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Full text of "Mémoires of général Count Rapp, aide-de-camp to Napoléon"

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ne 

151 



-7 



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e 






MEMOIRES 

. DU 3 ' ' ^ 

général' RAPRr^ 



.\ 



AIDEDE-CAMP DE NAPOLÉON , 



ECRITS PAR LUI-MEME, 

BV PUBLIAS PAR SA FAMILX.B/ 



Edition originale. 




a PARIS 1823. 

BçHsaASGB, frères. F. Didot, père et fils. 

4 FRANCFORT sur le Mei^. 

J. D. SaubrlIudieii^ 



^. 



AVERTISSEMENT. 



I 



<; 



Ces Mémoires n étaient pas d'abord des- 
tinés à rimpressîon. C'était une esquisse, 
une série d'anecdotes que le général écri- 
vait pour lui-même. Il cherchait à se con- 
soler de nos malheurs; il recueillait ses 
sôuveniis. JLa reconnaissance acheva un 
travail entrepris par l'ennui. Une foule de 
braves qui avaient concouru à la défense 
de Dantzic demandaient qu'on rendît à 
leur courage la justice dont les événements 
les avaient privés. Le général résolut de 
le faire de la manière qui lui parut la plus 
propre à les venger de cet oubli. Il refon- 
dit ses Mémoires, et en fit en quelque sorte 
le personnel de ceux qui s'étaient le plus 
distingués par leur bravoure. Un écrit avait 
été livré à la librairie comme un don du gé- 
néral, auquel on l'attribuait Le rang de 



celui qui s'en disait le donataire avait dû en 
imposer à l'éditeur, qui Timprimaii sous le 
titre de Mémoiiies du général Rapp. Cette 
circonstance nous a déterminés à publier 
les véritables. Nous les livrons' au public 
tels que le générlil les avait arrêtés. 



V 






«.' 



MÉMOIRES 



DU 



GÉNÉRAL RAPP, 

PREMIER AIDE-DE-CAMP 

DE NAPOLÉON. 




( » 



CHAPITRE PREMIER. 

Je n ai pas la prétention d'être un person- 
nage historique:' mais j'ai approché long-temps 
d'un homme dont on a indignement travesti 
le caractère , j'ai commandé a des braves dont 
les services sont, méconnus; Tun ma comblé 
de biens , les autres m'eussent donné leur vie : 
je ne dois pas l'oublier. 

Je servais depuis plusieurs années ; Je don- 
nais obscurément quelques coups de sabre, 
comme cela se pràticme quahd on est subal- 
terne- Je fus a la nn assea heureux pour 
être remarqué par le général Desaix. Notre 
avant-garde en désordre était vivement rame-, 
née , J accourus avec une centaine de hussards ; 
nous chargeâmes les Autrichiens, et nous ré- 
ussîmes a les mettre en fuite. INous étions 
presque tous couverts de blessures , mais nou$ 



Mémoires 



en fumes bien décLommagés par les éloges que 
nous reçûmes. Lé général daigna m'engager 
à prendre soin de inoi , et me fit délivrer l'at- 
testation la plus flatteuse 'que jamais soldat ait 
obtenue. Je note cette circonstance , non parce 




queue tut l origine 
L'attestation était ainsi conçue: 

Armée de Rhin et Moselle. 

yyAiwfuartier général à Bloteheîm, le 3o fructidor, an 3 de la 
république irattçaise, une et indivisible» 

,, Je soussigné, général de division comman* 
dànt l'aile droite de ladite armée , certifie que le 
citoyen Jean Rapp , lieutenant au dixième régi- 
ment de chasseurs a cheval , a servi sous mes 
ordres avec ledit régiment pendant les deux 
dernières campagnes ; que dans toutes les occa- 
sions il a donné dçs preuves d'une intelligence 
rare, d'un sang-froid étonnant, et d'une bra- 
voure digne d'admiration ; qu'il ^ été blessé 
très grièvement a trois reprises différentes , et 

3ue notamment le 9 2>rairial de Tau 2 , a la tête 
une comi^agnie de chasseurs, il s'est jVrécipité 
sur une colonne de hussards eimemis, plus que 
quintuple, avec un dévouement si intrépide, 
qu'il calbuta cette masse redoutable , protégea 
.la retraite d'une partie de nos troupes, et rem- 
porta l'honneur de là journée. On ne peut trop 
regretter que , victime de son aèle , il ait été 
blessé très dangereusement et de manière a ne 
pouvoir plus se servir de son bras. "^11 est trop 



du général Rapp. S 

digne de la reconnaissance nationale pour ne 
pas mériter d'être honorablement employé dans 
une place ^ si un service plus actif n'est plus en 
son pouvoir. J'atteste que le citoyeji Rapp em- 
porte avec lui l'amitié et l'estime de tous ceux 
qui le connaissent. 

„Desaix," 

Devenu aide - de - camp du modeste vain* 
queur d^Offenbourg, je fis auprès de lui les cam^ 
pagnes d* Allemagne et dlEgjpte. J'obtins suc- 
cessivement le grade de chet d'escadron à Sé- 
diman , oii j'eus le bonheur , a la tête de deux 
cents braves, d'enlever 'le reste de l'artillerie 
des Turcs; et de colonel a Samanhout sous les 
ruines de Thèbes. Je tus grièvement blessé 
dans cette dernière affaire « mais aussi je his 
cité bien honorablement dans les relations du 
général en chef. 

A la mort du brave Desaix , tué a Marengo 
au moment où il décidait la victoire , le j^re- 
mier consul daigna m'attacher a sa personne. 
J'héritai de sa bienveillance pour le conqué- 
rant de la haute Egypte. J'eus dès lors quel- 
que consistance ; mes rapports devinrent plus 
étendus. 

Du sèle , de la ârauchise , quelque aptitude 
aux armes, me méritèrent sa confiance. Il a sou- 
vent dit à ses alentours qu'il était difficile d'a- 
voir plus de bon sens naturel et de discerne- 
ment que Rapp. On me répétait ces éloges, et 
j'avoue que j'en étais flatté : si c'est une faiblesse,^ 
qu'on me Ja pardonne; chacun aies siennes. Je 
me serais fait tuer pour lui prouver ma recon- 
naissance, il le savait: aussi repétait-il fréquem* 

1 . 



4 Mémoires, 

metit ^ mes amis que j'étais un frondeur , une 
mauvaise tête, mais que j'avais un bon coeur. 
Il me tutoyait, ainsi que Lannes ; quand il nous 
appelait c^ii« ou Monsier le général^ nous étions 
inquiets , nous étions sûrs d'avoir été Resservis. 
11 avait la faiblesse d attacher de Timportance a 
une police de caquetage , qui ne lui faisait la 
plupart du temps que de faux rapports. Cette 
méprisable police! elle a empoisonné sa vie; 
elle Ta souvent aigri contre ses amis , ses pro- 
ches , contre sa propre épouse. 

Napoléon faisait peu de cas de la bravoure; 
il la pegaixlait comme une qualité ordinaire, 
commune a tous les Français: l'intrépidité seule 
était quelque chose a ses yeux; aussi passait- 
il tout a un intrépide. C'était son expression : 
quand quelqu'un sollicitait une grâce, soit aux 
audiences , soit aux revues , il ne manquait ja- 
mais de lui demander s'il avait été blessé. Il 
prétendait que chaque blessure était un quar- 
tier de noblesse. Il tionorait , il récompensait 
cette espèce d'illustration : il savait pourquoi. 
Cependant il s'aperçut bientôt qu'elle n'allait 
pas aux antichambres, el les ouvrit a l'ancienne 
caste. Cettej préférauce nous déplut: il le rer 
marqua , et nous en sut mauvais gré. „J<i vois 
^,bien, me dit*il un jour, que ces nobles que je 
«^place dans ma maison vous donnent de l'om- 
t^nrage/^ Javais pourtant assex bien mérité du 
privilège. J'avais fait rayer de la liste des émi* 

Sres plusieurs gentilshommes ; j'avais procuré 
«« places aux uns, donné de l'argent , fait des 
ptn^ions aus autres ; quelques uns s'e^ souvien- 
i^nl> U plupart l'ont oublié. A la bonne heure ; 
Ma «^ai^^e est fermée depuis le retour du roi. 



du général Rapp, 5 

Aussibien n etait>ce pas de la reconnaissance 
que je cherchais. Je voujiais soulager Tinfor- 
^une; mais je ne voulais pas que les émigrés 
vinssent s'interposer eutre nous et le grand 
homme que nous avions élevé sur le pavpis. 

J'avais oublié cette scène désagréable: mais 
Napoléon n'oubliait pas les choses pénibles^ qui 
lui échappaient; il avait beau chercher a se 
montrer sévère, la nature était plus forte, sa 
bonté l'emportait toujours. Il me fit appeler; 
il *me parla de noblesse , d'émigration , et re- 
venant tout a coup a la scène qp/il m'avait 
faite, „Vous croyez donc que j'ai de la prédi- 
,,lection pour ces gens-la! vous vous trompes. 
,,Je m'en sers; mais vous savea pourquoi: car 
„enfin suis-je noble moi, mauvais gentilhomme 
„corse ? — Ni moi, ni Tannée, lui répliquai- je, ne 
,,nous sommes jamais informés de votre origine . 
,,Vôs action^ nous suffisent.** Je rendis comptje 
de cetle conversation a plusieurs de mes amis, 
entre autres aux généraux Mouton de Làuriston. 

La' plupart de ces mêmes nobles préten- 
dent cependant qu'ils ont cédé k la violence. 
Rien nest plus faux. Je n^en connais que 
deux qui aient reçu des brevets de chambel- 
lans sans les avoir demandés. Quelques au- 
tres ont refusé des offres avantageuses; mais, a 
ces exceptions près , tous sollicitaient , priaient, 
importunaient. C'était un concert de- zèle et 
d'abandon dont on n'a pas d'exemple. Le plus 
chétif emploi , les functions les plus humbles, 
rien ne les rebutait; on eût dit que c'était k 
la vie et a la mort. Si jamais quelque main 
infidèle se glisse dans les cartons de MM. Tal- 
lejrand, Montesquieu, Ségur, Duroc, etc., de 



• / 



6 Mémoires 

quelles expressions brûlantes elle enrichira le 
langage du dévouement ! Ils rivalisent aujour- 
d'hui de haines et dlnvectives. La chose est' 
bien naturelle: s'ils avaient en effet pour lui 
la haine profonde qu'ils témoignent, il ^ faut 
iM>nvenir aue pendant quinze ans^ qu'ils furent 
k ses pieds ils ont du se faire une étrange 
violence. Et pourtant toute l'Europe le sait! 
k l'aisance dé leurs manières, a la continuité 
4e leur sourire , a la souplesse de leurs révé- 
rences , on eût dit qu'ils y allaient de coeur 
et que cela leur coûtait bien peu. 



du général Rapp. 



mBÊ^ 



CHAPITRE IL 



Beaucoup de gens dépeignent Napoléon 
comme un nomme violent, dur et emporté: 
c'est qil'ils ne Font jamais approché. Sans dou- 
te , absorbé comme il l'était par les affaires , 
contrarié dans ses vues , entravé dans ses pro- 
jets , il avait ses impatiences et ses inégalités. 
Cependant il était si bon , si généreux , qu'il se 
fut bientôt calmé: mais, loin de l'apaiser, \m 
confidents de ses ennuis ne faisaient qu'exciter 
sa colère. „Votre Majesté a raison , lui disai- 
ent - ils : un tel a mérité d^étre fusillé ou desti- 
tué, renvoyé ou disgracié.... Je savais depuis 
lop^-temps qu'il était votre ennemi. II faut des 
exemples ; ils sont nécessaires au maintien de 
la tranquillité, " 

S'agissait-il de lever des contributions sur le 
pays ennemi, Napoléon demandait , je suppose, 
vingt millions : on lui conseillait d'en exiger dix 
de plus. Les contributions étaient*elles acouit- 
tées, „II faut, lui disait-on , que Yotre Majesté 
ménage son trésor, qu'elle fasse vivre ses troupes 
aux dépens des pays conquis, ou les laisse en sub» 
distance sur le territoire de la confédération. ** 

Etait - il question de lever deux cent mille 
conscrits, on lui persuadait d'en demander trois 
centmille; de liquider un créancierdontle droit 
était incontestable , on lui insinuait des doutes 
sur la légitimité de la créance , on lui fsdsait ré« 
duireà moitié , au tiers , souvent arien , le mon- 
tant de la réclaïaation, 





g 'Mémoires 

Parlait-il de faire la guerre , on applaudissait 
a cette généreuse résolution : la guerre seule 
enrichissait la France ; il fallait étonner le mon- 
de, et rétonner d une manière digne de la grande 
nation: 

Voila Comment, en provoquant, en encoura- 
geant des vues, des entreprises encore incertai- 
nes, on Ta précipité dans des guerres conti- 
nuelles. Voila comment on est parvenu a impri- 
mer a son règne un air de violence qui n'était 
point dans son caractère et dans ses habitudes : 
elles étaient tout- a -fait débonnaires. Jamais 
homme ne fut plus enclin a l'indulgence , et 
plus sensible a la voix de l'humanité. Je pour- 
rais en citer mille exemples : je me borne au 
suivant. 

George et ses complices avaient été condam- 
nés. Joséphine intercéda j^our MM. Polig]A|c, 
Murât pour M. de Rivière : ils réussirent l'un et 
l'autre. Le jour de l'exécution, le banquier Sché- 
rer accourut tout en pleurs a Saint-Clond : il 
demanda a me parler. C'était pour que je solli- 
citasse la grâce de son beau-frère , M. de Russil- 
lon, ancien major suisse, qui se trouvait impli- 
qué dans cette affaire. 11 était accompagne de 
auelques uns de se^ compatriotes , tous parents 
u condamné. Ils savaient bieu, me dirent-ils, 
que le major avait miérité la mort; mais il était 
père de famille, il tenait aux premières maisom 
du canton de Berne. Je cédai , et n'eus pas lieu 
de m'en repentir. 

Il était sept heures du matin ; Na])oléon, déjà 
levé, était dans son cabinet avec Corvisart ; je 
me fis annoncer. „Sire^ lui dis-je , il ny a pas 
,,long- temps que Votre Majesté a donné sa mé- 



du général Rapp. \ 9 

„diatîon aux Suisses. Elle saîtquetous n'en ont 
„j)as été également satisfaits , les Bernois sur- 
„tout. . . Il se présente une occasion de leur prou- 
,,ver que vous êtes grand et généreux: un de 
yjetirs compatriotes doit être exécuté aujourd'- 
„hui; il tient ace qu'ily a demieux dans le pays, 
„et certes la grâce que vous lui accorderez fera 
,, sensation, et vous y attachera beaucoup de 
„monde. — Quel est cet homme 5 Comment 
,,s'appelle-t-il ? — Russillon." A ce nom, il 
devint furieux. — „I1 est plus dangereux , plus 
^coupable que George même. — Je sais tout ce 
„que Votre Majesté me fait l'honneur de me 
^,aire ; mais les Suisses , mais sa famille , mais 
,,ses enfants, vous béniront. Faites. lui grâce, 
,,non pas pour lui, mais pour tant de braves 
„gens qui ont assea gémi de ses sottises. — 
„Éntenaea-vous ?" dit-il en se tournant vers 
Cofvisart. En même temps, il m'arrache la 

{)étition, l'approuve; et me la rendant avec 
a même impétuosité , „Envojez au plus vite 
,,un courrier pour qu'on suspende l'exécution.** 
On peut aisément se figurer la joie de cette 
famille, qui me témoigna sa reconnaissance par 
la voie des papiers publics. Russillon fut enier- 
mé avec ses complices, et obtint plus tard sa 
mise en liberté. Il a fait, depuis le retour du 
roi , plusieurs voyages a Paris , sans que je l'aie 
vu. Il a pensé que j'attachais assea peu d'im- 
portance a ce petit, service ; il a eu raison. 






10 Mémoires 



CHAPITRE III. 

Personne n était plus sensible, personne 
n'était plus constant dans ses alFections que 
Napoléon. Ilr aimait tendrement sa mère, il 
adorait son épouse , il chérissait ses soeurs , ses 
frères, tous ses proches. Tous, excepté sa mère, 
l'ont abreuvé d'amertumes: il n'a cependant 
cessé de leur prodiguer les biens et les honneurs. 
Lucien est celui qui s'est le plus opposé a ses 
vuesr, qui a plus obstinément contrarié ses pro- 
jets. Un jour, dans une vive discussion qu'ils 
eurent, je ne sais a quel sujet, il tira samontre, 
la jeta j^ar terre avec violence , en lui adressant 
ces paroles remarquables : „Vous vous briserea 
„comme j'ai brise cette montre , et un temps 
„viendra où votre famille et vos amis ne sauront 
„où. reposer leur tête.*' Il se maria quelques 
jours après, sans avoir obtenu son agrément ^ 
ni même lui avoir fait part de son dessein. 
Tout cela ne l'a j3as empêché de l'accueillir en 
1815: a la vérité, il se fit presser 5 Lucien fut 
pbligé d'attendre à l'avantderhière poste , mais 
il ne tarda pas a être admis. 

Napoléon ne se bornait pas a ses proches: 
l'amitié , les services , tout avait part a ses bien- 
faits. Je puis en parler par expérience. Je suis 
revenu d'Egypte , alors aide-de-camp du brave 
général Desaix , avec deux cents louis d'éparg- 
nes; c'était tout ce que je possédais. A l'époque 
de l'abdication , j'aVais quatre cent mille francs 
de revenus, tapt en dotations, qu'appointe- 



du génénd Rapp. 11 

ments^ gratifications » fraid extraordinaires, 
etc. J*en ai perdu les cinq sixièmes; je ne les 
regrette pas : ce qui me reste forme encore un 
assez beau contraste ai^eç ma fortune primitive. 
Mais ce que je regret* , c'est ce long amas de 
doire acquise au prix de tant de sang et de 
fatigues; elle est a jamais perdue: voila de 
quoi je suis inconsolable. 

Je ne suis pas le seul qu'il ait comblé de 
biens. Mille autres ont été accablés de faveurs, 
sans que jamais les torts que plusieurs de nous 
ont eus envers lui aient pu nous faire perdre 
sa bienveillance. Quelque forts que fussent 
ces griefs, il les oubliait toujours, dès qu'il 
était convaincu que le coeur ny était pour 
rien. Je pourrais citer cent exemples de sou 
indulgence a cet égard : je me borne aux suivants. 
Lorsqu'il prit le titre d'empereur^ les chan- 
gements qu'il fut obligé de faire dans sa mai^^^ 
son, ,qui jusque-la n'avait été que militaire, dé- 
plurent a plusieurs d'entre nous : nous étions 
Habitués a l'intimité de ce grand homm^e ; la 
réserve que nous imposait la pourpre .nous 
blessait. .. 

Les généraux Reynier et Damas étaient 
alors en disgrâce : j'étais lié avec l'un et avec 
, l'autre , et je n'avais pas l'habitude d'abandon- 
ner mes amis malheureux. J'avais tout fait pour 
dissiper les préventions de Napoléon contre 
ces deux officiers généraux, sans pouvoir y 
i:éussir. Je revins un jour a la charge au sujet 
de Reignier; Napoléon impatienté prit de 
rhunieur, et me dit sèchement qu'il ne voulait 
plus entendre parler de lui. J'écrivis a ce brave 
général que toutes mes démarches avaient été 



12 



Mémoires 



infructueuses; je Texhortai a la patience, et 
j'ajoutai quelques phrases dictées par le dépit. 
JTeus rimprudence de confier ma lettre a la 

fjoste ; elle fut ouverte et^nvoyée a l'empereur. 
1 la lut trois ou quatr# fois , se fit apporter 
de mon écriture pour comparer , et ne pouvait 
se persuader que je l'eusse écrite. Il se mit ' 
dans une colère affreuse, et m'envoya de Saint- 
Cloud un courrier aux Tuileries, où j'étais 
logé. Je .crus être appelé pour une mission, 
et partis sur7le-champ. Je trouvai Caulain- 
court dans le salon de service avec Cafarelli: je . 
lui demandai ce qu'il y avait de nouveau. Il 
connaissait déjà TaiFaire , il en paraissait peiné ; 
mais il rie m'en dit pas un mot. " J'entrai chex 
Napoléon , qui, ma lettre a la main , sortait du 
cabinet comme un furieux. Il me regarda avec 
ces yeux étincelants qui ont fait trembler tant 
de monde. „Connaissez -vous cettç écriture ? — 
„Oui, Sire. — Elle est de vous? — Oui, Sire. 
„ — Vous êtes le dernier que j'aurais soupçonné. 
,,Pouvez-vous écrire dépareilles horreurs a mes 
„ennemis ? vous que j ai toujours si bien traité I 
„vous pour qui j'ai tout fait ! vous le seul de 
„mes aides-de-camp que j ai logé aus Tuileries !" 
La porte de son cabmet était entr'ouverte ; il 
s'en aperçut, et alla l'ouvrir tout- a- fait, afin - 
que M. Menneval , un des secrét^tires , entendit 
la scène qu'il me faisait. „Âlle2 , me dit-il en 
„me toisant du haut en bas, vous êtes un in- 
„grat! ^— Non, sire; l'ingratitude n'est jamais 
„entrée dans mon coeur. ~ Relises cette lettre 
„(il me là mit. devant les yeux), et décide». — 
,,Sire, de tqus les reprocnes que vous pouvex 
„ine faire I celui-là m'est le plus sensible. 



du général Rapp. 13 

„Puisque j'ai perdu votre confiance, je ne 
,,puis plus vous servir. — Oui, f. ...e, vous 
,,ravea perdue." Je le saluai respectueuse- 
ment , et m'en allai. 

J'étais décidé à me retirer en Alsace. Je fis 
mes préparatifs de départ. Joséphine m'envoya 
dire de revenir et de faire des excuses a Napo- 
léon ; Louis me donna un conseil tout opposé. 
J'eusse pu m'en passer, ma résolution était 
déjà prise. Deux jours se passèrent sans que 
l'eusse reçu de nouvelles de Saint-Cloud. Quel- 

âues amis, au nombre desquels était le maréchal 
essières , vinrent me faire visite. „Vous avex 
,,eu tort, me dit-il, vous ne pouvez en dis- 
„convenir. Le respect , la reconnaissance que 
„vous devex a l'empereur , vous en imposent 
,,le devoir; faites-lui l'aveu de votre faute." 
Je cédai. A peine Napoléon eut- il reçu ma lettre, 
u il me fit dire de monter a cheval avec lui. 
me bouda cependant quelque temps. Enfin, 
un jour , il me demanda de très bonne heure 
a Saiiit-Cloud. „Je ne suis plus fâché contre 
„toi, me dit-il avec bonté : tu as fait une lourde 
„sottise; je n'y pense plus, tout est oublié. 
,,Mais il faut que tu te maries." Il me nomma 
deux jeunes personnes qu'il me dit me con- 
venir» Le mariage se fit : malheureul^ment il 
ne fut pas heureux. 

Bernadotte était en pleine disgrâce , et le 
méritait. Je le trouvai a Plombières, où on 
lui avait permis d'aller prendre les eaux avec 
sa femme et son fils , et où j'étais pour le même 
objet. J'ai toujours aimé son caractère affable 
et bon; je le voyais souvent; il me confia ses 
ennuis , et me pria de m'intéresser auprès de 



» 



12 



Met*:' 



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infructueuses; \e Te 
l'ajoutai quelaues ph' 
Jeus rimprudence (' 

f^oste; elle fut ouver= 
l la lut trois ou <;• 
de mon écriture po 
se persuader que 
dans une colère ï\ " 
Cloud un coun * 
logé. Je .crus (' 
et partis sur-1' 
court dans le ^ 
lui demandai 
connaissait dr 
mais il ne m 
Napoléon, < 
cabinet cou ^ 
ces yeux ei 
de monde. 
„Oui, Sir 
,,- — Vous < 
, , Pouvez - 
„enneini 
„vous ]^ 
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^ J, cessé 
^, :•« odom- 
«^jDiis, son 
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Hi|ioléon ne 
^ cirs plus ir- 
. allait tenir 
. >e rendre a 
:ir tête : il était 
■tfr/Aer de cette 
. iM»n projet au 
-. je Taccompa- 
1 ^^rit que ma- 
..ic .i matin même 
^, rwartie tout en 
^ obtenir. Cette 
^tr i m mspirer de 
^ ^ <!i5»ninoins. Je dis 
Vmadotte a Plom- 
n* aâecté de sa dis- 
. .u.-^* çu'îl n'a jamais 
^ j< ïous être dévoué. 

^^^ x^ ce b e-la; il a 

^ i fiartit au galop. Je 

5^.^ H son épouse : je 

^^•«ture. Bernadotte 

' ^ ^ <c fre de ma démarche. 

^^xtï^iï contre ce prince 

^ it Ittî pardonner plus 

- x*n5 «^ d'honneurs. Le 

j[ >^àle de monter sur le 

^ l^%rtime exilé au milieu 



du général Rapp.' • 15 



CHAPITRE IV. 

Il y en a qui prétendent que Napoléon n'a 
jamais été brave. Un homme qui de simple 
lieutenant d'artillerie est devenu chef* d'une 
nation comme la nôtre ne peut être dépourvu 
d'aucune espèce de courage. Au surplus , le 
18 brumaire, le 3 nivôse, le complc^t aArena, 
attestent s'il en manquait. Il savait . combien 
il avait d'ennemis parmi les jacobins et les 
chouans: cependant presque tous les soirs il 
sortait à pied; il se promenait dans les rues, 
se perdait au milieu des groupes, sans^être 
jamais accom])agné de plus de deux personnes. 
C'étaient ordinairement Lannes, Duroc, Bes- 
sières , ou quelques uns de ses aides-de-camp^ 
qui le suivaient dans ces courses nocturnes. Ce 
fait n'était ignoré de personne a Paris. 

On n'a jamais bien connu dans le public l'af- 
faire de la machine infernale. La police avait 
prévenu Napolépti qu'on cherchait a attenter a 
sa vie, et lui avait conseillé de ne pas sortir. Ma- 
dame Bonaparte, mademoiselle Beauhamais, 
madame Murât, Lannts, Bessières, l'aide-de- 
camp de service, le lieutenant Lebrun, au- 
jourd'hui duc dé Plaisance, étaient au salon; 
le premier consul travaillait dai^s son cabinet. 
On donnait ce/ jour-la l'Oratorio d'Haydn 5 les 
dames avaient grande envie de l'entendre, et 
nous le témoignèrent. On demanda le piquet 
d'escorte; et Lannes se, chargea de proposera 
Napoléon d être de la partie. Ce prince y con- 



16 • ' Mémoires 

sentit; et trouvant sa Voiture prête, il prit avec 
lui Bessières et Faide-de-camp de service. Je 
fus charge d'accompagner les danies. Joséphine 
avait reçu de Constantinople un schall magni- 
fique, qu elle mettait pourTa première fois. „r er- 
„mettea, lui dis-je, que je vous en fasse Fobser- 
„vation, votre schall n'est pas mis avec cette grâce 
„qui vous est habituelle.*' Elle me pria, en riant, 
de le ployer k la manière des dames égip tiennes. 
Pendant cette singulière opérations, on entendit 
Napoléon qui s'éloignait. „pé2>êchez-vous, ma 
^, soeur, dit madame Murât impatiente d'arriver 
„au spectacle; voila Bonaparte qui s'en va." Nous 
montâmes en voiture : celle du premier consul 
était déjà au milieu du Carrousel ; nous la suivi- 
m^: mais nous étions k peine sur la 2>lace, que 
la machine fit explosion. Napoléon n'échappa 
que par un singulier bonheur. Saint-Régent, ou 
son oomestique François, s'était placé au milieu 
de la rue Nicaise. Un grenadier de l'escorte, 
qui les prit pour de véritables porteurs d eau, 
leur appliqua plusieurs coups de plat de sabre 

9ui les éloignèrent; il détourna la charrette, 
onaparte passa , et l'e^cplosion se fit entre sa 
voiture et celle de Joséphine. A cette explo- 
sion terrible, les dames jetèrent les hauts cris; 
les glaces furent brisées, et mademoiselle Beau- 
harnais fiit légèrement blessée k la niain. Je 
descendis et rtraversai la rue Nicaise au milieu 
des cadavres et de8 pans de murs que la détona- 
tion avait ébranlés. Le consul m personne de 
sa suite n'avaient éprouve d'accident fâcheux. 
Il était dans sa loge , calme , paisible , occupe 
k lorgner les spectateurs ; il avait Fouché a ses 
côtés. „Joséphine!" dit-il dès qu'il m'aperçut. 

Elle 



du général Rapp. 17 

£lle entrait a Tinstant inéme^ il n'acheva passa 
question, ,,Ces coquins ,, ajouta-t-il avec le 
„plus grand sangfroid, ont voulu me faire 
^sauter. Faites-moi apporter un imprimé de 
„rOratorio de Haydn:*' 

Les spectateurs aj>prirent bientôt a quel 
danger, il avait échap2)é, et lui prodiguèrent 
les témoignages du plus vif intérêt. Voila, je 
crois , des preuves de courage qui ne sont pas 
équivoques : ceux qui 1 ont suivi sur le champ 
de bataille ne seraient pas embarrassés d'en 
citer d'autres. 



9 



ê 



i 



18 Mémoires 



CHAPITRE V. 



Napoléon, quoi qu en disent ses détracteurs^ 
n*était ni avantageux ni tenace dans ses opi- 
nions. Il provoquait les lumières; il recherchait 
les avis de tous ceux a qui il est }>ermis d'en 
avoir. L'envie de lui plaire dominait quelque- 
fois au conseil: quand il s'en apercevait, il 
ramenait aussitôt la discussion à sa sévérité 
naturelle. ^^M^^ssieurs disait-il à ses lieutenants, 
„ce n'est pas j>our être de mon avis , mais pour 
„avoir le vôtre, que je vous ai appelés. Expo- 
,,sem-moi vos vues: Je verai si ce que vous pro- 
,,poses vaut mieux que ce que je pense.^^ 

Pendant que nous étions a Boulogne, il 
donna une leçon de cette espèce au ministre 
de la marine. Il lui avait proposé quelques 

Questions auxquelles M. Decrès répondit par 
es l>atteries. „Monsieur Decrès, lui écrivit 
,, Napoléon, je vous prie de m'envojer dans la 
ajournée de demain un mémoire sur cette 
,>question: Dans la situation des choses, si 
^/aebniral f^illeneuve reste à Cadix , que faut-il 
^ faire? £levex-vous à la hauteur des circon- 
,,stances et de la situation oii se trouvent la 
«^France et TAngleterre. Ne m'écrivea'plus de 
.«lettres comme celle que vous m'avex écrite;- 
««cela ne signifie rien. Je n'ai qu'un besoin, 
««celui de réussir. 



l 



da générai Ràppi l^ 

j.Sur ce, je prie Dieu, etc/* 

La surveille de la bataille d'Austerlita , une 
partie de Farmée était j)lacée dans une position 
cfésavahtageuse , et le général qui l'occupait en 
exagérait encore les inconvénients. Cependant 
lorscme le conseil fut assemblé, il soutint 

iu elle était tenable, et promettait de la défen« 
re» „Qu est-ce ci? dit le grand - duc de Berç. 
„Qué ^nt devenues, monsieur le maréchal, 
,,les inquiétudes que vous manifestiex tout a 
, ,rheure ? — Pourquoi flatter quand on délibère ? 
,,dit a son tour le maréchal Lannes^ Nous 
„devons exposer les choses telles qu'elles nous 
,,paraissent a l'empereur , sauf a lui de faire 
„ce que bon lui semble. — C'est juste , reprit 
,,Napoléon; pour me faire plaisir il ne faut pas 
,,qu on me trompe." 

Mais autant il recherchait les conseils de 
ceux qui peuvent en donner, autant il accueil- 
lait mal les observations des gens peu ca|>ables. 
Fesch voulut un jour lui en faire au sujet de 
la guerre d'Espagne. Il n'avait pas. dit deux 

{paroles que IVap^léon, le conduisant vers 
embrasure d'une fenêtre: ^J,Vo^e«-vpus cette 
„étoile?" C'était en plein midi. — „Non, 
„repondit l'archévéque. — Eh bien , tant que 
„je serai le seul qui 1 aperçoive , j'irai mon train 
„et ne souffrirai pas d observations." 

Au retour de la campagne de Russie , il dé- 

Slorait, avec une vive émotion, la mort de tant 
e braves , moissonnés , non par le fer des Co^ 
saques , mais par le froid et la faim. Un cour- 
tisan voulut placer son mot, et*dit d'un ton 
de pénitent : „Nous avons fait une bien grande 

2. 



20 Mémoires 



19 



Eerte! — Oui, repartit Napoléon , madame 
arilli *) est morte.** 

n mystifiait l'indiscrétion , mais il ne re* 
poussait ni la plaisanterie ni la franchise. 

Madame Bacciochi amena un jour aux Tuile** 
ries M. d'A. . . » un de ses parents. Elle se re- 
tira après *raYoir -introduit au salon de service, 
et le laissa seul avec moi. Cet homme avait, 
conuiie beaucoup de se» compatriotes, une 
mauvaise figure ; je me défiais de lui. Je pré- 
vins néanmoins Napoléon, qui le fit entrer. II 
avait sans doute des choses importantes a lui 
communiquer. Un mouvement de tête m'aver- 
tit de rentrer au salon. Je feignis de ne m'en 
être pag aperçu , et restai : je craignais pour sa 
personne. II vint a moi , et me dit qu'us dési- 
raient être seuls. Je sortis , mais je laissai la 
porte entr'ouverte. 

Quand Napoléon eut congédié M. d'A. . . ;. , 
il me demanda pourquoi je voulais absolument 
rester. -^ „ Vous savex , lui répondis-je , que je 
„Vie ' suis «pas indiscret ; mais , je vous l'avoue 
„franchement , je n'aime pas vos Corses.** II 
raconta lui-même cette anecdote, qui déplut 
beaucoup a sa famille ; quant a lui , il prit très 
bien la caose. Je suis persuadé cependant qu'il 
eût mieux aimé ne pas m'entendre ainsi parler 
de ses compatriotes. 

Un soir, ajvès la bataille de Wagram , nous 
étions k jouer au vingt-et-un, Na}>oléon aimait 
beaucoup ce jeu: il s'amusait a y tromper, et 
riait de ses supercheries. Il avait devant lui 

*) Cclèkr* eutatrice d* diéâtre Italieiu 



du général Rapp. 



21 



une gi*andc quantité d'or, qu'il étalait sur la 
table. — ,, N'est-ce pas, Ra^^p, me dit-il, eue les 
Allemands aiment bien ces petits napoléons ? 
— ^^ Oui , Sire , bien plus que le grand. — Voi- 
la ,. répliqua-t-il , ce qu'on peut appeler de la 
^franchise germanique." ^ 



» 



» 



»» 



22^ Mémoires 



CHAPITRE VI. 

J'étais ail camp de 'Boulogne lorsque la troi- 
sième ççrerre d'Autriche éclata. îJous passâmes 
le Rhin. Coupée , battue , l'armée ennemie alla 
s'enfermer dans Ulm ; elle fut aussitôt sommée 
de mettre bas les armes. Le détail de cette né- 
gociation, conduite par M. de Ségu^, peint^trop 
nien le désordre et l'anxiété du malheureu:^ 
général pour ne pas trouver place ici. Voici 
en quels termes il en, rendit compte. 

„Hier, 24 vendémiaire (16 octobre), lempe^ 
reur m'a fait appeler dans son cabinet; il m'a 
ordonné d'aller a Ulm , de décider Mack a se 
rendre dans cinq jours, et, s'il en exigeait ab- 
solument six, de les lui accorder. Je n'ai pas 
reçu d'autres instructions. La nuit était noire ; 
un ouragan terrible venait de s'élever , il pleu- 
vait a flots : il fallait passer ]>ar des chemins de 
traverse, et éviter des bourbiers où l'homme, 
le cheval et la mission pouvaient finir avant 
terme. J'ai été pres^que jusqu'aux portes de la 
ville sans trouver nos avant-postes; il ny en 
avait plus: factionaîres , vedettes, grandes-gar- 
des tout s'était mis a couvert , les parcs d'artil- 
lerie même étaient abandonnés; point de feux, 
1>oii>t d'étoiles. Il a Êdlu errer pendant trois 
leures pour trouver un général. J'ai traversé 
plusieurs villages et questionné inutilement 
ceux qui les remplissaient. 

, J'ai enfin trouvé un trompette d'artillerie 
^ inoitié noyé dans la boue: sous son caisson ^ il 



N 



, du général Rapp. 23 

• 
était }:aide de ff oid. Nous, nous sommes appro^ 
chés de? remparts d'Ulm. On nous att^endait 
sans dQute»; car , au jyremier appel ^ M. de La- 
tour^ officier parlant bien français, 3*çst. pré- 
senté* Il ni'a bandé les y eux, et m'a, faitjjravir* 
par-^essvLs le3 fortifications. J'observai ^ mon 
conducteur que la nuit était si npire aiji'eUe 
rendait le bandeau inutile ; mai6> il n'objecta 
l'uçage^ La course fue paraissait longue. Je fis 
causer mon guide: mon but était de savoir 
.quelles troupes rei^fermait la ville, je lui de- 
mandai si nous étions encore loin de la demeure 
du général Mack et de celle de Farchiduc. C'est 
tout près , me répondit mon guide. J'en con- 
clus que nous tenions dans Ulm tout le reste 
de l'armée autrichieimç. La suite de la conver- 
sation me confinna dans cette conjecture. Nous 
arrivâmes enfin dans l'auberge où le général en 
chef demie^rait. Il m'a p^iru grand , âgé, pâle ; 
Texpressiot) Se sa figure iinnonce une imagina- 
tion vive.^ Ses traits étaient tourinentés par 
une anxiété qu'il cherchait a cacher. Après avoir 
échangé quelques compliments, je me nommai; 

Suis, entra^it en matière, je lui dis que je venais 
e la part de l'empereur le sommer ae se rendre, 
et régler avec liiii les conditions de la capitula- 
tion. Ces expressions lui parurent insuppprtaL- 
bles , et il ne convint pas d'abord de la néces- 
sité de les entendre. J'insistai , en lui obser- 
vant qu'aj^ant été reçu, je devais supposer, 
ainsi que l'empereur, qu'il avait apprécié sa 
poisition ; mais il me répondit vivement qu'elle 
allait bien changer; que l'armée russe s'ap- 
prochait pour le secourir, qu'elle nous mettrait 
entre deux feux, et que peut-être ce serait 






24 Mémoires 

bientôt a nous a capituler. Je lui répliquai 
que, dans sa position; il n était pas étonnant 
qu'il ignorât ce qui se passait en Allemagne; 
qu'en conséquence, je devais lui apprendre 
*que le maréchal Bernadotte * occupait Ihgol- 
stadt et Munich , et qu'il avait ses avant-postes 
siu: rinn, où les Russes ne^ s'étaient pas encore 
montrés. „Que je sois le plus grand; :.. . . . , 
s'écria le général Màck tout en colère , si je 
ne sais pas, par des rapports certains, que les 
Russes sont a Dachau! Croit -on m'abuser 
ainsi? Me traite-t-on conune un enfant? Non, 
^monsieur de Ségur. Si dans huit jours je ne 
„suis pas secouru, je consens a rendre ma place, 
„a ce que mes soldats soient prisonniers de 
„guerre , et leurs officiers prisonniers sur pa- 
,,role. Alors on aura eu le temps de me secourir, 
„ j'aurai satisfait à mon devoir: mais on me 
secourra, j'en suis certain! — J[[aî l'honneur 
„de vous répéter, monsieur le général, que 
„npus sommes non seulement maîtres de Da- 
„chau, mais de Munich: d'ailleurs, en sup- 
„posant vraie votre erreur, si les Russes sont 
,,k Dachau > cinq jours leur suffisent pour venir 
„nous attaquer, et Sa Majesté vous les accorde. 
„ — Non, monsieur, reprît le maréchal; fe 
„demande huit joiurs. Je ne puis entendre a 
,,aucune autre^ proposition ; h me faut huit 
„ jours, ils sont indispensables a ma respon- 
„sabilité. — Ainsi, rejms-je, toute la difficulté 
,,consiste dans cette différence de cinq a huit 
jours? Mais je ne conçois pas l'importance 
que votre excellence y attache, quand Sa 
,,Majesté est devant vous^ a la tête de plus de 
^cent mille hommes, et quand les corps du 






» 

» 



9 • 



du général Rapp. 25 

„màréchal Bernadotte et dru général Mamiont 
„sufiSsent pour retarder de ces trois jours la 
„marche des Russes, même en les supposant 
„où ils sont encore bien loin d'être. — Ils sont 
„a Dachau, répéta le général Mack. — Eh 
„bien! soit, monsieur le baron, et même a 
„Augsbourg; nous en sommes d'autant plus 
„pressés de terminer avec vous: ne nous force» 
„aonc pas d'emporter Ulm d'assaut; car alors, 
„àu lieu de cinq jours d'attente , l'empereur y 
„serait dans une matinée. — Ah! monsieur, 
„répli(jua le général en chef, ne pensez pas 
„que quinae mille hommes se laissent forcer 
„si facilement; il vous en coûterait cher! — 
„ Quelques centaines d'hommes, lui répondis- 
„je ; et a vous votre armée et la destruction 
„d'Ulm, que TAllemagne vous repirocherait; 
„enfin tous les malheurs d'uir assaut que Sa 
„Majesté veut prévenir par la proposition 
„ quelle rn'a chargé de vous faire. — Dites, 
,, s'écria le niaréchal, qu'il vous en coûterait 
„dix mille hommes ! La réputation d'Ulm est 
^,asseK connue. — Elle consiste dan^e^g^iauteurs 
„qui l'enviroïment , et nous les occupons. — 
„ Allons donc, monsieur, il est impossible que 
„vous ne ccmnaissiea pas la force d'Ulm! -^ 
„Sans doute , monsieur le maréchal , et d'au- 
,,tant mieux que nous voyons dedans. — Eh 
„bien! monsieur, dit alors ce malheureux 
„général , vous j vojea des hommes, prêts a se 
„ défendre jusqu'à la dernière extrémité, si 
„votre empereur ne leur accorde pas huit jours. 
„Je tiendrai long-temj>s ici. Il y a dans Ulm 
,, trois mille chevaux que noiis mangerons, 
„plutôt que de nous rendre, avec autant de 



V 



26 Mémoires 

y^plaisir que vous le ferles a notre i>lace. -^ — 
„Trois mille chevaux ? repliquai-je ; ah ! mon- 
,,sieur le maréchal , la disette que vous deves 
^éprouver est donc déjà bien grande, puisque 
,,vous songes a une si triste ressource?" 

yyLe maréchal se dépêcha de m assurer 
qu'il avait pour dix jours de vivres j nciais je 
nen crus rien. Le jour commençait a poindre; 
nous n'avancions pas. Je pouvais accorder six 
jours ; mais le général Mack tentait si obstiné- 
ment a ses huit jours, que je. jugeai cette con- 
cession d'une jour inutile; je ne la risquai pas. 
Je me levai, en dissant que mes instructions 
m'ordonnaient d'être revenu avant le jour , et, 
en cas de refus, de transmettre, en passant, 
au maréchal Ney l'ordre de conunencer l'atta- 
que. Ici le général Mac)i se plaignit de la vio- 
lence de ce maréchal envers un de ses parle- 
mentaires , qij'il n'avait pas voulu écouter. Je 
profitai de cet incident pour bien faire remar- 
quer qu'en effet le caractère du maréchal était 
bouillant, impétueux, imposible a contenir; 
qu'il coBwiandait le cor]>s le plus nombreux 
et le plus rapproché; quil attendait avec im- 
patienceTordre de livrer l'assaut, et que c'était 
a lui que je devais le transmettre en sortant 
d'Ulm. Le vieux général ne s'est point laissé 
ef&ayer; il a. insisté sur leti huit jours, en me 
pressent d'en porter la proposition à l'empe- 
reur. 

„Ce malheureux général est prêt a signer la 
perte de l'Autriche et la sienne; et pourtant 
dans cette position désespérée , oii tout en lui 
doit soui&ir cruellement^ il ne s'abandonne 
pas encore ; son esprit conserve ses facultés, sa 



dti' général Rapp. . 27 

discussion est vive et tenace. Il défend la seule 
cho^ qui lui reste a défendre , le temps. Il 
cherche à retarder la chute de l'Autriche dont 
il est cause; il veut lui donner quelque jours 
de plus j>our s'y .préparer : lui perdu, il dispute 
encore pour elle. Entraîné par son caractère 
plus , politique que militaire , il veut encore 
jouer au plus fin contre le plus fort; sa tête 
s'égare dans une foule de conjectures. 

,,Le 25, vers neuf heures du matin, j'ai re- 
trouvé l'empereur a l'abbaje d'Elchingen, oii 
je lui ai rendu compte de cette négociation ; il 
en a paru satisfait: û m'a fait rappeler, et com- 
me je tardais , il a envoyé le maréchal Ber- 
thier me porter par écrit les propositions nou- 
velles qu'il voulait que je fisse signer au géné- 
ral Mack sur-le-champ. L'empereur accordait au 
général autrichien huit jours , mais a dater du 
23, premier jour du blocus; ce qui les réduisait 
en effet aux six jours que j'avais du d'abord pro- 
poser, et que je n'avais! pas voulu concéder. 

. , ,Tout€fois , en cas d'un refus obstiné, j'é- 
tais autorisé a dater ces huit jours du 25, et 
l'empereur gagnait encore un jour a cette con- 
cession. Il tient à entrer promptement dans 
Ulm , pour augmenter la ^oire de sa victoire 
par sa rapidité, pour arriver à Vienne avant 
que cette ville soit remise de sa stupeur et que 
l armée r4isse ait pu se mettre en mesure, et 
enfin parce que les vivres ^^ox^mencent à nous 
manquer. ^^ 

„JLe major-général maréchal Berthier me 
prévint qu'il s'approcherait de la ville , et que, 
les conditions réglées, il serait bien aise que 
je l'y fisse pénétrer. 



28 



Mémoires 



„ Je suis rentré dans Ulm vers midi , toujours 
avec les mêmes précautions; mai» cette foi3 j'ai 
trouvé le général Mack a la porte de la ville ; 
je lui ai remis Tultimatum de Tempereur. Il 
est allé le discuter avec plusietirs généreaux, 

Earmi lesquels je crus remarquer un prince de 
ichtenstein , et les généraux Klénau et Giulay • 
Un quart d'heure après , il revint disputer en- 
core avec moi sur la date. Un malentendu lui 
persuada qull obtenait les huit jours entiers 
a partir du 25. Alors , avec une émotion de joie 
bien singulière: „Monsier de Ségur! mon cher 
^monsieur de Ségur! s'écria-t-il , je comptais 
„sur la générosité de l'empereur: je ne me suis 
„pas trompé,.. Dites au maréchal Berthier que 
jje le respecte... Dites a l'empereur que je n'ai 
„plus que de légères observations a taire; que 
„e signerai tout ce que vous m'apportea,.. 
„Mais dites a sa majesté que le maréchal Ney 
„m'a traité bien durement...; que ce n'est pas. 
,, ainsi qu'on traite... Répétex bien a Tempe- 
„reur que je comptais sur sa générosité..." 
Puis , avec une effusion de cœur toujours crois- 
sante, il ajouta: ^Monsieurde Ségur > je tiens 
„a votre esti^ne...; je tiens beaucoup k l'opi- 
„nion que vous, aurez de moi: Je veux vous 
„faire voir l'écrit que j'aVais signé, car j étais 
„décidé." En. parlant ainsi, u déploya une 
feuille de pajîier où je lus ces mots: Huit jours 
ou la mort! signé Mack. 

,yje restai frappé d'étohnement en voyant 
l'expression de bonheur qui brillait sur sa 
figure; j'étais et comme consterné de cette 

Siérilé joie pour une si vaine concession, 
ans un naufrage si considérài>le , a quelle 



du général Rapp. 29 

faible branche le malheureux général crojait- 
il donc ppuvoîr rattacher' son honneur, celui 
de son armée et le salut de Tautriche ! 11 me 
prenait les mains , me les serait » me permet- 
tait de sortir d'Ulm les yeux libres ; il me lais- 
sait introduire le maréchal Berthier dans cette 
f^lace sans formalités. Enfin il était heureux ! 
1 y eut encore devant le maréchal Berthier 
une discussion sur les dates. J'expliquai le 
malentendu: on s'en remit a Tempereur. Le 
général Mkok m'avait assuré le matin qu'il 
lui restait pour dix jours de vivres; il en 
-^tyait si peu , comme au reste j'en avais pré- 
venu sa majesté, qu'il demanda devant moi 
la permission d'en faire^ entrer dès le jour 
même. 

„Mack, se voyant tourné, s'est imaginé qu'en 
se jetant et restant dans Ulm, il attirerait 
l'empereur devant ses remparts , Xy retiendrait, 
et favoriserait'ainsi la fuite que tenteraient ses 
autres cor|3s par différentes directions. Il pense 
s'être dévoué: c'est ce qui soutient son courage. 
Lorsque je négocie avec lui, il croit notre '' 
armée tout entière immobile, et comme en 
arrêt devant Ulm. Il en a fait sortir furtive- 
ment l'archiduc et Werneck. Une autre di- 
vision avait tenté de s'évader vers Memmingen ; 
une autre encore fuyait vers les montagnes du 
Tyrol : toutes sont ou vont être faites prison- 
nières. 

„ Aujourd'hui 27 le général Mack est venu 
voir l'empereur a Elchingen: Toutes ses illusions 
se sont évanouies.* 

„Sa majesté: pour le persuader de ne plus 
le retenir inutilement devant Ulm, lui a fait 



30 Mémo&es 

envisagea sa position et celle de rAutriclie dans 
toute son horreur. Il lui a appris nos succès sur 
tous les points'; que le corps de Werneck , ]t6ute 
son artillerie et huit généraux capitulaient; 
que l'archiduc lui-même était atteint , et qu'on 
n'entendait pas parler des Russes. Tant de 
coups ont anéanti le général en chef; les forces 
lui ont manqué , il a été obligé de s'appuyer 
contre la muraille ; il s'est affaissé sous le< poids 
de son malheur. Il est convenu de sa df tresse, 
et qu'il n'avait plus de vivres dans iTlm ; qu'au 
lieu de quinze mille hommes, il s'y trouvait 
vingt-quatre mille combattants et trois mille 
blessés; qu'au reste la confusion était telle 
qu'a cliaque instant on en découvrait davantage ; 
qu'il voyait bien qu'il n'avait î)1us d'espoir , et 
qu'il consentait a rendre Ulm dès le lendemain 
28 , a trois heures. 

„En sortant de chez sa majesté, il nous vit, 
et je l'entendis dire: „I1 est cruel d'être dés- 
„honoré dans Tespritde. tant de braves ofBciers. 
„J'ai pourtant dans ma poche mon opinion 
„écrite et signée, par laquelle je me refusais. 
„a ce qu'on disséminât mon armée; mais je ne 
„la commandais pas : l'archiduc Jean était la.*^ 
Il se peut qu'on n'ait obéi a Mack qu'avec 
répugnance. 

„ Aujourd'hui 28 , trente-trois mille Autri- 
chiens se sont rendus prisonniers; ils ont défilé 
devant l'empereur. Lmfanterieajeté les armes 
sur le revers du fossé ; la cavalerie a nSis pied 
k terre , s'est désarmée , et a livré ses chevaux 
k nos cavaliers à pied. Ces soldats ^ en se dé- 
pouillant de leurs armes, criaient, „Vive 
„rempereur!'* Mack était la , il répondait aux 



du général happ. 31 

officiers qui s'adressaient k lui sans le connaître: 
,,Vous vojea devant vous lemalheureuxMack !" 

J'étais a Elchingen avec les généraux Mouton 
et Bertrand lorsqu'il vint rendre ses hommages 
a Napoléon. „Je me flatta^ Messieurs, nous 
„dit-il en traversant le salott de l'aide-de-canip 
,,de service, que vous ne cessez pas de nie 
, , regarder comme un brave homme, quoique 
„j aie été obligé de capituler avec des forces 
,,aussi considérables. II était difficile de résister 
„aux manoeuvres de votre empereur ; ses combi- 
„naisons m'ont perdu." * 

Napoléon , plein de joie d'une aussi bonne 
afFaii;^ , envoya le général Bertrand vérifier les 
états de situation de l'armée qui se trouvait 
dans Ulm. Il vint rendre compte qu'il y avait 
21 ,000 hommes ; l'empereur ne pouvait le croire. 
„Vous parlea leur langue, me dit-il, allea voir 
„ce qui en est." J'allai, je questionnai les 
chefs de corps, les généraux, les soldats | et 
je trouvai , cl'après ces renseignements , que là 

«lace renfermait vingt-six mille combattants, 
apoléon me réjiondi^que j'étais un fou, que 
cela ne se pouvait pas. Effectivement quand 
cette armée défila devant nous , eUe comptait 
trente-trois mille hommes, comme le dit M. de 
Ségur, dix-neuf généraux, une cavalerie et 
une artillerie superbes. 



52 Mémoires 



CHAPITRE VIL 

Nous n'avions pas pu enfermer tous les Au- 
trichiens dans Ulm, Werneck s'était échappé 
par Heydenheim, l'archiduc courait après. 
Tous deux fuyaient a tour de route: mais le 
sort avait prononcé; on n'appelle pas de ses 
décisions. JNapoléon, prévenu au milieu de la 
nuit qu'ils gagnent^Albeck , mande, aussitôt 
le grand-duc. „Une division, lui dit-il, est 
^,sortie de la place et rnenace nos derrières., 
„Suivex , prenex , dissipez-la. Que pas un n'e- 
„chappe.*' La pluie tombait par torrents , les 
chemins étaient affreux: mais la victoire fait 
oublier les fatigues! On allait, on courait, on 
ne songeait cpi^a vaincre. Murât joint l'etinemi, 
l'attaque et le culbuté. Il le presse , le pousse 
dans sa fuite j pendant deux lieus il ne lui 
laisse pas le reprendre haleine. Des masses 
occupaient Erbreetingen avec du canon. La 
nuit était close , nos chevaux exténués. Nous 
fimes halte. Le 9® léger arriva sur les dix 
heures. Nous marchâmes en aA'^ant. Ji'attaque 
recommença ;} village , artillerie , caissons , tout 
fut enlevé. Le général Odonel cherchait a faire 
ferme avec son arrière-garde; un maréchal- 
* des-logis Tajjperçoit , le blesse et le prend. Il 
était minuit; la troupe tombait de lassitude. 
Nous ne poussâmes pas plus loin nos succèç. 
L'ennemi fuyait en toute hâte sur Nordlin- 
gea, où nous avions de l'artillerie et des dé- 
pôts. Il était important de le prévenir. Murât 

détacha 



* du général Happ^ 33 

« 

détacha des partis qui le karcelaient, . Tiiiquié* 
taient dans sa marche, le forçaient a prendre 
position , c'est-a-dire a perdre du temps. D'u|i 
autre côté, le général Rivand devait mettre le 

{>ont de Donna vert en sûreté, et se porter avec 
e surplus de ses forces sur la Wies^nita. Tout 
fvassage était intercepté. Ces dispositions prises^ 
e prince se mit en mouvement et atteignit 
larchiduc, qui se déployait a Neresheim. mus 
l'abordâmes avec cet élan que doimela victoire ; 
le choc fut irrésistible; la cavalerie fuyait, Tin- 
fanterie mettait bas les armes ; les pièces, les 
drapeaux , les soldats , se rendaient en masse. 
Tout était dans un désordre affreux. Klein^ 
Fauconet , Lanusse^ , les poussaient , les cou- 
paient dans tous les sens, les chassaient dans 
toutes les directions- On somma Werneck de se 
rendre : il hésitait ; un concours de circonstance 
inouïes le décida. L'officier chargé d'escorter le» 
parlementaire français cherchait soii chef a tra- 
vers champs. Il rencontra le prince de Hohen- 
xoUern, auquel-il fit part de l'objet de sa mission* 
Celui-ci voulut .l'accompagner, ne doutant pas 
que le feld-maréchal n'acceptât : ils se dirigèrent 
. sur Nôrdlingen, qu'ils trouvèrent occupé non par 
ce général, mais par les troupes françaises. D un 
autre côté le général Lasaîle s'était porté sur 
Merktng, et y avaitenlévéun millier d hommes; 
les fuyards vinrent jeter l/^^pouVante au quartier- 
géiiéral. Ces rapports ébranlèrentWerneck, il se 
montra dispose a traiter \ il retint l'ofGcier fran- 
çais, et donna en otage le major du régiment de 
Kaunits. Il remit cependant la négociation au 
lendemain: ilvoulait tenter les chances de la nuit. 
Dès qu elle fut close» il essaya de se rallier à Tar- 

3 



54 Mémoires 

<^iduc; mais les troupesf rançaiâas interceptaient 
la route, le général "Rivaud culbutait Lichteh- 
stein 9 et coupait le grand pare que nos hussards 
pressaient en queue. Werneck n osa passer outre; 
il se crut enveloppé et négocia. Le général Bel- 
liard se rendit aux avant-postes : nos troupes 
occupèrent les hauteurs , afin d'être en nvesure 
contre les superchmes* Mais la nuit approchait; 
Hohenaollern , qui , la veille , avait trouvé la 
capitulation inévitable , profita des ténèbres 
pour l'éluder, le général Mecaery suivit son 
exemple : ils s'échappèrent avec la cavalerie et 
quelques fantassins ; ils faisaient partie du corps 
qui avaitmis has lesarmes. On pouvait croire 

âu'ils ^ient lié» par les actes d^ leur chef; 
tCen était, rien cependant ; ces messieurs le 
crurent du moins , |>uisqu'ils rejoignirent les 
débris de larçhiduc, avec lequel ils se jetèrent 
*sur le territoire de Prusse. Nous les atteignîmes 
a Gunderhausen; nous les sommâmes d'exécu- 
ter la convention . Le prince de Schwartzenberg 
alléguait dès ordres , voulait éclaircir des dou- 
tes, écrire, s'expliquer en un mot gagner du 
temps. 

Les Prussiens k leur tour criaient a la nea- 
\tralité; ils demandaient que la ville ne fût }>as 
aUaquée, que la colonne ennemie pût l'évacuer. 
Uii^ personnage k rabat vint , sous Péscorté, des 
officiers de l'archiduc , nous menace de la co- 
lère du rôi Guillaume. Le général Klein 
n'était pas homme k se payer d'une mascarade : 
il envoya au grand-duc ce magistrat a livrée 
autrichienne, elafit sonner la charge. Le prince 
de Schwartxenberg accourut tout, décon- 
tenancé : il ne croyait pas que le général fût si 






\ 



'' du génf^ral Rapp. S5 

proche. Il prétendit aussi que nous iie^ devions 
pas violer le territoire de la Prusse., proposa 
dé le respecter^ et de ne i>as occuper Gunaer* 
hausen. nlein lui répondit de prêcher d'exem- 
ple ^ qu'il l'imiterait. On avançait toujours, 
et cependant Schwartxenberg ne se décidait 
pas. Murât, £atigué d'être pris pour dupe, 
ordoima de cesser ces discussions et de marcher, 
L'arrière^arde ennemie prit alors le galop , et 
nous céda la place. INous la poursuivîmes ' 
pendant ipielques lieues, sans pouvoir l'attein- 
dre. Il était nuit: nous primes position. Nous 
nous remimes eu .marche k la pointe du jour; 
mais 'l'archiduc avait tellement précipité sa 
fuite , ^ue ce ne fut f|li a Nuremberg que nous 
atteigniiAes la queue de ;s«s équipages. Un 

Eiquet d'avant-garde les chargea , et fit mettre 
ks les anneis au bataillon d'esciorte. De là, il 
1>oussa eh avant, et s engagea dans un chemin 
>oisé, a travers l'artillerie et les bagages , pous- 
sant , culbutant quelques centaines de dragons 
3ui cherchaient vainement a se rallier. Le gros 
es Aul^richiens nous attendait dans une posi- 
tion avantageuse.. Nos chasseurs furent cott^ 
traints de plier. Les hussards , les carabiniers 
accoururent: tout fut culbuté. L'archiduc lui- 
même faillit être pris. Ce fut le coup de grâce 
du corps qui s'était échappé d'Ubn. En cinq 
jours, sept mille braves parcoururent un espace 
de quarante-cinq lieues, détruisirent une armée 
de vingt - cinq mille hommes , lui enlevèrent 
sa caisse , ses équipages , s'emparèrent de cent 
vingt-huit pièces de canon, onae drapeaux, 
et mrent douxe a quinse mille prisonniers. I^ 
tout ce qu'avait ramené l'arcniduc, a peine 

^ 3 . 



36 Mémoires 

restait-il quelques milliers de malheureUx dis- 
persés dans les bois. 

Cependant le général Klein* persistait dans 
ses réclamations :Wemeck lui-mé^ie insistait 
sur la foi jurée. Ils exigeaient que les officiers 
compris dans la capitulation vinssent se con- 
stituer prisonniers. Le général français adressa 
sies plaintes a 1 archiduc , ou , en son abisence, 
au général commandant Tarmée autrichienne; 
mais le désordre était tel , que le pîfflementaire 
fut obligé de courir jusqu'au fond de la Bohême 
pour trouver un officier qui pût recevoir ses 
dépêches. La réponse se fit 'long-tenips atten- 
dre : elle arriva enfit^ C*était une lettre du 
général Kollowra^d, qtfi lui transmettait la 
correspondance qui suit : ^ 

Au lieutenant-général de sa majesté impériale' et rojale, 
. , comte de Hpfaérèzollem. 

iyMonsieur le Ueutenant^général^ - 

,,Vous m avex soumis la lettre du lieutenant- 
„général Wemeck; Je vous répondrai que, 
,ySelon.les lois de la guerre et les droits de§ 
^nations, je trouve très illégales les prétentions 
„du général français, 

,,En conséquence, je déclare que vous et 
„les troupes avec lesquelles vous êtes rentré 
,,,ne pouvez être compris dans la capitulation. 
„Je vous ordonne donc, ainsi qii^ elles, de 
„continuer à servir comme auparavant.** 

Signé j Ferdiitand. 

Et plfiS 6a5^ MÔBTALH, 

major et aide-de-camp. 
£gra , U a5 octobre i8o5» ' 



du général Rixpp. ^ * 37 

Au moyen de cette piècç la ca|)itulation 
n'étiat pas une capitulation. Hoh^nxbllern fu- 
yait sans forfaire a l'honneur. Il s'ëtonnaît 
qu'on ^ voulût lui faire rendre en niasse des 
soldats qu'il perdait aussi bien en détail. Sa 

lettre était curieuse ; la voici : 

> ■ • • , '. . 

AM. le feld-maréchal baron de Wernech. 

• ■ 

y^Mon très cher camarade^ 

» 

„Je ne puis voua, cacher ma surjmce sur là / 

,, proposition de me rendre avec la cavalerie 
„qui était de A'^otre corps. Lorsque je vous ai 
,, quitté, vous avies refusé toute capitulation, 
„en ma présence, et pour moi; je pensais au 
,, moyen de ramener, colite qui coûte, la ca- 
,, Valérie a larmee, si vous, avec l'infanterie, . 
„ne pouviez vous tirer d'affaire. J'ai essayé, 
,, j'ai réussi. Je ne conçois pas de quel droit 
,,je pourrais être prisonnier dé guerre, n'ayant 
„pas été présent a vos arrangements , auxquels 
„ jamais , par ma personne , je nVurais pu me 
, , prêter. Maintenant que depuis hier je suis 
„séparé de vous, il ne m'appartient plus de 
„remplir vos ordi-es: je les reçois de son al- 
„tesse royale notre général en chef. 

*„J'ai rhonneur dêtre votre très humble et 
„très obéissant serviteur.** 

Signé, le lieutenant-gën^ral db HooEiirxoLLBBsr, 

conseiller intime. « * 

Napoléon était content dé lui , de l'armée, 
de tout le monde. Il nous témoigna sa satis- 
factiçMi par la proclamation qui suit: 



58 :\/rmotrrs 

r,Scidat» de la grande armée! 

„Eii quiose jouis nous aroiis &it une cun- 
„pagiie. Ce que nous nous proposions d« 
„niire est rempli: nous avons chassé de la Ba- 
,,viëre les troupes de la luaîson d'Autxîciic, 
,,et rétabli notre allié dans la soureraineté de 
„»ei éuis. 

„CeUc aaimêc qui avec autant d'ostentation 
„que dlmpradciice était venue se placer sur 
^os firontieres est anéantie. 

f,Naïs qu'ini|KMrte ^ l'Angleterre? Son but 
„est rempli: nous ne sommes plus à Boulo- 
„gne, et son subside ne «era ni plus ni moins 
„grand. 

,J)e cent mille hoiumes qui compo^jiiftit 
„cette armée, soixante mille sont prisonniers; 
„ils vont remplacer nos conscrits dans les tra- 
„vaux de la campagne. 

„Deux cents pièces de canon, tout le ^»arc, 
(.quatre-vingt-dix drapeaux. , tous leurs gêné- 
„raux, sont en notre pouvoir. Il ne s'est pas 
„échappé de cette année quinse raille hommes. 

„$oldats! je vous avais annoncé une grande; 
^bataille; mais, grâces aux mauvaises coinbi- 
„naisons de l'ennemi, j'ai pu obtenir les mêmes 
(«résultats sans courir aucune chance; et, ce 
,,qui est sans exen^le dans l'histoire des na- 
„tion3 , un si grana résultat ne nous afiiaiblit 
quinse cents homme«^ hors 

:cès est dû k votre confiance 
k'otre empereur, a votre pa- 
les fatigues et les privations 
L votre rare intrépidité. 



du génér^ai M&pp. 39 

,,Mais nous ne nous arrêterons pas 1^, Vous 
„éte8 impatients de commencer une seconde 
,)Campagne. 

„Cette^mée russe <jue l'or de l'Angleterre a 
„ transportée des extrémités de l'univers* nous 
, , allons lui fiire éprouver' le méme'wrt. 

,vA ce combat est ettaché plus spécialeiiient 
,,1'hçnneur de 1 infanterie française > c'çstlaque 
,9va se décider, pour la seconde fois, »cette 
,,question, qui la déjk été une fois en Suisse 
,,et en Hollande, si l'infanterie f rançaise^ est 
„la première ou la seconde de TEurone. 

,41 n'y a pas la de généraux contre lesmieU 

„je puisse avoir de la gloire k acquérir. Tout 

„mon soin sera d'obtenir la victoire avec le 

y,moins d'ejSusion de sang possible: mes sol- 

«vdats sont mes enfants/^ 



• 



^*j 



\ 



( 



I 



40 Mémoires " . 



CHAPITRE VIII. « 

Les Autrichiens avaient fiiii, nous .courûmes 
au-devant des Russes. Kutusoif aflFectait de la 
rësolutiçu, nous le croyions disposé a combattre, 
nousmous félicitions de cette nouvelle occasion 
de gloire: mais toute cette contenance n'était 
qu'un simulacre; il abandonna l'Inny la Traun^ 
ITEms; on ne le vit plus. Nous poussâmes sûr 
Vienne; nous avancions, nous allions, nous 
marchions à tour déroute: jamais mouvement 
n avait ;é té si rapide. L'empereur en fui inquiet, 
il craignaitqiie cette préci|>itation ne compro- 
miît nos derrières, qiïe les Russes ne nous 
prissent par le flanc. „Murat , me dit- il court 
„comme un aveugle; il va, comme s'il ne 
,,s'agissait que d'entrer a Etienne : rennemi n'a 
^persopne en face , il peut disposer de toutes 
„ses forces et écraser Mortier. Avertis Bertliier 
„qu'il arrête les colonnes.** Berthier vint, le 
maréchal Soult eut ordre de rétrograder jusqu'à 
Mautérn; Davoust prit position a l'embrancne- 
ment dis routes de Lilienfeldt et de Neustadt, 
et Bernadette a Moelck. Ces dispositions ne 
purent prévenir l'engagement dont Napoléon 
craignait Vissue. Quatre mille Français furent 
chargés par l'armée ennemie tout entière; 
mais l'habileté, le courage, la nécessité de 
vaincre, suppléèrent au nombre: les Russes 
furent culbutés. A la nouvelle de cette éton- 
nante victoire, to\it se remit en mouvement: 
l'empereur pressa là marche avec encore plus 



du général Happ. ' 41 

de vivacité qu'il ne Favait suspendue? ;. il voulait 
gagner les Autrichiens de vitesse , surprendre 
le passage du Danube; tourner, couper leurs 
allias , les battre avant l'arrivée de nouvelles 
forces. Il expédiait, hâtait les ordres: hommes 
et chevaux, tout éta^ten mouvement. „Le 
„champ est ouvert, Murât peut se livrer a 
„toute son impétuosité; mais il faut qu'il agra»- 
,, disse le terrain, il faut qu'il surj>renne le 
„pont.** Et il lui écrivit sur-le-champ: „La 
,, grande affaire, dans le moment actuel,; est 
, jde passer le Danube , ; afin de déloger les 
„ Russes de Krems en se jetant sur leurs der- 
„rières ; rennemî coupera probablement le 
„pont de Vienne: si cependant il j avait pos- 
,,sibilité de l'avoir en entier, il faut tâcher de 
,,8*en emparer. Cette considération seule peut 
,,forcer l'empereur a entrer dans Vienne; "et 
,,datis ce cas vaus y fere^ entrer une partie de 
,, votre cavalerie et les gtenadiers seulement. 
,,ll faut que vous connaissiez la force des 
„ troupes bourgeoises cpii sont armées a Vienne. 
,,1/empereur imagine que vous avez fait placer 
,,quel(ques pièces de canon pour intercepter le 
„pa8sàge sur le Danube entre Krems et Vienne J 
„ll doit y avoir des partis de cavalerie . sur la 
,, rive droite du fleuve; vous n'en parlés pas a 
,,rempereur. Sa majesté trouve nécessaire de 
„savoir a quoi s'en tenir, afin que s'il avait été 
„possiblè d^intercepter le Danube au-dessous 
„aè Viennfe, on eut pu le faire. La division 
„du général Suchet restera avec une partie de 
„ votre cavalerie sur la grande route de Viehne 
„a Burkersdorf , a moins que vous né soyez 
,,maitre dû pont sur le Danube^ s'il na pas 



42 Mémoires 

„ëté brvilé; et dans ce cas , cette division sj 
^„porterait, afin de pouvpir passer , le. fleuve 
„avec votre cavalerie et vos grenadiers , et se 
^^mettre le plus tôt possible en marche pour 
,, tomber sur les ôommunications des Russes, 
y, Je pense que l'empereui; restera toute la 
,yjournee a Saint-Pôlten* 

^ „Sa majesté vous recommande , prince , de 
,4ui rendre compte fréquemment. 

,,(}uand vous serez a Vienne, tâche» d'avoir 
„les meilleures cartes qui s'y trouvent des 
5,environs de Vienne et de la Easse- Autriche. 

„Si M. le général comte de Giulay se pré- 
yysente , ou toute autre personne , , pour parler 
^a 1 empereur , envoyea-le en toute hâte ici. 

^Jlol garde bourgeoise qui fait le service K 
„ Vienne doit avoir, tout au plus cinq cents 
^,fusils. 

„I1 vous sera facile » une fois a Vienne, 
..d'avoir des nouvelllss sur l'arrivée > des autre» 
, y colonnes russes/ ainsi que sur le projet des 
j^^utres , en se cantonnant a Krems. 

,^Vous aurez pour tourner les Russes et 
„pour tomber sur leurs derrières votre cavalerie, 
„le corps du' maréchal Lann^s et celui du 
„maréchal Davoust. Quant aux corps de» 
^,m^réchaux Bernadotte et Soult, ils ne peuvent 
^,êt3re disponibles que lorsqu'on saura définitive- 
„ment le parti qu auront pris les Russes./ 

,,Passe dix heures 4^ matin vous pourres 
„donc entrer a Vienne j tâcheis d'y surprendre 
,4^ pont du, Danube, et s'il est rompu avises 
„a'trouv«r les plus prompts moyens de passage : 
„c'est la seule grande affaire dans ce moment. 
„Si cependant^vant dix heures M. de Giulay 



du général Rapp. 



43 



,96 présentait pour apporter des propositions 
,de négociations, et qu'il vous engageât a 
^suspendre votre marche, tous suspendrieji 
,votre mouvement sur Vienne , mais vous ne 
,vous occuperiea pas moins de trouver tous 
,les moyens de passer le Danube k Kloster Neu- 
,bourg ou a tout autre endroit favorable. 

-^„L*empereur ordonne que depuis Siegharts<^ 
,kirchen jusqu'à Vienne vous placiez de deux 
,en deux lieues de France un poste de cavalerie 
,de ^x hommes , dont les chevaux serviront 
,à r A^er les officiers que vous enverreii pour 
,rendre compte de ce qui se passera* Les 
,hommes du même poste pourront porter les 
,dépéches de Sieghartskirchen a Saint-Pôlten. 
,Le maréchal Bessières fera placer des postes 
,de la garde de Tempereur»" 



\ 



mé 






,44 Mémoires 






CHAPITRE IX. , 

Nous étions a Saint-Pôlten. Napoléon $e 

13romenait a cheval sur la route de Vienne, 
lorsqu'il vit arriver une voiture ouverte ou se 
trouvaient un prêtre et une daine tout en pleurs . 
Il était, comme a son ordinaire, en costume 
de colonel de chasseurs de la earde. Elle ne 
\e reconnut pas. Il s'infprma de la cHfp^ de 
5es lai:mes et du lieu où elle dirigeait sa course. 
Monsieur, lui dit-elle, j^ai été pillée dans 
une caippagne a deux xbeue^ d'ici par des 
.^,soldat$ qui ont tué inori jardinier. Je vais 
,, demander une sauvegarde à votre eçtipereur, 
. ,jqui a beaucoup connu ma famille, a laquelle 
„il a de grandes obligations. — Votre nom ? — 
,*,De Bunny; je suis la fille de M. de Mdraoeuf, 
„autrefois gouverneur en Corse. — Je suis 
^charmé, madame, répliqua Napoléon avec 
„beaucoup d'amabilité , de trouver une occasion 
„de vous être agréable: Cest pioi qui suis 
, jl'empereur. * ' Elle fut tout interdite . Nepoléon 
la rassura et lui dit d'aller l'attendre à son 

Suartier-général. Il la traita a merveille , lui 
onna un piquet de chasseurs de sa gardé , et 
la renvoya heureuse et satisfaite. 

