitche , que l'ennemi avait déjà
investie.
Cette position n'était que provisoire: elle
était trop étendue ; je ,ne l'avais prise que
pour ne pas me porter tout a coup en arrière
de la ville , et laisser pénétrer les alliés en-
tre cette place et Saverne , que le lieute-
nant - général Desbureaux occupait avec un
bataillon de ligne, des partisans et quelques
lanciers.
Le général Rottembom'g était chargé de
surveiller le Rhin en arrière et sur la droite.
Je n'avais pu lui laisser qu'une brigade, que
j'avais portée a Seltia ; encore fus-jè obligé de
208 Mémoires
retirer le 40* au moment où les Autrichiens
{paraissaient. Il ne lui resta que le 39**, dont
e deuxième bataillon formait les avant-postes
et la reserve. Le 1^, une compagnie de sa-
position
mauvaise par elle-même , n'avait rien de rassu-
rant, La petite ville de Seltz, appuyée au Rhin,
est située sur les deux rives ae la Selt^ibach*
"Cette rivièlb est assez bien encaissée sur une
étendue d'environ deux cents toises ; mais plus
loin elle est partout guéable , et les bois qui la
Iiordent en lavorîsent encore le passage. D'un
autre côte, je craignaiar un débarquement, que
Tennemi pouvait facilement elFectuér en ar-
rière de la droite, et auquel je n'eusse pu'm'op-
ppser que faiblement, attendu que toute l'at-
tention devait se porter sur le front ^ <iui, com-
me je lai dit, s'étendait fort loin. ,
Dans cette alternative , le général Rottem-
bourff se décida a ne faire observer le Rhin que
par des patrouilles, et envoya une compagnie
pour garder les gués , depuis le moulin de
Selta jusqu'k Nideradern. Il plaça son artil-
lerie jsur une petite éminence de la rive droite,
a gauche de la ville, et ce qui lui restait de
soldats se porta en avant pour soutenir le
deuxième bataillon, qui occupait les avant-pos-
tes et le bois*
A onze heures, l'ennemi ayant réuni ses
masses , commença ^attaque par un feu de
mousqueterie bien nourri , qu il appuya avec
huit pièces de canon. La résistance des nôtres
fut opiniâtre , et pendant long-temps M ne put
du général Rapp, 299
bvaincre; raaÎB a la fin cette petite avantrgarde
flt contrainte de se replier dans le bois, %\\e
s'y maintint avec un courage héroïque , et ré-
sista long- temps aux efforts de huit a neui*
, mille hommes , qu« soutenait une artillerie
nombreuse. Enfin, après quelques heures de
la plus belle résistance , cette poignée de bra-
ves se retira dans le plus grand ordre , et vint
se réunir au premier bataillon.
Enhardi par ce succès , l'ennemi fit descen^
dre ses masses. Il déboucha nar la grande route,
se dirigea sur Seltz , dont il croyait s'emparer
sans difficulté. Nous le laissâmes arriver: sous
le feu de nos batteries ; dès qu'elles purent louer,
une décharge épouvantable portn la inortdans
ses rangs. Rassuré par le nombre , il continua
néanmoins d'avancer , et le combat se rétablit
avec plus de vigueur qu'auparavant. Mais,
toujours contenus par la valeur de nos soldats,
et foudrpyés par lartillerie française , les Au-
trichiens finirent par céder, et se retirèrent eh
désordre dans le bois. Leurs mouvements dès ^
lors'devinrent incertains, et ils hésitèrent long^-
temps sur ce qu'ils avaient a faire. Nos pièces
continuaient de porter la mort au milieu de
leurs colonnes. L^attaque n'était pas pluspéril-
leuse que l'inaction ;. ils marchèrent en avant,
et parvinrent a s'emparer de la partie de la
ville située sur la rive gauche. Mais ce triom-
phe leur coûta cher. Quelques obus Ijqicés
sur les maisons dont il étaient maîtres les con-
traignirent k les quitter , et à regagner .p]:éci-
pitamment leur premier asile; nos batteries re-
doublèrent leur feu , et firent essuyer aux fuy-
ards une ]>erte immense.
I
\
300 Mémoires
Cette attaque ne fut pas la seule dans ^
Suelle ils échouèrent. Dès le coininencemem
e Faction, ils s'étaient avancés , par la grande
route de Weissembourg a Haguenau , sur Sur-
bourg, qu'occupait un bataillon du 1 8* , conl-
mandé .par .l,e coloniei Voyrol. Ce village fut
vaillamment défendu: pendant plus de deux
heures Tennemi ne put y pénétrer; mais il dé-
ploya enfin des forces si considérables , que,
dans la crainte de voir tourner la ])6sitioii , le
général Albert la fit évacuer. Nos soldants se re-
plièrent derrière la Saare , on ils se réunirent
au reste du régimeiit. Assaillis en cet endroit
par Télite de Farmée autrichienne, ils restèrent
mébranlable. Lassés de tant d a'ttaqjiies infruc-
tueuses; convaincus qu ils ne parviendraient
pas k forcer des hommes qui paraissaient dé-
t\Aé^ a mourir à leur poste , ni a s'emparer des
avenues de la forêt , les alliés se décidèrent
enfin à la retraite.
Nous avioixs trois cents hommes tués ou
blessés : les Autrichiens , de leur propre aveu,
en avaient perdu deux mille et avaient eu
deux pièces de canon dén^ontéesl
Nos troupes avaient a peine pris quelques
heures de repos , tersTque je fu» obligé de les
iremettre eh marche. L'armée alliée du Haut-
Rhin s'avançait sur Strasbourg ; cette nouvelle
m'était parvenue pendant Faction. Je n'avais
pas un mstant a perdre. Je me dirigeai sans
délai sur cette place, et Févénement a fait voir
si cette mesure était juste.
du général liapp.
301
âE-
CHAPITRE XLVI
Ce fut pendant cette retraite que les soldats
apprirent le désastre de *Waterloo et Tabdica-
tioii de l'empereur , que , jusqu'à ce moment;
je leur avais soigneusement (jachés. Ces évé-»
nements produisirent un découragement uni-
versel, et la désertion se mit bientôt parmi
eux. Les moins emportés roulaient dans leurs
têtes des projets funestes. Excités par la mal-
veillance, les uns Voulaient se rendre dans leurs
foyers , les autres proposaient de se jeter en
partisans dans les ^ osges.
Je fus aussitôt informé de ces dispositions.
J'envisageai de suite le* terri}>les conséquen-
ces qu elles pouvaient avoir. Je publiai un or- ,
dredu jour^ il réussit, les esjmts se calmèrent;
mais l'inquiétude ne tarda pas a se réveiller.
Arrivé a Haguenau , le *?* régiment , autrefois
si fameux , annonça hautement le dessein de
quitter Tarmée et de se rendre avec son artil-
lerie dans les montagnes. Déjà les pièces étaient
attelées et un bs^taillon avait pris les armes. Je
fus averti ; j'accourus , je pris a la m^in l'aigle
de ces rebelles ; et me plaçant au milieu d^eux,
„Soldats, leurdis-je, j'apprends qu'il est ques-
„tion, parmi vous, de nous abancionner. Dans^
„une heure ^6us allons nous battre; voules-
„vous que les Autrichiens pensent que vous
„avez fui le champ d'honneur? Que les braves
^, jurent de ne quitter ni leurs aigles ni leurgé-
„néral en chef. Je permets aux lâches de s en
304 Mémoires
laissent k nos troupes aucun espoir de se mam-
tenir. D'un autre côté, les assaillants avaient
débordé le 10« , et le moment était venu d'exé-
cuter le mouvement' ^\xe j'avais prescrit. En
- conséquence, la seixsune division replia son
aile gauche perpendiculairement en arrière, et
en conservant la têts de Hoeîiheim, d'où notre
• artillerie^ foudroyait l'ennemi eii flanc et a re-
" ' ver». En même temps, le brave général Beur-
mann, attaqué de toutes parts et déjà enve-
lonpé , sortait de Mundolslieim a la tête du
lO', et faisait retraite en bon ôrdre^ sur la di-
vision. ' ^ ""
' '^ Les Autrichiens, de leur côté, se portaient
sur la route de Briînipt avec des masses énor-
imTs de cavalerie et d'infanterie , soutenues par
une artillerie formidable. Ils s'engagèrent en-
tre les deux divisions , et arrivèrent sans ob-
stacle sur quatre bouches k feu qui n'avaient
cessé de mitrailler leurs colonnes.' Elles furent
enlevées: mais l'ennemi prêta le flanc auxtrou-
pes- du général Rottembourg , et a deux régi-
ments de cavalerie qui se trouvaient sur son
front. Je profitai de cette circonstance , je me
mis a la tête du 11® de dragons et du 7* de
chasseurs a cheval. Je me précipitai en avant,
I'e renversai la première ligne , pénétrai dans
a seconde, culbutai tout ce qui opposa de la
résistance. Nous finies une boucherie ai&euse
de la cavalerie autrichienne et wurtembergeoise.
' £n même terhps le 32* de ligne arrive au pas
decjiarge,- en colonnes serifées, et l'empêche
de jse rallier* Elle se renverse sur sa propre in-
fanterie et la met en fuite.
De son côté le général Rottembourg porte
sa
du général. Rapp. 505
sa droite en avant , et fond siir Tennemii qui
déÊle en désordre devant ses colonnes , le feu
le plus meurtrier d'artillerie et de mousquete*
rie , en un instant le champ de bataille est cou-
vert de morts j et^l'immense armée du prince
de Wurtemberg mise en déroute. Elle fut telle
que des bagages qui se trouvaient a deux lieues
en arrière furent culbutés , pillés , et que le
prince lui-même perdit ses équipages; Le dés-
ordre s'étendit jusqu'à Haguenau, et aurait été
plus loin, si 50^000 Russes, arrivés de Weis-
sembourg, n eussent par leur présence rassuré
les fuyards. La nuit qui survint, et le danger
qu'il y aurait eu a s'aventurer devant des for-
ces aussi supérieures , nous empêchèrent de
profiter de nos avantages. Nous ne pûmes re-
prendre notre artillerie ; lennemi s était hâté
de la faire passer sur s(?s derrières;
Elle lui coûtait assez cher pour qu'il tint
a la conserver. Il avait cpiinze cents à deux
mille morts et un nombre de bleàsés encore plud
considérable. De notre côté , nous eûmes en-
viron sept cents hommes hors de combat; De
ce nombre étaient les deux capitaines d'artil-
lerie légère Favier et Dandlau , blessés l'un et
l'autre en défendant leurs pièces , et le colo-
nel Montagnier, qui rendit de si grands ser-
vices en cette occasion.
Le général ennemi se vengea de Sa défaite
par des dégâts. Il incendia , le lendemain de
la i)ataille , le village de Souffelvireyersheim,
sous prétexte que les paysans avaient tiré sur
ses troupes; Le fait n'est pas vrai, et le nom
du prince de A\ urtemberg reste a jamais souillé
20
306 Mémoires
d une acûon ^ui a plonge une foule de faHiil-
les dans la nusëre.
Soit que la vigueur avec laquelle nous avions
repoussé toutes ses attaques l'eût dégoûte d'en
faire de nouvelles , soit tout autre motif, il
resta quelques jours sans •rien entrej>rendre.
Je profitai de ce rej>o& pour approvisionner
Strasbourg et me fortifier dans mes positions.
J'eus le temps aussi de donner a tous les com-
mandants de place qui étaient sous ines ordres
les instructions les plus précises.
Cependant l'armée alliée augmentait sans
cesse , de nouveaux corps venaient la grossir
tous les jours : bientôt soixante--dix mille hom-
taies se déployèrent (levant nous, et viiu:ent
nous presser de toutes parts. Les parlementai-
res se succédaient l'un a l'autre , et sans avoir
aucun but marqué. Je fis })roposer au général
ennemi une suspension d'armes , pendant la-
quelle je pourrais envoyer un officier a Paris,
et recevoir des ordres du gouvernement. Le
prince de Wurtemberg refusa, sans renoncer
néanmoins au système ae communication qu'il
avait adopté. ^
' Ce fut k peu près a cette époque qu'il fit
venir devant lui le ])asteur de Wendenheim,
homme respectable et excellent patriote. „Con-
„naisse2-vous , lui dit-il, le général Ra2)p ? —
„Oui, monseigneur. — Vous chargeries-vous
j, d'une mission auprès de lui ? — Assurément,
,,si elle n'avait rien de contraire au?fe intérêts
,,de mon pays. — Eh bien, allez lui dire que
,jS'il veut me livrer Strasbourg pour le roi de
„France , il verra pleuvoir sur lui les biens et
^,, les honneurs. — Monseigneur, legénéralRapp
du général Rapp. 307
,,est Alsacien , et par conséquent bon Français!;
^jamais il ne consentira a déshonorer sa carrière
^militaire. £n conséquence, je prie votre al-
,,tesse de charger un autre que moi de ce mes-
„sage."