Napoléon avait reçu un rapport, qu'il lisait 
avec satisfaction; j'entrai dans son cabinet. „Eh 
,^bien ! Rapp, sais-tu que nous avions des partis 
,, jusqu'au fond de laBohême? — Oui, sire. — Sais- 
,,tu quelle cav^lierie a battu les houlans, enlevé 
,,des poistes, pris des magasins? — Non, sire. 



du général Rapp, A^b 

„ — ^^Nbs fantassins perches sur des chevaux de 
, y trait ! — Comment cela ?** Il me donna le rap- 
port. Des détachements qui avaient pénétré eri 
Bohême s'étaient tout k coup trouvés dans iin 
pays découvert: ils n'avaient qu'une vingtaine 
de dragons ; ils ne voulaient pas rétrograder, ils 
n'osaient pénétrer plus avant. Dans cette per- 
plexité, le chef imagine un expédient: il réunit 
les chevaux dés hagages^ monte ses fantassins, 
et les lance ainsi équipés à travers les épaisses fo- 
rêts qui avoisinent Egra. Des partis de caValerie 
vinrent a leur rencontre et furent culbutés ; nous 
primes des hommes, des chevaux et des approvi- 
sionnements qui furent livrés aux flammes. Je 
rendais le rapport : ^Eh hien, que te semble de 
„cette nouvelle espèife de cavalerie? — Admirâ- 
,,ble, sire. — C'est que quand on a dù^angfran- 
„çàis dans les veines , on fait toujours entrer la 
„mort dans les rangs ennemis." 

Nous itiàrchiotis a la suite de rarrièrè-gafde. 
Il nous eût été facile de l'enlever ; nous n'eûmes 
garde de le faire: nous voulions endormir sa vi- 
gilance: nous ne la poussions pas, nous ré- 
pandions des bruits de paix. jNous laissions 
écha])pçr des trouj^es, des bagages ; mais quel- 
ques hommes de plus n'étaient pas une affaire : 
la conservation des ponts était a une bien autre 
importance. Rompus, il fallait reprendre sous 
œuvre une question déjà résolue. L'Autriche 
assemblait de nouvelles forces ; la Prusse levait 
lé masqué, et la Russie se présentait sur le 
champ' de bataille avec tous les ^nojeiis de ces 
deux puissances. LapoMpssioii des ponts était 
une victoire, et il rfyTfvait que la surpris^ 
qui pût nous la faire remporter. Nous prîmes 



\ 

V 



\ 



46 Mémoires 

iios mesuras en consécjuence. On défendit au^ 
troupes échelonnées sur la route de faire au- 
cune démonstration capable de donner réveil, 
on ne permit a personne d'entrer a Vienne. 
Quand tout fut bien vu, bien examiné, le 
grand-duc prit possession de cette capitale et 
chargea Lanusse et Bertrand de faire sans délai 
une reconnaissance sur le fleuve. Ces deux 
oificiers étaient suivis du 10^ hussards ^ Ils trou* 
vèrent aux portes du faubourg un poste de ca- 
valerie autrichienne. On ne se battait plus 
depuis trois jours; il jr avait une espèce de sus- 
pension d*armes. Ils abordent le commandant, 
tient conversation avec lui, s'attachent a ses pas, 
ne rabandonnent plus. Arrivés sur les bords 
du fleuve ; ils s'obstinen\ encore à le suivre 
malgré lui; TAutrichien s'emj^orte, les Français 
demandent a communiquer avec le général 
qui commande les troupes stationnées sur la 
rive gauche : il y consent , mais il ne souffire 
pas que uqs hussards les accompagnent; le 10^ 
est obligé de prendre position. Cependant nos 
troupes arrivaient , conduites par le grand-dUc 
et le maréchal Laniiés. Le pont était encore 
intact, mais les conducteurs étaient établis, 
les canonniers tenaient leurs mèches: le moin- 
dre signe qui eût décelé le projet de passer de 
force eût tait avorter l'entreprise. Il fallait 
jouer de ruse; là bonhomie des Autrichiens 
s j prétait. Les deux maréchaux mirent pied 
k terre , la colonne fit halte , il n'y eut qu un 
petit détachement qui se porta sur le pont et 
s y. établit. Le général Bernard s'avança eji ^e 
proipenant les inainsKlerrière le dos avec deux 
officiers d'état-major. Lannes le joignit avec 






du général Rapp. 4?- 

d'autres; ils allaient, venaient, causnient,' et 
arrivèrent àiu|L jusqu'au milieu des Autrichiens. 
L officier du p<me ne voulait pas d'abord les 
recevoir, mais il finit par céder , et la conver- 
sation s'établit. On lui répéta les propos qu'a- 
vait déjà tenus le général Bertrand , que les 
négociations avançaient» que la guerre était 
finie , qu'on ne se battrait, au on ne se déchi- 
rerait plus. ^Pourquoi , lut- dit le maréchal, 
„teneB-vous encore vos canons braqués sur 
,,nous? N'est-ce pas assea cfe sang, decon>bats? 
Youles^vous nous aMaquer y prolonger des 
malheurs qtîi vous pèsent plus qua nous? 
, , Allons , plus depro vocations : toumea vot piè- 
„ces. ^Moitié subjugué , moitié convaincu, le 
commandant obéit. L'artillerie i^t dirigée sur 
les troupes autrichiennes , et les armes mises 
en faisceau , Fendant ces pourparlers , lepelo- 
ton d'avant-garde avançait lentement, mais en* 
fin il avançait , masquant des sapeurs , des ca« 
nonniers, qui jetaient dans l6 fleuve les matièrea 
combustibles, répandaient de l'eau sur les pou- 
dras et coupaient les conducteurs. L'Autrichien, 
trop peu familier avec riptre langue pour s'inté- 
resser beaucoup a la conversation , s'aperçut, 
3ue la trouj>e gagnait du terrain, et s'enorçait 
e faire comptendre q^ue cela ne devait pas 
être y qu'il ne le souSrirait pas. Le marécnal 
Lannes, le général Belliard, tâchèrent de le 
rassurer; ils lui dirent que le froid était vif, 
qiie nos soldats marquaient le pas, qu'ils cher«> 
chaient à s'échaufFer en se donnant du mouve- 
ment. Mais la colonne approchait toujours, elle 
était déjà aux trois quarts du pont ; il perdit 
patience et commanda le feu. Toute la troupe 



48 Mémoires 

courut aux armes, lesnrtilleurs apprêtaient leurs 

Siècles, la«jK>sition était terrible ^un .peu moins 
e présence d'esprit, le pont m,Mt en Tair, nos 
soldats dans les flots,, et la camj3agne compro- 
mise.. Mais r Autrichien avait affaire a des Hom- 
mes qui n'étaient pas faciles a déconcerter. Le 
maréchal Lannes le saisit d'un côté , le général 
Belliard de l'autre; ils le secouent, le mena- 
cent, crient, empêchent qu'on ne 1 entende. 
Arrive sur ces entrefaites le prince d'Auersberg, 
accompagné du général Bertrand. Un officier 
court rendre compte ai||grand-duc de Fétat des 
choses ; transmet a la troupe , en passant, Tor- 
dre d'allonger le pas et d'arriver. Le maréchal 
s'avance au-devant du prince, se plaint du chef 
du poste , demande qu'il soit remplacé , puni, 
éloigné d'une arrière-garde où il peut troubler 
les négociations. Auersberg donne <lan3 le 
piège. Il discute, approuve, contredit^ se pe»:d 
dans «ne conversation inutile. Nos troupes met- 
tent 1^ temps a prpfit; elles arrivent, débou- 
chent, et le pont est emporté. Des reconnais- 
sances sont aussitôt dirigées. dans tous les sens, 
et le général Belliard porte nos colonnes sur 
la route de Stokerau , où elles prenent position « 
Auersbei^^ confias; de sa loquacité intempestive, 
se rend auprès • du grand-duc, qui,.a|>irè$ un 
court entretien , l'adresse a Napoléon ^t passe 
aussi le fleuve. 

' Le piquet autrichien veillait, toujours ^ la 

farde du pont« Nous bivouaquions péle-mèle« 
es^ trpiipes étaient confondues a Stokeravi 
comme sur lés bords du fleuve. Napoléon, trou- 
va ce mélange inutile. Il envoya les houlans 
a Vienne » où ils furent désarmes. 

Nous 



\ ; 



du général Rapp. 49 

Nous aiTÎA^âriies k Aùsterlita. Les Russes 
avaient des forces supérieures aux nôtres ; ils 
avaient replié nos ayant-gardes et nous cro- 
yaient déjà vaincus. I/action s'engagea; mais, 
au lieu de ces succès faciles -que leur garde 
seule devait obtenir ^ il trouvèrent partout une 
résistance opiniâtre. Il était déjà une heure, 
et la bataille était loin de se décider pour 
eux. Ils résolurent de tenter au centre un 
dernier effort, La garde impériale se déploya; 
infanterie, cavalerie, artillerie, marchèrent 
sur le pont sans que Napoléon aperçût ce mou- 
vement, que lui dérobaient les accidents du 
terrain. Un feu de mousqueterie se fit bien- 
tôt entendi^e , c'était une brigade commandée 
par le général Schinner que les Russes enfon- 
çaient. Nai>oléon m'ordonna de j^rendre les 
Mamelouks , deux escadrons de chasseurs , un 
de grenadiers de la garde , et de me porter 
en avant pour reconnaître l'état des choses. 
Je partis au galop , et n'étais pas k une portée 
de canon que j'apperçus le désastre. La cava- 
lerie était au milieu de nos carrés, et sabrait 
iios soldats. *Un peu en arrière nous discer- 
nions les masses a pied et k cheval qui for- 
maient la réserve. L'ennemi lâcha prise et 
accourut k ma rencontre. Quatre pièces d ar- 
tillerie arrivèrent au galop et se mirent en 
batterie. Je m'avançai en boii ordre; j'avais k 
ma gauche le brave colonel Morland , et le 
général Dallemagne k ma droite. „Vojca- 
„vous, dis-je k ma troupe, nos frères, nos amis 
„qu'on foule aux pieds : vengeons-les , ven- 
„geons nos drapeaux." Nous nous précipitâ- 
mes sur l'artillerie , qui fut enlevée. La cava- 

. 4 



DÔ 



Mémoires 



lerie nous attendit de pied ferme et fût cul- 
butée du même choc ; elle s'enfuit en désor- 
dre , passant , ainsi que nous , sur le cor^s de 
nos carrés enfoncés. Les soldats qui n'étaient 
pas blessés se rallièrent. Un escadron de gre- 
nadiers a cheval vint me renforcer; je fus a 
même de recevoir les réserves qui arrivaient 
au secours de la garde russe, rîous recom- 
mençâmes. La charge fut terrible ; l'infanterie 
n osait hassarder son feu ; tout était pêle-mêle ; 
nous combattions corps a corjjs. Enfin l'intré- 
pidité de nos troupes triomphe de tous les 
obstacles.; les Russes fuient et se débandent^ 
Alexandre et l'empereurs d'Autriche furent 
témoins aja défaite ; placés sur une élévation 
a peu de distance du champ de bataille , ils 
rirent cette garde qui devait fixer la victoire 
taillée en pièces par une poignée de braves, 
Les canons , le nagage, le prince Rephin, 
étaient dans nos mains ; malheuresement 
nous avions un bon nombre d'hommes hors de 
combat , le colonel Morland n'était plus , et 
- j'avais moi-même un coup de pointe dans la 
tête. J'allai rendre compte de cette affaire a 
l'empereur ; mon sabre a moitié cassé, ma blessu- 
re , le sang dont j'étais couvert , un avantage 




qui lut exécute pi 
Les Russes, comme je l'ai dit, se flattaient 
de nous battre avec leur garde seule. Cette 
jactance avait blessé Napoléon, il s'en est rap- 
pelé long-temps. 

Après la bataille d'Austerlitz. Napoléon me 
nomma général de ' division , et m'envoya au 



f 

du général Rapp. 51 

château d'Austerlîts pour soigner ma blessure, 
qui n'était pas dangereuse. Il daigna nie faire 

{plusieurs visites , une entre autres le jour de 
'entrevue qu'il accorda a l'empereur d'Autriche* 
Il me remit deux lettres que les avant-postes 
avaient interceptées ; Tune était du prince 
Charles, l'autre d'un prince Lichtenstein. Elles 
se trouvèrent assez importantes : je les fis 
traduire. Le soir Napoléon vint en .prendre 
lecture a son retour. Il me parla beaucoup de 
François II, de ses plaintes, de ses regrets; il 
me dit à ce sujet des choses fort curieuses. . 

Nous partîmes pour Schônbrunn. Il y 
avait a peine quinze iours que nous y étions 
lorsque Napoléon me nt demander. „E tes- vous 
,,en état de voyager? — Oui, sire. — En ce 
,,cas, allez raconter les détails de la bataille 
„d'AusterlitzkMarmont, afin de le faire enrager 
,-,de n'y être pas venu; et voyez lefFet qu'elle 
„ a produit sur les Italiens . Voici vos instructions. 

^^Monsieur le général Rapp^ 

„ Vous vous rendrez a Gratz . Vpus^y resterez ' 
„le temps nécessaire pour faire connaître au 
,, général Marmont les détails de la bataille 
,*d'Austerlitz^ que des négociations sont ouvçr- 
,,tes, mais que rien n^est fini: qu'il doit donc 
„se tenir prêt k tout événement et en mesure ; 
„et pour prendre connaissance de la situatioa 
„dans laquelle se trouve le général Marmont et 
„du tiomnre d'ennemis qu'il a devant lui. Vous 
lui direz que je désire qu'il envoie dès espions 
en Hongrie et qu'il m instruise de tout ce 
,, qu'il apprendra. Vous poursuivrez votre route 
„ jusqu'à Laybach , où vous verrez le cor]>sdu 

4, 






% 



52 Mémoires 



,, maréchal Masséna , qui form€ le huitième 
„corps de Tàrmée; vous m'en enverrea Tétat 
^exact. Vous lui ferez connaître que si les 
j,négociations se romi>aient , comme cela est 
^possible , il serait appelé sur Vienne. Vous 
„m'ïnstruirez du nombre de troupes ennemies 
„que le maréchal Massena a devant lui, et de 
„la situation des siennes sous tous les points 
„devue. Vous vous rendrez a Palmanova, après 
„ avoir beaacoui> pressé le maréchal Masséna 
„de bien armer et approvisionner cette place, 
„et vous me ferez connaître dans quel état elle 
„se trouve. De la vous vous rendrez devant 
„Venise , vous y verrez les postes que nous y 
„occupons et la situation de nos trouj^es. Vous 
„irez de la a l'armée du général Saint-Cjr, qui 
„marche sur Napleis ; vous verrez sa composition 
„et sa force. Vous reviendrez par Klagenfurth, 
„oii vous verrez le maréchal riey; et vous n\e 
„re joindrez. Ayez soin de m'écrire de chaque 
„lieu où vous vous arrêterez: expédiez-moi 
„des estafettes de Grat;ç, Lajbach, ralmanova, 
„ Venise, et du lieu où se trouvera l'armée de 
,,Naples. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait 
„en sa sainte garde." 

, ^ Napolé n.* 

Schonbrunn, le 25 frimaire an 14. 

Je rajoignis Napoléon a Munich, où il se 
trouvait pour le mariage du prince Eugène, qui 
vint d'Italie , et que j accompagnai. 

• Nous partîmes pour Paris. Ce fut partout 
des cris ae joie : jamais Napoléon n'avait été 
reçu avec autant d'enthousiasme. 



du général Rapp. 53 



CHAPITRE X. 



Pendant que nous étions a Ulm , les Prus- 
siens s'étaient tout- a -coup souvenus, qxfils 
.avaient Théritage d'une longue gloire k défen- 
dre ; les iêtès s'échauffèrent , on courut aux 
armes. Haucwitx vint nous signifier cette ré- 
miniscence mojîinée. Mais la bataille d'Au- 
sterlitK eut lieu dans l'intervalle, "Quand le mi- 
nistre arriva, il ne fut plus question que d'al- 
lience et de dévouement. Napoléon ne fut pas 
dupe de ces protestations , diplomatiq;ues ^ 11 sa- 
vait les intrigues , les scène» de chevalerie qii'on 
avait employées jiour agiter la multitude. Déjà 
avant l'action il avait dit: ,,81 je suis battu, ils 
,, marcheront sur mes derrières, si je suis vain- 
^queuf , ils diront qu'ils voulaient être i>our 
,,moi/' Ils ne surent opter ni pour le paix ni 
pour la guerre; ils éj^ièrent les événements. 
Cette politique tortueuse porta son fruit,, elle 
leur <îOÛta le pays d'Ansjjach, Baiieùthf un^ 
partie du grand auché de Berg , et les posses- 
sions qu'ils avî^iept en Westphalie : il& étaient 
furieux." Je fus envoyé dans le Hannovre, que 
nous leur avions abandon né. Le motif apparent 
démon voyage était la remise* de la forteresse 
de Hameln ; le véritable , de s'assurer de la si- 
tuation des esprits. J'étais chargé de voir com- 
ment ils étaient vus dans le pays, si l'on y par- 
lait de guerre , si les militaires la désiraient, 
enftn d'acheter a Hambourg tout ce que je pour- 






54 Mémoires 

ttkvi de pamphlets contre Napoléon et contre la 
France. 

Ma mission n'était pas difficile a remplir. 
Les Prussiens étaient exaspérés : les Hannovriens 
les détestaient. Cependant le nord de l'Alle- 
magne comptiiit encore sur cette puissance qui 
s'était jusque-lk maintenue intacte. Le comte 
de*Schulenbourg était gouverneur de la nou- 
velle ac(|uisition du roi Guillaume ; il me reçut, 
assez mal. Nos succès dUlm et d'Aiisg.erlitjs lui 
paraissaient médiocres; cette dernière bataille 
même avait été indécise; elle ressemblait à celle 
de Zorndorf/ livrée autrefois par le grand Fré- 
déric aux Russes , et a laquelle il avait assistée 
^Comment les lui faut-il donc ?" mé dit Napo- 
léon lorsque je lui racontai cette anecdote. 

J'allai de là a Hambourg, oii je trouvai Bou- 
rienne; on me fit beaucoup d*'accueil: je savais 
pourquoi. 

Je retournai en France. Je passai a Munster, 
où était le général Bliicher, que j'avais Vu quel- 
ques années auparavant. Je lui fis une visite. 
Il était indispose contre nous : il me reçut néan- 
moins avec beaucoup d'égards. 

Je m'arrêtai huit jours à Francfort chea Au^ 
gereau pour voir et pour entendre : c'étaient 
mes instructions. Napoléon venait de demander 
des contribiftions a cette ville; elle craignait 
d'être obligée d'en payer encore.} 

Nous occupions le paps de Darmstadt. Le 
maréchal — qui avait son quartier-général dans 
la capitale jie cette principauté n'était pas plus 
aimé de la cour que des habitants; son etat- 
major encore moins. Madame la grande du- 
chesse me fit inviter par Augereau qui parais- 



du ^général Rapp. ' 55 

sait alFectioner ce pays; je refusai, je n avais 
pas d'ordre : elle le chargea de me transmettre 
ses plaintes. Elles étaient aïkières. 

Je partis pour WeseL Je devais examiner 
les dispositions du pays. Nos troupes loccu- 
paient déjà. 




de 

rien. Je lui parlai surtout en taveur du pauv 
paysdeDarinstadt; mais il était outré contre la 
duchesse. Elle avait écrit au roi de Bavière une 
lettre terrible, au sujet de la mésallience de sa 
nièce Auguste avec- le prince Eugène. Entre 
autres expressions outrageantes se trouvait 'celle 
de horrible mariage. L'empereur, qui croyait 
que la gloire d'avoir fait de grandes choses va- ^ 
lait bien Tavantage de descendre de ceux qui 
peut-être n'en, avaient pas faites, ne lui pardon- 
nait pas ses préventions féodales. Il fut sur le 
point de lui ôter ses états; mais Maximilien 
intercéda 2>our elle; elle en fut quitte pouir une 
occupation de quelcpies mois \ c'est-a-dire que 
son peuple ^xjîia les forts de sa vanité. 

Il n'y avait pas quinze jours que j'étais ren- 
tré, ta cour était a Saint-Cloud, et Napoléon 
assistait au spectacle; au milieu de la pièce, 
il reçut une aépéche du grand-duché de Bcrg. 
Il rouvrit. Cétait des détachements prussiens 
qui avaient attaqué nos troupes. „ Je vois bien, 
„me dit-il , qu'ils veulent absolument en tâter ; 
.„montejB a cheval, et allez chercher le grand- 
„duc k Neuilly." Murât connaissait déjà l'af- 
faire ; il vint aussitôt. Napoléon s'entretint un 
moment avec lui, et me donna ordre le lende- 
main d'alleç preaidre le commandement de la 



I 



56 - Mémoires . 

divinion militaire a Strasbourg, d'y organiser 
des bataillons, 'des escadrons de marche, de 
les 'diriger au fur et a mesure sur Mayence , .et 
d'y expédier beaucoup d'artillerie. L'infante- 
rie s'embarquait sur le Rhin pour arriverplutôt. 
Je correspondais di rectementaveclSapolëon . 
J'employais les courriers, les télégraphes, tout 
ce qui allait plus vite. Je ne devais pas mettre 
cent hommes en mouvement, déplacer un ca* 
non, remuer un fusil, sans l'en prévenir. J'é-* 
tais depuis deux mois occupé de ces apprêts, 
lorsqu il arriva a Mayence , d'où il m'écrivit 
d'aller le rejoindre a Wurzbourg. Il m'envoya 
une lettre pour le grand-duc de Bade , et me 
chargea de la porter moi-même k ce prince. 
C'était pour l'engager d'envoyer a l'armée son 
petitofiis, le grand duc actuel. Je trouvai ce 
respectable vieillard dans son ancien château 
de jSade ; il parut très affecté de l'invitation ; 
il se résigna néanmoins , et donna des ordres 
pour les préparatifs de départ. Il me fit l'hon- 
neur de me recommander d'une manière fort 
touchante le jeune prince, qui se mit en route 
deux jours plus tara, et nous rejoignit a Wiirx- 
boûrg. Le roi de Wurtemberg y était déjà. Il 
venait d'arrêter le mariage de sa fille av#c Jé- 
rôme. Napoléon était d'une humeur charmante. 
Cette alliance lui souriait. Il n'était ])as moins 
satisfait du grand duc. Murât l'avait singuliè- 
rement disposé en faveur de ce prince. „Jc me 
„sui8 rendu ,^ lui avait-il écrit quelques jours, 
^auparavant, cheale ^rahd duc de Wurabourg, 
„que la lettre et ensuite la nouvelle que je lui 
9 lui donnée , que le ttaité qui l'admet dans la 
^confédération a été signé à Par;isf ont tire de 



du général Rapp. bl 

„la plus granidè inquiétude , Unt il craignait 
„de ne pas y être reçu. Lès sentiments de bien- 
„veillance que je lui ai annoncés de la part de 
„ votre majesté ont surtout paru le toucher vi- 
„venient. Il montre la meilleure volonté pour 
„tbut ce qui concerne le service de Tarniée.' 
„ Aujourd'hui on a proclamé son admission dans 
,4a coîifédération du Rhin. On a tout préparé 
„pour recevoir votre majesté au château , où 
„il paraît qu'on ne néglige rien poiir tâcher de 
„lui en rendre le séjour commode ej, agréable.** 

Nous n avions encore aucune donnée précise 
au sujet des Prussiens ; nous ne savions s'ils 
étaient sur la route de Magdebourg, en Saxe, 
a Gotha, ni quel était leur nombre. Nous 
avions pourtant assea de monde en campagne. . 
Les gentishommes ne manquent pas phis au-delà 
du Rhin qu'ailleurs ; mais les rapports étaient 
si contradictoires qji'on ne pouvait asseoir au- 
cune idée. Tantôt l'avant-garc^e ennemie était 
\\ HofF, Coboui'g et Meiriungen étaient occu- 
pés; les Prussiens dédaignaient toute action 
partielle, ils voulaient tenter le fortune en ba- 
taille rangée, ils ne voulaient point d'affaire 
de détails : tantôt Hohenlohe s'avançait sur 
Schleita, Rachelavait fait sa jonction, la reine 
s'était rendue a Erfurt; Oe n'était plus a Hoff, 
c'était a Nàumbourg que leitroupes se réunis- 
saient. Cette disposition n'était pas en harmonie 
avec la nature des lieux. Elle sembl{iit inconce- 
val^le. Nous étionsaussi incertains sur la masse 
des forces ennemies que sur leu# lignes d'opé- 
rations* 

Km milieu de cette incertitude , nous ap- 
prîmes que Cronach était occupé. Le grand duc 



58 Mémoires 

manda qu'on travaillait a réparer cette citer 
délie, qu'elle serait bientôt en état. Napoléon 
fut étonné c[ue les Prussiens ne s'en fussent |)a3 
rendus maîtres. 9,'Quel motif les arrêtait, puis- 
^qu'ils voulaient absolument la guerre? Les 
difficultés! ilnV avait ni approvisionnementà 
),ni artillerie ; 1 entreprise n était pas au-dessus 
„de leur courage. Ne la jugaient-ils pas asses 
,, importante pour s'essayer? Ccjfort coiïimaude 
,; trois grands débouches; mais ces Messieurs se 
„soucient peu des positions , ils se réservent 
„pour les grands coups ; nous les servirons a 
„souhait.^^ 

Il recevait k* chaque instant des nouvelles de 
l'armée prussienne, fiuchel, Blûcher, le duc 
de Brunswick, étaient impatients de commen- 
cer la guerre , et le prince Louis encore plus. 
Il hâtait, il pressait 1$^ hostilités, il craignait 
de laisser échapper l'occasion. C'était, du reste, 
t^un homme plein de courage et de capacité; 
tous les rapports s'accordaient a»cet égard/ Na- 
poléon, a qui cette pétulance ne déplaisait pas, 
s'entretenait un soir avec nous des généraux 
ennemis. Quelqu'un prononça le nom du prince. 
.„QuantH celui-lk, dit-il, je lui prédis qu'il 
,,sera tué cette campagne." Qui aurait ôru que 
la prédiction dût se vérifier si vite ? 

lia Prusse s'était enfin expliquée. Elle exi- 
geait que nous abandonnassions nos conquêtes, 
et nous menaçait de toute sa colëre si nous 
persistions a ne pas évacuer l'Allemagne , si 
nous ne repaSions pas le Rhin. La prétention 
était modeste et bien digne de ceux aui f éle- 
vaient. Napoléon n'acheva pas, il jeta la pièce, 
de dédain: „Se croit-il en Campagne? veut-il 



du général Rapp. 59 

^reproduire son manifeste ? Quoi! par journée 
„d'étapes! Vraiment, fai pitié de la* Prusse, 
,,je plains le roi. H ne sait pas quelles rapso« 
„dies on lui fait écrire. C'est par trop ridi- 
„cule. Il ne le sait pas. Bertnier on nous 
„donne pour le 8 un rendez- vous d'honneur; 
^allons, marchons.** Se tournant ensuite vers 
son secrétaire , il lui dicta tout d'une haleine 
la proclamation qui fut insérée dans les feuil- 
les publiques d'alors. . 

Les soldats ne demandaient qu'a combattre* 
Les Prussiens occupaient Saalfeld et Schleitx i 
nous les chargeâmes , nous les culbutâmes, 
nous les fimes un millier de prisonniers. Ce 
furent les deux* premiers engagements que nous 
eiimes avec eux. Je quittai Murât, que j'avais 
eu ordre de suivre , et allai rendre compte de 
l'affaire de Schleitx a Napoléon , qui avait son 
quartier-général a quelques lieues en arrière, 
chez une princesse de Reus-Lobenstein. Il tra- 
vaillait avec Berthier. Je lui appris les suc- , 
ces du grand-duc et la déroute cle Tauenaien. 
Il me dit crue je pouvais me coucher; que dans 
quelques neures on m'éveillerai pour aller en 
mission. J'ignorais où ce pouvait être. Je fus 
effectivement appelé vers le cinq heures. L'em- 
pereur me remit une lettre pour le roi de Prusse, 
gui avait alors, je crois, son quartier-général a 
ondershausen. ,,VousireB, me dit-il, courir 
„après le roi de Prusse ; voto lui remettrez cette 
„lettre de ma part. Je lui demandé encore une 
„fois la paix , quoique les hostilités soient déjà 
,, commencées. Vous ferez bien sentir a ce sou- 
„Verain le danger de sa position et les suites 
„f unes tes qu'elle peut avoir. Vous reviendrez 



60 Mémoires 

,,6Ut-le- champ m'apjiorter sa réponse ^ Je niar- 
„che sur Géra/V iNos équipages étaient encore 
€n arrière , je n'avais pas de voiture ; j en em- 
pruntai une des remises de la princesse, je la 
fis atteler de quatre bor)s chevaux, et me mis 
en route vers les six heures. Je n'avais pas 
fait une lieu, que Napoléon fit courir après 
moi. Je montai dans son cabinet, où il avait 
travaillé toute la nuit. Il me dit de remettre 
la lettre «a Berthier: ,, Toute reflexioq faite, je 
^,ne veux pas qu'un de mes aides-de-camp soit 
„chargé d'un semblable message. Vous êtes 
„des personages trop importants pour ique je 
„vous expose a être mal reçus.*' Elle fut en- 
voyée deux jours plus tard par M. de Mon- 
tesquieu. Il partit, je crois, de Géra On sait 
le traitement qu'il essuya. . li fut aarêté par le 

Iirince de Uohenlohe, alors commandant de 
'armée pruissicnne, qui le fit assister a la ba- 
taille^de Jéna, et n'expédia, h ce qu'on assure, 
là lettre qu'après l'affaire. 

Plusieurs personnes de la suite de Napoléon 
ont prétendu que si j'eusse achevé la mission 
dont j'étais d'abord chargé, je serais arrivé 
chea le roi de Prusse , et que peut-être la guerre 
n'etit pas en lieu. Je ne le jiense pas. Le gant 
était jeté, il fallait le ramasser. Je ne crois pas 
même ([uè Napoléon fiit plus enclin a la paix 
que le roi Guillaume, ' . 



■*«iB«. 



du général Rapp. 61 



CHAPITRE XL 



Quoi qu'il en soit , nous étions maîtres du 
cours de la Saale et. en mesure de tourner 
Tarmée ennemie; le duc de Brunswick était 
bien déchu. Il avait imaginé de nous aller 
chercher sur le Mein , d'occuper nos ailes par 
des corps déCachés et de nous rompre au centre 
avant que nous fuissions réunis. • Il avait en- 
core tous les fils de ce vaste systèrfle d'espion- 
nage -qui pesait sur la France depuis l'émigra- 
tion : il coiwiaissait la force et l'itinéraire^ de 
divers corps qui partaient de Meudon. Il ne 
doutait pas de nous prévenir. Napoléon se plai- 
sait a nourrir cette illusion; il faisait des ap- 
prêts, des reconnaissances sur toute cette ligne. 
Le duc ne douta plus de nous avoir pénétrés: 
nous devions. déboucher par Kœnigshoven; il le 
'certifiait^ il en était convaincu. Nos mouve- 
ments sur son centre n'étaient qu'un piège, 
une ruse de guerre ; nous voulions lui donner 
le chïtng?, empêcher qu'il ne débouchât par 
les forêts de la Thuringe , tandis que nous nous 
porterions vers Cobourg, Meinungen dans des 

Sajs boisés, mpntueux, où sa cavalerie per- 
rait l'occasion d'agir ou tout au moins sa su- 
périorité. Il était urgent de nous prévenir, il 
courut sur Kœnigshoven. 

L'ennemi était, engagé dans le bois ; Napo- 
léon se porta surSchleitz, a soixante lieues du 
point d attaque présumé. Le troisième corps 
couchait paisiblement le 10 a Naumbourg s«;r 



92 Mémoire^ 

les derrières du duc de Brunswick. Les ho- 
stilités ne dataient que de deux jours, et ce 
Iirince, déjà débordé sur sa gauche, était a 
a veille d'être toul-k- faire cou^ïé ; ses commu- 
nications avec l'Elbeétaientcoraproinises, ilal- 
lait essu^yer les mêmes diserâces queMack, contre 
lequel il avait tant parlé. Son avant- garde 
arrivée sur le Meiii ny trouva personne. Cette 
circonstance lui parut inouïe sans néan- 
moins lui faire soupçonner le danger où 
il était: la déroute de Saalfeld put seule 
le tirer de ^a sécurité. Il rebroussa en toute 
hâte j le duc de Weimar , le prince de Hohen- 
lohe, eurent ordre d'accouru:, et l'armée de 
réserve de forcer de' marche ; mais les uns s'é- 
garèrent, les autres ne firent pas assea de dili- 
gence î une partie des troujies ne put prendre 
part à- la bataille. Le duc , déconcerte par un 
système de mouvements si nouveaux pour lui, 
ne savait quel parti prendre : ces marches , ces 
dispositions, -qui se pressaient, se succédaient 
l'une a l'autre , formaient un imbroglio dont il 
ne saisissait ni la cojnbinaison ni le but. L'oc- 
cupation de ?Jaumhourg' le tira de cet état 
d'anxiété; il vit que son aile gauche allait êti-e 
■ tournée ou tout au moins débordée ; il ne vou- 
lut pas attendre , il courut rallier l'armée de 
réserve qui aA'ançait sur Halle et laissa Hoheii- 
lohe au cani]» de Capellendorf pour mas<|uer 
le mouvemeait de flanc. Ses trou]}es , qui n'a- 
ies disgrâces de Saalfeld et 
laient les corps battus; elles 
, la reine, tout le monde: 
er l'afïronl fait aux amies 
avait pas assea de Français 



du général Rapp. 63 

pour elles. Le duc lui-même avait repris toute 
sa confiance. Il ne trouva sur la chaussée d'Auer- 
staedt au'une trentaine de chasseurs. Ses 
communications étaient libres ; il était impos- 
sible qu elles fussent interceptées. Un manœu- 
vrier comme lui n était pas facile k surprendre. 
Les Prussiens dé Hohenlohe campaient derrière 
les hauteurs de Jéna \ il eu avait a perte de ^iie ; 
ils se prolongeaient par-delà Weimar ► Napoléon 
les reconnut dans la soirée du 13 et fixa l'atta- 
que au lendemain : il expédia dans la nuit les 
ordres de mouvements pour les divers corps. 
,,Quant a Davoust, il faut qu'il marche sur 
„Apolda,^ afin de tomber sur les dei'rières de 
„cette armée; qu'il tienne la route qui lui con- 
„viendra, je le laisse le maître pourvu qu'il 
,, prenne ]>art a la bataille. Si Bernadotte est 
„a portée, il faut qu'il q'appuye. Berthier, 
,, donnes des instructions en conséquence." 
ir était dix heures du soir; toutes les disposi- 
tions étaient faites , et cependant le 'général 
eimemi se flattait encore que nous ne pour- 
rions déboucher; mais la pioche fit justice des 
obstacles ,• on creusa le roc , on ouvrit des tran- 
chées: Tarmée s'écoula par toutes les issues. 
I/action commença; de la droite a la gauche » 
la mêlée devint terrible. Davoust surtout se 
trouvait dans une position sous laquelle un 
homme moins tenace eût succombé. Bernadotte 
refusa de le soutenir; il défendit même a deux 
divisions de la cavalerie de reserve , qui pour- 
tant n'était pas sous ses ordres , de prendre part 
a l'action. Il j^aradait autour d'Apolda pendant 
que vingt-six miUe Français étaieiit aux prises 
avec soixante-dix mille hommes d élite com- 



64 Mémoires 

mandés par le duc de Bruiiswick et. le roi de 
Prusse. Au reste , cette circonstance ne -fit que 
rehausser là gloire de celui quelle aurait du 
perdre. Le maréchal fit des dispositions si bien 
' entendues , ses généraux , ses soldats déployè- 
rent tant dliabileté et de courage , que Bluciier 
avec ses douze mille chevaux n-eut pas mémie 
la satisfaction dentamer une compagnie. Le 
roi, les gardes , toute l'armée, se précipitaient 
sur nos troupes sans obtenir plus de succès. 
Au milieu de ce déluge de feux elles conser- 
vaient toute la gaité nationale. Un soldat que 
ses camarades appelaient l'empereur s'impa- 
tiente' de Tobstination des prussien^: a moi 
grenadiers , en avant , s'écrie-t-il , allons suives 
Fempereur. Il se j,ette au plus épais de la mêlée, 
la troupe le suit et les gardes sont enfoncés. 
Il fut fait caporal; ses amis remarquaient qu'il 
ne lui manquait plus que le protectorat. 

A Jêna, la victoire n'avait pas été moirf^ 
brillante. La déronte était entière, était géné- 
rale^ 

Je fus chargé vers le soir de poursuivre 
avec le grand-duc les débris de l'armée prus- 
sienne. iNous primes quelques bataillons saxons. 
Nous entrâmes pêle-mêle avec eux dansWeimar. 
Nous plaçâmes nos postes en avant de la ville i 
nous envoyâmes de la cavalerie sur la route. 
d'Erfurt, et nous nous présentâmes au château. 
M. de Papi>enheim , que je me rapi>elai avoir 
vu a Paris, vint au-devant de nous. Il était 
tout effrayé:, nous le rassurantes. La cour 
entière, à l'exception du grand-duc et de sa 
famille , était a Weimar. La duchesse nous 
reçut parfaitement. Je connaissais plusieurs 

dames 



du général Rapp. 65 

daines de sa suite^ dont une est devenue depui» 
ma belle-sœ^r. Je les calmai. Chacun reprit 
courage. Il y eut bien quelques petits dés- 
ordres, mai» ce fyt peu de chose. 

Murât s'établit au château. J'allai rejoindre 
Napoléqn a Jéna, afin de lui rendre compte 
4es événements de la soirée. Il ne croyait pas 
qu'on dépasserait Weimar. Il fut extrêmement 
satisfait. Le courage de la duchesse l'étonna. 
Il n'imaginait pas que cette cour oserait l'atten- 
dre. Il ne l'aimait pas, il le répétait souvent*. 
La nuit était fort avancée ; il venait de recevoir 
des nouvelles du deuxième corps. „Davoust, 
,,]ne dit-il, a eu une afFaire terrible. Il avait 
^devant lui le roi et le duc de Brunsv^ric. Le» 
jPrussiens se s<%nt battus avec beaucoup d'à-. 
',charnement : il en a fait une boucherie afîreuse. 
' ,Le duc a été dangereusement blessé , et toute 
%cette armée parait être dans un désordre 
\épouv9ntable. Bernadotte s'<^st mal conduit: 
%il aurait été enchanté que Davoust nian/juât 
',cette affaire , cpii lui fait le plus grand honneur, 
\d'autant plus que Bernadotte avait rendu sa 
',position aifficiie. Ce gascon n en fera jamais 
\d'autres." 

La bataille était perdue. Les Prussiens n'é- 
taient plus k la guerre; ils demandaient, ils 
invoquaient la paix; ils ne voulaient plus 
d'une lutte qui leur réussissait si mal. A force 
de désirer une suspension d'armes . ils s'étaient 
imaginés qu'elle avait été consentie, Kalkreuth 
annonçait, Blûcher jurait qu'elle était conclue; 

3ui pouvait refuser d'y croire ? Soult , cepen- 
ant, ne donna pas dans le piège. L'imprudente 



66 



Mémoires 



générosité d'AustetUtx ne Tavait pas disposé k 
fa confiance. 11 rei^usa de livrer passage aux 
troupes cju'il avait coupées. i»La convention 
yydont vous parlez, dit-il au feld^maréchal, 
,^e8t impossible. Posea les armes , je prendrai 
„les orctes de l'empereur , vous vous retireres 
„s*il le permet." Kalkreuth ne voulut pas d'un 
expédient de cette espèce. Il échappe toujours 
quelque chose d'une défaite. Il aima mieux 
lessuyer. D'autres colonnes furent plus heu- 
reuses; mais ce n'était que partie remise. 
Elles furent obligées de rendre les armes qi^el- 
ques lieues plus loin. 

Le roi lui-même était rebuté de ses dis- 
grâces. Il se rappela tout ce que Napoléon avait 
fiiit pour éviter les hostilités; il lui écrivit. 
C'était un peu tard pour répondre k dés ouvertu- 
res qui avaient été si mai accueilies. ,3 ^^^ 
^mietix valu s'expliquer deux jours plutôt;' 
,niais n'importe , ]e veux arrêter l'effusion du 
ySang* Je suis^ disposé k mè prêter k tout ce 
,€rui est compatible avec la dignité et les intérêts 
,ae la nation . J'enverrai Dùroc au roi de Prusse ; 
,Tnâis il y a quelcue chose d'encore plus pressé : 
,Duroc y partes ae suite : ailes k Naumboùrg^ 
yk Kôsop, partout oil il y a des- blessés. Aussu- 
,res-vous qu'il Tie leur manque rien, voy ca- 
bles , visiteir** les de ma part , chacun en parti- 
^culier. Donnea-leur toutes les consolations 
,dont ils peuvent avoir ^ besoin. * Ditesrleur ,^ 
,dites au maréchal que lui , que ses généraux, 
,c[ue ses tirpupes^ ont acquis pour jamais des 
,Qroits à ma reconanissance.^^ 

Il ne se 4 contenta pas de ce message, il 



du général Rapp. ^ 67 

écrivit a Desaix combien il était charmé de sa 
conduite. Sa lettre &it mise k Tordre du jour» 
elle enivra les soldats ; les blésftés même étaient 
dans le délire ^ 

L'empereur porta son quartier-géi^éral k 
Weimar. Il eut tous les égards possibles pour 
la duchesse , k laquelle il trouva de Tamabilité, 
de l'esprit y de grandes manières. 

Cependant l'ennemi se ralliait sur Magde- 
bourg. Les débris de Jéna , l'armée de réserve, 
les troupes de la vieille et de la nouvelle Prusse, 
accouraient sur cette place. Le duc de Wurtem- 
berg prenait déjà position k Halle ; Bëmadotte 
y marcha. . Son corps • n'avait pas combattu a 
Auerstaedt; il ne demandait qu'k se dédom- 
mager de la part de gloire dont il avait été 
privé. Il aborda les rrussiens a baïonnette, 
renversa , culbuta tout ce qui se présenta sur 
son passage. Le carnage fut alEreux. Le lende- 
main Napoléon visita le champ de bataille. Il 
fut frappé a la vue des monceaux de cadavres 

aui entouraient nos agresseurs et nos soldats ; 
s'approcha, et reconnut les numéros du32«. 
„J'en ai tant fait tuer, dit- il, de ce régiment- 
„là en Italie, en Egypte et partout, qu'il ne 
„devrait plus en être question." 

Il se' dirigea sur Dessau et traita a merveille 
le vieux duc qui y était resté avec soii'fiis. Il 
y avait quelques mois qu'un M. de Gussàu, 
attaché a la cour de Bade, m'avait dit a Paris: 
„yous aures sans doute la guerre avec lea 
, ,Prussiens . Si cela arrive et que vous pénétriea, 
„cette campagne, jusqu'à Dessau, je vouft 
„recomn^ae son respectable souverain, qui 



( 



68 



Mémoires 



,yest le père de ses sujets/' M. de Gussau dut 
être bien étoiiné de voir que les Français , au 
lieu d'aller jusmi'aDessaUy pénétrèrent jusau au 
Niémen , et plus tard à vingt lieues au ae là 
de Moscou. 



• \ 



du général Rapp. 69 



«■™— =— ''■''''■'''=«^*'^^*''*— —— — ' I II. . I . . . UBÎ__|JL_ 



CHAPITRE XL 



Les Prussiens fuyaient partout; mais plus 
la fuite était précipitée, plus la poursuite était 
ardente. Culbutés a la vue de Magdebourg , ils. 
se réfugièrent derrière des retranchements in- 
formes où ils furent bientôt forcés et contraints 
de mettre bas les armes . La place fut investie . *) 
Tous les corps étaient en marche sur la capitale, 
et se disposaient a en prendre possession. Napo- 
léon réserva cet honneur a celui qaii avait le . 
Elus contribué a la Victoire ; c'était celui de 
favoust. Voici tes instructions qu'il adressa au 
maréchal : 



Vittenberg , le aS octobre 1806. 

Ordre a M. le maréchal Dav>oust. 

„Si les partis de troupes légères , M. le ma- 
,,réchal, que vousnaurea pas manqué d'envoyer 
„sur la route de Dresde et la Spree, vous assu- 
,,rent que vous n'avez pas d'ennemis suir vos 
flancs, vous dirigerez votre marche de manière 



jy 



*) Ce qu^viik bomme d^édncatîon doit surtout éviter , cVst de 

faire tuppoter, qnll ii^>n a pas reçu. A cet égard nous 

croyons avoir rendu un service à Fauteur en retran- 

cbant ici quelque» pbrasês, qui auraient pu lui attirer ca 

reproche. 

> H OEe de Véditeur aUenum4k 



70 Mémoires 

„a pouvoir faire votre entrée k Berlin le 26 de 
,^ mois a midi. Vous ferez reconnaître le 
yygénér^l de brigade HuUin pour commandant 
„de la place de Berlin; v0us laisserez dans la 
,,ville un régiment k votre choix pour faire le 
^service ; vous enverrez des partis de cavalerie 
^ylégère sur les routes de Kustrin, deLandsberg, 
„et de Francfort sut? TOder. Vous placerez 
^vôtre corps d'armée a une lieue et^ une lieue 
,,et demie de Berlin, la droite appuyée a la 
,ySprée , et la gauche a la roUte de Landsberg. 
, y Vous choisirez un quartier général sur la route 
„de Kustrin , dans une maison de campagne^ 
„en arrière de votre armée. Comme TintentioB 
,, du l'empereur est de laisser ses troupes quel- 
y^quès"^ jours en repos, vous ferez faire des 
^baraques avec de la paille 4i^t du bois, Gé* 
,,néraux, officiers d'état -major, colonels, et 
„ autres, logeront en arrière de leurs divisions 

dans les villages, personne a Berlin; l'artillerie 

sera placée dans des positions qui protègent le 
• y^camp; les chevaux a artillerie aux piquets, et 
„tQUs dans Tordre le plus militaire. 

„ Vous ferez couper , c'est-a-dire intercepter 
„le plus tôt qu'il vous sera possible la navigation 
„de la Sprée par un fort parti , afin d'arrêter 
„tous les bateaux qui de Berlin évacueraient 
„siir l'Oder. 

„Le quartier-général sera demain a PotsdâMn ; 
^envoyez un de vos aides-de^camp q^ui me fasse 

connailbre,aù vous. serez- dans la nuit dii 23 au 

^4 , et dans celle du 24 au 25. 

„Si le prince Fercfin^nd se trouve. a Berlin, 
, ,f aites-le complimenter et accordez-lui une gar- 
,,de*kvec une entière exemption de logements. 



«9 






V. 



du général Rapp. 71 

9, Faites publier aur-le-champ t!ordre de 
^^désarmement, laissant seulement six cents 
y, hommes de milice pour la police de la ville. 
,,0n fera ti'ansporter les armes des bourgeois 
,,dans un lieu désigné, pour être k la disppsi- 
yytion de VÊÊmée. 

,, Faites connaître a votre corps d'armée que 
„rempereur , en le faisant entrer le premier a 
,3^rlin , lui donne une preuve de sa satisfac- 
,^tion sur la belle conduite ,quil a tenue k la 
,, bataille dléna. 

„Ayea soin (jue tous les bagages, et surtout 
„ceux qui sont si vilains a voir k la suite des 
,,divisions , s'arrêtent k deux lieues de Berlin, 
,,et rejoignent le champ sans traverser la 
„capitaie; mais en s'y rendant par un autre 
„chemin sur la droite. Enfin, monsieur le 
,.,maréchal, faites votre entrée dans le plus 
„grand ordre et par divisions , chaque division 
„ayant son artillerie et marchant a une heure 
,,dje distance l'une de lautre. \ 

„Les soldats ayant une fois formé le camp, 
„ayez soin qu'ils n'aillent en ville que par tiers, 
,,de manière qu'il y ait toujours deux tiers pré- 
,,sents au camp. Comme sa majesté pense faire 
,,son entrée a Berlin, vous pouvez provisoire- 
„ment recevoir les clefs, en faisant connaître 
„aux magistrats qu'ils ne les remettront pas 
,moins k l'empereur quand il fera son entrée. 
Mais vous devez toujours exiger que les 
,^magistrats et notables viennent vous recevoir 
„aux portes de la ville avec Jtoutes les formes 
^convenables ; que tous vos officiers soient 
„dans la meilleure tenue autant que les circons- 
„tances peuvent le permettre. L'intention d« 









72 Mémoires 

„rempereur est que votre entrée se fasse par 
,yla chaussée de Dresde. 

„L'eippereur ira vraisemblablement loger 
;,au palais de Charlottenbourg: donnes ** des 
i^rdres afin que tout y soit préj>Mé. 

„I1 y a un petit ruisseau qui se^tte dans la 
,,5prée, a une lieue et demie ou deux de Berlin, 
^et qui coupe le chemin d'Eu. 

Signe ^ le maréchal Bbrthie». 



••■ 



du général Rapp. . 73 



CHAPITRE XIL 



Nous partimes pour Potsdam. L'orage ilous 
surprit: il était si violent et la pluie sr abon- 
dante, que nous nous réfugiâmes dans une mai- 
son voisine. Napoléon, enveloppé dans 3a ca- 
pote grise, fut bien étonné de voir une jeune 
femme que sa présence faisait tressaillir : c'était 
une Egyptienne qui avait conservé pour lui 
cette vénération religieuse que lui portaient 
les Arabes. Veuve d'un officier de l'armée d'O- 
rient, la destinée lavait conduite en Saxe dans 
cette même maison, oii elle avait été accueillie. 
L'empereur lui donna une pension de douse 
cents francs, et se chargea de l'éducation de 
ses enfants, seul héritage que lui eut laissé son 
mari: „C'est la première fois, nous dit Napo- 
,yléon, que je mets pied a terre pour éviter un 
„orage. J'avais le pressentiment qu'une bonne 
^action m'attendait la." 

Potsdam était intact; rien n'était enlevé, 
L'épée du grand Frédéric, sa ceinture, le grand 
cordon de ses ordres , y étaient encore. Napo- 
léon s'en empara. „Je préfère ces trophées, 
„nous dît-il avec enthousiasme , a tous les tré- 
,,sors du roi de Prusse. Je les enverrai a nos 
„ vieux soldats des campagnes de Hanhovref je 
„les donnerai au gouverneur des Invalides, qui 
,,les gardera comme un témoignage des victoi- 
,,res de la grande armée et de la vengeance 
,, qu'elle a tirée des désastres de Rosbach." 

Nous étions a peine a Potsdam , que nous 



74 



Mémoires 



fumes assiégés de députations ; il en vint de 
Saxe , de Weimar , de partout : Napoléon les 
accueillit avec bonté, llenybyé du duc de 
Brunswic , qui recommandait ses sujets a la 
énérosité française , fut reçu Avec moins de 
ienveillance : „Si je faisais démolir la ville de 
,Brunswic , si je \\y laissais pas pierre sur 
,pierre , que dirait votre prince? La loi du ta- 
lion ne m'autorise- 1- elle pas a faire a Bruns- 
,Aviç ce qu'il votil^iit faire dans ma capitale ? 
jAnnoncer le projet de démolir des villes peut 
.être d'un inôensé; mais vouloir ôter Tlion- 




,sienne, voilà ce que la postérité aura peine 
,a Qi'oire. Le duc n'aurait pas dû se premettre 
,un semblable outrage. Lorsqu'on a blanchi 
ysous les armes , on doit respecter l'honneur 
^militaire. Ce n'est pas d'ailleurs dans les plaines 
,de Champagne que ce général a acquis le droit 
,de traiter les drapeaux français avec tant de 
,mépris. Une pare aie sommation ne déshonore 
,que celui qui l'a faite. Ce n'est pas au roi de 
,rrùsse qu'en restera la honte , c'est au chef de 
,sonN conseil de guerre, c'est au général a qui 
,il avait remis, dans ces circonstances diffi- 
,ciles , le soin de ses affaires ; c'est: enfin le 
,duc de Brunswic que la France et la Prusse 
,accuseront des calamités de la guerre. La 
,frénésie dont ce vieux général a donné l'ex- 
,emple a autorisé une jeunesse turbulante, 
,et entraîné le roi contre sa propre pensée et 
,son intime conviction. Toutefois, monsieur, 
,dites aux habitants du i^ajs de Brunswic 









du général Rapp. 75 

, , qu'ils- trouveront dans les Français des enne^ 
y^mis généreux ; .^que je désW adoucir a leur 
,,égàra les rigueurs de U guerre , et que le 
,,mal que pourrait occasioner le passage des 
^ytroupes est contre mon gré. Dites au général 
,, Bruns wic qu'il sera traité avec tous les regards 
„dus a un omcier ennemi; mais que je ne puis 
^reconnaître un souverain dans lui des^énéraiix 
du roi de Prusse. S'il arrive que la maison de 
Bruns wic perde la souveraineté de sesancê-» 
yyt^esy elle ne pourra s en prendre qu'a lauteur 
„des deux guerres, qui, dans l'une, voulut 
saper jusque dans ses fondements la grande ca- 
pitale 9 qui, dans l'autre , prétendit déshono- 
rer deux centmille braves, qu'on parviendrait 
^, peut-être a vaincre, mais qu'on ne surprenr 
,,dra. jamais hors du chemin de l'honneur et 
,,de la gloire. Beaucoup de sang a été versé en 
„peu de iburs; de grands désastres pèsent sur la 
,,m<marcnie ' prussienne. Qu'il est digne de 
„blàme cet homme qui^ d'un mot, pouvait les 
„prévènir, si, comme Nestor, élevant la voix 
„au- milieu des conseils, il avait dit: 

„Jeunèsse inconsidérée, taisea-vous; fem- 
,,mes, retournez k vos fuseaux et rentres dans 
„rintérieur^ de vos ménages ; et vous , sire , 
„crojrea-en le compagnon du plus illustre dç 
„vos prédécesseurs. Puisque l'empereur TMa- 
„poléon ne veut pas la guerre, ne le places pas 
„entre la guerre ^t le déshonneur : ne voùsen- 
„gàge8 pas dans une lutte dangereuse avec une 
„armée qui s'honore de quinae ans de travaux 
„glorieux , et que la victoire a accoutumée k 
9, tout soumettre. ' 

,,Au lieu de tenir ce langage qui coitvenait 



76 Mémoires 

ê 

,,si bien a la prudence de son â^e et a Texpé- 
,,rience de sa fongue carrière , il a été le pre- 
^yHiier a crier aux armes; il a méconnu jus- 
^^qu'aux liens du sang en armant un fils (le 
,, prince Eugène de Wurtemberg) contre son 
y^père; il a menacé de planter ses drapeaux 
„sur le palais de Stuttgardt; et accompagnant 
„s'es démarches d'imprécations contre la France, 
„il s*est déclaré l'auteur de ce manifeste insensé 
,, qu'il avait désavoué pendant quatorze ans, 
yyquoiqu il n'osât pas nier de Tavoir revêtu *de 
99sa signature/^ 

Spandau vei;iait de se rendre au maréchal 
Lannes. Napoléon la visita en détail, et m'en- 
voya a Berlin , où Davoust était entré, compli- 
menter de sa part le vieux prince Ferdinand 
et son épouse. Le prince était triste et abattu, 
' il venait de perdre soii fils; la princesse parais- 
sait plus calme et plus résignée. J'allai égale- 
ment complimenter la princesse Henry*, et la 
sœur de la majesté prussienne , la princesse de 
Hesse. La première parut fort sensible k la pré- 
venance de Napoléon ; la seconde était retirée 
dans une aile du château , où elle vivait tran- 
quille avec ses petits-enfants, La position de 
cette princesse m'inspira beaucoup d'intérêt, 
et de vénération. Elle parut rassurée. £lle 
me pria néanmoins de la recommander a Na- 
poléon, qui alla lui rendre visite aussitôt 
qu'il fut arrivé. Elle lui i^ispira les mêmes 
sentiments. 

L'empereur porta son quartier* général k 
Charlottenbourgé II fit son entrée te lende- 
itiain dans la capitale , et adressa a l'armée la 
proclamation qui suit. 




du général Rapp. T7 

„ Soldats! 

..Yous aves justiBé mon attente et répondu 
,, dignement a la .confiance du peuple français; 
jfVous avex supporté lés privations et le fa- 
,,tigues avec autant de coorage que vous aves 
„montré d'intrépidité et de sang-froid au mi- 
„lieu des comhats. Voua létes les dignes dér 
,,fenseurs de l'honneur de ma couronne et de 
„la gloire du grand peuple. Tant que vous 
„8ereB animés de cet esprit, rien ne pourra 
,,vou9 résister. Je ne sais désormais à quelle 
„arme donner la préférence... Vous êtes tou» 
„de bons soldats. Voici le résultat de nos . 
,.trayaux. 

„Une des premières puissances de l'fiurope, 
„qui osa naguère nous pro|)oser une honteuse 
„capitulatioa , est anéantie. Les forêts , les dé- 
,, filés de la Francouie, la Saale, l'Elbe, que 
,,nos pères n'eussent pas traversés en aept ans, 
„nou8 les avons traversés en sept jours, et livré 
„dans l'intervalle quatre combats e). une grande 
„bataille. Nous avons précédé à Fotadam, a 
„Berlin, la renommée de nos victoires. Nous 
„avons fait soixante mille prisonniers, pris 
,, soixante- cinq drapeaux, parmi Itaquels ceux 
„des gardes du roi de Prusse, six cents pièi 
„ce3 de canon , trois forteresses, plus de vingt 
„généraux; cependant plus de la moitié de 
„vou9 regrettent de n'avoir pas tiré un coup 
„de ftisil. Toutes les provinces de la iiionar- 
„chie prussienne jusqua l'Oder 301R en notre 
„pouvoir. 

,, Soldats, les Russes se vantent de venir k 



78 



Mémoires 



,,leur épargnerons la moitié du chemin ; ils re- 
;,trouveront Austerlitaau milieu de la Prusse. 
„Une nation qui a aussitôt oublié la générosité 
9,dont nous* avons usé envers elle après cette 
4, bataille où son empereut, sa cour « les débris 
„de son armée, n'ont dû leur salut qu'k la ca- 
„pitulation que nous leur avons accordée, est 
,,une i|ations qui ne saurait lutter avec succès 
y,cohtré nous. 

^Cependant, tandis que nous marchons au- 
^/devant des Russes , de nouvelles armées , f<»r- 
y,mées dans l'intérieur de l'empire, viennent 
„prfendre notre place pour garder nos conquêr 
,,tes. Mon peuple tout entir s'est levé honteux 
„de la honteuse capitulation que les -ministres 
y,prussiens, dans leur délire, nous ont proposée. 
„Pios routes et nos, villes^ frontières sont remr 
plies de conscrits qui brûlent de marcher sur 
yos traces. !Ncmi9 ne serons plus désormais les 
„îouets d^une paix traitesse , et nous ne nose- 
reiis plus les arihes que nous n'ayons, onligé 
les Anglais^ ces éternels ennemis de notre na- 
tion , a renoncer au projet de troubler le cour 
,,tinent, et k la tyrannie des mers. 

„Soldats , je ne puis mieux vous exprimer 
„les sentiments que j'éprouve pour vous qu'en 
,idisant que je porte dans mon cœur l'amour 
9ique vous me montres tous les jours.'' 



M 



»♦ 



f» 



f> 



♦» 



du général Rapp, 79 



CHAPITRE XIÏI. 

S 

Napoléon se rendit ensuite au camp et pas- 
sa la revue du troisième corps ; tous ceux qui 
s'étaient spécialement 4Mtingués reçurent des 

' grades ou des décorations. Les généraux , les 
officiers, sous-officiers , furent appelés autour 
de sa personne. ^^Jai voulu vous réunir, leur 
^, dit-if, pour vous témoigner toute la satisfac- 
„tion que mlnspire la belle conduite que vous 

-„ave35 tenue a la bataillé du 14, Jai perdu 
,^des braves; ils étaient mes; enfants, le le» 
,, regrette ; mais enfin ils sont morts au cnamp 
y^dnonneur, il» sont morts comme de vrais 
„soldats! Vous m'avea rendu un -service sig- 
„nalé dans cette circonstance mémorable : c'est 
„surtout a la brillante conduite du troisième 
„coips que sont dus les grands résultats que 
^,nous avons obtenus. Dites a vos soldats que 
,,j'ai été satisfait de leur courage. Généraux, 
^officiers ,. sous-officieurs et soldats , vous avez 
„tous acquis pour jamais des droits a ma re- 
^connaissance et a mes bienfaits/V Le maré- 
chal lui* repondit que le troisième corps serait 
toujours mgne de la confiance , qu'il serait 
constamment pour lui ce que la dixième lé- 
gion avait été potir César. 

M. DenoR assistait a cette scène d'émotion; 
peut-être son pinceau en consacrera - 1 - il le 
souvenir: mais quel que soit son talent, il ne 
peindra jamais 1 air de satisfaction et de bonté 
répandu dans les traits du souverain; ^i le 



80 Mémoires 

dévoaement/ la réc^onnaissance dessines sur 
toutes les figurés, d.epuiscéfUe du maréchal 
jusqd'k dblle du' aefnier des soldats. 

Lift* proclkii/^àtion que 7f apoléon avait adres- 
sée aux tèoiipes les avait remplies d'une nou- 
velle aWeur*; elle àfe ^précipitaient a la suite 
des débris de HaAé^ et ïe Jena.^ Le prince de 
Uohènl^he en Wait"fallié une masse considé- 
rable , avec ïàqùéllej il.eût pu nous échapper: 
il ne fit paâ asses'd^ diligence, il perdit du 
temps/ Ces retards nous rendirent Tespérance 
dé* le vdîir * fcotipé : INapçleôn 'rattendaît impa- 
tie;nmeni. \fierii?Aotle, me dit-il pendant que 
^,nou$ nous installions au p^]i^,i9 j doit être k 
,,cette' héure'^tf 'Crertien. Il aura stirement dé- 
„bordé lés Prussie Anes; Murât les poussera avec 
^ „son impétuosité^ ordin^ii*e : ils ont a eux deux 
,,plus de monde 'ifu'ii n'en faut' pour les preh- 
,,dre. Jauraî; d'ici a'^quelqùés jours ^ le prince 
„de Hohenlohe avec tout son corj>s , et bientôt 
„après ce qui leur reste d'artillerie et d'équi- 
,,pages ; mais il faut de lensenlble : il n Vst p^s 
,,présumable qu'ils se laissent prendre sans sa 
„battre/* ^" / ' ' ^^\ ^^ ", ' . . 

Tout se passa^ comme Napoléon l'annonçait: 
les Prussiens, ébranlés par la cavalerie et la mi- 
traille, furent sommés parole général Belliard, 
et mirent bas les armes. Vingt-cinq mille honi- 
mes d'élite, quarante-cinq drapeaux, soixaute- 
quatorxe pièces d'artillerie, défilèrent devant 
là cavalerie française: c'était une deuxième 

{'ournée d'Ulm. L'empereur fut charmé d'un si 
)eau résultat: „ C'est bien, dit-il; mais il reste 
„encore ce Blûcher si habile a improviser des 
„arinistices ; il faut qu'il vienne aussi. „Ét il 

écrivit 



i 

di\ ffénéral Rappt 81 

^^ecrivitde suite a Murât: ,J1 n^ a rien de fle^it 

„tiint qu'il reste à faire : vous avea débordé la 

„cavalerie du général Blûcherj que j'apprenne 

,,bientôt que ces troupes ont éj>rouv6 le sort de 

„celles de Hohenlohe." Berthier lui écrivit 

^,aussi pour lui recommander le duc de Weif 

mar: ^Indépendamment des petites colonnes 

„égarées> il y en a trois principales: celle du 

^prince Hohenlohe ^ oue vous avex prise a 

„rrentalow; celle de Bmcher , qui, le 28 a la 

I, pointe du jour> a quitté Wessenberg > et cru« 

,,vous aurea siir,ement rencontrée aujourd'hui 

,,a Pasewalck : enfin , une tvoisième du duc de 

,,Weimar, quia surpris a M. le maréchal-Soult 

,,le passage de l'Elbe^ qii'elle a passé, k ce qu'il 

^paraît, du côté de Saudon etd'navelbergle26^ 

„d'oùelle s'est dirigée par Wusterhauâen> Neu* 

,,ruppin , Grausée ou par Fiirâtenberg. Or^ 

,,d'Havelberg a Fûrstenberg, il y a vingt-cinq 

,4ieuesj le duc de Weimar ne peut donc pas 

„être a Fûrstenberg le 28 1 mais de Fûrsten*^ 

„berg a Pasewalck, il y a vingt lieues; et si 

„la colonne ennemie prend cette route, Vous 

„la renconterez sûrement a Pasewalck dans la 

journée du 50 et du 51* Ainsi il est a présu- 

,,mer que rien n'échappera entre Vous ^ les 

^maréchaux Lannes et BernadottCi l*els sont 

„les renseignements que je puis vous donner 

„d'après les rapports parvenus a l'empereur." 

Mais le duc se lassa de partfiger les disgrâces 

des armées prussiennes ; il Aegocia et re mit 

ses troupes a Bllicher, qui, tout occupé de 

fuir , ne s'inquiétait pas trop de savoir où il 

allait t son itinéraire déconcertait Napoléon* 

„Que se propose-t-il ? où va-t-il ? Je ne le 

6 



il 



82 Mémoires ♦ 

yyConçois pas de se jetter dans le Holstein : que 
^yfera-t-il, une fais dans ce cul-de-sac? Il ne 
„yeut pas repas&ep UEji^e ; il. serait acculé, noyé : 
„il ne songe pas % uries96mblable tentative. Il 
i^era bientôt' ici/^ Djnnit'eneiFét bas les armes 
^quelques jours* ^^s. Il avait çpuru toute la 
Prusse, violé le' t^ritpifl^e danois, pour rendra 
quelques jours • pi us t. tardiMingt a vingt-cinq 
mille hommes j^ Je^j^j^^p^àux et «le^ <^)^niers 
jittelac^es de l'arwée |)ri^$sîjen|K^., Avec un peu 
plus oie capacité Vi ileût tir.é i|i,LeiJileur p^r^i de 
son obstination. >, 4 lafbrt^nïiét ^fjLire^.4it]yapa- 
,yléon en apprenant ce succès. Les voila en 
^avance avec les Autrichiens : ils seront jîlus 
^réservés a l'avenir ; ils ne parieront plus d'U Im : 
„en trois semaines ils Vont renouvelé quatre 
„fois. Il faut envoyer Blûchcren France, aDi- 
„jon. Il y forgera a loisir des suspensions d'ar- 
ômes. Écrives au général Bêlliard:^^ 



Berlin, le i3 octobre 1806. 

M* le général BeUiard, tihef de Pétat-major général de la 

réserve de cavalerie. 



„L'intention de l'empereur, général, est que 
^J'on porte le plus grand soin k ce que tous les 
^prisonniers provenants dé la colonne du gé- 
néral Blucheret du duc de Weimar se rendent 
comme prisonniers en France. Sa majesté veut 
y, que tous les généraux et officiers se rendent 
également en France ; M. le général Blûcher 
„8erà conduit par un biBcier k Dijon : le jeune 



1> 



du général fiapp^ 



83 



y^prince de Brunswic sera aussi conduit par 
9,un oiHcier a Châlons-sur-M&me; Tous les au- 
fytres officias seront diri^es^' ttix ^ les^ différents 
fypoints de la France- désignés pir 4e'Wiinsire 
,iDejean peur les prisonnière^ de gueiire/* 

"^INous laissâmes dicter^ ta i dépêche. 'Quand 
elle fut écrite» nous ckei^^hàmes a Tadoucir en 
faveur de cet officier. Nous lui f aprésentâmes 
qu'il avait mis bsCs les armes , qtl^il n'était pas 
dangereux, 'qu il ^ fallait donner quelque chose 
a ses habitudes de hussard 1 il ^n convint , et , 
Blûcher se retira à Hambourg. ' ^ ^ ' 



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84 'Mémoires 



tfse 




Le prinie Ifatzf^ld était venu k Potsdam, 
comme déi>uCé dé'fla vilte de Berlin , et avait 
été bien reçu/ Il^fèridït Compte de sa mîssioa, 
autant que je^p^is^ftie rappeler, au comte de 
Hohenlohe, et lin dontia des détails sur les 
troupes, les ^piècei, les muiiitions cpii seî 
trouvaient daâi^ ïa capitale , ou qu'il avait ren- 
contrées sur ta routfe; sa lettre fut interceptée. 
Napoléon *ie la^eriiit, avec ordre de le faire 
arrêter •sui^le-chattrii[) , ^et de Renvoyer au quar- 
tier-général du mai^<;hui*<Davoust,. qui était à 
deux lieues de là. Bcrthier, oDuroc, Caulin- 
court et moicherchâmed vaineiiïen%alecalmer; 
il ne voulait rien «entendre. M. de Hat;sfeld 
transmettait des détaiisy ^desîji'eiiseignements 
militaires, qui n'avaient rien de commun avec 
sa mission : c'était • > évidemment un , délit 
d'espionnage. 8avary, qui,>^n^sa •qualité de 
commandant de la gendarmerie impériale, 
était ordinairement chargé • de oei/ «ortes 
d'affaires, était en mission .^3 Je fus obligé Ae 
suppléer a son absence. J'ordonnai l'arwstA- 
tion du prinde ; mais au lieii de le faire conduire 
elles le maréchal, je le plaçaiidansla chambre 
de lofficier de garde du palais^; que je chargeai 
de le traiter avec les plus g;rands éffards. 

Caulmcourt et Duroc quittèrent 1 apparte- 
ment. Napoléon, resté seul avec Berthier, 
lui dit dé s asseoir pour écrire Tordre en vertu 
duquel M. de Uatsfeld devait être traduit 



\ 



i 



du gméral Happ. 85 

devant une commission Tnilitaire. Le majof<- 
général essaya quelques représentations. „ Votri 
,,inajesté ne peut, pas faii:e fusiller un homm« 
,,qui^ appartient aux prefmères , familles de 
„BerTin, pour aussi peu dé chose; lasupposi- 
9 ,tiôn est im^^ossible , voufi^ijiei^ le>^ voulez pas/ ' 
L'empereur s'eitiportdt^^avtinllaget. m Nétifchâtel 
insista; Napoléopuioei^it pa(ienoa; Berthier 
sortit. <J)efus appelé: j'aViOLiSr^ptendu la scène 
qui venait devoir liou^,|e xple gardai bien djà, 
hasaràerrlâ jxiôindzié réflexioa. J'étais au suppli- 
ce: loutre leDdésagréinH^Pî d'écrire un ordre 
aussi 4B^ère , il fallait aller aussi vite que la 
parole, et j-av.oue que je nai jamais eu ce 
taleat-là ; il me dicta littéralement ce qui suit : 

, ,Notre cousin le maréchal Davoust nommera 
,,une comonisfiion militaire composée de sept 
9, colonels de 54m corps d armée, dont il sera 
, ,]>résident,tafinde faire j Uger, comme convaincu 
9,de trahison ^d'espionnage , te prince de Hats- 
9,£eldé • 

„Le jugement jsera rendu et exécuté avant 
„six heure^s du soir/* 

Il était éiïviron midi. Napoléon m'ordonna 
d'expédier sur-le-ïchamp cet ordre, en y joignant 
la lettre du prince de Hatafeld; je n'en fis rien. 
J'étais néanmoins dans une transe mortelle; 
je tremblais pour le prince , je tremblais pour 
moi, puisqu'au lieu de l'envoyer au quartier- 
général je 1 avais laissé au palais. 

Napoléon demanda ses chevaux pour aller 
faire visite au jirin ce etkla princesse Ferdinand. 
Comme je sortais pour donner ses ordres, on 
m'annonça que la princesse de Hatafeld était 
tombée évanouie dans l'antichambre , qu'elle 



S6 Mémoires 

désirait m« fyaiier. J'allai a elle, et ne lui 
^issimiiUi pas la colère de IVapoléon. Je lui 
dis que iiéus allions monter k chev^, et lui 
conseillai de nous devancer sches le prince 
Ferdinand,: pour l'intéresser au sort de son 
mari. J'ig«uo¥e si elle eut recours à lui ; mais 
elle* s(^ *tvouva dans> un des corridors de soù 
yalai^ , et se jeta tout éjplorée aux pieds de 
ierniîereur/à-qup je* décimai son nom. 

-Elle é()âit enceinte. Napoléon patut touché 
ae sa Mtuatimi , et lui dit de se rendre ati ohâ^ 
teauf en même temj>s*il me chargea d'écrire 
\^ Davoust de «uspendre le jugement ; ^ croyait 
M. de fiatafeld partie ^ 

IXà^poy&it'renl^a âiu) palais v où madame ^e 
Hat^feld l'attendait; il lafitehtterdansle salon» 
où je restai; ^Yotre mari, lui dit-il avecixynté, 
^, s'est mis ^ans »uti cas fâcheux; d'après nos 
,,lois il a mérité Umoi^. <7énàr$il>j|^ap|>, donnes- 
,,moisa lettre^ 'Voyex, liaez; mâdïinie/' Elle 
était toute tremblante. ^ Napoléon reprend 
aussitôt la lettre, la déchire.^ la j^tte au feu. 
„Je n'ai j^lus de preuve , madame; votre mari 
„a sa grâce. ^^ Il me donl^a ordté de le faire 
revenir sur-le-^champ du quartier-général ; je 
lui avouai que je ne l'y avais pas envoyé; il 
ne me fit pas de reproche , il paurut même en 
être satisfait. 

Berthier, IKiroc, et Caulincoàrt, se con« 
duisirent dans cette circonstance comice a leur 
ordinaire, c'est-k-dire comme de 'braves gens, 
Berthier surtout. ? 

A peine le prince de Hatzfeld fut-il de 
retour dans sa famille qu'il sut tout ce qui 
s'était passé. Il m'écrivit • — *--**re qifi peint 



du général Rapp^ 87 

sa reconnaissance et les émotions dont il était 
agité. La voici: • - ; » 

, ^^Mon général^ j» kh 

♦ s ai 
,;Au mili^i des sentinikenAs^de toute espèce 
„que j'ai éprpuyés daas lat)ôuri»ée d'hier» le» 
^,marque8 ae- votre sçnsibiUté:,^dè votre intérêt, 
,,n ont pas échappé a ma r^Qj^naissance:; mais ^' 
^,hier au soir j'appartenais tout entier au bon» 
^yheur de ma Emilie ,- et je ine pws-m'acquitter 
„qu aujourd'hui envers vo.us. m 

„Crojea,.aure^ta5 ma^^énéral, qu'il est 
,,des moments dans la vie d^tle souvenir est 
^/ineiFaçablef'OstvStiJâ pri>fQiide retonnaissance, 
,,restime d'un-homniiQ>d$i[ bien peuvent être de 
, ^quelque ^rixb vos ^yeux , voais devea être ré^ 
,,compense de rintéirét que vous m avex montré. 
• ,^Agréea Tassurai^ce de oua haute considé- 
,, ration et^de ^tou^snlas sentiments qui m'atta^ 
^ ^ychent a votive soJLiveiiir;r '-. 

J'ai rhénneu^ d^éte^, 

. • „%^n,g^éral, ./ 

9^àtl^i^très humble et très obéissant serviteur, 

". •erlîiiy le 3o ifi|tobra f8o6»i 

On vit/ bientôt arriver k Berlin des envo- 
yés de; presque (toutes les cours d'Allemagne, 
qui venaient réclamer pour leur prince la 
bienveillance de INapoléon. La duchesse de 
Weimar nous députa un certaiai M. de MûUer ^ 
qui demandait une déduction d'impôt et le 
retour du* duc , qui était , je crois , k Ham- 



88 Mémoires 

bou]*g. L'empereur ne iut pas^ content des for* 
mes. du diplomate; il le trouva ennuyeux et 
me le renvoya, „J'ai, me dît-il, chargé TfiUey- 
,,rand de t'adresser ce monsieur^-lk, pour que 
„tu arranges les petites affaires de la cour de 
„Weiniar.'^ Il ne voulut pas entendre parler 
du 4^^ j contre lequel il était a^ussi courroucé 
qu il était bien disposé en faveur de la du* 
, ohesse^ . Il se calma néanmoins et traita celle- 
ci de cousine^ ce qui était alors quelque chose. 
Son altesse reçut l'autorisation de rentrer dans 
ses états. Il demanda a son passage d'être pres- 
sente k Napoléon, mais ce jour-la même nous 
Sartimes pour la Pologne. Il me fit Thonneur 
e m'écrire pour me remercier de, ce ^ que j'a- 
vais £ait pour sa famille. Je crois que je lui 
avais eiFeotivement rendu quelques services. 
Je lui en rendis - encore quelque temps après» 
comme on \^ verra plus tard. Au reste, voici 
sa lettre r je cite ces sortes de pièces, autant 
parce qu'elles peignent l'époque que parce 
qu'elles sont hanpra|>les pour celui , qui les a 
reçues, 

^Pénétré de la plus vive recommissance pour 
yytoutes les bontés que vous avea bien voulu mar- 
„quer a itia famille , pour les sentiments d'un 
«^intérêt noble que vous avea prouvés a celle-ci, 
,, J'étais très empressé de vous en protester de 
,fvive voix le témoignage, et de vous dire en 
.„même(eiups, monsieur le général, que la 
i,duche6se m'avait chargé tout particulière- 
f ^ntei^t de vous dire comnien grande est les* 



du général Rtipp, 



89 



„time quf'elle vous a vouée. Malh^reusèment 
„le départ précipité de ^a majesté l'empereur 
,,et roi m'empêche de vous prét^enter aujjôur- 
,,d'hui mes hommages personnellement. Mais 
„ j'ose me flatter que Vépoqufe ne sera pas 
,yéloignée où je jouirai de Pavahitage de vous 
,, assurer de Houche qute la considération 'feute 
^particulière que fe vous porté' est inaltérà- 
.^ble, et que je ne cesserai olètrè^àvec ce sen- 
^timént, * *^ 

^Monsieur, 
^Yotre très humble et très obéissaniserviteu^, 

Beirlin/Ie s4 novembre lÔoél * •'<*!' 






.5 



^^A 



• * 



f • 



V J 



) 



90 Mémoires 



V 



CHAPITRE XV. 

L'électeur de Hesse voulait aussi traiter: 
mais l'empereur était si .courroucé contre ce 
prince cjuil ne reçut j>as son envoyé: „Quant 
„a celui-la, dit-il, il a fini de régner.** . 

Magdebourg ouvrit ses portes au maréchal 
Ne j : on apporta avec les clefs une j>etite cas- 
sette cfui renfermait des objets précieux appar- 
tenants, disait-on, a cet électeur. Ils avaient été 
trouvés dans la place. 

Colbert, Custrin, Stettin, capitulèrent. Le 
^and duc avait détaché la cavalerie légère de 
Jrrentzlow; elleseprésente inopinément devant 
la place. Le jour baissait. 'Le général Lasalle 
annonce que des troupes le suivent , que l'ar- 
mée prussienile a capitulé. Il somme , menace, 
intimide le gouverneur ; il l'armène à des ou- 
vertures. Le général Bélliard arrive , i^rusque 
la négociation, et déclare que si clans une heure 
la place n'est pas rendue , il l'inonde de pro- 
jectiles. Les Prussiens prennent l'alarme; il» 
imaginent que l'armée , que le parc , que tout 
est prêt k les foudroyer , et livrent leurs mu- 
railles k «os hussards . C ustrin fit encore mieux . 
Nos troupes faisaient leur mbuveitient pour 
franchir l'Oder; elles rencontrent, chemin fai- 
sant, quelques centaines de Prus^siens. qu'elles 
dispersent; la place tire sur elles, des boulets 
tombent dans nos rangs. Le général Gudin lui 
signifie que , si elle ne cesse pas un feu inutile, 
elle sera mcendiée sur l'heurCi Le gouverneur 



du général Rapp. 



91 



♦ J 



»r 



effrayé propose des arrangements; on refuse, 
on répond qu'il n'y en a j)oint*afairet il insiste; 
mais le général avait continué sa marche , il 
n'y avait personne pour le recevoir. On court 
avertir le général^ Petit, qui se trouvait a une 
assea grande distancer le parlementaire s'obsti- 
nait toujours affaire des arrangements, ,,A quels 
,, arrangements voulezrvous que j'entende? lui 
,, répondit gravement le général ; mes instruc*- 
"^^tions sont précises : si la place n'est pas rendue 
,,dans deux heures , j'ai ordre de^la foudroyer. 
„0n prépare les batteries ; quatre-vingts mor- 
„tiers ou obusiers vont tout a l'heure vomir le 
„fer et la flamme sur vos remparts. Voici le 
, ^colonel d'artillerie (c'était au contraire celui 
du quatre-vingt-cinquième de ligne qui arri- 
vait) ; vous allez voir si j'exagère. Vos pièces 
,,sont-elles placées, colonel, vos dispositions 
^achevées? — Tout est prêt, général; je n'at- 
^,tends que vos ordres . — Suspendez un instant^ 
^,monsieur apporte des paroles de paix. Vous 
„le voyez, dit-il k l'officier prussien, votre ville 
„touche a sa ruine; évitez-lui des malheurs qui 
,,ne changeront pas la face des affaires. Abattue 
„ou debout, nous n'en pousserons pas moins 
,,nos avantages: la capitulation ou le siège, peu 
„m'importe; choisissez, mais choisissez vitéi. 
„Je ne veux, du reste, traiter qu'avec le gou- 
„verneur." Celui-ci parut bientôt sur l'Oder. 

Le général GauthierallaTecevoir le gouver- 
neur et le conduisit dans une maison voisine; 
le général Petit les joignit, et la cajritulation 
fut signée. Quatre mille Prussiens, qui regor- 
geaient de vivres et de munitions , mirent Jbas 
les armes devant un régiment d'infanteiie qui 



92 Mémoires 

ne les sommait pas , .qui ne pouvait aller a eux. 
De tels homtnes avaient droit de nous deman- 
der de repasser le Rhin : notre voisinage était 
trop dangereux. 

Napoléon envoya Dutoc au roi de Prusse; 
mais personne ne croyait a la paix. • 

Comme nous nous promenions , Caulincourt 
et moi 9 dans la cour du château , nous vîmes 
arriver a nous un grand jeune homme blond 
très simplenvent vêtu ; il nous salua: c'é^tait le 
prince Paul de Wurtemberg. Il venait de quit- 
ter Tarmée prussienne, où il avait servi contre 
la volonté de son père , av^c Içquel il était fort 
maLainsi qu'avec Napoléon. „Que, vient, faire 
ici votre altesse?" lui demanda Caulincourt. 
Il répondit qu'il désirait rentrer dans les bonnes 
grâces de Tempereup, et pria ce général de 
['annoncer. Le duc de Vicence y consentit; 
mais Napoléon ne voulut pas recevoir le prince : 
il le fit arréjter et conduire par un officier de 
gendarmerie dans les états du roi son père, 
où il fut détenu pendant plusieurs années* Cau- 
lincourt fit t^ut au monde jiour adoucir sa capr 
tivité. 

Le quartier-général fut transféré a Posen ; 
l'insurrection qui s'était manifestée dès que nos 
troupi^s avaient paru éclata avec une nouvelle 
force. Kalisch avait désarmé la garnison prus- 
sienne; une foule de places suivaient cet exr 
emple : ce n'était qu'imprécations contre les au- 
teurs du partage. Les villes, les villages, Var- 
sovie même , quoique occujiée par les Busses, 
envoyaient des députations , demandaient que 
rindéj>endance de la Pologne fût proclamée. 
„Jele voudrais bien, me dit Naj^oléoi^i; mais 



du général Rapp. 93 

^4^ mèche une fois allumée , qui sait oii s'ar- 
„rêtera rincendie? Mon premier devoir esten- 
„vers la France ; je ne dois pas la sacrifier ^ la 
,, Pologne: il faut s'en remettre au souverain 
y,qui régit tout , au temps ; lui seul nous ap- 
„prendra ce que nous aurons a faire." 

Durocnous rejoignit a Posen. Nous partîmes 
„pour Varsovie : le grand maréchal verse dans 
ce trajet , et se cassa la clavicule. Na]>oléon en 
fut très affecté. Duroc a toujours été pour lui 
un homme presque indispensable ; il a constam- 
ment joui de la plus haute faveur et de la plus 

rande contîance : il le méritait a tous égards. 

1 était difficile d'avoir plus de tact, d'esprit de 
conduite , d'habileté, et en même temps plus 
de modestie : son dévouement était illimité ; 
il avait le cœur, droit, il était honnête homme : 
on ne pouvait lui reprocher que là crainte de 
déplaire et une excessive timidité. 

INous arrivâmes enfîp dans la capitale de la 
Pologne ; le roi de Nai)les nous y avait j^récédés 
et en avait chassé les. Russes. Napoléon fut reçu 
avec enthousiasme; la nation croyait toucher 
au moment où elle allait renaître; elle était au 
comble de ses vœux. Il est difficile de peindre 
la joie des Polonais et le respect qu'ils avaient 
pour nous. Nos' soldats étaient moins satisfaits; 
ils montraient surtout ime vive répugnance k 
passer la Vistule. La misère, l'hiver, le mauvais 
temps , leur avaiefit inspiré pour ce pays une 
extrême aversion : c'étaient des plaisanteries 
continuelles sur la nation , les épigrammes ne 
tarissaient pas. Ils n'en battirent pas moins les 
Russes dans les boues de Nasielsk, a Goljmin, 
a Pultusk, et plus tard à £ylau. 



94 Mémoires 

A une revue où les Polonais se pressaient 
sur nos troupes , un soldat se mit a )urer tout 
haut contre le pays et le mauvais temps. ^^Vous 
,^yea bien tort , lui dit une demoiselle» de lie 
^pas aimer notre paji^^ .car nous vous aimons 
yybeaucoup. — Vous êtes fort aimable , luiré- 
f^pliquale soldat; mais si vous voulez que je 
«yVous croie . vous nous fere^ faire un bon di- 
t,ner a mon camarade^ et a moi/' Les parents 
delà jeune personne emmenèrent eiiectivement 
les deux soldats; et les traitèrent. 

C'était surtout au spectacle que la troupe 
se donnait beau jeu. La toile tardait un soir a 
se lever; un grenadier perdit patience : „Coi|i- 
„mencex donc, messieurs les relouais, cria-t-il 
„du fond du parterre; commence» donc, ou je 
„ne passe j^as la Vistule." ' ., 

M. de Talleyrand s'embourba avec sa voiture 
à quelque distance de Varsovie et resta une- 
douzaine d'heures avalit de pouvoir s'en tirer. 
Les soldats, d'assez mauvaise humeur, demandè- 
rent qui c'était. „Le ministre des relations 
^extérieures ,** répondit quelqu'un de 3a suite. 
9,Que diable aussi vient-il faire delà diplomatie 
%,dans un pajs de cette espèce ?" ^ * 

Quatre mots constituaient , pour eux , tout 
l'idiome polonais ; Klebq! niema; pota? sara: 
du pain f il n'y en a pas ; de l'eau ? on va en 
apporter. C'était Ik toute la Pologne. 

Napoléon traversait un joiu: une colonne 
d'infanterie aux environs de Nasielsk., oii la 
troupe éprouvait de grandes privations a cause 
des boues qui empêchaient les arrivages. „Papa, 
„kleba?'^ lui cria un soldat. 9,Niema,*' répondit 



du générfd Rapp. 



95 



rehipereur. Toute la colonne partit d'un éclat 
de rire; personne ne demanda plus rien. 

Je rapporte ces anecdotes parce quelle» 
font voir' quel esprit animait nos. soldats. Ces 
respectables vétérans méritaient plus' de recon^ 
naissance qu'ils n'en ont obtenu. 

Napoléon s'amusait de ces plaisanteries , et 
riait quand on lui parlait de la i*épugnance de 

I armée a passer la Vistule. Quelques généraux 
auguraient • mal de sa situation morale , et s(? 
plaignaient de voir le dégoiit succédera l'enthou- 
siasme. „Leur avea-vous parlé de Venhemi? 
„Sont-elles sans élan quand elles l'ai^erçoivent ? 
„Ces^ens-ra, me dit -il ensuite, ne sont pas 
„f ait pour apprécier mes troupes ; ils ne savent 
„pas qu'elles bouillent dès qu'il est question 
,.ae Russes', de victoire: je vais les réveiller.** 

II appela un secrétaire^t lui dicta la proclama- 
tion suivante : 

„I1 y a aujourd'hui un an , à cette heure 
„même, que vous éties sur le champ mémorable 
„d'Austerlita : les bataillons russes épouvantés 
), fuyaient en désordre , ou envelçjjpés rendaient 
^yles armes a leurs vainqueurs. Le lendemain 
,'41s firent* entendre des paroles de paix; mais 
,yelles- étaient trompeuses : a peine échappés, 
„par TeiFet d'une générosité peut-être condam-* 
,,nable, aux désastres de la troisième coalition, 
,,ils en ont ourdi une quatrième ; mais l'allié sur 
la tactique duquel ils {bndaientleur principale 
espérance n'est déjà plus : ses places fortes, ses 
),capitales, ses magasms, ses arsenaux, deux 



» 



99 



96 Mémoires 

„cent quatre-vingts dra|)eaux, sept ceutd 
„pièces de bataille, <^inq grandes places de 
„guerre, sont en notre pouvoir. L'Oder, la 
„Wartha, les déserts de laPologne, les mauvais 
jjtemps dé la saison , . n'ont pu vous arrêter un 
„moment; vous avea tout bravé, tout sur* 
„inonté; tout a fui a votre approche. C'est en 
„vain que les Russes ont voulu défendre là 
^capitale de cette ancienne et illustre Pologne i 
„raigle française plane sur la Vistule. Le brave 
„et infortuné Polonais, en vous voyant, croit 
„revoir les légions de Sobieski de retour de' 
„leur mémorable expédition. 

„Soldats ! nous ne déposerons pas les armes 
„que là paix générale nait affermi et assuré la 
„puissance de nos alliés , n'ait restitué a notre 
„commerce sa liberté et ses colonies. Nous 
„avons conquis sur l'Elbe et l'Oder Pondichéry^ 
„nos établissements des Indes, le cap de Bonne* 
,, Espérance et les colonies espagnoles. Qui 
^donnerait le droit aux Russes de balancer 
„les destins? Qui leur donnerait le droit de 
„renverser dé si justes desseins ? Eux et nous, 
„ne sommes nous plus les soldats d'Austerlit» ?" 

Les troupes .furent réunies sur la place de 
Saxe: c'était l'anniversaire du couronnen^ellt ; 
les Russes occupaient le faubourg de Prague. 
Ces circonstances , ces souvenirs, cette perspec- 
tive de gloire , furent accueillis par de longues 
acclamations. On ne songea plus qu'a vaincre ; 
toutes les préventions disparurent^ L'ennemi 
couvrait la rive gauche, il avait remorqué 
tous les bâtiments; un maréchal-des4ogis 
brava les lances des Cosaques , et réussit a 
s'emparer d'un bateau. C'eil fut assea, l'armée 

oppo- 



du général Rapp. 97 

opposée leva son camp pendant la nuit; nous 

Sassâmes sans obstacle. Le Bug nous of&itplus 
e difficultés ; sa rive gauche est plate, 
marécageuse, disposée pour la défense; mais 
Beningsen ne sut pas profiter de ses avantages. 
Nous le menaçâmes sur ses ailes, nous re- 
mimes a flot les bateaux qu'il avait submergés ; 
il hésita, le fleuve fut franchi. Les Russes 
revinrent à la charge , ils essayèrent d'enlever 
la tête du pont que nous avions élevé k 
Okuniew; mais tout avait été prévu : Dovoust 
était en mesure , l'ennemi fui culbuté , battu, 
obligé de repasser le Wkra. 



iàmmmi-im 



98 Mémoires 



. CHAPITRE XVI. 

Cependant le vieux Kaminskî avait pris le 
(Commandement de Tarmée russe, il avait 
porté son quartier-général a Pultusk. Ses 
généraux se concentraient, tout annonçait le 
projet de se porter en deçà dii fleuve. Napoléon 
accourut pour les déloger; il visita le champ 
iretranehé d'Okimiew, reconnut la rivière , la 
osition des Russes, et la plaine qu'il fallait 
ranchir pour arriver a eux. Couverte de bois, 
d'abatis , de marécages , elle était presque aussi 
difficile a emporter que les redoutes derrière 
lesquelles s'abritaient les Cosaques. L'empe- 
reur l'examina longtemps et à j^lusieurs re- 
prises : des bouquets de bois lui masquaient la 
vue ; il se fit apporter une échelle , monta sur 
le faite d'une chaumière , observa la disposi- 
tion des lieux, les mouvements qui s'opéraient 
a l'autre rive. „C^est bien , nous allons passer; 
faites venir un officier.*' Le souschef d'état- 
major du 3^ corps se présenta, et écrivit sous 
sa dictée les disposition suivantes : 

„La première division passeravdai;is l'île, 
„et se formera le plus loin possible de l'en- 
nemi. 

„Tout ce qui appartient a la 3® division res- 
„tera dans la tête du pont; ne devant parti- 
,,ciper en rien à l'attaque, elle demeurera 
„en réserve. 

,,0n formera des bataillons avec les huit 
„compaguies de voltigeurs, ce qui , avec le ba- 



du général Rapp. 99 

„taillon du 13* léger, formera trois colonnes; 
„ces trois colonnes se porteront dans le plus 
„grand silence sur les trois extrémités du ca- 
nnai et s'arrêteront au milieu de l'île, de ma- 
„nière a être hors de portée de la fusillade ; 
j,elles auront chacune derrière elles trois pièces 
^,de canon. 

„Chaque colonne détachera ses pièces, escor- 
,,tées par une compagnie de voltigeurs; ces 
„compagnies commenceront la fusillade, se 
„covivrant par les haies. Pendant ce temps 
„les officiers d'artillerie 2>laceront leurs batte- 
„ries, et tireront a mitraille sur les bataillons 
„et les troupes que l'ennemi ne manquera pas 
„d'opposer au passage. 

„0n jettera les ponts sous la protection de 
,, cette artillerie. 

jjLes trois colonnes passeront; et du mo- 
„ment où elles seront placées de Tâutre côté, 
,, trois piquets de chasseurs à cheval, chacun 
„de soixante hommes , passeront pour charger 
,,rennemi, le gagner de vitesse et faire des 
,, prisonniers. 

„Le 17® régiment passera immédiatement 
„après, se mettra en nataille, laissant entre 
„chaque bataillon un intervalle de vingt-ctnq 
^, toises , en arrière desquelles seront placés trois 
,,escadrons de cavalerie légère; le reste de ladi- 
„vision passera après et seïormera en arrière." 

Nous nous portâmes sur les hauteur^'^qu'oc- 
cupait l'ennemi ; nous l'attaquâmes parla droite, 
nous l'attaquâmes par la gauche : il ne put sup- 
porter le choc , tout fut culbuté. Les troupes 
avaient déployé une valeur sans exemple ; Na- 
poléon applaudit a leur courage. Il fit appeler 

7 .. 



s 



-»• ••* 



.100 Mémoires 

les généraux Morand et Petit , auxquels il dit 
les choses les plus flatteuses; il voulut que les 
corps qui venaient de combattre prissent quel- 
que repos , et détacha la division Friant a la 
poursuite des Busses. Nos voltigeurs les attei- 
gnent a Nasielsk , se jettent sur leur -gauche, 
les coupent, les culbutent, leur prennent trois 

|)ièces de canon. Ils les suivent au milieu des 
)ois , la fusillade s'engage , nous éj)rouvons une 
vive résistance; nous n'avions pas d'artillerie, 
nous ne pouvions débusquer des colonnes que 
les lieux et la mitraille protégeaient. A défaut 
de pièces, on recourt a 1 audace; la charge bat; 
le 48«, conduit par l'intrépide Barbanègre , se 
jette tête baissée sur les masses ennemies , et les 
ren\erse. La nuit approchait, elle les déroba 
a nos boïnonnettes. rJous ramassâmes une mul- 
titude de pièces embourbées sur la route. 

Nous avions en vue des masses formidables, 
mais elles n'osaient nous attendre; elles fuyaient 
l'une vers Goljmin, l'autre vers Pultusk. Je sui- 
vis la première avec la division de dragons que 
l'empereur m'avait confiée ; le maréchal détacha 
Daultane pour couvrir les derrières du 5^ corps, 
qv'il savait s'être porté sur Pultusk. Le dégel 
étiiit comj^let depuis deux jours , ce qui , dans 
la jsaison, est rare en Pologne. Le terrain 
qi^ nous parcourions est un fond dargile 
entïjpcoupé de marécages; les cljemins étaient 
airrei\\; cavalerie, infanterie, artillerie, se 
perdaient dans ces fondrières; personne ne 
pouvait s[en tir«r qnavec des peines inouïes; 
il fallait deux heures pour faire une ])etite 
lieue. Des officiers, des soldats restèrent 
enfoncés dans la boue 2>éndant tout le temps 






v» •: 






du général Rapp. lOl 

aue dura la bataille de Pultusk. Ils servaient 
e point de mire a Tennemi. 

La 3« division avait a peine débouché du^ 
village qu'elle fut prévenue par ses éclaireurs 
qu'une ma^se considérable de cavalerie couvi'ait 
a quelque distance une colonne d'artillerie et 
d'équipages. Le général Priant les fit observer 
par des détachements de troupes a cheval , bien 
convaincu que cette nuée de Cosaques se dissi- 
perait dès qu'elle verrait paraître Tiiifanterie. 
En effet, ils s'enfuirent; nous prîmes de 
l'artillerie i des munitions, des voitures, des 
caissons de toute espèce. Le général, satisfait 
de ces avantages, allait asseoir sa position de 
nuit, lorsqu'une canonnade terrible se Kt 
entendre; c'était le maréchal Lannes qui 
chassait les Russes de Pultusk. Nous eûmes 
notre tour le lendemain; ils occupaient un 
bois, nous voulions les en déloger: nos colon- 
nes s'avancèrent, les voltigeurs étaient en tête, 
et l'infanterie disposée derrière par éclielons. 
L'ennemi opposait une vive résistance ; il nous 
aborda, nous chargea a la baïonnette; mais 
nos. bataillons le refoulèrent sur ses masses. 
Nous restâmes maîtres du champ de bataille; 
il était couvert de cadavres et de sacs; les 
Russes les avaient jetés pour être plus alertes^ 
L'infanterie était débusquée, la ça^alerie 
s'avançait: j'allai a sa rencontre-et la culbutai: 
mais les voltigeurs répandus dans les marais 
nous accablaient de balles^; j'eus le bras gauche 
fracassé. 

J'avais été blessé ^fctiVfois dans nos pre- 
mières campagnes aulWmiées du Rhin, sous 
Custine, Pichegru, Moreau, Desaix; deux 



102 Mémoires 

fois sous les ruines de Meipphis, et cUns la 
Haute - Egypte sous les murs de Thébes ; a la 
bataille d Austerlits et a Golyinin : je le fus 
encore quatre fois , comme on le verra par la 
suite , a la Moskowa. 

De Golymin je fus transporté a Varsovie/ 
Napoléon y entra le \^^ janvier; il me fit Thon- 
neur de venir me voir. „Eh bien, Rapp, tu 
,,es encore blessé, et toujours au mauvais bras." 
C'était la neuvième blessure que j'avais reçue 
a ce bras seulement, qull ajipelait le bras 
malheureux. „Cela n'est pa§ étonnant, sire; 
„toujours des batailles!" — „Nous finirons, 
„répiiqua-t^il, quand nous aurons quatre- 
„ving;ts ans." 

MM. Boyer et Yvdn me pansèrent en sa 
présence. Quand il vit que la fracture était 
réelle, il dit aces messieurs: ,,I1 faut lui cou- 
„per le bras; il est déjà trop malade , il pour- 
„rait en mourir." M. Boyer lui répondit en 
riant : . „Votre majesté veut aller trop vite en 
besogne; le général est jeune, il est vigoureux, 
nous le guérirons." — „J'espère bien, lui 
„répUquai-je , que ce n'est pas la dernière 
„fois que vous me martyriserex.*' 

Na|)oléon partit bientôt de Varsovie pour 
la batadle d'Éjlau , et établit son quartier 

général a Osterode ; c'est là que je reçus Tordre 
'aller prendre le commandement du gouverne- 
ment de Thorti , pour achever de me rétablir. 
J'expédiais des vivres, de Tartillerie, des 
munitions 9 pour presser le si<^!;e de Dantsiô. 
Tétais alors la^>n|udence des généraux 

Srussiens. Ils m'écmneut, ils me priaient 
'intercéder jvonr eux* BluoUer lui-même ne 



99 
99 



du général Rapp, 103 

dédaignait pas de solliciter la grâce de sa 
majesté lempereur et roi d'Italie. Il devait 
d'aoord être conduit a Dijon , comme on-l'a 
vu; mais il avait mis bas les armes: qu impor^ 
tait qu'il fût a Dijon ou ailleurs ? On lui per- 
mit de se retirer a Hambourg. Il s y ennuya 
bientôt et demanda a se rapprocher de Berlin. 
Voici sa lettre : 

^^Mon^ieur le général^ 

j, Votre excellence se rappellera peut-être 
,,que j'ai eu Thonneur de faire votre connais- 
,,sance, il y a quelques années , à votre passage 
,,a Munster; et les témoignages d'attention que 
,,vous avea bien voulu me donner alors me 
,,font espérer que la situation malheureuse dans 
,, laquelle je me trouve actuellement ne vous 
,,sera pas absolument indifférente. J'ose ainsi 
,,m'adresser a votre excellence pour vous deman- 
,,der votre intervention près de sa majesté 
,,rempereur des Français, roi d'Italie, afin 
„qu'elle ait la grâce de me faire délivrer des 
„passe " ports jjour moi , mes deux fils officiers, 
et le reste de ma famille, pour pouvoir nous 
retirer dans les environs de Berlin ou dans 
„la Poînéranie , sur une de mes terres. Ajant 
„perdu tout par le sort des armes, il m'est 
„impossible de faire face aux dépenses que lé 
„séjour d'une ville où tout est aussi énormé- 
„ment cher qu'a tiambourg exige. D'ailleurs 
,,je suis malade, et je sens que ce ne sera qye 
„d^ns le sein de ma famille, et menant une 
„vie très retirée, que je pourrai rétablir ma 
9, santé. . 









1Ô4 Mémoires 

yyCes raisons et la générosité de sa majesté 
,,r«nipereur me font esj^érer quelle daignera 
,bien soulager mon sort pénible en me permet- 
tant de choisir mon séjour; et la protection 
_<[ue votre exceflençe voudra bien m'accorder 
„k ce sujet joindra les sentiments de la plus 
y^vive reconnaissance k ceux de la plus haute 
^^considération , avec lesquels jai rhonnetir 
„d'être. 

„De votre excellence 

,,Le très humble et très obéissant serviteur, 

,,Blucher , lieatenant-géoéral/^ 
Hambourg, le i5 novembre ï8o6, 

L'empereur refusa ; mais le général doit se 
rappeler la manière dont je le traitai. Il peut 
dire si les Français savent respecter le malheur. 

A la reddition de Dantzic , je fus nommé 
gouverneur , avec le rang de général en chef. 

Napoléon arriva dans cette place le 29 msti; 
il y passa deux jours. Il comptait en tirer des 
ressources immenses, en argent surtout. Je 
rôçus les ordres les plus sévères de faire rentrer 
les contributions , qui s'élevaient a vingt mil- 
lions , et qui furent portées a une trentaine en 
denrées par le traite que je fis avec cette ville 
quelque temps plus tard. J'avais carte blanche ; 
j'étais autorisé a tout pour effectuer ce recou- 
vrement ; mais il était im])ossible : il m'a causé 
bien des ennuis. Tantôt c'était une mesure de 
sévérité, tantôt une alitre. La population , les 
citoyens les plus riches et les plus influents 
étaient tour k tour menacés. J'ai constamment 
éludé ces ordres violents; j'ai évité aux Dant»*^ 



du ge*néral Rapp. JL05 

cois toutes sortes de déboires. A la paix, ils 
devaient encore dix-sept millions. 

!Napolëon assista aux batailles d'Heilsberg, 
de Friedland, Huit jours après son départ il 
m écrivit : 

„M. de Tallejrrand se rendra a Dantxic; 
,yilv restera avec vous pendant quelque temps. 
„Vousle recevrea et vous le traiterez en jjrince. 
,,Vous connaisez toute l'estime et tout lattache- 
„ment que j'ai j)our ce ministre, etc,'* il eût 
évité bien des malheurs s'il ne se fut jamais 
brouillé avec ce dijîlomate. 

Après le traité de Tilsit , Napoléon m'en- 
voya des instructions particulières. Il m'an- 
nonça la paix et m'ordonna d'exercer une sur- 
veillance sévère sur la Prusse et la famille 
royale. Il était toujours courroucé contre le 
roi et ses sujets. Je cherchais pourquoi, je ne 

trouvais le deviner; Berthi#r me Texplicjua: 
à cause ne me parut pas tfès juste. Le prince 
était venu a Dantzic me transmettre de nou- 
veaux ordres , et me renouveler celui d'avoir 
toujours l'œil ouvert sur les menées qui se fai- 
saient autour de moi. Je devais rester dans cette 
S lace jusqxi'a la cessation des hostilités. Les 
us^es étaient pour nous; Nous avions beau 
1*eu avec les Anglais , avant deux ans ces insu- 
aires devaient être obligés de demander la 
paix. 

Enfin je restai a Dantzic. Je correspondais 
directement avec Napoléon ; presqtie toutes ses 
lettres respiraient une humeur extraordinaire ^ 
et j'avoue que je l'ai moi-même partagée long- 
temps. 

Les propos , la conduite de quelques offi- 



s 



106 Mémoires 

ciers prussiens, contribuaient a entretenir cette 
prévention. Je sévissais contre eux, ïa moin- 
are faute était sévèrement punie ; mais aussi je 
leur faisais rendre justice , je ne soulFijais pas 

u pn les molestât. Tout se calma cependant. 

In mit de part et d'autre le fiel de côté, la 
confiance se rétablit. Je les voyais , je les re- 
cevais, et je puis dire que dès la première an- 
née de mon commandement tous les rapports 
3ue j'envoyais a Paris étaient marqués au coin 
e la modération et de la vérité. Je représen- 
tais à Napoléon qu il était difficile aux Prussiens 
d'oublier si vite leur grandeur passée, que les 
esprits se calmaient , que le roi, les ministres, 
la famille royale , ne cessaient d'inviter la na- 
tion a cette résignation que le malheur rend 
indisjiensable. 

J'ai toujours écrit dans le même sens. Je 
n'avais a me plaindre de personne; de mon 
côté j'étais très bien avec les autorités civiles 
et militaires. Je les voyais souvent ; et toutes, 
j'ose le dire, avaient en moi la j>lus grande 
confiance: elles étaient sensibles a mes bons 
procédés. 

Mais tous les commandants n'y mettaient 

f)as la même bienveillance. Leurs raj>ports, 
es désastres de Baylen, donnèrent a Napoléon 
de nouveaux doutes çur la conduite de la r russe. 
Il me chargea de redoubler de surveillance. 
„Ne passez rien aux Prussiens , me disait-il 
„dans une lettre; je ne veux pas qu'ils lèvent 
„la tête.*' 

La nouvelle des revers que nous avions 
éprouvés dans la péninsule se répandit de suite 
en Allemagne; elle éveilla de nouvelles espé- 



du général Rapp, 107 

rances ; toutes les têtes étaient en fermentation. 
J'en rendis compte a* Napoléon; mais il n ai- 
mait pas qu'on lai rappelât des souvenirs pé- 
nibles y encore moins qu'on lui montrât un 
avenir malheureux. lime répondit: „LesAIle- 
„mands ne sont pas des Espagnols ; le caractère 
'«^flegmatique d'un Allemand n'a rien de commun 
y^avec celui des féroces Catalans/^ 



108 



Mémoires 






CHAPITRE XVII. 



L'entrevue d'Erfurt eut lieu. Napoléon par- 
tit pour l'Espagne ; il battit, il dissipa tout ce 
qui lui fut opposé ; Farmée anglaise était per- 
due s'il avait pu lui-même la poursuivre ; mais 
la quatrième guerre d'Autriche avait éclaté, il 
fut obliglWfeccourir au secours de la Bavière. 
Le prince Berthier m'envoya l'ordre dé rejoin- 
dre! armée; l'empereur y était déjà: je le trou* 
vai a Landshut , qui venait de remporter la 
victoire de Ratisbonne ; je ne fus pas contept 
de sa réception. Il me demanda d'un air assez 
sec: ,, Comment se portent vos Prussiens et vos 
„Pantaicois? Vous auriex dû faire payer a ces 
„derniers ce qu'ils mie doivent. Vous levoyex, 
,,nous ne sommes pas tous morts en Espagne; 
„il me reste encore asses de monde pour battre 
„les Autrichiens." Je sentis l'allusion. * 

.Nous marchâmes sur Vienne. L'empereur 
s'adoucit et me traitait avec plus de bienveil- 
lance. L'affaire d'Esslingen eut lieu : une foule 
de braves avaient perdu la vie ; le maréchal 
Lannes était hors de combat; la cavalerie, l'ar- 
tillerie, étaient détruites; et le village d'Ess- 
lingen , le point le plus important qdi nous 
restait a défendre, inondé par vingt bataillons 
de grenadiers hongrois: nous ne pouvions pi us 
nous y maintenir; déjà ils pénétraient dans la 
maison carrée que Napoléon avait fait fortifier 
la veille. Le comte Lobau s'avança a leur ren- 
contre et les arrêta ; mais ils reçurent tout de 



du général Rapp. 109 

suite des renforts. L'empereur s'en aperçut: 
je fus chargé de prendre deux autres bataillons 
de la jeune garde et de voler au secours des 
nôtres; je 4evais les dégager, faire retraite 
avec 'eux, et prendre position^ entre le village 
et le reste de la garde, sur les bords du Da- 
nube , près du pont qui avait été rompu. lies 
colonnes autricniennes s'avançaient de tous les 
côtés sur ce point ; la position devênai t terrible: 
a noire gauche, Ma^éna occujiait encore Gros- 
asj^ern ; il avait perdu beaucoup de monde, 
mais enfin il se maintenait. Je me mis k la 
tête de mes deux bataillons, et j'entrai dans le 
village: je disposai mes troupes en arrièi'e du 
jénéral Mouton, et fus lui porter les ordres de 
'empereur ; mais toute la réserve ennemie, 
conduite par l'archiduc Charles , se déployait 
a quelques j^as. ,,Vous avez, dis-je au comte 
„Lobau, étonné ces masses par votre résistance ; 
,, abordons-les a la baïonnette, rejetons-les sur 
,,les colonnes qui s'avancent: si nous réussis- 
„sons, l'empereur et l'armée nous sauront gré 
„du succès ;^ si nous sommes malheureuxi, la 
„tesponsabilité pèsera sur moi. — Sur tous les 
„deux, reprendle général.*' Nos cinq bataillons 
s'ébranlent, culbutent, dispersent tout a coups 
de baïonnettes : nous sommes maîtres du vu- 
lage. L'archiduc cherche en vain a le rej)ren- 
dre: cinq fois il ramène ses troupes a la charge, 
cinq fois il est défait; nous lui rimes éprouver 
une perte immense. Nous en avions essuyé , 
aussi une considérable : le général Mputon , le 
général Grosse, étaient blessés; beaucoup d'au- 
tres officiers avaient perdu la vie. Napoléon 
fut enchanté de cette aftaire ; il me ait des 



1 10 Mémoires 

choses flatteuses, et ajouta: yySi jamais tu as 
^.bien fait de ne pas exécuter mes ordres, 
,,c'est aujourd'hui; car le salut de Tarmée dé- 
„pendait de la prise d'Esslingen.' • 

Napoléon trouvait les Viennois plus exaltés 
que dans nos campagnes précédentes ; il m'en 
fit la remarque. Je lui répondis , que le déses- 
poir y était pour beaucoup; que partout Ton 
était fatigué de nous et de nos victoires. Il n'ai- 
mait pas ces sortes de réflexions. 

Schill courait alors la Saxe ; il l'apprit et en 
fut inquiet : c'était une manière de sonder l'opi- 
nion. La Prusse préludait a cette guerre d'in- 
surrection qu'elle nous fit plus tard: j'avoue 
que je ne le croyais pas; j'avais une trop haute 
idée de la loyauté nationale. Je cherchai a dis- 
siper les préventions de l'enn^ereur; mais ses 
soupçons étaient plus forts que tout ce que je 
pouvais lui dire. Une autre circonstance con- 
tribuait k le rendre défiant: la marche des Rus- 
ses ; n'était pas plus franche que cejile des Prus- 
siens ; ils tergiversaient. Ce manque de fois le 
rendit furieux. Il résolut d'en tirer vengeance: 
mais il lui fallait du temps. 

La bataille de Wagram eut lieu : je n'y as- 
sistai pas. TÇrois jours auparavant j'accompa- 
§nai Napoléon a File Lobau: j'étais dans une 
e ses voitures avec le général Lauriston ; nous 
versâmes : j'eus une épaule démise et trois côtes 
fracassées. 

L'empereur poussa jusqu'à Znaim et revint 
s'établir a Schœnbrunn; il y apj>rit enfin la 
défaite et la mort de Schili; il en fut satis- 
fait : il eût Cependant mieux aimé que ce par- 
tisan eût été pris. 



du général Rapp. 111 

Il y eut , pendant les négociations , diverses 
émeutes a Vienne. Plusieurs personnes , con- 
vaincues dy avoir trempé, furent condamnées 
a mort: deux bourgeois e;t un juif allaient être 
exécutés; je fus assez heureux pour obtenir 
leur grâce. 

Napoléon était assez constamment de bonne 
humeur; cependant les rapports que lui faisait 
la police venaient de temps k autre troubler sa 
gaieté. Ses ennemis avaient répandu le bruit 
ridicule d^une aliénation mentale: il en fut 
blessé. „Cest, dit-il, le faubourg Saint-Germain 
„qui imagine ces belles choses; ils en feront 
„tant que je finirai par envoyer ce monde-lk 
„dans la Champagne pouilleuse.** 

Un jour je lui demandai de l'avancement 
pour deux officiers. ,;Je ne veux plus, me 
„dit-il, en doimef tant; ce diable de Berthier 
„m'en a trop fait faire. Puis se tournant vers 
Lauriston: N'est-ce pas, Lauriston, que de 
_notre temps on n'allait pas si vite? Je suis 
„resté lé bien des années lieutenant , moi ! — 
„Cela se peut , sire , mais depuis vous avea 
„bien rattrape le temps perdu.** Il rit beau- 
coup de ma repartie , et ni*accorda ce que je 
sollicitais. 






1 1.2 Mémoires 



CHAPITRE XVIII. 

Xependant la paix traînait en longueur; les 
négociations n'avançaient pas: et TAllemagne 
souffrait toujours. Un jeune homme, égarjé par 
un amour aveugle de la patrie, forma le dessein 
de la délii^rer de celui qu'il regardait comiiae 
la cause de ses maux . Il se présenta k Scbœn* 
brunn le 25 octobre , pend!ant que les trou- 
pes défilaient : j'étais de service; Napoléon était 
placé entre le prince de Neufchâtel et moi.' 
Ce jeune homme, nommé St..., s avança vers 
l'empereur; Berthier, s'imaginant qu'il venait 

Srésenter une pétition, se mit au-devant et lui 
it de me la remettre ; il répondit qu'il vou- 
lait parler a Napoléon : on lui dit encore que, 
s'il avait quel({ues communications a faire , il 
fallait qu il s adressât a l'aide - de - cariip de 
service. Il se retira quelques pas en arrière, 
en répétant qu'il ne voulait parler qu'a Napo- 
léon. Il s'avança de nouveau elr s'approcha de 
très près : je l'éloignai , et lui dis en allemand 
iqii'il eût a se retirer; que, Vil avait quelque 
chose a demander, on l'écouterait après la 

E." ." ■,' .■.,'./,. ' 

un papier dont l'extrémité était en évidence. 
Il me regarda avec des yeux qui me frappè- 
rent; son air décidé me donna des soupçons: 
j'appelai un orficier de gendarmerie qui se trou- 
vait la; je le fis arrêter et conduire au châ- 
teau. Tout le-monde était occupé de la parade; 

per- 



parade. Il avait la main droite enfoncée dans 
[a poche- de côté , sous sa redingote ; il tenait 
m papier dont l'extrémité était en évi( 



du générai liapp* 113 

personne ne s'en aperçut^ On vint bientôt m'an« 
noncer qu ati avait trouvé up énorme couteau 
de cuisine sur St.k«i je prévins Duroc; nous 
nous rendîmes tous au lieu pu il avait été con- 
duit. Il était assis sur uii lit où il avait étalé le 
portrait d'une jeune femme ,^ son pctrtefeuilléi 
et une bpurse qui contenait quelque vieux louis 
d'0r« Je lui demandai son nom. — ^,Je ne pub 
f^le dire qu a Napoléo^. — Quel usage voulies- 
^^vous faire de ce couteau ? — Je ne puis Ife 
^ydire qu'a Napoléon* — Vouliea^vous vçus eti 
„»ervir pour attester a ^a vie ? — Oui, mon- 
«ySieuri — Pourquoi? — Je ne puis dire qu'a 
^luiseul." 

J'allai prévenir rempereuf de cet éti^ahge 
événement; il me dit de faire amener de jeune 
hpmroe dans son cabinet; je transmis ses ordres 
et je remontaL 11 était avec Bernadotte i Ber- 
thier, Savary et Duroc^ l)eux gendarmes 
amenèrent St*.. les mains liées derrière le doS: 
il était calme ; la présence de Nftpoléon tie lui 
fit pas la moindre impression; il le salua ce- 
pendant d'une manière respecteuse. L'empe- 
reur lui demanda s'il parlait français ; il rèpon- 
<Ut avec assurance : ,,Très peu/^ Napoléon me 
chargea de lui faire en son nom les questions 
suivantes : 

„î)'où êtes -vous? — De Naumbourg. ^-^ 
„Qu'est votre père ? — Ministre protestai^t. -v 
^,Quel âge avea-vous? — : Dix-huit ans/-^ Que 
^iVouliea-ViOus faire de votre couteau? --^ Vous 
,,tuer. — Vous êtes fou, jeune honune; vous 
„êtes illuminé. — Je ne suis pas fou^ je ne sais 
;,ce que c'est qu'illuminé.^— ^ vous êtes donc ma- 
>,lade ? — Je ne suis pa»^ malade > ]é xae porte 

8 % ^ 



114 Mémoires 

„bien, — Pourquoi vouliesi-vous mo tuer? -— 
„Parce que vous faites le malheur de mon pays. 
j,"— Vous ai- je fait quelque* mal? — Comme a 
y^totis les Allemands. — Par qui êtes-vous en- 
„voyéV qui vous pousse a ce crime? — Per- 
,, sonne; c'est l'intime conviction qu'en vous 
,ytnant je rendrai le plus- grand swvice k mon 
„pays et k l'Europe y qui mt a tnb les armes à la 
^,main. — Est-ce la première fois que vous me 
,,voyea ? — ^ Je vous ai vu à Erf urt lors de l'en- 
„trevue. — Nave»-vous pas eu l'intention de 
,,me tuer alors? — Non, ]e croyais que vous ne 
,^eriez plus la guerre k TAUemagne; j'étais un 
„de vos plus grands admirateurs. — De|>ui5 
,,quand êtes-vous a Vieiine ? -— Depuis dix jours. 
,, — Pourquoi avea-vous attendu si long-temps 
„p6ur exécuter votre projet? — Je suis venu a 
„Schœnbrunn il y a huit jours aVec l'intenl^ion 
,9 de vous tuer; mais la parade venait de finir, j'a- 
,yVais temis l'exécution de mon dessein a aujour» 
„d'hui. y- Vous êtes fou, vous dis-je, ou vous 
.,étes malade. — Ni l'un ni l'autre. — Qu'on fasse 
,,venir Con isart. — Qu'est-ce que Corvisart ? — 
,^Cest un médicin, lui réjjondis-je. — Je li'en ai 
,, pas besoin.*^ Nous restâmes sans rien dire jus- 
qu'à l'arrivée du docteur; St.. était impassible. 
Corvisart arriva; Napoléon lui dit de tàter le 
pouls du jeune homme , il le fit. „N'est-cepas, 
;,inonBie.ur , que fe ne suîs"[)oint malade? — 
i^onsieur se porte bien , répondit le docteur 
^,en s^adressant à l'empereur* — Je vous l'a- 
„vais bien dit, reprit St... avec une sorte de 
„f;atisfaction.'^ • 

Napoléon , embarrassé de tant d^assàrânee, 
rf e<nnmença ces questions. » 



99 



99 
99 
99 



du général -Rapp. 116 

Vous avec une tète èxattée ^ Viilis ll»#<^ji là 
perte de votre famille; Je Vous accorderai la 
vie, si vous demandez pardon du crime que 
„voué avez v^ulu ;cdmmettre« et dôiit iBi>U$ de- 
„vea être fâché. — Je ne veux paé de pardon^ J'ér 
„prduve le plus vif regret de n avoir, jm^séuiftir. 
., — Diable: il parait quuh crime stéàt rien 
pour nous? — Vous tuer n'est paë ùncr^e, 
c'est un devoir: — Quel est ce poa^trait qu'on 
,,â trouvé sur. vous? -^ Celui d'une jeutie pétt5- 
,,sonne que* j'aimé. "— Elle; sera bien affligée cle 
„ votre avanturè! — Elle ëei*a àfflieée^deçe q;Ué 
,,je n'ai pas réussi i elle vous aonorrè aUtali[t 
y^qtié tooi. — Mais .enfin si je, vous fais gràce^ 
^ni'en saur^a-^vous gré ? — r Je né voiis^ feii : tuerai 
,,pas moins." -• ? . 

Napoléoiï fut stupéfait. Il dohnà ordre d'éi h^ , 
mener le prisonnier: Il s'entretint quelque 
temps avec nous , et parla beaucoup dlllumi- 
nés; Le soir il me fit demander et jne dit: 
,,Savea-vous que l'événement d'aujourd'hui tsl 
,, extraordinaire. Il y a dans tout cela deâ 
,, menées de Berliil et de Wéimâr." Je repoussai 
ces soupçoiis. ,3I^is 1^^ fèmnies sont capables 
i,dé tout. — ^ Ni hommes ni femmes de ce* 
,^deux cours nç Concevront jamais de projet 
i^aiissi atroce. — Voyez leur affaire de ocb"l. 
„ — Elle n'a rien de commun avec un Jiarèil 
„crimé. — Vous avez beau dire , monsieur le 
,, général; on ne m'aime ni a Berlin ni a Wéi- 
,ymar. — Cela n'est pas douteux: màispduvêz- 
„vous prétendre cju'on vous aikne dans ces 
deux cours ? et parce -qu'on ne vous aime 
pas, faut-il vous assassiner?'^ Il communiqua, 
les mêmes soupçons a.*;»; 

a.' 



99 



116 



Mémoires 



Naj^oléon me donna l'ordre d'écrire au géné- 
ral Lauer d'interroger St..., afin d'en tirer 
quelque révélation. Il n'en fit point. Il soutint 
qiie c'était de son propre mouvement et sans 
aucune ' suggestion étrangère qu'il avait conçu 
son d^^ein. 

La àé]^t de Schœnbrunn était fixé au 27 
octobre. Napoléon se leva a cinq heures du 
matin rt me fit appeler. Nous allâmes k pied 
sur la grande route voir passer la garde impénale, 
ui partait pour la France. Nous étions seuls, 
apoléon me parla encore de St.... ,,11 njr a 
„pas d'exemple qu'un jeune homme de cet âge, 
„Allemand , protestant, et bien élevé, ait voulu 
„commettre un pareil crime. Saches comment 
„il est mort.^^ 



s 



Ai générai Rapp. f 17 

CHAPITRE XIX. 

Une pluie abondante nous fit rentrer. 
J'écrivis au général Lauer de nous donner des 
détails a ce sujet. Il me répondit que St... 
avait été exécuté a sept heures du matin , 27, 
sans avoir rien pris depuis le jeudi 24 ; qu'on 
lui avait offert a manger ; qu'il avait retusé, 
attendu, disait -il, quil lui restait encore 
assez de force pour marcher au supplice. On 
lui annonça que la pailc était faite ; cette nou- 
velle le fit tressaillir. Son dernier cri fut A7u# 
la liberté! vive t Allemagne ! mortàsontyranf 
Je remis ce rapport à Napoléon. Il me chargea 
de garder le couteau , que j'ai .chea moi. 

jSapoléon me dit que les préliminaires de 
la paix n'étaient pas encore signés , mais mie 
les articles en étaient arrêtés , et qu'il la ratihé- 
rait a !AIunich , où nous, devions nous arrêter. 
Nous arrivâmes a Ny mphenbourg : la cour de 
Bavière s'y trouvait. Je n'avais pas eu l'hon- 
neur de voir le (roi depuis la campagne d'Au-^ 
sterlitg. Il me logea dans son palais. 11 me^ 
témoigna beaucoup de confiance et de bonté. 
Il me dépeignit la triste situation de ses sujets, 
et ajouta que si cet état de choses ne cessait 
bientôt, il serait obligé de mettre la clef sous 
la porte et de s'en aller. C^ furent ses expres- 
sions. 

Jeconservaile souvenir de ce dernier propos. 
J'étais bien déci^Jéale rendre, non pour lui 
nuire, mais pour prouver a Napoléon que 



ut • . Mtêmmres 

toutes les m^èmnités qu il accordait^ ses^ltit^a 
étaient loin de les sfitisfaire et de compenser 
les cKarges que la guerre leur imposait. 

La paix fut effectivement ratifiée. Nous 
quittâmes Nymphenbourg , et nous arrivâmes 
aStuÛgard. Napoléon fut reçu avec m:agnifi- 
cence et logé au palais, ainsi que toute sa suite. 
Le roi faisait construire un grand jardin., et 
employait k ces travaux des hommes condam* 
nés aux galères. L'empereur lui demanda ce 
que c'était que ces hommes enchaînés. Il ré* 

Sondit que c'étaient, la plupart, des rebelles 
e ses nouvelles possessions. Nous nous remîmes 
en route le lendemain. Chemin faisant, Napo* 
léon revint sur ses malheureux et me dit: 
9^C est un homme bien dur que le roi de Wur« 
^,temberg, mais aussi bien loyal. C'est le 
^souverain de l'Europe qui a le plus d'esprit/* 
Nous nous arrêtâmes une heure a Bast/idt , où 
les princes de Bade et la princesse Stéphanie 
étaient venus lui faire leur cour. Le grand duc 
et la grande duchesse l'accompagnèrent jusquli 
Strasbourg. Il reçut a son arrivée dans cette 
ville des dépêches qui rindisposèrent de nouveau 
contre le faubourg Sainjt-Gérmain. Nous nous 
rendîmes k Fontaineb^au : aucun prép*aratif 
n'était fait, il n'y i^vimp^ même de service; 
mais peu après toute la cour arriva , ainsi qU« 
la (aihille de Napoléon. 

L'empereur etit de longues conférences Avec' 
Te niinistre de la l^olice; il se plaignait du 
fieiubourg Saint- Germain. Ce constraste de 
souplesse et dliudace, que sa livrée déployait 
tour a tour dans ses antichambres et les salons, 
le déconcertait; il ne concevait \^9» qu'on fût 



du gftiéf'al Rapp. 



U9 



isi ba^ et si perfide , ^ m déchirât d'une main 
tandis qu'on sollicitait de l'autre. Il paraissait 
disposé a sévir; Fouché Ten dissuada. „C'eat 
,,de tradition, lui dit-il; la Seine coule, le fau^ 
„bourg intrigue , demande , consomme , et 
,,calomnie; c est dans l'ordre , chacun, a 3ea 
^attributions/' INapoléon se rendit, il ne se 
vengeait que des hommes. On lui proposa 
une entrée solennelle dans la capitale , il la 
refusa : le vainqueur du monde était bien au- 
dessus de ces triomp][ies dont s'enivraient les 
Romains. Le lendemain la cour quitta Fon* 
tainebleau. L'empereur fit le trajet \ £ranO' 
étrier ; toute son escorte resta en arrièi^ » un 
chasseur de la garde seul put Iç suivre ; c'est 
ainsi qu'il arriva aux Tuileries. 

Napoléon touchait a lune des époques les 
plus importantes de sa vie« 



\ •««- 



tcM Mémoirtê 



CHAPITRE XX. 

n éuit question de divorce; on en parlait 
hautement dans Paris, maison n'était pasd'ac- 
ciHrd sur le choix de cet homme extraordinaire. 
On désignait les princesses de Russie , de Saxe, 
I*archiduohesse. Il fut aabord efFectiyenient 
question de la première, M, de Metternich Tap- 

{^rit et fit des ouvertures ; elles furent acceptées. 
[Cependant U>M les membres de la famille impé* 
riale étaient opposés a cette alliance ; ils redou- 
taient Tastuce autrichienne ; ils prévoyaient que 
cette cour consentirait, se }>réterait à tout ce 
qu'il lui demandait jusqn a ce que l'occasion de- 
vint favors^ble ; qu alors elle lèverait le masque, 
et serait la j^remière a provoquer sa perte : mais 
le mariage était conclu, les représentations fu- 
rent inutiles, Je fus désigné pour assister k la 
cérémonie ; c'ét£Ût urte espèce de faveur, puis- 

au une grande partie de la cour était confon- 
ue dans la foule, Je n avais cependant pas , je 
l'avoue , le droit d y prétendre ; je m'étais per- 
mis quelques réflexions sur le divorce du chef 
de Tetat, et elles lui avaient été rapportées. Je 
plaignais l'impératrice Joséphine, qui avait tou- 
jours été bonne, simple etsansprétentionst Elle 
était reléguéeà la Malm^ison ; j allais la voir sou- 
vent^ Elle me confiait ses peines, ses ennuis; je 
Tai vue pleurer des heures entières ; elle parlait 
de son attachement pour Bonaparte, c'est ainsi 
qu elle l'appelait parmi nous ; elle regrettait le 



: du général Rapp. 121 

beau rôle qu'elle avait joué; ce regret était bien 
naturel. 

Le lendemain du mariage non reçûmes Tor- 
dre d'aller faire les trois révérences devant le 
couple impérial assis sur le trône. Je ne pus y 
aller, je fus retenu par une migraine que j ai 
asses régulièrement toutesj les semaines , j'en 
lîrévins le grand maréchal. Napoléon ne crut 
pas a mon indisposition; il s'imagina que je n'a- 
vais pas voulu me soumettre a l'étiquette, et 
m'en sut mauvais gré. Il me fit donnerVordre de 
repartir pour Dantaic. Lé duc de Feltre me ren- 
contra sur les boulevards et me communiqua les 
intentions de lenipereur. Je demandai des in- 
structions: Napoléon me répondit sèchement 
que je n'avais qu'k surveiller la Prusse, à traiter 
avec égard lesïlusses, et a rendre compte de ce 
qui se passerait dans les ports de la Baltique; 

Sue je pouvais me dispenser de passer par 
erlin. Je m'arrêtai quelques jours à Stras- 
bourg , a Francfort , et j'arrivai le 10 juin \ 
Dantzic. 

Je fus très bien reçu des troupes et des habi* 
tants . On se plaigilait beaucouj) du général Gra- 
bowski ! les Dantaicois ne l'aimaient pas ; ils 
avaient tort, c'était un excellent homme. 

La garnison ne tarda pas a s'augmenter ; elle 
reçut des Saxons, des Badois, des Wurtember- 
geois , des Westphaliens , des Uessois ; c'était 
une armée. Ce sujrcroit de forces me déplaisait 
parce qu'il surchargeait la bourgeoisie ; car pour 
moi je n'avais pas a me plaindre. Les sentiments 
des troupes n'étaient pas équivoques, et les sou- 
verains dont elles dépendaient daignaient pre« 



122 



Mémoires 



4fue*tou9 saisir cette occasion ]K>ur mesurer de 
leur bienveillance; )e ne citerai que la lettre 
du roi de Bavière: 



Munich I le i^ ami t8ii. 

yyVousallex avoir mon 14* régiment d'infan- 
„terie sous vos ordres, mon cher Rapp; je It? 
' ^recommande a vos bontés et a vos soins. Le 
„colonel est un brave homme qui fera sou de- 
„voir. Le lieutenant-colonel et les deux majors 
,fSont bons ; le coq>s des officiers de même. 
yyCt les soldats beaux et parfaits. Je les trouve 
yybien heureux , mon cher général , d'être 
,fSOus un , chef tel que vous : und noch dazu ein 
yiElsasser.^^ 



„ Adresses- vous k moi directement toutes les 
,yfois qu il s'agira du bien-être de lùa troupe, 
,,ouque VOUS' trouvères des défauts » ou qu'elle 
f, servira mal ; chose qui , j'espère > n'arrivera 
,ypas. Je saisisavec empressement cette occasion, 
^ymon cher Rapp, pour vous réitérer l'assurance 
,,de ma constante amitié. « 

On m'envoya des instructions pour fermer le 

Sort de la place, et surveiller ceux de la Prusse, 
lavoust vuit prendre le commandement de 
Hambourg: je n'étais pas sous ses ordres; mais 

S devais correspondre avec lui et M. de Saint- 
arsan. Je ne connaissais pas ce dernier , ce- 
pendant je l^Bstimais beaucoup ; ses lettres proù- 
vaient qu'il était homnie de bien^ .qu'il desirait 



' «» 



du général Rapp. 1S5 

voir la bonne harmonie renaître entre les deux 
nations. Je le désirais aussi , nous étions par-* 

faitement d'accord..., m'écrivait souvent de 

me défier de ce diplomate, que c'était un trai* 
tre vendu au roi et a ses ministres. Sans doute n^ ^ 
qu il ea écrivait autant a Napoléon. Ueureuser 
n^nt quand ce prince avait une fois son opi-, 
nion fixée sur un homme, il faissait peu de cas 
des rapports qu'on lui adressait : a moins, comme 
il le disait, de le prendre la main dans le sac, 
il ne lui retirait pas sa confiance. 

Ma portion cependant devenait péni|)le: 
d^un coté, les Danzicois se plaignaient de nour* 
rir des troupes , de supporter des charges , et 
d'être sans commerce : de l'autre , les ministres 
nie pressaient de faire rentrer les contributions, 
afin de couvrir les dé]>enses d'une expédition 
secrète et du développement des fortifications. 
Les fournisseurs menaçaient de suspendre les 
livraisons ; je ne savais que devenir. Je retirais 
bien quelque argent des impositions frappées 
â(Ur la Prusse; mais ces sommes étaient insuffi- 
santes. A force cependant de persévérance et de 
représentations , ]e réussis a obtenir les fondf 
nécessaires pour acquitter les fournitures, et 
peu a peu la place fut déchargée de ce service. 
On m'assigna des ressources pour les for- 
tifications, et des valeurs pour les prépara- 
tifs de l'expédition secrète , qui n'était plus 
un secret. 

Les ministres proj>osèrent un jour a Napo- 
léon de faire entretenir la garnison par le gou- 
- ver nement prussien. On m'écrivit pour avoii^ 
mon avis. Je répondis que si jamais semblable 
décision m'arrivait, je quitterais «iar-le-chamj> 



i24 Mémoires 

Dantjiic, sans qu'aucune considération fût ca- 
pable de me retenir. Je dois rendre justice au 
maréchal Davoust, qui fut également consulté; 
il fit voir que cette mesure était dangereuse et 
inexécutable. Le projet fut ajbandonné. 

Je ne passerai pas sous silence un diiFerent 
J>izarre que j eus a Dantsic. 
' Je donnais a dîner. J avais entre autres les 
résidents de Prusse et de Russie î je plaçai 1 un 
k ma droite et Tautre a ma gauche. Celui-ci se 
foribalisa d une disposition semblable. Il s'ima- 
gina qu>^ j'avais voiilu molester lui » sa cour, et 
tout ce (jlU'il y avait de Russes au mondç. Il se 
plaignit; sa plainte fut transmise de Saint*Pé- 
tersboui^ à M. de Champagny , qui la commu* 
niqua aNapoléon. Je reçus des reproches : j'avais 
manqué d égards au résident d'une grande na« 
tion t j'avais donné la place d'honneur k celui 
de Prusse; j'étais invité k réparer cette faute. 
J'avoue que je fus piqué. Je répondis au mi- 
nistre que je ne donnais pas de dîners diplo* 
matiques; que les consuls étrangers n'étaient 
pas accrédités auprès du gouverneur > mais au-^ 
près du sénat ; que je pouvais mettre k côté de 
moi k ma table qui bon me semblait; que les 
plaintes du résident étaient ridicules ; que je 
ne le recevrais plus: j'ai tenu parole, et cette 
affaire n a pas eu plus de suite. J'ai cru devoir 
rapporter cette anecdote, parce qu'elle prouve ^ 
combien on cherchait encore k cette époqu^ k 
ménager la Russie. 



du général Rapp. \2b 

« 



CHAPITRE XXI. 

Il ne pouvait arriver riea. de plus fâcheux 
aux Dantxicois que d'avoir . chea eux des 
douaniers français. .Depuis long -temps il 
était question de les j établir; je les repous- 
sais de tputes mes forces. Leur présence de- 
vait donner le coup de grâce au peu de com- 
jxierce que je tolérais encore malgré les cris 
dé Napoléon, , 

Elle ne devait pas être moins k charge a 
tout le littoral de la Baltique, que je ne sur- 
veillais pas, je lavoue franchement, avec la 
sévérité qui m'était prescrite : aussi les dénon- 
ciations pleuvaient-ellès contre moi; mais je 
savais d'où elles partaient, je ne m'en inquiétais 
pas. . Cependant Napoléon était outré ae mon 
indulgence ; il m'en fit des reproches . , ,Laisser 
„faire du commerce aux Prussiens et aux 
„Dantzicois, me mandat-il, c'est me trahir. "..... 
écrivait dans le même sens et envoyait des 
espions partout. Napoléon était fatigué de 
rapports et de dénonciations. Il chargea Ber- 
trand de me faire connaître combien il était 
.mécontent. „L'empereur, raîon cher Ba]>p» 
„m'écrivit ce général , sait que tu laisses faire 
,,la contrebande en Prusse et a Dantaic ; je te 
„préviehs qu'il est fâché contre toi , etc.** On 
cria, je laissai crier, et continuai d'user du 
pouvoir avec modération. La douane fut 
intsalléè. On sait combien elle était sévère, 






f26 ^ -^ Mémoires 

dàtis les pays conquis surtout* La (HrMtîon^de 
Dantzic singeait rindépendance. Elle préten- 
dait ne recevoir d'ordre que du ministre Sucjr; 
elle citait en preuve celle de Hambourg^ Je 
tranchai la question; J'envoyai le directeur à 
Weichselinùnde : six jours de prison firent 
justice de ses prétentions. Un tel acte de 
siévérité était alors saris exemple ; il fut regai^dé 
.comme un crime 4e lèse-majesté. Le minisite 
s'en plaignit ; mais; k sa grande surjîrise, Napo- 
léoïx lui répliqua que si j'avais puni , . c'est que 
j'avais des motii^Si „D'ailleurs Daritxic est en 
état de siège , et dans ce cas \xn gouverneur 
est tout-puissant.** Les douaniers comprirent 
qu'ils avaient trop présumé de leur crédit; ils 
furent plus circonspects , et s'en cbnduisireôt 
d'autant mieux avec les Dantsicois. Le com- 
merce fut rassuré. Il le fut encore plus quand 
il me vît relâcher diverses prises faites par nos 
corsaires. On dénonça encore, ipais toujours 
avec aussi peu de succès. / , / 

Je. reçus l'ordre de livrer aux flammés les 
marchandises finglaises:' cette mesure était 
désastreuse; je réludai* et, malgré la présence 
des douaniers, Dantzic n'en perdit pas pour 
plus de trois cents francs, et Kœnigsberg encore 
moins. Je ne parle pas de ce qui provenait 
des prises. 

Le système continental et les mesures dé 

rigueur qu'employait' Najioléon dans le nord 

. de l'Allemagne indisj^odait de plus en plus. La 

mulfttion était exaspérée. On me demandait 

equemment des rap}>orts sur sa situation 

morale : je. la dépeignis telle qu'elle était en 




du général Rapp* 127 

eifet, accahlée» ruinée, poussée H l>oiit. Je 
' signalai ces sociétés secrètes où la nation s'ini- 
tiait tout' entière > où la haine préj>arait .la 
vengeance, où le désc^spoir rassemblait, combla 
liait ses moyens. Mais Mapoléon trouvait ces 
associations ridicules^ ILcontuai^sait. peu les 
Allemands. Il ne leur supposait ni force ni 
énergie ; il les comparait avec leurs pamphlets 
y,a ces j>etit8 chiens qui aboient et i^'osent pas 
9,niordre.^^ 11 éprouva plus tard de quoi ila 
étaient caj>ables. . * . 

On me demandait aussi souvent des rap- 
ports sus^ ce qui se passait eii Russie , sur l'ar- 
mée qui s'assemblait a Wilna. Oiî désirait con- 
naître mon opinion sur ce que ferait la nation, 
sur ce que lerait l'Allemagne , dans le cas où 
une expédition au delà du Niémen serait mal- 
heureuse ou viendrait à échouer, tout-à-fait. 
Je répondis mot pour mot (on croira avec peine 
a une prédiction qui s'est malheureusement si 
bien vérifiée): 

„Si votre majesté éprouvait des revers, elle 
^,peut ,étre assurée que Russes et Allemande, 
,,tous se lèveraient eh masse pour secouer le 
joug : , ce serait une croisade , tous vos alliés 
vous abandonneraient. Leroi de Bavière, sur 
y,lequel vous cora]>tez tant , se joindrait lui- 
t,ihémé a la coalition. Je n excej>te q^ue le roi 
„de Saxe ; peus-être il vous resterait fidèle» 
,,mais ses sujets le forceraient de faire cause 
',,commune avec vos ennemis." 

Napoléon, comme > on peut le 'croire, i^ 
fut pas content de ce rapport: il lenvova aU 
maréchal Davoust afin qu'il en prit lecture^ «l 



»» 
»> 



128 Mémoires 

le chargea de m'écrîre qu'il était bien étontké 
qu'un de ses aides-de-cam^) se fût permis de lui 
adresser une lettre de cette espèce : que mes 
rapports ressemblaient aux pamphlets d outre^ 
Rhin, mie je paraissais lire avec plaisir; qu'au 
reste , les Allemands ne seraient jamais des 
Espagnols. Le maréchal fit sa commission ; ]Na^ 
poléon resta long-temps indisposé. L'expé- 
rience a jprouvé si je voyais juste; je me suis 
permisr d en faire la remarque k ce prince^ 
comme je le dirai plus tard. . 

Lorsqu'il obligea le roi de Prusse a faire con-^ 
duire a Magdebourg les marchandises prohibées 
qui avaient été confisquées a Kônigsberg, \ff 
lui adressai les observations les j)lus vives ; je 
lui représentai combien cette mesure était pro^ 
prea soulever, a exaspérer la nation « M. de 
Clérambaut , qui était consul général , écrivit 
dans le même sens; nous né pûmes rien ob^- 
tenir. 

La guerre avec la Russie était a la veille 
d'éclater ; Napoléon songeait au rôle qu'il de- 
vait donner a la Prusse. S'allier au roi Guil- 
launie , il conservait ses doutes et ses préven- 
tions. Le détrôner, la mesure était violente: 
c'était pourtant ce que lui conseillaient plu- 
sieurs personnes que je ne nommerai pas ; el- 
les voulaient qu'il envahît les états de ce prince 
et s'en emparât. Peut-être Guillaume n'a-t-il 
jamais été bien au fait . du danger qu'il avait 
couru; j'en connaissais toute l'étendue , et j'en 
ressentais des peines bien vives ; je plaignais le 
souverain , je plaignais la nation : je détournai 
ce projet de toutes mes forces. 

Des 



du général Rapp* 



129 



Deâ instructions avaient été déjk expédiées 
a.... Ce général s'attendait a marcher incessam^ 
ment. Quelle fut sa surprise, lorsqu'au lieu de 
l'ordre d'envahir la Prusse il reçut la nouvelle 
du traité d'alliance! elle me parvint de suite; 
j'en éprouvai une vive satisfaction. 



■' \ ' " 




■i 



9 



130 Mémoire» 



CHAPITRE XXII. 



• 

La grande armée était déjà sur la Vistule. 
Napoléon quitta Paris, se rendit dans la capitale 
de la Saxe, et de la a.Dantzic. Il avait été 

{ précédé par le roi de Naples , qui avait sollicité 
a permission d'aller a Dresde , et n avait pu 
l'obtenir. Ce refus Tav^it singulièrement cho- 
qué: il me fit part des. chagrins et des tribula- 
tions que Napoléon lui causait; il le disait du 
moins. ]Nou;s fûmes les premiers que yemjje- 
reùr reçut; il débuta avec moi par une ques- 
tion qui était assea plaisante. ,, Qu'est-ce que 
„les Dantzicois font de leur argent , de celui 
^qu'ils gagnent , de celui que je déj^ense chex 
„eux?*V Je lui répondis que leur situation 
était loin d'être prospère; qu'ils souffraient, 
qu'ils étaient aux abois. „Cela ch4ll|^era, ré- 
„pliqua-t"il; c'est une ^hose convenue, je le» 
„garde maintenant pour moi.** 

Il était fatigué : nous nous retirâmes le roi 
de Naples et moi. Je fus rappelé un instant 
après; j'assistai seul a sa toilette: il me fit 
diverses questions sur le service de là place. 
Quand il fut habillé, son valet - de - chambre 
sortit. ,,Eh bien, monsieur le général Rapp, 
„me dit-il, voila les Prussiens qui sont nos 
,,alliés; *les Autrichiens le seront bientôt. — 
^, Malheureusement, sire, nous faisons beau- 
„coupdefnal comme alliés; je reçois de tous 



1> 



du général Rapp* 131 

f,côtés des plaintes contre nos troupes^ — C'est 
„un torrent momentané î je verrai si Alexan^ 
„dre veut véritablement la guerre ; je Téviterai 
tysi je le puis/^ £t changeant tout k coup de 
conversation: „Avea--vous remarqué comme 
,,Murat a mauvaise mine ? il parait m^lade^ 7— 
9,Malade? non, sire*) mais il a du*chagi*in. — 
^Pourquoi du chagrin? £st-ce qu'il nest pas 
content d'être roi? — Il prétend qu'il ne lest 
_pas. — Pourquoi faitil des sottises dans son 
y^royaume? II doit être Français et non pas 
^Napolitain/* 

Le soir, j'eus l'honneur de souper avec Napo- 
léon , le roi de INaples et le prince de Neuchâ- 
tel. Avant de se mettre a table , on causa de 
la guerre avec la Russie; nous étions dans le 
salon. L'emi)ereur aperçut tout a coup un buste 
en marbre , placé sur la console* „Quelle est 
„cette femme ? — ^ Sire, c'e^t la reine de Prusse* 
„ — Ah ! monsieur le général Rapp , vous avea 
,,le buste de la belle reine chea vous! Cette 
femme^la ne m'aimait pas. — Sire , lui réj^on- 
dis-'je, il est permis d avoir chez soi le buste 
d'une jolie femme ; elle était d'ailleurs ré|>ouse 
,,d'un roi aujourd'hui votre allié.** 

Le lendemain nous montâmes a cheval ; Na- 
poléon visita la place , et paraissait content des 
travaux, lorsqu il aperçut je ne sais quel objet 
qui lui déplut; il s'emporta et me dit, devant 
un asses grand nombre de personnes, „qu'il 
„n'entendait pas que ses gouverneurs tranchas- 
,sent du souverain , qu il voulait que les ré- 
,,glements fussent exécutés/* Là contravention 
était réelle, mais auilsi peu importante; elle 

9- 






f» 

♦> 



/ 



132 • Mémoires 

ne méritait pas tant de bruit. ,^Ne vous afFecteii 
„nas de ces xeproches , me dit tout bas le roi de 
„Waples ; Temperèur est contrarié , il a reçu ce 
y, matin des lettres qui l'ont mis de mauvaise 
„humeur." Nous continuâmes notre course, et 
nous rentrâmes. Napoléon reçut les généraux 
et officiers sous mes ordres , ainsi que les auto- 
rités civiles: il adressa k celles-ci diverses ques- 
tions sur le commerce et les finances ; elles dé- 
ploraient leur position : „Elle changera, leur 
„dit-il : je Vous garde pour moi, c'est une chose 
^convenue: iln j a que les grandes familles 
,,qui i>rospèrent.** Il aperçut M. de Franxins 
aîné. . „(}uant a vous , monsieur de Franains, 
„vous ne vous plaignez pas , vos affaires sont 
„en as^ea bon état ; vous avea au moins dix 
,, millions de fortune.'* 

Le soir, j'eus Thonneur de souper encore 
avec Napoléon, le roi de Naples et le prince 
de Neuchàtel. Napoléon garda le silence assea 
iong-temps: et prenant tout k coup la parole. 
Il m.(£ demanda combien il y avait de Dantzic 
k Cadix:. ^- „Il y a trop loin, sire. — Ah! je 
„vous comprends, monsieur le général: nous 
„en serons pourtant bien plus loin d'ici k quel- 
,,ques mois. — Tant pis.*' Le roi de Naples , le 
prince de Neuchàtel , ne dirent pas un mot. 
„Je vois bien, messieurs, reprit Napoléon, que 
„vous n'avea plus envie de taire la guerre : le 
„roi de Naples ne veut plus sortir de son beau 
„royaume, Berthier voudrait chasser k Gros - 
„Bois , et Rapp habiter son superbe hôtel a 
„Paris. — J'en conviens, sire, votre majesté 
„ne m'a jamais gâté; je connais fort peu les 
„plaisirs de la capitale.*' 



du général Rapp. 



133 



Murât et Berthier continuèrent a carder le 
plus profond silence; ils avaient Tair piqué. 
Aï)rès diner ils me dirent que j'avais bien fait 
déparier ainsi a Napoléon. „A la bonne heure; 
,,inais vous n'auriea pas dû , leur répondis-je, 
„me laisser parler tout seul/* 



y- 
• 



134 Mémoires 






CHAPITRE XXIII. 