A ces mot9 , le vénérable pasteur s'incline
et disparait, laissant le prince étonné et con-
fondu d'avoir proposé inutilement une bassesse.
Néanmoins son altesse ne se rebuta pas. Le 3
juillet, elle m'envoya le général Vacquant, en
qualité de parlementaire , pour me demander,
au nom du roi de France , la remise de la place
de Strasbourg. Afin d'inspirer plus de confiance,
l'officier autriciiien portait un énorme ruban
blanc et la décoration du lis. Je lai deman-
dai s'il venait de la part du roi, il réj^budit
que non. „Eh bien, lui dîs-je, je né rendrai
,,la placé que lorsque mes soldats auront mangé
^ides cuisses autrichiennes , comme Ceux qUe
„j'avais a Dantsic en ont mangé de russeà.** '
Importuné des communications insignifian-
tes que me faisait j^asser chaque jour le com-
mandant des alliés , je cherchai a pénétrer ses
motifs. Dans cette vue, une reconnaissance
générale fut exécutée le 6 sur les positions au-
trichiennes. Nos soldats enlevèrent quelques
postes de cavalerie, en taillèrent d'autres en
pièces , et rentrèrent au camp a]>rès avoir fait
prendre les armes a toute Tannée ennemie.
Une forte canonnade s'étant fait entendre
deux jours après du côté de Phalsbourg, je ré-
solus de faire une seconde pointe, tant pour
m'assurer au juste des forces que j'avais devant
inoi, que pour empêcher le prmce de Wur-
temberg de détacher des troupes contre cette
20.
508 Mémoires.
place. La division Albert et la cavalerie mar-
chèrent contre le camp retranché que lés Au-
. trichiens avaient assis , depuis la forte position
, d'Qberhausbergen jusqu'à Hiderhausbergen.
L'attaque commença a trois heures du matin,
elle fut impétueuse et couronnée du plus grand
. succès. La cavalerie ennemie fut culbutée et
mise en fuite par la brigade du général Grou-
vel; les princi]>aux villages furent pris a la
baïonnette, et les retranchements emportés.
Plusiurs officiers furent faits prisonniers dans
leurs lits, d autres au moment où ils couraient
atux armes. Des généraux s'échappèrent en
cliemis.e , ^et ne durent leur salut qu aux ténè-
. bres qui les protégeaient.
Le 10« a infanterie légère, commandé par
le brave Colonel Cretté, déploya dans, cette af-
faire la même valeur qu a la bataille du 28.
. Le 18* sous les ordres du colonel Vojrol , Tup
des officiers les plus intrépides de l'armée frati-
. çaise, se renditmaitre du village de Mittelhaus-
. bergen , où il se maintint long-temps contre
des forces supérieures et des attaques non in-
terrompues sur tous les points.
Le signal de là retraite ayant été donné,
le géné|:al Albert fit échelonner le 57^ vers l'at-
taque de droite, et le 32* vers celle de gauche.
Mous nous repliâmes dans le plus grand ordre.
L'ennemi voulut nous troubler , il fondit sur
nos troupes. Le 5> le reçut sans s'ébranler, * et
fit une décharge a bout portant qui désorganisa
ses coloimes; deux fois la cavalerie alliée re-
vint à la charge , deux fois elle fut repoussée
avec perte. Le général Laroche, qui la con-
duisait, fut attemt et tomba sous les pieds des
du général Rapp.
309
chevaux; il eût péri si les Français ne fussent
venU3 a son sec^rs. „Amis, à*écrie-t-îl , j'ai
„servi autrefois dans vos rangs , sauves-moi/^
Il fut aussitôt relevé et rendu aux siens. Un
gros de cuirassiers faillit surprendre le 18« dans
son mouvement rétrogradé ; mais le chef de
rétat-major-général , le colonel Schneider, lui î
ayant habilement opposé un bataillon qu'il *
avait sous la' main , ronipit son choc et sauva ;
le régiment d*uhe défaite inévitabtei * ?
Les alliés, convaincu» qd'ils iïé' ^pafvien*--:
draient pas a nous entamer, • nous ' Iftiéâèrent
paisiblement coYitiriuer notre luarcht^î Nos •
troupes rentrèrent au camp après avoir acquis
la certitude de Fimniense sûj>ériorité dés lor*-
ces qu'elles avaient à- combattre. Dej^mtt' et/
d'autl-é on prit des cantonnements, '\5\tt tcoi^j
vention militaire fut conclue peu de joiirs^ après, ^
et les hostilités cessèrent dans toute l'Alsace.
»• .
*-»
j
4
310 Mémoires
■WB
tîHAPITRE XLVII.
. - ' • *
« Vomv^é eogei^dra bientôt la sédition, D au-
txes annee^v :4'aubras oorps, que n'égarait au-
cliiije combinaison poliiiquQ, uvaLent foulé aux
pieds la discipline militaire. jEst^nil étrange
, qu au milieu; de TeiFenifei^çence générale mes
soldats *sç soient un instunt ou!>lies? Cet e}>i-
sode est. pénible. Je n^ àoii^ ni Técrire ni le ,
taire. Je puis bien supporter le blâme qu'ont
eacQuru Joubert, M^sséna, et tant d'êtres gé-
nâralux que je naipaii la prétention d'égaler.
Vi^ci.rep quels termes un finoqyine a rendu,
compte de .oet acte d'indiscipline. Il n'a pas
voului tout dire, mais il s'agit de moi: je.doià
imiter sa réserve.. Je souscris du reste au iuger.
ment qu'il a porté.
„Les Autrichiens , désespérant de se rendre .
maîtres de Strasboui^ par la force des armes,
cherchèrent a se ménager des intelligences
dans cette ville. Ils y réussirent d'autant mieux
qu'ils employèrent. avec sagacité les deux mo-
yens qui agissent le plus puissamment sur le
cœur de l'homme, l'or et la frayeur. Ils sédui-
sirent les uns par l'appât des lichesses , * ils en
subjuguèrent d'autres en leur faisant crain-
dre les vengeances du gouvernement. Lors-
qu'ils se furent de la sorte assurés de tous
ceux qu'ils jugèrent susceptibles d'être éga-
rés , ils se hâtèrent d'exécuter leurs perfiaes
desseins.
„Dès l'ouverture de la campagne, nos sol-
du général Happ. Stl
dats se trouvaient dans une état d'itritation
bien propre a seconder les vues secrètes de
l'ennemi: ils connaissaient l'aiFreuse journée
de Waterloo , ils en savaient tous les détails ;
niais ils avaient trop de confiajqice dans Thabi*
leté de cette homme fameux avec l,equel ils
•avaient cinq fois triomphé de l'Europe entière^
ils l'avaient vu trop souvent ressaisir par des
inspirations soudaines la victoire qui lui édiap-
pait , pour croire que son génie lailitaire î eut
tout à coup abandonné ; ils songeaient perpé-
tuellement a ce désastre , et ils ne pouvaient y;
songer sans frémir. Persuadé^ qu'ils étaient
4}ue nos troupes étaient toujours les méipes, et
quelles avaient alFaire aux inémes ennemis,
une telle défaite leur parraissait inconcevable,
IS'en connaissant pas les véritables causes , ils
accusaient les traîtres de tous nos malheurs:
des traîtres avaient livré nos plans^ des traîtres
avaient commandé de fausses manauivres » des
traîtres avaient crié sauve qui peut ; il y en
avait parmi les généraux , parmi les officiers,
parmi les soldats: qui sait même s'il n'en ex-
istait que dans l'arméç du nord ? qui sait si le
corps dont ils faisaient partie, si leur régiment,
si leur compagnie, n'en étaient pas infectés?
Pouvaient-ils compter sur leur chefs, sur leurs
camarades ? Tout le moi^de était suspçct, il fal-
lait se défier de tout le inonde.
„Tels étaient les discours qui échappaient
a la colère, que la malveillance accueillait, am-
plifiait, envenimait, et que chaque soldat finit
par répéter et par croire. Bientôt on expli^qua
tout par cette idée. Accoutumé a tenir la cam-
pagne , on s'était vu avec douleur contraint de
S42 Mémoires
86 xt\xttt devant un ennemi qu'on mépinsait.
Il eût été naturel d'attribuer ses progrès a son
immense supériorité numérique : on aima
mieux les expliquer autrement ; les chefs étaient
d^intelligence aVec les Autrichiens. Plusieurs
circonstances aussi fatales qu'inévitables vin-
rent donner a cette opinion une sorte de vrai-'
sembUnoe aux yeux des soldats prévenus. Ce
fut d'abord Tordre que ri^çut le comte Rapp de
licencier l'armée , et de renvoyer chaque hom-
me isolément, sans argent et sans armes. Ce
^t ensuite une injonction ijui lui fut faite
(>ar le gouvernement de livrer a des commis-
saires russes dix mille fusils tirés de l'arsenal de
Strasbourg. Ces deux dépêches l'obligèrent
d'entrer eh correspondance avec les alliés. Les
fréquents échanges de couriers qui eurent lieu
a cette occasion produisirent un* mauvais effet
sur les esprits. Le mystère dont le général fiit
obligé de s'envelopper jîour cacher aux troupes
le transport des armes a feu augmenta Tirrita-
tion ; les malveillants la portèrent k son com*-
ble. Ib disaient hautement que le comte Rapp
était vendu , qu'il avait reçu plusieurs millions
des Autrichiens pour les introduire dans la
S lace, et que s'il renvoyait les soldats indivi-
uellement et désarmés, c'était d'a])rès une con-
vention faite et pour les livrer à lennemi.
,,J)ès qu'une fois ces germes de fermenta-
tion eurent été jetés dans les diflérents corj>s,
il se développèrent d'eux-mêmes; les instiga-
teurs n'eurent plus qu'a en observer les pro-
grès, a combiner les incidents propres a aug-
menter les troubles , et a rendre inévitable la
catastrophe qu'ils préparaient.
1
^ du général Rapp. 3 15
„ Quoique le général Rapp Put bien loin de
soupçonner une telle trame, il avait pris, en
quelque sorte , toutes les mesures, cpi'il pouvait
prendre pour la déjouer. Aussitôt que k dé-
>êche niinisterielle relative au licenciement
ui fut parvenue , il avait expédié en toute
hâte a Paris un de ses âides-de-çanip , le chef
d'escadron Marnier, Cet officier vit plusieurs
fois les ministres, il leur représenta k quelle
violence l'armée allait se porter si la solde en-
tière n'était pas pajée j hiais il ne put obtenir,
malgré les instances les pliis vives , qu'une
traite de quatre cent mille francs sur la caisse
de service. Son retour avec cette faible somme
vint détruve toutes les espérances. Le général
en chef, qui Voyait les esprits s'aigrir de plus
en plus, ne négligea rien pour conjurer l'orage.
Le manque de fonds était ce qui indisposait
le plus : pour faire disparaître cette cause de
mécontentement, il essaya d'ouvrir un emprunt
dans Strasbourg. Les habitants lui ayant de-
mandé une hypothèque, il fit solliciter, auprès
du ministre des finances, l'autorisation d enga-
ger les tabacs qui se trouv^ent dans la ville :
le ministre s'y réfusa. Néanmoins, ,pàr l'en-
tremise du général Semélé, qui commandait
la place , on obtînt des autorités civiles une
somme de cent soixante , mille francs. De si
faibles moyens ne pouvaient satisfaire les sol-
dats , que de faux bruits animaient sans cesse,
et l'insurrection ne tarda pas a éclater. Elle fut
soudaine, elle fut générale, et présenta un ca-
ractère tout-a-fait particulier. J'en l'etracerai
tous les détails, parce qu'ils serviront a faire
mieux connaître l'esprit du soldat français.