Napoléon quitta Dantsic et se rendit a Kœ- 
nîgsberg; Murât Tavait accompagné , le géné- 
ral Belua'rd s'y trouvait aussi, il leur parla 
beaucoup de 1 Espagne et de son frère, dont il 
n'était pas content. Le général Flahaut revenait 
d'une mission dont il avait été chargé auprès 
de Sch wartzenberg; il rendit compte dudévoue- 
nient du prince, et, de l'impatience où. il était 
de culbuter les Russes : l'empereur n'avait pas 
trop l'air d'y croire ; cependant il se laissa per- 
suader : il pensa qu a la longue les protestations 
peuvent devenir ' sincères , et les bienfaits 
inspirer aussi quelque reconnaissance. Il exposa* 
son plan et ses projets: „Si Alexandre, dit-il, 
„persiste k ne pas exécuter les conventions que 
„nous avons faites, s'il ne veut pas accéder aux 
„dernières propositions que ^je lui ai soumises^ 
„]e passe le mémen, je bats son armée et 
„m'empare de la Pologne russe; je la réunis 
,,au grand duché, j'en fais un royauriie , où je 
,, laisserai cinquante ]t\ille hommes que le pays- 
,, entretiendra. Les habitants désirent se recon- 
„stituer en corps de nation; ils sont belliqueux, 
„ils se formeront, ils auront bientôt des trou- 
„pes nombreuses et aguerries: la Pologne maii-* 
„que d'armes, je lui en fournirai ; elle bridera 
„les Russes ; ce sera une barrière contre l'irrup- 
,,tiop des Cosaques. filais je suis embarrassé; \à 
„ne sais quel parti prendre a l'égard de la Ga- 
„licie ; l'empereur d Autriche ou plutôt son con- 



du général Rapp.' 155 

„s6il ne peut pas s'en dessaisir: j'ai offert d'am* 
„ples compensations , elles ont été refusées... 
„I1 faiit s'en^ remettre aux événements; eux 
„seuls nous apprendront ce qu'il convient Am 
y,faire. La Pologne, bien organisée , peut four- 
„nir cinquante mille hommes de cavalerie: 




yyfanterie de la Yistule ferait une excellente 
„€avalerie légère , qu'on pourrait opposer avec 
,,succès a cette nuée de Cosaques dont les Russes 
„se font précéder. — Nous verrons cela plus 
, y tard. Vous retournez avec Murât, vous quit- 
„tea vos Suisses; que pensex-vous des Suisses? 
„ — Ils iront, sire, ils se battront: ils ontbeau- 
,,coup gagné; depuis six' semaines, ils ne sont 
„pas cpnnaissables. J'irai les voir demain. — 
,, Allons, bien; rejoignez Murât et voyea avec 
,, lui toute liv cavalerie.** 

Les propositions dont parlait l'empereur ne 
fièrent pas accueillies: les Russes se plaignaient 
de nos forces , 4^ nos ^mesures commerciales ; 
ils exigeaient que nous évacuassions l'Alle- 
magne. Nous marchâmes en avant, nous arri- 
vâmes au Niémen : cinq ans auparavant il avait 
été témoin de nos victoires ; l'armée ne l'aper- 
çut qu'avec des cris de joie. Napoléon se ren- 
dit aux avant-postes , se déguisa en chasseur et 
reconnut les bords du fleuve avec le général 
Axo. Il s'entretint ensuite quelques instants 
avec le roi de Naples : il lui mdiqua l'endroit 
où il convenait de jeter les ponts, et lui donna 
ordre Me concentrer ses troupes, afin que le 
passage fût rapidement effectué. ' La cavalerie 



156 



Mémoires 



était k cheval, Finfanterie avait pris les armes ; 
jamais spectacle ne fut plus magnifique. Êblé 
se mit a l'ouvrage) leis pontons furent placés 
a minuit: k une neure, nous pétions' sur la rive 
droite et le général Pajol k Kowsno ; Bagâ- 
wouth Tavait évacué, nous Toccupâmes sans 
coup férir. Nous continuâmes le mouvement ; 
nous marchions sans relâche : nous n aperce- 
vions que quelques j^ulks de Cosaques qui se 
perdaient k l'horiaon. Ploiis arrivâmes kWilna; 
ses immenses magasins étaient en feu : nous 
réteignîmes; la' plus grande partie des subsis- 
tances fut sauvée» 



mu 



I / 



du général Rapp. 137 



CHAPITBÉ XXIV. 

Cet incendie, cette terre qu'avaient tant de 
fois foulée les légions polonaises , au retour de 
leurs glorieuses expéditions , nous remplirent 
d'une nouvelle ardeur: l'armée s'abandionnait 
a la puissance des' souvenirs. Nous nous pré- 
cipitâmes a la suite de Tennemi ; mais la pluie 
tombait par torrents , le froid était dçvenu* sé- 
vère; c'étaient les boues, les fondrièrelSi^e Pul- 
tusk: nous n'avions ni abri ni aliments. Si du 
moins les Russes eussent osé nous attendre; 
mais ils gagnaientle Borysthène, -ils se jetaient 
sur la Dwina , ils fuyaient , dévastaient: ce 
n'était pas une guerre, c'était une lutte a la 




nemie parvint cependant a se rallier ; elle se 
réfugia dans les ouvrages qu'elle avait élevés a 
Drissa ; mais elle se vit bientôt menacée dans 
ses retranchements et sa retraite : elle n'osa cou- 
rir cette double chance et s'éloigna. Elle était 
]^erdue si elle eût tardé quelques heures ; tou- 
tes les dispositions étaient faites pour la pren- 
dre en flanc et lui intercepter la route : un 
coup de main la sauva. Dm corps avancés ne 
se gardaient pas avec assex de vigilance ; Witt- 
genstein les surprit : Napoléon crut que l-es 
Russes marchaient k nous ; il arrêta ses colon- 
nes: ce retard les sauva; ils avaient fait leur 
mouvement quand nous arrivâmes a Beszenko- 



138 



Mémoire^ 



/ 



wnxi. Le roi de Maples les suivit; il les attei- 
gnit, les culbuta a Ostrowno, les chargea (en- 
core à quelques lieues plus loin, et dispersa 
toute Tatrière-garde. Au reste , voici son rap- 
port: je l'insère parce qu'il peint la manière ae 
ce prince, qui ne méritait pas de mourir ail- 
leurs que sur le champ de bataille. 

.,Je mis en mouvement le premier corm de 
,,la réserve de la cavalerie et deux bataulofts 
„d'infanterie légère: la division Delaons suivit 
„le mouvement. Nous rencontrâmes TarrieFe- 
,, garde ^nemie ^ environ deux lieues d'Os- 
„trowG^; elle était avantageusement placée 
^derrière unFavinesoarpéf elle avait une nom- 
,,breuse , artillerie, son front et ses flancs étaient 
y^couverts par dqs bois touffus : on échangea 
,,([uelques coups de canon, on envoya les ba- 
„taillons pour arrêter l'infanterie qui faisait 
^rétrograder nos hussards. La division Delsons 
^arriva; le rôle de la cavalerie était fini. Le 
,, vice-roi fit ses diispositions, , on miarcha a Ten- 
„nemi; on passa le ravin: la brigade de cava- 
„lerie étrangère qui longeait la Dwina proté-^ 
,,geait notre gauche et débouchait dans la plaine ; 
Mie reste des troupes légères marchait sur la 
^chaussée a mesure, que Tinfanterie ennemie 
^rétrogradait. Les cuirassiers furent laissés en 
„réserve en arrière du ravin et les canons mis 
,yen batterie. Ma droite était protégée par des 
„bois immenses, m, éclairée par de nombreux 
„partis. L'ennemi fut poussé jusqu'à la deuxièniie 
„position en arrière du ravin où était la ré- 
,^serve ; ' il nous ramena a son tour sur le ravin ; 
„il en fut de nouveau repoussé: il nous rame- 
„nait pour la seconde fois ; déjà il était sur le 



du général Rapp. 139 

point d'enlever nos pièces, embarrassées dans 
un défilé qu'elles traversaient pour aller pren- 
dre 2)ositîon sur les hauteurs ; notre gauche 
était culbutée , et l'ennemi faisait un grand 
mouvement sur la droite : la brigade étran- 
gère allait être dispersée. Dans cet état de 
choses , il n'y avait qu'une charge de cavale- 
rie qui pût rétablir les affaires; je la tentai. 
Nous nous portâmes sur cette infanterie qui 
s'avançait audacièusement dans la plaine ; les 
braves Polonais s'élancèrent sur les bataillons 
russes: pas un homme n'échappa, pas un ne 
fut fait prisonnier; tout fut tué , tout périt; 
le bois même ne put dérober personne au tran- 
chant du sabre. En même temps les carrés 
s'ébranlaient au pas de charge ; le général 
Girardin , qui conduisait! les bataillons de 
gau'che , faisait un changement a droite , et 
se portait par Ta grande chaussée sur les der- 
rières dé fennemi; les troupes qui se trou- 
vaient a droite exécutaient la même manœu- 
vre. Le général Pire les soutenait ; il chargea 
a le tête du huitième de hussards : rennemi 
fttt culbuté; il ne dut son salut qu'aux bois 
et aux ravins qui retardaient h^ marche. 
Toute la division suivait le mou vement ; Tin- 
fanterie s'avançait j^ar la chaussée, la cavale- 
rie débouchait par les hauteurs : je faisais 
çanonrier les cinq a six. régiments k cheval 
qu'elle avait en face. Ce fut dans cette posi- 
tion que me trouva votre majesté; elle mé 
fit poursuivre l'ennemi, je le poussai jusqu'à 
une lieue et demie de Witepsk. Voila, sire, 
le récit de l'affaire que nous venons d'avoir 
avec les Russes : elle leur coûte environ trois 



140 Mémoires 

yyinille morte et un grand nombre de blessés ; 
,,nous njavons presque perdu personne. Ce ré- 
yySultat est en grande partie Tôuvrage du comte 
„Belliard, quia dontié dans cette journée de 
„nouvelles preuves de dévouement et de cou- 
„rage. C'est a lui quon doit la conservation de 
,,rartillérie de la division Delaons." 

Tout fatigue a la longue ; la lassitude même 
inspire de courage. Barclay Féprouva : deux 
ou trois fois il eut le dessein de tenter le sort 
des armes; niais je ne sais quel pressentiment 
de défaite l'agitait à la vue de nos soldats : a 
peine il les voyait paraître qu'il précipitait sa 
mite ; ses magasins , ses pièces , ses ouvrages, 
tombaient dans nos mains sans l'émouvoir. Il 
nayaii qu'un but, qu'un objet ; c'était d'être 
toujours qùelquesiiieues en avance. Bagration 
imitait cet exemple , mais montrait parfois 
de la résolution ; il eut divers engagements avec 
notre avant-garde. Le maréchal Davoust le 
poussait vivement;, mais le roi.de Vestphalie 
marchait avec mollesse, Vandame discutait 
avec ce souverain , les ordres ne s'exécutaient 
pas. Cette mésintelligence sauva le prince 
russe; il nous gagna de vitesse, atteignit Mo- 
hilow, fut battu : il fut bien arrivé pis sans ces 
contestations que Napoléon" ne devait pas pré- 
voir. Les Russes, éparpillés sur les bords du 
Niémeû , se trouvaient réunis sur ceux du Bo- 
rysthène : ils se préparaient k défendre Snio- 
lensk , et nous a l'emporter. 



• • 



141 

dm gAiérak Bapp- 




CHAPITRE 



• \j 



„ie; ce pays «^{^^SSéB^rr:::L^ et. de 
dessteps, "n.****^*;*?* "^^t^tt- éoooue .ie l*«*- 
désolauoa. ISôus étions a *5*Jr2r?^r-i*«' 

née ou la .«^^"ï* f. g^y^ |ans««-«ue : t -^- 
dans ces étales contrée», peiSBai ^ 

gageait les désastres qm <le.a«^ «^ 

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en avaient un n^x:^^ ^"^^T^.r " ^ — ' 

de U g«en« *««^ »-^^^ \^. ^ ^ 
pour nous la £«^« «^ ^ -in»*. ^ ^^^^ 

lure prenait p«:» v^ «i- *^ ^ '. ,,^ 
devions $uc«»ie-i«r ^'u«» t- i ' ,^^ a..fe 

vaikWilna:r/-T^^*'- ''',;;^ - .-■*^. 
lespronoswc» -^ ^^ -jt.K*»»» -r 

ralH^endr? J^^*"*^ ^■,^.^-^^ 
\e ne cotoniiHa* iiii» «i« '^_ ^s, ^. ^ - ^ 
mini qui, -î^î'-^ ^t»*et'* 



/ 

H 



142 



Mémoires 



uns et les autres auguraient mieux que moi de 
la lutte qui s'était engagée. Elle se présentait 
en effet sous des auspices spécieux: la Pologne 
entière était en mouvement ; hommes^ femmes, 
paysans, bourgeois, gentilshommes, tous étaient 
animés du plus noble enthousiasmé; les troupes 
s'organisaient, les administrations jse formaient, 
an assemblait des ressources,' et on se disposait a 
refouler Toppression par-delà le Borysthène. 
La diète de Varsovie était ouverte; cette nation, 
si long-temps battue par l'orage, dtby ait enfin 
toucher au port: aucun sacrifice ne lui coûtait. 
Le discours du président avait excité des ac- 
clamations générales , partout il avait été reçu 
avec transport. Je fus curieux de le lire ; M. de 
Bassano me le communiqua: „I1 pourrait être 
,,mieux, me dit-il, mais enfin il est passable." 
L'empereur eût désiré qéll fût plus fort de 
choses et renfermât des pnrases moins savantes. 
C'était l'élan du patriote et non les mouvements 
comj^assés de lorateur quiLfallait dans une 
si grave circonstance ; néanmoins il a produit 
son effet. 

„Long-tep[ips avait existé dans le centre de 
„rEurope une nation célèbre , maîtresse d'une 
„contrée étendue et féconde, brillante du dou- 
„ble éclat de la guerre et dés arts , protégeant 
,, depuis des siècles, d'un bras infatigable, les 
„baTrières de l'Europe contre les barbares qui 
„frémissaient autour de son enceinte. Un peu- 
„ple nombreux prospérait sur cette terre. La 
„nature réi>ondait avec libéralité a ses travaux. 
„Souvent^es rois avaient pris place dans l'his- 
„toire à côté de ceux qui ont le pluif honoré 
^,le ran^ suprême. 



du général Rapp. 143 

,,Mais cette terre c'est la Pologne, le peuple 
,c*est vous : que sont-ils devenus? comment 
,s'est opéré le déchirement de notre patrie? 
,comment cette grande famille, quj même en 
,se divisant ne se séparait pas, qui avait su res- 
,ter unie k travers des siècles de divisions; 
,comment cette puissante famille s'eat-elle vue 
,déinembrée? quels ont été ses crimes et ses 
,juges ? de quel droit a-t-elle été attaquée, 
,envahie, effacée de la liste des, états et des peu- 
,ples ? d'où lui sont venus des oppresseurs, des 
,Ters? . . . L'univers indigné nous répondrait. . cha- 
,que état , chaque peuple nous dirait qu'il a 
,cru voir son tombeau s'entr ouvrir a côté de 
,celui de la Polongne , que dans l'audacieuse 
,profanation des lois sur lesquelles reposent 
,également toutes les sociétés, dans l'insultant 
,mépris qu'on en a fait pour nous perdre , le 
,monde a pu se croire livré au seul empire des 
^convenances , et que bientôt, pour lui, il n'jr 
,àura plus d'autre maître. L'Europe effrayée) 
,menacée, indiquerait surtout k notre juste 
,ressentiment cet empire qui, en nous cares- 
>sant, se préparait a peser sUr elle d'un poids 
,nouveau. C'est la Russie qui est l'auteur de 
,tous nos maux. Dej^uis un siècle elle s'avance 
,k pas de géant vers des, peuples qui ignoraient 
, jusqu'à son nom. 

„La Pologne ressentit aussitôt les premiers 
,effets de cet accroissement de la puissance 
russe. Placée au pfemier rang de son voisi- 
nage , elle a reçu ses premiers comn\e ses der- 
,niers coups. Qui pourrait les compter depuis 
,qu'en 1717 la Russie essaya son influence par 



144 Mémoires 

„le licenciement de rarmée polonaise? Depuis 
„cette épocfue quel instant a été exempt de son 
„influence ou de ses outrages ? 

„Si cette puissance astucieuse s unit a la Po- 

,,logne, c'est ])our lui imposer^ comme en 1764, 

„cette funeste garantie qui attachait l'intégrité 

„de nos frontières a la perpétuité de l'anarchie; 

^pour faire de cette anarchie le mo jen de rem- 

9,plir ses desseins ambitieux. Le monde sait ce 

„qu ils ont été .depuis cette funeste époque- 

„C'est depuis elle que , de partage en partage, 

„on a vu la Pologne disparaître entièrement 

„sans crime comme sans vengeance : c'est de- 

„puiselle que les Polonais ont entendu, en fré- 

,,missant , le langage insultant des Repnin, 

„des Sivers; c'est depuis elle que le soldat russe 

„s'est baigné dans le sang de leurs concitoyens. 

„en préludant a ce jour a jamais exécrable, 

,,fa\it*il lé rappeler, dans lequel, au milieu 

„des hurlements d'un vainqueur farouche, 

„ Varsovie entendit les cris de la population 

„de Prague qui s'éteignait dans le meurtre et 

,,rincenaie. Polonais, car il est temps de faire 

„retentir k vos oreilles ce nom qiie nous n'au- 

,,rions* jamais dû perdre , voila les routes odieu- 

„ses par lesquelles la Russie est parvenue a 

„s'approprier nos plus belles provinces ; voila 

„les titres, les seuls titres qu'elle exerce sur 

„nous. La force seule a pu nous enchaîner, la 

„force peut aussi briser les fers qu'elle seule a 

„forgés. Ces fers seront brisés, La Pologne exis- 

„tera donc; que disons-nous^ elle existe déjà, 

„ou plutôt elle n'a pas cessé d'exister* Que 

„font a ses droits la perfidie , les complots, les 

vio- 



du général Rapp. \4& 



yyviolenoeft souâ lesquelles elle a su^cconibé? • 
9,0ui, nous sommes encore la Pologne , nous 
,,le sommes aux titres, que nous tenons de la 
nature , de la société , de nos ancêtres ; k ces 
titres sacrés que reconnaît Tunivers «t dont le 
genre kumain a fait sa sauvegarde/'. M.r .. . 



# 

Je fus. entraîné. J avai8:tant ;^u «l^s .bl$iV0d 
légions polonaises en Italie, en.Égypte jet ailr 
leurs ! Ils avaient véritablement. r^i$oa ; ils 
étaient encore la Pologne* ^^^ fait de courage, 
„disfje au duc, rien ne me . surprendrt^it de la 
f^partde cette vaillante nation; mais f avoue 
,,que je lie la soupçonnais pas de ce talent* — 
„Vous êtes bon, reprit M. de Bassano; ils ont 
„bien autre chose a faire que des harangues! — • 
,,Qui tient donc la plume ? — • L'abbé. — Quel 
„abbé? Crojex*vous que Fempereur aitde la 
^prédilection pour les rabats A — Non, mais 
„enfin, au temps oii nous sommes; ce n*^t 
,,pas sans des considérations puissantes qu'on 
„coïifie une ambassade k un prêtre. — C'est 
„rarchevêque ? — Lui-même ; nous lavon^ en- 
^Voyé a Varsovie pour enivrer lea Polonais de 
,,son éloquence. Je ne le crois pas fort habile 
„en affaires: mais il est tout dévoué a Tempe- 
„reur ; c*est le principal. Ses ennemis laccusent 
,,^'étre ambitieux, inquiet, sans consistance 
,,dans ses affections , dslns ses idées , de chan« 
ter blanc, de chanter noir, d'être tout ce que 
les circonstances exigent. ' Je crois ce portrait 
chargé. Je suis même persuadé que si les évé- 
„nements compromettaient la gloire de nos ar« 
mes , on ne le verrait pas dans les rangs de 
nos détracteurs. — Je le crois bien } il a trop 

10 



9t 






146 Mémoires 

yyinaltrârte^ les Cosaques pour devenir jamaié 
„leur 'pafriavche.*' 

■ 

* La déjititation de la diète était jencere à 
'Wilnâ; Je oonnuissais quelques uns de ceux qui 
la composaient. Je les vis , ils me parlèrent de 
leiu's espérances , de leurs moyens et de leurs 
'dlroîti^. ^(L^s^iiléeid me frappèrent; j'ed lîèndis 
-^otnp^eflr^t dnc. ',, Vous éteâ admirable! nie dit- 
,iil.' Qtidi!' vous ne reconnaisses pas rarckevé- 
,;que? vous ne voyea pas avec quel art il setra- 
,,Iàit?' VA ces réminiscences bibliques, à qui 
,{Vmile8-Vous qiï'elled viemient, si ce n'est un 
,,prêti*é ? Au reste; je vais Volts passer la pièce.'* 

. Mv>i?«f Ifi^ diète du gratid duché de Varsovie, 
!,, résilie à rapproche des puissitntes armées de 
,,volre .majesté, a l'econnu'dlabord quelle avait 
,^des droits a réclamer et xies devoirs a remplir: 
r^^d'une voix: unanime « elle i^'est constituée en 
;, ^confédération généirajle 4^ J^^ Pologne ;. elle a 
'„déclaré le royaume de Pologne rétabli dans 
^^es droits,; et en méni[e. temps que les actes 
„usurpa,teurs et arbitraires par lesquels ou avait 
„détruit àoi> existence étfiient nuls et de nulle 
i,valeUr. I ; 

„Sire, votre majesté travaille pouf la posté- 
„rité et poui^lliistoire^ Si l'Europe ne peut iné- 
, ^connaître nos droits, eltje peut encore bien 
„moiiis méconnaître nos devoirs. Nation libre 
„et indépendante depuis les temps les phis re- 
„cùlés, nous n'avons perdu notre territoire et 
„notre indépendance ni par des traités ni par 
„des conquêtes , mais par la perfidie et par la 
;, trahi son. L'a trahison n'a jamais constitué des 



du général Rapp* 



147 



yydroils. -INous avons vu not^e dernier roi traîné 
„a Saint-Pétersbourg , oii il a péri, et notre na- 
„tion déchirée en lambeaux par des. prince» 
„avec qt^i nous n'avions point de guerre et qui 

„ne nous ont point conquis. 

» 

^Nps droits paraissent donc évidents aux 
y^yeux de Dieu et des hommes. Nous, Polonais» 
y,nous avons le droit .de rétablir le trône des 
,,Jagellonsetdes Sobieski, de ressaisir notre in- 
y^dépendance nationale, de ràssemblernos mem- 
,,bres divisés, de nous armer, nous-mêmes pour 
„not£e * pays natal , et de prouver en nou& bat- 
„tant pour iMi que nous sommes de dignes des- 
y^eendants.de nos ancêtres. 

„ Vôtre majesté peut-elle nous désavouer ou 
,,nous blâmer, pour avoir Fait ce que notre de- 
,.voir, comme Polonais, 'exigeait de nous, et 
„pour avoir repris nos droits? Oui, sire, laPo« 
„logne est proclamée de ce jour; elle existe par 
les lois deTéquité, mais el-Uî doit exister parle 
fait; le droit et la justice légitiment notre ré- 
„solntion, maîà elle doit être soutenue de notre 
„côté. Dieu, nVt-il pisis assea puni la Pologne 
„de ses divisions ? veut-il perpétuer nos mal- 
„heurs ? et \es Polonais, après avoir nourri la- 
„«iour de le\ir patrie , devaienl-ils descendre 
„au tombeau ^alheureux et sans espoir ? Non, 
„sire. Vous av^a été envoyé par la providence ; 
,,le pouvoir est remis dans les mams de votre 
y^majèsté, et Texistence du grand duché est 
,,due a la puissance de vos armes. 

„Dites, sire : Oue le royaume? de Pologne 
,,existe4 ^t ce décret sera pour le monde équi- 

10. 



>» 



9J 






148 Mémoires 

^valent ,a la réalité. Nous sommes seixe mil- 
^,Uons de Polonais , parmi lesquels il n'y en a 
\ ytpas un dont le sang , les bras , la fortune, «ne 
^^soiént dévoués a votre majesté. Chaque ^cri- 
' ^^fice nous paraîtra léger s'il, a pouî* objet le ré- 
^,tablissement de notre pays natal. De la 
„Dwina, au Dniester,- du Borysthène àl'Oder, 
„un seul mot de votre majesté lui dévouera 
,; tous les bras, tous les efforts, tous les cœurs. 
^, Cette guerre sans exemple que laRussie*aosé 
^, déclarer, nonobstant les souvei>irs d'Auster- 
,,lit« ^ de Pultusk , d'Eylàu , de Friedland , 
^malgré les serments reçus a Tilsit, et a Eir- 
„furth, est, nous n'en doutons pas, un effet 
„de la providence , qui, touchée des infor- 
^,tunes de notre nation, a résolu d'y mettre fin. 
^,La seconde guerre de Pologne vient seule- 
j^ment de commencer , et déjà nous appor- 
^,toû^ nos hommages 'a votre majesté dans 
.,1a capitale des Jagellons. Déjà les aigles 
„de votre majesté sont sur la Dwina ; et 
„les armées de la Russie , séparées , di- 
„visées , coupées , errent incertaines , et 
„cherchent en vain a se réunir et a se^ for- 
„mer , etc." 

„C'est bien. — Oui, sans doute; mais il 
„est si charmé du chef-d'œuvre.,; qu il croi- 
„rait manquer a sa gloire s'il ne publiait par- 
„tout que son génie jn'otége la Pologne* Vingt 
„fois par jour je siiis obligé de modérer ces 
„excès d'amo^ir-propre. • Ce matin: encore je 
„lui ai fait sentir 1 inconvenance de ses mou- 
„vements de vanité. — . Il ossianise : vous 
„rappele2-vous le mot? — Il le peint a mer- 
,, veille. Au reste,, si sa prose va bien, l'am- 



élu général Rapp. 



149 



,,bassad« ne va guère. Sans Duroc, ^uilecou- 
„vre de son ombre , je l'aurais déjà renvoyé a 
. ,,ses ouailles. Que diable Taumônerie a-t-elle 
„de commun avec les ambassades? C'était bien 
,,la peine de sedoimer tant de mouvement pour 
i,ne rien faire qui vaille !** 



• ' 



150 Mémoires 



CHAPITRE XXVI. 

» • 

Jeiiieremisenroute: c étaient des bois, des 
steps , tout ce que la nature a de plus sauvage ; 
mais je rencontrais ackacrue pas des officiers 
qui allaient en mission ; ils me donnaient des 
nouvelles de mes amis, de l'armée: j'oubliais 
les lieux que je parcourais ; je discourais sur 
les chances probables, de la guerre; ils me par- 
laient de la valeur des troupes, delà prodi- 
gieuse activité de l'empereur. Elle était en effet 
inconcevable: les mouvements, Fadministra- 
tion , les mesures de sûreté et dé prévoyance, 
il embrassait tout, il suffisait a tout. Les in- 
structions données à M. d'Uautpoult en sont un 
exemple. Elles méritent d'être aonservées. 

„£'officier d'ordonnance d'Hautpoùlt se ren- 
„dra a Ostrowno , et de Ik a Besxenkowicxi. Il 
„verra k Ostrowno si lé village est réhabité et 
„s'il a un commandant de place pour le réor- 
,,ganiser; il verra k Beszenkowicxi si les ponts 
,,sont faits, et si on a substitué un pont de ra- 
f ,deaux au pont de chevalet qui ne résisterait 
f,pa8 aux premières crues de la rivière ; il verra 
f,si on travaille k la tête du pont; il verra l'hô- 
9,pital, la manutention, les magasins; et enfin, 
f ,si le pajs commence a se réorganiser. Il me 
f, rendra compte des troupes qu'il rencontrera, 
f,soit cavalerie, soit artillerie, soit infanterie, 
f,soit équipages militaires. Il verra k Bês^en- 
•,kowicai le quatrième régiment des chasseurs 
f ,de la garde et le bataillon de Hesse-DarmstaUt, 



du général Mapp. 151 

y^auxquels j'ai ordonna de rester là en position 
,,îusqu a nouvel ordre: il doit y avoir aussi plu- 
„sieurs pièces d'artillerie; il niudra avoir' soin 
,,que tout cela soit eu position, et qu'on tra- 
„ vaille k la tête du pont, afin de la terminer. 
,,I1 s'informera si on a des nouvelles des Cosa- 
„ques; et, s'il est nécessaire, il restera un jour 
,,a Beàaenkowicxi, afin de tout voir et de faire 
,,sa dépêche. Il m'écrira de cet endroit, en 
„âyant soin de remettre sa lettre a la première 
,,/estafette qui passera a Besaenkowicai. Il con- 




,,tion. Il me fera connaître combieii de prison- 
,,niers a faits le duc de Reggio a ces différentes 
„afFaires qui viennent d'avoir lieu ; combien de 
„blessés; tout ce qu'il pourra apprendre? sur 
cette affaire et sur la situation du corjis du 



„duc de Beggio. Le duc de Tarente ayant pris 
„Dûnabourg, l'offiicier d'ordooAaqce d'Haut- 
„poult s'informera si la coiiimpiiic^tioïi ^ntre 
„les deux corps s'est opérer . Il prendjcf( tçujle» 



„les informations qui pourront me ffiire cpn- 
y,naitre la natvire des forces opposées au duc de 
9,Reggio; il restera avec cç maréckal, auquel 
„il remettra ]ia lettre ci^jointe , jusqu'^ ce que 
,,celui-ci ait attaqué l'ennemi , éclairci la rive 
^droite et opéré sa communication avec I)^^ 
„nabourg. 

« 

Mais toute cette vigilance ne remédiait pas 
au mal. Les traînards se multipliaient a vjLie 
d'œil; ils encombraient nos derrières, je rendis 

- * * * 



V ' 



152 



Mémoires 



w 



19 



cooipte k Tempereur , que je rejoignis au bi- 
vouac a trois lieues en deçk de Smolensk , du 
triste tableau que je n avais cessé d'avoir sous 
les yeux dans mon vojage. ,;C'est la suite des 
yjongues marches; je* frapperai un grand coup 
et tout le monde se ralliera. Vous venes de 
„Wîlnarque fait Hogendorp?,il se bei*ce dans . 
„son indolence ? Il n'a pas de femme avec lui?" 
Je n'en savais rien, je ne puis rien répondre. 
Napoléoil reprit r „S'il a sa femme, il faut 
^qu'elle rentre en France , ou du moins qu'il 
„la renvoie en Allemagne, sur les derrières. 
^B^rthier va lui écrire." On apporta desj. pa- 

1>iers qu'on venait de traduire : les uns étaient 
es récits de ce^ victoires où quelques po^nées 
de Cosaques nous avaient tous battus ; les autres 
des proclamations , des adresses oii l'on nous 
signalait comme une troupe de fnissionnaires. 
„Vojea, mè dit Napoléon; vous ne vous doutiea 
„pas que nous fu3sions des apôtres : voila pour- 
,itant que noifk venons .damner les Russes. Ces 
„pauVres Cosaques , ils vont devenir idolâtres. 
„iif ais en voici bien d'une autre! tenez lises; 
„c'est du rijjsse tout pur. Le pauvre Platon ! 
„Tout eàt d^ même force dans xîes tristes cli- 
„mats.** JtB lus : C'était un long amphigouri 
dont le patriarche assaisonnait une relique du 
saint Serge qu'il ofErait k l'empereur Alexandre. 
Il le terminait par ce paragraphe : ,,La ville de 
^Moscou j la première capitale de l'empire , la 
nouvelle Jérusalem, reçoit son Christ, comme 
une mère , dans les bras de ses fils zélés ; et, 
„k travers le brouillard qui s'élève , prévoyant 
, ,1a gloire brillante de sa puissance , elle chante 
,,dans ses transporù : Hosanna, béni soit celui 



19 



>f 



du général Rapp. 



153 



,,qui arrive ! Que TarroganJ, Teflronté Goliath 
,, apporte des limites de la France l'eJ&oi mor- 
„tel aux confins de la Russie ; la pacifique re- 
,4igion , cette fronde du David russe abattra 
^soudain la tête de son sanguinaire orgueil. 
„Cette image de saint Serge, antique défenseur 
,9 du bonheur de notre partie, est offerte a votre 
y^majesté impériale;^* 



154 Mémoires 

'I II I I Be89i^5gBgaaa8gMaBBeaa8BB8gsg j i . L' yg" 



CHAPITRE XXyiI. 

j 

L'affaire de Smolensk «ut lieu. Qn se battit, 
on se cancHina avec violence. Les Russes , pris 
d'écharp et d'enfilade, furent défaits. Ils ne 
purent défendre ces murs tant de fois témoins 
de leurs vîctoives et les évacuèrent; mais les 

Sonts 9 les édifices publics , étaient la proie des 
ammes. Les églises surtout exhalaient des tor- 
rents de feu et de fumée. Les dômes y les flè- 
ches et cette n^ultitude de tourelles qui domi- 
naient l'incendie , ajoutaient encore au tableau 
et produisaient ces émotions mal définies qu'on 
ne trouve que sur le champ de bataille. Nous 
entrâmes xlans la place. £lle était a moitié con- 
sumée, d'un aspect sauvage , encombrée de 
cadavres et de blessés qu'atteignent déjà les 
flanunes. Le spectacle était affreux. Quel cor- 
tège que celui de la gloire ! 

Nous avions besoin de détourner nos regards 
de ces scènes de carnage. Les Russes fuyaient/ 
la cavalerie s'élança sur leurs traces ; elle attei- 

Snit bientôt Tarrière-garde. Korff voulut tenir, 
: fut accablé. Barclaj accourut avec ses mas- 
sesi , nous reçûmes des renforts ; l'action devint 
terrible. Ney attaquait en tête, Junotparle 
flanc ; l'armée ennemie était coupée , si le duc 
se fût porté en avant. Fatigue de ne *|>as le 
-voir paraître , Murât courut k lui : „Que fais- 
,,tu? que n'avances - tu ? — Mes Westphalieos 
„chancellent. — Je vais leur donner l'élan." 
Le roi de Naples se jette à la tête de quelqu^es 



du général Rapp. 155 

escadrons, charge, culbute tout ce qui s'oppose , 
à son passage. ^Yoilk ton bâton de marl^chal k 
,,moitié gagné; achève, les Russes sont perdus/.* 
Jimot n'acheva pas; soit lassitude, soit défiance, 
le brave des braves sommeilla au bruit du ca- 
non; et l'ennemi, quiaccour ait pour maintenir 
ses derrières, se reporta sur la ligne. La mêlée 
devint affreuse ; le brave Gudin perdit la vie, 
et larmée russe nous échappa. jSapoléon vi- 
sita les lieux où l'on avait combattu. „Ce n'e- 
stait pas au pont, c'est Ik, c'est au village oii 
„devait déboucher le huitième corps qu'était 
„la bataille. Que faisait Junot?^' Le roi de Na- 

f^les chercha k attéhuçr sa fautes Les troupes, ' 
es obstacles , tous les lieux communs d'usage 
furent employés. Berthier , qui avait toujours 
aimé le duc, s'intéressa pour lui; Caulincourt 
en fit autant. Chacun plaida de son mieux en 
faveur d'un brave a qui on ne pouvait repro- 
cher qu'un instant d oubli. Mais nous avions 
Ïerdu de trop grands avantages. Napoléon me 
t appeler : „ Junot vient de manquer pour tou- 
, Jours son bâton de maréchal. Je vous donne 
„ie commandement du corps westphalien : vous 
„])arlea leur langue , vous leur donnerez l'ex- 
,,emple, vous les ferez battre.^' Je fus flatté 
de cette marque de confiance et le lui té- 
moignai; mais Junot était couvert de blessu- 
res, il s'était signalé en Syrie, en Egypte, par* 
tout ; je priai l'empereur d'oublier un moment 
d'absence en faveur de vingt ans de courage 
et de ^dévouement. „I1 est cause que l'armée 
,,rusàe n'a pas mis bas les armes : cette affaire 
„m'empêchera peut-étred'aller a Moscou. Met- 
„tes*vous.k la' tête des Westphaliens.^ Le ton 



156 Mémoires . 

• dont il jprononça ces de):nières paroles était 
déjkbién radouci. Les services de lancien aide- 
de*cainp atténuaient l'inaction du huitième 
,,corps. Je repris: „ Votre majesté vient de me 
, ^parler ^de Moscou; L'armée ne s attend pas a 
„cette expédition* — Le vin est versé, ufaut 
„le boire. Je viens de recevoir de bonnes nou- 
„velles : Schwaraenberg est en Wolhinie ; la 
y^Pologne s organiste , j'aurai toute espèce de se- 



„cour8.** 



Je quittai Napoléon pour faire part au prince 
de Neuchàtel et au duc de Vicence de la dis- 
grâce dont Junot était menacé. „Je souffire, me 
,,dit le prince , de lui voir ôter ses troupes ; 
y^mais je ne ])uis disconvenir qu'il n'ait fait 
,, manquer la plus belle opération de la cam- 
„pagne. Voilà à quoi tiennent les* succès de la 
^guerre, a un oubli, une absence d'un instant: 
,,vous ne saisisses pas l'occasionna la volée; elle 
,ydisparait et ne revient plus. Personne n'a plus 
,,de courage, de capacité. Il joint aux qualités 
„dù militaire les connaissances les plus éten- 
,,dues; il est intrépide, spirituel, aimable et 
„bon. Il s'est ouMié pendant une heure; il 
„s'est préparé bien des ennemis. Au reste, je 
,',verrai avec Caulincourt.- * Ils agirent si bien 
l'un et l'autre que Junot conserva son comman- 
dement; j en fus fort aisé, d'abord parce que 
cela lui évitait un affront, et qu'ensuite je ne 
me ^uciais guère de ses soldats. Malheureuse- 
ment la fatigue avait succédé a l'impétuosité 
du jeune âge. Il ne montra pas a la bataille de 
' Moskowa cet élan , cette énergie dont il avait 
tant de fois donné l'exemple; et raflfaire de 



( du général Rapp. 157 

Tereia mit le comble aii mécontentement de 
Napoléon. 

Nous apprîmes, quelques jours après, l'irrup- 
tion de Tormasow. Nous étions inquiets , nous * 
discourions de ces longues pointes, des dangers 
auxquels on s'exjîose en s'éloignant outre, 
mesure dé sa ligne d'opérations. Sans doute 
Napoléon i;ious entendit. Il vint a nous , parla 
beaui^oup de la manière dont il avait assuré 
ses derrières , des corps qui formaient nos ailes, 
et de cette chaîne de postes, qui se liaient 
depuis le Niémen jusquaux lieux où nous 
nous trouvions. „Tormasow, nous dit-il, amis 
,,tous les enfants de Varsovie en l'air. Ils le 
^voyaient déjà fonctionnant a Prague ; mais le 
„voila renvoyé plus vite qu'il n'était venu." 
Il rentra dans son cabinet , et se mit k dicter 
avec indifférence, mais assex haut pour que 
nous n'en perdissions pas un mot, des instruc- 
tions pour le duc de Bellune. 

Napoléon au major-général. 

Dorogobuj, le 26 août 1812. 

• • . « 

„Man cousin, écrivez au duc de Bellune de 
„se rendre de sa pers<mne a Wilna, afin d'y 
„voir . le duc de Bassano et d'y prendre con- 
,,naissance des affaires et de l'état des choses ; 
,,que je serai aprèsdemain à Wjaeama, c*est-a- 
^,dire a cinq marches de Moscou; qu'il est 
^possible que, dans cet état de choses^ des 
^,communications viennent a être interceptées; 
„qu'il faut donc que quelqu'un prenne alors 
„le coii[imandement et agisse selon les circon- 
^stances ; que j'ai ordonné qu'on dirigeât sur 
„Min9k le cçnt- vingt-neuvième régiment, lé 



99 



158 JMknwirea 

» 

,,régime0t iUjrrien, le régiment westpkalien, 
,,qui était à Kœnigsbetg , et les 4eux régiments 
„8axons4 que j'ai en outre placé entre Minsk 
,,et Mohilew la division Dombrowski, forte 
y,de douse bataillons et d'une brigade de cava- 
>,leÀe légère ; qu'il est important que son corps 
s'approcuie de W ilna \ et qu il se dirige selon 
les circonstances , afin d'être a même de sou- 
_tenir Sm^^ensky Witepsk, Mohilew et Minsk; 
„que la division Dombrowski doit être suffisante 
,.pour maintenir les communications de Minsk 
^9par Orsxa jusqu'à Smolensk y puisqu'elle n'a k 
«^contenir que la division russe du générs^ 
^Hextel qui est a Mosyr, forte de six a huit 
y^nille hommes , la plupart recrues et contre 
^laquelle, d'ailleurs, le général Schwartxen* 
nberg peut opérer ; que les nouveaujii; renforts 
9,que j envoie à Minsk pourront aussi subvenir 
^^a tous les inccoivénients ; et dans tous les cas, 
,yle mouvement du duc de Bellune sur Minsk 
^et Orsza, et de la s\ir Smolensk , me paraît 
,,propre a maintenir tous les derrières ; que 
,,]'ai quatre mille hpmmes de garnison a Witepsk 
„et autant à Smolensk; que le duc de Bellune, 
,, prenant ainsi p'osition entre le Dnieper et la 
,,Dwina, sera en communication facile avec 
„moi| pourra promptement recevoirmes ordres 
,,et se . trouvera en n^esure de protéger les 
^communications de Minsk et de Witepsk, 
„ainsi que celles de Smolensk sur Moscou; 
.„que je simpose que le général Gouvion Saint* 
yyùyt a sumsaniment des deuxième et sixième 
,^corp9 pour tenir en échec Witgensjbeift, et n'en 
i,avoir rien a craindre ; que le duc de Tftirente 
',,'peut se porter sur Riga pour investir la place ; 



du général Rapp^^ 



159 



„enfin, que j'ordonne aux quatre démi-brîgades' 
„de marche, formant neuf mille hommes , qui 
^faisaient partie de la division Lagrange, de se 
, , diriger sur Kowno: qu'ainsi ce ne serait que 
„dans le cas où le général Gouvion Saint -Lyr 
,, serait battu par le général Witgenstein et 
^fohligé de repasser la Dwioâ que le duc de 
, yBellune devrait marcher k son secoura d'abord ; 
^.ij^pe, ce cas excepté, il doit suivre, sa direc- 
,itïon ^ur SmolemL . . 
,^Surcé, etc. 



\ 



A") 



160 Mémoires 



'h 



CHAPITRE XXVIII, 

L*armée continuait s<m mouvement , pous* 
sant, toujours devant elle les trou][>es €[u elle 
avait battues k Yalontina. On chantait bien des 
Te Deurn en Russie ; on en chante pour tout 
dans cet heureux pays : mais les ^Kctoires k la 
façon de Tolly ne calmaient pas Tanxiété de 
la nation; elle' sentait que cette manière de 
vaincre la refoulerait bientôt en Sibérie : elle 
résolut ~ de mettre ses destinées en d'autres 
mains, Kutusovir puisait aux pieds des images 
ses inspirations militaires; il jeûnait, priait, 
flattait les prêtres et la noblesse; le ciel ne 
pouvait lui refuser son assistance : il fut nomn^é. 
Admirables dans les cours , les pasquinades ne 
suffisent pas sur lé champ de bataille ; toutes 
les momeries religieuses ne tiennent pas devant 
une bonne disposition : il l'éprouva. Le roi de 
Naples , qui n'avait pour les amulettes que le 
mépris d'un soldat , fond sur lui et le taille en 

Ïûèces. Il veut faire ferme à Che varino ; mais 
a cavalerie s'ébranle , la charge bat; on le cul- 
bute, on le jette dans ses retranchements: le 
courage Temporte sur les saints de la Russie* 

Ce début n'était pas de bon augure ;^ le 
ciel répondait froidement au zèle des Cosacmes. 
On redoubla de supplications : Kutusow dé- 

5 lova ses images ; on défila devant la vierge 
e Smolensk , doiit nous voulions déposséder 
la dévote nation : on fit des prières, des vœux, 

dea 



du général Rapp. 161 

des ofErandes; etleâ orateurs des Calmouks dé- 
bitèrent rhomélie qui suit : 

y,Frères! 

„Vous voyea devant vous, dans cette image, 
, jobjet de votre piété , un appel adressé au ciel 
^,pour qu'il s'unisse aux hommes contre le tyran 
^^qui trouble lunivers. Won content de détruire 
,,des millions de créatures, images de Dieu, cet 
„archi-rebelle a toutes les lois divines et hu*. 
,,uiaines pénètre a main armée dans nos sane- 
^,tuaires ^ les souille de sang , renverse vos au- 
,,telsy et expose l'arche même du Seigneur, con- 
„sacree dans cette sainte image de notre église, 
,,aux profanations des accidents ,. des éléments 
„et des mains sacrilèges. Ne craignes doncJ pas 
„que ce Dieu^ dont les autels ont été ainsi in* 
,,sultéspar ce vermisseau que sa toute-puissance 
„atiré de la poussière, ne soit point avec vous; 
„ne craigne,» pas ({u il refuse d'étendre son boû- 
„clier sur vos rangSj et de combattre son enne- 
.^,mi avec Tépée de saint Michel. 

,, C'est dans cette croyance que je veux com- 
„battre, vaincre et mourit, certain que mes 
„yeux mourants verront la victoire* Soldats, 
^remplisse» votre devoir; songea au sacrifice 
,,de vos cités en flammes et a vos enfants qui 
^implorent votre protection; songex a votre 
,,empereur, votre seigneur , qui vous considère 
,,comme le nerf de sa force; et demain, avant 
„que le soleil n'ait disparu, vous aures tracé 
„votre foi et votre fidélité sur le sol dé votre 
,,patrie j avec le sang de Fagresseur et d^ ses 
„guerriers/* , 

U 






l62 Mémoires 

« 

Uë2>ée de saint Michel est sans doute une 
épée redoutable; mais des soldats dispos va- 
lent encore mieux: aussi Kutusow n'épargnait- 
il pas les libations; il accroissait d'autant la 
ferveur des Cosaques. Quant a nous, nous 
n'avions ni inspirés , ni prédicants , ni même 
de subsistances , mais nous portions l'héritage 
d'une longue gloire; nous allions décider oui 
des Tartares ou de nous devait donner la loi 
au monde ; nous étions aux confins de l'Asie, 
plus loin que n'était jamais allée armée eu- 
ropéenne.^ Le succès n'était pas douteux : aussi 
Napoléon aperçut-il avec la joie la plus vive 
les proccessions de Kutusow. „Bon , me dit-il, 
„les voila occupés de pasquinades ; ils n'échap- 
,,peront plus." Il fit des reconnaissances, ex- 
pédia des ordres de mouvement, et se pré- 
para a la journée du l'endemain. Le roi de 
Naples jugeait ces dis]>ositions superflues: il 
s'était emparé de la princii>ale rédoute, la 
gauche delà position était débordée; il ne pen- 
saiV PAS que les Russes voulussent accepter la 
bataille;/ il croyait qu'ils se retireraient pen- 
dant la nuit: ce n'était pas leur projet; ils creu- 
saient, ils remuaient là terre, ils assajaient leur 
position. Le lendemain nous les aperçûmes qui 
étaient tous a l'ouvrage: il était onze heures, 
Napoléon m'envoya faire une reconnaissance; 
j'étais chargé d'approcher le plus près possible 
de la ligne ennemie. Je me débarrassai de mes 
plumes blanches, je mis une capote de soldat 
et examinai tout avec le plus de soin qju'il me 
fut possible; je n'étais sun^i que d'un chasseur 
de la garde. Dans plusieurs endroits je dépas- 
sais les vedettes russes: le village de Borodino 



du général Rapp. 



t63 



n'était séparé de nos postes gue par un rayîn 
4troit et profond i je m avançai trop, on me tira 
deux coups de canon kmitraiHe; je m'éloignai; 
je rentrai vers les deux heures , et vins rendre 
compte de tout ce que j'avais vu. Napoléon 
s'entretenait avec le roi de Napjies et le prince 
de Neuchâtel ; Murât avait bien changé d'opi- 
nion : surpris de voir , à la pointe du jour , la 
ligne ennemie encore tendue, il avait jugé 
l'action imminente et s'y était préparé* D'au- 
tres généraux soutenaient cependant encore 
que les Russes n'oseraient en courir la chance : 
quant à mois , je prétendais le contraire 5 j'ob** 
servais qu'ils avaient beaucoup de monde, une 
assea bonne position; j'étais convaincu qu'ils 
nous attaqueraient si nous ne les prévenions* 
Napoléon me fit l'honneur, d'être de mon ayis^. 
qui était aussi celui de Berthier : il demanda 
ses chevaux, et fit en personne la même re- 
connaissance. Il fit reçu comme je l'avais été 
devant Borodino ; la mitraille l'obligea de s'é- 
loigner : ce qu'il aperçut acheva de le convain- 
cre qu'il ne s'était pas trompé ; il donna en 
rentraiiit des ordres en conséquence» 

La nuit arriva. J'étais de service; je couchai 
dans la tente de Napoléon. L'endroit où il re- 
posait était ordinairement séparé par une cloi- 
son en toile de celui qui était réservé a l'aide** 
de-camp de service* Ce prince dormit fort peu* 
Je l'éveillai plusieurs foi pour lui remettre des 
rapports d'avant-postes, qui tous lui prouvaient 
que les Russes s'attendaient a être attaqués* 
A trois heures du matin il appela un valet de 
chambre et se fitajjporter du punch; j'eus llion-^ 
neur d'en prendre avec lui. Il me aemanda si 

11 . 



164 Mémoirea 

j'arais bien dormi ; je lui répondU que les nuits 
ëtaieiit déjà fraîches , crue j'avais souvent été 
réveillé. 11 me dit: y,Nous aurons àlFaire au- 
,,jourd'hui a ce fameux Kutusow. Vous vous 
,,rapele2 sans doute que c'est lui qui commàn- 
,,dait a Braunau lors de la campagne d'Auster- 
„lits- Il ^^ resté trois semaines dans cette place 
,,san8 sortir une seule fois de' sa chambre; il 
,,n'est pas seulement monté a cheval pour voir 
„les fortifications. Le général Bennigsen» quoi- 
y,que aussi vieux, est un gaillard plus vigou- 
„reux que lui. Je ne sais pas poui^cfuoi Alex- 
sandre n a pas envoyé cet Hanovrieii poiir rem- 
'„placer Barclay.** il prit un verre de punch, 
lut quelques rapports et ajouta : 

,,Ëh bien ! Rapp , crois-tu que nous ferons 
„de bonnes aiFaires aujourd'hui ? — Il ti j a pas 
,,de doute, sire; nous avons épuisé toutes nos 
,, ressources, nous sommes forcés de vaincre.** 
Napoléon continua sa lecture et reprit: ,,La 
^yfortune est une franche courtisane ; je l'ai sou- 
,,vent dit, et je commence à l'éprouver. — Votre 
„majesté se rappelle qu'elle m'a fait l'honneur 
y,de me dire k Smolensk que le vin était versé^ ' 
„quil fallait le boire. Cest maintenant le cas 
^plus que jamais ; il n'est plus temps de reculer. 
„L'armée connaît d'ailleurs sa position: elle 
„sait qu'elle ne trouvera de subsistances qu'à 
, ^Moscou et qu'elle n a plus que trente lieues k 
,, faire. — Cette pauvre armée, elle est bien 
„réduite: mais ce qui reste est bon ; ma garde 
,, est d'ailleurs intacte.** Il manda le j^rince 
Berthiet et travailla jusqu'à cinq heures et 
demie. Mous montâmes a cheval. Les trom- 
pettes sonnaient, les tambours battaient; dès 



du général Happ. 165 

que les troupes raperçurent, ce ne fut qu'accla- 
mations. ,, C'est Tenthousiasine d'Auslerlits. 
^Faites lire la proclamation.*' 

i^Soldats! 

^,Voila la bataille que vous avex tant désirée! 
, , Désormais la victoire dépend de vous; elle 
,,nous est nécessaire ; elle nous donnera l'abon- 
,,dancey de bons quartiers d'hiver et un prompt 
^,retout dans la patrie. Conduisez-vous commd 
„a Austerlitx, kFriedland, aWitej^sk, aSmo- 
,,l^nsk, et que la postérité la ])lus reculée cite 
,,votre conduite dans cette journée; ([ue Ton 
„dise de vous: Il était a cette grande bataille 
„sous les murs de Moscou.** Le« acclamations 
redoublèrent, les troupes ne demandaient qu'a 
combattre , Faction fut bientôt engagée. 



166 Mémoires 



CHAPITRE XXIX. 

Les Italiens et les Polonais tenaient les 
ailes. Napoléon opérait sur la gauche des masses 
ennemies. Du reste , nous n'avions aucun ren- 
seignement précis; femmes, enfants, vieil- 
lards , bestiaux , tout avait disparu ; il ne 
restait personne qui pût nous donner la moindre 
indication. Mey marcha a l'ennemi et l'enfonça 
avec cette vigueur, cette impétuosité dont il a 
donné tant d'exemples. Nous emportâmes les 
trois redoutes qui l'appuyaient. Il accourut 
avec dès trou,pes fraîcnes : le désordre se mit 
dans nos rangs, nous évacuâmes deux de ces 
ouvrages ; le dernier même était compromis. 
Les Russes couronnaient déjà la crête des fossés.» 
Le roi de Naples voit le danger, vole, met 
pied k terre ^ entre, monte sur le parapet; il 
appelle , anime les soldats. La redoute se garnit, 
le feu devient terrible, les assaillants n'osent 
tenter l'assaut. Quelques escadrons paraissent; 
Murât monte k cheval, charge, culbute les 
colonnes dispersées dans la plaine. Nous repre- 
nons les retranchements , nous nous y établis- 
sons pour ne les plus quitter. Ce trait d'audace 
décida la journée. 

Le général Gompans venait d'être blessé; 
fallai prendre le commandement de sa division. 
Elle faisait partie du corps d'armée du mare- 
chai Davoust.* Elle levait enlevé une des posi- 
tions retranchées de l'ennemi ; elle avait déjà 
beaucoup souffert., Je me concertai en arrivant 



du général Rffpp. 1C7 

avec le maréchal Nej , dont jdAenais la droite. 
Nos troupes étaient pêle-mêle; nous les rallia- 
mies, nous nous j^récij^itâmes sur les Russes, 
nous leur fîmes expier leur suc(^ès. La canon- 
nade, la fusillade, n arrêtaient j^as. Infanterie, 
cavalerie, se chargeaient avec fureur d'une 
extrémité de la ligne a l'autre. Je n avais pas 
encore vu de semblable carnage. 

Nous avions trop appuyé sur la droite; le 
roi de Naj^les restait seul exposé aux ravages 
des batteries de Scminskoé. Il n'avait que des 
troupes a cheval; un ravin profond le séparait 
du village , il n'était pas facile de l'emporter : 
il le fallait cependant sous peine d'être écrasé 
par la mitraille. Le général Belliard , qui 
n'aperçoit qu'un rideau de cavalerie légère,^ 
conçoit le dessein de la refouler au loin et de 
se porter ]>ar un a gauche sur la redoute. „Couçs 
„a Latour-Maubourg, lui répond Murât, dis-lui 
„de prendre une brigade de cuirassiers fran- 
,,çais et saxons, de passer le ravin, de tout 
„sabrer, d'arriver au galop sur le revers de la 
„redoute et d'enclouer les pièces. S'il ne réussit 
„pas , qu'il revienne dans la même direction. 
„Tu disposeras une batterie de quarante pièces 
„et une partie de la réserve pour protéger la 
„retraite." Latour-Maubourg se mit en mou- 
vement, culbuta, dispersales Russes et s'empara 
des ouvrages. Priant vint les occuper. Toute 
la réserve passa et s'établit a la gauche du village. 
Restait un dernier retranchement qui nous pre- 
nait en flanc et nous accablait. Elle venait d'en 
enlever un, elle pensa qu'elle pouvait en empor- 
ter un autre. Caulincourt s'avança, sema au 
loin le désordre et la mort. Il se rabattit tout a 



168 4, Mémoires 

coup sur la Aloute et s'en rendit maître. 
Un soldat caché dans une embrasure Fétendit 
roide mort. Il s'endormit du soinmeil des 
braves; il ne fut pas témoin de nos désastres. 

Tout fuyait , le feu avait cessé , le carnage 
faisait halte. Le général Belliard alla reconnais 
tre un bois place a quelque distance. Il aper- 
çut la route qui convergeait sur nous ; elle était 
couverte de troupes et de convois qui s'éloi- 

Î;naient. Si on l'interceptait^ toute la droite de 
'armée ennemie était prise dans le segment 
où elle se trouvait. U vint en prévenir Murât. 
,, Cours en rendre compte a 1 empereur , lui 
„dit ce prince." Il y lut, mais INaj^oléon ne 
crut pas le moment venu. „Je n j vois pas. en- 
,fCore asses clair sur mon échiquier. J'attends 
»,de3 nouvelles de Poniatowski. Retournex, 
y^xamines et revenez. ^* Le général retourna 
enelFet, mais il n'était plus temps. La garde 
russe s'avançait; infanterie, cavalerie, tout ar- 
rivait pour renouveler l'attaque. Le général 
n'eut que le temps de rassembler quelques pie»- 
ces. De la mitraille, de la mitraille, et tou- 
jours de la mitraille , dit-il aux artilleurs. Le 
feu s'ouvrit , Teffet en ftit terrible ; en un in- 
stant la terre se couvrit de morts ; la colonne 
écrasée se dissipa comme une ombre. £lle n'a- 
vait pas tiré un coup de ftisil. Son artillerie 
ai'riva quelques instants après; nous nous en 
emparâmes. 

La bataille était gagnée, mais le feu était 
toujours terrible. Les balles, les obus, pleu- 
vaient a mes côtés. Dans l'intervalle d'une 
heurfe je fus touché quatre fois, d'abord de 
deux coups de feu assez légèrement, ensuite 



du général Rçq^p. 1G9 

d*un boulet au bras gauche , qui m'enleva le 
drap de la manche de mon habit et la chemise 
jusqu a la chair. J'étais alors a la tête du soixante- 
unième régiment^ que j'avais connu dans la 
haute Egypte. Il comptait encore quelques of- 
ficiers de cette époque : il était asse^ singulier 
de se retrouver ici: Je reçus bientôt une ([ua- 
triènie blessure ; un biscaïen me frappa a la 
hanche gauche et me jeta a bas de mon cheval: 
c'était la vingt deuxième. Je fus obligé decfuit- 
ter le champ de bataille : j'en fis prévenir le 
maréchal Ney, dont les troupes étaient mêlées 
avec les miennes. 

Le général Dessaix, le seul général de cette 
division qui ne fût pas blessé , me remplaça ; 
un moment après il eut le bras cassé: Priant 
fut atteint plus tard. 

Je fus })ansé par le chirurgien de Napoléon, 
qui vint lui-même me faire visite. „C'est donc 
,, toujours ton tour? Comment vont les afFai- 
,,res? — Sire, je crois que vous serea obligé 
,,de faire donner votre garde. — Je m'en gar- 
,,derai bien; je ne veux pas la faire démolir. 
„Je suis sûr de gagner la bataille sans qu'elle 
,,y prenne part." Elle ne donna pas en effet, 
a l'exception d'une trentaine de pièces qui firent 
des merveilles, 

La journée finit; cinquante mille hommes 
lisaient sur le champ de b£^ taille. . Une foule 
[e généraux étai^.it tués ou blessés : nous en 
avions une quarantaine Jiors de combat. 

Nous avions iP^it des prisonniers* , enlevé 
quelques pièces de canon; ce résultat ne com- 
pensait pas les pertes qu'il nous coûtait. 



170 Mémoires 



CHAPITRE XXX. 



L'armée russe se retirait sur sa capitale: 
elle fit encore quelque résistance a Moiaïsk et 
gagna Moscou. jNous occupâmes cette ville sans 
coup férir. Murât j^^ntra à la suite des Cosa- 
queSy s'entretint avec leurs chefs et donna même 
"^ sa montre a l'un d'eux. Ils lui témoignai<4nt 
ladmiration que leur causait son courage , 
rabattement qu'entraînent les longues disgrâ- 
ces , lorsque des coups de fusil se firent enten- 
dre: c'était quelques centaines de bourgeois 
qui avaient pris les armes. Ils firent eux-.' 
mêmes cesser ce feu inutile et continuèrent 
leur retraite. 

Napoléon fit son entrée le lendemain. Il 
s'établit au Kremlin avec une partie de sa garde 
et les personnes de sa maison; mais nous étions 
si mal, que je fus obligé de prendre un autre 
logement. Je m'installai a quelque distance 
daps une maison qui appartenait a un dés mem- 
bres de la famille INareschkin. J'étais arrivé a 
quatre heures du soir. La ville était encore in- 
tacte : la douane seule était la proie des flam- 
mes , qui la dévoraient dc;H avant qu aucun 
Français ne parût; mais la nuit. vint , ce fut le 
signal de. l'incendie; a gauche, a droite , par- 
tout il éclatait. 

Les édifices publics, les temples, lespro- 






i 



du général Rapp. 171 

Î)rietés particulières, tout était en feu. La con- 
lagration était générale, rien ne devait échap- 
per. Le vent soufflait avec violence ; Fembra- 
seméiiit fit des progrès rapides. A minuit le foyer 
était si èlFrajant, que mes aides-de-camp me 
réveillèrent; ils me soutinrent; je gagnai une 
fenêtre d où je contemplai ce spectacle , qui 
devenait affreux. L'incendie s'avançait sur nous : 
a quatre heures on me prévint qu'il fallait 
déloger. Je sortis; quelques instants après la 
maison 'fut réduite en cendres» Je me us con- 
duire du côté du Kremlin; tout y était en 
alarmes. Je rétrogradai et me rendis, au quar- 
tier des Allemands. On m y avait arrêté Inôtel 
d'un g^nér^l russe; j'espérais m'y remettre de 
mes blessures ; mais quand j'arrivai , des bouf- 
fées de feu et de fumée s'en échappaient déjà. 
Je n'entrai pas ; je retournai encore au Kremlin. 
Chemin faisant j'aperçus des soldats, des artisans 
russes qui se répandaient dans les maisons et 
les incendiaient. Nos patrouilles en tuèrent 
quelques uns en ma présence et en arrêtèrent 
un assez grand nombre. Je rencontrai le maré- 
chal Mortier. >,0ù allezvous ? me dit-il. — Le 

feu me chasse, quelque part que je me l,oge; 

je vais décidément au Kremlin*! — Tout y est 
„en désordre, l'incendie gagne partout: éloi- 
„ffnez-vous plutôt. — Où se retirer? — A mon 
„hôtel; mon aide-de-camp vous conduira." Je 
le suivis. La maison était près de l'hospice des 
enfants-trouvés. Nous y étions a peine , qu'elle 
était déjà embrasée. Je me déterminai de 
nouveau a aller au Kremlin. Je passai la Mos- 
kowa pour m'établir vis-a-vis le palais, qui 



>7 

5J 



172 Mémoires 

était encore intact. Je rencontrai en route le 
général Lariboissière , accompagné de son fils, 
malade; TaUiouet se joignit a nous; nous nous 
logeâmes tous dans des maisons placées sur la 
rivière. Mon propriétaire était un brave chai)e- 
lier qui apprécia ma position et me prodigua 
tous les soins possibles. J étais a peine installé 
chex cethonnéte artisan, que le feu se manifesta 
de toutes parts. Je quittai a la hâte: les quais 
sont étroits; si j'eusse tardé, je n'eusse pu 
échapper avec ma voiture. Nous re|>assànjes 
l'eau et nous vîmnes nous établir en plein <iir, 
derrière les murs du Kremlin; c'était l'unique 
movén de trouver quel([ue repos. Le vent 
soufflait avec une violence toujours croissante 
et alimentait l'incendie. Je me déplaçai encore 
\me fois , mais ce fut la dernière. Je me retirai 
près d'une barrière : les maisons étaient isolées, 
éparses; le feu ne put les atteindre. Celle <|ue 
f occupai était petite, commode, et appartenait 
a un prince Gallitxin. J'y ai nourri pendant 
quinse jotirs au moins cent cinquante habitants 

réfugiés, 

Napoléon fut a son tour obligé de se retirer 

devant les flammes. Il quitta le Kremlin et 

porta son quartier-général hors de la ville, dans 

une maison impériale., où il s'établit. 11 n'y 

resta ])as long-temps; il rentra au iralais des 

cxars dès que l'incendie fut tout-a-fait éteint. 

Il envoyait presque tous les tnatins le général 

Narbonne savoir de mes nouvelles. Ce général, 

comme beaucoup de monde, était fort inquiet. 

Il me disait souvent çue l'empereur avait tort 

de compter sur la paix 9 que nous n'étions pas 



du général Rapp* 



173 



à même de dicter des conditions, que lesRussea 
ne s ëuieiit pas résignés au sacrifice de leur 
capitale pour accepter des traités désavanta- 
geux. „lls nous {amusent pour prendre leur 
^revanche et avoir plus beau jeu.** 



174 Mémoires 



dis* 



CHAPITRE XXXI. 

Moscou était détruit ; l'occupation de ses 
décombres n'était ni sûre ni profitable; nous 
étions trop éloignés de nos ailes , nous ne pou- 
vions nous procurer de subsistances, et nous 
n'avions aucun intérêt a garder des ruines. 
Chacun était d'avis qu'il ne fallait pas séjour* 
ner; mais on n'était pas d'accord sur ce qu'il 
convenait de faire. Le roi de Naples proposait 
de marcher sur Kaluga , d'y détruire les seuls 
établissements que possède la Russie, et de re- 
venir cantonner sur le Boristhène. On ne pou- 
vait pas suivre les Cosacjues au bout du monde; 
la plus longue fuite doit avoir son terme : nous 
étions prêts a combattre ; mais nous ne voulions 
plus courir. Tel était le sens de la proclama- 
tion qu'il conseillait avant de se mettre en 
mouvement. Le vice-roi jpensait au contraire 
qu'il fallait marcher aux jRusses , les battre, 
pousser sur Pétersbourg , et se diriger ensuite 
sur Riga : on eût rallié Macdonald ; après quoi 
on se fût établi sur la Dvvina. D'autres présen- 
taient d'autres plans: tous étaient bons, tous 
étaient praticables; mais l'empereur avait des 
données particulières: il vo ja juste si on n'eût 
reçu les inspirations de l'Angleterre. On s'est 
beaucoup appesanti sur ce séjour: c'est une 
faute puisque les événements lont condamné; 
mais ceux qui se récrient n'avaient ni le secret 
des affaires ni celui des négociations ; ils peu- 
vent, sans trop de modestie, croire que la sa- 



du général Rapp. > 175' 

gacité de ce grand homme n'était pas au-des- 
sous de celle que la nature leur a départie^ Il 
s'est trompé; nous en avons senti les consé- 
quences: on saura peut-être un jour quelles 
combinaisons Tont égaré. Quoi qu'il en soit, 
on resta, on négocia, on batailla, on n^ décida 
rien. L'armée de Moldavie faisait son mouve»- 
metit î elle s'avançait, mais on ne savait encore 
sur quelle ligne elle allait agir: les uns pré- 
tendaient qu elle se rallierait a Kutusow ; les 
autres craignaient qu'elle ne se portât sur nos 
derrières. On était dans l'attente de ce qui se 
préparait : l'empereur n'était pas lui-même sans 
inquiétude; mais il savait, jusqu'au dernier 
homme, ce qu'il avait de troupes échelonnée^ 
depuis le Rhin jusqu'à Moscou; Il se croyait 
, en mesure; il se borna a expédier des instruc* 
lions : celles qu'il adressa au 'duc de Bellune 
méritent detre citées; elles prouvent de quelle 
nature était ce sommeil qu'on lui reproche. 

« 

Napoléon an major -géiiéral. 

,,Mon cousin, faites connaître au duc de 
„Bellune que je île lui ai pas encore donné 
„d'ordres pour son mouvement, parce que cela 
„dépend du mouvement de l'ennemi; que l'ar- 
;,mée russe de Moldavie, forte dé trois divisions 
„ou de vingt mille hommes, infanterie, cava- 
„lerie et artillerie comprises , a passé le Dnié- 
„per dans leà premiers jours de septembre; 
„qu'elle peut se diriger sur Moscou pour ren- 
„forcer l'armée que cotnmande le général Ku- 
„tusow, ou sur la Volhinie pour renforcer celle 
,,de Tormassow; que Tarméé du général Kutu- 



176 " Mémoires 

^soWy battue à la bataille de- la Moskowa, est 
,,aii jourd'hui sur Kaluga , ce qui pourrait faire 
^penser quelle attend des renforts qui lui vien- 
,, liraient de la Moldavie par la route de Kiow; 
„que dans cette hypothèse, le duc de Bellune 
^recevrait ordre de se joindre \ la grande ar- 
mée , soit par la route de Jelnia et de Kar 
,yluga, soit par toute autre ; que si au contraire 
„1«» vingt mille hommes de la Moldavie s'é- 
^,taient portés au secours de Tormassow, ce 
,, renfort porterait Tormassowr a quarante mille 
,,homines; mais que notre droite, que com- 
„mande le prince de Schwarzenoerg , serait 
^encore d'égale force , puisque ce prince , avec 
„les Autrichiens , les Polonais et les Saxons, a 
,, environ quarante mille hommes; que d'ail- 
„ leurs j'ai demandé a Tempère ur d'Autriche 
„que le coqis que commande le général au- 
^trichien Reuss a Lemberg fit un mouvement, 
„et gue le prince Schwarxenberg reçut un 
jyTentort de dix mille hommes ; que , d'un 
, , autre côté , lemjjereur Alexandre renforcé 
y,tant qu'il peut la garnison de Riga et le corps 
„de Wittgenstein , afin de pouvoir déposter le 
,, maréchal Saint-Cyr de PJiozk, et le duc de 
„Tarente de Riga et de Dûnabourg ; que des 
^lettres qui arrivent du prince de Sch>var- 
,,3iènberg, en date du 24, tendraient a prou- 
„ver que Tarmée de Moldavie , au lieu de ve- 
„nir sur Moscou, s'est rendue a l'armée de 
„Torraassow et la renforcée ; qu'il est donc 
^nécessaire de savoir ce qui se passera; que 
yydans cet état de -choses , je désire que le auc 
„de Bèllune cantonne son corps de Smolensk 
„a Orsxa; qu'il entretienne une correspondan- 
ce 



99 
9J 
9J 



du général Rapp. 177 

I 

,,ce exacte par toutes les estafettes avec le duc 
„de Bassano, afin que ce ministre lui écrive et 
„lui donne toutes les nouvelles qull aurait des 
„diJîérents 2>oints ; qu'il envoie un officier sage, 
^discret et intelligent, auprès du général 
„Schwartaenberg et du général Régnier; que 
„cet officier apprçndra du général Schwart- 
^,zenberg ce qui se passe, et du général Rç- 
„gnir le véritable état d»es choses; qu^il se mette 
,,en corresj)oridance réglée avec le gouverneur 
de Minsk , et qu'enfin il envoie des agents 
dans diiférentes- directions pour savoir ce qui 
se 2>asse; que la division Gérard/ sera placée 
„du côté d'Orsisa, oii elle^se trouvera à quatre 
„ou cinq niarches de Minsk, a trois de Witepsk, 
„a quatre ou cinq de Polozk; que l'autre divi- 
„sion qui sera entre Orsxa et Smolensk pourra 
„l'ap2)uyer rapidement, et qu'enfin la troisième 
„division sera auprès de Smolensk; que, 2)ar 
,,ce moyen, son corps d'armée se rej^osera et 
,,pourra se nourrir facilement : qu'il faut le 
,,placer au haut de la route; afin de laisser la 
,,grande communication pour les troupes qui 
„arrivent ; que dans cette position, il sera éga- 
,,lement a même de se porter sur Minsk et 
,, Wilna , si le centre de nos communications 
„et de nos dépôts était menacé , et si le maré- 
„chal Saint-Cjr était repoussé de Polozk; ou 
„d'exécuter Tordre qu'il recevrait de revenir 
,,a Moâcou j3ar la route dlelnia et de Kaluga, 
„si là prise de Moscou et le nouvel état de 
^choses avaient décidé l'ennemi a se renforcer 
, jd'une portion des tro^upes de Moldavie ; qu'ainsi 
„le duc deBellune formera la réserve générale 
„pour se porter , soit au secom-s du prince de 

12 



v^ 



99 



178 Af empires 

,,Schwartaienberg et couvrir Minsk , soit au se- 
cours du maréchal Saint-Cyr et couvrir Wil- 
na, soit enfin a Moscou j)our renforcer la 
,,grande armée; que le général Dombrowski, 
„cnji a une division de huit mille hommes dln- 
,,{anterie et douae cents chevaux polonais, est 
,,sous ses ordres, ce qui portera son corps d'ar- 
,,mée a quatre. divisions^; que la brigade de re- 
sserve deWilna, composée de quatre régiments 
„westphaliens , de deux bataillons de Hesse- 
^Darmstadt qui , vers la fin de ce mois , arri- 
„vent de la roméranie suédoise , et de huit 
^pièces de canon, sera aussi sous ses ordres; 
„ qu'enfin, dans le courant de novembre, deux 
„noUvelles divisions se réunissent, Tune a Var- 
,,sovie, c'est la trente- deuxième division, qui 
„8era augmentée de trois bataillons de Wûrta- 
„bourg et restera commandée par le général 
„Durutte; Vautre k Kœnigsberg, c'est la trente- 
„quatrième division, qui était en Poméranie 
„sous les ordres du général Morand, et qui, 
^augmentée également de quelques bataillons, 
,,sera sous les ordres du général Loison ; ainsi, 
„soit qu'il faille marcher au secours dû prince 
„de Schwartaenberg ou au secours du mâré- 
„chal Saint-Cyr, le duc de Bellune pourra tou- 
,, jours réunir une masse de quarante mille 
^hommes; que comme la correspondance de 
, jl'estafette est prompte, je serai toujours a même 
„de donner mes ordres, et que ce ne^erait que 
,,dan$ le cas où Minsk ou Wilna seraient mena- 
„cés que le duc de Bellune devrait se mettre 
,,en marche de son autorité pour couvrir ces 
9,deux grands dépôts de l'armée; que le duc 
^de BeUnne, ayant le commandement général 



dii général Rapp. 



179 



,ySur toute la Lithuanie et sur les gouvernements 
„de Smolenks et de Witepsk , doit partout ac- 
„tiver la marche de ladministration et surtout 
„prendre des mesures efficaces pour que les 
^réquisitions dé blé et de fourage aient lieu; 
,,quil y a des fours a Mohilew, a Orsza, a Ra- 
„sasna, a Dubrowna ; qu'il doit faire faire beau- 
,,coup de biscuit, et se mettre en situation 
„d'avoir trente jours de vivres assurés pour son 
, , corps, sans prendre rien ni sur les transports 
,, militaires, ni sur les convois qui viendraient 
„de l'armée. Le duc de Bellune aura soin d'a- 
„voir aussi une correspondance a Witepsk: il 
„estmaitre d'y envoyer des troupes pour sou- 
„tenir ce point et s'y maintenir; il pourra, de 
,,sa personne, se porter a Mohilew, a Witeiwk, 
„a Smolensk , pour connaître le terrain et faire 
, , marcher l'administration. Si, par accident 
,,quelconque, la communication avec Moscou 
„venait a être interceptée , il aurait soin d'en- 
„voyer de la cavalerie et de l'infanterie pour 
„la rouvrir." 

Nous r^'avions plus ni vivres ni fourrages; 
hommes et^chevaux étaient également exté- 
nués : la retraite devenait indispensable. On 
s'occupa des moyens d'évacuer les blessés. Je 
commençais a marcher , j'allai le 13 au château ; 
Napoléon me demanda avec bonté en quel état 
se trouvaient mes blessures , comment j allais ; 
il me fit voir le portrait du roi de Rome , qu'il 
avait reçu au moment d'engager la bataille de . 
la Moskowa. Il l'avait moiïtré a la plupart des 
généraux : j'étais a porter des ordres ; TafFaire 
commença; nous aumes autre chose a faire. 
Il voulut me dédommager ; il chercha le mé- 

12.^ 



180 Mémoires 

s, 

^fdaillon, et médit avec une satisfaction que 
,, ses yeux ne ' cachaient pas : „Mon fils est le 
„plus bel enfant de France." 

^ On apporta, un instant après, un mémoire 
de rintendant-général, oui demandait quarante- 
cinq jours pour évacuer les blessés. „Ouarante- 
„cmq jours! il se trompe. Si on ne faisait rien, 
,, partie guérirait, partie mourrait; il n j aurait 
„que le surplus a évacuer ; et Texpérience 
,, prouve que trois .mois après une b^itaille. il 
„ne reste que le sixième des blessés : je veux 
;,les faire évacuer; je ne veux pas qu'ils restent 
„exposés aux brutalités des Russes." 

Nous apercevions, du salon, les ouvriers 

Î[ui travaillaient a enlever la croix du grand 
vvan. ,,Vojex quelle nuée de corbeaux volti- 
„gent autour de cette ferraille ! Veulent-ils aussi 
„nous empêcher de lem mener ? J'enverrai 
„cette croix a Paris ; je la ferai placer sur le 
9,dôme des Invalides." 

Nous étions au 18 octobre ; le départ fut 
fixé au 19. Ma blessure n'était pas tout-a-fait 
fermée; je montai a cheval poUr yoir si j'en 
supporterais le mouvement. . # 






du général Rapp. }81 



. CHAPITRE XXXII. 

I.e lendemain , je me rendis de bonne heure 
au Kremlin; a peine arrivais-je au palais , que 
Napoléon en sortait pour quitter a jamais Mos- 
cou ; il m'aperçut : „ J'espère que vous ne me 
,,suivre« jpas a cheval; vous n êtes pas en état 
,,de- le faire : vous pouvez vous mettre dans 
,yUne de mes voitures.** 

Je le remerciai , et lui répondis que je cro- 
yais être a même de l'accompagner. Nous quit- 
tâmes cette capitale , et nous primes la route 
de Kaluga; lorsque nous fûmes k environ trois 
lieues , Tempereur s'arrêta pour attendre des 
nouvelles de Mortier , qui avait ordre de faire 
sauter le Kremlin , en évacuant la j)lace. Il se 

1>romenait dans un chamj^ avec M. Daru ; cc- 
ui-ci le quitta : je fus appelé. „Eh bien Rapp« 
j,nous allons nous i-etirer sur les frontières de 
,,la Pologne, par la route deKalouga; jepren- 
,,drai de bons qiiiartiers d'hiver: j'espère qu'A- 
,,lexandre fera la paix. — Vous avea attendu 
y,bien long-temjis, sire^ les habitants prédisent 
„un hiver rigoureux. « — Bah! bah! avec vos 
,,habitants ! Nous avons aujourd'hui le 19 octo- 
„bre, voyex comme il fait beau; est-ce que 
„ vous ne reconnaissez pas mon étoile? Je ne 
,, pou vais, d'ailleurs, partir avant d avoir mis 
„en route tout ce qu'il y avait de malades et 
„de blessés; je ne devais pas les abandonner 
„a la fureur des Russes. — Je crois, sire, que 
„vou8 eussiex mieux fait de les laisser a Mos*- 



182 Mémoires 



te 



,yCou; les Russes ne leur auraient pas fait de 
9,mal ; tandis qulls sont exposés , faute de; se- 
„cour8, a mourir sur les grandes routes.** Na- 
poléon n'en convenait pas , mais tout ce qu il 
me disait de rassurant ne le séduisait pas lui- 
même ; sa figure portait l'empreinte de 1 inquié- 
tude. 

Arriva enfin un officier qu'avait dépêché le 
maréchal : c'était mon aide-cfe-camp Turkheim, 
qui nous apprit que Moscou était tranquille ; 

Sue quelques puLks de Cosaques avaient paru 
ans les faubourgs, mais qu'ils n'avaient eu 
garde d'apprcjpher ni du Kremlin ni des (juar- 
tieirs qu'occupaient encore les troupes fran- 
çaises. 

Nous nous remîmes en route. Le soir nous 
arrivâmes a Krasno-Pachra. La physionomie du 

5ays rie souriait pas' a Napoléon: laspect hi- 
eux , l'air sauvage de ces esclaves révoltait 
des yeux accoutumés a d'autres climats. „Je 
„voudrais ne pas y laisser un homhie; je ddn- 
yyUerais tous les trésors de l'a Russie pour ne 
,,pas lui abandonner un blessé. Il faut pren- 
^jQxe les chevaux , les fourgons , les voitures, 
„tout, pour les transporter. Fais-moi venir un 
secrétaire." Le secrétaire^ vint , è'était pour 
écrire a Mortier ce qu'il venait de me dire. Il 
n çst pas inutile de citer la dépêche : ces in- 
structions ne sonjt pas indignes d'être connues ; 
ceux qui ont tant déclamé contre son indiffé- 
rence pourront les méditer. 

An major^çénéral. 

^ ^Faites connaître au duc de Trévise qu'ans- 
„sitôt que .son opération de Moscou sera finie, 



du général Rapp. 183 

^c'est-à-dire le 23 , k trois heures du matin , 
„il se mettra en marche , et arrivera le 24 k' 
,,Kubinskoé; que, de ce point, au lieu de s^ 

. \,rendre a Mojaïsk, il ait à se diriger sur Ve- 
„réia, oiiil arrivera le 25: il servira ainsi d'in- 
,,termédiaire entre Mojaïsk , où est le duc 
,,d'Abrantès , et Borowsk , où sera larmée. 
,,I1 sera convenable qu'il envoie des officier» 
„sur Fominskoé . pour nous instruire de sa 
• „marche; il mènera avec lui radjudant-com- 
,,mandant Bourmont , les Bavarois et les Es- 
„pagnols qui sont a la maison Galitsin. Tous 
,,les Westphaliens de la première poste et de la 
„deuxième, et tout ce qu'il trouvera de West- 

, „phaliens , ils les réunu'a et les dirigera sur 
„Mo]aïsk; s'ils n'étaient pas en nombre suffi- 
,,sant, il ferait jxrotéger leur passage par de la 
.,,cavalerie. Le duc de Trévise instruira le duc 
„d'Al?rantès de tout ce qui sera relatif a Téva- 
,,cuation de Moscou. Il est nécessaire qu'il nous^ 
j^écrive demain 22 , non plus par la route de 
9,Dessna, mais par celle de Karapowo et Fo- 
,,minskoé; le 23 il nous écrira par la route 
,,de Mojaïsk : son officier quittera la route a Ku- 
„binskoé, pour venir sur Fominskoé, le quar- 
,,tier-général devant être probablement le 23 
„k Bôrowsk ou a Fominskoé. Soit que le duc' 
„de Trévise fasse son opération demain 22 a 
„trois heures du matin , soit qu'il la fasse le 23 
„a la même heure, comme je lui ai fait dire 
,, depuis, il doit prendre ces mêmes dispositions ; 
„par ce mojen, le duc de Trévise pourra être 
,, considéré comme larrière-garde de l'armée. 
„Je ne saurais trop lui recommander de chjar- 
,,ger sur les voitures de la jeune garde , «ur 






184 Mémoires 

yyCelles de la cavalerie a pied; et surtoutes cel- 
,, les qu'on trouvera, le$< hommes qui restent 
„encore aux hôpitaux. Les Romains donnaient 
,,des couronnes civiques a ceux qui sauvaient 
„de8 citoyens ; le duc en méritera autant qull 
„sauvera de soldats. Il faut qu'il les fasse mon- 
„ter sur ses chevaux et sur ceux de tout son 
„monde. C'est ainsi que l'empereur a fait au 
„siége de Saint- Jean-d' Acre. Il doit d'autant 
„plus prendre cette mesure, qu'a peine ce con- 
„voi aura rejoint l'armée qu'on lui donnera les 
chevaux et les voitures que la consommation 
aura rendus inutiles. L'empereur espère qu'il 
aura sa satisfaction a témoigner au duc de 
„Trévise pour lui avoir sauvé cinq cents honi- 
„mes. Il doit, comme de raison , commencer 
„par les officiers , ensuite les sous-officiers, et 
^préférer les Français. Il faut qu'il assemble 
„tous les généraux et officiers sous ses ordres, 
„pour leur faire sentir l'importance de cette 
,,mesure , et combien ils mériteront de l'em- 
9,pereur en lui sauvant cinq cents hommes.** 

Nous nous dirigeâmes sur Borusk, nous ar* 
rivâmes dans cette ville le quatrième jour: 
elle était abandonnée. Cependant KutusoW 
s'occupait tranquillement a taire ses proclama» 
tions : il était paisible dans son camp de Ta- 
" „rentino ; il n'éclairait ni son front ni ses ailes ; 
il ne se doutait pa^ du mouvement que noUs 
faisions. Il apprit enfin que nous marchions 
sur Kaluga; il leva aussitôt se^ cantonnements 
et parut k Malojaroslawitss en nȎme temps 
que nos colonnes. L'action s'engagea: nous en- 
tendions de Borusk une canonnade lointaine. 
Je souffrais beaucoup de ma blessure ; mais je 



da général Rapp. 



185 



ne voulais pas quitter Napoléoh: nous mon- 
tâmes à cheval. Nous arrivâmes vers le soir ^ 
la vue du champ de bataille : on se battait en- 
core; mais bientôt le feuu cessa. Le prince Eu- 
gène avait enlevé une position qui eût dû 
être défendue a outrance : nos troupes s étaient 
couvertes de gloire. C est une journée que l'ar- 
mée dltalie doit inscrire dans ses fastes; Napo- 
léon bivouaqua a une demi-lieue de la: le len- 
demain nous montâmes a cheval a sept heures 
et demie pour visiter le terrain où ion avait 
combattu; Tempereur était placé entre le jAnc 
de Vicence, le prince de Neuchâtel et moi. 
Nous avions k peme quitté les ^chaumières oii 
nous avions passé la nuit , que nous aperçûmes 
une nuée de Cosaques ; ils sortaient d'un bois 
en avant sur la droite; ils étaient assez bien 
pelotonnés ; nous les primes pour de la cavale- 
rie française. ^ 

Le duc de Vicence fut le premier qui les 
reconnut. jjSire, ce sont les Cosaques. — Cela 
,,nest pas possible/' répondit Napoléon. Ils 
fondaient sur nous en criant a tue- tète. Je sai- 
sis son cheval par la bride ; je le tournai moi- 
même. „Mais ce sont les nôtres ? — Ce sont les 
,^Cosaques;* hâtez- vous. — Ce sont bien eux, 
„dit Berthier. — Sans aucun doute, ajouta 
„Mouton.** Napoléon donna quelques ordres 
et s'éloigna: je m'avançaià la tête de l'escadron 
de service; nous fûmes culbutés: mon cheval 
reçut un coup de lance de six pouces de profon- 
deur; il se renversa sur moi : nous fûmes foulés 
aux pieds par ces barbares. Ils aperçurent heur- 
eusement a quelque distance un parc d'artil- 
lerie; ils y coururent: le maréchal Bessièref 



186 Mémoires 

eut le temps d amver avec les grenadiers a 
cheval de la garde ; il les chargea et leur reprit 
les fourgons et les pièces qu ils emmenaient. 
Je me redressai sur Mçs jambes , on me replaça 
sur ma selle, et je m'acheminai jusqu'au bivouac. 
Quand Napoléon vit mon cheval couvert de 
sang, il craignit que je n'eusse été de nouveau 
atteint ; il me demanda si j'étais blessé : je lui 
répondis que j'en avais été quitte pour quel- 
ques contusions : alors il se prit a rire de ^lotre 
aventure, que je ne trouvais cependant pas 
amusante. 

Je fus bien dédommagé par la relation qu'il 
publia sur cette afFaire ; il me combla d'éloges : 
]e*n ai jamais goûté de satisfaction comparable 
a celle que j'éprouvai en lisant les choses flat- 
teuses qu'il disait de moi. „Le général Rapp, 
„portait le bulletin, a eu un cheval tué sous lui 
„dans cette charge. L'intrépidité dont cet offi- 
„cier - général a donné tant de preuves , se 
„montre dans toutes les occasions." Je répète 
avec orgueil les éloges de ce grand homme : je 
ne les oublierai jamais. 

Nous retournâmes sur le champ de bataille: 
Napoléon voulait visiter les lieux qui avaient 
été le théâtre de la gloire du prince Eugène. 
Il trouva la position des Russes excellente; il 
s'étonna qu'ils se fussent laissé forcer; il re- 
connut a l'aspect des cadavres que les milices 
étaient* confondues avec les troupes de ligne, et 
que, si elles ne se battaient pas avec intelligen- 
ce, elles Y allaient du moins avec courage. 
L'armée ennemie . se retira a quelques lieues 
sur la route de Kaluga , et prit position. 



du général Rapp. , 187 

La retraite était interceptée : nous nous je- 
tâmes a droite sur Veréia; nous y arrivâmes le 
lendemain de bonne heure, nousycouchâiiies: 
c'est dans cette ville que Napoléon apprit que 
le Kremlin était sauté. Le général Wmainge- 
rode n'avait pas asses contenu son impatience ; 
il s'était aventuré dans cette capitale avant que 
Qos troupes l'eussent évacuée : elles le coupè- 
rent; il essaya de leur faire croire qu'il venait 
parlementer; il était né sur le territoire fl^ la 
confédération, il ne se souciait pas d'être fait 
prisonnier: {1 le fut cependant, en dépit du 
mouchoir blanc qu'il agitait. Napoléon le fit 
venir , et s'emporta avec violence ; il le traita 
avec mépris , le flétrit du nom de traître , et le 
menaça de lui en faire infliger le supplice; il 
me dit même qu'il fallait faire nommer une 
commission pour instruire le procès de monsieur 
sur-le-champ; il le fit emmener par des gen- 
darmes d'élite , et donna ordre de le mettre au 
secret. Winaingerode chercha plusieurs fois 
a se disculper; mais Napoléon ne voulut pas 
l'entendre. On a prétendu dans l'armée russe 

Sue ce général avait parlé avec courage , et dit 
es choses très fortes a l'empereur: cela n'est 
pas; l'anxiété était peinte sur sa figure: tout 
en lui exprimait le désordre d'esprit où l'avait 
jeté la colère de Napoléon. Chacun de nous 
s'efforça de calmer ce prince ; le roi de Naples, 
le duc deVicence surtout, lui firent sentir com- 
bien , dans la situation des chosef , la violence 
envers un homme qui cachait son origine sous 
la qualité de général russe serait fâcheuse : il 
n'y eut pas de conseil de guerre , et l'affaire en 
resta là. Quant a nous, Winaingerode ne dut 



188 



Mémoires 



/ 



1)as se plaindre du traitement que nous lui 
■inies ; sa position nous inspirait a tous de Tinté- 
rêt. Son aide-de-camp fut traité avec beau* 
coup de bienveillance. Napoléon lui demanda 
son nom: „Nareschkin, répondit le jeune offi- 
„cier. — Nareschkin ! Quand on s'appelle ainsi, 
„on n'est pas fait pour être Taide-de-camp d'un 
^transfuge." Nous famés navrés de ce manque 
d'égards; nous cherchâmes tous les moyen» 
imaginables de le faire oublier au général. 



N. 



du général Rapp* 189 



I ULiJLl 



CHAPITRE XXXÏII. 

INous partîmes le lendemain, et nous ga- 
gnâmes la grande route de MoskouparMojaïsk. 

Le froid, les privations étaient extrénaes; 
rheure des desastres était sonnée. Nous retrou- 
vâmes nos blessés morts sur la route, et les 
Russes qui nous attendaient a Yiasm a. A la vue 
des ces colonnes , le soldat recueillit un resttî 
d'énergie, fondit sur elles, et les défit. Mais 
nous étions harcelés par des troupes qu'exci* 
taient labondance et Tespoir du pillage; h 
chaque pas nous étions obligés de prendre 
position, de combattre; nous ralentissions notre 
marche sur un sol dévasté qu'il eût fallu fran- 
chir a tire-d'aile. La température , la faim, les 
Cosaques , tout ce qu'il y a de flemix était 
déchaîné sur nous. L'armée s'affaissait sous le 

1>oids de ses niaux; sa route était dessinée par 
es cadavres; ce qu'elle souffrait passe l'imagi- 
nation. Combien j'ai rencontre, dans cette 
terrible retraite , de généraux malades ou bles- 
sés, que je croyais ne jamais revoir! De ce 
nombre était le général Friant , dont les bles- 
sures étaient encore ouvertes ; le général Duros- 
nel, qui fit le trajet avec une fièvre nerveuse, 

1>resqufe* constamment dans le délire ; et le 
)rave général Belliard, atteint d'un coup de 
feu a la bataille de la Moskowa. Il avait autre- 
fois pénétré jusqu'en Ethiopie; il avait porté 
nos couleurs plus loin que n'avait jamais été 



190 Mémoires 

Taigle To maine : il devait trouver de la différen- 
ce cfntrfi les deux clin\^ts. 

Nouis marchâmes surSmolensk; elle devait 
être lei terme de nos misères; nous devions y 
trouv-er des subsistances et des vêtements, ae 
quoi nous garantir des .fléaux qui nous dévorai- 
ent: nous n'en étions plus qu'a dix-huit lieues. 
Napoléon logea dans un de ces bloctho use qu'on 
avfiît construits pour recevoir des postes de 
cinquante a soixante hommes , chargés de pro- 
t/iger la correspondance et les communications, 
J/'etais de service : il y avkit déjà quelque temps 
qu'il n'était pas venu d'estafettes ; il en arriva 
une, je la remis a l'empereur. Il ouvrit le 
paquet avec précipitation; un moniteur lui 
tomba sous la main , il le parcourut : le pre- 
mier article qui se présenta a ses yeux fut 
l'entreprise de Mallet; il n'avait pas lu les dépê- 
ches, il ne savait ce que c'était. „Qu'est-ce 
„que ceLj ! quoi l des complots ! des conspira- 
„tions!*^Il ouvrit ses lettres; elles contenaient 
le détail de la tentative : il fut stupéfait. Cette 

1>olice qui sait tout, qui devine tout, s'était 
aissé prendre au dépourv^i; iln'en pouvait 
pas revenir. „Savary à la Force ! le ministre de 
,,la police arrêté, conduit, enfermé dans une 

is ordres. 




surprise, 
peints sur toutes les 
figures ; on faisait des rapprochements qui jus- 
que-la avaient échappé. 

I/imprévoyance des suppôts de la police 
était manifeste; ils ne sont alertes que parce 
qu'on croit a leur vigilance. Napoléon ne s'éton- 
nait pas que ces misérables qui peuplent les 



du général Rapp. 191 

salons et les tavernes , qui obstruent tout , qui 
s'insinuent partout, n'eussent pas pénétré la 
trame'; mais il ne concevait pas la faiblesse de 
Rovigo. ^Comment pe s'est-il pas fait tuet 
, , plutôt que de se laisser arrêter! Doucet et 
„Hullin- ont montré bien plus de courage." ^ 

Nous nous remîmes en route ; nous passâmes 
le Borjsthène. L'empereur établit son quartier- 
général dans un château dévasté, a une douaaine 
de lieues en avant de Smolensk , et a une et 
demie derrière le fleuve. Les rives en sont fort 
escarpées dans cet endroit; elles étaient couver- 
tes de verglas. Napoléon craignait que lartil* 
lerie ne pût les franchir; il me chargea de 
joindre iNej ,^ qui commandait Tarrière-garde, 
et de rester avec lui jusqu'à ce que tout iut en 
sûreté. Je trouvai le maréchal occupé a donner 
la chasse aux Cosaques; je lui communiquai les 
ordres que j'avais a lui transmettre, et nous nous 
retirâmes a un blockhouse qui devait assurer 
le passage , et oîi le quartier-général fut établi. 

Une partie de l'infanterie passa; l'autre bi- 
vouaqua dans un petit bois, sur la rive oii 
nous étions. Nous fûmes occupés toute la nuit 
a faire passer les pièces ; la dernière montait 
la rampe quand l'ennemi parut. Il attaqua sur* 
le-champ avec des masses considérables ; nous 
reçûmes ses charges sans nous ébranler: mais 
notre but était atteint ; le combat n'avait plus 
d'objet; nous nous éloignâmes. Nous abandon- 
nions quelques centaines d'hommes que Imani- 
tion et les blessures avaient mis hors d'état de 
suivre. Les malheureux ! ils se plaignaient, gé- 
missaient , derhandaient la mort ; c'était un 
spectacle déchirant : mais que pouvions - nous 



192 Mémoires 

faire ? Chacun pliait sous le faix de la vie ; on 
se soutenait à peine; personne n'avait asses 
de forces pour les partager. Les Russes nous 
suivirent: ils voulaient passer de vive force. 
Ney les reçut avec cette vigueur, cette impétuo- 
sité qu'il mettait dans ses attaques; ils Turent 
repoussés , et le pont devint la proie^des flam- 
mes. Le feu cessa; nous nous retirâmes pen- 
dant la nuit. Je rejoignis le surlendemain soir 
?Ia])oléon a Smolensk. Il savait qu'une balle 
m'avait effleuré la tête, qu'une autre avait 
abattu mon cheval; il me dit: „Tu peux être 
„tranquille maintenant; tu ne seras pas tué 
„cette campagne. — Je désire que votre majesté 
,,ne se trompe pas ; mais vous ^avex so\]ivent 
„donné la même assurance au pauvre Lannes, 
„qui a pourtant fini par y passer. — Non, non, 
„tu ne seras pas tué. — Je le crois, mais je 
},pourrais bie.n être gelé." L'empereur se répan- 
dit alors en éloges sur le maréchal Nej. „yuel 
„homnie!... quel soldat!... quel vigoureux gail- 
lard !...'' Il ne parlait que par exclamations; 
il ne trouvait pas de mot pour rendre l'admira- 
tion ^ue lui inspirait cet intrépide maréchaL 
Le prince de Neuchâtel entra ; il fut de nouyisau 
question de Mallet et de Savaiy. NapaBeon 
s^égayait aux. dépens du duc; sa surprise, son 
arrestation , étaient le sujet ^le mille plaisante- 
ries , dont le refrain était toujours qu'il aurait 
dû se faire tuer plutôt que de se laisser prendre. 



CHA- 



du généred Rapp. 11)5 



I 

CHAPITRE XXXIV. 

n 

La retraite' avait été cruelle. Tout ce que 
la nature a de fléaux nous i'avious éprouvé; 
mais chaque jour nous rapprochait de Sino- 
lensk: lious devions trouver dans cette ville le 
r^ipos et Tabondance^ Nous marchions : l'espé- 
rance nous soutenait; elle-même allait nous 
abandonner: nos malheurs devaient être inouïe 
comme nos victoires: Le quatrième cori)s per- 
dit ses pièces; la brigade Auger eau fut détruite, 
et Witepsk enlevé. Nous n avions plus ni mu- 
nitions , ni subsistances ; nous étions dans une 
l>ositi(>n affreuse : il fallut se résigner: Nous 
nous remimes en marche. Nous arivâmes le 
letidemain a Krasnoï. Kutusow, qui se portait 
sur nous avec toutes ses forces, y avait déjà, 
une avant-garde ; elle se replia a la vue de noa 
soldatâ, et s'établit W une lieue plus loin. Elle 
bivouaquait a gauche , sur la lisière d'une foret 
€fu elle couvrait de feux. Napoléon me fit ap- 
peler^ et me dit : „Nous avons tout près d'ici de 
„i'in&nterie russe : c'est la première fois qu'elle 
y, montre tant d audace. Je vous charge cie l'at- 
,,taquer a la baïonnette vers le milieu de la 
,,nuit. Surprenez-la ; faites-lui passer l'envie 
,,d'approcher si près de mou quartier-générnl. 
,9 Je mets a votre disposition tout ce qui reste; 
,,de la }eune garde/ ^ J'avais fait mes apprêts; 
j'attendais près d'un feu de bivouac polonais 
que l'heure fût venue, quand le général Nar- 
boiitie arriva. ^,Remette2 vos troupes au duc 



lS4 Mémoires . 

„de Trévîse, me dit-il: sa majesté né veut pas 
,,vous faire tuer dans cette affaire; elle vous 
„réserve une autre destination/* Je reçus ce 
contre-ordre avec plaisir, je né le cache pas. 
J étais exténué de fatigues , de suf&ances et de 
froid. Je ne tenais pas -a marchera Tennemi; 
du reste, ses Cosaques lui avaient dé^ donné 
Féveil , il était en mesure , il tiotis reçut de son 
mieux. Il fut néanmoins rompu et rejeté sur 
ses masses. Celles-ci étaient en ])Oï»ition parai* 
Tellement a la route; elles s'étendaient pour 
ainsi dire de Smolensk à Krasnoï; elles nous 

{>renaient en flanc , elles eussent pu nous ac<^- 
)ler. Heureusetaent le prestige durait encore: 
nous étions protégés par le souvenir de nos 
i'îctoires. Kutusow voyait de loin nos eolon* 
nés qui défllaient sur, la route, et n'osait le$ 
âboraer. Il se décidait enfin k courir la &mv 
tune; aiiais un paysan lui rapporta que Napo* 
léon était a Krasnoï , que la garde en pccu]>ait 
tous les alentours. Cette nouvelle gl^Çai son 
courage : il révoqua les ordres quHl avait ex- 
pédiés. 

' Nous avions depuis long-teitaps la mesure 
de sa capacité, nous la portions en ligne de 
èompte ; .c'était un de nos moyens; il pouvait 
néanmoins se raviser, courir aux armes et nons 
anéantir: nous le sentions tous; mais nous n'a- 
v'îons pas de nouvelles d'Eugène; Davou^ et 
Nèy étaient en arrière; nous ne pouvions les 
abandonner. La température devenait d ail- 
leurs chaque jour plus âpre; les Russes souf- 
fraient ; ils avaient somnteillé jusque-la , ils 
f mouvaient sondimeiUer encore. Napoléon réso- 
ut d'en courir la chance ; il attendit; Tout 



p 



du général Rapp. 195 

réussit comme, il l'avait prévu.. Millpradowitx 
voulut intercepter le' quatrième corps; mais 
il ne put y parvenir; cinq mille ho^\mes d'in- 
fanterie, qui n'avaient ni chevaux. pour s/éclaî- 
rer, ni pièces pour se défendre, ,repoi|sse;reht 
constamment les flots de soldats qui se précî- ; 
pitaient sur eux, firent tête à toute cette avânï- 
^arde, et se dégagèrent. Davoust suivait; 
'enfiemi se flattait ae prendre sa i|p^anche sur 
ce maréchal ; mais l'empereur y jîourvut. Il se 
déploya a la gauche àfi Arasnoï , engagea quel- 
ques troupes, et fit ouvrir un feu d'artillerie 
assex bien nourri. Kutusow ,, effrajé \ la vue 
de quatorze a quinze mille hommes qui cou- 
raient aux armes, rappela ses corps détachas: 
le maréchal passa et vint prendre part a l'action. 
Le but était atteint; le feu se ralentit, et^la 
retraite commença. L'ennemi vpulut là trou- 
bler ; mais le premier de voltigeurs de la ga.rde 
repoussa toutes ses attaques : la cavalerie , îi^oi- 
fanterie , ni la mitraille , ne jouirent rébrahlèiTj; 
il périt sur place. Cette héroïque résistance i 
atterra les Russes ; ils cessèrent la poursuite. 

Dès que .nous étions hors ? d'ufi. embarras, 
nous tombions dans un auJtre : . nous, jivioiîs osé, 
quatorze a quinze mille que nous. ^tions^, nous 
.mettre en ligne devant, les cent vingt mille 
hommes de Kutusovv; nous étions, sortis sàhs 
échec d'une position oii nous eussions dû tous 
être enlevés; mais nos subsistances, nos der- 
rières n'étaient plus a nous: Minsk avait été 
surpris , l'armée de Moldavie couvrait la Béré- 
sina; Ney était encore en arrière : jamais nôtre 
situation n'avait été plus terrible. Napoléon, 
que cette complication de circonstances mal- 

13.. 



« 



198 Mémoires 

lorsque la fusillade le tire de son anxiété: les 
reconnaissances sont accueillies a coups de fusil; 
les détonations, les cris, les tambours, se mêlent, 
se confondent; on eût dit que nous allions avoir 
affaire \ toute la Russie. Furieux de voir le dan- 
ger renaître au moment oiiil croit en sortir, le 
maréchal veut s'ouvrir un passage ; il se précipite 
sur ces feux... mais le camp est désert; c est une 
ruse, un stratagème. Platow nous avait appa- 
remment pris pour les siens ; il avait cru nous 
effrayer avec des ombres. Le duc dédaigna de 
stuivre quelques Cosaques qui avaient servi a 
éette* fantasmagorie; il poursuivit sa route, et 
atteignit le quatrième corps trois lieues plus 
loin. ■ ' 



/ 



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-■ ■ (.' 






du général Jiapp. 199 

CHAPITRE XXXV. 

•♦'»•, , ■ " ; » » • ,• . 

.' PeHiiaut que tout .ceci se passait yiiou^ 
avi<m3 quitté Krasnoï. îiîapoleon marchait k 

Siedikia tête de aa garde, et parlait 90.uvent 
e^0sy ; il rappelait ce coup d-ceil si juste et «i 
«ûr^ ce courage a toute épreuve, eniia tout et 
•qui le rendait si brillant ^aur le champ de h»- 
taille. ,,I1 est perdu.' Eh bien ! j'ai 300 uiilliom 
'„aux Tuileries, je les donnerais pour qu'il me 
,,fût rendu. '^ Il établit son quartier-genéral»K 
Dombrowna« JNoius logeâmes ohea une datae 
russe qui avait eu le courage de ne pas abandon- 
ner sa maison. Jetais de service ce jour- là; 
l'empereur me fit ap]>eler vers une heure du 
matin; il était très abattu : il était difficile qu il 
.ne le fût pas , tant le tableau était aifoeoix^. Jl 
me dit: ^M^^ affaires vont bien mal ,^ ew «paiV 
vires soldats me déchirentle cœuil; ^ je ile [Hii^ 
cependant y porter^ remède.*- On cria aux 
armes , des coups de feu se firent enteMlre^ totut 
était en rumeur. , „Alléa voir ce que .ce»t^;mé* 
,,dit Napoléon avec le plus grand sanjpf^froid ; je 
9,sutS9ur que cejoht quelques mauvais^Gosaii^es 
„qui veulentnous einpéober dedorintr.^'. C'était 
enectivemtînt une fausse filerte. Il te'était jm» 
OHiteat de certains personi^ges que. je !ui'ab- 
stiens de nommer. ,,{>uelS'rois de Uiéàfti:e ! stans 
,,énergie., sans courage^ sans forcée miarale ! Ai- 
„je pu me mé|>rendre a ce point? A quels bout- 
âmes je me suis confié ! ^Pauvre Ney ^.avec qw 
9,t'avai8rje appareillé!** *i 






^ 



r 



aW) Mémoires 

Nous partîmes pour Orsaa, nous logeâmes 
çhes des jésuites. ^Iapoleon désespérait de re« 
voir 1 arrière-garde, jNous . n'apercevions plus 
d'infanterie russe; il était probable quelle 
avait pris position: elle ne devait rien laisser 
échapper. Le lendemaiIl^0uspous8âm^e9aâeux^ 
lieues plus loin; nouis fîmes halte dans un mau- 
vais hameau. C'est IV que Temp^eur apprit 
vers le soir l'arrivée de Ney, et sa jonction avec 
le quatrième cor]}s. On peut facilement se faire 
une idée de la joie qu'il éprouva, et de l'accueil 
qu'il fit le lendemain au maréchal. Nous arrivâ- 
mes k Borisow: Oudinot avait battu Lambert; 
les fuyards s'étaient ralliés a Tchitschacof , et 
couvraient la rive droite de laBérésina. Napo- 
léon devait être inquiet: nous n'avions ni équi- 
pages 4^ pont ni subsistances. La grande armée 
avançait, witgenstein approchait , et les^ troupes 
de Moldavie nous fermaient le passage ; nous 
étions cernés sur tous les points: la position 
éta\t affreuse^ > et n'avait peut-être pas çfexem- 
ple« U T|e fallait rien, moins que la tête et le 

Srand caractère de l'empereur pour nous tirer 
'un ai anauvais pas: aucun Frsinçais, pas même 
Napoléon , n'eût dû échapper. 

Ce prince s'arrêta < un instant a Borisow^ 
donna des ordres pour la fausse attaque qui 
nous sauva, et s'achemina, vers le quartier -gé- 
néral d'Oudinot, qui était a quelques lieues 
5 lus loin. Nous couchâmes un f>eu en* deçà, 
ans une campagne qui appartenait k un prince 
Radssiwill; nous ])asa.âmes la nuit, le. général 
Mouton et moi, sur une poignée de paille; 
nous pansions k la journée du lendemain , nos 
réflexions n'étaient pas gaies. ^Nous nions rmni- 



du général Happ. 201 

med en route k quatre heures ; ûoxi» étîoâa dans 
une des calèches de reni|>ereur« Nous aperce- 
V ions, les feux des Russes, ils couvraient fa rive 
opposée > les hois,, les marais en étaient remplis i 
il, y en avait a perte de vue, La rivière était 
profonde , vaseuse » toute couverte de glaçons ; 
c était la qu'il fallait la franchir , c^était Ik qu'il 
fallait passer ou se rendre : nous augurions itial 
du succèd. Le général s'expliquait avec fran- 
chise ; il l'avait souvent fait devant Napoléon, 
qui le traitait de frondeur , et qui néanmoins 
Fainfait beaucoup. 

Nous arrivâmes au quartier-général d'Oudi- 
not; le jour commençait à poindre; l'empereur 
s'entretint un moment avec cemaréchal, mangea 
tm morceau et donna des ordres. Nej me prit 
en particulier, nous sortîmes; il me dit en 
allemand: ,, Notre position estinouïei $iNapo- 
yyléon se tire d'afFaire aujourd'hui ^ il faut qu'il 
9,ait le diable au cori)s/' Nous étions fort in- 
quiets, et il j avait de quoi. Le roi de Naples 
vint a nous, et n était pas moins soucieux. 9,J'ai 
^proposé k Napoléon , nous, dit- jl , de sauver «a 
,^personne, de passer la rivièrek quelques lieues 
y, d'ici; j'ai des Polonais qui me répondraient 
,yde lui, et le conduiraient k Wilna : mais il 
,,repousse cette idée, et ne veut pas enienten-" 
„dre parler. Quand k moi, je ne pense pas 
,vque nous puissions échapper. '^ Nous étions 
tous les trois du. même avis; Murât. reprit: 
„Nous y passerons tous; il n'est pas quiestioh 
„de se rendre.^* 

Tout en causant , nous aperçâmes Tennemi 
qui filait; ses .masses avaient disparu , les feux 
étaient éteints ; oq ne voyait plus que la queue 



202 Mémoires 



I, , 



ded cdonnes qui se perdait dans lés bdis , et 
cinq k six cents^ Cosaques épars dans la pîlaine. 
ïlous examinâmes avec la lorgnette , liôusnous 
convainquîmes que le camp était levé. J'en- 
trai chez Napoléon , qui s entretenait arec le 
maréchal Oudinot. „Sire, Tennemi a quitté 
„saposition.* — Cela nesi pas possible." Le roi 
de rfaples, le maréchal rîey, arrivèrent, et 
tîohfirmèrent ce que j'annonçais^ L'empcrtreur 
sortit de sa baraque , jeta un coup d œil sur 
l'autre coté de la rivière. ,*J'ai niis dedans l'a- 
„miral^il ne pouvait prononcer te nom Tchit- 
,;schaGof); il me croit isur le point o^i j'ai or- 
,, donné la tausse attaque , il court k Borisow/' 
Ses yeux étincellent de joie et d'impatience; 
il fit presser rétablissement des" ponts/ mettre 
une vingtaine de pièees en batterie. Celles-ci 
étaient commandées par' un brave olP&cier k 
jambe de bois, nommé Brechtel ; un boulet 

a lui emporta j>endaut l'action, et le renversa. 

,Cherche-moi , dit-il a un de ses canonnieis, 
^,une autre jambe dans^ le fourgon n^ 5/* Il 
se l'ajusta, et continua son feu. 

L'empereur fit passer a la nage une Soixan- 
taine d'hommes, sous la conduite dû colonel 
Jacqueminot. Ils s'avanturèrent mal a- propos 
k la suite des Cosaques ; un d entne eux fut 
pris, questionné, et fit connaître aux Russes 
sur quel point se trouvait Napoléon. Tchitschar 
^côf irekroussti chemin ; maisdi n'était plus temps^: 
Napoléon ^ sa garde , . Ney , Oudinot , • et tout 
ce que ces deux maréchaux conservaient de 
imupes^' avaient passé. L'amiral, confus d'avoir 
pris le change, oublia les marais de Lemblin. 
Le pont qui coùif'f^endant cinq quarts de lieue 



t 



» 



du général Rapp. ^ i03 



sur ce terrain fangeux était notre seule issue) 
s'il Teût détruit , il tenait encore nos destinées 
dans ses mains : mais Witgenstein ouvrait le feu 
sur la rive gauche ; il occu^^ait la droite , seÉJ 
soldats nageaient dans l'abondance ; une poignée 
d'hommes , qui succombaient sous le faix de 
la vie devaient être foulés aux pieds. Il négli- 
gea le défilé , Ejugëne courut s'en emparer; 
nous étions sûrs de nos derrières, nous atten- 
dîmes Tchitschacof. 

Nous n'étions jjas huit mille, haletant de 
fatigue et de faim ; il avait toute l'armée dé 
Moldavie: l'issue du combat ne lui j^araissait 
pas douteuse. Il s'avance avec l'élan de la vic- 
toire; on se mêle, on se confond, la terre est 
jonchée de morts. Ney dirige , aiiime les char- • 
ges: partout les Russes. sont enfoncés. Ils se 
rallient, ils appellent de nouvelles forces: mais 
Berkeîm arrive ; les cuirassiers se précipitent 
sur ces colonnes , tout est taillé en pièces. 

"Napoléon était entouré de sa garde , qu'il 
avait mise en bataille k lentrée de la forêt; 
elle était encore belle et imposante, deux mille 
prisonniers niéfilaient devant elle ; nous étions 
enivrés d'un si beau résultat : notre joie fut 
courte , le Yécit de quelques Russes la calma, 
Fartouneau avait été pris , toute sa division 
avait mis bas les armes: un aide-de-camp du , 
maréchal Victor vint confirmer cette triste nou- 
velle. Napoléon fut vivement affecté d'un mal- 
heur si inattendu. „Faut-il après avoir échappé 
„comme par miracle,, après avoir cumpléteinent 
,, battu les Russes, que cette défection vienne 
., tout gâter!" 

Le combat était toujours très vif , sur la 



204 Mémoù^es 

I 

rivé* gauche; quatre a cinq mille hommes op- 
posaient a l'armée ennemie une résistance opi* 
piàtre. ,, Ailes voir quel est Tétat des affaires; 
^gravisses la rive droite , examines ce qui se 
,, passe sur la gauche , et vous viendrez m'en 
^rendre compte.** J'allai, je vis des charges d'in- 
fanterie et ae cavalerie très brillantes; celles 
que conduisait le général Fournier surtout 
étaient remarquables i>ar leur ensemble et leur 
impétuosité. Mais la disproportion . était im- 
mense, il fallut céder; les horreurs du pont 
commencèrent : il est inutile de reproduire^ 
cette scène de désolation. . 

!Nousquittâmesles tristes rivages de la,Béré- 
sina, où nous avions acquis tant de gloire, et 
essuyé tant de malheurs; nous nous dirigeâ- 
mes sur Wilna. On ne s'entretenait , on ne 
s'occupait alors que de l'arrivée des Autrichiens ; 
le moindre soldat ne rêvait que de Schwarxen- 
berg. Où est-il? que fait-il? pourquoi ne pa- 
rait-il pas ? Je ne me permettrai aucune ré- 
flexion sur les mouvements de ce prince, alors 
notre allié. 

Depuis long-temps nous n'a\ion|^ pas de 
nouvelles de France , nous ne gavions pas même 
ce qui se passait dans le ^rand duché; nous 
rapprîmes a Malotechno. TNapoléon re9Ut dix- 
neuf estafettes a la fois. Cçst la, je crois, qu'il 
arrêta le projet de quitter l'armée, mais il ne 
lexéauta qu'a Smorgoni , a dix-huit lieues. en 
avant de Wilna., Nous y arrivâmes! L'iempe- 
reur me fit demander vers les deux; heures; 
il ferma soigneusement les portes de la pièce 
qu'il occu]>ait, et me dit: „Eh bien, Kapp, 
„je j^rs cette nuit pour Paris; ma.présencey 



du générfd Rapp. ' 205 

„est nécessaire peur le bien de la Frauce , et 
,.niêm« pour celui de cette malheureuse ar- 
„mée. j en donne le commandement au roi 
,,de Naples/* Je n'étais pas préparé a cette 
confidence ; car j'avoue franchement que je 
n'étais pas dans le secret du voyage. „Sirei 
„lui répondis- je , votre départ fera une fâcheuse 
^jSensation parmi les troupes, elles ne s'y atten- 
,,dent pas. — Mon retour est indispensable; 
„tI faut que je surveille l'Autriche , et que je 
„ contienne la Prusse. — J'ignore ce que fe* 
j,ront les Autrichiens ; leur souverain est votre 
^eau-père ; mais pour les Prussiens , vous ne 
,,les retiendrez pas, nos désastres sont trop 
,, grands; ils en profiteront." Napoléon se pro- 
menait les mains derrière le dos; il garda Un 
instant le silence, et reprit : „Quand ils me 
,, sauront k Paris , qu'ils me verront k la tête de 
„la nation , et de douze cent mille hommes 
„que j'organiserai , ils y regarderont a deux 
,,fois avant de me faire làguerre. Duroc, Cau- 
„lincourt et Mouton partiront avec moi , Lau- 
„riston ira a Varsovie , et toi tu retourneras 
„aDantaic; tu verras Ney a Wilna, tu t'arrê- 
„teras avec lui pendant au moins quatre jours ; 
„Murât vous joindra, vous tâcherez de rallier 
„rarmée le mieux qu'il vous sera possible. Les 
,,magasins sont pleins , vous trouverez tout en 
,, abondance. Vous arrêterez les Russes; tu fe- 
,,ras le coup de sabre avec Ney, s'il est néces- 
„saire. Il doit avoir actuellement la division 
,,Loyson, qui compte au moins dix-huit mille 
„hommes ae troupes fraîches ; Wrède lui am- 
„Tnène aussi dix mille Bavarois ; d'autres reii- 
„forts sont en marché. Vous prendrez des cait- 



206 Mémoires 

„toiinements/* !Napoléon partit. Je reçus des 
^ordres du major-général , qui me dit dans une 
lettre ce que l'empereur m'avait déjà dit de vive 
voix , il me remit en même te^nj^â pne lettre 
particulière de ce prince , où il me répétait: 
,,Fais tout avec Key pour rallier l'armée a 
„Wilna, restex-y quatre jours au moins ; tu te 
^rendras ensuite à Dantzic/' 

Je partis le lendemain: le froid était si. vif 
que, quand j'arrivai a Wilna, j'avais le nea, 
une oreille et deux doigts gelés. Je descen- 
dis chez le général Hogeftdorp et me rendis 
de suite au logement du maréchal Ney ; je 
lui fis part des ordres de Napoléon et de la 
conversation que j'avais eue avec ce prince au 
moment de son départ. Le maréchal fut bien 
étonné des forces qu'il lui supposait , il me 
dit: „J'ai fait tout a l'heure battre la générale, 
;„je n'ai pu réunir cinq cents hommes : tout le 
„monde est eelé, fatigué, découragé ; personne 
„n'en veut plus. Vous avez l'air souffrant; ^llez 
„vous reposer, demain nous verrens.** Le len- 
demain je me rendis chez lui: le roi.de Na- 
ples venait d'arriver avec la garde; nous cau- 
sâmes beaucoup de notre situation* Ney opi- 
nait pour la retraite; il bi jugeait indispensa- 
ble. „Elle est forcée; il n'y a pas moyen de 
^,tenir.un jour de plus." Il m'avkit pas achevé, 
quelle, canon se nt entendre: les. Russes arri- 
vaient en forces ; on se battait a une demi^Uéue 
de la. Tout a coup, nous vîmes les Bavorais qui 
rentraient en désordre; ils étaieht jiêle-iïiêle 
avec nos traînards : la, confusion était au com- 
ble ; ainsi que le disait Ney , il était impos- 
sible de rien faire avec.' nos troupes. Le roi 



du général Rapp. 207 

de I^aples vint k nous : il se flattait encore 
d'opposer quelque résistance ; mais les rap- 
ports qu'il reçut des hauteurs de Wilna le 
détrompèrent. Il ordonna sur-le-champ le mou- 
vement rétrograde , et se porta sur le Niémen* 
„Je vous conseille, me dit ce prince, de partir 
,^8ans délai pour Dantaic, où votre présence 
,,va devenir nécessaire. Le plus léger retard 
„peut vous faire tomber dans les mains des 
,,t^osaques: ce serait un accident fâcheux qui 
„ne serait profitable ni k l'armée ni k lem*' 
,,pereur.** 

Je suivis ce conseil; je louai deux juifs, qui 
ma conduisirent jusqu'au Niémen. Mes-équi- 
pages, qui avaient heureusement échapjïé aux 
désastres, étaient déjà partis. 

Nous arrivâmes bientôt k cette funeste hau- 
teur oii fut abandonné ce qui nous restait de 
matériel. Il nous fut impossible de la mon- 
ter : nos chevaux s'épuisaient en vains efforts, 
nous les aidions , nous les excitions ; mais le 
terrain était si glissant, si rapide, que nous 
fûmes obligés de renoncer k l'entreprise. Je 
délibérais avec mon aide-de-camp sur le parti 
qu'il convenait de prendre. Mes Israélites me 
proposèrent de suivre un chemin de traverse, 

3ui avait d'ailleurs l'avantage d être plus court; 
s me dirent que je devais m'en rapporter k 
eux, qu'ils répondaient de moi. Je les crus; 
nous partîmes, et le lendemain au soir nous 
étions au delk du Niémen. Je*sufFrais horri- 
blement; mes doigts, mon nés, mon oreille, 
commençaient k me donner de l'inquiétude, 
lorsqu'un barbier polonais m'indiqua un re- 
mède un peu désagréable , mais qui me réus- 



208: 



Mémoires 



sit.- J'arrivai enfin a Dantxic: le roi de Na* 

S^es me suivit à quelques jours de distancef-i 
acdonald « que les Prussiens avaient si indi- 
gnement trahi , venait après. „Ge n'est que 
)^par miracle ^ me manda-t-il , que moi ^ mon 
,,etat-major et la septième division, nous n avons 
,tpas été détruits : nous étions livrés ^ nos jam- 
«,Des nous ont sauvés.^^ lime remit ses trou- 
pes , qui furent incorporées avec celles que 
l'avais sous mes ordres. Les Kusses parurent 
presque immédiatement. Le général Bachelet 
eut avec eux un engagement des plus < vifs. 
Us se répandirent au tour de la pUce, et le 
blocu» conunença^ 



CHA- 



du général Rapp. 209 



ocsasaaBBHBsaesBeaeEBaaseeBBBiBaaaBBaBSBan 



CHAPITRE XXXVI. 

/ t 

Dantsic semble destinée k être une place 
' forte : buic nëe au nord par la Vistule , proté- 
gée au sud-ouest par une chaîne de hauteurs 
. escaq)ées , elle est défendue dans le reste de 
son potirtoUr par une inondation qui s'étend 
au moyen de deux rivières qui la traversent, 
la Radaune et là Mottlau. Frappé des avan- 
tages d'une position si belle , Napoléon avait 
^ résolu de la rendre in^xpugnamct ; il avait 
fait ouvrir des travaux immenses. Des têtes 
de pont , des forts , des camps retranchés de- 
vaient la mettre a Tabri d'insultes et dominer 
le cours du fleuve j mais le tehips avait man- 
qué 9 et la plupart des ouvrages étaient ou 
imparfaits ou à peine ébauchés: aucun ma- 
gasin n'était k l'épreuve de la bombe; aucun 
abri assez solide pour que la garnison pût y 
être avec sécurité ; les casemates étaient inha- 
bitables j les logem^énts en ruines et les para- 
pets dégradés. Le froid , toujours plus sévère, 
avait solidifié les eaux ; et Dantzic, dont l'assi- 
ette est naturellement si heureuse et si forte, n'é- 
tait plus qu'une place ouverte sur tous lespoint». 

La garnison n'était pas dans un meilleur 
état; elle se composait d*un ramai confus de 
soldats de toutes armes et de toutes nations : 
il y avait des Français , des Allemands , des 
Polonais , des Africains , des Espagnols , des 
Hollandais, des Italiens. La plupart, épuisés, 
malades , s'étaient jetés a Dantsick faute de 

14 



I 

r 



2 10 Mémoires 

pouToit continuer leur rotule s ils s'étaient flat- 
tés dy trouver ouelque soulagement; inais^ 
dépourvu de rnédicaments , de viande, de lé- 
gumes y sans spiritueux , sans fourrages , j'étais 
obligé dé renvoyer ceux qui n'étaient pas ab- 
solument incapables d'évacuer la place i Néan- 
moins. il m'en resta encore jilus de trente-cinq 
mille , qui ne fournissaient pas au delà de 
huit a dix mille combattants: encore étaient- 
ce presque tous des recrues qui n'avaient ni 
expérience ni discipline. Cette circonstance à 
la vérité m'inquiétait peu ; je connaissais nos 
soldats ; je savais que, pour bien faire, ils n'ont 
besoin que de rexempj[e; j'étais résolu de ne pas 
m'épargner. 

Tel était l'état déplorable où se trouvaient 
la place et les troupes; chargée» de la défendre. 
Il fallait d abord pourvoir au plus }3cessé , et 
nous mettre a 1 abri d'insultes ; la chose n'était 
pas aisée: la neige encombrait les fortifications; 
elle obstruait tous les chemins couverts» toutes 
les avenus; le froid était extrême; le thermo- 
mètre iftarquait au-delà de vingt degrés , et l;i 
glace avait déjà plusieurs pieds d épaisseur. 
Néanmoins il ny avait pas a balance]^; il fallait 
se résoudre a être enlevé de vive force, op se 
soumettre à de nouvelles fatigues presque aussi 
excessives que celles nue nous avions essuyées. 
Je me concertai avec deux hommes dont le dé- 
vouement égalait les lumières : c'étaient le co- 
lonel Richemont et le géi>éral Campredon>, tous 
deux attachés au génie, dont le dernier avait 
le commj^ndeinent. Je donnai l'ordre d'élever 
de nouveaux ouvrages et de dégager les eaux 
de la Vistule. Cette entreprise semblait inexé- 



du général Rapp. 2.11 

cutable par une saison aussi rigoureuse; néau*' 
moins, les troupes sV portèrent avec leur aèlc 
accoutumé y maigre le froid ^ui les* accablai t, 
elles ne laissaient échapper ni ))!aintes ni mur- 
mures. Elles exécutaient les travaux qui leur 
étaient prescrits avec un dévouement, une con- 
stance au-dessus de tout éloge. Enfin , après 
des peines inouïes , elles triomphèrent de tous 
les obstacles ; la glace , détachée a coups de 
hache, et poussée avec des leviers vers la mer, 
dont le courant augmentait encore Timpulsiou, 
laissa avoir au milieu du fleuve un tanal de 
seiae a dix-sept mètres de large, dans une éten- 
due de deux lieues et demie. Mais nous étions 
destinés a voir les difficultés renaître a mesure 
qu'elles étaient vaincues : a peine un succès 
inespéré avait-il couronné nos eiforts , que le 
froid se fit sentir avec plus de violence; eii 
une seule nuit , la Y^^^^^e , les fossés , furent 
couverts d'une couche de glace presque aussi 
épaisse ciue celle que nous avions rompue. En 
vain des bateaux circulaient sans relàcne ]>our 
entretenir la fluidité des eaux ; ni ces soins, ni 
la rapidité du fleuve, ne purent les préserver: 
il fallut reprendre ces travaux qui nous avaient 
tant coûte, et. qu'un instant avait détruits. Ap- 
pliqués jour et nuit a rompre la glace, nous 
ne pûmes cependant Tempécher de se tendre 
une troisième fois ; mais, plus opiniâtres encore 
que les éléments déchaînés contre nous , nos 
.soldats se roidissaient contre les obstacle , et 
})arvinrent enfin a en triompher. 

Sur tout le reste du front de la place, c'é- 
taient même zèle et mêmes dil'ficultés ; la terre, 
gelée a plusieurs pieds de profondeur , re]>ous- 

14. 



2t4 Mémoires 

r * 

il ne fut pas. possible de faire une seconde ten- 
tative. • 

11 ne nous restait- de ressources que celles 
du courage : ce n'était plus qu'a la pointe de 
l'épée que nous pouvions obtenir^ des subsistan- 
ces ; mais quel que fat le dévouement des trou- 
pes i la prudënoe ne permettait jias de les con- 
duire a l'ennemi, consumées comme elles 
étaient par les maladies et la-misèrie. Il &liut 
se résigner a son étoile, et attendre patiem- 
ment que la douce^ influencé de la belle saison 
vînt reparer leurs forces : ce terme ne parais- 
sait pas éloigné ; tous les signes qui l'annoncent 
se manifestaient déjà. La tcJmpérature s'était 
adoucie, les glaces commençaient a fondre , la 
débâcle était prochaine , et l'on se flattait que 
l'inondation apporterait enfin quelque relâche 
aux fatigues qu*on essuyait; mais ce qui devait 
soulager nos maux était toujours ce qui les par- 
tait au comble. 

La Vistule se dégagea avec violence : depuis 
1775, on n'avait pas eu d'exemple d'une telle 
imi>étuosité; la plus belle partie de Dantxic, 
ses magasins , ses chantiers , devinrent la proie 
des eaux; la campagne en était couverte; elle 
ne présentait , dans une étendue de plusieurs 
lieues, que l'affligeant spectacle d'arbres déra- 
cinés, de maisons détruites, d'hommes , d'ani- 
maux sans vie, flottant pèle-méle au milieu 
* des glaçons. . Notice perte semblait inévitable : 
tous nos ouvrages étaient détruits ; nos palissa- 
des emportées , nos écluses rompues, nos forts 
éntr ouverts et minés par les 'flots , nous lais- 
' saien t sans défense devant un ennemi nom'breux . 



du général Aapp. 



215 



Nous ne communiquions plus avec le Hdlm, 
position si importante et dont les fortifications 
étaient presque anéanties. L'île d'Ueubude 
était dans -un «état déploraole; nos' postes du 
Werder , ceux du Nerhung avaient été submer- 
gés. Pour comble de maux, nous étions mena- 
cés, quand la Vistule reprendrait son cours» de 
voir tarir l'inondation qui couvre habituelle- 
ment la place. 



216 Mémoires 

w99fa0thÊmi^mmBmei^B^mmKssmimaaseBSBssasaassgssBasssags^^ 



CHAPITRE XXXVIL 

Mais les alliés secondèrent mal les éléments 
qui combattaient pouiiimx. Au lieu .de venir 
a nous y ils se consiimaient en intrigues misé- 
rables : c'était proelamations.sur proclamations ; 
il y en avait pour la magistrature, pour lès ha* 
bitants , pour les soldats. Les uns étaient ex* 
cités k la révolte, les autres k la désertion; les 
braves Polonais, les Westphaliens, les BavsMrois, 
étaient tour a tour sollicités , pressés , niena* 
ces. Cette guerre de plume mlnquiéta peu; 
je connaissais la loyauté de mes troupes, j'a* 
vab en elles la plus entière confiance. Je leur 
en donnai la preuve : dès que les proclamations 
nous arrivaient, je les faisais lire ^ la tête des 
régiments. Cette manière franche leur plut, 
ils m'en surent gré; ils n'en conçurent que 
plus de mépris pour un enhemi qui se promet- 
tait .d'avoir meilleur marché de leur honneur 
que de leur courage , et souvent ils m'appor- 
taient eux mêmes , sans les avoir lues, ces bel- 
les productions du génie russe* 

Les assiégeants persistaient k se tenir les 
bras croisés dans la place ; je les tirais de temps 
k autre de là létha^ie où ib étaient plonges. 
Ces messieurs nous menaçaient hautement aup 
assaut; ils avaient même , sû^ la fin de j jan- 
vier , commandé un grand nombre d'échel]|es 
dans les villages . du Wherder. Je résolus de 
leur faire sentu: que nous n'en étions pas en- 
core Ik : le 29 , je mis quelques forces, en mou- 



du général Rapp. 217 

. vement dans là direction de Brantau ; le géné- 
ral Granjean déboucha de Stries avec quatre 
bataillons, un peloton de cavalerie, et deux 
pièces de camj^agne : il dispersa dans sa tour- 
née des partis de Baskirs et de Cosaques. Il * 
préludait 'a une action plus sérieuse. 

Je savais que des troupes fraiches étaient 
arrivées devant la place , qu elles s'étaient ré- 
pandues dans le PTerbung , et occupaient en 
forces Bohnsack et Strie ]e les fis reconnaître. 
Le général I)etrées fut chargé de cette expédi- 
tion. Il culbuta d'abord tout ce qui se présenta 
sur son passage ; mais ses tirailleurs s'abandon- 
nèrent trop a la poursuite , et faillirent être 
victimes de leur témérité : une nuée de Cosa- 
ques fondit sur eux , et les eût taillés en pièces 
si le colonel Farine ne lei eût dégagés. INous 
fûmes moins heureux sur un autre point; nos 
avant-postes avaient ordre de se tenir sous lès 
armes, d observer les mouvements de rennemi, 
mais de ne pas engager d'action.. Le colonel de 
Ueerii^g , qui commandait k Stolscenberg , ne 

})ut se contenir; il descendit mal a propos dans 
a plaine , poussa les Cosaques avec une impé- 
tuosité irréfléchie : ses troqpes, surprises dans 
un défilée , ne purent résister au choc de la ca- 
valerie, et furent enfoncées. Cette imprudence 
nous coûta deux cents cinquante nommes. 
L'ennemi s'échaufFa: ce petit. succès lui avait 
donné de la confiance. Vers les trois heurqs de 
Taprès-midi, ses colonnes se présentèrent de- 
vant Langfuhr , et parvinrent a s'y établir. 
Trente hommes postés en avant dét ce ^ illage 
furent faits prisonniers; ils s'étaient fêtés dans 
une maison, et avaient opposé une longue ré- , 



218 Mémoires 

4 

distance ; la terre était jonchée de morts, mats, 
ne se voyant point secourus , ils furent con- 
traints dfe mettre bas les armes , faute de mu- 
nitions. Je dfonnai aussitôt Tordre de repren- 
dre cette position ; le général Granjean. so mit 
en marche avec huit bataillons , quatre pièces 
d'artillerie , et quelques troupes a cheval : l'at- 
taque eut un plein succès , les Russes furent 
culbutés et mis en fuite. Ils tentèrent de re- 
venir;: a la çhai/ge ; mais, toujours rompus, tou- 
jours écrasés par notre cavalerie, ils parurent 
enfin se décider a larétraite. Nous ne tardâmes 
pask suivre leur exemple: le champ de bataille 
était presque évacué , lorsque les Na]>oUtains» 
laissj3s a Langfuhr, futent tout a coup assaillis 
par des nuées de Cosaques que soutenait une 
infanterie nombreuse. Le général Uusson , le 
commandant Szembeck , accourent en toute 
hâte avec' un bataillon polonais^ chargent l'en- 
nemi a la baïonnette, et en font ufie bouche- 
rie affreuse. 

Cet échec calma la pétulance des alliés : il 
ne fut plus question d'échelles ni d'assaut. De 
mon côté, je les laissai tranquilles: je n'étais 
pas a méme^ de leur , donner des alertes bien 
fréquentes ; mes troupes étaient exténuées : 
sur pied nuit et jour , consumées par les> mala- 
dies, transies de froid, mal vêtues, plus mal 
nourries encore , elles se soutenaient a peine; 
rien n'égalait leur misère que la résignation 
avec laquelle elles la supjyortaient. Des soldats, 
dont le nea , lès oreilles étaient gelés ^ ou les 
blessures encore ouvertes , faisaient gaiement 
le service des avant-postes. t}^2^nd je les voyais 
défiler a la parade aJQfublés de peaux , la tête 



du général Rapp. 219 

enveloppée dans des linges , ou marchant k 
Taide. d un bâton , j'étais touché jusqu'aux lar-^ 
mes. J'eusse voulu donner quelque relâche a 
des hommes si malheureux , et pourtant si dé- 
voués; les Russes ne le souffrirent pas. Ils s'é- 
taient imaginé que leurs proclamations avaient 
produit tout l'effet qu'ils en attendaient, que 
nous nous battions entre nous , que le peuple 
était en révolte. Ils résolurent de profiter d'aussi 
belles circonstances, et de nous enlever. 

Nous étions au mois de mars. Le 5 , dès la 
pointe du jour, ils fondent comme des essaims 
sur mes avant-postes ; ils couvrent, ils inondent 
toute ma ligne , et se répandent 2>ar torrents 
dans les villages qu'elle renfermé. Au bruit 
d'une aussi brusque attaque, je donne les or- 
dres nécessaires et je m'achemine vers Lang- 
fuhr avec le général de division Granjean. Nous 
avions k peine fait quelques pas que nous enten- 
dîmes battre vivement la charge; c'étaient les 
chefs de bataillon Claumont et Blaer qui se 
précipitaient k la baïonnette sur une colonne 
de trois k quatre mille Russes, et la dispersaient. 
Nous doublâmes de vitesse pour les soutenir; 
mais le choc avait été si impétueyx que nous 
ne pûmes arriver k temps : nous touchions au 
village , lorsque les acclamations des soldats 
nous annoncèrent la victoire. J accourus pour 
les féliciter de ce beau fait d'armes ; car c'en 
était un, -puisque moins de huit cents hommes 
avaient fait mordre la poussière k des masses 
quadruples d'infanterie et de cavalerie. " Ils 
avaient même failli s'emparer des jrièces : trois 
voltigeurs napolitains coupaient déjk les trait» 



220 Mi 



emoires 



des chevaux morts, lorsqu'ils furent chargés a 
leur tour et ohïigés de lâcher prise. 

La fortune nous était moins favorable sur 
d'autres points ; le général Franceschi se main- 

^ tenait avec peine en avant de Alt-Schottland ; il 
cédait le terrain , mais en le défendant pied a 
pied : il suivait ses instructions^ il gagnait du 
temps. Le brave colones Buthler accourait en 
toute hâte a son secours. A peine parvenus 
aux premières maisdns du village , les Bavarois 
se jettent avec impétuosité sur' l'ennemi , le 
poussent y le chargent à la baïonnette , et par» 
viennent aie contenir; mais pendant qu'ils font 

^ face d'un côte , les Russes les menacent de l'au- 
tre. Après trois attaques infructueuses, ils 
avaient enfin triomphé de la belle résistance 
du chef de bataillon Clément , et s'étaient em- 
parés de Stolsenberg; ils débouchaient déjà de 
ce village , et allaient nous prendre en flanc* 
Ce mouvement eût été décisif: je mé hâtai de 
le prévenir ; je donnai ordre au sixième régi- 
ment napolitain d'occuper sur la droite un mon- 
ticule qui assurait notre position. Le général 
Detrées conduisit l'attaque et enleva le plateau 
au pas de charge; l'ennemi accourut }>our le 
reprendre, mais il: ne put^ y parvenir. Tout 
couvert de contusions, ses habits criblés de 
balles , le colonel Degennero lui opposa une 
résistance invincible, et le força a la retraite. 
Cependant le général Bachelu« avec quatre 
bataillons sous ses ordres , geirvissait les hau- 
teurs à droite de Schidlitz; tout a coup il 
fond sur les alliés , les attaque k revers et les 
culbute. En vain ils se jettent dans les mai- 



du général Rapp. 221 

sons es s'y retranchent; nos voltigeurs, con- 
duits par le lieutenant Bouvenot et le sous-of- 
ficier Tarride , enfoncent les croise.es , brisent 
les portes , tuent , prennent ou dispersent tout 
ce qu'ils rencontrent , et s'emparent d'une 

1)ièce* d'artillerie : un général russe animait 
es siens k la défendre ; mais l'iiifipulsion était 
donné; trois braves, "^le sous-lieutenent Vanus, 
le maréchal - des - loffis Autresol, et le fourrir 
Hatuite, s'élancent a la course et s'en emparent. 
Il était trois heures après midi , et les alliés 

gDCCupaient encore Schottland et Ohra; malgré 
tout son courage le chef de bataillon Boulan n'a- 
vait pu les déloger. Je résolus d'essayer une sen 

•conde fois d'uhe maniBUvre qui m'avait si bien 
réussi, je les tournai. Pendant que je menais une 
fausse attaque par la tête de Schottland , le gé-^ 
néral Bachelu masquait sa. marche et se portait 
sur Oiira; il était suivi de trois bataillons d'in- 
fantefie, de cent cinquante chevaux, et d'une 

' batterie légère . Nos troupes bouillaient d'impa- 
tience : dès qu'elles entendirent battre la charge, 
ce furent des cris de joie; elles s'élancent sur 
l'ennemi , le rompent et le culbutent. 

Il se rallie et revient a la charge. Mais la 

, mitraille redouble, la baïonnette porte Iç dés- 
ordre dans ses rangs. Il fuit, il s échappe par 
toutes les issues , et n'en trouve aucune qui ne 
soit interceptée. La nécessité réveille son cou- 
rage, il se recueille, débouche, fond sur nous. 
La mêlée devient terrible: il veut se dérober 

• a la honte, nos soldats veulent consommer lu 
victoire: de part et d'autre on se presse, on se 
pousse avec fureur. Un adjudant-major du 2{)^ 
de ligne , Delondres , s élance au milieu des 



222 Mémoires 

ê 

Russes; quelques braves le suivent: la mort et 
la coniusion volent sur ses pas ; accable bien- 
tôt par le nombre , épuise par de larges bles- 
sures y il est obligé de rendre les armes : mais 
ses esprits revienneiit, il se remet; Tindigna- 
tion lui donne des forces: il attaque, amène 
son escorte, et vient prendre part à la vic- 
toire : elle n'était plus disputée. ISqs troupes, 
accourues au bruit de la fusillade, s'étaient 
formées en levant d'Ohra , et avaient ouvert un 
feu meurtrier: Tennemi en est accablé ; il plie, 
se débande , et n'échappe a la mort qu'en in§ 
voquant la clémence du vainqueur. 

Dans iin instant les rues sont jonchées de 
morts. Cinq cents hommes .mirent bas les ar- 
mes: la plupart étaient ae cette armée de Mol- 
davie que nous avions presque détruite au pas- 
sage de la Bérésina. 

L^ennemi fuyait sur tous les points. Dans 
le INerbung, k iNeufahtwasser, partout il avait 
expié^ par la défaite les succès que la surprise 
lui avait donnés» Le major Nougarède n'avait 
eu qu'a paraître pour disperser des n\iées de 
Cosaques qui s'escrimaient sans succès contre 
de faibles postes napolitains que nous avions 
sur les derrières. Des postes de dragons don- 
nèrent la chasse aux Russes qui s'étaient por- 
tés en avant de Saspe , et enlevèrent Braseh, 

Nous occupions de nouveau les positions, 
que nous tenions avant l'attaque : malheureu- 
sement elles nous coûtaient assez cher. Nous 
avions six cents hommes hors de combat; il 
est vrai que la plupart se rétablirent bientôt de 
leurs blessures. De ce nombre étaient le major 
Horadam , le colonel d'EgloiFstein et le gêné- 



du général Rapp. 223 

rai Devilliers, quon verra si trouvent figurer 
dans ce récit. 

L'ennemi avait été bien plus maltraité: 
deux mille des 'siens étaient couchés dans la 
poussière; nous^ avions onse à douxe cents pri- 
sonniers dans nos mains, et une pièce d'artil- 
lerie. 

Cette journée fut une .des plus belles du 
siège ; elle était un nouvel exemple de ce que 
peuvent le courage et la disciphne. Sous les 
murs de Dantxio comme au ])assage de k Bé- 
résina y consumés par la misère ou le» mala- 
dies, nous étions toujours les mêmes f nous pa- 
raissions sur le champ de bataille avec le même 
ascendant, la même supériorité. 



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4 








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H>^/H^ »Hl/tt^/M^<Jtfll# U# ir^U §mi\é§^ mais n» 

pro- 



/u««ai«it 



du général Rapp. 225 

provisions touchaient \ leur terme. N0U9 
n'avions plus, pour ainsi dire, ni viande ni 

bestiaux ; la paille même nous manquait pour 

— coucher nos malades. Je résolus de chercher 
quelque remède aux maux qu'enduraient tant 
de braves. La tentative était périlleuse , mais 
ils méritaient bien qu'on s'exposât k quelques 
dangers pour les secourir. 

Depuis long-temps je projetais une expédi- 
tion sur Quadendorf , oii Ton supposait d'abon- 
dantes ressources. Jttfi'avais différée jUsque-lk, 
parce que lés troupes dont je disposais me 
paraissaient insuffisantes; mais la nécessité 
parlait plus haut que toutes ces considérations : 
]e n'hésitai plus. Le général Devilliers cou^- 
ronna les hauteurs de Wonneberg et de Pitx- 
kendorf, la droite appuyée à Zigangenberg, 
et la gauche soutenue par. la brigade du géné- 
ral Uusson. Il ouvrit sans délai un feu rou- 
lant d'artillerie et de mousqueterie. Pendant 
que l'ennemi ripostait de son mieux k cette 
vaine fusillade, le général Heudélet débou- 
chait par la vallée de Malsrklâu et enlevait le 
poste chargé de la défendre. . Le général Ba- 
chelu marchait en tête. Douze cents hommes, 
six pièces de canon conduites par le général , 
Gault, s'avançaient en seconde ligne et for- 
maient la réserve. Cinq cents Russes voulu- 
rent nous interdire l'entrée de Borgfeld. Ils 
furent foulés aux pieds. Ce qui échappa a la 
baïonnette alla périr sous le tranchant du 
sabre: tous reçurent la mort. L'ennemi accou- 
rut avec les masses et ne fut pas plus^ heureux» 
Accablé, rompu avant d'être en défense , il ne 
trouva de salut que dans la fuite. Ses pièces 

15 



226 Mémoires 

ne purent se mettre en batterie ; pours^uivies 
sans relâche , elles furent contraintes de vicier 
le champ de bataille sans avoir tiré un seul 
coup. Les polonais étaient irrésistibles : chefs 
et soldats , tous fondaient sur les Russes avec 
un abondon, une audace dont on, n'a pas 
d'exemple. Un tambour, le brave Mattuaalik, 
en terrassa un avec ses baguettes, et le força 
a se rendre. 

Pendant que nous les chassons devant nous, 
le général Heudelet menace leurs derrières. 
Dès qu'ils s'aperçoivent- de ce mouvement, ce 
n'est plus une fuite, c'^est un désordre, une 
confusion dont il est difficile de se faire une 
image. Ils abandonnent leurs blessés, leurs 
hôpitaux; ils évacuent en toute^ bâte Sch^veis- 
kopiF, Saint -Albrecht, et ne s'arrêtent qu'au- 
delà dePraust, où nos voltigeurs entrent pêle- 
mêle avec eux. 

En arrivant à Saint- Albrecht, j'appris que 
les Russes tenaient encore sur les digues de la 
Mottlau. Je fis des dispositions pour emjpê- 
cher qu'ils ne fussent secourus pendant crue 
nous irions les chercher. Le major Scifler- 
lita, avec un bataillon du 1S« bavarois, soutenu 
par une compagnie de Westphaliens et la flot- 
tille, fut chargé de cette attaque. Elle eut lieu 
avec beaucouji d'ensemble et d'impétuosité: 
trois cents Russes furent couchés dans la pous- 
sière avec leur chef, tombé sous les coups du 
brave Zarliriwski; le reste fut noyé ou pris. 
Une centaine s'échapp^^it a travers l'inondation, 
lorsqu'ils furent atteints parle lieutenant Faber, 
qui les chargea a la tête de quelques braves, 
ajant de l'eau jusqu'au cou , et les ramena. \5\\ 



du général Rapp. 227 

enfant, le jeune Kern, enflammait nos soldats; 
il les devance , il les excite , il se jette au plus 
épais de la mêlée. Ses camarades balancent, 
hésitent à le suivre. Il se retourne avec l'assu- 
rance que donne le courage : £n avant , Bava- 
rois , s'écrie - 1 - il, et il les enlève. 

Le jour tombait. Les Russes montrèrent 
des troupes si nombreuses en avant de Quaden- 
dorf, que je ne jugeai pas à propos de continuer 
l'attaque. • Nous rentrâmes après avoir causé k 
l'ennemi une perte^ immense , et lui avoir pris 
trois cent cincruante hommes. Ce fut presque 
l'unique résultat d'une sortie si brillante. A 
peine si elle nous valut une centaine de bestiaux. 
Wous avions été prévenus : tout ce que renfer* 
maient les villages avait été évacué sur les 
derrières. 

Indépendamment des subsistances , j'avais 
un autre objet qui ne me réussit pas mieux. 
Depuis le commencement du blocus j'étais sans 
communication avec l'armée française*; je ne 
savais ni quelle était sa force, ni avec quelle 
fortune elle combattait. J'avais tout mis eji 
œuvre pour obtenir quelques lumières k cet 
égard ; mais la haine éiait si générale et si pro- 
fonde qu'aucune séduction n'avait pu la vaincre. 
J'espérais que les bourgmestres seraient plus 
dociles , mais ils ne connaissaient que les bruits 

1>ropagés par les Russes. Je restai plongé dans 
'ignorance la plus complète sur ce qui se j>as- 
sait autour de moi. 

Après tout, quels que fussent les événe- 
ments , il fallait défendre la place , et la défen- 
dre le plus long- temps possible, c'est -k- dire 
qu'il fallait vivre le. plus long-temps possible 

15. 