^314 Mémoires
^Le 2 septembre, vers les huit heures du
matin, environ soixante officiers subalternes
de différents re^çiments s'assemblèrent dans un
des bastions de la place. Ils arrêtèrent un pro-
J'et' d'obéissance aux ordres qui licenciaient
armée , mais a des conditions dont ils résolu-
tent de tie point se départir. Cette déclaration
cômmen^it ainsi :
,,Aii nom de l'armée du Rhin, les officiers,
„sous-officiers et soldats, n'obéiront aux ordres
„donnés pour le licenciement qu'aux condi-
„tions suivantes :
„Art. l®^. Les officiers, sous-officiers et sol-
„dats ne quitteront l'armée qu'après avoir été
^soldés de tout ce qui leur est du.
„Art. 2. Us partiront tous le même jour, em-
„portant armes , bagages , et cinquante cartou-
„ches chacun, etc., etc." .
„Dès que cette pièce eut été libellée, ils se
rendirent chex le général en chef pour lui en
donner communication. Celui-ci, alors ma-
lade, était dans le bain. Étonné defiette visite
inattendue, il donne ordre délaisser approcher.
Cinq officiers s'approchent aussitôt de la bai-
gnoirei ils foqt lexjjosé du sujet de leur mis-
sion , et déclarent que Y^vmée ne subira le li-
cenciement qu'autant que ces conditions auront
été remplies. A ce mot de conditions, le géné-
ral furieux s'élance du bain , et arrachant le
paj>ier des mains de l'orateur: „Quoi! ines-
„sieurs , vous voulez m'imposer des condi-
,,tions ! vous refusez d'obéir ! des conditions a
,,moi! *'
. <
peut
„Le ton de voix , le regard du comte Rapp,
t-être l'attitude dans laquelle il se présen-
da général Rapp. 315
tait; imposèrent ala députation* Elle se retira
confuse, et chacun des of&ciers alla rendre
comte a son régiment du manvais accueil qu'ils
avaient reçu.
,, Les sous -officiers, assemblés au nombre
d environ cinq cents , attendaient ])Our. agir la
réponse du général. Ils sentirent bien , quand
ils en eurent connaissance , qu'un tel homme
n était pas facile a intimider , et qu en faisant
une démarche, ils ne seraient pas plus heu-
reuse que leurs chefs. Mais leur parti ' était
pris ; ils vinrent se ranger en bataille dans la
cour du palais , et demandèrent qu'on les in-
troduisit auprès du général en chef. Un aide-
de-camp descent pour connaître les motifs
qui les amènent, ils refusent d'entrer «n. ex-
plication avec lui. „Quel est le chef de la
troupe? demande cet officier. Aucun-
tous , " répondent-ils en masse. Il appelle
au centre les plus anciens de chaque . régi-
>»
»»
coupables. Mille voix confuses l'interrompent
aussitôt: „De l'argent! de l'argent!.... Pîous
„voulons être payés de tout, ce qui nous est
„dû; nous saurons nous faire payer."
j,Le chef d'état-major colonel Schneider,
dont ils avaient tant de fois admiré la résolu*^
tion au milieu des dangers, arrive sur ces* en*
trefaites, et essaie avec aussi peu de succès
de les calmer : „De l'argent , ré]>ètent41s en-
iîore, de l'argent!" Fatigués de pousser des
cris , de faire des menace's inutiles , et n'ayant
pu arriver jusqu'au général en chef ^ ils «e
dispersent enfin , après s'être assigné un ren-
3 16 Mémoires
dez-vous. La plujmrt 8e j>ôrtent sur la place
d'armes, où ils procèdent aussitôt a Télection
des nouveaux chefs qu'ils avaient résolu de se
donner. L'un d'eux , nommé Dalouai , ser-
gent au 7« léger , connu par sa capacité , son
audace , et surtout par- un habil soldatesque
qui lui était proj^re , réunit tous les suffrages :
„Vous voulez être payés , dit-il a ses camara-
,ydes, et c'est pour cela que vous êtes ici. —
,,Oui, répondit-on d'une commune voix. —
„Eh bien! si vous promettes de m'obéir, de
„vous abstenir de tout désordre , de faire re-
,,specteir lés propriétés , de protéger les per-
„sonnes; je jure siir ma tête que vous le se-
,,rea avant vingt-quatre heures." Ce discours
fut accueilli avec des cris de joie-, et le ser-
géiit fût nommé général. Il choisit aussitôt
pour son chef d'état-major le tambour-major
du 58«; un second sous -officier fut chargé des
fonctions de gouverneur de la place ) un troi-
sième, du commandement de la première di-
vision; un autre de la seconde, etainsvde
suite. Les régiments eurent des colonels; les
bataillons, les escadrons, des chefs; et les
comfpagnies, des capitaines; enfin on com-
pléta un état-major.
„Les autres sous-officiers étaient retournés
ati^ casernes , où les soldats attendaient avec
^ impatience le résultat de la démarche qui ve-
nait d'être faite. La générale est aussitôt bat-
tue , et tous les corps , infanterie , cavalerie,
artillerie, sont dirigés en ordre et a la course
sur la place d'armes. I/organisation était a
peine terminée, lorsqu'ils y arrivèrent. Ame-
sure qu'ils pa(raissaient , les nouveaux chef«
du général Rapp. 317
allaient en prendre le commandement , et les
dirigeaient sur les points qu ils avaient ordta
d'occuper.
„Cependant le général Rapp, étonné de
voir éclater une insurrection si grave , s'était
jSabillé h la hâte , dans l'espérance de coimaître
les motifs de ces mouvements séditieux , et de
parvenir k les calmer. Mais les diverses opé-
rations dx)nt nous venons de i-endre comte
avaient été conduites avec une telle célérité^
qu'au moment où il sortait . accompagné de
son chef d*état-major et de quelques officiers,
les colonnes, suivies d'une populace nom-
breuse, débouchaient déjà par toutes les rues
qui aboutissent a la place du palais. Des
qu'elles aperçoivent le général , les trotipes se
meltent précipitamment en bataillje, et croi-
sent la baïonnette pour l'empêcher de passer.
Aussitôt des cris forcehés se font entendre
des derniers rangs. ,. Tirez.... il a vendu l'ar-
,,mée.... Tirez donc." Des misérables, ré-
pandus dans les groupes , excitaient du geste
et de la voix k massacrer ce vaillant homme.
La fureur se réjjand de proche en proche, et
bientôt la cqpfusion est a son comble; les sol-
dats égarés apprêtent leurs armes ; les rangs se
doublent; huit pièces de canon arrivent au
galop , et sont incontinent chargées a mitraille.
„Chaque fois que Je général Rapp adresse
Ja parole k ceux qui le menacent , les vocifé-
rations recomimencent et les cris provocateurs
se font entendre avec une nouvelle rage. Mis
en joue k plusieurs reprises, les pièces de
canon sont constamment dirigées sur lui, et
les ' pointeurs suivent tous ses mouvements :
/
31Ç Mémoires
,,Range2-vou8 ! s'écrlaient-lls , que nous tirions
y^dessus/ Un obusier s'attache avec tant de !
persévérance au groupe dont le général est |
environné , qu'il s'en aperçoit. Il court au
canonnier qui tient 'la ihèche: ,yEh bien.!
^,que prétends-tu faire , misérable? lui dit-u;
„ veux-tu 'me tuer ? Mets le feu , me voici a
„renibouchure. — Ah! mon général! s'écrie
9,1e soldat en laissant échapper son boute-feu,
,,]'ai été au sipge de Dantaic avec vous , je vous
,,aonnerais ma vie... 'Mais les camarades veu-
fjent être payés, je suis obligé de faire com-
„me eux." £t il reprend sa mèche.
„ Accablé de questions vides de sens, d*in-
terpeilations sans objet , étourdi des clameurs
de la multitude, dont les flots grossissaient
sans cesse , le général se décida enfin a rentrer
au palais.
„Les troupes ly suivirent, et les différentes
avenues en furent sur-le.champ occupées par
huit ])iëces de canon, mille hommes d'infan-
terie et un escadron de cavalerie. Cette garde
se nomma la garde extérieure du palais. Un
bataillon de grenadiers vint s'établir dans la
cour, et prit la dénomination de. garde inté-
rieure, rrès de soixante factibnàires furent
F lacés deux a deux h toutes ItîS jîortes et sur
escalier qui conduisait a Tappattement du
comte Rapp; il y en eut même, pendant quel-
ques instants , jusqu'à celle de sa chambre a
coucher. On s empara ensuite du télégraphe
et de la monnaie. Pour témoigner en niênie
temps qu'on n'avait aucun mauvais dessein,
un détachement fiit envoyé a l'hôtel du géné-
ral autrichien VoUtman, qui se trouvait dans
du général Rapp. 519^
la place, et fut mis a sa disposition. Les ponts
fureht levés , et Ton ne communiqua plus avec
les dehors sans une permission signée dii nou-
veau commançlant. Le tambour*major du
58^ se rendit avec un trompette au quartier-
général des alliés , et leur signifia que s'ils re-
spectaient la trêve, la ggrnison ne se porte-
rait a aucun acte d'hostilité; mais qu'e s'ils
essayaient de profiter de la mésintelligence
. qui régnait entre le chef et les soldats , elle
saurait opposer une noble résistance.
„Cependant Dalouxi avait établi son état-
major sur la place d armes, et créé deux coin-
missions , Tune des vivres , composée de four-
riers, et l'autre des finances, formée de ser-
gents-majors; elles se constituèrent en per-
manence , délibérèrent sur les mesures les 2)lus
propres k maintenir la tranquillité publique,
et à mettre là ville a l'abri de toute surprise.
Les postes de la citadelle et ceux de 1 inté-
rieur furent doublés ; on plaça même des giir-
des a quelques vieilles poternes qui jusque-
là avaient été négligées; on renforça la ligne
extérieure , les troupes bivouaquèrent sur les
places €ft dans les rues ; enfin on n oublia au- ^
cune des précautions que peut suggérer la pru-
dence la plus soupçonneuse. Afin de prévenir
les excès auxquels la malveillance pouvait ex-
citer les soldats, il fut défendu, sous peine
de mort, d'entrer dans aucun des lieux où Ion
vendait de l'eau-de-vie, du vin ou de la bière.
La même peine fut portée contre tous ceux qui
se rendraient coupaoles de pillage, de désordre
ou d'insubordination. Enfin, pour assurer
mieux encore la tranquillité publique, il fut
S20 Mémoires
résolu que l'armée serait instruite de *six heu-
res en six heures de sa situation. ,
„Ces dispositions prises, le receveur-général
et l'inspecteur aux revues furent mandés ^ Ce-
lui-ci nt un état approximatif des ^sommes né-
cessaires pour mettre la solde au courant j. l'au-
tre présenta le montant de son avoir en caisse;
après quoi, Dalouzi Convoqua le conseil muni-
cipal, auquel il exposa les motifs qui avaient
détermine la garnison a prendre les armes j et
!>i?ia le maire d'aviser aux moyens de faire des
x>nds pour acquitter l'arriéré.
„Il envoya ensuite au comte Rapp une dé-
putation composée du nouveau gouverneur
et de cinq -ou six généraux-sergents. „Eh bien!
„que me voulea-vous encore f leur dit ce gé-
„néral avec l'accent dé l'indignation et dumé-
„pris. Vous êtes indignes, de porter l'uniforme
,,n:ançais..éi J'ai cru que vous étiez des gens
„d'honueur, je me suis trompé.... Vous vous
, , laisse^ sédqire par des misérables.... Que
„prétendea-vous faire?.... Pourquoi ces gar-
„aes qui enWronnent le palais?... Pourquoi
„cette artillerie dirigée contre moi?..; Je suis
,^donc bien redoutable?.,. Croit^on que je
, , veuille m*évader ? . . . Et pour quelle raison
, , m'évaderais- je?... Je ne crains rien... Je
„ne vous crains pas... Mais au fait que me
„voulez-vous ? encore une fois que me vou-
liez- vous?..." L'agitation du comte Rapp,
en prononçant ces mots , contrastait vivement
avec l'air sombre de la députation. Ces sous-
officiers, confus de retjenir captif un chef qu'ils
aimaient, et dont la valeur , la loyauté leur
étaient si connus , gardaient un profond si-
/ lence.