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M1.S '■■ 

le ol. = - 



iVc^ • 



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ho. 
<lc- 



du général Rapp. 2^9 

•patrie, leur père, les amis dé leur enfance; 
'Is invoquent, ils repoussent, la destinée des 
hrâves qui ne sont plus , et , tour a tour dé- 
'"liirés par des passions contraires, ils exhalent 
» i n reste de vie dans les horreurs du désespoir. 

Plus on prodigue les remèdes , plus les souf« 
Krances sont aiguës. Le mal s'étend par les ef- 
forts mêmes qu on fait pour le dé(;ruire. Cha- 
que jour de la dernière quinzaine de mars nous 
«nnporta au delà de dçux cents hommes. L'é- 
nidérnie cessa peu a peu d'être aussi meurtrière. 
Ce ne fut cependant qu'a la fin de mai qu'on 
en triompha tout-a-fait. Elle nous avait a cette 
époque enlevé cinq mille cinq cents habitants, 
et douze mille braves. De ce nombre était le 
général CauU , excellent officier , soldat plein 
lie courage , il méritait un meilleur sort. 

Les maladies nous faisaient la guerre au 
profit des Ruasses; maifreux-mêmes nous inquié- 
taient peu. L'expédition de Borgfeld avait 
amorti leur courage; ils se retranchaient, ils 
se fortifiaient, ils n'étaient plus occupés que 
de mesures défensives. Cependant comme il 
fallait bien donner quelque signe de vie, ils 
cherchaient de temps a autre a surprendre mes 
avant-postes. Fatigué de ces attaques insigni- 
liantes, je voulus leur rendre les insomnies 

âu'ils nous causaient. Ils avaient au-dessus de 
rentau un signal qui m'en fournissait les mo- 
yens. Il ne s'agissait que de l'incendier; j'en 
confiai le soin a deux efficiers dont l'intelli- 
gence et la résolution m'étaient connues. C'é- 
taient les chefs de bataillon Zsembek et Potocki. 
Ils sortent de Langfuhr par une nuit obscure, 
et marchent long-temps sans être aperçus. Des 



/■ 



230 Mémoires 

coups de fusil leur apprennent enfin qu'ils sont 
découverts; alors ils fondent sur Tennemi et 
le renversent. Potocki s'avance sur Brentau, et 
disperse une infanterie nombreuse oui s'oppose 
k son passage. Une quarantaine d'nomnies se 
jettent dans une espèce de blockaus. Un vol- 
tigeur les suit et les somme de mettre bas les 
armes ; il reçoit laj mort. Lés Polonais furieux ^ 
inondent aussitôt la redoute et exterminent 
tous les Russes qu'elle renferme. 

Pendant que ces choses se passaient au vil- 
lage, Zsembeck s'emparait du signal d'alarmes. 
Il le livre aux flammes, et descend aussitôt 
daill la plaine ; il culbute, il taille en pièces 
les postes qui se trouvent sur son passage, et 
pousse jusquesous les murs d'Oliwa, où illance 
quelc[Ues obus. En même temps le brave ï)e- 
villain , maréchal-des-logis au huitième , ba-' 
laie, avec une douzaine de hussards, toute 
cette partie de nos avfent-postes. Il charge avec 
tant de résolution , qu'il étonne les Cosaques 
et les enfonce. Le succès l'enhardit; il se ré- 
pand sur la droite , reconnaît , fouille le bois, 
et ne joint nos troupes qu'au moment où elles 
se retirent. 

Cependant tous les signaux étaient en feu. 
L'armée russe courait aux armes et s'attendait 
d'un instant a l'autre a se voir attaquée ; elle 

{mssa dans cette attitude le reste de la nuit et 
a journée du lendemain. Nous lui rendîmes 
en masse les, alarmes qu'elle nous avait don- 
nées en détail. 

L'horiaon politique devenait chaque jour 
plus sombre. La Prusse avait jeté le masque; 
elle nous faisait la guerre par insurrection. 



du général Rapp. 231 

Cet événeinent ne pouvait être cacké au5c sol- 
dats; les Russes avaient trop intérêt de les en 
instruire. Aussi ne mis-je*aucun obstacle a ce 
qu'il fut divulgué. Aussitôt les séductions re- 
commencèrent. On crojait le moral de no$ 
troupes ébranlé. La disproportion des moyens 
d'attaque et de défense, l'argent, les promes- 
ses,* tout était mis en œuvre pour les engager 
a la désertion. On offrait une prime a la honte ;^ 
je pouvais bi^en en proposer une a la fidélité. 
J'annonçai de\ix cents francs dé gratification 
pour quiconque livrerait un homme convaincu 
d'embauchage. Cette mesure eut son effet. La 
plupart des émissaires que les assiégeants avaient 
dans la place liae .furent signalés. D'après no» 
lois ils avaient encouru la peine de mort, mai» 
les hommes sont en général moins méchants 
que malheureux. Presque tous étaient des pè- 
res de famille qui avaient cédé a la nécessité. 
Je les livrai a la risée de nos soldats , je leur 
fis raser la tête, et les renvoyai. Cette mesure 
les retint chez eux; j'en fus aélivré sans recou- 
rir aux exécutions. 

La garnison paraissait peu inquiète du sur- 
croit a ennemis qu'on lui annonçait. Cepen- 
dant j'étais bien aise qu'elle jugeât par elle- 
même de quoi elle était encore caj^ble. Nous 
touchions aux fêtes de Pâques. La tempéra- 
ture était douce, le ciel sans nuages. J'indi- 
quai une revue; elle eut lieu a la face de l'ar- 
mée dé siège. Dès la pointe du jour les habi- 
tants, les malades même couvraient les hau- 
teurs de Langfuhr ; ibse répandent siir les gla- 
cis, les. avenues, et couronnent/tous les re- 
vers de la plaine qui séparé Stries d^Oliwa. 



• \ 



232 



Mémoires 



Les troxipes ne tardent pas a paraître. Sept 
mille hommes suivis d une artillerie nombreuse, 
tous en tenue magnifique , viennent successi- 
vement se ranger en bataille. Ils manœuvrent, 
ils défilent avec une précision xlont rien n'ap- 
proche. Les Russes, étonnés de tant d'assurance, 
n'osent nous troubler: formés eux-mêmes en 
bataille, ib contemplent nos mouvements sans 
y mettre aucun obstacle. Cependant l'occasion 
était belle, aucune arme n'était chargée; j'a- 
vais spécialement défendu qu'on fit usage de 
cartouches. La baïonnette seule devait les pu- 
nir s'ils étaient asses téméraires, pour se per- 
mettre la moindre insulte. Cette mesure était 
peut-être un peu audacieuse, mais il fallait 
exalter le courage du soldat et le convaincre 
du mépris que méritait la jactance étrangère. 



• 



» 



du général Rapp. 233 



CHAPITRE XXXIX. 

Après avoir paradé, il s'agissait de vivre ; la 
chose était moins aisée. Uennemi avait fouillé 
tous les villages et n'y avait laissé ni fourrages 
ni bestiaux; plus de ressources, a tnoins de les 
chercher à une distance de plusieurs lieues. 
J'en avais fait l'expérience a Borg£eld», aussi 
je pris mes mesures en conséquence. Je m'é- 
tais procuré des renseignements exacts sur les 
facilités et les obstacles que présentait une 
expédition dans le ]Nehrung; je connaissais le 
nombre , la position des trou2>es et leur par- 
faite sécurité. Je jSs mes dispositions. Douae 
cents hommes d'élite , trois cent cinquante 
chevaux , une compagnie d'artillerie légère 
avec huit bouches a feu , conduits par le gé- 
néral Bachelu, s'avancèrent sur Heubude. L'en- 
nemi culbuté cherche vainement a défendre 
Bohnsack. Bachelu ne lui donne pas le temps 
de se reconnaître ; il le pousse , l'enfonce et 
le rejette en désordre jusqu'à Woldern. Ses 
principales forces occupaient ce village. Près 
de cinq mille hommes l'accueillent et le sou- 
tiennent; mais, toujours emportées par le même 
élan , nos troupes arrivent a la course et ne 
souffrent pas qu'il se déploie. Elles commen- 
cent aussitôt l'attaque: une partie se répand 
en tirailleurs sur les dunnes et dans la plaine, 
l'jautre reste en ligne et ouvre un feu meur- 
trier. Nos pièces , notre cavalerie accourent 
et consomment Is^ déroute. Elle fut si prompte 



234 Mémoires 

et si entière que Tartillex-ie n'essaya ])as de tirer 
un seul coup ; elle s'échappa en toute hâte du 
champ de bataille. Une colonne de Lithua- 
niens osa faire têtealorage. Le colonel Fa,- 
rine s'élança sur elle avec ses dragons et la 
contraignit de mettre bas les armes. La ré- 
serve était encore intacte. Le brave Redon 
marche a elle , il l'épie , il saisit l'instant où 
elle se retire , la charge et la fait prisonnière ; 
en même temps 4e capitaine INeuniann se met 
a la piste des fuyards ; il vole de la gauche a 
la droite 9 sème partout le désordre et ramasse, 
avec une poignée de soldats , quelques cen- 
taines d'alliés qu'il oblige a se rendre. Cet avan- 
tage lui coûta deux blessures. Le sous-lieute- 
nant Schneider fut encore plus maltraité et re- 
çut a lui seul douze coups de lance. 

J'avais suivi de ma personne le mouvement 
du général Bachelu; je m'avençai jusquk Wol- 
dern. Mais les Russes fuyaient dans un tel 
désordre qu'il me parut inutile d'aller plus 
loin. Les troupes qui les avaient battus suffi- 
saient pour les poursuivre. Dès que j'apj!)ris 
qu'elles les avaient poussés a plus de douae 
heues de distance, j'arrêtai leur niarche. Elles 
prirent position , et se mirent k enlever les 
fourrages et les iestiaux qui se trouvaient dans 
les lieux dont elles s'étaient emparées. 

La réserve que j'avais avec moi était de- 
venue inutile, par la pronu)titude et l'habi- 
leté avec laquelle le général Éachelu avait con- 
duit cette expédition ; je lui fit passer la Vis- 
tulc- £lle diébarqua en avant du fort Lacoste, 
et se porta sur la digue que l'ennemi occu- 
pait encore. £n même temps les chaloupes 



du général Rapp. 235 

canonnières remontaient le fleuve et commen- 
çaient l'attaque. Les Russes plient aussitôt et 
se débandent. Nous nous répandîmes sans ob- 
stacle dans toute Tétendue du Werder. 

NouB restâmes quatre jours clans ces diverses 
positions. Le général Bachelu fouillait sur la 
rive droite la partie du Nehrung qu'il avait 
envahie , tandis qu'a l'aide de nos canots nous 
tirions de la rive gauche toutes les ressources 
qd'elle nous offrait. Cinq cents bêtes a cor- 
nes , quatre cents têtes de menu bétail, douze 
cents quintaux de foin, huit cents de paille 
et deux mille trois, cents décalitres d'avoine, 
furent le résultat de cette expédition. L'en- 
jiemi essaya d'en intercepter les convois; mais 
le sang- froid , l'habileté du lieutenant Iloé- 
kinski et du commissaire des guerres Belisal 
triomphèrent de tous les obstacles. Les agres- 
sions des Russes tournèrent iiKême a notre avan- 
tage et nous valurent encore une centaine de 
bœufs que l'intrépide Brélinski leur enleva 
après les avoir défaits. L'armée de siège ne 
chercha pas a nous troubler. Lnmobile dans 
ses lignes , elle ne paraissait occupée que des 
démonstrations que faisaient nos troupes du 
côté de Langfuhr et du Neuschottlancl. Son 
inquiétude était si vive, que le bruit d'une 
grosse pluie lui donna le change ; elle se crut 
attaquée, mit le feu ^ ses signaux de gauche, et 
jeta l'alarme jusqu'à Pitxkendorf. 

Nous avions ravitaillé nos hôpitaux ; car pour 
nous-mêmes, notre situation n'était pas^chan- 
gée. Deux onces de cheval, une onze de boJhf 
salé , voila quelle était toujours la ration jour- 
nalière. A mesure que^ je sortais d'un embar- 



236 ♦ Mémoires 

ras, je tombais dans un autre, Je m'étais pro- 
curé quelques subsistances, mais la caisse était 
épuisée; elle n'avait pu faire face au montant 
des comestibles que nous avions enlevés. J'a- 
vais été obligé d'émettre des bons payables au 
déblocus. Cependant il fallait assurer la solde, 
couvrir les dépenses de l'artillerie , du génie, 
sans quoi la place tombait d'elle-même. A quel 
expédient, quel mojen avoir recours dans cette 
extrémité? 11 ny en avait qu'un. Je répugnais 
a le prendre;' mais tout plie devant Ta néces- 
sité: je demandai un emprunt de trois millions 
aux habitants. / 

Les Dantzicois étaient révoltés. Ils se plai- 
gnaient, ils murmuraient, ils menaçaient de se 
porter à quelque émeute. L'ennemi devenait 
plus pressant. La flotte , les troupes de terre, 
tout préhait une attitude plus hostile. Ce fut 
dans ces circonstances qu'un baron Servien, 
condamné à mort pour embauchage, accusa 
le sénateur Piegelau d'être a la tête d'une cçn- 
spiration tramée dans Tintér-et de la Russie. 
La réputation de ce magistrat était intacte, mais 
les chargés étaient si détaillées, si précises, et 
les conséquences d'une imprudente sécurité si 
graves, que j'ordonnai son arrestation. Son in- 
nocence fut nientôt reconnue: J'avais un instant 
compromis la loyauté de cet homme respec- 
table; c'était a moi a lui rendre hommage. Je 
le fis de la manière qui me parut la plus propre 
a calmer l'impression de cette cruelle aventure. 
Les bourgeois étaient restés paisibles , et les 
fréquentes escarmouches qui m'avient paru si 
suspectes étaient dues au surcroît des troupes 
qui se succédaient devant la place. Le duc de 



du général Rapp. 257 

Wurtemberg venait d'en prendre le comman- 
dement. Plus entreprenant , plus inquiet que 
le général Lévis, il ne laissait pas respirer mes 
avant-postes; échouait-il sur un j^oint, il en as- 
saillait un autre. Repoussé a Langfuhr , mis en 
fuite a Zigangenberg, il se, jette sur Ohra. Aussi 
mal reçu dans cette position que dans les pre- 
mières, il n'en revient pas moins a la charge; 
il attaque a la fois Stolaenberg, Schidlitz et 
le poste de la barrière : culbuté sur tous ces 
points , il reparait de nouveau ; de nouveau, 
ils est défait. Aucun échec ne le rebute , il 
tente un dernier effort; il fond avec la nuit sur 
mes troupes , qui se remettaient dte leurs fati- 
gues, et surprend quelques maisons qu'il livre 
aux flammes. Mais a la vue' de^deux nataillons 
qui courent aux armes , il se trouble et se 
disperse. / 

Les patrouilles , les vedettes , étaient conti- 
nuellement aux prises. Ces combats, oii le cou- 
rage individuel est plus sensible , étaient tout 
anotre avantage. Les Cosaques n'y brillaient 
>as. Trois d'entre eux se réunissent pour acca- 
bler un dragon du 12«, nommé Drumès; ce 
brave les attend de pied ferme. Renversé d'un 
coup de lance , il se relève , se cramponne au 
fer, tire a lui son adversaire et l'étend mort 
sur la place. Héquet , autre dragon du même 
régiment, fait tête a quatre de ces barbares. 
Quoique blessé, il en renverse un, en abat un 
autre, et met le reste en fuite. Je pourrais citer 
mille traits de ce genre. 

Ces agressions continuelles fatiguaient mes 
soldats ; je ne devais pas souffrir qu'ils fussent 



i 



238 Mémoires 

insulta par des Cosaques. Nous primes les 
armes: le général Granjean commandait la 
droite, le général Devilliers était ^u centre, 
et la gauche obéissait au comte Heudelet. L'ap- 
parition inopinée de nos colonnes glaça Tenne- 
mi d'effroi. Ses chevaux paissaient librement, 
dans la plaine; son infanterie était paisible 
dans ses camps. Il ne s'attendait j^as a cette 
attaque. Au moment oii nous commencions 
a nous ébranler je reçois la nouvelle authenti- 

3ue des immortelles victoires de Lutsen et de 
autzen; je la communique , je l'annonce, je 
la répands. La joie, l'ivresse, l'enthousiasme, 
sdnt au comble; tous les sentiments s'échap- 
pent k la fois; il tarde de combattre; on brûle 
de vaincre. De Ja gauche a la droite le cri den 
avant retentit partout. Le signal est donné. 
Aussitôt l'artillerie se démasque; on se mêle, 
on se confond; la terre est jonchée de morts. 
Le capitaine Preutin foudroie l'ennemi et 
l'oblige d'évacuer Schœnfeld. L'artillerie a che- 
val polonaise accourt au galop, se.place a demi- 
portée et renverse tout ce qui se trouve devant 
elle. Le major Bellancout, le chef de bataillon 
Duprat, poussent, accablent les fuyards, ils les 
dispersent a mesure qu'ils se rallient. Culbuté 
au centre,- l'ennemi se jette sur la gauche et 
menace Olira. Le major Schneider lui oppose 
une résistance opiniâtre. Cet excellent otffcier 
se défend sur un point, attaque sur un autre, 
et compense par son^ courage la faiblesse des 
moyens dont il dispose. Le général Bressau, 
le général Husson , volent a son secours. Les 
Russes écrasés ne peuvent faire tête a l'or'age; 



du général Rapp. 239 

ils fuient . et ne s'arrêtent cjue sur les hauteuts 
len arrière de Wonneberg. Bientôt ils se ravisent 
et fondent sur notre aile droite; elle les reçoit 
avec une admirable résolution. Le colonel 
d'EnglofFstein, le major Horadani,*le lieutenant- 
colonel Hope, combattenjt a l'envi Tun de l'autre. 
Le sergent Vigneux , le sergent Auger , don- 
nent aussi rexem])le du courage. J'accours au 
milieu de cette lutte sanglante ; je fais avancer 
le 10^ polonais avec cinq pièces d'artillerie qui 
étaient en réserve. La mêlée s'échauffe et de- 
vient de plus en plus terrible. Les Russes 
cèdent enfin et s'échappent en désordre du camp 
de Pitxkendorf. Je ne jugeai ])as a propos de les 
suivre: a chaque jouf suffit sa peine. Ils avaient 
environ dix huit cents hommes hors de corn- 
bat. Je fis cesser le feu. De notre côté nous 
comptions quatre cents morts ou blessés. 

Les alliés vaincus dans deiix batailles con- 
sécutives, avaient sollicité un armistice. La 
guerre avait été reportée sur l'Oder. Nous 
étions de nouveau les arbitres de la fortune. 
Notre gloire était d'autant plus pure qu'elle 
était due tout entière a ce courage impétueux 
qui supplée à l'expérience et ne recule devant 
aucun oJbstacle. Des recrues avaient triomphé 
des forces combinées de la Prusse et de la Russie. 
Le capitaine Planât nous en apportait la nou- 
velle au moment où les assiégeants culbutés 
cherchaient leur salut dans la fuite. Napoléon 
avait joint a ses dépêches des ]>reuves de sa 
munificence. Il daignait m'accorder le grand 
cordon de l'ordre de la Réunion. Il m'auto- 
risait a faire des. promotions , a conférer dei 



240 • Mémoires 

grades y et a désigner les officiers supérieurs 
que je jugeais susceptibles d'avancement. SeS 
victoires avaient exalté tous les courages, on 
jurait de nouveau par»son génie, on le voyait 
déjà triomphant sur les bords de la Yistule. 
Sa dépêche était ainsi conçue: 

^^Monsieur le comte Rapp^ 

„Le major - général vous fait connaître la 
^situation des afFaires. J'espère que la j>aix 
„sera conclue dans le courant de Tannée; mais 
„si mes vœux étaient déçus , je viendrais vous 
„débloquer. Nos armées n ont jamais été j>lus 
^nombreuses ni plus belles. Vous verrea |>ar 
„les journaux toutes les mesures que j'ai pri- 
„ses, et qui ont réalisé douze cent mille born- 
âmes sous les armes et cent mille chevaux. Mes 
,,relationssont fort amicales ayec le Danemark, 
„o*à le baron Alquier est toujours mon mi- 
„i\istre. Je n'ai pas besoin de.vousrecommari- 
„der d'être sourd a toutes les insinuations , et 
dans tout événement de tenir la place im- 
portante que je vous ai confiée. Faites -moi 
„connaitre par le retour de l'officier ceux des 
„militaires qui se sont le plus distingués. L'a- 
„vancement et les décorations que vous ju- 
„gere2 qu'ils auront mérités, et que vous de- 
^manderez pour eux , vous pouvez les cônsidé- 
„rer comme accordés et en faire porter les 
9, marques jusqu'à la concurrence de dix croix 
,, d'officiers et de cent croix de chevaliers. Choi- 
„sissez des hommes qui aient rendu des servi- 
„ces importants, et envoyez-en la liste par le 

re- 






du général Rapp* 241 

^ ^retour de rofficier, afin que le chancelier de 
la légion dlionneur soit instruit de ces nomi- 
nations. Vous pouvex également remplacer 

,,dans vos cadres toutes les places vacantes, 

„jusquau grade de capitaine inclusivement. 

„Ënvoje2 aussi l'état de toutes ces promotions. 

„Sur ce je prie Dieu , etc. 






),NAl>OLBOSr. 



,,Nettiiiark, le 5 juin, i8i3/* 



16 



242 • Mémoires 



CHAPITRÉ XL. 

/ 

Les souverains avaient régie les conditions 
de Tarmistice. Chaque place devait être ravi- 
taillée tous les cinq jours , et jouir d'une lieue 
de territoire au-delà de son enceinte; mais le 
duc de Wurtemberg .se chargea d'éluder cet 
engagement. 11 refusait mes états de situa- 
tion 9 il contestait sur les limites, Après bien 
des conférences nous convînmes d'un arrange- 
ment provisoire et nous renvoyâmes la question 
k ceux qui devaient la juger. Ce. fut alors de 
nouvelles difficultés: tantôt ils alléguaient le 
défaut de subsistances , tantôt le manque de 
transports, tes fournitures toujours incom- 
plètes étaient constemment arriérées, enfin 
elles furent tout- a- fait suspendues. Le duc 
avait besoin d'un prétexte , il le trouva. Il 
prétendit que nous avions rompu là trêve, parce 
, que nous avions fait justice d^ je ne sais quelle 
bande de 2>illards qui infestaient nos derrières. 
Sa lettre, qui eût pu m'étre transmise en deux 
heures, fut deux |ours a me parvenir. Tant 
de subterfuges me révoltèrent. J'allai droit 
au fait. Je lui répondis que je ne voulais plus 
de tergiversation , qu'il fallait se battre ou 
remplir les conditions stipulées. 11 réi^liqua, 

f^arla de^ la cause des peuples et des rois. Ce 
angaçe ét^it curieux. Je lui témoignai com- 
bien il m'étonnait dans la bouche d'un prince 
dont le souverair^iivait été cinq ans notre allié, 
et dont le frère combattait encore avec nous. 
Ce dernier exenil^le le toucha peu. II me ré- 



du général Rapp. ^243 

pondit avec humeur „qu'un général en chef 
„russe ne se croyait inférieur en aucune ma- 




dignité , qi 

,,roi tout comme un autre; qu U j mettrait ce- 
,,pendant une petite condition, c'est que ce n^ 
^serait aux dépens d'aucune puissance, ni de 
„personne." 

On courut aux armes^. Mais le duc ne vou- 
lut pas se chareer des conséquences de cette 
rupture. Il offrit de coi;>tinuer les livraisons. 
Elles devaient' avoir lieu dès le 24 y elles ne 
recommencèrent cependant que le 26 et ne fu- 
rent jamais complètes. Des viandes corrom- 
pues, des farines si mauvaises qu'on n'osait 
en faire usage qu'après les avoir éprouvées, 
voUa les subsistances que nous fournissaient- 
les Russes. Ils n'étaient pas plus fidèles sur la 
quantité. Nous ne reçûmes pas au-delà des 
deux tiers de ce qui nous était garanti par la 
suspension d'armes. 

Le prince de Neuchâtel me mandait qu'il 
fallait tenir jusqu'au mois de fnai suivant. L^ 
chose était impossible. Je n'avais ni asses de 
subsistance» ni assez de troupes pour une dé- 
fense aussi prolongée. Je le lui marquai, ma 
dépêche étai,t précise. Tout ce qui était pos- 
lible nous étions prêts k l'entreprendre; mais 
la bonne volonté ne supplée pas aux moyens. 

Dantxîc, le té juin i8i3» 

nSIon prince^ 

J'ai reçu la lettre que votre altesse m'a fait 
„rhonneur de ni'écrirç de Neumark le 5 juin. 

16. 



99 



244 Mémoires 

y, M. Planai m'a également remis> la collection 
,,des moniteurs renfermant lé détail des ha- 
^ytailles décisives gagnées par Napoléon sur.l at- 
„méé combinée. J'avais, depuis la veille de 
l'arrivée de M. Planât, eu connaissance des 
brillants succès obtenus par les armées de 
Napoléon. Ces heureuses nouvelles ont pro- 
,,duit sur la garnison le meilleur eifet, elle a 
,,vu que je ne lavais pas flattée d'un vain esjyoir; 
„et la patience et le coUrage dont elle a fait 
^preuve ont trouvé la récompense^ qu'elles de- 
^,vaieiit attendre. 

„ïi'armistice m'a été également remis, et 
„ j'écris particulièrement sur cet objet à votre 

„altesse. 

„Je ne dois pas lui dissimuler cependant 
jjque cette suspension d'armes , dans l'état oii 
^^étaient les choses , ne soit plus défavorable 
j,qu'avantageuse à la garnison ; car les niala- 
^yladies occasionnent encore une perte de onze 
^^cents hommes par mois, d'oii il résulte qu'au 

1* août nous serons encore alFaiblis d'environ 

dix sept cents hommes. 

,,Nos vivres en outre se consommeront, et, 
„si le duc de IVurtemberg ne montre pas une 
„meilleur volonté qu'il n'a fait jusqu'ici , nous 
„ne ferons guère d économie sur ce que nous 
,taurions pu mettre a ]>art des subsistances qu'il 
„doît nous fournir. Mon état ne m'inquiéterait 
„pas jusqu'au mois d'octobre, mais passé cette 
„éi>oque ma position deviendra pénible ; car 
„nous manquerons de bras pour défendre l'im- 
„mense développement donné k nos fortifica- 
„tions, de vivres pour les défenseurs, et nous 






du général Happi. 245 

,,11 aurons pas plus k espérer de ressources du 
^dedans que: du dehors. ^ 

„L'état de composition de la ration depuis 
„le blocus fera connaître a votre altesse que 
„j'ai apporté dans la distribution des vivres 
,, toute! économie que commandait notre posi- 
^^tioft, et que j'ai employé a cette fin toutes 
„les ressources dont on pouA^ait tirer parti: 
„niais ôes ressources s'épuisent , et ce serait 
,, vainquent'! qu'on compterait sur celles cfui 
„]>ourr»ient être la suite de l'expulsion aes- 
,,habitantsL> en effet, il ne faut, pour secon- 
„ vaincre de cette triste vérité , que se rappe- 
„ler qu'il y a deux ans Napoléon fit requérir a 
„Danaic six cent mille quintaux de grains, 
,, opération qui fut exécutée très rigoureuse- 
,,ment. On ne laissa a cette époque que vingt 
,,trois mille quintaux pour la suosistance des. 
^habitants. Depuis ce moment, ceux*ci ont 
,,vécu avec cette portion et quelques minces 
,,quantités qu'ils avaient soustraites aux recher- 
ches les plus sévères. 

„J'ai exposé phis haut a votre altesse la. 
perte mensuelle que nous occasionnant encore 
,,les maladies; X'état de situation des troupes 
,, présente uriiefFectif de vingt raille cinq cent 
cinquante huit hommes ^ ce qui suppose, 
d'après les données trop certaines que nous 
„avons déjà , que la garnison sera réduite a la 
„fin de l'armistice a vingt mille hommes, dont 
,, il faut déduire au moins deux mille aux hd- 
,,pitaux, en supposant même que lés privations 
„n'augmentent pas les maladies. Que serait-ce 
„donc au mois de mai, lorsque la progression 
„de mortalité que Tétàt actuel des choses sup- 



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♦> 



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»* 



.246 . Mémoires 

„pose aura encore moissonné beaucoup d'hom- 

' ,,nies?... Il résulta du calcul quon peut faire, 

„quen admettant que les maladies d'hiver 

„n augmentent pas beaucoup le nombre des 

„morts et qu'il n y en ait que mille par mois, 

, „que la perte serait au 1«' mai de huit mille, 

„sans compter tous ceux qui périront dans les 

^affaires ou par suite de blessures, H ne reste- 

„rait donc au 1 <**' mai qu'un effectif de onze 

' „mille hommes, sur lesquels il y en aura cer- 

,,tainement trois mille aux hôpitaux : or com- 

,,ment défendre avec une si faible garnison 

„des fortifications aussi étendues. 

„Jai déjà donné des ordres pour la construc- 
„tion d'ouvrages destinés k défendre la trouée 
„de Mottlau, point extrêmement faible lorsque 
„les rivières seront giplées. Je fais travailler 
d'ailleurs a tout ce quij^eut assurer mes com- 
.munications ; mais , je le répète , il faut des 
y, défenseurs. Votre altesse ne doit pas douter 
y,que , si cela devenait nécessaire , je ne fasse 
„pour me maintenir dans un }>oint quelconque 
„ae Dantsic tout ce que l'honneur et mon aé- 
„vouemfent a remi>ereur pourront me suggérer. 
„L'état des magasins prouvera k votre td- 
yytesse que nos ressources sont bien bornées: 
„elle doit penser que je les ménagerai avec 
„tout le soin que m'inspire le désir de faire 
;,une défense honorable : c'est pour parA'^enir à 
,,ce but que j'ai fait entrer dans la commission 
,,des approvisionnements que la loi- a instituée 
yydans les places en état de si*ége un nombre 
,,bien plus considérable de membres que ceux 
^qu^elte détermina. 
^ Je les ai réunis sous la présidence du gène- 



» 
»> 



1 
\ 



„mission est chargée de me proposer toute» 
,, mesures qui peuvent tendre a l'économie 



du général Rapp. " 247 

rai de division comte Heudelet. Cette corn- 

les 
et 
, , au bien-être du soldat; elle a rendu de grands 
,,services , et je suis fâché de ne pas lui avoir 
,, donné plus tôt les attributions qu'elle a au- 
,,îourd*hui. 

„L'article des finances mérite une attention 
„bien particulière de la part de l'empereur et 
,.de votre altesse. ^ Tous les fonds qui avaient.. 
,,été laissés a ma disposition ont été consommés, 
„et j'ai été obligé d avoir recours a un emprunt 
,, forcé, que j'ai imposé a ceux qui étaient sus- 
„ceptibles de donner encore quelque chose. 
,,Cet emprunt s'est exécuté avec les formes le» 
,,plus rigoureuses envers ceux qui prétendaient 
„ne pouvoir contribuer a la dérense commune; 
,,mais, quelques soins qu'on se soit donnés a 
„cet égard, et quoiqu'on aitv allié toutes les 
,. mesures qui pouvaient conduire a des résul- 
,,tats prochains , on n'a pu obtenir jusqu'ici 
„qu'un million sept cent mille ^ancs , et on 
,,aura bien .d^ la peine à f^re rentrer le reste. 

„Les déj^enses de la solde, des masses qu^il 
,,est nécessaire de payer ; celles des construc-' 
étions du génie, quant a ce qui concerne la 
9,main-d'œuvre (car on prendra par réquisition - 
^payable au déblocus , ainsi qu'on l'a fait de- 
„puis deux mois , tous les, matéjbiaux quisdnt 
„dans la place); celles de l'artillerie, celles des 
y,hôpitaux , des différentes branches de servi* 
„ce8 , des subsistances, c'est-a-dire encore tout 
„ce qui est journées et main-d'œuvre; les con- 
,,structions de la marine, l'habillement; toutes 
„ces dépenses , dis-je, dont j'ai fait faire l'éva- 



248 • Mémoires 

,,luation, se montent a plus de neuf cent mille 
^yfrancs par mois. 

,,Une maison de commerce étrangère a of- 
,,fert de faire ici des fonds moyennant ^iie le 
,,payeur-genéral lui assure son remboursement 
„a Pari^. Ce serait un grand point de trancjuil- 
„lité si je voyais cette affaire réglée; mais je 
,,préférerais que les fonds me fussent envoyés, 
„car il peut arriver telle circonstance qui arrè- 
yyterait dès le second mois le 2>aiement convenu. 
,,Votre altesse j>ense bien qu'il n y a pa^ mo- 
,,yen de songer a ne pas payer exacte^ient les 
,ydépens4^s ci-dessus indiquées , surtout avec 
,,une garnison composée comme celle nue je 
commande; je la supplie donc de solliciter 
de sa majesté des mesurer qui puissent assu- 
rer le paiement de^ sommes qui me sont né- 
,,cessaires. 

, Je ne dois pas terminer sans faire observer 
„k votre altesse crue la qi^antité de poudres qui 
,, existe encore dans nos magasins n'est pas À 
,,beaucoup près len. proportion avec celle qui 
,,8erait nécessaire ]^ur un siégé* 

„£n|in, monseigneur, j'ai dû vous faire a 
yyl'avance toutes ces observations, qui roulent 
,,sur l'insqffisance dt^s défenseurs, sur celle des 
„moyens de subsistance, sur les fonds néces- 
„sairesanos dépenses obligées, enfin sur nos 
„approvisionnements en tous genres , qui ne 
„sont pas a beaucoup près en raison des be- 
,^oins. a venir, je supplie donc votre altesse 
,,de mettre sous, les yeux de l'empereur la posi- 
,,tion fâcheuse dans laquelle nous nous trouve- 
,,rons, si sa majesté ne vient pas k notre aide. 
9^Ce (|ui reste de la garnison est d'ailleurs ex- 



f9 
19 



du général Rapp. 249 

„cellent, et Ton peut compter de sa part, au 
„moyen de quelcjues récompenses bien applî- 
,,quées sur un dcA oUenîent sans bornes, tlle 
,,fera tout ce que lempereur peut attendre de 
,,ses meilleurs soldats, et justinera la confiance 
„que sa majesté lui a accordée et la faveur 
,, qu'allé lui a faite en la r.eplaçant au nombre. 
,,aes corps de sa grande armée. 

„Je suis etc. 



yiSignê^ Comte Rapp.** 

Cependant l'armistice touchait k sa fin. Les 
troupes, les munitions, lartillerie de siège, af- 
fluaient devant la place. Bientôt nous eûmes 
en présence trois cents pièces de gros calibre 
et soixante mille combattants. Cette dispropor- 
tion était immense; mais nous avions vaincu 
malades , nous pouvions ei^pérer dé vaincre en- 
core. Il ne nous fallait que des subsistances. Les 
Russes en étaient si convaincus qu'ils donnaient 
la chasse aux moindres embarcations qui al- 
laient a la pèche. Leurs canonnières en avaient 
même capturé quelques unes, qui pourtant n'a- 
vaient^ pas dépassé nos limites, jf expédiai de 
suite un parlementaire a l'amiral. Je lui re- 
présentai que la mer devait être libre jusqu'à 
une lieu de la côte , et que je saurais faire res- 
pecter les conditions de l'armistice si on es- 
sayait encore d y porter atteinte. Il promit de 
s'y conformer» et de ne plus inquiéter nos ca- 
nots. Il ne les inquiéta plus en effet; mais dès 
le soir même il fit enlever nos malheureux pê- 
cheurs, retirée sans défiance dans leurs cabanes. 
Il craignait l'abondance que quelques livres de 



250 Mémoires 

poisson allaient apporteia^ans la place. Les pay- 
sans, les cours d'eaux, ^'étaient paS'mieux trai- 
tés. On traquait les uns , on détournait les 
autres.* Il semblait que tout était occupé a nous 
faire parvenir des subsistances, quelles nous 
arrivaient par toutes les issues ; j'avais beau ré- 
clamer , on ne manquait jamais de défaftes ni 
d'excuse?. J'étais outré de ce système de dé- 
ception. Enfin le prince de Wolkonski me dé- 
nonça la reprise des hostilités ; je reçus cette 
nouvelle avec une véritable satisfaction. Nos 
rapports étaient trop désagréables pour que je 
ne désirasse pas les voir finir. 



du général Rapp. 251 



CHAPITRE XLI. 

L ennemi était plein de confiance ; il com- 
battait 9 il intriguait , il se flattait d'emporter la 
place ou de la réduire en cendres; mais toutes 
ses tentatives échouèrent devant la vigilance 
et l'intrépidité de mes soldats. Ses fusées in- 
dendiaires vinrent se perdre sur les remparts ; 
ses attaques furent repoussées, et ses émissai-. 
res découverts. Plusieurs de ces misérables 
s'étaient déjà introduits dans nos magasins , et 
se disposaient a les incendier. J eusse peut-être 
dû en faire un exemple; mais je craignis que 
cet ex;emple ne fût dangereux, je craignis qu'il 
ne donnât Tidée du crime a ceux qui ne l'a- 
vaient pas, et qu'il ne répandît lalarme parmi 
les troupes. Je feignis de croire qu'ils avaient 
voulu détourner quelques comestibles, et les 
renvoyai; mais je publiai contre le vol des or- 
donnances si sévères que je tins la malveillance 
a l'écart. 

Après^ trois jours d'humiliations et de fati- 
gues les assiégeants réussirent enfin k s'empâter 
du bois d'Ohra. Chassés presque aussitôt, ils 
reparaissent avec de nouvelles forces , et re- 
plient le poste. Le bataillon de service prend 
une seconde fois 1^ armes , et vole a son se- 
cours. Le major Legros attaque le bois, deux 
compagnies de grenadiers se portent ^\i village ; 
les troupes se joignent, elles se pressent, se 

toussent, se ciilbutent ; la mêlée dévint affreuse. 
>e capitaine Capgran saisit aux cheveux un offi- 



252 Mémoires 

cier prussien; tandis qu il le terrasse, lui-même 
est sur le point de jjerdre la vie; un soldat l'at- 
teint déjà de sa baïonnette : le lieutenant Sa- 
batier détourne le coup, serre le Cosaque, et 
lui passe son sabre au travers du corps ; mais 
au moment où il sauve son chef, il reçoit à ia 
goFge une blessure qui le force de quitter le 
champ de bataille. Dans le bois ; dans le village, 

Surtout les Russes sont accablés ; le capitaine 
uchez en abat quatre ; le commandant Char- 
ton , les lieutenants Devrine et Blanchard , les 
moissonnent a pleines mains; une foule de bra- 
ves se répandent au milieu d'eux, et accrois- 
sent le désordre. Francou , dont la valeur fut 
quelque temps après si fameuse, Martin, Cou- 
ture, Rochette, Schiltz, Lepont, Beiinot, Sou- 
de, Paris, Belochio, tous sous-officiers de trou- 
Ees légères , le carabinier Richida , le tam- 
our Breighier, percent jusqu'au centre de 
leurs colonnes et les livrent au fer de nos 
soldats. 

Des troupes fraîches prennent la place de 
celles qui sont défaites, et s'établissent dans 
le bois; nos braves s'élancent sur les pas du 
lieutenant Joly Délateur, les abordent et les 
culbutent. L'ennemi néanmoins ne pert pas 
courage; il se reforme, et se présente une 
troisième fois: mais, toujours vaincu, toujours 
taillé en pièces , il cesse enfin ses attaques. 

Dès le lendemain il se jette sur Stries, Hei- 
ligenbrunn , et s'empare de Langfuhr. Nos 
avant -postes se replient sur deux blokhaus 
situés a droite et à gauche du village. Le 
Russes les suivent et se disposent a donne 
l'assaut; mais les Polonais tirent si bien et ^ 



du général Rapp. 253 

juste qu'ils les forcent a la retraite. Ils re- 
viennent* en forces . il couvrent , ils inondent 
les gorges du Jesch Kenthal ; ils menacent 
Heiligenbrunn, ils débouchent par Stries; toute 
tna ligne est en feu. Ces manœuvres ne lais- 
saient aucun doute sur leurs intentions : il 
était palpable qu'ils avaient des vues sérieuses 
sur Langfuhr; je résolus de les piwenir et de 
marcher a leur rencontre. Je rassemblai mes 
troupes , la gauche au ' village , le centre dans 
les ravins de Zigangenberg, etla droite ^'éten- 
dant jusqua Ohra. Vingt-quatre pièces de ca- 
non, conduites par le général Lepin, se placent 
a égales distances des deux ailes; elles ouvrent 
aiissitôt le feu : les redoutes de Tennemi, ses 
masses , son camp de Pitakendorf , tout est sil- 
lonné par nos boulets ; nous démontons deux 
de ses pièces. Les Polonais , les Bavarois , les 
Westpnaliens, et deux cent cinquante chevaux 
commandés par le général Farine, débouchent 
en même temps. Le brave Szembeck, déjà aux 
prises av^c lesRusses^^les chassait deDiwelkauj 
dès que nos soldats aperçoivent cette déroute» 
ils s'échàu'lFenty ils s animent, ils fondent sur 
les redoutes de Pitakendorf. Les alliés, refou- 
lés dans leurs ouvrages , essaient çn vain de se 
défendre ; le jeune Centiirione a la tête de ses 
hussards franchit tous les obstacles , et toihbç 
percé de coups. A la vue de cet excellent offi- 
cier moissoimé dans un âge aussi tendre, la 
soif de la vengeance allume tous les courages: 
infanterie, cavalerie, se jettent pêle-mêle sur 
les redoutes. Le trompette Bernadin, le chas- 
seur Olire, le maréch,ai-des-logis Boucher, s'ér 
lancent au milieu des Russes ; le lieutenant Ti* 



254 Mémoires - 

rion; accueilli par un cou^^ de feu, va droit à 
l'officier qui les commande , et le fait prison- 
nier. Dès lors ce n'est 2>lus un combat, c'est 
une boucherie, c'est un carnage ; tout périt sous 
la baïonnette, on ne doit la vie qu'a la clémen- 
ce du vainqueur. Tandis que nos soldats s'a- 
bandonnent au feu de leur courage, une nuée 
de Cosaqui^s fond sur eux et menace de .les 
tailler en pièces; mais le général Cavaignac 
s'ébranle si a propos avec la réserve de cavale- 
rie , les troupes chargent avec tant d'abandon, 
l'adjudant- commandant de Erens , Jies chefs 
d'escadron Bel et Zeluski, les capitaines Gibert, 
Fayaux, VallieV, Pateski et Bagatho, déplo- 
ient tant d'intelligence et de conduite , que 
l'ennemi culbuté se disperse dans le plus af- 
freux désordre. 

La canonnade s'échauffait de plus en plu». 
Les Russes occupaient. toujours le Johanniâberç^ 
le plateau en avant de Pitsendorf , et assail- 
laient Langfuhr avec violence. Je détachai 
contre eux un bataillon de la Vistule^, soute- 
nu par les Napolitains que commandait le gé- 
nécal Détrées , ayant sous ses ordres le géné- 
ral Pépé, que les événements survenus dans 
sa patrie ont depuis rendu si fameux. Le brave 
Sxembeck commença Tattaque; elle eut lieu 
avec beaucoup d'ensemble et d'impétuosité. 
Les Russes culbutés a coups de baïonnettes, 
renversés par .des charges meurtrièrear, cher- 
chent leur salut dans la fuite. Les Polonais 
lés pressent avec plus d'audace: le tambour 
Hhade en saisit un jmr sa giberne , l'arrache 
des rangs et le désarme. Le capitaine Fate- 
sinsky oublie qu'il est blessé ; il s'élance dans 



du général Rapp. 255. 

une maison qu'ils occupent» tue leur chef et 
en fait trente prisonniers. 

Les ^Napolitains ne sont pas moins impé- 
tueux; ils se pressent a la suite des fuyards, 
les poussent et les fusillent. Le général Pépé, 
le colonel Lebon, les commandants Balathier, 
Sourdet, les capitaines Chivandier et Cian* 
cuUi, dirigent, excitent leur courage, don- 
nent a la fois le précepte et Temple. 

Sur le flanc opposé de la montagne , la mê- 
lée n'était iii moins opiniâtre ni moins san- 
glante. Au signal convenu, le colonel Ka- 
minsky avait marché sur les Russes et* les avait 
débusqués; il les chassait devant lui , la pour- 
suite était ardente. Des renforts surviennent, 
Tennemi veut faire tête k Forage ; mais les Po- 
lonais le pressent avec impétuosité: Roseiaens- 
ky , Drabizclwsky, Doks, Zfaremba, Zygnowiea, 
que 'Suivent des hommes dévoués, fondent 
sur lui , et le taillent en pièces. 

Nous étions maîtres du Johannisberg. Le 
temps était af&eux, et l'ennemi fuyait au 
loin. Je fis sonner la retraite ; elle s'exécuta 
dans Tordre le plus parfait. A six heures tout 
était tranquille. Mais les Russes ne tardent 
pas>à reparaître. Ils attaquent a la fois le belvé- 
der ,. les hauteurs d'Heiligenbrunn , et enga- 
gent une fusillade de& plus vi^es ; néanmoins 
lU ne peuvent obtenir /le plus léger avantage. 
Le colonel Kaminsky et le commands^nt Saem- 
beck déploient un courage, une habileté qui 
les déconcertent. Ils se retirent, mais en même 
temps deux bataillons soutenus par une cava- 
lerie nombreuse se portent sur le village de 
Stries, Kaminsky accourt pour le défendre. 



256 Mémoires 

s. \ 

\ 

Aussitôt les Russes reviennent a la charge ; ils 
escaladent les hauteurs, ils assaillent le oelvé- 
der, poussent, pressent leurs. attaques. Toutes 
leurs tentative» échouent contre les excellen- 
tes dispositions du major Deskur, et la bra* 
voure des chefs de bataillon Johman et Bo- 
biesky. s 

Ce îi'étaît pas la première diversion qu'ils 
tentaient. Déjà ils avaient replié nos 'avant 
postes depuis Schidlitz jusqu'à Ohra: attaqué 
dé front et en flanc, le major Schneider ne se 
soutenait dans ce faubourg qu'a force de cou- 
rage. Tbut a coup il aperçoit une colonne 
nombreuse qui s'engage imprudemment dans 
lagrandarue: il la charge, il la mitraille, il 
l'anéantit. Le général Uusson survient avec 
la réserve. Nous reprenons 1 offensive ; en un 
instant le bois , le village , sontenlevés , et les 
Russes mis dans le plus affreux désordre; Le 
chef de bataillon Boulanger en désarme huit; 
un sergent blessé d'un coup de feu , le brave 
Vestel, trois; le sous -officier Cornu délivre 
un des nôtres, et fait mettre bas les armes a 
Fescorte qui le conduisait. 

J étais de nouveau maître du Johannisberg 
et de Langfuhr, mais ce succès ne pouvait 
être durable ; les Russes , revenant continuel- 
lement a la charge avec des tromies fraîches, 
devaient finir par l'eçiporter, D'ailleurs ces 
deux positions étaient si éloignées qu'elles ne 

i>ouvaient ni nie nuire , ni m,'être bien utiles. 
\e donnai en conséquence Tordre de les éva- 
cuer, si les alliés se présentaient en force. 
Mais l'audace avait fait place à la réserve. Ils 
craignent de s'éloigner des hauteurs ; ils n'o- 
sent 



^ du général Rapp. 257 

sent prendre possession d'un village aban- 
donne. Impatients néanmoins de s'en rendre 
maître^ , ils engagent une action générale pouTv 
s'emparer d'un poste que j'avais résolu de ne pas 
défendre. Les troupes prennent les armes; la 
flotte les soutient. Toute ma ligne est atta- 
quée: quatre - vingts canonnières tpnnent de 
concert^ foudroient Neufahrwasser. Schel- 
muUe, Neu-Schottland, Olïra, Zigangendorf, 
deviennent la }n*ôie des flammes^ Lenneno^i 
se réjiand comu^e un torrent dans la plaine ; 
il renveJrse^ incendie tout ce qui s oppose a 
èen passage. . J'accours au milieu de cet af- 
freux dé§oi:dref Mais déjà l^s Ruwsse$ devien- 
xieBi; moins impétueux^ ils échouent devai^t 
une poignée de oraves que conunande le major 
Pojeck , et laissent les avenues de K^btun jon- 
chées de morts; Je les fais suivre : le bouillait 
Gibert accourt avec ses chasseurs; le capitaine 
Maisonneuve se joint a lui; ils poussent ^ ils 
ébranlent cette multitude en desordre et la 
jettent dans SchelmuUe. Elle se rallie . aux 
troupes -qui occu)>âent Je village et soutient, 
sans sejronlpre^ les décharges meurtrières du 
capitaine Ostrowskj; mais tournée presque 
aussitôt par le capitaine Marriier , un des plus 
braves officiers de l'année fançaise, elle fuit^ 
elle se débande , elle cherche un refuge jus- 
que- sous les décombres des bâtiments qu'elle 
a livrés' aux flammés. 

La mêlée n'était pas moins vive a Langf uhir : 
assaillis par douae mille Russes , nos postes 
luttent y se débattent au milieu de ces épaisses 
colonnes.* Le sergent Sahatkowsky eut nesoiri '' 
de toute sa bravoure pour échapper aux Gosai- 

17 



258 Meu\oir€s 

ques. Occupé a une Construction en avant du 
village , il avait été , lui treisième , en veloj^pé 
par ces troupes irrégulières; il rallie aussitôt 
ses travailleurs, fait face dun côté, attaique 
de Tautre ; il marche , il combat toujours, et 
se dégage enfin sans perdre un homme. 

Les Russes humiliés se jxirtent au village. 
Deux maisons que j'avais mises a même die ré- 
sister a un coup de main en défendaient len- 
tféet ils les tournent, ils les pressent, ils les 
'escaladent; niais une fusillade meurtrîëre les 
renverse et les force a s'éloigner. Pour, sur- 
croit de maux , les ^Napolitains . paraissent et 
les attaquent. lie colonel Lebon , le colonel 
Dégennero, pressent, ronq>ent la cavalerie, 
et pénètrent dans Langfuhr. EUeVevient à la 
^charge plus nombreuse et plus fière; elle pro- 
fite dés obstaèles , saisit Ta-prbpos , et s'élance 
sur nos bataillons épars dans les rues. Une 
i^iéléè sanglante a lieu: le brave Paliaaxi tombe 
']iercé. de dix coups de lance; les capitaines 
^îcolaii, Angeli, Dégennero, sont couverts 
tle blessures et foi-cés d'évaouer le champ de 
bataille. En vain l'intrépide Grimaldi^ en vain 
leji lieutenants Âmato, Legendre,, Hubert, 
Pïiukà, Go^iéx et Zanetti, veulent faire tète 
alorage; le nombre l'emporte: nous sommes 
forcés a la retraite.... Quelques braves, enga- 
gés trop a^ant , ne jjeuvênt suivre et sont cou- 
>és : loin de se laisser abattre , ils s'exaltent à 
a vue du danger et se rallient autour de l'ad- 
judant-major Odiardi. Ils avancent, ils tour- 
nent, ils rétrogradent et gagnent enfin les mai- 
sons crénelées. Déjà elles étaient assaillies 
pour la deuxième fois : les alliés , furieux > se 



1, 



du général Rapp. 259 

jçttent sur les palissades; ils les arrachent, et 
semblent devoir triompher de tous ces ob» 
stades : mais coucLës dans la poussièra.a me- 
sure qu'ils se découvrent; ils désespèrent bien- ' 
tôt du succès: ne pouvant les emporter,; iî» 
les livrent auxf flammes. Nos braves ne sont 
j>oint ébranlés : les uns continuent la fusillade, 
les autres éteignent le feu ; et l!ennemi n'est 
pas plus avancé. 

Une fumée épaisse nous dérobait les deux 
maisons; j'ignorais si nos troupes le^ QCCt^* 
|>aient encore , ou si les alliés s'en étaient Kto- 
dus maîtres. Des rapports Tannonçaient; je 
résolus néanmoins de faire une tentative ; mais 
lea balles parties des maisons tombaient ^ flot^ 
surnoiis; j^e conclus quelles étaient perdues^. 
Une circonstance rendait la chose v^eais^ei»-^ 
blabie: la* fusillade avait cessé et Tinçendie 
était flagrant. Je répugnais ce}>endant a ciboire 
quelles eussent été rendues. Je l^s fis de nou- 
veau reconnaître: les alentours «de ces deux 
postes étaient jonchés de cadavres vêtus de 
capoteSb blanches ; abusée par la Couleur du 
costume, les officiers que 'j'avais expédiés *e 
persuadèrent que les Bavarois avaient péri: 
tous l'assuraient^ tous en étaient convaincus. 
La perte d'aussi braves gens étais pénible ^ et 
méritait bien de ne pas être admise sur dès 
apparences^ Je chargeai un de mes s^ides-de- 
cainp, ie capitaine Marnier^ de savoir au 
juste ce c[u'il en était : cette mission ne pou- 
vait pas lui déplaire ; il avait ^ a la bataille 
d'Uclès, somme une division espagnole de 
mettre bas les armeë, et l'avait amenée: les 
lances des Cosaques ne devaient pas l'arrêter. 

' 17 . 



260 Mémoires 

A la pointe du jour, il sort de Kabrun arec 
huit hommes qui demandent a le suivra; il 
se j>orfce k la course vers la maison' de droite. 
Aussitôt les barrières s'ouvrent, le poste se 
joint a lui, et faitsa retraite malgré les- Rus- 

' sed qui accourent pour l'enlever. 

nestait 'CeUii dejgauche; mais le plus diffi- 
cile était fait. J'avais la* certitude qu'il exis- 
tait encore; Je donnai des ordres pour qu'il 

•fûtsécoUru. Un batailloon s'avance: à peine 
Fei>rent-ils afperçu que ces admirables soldats 
•placent leurs blessés au milieu d'eux, et fon- 
detit sur les alliés. Plusieurs sont atteints : le 
brafve Dalwick reçoit unft balle qui lui fracasse 
répaule gauche; mais il n'en continue pas 
moins de combattre avec courage. La mêlée 
devient de plus eh plus sanglante. Lès Bava- 
rois , qà'échaufFe le noble dessein de sauver 
leurs compatriotes et qu'enflamme encore 
l'exemple «e deux officiers intrépides, l'adju- 
dant-major«Seiferlitz et le lieutenant Muck, 
se précipitent sur l'ennemi, le rompent et dé- 
gagent enfin cette poignée' d'homme* dévoués. 
Ils firent une espèce d'entrée trionn^hale : cha- 
cun voulait les voir, voulait les féliciter; on 
r'èntreteriait de leur constance, on vantait leur 
sésignation. Seuls, abandonnés a eux-mêmes, 
sfi^ns vivres , sans munitions , consumée par la 
soif, suffoqués par l'incendie , ils avaient oravé 
les menaces , repoussé les sommations et rejeté 
avec dédain les insinuations de l'ennemi. C'é- 
tait surtout le capitaine Fahrenbeck qu'on acca- 
blait d'éloges ; on admirait son sangfroid , on 
exaltait son courage-; sa fermeté y sa prudence, 

étaient le sujet de toutes les conversations, le 



du géniBjial JRapp. 261 

texte de tous les eptretieas. Il était naturel 
cjue je téiiioignasse a ces braves combien j'é- 
tais satisfait: je mis U l'ordre du jour les périls 
qu'ils avaient affrontés, les dangers, qu'ils, 
avaient courus, et j'établis les blessés dans 
mon hôtel, Chaque jour je les visitais; cha- 
que jour je m'informais de leur situation et^ 
m'assurais que leurs besoins étaient satisfaits. 
Un officier qui avait toute i?ia confiance, M. 
Komeru , était en outre chargé de leiu' prodi- 
guer les soins, Ips consolations que je ne pou- 
vais leur donner moi-nlême. 

Dès que lennemi fut maître de Langfuhiç, 
il mit la main a l'oeuvre: c'étaient ouvrages sur 
ouvrages; il ne discontinuait pas. Son dessein 
était de me resserrer de plus en plus et de me 
contraindre a m'enfermer dans la place : ce pro- 
jet était adrnirable; il ne s'agissait que de l'exé- 
cuter; la chose était moins facile. J'avais cou- 
vert le front d'Oliwa et celui du Hagelsberg 
par un camp retranché formidable ; neuf ou- 
vrages le composaient: la lunette d'Is trie occu- 
pait le point culminai nt des hauteurs qui domi- 
neiit le fort et la gorge d'Hagelsberg ; elle était 
flanquée par les batteritjs Kirgener. et Caulin- 
court. Ou choisit ensuite, parmi les mamelons 
'qui se trouvaient entre ces ouvrages et l'allée 
deLangfuhr, ceux qui étaient le plus avanta- 
geusement situés, etoa les fortifia, voici quelle 
était la disposition de ces redoutes: eu partant 
delà droite de Caulincourt,. la redoute Ro- 
meuf, ^labaiterie Grabowsky , la redoute De- 
roy, la batterie Mont brun. Enfin, pour com- 
pléter cette ligne de fortification^ et la prolon- 
ger jusqu'il la Vistule, on établit encpre deux 



262 Mémoires 

batteries; l'une, dite de Fitaer , au travers de 
L'allée de Langfuhr': l'autre , <5onaue sous le 
nom de Gudin, était un peu plus éloignée: 
elle s'appuyait à une inondation artificielle qui 
' s'étendait jusqu'à la digue de gauche de la Vis- 
tule, et formait la droite de toute la ligne, 
qui renfermait encore deux batteries placées 
de l'autre côté du fleuve. Tous ces ouvrages 
étaient palissades , munis de logements et de 
magasins a poudre. Je fis en outre construire 
deux camps de baraques : l'un de quatre cents 
hommes , vers l'extrême gauche, derrière Kir- 
gener; et l'autre, pour cent cinquante, der- 
rière Môntbrun. i.a^ partie de cette ligne qui 
s'étend de Môntbrun jusqu'à Gudin fut liée par 
une espèce de chemin couvert; celle qui se 
prolonge sur la gauche était suffisamment ga- 
rantie par les difficultés du terrain ; je pensai 
d'ailleurs qu'il fallait se ménager la faculté de 
prendre l'oiFensivé dans tine portion de ces ou- 
vrages. 

Ohra fut également mis en état de défense. 
Une masse de maisons qui communi,quaient 
entre elles et dont les portes , les croisées, 
avaient été fermées avec soin ; des parapets, 
des palissades , qui n'avaient d'issue qu'une 
langue de terre comprise entre deux fîaques 
d'eau assex profondes, formaient un retranche- 
ment avancé connu sous le nom dé première 
coupure dQhra; la deuxième, située a deux 
cents toises en arrière, était composée des mê- 
mes éléments, et s'appuyait a un grand cou- 
vent de jésuites qui avait été crénelé. Les hau- 
teurs et les gorges qui pendent vers le fau- 
bourg furent fortifiées ; les redoutes dont elles 



du général Rapp. ' 263 

furent revêtues mirent rennemi hf>rs d'état de 
nous tourner, et devinrent bientôt fameusesf^ 
souj» le nom de batteries et d'avancées FrîouL 

Pendant que nous exécutions ces travaux, 
rennemi venait fréquemment s'exercer contre 
nos avant*postea : Schidlitx, Ohra^ Stoiaenhergj^ 
étaient tour a tour Tobjet de ses attaques. 
Rejxoussé sur tous les )>oints , il tente une sur- 
prise sur Heubude ; mais il se jouait a |>lus Bn 
que lui: le commandant Carré, vieux mili- 
taire plein de vigilance et de ruses, aperçoit 
ses colonnes, réussit a les mettre aux prises, 
et «e retire sans perte d'une position critique, ' 

Tout honteux de cette mystification cruelle, 
les Russes se flattent de prendre leur reviinche 
a Kabrun. Ils Tentourenl , ils l'escaladent»; 
mais , accueillis par une fusillade mejurtiière 
que dirige le capitaine Naszewski , Us s'é- 
loignent et laissent les fossés remplis de morts. 
Ils se portent de nouveau sur Schidlit»; mis 
en fuite une première fois , ils reviennent a la 
charge avec une vigueur , une impétuosité 
nouvelle; mais 1 adjudant-major Boutiiv, Iç? 
capitaines Kléber et Feuillade' exaltent Jsi bien 
nos soldats, qu'ils se jetteni sur les alliés et les 
enfoncent^ 

La flotte n'était pas non plus oisive : le 4 , 
dès la pointe du jour , elle réparait ea ligne; 
elle avait échoué la surveille dans deux attaques 
consécutives, et dépensé en pui'e perte plus de 
sept mille coups de canon. La honte y la so^f 
de la vengeance, t4>ut l'excitait a combaUre: 
ce fut l'explosion d'un volcan.. Les frég^^tes 
et les canonnières tonnent a la foi?, et nous 
couvèrent d'un déluge de projectiles ; -mais, Iqm 






264 Mémoires 

des^efFrayer , noç batteries redoublent de calme 
-et de justesse. Officiers et soldats, tous s'élè- 
vent àu-desstte du danger et ne songent qxi a 
la victoire. Un canonmer chargé de récouvil- 
lon a le bras emporta ; le capitauie Ponierenslû 
. s'en einpare et feit le service. Le sei^ent Viard 
sert une pièce qui tire ^ boulfets- rouges -, et 

t>ointe comme au polygpne ; le lieutenant Mi- 
ewski ajuste, surveille les siennes, coule une 
canonnière, en endommage d'auti'ès, et les 
force d'évacuer le champ de bataille. Le capi- 
taine Leppigé , le sergent-major ZackowsKi, 
le sergent Râd^miski , le caporal Multarowski, 
donnent les exemples les plus admirables de 
sang-froid et d'intelligence. Le capitaine Hen- 
rion^ le lieutenant Haguenj , le capitaine de 
frégate Rousseau, les marins Dëspeî^tre; Coste, 
les capqraux Davis, Dubois, s'attachent aux 
pièces , et ne cessent de cbmbi^ttre que lorsque 
1 ennemi a pris la fuite. La flotte, convaincue 
de l'inutilité ^e ses elForts, gagne le large avec 
la satisfaction d'avoir tiré neuf mille coups de 
canpii pour nous tuer deux hommes: elle nous 
avait aussi démonté deux pièces ; mais elle 
avait peMu deux canonnières ; neuf autres 
étaient fortement endommagées . et ses fréga- 
tes criblées d'obus et de boulets. 

. Nous eûmes bientôt un ennemi plus redou- 
table a combattre. Tout a coup la Vistule 
s'enfle; elle franchit, elle rompt les digues 
et s'échappe avec impétuosité. La place ; les 
fortifications, devi'enneni la proie des flots. 
Les |ionts sont ejiftportés , les éclui?es anéanties, 
et le$ ' cha^ussées èntro^i vertes : les eaux, dé- 
' sorniais -sans obstacles , s'engouffrientdans les 



' du général Rapp. 265 

fosisés et sapent les bastions. Celui de Bœren, 
celui de Braun^Ross , étaient en ruines , et il 
était k craindre qu'on ne pût maintenir Tinonr 
dation lèrsque la Vistule rentrerait dans son 
lit : mais le génie ne s'oublia pas dans cette ^ 

circonstance désastxeuse; a force d'habileté et 
de constance, il parvint k rétablir les brèches^ 
et', quand le fleuve s'abaissa , l'inondation^ 
alimenfée par les branches qui sillonnent le 
. Werder , n'éprouva qu'une variation de niveau 
presque insensible. . 

C'était maintenant le tout des Russes: ils ' 

avaient profité des embarras que ftous causait 
la crue des eaux; ils avaient élevé batteries sur , 
batteries, et le 15 novembre ils en démasquè- 
rent une vingtaine , armées de pièces du plus 
gros calibre. La flotte vint aussi s'essayer de- 
vant nos forts. Des masses d'infanterie étaient 
prêtes k donner l'assaut dès qiie les palissades 
seraient détruites. L'action s'engage ; trois bom* 
bardes, quarante canonnières, vomissent lé fer 
et la flamme sur Neufahrwasser, Loin de les 
abattre, le danger enflamme nos soldats; ils 
jurent de vaincre, ils jurent de punir les agres- 
seurs. Les troiipes de ligne s'attachent aux 
pièces; l'artillerie ' les pointe comme k la ma- 
nœuvre; elle endommage, elle démâte une 
foule de canoiinières. Tout k coup une explo- 
sion' terrible se fait entendre : un boulet a pé- 
nétré dans la saintebarbe, et le sloop a disparu. 
La même détonation se répète. On se félicite, 
on s'encourage ; on brûle d'imiter les braves 
qui tirent avec cette admirable justesse. Ti'ois 
ei«tbarcatioas deviennent presque en même 
temps la proie des flots , et la première ligne 

\ 



266 Mémoires 

86 retire toute couverte de débris. La deuxiè- 
me prend sa place sans être ]>lus heureuse ; et 
les divisions se succèdent ainsi de trois heures 
^ sans que le feu se ralentisse. Enfin, rebutée 

W des obstacles que lui opposaient le courage de 

nos soldats, les excellente^ dispositions du co- 
lonel Rousselot, et la vigilance du major Fran- 
çois, elle se retire et va réparer ses avaries. 
Douae heures de combat, vingt mille coups 
de canon, avaient abouti a nous tuer ou bles- 
ser une demi - douaaine d'hommes , et a nous 
endommager trois aiFuts. Ce fut la dernière 
tentative. Quelques mois plus tôt elle eût été 
infaillible ; mais a la guerre il faut saisir l a- 
propos. 

Les troupes obtinrent plus de succès. Elles 
attaquèrent nos postes en avant d'Ohra, et 
s'emparèrent de celui de l'Étoile sur les hau- 
teurs a droite du village. Le major Legros 
ne leur laisse pas le temps de s'y établir; qua- 
tre compagnies d'élite , sous la conduite des 
capitaines Valard et Aubry , s'y portent sans 
délai. Elles surprennent, elles taillent les Rus- 
ses en pièces. En vain ils reparaissent avec 
des troupes fraîches ; culbutés , mis en fuite, 
ils se disj>ersent , sans néanmoins perdre cou- 
rage. Ils tentent un nouvel effort; mais, a<^- 
cueillis par une fusillade meurtrière : ils se dé- 
bandent et tombent sous le feu de deux com- 
pagnies placées dans la viHage de Stadgebicth, 
qui les anéantissent. 



du génital Rapp. 267 



I,'.'" I 



CHAPITR.E XLII. 

• 

Là saison devenait chaque jour plus âpre. 
Les pluies ne discontinuaient pas et entrete- 
naient un brouillard fétide, qu'un spleil sans 
chaleur pouvait k peine dissiper* Mais , ce qui 
était bien plus grave , la disette allait toujours 
croissant. Les chevaux , les chiens , les chats, 
étaient manges ; nous avions épuisé toutes noê 
ressources, lè sel même nous manquait. Il est 
vrai que Tindi^strie y suppléa. Quelques sol- 
dats imaginèrent de faire bouillir des débris 
de vieilles planches, qui avaient autrefois servi 
dans un magasin; Texpérience réussit. Nous 
exploitâmes cette mine de nouvelle espèce , et 
les hôpitaux furent approvisionnés. La popu- 
lation était réduite aux abois elle ne vivait 
plus que de son et de drèche^ encore n eq avait- 
elle pas de quoi se satisfaire. Dans cet état de 
détresse , je pensai que les philanthropes alliés 
ne repousseraient jims des compatriptes, et j'ex- 
pulsai les détenus et les mendiants , tous ceux, 
en un mot , qui n'avalent pas de subsistances. 
Mais îeâ l^russiens furent inexorables ; et sans 
les habitants de Saint- Albrecht, ils Ips eussent 
fait périr d'inanition. D'autres se dirigèrent du 
du cote qu'occupaient les Russes, et ne furent 
pas mieux accueillis. Sans abri, sans aliments 
d'aucune espèce , ils eussent expiré sous les 
yeux de ces libérateurs de l'humanité, si je 
n'eusse pris pitié de leur misère. Je leur dis- 
tribuai quelques seç!ours et les renvoyai chea 



268 Mémoires. 

eux. Plusieurs demandèrent a être employés 
aux &>rtiticatious, et recevaient la moitié ou le 
quart d'un pain de munition pour salaire. 

Cependant l'ennemi avait perfectionné ses 
ouvrages. De temps à autre, il essayait ses bat- 
teries y et semblait préluder a une action plus 
sérieuse. Le 10,. en effet, toutes sont en leu 
dès la chute du jour. La ville, le Uolm, le^ 
camp retranché de Neufahrwasser, sont inondés 
de bombes, d'obus, de boulets rouges. L*incen- 
die éclate et dévore le couvent des .Domiui- 
oains. Les prisonniers russes soignés dans cet 
édifice allaient périr; nos soldats accourent et 
les arrachent a la mort. Toujours plus arden- 
tes, les flammes tourbillonnaient sur les mai- 
sons voisines et menaçaient de Içs réduire en 
cendres. En même tem]>s, les alliés se présen- 
taient en force devant nos.j^ostes d'Ohra et les 
repliaient jusqu'à Stadtgebieth. J accours avec 
le comte Heudelet. L'ennemi culbuté a la baïon- 
nette essaie vainement de revenir a la charge; 
le général Uusaon, le major Legros, repoussent 
toutes ses attaques. Une méprise augmenta ses 
pertes. Deux de ses colonnes se jwennent pour 
ennemies, et en viennent aux mains. Elles se 
reconnaissent aux cris des blessés; mais plus 
de trois cents hommes étaient déjà couchés dans 
la poussière. De notre côté, nous en avions une 
centaine hors de combat. 

Dès le lendemain il reparut devant les mai- 
sons situées aurdela de Stadt^cebieth. Repoussé 
deux fois, il y mit le feu. Quoique chiii'gé de 
deux blessures, le capitaine Basset hésitait en- 
core a les évacuer; mais le progrès des flammes 
ne tarda pas h l'y contraindre : il se retira en 



du général Happ. 269 

combattant toujours* Maîtres du village, les 
alliés se précipitent tout d'une haleine sur le 
plateau d<è TEtoile , et s'en emparent. Lés pos- 
tes qui l'estaient sur le rampant de la monta- 
gne étant désormais trop faibles, je les rappe- 
lai. Lennemf occupait enfin la position; mais 
il la payait assez^ cner pour une simple levée 
,de terre. 

Plus il cheminait du coté de Langfuhr, plus 
sa ']>osition devenait fêeheusè; pris en flanc et 
a; revers , foudroyé par les batteries du Holni, 
il ne put bientôt plus déboucher des redoutes 
qu'il avait élevées à Kabrun. Confus de s'être 
mépris sur le véritable point d'attaque, il porte, 
il concentre ses forces sur les hauteurs d'Ohra. 
Il tenle tous les moyens de s'en rendre maître ; 
|e n'en^ néglige ^aucun de les défendre. J'amé- 
liore, je multiplie mes ouvrages. Je mets a con^ 
tribution toutes les lumières. Des officiere su- 
périeurs de chaque arme, présidés par le géné- 
ral Grandjean , avisent aux mesures qu'exige 
la sûreté de la place. Ils mettent nos vivçes, 
nos munitions a l'abri des ravages de l'incendie. 
Ils divisent les approvisionnements, orglanisent 
le Service des pompes, et font construire des 
moulins, afin que si les bomJ>es venaient à dé- 
truire ceux qu'on possédait encore , on fût a 
même de les suppléer. Cei:)endant le feu des 
. alliés allait toujours croissant. Les incendies 
succédaient aux incendies et menaçaient de 
tout réduire en cendres. Tout k couj5 les batte- 
ries se taisent, la fusillade est suspendue. A ce 
silence inopiné , les habitatnts reprennent cou- 
rage ; ils courent, ils volent au secours des quar- 
tiers embrasés.' Malheureux ! ils disputentaux 



- • • • !• !•*. 

• • • • • î • 



270 Mémoires 

flammes quelques pana d'édifices , et la place 
touche a sa ruine !... 

L'ennemi n'avait cessé le feu que pour le 
rendre p^us terrible. Dès que ses dispositions 
sont laites, il l'ouvre avec violence. Les batte- 
ries de rÉtoile, celles du Johanifisberg , de Ka- 
brun^ de SchellmuUey de Langfuhr» tirent a 
coups redoublés et nous accablent de bombes, 
de l'usées et de boulets rouges. Les incendies 
éclatent; les édifices tombent; s'écroulent. 
Dantzic ne présente plus que Timage d'un vol- 
can dont les éruptions s'échappent^ s'éteignent, 
se reproduisent sur tous lespoints« Les deux 
rives de laMoltlau, le Butter-Mark, le Prog- 
genfull, le' Speicher-Insel , tout eât consumé. 
£n vain les troupes accourent au secouirs; une 
grêle continue de projectiles triomphe de Leurs 
efforts, et une i>erte de plusieurs millions vient 
aggraver encore les .malheurs d'une population 
désolée. 

]Nos forts, nos villages n'étaient pas dans 
un meilleur état; Ohra surtout n'était plus 
qu'un amas d^ cendres. Cinq batteries le 
foudroyaient sans relâche ; des nuées de tirail- 
leurs, abrités par les accidents du terrain, 
nou^ accablaient de balles , et entravaient le 
jeu de nos pièces. La première coupure, pres- 
que anéantie par le feu et les boulets y résis- 
tais toujours. Le major Schneider la défen- 
dait avec une valeur , une sagacité qui pro- 
mettaient *encore une longue résistance; mais 
elle était sur le point d'être prise par la tran- 
chée; je la fis évacuer. Je cédai également 
la tête de Schidlitz. L'ennemi avait essayé 
quelques jours auparavant de is'en rendre maître. 









da général Rapp. 271 

Trois compagnies s'étaient présentées devant 
nos j)ostes ; chargées avec vigueur par le capi- 
taine Leclerc et le lieutenant Kowai^ky, elles 
^rent mises en déroute , et cherchèrent leur 
salut dans la fuite. Cette leçon ne fut pas 
perdue; les alliés revinrent avec des forces 
plus considérables, et s y établirent. Un acci- 
dent plus grave nous survint bientôt après. 
Une bombe éclata dans un magasin de bois et 
rincendia. La poudre n'est pas plus prompte : 
en un instant tout est embrasé. Les ilanuaes^ 
dévelo})pées par un vent impétueux , se c6m- 
municpient ue proche en proche , et présen- 
tent une masse de feu qu'aucuji eÛbrt ne peut 
dompter. Triste spectateur d'un désastre aussi 
cruel 9 j'espérais au moins préserver les bâti- 
timents éloignés. Mon attente fut encore dé- 
çue , et nous eûmes la douleur de voir consu- 
mer sous nos jeux la plus grande partie de 
nos subsistances. Officiers et soldats ^ tous 
étaient plongés dans un laorne silence , tout 
contemplaient avec stupeur cette scène de dé- 
solation j quand tout a coup une fusillade 
rible se mt entendra. L'ennemi atu 
l'avancée Frioul et s'en emj)arait. Le 
taineChambure vole au secours. Cebiaire< 
mandait une troupe 4'élite appelée la 
nie franche ou les enfants perdus ; il s\ 
dans la redoute et taille les Russes ea 
Aucun n'échappe; ceux qui éviteM la 
nette tombent sous le feu des cfaefr été 

Ion Clamon etDvbowski. Le 

rad fit preuve, dans cette occa«uiia^ 4, y 

constance. L'épaule fracansee 

il se jette au plus épais de la aar^ifc, L 




99 
99 



272 Mémoires 

bùrç le dégage: „Vbus êtes blessé, lui ditril, 
„votre place n'est plus ici ; . ailes annoncer au 
^général que nous sommes dans la redoute. — 
Capitaine , répoftd l'intrépide lieutenant , J'ai 
encore mon bras droit, vous n'avea que le 
„gàuche!" et il continue de combattre^ 

Battu à Ja gauche, l'ennemi se jette sur la 
droite et nous replié jusque sur nos îortSi Jfd 
lie jugeai pas a propos de rej>rendre l'attaque 

Sir une nuit obscure , j'attendis a^ lendemain, 
eux colonnes commandées pjar les généraux 
Breis$an et Devilliers se portent à la fois sur 
Stolzenberg et Schidlita: les Russes les occu- 
paient en force ; mais nos troupes combattent 
avec tant d'abandon , le m^jor Deskur , les 
chefs de bataillon Poniatowski , Crikicowski et 
Carréy les capitaines Fahrenbeck, Perrin, Ka- 
lisa et Ronsin , les guident avec tant d'habileté 
et de bravoure, quelles alliés, rompus, laissent 
le champ de bataille jonché de morts. Malheu- 
reusefnent lé succès nous coûtait cher : le gé- 
néral Breissan, si recommandable par ses ta- 
lents et son courage , était dangereusement 
i>lessé. On lui prodigua vainement tous les se- 
cours imaginables, u expira a|H*ès un mois de 
souffrances aiguës. 

jN os troupes étaient victorieuses ; mais quel 
«pectacle les attendait dans la placç ! des ruines, 
des décombres , voila ce <jui restait de nos ma- 
gasins. Un seul avait échap2>é. Sa conservation, 
due au colonel Cottin et au sôus-chef d'état- 
major Marqùessac , n'avait été assurée qu'à 
force de xêle et de constance. Le chef d'esca-' 
dron Turckheim , qui avait déjà donné tant de 
preuves de dévouement, et le lieutenant Fleuiy, 

étaient 



: •-• • • 



du général Rapp. 



273 



étaient aussi parvenus k sauver quatre miile 
quintaux de grains ; tout le reste était flagrant» 
tout le reste avait j>éri. Nous ne conservions 
pas j)out deux mois de subsistances , que les 
Siammes toujours plus actives et un bombarde- 
ment continuel menaçaient encore. 

Les Russes 'cheminaient lentenient , mais 
ils cheminaient toujours. Ils s'étaient emparés 
de divers ])ostes et s'étaietit portés en masse sut 
Stolzenberg. Trop faibles pour opposer une ré- 
sistance efficace, nos soldats l'avaient évacué. 
Le général Hnsson rassemblé queloties trou- 
pes et fait battre la charge. Elle eut lieu avec 
une rare impétuosité. Le capitaine Milsent, 
l'adjudant-major Rivel, s'élancent a la tête 4^ 
plus braves, joignent l'ennemi et le culbutent. 

Le capitaine Chartibùre lui préparait uA0 
leçon plus sévère. Il s'embarque par une nuit 
obscure, trompe la vigilance de lu flotte et des- 
cend vis-a-vis Bohnsack. Il surprend le village, 
incendie les habitations , les magasins , tue 9 
égorge les hommes, les chevaux, et regagne 
ses chaloupes. Elles n'étaient plus sur le rivage. 
Les trompettes sonnaient, la générale se fai-^ 
sait entendre: la mort paraissait inévitable. 
Néanmoins il ne perd pas courage; il calme 
ses soldats, se jette a travers les retranchements 
eiuiemis, et arriye sain et sauf au moment oii 
on le croyait perdu. Il se remet bientôt en 
route et marche sur Brœsen ; il tombe a l'im- 
2>roviste sur les troupes qui l'occupent , les 
renverse , et ne se retire qu'après avoir brûlé 
leur camp. A peine rentré, il court a une ex- 
pédition plus périlleuse. . Il pénètre dans la 
tr^anchée^e lennemi, culbute, <:;hasse sespos- 

18 



274 Mémoires 

tes, et vî^nt s'abriter der&*ière nos, batteries. 
Le lieutenant Jaiaiebon , grièvement blessé en 
commençant lattaipie , combattit comme si\ 
n'eût pas été brisé par la douleur > elle était si 
aiguë que la crainte de décourager les soldats 
fut seule capable d'étoufler ses plaintes. Il mou- 
rut cinq jours aj>rès; honneur a sa mémoire!.,. 
La compiignie franche devenait chaque jour 
plus audacieuse., Les^^tranchées , les palissacieH 
étaient des obstacles illusoires; elle pénétrait 
partout. , Au* milieu d'une nuit épaisse , elle 
se glisse d'arbre en arbre le long,de Tallée de 
Langfuhr, et s'approche sans que les Russes 
l'aperçoivent.^ £lle s^ute aussitôt dans leurs 
pu\Tages, tue les uns., chasse les autres .et les 
suit jusque dans Kabrun. Le brave Surimont, 
i'intrépide Rozay , Payen , De^seau , Gonipet 
et Francou , se précipitent dans la redou^te et 
rem|K>rtent. Une cent|tine d'hommes Eurent 

{cassés au fil de répée,. les autres ne durent 
eur salut qu a la fuite. 

INous faisions a l'ennemi une guerre de sur- 
prise et <d audace ; il nous en faisait une de ruses 
et de j>rocla^ations. Ses batterie$ n'arrêtaient 
pasi 9 et nos magasins étaiept d^truit^. IN os trou- 
pes, exténuées, haras^sé^s de corvées et dm- 
^mnies , n'avaient jMmr réparer, leurs forces 
quun peu de pain et une once de viande de 
cheval, si toutefois on peut appeler ainsi Ifcs 
débris d'animaux qui, rebutés parla.qavalerie, 
febuté^ par. les charrois, tournaient la meule 
jCisqua ce que, devenus, incapable^ de se sou- 
tenir.,, ils étaient traînés a la bouclierîe. C'est 
à des homtnes si las de combattre et de souffrir 
qu€( les Russes promettaient le repos «t l'abon- 






du général Rapp. 275 

datice. Tous les genres de flféiuotton étaient' 
employés: loi*, rai*gent^ les menacils'^* lir co^^ 
1ère du prinde^ la voix tie la patrie-^ ëtaieni 
ofFerts et invo([ués« Le du<;''Se joignait k ses 
émissaires; il écrivait $ priait^ prote^ait^ '•0i¥«> 
convenait les cUefs et les soldats* La4esertion 
se init dans les troupes étrangères, el bientôt 
' elles refusèrent tout service, Les Bavarois, les: 
Polonais eux-inénies , trop convaincus de nos 
malheurs, craignaient âè f^ire de leiirs'*artnes) 
un usage sacrilège et se ten^tient dansl-inaclièn. 
Nous étions réduits auxBeules forces 'natietna*^: 
leb, c est-a-dire a moins de six mille hommes } 
et nous avions plus de deux lieues d'^ndae' 
a défendre. Je résolus de faire cônmifl^tt^ k 
l'empereur la situation fâcheuse où* nou» étions* 
La chose n'était pas aisée ^'F^Adlemaghe entière ^ 
était en insurrection; la mer ^tait couverte de 
croisières ennemies.. Mais aucuÀ péril', '4ts<iun 
obstacle n^é tonnait le câpitaineMarni€{r} il» Jwirt 

1)our cette expédition aventureuse, capture un. 
)âtimént , convoie avec la flotte anglaise et lui * 
échappe» / " • . : 

Le duc de Wurtemberg semblait' aVoii? 1« ' 
projet de tout séduire. Jene-fuspasmoi^mértié' 
a l'abri de ses tentatives. Il exakait ses ressour* 
ces, dépréciait les miennes, parlait d« la France; ^ 
de la Sibérie, et me proposait de rendre la 
place* Ces menaces, ces oppositions s'adres- 
saient mal ; je le lui témoignai , et il n'en fut 
Î)lus question* Des moyens plus convenables 
urent mis en œuvre ; les feux furent doublés^ 
et le bombardenient , toujours plus terrible, 
ne discontinuait ni le jour ni la nuit/ La ville,' 
le Bischfberg , les redoutes Frioul , étaient 

18. 



E- 



27è Mémoires i 

éorasiéa^ Soutenus par un feu dartiilerie si 
formidable^ les Russes imaginent de nous enle- 
ver. . Us s'avancent munis de bâches , d'échel- 
les, et fondent sur la batterie Gudin. Le capi- 
taine Raxumsky la commandait; il les accueille 
^ar des décharges à .mitraille , et les renverse, 
se remettent néanmoins , et tentent l'esca- 
lade^-mais, accablés par une fusillade meur- 
trière, ils se dispersent à la vue du major 
Deakur et laissent armes et éche)lles dans les 
mains des braves capitaines Zbiewiski et Pro- 

SQcki.. Ils essaient,, avec aussi peu de succès, 
e se rendre maîtres de la batterie Fitxer, dans 
l'allée de Langfuhr. Le colonel Plessmanh, le 
Capitaine .Reuouard. et Tadjudant StoUing leur 
opposent une résistence qu'ils ne peuvent vain- 
cre : trois fois ils reviennent à la charge , trois 
fois ils sont défait». . , 

' r Cepeiidant les redoutes Frioul étaient dans 
un état déplorable : sans parapets , sans fou- 
g^siêft, accablées par les obus et la mitraille, 
elles ne. présentaient plus aucun moyen de dé- 
fense ; je les fis évacuer. La plus grande partie 
A^ fortifications était eilcore intacte; mais nos 
vivres. touchaient k leur terme. Le temps des 

{places était arrivé. Il aurait fallu vingt mille 
iomiu^s pour m'opmser aux progrès du siège, 
f garder les forts , imondatioii , et maintenir 
ibre le cours des eaux. La lutte était trop in- 
égale ; c'eût été verser le sang pour le seUl plai- 
sir de le verser. 

Je crus trouver un moyen qui conciliait 
mes diîvoirs et Ihumanité. Je calculai le nom- 
bre de Jours que devait fournir ce qui nous 
restait de subsistances ; je proposai de suspen- 



\ 



du généra Ràpp. 27'J^ 

dre les hostilités et de remettre la place a cette 
époque , si le cours des choses n en disposait 
autrement. Le conseil adopta cet avis a iuna* 
nimité. Les négociations s'ouvrirent , le feu 
cessa. Le général Ueudelet et le colonel Ri* 
chêmont se rendirent au camp , et arrêtèrent 
une capitulation oii la faculté de rentrer en 
France nous était spécialement garantie. Une 

1>artie de ces conventions était déia exécutée; 
es prisonniers russes avaient été rendus, les 
forts livrés , lorsque j'appris que - l'empereur 
Aiexandte refusait sa ratification. Le auc de 
Wurtemberg m'oi&ait de remettre les choses 
dans leur premier état. C'était une dérision.. 
Mais que mre ? nous n'avions plus de vivres. 
Il fallut se résigner. Il régla les choses eomme 
il l'entendit, et nous primes le chemin de la 
Russie. 

Touchés de nos malheurs, les auxiliaires 
eussent voulu les partager. Les Polonais briî- 
saient leurs armes ; les Bavarois juraient de ne 
jamais les tourner contre nous. Mais le*devair 
fait taire les affections. Il fallut se séparer. / Lé 
général, prince de Radsiwil et le colonel Butt^ 
1er, si distingués l'un et l'autre j^ar leur carac- 
tère et par leurs actions, les reconduisirei^ 
dans leur patrie, i 

Ainsi nnit , après un an de combats , un^ 
défense pénible , oii nous eûmes k lutter conf- 
tre tous les fléaux , tous les obstacles , et qui 
n'est pas une des moindres preuves de ce que 
peuvent le courage et le patriotisme des sol- 
dats français. 



278 Mémc^ea 



r=s7S^ 



CHAPITRE XLIIL 

Noiis -fûmes conduits a Kiow. Nous y ap- 
prîmes les prodiges de cette poignée de braves 
qui n'avaient pas désespéré du salut de la pa- 
trie. Us avaient triomj>hé a Montinirail, a 
Sesaiinè y a Champaubert, partout où l'enne- 
mi avait osé les attendre. L'Europe entière 
fuyait devant eux, la coalition était dissoute.... 
Xi'obstination d'un soldat noiis arracha Les fruits 
de la victoire. Il &Uut combattre, vaincre 
encore; niais les nvunitions 'manquaient, les 
4x>rp8 ii'a;rrivai(mt pas , les généraux haran- 
guaien<i la troupe ppur lui faire recevoir des 
capitulations, fout fut perdu: notre gloire, 
aMS ciônquéteè s'évanouirent comme une om- 
bre ; les ^gnes même en furent répudiés. 

Le but de la coalition était atteint. Notre 
captivité n'était plus profitable; nous fumes 
rândiis;a laliberte. Nous revînmes en France: 
i{uèl spectacle elle présentait! L'émigration 
avait envahi l'armée , les antichambres ;' elle 
{>liait sous les insignes du commandement et 
les décorations. La première personne que 
je rencontrai aux Tuileries ^f ut un chef de ba- 
taillon que j'avais autrefois secouru et protégé: 
il était devenu lieutenant - général ; il .ne me 
reconnut plus. Un autre que j'avais eu long- 
temps' a Dantsic, n'avait paô mieux conservé 
sa mémoire. Je l'avais accueilli a^a recom- 
mandation du duc de Cadore; j'avais essuyé 
ses fades adulations : il me traitait de monseig- 



du général Rapp. 279 

neur, d'excellence^ il m'eiU volontiers appela 
réternel. Plus je lui témoignais combien ces 
sottises me ^déplaisaient , plu? il renchérissait; 
il imagina' même d'assister a mon le^er. Une 
tint pas a lui que je ne me crusse un souve- 
rain. Ses malversations me délivrèrent de cet 
obstiné flatteur; elles devinrent si criantes que 
le gouvernement fut près de sévir. Je sauvai 
au gentilhomme la honte d'unexondamnatiap; 
mais je le fis éloigner : il alla exercer son in- 
dustrie a Il eut bientôt connaissance de 

nos revers , s'efFraya , prit la poste , et n'arrêta 
pas qu'il lie fût en-deça du Rhin: là peur le 
servit mieux que n'eût fait le courage. Il , 
avait des épaulettes a gros grains , et quatre 
ou cinq décorations : c'était asses bien débuter 
dans la carrière; . on ne va pas si vite sur le 
chamjî de bataille. Il s'éloigna dès cru il m'a- 
perçut:, apparemment que son costume l'em- 
barrassait. J'en rencontrai un troisième. , que 
ma présence ne mit pas a l'aise. Attaché au- 
'trefois a Joséphine, il avait fait preuve d'une 
prévoyance véritablement exquise : afin d'être \ 
en mesure contre les cas imprévus qui pou- 
vaient survenir dans les promenades et les voya- 
ges , il s'était muni d'un vase de vermeil, qu'il 
portait constamment sur lui. Quand la cir- 
constance l'exigeait, il le tirait de sa poche, 
le présentait , le reprenait, le vidait, Tessu- 

{rait, et le serrait avfec soin. C'était avoir 
'instinct de la domesticité. . ' 

Mais tous ces preux si ardents a la caisse, 
aux décorations, àUx commandements, don- 
nèrent bientôt là mesure de leur coufage. 
Napoléon parut, ils s'éclipsèrent. Ils avaient 



260 Mémoires 

mnégi Loub XVIII dispensateur dM grâces; 
ils n eurent pas une amorce k brûler pour 
Louis XYin malheureux. Nous essiayàmes 
quelques dispositions; mais le peuple, les 
soldats n'avaient jamais été complices des 
humiliations de la France; ils refusèrent de 
combattre les couleurs qulls adoraient , etl'em- 
pereur reprit tranquillement les rênes de l'état. 

Les géfiéraux Bertrand et Lemarrois m'é- , 
crfvirent de me rendre aux Tuileries. Je re- 
vins k Paris. Une nouvelle invitation m atten- 
dait .a mon hôtel; le grand maréchal m'an- 
nonçait que sa majesté désirait me voir. Je 
ne voulus pas me faire attendre ; j allai tel que 

1*e lue trouvais, bien sûr que Napoléon saurait 
aire \b^ part du devoir et celle des aifec tiens. 
Je fus introduit sur-le-champ. 

, „NAPOi^ioN. Vous voila , monsieur le géhé- 
y^ral Rapp; vous vous êtes, bien fait desurer? 
D'où, venea-vous ? 

R^PPt D'Écouen , où j'ai laissé mes trou- 
„pes k Ja disposition. du ministre de la guerre. 
. ,JNapqleoîî. Vouliea-'Vous réellement vous 
ttbaittre contre moi ? 
,,Bapp, Oui, sire, 
„Napp;-eq]s, Piable! 
,,Papp. Lfi^ résolution était obligée. 
„]SA]poi<ÉoN. (jyun ton animé») F....e, je 
yysavais l?ien que vous étiex devant moi. Si Ton 
§je fut battu , j'aurais été voVis chercher sur le 
chsimp de bataille. Je vous aurais fait voir U 
„ tête de Méduse; : £^urie:$-vous osé tirçr sur moi? 
,. i,Ra.pp. Sans douter; moji devoir,... 

,,]V APOif^EQK . C'est trop fort. Mais les soldat^ 
;^^fie vous auraient pas obéi; ils m'avaient con- 






99 



/ 

» 



du généhal Rapp. 281 

,,servéplus d affection. Si d'ailleurs vous avîes 
„tiré un seul coup , vos paysans d'Alsace vous 
,, auraient lapidé. 

„Raïp. vous conviendrez, sire, que laposi'^ 
„tion était pénible : vous abdîquies , vous par- , 
^tes, vous nous engagez a servir le roi; vous 
„revenea... ïoute la puissance des souvenirs 
,,ne peut nous faire illusion. 

„Napoleon. Comment cela? Que voulex- 
,,vous dire? Crojea-vous que je sois revenu 
„sans alliance, sans accord?... D'ailleurs mon 
„système est changé: plus de guerre , plus de 
,,conquétes; je veux régner en paix, et faire 
„ le bonheur de mes sujets. 

'„Rapp. Vous le dites: mais vos anticham- 
„bres sont déjà pleines de ces complaisants qui 
„ont toujours flatté votre penchant pour les 
,,armes. . 

,,NapolÉon. Bah! bah! l'expérience. •• Al-> 
„lie«-vous souvent aux Tuileries ? 

„Rapp. Quelquefois, sire. 

„Napoleon. Cqmment vous traitaient ces 
„gens-ra ? 

,,Rapp. Je n'ai pas a m'en plaindre. 

jjNapoleon. Le roi paraît vous avoir bien 
„reçuâ votre retour de Russie? 

„Rapp, Parfaitement, sire. 

„]Napoleon. Sans doute. Cajolé çl'abord, mis 

^ensuite a la porte. Voila ce qui vous attendait 

, „tous ; car enfin vous n étieapas leurs hommes, 

„vous ne pouviez leur convenir; il faut d'autres 

„titres, d'autres droits pour leur ujaire. 

„Rapp. Le roi a débarrassé la France des 
,,^lli^s. 

„Napoleon. C'est bien; mais a quel prix! 



282 Mémoires 

„Et ses engagements, les a-t-il tenus ^ Pour- 
^,quoi n a-t-il pas fait pendre Ferrand pour son 



,,avec trois millions de paysans qui accouraient 
,,pour se plaindre et m offrir leurs services. 
„Mais j'étais sûr de ne pas trouver de rësis- 
„tance devant Paris. Les Bourbons sont bien 
„heureux qqe je sois revenu: sans moi ils 
,,auraient fini par une révolution épouvantable. 

„Avea-vous vu le ^^amphlet d^ Chàteau- 
„briand, qui ne m'accorde pas même du courage 
,,sur le champ de bataille? Ne m'avez -vous 
„pas vu quelquefois au feu? Suis-je un lâche? 

„Kapp. J'ai ])artagé l'indignation qu'ont res- 
,, sentie tous les honnêtes gens, d'une accusa- 
,ytion aussi injuste qu'elle est ignoble. 

i,NAPOLEON. Voyiez-vous quelquefois le duc 
„d'Orléans ? 

„Rapp. Je ne l'ai vu qu'une fois. 

jjNapoleon. Cest celui-là qui a de Fesprit 
„de la conduite et du tact! Les autres sont 
„mal entourés, mal conseillés. Ils ne m^aiment 
,,pas. Ils vont être plus furieux que jamais: 
„il y a de quoi. Je suis arrivé sans coup 
,, férir. C'est maintenant qu'ils vpnt criera 
, , l'ambitieux : c'est la l'éternel reproche; ils 
„ne savent dire autre chose. 

„Rapp. Ils* ne sont pas les seuls qui vous 
„accusent d'ambition. 

„Napoi.bon. Comment... suis-je ambitieux, 
„moi? Est-on gros comme moi qUand on a 
„de l'ambition? (Il se frappait avec les deux 
.mains sur le ventre.) 



du g'^nérul Rajjp: 283 

„Rapp. Votre majesté plaisante. 
„Napoleok. Non j'ai voulu que la France: 
,,fût ce quelle doit être; mais je.n'ai jamais 
,,été ambitieux. D'ailleurs de quoi s avisent 
,,ces gens-la? Il leur convient bien de faire 
,,cie l'importance avec la nation et avec Tàr- 
%inée. Est-ce leur courage qui les rend si 
,, avantageux? .^ 

„Rapp. Ils eU/Ont quelquefois montré, a 
,,rarmée de Condé par exemple. 

„]NapolÉon, Quel est cet ordre que je vous 
,, aperçois? 

„Rapp. La Légion-d'Honneur. 
,,]Napoi>eoi3. Diable! Ils ont eu au moins 
„resprit d'en faire une belle décoration. Et ces 
„deux croix-la ? (Il les touchait.) 

,,Rapp. Saint-Louis et le Lis. (Il sourit.) s^ 
„]Sapoleon. Concevez- vous cette b.... de^ 
,,Berthier, qui n'a pas voulu rester. Il revien- 
.,dra; je lui pardonne tout, a une condition 
,,cependant: c'est qu'il mettra son habit de garde 
,,du corps pour paraître devant moi. Mais tout 
,,cela est fini. Allons, monsieur le général Rapp, 
„il faut encore une fois servir la France, et nous 
„nous retirerons d'où nous sommes. 

„Rapp. Convenez , sii-e (puisque vous avez 
„eu quelquefois la bonté de me permettre de 
*„vous parler avec franchise), convenez qiie vous • 
y^ave^ eu tort de ne pas faire la paix a Dresde: 
„tout était réparé si vous l'eussiez conclue. Vous 
„rappelez-vous mes rapports sur l'esprit de l'Al- 
,^lemagne ? vous les traitiez de pamphlets; Vous 
„iae faisiez des reproches. 

„]N apoléon. Je ne |>ouvais pas faire la paix 
„k Dresde; les allies n'ptaient pas sincères. Si 




99 



284 Mémoires 

,,d'ailleurs chacun eût fait son devoir au renou- 
„vellement des hostilités , fêtais encoce le mai- 
„tre du monde. J'avais déjà pris de mon cote 
„trente-deux mille Autrichiens. 

„Rapp. Il n'y a qu'un instant que votre 
majesté n'avait pas d'ambition", et voici qu'A 
est encore question de la souveraineté du 
monde. 

„NapolÉon. Eh ! mais, oui. D'ailleurs, Mar- 
^,mont» les sénateurs... Mon plan était combiné 
„de manière a ne pas laisser échapper un seul 
„allié. • 

„Rapp. Tous ces malheurs sont la conse- 
,,€juence des revers de Leiptzic: vous les eus- 
,,siez prévenus en acceptant la paix a Dresde. 

„]Vapoleon. Vous ignores ce qu'eiit été une 
,;paix semblable. ^^ £t s'animant tout a coup, 
„ Aurais-tu peur , me dit-il avec vivacité , au- 
„rais-tu peur de recommencer la guerre, toi 
„qui as été -quinze ans 'mon aide - de - camp ? 
„Lors de ton retour d'Egypte, à la mort de lîe- 
„saix, tu n'étais qu'un soldat, j'ai fait de toi 
,,un homme; aujourd'hui tu peux prétendre 
„a tout. 

„Rapp. Je n'ai jamais laissé passer une occa- 
„sion de vou^en témoigner ma reconnaissancei 
„et si je vis encore, ce n est pas ma faute. 

„Napx)lÉon. Je n'oublierai jamais ta con- 
„duite a la retraite de Moscou. Nej et toi, 
„vous êtes du petit nombre de ceux qui ont 
,4'ânie fortement trempée. D'ailleurs a ton 
„siége de Dantaic , tu as fait plus que l'im- 
„po8sible.*^ 

Napoléon me sauta au cou , mè serra avec 
véhémence contre lui pendant au moins deux 



du général flapp. 285 

minutes. Il m'embrassa plusieurs fois, et me 
dit en me tirant la moustache: 

^Allons, un brave d'Egypte, d'Austerlitx, 
,,ije peutm'abandonner. Tu prendras le com- 
,, mandement de Tarmée du Rhin, pendant 
,,que je traiterai avec Ips Prussiens et les Rus- 
,,ses. J'espère que d'ici a un mois tu rece- 
,,vras ma femme et mon fils a Strasbourg. Je 
,,veux que dès ce soir tu fasses ton service 
,, d'aide-de-camp auprès de moi. Ecris au comte 
^Maison de venir m'embrasser: c'est un bravé 
yyhômme; je veux le voir." 

Napoléon raconta une partie de cette con- 
versation a quelques personnes de ses alentours. 
Il leur dit crue, je lui avais parle avec trop de. 
liberté , qu'il m'avait tiré les oreilles. 

La fortune lui souriait. Les courtisans ac* 
couraient en foule ; c'était un abandon , un. 
dévouement ! ils bouillaient de aèle. Ces pro- 
testations n'eurent pourtant pas tout l'effet 
qu'ils s'en étaient promis. Beaucoup furent 
repoussés : un sourtout , qui s'obstinait a faire 
accepter ses services, fut durement ^P^^^^^* 
Comblé de faveurs , d'or et de dignités , il . 
avait accablé d'outrages son bienfait^tu: mal-, 
heureux ; il fut conspué , traité de misérable. 
Ces messieurs se targuent aujourd'hui d'une 
fidélité a toute épreuve. Ils accusent l'indul- 
gence du joi dans les salons du fauboiirg 5aint- 
Germain. Ils voudraient voir conduire a le- 
chafaud tous Ceux qui ont été employés dans 
les cent jours.. Le hasard les a servis, les ap- 
parences sont pour eux; a la bonne heure: 
mais les généraux , les ministres de Napolé- 
on, les officiers attachés a sa personne, sa- 



4 



> 



285 Mémoires 

vent ce qu'ils doivent penser de. ces stoïciens 
d'antichambre. Tôt oii tard le gouvernenienr 
royale sera éclairé : il y a de quoi suppléer 
au livre rouge. 

Napoléon me fît demander le 29 mars, et 
m'annonça qu'il fallait partir pour 1 armée du 
Rlan. Il me donna le grand aigle de la Lé- 
gion-d'Honneur , qu'il m avait destiné a})rès 
le siège de Dantxic. Il me dit qu avaiit qumze 
jours mes troupes seraient portées a quarante 
niille hommes (j'en avais quinae mille au com- 
mencement des hostilités); je lui observai que 
c'était bien peu en comparaison d^ celles que 
nous allions avoir sur les bras , que le congrès 
(sa déclaration était déjà connue) nous mena- 
çait d'un déluge de soldats. „La déclaration k 
^laquelle vous faites allusion est fausse , répli- 
,,qua-t«il avec hutfneur; elle est fabriquée à 
„Paris. Au reste, allez. Lecourbe commandera 
„en Franche - Comté , Suchet dans les Alpes. 
9,Clausel sur la Gironde. Nous avons bien des 
„chances. Gérard va à Metx; il vient de me 
,, tourmenter pour que je lui donne ce Bour- 
,,miont, je lui ai accordé a regret; je n'ai ja- 
,,mais aimé cette figure-la. 

„Les propositions que j'ai faites aux sou- 
,verains ont été froidement accueillies. Cepen- 
,dant tout espoir d'arrangement n'est pas dé- 
,truit. Il est possible que l'énergie avec la- 
,quelle se ])rononce l'opinion les ramène à 
,des sentiments de paix. Je vais encore faire 
,une tentative. Voici la lettre que je leur 
décris: 



du général Rapp* . 287 

^^^onsienr mon frère , 

„Vou8 aurez ^^^ppris dans le çoiir^ du mois 

,,demifir mon retour sur les côtes de. France, 

„mon entrée a Paris > et le départ de la famille 

,,de& Bourbon^. La véritable natur de ces évé- 

,,nements doit maintenant être connue de ^ otre 

,, majesté. Ils sont touvrage d'une irirésistible 

^puissance, louvrage de la volonté unanime 

,,d'une grf^nde nation, qui cdnnait sesi devoirs 

5, et ses droits. La dynastie que la force avait 

,, rendue au peuple français n'était plus faite 

,,pour lui: les Bourbons n'ont voulu s'associer 

,,ni a ses sentiments ni a ses mœurs; la France 

„a du se séparer d'eux. Sa voix appelait un li- 

,,bérateur. L'attente qui m'avait décidé au plus 

,, grand, des sacrifices avait été trompée. Je sais 

„venu; et du point où fai touché le» rivage, 

,,ra|iiOur de; mes p^uples^^ ril'a porté jusqu'au 

,^sein.,.de. ma capitaltj. Le premier besoin de. 

„mo^ coeur est de payer tant d'affection par le 

^^aimtien d'une honorable tranquillité. Le ré- 

,,tablissement du trône impérial était néces- 

,^aii;e àutonheyr des. Français; ma plus, douce 

„pensée e$t de le rendre en ipérae t^iaps utile 

„a laffermissemerit du rej^os de l'Eufrope. Assea 

„de. gloire a illustrée tour à. tour Us drape.aux 

„d^*s diverses njationSf^ les vicissitudes du sort 

,, ont assez fait succéder, de grands revers a dé 

. „grands succès. Une 2>lus belle ârçne est ou- 

„verte aujourd'hui auuc souverains, et je suis 

„le.prenxier a y descendre. Après avoir pré-. 

„senté au monde le spectacle de grands com- 

„bats> il sera plus doux de ne connaître désor- 

„mais d'autre rivalité quç celle <i«fi avantages 



288 



y,de la paix, d'autre lutte que la lutte sainte de 
,,la félicité des peuples. La France se plaît a 
y^proclamer avec franchise ce noble but de tous 
y,se3 vœux. Jalouse de son indé|)endance , le 
,yprincipe invariable de sa politiaue sera le 
„respect le plus ''absolu pour rindépendance 
,,des autres nations. Si tels sont, conune j'en 
,yai rheureuse confiance , les sentiments per- 
,,sonnels de* vojre majesté , le calme général < 
y,est assuré pour long-temps , et la justice , as- 
,,sise aux confins des divers états , suffira seule 
y, pour en garder les frontières. 

„Je suis avec empressement, etc." 
Mais toutes ouvertures furent inutiles. Il 
était hors des proportions humaines, il assurait 
la suprématie de la France: c'étaient la des 
griefs que rien ne ]>ouvait balancer; j'en étais 
convaincu. Sa perte était résolue. 

Je jiartis pour l'Alsace; l'attitude hostile des 
cours étrangères y avait excité une indignation 
générale : toutes les âmes généreuses , tous ceux 
qui abhorrent le joug de l'étranger, se dispo- 
saient a repousser cette ligue de rois qui , sous 
prétexte de combattre un homme , ne cher- 
chaient qu'à s'enrichir de nos dé][K>uill^. Les 
habitants, de concert et par un mouvement 
- spontané , s'étaient portés sur les haiiteurs qui 
oominent les défilés, les routes ou passages, et 
travaillaient à y construire dés retranchements; 
les femmes , les enfants mettaient la main k 
l'œuvre. On s'égayait, on s'animait Tun l'au- 
tre en chantant des refrains patriotiques. Il y 
avait entre tous les citoyens rivalité de sèle et 
de dévouement : les uns élevaient des redoutes, 
les autres coulaient des balles , remontaient 

fie 



du général Rapp. ' 289 

de vieux fusils , confectionnaient des cartou* 
ches.. Enfin tous les bras étaient en mouve- 
ment; chacun voulait travailler a la défense 
commune. ' . 

LTué scène touchante et digne des temps an- 
tiques eut lieu a Muhlhausen lorsque j y arrivai. 
On donnait un bal , les personnes les plus dis* 
tinguées de la ville étaient réunies; rassemblée 
était brillante et nombreuse « Vers la fin de la 
soirée on parla de la guerre > de l'invasion du 
territoire; chacun comnmniquait son avis, cha- 
cun faisait part de ses espérances et de ses ctain* 
tes. Les^dames discutaient enti'e elles, et ^en- 
tretenaient des dangers de la patrie* Tout k 
coup une des plus jeunes propose a ses com* 
pagnes de jurer qu'elles n'épouseront que des . 
Français qui aient défendu les frontières. Dçs 
cris de joie, des battements de mains accueil-* 
lent cette proposition* DtT^toutes les parties de 
la salle on se dirige vers cet essaim de beautés; 
on les environne, on se presse autour d'elles* 
Je me joignis a la foule , j'applaudis a la motion 
- généreuse qui avait été faite, et j eus l'honneur . 
de teGevoir* le serment que chacune des jeunea 
patriotes vint prêter entre mes mains* 

Ce traii rappelle Itis mariages des Samnites, 
mais il a peut-être quelque chose de plus admi-^ 
rable encore : ce qui était une institution cheiï 
ces peuples fut parmi nous leiFet d'une résolu* 
tion spontanée ; chea eux le patriotisme était ' 
dans la loi, ches npus il était dans le cœur dès 
jeunes «j lies. 



MM 



19 



i 



£90 



Mémoires 



CHAPITRE XLIV. . 

Tout ce %e\e cependant ne remplissait pas ^ 
mes cnda^es ; le temps courait et les recrues n'arri- 
vaieiM; pas. Les alliés se concentraient sur la 
rive gaïuche, ils pouvaient franchir le fleuve 
d'uu instant a l'autre; ma position devenait 
critiqu/e. Je fis passer mes états de situation à 
l'empereur. Il ne put cacher sa surprise* „Si 
,,p^ de monde !.. ; L'Alsace, dont le patriotisme 
4,est si ardent!... N'iinporte.... la victoire enfan- 
y^tera les bataillons. Tout n'est pas desesi^éré; 
^,'la ffuerre a ses chatices ; nous en sottirons.'^ 
Il m avait ordonné quatre jours auparavant de 
ne pas laisser un seul homme de troupes de 
UgtMs dans les places fortes , d'exkaire des 
dépôts tout ce qui était en état de servir, 
d'inonder , de mettre en état les lignes de Weis- 
sevnbouvg, et d'assurer avec soin mes commu- 
Mcations avec Bitche. Jetais occupé de ces 
mesureii; mais il ne trouvait pas que j'allasse 
assear vite . il m'écrivit : 

^^Monsieur le général Rapp ^ 

„J'ai reçu votre lettre du 12 maL Je vois, 

!»ar l'état ^ue vous y avea joint, que le 18« de 
igné, qui a deux bataill9ns a votre armée, 
,.forts de douse cents hommes, 2)eut voi#^ four- 
„nir un troisième bataillon de six cents hom- 
„mes; faites-le partir sur-le-champ de'Stras- 
,,bourg pour venir vous rejoindre. Le 32« ne^ 



if 







"1 

du générât Rappi «291 

,^peut donner que deux cents hommes dereu* 
,,tbift a vos bataillons de guerre, ce qui les 
^ ^portera k dou%e cents hommes^ Le 39* peut 
, ,vous fournir son troisième bataillon ^ faites4e 
^,partir* Le Ô5« peut également vous fourtiif 
, ,son troisième bataillon. Le 58<* peut tous £oui?^ 
,,mr deux cents hommes pour compléter se^ 
,,devi}c premiers bataillons» . Le 105* peut com- 
^^pléter ses deux premiers bataillons a douxe 
,,cehts hommes; le 104* de même. Le 7« léger- 
9,])eut vous fournir son troisième bataillon $ de 
^jinpme le 10* léger. Vous pouvea donc avec 
^,un peu d'activité renforcer votre infanterie de 
,,quatre mille hommes. Je suis surpris qu'il 
,yn y ait pas eu plus d'engagements volontaire 
,,dans rÂlsace nour ces régiments^ JLcî 39* de 
,, ligne se recruW dans le Haut>Rhin; ce dépàr- 
,,tement doit^voir fourni au moins deux mille 
^jvieux soldats, qui, répartis entre le 39* ,i32* 
,,et 18* , devaient porter les troisièmes batail- . 
,,l6ns et même les quatrièmes au complets Le 
„10* léger, qui se recrute dans la Uaute^Saénei 
,,doitrecevoir beaucoup de monde. Le 57*^ , qui 
„se recrute dans le Doubs, doit en i*eoevoir, 
,4également beaucoup. Le 7* léger, te 58* , et 
„le 104* , qui se recrutent dans le Bm- Rhin^ 
,, devraient être au complet. Faites -moi con-^ 
,, naître pourquoi tous les homnfieâ que voue 
„aye8 à vos dépôts ne sont pas sur «^ le - champ 
,, habillés j et n'augmentent pas vos Cadres.- . 
„Faites-moi connaître aussi ce qui est annoncé 
„a ces régiments des différents départements. 
♦,Esi>érea-vous qu'au l*** juin vos troisièmes ba- 
^taillons soient complétés, et que chaque ré- 
„giment soit a dix^hûit cents hommes ; ce qui 

19 . 



^ 



202 JV]é(^oire$ 

,,igpraît sept mille hommes pour chacune de 
„vos div is^Lons ?^ Êtes-vôus content des gêné- 
„raux de division et de brigade que vous avez ? 
„(}ueUe sera, la situation du 2« de chasseurs, 
„du 7* , et du. 19*5 je dragons, qui ont tous 
„leur dépôt dans ivotre division, au l^'^juin? ' 
,,Ces trois régiments avaient a leur dépôt 
^quatre cents hoinines et. trois cents chevaux: 
„ils doivent en avoir reçu depuis. Aul^'^iuin, 
„aveç des mesures actives, cptte division doit 
„étre de quinae cents chevaux. La troisièipe. 
^,division a également tous ses dépôts dans 
„votre arrondissement: elle a douae cents 
^hommes a son dépôt; elle devra donc vous 
^fournir ,deux mille chevaux. 

,,Parî«;^le i4 mai i8i&/^ 



/Je répondi» sur - le - champ aux questions 
qu'il, m'adressait; je "lui exposai l'état déplora - 
)>le , dans lequel la troupe était tombée: les 
armes, la iiionture, rhabillement, il fallait 
tout remettre a neuf. Je ne pouvais pas avoir 
aii-delâ de vingt-deux mille hommes disponi- 
bles au 1^' Juin. Le tableau n'était pas brillant; 
mais l'empereur faisait un si admirable emploi 
I de ses ressources, qu'on ne devait jamais déses- 
pérer. Il mit de nouveaux fonds a ma disposi- 
tion ; il stimulait mon ;sèle, m'engageait a ne 
rien négliger j>our accroître mes forces et a 
reconnaître tous les délilés. Sa dépêche mérite 
d'être connue. 






\ 



jiu général Rapp. 293 

^^Monsieur le comte Happ^ ' 

„Je reçois votre lettre du 18 mai. J'ai ac- 
„cordé treixe millions pour Thabillement dans 
„la distribution de mai. Des ordonnances jwur 
„des sommes considérables ont été envoyées a 
„chaque corps de votre armée: assurez -vous 
,, qu'elles soient soldées! Je ne puis pas m'ac- 
„coutumer k Tidée que Voils né puissiez avoir 
„de dispoifiible au l*^juin que vingt-deux mille 
,,deux cents lïonlmes, quand la force des dépôts 
„est de quatre mille hommes. Appelés a vous 
„le ti'oisième bataillon du 18* , le troisième du 
„39* , le troisième du 57* , le troisièine du 7' 
,, léger, le quatrième du 10* léger; ce qui 
„vous formera un régiment a quatre bataillons, 
„quatre a trois bataillons , et quatre a deux 
^bataillons, ou vingt-<[uatre bataillons. Pousse» 
„rhabillement ; l'argent est en expédition , et 
„ne. manquera pas. La situation que v-ous 
,,m*avea envoyée dç votre cavalerie n'est pas 
, , bien faite. Comment le 6* de cuirassiers n'a- 1- 
„il qiie ses troisième et quatrième escadrons 
,,au dépôt? Qu'est donc devenu son cinquième 
,, escadron? Mèuîe observation pour le 19* de 
, , dragons. Vous avez mille sept cent quatre- 
-vingt-sept hommes , et seulement quatre cçnt 
„vingt-sept chevaux; mais vous ne me faites 
,,pas connaître combien dlioinmes il y a en 
^détachement pour prendre les chevaux des 
„gendarmes , combien il y eu a en remonte au 
,, dépôt de Versailles, combien le régiment 
,,doit recevoir de chevaux par suite des marchés 
*, qu'il a passés, combien les départements 
,, doivent en fournir. Si vous y mettez Vactivité 



294 



y 



Mémoires 



r 

,iConvenablç, vous devel sut ces dix-sept cetits^ 
y^homme^s en avoir bientôt quinze k seise cents 
yyUiontés, qui, joints a ceux qui composent 
,,aU jourd'hui les escadrons , porteront votre 
,yCavalerie a }>rès de quatre mille hommes. Touà 
^,voje8 cela trop légèrement; levés les obstac- 
^,1<^ par VQus-même; xqYe% les dépôts, et 
9,augment0a votre armée, JMlontea un espionnage 
pour savoir ce qui ^e passe au- delà du Rhiq,* 
et principalement a Mayenee , à Thionville:; 
„et connaisses bien tous les débouchés des 
„ Vosges. 

,,NAPox.iov>^ 



ff 



99 



^Parif , le 20 inar i8iâ.*^ 



du général Rapp. 29» 



CHAPITRE XLV: 



J'allai occuper les lignes de la Lauter. Viugt- 
trois ans auparavant nous les avions déFetidues; 
mais alors elles étaient en bon état , la tïve 
gauche du fleuve était gardée; nous avions qua- ' 
tre- vingt mille combattants , un corjw de ré- 
serve, et ràrmée du Haut-Rhin nous soutenait. 
Rien de tout cela n'existait plus.' Les lignes - 
n'offraient que des ruines: les digues et les 
écluses qui en faissaient la principale force 
étaient presque entièrement détruites, et les 
places qui les appuyaient n'étaient ni armées 
ni même a Tabri d'un coup de main. Nous 
comptions a peine quiniie mille hommes d'in- 
fanterie répartis en trois divisions, aux ordres 
des généraux: Rottembourg, Albert et Grand- 
jean. Deux mille chevaux commandés par le «' 
comte Merlin compbsaient toute notre cavale- 
rie. De Weissenbourg jusqu'à Huningue d'une 
part, et jusqu'à la Belgique de l'autre, la fron- 
tière était compléteinent dégarnie. Dans cet 
état de choses, Germersheim devenait une po-- 
sition importante; défendue par une garnison 
considérable et vingt -quatre bouches k feu, 
elle ne pouvait être emportée que de vive forcé. 
Je ne désespérai pas du succès , et je fis ,* dès 
que la nouvelle des hostilités me fut ])arveilue, 
une reconnaissance générale , dans laquelle je 
m'emparai d'Hann , d'Anw^eiller , et de tous 
les villages de la Queich. Le chef d'escadron 



\ ^ 



296 Mémoires 

TuroMieim enleva au galop celui de Gottenstem 
et Içs postes bavarois qui i occupaient. * 

Le 21 au milieu de la nuit^ toutes les dispo- 
ftilions étaient faites ^ et, déjà les cplonnes d'at- 
taque se mettaient en marche, lorsqu'on an- 
nonça le désastre de Waterloo. -JËlles furent 
{aussitôt rappelées. Je sentais bien que len- 
ijiemi ne tarderait pas a franchir le ^ fleuve; je 
mç h^tai de prendre les mesures administrati- 
ves que les circonstances exigeaient, et de met- 
tre en état de. défense les places qui atdient 
sous mon commandement. Je jetai un batail- 
lon de ligue dans Landau , qù je fis entjler les 
caisses du pays. Mai/ déjà , comilie je lavais 

J)révu , les troupes de la coalition avaient passé 
e RhiuaOppenheim et à* Germersheim, et s'é- 
taient partout répandues ; nos soldats furent 
obligés d'en venir aux mains poqr arriver à 
leur destination: Nous nous retirâmes derrière 
la Lauter; et le bruit de l'inv>asion du Haut^ 
Jlhin par la grande armée spus la conduite de 
Schwartsenberg m'étant parvenu au même in- 
stant» je fis partir en poste deux bataillons pour 
renforcer les garnisons de Neuf-BrisacU etde^ 
Schelestadt. . 

' Leg Russes, les Autrichiens, les Bavarois, 
les Wurtembergeois , le^ Badois , et une foule 
d'autres nations, réunis aumombre de plus de 
soixante mille hommes , sous les ordres du 
prince royal aujourd'hui roi de Wurtemberg, 
débordèrent aussitôt le faible coq>s qife j'avais 
sous nies ordres, / 

J av£^is d'abord eu le dessein de défendra 
l'Abace pied a pied ," en me repl;iant vers les 
Tosges, la Meurthe, la Moselle et la Marne:/ 



*• 



du général Rapp. 297 

mais j'appris que larmée de la Moselle, qui 
m'appujait par sa gauche , s'était dirigçe vers 
le nord; que des colonnes ennemies occupaient 
déjà Sarrebruck et inondaient la Lorraine: ce 
mouvement n'était donc plus possible. D'un 
autre côté , une décision précipité , dans les 
circonstances aussi imprévues , pouvait avoir 
les plus graves conséquenceé. Je temporisai, 
dans l'espérance jle recevoir des ordres pour 
régler mes mouvements. Mais , depuis la dé- 
pêche qui me donna connaissanc# de nos re- 
vers, je n'en reçus aucune jusqu'à la rentrée de 
Louis XVIII dans la capitale. 

Dans la soirée du 24 , la cavalerie wurtem- 
bergeoise attaqua mes avant-postes ; les 7« chas- 
seurs et 11 ^ urogons prirent les armes, fon- 
dirent sur les assaillants, et les taillèrent en 
.pièces. Le lendemain, l'armée continua son 
mouvement de concentration. Je m'établis en 
avant de la'fprét dé Uaguenau, la droite a Seltz,. 
le centre a Surbourg, et la gauche à cheval 
sur la route de Bitche , que l'ennemi avait déjà 
investie. 

Cette position n'était que provisoire: elle 
était trop étendue ; je ,ne l'avais prise que 
pour ne pas me porter tout a coup en arrière 
de la ville , et laisser pénétrer les alliés en- 
tre cette place et Saverne , que le lieute- 
nant - général Desbureaux occupait avec un 
bataillon de ligne, des partisans et quelques 
lanciers. 

Le général Rottembom'g était chargé de 
surveiller le Rhin en arrière et sur la droite. 
Je n'avais pu lui laisser qu'une brigade, que 
j'avais portée a Seltia ; encore fus-jè obligé de 



208 Mémoires 

retirer le 40* au moment où les Autrichiens 

{paraissaient. Il ne lui resta que le 39**, dont 
e deuxième bataillon formait les avant-postes 



et la reserve. Le 1^, une compagnie de sa- 




position 

mauvaise par elle-même , n'avait rien de rassu- 
rant, La petite ville de Seltz, appuyée au Rhin, 
est située sur les deux rives ae la Selt^ibach* 
"Cette rivièlb est assez bien encaissée sur une 
étendue d'environ deux cents toises ; mais plus 
loin elle est partout guéable , et les bois qui la 
Iiordent en lavorîsent encore le passage. D'un 
autre côte, je craignaiar un débarquement, que 
Tennemi pouvait facilement elFectuér en ar- 
rière de la droite, et auquel je n'eusse pu'm'op- 
ppser que faiblement, attendu que toute l'at- 
tention devait se porter sur le front ^ <iui, com- 
me je lai dit, s'étendait fort loin. , 

Dans cette alternative , le général Rottem- 
bourff se décida a ne faire observer le Rhin que 
par des patrouilles, et envoya une compagnie 
pour garder les gués , depuis le moulin de 
Selta jusqu'k Nideradern. Il plaça son artil- 
lerie jsur une petite éminence de la rive droite, 
a gauche de la ville, et ce qui lui restait de 
soldats se porta en avant pour soutenir le 
deuxième bataillon, qui occupait les avant-pos- 
tes et le bois* 

A onze heures, l'ennemi ayant réuni ses 
masses , commença ^attaque par un feu de 
mousqueterie bien nourri , qu il appuya avec 
huit pièces de canon. La résistance des nôtres 
fut opiniâtre , et pendant long-temps M ne put 



du général Rapp, 299 

bvaincre; raaÎB a la fin cette petite avantrgarde 
flt contrainte de se replier dans le bois, %\\e 
s'y maintint avec un courage héroïque , et ré- 
sista long- temps aux efforts de huit a neui* 
, mille hommes , qu« soutenait une artillerie 
nombreuse. Enfin, après quelques heures de 
la plus belle résistance , cette poignée de bra- 
ves se retira dans le plus grand ordre , et vint 
se réunir au premier bataillon. 

Enhardi par ce succès , l'ennemi fit descen^ 
dre ses masses. Il déboucha nar la grande route, 
se dirigea sur Seltz , dont il croyait s'emparer 
sans difficulté. Nous le laissâmes arriver: sous 
le feu de nos batteries ; dès qu'elles purent louer, 
une décharge épouvantable portn la inortdans 
ses rangs. Rassuré par le nombre , il continua 
néanmoins d'avancer , et le combat se rétablit 
avec plus de vigueur qu'auparavant. Mais, 
toujours contenus par la valeur de nos soldats, 
et foudrpyés par lartillerie française , les Au- 
trichiens finirent par céder, et se retirèrent eh 
désordre dans le bois. Leurs mouvements dès ^ 
lors'devinrent incertains, et ils hésitèrent long^- 
temps sur ce qu'ils avaient a faire. Nos pièces 
continuaient de porter la mort au milieu de 
leurs colonnes. L^attaque n'était pas pluspéril- 
leuse que l'inaction ;. ils marchèrent en avant, 
et parvinrent a s'emparer de la partie de la 
ville située sur la rive gauche. Mais ce triom- 
phe leur coûta cher. Quelques obus Ijqicés 
sur les maisons dont il étaient maîtres les con- 
traignirent k les quitter , et à regagner .p]:éci- 
pitamment leur premier asile; nos batteries re- 
doublèrent leur feu , et firent essuyer aux fuy- 
ards une ]>erte immense. 



I 

\ 



300 Mémoires 

Cette attaque ne fut pas la seule dans ^ 

Suelle ils échouèrent. Dès le coininencemem 
e Faction, ils s'étaient avancés , par la grande 
route de Weissembourg a Haguenau , sur Sur- 
bourg, qu'occupait un bataillon du 1 8* , conl- 
mandé .par .l,e coloniei Voyrol. Ce village fut 
vaillamment défendu: pendant plus de deux 
heures Tennemi ne put y pénétrer; mais il dé- 
ploya enfin des forces si considérables , que, 
dans la crainte de voir tourner la ])6sitioii , le 
général Albert la fit évacuer. Nos soldants se re- 
plièrent derrière la Saare , on ils se réunirent 
au reste du régimeiit. Assaillis en cet endroit 
par Télite de Farmée autrichienne, ils restèrent 
mébranlable. Lassés de tant d a'ttaqjiies infruc- 
tueuses; convaincus qu ils ne parviendraient 
pas k forcer des hommes qui paraissaient dé- 
t\Aé^ a mourir à leur poste , ni a s'emparer des 
avenues de la forêt , les alliés se décidèrent 
enfin à la retraite. 

Nous avioixs trois cents hommes tués ou 
blessés : les Autrichiens , de leur propre aveu, 
en avaient perdu deux mille et avaient eu 
deux pièces de canon dén^ontéesl 

Nos troupes avaient a peine pris quelques 
heures de repos , tersTque je fu» obligé de les 
iremettre eh marche. L'armée alliée du Haut- 
Rhin s'avançait sur Strasbourg ; cette nouvelle 
m'était parvenue pendant Faction. Je n'avais 
pas un mstant a perdre. Je me dirigeai sans 
délai sur cette place, et Févénement a fait voir 
si cette mesure était juste. 



du général liapp. 



301 



âE- 



CHAPITRE XLVI 



Ce fut pendant cette retraite que les soldats 
apprirent le désastre de *Waterloo et Tabdica- 
tioii de l'empereur , que , jusqu'à ce moment; 
je leur avais soigneusement (jachés. Ces évé-» 
nements produisirent un découragement uni- 
versel, et la désertion se mit bientôt parmi 
eux. Les moins emportés roulaient dans leurs 
têtes des projets funestes. Excités par la mal- 
veillance, les uns Voulaient se rendre dans leurs 
foyers , les autres proposaient de se jeter en 
partisans dans les ^ osges. 

Je fus aussitôt informé de ces dispositions. 
J'envisageai de suite le* terri}>les conséquen- 
ces qu elles pouvaient avoir. Je publiai un or- , 
dredu jour^ il réussit, les esjmts se calmèrent; 
mais l'inquiétude ne tarda pas a se réveiller. 
Arrivé a Haguenau , le *?* régiment , autrefois 
si fameux , annonça hautement le dessein de 
quitter Tarmée et de se rendre avec son artil- 
lerie dans les montagnes. Déjà les pièces étaient 
attelées et un bs^taillon avait pris les armes. Je 
fus averti ; j'accourus , je pris a la m^in l'aigle 
de ces rebelles ; et me plaçant au milieu d^eux, 
„Soldats, leurdis-je, j'apprends qu'il est ques- 
„tion, parmi vous, de nous abancionner. Dans^ 
„une heure ^6us allons nous battre; voules- 
„vous que les Autrichiens pensent que vous 
„avez fui le champ d'honneur? Que les braves 
^, jurent de ne quitter ni leurs aigles ni leurgé- 
„néral en chef. Je permets aux lâches de s en 



304 Mémoires 

laissent k nos troupes aucun espoir de se mam- 
tenir. D'un autre côté, les assaillants avaient 
débordé le 10« , et le moment était venu d'exé- 
cuter le mouvement' ^\xe j'avais prescrit. En 
- conséquence, la seixsune division replia son 
aile gauche perpendiculairement en arrière, et 
en conservant la têts de Hoeîiheim, d'où notre 
• artillerie^ foudroyait l'ennemi eii flanc et a re- 
" ' ver». En même temps, le brave général Beur- 
mann, attaqué de toutes parts et déjà enve- 
lonpé , sortait de Mundolslieim a la tête du 
lO', et faisait retraite en bon ôrdre^ sur la di- 
vision. ' ^ "" 
' '^ Les Autrichiens, de leur côté, se portaient 
sur la route de Briînipt avec des masses énor- 
imTs de cavalerie et d'infanterie , soutenues par 
une artillerie formidable. Ils s'engagèrent en- 
tre les deux divisions , et arrivèrent sans ob- 
stacle sur quatre bouches k feu qui n'avaient 
cessé de mitrailler leurs colonnes.' Elles furent 
enlevées: mais l'ennemi prêta le flanc auxtrou- 
pes- du général Rottembourg , et a deux régi- 
ments de cavalerie qui se trouvaient sur son 
front. Je profitai de cette circonstance , je me 
mis a la tête du 11® de dragons et du 7* de 
chasseurs a cheval. Je me précipitai en avant, 

I'e renversai la première ligne , pénétrai dans 
a seconde, culbutai tout ce qui opposa de la 
résistance. Nous finies une boucherie ai&euse 
de la cavalerie autrichienne et wurtembergeoise. 
' £n même terhps le 32* de ligne arrive au pas 
decjiarge,- en colonnes serifées, et l'empêche 
de jse rallier* Elle se renverse sur sa propre in- 
fanterie et la met en fuite. 

De son côté le général Rottembourg porte 

sa 



du général. Rapp. 505 

sa droite en avant , et fond siir Tennemii qui 
déÊle en désordre devant ses colonnes , le feu 
le plus meurtrier d'artillerie et de mousquete* 
rie , en un instant le champ de bataille est cou- 
vert de morts j et^l'immense armée du prince 
de Wurtemberg mise en déroute. Elle fut telle 
que des bagages qui se trouvaient a deux lieues 
en arrière furent culbutés , pillés , et que le 
prince lui-même perdit ses équipages; Le dés- 
ordre s'étendit jusqu'à Haguenau, et aurait été 
plus loin, si 50^000 Russes, arrivés de Weis- 
sembourg, n eussent par leur présence rassuré 
les fuyards. La nuit qui survint, et le danger 
qu'il y aurait eu a s'aventurer devant des for- 
ces aussi supérieures , nous empêchèrent de 
profiter de nos avantages. Nous ne pûmes re- 
prendre notre artillerie ; lennemi s était hâté 
de la faire passer sur s(?s derrières; 

Elle lui coûtait assez cher pour qu'il tint 
a la conserver. Il avait cpiinze cents à deux 
mille morts et un nombre de bleàsés encore plud 
considérable. De notre côté , nous eûmes en- 
viron sept cents hommes hors de combat; De 
ce nombre étaient les deux capitaines d'artil- 
lerie légère Favier et Dandlau , blessés l'un et 
l'autre en défendant leurs pièces , et le colo- 
nel Montagnier, qui rendit de si grands ser- 
vices en cette occasion. 

Le général ennemi se vengea de Sa défaite 
par des dégâts. Il incendia , le lendemain de 
la i)ataille , le village de Souffelvireyersheim, 
sous prétexte que les paysans avaient tiré sur 
ses troupes; Le fait n'est pas vrai, et le nom 
du prince de A\ urtemberg reste a jamais souillé 

20 



306 Mémoires 

d une acûon ^ui a plonge une foule de faHiil- 
les dans la nusëre. 

Soit que la vigueur avec laquelle nous avions 
repoussé toutes ses attaques l'eût dégoûte d'en 
faire de nouvelles , soit tout autre motif, il 
resta quelques jours sans •rien entrej>rendre. 
Je profitai de ce rej>o& pour approvisionner 
Strasbourg et me fortifier dans mes positions. 
J'eus le temps aussi de donner a tous les com- 
mandants de place qui étaient sous ines ordres 
les instructions les plus précises. 

Cependant l'armée alliée augmentait sans 
cesse , de nouveaux corps venaient la grossir 
tous les jours : bientôt soixante--dix mille hom- 
taies se déployèrent (levant nous, et viiu:ent 
nous presser de toutes parts. Les parlementai- 
res se succédaient l'un a l'autre , et sans avoir 
aucun but marqué. Je fis })roposer au général 
ennemi une suspension d'armes , pendant la- 
quelle je pourrais envoyer un officier a Paris, 
et recevoir des ordres du gouvernement. Le 
prince de Wurtemberg refusa, sans renoncer 
néanmoins au système ae communication qu'il 
avait adopté. ^ 

' Ce fut k peu près a cette époque qu'il fit 
venir devant lui le ])asteur de Wendenheim, 
homme respectable et excellent patriote. „Con- 
„naisse2-vous , lui dit-il, le général Ra2)p ? — 
„Oui, monseigneur. — Vous chargeries-vous 
j, d'une mission auprès de lui ? — Assurément, 
,,si elle n'avait rien de contraire au?fe intérêts 
,,de mon pays. — Eh bien, allez lui dire que 
,jS'il veut me livrer Strasbourg pour le roi de 
„France , il verra pleuvoir sur lui les biens et 
^,, les honneurs. — Monseigneur, legénéralRapp 



du général Rapp. 307 

,,est Alsacien , et par conséquent bon Français!; 
^jamais il ne consentira a déshonorer sa carrière 
^militaire. £n conséquence, je prie votre al- 
,,tesse de charger un autre que moi de ce mes- 
„sage." 

A ces mot9 , le vénérable pasteur s'incline 
et disparait, laissant le prince étonné et con- 
fondu d'avoir proposé inutilement une bassesse. 
Néanmoins son altesse ne se rebuta pas. Le 3 
juillet, elle m'envoya le général Vacquant, en 
qualité de parlementaire , pour me demander, 
au nom du roi de France , la remise de la place 
de Strasbourg. Afin d'inspirer plus de confiance, 
l'officier autriciiien portait un énorme ruban 
blanc et la décoration du lis. Je lai deman- 
dai s'il venait de la part du roi, il réj^budit 
que non. „Eh bien, lui dîs-je, je né rendrai 
,,la placé que lorsque mes soldats auront mangé 
^ides cuisses autrichiennes , comme Ceux qUe 
„j'avais a Dantsic en ont mangé de russeà.** ' 

Importuné des communications insignifian- 
tes que me faisait j^asser chaque jour le com- 
mandant des alliés , je cherchai a pénétrer ses 
motifs. Dans cette vue, une reconnaissance 
générale fut exécutée le 6 sur les positions au- 
trichiennes. Nos soldats enlevèrent quelques 
postes de cavalerie, en taillèrent d'autres en 
pièces , et rentrèrent au camp a]>rès avoir fait 
prendre les armes a toute Tannée ennemie. 

Une forte canonnade s'étant fait entendre 
deux jours après du côté de Phalsbourg, je ré- 
solus de faire une seconde pointe, tant pour 
m'assurer au juste des forces que j'avais devant 
inoi, que pour empêcher le prmce de Wur- 
temberg de détacher des troupes contre cette 

20. 



508 Mémoires. 

place. La division Albert et la cavalerie mar- 
chèrent contre le camp retranché que lés Au- 
. trichiens avaient assis , depuis la forte position 
, d'Qberhausbergen jusqu'à Hiderhausbergen. 
L'attaque commença a trois heures du matin, 
elle fut impétueuse et couronnée du plus grand 
. succès. La cavalerie ennemie fut culbutée et 
mise en fuite par la brigade du général Grou- 
vel; les princi]>aux villages furent pris a la 
baïonnette, et les retranchements emportés. 
Plusiurs officiers furent faits prisonniers dans 
leurs lits, d autres au moment où ils couraient 
atux armes. Des généraux s'échappèrent en 
cliemis.e , ^et ne durent leur salut qu aux ténè- 
. bres qui les protégeaient. 

Le 10« a infanterie légère, commandé par 
le brave Colonel Cretté, déploya dans, cette af- 
faire la même valeur qu a la bataille du 28. 
. Le 18* sous les ordres du colonel Vojrol , Tup 
des officiers les plus intrépides de l'armée frati- 
. çaise, se renditmaitre du village de Mittelhaus- 
. bergen , où il se maintint long-temps contre 
des forces supérieures et des attaques non in- 
terrompues sur tous les points. 

Le signal de là retraite ayant été donné, 
le géné|:al Albert fit échelonner le 57^ vers l'at- 
taque de droite, et le 32* vers celle de gauche. 
Mous nous repliâmes dans le plus grand ordre. 
L'ennemi voulut nous troubler , il fondit sur 
nos troupes. Le 5> le reçut sans s'ébranler, * et 
fit une décharge a bout portant qui désorganisa 
ses coloimes; deux fois la cavalerie alliée re- 
vint à la charge , deux fois elle fut repoussée 
avec perte. Le général Laroche, qui la con- 
duisait, fut attemt et tomba sous les pieds des 



du général Rapp. 



309 



chevaux; il eût péri si les Français ne fussent 
venU3 a son sec^rs. „Amis, à*écrie-t-îl , j'ai 
„servi autrefois dans vos rangs , sauves-moi/^ 
Il fut aussitôt relevé et rendu aux siens. Un 
gros de cuirassiers faillit surprendre le 18« dans 
son mouvement rétrogradé ; mais le chef de 
rétat-major-général , le colonel Schneider, lui î 
ayant habilement opposé un bataillon qu'il * 
avait sous la' main , ronipit son choc et sauva ; 
le régiment d*uhe défaite inévitabtei * ? 

Les alliés, convaincu» qd'ils iïé' ^pafvien*--: 
draient pas a nous entamer, • nous ' Iftiéâèrent 
paisiblement coYitiriuer notre luarcht^î Nos • 
troupes rentrèrent au camp après avoir acquis 
la certitude de Fimniense sûj>ériorité dés lor*- 
ces qu'elles avaient à- combattre. Dej^mtt' et/ 
d'autl-é on prit des cantonnements, '\5\tt tcoi^j 
vention militaire fut conclue peu de joiirs^ après, ^ 
et les hostilités cessèrent dans toute l'Alsace. 



»• . 



*-» 



j 



4 



310 Mémoires 



■WB 



tîHAPITRE XLVII. 

. - ' • * 

« Vomv^é eogei^dra bientôt la sédition, D au- 
txes annee^v :4'aubras oorps, que n'égarait au- 
cliiije combinaison poliiiquQ, uvaLent foulé aux 
pieds la discipline militaire. jEst^nil étrange 
, qu au milieu; de TeiFenifei^çence générale mes 
soldats *sç soient un instunt ou!>lies? Cet e}>i- 
sode est. pénible. Je n^ àoii^ ni Técrire ni le , 
taire. Je puis bien supporter le blâme qu'ont 
eacQuru Joubert, M^sséna, et tant d'êtres gé- 
nâralux que je naipaii la prétention d'égaler. 
Vi^ci.rep quels termes un finoqyine a rendu, 
compte de .oet acte d'indiscipline. Il n'a pas 
voului tout dire, mais il s'agit de moi: je.doià 
imiter sa réserve.. Je souscris du reste au iuger. 
ment qu'il a porté. 

„Les Autrichiens , désespérant de se rendre . 
maîtres de Strasboui^ par la force des armes, 
cherchèrent a se ménager des intelligences 
dans cette ville. Ils y réussirent d'autant mieux 
qu'ils employèrent. avec sagacité les deux mo- 
yens qui agissent le plus puissamment sur le 
cœur de l'homme, l'or et la frayeur. Ils sédui- 
sirent les uns par l'appât des lichesses , * ils en 
subjuguèrent d'autres en leur faisant crain- 
dre les vengeances du gouvernement. Lors- 
qu'ils se furent de la sorte assurés de tous 
ceux qu'ils jugèrent susceptibles d'être éga- 
rés , ils se hâtèrent d'exécuter leurs perfiaes 
desseins. 

„Dès l'ouverture de la campagne, nos sol- 



du général Happ. Stl 

dats se trouvaient dans une état d'itritation 
bien propre a seconder les vues secrètes de 
l'ennemi: ils connaissaient l'aiFreuse journée 
de Waterloo , ils en savaient tous les détails ; 
niais ils avaient trop de confiajqice dans Thabi* 
leté de cette homme fameux avec l,equel ils 
•avaient cinq fois triomphé de l'Europe entière^ 
ils l'avaient vu trop souvent ressaisir par des 
inspirations soudaines la victoire qui lui édiap- 
pait , pour croire que son génie lailitaire î eut 
tout à coup abandonné ; ils songeaient perpé- 
tuellement a ce désastre , et ils ne pouvaient y; 
songer sans frémir. Persuadé^ qu'ils étaient 
4}ue nos troupes étaient toujours les méipes, et 
quelles avaient alFaire aux inémes ennemis, 
une telle défaite leur parraissait inconcevable, 
IS'en connaissant pas les véritables causes , ils 
accusaient les traîtres de tous nos malheurs: 
des traîtres avaient livré nos plans^ des traîtres 
avaient commandé de fausses manauivres » des 
traîtres avaient crié sauve qui peut ; il y en 
avait parmi les généraux , parmi les officiers, 
parmi les soldats: qui sait même s'il n'en ex- 
istait que dans l'arméç du nord ? qui sait si le 
corps dont ils faisaient partie, si leur régiment, 
si leur compagnie, n'en étaient pas infectés? 
Pouvaient-ils compter sur leur chefs, sur leurs 
camarades ? Tout le moi^de était suspçct, il fal- 
lait se défier de tout le inonde. 

„Tels étaient les discours qui échappaient 
a la colère, que la malveillance accueillait, am- 
plifiait, envenimait, et que chaque soldat finit 
par répéter et par croire. Bientôt on expli^qua 
tout par cette idée. Accoutumé a tenir la cam- 
pagne , on s'était vu avec douleur contraint de 



S42 Mémoires 

86 xt\xttt devant un ennemi qu'on mépinsait. 
Il eût été naturel d'attribuer ses progrès a son 
immense supériorité numérique : on aima 
mieux les expliquer autrement ; les chefs étaient 
d^intelligence aVec les Autrichiens. Plusieurs 
circonstances aussi fatales qu'inévitables vin- 
rent donner a cette opinion une sorte de vrai-' 
sembUnoe aux yeux des soldats prévenus. Ce 
fut d'abord Tordre que ri^çut le comte Rapp de 
licencier l'armée , et de renvoyer chaque hom- 
me isolément, sans argent et sans armes. Ce 
^t ensuite une injonction ijui lui fut faite 
(>ar le gouvernement de livrer a des commis- 
saires russes dix mille fusils tirés de l'arsenal de 
Strasbourg. Ces deux dépêches l'obligèrent 
d'entrer eh correspondance avec les alliés. Les 
fréquents échanges de couriers qui eurent lieu 
a cette occasion produisirent un* mauvais effet 
sur les esprits. Le mystère dont le général fiit 
obligé de s'envelopper jîour cacher aux troupes 
le transport des armes a feu augmenta Tirrita- 
tion ; les malveillants la portèrent k son com*- 
ble. Ib disaient hautement que le comte Rapp 
était vendu , qu'il avait reçu plusieurs millions 
des Autrichiens pour les introduire dans la 

S lace, et que s'il renvoyait les soldats indivi- 
uellement et désarmés, c'était d'a])rès une con- 
vention faite et pour les livrer à lennemi. 

,,J)ès qu'une fois ces germes de fermenta- 
tion eurent été jetés dans les diflérents corj>s, 
il se développèrent d'eux-mêmes; les instiga- 
teurs n'eurent plus qu'a en observer les pro- 
grès, a combiner les incidents propres a aug- 
menter les troubles , et a rendre inévitable la 
catastrophe qu'ils préparaient. 



1 



^ du général Rapp. 3 15 

„ Quoique le général Rapp Put bien loin de 
soupçonner une telle trame, il avait pris, en 
quelque sorte , toutes les mesures, cpi'il pouvait 
prendre pour la déjouer. Aussitôt que k dé- 
>êche niinisterielle relative au licenciement 
ui fut parvenue , il avait expédié en toute 
hâte a Paris un de ses âides-de-çanip , le chef 
d'escadron Marnier, Cet officier vit plusieurs 
fois les ministres, il leur représenta k quelle 
violence l'armée allait se porter si la solde en- 
tière n'était pas pajée j hiais il ne put obtenir, 
malgré les instances les pliis vives , qu'une 
traite de quatre cent mille francs sur la caisse 
de service. Son retour avec cette faible somme 
vint détruve toutes les espérances. Le général 
en chef, qui Voyait les esprits s'aigrir de plus 
en plus, ne négligea rien pour conjurer l'orage. 
Le manque de fonds était ce qui indisposait 
le plus : pour faire disparaître cette cause de 
mécontentement, il essaya d'ouvrir un emprunt 
dans Strasbourg. Les habitants lui ayant de- 
mandé une hypothèque, il fit solliciter, auprès 
du ministre des finances, l'autorisation d enga- 
ger les tabacs qui se trouv^ent dans la ville : 
le ministre s'y réfusa. Néanmoins, ,pàr l'en- 
tremise du général Semélé, qui commandait 
la place , on obtînt des autorités civiles une 
somme de cent soixante , mille francs. De si 
faibles moyens ne pouvaient satisfaire les sol- 
dats , que de faux bruits animaient sans cesse, 
et l'insurrection ne tarda pas a éclater. Elle fut 
soudaine, elle fut générale, et présenta un ca- 
ractère tout-a-fait particulier. J'en l'etracerai 
tous les détails, parce qu'ils serviront a faire 
mieux connaître l'esprit du soldat français. 



^314 Mémoires 

^Le 2 septembre, vers les huit heures du 
matin, environ soixante officiers subalternes 
de différents re^çiments s'assemblèrent dans un 
des bastions de la place. Ils arrêtèrent un pro- 

J'et' d'obéissance aux ordres qui licenciaient 
armée , mais a des conditions dont ils résolu- 
tent de tie point se départir. Cette déclaration 
cômmen^it ainsi : 

,,Aii nom de l'armée du Rhin, les officiers, 
„sous-officiers et soldats, n'obéiront aux ordres 
„donnés pour le licenciement qu'aux condi- 
„tions suivantes : 

„Art. l®^. Les officiers, sous-officiers et sol- 
„dats ne quitteront l'armée qu'après avoir été 
^soldés de tout ce qui leur est du. 

„Art. 2. Us partiront tous le même jour, em- 
„portant armes , bagages , et cinquante cartou- 
„ches chacun, etc., etc." . 

„Dès que cette pièce eut été libellée, ils se 
rendirent chex le général en chef pour lui en 
donner communication. Celui-ci, alors ma- 
lade, était dans le bain. Étonné defiette visite 
inattendue, il donne ordre délaisser approcher. 
Cinq officiers s'approchent aussitôt de la bai- 
gnoirei ils foqt lexjjosé du sujet de leur mis- 
sion , et déclarent que Y^vmée ne subira le li- 
cenciement qu'autant que ces conditions auront 
été remplies. A ce mot de conditions, le géné- 
ral furieux s'élance du bain , et arrachant le 
paj>ier des mains de l'orateur: „Quoi! ines- 
„sieurs , vous voulez m'imposer des condi- 
,,tions ! vous refusez d'obéir ! des conditions a 
,,moi! *' 



. < 



peut 



„Le ton de voix , le regard du comte Rapp, 
t-être l'attitude dans laquelle il se présen- 



da général Rapp. 315 

tait; imposèrent ala députation* Elle se retira 
confuse, et chacun des of&ciers alla rendre 
comte a son régiment du manvais accueil qu'ils 
avaient reçu. 