>9
du général Rapp. 3?1
lence. XU étidnt sur le point de se. retireir,
lorsqu^un d'entre eux prenant la parole : 9,Mon
yygénéraly dit- il, nous avons appris <{ue Içs
,, autres corps d'armée ont été payés, nos .so].-
,,dats veulent également l'être ; ils sont en
„révolte, mais ils nous obéissent. Nous ne
,,demandous que ce qui nous est dix, le faible
^^dédommagement de tant de sang et de bles-
sures; nous ne demandons que ce qui noi^s
est indispensable pour faire notre route çt
^,nous retirer dans nos foyers. Les trouped. ne
,, rentreront dans Tordre, c'est une chose fer-
,,mement arrêtée,, que lorsque la solde sera
„alignée pour totitle ngionde. — Il n'y at.p^s
„asse2 d'argent en caisse , repartit le généraL
„J'ai eu l'intention devons faire payei:, même
„de vos masses; j'ai envoyé un aide-de^amjii
^a iParis , il a vu les ministres , mais, on n!a pu
,ilui donner que quatre cent mille francs* C'*^3t
#,!cette somme, ainsi que celle qui existe *dé jk
^,dans la caisse du payeur, que je ferai répar*
^,tir entre les divers régiments^. — L'année
,,véut être payée, mon général. , — Je yous al
4,dit ce que j'avais à vous dire ; retirea-vdu?,
^,et rentrez au plus tôt dans Tordre. ..Si Ten*
^,nemi a malheureusement connaissance de ce
,,qui se passe ici, que deviendrea-vous ? — Oii
^,a tout prévu , mon général : un régiment dfe
„fcavalerie et douae pièces de canon sont partis
^,pour renforcer la division qui est au camp.
,J1 vous Qst facile de nous faire payer: et vous
,,avea tout a craindre de la part des soldats,, ai
,, d'ici a vingt-quatre heures ils ne sont pas sa-
,,tisfaits. — Que m'importe à moi, ce qùey6uâ
„^t vos soldats pouvea faire ! Je vous répèt*
• 21
322 Mémoires -,
^,oue vous n'aurex que les fonds qui^ous sont
,,de8tinés. Quelque chose qui puisse arriver,
i,n'espérex pas me contraindre a faire ce que
^mon devour me défend. — Général , les sol*
yydats peuvent vous conduire a la citadelle j|
t,ils peuvent même vous fusiller; nousrépon-
,idons d'eux maintenant^ mais si vous ne nous
,, faites J>as payer... — Je i^ai plus rien a vous
.9,diré 9 sortes^ de ches moi... oi vous me fusil-
,,lex 9 eh bien , je préfère la mort k la honte...
,,Vous êtes des ennemis de Tordre...; vous êtes
f^des instruments de U malveillance et d'une
«^conspiration que' vous ne connaisses pas...
,J/ennemi est peut-être d'accord... Je vous
y, rends responsables de tout cequi peut arriver...
, y Vous m'avez entendu, sortez!... Je rougis de
,,converser avec des rebelles."
„Ces mots de conspirations furent sur eux
une impression4;rës-*vive; ils se turent quelque
temps , ils se remirent néanmoins , et 1 un
d'eux répondit que s'il y avait parmi eux des
fens qui eussent des intentions cachées , ils
ignoraient ; que , pour eux , ils ne. voulaient
qu'être payés ; mais qu'ils voulaient 1 être , et
qu'ils allaient lui amener les autorités civiles,
afin qu'il donnât l'ordre de faire les fonds:
après quoi ils se retirèrent.
, ^Pendant que le conseil avisait aux moyens
d'assurer la tranquillité publique , et de faire
acquitter la solde arriérée , l'armée avait exé-
cuté divers mouvements ; elle avait fait des
marches, des contre-marches, toujours au pas
de course , sans proférer un mot , sans se per-
mettre une menace contre les officiers et les
générau:^ qu'elle avait mis.en arrestation. Ce
du général Rapp. * 323
«ilence , peu ordinaire aux militaires français,
avait quelque chose de sinistre dont'les habi<>
tants étaient épouvantés. Cependant les trour
pes s'étaient enfin calmées , mais elles ne com-
muniquaient pas avec les bourgeois ; elles re«
fusaient même de répondre a leurs questions.
Dans les rues, sur les places, on voyait se for-
mer des groupes qui se dispersaient après s'être*
jcommuniqué tout bas soit des ordres , soit des
* «vis. La ville entière était plongée dans une
sombre inquiétude: on se rappelait des éjpo-
ques funestes, on craignait de les voir renaître;
xmacun tremblait pour ses biens , pour sa vie
même. Jamais tableau plus elFrayant que celui
que présentait alors, cette immense eité«
„Le général en chef ayant appris que les
habitants avaient consenti à faire lés fonds né*
cessaires , et qu'ils donnaient a la frayeur ce
qu'ils avaient si long-temps refusé a ses prières,
envoya son chef d'état-major auprès des auto*
rites pour régler avec elles la répartition de
l'emprunt. Cet officier fut conduit a l'hôtel de
ville par un caporal et six hommes qui ne le
quittèrent pas. Il y termina ses comptes , • et
revint au palais sous la même escorte.
^Cependant les généraux et les chefs de
corps employaient tour a tour les menaces et
les prières pour ramener les mutins k leur de-
voir. Ces derniers, ^ui aimaient leurs supé-
rieurs I et qui n'auraient osé leur manquer en
face, usaient d'artifice pour échapper a Tas-
cendiant et aux représentations qu'il craignaient.
Lorsqu'un officier se portait d'un côté , on
avait soin de lui opposer en première ligne des
soldats d'une autre arme ; et pendant qu'il ha-
21.
324 Mémoires
rangiiak ceux-cî, les autres ;voei feraient paK
derrière. Si , malgré cette tactique , il parve-
nait a joindre un de ses subordonnés et lui
adressait des reproches: . „Môil mon officier,"
répondait l'autre avec une douceur hypocrite^
„je ne fais rien , je ne dis pas un mot/* Et
il se perdait aussitôt dans la foule. Les trou-
pes prirent bientôt une mesure générale pour
se délivrer de ces sollicitations importunes ^ el
tous ceux qui avaient un commandement iia*-
portant furent consignés chez eux.
^Cependant les alarmes des bourgeois ne
tardèrent pas a se calmer , la retraite fut bat-
tue long-temps avant la nuit ; et dèls cet in-
stant, les patrouilles se succédèrent sans in-
terruption. Plusieurs ordres du jour- furent
lus ;a chaque poster . Ils recommandaient la
tranquillité, lobéissance, et promettaient qu»
les paiements seraient elFectués dans les vingt-
quatre heures. Ltme de ces pièces était ainsi
conçue : „Tout va bien,- les haoitants financent,
„et les paiements sont commen^^és. Signée
„Garkison."
. „La ville eut ordre d'illuminer, afin qu'il
fût plus facile d'exercer une surveillance sévère.
„Les chefs secrets de l'insurrection n'avaient
pas tardé a s'apercevoir qu'une sagesse djésespé-
rante présidait a toiis les conseils, et que leur
but était manqué s'ils ne réussissaient a échauf-
fer de nouveau les esprits ^ et. a exciter cpiel-
que émeute dans laquelle le sang pût couler. .
„Ils firent donc , vers les cinq heures du
soir, arriver au galop sur la j>lace d'armes un
chasseur k cheval, annonçant quon venait
d'arrêter trois- fourgons cliargés d'or, appar-
9J
I
da général Rapp. 325
tenants au. général Rapp, cjui les faisait sortir
sous la protection des Autrichiens. ,,Ces trois,
^voitures/ ajoutait- il , ont' été conduites au
pont couvert, et voici le reçu que je porte
à notre commandant en chef. Il faut fasil-
,vler le général Rapp... c'est un traître... il'
^,iious a vendus a lennemi.'^
^Quelque échauffé que Ion fut encore, ce
discours produisit peu d'effet' Les troupes
maltraitaient leur chef jjour l'obliger h lever
des contributions , mais elles ne nourrissaient
aucun soupçon contre lui. Sa réputation
d'homme d'honneur restait intacte, et son
intégrité ne leur était pas plus sus]>ecte que,
son courage. Des provocations au meurtre si
ouvertes excitèrent la défiance , et les soldats
devinrent plus circonspects. Quelques uns
cependant semaient l'inquiétude et voulaient
qu'on s'assurât de sTa personne ;' mais l'armée
eut le bon esprit de repousser des sugges-
tions dont peut-être elle ne sentit pas d'abord
toute la perfidie.
,,Dès qu'un moyen échouait, les consi)ira*
teurs en tentaient un autre ^ et nef jiégligeaiént
rien pour faire verser le sang, persuadés que
e'il avait une fois coulé, il serait facile de
ie faire couler encore. Le cocher du général
conduisait du palais aux écuries un chariot
chargé de paille. Les factionnaires firent quel-
ques difficultés de le laisser passer: il sortit .
cependant ; mais k peine était-il dehors que
-des malveillants crient à la trahison, et pré-
tendent que , sous prétexte de transporter de
la paille, on enlève la caisse militaire. Aussi-
tôt la multitude se jette sur la voiture et la
32& Mémoires
décharge pour la mieux fouillar. On nt
^ouve rien ; on- la recharge^ en exigeant nëan»
moins qu'elle rentre: les chevaux effirayés
prennent la course et renversent un enfant.
A ^tte vue la fureur redouble,, on force
les gardes, on se précipite en tumulte dans
la cour du palais, on saisit le cocher, et on
le massacre sans pitié entre les mains d'un
officier accouru pour le défendre. Le désor^
dre ne ' devait sûrement pas se borner a la
mort d'un domestique; mais des groupes de
soldats survinrent, forcèrent les pdns empor-^
tés de se contenir, et le coup fut encore
manqué.
„Toutes les tentatives pour faire égorg«
le général Bapp par la main de ses troupes
ayant échoué, on eut recours aux voies or-
dinaires de l'assassinat. Dès que la nuit fut
avancée, une foule d'individus se succédé-
rent l'un k l'autre, et usèrent de violence
Sour s'introduire dans sa chambre k coueheré
[ais les aides-de-camp et quelques ofEciess
en défendirent l'entrée avec courage, et pré*
'^ervèrent leur chef de toute insulte.
^ „Au milieu de cette effervescence, une
circonstance vint tout a coup refroidir les
soldats, et contribua a les faire rentrer dans
l'ordre. La ligne ennemie resserra ses can*
tonnements au moment même où l'insurrec-
tion éclatait, et reçut aussitôt des renforts
considérables. Cette concordance des mesu*
res prises par les Autrichiens avec un événe-
ment qu'ils ne devaient pas encore connaître,
donna beaucoup a penser : aussi la division
du dehors doubla de suite ses grand-gardes;
\ -
du général Rapp. 327
d« nouvelles troupes et . de lutillerie aecduru«
rent de la place.
„L'enneini intimidé n'osa rien entrepren-
dre. Peut-être aussi attendait-il le résultat
des machinations qu'il avait ourdies danft Stras-
bourg; peut-être craignait-il de se compro-
mettre avec. une armée d'autant plus redou-
table quelle s'était imposé l'obligation de\
vaincre, -^et quelle contmuait, ]>our tout ce
qui était relatif aux dispositions militaires , \
recevoir les ordres du' général Rottembourg,
dont les Autrichiens avaient plus d'une fois,
dans cette' campagne , éprouvé' la valeur et
rhabileté. I/eniiemi resta donc en position,
et semblait attendre que le moment favora-
ble fi^t venu. De son côté , la troupe se tint
en garde contre les écarts où on voulait la
Î'eter, et poursuivit ayec calme et constance
e but unique qu'elle s'était proposé, l'acquit-
tement de la solde arriérée.
„Le général Garnison redoublait de vigi-
lance pour maintenir la, tranquillité publique,*
et sortait fréquemment suivi de son état-major> ,
tous en costume de sergents et à cheval , pour
s'assurer de l'exécution de ses ordres. Dès qu'il
larraissait, les tambours battaient au camp,
es postes prenaient les armes et lui rendaient
tous les honneurs dus a un commandant en
chef. Ainsi Strasbourg présentait l'image de
Tordre le plus parfait au hiilieu du désordre»
et la discipline la plus sévère régnait au
milieu d'une armée en révolte.
jjL'emjirunt ayant été réalisé, les officiers-
payeurs, suivant l'ordre numérique de leur
régiment, furent^ conduits àous bonne escorte
{
329 ' Mëmoires
chex le paj^eur-généraly où ik touchèrent les
sommes nëcessaures pour mettre au courant
La solde de leurs corps. Mais il leur fut
enjoint de n'effectuer les paiements indivir
duels que lorsque tous les régiments auraient
touché ce qui leur était dû. Ainsi se passif
le premier jour: il y «ut moins d'agitation
dans le second. On essaya encore daccrédi«>
ter parmi la troupe quelques bruits propres
h la soulever; mais elle y fit peu d'attention.
Yers le soir , la consigne du palais devint
moins sévère; les aides-de-camp eurent la
permission de* sortir sous escorte. Un pdio^^
ton de grenadiers était chargé de les conduire
où ils voulaient, et de les ramener,
^Pendant la nuit , les postes furent tous
renouvelés. Des individus en costume"^ de
sous-officiers se présentèrent encore ]>our péné-
trer çhex le général^ et s'assurer , disaient-ils,
s'il ne s'était pas év^adé. Les altercations entre
eux et lés officiers de l'état-major furent
Elus vives que jamais; ceux-ci néanmoins
nirent par remporter. Enfin la répartition
des fonds fut achevée vers les neuf heures du
matin. Aussitôt la générale se fit entendre:
l'armée se rassembla » retira ses postes , leva le
MOge 4^ palais , et se rendit sur la place d'arô-
mes. Le général Garnison, accompagné de
tout son état-major , fit mettre les troupes en
bataille , et leur adressa la proclamation suir
vante. Nous la rapportons textuellement.
^ySoidats de ï armée du Rhin y
„La démarche hardie qui vient d'étr« faite
»"
9,<
du gén&itl Rapp, 359
/,païr vos soiis-ofnciers pour vous faire rendre
,, justice, et le parfait paiement de votre solde,
,,les ont compromis envers les autorités civi-r
- „les et militaires. C'est dans votre bonne con-
„duite , votre résignation et votre excellente
, discipline, qu'il espèrent trouver leur salut;
,et celle que vous avea gardée jusqu'à ce jour
„en est le sûr garant, et ils en espèrent la con*
„tinuation.
,ySoldats,les officiers-pajeurs ont entre leurs
„mains tout cequi vous est dû; la garnison ren-
,-,trera a sa première place; les postes resteront
^jusqu'à ce que le général en chef ait donné
,,drf8 ordres en conséquence. Sitôt la rentrée,
„les sergents-major et maréchaux-des-logis se
„rendront chex leurs officiers-payeurs, et pren-
„dront note , avant de solder la troupe, de MM.
„le8 colonels , afin d exercer \k retenue de ciui
„de droit. L'infanterie doit être licenoiée, elle
^, prendra des ordres supérieurs ; et la cavalerie,
„n'ayant encore aucun ordre, attendra s>on sort,
„afin de rendr^^au moins , avant de partir, che^
„vaux, armes, et tout ce qui appartient au
»?gPUvernement; afin que l'on puisse dire: Ils
„sont Français, ils ont servi avec honneur, ils
„se sont fait payer de ce qui leur était dû , et
„se sont soumis aux ordres du roi, avec ce beau
„titre de l'armée dw Rhin,
nPar ordre de t armée du Rhin.'^
„Le sergent-général, après avoir prononcé
ce discours , que l'armée écouta en silence, fit
défiler devant lui les deux divisions d'infante-
rie , la cavalerie et l'artillerie, et alla en "grande
330 Mémoires
poxnp6 arborer a la préfecUire et \ la mairie
des drapeaux blancs faits par son ordre. Les
troupes se rendirent .ensuite aux casernes , et
rentrèrent sous lautorite de leurs officiers res-
pectifs.
^.Aussitôt que la liberté leur fut rendue, les
généraux , les colonels et officiers supérieurs
s'emj>ressèrent de se rendre chez le comte
Rapp , pour lui témoigner la douleur qu'ils
avaient eue de voir Tarmée méconnaître ainsi
le frein de la discipline. Ils firent même im-
primer, contre les mouvements séditieux aux-
quels on s'était livré, une protestation qu'ils
signèrent tous , et qui contenait dea choses très
flatteuses pour le général eq chef.
„Deux jours après , on déposa les armes a
l'arsenal, et tous les corps furerlt licenciés. Da-
lousi, comme chef de révolte, avait encouru
la peine ^capitale; mais on lui fit grâce en faveur
du bon ordre qu'il avait maintenu au milieu
de l'insurrection *)."
^ L'armée était dissoute, mon commandement
expiré, rien ne me retenait plus en Alsace. Mais
les bonnes âmes du faubourg Saint-Germain
avaient imaginé que nous étions un sujet d'ef-
froi pour l'Europe. Sur le champ de bataille,
je ][e crois, et les alliés n'en disconvenaient pas.
Ailleurs! c'était trop présumer de nous. En
f|it de trames et de comj^lots ce n'est pas nous
3ui méritions la palme. J'allai néanmoins au-
evant de celle qu'on voulait me décerner. J'é-
^ Préeiê des opêrcUionê des armées du Rhin et da
ifara en. 1815. - .
1
du général Rapp, 331
crivis au roi ; je «l'essajai pas de lui àémx^
ser. mes sentiments. Si j'avais pu jeter dans
le Rhin la coalition ttiut entière, ]e l'aurais^
fait, je ne m'en cachais pas. Ma lettre était
ainsi conçue :
yySire ,
„ Je ne cherche pqint a justifier ma conduite.
^Yôtre majesté sait que mon inclination et
9, mon éducation militaire m'ont toujours porté
,,a défendre le territoire français contre toute
y,agression étrangère ; je ne pouvais surtout
«yhésiter a oiSrir mon sang pour la défense de
y^rAlsace, qui m'a vu
,,.Si j'ai conservé 1'
„je désure finir ma carrière dahs ma patrie^
,,s'il en était autrement , je serais le premier
^a demander d'aller passer mes jours chea Té*
tytranger; je ne saurais vivre dans mon pays
,,8ans l'estune de mon souverain.
,, Je ne demande que cela ^ et n'ai besoin
,,que de cela."
naître.
jy^i j'ai conservé l'estime de votre, majesté.
Cette lettre ne fut pas inutile. Des signes
d'intérêt échappés au monarqye continrent la
malveillance. Je passai quelques mois a Paris
sans, être inquiété ; mais l'émigration avait
envahi les chambres et rugissait a la tribune^
Les vociférations contre ce que la France pos*
sède d'hommes distingués par leur talent et
leur courage me donnèrent tant de dégoût
cfue je m'éloignai. Je me retirai en Suisse,
où du moins l'aristocratie ne présentait pas
le scandale des fureurs du jour k cdté ues
3S2 Memoireê
ài^ la reill^. L'ordonnance du 5 sep-
tembre fut rendue quelque temps* après : ^e
Mviils a .Paris , où je vis tranquille au sein
de ma fkmille , et où j ai trouyë un bonheur
, qui jusque-la m'était inconnu.
Ici finissent les Mémoires. Nous n'ajoute-
yons que quelques mots.
. Devenu membre de la chambre dès pairs,
lé général fut appelé auprès du chef de létat.-
Cette, faveur ne le rendit pas infidèle k se»
souvenirs! Tant d'immortelles journées étaient
trop profondément gravées dans son âme! Il
ne pouvait oublier nos victoires , celui qui
les avait préparées , ceux qui les avaient ob-
tenues. Il y avait souvent pris une part si glo-
rieuse! le courage ne se cieshérite pas. Aussi
les braves que poursuivaient des hommes qui
s'étaient éclipsés devant eux sur le .champ de
bataille trpuvèrent-ils toujours dans le général
tm protecteur dévoué. Sa bourse, son crédit,
leur étaient ouverts. Jamais il ne rebuta l'in-
fortune. Ceux mêmes qui n'avaient auprès de
lui auciin des droits que donne le drapeau
{participaient a ses bienfaits i II suffisait qu'ils
ùssent dans le besoin. Le malheur était quel-
que chose de sacré k ses yeux.
L'inaction dans laquelle il était tout k coup
^ombé, après une vie d'alarmes et de fatigues,
ivait achevé l'oavrage des blessures dont 41
. •
du générai Happ. S33
était couvert* Sa santé s'était évanouie J bientôt
ucha au terme que lui avait assigné la na-
• n envisagea la mort sans émotion, se
ilto
ture
mille et pour la France.
f^
PIECES JUSTIFICATIVES.
Lettre du général Rapp au duc de Wurtemberg.
Dn i4 Jnîn*
M. le colonel Richement m*a communiqué la lettre
dont Totre altesse royale Ta honoré le... de ce mois.
Xai TU ayec peine que les propositions ^ès concilian-
tes faites, en mon nom, par M. Richement^ n ont
point été admises et que des discussions se sont
entamées sur des points qui me semblaient ne dcToir
donner lieu à aucun débat.
En général, je dpis faire observer à votre altesse
royale que Tarmistice n a pas été demandé par Tem-
pereur Napoléon , ce qui suppose que tous les arti-
cles doivent être entendus à Tayantage de Tannée
française; mais puisque Ton méconnaît les intentions
du traité, je ne yois d autre moyen pour remplir le
but de yotre altesse royale et le mien, que de lui
proposer de laisser , quant aux limites, les choses dans
rétat où elles sont, et dmformer les commissaires
nommés par Tarticle 9 et 12 de Tarmistice, des dif-
ficultés qui se sont éleyées ici sur fexécutidn de far»
ticle 6. Je* prie donc yotre altesse de nommer, con-
jointement avec moi, deux officiers qui seront chargée
de se rendre auprès de ces commissaires, et qui rap.
536 Mémoires
porteront bientôt la solution que nous deyons at-
tendre.
Je consens pareillement à ce que larticle relatif
aux sul)sistances ne soit réglé que proyisoirémentj
c'est-à-dire que si yotre altesse royale ne youlait pas
prendre sur elle de faire livrer trente mille rations de
vivres à compter du jour de larmistîce^ ainsi quelles
me sont nécessaires d'après Tétat de la garnison, lé
colonel Bichemont pourra régler avec MM. les com-
missaires russes, les quantités qui devront nous être
fournies, a valoir sur ce qui sera définitivement réglé
par les commissaires de larmistice , auxquels on en
référera comme pour Tarticle des limites.
Xi'of&cier qui a apporté laimistice aurait pu se
cbarger de faire connaître au cpiartier-général impé-
rial les discussions qui se sont élevées , si ses instruc-
tions ne Tobligeaient à retarder son départ Jusqu'après
la première distribution qui doit être faite à la gar-
nison par les soins du général commandant le blocus.
. J^aurâis beaucoup désiré qu'on s'entendît pour l'exé-
cution., du traité, car j'ai lieu de craindre que Ton
ne tire du retard de cet of&cier des inductions (a-
eheuseis sur la bonne intelligence que larmistice sup-
pose entre nous, ce dont j'aurais été d'autant plus
contrarié qu'il me semble que votre altesse aurait pu
accéder aux propositions du colonel Ricbemont; ce
que j'aurais très - certainement fait en sa place , sans
pour cela craindre aucun reprocbe de mon souverain.
Signéf Comté Rapp;
RÉ-
^ du général Rapp^ 537
Réponse.
Sulmîn , le i5 juin i8i3,
•
J'aî reçu la lettre que votre excellence m'a fait
rhonneur de m'écrire en date du 14 jtiin, et je dois
lui ayouer avec franchise que je ne puis trop m'eipH«
quer les motifs des mésentendus qui existent relative^
ment à Vexccution littérale des articles ue la trêve.
Ce traité ayant déterminé des bases fixes pour éTiter
tout sujet de contestation , il me semble quil se^it
infiniment plus simple et plus naturel de s'y tenir eh^
tié'rement. J^ayoue a yotre excellence que c'est ayec
une véritable peine que je consens à m'en écarter
d'après sa proposition. Il me semble que, par cet ar»
rangement qu'elle désire , nous outre '- passons d'une
certaine manière tous deux nos pouvoirs* , et qu'il vau-
drait beaucoup mieux ^e régler entre nous le rayon
de n,eutralité d'après le sens littéral de l'armistice*
Cependant, pour éviteAoutes discussions ultérieures,
je consens, d'après sa proposition , de laisser les choses
sur le pied actuel ; j'ordonnerai même aux chefs de
mes avant-postes de s'entendre avec les vôtres pour
faire quelques arrang^aènts qui pourront lui être
agréables relativement à m es •vedettes etàmes piquets^
pour empêcher toute collision entre nos troupes lé-
gères* . '
Pour ce qui concerne Tarticle des. subsistances, la
commission rassemblée à cet effet a déjà commencé
ses séances , et j'espère que M. le colonel Richemont
sera bientôt en état de pouvoir lui annoncer que cet
article a été définitivement réglé.