,, Les sous -officiers, assemblés au nombre 
d environ cinq cents , attendaient ])Our. agir la 
réponse du général. Ils sentirent bien , quand 
ils en eurent connaissance , qu'un tel homme 
n était pas facile a intimider , et qu en faisant 
une démarche, ils ne seraient pas plus heu- 
reuse que leurs chefs. Mais leur parti ' était 
pris ; ils vinrent se ranger en bataille dans la 
cour du palais , et demandèrent qu'on les in- 
troduisit auprès du général en chef. Un aide- 
de-camp descent pour connaître les motifs 
qui les amènent, ils refusent d'entrer «n. ex- 
plication avec lui. „Quel est le chef de la 
troupe? demande cet officier. Aucun- 
tous , " répondent-ils en masse. Il appelle 
au centre les plus anciens de chaque . régi- 



>» 
»» 



coupables. Mille voix confuses l'interrompent 
aussitôt: „De l'argent! de l'argent!.... Pîous 
„voulons être payés de tout, ce qui nous est 
„dû; nous saurons nous faire payer." 

j,Le chef d'état-major colonel Schneider, 
dont ils avaient tant de fois admiré la résolu*^ 
tion au milieu des dangers, arrive sur ces* en* 
trefaites, et essaie avec aussi peu de succès 
de les calmer : „De l'argent , ré]>ètent41s en- 
iîore, de l'argent!" Fatigués de pousser des 
cris , de faire des menace's inutiles , et n'ayant 
pu arriver jusqu'au général en chef ^ ils «e 
dispersent enfin , après s'être assigné un ren- 



3 16 Mémoires 

dez-vous. La plujmrt 8e j>ôrtent sur la place 
d'armes, où ils procèdent aussitôt a Télection 
des nouveaux chefs qu'ils avaient résolu de se 
donner. L'un d'eux , nommé Dalouai , ser- 
gent au 7« léger , connu par sa capacité , son 
audace , et surtout par- un habil soldatesque 
qui lui était proj^re , réunit tous les suffrages : 
„Vous voulez être payés , dit-il a ses camara- 
,ydes, et c'est pour cela que vous êtes ici. — 
,,Oui, répondit-on d'une commune voix. — 
„Eh bien! si vous promettes de m'obéir, de 
„vous abstenir de tout désordre , de faire re- 
,,specteir lés propriétés , de protéger les per- 
„sonnes; je jure siir ma tête que vous le se- 
,,rea avant vingt-quatre heures." Ce discours 
fut accueilli avec des cris de joie-, et le ser- 
géiit fût nommé général. Il choisit aussitôt 
pour son chef d'état-major le tambour-major 
du 58«; un second sous -officier fut chargé des 
fonctions de gouverneur de la place ) un troi- 
sième, du commandement de la première di- 
vision; un autre de la seconde, etainsvde 
suite. Les régiments eurent des colonels; les 
bataillons, les escadrons, des chefs; et les 
comfpagnies, des capitaines; enfin on com- 
pléta un état-major. 

„Les autres sous-officiers étaient retournés 
ati^ casernes , où les soldats attendaient avec 
^ impatience le résultat de la démarche qui ve- 
nait d'être faite. La générale est aussitôt bat- 
tue , et tous les corps , infanterie , cavalerie, 
artillerie, sont dirigés en ordre et a la course 
sur la place d'armes. I/organisation était a 
peine terminée, lorsqu'ils y arrivèrent. Ame- 
sure qu'ils pa(raissaient , les nouveaux chef« 



du général Rapp. 317 

allaient en prendre le commandement , et les 
dirigeaient sur les points qu ils avaient ordta 
d'occuper. 

„Cependant le général Rapp, étonné de 
voir éclater une insurrection si grave , s'était 
jSabillé h la hâte , dans l'espérance de coimaître 
les motifs de ces mouvements séditieux , et de 
parvenir k les calmer. Mais les diverses opé- 
rations dx)nt nous venons de i-endre comte 
avaient été conduites avec une telle célérité^ 
qu'au moment où il sortait . accompagné de 
son chef d*état-major et de quelques officiers, 
les colonnes, suivies d'une populace nom- 
breuse, débouchaient déjà par toutes les rues 
qui aboutissent a la place du palais. Des 
qu'elles aperçoivent le général , les trotipes se 
meltent précipitamment en bataillje, et croi- 
sent la baïonnette pour l'empêcher de passer. 
Aussitôt des cris forcehés se font entendre 
des derniers rangs. ,. Tirez.... il a vendu l'ar- 
,,mée.... Tirez donc." Des misérables, ré- 
pandus dans les groupes , excitaient du geste 
et de la voix k massacrer ce vaillant homme. 
La fureur se réjjand de proche en proche, et 
bientôt la cqpfusion est a son comble; les sol- 
dats égarés apprêtent leurs armes ; les rangs se 
doublent; huit pièces de canon arrivent au 
galop , et sont incontinent chargées a mitraille. 

„Chaque fois que Je général Rapp adresse 
Ja parole k ceux qui le menacent , les vocifé- 
rations recomimencent et les cris provocateurs 
se font entendre avec une nouvelle rage. Mis 
en joue k plusieurs reprises, les pièces de 
canon sont constamment dirigées sur lui, et 
les ' pointeurs suivent tous ses mouvements : 



/ 



31Ç Mémoires 

,,Range2-vou8 ! s'écrlaient-lls , que nous tirions 
y^dessus/ Un obusier s'attache avec tant de ! 
persévérance au groupe dont le général est | 
environné , qu'il s'en aperçoit. Il court au 
canonnier qui tient 'la ihèche: ,yEh bien.! 
^,que prétends-tu faire , misérable? lui dit-u; 
„ veux-tu 'me tuer ? Mets le feu , me voici a 
„renibouchure. — Ah! mon général! s'écrie 
9,1e soldat en laissant échapper son boute-feu, 
,,]'ai été au sipge de Dantaic avec vous , je vous 
,,aonnerais ma vie... 'Mais les camarades veu- 
fjent être payés, je suis obligé de faire com- 
„me eux." £t il reprend sa mèche. 

„ Accablé de questions vides de sens, d*in- 
terpeilations sans objet , étourdi des clameurs 
de la multitude, dont les flots grossissaient 
sans cesse , le général se décida enfin a rentrer 
au palais. 

„Les troupes ly suivirent, et les différentes 
avenues en furent sur-le.champ occupées par 
huit ])iëces de canon, mille hommes d'infan- 
terie et un escadron de cavalerie. Cette garde 
se nomma la garde extérieure du palais. Un 
bataillon de grenadiers vint s'établir dans la 
cour, et prit la dénomination de. garde inté- 
rieure, rrès de soixante factibnàires furent 
F lacés deux a deux h toutes ItîS jîortes et sur 
escalier qui conduisait a Tappattement du 
comte Rapp; il y en eut même, pendant quel- 
ques instants , jusqu'à celle de sa chambre a 
coucher. On s empara ensuite du télégraphe 
et de la monnaie. Pour témoigner en niênie 
temps qu'on n'avait aucun mauvais dessein, 
un détachement fiit envoyé a l'hôtel du géné- 
ral autrichien VoUtman, qui se trouvait dans 



du général Rapp. 519^ 

la place, et fut mis a sa disposition. Les ponts 
fureht levés , et Ton ne communiqua plus avec 
les dehors sans une permission signée dii nou- 
veau commançlant. Le tambour*major du 
58^ se rendit avec un trompette au quartier- 
général des alliés , et leur signifia que s'ils re- 
spectaient la trêve, la ggrnison ne se porte- 
rait a aucun acte d'hostilité; mais qu'e s'ils 
essayaient de profiter de la mésintelligence 
. qui régnait entre le chef et les soldats , elle 
saurait opposer une noble résistance. 

„Cependant Dalouxi avait établi son état- 
major sur la place d armes, et créé deux coin- 
missions , Tune des vivres , composée de four- 
riers, et l'autre des finances, formée de ser- 
gents-majors; elles se constituèrent en per- 
manence , délibérèrent sur les mesures les 2)lus 
propres k maintenir la tranquillité publique, 
et à mettre là ville a l'abri de toute surprise. 
Les postes de la citadelle et ceux de 1 inté- 
rieur furent doublés ; on plaça même des giir- 
des a quelques vieilles poternes qui jusque- 
là avaient été négligées; on renforça la ligne 
extérieure , les troupes bivouaquèrent sur les 
places €ft dans les rues ; enfin on n oublia au- ^ 
cune des précautions que peut suggérer la pru- 
dence la plus soupçonneuse. Afin de prévenir 
les excès auxquels la malveillance pouvait ex- 
citer les soldats, il fut défendu, sous peine 
de mort, d'entrer dans aucun des lieux où Ion 
vendait de l'eau-de-vie, du vin ou de la bière. 
La même peine fut portée contre tous ceux qui 
se rendraient coupaoles de pillage, de désordre 
ou d'insubordination. Enfin, pour assurer 
mieux encore la tranquillité publique, il fut 



S20 Mémoires 

résolu que l'armée serait instruite de *six heu- 
res en six heures de sa situation. , 

„Ces dispositions prises, le receveur-général 
et l'inspecteur aux revues furent mandés ^ Ce- 
lui-ci nt un état approximatif des ^sommes né- 
cessaires pour mettre la solde au courant j. l'au- 
tre présenta le montant de son avoir en caisse; 
après quoi, Dalouzi Convoqua le conseil muni- 
cipal, auquel il exposa les motifs qui avaient 
détermine la garnison a prendre les armes j et 

!>i?ia le maire d'aviser aux moyens de faire des 
x>nds pour acquitter l'arriéré. 

„Il envoya ensuite au comte Rapp une dé- 
putation composée du nouveau gouverneur 
et de cinq -ou six généraux-sergents. „Eh bien! 
„que me voulea-vous encore f leur dit ce gé- 
„néral avec l'accent dé l'indignation et dumé- 
„pris. Vous êtes indignes, de porter l'uniforme 
,,n:ançais..éi J'ai cru que vous étiez des gens 
„d'honueur, je me suis trompé.... Vous vous 
, , laisse^ sédqire par des misérables.... Que 
„prétendea-vous faire?.... Pourquoi ces gar- 
„aes qui enWronnent le palais?... Pourquoi 
„cette artillerie dirigée contre moi?..; Je suis 
,^donc bien redoutable?.,. Croit^on que je 
, , veuille m*évader ? . . . Et pour quelle raison 
, , m'évaderais- je?... Je ne crains rien... Je 
„ne vous crains pas... Mais au fait que me 
„voulez-vous ? encore une fois que me vou- 
liez- vous?..." L'agitation du comte Rapp, 
en prononçant ces mots , contrastait vivement 
avec l'air sombre de la députation. Ces sous- 
officiers, confus de retjenir captif un chef qu'ils 
aimaient, et dont la valeur , la loyauté leur 
étaient si connus , gardaient un profond si- 

/ lence. 



>9 



du général Rapp. 3?1 

lence. XU étidnt sur le point de se. retireir, 
lorsqu^un d'entre eux prenant la parole : 9,Mon 
yygénéraly dit- il, nous avons appris <{ue Içs 
,, autres corps d'armée ont été payés, nos .so].- 
,,dats veulent également l'être ; ils sont en 
„révolte, mais ils nous obéissent. Nous ne 
,,demandous que ce qui nous est dix, le faible 
^^dédommagement de tant de sang et de bles- 
sures; nous ne demandons que ce qui noi^s 
est indispensable pour faire notre route çt 
^,nous retirer dans nos foyers. Les trouped. ne 
,, rentreront dans Tordre, c'est une chose fer- 
,,mement arrêtée,, que lorsque la solde sera 
„alignée pour totitle ngionde. — Il n'y at.p^s 
„asse2 d'argent en caisse , repartit le généraL 
„J'ai eu l'intention devons faire payei:, même 
„de vos masses; j'ai envoyé un aide-de^amjii 
^a iParis , il a vu les ministres , mais, on n!a pu 
,ilui donner que quatre cent mille francs* C'*^3t 
#,!cette somme, ainsi que celle qui existe *dé jk 
^,dans la caisse du payeur, que je ferai répar* 
^,tir entre les divers régiments^. — L'année 
,,véut être payée, mon général. , — Je yous al 
4,dit ce que j'avais à vous dire ; retirea-vdu?, 
^,et rentrez au plus tôt dans Tordre. ..Si Ten* 
^,nemi a malheureusement connaissance de ce 
,,qui se passe ici, que deviendrea-vous ? — Oii 
^,a tout prévu , mon général : un régiment dfe 
„fcavalerie et douae pièces de canon sont partis 
^,pour renforcer la division qui est au camp. 
,J1 vous Qst facile de nous faire payer: et vous 
,,avea tout a craindre de la part des soldats,, ai 
,, d'ici a vingt-quatre heures ils ne sont pas sa- 
,,tisfaits. — Que m'importe à moi, ce qùey6uâ 
„^t vos soldats pouvea faire ! Je vous répèt* 

• 21 



322 Mémoires -, 

^,oue vous n'aurex que les fonds qui^ous sont 
,,de8tinés. Quelque chose qui puisse arriver, 
i,n'espérex pas me contraindre a faire ce que 
^mon devour me défend. — Général , les sol* 
yydats peuvent vous conduire a la citadelle j| 
t,ils peuvent même vous fusiller; nousrépon- 
,idons d'eux maintenant^ mais si vous ne nous 
,, faites J>as payer... — Je i^ai plus rien a vous 
.9,diré 9 sortes^ de ches moi... oi vous me fusil- 
,,lex 9 eh bien , je préfère la mort k la honte... 
,,Vous êtes des ennemis de Tordre...; vous êtes 
f^des instruments de U malveillance et d'une 
«^conspiration que' vous ne connaisses pas... 
,J/ennemi est peut-être d'accord... Je vous 
y, rends responsables de tout cequi peut arriver... 
, y Vous m'avez entendu, sortez!... Je rougis de 
,,converser avec des rebelles." 

„Ces mots de conspirations furent sur eux 
une impression4;rës-*vive; ils se turent quelque 
temps , ils se remirent néanmoins , et 1 un 
d'eux répondit que s'il y avait parmi eux des 

fens qui eussent des intentions cachées , ils 
ignoraient ; que , pour eux , ils ne. voulaient 
qu'être payés ; mais qu'ils voulaient 1 être , et 
qu'ils allaient lui amener les autorités civiles, 
afin qu'il donnât l'ordre de faire les fonds: 
après quoi ils se retirèrent. 

, ^Pendant que le conseil avisait aux moyens 
d'assurer la tranquillité publique , et de faire 
acquitter la solde arriérée , l'armée avait exé- 
cuté divers mouvements ; elle avait fait des 
marches, des contre-marches, toujours au pas 
de course , sans proférer un mot , sans se per- 
mettre une menace contre les officiers et les 
générau:^ qu'elle avait mis.en arrestation. Ce 



du général Rapp. * 323 

«ilence , peu ordinaire aux militaires français, 
avait quelque chose de sinistre dont'les habi<> 
tants étaient épouvantés. Cependant les trour 
pes s'étaient enfin calmées , mais elles ne com- 
muniquaient pas avec les bourgeois ; elles re« 
fusaient même de répondre a leurs questions. 
Dans les rues, sur les places, on voyait se for- 
mer des groupes qui se dispersaient après s'être* 
jcommuniqué tout bas soit des ordres , soit des 
* «vis. La ville entière était plongée dans une 
sombre inquiétude: on se rappelait des éjpo- 
ques funestes, on craignait de les voir renaître; 
xmacun tremblait pour ses biens , pour sa vie 
même. Jamais tableau plus elFrayant que celui 
que présentait alors, cette immense eité« 

„Le général en chef ayant appris que les 
habitants avaient consenti à faire lés fonds né* 
cessaires , et qu'ils donnaient a la frayeur ce 
qu'ils avaient si long-temps refusé a ses prières, 
envoya son chef d'état-major auprès des auto* 
rites pour régler avec elles la répartition de 
l'emprunt. Cet officier fut conduit a l'hôtel de 
ville par un caporal et six hommes qui ne le 
quittèrent pas. Il y termina ses comptes , • et 
revint au palais sous la même escorte. 

^Cependant les généraux et les chefs de 
corps employaient tour a tour les menaces et 
les prières pour ramener les mutins k leur de- 
voir. Ces derniers, ^ui aimaient leurs supé- 
rieurs I et qui n'auraient osé leur manquer en 
face, usaient d'artifice pour échapper a Tas- 
cendiant et aux représentations qu'il craignaient. 
Lorsqu'un officier se portait d'un côté , on 
avait soin de lui opposer en première ligne des 
soldats d'une autre arme ; et pendant qu'il ha- 

21. 



324 Mémoires 

rangiiak ceux-cî, les autres ;voei feraient paK 
derrière. Si , malgré cette tactique , il parve- 
nait a joindre un de ses subordonnés et lui 
adressait des reproches: . „Môil mon officier," 
répondait l'autre avec une douceur hypocrite^ 
„je ne fais rien , je ne dis pas un mot/* Et 
il se perdait aussitôt dans la foule. Les trou- 
pes prirent bientôt une mesure générale pour 
se délivrer de ces sollicitations importunes ^ el 
tous ceux qui avaient un commandement iia*- 
portant furent consignés chez eux. 

^Cependant les alarmes des bourgeois ne 
tardèrent pas a se calmer , la retraite fut bat- 
tue long-temps avant la nuit ; et dèls cet in- 
stant, les patrouilles se succédèrent sans in- 
terruption. Plusieurs ordres du jour- furent 
lus ;a chaque poster . Ils recommandaient la 
tranquillité, lobéissance, et promettaient qu» 
les paiements seraient elFectués dans les vingt- 
quatre heures. Ltme de ces pièces était ainsi 
conçue : „Tout va bien,- les haoitants financent, 
„et les paiements sont commen^^és. Signée 
„Garkison." 

. „La ville eut ordre d'illuminer, afin qu'il 
fût plus facile d'exercer une surveillance sévère. 

„Les chefs secrets de l'insurrection n'avaient 
pas tardé a s'apercevoir qu'une sagesse djésespé- 
rante présidait a toiis les conseils, et que leur 
but était manqué s'ils ne réussissaient a échauf- 
fer de nouveau les esprits ^ et. a exciter cpiel- 
que émeute dans laquelle le sang pût couler. . 

„Ils firent donc , vers les cinq heures du 
soir, arriver au galop sur la j>lace d'armes un 
chasseur k cheval, annonçant quon venait 
d'arrêter trois- fourgons cliargés d'or, appar- 



9J 

I 



da général Rapp. 325 

tenants au. général Rapp, cjui les faisait sortir 
sous la protection des Autrichiens. ,,Ces trois, 
^voitures/ ajoutait- il , ont' été conduites au 
pont couvert, et voici le reçu que je porte 
à notre commandant en chef. Il faut fasil- 
,vler le général Rapp... c'est un traître... il' 
^,iious a vendus a lennemi.'^ 

^Quelque échauffé que Ion fut encore, ce 
discours produisit peu d'effet' Les troupes 
maltraitaient leur chef jjour l'obliger h lever 
des contributions , mais elles ne nourrissaient 
aucun soupçon contre lui. Sa réputation 
d'homme d'honneur restait intacte, et son 
intégrité ne leur était pas plus sus]>ecte que, 
son courage. Des provocations au meurtre si 
ouvertes excitèrent la défiance , et les soldats 
devinrent plus circonspects. Quelques uns 
cependant semaient l'inquiétude et voulaient 
qu'on s'assurât de sTa personne ;' mais l'armée 
eut le bon esprit de repousser des sugges- 
tions dont peut-être elle ne sentit pas d'abord 
toute la perfidie. 

,,Dès qu'un moyen échouait, les consi)ira* 
teurs en tentaient un autre ^ et nef jiégligeaiént 
rien pour faire verser le sang, persuadés que 
e'il avait une fois coulé, il serait facile de 
ie faire couler encore. Le cocher du général 
conduisait du palais aux écuries un chariot 
chargé de paille. Les factionnaires firent quel- 
ques difficultés de le laisser passer: il sortit . 
cependant ; mais k peine était-il dehors que 
-des malveillants crient à la trahison, et pré- 
tendent que , sous prétexte de transporter de 
la paille, on enlève la caisse militaire. Aussi- 
tôt la multitude se jette sur la voiture et la 



32& Mémoires 

décharge pour la mieux fouillar. On nt 
^ouve rien ; on- la recharge^ en exigeant nëan» 
moins qu'elle rentre: les chevaux effirayés 
prennent la course et renversent un enfant. 

A ^tte vue la fureur redouble,, on force 
les gardes, on se précipite en tumulte dans 
la cour du palais, on saisit le cocher, et on 
le massacre sans pitié entre les mains d'un 
officier accouru pour le défendre. Le désor^ 
dre ne ' devait sûrement pas se borner a la 
mort d'un domestique; mais des groupes de 
soldats survinrent, forcèrent les pdns empor-^ 
tés de se contenir, et le coup fut encore 
manqué. 

„Toutes les tentatives pour faire égorg« 
le général Bapp par la main de ses troupes 
ayant échoué, on eut recours aux voies or- 
dinaires de l'assassinat. Dès que la nuit fut 
avancée, une foule d'individus se succédé- 
rent l'un k l'autre, et usèrent de violence 

Sour s'introduire dans sa chambre k coueheré 
[ais les aides-de-camp et quelques ofEciess 
en défendirent l'entrée avec courage, et pré* 
'^ervèrent leur chef de toute insulte. 
^ „Au milieu de cette effervescence, une 
circonstance vint tout a coup refroidir les 
soldats, et contribua a les faire rentrer dans 
l'ordre. La ligne ennemie resserra ses can* 
tonnements au moment même où l'insurrec- 
tion éclatait, et reçut aussitôt des renforts 
considérables. Cette concordance des mesu* 
res prises par les Autrichiens avec un événe- 
ment qu'ils ne devaient pas encore connaître, 
donna beaucoup a penser : aussi la division 
du dehors doubla de suite ses grand-gardes; 



\ - 



du général Rapp. 327 

d« nouvelles troupes et . de lutillerie aecduru« 
rent de la place. 

„L'enneini intimidé n'osa rien entrepren- 
dre. Peut-être aussi attendait-il le résultat 
des machinations qu'il avait ourdies danft Stras- 
bourg; peut-être craignait-il de se compro- 
mettre avec. une armée d'autant plus redou- 
table quelle s'était imposé l'obligation de\ 
vaincre, -^et quelle contmuait, ]>our tout ce 
qui était relatif aux dispositions militaires , \ 
recevoir les ordres du' général Rottembourg, 
dont les Autrichiens avaient plus d'une fois, 
dans cette' campagne , éprouvé' la valeur et 
rhabileté. I/eniiemi resta donc en position, 
et semblait attendre que le moment favora- 
ble fi^t venu. De son côté , la troupe se tint 
en garde contre les écarts où on voulait la 

Î'eter, et poursuivit ayec calme et constance 
e but unique qu'elle s'était proposé, l'acquit- 
tement de la solde arriérée. 

„Le général Garnison redoublait de vigi- 
lance pour maintenir la, tranquillité publique,* 
et sortait fréquemment suivi de son état-major> , 
tous en costume de sergents et à cheval , pour 
s'assurer de l'exécution de ses ordres. Dès qu'il 
larraissait, les tambours battaient au camp, 
es postes prenaient les armes et lui rendaient 
tous les honneurs dus a un commandant en 
chef. Ainsi Strasbourg présentait l'image de 
Tordre le plus parfait au hiilieu du désordre» 
et la discipline la plus sévère régnait au 
milieu d'une armée en révolte. 

jjL'emjirunt ayant été réalisé, les officiers- 
payeurs, suivant l'ordre numérique de leur 
régiment, furent^ conduits àous bonne escorte 



{ 



329 ' Mëmoires 

chex le paj^eur-généraly où ik touchèrent les 
sommes nëcessaures pour mettre au courant 
La solde de leurs corps. Mais il leur fut 
enjoint de n'effectuer les paiements indivir 
duels que lorsque tous les régiments auraient 
touché ce qui leur était dû. Ainsi se passif 
le premier jour: il y «ut moins d'agitation 
dans le second. On essaya encore daccrédi«> 
ter parmi la troupe quelques bruits propres 
h la soulever; mais elle y fit peu d'attention. 
Yers le soir , la consigne du palais devint 
moins sévère; les aides-de-camp eurent la 
permission de* sortir sous escorte. Un pdio^^ 
ton de grenadiers était chargé de les conduire 
où ils voulaient, et de les ramener, 

^Pendant la nuit , les postes furent tous 
renouvelés. Des individus en costume"^ de 
sous-officiers se présentèrent encore ]>our péné- 
trer çhex le général^ et s'assurer , disaient-ils, 
s'il ne s'était pas év^adé. Les altercations entre 
eux et lés officiers de l'état-major furent 

Elus vives que jamais; ceux-ci néanmoins 
nirent par remporter. Enfin la répartition 
des fonds fut achevée vers les neuf heures du 
matin. Aussitôt la générale se fit entendre: 
l'armée se rassembla » retira ses postes , leva le 
MOge 4^ palais , et se rendit sur la place d'arô- 
mes. Le général Garnison, accompagné de 
tout son état-major , fit mettre les troupes en 
bataille , et leur adressa la proclamation suir 
vante. Nous la rapportons textuellement. 

^ySoidats de ï armée du Rhin y 

„La démarche hardie qui vient d'étr« faite 



»" 

9,< 



du gén&itl Rapp, 359 

/,païr vos soiis-ofnciers pour vous faire rendre 
,, justice, et le parfait paiement de votre solde, 
,,les ont compromis envers les autorités civi-r 
- „les et militaires. C'est dans votre bonne con- 
„duite , votre résignation et votre excellente 
, discipline, qu'il espèrent trouver leur salut; 
,et celle que vous avea gardée jusqu'à ce jour 
„en est le sûr garant, et ils en espèrent la con* 
„tinuation. 

,ySoldats,les officiers-pajeurs ont entre leurs 
„mains tout cequi vous est dû; la garnison ren- 
,-,trera a sa première place; les postes resteront 
^jusqu'à ce que le général en chef ait donné 
,,drf8 ordres en conséquence. Sitôt la rentrée, 
„les sergents-major et maréchaux-des-logis se 
„rendront chex leurs officiers-payeurs, et pren- 
„dront note , avant de solder la troupe, de MM. 
„le8 colonels , afin d exercer \k retenue de ciui 
„de droit. L'infanterie doit être licenoiée, elle 
^, prendra des ordres supérieurs ; et la cavalerie, 
„n'ayant encore aucun ordre, attendra s>on sort, 
„afin de rendr^^au moins , avant de partir, che^ 
„vaux, armes, et tout ce qui appartient au 
»?gPUvernement; afin que l'on puisse dire: Ils 
„sont Français, ils ont servi avec honneur, ils 
„se sont fait payer de ce qui leur était dû , et 
„se sont soumis aux ordres du roi, avec ce beau 
„titre de l'armée dw Rhin, 

nPar ordre de t armée du Rhin.'^ 

„Le sergent-général, après avoir prononcé 
ce discours , que l'armée écouta en silence, fit 
défiler devant lui les deux divisions d'infante- 
rie , la cavalerie et l'artillerie, et alla en "grande 



330 Mémoires 

poxnp6 arborer a la préfecUire et \ la mairie 
des drapeaux blancs faits par son ordre. Les 
troupes se rendirent .ensuite aux casernes , et 
rentrèrent sous lautorite de leurs officiers res- 
pectifs. 

^.Aussitôt que la liberté leur fut rendue, les 
généraux , les colonels et officiers supérieurs 
s'emj>ressèrent de se rendre chez le comte 
Rapp , pour lui témoigner la douleur qu'ils 
avaient eue de voir Tarmée méconnaître ainsi 
le frein de la discipline. Ils firent même im- 
primer, contre les mouvements séditieux aux- 
quels on s'était livré, une protestation qu'ils 
signèrent tous , et qui contenait dea choses très 
flatteuses pour le général eq chef. 

„Deux jours après , on déposa les armes a 
l'arsenal, et tous les corps furerlt licenciés. Da- 
lousi, comme chef de révolte, avait encouru 
la peine ^capitale; mais on lui fit grâce en faveur 
du bon ordre qu'il avait maintenu au milieu 
de l'insurrection *)." 

^ L'armée était dissoute, mon commandement 
expiré, rien ne me retenait plus en Alsace. Mais 
les bonnes âmes du faubourg Saint-Germain 
avaient imaginé que nous étions un sujet d'ef- 
froi pour l'Europe. Sur le champ de bataille, 
je ][e crois, et les alliés n'en disconvenaient pas. 
Ailleurs! c'était trop présumer de nous. En 
f|it de trames et de comj^lots ce n'est pas nous 

3ui méritions la palme. J'allai néanmoins au- 
evant de celle qu'on voulait me décerner. J'é- 



^ Préeiê des opêrcUionê des armées du Rhin et da 
ifara en. 1815. - . 



1 

du général Rapp, 331 

crivis au roi ; je «l'essajai pas de lui àémx^ 
ser. mes sentiments. Si j'avais pu jeter dans 
le Rhin la coalition ttiut entière, ]e l'aurais^ 
fait, je ne m'en cachais pas. Ma lettre était 
ainsi conçue : 

yySire , 

„ Je ne cherche pqint a justifier ma conduite. 
^Yôtre majesté sait que mon inclination et 
9, mon éducation militaire m'ont toujours porté 
,,a défendre le territoire français contre toute 
y,agression étrangère ; je ne pouvais surtout 
«yhésiter a oiSrir mon sang pour la défense de 
y^rAlsace, qui m'a vu 

,,.Si j'ai conservé 1' 
„je désure finir ma carrière dahs ma patrie^ 
,,s'il en était autrement , je serais le premier 
^a demander d'aller passer mes jours chea Té* 
tytranger; je ne saurais vivre dans mon pays 
,,8ans l'estune de mon souverain. 

,, Je ne demande que cela ^ et n'ai besoin 
,,que de cela." 



naître. 
jy^i j'ai conservé l'estime de votre, majesté. 



Cette lettre ne fut pas inutile. Des signes 
d'intérêt échappés au monarqye continrent la 
malveillance. Je passai quelques mois a Paris 
sans, être inquiété ; mais l'émigration avait 
envahi les chambres et rugissait a la tribune^ 
Les vociférations contre ce que la France pos* 
sède d'hommes distingués par leur talent et 
leur courage me donnèrent tant de dégoût 
cfue je m'éloignai. Je me retirai en Suisse, 
où du moins l'aristocratie ne présentait pas 
le scandale des fureurs du jour k cdté ues 



3S2 Memoireê 



ài^ la reill^. L'ordonnance du 5 sep- 
tembre fut rendue quelque temps* après : ^e 
Mviils a .Paris , où je vis tranquille au sein 
de ma fkmille , et où j ai trouyë un bonheur 
, qui jusque-la m'était inconnu. 



Ici finissent les Mémoires. Nous n'ajoute- 
yons que quelques mots. 

. Devenu membre de la chambre dès pairs, 
lé général fut appelé auprès du chef de létat.- 
Cette, faveur ne le rendit pas infidèle k se» 
souvenirs! Tant d'immortelles journées étaient 
trop profondément gravées dans son âme! Il 
ne pouvait oublier nos victoires , celui qui 
les avait préparées , ceux qui les avaient ob- 
tenues. Il y avait souvent pris une part si glo- 
rieuse! le courage ne se cieshérite pas. Aussi 
les braves que poursuivaient des hommes qui 
s'étaient éclipsés devant eux sur le .champ de 
bataille trpuvèrent-ils toujours dans le général 
tm protecteur dévoué. Sa bourse, son crédit, 
leur étaient ouverts. Jamais il ne rebuta l'in- 
fortune. Ceux mêmes qui n'avaient auprès de 
lui auciin des droits que donne le drapeau 

{participaient a ses bienfaits i II suffisait qu'ils 
ùssent dans le besoin. Le malheur était quel- 
que chose de sacré k ses yeux. 

L'inaction dans laquelle il était tout k coup 
^ombé, après une vie d'alarmes et de fatigues, 
ivait achevé l'oavrage des blessures dont 41 



. • 



du générai Happ. S33 

était couvert* Sa santé s'était évanouie J bientôt 
ucha au terme que lui avait assigné la na- 
• n envisagea la mort sans émotion, se 



ilto 
ture 




mille et pour la France. 



f^ 



PIECES JUSTIFICATIVES. 



Lettre du général Rapp au duc de Wurtemberg. 

Dn i4 Jnîn* 

M. le colonel Richement m*a communiqué la lettre 
dont Totre altesse royale Ta honoré le... de ce mois. 
Xai TU ayec peine que les propositions ^ès concilian- 
tes faites, en mon nom, par M. Richement^ n ont 
point été admises et que des discussions se sont 
entamées sur des points qui me semblaient ne dcToir 
donner lieu à aucun débat. 

En général, je dpis faire observer à votre altesse 
royale que Tarmistice n a pas été demandé par Tem- 
pereur Napoléon , ce qui suppose que tous les arti- 
cles doivent être entendus à Tayantage de Tannée 
française; mais puisque Ton méconnaît les intentions 
du traité, je ne yois d autre moyen pour remplir le 
but de yotre altesse royale et le mien, que de lui 
proposer de laisser , quant aux limites, les choses dans 
rétat où elles sont, et dmformer les commissaires 
nommés par Tarticle 9 et 12 de Tarmistice, des dif- 
ficultés qui se sont éleyées ici sur fexécutidn de far» 
ticle 6. Je* prie donc yotre altesse de nommer, con- 
jointement avec moi, deux officiers qui seront chargée 
de se rendre auprès de ces commissaires, et qui rap. 



536 Mémoires 

porteront bientôt la solution que nous deyons at- 
tendre. 

Je consens pareillement à ce que larticle relatif 
aux sul)sistances ne soit réglé que proyisoirémentj 
c'est-à-dire que si yotre altesse royale ne youlait pas 
prendre sur elle de faire livrer trente mille rations de 
vivres à compter du jour de larmistîce^ ainsi quelles 
me sont nécessaires d'après Tétat de la garnison, lé 
colonel Bichemont pourra régler avec MM. les com- 
missaires russes, les quantités qui devront nous être 
fournies, a valoir sur ce qui sera définitivement réglé 
par les commissaires de larmistice , auxquels on en 
référera comme pour Tarticle des limites. 



Xi'of&cier qui a apporté laimistice aurait pu se 
cbarger de faire connaître au cpiartier-général impé- 
rial les discussions qui se sont élevées , si ses instruc- 
tions ne Tobligeaient à retarder son départ Jusqu'après 
la première distribution qui doit être faite à la gar- 
nison par les soins du général commandant le blocus. 

. J^aurâis beaucoup désiré qu'on s'entendît pour l'exé- 
cution., du traité, car j'ai lieu de craindre que Ton 
ne tire du retard de cet of&cier des inductions (a- 
eheuseis sur la bonne intelligence que larmistice sup- 
pose entre nous, ce dont j'aurais été d'autant plus 
contrarié qu'il me semble que votre altesse aurait pu 
accéder aux propositions du colonel Ricbemont; ce 
que j'aurais très - certainement fait en sa place , sans 
pour cela craindre aucun reprocbe de mon souverain. 

Signéf Comté Rapp; 



RÉ- 



^ du général Rapp^ 537 

Réponse. 

Sulmîn , le i5 juin i8i3, 

• 

J'aî reçu la lettre que votre excellence m'a fait 
rhonneur de m'écrire en date du 14 jtiin, et je dois 
lui ayouer avec franchise que je ne puis trop m'eipH« 
quer les motifs des mésentendus qui existent relative^ 
ment à Vexccution littérale des articles ue la trêve. 

Ce traité ayant déterminé des bases fixes pour éTiter 
tout sujet de contestation , il me semble quil se^it 
infiniment plus simple et plus naturel de s'y tenir eh^ 
tié'rement. J^ayoue a yotre excellence que c'est ayec 
une véritable peine que je consens à m'en écarter 
d'après sa proposition. Il me semble que, par cet ar» 
rangement qu'elle désire , nous outre '- passons d'une 
certaine manière tous deux nos pouvoirs* , et qu'il vau- 
drait beaucoup mieux ^e régler entre nous le rayon 
de n,eutralité d'après le sens littéral de l'armistice* 
Cependant, pour éviteAoutes discussions ultérieures, 
je consens, d'après sa proposition , de laisser les choses 
sur le pied actuel ; j'ordonnerai même aux chefs de 
mes avant-postes de s'entendre avec les vôtres pour 
faire quelques arrang^aènts qui pourront lui être 
agréables relativement à m es •vedettes etàmes piquets^ 
pour empêcher toute collision entre nos troupes lé- 
gères* . ' 

Pour ce qui concerne Tarticle des. subsistances, la 
commission rassemblée à cet effet a déjà commencé 
ses séances , et j'espère que M. le colonel Richemont 
sera bientôt en état de pouvoir lui annoncer que cet 
article a été définitivement réglé. 

22 



558 Mémoires ^ 

Quant à ce qui regarde4e8 deux officiers que yotre 
excellence voudrait envoyer auprès des commissaires 
destinés à régler définitivement toutes les difficultés 
qui paraissent naître relativement aux stipulations de 
la trêve, je dois vous observer, monsieur le comte, 
que je nai point le pouvoir de leur accorder les passe*, 
ports nécessaires: larticle des subsistances qui sera 
réglé incessangnent permettra, dans peu de jours, a 
M. le capitaine Planât de se chi^i^er de cette com- 
mission. 

» Veuillez tous persuader au reste, mon général, 
qu accoutumé, depuis yingt-cinq ans de, service, à 
remplir avec une parfaite exactitude les ordres de 
mon souverain, j'aurais agi dune manière bien diffé- 
rente si j avais consenti aux propositions qui m*ont 
été faites par M, le colonel Richement, et qui s'écar- 
taient si essentiellement des articles dune trêve dont 
les expressions simples et natùelles ne laissent aucune 
latitude à la moindre discussion. 

VotrjB excellence me trouvera au reste toujours prêt 
â faire tout ce qui pourra lui être agréable et qui s ac 
cordera; avec mes devoirs. Je saisirai de même ^ avec 
empressement tontes les occasions où je pourrai la 
convaincre que rien n'égale la très-haute considération 
avec laquelle j ai l'honneur d'être, etc. .. 

Signe y ÀLexANDRs, duc de Wurtemberg. 



t 

•^■^-^•^m 



du gérféral Rapp. 



339 



Lettre du duc de Wurtemberg à sqtï excellence 

le comte Rapp^ 

De mon quarjder-général^ le 12 juillet i8i3, 
(Arrivée le 14^ quoique le duc ne fî(kt Cfo^h % lieuet deDantxic») 

Général, 

Un courrier, qui vient de m'arriver du c[Uartier- 
général,' m'apporte l'ordre de suspendre le« fournitu- 
res cpii ont été faites jusqu'ici à la garnison de Dant^ic. 
Le corps de To|ontaîres qui se trouvait sous les ordres 
du major prussien Lutzow ayant été attaqué, pendant 
la durée de là trêve, sans le moindre motif, on m'an* 
nonce que c'est la raison qui a causé cette détermi^ 
nation , qui doit avoir son cours jusqu'au moment où 
cette affaire sera réglée définitivement. 

En communiquant les ordres que j ai reçus à votre 
excellence, je la préviens en même temps que cette 
affaire, qui sera probablement bientôt réglée, ne 
change cependant point les autres articles de la trévCi 
qui doit subsister dans toute sa teneur. 

J'ai l'honneur, etc. 

Signé, ÀMXANDBB, duc de Wurtemberg, 

général de cavalerie. 



22 



340 Mémoires 

* 

Réponse. 

DantzîCy le i4 juillet i8i3. 
Monsieur le duc, 

Depuis les arrangements convenus entre- nous par 
suite de Tarmistice, fài tu ayec beaucoup de peine 
que TOtre altesse^ royale ne les remplissait pas avec 
l'exactitude qn exigent de pareilles conventions. 

J'ai aperçu^ dans le retard de toutes les livraisons^ 
une gueri*e sourde ^i détruisait par le fait Fesprit 
de l-armistice* Malgré mes continuelles réclamations, 
on' a laissé arriérer une grande partie des fournitures; 
vous n avez pas même acquitté le 'courant , et c'est 
' dans cet état de choses que je reçois , aujourd'hui 14, 
la lettre de .votre, altesse , en date. du la juillet, qui 
me. prévient quelle a ordre de suspendre les fourni- 
tures. Cefte cessation a* effectivement ^ieu depuis qua- 
tre jours, c'est-à-dire depuis le 10; et comme notre 
correspondance peut nous parvenir en deux heures, 
je ne cacherai point à votre altesse avec quels senti- 
ments je 'dois apprécier ta différence de la date et ^e 
l'arrivée dé votre dépêche. 

Les conditions d*un armistice, monsieur le duc 
lient également les deux parties; et dés que Tune 
d'entre elles se permet d'en annuler une des clauses 
prûicipales et des plus' essentieUes , l'armistice est dés 
lors rompu, et elle se met en état de guerre contre 
l'autre : et c'est ainsi que je considère , dés à présent^ 
la déclaration que vous me faites; et quoique votre 
altesse ' m'annonce que les autres articles de la trêve 
subsisteront,^ elle sentira que je ne puis recevoir de 



] 

du général Rapp. 



341 



pareilles* modifications que par les ordres de * mon 
souyérâin. H ne me reste donc 'plus ^'à la prier de 
me faire savoir si les six jours qui doivent précéder 
la reprise des hostilités courront du 12& à une heure 
du matin, ou du i4 à midi. 

* 

, Il 

Je dois lui déclarer , au surplus , que je la rends 
responsable de la rupture d*un armistice conclu entre 
nos souverains , et que je ne puis entendre à aucune 
explication évasive qu'après la réception de tous les 
yivres qui me sont dûs. 

Signé ^ comte Bafp. 



Lettre du duc de\fVurteTnberg au général comte 

Rapp. 

De moD quartier-général, le i5 juillet i8i3. 

Je viens d^ recevoir la lettre que vous m'avez écrite» ' 
et je ne puis dissimuler à votre ei^eellence que j'ai été 
plus, que surpris de son contenu. ^ 

II' sei*ait absolument inutile de répeter encore a 
votre excellence ce que MM. les généraux Borosidih 
et Jelebtzow n'ont pas manqué de lui' observer â-plu- 
sieurs reprises, c'est-à-dire que les retards momen- 
tanés qu'a éprouvés la garnison de Dantzic dans son 
ravitaillement n'ont été occasionés que parce que 
rar|angement proposé et damandé par votre excel- 
lence, de faire acheter des vivres par ses propres 
commissaires, a été changé subitement, ce qui n'a^pas 



342 . Mémoires 

vunMpié de produire les plus grands embarras, les 
commissaires prussiens s*étant excusés sur le dénû^ 
ment total des proTÎaces Umitropbe^ de Dantzic, qui 
•ont déjà chargées depuis si long-temps de lapprovi- 
sionnement de mes troupes. Si , comme je Tayais déjà 
demandé plusieurs fois , il y ayait eu ici, à mon quar- 
tier - général, conformeraient aux stipulations de la 
trêve, un commissaire français en permanence, il au- 
rait pu se conyaincre lui-même de Fembarras extrême 
qu^ont eu les commissaires prussiens pour se procurer 
les' charrois et les yivres nécessaires pour le ravitail- 
lement de la place de Dantzic , et pour Fentretien de 
mes propres troupes, de manière que ce nest point 
Tarmée formant le blocus qui a mis des entrayes.-att ra« 
vitaillement de la place de Dantzic. Au reste , ce n est 
qu*à mon souverain, Tauguste empereur Alexandre, 
auquel je dois rendre compte de mes actions. 



Je viens maintenant à un article beaucoup plus im- 
portant, puisqu'il pei^t ayoir des suites très -consé- 
quentes 5 car il parait , d*aprés la lettre de yotre excel- 
lence, quelle est décidée à recommencer les hostilités 
de son chef, tandis . que les places de Stettin et de 
Custrin sont aussi privées momentanément, comme 
Dantzic 9 des fournitures stipulées dans Tarmistice. 
J>spére au reste quelle fera de mûres réflexions sur 
ce qu'elle entreprendra ; et c est moi qui la rends res- 
ponsable de toutes les démarches qu^elle fera , et qui 
pourraient eihpêcher les puissances belligérantes de 
se rapprocher. ; 

^ Je lui, envoie ci-joint la copie exacte de la lettre 
que j'ai reçue de M. le commandant en chef de toutes 



du général Rapp, 343 

.-X 

les armées, Barclay de ToUj; elle Terra que bien 
loin c[u'il soit question de recommencer les hostilités^ 
cela m'est expressément interdit. 

Si, malgi'é toutes mes observations, momsienr le gé- 
néral, dont au reste j*ai prîs acte devant mes géné- 
raux, commandants de corps, tous ne jugiez pas â 
propos d'attendre patiemment que Taffaire de la légion 
de Lutzow, qui a causé la suspension momentanée du 
raTitaiilemeut de Dantzic^ dont les arrérages au reste 
ne sont que suspendus, et des autres forteresses, soit 
réglée à Tamiable , et que vous m attaquiez, je tous 
' prouverai que mes braves Russes ne craignent les me- 
naces de personne , et qu ils sont au Ireste prêts à ver- 
ser leur sang pour la cause de tous les souverains et ' 
de tous les peuples. ^ 

Signé f Albxaudrb, duc de Wurtemberg* 



Réponse.^ 

Danuic, le 16 juillet i8i5. 

J*ai reçu la lettre que votre altesse royale ma fait 
rhonneur de m'écrire, le 1 5 de cé-mbis. Je ne revien- 
drai pas sur les diverses observations quelle me fait 
sur la non-exécution des conditions de Tarmistice, 
reUtivement aux vivres ; elles^ ont été Constamment 
reproduites et toujours victorieuseinent refutées, et 
ne présentent rien de nouveau. Le général Heudelet, 
que j ai envoyé à la cbnférence demandée par M. le 



N 



344 Mémoires 

générai Borodsin ,< a fait connaître de ma part les seuls 
moyens d^arrangement proyisoire ^[ui pouyaient encore 
avoir lieu entre nous« 

•Dans une lettre du 149 j'ai prié yotre altesse royale 
de me ftxer à quelle époque devaient commencer les 
six jours entre la rupturp et la reprise des hostilités; 
je n ai pas eu de réponse positive. Je dois donc la pré- 
venir que la lettre de votre altesse royale dujs ne 
m*étânt parvenue que le 14 à midi, et ne pouvant 
considérei^ son refu^ positif et officiel de continuer 
les fournitures que comme une rupture de farmistioe, 
les hostilités recommenceront le 20; je dois cette dé- 
termination à rempereur et à rhônneur de mon^ corps 
d*armée. Six coups de canon tirés des divers forts 
de Dantzic, à midi, ne laisseront aucun doute à ce 
sujet. " * 

Je prie votre altesse royale de ne pas considérer 
comme une menace Tobligation^ où je me suis trouvé 
dlnterpréter la violation d'un des articles du traité 
commf^ une déclaration formelle qui annulle farmis- 
tice ; je connais les braves troupes russes , qi^e j*ai sou- 
vent combattues, et je sais quelles sont dignes d'être 
opposées aux nôtres* 

Ma lettre serait finie ,' monseigneur, si je n étais 
dans Tobligation de faire remarquer à votre altesse 
royale, relativement à quelques expressioiis' de' sa- 
lettre du i5, que je ne dois ég^ei&ent compte quà 
mon souverain de mes déterminations ; que , quant à 
jce que votre altesse appelle la cause de tous lès sou- 
verains et de tous les peuples, ces phrases sonf bien 
extraordinaires dans ^la lettre dun prince qui* sait 
mieux, que personne que femperenr Al\3!]Landre , . son 
souvera^, a été- engagé pendant cinq ans dans notre 



du général Rapp^ 345 

alliance contre le despotisme d*ane paissanoe mari* 
time qui voudrait avoir tout le continent pour tri- 
butaire , et que son auguste frère , le roi de Wurtem- 
berg, a été depuis long -temps lun des plus fermes 
soutiens de cette même cause^ * 

' Signé y Comte Rapp. 



Lettre du duc de fVurtemberg au général Rapp. 

De mon quartier-général, le 17 juillet 18 13. 

Monsieur le général, 

• 

Je n^aurab plus riex^ à ajouter à la lettre que j*ai 
écrite à votre excellence en date du i5 juillet ^ si la 
guêtre formelle qu^elIe me déclare comme de puissance 
à puissance ne m'obligeait de faire encore quelques re- 
marques essentielles, ayant le commencement des hos- 
tilités quelle "va entreprendre. 

Je lui observerai donc, quoiqu il me soit absoliunent 
impossible d'accepteip officiellement la déclaration 
quelle va recommencer les hostilités, et en vous ren- 
dant ^encore une fois responsable, mon général, de 
toutes les suites que produira cet événement, que si, 
malgré mes observations , vous persistiez cependant 
dans uite détermination qui , à ce que je crois , ne sera 
pas même v^pprouvée par Tempereur Napoléon, que 
le tesme de la rupture que Vous fixez- au 20 juillet à 
midi est. contraire : aux ai'ticles 2 et 3 de Tarmistice, 
puisqu après le 20 juillet, le terme de fexpiration de 



346 Mémoires 

lâ tréye, les hostilités ne pourront cependant recom- 
taencer , d'après Tarticle 9 , . que six jours après le 20 
juillet, ce qui nous mènerait donc au 26 de ce mois; 
et il serait vraiment jsxtraprdinaife que nous fussions 
les deux seuls chefs de corps *sur le théâtre de la 
guerre qui recommençassent les hostilités. 

Je suis convaincu qu'avec un peu de patience nous 
aurons bientôt la nouvelle que les affaires des cabi» 
nets prennent une autre tournure. Quel serait alors le 
regret de votre excellence si , par une trop grande pré- 
cipitation, il pourrait diD nouveau naître des embar- 
ras entre les cours, dont la mienne, au reste; na au- 
cun reproche à se faire',) puisqu'il était bien naturel 
qu'elle usât momentanément de représailles après 
avoir appris la destruction du corps de Lutzow au 
mkieu de farmistice, les honune ne pouvant point 
renaître, au lieu quil sera très -possible de fournir à 
la garnison de Dantzic les ravitaillements arriérés. 

Je finis ma lettre, mon général, forcé de tous faire 
quelques observations sur les dernières phrases de la 
vôtre, qui m*ont paru extrêmement étranges. L^u* 
rope entière , et. j*ose dire la France même , connaît 
parfaitement les raisons qui ont causé la rupture de 
la paix signée à Tilsit. Elle connaît de même aussi le 
ton dictatoiial dont' s*est servi fambassadeur comte 
Lanrtston au sein de la capitale de Pierre -le «Grand. 
L*auguste empereur Alexandre a dû appeler, à cette 
audace extrême, à son glaive; il a dû s'entourer de 
ses preux , ouvrir les églises saintes , et se confier au 
peuple i^néi*eux et fidèle qui lui a prouvé ce que 
peut linè nation heureuse dans ses guérets, mais qui 
n a pas* balancé un instant de s'armer pour la défense 
de son honneur et de son souverain. 



du général Rapp.. 



347 



Pour ce qui concerne mon frère, le roî de Wur- 
temberg, que YOtre .excellence appelle un des plus 
fermes soutiens de la cause qu'elle défend , je puis 
assurer votre excellence qu un général en chef russe 
ne se croit point inférieur en aucune manière a un 
roi de la confédération, puisqu'il ne dépend que de 
Tempereur Alexandre de m'élever à cette dignité, s'il 
le juge à propos, et alors je serai roi comme un autre : 
jy mettrai cependant une petite condition, c'est que 
ce ne soit point aux dépens d'aucune puissance, ni 
de personne. 

Signé ^ Alexandre, duc de Wurtemberg, 



» _ 



348 Mémoires 

CAPITULATION. 

DE LA PLACE DB DANTZIC. 



■i*a 



Capitulation ' de la plac^ âe Da«tei€ , sous con- 
ditions spéciales, conclue entre leurs excellences) 
M. le lieutenant - général Borozdin ; M. le général- 
major Welljaminoff, en fonction île chef de Tétat- 
major; et MM. les colonels du génie Manfredi et 
Pullet; chargés de pleins pouvoirs de son altesse royale 
monseigneur le duc de Wurtemberg, commandant en 
chef les troupes, formant le siège de Dantzid, d'une 
part: 

■ 

Et leurs excellences M. le comte Heudelet, gé- 
néral de division^ M. le général de brigade d^jEIéri- 
court, chef de fétat-majôr; et M. le colonel Riche- 
mont; également chargés de pleins pouvoirs *3e son 
excellence le comte Bapp, àide-de-champ de Fempe- 
reur, commandant en chef ^i dixième corps d'arméci 
gouyemeur-général, d'autre part: 

ARTICLE PREMIER. 

Les troiipes formant la garnison de Dantzic, des 
forts et redoutes y . appartenants , sortiront de la ville 
ayec armes et bagages, le lev janvier 1&149 â dix heures 
du matin par la porte d'Oliwa, et 'poseront les armes 
devant la batterie Gottes-Engel , si à cette époqpne 
la garnison^ de Dantzic n est point débloquée par 
un corps Jarmée éq[.uiYalént àf la force de Tarmée 
assiégeante, ou si un traité ^conclu entre les puis- 






N 



du général Rapp. 



349 



sances belligérantes n*a pas fixé à cette époque le 
sort de la Tille de Dantzic. MM. leis officiers con- 
seryeroBt leurs épées, en égard à la vigoureuse dé- 
fense et à la conduite distinguée de la garnison/ Le 
peloton de la garde impériale, et un bataillon de six 
cents bommes , conserveront leurs armes , et ils pren- 
dront avec eux deux pièces de six, ainsi que les 
chariots de munition y appartenants. Vingt -cinq ca- 
valiers conserveront de même leurs chevaux ef leurs 
armes. 

ARTICLE II. 

Les forts de Weichselmunde , le Holm, et les ou- 
vrages intermédiaires, ainsi que les clefs de la porte 
extérieure d'Oliwa, seront remis à Farmée combinée 
dans la matinée du 24 décembre i8i3, 

4 

ARTICLE III. 



D^abord après la signature de la présente capitula- 
tion , le fort Lacoste , celui de Neufahnvasser avec ses 
dépendances , et fa rive gauche de la Yistule jusqu â 
la hauteur de la redoute Gudin, et à partir de ce~den. 
nier ouvrage la ligne des re.'outes qui se trouvent sur 
le Z^angenberg , ainsi que la Mowenkrugschantz , se- 
ront remis dans leur état actuel, sans aucune détério- 
ration , entre les mains de Tarmée assiégeante ; le pont 
qui réunit présentement la tête du pont de Fahrwasser 
avec le fort de Weichselmunde, sera reculé et placé à 

Fembouchure de la Yistule, entre Neufahrwasser et 

^ \ ' 

la Mowenhrugsohautz. 



350 Mémoires ■ 

ARTICLE IV. 

• 

lia garnison de Dantzic sera prisonnière dé guerre 
et sera conduite en France. Monsieur le gouyemeur 
comte Bapp, s^engage formellement a ce que ni les 
officiers ni les soldats ne servent, jusqua leur parfait 
(échange , contre aucune des puissances qui se trouvent 
en guerre contre la France. Il sera dressé up contrôle 
exact jdes noms de tous messieurs les généraux, offi- 
ciers, /ainsi que des soùs- officiers et soldats, compo- 
sant la garnison de Dantzic, sans exception quelcon- 
,rque. Cette liste sera double; chacun de messieurs les 
généraux et officiers signera la promesse et donnera 
«a paif'ole d'I^onneur de ne point servir ni contre la 
Russie ni contre ses alliés, jusqua leur parfait échange. 
On fera de même un contrôle exact dé tous les sol- 
dats qui se trouvent sous les armes, et un autre de 
ceux qui sont ou blessés ou malades. 

ARTICLE V. 

I 

Monsieur le gouremeur, comte Bapp, s^eogage de 
faire accélérer autant que possible l'échange des in- 
dividus formant la garnison de Dftntzic, grade pour 
grade , contre un nombre égal de prisonniers appar- 
tenants *aux puissances coalisées. Mais si, contre toute 
attente,, cet échange ne pouvait avoir lieu à défaut du 
nbm)3re nécessaire de prisonniers russes, autrichiens^ 
prussiens, ou autres, appartenants aux cours alliées 
contre la France, ou si lesdites cours 7 mettaient 
qu^que obstacle, alors au bput d^un an et d*un jour, à 
dater du ler janyier mil huit cent quatorze, nouveau 
style, les individus formant la garnison de Dantzic, 
seront déchargés de fobligation formelle contractée 



« ^ 



du général Rapp. 3&1 

dans r^rticle lY de la présente capitulation, et pour- 
ront être employés de nouveau par leur, gonremementi 

ARTICLE VI. 

Les troupes polonaises et autres appartenantes à la 
gaiiiison auront une pleine et entière liberté de suivre 
le sort de Tannée française, et dans ce cas seront ti^ai- 
tées de la même manière, excepté celles de ces troupes 
dont les souverains seraient alliés avec les puissances 
coalisées contre sa majesté Fempereur Napoléon ^ les- 
quelles seront acheminées sur les états ou les armées' 
de leurs souverains , suivant les .ordres qu elles en 
recevront , et qu elles enverront chercher par des offi- 
ciers ou courriers aussitôt après la signature du pré- 
sent. Messieurs les pffîfiers polonais et autres donner 
ront chacun leur parole d'honneur par écrit , de ne . 
pas servir contre les puissances alliées, jusquà leur 
parfait échange, conformément à Texplication donnée 
par larticle V. 

ARTICLE VIL 

Tons les prisonniers, de quelque natiouiquils soient, 
qui appartiennent aux puissances en guerre contre 1« 
France , et qui se trouvent présentement à DanISsiCf 
seront remis en liberté et sans échange, et envoyés 
aux avant-postes russes par la porte Peters-Hagen, le 
matin du 12 décembre 18 13. 

ARTICLE VlII. 

Les malades et les blessés appartenants à la garnison 
seront traités de la même manière et avec les mêmes 
soins que ceux des puissances alliées^ ik seront en- 



352 Mémoires 

yojés en France après leur parfait rétablissement, sous 
les mêmes conditions que le reste des troupes fonàant 
la garnison de Dantzic. , Un commissaire des guerres 
et des officiers de santé seront laissés auprès de ces 
malades pour les soigner et réclamer ^ur éyacaation. 

Article ix. 

^ D*abord qu*un certain nombre d 'individus apparte- 
nants aux troupes des puissances, coalisées aura été 
échangé contre un nombre égal d'indiridus appaiiie- 

'nants à la garnison de Dantzic, alors ces derniers peu- 
yent se regarder icomms libres de leur engagement 
précédent , contracté formellement dans larticle lY 
de la présente capitulation.* . -- 

ARTICLE X. 

m 

Les troupes de la garnison de Dantzic , à Téxcep- 
tîon*de celles qui, aux termes de Tarticle VI, recevront 
les ordres de leurs souverains, marcheront par jour- 
nées d'étape en quatre colonnes , et à deux jours de 
distance lune de Tautre, et d'après la marche -route 
ci-jointe, et seront escortées jusqu'aux ayant -postes 
de l'armée français^. Les fournitures pour la garnison 
de Dantzic se fei'ont en marche , conformément à l'état 
ci-joint. La première colonne se mettra en marche le 
a janvier 1814 ; la seconde, le 4i ®^ ^^^ ^^ suite. 

ARTICLE. XL 

Tous les Français non combattants , et qui ne sont 
point an service militaire, pourront suivre, s'ils Je 
veulent , les troupes de la garnison ; mais ils ne peu- 
vent point prétendre aux rations fixées poiur les^ mi- 
litaires \ 



I 



t. . 



du général Rapp. . 3$5 

litaires; Ut .pomTont dispoèer au reste des propriétés 

• • • 

qui seront reconnues leur aj^^artenîr. 

ARTICLE XB. 

, ■ ' . . • • ^ ' 

Le* 12 décembre 181 3, il sera remis au commissaire 
nommé par Farmée assiégeante , tous les canons , mo.r« 
tiers, etc., etc., armes, munitions de guerre, plans, 
dessins , devis , les caisses militaires , tous les' magasins 
de quelque nature qu^ils soient, les pontons, tous les 
objets appartenants aux corps du génie, à la marine^ 
à Tartillerie, au train, voitures , etc. , etc. , sans ancane 
exception quelconque y et il en sera fait .un double in- 
Tcntaire qui sera remis au chef d'étât-major de Tannée 
combinée: * ^ 

ABTlCtEXÙr. » 

• • • / 

MM. les généraux, officiers d'état-majôr et autres, 
conseryevont leurs bagages e*!; É^urs chcTaux fixés par 
le règlement français, et receyf ont le fourrage en con- 
séquence pendant la marche. 

ARTICLE XIV. 

.; Tous les détails relatifs aux transports à accorder, 
soit pour les maladesi et blessés , otL pour les corps et 
officiers, seront réglés par les chefs des dew états- 
majors respectifs. 

ARTICLE XV/ 

Il demeure réserré au sénat de Dantzic de fair^^ 

• ♦ » ■ ■ ■ 

yaloir auprès de sa majesté Temperear Napoléon tout 

. ' : .23 






354 ' Mémoires 

•M droits 9 la liquidatiQn detf dettes *qui peuvent exis- 
ter de part et d autre \ et son excellence le gouyemeuF- 
général s*oblige à faire donner à ceux enyers qui ces 
dettes ont été contractées des reconnai$sances qui 
serrent à certifier leurs créances; mais sous aiicua 
prétexte f il né pourra être retenu des otages pour 
ces créances. 

ARTICLE XVI. 

Les hostilités de tout genre cesseront de part et 
d^autre à dater de la signature du présent traité. 

ARTICLE XVn« 

Tout article qui pourrait présenter des doutes sera 
toujours interprété en fayeùr de la garnison. 

AR%ÇLE XVIII. 

On fera quatre copies exactes dé la présente capi- 
tulation,* dont deux en langue russe et deux en langue 
française, pour être remises en double aux deux gé- 
néraux en chef* 



• 



ARTICLE XIX. 

\ 

Après la . sigi^âture de ces pièces oiBcielleSi il 
' 'sera permis au gouyerùeur général, comte Bapp, d*en- 
Toyer un Courrier à son gouyemement ; il sera ac- 
compagné jusquaux ayant-postes français par un offi- 
cier russe. 



du général Happ. 



m: 



Fait et cpnyenm. à Langfiilir, ùejoiirdliiii «o no* 

S^e', le général de dirinoB aomw HBmMair^ le géàéràl 

d*HBRico VET , le colonel RiombHo^, le lientenani-géné- 

ral et chevalier Bonozoïrr , le général-maior Wbll- 

JABf iNOFF , en fonction- de chef d'état-tnajor , le colonel 

du génie Maufabdi , le colonel do génie Pvll<t* 

• • • . • ■ 

Vo et appronTé)- 



1 



L« Cointi; Bapp. 



I 



• 



5§6 Mémoires 

Lettré du duc de Wurtemberg au général Rapp. 

De mon qaartîer«>géBéral de FelouksD, le s3 déoembre i8i5^ 
• à 11 heiiree da eoir. . 

Général, 

Je suis obl^é àe tou« faire part que je Viens de 
reccToir un courrier de sa majesté impériale q[iii 
m*apprend que la capitulation conclue entre robe 
excellence et inoi a été approuyée par Temperi^rf 
hormis ce ^ qui concerne -le retour de la garnison en 
France. Quoiqu il ne m^appartienne pas d'examiner si 
on a pris en considération particulière que la garm- 
soti de.Dantzic ne soit forcée, à Tinstar de celle de 
Thorn et d^autres places, à, reprendre service avant 
son parfait échange, et après quelle aura repasisé'le 
Rhin, je suis cependant obligé de faire part' à votre 
excellence de la volonté précise -de sa majesté, .étant 
cependant per&uadé qn aucun de MM. les généraux 
ni officiers faisant partie de la brave garnison .de 
Dantzic ne se permettrait, dans aucun cas, dé man- 
quer à ses engagemàits, ce' dont je t;erais volontiers. 
le garant. Sa majesté m*à aussi formellement autorise 
à TOUS déelarer, mon général,- que la garnison ne 
sera point envoyée dans les provinces éloignées de la 
Russie, si votre . excellence me remet la place sans 
détérioration ultérieure, aux termes de la capitulation. 
Elle pourra choisir pour son séjour particulier., celui 
4e MM. les généraux et ofBoiers', entre les villes de 
Heval Pleshow,' Zaliega et Orel, pour y demeurer 
nsqn'à ce. que la garnison soit échangée. D'ailleurs 
s*entend de soi-même que MM. les généraux et ofii- 



du général Rapp. 557 

ciers, d'après la capitulation, consçryeroQt tous les < 
arvantages qui leuir ont été assurés.. Pour ce qui con<^ • 
cerne les troupes polonaises qui so trouvent encore 
à Daiftzie, là yololité de sa majesté est quelles soient 
renvoyées tranquillement dans leurs foyers, à leur 
Sortie de \A place, de même que les troupes alleman- 
des. • ' : 

^ Je dois croire , mon général, que 'votre excellence * 
n hésitera sûrement pas de consentir à ces arrange- 
ments, puisqu'il est à broire'que la guerre ne pourra 
p^ durer un* an, et alors chacun retournera d'abord 
chez soi 5 et je suis d'autant plus ^ persuadé que votre 
excellence prendra cette détertnination que,, dans le 
* cas ' contraire , je ne poui-rai lui épargner , ainsi qu'à 
sa garnison, tputes les rigueurs inévitables qu entraî- 
nerait, une résistance parfaitement inutile , qui aurait, 
pour suite infaillible de voir transporter sa garnison 
dans . les provinces les plus* éloignées de l'empire 
russO', sans qu'elle puisse joidr alors' des moindres 
avantages qui lui seront parfaitement garantis mainte- 
nant, ainsi que toutes' les commodités nécessaires pour 
la route et stipulées dans lacsrpitulation. 

Si votre eg^eellence, contre toute attente, prenait 
/Cependant .. cette détermination aussi inattendue' que 
préjudiciable aux intérêts de la garnison,, je lui.re- 
metti^ai alors après-demain samedi, à midi, tous les 
ouvrages qui ont été cédés à l'armée assiégeante, ex- 
cepté .le fort de Neufahrwasser, puisque la volonté 
suprême de sa majesté est que votre excellence fasse, 
çortir préalablement toutes les troupes allemandes • 
qui se trouvent à Dantzic avec armes et bagages, 
la confédération du Rhin n'existant plus , . tous les 



» 






358 



Mémoires 



état^ qai la composaient étant devenns nos alliés ; et 
dans ce cas Neafabrwasser lui serd. «rçinia de.iaêiDe 
de suite et san§ là moindre difficulté* «Tenvenrai aussi 
à Dantsic par la perte d'Oliwa tous les écloppës, 
des quils seront de retour, et alors les hostilités re- 
commenceraient, lé lenden^n de leur remise,* à neuf 
. heures du matin. 

Signtty le duc de WvBTEAsKnG. 

/*• S, Je pVio rotre éteellence de vonlotr. bien ne faire 
pàTYcnir ta réponse de vain matio. Si M* le général H^n- 
dèlet^ Ou un autre dci MM*, les génçrauz, était envoyé k mon 
quartier«général, cela faciliterait infiniment la conclusioD d'une 
aiTaire qui pourrait se terminer à sa satisfaction* 

J'ai écrit sur ceci à sa majesté par un courrier. 



Réponse* 

Monseigneur , 

■ • 

J*ai fait une capitulation avec votre altesse royale; 
aujourd'hui elle m^aniionce que, sans y; avoir égard, 
Tempereur Alexandre ordonné que la garnison de 
Dantzic' soit envoyée en Russie comme prisonnière 
de guerre, au lieu de teaixer.en France.. 

Le io<>' corps dVrmée laisse à l'Europe, aThistoire; 
.et à la postérité, à jqg^. une aussi* étrange infraction 
des traités, contre laquelle je proteste formellement. 



^ § 



Par suite de ces principes sacrés, j*ai Ffaonneiir 
d'annoncer à votre altesse royales ^^^9 mim ':ténant 



--A 



du gehéral Rûpp^ 



S59 



strictcinéiit au texte d'une eapitulatiqn que je ne dois 
pas regarder comme anéantie^parce quelle est Tidlée^ 
j^e rexécuterai ponctuellement, et que je* suis prêt à 
i^mettrè anjourd*hui ' même aux troupes de T.otj^e 
altesse les forts Weichselmnnde , Napoléon , et le 
Holm, ainsi que tous les magasins^ et à sortir de la 
' place arec ma garnison, le \^^ jânrier prochain. 

A cette ëpoqué) la force et Tabus du pouyoïr 
pourront notis entraîner en Russie^ en Sibérie , ptir^ 
tout où Ton voudra. Nous tourons souffrir ,. roouiîr 
même, s'il le faut, victimes dé notre confiance dans 
un traité solennel. L*emperéur Napoléon et la France 
sontu assez puissants pour nous yenger tôt ou tard. 

Dans cet état de choses, monseigneur, il ne m6 
reste aucun arrangement à faire arec votre altesse 
royale, m*en ^référant entièrement à la capitulation du 
29 noveinbre, qu'on -peut, je le répète, enfreindre, 
mais non anéantir. '«* 

** Signe, Comte Rapp. 
PantziCi le s3 décembre i8i3. 



• 



S60 . Mémoires* 



■ 

Lettre du comte Rapp au diw de Wurtemberg. 



Dantzîc, le 25 décembre i8i5. 



Monseigneur 



^.M<m aide -de -camp m'a remis hier soir la lettre 
que TOtre altesse m'a fait ITioniieur de m'écrire. 

D'après le renyoi cp'elle m'a fait de ma lettre, je 
crois nfaperceTbir quelle me suppose de Taigreiir. 
Yotre altesse ne- me rend pas justice: TOilà 2a an^que 
je fais la gueiTC; je suis habitué à la bonne comm^ 
à la mauvaise fortune. 

Votre altesse < m'a fait J'honneur de me dire, qu'il 
était tout naturel que l'empereur Alexandre pût rati- 
fier on Aon la capitulation:* ou yotre altessQ -était 
munie /de pleins pouvoirs ou lie l'était pas; ma con-. 
duite dan$ ce cas eût été toute différente. 

Le maréchal Ralhreuth, après une défense très* 
courte, a obtenu une capitulation fort honorable. J^ 
me rappelle même que l'empereur Napoléon, qui n'é- 
tait qu'à yingt lieues de la place, «en était mécontent j 
mais il ne 'voulut pas faire éprouver de désagrément à 
son général en chef, en annulait la capitulation, et 
le maréchal Kalkreuth sortit de Dantzic sans la n^oin- 
dre humiliation. Il est .impossible de mettre plus de 
délicatesse et çle loyauté que nous l'avons fait, le ma- 
réchal Lefèb vr^ et moL . Le maréchal Kalkreuth vit 
encore , et, il en a con$elVé le soutenir. Il y a de» 



— -^ 



du général Rapp. 561 

officiers prussiens au quartier-général de votre altesse 
qui pourront aussi en rendre témoignage.^ 

Votre altesse me fait l'honneur de me dire que 
sa majesté ordonne que toutes les choses soient re- 
mises sur le même pied où elles étaient ayant, si je 
yeux recommencer les hostilités. Vo4;re altesse sait 
parfaitement que les avantages étaient aloi^s de notre 
côté, puisqu'elle nous a fait constamment des offres 
quelle prétendait être favorables, et que maintenant 
c'est tout le contraire,: cela n'a pas besoin de preuves. 

C'est d'aîllciurs vous, monseigneur, qui m'avez 
toujours proposé d'entrer en arrangement pour feire 
cesser TefFusion de sang, en nous oilTrant comme 
condition fondamentale notre rentrée en France. La 
correspondance de vôtre altesse avec moi en fait foi. 

Votre altesse sait bien dans quelle situation nous 
nous trouvons, et qu'il est de toute impossibilité, 
sous tous les rapports , de prolonger notre défense ; 
ainsi le choix qu'elle me laisse devient parfaitement 
illusoire. 

Je prie votre altesse de faire occuper aujourd'hui 
Weichselmunde , le Ilolm, et ouvrjages intermédiaires. 
Je 'n'y ai laissé que de petits détachements pour em« 
pêcher les dégradations. Je désire aussi que votre 
altesse envoie des commissaires pour recevoir les in- 
ventaires de nos magasins . de toute espèce ; j'y tiens 
beaucoup , pour qu'il n'y ait pas de, réclamation , et 
qu'on ne puisse pas nous reprocher d'avoir rien dé- 
térioré, non pas dans la crainte d'aller en Rnssie 
avec moins de commodités, comme votre altesse le 
répète dans sa lettre , mais par le désir de remplir 
religieusement tous mes engagementii. 



362 Mémoires 

f ai Oionneur de déclarer de nouveau à votre 
altesse c[ue la garnison de Dantzic sortira le ler janvier, 
dans la matinée, en exécution de Tarticle lerde la 
capitulation du 29 novembre, à laquelle je m'en tiens 
entièrement, et à laquelle il est tout-à-fait inutile 
4*ajouter aucun autre arrangement. Les circonstan- 
ces, après notre sortie, noi^s mettront absolument â 
la disposition de votre altesse. 
#Xai Thonneur, etc. 

Signé j Comte Rapp. 



Au Même. 

96 décembre l8i5. 

• Monseigneur, 

Le généi'al Manfredi m'a remis la lettre de votre 
altesse royale, d'hier,. 25 de ce mois^ Ayant eu déjà 
l'honneur, de^ traiter avec elle les premiers articles de 
cette lettre ,( ce dernier est le seul qui me semble 
exiger une réponse* Yotre altesse royale me déclare 
qu elle ne peut consentir à me laisser sortir de Dantzic, à 
moins d'un arrangement préalable. De mon côte, ne 
croyant pas pouvoir revenir »ur la capitulation du 39 no. 
venibre, approuvée par votre altesse royale et par moi, j'ai 
l'honneur de lui déclarer qu'au 3i décembre, n'ayant 
plus de moyens de prolonger ma défense, je me mets 
à sa disposition, ainsi que les troupes sous mes ordres. 



du général Rapp. 363 

Cet anangement , monseigneur , est bien simple ; c'est 
à yotre altesse royale à régler* le sorl de la garnison* 

Je me contente de recommander à sa générosité 
les soldats, surtout ceux cjui par leurs infirmités et 
leurs blessures réclament plus particulièrement ma 
sollicitude. 

Je lui recommande également les non-combattants, 
les femmes, les enfants, et les firançai^ qui habitent 
Dantaîc. • 

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Signé, Comte Rapp. 



FIN. 



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Page 3 ligne a6 lisez franchise 

SI 99 et Lanri8ton(« 

5i „ fonctions 

aô „ aux 

6 „ toujours 
ap „ biôrcs 
11 „ verrai 

33 „ amiral 
3 „ Qu^est ce-ci 

34 ,, Voyez-vous, lui dlitil 
3 ,, Napoléons 

3 ,, guerre 

8 ,, m'objecta. 

13 ,y un 

33 „ j'étais comme 

4 99 serrait # 
„ lieues 
„ le temps de reprendre. 

4 ,, Rivaud 

5 ,9 Donauwert 

9 ,9 n'était 

7 ,9 attaché 
„ la 
„ torts 

17 ,, gentils-hommes 

35 ^y la fortune 

35 9, Champagne 

34 99 m'éveillerait 

36 ,9 eu lieu 
i8 „ Tappuyc 
31 yy déroute 
i8 yy accueillies 

17 ,y à la baïonnette 

14 99 Wittembcrg 

33 „ n'en a 
lô „ de Pempereur 
i5 99 camp 
31 99 de sa majesté 
3o ^9 traîtresse 

34 „ de sa, confiance 

8 „ versa 
3 99 qu'elles 

11 „ Davoust 

7 ,9 camp. i 

3i 9, influents 

33 „ resté bien 

29 99 peut-être 

81 ,9 long- temps 

18 ,9 qu'il fût 



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