22
558 Mémoires ^
Quant à ce qui regarde4e8 deux officiers que yotre
excellence voudrait envoyer auprès des commissaires
destinés à régler définitivement toutes les difficultés
qui paraissent naître relativement aux stipulations de
la trêve, je dois vous observer, monsieur le comte,
que je nai point le pouvoir de leur accorder les passe*,
ports nécessaires: larticle des subsistances qui sera
réglé incessangnent permettra, dans peu de jours, a
M. le capitaine Planât de se chi^i^er de cette com-
mission.
» Veuillez tous persuader au reste, mon général,
qu accoutumé, depuis yingt-cinq ans de, service, à
remplir avec une parfaite exactitude les ordres de
mon souverain, j'aurais agi dune manière bien diffé-
rente si j avais consenti aux propositions qui m*ont
été faites par M, le colonel Richement, et qui s'écar-
taient si essentiellement des articles dune trêve dont
les expressions simples et natùelles ne laissent aucune
latitude à la moindre discussion.
VotrjB excellence me trouvera au reste toujours prêt
â faire tout ce qui pourra lui être agréable et qui s ac
cordera; avec mes devoirs. Je saisirai de même ^ avec
empressement tontes les occasions où je pourrai la
convaincre que rien n'égale la très-haute considération
avec laquelle j ai l'honneur d'être, etc. ..
Signe y ÀLexANDRs, duc de Wurtemberg.
t
•^■^-^•^m
du gérféral Rapp.
339
Lettre du duc de Wurtemberg à sqtï excellence
le comte Rapp^
De mon quarjder-général^ le 12 juillet i8i3,
(Arrivée le 14^ quoique le duc ne fî(kt Cfo^h % lieuet deDantxic»)
Général,
Un courrier, qui vient de m'arriver du c[Uartier-
général,' m'apporte l'ordre de suspendre le« fournitu-
res cpii ont été faites jusqu'ici à la garnison de Dant^ic.
Le corps de To|ontaîres qui se trouvait sous les ordres
du major prussien Lutzow ayant été attaqué, pendant
la durée de là trêve, sans le moindre motif, on m'an*
nonce que c'est la raison qui a causé cette détermi^
nation , qui doit avoir son cours jusqu'au moment où
cette affaire sera réglée définitivement.
En communiquant les ordres que j ai reçus à votre
excellence, je la préviens en même temps que cette
affaire, qui sera probablement bientôt réglée, ne
change cependant point les autres articles de la trévCi
qui doit subsister dans toute sa teneur.
J'ai l'honneur, etc.
Signé, ÀMXANDBB, duc de Wurtemberg,
général de cavalerie.
22
340 Mémoires
*
Réponse.
DantzîCy le i4 juillet i8i3.
Monsieur le duc,
Depuis les arrangements convenus entre- nous par
suite de Tarmistice, fài tu ayec beaucoup de peine
que TOtre altesse^ royale ne les remplissait pas avec
l'exactitude qn exigent de pareilles conventions.
J'ai aperçu^ dans le retard de toutes les livraisons^
une gueri*e sourde ^i détruisait par le fait Fesprit
de l-armistice* Malgré mes continuelles réclamations,
on' a laissé arriérer une grande partie des fournitures;
vous n avez pas même acquitté le 'courant , et c'est
' dans cet état de choses que je reçois , aujourd'hui 14,
la lettre de .votre, altesse , en date. du la juillet, qui
me. prévient quelle a ordre de suspendre les fourni-
tures. Cefte cessation a* effectivement ^ieu depuis qua-
tre jours, c'est-à-dire depuis le 10; et comme notre
correspondance peut nous parvenir en deux heures,
je ne cacherai point à votre altesse avec quels senti-
ments je 'dois apprécier ta différence de la date et ^e
l'arrivée dé votre dépêche.
Les conditions d*un armistice, monsieur le duc
lient également les deux parties; et dés que Tune
d'entre elles se permet d'en annuler une des clauses
prûicipales et des plus' essentieUes , l'armistice est dés
lors rompu, et elle se met en état de guerre contre
l'autre : et c'est ainsi que je considère , dés à présent^
la déclaration que vous me faites; et quoique votre
altesse ' m'annonce que les autres articles de la trêve
subsisteront,^ elle sentira que je ne puis recevoir de
]
du général Rapp.
341
pareilles* modifications que par les ordres de * mon
souyérâin. H ne me reste donc 'plus ^'à la prier de
me faire savoir si les six jours qui doivent précéder
la reprise des hostilités courront du 12& à une heure
du matin, ou du i4 à midi.
*
, Il
Je dois lui déclarer , au surplus , que je la rends
responsable de la rupture d*un armistice conclu entre
nos souverains , et que je ne puis entendre à aucune
explication évasive qu'après la réception de tous les
yivres qui me sont dûs.
Signé ^ comte Bafp.
Lettre du duc de\fVurteTnberg au général comte
Rapp.
De moD quartier-général, le i5 juillet i8i3.
Je viens d^ recevoir la lettre que vous m'avez écrite» '
et je ne puis dissimuler à votre ei^eellence que j'ai été
plus, que surpris de son contenu. ^
II' sei*ait absolument inutile de répeter encore a
votre excellence ce que MM. les généraux Borosidih
et Jelebtzow n'ont pas manqué de lui' observer â-plu-
sieurs reprises, c'est-à-dire que les retards momen-
tanés qu'a éprouvés la garnison de Dantzic dans son
ravitaillement n'ont été occasionés que parce que
rar|angement proposé et damandé par votre excel-
lence, de faire acheter des vivres par ses propres
commissaires, a été changé subitement, ce qui n'a^pas
342 . Mémoires
vunMpié de produire les plus grands embarras, les
commissaires prussiens s*étant excusés sur le dénû^
ment total des proTÎaces Umitropbe^ de Dantzic, qui
•ont déjà chargées depuis si long-temps de lapprovi-
sionnement de mes troupes. Si , comme je Tayais déjà
demandé plusieurs fois , il y ayait eu ici, à mon quar-
tier - général, conformeraient aux stipulations de la
trêve, un commissaire français en permanence, il au-
rait pu se conyaincre lui-même de Fembarras extrême
qu^ont eu les commissaires prussiens pour se procurer
les' charrois et les yivres nécessaires pour le ravitail-
lement de la place de Dantzic , et pour Fentretien de
mes propres troupes, de manière que ce nest point
Tarmée formant le blocus qui a mis des entrayes.-att ra«
vitaillement de la place de Dantzic. Au reste , ce n est
qu*à mon souverain, Tauguste empereur Alexandre,
auquel je dois rendre compte de mes actions.
Je viens maintenant à un article beaucoup plus im-
portant, puisqu'il pei^t ayoir des suites très -consé-
quentes 5 car il parait , d*aprés la lettre de yotre excel-
lence, quelle est décidée à recommencer les hostilités
de son chef, tandis . que les places de Stettin et de
Custrin sont aussi privées momentanément, comme
Dantzic 9 des fournitures stipulées dans Tarmistice.
J>spére au reste quelle fera de mûres réflexions sur
ce qu'elle entreprendra ; et c est moi qui la rends res-
ponsable de toutes les démarches qu^elle fera , et qui
pourraient eihpêcher les puissances belligérantes de
se rapprocher. ;
^ Je lui, envoie ci-joint la copie exacte de la lettre
que j'ai reçue de M. le commandant en chef de toutes
du général Rapp, 343
.-X
les armées, Barclay de ToUj; elle Terra que bien
loin c[u'il soit question de recommencer les hostilités^
cela m'est expressément interdit.
Si, malgi'é toutes mes observations, momsienr le gé-
néral, dont au reste j*ai prîs acte devant mes géné-
raux, commandants de corps, tous ne jugiez pas â
propos d'attendre patiemment que Taffaire de la légion
de Lutzow, qui a causé la suspension momentanée du
raTitaiilemeut de Dantzic^ dont les arrérages au reste
ne sont que suspendus, et des autres forteresses, soit
réglée à Tamiable , et que vous m attaquiez, je tous
' prouverai que mes braves Russes ne craignent les me-
naces de personne , et qu ils sont au Ireste prêts à ver-
ser leur sang pour la cause de tous les souverains et '
de tous les peuples. ^
Signé f Albxaudrb, duc de Wurtemberg*
Réponse.^
Danuic, le 16 juillet i8i5.
J*ai reçu la lettre que votre altesse royale ma fait
rhonneur de m'écrire, le 1 5 de cé-mbis. Je ne revien-
drai pas sur les diverses observations quelle me fait
sur la non-exécution des conditions de Tarmistice,
reUtivement aux vivres ; elles^ ont été Constamment
reproduites et toujours victorieuseinent refutées, et
ne présentent rien de nouveau. Le général Heudelet,
que j ai envoyé à la cbnférence demandée par M. le
N
344 Mémoires
générai Borodsin ,< a fait connaître de ma part les seuls
moyens d^arrangement proyisoire ^[ui pouyaient encore
avoir lieu entre nous«
•Dans une lettre du 149 j'ai prié yotre altesse royale
de me ftxer à quelle époque devaient commencer les
six jours entre la rupturp et la reprise des hostilités;
je n ai pas eu de réponse positive. Je dois donc la pré-
venir que la lettre de votre altesse royale dujs ne
m*étânt parvenue que le 14 à midi, et ne pouvant
considérei^ son refu^ positif et officiel de continuer
les fournitures que comme une rupture de farmistioe,
les hostilités recommenceront le 20; je dois cette dé-
termination à rempereur et à rhônneur de mon^ corps
d*armée. Six coups de canon tirés des divers forts
de Dantzic, à midi, ne laisseront aucun doute à ce
sujet. " *
Je prie votre altesse royale de ne pas considérer
comme une menace Tobligation^ où je me suis trouvé
dlnterpréter la violation d'un des articles du traité
commf^ une déclaration formelle qui annulle farmis-
tice ; je connais les braves troupes russes , qi^e j*ai sou-
vent combattues, et je sais quelles sont dignes d'être
opposées aux nôtres*
Ma lettre serait finie ,' monseigneur, si je n étais
dans Tobligation de faire remarquer à votre altesse
royale, relativement à quelques expressioiis' de' sa-
lettre du i5, que je ne dois ég^ei&ent compte quà
mon souverain de mes déterminations ; que , quant à
jce que votre altesse appelle la cause de tous lès sou-
verains et de tous les peuples, ces phrases sonf bien
extraordinaires dans ^la lettre dun prince qui* sait
mieux, que personne que femperenr Al\3!]Landre , . son
souvera^, a été- engagé pendant cinq ans dans notre
du général Rapp^ 345
alliance contre le despotisme d*ane paissanoe mari*
time qui voudrait avoir tout le continent pour tri-
butaire , et que son auguste frère , le roi de Wurtem-
berg, a été depuis long -temps lun des plus fermes
soutiens de cette même cause^ *
' Signé y Comte Rapp.
Lettre du duc de fVurtemberg au général Rapp.
De mon quartier-général, le 17 juillet 18 13.
Monsieur le général,
•
Je n^aurab plus riex^ à ajouter à la lettre que j*ai
écrite à votre excellence en date du i5 juillet ^ si la
guêtre formelle qu^elIe me déclare comme de puissance
à puissance ne m'obligeait de faire encore quelques re-
marques essentielles, ayant le commencement des hos-
tilités quelle "va entreprendre.
Je lui observerai donc, quoiqu il me soit absoliunent
impossible d'accepteip officiellement la déclaration
quelle va recommencer les hostilités, et en vous ren-
dant ^encore une fois responsable, mon général, de
toutes les suites que produira cet événement, que si,
malgré mes observations , vous persistiez cependant
dans uite détermination qui , à ce que je crois , ne sera
pas même v^pprouvée par Tempereur Napoléon, que
le tesme de la rupture que Vous fixez- au 20 juillet à
midi est. contraire : aux ai'ticles 2 et 3 de Tarmistice,
puisqu après le 20 juillet, le terme de fexpiration de
346 Mémoires
lâ tréye, les hostilités ne pourront cependant recom-
taencer , d'après Tarticle 9 , . que six jours après le 20
juillet, ce qui nous mènerait donc au 26 de ce mois;
et il serait vraiment jsxtraprdinaife que nous fussions
les deux seuls chefs de corps *sur le théâtre de la
guerre qui recommençassent les hostilités.
Je suis convaincu qu'avec un peu de patience nous
aurons bientôt la nouvelle que les affaires des cabi»
nets prennent une autre tournure. Quel serait alors le
regret de votre excellence si , par une trop grande pré-
cipitation, il pourrait diD nouveau naître des embar-
ras entre les cours, dont la mienne, au reste; na au-
cun reproche à se faire',) puisqu'il était bien naturel
qu'elle usât momentanément de représailles après
avoir appris la destruction du corps de Lutzow au
mkieu de farmistice, les honune ne pouvant point
renaître, au lieu quil sera très -possible de fournir à
la garnison de Dantzic les ravitaillements arriérés.
Je finis ma lettre, mon général, forcé de tous faire
quelques observations sur les dernières phrases de la
vôtre, qui m*ont paru extrêmement étranges. L^u*
rope entière , et. j*ose dire la France même , connaît
parfaitement les raisons qui ont causé la rupture de
la paix signée à Tilsit. Elle connaît de même aussi le
ton dictatoiial dont' s*est servi fambassadeur comte
Lanrtston au sein de la capitale de Pierre -le «Grand.
L*auguste empereur Alexandre a dû appeler, à cette
audace extrême, à son glaive; il a dû s'entourer de
ses preux , ouvrir les églises saintes , et se confier au
peuple i^néi*eux et fidèle qui lui a prouvé ce que
peut linè nation heureuse dans ses guérets, mais qui
n a pas* balancé un instant de s'armer pour la défense
de son honneur et de son souverain.
du général Rapp..
347
Pour ce qui concerne mon frère, le roî de Wur-
temberg, que YOtre .excellence appelle un des plus
fermes soutiens de la cause qu'elle défend , je puis
assurer votre excellence qu un général en chef russe
ne se croit point inférieur en aucune manière a un
roi de la confédération, puisqu'il ne dépend que de
Tempereur Alexandre de m'élever à cette dignité, s'il
le juge à propos, et alors je serai roi comme un autre :
jy mettrai cependant une petite condition, c'est que
ce ne soit point aux dépens d'aucune puissance, ni
de personne.
Signé ^ Alexandre, duc de Wurtemberg,
» _
348 Mémoires
CAPITULATION.
DE LA PLACE DB DANTZIC.
■i*a
Capitulation ' de la plac^ âe Da«tei€ , sous con-
ditions spéciales, conclue entre leurs excellences)
M. le lieutenant - général Borozdin ; M. le général-
major Welljaminoff, en fonction île chef de Tétat-
major; et MM. les colonels du génie Manfredi et
Pullet; chargés de pleins pouvoirs de son altesse royale
monseigneur le duc de Wurtemberg, commandant en
chef les troupes, formant le siège de Dantzid, d'une
part:
■
Et leurs excellences M. le comte Heudelet, gé-
néral de division^ M. le général de brigade d^jEIéri-
court, chef de fétat-majôr; et M. le colonel Riche-
mont; également chargés de pleins pouvoirs *3e son
excellence le comte Bapp, àide-de-champ de Fempe-
reur, commandant en chef ^i dixième corps d'arméci
gouyemeur-général, d'autre part:
ARTICLE PREMIER.
Les troiipes formant la garnison de Dantzic, des
forts et redoutes y . appartenants , sortiront de la ville
ayec armes et bagages, le lev janvier 1&149 â dix heures
du matin par la porte d'Oliwa, et 'poseront les armes
devant la batterie Gottes-Engel , si à cette époqpne
la garnison^ de Dantzic n est point débloquée par
un corps Jarmée éq[.uiYalént àf la force de Tarmée
assiégeante, ou si un traité ^conclu entre les puis-
N
du général Rapp.
349
sances belligérantes n*a pas fixé à cette époque le
sort de la Tille de Dantzic. MM. leis officiers con-
seryeroBt leurs épées, en égard à la vigoureuse dé-
fense et à la conduite distinguée de la garnison/ Le
peloton de la garde impériale, et un bataillon de six
cents bommes , conserveront leurs armes , et ils pren-
dront avec eux deux pièces de six, ainsi que les
chariots de munition y appartenants. Vingt -cinq ca-
valiers conserveront de même leurs chevaux ef leurs
armes.
ARTICLE II.
Les forts de Weichselmunde , le Holm, et les ou-
vrages intermédiaires, ainsi que les clefs de la porte
extérieure d'Oliwa, seront remis à Farmée combinée
dans la matinée du 24 décembre i8i3,
4
ARTICLE III.
D^abord après la signature de la présente capitula-
tion , le fort Lacoste , celui de Neufahnvasser avec ses
dépendances , et fa rive gauche de la Yistule jusqu â
la hauteur de la redoute Gudin, et à partir de ce~den.
nier ouvrage la ligne des re.'outes qui se trouvent sur
le Z^angenberg , ainsi que la Mowenkrugschantz , se-
ront remis dans leur état actuel, sans aucune détério-
ration , entre les mains de Tarmée assiégeante ; le pont
qui réunit présentement la tête du pont de Fahrwasser
avec le fort de Weichselmunde, sera reculé et placé à
Fembouchure de la Yistule, entre Neufahrwasser et
^ \ '
la Mowenhrugsohautz.
350 Mémoires ■
ARTICLE IV.
•
lia garnison de Dantzic sera prisonnière dé guerre
et sera conduite en France. Monsieur le gouyemeur
comte Bapp, s^engage formellement a ce que ni les
officiers ni les soldats ne servent, jusqua leur parfait
(échange , contre aucune des puissances qui se trouvent
en guerre contre la France. Il sera dressé up contrôle
exact jdes noms de tous messieurs les généraux, offi-
ciers, /ainsi que des soùs- officiers et soldats, compo-
sant la garnison de Dantzic, sans exception quelcon-
,rque. Cette liste sera double; chacun de messieurs les
généraux et officiers signera la promesse et donnera
«a paif'ole d'I^onneur de ne point servir ni contre la
Russie ni contre ses alliés, jusqua leur parfait échange.
On fera de même un contrôle exact dé tous les sol-
dats qui se trouvent sous les armes, et un autre de
ceux qui sont ou blessés ou malades.
ARTICLE V.
I
Monsieur le gouremeur, comte Bapp, s^eogage de
faire accélérer autant que possible l'échange des in-
dividus formant la garnison de Dftntzic, grade pour
grade , contre un nombre égal de prisonniers appar-
tenants *aux puissances coalisées. Mais si, contre toute
attente,, cet échange ne pouvait avoir lieu à défaut du
nbm)3re nécessaire de prisonniers russes, autrichiens^
prussiens, ou autres, appartenants aux cours alliées
contre la France, ou si lesdites cours 7 mettaient
qu^que obstacle, alors au bput d^un an et d*un jour, à
dater du ler janyier mil huit cent quatorze, nouveau
style, les individus formant la garnison de Dantzic,
seront déchargés de fobligation formelle contractée
« ^
du général Rapp. 3&1
dans r^rticle lY de la présente capitulation, et pour-
ront être employés de nouveau par leur, gonremementi
ARTICLE VI.
Les troupes polonaises et autres appartenantes à la
gaiiiison auront une pleine et entière liberté de suivre
le sort de Tannée française, et dans ce cas seront ti^ai-
tées de la même manière, excepté celles de ces troupes
dont les souverains seraient alliés avec les puissances
coalisées contre sa majesté Fempereur Napoléon ^ les-
quelles seront acheminées sur les états ou les armées'
de leurs souverains , suivant les .ordres qu elles en
recevront , et qu elles enverront chercher par des offi-
ciers ou courriers aussitôt après la signature du pré-
sent. Messieurs les pffîfiers polonais et autres donner
ront chacun leur parole d'honneur par écrit , de ne .
pas servir contre les puissances alliées, jusquà leur
parfait échange, conformément à Texplication donnée
par larticle V.
ARTICLE VIL
Tons les prisonniers, de quelque natiouiquils soient,
qui appartiennent aux puissances en guerre contre 1«
France , et qui se trouvent présentement à DanISsiCf
seront remis en liberté et sans échange, et envoyés
aux avant-postes russes par la porte Peters-Hagen, le
matin du 12 décembre 18 13.
ARTICLE VlII.
Les malades et les blessés appartenants à la garnison
seront traités de la même manière et avec les mêmes
soins que ceux des puissances alliées^ ik seront en-
352 Mémoires
yojés en France après leur parfait rétablissement, sous
les mêmes conditions que le reste des troupes fonàant
la garnison de Dantzic. , Un commissaire des guerres
et des officiers de santé seront laissés auprès de ces
malades pour les soigner et réclamer ^ur éyacaation.
Article ix.
^ D*abord qu*un certain nombre d 'individus apparte-
nants aux troupes des puissances, coalisées aura été
échangé contre un nombre égal d'indiridus appaiiie-
'nants à la garnison de Dantzic, alors ces derniers peu-
yent se regarder icomms libres de leur engagement
précédent , contracté formellement dans larticle lY
de la présente capitulation.* . --
ARTICLE X.
m
Les troupes de la garnison de Dantzic , à Téxcep-
tîon*de celles qui, aux termes de Tarticle VI, recevront
les ordres de leurs souverains, marcheront par jour-
nées d'étape en quatre colonnes , et à deux jours de
distance lune de Tautre, et d'après la marche -route
ci-jointe, et seront escortées jusqu'aux ayant -postes
de l'armée français^. Les fournitures pour la garnison
de Dantzic se fei'ont en marche , conformément à l'état
ci-joint. La première colonne se mettra en marche le
a janvier 1814 ; la seconde, le 4i ®^ ^^^ ^^ suite.
ARTICLE. XL
Tous les Français non combattants , et qui ne sont
point an service militaire, pourront suivre, s'ils Je
veulent , les troupes de la garnison ; mais ils ne peu-
vent point prétendre aux rations fixées poiur les^ mi-
litaires \
I
t. .
du général Rapp. . 3$5
litaires; Ut .pomTont dispoèer au reste des propriétés
• • •
qui seront reconnues leur aj^^artenîr.
ARTICLE XB.
, ■ ' . . • • ^ '
Le* 12 décembre 181 3, il sera remis au commissaire
nommé par Farmée assiégeante , tous les canons , mo.r«
tiers, etc., etc., armes, munitions de guerre, plans,
dessins , devis , les caisses militaires , tous les' magasins
de quelque nature qu^ils soient, les pontons, tous les
objets appartenants aux corps du génie, à la marine^
à Tartillerie, au train, voitures , etc. , etc. , sans ancane
exception quelconque y et il en sera fait .un double in-
Tcntaire qui sera remis au chef d'étât-major de Tannée
combinée: * ^
ABTlCtEXÙr. »
• • • /
MM. les généraux, officiers d'état-majôr et autres,
conseryevont leurs bagages e*!; É^urs chcTaux fixés par
le règlement français, et receyf ont le fourrage en con-
séquence pendant la marche.
ARTICLE XIV.
.; Tous les détails relatifs aux transports à accorder,
soit pour les maladesi et blessés , otL pour les corps et
officiers, seront réglés par les chefs des dew états-
majors respectifs.
ARTICLE XV/
Il demeure réserré au sénat de Dantzic de fair^^
• ♦ » ■ ■ ■
yaloir auprès de sa majesté Temperear Napoléon tout
. ' : .23
354 ' Mémoires
•M droits 9 la liquidatiQn detf dettes *qui peuvent exis-
ter de part et d autre \ et son excellence le gouyemeuF-
général s*oblige à faire donner à ceux enyers qui ces
dettes ont été contractées des reconnai$sances qui
serrent à certifier leurs créances; mais sous aiicua
prétexte f il né pourra être retenu des otages pour
ces créances.
ARTICLE XVI.
Les hostilités de tout genre cesseront de part et
d^autre à dater de la signature du présent traité.
ARTICLE XVn«
Tout article qui pourrait présenter des doutes sera
toujours interprété en fayeùr de la garnison.
AR%ÇLE XVIII.
On fera quatre copies exactes dé la présente capi-
tulation,* dont deux en langue russe et deux en langue
française, pour être remises en double aux deux gé-
néraux en chef*
•
ARTICLE XIX.
\
Après la . sigi^âture de ces pièces oiBcielleSi il
' 'sera permis au gouyerùeur général, comte Bapp, d*en-
Toyer un Courrier à son gouyemement ; il sera ac-
compagné jusquaux ayant-postes français par un offi-
cier russe.
du général Happ.
m:
Fait et cpnyenm. à Langfiilir, ùejoiirdliiii «o no*
S^e', le général de dirinoB aomw HBmMair^ le géàéràl
d*HBRico VET , le colonel RiombHo^, le lientenani-géné-
ral et chevalier Bonozoïrr , le général-maior Wbll-
JABf iNOFF , en fonction- de chef d'état-tnajor , le colonel
du génie Maufabdi , le colonel do génie Pvll<t*
• • • . • ■
Vo et appronTé)-
1
L« Cointi; Bapp.
I
•
5§6 Mémoires
Lettré du duc de Wurtemberg au général Rapp.
De mon qaartîer«>géBéral de FelouksD, le s3 déoembre i8i5^
• à 11 heiiree da eoir. .
Général,
Je suis obl^é àe tou« faire part que je Viens de
reccToir un courrier de sa majesté impériale q[iii
m*apprend que la capitulation conclue entre robe
excellence et inoi a été approuyée par Temperi^rf
hormis ce ^ qui concerne -le retour de la garnison en
France. Quoiqu il ne m^appartienne pas d'examiner si
on a pris en considération particulière que la garm-
soti de.Dantzic ne soit forcée, à Tinstar de celle de
Thorn et d^autres places, à, reprendre service avant
son parfait échange, et après quelle aura repasisé'le
Rhin, je suis cependant obligé de faire part' à votre
excellence de la volonté précise -de sa majesté, .étant
cependant per&uadé qn aucun de MM. les généraux
ni officiers faisant partie de la brave garnison .de
Dantzic ne se permettrait, dans aucun cas, dé man-
quer à ses engagemàits, ce' dont je t;erais volontiers.
le garant. Sa majesté m*à aussi formellement autorise
à TOUS déelarer, mon général,- que la garnison ne
sera point envoyée dans les provinces éloignées de la
Russie, si votre . excellence me remet la place sans
détérioration ultérieure, aux termes de la capitulation.
Elle pourra choisir pour son séjour particulier., celui
4e MM. les généraux et ofBoiers', entre les villes de
Heval Pleshow,' Zaliega et Orel, pour y demeurer
nsqn'à ce. que la garnison soit échangée. D'ailleurs
s*entend de soi-même que MM. les généraux et ofii-
du général Rapp. 557
ciers, d'après la capitulation, consçryeroQt tous les <
arvantages qui leuir ont été assurés.. Pour ce qui con<^ •
cerne les troupes polonaises qui so trouvent encore
à Daiftzie, là yololité de sa majesté est quelles soient
renvoyées tranquillement dans leurs foyers, à leur
Sortie de \A place, de même que les troupes alleman-
des. • ' :
^ Je dois croire , mon général, que 'votre excellence *
n hésitera sûrement pas de consentir à ces arrange-
ments, puisqu'il est à broire'que la guerre ne pourra
p^ durer un* an, et alors chacun retournera d'abord
chez soi 5 et je suis d'autant plus ^ persuadé que votre
excellence prendra cette détertnination que,, dans le
* cas ' contraire , je ne poui-rai lui épargner , ainsi qu'à
sa garnison, tputes les rigueurs inévitables qu entraî-
nerait, une résistance parfaitement inutile , qui aurait,
pour suite infaillible de voir transporter sa garnison
dans . les provinces les plus* éloignées de l'empire
russO', sans qu'elle puisse joidr alors' des moindres
avantages qui lui seront parfaitement garantis mainte-
nant, ainsi que toutes' les commodités nécessaires pour
la route et stipulées dans lacsrpitulation.
Si votre eg^eellence, contre toute attente, prenait
/Cependant .. cette détermination aussi inattendue' que
préjudiciable aux intérêts de la garnison,, je lui.re-
metti^ai alors après-demain samedi, à midi, tous les
ouvrages qui ont été cédés à l'armée assiégeante, ex-
cepté .le fort de Neufahrwasser, puisque la volonté
suprême de sa majesté est que votre excellence fasse,
çortir préalablement toutes les troupes allemandes •
qui se trouvent à Dantzic avec armes et bagages,
la confédération du Rhin n'existant plus , . tous les
»
358
Mémoires
état^ qai la composaient étant devenns nos alliés ; et
dans ce cas Neafabrwasser lui serd. «rçinia de.iaêiDe
de suite et san§ là moindre difficulté* «Tenvenrai aussi
à Dantsic par la perte d'Oliwa tous les écloppës,
des quils seront de retour, et alors les hostilités re-
commenceraient, lé lenden^n de leur remise,* à neuf
. heures du matin.
Signtty le duc de WvBTEAsKnG.
/*• S, Je pVio rotre éteellence de vonlotr. bien ne faire
pàTYcnir ta réponse de vain matio. Si M* le général H^n-
dèlet^ Ou un autre dci MM*, les génçrauz, était envoyé k mon
quartier«général, cela faciliterait infiniment la conclusioD d'une
aiTaire qui pourrait se terminer à sa satisfaction*
J'ai écrit sur ceci à sa majesté par un courrier.
Réponse*
Monseigneur ,
■ •
J*ai fait une capitulation avec votre altesse royale;
aujourd'hui elle m^aniionce que, sans y; avoir égard,
Tempereur Alexandre ordonné que la garnison de
Dantzic' soit envoyée en Russie comme prisonnière
de guerre, au lieu de teaixer.en France..
Le io<>' corps dVrmée laisse à l'Europe, aThistoire;
.et à la postérité, à jqg^. une aussi* étrange infraction
des traités, contre laquelle je proteste formellement.
^ §
Par suite de ces principes sacrés, j*ai Ffaonneiir
d'annoncer à votre altesse royales ^^^9 mim ':ténant
--A
du gehéral Rûpp^
S59
strictcinéiit au texte d'une eapitulatiqn que je ne dois
pas regarder comme anéantie^parce quelle est Tidlée^
j^e rexécuterai ponctuellement, et que je* suis prêt à
i^mettrè anjourd*hui ' même aux troupes de T.otj^e
altesse les forts Weichselmnnde , Napoléon , et le
Holm, ainsi que tous les magasins^ et à sortir de la
' place arec ma garnison, le \^^ jânrier prochain.
A cette ëpoqué) la force et Tabus du pouyoïr
pourront notis entraîner en Russie^ en Sibérie , ptir^
tout où Ton voudra. Nous tourons souffrir ,. roouiîr
même, s'il le faut, victimes dé notre confiance dans
un traité solennel. L*emperéur Napoléon et la France
sontu assez puissants pour nous yenger tôt ou tard.
Dans cet état de choses, monseigneur, il ne m6
reste aucun arrangement à faire arec votre altesse
royale, m*en ^référant entièrement à la capitulation du
29 noveinbre, qu'on -peut, je le répète, enfreindre,
mais non anéantir. '«*
** Signe, Comte Rapp.
PantziCi le s3 décembre i8i3.
•
S60 . Mémoires*
■
Lettre du comte Rapp au diw de Wurtemberg.
Dantzîc, le 25 décembre i8i5.
Monseigneur
^.M<m aide -de -camp m'a remis hier soir la lettre
que TOtre altesse m'a fait ITioniieur de m'écrire.
D'après le renyoi cp'elle m'a fait de ma lettre, je
crois nfaperceTbir quelle me suppose de Taigreiir.
Yotre altesse ne- me rend pas justice: TOilà 2a an^que
je fais la gueiTC; je suis habitué à la bonne comm^
à la mauvaise fortune.
Votre altesse < m'a fait J'honneur de me dire, qu'il
était tout naturel que l'empereur Alexandre pût rati-
fier on Aon la capitulation:* ou yotre altessQ -était
munie /de pleins pouvoirs ou lie l'était pas; ma con-.
duite dan$ ce cas eût été toute différente.
Le maréchal Ralhreuth, après une défense très*
courte, a obtenu une capitulation fort honorable. J^
me rappelle même que l'empereur Napoléon, qui n'é-
tait qu'à yingt lieues de la place, «en était mécontent j
mais il ne 'voulut pas faire éprouver de désagrément à
son général en chef, en annulait la capitulation, et
le maréchal Kalkreuth sortit de Dantzic sans la n^oin-
dre humiliation. Il est .impossible de mettre plus de
délicatesse et çle loyauté que nous l'avons fait, le ma-
réchal Lefèb vr^ et moL . Le maréchal Kalkreuth vit
encore , et, il en a con$elVé le soutenir. Il y a de»
— -^
du général Rapp. 561
officiers prussiens au quartier-général de votre altesse
qui pourront aussi en rendre témoignage.^
Votre altesse me fait l'honneur de me dire que
sa majesté ordonne que toutes les choses soient re-
mises sur le même pied où elles étaient ayant, si je
yeux recommencer les hostilités. Vo4;re altesse sait
parfaitement que les avantages étaient aloi^s de notre
côté, puisqu'elle nous a fait constamment des offres
quelle prétendait être favorables, et que maintenant
c'est tout le contraire,: cela n'a pas besoin de preuves.
C'est d'aîllciurs vous, monseigneur, qui m'avez
toujours proposé d'entrer en arrangement pour feire
cesser TefFusion de sang, en nous oilTrant comme
condition fondamentale notre rentrée en France. La
correspondance de vôtre altesse avec moi en fait foi.
Votre altesse sait bien dans quelle situation nous
nous trouvons, et qu'il est de toute impossibilité,
sous tous les rapports , de prolonger notre défense ;
ainsi le choix qu'elle me laisse devient parfaitement
illusoire.
Je prie votre altesse de faire occuper aujourd'hui
Weichselmunde , le Ilolm, et ouvrjages intermédiaires.
Je 'n'y ai laissé que de petits détachements pour em«
pêcher les dégradations. Je désire aussi que votre
altesse envoie des commissaires pour recevoir les in-
ventaires de nos magasins . de toute espèce ; j'y tiens
beaucoup , pour qu'il n'y ait pas de, réclamation , et
qu'on ne puisse pas nous reprocher d'avoir rien dé-
térioré, non pas dans la crainte d'aller en Rnssie
avec moins de commodités, comme votre altesse le
répète dans sa lettre , mais par le désir de remplir
religieusement tous mes engagementii.
362 Mémoires
f ai Oionneur de déclarer de nouveau à votre
altesse c[ue la garnison de Dantzic sortira le ler janvier,
dans la matinée, en exécution de Tarticle lerde la
capitulation du 29 novembre, à laquelle je m'en tiens
entièrement, et à laquelle il est tout-à-fait inutile
4*ajouter aucun autre arrangement. Les circonstan-
ces, après notre sortie, noi^s mettront absolument â
la disposition de votre altesse.
#Xai Thonneur, etc.
Signé j Comte Rapp.
Au Même.
96 décembre l8i5.
• Monseigneur,
Le généi'al Manfredi m'a remis la lettre de votre
altesse royale, d'hier,. 25 de ce mois^ Ayant eu déjà
l'honneur, de^ traiter avec elle les premiers articles de
cette lettre ,( ce dernier est le seul qui me semble
exiger une réponse* Yotre altesse royale me déclare
qu elle ne peut consentir à me laisser sortir de Dantzic, à
moins d'un arrangement préalable. De mon côte, ne
croyant pas pouvoir revenir »ur la capitulation du 39 no.
venibre, approuvée par votre altesse royale et par moi, j'ai
l'honneur de lui déclarer qu'au 3i décembre, n'ayant
plus de moyens de prolonger ma défense, je me mets
à sa disposition, ainsi que les troupes sous mes ordres.
du général Rapp. 363
Cet anangement , monseigneur , est bien simple ; c'est
à yotre altesse royale à régler* le sorl de la garnison*
Je me contente de recommander à sa générosité
les soldats, surtout ceux cjui par leurs infirmités et
leurs blessures réclament plus particulièrement ma
sollicitude.
Je lui recommande également les non-combattants,
les femmes, les enfants, et les firançai^ qui habitent
Dantaîc. •
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Signé, Comte Rapp.
FIN.
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